^■*'\»i'>' » ,'?-^*-v m^é^^-^. LES INSECTES LOUIS FIGUIER OUVRAGE ILLUSTRÉ DE 592 FIGURES DESSINÉES D'APRES IVATUBE FAR MESNEL, E. BLANCHARD ET DELAHAYE ET DE VINOT-QtTATHE GRANDES COMPOSITIONS PAR E. BAYARD C'est dans un faible objet, imperceptible ouvrage Que l'art de l'ouvrier me frappe davantage. Louis Racine. DEUXIEME EDITION PARIS LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET G'« BOULEVARD SAIN T -GERMA IN , N° 77 1869 Droit de traduction réservé LES INSECTES. INTRODUCTION, structure générale des Insectes : la tête, le thorax et l'abdomen. — La peau chez les Insectes. — La digestion, la circulation et la respiration chez les Insectes parfaits. — Métamorphose des Insectes : états d'œuf, de larve, de nymphe et d'Insecte parfait. — La force des Insectes. — Classification. Nous n'avons pas la prétention, clans ces premières pages, de tracer des considérations générales sur Tanatomie des Insectes. Seu- lement, avant de commencer l'histoire de tant d'êtres divers, de raconter leurs mœurs et leurs travaux, leurs ruses et leurs com- bats, il importe de décrire, en quelques mots, la disposition des parties essentielles de leur corps. Sans aucun étalage scientifi- que, nous allons, tout simplement, prendre le lecteur par la main et faire avec lui le tour d'un insecte. Nous allons examiner les diverses parties de son corps, avec la curiosité naïve d'un igno- rant, désireux de s'instruire. Et d'abord ce qui frappe, quand on considère un insecte, quand on le tourne et le retourne dans sa main, c'est qu'il est composé de trois parties : la tête., le thorax et Y abdomen. Par exemple, si l'on prend le corps d'une guêpe, il est facile de le séparer en trois seg- ments, comme le représente la ligure l.Pour faire le tour de l'in- secte, nous allons donc examiner la structure de ces trois par- ties essentielles du corps de notre animal. I 2 LES INSECTES. La tcie (fig. 2) est une sorte de boite, formée d'une seule pièce, portant çà et là quelques sutures, plus ou moins marquées, quel- Fig. I.' Guêpe en trois segments. quefois à peine visibles. Elle est munie antérieurement d'une ouverture, souvent très-petite, dans laquelle se trouvent les Fig. 2. Tète et mâchoires de la Chenille, d'après Lyonet. Traité anatomique de la Chenille qui ronge le bois du saule. organes de la manducation, et d'autres ouvertures, pour les yeux et les antennes. La ligure représente, d'après le célèbre mémoire de Lyonet INTRODUCTION. 3 sur la Chenille da saule, la tète et la mâchoire de la Chenille du saule. Les téguments de la tète sont, en général, plus durs que ceux .des autres parties du corps. 11 devait d'ailleurs en être ainsi. L'In- secte vit et se meut au milieu de substances qui offrent une cer- Fig. 3. Tête d'un Insecte. taine résistance ; il fallait donc que sa tète fût assez solide pour vaincre ces résistances. La tète étant destinée à contenir des orga- nes masticateurs, qui ont fréquemment à agir sur des matières très-dures, devait ofTrir de robustes points d'appui. On ne trouve d'exception à cette disposition organique que chez les Insectes suceurs. Il serait hors de propos d'énumérer ici toutes les nombreuses Fig. h. Œil d'un Insecte. modifications que présente la tète dans l'immense série de la classe des Insectes. Les yeux de ces animaux sont de deux sortes. Les uns sont nommés yeux composés ou à facettes; les autres, yeux lisses ou ocelles. La partie extérieure des yeux composés (fig. 4) a reçu le nom de cornée. Elle a à peu près la forme d'une calotte, et se compose d'un assemblage de petites facettes, ou lentilles, convexes, hexago- 4 LES INSECTES. nés, réunies par leurs plans latéraux, et de grandeur variable, non-seulement dans les espèces différentes, mais dans le même œil. Si nous voulons donner une idée de la prodigieuse richesse, d'organisation des êtres qui vont nous occuper, nous nous arrê- terons pour compter le nombre des facettes qui existent dans les yeux composés de divers Insectes : Dans le genre Morclella l'œil a 25 C88 facettes. Dans la Libellule 12 54^ - Dans le genre Papillon 17 355 — Dans le Sphinx du liseron ... 1 300 — Dans le Bombyx du mûrier . . 6 236 — Dans la Mouche domestique. . 4 000 — Dans la Fourmi 50 — Dans le Hanneton 8 800 - Cliez aucun Insecte les facettes ne paraissent plus nombreuses que chez les Scarabées. Leur ténuité est telle, qu'on peut à peine les discerner avec une loupe. Envisagé seulement à l'extérieur, un œil composé pourrait être considéré comme une agglomération d'yeux simples; mais inté- rieurement sa structure est toute différente. A la face inférieure de chaque facette se trouve un corps d'ap- parence gélatineuse, transparent, ordinairement conique, et dont la base touche seulement le centre de la facette, de manière à laisser à sa circonférence un espace annulaire libre, pour rece- voir le pigment. Ce corps s'amincit peu à peu à son extrémité supérieure, et se termine en une pointe, à laquelle aboutit un filet du nerf optique. Ces cônes, aussi nombreux que les facettes, jouent dans chacune d'elles le rôle de cristallin. Ils sont droits et parallèles les uns aux autres. Un pigment remplit tous les inter- valles entre les cônes, ceux entre les filets optiques, et rêvet la face inférieure de chaque cornéule, excepté à son centre. Ce pig- ment varie beaucoup pour la couleur. Il en existe presque tou- jours deux couches, dont la plus superficielle est la plus brillant?. Ces yeux, en effet, sont souvent étincelants de feux, comme des pierres précieuses ; ils brillent de nuances changeantes, disposées par bandes ou par taches. M. Lacordaire, dans sa belle Introduction à Venlomologie, à laquelle nous empruntons la plupart de ces renseignements, a résumé comme il suit la manière dont s'opère, d'après MuUer, hi vision chez les Insectes : INTRODUCTION. 5 « Chaque facette avec son cristallin et son filet optique séparés de leurs voisins par le pigment qui les entoure, forme un ajipareil isolé dans lequel les rayons lumineux ne pénètrent qu'autant qu'ils tombent perpendiculai- rement sur le centre de la facette, qui seul est dépourvu de pigment. Tous les rayons obliques sont absorbés par celui qui revêt la circonférence de la facette et par celui qui est situé plus profondément. Il résulte en partie de là et en partie de l'immobilité de l'œil que le champ de vision de chaque cornéule ou facette est très-borné, et qu'il y a autant d'images des objets, formées sur les filets optiques, qu'il y a de ces cornéules. L'étendue de ce champ sera donc déterminée non par le diamètre de ces dernières, mais par celui de l'œil entier, et sera en proportion de la grandeur et de la con- vexité de sphère qu'il formera. INIais quelle que soit la grandeur des yeux, comme leurs champs de vision sont indépendants l'un de l'autre, il reste toujours entre eux un espace plus ou moins considérable libre, et l'animal ne peut voir les objets qui y correspondent qu'en tournant la tète. Com- ment une sensation unique peut-elle résulter de la multiplicité des images qui se forment sur les filets optiques ? Cela n'est pas plus explicable que ce qui se passe chez les animaux qui , ayant deux yeux , ne voient pas pour cela les objets doubles, et il est probable qu'il en est de même chez les In- sectes. Mais leurs yeux étant presque toujours opposés, ils doivent voir deux objets à la fois, comme le fait, par exemple, le caméléon, chez qui ces organes se meuvent indépendamment l'un de l'autre. La netteté des images et la longueur de la vue dépendraient, suivant M. Muller, du dia- mètre de la sphère, dont l'œil forme un segment, du nombre et de la peti- tesse des cornéules, et de la longueur des cristallins. Plus chaque facette, considérée isolément, est grande, l'œil petit et le pigment déposé entre les cristallins brillant, plus l'image des objets éloignés sera nette, et celle des objets rapprochés indistincte. Les rayons lumineux partant de ceux-ci di- vergent en e(fet considérablement, tandis que ceux qu'envoient les autres sont plus parallèles. Dans le premier cas, ils peuvent, en traversant le pig- ment , arriver obliquement sur les cristallins et troubler par conséquent la vision, ce qui n'a pas lieu dans le second. « Les objets n'apparaissent également sous leur véritable grandeur que lorsque l'œil est parfaitement sphérique et que sa convexité est concen- trique à celle du nerf optique. Toutes les fois qu'il en est autrement, l'i- mage correspond plus ou moins imparfaitement à la grandeur de l'objet et se trouve plus ou moins fausse. D'où il suit que les yeux eUiptiques ou co- niques qui s'observent communément chez les Insectes voient moins bien que ceux dont il vient d'être question. « Les diffé ences nombreuses qui existent dans l'organisation des yeux parmi les Insectes peuvent s'expliquer jusqu'à un certain point par la théo- rie que nous venons d'exposer en peu de mots. Les espèces qui vivent dans la substance même dont elles se nourrissent, celles qui sont parasites, ont des yeux petits et déprimés; chez celles, au contraire, qui vivent de proie et qui ont besoin de la voir à dislance , ils sont grands ou très-convexes. De même les mâles qui doivent aller à la recherche de leurs femelles, ont les organes plus grands que ces dernières. La position des yeux dépend aussi de leur grandeur et de leur convexité ; ceux qui sont plats et n'ont par con- séquent qu'un champ de vision peu étendu, sont rapprochés et placés plutôt en avant que sur les côtés et assez souvent contigus. Les yeux sphériques et convexes sont, au contraire, placés latéralement et leurs axes sontoppo- 6 LES INSECTES. ses. Mais la plus grande étendue de Thorizon qu'ils embrassent compense cette disposilion. Presque tous les Insectes sont pourvus d'une paire de ces yeux composés, qui sont situés ordinairement sur les côtés de la tête. La grandeur et la forme de ces organes sont très-variables, comme nous le verrons plus loin. Ils sont généralement situés derrière les antennes. Les yeux lisses {ocelles ou stemmates) ne se rencontrent pas dans tous les ordres d'Insectes, quoiqu'on les y observe fréquemment. Ils sont ordinairement arrondis et plus ou moins convexes, noirs, et au nombre de trois, dans la majeure partie des Insectes. Dans ce cas, ils sont ordinairement disposés en triangle, en arrière et à une plus ou moins grande distance des antennes. Sous la calotte, plus ou moins convexe, qui constitue leur cornée, se trouve un corps à peu près globulaire, transparent et assez dur, véritable cristallin, reposant sur une sorte de lentille, qui représente le corps vitré. Ce corps vitré est encbâssé dans un épanouissement du nerf optique. Ajoutons à cela un pigment, le plus souvent d'un rouge brunâtre, quelquefois noir, ou d'un rouge de sang. L'orga- nisation de ces yeux est assez analogue à celle des yeux des pois- sons, et la réfraction qui s'y opère est très-grande. Les objets placés à une courte distance peuvent seuls être perçus; l'Insecte ne peut distinguer ceux qui sont un peu éloi- gnés. Dès lors à quoi peuvent servir les stemmates aux Insectes qui ont en même temps des yeux composés? On a remarqué que les espèces qui sont dans ce cas se nourrissent surtout du pollen des fleurs, et l'on a conclu de là que les stemmates peuvent leur servir à mieux distinguer les diverses parties de la fleur. Les antennes, que le vulgaire désigne sous le nom de cornes, consistent en deux appendices mobiles, de forme extrêmement variable, qui s'articulent avec différents points de la tête, et sont toujours au nombre dé deux. Les articles qui les constituent ont chacun leur mouvement propre, ce qui permet à l'animal de les fléchir dans tous les sens. On distingue trois parties dans l'antenne : Y article basilaire, ordinairement remarquable par sa forme, sa longueur, sa cou- leur; — la massue, formée par un épaississement graduel ou su- bit des articles terminaux, dont le nombre, la forme et la gran- deur présentent de grandes variations ; — enfin la tige, formée par tous les articles des antennes autres que V article basilaire. INTRODUCTION. Fig. 5. Fig. 6. Antenne Antenne de lAside de la Zygie grise. oblongue. lorsqu'il n'existe pas de massue, et, dans le cas contraire, par ceux qui sont intermédiaires entre celle-ci et Varticle basilaive. Nous représentons, comme exemple d'antennes, celles de deux Coléoptères, l'un du genre Aside^ l'autre du genre Zygie (fig. 5 et 6), Lorsque les Insectes sont au repos, la plupart se contentent de ramener leurs antennes sur le dos, ou sur les bords latéraux de la tête ou bien du thorax. D'autres sont pourvus de cavités spé- ciales, dans lesquelles les antennes sont reçues, en totalité ou en partie. Pendant leurs mouvements divers, les Insectes agitent plus ou moins ces or- ganes, les uns alternativement, avec len- teur et une sorte de régularité , d'autres dans tous les sens. Quelques-uns im- priment à leurs antennes un mouvement de vibration perpétuel. Pendant le vol, elles sont dirigées en avant, ou ])ien placées per- pendiculairement à l'axe du corps, ou bien encore ramenées sur le dos. Quel est l'usage de ces antennes, qui ressemblent à des plumes, à des scies, à des massues, etc.? Tout indique que ces organes jouent un rôle très-important dans la vie des Insectes; mais ce rôle n'est pas encore parfaitement connu. De nombreuses expérien- ces ont paru démontrer que les antennes ne servent que secon- dairement au toucher, et ne concourent nullement au go.ût, ni à lodorat. On ne voit plus bien dès lors quel peut être leur rôle physiologique, si ce n'est de servir à l'audition. Dans cette hypothèse, l'antenne serait l'instrument principal chargé de transmettre les vibrations sonores. La membrane de sa base représenterait un vestige de la membrane du tympan, qui existe chez les animaux supérieurs. Le nerf anlcnnaire serait donc un nerf acoustique. Intermédiaires entre les animaux inférieurs, chez lesquels les fonctions de la vie végétative sont plus ou moins disséminées, et les Vertébrés, chez lesquels ces mêmes fonctions sont localisées au plus haut degré, les Insectes ont reçu, comme ces derniers, des appareils spéciaux pour la nutrition. La bouche constitue le plus extérieur de ces appareils. La bouche (fig. 7) est chargée de diviser et de préparer les ma- LES INSECTES Fig. 7. Bouche d'un Insecte broyeur. tières alimentaires, avant qu'elles passent dans le tube digestif. Cet organe est situé, comme chez les Vertébrés, à la partie anté- rieure de la tête, en général en des- sous. La bouche des Insectes a été con- struite suivant deux types généraux, qui correspondent à deux sortes da besoins. Elle est destinée, d'une part, à broyer des substances solides; d'autre part, à pomper des liquides. Au premier abord, on pourrait croire qu'il n'existe aucun rapport entre la bouche d'un Insecte broyeur et celle d'un Insecte suceur. Cependant on a pu constater que les pièces de la bouche, chez ce dernier animal, sont analogues à celles de la bouche chez le premier, et qu'elles n'ont subi que des modifications appropriées aux fonctions différentes qu'elles sont appelées à remplir. Contentons-nous actuellement de signaler que la bouche d'un Insecte broyeur se compose d'une lèvre supérieure, d'une paire de mandibules, d'une paire de mâchoires et d'une lèvre infé- rieure. La lèvre inférieure et les mâchoires portent, en outre, des fila- ments articulés, qui ont reçu le nom de palpes. En parlant des Insectes suceurs et, en général, des divers ordres des Insectes, nous reviendrons avec plus de détail sur la structure de la bouche. Le thorax (lig. 8), qui constitue la seconde division primaire du corps des Insectes, joue dans leur organisation un rôle presque Fig. 8. Thorax de r.\crocine longimane. aussi important que la tête. Il se compose de trois segments, ou anneaux : le prothorax, le mésothorax et le métathorax, qui portent chacun une paire de pattes, et sont, en général, soudés entre eux. Les deux derniers anneaux seuls donnent attache aux ailes. INTRODCGTIO:^. 9 Dans tous les Insectes, les pattes sont toujours au nombre de six. Il n'y a point dWeption à cette règle. D'après les segments auxquels elles appartiennent, on distin- gue les pattes en antérieures, intermédiaires et postérieures. Chacune se compose d'une suite de cinq articles tubuleux, de la même nature que le reste des téguments. Ce sont: la hanche, par laquelle la patte s'articule au thorax; le trochanter, pièce très-courte, qui unit la cuisse à la hanche ; enfin la jambe et le tarse, partie termi- nale de la patte, composée d'un nombre variable de petites pièces, placées bout à ])Out, et qu'on nomme phalanges. Nous représentons, comme exemple, la patte antérieure d'un Hctérocère (fig. 9) et la patte postérieure d'un Zophosis (fig. 10). Fig. 9. Patte antérieure de l'Hétérocère à pattes dentées. Fig. 10. Patte postérieure du Zophosis à quatre lignes. Nous n'insisterons pas davantage, en ce moment, sur ces di- verses parties, dont les formes et les fonctions nous occuperont plus tard, lorsque nous ferons l'histoire des principales individua- lités de la grande classe d'animaux dont nous entreprenons de décrire la vie. Les Insectes se servent de leurs pattes pour marcher, pour courir, pour nager ou pour sauter. Pendant la marche, dit M. Lacordaire, les Insectes meuvent leurs pattes de différentes manières. Les uns lèvent et posent successi- vement les six pattes, ou seulement deux ou trois à la fois in- distinctement ; jamais néanmoins les pattes de la même paire en 10 LES INSECTES. même temps. Il en résulte qu'un pas ne ressemble pas à l'autre ; que la marche des Insectes esttrès-irrégulière, surtout quand les pattes sont longues; et que ces animaux sautillent quelquefois plutôt qu'ils ne marchent. Les autres n'exécutent jamais qu'une sorte de pas, et marchent très-régulièrement. Ils commencent par mouvoir les pattes antérieures et postérieures du même côté, el l'intermédiaire opposée. Ces pattes étant posées et le premier pas fait, les autres se lèvent à leur tour, et en exécutent un second. La course ne change rien à cet ordre de mouvements. Elle n'est que le résultat de mouvements plus précipités. Très-rapide dans certaines espèces, et surpassant, proportion gardée , celle de tous les autres animaux, la course est modérée chez d'autres. Enfin quelques Insectes ne s'y livrent jamais, et semblent se traîner plutôt que marcher. Dans la nage, les pattes postérieures jouent le principal rôle et produisent les mouvements d'arrière en avant. Les autres pattes, en frappant l'eau de haut en bas et de bas en haut, produisent les mouvements d'ascension et d'abaissement. L'animal change de direction à volonté, en agitant seulement les pattes d'un côté, de la même manière que l'on fait virer une embarcation au moyen d'une rame seule, sans recourir à Faction du gouvernail. La nage diffère essentiellement de la marche, en ce que, dans la première, l'animal trouvant un point d'appui continuel dans le fluide qui l'environne, fait mouvoir en même temps les pattes de la même paire. Le saut a lieu principalement au moyen des pattes postérieures. Quand les Insectes qui jouissent de cet apanage veulent sauter, ils ploient les pattes postérieures, comme le montre la figure 1 1 ,. de manière à mettre la jambe en contact avec la cuisse, qui pré- sente souvent, pour la recevoir, ,^^^ un sillon, muni de chaque côté Fig 1, d'un rang d'épines. Se détendant 'TÔuriet^Srelîdusau?^ ^"«"ite Subitement comme un ressort, cette jambe vient frapper contre la terre, et envoie l'Insecte en l'air, à une distance plus ou moins considérable d'arrière en avant. Le saut est d'autant plus étendu que les pattes postérieures sont plus longues. Ce que nous pourrions dire ici d'une manière générale sur les INTRODUCTION. H aiUs des Insectes serait un peu vague. Nous le dirons avec plus de détails et da-propos lorsque nous ferons lliistoire complète des types divers d'Insectes ailés. Chez les Insectes parfaits (dont il a toujours été question dans les pages précédentes,, Yabdomenne donne insertion ni à des pattes ni à des ailes. L'abdomen est formé d'un certain nombre d'an- neaux, ou de segments, dont la plupart sont privés de toute es- pèce d'appendices, mais dont les postérieurs portent souvent de petits organes, de formes et d'usages très-variés. Ce sont des scies, des stylets, des pinces, des aiguillons, des tarières, etc. Nous reviendrons plus tard avec beaucoup de soin sur ces divers organes. Chez les animaux verté])rés qui sont pourvus d'un squelette in- térieur, propre à fournir les points de résistance nécessaires à leurs divers mouvements, la peau est une lame plus ou moins molle, uniformément répandue sur toutes les parties extérieures du corps, et destinée seulement à les protéger contre l'action des causes extérieures. Chose remarquable, chez les Insectes, ces points de résistance sont transportés du dedans au dehors. La peau change de nature, pour se plier à sa destination nouvelle. Elle s'encroûte, et présente seulement, d'espace en espace, des inter- valles membraneux, qui permettent aux parties solides d'effec- tuer tous les genres de flexion. Nous venons de faire le tour de l'Insecte parfait. Nous avons jeté un coup dœil rapide sur son squelette extérieur, qui forme comme la charpente de son organisation, et sur les divers appen- dices extérieurs qui en naissent. Il nous reste, pour terminer ces généralités, à examiner les principaux organes qui se cachent sous cette enveloppe protectrice. Étudions d'abord l'appareil digestif. Cet appareil consiste en un organe allongé, tubulaire, renflé de distance en distance, formant dans l'intérieur du corps des cir- convolutions plus ou moins nombreuses, et pourvu de deux ori- fices distincts. Ce canal digestif est constamment situé dans la ligne médiane du corps, au-dessus de la chaîne ganglionnaire nerveuse. Dans son plus haut degré de complication, le tube digestif de l'Insecte se compose d'un œsophage, d'un jabot, d'un gésier, d'un ventricule chyliftque, d'un intestin grêle, d'un gros intestin; enfin de diverses annexes, telles que vaisseaux salivaircs, biliaires ou urinaires. 12 LES INSECTES. Lœsophage est un conduit qui n'a souvent que la ténuité d'un clieveu. Dans un grand nombre d'espèces, il se dilate en une poche plus ou moins volumineuse, que l'on a nommée jabot, parce qu'elle occupe la même position que 1 organe de ce nom chez les oiseaux, et qu'elle remplit des fonctions analogues. Ce qui veut dire que les aliments y séjournent quelque temps, avant de passer dans les autres parties du canal intestinal, et y reçoivent un com- mencement de préparation. C'est dans le gésier, lorsqu'il existe, que les aliments, divisés par les organes masticateurs de la bouche, subissent une nouvelle trituration, plus complète. Sa structure le rend très -propre à cet usage. Il est, en effet, très-musculeux, quelquefois même à demi cartilagineux, et fortement contractile. Ses parois internes sont armées d'un appareil de broiement, qui varie suivant les espèces, et consiste en dents, lames, épines, arêtes, destinées à convertir les aliments en une pulpe homogène. Il n'existe que chez les In- sectes qui se nourrissent de matières solides: herbes dures, petits animaux à téguments coriaces, etc. Cette armure intérieure de l'estomac manque chez les Insectes suceurs, et chez ceux qui se repaissent d'aliments mous, du pollen des fleurs, etc. Le ventricule chylifique ne manque jamais. C'est cet organe qui joue le principal rôle dans l'acte de la digestion. Deux sortes d'appendices sont propres au ventricule chylifique, mais seulement dans certaines familles. Les premiers sont des papilles très-petites, faites en forme de doigts de gant, qui se hé- rissent à l'extérieur de cet organe, et dans lesquelles on croit que la pulpe alimentaire commence à se convertir en chyle. Les seconds sont également des cœcums, mais beaucoup plus grands, moins nom])reux. On les a considérés comme des organes de sé- crétion analogues au pancréas des animaux vertébrés. La figure 12, qui représente Y appareil digestif du Carabe rfore, met sous les yeux du lecteur les différents organes qui viennent d'être décrits: A est la bouche de l'insecte; B Yœsophage; C le jabot; Die gésier; E le ventricule chylifique ; F et G le petit et le gros in- testin. Nous n'insisterons point sur les autres parties du tube intesti- nal chez les Insectes. Nous citerons seulement quelques annexes de cet appareil. Les vaisseaux salivaires versent dans le tube digestif un liquide, ordinairement incolore, qui, par le lieu où il est sécrété et par sa nature alcaline, répond à la salive des animaux vertébrés. C'est INTRODUCTION. 13 ce liquide que l'on voit sortir, sous forme de goutteleltes, de la trompe de quel(iues Insectes suceurs. Ces vaisseaux sont habituellement au nombre de deux. Leur forme est aussi variable que compliquée. Dans leur état le plus simple, ils consistent en un tube fermé, flexueux, ordinairement roulé en peloton, et s'ouvrant sur les côtés de l'œsophage. Sur rextrémilé postérieure du ventricule chyliiique, s'insère un Fig. 12. Appareil digestif du Carabe doré. Fig. 13. Extrémité postérieure du ventricule chylifique, entouré des vaisseaux de Malpighi. nombre, plus ou moins considérable, de tubes, fins comme un fil, ordinairement allongés et flexueux, terminés en cul-de-sac. Leur couleur, déterminée par celle du liquide qu'ils contiennent, est rarement blanche, le plus souvent brune, noirâtre ou verte. Une mem]n\ane très-mince et très-délicate paraît seule les composer. Elle se déchire très-facilement ; il n'est rien de plus malaisé que li LES INSECTES. de dérouler ces vaisseaux et de les dégager des tissus graisseux ou autres qui les enveloppent. Les naturalistes sont incertains sur la fonction physiologique de ces derniers vaisseaux, c'est-à-dire sur la nature du liquide qu'ils sécrètent. Cuvier et Léon Dufour attribuaient à ces organes des fonctions analogues à celles du foie. C'est pour cela qu'on les a appelés vaisseaux biliaires. Mais cette opinion n'est pas générale- ment partagée ; de sorte que l'on est convenu d'appeler simple- ment ces vaisseaux îMÔf 5 de 3Ialpighi, du nom de l'observateur illus- tre qui les découvrit. Selon M. Lacordaire, leurs fonctions varieraient selon leur po- sition. Ils fourniraient uniquement de la bile, lorsqu ils s'ouvrent dans le ventricule chylilique; à la fois de la bile et un liquide urinaire, quand leur insertion est en même temps post-ventricu- laire et intestinale ; et de l'urine seule quand ils sont placés près de l'extrémité du canal digestif. La figure 13 fait voir, à un grossissement plus fort que celui de la figure précédente, les vaisseaux de Malpighi, entourant l'extré- mité postérieure du vmtricule chyUftque, et versant à l'intérieur de cet organe le produit de leur sécrétion. Pour achever cette rapide description de l'appareil digestif des Insectes, il nous reste à signaler certains organes dépurateurs, qui sécrètent ces fluides, ordinairement noirâtres, caustiques et odorants, que certains Insectes lancent lorsqu'on les irrite, et qui déterminent chez l'homme une cuisson plus ou moins vive, lorsqu'ils viennent à tomber dans ses yeux. Moins répandus que les organes salivaires, ils offrent des formes souvent compliquées et très-variées. On voit dans la figure 14 l'ap- pareil de sécrétion excrémentitielle du Carabe doré, qui nous ser- vira d'exemple. En a sont les utricules sécrétoires, disposés en grappe, en b le canal efférent, en c la poche servant de réservoir au liquide sécrété, en d le conduit excréteur. Tantôt le fluide sécrété est liquide, et son odeur est fétide ou ammoniacale ; tantôt il est gazeux, et peut être lancé, comme chez les Bombardiers, avec une sorte d'explosion, sous la forme d'une vapeur blanchâtre , d'une odeur forte et piquante, analogue à celle de l'acide azotique, et qui présente les mêmes propriétés chimiques que cet acide. En effet, elle rougit le papier de tour- nesol , brûle la peau , et y détermine des taches rouges , qui bientôt passent au bran et persistent pendant assez long- temps. INTRODUCTION. 15 Les Insectes ont-ils un cœur? La circulation du sang existe-t-ello €liez les animaux qui nous occupent? Vers le milieu du dix-septième siècle, le célèbre Malpighi à Bo- logne, et Swammerdam àUtrecht, découvraient l'un et l'autre chez divers Insectes un organe pulsatile, occupant la ligne mé- diane du dos, et qui leur sembla devoir être un cœur. Cuvier cepen- dant ayant déclaré plus tard qu'il n'y avait point chez les Insectes de circulation proprement dite, tous les naturalistes adoptèrent cette opinion. Cependant, en 1827, un zoologiste allemand, Carus, découvrit qu'il existe chez les Insectes de véritables courants sanguins, qui parcourent tout le corps, et reviennent sans cesse à leur point de Fig. 14. Appareil de sécrétion du Carabe doré, départ. Les observations de Carus furent répétées et confirmées par plusieurs autres naturalistes, et l'on put enfin arriver à se former une idée assez exacte du mode de circulation du sang chez les Insectes, Nous emprunterons l'aperçu sommaire qui va suivre, des phé- nomènes de la circulation du sang chez les Insectes, aux Leçons sur la physiologie et Vanatomie comparée de M. Milne Edwards, Le vaisseau tubulaire qui s'étend sous la peau du dos, de la tête à la partie postérieure du corps, immédiatement au-dessus du tube digestif, est connu, depuis longtemps, sous le nom de vaisseau dorsal. Il se compose de deux portions bien distinctes : l'une an- 16 LES INSECTES. térieiire, qui est simplement tubulaire, et qui ne se contracte pas; l'autre postérieure, qui est plus large, plus compliquée dans sa structure, et (j[ui est animée cVun mouvement intermittent ré- gulier. Cette dernière portion constitue donc plus particulièrement le cœur des Insectes. Le plus souvent elle occupe toute la longueur de l'abdomen, et se trouve fixée à la voûte du squelette tégumen- taire, par des expansions membraniformes, disposées de manière à constituer un espace libre, mais fermé en dessus comme en des- sous, sorte de vestibule dans lequel le sang se répand, avant de pénétrer dans le cœur. Ce réservoir vestibulaireaété désigné sou- vent sous le nom cVoreillelte, car il semble pouvoir agir comme un instrument d'impulsion, et pousser le sang dans le ventricule, ou cœur proprement dit. Le cœur rappelle un peu la forme d'un fuseau. Il présente une série d'étranglements, qui le divisent en un certain nombre de chambrettes. Celles-ci présentent des orifices afférents, disposés par paire, et des replis membraneux qui en divisent la cavité, ayant la forme de portes d'écluse. Les lèvres des orifices afférents, au lieu de se terminer par un bord libre, se replient en dedans et en avant, de manière à s'avancer comme un bec de flûte, dans l'in- térieur du cœur. Les doubles replis membraneux ainsi constitués, de chaque côté du vaisseau dorsal, ont une forme semi-lunaire et s'écartent l'un de l'autre quand cet organe se dilate ; mais lors du mouvement contraire, le passage se ferme. A l'aide de cet appareil valvulaire, le sang peut donc pénétrer du vestibule péricardique dans le cœur, mais ne peut pas refluer du cœur dans le réservoir. La portion antérieure, ou aortique, du vaisseau dorsal ne pré- sente ni expansions latérales en forme d'ailes, ni orifices, et con- stitue un simple tube membraneux. Arrivé dans l'intérieur de la tête, il débouche dans le système lacunaire inter-organique. La totalité du sang mise en mouvement par les contractions de la portion cardiaque du vaisseau dorsal se déverse donc dans la ca- vité de la tête, et circule ensuite dans les espèces de canaux irré- guliers, formés par les espaces vides que les divers organes cir- convoisins laissent entre eux. Ce sont les portions inoccupées de la grande cavité viscérale, qui servent de conduit pour le sang, et qui sont parcourues par les maîtres courants que l'on aperçoit sur les parties latérales et inférieures du corps, d'où ces courants vont gagner la partie supérieure de l'abdomen, et rentrer dans le cœur, INTRODUCTION. 17 après avoir baigné les divers organes placés sur leur route. Ces canaux principaux sont en continuité avec d'autres lacunes ména- gées entre les muscles, ou entre les faisceaux dont ces muscles se composent, ou bien encore au milieu de la masse viscérale. Les grands courants envoient dans le réseau ainsi constitué des bran- ches secondaires, qui, après s'être ramifiées à leur tour et avoir serpenté entre les diverses parties solides de l'organisme, ren- trent dans quelque courant principal, pour regagner le vaisseau dorsal. Dans les parties transparentes du corps, on voit le 'sang circuler ainsi, dans une multitude de canaux inter-organiques, plus ou moins bien endigués, pénétrer dans les pattes, parcourir les ailes, quand ces appendices membraneux ne sont pas desséchés, en un mot se répandre partout. Si à l'aide d'injections colorées, ajoute M. Milne Edwards, on étudie les connexions qui existent entre les cavités où la présence des courants sanguins a été constatée et le reste de l'économie, il est facile de voir que le système irrigatoire ainsi constitué pénètre dans la profondeur de tous les organes, et doit pouvoir permettre le renouvellement rapide du fluide nour- ricier, dans tous les points où le travail vital rend le passage de ce liquide nécessaire. Nous verrons tout à l'heure, en parlant de la respiration, que les relations entre le fluide nourricier et l'air atmosphérique sont plus directes et plus régulières encore qu'on ne l'avait longtemps soupçonné. E'ii résumé, il existe chez les Insectes une circulation active, bien qu'on ne puisse reconnaître chez ces animaux ni ramitl- cations artérielles, ni veines, et que le sang mis en mouvement par les contractions du cœur, et porté dans la tète par la portion aortique du vaisseau dorsal, ne trouve pour se distribuer dans les diverses parties de l'économie, et pour revenir ensuite au cœur, que les lacunes ménagées entre les divers organes, ou entre les membranes et les fibres dont ces organes se composent. La figure 15 (page 20), qui représente, en même temps, le sys- tème circulatoire et le système respiratoire d'un insecte, permet de re- connaître les divers organes que nous venons de décrire, comme concourant à la respiration et à la circulation. La connaissance de la respiration des Insectes est une acquisi- tion scientifique toute moderne. Malpighi prouva le premier, en 1669, que ces animaux sont pourvus d'organes respiratoires, et que l'air est aussi indispensable aux Insectes qu'au reste des êtres 18 LES INSECTES. vivants. Mais l'opinion de ce naturaliste célèbre trouva des contra- dicteurs, et la résistance à ses vues s'est continuée jusque dans notre siècle. Aujourd'hui pourtant, on connaît fort bien l'appareil à l'aide duquel s'effectue la respiration ^hez les Insectes. Chez tous ces animaux, l'appareil respiratoire est toujours essen- tiellement composé de conduits membraneux, d'une grande dé- licatesse, dont les ramifications, en nombre incalculable, se ré- pandent partout, et s'enfoncent dans la substance des organes, à peu près comme les racines chevelues d'une plante s'enfoncent dans le sol. Ces vaisseaux ont reçu le nom de trachées. Leurs com- munications avec l'air s'établissent ensuite de diverses façons, se- lon le milieu dans lequel vivent les Insectes. On sait que la plus grande partie des Insectes vit dans l'air. Cet air pénètre dans les trachées par un grand nombre d'orifices situés sur les côtés du corps, et qui ont été nommés stigmates. Ce sont ces points, ordinairement en forme de boutonnière, qu'on aperçoit, pour peu qu'on y regarde de près, chez un très -grand nombre d'espèces. Arrêtons-nous un moment sur le système fondamental de l'ap- pareil respiratoire chez les Insectes, c'est-à-dire sur les trachées. Cet appareil se compose tantôt de tubes élastiques seulement, tantôt d'un assemblage de tubes et de poches membraneuses. Parlons d'abord des premiers. Les parois de ces tubes respiratoires sont très-élastiques , et conservent toujours une forme presque cylindrique, lors même que rien ne les distend. Cette disposition est déterminée par lexis- tence, dans toute la longueur de la trachée, d'un fil, de consis- tance semi-cornée, enroulé en hélice, et revêtu extérieurement d'une gaîne membraneuse très-délicate. La membrane externe est mince, lisse, ordinairement incolore, ou d'un blanc nacré. L'hé- lice cartilagineuse est tantôt cylindrique, tantôt aplatie, et res- semble également à de la nacre. Elle n'adhère que faiblement à la membrane externe, mais elle est au contraire étroitement unie à l'interne. Ce filet spiral ne continue que dans un même tronc; il s'interrompt lorsque celui-ci se ramifie, et chaque branche a le sien propre, de telle sorte qu'elle n'est jointe que par continuité au tronc d'où elle sort, absolument comme une branche d'arbre est attachée à la tige qui la supporte. Ce filet se prolonge sans in- terruption jusqu'à l'extrémité des ramifications les plus fines. Le nombre des trachées dans le corps d'un Insecte^ est extrême- ment considérable. Lyonnet, cet anatomiste patient, consciencieux INTRODUCTION. 19 et sensible, comme on disait au dix-huitième siècle, a prouvé dans son immense travail sur la Chenille du saule que l'Insecte a de nombreux rapports, par ses muscles, avec les animaux supérieurs. Lyonnet, qui se félicitait d'avoir mis fin à son long travail sans avoir tué plus de huit ou neuf individus de l'espèce qu'il voulait décrire, Lyonnet eut la patience de compter leurs diverses bran- chies, dans la chenille du Cossus Ugniperda. Il trouva dans cette chenille 1236 branchies longitudinales et 1336 transversales. De sorte que le corps de cet animal est sillonné dans tous les sens par 1572 tubes aérifères, visibles à l'œil armé d'un verre gros- sissant, sans compter ceux qui ne peuvent être aperçus! Le vaste système de canaux aérifères que nous décrivons se compose quelquefois , non-seulement des tubes élastiques que nous venons de mentionner, mais d'un assemblage de tubes et de poches membraneuses. Celles-ci sont plus ou moins gran- des, très-extensibles, se gonflent quand l'air y entre et s'affais- sent quand il en sort. Elles manquent, en ellet, complètement de l'espèce de charpente formée par le fil spiral des trachées tu- buleuses, dont elles ne sont que de simples renflements. Ces tra- chées, qu'on appelle trachées vésiculaires, sont l'apanage plus spé- cial des espèces dont le vol est fréquent et soutenu, comme les sauterelles, les bourdons, les abeilles, etc., les mouches, le pa- pillon. Il faut se reporter à la figure 15 pour voir représentés les organes de la respiration aérienne dont il vient d'être ques- tion. Le mécanisme de la respiration chez les Insectes est facile à comprendre. La cavité abdominale, dit M.Milne Edw^ards, qui loge la plus grande partie de l'appareil trachéen, est susceptible de se contracter et de se dilater alternativement, par le jeu des divers anneaux dont son corps se compose, et dont la disposition est telle qu'ils peuvent rentrer plus ou moins profondément les uns dans les autres. Quand le corps de l'Insecte se resserre, les tra- chées sont comprimées et l'air en est chassé. Mais lorsque la ca- vité viscérale qui loge les trachées reprend sa capacité première, ou se dilate davantage, ces canaux s'agrandissent, et l'air dont ils sont remplis se raréfiant par suite de cet agrandissement, ne fait plus équilibre à l'air extérieur avec lequel il communique par l'intermédiaire des stigmates. Cet air extérieur se précipite donc alors dans l'intérieur des tubes respiratoires, et l'inspiration s'ef- fectue. 20 LES INSECTES. Les mouvements respiratoires peuvent, du reste, s'accélérer ou se ralentir, suivant les besoins de l'animal. En général, on en v- "à A ^m=- Fig. 15. Appareil de la circulation du sang et de la respiration chez les Insectes. {a, vaisseau dorsal occupant le milieu de l'abdomen; — b, l'aorte traversant le thorax au- dessus de l'estomac et de l'œsophage ; sur les côtés, les trachées tubuleuses et les muscles alaires; — c, trachées vésiculeuses de la tête — d trachées vésiculeuses de l'abdomen; — e, ovaires ) compte entre trente et cinquante par minute. Dans l'état de repos les stigmates sont béants, et l'air arrive librement dans toutes les trachées chaque fois que la cavité viscérale se dilate. Mais ces INTRODUCTION. 21 orifices peuvent se fermer, et les Insectes possèdent ainsi la fa- culté de suspendre cà volonté toute communication entre leur ap- pareil respiratoire et le milieu ambiant. Quelques Insectes vivent dans Teau. Ils sont dès lors obligés de venir prendre à la surface du liquide l'air dont ils ont besoin, ou de s'emparer du peu d'air que l'eau tient en dissolution Ces deux modes de respiration existent, sous des formes variées, chez les Insectes aquatiques. Pour aspirer, au-dessus de l'eau, l'air atmosphérique néces- saire à leur respiration , certains Insectes se servent de leurs élytres, comme d'une sorte de cloche; les autres de leurs an- tennes, dont les poils retiennent des globules d'air. Ils portent ce fluide sous le thorax, où une rainure le conduit jusqu'aux stig- mates. Quelquefois le même résultat s'obtient à l'aide d'instru- ments plus achevés. Ce sont des tubes respiratoires ou aspiratoi- res, qui sont susceptibles de se porter assez loin au-devant du fluide, dont ils sont chargés d'effectuer l'introduction dans l'or- ganisme. Les Insectes qui respirent dans l'eau sans remonter à la sur- face, sont munis de branchies, organes variables dans leur forme, mais qui consistent le plus ordinairement en expansions foliacées ou frangées, dans l'épaisseur desquelles ces trachées viennent se ramifier en grand nombre. Ces vaisseaux sont remplis d'air; mais les gaz ne peuvent s'y renouveler directement, et c'est seulement par liltration à travers leurs parois que l'échange peut s'effectuer entre le fluide ainsi emprisonné et le gaz du milieu ambiant. L'oxygène dissous dans l'eau passe au travers des membranes très-perméables de la branchie, et pénètre dans les trachées, pen- dant que celles-ci rejettent, en échange, l'acide carbonique, c'est- à-dire le résidu gazeux de la respiration. La figure 16 représente les branchies ou l'appareil respiratoire chez un Insecte aquatique que nous prenons pour exemple, Y Éphé- mère. On voit que les branchies, ou lames foliacées, sont placées à la périphérie du corps et à sa partie moyenne. Nous venons de voir que l'appareil de la respiration ac- quiert chez les Insectes un développement considérable. Il est dès lors facile de prévoir que cette fonction doit s'exercer avec beaucoup d'activité chez ces animaux. En effet, si on la compare à la quantité pondérale de matière organique dont leur corps se compose, les Insectes font une énorme consommation doxy- gène. 22 LES INSECTES. Pour ternil^ier ce rapide examen de l'intérieur du corps des Insectes, il ne nous reste qu'à dire quelques mots de leur sys- tème nerveux. Ce système se compose principalement d'une double série de ganglions, qui sont réunis entre eux par des cordons longitudi- naux. Le nombre de ces ganglions cor- respond à celui des anneaux. Quelquefois ils sont à peu près également espacés , et s'étendent d'un bout du corps à l'autre, tandis que d'autres fois plusieurs sont rapprochés, de manière à constituer une masse unique. Les ganglions céphaliques sont au nombre de deux. Ils ont été décrits par tous les anatomistes, sous le nom de cer- veau. « Cette expression, dit M. Lacor- daire. serait de nature à égarer le lec- teur, car elle suppose en ce point une concentration des facultés de percevoir les sensations et d'exciter les mouve- ments, qui n'y existent pas'. » Selon le même naturaliste, « tous les ganglion de la chaîne ventrale sont à peu près doués de propriétés semblables et se représentent uniformément les uns les autres. 55 Le ganglion situé au-dessus de l'œso- phage donne naissance aux nerfs opti- ques, qui sont les plus considérables de Branchies ou appareil respiratoire tOUS CeUX du COrpS, et aUX UCrfs dCS au- 'Tchrii'phïïeS"'' tennes. Le ganglion situé sous l'œso- a, lames foliacées ou branchies.) phage produit les nerfs dcs maudibules, des mâchoires et de la lèvre inférieure. Les trois paires de gan- glions qui suivent ceux qui sont immédiatement sous l'œsophage appartiennent aux trois anneaux du thorax, et donnent naissance aux nerfs des pattes et des ailes. Elles sont en général plus volu mineuses que les paires suivantes, qui occupent l'abdomen. La figure 17 représente le système nerveux du Carabe doré. A est 1. Introduction à V Entomologie , tome II, page 192, in-8°. Paris, 18'}8. INTRODUCTION. 23 le ganglion céphalique; B, le ganglion sous-œsophagien; C, le ganglion du prothorax; D, E sont les ganglions du mésothorax et du meta- thorax. Le reste (F F) constitue les ganglions abdominaux. Le système musculaire des Insectes est plus riche que celui des Fig. 17. Système nerveux du Carabe doré. animaux vertébrés. Lyonnet, naturaliste qui s'est immortalisé par ses recherches anatomiques sur la Chenille du saule, a compté plus de quatre mille muscles dans cet insecte. Nous dirons, pour faciliter la comparaison, que chez l'homme il n'existe pas plus de trois cent soixante-dix muscles. La figure 18 représente, d'après le mémoire de Lyonnet, le sys- tème musculaire de la Chenille du saule. 