.- LL CPR LE LES Il h | > K Et} 1 ù EUAUACE ©" rene HELVIENNES, LETTRES PROVINCIALES OU PHILOSOPHIQUES. TOME QUATRIÈME, LE RS CL D ma mms na 6x7 done D.JACQUINcan.tit 1508 Est ammpn. nds i : 2 ee 0 nn LE EE Nous déclarons qu’étant propriétaires de cet ouvrage , nous poursuivrons les contrefacteurs sui- vant la rigueur des Lois. LÉQUIGNON fils aîné. BOISTE père: DE L'IMPRIMERIE D A. CLO. LES _ HELVIENNES, OU LETTRES PROVINCIALES PHILOSOPHIQUES. PAR L'ABBÉ BARRUEL. — Ostendam gentibus nuditatem tuam. SIXIÈME ÉDITION. TOME QUATRIÈME. PARIS, À la Eibrairie de la Société Typographique DE MEQUIGNON FILS AINÉ, sr BOISTE PÈRE, RUE DES SAINTS-PERES , N° 10: M. DCCCXXIII. LES HELVIENNES, où | LES PROVINCIALES PHILOSOPHIQUES. RAR RAR RAA RSA RS LAS LD RAS AA ES AS LS AD LA RS LES DEP RE TX CTTE. La Baronne au Chevalier, Laïssows là vos problèmes, chevalier , et toutes vos énigmes. En voici une qui depuis quélques jours me donne une bien autre occupation, et bien d’autres inquiétudes. Ouvrez, je vous prie," ouvrez le gros paquet que je joins à ma lettre. Eisez d’abord le:titre..…. Eh bien , qu’en dites- vous ? Catéchisme philosophique renforcé, ou bien , Ze double Catéchisme. Quel des deux faut- il pendre ,» Chevalier? quel des deux choisirai- je pour Emile? Hélas! je le croyois d’abord , qu’un hasard le plus heureux du monde étoit vénu m'offri dans cette production ce calé- chisme: tant desiré, tant attendu, qui doit un jour faire de nos énfans autant de philosophes. Quelle triste réflexion est venue me jeter dans une inquiétude et des soupçons que tout ne con- tiibue que trop à fortifiér ! Le double Catéchisme 4, 1 2 LES PROVINCIALES peut venir de bien loin, il peut même venir de quelqu'un de nos maîtres ou de nos grands adeptes; je le conçois très-bien lorsque je le compare à nos problèmes, à nos doubles leçons; mais 1] peut aussi nous venir de bien près, je le conçois encore, el je suis bien portée à le croire quand je combine ce qui en précéda la décou- verte, Sont-ce les vraies leçons de nos grands mo- ralistes , recueillies avec soin par quelqu'un de leurs disciples les plus zélés, les plus instruits ? Tout semble me le dire quand je vois et le pour et le contre soutenus si positivement, tan- tôt par divers sages, el tantôt par les mêmes; je le croirois surtout quand je vois des leçons de vertu si différentes de toutes celles qu'on donnoit jusqu’ici à la jeunesse, et si bien prou-- vées à la fin de chaque chapitre par les textes, mêmes dont elle sout, extraites. Mais quand je réfléchis que nous avons ici un terrible ennemi, de la philosophie dans un certain abbé; quand je pense que bien plus d’une fois il a osé me dire que c’en étoit fait de la philosophie si elle, étoit connue , que le rrai moyen de la faire connoiître, de bien manifester tout le danger , tout le poison de sa morale, étoit de dévoiler ses leçons , de Les bien détailler, de. les rédiger même en forme d'un simple catéchisme, clair et débarrassé, de, iout leur attirail de grands mots, de grandes phrases, et dont chaque chapitre füt pourtant ! + PHILOSOPHIQUES, N) soutenu de fortes preuves, de textes bien précis extraits de nos productions Les plus célèbres : quand je pense, dis-je, à cetie prétention de M. l'abbé, j'ai bien peur, chevelier , que l'au- teur du double Catéchisme ne soit pas un de nos bons amis, J'ai bien peur qu'il m’ait fut iei que ce qu'il appelle démontrer clairement, nelte- ment , où nos soi-disant sages prétendent nous conduire, etce que deviendroit notre jeunesse si Pon substituoit au catéchisme de messeigneurs nos évêques, de messieurs nos curés, celui de la philosophie moderne. Ces soupçons se changent en une espèce de certitude quand je vois en effet combien je sero's désespérée que mon fils n’eüt pas d’autres leçons que celles du double Catéchisme. [ls se fortifient quand je pense au mystère que lon a affecté pour me le faire parvenir. Imaginez, cheralier , que je ne sais pas même qui ma fait ce cadeau. Vous savez ce bosquet de mon enclos, où je vais si souvent me promener; c’est là, c'est auprès du petit cabinet de verdure qu’on l’avoit déposé eu forme de rouleau, presque caché sous l'herbe, mais tellement placé sur le bord du chemin, que je devois le heurter avec Le pied en allant ou venant. Je ne vous dirai pas quelle fut d’abord ma joie à la première inspection du titre : Cate- chisme philosophique renforcé. Je ne vous dirai pas comment elle se changea en une espèce de Æ LES PROVINCIALES dépit et de rage, par les réflexions et les sonp- çons qui suivirent de près ma découverte. Je résolus de la tenir secrète, persuadée , que M. l’ab- bé ne tarderoit pas à venir m’en demander des nouvelles. Aisément vous pouvez deviner le ! compliment que je lui aurois fait. Il affecte sans doute de ne point paroiître ; et personne encore n'est venu de sa part. Jai seulement vu M. de Rusi-soph, qui, le lendemain de ma découverte, me fit une visite ; et je m’aperçus que, sans faire semblant de rien, quitlant la compagnie , il alla se promener du côté du bosquet , d’où il ne rentra dans le sallon qu’au bout d’une assez bonne demi-heure. Oh! il y a ici du mystère, ei vous êtes du secrel, M. de Rusi-soph; vous venez sans doute vous assurer si le rouleau est eucore à sa place, ou bien s’il nous est parvenu. Vous allez demandant à mes gens si l’on auroit trouvé quelques papiers; il n’y a que moi à qui vous ne vous adressez pas; el vous rentréz sans avoir Pair inquiet, fort content au contraire de: vous être assuré que le paquet est arrivé à son adresse. Voilà, chevalier, tout ce qui me vint dans l'esprit en voyant rentrer M. de Rusi-soph, Il va s'asseoir auprès de mademoiselle Julie ; je les observe : ils se regardent, se parlent à Po- reilles ils mettent le doigt sur la bouche, comme qui voudroit dire : Gardons-nous d’en parler, n'en soufflons pas le mot; attendons. J'attends aussi, chevalier; mais plus je re-. [l . PHILOSOPHIQUES, 5 passe loules ces circonstances, mieux Je connois l’auteur du catéchisme et son intention, et plus j'ai peur que bientôt les copies ne s’en mulli- plient dans nos cantons, que tout espoir n°y soit alors perdu pour la philosophie. Ah! che- valier , que vont penser nos compatrioles quand on leur dira : Tenez, voilà cette philosophie que l’on veut vous apprendre; nous n’avons plus besoin des leçons de ses adeptes. Voilà toute sa belle morale, ses principes, ses preuves, ses détails, et le beau catéchisme qu’elle offrira bien- tôt à vos enfans. C’en est fait de nous, c'en est fuit à jamais de la philosophie, si je devine juste, Mais voulez- vous savoir à quel point sont fondés mes soup- çons? Il faut que je vous dise ce que c’est que ce M. de Rusi-soph, qui s’entend si bien avec nos ennemis. J'ai voulu bien des fois vous en parler , vous le faire connoitre, je ne sais trop pourquoi j'ai toujours différé. Pour le coup , ül faut vous dire au moins ce que j'en sais, et ce que j'en ai vu; car qu'étoit-il avant d’arriver parmi nous? c’est ce qu'il ne m'a pas été possi- ble de constater. A Pentendre d'abord, il a vu nos philosophes ; mais 1l dit loujours qu’il les a vus d'un bien autre œil que vous. Ii à vécu lonz-temps à Paris même. [l n’y aura pas fait une grande fortune, si j'en juge du moins par le piteux élal dans le- quel il débarqua ici il y a quelques mois. Notre 6 LES PROVINCIALES bon curé, touché de sa misère, lai donna des secours. D'ailleurs un certain air confit en dé- voiion, le premier à la grand’messe et le pre- mier à vêpres, tordant le cou, baissant fort hnmblement les yeux à l’église; il n’en falloit pas davantage pour intéresser en sa faveur tous nos dévois. Les neveux de M. le bailli ont be- soin d’un précepteur; M. de Rusi-soph sait un peu de latin; le curé , le vicaire le recomman- dent ; on le voit, on l’examine : le voilà précep- ieur des deux neveux. Il pourra même donner quelques leçons d'histoire, de dessin, de géo- graphie à la sœur aînée, à mademoiselle Julie ; il suivra la famille quand on monte au château, et l’on ne manque pas, à la première visite, de présenter M. de Rusi-soph à madame la ba- ronne. Le baïlli ne tarit pas sur ses louanges , sur l’heureuse acquisition qu’il a faite. M. de Rusi-soph cest d’une sagesse, d’une dévotion, d’une douceur; enfin c’est l’ange de la maison. Je ne sais ce que c’est; mais je n’aime point du tout les anges de cette espèce. Celm-ci me déplut dès le premier abord; et depuis ce temps- Jà il s’en faut bien que je m’y accoutume. Toute sa modeslie ne m'en impose pas. Je lui trouve cerlain air en dessous, et même parfois cer- laincs prétentions, un ton leste et tranchant, qui ne me plaisent guère, surtout lorsque ce beau monsieur s’avise de juger nos grands hom- ines , qu’il se pique d’avoir assez bien appréciés. PHILOSOPHIQUES. 7 D’Alembert n’est pour lui qu’un petit hom- me, qui n’a jamais le cœur de dire ce qu’il pense. Voltaire , qui dit tout, ne pensa jamais rien. Helvétius ne parle de l’esprit qu’en homme sur- chargé de matière, Jean-Jacques n’est qu’un fon éloquent, qui en veut à tout le monde, et à qui tous en veulent. Diderot s’est perdu dans Îles nues : c’est lé ballon de Montgolfier, moitié vent, moitié fuinée. Le reste ne vaut pas la peine d’être nommé. Dans tous ces propos-là ; chevalier, vous re- connoîtrez sans doute le bon ami de M. le curé. Ses sentimens pour vous ne sont pas plus équi- voques ; il s’en faut bien qu’il soit de ces bonnes gens à préjugés que nous laissons prendre vos lettres pour une vraie plaisanterie, ou même pour la satire la plus amère de là philosophie. H paroïît que M. de Rusi-soph n’aime point qu'en phusante. Lorsque nous vous lisons, il hausse les épaules ; je l’ai vu quelquefois frémir , se dé- piter : al se lächa même, il n’y a pas longtemps, jusqu’à dire que si nos sages étoient plus instruits de votre correspondance, ils trouveroient moyeri de la suspendre, Je sais qu'avec d'Horson, et quelqus-uns de ceux qui furent d’abord vos plus zélés disciples, 1l a des relations secrètes, dont je me suis déjà trop aperçue par Le mépris qw’il inspire pour vous et vos leçons. Voilà le personnage que je soupçonne avoir produit le nouveau catéchisme, de cohcert avce ) LES PROVINCIALES notre abbé. Me serois-je trompée? prendrois-je encore l'ouvrage de quelque savant adepte pour celui de nos grands ennemis ? mes premières crreurs me rendent moins facile à prononcer. Je me suis méprise tant de fois, que'je veux pour le coup sayoir de vous-même ce que je dois en croire. Cependant j’observe: ici mon monde; jai peur de me trouver bientôt seule à conserver quelque estime pour la philosophie. Je n’ai pas voulu même faire semblant d’avoir reçu vos deux dernières lettres. J’aurois peur de m’entendre dire que celle des passions pour- roit fournir un bon chapitre au double caté— chisme. Quant au Problème préservatif, je mé gar- derai bien plus spécialement de le montrer; je n'irai pas leur dire, pour loute solution ; que nos leçons, soit bonnes, soit mauvaises, ne ser— viront jamais à rendre l’homme ni meilleur ni plus méchant ; que le préjugé seul est assez puis- sant pour donner à sa morale et à ses caté— chismes quelque efficacité, quelque influence sur nos vertus où sur nos vices. À quoi bon , me répondroient-ils tous, à quoi bon se vanter de réformer le genre humain , lorsqu'on. nous dit ensuile que toute la philosophie du monde ne fera jamais ni un fripon ni un honnête homme ? Quoi de plus humiliant d’ailleurs , et de plus morlifiant pour nos sages ? Tous les docteurs à PHILOSOPHIQUES. i préjugés n’ont qu’à ouvrir la bouche ; leurs le- çons à leur gré feront éclore le vice ou la vertu dans le cœur de leurs disciples; et nos philoso- phes les plus célébres ne donneroient jamais à leurs leçons la moindre importance. Comment les Diderot et les Helvétius peuvent-ils s’estimer assez peu pour se persuader que leurs con- seils, préceptes, axiomes , seront toujours don- nés et reçus sans conséquence ? Un philosophe seroit-il donc un être à ne pouvoir produire la moindre révolution dans l'empire des mœurs ? Sommes-nous donc si vils , si méprisables , que le gouvernement ne doive aucune attention à uos- dogmes, de quelque nature qu'ils puissent être ? Ou bien notre philosophie sera-t-elle une espèce de drogue que la police laisse indiffé- remment vendre sur le Pont-Neuf et dans tous les carrefours de la capitale, par trente charla- tans, parce qu'on sait très-bieu qu’elle ne peut ni tuer ni guérir? Gardons-nous, chevalier, de donner de nos maîtres une idée si flétrissante, Quant à moi, je sais bien que ce n’est là rien moins que mon opinion sur Pinfluence de la philosophie. Je se- rois un peu moins inquièle sur le double caté- chisme, si je savois qu'il ne fera ni bien ni mal à mon petit Emile. Je vous dirai bien plus : quand même je saurois que toute la doctrine en est fidèlement extraite de nos chefs-d’œuvre philosophiques , je me garderois bien de le met- Te 10 LES PROVINCIALES ire entre ses mains : j’aurois trop peur d'en faire un mauvais fils, un sujet détestable en tout genre. Aussi m’altends-je bien que vous allez m'auloriser à le désavouer , me prouver que ja- mais semblable produclion ne sortit de notre école ; que c’est là, de la part du préjugé , une supercherie affreuse, une suite d’imputations calomnieuses , inventées pour perdre la philoso- phie dans l'esprit de nos compatriotes. Jesais qu'on y retrouve un assez bon nombre de ces mêmes principes que j’avois déjà vus dans nos problèmes ; mais seroit-il possible que nos sages en eussent liré toutes les conséquences qu'on leur impule , qu'ils en eussent admis et enseigné, conseillé tous les détails ? Il faut que vous-ayez un terrible empire sur mon esprit, que mes erreurs passées m’aient rendue singn— lièrement circonspecte , pour me faire craindre encore quelque bévue ; en réjelant un culé- chisme de cette espèce. Bref, jugez-le vous-même; voilà plus de huit jours que je m’enferme pour en tirer copie, n’osant me reposer de ce soin sur personne au- tre. N’omettez pas les notes que j'ai soin d’ajon- ter à la fin de chaque chapitre ; elles prouvent au moins que ce n’est pas tout-à-fait sans raison que l’auteur nvest suspect, et qu'il faut vous hâter de me fournir des armes contre les argu- mens dont je vais ètre accablée dès que celte nouvelle production sera publique. PHILOSOPHIQUES. 11 À 2 = £ n ” > L OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES D'un Provincial sur le double Catéchisme. PERMETTEZ-MOI, lecteur, de suspendre par quelques réflexions votre empressement à con- noître l'étrange production que l’on va vous mèlire sous les yeux. D'un côté, vous y verrez nos sages préconi- ser le vice, ouvrir aux forfaits toutes les voies possibles , sans honte et sans pudeur autoriser les erreurs les plus révoltantes et les plus mons- trueuses ; de l'autre, rougissant de leurs exces, ils sembleront rétracter le mensonge, et vouloir se rapprocher de nous par des conseils nièux faits pour k vertu. Vous pourriez en coneluré que si leurs productions ont leur danger , elles ont aussi leurs vérités utiles ; que nous leur de- vons quelque reconnoissance pour des services réels rendus à la morale; qu’il est enfin un choix à faire à leur école ; qu’au lieu de la fuir , il sufe fit de se livrer à eux avec les précautions de la prudence. Il faut vous détromper, et vous ap prendre à dire : Je ne veux point de ces faux sages , quelque part qu’ils se montrent , quelque doctrine qu’ils professent. Je les hais lorsqu'ils plaident pour le vice; ils sont toujours suspects lorsqu'ils semblent plaider pour la vertu. Parmi ces vérités qu’ils annoncent quelquez, 42 EES PROVINCIALES fois, et parmi ces vertus dont ils affeclent_ de. donner des leçons , en est-il une seule que vous ne puissiez apprendre autre part que chez eux , et sans danger ? Nommez leurs découvertes. Quel conseil salutaire ont-ils donné à l’honnête homme? quelle maxime de sagesse offriront-ils que la raison , la religion , l'Evangile surtout , n'aient donnée avant eux ? Et pourquoi irions- nous chercher sur le fumier ou dans un tas d'ordures cet or que l’on nous offre ailleurs dans toute sa beauté et dans tont son éclat? Pour- quoi puiser ces eaux dans des ruisseaux bour- beux, pestiférés , landis que nous pouvons re- monter à la source la plus pure et la plus saine ? Encore si nous voyions ces vérités utiles sou- tenues à leur école par de nouvelles preuves ; encore s'ils savoient leur donner des appas in- connus jusqu'à eux : mais non; presque tou- jours isolées dans leurs livres, elles y sont sans force conime sans onction ; leur génie me s’a- nime que pour le paradoxe, et leur cœur ne s’'échauffe que pour les passions. Ils épuisent pour le vice et le mensonge toutes les ressour- ces du sophisme, et ils ignorent l’art de manier les armes que la raison et le sentiment offrent pour la vertu. Ils sont toujours gênés quand ils parlent pour elle; quelque chose vous dit qu’ils ne sont pas sur leur terrain, que leurforce ne peut se déployer, qu’ils ne sont plus dans leur | ‘PHILOSOPHIQUES, 15 d'état naturel. Je n’en suis point surpris; et c’est ici, lecteur, la réflexion sur laquelle je vous prie d’insister particulièrement. De ces deux catéchismes que lon va vous offrir, savez-vous quel est celui qui est véri- tablement propre à la philosophie moderne? Celui où vous verrez toutes les vérités morales renversées, tout sentiment de vertu anéanti, | tout crime justifié. Oui, ‘c’est là leur bien pro- pre, c’est là ce qui leur appartient essentielle- ment, ce qui. ne peut appartenir qu’à eux, ce qui peut seul s’allier avec leur grand principe, ce qui découle essentiellement de leur projet commun. Nous l’avons déjà combattu,’ nous Favons réfuté ce projet insensé ; qui consistoit à rendre la morale indépendante de lPidée d'un Dieu , de tonte religion. Ce que je veux vous faire sentir en cet instant, c’est qu’il est seul la source de toutes leurs absurdités morales ; c’est qu'ils n’ont pu le concevoir et le poursuivre sans se montrer inconséquens , ou sans donner dans toutes ces erreurs dont l’ensemble a pro- duit ce catéchisme, dont la lecture seule indigne Jhonnète homme. | Oui, par cela seul que nos prétendus sages ont formé le projet ou d’anéantir Dieu, ou de Fexclure-de Fempire de la morale, par cela seu] ils sont essentiellement devenus ou les philoso- phes les’: plus inconséquens, ou les apologistes de tous les vices et de tous les forfaits. Sans ce 14 LES PROVINCIALES Dieu , en effet, quel but, quel autre objet peu- vent-ils proposer à la vertu, que le bonheur, les jouissances de ce monde? Quelle autre récom- pense offriront-ils au juste, quand ils n'ont d'autre terme à lui annoncer que la mort ? Maïs les jouissances de ce monde peuvent êlre le prix de cent forfaits. Ne soyez pas surpris quand ils prononceront qu’il est des scélérats plus heureux que l'honnête homme; il faut bien qu’ils le di- sent, puisqu'il est tant de justes malheureux en ce monde. Ne soyez pas surpris, à aspect de la vertu inforlunée, de les entendre s’écrier: La vertu n'est qu'un songe ; il faut bien qu'ils le disent, puisque toute verlu qui n’aboutit pomt au bonheur de ce monde n’est pour eux qu’une chimére. Ne soyez pas surpris de les voir pro- noncer que, si le vice rend heureux, il faut ai- mer le vice; il faut bien qu’ils le disent, puis- qu’ils ont prononcé que tout homme cherche essentiellement son bonheur , et que nul autre monde ne dédommage l’homme des maux de celui-ci. Ne soyez pas surpris de les entendre dire qu’il est des hommes qui ne peuvent être heureux que par des actions qui les conduisent à l’échafaud ; il faut bien qu’ils le disent , puis- qu’il est évidemment des hommes qui ne peu- vent acquérir le bien-être et s'enrichir qu’en blessant les droits de la propriété, de la justice. Vous verrez quelques-uns de leurs sages rou- gir de ces affreuses conséquences; ils les ont dé- | | PHILOSOPHIQUES. 15 menties: mais que n’ont-ils aussi renoncé au principe dont elles sont les suites nécessaires ? Ils ont dit : Lamétrie est un fou, le Lucrèce mo- derne est un insensé , Helvétius s'égare. Ce n’est pas là ce qu’ils devoient nous dire. Lamétrie, ce Lucrèce et cet Helvétius sont ici des philosophes conséquens dans leurs raisonnemens. Leur prin- cipe est le même que celui de Rousseau, de Voltaire , Diderot, lorsque ceux-ci exaltent la morale, les vertus de l’athée. Que Rousseau , que Voltaire et Diderot suivent, comme Lucrèce el Lamétrie, la route que leur ouvre ce prin- cipe, ils abouliront tous au même terme. Et qu’ils ne croient pas que nous leur saurons gré de leur modération, lorsqne nous les verrons s'arrêter en-decà de ce terme. S'ils en ont eu hor- reur, il falloit abandonner la voie qui nous y mène ; il falloit prévenir leurs disciples, et leur dire avec nous: Voilà où nous conduit toute morale qui meconnoît un Dieu. 11 falloit Le leur dire constamment, el ne point varier, et ne jamais favoriser un projet , un principe, dont les conséquences les plus directes seront tou- jours propices à lout crime. Qu'ils ne croient pas non plus, ces philoso- phes qui opposent leurs décisions à celles d’Hel- vétius et Eamétrie, que nous leurs saurons gré des vérilès qu’ils empruntent de nous. Nous les réclamerons comme un bien qui ést à nous; nous leur reprocherons de les avoir dépouillées 16 LES PROVINCIALES de leurs preuves, transportées hors de lx seule base qui leur servoit d'appui, de les avoir en- tourées de l’erreur, et rendues suspectes par la manière seule dont ils les défendent. Quelle obligation leur aurai-je de les voir d’un côlé prévenir toutes les haules idées que je pourrois me faire du bonheur de ce monde, quand je les vois de l’autre, avec la méme plume, se plaire à lexalter pour détourner mes yeux d’un bonheur à venir? Quelle obli- gation aurai-je à l’Encyclopédiste d'avoir ap— précié la triste idée que d’Alembert me donne du bonheur, lorsque je le verrai s’extasier lui- même sur celui des sens, el me donner les jouis- sances d’'Epicure. pour les délices du séjour des saints ? ( Joy. Encycl., art. BONHEUR. ) Quel gré puis-je savoir à celui qui ne veut pas qu'un plaisir. passager puisse me rendre heureux , et qui ne permet pas que je m'occupe d’un bon- heur éternel? Quel gré puis-je savoir à Dide- rot de combattre celui qui ne renonce pas à un bonheur , le fruit de Pinjustice, lorsque, poussé à bout par le raisonnement et la logique du mé- chant, il viendra me conseiller de l’étouffer , à moi qui d’un seul mot arrète le méchant, qui n'ai qu’à prononcer le nom d’un Dieu vengeur, et qui vois le méchant effrayé, balbutiant, et réduit à trembler ou à se repentir? # Je Pai dit, je vous laisse le soin d'appliquer ces réflexions à tous les chapitres de ce double PIILOSOPHIQUES. 17 + catéchisme. Souvenez-vous que dans chaque ar- ticle il n’est jamais qu’une décision qui leur soit propre, et qui leur appartienne de plein droit ; celle où vous les verrez renvoyer au préjugé et toutes les vertus de sociélé, et toutes les vertus religieuses ; où ils s’efforceront d’éteindre les remords, de délivrer l’impie, le méchant, de toutes ses erreurs; où ils ne montreront à Fhomme infortuné que le triste suicide pour ressource. Tous ces détails affreux sont les suites nécessaires de leur projet commun, de celte grande erreur qui ne veut point de Dieu dans la morale, qui fixe nos désirs sur le bien-être de ce monde. Tous ces détails seront leur vrai domaine, parce que c’est là qu’aboutit essentiel- lement leur principe commun. .… Cet autre catéchisme , où ils semblent se rap procher de nous, aura lui-même ses erreurs. La vérité au moins y est toujours bien foible- ment défendue ; elle y part trop souvent de la même bouche que le mensonge opposé, pour qu’elle puisse avoir quelque empire sur vous. Je ne veux donc ni de leur catéchisme pour , ni de leur catéchisme contre; je ne veux du sophiste ni pour maitre du vice, ni peur mailre de la verlu, ni pour apôtre du mensonge, ni pour apôtre de la vérité, Je ne veux point d'un champ où l’ivroie est toujours à côlé du bon grain, où le poison abonde. Telle est la conséquence que vous devez tirer de ces réflexions générales sur 18 LES PROVINCIALES ce double catéchisme. Ne vous atlendez pas à ! me voir réfuler séparément toutes les erreurs | qui vont vous révolter, La plupart se trouvent déjà combittues par les vérités que nous avons RL ILE LEP LAS LR LR LE A AE LR AD D LS A ADS D ND AD CATÉCHISME PHILOSOPHIQUE. CHAPITRE PREMIER. Le sage très-content du BONHEUR de ce monde. Le Philosophe. LE bonheur de l’homime en ce monde n'est-il pas l’objet essentiel de la | morale ? IL} Adepte, Oui: être heureux en ce monde, | voilà le premier vœu de l'homme, et sa pre- ! mière loi. Ce doit donc être aussi le premier objet de ses études. La morale n’en sauroit avoir d’autres. ( ’oyez Les preuves de cette doctrine a la fin du chapitre , n° 1, colonne À.) Le Philosophe. L'homme pourroit - il être , dans ce monde, parfaitement heureux ? L Adepte. Our, sans doute, il le peut ; Phomme n’a pour cela qu’à savoir profiter des circons- tances, qu’à bien jouir de tout , et rien ne man- quera à son bonheur. { Preuves, n° 2.) PHILOSOPHIQUES. 19 établies dans nos observations précédentes. Je ne m'arréterai spécialement qu’à celles qni exi- gent une réfutation plus directe. RARE SR LR RE VS AR RAS A AS À LR LAS LA D LR LA AD D SAS GAS CATÉCHISME PHILOSOPHIQUE. CHAPITRE PREMIER. Le sage peu content du BONHEUR de ce monde. Le Philosophe. LE bonheur de l’homme en ce monde n’est -il pas l’objet essentiel de la morale ? L° Adepte. Nox ; il semble que la morale doit plutôt s'occuper des devoirs que du bonheur de Fhomme dans ce monde. (7’oyez les preuves de cette doctrine à la fin du chapitre, n° 1, colonne B.) e Philosophie. L'homme pourroit -il étre dans ce monde parfaitement heureux ? 7} Adepte. Non ; le bonheur en ce monde est toujours pen de chose; et de très-grands mal- heurs v sont inévitables. ( Preuves, n° 2.) 20 LES PROVINCIALES Le sage très-content, etc. Le Philosophe. Les philosophes sont-ils bien d'accord sur la nature du bonheur. L’ Adepte. OUr, parmi les philosophes sur- iout, il n’y a jamais eu qu’une même opinion sur la nature du bonheur. ( Preuves, n° 3.) Le Philosophe. Suffit-il, pour être heureux , qu'on n'ait rien à souffrir ? L' Adepte. Out , ce bonheur est de fait pour contenier les Haine (Preuves , n° 4.) Le Philosophe. Le bonheur positif ne con- siste-t-il pas dans les plaisirs du corps ? I} Adepte. Our, c’est uniquement dans les plaisirs des sens que se trouve le bonheur po- sitif, (Preuves, n° 5.) Le Philosophe. Le corps doit-il passer es Fesprit dans la recherche du bonheur ? L? Adepte. Our, c'est le eorps surtout qu’il fut rendre heureux; l'âme même, si elle existe, ne doit être occupée que de lui. (Preuves, n° 6.) Le Philosophe. La liberté de l’homme nuit- elle à son bonheur? L' Adepte. OUI; sans la liberté, nous se- rions lous nécessairement heureux. ( Preuves , n° 7.) Le Philosophe. Les grandes passions n’a- joutent-elles pas au bonheur ? < PHiLOSOPHIQUES$. 21 Le sage peu content, elc. Le Philosophe. Les philosophes sont-ils bien d’accord sur la nature du bonheur ? L; Adepte. NON; il n’y a pas seulement deux philosophes qui n'aient profilé de leur liberté pour avoir sur le bonheur les opinions les plus variées. P reuves , n° 5.) Le Philosophe. Suit - il, pour être heureux, qu’on n’ait rien à souffrir ? I? Adepte. NoN; c’est avoir une bien petite idée du bonheur que le réduire à l’exemption de la douleur. ( Preuves , n° 4.) Le Philosophe. Le bonheur positif ne con- siste-t-1l pas dans les plaisirs du corps? 17 Adepte. Nox; c’est dans les plaisirs de l’âme qu’il faut chercher le vrai bonheur. ( Preuves, #51) Le Philosophe. Le corps doit -il passer avant l'esprit dans la recherche du bonheur ? L' Adepte. NoN; l’âme doit toujours avoir le pas , puisqu'elle seule fait notre grandeur et notre vraie félicité. ( Preuves, n° 6. ) * Le Philosophe. La liberté de l'homme nuit- elle à son bonheur ? L’ Adepte. NoN; bien au contraire, sans la liberté on ne peut être heureux. ( Preuves, 2 n°9.) ‘Ré Philosophe. Les grandes passions n’ajou- tent-elles pas au bésèur ? 22 LES PROVINCIALES Le sage très-content, etc. L' Adepte. Out, les passions fortes et vio- lentes ne peuvent que nous rendre plus heureux. (Preuves , n° 8.) Le Philosophe. L'homme ne s'est-il pas éloi- gné du bonheur en se civilisant ? L' Adepte. Out ; c’étoit dans les forts que la nature avoit placé le bonheur. La société seule rend l’homine malheureux. (Preuves, n° 9.) Le Philosophe. Les hommes peuvent-ils être heureux sans la vertu ? _ 1} Adepte. Our; car la vertu ne fait rien au bonheur ;'témoin mille fripons plus heureux que les honnètes gens. (Preuves , n° 10.) Le Philosophe. Existe - il des hommes que le crime seul puisse rendre heureux ? L' Adepte. Oui; la philosophie nous en montre plusieurs de cetle espèce. ( Preuves , n° 11.) Le Philosophe. Qu’'auroit à faire celui qui ne pourroit être heureux que par le crime? 1; Adepte. I n’auroit qu’à suivre ses pen— chans , pour s’épargner au moins des efforts inutiles. (Preuves , n°9 12.) Le Philosophe. Que fera celui que sa vertu n'empêche pas d’être malheureux ? IL’ Adepte. Il pourra s’écrier avec Brutus : O vertu ! tu n'es qu'un vain songe. (Preuves , SATA 77 19. } Se PHILOSOPHIQUES. 3 Le sage peu content , ele. . L’ Adepte. Nox ; la nature ne donne paint de grandes passions à ceux qu’elle veut rendre heu- reux. Le présent seroit trop funeste. (Preuves , n° 8.) , | Le Philosophe. L'homme ne s'est-il pas éloi- gné du bonheur en se civilisant ? I} Adepte, Nox ; le bonheur de l homime s’ac- croit au contraire à mesure que la societé se pexfectionne. ( Preuves, n° 9.) Le Philosophe. Les hommes peuvent-ils être heureux sans la vertu ? I} Adepte. NON; les fripons ont beau dire, le crime et le bonheur ne marchent guère en- semble. Preuves , n° 10.) Le philosophe. Vxiste-t-1l des hommes que le crime seul puisse rendre heureux ? 1} Adepte. Non ; jamais ka nature n’a produit de tels monstres ; elle ne peut pas même en pro- duire, Preuves , n° 11.) Le Philosophe. Qu'auroit à faire celui qui ne pourroit être heureux que par Le crime ? L’ Adepte. Ce qu'un homme de cette espèce auroit à faire ? Je n’en sais rien, Mais je sais bien ce qu'il faudroit en faire. Il faudroit Féfoufer. (Preuves, n° 12.) Le Philosophe. Que fera celui que sa verta n'empêche pas d’être malheureux ? L' Adepte. N se roidira contre la fortune, et se gardera bien de se livrer au crime, (Preuves, n° 13.) 1) HS LES PROVINCIALES PREUVES philosophiques du chapitre précé- dent. Colonne À. 1. « LA morale ne peut être autre chose que « l'art de vivre heureux dans ce monde... La « science des mœurs doit être puisée sur la terre « etnon pas dans les cieux. » ( Traité élément. | de Morale et du Bonheur, c. 16 ; Système soc. 5. Helvétius ; Poëme sur le Bonheur, Pré- Jace, etc., etc.) 2. «Quoi qu’en dise une théologie chagriue, « ou une philosophie atrabilaire , l'homme qui « sait jouir peut rencontrer dans ce monde une « foule de plaisirs de détail pour rendre son « existence heureuse. Rien ne manque à notre « félicité quand les circonstances nous ont fourni « le moyen de cultiver le sort que la nature « nous a donné. » (Syst. soc. té. 1,c.15; Mo- rale univ. , n. 3, c. 8.) 3. « Les nb Ses se réunissent sur la nature « du bonheur. Ils conviennent tous qu’il est le « même que le plaisir, ou du moins qu'il doit « au plaisir ce qu’il a de plus délicieux: » (En cyclopédie, art, BONHEUR. } | . PHILOSOPHIQUES. 25 0 PREUVES philosophiques du chapitre précé- dent. Colonne B. 1. SANS la moindre mention du bonheur de ce monde, «nous appelons morale celte science « qui nous prescrit une sage conduite, el les « moyens d’y conformer nos actions, » (Ency- clopédie, art. MORALE.) 2. « Le bonheur dont l’homme peut jouir « sur la terre est moins parfait que celui des « brutes... Ses maux sont nécessaires, et dé- « mentent l’idée qu'il s’est faite que lout est « créé pour lui , et qu’un Dieu s’occupe de son « bonheur.» (Sys£. nat. passim. Foy. surtout Be" ERP 3, « Tous les hommes se font nécessairement « des notions très-différentes du bonheur,» (Sys4. soc. 4.1, c. 15.) Les philosophes eux-mêmes « ne s’accordent pas plus sur cet objet que sur « Lout le reste. Les uns le metlent dans ce qu’il « y a de plus sale et de plus impudent; les « autres le font consister dans la volupté prise « €n divers sens... Quelques-uns dans 4, 2 26 LES PROVINCIALES Colonne A. 4. « Tous les philosophes auroient mieux « connu notre nature , s'ils s’éloient contentés « de borner à lexemption de la douleur le sou- « verain bien de la vie présente. » (D° Ælembert, Préface de l Encyclopédie. ) | 9. € Toutes les fois qu'on voudra se donner } « la peine de décomposer le sentiment vague ! « de l’amour du bonheur, on trouvera toujours « le plaisir physique au fond du creuset. C’est « toujours au plaisir des sens qu’il se réduit. » (ele. , de l Esprit, dise, 5, ce. 2.)« Le bon- | « heur est une sensalion agréable, un plaisir; « en urr mot, tout ce qui flatte le corps. »(La- métrie. Fe heureuse. ) 6. Le bonheur n'étant, en dernière analyse, que ce qui flatte le corps; Cil faut penser au « corps avant de songer à lâme; ne cultiver « celle- Jà que pour donner du plaisir à celui- PHILOSOPHIQUES. 27 Colonne B. « toutes les perfections de Pesprit et du corps. » (Œuvres de Lameétrie, Discours sur la vie heureuse. ) 4. « Un bonheur qui se borne à l’exemption « de la douleur est moins un vrai bonheur « qu’an état, une situation tranquille... C’est « un triste bonheur que celui là. » ( Encyclop. art. BOXHEUR.) « Celui qui voudroit né jamais « sentir de mal ressembleroit à un homme « qui feroil. consister son bonheur à demeurer « dans un sommeil continuel, » (Syst. soc. part. 1, chap. 15.) 3 b. « Les plaisirs physiques, ni ceux de la « fortune et de la gloire, ne sont point capables - « de nous fournir le contentement et la sécurité « de l’âme. Quelque variés qu’on les suppose, « ils finissent toujours par s’'émousser, et par « nous plonger dans l'ennui. » ( Morale unis, extrait du chap. 4, part. 1, et chap. 8, n° 5.) « Le bonheur, qui par son essence est un con- « tentement durable , ne peut se trouver dans « lé plaisir, qui, par son essence, est passager. » ( Traité élément. de Morale et du Bonheur, chap. 15.) 6. « Rangez dans l’ordre qui leur convient « lamour du corps et celui de l'âme... Que « l’amour de l’âme aït le pas... Le bonheur « de ces deux substances dépend de cette subor- 20 LES PROVINCIALES Colonne A. « ci, » ( Lamétrie, ibid.) « La devise du sage « doit êlre en général : f’eille sur ton corps.» (D’Alembert, Eclaircissemens sur les Elé- mens de Philos., n° 8.) 7. « L’homme gravile vers son bonheur, « comimne la pierre vers son centre. Otez-lui la « liberté, il sera constamment heureux. » ( Philosophie nat., tom. 1, p. 89.) 8. « L'homme le plus heureux sur la terre « seroil celui qui, avec de grandes passions, ne « se procureroit que de pelites jouissances; qui « auroit les organes du plus fort des hommes, « el la raison d’un demi-Dieu. » ({ Phulosophie nal. tom. 2, p. 93.) 9. « L'homme dans l’état de nature est sans « énergie, sans activilé, sans aucun exercice de « ses facultés, borné au seul instinet physique. «. Eu lui la conscience est nulle, C’est un être « imbécile, stupide et bête. Est-il possible qu’un « pareil être soit méchant et malheureux? N’est- « il pas au contraire incontestable qu’il est bon « et heureux , et qu’il demeurera tel tant « qu’il demeurera dans l’état où la nature Pa « placé? La société seule dépraye Phomme « et le rend misérable, Il doit, pour rentrer « dans la route du bonheur, renoncer abselu- PHILOSOPHIQUES. 29 Colonne B. « dination. » ( Toussaint, les Mœurs, part. 2, chap. 1.) 7. «La liberté est un bien nécessaire au bon- « heur..…. L'homme n’est heureux qu'avec la « liberté. » ( Traité élément. de morale, c. 6.) 8. « Pour naviguer heureusement , il faut « être poussé par un vent toujours égal... L’ab- « sence des passions fortes fait les gens sensés, « el les gens sensés sont communément les plus « heureux. ( De l'Esprit, Discours #, ch. 12.) « Avec des passions fortes, c’est en vain qu’on « se flatteroit d'obtenir le bonheur. » ( Lettres a Eugénie, lelt, 11.) 9. Le philosophie qui nous envoie chercher le bonheur dans les bois, loin des sociétés, ne se fonde que sur des erreurs. des opinions bisarres et de faux principes. Si le bonheur fut jamais connu , ce fut à celte époque « où tous « es hommes formèrent une société de frères, « liée par les mêmes droits, heureuse par les « mêmes jouissances » ; ce fut lorsque la société, les arts et les sciences se trouvèrent portés à la plus haute perfection. « Ces heureux temp+ « furent, pour l’espèce humaine , un véritable « âge d’or, le siècle de la justice, de l'abondance 50 LES PROVYINCIALES Colonne A. « ment à lPétat social et à ses institutions... « Reprenez (à hommes!) , puisqu’il dépend de « vous, votre innocence antique ; allez dans les « bois perdre la mémoire des crimes de vos « contemporains.» C’est là senlement que vous retrouverez le bonheur primitif et l’âge d’or. (Rousseau; voyez l'analyse de ses Œuvres Par un solitaire, p. 52, 55 et suite.) 10, « fl est évident que, par rapport à la « félicité, le bien et le mal sont en soi fort « indifftrens. Celui qui aura plus de satisfaction « à faire le mal sera plus heureux que celui qui “« en aura moins à faire le bien. C’est pourquoi « lant de coquins sont heureux dans ce monde. » (Lamétrie, Vie heureuse. ) 11. & Il est des hommes qui , si jose le dire, « seroient fous de vouloir être plus sages. Il en « est qui sont assez malheureusement nés pour « ne pouvoir être heureux que par des actions « qui les mènent à la Grève» , c’est-à dire au PHILOSOPHIQUES, 51 Colonne B. « et de la paix... Alors chaque morceau de terre - « cultivé fut un véritable paradis terrestre. » Rappelons ces sciences , ces arts: la société re- viendra à la perfection du #onde primitif, et le bonheur renaïtra sur la terre. Mais déjà l'£r- cyclopédie a paru: 6 bonheur primitif! tout nous dit que tu vas reparoitre. ( Extrait du Monde primitif. Voyez-en l'analyse par un solitaire, p. 158 et suite.) «Si l’homme eüût « été destiné à vivre solitaire, auroit-il été en « son pouvoir de contredire la loi de la nature « jusqu’à se déterminer à vivre en société? « Par quel instinct a-t-il cherché à s’uuir avec « ses semblables? C’est que la nature fit dépen- « dre son bonheur de la sociabilité. » ( Code des « Nations, art. POPULATION. ) 10. « Il est certain qu’un homme qui s’aban- « donne au crime , quelque bien dont il jouisse, « quelque poste éminent qu’il occupe , ne sau- « roit être heureux... On ne peut l’êlre véri- « tablement, dans quelque état qu’on soit, si « l’on n'est vertueux.» (Marg.d' Argens, Phil. du bon sens , Réfl. 7, n. 2. 11. « Par une loi constante de la nature, per- « sonne ne peut être heureux qu’en se rendant « lémoignage qu'il a fidèlement accompli les « devoirs de la morale... Tout nous prouve que + la félicité appartient exclusivement à l'homme Æ = 22 LES PROVINCIALES Colonne A. dernier supplice. ( De l’Esprié, Discours 4 , CAT) 12. ( IL seroit inutile, et pent-être injuste, « de demander à un homme d’être vertueux, « s’il ne peut l'être sans se réndre malheureux. « Dès que le vice rend heureux , il doit aimer le vice, » ( Sys. nat. t. 1, c. 9.) Pourquoi résis- tér alors à son caractère? « Quelque forte que « soil la tempête , lorsqu'on prend le vent ar- « rière, l’on soutient sans fatigue l’impétuosité « des mers ; mais si l'on veut lutter contre les « vagues, en prêtant le flanc à l’orage, l’on ne « trouve partoutqu’une mer rude et fatigante. » Il vaut donc bien mieux se laisser entraîner par 2 # les vents, c’est-à-dire par son tempérament. ( Voy. de l'Esprit, Disc. 4.) 15. « Dans ces pays (où la vertu pent être « aecablée par un despote), il seroit aussi in- « sensé d’être vertueux qu’il eût été fou de ne « pas l’être à Crète et à Lacédémone...... C’est « dans ces temps malheureux (pour la Répu- « blique) qu’on postio, à Rome s’écrier avec «€ Brutus : O vertu !tu n’es qu’un vain nom: » (Helwétius, de l Esprit, Disc. 5, c. 1q.) £21 O1 PHILOSOPHIQUES. Colonne B. « vertueux. » (Morale univers. n. 5, c: Tr et 8. « C’est par la vertu que la morale nous conduit « au bonheur, » (Sys£. nat. &. 1, ©. 17.) 12. S'il existoit un homme tourmenté par des passions si violentes, que la vie mème lui devint onéreuse en ne les suivant pas, et qu'il ne püt être heureux que par le crime, nous lui dirions d’abord que sans doute il 7e veut pas seule- ment élre heureux , qu'il veut encore étre équi- table , et par son équité écarter loin de lui l’é- pithète de méchant Mais s’il nous répliquoit qu'il aime mieux être heureux et méchant, 12 faudroit l'étouffer sans lui répondre. ( Diderot, Encyclop. extrait de l'art. DROIT NATUREL.) 15. & Quand il seroit vrai qu’un homme ne « peut être vertueux sans souffrir , il faudroit « l’encourager à l'être... La maxime opposée à « cette doctrine est exécrable, elle seroit visi- « blement la ruine de la société. » ( Voltaire, Quest. Encycl., art. Dieu.) 5% LES PROVINCIALES Note de madame la B aronne sur le premier chapitre du double Catéchisme. Sois heureux dans ce monde; et si pour être heureux il faut être méchant , sois parjure menteur, cruel, hypocrite, barbare, scélérat.… Ou je me trompe bien, ou voilà, chevalier , là quintessence, le but, la conclusion par ex- cellence de ce premier chapitre, sous la co- lonne À. Et M. Rusi-soph voudroit nous faire croire que ce sont là aussi les premiers prin- cipes, les premiéres leçons de nos sages! Il a beau coter tous ces textes et les numéroter: il a beau nous citer les tomes, les chapitres, les pages ; je dis plus, chevalier, j’aurois beau les , | lrouyver moi-même, tous ces textes, dans Îles productions de nos sages; j’anrois beau les en- téndre de leur bouche même, j’aurois bien de la peine à convenir que ce soit [à de la philoso- pie. Peprenez donc ici votre Helvétius, votre d’A- lembert, votré Encyclopédie; confrontez tons ces textes, qui tendent plus ou moins directe- ment à ces affreuses conséquences; voyez s’il est bien vrai que notre catéchiste n’ait fait que les transcrire , et dites-moi d’abord s’il n’est pas un copiste infidèle. Le trouvez-vous exact dans ses citations ? Quel est le sens qu’il Rudra leur don- o71 PHILOSOPHIQUES 5 ner pour les rendre tant soit peu tolérables ? À qui s'adressent donc nos sages, quand ils pré- tendent que, si le vice rend heureux, il faut aimer le vice? est-ce à des hommes qu’ils croient parler? Voyez s’il n'y auroit pas quelque ma- nière de prouver que M. le catéchiste attribue à nos grands hommes ce qu'ils n’ont point dit, ce qu’ils n’ont poiut pensé, ce que tout honnète homme rougiroilde penser. Voilà d’abord ce que tout honnète homme rougiroit de penser. Voilà d’abord ce que je vous demande, ce qu'il me faut nettement déclarer, pour que je sache an moins comment m'y prendre pour venger notre école de cet impitoyable catéchisme. Des philosophes de la coloïne À, vous pas- serez à ceux de la colonne B, et vous aurez en- cure bien des choses à m'expliquer. Pourquoi ceux-ci, très-peu satistuits du bonheur de ce monde, se conteutent-ils tous de nüus dire qu'il est bien peu de chose? Que répondre à M. le curé , quand il viendra me faire observer que la crainte seule de se lrouver d'accord avec le pré- jugé les empèche de s'élever plus haut; que celle crainie est uu peu puérile; qu’elle lesrend inconséquens , absurdes , puisque si le bonheur de ce monde ne suffit pas à la vertu, il faut bien. ce me semble, lui off 15 quelque chose à espérer dans l'autre ? Pourquoi, ; par exemple, ce M. Di- derot, poussé à bout par un méchant qui rai- sonne assez juste, se r(sout-il plutôt à l’étouf- 56 LES PROVINCIALES! fer qu’a lui parler de ce bonheur ou bien de ce malheur d’un autre monde, qui, d’un seul mot, répond à tous les argumens du raisonneur ? Pourquoi etoüfler ainsi les gens? me dira M. le curé: je n’étouffe personne, moi; je parle de l'enfer, du paradis; et d’un méchant je fais un homme vertueux. Que lui répondrai-je, cheva- lier, pour justifier nos sages ? Que répondrai- je encore, quand il me mon- trera si souvent dans le double Catéchisme, le même sage à droite, le même sage à gauche, détruisant d’un côté ce qu'il bâtit de l’autre ? . Que répondrai-je enfin, quand il viendra me dire que nos maîtres ne cessent d’être odieux et souverainement dangereux que pour se mon-— trer souverainement ridicules ; quand je le ver- rai rire de celui qui ne trouve chez nous qu'une même opinion sur le bonheur, tandis que Pautre en montre des douzaines; de celui qui, pour être parfaitement heureux, donne sa liberté el veut être machine; de celui pour lequel le plus heureux des êtres est l’homme qui reçut de la nature de grandes passions, qui désira le plus, et qui jouit le moins , qui fut toujours le plus altéré, le plus affamé, et qui trouva le moins de quoi satisfaire et sa faim et sa soif? Quand M. le curé, ou M.Rusi-soph, et tous vos compatriotes riront de ces sotlises ; quand ils verront encore cet autre philosophe qui m'envoie sérieusement chercher l’âge d'or au ne 7 PHILOSOPHIQUES, 27. milieu des forêts, et des loups et des ours; et puis encore cet autre qui ne voit l’homme heureux qu’au moment où peut naître une En- cyclopédie : comment faudra-t-1l que je m'y prenne pour soeulenir l’honneur de la philoso- phie? Voilà bien des questions à résoudre pour ce premier chapitre : passez à présent au second, et vous verrez qu'il peut nous en fournir bien d’autres. 58 LES PROVINCIALES PA PP ee eo A A AA CATÉCHISME PHILOSOPHIQUE. CHAPITRE I. V'ertus à renvoyer at préjugé. Le Philosophe. COMBIEX distinguez- vous de sortes de vertus ? L Adepte. 1 en est de deux sortes : les unes qu'on appelle vertus de préjugé, el les autres que nous devons nominer verius réelles, Nous 1 rejetons les premities, ét retenons les autres. Le Philosophe. N'appellerez-vons pas vertus de préjugé toutes celles qui ne servent à rien dans ce monde. L Adepte. Our; tonte vertu stérile dans ce monde ne peut ètre qu’une vertu 2maginaire ; l'utilité seule fait les vertus réelles. ( Preuves, A4) Le Philosophe. Les vertus relatives aux mœurs ne sont-elles pas toutes autant de vertus de préjugé ? L; Adepte. OUr, ce sont précisément celles- là que nous plaçons au premier rang des vertus imaginaes ; et telle est entre autres /a chasielé des vestales. ( Preuves, n° 2.) PHILOSOPHIQUES, 39 Te ee A A D D NT A AR AS LA 8 AR AS AR D VD AD DVD D CATÉCHISME | PHILOSOPHIQUE. CHAPIFRE:IL T’ertus à maintenir dans leur réalité. | Le Philosophe. COMBIEN distinguez-vous de | sortes de vertus ? | L' Adepte. Je n’en connoïis que d’une espèce, | parce qu’elles sont toutes sœurs ; et qu’en reje- ter une, c'est en effet les rejeter toutes. ( En- | cycl. art. VERTU.) Le Philosophe. N’appellerez-vous pas vertus de préjugé toutes celles qui ne servent à rien dans ce monde ? I” Adepte. Au contraire , Vutilité ou lintérêt | de ce monde ne fait souvent que rendre les verlus suspecles et moins réelles. ( Preuves , eut.) Le Philosophe. Les vertus relatives aux mœurs ne sont-elles pas toutes autant de vertus de préjugé ? L’ Adepte. NON, car elles sont toutes fort estimables; et telle est entre autres la chasteté des vestales. ( Preuves, n° 2.) 40 LES PROVINCIALES V'erlus à renvoyer au préjugé. - Le Philosophe. Que devons-nous penser de la pudeur ? L’ Adepte. La pudeur n’est qu'un masque inventé par les femmes pour mentir et tromper plus sûrement. ( Preuves , n°5.) Le Philosophe. Résister aux charmes de l'a- mour , seroit-ce une vertu réelle ? L' Adepte. Ce seroil, au contraire, fuir la vertu elle-même, où du moins s'éloigner de ce qui doit la nourrir dans lous les cœurs. ( Preu- ves y n° 4.) Le Philosophe. Que diviez-vous d'un jeune homme qui résisteroit aux altraits d’une femme charmante ? I? Adepte. Te le prendrois pour un vrai im- bécile, et l'enverrois à la pâture, si cependant les bêtes daignoient le recevoir parmi elles. (Preuves, n° 5.) Le Philosophe. Que pensez-vous de la ga-— lanterie et du libertinage? 1} Adepte. La galanterie , bien loin d’être un vice, inspire, au contraire, les acles de la cha- rité la plus éclairée. Quant au libertinage, se fâcher de ses inconvéniens, c’est se plaindre de trouver dans une mine riche quelques pail- lelles de cuivre mélées avec des veines d’or. (Helvet. de l'Esprit, disc. 2, ce. 15. et Preu- ves, n° 6.) F PHILOSOPHIQUES. #41 V’ertus a maintenir dans leur réalité. * Le Philosophe. Que devons-nous penser de la pudeur? LL; Adepte. Elle est la vraie parure du sexe. Les femmes sans pudeur sont les plus dange- reuses et les plus fausses de toutes. ( Preu- ves , n° 5.) Le Philosophe. Résister aux charmes de Pa- mour , seroit-ce une vertu réelle ? L> Adepte. D'autant plus réelle queles charmes de l'amour sout sonrent opposés à ceux de la vertu, { Preuves, n° 4.) Le Philosophie, Que diriez-vous d’un jeune homme qui résisleroit aux attraits d’une femme charmante ? | L'Adeple. Je le Maleroiste comme bien su- |périeur aux autres hommes, et comme nn héros fait pour les commander, (Preuves, n° 5.) | Le Philosophe. Que pensez-vous de la galan- ierie et du libertinage ? L; Adepte. Je regarde la galanterie comme le vice des femmes ignorantes et dissipées, qui ont l'esprit gâté ; la débauche, comme un des premiers objets sur lesquels doit veiller le ma- gistrat, pour en prévenir les suites funestes, (Preuves , n° 6.) 42 LES PROVINCIALES Vertus à renvoyer au préjugé. Le Philosophe. Quelles bornes prescrivez- vous à la sensualité , à l'amour des plaisirs ? 1 Adepte. Point d’autres que celles que doit | nous prescrire le soin de la santé et de l’honneur. (Preuves, n° 7.) Le Philosophe. Quelle idée aura le philo- : sophe des liens du mariage? L' Adepte. Il doit les regarder comme le sup- plice des époux , comme la source de leurs infi- délités, de leurs malheurs, comme un engage- ment contraire à la nature. (Preuves, n° 6.) Le Philosophe. De quel œil le sage verra-til l'adultère et le concubinage? L’ Adepte. Dans le concubinage et l’adul- tère , la raison ne voit rien qui blesse les lois de la nature. Au contraire , suivant ces mêmes lois , les femmes devroient être communes. ( Preuves , n° 9.) Le Philosophe. Condamneriez - vous une jeune femme qui auroit eu quatre on cinq en- fans, et pas un seul mari? L° Adepte. Pourquoi la condamner? ? sa con- duile et sa conscience sont pures comme le jour: son crime n’est que dans la loi, et le ciel l'en absout. (Hist. Polit. et Phil., 1 19, n° 21; et Preuves, n° 10.) Le Philosophe. Est-1 vrai que la vertu ne mme PHILOSOPHIQUES. à Llertus à maintenir dans leur réalité. Le Philosophe. Quelles bornes prescrivez- vous à la sensualité, à amour des plaisirs ? L° Adepte. Je voudrois que tout homme veil. lât , non-seulement sur ses aclions , mais encore sur ses désirs, et qu’il éloignât de son esprit toute pensée déshonnéte. (Preuves, n° 7. Le Philosophe. Quelle idée aura le philo- sophe des liens du mariage ? I} Adepte. N doit les regarder comme l’union la plus respectable, la plus conforme au vœu de a nature, la plus importante pour le bien de l'Etat et des particuliers. (Preuves, n° 8.) Le Philosophe, De quel œil le sage verra-t-il J'adaltère et Le concubinage ? L’ Adepte, W proscrira ces vices et tous ceux qui les favorisent ; il ne verra dans leurs leçons u’une morale extravagante , digne des nations les plus corrompues, ( Preuves , n° 9.) Le Philosophe, Condamneriez-vousune jeune emme qui auroit eu ke ou cinq enfans, et pas n seul mari? 1° Adepte. Le moyen de l’absoudre? elle a violé la loi de la nature ; n’eût-elle péché qu’une seule fois, sa prostitution ne peut être innocente. { Preuves , n° 10.) Le Philosophe. Est-il vrai que h vertu ne + LES PROVIXCIALES Vertus à renvoyer au préjugé. puisse pas s’allier avec la débinche, et surtout avec celle qui seroit contraire à la nature? L’ Adepte. Les philosophes de la Grèce et ses héros savoient bien les unir ; ils brüloient de l'amour le plus déshonnète, et on ne peut pas dire qu’ils ne fussent en même temps très-ver- tüueux. (Preuves , n° 11.) Le Philosophe. Quelles précantions devroit prendre le philosophe, sil avoit à donner des leçons peu conformes aux opinions antiques sur les mœurs ? 1} Adepte, Nous lui conseillerions de pré- venir qu'il parle en philosophe, non en théo- logien ; en politique, et non en religieux. Il pourroit alors en toute sûreté s'élever contre ceux qui ne sont pas de son avis sur la vertu. (Preuves, n° 12.) Le Philosophe. L'inceste seroil-l bien cri- minel aux yeux du philosophe? L; Adepte. Le préjugé pent bien s’en offenser ; mais la philosophie ne voit pas trop quel mal il y a dans l’inceste. ( Preuves , n° 13.) PHILOSOPHIQUES. 45 l’ertus à maintenir dans leur réalité. puisse pas s’ailier avec la débauche , et surtout avec celle qui seroit contraire à la nature? 1; Adepte. 1 est inconcevable qu’on ait pu imaginer une alliance de cette espèce. Ces vices et la vertu ne sont pas plus faits pour aller ensemble , que les ténèbres et la lumière, ( Prew- ves, n° 11.) Le Philosophe. Quelles précautions devroit prendre le philosophe , s’il avoit à donner des leçons peu conformes aux opinions antiques sur les mœurs ? L° Adepte. Le philosophe qui a lui-même des mœurs ne donnera jamais des leçons qui les blessent. Au lieu d'étudier de vaines précau- tions, il s’élèvera avec force contre ceux qui ne cherchent qu’à cacher le veuin de leur morale. (Preuves, n° 12.) Le Philosophe. L’inceste serait-il bien eri- minel aux yeux du philosophe? L Adepte. K est des philosophes qui l'ex- cusent par Pexemple de quelques peuples ; cet exemple prouve seulement que tous les hommes ne suivent pas les lois de la nature. ( Preu- pes , 1° 19.) :0 LES PROVINCIALES PREUVES philosophiques du chapitre précédent. Colonne A. r. Nous appelons vertus de préjugé , vertus maginaires , vertus stériles , toutes-celles dont ‘observation ne contribue en rien au bonheur le ce monde ; telles sont entre autres toulescelles que la religion fait descendre des cieux. (Syst. social, part. 1, c. 3.) Nous appelons surtout ver- tus de préjugé toutes celles dont l'observation ze contribue en rien au bonheur public. ( De Esprit, disc. 2, c. +.) 2. La chasteté des vestales est précisément a première que vous trouverez relégnée par nos ages dans les régions du préjugé. ( Voyez de Esprit, ibid.) « Quiconque est conformé de « manière à procréer son semblable a droit de le « faire et le doit. Voilà la voix de la nature, et « cette voix mérite plus d’égard que toutes x nos instilulions humaines. » ( Les Mœurs, art. 2, c. 4.) La belle vertu que celle dont ésulteroit la destruction du genre humain , si ‘hacun l’observoit! C’est là le grand raisonnement oien des fois répété par nos sages contre la vertu les vestales, de nos prètres et de nos religieux. ‘Voy. Diderot, Pen$ées phil. Voltaire et Buu- ‘anger , passim. ) PHILOSOPHIQUES. 47 PREUVES philosophiques du chapitre pré- cédent. Colonne B. 1. GARDEZ-VOUS d’appeler vertus de préjugé toutes celles qui seroient contraires à Pintérêt lu jour; car la vertu est souvent opposée au onheur de ce monde , et c’est même alors qu’elle t plus belle et plus intéressante. (Encyclop. rt. VERTU.) 2. « Entre les établissemens de Numa , le plus « digne de nos regards est sans doute celui des « veslales. »(Encycl. art. VERTU.) «C’est d’après « des idées conformes à la nature et à la droite « raison que la continence absolue, le célibat, « lé renüncement total aux plaisirs, même légi- « limes, ont été admirés chez la plupart des « peuples comme des perfections, comme les « efforts d’une vertu surnaturelle. Cette opi- « nion n’est pas fondée sur des préjigés ou des « lois arbitraires, (Morale univ.,; n.2,c;a1, $ 3;c.9.) Sa | . ‘ 1 _é.. ini cart "113 i 48 LES PROVINCIALES Colonne A. 3. « La pudeur n’est que l'invention de la « volupté raffinée... La licence que les femmes « sont contraintes d’affecter est la cause de leur & fausseté. Dans le Malabar et à Madagascar, si « toutes les femmes sont vraies, c’est qu’elles « satisfont sans scandale à toutes leurs fantai- « sies, ont mille galans , et ne se déterminent au « choix d’un époux qu'après des essais répétés. » (De l'Esprit , dise. 2, c. 15.) 4. « Le culte de Paphos peut nous faire seule « supporter le pénible fardeau de la vie... Eh! « quel objet plus digne de notre adoration! Nul « doute qu'on ne s’élève aux grandes choses « quand on aura l’Amour pour précepteur..…. « L'Amour forme à son gré des héros, des gé- « nies et des gens vertueux. » (De l'Esprit, p: 366 ei 206.) « L’Amour seul peut nous ren- « dre fidèles à nos devoirs. Je ne crains rien « pour les mœurs de la put de l'Amour; il ne « peut que les perfectionner. » (Les Mæurs , part.3,c.1,art. 1.) 5. « Une belle femme a des attrails auprès desquels tous les autres ne sont rien. Pour y « résister, il faut être imbécile, et ne pas con- « noître les plaisirs les plus vifs. En ce cas, il « faut être envoyé comme Hippolyte à la pä- SE — PHILOSOPHIQUES. ES © Colonne B. 5. « La pudeur et la modestie sont le véri- « table apanage et la plus belle parure des fem-— « mes, » ( ÆZist. polit. et plul., L. 19.) « Celle « qui a franchi les barrières de la pudeur est « perdue sans ressource.» (Zd.) « La pudeur « n’est pas assurément une invention humaine.» (Les Mœurs, 2° part., art. 3, 2.) « Pour- « quui dites-vous que la pudeur rend les femmes « fausses? Celles qui la perdent sont -elles plus « vraies que les autres ? Tant s’en faut : elles sont « plus fausses mille fois. ( Emzle, L. 5.) 4, « L'amour des femmes peut ébranler l’a- « mour le plus vif du bien public, et déraciner « les idées les plus profondes de vertu. » (Æssaz sur le mérite, p. 104.) «Si l'amour n’est pas « contenu dans de justes bornes, tout nous « prouve qu'il est la source des plus a freux ra- vages.….…. 2 qu'il amollit les âmes des grands hommes , et dispose les femimes à se familia- riser avec des idées qui peuvent avoir pour « ellesles conséquences les plus funestes. » (4Z0- raleuniv.,$3,c. 9.) DE = 5. « C'est par la continence qu’il importe « d'apprendre à régner sur soi-même... C'est « par les désordres du premier âge que les « hommes dégénèrent. Vils et lâches dans leurs « vices mêmes, ils n’ont que de petites âmes... 4, 3 bo LES PROVINCIALES Colonne A. « ture. Je ne sais, si les bèles pouvoient parler, « si elles ne refuseroient pas de recevoir parini « elles un homme qui seroit insensible aux « charmes de la beauté... Il est non-seulement « presque impossible de résisier aux attraits « d’une belle femme, mais il n’y a qu’un im- « bécile qui puisseen venir à bout. » ( Marquis d’Argens , Lett. cabal, t. 4, p. 515.) 6. « C’est une inconséquence politique dere- « garder la galanterie comme un vice moral « partout où le luxe est nécessaire... Les « femmes sages sont moins bien conseillées par « leurs directeurs que les femmes galanies par « le désir de plaire... Nulle proportion entre ! « les avantages que le commerce et le luxe pro- « curent à état, constitué commeil l'eét; avan- « tages auxquels il faudroit renoncer pour À « en bannir le libertinage , et le mal presque | « infiniment petit qu’occasionne lamour des « femmes. » ( De l'Esprit, disc. 2 ÿe. 5.) « La b « luxure est de tous les péchés le moins nui- | ‘« sible à Fhumanité. » (Zd. , dise. 4, chap. 10, ‘role. ) | « « « « « PHILOSOPHIQUES. 54 Colonne B. S'il s’en trouvoit un seul qui sût au milieu d’eux se préserver de la contagion de l’exem- ple, il écraseroit tous ces insect's. et devien- droit leur imaïtre avec moins de peine qu’il m'en eut à devenir le sien. » (Emile, c. 4.) Il n’y a que de dangereuses séduclrices pro- pres à ébrauler la pudeur d’un jeune homme par des propos licencieux..... Je veux inspirer des mœurs. Est-ce aimer un amant ou une amante que de lui ravir son innocence, souil- ler son âme d’un crime, la plus &ffreuse de toutes les taches. » (Lettres cabalistiques , Lorn. &e) 6. « Le déréglement des mœurs, le liberti- nage , ou ce qu’on appelle galanterie, sont des suites nécessaires de lignorance , de la légë- relé , de la dissipation. «(Sys£. soc., part. 5, 10.) La coquetterie daus une femme est une disposition à laquelle la morale ne peut aucunement conniver..... Une femme qui « veut plaire à tout le monde a du moins l’es- prit gâté..... Une nation est perdue quand la dissolution devient universelle...., La vertu n’a plus de droits sur les âmes corrom- pueés par la débauche ..... Cenx qui regar- dent la débauche et la dissolution des mœurs comme des objets sur lesquels Ie Gouverne.- ment doit fermer les yeux , en ont ils donc 52 LES PROVINCIALES Colonne A. 7. « Les sensualités n’amollissent le cœur que « lorsqu'elles dégénèrent en besoin..... Les « héros en fait de mœurs ne sont pas des ana- « chorètes qui aient abjuré le plaisir , mais qui « savent s’en sevrer aussilôt que l’honneur et « le bien de la patrie l’exigent. » ( Les Mœurs, part. 2,$2,c. 1). «Les plaisirs goûtés indis- « tinctement sont contraires à la santé, à Pai- « sance, à la liberté : c’est li règle que nous ln ln « avons adoptée pour apprécier toute chose. » ( T'raité élémen. de Morale, c. 15. ) « Ceux « qui méconnoilront ces vérités en seront pu- « nis par la privation de leur santé, par le mé- « pris de la société, el souvent par une exis-- « tence malheureuse, » (Lettr. à Eugénie, liv. 11.) Voilà nos motifs, et les règles qu’il faut sa- voir vous prescrire. 8. Les liens du mariage , « ces liens indisso- « lubles dont on a fait ; dans quelques cantons « dela terre, une maxime de conscience, n’en « assurent que la durée; mais loin d’attacher « les époux à leurs devoirs réciproques, elle « contribue plus que toute autre à leurs mf- « délités..... Les complaisances et les soins des « coinmerces clandestins, qu’on appelle concu- PHILOSOPHIQUES. 53 Colonne B. « sérieusement envisagé les conséquences ? » (Morale univ., extr. des$ 5,c. 9, et Ç 5, clik) 7. Gardez-vous bien d’attendre que les plai- sirs aient compromis votre santé ou votre hon- neur pour modérer le penchant à la volupté. Il faut veiller même sur vos désirs et vos pen- sées, car «les pensées enflimment les désirs, « les désirs échauffent l'imagination , et don- « nent de l'activité à nos passions. D’ouù il suit « que la tempérance nous prescrit de metlre un « frein même à nos pensées, de bannir de notre « esprit celles qui peuvent nous rappeler des « idées déshonnêtes, capables d’irriter nos pac= « sions pour les objets dont l'usage nous est in- « terdit ». Morale univ. (ibid.) Telle est la régle de la vraie philosophie; elle est ici pres- que aussi sévère que celle de nos anachorîtes. 8. « Il importoit au bien de la sociélé que le « mariage fût un engagement pour la vie; el la « nalure même semble en avoir fait un pré- « cepte... Les lois positives qui en ont déter- « miné les solennités n’ont fait que seconder « les vœux de la nature sur sa perpétuité. » (Toussaint, les Moœurs , part. 2, ce. 4, art. 1, pag. 508.) « L'union conjugale est le plus res- 54 LES PROVINCIALES Colonne À. « binage, sont les perpétuels alimens des ten- « dres fux dont brülent denx amans. Libres de « se séparer , ils n’en sont que plus unis. Rien -« ne coûte de ce qu’on fait volontairement; mais « le plaisir même est à charge lorsqu'il devient « un devoir. » Tel est le commerce clandestin d’Hermogène et de Junie. « Depuis dix ans ils & vivent ensemble sur le pied de deux époux , « sans tenir par d'autres liens que ceux d’un « amour récrproque..... Ce commerce est un « lien que la nature approuve. » (Toussaint , les Mœurs, 2° part., ©. 4, art. 1,p. 312 et 515, ) «Toute société (et celle du mariage en- -« re autres) qui n’apporteroit que des peines « à ceux qu'elle engage devroit êlre rompue « par la nsture même des choses, » ( Morale aniv., 5.c. 1, p. 5.) « Deux époux cessent- «ils de s'aimer? commencent-ils à se haïr ? « pourquoi les condamner à vivre ensemble ?.