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LES HOULES

DEC 1 3 1972

EDOUARD 'BEAUFILS

Les Houles

Tendebantque manus ripa altérions ainore. Virgile.

TARIS

ALPHONSE LEMERRE, EDITEUR

23-3I, PASSAGE CHOISEUL, 2 3 - 3 I

M DCCC XCIV

^Wttwt

DU MEME AUTEUR

Les Chrysanthèmes, poésies.

La Neige du Kreisker, conte de Noël.

EN PREPARAT ION

La Symphonie de l'Amour, poèmes. La Confession d'un Triste, roman.

* * *

Pour ceux que l'idéal tourmente et qu'inquiète La chair triste, ce livre inquiet fut écrit :

Au miroir du vers s'y reflète, Emois de cœur, désirs des sens, troubles d'esprit,

La triple angoisse du poète.

DÉPARTS

Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur 'D'aller bas vivre ensemble. Charles Baudelaire.

Fuir ! bas juir ! Je sens que des oiseaux sont ivres 'D'être parmi l 'écume inconnue et les deux... Stéphane Mallarmé.

Partir, c'est mourir un peu. Edmond Haraucocrt.

I.

Les Houles

A la pointe du Raz, par un grand coup de vent, Je vis, s'échevelant au loin, cavales soûles, Dans le galop sans fin de leur course en avant, Venir de l'Atlantique illimité les Houles.

Le vent d'ouest, vers le cap tranquille et les bravant. Avec un bruit semblable à la clameur des foules, Précipitait leur masse énorme, l'enlevant Au dessus de la côte s'entr'ouvraient des goules.

LES HOULES

Les cœurs tumultueux sont pareils à la mer : Qu'il vente de l'Amour ou du Rêve, qu'il vente De l'Idéal ou du Désir, le souffle amer

Les emporte au dessus de la Vie, en tourmente, Et mêmes sont les bonds et même la fureur Des Houles de la mer et des Houles du cœur.

-*-

IL

Départ

Navita sed tristis nunc bos, nunc accipit illos. Virgile.

Je partirai ! Steamer balançant ta mâture, Lève l'ancre pour une exotique nature !

Stéphane Mallarmé.

C'est un soir tout fleuri d'étoiles et de lune ; La mer sommeille et chante en sommeillant ; la dune Au loin serpente avec des courbes sur l'azur ; Dans le port, au vent frais de la nuit qui le roule, Un grand steamer prêt a s'élancer d'un vol sur Vers les pays lointains cachés dans le futur, Rêve au balancement rythmique de la houle.

LES HOULES

La mer sommeille et chante en sommeillant. Des sons De cloche ont évoqué de suprêmes frissons, Et c'est l'adieu qui chante on ne sait ou qui pleure Du grand steamer qui va s'enfoncer dans la nuit. Des passagers sont là, s'embarquant. Voici l'heure, Pour les Tristes, d'aller vers une aube meilleure Suivre un profil perdu de bonheur qui s'enfuit.

Au loin serpente avec des courbes sur les vagues

Le feu d'un phare au fond des flous d'horizons vagues ;

Et bientôt, par delà le môle, loin du port,

Le steamer, orgueilleux des fanaux qu'on allume

haut dans la mâture, en bas à chaque bord,

Vers les mystérieux soleils pâles du Nord,

Dardera ses yeux rouge et vert, perceurs de brume.

Dans le port, au vent frais de la nuit, calme et doux,

Si frêles que l'on fléchirait les deux genoux

Pour leur offrir des lys aux soirs des beaux dimanches,

Et flottant comme en songe au dessus de la mer,

Onduleuse hantise aux plis des robes blanches,

Des femmes ont franchi la passerelle en planches

Et sont debout sur la dunette du steamer.

Le grand steamer qui va partir halète et fume, Et je sens que mon cœur se gonfle d'amertume,

Car ces femmes en blanc dont se meurt le contour, C'est l'amour qui s'en va peut-être... Je frissonne ! O pauvre que tu es avec ton ennui lourd, Ecoute bien, peut-être est ce un appel d'amour, Ce dernier tintement de la cloche qui sonne !

Vers les soleils du Nord le steamer est parti,

Et dans mon cœur un glas d'amour a retenti,

Et je revois bas les frêles passagères,

Si blanches comme un vol fuyant de blancs espoirs,

Si languides parmi les étoffes légères,

Faisant jouer de leurs petites mains si chères,

Indolemment, l'adieu qui navre des mouchoirs.

Rêve au balancement rythmique de la houle,

Rêve et toujours refais ton rêve qui s'écroule,

O cœur ! sache espérer encor ; si l'amour part

Au monotone chant des marins dans la hune,

C'est qu'il est d'autres cœurs qui souffrent quelque part

Prie afin que l'amour ne vienne pas trop tard,

Par un soir tout fleuri d'étoiles et de lune !

III.

Le Vapeur

En escrivant ceste parolk, A peu que le cueur ne me fend. Villon.

I.

J'ai suivi la route, la même Où, toute blonde je te vis, Rayonnante comme un poème, Apparaître à mes yeux ravis.

Je te fus l'étranger qu'on frôle ; Tu me regardas en passant, lit ramenas sur ton épaule Ta pelisse couleur de sang.

LE VAPEUR

J'eus dans la gorge comme un râle A te contempler d'aussi près, Et si tu m'avais vu si pale.

Hélas ! Pourquoi t'en être allée, O jeune fille que j'aimais ? Tu m'as fait L'âme désolée D'un deuil que je porte à jamais.

Le même souvenir surnage,

Toujours précis, toujours amer... J'ai refait le pèlerinage

Sous le même soleil d'hiver.

Ce soir, sous le grand ciel dormant. Comme sorti de quelque tombe Un cri d'appel, étrangement, Monte dans la brume qui tombe.

12 LES HOULES

Ce cri ravive mon désir Tandis que j'écoute les heures : C'est un vapeur qui va partir Pour le pays tu demeures.

Quand l'aube éclairera mon front De son ironique sourire, Les passagers respireront L'air que ta poitrine respire !

Eux aussi pensent à demain, Car il en est à qui, peut-être, Tu feras^ signe de la main, En te montrant à ta fenêtre.

Oh ! ce soir, guettant l'horizon, Si tu rêvais, à la mer haute, Au fiancé que ta maison, Demain, recevra comme un hôte !

LE VAPEUR

III.

Ce doit être un cottage blanc, Environne de grandes serres des lianes s'enroulant Décrivent des courbes légères.

Le cottage sourit au fond ; Toutes les portes sont ouvertes ; On entend seul le bruit que font Les oiseaux dans les branches vertes.

La vérandah, discrètement, Abrite la marche tu poses, Dans un froufrou d'ailes charmant. Tes pieds chaussés de mules roses.

Un ruisseau dont le calme endort Argenté le vert des prairies, Et de hautains cygnes du nord Y promènent leurs songeries.

LES HOULES

Et, le soir, sous les peupliers,

Quand tu vas cueillir des pervenches,

Les nobles cygnes familiers

Viennent mander dans tes mains blanches.

IV.

Ta chambre est ouverte au midi Sous des floraisons de glycines tu vas, d'un geste hardi, Cueillir des fleurs que tu dessines.

Ton profil, adorablement, Dans les grappes de fleurs se joue. Et c'est comme un encadrement De fleurs qui fleurissent ta joue.

De ton lit, quand le temps est clair, Vers le large, au delà des grèves, Avec les barques sur la mer Tu laisses s'envoler tes rêves.

LE VAPEUR

Et quand, les yeux las de sommeil. Tu peignes tes tresses profondes, Il semble que dans du soleil S'épanchent des rivières blondes

tes mains blanches vont nageant, Toutes pareilles aux beaux evgnes Dont la troupe aux frissons d'argent Obéit à tes moindres signes.

Toute pale, l'air abattu, Au bord de l'eau tu t'es assise.. Jeune fille, à quoi penses tu, Ce soir, dans la brume indécise

As tu perdu le souvenir, En ton âme encore ingénue. Du fiancé qui doit venir Sous les arbres de l'avenue ?

l6 LES HOULES

Pourquoi donc, dans ton regard pur, Une souffrance qui persiste, Comme un nuage sur l'azur, Met elle un vague reflet triste ?

Tu rejettes sur le gazon, Avec un plissement de lèvre, Le doux poème Tennyson A chanté la reine Genèvre.

Qu'importent les rêves anciens Que voulut vivre le poète ? Jeune fille, tu te souviens D'un souvenir qui t'inquiète !

VI.

C'est quelque chose d'incertain Comme un sourire d'ame lasse, Un vol fuyant de rêve éteint Qui va, qui revient et qui passe

LE VAPEUR

Un refrain de vieille chanson, Très lente et douce et monotone Comme un passage de frisson Dans les feuilles couleur d'automne.

Cela vient de très loin, d'an tan, Plaintif, et pleure dans la bise. Et ride les eaux de l'étang Au bord duquel tu t'es assise.

Et tu regardes vers la mer. Jeune fille, plus assombrie A mesure que plus amer En ton être un souvenir crie.

Puis tu retournes à pas lents Vers la charmille tu médites. Par les crépuscules dolents, Dans la saison des clématites !

LES HOULES

VII.

A ta fenêtre, dans la nuit.... Un froid te glisse au long des moelles A suivre un profil qui s'enfuit, Confusément, sous les étoiles.

L'obsession toujours grandit, Et voici des frissons de fièvre ; Et le mot que tu n'as pas dit, Maintenant, te vient sur la lèvre.

Et bas, bas, tu revois Le soir de jadis et la brume, Et le jeune homme dont la voix Etait empreinte d'amertume.

Vers la grève, tout près, au bord De la dune bat la mer haute, Un cri triste comme la mort, Dans le silence de la côte,

LE VAPEUR

19

Jusqu'à toi vient de retentir....

O jeune fille, écoute et pleure C'est un vapeur qui va partir Pour Je pays je demeure !

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IV.

La lune incendiait le grand boulevard blanc ; Un souffle las comme un râle de poitrinaire Jouait un peu parmi le feuillage tremblant.

La haut, des fleurs nageaient dans le frisson lunaire. Des fleurs d'acacias dont se poudrait l'azur, Coquettement, pour quelque fête imaginaire.

Les étoiles pâmaient leur nonchalance sur Le mol oreiller bleu d'alcôves idéales, Et si mélancolique était le soir et pur,

Et l'air se parfumait d'odeurs si liliales, On ne sait d'où venant aux souffles argentés Par les chemins tendus de grâces nuptiales,

LES HOULES

Que l'on rêvait en ce silence des étés, De la mystérieuse et lointaine agonie D'une pâle forêt de lys desenchantés.

Or, à cette heure exquise l'âme communie

Avec l'âme des soirs ineffablement doux,

Et sent passer l'amour comme une Epiphanie

Au vol exaspérant de grands papillons roux,

Nous marchions tous les deux sans rien oser nous dire,

Car d'autres étaient la, qui marchaient près de nous.

Et les autres causaient et c'était un martyre De marcher côte à côte, en nous frôlant ainsi, Sans pouvoir seulement échanger un sourire.

Nos âmes s'attristaient encore de ceci

Que l'un de nous devait, à l'aurore suivante,

S'en aller pour toujours peut-être, et le souci

De ce départ planait ainsi qu'une épouvante

Sur nous, dans la clarté nocturne du chemin

Que les feuilles troublaient de leur ombre mouvante.

22 LES HOULES

Et je ne pus serrer votre main dans ma main. Et d'un ciel inconnu de moi, chère adorée, Vous suivîtes la route, hélas ! le lendemain !

Si vous vous rappelez cette ultime soirée, Et combien douloureuse elle lut, je ne sais ? Moi. je ne l'oublierai jamais et je me crée,

Ce soir, au rythme égal et lent de ces tercets, Un soir pareil au soir nous nous attristâmes, Et tout au fond du souvenir je revois ces

Etoiles qui piquaient leurs innombrables flammes Aux vastes profondeurs du ciel étincelant, Et, parmi le silence se causaient nos âmes.

bas, bas, sans fin, le grand boulevard blanc Que la lune, pour quelque fête imaginaire, Eclairait à travers le feuillage tremblant,

Et les fleurs qui neigeaient dans le frisson lunaire.

Y.

Ad faces

II pleure dans mon Comme il pleut sur . Paul Verlaine.

L'heure tombe lente et grise les soirs sont confidents Du pauvre cœur qui se brise A se voir vivre en dedans.

La tristesse m'enveloppe Du suaire vespéral Dont le rêve misanthrope Aime à recouvrir son mal.

LES HOULES

La chambre est petite et basse ; Des rideaux aux froncis lourds Descend vers mon âme lasse La caresse du velours.

Une indécision flotte Sur les désirs assoupis, Et quelque chose sanglotte Au creux souple des tapis.

Remémorante du leurre A l'âme éprise d'azur, On dirait qu'une voix pleure Dans les flous du clair obscur.

L'obscurité m'enlinceule, Et mon âme a peur un peu De se sentir toute seule, Toute seule auprès du feu.

Et j'évoque mes vieux rêves, Mes vieux rêves tous éteints, Dans la brume tu t'élèves, Glas des souvenirs lointains.

AD FACES

Et tandis que grandit l'ombre. Par instants, une lueur Eclaire mon âme sombre D'un reflet intérieur.

Je revois toutes les choses, Les choses de mon passé, Auxquelles, au temps des roses, Mon cœur était fiancé.

Des rires pleins d'étincelles Jaillissent au mois de Mai D'entre les lèvres de celles Qui ne m'ont jamais aimé.

Je revois des profils vagues Sous des branches de jasmins, Et des mains qu'au bord des vagues Je tenais entre mes mains.

Chevelures toutes pleines De jeunesse et de soleil, Aurore des fronts, haleines Qui parfumiez mon sommeil ;

LES HOULES

Chevelures vagabondes Que j'aimais parmi l'azur, Parce que vous étiez blondes Et que mon cœur était pur ;

O voix, douces voix câlines Qui me chantiez, chères voix, Des romances cristallines Sur les thèmes d'autrefois,

Las ! qu'êtes vous devenues ? A quel vent déroulez vous, Chevelures ingénues, A quel vent, vos frissons roux ?

Et vous, voix des jeunes filles, Voix fraîches des fins gosiers, sont envolés les trilles De vos chants extasiés ?

Las ! Les roses mortes toutes, Roses de l'été défunt, Ont jonché les grandes routes De pétales sans parfum !

AD FACES 27

Et voici l'hiver, la pluie Monotone qu'on entend, Sur la ville qui s'ennuie, Tomber comme en sanglottant,

A cette heure lente et grise les soirs sont confidents Du pauvre cœur qui se brise, A se voir vivre en dedans.

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VI.

Ton mouchoir

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'étais las ; je n'avais dormi qu'une heure à peine Je suis monté dans le premier wagon venu, Avec la peur dont mon âme était pleine Qu'il n'y montât quelque inconnu.

Personne n'est entré. J'ai fermé la portière Et. dans un angle, rideaux bas, me suis blotti Comme en un coin perdu de cimetière, Et le train est parti.

TON MOUCHOIR 29

Alors, sur ces coussins fanés, souillés sans doute. Ou d'autres plus heureux joignirent leurs yeux clos. J'ai laissé follement mon âme toute S'épancher en de lourds sanglots.

Et voulant assouvir cette soif qui m'altère. Et pour, en respirant sur mes lèvres en feu

L'odeur, la bonne odeur qui t'est si chère, Te respirer un peu ;

J'ai pris ton fin mouchoir de batiste et, farouche. N'en pouvant plus de rage amoureuse, étouffant. J'ai mordu dans la toile, à pleine bouche. Ainsi que ferait un enfant.

Tel je suis demeuré tout le temps du voyage. Ne voulant rien entendre et ne voulant rien voir. Ne me plaisant dans mon enfantillage, Qu'à mordre ton mouchoir.

Le voyage fini, quand j'ai rouvert les lèvres Et détendu l'effort de mes membres ardents. La toile dont j'avais maté mes fièvres Portait la marque de mes dents,

:

LES HOULES

Mais elle n'avait plus sa grâce parfumée Comme jadis, et je sentais, o doux émoi ! Toute ta chère odeur, ma bien aimée, S'épanouir en moi !

VII.

h .:.' l'art à minutes heureuses.

Charles Baudelaire.

Comment t'appelais tu, femme, et d'où venais tu ? Qu'importe ? Les beaux yeux n'ont pas besoin d'histoire. Et n'est ce pas qu'il a toujours suffi de croire A la seule beauté pour croire à la vertu.

Ce que je sais de toi, c'est qu'un soir, sous les lustres D'une fête valsaient des couples galamment, Vers moi je vis surgir comme en enchantement. Dans toute leur splendeur tes épaules illustres.

32 LES HOULES

Ta taille svelte au vent chanteur des violons Ondulant avec des souplesses de liane, Lente et faisant songer a quelque Viviane Par la perversité de tes mouvements longs ;

Tes yeux vagues sous les paupières entrouvertes Noyant, grâce a des jeux savants d'ombre et de jour, Sans qu'on sût s'ils étaient de haine ou bien d'amour, De grands rêves lointains dans leurs profondeurs vertes ;

Ta robe, verte aussi, d'un vert de mer changeant, Moulant ainsi la grâce frêle de tes hanches, Que tu semblais, avec son semis de fleurs blanches, Une algue de l'écume eût fleuri de l'argent ;

Telle tu m'apparus dans ta beauté divine,

Sous les lustres moins clairs que tes fins cheveux blonds,

Si merveilleuse alors de la nuque aux talons

Que je crus que mon cœur sombrait dans ma poitrine.

Et sans paraître te douter de mon émoi,

Simplement, comme on fait un geste ou comme on lance

Un mot banal après un instant de silence,

Avec calme tu vins t'asseoit auprès de moi.

LES HOULES

Derrière nous s'ouvrait une large fenêtre. Dans un encadrement d'arbustes et de rieurs Dont la fraîcheur et les parfums et les couleurs Au vent nocturne allaient renaître.