24 LES INSECTES. Avant de terminer ces considérations préliminaires, nous de- vons dire que les aperçus généraux qui précèdent ne s'appli- quent qu'aux insectes ayant at- teint la taille ultime que comporte leur espèce. Cette remarque est importante, car les Insectes, avant d'arriver à cette dernière période de leur développement, passent par divers états. Ces états sont souvent si différents les uns des autres, que l'on s'imaginerait difficilement qu'ils ne sont que des modifications d'un même ani- mal; on croirait qu'ils consti- tuent autant d'animaux diflérents, si l'observation journalière ne fournissait la preuve du contraire. Les états successifs par lesquels passent les Insectes sont au nom- bre de quatre : l'état d'œuf, celui de larve, celui de nymphe et celui d'insecte parfait. L'état d'cBM/", qui leur est com- mun avec tous les autres animaux articulés, n'a pas besoin d'expli- cation. Presque tous les Insectes pon- dent des œufs; quelques-uns ce- pendant sont vivipares. Il existe souvent à l'extrémité de l'abdomen de la femelle un organe particulier, destiné à pra- tiquer, dans les objets du dehors, des trous propres à recevoir les œufs. Par un admirable instinct, la mère dépose toujours ses œufs dans un lieu où les jeunes trouveront, lors de léclosion, un vérita])le magasin de substances nutritives. Il n'est pas inutile de faire remarquer que, dans la plupart des cas, ces aliments diffèrent totalement- de ceux que la mère recher- che pour elle-même. Dans le second état, c'est-à-dire à la sortie de l'œuf et dans la Fig. 18. Appareil musculaire de la Chenille du saule. D'après tyonnet. INTRODUCTION. 25 période de la larve, l'insecte se présente sous la forme d'un corps mou, sans ailes, et ressemblant à un ver. Dans le langage ordi- naire, il est même presque toujours désigné sous ce nom de ver, et dans certains cas seulement, sous le nom de chenille. C'est Linné qui créa le nom de larve. Considérant que, sous cette forme, l'insecte est pour ainsi dire masqué, il lui donna ce nom, tiré du mot latin larva (masque). Pendant cette période de sa vie, l'insecte mange avec vora- cité, et change plusieurs fois de peau. L'état de larve peut durer des jours, des semaines, des mois entiers, et même quelquefois des années. A un certain moment, la larve ne mange plus. Elle se retire en quelque endroit caché et sur; elle change une dernière fois de peau, et entre dans la troisième période de son existence : l'é- tat de nymphe. En cet état, l'insecte ressemble assez b'ien à une momie en- tourée de ses bandelettes, ou à un enfant emmaillotté dans ses langes. Le plus souvent il est incapable de se mouvoir et de se nourrir. Pendant que l'insecte est plongé dans cette mort apparente, un travail sourd, mais actif, se fait dans l'intérieur de son corps. Une œuvre merveilleuse, quoique inapprécia])le au dehors, s'o- père dans cette cavité ténébreuse. Les divers organes de l'insecte se développent peu à peu, sous les langes qui l'entourent. Quand leur évolution est achevée, l'insecte se dégage de l'étroite prison où il était renfermé. Il apparaît alors pourvu d'ailes, capable de propagation , et jouissant en un mot de toutes les facultés ac- cordées par la nature à son espèce. L'insecte a jeté le masque : la larve et la nymphe ont disparu , et ont fait place à l'insecte parfait. Pour mettre sous les yeux du lecteur les quatre états successifs par lesquels passe un insecte, nous représentons (fig. 19) l'insecte connu sous le nom de grand Capricorne ; 1° à l'état de larve fche- nille); 2° à l'état de nymphe (chrysalide); 3° enfin à l'état d'insecte parfait. Nous représentons également (fig. 20) un autre insecte, V Hydro- phile, sous ses trois états. Les divers degrés de transformation et d'évolution que nous ve- nons d'exposer sont ceux que présentent le plus grand nombre d'insectes. Leurs métamorphoses sont alors complètes. Mais il est des insectes chez lesquels la larve ne diffère guère de l'insecte 26 LES INSECTES. parfait que par l'absence d'ailes, et chez lesquels Tétat de nymphe n'est caractérisé que par la croissance des ailes, qui, dabord re- ployées et cachées sous la peau, sont alors libres, mais n'acquiè- rent tout leur développement qu'à l'époque de la première mue. Ce sont les insectes à demi-métamorphoses. Quelques-uns n'arrivent jamais à posséder des ailes. Enfin il en est qui ne subissent au- cune métamorphose, et qui naissent avec tous les organes dont ils doivent être pourvus. On a fait , dans ces derniers temps , de curieuses recherches Fig. 19. Les trois états de l'Insecte. sur la force des Insectes. M. Félix Plateau, de Bruxelles, a publié sur ce sujet des observations qu'il nous parait intéressant de rap- porter. Pour mesurer la force musculaire de l'homme, ou celle des animaux, comme le cheval, par exemple, on a imaginé divers ap- pareils dynamométriques, composés de ressorts ou de balances, à leviers inégaux. Les têles de Turc que l'on voit dans les foires, ou aux Champs-Elysées à Paris, et sur lesquelles la personne qui veut éprouver sa force doit assener un maître coup de poing, représentent un dynamomètre de ce genre. Celui que Buffon fit INTRODUCTION. 27 construire par le mécanicien Régnier, et qui est connu sous le nom de dynamomètre de Rèyniev, est d'une précision plus grande. Fig. 20 Hydrophile sous ses quatre états. ( /, œufs; 6, larve ; c. nymphe; d, insecte parfait.) Il consiste en un ressort ovale, dont les deux lames s€ rappro- chent lorsqu'on tire les deux extrémités en sens contraire. Une aiguille, qui parcourt un cadran divisé, indique la force de trac- tion exercée sur ce ressort. On a constaté, avec cet instrument, que l'effort musculaire d'un homme, tirant des deux mains, est d'environ 55 kilogrammes, et celui de la femriîe de 33 kilogrammes seulement. L'effort moyen dun homme, pour soulever un fardeau, est de 130 kilogrammes. Un cheval développe, en tirant avec son corps, une force de 300 ki- logrammes; un homme, dans les mêmes circonstances, une force La force musculaire des petits animaux , ou , pour parler plus exactement, des invertébrés, n'avait pas encore fixé l'attention des physiologistes. Cependant cette force est relativement énorme. Plus d'un observateur a signalé la disproportion qui existe entre le saut d'une Puce et la dimension de cet insecte. Une Puce n'a pas plus de 2 millimètres de longueur, et elle fait des sauts d'un 28 LES INSECTES. mètre. Un lion devrait, toute proportion gardée, faire des sauts d'un kilomètre ! Pline, dans son Hisloire naturelle, fait remarquer que la charge que les fourmis peuvent porter, paraît excessive, lorsqu'on la compare à la taille de ces infatigables travailleurs. La force de ces mêmes insectes est encore plus frappante, quand on considère les constructions qu'ils sont capables d'exécuter, ou les ravages qu'ils produisent. Les Termites, ou fourmis blanches, construisent dans les forêts des habitations qui atteignent une hauteur de plu- sieurs mètres, et qui offrent une résistance et une solidité telles, qu'un buffle peut monter sur ces terriers solides, et s'en servir comme d'un observatoire. Ces nids, formés de parcelles de bois liées ensemble par une matière gommeuse, résistent à la violence des ouragans. Autre circonstance bien digne d'être notée. L'homme est fier de ses ouvrages; que sont-ils pourtant à côté de ceux des Fourmis, pour la hauteur comparative ! La plus grande des pyramides d'E- gypte n'a que 146 mètres d'élévation, ce qui fait à peu près qua- tre-vingt-dix fois la hauteur moyenne de l'homme; tandis que les nids de Termittes ont mille fois la longueur des insectes qui les édifient. Leurs habitations sont douze fois plus élevées que le plus vaste monument de larchitecture humaine. Nous sommes donc bien au-dessous de ces petits animaux , pour la force et le courage au travail. La puissance destructive de ces êtres, infimes en apparence, est plus surprenante encore. Ils peuvent amener dans l'espace d'un seul printemps la ruine d'une maison, en détruisant les poutres et les planchers. La ville de la Rochelle, où les Termites furent importés par un navire américain, est menacée de se trouver un jour suspendue sur des catacombes, comme la ville de Valencia, dans la Nouvelle-Grenade. On connaît les dégâts 'que causent les nuées de Sauterelles lorsqu'elles s'abattent sur un champ cultivé ; et Ton sait que leurs larves mêmes produisent des ravages com- parables à ceux dont on accuse l'insecte parfait. Tout cela établit suffisamment les funestes capacités dont la na- ture a doué de petits animaux que nous avons le tort de mépriser. M. Plateau a étudié la force de traction de plusieurs insectes, la force de poussée chez les insectes fouisseurs, et la force d'élé- vation que d'autres développent pendant le vol. Il est arrivé ainsi à établir des comparaisons extrêmement intéressantes. Nous cite- rons quelques-uns de ces résultats. INTRODUCTION. 29 Le poids de l'homme étant de 63 kilogrammes en moyenne et sa force de traction, selon Régnier, de 55 kilogrammes, le rapport du poids qu'il peut tirer, au poids de son corps, est de 0,86 seu- lement. Dans le cheval, ce rapport n'est même que de 0,67; un cheval qui pèse 600 kilogrammes ne traîne que 400 kilogrammes environ. Ainsi le cheval ne peut pas traîner beaucoup plus que la moitié de son propre poids, et l'homme ne peut même parvenir à tirer l'équivalent du poids de son corps. C'est un bien faible résultat si on le compare à la force du Han- neton. Cet insecte exerce, en effet, un effort de traction égal à plus de quatorze fois son poids! Amusez-vous à ce jeu des enfants, qui consiste à faire tirer par un Hanneton de petites charges de pierre, au moyen d'un fil, et vous serez stupéfait de l'énormité du poids que peut remorquer ce chétif animal. Pour mesurer la force de traction des Insectes, M. Plateau les a attelés à un poids, au moyen d'un fil fixé à une de leurs pattes. Les Coléoptères se prêtent avec le plus de facilité à ces sortes d'expériences. A'oici quelques-uns des résultats obtenus par le physicien belge. Le Carabus auratus (émeraudine) tire dix-sept fois le poids de son corps; le Nebria brevicollis, vingt-cinq fois; le Necrophorus vespillo^ quinze fois; le Trichius fasciatus, quarante et une fois; VOryctes nasicornis, quatre fois seulement. U Abeille tire vingt fois le poids de son corps ; le Donacia nymphéa, quarante-deux fois. Il suit de là que, si le cheval avait la force de ce dernier insecte, ou si cet insecte avait la taille d'un cheval, ils devraient tirer l'un et l'autre vingt-cinq mille kilogrammes! M. Plateau a déterminé la force de poussée des Insectes, en les introduisant dans un tube de carton, dont la face intérieure avait été rendue rugueuse. Dans le tube était une plaque de verre, qui laissait pénétrer le jour dans la prison de l'insecte. L'animal, pourvu qu'on l'excitât un peu, luttait de toutes ses forces contre cette plaque transparente. Cette plaque, en avançant, faisait tour- ner un levier adapté à un dynamomètre en miniature, qui indi- quait l'effort développé. Les résultats obtenus par ce moyen prouvent que la force de poussée est, comme la force de traction, d'autant plus grande, relativement, que l'insecte est d'une taille et d'un poids plus faibles. Quelques nombres serviront à mieux faire ressortir cette eu- 30 LES INSECTES. rieuse loi. Gliez VOryctes nasicornis , le rapport de la poussée au poids du corps n'est que de 3,2; chez le Geotrupes stercora- rius, il est de 16,2; enfin, chez YOnlhophagus nuchicornis, il est de 79,6. Les expériences sur le vol des Insectes ont été exécutées en attachant une boulette de cire molle à un fil fixé aux pattes de derrière. Le rapport du poids enlevé au poids du corps a été trouvé égal à l'unité. Ce qui veut dire que l'insecte enlève, dans son vol, un poids égal à celui de son corps. Voici quelques nombres. Parmi les Névroptères, le rapport dont il s'agit est de 1 pour la Demoi- selle {Libellula vulgata) , de 0,7 pour la Lestes sponsa. Dans l'ordre des Hyménoptères, il est de 0,78 pour V Abeille, de 0,63 pour le Bombus terreslris. Dans celui des Diptères, de 0,9 pour le CaWphora vomitoria, de 1,84 pour le Syrphus corollse, de 1.77 pour la Mouche domestique. Ces résultats montrent que les Insectes n'ont qu'une puissance de vol suffisante pour soutenir leur propre poids, car les chift'res ci-dessus représentent le maximum d'effort dont ils sont capables ; et l'excès de cette force maximum sur celle qui est développée pendant le vol, doit servir simplement à compenser la fatigue. On voit en même temps que les Diptères, et entre autres la Mou- che, ont le vol plus soutenu que les Hyménoptères et les Névrop- tères, quoiqu'ils n'en aient pas l'apparence. En résumé, si la puissance du vol n'est pas considérable chez les Insectes, leur force pour la traction et la poussée est énorme, comparée à celle des Vertébrés , et, dans un même groupe d'In- sectes, les plus forts sont toujours ceux qui sont les plus légers et les plus petits. Le rapport entre la puissance musculaire des Insectes et les dimensions de leur corps paraît tenir , non à des muscles relati- vement plus volumineux que chez les Vertébrés, mais à une éner- gie intrinsèque, à une activité musculaire plus grande. Les mem- bres articulés des Insectes peuvent être considérés comme des étuis soUdes qui enveloppent les muscles ; et F épaisseur des pa- rois de ces étuis semble décroître d'une manière assez singulière avec la taille. Le volume relatif des muscles étant plus petit chez les petites espèces que chez les grandes , il faut nécessairement chercher l'explication de la supériorité des premières dans une plus grande part d'énergie vitale. Ces phénomènes qui nous étonnent se comprendront peut-être mieux si l'on songe aux résistances que les Insectes ont à vaincre INTRODUCTION. 31 pour satisfaire leurs besoins, pour chercher leur nourriture, pour se défendre contre leurs agresseurs, etc. Ainsi, ces petites machines vivantes sont merveilleusement con- struites pour le travail et pour la guerre. Leur rendement en force vive est infiniment supérieur à celui de tous les autres ani- maux. A plus forte raison l'emporte-t-il sur celui des machines que nous construisons pour remplacer les bras de l'ouvrier. Les Insectes représentent la force poriative par excellence. Ces ouvriers de Dieu sont infiniment plus puissants que ces ouvriers inanimés dus au génie de l'homme que nous appelons les machines. Nous croyons devoir, pour résumer ce chapitre, donner une sorte de caractéristique générale de la grande classe d'animaux que nous avons à étudier. Si l'on voulait caractériser les Insectes d'après leur aspect exté- rieur, on pourrait dire que ce sont des animaux articulés dont le corps , recouvert de téguments coriaces et membraneux , est di- visé en trois parties distinctes; qu'ils ont une tète, pourvue de deux antennes, des yeux et une bouche, de forme très-variable; un tronc ou thorax, portant toujours en dessous six pattes articu- lées, et souvent en dessus deux ou quatre ailes; un abdomen, composé d'un nombre variable de segments, mais ne dépassant jamais dix. Si l'on ajoute à ces caractères, que les animaux qui composent cette classe sont dépourvus de squelette intérieur, — que leur système nerveux est formé d'un double cordon renflé de distance en distance et situé sous le ventre, à l'exception des premiers renflements ou ganglions , qui sont placés dans la tète , — qu'ils sont dépourvus d'un système circulatoire complet, — qu'ils res- pirent par des organes particuliers nommés trachées, étendus pa- rallèlement de chaque côté du corps, et communiquant avec l'air extérieur par des ouvertures latérales nommées stigmates, — que leurs sexes sont séparés et qu'ils pondent des œufs, — enfin qu'on ne trouve complètement les diverses parties que nous venons de signaler qu'après que ces êtres ont passé par plusieurs change- ments successifs, appelés mèiamorphoses , on se fera une idée géné- rale assez exacte de ce qu' il faut entendre , en zoologie , par le mot Insecte. Les Insectes dont nous venons de tracer succinctement l'orga- 32 LES INSECTES. nisation générale, ont été répartis par les naturalistes en plu- sieurs ordres, qui sont : 1" Les Aptères (Puces, Poux) ; 2" Les Diptères (Cousins, Mouches, etc.); 3° Les Hémiptères (Punaises, etc.) ; 4° Les Lépidoptères ou Papillons ; 5° Les Orthoptères (Sauterelles, Grillons, etc.) ; 6° Les Hyménoptères (Abeilles, Guêpes, etc.) ; 7° Les Névroptères (Libellules, Éphémères, Friganes, etc.) ; 8° Les Coléoptères (Hannetons, Scarabées, etc.). Nous commencerons l'histoire de ces divers ordres par l'exa- men des Aptères. ^ZJ^^^^ ORDRE DES APTERES. La Puce. — Les Puces savantes. — La Chique du BrésU. — Les Nègres di Brésil et leurs petits pédicures. — Le Pou. — Les victimes du phthy- Les insectes aptères sont ainsi nommés de deux mots grecs (a privatif, TTTepov, aile) qui indiquent le caractère négatif qui a servi à former cet ordre'. Ils comprennent les puces et les ■poux. Le genre Puce {Pulex), dont de Geer faisait un groupe à part, sous le nom de Suceurs, comprend plusieurs espèces : La Puce ordinaire (fîg. 21) présente un corps ovale, comprimé, revêtu d'une peau cornée, assez ferme, d'un brun marron brillant. C'est la rupture de cette peau résistante qui produit le petit bruit sec qu'on entend lorsque, après une heureuse chasse, on écrase, avec bonheur, un de ces parasites sur l'ongle du pouce. Sa tête, minime par rapport à son corps, est comprimée. Elle porte deux petites antennes cylindriques, composées de quatre articles, que l'animal agite continuellement lorsqu'il est en mou- vement, mais qu'il baisse et applique sur le devant de sa tête lorsqu'il est en repos. Les yeux sont simples, grands et arrondis. Le bec se compose d'une gaîne extérieure articulée, recevant dans 1. Il est probable qu'un jour l'ordre des Aptères sera supprimé. Le manque d'ailes n'est pas, en effet, un caractère d'une grande valeur. De Blainville, Mollard, Pou- chet, Van Beneden et Gervais ont fait quelques tentatives dans cette direction. Les puces ont été placées parmi les Diptères, et les poux parmi les Hémiptères, dans le Traité de zoologie médicale de ces deux derniers naturalistes. 3 34 LES INSECTES. une gouttière et soutenant par dessous, dans leur action, deux lancettes allongées, aiguës, à bord tranchants et denticulés. Ces lancettes sont les agents de la piqûre. C'est avec cet instrument que la puce perce la peau, l'irrite, et y fait affluer le sang qu'elle hume ensuite pour s'en nourrir. Cette piqûre, comme chacun le sait, se reconnaît à la présence de petits points d'un rouge foncé, entourés d'une auréole plus pâle. La quantité de sang absorbée par cette bestiole est énorme par rapport à son volume. Le corps de la puce est divisé en douze segments, dont trois composent le corselet qui est court, et sept forment l'abdomen. Les derniers sont partagés des deux côtés et comme imbriqués. Les pattes sont longues et fortes, épineuses, avec des tarses de cinq articles, terminés par des crochets contournés. Les deux an- térieures sont écartées des autres et insérées presque sous la tète; les postérieures sont particulièrement grandes et robustes. Les sauts que font les puces sont vrai- ment gigantesques relativement à leur taille. et la force de ces petits animaux, si on la compare à leur volume , est véritablement herculéenne. ^ Le lecteur va peut-être sourire à cette Fig. 21. Puce (grossie). • -, r assertion, que la puce possède une force herculéenne. Que k lecteur attende, et il reconnaîtra que cette assertion n'a rien de hasardé. Pour mettre en lumière la force, la docilité, la ])onne volonté de la puce, on a créé de petites merveilles, qui ont servi, en même temps, à mettre en relief la surprenante adresse de cer- tains de nos ouvriers. Dans son Histoire abrégée des Insecles pal)liée en l'an VII de la République, Geffroy raconte qu'un certain Marc, Anglais de nation, avait réussi à fabriquer, à force de patience et d'art, une chaîne d'or de la longueur du doigt, avec un cadenas fermant à clef et qui ne pesait pas plus d'un grain. Une puce, attachée à cette chaîne, la tirait avec facilité. Le même savant rapporte un fait plus surprenant. Un ouvrier anglais avait construit un carrosse à six chevaux en ivoire. Sur le siège de ce carrosse était un cocher, avec un chien entre ses jamlies, un postillon, quatre personnes dans la voiture et deux laquais derrière. Tout cet équipage était traîné par une puce. APTÈRES. Qui n'a entendu parler de puces savantes, de ce miracle vivant que l'on montrait au public en 1825? Dans son Histoire naturelle des Insectes aptères, le baron Walcke- naer raconte comme il suit cette merveille d'industrie, de patience et d'adresse : « Il y a, je crois, une quinzaine d'années, que tout Paris a pu voir les merveilles suivantes que Ton montrait sur la place de la Bourse, pour la somme de soixante centimes. C'étaient des puces savantes. Je les ai vues et examinées avec mes yeux d'entomologiste , armés de plusieurs loupes. « Trente puces faisaient l'exercice et se tenaient debout sur leurs pattes de derrière armées d'une pique qui était un petit éclat de bois très- mince. « Deux puces étaient attelées à une berline d'or à quatre roues, avec un postillon, et elles traînaient cette berline. Une troisième puce était assise sur le siège du cocher avec un petit éclat de bois qui figurait le fouet. Deux autres puces traînaient un canon sur son affût. Ce petit bijou était admirable, il n'y manquait pas une vis, un écrou. Toutes ces mer- veilles et quelques autres encoi'e s'exécutaient sur une glace polie. Les puces-chevaux étaient attachées avec une chaîne d'or par leurs cuisses de derrière ; on m'a dit que jamais on ne leur ôtait cette chaîne. Elles vi- vaient ainsi depuis deux ans et demi. Pas une n'était morte dans cet inter- valle. On les nourrissait en les posant sur un bras d'homme qu'elles suçaient. Quand elles ne voulaient pas traîner le canon ou la berline, l'homme prenait un charbon allumé qu'il promenait au-dessus d'elles, et aussitôt elles se remuaient et recommençaient leurs exercices. « Les puces savantes ont fait l'admiration, et l'on peut dire la stu- peur, de Paris, de Lyon et des principales villes de province, en 1825. Mais, dira-t-on, comment pouvait-on, dans une salle où le pu- blic était appelé, voir ce merveilleux spectacle? Il faut, en effet, ici une explication. Les spectateurs étaient assis en face d'une toile pourvue de verres grossissants, devant lesquels ils plaçaient l'œil, comme on le fait au Diorama, pour voir les paysages ou les monuments. Grâce au grossissement donné par la lentille, on pouvait admirer dans tous ses détails ce prodige de l'art. Mais revenons à l'histoire naturelle de notre insecte. La femelle de la puce pond de huit à douze œufs, qui sont ovoïdes, lisses, visqueux et blancs. Contrairement à ce qu'on aurait pu croire a priori^ la puce ne fixe pas ses œufs à la peau de ses victimes. Elle les laisse tomber à terre, dans les fentes des parquets, sur les vieux meubles, dans le linge sale et parmi les ordures. 3t) LES INSECTES. M. Defrance a remarqué qu'avec les œufs se trouvent presque toujours mêlés des granules noirâtres et brillants, qui ne sont autre chose que du sang desséché. C'est une provision que la pré- voyante mère-puce a préparée à nos dépens, pour nourrir sa jeune postérité. Au bout de quatre ou cinq jours en été, et de onze jours en hiver, on voit sortir de ces œufs de petites larves allongées, cy- lindriques , divisées en treize anneaux garnis de poils , dont le dernier porte, en arrière, deux petits crochets. Leur tête est écailleuse en dessus, munie de deux antennes courtes et sans yeux. Ces larves sont dépourvues de pattes, mais elles se tordent, roulent sur elles-mêmes et avancent même assez rapidement, en élevant la tête. D'abord blanches, elles deviennent ensuite rou- geâtres. Quinze jours environ après leur éclosion, elles cessent de man- ger et demeurent immobiles, comme si elles allaient mourir. C'est qu'alors elles se disposent à se filer une petite coque, soyeuse, mince et blanchâtre, dans laquelle elles se transforment en nymphes. Au bout d'une quinzaine de jours, ces nymphes sont devenues insectes parfaits. On a constaté sur les larves de la puce un trait de mœurs bien remarquable et unique chez les Insectes. La mère-puce va dégor- ger dans la bouche des larves le sang dont elle s'est remplie. Nous avons tous vu des oiseaux donner ainsi la becquée â leurs petits. Mais des puces ! La puce attaque plus particulièrement l'espèce humaine. Elle est surtout répandue en Europe et dans le nord de l'Afrique. Certaines conditions favorisent particulièrement sa multiplication. On trouve beaucoup de ces insectes dans les habitations mal tenues, dans les casernes et dans les camps. Ils pullulent dans les lieux al^an- donnés, les masures, les endroits où se pressent des hommes peu soigneux de leur personne. D'autres espèces de puces vivent sur les animaux. Citons, par exemple, \hpuce du chat, la puce du chien, celle du pigeon et cc'le de la poule. Nous nous arrêterons un moment sur une espèce particulière qui abonde dans toutes les parties chaudes de l'Amérique, princi- aleme nt au Brésil et dans les contrées voisines. Cette espèce re- doutable est la Puce chique {Pulex penetrans, L,), La Chique, nommée aussi Tique, est plus petite que la puce or- APTÈRES. 37 dinaire. Aplatie, brune, avec une tache blanche sur le dos, elle est armée d'un bec pointu, très-fort, raide, pourvu de trois lan- cettes. C'est à l'aide de cet instrument que la femelle attaque l'homme, dans le but de se loger dans sa peau et d'y nourrir ses petits. La chique attaque principalement les pieds. Elle se glisse entre la chair et les ongles, ou s'introduit sous la peau des talons. Mal- gré la longueur du bec de l'animal, son introduction sous la peau ne détermine pas d'abord de sensation douloureuse. Mais, au bout de quelques jours, on s'aperçoit de sa présence à une démangeai- son, qui, d'abord légère, va toujours en augmentant, et finit par devenir insupportable. La chique emprisonnée sous la peau se révèle au dehors par une tumeur. Son corps est devenu aussi gros qu'un pois. Dans la peau envahie, il s'est formé un énorme sac brunâtre, qui renferme du pus. Dans ce sac abdominal sont agglomérés les œufs de la chique. qui sortent par un orifice de l'extrémité postérieure, et ne sont pas pondus dans la plaie, comme on l'avait cru longtemps. Les chiques sont pour les nègres du Brésil un objet de terreur, d'ailleurs bien légitime. Ces redoutables parasites envahissent quelquefois toute la masse du pied, qu'ils rongent et font tomber en gangrène. Beaucoup de nègres perdent les phalanges de quelques doigts par suite des ravages de ces êtres dangereux. Pour se préserver de leurs atteintes, ils portent des chaussures solides, et visitent leurs pieds chaque jour avec beaucoup d'attention. Le moyen le plus usité au Brésil pour prévenir l'invasion des pieds par les chiques, c'est davoir recours à des enfants, dont les excellents yeux aperçoivent facilement le point rouge de la peau par lequel la chique s'est introduite. Ces enfants ont l'habitude d'extraire l'insecte de la plaie, au moyen d'une aiguille (fig. 22). Mais cette extraction n'est pas sans inconvénient, car si quelque partie du corps de l'insecte est restée dans la plaie, elle peut y déterminer une inflammation dangereuse. Aussi les petits opérateurs renommés pour leur adresse en ce genre sont-ils sin- gulièrement recherchés, cajolés et récompensés par les pauvres nègres des plantations. Le Pou de la tête {Pediculus capitis) (fig. 23) est un insecte au corps aplati, légèrement transparent, grisâtre, ponctué de noir sur les stigmates, mou vers le milieu, un peu coriace sur les 38 LES INSECTES. bords. Sa tête, ovale, est munie de deux antennes filiformes, composées de cinq articles, que l'animal agite corîtinuellement quand il marche ; de deux yeux simples arrondis et noirs ; enfin d'une bouche. En avant de cette tête se trouve un mamelon court, conique et charnu. Ce mamelon renferme un suçoir, ou rostre, que l'animal peut faire sortir à son gré. Lorsqu'il est déployé, il offre un corps tubuleux, terminé par six petits crochets pointus, recourbés d'avant en arrière et destinés à retenir l'appareil dans la peau. Ce corps est surmonté de quatre soies capillaires appli- quées les unes contre les autres et contenues dans son intérieur. C'est à r aide de cet appareil compliqué que les poux piquent et sucent le cuir chevelu. Leur corselet est presque carré et divisé en trois parties, par des incisions profondes. Leur abdomen, fortement lobé sur les bords, se compose de huit anneaux, et offre seize stigmates. Leurs pattes composées d'une hanche sont en deux pièces, d'une cuisse, d'une jambe et d'un tarse d'un seul article et très gros. Un onglet robuste qui se replie sur une saillie dentiforme et fait, avec cette dernière, l'office d'une pince, termine le tarse. C'est à l'aide de cette pince que les poux s'attachent aux cheveux. Les poux sont ovipares. Leurs œufs, qui de- po/'lé lïtête meurent agglutinés aux cheveux, sont allongés et (grossi). blancs. On les désigne vulgairement sous le nom de lentes. Les petits éclosent au bout de cinq à six jours, et sont en état de se reproduire au bout de dix-huit jours. Leuwenhoeck a calculé qu'en deux mois deux poux femelles peuvent produire dix mille poux ! D'autres naturalistes ont avancé que la seconde génération d'un seul individu peut fournir deux mille cinq cents poux, et la troisième cent vingt-cinq mille ! Heu- reusement pour les victimes de ces dégoûtants parasites, leur reproduction ne procède pas ordinairement suivant cette prodi- gieuse marche ascensionnelle. Plusieurs moyens sont en usage pour tuer les poux de la tète. Des lotions de petite Centaurée ou de Staphisaigre, de la pommade additionnée d'onguent mercuriel, sont des moyens très-efficaces. Mais le procédé le plus sûr, le plus commode, consiste à huiler laigement les cheveux. L'huile tue les poux en obstruant leurs trachées, et mettant ainsi obstacle à leur res- piration. Il est d'autres espèces de poux. Nous signalerons seulement le APTERES. U pou des malades, qui produit la maladie qu'on appelle phthyriasis du cuir chevelu. Chez le malade qui en est affecté, on voit appa- raître, avec une prodigieuse rapidité, un nombre immense de ces parasites. Cette triste maladie a été souvent signalée par les anciens. Le roi Antioclms, le philosophe Phérécyde de Syros, contemporain et ami de Thaïes, le dictateur Sylla, Agrippa, Valère-Maxime, furent, dit-on, atteints de phthyriasis, et même succombèrent à cette maladie. Amatus Lusitanus, médecin portugais du seizième siècle, ra- conte que les poux se produisaient si vite et avec une telle abon- dance sur un riche seigneur en proie au phthyriasis, que deux domestiques attachés à sa personne n'avaient d'autre fonction que de porter à la mer des corbeilles remplies de la vermine qui s'échappait incessamment du corps de leur noble maître. Cette maladie est loin aujourd'hui d'être connue dans tous ses détails. Elle est assez fréquente dans les parties du midi de l'Eu- rope où les habitants, sales et malheureux, sont en proie à la mi- sère et à la malpropreté, deux maux qui vont très-souvent de compagnie. Dans la Galicie, en Pologne, les Asturies, en Espagne, le phthyriasis fait beaucoup de victimes. Les poux se développent avec une rapidité telle chez les malades atteints de cette maladie, que le vulgaire ne peut expliquer leur apparition que par la génération spontanée. La prodigieuse promp- titude de la reproduction de ces insectes rend suffisamment compte de ces surabondantes générations. ^e9^ II ORDRE DES DIPTERES. Rôle des Diptères clans l'économie de la nature. — Leur organisation. — Le Cousin.— La Tipule. —Les Larves de Sciarra. — Le Taon.— Le Chrysops. — L'Asilique. — L'Anthrax. — Le Vermillon. — L'Hélophile. — L'OEstre. — Impression des chevaux piqués par un OEstre. — L'OEstre et les trou- peaux de Bœufs. — Les Moutons et la céphalémie. — La Lucilie homini- vore. — La Lucilie et les déportés de Cayenne. — Un mendiant mangé par les mouches. — La mouche Tsetsé de l'Afrique centrale. — Observa- tions du docteur Livingstone. — La Mouche de la viande ; merveilles de sa trompe. — La Mouche domestique. — L'Anthomye. — L'Hélomyze. — Le Dacus des Olives. — Observations de M. Guérin-Méneville sur le Dacus des Olives. Tous les insectes qui, sous leur dernier état, n'ont que deux ailes membraneuses, et qui sont privés de mâclioires, portent le nom de diptères. Ce nom est formé de deux mots grecs, Stç, deux, et TTTspov, aile. Les Diptères ont été fort anciennement connus et décrits dans la science. On les trouve souvent signalés dans l'Histoire des ani- maux d'Aristote, qui emploie toujours le même terme général pour désigner les mouches, les cousins, les œstres, etc. L'absence des secondes ailes propres aux autres insectes, et qui sont ici remplacées par deux appendices auxquels on a donné le nom de balanciers^ parce qu'ils servent à régulariser l'action ■du vol, constitue le principal caractère des Diptères. Jetons ce- pendant un coup d'œil général sur les autres organes, qui ont plus ou moins d'affinité avec ceux qui existent dans les autres ordres d'insectes, tout en ayant cependant des caractères qui leur sont propres. DIPTERES. 43 Ainsi la bouche, organisée par la succion seulement, a la forme d'une trompe. Elle est composée d'une gaîne, d'un suçoir et de deux palpes. Les antennes n'offrent le plus souvent que trois articles. Les yeux, ordinairement au nombre de deux, sont très- grands, et envahissent quelquefois la presque totalité de la tête. Ils sont simples et taillés à facettes. Les ailes sont membraneuses, délicates et veinées ; les pattes sont allongées, grêles. Lorsque nous ferons tout à l'heure l'histoire des principaux types de l'ordre des Diptères, nous nous étendrons sur les particularités de structure de chacun de ces organes. Les Diptères animent par leurs évolutions rapides la terre et les airs. Leurs diverses races se trouvent dans tous les sites, dans tous les climats. Ceux-ci habitent les bois, les prairies, les champs, les rivages ; ceux-là se plaisent dans nos maisons. Ils se partagent les végétaux, adoptant soit les fleurs, soit les feuilles, soit le tronc des arbres de nos bois, de nos jardins ou de nos vergers. Leurs aliments sont très-variés, et en rapport avec la conforma- tion de leur trompe. Les uns sabreuvent de sang, les autres hument la sueur et les différentes sécrétions animales. Mais le fond de leur nourriture, c'est le suc des fleurs. C'est sur leurs brillantes corolles que les Diptères abondent, soit qu'ils butinent, indifféremment sur diverses plantes, soit qu'ils s'attachent parti- culièrement à quelques-unes. Leurs mystérieuses amours s'ac- complissent au sein des airs. Ils déploient, quant aux soins de la maternité, un admirable instinct, et pour conserver leur progé- niture, ils s'entourent des précautions les plus ingénieuses et les plus variées. Les Diptères, outre la diversité et le nom des espèces, se font remarquer par le grand nombre des individus. C'est par myriades que s'élèvent du sein de nos prairies ces essaims de mouches qui tourbillonnent autour de tous les végétaux, et de toute substance organisée d'où s'est retirée la vie. La profusion avec laquelle les Diptères sont répandus sur la surface du globe, leur fait remplir deux destinations impor- tantes dans l'économie de la nature. D'une part, ils fournissent aux oiseaux insectivores un aliment intarissable. D'autre part, ils contribuent à faire disparaître toutes les substances animales en putréfaction, et servent ainsi à purifier l'air que nous res- pirons. Leur fécondité, la rapidité avec laquelle une généra- tion succède à une autre, leur activité dévorante, grâce à la promptitude extraordinaire de leur reproduction, sont telles, kk LES INSECTES. que Linné a dit que trois mouches, avec les générations qui en résultent, dévorent le cadavre d'un cheval aussi vite que le ferait un lion. Ces Diptères, qui méritent tant d'intérêt philosophique quand on les étudie dans leurs rapports avec l'économie générale de la nature, sont un objet de crainte ou de répulsion quand on les considère dans leurs rapports avec nous et les autres ani- maux. Les cousins, les moustiques^ les maringouins sucent notre sang ; les taons, les asiles^ les œstres^ s'attaquent avec fureur à nos bestiaux. On partage les Diptères en un grand nombre de familles, et ces familles se décomposent en trilms, qui elles-mêmes comprennent divers genres. Nous ne citerons que les divisions des Diptères dans lesquelles entrent quelques insectes remarquables à certains titres. M. Macquart, le savant auteur de VHistoire naturelle des Dip- tères*, divise cette grande classe en deux groupes principaux. Dans l'un de ces groupes, les antennes sont de six articles au moins et les palpes de quatre à cinq articles : ce sont les Némo- cères. Dans l'autre, les antennes n'offrent que trois articles et les palpes un ou ou deux articles : ce sont les Brachocères. On distingue généralement les Nèmocères des autres Diptères indépendamment des différences caractéristiques des antennes et des palpes, par la forme plus étroite du corps, la petitesse de la tête, l'élévation du thorax, la longueur des pieds. 11 résulte de cette organisation une forme svelte, légère, et pour ainsi dire aérienne. NÈMOCÈRES. Répandus partout, les Nèmocères vivent, les uns du sang des hommes et des animaux, les autres de petits insectes dont ils font leur proie, les autres enfin du suc des fleurs odorantes. Dans tous les climats, sous toutes les latitudes, dans les champs, les prés, les bois, et jusque dans nos demeures, on voit voltiger et butiner ces sylphes aériens. On divise les Nèmocères en deux familles : celle des Culicides, qui comprend le genre Cousin (Culex), à trompe longue et menue, à 1. Suites à Buffon, 2 vol. in-8°. DIPTÈRES. 45 suçoir de six soies, et celle des Tipulaires, à trompe courte et épaisse, à suçoir de deux soies. Étudions le genre Cousin, le Cousin piqvant {Culex pipiens), dont Réaumur a fait, dans ses admirables Mémoires pour servir à l'his- toire des Insectes, une histoire si curieuse et si complète. « Les Cousins sont nos ennemis déclarés, dit Réaumur dans V Introduction de son mémoire, et des ennemis très-fàcheux. Mais ce sont des ennemis bons à connaître. Pour peu que nous leur donnions l'attention, nous nous trouverons forcés de les admirer et d'admirer même l'instrument avec lequel ils nous blessent. D'ailleurs, dans tout le cours de leur vie, ils ont à offrir des faits propres à contenter les esprits curieux des merveilles de la nature : il y a même tel moment de leur vie oi!i, après avoir fait oublier à l'obser- vateur qu'ils le persécuteront un jour, ils lui font ressentir des inquiétudes pour leur sort. » Exposons donc, puisqu'il en est ainsi, l'histoire de ces insectes, qui peuvent provoquer à la fois nos craintes et notre pitié. L'il- lustre naturaliste que nous venons de citer nous servira de guide. Le corps du Cousin piquant est long et cylindrique. Au repos, l'une de ses ailes est croisée sur l'autre. Ces ailes offrent, vues au Fig. 24. Cousin piquant. Fig. 25. Cousin piquant vu de profi', microscope, un spectacle charmant. Leurs nervures sont, comme leurs bords, particulièrement couvertes d'écaillés en forme de pa- lettes oblongues, striées très-finement, suivant leur longueur. Ces écailles se retrouvent sur tous les anneaux du corps, où elles se touchent les unes les autres. Les antennes du Cousin piquant, surtout celles des màles, for- ment de beaux panaches (fig. 26). 46 LES INSECTES. Leurs yeux, à réseau, sont si gros, qu'ils entourent et couvrent presque toute la tête. Ceux de quelques-uns sont d'un vert admi- rable ; mais vus en certains sens, ils }3araissent rouges. La figure 27 montré la tète du Cousin piquant avec ses deux yeux, ses antennes et sa trompe. Une machine bien digne de notre attention est celle dont le Cou- sin se sert pour nous piquer, cet organe que l'on nomme sa trompe (lig. 28j. Ce qu'on en voit ordi- nairement n'est que l'étui des pièces destinées à percer notre peau et à sucer notre sang, et dans lequel ces pièces sont contenues, comme les lan- cettes et d'autres instruments sont renfermés dans l'étui d'un chirurgien. L'étui (iig. 29) est cylin- drique, couvert d'écaillés, et terminé par un petit bouton. Fendu dans toute sa longueur, de ma- nière à pouvoir s'entr'ouvrir, il renferme un faisceau d'aiguil- lons. Réaumur a cherché à observer, en se faisant piquer par des Fig. 26. Antenne du Cousin piquant. Fig. 27. Tête du Cousin piquant (très-grossie). Fig. 28. Trompe du Cousin piquant (grossie). Fig. 29. Trompe du Cousin piquant (grossie). Cousins, ce qui se passe pendant l'attaque. Il oubliait, en voyant opérer l'insecte, le petit mal que lui causait sa blessure. Cette blessure, il la sollicitait comme une grâce, et craignait de ne pas l'obtenir quand il le voulait. Réaumur a remarqué que l'aiguillon composé, qui a environ une ligne de longueur, s'enfonce dans la chair de plus de trois quarts de ligne, et que pendant ce temps l'étui se courbe, d'abord DIPTÈRES. 47 en arc, puis se plie en deux, la moitié inférieure étant alors appli- quée contre sa moitié supérieure. Il a vu, en outre, que l'étui de certains Cousins était plus com- po.sé encore que celui que nous venons de décrire. Mais nous ne nous arrêterons pas davantage sur ce point. Essayons maintenant de donner une idée de la structure et de la composition de cet aiguillon, qui, après avoir percé notre peau, va pomper notre sang. Réaumur dit que l'aiguillon du Cousin est formé de cinq pièces. Il avoue pourtant qu'il est très-difficile de s'assurer du nombre exact de ces pièces, de la manière dont elles sont réunies, et de leur figure. Nous savons aujourd'hui qu'il y en a six. Réaumur a cru voir, comme Leuwenhoeck, qu'il y en a deux qui sont faites H 30, 31, 32. Aiguillons du Cousin piquant. comme des lames d'épée à trois quarts. Ce sont celles dont les pointes sont recourbées, et qui ont des dentelures sur la convexité de leur courbure (fig. 30). Pour prendre une idée de la forme des autres pointes, le lec- teur jettera les yeux sur les figures 31 et 32. Il verra ainsi que l'aiguillon du Cousin piquant est une épée en miniature. La piqûre faite par une pointe aussi fine que lest celle de l'ai- guillon d'un Cousin, devrait ne nous faire aucun mal. «La pointe de la plus fine aiguille, comparée à celle de l'aiguillon du Cousin, dit Réaumur, est à peu près comme la pointe d'une épée compa- rée à celle d'une aiguille. « Comment donc une si légère blessure n'est-elle pas fermée sur-le-champ? Comment de petites tumeurs s'élèvent-elles dans l'endroit qui a été piqué? C'est que la plaie n'est pas simple; mais qu'elle a été arrosée par une liqueur ca- pable de l'irriter. On voit sortir cette liqueur, en diverses circonstances, du bout de la trompe du Cousin, sous la forme d'une goutte d'eau très- limpide. 48 LES INSECTES. Réaumur a quelquefois aperçu cette liqueur dans la trompe même. « Il n'y a rien de mieux, dit-il, pour empêcher le mauvais effet des piqûres des Cousins, que de délayer sur-le-champ avec de Teau la liqueur qu'ils ont laissée dans la plaie. Quelque petite que soit cette plaie, il ne serait pas difficile d'y introduire de Feau. En la jrratlant sur-le- champ on Tag-randirait, et il n'y aurait qu'cà laver après l'avoir agrandie : quelquefois je me suis bien trouvé d'avoir eu recours à ce remède. » Fig. 33. Portrait de Réaumur. Les Cousins ne se présentent pas toujours à nous sous la forme de ces cruels insectes ailés, avides de notre sang. Il est un état sous lequel ils nous laissent en repos : c'est l'état de larve. DIPTERES. 