…. « La loi d’une union indissoluble dans le ma- « riage est une loi barbare et cruelle. En « France, le peu de bons ménages prouve, en « ce genre, la nécessité d’une réforme. » ( Het: vét., de À Homme, $ 8. note 5.) « Le divorce « ne séroit que la liberté de réparer une faute « ivréparable sans ce moyen ..... Plus on y ré- « fléchit, plus on voit qu’il ést indispensable- « ment nécessaire en France, » ( Alamb. mo- ral, art, Divorce. ) … « « PHILOSOPHIQUES, 55 Colonne B. pectable de tous les liens, le plus intéres- sant pour ceux qu’il'unit , et pour la société... Les époux ne doivent pas seulement se pro- poser d’assouvir leurs besoins et d’obéir à la volupté, mais encore songer aux jouissances plus durables que procurent la tendresse ; la confiance, la cordialité..... Les préjugés, les mœurs, les lois qui tendroient à relâcher un lien si doux, sont faits pour être blâmés par tout homme raisonnable. .... La raison nous montre que, dans l'union conjugale, le mari appartient à la femme, de même que ka femme appartient à son mari. L’un et l’autre nepeuvent, sans risquer leur bien-être , re- noncer aux droits de cette propriété récipro- que.» (Morale univ. , $ 5, c.1, p.6et 11.) Le divorce est certainement contraire à la premiére institution du mariage, qui de sa nature est indissoluble. » ( Encyclop., art, Divorce. ) 56 LES PROVINCIALES Colonne A. 9. « L’adultère n’est point un crime selon la « loi naturelle. Il y a même tout lieu de croire « que les femmes, dans la loi de nature , de- « voient être communes comme les femelles des « animaux, Si l’adultère étoit défendu par la loi « naturelle, tous les peuples l’auroient con- « damné et puni, ce qui n’est pas , puisqu'il y « a des pays où il est d'usage que les maris of- « frent eux-mêmes leurs femmes aux élran- « gers.... et qu’en France on fait une plaisan- « terie de ladultère. » (4lamb. moral , art. Adultère.) « Au royaume de Battimera , toute « femme, de quelque condition qu'elle soit, est « même forcée par la loi, et sous peine de la « vie, à céder à l'amour de quiconque la désire ; « un refus est pour elle un arrêt de mort. » { De l'Esprit, disc. 2, c14. ). : 10. «Nous avons atiaché des idées morales à « des actions qui n’en comportent pas. » Lisez le plaidoyer d’un philiosophe en faveur de la jeune Américaine , convaincue d'avoir produit pour la cinquième fois un fruit illégitime ; vous verrez qu’une sévérité outrée pouvoit seule prononcer conire son innocence ; Que 708 lois injustes et cruelles avoient fait tout son crime; PHILOSOPHIQUES. Sa NI Colonne B. 9. « N'en déplaise au divin Platon, des fem- « mes communes à tous ne seroient véritable « ment aimées ni estimées de personne. Ce ne « seroïent que de viles prostituées. Tout est fait « pour nous convaincre qu’un amour sans règle « deviendroit un désordre capable de saper la « société Jusque dans ses fondemens. « A7or. univ. 5,c.1.) « Quel jugement devons-nous « porier des maximes extravagantes établies « dans ces nations corrompues où l'infidélité « conjagale est traitée de bagatelle 7... Com- « ment l'opinion a-t-elle pu se dépraver au point « de traiter légèrement un crie qui suffit pour « anéanlir sans retour le bien-être d’une fa- « mille entière , pour briser le plus doux des & liens, pour faire du mariage un joug insup- « portable, pour perverlir la postérité par des « exemples propres à lui faire mépriser la dé- « cence et la vertu? » ( Syst. sor. part. 3, C. 10.) 10. Ce n’est point l’homme, c’est la nature même qui condamne la prostitution ; ear « le « concubinage, défendu par les lois posilives, « est aussi prohibé par la nature même. » (Les Moœurs, part. 2, c. 4.) Ce n’est point une loi injuste qui altache l’infamie à l'incontinence. « On peut naturellement supposer qu’une fille « qui à franchi les barrières de la pudeur est D, 58 LES PROVINCIALES Colonne A. qu’elle n’avoit point péché devant un Dien juste et bon, puisque ce Dieu lui laissoit des enfans robustes et bien constitués; qu’elle avoit bien mérité de la patrie, en lui donnant de nou- veaux citoyens : vous apprendrez avec transport que la voix de la raison la fit absoudre. Si elle devoit être condamnée aujourd’hui, gémissez, avec Rayual, que Le préjugé public ait repris son ascendant , et que la politique fasse taire la voix de la nature. ( Foy. Hist. Port. el philos. liv. 17, n° 21.) 11. Que la débauche la plus contraire à la nalure ne soit point inconciliable avec la vertu, c’est ce que nous prouvons aisément. L’histoire , en effet, ne montre-t-elle pas une foule de grands hommes « distingués en même temps « par leur vertu et la débauche la moins natu- « relle? Avant la guerre du Péloponèse , époque « fatale à la vertu des Grecs , quelle nation et « quel pays plus fécond en homme vertueux « et en grands hommes? On sait cependant le « goût des Grecs pour l'amour le plus déshon- « nête. Ce goût étoil si général , qu'Aristide avoit « aimé Thémistocle. Ce fut la beauté de Stési- « Jéus qui alluma entre eux le flanibeau de Ja « baine. Platon étoit libertin ; Socrate même, « déclaré par l’oracle d’A pollon le plus sage des. hommes , atmoit Alcibiade et Archélaus; il PHILOSOPHIQUES, 5g Colonne B. « perdue sans ressource, nest plus propre à « rien , et ne peut être désormais regardée que « comme l'instrument de la brutalité vénale..., « La vertu n’a plus de droits sur les âmes cor- « rompues par la débauche... Le libertin même « est forcé de mépriser celle qu’il fait servir à « ses plaisirs. » (Mor. univ. $ 5, extr. du c. G.) 13. Au lieu d'admettre Palliance monstrueuse de la vertu et du penchant le plus infâme , nous parlerons bien plus philosophiquement , lors que nous dirons que « le libertinage abrutit « l’homme de lettres et endort le génie... Ne « parlons pas même de ces goûts bizarres et « pervers, contraires aux vues de la nature , ou « disons seulement que ces goûts inconcevables « paroissent être les effets d’une imagination « dépravée.. C’est ainsi que la nature se venge « de ceux qui abusent de la volupté; elle les ré- « duit à chercher le plaisir par des voies qui « mettent l’homme au-dessous de la brute. Les « débauches ingénieuses et recherchées des « Grecs et des Romains annoncent une ima- & gination troublée », et non pas le grand hom- me conservant sa vertu. (Moral. univ. 5, c. 9.) 60 LES PROVINCIALES Colonne A. « avoit deux femmes, et vivoit avec les courli- « sanes. » De pareilles aclions ne sont donc eri- minelles que par l'opposition qui se trouve entre ces mémes actions et les ilois du pays. Elles peuvent donc se concilier avec la vertu, lorsque le souverain n’y mettra pas obstacle. ( Hels. de l'Esprit, Disc. 2, c. 14.) 12. Lorsque je justifie la corruption des Moœurs , « je déclare que c’est en philosophe que « j'écris... et qu’ainsi je ne prétends traiter « que des vertus humaines. » Jai soin d’avertir que la corruption religieuse est sans doute criminelle, puisqu'elle offense Dierw; c’est uni- quement la corruption politique que je justifie. Mais ceux-là ne sont que des Moralistes igno- rans.et hypocrites, qui ne savent pas que la morale n’est qu'une science frivole, si on ne la confond avec la politique... Mais dans ces ignorans, je ne vois que « des pédans épris d’une « fausse idée de perfection, déclamateurs sens « esprit, qui ne peuvent atteindre à nos hautes « idées de la morale, » ( De l'Esprit, Disc. 2, c:14,485,:16.:) 13. « Parmi les animaux dont l’umion est « permanente, il arrivera souvent qu’à diffé « rentes époques de leurs amours, le père jouira PHILOSOPHIQUES, Gi Colonne B. Lesage de Ferney, ne pouvant concevoir ces dé- réglemens des Grecs les plus célèbres , vous dira au moins que si ces grands ho:umes ont pu être coupables d’une pareille zrfamie, c’étoit danseur jeune âge ; mais que le débauché devenu sage se hâtoit d’yrenoncer, et préchoitla réforme des mœurs. ( Voy. Quest. Encyc., art. AM. SOCR. ) 12. Gardez-vous bien de prendre le nom de philosophe pour excuser, vos maximes lubri- ques, « et ces productions qui, dévorées par « une jeunesse bouillante, Pexcitent à la dé- « bauche ; de tels écrits sont des empoisonne- « mens publics... La philosophie désavouera « toujours les maximes de ces apologistes du « vice qui empruntent son langage pour ré- « pandre leur poison... La sagesse ne peut point « adopter ces écrits dangereux qui décréditent « la sévérité des mœurs... L’ennemi de la mo- « rale ne peut être l’ami de la philosophie; la- « vocat du vice est un aveugle et un menteur , « qui ne peut être gnidé-par la vérité , et qui la « hait nécessairemnt dans son cœur... Com- « battre la morale ne peut être.que l'ouvrage de « la démence et de la fureur. » ( Essai sur Les préjugés , c. 6.) 13. « Le mariage entre le père et Ja fille ré- « pugrnie à la nature, comme celui d’un fils avec « sa mère... Siquelques peuples n’ont point re- 62 LES PROVINCIALES Colonne A. « avec sa fille, le fils avec sa mère, le frère avec « sa sœur, cela dépendra du hasard... On ne « sauroit appeler criminelles de telles unions , « que la raison voit d’un œil bien différent que « le préjugé. L’Inca ne réunissoit-it pas dans la « compagne de sa couche les séntimens de l’a- « mour, la tendresse fraternelle, avec les liens « peut-être plus forts encore, que l’habitude « avoit fait naître, et qui résistent bien davan— « tage à l'impression du temps?» ( Principes de la Philos. natur., c. 15.) Note de madame la Baronne sur le chapitre précédent. JE ne sais franchement où jen suis. J’avois mille questions à faire en copiant tout ce cha- pire ; à présent me voilà hors de moi. Adul- tère, galanterie, inceste, libertinage affreux, tout ce qui nous sembloit la dépravation, la corruption des mœurs la plus complète, tout ce qui n’annonçoit que la débauche la plus vile, la plus brute et la plus crapuleuse, tout cela PHILOSOPHIQUES. 63 Colonne B. « jeté les mariages entre les pères et les enfans, « les sœurs et les frères, c’est que les peuples « intelligens w’ont pas toujours suivi leurs lois. « Si les Egyptiens ont épousé leurs sœurs, ce « fut un délire de la religion égyptienne, qui « consacra ces mariages en l’honneur d’Esis.... « Le principe que les mariages entre les pères « et les enfans, les frères et les sœurs, sont dé- « fendus pour la conservation de la loi natu- « relle de la pudeur dans la maison (pour la « propagation de lPespèce , et bien d’autres rai- « sons ), doit servir à nous faire découvrir quels « sont les mariages défendus par la loi natu- « velle. » ( Encyclop., art. MARIAGE, DRoIr NATUREL. ) approuvé aujourd’hui, justifié, conseillé par nos sages? Non, cela n’est pas possible; non, monsieur l'abbé, vous n’avez pas trouvé dans les chefs-d’œuvre de la philosophie ces maximes lubriques , dégoütantes, et dignes tout au plus d’être entendues dans les orgies de nos sarda- napales. Non, ce n’est pas ainsi que la philoso- phie a réformé les mœurs. Vous me lassureriez vous-même , chevalier, que je n’en croirois rien. On dit que nous avons dans la capitale un certain nombre de femmes philosophes! Eh! 64 LES PROVINCIALES qui sont-elles donc ces femmes qui ont pu adop- ter une philosophie de cette espèce ? Où les trou- vera-t-on, si ce n’est dans les coulisses d’un théâtre lubrique, ou bien dans les repaires de la prostitution? Quelle est la femme honnête qui consenlit à prendre ces leçons pour elle- même , ou à les répéter à sa fille? La mienne, chevalier, la mienne au moins jamais ne lira ce chapitre. Et voyez-vous la ruse de notre ca- téchiste? Voyez-vous son dessein? {la su que -la philosophie devoit au sexe une grande partie de ses succès; que sans nos sœurs , rangées au -nombre des adeptes, la lumière n’eüt jamais fait tant de progrès , jamais la réputation de nos grands hommes n’eût élé si brillante. Que fait- il? il choisit les leçons les plus propres à nous faire rougir d’avoir pu seulement admettre mn philosophe dans nolre confiance; il nous mon- tre dans eux les ennemis de cette pudeur faite pour ajouter à tous nos charmes; il veut nous faire croire qu’une femme attachée à la philo- sophie devient par cela seul une femme dont l'honneur est suspect. Il pousse l’artifice jusqu’à venir nous dire qu’une femme n’est pour le philosophe qu’un animal créé pour les plaisirs communs de tous les hommes; que le premier brutal sortant de l’école d’'Helvétius a droit à nos faveurs, qu’il est dans la nature qu’une femme se prête à tout venant. Si je voulois Pen croire, la femelle d’une chien ne seroit pas plus vile RE EE PHILOSOPHIQUES. 65 qu’une femme ne l’est aux yeux du philosophe, M. le catéchiste, l’artifice est trop grossier. Ja- ; 8 mais je ne croirai que ce chapitre soit l’ouvrage de la philosophie. À OBSERVATIONS D'un Provincial sur les deux premiers cha- pîtres du double Catéchisme. J'IMAGINE , lecteur, que votre âme est assez révollée par les affreux principes et les contra- dictions interminables que la philosophie vient dewous offrir dans ces premiers chapitres de soit double Catéchisme, Il est temps d’opposer à cette école de la perversité des réflexions plus saines, des yérilés plus constantes el plus satisfaisantes pour un cœur vertueux. / Observons d’abord comment vos philosophes, suivant leur.grand projet, laissant toujours à pait. l’idée de Ja Divinité, affectant de revenir sans cesse à leur principe favori, que l’utile. et l’honnèête, ou la vertu, ne sont en ce monde qu'une seulé et même chose. Vous croiriez que les affreuses conséquences qui découlent très- naturellement de ce principe vont, les faire rougir d’avoir osé l’admettre; et ce sont préci- sément ces mêmes conséquences qui font tous les détails de leurs leçons. Car je parle ici de 66 LES PROVINCIALES celle partie du catéchisme qui leur est propre, borr de celle qu’ils savent emprunter de nous, pour mieux séduire, en mêlant au moius quel- ques vérites foiblement rendues à de grandes erreurs fortement soutenues. Tout ce qui ne saurait leur offrir dans ce | moude quelque‘intérèt présent ; quelque plaisir physique, est absolument nul dans l’idée qu'ils | se font du bonheur. Nous avons trop souverit réfulé celte erreur, en vous montrant la néces- | sité d’une vie future dans le destin de l’homme, pour nous arrêter de nouveau à le combattre. Laïssons donc de côté tout leur premier cha pitres: on bien, s’il avoit fait sur vous quelque impression, revenez à nos réflexions sur l’nn- mortalité de l'âme. Ce qui exige dans ce inomenit | quelques détails, c’est tout ce qu’ils nous disent sur les prétendues vertus de préjugé. Voyez | comme, en partant tonjours de ce principes | que la vertu n’est autre chose que Putike, voyez : comme ils se hâtent de ranger dans la elasse des | vertus de préjugé , la pudeur, la eontinence; la chasteté des vestales , et la fidélité conjugale, | La sensualité, la galanterïe, le libertinage sont leurs vertus réelles: l’adaltère, l’mceste et le! concubinage cessent d'être des crimes. L'amour | le plus contraire à la nature; celui qui déshonore | à jamais le nom des Grecs, n’a plus rien qui! ne se concilie dans un héros , un! sage, dans! l'homme philosophe ; et ces conséquences mons- | THILOSOPHIQUES, G7 traeuses que nous leursanrions opposées comme ce qui nous doit montrer dans le principe dont ils partent un principe de corruplion et d’in- famie , ils ne nous laissent pas seulement le temps de les déduire; ils se hâtent de nous prévenir , non pour les rejeter avec indignation, mais pour les accueillir avec empressement , et pour en composer leur code de morale. Lorsque je réfléchis que des hommes se disant philosophes ont pu de sang - froid arriver à ce point de perversité, de corruption, d’audace, lindignation s’empare de mon cœur; mais ma langue se glace ; ma raison est muetle. Je vou- drois réunir conte eux toute sa force et tous ses argumens; quelque chose me dit intérieure ment : Eh! que peut la raison contre des ef- fronté qui ont perdu toute pudeur, tout senli- ment? Eh bien, je pourrois me faire entendre à eux, je ne le voudrois pas; je les méprise trop ; ils m'ont trop révolté. Apôlres impudens de la prostitution ! si je rencontre désormais quelqu'un de vos disciples imbu de vos leçons, s’il ose y applaudir en ma présence, qu’il ne s’attende pas que je le désabuse; mais si l’in- dignation me permet de parler, qu’il entende les vœux que je forme pour lui: Vil pourceau d’'Epicure, digne enfant de tes maîtres! puis- sent et Les enfans, et ton père, et ta mère, ta fille , ton épouse , adopter tes maximes! Puis- sent-ils ; persuadés que la pudeur n’est rien, te 68 LES PROVINCIALES prouver par leur vie, par leurs déréglemens , combien ils sont dociles à tes leçons! Que ta mère, insensible aux sermens de ton père, écoute une aulre voix, d’autres amours, et qu’elle fasse asseoir auprès de toi des enfans adulières, sortis du même sein que loi, nourris du mème lait! Que ta fille se prête aux vœux de tes valets ou de Les maîtres, de tes amis et de tes ennemis ! qu’elle appelle dans tes foyers el dans son lit le citoyen et l'étranger, et l’effrénée jennesse, et linfâme vieillard ! Que ta femme se jone de ses liens! Puisses-tu brüler toujours pour elle, et la voir toujours bruler pour d’au- tres! sc de ses faveurs te naissent des enfans, mélange informe de la corrupiion publique, de la prostitution, de ladulière, de Pinceste, de toutes ces horreurs que tu préconisois, que tu trouvois au moins si innocenles ! Oui, voilà, lecteur, tout ce que l’indignation me fourniroit contre le philosophe impudent qui viendroit étaler devant moi les principes de corruption de ces modernes catéchistes. Vous : le croyez touché de ces reproches, el frappé de mes vœux ? détrompez-vous. Le seul aveu qu'ils lui arrachent , c’est que son catéchisme, il est vrai, n’est pas celui des mœurs de ses com pa- triotes ; mais que nos mœurs viennent de l’ opi- nion, que l'opinion est le fruit du préjugé, et que le sage ne voit que la nature. Et pour uous Ja montrer, cette nature, 1l nous appellera chez | PHILOSOPHIQUES. 6 des nations sauvages; il citera sans cesse le Lapon , le Madagascarien, le Caraïbe. Eh ! que ne va-t-il donc la suivre au milieu d'eux, cette nature dont il prétend que seuls ils entendent la voix ! Qu'il habite leurs antres, leurs forêts, où la pudeur est nulle comme le sentiment, où l'animal est tout; et qu’il cesse d'écrire pour des peuples qui ont au moins acquis l'usage de la raison. Je ne m'y trompe pas ; le sauvage est, aux yeux de nos prétendus sages, dans l’état de nature, non parce qu’ils Le voient sans préjugé, mais parce qu'ils ont cru le voir sans mœurs; non parce qu'il est homme, mais parce qu’il n’ajoule rien à l'animal; non parce que nos sciences , et nos arts, et nos lois n'ont pas ajouté à ses besoins physiques, mais parce qu'il est nul pour le moral; non parce qu'il jouit d’un bonheur plus conforme au droit de la nature, mais parce que l’idée du vice ne trouble pas ses jouissances, parce que tout plaisir n’est pour lui que plaisir, parce que sa raison est toute dans ses sens, ou du moins parce que c’est ainsi qu’ils désirent le voir, et qu'ils aflectent de le peindre. Nous, pour qui la nature n’est pas un simple iostinct, nous l’avons consultée, ‘Tout nous a dit d’abord que celle union à laquelle est atta- chée la propagalion du genre humain étoit, par son essence mème , et dans loutes les inten- 70 LES PROVINCIALES tions de la nature, une union perpétuelle entre l’homme et la femme ; tout nous a an- noncé dans ses motifs et ses moyens des nœuds indissolubles, des liens que la mort de l'épouse ou de l'époux peut seule rompre: et dans cette première vérilé nous avons vu la source, la réalité , l'importance de toutes ces vertus que nos faux sages osent ici proscrire et renvoyer au préjugé. Nous en avons vu naître ces vertus chères à la nature, la pudeur, la continence, la fidélité conjugale; et seule elle a suffi pour nous montrer le crime, et le crime contraire aux lois de la nature, dans le concubinage, l'adultère, l’inceste, dans toutes ces horreurs pour lesquelles une fausse philosophie voudroit nous inspirer la plus coupable indifférence. Si j'avois vu ses vains raisonnemens faire moins d'impression sur mes contemporains, s'ils avoient moins hâté la corruption , je me contenterois d’en appeler ici au sentiment, la voix de tous les cœurshonnèles; mais le sophisme a pris les dehors de la raison; appuyé par Île vice, favorisé par les passions, il lui faut aujour- d’hui des dissertations pour le combattre : par- donnez-moi, lecteur, si je fais pour le détruire ce que nos faux sages ont fait pour Paccréditer. Ces prétendus maîtres en appellent sans cesse à la nature; mais si celte nalure, ou plutôt si l'auteur mème de la nature manifesta jamais ses intentions, ce fut assurément dans lesmoyens PHILOSOPHIQUES. 7E qu'il'prit pour rendre permanente, inviolable, l'union de l'époux et de l'épouse, Voyez d'abord les vœux qu'il leur inspire, écoutez le serment qu'il leur dicte, dès que le sentiment vient ré- gner dans leur cœur et leur apprendre qu'ils sont faits l'un pour l'autre. La plus impérieuse des passions s'empare de leur âine, tous leurs sens sont émus ; le trouble est dans leur cœur ; le sommeil a fui loin de leurs veux, il n’a plus de douceurs, el il n'en aura plus jusqu’à l’heu- reux moment de leur union. Parlez-leur des plaisws . il n’en est qu’un pour eux; parlez-leur des richesses, que sont tous les trésors pour des cœurs qui soupirent et cherchent à s'unir ? Ils vous semblent distraits; mais leur âme est plongée dans la méditation. Un seul objet loc cupe , parce qu’il n’en est qu'un dont lu posses- siun puisse la rendre heureuse. Ils se voient; le serment d’un amour éternel est dans leur -cœur comme il est dans leur bouche. Venez leur dire alors que la fidélité qu'ils se jurent, que Punion qu'ils méditent, sont la fidélité et l'union -de Pinstant, Cruel ! vous verserez le poison dans leur âme; Fidée, l'idée seule de la séparation les tourmente, les révolte; laissez-les se jurer une ardeur éternelle : ces vœux sont dans leur cœur; äls sont dans la nature. Elle sait que l’i- vresse des sens aura sun terme; mais c’est de ‘tous leurs feux qu’elle veut se servir pour cimen- ter l'union:qu’elle médite, Es ne voient que la 72 LES PROVINCIALES mour et ses plaisirs; elle voil ses projets, et elle aura besoin, pour les remphx, de toute leur constance. Il s’agit de peupler l’univers; ce sont d’autres eux-mêmes qui naïtront de leur sein. Ils ne sont qu'amans encore; mais l'amant sera père, Fa- mante sera mère, Voilà le vœu de la natzres et quand ce grand projet sera rempli, que le vain sage alors oublie, s’il le peut, les sermens de l'amour; qu'il abandonne celle qui les avoit reçus, et qu’il vole, s’il lose, dans les bras de étrangère. Alors, eut-il le cœur du tigre et du Bon, nous le ramènerons dans ses premiers foyers: là, nous lui montrerons l'épouse aban- donnée, et cet enfant le fruit de ses premières amours. Nous lui dirons: Cruel! est-ce ici que ton cœur, la raison el toute la nature t'appren- nent à ne voir dans la fidélité conjugale qu’une vertu de préjugé? Ecoute la justice en voyant celle mére éplorée , et elle te dira s’il est dans | l'équité que seule elle supporte tout le poids de la maternité; si celui qui reçut l’existence de toi, comme il la reçut d’elle, n’a pas droit à Les soins comme il a droit aux siens. Viens, el vois cet enfant dont les yeux te cherchent vaine- ment autour de son berceau. Pourquoi fus-tu son pére, s’il te devoit en vain appeler dans ses chutes, s’il te devoit en vain tendre les bras ? Pourquoi devenir père, si ton fils ne te devoit jamais donner un nom si doux, s’il ne devoit IE! | PHILOSOPHIQUES. 73 apprendre à le prononcer que pour saxoir uu jour que tu y renonças ? Tu parles de nature; écoute donc sa voix ; c’est elle qui te dit : Si je n’avois voulu perpétuer l'union dont cet être est le fruit, j’aurois su me passer de toi pour l’élever, le nourrir et le forti- fier. Viens au moins, viens, et vois les douceurs que j'attachai à ses caresses ; laisse-le embrasser, laisse-le te sourire et passer sur ton front , sur ta joue ses mains encore si tendres; et si lu peux ensuite, tu fuiras loin de lui. Ah! nourris-t'i plutôt du plaisir de le voir se former et grandir à les côtés, et de tout l'intérêt que ses succès tinspireront un jour. Ils sont la récompense que je t’ai préparée des soins dont j'ai voulu me reposer sur toi. Il sera long-temps foible, et long-temps les besoins de son enfance, leserreurs de sa jeunesse demanderont un guide et un ap- pui, des secours, des conseils, des lumières, Tu le dirigeras, et tu seras son père une seconde fois ; il sera de nouveau ton enfant et ton ou- vrage. À peine son esprit el ses sens seron! dans leur vigueur, que déjà au midi de tes jours, bientôt à leur déclin, tn chercheras celui que je chargeai de partager tes travaux, de soutenir ta vieillesse, dé te rendre des soins qui te payent des tiens, Tu ornas son berceau , tu reçus ses premiers embrassemens , je veux qu’il reçoive tes derniers SOUPITS , et que la mort te trouve entre ses bras, versant encore des larmes de 4, 4 74 LES PROVINCIALES joie, bénissant son amour, ses verlus, et re merciant le Dien qui te remplit par lui de ses consolations. Eh! le faux sage demanderoit en- core où est la loi de la nature qui fixe pour ja- mais l'époux avec l'épouse ! La voilà tout en- ere duns ce tableau intéressant d’un père, d’une mére, des enfans. Elle est dans ces rapports muluels et constans qui ajoutent sans cesse à leur union; elle est dans le premier serment qu’elle dicte aux époux; elle est dans leurs plai- sirs, qu’elle ne rend communs que pour rendre communs leurs soins et leurs travaux ; elle est dans la lenteur que la nature affecte pour ne développer et le corps et lesprit de l'enfant que lorsque les années ont cimenté l’union du père et de la mère; dans cette providence qui varie les facultés pour rendre les services mu- tuels, les obligations réciproques ; dans ce Dieu altentiF à resserrer sans cesse les liens par de nouveaux devoirs, à les rendre plus chers par ceux de l'habitude , à faire succéder à l'empire des sens celui de la raison et d’une intimité que le temps fortifie, qu’il érige en besoin , qu’il rend toujours plus douce en la rendant plusnécessaire, Le faux L'AULE parle de dégoûts, d’ennuis el de satiélé, de dissensions domestiques, qui rendent odieux ses premiers engagemens; il parle de ces nouveaux appas qui tourmentent san cœur el l'appélent à à dé nouveaux liens. Je c.ois qu’il Les éprouve ces ennuis, ces découts Fr BHILOSOPHIQUES. 75 cette satiété; mais est-ce à la nature qu'il les doit, on à l’oisivelé, à des mœurs déréglées, aux vices de son cœur, de nos lois et de nos Babylones? Cette satiété jamais s’empara-t-elle de celui qui vient se reposer sur le sein de l’é- pouse, du poids et des travaux de la journée ? Est-ce bien parmi ceux dont les mœurs nous retracent encore les lois. de la nature que nous verrons des hommes, deretour dans leurs foyers, n’y trouver que l'ennui et le dégout ? P:omenez moins ailleurs votre inutilité où votre fastueuse oisivelé, Cherchez à salsfaire à vos devoirs bien plus qu’à vaïier vos jouissances; fidèle à vos serinens ; ne VOUS EXPOSEZ pas sans cesse à les violer, en fuyant celle qui les reçut , en sui- vant nos Laïs ou la femme étrangère. Portez dans vos foyers la douceur, la bonté, la sagesse, eb toutes les vertus domestiques; en un mot, soyez à la nature, et le bonhvur sera dans vos levoirs et dans yolre constance. L’aviez-vous consullée cette nature dont vous avoquez aujourd’hui les droits ? l’aviez-vous onsultée dans cette union qui cause aujour- hui vos dégoûts? Bsi-ce elle, où l’avarice, à l’ambilion qui dicta votre choix, qui forma es nœuds peu faits pour vous? et faudra-t-il ruelle change ses vues, ses projets, ses lois fon- amentales, pour se prêter à vos passions di- ‘erses ou à votre imprudence ? Quelle que soit enfin la cause de vos ennuis, a 76 LES PROVINCIALES fussent - ils invincibles, vous les supporterez ; Varrêt en est porté; l'intérêt général n’admet point d’exceptions, qui b'entôt soumettroient: Ja loi même aux caprices de l’homme. Elle vous paroît dure cette loi; peut-être enviez-vous le sort de l'animal, qui, libre dans son choix, satisfait le besoin de l'instant, et s'enfuit loin de celle qu’il a rendue féconde. Altendez donc aussi que la nature ait fait pour vous ce qu'elle a fait pour lui, qu’elle ait rendu indépendant de vous et de vos soins cet enfant | qu'elle a fait sortir de votre sein; qu’elle ait ancanti dans vous, dans vos semblables ce be- ! soin, cet instinct, ces charmes de la société; | ei qu'elle ait dit à l’homme comme elle a dit à | l'ours : Tu vivras seul dans ta tanitrez; j’ai fixé le moment où je t’appellerai pour continuer | l'espèce; mais ce moment passé , tu seras encore seul, et tu n’existeras que pour toi seul. Tant | que le genre humain m’aura pas entendu cct ! arrèt flétrissant; tant qu’il subsistera, au con-| iraire , des rapports essenticls et constans de l’homme à l’homme, de l'épouse à l’époux , et! du père aux enfans, et du frère à la sœur, du ciloyen au ciloyen, c’esl en vain que nos sages chercheront à soumettre aux caprices de Pin- constance l’unien de l’homme et de la femme. Insensé! vous regardez encoré d’un œil d’envie 11 liberté de l'animal ! donnez-lui-donc aussi vos b:soins, vos jouissances , vos plaisirs , çt jusques! PHILOSOPHIQUES. Er 7e à vos vices. IL.est devenu père, il ne s’en souvient plus aussitôt que ses soins deviennent superilus DAT LE femelle ou sa postérité ; 1l ci mème sil peut le devenir encore, jusqu’à ce que le temps et la saison nouvelle en fassent renaître le besoin. Est-ce donc sans dessein que la nature a méconnu pour vous ces périodes , ces intercalations ? Vous aimez aujourd'hui ; elle n’attendra pas le retour du printemps pour rappeler Pépouse vers l'époux ; et l’antomne et l'été , les frimas eux-mêmes ne ramèneront pas l'indifférence. ‘Tous les temps sont propices à vos nœuds, parce qu’il n’en est point qui doi- ve les dissoudre. Les sens se refroïdissent; mais les plaisirs du cœur , les douceurs de l’intimité, ct tous les intérêts de la société se fortifient. se succèdent sans mn HEUION Un seal jour suffira en tout temps pour dire à l’homme :'Fu es seul: les heures du repos lui diront toutes :'Fu n’es pas fait pour l'être. Non , la nature n’a pas rendu constante cette chaîne de besoins et de plaisirs pour que volre union fût mesurée sur celle de lanimal. Tout est passé pour lui, tout subsiste pour vous. Postérité , ancêtres, parenté , et celle mème par qui il devient père , il ignorera tout ; et toujours vous saurez quelle fut la com- pagne de votre lit ; toujours elle saura qu’elle ful volre épouse, ét vous saurez comme elle que cet homme est sorti de votre sein ; que celui-là est votre frère; que celui-ci vous a 7 LES PROVINCIALES donné le jour. Malgré vous, leur bien-être vous intéressera : malgré vous , ils auront les pre- muers droits à vos secours, à vos bienfaits; vous aurez droit aux leurs, Ils vons appelleront, vous les appellerez dans la disette et dans les infirmi- tés ; la nature parlera hautement et pour eux et pour vous; elle eüt moins prodigué les moyens de s’enh”aider, elle les eût rendus moins habi- tuels, moins nécessaires, si elle n’eût formé des liens que pour l'instant. Le temps ne dissout pas des nœuds qui vont sans cesse ajoutant aux besoins et aux droits, aux rapports mutuels. Il vous a fait auteur d’une famille ; vous n’y teniez d’abord que par l’épou- se; ses enfans sont venus vous montrer autant de nouveaux liens qu'il est trop dur de rompre. Le temps vous les donna, le temps vous y al- tache ; vous fütes leur auteur, vous serez leur appuis ils cesseront d’avoir besoin de vous, vous aurez besoin d’eux. Ils se sont fortifiés à ombre de vos ailes, vous vieillirez sous leurs auspices. Dans l’âge des patriarches , entouré des enfans de vos enfans , voire cœur tressaillera de joie; sensible à leurs caresses , vous les rassemble- rez autour de vous, vous aimerez à les compiler autour de votre table. Vous bénirez le Dieu des générations, ce Dieu qui, de l'instant de votre union , a fait pour vous la source de toutes les douceurs, de toutes les consolations de vos vieux jours. | : PHILOSOPHIQUES. 59 Appelez à ce spectacle Le vieillard solitaire , qui long-temps promena ses amours vagabonds, qui ne peupla la terre que d’êtres incertains de leur naissance , vagabonds comme lui, et que l'affection filiale ou Pamour paternel n’ont fixé nulle part. ILest seul; ses enfans l’ont en vain appelé, il les appelle en vain ; il ne s’éloit uni que comme Panimal, il vieillit comme lui, sans que rien l’intéresse ; il mouvra comme lui aban- donné de tous, mais avec le remords de lavoir mérité , et trop certain que sa mémoire ne peul qu'être maudite de sa postérité. Demandez donc encore , demandez ce qu’a fait la nature pour constater ses lois, pour rendre indissoluble l’anion de l’homme et de la femme, et nous vous répondrons : Que pouvoit-elle faire de plus pour nous apprendre quel est ici son vœu le plus ardent ? Elle a perpétué tous les rapports, les plaisirs , les besoins mutuels. Elle nous a montré le parjure, la cruauté et l’injustice dans le cœur de l’époux qui abandonne celle dont il fit son épouse ; la barbarie et la férocité dans le père qui abandonne ses enfans ; l'ingratitude la plus révoltante dans le cœur de l'enfant qui renonce à la tendresse filiale; le bonheur le plus pur dans le cœur de celui qui vieillit dans les nœuds de s1 première uniçn; le remords, le dés- espoir, la solitude affreuse dans le cœur du vieil- lard qui jamais ne fixa ses plaisirs , ses amours. Pouvoit-elle nous dire d’une voix plus disünete 6o LES PROVINCIALES que le tombeau seul peut dissoudre les nœuds qu'elle forma ? Oui, elle a plus fait encore ; elle a voulu que la perpétuité de l’union conjugale füt la base essentielle des états , des villes , des empires , de Ja société universelle , comme elle est la base des familles. Que le mariage soit un acte pas- sager : sur qui la république se reposera -t-elle des soins de la paternité ? Qui véillera sur ses sujets dans le temps où leur frêle existence demandera une attention continuelle ? Dans ces jours où l'erreur, la séduction les environnent, où la vertu doit être soutenue par les leçons’ et les exemples domestiques, et non par l'appareil des satellites et le fouet des bourreaux, qui for- mera les jeunes ciloyens, et les disposera aux fonclions , aux dignités que l’état ne peut que distribuer ? Quelle loi suivrez-vous dans les pro- priétés et les successions, dans la distribution des béritages? Qui les conservera pour les trans- meltre plus riches , plus fertiles , aux généra- tions futures ? Quel intérêt pour la postérité animera celui qui ne la connoît pas même dans ses enfans ? Gardez vous de me parler ici de celte ville trop fameuse pour avoir pu admettre dans son code une loi destructive de cette union sainte ; car c’est à Sparte même que je-vous conduirat , pour montrer vos principes et les siens haute- tement démentis par l'expérience, Heureuse, en PHILOSOPHIQUES. OL essayant d’anéantir les noms de pére, de mère et d'enfant , d’avoir vu la nature plus forte que les lois de RE que. Si Sparte eut des vertus qui tempèrent au moins le tableau de ses mœurs, si de hauts faits nous forcent à respecter encore son nom dans l’histoire, à qui les devoit-elle ? Est-ce au fils de l’athlète, qui assouvit ses feux ét les oublie? Est-ce bien aux enfans de la pros- tüitution qu’elle dut ses Agis et ses Léonidas ? Nommez-nous ses héros distingués ou par l’a- mour de la patrie, ou par celui de la justice, ou’ par la bienfaisance , ou par des mœurs aus- tères, et nous vous nommeron! le couple heu- reux dont l’union constante el les soins assidus, les forméèrent à toutes ces vertus. Est-ce à des lois qui brisent tous les liens du sang qu’elle dut ces pères si zélés pour l'éducation de leurs cnfans? Est-ce à tous ces enfans ignorés de leurs pères qu’elle dut ce respect pour les an- ciens du peuple ei les chefs des familles ? Est-ce enfin à ces lois si propices à la prostitution qu’elle dut ces mères chastes, plus difficiles à séduire que lemont Taygète à plonger dans l’Eu- rotas (1)? Leur dut-elle la gloire d’ignorer, dans (x) Cette comparaison nous rappelle!la réponse du Spar- tiate Géradas. Interrogé par un étranger quelle sercil la peine d’une femme adultère : Ce crime, lui dit il, est in- connu à Sparte. L’étranger insiste, en supposant au moins qu’il ait été commis : En ce cas, reprend le Spartiate, le coupable paiera un taureau assez grand pour boire de la pointe du Taygèle dans les eaux de l'Eurotas. 4, 02 LES PROVINCIALES ses beaux siècles, la faute d’une épouse inf- déle? Cessez donc de citer les Lycurgue.et les Platon : plus forte que leurs lois , la nature a fixé le lien qu’ils tendoient à dissoudre ; elle en a fait dépendre le bonheur des époux , et celui des enfans, et celui des empires. Vous ne serez point père, vous dit-elle. ou vous serez époux jusqu’à la mort, Ou la femme jamais n’accep- tera la main de homme , ou ils ne feront qu’un jusqu’au tombeau; un par les sentimens que j'ai mis dans leur cœur: un par les sermens que j'ai mis dans leur bouche; un par la voix du saug, que je ferai crier plus haut que toutes celles de vos institutions; un par les intérêts que je confonds pour eux ; un par le fruit commun de leurs amours ; un par tous les devoirs que je leur impose; un par l’autorité que je dépars aux chefs de la famille; un par les sentimens que j'inspire à tout ce qui les entoure; ün par tous les obstacles que j'ai mis à leur division. Si le père, insensible aux charmes de la mére, a quitté ses foyers, si l’amour ne peut plus le toucher, je saurai faire parler encorela pitié , la justice , la compassion ; et toutes les voix de l'humanité sainte viendront troubler son cœur. Ce que ne peuvent les lines d’une épouse, les vœux et les besoins , les cris de ses énfans le feront dans son cœur: ils le rameneront sous le toit paternel ; s’il résiste à l'amour , à la pitié, je saurai faire parler l’orgueil ; je lui dirai : Sois PHILOSOPHIQUES. 63 roi , puisque {u ne veux pas êtrerpère. Dans ies foyers au moins le sceplre est dans tes mains; si tu ne veux pas voir des eufans , vois au moins des sujets, Lei, tout obéil, tont est soumis à ton empire; ailleurs, toul te méprise et mécon: noît ta voix. Ici, je fais un crime de te désobéir, une Joi de t'aimer, de ie craindre et de te res pecter ; ailleurs, tu ne verras que deséganx , si- non des maîtres , et Les lois odicuses auront sans cesse à lutter contre moi , contre tous ceux que j'ai créés Les frères , el non pas tes esclaves. Ici, je V’ai fait roi. Enfin, si la plus forte des passions, le désir du pouvoir, ne rappelle le pére auprès de son épouse et des enfans , la nature, par un dernier eflont, soulève tous les cœurs contre lui, tout le hait, tout le repousse; la société s’indigne et craint de retomber dans le chaos; le premier de ses liens est rompu ; la subordination »’a plus d'appui : l’état n’a plus d'image , les enfans plus de lois; les sujets n’en connoilront bientôt pas davantage; personne n’a formé leur eufance à les suivre ; personne ne répond des vices inté- rieurs ; du sein des foyers domestiques , ils vont tous se répandre et dans les tribunaux, et dans toutes les diverses parties de l’état. O mortel in- sensé! voyez combien de liens vous brisez en relächant celui du mariage! Dés-lors, plus d’u- nité dans les familles, plus de bonheur pour vous, pour vos enfans: plus de paix, de vertu OZ - OX LES PROVINCIALES et de stabilité dans la société générale. La naturé avoit tout fait dépendre de ce premier lien , de sa perpétuité. Je ne crains plus que vous me de- mandiez encore quelle loi elle en fit, et par com: bien de voix elle la manifeste. Mais pourquoi n’ai-je pas répondu jusqu'ici à tous ces blasphèmes en morale, et sur la pu- deur , et sur la continence, et sur la fidélité conjugale; à toutes ces horreurs préconisées par nos vains sages ? Nous l'avons annoncé , et vous allez vous en convaincre; c’est que de cela seul que l’union de l’épouse et de l’époux est inviolible et perpétuelle par sa nature, de ce principe seul dérivent essentiellement les lois de la pudeur et de la continence; c’est quesseul il suffit pour detruire toute cette morale scan- daleuse sur le libertinage, l’adultère, le concu- Dbinage, et ces vices affreux dont l’idée révolte Pâme honnête. En effet, si l’objet primitif de la nature dans l'union de l’homme entraîne essentiellement le vœu d’une société indivisible , avant de l'avoir fait ce vœu et ce serment que la nalure exige pour remplir son objet , comment allumerai-je des feux qu’il rend seul légitimes? Comment approcherai-jé innocemment de cette fleur que je ne peux toucher sans enflammier mes sens , que je ne peux cueillir sans la flétrir ? Vierges , qui ne croissez à lombre des foyers que pour donner un jour à la patrie le gage précieux de PHILOSOPHIQUES. 85 la fécondité! à vous dont la nature a fut son plus touchant ouvrage! 6 vous qu’elle embellit de tous les traits de la beauté! gardez-vous de profaner ces charmes qu’elle n’a mis dans vous que pour récompenser celui qui doit un jour partager avec vous tous les soins d’une généra- tion nouvelle! Cachez-nous ces appas, qui ter- niroient votre vertu , en nous rendant coupa- bles, en nous dictant des vœux que vous ne devez pas exaucer, en embrasant des cœurs que vous ne devez pas posséder. Que le feu de ces yeux, tempéré par la modestie, ins- pire le respect plutôt que le désir, et qu’un voile sacré nous dérobe ce sein qui ne doit allai- ter que linnocence. Laissez à celte fleur nais- sante et l’épine qui doit repousser une main té- méraire, el jusques à ce voile qui la cache aux profanes, Non, la pudeur n’est pas une vertu de pré- jugé. Le respect qui la suit dédommage la vierge de toute sa foiblesse ; elle annonce et maintient innocence ; elle écarte loin d'elle les images lascives , les discours obscènes, les projets sé- _ducteurs et tous-les pièges tendus à La vertu. C’est la nature même qni en fit le plus beau de ses charmes , et la plus forte de ses armes ; c’est la nature même qui colore le front de la chaste Susanne; c’est elle qui abaisse ses yeux, qui trouble son maintien , et qui force le libertin même à rougir de honte, quand ses discours, 86 LES FROVINCIALES ses projets , ses oulrages ont forcé l'innocence à rougir de pudeur. Ï Non , la pudeur n’est pas une vertu imagi- naire. L’ornement , appui de la gloire des vier- ges, elle fait le bonheur des époux, garantit leurs sermens, resserre Îles liens, ajoute à la confiance mutuelle, éloigne les soupçons, pré- vient les infractions; élle ne sera pas bannie de nos mœurs sans porter une alleinte mortelle à union conjugale. Gardez-vous d'écouter Pen- nemi de celte vertu sainte, vous que la nature a déjà réunie à Pépoux qu’elle vous destinoit. Mère trop imprudente ! de quel droit viendrez- vous étaler en pnblic des appas dont vous avez juré que seul il jouiroit, des attraits qui ne peuvent exciter désormais que des feux adul- ières ? Votre conquête est faite: elle est dans vos foyers ; partout ailleurs le plaisir ne se mon: tre pour vous qu'avec le crime. Quels yeux cher- chez-vous donc encore à éblouir ? quel eœur et quels soupirs provoquent donc encore cet art volapiueux , ces parures lascives , ce voile insi- dieux qui ne cache à demi que pour mieux éveiller et nourrir le désir ? Pour qui sont ces regards indécens ? L'amour doit-il chercher un second père à vos enfans? L’adultère doit-il ajouter à leur nombre, et rendre Porigine de leurs frères incertaine , ou porter au fils de Pc- tranger la substance de l'enfant légitime ? 'Te- méraire ! pourquoi nous exposer à vous séduire PHILOSOPHIQUES. 67 ou à être séduits ? et pourquoi réveiller tous les sens du public, quand vos premiers liens ont fait de nos soupirs autant de crimes ? N’exigez pas au moinscelt hommage que vous eut assuré une vertu qui seule est à la fois le gage, le soutien de’mœurs publiques. L’épouse liceu- cieuse, non plus que la vierge lascive, ne les vio- lera pas impunément ces lois de la pudeur. Si leur aspect fait naître lé désordre.des sens , le feu qu’elles allument s’éteint par le mépris. La Vé- nus effrontée n’aura jamais d’encens que celui du vieillar d'impudique, plus méprisab le qu’elle, ou d’une jeunesse effrénée , que la raison n Ave. pas encore au-dessus de la brute, Noûs pourrons ap- plaudir à ces charmes que la nature vous avoit prodigués; mais la réflexion nous ramenant à son objet essentiel, nous dirons : Ces appas ne devoient embellir que ja vertu ; ils devoient n’ap- peler , ne flatter que époux, puisque seul il devoit être pere, et remplir # brand objet de la nature. Mais si de la natare même, de l’union con jugale, provient celte vertu timide et circons- pecte que l’ombre seule de l’infidélité alarme, qu'un geste, qu’un regard déconcerte ,que sera ce de cette philosophie impure qui ne voit dans l'union passagère de l'amant et de Vamante, dans la fornication et le concribmage, d'autre crime que celui du préjugé? Cyniques impudens ! la nature vous parle, dites-vous, et ne vous fait 88 LES PROVINCIALES sentir que les besoins des sens; mais demandez- lui donc quel ést l’objet de ces besoins qu’elle suscite. Vous Pa-t-elle laissé ignorer, que cette impulsion qui rapproche les sexes n’est, dans son intention , que le moyen de perpétuer les- pèce; que le plaisir ici n’est qu’une chaîne qu'elle entoure de fleurs pour rendre le fardeau plus léger; que la reproduction impose des devoirs plus durables que le feu de vos sens: qu’elle ne vous unil par les plaisirs de linstant que pour perpétuer les devoirs de la paternité ; que le fruit de celte union est fait pour vous survivre ; que c’est à vous à l’élever, à le fortifier, de si avec celle que le ciel veut féconder par vous ?Ne vous prètez donc pas à ces moyens de la nature, où remplissez ses vœux; rejetez ces plaisirs, où soumellez-yous à ses lois, et ne:.la frustrez pas de son espoir. Est-ce à l’homme à borner aux Jouis- sances dumomentlunion que le Dieudela naturé a voulu resserrer et perpétuer par des devoirs constans? Est-ce à vous à borner ces plaisirs à volre jouissance , quand il étend ses vues sur la postérité ; à réduire à l’instinct.de l'animal l’u- nion dont il a faitla base des sociétés humaines ? Commencez donc par fairele sermentqu’ilexige, celni d’une constance, d’une fidélité iuviolable 1 ou bieu ayez le GEL de soutenir que ce n’est pas un crime de tromper, la nature ,, d'éluder son objet principal, et de faire.avorter ses pro- jets essentiels. PHILOSOPHIQUES, 89 Quand il aura été prononcé ce serment qui rend seul vos plaisirs légitimes , ce serment sans lequel tout désir est un crime , et Loule jouis- sance une prostitution ; quand il n'aura plus fait qu'un seul cœur de celui de l'épouse et du vôtre; prescrit par la nature, quand il aura été reçu par la patrie : quel est donc encore celte philo sophie qui ne verra dans l’adultère qu'une faute, une erreur de préjugé? Quoi! l’homme est in— nocent quand il viole Ja foi qu’il a donnée ; qu’il a dù donner? et l’illusion des sens suflira pour justifier un cœur parjure? Ce n’est donc pas une iujustice et une perfidie que de manquer à celle qu jura de se donner à vouset à vous seul , parce que vous juriez de vous donner à elle seule? Ce n'est donc pas un crime de lui laisser la chaîne qui la lioit à vous, et de briser l’anneau qui vous Lit à elle? Ce n’est pas être ingrat de recevoir les vœux et les faveurs , les attentions d’un cœur sincère, et de ne lui rendre en échange que des embrassemens perfideset les vœux du mensonge; de réserver pour elle tout le poids de votre exis- tence domestique, de vos chagrins , de vos hu— meurs, de vos infirmités, ét de porter ailleurs vos jouissances, vos plaisirs, el ce cœur dont la possession pouvoit seule alléger ses ennuis, ses peines , ses travaux , ses douleurs ? Il n’est donc . pas injuste ce père qui reçoit dans ses foyers les caresses d’une épouse qu’il trompe, et celles des enfans dont elle l’environne, et qui porte les 90 LES PROVINCIALES siennes à la mère, aux enfans de la prostitution ? Quelle étonnante philosophie que celle qui ne voit que l'erreur du préjugé dans tant de dureté, dans tant d’ingratitude et tant de perfidie! Quelle plus étonnante philosophie encore que celle qui se contentera du secrel et des ténèbres pourlé- giümer l’infidélité! Le crime n'est-il done que dans l’éclat, et non pas dans le cœur ? La nature perd-elle tous ses droits? Son auteur cesse-t-il de vous voir quand vous réussissez à vous Ca- cher aux hommes ? Et quand il parle au cœur , à la conscience , lui faut-il des témoins pour créer le remords et vous prouver le crime ? Vous reviendrez à celle que vous avez aban— donnée ! reviendrez-vous intact pour cela, et la foi conjugale en aura-t-elle été moins violée ? Vousabandonnerez celle dont les appas vous ren- dent infidèle! L’avez-vous moins séduite? ou bien lui rendez-vous son innocence? Vous ne fütes quefoible ! En êtes-vousmomslâche, moins parjure ?et sera-ce le crime qui vous rendra plus fort ? Mais votre cœur est encore libre! vous ne VPavez encore lié par aucun nœud! N'est-ce donc que votre propre chaine que la nature vous dé- fendoit de rompre ? n’est-ce donc que vos pro- pres sermens qu’elle vous ordonna de respecter ? ou n'est-ce pas un crime que de faire un coupa- ble? Vous êtes encore libre! Mais est-ce pour sé- duire celle qui ne l’est pas, pour recevoir un cœur dont la loi, les sermens et la nature ont PHILOSOPHIQUES. 9x déjà disposé? Vous êtes encore libre ! Ne le serez- vous donc que pour porter le trouble , la désu- nion , la haine dans les foyers qui ne sont pas les vôtres? Ces appas, ces hommages , ce cœur que l’on vous offre , on que vous recherchez, un au- tre y a des droits inviolables : à quel titre osez- vous vous les approprier ? Celte épouse est son bien , elle étoit son bonheur; il jouissoit de sa vertu , il passôit avec elle des jours tranquilles, il Paimoïit , il en étoit aimé, il devoit l'être ; et vous la lui rendez déshonorée, injuste , ingrate, mdifférente! Plus deces douces communications, plus de ces mutuels épanchemens, plus de cette intimité si chère et jadis si précieuse à son cœur! L’amour qué vous avez pour elle, celui qu’elle a pour vous ,qne vous âvez fait naître, que vous avez tiourri, a éteint tout celui auqueil il avoit droit. Elle le hait, cruel! c’est votre ouvrage! C’est sans doute celui de l'amitié perfide , dont vous aviez d’abord emprunté le voile pour vous introduire dansses foyers. Ravissez-luisonchamp, prenez-lui ses trésors; ils ne sont rien auprès de ce cœur que vous lui enlévez. À qui s’ouvrira-t- il de ses projets? qui pleurera désormais avec lui dans sès malheurs? qui le consolera? qui se réjouira de ses succès? qui l’aimera dans ses foyers , quand vous aurez porté la division , in- différence dans sa société la plus intime? _ Vainement croiriez-vous éviter ses justes r'e- proches en prétextant que vous avez au moins 92 LES PROVINCIALES respecté le premier de ses droits, que la couche nuptiale n’a pas été souillée. Vous avez déjà fait un malheureux ; vos assiduités lui ont rendu sus- pecte celle dont l'innocence lui éloit précieuse ; la crainte, les soupçons, la jalousie le tourmen- tent; vous les avez fait naître; n’en est-ce pas assez pour croire à l’hospitalite violée? IL n’en est qu'aux soupçons, ce malheureux époux , et déjà ik n'ose plus nommer celle dont la vertu étoit sa gloire; il craint que ce nom seul ne se prononce plus sans rappeler le vôtre , sans réveiller l’idée de son outrage. Il ne se trompe pas ; le public n’a déjà que trop de certitudes, et w’attend pas des preuves qu'il ne sauroit avoir, Ah! sil est dans nos mœurs un préjugé, c’est celui qui fer- meéra la bouche à l’époux que vous déshonorez, quile condamneroil à souffrir en silence, ou bien à devenir la risée du pablic. C’est vous qui devez être l’objet de nos sarcasmes, c’est vous qui le serez de nos mépris, de notre indignation, quand volre crime sera apprécié, quand chacun concevra combien est odieux et impudent l’ètre qui se fait gloire d’avoir porté le trouble, la sé- duction , la honte dans le sein des familles, Quoi! l’adultère encore ne seroit pour le vain philosophe qu'un crime de préjugé? Venezdonc, et entrons dans ces foyers oùila pénétré; de- mandons à cet époux humilié s’il est rien de plus réel, de plus amer que sa douleur profonde ; s’il est rien de plus affreux que d’avoir sans cesse nd pme POAL Lies PUHILOSOPMIQUES. 93 sous les yeux celle qui Pa trahi, que d’avoir desormais à mépriser là compagne de son lit et de sa table; s’il est rien de plus désespérant que ce doute seul; si Les enfans qu’il nourrit, qu’il caresse, ont tous droit de lPappeler leur pére, Voyez ces enfans mêmes, et demandez-leur combien il est cruel de se voir humiliés dans leur mère, de ne pouvoir la respecter et la chérir sans jeter sur le passé un voile que la méchanceté publique s’obstine à déchirer. Demandez -lui à elle-même sil est un remords plus cuisant que celui d’avoir pu mériter la haine d’un époux, les sarcasmes du peuple , le mépris de ses propres enfans. Son infidélité füt-elle enveloppée de toutes les ténèbres de la nuit, demandez-lui en. core s’il est des remords plus déchirans que celui de voler aux enfans légitimes la substance que dévorent les enfans de l’adultère. Demandez à tous nos tribunaux s’il est un crime qui excite plus de dissensions domestiques , qui trouble da- vantage les familles; s'il en est qui seconde vec plus de plénitude le démon de la discorde. Répondrons-nous encore au vil sophiste , lors qu’il essaiera de justifier et de coneitier avec l'idée de la vertu jusqu’à ces turpitudes , ces vices honteuxqui souillèrent la Grèce? Non, ils au ront de moi d’autre réponse que le silence du mépris et de :l’indignation. J’en rougis pour Athènes, si l’histoire est embarrassée de démeu- tir Helvétius lorsqu'il nous parle de ces amours 94 LES PROVINCIALES infâmes des héros de la philosophie ancienne; mais j'en rougis bien plus pour la philosophie moderne, quand ses maîtres prétendent que ces horreurs mêmes laissent encore aux Grecs des droits à nos respects el au tilre de sages vertueux, Quel mélange affreux sera donc celui de la vertu , si elle peut encore subsister dans l’homme dont les mœurs révoltent la nature? Non, je ne crains pas de le dire : Quand vous montrez Platon , ét Socrate lui-même , à l’école de la pédérastie, je ne vois plus qu’un monstre dans Platon et dans Socrate , et je laisse à l’indignation publique le soin de le prouver. Je n'aurai pas d’aulre réponse à faire à Pin- solent qui ose relégner parmi les brutes le jeune homme assez fort et assez vertueux pour résis- ter aux appas des Laïs. Je n’appellerai pas à d'autre tribunal ce sophiste impudent qui ne voit dans nos viles courtisanes que le flambeau de la bienfuisance , et les actes d’une charité plus éclairée que celle de la femme pieuse qui verse ses aumônes dans le sein de la veuve et de l’or- phelin: je laisserai encore le public juger seul tous ces hardis apôtres de la sensualité, qui réduisent hautement toutes les lois d’une jeunesse lascive au secret des ténèbres, et au soin de conserver assez de force pour ne pas abréger les années de la prostitution. Qu'ils fuient loin de nous ces maltressans pudeur , ou nous fuirons loin d'eux. Leur répondre , c’est les trop honorer. La raison PHILOSOPHIQUES. 95 me r'amèneroit pas à l’empire des mœurs celui qui peut entendre ou dicter de sang-froid des leçons de cette espèce. Faudroit-il donc encore s'occuper à réfuter celui qui, poursuivant toujours sa comparaison fétrissante de l’homme et de la brute, pour jus- tifier jusqu'aux amours incestueux d’un père ou d’une mère, croit ne revendiquer en leur faveur que les droits de la nature? Il ne s’aperçoit pas que la nature même, affectant au respect, à fa soumission , àuneindépendanceabsolue, la durée de l’enfance, dit assez hautement pourquoi elle retarde si long-temps dans l’espèce humaine les années de la reproduction. Il ne voit pas que si le sentiment de la paternité s’efface en peu de jours dans Panimal, il est constant dans l’homme ; qu’il répugne au système d'égalité qu’exige l’a nion conjugale ; que le sceptre du père ne sau- roil s’accorder avec l’amouretles jeux del’épouse; qu’il en éteint les feux, loin de les enflammer. 11 ue voit pas surtout que par ces unions mon:- trueuses la nature est trompée; que cet être, à la fois aïeul et père, ne sera plus que l’homme décrépit quand le fruit de l'inceste exigera le plus de soins; et que, pleurant un père dans l{- poux , la mère, avant le temps, sans appui, sans secours , n'aura plus que le triste repentir de n’a- voir pas suivi l’ordre de la nature, et de s’être abusée au point de transformer le respect filial en amour incestueux, i { LESYTPROVINCIABES Pa CG Pardonnez-moi, lecteur, si je néglige d’op— poser à toutes ces horreurs philosophiques, et la: sagesse de nos lois, et la sainteté des préceptes religieux, Je vous l'ai dit : nos vains sophistes ont toujours dans la bouche le mot de nature: c'est par elle qu'ils ont voulu nous persuader que nos institutions morales , nos idées sur les mœurs, ladulitre , l'inceste et le plus effréné libertinage, n’éloient fondées que sur le préjugés j'ai voulu vous mounlrer celle même nature se soulevant sans cesse coutre leur école. Nous sommes re- montés à ses intentions primitives dans Punion de l’homme et de la femme; de son objet essen - tiel, des moyens qu’elle emploie pour la repro- duciion et l'entretien de l’espèce humaine, nous avons vu dériver sa loi fondamentale pour la perpétuité du lien conjugal; sur ce même prin- cipe nous avons établi les devoirs naturels de l'époux etdel’épouse, les lois dela pudeur, et la né- cessitéde celte verlumème si'généralement mépri- sée par nos sages, de cette continence dontils rient', mais dont la nature nous fait un précepte formel , jusqu’à ce que les nœuds qu’elle a sanctifiés aient légitimé les plaisirs de l’union conjugale. _ Vous ayez vu enfin cette nature dont vos im- purs sophistes nous opposent sans cesse et le nom et les prétendues lois, démentir elle-même, en tout point la licence et l’obscémité de leur morale. Mais, souvenez-vous -en , pou mieux sentir encore toute la perversilé deleurs leçons, PHILOSOPHIQUES. 97 c'est votre cœur même qu’il faut consulter; c’est à la conscience des âmes honnêtes qu’il faut les appeler. C’est la, oui, c’est surtout dans le si- lence des passions qu’il faut examiner celte suite de principes honteux, de maxinies iubri- ques , de détails scandaleux. C’est là que la pn- deur et la nature se feront entendre, et que le sentiment, plus fort que leurs sophismes, vous mettra, par l’indignation seule, à l’abri de la séduction, Mais si j'ai réfuté cette morale pleine d'obs- cénités et de principes révoltans pour les 4mes honnêtes, Je conviendrai, lecteur, que veus pourrez la rejeter sans concevoir cependant tout le prix d’une vertu que je pardonne presque à nos faux sages d’outrager , parce qu’elle n’est pas faite pour eux, et qu’ils ne sont pas faits pour l’apprécier. Il faut donc encore qu’à ves yeux au moins j'essaie de justifier ceite conti- nence du sacerdoce, celte chasteté de nos ves- tales, ce vœu du célibat qu’ils vouent au mé- pris et au sarcasme, Qu'ils l’outragent encore ce vœu sublime, qu'ils le citent sans cesse au tribunal de la politique ; ce n’est pas auprés d'eux que j'en serai l’apologiste, ils ne m’enten- droient pas. Ce n’est pas à des cœurs pétris de boue qu’il faut parler de l’homme élevé à la di- gnité des esprits célestes du vœu qui l’affran- chit des sens, et qui prépare à son esprit les délices des saints. Laissons le philosophe bles- &, 5 (1e) LES PROVINCIALES phémer ce qu’il ignore; maïs vous, à qui les grands principes de la religion ne sont pas in- connus ; vous qui savez que Phomime n’est pas fait pour la terre, que les grandes victoires sont celles qui vous font triompher des grandes pas- sions , souffrez que je propose à votre admira- tion et la Vierge du Christ, qui ne veut d’autre époux que son Dieu , et Phomme religieux qui se dévoue tout entier à son Dieu par un vœu solennel. S'ils avoient à vous rendre raison du sacrifice qu’ils ont fait, que chaque jour ils re- nouvellent, qu’auriez - vons à répondre vous- même quand ils vous auroiïent dit : « Je naquis « pour les cieux , laissez - moi renoncer à ces « plaisirs qui fixent vos regards sur la terre. La « chair corrompt lesprit , et je veux en expier « le crime. Ce corps m’assimiloiït à Vanimal; je « veux être l’image de la Divinité. » Que lui répondriez-vous quand il ajouteroit : « Plus je me livre aux sens, plus mes sens exi- « gent et m'inspirent d’aversion, d’éloignement « pour cet esprit de pénilence qui purifie l’âme « aux yeux du ciel. Sr les plaisirs terrestres ont « des charmes pour vous, la contemplation des « vérités célestes a pour moi des délices ineffa- « bles.S'ilest pour vous mille intérêtsdivers dans « cette vie qu’un souffle vous arrache, laïssez- « moi méditer les années éternelles. Si le monde « a des charmes pour vous, laissez - moi fuir « ses crimes , et prévenir les vengeances d’un | « « « « « « « « PHILOSOPHIQUES. 9) Dieu juste. Si le feu des sens vous domine , laissez - moi les dompter. Je sais celui qui veut bien être ma récompense, 11 vous donne la terre à repeupler, il me montre les cieux à contempler; il destine par vous des enfans à la patnie, il m'appelle à la sanctifier, à éloi- gner par la ferveur de mes prières, par le maintien et la propagation de sa doctrine, par l’image des verlus de son fils, les fléaux de sa colère, Ingrat ! vous sentirez un jour le prix de ces services que vous aimez à vous ca- cher. » Qu’auriez- vous à répondre, s’il vouloil con- tinuer : « Vous affectez de craindre ma foi- « « « « blesse, vous taxez mes sermens d’imprudence. Connoissez mieux celui qui les inspire et les acceple. C’est lui qui est ma force; c’est à moi à savoir ce que peut l’homme sous les auspices de son Dieu. Vous ignorez ce que peuvent la retraite, la fuite des occasions , l'étude, les méditations saintes, les jeûnes, la prière et l'amour de la Divinité. C’est à moi à savoir, si avec ces moyens, Mes vœux sont _téméraires. Gardez pour vous votre insul- tante pilié. Je sais le Dieu qui s’est chargé de mon bonheur; puissiez-vous goûler dans vos foyers des délices qu'il verse dans ma soli- tude! Suivez la destinée qu’il a tracée pour vous; ne me fatiguez pas dans ma vocation par votre feinte conipassion ou par vos ca- 100 LES PROVINCIALES + LS lomnies , et laissez-moi du moins, pour obéir « à la voix de Dieu, la liberté que je vous laisse « dans le sein de vos familles, dans le tourbillon « d’un siècle étranger au salut et à ma grande « affaire dans ce monde. » Oui, lecteur, qu’anrons-nous à répondre au pieux cénobite, à la sante vestale, ou au pré- tre fervent, qui daigneront ainsi jnstifier de- vant nous l’objet de leur retraite, et ce vœu, ce serment solennel qui ne leur permet plus de sacrifier aux sens, qui ne leur laisse plus avec le monde d'autre commerce que celui de la charité, et d’autres jouissances que celles d’un cœur intimement uni à la Divinité? Leur opposerons-nous la loi de leur Dieu même, et ce précepte donné aux premiers hommes de croître et de se multiplier? Nous aurions bonne grâce à les objecter au saint célibataire , aujourd’hui que le sang du premier homme est répandu par- toul, que la terre est peuplée, et que nos vices seuls la rendent moins féconde ! aujourd’hui surtout que l’incontinence des Laïs et les dés- ordres de tant de libertins sufliroient pour dépeupler nos villes, si elles pouvoient l'être ! Commençons par proscrire le célibat de Favarice, | le célibat du luxe, le célibat de Pesclavage, le célibat de la prostitution , le célibat de l’égoisme, le célibat de la philosophie, le célibat de tant de passions opposées au vœu de la nature, et nous pourrons nous occuper ensuite du célibat de La PHILOSOPHIQUES. 