D'en bas, des grands jardins profonds baignés d'air bleu la lune, à travers le dessin noir des arbres. Ruisselait en torrents de nacre dans les marbres des jets d'eau pleuraient un peu ;

Du parc mystérieux où, repliant leur tige, Des fleurs de rêve et de poison semblaient dormir. D'autres parfums vers nous qui nous sentions frémir Montaient encor dans un vertige.

Et tandis que passaient des couples tour à tour, Emportés dans le rythme échevelé des danses, Nous nous fîmes, sais tu. d'étranges confidences Sur la tristesse de l'amour.

LES HOULES

De ton corps d'Aphrodite et de ta beauté mûre Me venait un désir plus fort à chaque instant ; Tu m'étais comme un fruit savoureux et tentant A la chair délicate et sure,

Un fruit d'automne pâle et de jardin perdu

Où, quand l'ombre a noyé les formes qu'on devine.

Voluptueusement, dans une heure divine.

Mes dents d'éphèbe auraient mordu !

Nul trouble ne hantait la ligne de tes le Je ne sais si c'était pitié, femme, ou mépris, Mais à te contempler d'aussi près je compris Que tes regards donnaient les fièvres.

Et chacun d'eux, dans mon pauvre cœur mal fermé Rouvrant comme à plaisir d'anciennes cicatrices. En toi je sentis vivre, au gré de tes caprices. Toutes les femmes que j'aimai.

LES HOULES 35

Je revois cette fin de bal. Le matin ruse Aux épaules du ciel mettait un manteau clair. Et la rosée au cœur ému de chaque rose Fleurissait maintenant dans la fraîcheur de l'air.

Les jardins sillonnés par des vols d'hirondelles Déployaient sous nos yeux emplis de visions Leur immensité verte naissaient des bruits d'ailes, Et près de la fenêtre ouverte nous causions.

Alors je te serrai dans mes bras, ô délice ! Comme pour éloigner, s'il se pouvait, un peu. Le fatal, le tragique et douloureux calice Qu'à nos lèvres d'amants allait tendre l'adieu.

Puis, furieusement, mes bras qui t'avaient ceinte Enlacèrent ta taille au point de la briser, Et l'instant que dura cette suprême étreinte, J'eus le temps de te boire toute en un baiser !

VIII.

Peines d'automne

Vous êtes un beau ciel d'automne, clair et rose. Charles Baudelaiku.

Comme la nuit tombait un peu, Hier, quand je vous eus quittée, L'heure qui suivit notre adieu De ténèbres fut attristée.

Je m'en allai par des chemins des arbres aux feuilles jaunes Tendaient vers moi comme des mains Pour d'énigmatiques aumônes.

PEINES D'AUTOMNE 57

Le ciel était comme un linceul Dont s'enveloppait ma détresse. Et tandis que je marchais seul, Songeant vous, ô ma maîtresse.

Pleurant la clarté de vos veux Qui m'eût illuminé la route, Pleurant vos lèvres, vos cheveux, Vos sourires, vous pleurant toute,

J'eus peur, j'eus peur jusqu'à l'effroi, Non de la nuit que je réclame En mes heures de désarroi, Mais de la nuit de ma pauvre âme.

II.

J'ai fui la ville ce matin

Pour m'en aller devers l'automne,

Ouïr le lamento lointain

Du vent d'octobre monotone.

LES HOULES

Par les chemins silencieux s'éplorait lame des roses, J'ai pu, chère, vous songer mieux Au milieu du songe des choses.

C'est de vous, maîtresse, de vous Dont le front parfois se courrouce, Que m'ont parle les arbres roux. Couleur de vos cheveux, ô rousse.

C'est à vos yeux je suis pris Pour leurs tendresses maternelles, Que m'a fait rêver le ciel gris, Couleur du gris de vos prunelles.

Plus tard, à l'heure du retour, Le soir descendit pour me dire, Le soir dolent, couleur d'amour, La couleur de votre sourire.

PEINES D AUTOMNE 39

III.

Que diras tu ce soir, pauvre àmc solitaire ? Que diras tu, mon cœur, cœur autrefois flétri, iA la très belle, à la très bonne, à la très chère. Dont le regard divin t'a soudain refleuri ? Ch. Baudelaire.

Vous le rappelez vous encor, Ce doux sonnet de Baudelaire,

Que me chantait votre voix d'or. Un soir que j'avais su vous plaire.

Cela fut au dernier été : Maintenant, c'est la saison triste, Et de vous qui m'avez quitté Plus rien qu'un souvenir subsiste.

Que vous dirai je aussi, ce soir, Sinon que mon cœur se rappelle La douceur de votre pouvoir, Très chère, très bonne et très belle ?

40 LES HOULES

Sous ma lampe, volets fermes, Je relis les vers, chère enfuie, Du poète que vous aimez, Au bruit du vent et de la pluie.

Et je sanglotte, en même temps, Très chère, très belle et très bonne, Qu'au dehors, dans la nuit, j'entends Tomber les larmes de l'automne.

IV.

Amie aux yeux changeants, si doux, De par l'automnal diadème Que font vos nobles cheveux roux, Vous êtes un beau chrysanthème.

Un beau chrysanthème onduleux Dont penche la corolle, éclose Par un soir d'octobre frileux, Au pays gris de la névrose.

PEINES D AUTOMNE

Vos cheveux roux, vos cheveux d'or Ont la fauve couleur, amie, Des fins pétales s'endort L'âme même de l'anémie.

Ils en ont l'échevellement Et la grâce étrange et perverse Quand sur votre front, follement. Us s'ébouriffent en averse.

Et, de même que cette fleur Dont le charme languide étonne, Vous fleurissez de la langueur. Amie, en votre âme d'automne.

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CHANSONS DE BORD

Enfant blonde, bas, dont le cœur a frémi, loi qui sais les chansons du pâtre et qui les aimes, ^Apprends donc les chansons qu'un ami, Doucement, va te chanter en ces poèmes.

Louis TlERCELIN.

Tel un mousse qui songe aux lointaines escales les femmes axaient d'étranges regards fous.

Frissonnante encor des baisers de l'onde Et des brouillards bleus du soir émergeant, Quand la lune au ciel montait toute ronde, Merveilleuse fleur d'or pale et d'argent...

E. B.

I.

Pour Louis Tiercelin.

Quand je menai vers toi la fête de mes vers. Maître, c'était le temps qui voit saigner les roses La jeune aube riait sur le vieil univers. Et mon cœur ignorait le vil souci des proses Quand je menai vers toi la fête de mes vers.

Je m'étais égaré dans la foret chantante

Des mètres indécis et des rythmes confus,

Et, comme un voyageur lassé que l'ombre tente.

J'allais m'étendre sous les arbres, quand tu fus

Mon guide aux longs détours de la foret chantante.

46 LES HOULES

Chargé de branches et de fleurs, je te suivis Par un sentier, le plus fleuri que je connaisse, la nature avait devant mes yeux ravis Déroulé sa splendeur d'éternelle jeunesse. Et tout chargé de fleurs, maître, je t'y suivis.

Comme le soir agonisait parmi les arbres, Nous arrivâmes au seuil noble d'un palais Dont le rouge soleil martyrisait les marbres En les éclaboussant de ses derniers reflets. Comme le soir agonisait parmi les arbres.

Nous entrâmes ainsi dans le palais hautain Où, profilant leur rêve au fond de grandes salles. Des femmes, sur un rythme étrangement lointain. Vagues et lentes, se prosternaient en vassales, Vers toi, maître et seigneur de ce palais hautain.

Or, près d'une fenêtre ouverte sur des cimes

Dont la sérénité grandissait l'horizon,

Devant le soir, tous deux, maître, nous nous assîmes,

Tandis qu'éperdûment, large et vaste, un frisson

Venait par la fenêtre ouverte sur des cîmes.

LES HOULES 47

Puis, maître, tu saisis une à une les lleurs Que, tout le jour, dans la forêt j'avais cueillies. Et, suivant une gamme exquise les couleurs Vibraient au gré divers de tes mélancolies, Tu liais lentement, une à une, ces lleurs.

Et des gerbes naissaient de lilas et de roses Entre tes doigts, dans le fantastique palais, Et de jacinthes et de tubéreuses roses. Et de lys au parfum d'aube que tu mêlais, Dans le triomphe clair des lilas et des roses.

Et chaque fois ainsi que sortaient de tes mains Ces poèmes de fleurs tout pareils aux trophées Que l'aurore suspend aux voûtes des chemins, Calmement tu faisais le signe aux femmes fées De venir à genoux les prendre dans tes mains.

Svmétriques avec un charme de cadences, Nombrant leurs pas selon les rythmes souverains, Les femmes jusqu'à l'aube enroulèrent leurs danses. Levant les bras, cambrant les torses et les reins, Symétriques avec un charme de cadences.

_|8 LES HOULES

Et cependant qu'elles dansaient, tenant les fleurs Dont l'échange incessant fleurissait leurs mains Anes, Û maître, tu m'appris en mots ensorceleurs Le secret des beaux vers et des strophes divines, Pendant qu'elles dansaient en échangeant les fleurs.

Le lendemain, je m'en allai parmi l'aurore Cueillir des branches et des fleurs au fond des bois, Et dans le palais tu m'attendais encore, Au soir, quand je revins, j'essayai cette fois D'engerber seul les fleurs et les branches d'aurore.

O maître, et c'est pourquoi la fête de mes vers Aujourd'hui te salue avec des rimes roses, Puisque, jadis, l'aube riant à l'univers, Au temps miraculeux qui voit saigner les roses, Je conduisis vers toi la lete de mes vers.

■^^é^^¥i^^é^^i^^é^^À^^i^^i

II.

Pour José Maria de Hérédia. / çDignuin laude virum Musa vetat mon

Horace.

Nous te saluons, Maître, et nous te vénérons, Hérédia, toi qui, méprisant l'art utile. Forgeas tes hauts sonnets le Verbe rutile. Avec le dur marteau des maîtres forgerons.

De même, pour gagner un jour nos éperons, Martelant le spondée et domptant le dactyle, Nous forgeons selon toi, sur l'enclume subtile, Une couronne ayant des rimes pour fleurons.

50 LES HOULES

Et, dans le palais d'or enchante par les Rimes, Sous l'éclair flamboyant jailli de tes escrimes Vers l'idéal que ta science irradia,

Les poètes iront, en longues théories, Dévotement, mettre à ton front, Hérédia, Le diadème saint de leurs strophes fleuries.

-^ll*3—

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III. Matin d'avril à l'Hôpital

Las du triste hôpital et de l'encens fétide Qui monte en la blancheur banale des rideaux, Vers le grand crucifix ennuyé du mur vide, Le moribond, parfois, redresse son vieux dos. Stéphane Mallarmé.

AU dehors, c'est Avril qui chante et qui sourit ; Au dedans, c'est le cœur qui se serre et l'esprit Qui se trouble, au milieu de cette salle austère la mort lente fait son œuvre de mystère. L'aurore a mis partout ses longs baisers flottants ; Des taches de soleil tombent comme un printemps

52 LES HOULES

Sur le crépi des murs et la cire des planches,

Et des gaietés d'azur croulent en avalanches

Par les vitres qu'on ouvre aux rayons du ciel clair.

Une allégresse blonde est éparse dans l'air,

Il s'éveille un désir inconscient de vivre,

Et c'est comme un fardeau dont l'aube vous délivre

En ce réveil tout blanc sous le grand ciel tout bleu.

L'hiver, ayant suivi l'ombre de quelque adieu,

S'en est allé sans doute, alors que la nuit noire

Déroulait hier encor son lourd tapis de moire,

Et dans l'obscurité nul ne l'a vu partir,

Le vieil hiver saisi d'un tardif repentir.

La nature balance à la fenêtre ouverte

Un lambeau de sa robe éblouissante et verte,

Et sur les nappes de soleil, pleines d'argent,

Des frémissements verts de feuilles vont nageant.

Et tout cela vibre et reluit de transparence

Dans la salle muette pleure la souffrance.

Des frissons printaniers courent au long des lits.

Et les malades ont levé leurs fronts pâlis,

Avant comme une angoisse exquise de bien être,

D'ouïr chanter tout un poème à la fenêtre,

Et de voir et de voir à n'en croire leurs yeux,

Le soleil qui leur fait l'honneur d'entrer chez eux !

LES HOULES 53

bas, comme une fleur inclinant sa corolle,

Dans la chaude clarté dont Avril l'auréole,

Les bras hors de son lit et la tête penchée,

Toute frêle et languide une femme est couchée.

Sur ses draps blancs elle a croisé ses deux mains blanches

Afin que le soleil se glisse dans les manches,

Entre la toile rude et la chair amaigrie,

Et le soleil lui fait un bout de causerie.

Il pleut sur elle de l'aurore et de la joie ;

La toile de ses draps lui semble de la soie

Qu'elle frôle parmi cette chaleur si douce,

Et la malade ne sait plus, quand elle tousse,

Si cette toux étrange est une toux bien vraie

Et qui sorte de sa poitrine. Elle s'effraye,

Croyant que cela vient d'ailleurs, de ses voisines,

Des pauvres qui n'ont plus besoin de médecines !

Et tandis qu'elle rêve à tout ce dont la vie

Fleurira sa jeune âme encore inassouvie,

Elle agonise dans sa chair couleur d'ivoire,

Pareille au Christ jauni qui meurt sur sa croix noire,

Juste en face, dans un flot de soleil qui raye

Des noms de médecins griffonnés à la craie.

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IV.

Etrange au front des soirs d'or et de sang fleuris, Noir sur la pourpre au loin qui court, comme une frise, Bordant les nimbes bleus que le couchant irise, Le moulin dresse au ciel ses bras tors et pourris.

Il tourne, il tourne avec des râles et des cris : Tels les agonisants qu'une toux sèche brise ; Et, peinant toujours plus, ses ailes, sous la brise, Ont des vols gigantesques de chauves souris.

LES HOULES ' 55

Et, quoique tout branlant sous sa toiture en lattes, Dans les soirs glorieux aux teintes écarlates Qui cèlent des pays solaires et plus beaux,

Le moulin semble avec ses ailes toutes noires Traîner vers le couchant de la pourpre en lambeaux, Comme un triomphateur qui traînerait des gloires.

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V.

Comme au dehors un lourd soleil chauffait la rue Et que mes yeux étaient las de lumière crue, J'ai fermé les volets, ayant besoin de noir, Pour ne plus rien entendre et pour ne plus rien voir. Et tout le jour ainsi, seul avec mes pensées, J'ai vécu vaguement dans les choses passées, Inerte, sans regards, sans mouvements, sans voix ; Et ma tristesse a su, pour la première fois, La consolation que depuis je réclame, De l'ombre dans les yeux et de l'ombre dans l'âme.

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VI.

Quand le soleil nous dit adieu. bas, à l'horizon, persiste Une dernière lueur triste Qui fleurit d'or ou d'améthyste

La lassitude du ciel bleu.

Et dans le crépuscule il reste, Après que l'astre s'est éteint, Encor comme un reflet lointain,

Vague reflet de feu qui teint Toute l'immensité céleste.

LES HOULES

Mon âme est pareille à ces ciels Des fins de jour mélancoliques ; Les mêmes rougeurs symboliques Et les mêmes rayons obliques Traversent ses deuils éternels.

Regrets, douleurs de toutes sortes, En sillons roses ou carmins Y tracent les sanglants chemins D'espérances sans lendemains Qui se meurent ou qui sont mortes.

-*-

VII.

Avril fleurit chaque verger, Fleurs de pommiers, abeilles blanches. Avril fleurit chaque verger De fleurs que l'on voit voltiger Au bout des branches.

Il flotte dans chaque verger, Fleurs de pommiers, abeilles blanches. Il flotte dans chaque verger Un parfum que l'on voit neiger Au bout des branches.

6o LES HOULES

C'est du miel dans chaque verger, Fleurs de pommiers, abeilles blanches. C'est du miel dans chaque verger Qu'on voit les doux oiseaux manger Au bout des branches.

Et c'est vous dans chaque verger, Fleurs de pommiers, abeilles blanches, Et c'est vous dans chaque verger Qu'on voit faire ce miel léger Au bout des branches.

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VIII.

Ex amour, de toutes les grâces, La grâce que j'aime le mieux, C'est celle si triste des yeux, Des yeux cernés des femmes lasses,

Dont la meurtrissure, au grand jour,

Bleuit, se précise et s'affine,

Et délicatement dessine

Un ovale s'enclôt l'amour.

IX.

Ta main, ta main, je veux te suivre Vers le pays bleu des baisers. Le soleil met des tons de cuivre Au calme des cieux apaisés.

Vers le pays bleu des baisers, Ce soir, va s'éployer ta mante. Au calme des cieux apaisés, Le vague soir fleure la menthe.

LES HOULES

Ce soir, va s'éplover ta mante : J'ai vu fuir tes pieds délicats. Le vague soir fleure la menthe, Le soir fleure les seringats.

J'ai vu fuir tes pieds délicats Vers l'ombre sont les en allées. Le soir fleure les seringats Dans la tristesse des allées.

Vers l'ombre sont les allées,

Laisse moi te suivre Ta main !

Dans la tristesse des allées, Les roses saignent leur carmin.

Laisse moi te suivre Ta main,

Afin que tu ne sois pas seule ! Les roses saignent leur carmin Au fond du parc qui s'enlinceule.

Afin que tu ne sois pas seule, Fais moi place sous ton manteau. Au fond du parc qui s'enlinceule La lune a frissonné sur l'eau.

64 LES HOULES

Fais moi place sous ton manteau, Je ne veux pas que ton cœur tremble. La lune a frissonné sur l'eau, Sur l'eau qui pleure et chante ensemble.

Je ne veux pas que ton cœur tremble, Rassure toi. Je suis tout près. Sur l'eau qui pleure et chante ensemble, L'azur sourit à l'étang frais.

Rassure toi. Je suis tout près ;

Ta main, ta main... je veux te suivre.

L'azur sourit à l'étang frais

se meurt le soleil de cuivre !

X.