49 C'est dans les eaux et dans les eaux croupissantes qu'il faut chercher la larve de l'insecte qui nous occupe. Elle se présente comme un ver aquatique, qui fourmille dans les mares, depuis le mois de mai jusque vers le commencement de l'hiver. Si l'on veut suivre dès leur première origine les larves du Cou- sin piquant, on n'a qu'à conserver dans un jardin, ou dans une cour, un baquet rempli d'eau. On verra, au bout de quelques semaines, cette eau se remplir de larves de Cousins (lig. 34i. Ces vers, qui sont très-petits, viennent à la surface de l'eau où les appelle le besoin de respirer. Pour respirer, ils dirigent un peu au-dessus du niveau de l'eau l'ouverture d'un tuyau a, qui part du dernier anneau. Ils sont obligés, par conséquent, de se tenir la tête en bas. A côté du tuyau respiratoire, est un autre tuyau b plus court, mais plus gros, presque perpendiculaire à la longueur du corps, et dont l'ouverture est la termi- naison extérieure du tube digestif. Tout son contour est bordé de longs poils qui se dis- posent en entonnoir, quand ils flottent dans l'eau. Du bout du même tuyau, et du dedans de l'entonnoir de poils, partent quatre lames ovales, minces, transparentes, et comme écailleuses, qui semblent quatre nageoires. Elles sont posées par paire, dont l'une part du côté droit, et l'autre du côté gauche. Ces quatre lames peuvent s'écarter les unes des autres. Chaque anneau a de chaque côté une houppe de poils, et le corselet en a trois. La tète c est arrondie et aplatie. Elle offre deux yeux bruns, sans réseau. Autour de la bouche sont plusieurs espèces de bar- billons garnis de poils, dont deux en forme de croissant sont plus considérables que les autres. Le Cousin fait jouer avec vitesse ces deux espèces de houppes, qui déterminent de petits courants de liquide à se diriger vers la bouche. Ces courants portent à la larve l'aliment qui lui est né- cessaire, c'est-à-dire des insectes imperceptibles, des débris végé- taux et terreux. Ces larves changent plusieurs fois de peau dans leur vie. Ce dernier fait a été signalé par dom Allou, savant chartreux, « qui se plaisait, dit Réaumur, à admirer les ouvrages de l'Éternel. dans le temps où il cessait de chanter ses louanges. ^ Fig. 34. Larve du Cousin piquant. 50 LES INSECTES. Nous croyons utile de reproduire les quelques lignes dont Réaumur accompagne la mention des recherches de ce digne chartreux. Elles nous paraissent encore aujourd'hui très-bonnes à lire. « Si ces pieux solitaires qui composent tant de nombreuses communautés avaient comme dom AUou le goût d'observer les insectes, nous pourrions espérer que les faits les plus essentiels de l'histoire de ces petits animaux nous seraient bientôt connus. Quel délassement ces religieux pourraient-ils se proposer plus digne de l'état qu'ils ont embrassé, que celui qui mettrait sous leurs yeux les merveilleuses productions d'une puissance sans bornes ? Alors leur loisir même les porterait à adorer cette puissance et leur fournirait de quoi la faire adorer plus souvent par ceux qui en sont distraits par trop d'occupations soit sérieuses, soit frivoles'. » Après avoir changé .trois fois de peau en ;quinze jours ou trois semaines, la larve du Cousin piquant quitte une quatrième fois sa dépouille. Mais il n'est plus le même qu'il était aupara- vant. Il a changé de forme et d'état. Au lieu d'être oblong, son corps est raccourci, arrondi et contourné de façon que la queue est appliquée contre le dessous de la tête et que la masse totale semble lenticulaire. Cela est ainsi quand l'animal est en repos. Mais il peut se mouvoir et nager, et pour cela il déplie son corps par mouvements brusques pour avancer. Dans ce nouvel état, c'est-à-dire dans l'état de nymphe (iig. 35), l'animal n'a plus besoin de prendre de nour- riture. Il n'a plus d'organes digestifs, mais il a autant. Nyraphê ^t même plus qu'avant sa métamorphose, ])esoin de res- du cousin ijirer l'air atmosphérique. piquant. ^ . . , T . 1 Toutefois les organes de sa respiration sont bien chan- gés. Pendant que l'insecte était à l'état de larve, c'était par le long tuyau adossé à sa partie postérieure qu'il recevait ou qu'il expulsait l'air. En se défaisant de sa peau de ver, il a perdu ce tuyau. Deux espèces d'oreilles d'âne, qui s'élèvent sur son corse- let, sont pour la nymphe ce que le long tuyau de la queue était pour le ver. Aussi tient-elle toujours au-dessus de l'eau les bouts de ces deux oreilles. De cette nymphe va sortir l'insecte parfait, qui s'est organisé peu à peu, et dont on distingue déjà les parties essentielles, sous la membrane transparente qui les recouvre. 1. Mémoires sw Vhistoire naturelle des Insectes, in-4°, tome V. DIPTÈRES. 5; Lorsque l'insecte est parvenu à ce moment où ses enveloppes ne lui sont plus nécessaires, et qu'il veut s'en débarrasser, il se tient en repos à la surface de l'eau, redresse la partie postérieure de son corps, et la tient étendue à la surface de l'eau, au-dessus de laquelle son corselet est élevé. A peine est-il resté un moment dans cette position, qu'en gonflant les parties intérieures et anté- rieures de son corselet, il oblige sa peau de se fendre entre ses deux cornets respiratoires. Cette fente n'a pas plutôt paru, qu'on la voit s'allonger et s'élargir très-vite. « Elle laisse à découvert, dit Réaumur, une portion du corselet du Cousin aisée à reconnaître par la fraîcheur de sa couleur, qui d'ailleurs est verdàtre et différente de celle de la peau qui l'enveloppait aupara- vant. a Dès que la fente a été agrandie, et l'agrandir assez est l'affaire d'un instant, la partie antérieure du Cousin ne tarde pas à se montrer; bientôt on voit paraître sa tête, qui s'élève au-dessus des bords de l'ouverture. Mais ce moment et ceux qui suivront jusqu'à ce que le Cousin soit entière- ment hors de sa dépouille sont des moments bien critiques pour lui, des moments où il court un terrible danger. Cet insecte qui vivait dans l'eau, qui serait mort si on l'en eût tenu dehors pendant un temps assez court, a subi- tement passé à un état où il n'a rien autant à craindre que l'eau. S'il était renversé sur l'eau, si elle touchait son corselet ou son corps, c'en serait fait de lui. Voici comment il se conduit dans une situation si critique. Dès qu'il a fait paraître sa tête et son corselet, il les élève autant qu'il peut au-dessus des bords de l'ouverture qui leur a permis de paraître au jour. Le Cousin tire la partie postérieure de son corps vers la même ouverture, ou plutôt cette partie s'y pousse en se contractant un peu et s'allongeant ensuite. Les rugosités de sa dépouille dont elle s'efforce de sortir lui donnent des appuis. Une plus longue portion du Cousin paraît donc à découvert et en même temps la tête s'est plus avancée vers le bout antérieur de sa dépouille ; mais à mesure qu'elle s'avance vers ce c"té, elle s'élève de plus en plus; le bout antérieur du fourreau et son bout postérieur se trouvent donc vides. Le fourreau alors est devenu pour le Cousin une espèce de bateau dans lequel l'eau n'entre pas et où il serait bien dangereux qu'elle entrât. Elle ne saurait trouver de passage pour arriver au bout postérieur et les bords de la fente du bout antérieur ne sauraient être submergés que lorsque ce bout est consi- dérablement enfoncé. Le Cousin est lui-même le mât du petit bateau qui le porte. Les grands bateaux qui doivent passer sous les ponts ont des mâts qu'on peut coucher. Dès que le bateau est hors du pont, on hisse son mât eri le faisant passer successivement par diverses inclinaisons, on l'amène à être perpendiculaire au plan horizontal. Le Cousin s'élève ainsi successivement jusqu'à devenir le mât de son petit bateau, et un mât posé verticalement. On a peine à s'imaginer comment il a pu se mettre dans une position si singu- lière, qui lui est absolument nécessaire, et comment il peut s'y conserver. ...Le devant du bateau est beaucoup plus chargé que le reste : aussi a-t-il beaucoup plus de volume. L'observateur qui voit combien ce devant de bateau enfonce combien ses bords sont près de l'eau, oublie dans l'instant que le Cousin est un insecte auquel il donnera volontiers la mort dans un autre temps ; il de- 52 LES INSECTES. vient inquiet pour son sort, et il le devient bientôt davantage pour peu qu'il s'élève du vent, pour peu que ce vent agisse sur la surface de l'eau. On voit pourtant d'abord avec plaisir la petite agitation de l'air qui suffit pour faire vo- guer le Cousin avec vitesse ; il est porté de différents côtés; il fait difierents tours dans le baquet. Quoiqu'il ne soit que comme une espèce de bateau ou de Fig. 36. La nymphe du Cousin piquant rompant ses enveloppes, et passant de l'eau idans l'a r. mât, parce que les ailes et les jambes sont appliquées contre le corps, il est peut-être, par rapport à son petit bateau, une voilure beaucoup plus grande qu'aucune de celles qu'on ose donner à un vaisseau. On ne peut s'empêcher de craintlre que le petit bateau ne soit couché sur le côté.... Dès que le bateau a été renversé, dès que le Cousin a été couché sur la surface de l'eau. DIPTERES. 53 il n'y a plus de ressource pour lui. J'ai vu quelquefois l'eau couverte de Cou- sins qui, par cet accident, avaient péri en naissant. Il est pourtant plus extraordinaire que le Cousin parvienne à finir son opération. Heureu- sement elle n'est pas de longue durée; tout le danger peut être passé en une minute. « Ce Cousin, après s'être dressé perpendiculairement, tire ses deux premières jambes du fourreau et il les porte en avant. Il tire ensuite les deux suivantes; alors il ne cherche plus à conserver sa position gênante, il se penche vers l'eau, il s'en approche, il pose dessus ses jambes; l'eau est pour elles un terrain assez ferme et assez solide qui, sans céder trop, peut les soutenir, quoique chargées du corps de l'insecte. Dès que le Cousin est ainsi sur l'eau, il est en sûreté, ses ailes achèvent de se déplier et de se sécher, ce qui est fait plus vile qu'on ne peut le dire ; enfin le Cousin est en état d'en faire usage, et bientôt on le voit s'envoler, surtout si on tente de le prendre. » Peut-on rien imaginer de plus curieux que le mécanisme com- pliqué de cette délivrance, si minutieusement décrite par le natu- raliste français? Un dernier mot sur le Cousin piquant, dont l'existence est rem- plie de tant de curieux détails. Le lecteur apprendra peut-être sans plaisir que ces insectes se multiplient prodigieusement, et que de plus ils sont extraordinai- rement féconds. Plusieurs générations naissent dans une seule année. Il ne faut à chaque génération qu'environ trois semaines à un mois pour Fig. 37. Œufs de Cousins piquants (grossis). être en état de donner naissance à une génération nouvelle. Le nombre des Cousins qui naissent dans l'intervalle d'un an est donc vraiment effrayant. Peu de jours après que les nymphes d'un baquet se sont transformées en Cousins, on peut voir, à la surface de l'eau de ce baquet, nager des œufs, que les femelles y ont lais- sés, et qui sont disposés en petits amas très-élégants (fig. 37). On trouve en Amérique plusieurs espèces du genre Cousin que l'on désigne sous les noms de Moustiques et de Maragouins. Tous les voyageurs parlent des souffrances que ces insectes font endu- rer, surtout dans les premiers temps, à l'étranger qui traverse ces parages. On ne peut se préserver, pendant le sommeil, de la 54 LES INSECTES. l.iqùrfe de ces cruels ennemis qu'à l'aide de gazes tendues tout autour du lit, c'est-à-dire de inomliquaircs. Les moustiquaires ne sont pas seulement nécessaires en Amé- Fig. 38. iNègres du bas Sénégal se garantissant de; moustiques. rique. Pendant l'époque des chaleurs, en E^pa-ne, dans toute l'Italie, dans une partie du midi de la France, il faut envelopper DIPTERES. 55 son lit de ces rideaux de gaze ou de mousseline, si l'on veut goû- ter quelque repos. Il faut aussi avoir la précaution de rester sans lumière dans la chambre à coucher ; car la vue de la lumière appelle aussitôt ce dangereux compagnon, dont le bourdonne- ment et les piqûres ne laissent aucun repos pendant toute la durée de la nuit. Donc, avis aux personnes qui voyageraient dans les contrées que nous venons de citer. Les Moustiques pullulent dans le midi de rAfrique. Dans le bas Sénégal ils incommodent tellement les haljitants à certaines époques de l'année, que les nègres n'ont pas d'autre moyen de se soustraire à leurs attaques et de prendre quelque repos, que de se hucher, comme le représente la ligure 38 , sur de véritables perchoirs, suspendus au-dessus d'un feu de branchages. Le jour ils reçoivent leurs amis sur ce hamac; la nuit ils y dorment, toujours chauffés et enfumés pour éviter un plus grand mal. Les Tipules ou Tipulaires ont le corps étroit et allongé, avec les pattes longues et grêles. La tète de ces animaux est ronde, et occupée en majeure partie, surtout chez les mâles, par des yeux à facettes. Les ailes, longues et étroites, sont tantôt écartées, tantôt croisées horizontalement, et quelquefois penchées, ou en toit. Les balanciers sont nus et allongés, l'al^domen long, cylin- drique et souvent terminé en massue dans les mâles, et en pointe dans les femelles. Les antennes, plus longues que la tète, olfrent le plus souvent de quatorze à seize articles tantôt en façon de peigne ou de scie, tantôt garnies de poils formant des panaches, des faisceaux ou des verticilles. Ces insectes se tiennent sur les plantes, dans les prairies, les jardins et quelquefois les bois. Au premier coup d'œil ils ressem- blent à des Cousins ; mais ils n'ont pas de trompe, ou plutôt leur trompe est très-courte, et terminée par deux grandes lèvres, et leur suçoir se compose seulement de deux soies. Les grandes espèces de Tipules, qui portent les noms vulgaires de Tailleurs et de Couturières, vivent dans les prairies, vers la fin de septembre et le commencement d'octobre. Elles y sont si com- munes, qu'on n'y peut faire un pas sans voir plusieurs de ces mouches s'élever en l'air. « Quoiqu'elles prennent quelquefois un assez grand vol, dit Réaumur, lors- que le soleil est brillant et chaud, ordinairement elles vont peu loin; souvent même elles ne volent que terre à terre ou plutôt qu'à la surface des herbes. 56 LES INSECTES. Dans certains temps, elles ne se servent de leurs ailes que pour soutenir un peu leur corps à fleur des herbes, et pour le pousser en avant. « Les jambes, surtout les postérieures, sont démesurément grandes. Elles ont plus de trois fois la longueur du corps. Elles sont pour ces insectes ce que sont des échasses pour les paysans des pays marécageux et inondés; elles leur permettent, en effet, de passer assez commodément sur des herbes élevées. » Les petites espèces ont été désignées sous la dénomination de Caliciforines, à cause de leur ressemblance avec les Cousins. Elles sont plus agiles que les grandes espèces, dont nous venons de dire quelques mots. Non-seulement elles volent plus volontiers, mais il en est qui se tiennent continuellement dans l'air. Dans toutes les saisons, et même pendant l'hiver, on voit dans l'air, à certaines heures du jour, des nuées de petits moucherons, que l'on prend pour des Cousins : ce sont des Tipules. Leur vol mérite d'être remarqué. Chacune de ces petites mouches ne fait ordinairement que monter et descendre, et cela à peu près sui- vant la même ligne verticale. Toutes ces mouches proviennent de larves, qui ressemblent à des vers très-allongés, dont la tête est écailleuse, ordinairement munie de deux très-petites antennes coniques, de deux crochets et de quelques autres pièces propres à la manducation. Leur corps est articulé, privé de pattes, pourvu quelquefois cepen- dant d'appendices ou de mamelons qui les simulent ou en tien- nent lieu. Ces larves ont des habitudes très-variées. Les unes sont aqua- tiques: ce sont les Tipules cidici formes. Il est une petite espèce qui se multiplie l^eaucoup dans toutes les eaux qui croupissent. Ces larves vermiformes étant extrêmement communes, nous devons en dire quelques mots. Elles sont rouges et d'un assez beau rouge. Elles habitent de petits amas de matières terreuses oblongues et contournées, per- cées de beaucoup de trous voisins les uns des autres. Chaque trou permet au ver de faire sortir sa tête et la partie antérieure de son corps hors de sa cellule. Ces cellules sont faites avec des dé- bris de matières spongieuses et légères, des fragments de feuilles pourries, etc. Chacun de ces vers se transforme en nymphe, dans le tuyau où il achève de prendre son accroissement. Par sa méta- morphose r insecte perd son crâne écailleux et toutes ses parties extérieures. Il passe à l'état de nymphe , munie de jambes et d'ailes, et portant sur son corselet des panaches délicats, qui sont sans doute un appareil respiratoire. Cette nymphe est très-vive DIPTERES. 57 et très-agile dans ses mouvements sur Teau. Quand le moment de sa dernière métamorphose est arrivé, elle se débarrasse de sa dépouille empanachée, à peu près comme le fait le Cousin. La figure 39 représente la Tipule des pologcrs. à l'état de larve, de nymphe et d'insecte aérien. D'autres espèces de petites Tipvlcs ont des larves aquatiques assez semblables à celles que nous venons de décrire. Réaumur a vu que chacun de ces vers est logé au milieu d'une plaque épaisse et convexe par-dessus, formée de gelée blanche gluante et trans- parente. Quant aux espèces qui deviennent de grandes Tipules, Fig. 39. Tipule des potagers, à l'état de larve, de nymphe et d'insecte aérien. leurs larves, ou vers, ne sont pas aquatiques. Elles ont des habi- tations très-diverses. Elles se tiennent sous terre. Toute terre qui n'est pas sujette à être fréquemment remuée leur est bonne. On les trouve surtout dans celles des prairies basses et humides. Réaumur a vu dans le Poitou de grands cantons de marais à herbages qui, en certaines années, n'avaient fourni que très-peu d'herbe pour nourrir les bestiaux, à cause du désordre que ces larves y avaient causé. Dans les mêmes cantons et dans les mêmes années, elles avaient fait beaucoup de tort à la récolte des blés. Ces larves semblent se contenter, pour tout aliment, de la terre. 58 LES INSECTES. à l'état de terreau. Les excréments qu'elles rejettent ne sont, en effet, selon Réaumur, que de la terre sèche, dont l'estomac et les intestins de linsecte ont su tirer ce qu'elle contenait d'assimilaljle. Voilà donc des animaux qui se nourrissent de terre ! Les vieux arbres sont souvent creusés de cavités résultant de la pourriture du tronc. Lorsque ces creux sont anciens, leur fond est rempli d'un terreau qui ressemble à celui que laisse un bon fumier. C'est là que les Tipules vont déposer leurs œufs. Réaumur a souvent trouvé leurs larves dans des troncs d'orme et de saule. Il en a vu aussi dans le tissu charnu de certains champignons. Il observa avec soin les mœurs et les habitudes d'une de ces larves, qui se tenait au-dessous du chapeau d'un champignon, l'Agaric du chêne. Cette clienille est ronde et grisâtre comme un ver de terre. Elle ne marche pas, elle rampe. Les endroits où elle se tient en repos et ceux où elle passe, lorsqu'elle va en avant, restent revêtus d'un enduit brillant, semblable à celui que laisse en marchant la Limace ou l'Escargot. M. Guêrin-Méneville a publié une note très-intéressante sur les migrations de la larve d'un genre particulier de Tipule , connu sous le nom de Sciara. Nous emprunterons à ce savant entomolo- giste les curieux détails qui suivent , et qui vont nous initier à l'un des faits les plus merveilleux assurément que présente l'his- toire des insectes. Les petites larves de la Sciara sont sans pieds et à peine lon- gues de cinq lignes, sur un tiers de ligne de diamètre. Elles sont composées de treize anneaux, et d'une tète petite et noire. Dans certaines années, pendant le mois de juillet, on rencontre dans la Norvège et le Hanovre, aux alentours des forêts, d'im- menses traînées de ces larves, formées par la réunion d'une in- nombrable quantité de petits vers, agglomérés entre eux par une matière gluante. Ces associations de larves ressemblent à une sorte d'animal étrange, qui aurait la forme d'un serpent. C'est comme une corde vivante, longue de plusieurs pieds, épaisse d'un à deux pouces, et résultant de la réunion d'un nombre considé- rable de petits animaux qui grimpent par milliers les uns sur les autres et se meuvent ensemble. Toute la société marche ainsi de concert, laissant sur le sol une traînée, indice matériel de son passage. Ces étranges rassemblements d'animaux forment de petites so- ciétés, longues quelquefois de quelques mètres seulement ; mais il DIPTERES. 59 arrive parfois qu'elles composent des rubans de dix à douze mè- tres de longueur, de la largeur de la main et ayant l'épaisseur du pouce. M. Guérin-Méneville a observé des colonnes qui avaient jusqu'à trente mètres de long. Ces agglomérations s'avancent avec la lenteur d'une limace et dans une direction déterminée. Si une de ces colonnes rencontre un obstacle, une pierre par exemple, elle le franchit, le tourne, ou bien se divise en deux bandes , qui se réunissent après avoir dépassé l'obstacle. Si l'on enlève une portion de la colonne , elle se trouve partagée en deux; mais elle se reforme promptement, parce que la partie postérieure rejoint bientôt celle qui précède. Enfin, si l'on met la partie postérieure de ce ruban animé en con- tact avec l'antérieure, on forme ainsi un cercle vivant, qui roule sur lui-même pendant longtemps, quelquefois pendant un jour entier, avant qu'il se soit rompu et puisse continuer d'avancer. Quand on touche ce serpent de larves agglutinées, on éprouve un sentiment de froid. On ne rencontre jamais ces vers en troupe par le mauvais temps ; il faut un ciel serein pour engager ces étranges colonnes à se mettre en campagne. Le phénomène, si curieux, si étonnant, de la réunion d'une quantité prodigieuse de larves sans pieds, qui avancent par un mouvement commun résultant du mouvement propre de milliers de petits vers , fut signalé pour la première fois , en 1 603 , par Gaspard Schwenefelt. Ce naturaliste ajoute que les habitants de la Sibérie considèrent ce phénomène comme le précurseur d'une mauvaise récolte, si ces cordons de vers rencontrent les monta- gnes; tandis que s'ils descendent vers la plaine, c'est un présage favorable. En I7i5, Jonas Ramus parla du même phénomène, en rappe- lant une autre idée superstitieuse qu'y attachent les paysans de la Norvège. Cet écrivain nous apprend que les paysans norvégiens, quand ils se trouvent en présence de l'une de ces colonnes mobi- les, jettent au-devant de ce ruban qui marche leur ceinture ou leur veste. Si Vorme-drag (c'est le nom donné à la colonne mobile) franchit cet obstacle, c'est un signe de bonheur. On doit redouter, au contraire, quelque événement sinistre, si la colonne tourne l'obstacle sans le franchir (fig. 40). Ces mêmes animaux ont été observés, vers 1845, à Birkenmoor près Hefeld , par M. Rande , inspecteur royal des forêts de Ha- 60 LES INSECTES. Comment expliquer ces étranges voyages par bandes associées et agglutinées? M. Guérin-Méneville croit que ces larves, qui vivent en grand nombre dans certains cantons, finissent quelquefois par dévorer toutes les substances nutritives contenues dans le terrain. Après avoir épuisé ces parages, elles sont obligées d'en sortir, pour al- ler cliercber plus loin un lieu favorable à leur existence, ou peut- être seulement à leurs métamorphoses. C'est alors que commence ce fantastique voyage. Quanta la réunion en colonnes de ces myriades d'individus, M. Guérin-Méneville croit qu'on peut l'expliquer par le besoin que ces larves éprouvent de se protéger mutuellement contre la dessiccation quand elles sont obligées de sortir de terre. Réunies en masses, humectées par la matière gluante qui sert à les agglo- mérer, ces larves peuvent s'éloigner sans danger des lieux où elles ont vécu. Livrées à elles-mêmes, elles ne tarderaient pas à périr. Ici, comme en d'autres cas, l'union fait la force; et la force, pour nos pauvres Diptères, c'est l'humidité conservatrice! Quelle que soit l'explication que Ton en donne, les migrations collectives de ces escadrons d'insectes sont un des plus surpre- nants pliénomènes de la nature. BRACHOCÈRES. Les Brachccères (de ppa/u; et /spa:, c'est-à-dire à courtes anten- nes) se partagent en quatre groupes. Dans ces groupes, le suçoir se compose de six soies. Il comprend, entre autres familles, celle des Tabaniens. Les insectes qui appartiennent à cette famille ont une force remarquable. L'audace et l'énergie sont poussées chez eux au plus haut degré. Ces insectes sont d'une taille supérieure à celle de la plupart des Diptères. Leurs ailes sont mues par des muscles puissants, leurs pieds très-robustes. Leur aiguillon est formé de six lancet- tes, aplaties et acérées. Répandus sur toute la terre, ils ont par- tout le même instinct : c'est l'instinct du sang, au moins chez les femelles, car les mâles sont d'une humeur moins guerrière; ils ne font de mal à personne, et vivent du suc aromatique des fleurs. Les Tabaniens fré({uentent particulièrement les bois et les pâtu- rages. Pendant l'été, et aux heures les plus chaudes du jour, on les voit voler en bourdonnant et cherchant leur proie. DIPTERES. 63 M. de Saint-Fargeau a décrit le manège que les mâles exécu- tent dans leur vol. On les voit sillonner les airs dans les allées des bois, en y faisant, en quelque sorte, la navette. Ils restent quelque temps suspendus à une même place ; puis se transpor- tent, par un mouvement brusque et direct, à l'autre bout de leur station aérienne, pour y reprendre la même immobilité, en tour- nant la tête, dans chacun de ces mouvements, vers des côtés op- posés. Ce naturaliste s'est assuré qu'ils guettent alors le passage des femelles, et tâchent de les saisir en se précipitant sur elles. Lorsqu'ils ont réussi à s'en emparer, ils s'enlèvent â une hauteur où on les perd de vue. Nous ne les suivrons pas dans leurs amours empyréennes. C'est à ce groupe qu'appartiennent les Taons {Tabanus). Le Taon automnal (fig. 41) est commun dans nos contrées. Il est Fig. 41. Taon automnal. Fig. 42. Chrysops aveuglant long de huit à neuf lignes, et de couleur noirâtre. Les palpes, la face et le front sont gris; les antennes noires; le thorax gris, rayé de brun; l'abdomen tacheté de jaune; les jambes d'un blanc jaunâtre; les ailes à bord extérieur brun. Le Taon des bœufs est long de douze lignes et d'un brun noirâtre. Les palpes, la face et le front sont jaunâtres. Les antennes sont noires, à base blanchâtre ; le thorax, muni de poils jaunes, est rayé de noir. Le bord postérieur des segments de labdomen est fauve ; les 64 LES INSECTES. jambes sont jaunâtres à extrémité noire. Le bord extérieur des ai- les est jaune. Cette espèce se rencontre fréquemment dans les bois. Le Clirysops aveuglani (iig. 42, qui appartient à cette même fa- mille, et dont le nom générique, chrysops^ signifie yeux d'or, tour- mente beaucoup les clievaux et les bestiaux, en cherchant à les piquer autour des yeux. Son corps est jaunâtre, rayé ou tacheté de noir; son abdomen est jaune et ses yeux dorés. Dans le second groupe des Brachocères, le suçoir est composé de quatre soies; et les antennes sont ordinairement terminées par un style, qui semljle en être plutôt le complément qu'un appendice. Ce groupe comprend trois familles. Mais deux de ces familles seulement renferment des types as- sez intéressantspour nous y arrêter. Nous signalerons, dans la famille des Tanystomcs^ la tribu des Asilides, celle des Empldcs, celle des Domby- liens et celle des Anthraciens. Dans la famille des Brachystomes, nous signa- lerons la tribu des Leptidcs et celle des Syrphides. Les Asiles ont pour caractère pro- pre et principal la force. Tous leurs organes sont com])inés pour pro- duire cette qualité, (ju'ils ne manifes- tent ({ue trop en se rendant aussi redoutables aux bestiaux que les Taons ^ mais dépassant encore ces derniers insectes en cruauté native. Les Asiles exercent un brigandage effréné sur les autres insectes, et même sur ceux de leur propre es- pèce. Leur trompe est robuste; l'une des soies du suçoir est munie de pe- tites pointes tournées en dedans, qui paraissent destinées à retenir le corps dans lequel la trompe est enfoncée. Ils opèrent leurs ravages dans les allées des bois et sur les routes bien exposées au soleil. Nous citerons dans ce groupe V Asile frelon (fig. 43). Cet insecte est long de dix à douze lignes. Sa tête est jaune, ses antennes noirâtres, son thorax d'un jaune brunâtre. Les trois premiers segments de l'abdomen sont noirs: le deuxième et le troisième Fig. 43. Asile frelon. DIPTERES. 6b offrent un point blanc de chaque côté ; les autres segments sont jaunes. Les ailes sont jaunâtres et tachetées de noir sur le côté interne. Cette espèce est commune dans toute l'Europe, et vitaux dépens des chenilles et d'autres insectes, qu'elle suce avec une grande promptitude. Les Empides vivent de proie, comme les Asilicles ; mais les mâles se nourrissent particulièrement du suc des fleurs. « La rapine qu'ils exercent à l'égard des autres insectes, dit M. Macquarl dans son Histoire naturelle des Diptères, se fait au vol, quelquefois à la course, et ils saisissent leurs victimes avec leurs pieds conformés de diverses ma- nières très-favorables à ce genre de vie ; mais c'est dans les airs qu'ils se livrent le plus souvent cà leurs chasses ainsi qu'à leurs amours. lisse réunis- sent en troupes nombreuses qui, dans les belles soirées d'été, tourbillonnent comme les Cousins auprès des eaux. Mais une re- marque singulière que j'ai faite sur l'Em- pis livide, c'est que, parmi des milliers de couples que j'ai vus posés sur des haies ou des buissons, presque toutes les femelles étaient occupées à sucer un insecte; les unes tenaient de petites Friganes , d'autres des Éphémères, la plupart des Tipulaires. » Si les Empides ont la trompe dirigée en dessous et ressemblant à un bec d'oiseau, les Bombyliens ont, au con- traire, la trompe dirigée en avant. On reconnaît le genre principal qui a donné son nom à ce groupe, à son élégante fourrure, à la délicatesse des pieds , à la longueur des ailes éten- dues horizontalement de chaque côté du corps. Beaucoup plus communs dans les climats chauds que dans le Nord, ces insectes, dont les larves ne sont pas encore connues, prennent leur essor à l'heure où les rayons du soleil sont le plus ardents, lis volent très-rapidement, en faisant entendre un bourdonnement grave. Ils planent au-des- sus des fleurs, dont ils pompent les sucs, sans se poser sur leurs corolles. La figure 44 représente le Bombyle bichon, qui est assez commun dans toute l'Europe. Cet insecte est long de quatre à six lignes. noir, à poils jaunes. Ses pieds sont fauves ; ses ailes offrent une bande brune sinuée au bord extérieur. 5 Fig. 44. Bombyle bichon- 66 LES INSECTES. Les Anîhraciens ont une physionomie différente de celle des Bom- byliens. Leur corps est beaucoup moins velu ; leur trompe est courte et cachée dans la bouche; leurs ailes, très-grandes, présentent, au moins dans le principal genre, une livrée de deuil remarquable, dans laquelle les combinaisons du noir et du blanc se mêlent avec une admirable diversité. « Ici, dit M. Macquart, la ligne qui sépare les deux couleurs est droite, là elle figure des degrés, ailleurs elle est profondément sinuée. Quelquefois la partie obscure présente des points transparents, ou la partie hyaline des taches ténébreuses. Cette sombre parure, jointe au noir velouté du corps, souvent orné de bandes argentées, donne aux Anthrax une élégance remar- quable. Lorsqu'ils se fixent sur les corolles de Téglantier et de l'aubépine pour en ravir les sucs, ils produisent le contraste le plus piquant et ne font pas moins ressortir leur propre beauté que celle de ces aimables fleurs. » U Anthrax sinuè est commun en Europe. Les Mouches de la famille des Syrphiens comprennent trois types remarquables, que nous ne saurions passer sous silence. Ce sont les Vermilions, les Volucelles et les Hélophiles. Le Vermillon (Vermileo De Geeri) (fig. 45), qui habite la France centrale et méridionale, est long de quatre à cinq lignes. Sa face est blanche, son front gris , bordé de noir. Son thorax d'un gris jaunâtre a quatre bandes brunes chez le mâle. Son abdomen est fauve, ta- cheté de noir; ses ailes hyalines. La larve du Vermillon présente un corps cylindrique, aminci, et sus- Fig. 45. vermillon. ccptiblc dc toulcs sortcs d'inflcxions. Sa tète est conique et armée de deux pointes cornées ; le dernier segment est allongé, aplati, relevé et terminé par quatre tentacules velus. Sur les côtés du cinquième segment, on découvre une petite saillie, d'où sort une pointe cornée et rétractile. Cette larve a des mœurs bien singulières. Elle se creuse dans le sable un petit entonnoir, un petit enfoncement conique, où elle se tient en embuscade, comme l'Araignée, immobile au fond de son petit terrier. Dès qu'un insecte y tombe, elle lève brusque- ment la tête, serre sa proie dans les replis de son corps, et la dévore. Puis elle en rejette la dépouille. Elle vit de cette ma- DIPTÈRES. -.7 nière, pendant au moins trois ans, avant de passer à l'état d'insecte parfait. Les Volucelles (fig. 46) ressemblent beaucoup aux Bourdons. Cer- taines espèces usent et abusent de cette ressemblance, pour s'in- troduire frauduleusement dans le nid des Bourdons, et y déposer leurs œufs. Lorsque ces œufs ont donné naissance aux larves des Volucelles., celles-ci, qui ont une bouche armée de deux mandibules, dévorent les larves des Bourdons, leurs hôtes. C'est ainsi qu'elles reconnaissent l'hospitalité qu'elles ont reçue! Les HélopliUes (%. 47) méritent d'être signalées ici à cause de la forme singulière des larves de plusieurs de ces insectes. Leur tète Êst grosse, charnue et de forme un peu variable. Mais ce qui les Fig. 46. Volucelles. Fig. 47. Hélophiles. fait aisément distinguer de beaucoup d'autres larves, c'est qu'elles ont une queue toujours très-longue, et quelquefois d'une longueur démesurée par rapport à celle du corps. Réaumur appelait ces larves vers à queue de rat. Il remarqua qu'elles étaient aquatiques. Ayant placé ces vers dans un vase contenant de l'eau (fig. 48), il vit qu'ils se tenaient perpendicu- laires au fond du vase, et parallèles les uns aux autres, le bout de leur queue étant à la surface de l'eau. Il eut alors l'idée d'éle- ver peu à peu le niveau de l'eau, et il vit à mesure s'élever le bout de la queue de chaque ver. Cette queue, qui d'abord ne s'élevait qu'à deux pouces, finit par atteindre une élévation de cinq pouces. On remarquera que le corps de chaque ver ne dépasse pas quatre à cinq lignes en longueur. Cette queue est un organe remar- quable, à l'aide duquel le ver peut aller respirer l'air, alors que son corps est couvert de plusieurs pouces d'eau. Elle se compose de deux tuyaux, dont l'un, comme celui de nos lunettes, peut rentrer dans l'autre. Réaumur l'appelle le tuyau de la respiration. 68 LES INSECTES. Il est terminé par un petit mamelon brun dans lequel il y aurait, selon Réaumur, deux trous destinés à donner entrée à Tair, et il offre cinq petits pinceaux de poils qui sont étendus et flottent sur l'eau. Lorsque l'époque de la métamorphose de ces vers approche, ils sortent de l'eau et vont s'enfoncer dans la terre. Là, leur peau durcit et devient une sorte de coque. Sous cette coque l'insecte perd sa forme de ver, et prend peu à peu celle de nymphe , qu'il conserve jusqu'à ce qu'il soit en état de se défaire de ses dernières enveloppes, et de paraître avec des ailes. Quelle vie accidentée, quelle existence pleine de changements ;. 48. Hélophiles, ou vers à queue de rat, nag;ant dans l'eau. Fig et de péripéties, que celle de ces insectes, qui passent la première et la plus longue période de leur existence sous l'eau, qui passent sous terre une autre partie de leur vie, et qui enfin, après avoir rampé dans ces deux éléments, jouissent, au sein de l'air, des voluptés du vol ! Le troisième groupe des Brachocères est celui des Mouches ou Dichœles, c'est-à-dire à suçoir formé de deux soies. Ici se rangent les OEsires, les Conops et les Mouches proprement dites. Les Œstres sont ces redoutables insectes qui attaquent le cheval, le mouton et le bœuf. Les travaux de Réaumur dans ses admira- bles Mémoires, et ceux de M. Joly, professeur de zoologie à la Fa- culté des sciences de Toulouse, qui a publié, en 1846, de pré- DIPTÈRES. 69 cieuses recherches sur ce sujet, nous serviront de guide dans le rapide exposé qui va suivre. Voici la description que donne M. Joly de VŒstre du cheval, que représente la figure 49, dessinée d'après les planches qui accom- pagnent le mémoire de ce naturaliste. La tète de cet insecte est large, obtuse; la face fauve, à duvet blanchâtre, soyeux. Les yeux sont noirâtres, les antennes ferru- gineuses, le thorax gris, l'abdomen d'un jaune roux, tacheté de noir. Les ailes sont blanchâtres, non diaphanes, à reflets dorés, traversées vers le milieu par une bande flexueuse noirâtre. Les pattes sont d'un jaune pâle. Cette espèce se trouve en France, en Italie. Elle existe aussi en Orient, et notamment en Perse. Pendant les mois de juillet et d'août, l'OEstre fréquente nos pâturages. Elle dépose ses œufs principalement sur les épaules et sur les genoux des chevaux. Pour cela, la femelle se tient sus- Œstre mâle du cheval. Œstre femelle du cheval. pendue, pendant quelques secondes, au-dessus du lieu qu'elle a choisi. Elle fond sur cette partie, et, avec la pointe recourbée de son abdomen, colle son œuf à l'un des poils du cheval, au moyen d'une liqueur glutineuse dont elle l'enduit, et qui ne tarde pas à se dessécher. Le même moyen se répète à des intervalles très- courts. Souvent plus de quatre ou cinq cents œufs sont ainsi dé- posés sur le même cheval. Guidé par un merveilleux instinct, VŒstre femelle place géné- ralement ses œufs sur les parties du corps que le cheval ne peut atteindre avec sa langue, c'est-à-dire â la partie interne des ge- noux, sur les épaules, et rarement â l'extrémité libre du poil de la crinière. C'est principalement pendant les mois les plus chauds de l'année, et quand les chevaux sont aux champs ou au pâturage, que les Œstres femelles viennent fondre et pondre sur ces utiles et excel- lents compagnons de nos travaux 'fig. 51). 70 LES INSECTES. Les chevaux redoutent beaucoup l'attaque de ces insectes. Ils froncent leur peau lorsque l'OEstre y dépose ses œufs. Les suites de cette piqûre ne laissent pas d'être sérieuses. Voici d'ailleurs quelles sont les conséquences de cette attaque et comment elles se manifestent. Les œufs des OEstres, qui sont blancs et coniques, adhèrent aux poils du cheval, comme on le voit sur la figure 50. Ils sont munis d'un opercule qui, au moment de l'éclosion, s'ouvre pour laisser passage à la jeune larve. Cette éclosionalieu, d'après M. Joly, environ une vingtaine de jours après le dépôt des œufs, et elle se fait là où l'œuf a été déposé. En effet, ce n'est pas à l'état d'œufs, mais bien sous celui de larves, que le cheval in- troduit lui-même, comme nous allons le dire, dans son propre estomac, les hôtes parasites à qui la nature a réservé ce singulier séjour. En se léchant, le cheval les saisit avec sa langue ; plus tard, en avalant sa nourriture, il les fait pénétrer dans son estomac. Fig. 50. Crins de cheval portant des œufs d'Œstres. Quelquefois, chose remarquable, ce sont d'autres insectes, comme les Taons, par exemple, qui, par leurs piqûres réitérées, déter- minent le cheval à se lécher, et par suite à introduire chez lui son ennemi le plus cruel. Dans le périlleux trajet qu'elles doivent parcourir de la peau du cheval à son estomac, bien des larves d'OEstres, on le conçoit, succombent, broyées par la dent de l'animal ou écrasées par les matières alimentaires. C'est à peine si une OEstre sur cinquante arrive jusqu'à l'estomac du cheval ; et pourtant, si l'on ouvre l'estomac d'un cheval attaqué par les OEstres, on le voit presque toujours littéralement criblé de ces larves. La figure 52 représente, d'après l'une des planches qui accom- pagnent le mémoire de M. Joly, l'état de l'estomac d'un cheval ainsi envahi et ravagé par l'OEstre. Ces larves sont d'un jaune rougeâtre, et chacun de leurs seg- ments est armé, sur ses bords postérieurs, d'une double rangée d'épines triangulaires, alternativement plus grandes et plus pe- i^''v--'"^& fe DIPTERES. 73 tites, jaunâtres à leur base, noires à leur sommet, qui est toujours dirgé en arrière. La tète est munie de deux crochets, qui servent principalement à attacher la larve à la paroi interne de l'estomac. Les épines dont toute la surface de leur corps est garnie contri- buent à la fixer encore plus solidement en s' opposant par leur direction même à ce que l'animal soit entraîné par les aliments qui ont subi la première digestion. Il est probable que cette larve, si singulièrement logée, se nour- rit de la mucosité sécrétée par les cryptes de la muqueuse stoma- Fig. 52. Portion de i'estomac d'un cheval envahi par des larves d'Œslres. cale, et qu'elle respire à l'aide de l'air que le cheval avale avec ses aliments, pendant l'acte de la déglutition. Il faut convenir pourtant qu'il est plongé dans une atmosphère gazeuse fort insalubre, car à l'intérieur de l'estomac du cheval se dégagent des gaz presque tous mortels pour l'homme et pour la généralité des animaux, c'est-à-dire de l'azote, de l'acide carboni- que, de l'hydrogène sulfuré et de Thydrogène carboné. Pour expliquer comment l'insecte peut vivre dans de telles con- ditions. M. Joly a proposé l'ingénieuse hypothèse suivante: " Quand l'estomac que la larve habite, dit le savant naturaliste, ne ren- ferme que de l'oxygène ou de l'air presque pur, l'insecte ouvre les deux lèvres de la cavité où sont placées les plaques stigmatiques et respire à son aise. Quand la digestion des matières alimentaires donne naissance à des gaz impropres à la respiration, ou bien quand ses stigmates courent le risque d'être obstrués par les substances solides ou liquides renfermées dans le ventricule, il ferme ses deux lèvres et continue à vivre aux dépens de l'air contenu dans ses volumineuses trachées. 74 LES INSECTES. «Quelle que soit la valeur de cette explication, ajouteM.Joly, il n'en est pas moins très-curieux de voir un insecte passer la plus grande partie de sa vie dans un milieu qui serait promptement mortel pour la plupart des animaux, dans un organe où, sous Fempire de la vie, les forces chimiques opèrent la merveillease transformation des aliments en la propre substance de Tanimal auquel cet organe appartient. Mais comment cet insecte lui-même peut-il ré- sister h l'action de ces forces mystérieuses et rester seul intact au milieu de toutes ces matières qui se transfoi'ment et se décomposent sans cesse? Autre question difficile ou plutôt impossible à résoudre dans l'état actuel de la science; autre énigme qui confond notre orgueil et dont celui-là seul peut-être qui a créé l'homme et le vermisseau pourrait nous dire le secret, » Parvenue à son développement complet, la larve d'OEstre em- prisonnée dans l'estomac du cheval abandonne la membrane où elle était restée fixée jusqu'à ce moment; puis, dirigeant la partie antérieure de son corps vers l'ouverture pylorique de l'estomac, elle se laisse entraîner par les aliments. Elle traverse, mêlée au bol alimentaire, toute l'étendue du canal intestinal, sort par l'is- sue extérieure de ce canal, et touche à terre, où elle cherche aus- sitôt un lieu convenable pour opérer l'avant-dernière de ses mé- tamorphoses. Alors sa peau s'épaissit, durcit, et devient noire à l'intérieur. Tous les organes de l'animal sont formés d'une pulpe l)lanchâtre amorphe; mais bientôt cette pulpe s'organise et l'insecte parfait s'achève. Il soulève un opercule placé à la partie antérieure de sa coque, déploie ses ailes et prend son vol. Cet être, né au fond des entrailles d'un animal, est désormais appelé à vivre et à déployer ses ailes au sein des airs! L'OEstre du bœuf {iig. 53) a le corps très-velu, la tête large, la face et le front couverts de poils fauves, les yeux bruns, les an- tennes noires. Le corselet est jaunâtre, rayé de noir. L'abdomen est d'un l)lanc grisâtre à sa base, couvert de poils noirs sur le troisième segment, et, pour le reste, revêtu de poils d'un jaune orangé. Les ailes sont brunes, comme enfumées. Tel est l'insecte qui cause une grande frayeur et une extrême agitation dans un troupeau de ])œufs. Aussitôt que l'un de ces grands animaux se sent attaqué, on le voit, la tète et le cou ten- dus, la queue tremblante et placée sur la même ligne que le corps, s'enfuir vers la rivière ou l'étang le plus voisin, pendant que ses compagnons se dispersent (fîg. 54). Comment les bœufs peuvent-ils ressentir une pareille terreur à la vue de si petits insectes? et comment, d'un autre côté, de sim- ples mouches ont-elles le courage de braver nos plus grands ani- DIPTÈRES. 