2014 vertn , de la religion ; nous verrons si celui qui élève le prêtre, la vestale au-dessus de la nature, ne laisse pas assez de citoyens à la patrie et de cultivateurs à nos campagnes. | S'il faut justifier le sacerdoce d’une religion sublime par celui de la superstition, nous pour- rons demander à l’histoire si, malgré la mulli- tude de ces prètres voués à un célibat forcé, et malgré celui du bonze asiatique, la Phrygie , la Syrie, le vaste empire de la Chine, se virent dépourvus d’habitans; si c’est de ses vestales que Rome se plaignoït quand elle vit les siens s’évanouir dans ses dénombremens ; si c’étoient déjà les prêtres et les vierges du Christ qui multiplièrent les édits, sous Auguste, pour ré- parer les pertes de la stérilité. Croyez - moi , lecteur, laissons à Dieu ses saints, corrigeons nos vices, et il saura répandre sur nos famille: ces bénédictions d'Abraham , Isaac et Jacob, qui égalent le nombre des enfans d'Israël au nombre des étoiles, au sable de la mer ; ces bénédictions, que notre grand crime est aujourd’hui de re- douter, parce qu’elles s'opposent au fatal égoïsme, parce qu’elles destinent au maiutien d’une tribu nombreuse ce que nous aimons mieux ne con- sacrer qu’à notre superflu, au faste. à nos plaisirs. Politiques insensés ! au lieu de les proscrire ces célibataires d’une religion sainte , loin de leur reprocher les pertes de la patrie, peson: 102 LES PROVINCFAÉES ce que la patrie même doit à la sainteté de leurs fonctions ; comptons, s'il est possible, les citoyens nombreux dont la dépravalion des moœurs eût élouflé le germe, et qui ne doivent , en un sens, leur naissance qu’à lenrs exhorta- tions et aux foudres qu’ils lancent sans cesse contre un hbertinige destructeur des empires , comme de la vertu. Elle n’est pas sans fonde- ment , elle mérite tonte votre attention , et doit rendre voire politique plus juste, cette réflexion de notre correspondante : Qui est-ce , dans nos villes, nos bourgades, nos campagnes, qui s’op- pose avec le plus de force et de constance à la dissolution des peuples ? Qui est-ce qui exhorte le plus assidûment à prévenir les crimes de la jeunesse: par des unions légitimes? Qui est-ce qui anime la confiance de Pépoux et de épouse en celle Providence qui fournit au moucheron sa subsistance ? Qui est-ce qui menace el qui tonne, soit duns les chaires de la vérité, soit dans les tribunaux de la pémtence, contre cette sordide avarice, ou ce luxe bien plus avare en- core et bien plus ennemi de la postérité ? Qui est-ce qui prend soin de solliciter votre charité pour des familles nombreuses , que l’indigence est prête à moissonner ? Ce sont ces prêtres cé- libalaires auxquels vous reprochez de dépeupler l'Etat; ce sont et vos curés et vos vicaires, et tous ces religieux dont l'exemple ; la piété. les saints discours opposent presque seuls quelques PHILOSOPHIQUES. 16) obstacles à la dissolution générale. Le célibat leur a facilité leurs fonclions , et toutes leurs fonctions tendent à l'entretien des mœurs , et les mœurs seules multiplient, sanctifient les mariages , les rendent plus féconds, enrichis- sent l’Etat. Le célibat philosophe et toutes les maximes impures de son école , à quoi tendent- ils au contraire , si ce n’est à la dissolution des mœurs , à l’égoisme, à la dépopulation? Je le sais , vous allez me le dire, et j’en suis plus révolté , plus affligé que vous ; je le sais . il est des prêtres, il est dans cette nombreuse légion de lévites , des célibataires scandaleux : mais l’unuion conjugale n’a-t-elle pas anssi ses - adultères ? mais faudre-t-il toujours parler d'abus quand ik s’agit de l’esprit de la loi, el toujours des méchans quand il s’agit des saints? Je vou- drois plus que vous les anéantir , ces abus du cé- hbat religieux ; mais est-ce de lui-même et de sa nature qu'ils proviennent , ou des vices du siècle el de son avarice, et de sa corruption et de sa dureté, et de vos lois barbares et de votre fatal philosophisme, qui n’a pas respecté les bar- riéres des eloîtres ? Quels sont ces vœux suivis du désespoir, de la profanatien et des scandales ? Ce sont les vœux du prétre que Dieu n’appeloit pas au ministère, du cénobite qu’il destinoit au monde , ou de la malheureuse veslale dont ses desseins faisoient une mère féconde, Vous ayez contrarié la voca- 104 LES PROVINCIALES üon du ciel, père barbare! vous avez immolé cet enfant sur l'autel , crainte de ne pouvoir suffire à votre luxe et à ses besoins. Ce n’étoit pas au joug du Seigneur qu’il venoit se soumettre , c'est sous le vôtre qu’il plioil en prononçant ses vœux ; il rongera son frein; et vous serez l’auteur deses scandales, à moins qu’instruite par ses pro- testations , l'Eglise, qui demande des enfans et non pas des esclaves, ne rouvre ses barrières que vous aviez fermées sur lui. Quelle leçon encore donnez-vous à cet enfant, que vous couvrez de la robe des lévites ? Est-ce dans la sainteté du sacerdoce, dans la sublimité de ses fonctions, dans les services que l'Eglise et PEtat attendent d’un véritable prêtre, que vous avez puisé les motifs dont vous l’animez? Avez- vous pris au moius quelque soin de lui repré- senter l’étendue de ses engagemens ? Non; il est dans l’Église des dignités, des bénéfices , des prélatures, des richesses, et vous les lui mon- trez. Voilà sa vocation; c’est celle de l’orgueil , de Pambition, de l’avarice. Eh ! vous serez sur- pris qu'il ne soit un jour qu’an prêtre scanda- leux , avare, ambitieux, sans mœurs , comme tant d’autres qui n’ont qu’une même vocation ? C’est de vous et non pas de l'Eglise que vien- dront ses scandales. Nos lois saintes vont mettre dans sa bouche le vœu de continence , il le p'ononcera; mais vous avez mis dans son cœur le vœu des passions. Nous croyons faire un PIHILOSOPHIQUES. 105 prètre , vous en avez fait un hypocrite. À qui sera la faute, s’il déchire le voile quand son ambi- tion sera salisfaite ; si nous n’avons qu’un comle, qu'un marquis ignorant, désœuvré, laxurieux, hautain , rempli de tous les vices, au lieu d’un saint prélat? ; Que je la hais cette philosophie qui voit le scandale et qui nous le reproche, qui ose le tourner contre l'essence même de la plus pure des vertus ! C’est elle qui le cause, et qui Pétend encore tous les jours, en insinuant ses principes licencieux jusque dans l’asile de l'innocence. Elle a dit, cette philosophie lubrique: Le plaisir est la voix de la nature et sa première loi. Elle a dit : Insensé est celui qui croira plaire à Diex, ou expier des fautes, en mortifiant ses sens, et s'élever aux cieux eu méprisant la terre. Hu- miliée de la force et de la grandeur d’âme des vierges du Christ, des prêtres du Seigneur , tantot elle affecta de mépriser le sacrifice le plus héroïque, le plus noble triomphe des saints ; tantôt elle nous dit ce triomphe impossible ; et il l’étoit pour elle , parce que ce n’est pas à la secte rampante d'Epicure qu’appartient la vic- toire de lesprit sur les sens. Sa voix a retenti jusqu’au fond des cloitres ; elle y a rallrimé le feu des passions ; le religieux, séduit par le so- phi-me, ne se reconnoît plus, il ne retrouve plus son appui dans des lois qu’il méprise, dans le Dieu qu'il cesse d’invoquer. Le mépris, les F J L 106 LES PROVINCIALES sarcasmes d’un siècle qu’il devoit subjuguer à ferce de vertus, le subjuguent lui-même, et l’en- traînent dans les vices des mondains. Monstre {ffreux sous le manteau dessaints, inquiet, chan- celant entre Voltaire et l'Evangile , affoïbli pr les doutes , il hésite, il ne sait si son Dieu ac- ceple un sacrifice que déjà il méprise lui-même, que déjà les passions lui rendent trop pémible. Ces murs el cette enceinte où il devoit le con- sommer Jui sont insupportables ; il cherche à s y souslraire, el à se dissiper dans un monde pervers; c'en est fait, son antique vertu Faban- donne: :1l déteste ses vœux et ses sermens: il ne peut fuir l’antel , il le profane; son cœur s’en- durcit ; les sacriléges se multiplient ; d'heureux et de fervent cénobite il devient un pécheur habituel ; plus les barrières qui l’arrêtoïent sont fortes, plus il a fallu devenir décidément mé- chant pour les franchir. Voilà ton ouvrage, 6 siècle prétendu philosophique ! et ton crime ira encore plus loin. Je lai vu cet adepte ennemi de la Divinité, Epicure, Lucrèce ou Voltirien, sous l'habit des lévites, déchirer dans nos foyers ce même Evangile dont il étoit l’apôtre dans nos chaires. Vil rebut d’une société qui se fit une Joi de chasser ses membres scandaleux où gan- grenés, proscrivant dans ses livres un commerce infäme dont il se nourrissoit ; prèchant la liberté des hommes qu’il vendoit , calomniant les vœux qu’il avoit faits, ilerre, il vit encore sous habit PHILOSOPHIQUES,. 167 de nos prêtres; l’autorité qui l’a proscrit n'a pas fait täire encore les cent trompeites d’une philosophie qui l’exalte malgré tous les scan- dales ; et Fon s'étonne qu'il y ait des prêtres impudiques let loi nous.citera celte espèce de prélres pour faire regarder comme impossible lé vœu de continence que l'Eglise exige de ses ministres ! Ajoutez, s’il le faut, à leur nombré ions ces demi-lévites , philosophes du jour, déguisés eæ rabat , ou prêtres des toilettes bien plus que des autels, ces Adonis oiseux ou inlri- gans,, perpétuels coureurs de bénéfices , et tou- jours ennemis du service; méprisables faquins qui pullulent dans votre capitale, plus faits pour décider sur vos pompons dans vos boudoirs que pour paroïître dans nos lemples et soutenir la majesté du culte; profanes et souvent imsidieux adalateurs d’un sexe auquel ils s’assimilent, en dégradant le leur par: la fatuité, par des grimaces féminines. Sont-ce là les abbés dont vous oppo- serez les mœurs à la sévérité des lois ecclésias - tiques ? Dussiez-vous nous rappeler encore ces prètres hypocrites, qui commencent par les dis- cours des saints , et finissent par les œuvres du démon tentateur ; je les méprise , je les déteste plus que vous, et les uns et les autres; je n’ou- blierai pas que j'ai eu à rétablir la foi qu'ils avoient ébranlée dans Pobjet de leur séduction. Mais c’est alors que j’ai conçu ce que c’est qu’un prêtre philosophe. Ils étoient habillés comme 10Ù LES PROVINCIALES moi , ils parloient comme Diderot ; ils raison noient comme Voltaire ; ils s’étoient faits so= phistes comme lui et comme Helyélius avant que d’être des prêtres scandaleux. [ls avoient adopté leurs principes; au moins léssuivoient- ils dans la pratique, au moins avoient-ils re= noncé au moyen d'observer la loi avant que de la rendre suspecte, Eh ! qui vous dit jamaïs que la continence, le vœu du sacerdoce, fut pos- sible à ces sortes de prêtres? Votre: philoso- phisme a perverti leur cœur est-ce nos lois qu’il fant accuser de leurs crimes? Ah ! rendez- nous des prêtres animés de l’esprit de Jésas- Christ , fuyant le monde et ses dangers , adon- nés à la prière, à l'étude, au travail ; aux œuvres de charilé, de tout lenr ministère ; donnez-nous des prélats plus exercés, dans nos provinces et nos campagnes ; aux fonclions des apôtres , qu'habitués dans votre capitale aux intrigues des courtisans ; plus jaloux de faire retenir auprès des rois la parole de-Dieu que de ramper en lâches mendians autour du trôme ; donnez - nous des prélats élevés dans le zèle, la charité, la science , la mortification des Paul, des Augustin, des Ambroise, des Chrysos- lôme ; des prêtres, des prélats, tels au moins que le sein de l’Église en renferme encore pour l'édification , le maintien de la foi ; et loin de demander si le vœu du célibat n’est pas un ser- meut téméraire, s’il est possible aux prêtres de PHILOSOPHIQUES, 109 l’observer, vous nous demanderez comment il est possible que des prêtres s'égarent au point de le violer. Donnez - nous des vierges et des cénobites appelés par Jésus-Christ, et non pas encloitrés par l’avarice ou la misère; et vous sau- rez alors si vos plaisirs approchent des délices de l'épouse céleste et des cœurs enflammés d’un saint amour, Quelle n’est pas ici la conduite de nos pré- tendus sages! ils commencent par pervertir des ahbés, des religieux, des vestales , et ils oppo- sent les chutes, les scandales qu’ils ont causés eux-mêmes, dont au moins leurs principes sont trop souvent la source, à la loi de l'Eglise, à la possibilité de son exécution. Ils nous citent les religieux qu’ils ont gâtés, pour nous prouver qu'il ne peut en exister de chastes. Qu'ils ue prétendent pas excuser à mes yeux leur philo- sophie, en me disant qu’il y eut des religieux , des prêtres scandeleux avant la naissance de nos sages modernes. Je vous déclare , moi, qu'il n'y a jamais eu de prêtre corrompu et habituellement scandaleux sans que son cœur ne se fut fuit tous les principes de vos philosophes, Il ne les trouvoit pas encore dans vos livres, ces prin- cipes , il les trouvoit dans ses passions; et c’est là que nos sages les ont pris comme lui. Je le sais bien, l foi, dans un cœur rempli de contradic- tion , comme celui de l’homire, n’est pas incom- patible avec quelques ccarts que l’on peut attri- 110 LES PROVINCIALES buer à sa foiblesse ; mais, à coup sûr ; un prêtre habituellement incontiment , un prètre endureci, un prêtre de sang-froid corrupteur de Finno- cence, est un prêtre qui a perdu la foi, un prêtre philosophe, imbu de vos prinéipes philosophi- ques sur les passions , sur les plaisirs, sur Dieu, sur Ja nalure. S'il tient encore tant soit peu à l'Evangile, c’est un reste de grâce fait pour le rappeler à la pudeur , à la continence, à ses ser-- mens , comme les principes de la philosophie sont faits pour le confirmer déns Pincontinence , Ja lubricité, l’inceste et le sacrilége. Cependant , lecteur , quelque zéle que: je montre ici pour venger lé célibat ecclésiastique du mépris et des vains argumens d’une fausse philosophie; quelque facile, quelque lreuréuse que j'en croie l'observation pour ceux qué Dieu uppelle véritablement à cet état, néxgroyez pas que je sois prèt aussi à approuver tous aux qui s’y dévouent. Le célibat des prêtres, de nos curés, de nos évêques , leur à été prescrit pour en faire des apôtres uniquement occupés sur la terre des intérêts du ciel, pour empêcher leur cœur de se partager entre les besoins d’une fa- inille et ceux de lénrs ouaïlles ; pour qu’un prêlré appelé au secours d’un malheureux mourant ne füt pas retenu par la teridresse d’une épouse on de ses enfans; pour que les plaisirs de ce monde ne l’empêchassent pas de voler à celui qui invoque son ministère au moment de passer | PHILOSOPHIQUES. 111 a une vie nouvelle; pour que la subsistance des enfans ne l’empèchàt pas de distribuer aux pauvres les richesses de l’église. Le vœu de con- tinence dans nos religieux et dans nos saintes vestales a pour objet d'entretenir dans l’église le modèle d’une piété consommée, de la per- fection évangélique: de nous montrer des anges dans des hommes, des esprits Loujours purs dans une chair toujours tendante à la corruption ; des êtres toujours brülans d’amour pour le Créateur, avec des sens toujours prêts à s’enflammer pour la créature. Il est roble ce vœu, il est sublime; je n’en serai que plus étonné que tant d'hommes se croient appelés: à le former; que le nombre de ceux qui s’y engagent ait rempli tant de cloîtres, nous donne tant de prètres. L'idée seule de perfection et d’héroïisme me sembleroit devoir exclure la multitude. Nous en aurions bien moins, mais ils seroient aussi plus utiles, plus saints, si tous concevoient bien la grandeur de leur vocation... Je m'arrête; je crains que, dans le siècle où nous vivons, on ne puisse parler d’une sainle réforme sans qu’une fausse philo- sophie ne se croïe autorisée à des suppressions impies, à des vols sacriléges; et il est temps d’ailleurs de vous laisser passer à de nouveaux chapitres d’une production qui nous prépare assez d’autres erreurs à réfuter. 112 LES PROVINCIALES AR VV RSS V RSR RS D Le 0 BR RL D LS AD VD PE D LE LA A GS A As CATÉCHISME PHILOSOPHIQUE. CHAPITRE IIL. Autres vertus à renvoyer au préjugé. Le Philosophe. OUTRE la chasteté des vesta- les, oulre la pudeur, k continence, la fidélité conjugale, les sages n’ont-ils pas encore relégrié bien d’autres vertus à école du préjngé? L' Adepte. C’est ce que fuit encore le philo sophe, lorsqu'il sait apprécier tout ce qu’on appelle vertus sociales et vertus religieuses. Le Philosophe. L'amour des pères et des mères est-il, par exemple , une vertu réelle et naturelle? L' Adepte. On la cru jusqu'ici; mais ce n'est là qu’une méprise de sentiment, dont la philosophie sut découvrir la source. ( Preuves, y 141) Le Philosophe. Fn direz-vous aulant de l'amour des enfans pour leurs parens? 1; Adepte. Yen dirai bien davantage encore. Rien n’est moins philosophique que l.moar, le respect et ka soumission que les enfans ont pour PHILOSOPHIQUES, us RTS AA RE AS AA VA SR D LÉ RS RAD LA LA AA LD LA SN NES r e CATECHISME PHILOSOPHIQUE. CHAPITRE HI. Autres vertus à maintenir dans leur réalité. Le Philosophe. OUTRE la chasteté des vesta- les, outre la pudeur, la conlinence, la fidélité conjugale , les sages n’ont-ils pas relégué un bon nombre de vertus à l’école du préjugé? L° Adepte. La vraie philosophie se fait au contraire un devoir de maintenir toutesles vertus sans exception. Le Philosophe. L'amour des pères et des mères pour leurs enfans est-il, par exemple, une vertu réelle et naturelle? L° Adepte. C’est la nature même qui a fuit de cet amour le principe et la base de la société; et la philosophie ne peut que le fortifier. ( Preu- ves, n° 1.) Le Philosophe. En direz-vous autant de l’a- mour des enfans pour leurs parens ? L> Adepte. Sans doute; je dirai que l'amour filial provient de la nature mème; qu’il est in- dispensable , soit dans l'enfance, soit dans l’âge 214 LES PROVINCIALES Autres verlus à renvoyer aw Préjuge. leurs parens. Si cet amour est une vertu, c’est celle de l'ivresse et de l'ignorance du bas âge. (Preuves, n° 2.) Le Philosophe. Que nous apprendrez-vous de l'amitié? 1? Adepte. Je dirai que l’amilié n’est qu'une affaire d'intérêt, sur laquelle un philosophe ne doit pas être absolument délicat. (Preuves , n°34) Le Philosophe. En quel rang mettrez-vous la reconnoissance? 1 Adepte. Au rang de ces verlus factices, que personne au moins n’est en droit d'exiger de nous. (Preuves , n° 4.) Le Philosophe. La crainte du mensonge, Où la véracité et la sincérité. seroïent-elles des vertus bien philosophiques? L’ Adepte. Jusqu'à un certain point, c’est- à-dire, jusqu'à ce qu'il ait quelque intérêt à mentir. ( ?reuves, n° 5.) Le Philosophie. Croyez-vous que le parjure ajoute quelque chose au mensonge? L’ Adepte. Point du tout; c’est un vrai pré- jugé que l’utilité des sermens, ( Preuves, n° 6.) Le Plalosophe. Que pensez-vous en général de toutes ces verlus qui constituent Ja probité d’un particulier, ou honnête homme ? ee PHILOSOPIHIQUES. 11 Autres vertus à maintenir dans leur réalité. mur, Il n’y a que des monstres qui puissent y renoncer. ( Preuves , n° 2.) Le Philosophe. Que nous apprendrez-vons de l’amuié? I} Adepte. Je dirai qu’elle est le sentiment le plus désintéressé; que les fautes contre l’ami- üé ne sont pas rémissibles. ( Preuves , n° 3.) Le Philosophe. En quel rang mettrez-vous la reconnoissance ? L' Adepte. An rang de ces vertus qui dérivent de la justice, el dont on ne peut se dispenser sans crime. ( Preuves , n° 4.) Le Philosophe. La crainte du mensonge , ou Ja véracité et la sincérité, seroient-elles des vertus bien philosopaiques? L’ Adepte. Le sage ne doit rien voir de plus précieux que la vérité, pas même sa vie el son honneur. ( Preives , n° à.) Le Philosophe. Croyez-vous que le parjure ajoute quelque chose au mensonge? L' Adepte. Non-seulement je le crois, mais il est trés-important que chacun en soit persuadé, ( Preuves , n° 6.) Le Philosophe. Que pensez-vous en général de toules ces vertus qui constituent la probité d’un particulier, ou l’honnète homme? 116 LES PROVINCIALES Autres vertus a ren poyer au prejuge. L’ Adepte. Je les regarde comme fort inutiles et fort peu intéressantes pour l’état. ( Preuves n°71) Le Philosophe. Que nous direz vous à pré- sent des vertus religieuses ou évangéliques? Z° Adepte. La religion et l'Evangile en géné- ral font descendre dn ciel toutes leurs vertus; c'en est bien assez pour les déclarer toutes ver- tus de préjugé. ( Preuves , n° 6.) Le Philosophe. Que pensez-vons en parli- culier de la crainte de Dieu ? L’ Adepte. Si c'est une vertu, ce ne peut être que celle de la folie. ( Preuves, n° 9.) Le Philosophe. Que doit penser le sage de l'amour des ennemis, du pardon des injures ? L'Adepte. Il doit les regarder comme des vertus outrées, impossibles, imaginaires et fa- natiques. ( Preuves , n° 10.) Le Philosophe. Le mépris des richesses se- roit-il une vertu bien philosophique ? L' Adepte. C’est la vertu des imbéciles , des ineples , des paresseux. Celui qui ne travaille pas à sortir de la misère ne sera point souffert parmi nos sages. ( Preuves, n° 11.) Le Philosophe. L'humilité chrétienne mérile- t elle quelque estime? | L' Adepte. Celle qu'on peut avoir pour des PHILOSOPHIQUES. 117 Autres vertus à maintenir dans leur réalité. L’ Adepte. Sans cette probité, la politique s’occuperoit en vain du bien de l’état, il ne res- teroit plus que dés fripons à gouverner; ce qui west pas facile. ( Preuves ,n° 5.) Le Philosophe. Que nous direz vous à présent des vertus religieuses ou évangéliques ? L’ Adepte. Je dirai qu’elles sont une vraie ac- quisition pour la philosophie, et bien supérieu- res à toutes les vertus des anciennes législations. ( Preuves , n° 6.) Le Philosophe. Que pensez-vous en particu- lier de la crainte de Dieu ? L’ Adepte. Cette vertu est le plus ferme appui de toutes les autres. ( Preuves , n° 9.) _ Le Philosophe. Que doit penser le sage de l'amour des ennemis, du pardon des injures ? L’ Adepte. La philosophie, loin de les rejeter, pourroit se glorifier de les avoir découvertes. ( Preuves , n° 10.) Le Philosophe. Le mépris des richesses seroit- il une vertu bien philosophique ? L’ Adepte. 'Très-philosophique. Sans ce déta- chement des richesses, il n’est ni vrai bonheur = ni sagesse. ( Preuves , n° 11.) Le Plulosophe. L’humilité chrétienne mérite- 1-elle quelque estime ? L’Adepte. Cette verlu doit être regardée 110 LES PROVINCIALES Autres verlus & renvoyer au préjuge. verlus rampantes et abjectes, absurdes et in- Justes ; pour une vraie folie. ( Preuves , n° 12.) Le Philosophe. L'esprit philosophique ban- niroit-il l’orgueil ? L’ Adepte. Pourquoi bannir l’orgue:1? Le sa- ge, qui en voit l'utilité et la nécessité, ne doit être occupé qu’à le fortifier. ( Preuves , n° 15.) Le Plilosophe. Qu’est-ce pour le sage que l'ambition , lamour du pouvoir, des honneurs, de la gloire? L’ Adepte. Cet amour est dans l’homme le grand mobile de toutes les vertus; rien n’est plus dangereux que de chercher à le détruire. (Preuves, n° 14.) Le Philosophe. Le sage, en général, est-il bien jaloux de se vaincre soi- mème ? L’ Adepte. La vertu essentielle à la philoso- phie est au contraire un entier abandon à nos penchans, à tout ce qui nous plaît: et c’est par là surtout que la morale de la’ philosophie est opposée à celle du préjugé. ( Preuves , n° 15.) lHILOSOPHIQUES. 119 Autres vertus à maintenir dans leur réalité. comme celle qui anéantit toutes les ressonrces de l’amour-propre, en nous montrant nos dé- fauts réels , et les perfections qui nous restent à acquérir. ( Preuves , n° 12.) Le Philosophe. L'esprit philosophique ban- niroit-il l’orgueil ? L’ Adepte. Comment le supporter? il est in- conciliable avec le vrai mérite. C’est le vice des sots et des imprudens. ( Preuves , n° 15.) Le Philosophe. Qu’est-ce pour le sage que l'ambition , l'amour du pouvoir, des honneurs, de la gloire ? L’ Adepte. Ce sont les passsions les plus fu- nestes , la vraie, la seule cause de tous les atten- tals et de tous les malheurs du genre humain. ( Preuves , n° 14.) Le Philosophe. Le sage, en général, est-il bien jaloux de se vaincre soi-même ? L’ Adepte. Rien n’est plus précicux au philo- sophe que cet empire sur soi-même; rien n’est plus nécessaire à son bonheur. C’est par là sur- tout que la philosophie se rapproche du Chrislia- nisme, ( Preuves, n° 15.) 120 LES PROVINCIALES PREUVES philosophiques du chapitre précédent. Colonne A. 1. AMOUR PATERNEL, « Cet amour paternel, dont tant de gens font parade, et dont ils se croient vivement affectés, n’est le plus sou- vent qu’un effet ou du sentiment de la pos- iéromanie, ou de l’orgueil decommander , ou d’une crainte de l'ennui et du désœuvre- ment... Les méprises de sentiment sont en ce genre très-fréquentes. ( De l Esprit ; disc. 4, c. 10.) On a regardé la tendresse pater- nelle comme un sentiment inné, et qui se rouvoit inhérent au sang. La réflexion la plus légère auroit suffi pour détromper de ce préjugé si flatteur. » (Moral, unir. 5, C. 2 PAZ. 36.) 2, AMOUR FILIAL. « L'amour des enfans pour leur père n’est pas d’une obligation si géné- rale , qu’il ne puisse être susceptible de dis- pense... S'il faut tenir compte à son père du prétendu bienfait de la naissance, on lui de- vra donc des actions de grâces pour les mets délicats qu’il s’est fait servir , pour le cham- pagne qu’il a bu, pour les menuets qu'il a bien voulu danser. » ( Toussaint, part, 3, « PHILOSOPHIQUES. 12L PREUVES P/ulosophiques du chapitre précédent. Colonne B. 1. AMOUR PATERNEL, & L’amour des pères et des mères est un sentiment qui se trouve même dans les animaux les plus sanvages ; nous les voyons remplis.de la plus tendre sol- licitnde pour leur progéniture. Ce sentiment doit être encore plus vif dans l’homme. » Ce- lui qui s’y refuse combat donc un sentiment qui vient de la nature même. (Horal. urniv., Ç 5, c. 2, p.92.) « Lorsqu'un père refuse son amour « « à ses enfans, c’est que l’instinct est distrait par les sophismes d’une raison captieuse.... Si cel amour s’égare, c’est le pouvoir de la cou- tume qui l’emporte sur la force de l'iustinct. » (Les Murs, part. ext. de l’art. 5.) 2. AMOUR FILIAL. « La soumission des en- fans aux parens est fondée sur un amour res- pectueux ; quoiqu’indispensable , elle doit être volontaire et partir du cœur. Z{ n’est aucun cas dans la vie où les enfans puissent en étre. dispensés... L’äge apporte des change- mens aux devoirs d'un fils pour son père. Pendant son enfance , il lui doit une soumis- sion sans bornes ; incapable d'examiner , il n'a 4 F 6 122 LES PROVINCIALES Colonne A. art. 4.) «Le lien qui unit les enfans aux pè- «res ési moins fort qu'on ne l’imagine…. Le « commandement d'aimer ses ptres et mères « prouve que l'amour des enfans est plus l’ou- « vrage de l'habitude et de l'éducation que de « lanature. » (Æelvétius, de l Homme, c. 6, ). «& L'autorité du père sur les enfans n’est fondée & que sur les avantages qu’il est censé leur pro- & curer. » (Syst. nat.) « Cette autorité s’éva- « nouil au moment où les enfans peuvent se « pourvoireux mêmes.» (Raynal, Hist. Polit. et Plail., liv. 18, n° 42. ) « Les enfans ne res- « tent liés au père qu'aussi long-temps qu’ils « ont besoin de lui pour se conserver, Sitôt que « ce besoin cesse, le lien naturel se dissout, » (J,J. Rousseau, Contrat social, co. 2,) «I «est constant que la soumission des enfans ne « doit avoir lieu que ponr le temps où ceux-ci « sont dans Pétat d’ignorance et d’ivresse. » ( Encyclop., art. ENFANT. ) 3. AMITIÉ. « L'amitié ne se mesure pas sur « l’honniteté de deux amis, mais sur la force & d’intérêt qui les unit... Aussi l'homme d’es- « prit, en prédisant l'instant où deux amis ces- « seront de s’être utiles, pegt-il calculer le mo- & ment ce leur ruplure, comme l’astroncme « calcule le moment de l'éclipse. » (De PEs- prit, dise. 5, ce. 4, ) « Le philosophe est moins « « PHILOSOPHIQUES, 129 Colonne B. rien à examiner. Dans l’âge qui suit l'enfance, il entrevoit les objets, sa raison se développe ; les remontrances respectueuses ne lui sont pas alors interdites ; mais si les représentations ont été faites sans fruit, 1l ne lui reste plus d'autre parti que celui de l’obéissance. Devenu homme à son tour, il ne laisse pas d’être fils, il doit toujours à son père des respects et des « déférences. » ( Catéch. moral, c. 1, art. 4.) « € « £L', Les enfans ne manqueront point aux droits de la reconnoissance envers leurs parens, sans la plus grande injustice et la plus noire im- gratitude. » ( Princip. de la Philos. natur. ML'S; BE 3. AMITIÉ. « L'amitié est une affection dés- intéressée , uniquement fondée sur l'estime. Le sentiment à quoi elle ressemble le plus est l’amour.…. Il ne peut y en avoir de stable dont la vertu ne soit la base. Les soins offi- cieux plaisent à l2mitié; mais on ne peut pas dire qu'elle soit intéressée... Elle est indul- gente; mais rompre avec son ami, le twahir 124 LES PROVINCIALES Colonne A. « délicat en amilié, en amour plus aisé à satis- « faire et à vivre. Les défauts de confiance dans « lPami, de fidélité dans la femme, ne sont pour «& lui que de légers défauts d'humanité. » (La- métrie, t. 1,p. 285.) 4. RECONNAISSANCE. Lorsque je dis que néces- sairement l’homme fait tout pour soi, on ne manquera pas de m'objecter «qu'en ce cas l’on « ne doit point de reconnoïssance à ses bien- faiteurs. Du moins, répondrai-je, le bienfui- « teur n’est pas eu droit de l’exiger. » ( De l'Esprit, disc. 2. Voyez aussi disc. sur l’iné- galité des condit., part.-2.) « Un homme n°«- « blige que parce qu’il sent du plaisir à obliger. « Quelle bizarrerie d’imaginer que lon doit sa- « voir gré à un homme qui est fait et organisé « pour être libéral! C’est à peu près comme si « je le remerciois quand il va au bal, parce « qu’il aime la danse. Sa folie est de vouloir « obliger, ou c’est la vanité aui le fait agir. » ( l’oyez les Mémoires nhilarthropiatées, c. 0.) 5. VÉRITÉ, MENSONGE, « ÎL est très: naturel « de traiter la vérite comme la verlu. Ce sont | « des êtres qui ne valent qu'autant qu'ils ser- | « vent à ceux qui les possédent. » (Œuv. de | Lamét. ,p. 217.) Le mensonge est-si peu essen- | tiellement condamnable en lui-même et par sa ! nature, qu'il deviendroit une vertu s'il pou- voit étre utile. (Syst. social, part. 1, c. 2.) « « GG? PHILOSOPHIQUES. 12 Colonne B. ou l’outrager, ne sont pas des crimes rémis- sibles. » ( Toussaint, les Mœurs , extr. dis chap. 2.) « « « « « « « 4. RECONNOISSANCE. « La reconnoissance dé- rive de la justice. Il est sensible qu’un homme west juste qu’autant qu'il est reconnoissant , et qu'il est injuste en devenant ingrat.. La société a deux liens, la justice et la bienfai- sance. Celui qui manque de reconnoissance les viole tous deux 3 il est beaucoup plus cou- pable que celui qui prend le bien d’auirui, » ( Traité élém. de Morale, c. 20.) « La recon- « « « C. 2° noissance est un devoir. Il n’est rien de plus odieux , de plus injuste, de plus insociable, que l’ingratitude. » (77. Morale uruiv., 5, 5. 5. VÉRITÉ , MENSONGr, « La loi naturelle, qui veut que la vérité règne dans tous nos discours, n’a pas excepté même le cas où nolre sincérité nous coûteroil la vie. Mentir, c’est offenser la vertu; c’est donc aussi bles- ser l’honneur : or on convient généralement que lhonneur est préférable à la vie. IL en faut dire autant de la sincérité, » (Les Moœurs, Parts, ©: 5:) 126 LES PROVINCIALES Colonne A. 6. SERMENT , PARJURE. « C’est ountrager gra- « tuitement les hommes que d'exiger d'eux « des sermens. Le superstitieux peut seul mettre « de la différence entre un mensonge et un par- « jure. » ( Les Moœurs , part. 2, art. 1.) 7. PROBITÉ. « Qu'importe au public la pro- « bité d’un particulier ? Cette probité ne lui est « d'aucune, où presque d’ancune utilité ; aussi « juge-t-il les vivans comme la postérité juge « les morts. Elle ne s’informe point si Juvenal « étoit méchant , Ovide débauché , Annibal « cruel, Lucrèce impie, Horace libertin , Au- « guste dissimulé, et César la femme de tous « les maris... Qu'importe (encore une fois ) la « bonne ou la mauvaise conduite d’un particu- « lier? Un homme de génie, eût-il des vices, est « encore plus estimable que vous... Peu ‘im- « porte (enfin) que les hommes soient vi- « cieux, c'en est assez s'ils sont éclairés, » (Helvétius, de l'Esprit, dise. 2, c. 6 ; dise. 4. c. 8, de l'homme, $ 9,c. 6.) | 8. VERTUS DU CHRISTIANISME EN GÉNÉRAL. « Le Christianisme n’a point enseigné à l’uni- « vers des vertus plus réelles que celles du pa- « ganisme ,et il est difficile, pour quiconque les « examine , de souscrire aux éloges qu'une pré- « ventiowavengle lui prodigue souvent.» (Sys£. soc. , part. 1.) « « PHILOSOPHIQUES. 127 Colonne B. 6. SERMENT, PARJURE. «Il est clair que la saintelé des sermens est nécessaire, el qu'ux doit se fier davantage à ceux qui pensent qu’un faux serment sera puni qu’à ceux qui pensent qu ils peuvent faire un faux serment avec im- punité. » { Volt. Dict. Plhul. art. ATHEISME. ) 7. PROBITÉ. « Un individu représente l'état comme chacun de ses membres. Or il seroit absurde de dire que ce qui fait le bonheur et la perfection de l’homme fût inutile à l’état , puisque celui-ci n’est que la collection dés citoyens, et qu'il est impossible qu'il ÿ ait dans le tout un ordre et une harmonie qu’il n'y a pas dans les parties qui le composent... Lorsqu'il n’y a plus de vertu (dans Les parti- culiers }, alors les lois les plus sages sont im- puissantes contre la corruption générale... Ce sont les mœurs des citoyens qui remontent et vivifient l’état. » ( Encycl. art. VERTU. ) 8. VERTUS DU CHRISTIANISME EN GÉNÉRAL. Bien supérieur aux anciennes législations , le christianisme rétablit dans sa splendeur la loi naturelle, et nous montra les vertus les plus sublimes. » (Encycl. Voy. art. VERTU ct CHRISTIANISME. ) 128 LES PROVINCIALES | Colonne A. g. CRAINTE DE DIFU. On nous dit, d’après la Bible, que la cramte de Dieu est le commen- cement de la sagesse. « Cetie crainte ne seroit- « elle pas plutôt le commencement de la folie ?» ( Boulanger, Christian. dévoilé, pag. 165 , en nole. ) 10. PARDON DES INJURES. « Cet amour des « ennemis, que le christianisme est si fier d’a- « voir jimaginé, est un précepte impossible. « Sommes-nous les maitres de chérir la dou- « leur, de recevoir un outrage avec joie, d'ai- « mer ceux qui nous font éprouver des traite- « mens rigoureux? » ( Lettres à Eugénie, « lettre 8. ) L’on pent appeler fanaliques tous « ces esprils ontrés, ces docteurs despoliques, « qui choisissent les systèmes les plus révoltans; « ces casuites les plus impitoyables, qui, après « avoir arraché l'œil, vous disent eucore d’ai- « mer la chose qui vous tyrannise. » ( Encyc., art. SUPERSTITION.) « Le précepte du pardon des | &« injures et de l’amour des ennemis semble « n'être propre qu'à faire des lâches..….. Il est « directement opposé aux idées de la gloire , « qui veut qu'on se venge avec éclat, d’un af- « front qu’on à reçu aux yeux du public, » ( Marquis d’Arsens, Lettres Juives , lett. 8.) PHILOSOPHIQUES. 129 Colonne B. 9. CRAINTE DE Dieu. « Lorsque la créature, entêtée d'opinions absurdes , se roidit contre le vrai, et donne la préférence au vice, sans la crainte des peines et des récompenses (sans la crainte de Dieu qui distribue les unes et les autres }, il n’est plus de retour. Cette crainte est le frein le plus puissant que la philoso- phie oppose au vice. » Voy. Principes de la Phil. Morale, 5; idem. F olt. de l’ Athéisme.) « 10. PARDON DES INJURES, «Les hommes n’ont pas besoin d’une révélation céleste pour sa- voir que le pardon des injures est un senti- ment noble, grand, digne d’un homme d’hon- neur « (Syst. soc. part. 1 , c. 15.) « La gé- nérosité qui fait pardonner les injures est un sentiment inconnu aux petites âmes... La ven- geance n’est un plaisir que pour les âmes atroces. ( Moral. univ. À 3, c. 3.) Le vrai courage consiste bien plus à pardonner une injure qu’à s’en venger. Pour pardonner. il faut dompter les transports de son courroux; pour se venger, ilne faut que s’y laïsser aller. » (Catéch. moral. art. de l’ Héroisme.) « La can- Le « deur , le pardon des injures , font du Naza - réen un véritable philosophe. » (Marquis d'Argens, Lettres J'uives, lett. 142.) 6, 150 LES PFROVINCIÂLES Colonne A. 11. MÉPRIS DES RICHESSES. « La veriu ne « consiste point dans le mépris des richesses, « des grandeurs, de la puissance. » (Syst. soc., c. 14.) « Le vœu de pauvreté n’est que d’un « inepte ou d’un paresseux. » ( Raynal, Hist. Polit. et Phil., liv. 19.) « La pauvreté nous « prive du bien être, qui est le paradis des phi- « losophes. Elle bannit loin de nous toutes les « délicatesses sensibles. Nous bannissons loin « de notre société le philosophe qui ne travaille « pas à se délivrer de la misère. » ( Nouvelle li- berté de penser, p. 202.) « Toute religion qui, « dans les hommes, honore la pauvreté d’esprit, «est une religion dangereuse. » (Hels. de l'Homme , 7, c. 3.) 12. HUMILITÉ. « L’indifférence et lhumilité « des chrétiens ne sont propres qu’à éteindre « toute vertu... Quelle que soit la source des bonnes dispositions de l’homme , il ne peut « s’empécher de savoir qu’il les a, de s’en ré- « jouir, de s’applaudir de les avoir , d’être con- « tent de lai-même.... D'où lon voit que Phu- « milité vraiment chrétienne est un être de rui- « son, et que si elle étoit possible , elle seroit « injuste et absurde. » { Syst. soc. part. e. 13 et note #4.) = 15. ORGUEIL. « L’orgueil , nous dira-t-on, D « « « FHILOSSPHIQUES. 137 Colonne B. 11. MÉPRIS DES RICHESSES,. « La manière de peñser du sage qui veut se rendre heureux se réduit à deux principes , au détachement des richesses, et à celni des honneurs. » (D’ Alembert , Elém. de Plhil., art. Morale.) « 16 + «€ « « = ki: Il est nécessaire pour le bonheur . de ne dé- sirer que les choses qui ont une bonté réelle... Or les richesses et les honneurs ne sont que des biens imaginaires... qui ne constituent pas le bonheur; le philosophe doit donc les mépriser. » (T'raité élém. de Morale; ex- trait des chap. 16 et 15.) « 12. HumiziTÉé. « Le sentiment profond d’hu- milité gravé dans les esprits détruit ; anéantit toutes les ressources de l’amour-propre , en les poursuivant jusque dans les replis les plus cachés de âme. » (Encycl. art. CHRISTIAN. Pour acquérir cette vertu , il faut tâcher de se convaincre combien de perfections nous resteront toujours à acquérir; que le peu même que nous valons est l’ouvrage de la nature et des circonstances, autant ou plus que le nôtre. » ( Catéchisme philosophique Morale, e. 1.) 15. ORGUEIL. « Le mérite réel n’est jamais 152 LES lROVINCIALES Colonne A. « attache l’homme à la terre. Tant mieux, ré- « pondrons-nous ; l’orgueil a done son mtilité. « Loin de le combattre , que la religion fortifie « dans homme l'attachement aux choses ter- « restres. » ( {/elo. de l'Homme, $ 1, ce. 14.) « S’estimer , être estimé des autres, telle est la « félicité que la morale propose à tous les hom- « mes ; dans tous les états de la vie. » (Morale univ. $.5,c. 6.) 14. AMBITION, AMOUR DU POUVOIR ET DE LA GLOIRE. € L’ambition est le plus grand mobile « des actions et mème des vertus des hommes; « el par celle raison, il seroit dangereux de la « vouloir éteindre. » ( 0’ Alembert, Elém. de Phil. art. Morale.) « L'amour du pouvoir est « la disposition la plus favorable à la vertu. Le « ciel, en l’inspirant à tous , leur a fait le don « le plus précieux. » (Æelv. de l'Homme, Ç 4, c. 14.) « L’amour de la gloire est, entre « toutes les passions, la seule qui puisse inspirer « des actions véritablement vertueuses. » (ÆZel- vétius , de l'Esprit, Disc. 3 ,c. 7.) 15. EMPIRE SUR SOI-MÈME. « Ecoutez la re- « ligion; elle vous ordonnera de vous vaincre O1 PHILOSOPHIQUES. 13 Colonne B. « orgueilleux ; l’orgueil annonce toujours de « limpudence et de la sottise.... L'orgueilleux « est un ête insociable. » (Morale univ. $ 5, exe) 14. AMBITION, AMOUR DU POUVOIR ET DE LA GLOIRE. « L'ambition, celte passion funeste « de primer, de dominer et de se distinguer , a « produit plus de crimes que toutes les passions « ensemble. » ( T'raité élémentaire de morale, c. 14.) « L'homme qui se passionne pour la « gloire est comme l’enfant qui s’extasie au co- loris d’uve bulle de savon. (/d.) Attacher le « bonheur au char de la gloire et de la renom- « mée , c’est le mettre, comme an enfant, duns un joujou, ou dans le bruit que fait nne trom- « petite. » ( amétrie, Vie heureuse, p. 198.) « Les ambitieux de gloire ne peuvent être-que « de grands criminels... Les causes des grands « attentats sont lFamour de la gloire et lam- « bition. » (Æelvélius , de l'Homme, t.2, p. 60 et 138.) 15. EMPIRE SUR sOI-MÈME. « L’habitude de « se vaincre soi-même, dans laquelle consiste = L( L( = 154 LES PROVINCIALES Colonne A. « vous-même, décidant sans balancer que rien « n'est plus facile ; et que pour être vertueux , «il ne faut que vouloir. Prêtez Poreille à la « philosophie, elle vous invitera à suivre vos « penchans , vos amours, et tout ce qui vous « plait. Ici, il n’y a qu'à se laisser aller aux agréa- « bles impulsions de la nature; et là, il faut se « regimber contre elles. » Telle est la différence énorme entre la morale de la philosophie et celle de la religion. (Lamétrie, de Ü'Ame, page 51.) ! | | L#a PHILOSOPHIQUES. 15 Colonne B. « la pratique de la morale , loin de détruire, « comme on le pense, le charme de la vie , de- « vient elle-même lhabitude la plus satisfai- « sante... Il est évident que le travail de la mo- « rale sur homme, ou plutôt de l’homme qui « veut être heureux sur lui-même , doit ten— « dre à acquérir cet empire sur soi. » ( Traité élémentaire de Morale , c. 10 et 19.) Telle est Ja ressemblance entre la morale de la philosophie et celle de la religion. 156 LES PROVINCIALES NOTE - De madame la Baronne sur le chapitre précédent. SAYEZ-VOUS, chevalier, que voilà encore un assez grand nombre de vertus que nolre caté- chiste renvoie au préjugé ? Tout à lheure c’é- toit la pudeur, la chasteté, la Bdélité conju- gale; à présent c’est l’amour paternel, la ten- dresse filiale, l'amitié ; la reconnoissance, la probité, l'amour du vrai, le mépris des riches- ses, le pardon des injures, la générosité. Quelles sont donc les vertus qui nous restent, si toutes celles là sont perdues pour nous? Savez-vous bien qu’un philosophe qui n’aime point son pére, qui n'aime point son fils, qui n'aime point son ami, qui n'aime point son bienfaiteur, qui n’uime point la vérilé, qui n’aime point la pro- bité, «ui n'aime point Phumilité; mais qui, en revanche. aime bien le mensonge et le parjure utile; qui aime bien l’orgueil , les richesses, Pambition , la vengeance; qui aime bien encore la gloire, le pouvoir, Pautorité; savez-vous bieu , dis-je, qu’un pareil philosophe ne seroit pas pour nous un homme fort aimable? Sivez- vous qu’en répélant à vos compatriotes des le- çons de cette espèce, notre catéchiste s'entend parfaitement à nous décréditer , autant qu'il est PHILOSOPHIQUES. 157 possible , dans l’esprit de tout homme qui pense? N’allez pas vous contenter de rire des efforts qu'il redouble pour nous rendre odieux. En voilà, ce me semble , bien plus qu’il n’en fau- dra pour y réussir; si je n’ai pas un démenti formel à lui donner. Et remarquez toujours le soi qu’il a de pré- senter les mêmes sages, tantôt sous la colonne A, tantôt sous la colonne B, se démentant sans cesse eux-mêmes. Dans le chapitre précédent , c'étoit votre marquis d’Argens, qui ne voyoit rien de plus odieux que les propos licencieux , et le crime de ceux que la beauté entraîne à des plaisirs illicites ; et renvoyoiït ensuite à la pâture, tenoit pour imbécile celui qui résistoit aux -charmes d’une belle femme. C'étoit votre mora- Jisie universel, qui voyoit tous les liens d’un -mariage peu heureux rompus par la nature même des choses, et nous disoit ensuite que toute loi, tout préjugé, tendans à relâcher les nœuds du mariage doivent être blâmés par l’homme raisonnable. C’étoit votre Toussaint, qui, dans la perpétuité du mariage, voyoit le grand obstacle à la fidélité des époux, et vous disoit que ces nœuds perpétuels sont le vœu de la nature. Lei, c’est d’Alembert qui craint de voir l'ambition s’éteindre, et qui ne voit ensuite le bonheur du sage que dans le détachement des richesses et des honneurs , grands objets de Vambition. C'est encore votre marquis d’Argens, 138 LES PROVINCIALES qui ne voyoit d'abord que lâcheté , bassesse dans | le pardon des injures, et qui vons dil enswile que ce pardon fait du chrétien un véritable ! philosophe. C’est votre Helvétius, qui ne connoit | de source de nos grandes vertus que dans l'amour de la gloire, et qui vous dil ensuite que! les ambitieux de gloire ne peuvent être que de grands criminels? Croyez-vous bien que notre caléchiste ait fait saus dessein tous ces rappro- chemens? Croyez-vous bien.surtout qu’il n'ait | pas senti toute l’indignation dont vos compa-/ triotes alloient être saisis en voyant Boulanger demander sans pndeur si la crainte de Dieu n’est! pas le commencement de la folie” En vérité, jai | peur qu’ils ne répondent tous que la philosophie! est la consommalion de l’impudence et du délire. | Jagez après cela si j'ai raison de craindre que ce malheureux catéchisme ne perde absoln- ment nos sages dans l'esprit de nos provinciaux, | et de vous demander les armes les plus fortes contre la calommie, PHILOSOPHIQUES. 13) OBSERVATIONS D'un Provincial sur le troisième chapitre du double Catéchisme philosophique. Vous avez vu nos sages, on plutôt nos vains sophistes insulter hautement à la pudeur, ren- voyer aux vertus de préjugé la chasteté, la con- üinence , la fidélité conjugale; vous avez vu tous leurs efforts pour justifier le libertinage le plus effréné, la fornication, l’adultère, l'inceste, et pour concilier avec le nom de la vertu jusqu’à l’infâme pédérastie (1). Les voilà qui viennent mn —— (1) J'ai vu plus que cela, et il fant que je le dise , parce qu’il est bon de faire connoitre à quel point de déprava- tion cette prétendue philosophie conduit ses adep:es. Je ne la connoissois encore qu'imparfaitement ; je fus con= duit par un homme qne je croyais honnête , au milieu d'une societé , où bientôt l’on agita des questions relatives aux mœurs. On en vint à l’horrible méprise de l'habitant du Caire , qui, disoit-on, se satisfait avec..... Je ne peux pas lécrire ; mais pourra-t-on Le croire ? La bestialité me- meireuva an défensear dans celui qui me sembloit le phi- losophe le plus considéré de lassemblée. Avec toute la fierté d’un homme qui sent sa supériorité , il fit des argn- mens dignes de l’animal qu'it voyoit avec indifférence uni à l’homme. 11 défia qu’on pût lui répondre. Les adeptes écoutoient , et sembloient convenir que la bestialité n’étoit ‘encore qu’un crime de préingé. Quant à moi, je l'avoue, ‘dans mon indignation, je ne conservai qu’autant de sang- froid qu’il en falloit pour me retirer. J’avois dix ans de moins qu’au moment où j'écris ; mais le discours de Fin- fâme sophiste n’est encore présent , et me glace d'horreur. 140 LES PROVINCIALES à présent anéantir toutes les vertus de société, l'amitié, la reconnoissance, et jusqu’à la ten- dresse paternelle, à l'amour filial ; les voilà qui affectent un souverain mépris pour la probité. pour toutes les vertus religieuses , la crainte de Dieu , le détachement des richesses, le pardon dés injures, humilité chrétienne, et l'attention à se vaincre soi-même. Je vous l’avois bien dit , que de leur principe fondamental; ou de cet égoïisme qui. sans aucun égard pour lhonnèteté, réduit tout à Putilité, à l'intérêt présent, suivoit évidemment la ruine de toute la morale. Il est vrai que le double catéchisme vous présente tou- jours quelques-uns de nos sages rejetant ces affreuses conséquences : m : mais quel gré pourrons- nous leur en savoir encore, puisque de part et d'autre 5l n’en est pas un seul qui me ramène aux vrais principes ; puisque, si d’un côlé ils se montrent toujours efrontés moralistes, je ne puis voir de l’autre que des sophistes insidieux , on des logiciens pitoyables? Sil est vrai qu'ils ro ougissent d’avouer que leur PhioSGphe sera essentiellement mauvais fils, mauvais pére, ami per fide et mauvais ci- toyen , malhonnète home, que ne rougissent- ils aussi d’avoir voulu que l'intérêt personnel, l'utilité présente fussent le seul mobile de toutes les verins? Pourquoi s’obstinent-ils.à rejeter cet intérêt éternel qui, dédommageant abon- damment la vertu de tous ses sacrifices, ne me PHILOSOPHIQUES. 141 permet jamais de renoncer à mes devoirs, de quelque nature qu’ils puissent être, et-quelque opposés qu’ils se trouvent à l'intérêt présent? Si Putile du jour fait tout, n'est-il pas vrai qu'un pére doit s'attacher fort peu à des enfans qui lui sont à charge? N'est-il pas vrai qu’un fils doit secouer le joug de ses parens dés que son bien-être ne s'accorde pas avec leur autorité? qu'un homme doit trahir son ami, sa patrie, dès qu’il croit y trouver son avantage? Ou l’art de raisonner est nul, ou, le principe de nos sages admis, il faut évidemment admettre aussi toutes ses conséquences. S'il falloit cependant les réfuter dans leur affreux détail toutes ces odieuses conséquences , pourriez - vous bien , lecteur, vous y résoudre ? et ne sont — elles pas assez révoltantes pour que lindignation qu’elles excitent ne nous permette pas seulement de les combattre par le raisonne- men! ? Répondriez - vous au fou , au frénétique qui viendroit vous dire : Il n’est pas naturel qu’un pére s’attache à ses enfans; celte affec- tion, loin d’être naturelle, z'est le plus souvent qu'urneffet de la postéromanie, de l'orgueil ou du désœuvrement? Tout ce qu’on peut répondre à ce prétendu sage n'est-il pas au moins dans ces mots : Sois père, et écoule lon cœur ? Que dirai-je done , moi, à votre Helvétius ? rai - je contester avec lui, et lui demanderai-je com- ment il a pu lui venir dans l’esprit que la nature 349 LES PROVINCIALES ait si élroitement lié le sort de l'enfance aux soins , aux attentions , à la vigilance continuelle, à l'amour le plus inquiet, le plus actif de la part des parens ; sans vouloir cependant que ces pa- sens aiment rcellement, sincèrement el cons- tamment le fruit de leur union? Elle est donc bien bizarre cette nature ! elle est aussi inconsé-- quente que votre philosophie; elle veut que ce père se consäcre à son fils, et ne veu pas qu’il l'aime ! elle en à fait son Dieu , son ange tuté- laire, et il lui donne un cœur rempli d’indiffé- rence , Le cœur d’un étranger ! elle veat et pres- crit en un mot tous les soins de Pamour, et ne veut nine prescrit Pamour! C’est de vous, de votre sang, c’est par Pamour et le plaisir qu’elle l'a fait naître cet enfants c’est par l'amour, par les caresses qu’elle vous attache à lui; elle n’a rien créé de si touchant, de si aimable, de si intéressant ; et l’imprudente ne veut pas que vous soyez louché, que le cœur de celte mère mème soit sensible, s'inquiète, s'intéresse, s'at- tendrisse à son aspect ! O raison ! 6 nature ! qu’êtes-vous done pour le sophiste ? Quand re- connaîtra-t-1l votre voix sil est sourd au pré- cepte de Partour paternel ? Oh! qu’ilm'est adieux ce vain sage! il n’a pas ordonné à mon père de m'atner, il ne m'or- donne pas d’aimer mon pere! et pour me dis- penser de cet amour, il me demandera s’il est foudé sur un autre bienfait que celui de la vie ; PHILOSOPHIQUES. 145 il prescrira un terme à mon dévouement. Tais- toi, vain philosophe; et tés questions et tes dis- penses me révollent. Laissez-moi voir mon père; laissez moi voir dans lui l’objet de ma tendresse, de mes vœux, de ma reconnoissance ; laissez-moti l’assurer que le temps, les années ne feront qu’a- jouler à mon respect, à mon affection ; que si j'acquiers des forces, ce sera pour voler à lui dans ses besoins, pour lui rendre les soins qu’il eut de mon enfance. Et toi, de ses nombreux enfans le plus heureux, puisque le sort ne V’é- loigna jamais de ses foyers, Loi qu’un droit pré- cieux retient auprès de lui, ah! veille sur ses jours ; veille sur une mère émule de ses soins , de ses vertus et de sa piété. De tous tes droits d’ainesse ,. c’est le seul que mon cœur t’envia. Loin de moi ces calculs de ce qu’ils laisseront à Esaü où à Jacob, de la prédilection que Jo- seph ou Benjamin peuvent obtenir d'eux! Je leur dois existence; je leur dois tous ces soins pro- digués à une longue enfance , au maintien d’une vie que moins d'attention, moins d’amour de leur part m'eut fait perdre cent fois; je leur dois ces leçons, ces exemples qui tant de fois sou- tinrent ma verlu chancelante ; je leur dois ces secours prodigués à l'instruction de ma jeunesse; je leur dois cet intérêt touchant qu’ils n’ont cessé de prendre à mes travaux et à mon sort. [tends, Dieu des patriarches, élends encore pour eux la carrière des années, Dans l'Age d'Abraham, 1 JE LES PROVINCIALES qu’ils revoient leurs enfans et les enfans de leurs enfans; qu'ils nous voient encore réunis auprès d'eux; que nos vœux , de nouveau, leur arra - chent des larmes de plaisir, de tendresse; qu'ils nous entendent tous bénir le Dieu qui les con- serve, et conjurer le ciel de prolonger encore leurs jours et leur bonheur. Pour vous qui jouissez d’un sort moins heu- reux, VOUS qui croyez avoir el qui avez peut- être des reproches à faire à la tendresse pater- nelle, parce que la nature fut trop foible dans le cœur d’un père, faut-il qu’elle devienne nulle dans le vôtre? Sans doute elle aura vu avec douleur les sentimens paternels oubliés, Mais croyez- vous la consoler et réparer son outrage, en renonçant à la tendresse filiale ? Non, non, il est au moins un bienfait pour lequel elle ré- clamera toujours volre reconnoissance, Celui que vous croyez pouvoir vous dispenser d’ai- mer vous a donné la vie; comment ferez-vous donc cesser l'obligation tant que le bienfait dure? Comment celui par qui vous êles devier- dra-til pour vous indifférent où odieux, comme celui de qui vous n’avez oblenu ni Pexislence ;: ni ancun des biens qui l'ont suivie? Vous les lui devez ious comme à leur source; ne lui dus- siez-vous que la vie, quels services meitez-vous dans la balance? Je lesais, une philosophie in sensée a dédaigné de metire celle wie au nom bre des bienfaits; elle me force à réfléchir que PHILOSOPHIQUES. 145 son école et les abominations de l’égoïsme lui donnoient des moyens et des motifs de vous hisser dans le néant. Qu'importe que la nature Pait appelé par le plaisir à être père? Êtes - vous moins son fils? êtes-vous moins à lui? en a-1-il moins de droits sur son ouvrage, sur celui qui existe par lui? Ne faut-il pas d’ailleurs un cœur d’aivain pour penser seulement qu’il soit pos- sible à un enfant de voir souffrir son père et de ne pas souffrir avec lui, de ne pas oublier toutes les disgrâces domestiques et de ne pas voler à son secours? Quel cœur philosophique que celui dans lequel toute injure ne se trouve pes eflacée , et toute haine éteinte, à celte pen- sée seule : I est mon père! Quel maitre que celui qui viendra me conseiller de calculer , avant d’aimer mon père, ce qu’il me doit et ce que je lui dois; de chercher s’il n’y a pas ici des compensatiuns ; si l’homme ne peut pas faire oublier le père , et de peser enfin froidement où la justice commence, où le devoir finit! Oh! qu’ilm’est odieux ce philosophe au cœur glacé! je n’aurois pas le mot à lui répondre, je le dé- testérois. Quelle école que la sienne pour notre jeunesse, pour la génération future ! qu’elle s’é- tende encore , et la nature aura toujours des cal- culs , des sophismes à éombattre pour établir le sentiment ; bientôt l'enfance même n’éprouvera plus son doux emrire, et bientôt le père ne sera _ hé 7 146 LES PROVINCIALES pour le fils qu’un étranger, qu’un homme ordi- paire. Déjà elle l’a prononcée cette maxime incon- cevable : Les enfans ne restent liés au père gu'ausst long -temps qu’ils ont besoin de lux pour se conserver ; sitôt que ce besoin cesse , le lien naturel se dissout. Dans quel délire philosophique ont-ils osé écrire ce blasphème ? Echappé au naufrage et sorti de l’abime, je ne dois plus rien à là main qui m’a conduit au port ! L’instant où je pourrai connoître et ju ger Je bienfait sera celui qui me dispense de la recopnoissance, qui me permet de fuir mon bienfaiteur , pour n'avoir désormais avec lui ac HN engagement, aucune liaison ! Cet instant cMicera de ma mémoire quinze et vingt années de peines, de soucis, de conseils , de dépenses ; de soins habituels consacrés à mon éducation , au rRaintien de mes jours, à m’instruire, à me foxtifier, à prévenir mes fautes et à me relever ! Je me commencerai à pouvoir agir par moi que pour me refuser à ceux qui ont vécu pour moi ! et ke prémier des droits que je regois de la na- tue seroit le droit de n’être qu’ un ingral ! ile aj'a donc pas fait, celte nature, à mon pére, me mère,ume loi de ces soins qu’exigeoïent nioi énfance et ma jeunèésse? Elle n’a pas voulu que wa vie leur fût chère; elle leur a rendu jwpossible le devoir de m’aimer! Car enfiw, quel est Phomme qui pourra franchement, PHILOSOP HIQUES. 149 sincèrement et cordialement sattacher à l'en - fint dont il (pent dire : Voilà un être que j'é- lève; je lui donnai le jour; je ne vis, ne res- pire'que pour lui ; il me doit tout ce qu'il est ; tout ce qu'il pourra être; et dès Pinslant qu'il p’aura plus besoin de moi, je ne serai plus rien pour Jui; je n’aurat plus aucun empire sur son cœur ; mes volontés seront pour lui ce qu’éllés sont pour l'étranger; J'aurai beau le chercher, l’appeler dins me: besoins , dans mes myiités dans ma vieillesse ; 1} fuira loin de moi? Il sereit près de moi, ét nos liens se - joient dissous ! ‘la nature ne lui diroit plus rien , si ce n’est qu À est libre et quil ne me doit rien ! : De quelque état que vous soyez , lecteur, je. vous'ifterpelles soyez franc el sincère, je vous le demande; éet enfant dont la conduite vous seroit: ainsi-connue d'avance; le pourriez-vous aimer actuellement? Dans ses caresses même, sepoil-il pour vous autre chose qu'un serpent réchauffé dans votre sein ? Oui, la seule idée de ses dispositions ‘à venir glaceroit votre cœur. Vous le verriez grandir, il'wous affligeroit, il vous contristeroit ; chaque jour, ajoutant à ses srogrès, ajouteroït à volre aversion et-à votre Auluér parce que chaque j le avanceroit l’ins- ‘ant qui ne vous.montrera qu’un ingrat, qu ’un ils dénaturé. Qu’elle est donc monstrueuse cette ilosophie qui , effaçant ainsi toute idée d’atla- . 148 LES PROVINCIALES chement, de soumission dans le cœur. des en ! fans , sème la douleur , Paversion ; la haine; lindignation dans le cœnr des parens!: cette! philosophie qui les force à maudire un enfant | que la nature les, force à élever; cette philoso=| phie qui m'autorise: à voir la prophétie la plus accablante, la plus désespérante pour le père malheureux auquel je pourrai dire : Tu élèves! un enfant; il sera un philosophe. O Jean-Jacques! 6 Rousseau! toi qui détestois tant les philoso- phes , les Ray nal, les Toussaint , les Diderot, les! Helvéuus, les Encyclopédistes, comment as-tu! done pu te déclarer ici et tant de fois pour leur philosophie? Je l’entends cet adepte de quinze! ou de vingtans, qui oppose à mes conseils tes leçons et les leurs; je me trouve forcé de lui répondre : Taisez-vous, jeune ‘ingrat, et rou- gissez d’un cœur que le plus perfide et le plus odieux des sophismes ne révolie pas. Vous n’a- vez plus besoin de vos parens , et vous osez con- clure qu'ils n'auront plus de droits sur vous! Voi-! . là où vous conduit le détestable intérêt person-! ne!, l’égoisme réduit en action. Vous n’avez plus! besoin de vos parens! eh ! quel besoin avoient-| ils donc eux-mêmes d’un enfant tel que vous, d’un enfant qui, devoit les oublier dès qu'il pourroit se passer d’eux ? Quel besoin avoient- ils de l’élever,: dé le nourrir, de, s'inquiéter sans cesse pour lui, de retrancher pour lui à leur sommeil, à leurs plaisirs, à leur subsis- Fe FHILOSOPHIQUES. 149 tance S'ils avoient raisonné comme vous, où seriez-vous? Vous n'avez plus besoin de leurs secours! mais bientôt, mais dés ce jour peut- élré, ils ont besoin des vôtres: et quel cœur avez vous, si cette pensée seule ne vous fait pas voler à eux ? : Vous n’avez plus besoin de vos parens! eh! depuis quand les droits de la société , de la na- ture, mwont-ils de règle que vos propres besoins? Faudra-t-il donc attendre que j’aie besoin de mon ami pour le servir, de mon bienfaileur pour cesser d’être ingrat , de mon Roi pour ces- ser d’être rebelle? L’ami, le bienfaiteur dans ce père ne disent ien à votre cœur ! eh bien, il sera votre maître. Vous n’avez pas voulu prévenir ses volontés , la nature vous soumet à ses ordres; et puisqne votre cœur, gâté par les sophismes , ne ve::1 en- tendre ei qu’un droit sévère, je parlerai de justice, où je voulois ne parler que d'amour. Je dirai : Il est juste, il est dans Fordre de la nature même , que vous serviez ce père, que vous ,obéissiez ; que vous soyez soumis à sa Voix : ni le temps, ni les lois ne vous dispenseront ja- mais de.ce double devoir. La condition des pères est tropdure , elle n’a pas été réglée par l’équité, et la nature a mis de leur côté toutes les peines, du côté.des enfans tout l’avantage, si ce contrat formel n’est écrit dans son code: Le père veil- lera sur ses enfans tant qu’ils auront besoin de 190 LES PROVINCIALES lui; les enfans serviront le père dès qu’il: aura besoin de leurs services; sonrempire sera:celui des rois, et son peuple sera dans ses enfans: ils auront obéi pour leur bonheur, ls devront obéir | pour le sien. Ils furent sonouvragé!, ils seront sa possession , ils seront en quelque sortè à lui, comme il est Ini-même au Créateur; ils: seront . obligés de l’honorer, de le servir. Je ne veux pas, sans doute, leur donner un tyran dans un père; jé ne veux pas non plus | lui donner des esclaves dans ses enfanss miais | Pempire de la paternité, parce qu’il «st plus | doux , en sera-t-il moins juste? parce qu'il n'aura pas lappareil des licteuts, -aura-t-il | moins pour lui toute la force de la raison , toute celle de la nature? Je le vois bien, jeurre homme ; nos vains sages vousont dit que vous étiez né hibre.: mis si la liberté consiste à m'avoir plusride devoirs, cè père étoit donc libre aussi de sous abandonner dès l'instant que votre enfance lui devint incom- mode et troubla ses Hors ou. fat à charge à son repos, à sa fortune? Soyez libre , mon fils, mais soyez-le sous le joug del’amour, du respect et de l’obéissance filiale. N’y eut-il donc'jamais d'autre devoir que celmi de l’esclave? Vienezi, et que je vous apprenne à obéir sans avilir la dignité de l’homme. Prévenez les désirs d’un pèr e ten- dre , et surtoul prévénez ‘ses besoins. SL a fallu qu'il vous les éxprimât ) aMigez- vous de les avoir À PHILOSOPHIQUES. 13% connus lrop tard. Votre fortune a-t-elle ajouté à volre aisance ? faites-vous un plaisir de la par- tager avec ce père, celte mère indigente, N’at- tendez pas qu’ils le demandent. Soyez l'appui de leur vieillesse, et encore une fois n’allez pas calculer sur les services rendus, les services que ons avez à rendre. Ecoutez la nature, et suivez la douceur de ses impressions. Voilà la liberté de la raison, de la vertu, de l'enfant devenu vrai philosophe. H aime, il obéit et il sert par amour , en laissant l’esclave obéir et servir par contrainte. Choisissez; mais il faut essentiellement l’un ou l’autre , ou servir par amour , ou servi par justice. La nature vous offre ces deux liens. Mal- heur au philosophe qui vous dit : L’un et l’autre senirompus par la seule cessation de vos besoins! Que le Dieu de Moïse ne lui épargue pas a ima- lédiction attachée , dans ses lois, à d'enfant qui n'aime point son père, et ne l’honore pas. Qu'il abrège ses jours, où qu’il lui donne des enfans qui lui ressemblent. Mais de quel œil faudra-t-il regarder ces pre- tendus sages , à mesure que leurs leçons se dé- veloppent? Hélas! ils ont fait des époux infi- dèles, des pères insensibles , des enfans ingrats ; 1l falloit bien s’attendre à les voir faire des amis pertides. Oui, ©’étoit là encore que tendoient leurs principes. L’amitié, par elle-même, est moins une vertu qu’um sentiment ; mais que je 152 LES PROVINCIALES leur en veux de l'avoir avili, ce sentiment si pur; de l'avoir confondu encore avee leur fatal égoïisme; d’avoir osé nous dire qu’il n’a encore d'autre mesure que lPintérêt ! Oui, j'en veux à cette lâche philosophie , de flétrir mon Henri, Je plus brave tles rois, le meilleur des amis. Je lui en veux datticher Pintérèt à Pâme de Sulli , d'effacer de ses titres le plus glorieux pour lui, d’écrire sur sa Lombe : Ce n’étoit pas Henri , c’est le roi qu’il aima. Je lui en veux d’avibr Jonathas, le plus pieux des princes , le plus touchant mo- dele de l'amitié constante et généreuse; d'effacer de l’histoire le nom de ce Damon, ‘de ce Pythias que Syracuse a vus rendre les lyrans mêmes ja loux de l’amilié; d'avoir fait son possible pour éteindre dans les cœurs les plus unis tout senti- ment d’eslime , de respect mutuel , et pour anéan- tir dans tous l’amitié elle-même. Comment régnera-t-elle sur la terre, et dans quelle âme trouvera-t-elle place, quand nous nous serons tous convaincus, avec Helvétius, qu’un ami n’est qu’un homme que l’intérêt peut seul nous attacher , et qui nous quittera dès qu’il n'aura plus rien à espérer de nous ? Est-il rien qui l’efface, ce sentiment si doux; est-il rien qui s’oppose à la confiance , à intimité, plus etfica- ment que celte persuasion , et qui rende l’amitié plus suspecte, qui la fasse s’évanouir plus vite ? Jamais , non jamais mon âme ne.se déchargera du poids de sa douleur sur le sein de celui que PHILOSOPHIQUES. 