Depuis que tu m'as dit : « J'aime ta poésie ; Sombres ou radieux, tes vers vibrent en moi, Mon âme entière avec ton âme s'extasie, Et mon émoi palpite et tremble à ton émoi. »

Depuis le jour en fleurs d'une extase trop brève ta bouche a chanté ces paroles d'amour ; Depuis que tu m'as dit : « Mon rêve aime ton rêve. Avec lui je m'attriste et je ris tour à tour. »

66 LES HOULES

Depuis que tu m'as dit : « Je tendrai sur ta vie

Un voile ravonnant de tranquille clarté

l'Idéal de ta Chimère poursuivie

Par moi se fera douce à ton rêve exalté. »

Depuis que tu m'as dit ces berceuses paroles, Au temps que les Avrils fleurissent les buissons Et qu'on entend parmi le trouble des corolles, Les oiseaux gazouiller leurs premières chansons ;

Depuis, mon pauvre cœur lourd de douleurs sans bornes N'est plus hanté par les sanglots quand vient le soir, Et des aubes d'amour, vers les horizons mornes, Ont surgi comme un songe s'entr'ouvre l'Espoir.

Et ta voix reste en moi, cristalline et touchante, Depuis cette heure tu m'as dit que tu m'aimais, >Et tout pleure et sourit, tout frissonne et tout chante Dans mon cœur ton cœur se confond à jamais !

-*-

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XI.

Je me souviens du béret blanc que vous portiez. Aux soirs d'étoiles et de brises, sur les plages. Et de l'envolement de vos cheveux volages Par les petits chemins bordés de noisetiers.

Je me souviens aussi que vous ne vous prêtiez Qu'avec indifférence à mes enfantillages, Lorsque sur la falaise sont les blancs villages. Je dépouillais pour vous fleurir les églantiers.

68 LES HOULES

Je me rappelle encor la vareuse de laine Sous laquelle vos seins s'exaspéraient, Hélène, Quand vous marchiez, après le bain, contre le vent.

Et voilà tout : vous étiez svelte et fraîche et rose, Et si dans ce temps j'ai pleuré bien souvent, C'était je ne sais plus vraiment pour quelle cause.

-^S^-

XII.

TON corps est un paradis Dont tes lèvres sont la porte ; Je te possède et t'emporte Au vol des baisers hardis.

Tous les plaisirs interdits Aux mortels me font escorte, Lorsque j'entre au Paradis Dont tes lèvres sont la porte.

7o

LES HOULES

Que nos baisers soient maudits Ou soient bénis, peu m'importe ! Je t'aime de telle sorte Qu'en vérité je te dis : Ton corps est un Paradis Dont tes lèvres sont la porte !

*

XIII.

Les jours de souvenir j'évoque des yeux, Ce sont les tiens que je revois dans ma prunelle, Pauvre chère qui me fus bonne et maternelle, Un soir que le désir nous rendait anxieux.

Mouillés de pleurs sous la frange des cils soyeux, Ils furent les flambeaux d'une heure solennelle ; Les jours de souvenir j'évoque des yeux, Ce sont les tiens que je revois dans ma prunelle.

LES HOULES

Et c'est le charme doux qui se mourait en eux, Le soir triste l'amour nous frôla de son aile, C'est ce charme que garde et que reflète en elle Ma prunelle, comme un miroir mystérieux, Les jours de souvenir j'évoque des yeux.

XIV.

Tout un soir, en suivant un chemin Qu'ombrageaient des berceaux de jasmin. J'ai tenu votre main dans ma main.

Tout un soir, vous avez, bonne amante, Tendrement maternelle et clémente. Avec moi partagé votre mante.

74 LES HOULES

Tout un soir, ainsi qu'un simple ami, Et sans que mon désir ait frémi, Penché sur vos genoux j'ai dormi.

Tout un soir, ô bonheur éphémère, Me baisant au front comme une mère, Vous avez consolé ma chimère.

Quatre soirs j'ai vécu tout cela, Quatre soirs, bonne amante, et voilà Que je pleure en songeant à cela.

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XV.

C'est une ville triste et morte seule, dans le soir glacé, L'ombre du glorieux passé Rôde encor devant chaque porte.

La mer l'enclôt de toutes parts ; Elle y mire ses maisons grises, Et se livre aux baisers des brises Au milieu de ses hauts remparts.

76 LES HOULES

Elle n'aime rien que la brume sa silhouette se fond, Et les tempêtes qui lui font Des apothéoses d'écume.

Hormis l'éternel bruit des flots Pleurant les choses disparues, Rien n'y trouble la paix des rues Que des chansons de matelots.

Et je songe, non sans tristesse, Que vous demeurez loin, bien loin, Car cette ville aurait besoin Que vous en devinssiez l'hôtesse.

Il lui suffirait, un seul jour, De vous voir venir lui sourire, Vous vers qui tant de charme attire, Pour savoir sourire à son tour.

XVI.

Jeux d'Ironie

FIN DE SIECLE

^ih '.tout est bu, tout est mangé, plus rien à dire Paul Verlaine.

G

e siècle tombe en décrépitude Comme un vieillard idiot qui redevient entant, Et le spleen, de jour en jour, s'accroît de l'habitude, Et d'être vieux, vrai, le cœur se fend.

1 LES HOULES

Le fil usé des heures banales, Au bout des soirs trop vécus se casse dans nos mains, Et la chanson d'existence épèle ses finales

Vers le connu de nos lendemains.

Mon cœur ! Mon cœur ! Les portes sont closes Dont les battants orgueilleux s'ouvraient sur l'avenir. Et c'en est fait des espoirs, et c'en est fait des gloses

Que Ton voudrait en vain rajeunir.

Xous sommes las de tes ritournelles, O ressouvenir moqueur des vieux airs ressassés, Et n'osant pas davantage attrister nos prunelles,

À l'inconnu nous disons : « Assez ».

Il ne vaut pas que tu le commettes, Mon cœur ! l'effort inutile en ces jours si dolents : A quoi bon ? Tout est prévu, tout, même les comètes

Le monde est vieux de tant de mille ans !

Toute ville est plus ou moins Sodome ; Et, maudissant à la fois le poète et ses vers, Le même aphorisme son des lèvres de Prudhomme

Dont l'esprit seul n'est pas à l'envers.

JEUX D IRONIE

Sous l'œil du gaz, cher aux Aphrodites, Même histoire de l'amour qui soupe en cabinets, Et la suite est très connue et se nomme redites,

Tous les bons trucs étant débinés.

Las ! mon cœur, las ! C'est bien monotone : Il n'est plus rien de la terre au ciel, absolument, Au soleil des étés clairs comme aux frissons d'automne,

Qui nous suggère un étonnement.

Dis moi , mon cœur ! Pour quelle Amérique, Pour quel pays, fils bâtard du rêve et du cerveau, Noliserons nous l'espoir fugace et chimérique

De découvrir enfin du nouveau ?

CONSEILS

Mon cœur, mon triste cœur, écoute bien ceci Voici le temps vont s'abattre sur les plages Les filles de seize ans aux cheveux d'or roussi.

80 LES HOULES

C'est la saison de ces trop chers enfantillages la Blonde veut bien que l'amoureux transi, Comme on entend la mer au creux des coquillages.

Ecoute un peu d'amour près de son cœur aussi. Si tes larmes, mon cœur, ont fixé des sillages Sur les flots du désir navigues jusqu'ici,

Désapprends à toujours les douloureux voyages

aère nolisés vers l'amour sans merci Des filles de seize ans dont les cœurs sont volages.

Voudrais tu pas, mon cœur, que prît fin ton souci

::.

Oui, je sais bien que ta candeur te rend sujet A t'éprendre de quelque amour inopportune. Et que si la raison, parfois, ne corrigeait

Ta disposition fréquente aux coups de lune,

Cœur naïf comme une oie et bavard comme un geai.

Tu ferais chaque jour cent bêtises pour une.

jeux d'ironie 8i

Te voilà prévenu. Quitte donc tout projet D'aller par les beaux soirs poursuivre sur la dune Les filles de seize ans dont l'esprit froid jugeait

Que c'est sottise à deux rêvasser à la brune. Souviens toi de ne point refaire le trajet Que trop souvent, hélas ! tu fis par infortune.

Tu es schUmyl, mon cœur, comme dit Paul Bourget.

III. POUR

quand la marmite

Conjugale et le pot au feu vous tenteront.

Cette nuit, tandis qu'au ciel bleu, l'une après l'une, Les étoiles montaient par un beau clair de lune, J'ai rêvé d'un bonheur très calme et très bourgeois, En une ville, avec « la femme de son choix. » Bornés comme de juste aux choses accessibles Et terre à terre, nos désirs n'auraient pour cibles Que ces félicités qu'on touche de la main Et qu'on est sûr de retrouver le lendemain.

: LE5 HOULES

La maison serait blanche, au soleil, et petite, Avec des murs enguirlandés de clématite. Elle ferait le coin de quelque vieux faubourg les soldats marchant derrière le tambour Nous mettraient en passant de l'héroïsme à l'âme. On parlerait de nous sans éloge et sans blâme, Au hasard des propos tenus dans le quartier, Comme on parle d'un bon ménage de rentier, Sans pourtant faire tort aux façons déférentes Dont on use avec ceux qui vivent de leurs rentes. Le soir, après avoir couché les trois marmots, La fille tout d'abord, ensuite les jumeaux, Au coin du feu, parfois, nous ferions la causette ; Politique ou sirop de groseille, recette De confitures, lue au courant d'un journal, Et tout à coup, par un bâillement machinal Surpris, nous mêlerions sous d'amples couver- Mais pour le bon motif, nos deux températures. Bonne maman viendrait nous voir à la Saint Jean, Superbe femme encor malgré des fils d'argent, Bien conservée, ayant en ses manières prestes Le talent de montrer quelques anciens beaux restes. Et quels étés charmants l'on passerait ainsi, A la campagne, sans déboire, sans souci Qui mette l'âme â la torture et l'embarrasse !

JEUX D'IRONIE

Apres dîner, dans le jardin, sur la terrasse, On prendrait le café tout ensemble et le frais, Avec nos chérubins d'enfants jouant auprès, Et belle mère alors, debout sous la charmille. Me dirait : « Quel trésor vous êtes pour ma fille. « Mon gendre ! L'existence est un vrai paradis « Avec vous, et de plus en plus je m'applaudis s De vous avoir donné cette chère mignonne ! n Et moi que toute émotion impressionne, Je répondrais, gonflé d'orgueil, non sans émoi : « Vous êtes trop flatteuse et l'honneur est pour moi « D'accompagner et de soutenir dans la vie « Celle que votre amour maternel me confie. » O quel tableau touchant dans sa simplicité : A gauche, les bébés s'amusant ; du côté Droit, sur le premier plan, belle mère attendrie, On pourrait en tirer toute une allégorie Me tendant une main qu'arroseraient mes pleurs, Et, bénissant la vie croissent tant de fleurs. N'en croyant pas ses yeux de voir cette chimère D'un gendre aux petits soins choyant sa belle mère, Ma femme avec des yeux d'extase, dans le fond.

Et ce ne serait point si bête et si bouffon !

84 LES HOULES

IV.

POUR VIVRE

Courbe toi sans murmurer devant le mal de vivre, Puisque ton cœur a su que l'effort est vain,

Et feuillette indifférent les pages du vieux livre tu liras bientôt la cause et la fin.

Ne cherche pas à scruter l'intime de ton âme

D'un regard de tristesse ou d'un œil railleur ;

Ne te connais pas toi même, et fuis ainsi ton blâme. En t'ignorant pervers et jamais meilleur.

Sois un rêveur anoïque et maudis l'analyse ;

Ne daigne point agir, pas même vouloir : Marche derrière le sort et que ton pas s'enlise

Aux grèves d'habitude et de nonchaloir.

Ne crois pas aux longs serments ; aime le moins possible, Afin que tes désirs ne soient point déçus ;

Et si quelque meurtrière a pris ton cœur pour cible, Fais ton deuil des baisers que tu n'as pas eus.

JEUX D'iRON'IE 85

Crains surtout d'être naïf ou trop enthousiaste : Saisis sans te hâter l'heure et le moment,

Traduis même, à la rigueur, le bon Eccléâaste, Et puis fume ta pipe, ironiquement !

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XVII. Sextines

DANS LES NUITS

Nostalgiques et doux, seuls avec leurs pensées, Sous le rayonnement tranquille de la voûte splendit la lueur des étoiles glacées, Dans la communion des âmes fiancées, Cherchant le même espoir parmi le même doute, Les poètes s'en vont, lentement, sur la route.

O la longue blancheur navrante de la route ! O l'effroi de la solitude en leurs pensées ! Angoisse du silence et des nuits ! L'âme doute

SEXTINES 87

Si, haut, dans l'azur constellé de la voûte, Ne frissonneraient pas des yeux de fiancées Dont la tombe a couvert les paupières glacées ?

Et, dressant vers le ciel menteur leurs mains glacées Dont l'ombre devant eux tremblotte sur la route, En des appels lointains de vagues fiancées, Ils clament le désir qui meurtrit leurs pensées. Et voici que sur eux émane de la voûte Un enveloppement s'effondre le doute.

Plus de tristesse, plus d'angoisse, plus de doute ! Renaissez à l'espoir, pauvres âmes glacées, Et que ce corps, sous la névrose qui le voûte, Erige fièrement sa marche sur la route. haut, quelque pensée écoute vos pensées, Des mortes qu'à vous deux le rêve a fiancées.

Oh ! oui, planent sur vous les saintes fiancées Que le poète exalte et dont jamais ne doute ! Ayant leur souvenir fleuri dans ses pensées, Par les soirs douloureux et les aubes glacées, Sans trêve il les suivra sur l'éternelle route, Soucieux de percer l'énigme de la voûte.

88 LES HOULES

Ouvre donc la splendeur sereine de ta voûte, O ciel ! Vous, descendez vers eux, ô fiancées, Et leur donnant la main, compagnes de la route, Effacez à jamais les angoisses du doute, Pour qu'avec le baiser de vos lèvres glacées, Une paix souveraine enivre leurs pensées.

Pensée unique, ô douceur tombant de la voûte ! L'àme glacée, en ses espoirs de fiancée, Ne doute plus du viatique de la route.

II. DANS LES AUBES fi;

Un brouillard gris partout sur la terre apaisée

Très doucement s'estompe en de vagues lointains ;

A l'horizon que va blanchir l'aube irisée,

Une lueur, sous de longs voiles de rosée,

Se meurt comme un regard perdu d'astres éteints...

Et les poètes vont, quand naissent les matins.

(i). Les trois sextines Dans les ^Aubes, Dans les DtCidis, Hymne du Vers, ont été composées en collaboration avec M. Louis Tiercelin.

SEXTINES

Ils aiment la fraîcheur candide des matins, Remembrance mystique en leur vie apaisée Qui retrouve l'émoi d'anciens rêves éteints ; Et leurs pales regards qu'attirent les lointains Ont vu soudainement briller dans la rosée, Arc en ciel triomphal, l'Espérance irisée.

Plus vive est la clarté dans la nue irisée, Plus suave autour d'eux l'approche des matins. Et voici, maintenant, les pieds dans la rosée, Qu'ils vont sous la douceur d'une angoisse apaisée En eux se fait l'oubli des boulevards lointains pleure le remords des sourires éteints.

O souvenirs ressuscitant les cœurs éteints ! Pures amours irradiant l'âme irisée ! Une apparition surgit vers les lointains, Plus fraîche que la fraîche aurore des matins, Plus calme que la paix de cette heure apaisée... O la Vierge qui vient vers eux dans la rosée !

Ses épars cheveux blonds emperlés de rosée Ont des chatoiements vifs et des reflets éteints. Cependant qu'elle va d'une marche apaisée, Une flamme en ses yeux resplendit, irisée.

9o

LES HOULES

les rêveurs ont vu l'espoir de leurs matins Renaître, suggestif de poèmes lointains.

Pourtant, la vision se perd dans les lointains, Semant des fleurs de renouveau sur la rosée. Le soleil allumant la clarté des matins, Magique évocateur de leurs espoirs éteints, Met au front des Errants l'auréole irisée ; Et leur àme sous ses rayons s'est apaisée.

Apaisée et très douce et dorant les lointains,

Comme irisée avec des larmes de rosée,

Aux veux éteints rayonne, 6 candeur des matins !

III. DANS LES MIDIS *

Le rutilant soleil épanche sur les places La malsaine chaleur de ses rayons maudits. En le stérile effort des basses populaces, Vers l'espoir le lucre a menti ses fallaces, Les hommes courent, tels des troupeaux alourdis, Et les poètes vont, quand flambent les midis.

SEXTIXES 91

Ils vont dans la torpide angoisse des midis ; Errant de rue en rue, ils regardent par places Luire sur le pavé les rais plus alourdis ; Ils vont, les bafoués ; ils vont, eux les maudits, Ayant au front nimbé des royales fallaces, La couronne de vos mépris, ô populaces !

lis vont, clamant sur la clameur des populaces Que les couchants vengeurs sont proches des midis, Qu'agir et se mouvoir ne sont que des fallaces, Que les métiers et les prébendes et les places Sont à jamais, salariés labeurs, maudits, Attelant sous le joug le front des alourdis !

Courbe toi donc, et toujours plus les alourdis, Vil moteur et vil frein des basses populaces, Travail ! tous ces pesants que le rêve a maudits ; Ecrase les sous l'appât fauve des midis, Soleil dardant sur les faubourgs et par les places L'énorme pièce d'or, symbole des fallaces.

Et toi, soleil mystique aux rayons sans fallaces Des esprits exaltés et jamais alourdis, O rêve irradiant les âmes tu places,

-

LES HOULES

En l'immortel mépris des mortes populaces, Le triomphal orgueil des éternels midis, ils sont tes élus, les poètes maudits !

Vous soleils, vous rayons des corps, soyez maudits !

Courbez toujours plus bas sous les vieilles fallaces,

Des midis aux couchants, des aubes aux midis,

Les cœurs diminués et les fronts alourdis,

Et par le gain honteux tuez les populaces,

De rue en rue, en les faubourgs et par les places.

Métiers, places, prébendes, gains, soyez maudits ! Populaces, oyez le rêve et ses fallaces ! Alourdis, saluez le rêve et ses midis !