75 maux? On assure que le bourdonnement seul de l'OEstre suffit pour effrayer le bœuf, au point de le rendre intraitable. Quant à l'insecte, il obéit simplement à la prévision maternelle qui lui commande de déposer ses œufs sous la peau de nos grands rumi- nants. Disons maintenant comment les œufs de l'OEstre déposés dans les tissus du bœuf s'accommodent dans cet étrange milieu. La mère insecte pratique dans la peau du bœuf un certain nombre de pe- tites plaies. Chacune de ces plaies est le nid d'un œuf. C'est là qu'il doit être couvé. La chaleur du grand animal doit servir à le faire éclore. C'est une couveuse naturelle, pour faire pendant aux couveuses artificielles que les anciens Égyptiens avaient imaginées 1^, pour l'œuf des oiseaux domestiques, et que les modernes ont as- sez mal imitées. Dès que la larve de l'OEstre est sortie de son œuf, logé entre cuir et chair, chez le bœuf, son hôte, elle se trouve dans un lieu parfaitement convenable à son existence. Ici, évidemment, les ali- ments lui sont fournis en abondance : elle est à même de la viande de boucherie! De plus, elle est défendue contre les injures de l'air. Enfin, plus heureuse que l'homme, elle habite un milieu qui, en toute saison, jouit du même degré de chaleur. Grâce à des conditions si heureuses, notre larve prend son ac- croissement tout à son aise, et parvient avec agrément à être mouche à son tour. ES INSECTES. C'est au-dessous de la peau, très-épaisse, de nos bêtes à cor- nes, que se tiennent les larves de l'OËstre. Les parties du corps du ruminant où les larves sont logées se reconnaissent facilement. En effet, au-dessus de chaque larve se voit une élévation, une sorte de tumeur, une bos^e comme l'appelle Réaumur, la compa- rant, avec plus ou moins de justesse, à la ios^e qui survient au crâne de l'homme qui a reçu un rude coup. La figure 54 représente, d'après les planches qui accompagnent le mémoire de Réaumur, la tumeur dont nous parlons. Les paysans connaissent fort bien la nature et la cause de ces Fig. 54. Tumeur produite par l'Œstre sous la peau du bœuf. bosses. Ils savent que chacune renferme un ver (larve) ; que ce ver provient d'une mouche, et qu'à son tour il doit se transformer lui- même en une mouche. Chaque bosse a intérieurement une cavité, qui sert de loge • ment à la larve. Aussi la cavité et la bosse grandissent-elles de concert, à mesure que la larve se développe. C'est ordinairement sur les jeunes vaches ou sur les jeunes bœufs, en un mot sur les bêtes à cornes de deux ou trois ans, qu'on trouve surtout ces tumeurs. Il est rare d'en voir sur de vieux bœufs. La mouche qui, en perçant la peau de l'animal, oc- lliliililiHi'i' DIPTÈRES. 79 casionne la naissance de ces tumeurs, choisit les peaux qui ne doivent lui présenter que peu de résistance. D'ailleurs des chairs jeunes et tendres ne sont-elles pas les plus propres à fournir une jjonne nourriture aux larves de la mouche? Chaque tumeur est munie d'une petite ouverture. C'est par cet étroit canal que la larve peut respirer. Pour en examiner la cavité intérieure, Réaumur ouvrit quel- ques-unes de ces tumeurs, soit avec un rasoir, soit avec des ci- seaux. Il trouva cette habitation fort dégoûtante. La larve est lo- gée dans une véritable plaie suppurante. Le pus occupe le fond de la cavité, et la tète du ver est continuellement, ou presque conti- nuellement, plongée dans ce liquide pathologique. « Elle y est très-bien sans doute, » dit Réaumur, qui ajoute que ce pus paraît être l'unique aliment de la larve. L'état d'une bête à cornes, dit encore le grand naturaliste, qui a sur son dos trente à quarante bosses, serait bien cruel, serait un terrible état de souffrance, si sa chair était continuellement déchiquetée par trente à quarante gros vers. Mais il est prol)able qu'ils ne font point souffrir, ou qu'ils ne font souffrir que peu le grand animal. « Aussi, ajoute Réaumur, les bêtes à cornes dont le corps est le plus cou- vert de bosses non-seulement ne donnent aucun signe de douleur, mais il ne paraît même pas que ces bosses leur soient préjudiciables en aucune façon, » Réaumur a cherché à découvrir comment la larve qui a pris tout son accroissement parvient à sortir d'une habitation où il ne lui convient plus de rester. Il se demandait comment ce ver pou- vait sortir par une ouverture plus petite que le volume de son propre corps. « La nature, dit Réaumur, a appris à ce ver le plus sur, le plus doux, le plus simple des moyens. C'est celui auquel nos chirurgiens ont souvent re- cours pour tenir- des plaies ouvertes ou pour étendre leur ouverture. Ils tiennent des tentes pressées dans le trou qu'ils veulent agrandir. Deux ou trois jours avant celui où le ver doit sortir, il commence à faire usage de son derrière comme d'une tente, pour augmenter le diamètre du trou de son habitation. Il l'y fait entrer et l'en retire plusieurs fois pendant deux ou trois jours, et plus il le l'épète de fois, plus il est en état de tenir longtemps son bout postérieur dans le trou; il y est moins à l'étroit. Le jour qui précède celui où le ver doit sortir, on trouve presque continuellement la partie pos- térieure du ver dans le trou. Enfin, il en sort à reculons et touche à terre. Là il se loge sous une pierre, ou s'enfonce dans le gazon. 11 demeure tran- quille et se prépare à ses transformations ultérieures. Sa p au se durcit, les anneaux s'effacent, sa couleur passe au noir. Dès lors Tins te est détaché 80 LES INSECTES. de cette peau qui lui forme comme une coque ou une boîte très-solide. A la partie antérieure et supérieure de la coque est une pièce triangulaire que la mouche détache lorsqu'elle est en état de paraître au grand jour. La figure 56 représente, d'après les planches qui accompa- gnent le mémoire de Réaumur, la larve d'OEstre sortant de sa coque. L'habile observateur s'est encore demandé avec quel instrument rOEstre peut parvenir à percer le cuir épais du bœuf. Cet instrument, la femelle seule le possède. Il est placé à l'ex- trémité postérieure du corps. C'est un cylindre, d'un brun noir, luisant, et comme écailleux. En pressant entre deux doigts le ventre de la mouche, on le fait sortir et s'allonger. Réaumur a vu qu'il était composé de quatre tuyaux qui pouvaient rentrer les uns dans les autres, comme ceux d'une lunette (fig. 57). Le der- Fig. 56. Sortie d'une larve d'Œstre, d'après Réaumur. Fig. 57. Tarière de l'Œstre femelle du bœuf. nier tuyau, vu par-dessous, semble terminé par cinq petits bou- tons écailleux, qui ne sont pas placés sur la même ligne, et sont les bouts de cinq différentes parties écailleuses. Trois de ces bou- tons sont munis de crochets, et ces trois crochets composent un instrument excellent pour agir contre une peau dure et épaisse. Réunis, ils forment une cavité semblable à celle de nos tarières et qui se termine en cuiller. Mais cette cuiller, composée de trois pointes, est bien plus en état que celle de nos tarières de mor- dre sur le corps qu'elle doit percer. La Céphalémie des moutons (Cephalsemia ovis) a reçu ce nom par suite des très-fâcheux rapports qui s'établissent entre ces deux êtres. DIPTÈRES. 83 Le mouton ressent à la seule vue de cet insecte une terreur extrême. Dès qu'une de ces mouches volantes apparaît, une agi- tation subite se déclare dans le troupeau. La ])rebis attaquée se- coue la tète lorsqu'elle sent la mouche posée sur ses narines. En même temps, elle frappe violemment la terre avec ses pieds an- térieurs; puis elle se met à courir çà et là, tenant le nez très- près du sol, flairant le gazon, et regardant avec inquiétude si elle est encore poursuivie. C'est pour éviter les attaques de la Géphalémie que, pendant les jours chauds de l'été, on voit les moutons se coucher sur les grandes routes, enfoncer leurs naseaux dans les ornières pou- dreuses, ou bien encore se tenir debout, ayant la tète baissée et logée entre les deux jambes de devant, le nez presque en contact avec le sol (fig. 58). Quand ces pauvres bêtes sont en pleine campagne, on les voit quelquefois se rassembler, de manière à former une espèce de ba- V"^^ ^n\ Fig. 59. Géphalémie du mouton. taillon très-compacte, placer leurs naseaux les uns contre les au- tres et très-près de la terre, de sorte que les moutons qui occu- pent les rangs extérieurs sont les seuls exposés. La Géphalémie du mouton (lig. 59) a la tête moins velue, mais plus grosse proportionnellement que celle de l'OEstre du cheval Sa face est rougeàtre, son front brun, à bande pourprée; ses yeux d"un vert foncé et changeant. Ses antennes sont noires; son tno- rax est tantôt gris, tantôt brun, hérissé de petits tubercules noir^ 84 LES INSECTES. sétigères. L'abdomen, sur un fond blanc, est tacheté de brun ou de noir. Les ailes sont hyalines. La Céphalcmie du mouton habite l'Europe, l'Arabie, la Perse, et même les Indes orientales. Elle dépose ses œufs sur le bord des narines de l'animal. Sa larve vit dans les sinus frontaux et maxillaires. C'est un ver blanchâtre, offrant, sur chacun de ses segments, une bande trans- versale noire. Sa tète est armée de deux crochets cornés, noirs, parallèles, mobiles de haut en bas et latéralement. Chaque seg- ment du corps est hérissé, en dessous, de plusieurs rangs de tu- bercules presque sphériques, surmontés de petites épines à poin- tes rougeâtres, et toutes dirigées en arrière. Ces pointes, dit M. Joly, servent proba])lement à faciliter la progression de l'ani- mal sur les surfaces lisses et glissantes des membranes muqueu- ses auxquelles il se fixe pour se nourrir, et peut-être aussi à augmenter la sécrétion de ces membranes, par l'irritation que ces nombreux piquants y déterminent ^ Fixée au moyen de ses crochets mandibulaires à la membrane muqueuse qu'elle perfore, la larve se nourrit de mucus et de pus, et vit dans ce milieu, d'après M. Joly, pendant près d'une année entière. Elle en sort au bout de ce temps, en suivant la voie par où elle est entrée, toml^e sur la terre, s'y enfonce à la profondeur de quelques centimètres, et s'y transforme en nymphe. Sa coque est d'un beau noir. Trente à quarante jours après son ensevelissement, la larve se réveille insecte parfait. Celui-ci dé- tache, à l'aide de sa tête qui grossit considérablement à cet ef- fet, l'opercule placé à la partie antérieure de sa coque, et prend son vol. Malgré la forme menaçante de leur trompe, les mœurs des Co- nops sont très-douces. A l'état adulte, on les voit seulement sur les fleurs, dont ils cherchent à sucer le suc emmiellé. Mais il n'en est pas de même de leurs larves. Celles-ci vivent en parasites sur les Bourdons. Latreille a vu le Conops rufipède sortir adulte du corps d'un Bourdon, par les intervalles des segments de l'ab- domen. 1. 'Recherches sur les OEstrides en général, et particulièrement sur les OEstres qui attaquent l'iioimae, le cheval, le bœuf et le mouton, par N. Joly, professeur à la Fa- culté des sciences de Toulouse, iii-4°, Lyon 1846. (Page 63.) DIPTERE.S. 85 Les Muscides forment cette grande tribu de Diptères connus sous le nom vulgaire de Mouches et qui sont répandus sur notre globe en si grande al)ondance. Compagnes fidèles des plantes, les Mouches les suivent jusqu'aux derniers confins de la végétation. En même temps, elles sont ap- pelées par la nature à hâter la dissolution des êtres qui ont cessé de vivre. Elles placent dans les cadavres des animaux leurs lar- ves, qui font leur proie de ces chairs corrompues, et contribuent ainsi à débarrasser promptement la terre de causes funestes d'in- fection pour ses habitants. Aussi les organes de ces insectes sont- ils modifiés à l'infini, pour s'approprier à la diversité de leurs fonctions. M. Macquart, le savant auteur de YHistoire Jiaturelle des Diptères, divise les Muscides en trois sections : celle des Créophiles, celle des Anthomyzides^ et celle des Acalijptères. Section des Créophiles. — Les Créophiles sont les Mouches dont Fig. 60. Échinomie. l'organisation est la plus robuste. Leurs mouvements sont vifs, leur vol rapide. La plupart se nourrissent du suc des fleurs; quel- 86 LES INSECTES. qiies-uns du sang ou des humeurs des animaux. Ceux-ci déposent leurs œufs sur divers insectes, ceux-là sur les corps en décompo- sition. D'autres sont vivipares. Les Tachinaires , par exemple, dont fait partie le genre Échi- nomie (fîg. 60), prennent leur nourriture sur les fleurs. Elles dé- posent leurs œufs sur les Chenilles. Les jeunes larves, à leur naissance, pénètrent dans le corps de ces chenilles, et s'alimentent de la substance adipeuse qui y abonde. Quelle n'est pas quelque- fois la surprise du naturaliste, qui a précieusement recueilli une chrysalide, qui attend de jour en jour le brillant papillon dont elle est la mystérieuse et grossière enveloppe, et qui voit s'échap- per à sa place un essaim de mouches ! Il paraît , d'après de récentes observations , que les Tachi- naires exercent sur tous les ordres d'insectes cette singulière pré- rogative. Mais il est une autre manœuvre bizarre à laquelle se livrent les Diptères qui nous occupent, pour préparer à leurs larves, dès le moment de leur naissance, une abondante provision de vic- tuailles. Voici le procédé qu'ils emploient. Personne n'ignore que certains insectes fossoyeurs, tels que les Abeilles, Charançons, Mouches, etc., portent dans leurs souter- rains leurs proies, c'est-à-dire d'autres insectes dont ils se sont emparés, et qu'ils destinent à servir de pâture à leurs propres larves. De petites Tachinaires, épiant l'instant favorable, se glis- sent furtivement dans ces retraites, et déposent leurs œufs sur ces victuailles mêmes qui devaient servir à régaler d'autres con- vives. Les larves des Tachinaires qui éclosent de bonne heure font leur curée des provisions amassées dans le souterrain, et réduisent les légitimes propriétaires du logis à mourir d'inanition. » Cet instinct, dit M. Macquart, est accompagné de la plus grande agilité, de l'opiniâtreté et de Faudace nécessaires à ce brigandage; et. d'un autre Cjté, les Hyménoptères, frappés de crainte ou de stupeur, n'opposent aucune résis- tance à leurs ennemis, et quoiqu'ils fassent une guerre continuelle à divers insectes et particulièrement à divers Muscides, jamais ils ne saisissent ceux dont ils ont tant à se plaindre, et qui cependant n'auraient aucune arme à leui opposer. » Les Sarcophages sont des Diptères fort communs, qui se trou- vent le plus souvent sur les fleurs, dont ils butinent les sucs. Par une singularité très-rare chez les insectes, les femelles ne pon- dent pas des œufs, mais des petits vivants. Réaumur a observé, avec son soin habituel, ce cas remarquable DIPTERES. de viviparisme. Il le constata sur une Mouche qui, dans nos mai- sons, cherche, pour y déposer ses larves, les endroits où l'on conserve la viande. Cette mouche est grise, ses jamhes sont noires et ses yeux rouges. Quand on a pris une de ces mouches, et qu'on la tient entre ses doigts, on voit souvent sortir de la partie postérieure de son cor})s un petit ver oblong, l)lanchàtre, cylindrique, qui s'agite, pour se dégager tout à fait. C'est une larve qui commence à voir le jour, et qui fait des efforts pour sortir du corps de sa mère. Elle n'est pas plutôt dégagée , que le bout d'une autre commence à se montrer. Il en sort ainsi quelquefois jusqu'à trente ou qua- rante. Si l'on presse légèrement le ventre de la mouche, il peut sortir en très-peu de temps plus de quatre-vingts de ces larves. Si l'on présente de la viande à ces vers, ils s'y enfoncent avec empressement et la mangent avec avidité. Ils croissent rapide- ment, atteignent au bout de quelques jours leur grandeur défini- tive, se font une coque de leur propre peau. De chaque coque sort, au bout de quelque temps, une mouche mâle et femelle. Si l'on ouvre le corps de ces mouches vivipares, on voit bientôt une sorte de gros ruban contourné en spirale sur lui-même. Ce ruban parait, au premier abord, n'être qu'un assemblage de vers placés parallèlement les uns à côté des autres. Mais chaque ver a une enveloppe membraneuse fine et blanche, analogue à ces toiles d'a- raignée si légères qu'on voit voltiger en automne, et qu'on nomme fils de la Vierge. On ne peut s'empêcher d'admirer la prodigieuse fécondité qui a été donnée à cette espèce de mouche, quand on sait que, sur une longueur de 3 lignes, la larve qui renferme les petits vers en contient 2000. Or, cette larve ayant 2 pouces 1/2 de longueur, loge, par cela même, environ 20 000 vers. Les Stomoxes, très-voisins de la mouche ordinaire, s'en écar- tent beaucoup par leurs habitudes. Ce sont des buveurs de sang. Le Stomoxe piquanl est très-commun dans nos climats. Ses palpes sont fauves, ses antennes noires, son thorax rayé de noir, son abdomen taché de brun. Sa trompe est solide, menue et al- longée. Elle dépose ses œufs sur le cadavre des grands animaux. La Mouche dorée, ou Lucilie cœsar, pond ses œufs sur les viandes dépecées, ou les animaux abattus. Elle est longue seulement de trois à quatre lignes, d'un vert doré, avec des palpes de couleur ferrugineuse, des antennes brunes et des pieds noirs. Une espèce de ce genre, la Lucilie hominivore, a acquis dans ces 88 LES INSECTES. derniers temps une triste célébrité. C'est à M. le docteur Charles Coquerel, chirurgien de la marine impériale, que nous devons sur ce dangereux Diptère les renseignements les plus exacts, et la révélation des dangers auxquels l'homme est exposé par ses attaques, dans certaines contrées du globe. Mais décrivons d"a])ord l'insecte, qui est fort joli et de couleurs brillantes. La figure 61 représente, d'après le mémoire de M. Charles Co- Fig. 61. Lucilie hominivore. querel, la larve et l'insecte parfait, ainsi que les mandibules cor- nées qui terminent la larve. Sa longueur est de 9 millimètres. Sa tête est grande, d'un jaune doré et duveteux. Le thorax est d'un bleu foncé très-bril- lant, à reflets pourpres comme l'abdomen. Les ailes sont trans- parentes, un peu enfumées; leurs nervures sont noires, ainsi que les pattes. Cet insecte si joli est un assassin. M. Coquerel nous a appris qu'il peut, dans des circonstances particulières, produire la mort de ces malheureux condamnés que la justice humaine a déportés au lointain pénitencier de Cayenne. Quand un de ces êtres dégradés qui croupissent dans une sor- dide malpropreté, s'endort, en proie à une ignoble ivresse, il arrive aue cette mouche s'introduit dans sa bouche et dans ses narines. Elle y pond ses œufs, et lorsque ces œufs se sont chan- gés en larves, il survient chez la victime de cet envahissement des désordres assez graves pour entraîner la mort*. 1. "La plupart des transportés attaqués par la iuci'h'e hominivore, dit M. F. Bouyer, capitaine de frégate, dans un Voyage à la Guyane française, ont succombé malgré les secours de la science. Les cures que l'on a obtenues sont des exceptions. Sur une DIPTÈRES. 89 Ces larves sont d'un blanc opaque, longues de 14 à 15 milli- mètres et munies de onze segments. Elles ont une bouche armée de deux mandibules cornées très-aiguës. Logées dans l'intérieur des fosses nasales et des sinus frontaux, elles coupent, elles broient, elles rongent. On les a vues gagner le globe de l'œil, et gangrener les paupières. Elles entrent dans la bouche, corrodent et dévorent les gencives et l'entrée de la gorge,' de manière à transformer ces parties en une masse de chair putréfiée, en une bouillie infecte. Détournons nos regards de cet horrible tableau, et remarquons que cette Mouche hominivore n'est point un parasite proprement dit de l'homme, car elle ne l'attaque qu'accidentellement, comme elle attaque les êtres qui vivent journellement dans la malpro- preté. On trouve rapporté dans beaucoup d'ouvrages de médecine un fait qui se passa il y a vingt ans à la clinique chirurgicale de M. J. Gloquet. L'histoire n'est peut-être pas ragoûtante, mais elle est si curieuse au point de vue qui nous occupe, que nous ne croyons pas devoir en priver nos lecteurs. Voici donc la chose : On apporte un jour à l'Hôtel-Dieu un pauvre diable, à demi mort. C'était un mendiant, qui, ayant dans son bissac de la viande corrompue, s'était endormi au soleil, sous un arbre. Son sommeil dut être long, car les mouches eurent le temps de déposer leurs œufs sur la viande gâtée, les larves eurent le temps de naître, et de plus, de dévorer la viande du mendiant. Il paraît que les larves prirent goût à ce repas, car elles pas- sèrent de la viande morte au tissu vivant. En d'autres termes, après avoir mangé la viande, elles commencèrent à manger le porteur; après avoir dévoré la chair morte, elles se mirent à dé- vorer l'homme vivant. Réveillé par la douleur, le mendiant fut conduit à THôtel-Dieu, où il trépassa définitivement. Qui croirait que l'une des causes qui rendent difficile l'explora- tion de l'Afrique centrale, est une simple mouche, qui n'est pas plus grosse que la Mouche domestique? La Mouche tselsé (fig. 62), brune, avec quelques raies jaunes et transversales sur l'abdomen, et des ailes plus longues que le corps, est sans danger pour l'homme, pour tous les animaux sauvages et, parmi les animaux douzaine fie moits constatées, on cite trois ou quatre guérisons. » {Tour du Monde, 1866, 1" semestre, p. 318.) 90 LES INSECTES. domestiques, pour le porc, le mulet, l'âne, la chèvre. Mais elle fait des piqûres mortelles au bœuf, au cheval, au mouton et au chien, et rend les contrées de rAfricjue centrale inha])itables pour ces animaux précieux. Elle semble posséder une vue perçante; « rapide comme la flèche, écrivait un voyageur, M. de Castelnau, elle s'élance du haut d'un buisson sur le point qu'elle veut attaquer. » M. Chapmann, l'un des voyageurs qui se sont avancés le plus loin au milieu de l'Afrique méridionale, raconte qu'il se couvrait le corps avec le plus grand soin, pour éviter les piqûres de cet ennemi aérien. Mais si une épine avait fait à son vêtement un trou presque imperceptible, il voyait souvent la Tsetsé, qui pa- Fig Gî. Mouche tsetsé. raissait savoir qu'elle ne pouvait traverser le drap, s'élancer et venir le piquer sur le point qui n'était pas recouvert. Cette suceuse de sang sécrète, par une glande située à la base de sa trompe, un venin si actif, que trois ou quatre mouches suf- fisent pour tuer un bœuf. La Glossine tsetsé abonde sur les rives du fleuve africain le Zam- bèze. Elle fréquente les buissons et les roseaux qui le bordent. Elle aime d'ailleurs tous les lieux aquatiques. Les bestiaux afri- cains reconnaissent à de très-grandes distances le bourdonnement de cet ennemi sanguinaire, et ce bruit sinistre leur cause une pro- fonde terreur. DIPTÈRES. 91 Le célèbre voyageur Livingstone, en traversant les régions de TAfrique arrosées par le Zambèze, perdit, par les piqûres de la Mouche tsetsé, 43 bœufs magnifiques qui n'avaient cependant reçu (car on les surveillait de très-près) qu'un très-petit nombre de piqûres. « L'un des caraclèi^cs les plus reuiarqualjlcs de la i)i([ùre de celle mouclie, dit Livingstone, est d'être complètement inoffensive pour l'homme et pour les animaux sauvages, même pour les veaux tant qu'ils sont encore k la mamelle. Nous n'en avons jamais souffert personnellement, bien que nous ayons vécu deux mois au milieu de ces insectes. « .... Lorsqu'on a sur la main une de ces mouches, et qu'on les laisse agir sans les troubler, on voit sa trompe se diviser en trois parties,.dont celle du milieu s'insère assez profondément dans votre peau; l'insecte retire cette tarière, l'éloigné un peu et se sert alors de ses mandibules qui, sous leur action rapide, font contracter k la piqûre une teinte cramoisie; l'abdomen de la mouche, flasque et aplati auparavant, se gonfle peu à peu, et, si l'insecte n'est pas tourmenté, il s'envole tranquillement aussitôt qu'il est gorgé de sang. Une légère démangeaison succède à cette piqûre, mais n'est pas plus sérieuse que celle qui est causée par une moustique. Chez le bœuf, l'effet im- médiat ne semble pas avoir plus de gravité que chez l'homme, et ne trouble pas l'animal; mais, quelques jours après, il s'écoule des yeux et du mufle de la pauvre bète un mucus abondant, la peau tressaille et frissonne comme sous l'impression du froid, le dessous de la mâchoire inférieure commence à enfler, symptôme qui parfois se manifeste également au nombril; le bœuf s'émacie de jour en jour, bien qu'il continue à paître, l'amaigrissement s'accompagne d'une flaccidité des muscles de plus en plus prononcée, la diarrhée survient, l'animal ne mange plus et meurt bientôt dans un état d'épuisement complet. Les bœufs qui ont un certain embonpoint à l'époque de la piqûre sont pris de vertige, comme si chez eux le cerveau était attaqué; ils deviennent aveugles, et périssent peu de temps après. Les changements subits de température, amenés par la pluie, semblent hâter les progrès du mal ; toutefois l'appauvrissement graduel met généralement plusieurs jours pour arriver à son terme, et, quels que soient vos efforts, les pauvres bêtes finissent toujours par mourir.... « L'àne, le mulet et la chèvre jouissent du même privilège que l'homme et les animaux sauvages à l'égard de cet insecte. Il en résulte que la chèvre est le seul animal domestique de beaucoup de peuplades nombreuses qui habi- tent les bords du Zambèze, où la Mouche tsetsé devient un véritable fléau. Mes enfants étaient souvent piqués par cette mouche ; ils n'en éprouvaient aucun mal ; et nous étions entourés d'antilopes, de buffles, de zèbres, de co- chons, qui paissaient impunément au milieu des tsetsés, bien que, entre la nature du cheval et du zèbre, du bœuf et du buffle, du mouton et de l'anti- lope, il y ait trop peu de difl'érence pour qu'il soit possible d'expliquer ce phé- nomène d'une manière satisfaisante : l'homme n'est-il pas lui-même un ani- mal domestique, tout aussi bien que le chien? Les veaux sont à l'abri des efi"ets de cette piqûre aussi longtemps qu'ils tettent leurs mères, et les chiens nourris de lait n'en succombent pas moins au mal qui en résulte. Cette sin- gularité nous fit croire tout d'abord que ces ravages étaient produits par quelque plante et non par l'insecte; mais le major ^'ardon, appartenant à 92 LES INSECTES. l'armée de Madras, trancha la question en allant à cheval sur une petite col- line infestée de tsetsés; il ne permit pas à sa bête de manger un brin d'herbe, ne resta dans cet endroit que le temps nécessaire pour regarder le pays, et pour saisir quelques-unes des mouches qui piquaient sa monture; dix jours après, le malheureux cheval était mort'. » Les habitants des rives du Zambèze ne peuvent donc avoir d'autre animal domestique que la chèvre. Quand des troupeaux de bœufs, conduits par des voyageurs ou des marchands, sont forcés de traverser ces lieux maudits, on ne les fait marcher que pen- dant les nuits claires de la froide saison. On a même soin de les barbouiller de fiente, mêlée de lait. En effet, la mouche tsetsé a un profond dégoût pour la fiente des animaux, et d'ailleurs, à l'époque où l'on fait voyager les bœufs à travers ces parages, elle est engourdie par l'abaissement de la température. Ce n'est qu'avec ces précautions que l'on peut franchir cette dangereuse étape. Le genre CaUiphore (Calliphora) a pour type bien connu la grosse Mouche bleue de la viande, que tout le monde connaît par son abdomen brillant et azuré, à reflets blancs. Cette mouche, très-commune partout, est le Calliphora vomitoria, sur laquelle Réaumur a fait de si nombreuses et de si belles observations que nous ferons connaître à nos lecteurs. Si l'on renferme, comme l'a fait Réaumur, dans un vase de verre, une Mouche bleue de la viande, et qu'on place près de cet in- secte un morceau de chair fraîche, au bout d'une demi-journée à peine, la mouche .aura déposé ses œufs sur la viande. Elle les dépose les uns auprès des autres, en divers tas, inégalement gros et irréguliers. L'ensemble de ces tas (fig. 63) renferme environ 200 œufs, qui sont d'un blanc irisé et quatre à cinq fois plus longs que larges. Moins de vingt-quatre heures après que l'œuf a été pondu, une larve en sort. Le jeune être n'est pas plutôt né qu'il songe à manger. Il s'en- ferme dans le morceau de viande, et à l'aide des crochets et du dard dont ce crochet est pourvu, il détache de petites portions de viande qu'il ingurgite aussitôt. Ces vers ne paraissent rejeter aucun excrément solide; mais ils produisent une liqueur gluante, qui entretient sur la viande une certaine humidité, et hâte sa putréfaction, ou, ce ({ui est la même 1. Livingstone : Exploration dans l'intérieur de V Afrique australe et voyages à travers le continent^ de Saint-Paul de Loanda à l'embouchure du Zambèze, de IS'iO à 1846 ; traduit de l'anglais. In-S", Paris, 1859, pages 93-95. DIPTÈRES. 93 chose, la rend plus tendre. Nos larves mangent donc, elles man- gent toujours et beaucoup; si bien qu'en quatre ou cinq jours elles arrivent à leur dernière période d'accroissement. Alors elles Fig. 63. Œufs de la Mouche de la viande. ne prennent plus de nourriture jusqu'à ce qu'elles se soient trans- formées en mouches. Pour le moment, elles ne sont encore qu'à l'état de nymphe. En cet état, elles n'ont plus besoin de rester sur la chair cor- rompue qui fut leur berceau en même temps que leur garde- manger, et où jusque-là elles s'étaient si bien trouvées. Elles la quittent donc, et vont chercher leur retraite sous terre. Ce ver qui était blanc, transparent, charnu, et dont la chair paraissait tendre et molle, prend alors la figure d'un globe de couleur rougeâtre. Il a perdu tout mouvement, il ne peut plus ni s'allonger, ni s'accourcir, ni se gonfler, ni se contracter. La vie semble l'avoir abandonné. « On nous raconterait nn prodige, dit Réaumur, si on nous apprenait qu'il y a un quadrupède de quelque espèce de la grandeur d'un ours ou même de celle d'un bœuf qui, dans un certain temps de l'année, à l'approche de l'hiver par exemple, se détache entièrement de sa peau pour s'en faire une espèce de boîte, de la figure d'une boule allongée; qu'il se renferme dans cette boîte, que non-seulement il sait la rendre close de toutes parts, qu'il sait de plus lui donner une solidité qui le met à l'abri des injures de l'air et des insultes des autres animaux. Ce prodige, nous l'avons en petit dans la métamorphose de notre ver. Il se défait de sa peau pour s'en faire un logement solide et bien clos. » Si l'on ouvre ces coques vingt-quatre heures seulement après la métamorphose des vers, on n'y trouve encore aucun vestige des parties propres aux nymphes. Mais quatre ou cinq jours après, la coque est occupée par une nymphe blanche, pourvue de toutes les parties d'une mouche. Les jambes et les ailes, quoique conte- nues dans des fourreaux, sont très-distinctes. Ces fourreaux sont si minces qu'ils ne les cachent pas. La trompe de la Mouche est couchée sur le corselet; on distingue ses lèvres et l'étui de l'ai- 94 LES INSECTES. guillon. La tête est grosse et bien façonnée; ses gros yeux, à fa- cettes, sont très-reconnaissables. Les ailes semblent encore infor- mes, parce qu'elles sont plissées et comme empaquetées. C'est la Mouche, mais la mouche immobile et inanimée; c'est comme une momie enveloppée dans ses langes Pourtant cette momie doit se réveiller, et lorsque vient le mo- ment de ce réveil, elle est devenue forte et vigoureuse. C'est qu'en effet elle a besoin de force et de vigueur pour accomplir cet acte important de sa vie. Bien que ses langes soient minces, c'est pour la nymphe un grand ouvrage que de s'en débarrasser, car chacune de ses parties extérieures en est enveloppée comme d'un étui, à peu près comme un gant s'ajuste exactement à tous les doigts de la main. Mais ce qui doit exiger le plus de force, c'est l'opération consistant à pratiquer l'ouverture de cette coque, de ce cercueil, dans lequel notre momie est étroitement enfermée. C'est toujours par le même bout que chaque Mouche sort de sa coque, par celui où est placée sa tète, et où se trouvait aupara- vant celle du ver. Ce bout est composé de deux pièces, de deux demi-calottes appliquées l'une contre lautre. Ces deux demi-ca- lottes peuvent se détacher l'une de l'autre et du reste de la coque. Il suffit à la Mouche qu'une des deux soit détachée ; et pour arri- ver à ce résultat, elle emploie un moyen loien surprenant. Elle gonfle et elle contracte alternativement sa tète, comme par un mouvement de diastole; et la tète, en se gonflant, pousse les deux demi-calottes du bout de la coque. Celle-ci ne résiste pas longtemps contre les coups de bélier que la Mouche produit avec sa tête, et l'insecte sort enfin triomphant. Cependant notre nouveau-né est encore assez différent de ce qu'il sera bientôt. Cette Mouche, qui doit être bleue, est alors grisâtre. Mais elle avance vite en perfection. Au bout de trois heures seulement, elle a atteint sa couleur définitive, et dans un temps fort court toutes les parties de l'animal prennent la con- sistance et la fermeté qui les caractérisent. En même temps les ailes qui, au moment de son entrée dans le monde, étaient de vrais moignons, s'étendent peu à peu et déplient tous leurs zig- zags. On voit alors la Mouche à viande telle que nous la connais- sons (fig. 64j. Un des points de la structure de cette Mouche qui a le plus at- tiré l'attention de Réaumur, et qui est bien digne d'exciter la cu- riosité de tous ceux qui s'intéressent à tout ce petit monde ailé, c'est la composition de sa trompe. Avec l'illustre observateur DIPTÈRES. 95 de rœiivre de Dieu chez les Insectes, nous jetterons donc un re- gard sur l'appareil, compliqué et remarquable, à laide duquel la Mouche, ce parasite, cet ail'amé, ce gourmand de nos repas, peut Fig. 64. Mouche de la viande. sucer les liquides, et même goûter à des substances solides et cristallines, comme un morceau de sucre. Il n'est pas difficile d'obliger une Mouche à montrer sa trompe tout entière, bien étendue et bien gonflée. On n'a qu'à presser 65. Trompe Fig. 66. Partie conique de la de la trompe Mouche de la viande. de la Mouche de la viande. entre deux doigts, soit les deux côtés, soit le dessus et le dessous du corselet. On la force ainsi, et sur-le-champ, à tirer la langue, pour ainsi dire. Cette trompe paraît composée de deux parties articulées ensem- ble, et qui forment un angle plus ou moins ouvert (lig. 65). La première portion de la trompe, celle qui part de la tète, est entièrement membraneuse et a la forme d'un entonnoir. Nous la nommerons la partie conique et la représenterons à part (fig. 66). La seconde portion se termine par un empâtement, en partie car- tilagineux ou écailleux et d'un brun luisant. En dessus de la por- tion conique s'élèvent deux espèces d'antennes oblongues, sans articulations, de couleur marron et garnies de poils. Si l'on cesse de presser le corselet, on voit la partie conique membraneuse et musculeuse se retirer dans son espèce de boîte 96 LES INSECTES. (fig. 67). Sa base est fixe et le reste se raccourcit en se plissant et entraînant les deux antennes. La seconde portion est en même tem'ps tirée dans la cavité, mais elle se redresse en faisant des angles de plus en plus aigus, de façon que quand elle arrive à l'ouverture de la cellule, sa longueur est parallèle à celle de cette cellule qui a toute la capacité nécessaire pour recevoir cette se- conde partie. L'empâtement s'allonge et s'aplatit un peu, et il re- couvre la trompe. Obligeons une seconde fois la trompe à s'étendre, pour bien voir son bout. C'est là que se trouve l'ouverture qui peut être regardée comme la bouche de l'insecte, et comme une bouche munie de deux grandes et épaisses lèvres (fig. 68). Ces lèvres forment un disque perpendiculaire à l'axe de la trompe, ovale, et divisé par une fente en deux parties égales et semblables. Les lèvres ont chacune un grand nombre de canne- 67 Trompe rétractée Fig. 68. Extrémité de la trompe Mouche de la viande. de la Mouche de la viande. lures parallèles et perpendiculaires à la fente. Ces cannelures sont formées par une suite de vaisseaux posés les uns auprès des autres. Il suffit de presser la trompe pour voir les vaisseaux dis- tendus par un liquide. Réaumur, auquel nous empruntons tous ces détails, a dé- couvert quelques-uns des usages de cette trompe. Sur les parois intérieurs d'un vase de terre bien transparent, il étendit de légè- res couches d'un sirop épais. Puis il y renferma des Mouches. Il lui fut dès lors aisé d'en voir quelques-unes qui allaient se fixer sur les parois, pour se régaler de la liqueur sucrée dont elles sont très-friandes. Il les observa avec soin, et, dans son admirable livre, il invite les curieux à se donner ce spectacle, dont ils seront assurément satisfaits, comme il le fut lui-même. Pendant que le corps de la trompe est fixe, son bout est dans une grande agitation. On y voit des mouvements de plusieurs es- pèces, et tous d'une vitesse surprenante. Ce sont les lèvres qui DIPTERES. 97 agissent de cent façons différentes, et toujours avec rapidité. Al- ternativement le petit diamètre du disque qu'elles forment s'al- longe et se raccourcit; l'angle des deux lèvres varie à chaque instant; elles deviennent successivement plates et convexes, soit tout entières, soit par portion. Tous ces mouvements, remarque Réaumur, donnent une grande idée de l'organisation de la partie qui les exécute. Le but de tous ces mouvements, c'est de faire entrer le sirop dans l'intérieur de la trompe. Si l'on considère avec attention ces lèvres (lig. 69), on remarquera aisément qu'elles se touchent vers le centre du disque et laissent entre elles deux ouvertures, l'une en avant, l'autre en arrière. Celle qui est en avant est, pour ainsi dire , la bouche de la Mouche, car c'est à cette ouverture qu'est conduite la liqueur qui doit être et qui est bientôt introduite ^j^",*'^" I 1 Lèvre de la trompe dans la trompe. Sans nous préoccuper, pour de la Mouche de la le moment, du conduit par lequel elle monte, nous pouvons demander d'avance, quel que soit ce canal, quelle est la force qui contraint la liqueur à s'y élever. Il est presque certain que la succion est la principale cause qui fait monter la liqueur dans cette trompe. Celle-ci serait dès lors une pompe aspirante, dans laquelle la liqueur est poussée par la pression de l'air extérieur. La Mouche vide d'air le canal de sa trompe, et la goutte liquide appliquée contre l'ouverture pénètre et monte dans ce canal, sous l'influence de la pression de l'air. II faut ajouter à ce phénomène physique les mouvements nom- breux et multiples qui se font dans la trompe, et qui doivent dé- terminer des pressions capables de faire avancer la liqueur intro- duite dans le canal. Réaumur s'est demandé comment des sirops très -épais, et même du sucre solide , peuvent être aspirés par la trompe molle de la Mouche. Il a vu ici des merveilles. Il a vu que si une Mou- che rencontre un sirop trop épais, elle sait le rendre suffisam- ment liquide: — que si elle rencontre du sucre trop dur, elle sait en fondre de petites portions. Il existe, en effet, dans son corps une provision de liqueur, dont elle fait sortir à volonté une goutte par le bout de sa trompe. Elle laisse tomber cette goutte de liquide sur le sucre qu'elle veut dissoudre, ou sur le sirop qu'elle veut étendre. Une Mouche qu'on tient entre ses doigts laisse souvent apercc- 7 98 LES INSECTES. voir, au bout de sa trompe, une goutte de cette liqueur, très- fluide et très-transparente. « L'eau versée pour ainsi dire sur le sirop, dit Réaumur, ne s'insinuerait pas toujours assez vite entre toutes SCS parties, le mouvement des lèvresdelaMouclie hâte l'opération; les lèvres retournent, manient et pétrissent le sirop, afin que l'eau le pénètre promptement, comme on manie et pétrit avec les mains une pâte dure qu'on veut ramolliren y faisant entrer l'eau qui la couvre. C'est ainsi encore que la Mouche en use pour le sucre. Quand la trompe est obligée d'agir sur un grain d'une figure irrégulière et raboteuse sur lequel elle ne peut s'appliquer commodément, son bout se contourne pour le saisir, pour l'embrasser. Quelquefois il est très-plaisant de voir comment la Mouche re- tourne le grain en divers sens; il semble qu'elle joue avec ce grain comme un singe joue avec une pomme. Ce n'est pourtant que pour parvenir à lebien tenir, à le mouiller avec plus de succès et à pomper ensuite l'eau qui l'a dis- sous en partie. » Réaumur a remarqué souvent une goutte d'eau au bout de la trompe de Mouclies qui étaient complètement rassasiées d'ali- ments. Il a vu cette goutte remonter dans la trompe, puis re- descendre à son extrémité, et cela à plusieurs reprises. Il lui a semblé que ces Mouches, comme plusieurs espèces de nos qua- drupèdes, avaient besoin de ruminer; que pour mieux digérer la liqueur qu'elles ont fait passer dans leur estomac, elles sont obligées de la faire revenir dans leur trompe, pour l'y faire ren- trer ensuite mieux préparée. Pour s'assurer directement de la réalité de sa supposition, Réaumur goûta l'eau qu'avait amenée au bout de sa trompe une Mouche qui, dit-il, « s'était soûlée de sucre, » et il trouva cette eau sucrée. De même, ayant offert de la gelée de groseille à une Mouche, il entrevit, après qu'elle s'en fut suftîsamment gorgée, plusieurs gouttes d'une liqueur rouge dans la trompe, et, l'ayant goûtée, il trouva la saveur que sa vue seule faisait deviner d'a- vance. L'illustre observateur qui avait déjà fait toutes ces jolies de- couvertes sur la structure et sur les fonctions de la trompe des Mouches, avait souvent réfléchi sur ce fait, que des liqueurs dont les Mouches sont friandes, sont renfermées sous la peau de cer- tains fruits, comme les poires, les prunes, les raisins, etc., ou même sous la peau de certains animaux dont elles aiment à sucer le sang. Pour que la trompe d'une Mouche puisse agir dans de telles circonstances, il faut donc qu'elle ait piqué et ouvert la peau. S'il en est ainsi, pensait Réaumur, les Mouches doivent DIPTP]RES. 99 avoir un aiguillon. Il chercha longtemps cet aiguillon et finit par le trouver. Cet aiguillon existe sur le dessus de la partie de la trompe qui est terminée par les lèvres. Il est placé dans une coulisse charnue et enveloppé dans un étui. C'est une pointe très-fine à l'extrémité et de couleur blonde (fig. 70). Le ])out de cet aiguillon se trouve dans l'ouverture qu'on observe entre les lè- vres de la trompe, vers son bord an- térieur, où se rendent des ruisseaux ' . . „ ' Fig. 70. Aiguillon de la liqueur sur laquelle les lèvres de la trompe , ^, , 1 , ,, . , de la Mouche de la viande. agissent. G est la 1 unique ouverture des lèvres, et le suçoir qui s'empare de la liqueur est la même; partie que nous appelions tout à l'heure l'étui de l'aiguillon. Quand on est avec Réaumur, on ne s'en séparerait jamais. Ce- pendant nous arrêterons ces détails, pour continuer notre revue des principaux genres des Diptères. Le genre Musca (mouche), dans lequel Linné comprenait l'immense série des Diptères, à l'exception des Tipulaires, des Tabaniens, des Asiles, des Bombyles et des Empides, est mainte- nant réduit à la Mouche domestique et à quelques espèces voi- sines. Les habitudes de ces compagnes de nos logis se rapportent aux deux grands mobiles de la vie animale : manger et assurer la perpétuité de l'espèce. Les Mouches se nourrissent principalement des fluides qui transsudent du corps des animaux, c'est-à-dire de la sueur, de la salive, de la sanie des plaies et autres excrétions. Elles recherchent aussi les sucs végétaux; car on les voit dans nos habitations s'acharner sur les fruits et les substances sucrées. Les Mouches ordinaires déposent leurs œufs sur les végétaux, et particulièrement sur les champignons en décomposition, sur les fumiers, les bouses de vache, etc. Les Mouches sont essentiellement parasites. Elles se jettent sur les hommes et les bestiaux, pour humer les substances fluides répandues à la surface de leur corps. Dans nos habitations, elles butinent sur tout ce qui peut les nourrir. Leurs générations se succèdent avec une grande rapidité. La Mouche domestique {3rusca domestica) est longue d'environ trois lignes, d'une couleur cendrée avec la face noire, les côtés jaunâtres et le front jaune à bandes noires (fig. 71). Les antennes 100 LES INSECTES. sont noires; le thorax présente des lignes noires; l'abdomen est pâle en dessous et ses côtés sont d'un jaune transparent chez les mâles. Il est marqueté de noir. Les pieds sont noirs; les ailes sont assez claires, à base jau- nâtre. Cette espèce est extrêmement répandue dans toute l'Europe. Tout le monde sait com- bien elle est incommode aux environs de Paris, Mouchè^domestique. vers la fin de l'été, et surtout dans le midi de la France, pendant la saison chaude. La Mouche des bœufs {Musca bovina), très-voisine de la Mouche domestique, est également très-commune en France. Elle se jette sur les narines, les yeux, ou les plaies des bestiaux. La Mouche bourreau (Musca carnif^x), qui n'est pas rare en France, attaque aussi les bœufs. Elle est d'un vert métallique obscur, à léger duvet cendré. Son front est argenté sur la face et sur les côtés. Son abdomen est bordé de noir, ses ailes hyalines à base jaunâtre. Section des Anthomyzides. — I.a section des Anihomyzides renferme des insectes qui semblent être des Créophiles dont l'organisation s'affaiblit par une gradation presque insensible. Leurs couleurs sont très-diverses. Le noir, le gris, le ferrugineux se nuancent et se combinent à l'infini. Ajoutez â cela des reflets qui recouvrent le fond et changent la livrée du petit animal suivant l'incidence des rayons lumineux. Les mœurs des Anthomyzides off'rent, comme leur organisation, de grands rapports avec celles des Muscides. Dans ce groupe de Diptères, nous dirons d'abord quelques mots des Anlhomyies. Ces mouches sont répandues dans tous les lieux, sur toutes les fleurs, et particulièrement sur les capitules des Composées et les ombelles des Ombellifères. Elles se réunissent souvent en troupes nombreuses, dans les airs, et s'y livrent, comme les Tlpules , aux danses joyeuses auxquelles l'amour les coavie. Les femelles déposent leurs œufs dans la terre, et leurs larves s'y développent rapidement. Celles-ci se suspendent à quelque corps, comme font les Chrysalides, pour s'y transformer en nymphes. L'Anthomyie pluviale (fig. 72) est longue de deux â quatre lignes, il'un cendré blanchâtre. Ses ailes sont hyalines. Son thorax pré- sente cinq taches noires, et son abdomen trois rangs de ces mê- mes taches. DIPTERES. 