13 mes malheurs ne touchent que pour le refroidir, Jamais il ne saura mon secret , le lâche qui w’attend pour le tahir que instant où il pourra le faire avec quelque avantage. Je le méprise trop ; et si tous les amis doivent lui ressembler, je ne yeux plus d'amis. Grâces à la nature ! tous les. hemmes n’ont pas le cœur de nos sophistes. Elle réclame en- core trop hautement contre leur école. Elle ne souffre pas seulement l’union de ces idées : amitié, intérêt personnel ; dans aucun idiome, ami intéressé n’a jemis signifié autrechose qu’un ami dangereux , an ’un ami petite à ou prêt à l'être. Grâces à la nature ! nos vains sages ont beau blasphémer l'amitié , il est encore des cœurs faits pour en jouir, et pour la distinguer de vos. afections serviles el rampantes, O toi, qui m'inspiras ce sentiment et plus noble et plus pur, tu le sais, si jamais j’atiendis rien de toi que toi-même ! Ma carrière n’a point lié mon sort à tes bienfaits, et le tien ne dépendit jamais de mes. services; cependant , qui pourra déta- cher mon âme de la tienne? Sois heureux : tu leysais ;: c’est là le plus sincère , le plus ar- dent de mes vœux , le plus indépendant de mon -propre destin, Mais si l’adversité te menace ja- mais , On Le fait éprouver des revers , ah ! pense. pense au moins qu'il te reste un ami : c’est alors que tu le connoîtrois , et, crois-moi, c’est 4 rm 4 e 154 LES PROVINCIALÉS lo s qu'il s’'applaudiroit de l'être. Viens avec confiance , viens, partage avec moi, el ne va pas me croife généreux quand je dirai ‘qne ce qui est à moi t’appartient. Partage sans roûgir ct sans craindre de me Voir regretter ce ‘qui passe de mes mains danses tiennés. A quoi me serviroit ce vil métal , lorsque mon ami souf- fre? Appelle, Moperle Aa dans tes afflictions ; ne crains pas de troubler mes phüsirss ÿe n’en connois plus d’autres ‘que celui de te consoler. Appelle - moi dans tes dangers. Que devien- droient mes jours après les tiens? Je l'ai trop éprouvé; dix années n’ont pas’encore fermé la plaie. ... Pardonnez-moi , lecteur ; les fnaîtres des perfides amis m'en rappéloient de vrais’; et j'allois oublier que ces élans dés cœurs né sont pour nos sophistés qu’une vaine illusion! Mais vous-même, peut-être, vous avez un amis vôtre cœur éloit fait pour en trouver ; ites-moi sil est vrai que l'intérêt vous lait donné , que l'intérêt seul vous ättathe encore à lui ; dites- moi si, avant que ‘de l’aimer , de vous plaire avec lui , de vous livrer à ‘ces épan- chemens qui font passer votre âme ‘dans la sienne, la sienne dans la vôtre, vous fûtes bien long-temps à calculer en quoi son amitié devoit | vous être utile, Vous Île vites hormête ; ver- tueux ; dès l’erffance , peut-être, l'Habitude de la société ét de vos jeux Cofimüms vous rap- prochèrent ; vous vous cherchiez lun l'autre ; FHILOSOPHIQUES. Ris vous ne le saviez pas encore, et vous éliez apr. Quand votre cœur s’en aperçut enfin, quand sa soûtélé vous devint nécessaire, quand vous réfléchîtes pour la première fois qu’en son ab- sence il vous manquoit la moitié de vons-même, que ses plaisirs étoient vos plaisirs, ses douleurs vos douleurs, ses succès vos succès; dites-moi, silon fût-venu alors vous demander :: Que vous importent son bonheur ou ses revers ? pourquoi vous réjouir quand il se réjouit ? pourquoi vous contrister quand il s’afflige? que vous en revient- il? votre fortune est-elle donc attachée à la um . CR: : CLÉS : sienne ! êles-vous moins aisé quand lout lui manque, moins sain s’il est infirme ? que vous font en un mot les malheurs d’un ami , quand vous êtes heureux? A toutes ces questions d’un vil sopuiste , quelle n’eùt pas été votre indigna- tion? Mais si le lâche avoit encore la bassesse d'ajouter : Il n’est plus cet ami, vous pouvez profiter de sa dépouille; :ou bien encore : Il est disgrâcié , et sa place est ouverte aux concur- rens; vous pouvez hériter du rang qu’il a perdu: conselez-vous enfin ; car sa perte sera votre for- tune. Ah !je crois vous entendre : Retire-loi, âme de boue, ét va-l’en consoler .des amis qui te ressemblent. Livrez-vous à ce noble cour- roux ; il est dans la nature. C’est elle qui sou- ève votre cœur ; c’est elle qui vous dit: L'amitié que j’mspire est le plus généreux des senlimens ; celui-là n’est qu’un Tâche sophiste, qui a pu la 156 LES PROVINCIALES confondre avec la passion Ja plus vile, le sordide intérêt, Voulez-vous les connoïtre ces amis guidés par l’égoïsme ? voyez tous cenx qu'il forme dans les Cours ; le nom de l'amitié est dans leur bouche, la haine est dans leur cœur. C’est vous qu’ils flatteront ; mais c’est vous que leurs sourdes intrigues supplanteront dès qu’ils croi- ront pouvoir s'élever sur vos ruines. Voulez-vous, à l’école de nos sophistes mêmes, voir les fruits naturels de l’intérèl? c’est de lui que provien- nent ces guerres intestines et ees tours perfides que vous les entendez se reprocher les uns aux autres. Intérêt pécuniaire, intérêt de vanité, intérêt de parti, voilà ce qui les lie. Cessez de les flatter ; il n’est pas d’ennemis plus jaloux et plus dangereux. "Tu le sais, Jean-Jacques, ee qu'il t'en a coûté pour avoir cessé de sacrifier à Diderot ; à d’Alembert ! Nos faux sages se connoissent trop bien pour s’entr'aimer quand le moindre intérêt tend à les diviser. Ils s’ado- reni sans doute, el ils s’eucensent muluellement, ptrce qu'ils se redoutent. Voltaire les voyoit presque tous à ses pieds ; mais en fut-il un seul qui Paimât:, ou qui ne redoutât de sa part ces fu- reurs que la plus légère égratignure suffit tant de fois à exciter? Ils sont pourtant unis, nos vains sophistes ; ils le furent long-temps. Oui; mais leur union est celle d’une armée dont les chefs se jalou- PHILOSOPHIQUES.- 1h7 sent, se détestent, ou se méprisent ; sur lesquels cependant l’emportera la haine d’un ennemi commun. Ils sont unis entre eux ,; comme toutes les hérésies se liguent contre la seule Eglise catholique ; comme ous les démons cons- pirent contre l’homme, sans cesser de se haïr entre eux et de se nuire. Voilà les amitiés for- mées par. l’intérêt ; c’est de celles -làa seules _qu'Helvétius peut dire qu’ez prédisant l’ins- tant où deux amis cesseront de s’étre utiles’, l’homme d'esprit peut calculer celur de leur rupture. Mais malheur à celui qui n’en connoît point d’autres ! Ne cherchons pas à lui prouver qu'il en existe; son âme n’est pas faite pour en- tendre nos preuves ; et d’ailleurs plus j’avance dans la réfutation de nos sophisies, plus je suis convaincu que le raisonnement n’est pas ce qu’il faudroit opposer à leurs principes. C’est un cœur qu’il faudroit leur donner. Les mal- heureux ! ils n’en ont point; et c’est bien d’eux qu'on pourroit dire ce qu’on fait des démons : Ils sont condamnés à ne jamais aimer ! plus malheureux encore , ils sont condamnés à ne pouvoir croire à l’amitié ! Et certes , s'ils avoient ie cœur de homme, si le sentiment moral n’étoit pas nul dans eux , nous faudroit-il encore des argumens pour leur persuader que la reconnoissance au moins est un devoir, l’ingratitude un vice ? Oh! pour le coup , je ne chercherai pas à le prourer au vain 156 LES PROVINCIALES sophiste ; je lui promettrai au contraire d’en- voyer les nations à son école; mais une chose que j’exige de lui, c’est qu’en gros caractère , et sur le frontispice de son Lycée, il comnrence par graver ces mots : Jei nous apprenons à dis- penser les hommes de la reconnoissance. Sur le front de l’adepte qui -osera entrer écouter, je veux qu’on puisselireces paroles, preuves äeson triomphe: Zngrat comme son maître. Alors que Vunet l’autre se montrent dansnossociétés , dans les places publiques , et je leur abandonne tous ceux dont leur aspect ne réveilléra pas l'indigna- tion, le mépris et l'horreur. Non, je n'opposerai pas d'autre argument à ces principes odieux ; je conviendrai que {la re- connoissance est pas un droit légal; j’avouerai quel’imgrat peut, sans craintedeslois tout refuser à-celui dontil a toutreçu; mais qu’on m'avoue au “moins que j'ai le droit de mépriser le philosophe ingrat, et de le détester. Je l'ai vu se roidir contre le sentiment, et je l'entends encore qui me dit : « De quel droit « pourrez vous l’exiger de moi, cette reconnois- « sance ? L'homme w’agit jamais que pour son « ‘intérêt ou son plaisir ; sans an de cesmolifs, il « agit sans raison; il se satisfait donc ; il se paye « lui-même en me servant ; quel retour lui de- « vrai-je pour s'être satisfait ? » Telle est sans doute l'âme du vain sophiste, et tels sontses services. (Hommes plus généreux, PHILOSOPHIQUES, 159 ce n'est pas comme lui que je vous jugerai; et dites - moi vous - mêmes depuis quand l'intérêt personnel ou de plaisir sont l'unique raison suf- fisante pour vous déterminer? Est-ce (que Ile de- six d’être utile à un autre que moi n’est pas un vrai déswr? ne peut-il donc pas être un viai mo- tif, une raison très-suflisante peur décider ma volonté? Agivai-je sans cause quund j’agirai par cette cause ? Je veux que l'homme tronve toujours quelque plaisir dans le ‘bien qu’il me ‘fait, quoique sou- went peut-être ilseroit vrai de-dire qu'il en trou- veroit plus dans la véngeince même que ‘dans un service rendu à l'ennemi; ce plaisir qui accom- pagne le bienfait en sera-t-il-essentiellement le motif déterminant ? C’est votre utilité que je cherche , et non lamienne; c’est l’amour du de- voir , si souvent opposé à celui du plaisir où de intérêt, qui'me conduit. Dispensez-vous de la Feconnoissance , mais né flétrissez pas au moins le bienfaiteur. Je le veux encore , que toujours Le plaisir soit “uni au service; ce plaisir est celui d’une âme gé- néreuse. Par sa nature même ,il détruit vos prin- cipes et en démontre toute la fausselé. Celui qui s’applaudit d’un sérvice rendu àn malheureux cessera de s'en croire meilleur ét de s’en applan- dir dès que sa conscience pourra Jui reprocher intérieurement vôtre - égoïsme; il'est donc in- compatible ; ce plaisir de Pâme honnète, avec 160 LES PROVINCIALES tous vos principes; il faut donc renoncer à ces principes , ou insulter à lout le genre humain, et soutenir que jamais homme n’a connu les plaisirs d’une vraie générosité. Je le veux enfin, que ce plaisir que j’ai à vous obliger soit inséparable de mes services ; il aura pour principe l’amour que j’ai pour vous , puis- que mon cœur se réjouit du bien que je vous fais, et même de celui que tout autre vous faits et C’est pour cela que vous, vous dispensez de la reconnoissance ! C'est-à-dire que vous cher- chez jusque dans l'amour, que: j'ai pour vous un litre contre moi. Autant valoitaüe dire : Plus vous êles mon ami, plus j'ai raison d’être in- gral cnyers vous. Mais pourquoi raisonner avec le philosophe ? . Résolu d’être ingrat, il le sera toujours , et Lou- jours il accumulera les sophismes. Qu'il ajoute tant qu'il voudra argument sur argument, l’m- gratitude n’en, sera pas, moins , .non-seulement un vice, mais le vice qui ajoute à tous les vices, quiaggrave tous les: crimes. Quelle est en effet la dernière mesure des forfaits, si ee n’est l’in- gratitude ? C’est un crime que d’être méchant ; ruais : c’est tie doublement, méchant ,que de J’être envers celui qui étoit bon pour vous. C’est une scélératesse que l’homicide ; mais c’est le comble de la scélératesse que d’ôter Ja vie à celui qui vous la donna , que d’empoisonner ce- lui qui vous nourrit. Que verront donc nos mal- LPHILOSOPHIQUES, 16: heureux sophistes, et que trouveront-ils dans leur cœur, s'ils n’y découvrent pas des vérités si simples? Suivez leur catéchisme, vous les verrez iou- jours devenir plus révoltans: Les voilà qui éri- gent en vertu le mensonge dicté par l'intérêt. Eucore une fois , je vous le disois bien, qu'avec ce dogme de l'intérêt personnel la morale éloit bouleversée, Quel est donc le mentèur qui ment uniquement par le plaisir de contrarier la vé- rité? Ce plaisir, sic’en est un pour hui, sera son imtérêt, et légitiméra le mensonge. Un petit intérêt l’emportera sur ce qu’il appelle une vé- rié peu importante; un intérêt plus fort lui fera trahir les vérités les plus sacrées; et trouvez, s'il se peut, un menteur plus hardi , plus impu- dent qu’un menteur philosophe, où menteur par principe. Je ne suis plus surpris de voir dans leurs productions tant de hardis menson- ges, de les voir si souvent mentir contre l’his- toire , mentir contre nos dogmes, mentir contre note morale, calomnier Jésus-Christ, sa reli- gion , ses saints et son Eglise. L'intérêt souve- rain de leur école, cet esprit de parti qui les domine, leur fait une vertu de leurs mensonges; l'intérêt de l’orgueil et de la vanité ,'un intérêt souvent plus vil encore, l'intérêt de lavare écrivain, qui vendroit la vérité moins cher que le mensonge à l’avare libraire, qui voit bien plus de bourses ouvertes pour l'infâme Pucelle que 162 LES PROVINCIALES pour l'héroïne des mœurs ; pour une diatribe contre le sacerdoce que pour des discours évan- géliques : tant d'intérêts divers m'expliquent enfin cette foule de mensonges qui ont tant de fois excité mon indignation dans leurs livres prétendus philosophiques. Je ne suis plus surpris de les voir baffouer nos docteurs , et jusqu’à ce saint père qui décide il- licite jusqu'au mensonge même qui pourroit racheter l'univers. Cependant, sapposez qu’Au- gustin soit trop sévère, il n’est point de men- songe , point de supercherie et de mauvaise foi qu'un intérêt graduel ne justifie. L’enfance men- tira pour se soustraire aux verges: l’amitié, pour obliger un frère; te brigand , pour cacher un eomplice ; Ja pitié , pour consoler Ia veuve ; l'ambition . pour voilerses projetss la snpersti- tion, pour contenir les peuples; lé ministre du croissant, pour dompter l'Arabie. La vertu com- me le vice se conciliera enfin partout avec le mensonge; et la vérité ne sera plus qu’un ins- trament, que le juste et le méchant powvont ! épi ét adopter ou rejeter strnbnrn les pr ujets de l’mstant. Pour faire concevoir à ces vains moralistes combien la religion est plus sage , en proscri- vant sans exceplion tout mensonge, dequelque utilité qu’il puisse devenir , il fandroit les élever ici jusqu'à ce Dieu auquel la vérité a seule droit de plaire, et qui saura dédommager l’homme PHILOSOPHIQUES. 165 vrai de tous ses sacrifices : mais tous. nos phi- losophes du jour n’entendroïient rien à ce lan— gage; ils n’y entendront-rien tant que la vertu ne séra pour eux que l’utile-en ce monde. HN est touL simple qu’ils aiment le mensonge, la ruse , la dissimulation et Partifice, quand ils s’en trou- veut mieux dans cetle misérable carrière, où ils désirent tant de borner leur existence : muis aussi avouez qu’il est tout simple que leurs le- çons ne donnent a'la terre qu’un täs de men- leurs , de fripons , de parjüres,, toujours prêts à mentir quand l’intérèt l’exigera. Quels citoyens, quels hommes prétendentils Fu encore, quand ils viennent étaler un sou- verain mépris pour toutes ces vertus qui cons- tituent, Ja probisé des particuliers ? Seroientils insensés au point d'imaginer que la vertu rè- gunera dans an empire,-.dans une-ville , dont chaque citoyen sera sans probité? | Que veulent-ils nous dire quand ils affectent -de publier que la postérité ne s’informe pas sc Lucrèce fut impie, Ovide débauché, Auguste dissimulé, et César la femine de tous les ma- ris? et quand ils osent ajouter formellement : Peu importe.que les hommes soient vicieux ; c'en est assez s'ils sont éclairés 7. Sans doute eux ; qui se croient la lumière du monde, veu- lent nous disposer à leur passer toute la débau- che , toute l’impiété, toute la perfidie, toutes les. is Énies des Ovide, des Lucrète ik des Au- 164 LES PROVINCIALES guste , des César. Après avoir exalté sans pudeur iouie-leur ‘fansse science ; ‘sans doute qu'ils se flaitent de nous persuader ‘que plus un homme est éclairé , plus ilpent être vicieux et méchant sans conséquence , sans avoir droit Atnos mé- pris, à notre haine. En faut-il davantage pour m'apprendre à quoi se réduit la vertu, avec combien de vices et d’horreurs elle se concilie à leur école ? LE Mais dois-je les haïr ou les plaindre quand, insolens sophistes, ils ne roungissent pas d’in- sulter grossièrement à l’homme craignant Dieu, au chrétien pénétré d’estime et derespect pour les vertus évangéliques ? Oui, je les plains réel- lement, et bien sincèrémefft; ces sophistes à l'âme vile el basse, à Pesprit trop borné pour ne pas blasphémer le Chäist et des leçons dont ils ne sont pas faits pour atteindre là ‘hauteur. Je les plains ces sophistes au cœur trop lâche pour concevoir que P’homine soit capable de mépriser l'éclat des richesses, el dé se croire heureux quand il est RATE je les plains de ne pouvoir imaginer + ’on puisse oublier une in- juve, pardonner à l'ennemi, faire du bien à célui dont on reçoil dn mal. ls ont raison de dire ces vertus impossibles : elles le sont pour eux, tristes jouets de l’orgueil et de la bassesse, de l’arrogant sophisme et de la folle erreur, et, s’il est quelque chose de moins philosophique encore, de la sotte et visible jalousie. Car , je ne PHILOSOPHIQUES. 165 puis le croire, ils n’ont pas tous été assez bornés pour se persuader qu’il y a réellement plus de grandeur d’âme à venger une injure qu’à sa- voir pardonner; à chercher les honneurs, les richesses , et toute la fumée dela gloire, qu’à savoir s’en passer; à suivre ses passions qu’à savoir les dompter. Quand ils voient leur Socrate avaler la ciguë sans maudire la main qui verse le poison ; quand ils voient leur Diogène content de son tonneau , et leur Cratès et leur Bias re - nonçant à la fortune pour vivre en philosophes libres, ils savent bien alors exalter jusqu’à l’om- bre de nos vertus chrétiennes ; mais c’est dans l'évangile qu’ils les voient élevées au snblime de- gré de la perfection , soutenues par des motifs plus nobles, depagees de tout le faste de l’or- gueil, ne faisant qu’un seul système avec la re- ligion ; ils ne pardonnent pas à Jésus-Christ d’a- voir laissé bien loin derrière lui le Lycée et le Portique ; d’avoir fait commencer le chrétien où toute la sagesse antique devoit se terminer ; d’a- voir fait un précepte universel de ce qui leur sembloit le dernier effort de la philosophie. Pour ravir à ce, Dieu et à ses disciples l'admiration des peuples, ils se sont efforcés de méconnoitre la vertu à son plus haut période 3 ils ont voulu la faire ramper à côté d'eux comme leurs pas- sions ; ils ont cru la montrer prudente et cir- conspecte dans Pavare , noble dans le superbe , voluplueuse et lascive dans l’homme charnel , 166 LES UPROVINCIALES irréconciliable et supéricurement hatméuse dans lé philosophe humilié. Ils ont beat répéterices leçons ; Fhomme de l'évangile ‘humble au sein des grandeurs , méprisant les honñéurs, les ri- chesses, tehant ses passions sous le joug, Fhom-: me doux, Phomme bon, pardomnant les outra- ges, rendant le bien pour le mal, sera toujours RAR A SR RAS A AD A LAS AA DA RAT CATÉCHISME ï PHILOSOPHIQUE. CHAPITRE IV, Conscience et remords réformes. Le Philosophe. LA conscience estelle un objet essentiel en morale ? 2 L’Adepte: Non, et sur cet arlicle nous avons à réformer bien des idées. Le Philosophe: Que doit entendre un philo- sophe par ces mots dé conscience et de re- mords ? AU) L’ Adepte. La conscience e est, pour ie bhitoc sophe , ce seritiment: qui nous fait approuver ou condamneï intérieurement nolre conduite, suivant que nous sentons qu’elle pourra nous allier l'estime ou le mépris des autres... Le PHILOSOPHIQUES. 167 aux yeux de tous les peuples l’homme de la vertu , de la vraie grandeur d'âme. Ils auront beau absoudre l’ambition, lorgueil, la vengean- ce el toutes les passions , 1ls auront beau vou- loir transformer leurs vices en vertus, on ne les croira pas ; etje devois peul-être consacrer moins de temps à leur répondre, RARE LED LEA SEA LEGS SAS SLR ALBIAS AE LA RAA LAS ARLES LRQ CATÉCHISME PHILOSOPHIQUE. CHAPITRE IV, Conscience et remords maintenus, Le Philosophe. LA conscience est-elle un objet essentiel en morale? L’Adepte. Oui, et sur cet article le sage ne s’éloignera pas des opinions reçues. Le Philosophe. Que doit entendre un philo- sophe par ces mots de conscience et de re- mords ? L’ Adepte. La conscience est , pour le philo- phe, ce sentiment qui nous fait approuver u condammer noire conduite, suivant qu’elle t conforme on contraire à nos devoirs , sans cun égard à ce que les autres pourront en 168 LES PROVINCIALES Conscience et remords réformés. remords est la crainte des châtimens que nos actions peuvent nous attirer en ce monde. (Preuves. n° 1.) Le Philosophe. D'ou provient à l’homme ce sentiment qu’il a de ses actions ? 1; Adepte. Il nous vient uniquement de l’ha- bitude, de l’expérience, et nullement de la nature. ( Preüves , n° 2.) Le Philosophe. L'homme a-t-il des remords des actions secrètes impunies dans ce monde? L’ Adepte. L'expérience nous prouve qu’un crime impuni dans ce monde n’excile jamais de remords. (Preuves , n° 3.) Le Philosophe. Croyez-vous les remords bien utiles? L'Adepte. Avant le crime, ils ne lévitent pas; après le crime, ils ne Le réparent Pa C’est le plus inutile des supplices. (Preuves, n° 4.) Le Pluilosophe. Seroit-ce un service pour l'humanité, que l'extinction des remords? . L'Adepte. C'est le plüs important que nous rendions. à l’homme; ce n’est pas la faute de nos philosaphes, si lé succès n’est pas complet, ( Preuves, n° 5.) Le Philosophe. Connoissez-vous des philo PHILOSOPHIQUES. 169 Conscience et remords maintenus. penser. Le remords est ce reproche, celtecrainte d’une conscience qui désapprouve nos actions. (Preuves, n° 1.) Le Philosophe. D'où provient à l’homme ce sentiment qu’il a de ses actions? L’ Adepte. De la nature même, qui l’a gravé dans tous les cœurs. (Preuves, n° 2.) Le Philosophe. L'homme a-t-il des remords des actions secrètes impunies dans ce monde? L’ Adepte. Le méchant le plus certain d’avoir caché son crime , le despote le plus assuré de l'impunité, seront forcés d’avouer que leur cœur est en proie au trouble et aux remords. (Preuves, n° 5.) Le Philosophe. Croyez-vous les remords bien utiles ? | L’ Adepte. I n’y a que l’homme consommé dans le crime qu’ils ne rappellent pas à la vertu, ( Preuves, n° 4.) Le Philosophe. Seroit-ce un service pour l’humanité, que l’extinction des remords? L' Adepte. I en resteroit un à rendre à celui qui y réussiroit, ce seroit de l’étouffer. (Preuves, n° D.) 2 ke Philosophe. Connoissez-vous des philoso- 4, 8 170 LES PROVINCIALES Conscience el remords réformes. sophes qui aient hautement travaillé à l’extinc- üon des remords? L’ Adepte. J'en connois qui s’en glorifient , et qui déclament fort éloquemment pour que leur voix étouffe celle des remords dans le cœur des méchans. (Preuves, n° 6.) Le Philosophe. Le vrai philosophe étouffe- t-il au moins les remords dans lui-même? L’ Adepte. Le vrai philosophe a trop d’esprit pour se laisser tourmenter par les remords, et devenir lui-même son bourreau. ( Preuves , n° 7.) PREUVES philosophiques du chapitre précédent. Colonne À. 1. « LA conscience, pour le superstitieux , est « la connoissance qu’il croit avoir des effets que « ses aclions produirontsur la Divinité.... (Pour « le philosophe) elle est la connoïssance des effets « que ses actions produiront sur les autres. » (Syst. soc., part. 1, c. 13.) Nous l'avons dit, nousle répéterons : « La conscience dans homme « vivant en société est la connoissance des effets « que ses actions produisent sur les autres, et « par contre-coup sur lui. (Ævral univ, Ç 2, PHILOSOPHIQUES. 192 Conscience et remords maintenus. phes qui aient hautement travaillé à extinction des remords? L’ Adepte. Yen connois qui en rougissent de honte, et qui s’en cachent alors même qu’ils y travaillent le plus efficacement. (Preuves, n° 6.) Le Philosophe. Le vrai philosophe étouffe- t-il au moins les remords dans lui-même? L’Adspte. Le vrai philosophe , au lieu d’é- touffer les remords dans lui-même, ne voit que Pennemi du genre humain dans celui qui nous aide à les braver. (Preuves, n° 7.) PREUVES plulosophiques du chapitre précédent. Colonne B. 1. « CE n’est pas des caprices de la socité que « dépendent les notions vraies du juste, de l’in- « juste, du bien, du mal moral... C’est sur « notre propre essence que sont fondées nos « idées du vice et de la vertu.» (Sysé. nat.,t.1, e. 12.) « La conscience consiste dans le juge- « ment que chacun porte de ses propres actions « comparées avec les idées qu’il a d’une cer- « taine règle nommée loi; en sorte qu’il conclut « en lui-même queles premières sont ou nesont LES PROVINCIALES bei | t2 Colonne A. c.1 et 15.) « Les remords ne sont que la pré- « voyance des peines physiques auxquelles le « crime nous expose... Îls ne sont que la crainte « produite par l’idée que nos actions sont capa- « bles de nous attirer la haine ou le ressenti « ment des autres. » (/elvétius, de l'Homme, 4.2, $:2,.c.:7.:Moral. univ. Stu-iesa3 2. « La conscience n’est pas l’effet d’un sen- « timent inné, mais de l’expérience et de la « réflexion. » ( Sysé. soc. 1bid.) «C’est avec « très-peu de fondement que les moralistes ont « regardé la conscience comme un sentiment « inné, c’est-à-dire comme inhérente à notre « nature. Quand on voudra s’entendre, on sera « forcé de convenir que les lois de la conscience « dépendent de lhabitude. » (Moral. univ., ibid.) 5. « L'expérience nous apprend que toute « action quine nous expose niaux peines légales, « ni aux peines du déshonneur, est en général « exécutée sans remords. Un homme est-il sans « crainte? est-il au-dessus de la loi? c’est sans « repentir qu'il commet l'action malhonnèle « qui lui est utile. » (De l'Homme, tom. 1, $ 2, chap. 7.) «Si nous avons des remords, « cest quand nous prévoyons que nos actions « nous rendent haïssables où méprisables aux « PHIiLOSOPHIQUES. 179 Colonne B. pas conformes aux dernières. (Ercyclop., art. CONSCIENCE.) « La conscience esi la règle « « « antérieure à opinion; elle juge le préjugé même.» (J.J. Rousseau, voy.ses Maximes.) Et les remords en sont les reproches secrets. » (ÆEncycl., art. REMORES. ) 2, « Conscience! conscience! instinct divin! immortelle et céleste voix !... C’est toi qui fais l’excellence de sa nature, et la moralité de ses actions... La conscience est à l’âme ce que Pinstinet est au corps ; qui la suit, obéit à la nature... Sitôt que la raison fait connoître le bien à l’homme, sa conscience le porte à Pai- mer, et c’est ce sentiment qui est inné..…. C’est la conscience qui écrit au fond des cœurs les lois éternelles de la nature et de l’ordre.» (J.J. Rousseau, 1bid.) 5, :« Il est impossible d’échapper aux re- mords, parce que nous ne pouvons nous en imposer au point de prendre le faux pour le vrai , de laid pour le beau , le mauvais pour le bon, On w’étouffe point à volonté la voix de la conscience, » (Æncycl., art. REMORDS.) Considérez à quel point les tyrans ou Les scé- lérats, assez puissans pour ne pas redouter les chätimens des hommes, craignent pourtant la vérité. Ils ont donc la conscience de leur 174 LES PROVINCIALES Colonne A. « autres... Si ces effets de nos actions sur les « autres sont inutiles pour nous, nous n’ayons « point de remords. » ( Extrait du Syst. nat., 40. 1, C. 12.) 4. « Les remords sont inutiles , ou du moins « ce qui les fait naître, avant le crime; ils ne « servent pas plus après que pendant le crime. « Si je soulage la machine des méchans de ce « fardeau de la vie, elle en sera moins mal- « heureuse, et non plus impunie. En sera-t- « elle plus méchante? je ne le crois pas... « Puisque les remords sont un vain remède à « nos maux, et qu’ils détruisent les eaux les plus « claires, sans clarifier les plus troubles, dé- truisons-les donc. » (Œuvres de Lamétrie, p.157 et 150.) , 5. « Tous les méchans peuvent être heureux, « s'ils peuvent être méchans sans remords: J’ose « dire que celui qui n’aura point de remords, « dans une telle familiarité avec le crime que « les vices soient pour lui des vertus, sera plus « heureux que tel autre qui, après une belle « action, se repentira de Pavoir faite, et par là « en perdra tout le prix. Tel est le merveilleux « empire d'une tranquillité que rien ne peut troubler, » (Œuv. de Lamét. p. 207.) 6. « Ne troublons point notre esprit par des inquiétudes inutiles... Cesse donc, 6 homme + = 2 LA = ; PHILOSOPHIQUES. 155 Colonne B. « iniquilé? Ils savent donc qu'ils sont haïssables « et méprisables ? [ls ont donc des remords », quoiqu’ils soient à l'abri des châtimens des hommes ? (Syst. nal., t, 1,0. 12.) 4, Gardez - vous bien de détruire les re- mords. « Celui qui les éprouve toutes les fois « qu'il a fait le mal s’observe et se corrige... « On ne répare le mal que lorsque la conscience « tourmente assidüment..….. La continuité des « blessures qu’elle nous fait nous force non-seu- « lement au repentir, mais encore à détruire ; « autant qu’il est en nous, le mal dont l’idée « nous afllige.» (or. univ., $ 1, c.13et 14.) 5. Etouffez les remords, puisque vous le vou- lez; mais quand vous y aurez réussi pour vous- mème, savez-vous ce que nous aurons à faire? « Wors il fandra vous étoufler; et soyez sûr que « parmi les hommes qui n’aiment pas qu’on les « opprime, il s’en trouvera qui vous mettront « hors d'état de faire de nouveaux crimes. » ( Voli., Dict. Phil. , art. Catéchis. chinois.) 6. « Qu'on ne m’eccuse point, disoit le « célébre Diderot, d’autoriser le crime par des « 6 LES PROVINCIALES Colonrie A. de te laisser troubler par des fantèmes que ton imagination où l’imposture ont créés... Dégage-toi de tes craintes accablantes. Suis sans inquiélude la route que la nature a tra- cée pour toi. Sème-la de fleurs; écarte, si ton destin le permet, les épines qu’il y a ré- pandues. Ne plonge point tes regards dans un avenir impénétrable..…… Méchant infortuné, qui te trouves sans cesse en contradiclion avec toi-même! machine désordonnée, quine peux ’accorder ni avec ta nature, ni avec celle de tes associés ! ne crains pas dans une autre vie les chatimens de tes crimes... Ne crains plus l'avenir: il mettra fin aux tourmens que tu t’infliges toi-même. (Syst. nat, &, 1, ©. 12 7.) 7. «Le philosophe, trop éclairé pour se trou- ver coupable de pensées et d'actions qui nais- sent malgré lui, ne se laisse pas ronger par ces bourreaux de remords, fruits amers de Péducation que Parbre de la nature ne porta jamais. » ( Lamèétrie, Discours sur le Bon- heur.) PHILOSOPHIQUES. 177 Colonne B. € principes qui affranchissent l’homme de toute « crainte, de tout remords. Rien ne seroit plus « évidemment calomnieux que cetie accusation , « puisqu'il n’y a pas un seul de mes raisonne- « mens qui ne tende au contraire à anéantir « tout scélératisme, à le rendre même inconce- « vable, (à prouver qu’il ne peut exister, ) » (Code nat., 5° partie, p. 152.) Qu'on ne me dise point que mon système, celui du fataliste, « tend à nous enhardir au crime, et à faire « disparoïtre les remords, comme souvent on « l’en accuse »; au lieu de vouloir les détruire, je soutiens que ces rernords sont des suites néces- saires de notre tempérament; je tiens pour une sociélé dépravée celle où les remords existent point. (Syst. naturel, extrait du chap. 12, tom. 1.) 7. «La philosophie plus éclairée avoue que « c’est une cruauté et une trahison de calmer « les remords des méchans... Ils sont des phi- « losophes sans mœurs, des imposteurs, des -« charlatans méprisables , ces hommes qui, par « une lâche complaisance pour les vices et Les « passions, affoiblissent leurs scrupules et leurs -« remords... Is sont les corrupteurs du genre « humain,» (Voy. Mor.unriv.,$2,c.143 5, ce 9.) ds 8. 170 LES PROVINCIALES NOTE De madame la Baronne sur le chapitre pré- cédent. RELISEZ , je vous prie, relisez ce dernier texte de la colonne B : «Ils sont des philosophes sans mœurs, ils sont des imposteurs , des charlatans, des corrupteurs du genre humain, ces philoso- phes qui ne cherchent qu’à détruire les remords, Je tremble, chevalier, que ces paroles ne’soient précisément les seules que nos provinciaux re- tiendront de ce double chapitre. Ils les appli- queront de part et d'autre, parce que les mêmes philosophes se présentent encore ici de part et d'autre. Ils nous reprocheront cette idée in- concevable de vouloir que le remords du crime ne soit que la crainte des hommes et de leurs supplices, tandis qu'il est de fait que la crainte d’un Dieu vengeur trouble bien autrement les consciences. Nos provinciaux trouveront bien plus éton- nante encore celle opinion de votre moraliste universel, que je n’ai pas encore copiée, et que je trouve écrite en marge à la fin de ce cha- pitre. La voici cette opinion absurde , si jamais il en fut. « La conscience, dans l’homme isolé, « est la connoissance acquise par expérience PHILOSOPHIQUES. 179 « des effets que ses aclions produisent sur [ui « Quoique tout seul, un ètre intelligent doit « aimer l'ordre, et haïr le désordre, dont le « théâtre se trouve au-dedans de lui... Il doit « être inquiet toutes les fois que ses fonctions « organiques ( ou ses digestions) sont trou- « blées... Il doit s’apglaudir quand tout chez « lui se passe dans l’ordre, quand ses facultés le « servent à son gré, quand ses forces , son in- « dustrie répondent à ses vues... Mais en refn- « sant de se soumettre à ses devoirs , il s’en trou- « vera puni; il se verra languissant et malade ; « il n’aura qu’une existence incommode , dont « il accusera sa propre folie. » (Moral. univ. , $r2,ieare) Quel échafaudage pour apprendre à nos pro- vinciaux que la conscience de l’homme qui est seul et manque à ses devoirs se trouve dans son pouls et dans ses digeslions ; qu’il aura des remords sil attrape la fièvre; et que son esto- mac, plus où moins chargé, plus où moins libre, sera le véritable juge s’il a bien où mal fait ! Concevez-vous que notre catéchiste ait pu nous imputer rien de plus ridicule? et croyez- vous que nos provinciaux n’en sentent pas toule l'absurdité? ils nous en feroïent bien observer d’autres en parcourant ce chapitre. Comment pardonneroient ilsà Diderot, quand on lui reproche d’éteindre les remords, d’an- toriser le crime, comment lui pardonneroieut- 180 LES PROVINCIALES ils de s’excuser en disant au contraire que le crime est impossible ; que , suivant tous ses rai- sonnemens, le scélératisme n’est pas mème con— cevable? J’aurois peur, chevalier, que nos pro- vinciaux ne trouvassent dans cetie tournure une vraie scéléralesse philosophique. N’en trouve- rolent-ils pas autant dans tous ceux qui sou- tiennent à gauche les remords et leur nécessité, quoiqu’ils en détruisent à droite l’unique fon- dement , et quoique pas un seul n’ose remonter jusqu’à ce Dieu vengeur, la véritable source des remords ? Plus j'avance, et plus je sens le coup que ce fatal catéchisme va porler à la philo- sophie. LE a OBSERVATIONS D'un Provincial sur le quatrième chapitre du double Cutéchisme philosophique. Vous le savez, ce juge indépendant de ce qui nous entoure ne règle ses arrêts ni sur lopi- mon, ni sur la crainte de nos frères, de nos amis, de nos proches, amis ou ennemis : c’est sur nos aclions mêmes qu’il prononce , sur leur conformité avec la loi suprême, avec la volonté d’un Dieu auteur de Pordre et de toute vertu, et non sur ce que peuvent en dire ou en penser les hommes, ni sur ce qu’elles peuvent nous attirer d’ulile ou de nuisible de leur part. PHILOSOPHIQUES. 194 Vous le savez encore, les remords dans celui qui a fait le mal ne sont que les effets de ce jugement intérieur que nous portons nous- mêmes sur noire conduite, dès qu’elle cesse d’être conforme à la vertu. Malgré ini le cou- pable connoît alors ses crimes, ses forfaits; il voit un Dieu vengeur, et il sait que ce Dieu pénètre les replis les plus secrets du cœur, que nul crime n’est caché à ses yeux, et qu'il doit iôt ou tard les punir tous. Voilà ce qui l’effraie, ce qui répand le trouble , l’amertume au milieu de ses plaisirs , ce qui porte la terreur depuis le trône où le tyran s’assied jusque dans la ca- verne où le brigand se cache. Ils pourront Pan et l’autre échapper à la justice humaine: le plus scélérat même passera quelquefois pour le plus saint des hommes; mais nul n’échappera à la justice divine; et déjà ils se jugent eux-mêmes comme ils seront jugés au tribunal de Dieu. Déjà ils voient l'enfer s’ouvrir, les démons accourir, les vengeances célestes s’accemplir : voilà le vrai remords, voilà ce qui les trouble, les agite el les presse, tandis qu’il en est temps encore, d’ex- pier leurs forfaits pour se soustraire aux flammes dévorantes. . Vous le savez enfin, ce juge intérieur, qui console le juste et qui effraie le pécheur, c’est Dieu même, qui semble avoir placé son siége dans nos cœurs, ou pour faire gouter d'avance les délices célestes à l'innocence qu’il absout, 182 LES PROVINCIALES ou pour rendre sensibles et sans cesse présentes au méchant qu’il Lourmente ces vérités pré- cieuses : qu’il n’est point de bonheur, point de paix intérieure dans les routes du vice ; que le crime est lui - mème son bourreau; que l'impie ne sera pas toujours exalté; qu’il prévoit , mal- gré lui, un terme à son triomphe ; que ce terme est la mort. Vous n’aurez pas besoin de mes réflexions pour observer combien ces notions sont simples et conformes à tout ce qui se passe dans nos cœurs , lorsque nous consentons à rentrer dans nous-mêmes pour y examiner de bonne foi ce que c’est que la voix de notre conscience , et surtout pour suivre Ja loi qu’elle nous trace. Mais voulez-vous connoiître toute la perfidie et toute la noirceur de nos sophistes ? Observez que la voix de cette conscience n’est pas sim- plement leffroi du vice et la consolation de la vertu ; qu’elle est encore la plus forte, la plus irréfragable , la plus irrésistible démonstration de tous nos dogmes primilifs combattus par l’'impie, tels, entre autres, que l’existence de ce Dieu , de ce juge, qui, s’il n’existoit pas , ne se montreroit pas, dés cette vie même, sous des trails si terribles au méchant , si propices aux justes; tels encore que l'existence d’an être spirituel dans l’homme , qui, s'il étoit uniquement matière, ne s’aviseroit pas d’aller se faire un crime de n'avoir pas suivi les devoirs PHILOSOPHIQUES. 183 de l’esprit'el de l’intelligence ; tels surtout que lexistence de cette liberté, dont il faut bien que l’homme soit habituellement convaincu, puis- que tous les remords portent sur les reproches qu'il se fait d’en avoir abusé, puisqu'il n’est pas encore entré dans la tète d’un être intel- ligent, puisqu’il est impossible qu’il entre jamais dans l’esprit de l’homme de se reprocher d'a- voir suivi les lois de la nécessilé; tels enfin que ce dogme de l’immortalité, que supposent évi- demment les frayeurs d’un supplice qui attend le méchant au-delà du tombeau. Nos faux sages l’ont vue cette démonstration de tous nos dogmes primitifs dans l’existence seule des remords. Qu’ont-ils fait pour se mettre à l’abri d’une preuve si forte et si évidente ? ils ont dénaturé le remords et toute les notions de la conscience. Si vous les en croyez, ce n’est plus sur la crainte ou l’espoir des jugemens de Dieu que portent ces remords , mais sur les opinions de ceux qui nous entourent ; ce sont uniquement les bourreaux de cette vie présente qui troublent le méchant. Méditez ces leçons, vous y verrez l’empreinte du mensonge. S'il est vrai que l’impie ne redoute que Phomme, pourquoi done trembletil, pour- quoi le désespoir se peint:il dans ses yeux, et pourquoi le remords devient-il plus puissant , plus actif que jamais , à l’instant où les hommes vont perdre toute action et tout pouvoir sur 104 LES PROVINCIALES lui? Pourquoi est-ce surtout aux approches de la mort qu'il éprouve le supplice intérieur du réprouvé? Il a joui de tous ses crimes , il ne Jui reste plus qu’à s'endormir ; les hommes, satisfaits de voir la terre déchargée de ce hon- teux fardeau, ne viendront pas troubler son dernier sommeil et réveiller sa cendre , ou le rappeler à la vie, pour exercer alors leurs ju- gemens. Il le sait, il ne peut en douter, la mort va le soustraire à toutes leurs vengeances ; quel est donc le grand juge qu’il redoute, si ce n’est l'Eternel? Il ne craint ni vos roues, ni vos bourreaux; il sait bien que vous les écar- tcriez vous-même en ce moment; qu'est-ce donc que ces flammes , ces gouffres, où déjà il s’écrie qu’une main vengeresse vient le précipiter, si ce n’est les flammes et les gouffres de lenfer ? Parlez-lui de vos lois vengeresses et de tous vos supplices ; il seroit top heureux d’en être quitte pour subir tout ce que vous avez de feux et de tortures : le temps viendroit bientôt y mettre fin : c’est de l'éternité qu’il faut le délivrer. Vous lentourez, vains sages! veus essayez de dissiper ses craintes; mais votre propre cœur dément vos promesses, el le sien ne voit dans vos con- solations qu’une amitié perfide. C’est nous , ce sont nos prèlres qu'il appelle à grands cris : c’est nous seuls qui pouvons dissiper son effroi, et ce n’est pas à votre magiskat on à vos lois que -nous le soustrairons : c’est avec le Dieu des : PHILOSOPHIQUES. 105 ‘vengeances éternelles que nous vie ndrons le ré- concilier ; laissez- nous lui porter des paroles de paix de Ja part de ce Dieu même; et l’espoir renaîtra dans son cœur, la pénitence bannira ses frayeurs, et vous saurez alors d’où venoient les remords de sa conscience. N'attendez pas même cet instant pour vous en assurer. Tandis que le tyran est encore sur le trône, à linstant même où l'univers fléchit en sa présence; ou quand le scélérat , profitant des ténèbres, a su se prémunir contre tous les témoins, échapper à tous les yeux, demandez- lui quel oil il craint encore, A l’abri des mor- tels, qui peut-il craindre encore, si ce n’est ce grand Dieu qui ne connoît ni voiles, ni ténèbres ? Que le méchant se taise; que l’innocence seule nous instruise. Hélas! vous le savez, c’est bien elle qui, trop souvent, a tout à redouter de la part des hommes ; cependant , calomniée , opprimée, la verrez-vous jamais troublée per les cris, les terreurs de la conscience? Vous pouvez affliger l’homme juste, vous pouvez V’accabler , vous pouvez épuiser vos supplices sur lui : il n’aura pas toujours sur son front la contenance des héros; mais il aura toujours la paix dans l’âme. Vous pouvez arracher des lar- mes à sa foiblesse; mais que sa chair soit déchi- rée en lambeaux et que son sang inonde l’écha- faud , il mourra sans remords. [ls ne viennent 186. LES PROVINCIALES donc pas de la crainte des hommes, ces re- mords, puisque les hommes ne sauroient en donner à l’innocence, lors même qu’ils l’im- molent; puisque les méchans ne peuvent s’y soustraire , lors même qu’ils n’ont rien à crain- dre des hommes. Mais encore une fois, le remords seul an- nonce un Dieu vengeur , et nos faux sages ont juré de détruire l’idée de ce Dieu; c’est là ce qu’ils appellent rendre aux hommes un service important, les soustraire au préjugé, les déli- vrer de leurs terreurs paniques. Qu'ils appren- nent au moins à l’apprécier, ce prétendu ser- vice; qu’ils sachent quelle obligation et les par- ticuliers et les empires peuvent leur en avoir, ou plulôt qu’ils entendent nos trop justes re- proches. J’avois un protecteur dans le Dieu dcs consciences et des remords; je sayois que ce Dieu veilloil pour moi dans le cœur des mé- chans; sa foudre menaçante écartoit les projets des ténèbres; il me suivoit partout, et jusque dans les ombres de la nuit, il erioit au brigand : Je te vois, et je veille pour lui; garde-toi de verser un sang que je saurai venger ; les bour- reaux des mortels sont loin de toi, j'appellerai les miens, et l’enfer s’ouvrira sous tes pas. Cette voix de mon Dieu détournoit les em- bûches , et je dormois tranquille. Vous me l'avez ôté ce protecteur , il ne tient pas à vous du moins que je ne l’aie perdu. Vous dites au méchaut : PHILOSOPHIQUES. 107 [Cette voix qui arrête tes projets, qui, troublant ta conscience, fait trembler le poignard dans {tes mains, n’est que la voix du préjugé, et tu {peux la braver : échappe seulement à l’œil de l homme, tu n'as plus rien à craindre. Où en serarje donc, si le méchant vous croit? Vous m'avez laissé seul contre toutes les ruses et tous les artifices, contre la nuit et les ténèbres que les brigands affectent, contre les puissans qui bravent le jour même, contre tout l'intérêt de celte classe avide qui voudra me voler, de ces riches qui voudront m'opprimer, de ces jaloux qui voudront me supplanter, de ces proches même qui voudront hériler. Vous m'avez laissé seul contre moi-même, contre toutes les pas- sions ‘et ‘les penchans d’une nature perverlie. Voilà le service que vous m'avezrendu, philo sophes cruels ! Vous haïssez le Dieu qui me pro- tége; vous le chassez du poste qu’il avoit choisi “dans le cœur des méchans pour me servir d’égide, et pour les détourner de leurs projets par la ter- reur; vous le chassez, autant qu’il est en vous, du posté qu’il avoit choisi dans mon cœur mème pour m’éloigner du vice. La haine que vous avez vouée à ce Dieu protecteur est retombée sur moi; et vous vous attendez à ma reconnois- sance ! Ah! gardez pour vous-même ce service cruel ; je n’en veux ni pour moi, ni pour tous ceux dont le bonheür m'est cher. Ce Dieu qui me protéce veilloit également 1606 LES PROVINCIALES sur mes frères , sur mes concitoyens, sur la pa- trie. Ainsi que moi, dans nulle circonstances; ils n’ont pour eux que l’œil du Tout-Puissant- Îl est mille moyens d'échapper à la loi; äl est mille forfaits divers dans l’intérieur de nos foyers, dans les réssonrces d’une fausse amitié, dans les artifices de l'hypocrisie; il.en est dans le sanctuaire mème de la justice, dans la har- diesse et le parjure, dans la séduction ; il en est dans la plus monstrueuse ingratitude ; dans les secrètes trahisons; il est, dis-je, mille forfaits divers que la loi proserit en vain, parce qu’elle ne peut ni les juger ni les connoitre, et que le magistrat sera forcé d’absoudre, parce qu’il ne sauroit les constater. Alors c’est sur ce Dieu, uniquement:sur lui, que réposent la paix des familles, la confiance des citoyens , et la sécurité des empires Qu’avez-vous fait en disant, aux méchans : La conscience qui redoute antre chose que l’homme est la conscience du pré- jugé? Vous avez rendu muet le Dieu qui effrayoit l’enfant dénaturé, l’esclave révolté, l’épouse in- fidèle. Vous en serez peut-être la première vic- time. Ils sont seuls avec vous; ces amis simulés, ces serviteurs intéressés, cette femme dont vous n’avez pas su gagner le cœur. Ils sont seuls avec vous: les ombres de la nuit les couvrent'sous le même toit; ils sont imbus de vos leçons; eh ! vous pouvez dormir ! Ils vous ont vu infirme, ils ont mille moyens de hâter votre derniére PHILOSOPHIQUES.- 189 heure; eh! vous ne tremblez pas ! Mais réflé- chissez donc qu'il n’est pour eux ni juge ni té- moin, que l’intérèt attend de votre héritage. Ils préparent le bouillon de la mort; vous le boirez croyant accepter un bienfait. Voilà le grand ser- vice que vous avez rendu à nos familles. Avant vous, ce Dieu qui nous défend dans le sein des foyers, suivoit encore partout un ennemi se- cret, et lui faisoit un crime de sa haine; il étoit à côté du négociant avide , jusque dans ses comp loirs; il opposoit aux calculs de l’avarice ceux de la bonne foi; sa voix protectrice disoit à Vavocat de l’orphelin : Tu ne cacheras pas les moyens de l'innocence; tu n’atténueras pas les ressources du pauvre. Elle disoit au juge du peuple sur son tribunal : Fu ne feras jamais ac- ception du foible ou du puissant; au soldat dans nos camps : ‘Tu mourras pour ton prince; à son chef: Tu sacrifieras tes jalousies à la patrie; au. ministre des princes dans nos cours : Tu fuiras le mensonge . les basses flatteries près des dieux de la terre ; à nos rois sur le trône : Tu ne trou- bleras pas le repos des nations, tu seras le père de tes peuples. Elle disoit à tous: L'enfer me vengera de vos iniquités; eh! vous êtes venus pour dire à tous : Cette voix si puissante et si amie de l’ordre public, de la paix générale et particulière, west pas la voix d’un Dieu;qui déteste les projets de l'orgueil , de l'ambition et de l'intrigue ; c’est la voix du préjugé et de l’er- 190 LES PROVINCIALES reur! Voilà le grand service que vous avez rendu à l’état, en dénaturant les notions de la con- science et des remords. Heureusement , vains sages, cette. voix de la conscience est plus forte que vous; et malgré vos leçons, elle troubie en- core les succès du méchant. Heureusement, vous avez beau le dire, il n’est pas vrai qu’un crime heureux et impuni dans ce monde soit un crime sans remords. L'histoire des tyrans et des scélérats donne le démenti le plus formel à vos Helvétius; et s’il est quelques-unes de ces âmes tarées, s’il est quelque méchant qui n’entende | plus la voix de la conscience, qu’il parle fran- chement, et votre erreur n’en sera que plus manifeste. - Est-ce par la vertu, par la raison, que les grands scélérats étouffent les cris de la con- seience ? Non, non; celui-là seul peut dire n’a- voir plus de remords, qui à joint l’habitude anx forfaits. C’est à force de multiplier les cri- mes , c’est en se roidissant contre sa conscience, ! qu'il cesse de l’entendre; mais dés-lors ce n’est pas le méchant qui triomphe de cette voix ter- ! rible; c’est Dieu lui-même qui se tait, et qui ! cesse enfin de menacer, parce qu’il a réprouvé sans retour. - S'ilexiste cet homme tranquille dans le crime, que le silence de son cœur est affreux ! c’est ce- lui dés ténèbres, où rien ne m’avertit du pré- cipice. Il prouve un Dieu vengeur, mieux que i PHILOSOPHIQUES. 191 le remords mème. Il prouve un Dieu qui laisse le méchant s’endurcir, qui déjà le punit dans ce monde, en ne lui laissant plus de ressource pour l’autre. S'il existe cet homme sans remords, malheur à qui pourra l'aimer, ou qui se trouvera forcé de vivre auprès de lui ! Il n’a plus que nos bour- ‘reaux à craindre; les crimes qu’il pourra enve- lopper des ombres de la nuit ou de l'éclat du trône , élayer par la force ou voiler par Parti- fice , ils les commettra tous. Qu'il trouve son plaisir ou son intérêt à calomnier, il calom- niera; qu'il le trouve à voler, il volera; qu’il le trouve à vous tuer, il vous tuera tranquille- ment, et de sang-froid. Au milieu des forfaits, il goûtera la paix et la sérénité de l’innocence; et te monstre dans la nature humaine, que sera- t-il, vains sages? L’adepte conséquent de votre école, le philosophe consommé de Lamétrie, le Socrate d’'Helvétius, l'esprit fort de Diderot, le héros de nos athées, de nos matérialistes , de tous ces ennemis d’un Dieu vengeur, qui aiment mieux dénalurer le remords même que de reconnoilre dans la voix du remords la preuve de ce Dieu et de sa justice. Que leur a-t-il donc fait ce Dieu de la con- science, dont ils ne veulent pas queles méchans reconnoissent la voix, lors même qu’elle reten- tit si fortement au fond du cœur? Ah! sans doute, il les tourmente trop eux-mêmes; et c’est 192 LES PROVINCIALES son jougqu’ils voudroient secouer. Mais queleur avons-nous fait, nous autres? Que leur a fait la patrie et l'empire, pour ne nous entourer que de bandits sous le nom de philosophes, que de brigands déterminés à nous voler, à nous calomnier, à nous assassiner toutes les fois qu'ils ne verront ni la roue ni les bourreaux à craindre? Et ne me donnez pas pour une vraie rétrac— tation de la part de nos faux sages ce chapitre opposé, où ils semblent se rapprocher de nous, en admeltant lutilité et la nécessité des remords. Rousseau seul excepté, qui me semble avoir presque toujours au moins soutenu les droits de la conscience, tous les autres ne sont dans ce chapitre même que des méchans adroits, ou des sophistes détestables, qui cherchent à pallier le malet non à le guérir; qui tout au plus aiment encore mieux se montrer inconséquens que rétracter leurs perfides principes. Voyez ce Diderot ; qui ose nous dire impu- demment : Qu'on ne m'accuse pas d'autoriser le crime par des principes qui affranchissent l'homme de toute crainte, de tout remords. Rien ne seroit évidemment plus calomnieux que cetle imputation, puisqu'il n'y a pas un de mes raisonnemens qui ne tendeau contraire à anéantir tout scélératisme, a le rendre ménmie enconcevable. Prend-il donc ses lecteurs pour de vrais idiots, quand il espère en imposer par PHILOSOPHIQUES. 0 cétte phrase plus imbécile encore qu’elle n’est -impudente! Rappelez-vous , lecteur, que l’on vous a montré ce Diderot occupé à prouver non-seulement que le scélératisme est inconce- vable , mais qu’il ne peut y avoir dans ce monde aucune espèce de mal moral, de crime. ( Foy. la Lett. t. 4.) N'est-ce donc pas là dire au plus grand scélérat : «Fais ce que tu voudras, et « n’imagine pas que tu puisses seulement réus- « six à commeitre ce qu’on appelle un crime : « ce que tu auras fail ne sauroit être un mal « dans l’ordre de la moralité ; tes remords ne « seroient qu’ineplie, puisqu'ils porteroient tous « sur la crainte d’être puni d’un mal qui ne « peut exister ? » Ou l’imprudent sophiste ne voit pas l'identité de ce langage avec ses princi- pes, et sa bonne foi ne montre alors que les bor- nés étroites de son esprit, et son orgueil philo- sophique esL souverainement risible; ou il ne cherche qu’à nous faire illusion par l’artifice et les raisonnemens les plus grossièrement combi- nés : et qu'on me dise alors le sentiment que sa mauvaise foi doit inspirer. Que dirons-nous de cet autre Lucrèce , qui d’un côlé ne voit dans les remords que des fan- tômes de l'imagination et de l’imposture , et de l’autre prélend tout aussi sottement que Di- derot que ses principes ne tendent nullement à faire disparoître les remords , parce qu’ils sont, dit-il, les suites nécessaires du tempérament? 4. 9 194 LES PROVINCIALES Vit-on jamais de trame plus mal ourdie que celle-là ? Je me tais sur l’absurde prétention qui fait dépendre les remords du tempérament , et non du crime mème; tandis qu'avec tous les temipéramens possibles , bilieux ou sanguins , colériques ou mélancoliques , il est constant que le remords n'existe jamais sans le crime. L'idée de ce sophiste est que s’il y a des remords , ils sont nécessaires el l’effel de la fatalité, comme le erime même est l’eifet.du destin; et ce prin- cipe n'est encore qu’une ruse grossière, puisque l'idée seule du remords démontre la liberté de l'homme; puisque jamais personne ne se repro- chera dans sa conscience ce qu'il n’a fait que par une invincible et absolue impossibilité de faire autrement. Que dirons-nous de ce nouveau moralisteuni- versel, qui, d'un côté, ne nous permet de voir dans les remords que la crainte du mal que le crime peut nous allirer dans ce monde, souvent inème que celle de la fièvre, de la goutte, d’une judigestion , et qui déclame ensuite avec véhé- mence contre ceux qui afoiblissent dans le cœur des méchans les scrupules et les remords? Ruse encore que tout cela, et ruse révollante autant que grossière , puisque le vrai moyen d’afloibiir les remords, de les antantir, c'est d'en dénatu- rer l’objet comme il le fait, et de les réduire à la crainte des hommes , de quelqnie mal présent, tandis qu'ils portent tous sur Dieu et Puvenir. Je ne vous parle pas de Voltaire; je le compte PHILOSOPHIQUES. 169 pour rien quand il s’agit de raisonner, S'il ne veut pas étouffer les cris de la conscience , il ne réfléchit pas qu'il a sens cesse varié sur les dog- mes qui en sont le véritable fondement ; qu’on ne sait avec luice qu'il faut creme,de l’immor- talité, de la liberté , du mal moral. Que seroient les remords à son école? Il ne Les a connus que par son cœur , et Dieu veille Lx ’ils aient expié ses blasphèmes ! - Tout ce philosophisme n’est donc encore ici que ce que vous avez vu dans les autres chapi- tres du double catéchisme. D’un côlé, nos faux juges meltent à découvert la docirine la plus peruicieuse ; de l’autre ,ils la pallient , ils font de vains efforts pour éviter la haine; le mépris qu'ils méritent. Là, ils sont ouvertement mé- chans; ici, ils sont perfides et Jäches hypocrites ; ils savent le moment de verser le poison , et ils cherchent ensuite à le cacher. Malgré leur artis lice, efforçons-nous de ramener les peuples aux véritables notions de la conscience. Nous avons vu combien il importe de ne pas la confondre avec des considérations purement humaines, de reconnoître un Dieu consolateur dans le calme et la paix dont jouit le cœur du juste. Lorsque nos philosophes vous disent qu’ils ne les éprou- vent plus , ces remords , ces frayeurs, gardez- vous d’envier la prétendue paix dont ils jouis- sent, Elle vous montiereit un Dieu dont le si- lence est plus terrible que la mort ; elle seroit le scean d’une réprobation anticipée. 196 LES PROVINCIALES AA RS RAS A RD D 8 88 VD AD IR LR LAS SAR LAS AS VOS AR VER LA LR CATÉCHISME PHILOSOPHIQUE. CHAPITRE V. Enfer détruit. Le Philosophe. SUR quoi peut-on fonder l’idée d’un enfer ? L° Adepte. Uniquement sur des suppositions, toules fausses et absurdes, Le Philosophe. Un vrai philosophe ne voit-il pas le crime toujours assez puni dans ce monde? L? Adepte. Oui, les vrais philosophes , tels que le Moraliste universel, le Lucrèce moderne, le Militaire philosophe, et bien d'autres, ont vu que le méchant est toujours puni dans ce mon- de; el ils en ont conclu que l’enfer n’étoit point! nécessaire. ( Preuves , n° 1.) Le Philosophe. N'est-ce pas une folie de croire que le crime offense Dieu , et que Dieu le punit ? L' Adepte. C’est une absurdité. L'homme est op peu de chose pour qu’un Dieu s’offense PHILOSOPHIQUES. 197 CE ET 5 lose stondesdesdeshsiss)ss ssh) CATÉCHISME PHILOSOPHIQUE. CHAPITRE V. Enfer rétabli. Le Philosophe. SUR quoi peut-on fonder l’idée d’un enfer ? L’ Adepte. Sur les réflexions les plus vraies, les plus philosophiques. Le Philosophe. Un vrai philosophe ne voit- il pas le crime toujours assez puni dans ce monde ? L” Adepte. I s’en faut bien que les sages aient cru le voir ainsi. Les plus grands philosophes, tels que le Moraliste universel, le Lucrèce mo- derne , le Militaire philosophe , et bien d’au- tres, ont vu très-souvent le crime heureux et couronné; ils ont dû en conclure que l’enfer répareroit le scandale de ce monde. ( Preuves , n° 1.) Le Philosophe. N'est-ce pas une folie de croire que le crime offense Dieu , et que Dieu Je punit ? L’ Adepte. Au contraire, c’est une vraie folie de croire qu’un Dieu ne punit point le trans- 198 LÉS PROVINCIATES Enfer détruit.” de ses actions et daigne le punir. Ainsi l'ont dé- claré et M. Di el l’auteur du Bon sens. ( Preuves, n° 2.) Le Hhéoiphe Lavengeance ne répugne-t-elle pas à l’idée d’un Dieu ? L’ Adepte. Elle y répugne absolument ; car le grand Toussaint, qui aime la Divinité de tout son cœur, ne peut s’'accoutumer à cette idée d’un Dieu vengeur. ( Preuves, n° 3.) Le Philosophe. Quels hommes inventérent ce Dieu et son enfer ? L’ Adepte. Cette idée ne peut être venue que des prêtres barbares et fanatiques , dont quel- ques-uns pourtant ne furent que des sots, Gas ves:, n°4.) Le Philosophe... Ce dogme d’un a n'est il pas au moins inutile dans ce monde ? L° Adepte. KM est plus qu'inutile, car il est dangereux, et pent même endurcir les méchans. (Preuves, n° 5.) Le Philosophe. Un Dieu juste peut puni des êtres aussi peu libres que lhomané ? L’ Adepte. Autant vaudroit nous: dire qu’il puit ce qu’il nous force lui - même à: faire. ( Preuves:, n°6.) Le Philosophe. A quoi sert en morale. Popit- PHILOSOPHIQUES, 199 Enfer rétabli. grésséur des lois. Ainsi Pont déclaré le phi- losophe du Bon Sens et M. Diderot. (Preuves, n°185) Le Philosophe. La vengeance ne répugné t-elle pas à l’idée d’un Dieu? L' Adepte. Non; car le grand Voltaire croit précisément que dire un Dieu, c’est dire un Dieu vengeur. ( Preuves , n° 5.) Le Philosophe. Quels hommes inventérent ce Dieu et son enfer? L’ Adepte. Le philosophe qui connoitroit l’auléur de ces opinions lui devroit ériger des autels. ( Preuves , n° 4.) Le Philosophe. Ce dogme d’un enfer n’est-il pas au moins inutile en ee monde? l 1, Adepte. Ii est an contraire très-utile pour arrêter le méchant, el mème pour empêcher le jüste de quitter les voies de la justice, ( Preu= ves, n° 5.) Le Fhilosophé. Un Dieu jüsté peut-il punir des êtres aussi pen libres que Phornime ? L Adepte. Le crime seul rend l’homie és- clave, et nn Diéu le punit justement de l’abus qu'il a fait de sa liberté. ( Preuves , n° 6.) Le Philosophe. À quoi sert en orale l'opinion 200 LES PROVINCIALES Enfer détruit. nion de Pimmortialité, sur laquelle est fondé le dogme d’un enfer? Z° Adepte. A rien du tout. Mortel ou immor- tel, l’homme n’en a pas moins les mêmes de- voirs à remplir, les mêmes lois à suivre, ainsi que le déclare un très-grand philosophe. (Preu- ves, n°7.) Le Philosophe. L'existence de l’âme après la mort suiiroit - elle pour qu’un Dieu nous punit dans l’autre monde? L’ Adepte. Des que le corps n’est plus, où se trouveroit homme qu’un Dieu voudroit punir? C’est la réflexion très - ingénieuse d’un grand homme. ( Preuves, n° 8.) Le Philosophe. Que diriez-vous d’un Dieu qui menace de foibles créatures d’un enfer éternel ? L’ Adepte. Je le détesterois comme un tyran féroce , pire que tous les dieux du paganisme , comme un être dont nos plns célebres philoso- phes ne supportent pas l’idée. (Preuves , n° 9.) Le Philosophe. En admettant l’idée dun Dieu vengeur et d’un enfer , à qui faudroit-il la précher ? L'Adepte. J'abandonnerois ce dogme à la canaille , comme le grand Voliaire a soin de nous le conseiller, ( Preuves , n° 10.) PHILOSOPHIQUES. 201 Enfer rétabli. de limmortalité, sur laquelle est fondé le dogme d’un enfer ? 1’ Adepte. À établir les lois de la morale sur une base dont elle ne sauroit se passer, suivant la remarque d’un très-grand philosophe. ( Preu- ves, n° 7.) Le Philosophe. L'existence de l’âme après la mort sufliroit - elle pour qu’un Dieu nous punit dans l’autre monde? L’ Adepte. Que manque: il à l'homme quand son âme subsiste? C’est après la mort surtout qu’il vivra tout entier, C’est la réponse d’un bien grand philosophe. ( Preuves , n° 8.) Le Plulosophe. Que diriez-vous d’un Dieu qui. menace de foibles créatures d’un enfer éternel ? L’ Adepte. Jadmirerois, avec nos très-célè- bres encyclopédistes , son amour infini pour la vertu, et sa grande sagesse manifestée par les menaces mêmes d’un si grand châtiment. ( Preuves , n° 9.) Le Plulosophe. En admettant l’idée dun Dieu vengeur et d’un enfer , à qui faudroit-il la prècher ? L’ Adepte. Aux grands et aux petits, à tout homme ; parce que sans ce dogme tout mortel peut devenir un monstre, suivant le grand Vol- ture, ( Preuves ; n° 10.) 202 LES PROVINCIAGES Enjer détruit. Le Plulosophe. Que répondriez:vous à celai qui, croyant un enfer : viendroit vous le prècher à vous-même ? L' Adepte. Je lui-divois-avec un de nos sages: Vous étes un plaisant corps: st votre Dieu veut me damner , de quoi vous mêlez-vous? ( Prew- #es, N° L1.) PRauvVEs philosophiques du chapitre précédent. Colonne À. 1. « LE crime, dit très-bien le Moraliste « universel, porte toujours sa peine dans ce « monde ; . . . . et la vertu y est toujours « récompensée. . « . Il n’est point sur la terre « de vertu qui ne trouve son salaire ; il n’est « point de crime ou de folie qui ne soient sé «€ vérement punis. C’est là un décret de’ la na- « ture qui s'exécute sous nos yeux. » (Moral. unie. , 43,65, c. 8.) «Le Tout-Puissant , « insiste le Militaire philosophe, le Fout-Puis- « sant, qui règle nos destinées, nous punié et « nous récompense dans ee monde. Nous som- « mes malheureux quand nous faisons le mal : « nous sommes héuréüx quand nous faisons le bien. . . . Chaque homme ne pèche jamais PHILOSOPHIQUES. 