IV. HYMNE DU VERS

Esthètes soucieux de la forme du vers, Sertissant les joyaux de notre fantaisie En le cercle d'or pur des poèmes divers, Le regard ébloui par les cieux grands ouverts rayonne l'éclat de la forme choisie, Nous sommes tes fervents, ô sainte poésie.

SEXTIXES 93

Oui, tes fervents, oui, tes élus, ô poésie ! Nous qui voulons unir dans le culte du vers Le rythme curieux et la rime choisie Pour que, vers l'idéal l'auguste fantaisie S'épanouisse, irradiant les vols ouverts Des sons harmonisés sur des mètres divers.

Qu'importent les mépris ou les rires divers De cette plèbe hostile à toute poésie ? Elle ne saura pas, en nos livres ouverts, Deviner la beauté dont se nimbe le vers ! Qu'importe ! Nous avons la seule fantaisie De marcher fièrement dans la route choisie.

Libres, nous y marchons, car nous l'avons choisie, Loin des lucres banals de vos métiers divers. La route triomphale toute fantaisie, Sous le soleil de ton azur, ô poésie, S'élance insoucieuse, éternellement vers L'attrait mystérieux des horizons ouverts.

Tète haute, les yeux levés, les bras ouverts. Fascinés aux rayons de l'étoile choisie, Nous rêvons de fixer sa clarté sur nos vers !

94 LES HOULES

Pour cet unique amour fidèles et divers, Nous ferons transparaître en notre poésie Les idéals épars au ciel de fantaisie.

Et, soumise et vibrante à notre fantaisie, Eparpillant sur nous ses sourires ouverts. Elle splendit, la merveilleuse poésie ! Etant la souveraine et l'amante choisie, Elle se livre au gré de nos rêves divers Dans l'augurale apothéose des grands vers.

Et vous, nos vers, chantez, fils de la fantaisie, L'hymne divers des cœurs plus largement ouverts, L'ode choisie régnera la poésie !

^k H Skk* Sfck* Sfck** Skk* Skk* Sfci* Skk* S4k* S4i*

XVIII

La Légende des Etoiles

C'était un soir des temps dont parle la Genèse ; Un demi jour régnait mystérieusement. Et le premier soleil jailli de la fournaise bouillonnait encor l'effroyable synthèse, Tout rouge, s'effarait au bord du firmament.

Hors du mouvant linceul s'agitaient les tonnes. Des angles surgissaient parfois ou des contours, Et c'étaient des glaciers, des vais, des monts énormes Dont les profils, sortant de l'ombre sont les Normes, Rayaient le ciel encor chargé de brouillards lourds.

96

LES HOULES

Un grand souffle courait sur les cimes ; la Terre, Dans Péchevellement des arbres et des rieurs, Ne semblait qu'à regret s'éveiller du Mystère, Et le miroir des Eaux, gardien d'un rêve austère, Troublait le demi jour de ses flasques pâleurs.

Or. tandis qu'il montait de la nature neuve Comme un jeune frisson d"amour et comme un chant Qui chantait le triomphe au sortir de l'épreuve, Et remplissait l'espace et voguait comme un fleuve Vers le rouge soleil noyé dans le couchant,

Le créateur roulant en lui les Destinées, Contemplait l'Œuvre encore incomplète et songeait Et par delà les jours, par delà les années, Suivait jusque parmi les races éloignées Un rêve douloureux dont l'Homme était l'objet.

Et c'était un désert qui hantait sa prunelle, Où, trainés sous le ciel implacablement bleu Par l'ange des douleurs les fouettant de son aile, Les Hommes expiaient la faute originelle En marchant nuit et jour dans le désert en feu.

LA LEGENDE DES ETOILES 97

Pèlerins et martyrs du temps et de l'espace, Troupeau perdu dans le désert illimité. Tristement ils allaient, dos courbé, tête basse, Sans que l'ange farouche un instant leur fit grâce D'une heure de repos dans cette immensité.

Au fond de leurs regards s'allumait un feu sombre ; Ils avaient faim, ils avaient soif, ils étaient las ; Sur eux planait un vol de tortures sans nombre, Et toujours ils marchaient sans jamais avoir d'ombre Que celle qui dansait devant eux, de leurs pas.

Parfois une clameur disant le mal de vivre Et la haine amassée en eux contre le sort, De ce troupeau que la fatigue rendait ivre, Formidable, montait vers la mort qui délivre. Et le ciel s'emplissait de ces cris à la mort.

Puis la clameur mourait dans le désert immense ;

Les Hommes, plus défaits à chaque nouveau pas,

Se disaient : « Couchons nous, c'est la mort qui commence !

Mais ce cri vain n'était qu'un cri de leur démence,

Et tous se relevaient, la mort ne venant pas.

7

98 LES HOULES

Dans une vision éperdûment lointaine, L'œuvre du Créateur n'étant qu'à la moitié. Telle se déroulait la caravane humaine ; Et des larmes hantant sa prunelle sereine, Dieu fut alors saisi d'un désir de pitié.

Et, songeant que bientôt il jetterait sur terre,

Dans les rayons, dans les parfums, dans les couleurs.

L'Homme qu'il désignait pour devenir le Père

D'une race promise au mal héréditaire,

Dieu, triste, maintenant laissait couler ses pleurs.

O prodige ! Ces pleurs tombant par gouttes fines Cristallisaient leur eau limpide en plein essor, Ainsi que la rosée au penchant des ravines, Et chacune aussitôt de ces larmes divines, Au milieu de l'éther se changeait en fleur d'or.

Et c'est ainsi qu'à l'heure l'ombre tend ses toiles, Au soir mystérieux du quatrième jour, Quand la Création s'endormait sous ses voiles, Miraculeusement naquirent les Etoiles, Filles de la Pitié Céleste et de l'Amour.

HOULES DE BRETAGNE

Des soirs tombaient dans la langueur des fins d'été, Sur la plaine et sur la montagne,

Des soirs couleur de rêve et d'automne attristé.

Comme il n'en tombe qu'en Bretagne...

E. B.

&t*vi**i*

A Brizeux

Ce fut par une très dolente aube d'automne Que j'entrai dans ton cher pays, ô doux Brizeux Tes vers me fleurissaient aux lèvres et mes yeux Contemplaient gravement la campagne bretonne.

Dans le gris d'un décor calme rien ne détonne, La pluie avait perlé ses pleurs silencieux Au bout de chaque branche errante sous les deux, Et le vent me berçait de son chant monotone.

102 LES HOULES

Je vis ainsi le Scorff, l'Isole et la Laita,

Fleuves aux noms chantants au bord desquels chanta

Ton enfance, d amour et de rêve inquiète ;

Et de ton âme un peu mon âme fut la sœur,

A l'heure pour te mieux comprendre j'eus, poète,

Ton pays dans les yeux et tes vers dans le cœur.

Il,

Pour la Bretagne

Pour A. Le Braz

Frère, m'avez vous dit, la Bretagne se meurt, Et voici que s'étend sur les Montagnes Xoires Un deuil, et qu'on perçoit la suprême rumeur Des peuples qui s'en vont au gouffre des histoires.

La Bretagne se meurt, frère, résignons nous, Et si la Vieille Femme encore peut survivre. Quand nous aurons prié pour elle, à deux genoux, Ce ne sera que par des sônes, dans un livre !

104 LES HOULES

L'avenir lui fait peur ; elle est pareille aux vieux Dont le rêve s'enclôt dans les choses passées ; Elle a trop regardé bas, vers les aïeux, Et tenu trop longtemps ses paupières baissées.

Or les siècles hautains, tout droit, vers l'avenir Se hâtent sans souci des choses ni des êtres, Et tant pis pour ceux qui veulent revenir, Parmi les temps nouveaux, à l'esprit des ancêtres.

Et les gens de l'Armor, frère, sont de ceux Qui, songeant aux aïeux, restèrent en arrière, Et dont le rêve triste et doux s'enlinceula Dans le passé fleuri d'extase et de prière.

Et moi, je vous réponds : Frère, il est temps encor Que les gens de la plaine et ceux de la montagne Appellent à leur aide Arthur sonneur de cor, Dans la grande agonie s'éteint la Bretagne !

Ne désespérons pas en face de la mort ; Si le siècle est mauvais, notre âme est fière et haute S'il arrivait un jour que succombât l'Armor, Nous aurions à pleurer nous mêmes notre faute.

FOUR LA BRETAGNE IOJ

Car nous ne voulons pas, nous qui sommes les clercs, Vivre parmi ceux qui ne savent pas lire, Et nos regards n'ont plus ces étranges éclairs Dont les Celtes mêlaient l'énigme à leur sourire.

Et c'est notre œuvre à nous, ô cerveaux raffinés. Si le vent du progrès déchire ces costumes Que nous, depuis longtemps, avons abandonnés, Laissant aux ignorants les antiques coutumes.

O frère, encore un coup, ne désespérons pas ! Chez nous le désespoir n'est connu que du lâche, w Et, pour que la Bretagne ait raison du trépas, Sachons ne point faillir à notre sainte tâche.

Vivons parmi les gens de la glèbe, vivons Dans la communion des histoires passées, Avec tous ceux dont les yeux vagues et profonds Reflètent la candeur natale des pensées.

Dans l'idiome ancien, chaque jour, disons leur Les mots qui tout aimer PArmor et vont à l'âme, Et la vieille foi celte en ce rêve meilleur Que l'Idéal chez nous éclaira de sa flamme,

106 LES HOULES

O frère, et nous serons comme autrefois vainqueurs Dans le soir consolé de nos aubes prospères, Si nous gardons toujours, vivace, au fond des cœurs, La croyance idéale vécurent nos pères.

Et, Celtes, nous vivrons, tant qu'aux pieds de Jésus Sculpté sur les granits d'Armor vêtus de mousses, Nous redirons les mots qu"enfants nous avons sus, Et que la foi fera fleurir nos âmes douces !

^*^*^*^*^*^*^*^*^*^*^*^*^*^*^#^J*

III

Le chant des Trépassés(I

Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, Bonne santé vous souhaitons, gens de la terre ! Voici : Nous tous, jeunes et vieux que la mort prit, Nous venons vous mander de vous mettre en prière.

Quand la mort frappe au seuil, les cœurs sont dans l'effroi Quand la mort se présente au seuil d'une demeure, Qui doit elle emporter dans son linceul tout froid, La mort ? Et de qui donc dira-t-elle : Qu'il meure !

(i; Traduit du 'Bar^as-Brei^.

108 LES HOULES

Ne soyez pas surpris de nous ouïr ce soir, Nous qui venons ainsi frapper à votre porte ; Nous sommes envoyés, pauvres morts sans espoir. Par le Seigneur, pour vous éveiller de la sorte.

Vous éveiller, vous tous, gens de cette maison, Vous éveiller, grands et petits ! S'il est encore De la pitié chez vous, dites une oraison, Au nom de Dieu, secourez nous avant l'aurore.

Ecoutez nous, au nom de Dieu, priez pour nous

Qui fûmes vos parents, vos amis et vos frères ;

Priez pour nous, joignez les mains à deux genoux,

Priez, vous, grands, car les enfants, eux, ne prient guères.

Ceux qui furent nourris par nos bras autrefois, Ont oublié depuis longtemps nos pauvres âmes, Et personne aujourd'hui ne reconnaît nos voix, De tous ceux que, jadis, sur terre nous aimâmes.

Mon fils, et vous, ma fille, étendus sur vos lits De plume, vous avez perdu toute mémoire ; Mais nous, vos tristes père et mère, ensevelis, Nous couchons parmi les flammes du Purgatoire.

LE CHANT DES TREPASSES IO9

Vous reposez vos bras et vos pieds mollement, Alors qu'ils sont bien mal, les morts sans espérance ; Vous dormez dans vos lits d'un sommeil sans tourment. Alors qu'ils sont, les pauvres morts, dans la souffrance.

Cinq planches seulement, cinq planches, un lambeau De drap blanc qui nous couvre au fond du noir mystère : Ce sont les seuls biens qu'on emporte au tombeau, Et dessous de la paille et dessus de la terre !

Nous sommes dans l'angoisse et dans le feu partout ; Feu d'en haut, feu d'en bas, sous nos pieds, sur nos têtes ! Pour la chair qui s'embrase et pour le sang qui bout Des Trépassés, priez en chrétiens que vous êtes !

Jadis, quand nous étions dans le monde, vivants, Nous avions des parents, des amis chez les hommes ; Aujourd'hui que nos corps sont épars dans les vents. Nous n'avons plus d'amis, pauvres morts que nous sommes !

Frères ! au nom de Dieu, donnez nous vos pensers ! Priez la Vierge avec votre âme simple et toute Pour qu'elle verse sur les pauvres Trépassés Rien qu'une goutte de son sang, rien qu'une goutte !

LES HOULES

Si vous n'êtes souffrants, ô frères, ou trop las,

Vite, sautez du lit, au nom de Dieu le père !

Et priez si la mort ne vous appelle pas :

Nous venons vous mander de vous mettre en prière.

' ' <sfc^

m&m&m&m&mi

IV.

Vers Arthur et vers Merlin

Défende^, chevaliers, vos antiques murailles ! L'esprit nouveau s'abat et court dans la Cornouailles. Brizeux.

Or, c'était un dimanche aux fêtes de Tréguer ; La brise s'en venait, ce jour là. de la mer. Et par le vaste ciel tout bleu, sous les rafales,

Ondoyaient au soleil, dans l'air, Les étendards semés d'hermines triomphales.

L'âme de la Bretagne éparse à tous les vents Vibrait partout dans l'allégresse des vivants. Et les morts réveillés au grand nom de saint Yves,

Parmi la foule aux flots mouvants, Semblaient à ces clameurs mêler leurs voix plaintives,

112 LES HOULES

Longuement, longuement, les dévots pèlerins, Avec leurs chapelets grossiers de buis, aux grains Amincis, accouraient en chantant ces cantiques

Dont l'Armor aime les refrains, Vers le tombeau du plus puissant des saints celtiques.

La cathédrale avait au sommet de ses tours Arboré le hautain gonfanon des vieux jours. Et jetait à travers ses dentelles fleuries,

Sur les villes et sur les bourgs, La bénédiction des larges sonneries.

Et, tandis que la voix des cloches, gravement, Laissait tomber le poids de son bourdonnement Sur les voix toujours plus nombreuses de la terre,

Je quittai la ville un moment Pour écouter l'appel d'un rêve solitaire.

Des yachts se balançaient à l'ancre dans le port,

Sous la gloire des pavillons que le vent tord ;

Les humbles barques même avaient des airs de fête,

Cependant qu'au souffle du nord Les mats enguirlandés parfois courbaient leur faite.

VERS ARTHUR ET VERS MERLIN*

Et, suivant au hasard le contour agrandi Du fleuve, j'arrivai sur les bords du Guindy. Là, le soleil tombant à pic dans la coulée

Incendiait à son midi La rivière paisible au fond de la vallée.

Au calme de l'éther embrasé, les rumeurs S'éteignaient ; par instants, quelque bruit de rameurs, Dans un clapotement d'avirons qu'on immerge,

Me venait des flots endormeurs, Tandis qu'un frisson d'eau se mourait à la berge.

Seules dans ce recueillement universel, Pareilles à de grands oiseaux sillant le ciel, Les cloches de la cathédrale, au vol tranquille,

Vers les cloches de Plouguiel Lentement s'avançaient à travers la presqu'île.

Et, soudain, j'évoquai les temps mystérieux

la Bretagne était libre encor sous les deux,

Au chant des cloches qui sonnaient, sonnaient sans trêve

Et des pleurs me vinrent aux yeux. Et, bercé par leurs sons de fête, j'eus ce rêve !

LES HOULES

* * *

Largesse et paix à vous tous ! Voici qu'entre dans sa ville Le duc aux yeux fiers et doux ; Sur sa cavale tranquille La duchesse de l'Armor L'escorte. Paix et largesse ! C'est le duc et la duchesse Qui jettent cette richesse A pleines mains, pleines d'or !

Entendez vous bas, venant de la montagne, Par delà les forêts hautes, un bruit de cor ? Ces: Arthur qui revient au pays de Bretagne !

Sonne toujours et sonne encor ; Sonne la liberté du pays de Bretagne,

"l'heure de sonner, Arthur, sonne du cor !

Sous le dais fleuri d'hermine. Le duc chape de velours Avec lenteur s'achemine Par les villes et les bourgs.

VERS ARTHUR ET VERS MERLIN II)

Déployez les oriflammes

De victoire et de renom ;

Que de Vannes à Léon

Flotte l'antique pennon

Des beaux ducs que nous aimâmes !

Le prince Arthur revient au pays. Sonne encor, C'est l'heure de sonner. Arthur, sonne du cor !

Jadis, dans les basiliques, Les ducs reposaient au fond Des chasses mélancoliques, Sous les nimbes que leur font Les éclatantes verrières. Mais voici qu'ayant assez. Dormi par les ans passés, Tous ils se sont redressés Au bruit des clameurs guerrières.

Le prince Arthur revient au pays. Sonne encor. C'est l'heure de sonner, Arthur, sonne du cor !

Longtemps, trop longtemps, la France

Asservit la libre Armor.

Place encore à l'espérance :

Le prince Arthur n'est pas mort !

Il6 LES HOULES

Hors de leurs pierres tombales, Les Saints, les Ducs, les Héros, Tels qu'ils sont sur les vitraux, Se lèvent. Que les hérauts Marchent au son des timbales !

Le prince Arthur revient au pays. Sonne encor, C'est l'heure de sonner, Arthur, sonne du cor !

Que de la Manche à la Loire Ne fleurissent plus les lys : La Bretagne avec sa gloire Ressuscite dans ses fils; Et, désormais, dans les n Sur les lys déracinés, Les étendards hermines Diront que des jours sont nés Pour des splendeurs inconnue

Le prince Arthur revient au pays. Sonne encor, C'est l'heure de sonner, Arthur, sonne du cor !

Voici sur les cathédrales,

A Saint Pol comme à Kemper,

Les oriflammes ducales

Dont l'orgueil n'a pas de pair.

VERS ARTHUR ET VERS MERLIN' I I 7

De la base jusqu'au faite, L'histoire des anciens jours Revit dans les pennons lourds Qui font au sommet des tours Chanter les couleurs de fête !