101 A Nous nous arrêterons un moment sur les Pégomyies. qui sont très-intéressantes à l'état de larve, et qui ont excité l'intérêt et la sagacité de Réaumur. Le berceau de ces Diptères, c'est l'intérieur des feuilles. Ils travaillent comme des mineurs du monde végétal, dans le parenchyme des feuilles, entre les deux membranes épidermiques. La jusquiame, l'oseille, le chardon nour- rissent surtout leurs larves. Si l'on tient, et qu'on considère en face du jour, une feuille dans laquelle un de ces mineurs s'est établi, on voit l'ouvrier forer conti- nuellement la membrane végétale. Sa tète est armée d'un crochet, formé de deux pièces cornées, et il pioche, avec ce crochet, dans le parenchyme de la feuille. L'effet des coups de pioche est visible, car les endroits sur lesquels ils tombent pren- nent peu à peu de la transparence. Chaque coup détache une petite portion de la substance de la feuille. C'est de cette façon que nos mineurs se creusent des galeries dans lesquelles ils trouvent le couvert, le vivre et la sécurité. Les uns se changent en nymphes dans la galerie même qu'ils ont creusée, les autres sortent des feuilles lorsqu'ils sont près de leur première transformation. Section des Acalyptères. — Les ica/iy/)Zère5, qui terminent l'immense tribu des Muscides, comprennent le plus grand nombre de ces insectes. Leur organisation est amoindrie et leur complexion dé- licate. Ils vivent le plus souvent dans l'épaisseur des bois, sur le gazon et les plantes aquatiques. Redoutant l'éclat et la chaleur du soleil, ils ne vont jamais puiser le nectar des fleurs. Leur vol est faible. Ils ne se livrent pas à ces joyeuses danses aériennes que nous avons signalées dans les groupes précédents. Leur vie est généralement triste, obscure et cachée. Les uns recherchent les substances animales et végétales décomposées, les autres les matières végétales vivantes. Nous ne pourrons signaler dans cet immense groupe de Musci- des que quelques types, intéressants à divers égards, tels que les Hélom.yzes, les Scatophages^ les Ortalides, les Dams, les Thyréo- phores. Fig. 7'2. Anthomyie pluviale. 102 LES INSECTES, Les Hélomyzes (fig. 73) vivent dans les bois. Leurs larves se, développent au sein des champignons. Réaumur a étudié la larve de VHélomyze de la truffe. Cette mouche a la tète de cou- leur ferrugineuse, le thorax d'un gris brun, les épaules d'un jaune brunâtre, les ailes brunâtres, l'abdomen jaune et brun, les pieds roux. Les larves de ces insectes exercent une déprédation que les gourmets ne lui pardonneront pas : elles gâtent les truffes. Fig. 73. Helomyze. Lorsqu'on presse entre les doigts une truffe trop avancée, on y sent des parties ramollies qui cèdent sous cette pression. Si l'on ouvre la truffe, on trouve en ces points des larves de l'insecte qui nous occupe. Ces larves sont blanches et très-transparentes, elles ont une bouche armée de deux crochets noirs. C'est avec ces crochets qu'elles piochent la truffe, comme d'autres larves piochent la viande. Les excrétions que rendent ces petits parasites provoquent la décomposition, la pourriture de la truffe. Au bout de quelques jours, les larves ont pris tout leur accrois- DIPTERES. 103 sèment. Elles quittent alors la truffe, et vont se loger dans la terre, pour s'y changer en nymphes. Les OrtaUdes constituent une tribu qui se fait remarquer par le port relevé des ailes, ordinairement bariolées, le mouvement de vibration de ces organes, et surtout le berceau que ces Musci- des choisissent pour leur progéniture dans les fruits et les grai- nes. La nature paraît avoir assigné à chaque espèce un végétal particulier. Nous ne signalerons ici que VOrlalide du cerisier, dont la larve vit de la pulpe des cerises. La mouche est longue d'une ligne et demie. Elle est d'un noir un peu métallique, sa tète est fauve, le bord des yeux blanc, les tarses roux. Les ailes sont rayées de quatre larges bandes noires. Le Daciis des olives (fig. 74) est une petite mouche moitié moins grosse que notre Mouche commune, d'un gris cendré sur le dos. Fig. 74. Dacus des o avec la tête d'un jaune orangé, les yeux verts et le front jaune, marqué de deux gros points noirs. Son corselet est orné de qua- tre taches d'un jaune pâle, et sa partie postérieure est de cette même couleur ainsi que les antennes et les pattes. Les ailes sont transparentes, à reflets verts, dorés, roses et bleus, suivant l'inci- dence des rayons lumineux, et caractérisées par une petite tache noire à leur extrémité. Le ventre est d'un jaune fauve ou orangé, taché de noir de chaque côté. Cette mouche a des mouvements brusques et saccadés; elle porte ses ailes étendues, elle sautille plutôt qu'elle ne vole. C'est un insecte désastreux, un véritable fléau qui fait perdre à l'agriculture française cinq ou six millions tous les deux ou trois ans. M. Guérin-Méneville a fait sur le Dacus des olives de précieuses observations, et indiqué, sur l'invitation de la Société impériale d'Agriculture de Paris, les moyens de préserver les olives de cette larve ruineuse, qui fait ordinairement manquer deux récoltes sur 104 LES INSECTES. trois. C'est à ce savant entomologiste que nous empruntons les détails qui vont suivre. A l'époque où les olives sont formées, le Dacus vient placer un œuf sous l'épiderme de chacun de ces fruits. A l'aide d'un petit instrument corné dont la femelle est pourvue, elle perce la peau de l'olive d'un petit dard contenu dans cet instrument, agite ses ailes et pond. Elle se nettoie, elle se délasse ensuite, en passant ses pattes sur sa tête, sur ses ailes et sur toutes les autres parties ^ -^ Fig. 75. Olives attaquées par le Dacus, pour y faire sa ponte. de son corps. Puis elle s'envole, et va chercher une autre olive, pour y déposer un autre œuf; elle répète cette manœuvre jusqu'à ce qu'elle ait placé ainsi sur autant de fruits les trois ou quatre cents œufs qu'elle porte. La figure 75 montre, d'après le mémoire publié par M. Guérin- Méneville dans la Revue nouvelle du 15 juillet 1847, le Dacus faisant sa ponte sur une olive, et les larves déjà nées à l'intérieur dun autre de ces fruits. Les larves qui succèdent à ces œufs sont blanchâtres, molles, sans pattes (fig. 76). Elles passent quinze à seize jours dans la DIPTERES. 105 pulpe de l'olive, en s'y creusant une galerie, d'abord verticale, qui va aboutir au noyau, puis détournée, et longeant ce noyau. Quand ces larves sont arrivées au terme de leur développement, elles se rapprochent de la surface, élargissent le premier canal, et ne laissent entre ce canal et l'air extérieur qu'une mince pellicule, au milieu de laquelle on aperçoit la petite ouverture primitive par laquelle la mère avait d'abord introduit son œuf. La figure 77, exécutée d'après le dessin qui accompagne le mé- moire de M. Guérin-Méneville, montre la galerie creusée autour Fig. 7(1. Lar.es Fig. 77. Galerie creusée et dans une olive nymphe .lu Dacu3. p^'" '^ ''^''^^ '^^ Dacus. de l'olive par la chenille d:i Dacus. Cette larve prépare ainsi une issue facile à l'insecte parfait. Alors sa peau se contracte, son corps diminue de longueur et se transforme en une coque ova- laire, qui ne tarde pas à brunir : c'est la chrysalide de l'insecte. Elle présente du côté de la tête une ligne arquée, une fine suture qui masque une sorte de calotte, ou de porte, que la mouche fera sauter aisément avec sa tête, lors de son éclosion. Douze jours après la métamorphose de la larve en nymplie, la mouche éclôt. Il a donc fallu au Dacus vingt-sept à vingt-huit jours pour par- venir à cet état, depuis le moment où l'œuf a été pondu. Aussi cette espèce, sous le chaud climat de la Provence et de l'Italie, peut-elle se reproduire plusieurs fois, depuis le commencement de juillet, époque où les premières mouches commencent à pon- dre, jusqu'à la fin de l'automne. Pour sauver en ces pays une notable partie de la récolte des olives, M. Guérin-Méneville a conseillé d'avancer suffisamment la récolte, pour que toutes les olives soient broyées à une époque où les larves de la dernière génération qui doivent se conserver dans les olives abandonnées ou dans la terre, selon les climats, soient encore dans ces fruits. Si une première opération ne suffi- 1Û6 LES INSECTES. sait pas pour tout détruire, on la répéterait lannée suivante. On serait bien dédommagé du sacrilice qu'entraînerait cette pratique, par une succession de bonnes récoltes, et par la certitude d'un bénéfice assuré et permanent. En effet, par une récolte bàtive, on obtient encore au moins une demi-récolte d'huile; tandis qu'en attendant l'époque ordinaire de la cueillette des olives, on laisse aux larves du Dacus le temps de ronger tout leur parenchyme, ce qui leur enlève le peu d'huile qu'elles auraient pu donner si l'on avait moins attendu pour les détruire. Cette cueillette hâtive offre encore l'avantage de détruire un grand nombre de larves, ce qui diminuera d'autant les moyens de reproduction de la mouche. m ORDRE DES HÉMIPTÈRES. Les Pentatomes. — Les diverses espèces de Punaises. — Le Réduve masqué. — L'Hydromètre. — La Nèpe cendrée. — La Ranàtre. — La Corise. — Récolte du Hautle dans les lacs du Mexique. ~ Le Notonecte. — La Cigale. — La Cigale dans Tantiquité. — Le bon la Fontaine mauvais naturaliste. — Le Fulgore porte- lanterne. — îNIlle Sybille de Mérian à la Guyane. — L'Aphropliore. — Les Membraces. - Les Pucerons. — Observations de Ch. Bonnet sur la reproduction des Pucerons. — Amitié singulière des Pucerons et des Fourmis. — La Cochenille; sa culture et sa récolte en Algérie. Ce qui distingue particulièrement les Hémiptères des autres ordres d'insectes, c'est la forme de leur bouche, qui consiste en un bec, plus ou moins long, composé de six parties, savoir : la lèvre inférieure ou gaîne, quatre soies internes, représentant les mandibules et les mâchoires des insectes broyeurs, et qui sont les parties perforantes du bec; enfin la lèvre supérieure, ou labre. Grâce à cet appareil, ces insectes sont essentiellement suceurs, et se nourrissent, pour la plupart, du suc des végétaux, qu'ils aspirent avec leur bec. Les ailes des Hémiptères sont ordinairement au nombre de quatre ; tantôt toutes membraneuses et semblables entre elles, d'autres fois les supérieures étant seulement un peu plus consis- tantes que les inférieures. En général, les premières diffèrent tout â fait des ailes inférieures et ne sont membraneuses que vers le bout, tandis que pour le reste elles sont épaisses, coriaces ou crustacées. Les Hémiptères se divisent en deux sections très-distinctes : 1C8 LES INSECTES. l'une comprend les insectes dont le bec naît du front ou partie supérieure de la tête, et dont les élytres sont demi-coriaces et demi-membraneux, d'un tissu différent à leur base de celui de leur extrémité : ce sont les Héiéroptères (iV-rpor, différent, TTTspo'v, aile). L'autre section comprend ceux dont le bec naît de la partie inférieure de la tête, et dont les élytres ont partout la même consistance : ce sont les Homoptères. Nous allons faire l'his- toire de ces deux sous-ordres. HETEROPTERES. Ces insectes, autrefois désignés sous le nom commun de Pu- nai^es , ont été divisés par Latreille en deux grandes familles contenant: l'une les Gcocoriscs, ou Pannises terrestres, l'autre les H/jlrdcorises^ ou Punaises d'eau. Les Punaises tirresircs comprennent un grand nombre de gen- res, qui , pour la plupart, n'offrent que peu d'intérêt. Nous nous bornerons à citer les Pcnlalomes , désignées soiis le nom vulgaire de Punaises des bois, les Lygées , les Punaises proprement dites, les Rêdœes et les Uydromctres. Les Pentatomes, qui se composent aujourd'hui de plusieurs gen- res, comprennent les Punaises des bois de la plupart des auteurs. On les trouve sur les plantes et sur les arbres. Leur vol est prompt, mais de courte durée. La Pentatome ornée, connue sous le nom de Punaise rovge du chou , ou Punaise mignonne du chou , se trouve très-communé- ment sur le chou et la plupart des plantes crucifères. Elle est panachée de rouge et de noir et ses couleurs sont sujettes à de nombreuses variations. La Pentatome grise (fig. 7 8) est commune dans toute l'Europe. On rencontre fréquemment ces punaises en automne, sur les framboises, auxquelles elles communiquent leur mauvaise odeur. On les trouve encore en quantité sur le Bouillon blanc, lorsque cette plante est en fleur. La tête et le corselet sont, en dessus, d'un brun grisâtre, quelquefois légèrement pourpré. La partie écailleuse des étuis a une teinte de pourpre, mais leur partie membraneuse est brune. HÉMIPTÈRES. 109 Toutes ces parties sont couvertes de points noirs, qu'on ne peut voir qu'à la loupe. Les ailes sont noirâtres. Le dessous de tout le corps et les pattes sont d'un gris clair un peu jaunâtre, avec un grand nombre de pe- tits points noirs. Le ventre est tout noir en des- sus ; mais il est ])ordé de taches noires et de ta- ches blanches alternatives. Nous avons reproduit ici la description que donne de cette punaise l'illustre naturaliste sué- fig. -s. Pentatome grise. dois de Geer, parce que nos jeunes lecteurs au- ront certainement rencontré cet insecte ou le rencontreront un jour, en cueillant des framboises. La Pentatome grise, marquée de noir, de jaune et de rouge, se trouve dans toute l'Europe, dans les champs cultivés, les jardins, quelquefois aussi sur le tronc des gros arbres, particulièrement des Ormes. Cette espèce, ainsi que la plupart de celles qui en-" trent dans le groupe que nous signalons , est pourvue d'un or- gane odorilîque dont on ne ressent les effets que si l'insecte est irrité ou menacé de quelque danger. Si on la flaire sans en être aperçu, on ne sent aucune mauvaise odeur. Écoutons à ce sujet M. Léon Dufour : « Saisissez avec une pince la Pentatome, et plongez-la dans un verre rempli d'eau claire ; armez votre œil de la loupe et vous verrez s'élever de son corps d'innombrables petites bulles, qui en venant crever à la surface exhalent à l'instant cette effluve qui affecte si désagréablement l'odorat. Cette vapeur essentiellement acre exerce sur les yeux, quand elle les atteint, une action irritante très-prononcée. Ltirsqu'on tient entre les doigts un de ces insectes vivants de manière à ne point boucher les orifices odorifères et à diriger vers un point déterminé de la peau les fusées de cette vapeur, on voit qu'il en résulte une tache ou brunâtre ou rutilante que les lotions ré- pétées n'enlèvent pas d'abord, et qui produit dans le tissu cutané une alté- ration analogue à celle qui succède à l'application d'un acide minéral. » L'odeur repoussante exhalée par diverses espèces du groupe des Pentatomes est due à un fluide, sécrété par une glande uni- que, pyriforme, jaune ou rouge, qui occupe le centre du corse- let, et aboutit entre les pattes postérieures. Chez les Syromastes, qui sont des punaises de ce même groupe, la sécrétion a, au contraire, une odeur agréable qui rappelle celle des pommes de reinette. Plusieurs espèces de Pentatomes sont nuisibles aux agricul- teurs. Mais d'autres attaquent les insectes destructeurs, et doivent 110 LES INSECTES. être épargnées avec soin. Xous citerons, sous ce rapport, la Peu- tatome bleue, qui tue les Altises de la vigne. Tout le monde a vu au pied et sur la partie inférieure du tronc des arbres, ou bien au bas des murs exposés au midi, des grou- pes de cinquante à soixante petits insectes , serrés les uns contre les autres, et souvent les uns sur les autres, la tête dirigée vers un point central. Ils portent une livrée rouge tachetée de noir. Aux environs de Paris, les enfants les connaissent sous le nom de Suisses, probal)lement à cause du rouge qui domine sur leur corps , couleur de l'uniforme que portaient les troupes suisses autrefois au service de la France. En Bourgogne, les enfants les appellent Petits cochons rouges. On les trouve décrits dans YHis- toire des Insectes de Geoffroy, sous le nom de Punaise rouge des jar- dins. Ils constituent aujourd'hui le genre Lygée. Quand arrive la mauvaise saison, ces petits Suisses se réfugient sous les pierres et sous les écorces , pour y passer l'hiver. Pendant toute cette sai- son, ils demeurent comme engourdis. Mais dès les premiers jours du printemps ils se raniment, et reprennent leurs habitudes or- dinaires. Ils sucent la sève des végétaux, piquent les capsules de diverses espèces de mauves, et se tiennent toujours du côté du soleil. La Punaise proprement dite , la Punaise des lits {Acanthia lectu- laria (tig. 79), cet insecte si désagréable, si puant, abonde dans les habitations malpropres, principale- ment dans les villes et surtout dans celles du Midi. Elle se tient dans les lits, les boiserie?, les papiers de tenture. Il n'est pas de hssure si étroite où elle ne se puisse glisser. Elle est nocturne et fuit la lumière. Nocturnum fœtidum animal, dit Linné. Son corps est ovale, long d'en- Punaise Sfius-cgrossie). ^îi^on ciuq millimètres, déprimé, mou et brun, couvert de petits poils. Sa tète, munie de deux antennes velues , de deux yeux arrondis et noirs, porte un l)ec court, courbé directement sous la poitrine, et appliqué dans un léger sillon, lorsque l'animal est en repos. Ce bec, composé de trois articles, renferme quatre soies grê- les, droites et acérées. Le corselet est comme aliforme sur les côtés. L'abdomen est très-développé, orbiculaire, à huit segments, très-déprimé, et s'écrase aisément sous les doigts. Les élytres sont rudimentaires. Il n'y a point d'ailes membraneuses. Les pat- HEMIPTERES. 11 i tes ont des tarses à trois articles . dont le dernier est muni de deux forts crochets. L'odeur de l'homme attire les punaises . et le lecteur sait peut-être , malheureusement pour lui , que quand on a le triste sort de coucher dans une chambre qui en est infestée, ces ])etits tyrans sanguinaires arrivent de toutes parts , dès que la lumière est éteinte. Ils grimpent le long des murs , quelquefois se lais- sent tomber perpendiculairement du plafond , en un mot , arri- vent en foule vers le lit. où ils s'acharnent sur leur malheureuse victime. « Ces animaux, dit Moquin-Tauduu dans sa Zoologie médicale, n'allirent pas le fluide sanguin par une aspiration proprement dite, comme le l'ont les sangsues. L'organisation de leur appareil buccal ne permet pas ce genre de fonction. Les soies du bec appliquées les unes contre les autres exercent une sorte de mouvement de va-et-vient qui fait monter le sang dans l'œso- phage à peu près comme Feau dans une pom[)e à chaîne. Cette ascension est favorisée par la nalure visqueuse du fluide et surtout par ses globules. » La partie de la peau que la Punaise a piquée , en produisant une sensation assez douloureuse , se reconnaît à une petite tache rougeâtre, offrant un point foncé en son milieu. Le plus souvent, une petits ampoule s'élève au point pi({ué, et par- ,^ji,i,^. fois , si les piqûres sont nombreuses , ces ampoules ^^^^ deviennent confluentes et simulent une sorte d'érup- ^''^^^'^^^^^^^^ ^^0^- Œuf de la Punaise. Ces vilaines bêtes pondent, vers le mois de mai, des œufs oblongs et blanchâtres ^fig. 80} . offrant un petit oper- cule, pour la sortie de la larve. Celle-ci difïère de l'insscte à l'état parfait, par une couleur pâle et jaunâtre et par l'absence des ély- tres. Les Punaises existent dans presque toute l'Europe, bien qu'elles soient rares ou presque inconnues dans ses parties septentrio- nales. Les villes du centre de l'Europe sont le séjour préféré de ce parasite , mais les villes du nord ne sont pas complètement affranchies de sa présence. Le marquis de Custine assure qu'à Saint-Pétersbourg il s'est trouvé plusieurs fois aux prises avec cet ennemi de l'espèce humaine. L'Ecosse même a été envahie par la Punaise. Elle est fort rare dans le midi de l'Europe ; on la voit fort peu en Italie, où elle est, il est vrai, remplacée par d'autres insectes, plus dangereux ou plus incommodes. On a prétendu que les Punaises ont été apportées d'Amérique 112 LES INSECTES. en Europe. Mais on ignorait alors qu'Aristote, Pline et Dioscoride en avaient mentionné l'existence. Ce qui est certain , c'est qu'on ne connaissait pas ces détestaljles buveuses de sang en Angleterre avant le commencement du seizième siècle. Un célèbre voyageur naturaliste espagnol , Azavra , a fait re- marquer que la Punaise n'infeste pas les hommes à l'état sau- vage , mais seulement lorsqu'ils sont réunis , en état de civili- sation , dans les habitations à la manière européenne. Il tirait de là cette conclusion que les Punaises n'ont été créées que longtemps après l'homme , lorsque, après plusieurs siècles écou- lés depuis leur apparition sur le globe, les hommes se consti- tuèrent en sociétés, en républiques, ou petits États urbains. La paléontologie (science des êtres fossiles; n'a point confirmé cette opinion. La Punaise n'est pas un insecte glouton, toujours avide de sang. x\u contraire , sa sobriété est remarquable. Ce n'est qu'a- près un jeune prolongé qu'elle pique les animaux. Audouin a constaté quelle peut vivre un an et même deux ans sans nour- riture. On a de tout temps employé une foule de moyens divers pour détruire ces insectes. Mais, en dépit de tout, rien n'est plus diffi- cile que d'en débarrasser les boiseries et les tentures qui en sont infestées. En général , les odeurs fortes les font mourir. Aussi recommande-t-on , pour écarter ces hôtes désagréables , la fumée du tabac, l'essence ds térébenthine, le souffre en combustion. L'onguent mercuriel et la pâte de sublimé corrosif sont aussi d'excellents moyens de destruction. On a enfin préconisé duus le même but une plante de la famille des Crucifères, le Passt- rage [iepidlum ruderulr) , et plus récemment la racine de Pyrèthre mise en poudre , et insufflée sur les meubles ou les boiseries. Cette poudre est connue et s'emploie à Paris sous le nom de pou- dre insecticide. Il est encore deux autres espèces de Punaises [Acanlhia) qui attaquent l'homme. L'une est Y Acanthèe ciliée qu'on a observée dans les maisons de Kazan , et qui diffère de celle des lits, non- seulement par sa forme, mais aussi par ses habitudes. Elle ne vit pas en société , dans les étroits interstices des meubles , mais se promène isolée, à pas lents, paresseusement, sur les murs ou les couvertures des lits. Son bec est très-long; les piqûres qu'elle produit sont très-douloureuses, et déterminent la production d'enflures persistantes. HÉMIPTÈRES. 113 L'autre espèce est VAcanthce arrondie , qui vit à l'île de la Réu- nion, et attaque l'homme, comme le fait celle d'Europe. Deux espèces du même genre vivent en parasites sur les Hiron- delles et les Pigeons domestiques. Une autre espèce est propre aux Chauves-souris de nos climats. Le Rcdiivc masqué [Reduvius personatus) , appelé aussi Punaise- mouche par Geoffroy, le vieil historien des insectes des environs de Paris, est assez commun en France. Il se tient dans les mai- sons, surtout près des fours et des cheminées. C'est un animal de 15 à 20 millimètres, oblong, aplati en dessus, brunâtre, dont les élytres horizontaux se croisent l'un sur l'autre, et dont les ailes, très-développées , servent au vol. Sa tète, étroite, portée par un cou distinct, est munie de deux yeux composés et de deux petits yeux simples. Il a sans doute besoin de voir très-clair, car il vole le soir dans les maisons. Qu'on ne le saisisse qu'avec précaution, si l'on veut absolument le voir de près, lorsque, dans les jours les plus chauds de l'été , il vient voler la nuit autour des lumiè- res, car il pique l'homme. Ses blessures sont très-douloureuses, plus douloureuses que celles que fait l'Abeille, et elles détermi- nent immédiatement une sorte d'engourdissement dans le membre blessé. Gomme le Réduve tue très-rapidement divers insectes, en les perçant de son long bec, il est probable qu'il sécrète quelque venin. Mais on n'a pas jusqu'ici trouvé l'organe producteur de ce poison. Quoi qu'il en soit, le bec du Réduve est arqué et long de 2 millimètres 1/2 environ. Sa surface est hérissée de quelques poils. Il se compose de quatre articles et renferme cfuatre soies raides , écailleuses , à l'extrémité lancéolée et très- pointue. Cet insecte ailé et nocturne va souvent faire la chasse à d'au- tres petits insectes, dans les lieux où les araignées tendent leurs toiles. Lorsqu'il marche ou s'embarrasse sur ces toiles, les arai- gnées n'ont garde de le saisir, car elles redoutent sa blessure. Elles le laissent prudemment s'agiter dans les fils de leurs rets, où il ne tarde pas à mourir de faim. Le lecteur a souvent vu le Réduve prisonnier ou mort au sein d'une toile d'araignée, mais sans connaître sans doute ni son nom ni son histoire. Pour l'apprendre, nous laisserons parler un célèbre natura- liste, Charles de Geer, le savant qui s'est acquis le plus de gloire après Réaumur, par ses études approfondies et persévérantes sur 114 LES INSECTES. les mœurs et l'organisation des insectes. De Geer était Suédois et contemporain de Réaumur. Écoutons, à propos du Réduve ailé, le Réaumur de la Suède : « Celte Punaise, dit Charles de Geer, a, sous la forme de nymphe ou avant que les ailes soient développées, une figure tout à fait hideuse et ré- voltante. On la prendrait, au premier coup d'œil, pour une araignée des plus laides. Ce qui la rend surtout si désagréable à la vue, c'est qu'elle est entièrement couverte, et comme enveloppée, d'une matière grisâtre, qui n'est autre chose que la poussière qu'on voit dans les recoins des cham- bres mal balayées, et qui est ordinairement mêlée de sable et de parcelles de laine ou de soie ou autres matières semblables qui se détachent des meu- bles et des habits, qui rendent les pattes de cet insecte grosses et difformes et donnent à tout son corps un air fort singulier. » Quels instincts! quelles habitudes! Sous ce costume d'emprunt, sous ce manteau étranger à lui-même, l'insecte comme masqué, comme travesti, est devenu deux fois plus gros qu'il n'est réelle- ment. Où va ce masque et comment marche-t-il? A quoi lui sert ce sale et grotesque travestissement? Écoutons de Geer : « Elle marche aussi vite, quand elle veut, que les autres Punaises ; mais communément sa démarche est lente et povu' ainsi dire à pas comptés, car, après avoir mis un pas en avant, elle s'arrête un peu, puis en avance un second, laissant, à chaque mouvement, la patte opposée en repos ; elle con- tinue ainsi successivement, ce qui la fait paraître marcher comme par se- cousses et en mesure. Elle fait à peu près un pareil mouvement avec ses an- tennes, qu'elle remue également par intervalles et comme en heurtant. Tous ces mouvements ont un air encore plus singulier qu'on ne saurait dire ' . » Grâce à son déguisement, elle peut approcher des petits ani- maux dont elle fait sa proie, tels que les mouches, les araignées, les punaises des lits. Nous l'avons vue, à l'état parfait, lorsqu'elle a des ailes, reje- ter son froc, ses ruses, gagner ouvertement sa vie. Pour voir la singulière figure de ce Réduve, il faut lui enlever son costume d'emprunt. Alors on voit paraître un tout autre animal, et qui n'a plus rien de repoussant. Si on excepte les étuis et les ailes, qu'il n'a pas encore, toutes les parties ont la figure qu'elles auront plus tard, après que les ailes se seront dé- veloppées. La figure 82 représente, d'après le mémoire de Charles de Geer, 1. Mémoires pour servir à l'histoire des Insectes. Stockholm, in-à", 1773, tome III, page 283. HEMIPTERES. 115 la nymphe du Rédiive, couverte de poussière, et ressemblant à une araignée; la figure 83, le même insecte nettoyé, débarrassé du manteau de poussière qui lui sert à se déguiser. Fig. 81. Charles de Geer. Les Hydromèlres (de iicoip, eau, et [^.ETfeTv, mesurer) ont le corps linéaire, filiforme. La tète, qui forme presque le tiers de la longueur totale du corps, est munie de deux longues antennes, et armée d'un ])ec fm et capillaire. Les pattes sont longues et Le lecteur a souvent vu marcher à la surface de l'eau, et avec une certaine lenteur, V Hydromètre des étangs (fig. 84) dont le corps et les pattes sont de couleur ferrugineuse, les élytres d'un J)run sombre et les ailes hyalines et légèrement enfumées. Geoffroy dit 116 LES INSECTES. qu'elle ressemble à une longue aiguille, et la nomme Punaisi- aiguille. La famille des Hydrocorises^ ou Punaises d'eau, comprend des Fig. 82. Réduve recouvurt de son manteau de poussière (grossi). Fig. 83. Réduve débarrassé de son nianteaa de poussière (grossi). insectes dont les antennes, plus courtes que la tète, ou atteignant à peine sa longueur, sont insérées et cachées sous les yeux, qui sont, en général , d'une grosseur remarquable. Hydronictre des étangs. Tous ces Hémiptères sont aquatiques et carnassiers. Nous cite- rons leurs deux principaux types, qui sont les Nèpes et les Noionectes. La Nèpe cendrée (fig. 85), que Geoffroy appelait le Scorpion aquatique à corps ovale, et qu'on dési- gnait aussi sous le nom d'Araignée d'eau, est très- commune aux environs de Paris, dans les eaux stagnantes des mares et des fossés. Son corps, ovale, très-déprimé, de couleur cendrée, rouge au-dessus de l'abdomen, est long de vingt mil- limètres. Ses élytres sont horizontaux, coriaces et d'un gris sale. Ses pattes antérieures, à han- ches courtes et à cuisses très-larges, sont termi- nées par de fortes pinces, qui donnent à l'insecte une grande ressemblance avec les Scorpions. C'est en repliant la HÉAIIPTERES. 117 jambe et le tarse sous la cuisse que la bête retient sa proie et la suce avec son rostre. Ce rostre, conique, pointu, et assez robuste, se compose de trois articles et renferme quatre soies grêles et pointues. Deux présentent d'un côté une sorte de lame étroite et trancliante, et offrent des dents vers leur base. Des deux autres, l'une est une fine aiguille lisse, l'autre est munie de cils dirigés d'arrière en avant. C'est avec ce rostre, qui ressemble à une trousse de cliirur- gien, que la Nèpe pique et suce de petits insectes aquatiques, et n'épargne même pas sa propre espèce. Sa piqûre est douloureuse pour l'homme, mais sans le moindre danger. A l'aide de ses quatre pattes postérieures, la Nèpe se met à la nage. Mais elle n'avance que lentement. Elle se traîne le plus sou- vent au fond de l'eau, sur la vase, et ne fuit pas la main qui veut la saisir. Son corps se termine par une queue, composée de deux filets creusés en gouttière, qui, appliqués l'un contre l'autre, forment un tuyau, que l'insecte peut mouvoir de côté et d'autre. C'est un canal par lequel il respire l'air extérieur ; il en fait sortir le bout hors de l'eau et l'air y entre par l'inspiration. De très- petits poils, qui régnent au côté inférieur des deux gouttières, s'engrènent les uns dans les autres, et empêchent l'eau de péné- trer dans le canal. Il est probable que ce même canal sert aussi à la ponte des œufs. Les œufs ressemblent à de petites graines, couronnées de plu- sieurs pointes. La Nèpe les enfonce dans les tiges des plantes aquatiques. A côté des Nèpes, on place les Randlres^ au corps cylindrique, Fig. 86. Corise striée. allongé, linéaire, aux pattes postérieures très- longues et très- grêles, et dont une espèce, que Geoffroy appelle le Scorpion aqua- 118 LES INSECTES. tique au corps allungé. est commune partout, dans nos eaux sta- gnantes, au printemps. Elle est brunâtre, carnassière et très- Yorace . Nous devons signaler enfin le genre Corise, dont une espèce, la Corise striée (fig. 86;, est très-commune aux environs de Paris. Cet insecte marche mal et lentement à terre, mais il nage et fend l'eau avec une vitesse prodigieuse. Toutefois ce n'est pas pour nous arrêter sur cette dernière espèce que nous avons écrit ici un nouveau nom de ce genre. Quelques insectes qui lui appartiennent et qui vivent au Mexique méritent d'être mentionnés, à cause de certaines particulari- tés curieuses que présentent leurs œufs. Un voyageur natura- liste, M. Yirlet d'Aoust, a publié sur ce sujet les détails qui vont suivre : « Des milliers de petits moucherons amphibies, dit M. Virlet d'Aoust, voltigent en l'air à la surface des lacs, vont, en plongeant de plusieurs pieds et même de plusieurs brasses, déposer leurs œufs au fond de Teau, d'où ils ne sortent que pour aller probablement mourir à quelque distance de là. « Nous eûmes l'avantage d'assister à la jjêche ou à la récolte de ces œufs, lesquels, sous le nom mexicain d'hautle [haoulle], servent d'aliments aux In- diens, qui n'en paraissent pas moins friands que les Chinois de leurs nids d'hirondelles, avec lesquels nous sommes à môme d'assurer qu'il y a quel- que rapport de goût. Seulement Vhauile est loin d'atteindre les prix élevés de ceux-ci, réservés pour celte raison à la seule table des riches, car, pour quelque menue monnaie, nous pûmes en emporter environ un boisseau, dont, à notre prière, Mme B*** voulut bien nous faii'e préparer une partie. « On accommode cette graine de différentes manières, mais le plus commu- nément on en fait des espèces de gâteaux, qu'on sert avec une sauce, que les Mexicains relèvent, comme ils le font du reste pour tous leurs mets, avec du chilié, qui se compose de piments verts écrasés. « Voici comment les- naturels s'y prennent pour recueillir l'/iau^/e : ils forment avec des joncs plies en deux des espèces de faisceaux qu'ils placent verticalement dans le lac à quelque distance du rivage, et comme ceux-ci sont reliés par un de ces joncs dont les bouts sont disposés en forme de bouée indicatrice, il est facile de les retirer à volonté. Douze à quinze jours suffi- sent pour que chaque brin de ces faisceaux soit entièrement recouvert d'œufs, qu'on retire ainsi par millions. On laisse ensuite sécher au soleil, sur un drap, ces faisceaux pendant une heure au plus; les graines se déta- chent alors facilement. Après cette opération, on les replace dans l'eau^ pour une autre récolte. » M. Virlet avait attri])ué à des mouches les œufs dont il vient d'être question. Mais en 1851, M. Guérin-Méneville ayant reçu en communication de M. Ghiliani une petite quantité des œufs dont on fait Yhaulle, et quelques-uns des insectes qui les produisent, HEMIPTERES. 119 constata que ceux-ci appartenaient à deux espèces différentes. L'une était depuis longtemps connue sous le nom de Corisa mer- cenaria; M. Guérin-Méneville nomma l'autre Corisa femornta. Le même entomologiste découvrit, parmi les œufs de ces deux espèces, d'autres œufs d'un volume plus considérable, et qu'il attribua à une espèce nouvelle du genre Nolonecte, dont nous allons actuellement dire quelques mots. On trouve très-communément aux environs de Paris, dans les fossés, les réservoirs, les eaux dormantes, la Nolonecle glauque, ([ue Geoffroy appelle la Grande punaise à avirons. Son corps est oblong, étroit, rétréci postérieurement, convexe en dessus, plat en dessous, offrant sur les côtés, et à l'extrémité, des cils qui, en s'étalant, soutiennent l'animal sur l'eau. Sa tête est grande et d'un gris un peu verdâtre, et porte de chaque côté un œil volumineux dun brun clair. Son corselet est grisâtre, ses élytres d'un gris ver- dâtre, ses ailes membraneuses blanches. De ses pattes, les quatre antérieures sont assez courtes, mais les postérieures, presque doubles, sont munies de longs cils et ressemblent à des avirons. Aussi c'est à l'aide de celles-ci que l'animal nage ; et il le fait d'une singulière manière, en se plaçant sur le dos , et ordinai- rement dans une position in- clinée, comme le fait voir la figure 87. r\ lin- ,• Fig. 87. Notonecte glauque. Quand la Punaise aquatique " ^ se traîne, au contraire, sur la vase, ce sont ses pattes antérieures qui fonctionnent, les postérieures ne faisant que traîner. C'est ordinairement vers le soir ou dans la nuit qu'elle sort de l'eau, pour marcher ainsi et pour s'envoler, si elle veut passer d'un marais à l'autre. Cet insecte sanguinaire ne vit que de rapines; il est des plus car- nassiers. Les insectes qu'il attaque meurent bientôt après avoir été piqués. De Geer pense que la Punaise d'eau verse dans la plaie une humeur venimeuse. Les Punaises d'eau s'emparent d'insectes beaucoup plus gros et en apparence plus forts qu'elles. Elles ne s'épargnent pas d'ailleurs entre elles, et s'entre-tuent quand elles le peuvent. L'instrument avec lequel la Notonecte pique si fortement qu'elle cause une assez vive douleur, se compose d'un bec très-fort et très-long, conique, formé de quatre articles. Le suçoir est composé 120 LES INSECTES. d'une pièce supérieure, courte, aiguë, et de quatre soies fines et pointues. La femelle de la Punaise à avirons pond un grand nombre d'œufs blancs et allongés, qu'elle dépose sur les tiges et les feuilles des plantes aquatiques. Les œufs éclosent au commencement du prin- temps, ou en mai , et les petits se mettent aussitôt à nager comme leur mère, sur le dos, le ventre en haut. M. Léon Dufour dit à ce sujet : « Une région dorsale relevée en dos d'âne ou en carène arrondie et revêtue d'un velouté qui la rend imperméable, des franges fines et nombreuses qui garnissent soit les pattes postérieures, soit les bords de l'abdomen et du thorax, soit enfin en double rangée une légère crête médiane de la paroi ventrale et qui s'étalent ou se ploient au gré de l'insecte comme de vérita- bles nageoires, favorisent et cette attitude de supination et la justesse des mouvements natatoires de la Notonecte. Puisque la nature, qui semble sou- vent se faire un jeu de produire des exceptions bizarres attestant l'immensité de ses ressources, avait condamné cet animal h passer sa vie dans une pos- ture renversée, il fallait bien, pour le maintien de son existence, qu'elle lui donnât une organisation en harmonie avec cette attitude. C'est aussi dans ce but que la tête est inclinée sur la poitrine, que les yeux de forme ovalaire peuvent exercer la vision de haut en bas ; que les pattes antérieures ainsi que les intermédiaires, agiles et arquées, uniquement destinées à la préhen- sion, peuvent se débander en quelque sorte à la faveur des hanches allongées qui les fixent au corps, et accrocher solidement leur proie avec les griffes robustes qui terminent leurs tarses. » HOMOPTERES. ^ Arrivons au second groupe établi dans la classe des Hémiptères, à celui des Homoplères. Les insectes qui rentrent dans cette division sont assez nom- breux. Ils se rangent en trois grandes familles, dont nous allons successivement passer en revue les membres les plus remarqua- bles. Ces familles sont celles des Cicidaires, des Pucerons et des Coccidés. {y La Cigale est le type de la première de ces familles. Le chant de la Cigale est étourdissant et monotone. C'est tou- jours la même note, aiguë, aussi brûlante que le rayon de soleil qui la fait éclore. Comme le dit Bilboquet, dans les 5a/- timbanques, « ceux qui aiment cette note ont de quoi être satis- faits. » HÉMIPTÈRES. 121 Virgile juge fort l^ien le chant de la Cigale : il n'y voit qu'un son rauque et désagréable : At mecum raucis^ tua dum vestiyia histro, Suie sub ardenti résonant arbusta cicadis, dit le poëte latin dans ses Églogues. Virgile revient sur la même pensée, par un vers admira])le, dans ses Géorgiques : Et cantu querulx rumpent a:busla ckadx. Le chant de la Cigale si aigu, si discordant, faisait pourtant les délices des Grecs. Écoutez Platon, dès les premières lignes du Pliédon : « Par Junon, sY'crie le pliilosophe-poëte, quel charmant Heu de repos!... Il pourrait bien être consacré à quelques nymphes et au fleuve Aclielous, à en juger par ces figures et ces statues. Goûte un peu le bon air qu'on respire. Quel charme et quelle douceur! On entend comme un bruit d'été, uinnurmure harmonieux qui accompagne le chœur des Cigales ! » Les Grecs avaient donc un goût tout particulier pour le chant de la Cigale. Ils aimaient à entendre ses notes stridentes, aiguës comme une pointe d'acier. Pour en jouir tout à leur aise, ils ren- fermaient ces petits animaux dans des cages d'osier à claire-voie, à peu près comme nos enfants enferment le Grillon pour entendre son cri-cri joyeux. Ils poussaient l'amour de cet animal au chant criard jusqu'à en faire le symbole de la musique. On voit, dans leurs figures emblématiques de l'art musical, une Cigale posée sur les cordes d'une cythare. Une légende grecque rapporte qu'un jour deux joueurs de cy- thare, Eunome et Ariston, luttant ensemnle sur cet instrument sonore, une des cordes de la cythare d'Eunome s'étant brisés, une Cigale vint se poser dessus, et chanta si bien pour remplacer la corde absente, qu'Eunome remporta la victoire, grâce à cet auxi- liaire inattendu. Pour donner une idée de la suavité de leur éloquence, Homère compare les sages vieillards troyens, assis près des portes Scées, aux Cigales harmonieuses. Anacréon a composé une ode en l'honneur de la Cigale. « Heureuse Cigale qui, sur les plus hautes branches des arbres, abreuvée d'un peu de rosée, chantes comme une reine ! Ton royaume, c'est tout ce que tu vois dans les champs, tout ce qui naît dans les forêts. Tu es aimée du laboureur; personne ne te fait de mal; les mortels te respectent comme le doux prophète de l'été. Tu es chérie des Muses, chérie de Phébus même 3 22 LES INSECTES. qui t'a donné ton chant harmonieux. La vieillesse ne t'accable point. 0 sage petit animal, sorti du sein de la terre, amoureux des chants, libre de souffrances, qui n'as ni sang, ni chair, que te manque-t-il pour être un Dieu? » Il est convenu dans les Cours de littérature qu'il faut s'extasier sur la grâce et l'élégance de cette ode d'Anacréon. Le naturaliste ne saurait partager cette admiration. La grâce poétique nous parait totalement absente de ce morceau , et , quant au fond , on ne peut y voir qu'un tissu d'erreurs grossières et d'absurdités. La Cigale est une reine, — au chant harmonieux, — qui se nourrit de rosée, — qui est sortie de la terre, — qui ne souffre pas, — qui ne vieillil pas, — qui n'a ni sang ni chair, — à qui il ne manque rien pour être Dieu. Yoilà ce que les poètes grecs nous enseignent en histoire natu- relle. Voilà ce que Ion donne à admirer à la jeunesse des écoles et des Facultés ! C'est en vertu des fausses idées des Grecs sur l'histoire natu- I relie en général, et sur la Cigale en particulier, que ce petit être ! symbolisait, chez les Athéniens, la noblesse de la race. On s'ima- fginait, chez ces grands enfants de la science qu'on nomme les Grecs, que la Cigale se forme aux dépens de la terre, et dans son sein. Dès lors, ceux qui prétendaient à une antique et haute ori- gine, portaient dans leurs cheveux une Cigale d'or. Les Locriens plaçaient sur leurs monnaies la figure d'une Cigale. [Yoici l'origine que la fable assigne à cet usage : La rive du fleuve au bord duquel Locres était bâtie, était cou- verte de légions criardes de Cigales, tandis qu'on ne les entendait jamais (à ce que prétend la légende' sur la rive opposée, où s'éle- vait la ville de Rhège. Pour expliquer cette circonstance, on pré- tendait qu'Hercule, voulant un jour dormir sur cette rive, fut si tourmenté par « la suave éloquence» des Cigales, que, furieux de leur concert, il demanda aux dieux, et ol)tint sur l'heure, qu'elles n'y chantassent plus désormais ! Voilà pourquoi les Locriens avaient adopté la Cigale comme arme parlante de leur cité. Les Grecs ne faisaient pas seulement leurs délices poétiques et musicaux du chant des Cigales ; ils ne se contentaient pas de leur adresser des poèmes, de les adorer et de frapper des médailles portant leur image. Obéissant à des appétits plus grossiers, ils les mangeaient. Ils donnaient ainsi satisfaction tout à la lois au cœur, à l'esprit et au ventre. HEMIPTERES. 12a cigale mâle. 31ais il est temps d'arriver à la description simple et vraie de l'insecte qui nous occupe. Les Cigales sont très-reconnaissables à leur corps épais, très- robuste et assez ramassé, à leur tète large, sans prolongement, qui supporte des yeux très-gros et proéminents, des ocelles ou yeux simples au nombre de trois disposés en triangle sur le sommet du front, et de courtes antennes. Les jeunes élytres et leurs ailes ont la forme d'un étui enveloppant le corps pendant le repos. Celles-ci peuvent être transparentes et sans coloration, ou ])ien parées de couleurs vives et variées. Les pattes ne sont nullement propres au saut. La femelle est munie d'une tarière à l'aide de laquelle elle entame l'écorce des arl)res pour y déposer ses œufs Le mâle (iig. 88) est pourvu d'un organe, non de chant, mais de stridulaiion, qui n'existe pour ainsi dire pas chez la femelle. Nous nous arrêterons un moment sur l'ap- pareil du chant, ou plutôt du bruit, de la Cigale mâle, et sur la structure de la tarière de la femelle. C'est à Réaumur qu'on doit la découverte complète du méca- nisme à l'aide duquel la Cigale produit le bruit aigu qui la signale au loin. Nous allons donner un résumé du mémoire célèbre dans lequel le naturaliste français a si admira])lement décrit l'appareil musi- cal des Cigales \ Ce n'est pas dans le gosier qu'est placé l'organe du son chez la Cigale : c'est sur le ventre. Quand on observe le ventre du mâle d'une grande espèce de Cigale, on y remarque deux plaques écailleuses, assez grandes, qu'on ne trouve point chez les femelles. Chaque plaque a un côté en ligne droite ; le reste de son contour est arrondi. C'est par le côté en ligne droite que la plaque est fixée et arrêtée immédiatement au-dessous de la troisième paire de pattes. Cependant on peut la soulever avec un effort, mais fort peu, parce que deux espèces de chevilles épineuses, dont chacune appuie sur chaque plaque qui s'élève, l'empêchent de s'élever trop, et la font retomber aussitôt. ' Si l'on soulève les deux plaques jusqu'à les renverser sur le 1. Tome V, 4" Mémoire. 