203 Enfer rétabli. Le Philosophe. Que répondriez - vous à celui qui, croyant un enfer, viendroit vous le précher ? L' Adepte. Je le remercicrois de l'intérêt qu'il prétidroit à moi, comme la raison vent que Je réinercie celui qui m’avertit d’un précipice que je ñë voyois pas. ( Preuves , n° 11.) PREUVES philosophiques du chapitre précédent. Colonne B. 1. & TOUT fait voir, dit trés-bieri le Moraliste universel , qu’en suivant les voies de la justice « on obtient aucun bonheur. On risque à cha- que instant d’être écrasé par la foule qui suit un chemin opposé... "Tout le monde est solli- cité au mal, et personne ne trouve d'interét à faire le bien. » (Morale univ.,t. 3,66, 9.) « Est-il étonnant , poursuit le Philosophie militaire ; qu'il y ail tant de crimes ? Pour amener les péuples à la vertu, il fiudroit que, par des lois sévères, on contint le crime; qne l’on montrât da moins du mépris aux débau- chés, aux adultères, aux intempérans , aux menteurs de toute espèce , aux traîlres: qu’à laide des récompenses, des distinctions , des $ Le L. 3 204 LES PROVINCIALES Colonne A. « impunément, » (Æilis. phil, c. 20, p. 181.) « Disons aux hommes , ajoute l’auteur du Bon « sens, de s’abstemir du vice et du crime, non « parce qu'ils seront punis dans l’autre monde , « mais prce qu'on en porte la peine dans le « monde où l’on est. » (Le Bon sens, pré- Jace.) « Que le méchant , nous crie enfin le « Lucrèce moderne, que le méchant ne craigne & pas dans une autre vie les châtimens de eelle- « ci. N’est-il pas déjà cruellement puni dans ce « monde?» (Syst. nat., t. 1,0. 17.) Il n’est donc pas besoin d’un enfer pour trouver la peine due au crime. 2. « Les hommes sont forcés d’exécnter Îles « lois de Dieu » ; comment pourroient-ils donc l'offenser ? (Milit. phil. c. 20, p. 189 et 18h.) « Pour offenser quelqu'un , il faudroit supposer « des rapports entre nous et celui que nous of- « Fensons, Quels sont les rapports qui peuvent « subsister entre les foibles mortels et l'Étre in- & fini qui a créé le monde? » (Sysé. nat. t.t, €. 3.) « Dire que l’honime peut alluiner la foudre « dans les mains de sou Dieu , qu’il peut dérou- « ter ses projets, c’est dire que l’homme est plus « fort que son Dieu , qu’il est l'arbitre de sa vo- « lonté, qu’il dépend de lui d’allérer sa bonté, « et de la changer en cruuté (le Bon sens, « $ 67); dire surtout qu’un Dieu punit, c’est Lex | PHILOSOPHIQUES. 20 ” Colonne B. « richesses, des honneurs , les sujets fussent in- « vités à suivre la vertu » ; et rien de tout cela _ nese fait. ( Toy. le Milit. plul. c. 20, p. 176.) Hélas ! ajoute le philosophe auteur du Bon sens, « on ne voit dans ce monde que le crime victo- « rieux el la vertu dans la détresse. » ( Ze Bon sens , $ 118.) Qui ne voit pas enfin, s’écrie le Lucrèce moderne, « l’innocence souffrir, la « vertu dans les larmes, le crime triomphant et « récompensé ? » (Sys. nat. t. 2,0. 3.) Qu'ils sont donc aveugles ces philosophes qui préten- dent que le crime est assez puni dans ce monde, pour n’avoir rien à craindre dans l’autre! 2. « Nous vioions la loi de Dieu toutes les « fois que nous nuisons à la société où a nous- « mêmes. Le'Tout-Puissant nous punit, etnous « sommes malheureux quand nous faisons le « mal. » (Milit. phil. c. 20, p. 181 et 190.) Donc on peut concevoir que l’homme offense Dieu. « Il faut même vouloir ne pas faire usage « de sa raison , pour croire que la Divinité dé- « fend aux hommes de faire le mal, et ne les « punit pas lorsqu'ils désobéissent. » (Philos. du bon sens , réflex. 4.) « Celui. qui adore un « Dieu, mais un Dieu qui ne soit pas vaine- « ment honoré du litre de bon . qui le soit en « effet. admet conséquemment des récompen- « ses et des châtimens à venir... Autrement il 06 LES PROVINCIALÉS Colonne À. « bien péu le connoîtré. La providence ne s’ir- « ile point de nos crimes... La suprème puis- « sance unié dans un tre à une sagesse jufinie « ne punit point ; elle perfectionne on anéan- «tit. » ( Diderot, Code de la Nat. 5° part. D. 155.) 5. C’est éncore M. Diderot qui le répète. « L'idée d’un Être infiniment bon exclüt abso- & lameñt celle d’un vengeur. » (Code de la Nat. 5° part.) C'est le grand Fonssaint qui ajoute : « La vengeance né seroit pas interdite « à Phomme, si un Dieu sé la permieitoit, puis- « que l'homme est son image. » ( Les Mœurs, part. 23 $ 3.) #4. Nos süges l'ont dit et répété bien des fois : Les auteurs de ce Dieu qui punit ses créatures dans l'enfer sont des prétrés barbares, fana- tiques , intéressés, qui parlent d'un enfer aux autres , etqui n'y songent guére ; dont quelques- üns pourtant né sont que lés dues de leurs opE nions. (Milit. phil. e. 20.) « Ce sont ces pré- « trés qui ont {toujours senti que , pour se r'en- « dre considérables eux-mêmies , il étoit utile dé « faire la Divinité terrible. » (Enfer délririt , Dissert. art. 2.) Bb. « La crainte d’un énfer n'est nullement & propre à cohlEnir nos passiôns ; elle remplit PIJELOSOPHIQUES, 207 Colonne B. « madmettroit qu’une distribution capriciense «des biens et des maux, » (Diderot, Essai sur le mérite. $ 3.) 3. C’est encore M. Diderot qui m’apprend que Fathéisme ; n’admettant point un Dieu vengeur et rémaonérateur , laisse la probité sans apput, et pousse indirectement a la dépravation.(Tbrd.) C’est le grand Voltaire qui nous dit hantement que méconnoître un Dieu vergeur el rémuné- rateur , et n’attendre de lui ni châtiment ni ré- compense, c’est étre véritablement athée, et nier lexistence de Dieu. ( ’olt. de l Athéisme.) 4. « Nous ne savons pas qui le premier en- « seignaaux hommes cettedoctrine d’un maître « élernel qui nous voil et qui jugera nos plus « secrètes pensées. Si je le connoissois. je lui « dresserois des autels. » ( Dieu et les hommes, v. c. 2.) = 2 SA 51€ La crainte.des peinés (à-venir ,: ou d’un « enfer ) est propre à raffermir celui que le par- 208 LES PROVINCIALES Colonne A. « la vie d’amertume, de terreur et d'alarmes ; « et très-probablement elle tend à endurcir les « pécheurs. » (L'Enfer détruit, extr. du ch. | 6.) Ne voyons-nous pas, malgré ce dogme, des ! monstres de luxure, de trahison, de cruauté? | Il ne sert à rien pour corriger les hommes , pour les tirer de leurs vices et de leurs habitu- des. ( Milit. phil. c. 20, Syst. nat; Lett. a Eu- | géme , passim. ) 6. « Les hommes ne sont maïlres ni de leurs « actions ni de leurs pensées : un Dieu juste ne « peut donc les punir.» (L'Enfer détruit, exti ait de tout le $ 2;:) 7. « Quelque sentiment que l’on adopte sur! « son âme ei son sort à venir, soit que cette « âme soit immortelle ou non, la morale, ou « la science de nos devoirs en ce monde, sera « toujours la même. » (Mor. unis. extr. de la préface. ) 8. « L'Ame/sans le corps n’est pas l’homme ; le corps sañs l'âme n’est pas l’homme non PHILOSOPHIQUES. 209 Colonne B. « tage des affections fait chanceler dans la vertu. « Je äis plus... Lorsque la créature entêtée d’o- « pinions absurdes se roidit contre le vrai, « donne la préférence au vice, sans la crainte « des peines et Pespoir des récompenses, il n’y « a plus de retour.» ( Diderot, Essai sur le mérite, 3 , effet 5°.) « Si l'on persuadoit aux « hommes qu’il n’y a plus de poul-serrho (c’est- à-dire d’enfer ), ni rien de semblable, ouù les « opprimés soient vengés de leurs tyrans après &« la mort, n’est-il pas clair qne cela mettroit « ceux-ci fort à leur aise?» ( Emile, liv. 4, note. ) 6. Vous objectez à un Dieu vengeur le défaut de liberté dans homme ! Apprenez « qu’il n'y « a de vrai esclave que celui qui fait le mal... « Qu'il s’asservisse aux lois éternelles écrites « dans nos cœurs, et il sera véritablement li- « bre, » ( Ext. de l'Esprit de Rousseau, art. Liberté. ) 7. « La morale seroit parfaitement inutile « sans le dogme de l’immortalité. » ( Philos. de la Nat. suite. Disc. prélimin. ) À 8. « C’est-à-dire que si un prince avoit égorgé .« sa famille pour régner, s’il avoit tyrannisé ses 210 LES PROVINCIALÉES Colünne À. « plus : donc l’homme n’existera plus après la a mort, quand mème l’âme.existeroit; donc « Dieu ne pourra point exercer sa justice et ses « vetigeances sur les morts; donc enfin il n’y a « point d'enfer. s( De l'Ame et de son immor- talité, e&tr. de la page 164:): 9. « Est-il possible que les hommes puissent « tomber dans nne contradiction aussi mani- &« feste que de représenter Dieu comme un être « d’une bonté infinie, ou même de l'équité la « plus ordinaire , el croire én même temps qu’il € punit ainsi ses créatures ! Ne devroient-ils pas « plutôt le représenter comme un démon. bar- « bare, comme un êlre infiniment injuste et « cruel 25 (Crauté relig. À 13 it. Syst. soc. part. 1, €. 3: le Milit. phil: ce. 13 le Bon sens , etc. etc. ) 10. « Nous avons affaire à force fripons , à « une foule de petites gens brutanx , ivrognés « ét voleurs; je leur cricrai dans les oreilles € qu'ils seront damnés , s’ilsmevolenti» (Quest. encyclop. art. ENFER.) J'imiterai ces philosoplies qui, ne croyant pas à l’enfer, voudroïent ce- pendant que la populace füt contenue par cette croyance. Quant à moi, je dirai: « Je vois sans « Mm’alariner l’étérnité pardilré —, et jéne puis « pensér qu'un Dieu qui m’a fit naître, — uù PIHILOSOPHIQUES, 211 | Colonne B. | « stjels, il en,seroit quitte pour dire à Dieu : 1€ Ce n’est pas moi; vous vous méprenez; je ne | « suis plus la même personne. Pensez-vous que :« Dieu fût bien content de ce sophisme?» ((7elt. Dict, phil. Cuatéch. chin. Entret. 3.) r Que ne dites-vous plutôt avec Jean-Jacques : « L'homme ne vit qu’à moitié durant la vie, et | « Ja vie de l’âme ne commente qu'à la mort ? » (Esprit de J. J. Tmmort.) 9. « Plus la menace ( contre les méchans } est :& terrible et imposante, plus il y a de bonté « dans son auteur, » Un Dieu infiniment bon peui donc bien, menacer les méchans d’un en- fer éternel. « Le pécheur peut-il Paccuser d’in- « justice de lui infliger des peines éternelles, « puisque pendant lx vie il éloit de son choix « dè les éviter, et de parvenir à une félicité éter- « nélle ?» ( Eneycl. art. ENFER.) Que le philo- Isophe d’ailleurs nous dise au moins «ce qu'il « mettroit à la place du poul-serrho » ou de enfer. ( Emile , liv, 4, note.) 10. H faut un Dieu vengeur aux rois ; il en fautun au ministre; à l’homme d'état , à tous ceux qui,sans la crainte de ce Diéu , nous pile- roient dans un mortier, dès qu’ils y trouve- roient leur intérêt. Il en faut un à nos failleurs, àinosprocureurs. Il en faut un aw peuple, et à Pomme de cabinet. Quelle sera done la classe Da LES PROVINCIALES Colonne A. « Dieu qui sur mes jours a versé ses bienfaits, « — quand je ne serai plus, me tourmente à « jamais. » Telle est l’opinion du grand Voltaire. ( Poëm. relig. natur.) 11. « Si votre Dieu laisse aux hommes la « liberté de se damner, de quoi vous mélez- « vous ? Êtes-vous donc plus sage que ce Dieu, « dont vous voulez venger les droits? » (Le Bon sens, À 155.) Note de madame la Baronne sur le chapitre F. Passe pour cet enfer détruit, chevalier: je le sais, on seroit assez bien dans ce monde si l’on n’avuit rien à craindre dans l'autre. Mais pourquoi cet enfer rétabli? Pourquoi notre catéchisme vient-il encore nous montrer ici et voire moraliste universel ; et. votre Militaire philosophe, et Voltaire et Diderot à gauche, et puis tout de suite ée même moraliste uni- versel , ce même Militaire philosophe, et ces mêmes Voltaire et Diderot à droite ? N'est-ce pas pour nous dire qne ces mêmes philosophes, qui ont tant crié contre l’enfer, en démontrent eux-mêmes la nécessité ? N'est-ce pes pour avoir { | | | PHILOSOPHIQUES. 21 [®E] Colonne B. | qui n’ait pas besoin de croire à un enfer ? ( 7’oy. Volt. de l’Athéisme. ) 11. « Est-ce donc un attentat dans un passa- « ger, d’avertir le pilote que son vaisseau fait « eau de toute part, qu’il est menacé d’un « écueil, et d’exorter ses compagnons à préve- « nir le péril? » ( Essai sur les préjugés, ch.6.) > le droit d’ajouter : Ils ont beau faire et beau dire , il n’en existera ni plus ni moins, cet enfer; et leur philosophie, loin de les rassurer, doit les faire trembler, puisqu'elle les y pousse par tant de voies. Qu'ils y prennent bien garde : | un philosophe menteur, qui trompe le public 3 qui répand des maximes perverses; un philo- sophe scélérat sur le trône ou dans la société, sont précisément ceux pour lesquels il nous faut un enfer, parce que ce sont précisément ceux-là qui sauroient le mieux se soustraire à la justice humaine, Allons , chevalier , une réponse à tous ces propos, qu’il me semble déjà entendre de la bouche de notre catéchiste. Il faut d’ailleurs que je, vous le dise : cet enfer rétabli m'effraie bien 214 ES PROVINCIALES plus que cet enfer délruil me me consoloit; et notre catéchiste tireroit un trop bon parti. de mes frayeu:s où de mon silence. OBSERVATIONS D'un Provincial sur le cinquième chapitre du double catéchisme philosophique. LE dogme que nos sages s'efforcent de dé- truire dans ce cinquième chapitre de leur eaté- chisme est depuis long-temps l’objet que je regarde comme le grand principe de toutes les erreurs philosophiques, et surtout de la haine qu'ils vouèrent à la religion. EHicez de la foi évangélique l'éternité des peines de l'enfer ; re- uonçons à ce Dieu qui devient implacable quand une fois Parrêt est pronçneé: donnons-hu, s’il l: faut, des millions et des millions d'années pour se venger el punir les méchans; pourvu quesa vengeance xt enfin auelque terme; pourvu gwenfin les siècles viennent rouvrir les portes de l'enfer, en éteindre les feux. je crois pou- voir le dise: celte condescendance de la part de l’ég'ise ui rend toute l’école dé la philosophie. Cédons-leur cet article, tous les sages du siècle sont à nous, Nos mystères pourront encore humi- lier leur esprit ; mais moins intéressés à les com- battre, ils conviendrout sans peine qu’un Dieu, ox PHILOSOPHIQUES. 21 auteur des hommes, peut bien être au-dessus de leur intelligence, et exiger l'hommage de leur foi. Notre morale alors , bien moins terrible dans ses menaces , sans êlre moins pure, MOINS sli- blime dans ses préceptes, ne réveillera plus que leur admiration. Je vous en réponds mème , ils trouveront fort simple qu’an Dieu, dans l’autre monde, puuisse les forfaits qui auront triomphé dans celui-ci ; ils reviendront bientôt sur ce Dieu qu’ils nous disent trop bon pour se venger , trop grand pour s’oceuper des erreurs, des fautes, des vices et des crimes d’un être tel que l’homme. La raison se lieudra dans ses bornes; elle donnera moins au délire, quand les passions , moins révoltées par la foi, auront moins d'intérêt à s'égarer. Alors ce Dieu si bon de la philosophie ne sera plus ce Dieu imbécile qui veut le bien et qui ne le veut pas , puisqu'il ne prend aucun moyen pour détruire le vice; alors son Dieu si grand ne sera plus ce Dieu assez borné pour ne pou- voir étendre ses soins sur toutes les créatures et peser leurs aclions, sans fatiguer son alten- tion et troubler son bonheur. Elle ne voudra plus d’an Dieu qui aime mieux être nul pour la vertu que juste pour le crime; qui nous donne des lois, et qui voit damème œil l'homme soumis et l'homme révolté , qui laisse triompher paisiblement le mortel ennemi de sa puissance ; qui met au même rang et celui qui l'adore et 216 LES PROVINCIALES celui qui détruit ses autels. Ce Dieu trop imbé- cile et rempli de contradictions n’est pas le Dieu de la raison ; 1l cesseroit bientôt d'être celui de nos faux sages, si la peur que lemôtre leur fait | ne leur rendoit le délire plus cher que le joug de la foi. Faut-il vous convaincre, lecteur? observez la marche de l’incrédulité dans lesprit du faux sage. Le dogme qui révolte le plus ses passions, | c’ dogme menaçant d’un enfer éternel, est ce- | lui dont il cherche d’abord à délivrer sa foi; il faut , pour le combattre , renoncer à une sile de vérités frappantes, auxquelles il sent bien que le dogme d’un enfer est lié; dès-lors il ne veut plus de ce Dieu saint de l’évangile, parce que la sainteté infinie suppose une haine infinie de tout vice; il ne veut plus d’un Dieu mort sur la croix , parce que la rigueur exercée sar J’innocence même annonce le supplice étonnant qui attend le coupable. Le joug de l'évangile secoué, il ne lui reste plus que sa rai- son; c’est elle qu'il invoque, non pour qu’elle lui serve à découvrir le vrai, mais pour qu'elle lui donne des argumens , des armes contre une vérité qu'il craint et qu’il déteste. Sa raison, prévenue par les passions, appelle à leur se- cours tous ses sophismes. C’est la foi d’un enfer qu’il faut combattre; ses systèmes tendront à le rendre impossible, Ce dogme supposoit que l’âme vit encore au-delà du tombeau ; tous les raison- PHILOSOPHIQUES. 217 nemens du philosophe se tourneront: contre l'idée de l'immortalité; mais la mort, qui détruit la matière, pourroit bien ne pas anéantir l’es- prit; le sophiste bientôt s’en prendra à lesprit même , el äl s’attachera au matérialisme. La matière pourtant n’est qu’un être passif, la li- berté ne peut se concevoir que dans un Être esprit; il combattra la liberté, comme il à com- battu la spiritualité. Enfin l’idée d’un Dieu , d’un Être intelligent, annonce essentiellement une substance spirituelle; il cherchera à renverser l’idée de ce Dieu même. Mais partout des antels et des hommes.consacrés au saint culte, partout lh religion. rappelle aux faux. sages la gran- denr,, les bienfaits, la, puissance, les jugemens terribles de ce Dieu dont il ne souffre plus l’idée ; il ne souffrira plus son église, ses saints et ses apôtres. Hérétique, incrédule, matérialiste , fa- taliste , athée, ennemi décidé de toute religion, le: voilà, parvenu au comble de l’erreur et de l’impiété , du, fanatisme et du délire philosophi- que: Remontez à, présent à la source de toutes ces horreurs; 'elle-est. dans ses, passions , et dans la crainte de ne pouvoir en acccorder l’empire avec la foi d’un enfer éternel. Son cœur avoit senti toules les conséquences de ce dogme ter- rible ; il le savoit trop bien, il faut être insensé ur croire à un enfer, et offenser, un Dieu, üi, s’il differe nn instant ses vengeances, saura [trouver un temps pour ses fléaux; mais comme 4, 10 218 LES PROVINCIALES si c’éloit une moindre folie de se boucher les yeux pour ne pas voir l’abime , d’en nier l’exis- tence pour s’y précipiter, il a fait ses efforts pour s’aveugler ; il a mieux aimé ne pas croire à l’enfer, ne croire ni aux crimes divers qui le méritent, ni au Dieu qui en menace, ni à lé- glise qui l’avertit sans cesse de ne pas y tomber; il à mieux aimé, dis-je, combattre tous les dogmes qui ont quelque rapport à cet enfer, que s'occuper des moyens de le fair par le sa- crifice de ses passions diverses. Gardez-vous donc de croire à la fausse huma- nité de nos vains sages; ils vous disent sans cesse que le cœur se révolte à la seule pensée de ces feux allumés pour ne s’éteindre plus ; d’un Dieu qui inventa dans sa colère des supplices terribles: par leur intensité, mais terrible surtout par Jeur éternité ; et je vous dis, moi, que ce qui les révolte le plus, ce west ni cet-enfer, ni ces flammes, mais le sacrifice qu’il faut faire de toutes nos passions , de tout péché, de tout plai- sir illicite, de tout vice, pour ne pas y tomber. Le châtiment des péchés, quel qu’il soit , lui se- roit moins odieux, s’il étoit moins attaché au péché. Ce n’est pas l’honnête homme qui ré clame sans cesse contre les lois et les bourreaux , c'est le brigand qui voudroit dans son cœur qu’il ! n’y eût ni juge ni supplice. Quel que soit le principe de cette aversion , de: cette horreur qu'inspire au faux sage le dogme: PHILOSOPHIQUES, 219 d’un enfer éternel, à quoi lui serviront ces ar- gumens? Feront-ils qu’il n’en existe point? ou préserveront-ils de celui qui existe le pécheur qui en nie l’existence pour se livrer plus libre- ment aux vices, aux péchés que l’enfer doit punir? Ses feux s’éteindront-ils pour celui qui les mérité davantage, en ajoutant aux dérégle- mens de son cœur lPincrédulité et la révolle de l'esprit ? Telles sont, lecteur, les réflexions que je voudrois d’abord inspirer au philosophe en- nemi de nos dogmes, sur les peines réservées aux méchans, et sur l'éternité de la réprobation. Avant de disputer avec lui sur Penfer, j’exige- rois qu'il commençât par vivre comme s'il y croyoit: qu'il réglât ses passions , qu’il réformât ses mœurs, qu’il-obéit à Dieu, à sa conscience, comme il pourroit le faire s’il étoit persuadé qu'un enfer éternel; doit punir ses péchés. Je voudrois qu’il aimät franchement la vertu, la vérité; qu’il fut bien décidé à les suivre , quel- que sacrifice que l’une ou l’autre exige de son cœur et de son esprit. Lorsque je le verrai dans ces dispositions , je lui dirai : Venez; examinons à présent de sang- froid cette vérité qui répugne si fort à vos idées. Je conviens avec vous que le dogme d’un enfer est terrible ; mais est-ce la terreur qu’il inspire qui le rendra moins vrai? J'en conviendrai en- core: 1l n’en est pas de ce dogme cffrayant 220 LES PROVINCIALES eomme de tant de vérités communes à la raison el à la fois Un Dieu punit essentiellement dans un autre monde le crime qu’un repentir sin- cère n’a pas expié dans celui-ci; ce Dieu rend à chacun selon ses œuvress voilà tout ce que les lumières naturelles peuvent nous découvrir. Comment et à quel point, combien de temps Dieu punit-il le méchant et récompense-t-il le juste ? Tous les Socrates de l'univers, réduits aux lumières de la raison, ne satisferont jamais à ces questions de fait; il n’a pas été donné à l'homme d’y répoudre sans une révélation for- melle.de la part de Dieu même. Seul il porta la loi propice à la vertu et redoutable au vice; seul il a pu fixer l’immensité de ses largesses, étendue et la durée de ses vengeances ; seul il a pu nous dire : C’est ainsi que je récompense , c’est ainsi que je punis; il a dit: Je seraiinfini, je serai éternel dans l’un et dans l’autre; il a dicté lui-même la sentence que nous répélons avec tant de consolation , lorsqu'il s’agit des justes : Venez les bénis de mon père, posséder le royaume qui vous a été préparé dès le com- mencement ; il a dicté aussi cetarr êt foudroyant ; que nous n’adressons nous-mêmes qu’en trem- blant. aux pécheurs: Allez, maudits, au feu éternel préparé à Satan et à ses anges. C’est au nom de Dieu uniquément que nous vous mena- çons de cette éternité; ne disputez donc pas eontre nous, mas contre Dieu. Nous vous por- PHILOSOPHIQUES. 22 tons sa loi; nous convenons qu’elle est lerrible pour le méchant; mais il faut bien qu'elle sois juste, puisqu’un Dieu l'a portée ; et il faut bien qu’un Dieu l'ait portée et révélée lui-mème ; puisque toute la religion s'écroule et devient nulle, puisqu'il faut déchirer l’évangile et les prophètes , si cette loi, tant de fois répétée dans nos livres saints, ne vient pas de Dieu même. Je connois les détours que prend ici une fausse sagesse; je sais que c’est le dogme de l’enfer qu’elle tourne contre la révélation même ; d’a- bord elle invoque tous les sophismes de la raison. ou des passions, pour montrer l'injustice dans Parrèt qui condamne les méchans à une éternité de supplices; et de cette injustice prétendue , elle conclut qu’un Dieu n’a point porté un tel arrêt; que notre foi est fausse ; que la révélation cst chimérique, Mais nos faux sages l’ont-ils dé- montrée, cette injustice ? Ils en sont loin enco- re,et vous en conviendrez sans peine lorsque vous pèserez leurs argumens. Celui qui leur parut toujours le plus triom- phant se réduit à nous dire qu’il n’y a plus de justice lorsqu'il n’existe plus de proportion en- tre la peine et le délit; et comment prouvent-ils ce défaut de proportion ? en vous disant que le crime de l’homme est l’effet d’un instant ; que tous les forfaits de la vie la plus longue ne sont rien , comparés aux supplices de l’éternité même. 222 LES PROVINCIALES Jai cent fois entendu cet argument; j’en ài cherché la force; je n’ai jamais conçu comment des philosophes, des hommes qui, par état au moins, devroient être accoutumés à réfléchir, peuvent le répéter. Il existe , en effet , et il doit exister au tribu- nal de Dieu une proportion eutre la peine et le délit; mais quelle absurdité que de juger d’un crime par le temps qu’il exige pour être con- sommé , au lieu d'examiner le délit et le cri- me , le péché en lui-même, dans sa griéveté, dans sa noirceur , dans sa méchanceté et dans tous les rapports qui constituent loffense , le délit, Poutrage , le forfait ? Quand vous jugez vous-même, et lorsque vous avez à prononcer dans votre propre cause ou dans vos tribunaux, dites-moï si jamais il vous vint dans l'esprit de suivre cette règle ab- surde , inconséquente , que vous osez prescrire à la Divinité. Quand vous avez élé méprisé , in- sulté, outragé ou blessé dans vos biens, votre honneur , votre réputation, ou votre autorilé ; lorsque vous avez eu à punir le traître , le re- belle , le calomniateur, le parjure , et un mé- chant quelconque, dites-moi si jamais il vous est arrivé de mesurer uniquement la peine sur le temps que le crime exigeoit. Non, non ; vous le saviez , un instant suffit au scélérat pour con- cevoir, résoudre et consommer le crime le plus noir , comme un instant suffit aux âmes timo- | PHILOSOPHIQUES, 23 rées pour des fautes légères. La calomnie la plus atroceest l’effet d’un seul mot, comme un men- songe peu nuisible ou même officieux. Le traître et l’assassin ne mettront qu’un instant à broyer le poison, à plonger le poignard; seront-ils moins coupables que ce triste indigent qui respecte vos jours en épiant l'instant propice au larcin qu’il médite? Ce tyran qui a pu dans un jour sacrifier cent victimes à sa haine, ou ce héros brigand, suivi de cent mille hommes, dont la foudre moissonne dans une heure plus d’hom- mes immolés à son ambition que tous les assas- sins de nos forêts n’en font tomber dans un siècle entier sous leur fer homicide, sera-t-il moins coupable aux yeux de la philosophie, qu’un simple citoyen qui ne peut satisfaire sa vengeance que par de longs détours , et qu'avec le secours des années? Est-ce bien cette règle qui dirige vos magistrats et vos législateurs . lorsque nous les voyons condamner à de longues années d’un esclavage affreux , à la captivité qui ne finit qu'avec la vie, souvent même au der- nier des supplices , tant d'hommes qu’un instant a rendus criminels, qui un instant plus tôt :se- roient morts innocens ? Le coupable füt-il assez puissant pour échap- per aux tribunaux , pourvu qu'il soit connu dans nos sociétés, Je crime d’un instant ne ré- pandra-t-il. pas sur la vie la plus longue ces taches que le temps n’efface pas , le déshonneur, 294 LES PROVINCIALES la honte, Vinfimie ? Que sert au meurtrier de n'avoir eu besoin que d’un instant pour attenter aux jours d’un citoyen; à lingrat, d’avoir en un clin-d’œil trahi son bienfaiteur ; au paijure, d’avoir violé sa foi et son serment par un seul mot ; au perfide , au rebelle où au lâche, da- voir en un seul jour abandonné son ami, son roi ou sa patrie ? Leur mémoire en $era-t-elle moins flétrie pour toujours? N'est-ce pas en per- pétuant leur honte, leur opprobre, que l’his- toire nous conserve leur nom ? Le premier as- sassin , le premier lâche, le premier tyran, sont morts depuis long-temps; qu’ils sortent du tom- beau pour reparoître dans nos sociétés , ils ÿ retrouveront toute la se et tout le mépris de leurs contentporains, Un instant suffit donc dans Fempire morel pour mériter l'horreur dertous les siècles , par cela seulement qu’il suffit pour vouloir un grand crime. C’est donc une folie et une absurdité, c’est au moins uné ressource bien peu philosophique, que’ de juger des cri- mes, de la durée des peines qu’ils méritent > par le temps employé à les commettre. Voulez-vous établir des proportions plus jus- tes entre la peine et le délit? Laissez ce point de vue sous lequel ils ne vous offrent rien que l'esprit humain puisse comparer. La bâlance à la main, mettez le crime d’un côté avec toute sa noirceur , dé l’autre T éternité et! toute sa du- réé; de part el d’autre alors vous aurez l'infini. PHILOSOPHIQUES. 299 La raison, je le sais, frémil de ce principe, parce qu’elle conçoit que seul il justifie et l'en- fer , et ses feux dévoraus, et son éternité ; mais la raison sera forcée d’y souscrire , parce qu'elle conçoit évidemment qu’il n’y a plus d’égalité , plus de proportion, plus de justice exacte et rigoureuse , si la peine a un terme quand la noirceur du crime n’en a point, quand Poutrage est infini. Toute votre ressource est de nous demander comment l’homme , comparé à son Dieu , n’é- tant qu’un vil insecte , peut se rendre envers lui infiniment coupable; mais nous vous répondons que c’est précisément la petitesse de l’homme, comparé à son Dieu , qui rend l’ouvrage énor- me et infini quand il ose pécher contre ce Dieu, résister à ses ordres, se préférer à lui, l’offen- ser, loutrager, se révolter enfin, et détruire , autant qu’il est en lui, l’empire de la Divinité. Puisque vous nous forcez à consulter la rai- son sur des objets où seule elle ne peut fixer nolre opinion , écoutez-la au moins cette raison, et elle vous dira que le crime s’aggrave essentiel- lement en proportion des droits qu'il a violés , et de la majesté de celui qu’il outrage. De l’es- clave qui offense l’esclaye son égal, à celui qui outrage son maitre, à celui qui outrage le ma- gistrat public , à celui qui outrage son roi , l’of- fense croit toujours ; quélle mesure pourrez-vous lui prescrire lorsqu'elle arrive à Dieu ? Conce- 10, 220 LES PROVINCIALIS vez, s’il se peut, la distance des cienx et de la terre, concevez Lonle celle qu’il y a de l’être le plus vil au plus sublime esprit sorti des mains de Dieu; vous serez encore loin de concevoir celle de l’homme à Dieu; vous n’aurez qu’un seul mot pour l’exprimer, vons serez obligé de la dire infinie. Le crime d’un mortel contre Dieu est donc infini dans son énormité , par cela seul que l’homme est moins auprès de Dien que linsecte auprès de vous. L’homme est vil; il doit donc respecter le plus parfait des Êtres : il est foible ; il doit donc se soumettre au Tou!- Puissant : il est plein de passions, de vices , de défauts ; il doit obéir aux lois de ce Dieu Saint , qui peut seul réformer les défauts , les vices, les passions. Quand nos sages raisonnent sur le crime et sur l'éternité de l’enfer destiné à le punir, sans doute leur esprit n’aime pas à se fixer sur ces réflexions : mais pourquoi viennent - ils nous forcer à les leur opposer pour justifier et Dieu et ses vengeances ? Sa cause est dans nos mains, puisque c’est celle de notre foi et de toute l’E- glise ; nous les forcerons donc encore à réfléchir que ces fautes de l’homme, qu’ils appellent les fautes d’un moment et que l’enfer punit , sont les crimes de l’homme ingrat, et révolté contre Pauteur même de son existence, contre un Dieu dont il tient tout ce dont il jouit, et la facullé même d'en jouir ; contre un Dieu bienfaisant , ee PHILOSOPHIQUES. 227 généreux, palient , miséricordieux : conire un Dieu qui a droit à tout l’amour de Phomme , à la soumission la plus parfaite, à l’hommage le plus universel. Nous les forcerons de réfléchir que ces fauies d’un être qu’ils disent si fojible sont cependant les crimes d’un être qui a la force de résister à Dieu , de braver le souverain législateur , et de lui disputer le droit de prési- der à nos actions, de les régler , et de les diri- ger toutes à la vertu; que ces fautes d’un être fvible sont cependant autant de crimes volon- taires, délibérés, commis avec réflexion , avec la connoissance de la loi qui les proscrit, avec Ja liberté d'observer cette loi; qu’elles sont par conséquent des crimes de choix, de préférence ; qu’elles sont les crimes d’un esclave qui aime mieux se satisfaire et suivre son plaisir qu’obéir au Dieu de l’univers ; qu’il n’est aucune espèce de noirceur , de méchanceté , d’ingratitude , de rébellion , que les péchés de l’homme ne ren- ferment; que toutes nos excuses enfin dispa- roîtront an tribunal du scrutateur suprême dcs consciences, du juste appréciateur des vertus et des vices. Qu'importe en ce moment que l'intérêt du crime nous aveugle, que le faux sage cherche à s’étourdir , à se cacher combien il est coupa- ble? Dieu saura dans le temps nous forcer à reconnoîlre , à apprécier nous-mêmes ce désor- dre affreux du vice préféré à la vertu , de l’horc- 228 LES PROVIXCIALES me refusant d’obéir à celui devant qui le ciel s'incline, la nature se tait et l’enfer tremble. “Fous lés raisonnemens de là philosophie de- viendront inuliles quand ce Dieu paroîtra. Disputons un peu moins sur ses vengearicés, et tâchons de les mériter moins. Réfléchissons sur- {out qu’excuser, atténuer le crime qui Voffen- se, c’est l’abaissement lui-même ; qu'il faut lui contester toutes ses perfections et'leur infinité , ou ayouer que l’enfer n’est pas trop pour venger son injure. Mais si ces perfections sont infinies, sa bonté l’est aussi ; et c’est encore précisément parce qu'il est infini dans sa bonté qu’il faut être in finiment méchant pour cesser de l’aimer, pour l’outrager. La bonté d’an ami , d’un bienfaiteur, d’un maître , est-elle donc un titre à l’infidélité, à l’ingratitude, à la rébellion? Et faut-il qu’il se montre en tyran pour mériter l’'ämour , la reconnoissance et la soumission ? Quelles fausses idées nous faisons-nous en- core de la bonté? Nous lui donnons nos vices dans un Dieu; nous voudrions qu’elle fût dans lui comme dans l’homme, lâcheté, complai- sance , et condescendancé pour le mal; tandis que dans un Dieu la bonté ne peut être que Pa- mour souverain de la vertu, et la haine infinie de tout crime. | Nous parlons de justice, d° équité , d’ “OeS et nous ne voyons pas combien la bonté même PHILOSOPHIQUES, 229 égale la justice dans le destin de Phomme. Un instant peut le rendre coupable et lui ouvrir Penfer ; mais un instant d'amour , de repentir, de vraie pénilence, peut lui ouvrir les cieux tant qu’il respire. Ou la vie ou la mort, ou le bonheur suprème ou un malheur sans fin ; le choix est dans ses mains tant qu’il est dans ce monde : à_qui peut-il s’en prendre qu’à lui- même quand il a mal choisi? Ce juge inexo- rable dans l’enfer est le meilleur des pères sur la terre; une larme ie touche, et efface à ses yeux un siècle de désordres. Si l’homme s’endurcit, si son heure le trouve dans le crime, pourquoi toujours parler de sa foiblesse, puisque Penfer ne punira jamais que des crimes de choix, et des crimes commis avec tous les moyens de ré- sister à la tentation ? Que pourra cette excuse auprès d’un Dieu qui offroit au pécheur toute sa puissarice , qui n’attendoit qu’un vœu sincére, qu'une prière fervente, pour voler au secours des pécheurs avec toute la plénitude de sa force | el de ses grâces? Que pourra celte excuse dans éelui dont le crime est d’avoir aimé cette foi- blesse , et rejeté la main prête à le fortifier ; dans celui qui a bien eu la force de résister à Dieu.et de braver ses lois , ses menaces , l'enfer même, et son éternité ? è Ne croyez pas , lecteur , que’, ; pour justifier un dogé si terrible, je n’affecte qu’une morale austère qui toujours exagère le crime pour 230 LES PROVINCIALES ajouter à Ja rigueur des peines. Je juge le pé- cheur comme il sail bien se juger lui-même quand les passions se taisent et que la conscien- ce parle seule, comme je sais trop bien qu’un Dieu le jugera quand le temps des rengeances arrivera. Nous donnons tout au crime, nous autres, avec notre indulgence et nos excuses recherchées ; mais un temps viendra où ce Dieu donnera tout à la justice. Nous ne voulons pas voir combien notre phi- losophie est ici en défaut. Nous objectons au dogme d’un enfer éternel la justice même, la proportion des peines aux délits; et parce qu’en- fin , après tous nos abus de sa bonté, de sa clé- mence , ce Dieu ne sera plus qu’un Dieu rigou- reusement juste, élernellement juste, parce qu’alors un supplice infini punira des crimes infinis dans leur noirceur, nous voudrions re- venir à la clémence dont le temps est passé. Nous cherchons à jeter un voile sur ce crime, à l’ex- cuser, à atténuer, tandis que nous parlons d’un tribunal qui ne souffre ni voile, ni excuse, mais vérité, justice rigoureuse. Nous combattons le plus terrible dogme de la foi avec toutes les ru- ses du sophisme ; et nous ne souffrons pas qu’on uous oppose les raisonnemens les plus simples et les plus palpables, comme si nos sophismes pouvoient nous garantir d’un enfer éternel , mieux que la connoissance de sa justice, et notre soumission au Dieu qu’il doit venger. | PHILOSOPHIQUES, 232 Avec plus de sang-froid dans nos raisonne- mens, au lieu de le calomnier, le Dieu de cet enfer, nous en viendrions à une juste admira- tion de sa sagesse. Par la même raison qui a fait dire au philosophe : Si Dieu n’existoit pas, il faudroit l’inventer, nous dirions : Si ce Dieu n’avoit pas un enfer, il devroit le créer, et le rendre éternel. En Dieu saint, en Dieu sage, il a dû opposer aux passions le frein le plus puis- sant, le plus propre à effrayer le crime, à le rendre moins commun sur la terre. Hélas! mal- gré ce frein d’un enfer si terrible par ses flam- mes, par son éternité , il est encore tant de vices et tant de forfaits ! que seroit -ce si l’homine, si tant de débauchés, tant d’avares, tant d’ambi- lieux , de scélérats dans tous les genres , n’a- voient à redouler qu’un supplice passager? Quelle impression a faile jusqu'ici la foi d’un purga- toire ? Quelque terribles que nous peignions ses feux , ils finiront un jour; on diroit que celte idée seule les a déjà éteints , tant là plupart des hommes se mellent peu en peine de les éviter. Ce n’est pas là un fait que la philosophie nous conteste ; qu’elle convienne donc de celte con- séquence si évidente, que cette éternité qui la révolte dans les supplices de l’enfer , les mortels l'ont rendue nécessaire. Sans elle, Dieu , moins saint, eût moins manifesté sa haine pour le cri- me: nous pourrions l’accuser de le favoriser, d'endurcir le méchant , puisque le scélérat en- 232 LES PROVINCIALES durci et mourant dans toute son affection pour le crime eût conservé encore lespoir de la ver- tu , la certitude même du pardon. Sans cette élernilé dont nous vous menaçons , l’enfer de Zoroastre eût été plus terrible et plus eflicace que celui de la fois et le Parsis se fut montré plus sage que le Dieu des chrétiens. Nos prétendus sages , qui louent tant ailleurs ces mêmes dogmes qu’ils combattent chez nous, parce que chez nous seuls ils ont cette sanction qui les effraie; parce que chez nous seuls la mo- rale, d'accord avec la foi, ne se relâche jamais sur les passions, nos prétendus sages osent nous reprocher que l'intérêt des prêtres inventa cet enfer. Qu'il leur en coûte peu de nous calom-— nier! et qu’il faut être bien attaché aux passions pour croire qu’un sordide intérêt peut seul leur opposer la plus terrible des barrières! Qu'ils le disent encore, les insensés! qu'ils le répètent : l'intérêt du sacerdoce a inventé l’enfer , la ca- lomnie est trop grossière, et ils sont trop con- nus ces prophèles qui long-temps avant nous crièrent aux pécheurs : Qui de vous supportera ces flammes dévorantes, ce ver.rongeur qui ne meurt point? qui de vous pourra habiter au milieu de ces feux qui ne s’éleisnent pas? (Lsaïe, v. ce. 53 et 56.) Il est trop connu ce Jésus, fils de Dieu , qui le premier révéla cet arrêt menaçant : Allez , maudits, au feu éternel. On ne croira pas que d’autres inlérêts que ceux ‘PHILOSOPHIQUES. 253 de l -vertu et du salut des hommes aient animé les prophètes, Jésus et ses apôtres. Quand nous vous répétons leurs leçons, quel peut-être le nôtre ? Qui pouvons-nous séduire en vous di- sant : Celui qui n’aime pas son Dieu et son pro- chain; celui qui ne tend pas une main secou- rable:à l’indigent ; celui qui s’abandonne à l’ava- rice, à la vengeance , à ambition , à la débau- che; celui enfin qui ne suit pas les routes de la vertu ; brülera dans l’enfer sans espoir de par- don ? Et quels sont-ils ces hommes qui font le plus souvent retentir ces menaces aux oreilles des pécheurs , qui les répètent avec le plus de zèle, de chaleur et de persuasion? Sont-ce ces prètres lâches, mdévots, vicieux, auxquels VE- glise annonce elle-même que cet enfer est sur- tout destiné ; et non‘pas ces pasteurs chéris et respectés, parce que leur charité connue et toutes leurs vertus ne nous laissent pas même soupçonner l'intérêt personnel ? Insensés ! si le prètre cherchoiït son intérêt dans ses dogmes , ce sont vos passions qu’il flatieroit dans son symbole ; c’est l'enfer même qu’il vous auroit promis d'ouvrir à prix d’argent ; ils vous auroit vendu la liberté de suivre vos passions et vos vices. Ce dogme d’un enfer, tout antique qu’il est, le prètre enfin Pauroit sacrifié à la philoso- Lx . à : phie, bien certain qu’à ce prix nos faux sages deviendroient les amis de l'Eglise, et cesseroient bientôt de la calomnier, de la persécuter, de 254 LES PROVINCIALES combaltie sa morale, ses dogmes , d’arracher ses enfans à l’autel. Quelle folie , lecteur, et que la calomnie est absurde! L’intérêt inventa des peines éternelles | contre lintérêt même, et contre tous les viees, et contre tous les crimes. El ce même intérêt empêche encore les prêtres d’efflacer de leur symbole ce dogme, qui toujours a soulevé contre eux les faux sages du siècle , et dont le sacrifice feroit de Jeurs mortels et perpétuëls ennemis autant de partisans. Non, non; la vérité et le serment de renoncer plutôt à togs les avantages du siècle qu’à la révélation, à la parole de Dieu , ont seuls pu soutenir ve dogme dans lé- glise. Que perdroit-elle donc en vous Paban- donnant ? que n’avoit-elle pas à espérer des peuples, en soumeltant an moins l’ardeur et la durée de ses feux à nos victimes? Si l’intérêt eut dicté son symbole, le prêtre , en vous disant que l’enfer peut s’ouvrir à sa prière, tronvoit le yrai moyen de redoubler le zèle et l’affection «des peuples pour l’autel ; alorsle méchant même eût engraissé celui qui par ses vœux -abrégeoit le supplice. Hélas! ils seront vains nos vœux, nos sacrifices ; nous sommes les premiers à vous Papprendre : nous voudrions le rouvrir cet abi- me qui attend le péchenr , nous ne le pourrons pas , nous gémirons en vain sur son malheur ; nous lèverons en vain pour lui et nos mains et nos cœurs vers le ciel; nous offrons en vain la ‘PHILOSOPHIQUES. 235 victime sans tache. Il n’en coûtoit pas plus de vous promettre que de vous menacer , et nos promesses faisoient de nous les Dieux du mé- chant même. Quel intérêt peut donc nous arra- cher l’aveu de l'impuissance, de linutilité de toutes nos ressources , si ce n’est l’imtérêt de nos âmes, que nous aimons bien mieux effrayer par des vérités tristes, qu’abuser et séduire par les consolations d’un espoir mensonger? Mais nos prétendus sages eux-mêmes, quel intérêt a pu les révolter dans tous les temps contre ce dogme ? S'ils sont vraiment zélés pour la vertu , que ne sejoignent-ils à nous, et que re disent-ils comme nous au méchant : Oui, il est un enfer , et cet enfer est l'éternel séjour des vengeances du Dieu que tu outrages? Si à cette pensée ton cœur ne revient pas à la vertu, cet enfer est pour toi; et ton obstination en dé- montreroit seule la justice , l’existence et la nécessité. Il me semble que ces menaces honoreroïient bien plus nos philosophes que tous ces argu- mens qu’ils entassent en vain pour rassurer les cœurs les plus pervers. À quoi se sont réduits tous leurs sophismes? Ils nous ont demandé des proportions entre la durée du délit et celle de la peine , comme si le crime le plus atroce ne pouvoit pas être aussitôt commis par le méchant que la faute la plus légère par l'âme timorée; comme si ces actes de la volonté, la pensée, le 2356 LES PROVINCIALES désir , le consentement , qui constituent spécia- lement le crime, se mesuroient par les années et par le cours des astres ; comme si le coupable ne l’étoit qu’un instant, parce qu’il a fallu qu’un instant pour le devenir. Il nous ont op- posé la foiblesse et le néant de l’homme , la grandeur et la bonté de Dieu ; comme si nous menacions de l’enfer les crimes de la nécessité , et non pas ceux de la volonté, du choix et de la liberté ; comme si la foiblesse de l’homme étoit un titre contre le domaine et la loi de son Dieu ; comme si, dans ce Dieu, la bonté détrui- soit la justice , la sagesse, toutes les autres per- fections ; comme si vffenser un être bon étoit un moindre crime qu’offenser un être méchant; comme si la bonté enfin, dans un Dieu , n’étoit que connivenee et condescendance pour le cri- me, Ils vous ont parlé de l'intérêt des prêtres, comme si les prêtres, en prêchant un enfer, en exemptoient leurs propres crimes. [ls vous de- manderont encore comment les feux de cet en- fer pourront agir sur l’âme réduite à elle-même; sans le secours des sens. Demandez-leur vous- même comment celte même âme est soumise à l’action des sens dans celte vie; et si l'esprit, sujet à l'impression du feu dans le corps qu’il habite, n’est pas une merveille tout aussi élon- nante que l’esprit tourmenté par des flammes hors de ce même corps ? Demandez-leur encore si le Dieu qui a pu établir cette dépendance et PHILOSOPHIQUES. 237 de l’âme et du corps ne pourra pas aussi sou— mettre lPâme dépouillée de ce corps à la même douleur? Demandez - leur enfin depuis quand. la conception de l’homme a fixé les limites de la révélation et du pouvoir suprême ? ou plutôt laissez-les s’égarer dans leurs vains raisonne- mens ; adorons un Dieu terrible et éternel dans ses yengeances ; mas aimons ce même Dieu magnifique et éternel dans ses récompenses. CATÉCHISME PHILOSOPHIQUE. CHAPITRE VI, ünique. Moyens philosophiques d'établir la vertu parmi les hommes. Le Philosophe. LA philosophie, qui ne puise ses motifs et ses moyens ni dans les cieux, nt dans l’enfer ; n’en a-t-elle point inventé de plus propres à établir l’empire de la verta ?. L’ Adepte. Elle en a inventé en grand nombre et de très-efficaces. Le Philosophe. Quelle science four nira aux philosophes les moyens les plus sûrs pour ex- dirper les vices ? 238 LES PROVINCIALES L’ Adepte. Ce sera sansicontredit la médecine, | aidée de toutes les ressources de la pharmacie et de l'anatomie. Le Philosophe, Comment nos: médecins et nos apothicaires peuvent-ils rappeler la veriu dans toute sa splendeur? L’ Adepte. En apprenant de la: philosophie à purger ou saigner à propos: les méchans , les avares, lesambitieux, les hytpocritesetles vicieux de toute espèce. Le Philosophe. La philosophie parle-t-elle | bien sérieusement , lorsqu’ellémet les principales sources de la vertu dans nos pharmacies ? L’ Adepte. Très-sérieusement;. malgré tous les sarcasmes du préjugé, elle sait démontrer l'im- portance desr médecinis-et des apohicair es, toutes les fois qu xls agit de rendre à. la vertu.son pre- mier éclat. (Preuves, n° 1.) Le Philosophe. La police et la. législation n’ont-elles pas été appelées aussi par la médecine au secours de la vertu? L' Adepte. Ouùi:; la maréchaussée surtout deviendra: très— utile en morale , quand on | voudra:suivre les leçons de nos sages. ( Preu- ves ; n°2.) Le Philosophe. Comment nos lois et la police seconderont -— elles principalement les vœux de nos sages, et le grand objet de la morale ? L’ Adepte. En efaçant d’abord:de tous Îles ce — = | PHILOSOPHIQUES. 239 catéchismes distribués au peuple toute idée d’un [Dieu ; d’un ciel et d’un enfer. ( Preuves, n° 5.) 2°. En mettant à la place du ciel des ré- compenses plus solides , telles que les titres de marquis, de baron, les honneurs , les ri- chesses, et surtout beaucoup de gloire. ( Preu- ves, n° &.) 5°, En substituant à la crainte des enfers celle de la justice et des bourreaux. ( Preu- ves, n° 5.) Le Philosophe. La philosophie n’a-t-elle pas indiqué aux rois des moyens plus neufs encore pour rendre leurs sujets vertueux ? I” Adepte. Oui; les rois philosophes prêche- ront , parce que c’est à eux que ce droit appar- ent ; ils auront aussi grand soin d’ähnoncer chaque année tout ce qui devra être regardé comme vertueux ou comme vicieux: jusqu’à nouvel ordre. (Preuves , n° 6.) Le Philosophe. Ne seroit-il! pas encore fort bon pour la:vertu qu’il n’y eût point de riches en ce monde, et que tous les biens fussent communs ? L’ Adepte. Tant qu’un homme pourra dire que sa maison lui appartient, que son champ est à lui, la vertu n’aura qu’une existence pré- caire. Il faut, pour lui donner une base solide , anéanlir absolument toute propriété, (Preu- vs, n° 7.) 240 LES PROVINCIALES Le Philosophe. Dans l’état actuel des choses, où malheureusement tout citoyen a sa propriété, comment peut-on encore porter les hommes à la vertu ? $ Ju L’ Adepte. On y réussira het par la voie des plaisirs, en favorisant extrêmement la sensibilité physique. ( Preuves:, n° 8.) Le Philosophe. Donnez-moi quelques exem- ples des plaisirs physiques qui pourroient porler l’homme à la vertu. L’ Adepte. On pourroiït d'abord accorder au mari vertueux le droit de changer de femme , quand il s'ennuie de celle qu’il a eue quelque temps. Il seroit, en second heu; âssez facile de faire servir les femmes galantes à la propagätion de la vertu. ( Preuves , n° 0.) Le Philosophe! Comment #y prendroit la philosophie poux faire servir les femmes galantes à la propagation de la vertu? 411: L° Adepte. Elle abandonnerbit .ce soin aux courtisanes, sachant quelles eréemt à leur gré des âmes et des corps ; et qu'il dépend d’elles’ ” rendre! leurs amans ‘vertueux. Le ra A ‘10 e/11.) Le! Philosophe. La philosophie lasse SÎle à Chacun le droit de choisir celle des pres ga lantés qui plairoit davantage nie 7 it) : L’Adepte.” Noï ; !ce chéis n’appartiendroit qu'an citoyen le plus vertuënxs En-sy prenant de celle manière, le plus méchauit:"n’auroit FPHILOSOPHIQUES. o4t jamais que la plus laide; ce qui certainement deviendroit un grand moyen de corriger les mœurs. (Preuves, n°11.) Le Philosophe. Comment.s’y prendroit la philosophie pour arriver à un but si louable? L’Adepte. Elle exhorteroit nos Laïs à n’ac- corder elles-mêmes leurs faveurs qu’à l’homme distingué par ses vertus , surtout par son cou- rage et son amour pour la patrie , moyen très - efficace pour avoir des soldats et des héros. ( Preuves , n° 12.) se Le Philosophe. Quel est le moyen le plus moderne , et regardé par la philosophie comme le plus propre à rétablir Pempire de la vertu? L’Adepte. Ce moyen consiste dans l’étude de la musique et de la géométrie. Ce sont ces deux sciences , et surtout la musique , qui ren- dirent les anciens si vertueux. C’est pour avoir négligé la musique et la géométrie qu'il est aujourd’hui si peu d’honnèêtes gens. ( Preu- ves y n°119.) +; 11 12 LES PROVINCIALES PREUVES philosophiques du chapitre précédent, 1. PREMIER moyen de verlu : LA MÉDECINE, « C’est uniquement dû plüs ow du moins de régularité de la circulation de nos humeurs que dépendent nos vices, nos verius, nos « qualités, » (Ælambic moral, pag. 122.) Que le physicien, que Vanatomiste, que le médecin réunissent donc leurs expériénces , leurs observalions. . . . . Que leurs dé- couverles apprennent au moraliste les vraïs moyens qui peuvent influer sur les aclions des hommes, . . . . . Les ânrés seront tou- jours vicieusés quand les corps seront sonf- fans. . . . . En faisant de notre fme une substance spirituélle ; on se conténté de lui administrer dés remèdes spirituels, quinin- fluent point sur le tempérament , ou qui ne font que lui nuire, . . . . Cependarit il n’est pas douteux que le tempérament de l'homme ne puisse être corrigé, alléré, mo- difié par des causes aussi physiques que celles qui le constiluent. . . . . Chacun de nous peut, en quelque sorte , se faire un tempéra- ment, . . . . en prenant des nourritures moins succulentes, ou bien à l’aide de quel- ques remèdes. . . . . De ces causes maté- rielles nous voyons communément résulter VHILOSOPHIQUES, 243 « les facultés qui donnent le ton aux passions, « aux aclions morales: des: hommes. » (Sys4. nat, t.x,0ch mel 9. Voyez aussi les Œu- vres de Larnétrie. ) C’est done aux physiciens , aux médecins! aux amatonristes et'aux apothi- caires qu'il faut: avoir récours pour trouver cés remèdes qui donnent:du ton à la vertu, à nos actions morales: 2. Second moyen: MARÉCHAUSSÉE, POLICE, LÉGISLATION: & Qui:peutmier que les maréchanssées aient &désarmé: plus de brigands que la réligion ?..…. «La bonne où mauvaise police rend les mêmes « hommes rméchans où vertueux... Qu'on fasse « de bonnes lois... Une crainte respective con- « tiendra les: citoyens dans les: hernes du de- « voir:,. Bes:lois font. tout. » ÆJelvétius, de l'Homime; passim. Foy: surtout 71, c: 5'et 9, et dél'Esprit. CIl y a deux tribunaux, celui de & la nature et celui des lois. L’un connoît des, « délits de l’homme contre ses sembhibles ; Pau- « tre, és délits de l’homme contre lui-même. « La lei châtie lés crimes, la nature les vices. « La loi montre le gibet à l'assassin; la nature «montre l’hydropisieou‘la phthisie à l’intempé-. « rant, » Envoilà bien assez pour corriger les hommes. (Raynal, Hist:philos. et polit, t&: 4, p: 690, in-4%) 3. Troisième moyen : ABOLITION DE L’AN— CIEN CATÉCHISME NES PEUPLES, 24% LES PROVINCIALES « Si Ja politique plus éclairée s’occupoit sé- « rieusement de l'instruction du peuple... elle « seroit moins dans le cas de le tromper pour « le contenir. Qu’on cesse d’allumer son ima- « gination par l’idée de ces biens prétendus que « l'avenir lui réserve, et de ces supplices dont la « Divinité le menace pour le temps ou il ne « sera plus. » Qu'on détruise par conséquent tous ses anciens catéchismes qui lentretien- nent si souvent de ces idées. (Voyez Syst. nat. 4.1, c. 14.) Et qu’on y supplée par celui dont Helvétius et l’auteur de la Requête au roi pour. la destruction des prétres , nous donnent lé mo- dèle. (Voyez de l’Homme; t. 2, e cette: RE quéte. ) 4. Quatrième moyen : TITRES, HONNEURS, el. « Les titres, les honneurs, les récompenses, « Pestime publique et tous les plaisirs dont cette « estime est représentative, sont les récom- « penses les plus propres à faire renaître Pamour « de la vertu.» (V. de l'Homme , t. 2 , Caté- chisme. Item. Syst. nat. Syst. soc. , etc. ) 5. Cinquième moyen : LES BOURREAUX. « Ce ne sont point les anathèmes de la reli- « gion, c’est l'épée de la justice qui dans. les « cités désarme les assassins ; c’est le bourreau « qui retient le bras du meurtrier. La crainte « du supplice peut tout dans les camps, elle. «_ peüt toutaussi dans les villes... Elle rend les” « citoyens honnètes'et vertueux... Les vertus PHILOSOPHIQUES. 24h « sont donc l’œuvre des lois et non de la reli- « gion. » (De l'Homme, 7, c. 3.) ne 6. Sixième moyen : SERMONS ET CATÉCHISME DES ROIS. | « Un souverain à qui la société a confié Pau- « torité suprême tient dans sa main les grands «mobiles qui agissent sur les hommes. Il a plus « de pouvoir que les Dieux pour rétablir et « réformer les mœurs. Sa présence , ses récom- « penses, ses menaces; que dis-je? un seul de « ses regards peut bien plus que’ tous les « sermons des prêtres. C’est donc le souverain « qui doit prêcher ; c’est à lui qu’il appartient « deréformerles mœurs.» (Boulanger, Chris- tiänisme dévoilé.) « On pourroit composer un « Catéchisme de probité, dont les maximes « simples apprendoient aux peuples que la ver- € Lu, mvariable dans l’objet qu’elle se propose, « ne l’est point dans les moyens propres à rem- « plir cet objet... que c’est au législateur à « fixer l'instant où chaque action cesse d'être « vérlueuse et devient vicieuse.» ( De P Esprit , disc. 2 , ext. du ch. 17. -7. Septième moyen : PLUS DE PROPRIÉTÉ. «« Otez la propriété , il n’y a plus de passions « furieuses , plus d’actions féroces, plus de no- « tions, plus d’idées de z14/ moral.» Aussi, pour couper racine aux vices ét à tous les maux d'une société ; sans me soucier des railleries de Cenx qui redoutent la vérité , la première 116 LES PROVINCIALES loi que j'établis sera conçueenessitermes : «Rien « dans la société n’appartiendra siigulièrement, « nien propriété, à personne ,;:que les choses « dont il fera un usage actuel , soit pour ses’be- « soins, soit pour ses plaisirs, on son travail « journalier, » (Code de la Nature,5° partie.) 8. Huitième moyen : LES PLAISIRS. «Lama « ture, altentive 4 remplir nos désirs, vousap- «pelle à son Dieu pa: la woix ‘des plaisirs. » (Volt. , disc. sur le bonheur. })\«Qu’ontouyre « histoire , et l’on verra que-dans'tous'les-pays « où certaines vertus éloient encouragées par « l’espoir des-plaisirsides sens/sces verbus-jont « élé Les plus commumes.et-ontjétéle plus grand «éclat.» (De l’Æspnit dise. 5e. 15.) «La « force de li verln est toujours proportionnée « au degré-de plaisir qu'on dui tassigne pour « récompense. » ( Jbid.) 9. Nenuvième moyen. DIVORCE ET CHANGE- MENT D'ÉPOUSES. « Deux époux cessent-ils de ‘s'aimer ? eom- « mencent-jls à se hær? pourquoi les condam- « ner à vivre ensemble ?.....S'ilrest vrai que le « désir du changement soit aussi conforme , « comme on Île dit, à la nature humaine ,; on « ‘pourroit donc proposer da possibilité du mé- « æite. Ou pourvoit donc essayer de rendre, par « ce moyen,les guerriers plusbraves;'les magis- « Wats plus justes, les artisans-plas industrieux « ét les gens de génie plusstudieuxe»(ÆHelrét., = 4 PHILOSOPHIQUES. 217 de l'Homme ,1t. 2,p. 226.) « Le divorce est « unesuite des lois-des contrats... ÆEnle défen- « dauL, on fait de malheur des personnes qui « ne sauroient vivre ensemble, et souvent on « les force.aux:plnsgrands crimes. » Princip. deila Phil. nat. ce. 17.) 10. Dixième moyen : LES COURTISANES. (Si «le,plaisude lamour est pour les hommes le 4 plus wif-des yplaisirs, quel.germe fécond ren- « fermé dans -ce plaisir ! ‘et quelle ardeur pour « la xertu ne peut :point inspirer le désir des « femmes? .…, Ne sont-ce pasles femmes galantes «qui, -en excitant l'industrie des artisans du « luxe, les rendent de jour en jour plus utiles 4 à l'Etat? Les femmes sages, eu faisant des & Jargesses à des :mendians ou à des criminels, « sont moins bien -conseillées que les femmes 4 galantes par le désir de plaire. «:Les,plaisirs de l’amonr, ainsisque le remar- «queut Plütarque et Platon , sont les plus « propres à élever l'âme des peuples, et la «plus « dignerrécompense. des héros. »(:De l'Esprit, disc. 2 et 5, c. 15.) 11. «Quelle puissance en effet mont pas sur « nous.les plaisirs. des;sens ?.….. Hs formérent Je « caractüre de ces vertnenx Samniles, chez qi « la plus grande beauté étoit le prix de La plus « grande vertu... Qu'on examine par/quels « moyeus le fumeux Lycurge porta dans les «-cœurs de:ses:concitoyens l’enthonsiasme, et , 240 LES PROVINCIALES «C pour ainsi dire, la fièvre de la vertu. Qu'on se rappelle ces fêtes solennelles, où les belles et jeunes Lacédémoniennes s’'avançoient demi- nues , en dansant dans l’assemblée du peuple... Quel triomphe pour le jeune héros qui re- cevoit la palme de la gloire des mains de la beauté, qui lisoit l'estime sur le front des vieillards, l'amour dansles yeux de ces jeunes filles, et l'assurance de ces faveurs dont les- poir seul est un plaisir ! Peut-on douter qu’a- lors ce jeune guerrier ne füt ivre de vertu ? » ({ De Esprit, ibid.) « « « « « « « 32. « Supposons qu’à l'exemple de ces vierges consacrées à Îsis ou à Vesta, les plus belles Licédémoniennes eussent élé consacrées au mérite ; que, présentées nues dans Îles assem- biées , elle eussent été enlevées par les guer- riers, comme le prix de leur courage. il est certain que cette législation eüût encore rendu les Spartiaies plus vertueux et plus vaillans.» ( Zbid. ) 12. Cnzième moyen : COMMUNAUTÉ DES FEMMES , ET LEUR CHOIX. « Supposons, si l'ont veut, un pays où les femmes soient en commun. Plus dans ce pays elles inventeroient de moyens de séduire, plus elles maltiplieroient les plaisirs de lom- ne. Quelque degré de perfection qu’elles ob- tinssent en ce genre, on peut assurer que leur coquetlerie n'auroil rien de contraire au bon- FHILOSOSPHIQUES. 240 heur public. Tout ce que l’on pourroit encore exiger d’elles, c’est qu’elles conçussent tant de vénération pour leur beauté et leurs faveurs, qu’elles érussenit n’en devoir faire partqu'aux hommes distingués par leur génie, leur cou- age où leur probité. Leurs faveurs , par ce moyen, deviendrotent un encouragement aux talens et aux vertus. » ( De l'Homme et son éducat. $ 1 , note 22.) 15. Douzième moyen : LA MUSIQUE ET LA GÉOMÉTRIE, « La musique proprement dite paroissoit présider (anciennement) à la pratique de la mo- rale, et la géométrie à sa théorie. En suivant de loin l’analogie d’une pareille distribution , Von pourroit en relirer de grands avantages. Par exemple, nous verrions peut-être moins d’innocens condamnés , moins de procès im- perdablés perdus , si l’on ne pouvoit parvenit aux magistratures sans avoir subi un examen sévère sur la géométrie élémentaire... Les arts de la musique, venant à l’appui d'une saine dialectique, pourroïent rendre les magistrats plussensibles , plus humains, et leur apprendre à distinguer la voix de l’imposture des accens de la vérité... Les grands hommes de l’anti- quité étoient chantés par de jeunes beautés. Comment n’eussent - ils pas élé bons, grands et humains ? la vertu les subjuguoit par tous les sens. Un philosophe, chez eux, n’était 3. 250 LES PROVINCIALES « qu’un grandmusicien.Déjinonssoyonsparmi « nous, ce qui est d’un bon angure, la notion « du philosophe se rapprocher umpeu de kvno- « tion antique. On commence à y fuire entrer « les mathématiques et la musique.» Alest donc permis d'espérer qu’enfin la mamsique et la géo- métrie pourront nous élever à ‘tonte la perfec- tion de la vertn..(Zaounes-de la Philas. umo humain et de la vertu, art. 2.) NOTE De madame la Baronne sur le chapitre. TI. Ou ! pour ce chapitre , iliest véritablement unique; et la noirceur de notre catéchiste ne s’en montre que mieux. Ces moyens suggérés , à ce qu'il prétend , par la philosophie , pour su ppléer aux grands motifs-du préjuge religieux, sont, vous en conviendrez ,; souverainement ridicules; c’est précisément pour cela qu’il af- fecte de ne pas opposer, à son .ordinaire, le chapitre des non au chapitre ‘des out, comme si nos sages n’avoient tous ensemble rien in-— venié de mieux pour se passer du Dieu de PE- vangile. Mais le moyen de croire äci sur sa pa- role , que dans tous nos grands‘ hommes'l n’y en a pas un seul à opposer à ces Lucrèces ; pas un seul pour qui le véritable moraliste ne soit qu’un -PHILOSOPHIEQU ES. VRE Hippocrate ou mon apothicaire; pas un seul qui ait vu que Ja rhubarbe set :le séné ne sont pas toujours les vraies leçons qu'il faut à nos fri- pons; que la fiévre n’est pas la seule meladie d’un Cartouche; et que, tout:bien, portant qu'il peut étre , un fripon n'en voiera pas moins ma bourse. Croirai- je bien encore que pas un seul de nos sages n’a vu que c’est à la canaille qu'il faut parler de police, de maréchaussée et de bourreaux; qu'il faut à l'honnête homme d’an- tres motifs que La violence et les cachots ? Pas un seal enfin ne rougiroit de voir Helvétius se vautrer dans la icrapule, faire .de nos Lsis des maitresses de.mœurs , et:preudre les transports d’un soldat ivre, à l'aspect des eourtisanes , -pour.des.élans de vertu sublime ? Pas un-seul ne xexroit -combien il est xisible de prendre des eçous:de ge-re-sol. ou bien quelques problèmes sur les angles , les cercles, des ellipses pour des règles de mœurs. Vos virluoses ou voscantatrices de FOpéra seroieut donc les plus sages et les plus respectables des femmes, aux yeux de lous nos.sages ? Et le code d’un chancelierde France , de tout magistrat , seroit daus son Euclyde ? Non, chevalier, je ne saurois croire que 1a ‘philosophie a laissé débiter en son nom des ré- veries.decetteespèce , sans que nous ayons pre- testé contre leurs auteurs. Je seux que quelques sages aient fourni les oui, et que notre iaté- chiste les ail tons pris à notre école; vous sentez 252 LES PROVINCIALES au moins combien il est essentiel que vous nous fournissiez les 71071 pour le confondre. OBSERVATIONS D'un Provincial sur le sixième chapitre du double Catéchisme philosophique. QUE ces moyens, auxquels se réduisent toutes les ressources de nos philosophes modernes pour établir Pernpire de la vertu , prouvent bien Pimpuissance et la nullité de leur école! Es- sayons, lecteur, pour les apprécier, de les ranger tous sous trois classes différentes. La première pourra ne vous montrer nos sages que souverainement absurdes et risibles , lors qu'ils font uniquement dépendre Fextinction des vices, le rétablissement de la- vertu, des sciences les plus étrangères à la morale , telles que la musique , la géométrie , la médecine. Pour avoir quelque confiance en ces moyens, nous attendrous avec notre correspondante qu'on nous ait démontré qu’exceller dans l’art du mu- sicien, C’est aussi exceller en justice, en pro- bité, en douceur, en bonté, en générosité ; que les rapports des lignes , des surfaces, des solides , sont du même genre que les rapports de l’homme à la société, à la patrie, à la Divi- nité; que la santé et la vertu ne sont qu'une PHILOSOPHIQUES. 