Le prince Arthur revient au pays. Sonne encor, C'est l'heure de sonner, Arthur, sonne du cor!

Les moines à leurs pupitre-. De leurs chants de grâce altiers Font retentir les chapitres Et les salles des moûtiers. Et, sur des coussins de soie, Le duc aux yeux pleins d'éclairs, La duchesse aux regards clairs, A genoux parmi les clercs, Clament des hymnes de joie.

Le prince Arthur revient au pays. Sonne encor, C'est l'heure de sonner, Arthur, sonne du cor '

Paix à vous tous et largesse ! A tes cloches, toi, sonneur ; C'est le duc et la duchesse Qui nous font l'insigne honneur

I I 8 LES HOULES

D'entrer dans leur capitale. Que dans les neuf évêchés Du plus joli des duchés, Les cloches des hauts clochers Sonnent l'heure triomphale l

Le prince Arthur est revenu ! Sonne du cor Ln signe de triomphe, et sonne, et sonne encor

Et les cloches sonnaient encore que le songe j*avais vu passer l'impossible mensonge Des nobles ducs et des duchesses d'autrefois,

Aux jours que la gloire prolonge, Avait quitté mon âme et sa grande voix.

A mes pieds, le Guindv, sans élan, comme inerte, Tristement s'écoulait, chantant sa chanson verte, Toujours doux et paisible et monotone et las ;

Et haut, dans la nue ouverte, Les cloches maintenant avaient des sons de glas.

VERS ARTHUR ET VERS MERLIN' I 1 9

O cloches de Saint Pol, de Kemper et de Vannes, Et vous les cloches d'Is, blanches et diaphanes, Quand donc mènerez vous, cloches d'Armor, au vol

De vos sonores caravanes. Le triomphe des ducs revenant sur leur sol ?

Hélas ! le souvenir de tes ducs, race forte, S'en est allé comme un cadavre qu'on emporte Et qu'on délaisse après l'avoir mis au linceul !

sont Hoèl et Barbe Torte ? Ou donc est Jean le Sage, donc Arthur, l'aïeul ?

Hélas ! Hélas ! O fils du Nord, venus des brumes, Vous perdez tous les jours l'esprit de vos coutumes ! Jeunes gens qui ne vêtez plus l'habit des vieux,

Qu'avez vous fait de vos costumes ? Qu'avez vous fait des cheveux longs de vos aieux ?

O vous tous qu'on envoie aux casernes de France, Loin des mères et de l'Armor, vers la souffrance, Trécorrois, Vannetais, sonneurs de binious,

Léonards aux yeux d'espérance, Pillawers, mendiants lui marchez à genoux,

20 LES HOULES

Fils des pilleurs d'épaves, fils noirs des légendes, Fils des bardes, nés sur la côte ou sur les landes, Paysans durs, Iliens d'Ouessant ou de Batz,

Vous tous dont les âmes sont grandes, Fils des Celtes, porteurs de faulx ou de pen bas,

Combien de vous, suivant la route simple et vraie, Gardent comme au vieux temps les guêtres et la braie Et sur leurs chapeaux ronds le ruban de velours ?

O mes frères, cela m'effraie De voir monter en vous l'oubli des anciens jours !

Combien parlent encor la langue des ancêtres ? Combien qui, tout enfants, l'apprenaient de leurs prêtres. Et qui, plus tard, émus d'un langage nouveau,

En revenant de chez les maîtres, N'en savent plus assez pour dire : kenavo ?

Hélas ! Hélas : gens de l'Armor, gardez de grâce Que le char de FAnkou devant chez vous ne passe ! Bretagne, lève toi dans un suprême effort;

Sinon, aide à clouer la châsse tu disparaîtras sur le char de la mort !

VERS ARTHUR ET VERS MERLIN

Hélas ! Qui donc, un jour, beau parmi les histoires Et pareil aux héros chantant dans les mémoires. Qui donc, qui donc, pris de pitié pour ce déclin.

Descendra des Montagnes Noires, Sonner le cor d'Arthur et réveiller Merlin ?

-*-

V. Dans la Bruyère

Pour Lud Jan.

Lorsque, par un décret des puissances suprêmes, Le Poète apparaît en ce monde enn.

Charles Baudelaire.

Quand les mères, le soir, au berceau des poètes, Se penchent pour leur mettre un baiser sur le front, Une angoisse saisit leurs âmes inquiètes Au bruit mystérieux des vers qui chanteront, S'envolant en essaim d'oiseaux des jeunes I

. mprenant qu'une souffrance en germe sourd Dans ce chant grave et doux des musiques futures, Les mères, aux premiers frissons du rythme sourd Parmi l'aurore éparse au flot des chevelu re Ont pour l'enfant qui dort près d'elles plus d'amour.

DANS LA BRUYERE I 2 3

O poète dont nous fêtons les fiers poèmes,

Votre mère autrefois dut s'étonner souvent

Des éclairs qui flambaient sous vos paupières blêmes,

Et, sur votre berceau de tout petit enfant

Ses pleurs durent tomber ainsi que des baptêmes !

Car vous portiez, dès votre éveil au jour, le sceau Que met la Muse au front des amoureux d'étoiles, Et des strophes planaient à l'ombre du berceau, Et déjà, dans vos yeux entr'ouverts sous leurs voiles, De grands lys parfumés jaillissaient en faisceau.

Tel un mousse qui songe aux lointaines escales les femmes avaient d'étranges regards fous, Vous songiez, grandissant, aux phrases musicales Que les femmes du rêve incarnaient près de vous, Autrefois, avec des cadences très égales.

Votre âme traversa la gloire des décors vibrent pour quelque princesse occidentale Les cuivres clairs, dans la sonorité des cors, Et l'aube vierge et douce et pâle fut natale A. la fête du rythme en vous et des accords !

124 LES HOULES

Vous sûtes la langueur du soir triste et sévère, Dans le silence roux des grèves et des champs. Par les chemins fleurant en mai la primevère ; Et les harpes du soir accompagnaient vos chants, Quand vous interrogiez l'énigme d'un calvaire.

Vous sûtes la blancheur des astres inconnus Que la nuit devant Dieu litanise en guirlandes, Et les oiseaux de mer par les espaces nus Evoquèrent en vous qui rêviez sur les landes, Le regret des Pavs d'où nous sommes venus.

Vous sûtes la splendeur et la force des choses Dans les combats obscurs d'où l'homme sort vaincu Et votre âme, mêlée à l'âme des soirs roses, Souffrit avec ceux qui, jadis, ont vécu, Sans voir jamais s'ouvrir le seuil des Portes Closes !

L'infini vous leurra d'un nostalgique espoir,

Et le noble désir vous vint d'une galère

Qui, partant de la vie et s'enfuyant du noir,

Naviguerait sur une mer crépusculaire,

Vers des îles de pourpre émergeant dans le soir.

DANS LA BRUYI'RE 125

Et c'est pourquoi, victorieux des âpres luttes la pensée ardente et folle échappe aux mots, Dans un bruit triomphal de hautbois et de flûtes, Vous avez encerclé de rimes, purs joyaux, La Seule Éternité des Choses que vous sûtes !

Il est par nos sentiers d'Armor, sous ce ciel gris D'où tombe une douceur si chère aux rêves celtes. Dans les fossés, près des vieux chênes rabougris, Et sur les monts croissent des pins sveltes,

Il est de roses fleurs qui font, dans le lointain , Comme un rose tapis au pied des genêts jaunes, Et qui naissent aussi nombreuses, le matin,

Que sur les lèvres des chanteurs, les sônes.

Elle naît cette fleur, même sur le granit. Et les gens de la plaine et ceux de la montagne L'aiment, et chacun d'eux au fond du cœur bénit La fleur la plus vivace de Bretagne.

126 LES HOULES

Ceux qui sont possédés par le doux mal d'amour En cueillent des bouquets qu'ils donnent à leurs a douces Et sur les grands trois mâts, loin des clochers â jour, Elle fleurit dans la chanson des mousses.

Dans la Bruyère vous avez rêvé souvent ; Votre esprit, attentif à la rumeur des choses. Comprit le bruit des mers à la chanson du vent, Quand vous étiez couché dans les fleurs roses.

Et, grave, en écoutant le Corn Boud vespéral Chanter comme un appel mystique sur les landes, En regardant passer le lent vol augurai

Des grands courlis tristes qui vont par bandes.

En respirant cet air vivifiant des monts, Parmi les souvenirs se perdent nos âmes Des choses d'autrefois que toujours nous aimons Et des pays où, Celtes, nous passâmes,

Au milieu des parfums, des formes, des couleurs Que priait votre rêve en muettes prières, Vous effeuilliez avec vos doigts d'enfant les fleurs, Les roses fleurs frêles de nos bruyères !

VI.

Chant Royal de « l'Hermine »

Ainsi qu'aux jours anciens d'espérance et de gloire, Où, fctant l'union des hommes au cœur fort, S'alliaient pour chanter les mêmes airs et boire, A leurs frères gallois les bretons de l'Armor ; Ainsi, n'oubliant pas l'exemple de nos pères, Comme eux féaux du rêve et servants des chimères. Comme eux gardiens fervents aux Marches d'Idéal, Nous avons réveillé l'orgueil national. En ce siècle mauvais dont le cours se termine, Et nous sommes venus fêter d'un cœur égal Le merveilleux étendard blanc semé d'hermine.

128 LES HOULES

Du Levant au Ponant de notre territoire,

Des marais de Braspartz jusqu'aux landes du Nord,

Des côtes du Léon jusqu'aux bords de la Loire,

Et du pays rennais jusqu'à Beg'ar C'hador,

Le bruit s'est répandu que nos coutumes chères

Par VEistewodd nouveau redeviendraient prospères ;

Et, pour sceller ici dans un pacte amical

Notre union de fils pieux du sol natal,

Voici chaque Breton d'Armor qui s'achemine

Vers YEisteivodd. en brandissant d'un bras loyal

Le merveilleux étendard blanc semé d'hermine.

Le passé glorieux emplit notre mémoire :

Arthur va revenir et Merlin vit encor,

Ht c'est notre bonheur de rêver ei de croire,

Car rien de l'âme celte en nos âmes n'est mort.

Nos landes, nos forêts ont gardé leurs mystères

Comme en nous sont encore les Fois héréditaires,

Et, chevaliers du Rêve ainsi que Perceval,

Nous menons, nous aussi, la Queste du Saint Graal.

Vers quelque fabuleux Montsalvat que domine

Hautainement, sous le baptême sidéral,

Le merveilleux étendard blanc semé d'hermine.

CELANT ROYAL DE « L HERMINE » 129

C'est un rêve tenace et jamais illusoire

Qui nous dit de ne pas désespérer du sort ;

Et, pour splendir plus tard aux marges de l'histoire.

C'est assez de l'espoir miraculeux du cor

Que doit sonner, au jour des suprêmes colères.

Arthur apparaissant parmi les aubes claires.

Notre race est vivante encore, et si le mal

Qu'on appelle progrès pour d'autres est fatal.

Il ne l'est pas pour ceux qu'un grand rêve illumine

Et qui dressent sur l'or du soir occidental

Le merveilleux étendard blanc semé d'hermine.

Nos saints, Budoc, Hervot. Ivi. Ronan. Magloire, Qui débarquaient de leurs auges de pierre au bord Des côtes, nos héros ennimbés de victoire. Par les landes, dans les forêts que le vent tord, Sur les îles, les caps, comme au milieu des terres. Dessineront toujours leurs profils légendaires. Leur souvenir, limpide en nous comme un cristal. Xous mande de veiller d'un cœur sacerdotal Sur les us que l'effort pervers du progrès mine. Et d'arborer très haut comme un signe vital Le merveilleux étendard blanc semé d'hermine.

LES HOULES

ENVOI

Princesses et seigneurs dont je suis le féal,

Avez pour la Bretagne un amour filial ;

Que sur vos tours, au vol de la blanche étamine.

Flotte superbement dans le ciel triomphal,

Le merveilleux étendard blanc semé d'hermine !

VIL

Prologue d'Ouverture

Dit par M. Henry Dupont-Vernon, de la Comédie Française, au Théâtre d'Application, le 12 Avril 1891.

Vous penserez sans doute et justement. Messieurs. Qu'il faut être très jeune et très audacieux Pour avoir accepté d'être céans poète De vers qui ne vaudront que par leur interprète L'auteur à l'indulgence a pourtant quelque droit. En voici la raison tout simplement : il croit Que toute contrainte est et demeure bannie De cette fête intime et sans cérémonie. Puisque c'est entre nous, d'ailleurs, s'il est besoin Çà et là, de sifflets ou de bravos, ce soin

LES HOULES

Vous incombe, et qu'on siffle ou que l'on applaudisse.

Tout ce que vous ferez. Messieurs, sera justice.

En France, comme on dit, les Français sont chez eux

Xous autres, tous cousins plus ou moins de Brizeux,

Xous faisons mieux et la province occidentale

Est tout à fait chez elle en pleine capitale.

Parmi nous, quelques uns sont fils de Du Bellay ;

D'autres, nés sur les bords du Scorff ou de l'Ellé.

Se sont assis au pont Kerlo, près de Marie,

Sous l'aubépin d'où tombe une neige fleurie ;

Ceux ci sont les féaux du bon vieux roi René ;

Ceux sont accourus du pays fortuné

l'on rêve, à monter les coteaux en septembre.

De vins qui sont couleur d'automne pâle et d'ambre :

Mais tous, venus du Mans ou d'Angers ou de Brest.

Xous fêtons à Paris les provinces de l'Ouest.

Jusqu'ici, parmi ceux qui. nantis d'espérance Et forts d'un idéal toujours vivace en eux, S'en viennent vers Paris féerique et lumineux Des quatre coins bénis de la terre de France,

PROLOGUE D'OUVERTURE 133

Les gens de l'Ouest étaient les seuls qui n'eussent pas Au soleil parisien déployé de bannière Sous laquelle, de la première à la dernière, S'unît chaque recrue arrivant de bas.

Ils étaient peu d'abord, six ou sept, des artistes, A qui le désir vint de grouper dans Paris, Autour des glorieux tAnciens déjà mûris, Les Jeunes aux débuts solitaires et tristes.

Et, sachant que l'exil loin du pays natal Est dur et fait pleurer, le plus, après les mères, Les éternels rêveurs d'éternelles chimères Chez qui le souvenir vibre comme un cristal,

Us réunirent nos provinces fraternelles,

Ainsi qu'un chef range les siens avant l'assaut,

En un familial et résistant faisceau

D;où jaillît mieux ce que les âmes ont en elles.

Et, joyeux de nous voir tous rassemblés ainsi, Frères par le coteau fertile et par la lande, Je viens, étant un des plus jeunes de la bande, Dire à nos chefs de file, au nom de tous : « Merci » !

T34 LES HOULES

Solidement, au cœur de la patrie aimée

Ils ont avec orgueil planté nos fanions.

Leur œuvre est bonne et vaut que nous nous souvenions.

Car ils ont pris l'idée en main et l'ont semée.

u De la concorde naît la force, » avaient ils dit ! Et depuis nous voyons que chaque jour apporte- Une sérénité de plus, vivante et forte, A l'œuvre qui s'anime et prospère et grandit.

Merci ! Nous tromperons les regrets de l'absence En devisant des beaux pays que nous chantons, Et, Poitevins, Manceaux, Angevins et Bretons, Ensemble nous ferons plus ample connaissance.

Et nous les chanterons, nos provinces, encor, Longtemps encor, comme en ce jour, et les poètes Encor leur enverront en de nouvelles fêtes, Le sonore salut des strophes aux bruits d'or.

Ainsi nous aimerons nos pavs davantage ; Mais afin que l'amour pour chacun soit égal, Nous nous proposerons cet échange amical D'envoyer de province à province un otage.

PROLOGUE D OUVERTURE 135

La fille dont s'éprit jadis le doux Merlin

Pour ses cheveux aux fils d or vierge, Viviane.

Encharmera de son bleu regard diaphane o t t

Les Manceaux subjugués par ce charme félin.

La Bretagne fera bretonne Mélusine Et breton ce rêveur exquis, le roi René, En échange de qui dûment sera donné Merlin, barde d'Armor, à la terre angevine.

Et, groupés de la sorte et la main dans la main, Gens d'Anjou, du Poitou, de Bretagne et du Maine, Nous serons sûrs, nous tous qu'un même idéal mené. D'aller au même but par le même chemin.

Et. de cette union très simplement conclue En l'amour des petits pays d'où chacun sort, Renaîtra plus vibrant que jamais et plus fort Notre amour pour le Grand Pays que je salue !

^^

VIII.

Le Kreisker

Impassible troueur d'azur, ô Kreisker, tel, Dans ton effort vers l'espérance, Qu'un grand geste de Christ érigé sur le ciel

Comme un symbole de souffrance ; Roi des clochers à jour qui dominent l'Armor

Et qui portent dans leurs spirales Le mépris glorieux de l'homme et de la mort

Jusqu'au faîte des cathédrales ; O Kreisker, ô bijou du pays de Saint Pol,

Tour si délicate et si haute Qu'ii n'en est point, depuis Kemper jusqu'à Paimpol,

De pareille au long de la côte ;

LE KREISKER 137

O Kreisker endormi sur tes quatre piliers.

Avec l'infini pour enceinte, Et qui protèges les marins sur leurs voiliers,

Du milieu de la Cité Sainte ; O Kreisker, dernier hls des âges merveilleux

Que nul art ne pourra revivre. Ou se magnifiait l'idéal des aïeux

Dans la pierre comme en un livre ; O Kreisker, o Kreisker, si fin, si délié,

Ta flèche inaccessible semble Le gigantesque et miraculeux escalier

Par où, les Temps finis, ensemble, Vers le Sauveur et vers la Vierge, les Bretons,

Fidèles aux vertus celtiques, Monteront en chantant comme on chante aux pardons

Les vieux sônes et les cantiques !