124 LES INSECTES. corselet, si l'on met à découvert les parties qu'elles cachent, on est frappé de l'appareil qui se présente. « On ne peut douter que tout ce qu'on voit n'ait été fait pour mettre la Cigale en état de chanter, dit Réaumur. Quand on compare les parties qui ont été disposées pour qu'elle pût chanter, pour ainsi dire, du ventre, avec les organes de notre gosier, on juge que les nôtres n'ont pas été faits avec plus de soin que ceux au moyen desquels la Cigale rend des sons qui ne sont pas toujours agréables. » On aperçoit ici une cavité qui a été pratiquée dans la partie antérieure du ventre, et qui est partagée en deux loges princi- pales par un triangle écailleux. « Le fond de chaque loge offre aux enfants qui prennent des cigales un spectacle qui les amuse et qui peut être admiré par les hommes qui savent faire le meilleur usage de leur raison. Les enfants croient voir un petit miroir au fond de chaque cellule taillée en demi-cercle. Quand une petite glace du verre le plus mince et le plus transparent ou une petite lame du plus beau talc serait sertie au fond de chacune de ces cellules, ce qu'on y verrait ne paraîtrait pas différent de ce qu'on y voit ; la membrane qui y est tendue ne le cède en transparence ni à aucun verre, ni à aucun talc; et si on la regarde obliquement, on lui trouve toutes les belles couleurs de l'arc-en-ciel. Il semble que la Cigale ait deux fenêtres vitrées par lesquelles on peut voir dans l'intérieur de son corps. » Le triangle écailleux dont nous avons parlé plus haut ne par- tage en deux que la partie postérieure de la cavité. La partie an- térieure de cette même cavité est remplie par une membrane blanche, mince, mais consistante. Cette membrane n'est tendue que quand le corps de la Cigale se redresse. Mais dans tout ceci où est l'organe du chant ? Quelles parties produisent le son ? Réaumur va nous renseigner à cet égard. Il ouvrit le dos d'une Cigale, et mit à découvert la portion de l'intérieur qui répond à la cavité où sont les miroirs. Il fut im- médiatement frappé de la grandeur de deux muscles se rencon- trant et sattachant sur le revers de la pièce triangulaire et écail- leuse, et précisémeht à celui des angles d'où partent les côtés qui forment les cavités où sont l'un et l'autre miroir. « Des muscles d'une telle force, placés dans le ventre de la Cigale et dans l'endroit du ventre oîi ils se trouvaient, ne semblaient y être que pour agiter vivement les parties qui, étant mues, produisaient le bruit ou le chant- Aussi pendant que j'examinais un de ces muscles , pendant que je tiraillais doucement avec une épingle, pendant que je le faisais un peu sortir de sa place pour l'y laisser retourner ensuite, il m'arriva de faire chanter une Cigale morte depuis plusieurs mois. Le chant, comme on l'imagine, ne fut pas fort ; mais il le fut assez pour me conduire à trouver la partie à laquelle HÉMIPTÈRES. 125 il était dû. Je n'eus qu'à suivre le muscle que j'avais lii aillé, qu'à chercher la partie à laquelle il aboutissait. » Dans la grande cavité où sont les miroirs et les autres ])arties signalées plus, haut, il y a encore deux réduits égaux et sembla- bles, deux cellules dans lesquelles est logé un instrument sonore. (Vest une mem])rane contournée en forme de timbale, qui n'est pas lisse, mais, au contraire, toute plissée et pleine de rugosités (fig. 89). Dès qu'on la touche, elle est plus sonore que le par- chemin le plus sec. Si on frotte ses sillons ou sa surface convexe avec un petit corps incapable de percer ou de déchirer, tel qu'un morceau de pa- pier roulé, on la fait aisément résonner; et on voit que la résonnance vient de ce que les por- tions de la timbale qui sont déprimées par les frottements du petit corps, se relèvent dès que Apparèfi musical ce corps cesse d'agir contre elles. C'est ici qu'ope- '^^ ''^ cigale mâie. rent les deux muscles robustes dont la présence et le rôle ont été découverts par Réaumur. « Il est clair, dit ce naturaliste, que quand le muscle se contractera et se relâchera alternativement avec vitesse, une portion convexe de la timbale sera rendue concave, et cette portion reprendra ensuite sa convexité par l'ac- tion de son propre ressort. Alors se fera ce bruit, ce chant que nous avons été si longtemps à nous expliquer, parce que nous avons voulu faire con- naître toutes les parties au moyen desquelles celui qui n'en fait point d'inu- tiles a voulu qu'il fût produit. » Ajoutons, pour compléter ce que nous avons à dire sur ce su- jet, que si les timbales sont les organes essentiels du chant, les miroirs, les membranes blanches et plissées, et les volets exté- rieurs qui recouvrent tout cet appareil, contribuent pour une large part, comme Ta indiqué Réaumur, à modilier et à renforcer le son. Nous avons dit plus haut que la Cigale femelle ne chante pas. Aussi ses organes de chant sont-ils tout à fait rudimentaires. Le fait est d'ailleurs depuis longtemps connu. Xénarchus, poëte de Rhodes, s écrie, avec peu de galanterie pour les dames : « Heureuses les Cigales : leurs femelles sont privées de la voix ! » La nature a dédommagé la Cigale femelle de cette privation du chant, en lui donnant un instrument moins bruyant, mais plus 1:6 LES INSECTES. utile. C'est une sorte de tarière, destinée à scier l'écorce des branches. Cet instrument est logé dans le dernier anneau de l'ab- domen, qui, pour cet usage, est creusé en façon de gouttière. A l'aide d'un système de muscles antagonistes, la tarière peut sortir de son étui, ou y rentrer. Elle est munie de trois pièces. Au mi- lieu est un poinçon, qui s'enfonce dans une branche, et maintient l'insecte. Deux stylets, dont les bords supérieurs, taillés en dents de scie, s'appuient, dos à dos, sur la pièce médiane, montent et descendent alternativement le long de celle-ci. A l'aide de cet admirable instrument, la Cigale femelle incise obliquement l'écorce et le bois des branches, eÇne s'arrête que vers la moelle. Le mâle chante pendant qu'elle travaille. Quand Fig. so. Cigale femelle déposant ses œufs dans la ramure qu'elle a pratiquée sur une branche d'arbre. la loge est suffisamment profonde et convenablement préparée, la femelle dépose au fond cinq à huit œufs (fig. 90). De ces œufs naissent de très-petites larves blanches (fig. 91), qui sortent de leur nid, descendent le long des tiges, et s'enfon- HEMIPTERES. 127 cent dans la terre, où elles sucent les racines des arbres. Elles deviennent des nymphes qui creusent la terre avec leurs pattes antérieures, très-développées, et continuent de vivre aux dépens des racines. A la fin du printemps, ces nymphes (fig. 92) sortent Fig. SI. Larve de Cigale. Fig. 9'2. Nymphe de Cigale. déterre, s'accrochent aux troncs des arbres, et se dépouillent, un beau soir, de leur peau, qui reste entière et desséchée, faisant apparaître l'insecte parfait. Bien faibles d'abord, ces pauvres métamorphosées se traînent péniblement. Mais le lendemain, réchauffées aux premiers rayons du soleil, ayant eu sa:ns doute le temps de réfléchir sur leur nou- velle position sociale, et moins étonnées que la veille, elles agi- tent leurs ailes, s'envolent, et les mâles lancent dans les airs les premières notes de leur strident concert. Les Cigales se tiennent sur les arbres, dont elles hument la sève, au moyen de leur bec acéré. Il est assez difficile de les saisir, parce que, grâce à leurs grandes ailes, si développées, elles fuient au moindre bruit, avec rapidité. Ces insectes bruyants habitent l'Europe méridionale, l'Afrique dans toute son étendue, du nord au sud, l'Amérique aux mêmes latitudes qu'en Europe, tout le centre et le sud de l'Asie, la Nou- velle-Hollande et les îles de l'Océanie. Les Cigales qui, dans les pays chauds, recherchent encore l'ar- deur du plus brûlant soleil, ne se trouvent pas dans les régions tempérées ou froides. Il résulte de là que les peuples méridio- naux les connaissent très-bien, tandis que dans le Nord le vul- gaire prend toujours pour la Cigale la grande Sauterelle verte, qui est si commune en ces régions et qui crie à peu près à la façon de la Cigale. On voyait à l'Exposition des beaux-arts en 1866 un joli tableau de M. Aussandon, la Cigale et la Fourmi, qui montrait sous une forme allégorique le sujet de la fable de la Fontaine. Or le peintre avait représenté en guise de Cigale une magnifique Sauterelle vert pomme. La peinture matérialisait ici, pour ainsi dire, l'erreur 128 LES INSECTES. commune des habitants du Nord, qui fait confondre la Cigale avec la grande Sauterelle verte. Du reste, pour le dire en passant, la fable de la Cigale et Id Fourmi, de la Fontaine, est pleine d'erreurs d'histoire naturelle. Rien n'est plus facile que de le prouver. Dès les premiers vers, l'auteur prouve qu'il n'a jamais observé l'animal dont il parle. La Cigale ayant chanté Tout lï'té. Aucune Cigale n'a pu chanter tout Vcié, attendu que sa vie dure à peine quelques semaines. Se trouva fort dépourvue Quand la bise fut venue. « Quand la bise fut venue » veut dire sans doute le mois de novembre, ou celui de décembre. Il y a longtemps, à cette époque de l'année, que les Cigales ont passé de vie à trépas. Quand on parcourt la lisière des bois, dès le mois d'octobre, dans le midi de la France, on trouve le sol jonché de Cigales mortes. La Cigale de la Fontaine ne pouvait se trouver alors « fort dépourvue » , par la raison qu'elle était morte. Elle alla crier famine Chez la Fourmi, sa voisine, La priant de lui prêter Quelque grain pour subsister. La Fourmi est carnassière, et ])ien qu'elle aime le miel, elle n'a rien à faire d'un grain de blé ni d'autres grains, dont, selon le fabuliste, elle aurait fait provision. D'autre part, la Cigale à laquelle il reproche de n'avoir Pas un seul petit morceau De mouche ou de vermisseau, n'a jamais songé à pareille victuaille, car elle vit uniquement de la sève des grands végétaux. Les fables du poëte que l'on nomme, en France, on n'a jamais su pourquoi, le bon la Fontaine, fourmillent d'erreurs du genre de celles que nous venons de relever. Les mœurs des animaux y sont presque toujours représentées à l'opposé du vrai. Pour s'initier aux habitudes des animaux, la Fontaine n'avait sans doute ni les livres de Buffon, ni les mémoires de Réaumur, qui HÉMIPTÈRES. 129 n'étaient pas encore de ce monde ; mais n'avait-il pas le livre de la nature? Comment la Fontaine a-t-il pu négliger une telle source d'enseignement, puisqu'il fait parler les bêtes, et que, dans ses vers, la nature entière dialogue et bavarde comme vous et moi ! Mais il est temps de citer les espèces principales de Cigales. Nous en signalerons deux : celle du Frêne, qui vit sur les arbres dans le midi de la France, et celle de VOrme, qui est très-commune dans le midi occidental de la France. Elle est particulièrement répandue dans les forêts de pins maritimes, qui abondent entre Bayonne et Bordeaux. C'est sur ces deux espèces de Cigales que Réaumur a fait les belles observations que nous avons résumées plus haut. La Cigale du frêne ou Cigale plébéienne, très-commune en Pro- vence, se trouve, quoique assez rarement, dans la forêt de Fon- tainebleau, et accidentellement dans la Brie. Elle est d'un jaune gris en dessous, noire en dessus. Sa tête et son thorax sont mar- qués ou rayés de jaune. Ses élytres sont transparents et olfrent, à leur base, deux taches, dont l'une est jaune et l'autre noire, et à leur extrémité deux taches enfumées. Les ailes sont hyalines, non tachetées ; les pattes sont jaunes, rayées de noir. M. Solier, dans un mémoire inséré dans les Annales de la Société enlomologique de France, dit que son chant, très-fort et très-aigu, paraît formé d'une seule note, répétée avec rapidité; qu'il s'affai- blit insensiblement après un certain temps, et se termine par une espèce de sifflement, qu'on peut imiter en partie en prononçant les deux consonnes 5, t, et qui ressemble au bruit de l'air sortant par un petit pertuis d'une vessie comprimée. Lorsque cette Cigale chante, elle remue vivement son abdomen, de manière à l'éloigner et à le rapprocher alternativement des opercules des cavités sonores; à ce mouvement s'ajoute un petit tremblement du mésothorax. Le même entomologiste rapporte une observation très-intéres- sante faite sur cette espèce de Cigale par son ami M. Boyer, phar- macien à Aix, observation qu'il a répétée avec M. Boyer. Les Cigales, en général, sont très-craintives et s'envolent au moindre bruit. Cependant, lorsqu'une Cigale chante, on peut s'en approcher, en sifflant d'une manière tremblotante, en imitant à peu près son cri, mais de manière à le dominer. L'insecte descend d'abord un petit espace le long de l'arbre, comme pour se rap- procher du siffleur ; puis il s'arrête. Mais si l'on vient à lui pré- 9 130 LES INSECTES senter un bâton, en continuant de siffler, la Cigale s'y pose, et redescend lentement à reculons. De temps en temps, elle s'arrête comme pour écouter. Enfin, attirée et comme fascinée par l'har- monie du sifflet, elle finit par arriver jusqu'à l'observateur. M. Boyer est parvenu ainsi à faire placer sur son nez une €igale, qui continua de chanter, en même temps qu'il sifflait d'aceord avec elle, c'est-à-dire dans le même ton (fig. 93). Charmé par ce concert, l'insecte semblait avoir perdu sa timidité natu- relle. La Cigale de l'Orme est d'un jaune vert, taché de noir. Le thorax est rayé de jaune et tacheté de noir. L'al)domen est comme cerclé des mêmes couleurs. Les élytres et les ailes sont hyalins et leurs nervures alternativement jaunes et brunes. On y voit des taches jaunes et brunes. Les pattes sont uniformément jaunes. Le chant de cette espèce est comme enroué et ne se fait pas entendre de loin. M. Solier, dans le travail que nous citions tout à l'heure, dit que le chant de cette Cigale est d'une intonation plus basse, mais qu'il est accéréré et qu'il dure moins longtemps. Il ne se termine pas par l'expiration qui caractérise celui de l'autre espèce. A côté des Cigales se placent les Fulgores. dont le type est le Fulgore porle-lanlcrne (fig. 94). Propres à l'Amérique méridionale , ces insectes sont surtout remarqualjles et faciles à reconnaître à leur tète très-grande, pro- longée, et qui égale à peu près les trois quarts du reste du corps. Le prolojigement est horizontal, vésiculeux, renflé, à peu près de largeur égale à celle de la tête, présentant en dessus une forte gibbosité. Les antennes sont courtes, avec un second article glo- buleux et une petite soie terminale. L'espèce représentée dans la figure 94 est jaune, variée de noir. Les élytres sont d'un jaune verdàtre, semé de noir. Les ailes, de la couleur des élytres, offrent à l'extrémité une grande tache semblable à un œil. Cette tache est entourée d'un cercle brun, très-large antérieurement. Le Fulgore que nous venons de décrire vit à la Guyane. Cet Insecte, remarquable entre tous, jouit d'une grande renommée auprès du vulgaire, par une propriété qui lui est spéciale, la pro- ipriété de briller dans la nuit ou dans l'obscurité. De là son nom ide Fulgore lanterne, ou porle-anlerne. La connaissance du Fulgore lanterne a été répandue et popula- risée en Europe par un livre célèbre, qui a pour titre : Métamor- phoses des insectes de Surinam. Fig. 93. Manière de faire chanter une cigale sur le bout de son nez. HEMIPTERES. 133 Ce livre, qui renferme le résultat de patientes études sur l'histoire naturelle de la Guyane hollandaise 'gouvernement de Surinam), fut écrit et publié en trois langues, par une femme dont cette œuvre a rendu le nom immortel, par Mlle Sybille de Mérian, qui fut entourée de l'admiration et du respect de ses con- temporains, pour son amour des beautés de la nature, sa persé- vérance à les faire connaître et à les faire admirer. Sybille de Mérian était originaire de Bâle. Fille, sœur et mère de graveurs célèbres, elle-même excellent peintre de fleurs, elle 134 LES INSECTES. avait longtemps travaillé à Francfort et à Nuremberg. Elle avait lu avec recueillement la Théologie des Insectes^ et avec admiration le livre de Malpighi sur le Ver à soie. Pleine d'enthousiasme pour l'étude de l'iiistoire naturelle, elle quitta l'Allemagne, pour visiter les magnifiques collections de plantes que l'on conservait dans les serres de la Hollande. Elle fit, par son pinceau, d'admirables re- productions de toutes ces plantes. Cette étude attentive du monde végétal, dans les serres où les végétaux vivent d'une existence artificielle, fit naître daiîs la pen- sée de la savante artiste l'ardent désir d'aller observer ces mer- veilles naturelles dans les parties du globe où elles s'étalent avec le plus de magnificence et d'éclat. A l'âge de cinquante-quatre ans, Sybille de Mérian partit pour l'Amérique équinoxiale. Dès son ar- rivée, elle se liasardait, à peine accompagnée de quelques guides, dans les plaines marécageuses ou les vallées brûlantes de la Guyane. Pendant deux ans de séjour dans ces parages dangereux, elle fit une ample moisson de dessins et de peintures, qui devaient inaugurer en Europe l'introduction de l'art dans l'histoire natu- relle. Dans les planches de son ouvrage, Sybille de Mérian représente toujours l'insecte qu'elle veut décrire, sous ses trois formes de larve, de nymphe et d'insecte parfait. Elle accompagne son dessin des plantes qui servent à la nourriture de l'insecte, comme aussi des animaux, grands ou petits, qui lui font la guerre. Chacune de ses planches est un petit drame. Près de l'insecte défiant et crain- tif, on voit le Lézard avide qui le guette, ou l'Araignée féroce qui prépare son embûche sinistre. La vie si courte et si agitée des êtres inférieurs se voit là tout entière, avec ses luttes continuelles, ses ruses infinies, sa fin rapide, et tous les épisodes de l'existence des êtres inférieurs, pour lesquels la vie, comme celle de l'homme moral, n'est qu'un long et douloureux combat ! Telle fut l'œuvre, tels furent le noble dévouement et la digne carrière de Sybille de Mérian. Que les femmes, que les jeunes filles, en proie à l'ennui d'une vie inoccupée, parcourent son beau livre. Elles y apprendront ce qu'une femme peut faire de tant d'heures de désœuvrement ou d'inutiles loisirs. Étudier la nature, suivre un pauvre insecte dans toutes ses métamorphoses, cette occupation doit, il nous semble, donner plus de satisfaction à 1. Théologie des Insectes, ou démonstralion des perfections de Dieu dans tout ce qui concerne les insectes, par Lesser, traduit en français. La Haye, 174'2, 2 vol. in-8". \/ 0 Fig, 55, Mlle Sybille de Mérian découvre, à la Guyane, les propriétés lumineuses du Fulgore lanterne. HEMIPTERES. 137 rame, plus de force à l'esprit, plus d'admiration reconnaissante pour le suprême auteur de la nature, que la confection d'une Ijre- derie, ou la lecture de la Famille Benoiton! C'est, avons-nous dit, dans l'ouvrage de Sybille de Merlan : Métamorphoses des insectes de Surinam, que l'on trouve signalées, pour la première fois, les propriétés lumineuses du Fulgore lan- terne. L'auteur rapporte en ces termes cette observation, qui fut le résultat du iiasard : « Quelques Indiens m'ayant apporté un jour un grand nombre de ces Porte-lanternes., je les renfermai dans une grande boîte, ignorant alors qu'ils jetaient cette lueur la nuit; entendant du bruit, je sautai du lit, et je fis ap- porter une chandelle. Je trouvai bientôt que ce bruit venait de cette boîte, que j'ouvris avec précipitation ; mais eHrayée d'en voir sortir une flamme ou, pour mieux dire, autant de flammes qu'il y avait d'insectes, je la laissai d'abord tomber. Revenue de mon étonnement, ou plutôt de ma frayeur, je jtf rattrapai tous mes insectes, dont j'admirai la vertu singulii're flg. 95]. Depuis l'époque à laquelle Mlle de Mérian visita la Guyane, di- vers voyageurs ont dit n'avoir pu observer, comme elle, ce plié- nomène de plios[)horescence. Il est donc probable (]ue cette pro- priété n'existe que dans le mâle ou la femelle de l'insecte, et même seulement à certaines époques. Quel spectacle merveilleux doivent présenter les riclies vallées de la Guyane, lorsque dans la nuit silencieuse les airs sont sillon- nés par ces flambeaux vivants ; lorsque les Fulgovcs promènent dans l'espace des traits de feu qui s'entre- croisent dans tous les sens, qui s'éteignent et se rallument, qui brillent et s'effacent, et font apparaître, dans le calme de l'atmosphère, l'image de ces éclairs qui ne se montrent d'ordinaire qu'au milieu du trouble des Passons à un autre insecte intéressant de l'ordre (jui nous occu})e, VAphrophore, sans nous effrayer de son nom rél)arbatif, car on peut lui donner bien d'autres noms, en choisissant parmi tous ceux que le vulgaire lui a décernés. Dans les mois de juin et de juillet, on voit sur presque tous les arbres et sur les plantes les plus diverses une sorte d'écume blanche, composée de petites bulles d'air, qui s'étale en petites couches, sur les feuilles et les rameaux. Les enfants appellent cela* de la mousie. Cette mousse est produite par un insecte que les paysans appellent Crachai de Coucou ou bien Écume prin- 138 LES INSECTES. tanière. De Geer a étudié avec soin les métamorphoses de cet insecte. h'Aphrophore (de acppoç, écume, et a.spoj, je porte) est logé dans l'écume dont on vient de parler. Il y vit, et n'en sort qu'après avoir pris des ailes. De Geer se demande pourquoi cet insecte se confine pendant toute sa vie dans une liqueur. Il pense, en définitive, que cette mousse a pour effet de garantir l'insecte qui s'y cache contre les ardeurs du soleil. Ce même manteau, fait de rosée et d'azur, parait aussi le mettre à l'abri des attaques des insectes, carnassiers et des Araignées. D'autre part, sa peau est sans doute constituée de telle sorte qu'elle transpirerait trop abondamment si elle était exposée à l'air libre, et l'insecte mour- rait bientôt desséché. Quelle que soit l'explication que l'on donne de la nécessité de ce milieu demi-aérien, demi-liquide, Fig. 96. il est facile de vérifier que la larve de VAplirophore d'A hrohore "^ P^^^^ ^^^^'^ lougtemps hors de sa bienheureuse enveloppe d'écume. Si on l'en retire, on voit le volume de son corps diminuer à vue d'œil, et le pauvre animal mourir, comme un poisson retiré de son élément naturel. Les insectes qui demeurent dans cette écume sont des larves à six pattes (fig. 96) qui, lorsqu'on les met à découvert, marchent assez vite, sur les tiges des plantes et sur les feuilles. Ces larves sont vertes, avec le ventre jaune. De Geer voulut savoir comment les larves produisent cette écume singulière, et il s'y prit comme nous allons le dire. Il retira une de ces larves de son milieu écumeux, l'essuya avec un pinceau, et la plaça sur une jeune tige, nouvellement coupée, de chèvrefeuille, qu'il fit tremper dans un verre d'eau, afin de lui conserver sa fraîcheur. Il observa ensuite l'animal à la loupe, et voici ce qu'il remarqua : « Elle commence, dit le naturaliste suédois, à se fixer à un certain en- droit de la tige dans lequel elle pique le bout de sa trompe, et reste ainsi longtemps dans la même attitude, occupée à sucer et à se remplir de sève. Ayant ensuite retiré sa trompe, elle y reste, ou bien elle va se placer sur une feuille où, après divers mouvements réitérés de son ventre, qu'elle hausse ou baisse et tourne de tous côtés, on voit sortir de la partie posté- rieure de son corps une petite bulle de liqueur qu'elle fait glisser, en cour- bant le dessous de son corps. Recommençant ensuite les mêmes mouve- ments, elle ne tarda guère à rendre une seconde bulle de liquide remplie HÉMIPTÈRES. 139 d'air, comme la première, qui se trouve placée à côté de la précédente, et continuant toujours la même opération aussi longtemps qu'il lui reste de la sève dans le corps, elle se trouve bientôt couverte d'une certaine quantité de petites bulles qui, sortant l'une après l'autre du corps, se portent vers le devant du corps, aidées en cela par le mouvement du ventre. Ce sont toutes ces bullt's réunies qui forment une écume blanche et extrêmement fine, dont la viscosité tient l'air renfermé dans ces bulles et empêche celte même écume de se dissoudre facilement. Si la sève que la nymphe a tirée de la plante est épuisée avant qu'elle se sente assez couverte d'écume, elle re- commence alors à sucer, jusqu'à ce qu'elle ait acquis une nouvelle quaiitité suffisante d'écume qu'elle a soin de joindre à la première '. » C'est dans leur écume que les larves se changent en nymphes, et celles-ci n'en sortent point pour su])ir leurs dernières méta- morphoses. Elles changent de peau au sein même de l'é- cume. Elles ont alors, dit de Geer, l'art de faire évaporer et dessécher lécume qui les touche immédiatement, de manière qu'il se forme un grand vide au dedans de la masse d'écume, dans laquelle leur cor])s se trouve entièrement libre. L'écume extérieure forme une voûte close de toutes parts, au-dessous de laquelle l'insecte se trouve placé à sec. Dans cette cellule voûtée, la nymphe se défait peu à peu de sa peau, qui se fend d'abord sur la tête, puis sur le thorax. Cette ouverture lui suffit pour se tirer entièrement hors de son enveloppe. C'est dans le mois de septembre que ces insectes sont particu- lièrement abondants. Alors les arbres et les plantes en sont char- gés. Quelquefois l'écume dégoutte, comme une sorte de petite pluie, des branches qui en sont couvertes. Vers l'automne, les femelles ont le ventre rempli d"œufs. Elles sont alors si pesantes, Fig. 97. , „ , . . , , T Aphrophore mâle qu elles peuvent a peme sauter ou voler. Les sautant. mâles, au contraire, font des bonds prodi- gieux: ils s'élancent quelquefois à la distance de deux mètres. Ils sont très-difficiles à surprendre, et encore plus difficiles à re- trouver quand on les a laissés s'échapper. Aussi Swammerdam appelle-t-il ces insectes des Sauterelles-Puces, parce qu'ils sautent à la manière des puces. Tout ce que nous venons de dire se rapporte à VAphrophore ècumevse (fig. 97), insecte commun dans toute l'Europe, et que- Geoffroy nomme la Cigale bedeaude. ]. Mémoires porir servir à lliistoire des insectes, tome III. 140 LES INSECTES. « Elle est d'une couleur brune, dit Geoiïroy, souvent un peu verdàtre. Sa tète, son corselet et ses étuis sont finement pointillés. Sur ces derniers, on voit deux taches blanches, oblongues et transverses interrompues. Le des- sous de rinsecte est d'un brun clair'. » Nous signalerons, comme se rattachant au groupe qui nous occupe, un insecte nuisible, le dessus devoslans, qui, depuis 18 4, paraît s'être fixé dans la commune de Saint-Paul département i=^^ Fig. 98. ■Slembi.'irfs i;iossirs. C 1. Hjpsaucliénie baliste. — 2. Membrace feu'llée. — 3. Centrote cornu. — 4. Umbonie épineuse. — 5. Bocydie globulaire. — 6. Cyplionie fourchue. des Basses-Alpesi. Il suce les feuilles et la tige des céréales, qui ne tardent pas à se dessécher. On trouve cet insecte, même en hiver, sur les jeunes blés, mais surtout au printemps. D'après M. Guérin-Méneville, sa tête est jaune d'ocre, avec le vertex marqué détaches noires; le front jaune, allongé, rayé de noir, comme l. Histoire abrégée des insectes, dans laquelle ces animaux sent rangés dans un ordre méthodique. In-4", an VU de la République, tome I, page 416. HÉMIPTÈRES. 141 les pattes. Les élytres sont couleur de paille et tachetés de brun. Les ailes sont transparentes et un peu enfumées à l'extrémité. Cet insecte redoutable, qui n'a que deux millimètres et demi de longueur, saute et s'envole à l'approche de l'homme. Dans les parties humides des bois de la plus grande partie de l'Europe, particulièrement sur les hautes tiges des fougères, sur les asclépiades et les chardons, on voit sauter, avec une singu- lière vigueur, un petit insecte brunâtre, dont la forme bizarre avait frappé Geoffroy, le vieil et rude historien des insectes des environs de Paris. GeofTroy appelle cet insecte le Petit Diable. « Le Petit Diable, dit-il, est d'une couleur brune, noirâtre et obscure. Sa lète est écrasée, peu saillante, et comme courbée en dessous. Son corselet, qui est assez large, a deux cornes aiguës qui se terminent en pointes assez longues sur les côtés. Sur le milieu du corselet est une crête qui, se pro- longeant en une espèce de corne sinuée et tortue, va se terminer en pointe fort aiguë, un quart avant l'extrémité des étuis. Ceux-ci sont obscurs, vei- nés de brun, et les ailes, plus courtes que les étuis, sont assez transpa- rentes. Il saute très-bien, et il n'est pas aisé de le prendre'. » Le Petit Diable de Geoffroy est leCentrote cornu des naturalistes modernes. Cette curieuse bestiole appartient au type, si étrange et si remarquable, des Membraces dont le corselet affecte les formes les plus bizarres et les plus variées, comme on peut le voir sur la figure 98, qui représente avec un certain grossissement le corps de tous ces petits insectes. Presque tous ces singuliers Hémiptères habitent la Guyane, le Brésil et les iles de la Floride. Nous allons entrer actuellement dans l'examen d'un groupe des plus intéressants à étudier sous divers points de vue , le groupe des Pucerons. Ces insectes ont attiré depuis longtemps l'attention des obser- vateurs. Ils sont si abondants en France, que tous nos lecteurs les ont vus. Il est peu de plantes, dans nos champs ou nos jar- dins, qui ne nosrrissent quelque espèce de Puceron. Combien de fois n'hésite-t-on pas à cueillir une rose ou une fleur de chèvre- feuille, de peur de toucher à l'hôte, si peu attrayant, de ces charmantes fleurs? 1 . Histoire abrégée des insectes, dans laquelle ces animaux sont ra'igés dans un ordre méthodiq e. In-4", an VII de la République, tome I, page 423. 142 LES INSECTES. Pendant tout l'été, on voit sur les branches, sur les feuilles, mais principalement sur les jeunes pousses du rosier, de grandes sociétés de Pucerons verts, qui sont occupés à sucer la sève de l'arbuste. Il est des Pucerons pourvus d'ailes (fig. 99, 100) et d'autres qui sont sans ailes (fig. 10,1 102). Ces derniers sont les plus grands : ils ont une ligne et demie Fig. 99, 100. Pucerons ailés (grossis). de longueur. Ils sont entièrement verts, sauf deux parties, dont nous parlerons dans un instant. Leur tète est petite et garnie de deux yeux bruns. Le corps est ovale. La peau est lisse et tendue. Fig. 101, 102. Pucerons sans ailes (grossis). Les antennes, très-longues et très-déliées, surpassent presque la longueur du corps. Les six pattes sont longues et grêles. Le pied, terminé par deux crochets, est court. A la partie supérieure du corps, se voient deux sortes de petites cornes, cylindriques, ter- minées au sommet par un petit bouton. Les antennes et ces cor- nes sont noires. Ces Pucerons non ailés font continuellement des petits. Les Pucerons ailés sont de même grosseur, mais d'un vert obscur, mêlé de noir. Leurs ailes sont transparentes, les supé- rieures une fois plus longues que le corps. Les jeunes pousses du sureau sont souvent couvertes de Pucerons noirs, ou d'un noir verdàtre, tout autour de leur circonférence, sur une longueur qui peut atteindre un pied à un pied et demi. Les Pucerons s HÉMIPTÈRES. 143 touchent l'un l'autre, et quelquefois même sont disiiosés sur deux ■couches superposées et tout à fait noires. Si on les observe sans agiter la plante, ils i)araissent tranquilles et dans l'inaction. Cependant ils tirent alors de la plante In nour- riture qui leur est convenable. Ils i)ercent avec la pointe de leur trompe l'épiderme des feuilles ou des tiges et ils en tirent une liqueur nutritive. Mais cette occupation est propre aux Pucerons qui marchent sur le tissu même de la plante. Ceux qui, en raison de l'énorme agglomération de ces insectes sur le végétal, marchent, non sur la branche, mais sur un véritable plancher d'autres Pucerons, ne peuvent sucer la sève de la plante. Ils ne travaillent qu'à conser- ver et à multiplier leur espèce. Réaumur a vu souve»t ces derniers, reconnaissables à leur grande taille, donner naissance à des petits Pucerons, (pii sor- taient tout vivants de leur mère. Dès qu'il est né, le petit Puceron suit la tile de ses ancêtres, alignés à l'entour d'une branche, par exemple. Il se dirige, soit en montant, soit en descendant, jusqu'à ce qu'il soit arrivé à un bout, et prend place, comme un capucin de carte, de manière que sa tête soit derrière le Puceron qui le précède. Là, il en- fonce sa trompe dans le tissu végétal, et se met à en aspirer la sève. Si petite que soit la trompe des Pucerons, dès qu'il existe des milliers de ces petits êtres fixés contre la tige ou les feuilles d'une plante, il est évident que ces parties doivent en souffrir. Aussi le Puceron est-il un des plus terribles ennemis de nos produits agri- coles et horticoles, et la liste exacte des ravages qu'il occasionne serait vraiment interminalile. Nous nous bornerons à quelques exemples. Depuis plusieurs années, le Puceron du tilleul attaque gravement les tilleuls des promenades publiques de Paris. Le Puceron du pêcher produit la cloque des feuilles de cet arbre. C'est à ce même et pullulant petit parasite que sont dus , dans un grand nombre de cas, les contournements des feuilles et des jeunes pousses des arbres de toute essence. Ces insatiables déprédateurs déterminent ({uelquefois une alté- ration plus remarquable encore. Sur les feuilles des ormes, on voit souvent des vessies, rondes et roses comme des pommes d'api. Si l'on ouvre ces vessies, on les trouve habitées par un peuple de Pucerons. ]kk LES INSECTES. Sur le peuplier noir naissent des galles de différentes espèces. Il en est qui partent des pétioles des feuilles, et d'autres des jeunes tiges. Elles sont arrondies, oblongues, cornues, tournées en spirale. D'autres galles se développent sur la feuille même. Elles sont toutes habitées par des Pucerons, et ces Pucerons diffè- rent de ceux dont nous avons donné la description plus haut, en ce que l'extrémité de leur abdomen ne présente pas les deux cornes remarqua])les sur lesquelles nous aurons plus tard à appeler l'attention. Leur corps est ordinairement recouvert d'un duvet long et épais. L'espèce la plus tristement célèbre du genre qui nous occupe est le Puceron du pomir.icr [Myzoxylus mali) , ou Puceron lanigère, qui ravage les pommiers. Cet insecte est d'un brun-roux foncé, avec le dessus de l'abdo- men recouvert d'un duvet très-long et très-blanc. Il a été signalé pour la première fois en Angleterre en 1789, et dans le départe- ment des Côtes-du-Nord en ;8i-2. En 1818, on le trouva à Paris, dans lejardin de l'École de Pharmacie. Il s'était répandu en 1822 dans les départements de la Seine, de la Somme et de l'Aisne. En 1827, on signalait sa présence en Belgique. Le Myzoxyle du pommier, selon M. Blot, ne peut vivre que sur cet arbre. Transplanté sur d'autres, il y périt bientôt. Il n'attaque point les fleurs, les fruits ni les feuilles; mais il se fixe sur l'é- corce, à la partie inférieure du tronc, d'où il se propage jusqu'aux racines, au bas des greffes et surtout sous leur poupée. Il aime encore à se loger dans les plaies du tronc et des grosses bran- ches. Mais partout il recherche l'exposition du midi et fuit celle du nord. Il n'est pas agile, marche fort peu, et sa rapide propa- gation d'un lieu à un autre ne peut guère s'expliquer que par la facilité avec laquelle le vent peut transporter un si petit in- secte, dont la légèreté est encore favorisée par le duvet qui le recouvre. Le Puceron lanigère rend le bois noueux, sec, dur, cassant, et amène rapidement tous les symptômes qui caractérisent la vieil- lesse et la décrépitude des arbres. M. Blot conseille les moyens suivants pour préserver les pom- miers de l'envahissement du Puceron lanigère : N'employer pour les semis que des graines de pommes amères ; — ne donner aux pépinières et aux plants que l'abri rigoureusement nécessaire; — éviter pour leur emplacement les terrains trop bas et trop humi- des : — favoriser la circulation de l'air et la dessiccation du ter- HEMIPTERES. 145 rain ; — entourer le pied de chaque pommier avec un mélange de suie ou de tabac et de sable fin. Quant à la manière de débarrasser un arbre , une fois envahi par ce Puceron, la plus simple c'est de frotter le tronc et les branches, pour écraser les insectes, ou d'employer une brosse ou un balai. Nous avons parlé plus haut de la reproduction des Pucerons, mais sans entrer dans aucun détail particulier. C'est ici le lieu d'aborder cette question, Tune des plus intéressantes de l'histoire naturelle. C'est à l'époque où Réaumur écrivait son immortelle Histoire des Insectes, c'est au temps où Tremblay publiait ses admira- bles recherches sur l'Hydre d'eau douce, dont nous avons ra- conté, dans notre ouvrage sur les Zoophytes et Mollusques, la prodigieuse vitalité , qu'un autre naturaliste venait étonner le monde savant par ses expériences sur la reproduction des Pu- cerons. Ce naturaliste , dont le nom vivra tout autant que ceux des Réaumur et des Tremblay, c'est Charles Bonnet, de Ge- nève. Charles Bonnet a fait la découverte extraordinaire que des Pu- cerons peuvent se reproduire et se multiplier sans accouplement. Lorsqu'un individu est abandonné à lui-même, il produit une série de générations semblables à lui. Nous allons rapporter les curieuses expériences du naturaliste genevois. Charles Bonnet plaça dans un pot à fleurs de jardin, garni de terre , une fiole pleine d'eau , et lit entrer dans cette fiole une petite branche de fusain, pourvue seulement de cinq à six feuilles, et qui étaient parfaitement exemptes de tout insecte. Sur une de ces feuilles, il posa un Puceron du fusain qui venait de naître sous res yeux, d'une mère dépourvue d'ailes. Il cou- vrit enfin la p lite branche d'un vase de verre, dont les bords s'applif[uaient exactement contre la surface de la terre du pot à fleurs. Moyennant ces précautions, Gh. Bonnet était assuré de pouvoir renfermer et ol)server son prisonnier tout à son aise. Il pouvait le tenir sous ses yeux et sous sa main , avec plus de certitude et de sécurité que ne le fut la mythologique Danaé , enfermée , par l'ordre d'Acrisius, dans une tour d'airain. Ce fut le 20 mai 1740 que Ch. Bonnet emprisonna ainsi, dès sa naissance, le jeune Puceron qui venait d'ouvrir les yeux à la lu- 10 146 LES INSECTES. mière. Nous laisserons maintenant parler l'auteur de cette expé- rience intéressante. <( J'eus soin, dit Ch. Bonnet, de tenir un journal exact de la vie de mon Puceron. J'y notai jusqu'à ses moindres mouvements, aucune de ses dé- marches ne me parut indifférente. Non-seulement je l'observai tous les jours d'heure en heure, à commencer ordinairement dès cjuatre à cinq heu- res du matin et ne discontinuant guère que vers les neuf ou dix heures du soir; mais même j'y regardais plusieurs fois dans la même heure, et tou- jours à la loupe, pour rendre l'observation plus exacte et m'instraire des actions les plus secrètes de notre petit solitaire. Mais si cette application continuelle me coûta quelques peines et me gêna un peu, en revanche j'eus de quoi m'applaudir de m'y être assujetti.... Mon Puceron changea de peau quatre fois ; le vingt-troisième sur le soir ; le vingt-sixième à deux heures après midi ; le vingt-neuvième à sept heures du matin ; et le trente et unième sur les sept heures du soir...; délivré heureusement des quatre maladies par lesquelles il devait passer, il était enfin arrivé au terme où j'avais tâché de l'amener par mes soins. Il était devenu un Puceron parfait. Dès le premier de juin, environ les sept heures du soir, je vis avec un grand contentement qu'il était accouché, et dès lors je crois devoir lui donner le nom de Puceronne. Depuis ce jour jusqu'au vingt inclusivement, elle fit qua- tre-vingt-quinze petits, tous bien vivants, et la plupart venus au monde -SOUS mes yeux '. » Charles Bonnet fit bientôt d'autres expériences sur les Pucerons du sureau, afin de s'assurer si des générations de Pucerons, éle- vées successivement en solitude, conservent la même propriété de procréer leurs semblables, sans accouplement. u Le 12 juillet, dit-il, sur les trois heures après midi, je renfermai un Puceron de sureau qui venait de naître sous mes yeux. Le 20 du même mois, à six heures du matin, il avait déjà fait trois petits. Mais j'attendis jusqu'au 22 vers midi à renfermer un Puceron de la deuxième génération, • parce que je ne pus parvenir plus tôt à être présent à la naissance d'un de ceux dont accoucha cette mère que j'avais condamnée à vivre dans la soli- tude. J'usai toujours dans la suite de la même précaution : je ne renfermai -que des Pucerons venus au jour sous mes yeux. Une troisième génération commença le 1" août; ce fut ce jour-là qu'accoucha le Puceron qui avait •été enfermé le 22 juillet. Le 4 du mois d'août, environ une heure après .midi, je mis en solitude un Puceron de cette troisième génération. Le 9 du ■même mois, à six heures du soir, une quatrième génération due à ce dernier avait déjà vu le jour : il avait donné naissance à quatre petits. Le même jour, vers minuit, tout commerce avec ceux de son espèce fut interdit à un Puceron de la quatrième génération né à cette heure. Le 18, entre six et •sept heures du matin, je trouvai ce dernier en com.pagnie de quatre petits .qu'il avait mis au jour"\ » 1. Traité dlnsectologie, ou Observations sur les Pucerons; I" partie, in-l8, Pa- ais, 174.S, pages 28-38. 2. Ibidem, pages 67-69. HEMIPTERES. 147 Ici le manque de nourriture détermina la mort du Puceron isolé de la cinquième génération, et l'expérience fut close. Bonnet mit ensuite en expérience les Pucerons du plantain. Il les suivit pendant cinq générations consécutives, et dans une nou- Fig. 103. Charles Bonnet. velle expérience il put suivre dix générations se succédant sans interruption, dans l'espace de trois mois. Après avoir constaté les faits extraordinaires qu'il nous raconte avec une simplicité et une bonhomie parfaites, Charles Bonnet, exa- minant à la lin de la belle saison des Pucerons ailés du chêne, put assister à leurs noces. Il conserva avec grand soin les femel- les, et ne vit pas, sans un profond étonnement, qu'elles donnaient 148 LES INSECTES. naissance, non à des petits vivants, comme cela avait été le cas dans ses premières expériences, mais à des œufs d'une couleur rougeâtre qui étaient collés et attachés, les uns à côté des autres, sur la tige de la plante. Peu de temps après, cet illustre observateur put se convaincre que les Pucerons du chêne dont il avait vu les noces à l'au- tomne, pouvaient présenter d'ailleurs les mêmes phénomènes de propagation solitaire et vivipare, déjà si souvent constatés par lui. Enfin de nouvelles observations lui permirent de mettre hors de doute l'enchaînement de ces faits en apparence contradictoires. 11 reconnut que, pendant toute la belle saison, les Pucerons se reproduisent isolément et mettent au monde des petits vivants, mais que vers l'automne ces animaux, rentrant dans les condi- tions ordinaires, se propagent par des œufs, dont le développe- ment exige le concours d'un père et d'une mère. Ces œufs éclo- sent au printemps et il n'en sort que des individus vivipares. A l'automne se montrent des mâles et des femelles, et à partir de ce moment l'oviparité reparaît. Ces faits si curieux, aOis et constatés il y a plus d'un siècle, ont été vérifiés plusieurs fois depuis cette époque. En 1866, M. Balbiani a avancé que les Pucerons sont porteurs des deux sexes, ce qui expliquerait les faits observés par Charles Bonnet. Mais les preuves anatomiques invoquées par M. Balbiani sont loin d'établir l'existence de cette dualité sexuelle chez les Pucerons. Les observations de Charles Bonnet produisirent chez les natu- ralistes un étonnement profond, et, sous ce point de vue, l'année 1743 peut être considérée comme une année mémora])le. Le simple exposé de quelques expériences de Charles Bonnet que nous avons citées, a suffi pour montrer combien la multipli- cation est rapide chez les Pucerons. Une seule femelle donne or- dinairement 90 jeunes individus. A la seconde génération, ces 90 en auront donné 8100. Ceux-ci donneront une troisième généra- tion, qui sera de 729 000 individus. Ceux-ci à leur tour devront en fournir 65610 000. La cinquième génération étant de 590 490 000 individus, donnera une progéniture de 53 142 100 000 individus. A la septième, nous aurons ainsi 4 782 789 000 000, et la huitième donnera 441 461 010 000 OCO. Ce nombre immense peut s'élever bien plus haut quand il y a onze générations dans l'espace d'une année. HÉMIPTÈRES. 