235 seule et même chose, et que guérir de la fièvre un brigand , un avare on un fourbe, c’est essen- iellement en faire un honnête homme. _ Dans la seconde classe de ces moyens phi- Josophiques, je comprendrois tous ceux qui peuvent contribuer en quelque sorte à rendre les grands crimes moins fréquens , moins pu- blics , moins scandaleux ; mais dont nos ré flexions vous ont tant de fois prouvé l’insuf- fisance , lorsqu'il s’agit de rendre l'homme véritablement et sincèrement vertueux. Avec leurs lois, et leurs bourreaux, et leurs maré- chaussées , quels autres crimes pourront = ils détourner que les vols et les assassinats publics? Quelle idée ont-ils donc de la vertu, si c’est là qu'ils la réduisent? Je vous l'ai déjà dit, |l’honnète homme de leur école est celai qui n’a pas mérité d’être pendu ; el voyez comme tous leurs principes nous forcent à w’avoir pas d’autre opinion de leurs tant vertueux philo- sophes. | Nous le savons aussi-bien qu'eux , il est des hommes qui ont besoin d’être retenus par la crainte des lois el l'appareil de la justice hu- aine; il en est qui ont besoin d’être animé par les titres , les honneurs, les distinctions : la morale chrétienne n’exclut pas ces ressources; Ile fait au contraire un devoir anx magistrats , aux princes , de les employer toutes en faveur de la vertu. Elle menace de l’indignation de Dieu 25% LES PROVINCIALES mème les rois qui , abusant ‘de leur antorilé, | -dispenseront des grâces, des honneurs, desipri- | viléges aux méchans , Join -d’en faire larécom- | pense de l’honnèête citoyen. Nous connaoissions | tous-ces moyens avant vos sages; mais franche- ment, Ces moyens sont-ils assez puissans pour -arrêler le-caurs-des passions? ces motifs .doivent- ils surtout être bien actifs sur le philosophe -qui:sauraapprécier les vanités humaines ? salis- font-ils le cœur ? ét n’est - ce pas le cœur qu'il! faut savoir gagner , purifier, élever, fortifier , | -pour lattacher aux vertus solides? Quelle que! #üt enfin l'efficacité de ces motifs, si l’amour | de la vertu anime bien sincèrement nos phi- losophes , à tous ces intérêts du moment .que n’ajoutent -1ls avec nous ce ;grand mobile, cet| intérêt si puissant par [lui-même , de l'avenir et de l'éternité, du salut ou de la réprobation, | -des cieux :on de l'enfer ? Pourquoi se borner à! des récampenses toujours foibles , toujours in- certaines, souvent équivoques, souvent altachées au vice bien plus qu’à la vertu ,-quand on peut: employer le plus fort, le plus-sûr, et le piusi attrayent on le plus redoutable ‘des mobiles ? Pourquoi s’en:tenir à la crainte ou.à l'espoir desk hommes, quand on-peut menacer ou promellre | au nom de Dien? Ne nous bornons pas à ces reproches quand il sera question de la troisième ‘espèce des. moyens PLlOpOsés par nos sages pour assurer” PH 1:L OC SOP HA QUES, : 255 l'empire des vertus. Les plaisirs des sens, le divorce , la pluralité” des femmes , les faveurs de courtisanes:! Peüt-en imaginé, que.des êtres soi-disant philosophes eussent pu se dégrader au point de proposer .ces iufamies comme des récompenses faites pour inspirer l’amour de la ertu ? C’est bien pew-le-conp que Dieu a con- fondu la sagesse des.sages, et qu'il en a fait des tvases d’immondices , en les livrant à toute la tbassesse , à toute la corruption de leur cœur. Dh!les lâches!il leur faut ces moyens d’assouvir eurs .appétits brutaux ; leur faut des: courti- fanes , rsi l’on exige d’eux quelques-uns de ces tilorts ou de ces. sacrifices que la yertu .com- ande ! Sans cette perspective, leur école ne ait comment s’y prendre pour rendre sesiadeptes énéreux citoyens, soldats intrépides,, vertueux ilosophes! Monstres d'hypocrisie!.où vont-ils lonc mêler le nom de la vertu ? L’nnpudicité %a plus erénée pouvoit-elle dicter -des Içous lus révoltantes? Lecteur, je.ne-xous dirai plus: rülez Jeuxs livres; je-vous dirai plutôt : Lisez, elisez-les ; et si de semrhlables leçons ne vous évoltent pas, ne vous pénêtrent-pas de la plus ive horreur contre leur détestable philosophie, oyez leur disciple ; votre cœur est fait pour de 236 LES PROVINCIALES Lonbssleslsshoslssiselesissiiehs sr ssdesiss ls sliolns)isslst ss] CATÉCHISME PHILOSOPHIQUE. CHAPTTRETVET Suicide approuvé. | Le Philosophe. QUAND toute Ia morale deviendra inutile pour rendre le philosophe heureux , quel parti prendra:t-il? L’ Adepte. Celui da suicide; il mourra en grand homme , puisqu'il ne peut pas vivre en homme heureux. Le Philosophe. La nature n’a-t-elle pas | horreur du suicide? | L’ Adepte. La nature ! au contraire ; suivant | nos Lucrèces modernes , c’est elle qui, pendant | des milliers d'années, a formé dans son sein | le fer qu'un suicide tourné contre lui- méme. | (Voy. Syst. nat.,t. 1, c. 14.) | { ! | | | | Le Philosophe. Le suicide est-il défendu par quelque religion ? L’ Adepte. Mahomet, nous dit Voltaire , est le seul qui ait pensé à défendre le suicide dans FHILOSOPHIQUES, 297 A LE IS LAS ES ALES LS SAS AA AS AE AS AS AS LAS 8 AS | Lo CATÉCHISME . PHILOSOPHIQUE. CRE AR PRE RER "VTE Suicide proscrit. Le Philosophe. Qu AN D toute la morale deviendra inutile pour rendre le philosophe heureux , quel parti prendra-t-il? L° Adepte. Celui de Ja constance ; il vivra feu grand sUE ré È \prenél que de mourir en Kche. - Le Philosophe. La nature n’a-t-elle pas hor- reur dû suicide ? L’ Adepte. Oui; suivant nos Lucrèces mo- ernes eux-mêmes , £/ est sûr que l'instinct que ous sentons pour notre conservation est nalu- el à l’homme. Cet instinct n’est autre chose que ‘horreur de notre- destruction. L’homme ne uroit donc se détruire sans faire violence à la ature. (Sysé. nat. ;t,1,c14.) Le Philosophe. kc suicide est-il défendu par uelque religion ? L” Adepte. « Il n’est point douteux, nous disent nos encyclopédistes , que l'Eglise chré- 230 LES PROVINCIALES Suicide approuvé. sa religion ,; par wntexle formel; et ce texte n'a pas le sens commun. (Quest. encycl., art. Suicide. ) Le Philosophe. Ne vaut-il pas mieux mettre fin à ses jours que traîner-une vie malheureuse ? L’ Adepte, « Quand'je suis aecablé de misère, « pourquoi m'empêcher de mettre fin à mes « peines ? » (Lettres Persanes , lell. 74.) Le Philosophe. Estl vrai qu’il y ait quelque -foiblesse là -setuer soi-même? L’Adepte. «{k:pareit.qu'il y a dise ri « dicule à dire que Catou se tua-par foiblesse, » (Quest. encycl., art. Suicide ).bes Romains n'avoient, pas besoin du.spleez pour mourir.de leur propre main, i{s étcient philosophes. (1b:) Mourir.comme Caton , c’est en effet.le comble des vertus humaines. (Helv., del Esprit.) Le Philosophe. Ne pourroit-on-pas direique Jes suicides, poussés par une force invincible ,ne peuvent au moins êlre.coupables? L’ Adeple. Oui; «lavie étant Le-plus grand « de,tousiles biens, ilest àsprésumer-que celui « (quis’en défait estpoussé-par une force invin- « cible... .. Son:coiveau est: thxullé dausides «directions opposées. ;Forcé «de «prendne,älors & une direction moyenne entrexleux: forees , 1l «wa chercher la mort. »'Son crimerest'tout au -plus celui d’une boule qui, poussée, par deux PILLLOSOPHEQ UE$, 289 Suicide proscrit, « tenne-ne condamne le suicide, »} éauee: » art. SUICIDE. ) ZLe.Philosophe. Ne vaut-il pas-mieuxmeitre fin à,ses jours-que:trainer ane vie malheureuse? ZL” Adepte. « On ne; pourra jamais démontrer « que la vie soit un:plus grand/malheur.que la « mort. » (Æncycl., ihid.) Le. Philosophe. Estil\vrai qu'ily ait quelque foiblesse à-se urer soi-même ? … L'édapte. Dans la mort de Caton même , « il n'y a ni force, ui foiblesse, ni courage, ni x Jâeheté;s,1l y. aamaladie, isoit chronique, soit 4 aigué, vu bien -transport.de xage-et de folie. » (Mor. unis.,$ 5, c. 9.) «Recevoir la mortavec « intrépidité, cest.courage;-se ka donner, c’est a Jâchelé, » (Les, Mœurs ,5part. 2, c.4.) . Le Philosophe. Ne pourroit oh pas-dire que ious.les suicides, poussés-par wue force invin- cible, ne péurent au moins être -eoupaliles? L'Adepte: « Quoïque tous les meurtriers « -d'enx-1mêmes puissent être regardés comme « des fous, des hommes dont le cerveau est dérangé dans le moment qu’ils ’ôtent la vie, 11 faut «ependant prendre garde à eur vie « précédente,C’est, là ordinañrement que ;se « trouve l’origine de leur désespoir. Peut-être « qu'ils nersaventi pas œeiqu'als font-dans le.mo- LS à 260 LES PROVINCIALES Suicide approuvé. autres, prendroit la diagonale. (Sysé nat. , £. 1, c. 11 et 14.) Le Philosophe. Tant que le philosophe jouit de son bon sens, il ne peut donc avoir aucune raison suffisante pour se tuer lui-même? L’ Adepte. Au contraire, une raison quel- conque ,tout chagrin, fout remords qai défigure pour lui le spectacle de la natrire, peut suffire à celui qui aura envie de se tuer. C’est ce qué nous déclare très - positivement: le Luere èce moderne. CSyst. nat; 1.34 24.) «9910 d Le Philosophe:Le sage dr x voit inulile à sa palrié ne mowra-t-il pas vertueux en se tuant lui méme? 1” Adepte. Le sage est alors pleinement en droit de disposer de lui-même. Il a rempli ses : fonctions sur la terre; c’est le cas de Brulus et de Caton. Ils meurent vertueux comme ils avoient vécu. Telle est la doctrine du célèbre Jean- : Jacques, dans cette mêmelettre où l’on croit bon- nement qu’il a voulu montrer le suicide inexcu- sable, ( Héloïse ; 3° part. ; lett: 22.) Le Philosophe. Le pacte social peut-il nous attacher malgré nous à la ln chere elle est un fardeau? . | uL’ Adepte. Point -du tout. Le ati social … PHILOSOLHIQUES. 261 DE Suicide proscrié. « ment qu'ils se tuent ; mais c’est leur faute », | et ce dernier crime leur est justemer:t émputé. (Encyclopédie, art. SUICIDE. ) Le Philosophe. Tant que le philosophe jouit | de son bon sens, il ne peut donc avoir aucune | raison suffisante pour se tuer lui-même? L’Adepte. Non; «il n’y a jamais que des | « fous qui pensent à se priver de la vie; rien | « n’invite l’homme à se délruire tant que Ja E raison luit. » C’est ce que nous déclare trés- Eur ce 14) Le Philosophe. Le sage qui se voit inutile à sa Jui-même ? | L’ Adepte. « On ne \peut ‘pas dire qu’un :« homme se puisse trouver ‘dans ün cas où'il « soit assuré qu’il n’est d'aucune utilité pour «& la société. Ce cas est impossible ; dans Ja « maladie la plus désespérée ; un homme peut « par l’exemple de fermeté; de patience, et des rt. SUICIDE.) Le Philosophe. Le pacte social peulif nous ttacher malgré nous à Ja vie, quand elle est un ardeau ? .L’Adepte, « Sous quelque pce que l’on positivement le Lucrèce moderne. (Syst. nat., patrie ne mourra-t-1l pas verlueux en se tuant « toujours être utile aux autres, ne fül-ce que. « aulres vertus qu’il leur donne. » FREE as 26% LES PROVINCIÂLES Suicide approuvé. suppose des avantages müluels. Il ést rompu pour moi dès qué la société ne me procure plus aucun avantage. Rien ne me rétien( plus dans ce monde; quand la vie est un fardeau pour moi, j'ai droit de la que re nat, , Extr. du (A 14, M VE ) Le Philosophe. Serions -nous obligés de | dissuader ceux que nous verrions près de se donner la mort? L’ Adepte. Pourquoi les dissuader? « Ba mort « est une porte.que.la.nature leur laisse toujours. ! « ouverte, et qui les délivre de lenrs maux lors-! | «qu'ils les, jugent, impossibles à guérir, .... | « Elle est une ressource qu’il ne faut-point ôter, ! «, à la vertu opprimée. » (Id. ,c, 12eta14.). | : Le Philosophe: Le monde ÿ gagneroit - il | beaucoup ; sichaeun: LL au moins dé se donner” | x mort? | | : D'Adepte. « Les liommies re séroient ni es- « elaves , ni superstitieux; la vérité tfonveroit’ | « des défenseurs plus zélés; les droits délhomme. « seroient plus hardiment soutenus; lès erreurs | « seroïent plus fortément combattues ; la 1y= | « rannie seroit à jamais bannie des nations. » (Id. , ce 14.) Et ce qui est bien plus, suivant le | PHILOSOPHIQUES, 265 Suicide proscrit: « considère le suicide , on peut le définir un « larcin fait à la société, et un attentat conire « la nature, » (Phil. de la Nat. 4.5 ,.p.50g.) _ « En supposant même que la vie füt un far- | « deau, nous ne serions pas, pour cela plus en « droit de nous la ravir qu’il ne nous est permis « de l’ôter aux autres.» (Les Mœurs, part. 5, DE LUA TE [DE Le Philosophe. Serions-nous obligés-de dis- suader ceux que nous verrions près de se donner la mort ? L’ Adepte. Comment ne pas les dissuader ? « Le sage doit la vérité à ses concitoyens. . ... « Il doit les détromper des: préjugés- qui les « conduisent à leur ruine, ét leur montrer les « précipices qui s'ouvrent sous leurs pus » ; à plus forte raison lorsqu'ils sont sur le point d’y tomber. (Essai sur:les Préjugés , c. 6 et 7.) Le Philosophe. Le monde ÿ gagneroit-il beaucoup, si chacun cräignoit moïns dé se tiier lui-même ? L' Adepte. Sous le moindre prétexte, chacun se tueroït ow tueroït les autres. C’est M. Délisle qui nous Papprend' par’ ces paroles : «Les scé— « lérats pour qui la vie ne seroït rien séroïënt & toujours maîtres: dé celle dès autres » !, ‘et nous né pourrions attribuer ce- désordre qu’à la: gangrène dés esprits , amenée par le 264 LES PROVINCIALES Suicide approuvé sage Delisle : ZZ n°y auroiït que des héros dans une ville ou il se commettroit souvent des sui- cides pareils à celui de ce Faldoni , qui se tue parce qu’il ne peut plus éponser sa maîtresse , el la tue elle-même. ( Delisle, Philosop. de la Nat.,1.5,p.316 et suile.) PREUVES plulosophiques du chapitre précédent. [ Comme, dans le chapitre ci-dessus, nous avons presque | toujours cité les expressions mèmes des divers philosophes qui nous en ont fourni les réponses, nous nous contente- rons de les fortifier par les Lextes suivans', sans nous trop occuper de les appliquer à chaque article en particulier. ] LE SUICIDE, Colonne A. 1. « CELUI qui se tue ne fait pas, comme ! « on le prétend, une injure à la nature, ou, «_si l’on veut, à son auteur. Il suit cette bonne ! «nature, en prenant la seule voie qui lui reste « pour sorur de ses peines. Il sort de lexis- « ience par une porte-qu’elle lui a laissée ou- « verte. Il ne peut l’offenser en suivant la loi « de celle-ci... Si nous considérons le pacte qu unit l’homme à la société, nous verrons 7 l PHILOSOPHIQUES., 265 Suicide proscrit. poison de l’athéisme. (Suite de la Phil. de la Nat., 1.5.) PREUVES philosophiques du chapitre préci- dent. [ Comme dans le chapitre ci-dessus , nous avons presque toujours cite les expressions mêmes des divers philosophes qui nous en ont fourni les réponses, nous nous contente- rons de Les fortifier par les textes suivans, sans nous trop occuper de les appliquer à chaque article en particulier.] LE SUICIDE, Colonne. B. 1. « FONDÉS sur la maxime toujours fausse, « quand elle n’est point modifiée, qu’une ac- « tion est grande et généreuse à proportion « qu'elle coute d’efforts, quelques hommes fa- « meux dans l’histoire ont cru, en se donnant | « la mort, mériter les éloges de la postérité, et « ont en eflet trouvé des admirateurs dans les « siècles suivans. Mais pour enfoncer le poi- « gnard dans le sein d’un père, il en coùteroit 4, 12 ti : 2. « Les Romains, qui n’avoient pas le spleen, 66 LES PROVINCIALES Colonne A. que lout pacte est conditionnel et réciproque. Le citoyen ne peut tenir à la société, à la patrie, que par le lien du bien-être. Ce lien est-il tranché ? il est remis en liberté, La société, ou ceux qui la représentent, le trai- tent-ils avec dureté, avec injustice , et lui rendent-ils son existence pénible? l’indigence et la honte viennent — elles le menacer au milieu d’un monde dédaigneux et endurci ? des amis perfides lui tournent-ils le dos dans {| Padversité? une femme infidèle outrage-t-elle son cœur? des enfans ingrats et rebelles affligent-ils sa vieillesse? at-il mis son bon- heur dans quelque ebjet exclusif qu’il lui soit impossible de se procurer? enfin, pour quelque cause que ce soit , le chagrin, le | remords , la mélancolie ont-ils défiguré pour | lui le spectacle de l’univers ? s’il ne peut sup-| porter ces maux , qu’il sorte de ce monde, qui! désormais n’est plus pour lui qu’un effroyable | désert. » (Syst. nat.,t.1,c.14.) | À | ne se tuoient pas encore eux-mêmes ). Au- jourd’hui les citoyens anglais sont philoso- « PHILOSOPHIQUES. 267 Colonne B. sans doute au parricide assassin de terribles combats, et des efforts bien violens, avant qu’il eût imposé silence à la voix de la nature. Or ces combats et ces efforts feroient-ils d’un crime affreux une action méritoire ? Lutter contre ses senlimens n’est une vertu que quand ces sentimens sont vicieux. Recevoir la mort avec intrépidité, c’est courage; se la donner, c'est lächeté. » ( Toussaint, les Moœurs, part. 5,0. 4, art. 2.) 2. « Le suicide est l'effet d'une vraie mala- die, d’un dérangement subit ou lent dans la machine... Pour être totalement dégouté de la vie, il faut un renversement général dans les idées. Les hommes accoutumés à juger les ac- tons par les motifs qui les font naître ont admiré le suicide produit par l’amour de la 268 LES PROVINCIALES Colonne A. « phes, et les citoyens romains ne sont rien. « Aussi les Anglais quittent-ils la vie fiéremeni, « quand il leur en prend fantaisie.» ( folt. Quest. encycl. art. Suicide. ) 5. « Des actions semblables à celle de Caton « (au suicide) sont l’effet du plus grand amour « pour la gloire. C’est à ce dernier terme qu’at- « teignent les fortes passions; c’est à ce terme « que la nature a posé les bornes de la vertu hu- « maine.» (elvét. de l’Esprit, Disc.3,c.16.), 4. « Quand les lois furent anéanlies, et que « l’état fut en proie à des tyrans, les citoyens « reprirent leur liberté naturelle, et leurs droiis « sur eux-mêmes. Quand Rome ne fut plus, il « fut permis à des Romains de cesser d’être. Ils « avoient rempli leur fonction sur la terre; ils « n’avoient plus de patrie; ils étoient en droit « de disposer d'eux, et de se rendre à eux- « mêmes la liberté qu'ils ne pouvoient plus « rendre à leur pays. Après avoir employé leur « liberté à servir Rome expiranle, el à com « battre pour les lois, Caton et Bruius mou- « rurent vertueux et grands comme ils avoient « vécu. » (Jean-Jacques Rousseau, Héloïse, 5° partie , lettre 22, c'est-à-dire, dans celles:}} « PHILOSOPHIQUES. 269 Colonne B. patrie, de la liberté, de la vertu: et ils l’ont blîmé quand il n’eut pour motif que l’ava- rice, un fol amour, une vanité puérile. Mais (dans Caton d’Utique même) le suicide est une folie... Il seroit peu sensé de vouloir le combattre par le raisonnement.» ( Wor. univ. 9) 3. « On entend par suicide Paction d’un homme qui, de propos délibéré , se tue d’une manière violente. Pour ce qui regarde la mc- ralité de cette action, il faut dire qu’elle est absolument contre la loi de la nature. » ( Æ- cycl. art, SUICIDE. ) À %« 4 «Il est donc permis, selon toi, de cesser de vivre? La preuve en est singulière; c’est que tu as envie de mourir. Voilà certes un argument fort commode pour les scélérals. Ils doivent t’être bien obligés des armes que tu leur fournis; il n’y aura plus de forfaits qu'ils ne justifient par la tentation de les com- meltre ; et dès que la tentation l’emportera sur Fhorreur du crime, dans le désir de mal faire ils en trouveront aussi le droit... Philosophe du jour, ignores-tu que tu ne saurois faire un pas sur la terre sans y trouver quelque devoir à remplir, et que tout homme est utile à lhumanité par cela seul qu’il existe 7... Chaque fois que tu seras tenté de sortir de la 270 LES PROVINCIALES | la méme ou ce philosophe pense combattre ên- | vinciblement le suicide. ) « Nat. t, 35, p. 316 et suite. ) « Dès que la vie de-| « Colonne A. 5. « Le suicide n’est peul-être pas un crime | quand 1l s’agit de terminer les douleurs tou- jours renaissantes d’une maladie incurable... Il peut se faire que, par la nature de la calom- nie, la verité ne puisse jamais entr’ouvrir le nuage qui l’environne. Alors quél est le bar- bare qui oseroit insulter à la mémoire de l’homme foible, qui, s'étant la vie, ne fait| qu’empècher la patrie de prolonger son crime! et son ingratitude?» ( Delisle, Phil. de la vient pénible à l’homme par une maladie | cruelle et incurable... en partant rigoureu-| sement des vérités que nous venons de dé-\ monlrer , il semble que cel être infortuné a le! droit de quitter la vie; peut-être même le doit-il, s’il nuit considérablement au bonheur! des autres: c’est encore une vérité dure l mais qui suit nécessairement des principes... Les liens qui l’attachoient à la vie ne subsis- tent donc plus; il lui est par conséquent per] PTHILOSOPHIQUES. 274 Colonne B. « vie, dis en toi-même: Que je fasse encore « une bonne action avant de mourir. Puis va « chercher quelque imdigent à secourir , quel- « que infortuné à consoler , quelque opprimé à « défendre... Si cette considération ne te re- « tient-pas, meurs, Lu n'es qu'un méchant. » (J. J. Rousseau, Emile, lettre 22.) 5. « Un des grands principes qui doiventar- « mer la société centre le suicide, c’est que dès « que la vie n’est plus rien à un homme, il est le « maître de celle des autres; ainsi il n’y a qu’un «. pas de l'envie de mourir à celle de tuer... Sons « quelque prétexte qu’on considère le suicide , « on peut le définir un larcin fait à la société , «.eb un altentat contre la nature. » ( Delisle, Philos. de la Nat, t, 5, p. 309.) 272 LES PROVINCIALES « mis d'achever de les briser; et s’il a assez de « grandeur d'âme, il le fera. » ( Principes de la Phil. nat. 6. 10.) « Quand Dieu ne nous auroit.donné la main, « l'instrument qui fabrique tous les antres , que « pour nous en faire user -coutre nous-mêmes... « ce seroit trop d’honneur pour noûs d’être « employés à un tel usage.» (Quest. royal. Jol. 5,p. 1.) NOTE De madame la Baronne sur le chapitre FIL. JE crois, chevalier, avoir lu quelque part, que dans la seule ville de Paris on avoit eomipté jusqu’à treize cents suicides pour une seule an- née, et qu'il y en a bien d’autres qui restent inconnus à la police mème; que la philosophie enfin rendoit cette fureur beaucoup plus com mune qu’on ne pense. Savez- vous bien que dans l’espace de cinquante ans cela feroit soixante- cinq mile suicides dans la seule ville de Paris ; qu’en doublant simplement ce nombre pour toutes les provinces, où nous ne laissons pas d’avoir fait certains progrès, cela feroit cent trente mille sujets que la philosophie auroit en- levés à la France ? Savez-vous bien que cette ac- cusation est grave et importante, et qu’elle pour- PHILOSOPHIQUES. 275 roit bien justifier ce que j'ai entendu dire à un certain abbé, que la philosophie est plus meur- trière que le fanatisme? Il comparoit celui-ci à «la peste qui désole la terre pendant quelque temps, -et la philosophie à ces rhumes dont on dit : Ce n’est rien, ce n’est qu’un rhume, et qui cepen- dant, au bout d’un certain temps, ont tué bien - plus d'hommes que la peste. Le fanatisme, disoit encore mon abbé, est -un cruel fléau ; c’estune fièvre chaude , brülante, dévorante, c’est la fièvre des peuples: mais sa : fureur est passagère, elle s’éteint d’elle-même , elle est rare dans nos annales: hors les guerres des Albigeois et celles du calvinisme ,; nous n’en complons guère d’autres dans noire histoire. Les peuples se lassent de tuer, de se massacrer pour une religion qui leur ordonne à tous de s’aimer, et dont les préceptes, prenant le dessus, - rétablissent enfin la paix . la charité. Le souvenir -seul des guerres du fanatisme en est un puissant - préservatif. Mon abbé prétend même que s’il n°y avoit point eu de philosophes dans Paris et à la cour, point de ces hommes qui, n’ayant ni foi, ni religion, cherchoiïent leur imtérêt dans les troubles, les guerres de l'Etat, animoient le - peuple à se battre pour un Evangile auquel eux ne croyoient pas , il prétend, dis-je, que, sans ces philosophes politiques , qui échauffoient sous main les deux partis, le fanatisme se seroit éteint » bien plus tôt, et n’auroit pas produit la centième oi 274% LES PROVINCIALES | parlie de ses horreurs, peut - être pas une seule bataille. | IL n’en est pas de mème du suicide philoso- phique, reprenoit mon abbé, c'est une fièvre lente, on ne s'aperçoit pas qu’elle va toujour rongeant l'Etat, emportant celui-ci dans la ville! celui-là dans les faubourgs. L'un s’est pendu hier, un autre s’est jeté dans la rivière, un troi- sicme s’est noblement tiré un coup de pistolet aux Tuileries, aux boulevarts, dans sa cham- bre, dans les lieux écartés; et tout eela fait nombre. Tout cela n'est pas sans doute cette fiux qui moissonne à larges bandes ; c’est la main qui arrache les épis de côté et d’autre; c’est le] voleur domestique qui aujourd'hui emporte ur) Jouis, demain un autre, et qui, au bout d'un! certain temps, a volé une année de revenu Enfin le calcul seul par lequel j’ai commencs: celte note vous montreroit daus un sécle deux cent soixante mille suicides ou sujels en-| levés à la France par la philosophie. Je sais que c'est pent-ètre exagérer pour cerlainesannées mais on pourroit y ajouter pour d’autres. Puisque nous en sommes sur cet article, il faut vous dire que, d’après mon abbé , ce n’est pas encore là le plus grand obstacle que la phi- losophie oppose à celte population , dont pour- tant nos sages observent si sonvent l’impor- tance. C’est d'abord une chose assez simguhère que VHILOSOPHIQUES. LE la philosophie recommande tant Ja population, et permelle si facilement aux gens de se tuer, mais ce n'est pas tout. Un jeune philosophe, assure mon abbé, est essentiellement un jeune libertin (et notre catéchisme ne le prouve pas mal dans certains chapitres); ce jeune hbertm s'accontume à satisfaire ses passions avec des courtisanes ou des filles, des femmes qui ne valent guère mieux; cette facilité ne lui donne pas beaucoup d’attraits pour l’union légitime, qui fixeroit son cœur et ses plaisirs, S'il se marie, c’est quand il ne peut presque plus étre père. El le pourroit, qu’il eraint de le devenir. L’intérèt personnel du plulosophe ne lui permet pas de diviser sa fortune avec de nouveaux êtres, et de consacrer à leur éducation , à leur entre- tien, ses soms, ses travaux, son argent. De là tant de vieillards de vingt-cinq ans épuisés de débanches; de là ce célibat si commun au- jourd hui ; de là ces unions si tardives, qu’on ne voit guère un seul de nos grands philosophes pére de deux enfans. On compteroit , par exemple, fort aisément ceux que nos coryphées ont donnés à l’état. En voulez-vous la preuve ? RE Ge dim lu je nn à 6 Enfans de d’Alembert. . Enfans de Diderot dans l'état civil . Enfans de J. J. Rousseau à l'hôpital. N m © Q Total, Enfans des quatre chefs de la philoso- 276 LES PROVINCIALFS phie, trois, dont deux à l'hopital des Enfans- | Trouvés. A ce calcul trop vrai, je m’avisai de répon- | dre en demandant à M. labbé : Et vous, mon- sieur ? et nos curés ? el nos... Je vous snénds : madame, reprend- il aussitôt: Moi, madame, et tous mes confrères, nous sommes , il est vrais. célibataires ; mais nous préchous aux jeunes gens la continence; en conservant leurs mœurs, nous conservons leurs forces ; nous prèchons aux époux , aux épouses la fidélité conjugale ; nous menaçous , nous foudroyons le libertinage ; nos fonctions ne nous permettent pas d'entrer dans les soins d’un ménage ,! de, donner par, nous-mêmes des sujels à Etat; mais combien n’en doit-il pas à la paix qu’un vrai ministre de l’Evangile , un bon curé entretient:dans les familles, aux soins qu’il a de marier les jeunes gens avant qu’ils ne donnent dans la débauche, à ses exhortations contre le libertinage , et à tout ce qu’il fait pour l’écarter de sa paroisse , aux charités même qu’il distribue anx pèrés indigens ? Sentez - vous ces réflexions, cheva- lier ? 1l me semble qu’elles mettent une assez grande différence entre le célibataire ecclésias- tique et le célibataire philosophe. Celui-là ne s’abstient de donner lui - même des sujets à l'Etat que pour lui en procurer davantage par les autres; celui-ci n’en donne point, et par ses principes il empêcüe les autres d’en donner; il PHILOSOPHIQUES. 77 étouffe, pour ainsidire, le germe, le désir de la paternité. De là tant de familles qui vont dépé- rissant,, et lant d’autres se soutenant à peine par un seul rejelon. Ajoutez à cela les plaidoyers de tant de philüsophes en faveur de ce luxe qui fait tant redouter aujonrd’hui la charge d’une ‘épouse , et surtout, celle d’une famille, et com- parez ensuite les ravages secrets de la philoso- phie avec ceux du fanatisme. Je voudrois que vous entendissiez tous les calculs de mon abbé, ils vous effraieroient, .… Fout philosophe décidé que vous êtes, peut- tre en rapprochant ces deux causes prochaines e destruction, le suicide et le célibat philoso- hique, peut-être finiriez-vous par dire comme ui : C’est bien à ces messieurs à nous parler des ravages du fanatisme. La superstition , excitée ar quelques philosophes scélérats , eût-elle en- evé, dans nos guerres civiles, un plus grand ombre de sujets à la France, une philosophie nsensée l’empêécheroit seule de réparer ses per- es. Son école condamne au néant des millions ‘hommes; elle débauche, affoiblit, pervertit eux qu’elle laisse naître; et quand elle ne sait omment les rendre heureux , elle les désespère, ur met le poignard à la main, ei leur dit : nez-vous. Quand uotre abbé me fait observer que ces éflexions exigeroient de la part de l'État une rtaine allention , que voulez-vous que. je lui Res LES PROVINCIALEFS réponde ? Quel avantage surtout ne lui donne pas sur moi ce fatal catéchisme ? Je finis ici mes obsérvalions ; parce que j'en aurois encore pour bien long-temps , si je vou- lois tout dire. Mais vous, chevalier , dites-moti s au moins si mes craintes, à l'aspect du cruel ca- téchisme, ne sont pas bien fondées. OBSERVATIONS D'un Provincial sur le dernier chapitre di double Catéchisme philosophique. L'INDIGNATION a abrégé mes réflexions sur les moyens que nos prélendus sages osent nous proposer pour rétablir Pempire de la vertu. Je ne serai pas long sur celui qu'ils nous donnent ici comme Ja seule ressource que leurs leçons laissent dans Pinfortune au juste où an méchant. Je l’avoue, j'ai long-temps médité leur doctrine sur le suicide ; je les vois le conseiller, je les vois le proscrirez; s'ils étoient tant soit peu consé- quens , ils varieroient moins. D’après leurs prin- eipes , ils Pauroient décidé nettement et cons- tamment : celui qui ne croit pas à une vie fn- ture ne sauroit voir un crime dans la mort, qui ne peut que häâter la fin de ses malheurs et le rendre au néart. Je défie tonte cette philoso- phie qui fait abstraction de la Divinité et d’une PHILOSOPHIQUES. 279 âme immortclle, de prouver que le suicide u’est pas un acte légitime et naturel, Je ne peux être attaché à la vie présente que par le bien-être qu’elle me procure ; je hais es- sentiellement, je fuis nécessairement la douleur, le mal-ét'e; voilà leur principe favori et uui- versel : donc si je suis mal à mon aise, si rien ne me présage un sort heureux, si je souffre , je ne fais, en mettant fin à mon existence, que suivre Ja loi de la nature, l’aversion essentielle qu’elle m'a donnée pour le mal-être. Je suis encore à concevoir comment la phr-- losophie peut désapprouver une conséquence si simple , si évidente, Mais de cette conséquence même j'en dédui- rai une autre qui vous fera sentir à quel point elle est odieuse, cette philosophie qui nous mène si directement au suicide , qui feroit disparoilre tout ce qu’il a d’affreux. Qu'est-ce en effet qu’une école dont les prin- cipes autorisent tout homme à disposer de sort existence , à se plonger lui-même le poignard dans le sein dès qu'il est mécontent de son sort ? On se plaint que déjà cette doctrine enlève cha- que jour à l’état un certain nombre de citoyens. Si la nature ne se roïdissoit pas contre nos phi- losophes , depuis long Lemps nos villes se dépen- pleroient bieu plas sensiblement; la classe mé- . contente, et sans espoir d’un sort plus heureux bdans ce monde, est assurément la plus nom- 280 LES PROVINCIALES breuse ; donnez lui les principes de vos faux sa- ges, elle creusera elle-même son tombeau. Mais combien de forfaits précéderont ce dernier eri- me! Avant d’altenter à ses propres Jours, le malheureux attentera à ceux de ce voisin qu’il peut: priver de sa fortune. S'il réussit , il jouit par le meurtre ou le poison; s’il ne réussit pas, ou sil redoute la vindicte publique , il a dans ses mains de quoi la prévenir. Que le méchant cest fort quand il n'hésite plus entre la mort et le succès! Fixez, s’il est possible , votre œil et votre esprit sur le tableau affreux que vous pré- senteront nos villes lorsque vous aurez mis tous les cœurs dans ces dispositions. Calculez toutes les victimes de vos principes destructeurs. Le vieillard termine par le fer et ses douleurs et ses infirmités; le pauvre, sa misère; le riche , ses “ennuis : l'amant, son désespoir; le méchant, ses remords: le juste même, le cours des injustices qu'il éprouve; celui-ci, son déshonneur ; celui- là , ses infortunes : bientôt chacun ne tient plus à la vie que par des liens que le moindre caprice viendra rompre. Dites-moi ce que c’est qu'une : philosophie dont les principes raisonnés ‘en- ‘traînent tant d’horreurs, tant de désordres. | Qu'il éloit bien plus simple , et que vous de- vez bien, lecteur, sentir en ce moment la né- cessité de recourir, en morale, à l’existence d’une vie à veuir, au dogme de ce Dieu, qui, ! auteur de nos jours, peul seul en disposer , et PHILOSOPHIQUES. 261 qui se charge de compenser dans les cieux tout ce que notre sort sur la terre aura eu de pé- nible ! Croyez-vous à ce Dieu ? Vous n’irez pas sans doute vous précipiter dans ses mains à l'instant même où, vous appropriant un droit de vie et de mort qu’il s’est réservé, vous violez son do- maine. Vous n’irez pas sans doute lui demander la récompense de votre foi , de votre soumission et de votre constance, dans Pinstant même où , désespérant de ses bontés , de sa puissance, vous outragez sa providence, et succombez en lâche à l'épreuve qui devoit lui montrer votre fidélité, votre courage. Vous n’espérez pas de voir les cieux s'ouvrir pour vous dans l'instant même où le désespoir des réprouvés est tout dans votre cœur. Vous n’espérez pas le pardon de vos cri- mes dans lPinstant même où, refusant de les expier tous par la soumission qu'il exige de vous , par kh pénitence qu’il vous avoit prescrite, vous les, couronnez Lous par le dernier des eri- mes. Croyez-vous à ce juge suprême des vivans et des morts? Pour vous soustraire à quelques disgräces passagères, à des maux que la mort termine tôt ou tard, vous n’irez pas sans doute hâter Farrèt terrible qui vous ouvre lenfer et ious,ses, feux ; qui vous dévoue au supplice éternel. :. C’est ainsi que Pidée seule d’un Dieu véngeunr et d’une vie future prévient tout désespoir , et 202 LES PROVINCIALES arrèêle la main du suicide. Dans le cours de mes réflexions, vous avez vu , lecteur, que l'oubli de ce dogme éloil la vraie source de toutes les erreurs, de tous les paradoxes ,; de toutes les absurdités de nos prétendus sages: c'est en s’en écantant que leur école se trouvera toujours forcée d'autoriser ces crimes , ces horreurs, ces infamies, dont leur perfide catéchisme inon- deroit la terre, Vous avez eu sans cesse occasion de vous en convaincre dans nos observations. C’est encore loubli d’nn Dien vengeur et d’une vie future qui les conduit au dernier des for- faits, à celui qui pent seul consommer digne- ment une vie remplie de tous les vices, de toutes les horreurs , des infamies , des abomi- nations qu'il leur fut réservé de justifier et de préconiser. C’est cet oubli qui laisse la raison sans appui , sans défense, lorsqu’elle veut plai- der pour la vertu. Qu'il ne soit donc jamais perdu de vue dans la science des moœurs:, . qu’il préside à toutes nos leçons , comme à toutes nos actions, ce Dien vengeur et rémunéra- teur ; ce Dieu qui ne sauroit laisser ni la vertu sans récompense , ni le vice sans châtiment, Le grand forfait de nos sages modernes est de l'avoir banni de leur école ; la grande preuve de leur aveuglement est dans ce catéchisme , qui ; après ! avoir justifié Lant de crimes, devoit essentiel lement aboutir à celui qui les consomme tous, Mais reprenez la suite de ces lettres ;' l’histoire { — — Û | | | PHILOSOPHIQUES. 263 de l’Adepte qu’elles vont vous faire connoîlie vous en dira bien plus encore que nos réfu- tations. A A RE RS A D A AA A AP ee AS AT LETTRE LXXIIT. La Baronne au Chevalier. QuELLE horrible catastrophe : chevalier ; quelle fin désastreuse! qui Pauroit jamais ima- giné, que c’étoit là enfin que viendroiïent abou- tir uos efforts, notre zèle pour la philosophie ? Tout est perdu pour nous: jamais, non, jamais yos compatrioles ne pourront plus souffrir le mot de philosophe; et moi-même, comment pourrai-je encore l'entendre sans frémir? Quel monstre : quel étrange catéchiste que ce M. de Rusi-soph! Je vous le disois bien , que son air me déplaisoit , que je voyois quelque chose de sinistre dans ses yeux ; mais qui l’eût jamais cru , que la terre portät un pareil monstre ? © ciel ! dans quel abîme il nous a entraînés ? Je ne sais comment m'y prendre; je ne sais par où vous commencer celte histoire fatale. Allons, il faul pourtant que vous en soyez instruit ; je vais me recueillir ; je rappelle mes forces pour écrire ce qui me fail frémir. Je ne sais si j'irai jusqu’au bont; je ne sais si vous lirez cette lettre jusqu’à la fin. Mais voyez , écoutez , plaignez- 204 LES PROVINCIALES nous; et s’il est possible , aidez encore ma foi à la philosophie. Vous l’avez reçu ce fatal catéchisme, qui ac- com pagnoit ma dernière lettre. Le lendemain que je l’eus fait parlir, voici ce qui se passa dans votre triste patrie. On se lève , chez M. le Bail, à Pheure or- dinaire ; les deux neveux attendent M. de Rusi-soph pour la leçon du jour ; on croit d’abord qu'il dort encore, on attend, on entre enfin chez lui, et plus de Rusi-soph. On entre chez mademoiselle Julie, et plus de mademoiï- selle Julie. Le bailli, la baillive : O ciel ! où est ma nièce ? qu’est devenue ma nièce ? Ima- ginez comment tout est bientôt en rumeur dans la maison. On cherche ; on s’aperçoit qu’il manque des effets , de l’argent , des billets. Pei- “gnez- vous le bailli dans cet instant ; comme il se voit affreusement trompé ! comme il crie à l’ingrat , au perfide , au monstre, au scélé- rat ! Toute la ville accourt ; on dépèche de tous côtés des gens furieux , et qui tous jurent de ramener la nièce, et surtout Rusi-soph mort on vif. Le dirai-je , chevalier ? Je wiomphois in- térieurement de cette scène , que j’avois soup- çonnée. Je m’attendois à voir humilié, con- fondu , un homme qui n’étoit à mes yeux qu’un vil ennemi de la philosophie. Je sentois ( PHILOSOPHIQUES. 285 le parti que j'en pourrois tirer en faveur de nos sages. Je ne vous dirai pas dans quel état je trouvai le bailli , et comment se passa toute cette jour- née. Vous le devinerez facilement. . . . . Sur le soir j'apprends qu’on a atteint nos fugitifs , qu’on les ramène; mais que la pauvre nièce est mourante , et qu’elle expirera peut-être avant que d'arriver. Hélas ! on disoit presque vrai. Mademoiselle Julie n’en pouvant plus, tantôt pleurant et sanglotant à mesure qu’elle fuyoit avec son ravisseur, tantôt se trouvant mal, il avoit bien fallu s'arrêter quelque part. M. de Rusi-soph se croyoit assez loin pour avoir échappé aux poursuites ; la fatigue, et surtout la douleur , le remords , les réflexions qui effrayoient Julie , l’avoient forcée à se met- ire au lit ; elle avoit perdu parole et sentiment : Rusi-soph , désolé de ne pouvoir la faire re- venir à elle, avoit été forcé d’appeler un médecin ; ils étoient auprès d’elle quand les émissaires du bailli entrent, se jettent sur Rusi- soph , et le garrottent. Le médecin avoit rendu la vie à la malheureuse Julie. On la met dans une voiture, et l’on arrive enfin sur le minuit. ... Laissons toute la ville, que vous pensez bien être accourue une seconde fois ; laissons ce monstre de Rusi-soph , que l’on mène en pri- son. Je ne reviendrai à lui que trop tôt. En ‘attendant, suivons Ja triste Julie; elle respire , 286 LES PROVINCIALES mais elle est dans un état plus cruel que la mort. Elle recouvre enfin ses sens ; erainte de la replonger dans le même état , on prend les voies de la douceur. On lui pardonne, on essuie ses larmes; mais ce n’est qu’au bout de deux jours qu’elle se résout à parler ; et c’est moi qui lui ai inspiré quelque confiance, c’est avec moi qu’elle demande un entretien. Quel affreux mystère, chevalier ! quelle horreur cel entre- tien me découvre ! Je ne veux , je ne dois vous en rien cacher; voici fidélement ce que Julie me dévoile : « Madame, vous voyez mon état, et vous « savez ma faute ; que vous allez être sur- « prise d’en apprendre la cause ! Je vous en « prie, madame , ne vous en fâchez pas; mais « si vous aviez moins parlé de philosophie dans « ce pays-ci, Julie seroit encore heureuse et « innocente. Vous ne le savez pas : ce monstre « qui m'a séduite est aussi philosophe ; ï] à « Jlong-temps caché sa façon de penser, il m’a « affreusement trompée. Dans les leçons qu'il «.me donna d’abord, je ne découvrois rien qui « dût me le rendre suspect. Je lPinterrogeois «-avec confiance , je l’écouteis avec plaisir ; « il sut me faire naître le désir de connoître « celte philosophie dont je vous avois tant de « fois entendu parler , mais que ni vous , me « disoit-il, ni monsieur le chevalier, ne counois- « siez que bien imparfaitement , et ne sauriez « jamais apprécier. | PHILOSOPHIQUES. 287 « La confiance aveugle que mon oncle avoit en sa vertu lui laissant le moyen de me voir : souvent tête à tête , sous prétexte des leçons qu’il me donnoit , il exigea de moi le plus grand secret pour celles que j'allois recevoir sur la philosophie. En ajoutant par là à ma curiosilé, il me fit tout promettre. Foible comme j'élois, et sans expérience, el surtout sans aucune de ces connoissances qu’exige la réfutation de ses principes , j’appris de lui à mépriser tout ce que les philosophes du jour appellent préjugé. S'il avoit mis moins d'art, moins de ménagement dans ses leçons, elles m'auroient souvent révoltée; mais il sut me conduire peu à peu à ce qu’il appeloit les vrais mystères de la philosophie. De deux caté- chismes qu’il avoit composés, il ne me montra d’abord que le premier. En me laissant aper- cevoir qu'il en existoit un second bien plus « mystérieux , il excita bien davantage ma cu- riosité. Lorsque je m'aperçus où le monstre voulait me conduire , il n’étoit plus temps de revenir sur mes pas. Îl avoit éveillé mes pas- sions, et mon cœur, qui n’étoit plus à moi, me faisoit saisir avec avidité des leçons dont j'ai frémi trop tard. « Ceperidant un reste de pudeur me soute- noït encore ; le scéléral sentoit que la crainte du scandale , du déshonneur , et la con- Wrainte où me tenoit la maison de mon oncle, ÿ LES PROVINCIALES étoient les seuls obstacles qui lui restoient à vaincre, Je résistai Jlong-temps au projet de nous affranchir de cette contrainte par une fuite dont il m’assuroit qu'il avoit menagé les moyens. Je résislois encore, quand la perte de son affreux catéchisme vint nous faire craindre d’être découverts. Il me pressa alors plus fortement que jamais. Il ajoula surtout que, quant à lui, il étoit résolu de quitter ce pays et celte maison de préjugés, qui lui lais- soient si peu de liberté pour vivre en philo- sophe. Je vous l’ai dit , madame , mon cœur en ce moment n’éloit plus à moiï, Je ne me reconnus, je ne sentis l’horreur de ma si- tuation qu'à l’instant où , fuyant dans les Lé- nébres de la nuit, je me trouvai seule avec ce monsire dans le cabriolet qu’il conduisoit lui- même. Toui mon sang se glaça; je frémis , je voulois revenir sur mes pas. Le scélérat étoit maitre de moi; il profitz de Loute ma foiblesse et de ma frayeur pour fuir avec plus de pré- » cipitation. Vous savez mieux que moi tout le 4; reste de cette fatale journée. » Pendant tout cet affreux récit , la douleur de Julie avoit , pour ainsi dire, changé de nature. En ce moment elle ne pleuroit plus, elle me regar- do it d’un oil fixe, sa voix étoit ferme ; son Lon m'imposoit tellement , qu’elle m’avoit forcée à garder le silence, malgré les efforts que je fis plus d'une fois pour l’interrompre; et quund elle eut PHILOSOPHIQUES, 209 Gni , en s’arrétant subitement , son regard seul sembloit me dire: Voilà où m'a conduite cette philésophie que vous êtes si jalouse de voir r€- gner dans votre palrie. Mettez-vons à ma place, chevalier; et sentez, |8”il est possible , toute l'impression que devoit produire sur moi un reproche semblable. Oh ! que j'étois honteuse ! que j'étois confuse et désespérée ! Je me regardois presque comme da première cause des malheurs de Julie, C’<- toït moi, c’étoient les éloges continuels de nos sages , c’étoient mes fréquentes conversalions éwr vos lettres , qui lui avoient fait naître les premiers désirs d'être initiée à nos mysières, O' Dieu ! qui eût pensé que cétoit là qu’ils devoient la conduire ? « Non, m’écriai - je &nfin, en cherchant à me cacher ma honte, on ignominie, et eelle de nos sages ; non, lie , ce n’est pas la philosophie qui vous a Sgarée. Le monstre qui a su abuser de ce nom tour vous séduire nest qu’un vil imposteur ; ln’est pas philosophe, » — « Il l’est , reprit Julie d’uû ton plus ferme encore; il l’est, et rous devez n’en avoir déjà que trop de preuves: ar puisqu'on estmaître de sa personne , on peut ’être aussi de sa correspondance et de tous ses Dapiers. » | Elle parloit encore, quand le baïlli accourt en ’écriant : « © ma fille! que le courroux du nel est juste! ton séducleur n’est plus; il s’est 4, 15 290 LES PROVINCIALES puni lui-même de sa perfidie et de tous ses for faits. Le monstre, persistant dans sa rage muette, avoit constamment refusé de répondre à ses juges. Comme on le ramenoit dans la prison , | tout à coup furieux, il s’élance en forcené contre | ses gardes, arrache un de leurs glaives , et dans l'instant il se l’enfonce lui- même dans le sein, et meurt comme un démon. O ma fille! le bon Dieu La vengée par les mains du scélérat même qui V’avoit séduite. » Julie entend ces mots; ses yeux s’égarent ; elle veut se lever ; je me jette sur elle en versant un torrent de larmes. — O ma pauvre Julie! _— Elle ne peut répondre; ses paroles s’entre- coupent. Je vois dans tout son air mille passions diverses; ses erreurs el son crime n’ont pas effacé ses premièresamours.Elle voudroit cacher qu’elle regrette un scélérat infâme. La douleur et la honte l’étouffent à la fois. Je le vois; je conjuré ! son oncle de s'éloigner, et de nous laisser seules, | — Pleurez, lui dis-je alors , oui, pleurezlibre- ment, chère Julie, ce monstre même que vous |! pouvez encore aimer. Hélas ! j'étois déj inon- | dée de ses larmes. Elle en répandoiït un torrent sur mon sein; je la serrois sur moicomme mon enfant. — Ah! madame, s’écrie-t -elle enfin, pardonnez à à Julie celte dernière foiblesse. Je le hais, je le déteste, je rougis de ces pleurs que je lui donne encore. Ils seront bientôt taris. Je saurai comme lui... Non, pardonne, grand PHILOSOPHIQUES. 291 - Dieu! Toi que j’aimois avant mon crime, rends- moi toute ma force. — Sa prière est exaucée. Plus forte que jamais, Julie me regarde d’un œil fixe. — Le voilà, madame, cet affreux caté- chisme ; voilà cette philosophie. Vous ne Ja connoissez pas encore toute. J’y renonce à ja- mais. Je reviens à toi, religion sainte ! Reviens toi-même dans mon cœur; viens expier moi crime; rends-moi mon innocence. — À ces mots elle se lève précipitamment, court et cher- che son oncle, se jette à ses genoux, le conjure de lui pardonner uu scandale qu’elle est bien résolue d’expier en se retirant dans un couvent. Le bon vieillard ne se résout qu'avec peine à ce sacrifice. Îl aime sa nièce, il ne veut point la perdre ; il consent cependant qu’elle aille quel- que temps se soustraire à un public trop instruit de sa faute,’ Parlez donc encore, chevalier, parlez à ce public de toute votre philosophie. Comment m'y prendrai--je, moi, pour oser seulement prononcer le nom de nos sages ? Par comble de malheur, 1l n’est plus temps de dire que ce monstre d’hypocrisie et de scélératesse n’étoit pas philosophe, Ses papiers ont tous été saisis ; et l’on y a trouvé non-seulement une copie du donble catéchisme , mais diverses lettres qui semblent annoncer la plus grande confiance de Ja part de nos sages, et une mission particulière pour la propagation de la philosophie. On y 292 LES PROVINCIALES voit tout le soin qui cértains persontiagés avoient de lui recommandér beaucoup de discrétion et de réserve dans la matrière dont il doit s’y prendre pour former dés adeptes. Il ÿ a cer taines lettres bién énigmatiques , mâis où j'ai lu des choôsés qüi ne peuvent guère s’appliquér qu’à vous et à moi; elles mdiqueroïent qu’il mé: ditoil quelque noir projét contre vous. Il en est dautres qui le félicitent d’avoir su s’arracher à cé lieu , où Pon dit que la philoso= phie est si maltraitée. Cela séimble annoncer que Rusi soph n’étoit qu’un échappé du petit Bérne ; que , manquant de moyens pour reloufnér à la capitale, il s’étoit vu forcé à jouer ici le rôle d’un détestable hypocrite , pour n'être pas connu. Mais toutés cés lettres ne sont rién auprès de certains manuscrits, qui auroient seuls suffi pour le perdre dans Pesprit de nos compatriotes et de tout bon Français. Vous naviez promis dans le temps de me révéler aussi les progrès que la politique doit à notre école. Si les principes de nos sages ên ce genre ressemblent à ceux qu’on me dit trouver dans les papiers de M. Rusi- soph, je vous en préviens , je suis top bonne Française pour vouloir encore entendre parler de cette philosophie. Je ne veux point qu'on dise que nos philosophes ne sont pas moins les ennemis du roi, des magistrats, de la patrie, de loute autorité que de toute religion, Et voilà EE PHILOSOPHIQUES. 299 cependant ce qui résulteroit de ces papiers qu’on dit avoir été déposés dans notre grelfe. Aussi, chevalier, vous ne sauriez croire à quel point le nom seul de philosophe est odieux en ce moment parmi vos compatriotes. Je n’y liens plus moi - même, et certes il me semble que vous devez me savoir un certain gré du peu de zèle qui me reste encore pour cette philoso- yhie, qui a tant de fois bouleversé mes idées. Je xenx que vous sachiez au moins que je ne me suis rendue qu’à la dernièreextrémité. Convenez qu'après la catastrophe de M. Rusi-soph, de la pauvre Julie , il faut bien de la constance pour xous demander encore les moyens de réparer ici Ja réputation de nos sages. Eh bien, je veux en- £ore voir ce-qu’on pourra faire pour la répara- ion de leur honneur. Doutez , après-cela, que jamais personne ait porté plus loin que moi le désir de se dire leur très - zélée servante , leur disciple et la vôtre. OBSERVATIONS D'un Provincial sur la lettre précedente. JE le sais, ce n’est pas absolument par les dis- ciples-qu’il faut juger des maîtres , ni même par les scandales des adeptes qu’il faut prononcer sur le caractère des leçons qu’ils ont reçues. Je 204 LES PROVINCIALES connois la nature et la bizarrerie des hommes : il n’est pas impossible, il est même trop ordi- naire d’en trouver qui, avec des opinions très- saines et conformes à tous les principes de la vertu, s’abandonnent à tous les vices ; commé il peut bien se faire qu'avec la niorale la plus perverse, celui qui n’aura ni les passions vives , ni l’occasion de se livrer au crime, soit dans ses actions une espèce d’honnête homme. Je le sais encore, tous nos philosophes ne ressemblent pas à ce monstre dont vous venez de lire les forfaits; je suis loin de le croire. Mais pour que leur école soit à l’abri de nos reproches, suffit-il d'observer en général que les maîtres ne peuvent pas répondre de la conduite des disciples ? J’ad- mettrai celte excuse, je la trouverai juste quand la conduite des disciples se trouvera en oppo- sition avec les principes qu'ils ont reçus des maîtres ; mais que nous répondra le philosophe , lorsque nouslui dirons : Cet adepte est méchant, et c’est en suivant vos leçons qu’il se montre méchant ? S'il n’eût reçu de vous que nos pré- ceptes évangéliques, vous pourriez opposer vos leçons à ses crimes; il seroit seul coupable; il ne pourroit s’en prendre qu’à lui- mème ; il auroit abusé de vos leçons, et nous n’aurions que lui à détester. Vous vous êtes Ôté ce moyen de dé- fense. Cet adepte est un vil séducteur, un ra- visseur infâme, un voleur, un ingrat, un per- fide, un monstre et un prodige de noirceur, | PHILOSOPHIQUES, 209 d'hypocrisie, de scélératesse. Direz - vous que c’est là un abus de votre philosophie? Non, c’est là lusage même de vos leçons ; c’est volre philosophie mise en action; c’est votre caté- chisme réduit en pratique. À qui faut-il s’en prendre de ses égaremens, si ce n’est à vous- mêmes ? Ce monstre est hypocrite! l'intérêt personnel exigeoit qu’il cachât ses sentimens; et vous avez fait de l'intérêt personnel le premier mobile de sa conduite. Il est ingrat! vous lui avez appris que la reconnoissance n’étoit pas un devoir. Il est voleur ! c’est de vous qu’il a su que la nature n'admet point de propriété, qu’elle rend tout commun. Ce monstre est un infime corrupteur de Pinnocence! votre catéchisme ne lui mon- troit que des plaisirs licites dans ceux dont il cherchoit la jouissance, et que des préjugés dans les lois de la pudeur. Il termine ses crimes par le dernier des crimes, en devenant son propre assassin ! c’est vous qui lui avez montré dans le suicide une ressource toujours prête pour Le philosophe à qui le déshonneur et le malheur rendent la vie à charge. Désavouez-vous ce ca- téchisme qui justifie seul tant de forfaits? Vous n’y êtes plus à temps. Cet affreux catéchisme est la substance même de vos productions philo- sophiques; il n’en est pas une seule dont les principes n’aient plus ou moins servi à en faire le catéchisme de la scélératesse, Il faut les brûler 296 LES PROVINCIALES toutes , et rougir de les avoir produites , ou re- connoître qu’à votre école un philosophe consé- quentest essentiellement un hommemonstrueux dans ses actions, comme vous l'êtes dans votre théorie, LL 22 622: ARR AR SAT AR RAS AR D D VAS DA D AD LETTRE LXEME La Baronne au Chevalier. EXCORE , chevalier , une avanie terrible pour la philosophie! encore de nouveaux sujets de désespoir! Et vous ne venez pas à mon secours, el vous m’abandontiez à toute la force de ia ten- lation! et depuis plus de deux mois, pas une seule réponse de votre pait. Nous voilà déclarés dans votre patrie, non plus seulement les enne- mis de toute religion , de toute vérité et de toute vertu; mais les ennemis de tout état, de tout gouvernement, et bien plus spécialement en- core les ennemis des rois. Vous ne tireriez pas de la tête de tous vos compalwiotes qu’un bon Français ne peut , ne sauroit être ce que nous appelons un philosophe; que l’école des Raynal , des Voltaire , des Jean-Jacques, des Helvétius , des Diderot, de lous nos politiques modernes , - est celle de la rébellion , de P imsubornation , de l'anarchie ; que nos rois surtout m’ont jamais eu d’ennemis plus décidés que les philosophes du PHILOSOPHIQUES. 267 jour. Eh! comment s’y prendre pour dévoiler la calomnie, quand , depuis ces terribles sénats qui font brüler au pied du grand escalier nos plus fameux chefs-d’œuvre, jusqu'aux petits bail- liages de province, tout s’arme contre nous, comme si nous élions la peste des états, le fléau de tout gouvernement ? Ils ont enfin paru ces manuscrits de M. Rusi-soph, avec une foule de livres philosophiques qu’il avoit su se procurer, On ena fait ici l'examen juridique, et ils sont tous passés du greffe à un bücher allumé par les mains du bourreau. Quel jour , 6 Dieu ! quel jour pour un cœur comme le mien , qui ne peut se résou- dre à un dernier adieu pour la philosophie! Hé- las ! il faudra bien s’en détacher ; car enfin jesuis Française, j'aime mon roi et ma patrie; je yeux que mon Emile ait, comme son père et ses an- cètres , la gloire de servir le roi et la patrie; ct si vous ne volez à mon secours, si vous ne dé- montrez l’injustice de nos bailliages séans en pro- vince, comment se persuader qu’on peut être Française, qu’on peut aimer son roi, la patrie , l'état , et être philosophe ? Ecoutez ce qui vient de se passer dans notre sénat helvien. Le jour marqué pour informer la cour de la nature des livres et écrits de M. Rusi-soph étoit arrivé. L’audience devoit être publique; le pro- cureur du roi devoit prononcer un long dis- cours; tont le monde accouroit pour l'entendre: je voulois m’absenter; il n’y eut pas moyen, ik 39, » 2G0 LES PROVINCIALES æ C fallut se laisser entrainer ; malgré moi j’entendis ce qu'un cœur philosophe ne peut entendre sans frémir; malgré moi je devins la triste specta- trice de la proscripltion la plus désespérante pour une adepte qui ne peut se résoudre à quitter la parlie , qui se flatie encore que vous lui fourni- rez quelque moyen pour venger notre gloire. Il ne suflisoit pas de l’avoir entendu ce dis- cours ; vos compatrioles, enchantés de Pélo- quence de l’orateur provincial, ont sollicité la publication du foudroyant réquisitoire ; et le voilà, chevalier , qui accompagne ma lettre , afin que vous voyiez vous-même si toutes les accusa- tions qu’on nous intente ne son pas aulant de calomnies dont la philosophie doive hautement solliciter la vengeance. Pardonnez-moi ce doute, chevalier; vous avez tant de fois confirmé les opinions qui me sembloient les moins philoso- phiques, que je crains bien encore de vous voir excuser ces nouvelles leçons plutôt que les dés- avouer. Ah! je vous en prie, ne me réduisez pas au désespoir. N’allez pas me dire que c’est encore là de la philosophie; je sens que je n’y tiendrois pas. Je suis Française comme tous nos bons et braves Helviens ; ce titre m’est précieux ; si c’est un préjugé, jy suis trop altachée; et malheur à mon fils s’il s’'avisoit d'y renoncer pour être philosophe! Je vous Paï dit , et je vons le répète : il servira le roi comme son père. Et vous-même, chevalier, vous-même me soup- | | | PHILOSOPHIQUES. 299 çonneriez-vous d’avoir pu engager Vos parens à vous envoyer dans la capitale , pour vous voir revenir aussi mauvais Français que l’on se plait ici à publier que nos sages le sont ? Non , non ; n’essayez pas seulement de justifier les principes que leur prête notre réquisitoire ; tout seroit dit alors. Je vous en préviens, je renoncerois dès Pinstant même à me signer jamais la Baronne philosophe; car je suis toujours prête à signer de mon sang même : La Baronne Française. P. S. Mes dispositions vous sont connues. Voyez à présent, lisez ce terrible discours, et pour dernière épreuve, prononcez. Extrait des registres de la Cour helvienne , du 11 août. CE jour, tous les membres de la grande au- dience convoqués et assemblés, le procureur du Roi portant la parole, a dit : MESSIEURS, S'il n’existoit sous le nom de philosophe que des hommes véritablement dignes de ce nom respectable , nous ne verrions dans eux que des sages précieux à l’état , à la religion ; jamais nos fonctions ne nous imposeroient un devoir plus 300 LES PROVINCIALES cher à notre cœur que celui de venger leur école , et d’implorer pour ses adeptes la pro- tection des magistrats. Notre voix en ce jour ne se feroit entendre que pour la célébrer ; nous vous dirions : Messieurs, la philosophie ‘est par son essence el l’école et l'empire de la raïson , dont efle réunit tontes les lumières. La vénité, la verta , le bonheur sont , sans:exeeption., l'ob- jet de ses recherches. Elle seroit eneone de plus beau présent que le Dieu de la mature eùt fait à l’homme , si le flambeau de la révélation n’avoit brillé pour nous. Mais l’erreur ét le vice ont leur philosophie , comme la vérité et la vertn. S'il existe des sages qui se font un devoir d'employer toutes ‘les lu- miéres de la raison, toutes les ressources de l’es- prit humain, pour connoîïtre le bien, pour le suivre et nous le faire aimer, il est aussi une philosophie scélérate , qui ne cherche dans la rai- son même que des armes propices au désor- dre; qui, par tous les détours et tous les artifi- ces du sophisme, s’éludie à transformér le men- songe en vérité , les forfaits en vertu. Contente de l’asile qu’elle sembloit trouver dans cette grande ville, où tous les systèmes , toutes les erreurs êet'ious les vices irouvent des partisans, parce que ‘tous les mtérèls sy ras- semblent , dns ‘cette icapitale-qui ne mous dé- dommage «des trésors: qu’élle-engloutit-que-parce qu’elle abséibe dans un ‘égoël conmoun Ver et | PHILOSOPHIQUES. 301 les immondices des provinces; contente de ré- pandre som venin dans ce Paris immense, in- forme , composé d’un million de pauvres et de riches , d’oisifs, de laborieux , de savans, d’i- gnorans ,; de bons, de détestables citoyens, cette philosophie désastreuse avoit jusqu’iei évité les regards moins disiraits des tribnnaux dis- persés dans l'empire. Nous ne la connoissions encore que par le mépris et la haine qu’avoient excités les réclamations de quelques hommes vertueux ; dont les écrits éloient parvenus jus- ‘qu’à nous. Aujourd’hui , s'étendant au-delà du grand foyer des crimes et de l’impiété, elle sembloit xouloir s'établir au milieu des provinces. Ses crimes , ses scandales ont trahi les premiers pas qu’elle a faits en rampant sous nos yeux. L’a- depte monstrueux qui devoit être son apôtre n’a pu.échapper à votre vigilance. Sa philosophie même a £lé son bourreau, et vous a épargné le soin de le-punir par une main sans doute moins infâme encore que la sienne. Votre zele pour l'intérêt public vous a fait un devoir de porter un regard perçant jusque sur les premières cau- ses de ses forfaits philosophiques. Vous avez soupçonné que les affreux principes dont il avoit si se CARO un catéchisme pouvoient avoir | été puisés dans ces productions | qu’il .cachoiït avec, soin ; et qui sont anjour d’hui le seul reste de sa dalle t 302 LES PROVINCIALÉS Vous nous avez chargés du soin d'examiner celle bibliothèque d’un fourbe scélérat, et de vous en faire plus spécialement connoître les principes. C’est pour remplir les vues de la cour , et les obligations de notre ministère , que || nous allons, messieurs , vous faire part des sen- timens qu’a excités dans nous la lecture suivie de ces. divers ouvrages, ayant pour titre, les uns : Système de la Nature ; Code de la Na- ture ; Philosophie de la Nature; Princi- pes de la Philosophie naturelle ; les autres : Système social; Système de la raison; Dieu et les Hommes : le Christianisme dévoilé ; Dictionnaire philosophique ; Questions ency- clopédiques ; Emile; le Contract social; la Nouvelle Héloise; Lettres de la Montagne ; Histoire philosophique et politique; de l’Es- prit; de l’Hornme et de son éducation; Re- quête au Roi sur la destruction des Pré- tres , etc., etc. En ne considérant tous ces ou- vrages, et un bon nombre d’autres dont l’objet est le même, que sous leurs rapports avec les mœurs et la religion, un seul mot suflira pour exciter l’indignation de la cour contre tous leurs auteurs. Nous nous contenterons de vous dire qu’il n’en est pas un seul dont les principes ! n'aient mérité d’entrer, en tout ou en partie, dans la rédaction du catéchisme désastreux, dont nul de vous n’a pu entendre la lecture sans frémir ; que de leur ensemble est résulté Le + J ÿ PHILOSOPHIQUES. 