Et tandis que j'évoque, ô Kreisker, ton profil,

Je revois ce pays d'extase, Cette grave cité de mvstère et d'exil

Q_ui médite et prie à ta base ; Et ce fier souvenir, ô Kreisker, est de ceux

Qui hantent toujours les mémoires

138 LES HOULES

Quand on a vu, du haut de ta splendeur, les cieux S'ouvrir jusqu'aux Montagnes Noires !

Et maintenant, Kreisker, en mon âme tu vis, Comme au fond d'un décor magique.

Plus grandiose encor qu'au soir je te vis. Sur l'or d'un couchant nostalgique.

Le soir tombait dans la langueur des fins d'été.

Sur la plaine et sur la montagne, Un soir couleur de rêve et d'automne attristé

Comme il n'en tombe qu'en Bretagne. Le ciel était d'un rose exquis ; la mer, bas,

Frissonnait sous des baisers roses, Et des feux s'allumaient sur le phare de Batz

Dans le crépuscule des choses. Du côté de Saint Jean du Doigt, dans les vallons

Flottait une vapeur lointaine, Et la chapelle les dévots aux cheveux longs

Trempent leurs yeux dans la fontaine. Toute blanche, élevait à droite de la mer

Son clocher parmi la verdure, Et, vers le sud. les monts d'Arré, sur un fond clair.

Profilaient leur échine dure.

LE KREISKER I 39

Et, tandis que, venant du pays de Tréguer,

J'allais, Saint Pol, vers ton église, Au détour d'un chemin, devant moi, le Kreisker

Dressa soudain sa masse grise. Lys de pierre, il rayait de blancheur l'Occident

Au droit de ses lignes très pures, Et les fleurs de granit, toujours plus s'étendant,

Irradiaient leurs découpures ! Hiératiquement, les quatre clochetons,

Autour du grand lys de prodige S'épanouissaient comme autant de rejetons

Eclos sur une même tige. Et des harpes, en ce ciel rose, en ce soir bleu,

Frémissaient devant ma paupière, Et le rose et le rose, en passant au milieu,

Chantait dans les harpes de pierre ! Et le rose et le rose, au travers de la tour

Déroulait de fines écharpes, Et le rose dans les roses granits à jour

Faisait toujours vibrer les harpes ! Et la pierre vibrait encore et je rêvais,

Songeant aux penseurs, aux poètes Dont le vol au dessus de nos siècles mauvais

Est pareil au vol des mouettes.

140 LES HOULES

O Poète, que ton âme soit un Kreisker,

Haute et sublime d'envolées, Et qu'elle aille chercher au hasard de l'éther

Les espérances en allées. Ouvrage-la, Poète, avec un saint amour,

Puis fleuronne-la de dentelles, Et qu'elle vibre et qu'elle chante , étant à jour,

Au souffle des voix immortelles ! Q.ue le bleu des midis, que la pourpre des soirs,

Librement, passent dans ton âme, Et qu'au milieu des ciselures d'ostensoirs

Brille l'inextinguible flamme. Toi qui rêves, ouvre ton cœur à tous les vents,

Et qu'à travers l'âme sans voiles, La complainte des morts et le chant des vivants

Montent, le soir, jusqu'aux étoiles !

Tel. je rêvais, et le Kreisker, troueur d'azur, Aux clartés que la lune épanche,

Dressait toujours son geste symbolique et sûr, Geste de Christ, dans la nuit blanche.

^Cs^3g>&>

HOULES DE NUIT

Quoi ! lu n'as pas d'étoile et tu vas sur la mer !

Alfred de Musset.

'Beaux yeux, charmeurs snauls, clairs flambeaux ! dans nos veines, tA jamais nous brûlant du mal des larmes vaines, Vous verse^ lentement tous vos philtres amers !

puisons aux clartés des prunelles serein Comme au bleu des beaux soirs, comme à l'arur des mers, Le vertige du vide et des gouffres pervers.

Léon Dierx.

[.

Symphonie vespérale

DANS LE JARDIN

Le crépuscule tombe au soir de la Saint Jean ; Le bleu pâle du ciel a des reflets d'argent, Et, dans le solennel apaisement des chose On voit, vers le couchant, flotter vos robes roses. Vierges en qui le Rêve a mis ses reposoirs. Et qui saignez d'amour au calvaire des soirs. Les fleurs qui se pâmaient sous les soleils torrides Se reprennent â vivre au vol des cantharides Dont le bruissement léger passe a travers Le trouble énamouré des pistils entr'ouverts. Le crépuscule tombe, et ses tristesses lentes Bercent sous le grand ciel ému du soir les plantes. Aux sons lointains d'une musique, avec douceur. Comme une mère dont le cher refrain berceur

144 LES HOULES

Endort le tout petit enfant qu'elle câline f

Et la tige des lys au vent tiède s'incline :

Tels, s'érigeant bas au large des gazons,

De grands flambeaux d'argent sur l'or des horizons !

Et leur rêve attristé de blancheur héraldique

Se courbe en sanglotant vers la rose impudique ;

Et les œillets perdus dans l'ombre des massifs,

Les œillets blancs semblent, avec leurs yeux pensifs,

Aussi pleurer le deuil des lys aux splendeurs blanches.

Tout près, dans le fouillis échevelé des branches,

Avec leurs tons vieil or et leurs reflets éteints

Evoquant des décors de temples byzantins

Vers le soir empourpré d'ironiques chimères,

Se dressent, fabuleuses, les alstroémères.

Et voici, tout à coup, monter de toutes parts.

Dans le tressaillement noir des buissons épars,

Une senteur exquise, adorable et divine,

Si capiteuse et si troublante qu'on devine

Quelque mystérieuse allée aux dômes verts

De seringats jetant leurs arômes pervers ;

Et. dans la houle énorme et lourde des feuillages,

Il semble que la brise ait tracé des sillages,

Et qu'un désir étrange on ne sait d'où venu

Y nolise pour quelque rivage inconnu,

Vers les baisers de fièvre et l'amour qui torture,

Des vaisseaux de parfums sur des flots de verdure !

SYMPHOXIE VESPERALE 145

SUR LE SEUIL

O nuit, ô nuit d'été, nuit tiède, nuit pâmée,

Si douce à ceux que n'aima pas la bien aimée,

Jadis, la bien aimée est ; sa voix m'appelle,

M'appelle maintenant, ô chère bonne et belle,

Bonne au cœur triste et belle aux yeux las de la vie !

Et ma vie a chassé l'espoir qui se défie !

La défiance est morte et mort aussi le leurre,

Le vieux leurre, et je chante et je ris et je pleure

Des pleurs comme les fous dans la nuit étoilée,

Et s'étoile mon cœur d'entendre l'en allée

Avec sa robe de printemps et qui m'appelle

D'un appel grave et doux, la chère bonne et belle !

III.

A LA FENÊTRE

J'avais entrouvert ma fenêtre Aux brises de la nuit d'été Dont la grâce en moi faisait naître Des fleurs de ioie et de clarté.

I46 LES HOULES

Mais voici que sous les étoiles, Dans le silence de la nuit. Je sentis se glacer mes moelles En entendant venir un bruit.

C'était une étrange musique Aux sons si faibles et si doux Qu'on eût dit de quelque phthisique Qui toussait sa dernière toux.

Cela s'en venait des ténèbres, Triste, oh ! si triste avec le vent Des inquiétudes funèbres, Que je pleurai comme un enfant.

IV. ORGUES DE BARBARIE

L'instrument des tristes, oui vraiment. Stéphane Mallarmé.

Que lugubre, les soirs, et comme elle fait peine,

Cette phthisique et lamentable rêverie,

Si triste qu'elle semble une tristesse humaine !

SYMPHONIE VESPERALE 147

Que lugubre, ce rêve mort qui se promène. Fantôme revenant vers l'âme endolorie, Dans le cylindre des orgues de Barbarie.

Dans le cylindre des orgues de Barbarie

Geint comme une complainte étrange d'âme en peine.

La complainte qui soit la plus endolorie ;

Et, vrai, l'on ne peut mieux bercer sa rêverie

A l'heure de langueur le soir se promène,

Que dans cette musique atrocement humaine.

O musique de foire, oui, mais musique humaine Dans le cylindre des orgues de Barbarie. Musique éparse. ambulante, que l'on promène Avec les tourniquets et les chevaux de peine, Et dont, les soirs, fait se mouvoir la rêverie L'homme tournant la manivelle endolorie !

Et ce sont tes douleurs, ô rosse endolorie, Pauvre cheval qui traînes la bêtise humaine, Ce sont bien tes douleurs que cette rêverie Dans le cylindre des orgues de Barbarie : C'est ton cou se gonflant, ton échine qui peine, C'est ton martyre tout entier qui s'y promène.

I48 LES HOULES

Et les chevaux de bois que ta courbe promène, Semblent rire à te voir, la bouche endolorie, Tourner, tourner toujours dans ton cercle de peine ; Et le haut jeu des flûtes sur la voix humaine, Dans le cylindre des orgues de Barbarie, Dit ce rire à travers la veule rêverie.

Tel le poète que sa folle rêverie,

Autour de l'idéal obstinément promène,

Et le cylindre des orgues de Barbarie,

C'est la chanson de sa jeunesse endolorie

Et les illusions, leurre de l'âme humaine,

Qui chantonnent encor dans les soirs, avec peine !

Peine, peine toujours, sanglote, ô rêverie ! Toute humaine douleur, poète, se promène Endolorie en les orgues de Barbarie.

V. AU CLAVECIN

L'âme des violons frissonnait dans le soir ; Les archets lamentaient la tresse de l'heure, Et des massifs profonds et du frêle encensoir Des fleurs montait la symphonie étrange pleure

SYMPHONIE VESPÉRALE

149

L'âme des violons et l'âme des soleils. Alors, Elle, dont l'âme était lasse du leurre, Voulant savoir encor si la chanson meilleure Sommeillait sous l'ivoire aux languides sommeils. Parmi l'écho de sa musique intérieure, Devant l'Erard, pale et fragile, vint s'asseoir. Et ses doigts s'attardant sur les touches fanées, Avec les violons frissonnant dans le soir Dirent les soleils morts et les jeunes années :

Autrefois, j'ai su des éphèbes blonds Qui priaient la Vierge avec des mains blanches, Et mêlaient leur âme, aux soirs des dimanches, A l'âme de l'orgue et des violons.

Ils marchaient, nimbés d'extase fleurie, Beaux comme l'aurore et comme les lys ; Leurs fronts étaient ceints de volubilis, Et leurs regards bleus pleins de rêverie.

I 50 LES HOULES

De leur âme, ainsi que d'un encensoir, Vers la chevelure aux torsades rousses De Jésus, l'ami des âmes très douces, Voguaient les parfums du rêve et du soir.

Autrefois, j'ai su des communiantes Dont les yeux anciens, pareils au cristal, Reflétaient l'azur du fleuve natal Parmi les jasmins et les ménianthes.

Des hampes de lys adornaient leurs mains, Tiges de candeur hors des mousselines, Et c'était l'éveil des voix cristallines, Adorablement, au bord des chemins.

Elles s'en allaient, blanche théorie, Effeuillant leur âme en pieux élans, Et toutes disaient des cantiques blancs A la gloire de la Vierge Marie.

SYMPHONIE VESPERALE I 5 I

Autrefois, j'ai su de chastes baisers, Des baisers d'enfants, des baisers sans fièvres ; Nuls désirs mauvais passant par les lèvres. Sur ces calmes fronts ne s'étaient posés.

J'ai su des lacs bleus, fermés de presqu'îles, Vers qui s'en venaient, aux soleils couchants, A deux, les esquifs frêles et penchants, Au fil enchanteur des ondes tranquilles.

J'ai su les jolis Edens puérils ne croissait pas l'arbre des défenses ; J'ai su les soleils des blondes enfances, J'ai su, mais hélas ! sont les Avrils ? ^

Et ses larmes tombant sur les touches fanées Pleuraient les soleils morts et les jeunes années.

-*-

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il

Q 50/V /r<j;'/;e bas sa robe de velours. Léon Dierx.

Onuit de juin, pourquoi t'es tu faite si belle Avec ta lune claire et tes astres en fleurs ? Est ce donc qu'un amant, ô nuit de juin, t'appelle Tout bas, avec des mots d'amour ensorceleurs, Que tu te pares de rayons et de couleurs, Et que l'azur embaume ainsi qu'une chapelle fume et monte en de frissonnantes pâleurs Le nuptial encens qui fait pâmer les vierges ? O nuit, pourquoi tant de parfums et tant de cierges ? Les fleuves sont tout bleus, toutes blanches les berges, Et languide et lointaine et comme en s'endormant, La chanson verte des roseaux pleure à la lune Quelque plainte d'amour triste onduleusement, Et l'on voit s'égoutter la chevelure brune Des saules attendris qui pleurent à la lune !

LES HOULES

153

Pourquoi t'es tu faite si belle, ô nuit de juin !

L'odeur blonde, l'odeur des prés, l'odeur de foin,

L'odeur folle, l'odeur d'amour, l'odeur qui grise,

Rôde confusément comme une fièvre, au loin,

Et s'éparpille et se balance avec la brise

Aux cimes d'arbres qu'un rayon de lune irise !

Pourquoi t'es tu faite si belle, ô nuit de juin ?

Est ce donc qu'un amant, ô nuit de juin, t'appelle,

Que ton azur embaume ainsi qu'une chapelle,

Et que tu es avec tes yeux d'astres, si belle ?

Ecoute, ô nuit, voici venir par les chemins,

Au vent d'amour, de belles jeunes femmes blondes

Couronnant avec des roses et des jasmins

Les éphèbes promis aux ivresses profondes :

Et de les voir ainsi, moi, je me tords les mains,

Et je maudis, ô nuit qui t'es faite si belle,

Je maudis ta splendeur impudente et cruelle

s'éclaire la grande extase de l'amour,

Et qui luit aussi bien sur ceux que l'on aime

Et dont les bras sont prêts pour l'étreinte suprême,

Que sur les autres, mes pareils, que le vautour

Insatiable du désir lentement ronge,

Et qui sentent, perdus dans un douloureux songe,

Leur pauvre âme mourir en eux du mal d'amour !

III.

Les Seringats.

Tes \eux creux sont peuplés de visions nocturnes. Charles Baudelaire.

Dans les jardins hantés par la stupeur lunaire, Quand la nuit se penchant sur le monde qui dort, Qui dort sous un grand catafalque aux larmes d'or, Refait pieusement sa veille millénaire, Et que la lune, tel un blême luminaire Dont quelque main de femme affaiblit les clartés Pour ne pas éblouir des yeux de poitrinaire, Luit douloureusement sur les jardins hantés ;

LES SERINGATS 155

La nuit, dans les jardins d'été que hante l'ombre,

L'ombre laisse jaillir parfois de tels parfums,

Au roulis frissonnant de la ramure sombre,

Que le rêveur dont tous les amours sont défunts

Sent monter un désir tout son être sombre :

Un désir inouï, fiévreux et torturant,

D'une torture folle tout l'être se prend,

Se prend pour fuir un peu le mal exaspérant

De vivre et le regret de ses tendresses vaines

bas, vers un nouvel amour si beau, si grand.

Que tout le sang du monde inondera ses veines !

O vous qui souffrez par le rêve et par l'amour,

Le rêve de l'amour fleurit dans les allées.

Fleurit et fleure sous les voûtes étoilées,

Aux pétales naissant avec la mort du jour,

Aux pétales des seringats ! Senteur étrange,

Senteur d'amour, divine et perverse pourtant,

Si divine qu'il semble à lame qu'un vol d'ange

S'est abattu sur les buissons et qu'on entend

Dans l'air calme, très loin, traîner sa robe à frange ;

Si perverse qu'il semble aussi rôder dans l'air,

En un tourbillon noir dont l'âme s'épouvante,

Eperdûment, l'essaim des démons de la chair.

O voici par les nuits de chaleur énervante.

Les nuits de juin, les nuits de lune et de baisers,

Voici chanter un chœur sur des rvthmes brisés

l')6 LES HOULES

La grande inquiétude et l'angoisse vivante Des anciens désirs toujours inapaisés ; Voici venir sur les ailes de la nuit chaude L'insatiable et dévorant désir qui rôde, Qui rôde, ainsi qu'un papillon parmi les fleurs, Les fleurs d'ombre, les fleurs des seringats troubleurs Et va chercher au fond des calices nocturnes, Mystérieux et blancs, ouverts comme des urnes les astres ont fait descendre leurs pâleurs, Des philtres inconnus pour les cœurs taciturnes ! Et c'est l'obsession dont la chasteté meurt, L'anéantissement dans le songe endormeur Qui fait les chastes, au réveil des sens, si tristes, Quand le bonheur a fui vers l'ombre et qu'ils sont seuls. Connaissant désormais la science des mystes, Dans les jardins se pâmèrent des glaïeuls !

IV.

Sois sage, 6 ma Douleur, et tiens toi plus tranquille Tu réclamais le soir, il descend ; le voici : Une atmosphère obscure enveloppe la ville, ^iux uns portant la paix, aux autres le souci.

Charles Baudelaire.

L'automne agonisant avec lenteur épanche Sa tristesse et, du ciel uniformément gris, Sur la ville qui dort dans la paix du dimanche Il descend un silence se meurent les cris.

Comme le ciel la ville est grise et porte en elle Le deuil provincial des choses sans espoir, Et rien ne vient troubler cette paix solennelle Que parfois des frissons de cloches dans le soir.

1)8 LES HOULES

Ainsi s'enveloppant de ses mélancolies La vieille ville semble un immense couvent Dont les moines ayant dit vêpres et complies, Xe songent plus qu'au ciel dans leur rêve fervent.

Recueille toi de même en ce moment, et tâche, Mon âme, d'être bonne et sainte sans détour ; Assez vite, demain, tu redeviendras lâche, Quand les mauvais désirs naîtront avec le jour.

Cloître toi dans le soir en te vêtant d'automne ; Abdique l'orgueil vain d'un incomplet savoir : Pour les âmes en proie à l'ennui monotone Rien ne vaut la douceur de l'automne et du soir.

V.

Au bord d'un balcon, sous la lune blanche Dont les jardins clairs boivent les pâleurs, Une femme blonde est qui se penche, Ecoutant monter la chanson des rieurs.