149 Heureusement beaucoup d'insectes carnassiers font une rude guerre aux Pucerons, et en détruisent des masses énornaes. Ils opposent ainsi une digue salutaire au débordement de leur mul- tiplication. Pour montrer avec quelle prodigieuse abondance doit se faire la reproduction de ces petits et redoutables parasites, nous rap- porterons un fait qui a été signalé par M, Morren, professeur à l'université de Liège. L'hiver de 1833 à 1834 avait été extrêmement chaud et sec; des mois entiers s'étaient passés sans pluie. Un savant bien connu, Van Mons, avait prédit dès le 12 mai que tous les légumes se- raient dévorés par les Pucerons. En effet, le 28 septembre 1834, au moment où l'épidémie du choléra venait de commencer à étendre ses ravages en Belgique, tout à coup une nuée de Pucerons se montra entre Bruges et Gand. On les vit le lendemain, à Gand, voltiger par troupes en telle quantité, que la lumière du jour en était obscurcie. En se plaçant sur les remparts, on ne pouvait plus distinguer les murs des maisons de la ville, tant ils en étaient couverts. Toute la route d'Anvers à Gand était noircie de leurs innoml)rables lé- gions. Partout on les avait vus apparaître subitement. Il fallait se couvrir les yeux de lunettes et le visage de mouchoirs, pour se préserver du chatouillement pénible et désagréable qu'occasion- naient leurs six pattes. La marche de ces insectes était interrom- pue par des montagnes, des collines, des ondulations de terrain même peu élevées, mais suffisantes pour influer sur le vent. M. Morren pense que ces Pucerons arrivaient de fort loin, et qu'ils étaient venus en Belgique du côté de la mer. Quelle que soit l'explication du phénomène, il établit suffisam- ment la prodigieuse multiplication de ces petits insectes. Il est un dernier trait, et sans nul doute le plus curieux de l'histoire des Pucerons, qu'il nous reste à signaler à l'attention curieuse du lecteur : il s'agit des rapports qui s'établissent entre les Pucerons et les Fourmis. Il n'est personne qui n'ait vu courir et s'arrêter des Fourmis dans tous les lieux où des Pucerons sont réunis en grand nombre. Les Fourmis sont-elles simplement les amies des Pucerons , comme le croyaient les anciens? Ou bien leurs visites ont-elles quelque but intéressé? Linné, Bonnet, Pierre Huber eurent la pensée que les Fourmis 150 LES INSECTES. ne venaient pas pour rien trouver ces insectes, leurs congénères, et qu'elles avaient quelque chose à leur demander. Mais quavaient-elles donc à demander aux Pucerons? Gest à Pierre Huber que l'on doit cette découverte. Ce naturaliste a fait sur les rapports des Pucerons et des Fourrais les plus jolies ob- servations du monde. Elles sont rapportées dans un chapitre de son admirable ouvrage intitulé : Recherches sur les mœurs des Four- mis indigènes. Les Pucerons portent, comme nous l'avons dit, à l'extrémité de leur abdomen, deux petits tubes mobiles! Ces appendices exté- rieurs sont, l'un et l'autre, en communication avec une petite glande qui fournit un liquide sucré. Quand on observe avec quelque soin des Pucerons attachés à la tige d'une plante, on voit suinter une petite gouttelette sirupeuse de l'extrémité de ces tubes. M. Morren, qui a fait d'intéressantes o])servations sur l'anatomie et sur la génération des Pucerons, dit qu'ayant enfermé des fe- melles dans des bocaux de verre, pour observer leur accouche- ment, il vit les petits venir, peu de temps après leur naissance, sucer le suc doux et mielleux qui sortait des petits tubes de l'abdomen des mères. Cette sécrétion parait donc destinée à servir à la nourriture des jeunes Pucerons, dans les premiers moments de leur existence, avant qu'ils aient pu commencer à se nourrir des sucs végétaux. Le liquide sucré fourni par la mère serait une sorte de lait destiné à la nourriture du jeune animal. Ceci étant posé, écoutez bien la suite. Dans tous les lieux où les Pucerons sont réunis en grand nom- bre, il est facile de constater le goût excessif que les Fourmis ont ix)ur la liqueur sucrée destinée à l'allaitement des petits Puce- rons. Mais comment les Fourmis s'y prennent-elles pour que les Pucerons consentent à se laisser traire, pour ainsi dire, par leur visiteuse indiscrète? Nous allons laisser à Pierre Huber le soin de nous apprendre comment s'établissent les rapports, les liaisons d'amitié entre ces deux types d'insectes. « On avait déjà observé, dit le célèbre observateur, que les f'ourmis at- tendaient le moment où les Pucerons faisaient sortir de leur ventre cette manne précieuse et qu'elles savaient la saisir aussitôt. Mais j'ai découvert que c'était là le moindre de leurs talents et qu'elles savaient encore se faire servir à volonté : voici en quoi consisle leur secret. « Une branche de chardon était couverte de Fourmis brunes et de Puce- HÉMIPTÈRES. 151 rons : j'observai quelque temps ces derniers, pour saisir, s'il était possible, l'instant où ils faisaient sortir de leur corps cette sécrétion ; mais je re- marquai qu'elle ne sortait que très-rarement d'elle-même et que les Puce- rons éloignés des Fourmis la lançaient au loin au moyen d'un mouvement qui ressemble à une espèce de ruade. « Comment se faisait-il donc que les i^'ourmis errantes sur les rameaux eussent presque toutes des ventres remarquables par leur volume et rem- plis évidemment d'une liqueur? C'est ce que j'appris en suivant de près une seule Fourmi dont je vais décrire exactement les procédés. Je la vois d'a- bord passer sans s'arrêter sur quelques Pucerons que cela ne dérange point, mais elle se fixe bientôt auprès d'un des plus petits : elle semble le flatter avec ses antennes en toucliant l'extrémité de son ventre alternativement de l'une et de l'autre avec un mouvement très-vif. Je vois avec surprise la li- queur sortir hors du corps du Puceron et la Fourmi saisir aussitôt la gout- telette qu'elle fait passer dans sa bouche. Ses antennes se reportent ensuite sur un Puceron beaucoup plus gros que le premier : celui-ci, caressé de la même manière, fait sortir le fluide nourricier en plus grande dose. La Fourmi s'avance pour s'en emparer. Elle passe à un troisième qu'elle ama- doue comme les précédents en lui donnant plusieurs petits coups d'antennes auprès de l'extrémité postérieure de son corps, la liqueur sort à l'instant et la Fourmi la recueille.... « Il ne faut qu'un petit nombre de ces repas pour rassasier une- Fourmi. « Il ne paraît point que ce soit par importunité que ces insectes obtien- nent des Pucerons leur nourriture. « Le voisinage des Fourmis est agréable aux Pucerons, puisque ceux* qui pourraient se soustraire à leur visite (Pucerons ailés) préfèrent de- meurer au milieu d'elles et leur prodiguer le superflu de leur nourri- ture'. » Ce qu'on vient de dire se rapporte non-seulement à la Fourmi brune, mais à la Fourmi fauve, à la noire cendrée, à la fuligi- neuse, à bien d'autres encore. La Fourmi rouge est d'une singulière habileté à saisir la gout- telette que lui abandonne le Puceron. Selon Pierre Huber, elle emploie ses antennes, dont l'extrémité est un peu renflée, pour porter cette gouttelette à sa bouche, et elle l'y fait entrer en la pressant tour à tour, en se servant de l'une et de l'autre antenne, comme de véritables doigts. La plupart des Fourmis vont trouver les Pucerons sur les plan- tes mêmes où ils ont l'habitude de se fixer, sur les plus basses herbes, comme au sommet des grands arbres. Il en est pourtant qui ne sortent pas de leur demeure, qui ne sont jamais en chasse.. Ce sont de petites Fourmis, d'un jaune pâle, un peu transparentes et recouvertes de poils, qui sont extrêmement multipliées dans. 1. Recherches sur les mœurs des fourmis indigènes. Paris, 1810, pages 181-186. 152 LES INSECTES. nos prés et dans nos vergers. Ces êtres souterrains sont ruineux pour l'agriculteur. Pierre Huber se demandait souvent comment subsistent ces Fourmis, de quels aliments elles peuvent s'approvisionner, sans sortir de leur habitation ténébreuse. Ayant un jour retourné la terre dont leur habitation est composée, pour découvrir si quel- que provision s'y trouvait renfermée, il n'y trouva que des Puce- rons. La plupart étaient fixés aux racines des arbres qui pen- daient de la voûte du nid souterrain ; d'autres erraient au milieu des Fourmis. Celles-ci s'y prenaient d'ailleurs comme à l'ordinaire pour traire leurs complaisantes nourrices, et toujours avec le même succès. Pour vérifier sa découverte, Pierre Huber fouilla dans un grand nombre de nids de Fourmis jaunes, et il y trouva toujours des Pucerons. Afin d'étudier les rapports qui devaient exister entre ces insec- tes, il enferma des Fourmis avec leurs amis les Pucerons dans une boîte vitrée, en plaçant au fond de la boîte de la terre, mê- lée aux racines de quelques plantes, dont les branches végétaient au dehors. Il arrosait de temps en temps la fourmilière. De cette façon , animaux et plantes trouvaient dans son appareil une nour- riture suftisante. Voici alors ce qu'il observa : « Les Fourmis ne cherchaient point k s'échapper. Elles semblaient n'a- voir rien à désirer. Elles soignaient leurs larves et leurs femelles avec la même affection que dans leurs véritables nids, elles avaient grand soin des Pucerons et ne leur faisaient jamais de mal. Ceux-ci ne paraissaient point les craindre; ils se laissaient transporter d'une place à une autre, et lors- qu'ils étaient déposés, ils demeuraient dans l'endroit choisi par leurs gar- diennes; lorsque les Fourmis voulaient les déplacer, elles commençaient par les caresser avec leurs antennes comme pour les engager à abandonner leurs racines ou à retirer leur trompe de la cavité dans laquelle elle était insérée, ensuite elles les prenaient doucement par-dessus ou par-dessous le ventre avec leurs dents et les emportaient avec le même soin qu'elles auraient donné aux larves de leur espèce. J'ai vu la même Fourmi prendre successi- vement trois Pucerons plus gros qu'elle et les transporter dans un endroit obscur. « .... Cependant les Fourmis n'emploient pas toujours les voies de la dou- ceur avec eux ; quand elles craignent qu'ils ne leur soient enlevés par celles d'une autre espèce et vivant près de leur habitation, ou lo squ'on découvre trop brusquement le gazon sous lequel ils sont cachés, elles les prennent à la hâte et les emportent au fond des souterrains. J'ai vu des Fourmis de deux nids se disputer leurs Pucerons : quand celles de l'un pouvaient entrer chez les autres, elles les dérobaient aux véritables possesseurs, et souvent ceux-ci s'en emparaient à leur tour ; car les Fourmis connaissent tout le prix de ces petits animaux qui semblent leur être destinés : c'est leur tré- HÉMIPTÈRES. 153 sor; une fourmilière est jilus ou moins riche selon qu'elle a plus ou moins de Pucerons; c'est leur bétail, ce sont leurs vaches et leurs chèvres : on n'eût pas deviné que les Fourmis fussent des peuples pasteurs ' ! » Les Pucerons qui servent ainsi de garde-manger à la colonie de Fourmis sont-ils venus se loger d'eux-mêmes, et volontairement, dans ce souterrain ténébreux, eux qui vivent au grand jour, au grand soleil, et sous les caresses de la brise? Leur enfouissement dans ces lieux profonds ne s'est pas fait volontairement. Les pau- vres Pucerons sont prisonniers de guerre. Les Fourmis, après avoir creusé des galeries au milieu des racines, ont envahi les gazons, et se sont emparées des Pucerons épars, qu'elles ont ame- nés avec elles, et rassemblés dans leurs nids. Les insectes captifs prennent leur mal en patience et s'arrangent en philosophes de ce nouveau genre de vie. Ils prodiguent à leurs maîtres, de la meilleure grâce du monde, les sucs nourriciers dont leur corps surabonde. Charles Bonnet a constaté de vrais miracles d'habileté et d'in- dustrie chez d'autres Fourmis qui font aussi provision de Puce- rons. « Je découvris un jour un tithymale, dit-il, qui supportait au milieu de sa tige une petite sphère à laquelle il servait d'axe. C'était une case que des Fourmis avaient bâtie avec de la terre. Elles en sortaient par une ouverture fort étroite pratiquée dans le bas, descendaient le long de la branche et passaient dans une fourmilière voisine. Je démolis une partie de ce pavil- lon construit presque en l'air, afin d'en étudier l'intérieur. C'était une pe- tite salle dont les parois en forme de voûte étaient lisses et unies; les Four- mis avaient profité de la forme de cette plante pour soutenir leur édifice. La tige passait donc au centre de l'appartement et ses feuilles en compo- saient toute la charpente. Cette retraite renfermait une nombreuse famille de Pucerons, auprès desquels les Fourmis brunes venaient paisiblement faire leur récolte à l'abri de la pluie, du soleil et des Fourmis étrangères. Nul insecte ne pouvait les inquiéter et les Pucerons n'étaient point exposés aux attaques de leurs nombreux ennemis. J'admirai ce trait d'industrie et je ne tardai pas à le retrouver avec un caractère plus intéressant encore chez des Fourmis d'une espèce différente. « Des fourmis rouges avaient construit autour du pied d'un chardon un tuyau de terre de deux pouces et demi de longueur sur un et demi de lar- geur. La fourmilière était au bas et communiquait sans intervalle avec le cylindre. Je pris la branche avec son entourage et tout ce qu'il renfermait : la portion de la tige comprise dans le tuyau était garnie de lancerons; je vis bient't sortir par l'ouverture que j'avais faite à la base les Fourmis, fort étonnées de voir le jour en cet endroit, et je m'aperçus qu'elles y vivaient avec leurs larves; elles les transportèrent en hâte dans la partie la plus éle- vée du cylindre qui n'avait pas été altérée. C'est dans ce reluit qu'elles se 1. Recherches, etc., pages 192-194. 154 LES INSECTES. tenaient à portée do leurs Pucerons rassemblés et qu'elles nourrissaient leurs petits. « Ailleurs plusieurs tiges de tithymale chargées de Pucerons s'élevaient au centre même d'une fourmilière appartenant aux Fourmis brunes. Celles- ci, profitant de la disposition particulière des feuilles de cette plante, avaient construit autour de chaque brandie autant de petites cases allongées; et c'est là qu'elles venaient chercher leur nourriture. Ayant détruit une de ces loges, les Fourmis emportèrent aussitôt dans le nid leurs précieux animaux, peu de jours après elle fut réparée sous mes yeux par ces insectes, et les trou- peaux furent ramenés dans leur parc. « Ces cases ne sont pas toujours à quelques pouces de terre. J'en ai vu une à cinq pieds au-dessus du sol, et celle-ci mérite encore d'être décrite. Elle consistait en un tuyau noirâtre, assez court, qu'environnait une petite branche de peuplier à ^a sortie du tronc. Les Fourmis y arrivaient depuis l'intérieur de l'arbre qui était excavé , et sans se montrer elles pouvaient parvenir vers leurs Pucerons par une ouverture qu'elles avaient pratiquée à la naissance de cette branche; ce tuyau était formé de bois pourri, du ter- reau même de cet arbre, et je vis plusieurs fois les Fourmis en apporter des brins à leur bouche pour réparer les brèches que je faisais à leur pavillon. Ces traits ne sont pas fort communs et ne sont point du nombre de ceux qu'on pourrait attribuer à une routine habituelle ' , « Un jour, Pierre Huber découvrit dans un nid de Fourmis jau- nes une loge contenant un amas de petits œufs couleur d'ébène. Ils étaient environnés de plusieurs Fourmis, qui paraissaient en prendre soin et qui cherchèrent à les emporter. Dès que le nid fut mis au jour par lui, Hu])er s'empara de la loge, de ses habitants et du petit trésor (qu'elle contenait, et plaça le tout dans un couvercle de boite, recouvert d'une glace, alin de mieux observer. Il vit les Fourmis s'approcher des œufs, faire passer leur langue entre eux, la promener sur chacun de ces œufs et y déposer une substance liquide. Elles paraissaient traiter ces œufs exactement comme ceux de leur espèce; elles les pal- paient avec leurs antennes, les réunissaient et les portaient fré- quemment à leur bouche. Elles ne les quittaient pas un instant. Elles les prenaient, les retournaient, et après les avoir visités avec soin, elles les emportaient avec une extrême délicatesse dans la petite case de terre placée auprès d'elles \ Ce n'étaient cependant point des œufs de Fourmis. C'étaient des œufs de Pucerons. Les petits qui allaient bientôt éclore devaient donner aux Fourmis prévoyantes la récompense des soins qu'elles leur avaient prodigués. Quelle histoire admirable que la vie et les mœurs des Puce- rons, et leurs rapports avec les Fourmis! 1. Traité d'insectologie, etc., pages 198-201. —2. Recherches, etc., pages 205-206. HÉMIPTÈRES. 155 Mais nous serions entraînés trop loin, si nous voulions pour- suivre davantage ces détails attrayants. Séparons -nous donc, quoique à regret, de nos industrieuses Fourmis et de leurs com- plaisants prisonniers. Nous passerons à l'histoire d'une autre famille, à celle des Gal- Imsecles, comme les appelait Réaumur, ou Cocodès, comme on les nomme aujourd'hui, sans aucune allusion aux beaux jeunes gens qui ont reçu cette dénomination parisienne. Ces animaux (ce sont les Gallinsectes que je veux dire} sont d'ail- leurs bien étranges. Ils passent la plus grande partie de leur vie, c'est-à-dire plusieurs mois , entièrement immobiles , appliqués contre des tiges ou des branches d'arbrisseaux. Ils s'y tiennent aussi dépourvus de mouvement que la plante à laquelle ils sont attachés. On dirait qu'ils font corps avec elle. Autre singularité. Leur forme est tellement simple, que rien, à l'extérieur, ne fait soupçonner le corps d'un insecte. Plus il est grand, et moins il a l'air d'un être vivant. Lorsque le Gallinsecte est en état de se multiplier, lorsqu'il est occupé à pondre ses^ milliers d'œufs, il ne ressemble encore qu'à une excroissance d'arbre. On rencontre des Gallinsectes sur l'orme, le chêne, le tilleul, l'aune, le houx, l'oranger, le laurier-rose. Certaines de ces es- pèces sont remarquables par les ])elles matières colorantes rou- ges qu'elles fournissent. Telle est la Cochenille du Nopal [Coccus cacti), — le Kermès varié {Chermes variegatus) ou Cochenille du Chêne, — la Cochenille de Pologne. La Cochenille du Nopal ou Cochenille ordinaire {Coccus cacti) vit au Mexique, sur diverses espèces de nopals (Opuntia), particulière- ment sur V Opuntia vulgaris, V Opuntia coccifera et \ Opuntia una, plantes qui appartiennent à la famille des Cactées. Ces insectes sont assez remarquables en ce que le mâle et la femelle sont tellement dissemblables, qu'on les prendrait pour des animaux de genres différents. Peut-être même ont-ils de la peine à se reconnaître entre eux ! Comprenez-vous un insecte qui n'est pas bien sûr de ne pas se tromper, quand il vient mettre ses hommages aux pieds de sa tendre moitié ; ou bien la tendre moi- tié forcée d'y regarder à deux fois, avant de reconnaître son époux légitime et de lui faire bon accueil ! Le mâle (fig. 99) offre un corps allongé, déprimé, d'un rouge brun foncé. Sa tête petite, munie de deux longues antennes plu- 156 LES INSECTES. meiises, n'a qu'un bec rudimentaire. Son abdomen se termine par deux soies fines et plus longues que le corps. Ses ailes, par- faitement transparentes, dépassent l'extré- mité de l'abdomen et se croisent horizon- talement sur le dos. Il est vif et agile. La femelle offre un tableau tout autre. Elle est d'abord deux fois plus grosse que le mâle (tîg. 99j, bombée en dessus, plane en dessous. Elle ressemble à une larve et n'a point d'ailes. Son corps est formé d'une di- Fig. 104. Cochenilles zaiue d'auneaux couverts d'une poussière màie et femelle. glauque. Sou bec est très-développé et les soies de l'abdomen beaucoup plus courtes que le corps. Le poids de leur corps, comparé à la brièveté de leurs pattes, indique que ces êtres sont voués à l'immobilité. Ces pattes ne leur servent, en effet, qu'à se cramponner au vé- gétal où ils puisent leur nourriture. Les circonstances de la naissance des larves de la Cochenille sont fort curieuses. Ces larves naissent dans le corps desséché de la mère morte. Ainsi le squelette maternel leur sert de berceau, A'^oici comment. Les œufs sont attachés à la partie inférieure du corps de la mère. Quand le ventre de la mère s'est vidé, sa paroi inférieure se rapproche de la supérieure, et le tout finit par com- poser une cavité assez vaste. Quand la mère est morte, ce qui ne tarde pas, son ventre se dessèche, sa peau se raccornit, et forme une sorte de coque. C'est dans ce berceau membraneux, dans ce squelette, dans ce cercueil, héritage de famille, que naissent les larves de la Cochenille. La Cochenille vit à l'état sauvage dans les bois. Mais on peut sans peine la propager, ou l'élever artificiellement. Personne n'ignore, en effet, que le petit insecte nommé Co- chenille fournit, quand on a desséché son corps et qu'on l'a mis en poudre, une matière colorante d'un rouge admirable, et que rien ne peut remplacer pour la nuance qui lui est propre. Cette circonstance a sauvé la Cochenille de la destruction à la- quelle tant d'autres genres d'insectes ont été voués, par la main des hommes ou par celle de la nature. Dans les climats chauds où se plaît la Cochenille, on s'est appliqué à la conserver, à la multiplier, pour en retirer la précieuse matière colorante que son corps recèle. HÉMIPTÈRES. 157 Voici comment on s'y prend au Mexique pour élever la Coche- nille, ou faire de la cocciculture. On choisit un terrain découvert, défendu contre les vents d'ouest, et de l'étendue u'environ un hectare. On l'entoure d'une haie de roseaux, etjl'on plante, selon des lignes espacées d'un la,'). Branche de Nopal portant des Cochenilles. mètre environ, des boutures de nopals écartées les unes des au- tres de 30 centimètres au plus. Cette nopakrk ainsi constituée, il s'agit d'y établir les Coche- nilles. Pour cela, on va chercher dans les bois, ou bien on prend sur des tiges de nopals, que Ion a abrités pendant l'hiver, des femelles de Cochenille prêtes à pondre. On les dépose, par dou- 158 LES INSECTES. zaines, dans des nids de bourre de coco, ou dans des petites cor- beilles tissées avec des feuilles de palmier nain, et on attache ces nids aux épines des nopals. Ceux-ci sont bientôt couverts déjeu- nes larves. Il ne s'agit plus que de les abriter de la pluie et des vents. Les larves se transforment promptement en insectes parfaits, qui se fixent à demeure sur les ]}ranches du cactus, comme le représente la ligure 100. On se hâte de les cueillir dès qu'ils sont à leur dernier degré de développement. La récolte ne doit pas être diftîcile, vu l'immobilité de ce petit être. Une fois recueillies, on enferme les Cochenilles dans des boîtes de bois du pays, et on les expédie en Europe, pour les usages de la teinture. Telle est la méthode, fort simple, on le voit, d'élever la Cochenille, méthode qui est en usage depuis des siècles au Mexique, Vers la fin de l'année 1700, un Français, nommé Thierry de Menouville, forma le projet d'enlever aux Espagnols ce précieux insecte, pour en doter nos colonies. Il aborda au Mexique, et ca- cha si bien le motif de son voyage, qu'il parvint à embarquer et à conduire à Saint-Domingue plusieurs caisses renfermant des cactus chargés de Cochenilles vivantes. .Malheureusement, une révolution survenue à Saint-Domingue ne permit pas de mettre à profit le dévouement de Thierry de Menouville. Les Cochenilles moururent, et les Espagnols conser- vèrent le privilège de cette culture. En 1806, M. Souceylier, chirurgien de la marine française, réus- sit à apporter du Mexique en Europe des Cochenilles vivantes. Il les remit au professeur de botanique de Toulon, mais les essais de conservation ne réussirent pas. En 1827, la naturalisation de la Cochenille fut tentée en Corse, mais sans succès. Pendant la même année, on réussit à introduire la Cochenille aux îles Canaries. Mais les habitants ne comprirent pas l'impor- tance de cette tentative. Ils mettaient la Cochenille au nombre des insectes nuisibles, et cherchaient à s'en débarrasser de toutes façons. Ce n'est qu'après les résultats obtenus par quelques culti- vateurs plus éclairés* que les habitants des îles Canaries recon- nurent les profits qu'on pouvait tirer de cet insecte. Dès lors cette culture s'étendit. A partir de Tannée 1831, elle hé:\iipti<:res. lei s'accroissait rapidement. Ainsi, les produits importés des îles Ca- naries, en 183!, n'étaient que de 4 kilogrammes de Cochenilles. En 1832, ils s'élevaient à 60 kilogrammes, en 1833 à 660 kilogram- mes, en 1838 à 9000 kilogrammes, en 1850 à 4C0 000 kilogrammes. Nos colons d'Algérie ont tenté la même culture. En 1831, .M. Li- monnet, pharmacien d'Alger, rassembla des Cochenilles, et eut le mérite de les introduire le premier dans notre colonie. Par suite de mauvais temps, ces premiers essais furent infructueux. Mais ils ne tardèrent pas à être repris. M. Loze, chirurgien de la marine, chargé d'introduire de nou- veau cet insecte, et M. Hardy, directeur de la pépinière centrale d'Alger, se consacrèrent, avec une grande intelligence, à cette naturalisation et à la culture de la Cochenille en Algérie. En 1847, le ministre de la guerre de France, dans le but de faire déterminer par le commerce lui-même la valeur de la Co- chenille algérienne, fit vendre sur le marché de Marseille une caisse de Cochenille provenant des récoltes de 1845 et 18;6, du jardin d'essai d'Alger, et qui contenait 17 kilogrammes de cette marchandise. Depuis cette époque , cette culture, dont l'initiative avait été due à M. Limonnet, se développa rapidement. En 1853, dans la seule province d'Alger, on comptait quatorze nopaleries, contenant 61 500 plantes. L'administration achetait alors les récoltes au prix de 15 francs le kilogramme. Nous n'avons indiqué que d'une manière sommaire comment se fait la récolte de la Cochenille. C'est ici le lieu d'entrer à ce sujet dans quelques détails. On ramasse ces insectes au moment où les femelles vont effec- tuer leur ponte, c'est-à-dire dès qu'on aperçoit sur quelques no- pals des Cochenilles nouvellement nées. C'est, en effet, quand les femelles sont pleines, qu'elles renferment la plus grande quantité de matière colorante. Le moment de la récolte arrivé, on étend des toiles sur le sol, au pied des nopals, et on dé- tache les cochenilles, on racle les tiges de ces plantes avec un pinceau assez dur, ou avec une lame de couteau peu tran- chante. La ligure 106 représente la récolte de la Cochenille en Al- gérie. Par une saison favorable, on peut répéter cette opération trois fois dans l'année, sur une nopalerie. Les insectes étant ainsi re- cueillis, on les fait périr, en les trempant dans l'eau bouillante, H 162 LES INSECTES. ou bien en les passant an Tour, ou en les torréliantsur une plaque de fer chaude. Les Goclienilles retirées de l'eau bouillante sont ensuite étalées sur des claies, et séchées, d'a])ord au soleil, puis à l'ombre, dans un lieu aéré. Pendant leur immersion dans l'eau, elles perdent la poudre blanche qui les recouvre. On les appelle en cet état, au Mexique, ronogridas. Les Cochenilles passées au tour se nomment jaspcadas et sont d'un gris cendré; les Cochenilles torréfiées sont noires et se nom- ment tiegras. On distingue, dans le commerce, trois sortes de Cochenilles : 1'^ la mcsièque, de couleur rougeàtre avec une poussière glauque plus ou moins abondante; 2" la noire, qui est plus grosse et d'un brun noirâtre; 8° la sylvestre, qui est, au contraire, plus petite et rougeàtre. Cette dernière est la moins estimée. On la recueille sur des nopals abandonnés sans culture. On importe en France, chaque année, 200 000 kilogrammes de Cochenilles, qui représentent une valeur de 3 millions en- viron. Tout le monde doit savoir que c'est avec la Cochenille que l'on compose le carmin, magnifique couleur rouge, fréquemment em- ployée par les peintres. La laque carminée est un autre produit obtenu par la Cochenille. Enfin Vécarlale est de la Cochenille pré- cipitée par un sel d'étain. Avant que la Cochenille du Mexique fût connue en Europe, on se servait, pour la préparation du carmin employé dans les arts, de la Coclienille kermès ou Cochenille du Chêne [Coccus ilicis), connue encore aujourd'hui dans le commerce et dans les phar- macies sous les noms de Kermès animal^ Kermès végétal^ Graine d'ècirlale. Cette Cochenille vit de préférence, on le croit du moins, sur le Chêne vert (Quercus ilcx) : de là son nom spécifi([ue. La Cochenille du Chêne se développe presque exclusivement, non sur le chêne vert, mais sur le Quercus coccifcra, arbuste com- mun dans le:.; lieux secs, arides, et qui végète sur un grand nom- bre de points de la région méditerranéenne, en particulier sur les garrigues de l'Hérault. Les femelles de cet insecte, qui desséchées portent le nom de grains de kirmès, sont de la grosseur d'une groseille ordinaire, sans traces d'anneaux, à peu près régulièrement sphériques, d'un noir violet et glauque. Elles adhèrent aux rameaux de l'arbuste HÉMIPTÈRES. 163 Quercus coccifcra^ et forment comme des galles sèches et cassantes, que les paysans du midi de la France détachent, et vendent à un prix assez élevé. Avant que l'on possédât les llochenilles du Mexique et de l'Al- gérie, ces Cochenilles étaient très-empioyées dans le midi de l'Europe, en Orient et en Afrique. Elles fournissaient une belle couleur rouge. Cette dernière Cochenille et celle du Mexique ont reçu quelques usages en médecine. Elles entrent dans l'a/Zeermè^, sorte de liqueur ou d'élixir que l'on sert sur les tables en Italie, principalement à Florence et à Naples. Une autre espèce de Cochenille est la Cochenille de Pologne {Coc- cus Polonicus), qu'on rencontre en Pologne et en Russie, plus rarement en France, sur les racines du Scleranthus perennis, petite plante de la famille des Paronychiées. On récolte cette Cochenille dans l'Ukraine, vers la fin du mois de juin, lorsque l'abdomen des femelles est gonflé, et rempli d'un suc pourpre et sanguin. On se servait beaucoup autrefois en Europe du kermès polonais. Ce produit n'a pas d'ailleurs perdu toute son importance dans les contrées où on le rencontre abondamment. Nous n'avons plus à signaler, parmi les insectes de ce groupe, que la Cochenille laque [Coccus locca), qui vit dans les Indes, sur plusieurs arbres, entre autres sur le Figuier des Indes, sur le Figuier des pagodes, sur le Jujubier cotonneux, sur le Croton porte- laque, etc. Ces derniers insectes produisent une matière colorante connue sous le nom de laque, lis se fixent sur les petits rameaux, se pres- sent en grand nombre, en formant des lignes à peu près droites. La réunion des corps de plusieurs femelles fécondées, unis entre eux par une transsudation résineuse, qui a été déterminée par la piqûre de l'écorce, constitue la matière désignée dans le commerce et dans l'art de la teinture sous le nom de laque, de résine loque, de gomme laque, etc. La résine laque se trouve dans le commerce sous quatre for- mes : P la laque en bâtom, telle qu'on la trouve concrétée à l'extré- mité des branches d'où elle exsude : c'est une croûte irrégulière brunâtre; 2° la laque en sortes, détachée des branches et concassée ; 3° la laque en écailles, fondue et coulée en plaques minces, dont la qualité varie avec la proportion de principe colorant qu'elles renferment : 4° la laque en fils, qui ressemble à des fils rougeâtres feutrés et qu'on prépare ainsi dans l'Inde. 164 LES INSECTES. Un dernier mot sur les Cochenilles. Le Coccus manniparus, qui vit sur les arbustes du mont Sinaï, fait exsuder des branches qu'il a piquées une sorte de manne. Le Coccus sinemis en fait découler une espèce de cire, que l'on emploie en Chine à la fabri- cation des bougies. 0 IV ORDRE DES LEPIDOPTERES. Cet ordre d'insectes est connu plus particulièrement sous le nom de Papillons. Linné leur a donné le nom de Lépidoptères, qui signifie insectes à ailes farineuses ou écailleuses (Xeiriç, écaille, TTTSûôv aile). Cet ordre est abondamment répandu dans toutes les parties du monde. Tous les insectes qui le composent sont remarqua- bles à l'état parfait par l'élégance de leurs formes, la rapidité et la légèreté de leur vol, la multiplicité et la beauté de leurs couleurs. Pour arriver à cet état parfait, les Lépidoptères doivent subir trois transformations : ils sortent de l'œuf à l'état de larve ou de chenille; ils passent ensuite à l'état de nymphe ou de chrysa- lide; ils prennent enfin, après un temps plus ou moins long, leur forme définitive ou aérienne. Nous allons étudier successivement des Lépidoptères sous leurs trois états. LES CHENILLES. Lorsque l'hiver a dépouillé les arbres de leurs feuilles, les Lé- pidoptères ne s'offrent plus à nos regards. Mais dès que les feuilles commencent à se montrer aux arbres et aux arbrisseaux, cette tribu de la gent insecte apparaît au jour. Des chenilles de toute espèce rongent les feuilles, avant même qu'elles soient entière- ment dégagées de leurs bourgeons. Ces chenilles viennent de sortir 166 LES INSECTES. des œufs, que les papillons avaient pondus à une époque anté- rieure. La nature a tout combiné de façon que la chaleur néces- saire pour l'éclosion de ces œufs soient justement celle qui déter- minera le développement des feuilles des petites plantes et des arbres propres à nourrir les nouvelles venues. Une fois sorties de l'œuf, les jeunes chenilles ont une forme plus ou moins allongée et cylindrique. Leur corps se compose de douze segments, ou anneaux. En avant, se trouve la tète; puis viennent trois segments qui portent les pattes antérieures et constituent le tronc. Les autres segments constituent l'abdo- men. La tète est formée de parties écailleuses. Elle est souvent très- profondément échancrée à sa partie supérieure, et divisée en deux lobes qui renferment dans l'angle formé par leur écartement les diverses parties de la bouche. Cette tête est unie et ne présente aucune proéminence dans nos chenilles; mais dans celles des régions intertropicales elle est souvent armée d'épines, de piquants et d'appendices bizarres. On y observe six petits yeux, simples, isolés les uns des autres. La bouche est armée latéralement d'une paire de mandibules cornées très-solides, articulées au moyen de muscles vigoureux, et se mouvant horizontalement. Les mandi- bules ont pour fonctions, comme les mâchoires, de diviser les aliments. Sur le milieu d'une large lèvre inférieure, on aperçoit un petit organe allongé, tubulaire , percé d'un orifice microsco- pique. Cet organe est la filière, qui sert à l'animal à fabriquer les fils dont il aura un jour besoin. C'est un tul)e composé de fibres lon- gitudinales. Il ne présente qu'un seul orifice, taillé obliquement en bec de flûte, et susceptible de s'appliquer exactement aux corps Fig. 107. Pattes écailleuses de la Chenille du chêne et de l'orme. sur lesquels la larve est placée. De la nature contractile de cet organe et de la forme de son orilice, combinées avec la faculté LEPIDOPTERES. 167 «lue possède l'insecte de le mouvoir dans toutes les directions, résultent les grandes différences que l'on observe dans le diamètre et la forme des fils. Les organes appendus au tronc et à ral)domen sont les pattes, les stigmates et divers appendices. Les pattes sont de deux natures différentes. Les unes, au nombre de six et attachées par paires, au tronc, sont recouvertes d'un cartilage luisant, et armées de crochets. Ce sont les patus Fis- 1IJ8. Jambes uuiubraneuses de la Chenille du ver à soie. écailleuscs ou les vraies pattes. La figure 107 représente, d'après les planches du mémoire de Réaumur sur les différenlcs parties des ^/ k Fig. 109. Jambes membraneuses d une grosse Chenille embrassant une branche d'arbuste. chenilles^ les pattes écailleuses de la Chenille à oreilles du chêne el de 1. Tome I, page 16i, planche 3% fig. ! et 2. 168 LES INSECTES. l'oime. Les autres sont membraneuses, charnues, ordinairement coniques ou cylindriques, contractiles et prenant, suivant la volonté de l'animal, des formes très-différentes. La figure 108 représente, d'après le même mémoire de Réaumur, les formes différentes des jambes membraneuses de la chenille du ver à soie. Cette figure donne une idée suffisante de la forme de ces organes, et des crochets, en demi-cercle ou en cercle, qui les garnissent. On voit dans la figure 109 deux jambes membraneuses d'une grosse chenille, dont les crochets des pieds sont cramponnés sur une branche d'arbuste (Réaumur). Les chenilles ont de deux à dix fausses pattes, les pattes écail- leuses étant toujours au nombre de six. On divise les fausses pattes en postérieures et intermédiaires. Les premières sont au nombre dé deux. Les intermédiaires ne sont jamais au delà de huit. Dans la chenille qui a ses pattes au grand complet, c'est-à- dire au nombre de seize, il existe deux espaces vides où son corps n'a pas de support : l'un entre les vraies pattes et les fausses pattes, formé par le quatrième et le cinipiième anneau; l'autre entre les fausses pattes intermédiaires et les pattes anales, formé par le dixième et le onzième anneau. Les variations que les chenilles éprouvent quant au nom])re et à la situation des fausses pattes sont les suivantes. Le plus grand nombre d'entre elles a dix fausses pattes, d'au- tres n'en ont que huit; d'autres que six, comme chez les Demi- Ar enleuses; d'autres que quatre, une paire étant située sur le dernier anneau, et l'autre sur le neuvième; c'est ce que l'on voit chez les Arpen'euses ou Géomètres. Enfin d'autres encore n"ont que deux fausses pattes. La forme, le nombre et la situation variée de ces organes doi- vent produire de grandes différences dans le mode de locomotion des chenilles. C'est en effet ce que l'on observe. Les chenilles pourvues de dix ou de huit pattes membraneuses ont en marchant des mouvements onduleux peu prononcés. Leur corps est sensi- blement parallèle au plan qui le supporte. Elles peuvent marcher fort vite ; mais leurs pas sont petits et se répètent promptement. Chez les autres, au contraire, à mesure que le nombre des fausses pattes diminue, et que les vides où le corps n'est pas soutenu augmentent, la marche devient plus irrégulière et plus bizarre. Que le lecteur veuille bien jeter les yeux sur la figure 110, t LEPIDOPTERES. Ib9 empruntée au inénirùre de Réaiimur sur les Chenilles en général^ (lui représente une Chenille arpenteuse, à quatre pattes membra- Fig 110. Chenille arpenteuse. neuses. On voit qu'il y a un espace considérable entre les deux dernières pattes écailleuses et les deux premières pattes membra- neuses, es})ace durant lequel le corps n'a pas d'appui. Si une de ces chenilles, tranquille et allongée, se détermine à marcher pour faire le premier pas (iîg. 111), elle commence par se faire une sorte de bosse en courbant en arc la partie qui n'a pas de jambes et Unit par lui donner l'apjjarence d'une l)oucle (lig. 1!2). On voit Fig. 111. Chenille allongée. Fig. 112. Chenille contournée en boucle. que dans cette position elle a ses deux jambes intermédiaires contre les dernières jambes écailleuses, et que, par conséquent, elle a porté en avant la partie postérieure de son corps, sur une longueur égale à l'intervalle de cinq anneaux qui les sépare. Là, elle cramponne ses jambes intermédiaires et les postérieures. Alors elle n'a qu'à redresser, qu'à remettre en ligne droite les cinq anneaux dont elle a formé une bo::cle, pour porter sa tète en avant, à une distance égale à la longueur de cinq anneaux. C'est un premier pas de fait. La chenille usera du même procédé pour faire le second et les suivants. Cette sorte d'allure a fait donner à C3s chenilles le nom d'Arpen- tcuscs^ ou de Gcomclres, parce qu'elles semblent, en effet, mesurer le chemin qu'elles parcourent. Lorsqu'elles font un pas, elles appliquent sur le terrain la partie de leur corps qu'elles vien- nent de boucler, abscl.iment comme un arpenteur y applique sa chaîne. 1. Tome 1, page L9, planche ]'% fig. 6. 170 LES INSECTES. Ces arpenteuses ne raccourcissent pas, n'allongent pas leurs anneaux à leur gré, comme le peuvent faire les chenilles des autres divisions. Elles ne peuvent se plier que comme le fait une jeune pousse de bois flexible. Il en est plusieurs espèces qu'on nomme Arpenteuses en bâton, parce que leur corps est cylindrique, raide, couleur de bois. Leurs attitudes trompent encore Tobservateur. Elles embrassent une queue de feuille ou une ramille, avec leurs jambes postérieures et intermédiaires, pendant que le reste du corps, élevé verticale- ment, reste raide et immobile pendant des heures entières. La figure 113 fait \oïr la Chenille arpenteuse de /'a?^/ne dans cette étrange posture. Yoilà un tour de force que les plus adroits de nos baladins, ordinaires et extraordinaires, que tous les Léotards présents et futurs, ne feront jamais. Avec une pareille persistance, la ChenWe Il 3. Chenille arpenteuse de l'auliie. arpenteuse de l'aulne peut soutenir pendant un temps considérable son corps en l'air, dans toutes les positions qui sont entre la ver- ticale et l'horizontale, et dans toutes les positions inclinées depuis rhorizontale jusqu'à la verticale en l)as. « Si on fait attention, dit Réaumur, combien nous sommes éloignés d'avoir dans les muscles de nos bras une force capable de nous soutenir dans de telles attitudes, on reconnaîtra que la force des muscles de ces insectes est prodigieuse. » LÉPIDOPTÈRES. 171 Nous ne nous appesantirons pas sur la longueur variable du corps des chenilles, sur les appendices charnus qu'on y peut remarquer, sur les poils qui peuvent ou les embellir ou les rendre hideuses, selon le préjugé de l'observateur, ni sur les couleurs variées qui les décorent. Nous reviendrons sur ces divers caractères, lorsque nous ferons l'histoire de })lusieurs espèces de Lépidoptères remar- qua])les à divers titres. Beaucoup de chenilles vivent solitaires, sur différentes ]tlantes. Quelques-unes vivent en sociétés plus ou moins nombreuses, soit pendant leur jeune âge, soit pendant toute leur existence. A l'exception d'un grand nombre de Teignes, qui vivent aux dépens de nos pelleteries, de nos étoffes de laine, de cuir ou de matières grasses, toutes les chenilles se nourrissent de plantes. Depuis la racine jusqu'aux graines, aucune partie végétale n'est à l'abri de leurs attaques. Cependant la plupart des espèces préfè- rent les feuilles. Celles des plantes les plus acres, et les plus vénéneuses, ne sont pas plus épargnées que les plus insipides. Il est des chenilles qui mangent les feuilles des Euphorljes, de l'Épurge par exemple. « Je voulus éprouver sur ma langue, dit Réaumur, le lait de celte plante. Sur-le-champ il n'y fit point d'impression sensible. Mais au bout de quel- ques quarts d'heure je me trouvai la bouche en feu et ce fut une chaleur que les gargarismes d'eau réitérés pendant plusieurs heures de suite ne purent éteindre. Elle me dura jusqu'au lendemain. La chaleur passait successive- ment d'un endroit de la bouche à un autre. J'ai pourtant vu plusieurs de mes chenilles qui buvaient avidement les grosses gouttes de lait qui se trou- vaient au bout de la tige rompue que je leur avais présentée. » N'est-il pas extraordinaire qu'il y ait des chenilles qui vivent •sur rOrtie? qu'elles mangent les feuilles de ce végétal, armées de ces poils urticants qui causent des démangeaisons cuisantes à notre peau et y font naître des ampoules? On a souvent dit que chaque plante a son espèce de chenille particulière. Existe-t-il réellement une seule espèce de chenille à laquelle la nature n'ait assigné pour tout aliment qu'une seule plante? Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'un certain nom])re de végétaux seulement conviennent à chaque chenille. Les espèces qui rongent les racines sont peu multipliées; celles qui vivent dans l'intérieur des tiges qu'elles rongent sont les plus nombreuses. Celles qui font leur nourriture de la pulpe des fruits sont assez rares. Celles qui rongent les graines sont nombreuses. En général, après les feuilles, ce sont les fleurs 172 LES INSECTES. que les chenilles préfèrent ; en ceci elles ne font pas preuve de mauvais goût. Leur accroissement est plus ou moins rapide, suivant les espèces, suivant la nourriture qu'elles prennent et suivant l'époque de l'an- née. Celles qui vivent de plantes succulentes se développent plus rapidement que celles qui ont pour pâture les sèches Graminées et les Lichens coriaces. La plupart mangent la nuit, et restent pendant le jour immo])iles et comme engourdies. D'autres sont si voraces qu'elles mangent constamment. Cette voracité est vraiment parfois surprenante. Malpighi a observé qu'un ver à soie mange souvent, dans une journée, un poids de feuilles de mûrier égal au sien. Comment pourrions-nous suffire à la pâture des chevaux et des bœufs, s'il leur fallait cha- que jour leur pesant de foin ou d'her])es? Eh bien! il y a des che- nilles qui sont encore plus voraces. Réaumur pesa plusieurs chenilles de la belle espèce qui vit sur le chou, et leur donna des morceaux de feuilles de chou qui pesaient deux fois plus que leur corps. En moins de vingt-quatre heures, elles avaient tout con- ^^^^^X, Fig. lli. ChenilL's à dix jambes mangeant des feuilles d'alricolier. sommé. Dans cet espace de temps, elles avaient augmenté d'un dixième de leur poids. Se figure-t-on un homme pesant 8û kilogrammes, qui mangerait, en un jour, 160 kilogrammes de viande, et du jour au lendemain engraisserait de 8 kilogrammes ! Les chenilles mangent les feuilles à l'aide de dents ou de mandi- bules, si larges et si épaisses que, vu la petitasse de l'insecte, ces LEPIDOPTERES. 