505 code de ce monstre qui n’a pu soutenir le procès que vous lui intentiez,, et qu'ilsontenfanté lous ces crimes. Nous avons rapproché tous les tex- tes qu’il avoit cités à leur appui. D’après la con noissance que nous en avons prise , nous pouvons attester que ce fatal chaos d’impiété et de blas- phèmes , de dépravation et de scélératesse , n’est qu’un extrait fidèle de toute la doctrine mo- rale et religieuse contenue dans ces livres, que nos soi-disant sages ont osé publier comme les chefs-d’œuvre de leur école. Sinous croyons devoir nous dispenser de tout détail sur ces objets, c’est que la cour en est dejà instruite; c’est qu’il est un nouveau jour sous lequel cette secte de prétendus sages me- rite , de la part du magistrat, une attention par- ticulière. Nous les avons considérés plus spécia- lement comme citoyens , surtout comme Fran- çais ; nous avons éludié , avec l'attention la plus scrupuleuse , tout leur système politique; etsous ce nouveau jour, nous vous dénonçons leur secte audacieuse el turbulente comme impatiente du joug de toute loi et de tout gouvernement comme partout lendante à exciter les trouble: èt les séditions de l’anarchie ; nous vous la dé- nonçons bien plus spécialement, celte secte in- solente, comme ennemie jurée de notre monar- chie, comme ayant sans cesse le sarcasme du mépris et de la haine contre nos rois , nos prin ces, contre tous les monarques , et comme tou- 304 LES PROVINCIALES jours prèle , sinon à arborer l’étendard de la ré- volle , parce qu’elle est encore plus lâche que perfide , du moins à semer sourdement Les prin- cipes de la rébellion, sous quelque esptce de gouvernement qu’elle soit admise ; et c’est ici , messieurs, qu’il seroit difficile d'exprimer quel a été notre étonnement, de quelle indiguation nous nous sommes sentis pénétrés lorsque nous ayons vu que ces mêmes plosophes:osoïent se dire encore Français, et annoncer qu'ils éeni- voient pour des Français. L’accusation quenous leur intentions ‘est grave sans doute; il sera dur pour eux de s'entendre déclarer mauvais citoyens, mauvais Français ; nous savons tout l’opprobre -que doit verser sur eux une pareïlle inculpation : mais ouvrons leurs productions diverses et qu’ils viennent sollici- ter contre nous-mêmes la vindicte publique, si nous abusons de notre ministère pour nous en imposer sur leur école. Celui-là est partout un mauvais citoyen, qui jamais ne remonte à l’origine de nos gonverne- mens divers que pour la rendre suspecte et odieuse. Celui-là est partout un mauvais citoyen, qui n’examine la nature d'un gouvernement quel- conque que pour les répudier tous sans .excep- üon. Celnilà enfin.est partout un mauvais citoyen , qui partout favorise les dissensions entre le sou- À | : PHILOSOPHIQUES. 505 yerain et les sujets, qui préconise la révolte, et | nous rappelle sans cesse à l'anarchie, Jugeons sur ces principes l’école de ces sages modernes, et prononcez, messieurs, s’il est nu seul état où leur doctrine politique puisse ètre | tolérée. | Lorsquenous parlerons devant ces audacieux | de l’origine même des diverses sociétés politi- ques, des formes qu’elles ont adoptées pour vi- .yre sous des lojs, sous;une autorité quelçonque,, gare dons-nous bien d’abord de remonter aux des- seins d’un Dieu même. qui ARROQRCE; 885) FO | lontés en faisant de l'homme un élre sociable : | gardons-nous de leur d're que ce Dieu, ami de l’ordre, est la sourêe de tout gouvernement bien ordonné ; que. celui qui résiste aux puis- sances légitimes, résisté à ce Dieu même. Ce fut assurément une idée bien sage et bien su- | blime dans Ja religion, que celle d’avoir mis le | gouvernement de la société, comme celui des astres, sous la sauvegarde de la Divinité; d’a- voir yu le premier protecteur et le premier vengeur des lois dans un Dieu qui ne souffrira pas impunément que les passions l’emportent sur le bien général ; qui veille sur l'Etat comme sur son ouvrage , sur le prince comme sur son image, et sur le peuple comme sur ses enfans. | Par là le chef du peuple est averti que son em- pire doit ètre signalé comme celui de Dieu, par LL bonté, la vigilance, la justice, l'amour, la 506 LES PROVINCIALES bienfaisance; que manquer à ses devoirs, à ses fonctions, c’est manquer à an Dieu qui a voulu se voir représenté par lui, et’qui demandera aux administrateurs des sociétés Humaines un compte sévère de l'emploi qu'ils ont fait de la puissance qu’il leur a confiée. Par là tous les sujets sont maintenus dans le respect des chefs et de la loi. L'autorité ne peut avoir une source plus noble , la tyrannie un frein plus redou- table, la paix et le bonheur ‘public un garant plus sûr. Nos faux sages eux-mêmes semblent parfois le reconnoître; nous les avons vus forcés de convenir « combien les gouvernemens hu- « mains avoient besoin d’une autorité plus so- « lide que la seule raison, et combien il étoit « nécessaire au repos public que la volonté di- “« vineintervint pour donner à l'autorité souve- « raine un caraclère sacré et inviolable, qui ôtât « aux sujets le funeste droit d’en disposer. » Nous les avons entendus ajouter : « Quand la « religion n’auroit fait que ce bien aux hommes, « c'en seroit assez pour qu’ils dussent tous la « chérir et l’adopter. » (Jean-Jacq., disc. sur « l'orig. de l’Inégal., 2° partie.) Cependant ce- lui même à qui la vérité arrache cet aveu cest celui qui le plus obstinément combattit ce principe. Loin d’être destinés à vivre sous nos _gouvernemens divers, et sous les auspices de la Divinité, les Fees selon lui, n’ont pu se soumettre à une loi commune et sortir des fo- PHILOSOPHIQUES. 507 rêts , etrenoncer à une liberté féroce, entière ment semblable à cellé de la bête, sans renoncer * aux vues de la nature; ét.l’homme,sous un gou- veïnement quelconque, n’est qe home flétri etavili, ( Koy:ad, 2bida:):ib arc | io on . - Tous nos prélenidus sages, redoutint , comme le philosophe de Genève, cette religion sainte, | qui nous montée dans la. volonté mème da sou- |verain des: hommes d’origine de, nos sociétés, de nos empires.et.de nos républiques, frémissent et s’indignent contre cette origine. La calomnie | ki plus grossière; vomit sans cesse par leur bou- che: les injures les, plus 'atroces. Si nous les Len croyons, en faisant descendre Ja loi de Dieu mème; «la religion n’a fait que se rendre com- « plice de la tyrannie et de tous ses excès. » Ils ont dénaluré nos. principes, ‘pour gyoir lieu, de sécrier : «Des prêtres adulateurs ont,eu :le front «de mettre les tyrans mêmes sous la sauvegarde « duciel® Hs éurent kvbassesse de leur attribuer «des ‘droits divinssrde: priver les'nations, du « droit de se défendre. Et loin de mettre un «frein aux passions! des princes, la: religion ne -«' fit que leur lâchér la bride, » { Toy. Syst. |s00. LA re. 3; Essai sur les préjugés,:e. 143 Syst. ris. elc.) ap | Quelle cause première assigneront-ils donc eux-mêmes à la société, ànos gouvernemens ? Toutes celles qui peuvent rendre la loi suspecte et l’autorité odieuse : l'ignorance ; la crainte , 308 LES PROVINCIALES le hasard, la déraison, la superstition, l’im- prudénée des peuples , et leur stupidité, la ty- rénnie ; et toût'au plus l’ynprudentelreconnois- sante dés peuples bour leurs prenijens bienfai- teurs. Voilà, nous disentails ce qui a présidé jusqu'ici à l'établissenient desigouvernemens , ainsi qu'à leurs réformes. \oilà l'origine des grandes sociétés, des’ empires des monarchies, et de tous les états! ( Syst: soc.é. 2,0. 2iet 5,; voy. aussi Essai sur les préjugés ; Systsnak., Despot. oriental. ) Avec bien:plus ide vérité, ils auroient pu nous dire quelle: premier des pèrés fut le premier des chefs: que des premières fa- inilles naquirent les premières sociétés ; et que és sociétés nombr euses ine_ pouvant. subsister sans chef, satis Loi: etlsans gouvernement, il est ‘dans la nataré mémeide l’homme de vivre sous :des lois ÿ comme il: esb:dans sa: nature de vivre en société. Mais cette origine rendoit au citoyen ‘Pétat aussi précieux quersa familleÿ; élle assuroit Vautorité des chefs: , et l'amour 8es sujéts et leur surnission Ce n'est pas la Pespnit de nos:sages médegnes ; lilks ne regardent denrière. eux ‘que -pour rendre suspects lés droits des sougerains ; ils empoisonnent lesisources primiives de toule autorité, parce qu'il ne veulent ,ivre:sous aucune. ÿ Deman dons-leur en effet à Mae De ne ment ils voudroient au moins se soumeltre dans l'état actuel des choses. Il n’en est pas un seul | FN PMILOSOPHIQUES. 30g | auquel ils n’aient voué la haine et le mépris. La monarchié par excellence est l’objet de | leurs élameurs, de leurs déclamations sédi- tieuses. « Les rois, vous disent-ils , ressemblent « trop souvent au Saturne de la fable, qui dé- « voroït ses propres enfans. Le gouvernement « monarchique , mettant des forces énormes en- « tre les mains d’un seul homme, doit, par sa « fature même , le tenter d’abuser de son-peu- « voir pour se meltre au-dessus des lois, pour « exercer le despotisme et la tyrannie , qui sont « les plus terribles fléaux des nations. » ( /Zd, cbid.) Aussi les monarques ;.les rois, les empe- reurs,;:ne sont-ils @rdiñairement, désignés , par la philosophie : moderne |, que sous le nom de tyrans et de despetes. «La royauté met une « trop grande distance entre le souverain et les « shyets » (Sysé. soc. ibid.) pour que le phi- losophe s’y soumettre sans réclamer sans cesse les droits de la nature, IlLne vivra donc pas sûns frémir sous une monarchie. Transportez lefaux sage dans nos républiques; son esprit inquiet, impatient de tout joug, ne s’estimera pas plus heureux. Vous l’entendrez nous dire, « qu'aux eéffervescences subites et « souvent cruelles et longues des républiques « om voit communément succéder la langueur « et l’engourdissement mortel que, produit le « despotisme, dans le sein duquel les, peuples « vonl'se reposer des transports que leur, ont 6 310 LES PROVINCIALES « causés leurs folies; que’dans l'espoir ide: se « remettre , les peuples républicains finissent « par se soumettre à quelque tyran, qu'ils lais- « sent travailler sans obstacle à leur destruction « finale.» ( Zd. 1bid.) Le philosophe ne vivra donc pas éncore dans une republique ; il la dé testera comme là monarchie , et criera encore à la tyrannie, au’ despotisme: ” Offrez-lui de se laisser régir par la démocra- tie; il n’en sera pas moins l’ennemi de ce nou- vel état. Il vous dira que ce gouvernement, «en « proie aux cabales ; à la licence; à l’anarchie, & ne procure aucün bénheur à ses! éoncitoyens, ‘ét les rend souveñt plus inqüiéts de leur sort « ge les sujéts d’un désposte ou d’un tyran... € qu’un peuplé sans’ lumières ;/sans raison, sans « équité, punit’ souvent’ ceux qui le ser Fr le « mieux; qu’il est ingrat, jaloux et ombra- « geux..... que des charlatans: PRE le con- « duisent de folies en folies, jusqu’à ce qu'il « ail écrasé la liberté apparente dont il pouvoit « jouir, sous le poids de sés propres fureurs. » (Id. ibid.) Le philosophe ne ‘pourra donc pas vivre sous un gouvernement démocratique , comme il ne sauroit vivre sous un gouverne- ment républicain où monarchique. Se réfugiera-t-il dans ces élats régis par la noblesse, et conséntifa-t-il enfin à jouer quel- qué part‘ Je rôle de: ‘citoyen paisible:et ami de l'état? Non, messieurs. « L'aristocratie, vous PHILOSOPHIQUES. 31c « dira-t-1l, ne nous présente pas des scènes plus « riantes. On y voit des nobles, des magistrats, « des sénateurs orgueillenx , qui, concentrés en « eux-mêmes , sacrifient l’état à leurs intérêts « personnels. Le plébéien y essuie les dédains de ses maîtres altiers, dans lesquels il ne « trouve que des tyrans disposés à se pardon- « ner réciproquement les iniquités qu'ils font « essayer à leurs sujels.,. Il n’est point de li- « berté, ajoutera-t-il, sous. ce gouvernement « soupçonneux. Tout le monde y vit dans l’in- «quiétude. Chaque citoyen craint son conci- « toyen. Quel peut étre le bonheur d’un état « dont la confiance est bannie?» ( Id. ibid.) Le philosophe ne vivra donc pas encore sous un gouvernement aristocratique, .comme.il ne sauroil vivre dans une, monarchie, dans une république, ou bien sous Ja démocratie. Car observez, IMESSIeUrs , que, pour vous exprimer la haine et le mépris de nos faux sages pour touset-pour chacun de nos gouvernemens, nous avons Loujonrs, eu soin de nous servir de leurs A propres expressions, N’élions - nous donc pas bien autorisés à vous les déférer comme de mau- vais citoyens, qui, après avoir flétri l’origine de tout gouvernement, n’en examinent encore la nature Are pour. les répudier tous sans exception ? | Ils les ont tous proscrils en par ticulier, ils les proscriront tous en général. Les uns nous 512 LÉS PROVINCTALES disent nétterrént que «Te vrai législateur est & encore À naître.» (Æist. phil. et polis.) C’étoit le vrai moyen de soñslraire à là loi tous les ci toyens. Les autres vous répètent « qu’il méxisle « point encore de constitution bien érdonnée. « que lé hasard, 14 déraison , la violérice 6nt « présidé jusqu'ici À Pétibllséement des gou= « vernemens, ainsi qu'à lèurs réformes; que « tous lés chängemens qui fiüréñt tentés n’ont & été pour l’érdinairé que les ouvragés informes « du trouble, de la discorde, du vertige, de « l'ambition, du fanatisme. » (Sysé. s0e. €. 2, c. 2.) De cette haïne générale , de cette anti2 pathie universelle de nos sages inodernes contre tous les états, que pouvois= nous conclure , messieurs , si ce n’ést que n’en souffrant aucuñ y ils ne peuvent el né doivént aussi être tolérés dans aucun? Cette conséquétice vous paroîtroit bien plus légitime si nous méttions sous les yeux de la cour les principes que cette secte ne cesse de répandre pour exciter des hainés perpétuelles entre les citoyens et les chefs de l’état, et pour favoriser l'esprit de rébellion , pour répandre celui de l'anarchie. Tantôt vous les verriez sous mille différentes tournures, ne prononcér les mots de liberté, d'égalité, que pour nous fire croire que l'iné- galité d’autorité, de condition, de richesses , de puissance, dans un gouvernement quelconque, est le comble de la démence ; que cette indé- PHILOSOPHIQUES. 919 pendance qui ne sauroit ‘souffrir de supérieur est l'instinct méme de la nature éclairé par La raison. (P'oy. Hist. phil. ct polit. t. 4, p. 15 et 26. ) Tantôt ; .exagérant les droits des peuples, ils ne rappelleront des pactes primitifs, des conditions ; des contrats naturels , que pour dire aux sujets que partout ils sont maîtres d’o- béir à la lois qu'ils ont seuls pa la faire; qu’ils peuvent la détruire, et foujours réclamer contre leurs propres engagemens pour des torts réels ou prétendus , dont ils seront seuls juges. (Helr, de l'Homme, $ 9 , note 9.) Tantôt ils vous di- ront sans hésiter , ei sans détour ; que nul homme actuellement existant n’est tenu d’obéir à celaï que son père et ses aïeux ont reconnu pour souverain, sous prélexte « qu’on veut ét « qwon choisit pour soi, qu’on ne sauroit vou- « loi ni choisir pour un autre; qu’il seroit in- « sensé de vouloir, de choisir pour celui qui « n’est pas encore mé. Point d'individa , suivant « eux , qui, mécontent de la forme du gouver- « nement deson päys, n'en puisse aller chercher «ailleurs une meilleure. Point de société qui « n’ait à changer la sienne la inème liberté « qu'eurenit ses ancêtres à l’adopter.» — (A leurs «. yeux encore, nulle société qui, créée hier, ou « il y a mille ans, ne puisse être abrogée dans « dixans ou demain » (Æist. polit. et phil. t.4, p.595. Foy. aussi le Contrat soc.) A ces prin- eipes faux et séditieux vous opposez en vain la 4, 14 514 LES PROVINCIÂLES voix de Ja raison ; ; vous demañdez en vain à nos faux sages ce qu il y aura de fixe, _de stable dans PEtat quand Jés peuplés seront imbus de ces Jéçons. Les contestations continélles entre les souverains et les sujets, , 1éS disputés , lès mur- mures , les factions intéstines ‘les ‘Bôulèverse mens per peines des empires, leur semblent pré- férables à la fidélité ‘des sujets at serment ‘de leurs pèr és. Vous leur direz eh'vain que à détté du père envers 1 Etal'est lé premier Hér ifage dés D enfans ; que ceux- cf, en recevant 1 Vie, nr roht- pas : Sans dutité d’autres droits dans” mL patrie que ceux quileur Furénit transmis ; ‘quele ferrnént des pèr es passe dônc' ax enfins Come 16’, sessions dé’nos ateux “pissent aux UaRaae à , avec l'obligation d'en acquitter Les changés: Vote leur dir ri en vain que lPénfint proiége par Pétat, houtri et élevé ‘dans le'sérh de sa patrie, doità l’état tout ce que lui” devéiènt un pére : et une mère, sans lesquels il-n’existéroft "pas ; qu ‘il Uent en quelque sorte de’ Pétil Vie même , puisqu il a tient dé ceux à qui Pétat Pa conservée ; qu'il doit” dé pltis & I Pare et on education ét la tranquillité, la’ süurété de Son en fance , ét ses forces acquises à à l'ombre dé rétal': Je que $ x y cut jamais un contrat nature}, c rest celui de à patrie, qui dit À ses) sujets : Je pro- tége ton enfance, jé serai ton appui , ti seras ma défense: je n'ai pas prétendu éléver dans mon sein un serpent qui doive se tourner un jour PHILOSOPHIQUES. 515 contre moi-même, ni un ingrat qui. doire user des forces que, je La aid donnés pour m'aban - dopner à à l'instant. où 1l poux ra ne rendre ser+ vice pour SEFViCe 1 ni un, enfant qui foie loin de | sa mère à l” Lao il doit acquitier ioutes les | detles. .delamour, de Ja reconnoissance et de la. | justice. idee rio , NL > 23 1 r | N° espérez, pas >. mess: eurs ;, que; ces aaisons. si fortes, dans, le, cœur. des. Vrais! palriotes. et des bons citoyens “ -que, ces) raisons, si évidemment | prises, du; yrai contrat. des sociétés humaines. # lassenL irapression sur nos faux sages. Elles leur montréroien! AS ce, ils doi vent desou mission au souverain, d 4 & fidélité au, senment, de leurs pèr es) de. seryices à la a patrie, Jasolens comme | ingree > RETAHES 4 parjures,.ils portent, l'im- Le nous outrager; et dans leur bou- | che,;g guicongue;ose penser awérement qu'eux, | « est un, esclave, ef, l’idolétre. de l'ouvrage |« de. ses PARUS Quiconque ose penser auire- « mené qu'eux est un, insensé. » (Id. ibid. ) *est donc unesfolie,, àjcette école insensée elle (mins ed horten les peuples à aimer leur |patties. à r'xeligieusement. le serment, de leurs, pères. HE 278 ho une folie.que de ne pas. | rier.sans cesse avec nos faux sages au despotisme et Alatyronnifs que de ne pas tenter de soulever | ’Earope enHers foutre ses souverains, en criant aux sujets qu'ilssontesclases en Europe comme Ues peuples le sonten Amérique ; que «Yunique 516 LES PROVINCIALES « avantage ique nous ayous,suxr les nègres est « de pouvoñrompre une chaine pouren prendre « uneautre. »(Æishpolit.. ét phil,t pe 299:) C’est doncencoreunefolie de ne pas criercomme nos philosophes, àtous.les. citoyens: 7 oulez- vous étre heureux ?aivez toujours sansynailré ( Volt: Disc. sur le bonheur.) ; dene pas prépa: rer tous les cœurs à l'anarchie, deme pas. metixe le bonhenndes sociétés danscadeisegclionr de toutgeuvernements 2505 : ion 28f 57440 Vous l'avez vu ymessienins, tels sont,en. géné- ral lés vœux,-lés prineipes de-cette;philosophie fmpatiente detonte autorités :5/reorx 23h Que vos cœurs serpréparent à une indigna- tion bien plus-mévitée.encore. Nous allons. con- sidérer ces factieux,; comme, Français ;;çomme vivant, dogmatisant au milieu d'un peaple dis- tingué sue la terreipar sonattachementà:la per- sonne sacrée de :sés mois. (est: ici, messieurs e que vous serez surpiis) de, l’insolence de nos prétendus sages ; de la haine‘qu'ils, ont, vouée à nos monarques;.et de leurs frénétiques, décla- mationsconire ces souverains auxquels la ÆErance doit, depuis tant desicoles;:le rangauguste qu'elle tient parmi les nations 2icomit 211809 kaË Qu'est-ce qu'unxoiaux raide mes préten- dus siges,et:d’où tient -il-son sceptre?Les in- soleris ont osénous répondre: Un roi n’est autre chose que de: premier. commis de :sa:nationr. : Hels., de L'Homme S 9,n0te:9+} ls onteu | | | Q 4 . t | | H ! A! > FHILOSOPHEQ UES, 517 l’impuderce_ d'ajouter : Uniroibiest le :premier domestique de\ses sujets (ea tolér.)5 et passautidu mépris à la haine ils n'ont pascraint dé dive à des Français: Vosroiscsortides bétes féroces qui'dévorentIlés rations (Hisk phil. b pôlit.; #2 4,41 19.) Vos rois \sonit es pre- miérs bourreaux de pe sujets. (Sÿs4a\det la Ratsome) où 90 Stores" £ rues, of egiot + Francais 1 te Éditragel de vos rois. Est, le vôtre ; vous n’enconnoissez ; pas chcaré Loute l'étendue. Vousraimez à:trouver dans Dicuiméme Fi instituteur dés, rois; l'auteur des monarchies , comme celui deltout-gouver- némént foudé éur: dar natwre : Une “philosophie énnenie |dé toût steplpea élevéila; voix pour vous apprendre ( qhé;si l’antonité des rois œient “de Diéu Leest) comme Îles: maladies: et. les fléau! du Rhin (Émile, ti 4;-p..561); .que Je premier: des vois fut ün-brigand., ou ‘ün oldat Heureux (Wolt., Mérope, acte 1 , 43 )à ‘que la force et là stupidité sont la seule orgine/ de Jéüt! trône. (Syst rais.) Et mous ne serions | past élonnés ,; révoltés ; qu’une phi- losophie dé cette: ejpèce ait précisément chojsi des cœurs français pour leur tenir ce. langage audacieux !'Notre langue se vefnseroit à répéter tant de blasphèmes contre le trône, si notre ministère ne nous imposoil pas l'obligation de dévoiler à la patrie ses ennemis jurés; mais il faut, messieurs , faire connoître loute l’étendue de - 516 LES PR OVINCIALES leur haine, pour “éclair er votre. (RÉEEE el décider Ja prosciption. “Us -1Nousferonsdonc violence à à. notrepr rOpre cc cœur, nous réciterons encore une partie des Jéçons © de celte philosophie, rebelle; mais quel ne sera pas xoux-.élonnement., lorsque >! Pour yous pemdre à Sa, Mmamière Lnstiiqn des vois ; | nous serons obligés, de vous dre: res NONDE « fus et de, nee Re re ; «portent en triomphe une idole q qu'on “appelle «, Bot, Empereur. Souyerain. On: couronne « celte idole, on, se prosterne devant. elle, : e .« Ænsuile, an bruit des. insLrumens, el de fille «-acclamations barbares. el, iusensées ; on. Ja «: déglare, ponr. Vayenir, Lordonnatrie souve- « rane de toalcs, Jes.scènes, sang! aptes qui, se "« passeront dans; l'empire , et le, premier bour- «reax.de la;.nation. »..( Syst. ris, 30€ 2 pag: 76.) Daus ces déclamations. inouies » tout voûs paroît por Ler Limpreinle, de la rage et de la frénésie ;, exigez pas, de, nos philosophes rebelles qu’ils modèrent au moins leurs es sions » ils sont prêts à répondre : AK: Qu'il ne «s’agit pas d’être polis de EPA. des tour- « nures;.qu'il s’agit d'être, vrar.» (id : Ole: 54. ) Et c’est pour être vrais qu’ils ‘crier one aux rois: “€ Tigres déifiés par d'autres: tigres, ae goyez « donc-passer à Pimmortalité? Qni, L n .exécra- « Lion, » (/d. note 37.) Et c’est pour AE vrais, RE ORQRE QUES. 519 c'est mème en demandant, eu croyant mériter les autels de La postérité, que , se livrant à toute la fièvre de la haine , ils prononceront ce dis- cours qui a pour tire : : AUx PRÉTENDES 3 MAÎTRES Dé LA TÉRRE. j 1 « Éléaux du génre humain, illustres tyrans Ce dé vos éemtblables ; hommes qui n’en avez le que le tre; rois ?princes, monarques , chefs, « SOA TÉRAIRSS vous Lous enfin, qui, vous élevant 7 sux 1 le trône et‘ äu'- déssus de vos sembla- 4 bles , avez perdu les idées d'égalité, d'équité , C'dE AB RED de vérité, en qui li sensibi- Cité, Boritg: Je Berne des vertus les plus ! os ordinäités ne gant pas même développés , je d'vous! assigrie au tribunal de la raison. Si ce # “globle mälhéureux ; roulant silenciensement «'aû milieu de l Gihai éntraîne avec lui tant x de filliérs d'infortunés attachés À sa sur face, «et ‘erichaîhés és au décret de l'opinion ; 5 si ce « globe; ‘dis-je, a été votre proie, et si vous en | « dévor dx eucure AIO ARS le tiste héritage, «ce w êst point à à Ja sagesse de vos prédéces- seuis ni aux vertus des prémiers humains que VOUS en tés redeévables; c'est à la stupi- =” aie, à à la craint£ ; à la nëtée à la perfidie, sac N D à fa sup Ailoi LA oilé vos titres. Ce n’est « «pointroi qui pronénce contre vous; c’est l'ora- * «€ cle des’ temps, ce sont les añnales de l’histoire. & Ouvrez des ;elles Yousinstratont mieux sans V& doute, el q@ Ÿ monu Masasanviipiéede mos mi- 1617 91} S 14H04 dot » 4 3520 LES PROVINCIALES « sères et de nos erreurs en som ünepréuves-que « Forgueil politiqueset ä fanatisme me: peuvent &'révoquehendoutesiotiiust 99 sup 39429"07 &« Descendez ‘de: TRAD éinudé posant « séeptre el coironnes ‘allepintetrôger létrler- & niée de vos sujets ; dent ee yutbarme « vésitablement:, 1cel qu'ilohyit templass Ilevous « répondra à coupe sûrqu'iliaaimer véritéble- « ment querses ART) nu haitçesanaîitres » (Es pag" get} 299 PRE SAIT OT: Vaïlà dene:; messienis PE NTPMENTE distinc- üif de nos prétendus sages la haine” de,deurs maîlres ;! de tout ce qui abaisse deurLnidieule orgueil ; et surtout la: haine :de nos rois. Îls vous le disentrolairementienx;:+mêmes qu'ils ont perdu, le: caractère distinctifde \tout\coœur français, l'amour le ses maîtr sde donEds:ses rois. Cette philosophie xebelle n’en:vent-point. Elle ne vondroit pas surtout, de ces vois comme les nôtres, auxquels la sagesse. dés. lois, assura le trône par un droit fiéréditaines. ilsinesveu- lent pas mème de ces rois é/ectifs., que diverses nations se donnent. ils nous. Font-encore.dit formellement : La royauté met une tropigrande distance entre le souverainet les sujets; pour ne pas révolter le philosophe. (Syst..soc.st,2 e. 2.) Parlez-leur de cette-nation.qui récemment encore n’a trouvé: d'asile contre. l'oppression qu’en donnant à ses rois Paulorité des nôtres , et vous les entendrez s’écrier : « A cet étrange PHILOSOPHIQUES, QE »«pet-hmmiliant spectacle, -qui est-ce qui ne se «demande. pas::Qu’estsce donc qu’un homme? «. qu'est-ce que ce sentiment-originel et, profond ‘x de dignité qu'on: lui sappose ? Est-il donc né « Ipour d'indépendance ou lesohrage : 2» Hist. philos:set polit. s-tonr.:6!, : pag:-3x7.), Nul de -mous!} messieurs ;-qui. ne: ie réponde: Qu'est- cèdoncquun-philosophe; et surtout-qu'un fran- à&ses malheurs Hs ont osé nous “dire quell'état dela France est'célüi d’un em- “pirélondes conritoyens : insensibles à la gloire, ‘Boñ# peer lé forine de leur gouvernement , in- ‘pinélhtérment'eñntratnés vers l'abrutissement ; ‘ipte kés lamisres sé répaindroient en vain , parce guelles'éclaiferotent les Français sur les mal- CHERS lu despotisme sans leur procurer le “'moyéhides s'ÿsétstraire. (IHelvét, del Homme, “et de süm édié.) préface. ÿ2 33! EU OP Pardur da‘ Français! pour ges rois doit 14. 522 LES PROVINCTALES être profondément gravé dans son éŒuk, ‘pour avoir résisté J jusqu’ ici à celté conjuratiôn philo- sophie! Mais qui sut, méssièurs; Coñbien de temps encore cé pale à raue r'ÉSISTEF: 5 4 principes ‘répandus dans tint 48° préduetié Nos faux sages insistent ; no présent vtr leur voix sans Cesse appelle à à li révolte; ën di- roit qui gi Leur tarde dé voir Fe trône Hate, nos rois sur Péchafaa 0? 816 arr limen Ici. je” les entends ’sécbier effrontément : « Qi est - ce donc FENT cet” ‘imbécilé’ HiGupéan « qu'on appelle r nation ? FL: : Peupiés lache tu- « pides ! puisque "À continuité ‘de Pôüppr bstot « ne vous donne. aucune “énergie... puise vous « êtes par millions, et que vous souffrez dune « douzaine d EEE armés de } petits Tree (C'est € ainsi. que V'insolence désigne” les Fois ‘et le « scepire) vous mènent à leur gré , obéisséz , « marchez sans nous importünerdè re plaitites; «_et sachez du moins être malheureux , ‘si vous «ne sayez pas être libres. » (Roy RhE Bfist. phil. et polit. 7. , P- 317. )Là ils a RAS TE. dre une nation lointaine, qui jugéoit habituel Jement ses rois, les Co RON ‘mème à H'ihort, pour ayoir lieu de nous ‘apprendre que & 7 ne « peuples connoissoient leurs pr rérogatives cet « ancien usage de Ceylan subsisteroit dans « toutes les contrées de la terré. » ( Jd. re 49) Ailleurs , nous les voyons s exhorter Tes uns les autres à soulever les peuples. « «Sages de la terre, oo 4 æHIL LOSOPH LQU ES. 29 « bhilesophes de loutes.. les nations, se disene: &, sg d faites XQUSir, ces. milliers d'esclaves sou- «, doyés x qui, + sont prêts : à exlérminer leurs ci- « + Laaner op dres de leurs mailres. Soulevez «dans. leurs é âmes la naluxe € et F humanité contre « ce CURE des. lois sociales. A] prenez- « leur. que Ja, lipañté vient de Die, lautorité «des hommes. Réyel les n mysLèr es qui tien— « nent Punivers à la ( chaîne € et : dans le. les ténèbres; «; st que,s ’aperceyant: combien onse] joue de leur «, sr les peuples éclairés tous à la fois Hs] [EN gloire, -de Fespèce I humaine, » (Lu. ls Pr 128: -) Ailleurs plus menaçans encore ; ils s cut aux rois pour leur dire au nom des. peupl es: « Nous. avons été les plus | foibles ; 5 £.NQUS ApOns cédé à à la for ‘Ce; mais si jamais nous G dévenons L les plus. forts à nous Yous- arrache - SSSR AN Lean or sans vous ne vous ÉTÉNTET «, a les tilres infâmes par ‘lesquels You régnez sur nous. Si nous sommes trop « :oibles pour si secouer votre joug, nous le por- « terons.en fiémissant ; vous aurez un ennemi Ka ‘dans chacun. de vos ms et vous serez à « chaque instant obligés de Lrembler sur ce trône « dont vous nesérez que d’injustes DURE » (Syst. s0cxt.2, L. 14) , Tels sont, 00 vrages dont nous étions char gés de vous rendre compte, les cris séditi- 524 LES! PROMINCIA LES tienx de ces hommescqui-ont oséise;dire phi- losophesiét-Françainl 511101 elqusq e5b aniedl Nous savons-bien ;1messienrs,,des:diverses | tousnures qu'ils .ne: céssentde prendre ‘pour échapper à-larsévérité des loisOnisait,;-non$s ont- ils dit,aumilieurde leurs;déclamations fré- nétiqués, que «x 7ous esaminons des choses en « phalosophes;et quercéme:sontpas nos spécur «. lations quisamenentiles Hioubles eivils; Point « desujets plus patiensquenous.1Silespenples « sontheureux-sous-lsforme;:de leur gouver- & nement, ils de! -gardenont. aSAÎs sontimalheu- « MEUX)Ce Mie seront mi x O8) Opiaions pibles-nôz « dres, ce;sera: l’impossibilité desles garder qui «les déterminer à lesichañgers» :(éséphul. el. polit. to:4,1ine4#%50p:1598. Has Hélvétside L'Homimes)s 10+ 9b }ast JNs1ove up e91106 b . C'eslamsi-qu'lslessayent de-mons:persuader que: leur. philosophie . n’atnien-cde:dangérèux pourle repos public:mais jusques à quandsera- t-il vrai-qu'ils n’ont, produit nitrouble ;, mt multe:; ni. guenres-intestines Le fauxisagesen tont-temps plus-liche «encoresque-perfidessiie lève. pas sans doute lui-même l'él endardi dela révolte; il se cache.en,soufilant:lesfewde la-dis- corde, mais ses principes ;ge1iment sil Hissé au temps lesoin d’améer;les, vévolütions; Saplume _régicide échauffe avec le temps.les 4cgœmisstiles esprits; e/est un feu quilong-tempsh couvésous li cendre, mais il-éclateras ie tinitre-quia su le PHILOSOPBHIQUES.. 3:5 faire sérpenter dans:nos foyers jouira de la haine des peuples contre les:souvérains ; et, de cellerdes souverains contre iles-cpeuples: I a semé dans les ténébres la révolte 1e sang et le carnagegäljouirade même: Déehitez le-rideau, vous verrez l-qhe Fil a répaudu: des bprincipes Puneotwlérance illimitée, c'est parce qu ilsavoit le besgin: quiert cauroitzune école-qui, sous le fix prétexte de défendre la vévitéy[s"enprend à desdois fiites-pour réprimen Pécrivain-sean- duleuxz inrpielet-séditieux conne ile scélérat , sons /prétexte de “sai propre défense, s'en:‘prend àdes-lois faites por réprimer l'abus du glaire el du poignard, Déchirezrle: rideaw; et vous verez Voltaire; Helvétias , ; Raynal;Jeanr-Jac- ques} Diderot, -Boulanger: et: Freret , ‘et tant d’autres qui avoient tant de fois nlcndié lato- lérancequrniverselle 5 ne-telérer jeux-mêmes ni l'Eglise ; mises prêtres, nises évêques ,!ni ses cénobites y nises: défenseurs ini le gouverne- ment , miles magisiwats; opposés à leurs prin- cipes-niles lois nt les princes, ni: les rois. Vous)les yerrez vomir contre tous ceux qui osentine pas penser comme eux des aps es gros- sières ÿdes calomnies alroces: : Déchirez le ridexu; et si jumais cét ange {u- télairee qui veille /surlai France : pete que Jeurs-leçons préralent sur Pesprit de Français, se mostempleshsontrenversés , si-l’amour ce nos- rois »s’éleint dans tous les cœurs, si notre 326 LES PROVINCIALES monarchie est ébranlée , sildes sujets s'élèvent contre le souverain , si:-mos- rois: sont-forcés d’armer contre les peuples, si-lés chéfsides:na+ tons, ne-voyant plus dins-Dien le: pretecteur des peuples et:le juge des: rois ;me saivent que les lois de: léur- caprice:;-s1 es-mations) sans prêtres, sans -auiels ; n’ont: plus:-que desbmil= lions de glaives.et:de bras/tonjours: prêts à se lever contre: les ‘tribunaux; -contée lertrône eb contre toute autorité légitime ; si l’anarclae pa roil avec tons ses désordres!; tontesises-dissen— sions etrses fleuves -de, sang k:quel::seral alors: Phistoire. de nos!malheirs?dé la-voïs seré- -duire à-ces! mots:.De:prétendus.sages, “optiéonit, et seméles he me les peuplesiles ont; misen, action, Ion of Sup ogtrrerir am -ful Ces RS PAPE alarmantes sont,les motifs, lrop justes! des conélusions. ee rite ‘que nous, laissons! à la Cour. -::- up ns'antiao Et:s’est. le procureur.du. roi éetir és en, Jais+, sant ses conclusions. sur.le bureau, elc.,.,.,, Pl Vous avez lu; chevalier, le’ terrible, dliscour : Imaginez comment il a monlé.toutes nos, lêles,. helviennes, Jai su que les conclusions étoient,, ° que la philosophie moderne, ne; telérant: aucune espèce: d'autorité et: de. gouvernement , ne devoit'être tolérée nulle part. 2° qu'étant. spécialement ‘ennemie dé. la! monarchie: et, du. gauvermement français ; elle devoit, spéciale ment être bannie de la France; 3° que tous les TP [x 4 PHILOSOPHIQUES. 527 livres! soi = disant philos2hiques, dont la cour avoitiordonné dexæmentet entendu le résuliat , devoieht- être dacérés- et bités par des iriains du-bourrenw, at pied:dh grandescalier 4° que toat homnte soi-disant philosophe | sétrépari- dant lesmêmes pritcipes qne ces livres, devoit étrerdens dla psuite: regardé -commerennemi de Pétat ;! mauvais citéyeng mauvais Français. et en ces’ qualités ÿ puni api toute»lnrigueur desqléisio riens tre ; Sinitiasl Sfoters sitioi 00: Ces Bétientanti chéri seulquelques dé- bats lesun& wouloïient que tout-hommie con. väinc® d’avoh écrit: de:pareilso ouvrages: soi- disant'philosophiques > ft: pendu s: lesantres , insistant suce “quel “procureur du®roiravoit lui-même insinué, que les déclamalions deimos sipesnecntretda “religion etnle! gouvernement annonçgôient une espèce de fièvre etide frénésie ! 4 opinoient que toute celte soi-disante philose: phié n'étoit qWune vraie mräladieprovenant de l'effervescence dé cértean:et: dus dérangement dé Pespritz qu'il falloit par conséquent traiter comme de vrais/nialades tous ceux qui, dans la suite; pr oitiéiént dans noÿ cantons avec: cette fièvre philosophiqaes2, 2uljosatda 6 Cette SAINS toit lasplus bénigne et Ja nb -coûférie à notre donectr naturelle, Héureuse- ment ‘ellé' passa® à: la pluralité desivoix pelle est mème déventé igénérale ; etiil iest. décidé que tout philosophe du‘jeur qui viendra se montrer 328 LES; PROYENGLALES parmi nous, aura $a,l,76 ACqlUsE au petit Berne, ety sera lisré à nos Lippocrates, Quint aux livres, ila’en esb,pas,un., seul,qus ait éghappé aux ammes., Onenbuila, jusqu'aux, derniers feu iles ; eomme.on brüle, dpsqu sn, lpge, de ceux qui apportentlapestés: ou Rivabbr is: Et moi, cheralier, que ferai; je? quel parti prendrai-je 7 Consolezrmpidoncas écrivez-moi done. H me semble que, xous, devez.êlre, assez satisfait d’une, constance qui n/a, pas, ençore.ab- solument;sucçeombé, à stant.d'épreuyes., Adieu ; -queliristeadienl, 3; 25% 2251a0 19 seal TC 91 ) el0/19e 9, : jasbsogho sitot: Sveloeier sl LA LAS LA VIA AA À VAR SAS LAS IA IAA VAS LAS VAS SALES VAS AA LISA LAISSES E B8Q-9'19 2 M9I0 HIONTHO BrHiqocolrti a'uof 12: 96190: @10N6 À 95 Ssgplosegarmols. seems oh, agiédosisalsidob;sl J9ovet esuiol, egusies )ugétranû Le, Chevalier à. la Baronnes. sls5 ! Da petit sie o he nf; itul1e99 PHpoies D 86p; 59, 9161609, 8, ehaoi ? ous me dériandez“des conseils et des éonil- ‘solätions y madiné, C’est Mo én°ce mofient, ‘hhi'En durdis Bésdmibién atitrementquel vois. “Votéz eh Juelendroit vof Rétties me privien- nent. Vous mé les avez hdressées! 4 Paris jet “acphis 1Noi8 Mmdis; mie "Foléi” Enfermé Maé ce “ième petit 'Béne dont vousl'arez listé iles Fgés l'annéé dernière” Ah 1 madanré? par quelle ne Ho blé Mn buis 2 je Fu éonduit !°Et conte tiers JE ER EE EU philoséphes ? Je a {1 ÉTEI 119 sel iscri PHILOSOPHIQUES. 52 déteste duimoins ceux dont je rougis d’üvoir exaité les vertus. Célsont eux, dui, madame, é&/sont eux qui me punissént d’avoir dévoilé les mystères: dé ‘notre! école!s je mai point à ie phindée dés divers traiteméens que j'éprouve ici depuis. Lois mois. Où ‘m'a i'eçn HabEsd come an nialadée ,Hièntôt 6n°a pensé: que je n'uvois Besoin que: rte) Pnstruil Lori a rendu “hommage à ia’ ônnie Hoi s on m'a fit lire des ouvrages que je né tonnoissois pôs; ei bien d’atitres’qué ÿ’avois méprisés. On à même exigé que je lusse et relusse vos letirés-et les miennes. Je résistois à tout; cependant je sentois que nol re philosophie pourroit bien n’êlre pas aussi uble, aussi ploricuse que, je. l’avois pensé ; et ce n’est que d'hier qu’on nva remis vos der- mères lettres, avec le double catéchisme : tout cela n’ébranloit pas encore’ mon âttachement à la -Philosophie ; ,mais,ce matin enfin j’ap- prends à connoîlre cé que c’est que ces hom- mes que j'aitantexallés..Ce, M. Rusi-soph,, ce -monsire que;j'avois, en,efles connu à Paris, et que, je: ra oi Raman philosophe, ce même homme dont. vous m'avez écrit tous les crimes, est x crée Par me perdre. lrité de notre -Gorrespondance , il avoit, secrètement écrit, à , divers. philosophes, » deur ropnsqni, tout le mal que. j'ayois fait... disoit-il , à, nolre école, en dévorlant,ses mysières; c’est lui-même encore qui, pour faire, cesser, celle correspondance , 550 LES PROVINCIALES avoit, imaginé .de me. faire passer pour un de ces hommes dont. le cerveau troublé pas la phi- losophie, a, besoin! des moyens qu'on réumit ici. pour dissiper labexration. Nos: sagess prêts à tout pour conserver l'honneur de Ja philoso- phie, ont ,secondé sourdement ce projets, et ils opt réussi. Voilà, madame , ce que je viens d'apprendre, Notre: gouvérneur, auquel je ne puis refuser les éloges dns à; ses bantés ; à son zèle pour moi.,.est enfin yenu,à hout. de dé- couvrir celte trame, Jugez de mon, horreur pour ceux qui, Pont, ourdie, Qn a voula, en. profier ici pour me. faire renoncer. À.Ja philosophie. Il men éoûte autant qu'à vous, madame , de prendre ce parti. Je sens encore je ne sais quelle honte à revenir sur mes pas. Je déteste les philosophes, ai-je réponr;raris-jerdes. mande encore du jemps poux renoncer à la de l« losophie. J'en ai été apôtre; je ne veux pas qu’on péisse dire qu’un mécontentement, particulier m'engage seul à quitter son école. Telle est actuellement ma situation, Je-;sais bien que les pOur du; petit Berne me seront ouvertes des que jam décidément abandonné ceite philosophie qu’on regarde ici comme le comble de la folie et de l'aberration ; mais moi qui ne vayois dans elle qne le chef- me œuvre de mon siècle, reviendrai-je à tous. les pr pr jugés des écoles antiques ? Pardonnez à mon incer! üitude ; dans quelques j jours, peul-êlre, serai-je décidé : es FPHILOSOPHIÔUCES. 152 Mnhis dns cé moment’) pléfenez-itoi, Madame, “étldodnez = moi Vous 2 mime ces ténseils que vous me demandez! Pardonmez an moins’au “rèlé bièn! &iricére avec léquel ‘jélépétois les te- OHSAE Hoëlsiges "Su lje Vous’ a jai ihltrite “en été) Cest que! étuis mor même bien “trompe. Je vous quttié 'péé que n6$méde- En, 1ojours pré iét Cône Hotel cer- Véani m'enWoient-enltrénénere, phâmétet pa- pier} erdinte qd'ané wbp longue éccupation ne fisse renaître" qu'ils” croient ma” folie. "AN ils né/&ivent pas-27.1 Mais älpéthe sf laigsect-on le: témips de! terminés fa ettie pau l’assuranice du: préfond respéet avec léentel: j'ai l'honneur ètre, te? 0m ape sl rtren 56 #:5%5b #1, RQ RSA TUTO ON: SHHOR IIS DL DEA DDC 2 ges vis Cri EU Re 1 PE YANN TA (Ts) 2) LYTIS MEN DEN LA 18 0 9 2 MS SHOP PA OT JF] sd L 313 >'É1DAT D je) PAIE PANVON ASTM INONDAES ÿ4 ego rh bus fe Baronne au Chevalier. DI09 NO8TTS)HUDIS HE? SopEN Let oi puis voi pris cheväliér', vous ‘ass au petit Berne ? Etvous hésitez ‘encore à FÉROME RL DHiO RE phre?| 7 10 8j elle étoit *# riihiGNt fout cé que nous pénsiôns ‘vous et “mor, 1e chef “d'œuvre du siéele!! aa glôtre ét 'Hétinbur/ de nos Hénies modérnes ; jé vous dois! Bivéz toûs vos dbctetifs du petit Beÿne, “pravez Fasqu'A” là perfidie de ‘ces sages! qui vous ont &iindignement trahi pour avoir dé- 352 LES, PROVINCIALES voilé, leurs mystères ; et que. votre;petite-loge soit le trône-de:la constance philosophiques Qui sait si je nirai pas moisméme ons tenir com pagnie? Mais certès jai découxert-enfin-ee que c'est que toutes ces belles inventions.de vos pré- tenGus sages: Is, sont les philosophes du jour; et je eroyois à Jeur école nexoix que du nouyeau, du plus moderne. le les snivois,, comme. il.est de Khonneur de mon,sexe de;suivre la, mode, et desprendre toujours.ce .qu'ily. a de plus meuf. Mais ioule cette prétendue-philosophie moderne n’est. qu ’une radoteuse de plus .de.deux mille ans, qui nous. cache ses. rides-éternelles,;, qui reparoit chargée et, de rouge-et..de-fard;, pour rajeunir son teint basank, par les, siècles, Jet je pourrois encore hésiter à lui-dire,un. adien éter- nel? Ah! chevalier, je suisren vérité um peu trop bonteuse d’y-axou: élé. prise ,-et:de.m’ètre si lourdement trompée. C’en est-fait, je renonce à toute celte philosophie , aux chefs - d'œuvre modernes de vingt siècles, à vos génies créateurs de .tout-ce que loubliset de,\mépris avoient enseveli dans la poussière de nos antiques bi- blioikèques. Et vous-même, .commentpourriez- vous bien encore conserver tant d'estime et de zèle pour ces vils plagiaires', “qui nous! doñnent sans cesse , comme les pr oductions d'in: esprit créateur , ce qu'ils vont copiant “servilément dans des bouquins poudreux qu’on dédaignoit delire? Certes, Le beau martyrique-vous feriez, ‘PHILOSOPHIQUES:. 555 d'aller/croupir dans votre loge pour: l'honneur déesamessieuns, j\quinessuscitent. sPtbien l’an- tiquué} Voyeziet méditezh dettre/que je vous fais passer avec la, viénrie, Fleestidun vieux ablsé qui navoilijarmais lu que sesivieux livres, etqui-pinayant flic dernièrement une’visité, se mit à viré de tout/s0n ‘coeur en um'entendant parler demos philéséphes modernes’et de leurs systèmes imoderuids.,> et de leurs opinions mo- dérmespI mé di bénressentiquill ÿ'avoil au ions Ginquinté aus qu'il avoit lu toutes ces opimions modernes dans-ides livres: écrits aby a iquinze”, vingt; bvingt- end siècles. de m'a- - visti deeontester avec laily il eital je mes sais domibien! d’antiques! philosophés, ‘qui avoient dit précisément les iñêmes choses que nos phi- Josophes tant môdéies3 il mie pria de lûi pré- te és’ letties ‘et les” miennes ; , seulement pour qéélques* jotnis4 et jen ie la lettre sivyantez code zut : sidqoeolidaq euisorn 2inog 2076 eolpsre JB insovs Aiinadame la spl dett*, -1d Le PAG, BOL ,9D' 945 gere 0... 44? -HiscoMADAME,,: 101 TA app 3b4i0, omtites h.jaei 4e vise io RO pan RER vous avez 18. agréablement soylenu la gloire. de nos sages du jours et la, lecture c de. leurs opinions dans x9s, leles,, dans gelles, 4e M, le, Chevalier , m'ont , fait APT: l'envie ie, d'établis. entre) ces 554 LES IPROVINCIALIHS messieurs ‘et nôs anciens: un parallèle ‘qui he semble assez propré à déméritren, le queÿa vois l'honhieur de voustdire, iqnéi tonsrvés pré tendus modernes n’étoient queles ancieñsrese: suscilés: P’ai repris quelques wns ‘dei niès Aviéurx livres ; j'ai comparé les opinionsi donnez=vous la peine de dire de résultat de ces petit travail, qui seroit bien plus :longr} si .je me’craigriois d'abuserdevotre patiencesietsrmonewrd ge me permettoil d'entrer dans deplusgranids détails: Rapprochons d'abord cës systemesrphysiques qui: nous devorent si bien re yo la forrmation-de: Punivers. SW AS OE AK LE. F À À ertioin 29 9154.56 À Pi) signes n * 1n9ESN II TNNESQ L'eneb eersécatiu ester T 1° Tellinmed et MM: de Buffon, PDidérot 4: Robinet Lamétiie et: vos caulres::systémutis. ques, ont: celà de:commun ; que) leur:2monde- doit se trouver construit par:les:seules forces de: la nature, et sans aucune action immédiate de la Divinité. HS LetsmoH zxasiv ib apq sfr Cetie mede de bé univers parles seules : forces de Ja nature est si pen nouvelle:$- que: chez les Grecs, le vieux Anaxagore fuit le pres: miér à appeler un Dieu ‘pour -présiderr: à -la construction de ce bas monde, Anaximandre , Anaäximène ( pardonnez - moi tous'cés vieux noms), Thalès et Epicure, le bâtissoient , tout comme vos modernes, par les seules forces PHILOSOPHIQUES. 555 de la maturé et: ces: gens-là -detent 4ons-de bien lom: (Foyr Plat: in: Phœds; Cicéron de Nats: Deor:s) Dici. pesée le gants Triés, note Didoione 25Lorp bison Zu »2%1 A elartète Pre nlhinnal où ris Dee Tellamedcomme:ayant devancé Mi de Baffon mêmes et suivant cé premier de nos systéma- tiques: modernes, :c’est Peau: que: nous devons regarder comme le principe de toutes choses, c’est-elle qui contient le: germe-:de toutce qui existe, des animaux ; de l’hommequifut d'abord poisson, :carpé ;brochet; morue. (Foy: Hels.., Let. 18 et suite.) À la têle des anciens KE eus on miei que Thalès vit. aussi dans l’eau claire Le prèn- cipécdé toute chose 3 :qué'éoi disciple Anaxi- mandie:ne-tarda”pas à vou l'homme poisson nager dans: l'Océan :avant que de bâtis des paläis-dans-nos -villes::( Gicer; Quæst. acad. - Plutar2ide Place, Phil: Lact: L 2. Je ne vons parle pas du vieux Homère , qui, tout en chantant le siége: de Troie: vilraussi les honimes et les Dieux sortir; dmsein-de Thétis; c’est-à-dire des eaux: de l'Océan Al y'aenviron denx mille sept cenis ‘ansique:de bon: Homère:eut:cette vision, (Zliad. shine. 21) t ed 32 3 5° M. de Buffon remonteun peu he haut ; et quoique sur la terre:il fasse aussi sortir bien des choses de l’eau , cependant et la lune et la terre, 356. LES PROVINCIALES et toutes nos montagnes fondues, et toutes nos planètes refroidies depuis bien des années, com- menceèrent, selon lui, par le feu, tout comme le soleil. (Foy. Epogq. de la nat.) Eéraclite expliquoit aussi comment la 4erre et Ja lune, et tout ce qui existe, avoient commencé par le feu. Il ajoutoit même que tout devoit un jour finir par le feu , au lieu que M. de Buffon termine tout par le froïd et la glaces ee qui fait une petile différence dont je conviens sans peine. (Lact., 1, 2, ce. 9.) 4° Chez M. de Buffon, l’univers est formé en six jours, mais ces jours sont des épo- ques ; et tonles ces époques sont des milliers d'années. Ne croyons pas que ces jours de mille ans soient d'invention nouvelle. L'histoire nous apprend que les Elrusques divisoient aussi la création en six jours, que chacun de ces jours étoit de mille ans, ce qui fait six époques de mille ans. M. de Buffon n’a donc fait qu'ajouter quelques milliers d'années; ce qui, sur le papier, n’est pas tres- difficile. Les Indiens en avoient ajouté des millions assez long temps avant M. de Buffon. (or. le Bagaat-Glheta.) . 5° La mer et les coquilles jouent un bien grand rôle dans le système de Telliamed , de M. de Buffon, et de bien d’autres de vos mes- sieurs. 0 Ce n’est pas saus surprise que je les vois £ É EN... mt PHILOSOPHIQUES. 557 prétendre n'avoir été devancés en cela que par un certain Bernard Palissy, qui vivoit dans le seizième siècle. La découverte remonte un peu plus haut. Hérodote, Platon , Strabon et Plutarque raisonnoient , il ÿ a fort long-temps, sur ces coquillages ; nos modernes n’ont fait encore qu'ajouter quelques milliers d'années au :grand déluge. { Y’oyez Dansqui, de terrü et aquä.) 6° J'oubliois notre moude et les montagnes de verre fondu ; Descartes n’avoit sur cette idée qu’une petite page ; que M. de Buffon a bien saisie. Cependant, puisqu'il n’a pas l’hon- neur d’avoir le premier fondu et liquéfié la terre par le feu , puisque nous avons vu qu’Hé- raclite faisoit aussi commencer l'univers ‘par le feu qui fond tout , qui vitrifie tout, vous me permettrez bien de croire ces montagnes de verre fondu tout aussi anciennes que le vieux Héraclite. 7° Venons à Robinet. Suivant ce philoso- phe , tout commence par le plus petit nombre, par le point mathématique ; qui en produit un second, comme celui-ci en produit un troisième , jusqu’à ce qu’enfin le petit point, de père en fils , engendre des montagnes. Re- montons à Pythagore , et nous trouverons le” philosophe qui le premier vit {out sortir des rmombres des points mathématiques ; et les montagnes mêmes engendrées par ces points; et 4, 15 558 LES PROVINCIALES M. Robinet n’aura pas l'honneur de l’invention. (Cic. Academ. Quæst., n° 212, Edit. in-fol. Roberts Slephani.) 8° Votre bon Lamétrie awu Phomme et tous les animaux sorlir de la vase encore humide , et desséchée ensuite par le soleil. Le bon Anaxagore avoil eu avant lui la même vision ; il avoit dit aussi que la terre, d’abord humide, aqueuse, et réchauffée ensuite par le soleil, produisit les premiers animaux et les premicrs hommes. (Diogen. Laerce, Vie des Plul.) 1 9° J'arrive à ce monde, grand animal, grand favori de Diderot ;. à ce grand animal dont sortent tous les autres pour y rentrer un jour. | Et ce grand animal n’a rien de neuf pour moi. C’étoit précisément le monde de Zénon et de ses sloïciens. C’étoit même parfois le monde de Platon , celui de Speusippe , son disciple et son neveu. Îl me souvient même d'avoir vu quelque part, dans mon Cicéron , ces anciens philosophes , ‘qui faisoient tout ren- irer dans le grand animal, où pour le moins dans l'état primitif dont tout étoit sorti. ( #’oy. Cie, de Nat. Deor., L.\1,n° 473 Dict. Encycl., art. SIOÏCIENS.) : 10° Voulez- vons retrouver également, ces mondes du fameux Systeme dela Nature, tous ces mondes divers formés par Je hasard, par lesatomes , par la suile des siècles; ces mondes PHILOSOPHIQUES. 539 qui paroissent , disparoissent , qui vivent et qui meurent , et qui perpétuellement se succèdent les uns aux autres , sans qu'on puisse savoir combien il en est mort , combien 1l en ressus- citera ? Reprenez votre Cicéron , et il vous appren- dra que ce sont là les fables puériles de Lug crèce, qui les tenoit d’Epicure , qui les tenoit de Démocrile , qui les tenoit d’Anaximandre. (Cic. de Nat. Deor., L. 1 ; de Finib. bon. et mal... 1%20%55) .11° Voulez-vous mème voir celtenalure, qui, sans. intelligence, produit des philosophes in- telligens , à peu près comme le vin de Cham- pague donne de l'esprit à ceux qui n’en ont point ? | Elle étoit si antique à l’école de Straton , que déjà Cicéron ne vouloït plus qu’on en par- Jät, ni qu'on fit Ja moindre attention à ce ra- .dotage. (De Nat. Deor., L'1,n° 51.) Ia vu bieu des choses, ce Cicéron; il y a deux mille ans que dans tous les anciens, qu’il connoissoit à prodige, il voyoit tous vos modernes, 12° Enfin, madame, enfin, nous voici à ce monde quin'a été fait ni par l’eau, ni par le feu, ni par Dieu , ni par la nature, ni par le hasard, ni par l'intelligence , qui n’a point été fait, et qui de toute éternité se trouva fait, parce qu’il étoit impossible qu'il fût fait, suivant votre auteur . du Bons Sens. O1 10 LES PROVINCIALES Il est donc bien vieux ce monde? Oui, as- surément ; il est aussi vieux qu’Aristote ; car c'étoit là son monde favori , comme il étoit celui de Xénophanes , et de Zénon d’Elée , et de Métrodore. Vous le retrouverez chez tous ceux qui exposent leurs principes. ( Euseb. Prépar. Evang. L 1, c.8;Cic. Quæst. Academ. las nS 7.4) Voilà, ce me semble, à quoi se réduisent tous vos mondes faits par l’eau , par le feu , par le hasard, par la nature, par l'atome par le grand animal , et vos mondes qui n’ont pas été faits. Elle n’est donc pas bien neuve cette physique de vos modernes systématiques. La conséquence ne fait pas grand honneur à leur génie créateur ; passons à leur métaphysique. Métaphysique. 1° Loi je vois d’abord des philosophes qui ont un Dieu. Vous conviendrez sans peine que cette opinion remonte au bon Adam, et que le catalogue de ceux qui y croyoient avant Jean- Jacques, Voltaire et d’Alembert, seroit un peu trop long. Mais je vois aussi des philosophes sans Dieu et contre Dieu ; ceci n’est pas si vieux : en remon- tant pourtant trois ou quatre cents ans avant Jésus-Christ , nous trouverons Stilpon , Prodi- cus, Théodore, Simonide ; et les philosophes PHILOSOPHIQUES. 542 sans Dieu et contre Dieu dateront toujours de plus de deux mille ans; ce qui est bien assez pour ne pas trouver opinion absolument neuve, (Voy. Cic. de Nat. Deor. L. 1; Doctrine des anciens Plul., art. 12.) 2° Je trouve encore chez vous des philoso- phes qui tantôt ont un Dieu , et tantôt n’en ont point ; Robinet, Lamétrie, Raynal et Diderot se signalent dans cette classe. Mais long-temps avant eux, le vieux Diagoras, qui fut d’abord pour Dieu, finit par être contre. ( Voy. Bayle, art, Bion et Diagoras. ) Il est encore parmi vos philosophes moder- nes des messieurs qui ne sont ni pour ni contre Dieu. L'ancien Proligoras leur ressembloil as- sez, quand il disoit que sur l’existence de la Di- vinité il n’y avoit rien de clair, et qu’il ne pou- voit assurer s’il faut y croire ou non. ( Cic. de Nat. Deor. L. 1, n° 45.) 4° Enfin votre visite au grand Vollaire vous montre un philosophe théiste à son réveil, scep- tique à déjeuner, spinosiste à diner, subtituant à souper le Dieu du soir au Dieu du matin, à minuit connoissant plusieurs Dieux à la fois. Ce Voltaire suivoit un antique modele que Cicéron n’approuve guère, comme nous pouyons en juger par la manière dont il se plaint de ce Platon qui tantôt admettoit un Dieu incorporel ( c’est le Dieu du matin ); qui tantôt ne croyoit pas qu’on dut s’en occuper, qu'on put en rien 512 LES PROVINCIALES savoir ( c’est le Dieu du sceptique à déjeüner }; qui tantôt avoil pour Dieu le ciel, la terre, les aslres, les esprits, univers ( c’est 'le Dieu du spinosiste , ou bien le Dieu du soir}; qui tantôt enfin reconnoissoil au moins un double Dieu. ( Voy. Cic. de Nat. Deor. n° 453 Plat. Re- pabl, L. 1.) La ressemblance fait honneur à Vol- are; je vondrois qu’elle en fit à Platon. 9° Quant à ce M. d’Alembert que votre cor- respondant nous montre délruisant d’une main les preuves de la divinité qu'il présentoit de V'autie, sa méthode est aussi ancienne que ce Carnéade, qui, sans nier l’existence de Dieu , en combüttoit les preuves, qui savoit affirmer et nier à propos la même chose, plaider aujour- d'hui pour, et demain contre, avec une adresse étonuante, ( Dict. de Bayle, &rt. Carnéade.) 6° Plutét que de j'admettre ce Dieu, vos Di- derot et vos Lamétrie ont osé soutenir que Île hasard peut faire une Iliade, que le lait de la mère n’est pas fait pour nourrir les enfans , lo- reille west pas faite pour entendre, que l’œil n’est pas pour voir, ni lestomac pour digérer. Il y a long-temps que j'ai lu tout cela dans mon Lucrèce, et dans ce Cicéron qui réfute fort longuement ces rapsodies. ( De Nat. Deor. 1522 7° A présent, madame, examinons un peu la nature de vos dieux philosophiques. Vous croyez d’abord le Dieu grande âme et âme unique PHILOSOPHIQUES. 3549 #ort moderne, et de la création de Voltaire. Ce Diea étoit pourtant très-connu de Pythagore, de Piaton, de Zénon. Les stoïciens n’en ad- mettoient pas d’autre. On l’avoit oublié quand A verroës le ressuscita : on l’oublioit encore quand Voltaire le ranima. Je le crois déjà mort de nouveau. 8° Le Dieu grand tout, ou bien le Dicu du Système de la nature, pourroil être autre chose ; mais c’est assurément le Dieu de Xénophanes, enseignant formellement que {out ce qui existe ne fait qu’un, ei que cet un est Dieu. (Cicer. de Nat. Deor. I. 2; Bayle, art. Xénophanes.) _ 9° C’est peut être le Dieu grand homme, on le Dieu homme déployé en grand, que nous serons émbarrassés de retrouver chez les an- ciens; cé Dieu à qui il faut des bras, des jam- bes, des oreilles, parce qu’il n’est rien de plus parfait que la représentation d'un indi- vidu de notre espèce, que l’homme déployé en grand! (Syst. rais.c. 1.) Mais ce Dieu n’est pas plus moderne que les autres; car voici ce que je trouve écrit depuis environ deux mille ans. « Puisque Dieu est un être animé, il faut bien « qu’il existe sous la plns belie forme possible, « qui est celle de l’homme... Il ne peut y avoir « de vertu , de bonheur, que dans un être qui al la figure des hommes... Il faut doncavouer que les dicux sont tous faits comme l’hom- me » , etc. (Cie. de Nat. Devr. I, 1. n° 65, 69.) = Pan ln =, = 544 LES PROVINCIALES 10° Serai-je aussi heureux pour ce Dieu, grand animal de Diderot”? Ce philosophe m'é- vite lui-même la peine de chercher long-temps, puisqu'il nous dit que pour les sioïciens le grand out étoit Dieu , et que, ce Dieu ,,ce tout, cet univers, étoit aussi pour.eux un grand animal, qui avoit sens, esprit, raison. Cicéron. m'aide encore à voir ce Dieu graud animal.chez Anaxa- goras , chez Anaximène; et.M., Diderot pour- roit bien avoir profité de la découverte. (Encycl. art. Sroic.; Cic. de Nat. Deor..l. x, n°59.) Je ne vous parle pas du Dieu petit atôme , ou millions d’atomes , M. Diderot n’en parle.lui- même que pour en faire honneur à Epicure. 11° Si nous en venons au Dieu tranquille , à ce Dieu qui se garderoit bien de veiller sur ce monde et sur nos actions, crainte de troubler son repos, à ce Dieu tant vanté par Telliamed, Boulanger, Raynal, et quelquefois même assez du goût de Voltaire et de tant d’autres , nous le xelrouverons sans peine dans celui que lanti- quilé nous peint ne faisant rien, ne se mêlant de rien, mais aussi jouissant tranquillement de ses paisibles et éternelles voluptés. (Cic. de Nat. Deor, L. 1, n°51 et 72.) Nous le retrouverons à l'école d’Epicure, et même à celle d’Aristote , dont le Dieu ne se mêle jamais de ce qui se passe en-deçà de la lune. 12° Enfin ce Dieu tout bon, que quelques-uns de vos sages font battre avec le Dieu méchant, | | | | | PHILOSOPHIQUES. 545 ce double Dieu au moins sera-t-il de nouvelle invention ? Il fut précisément le premier Dieu, de la philosophie la plus antique; il étoit POro- maze et l’Arimane des Chaldéens, des Perses, des Mèdes , des Egyptiens , de Zoroastre et d'Os- tanès. Pythagore apporta en Grèce, en Italie. Il y avoit été assez bien accueilli ; mais il tom- boit dans l’oubli, quand Manëès, voulant nous le donner, en fit la vieille erreur du manichéisme. Je ne m’attendois pas à le voir rappelé par vos messieurs. Ils auront sans doute été enchantés des efforts que Bayle avoit faits pour lui rendre la vie; mais il mourra encore malgré eux. Il étoit écrit que vos incrédules modernes ne pro- duiroient pas même une seule absurdité nouvelles: qu’ils ne feroient que ressasser les rapsodies de antique philosophie. Continuons à le prouver, 15° Vous nous montrez nn assez bon nom— bre de ces messieurs sans esprit et qui n’en veu- lent point , qui ne croient pas même qu'il y ait des esprits, des âmes spirituelles. Ce sont vos Laméitrie, vos Fréret, vos Diderot, vos marquis d’Argens; parfois vos Robinet, et souvent votre Voltaire. Nous vous montreronis aussi des philosophes très-anciens , qui avoient pour l’esprié la même antipathie. Dicéarque n’en vouloit point du tout, quand il mettoit un vieillard sur la scène pour nous dire que tout ce qu’on appelle esprit métoit qu’un mot vide de sens et de réalité ; que c'étoit F9. 346 LES PROVINCIALES sans raison que nous regardons les hommes comme des êtres animés, qu'il n’y avoit dans l'homme el dans la bête ni âme ni esprit. ( Czc. T'uscul. TL. 1,n° 34, )Je nommerois Anaxagore, Anaximène, Xénophane , Epicure; mais leur tour reviendra quand nous parlerons de cette malière en revanche si chère à vos modernes. 14° J’en vois parmi eux qui ont une âme moitié corps, moitié esprit; j'en vois qui ont deux âmes ; il en est qui en ont jusqu’à trois es- pèces bien distinctes, Tout cela est encore furieu- sement vieux, quand on sait qu’Aristole avoit aussi une âme composée d’une partie corrupti- ble, et d’une partie incorruplible, c’est-à-dire, une âme moilié corps, moitié esprit; quand on sait qu’Averroës avoit aussi deux âmes; quand on sait que Platon en avoit jusqu’à trois, dont l’une se 1rouvoit dans sa tête, la seconde dans sa poi- trine, et la troisième sons le cœur. (Voy. Bayle, art, Averroës , note E; Cic. Tuscul. n° 54.) 5° Votre marquis d’Argens ne vent pour âme qu’un alome tout pelit, tout subtil, tont malière. Cette âme atome étoit précisément l'âme de Démocrite, qui en faisoit un globule tout rond, tout léger, dont Cicéron se moque , el moi aussi. ( T'ustul n°. 56. ) Anaxagore, Anaximène, pour la rendre encore plus petite, en faisoient un brin d’air , de l’air le plus subul. (Plut. de Placit. phil. L. ) ) 16° Celle âme petit atome me rappelle PHILOSOPHIQUES, 547 celle de votre fou si bien logé au petit Berre, et qui, croyant avec Vollaire que son âme est de feu , pleure quand on éteint une chandelle. L'antiquité pouvoit aussi avoir ses loges pour Leucippe , Démocrite, Héraclile, et Parménide, dont l’âme étoit aussi le feu élémentaire. Elle pouvoit y mettre encore toute l'école de Zénon, pour laquelle l’esprit ou Pâme éloit une bluette. (Encycl. art. SToicisME ef AME; Cicér. de Nat. PEdr' ES; RAS.) 17° Près de cette âme feu vous avez vu logé cel autre philosophe dont l'âme est une goulte d’eau: eh bien, cette 4âmé aquatique n’est pas mème d'invention moderne. Hippon disoit aussi que son äme étoit de l’eau claire, parce que Phumide est le principe de tout chose. 16° Quant à celte âme Dieu, émanation de Dieu, particule de Dieu , dont M. Diderot croit parfois avoir sa part, qu’il faut remonter haut pour là voir naître ! On y croyoit déjà du temps de Zoroastre; elle fut l’âme de Pythagore, de Platon , d’Aristote, de Sénèque, d’Epictète , et de tant d’autres, que je suis Loul surpris que vos sages en aient encore voulu, eux qui tant de fois ne veulent pas du Dien entier : comment se fait-il donc qu’ils veulent être, à toute force , particulés de la moitié d’un Dieu? (Expos. de la Doct. des nciens, ete.) 19° Vous n’avez pas vu sans étonnement M. Robinet compter atant d'âmes qu’il y a de 548 LES PROVINCIALES choux et de navets dans son jardin, animer un biin d'herbe , animer le soleil, la lune , les étoi- les, la terre, et jusqu'aux cailloux, et jusqu'à son briquet, qui sait très-bien l’instant ouùil doit faire feu. J’aurois été, moi, bien surpris an con- traire de ne pas retrouver chez quelqu'un de vos modernes toutes ces âmes de choux et de navets, de cailloux, de briquets; cur je savois que Thalès les avoit vues jadis, qu’il en mettoit aussi partout sans exception. (Diog. Laerc. Vie des Phil.) 20° J'aurois été tout aussi étonné que vous n'eussiez pas eu quelques-uns de ces philoso- phes qui voient partout Pesprit ; nulle part la malière: qui vous disent qu’il west dans la na- iure ni terre, ni soleil; que les montagnes même ne sont pas des montagnes, et qu'iln’existe.enfin réellement rien de matériel. Je savois que Ma- nès avoit vu des soleils qui ne sont pas des so- leils, des mondes qui ne sont pas des mondes ; il falloit bien que quelqu'un de vos sages vit dans celui-ci ce qu’il avoit vu dans un autre univers, ou ne vit pas plus clair. ( Expos. de la Doct. des anciens phil. art. Manés. ) 21° Quoi qu'il en soit de ce monde sans ma- üère, revenons à notre âme. Esprit ou corps , sera-t-elle mortelle? Helvétius, Fréret, Lamé- trie, Voltaire, et une foule d’autres, vous ré- pondent que oui. Je le crois bien, madame. Epicure, Lucrèce, et toute leur école, l’avoient PHILOSOPHIQUES. 54g dit. Vos, philosophes, ne pouvant inventer , de- voient au moins prétendre à lhonneur d’être échos. CA exe Cicér, de F'inib. bon. ct mal. l.1,n°9706.) 22° Cependant tous vos sages ne veulent pas toujours mourir tout entiers. M. Diderot, qui fut chien, qui fut chat, qui fut homme , qui fut femme, el que vouscroyez voir revenir un jour sous l’habit d’un frère capuein, ou sous la guimpe d’une visitandine , a-t-il au moins ici la gloire de l'invention? et sera-t-il le père de la métempsy- cose? Assurément il n’y sauroit prétendre, car c’est un fait connu, que Pythagore avoit d’abord été Athalide; enfant de Mercure; qu’il devint Euphorbas pour son malheur, car Ménélas le blessa, vivement au: siége de Troie ; qu'il mourut encore, et.qu'il fut Hermotime ; qu’il mourut de nouveau, et qu’il devint pêcheur, sous le nom de Pyrrhus; qu’il mourut pour la cin- quième fois, et revint sous le nom de Pytha- gore, sans compter toutes ses autres morts, après lesquelles il se trou voit aussi tantôt chien , tantôt chat, surtout fève. Qui sait si ce n'est pas lui- même qui éloil revenu, sous le nom de Dide- rot, nous débiter ses antiques leçons ? ( Voyez Diogène Laer., 1.8.) 