Ses vagues regards épris d'un mirage, Naviguent sans but sur la nuit d'été. Aux confins du ciel, bas, un orage Darde des éclairs dans l'obscurité.

Elle a dégrafé son corsage rouge Et tend sa poitrine aux baisers du vent... L'arbre se balance et la feuille bouge, Le jardin palpite et semble vivant.

Ses lourds cheveux blonds font un bruit de houle

En s'éparpillant au vent de la nuit.

A quoi rève-t-elle ? au flot qui s'écoule,

A la nuit qui pleure, au vent qui bruit ?

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VI.

Le Soir, l'Amour, la Mort !

0 calme soir qui bais la lie et lui résistes, Quel long fleuve de paix léthargique et d'oubli Coule dans les cheveux profonds des brunes tristes

Catulle Mendès.

Chère, voici le soir qui vient, mes pieds sont las D'avoir pèlerine vers de fugaces grèves ; Chère, voici le soir qui vient, j'entends des glas Tinter la fin de mon histoire et de mes rêves.

Chère, voici le soir qui vient, dis moi tout bas Des mots troublants avec des inflexions brèves : Chère, voici le soir qui vient, sous les lilas Traîne un parfum qu:avec ta robe tu soulèves.

LE SOIR, L'AMOUR, LA MORT ! l6l

Chère, voici le soir qui vient, ne veux tu pas M 'être le pur ciboire je boirai des trêves ? Chère, voici le soir qui vient, ouvre tes bras, Que j'entende chanter la chanson de tes sèves !

II

Chère, voici l'amour qui vient, dans tes cheveux Comme en un bois hanté de charmes je me couche ; Chère, voici l'amour qui vient, chère, je veux Que la bonne tempête aujourd'hui soit farouche.

Chère, voici l'amour qui vient, donne tes veux. Que pour les clore un peu d'un baiser je les touche ; Chère, voici l'amour qui vient, victorieux, Chère, voici le grand frisson, donne ta bouche!

III

Chère, voici la mort qui vient, étreignons nous, Que nous nous en allions ensemble dans l'aurore ; Chère, voici la mort qui vient, l'amour est doux, Mais la mort dans l'amour sera plus douce encore.

VII.

La chair est triste, bêlas I et j'ai lu tous h

Stéphane Mallarmé.

O vagabonds du rêve, ô poètes, ô fous Que le Divin Désir effleura de son aile, Nous sommes les voyants d'une extase éternelle nous tombons devant la Femme à deux genoux.

Alors la Blanche Illusion descend en nous :

Et c'est tout l'idéal rêvé que garde en elle

La Femme et c'est le ciel qui dort dans sa prunelle

Et le soleil qui flambe emmi ses cheveux roux.

LES HOULES 163

Mais dans la volupté que l'étreinte fait naître,

O pauvres, nous mettons ce qui n'y peut pas être,

Et, le spasme fini, l'extase disparait.

C'est pourquoi, comme après l'étreinte il ne subsiste Au corps que lassitude, à l'âme que regret, Le réveil d'une nuit d'amour est toujours triste.

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VIII

Etre heureux, ma pauvre, comment l'être Quelle porte ouvrir pour voir bas Seulement un peu d'aube apparaître ? Je ne sais pas...

Oh ! dis moi, sais tu ce qu'il faut faire Pour qu'un peu de bonheur vienne à nous ? Dis vite : tu vois que je suis, chère. A tes genoux.

Tu ne dis rien, ma pauvre, tu pleures ! Alors, vrai, tu ne sais pas non plus, Et tous nos désirs d'aubes meilleures Sont superflus.

LES HOULES i£;

Oh ! qu'il y a de lugubres choses Eparses autour de nous. Voici Que des méchants vont tuer les roses Dans ce soir ci.

Nous n'eûmes jamais l'âme si triste !

Trouves tu pas que c'est trop souffrir i

Puisque plus d'espoir ne nous assiste,

Veux tu mourir ?

^^•f S^*f N^** ^^^ ^^^ N^** N^** Né^"* N^** ^à^?

IX.

Attentes

. uniment, Seigneur, le meilleur témoignage Que nous puissions donner de notre dignité Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge,

:t mourir au bord de votre éternité. Charles Baudelaire.

Las ! Consumer la vie en de mornes attentes ! Attendre quoi ? Le soir, la nuit, l'aube, le jour Attendre quoi ? Le flot montant de quelque amour, Pour y baigner enfin nos fièvres haletantes.

Attendre quoi ? Pourquoi recommencer encor A tourner dans le cercle se meuvent nos peines, Si nous avons appris que les larmes sont vaines, Qui pleurent l'idéal enfui des âges d'or ?

ATTENTES 167

Las ! Nous n'espérons plus même l'espoir d'un leurre Suprême se prendraient nos désirs byzantins. Et nulle aube ne luit pour nous dans les matins. Qui nous fasse rêver d'existence meilleure.

Nous allons au hasard des soirs ; nous n'avons plus D'étoile qui nous guide et gui nous soit un phare, Et notre âme s'éplôre et notre esprit s'effare, Cependant que nos vœux demeurent superflus.

Comme vivre nous pèse, ô pauvres que nous sommes ! Que le ciel semble gris et lourd sur nos vingt ans, Et que nous sommes vieux et qu'ils sont attristants, Tous les rêves derniers des derniers jeunes hommes !

Et nous sommes pareils dans notre désarroi A ces marins dont les barques désemparées Dérivent sous l'effort des vents et des marées Et qui ne sondent plus le ciel qu'avec effroi.

De l'eau, de l'eau partout, et pas de terre en vue Ni le moindre lambeau de voile à l'horizon, Et voici qu'un vertige envahit la raison De ces marins hantés d'une peur inconnue.

l68 LES HOULES

Ah ! Quel vent souffla donc la folie et la peur Sur nous, que nous allons de même à la dérive, Et que nous n'avons plus de boussole s'inscrive Un voyage tranquille au pôle du bonheur ?

Ciel lourd, brumes et pluie ! O les vieilles histoires

Des livres trop savants qne nous avons trop lus !

Les mêmes flux toujours et les mêmes reflux,

La mer, la mer... plus rien... seules, des nuits plus noires

Aimer quoi ? Rêver quoi ? Mêmes sont les amours, Que les étreintes soient très longues ou très brèves, Et d'avance est connu le rêve de nos rêves.... Vraiment c'est à mourir de ces mêmes Toujours !

Seigneur, Seigneur, par les affres de ton calvaire, Par tes pieds nus saignant aux cailloux des chemins, Par le trou de ton flanc, par les clous de tes mains, O Seigneur Christ, veux tu nous dire ton mystère ?

Veux tu, Seigneur Jésus, doux Christ aux cheveux roux,

Ecarter seulement un peu ta chevelure,

Que se lève l'aurore éblouissante et pure

De ta face, et que nous tombions à tes genoux !

*

X.

Comme j'errais auprès des flots, la nuit venue, Je vis que le croissant tout au bord de la nue Coupait le ciel noirci de sa lame cornue.

Son profil douloureux qu'on eût dit teint de sang Vers la mer maternelle allait s'amincissant, Et je voulus alors voir mourir ce croissant.

Or je me demandais, perdu sous les étoiles, Dans la morne grandeur de cette nuit sans voiles chaque nébuleuse avait tendu ses toiles,

Quel dieu mystérieux saisi d'un rêve amer Pleurait des confins noirs de l'immobile éther Cette larme de sang sinistre dans la mer ?

XI.

La étant chantait dans les cours des casernes, Et le vent du matin soufflait sur les lanternes. Charles Baudelaire.

UN matin décembral hérissé de ténèbres, Peu m'importe dans quel pays, je ne sais ! Un matin décembral hérissé de ténèbres, Aux abords d'une gare sifflait un train fou, Un frisson singulier irrita mes vertèbres.

Sous la lune un grand neuve aux eaux couleur de lait,

Vers quelque vague mer de nuit occidentale,

Sous la lune un grand fleuve aux eaux couleur de lait.

Avec un fracas sourd de bète qui détale,

Tout au long des gaz roux sinistrement coulait.

LES HOULES

Stupide, je marchais dans la terreur nocturne Vers la gare plaquée, au centre, d'un cadran : Stupide, je marchais dans ia terreur nocturne, Songeant que je n'avais rien vu d'aussi navrant Que ce fleuve de lait sous le ciel taciturne.

Etreint d'une névrose étrange, je me dis :

« A quoi bon m'avaneer plus loin sur cette route ! »

Etreint d'une névrose étrange, je me dis :

« Ce fleuve aux eaux couleur de lait conduit sans doute

» Aux havres merveilleux des anciens paradis.

C'est routine évidente et signe d'hébétude ■> De monter dans un train fait de bois et de fer ; h C'est routine évidente et signe d'hébétude ; « Que ce fleuve aille au ciel ou qu'il aille à l'enfer, c Toujours doit il aller plus loin que V habitude !

a Aux pays d'idéal mène ce fleuve ci ;

» Les trains bornent leur course à des villes de boue ;

Aux pays d'Idéal mène ce fleuve ci ; » Je veux le suivre : que j'aborde, que j'échoue, » J'aurai trompé le sort et tué mon souci ! »

LES HOULES

Je voulus donc, ayant ce rêve en ma prunelle, Me jeter dans le fleuve aux eaux couleur de lait Je voulus donc, ayant ce rêve en ma prunelle. Obéir à la voix des eaux qui m'appelait, Des eaux couleur de lait à la voix maternelle.

Soudain je reculai, pris d'un immense effroi, Et poursuivis ma route en courant vers la gare ; Soudain je reculai, pris d'un immense effroi, Tandis que le cadran, bas, ainsi qu'un phare, Trouait la nuit de ses rayons en désarroi.

J'avais vu sur ce fleuve se complut mon âme, Mon âme au fil trompeur des eaux couleur de lait, J'avais vu sur ce fleuve se complut mon âme, Voguer dans un rayon de lune violet, Voguer tranquillement une charogne infâme !

XII

II me semble, bercé par un choc monotone'. Qu'on cloue en grande, bâte un cercueil quelque part. Pour qui ? C'était hier l'été ; voici l'automne ! Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.

Charles Baudelaire.

Automne, automne, adieu des êtres et des choses A tout cela qui fut grâce, rire et parfum ! Grâce des yeux, rire des ciels, parfum des roses. Adieu, les roses vont mourir ! L'été défunt Au front des mornes soirs n'a pas laissé de trace ; La trace des chemins sous les feuilles s'efface, Et les feuilles tournoient leur ronde éperdument, Comme un vol d'oiseaux roux sous l'infini des nues.

LES HOULES

-

C'est un deuil infini partout ; le firmament

x- vêt d'un gris morose et les voûtes sont nues

jadis brillaient tant d'étoiles inconnues.

L'inconnu du désir, l'inconnu de l'espoir

Nous enveloppent de ténèbres ; une brume

Couvre la mer pas un phare ne s'allume,

Et. lorsque nous voulons encor, malgré le noir,

Marcher vers l'au delà que pleure notre rêve,

Se lèvent sous nos pas des obstacles sans trêve

Et nous désespérons à toujours de savoir

Le mystère endormi dans l'alcôve du soir.

Automne, automne, oh ! Quel est ce chant lamentable

Qu'un vagabond de nuit vient dire à votre seuil ?

Si vous êtes chrétien et d'âme charitable,

Ouvrez, au nom du ciel, et faites bon accueil

A celui dont l'existence n'est que deuil !

Ouvrez : c'est une femme à l'air inexorable,

Qui, sans vouloir d'aumône entre chez vous et dit :

« ]c suis celle que l'on adore et qu'on maudit ;

» La tristesse est mon nom ; je suis inéluctable

Et je veux de longs mois m'asseoir à votre table, s Automne, automne, hélas ! Quels sanglots dans ie vent, Dans le vent qui gémit sur les plages désertes ! N guère encor, c'était un sillage vivant De cheveux d'or flambant au bord des vagues vertes

LES HOULES I ;

Et que la brise, aux soirs splendides, soulevant.

Capricieusement faisait comme des ondes

Ruisseler tout le long des robes vagabondes.

Et maintenant, des belles chevelures blondes,

Des rires, des chansons montant dans l'air subtil,

De tout cela qui fut l'été que reste-t-il ?

Automne, automne, adieu des êtres et des choses

A tout cela qui fut grâce, rire et parlum !

Eté du ciel, été du cœur, tout est défunt,

Et, quant au souvenir du joli temps des roses.

Nature, tu le perds dans tes métamorphoses.

Et toi, cœur attristé, souviens toi. si tu l'oses !

Voici l'ennui qui vient à nous et la langueur

Des soirs d'octobre et la tristesse des ciels pales ;

Un ennui vague et lent s'infiltre dans le cœur ;

Par les hautes forêts s'éveille un bruit de râles :

Au loin, vers les coteaux enfiévrés de rougeurs,

Monotone, se perd le chant des vendangeurs.

Et le marteau des tonneliers dans les prairies.

Et c'est aussi le temps l'âme des songeurs

Vendange de mélancoliques rêveries.

Automne, automne, encor quelques jours de soleil.

Quelques reflets d'argent sur le miroir vermeil

Des flots, encor quelques sons doux et clairs de cloches

Aux angélus épars en un ciel encor bleu.

Ij6 LhS HOULES

Automne et tu seras l'hiver ! Automne, adieu

Parfumé de douceur l'on sent que sont proches

Les spleens hallucinants par les soirs pluvieux,

Et les névroses que l'on souffre d'être vieux,

Si vieux, si vieux, à regarder, morne, la pluie

Rayer obstinément la vitre l'on s'appuie !

A tout cela qui fut grâce, rire et parfum,

Automne, ont dit adieu les êtres et les cho;.

Grâce des yeux, rire des ciels, parfum des roses.

Eté du ciel, été du cœur, tout est défunt :

Voici l'hiver et son cortège de névroses !

Mais l'automne et l'hiver des choses prendront fin,

Et rien ne meurt, au temps des neiges, dans la terre.

Qui ne renaisse et ce n'est point un espoir vain

Que les bulbes, flétris par la saison aust. e,

Gardent de refleurir sous un soleil divin.

Plus tard, pour être encor la gloire du parterre

l'hiver, aujourd'hui, sème ses blancs frimas...

Hélas ! les cœurs flétris ne refleurissent pas !

VERS QUELLES RADES9

Mon aine est un trois mâts cherchant son Icaiic. Charles Baudelaire.

Ce matin. L'âme déchirée Par la souffrance qui me mord, A l'heure monte la marée Je suis descendu vers le port.

La jetée la mer se brise Par les tempêtes de noroît S'allongeait sans fin, comme prise Dans l'eau fixe d'un miroir droit.

iS-J LES HOULES

La lumière inondait les choses, Et sur les flots sans clapotis Les voiles semblaient des vols roses De grands oiseaux anéantis.

Pas un souffle ; une mer étale Dont les goélands querelleurs Sillaient la nappe horizontale Dans les rayons et les couleurs.

Et mon regard naviguait, triste, Vers les lointains du large en leu des dentelles d'améthyste Frangeaient la robe du ciel bleu

II.

Opins, vos pieds baignaient dans la fraîcheur des mousses. Et fiers vous balanciez vos cimes dans le ciel A l'heure vespérale et chère aux âmes douces le printemps fleurait comme une odeur de miel.

Les lointains se drapaient de mousselines roses ; Et, dans ce soir de fin de mars le printemps Faisait s'épanouir le cœur troublé des choses Et renaître à l'amour les hommes haletants,

Dans ce soir argenté pâli de brumes bleues, Il semblait que bas, pour un retour d'exil, Claire et vibrante encor malgré les longues lieues, Résonnât la chanson de marche de l'avril.

:82 LES HOULES

C'était comme un réveil partout ; les jeunes pousses Tremblaient divinement parmi la brise, au bord Des branches pendaient encor des feuilles rousses, Et de nouveau la Vie avait vaincu la Mort.

O pins, j'étais assis sous vos larges ramures

Que berçait d'un frisson léger le vent du soir,

Et j'écoutais haut bruire vos murmures,

Graves comme un adieu, lointains comme un espoir.

O pins, vos profondeurs s'étaient à peine ouvertes Pour y laisser fleurir les roses du couchant, Et vous rouliez parmi l'azur en houles vertes, Au rythme monotone et lent de votre chant.

Alors, comme la nuit tombait en nappe grise, A.près que le soleil eut lui l'horizon d'or, Votre murmure, ô pins, s'élargit dans la brise ; Le chant vogua plus loin, monta plus haut encor...

Maintenant la clameur pleurait, plus désolée ; Le vent courbait de plus en plus vos troncs altiers Au dessus d'une triste et solitaire allée, Et je compris, ô pins, que vous vous lamentiez

LES HOULES I 8 5

En ce soir de printemps, de grâce, de jeunesse Et d'amour, de rester éternellement verts, De ne vous sentir point de sève qui renaisse Aux doux mois, et malgré l'opprobre des hivers,

Vous retrouvant à chaque soir, à chaque aurore, Tout aussi verts que vous étiez la veille, ô pins, D'ignorer qu'un printemps, qu'un été vient d'éclore... Et de toute mon âme alors je vous ai plaints !

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III.

Cras amet, qui nunquam amavit Quique amavit, cras amet. Pervigilium Yeneris.

Un vaste emportement d'aimer dans l'herbe verte., Victor Hugo.

Heureux, heureux ceux qui feront l'amour ce soir ! La chanson du printemps s'éveille sous les branches, Et le cœur sans amour songe des femmes blanches Qui s'en viendront parmi les lilas blancs s'asseoir. Aimez vous avant que votre âme ne soit lasse ; Aimez vous, chaque fleur, vers le printemps qui passe, Balance les parfums de son riche encensoir.

LES HOULES

I85

Aimez vous ; il n'est rien de meilleur sur la terre Que, dans l'entraînement des sens inapaisés, De lier l'idéal aux grelots des baisers ; Etanchez dans l'amour la soif qui vous altère D'astres nouveaux au fond d'un nouveau firmament Aimez vous, au jardin de l'amour seulement On peut cueillir la rieur de l'éternel mystère.

Aimez vous ; un désir s'envole des buissons ;

Aux souffles chauds sur leurs pétales blancs et lisses

Les fleurs, lourdes d'amour, ont ouvert leurs calices.

Les parfums, les couleurs, les formes et les sons

Vous vêtent d'un manteau de brume fraternelle ;

Aimez vous, le soir bleu vous frôle de son aile

Et jette autour de vous comme un bruit de chansons.

Aimez vous ; l'amour seul est la raison de vivre ;

L'idéal tant rêvé ne luit pas autre part

Pour tous ceux qui, hantés de quelque grand départ,

Rythmèrent leur désir sur les pages d'un livre ;

Et, dans le spasme fou que l'amour a béni,

O rêveurs, sachez bien que c'est tout l'infini,

Toute la terre et tout le ciel dont on s'enivre.

l86 LES HOULES

Aimez vous ; unissez le rire et les sanglots. Faites que votre amour chante à la fois et pleure, Sans chercher à savoir par quel merveilleux leurre Le seuil s'entr'ouvre ainsi des grands paradis clos ; Vibrants, faites éperdument vibrer vos moelles, Et que, s'élargissant toujours jusqu'aux étoiles, Vos râles de plaisir emplissent les échos.

Aimez vous ; oubliez le temps comme l'espace Dans un baiser, dans un frisson, dans un soupir ; Xe sachez plus si vous vivez, croyez mourir ! Soyez rêve, soyez jeunesse, soyez grâce, Et, dressant sur un fond de songe radieux Votre amour, méprisez, étant devenus dieux, L'humanité qui meurt et le monde qui passe.

Aimez vous ; enlacez vos corps jeunes ; il sourd

On ne sait quel frisson voluptueux et triste

De cette extase universelle qui persiste,

Enveloppant le trouble ému des fins de jour ;

Aimez vous, yeux fermés, voix dans le spasme éteintes,

Jusqu'à ce que vos corps étant rompus d'étreintes,

Vous ne soyez plus bons au rythme de l'amour.

LES HOULES 187

Aimez vous ; absorbez en vous toutes ces choses Dont se pare l'orgueil des jardins lumineux ; Faites fleurir en vous ce qui fleurit en eux, Et fièrement croyez à des métamorphoses Où, formés de parfums et vêtus de couleurs, Vous vaguerez parmi des parcs ensorceleurs, Mangeant la chair des lys, buvant le sang des roses !

Aimez vous ; moi, je sais des âmes sans amour

demeure l'ennui de vivre et que dévore,

Ce soir, le mal de se sentir seules encore.

Plus que jamais elles s'attristent au retour

Du printemps, et, de voir fleurir les asphodèles

Et revenir par vols joyeux les hirondelles,

Leur mal est plus tenace et leur ennui plus lourd.

Aimez vous ; moi, je sais des âmes douloureuses Qu'un rêve encor, ce soir, va consumer en vain Dans l'espoir renaissant de quelque amour divin. Oh ! Quand vous aurez fait pâmer les tubéreuses En troublant leur sommeil du bruit de vos baisers, Quand vous serez repus, quand vous serez grisés, O vous les amoureux et vous les amoureuses ;

l88 LES HOULES

Quand vous aurez connu l'ineffable douceur

De se perdre dans des chevelures profondes ;

Quand vous aurez vécu la gloire des chairs blondes ;

Quand, d'un mot de l'amant à l'amante : a Ma sœur,

Vous aurez apaisé la tempête charnelle,

Et lorsque, lèvre à lèvre et prunelle à prunelle,

Vous aurez assouvi le désir obsesseur,

Avez, après l'amour, à cette heure si tendre

l'âme s'agrandit dans le calme des sens,

Ayez un souvenir, ô beaux adolescents,

Pour des larmes que nul de vous ne voit répandre,

Et, sortant de l'extase vous serez plongés,

Avec une pitié vague et triste songez

Aux âmes sans amour qui se meurent d'attendre.

IV.

Viviane', la fille ondule use aux crins d'or Jean Lorrain.

Blonde et diaphane Comme Viviane, Par ton charme exquis Tu m'as conquis,

Et, de lys coiffée, Ainsi que la fée

Fit de Merlin.

ICO LES HOULES

Sous les neiges fines Des fleurs d'aubépines Tu m'as enfermé Au mois de mai.

J'avais mis ma tête bat la tempête De mes désirs fous Sur tes genoux ;

Sous les feuilles vertes, Aux strophes ouvertes Des vers que tu sais, Tu me berçais ;

Avec des bruits d'ailes Les strophes fidèles Enivraient mon cœur D'une langueur ;

Te penchant, câline, Comme un lys s'incline, Au fond des forêts Tu me narrais

LES HOULES ICI

La légende ancienne De la magicienne Au geste félin Et de Merlin !

Et depuis, je t'aime

Pour la lueur blême

De tes yeux pervers

je me perds.

Je ne sais plus lire Que dans ton sourire ; Je ne suis joyeux Que par tes yeux.

Ma vie est la tienne ; Rien qui m'appartienne Ne /..meure en moi Si ce n'est toi,

Et mon âme sombre Ne se plait qu'à l'ombre De tes cheveux blonds Follement longs.

192 LLS HOULES

Blonde et diaphane Comme Viviane, Par ton charme exquis Tu m'as conquis,

Et. de lys coiffée, Ainsi que la fée Au geste félin Fit de Merlin,

Sous les neiges fines Des fleurs d'aubépines Tu m'as enfermé Au mois de mai !

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V.

Les yeux bleus de l'aimée enferment tout le ciel Et ses bras amoureux ont clos toute la terre.

Louis TlERCELIN.

Le jour tu seras aimé, poète triste Qui souffres de ne l'être pas, Quand le premier baiser auquel nul ne résiste Aura chanté sur ton front las ;

Quand tu verras éclore en ton âme inquiète Le songe qui te fut si cher,

Et que la bien aimée apaisera, poète,

Le mal dont languissait ta chair.

194 LES HOULES

Choisis, pour y cacher le bonheur de ton rêve, Loin de la rumeur des vivants,

Quelque maison petite et basse sur la g: Dans un port à l'abri des vents ;

Dans un port entouré de maisonnettes blanches.

Aux volets verts et jamais clos, Où, par les frais matins de printemps, des pervenches

Ouvriront leurs yeux près des flots ;

Dans un doux port tranquille et sillonné de voiles

Toutes blanches sur l'horizon, Où. la nuit, la chanson divine des étoiles

T'arrivera dans un frisson !

Et là, dans le logis choisi selon ta guise,

Avec l'aimée enferme toi, Et que l'amour, et que la solitude exquise

Soient tes seuls hôtes sous ce toit !

Sois heureux d'être aimé, car l'amour c'est la vie, Et le ciel n'est ouvert qu'à ceux

Qui surent trouver la chimère poursuivie

Entre deux bras et dans deux yeux.

LES HOULES 195

Qu'au bruit des flots chanteurs que laboure l'étrave

Monte quelque chose d'amer Dans ton amour ; qu'il soit silencieux et grave,

Quand tu contempleras la mer.

Souviens toi que l'amour joyeux passe et s'envole

Comme passe le temps des fleurs, Et mêle à tes enlacements de chair frivole

Un peu de ce qui fait les pleurs.

Et, le soir, quand l'amour enfleurira ton âme,

Et que s'étoilera le ciel, Pense à tous ceux dont le malheur d'amour réclame

Un souvenir essentiel ;

Et tous les deux, l'aimée et toi, penchés vers l'onde,

Priez chaque soir désormais Pour ceux qui ne sont pas aimés d'une Enfant Blonde,

Et qui ne le seront jamais !

VI.

O belle jeune fille blonde Dont le regard pur, clair et bleu. Si vague entre le ciel et l'onde, Avait l'air de mourir un peu,

Toi dont la sveltesse d'Anglaise, Sous ton casque de cheveux d'or, Comme les pins de la falaise Ondulait au souffle du Nord,

O jeune fille en qui mon rêve Reconnut la chère âme sœur A l'heure bas, sur la grève, Le soir tombait plein de douceur,

LÈS H OC LE?

'97

Tes yeux avec indifférence Vinrent au devant de mes yeux. Sans te douter de la souffrance Qu'alors tu faisais naître en eux !

Près de moi tu t'étais assise, O jeune fille, sans savoir... Nous rêvions et sur la mer grise S'épandait le charme du soir ;

La mer s'enlinceulait de brume ; Tu frissonnais sous ton manteau ; Autour de nous, une amertume Tombait du ciel, montait de l'eau.

Ft, de ce moment là, ma vie

S'est faite ta vie, à jamais,

Et le souvenir me confie

Que depuis longtemps je t'aimais.

Je ne sais rien de toi, pas même Ton nom, Nelly, Maud ou Svbil ; Mais, vois tu, depuis que je t'aime, Mon âme n'est plus en exil.

LES HOULES

Je t'aime, ô jeune fille blonde, Et dans mon rêve j'aperçois Ta chevelure vagabonde, Si loin maintenant que tu sois !

Si loin, si loin, pense à moi, pense A celui qui, l'air abattu,

Te contemplait avec souffrance, Et peut-être comprendras tu !

Demain c'est la Christmas, la fête Des grandes touffes de gui vert ; Dans ta demeure l'on s'apprête, Chaque mur en est recouvert.

Demain, tu seras rose et blanche Sous toutes ces touffes de gui ; Que leur chevelure se penche Vers ton beau sourire alangui !

Pour moi, je serai seul et triste, Comme on est triste vers le soir, Lorsque le vieil ennui persiste Et que rame s'emplit de noir.

LES HOULES

I99

Mais toi, du milieu de ta joie, Vers mon cœur laisse s'en venir. Comme une rieur que l'on envoie, Un peu de ton cher souvenir.

Une angoisse est dans ma pensée Comme un portrait dans mon regard Pour que tu sois ma fiancée, O jeune fille, est il trop tard ?

-HBh-

VII.

A celle qui doit être blonde

Speak to me ! I bave wander'd o'er the earth, And never found thy Kketiess. Speak to me ! Byrox (Manfred).

Toi qui dois être blonde, écoute Si je savais un horizon D'où l'on vît rubanner la route Qui mène jusqu'à ta maison.

A CELLE QUI DOIT ÊTRE BLOXDE 201

Si je savais tu habites, ton frais regard souriant S'encadre dans les clématites, Vers le couchant ou l'orient ;

Fût ce au bout du monde, n'importe ! A travers plaines et forêts Pour venir frapper à ta porte Tout de suite je partirais.

Il resterait du sang, peut-être, Aux empreintes de mes pieds nus, Mais, sûr de te voir apparaître,

Mon désir ne saignerait plus.

Et je cherche en vain la demeure tendre et bonne, tu m'attends ; ton rêve ingénu me pleure, N'est ce pas, depuis bien longtemps...

Si tu savais comme je souffre, O mignonne, et quel désespoir Me prend d'être seul et quel gouffre S'ouvre en moi quand descend le soir.

202 LES HOULES

Oh ! j'ai tant besoin que tu m'aimes, Que tu me dises de ces mots Qui me seront, toujours les mêmes, Comme un baume pour tous les maux.

Et ce qui fait que la détresse je sombre est plus grande encor, C'est de sentir que ma tendresse Est un inutile trésor.

Et de penser que tu existes Et pourtant que tu ne viens pas, Je suis comme ces enfants tristes Qu'on entend sangloter tout bas !

Ce sera l'heure le soir tombe, Un soir doux et triste à la fois : Je t'appellerai ma colombe Et j'aurai des pleurs dans la voix.

Tu me répondras de ces choses Qui laissent le désir douteux, Et le trouble des soirs moroses Nous envahira tous les deux.

A CELLE QUI DOIT ETRE BLON'DE 20-

Car nos deux âmes affligées De se reconnaître si tard, Dans la douleur seront plongées Comme au soir de quelque départ.

Et, las de caresses intimes, Nous pleurerons en causant bas Sur tous les soirs que nous perdîmes Quand nous ne nous connaissions pas !

-*-

VIII.

LE soir traîne bas des suaires de brume ; La tristesse des mers chemine vers le ciel, Et l'esprit plein de doute et le cœur plein de fiel S'égarent sur les flots nul feu ne s'allume.

« Ohé ! Mousse couché sur le gaillard d'avant, Grimpe en hâte jusqu'au sommet de la mâture, a Et fouille l'horizon pour voir si d'aventure « Quelque terre inconnue apparaît sous le vent.

LES HOULES 20)

Et, du haut de la hune étroite qui surplombe,

Aux marins anxieux qui guettent sur le pont

Le mousse d'une voix prise de peur répond :

« Je ne vois que la mer et que la nuit qui tombe. »

II.

Le matin rose et bleu frissonne à l'orient

Et l'on voit voltiger à la cime des ondes

De longs déroulements nacrés d'écharpes blondes

Que le soleil au loin déploie en souriant.

Marins qui ne savez encor vers quelles rades Vous portera l'effort du vent et de la mer, Marins à qui le soir de brume était amer, Marins, marins, nos cœurs changeants sont camarades.

La même inquiétude emplit aux fins de jour Ceux qui naviguent sur la mer et sur le rêve. Et leurs yeux voient s'enfuir les mirages de grève A l'horizon confus dont ils ont fait le tour.

Mais luise après les nuits lourdes et sans étoiles Le soleil reflété dans les eaux, clair miroir, Et les voilà buvant le vin fort de l'espoir Et dans l'aube nouvelle orientant leurs voiles !

206 LES HOULES

Cœurs de marins et cœurs de poètes sont prompts A revivre à nouveau l'espérance insensée, Et, pour qu'un flux de rêve inonde leur pensée, Il suffit d'un rayon de soleil sur leurs fronts.

Tristes pareillement à l'heure le soir tombe, Chaque soleil levant leur fleurit l'âme un peu Du songe d'entrevoir par quelque matin bleu Un rameau d'olivier au bec d'une colombe !

m^

*

X *

Overs, envole^ vous ! Strophes, l'une après l'une, Suive- les chemins bleus de l'êlher familier ! Papillons d'idéal, aile blonde, aile brune, mon cœur de poète à toujours est lié, Voltige^ en flocons de songe, aux clairs de lune ! Heureux, 6 vers, si vous ave~ cette fortune D'éveiller par le seul baiser des mots, au ftl D'une chanson d'amour lointaine et vagabonde, Le lève qui dormait dans les beaux yeux d'exil De quelque jeune femme exquise, frêle et blonde !

S^^Sh

TABLE

Pages.

t*+ Pour ceux que l'idéal tourmente et qu'inquiète. i

DEPARTS

I. Les Houles 5

II. Départ 7

III. Le Vapeur 10

IV. La lune incendiait le grand boulevard blanc. . 20 V. Ad faces 23

VI. Ton mouchoir 28

VII. Comment t'appelais tu, femme, et d'où

venais tu ? 31

VIII. Peines d'automne 36

-4

2 H) TABLE

CHANSONS IDE BORD

I. Quand je menai vers toi la fête de mes vers. 45

II Nous te saluons, Maître, et nous te vénérons. 49

III. Matin d'avril à l'hôpital 51

IV. Etrange au front des soirs d'or et de sang

fleuris 54

V. Comme au dehors un lourd soleil chauffait

la rue 56

VI. Quand le soleil nous dit adieu 57

VIL Avril fleurit chaque verger 59

VIII. En amour, de toutes les grâces 61

IX. Ta main, ta main, je veux te suivre. ... 62

X. Depuis que tu m'as dit : J'aime ta poésie. . 65 XI. le me souviens du béret blanc que vous

portiez 67

XII. Ton corps est un paradis 69

XIII. Les jours de souvenir j'évoque des yeux. 71

XIV. Tout un soir, en suivant un chemin. . . 73 XV. C'est une ville triste et morte 75

XVI. Jeux d'ironie : Fin de siècle

Conseils 79

Pour 81

Pour vivre 84

XVII. Sextines : Dans les nuits 86

Dans les aubes 88

Dans les midis 90

Hymne du vers 92

TABLE 211

XVIII. La Légende des Etoiles '95

HOULES IDE BRETAGNE

I. A Brizeux 10 1

II. Pour la Bretagne 103

III. Le chant des trépassés 107

IV. Vers Arthur et vers Merlin ni

V. Dans la bruyère. . 122

VI. Chant royal de 1' « Hermine » 127

VIL Prologue d'ouverture 131

VIII. Le Kreisker 136

HOULES IDE NUIT

I. Symphonie vespérale : Dans ie jardin. ... 143

Sur le seuil 145

A la fenêtre 145

Orgues de barbarie. . . 146

Au clavecin 148

II. O nuit de juin, pourquoi t'es tu faite si belle. . 152

III. Les seringats 154

IV. L'automne agonisant avec lenteur épanche. 157 V. Au bord d'un balcon, sous la lune blanche. . 159

VI. Le soir, l'amour, la mort 160

VIL O vagabonds du rêve, o poètes, 6 fous. . . 162

VIII. Etre heureux, ma pauvre, comment l'être ? 164

IX. Attentes 166

212 TABLE

X. Comme j'errais auprès des flots, la nuit venue. 169

XI. Un matin décembral hérissé de ténèbres . 170 XII. Automne, automne, adieu des êtres et des

choses 173

VEE.S QUELLES RADES <?

I. Ce matin, l'âme déchirée 179

II. O pins, vos pieds baignaient dans la fraîcheur

des mousses 181

III. Heureux, heureux, ceux qui feront l'amour

ce soir 184

IV. Blonde et diaphane 189

V. Le jour tu seras aimé, poète triste. . . . 193

VI. O belle jeune fille blonde 196

VII. A celle qui doit être blonde 200

VIII. Le soir traîne bas des suaires de brume . . 204 *m O vers, envolez vous ! Strophes, l'une après

Tune 207

Achevé d'imprimer

le dix Décembre mil huit cent quatre-vingt-treize par

Lemercier & Alliot à X.IORT

pour

Alphonse Lemerre, Editeur à TARIS.

La Bibliothèque Université d'Ottawa Echéance

The Library Univensity of Ottawa Date Due

et

CE PO 2603

•E25H6 1894

C00 EEMJFILSi ED LES HGULES

ACC# 12299C3

2 8 S

5 =

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