25° Pour le coup, dites-vous, je vous prends en défaut; et nous aurons au moins une opinion “charmante, qui n’éloit jamais venue dans la tête d’un homme avant nos philosophes modernes, 350 LES PROVINCIALES C’est celle de la route que doit tenir notre ämie, quand, au sortir du corps, elle vole d’abord vers la lune, d’où elle part pour le soleil, d'ou elle s’élance enfin vers Le ciel , le centre du bon- heur. Non , madame, vous ne me prendrez pas en défaut; celte route est connue depuis long- temps; car les âmes de nos manichéens passoient aussi d’abord dans la lune ; de là elles se trans- portoient dans le soleil, el arrivoient enfin au plus haut des cieux. Manès les mettoit dansune espèce de vaisseau; votre sage moderne les fait monter au milieu de la fmée qui s'élève de la terre. Je veux bien lui laisser l'honneur de la fu- mée : mais pour la route de la terre à la lune, de la lune au soleil, et du soleil aux cieux, vous voyez que son âme n’est pas la première à faire ce voyage. ( Exposition de la doctrine des an- ciens , etc., art. Maneés.) 24° Que dirai- je à présent de ces âmes en- chaînées par le destin, de cette fatalité qui ne laisse ni à Dieu, ni à l’homme, la moindre li- berté ; qui fait de votre ami Voltaire et de tant d’autres des philosophes esclaves, des philo- sophes machines, marionnetles, automates, gi— roueltes ? Vous ne l’aimez sure, cette fatalité ; et vous êtes tout étonnée de voir des sages qui se glorifient de n’avoir pas même la liberté de remuer le pelil doigt. Quant à moi, madame, je ne vois encore dans tous ces philosophes que les disciples et les échos de Simonide, Dé- PFHILOSOPHIQUES. 55 * mocrite, Héraclite, Diodore, Empedocle, Zé- non, de tous les sloïciens qui se croyoient aussi esclaves du destin, qui ne vouloient pas même qu’un seul homme fût maitre de s’asseoir ou de rester debout, de parler ou de se taire, d’être bon où méchant dans ses actions, et que l’on réfuloit anciennement comme nous réfutons aujourd’hui d’Alembert , Diderot, Voltaire, La métrie, Fréret , etc. (Cicer. de Fato. Voyez surtout no 56.) 25° Lorsque nous en venons aux opérations de l’âme, je sais bien qu’Helvétius, copiant l’En- cyclopédie et le Système de la Nature, ne s’err croit pas moins habile créateur quand il nous dit que penser est sentir, que juger est sentir 3 en un mot, que toutes les opérations de Päme se réduisent aux sensations, Mais je sais aussi que ce n’est là encore qu’un système renouvelé des Grecs, que Démocrite, avant Helvétius, et voulant comme lui se passer d’une âme spiri- tuelle, faisoit de la pensée et de nos jugemens lopération des sens. (Cic. de Finib. boni et MODS EL AT le. 9) 26° La cinquantième lettre de votre cheva- lier roule sur l’opinion que vos modernes phi- losophes se font de l’homme et de la bête. Di- derot s’imagine être le premier à nous dire qu’il ne diflère de son chien que par lhabit; il se trompe ; et Raynal se trompe également, ou plu- it il nous trompe quand il veut que si l’homme 552 LES PROVINCIALES diffère d’un cheval ou d’un bœuf, du tigre ou du renard, toute la différence provient de ce que l’homme a des mains et non des pattes ou des griffes. Je sais qu’il est bien fier quand il nous dit de l’homme : sun sceptre est dans sa main ; cependant quelque beau que tout cela paroisse, tout cela, jusqu’à l’expression, est copié du vieux Anaxagore, à qui Plutarque re- proche d’avoir dit que la raison et la sagesse, la supériorité de l’homme , viennent unique- ment de ce qu’il a des mains et non des pat- tes, tandis qu’il pouvoit dire, ce qui est bien plus vrai, que si l’homme a des mains, c’est parce qu’un êlre ingénieux et raisonnable de- voit être pourvu d’instrumens propres à exer- cer son industrie, (Plut., de l Amit. frater. Bayle, art. Anaxagore , note E.) 27° Voulez-vous écouter encore vos sages modernes sur les propriétés de la matière ? Elle prend à leur école des qualités bien étonnantes. Ils la font éternelle, incréée, toujours active, toujours en mouvement. Un Dieu ne lui donna point l’être ; un Dieu ne pourra pas le lui ôter ; il ne pourroit pas même la forcer au repos. Une boule qui resteroit deux instans à la même place seroit une boule inconcevable, et l’uni- vers s’écrouleroit , et toute la nature cesseroïrk. d'exister si un atome cessoit de se mouvoir. Jen suis fâchié pour la gloire de ces mes- sieurs ; mais toul ceci, passez-moi l'expression, | | | | PHILOSOPHIQUES, 553 | west encore que du potage réchauffé. Toute école antique, sans excepter un seul philo- sophe, croyoit à celte éternité de la matière ; elle y croyoit , et ne se mettoit pas plus en peme | de la prouver que nos modernes. Il n’en est pas de mème de ce mouvement perpétuel, essentiel à la matière. Quelqnes-uns y croyoïient , et sur- tout Epicure et toute son école; d’autres leur Ésrenms où ils avoient trouvé que le repos et le néant fussent la même chose. ( Cicer. de Finib. boni et mali, 1.1,n° 27.) Nous faisons encore à vos messieurs la même question. Ils ne répondent rien, parce qu'Epicure n’avoit rien répondu. Ils font comme l’écho qui répète, el qui n’ajonterien, Voyons si leur génie créateur se sera mieux montré dans la morale, Morale. 1° Existe-il un bien ou un mal moral? existe- t-il des vertus et des vices ? demandons - nous à Pécole moderne. Les uns disent oui, les autres disent non. Il en étoit absolument de même chez les anciens. Socrate, Platon , Pythagore , Zénon disoient oui; Pyrrhon, Aristippe, Théodore , et Slraton de Lampsaque disoient non. On détestoit assez généralement la morale de ceux- ci; nous détestons encore assez généralement la mème morale dans Diderot, Fréret, Lamétrie , et voilà comme tout se ressemble. (Foy. Bayle, LES PROVINCIALES ESS 55: art. Pyrrhon; Diogen. Laer. l, 2 ; Exposition de la Doct. des Anciens, art. 12,16 , 25. 20 S'il est une vertu, disent vos modernes, il fant essentiellement entendre par vertu ce qui est wtile dans ce monde. Ils expliquent en- suite cet utile; par ce mot, quelques-uns rédui- sent la vertu à Pintérêt personnel, au plus pur égoisme; les autres la voient dans l'intérêt pu- blic. Et moi, je relis les anciens , et je vois qu’Aristippe, long-temps avant Helvétius, disoit à ses disciples : Le sage .n1e fait rien que pour lui-même, sa vertu est toute dans son intérêt personnel, Je vois qu'avant Raynal, qui préiend avoir fait la découverte, Cicéron m'avoit dit que la vraie mesure de la vertu est dans l'uti- lité publique. Je continue donc à dire : Vos modernes ne sout que des échos des écoles an- cichnes (7/oy. Cic. de Offic. L.3, n°14, 45, 99 , ec. ), et je continuerai à le prouver. 5° De ce fameux principe, qui confond la vertu avec l’utile , vos modernes concluent que la vertu dépend des lois et des usages , qu’elle varie comme les lois et les usages, Appuyé sur ce même principe, Pyrrhon disoit aussi que l'honneur, l'infamie dés actions, leur justice et leur injustice dépendent uniquement des lois humaines et de la coutume. Quelques-uns de vos sages n’approuvent pas celte doctrine; la plupart des philosophes an- ciens n’y lrouvoient que le plus haut deyré de i | | L ] PHILOSOPHIQUES. 555 la folie humaine ; is ajoutoient même que si la vertu dépend des lois, des usages des hom- mes, le brigandage ; l’adultère et toute sorte de crimes pourront être vertus. (Cec. de Legib. Bayle, art. Pyrrhon.) 4° Parmi vos modernes , les uns condamnent les passions, les autres les appronvent et ne voient dans elles, dans l'ambition, la colère, l’avarice, que de vrais dons de la nature , aux- quels il faut bien se garder d’opposer la raison. Il en étoit encore de même chez les Grecs. Les passions étoient des dons de la nature pour tous ces philosophes réfutés par Zénon ; elles étoient pour celui-ci et ses stoïciens des maladies de l'âme qu'il faut guérir par la raison. ( Acad. Quest Ph ETS 5 Etc) h° Les idées d'une vie à venir, les châtimens de l'enfer ei les récompenses des cieux , ne sont à votre école moderne que de grands préjugés , dont on peut se servir pour exciter le peuple à la vertu, mais que le vrai philosophe dé- daigne. Qui ne sait pas que c’étoit là l’idée favorite de presque toutes les écoles anciennes? Il fau- droit mavoir lu ni Cicéron, ni Pline, ni Séne- que, ni Platon même, pour ignorer que les Dieux des anciens philosophes ne se mettoient pas en colère et ne punissoient pas; que toute la doctrine des nations diverses sur les champs Elysées el le Tartare n’étoit que pour le peuple, 556 LES PROVINCIALES et que les philosophes s’en moquoient. (707. Cicer. Tusc, L 1, Offic. L. 3, et passim Pline. Hist, nat. L. 2, 0.7. Senec. Epist. 103. Plat. 1n T'imæo.) Qui ne sait pas que ceux-là mêmes qui croyaient à la permanence de lPâme après la mort la distinguoient de notre immortalité , el qu’ils étoient surtout bien éloignés de croire que l'esprit ne survit au corps que pour être puni ou récompensé suivant ses mérites ? (7or. Doct. des anciens Phil. art. 29.) 6° Aux motifs de vertu que nous fournit cette vie future des cieux ou de lenfer, vos mo- dernes essaient de suppléer par un bonheur présent ; et ce bonheur, les uns le font con- sister dans la volupté, les autres dans l'absence de la douleur; celui-là dans les perfections du corps, celui - ci dans celles du corps et de l'esprit. Quand je lis tout cela dans le moderne caté- chisme , il me semble qu’on me fait parcourir toutes les écoles des anciens philosophes. La privation de la douleur suffit à Diodore tout comme à d’Alembert. Aristippe demande les plaisirs tout comme Helvétius ; Calliphe dési- roit les plaisirs el la vertu. Celle-ci suffil à An- tisthène. Zénon voit le bonheur dans la con- formité des mœurs à la nature. Pour Pyrrhon et Ariston , la santé, les maladies sont fort in- différentes au bonheur ; Hérille le met tout dans la science. En un mot, lisez mon Cicéron, et PHILOSOPHIQUES. 357 vous verrez que les anciens avoient tout dit sur le bonheur de vos modernes. (Cic. de Finib. boni et mali. l.2, n° 5g et suite. ) 7° Vos messieurs connoissent des vertus de préjugé, et mettent à leur tête la pudeur, la chasteté, la fidélité conjugale. Les pourceaux d’Epicure, les chiens de Dio- gène, les dogmes de Cratès sont assez connus , pour que vos nouveaux maîtres n’alent pas | même l’honneur d'être les premiers à braver dans leurs leçons la décence, la pudeur et les mœurs publiques. (7 oy. Bayle, art. Diogene , note L,. ; art. Hipparchia, note C.) 9° J’en vois dans ces modernes qui n’aiment point le mariage, et qui le condamnent même comme un peu trop gênant. Démocrite les avoit devancés, en disant que cette union entraîne trop de soins ; que s’entourer d’enfans, et les nourrir, les élever, n’est pas la digne occupa- tion du philosophe. ( Zdem , art. Démocrite , note L.) 10° Jen vois encore plusieurs qui trouve- roient fort bon que les femmes fussent com- munes, que chaque homme choisit pour le moment celle qui lui plairoit, et la laissât de mème quand il auroit du goût pour une autre. Le monde, à les entendre, s’en trouveroit bien mieux. Cela ne vous plaît guère, à vous, madame ; * mais Platon l’avoit dit ; ce seroit bien merveille 358 LES PROVINCIALES que des hemines qui répètent toul n’eussent pas 1épélé cette sottise, ( Républ. de Platon.) 11° Vous n'aimez pas non plus ces modernes qui, ne pouvant souffrir qu'un père aime ses enfans, que les enfans. aiment leur. pére, s’en vont partout disant que. la tendresse paternelle est une rnéprise de sentiment, et l'amour filial un effet de l'ivresse et de l'ignorance. H faut pourtant bien le leur pardonner ; car Axistippe , qui ne s’éloit pas mépris au sentiment, me vOYOit dans les enfans que des poux et.des crachats , qu’il seroit fou d’aimer;. et bien-long - temps avant Toussaint, Anicéris avoit appris aux en— fans qu’ils ne doivent rien à leurs parens pour la vie qu'ils en ont reçue. ( Diogen. Laerc.)1Il est bien vrai que d’autres philosophesirouvoient cette doctrine détestable; mais en est-il moins vrai que vos modernes ne l'ont pes inventée? NE se Amiciliä, n° 27.) ° Helvéuüus s RSA il avoir dit le RE que l'amitié n’est qu’uue affaire d’in- térèt, et que le philosophe voit se, rompre la liaison la plus intime à l'instant où l'utilité ré- ciproque n'existe plus? Nous savons que c'éloit là précisément lopinion d’Epicure ; opinion réfulée comme révoltanie et flétrissante par l'orateur romain , qui sembloit d'avance com battre Helvétius. (Acad. Quœæst. L. 2, n° 1513 de Amic. n°30, 31, etc.) 15° Je passe sous silence ces verlus religieuses | | PHILOSOPHIQUES. 559 | que vos sages modernes se plaisent lant à rava- ler. Je pourrois cependant vous faire observer | que les philosophes anciens rioient aus:1 de | ceux qui font de la vertu un don particulier des cieux; qu'ilsne voyoient, ainsique vos modernes, que folie et pnémilité dans la crainte d'un Dieu juste et vengeur ; que plusieurs blämoient l’es- prit de pauvreté où le détachement des ri- | chesses ; que tous aimoient beaucoup la gloire ; qu’ils trouvoient la vengeance très — licite , le pardon des injures indigne d'un grand homme ; et que toute une école se vautoit, aussi-bien que vos modernes , d’avoir anéanti, avec le Styx et le Phlégéton, la source des remords. (/’oy. Cic. de Nat. Déor., 1. 5,n° 125. Orat. pro Hurenä ; de Offic. L. 2,n° 6o ; de F'inib. bon. et mal. Li, n° ÿ7; Lact. de vero Cultu.) Maïs il faut bien finir ce parallèle et voir com- ment vos sages copient les anciens jusque dans le dernier de leurs conseils. 14° Ne sachant trop que faire de l’homme malheureux , mécontent de son sort, ennuyé de Ja vie, vos modernes lui disent d’en sortir, de ‘s'enfoncer soi - même le poignard dans le sein, C’est là ce qu’ ils appellent mourrir en phi- iosophe. sl Assurément encore l’expédient n'est pas neuf. On se tuoit aussi à l’école des anciens philosoz phess; el Zénou, pour donner à la, fois le prés cepte et l’exemple; finit par s’étrangler. Ennuyé 560 LES PROVINCIALES de vivre trop long - temps, son disciple Denis ne voulut plus manger. Quelques historiens nous en disent autant de Pythagore. Pérégrin ne vit rien de plus beau que de se brüler tout vivant. D'ailleurs, quoi de plus connu que les éloges faits par les stoïciens , les Cicéron , ‘les Sénèque, de tous ces gens qui sont eux - mêmes leurs bourreaux ? Voy. Encycl., art. STOICrENS.) 15° Jai suivi, madame ; à peu de chose près, toutes les opinions de nos modernes, où du moins toutes celles qui méritent quelque atteri= tion ; il n’en est pas une, je crois Pavoii: prouvé, qui n’eût déjà trainé dans les écoles bien long- temps avant eux. À quoi se réduit donc ce gé- nie créateur qui vous les faisoit regarder comme de si grands hommes, et cette nouveauté que vous pensiez être le principal mérite de leur philosophie ? Seroit - ce la richesse et la variété de leurs opinions qui vous paroît encore si at- trayante? Oui, vous Pavez dit: Diversité, c’est ma devise. Vous aimez à entendre et ces oui et ces non, ces peut - être qui démontrent si bien la liberté philosophique. Eh bien ! madame , vos modernes ne sont encore ici qu'uné triste copie des anciens. On passoit de Thalès chez Platon; de la première académie à à la seconde , ensuite à la troisième, et puis à la quatrième , toujours bien assuré de trouver dans chacune , des opinions toujours très — variées, [ls étoient en ce genre bien plus riches que nous. Ils avoient En. PHILOSOPHIQUES. 551 à choisir parmi les sectes Pÿthagoriciennes , Platoniciennes , Pyrrhoniennes, Péripatéticien- nes, Cyniques , Stoïciennes , Epicuriennes , Eclectiques. Je doute que nossages en montrent davantage. 16° Eufin, madame, croiriez-vous que, par un dernier trait de ressemblance, l’idée du petit Berne, de ses petites loges, et des nos Hippo- crates si bien exercés dans le traitement de vos cerveaux philosophiques , est aussi fort an- cienne ? Il faut bien qu’elle soit connue depuis long-temps, puisque les Abdérites ayant entendu philosopher ce maître d’Epicure, qui se croyoit, ainsi que tant de modernes, enchaîné par le destin , quine vouloil comme eux ni d’un Dieu, ni d’un ciel pour les bons, ni d’un enfer pour les méchans ; qui ne voyoit comme eux ni bien ni mal ; mi vice ni vertu dans ce monde ; et qui, doutant de tout aussi-bien qu’eux , n’osoit pas même dire bien positivement que deux et deux font quatre; puisque les Abdérites , dis-je, ayant entendu toutes ces belles choses de la bouche da philosophe Démocrite, ne trouverent pas de meilleur expédient pour guérir son cerveau que d’euvoyer leur plus céléhbre médecin Pa- breuver .d’ellébore. ( Bayle , ari. Démocrite.) J'airempli ma tâche, madame. Si c’est par la promesse de vous donner du neuf, que nos phi- losophes modernes ont voulù mériter votre es- time, décidez à présent des droits qu'ils ont à 4, 16 362 LES PROVINCIALES vos éloges, et pardonnez = moi la onguetrr de cette lettre. 1 faHoit bien soutenir la gageure. : Si je l’ai gognée, je ne m'applaudirai que de occasion qu’elle m'aura fournie, de vous prou- ver mon zèle PRE la vérité, el le profond res- pect avec lequel j’ai l'honneur d'êué, etc. Votre tres-humble , etc. APOSTILLE De madame la Baronne a la lettre précé-|. dente. On ! oui, monsieur labbé , vous avez ample- ment gagné la gageure. Vous me prouvez trop bien que nos modernes créateurs n’ont fait que répéter toutes les vicilleries des Grecs et des Romains. Comme ce n’est pas là ce qu'ils :m?a- voient promis , antique pour antique, j'aime encore mieux revenir à l'antique raison, à l’an- üque Moïse, à l'antique Evangile. On sait eu moins ici à quoi s’en tenir. Le bons sens n'y est} pas heurté à chaque instant. Adieu done, mes-| sieurs les philosophes ; je ne crois pas que la tentation dérevenir à vos rapsodies me reprenne jamais. On peut être sans vons bon père, bon «ri, bon citoyenÿion peut être sans vous dort bien avec son Dieu, fort bien avec soi-même ; 5» on vit, on est tranquille , on à l'âme contente; oo mm PIHILOSOPUHIQL ES, 56 el -dépuis que je suis votre adepte, je perdoïs ma gaïté, je ne riois plus que du bout des l&- vres ; vos contradictions éternelles m’ennuient, vos ahsurdités me révoltent , vos doules me tourmentent , vos: perplexiés sont pires que l'enfer. Avec mon bon curé, je serai plus heu reuse. Croyez - moi , chevalier, venez en faire au- tant. On pent être trompé par vos sophistes : mais quand on les connoît, bien fou qui veut les suivre aux dépens d’un bonheur bien autre- ment solide que celui qu'ils nous offrent. N. B. M. le Chevalier , nous dit-on, a suivice con- seil, et l’on ajoute qu'il est aujourd'hui le premier à rire de la grande idée qu’il s’étoit faite de nos préten- dus sages. CONCLUSION. La philosophie commence et se propage chez des peuples privés de la révélation; el toutes ses écotes se divisent en autant de ses opposées , sans qu’il en aïl jumais existé une seule dont les opinions aient formé un enserable tant soit peu satisfaisant pour k raison. La philosophie , long-temps sans chefs et sans école, long-temps réduite au silence, aux té- - nèbres par la révélation , reparoïît chez des peuples éclairés par la révélation; et sa gloire 56% LES PROVINCIALES aboutit à renouveler presque sans exception toutes les erreurs, tout le délire, toutes les contradictions et les absurdités des anciennes écoies. Voilà donc, lecteur, les vérités de fait qui composent en abrégé l’histoire de là philoso- phie; et que le parallèle de ces anciens , de ces modernes si connus sous le nom de philosophes, ne vous permeltra plus de révoquer en doute Voilà ce qui ramène à l’Evangile nos adeptes si zxlés jusqw’ici pour leurs prélendus sages. Vous à qui les leçons des mêmes hommes avoient peut- être fait la même illusion, quel espoir vous re- tiendroit encore à leur école? Qu’attendriez- vous de cette philosophie réduite à elle-même ? Que pourra-t-elle faire pour vous, que ce qu’elle a fait jusqu'ici dans tous ses Lycées? Des sys- tèmes absurdes sur le monde et son origine; des systèmes impies sur Dieu et ses perfeclions ; des systèmes flétrissans sur l’homme et sa nature ; des Systèmes scandaleux sur l’homme él ses de- voirs; des systèmes désespérans sur Phomine et son destin ; voilà ce qu'elle a fait dans loutes ses écoles, ce qu’elle fait encore , ce que nous pouvons bien vous assurer qu'elle fera toujours, parce qu’il est écrit qu’ennemie de la révélation, elle sera Loujours sans base, sans appui; et que, toujours éprise deses propres lumières ; elle sera tuujours livrée à son sens réprouvé, au délire et à l’hamiliation.. FHILOSOPHIQUES, 565 Venez donc ; il est temps que nons vous con- duisions à une école mieux faite pour nn cœur ami de la vertu et de la vérité. Interrogeons celui qui seul a pu nous dire: Je suis la voie, la vérité , la vie , je suis la lumière du monde : et celui qui me suit ne marche point dans les ténèbres. A l’école de la révélation . el surtout l'Evan- gile à la maiu, venez. Je veux souffler d’abord sur tous ces mondes des Thalès et des Maillet, des Héraclite et des Buffon, des Pythagore et des Robinet, des Lucrèce et des Diderot; ils vont tous s’écrouler. Æu commencement Dieu crét le ciel et la terre ( Gen. ). Au commencement étoit le Verbe (1), et le F'erbe étoit Dieu. (1) J'ai rencontré des hommes qui pensoient avoir re- trouvé dans Platon cette idée du Verbe. Je croirois en effet qu’il avoit lu une partie de nos livres saints, où ce mot se trouvoit si long-temps avant lui. Ferbo Domini cœli firmati sunt. Mais s’il a vu le mot, combien il a hon- tensement défiguré la doctrine! Son Verbe, à lui, sup- pose d'abord un Dieu qui se divise. C’est une partie de- tachée du Dieu qui reste tranquille dans le ciel, qui laisse à cette partie le soin, non de créer , car Platon ne creyoit pas à la création, mais d’arranger la matiére , de débrouiller le chaos. Cette partie de Dieu , Verbe de Pla- ton , est un Dieu secondaire, qui détache ensuite de Jui- même d’autres particules ; et celles-ci sont autant d’au- tres Dieux pour le soleil, les étoiles, la terre , ete. et d’au- tres particules cncore deviennent les âmes de chaque hom- me, Je demande si c’est nne absardité de cette espèce qu'il ronvenoit de nous douner pour le Verbe de V'E- sangile. 566 LTS PROVINCIALES C’est par lui que tout & été fuit, et rien n’a ête fait sans lui. {Saint Jean , eh. 1.) Que d'erreurs ces mots seuls ont proscrites ! comme ils me débarrassent de toutes ees idées fatigantes de matière meréée, de chaos éterne, d'émanations platomiques , d'atomes, de cotr- cours. de hasard! comme ïls anéantissent tons les systèmes ! Mon esprit se repose sur ce Dien créateur. El sera sans peine le Dieu de ma raison, comme :l est le Dieu de la révélation. Jai ap- pris qu’il existe, et que tout est par lur: verrez, interrogeons encore Moïse et Pévangile, nons samrens ce qu'il est en Imi-même et dans ses at— tribus. À eelte mème écok disparoîtront eneore ces dieux matière et monde; ces dieux que se divisent en dieux qui se reposent eten dieux qui agissent, en dieux bons et méchans: ces dieux sans providence , et ees dieux enchaînés par la fatihité. Un Dieu seul éternel, toul-puissant, esprit pur et parfait, mn Dieu sage, qui veille sur le monde, qui seul règle le cours des saisons et des astres; qui donne à la terre sa fécondité, au lis tont son eclit, à l’oisea sa nourriture, el à homme la terre et tons ses fruits; un Dieu saint qui ne souffre ni crime ni souillure; un Dieu bon, qui protége l'innocence: um Dieu juste, qui effraie le méchant, qui pénètre les cœurs, qui juge les désirs et les pensées comme les actions, qui dévoile au grand jour les errmes BHILOSOPHIQU ES. 567 des. ténèbres; un Dieu dont rien n’égale la haine | pour le vice, si ce n'est son amour pour la vertu: voilà le Dieu que ma raison cherchoit en vain dans touies vos écoles. Moïse et l’évan- gile parlent ; c’est le Dieu des patriarches et de tous les prophètes , le Dieu du juifet du chré- tien. Par quelle fatalité ne fut-il donc jamais le Dieu du philosophe? et si jamais il ne se révéla à la philosophie ennemie de la révélation , par quelte absurdité suivrois- je encore cette philo- sophie pour renoncer à la révélation ? Assuré de mon Dieu , si je veux me comnoitre moi-même, quelle lumière espérerai-je encore de vos prétendns sages ? Je les ai consultés; ils m'ont dit que ce corps composoit tout mon être, et je sens que ce corps est que la plus vile partie de moi-même : ils ont consenti à me donner une âme; cette âme, ils l'ont doublée, ils Font triplée, et je sens qu’elle est indivisible : ils en ont fait une âme universelle, et je sens qu’elle n'est qu'a moi seul : ils en ont fait l’être esclave du destin, et je sens qu’elle agit, qu’elle est hbre, Hs m'ont dit que, matière ou esprit, elle moufra, el ne doit s'occuper que de ee monde, et je sens que mon âme peut viyre hors de ce monde ; el si elle survit à ce corps qu'elle habite, je prévois un sort qui m'inquiète, qu’il est pour moi du plus grand intérêt de décider. Par quelle fatalité encore, dé tous vos philosophes enne- mis de la révélation, n'en est-il pas un seul 368 LES PROVINCIALES qui, sur ces questions qu'il m'importe tant de ré- soudre, m’ait donné autre chose que des doutes ou des absurdités , des réponses ténébreusés ont des erreurs palpables? Que Moïse, Jésus et les prophètes parlent , mes doutes se dissipént:iJ’ap- prends qu’il est en moi une double sübstanec ; que ce corps n’est pas le moi qui pense, qui veut et réfléchit; que ce moi, pur esprit, libre et immortel, est l’image de Dieu; que le crime peut seul altérer cette images que je smis né pour Dieu, pour être heüreux d’un bonheur éternel] ; que le crime peut seul changer ma des- tinée, Ils me le disent tons; et ce qu'ils me disent est précisément ce que je senlois; ce sont précisément ces vérités dont le germe étoit dans moi, que ma raison voit se développer. De ect accord parfait du sentiment et de là raison nait ce repos de l’âme, cette conviction intime que je cherchoïs en vain à toutes vos écoles. Comment hésiterai-je encore entre vos philo- sophes et la révélation ? ls m'ont tous égaré sur ma nature et mon destin; faudra-t-1l les consulter encore sur mes devoirs ? Je l’ai fait, je les ai interrogés; et depuis Socrate jusqu’à Diderot, la première et la plus générale de leurs réponses fut toujours le blas- phème de Fimpiété et de Pingratitude. Je leur ai demandé ce que je dois à Dieu. Rien, nv’ont- ils répondu ; et pour autoriser le blasphème, pour la première fois et pour cette fois seule- PrHILOSOPHIQUES. »5g + ‘ment, ils se sont départis de leur orgueil. [ls se sont faits pelits, non pour faire Dieu grand » mais pour prêcher l'indifférence et l'oubli de ce Dieu. Ce qui est au-dessus de l’homme est étranger à l'homme. C’est le mot favori de leur Socrate, et ils l’ont répété à l’envis; et sous ce rétexte plus que pharisaïique, pas un seul qui d P » | q m'occupe de mes devoirs envers ce Dieu, des moyens de l’honorer, de lui plaire, de lui té- moigner mon amour, ma soumission et ma re- connoissance; pas un seul qui m’ait fait une loi du repentir et de l’expiation quand je lai of- fensé; pas un seul qui, s’élevant au-dessus de la superstition, ait su unir le culte à la morale : pas un seul pour qui Dieu ne soit un objet nul dans mes actions , mes intentions ; et par comble de la plus noire ingratitude, mon siecle les a vus atiendre et demander au prix de l’or, comme un chef-d'œuvre de lesprit bumain, la loi de l’honnète homme, sans mention de Dieu; ils ont voulu réduire en art l’oubli de Dieu; en école de vertu une école sans Dieu. O la plus monstrueuse des sectes ! IL pèse donc bien à ton cœur , ce Dieu qui te souffre sur la terre malgré toute ta haine; ce Dieu qui a créé l’impie lui- même, et qui fait luire son soleil sur le sophiste ingrat comme sur le chrétien touché de ses bienfaits. Va, ta philosophie ne sera pas la mienne ; mon cœur me dit trop bien que l’au- teur de mon être est le premier objet de mes 16. 570 LES PROVINCIALES devoirs. Je quitte ton école pour les apprendre tous et Jes remplir. Que Moïse, Je Christ et ses prophètes ; que toute Ia révélation me répète : T'u adorerus le Seigneur ton Diew, tu le ser- vuras , tu laimeras de tout ton cœur, de toute ton âme, de loutes tes forces; je dirai avec eux : Voilà le premier des préeéeptes, le cri de la nafure. Que la philosophie qui Pétonfoit soit elle-même anéantie, Je Padoré ce Dieu; et toute ma raison s'incline devant fai; je sens qu’elle m'appelle au pied de ses autels. Le faux sage les avoit renversés; que lPévangile vienne les relever ; mon âme, fatiguée par l’im- pie, y vole de nouveau. Je l’aimerai ce Dieu ; au vide affreux que vos sôphistes ont laissé dans mon cœur succédera Fobjet qui le remplit; ct le premier précepte de k révélation rappellera celui de toute la mature. Que la loi de Moïse el du Christ me parle encore ; qu’elle-même m'ins- truise à célébrer ce Dieu; qu’elle détaille Les objets de son culte, ils me seront tous chers; qu'elle m’apprenne à célébrer sa gloire; qu'elle am'atlache à Jui par le respect , Pamour, la con- france ; qu’elle me dise : IL ést ton père, itest bon, il est saint , il est miséricordieux; je serai son enfant , et je détesterai celui qui me permret de l’oublier. Qu’elle m’attache à Tai, même per la terreur; qu’elle me dise: Il est ton juge; je sens bien qu'il doit Pêtre. Mais aussi qu'elle m’apprenne encore le pouvoir d’un repentir l : : PHILOSOPHIQUES. 5ç sincèré, d’un cœur contril et humiliés qu'elle m’instruise dans l’art de le fléchir. Je sens que la morale seroit nulle pour moi, sielle me laissoit un Dieu pour ennemi. Que fais-je donc encore à toute celte école ; dont toute la morale est nulle sur-ee Dieu , sur ce qu’il me prescrit à son égard, sur ce qui peut me réunir à lui ? Qui peut vous retenir vous-même auprés de nos vains sages? Îls ont au moms promis de vous apprendre vos devoirs envers vos frères et la société. Je les ai entendus comme vous, je les ai étudiés jusqu’à satiété ; et c’est ici surtout que leur morale m’a paru désastreuse. Ils se sont obstinés à répudier tous les principes de la réve- lation ; ils n’ont pas voulu voir dans le père commun de tous les hommes le seul lien qui leur impose à tous des devoirs réciproquess ; et au lieu de former une société d'hommes, si l’ins- tinct plus puissant que leur philosophie ne récla- moit contre elle , ÿs w’auroient fait de Phomme que ce qu'est Panimal dans les forêts, L’animal vit pour soi, toujours pour soi; ce principe l’i- sole, le tient dans sa tanière; il n’en sort que pour soi: et ils ont dit à l’homme que sa pre- mière et umique loi est de vivre pour soi , de n’agir que pour soi. Si les tigres, les ours, les renards, les loups et les lions forment dans leur espèce quelquesociélé, c’est encore pour soi que cha- que individu’ entrera dans cetie société; ce sera pour assurer sa proie, on pour suivre la loi qui, 572 LES PROVINCIALES dominant les sens par le plaisir, l'appelle à la rêts production. Cet intérêt ou ce plaisir passé ;: plus de sociélé pour eux, plus de projets, plus de moyens, plus de senlimens , plus de devoirs com- muns ; et k philosophie a dit aux hommes com- me la nature le disoit aux lions , aux tigres et aux loups : Sans intérêt ou sans plaisir, plus de société, plus de liens, plus de devoirs communs, ni du père à Pégard des enfans , ni de l'époux à Pégard de l’épouse, ni de Pami, à l'égard de Vami,; ni du citoyen à l'égard da citoven, ni du sujet à Pégard du souverain, ni du pa- iriote à Pégard de l'étranger. Elle a dit, elle la répété ,'elle a fait de ce précepte le principe de toutes les vertus et la base dé toute sa morale: mais avec ce principe, depuis long-temps aussi les tigres s’unissoient quand l’intérêt ou le plai- sir les appeloit ; ils se quiltoient quand l'intérêt ou le plaisir cessoit: ils s’ertre-dévoroient quand le plaisir ou l'intérêt les divisoit;: et c’est aux philosophes que nous demanderions encore nos devoirs d'homme à homme! Vous avez lu tous les détails de lenf morales ils sont tous dignes de ce principe. ‘Fendresse paternelle, amour Glial, fidélité conjugale, amitié, reconnoissance , amour de la patrie, amour du souveraim, par- don des injure: , respect du bien d'autrui, vous l'avez vu dans les réponses et dans les preuves de leur 'inconcevuble eatéchisme ; tout-cela cesse d'être vertu à leur école, dès que l'intérêt ow le | > PHILOSOPHIQE ES. 5735 plaisir ne parle plus. Qu'ils répètent tant qu'ils | voudront. les mots de tolérance, d'humanité. de “bienfaisance; ces mots mêmes m'efraient dans | leur, bouche; Hs me sont trop suspects. Avec leur grand principe . l'homme peut déchirer | son semblable, le calomnier, le sacrifier , le dé- | vorer, en lui parlant comme eux d'humanité, de tulérance et de bienfaisance. Que le ciel nous préserve de ces leçons perfides ! Rendez-moi l'E- | vangilc; je veux donner à l’homme une morale | plus digne de son cœur , mieux faite pour la so- ciété, les familles, là patrie et les empires. l'E- | vangile à la main , je veux dire aux rois et aux . sujets, aux riches el aux pauvres, au Romain et au barbare : Vous êtes tous enfins du même Dieu; vous l’aimerez ce Dieu, c’est le premier | de ses commandemens : mais voulez-vous lui | prouver votre amour? voulez-vous qu’il vous | aime lui-même ? observez le second de ses com- | mandemens; il ressemble an premier : Vous aimerez voire prochain comme. vons-méme. | C'est le précepte favori de son fiis. Il ne cesse de | vous le répéter : 4imez-vous les uns les autres. | Aimez-vous autant que je vous aime. C’est | moi qui vous l'ordonne, et c’est à@ cet aniour que je reconnoëtrai si arous étes à moi. Celui qui aime son prochain aura Ja vie; éelui qui | n'aime pas eslimort. Altendez, lecteur, vous re | connoissez pas encore l'étendue et l'importance da préceple, Or: vous & di : Almez ceux qiu 574 LES PROVINCIALES vous arment ; je vous dis, moi: Aimez vbs ennemis, faites du bien à ceux qui vous hæis- sent, afin que vous soyez les enfans de ce Die qui fait évalement lever son soleil sur les mé- chans, qui fait également pleuvoir pour & hom- me injuste. ( Matth. c. 5.) Que toute la philosophie, à ces mots, et rou- gisse et se taise. Elle m’avoit réduit à moi et à moi s‘ul; elle avoit concentré tontes mes affections dans un vil mtérêt; qu’un homme quel qu’il soit, dans quelque état qu’il soit, et quelque sentiment qu’il ait pour moi, se montre, il est homme, il est enfant du même Dien que moi ; je sais désormais tout ce qu’il peut attendre et demander de moi. Je ne suis plus moi-même en- fant de Dien . s’il est un homme que mon cœur v’aime pas. Ah! j'aime, sil le faut, jaimerai, pour lui plaire, jusqu’à nos faux sages. Je dé- teste leurs vices, je combats leurs erreurs ; maïs ils sont hommes , et je ne puis haïr un homme et aimer Dieu, qu’ils soient sûrs de mon cœur. Amis ou ennemis, que je connoisse leurs be- soins; Pévangile à la main, qui pourra refuser un bienfait? Serai-je dur , eruel, vindicatif, avare envers celui que j'aime? Quel homme pourra l'être quand an Dieu Im dira: Ce que tu donnes à Pindigent, tu me le donnes à moi ; Je bien que tu fais à chacun de tes frères , tu me le fais à moi, jusqu’à ce verre d’eau qu’ils recevront de toi, je veux Ven tenir compte. PHILOSOPHIQUES. 5-5 Quel homme pourra être implacable lorsque ce même Diea ajoutera : Pardonne , et tu seras pardonné; la mesure de tes bontés pour les autres sera la mesure de mes bontés pour toi ; et le dernier de mes arrêts, celui dont dépen- dra ton bonheur ou ton malhenr éternel, portera tout entier sur le bien ou le mal que les hommes auront reçu de toi. (Matth. , chap. 7 et 25). Non, je n'ai plus besoin auprès du Christ de nouvelles leçons. Préchez son évangile, per— suadez Pumivers, et tous les vices qui ont fait de tout temps et dans fous les Etats le mal- heur de l’homme seront, par cela seul anéan- tis. Prèchez cet évangile, msistez, persuadez, et le Bonheur renaît dans le sein des familles, des villes, des empires (1). L'amour universel, la (1) Je ne peux m’empécher de faire quelques obserra- tions sur la ridicule objection de Bayle , copiée par Jean- Jacques Rousseau, copiée par vingt autres philosophes, contre la morale de l'Evangile, ces messieurs prétendent bormement que cette morale évangélique nuiroît à un état , parce qu’elle ne sauroît faire de bons soldats. Un bon cñr<- tien dans une armée , vous disent-ils, fera bien son devoir, ne craindra pas Ja mort , suivra de point en point ordre de son général ; maïs qu’il soit vaine, qu'il soit vainqueur, cela lui est égal. C’est la volonté de Dieu qu’il voit partont, En vérité, j'aurois envie de dire quil faut affecter de braver le bon sers, quand on ose proposer de pareñls pa- radoxes. Fh! que manquera-t-il, je vous prie, pour faire un bon soldat, à celui qui ne craint pas ly mort, qui se fait un devoir d'apprendre son métier, et qui suit exac- tement les ordres de son general? En quoi pourra done nuire celte égalité d'âme que vous reprochez au héros 576 LES PROVINCIALES vraie humanité, la douceur, Ja bienfaisance , la paix la plus profonde , avec la charité, succèdent aux divisions domestiques, à nos imimitiés, à nos contestations, à nos dissensions intestines , à nes haines el à nos guerres nationales. L’évangile - établi dans tous les cœurs, il n’est plus de 1y- ran, plus d’oppresseurs , plus d’ennemis, plus d'hommes à redouter. L’envie, les jalousies, les calomnies, les vengeances, les meurtres, l’homi- cide , ignorés parmi nous, ne laissent plus régner que Pémulation à qui se préviendra, sera plus bienfaisant , et plus doux et plus humain. Sous peine d’être absurdes , ils ne le nieront pas, vos chrétien? L’estimeriez-vous bien davantage, s’il se déses- péroit, la bataille perdue, s’il blasphémoit, s’il se livroit à une fureur, à une rage aveugle? Cela vons rendra-t-il la victoire? Et quand une défaite peut ètre réparée, la morale défend-elle au héros chrétien d’en prendre les woyeus? Ne lui en fait-elle pas au contraire un devoir? D'ailleurs, où avez-vous lu que cette morale doive le laisser dans l'indifférence pour la victoire ? Ne lui fait-elle pas un devoir d’aimer sa patrie? et peut-on aimer sa patrie, et la voir ravagée ou perdue d’un œil indifférent ? D'un autre côté, si la religion conserve au soldat ure certaine égalité d'âme, tant mieux; son courage de sang- froid n’en sera que plus redoutable. Le soldat chretien fait dans Les armées ee que fait le vrai sage pour se délivrer d'un malheur quelcouque. Vous employez, pour lPevi- ter, tous vos moyens; vous vous consolez quand vous ne pouvez pas y réussir, toujours prêt à recommencer quand espoir renaitra. Que perdez-vous à cette disposition ? Quelle folie excore de vouloir qu’un homme qui met à (aire son dsvoir le plus grand intérèt possible, celui de “son salut éternel ; qu’un homme vivement persuadé qu’un den + er -PHILOSOPHIQUES. 257 faux sages; tels serontles effets de la morale évan- géliqne reçue dans tous, les cœurs. Que nous veulent-ils-donc avec leur catéchisme d'intérêt personnel et.d'é légoisme ? ? Au lien du catéchisme de lawévélation, pourquoi ce catéchisme flétris- sant et désastreux , qui jamais ne m'appelle au- près du malheureux , si le malheureux même nesevt 4 mes besoins: qui me dit de le fuir dès qu'il m'est inutile: qui me rend par principe ennemi de tout homme dont l'intérêt n’est pas le mien ; qui détruit toute confiance d'homme à homme , toute. affection réelle, et fait par cela seul de la société un état habilnel de divisions, dehainéiet de discorde? déserteur, un traître, un lâche n’entrent pas dans le royaume dés cieux ; qu’un pareii homme, dis-je, soit un mauvais soldat ? Interrogez nos généraux, ebils vous ré- pondront lequel, du mauvais ou du bon chrétien , de l'impie ou du vrai croyant, est un bon soldat. * Et notez bien, je vous prie ; coinment il faut que la phi- dosophie sé contredise partout, C’est le dogine d'une vie à venir, d’un paradis à mériter, suivant Jeau-larques Rous- seau, qui rend le chrétien mauvais soldat, et ce nième Jean- Jaéques met lui-même 8 dogine d'une vie à venir: parmi les principaux articles de la profession dé joi que doivens faire Les soldats et tous les citoyens de-sa réprbiique. ( Vos. Contrat Social, c. 8.) FA Que l’on auroïitbien plus de raison de dire : Si la morale évangélique étoit saivie partout, nous w’aurions plus besoin de bons nide mauvais soldats; les hommesn’auroient plus he- | soin d'école pour apprendre à à se défendre el à se tuer les uns les autres. Il n’y auroit dé d’agresseur injuste; plus de champs ensanglantés par la mort de tant de milliers d’hommes ; en un mot, pla de guerres. Philosophe insense! oservis-tu L’en plaindre ? 578 LES PROVINCIALES Au moins, si, me parlant sans cesse d'intérêt personnel, ils avoient distingué ce qu’il importe réellement à l’homme de regarder comme son véritable et son g'and'mtérêt, je les consulterois encore sur mecs devoirs envers moi-même, et sur mon bonheur; mais partis d’un principe toujours avilissant, à quoi nr'ont-ils réduit , et sur quoi tournent-ils toutes mes vues? Foujours comme la brute, ne connoissant jamais que le présent el le besoin physique, que là terre et ses affections , quand nront-ils donc prescrit d’autres devoirs que ceux de l'animal ? La partie de homme qui ent toujours le mois besoin du philosophe pour exciter l'attention de l’homme et attirer ses soins, mes sens et leur bien-être , voilà le grand objet de leurs leçons. Fuis la douleur, recherche les plaisirs, jouis de Pexis- tence; voilà leur catéchisme. Mais je vous le demande , lecteur . avant nos philosophes, n’étoit-ce pas ausst celur des passions et de tous les méchans ? Et les hommes encore ont - ils besoin de leçons répélées et de dissertations pour apprendre à fuir la douleur, à chercher le plaisir, à jouir du présent? C’est la partie de l’homme permanent, éternel , c’est la plus noble partie de moi-mëème, que je voudrois con- noître et cultiver ; c’est l'intérêt de l’éternité mème que je veux assurer; pen m'importe Finstant quand j’aperçois on quand je suis au noins forcé de soupçonner, de redouter an = PHIEOSOPHIQUES. &79 avente qui ne finira pas. Et c’est ici précisément qure tons vos plrilosophres nre révoltent. Pas un seul qui s'occupe de ce grand imlérét, et qui me donne des leçons pour Passurer. Pas un seul qni me parle des moyens de purifier mon âme, de fixer son destin. Cette âme cependant , et chez vous el chez moi, se refuse à Fillnsion ; elle sent qne vos sages vañrenrent Fx flétrissent , qu’ils cherchent vainement à étouffer ses plaintes, ses remords ; elle aïme qu’on lui parle de son prix, et d’un autre destin et d’antres soins. Ah ! venez donc encore à l’école du Christ; c’est là que, renfer- mant dans un seul mot toute la philosophie de Fâme, nous vous ferons connoître soir prix , sa rroblesse et som destin , lorsque nous vous di- rons l'Evangile à la mar : Que sert a l'homme de gagrrer Funiivers , s’il vient à perdre son éme? ow que donnera -t-il en échange pour elle? (Matthi., c.16.) Il y a long-temps que la philosophie avoit dit : Connoissez-vous vomws-mérne ; mais celte coninoiseance , vous l’a-t-elle jamais donnée? Est-il jamais sorti de son école un oracle pareil [à celui-ci, et capable , ainsi que celui-ct, d'an- [noncer à homme tout le prix et toute Pexcel- [lence de son âme, et toute l’importance des soins qu’elle exige : 4 quot sert à l'homme de gagner l’urivers , s’il vient & perdre son &me? ou que donnera-t-il en échange pour elle? Ha] 300 LES PROVINCIALES Prètez. si vous l’osez encore , prèlez à présent l'oreille à ces vains sages qui vous parlent sans cesse de ce bas univers , de ses plaisirs ; de son bonheur, ou plutôt laissez-les, et convenez que, si dans leurs principes mêmes, celui-là est le vrai philosophe qui m’apprend le mieux a connoilre mes solides intérêts ; dans ce mot : A quoi sert, il est plus de vraie philosophie qu’il n’en sortit jamais de toutes vos écoles anciennes et modernes. C'est ainsi que Dieu parle quand il instruit les’ hommes ; et c'est à ces discours qu'ap- plaudit ma raison ; mais ce n’est pas ainsi que me parloient vos philosophes. Ils flétrissoient mon âme, ils la souilloient de tous les vices ; J'ouvrirai donc encore l'Evangile ; je lirai : Ja- rnais rien de souillé n’entrera dans le royaume des Cieux ; et ce mot seul encore m’en dira plus sur la haine du crime, la fuite du péché, que toutes leurs dissertations philosophiques. {is me livroient à toutes mes passions , à l’ava- rice , aux sales voluptés, à ambition , à l'im- iempérance ; et ma raison se révolloit contre leurs honteux préceptes. J’ouvre encore l’Evan- gile: on m’apprend que lavare, l’ambitieux , ladultère, lintempérant ne seront pas les bienheureux du Ciel. ( Corinth., 5.) On dé- tourne mes yeux de ces frésors trop nils, oc s'attache la rouille ; on m’apprend que Le règne de Dicu et sa justice méritent seuls mes soins ; PHILOSOPHIQUES. 554 on proscrit tous ces sages qui jamais ne veu- lent être bons, et toujours le paroïître ; on me | dit que le siége de la vertu et dans le cœur ; | que c’est là qu’un Dieu saint veut la voir ; | que je dois être saint el parfait comme lui. | Je sens qu’on fait de moi l'homme des cieux , |et ma raison s'élève ; et je laisse votre phi- losophie ramper sur la terre, se vautrer dans | la fange et dans toutes les immondices des pas- | sions. Si mon vol est sublime, et s’il doit! m'en | coûter des violences, on me montre lé Dien | qui tend la main à Phomme humble de cœur. Je prie, 1l est à moi; êt je triomphe des ap- pâts de tous les vices : motifs toujours pres- sans, secours toujours présens contre les ten- | tations , moyens toujours puissans , j'ai tout dans l’Evangile pour être toujours bon et ver- tueux , tandis que toujours seuls et toujours sous le joug des passions ; sans molifs, sans moyens, sans secours, vos adeptes ont tout pour être vicieux. Ils parlent du bonheur ; mais est-ce bien en- core chez eux que je le trouverai? Votre triste | philosophie a laissé dans leur cœur un vide af- freux. Vous m'offrez des plaisirs et des biens | passagers, et vous n’oseriez pas vous mêmes ré- fléchir-sur leur futilité, leur vanité, erainte de voir trop bien le mépris qu’ils méritent ; et pour | vous persuader que vous êtes heureux , il faut sd 82 LES PROVINCIALES vous tourdir vous-mêmes , vous distraire3:Ce que vous redoulez le plus, c’est de rentrer un instant en vous-mêmes, c’est l'examen sér eux ae votre silualion. Cette question seule : Suis- je vraiment heureux ? faite dans le silence des passions , devient votre supplice. Elle sera ton- jours celui du faux sage. Mais venez, nous saurons vous je montrer ce bonheur que vous cherchez en vain. C’est dans le cœur de l’homme évangélique qu’il ha- bite, c’est dans la paix et la sérénité de son âme sans tache, c’est dans un cœar inaccessible au trouble et au remords, c’est dans le doux espoir de jonir de son Dieu, que le bonheur ré- side sur la terre; c’est dans les cieux qu’en «st la plénitude, Près de vos anciens maîtres vous le cherchiez en vain dans les plaisirs, dans tou- tes les affections terrcsures; auprès de nos pro- phètes, vous apprendrez à dire : Heureux oelui qui marche dans la soie du Seigneur ! Près de vos anciens maitres xous le cherchiez en vain dans la prospérité et labondance ; l'évangile à la main, nous vous le montrerons jusque dans la chaumière du Lazare, jusque dans les dou- leurs, les humiliations el les oulrages, et nous necraindruns pas ‘de vous dire : Bienheureux cenx qui pleurent, parce qu'als seront consolés! bienheureux les pauvres d'esprit , parce que le royaume «des cieux leur appartient ! bienheu- rex ceux qui soufrent persécution pour la jus- * PHB&LOSOPHIQUES, 563 tice!, Vous serez bien heureux ; vous vous rc- jouez, et voire cœurtressa llera de joie quand vous serez.-calomniés à cause de Dieu, parce qu'il vous réserve dans les cieux une récompen:e infinie, (Maith. 5.) de le sais, ce langage est encore trop subli- ime pour vous; vos sages Je blasphèmeut; et celui-là seulren sent la vérité qui en à fait l'heu- reuse expérience. Eh; bien! lecteur, je ne de- mande point que vous yous en teuiez à nos pro- messes. C’est vous que je veux vo en juger par vous-même. Votre philosophie n’a plus be- soin d’essai pour être abandonnée ; la vanité de toutes ses promesses vous est assez connue. Elle devoit éclairer votre esprit, et vous n'avez trou- vé dans'ses leçons qu’un vrai chaos d’erreurs, d'opinions révoltantes , d’absurdités inconceva- bles, de doutes interminables, de contradic- tions perpétuelles; iln’est plus temps d’en dor- ter aujourd’hui, Elle devoit diriger vos actions , et vous rendre meilleur; et ses leçons perfides ne tendent qu’à vous rendre esclave des pas- sions, el à vous entraîner dans tous les vices. Son affreux catéchisme en sera à jamais la preu- ve incoutestable. Elle devoit vous rendre heu- reux; vous ropgiriez de l'être par les moyens qu’elle vous suggéroit. Avec elle, jamais vous ne fütes content nid’elle ni de vous. Eh bien! je le suis, moi, de l’évangile ; je lesuis de moi-mé- me chaque fois que je le prends pour règle. Je 304 LES PROVINCIALES suis mal avec moi chaque fois qüe mon com: s'en écarte, J’ose vous défier de trouver parmi tous les disciples du Christ un seul homme qui ait fait la même expérience, et qui puisse vous dire franchement : Je ne fus pas heureux 'en sui- vant l’évangile, mon cœur s’est répenti d’avoir été fidèle à ses préceptes; j'éprouvai les remords, et mon âme perdit son repos, son bonheur, en s’allachant aux leçons de Jésus-Christ. Non, cet homme n'existe pas, il n’exista jamais, il n’exis- tera pas, Jen suis sûr par moi-même, et les vains argumens de la philosophie viennent tous se briser contre celle preuv € br on sait lap- précier. Souffrez donc, lecteur, que je termine ces observations en vous proposant la même ex: périence, Si vous la redoutez, votre cœur n’est pas fait pour la vertu; vous méritez de vous perdre comme tous nos faux sages. Si elle est acceplée, nous n'avons pas besoin de longs dé- tails sur l'école du Christ. L’évangile à la main, méditez sa loi sainte, essayez de la suivre ,‘et si vous y trouvez un seul principe que vous vous repentiez d’avoir mis en praliqué ; s’il est un seul de ses préceptes où de’ ses conseils qui vous conduise au vice, qui trouble votre cœur, qui réveillé dins vous le remords, le repéntir de Favoir pris pour règle; si est une seule bonne : action à faire} nne seulé occasion de faire Je bien , ‘où l'ev agite vous arrête, et qu’il ne . PHILOSOPILIQU ES. 3585 yous reproche au contraire d’omettre; s’il est, dans votre vie ,; une seule circonstance où votre fine ait raison de se dire à elle-même : J’au- rois été meilleure, je serois plus contente de moi, je serois plus heureuse, si j’avois abandon- né la loi du Christ : laissez là cette loi; cher- chez ailleurs des leçons de vertu, de paix et de bonheur; et malgré toutes les contradictions de nos faux sages, malgré leurs oui, leurs non, malgré leurs doutes et leurs perplexités, malgre toutes leurs erreurs et tous leurs mensonges, malgré toutes leurs absurdités, malgré tout leur délire , revenez à leur école. Paris, ce 20 septembre 1787. FIN DU QUATRIÈME ET DERNIER VOLUME, 4, F 17 AAA A AAA A ET EPA A LL TU AMAR | SOMMAIRE | DES MATIÈRES Contenues dans les Helviennes, ou Lettres Provinciales philosophiques. D —— FYOME 1”. L'OBIETr de cet ouvrage Clant de mettre sous les yeux des lecteurs les opinions diverses des philosophes modernes, le premier volume est consacré à l’exposilion et à la réfutation de leurs systèmes sur l’origine et la formation de l'univers. La PREMIÈRE LETTRE expose le sujet SEIZIÈNE , système de M. de Buffon , ses erreurs physiques, ses oui et ses non. Le Chevalier, tou- jours plein d'admiration pour cet auteur céle- bre, expose sa doctrine, et dans la suite celles des autres philosophes , avec toute la franchise de l’enthousiasme, et toujours d’après leurs propres ouvrages. La Baronne, fort avide de ses leçons , les reçoit avec un respect el une avi- dité qui ne l’empèchent pas de faire sentir qu’elle y soupçonne des erreurs assez singulié- | l de l’ouvrage ; depuis la DEUXIÈME jusqu’à la { | | | SOMMAIRE DES MATIÈRES. 587 res. Le Provincial , personnage zélé pour la saine doctrine, oppose à ces leçons toute la for-- ce de sa raison. Si l’on peut regarder les lettres du chevalier et de la Baronne comme une iro- nie perpétuelle , il n’est rien dé plus sérieux ét de plus grave que la marche dû Provincial, La diversité de ces caractères se soulient jusqu’à la fin de l’ouvrage. Lérrres XVI, XVII et XVII. Systèmé de Télliäimed , suivi des observations da Pro- vincial , relatives surtout au déluge universel. LETTRES XIX — XXIIT. Plaisans systèmes de MM. Robinet et Diderot, entremèlés dés ob- servations du Provincial et des lettres de la Baronne. Lerrkes XXIV, XXV et XXVI. Opinions et contradictions des systèmes de là ñäture, de Lamétrie, de Pauteur du Bon sens. Lerrre XX VII. Sur la physique de Voltaire, suivie des observations du Provincial sur le génie et les erreurs de cet auteur. LETTRE XX VII. Système imaginé par la Ba- ronne , à l’imilation de divers autres. Lerrre XXIX. Sur le prentier tomé de la Physique du monde. Observations du Pro- vincial, 588 SOMMAIRE LETTRE XXX. Doctrine de M. d’Alembert', relativement aux systèmes , et nt | = du Provincial sur cette doctrine. LETTRE XXXL Maniere assez plaisante dont, la Baronne dispose de tous ces systèmes , pour les combiner dans le même cerveau. Supplément au fome premier , relaüf à un nou- veau système; nouvelle Genèse, suivie d’ob- servalions sur ce système , et quelques autres. TOME IL Métaphysique des philosuphes modernes, LeTrTREs XX XII, XX XIII et XX XIV. Phi- losophes pour Dieu, philosophes contre Dieu, | philosophes entre deux , philosophes tantôt pour, tantôt contre ; tantôt ni. pour ni con- tre. Voltaire à son lever, à son déjeüner , à son diner , à son souper, à son coucher, 5 HD Observations du Pr ovincial sur l'existence de Dieu, Lerrre XX XV. Diversité et opposition des idées de Jean-Jacques Rousseau ,: sur Dieu ét les athées... Observations, du Provincial sur le génie et les erreurs. de’ cet auteurs pa- rallèle de Rousseau et de Voltaire, | F7 0 DES MATIÈRES. 569 LgrrRes XX XVI et XX X VIE. Les oui et les | non de M. d’Alembert sur les preuves de l'existence de Dieu. Observations du Provin- cial sur les idées de ce philosophe. LETTRES XX XVII et XXXIX. Dieux des philosophes modernes. Le dieu grande âme, le dieu grand homme , le dieu grand tout, le dieu grande machine, le dieu petit ato- me , le dieu million d’atomes, dien de Ro- binet , dieu de Delisle, le dieu tranquille , le double dieu... Observations du Provincial sur tous ces dieux. LETTRES XL— XLIII. Etrange situation de la Baronne à l'aspect de tous ces dieux ; et de M. Tribaudet , philosophe célèbre, débarqué _ en province... Opinions des philosophes sur la spiritualité. de l'âme... Philosophes sans esprit , philosophes spirituels. Philosophes peut-être esprit et corps , peut-être tout ma- tiére. Voltaire esprit, Voltaire tout matière , Voltaire peut-être esprit , peut-être tout ma- tière. Jugement provisoire d’'Helvétius. Juge- ment définitif du même sur l'esprit. La rai- son du marquis d’Argens indécise , et très- décidée sur lesprit. L’âime de M. Robinet distincte de son corps , confondue ayec son 390 SOMMAIRE corps , moitié corps , moitié esprit... Philo- sophes à deux esprits; philosophes au double moi, mais à un seul esprit ; philosophes à deux âmes sans esprit; à un seul esprit, à une seule âme , à un seul moi, et le tout très- malière; philosophe tout esprit, et rien de plus ; philosophe tout esprit et tout matière — Observations du Provincial , démonstra- tion de la spiritualité de l’âme. LETTRES XLIV — XLVI. Diverses situations, et diverses leçons du philosophe "Fribaudet sur la liberté ; étonnement , et réflexions de la Baronne sur la maladie de cet adepte, LETrRE XLVITI. Diderot, Voltaire , et divers autres philosophes , tantôt libres, tantôt es- clavés, machines, automates, giroueltes….. Observations du Provincial , et preuves de la ‘ Hberté. LETTRES XLVIII et XLIX. Leçons de l’adepte sur limmortalité, et nouvelles perplexités de Ja Baronne. Philosophes mortels, immor- tels ; tantôt l’un, tantôt l’autre, tantôt ni l’un ni autre; diverses métempsycoses. — Ob- servalions du Provincial sur lPimmortalité. LETTRE L, Philosophes égaux , supérieurs, DES MATIÈRES. 5gu inférieurs aux bêtes. — Observations sur l’âme des bêles. LETTRE LI. Philosophes pour ou contre , et tantôt pour , tantôt contre, et en mème temps pour et contre l’éternité de la ma- tière. — Observations du Provincial sur cet “objet. LETTRE LIT. Diverses âmes philosophiques, le feu , l’eau , le mouvement, etc. , etc. LeTrRes LIL, LIV. L’adepte Tribaudet con- duit au petit Berne. Procès-verbal de sa ré- ception; désolation de la Baronne. | LeTTRes LV, LVI. Voyage de la Baronne au petit Berne; visite et phénomènes de diversés = loges. Philosophe grand prototype ; procès- verbal de sa réception. LEïTRES LVII, LVIIL Diversité des loges et des malades du petit Berne ; épreuves et ÿrai- _temens des adeptes. Exercice de la girouette, ou bien le même adepte à l’orient, à l’oc- cident, au nord et au midi; objet de cet exercice, Lois pour la réception au peut Ber- ne; erreur de la Baranne sur le grand objet des fondateurs du petit Berne, 592 * SOMMAIRE LerrrEs LIX — LXI. Ea Baronne détrompée. Parfaite conformité des adeptes malades ou convalescens du petit Berre, anx ädeples trés-bien portant dans la capitale. Réparation d'honneur imaginée en faveur des adeptes et de toute l’école philosophique. — Réflexions du Provincial. Vraie cause des aberrations des sages modernes. TOME.IIT. -t. Morale des philosophes modernes. LETTRES LXII—LXIV. Craintes dela Baronne sur les nonvelles leçons qu’elle altend. Ré- ponse du chevalier. Epreuves des adeptes par les problèmes philosophiques ; premier pro- blème. ‘Tout est dit, tout est vieux en mo- rale; rien n’est dit encore, et tout est neuf dans cette même science. Sages tout à la fois | premiers et derniers à l’école de la morale. LETTRE LXIV. 2° Triple et quadruple so- lution : et comment tout est neuf, quoique tout soit très-vieux en morale...... Obser- vations du Provincial; état de la morale an- térieurement à l'Evangile. 1° De la morale de la révélation, qui fut celle ‘des Juifs ; 2° de la morale du sentiment , qui fut celle | DES MATIÈRES. ME. à des peuples; 5° de la morale de la raison, qui fut celle des philosophes. Conclusions re- latives à la morale de l'Evangile. | LE rTRE LXV. Second problème , seconde énig- | me philosophique. On prouve d’un côté, qu'il n’y a dans ce monde ni vices ni vertus; on démontre de l’autre, qu’il y a dans ce monde des vertus et des vices... Philosophes certains et incertains. Voltaire affirmant, dou- tant, niant l’existence des vertus et des vices. Diderot affirmant et niant. — On demande à prouver l’unité de ces opinions. — Observa- tions du Provincial sur la distinction du bien et du mal moral. Lerrre LXVI. Troisième problème ou énig- me. Que l’idée de la vertu cest et n’est pas innée dans l’homme. — Quatrième problèmé ou énigme. Que cette idée est et n’est pas invariable. — Cinquième, que l’homme est bon , qu’il est méchant ; qu’il n’est ni bon ni méchant ; qu'il est bon et méchant, qu'il est moitié l’un, moitié l’autre , et tout cela à la même école. — Observations du Provincial sur ces problèmes. LETTRE LX VIT. Embarras de là Baronne sur SOMMAIRE ©1 Lo | 4 Il [l ces énigmes el problèmes. Demi - solution qu’elle en découvre; demi-mot de énigme. LerTRe LX VII, Que le demi-mot est le mot tout entier. Métamorphose de la vertu chez les sages modernes. — Sixième énigme ou problème. 1° Que la vertu est toute dans Fin- térêt public ; 2° qu’elle est toute dans Pinté- rèt personnel ; 5° qu’eile n’est ni dans Pun ni dans l’autre; qu’elle est toute dans la sen- sibilité physique; qu’elle n’a rien à faire avec la sensibilité physique. Gloire à acquérir par la solution de cette énigme. Post-scriptum relatif à Moïse. { LerTRE LXIX, Scrupules de la Baronne, Suc- cès du catéchisme qu’elle essaie avec son fils. — Observations du Chevalier sur la nature de la vertu, sur la distinction de lutile ét de lhonnêle. — Digression essentielle sur Moïse , relalivement au dogme de Pimmor- talité. LETTRE LXX. Réponse aux scrupules de la Baronne. Septième énigme où problème. 1° Que Jes passions sont bonnes, ires-utiles ; 2° qu’elles sont très-mauvaises, très-nuisi- bles ; 3° qu’elles ne sont ni bonnes, ni mau- vaises. Opinion de quelques philosophes à DES MATIÈRES. 395 | droite, et des mêmes philosophes à ganche. | Précautions à prendre pour la solntion des problèmes philosophiques. Observations du Provincial sur l’origine et la nature des pas- sions. LETTRE LXXI. Problème préservatif. 1° Que lerreur en morale est toujours dangereuse ; 2° que l’erreur en morale n’est jamais dan- gereuse, — Observations du Provincial sur le problème préservatif. TOME IV. Lerrre LXXH. Découverte du double caté- chisme philosophique ; embarras et soupçons de la Baronne sur l’auteur du double cat:- chisme , et sur son objet. — Observations préliminaires du Provincial sur ce double ca- téchisme. — Chapitre à droite ; le sage très- content du bonheur de ce monde; «4 gau- che , le sage très-mécontent du bonheur de ce monde. — Preuves de ce chapitre. — Notes de la Baronne, CHAPITRE Il. Vertus à renvoyer au préjugé; vertus à maintenir dans leur réalité. Ou bien, double doctrine sur la chasteté , la pudeur, le célibat , le mariage, le libertinage , Padul- 396 . SOMMAIRE ière , etc. — Preuves : colonnes À, colonnes r B.— Notes dé la Baronne. — Réflexions du | Provinciai. Objet de la nature dans le lien | - conjugal. Les lois de la pudeur. conséquen- | ces essentielles de cet objet, et du vœu qu’il | renferme... Réflexions sur le célibat reli-: | gieux. CHAPITRE IL. Autres vertus à renvoyer au préjugé, et à maintenir dans leur réalité, Piété filiale, amour paternel, amitié, recon- noissance , véracité, probité, crainte de Dieu, pardon des injures, etc. , etc. Prenves pour et contre. — Notes de la Baronne. 2 Obser- vetions du Provincial sur loutes ces verlius, CHaprTRe IV. Conscience et remords réfor- més , conscience et remords maintenus. — Preuves pour et contre. — Note de la Ba- ronne.-— Observations du Provincial. Nature et vrai principe des remords. ; CHAPITRE V. Enfer détruit, enfer rétabli, — Preuves pour et contre, — Note de la Ba- ronne. — Observations du Provincial sur le. dogme de l'enfer et son éternité; frusseté et inutilité des objections formées contre cette éternité ; sa justice et sa nécessité, ele. DES MATIÈRES. 597 Cuarirre VI. Moyens philosophiques d'établir la vertu parmi les hommes; médecine ; ma- réchaussée, législation , bourreaux, commu- nauté de biens, plaisirs , divorces , courtisa- nes , communaulé et choix des fermames, mu- sique , géométrie , etc. — Preuves de ces moyens. — Note de la Baronne. — Ohserva- tions du Provincial. CHAriTRE VI. Suicide approuvé , suicide pros- crit. — Preuves pour el contre. — Note et calcul de la Baronne.— Observations du Pro- vincial, JerrrEe LXXIIL Histoire et fin désastreuse _ de M. Rusi-soph et de Julie; craintes de la Baronne. OBSERVATIONS du Provincial. Les crimes des disciples peuvent-ils être impulés aux mai- tres? Fondemens de cette imputation, quand Ja doctrine des maîtres tend elle-même au crime, LerTRE LXXIV. Terrible situation de la Ba- ronne; manuscrit de Rusi-soph , sa biblio- thèque. Dénonciation et réquisitoire contre les principes politiques de l’école moderne. Les philosophes considérés comme ciloyens , 599 SOMMAIRE DES MATIÈRES. conime Français. Conclusions, et effets de ce réquisiloire. LETTRE LXX V. Situation du Chevaliér au pe- tit Berne. Il découvre l'intrigue qui Py à con- duit. Effets de cette découverté , et des re- mèdes qui lui sont administrés. LerTRE LXXVI. Dernicre épreuve de la Ba ronne. Exces de son dépit contre une phi- losophie qu’elle croyoit moderne, ét dont elle apprend à connoître la décrépitide. Preu- ves de cette décrépitude. Comparaison suivie, rapprochement, identité de lécole modérne et de l’école antique. Apostille et adieux de la Baronne, — Observations d’un Provincial. L'école des philosophes comparée à celle de l'évangile. Conclnsion. PORTE Pa La RTE EC) e Trio De en NV an SALON ER RES WA ee) LA