173 dents équivalent à toutes celles qui arment les mâchoires des grands animaux. C'est par le mouvement alternatif de ces dents (|ue les che- nilles dévorent les feuilles. Elles le font avec autant d'avidité que d'adresse. « Une chenille qui veut commencer à ronger le bord d'une feuille, dit Réaumur, se contourne le corps de façon qu'au moins une portion du bord de celte feuille est passée entre les jambes écailleuses. Ces jambes tiennent assujettie la portion de feuille que les dents vont couper fig. 11 V. Pour en donner le premier coup, la chenille allonge son corps, porte sa tète le plus loin qu'elle peut. La portion de la feuille qui se trouve entre les denîs écar- tées est coupée dans l'instant qu'elles viennent se rencontrer : les coups de dents se succèdent vite; il n'en est point ou il n'en est guère qui ne dé- tache un morceau, et chaque morceau est presque aussitôt avalé que coupé. A chaque nouveau coup de dents, la tète se rapproche des jambes; de sorte que pendant la suite des coups de dents, elle décrit un arc , elle creuse la portion de la feuille en segment de cercle, et c'est toujours dans cet ordre qu'elle la ronge. « Mais il est un phénomène de la vie des chenilles que nous devons signaler, et qui a attiré l'attention des plus illustres obser- vateurs. Toutes les chenilles changent de peau, et même en changent plusieurs fois pendant leur vie. Ce n'est même pas assez de dire qu'elles changent de peau ; les dépouilles qu'elles laissent sont si complètes, qu'on les prendrait pour des chenilles entières. Les poils, les fourreaux des jambes, les ongles dont les jambes sont armées, les parties dures et solides qui recouvient la tète, les dents, tout cela se trouve dans la dépouille que l'insecte aban- donne. Quelle opération pour la pauvre petite bète ! Ce travail est si énorme, si pénible, qu'on ne saurait s'en faire une juste idée ! Un ou deux jours avant cette grande crise, les chenilles cessent de manger. Elles perdent leur activité naturelle. Elles sont immo- biles et languissantes. Leurs couleurs s'affaiblissent. Leur peau se dessèche peu à peu. Elles courbent leur dos, gonflent leurs anneaux. Enfin cette peau, séchée, se fend au-dessous du dos, sur le second ou sur le troisième anneau , et laisse entrevoir une petite portion de la peau nouvelle, reconnaissable à la fraîcheur et à la vivacité de ses couleurs. « Dès que la fente est commencée, dit Réaumur, il est facile à l'insecte de l'étendre : il continue de gonfler la partie de son corps qui est vis-à-vis de la fente; bientit cette partie s'élève au-dessus des bords de la fente; elle 174 LES INSECTES. fait l'office d'un coin qui l'oblige à s'allonger : aussi la fente parvient-elle dans l'instant h s'étendre depuis la fin ou le commencement du premiei' anneau jusque par delà la fin du quatrième. La portion supérieure du corps qui répond à ces quatre anneaux est alors à découvert, et la chenille a une ouverture suffisante pour se tirer entièrement de son ancien fourreau. Elle recourbe sa partie antérieure, elle la retire du côté du derrière; par ce mouvement, elle dégage sa tête de dessous l'ancienne enveloppe et elle l'a- mène au commencement de la fente; aussitôt elle l'élève et la fait sortir par cette fente. L'instant d'après, elle étend sa partie antérieure et laisse retomber sa tête. Il ne reste plus alors à la chenille qu'à retirer du fourreau sa partie postérieure. » Cette opération si laborieuse est finie en moins d'une minute. La livrée nouvelle que vient de revêtir la chenille est fraîche et vive de ton. Mais l'animal est épuisé par la diète et les efforts (|u'il a faits, 11 a besoin de quelques heures pour reprendre son équili])re, en même temps que sa mobilité et sa voracité pre- mières. LES CHRYSALIDES. Arrivée à son entier développement, la chenille cesse démanger. Comme aux approches d'une mue, elle évacue par de copieuses éjections son canal intestinal ; elle perd ses couleurs, devient terne et livide. Elle se prépare, en un mot, à entrer dans une phase nouvelle, dans un autre mode d'existence. 11 est des chenilles qui, pour se transformer en chrysalides, se suspendent à des corps étrangers. D'autres se mettent à l'abri dans un cocon composé de soie ou d'autres substances, qui les garantit de l'attaque de leurs ennemis et des injures de l'atmosphère. Les chenilles qui se suspendent peuvent être partagées en deux catégories, suivant le mode de suspension : 1° celles qui se sus- pendent perpendiculairement, par la queue ; 2° celles qui, après s'être fixées par la même partie, se suspendent horizontalement, au moyen d'un fil de soie passé autour du corps. Pour bien concevoir la difficulté que présente la première de ces opérations, il faut considérer nettement le problème vital que la chenille a à résoudre. Ce problème offre deux incon- nues. Pour la première, la chenille doit se suspendre d'une manière solide par la queue ; pour la seconde, la nymphe ren- fermée dans son intérieur et sans communication avec l'objet qui LEPIDOPTERES. 175 sert de support, doit se trouver suspendue de la même manière. Problème difficile à résoudre, presque impossible au premier coup d'œil ! Mais une clienille ne se laisse pas troubler pour si peu. Ce n'est qu'en voyant opérer ces insectes qu'on peut décou- vrir les admirables mystères de leur vie. Swammerdam, Val- lisnieri et d'autres observateurs qui ont le plus étudié les insectes, n'avaient pas cependant observé les manœuvres des chenilles dans cette phase curieuse de leur existence. C'est encore à Réaumur que la science doit les plus charmantes et les plus précieuses observations sur le point qui va nous occuper. Réaumur rassembla un grand nombre de chenilles d'une espèce vulgaire qui se suspendent par la queue : c'étaient ces chenilles noires et épineuses qui sont assez communes sur l'Ortie, où elles vivent en société. Lorsque le temps approche où les chenilles de cette espèce doivent subir leurs transformations, elles quittent ordinairement la plante qui avait jusque-là fourni à leur sub- Fig. ll.i, IlG. Chenilles de l'orlie pondues par les paltes de derrière. sistance. Après avoir un peu erré, elles se fixent quebjue part, et se pendent la tète en bas (fig. 115, 116). Pour se pendre de la sorte, la Chenille commence par couvrir de fils tirés en différents sens une assez grande étendue de la surface du corps étranger contre lequel elle veut se fixer. Après l'avoir tapissée d'une espèce de toile mince, elle ajoute dilTérentes couches de fils sur une petite portion de cette surface, de manière que la supérieure soit toujours plus petite que celle sur laquelle elle est appliquée. De cette façon se forme un petit monticule de 176 LES INSECTES. soie. Le tissu de ce monticule est peu serré. C'est comme un assemblage de fils flottants ou mal entrelacés les uns avec les autres Les pieds membraneux de la chenille sont armés de crochets de différentes longueurs. C'est à l'aide de ces crochets qu'elle va Fig. 117 et IÎ8. Chrysalides de l'ortie se dégageant de la peau d-i la chenille. se suspendre. Par des mouvements alternatifs de contraction et d'allongement du corps, elle pousse ses dernières jambes con- tre le monticule de soie, presse les crochets de ses pieds, pour les y mieux engager, et laisse tomber son corps dans une position verticale. L'insecte reste ainsi suspendu souvent pendant vingt-quatre heures. Pendant ce temps, il se livre au long et rude ouvrage qui consiste à faire fendre sa peau. Pour cela, il courbe et recourbe incessamment ses anneaux ffig. 117). Entin une fente paraît sur la peau du dos et par cette fente sort une partie du corps de la chrysalide. Cette partie agit à la façon d'un coin et peu à peu la fente s'étend depuis la tète jusqu'aux dernières des jambes écailleuses et au delà. Alors l'ouverture est suffisante pour que la chrysalide puisse retirer sa partie antérieure de l'enveloppe, et elle l'en re- tire aussitôt. Pour achever de se dégager, la chrysalide s'allonge et se raccourcit alternativement (fig. 118). Chaque fois qu'elle se raccourcit et qu'elle gonfle par conséquent la partie de son corps qui est en dehors de la dépouille, cette j)artie agit contre les bords de la fente, et pousse toujours de plus en plus la dépouille vers le haut. La peau de la chenille remonte, ses plis se rapprochent LEPIDOPTERES. 177 les uns des autres. Elle est bientôt réduite à un paquet si petit qu'il ne couvre que le bout de la queue de la chrysalide (tîg. 119). Mais c'est ici le point culminant, la partie la plus difficile de l'opération. La nymphe, qui est plus courte que la chenille, est à quelque distance du réseau soyeux auquel elle doit se lîxer; elle n'est supportée que par l'extrémité de la peau de la chenille qui n'a pas été fendue. Elle n'a ni bras, ni pattes, et il lui faut se délivrer de ce reste de dépouille et attein- dre le lieu de suspension. Ne va-t-elle pas tomber et périr dans sa chute? Le spectateur s'étonne, ^j^ s'émeut à ce spectacle. Mais qu'il se rassure. Nous ^\^f achevant °de" sommes ici en présence d'une Saqui, d'un Blondin, ^^eau'dlTa'dii'^ dont l'adresse et la force sont incomparables. Et "''^^^■ plus fort que Blondin, notre insecte va accomplir son saut péril- leux, sans jambes ni bras! Les segments souples et contractiles de la chrysalide rempla- cent les membres qui lui manquent. Entre deux des segments, comme avec une espèce de pince, l'insecte saisit une portion de la peau plissée, et serrant ses deux anneaux l'un contre l'autre, il a un appui capable de porter tout son corps. C'est alors qu'il recourbe un peu sa partie postérieure et qu'il achève de tirer sa queue du fourreau. Après avoir fait tout cela, il est probable que notre prodigieux acrobate sans membres ni jambes prend le repos qui lui est dû. Le lecteur lui-même n'est-il pas fatigué de ses efforts ? Toutefois il ne se repose qu'un instant, car il n'en a pas fini avec l'opération labo- rieuse de sa délivrance. Il faut qu'il se débarrasse entièrement de cette dépouille sèche, qui entoure l'extrémité de son corps. Allons! trêve de repos, et remettons-nous au travail! L'insecte courbe la partie qui est au-dessous de sa queue enpor- tion d'S, de manière que cette partie puisse embrasser et saisir le paquet sur lequel elle s'applique. Alors il imprime à son corps une violente secousse, qui le fait pirouetter une vingtaine de fois sur sa queue, et cela très- rapidement. Pendant tous ces tours, la chrysalide agit contre la peau, les crochets de ses jambes tirail- lent les fils, les cassent ou s'en dégagent. Quelquefois les fils ne se rompent pas du premier coup. Alors l'animal recommence ses pirouettes, il les fait dans une direction opposée, et cette fois la réussite est presque toujours certaine 178 LES INSECTES. Réaumur a cependant vu une nymphe qui, après s'être lassée inu- tilement pour faire entièrement tomber sa dépouille, désespérant d'y parvenir, prit le parti philosophique de l'abandonner là où elle était trop solidement cramponnée. Nous représentons (tig. 120), avec un certain grossissement, la chrysalide arrivée à son état définitif et sus- pendue à une branche d'arbre à l'aide d'un réseau de soie. Arrivons au second mode de suspension que la nature a imposé à d'autres chenilles, à cel- les qui, après s'être fixées par la queue, se suspendent horizontalement, au moyen d'un cordonnet de soie passé autour de leur corps. C'est encore à Réaumur, cet infatigal)le, cet admirable observateur des mœurs des insectes, que nous allons demander les détails de ce mode de suspension. Selon Réaumur, les chenilles se fabriquent et s'appliquent cette ceinture de trois façons différentes. Mais, de ces trois façons, la plus simple et la moins sujette à accident est Flg. 120. Chrysilide angulaire arrivée à son état définitif. Fig. 121. Cbenille du chou. celle qui est pratiquée par la chenille du chou, par la plus belle des chenilles du chou, dit Réaumur. Quand le temps de sa métamorphose n'est éloigné que de deux à trois jours, on voit cette clienille occupée à étendre des fils sur LÉPIDOPTÈRES. 179 les divers endroits du vase dans le({iiel on la tient renfermée. Ensuite, elle choisit un point qu'elle tapisse entièrement de fils, plus pressés les uns que les autres, et disposés par couches qui se croisent en divers sens. Ces fils forment une toile mince et blanche contre laquelle le ventre de la chenille et celui de la chry- salide sont plus tard appliqués. Bientôt on voit s'élever un petit monticule de soie. La chenille y cramponne les ongles de ses der- niers pieds, et se met à s'attacher. Pour comprendre ce procédé, il suffit de savoir qu'après avoir allongé son corps jusqu'à un certain point, cette chenille peut renverser sa tète sur son dos, la porter jusque vers le cinquième anneau, ayant ses trois paires de jambes écailleuses en l'air. Mais sans mettre la chenille dans une position si forcée, prenons-la dans une position où elle soit sim- plement recourbée sur le côté, de façon que sa tête, avec la filière qui est dessous, puisse s'appliquer vis-à-vis et assez près d'une des jambes de la première paire des membraneuses ; notre chenille commence par lixer en ce point un fil qui sera le premier de ceux qui vont la lier solidement (lig. 121). « Ce fil, dit Fillustre auteur des Mémoires pour V histoire des insectes^ doit passer sur le corps de la chenille et être attaché par son autre bout auprès de la jambe correspondante à celle près de laquelle le premier bout a été collé. Pour filer le fil de longueur convenable, et le mettre en même temps eu place, la chenille n'a qu'à conduire circulairement sa tête autour de son cinquième anneau. Le fil sera tiré de la filière à mesure que la tête avancera Fig. 122. Chenille du chou. sur la demi-circonférence du cercle qu'elle a à décrire , et quand elle l'aura décrite, il ne lui restera plus qu'à coller fixement contre le plan immobile le second bout du fil. Ainsi la tête que nous avons d'abord posée contre une des jambes, avance peu à peu sur le contour du cinquième anneau jusques en son milieu i^fig. 122). C'est la facilité que la clienille a à renverser le corps qui lui permet de faire faire cette route à sa tète : à mesure qu'elle la con- duit sur la circonférence de l'anneau, elle contourne son corps. Et enfin lorsqu'elle l'a portée sur la sommité de l'anneau, son corps est précisé- ment plié en deux, elle la tire peu à peu de cette situation en contournant son corps vers l'autre côté et en faisant parcourir doucement à sa tête le 180 LES IxNSEGTES dernier quart de cercle. Enfin, la chenille se trouve liée vers le second côté; la tète rencontre le plan tapissé et elle y colle le second bout du fil, « La chenille n'a qu'à répéter la même manœuvre autant de fois qu'il faut de fils pour faire un lien bolide. Mais chaque fil embrasse Fig. 123. Chenille du chou. ^'' ^ la tête ou plutôt le dessous de la tête, car elle sait, à chaque fil qui vient d'être filé, le faire glisser dans le pli du col par un petit mouvement de tête II lui faut dégager cette tète de dessous le lien, et cela ne lui est pas difficile. Elle la fait glisser le long des fils près d'un des endroits où ils sont fixés et elle se trouve dans la position indiquée par la figure ci-dessus (fig. 1 23) . Trente heures environ après que les chenilles qui se suspendent ainsi ont achevé de se lier, elles ont terminé leur transformation en chrysa- lide (fig. 1:'4). On voit dans cette figure la chry- salide de la chenille précédente dans deux points de vue difTérents et retenue par le même lien qui assujettissait primitivement la chenille. Les chenilles qui se construisent des coques, composent ces coques avec de la soie, ou les forment avec d'autres substances que la soie. Rien de si varié que la ligure, la couleur, la texture des cocons de soie. Ces cocons sont, pour la plupart, ovales ou elliptiques, quelquefois en forme de bateau. Le chr'^sailde de blanc, le jauue, le brun, sont les couleurs ordi- la Chenille uaircs dcs cocous. Lcs fils peuvcut être très- du chou. Ti . i T i . . peu adhérents les uns aux autres, ou intnnement unis par une substance gommeuse dont la chenille enduit l'in- térieur du cocon , et qu'elle rend par la partie terminale de son corps. Quelques cocons sont composés d'une double enve- loppe , d'autres sont d'une texture uniforme. Ceux-ci sont d'un tissu si serré qu'ils cachent entièrement la chrysalide qui y est LEPIDOPTERES. 181 contenue; ceux-là forment à peine une toile légère à travers laquelle on aperçoit la chrysalide (fig. 125). Parmi les chenilles qui se font une coque très-lâche, il en est qui ramassent en boule deux ou trois feuilles pour la protéger. Telle est la Lichenée du frêne (fig. 126). D'autres chenilles épaississent et rendent opa- ques leurs cocons, en y ajoutant des grains de terre, ou d'autres substances qu'elles tirent de leur propre corps. Quelques chenilles, après avoir filé leur coque, rejettent par la partie postérieure de leur corps trois ou quatre masses d'une matière semblable à de la pâte , qu'elles appliquent avec leur tête aux parois de la cavité , et qui , se séchant proptement , devient Fig. 125. Coque d'une Chenille d'après Reaumur. Fig. 126. Liclienée du frêne. pulvérulente. D'autres emploient, dans le môme but, les poils dont leur corps est recouvert. ^>^^f,i.y ;/^_ Â/ûl^^ls Fig. 127. Chenille du marronnier. La Chenille du marronnier d'Inde (fig. 127) est couverte de touffes de poils jaunes. Réaumur fît travailler ces chenilles chez 182 LES INSECTES. lui dans des vases de verre. Elles font de pure soie la couche qui doit former la surface extérieure de leur coque. Quand elles ^ # / ,,i. Fig."n8. Chenille du marron (Acronycta aceris.) Fig. 129. Chenille du marronnier tirée de sa coque. la jugent assez épaisse , elles commencent à s'arracher les poils, tantôt d'un endroit et tantôt d'un autre. Fig. 130. Chenille de la marte. (Chelonia caja.) Mais laissons F illustre observateur nous raconter lui-même cette opération, qui sans doute ne laisse pas que d'être pénible au pauvre animal. « tes deux dents sont les pinces dont la chenille se sert pour saisir la partie des poils d'une touffe : et dès qu'elle les a saisis, elle les arrache sans grands efforts. Sur-le-champ elle les porte contre le tissu commencé, dans lequel elle les engage d'abord par la seule pression ; elle les y arrête en- suite plus solidement en filant dessus. Elle ne cesse de s'arracher les poils que quand elle s'est entièrement épilée. Lorsque la chenille a pris entre ses dents et qu'elle s'est arraché une touffe entière de poils, la tête la porte et la dépose sur quelque endroit de la surface inférieure de la coque ; mais elle ne laisse pas ensemble les poils d'un si gros paquet (fîg. 128). Dans l'instant suivant on voit que la tête se donne des mou- vements très-vifs , qu'elle va prendre une partie des poils du petit tas, pour les distribuer sur les endroits voisins. Si on ouvre une de ces coques avant que la chenille soit transformée ea chrysalide, cette chenille, qui est LÉPIDOPTÈRES. 183 toute nue, et qu'on ne connaissait que par ses poils, n'est plus rcconnais- sable. » (Fig. 129.) Une chenille que Réaumur appelle la Marte ou le Hérisson (fig. 130) est couverte de longs poils, inclinés parallèlement. Cette chenille se sert aussi de ses poils pour fortifier le tissu de sa coque; mais soit qu'elle ressente plus vivement la douleur que la première, soit qu'elle ait beaucoup plus à souffrir, elle n'arra- che pas ses poils. Elle prend un autre parti; elle les coupe. On ne pourrait mieux faire qu'elle, même avec des ciseaux. La chenille Fig. 131. Chenille de la marte formant son cocon. est alors enveloppée de toute part de ses poils qui vont lui servir à faire son cocon (fig. 131). • Le Minime à bandes fait entrer ses poils dans la composition de sa coque; mais il s'y prend d'une façon toute particulière pour se les arracher, quand le tissu de sa coque est devenu une espèce de réseau à mailles assez serrées. Ré^aumur (toujours Réaumur, ce Réaumur dont le nom est à peine cité dans nos ouvrages élémentaires sur l'histoire naturelle), donc Réaumur vit un jour une partie de la coque se hérisser de poils. C'étaient les poils d'une partie du dos de l'insecte, que celui-ci avait fait passer à travers les mailles de sa coque. La chenille se donne alors de petits mouvements comme pour frotter successivement cette partie de son dos en des sens contraires, contre la surface intérieure de la coque. De cette façon les poils sont bientôt arrachés et retenus, comme dans des étaux, dans les mailles de la coque. Celle-ci en est donc hérissée en dedans, ce qui ne convient point à la chrysalide future, laquelle ne veut être 184 LES INSECTES. touchée que par des surfaces lisses. La chenille travaille donc avec sa tète, à coucher les poils sur les parois intérieures, et à les retenir couchés par des fils qu'elle tire dessus. Réaumur vit, un autre jour, une chenille, petite et velue, qui paraissait se nourrir de lichens, se servir de ses poils d'une autre façon. Elle se les arrache pour faire sa coque, mais ce n'est pas pour les coucher et les faire entrer dans un tissu. Elle les plante droits comme des piquets de palissades, sur la circonférence d'un espace ovale, dans lequel elle est placée. Renfermée dans cette palissade, elle file une toile blanche, légère. Cette toile soutient les poils, elle contraint même la plupart à se courber par leur bout supérieur, de manière à former une sorte de berceau. Il nous reste à parler des larves qui fabriquent leurs cocons tout à la fois avec de la soie et avec d'autres matériaux. Réaumur a vu la chenille du mouron ajuster et attacher les Fig. 132. Petite chenille du mouron. Fig. 133. Coque de la chenille du mouron. unes contre les autres des feuilles de mouron, et filer par-dessous une coque mince de soie blanche (fig. 132 et 133). Il est des chenilles qui font leur coque au sein de la terre, et même avec de la terre. Ces coques sont terreuses, sphériques ou oblongues. Leur extérieur est plus ou moins bien façonné, mais leur intérieur est toujours lisse, poli, luisant comme une terre humectée, pétrie et soigneusement unie. Ce cocon est, du reste, tapissé d'une couverture de soie plus ou moins épaisse. Les parois ne sont pas faites seulement de terre. On y remarque des fils de soie entrecroisés, qui relient entre eux tous les grains de terre. Ces travailleuses souterraines ne laissent point aisément décou- vrir leurs procédés aux observateurs ordinaires. Réaumur eut le bonheur de pouvoir découvrir l'artifice qu'elles emploient pour LEPIDOPTERES. 185 la construction des coques. La Noctuelle du bouillon blanc (fig. 134) se fait une coque de la forme d'un œuf, épaisse et bien compacte (fig. 135). Réaumur la tira de terre au moment où elle n'était pas encore ,mmm^ fj> Fiff. 134. Noctuelle du bouillon blanc fortifiée. Il la déchira et la plaça dans un vase de verre contenant du sable. Le pauvre insecte ne tarda pas à réparer le désordre Fig. 135. Coque de la Noctuelle du bouillon blanc. causé par la rude main de notre naturaliste. Elle ne mit que qua- tre heures à remettre la coque dans son premier état. « Elle commença, dit Réaumur, par en sorlir presque entièrement et ne laissa dedans que sa partie postérieure. Elle porta sa tète aussi loin qu'il était nécessaire pour que ses dents pussent saisir un grain de terre. Dès qu'elles en furent chargées, elle rentra dans l'intérieur de sa coque, elle y laissa le grain de terre, et elle ressortit sur-le-champ comme la première fois pour prendre un second grain de terre qu'elle porta ainsi dansl'intérieur Je sa coque. C'est un manège qu'elle fit pendant plus d'une heure... La, provision des matériaux étant rassemblée, la chenille ne songea plus qu'à les mettre en œuvre. Elle commença par filer sur un endroit de l'ouverture. Après y avoir mis une petite bande de toile très-làche, la tète quittait les bords de l'ouverture, la chenille rentrait entièrement dans sa coque et la tète revenait chargée d'un petit grain de terre qu'elle engageait dans les fils de soie. Elle y engageait de suite deux ou trois, ou un plus grand nombre de grains, selon que la quantité des fils le permettait. Elle les y liait aussi avec d'autres fils, après quoi elle tirait des fils sur les bords d'un autre endroit. En parcourant ainsi tout le contour de l'ouverture et en portant et arrêtant des grains de terre dans les fils qui avaient été étendus les derniers, elle rendait le dia- mètre de Touverlure de plus en plus petit. « 186 LES INSECTES. C'est en frappant avec sa tète que notre maçonne donnait à la paroi nouvelle la courbure qu'elle doit avoir. 11 était intéressant de savoir comment, ne pouvant plus sortir sa tête, elle pourrait boucher l'orifice. « Elle sut alors changer sa manœuvre. Lorsque Touverture fut réduite à un cercle de peu de lignes de diamètre, elle tira des fils d'un endroit du bord à un endroit opposé.... Ainsi l'ouverture fut tapissée d'une toile peu serrée.... Dès que cette toile fut finie, elle alla prendre un grain de terre (qu'elle avait mise en prévision), elle l'apporta contre la toile, et le poussant et le pressant, elle le fit passer au travers de ses mailles jusque sur la surface extérieure- Ainsi successivement toute la toile fut couverte de grains de terre.... Elle ne se contenta pas de rendre l'extérieur de cet endroit entièrement semblable à celui des autres ; elle le fortifia entièrement, elle y ajouta successivement des couches de grain de terre jusqu'à ce qu'elle eût la soUdité et l'épaisseur des autres endroits. » La Phalène corticale, que l'on trouve sur les chênes, au mois de mai, est la chenille qui laisse mieux voir jusqu'à quel point ces petites bêtes portent l'industrie dans la construction de leur coque tant pour le choix des matériaux, que pour la manière de les met- tre en œuvre, ou les formes qu'elles savent leur donner. Réaumur vit un jour cette chenille posée sur une petite branche, au milieu de deux appendices membraneux triangulaires (fig. 136). C'était le commencement d'une coque. Chaque lame triangulaire était com- posée d'un grand nombre de petites plaques rectangulaires minces, prises de l'écorce même de la petite branche. La chenille détachait avec ses dents une petite bande de l'écorce, et venait l'appliquer, l'ajuster, avec une admirable précision, bord à bord, contre la lame déjà formée. Elle l'y fixait ensuite solidement, avec des fils de soie. Réaumur vit cette chenille travailler et élever ainsi chacune des grandes lames pendant plus d'une heure et demie. « ^uand on voit, dit notre observateur, un insecte qui, pour rebâtir une coque, commence par assembler une infinité de petits carreaux pour en com- poser deux lames plates et triangulaires ; un insecte qui, pour arriver à une fin, prend des voies si détournées, quoiqu'elles soient des plus commodes et des plus courtes pour y arriver, on est bien tenté de lui croire du génie ; on le voit agir comme s'il en avait. ■>■> Ces deux lames se transforment finalement en une véritable coque. La petite bête, qui est à la fois architecte, ébéniste et tisserand, les travaille de manière à en faire un cornet ouvert quelle n'a plus qu'à fermer. Réaumur appelle ce genre de cocon ou de coque la coque en bateau. LEPIDOPTERES. 187 Certaines chenilles tissent avec de la soie pure des coques de la même forme. Pour terminer ce sujet, nous signalerons l'industrie de la /^arpte Fig. 336-137. Coque de la Phalène corticale. du hêtre et celle d'une petite Tinéidc, qui ronge l'orge emmagasinée dans nos greniers. La Harpie du hêtre emploie pour construire sa coque le bois même de l'arbre sur lequel elle a vécu. Elle le mâche, et, le mêlant à un fluide glutineux que sécrète sa bouche, elle le réduit en une sorte de pâte, dont elle se sert ensuite pour en former une enveloppe polie, et d'une telle dureté que le couteau peut à peine l'entamer. La Tinéide, dont nous avons à parler, tapisse l'intérieur d'un 188 LES INSECTES. grain dont elle a dévoré le contenu, d'une couche de soie, et le divise ainsi en deux chambres distinctes : dans l'une de ces cham- bres elle doit se changer en nymphe ; dans l'autre elle doit placer ses excréments. Ainsi, notre petit et soigneux arcliitecte construit sa mai- son de manière à y trouver tranquillité , propreté et commo- dité! Quand les chenilles n'ont pas en leur pouvoir les matériaux qu'elles ont l'habitude d'employer, elles peuvent, comme des ouvriers d'élite, se contenter de ceux qui se trouvent à leur por- tée. Réaumur a nourri une larve qui formait son cocon avec des morceaux détachés du papier formant le vase qui lui servait de prison. Quel état bizarre, quelle étrange situation vitale nous présente la chrysalide, être qui tient le milieu entre la chenille et le papil- lon ! Comme elle ressemble peu à ce qu'elle était précédemment et à ce qu'elle sera plus tard! En apparence, c'est à peine un être vivant. Il ne prend, en effet, aucune nourriture et n'a aucun organe digestif. Il ne peut ni marcher, ni se traîner : il parvient à peine à faire fléchir les jointures de ses anneaux. La peau extérieure des chrysalides semble cartilagineuse ; elle est ordinairement lisse, bien que quelques espèces soient pourvues de poils semés sur leur corps. On distingue aux chrysalides deux côtés opposés. L'un est celui du dos de l'insecte, l'autre est celui du ventre. Sur la partie anté- rieure de ce dernier (fig. 138) on aperçoit divers petits reliefs, formés et disposés comme les bandelettes des têtes des momies. Le côté du dos est uni et arrondi dans un grand nombre de chry- salides. Mais beaucoup d'autres ont sur la partie antérieure de ce même côté, tout le long des bords qui séparent les deux côtés ou les deux faces, de petites bosses, des éminences plus larges qu'é- paisses qui se terminent en pointe aiguë (fig. 139). Les chrysalides qui ont cette structure sont dites angulaires : celles qui sont simplement arrondies ont été nommées fèves. Cette division est très-naturelle, car les premières donnent des papillons diurnes, et les secondes généralement des papillons nocturnes. La tête des chrysalides anguleuses se termine quelquefois par deux parties angulaires qui s'écartent l'une de l'autre comme deux cornes (fig. 139 . Dans quelques autres cas, ces deux parties sont courbées en forme de croissant. Ces appendices donnent quelque- fois à la chrysalide l'aspect de certains masques de satyre, surtout LÉPIDOPTÈRES. 189 si l'on remarque qu'une éminence placée au milieu du dos res- semble assez à un nez et que des petites cavités peuvent figurer des yeux (fîg. UO). Les couleurs des chrysalides angulaires sont faites pour attirer Fig. 138. Crysalide Fig- 139. ChrysaliJe angulaire Fig. 140. Chrysalide de d'où conique d'où chenille. sort le papillon diurne. sort le papillon diurne. nos regards. Il en est de superbement vêtues; on dirait qu'elles sont couvertes de vêtements de soie et d'or. D'autres ont seule- ment des taches dorées ou argentées, sur le ventre ou sur le dos. Cependant toutes les chrysalides n'ont pas cet éclat remarqua- ble et ces reflets métalliques. Il en est de vertes, de jaunes, de tachetées de noir. Généralement elles sont brunes. Réaumur a montré que cette couleur dorée dont nous venons déparier, n'est pas due, comme on l'avait cru longtemps, à de For, mais à une petite membrane blanchâtre, placée sous la peau, et qui réfléchit la lumière à travers la mince peau extérieure, de ma- nière à produire Tillusion d'optique qui donne à la robe de cette humble chenille les reflets dorés des vêtements d'une prin- cesse en habit de gala. Tout ce qui reluit n'est pas or : c'est ce que prouva littéralement Réaumur, dans le cas de nos chrysa- lides. Ajoutons que la chrysalide reste ainsi superbement vêtue tant qu'elle conserve cet état, mais elle prend une couleur commune et terne dès que le papillon l'a quittée. Les chrysalides de la seconde division ont reçu le nom de chry- salides coniques. Elles appartiennent aux Lépidoptères crépuscu- laires et nocturnes et aux Papillons de jour, dont les chenilles ont été nommées, à cause de leur forme courte et déprimée, che- 190 LES INSECTES. nilles cloportes. Elles ressemblent ordinairement à un corps ovale et arrondi à son extrémité antérieure, plus ou moins conique à son extrémité postérieure. Leur couleur est, en général, d'un brun marron uniforme. Quel est le mystère qui s'accomplit dans le passage de la chrysalide à l'état de papillon? Ces grands changements de l'état de chenille à celui de chrysalide et de l'état de chrysalide à celui de papillon, se font avec tant de rapi- dité, que l'on a vu longtemps dans ces phé- nomènes de subites métamorphoses , sem- blables à celles que la mythologie raconte. On a cru aussi qu'il y avait dans ces change- ments d'état une sorte de résurrection. Il n'y a ici ni métamorphose brusque, — nous allons le montrer, — ni résurrection. En effet, la chrysalide est un être vivant; elle manifeste même sa vitalité par des mouve- ments extérieurs. Sous la vieille peau d'une che- nille qui va muer, sous l'enveloppe qui sera rejetée bientôt, les nouveaux téguments se pré- parent. Il n'y a donc là qu'un changement d'habit. Quelques jours avant la mue, fendez la peau de la chenille, et vous trouverez déjà au-dessous la peau qui doit prendre sa place. Si, quelques jours avant la transformation de la chenille en chry- salide, on ouvre cette chenille, on y découvre déjà des rudiments d'ailes et d'antennes. Si on se contente de regarder une chrysalide à l'extérieur seulement, on y distinguera sous la peau toutes les parties du papillon futur : les ailes, les jambes, les antennes, la trompe, etc. Seulement, ces parties sont pliées et empaquetées, de façon que la chrysalide n'en saurait faire aucun usage. Elle ne pourrait du reste s'en servir à cause de leur incomplet développe- ment. La figure 141 montre, d'après Réaumur S une chrysalide grossie et vue du côté du ventre, sur laquelle on découvre : a les ailes, bb les antennes, t la trompe. Il est un moment où ces parties, pressées les unes contre les autres, et comme emmaillottées à la façon d'une momie, sont très-faciles à discerner, car elles sont pour ainsi dire à décou- vert. Fig. 141. Chrysalide de Grande Tortue (Vanessa polychloros) grossie, vue du côté du ventre. ] . Tome I, p. 38-2, planche 26, fig. 6. LÉPIDOPTÈRES. 191 Ce moment est celui où la chrysalide vient de naître, lors- qu'elle vient de quitter sa dépouille de chenille. La chrysalide qui vient de quitter cette dépouille, est encore molle et tendre. Son corps est tout mouillé d'une li([ueur ({ui, se desséchant rapidement, devient opaque, se colore et prend la consistance d'une membrane, Il résulte de là que des parties qui ne se tenaient nullement ensemble lorsque la chrysalide a com- mencé à paraître au jour, se trouvent réunies plus tard, de sorte que ces parties qu'on a pu observer dans les premiers instants, à travers une couche de liqueur transparente, se dérobent ensuite sous une sorte de voile ou de manteau. Il faut donc saisir ce moment de la naissance de la chrysalide, pour la bien obser- ver. En observant la chrysalide avant que la liqueur qui imprègne son corps ait eu le temps de sécher, on reconnaît que cette chry- salide n est autre chose qu'un papillon. On peut même alors sépa- rer les unes des autres toutes les parties extérieures qui appar- tiennent au papillon. On y reconnaît, en effet, la tête, qui est alors Fig. 142. Chrysalide de Vanessa polychloros, dont on a écarté les ditïérentes parties avant qu'elles soient collées (a ailes, b antennes, t trompe). penchée sur la poitrine; les deux yeux et les antennes (fig. 142), qui sont ramenées en devant comme deux rubans; les ailes éga- lement ramenées sur la poitrine, mais qui sont écartées artificiel- 192 ^ LES INSECTES. lement dans le dessin que nous donnons d'après Réaiiraiir' ; enfin, dans l'espace que les ailes laissent entre elles, les six jambes et la trompe du papillon. En résumé la chrysalide, quand elle approche de l'époque de l'éclosion, n'est qu'un papillon emmaillotté. Dès qu'il aura la force de se débarrasser de ses langes, le Papillon se délivrera de ces entraves. Il s'envolera, brillant et libre, faisant reluire au soleil ses ailes diaprées. La durée de l'état de chrysalide est très-variable selon les espèces, selon la taille de la chrysalide, et surtout selon le degré de température. Généralement les petites espèces restent moins longtemps à attendre leur transformation que les grosses. Réaumur plaça dans une serre chaude, au mois de janvier, des chrysalides qui ne devaient éclore qu'au mois de mai, et quinze jours après les papillons avaient paru. D'autre part, il renferma pendant tout un été des chrysalides au sein d'une glacière, et il retarda par ce moyen leur éclosion pendant toute une année. L'in- fluence de la température sur la période d'incubation, et partant l'influence des saisons sur la longueur de cette période, sont com- plètement mises en lumière par ces expériences. Voyons maintenant comment les papillons se délivrent de leur dépouille dernière. Quitter le fourreau d'une chrysalide n'est pas une opération aussi laborieuse que l'a été pour le même insecte celle de quitter le fourreau de chenille. C'est que le four- reau de la chrysalide est plus sec ; il n'adhère pas partout au corps, il est friable. Les papillons dont la chrysalide est ^enfermée dans une coque, se débarrassent de cette chrysalide dans la coque même. Pour assister à la dernière opération que nous avons à considérer, on peut ouvrir la coque, et en retirer la chrysalide, avec délicatesse et sans la blesser. Si on la place alors dans une boite, on voit la métamorphose s'accomplira l'époque voulue. Pour étudier plus commodément cette dernière évolution des insectes qui nous occupent, Réaumur avait couvert une assez grande étendue de la tapisserie de son cabinet, avec des chrysa- lides de la Grande Tortue et du Zigzag de Geoffroy. Lorsque les parties du corps du papillon ont pris à l'intérieur de la coque une certaine solidité, l'animal n'a pas de grands efforts à exécuter pour faire fendre en divers endroits la mem- 1 . Ibidem, np. 7. LÉPIDOPTÈRES. 193 brane mince et friable qui l'entoure. Pour peu qu'il se gonfle ou qu'il se remue, une petite ouverture se fait dans le fourreau des- séché. S'il réitère ses mouvements, l'ouverture s'agrandit, et lui permet bientôt de sortir. C'est sur le milieu de la partie supérieure du corselet que l'en- veloppe commence à se fendre. La fente s'étend sur le milieu du front et du dos. Les pièces du corselet s'écartent, se séparent des autres parties auxquelles elles étaient jointes, et le papillon peut profiter de l'ouverture qui s'est faite et qui peut le laisser sortir. Peu à peu aussi il avance sa tète. La tête se présente la première hors de la dépouille, et il finit par sen retirer entière- ment. Le papillon emploie un temps assez long à sortir de ses langes; car il faut considérer que, sous l'enveloppe générale de la chrysa- lide, ses jambes, ses antennes, ses ailes et plusieurs autres parties sont renfermées dans des étuis particuliers. Ces conditions parti- culières expliquent que l'animal ait quelque peine et doive em- ployer quelque temps à dégager toutes ces parties. Enfin notre prisonnier est sorti de son étroite cellule. Délivré de sa vieille défroque, il voit briller le jour. Quel poète nous dé- crira les sensations de cette charmante et frêle créature qui , nouveau Lazare, vient de sortir du tombeau , et pour la première fois jouit de la lumière éclatante du jour, du ciel radieux et des fleurs aux senteurs enivrantes, qui appellent ses caresses et ses baisers! Dans cet être nouvellement éclos, les ailes sont ce qui frappe le plus. Elles sont très- petites à l'instant de la naissance. La figure 143 représente, d'après Réaumur', un papillon nocturne, au moment où il vient de sortir du fourreau de sa chrysalide. Mais au bout d'un quart d'heure, d'une demi-heure à peine, les ailes se montrent dans toute leur étendue. Selon Réaumur, une aile naissante, ^'s '"• Papillon nocturne venant de sortir et qui paraît si petite, est pourtant déjà pour- du fourreau vue de toutes ses parties. Seulement elles une c rjsa'ide. sont pressées, retirées sur elles-mêmes, comme le représente la figure 14i, donnée par Réaumur. Réaumur ayant pris entre ses doigts une aile très-courte d'un 1. Tome I, page 654, planche 46, fig. 1. 13 194 LES INSECTES. papillon qui venait d'éclore, la tira doucement dans tous les sens, 11 parvint ainsi àlui donner toute l'étendue qu'elle aurait prise na- turellement. Selon Réaumur, une aile naissante, et qui paraît si petite, estpourtantdéjàpourvuede toutesses parties. Seulement elle estpliée et repliée sur elle-même. Il suppose que ce qu'ont fait ses doigts pour allonger l'aile du papillon, est fait naturellement par des liquides chez l'insecte qui vient de naître et dont les ailes ne sont plus resserrées dans des fourreaux. Au moment de la nais- sance, les ailes sont planes et épaisses ; en croissant petit à petit elles s'étalent et se contournent. Quand ces ailes sont complètement développées et aplaties, elles s'affermissent et se durcissent insensiblement, et cet affermisse- ment s'étend en même temps à tout le corps. Les figures 145 et 146, empruntées comme les précédentes au Fig. 144. Papillon Fig. 145. dont les ailes sont plus Papillon nocturne élargies, mais retirées dont sur elles-mêmes. les ailes se développent. Fig. 146. Papillon nocturne dont les ailes sont développées. 14» mémoire de Réaumur (sur la transformation des chrysalides en papillons), montrent les états par lesquels passent les ailes du même papillon nocturne, avant de prendre leur développement définitif. Tout ce que nous venons de dire s'applique à ces chrysalides coniques d'où sortent les Phalènes. La sortie du papillon se fait essentiellement de la même façon dans les chrysalides angulaires. Cependant dans celle que nous avons prise pour exemple et dans beaucoup d'autres, les ailes des papillons se développent plutôt que celles des papillons de chrysalides coniques. Elle^s s'étendent, se contournent dans les premiers, pendant que le papillon est encore logé dans sa chrysalide. Cette remarque est assez curieuse si l'on considère que les papil- LÉPIDOPTÈRES. 195 Ions des chrysalides coni({ues volent presque tous les soirs ou la nuit, tandis que les papillons des chrysalides angulaires volent en plein midi. Les chrysalides renfermées dans des coques se défont, entière- ment ou en partie, de leur dépouille, dans la coque même. Mais le pauvre papillon est toujours prisonnier. Il a franchi une pre mière enceinte, il faut qu'il perce la seconde. Comment parvient-il à trouer les murs, souvent bien solides, de cette seconde prison, pour recouvrer sa liberté? Réaumur a constaté dans la Livrée que la tête est le seul instrument dont l'in- secte se serve pour s'ouvrir un passage. Et ce sont les yeux à facettes et cornés qui agissent alors comme des limes. Ces limes coupent les fils très-fins qui composent le cocon. Dès que le bout de la coque est percé, le papillon se sert de son corselet comme d'un coin, pour agrandir le trou. Bientôt il fait sortir ses deux jambes antérieures, se cramponne par elles sur le cocon, et peu à peu sort tout entier de sa prison. Ce sont ces êtres délivrés de leurs entraves, ce sont les papillons parfaits que nous allons pouvoir considérer main- tenant. LES PAPILLONS. Qui n'admire Féclat extraordinaire, la vivacité, la prodigieuse variété de couleurs de ce brillant habitant des airs ! Quelques amateurs ont consacré à Fachat de certains papillons des sommes qui auraient payé de beaux diamants. « Les diamants, dit Réau- mur, à cette occasion, n'ont peut-être pas de beauté plus réelle que celle des ailes d'un papillon; mais ils en ont une dont on est plus convenu, et qui est plus reçue dans le commerce. » Le caractère essentiel et distinctif des papillons les fait très- aisément reconnaître parmi les autres insectes. Tous les papillons ont quatre ailes, et ces ailes diffèrent de celles des autres in- sectes, en ce qu'elles sont couvertes de poussière, qui leur communique les brillantes couleurs qui les décorent. C'est cette poussière qui s'attache aux doigts, quand on saisit un de ces êtres charmants. On a longtemps considéré cette poussière comme formée de petites plumes. Mais Réaumur a montré qu'elle est composée de petites écailles. Leur forme et la manière dont elles sont décou- pées, varient singulièrement, comme on peut le voir dans les 196 LES INSECTES. ligures 147-148, empruntées aux mémoires de Réaumur' et qui représentent les différentes formes des écailles qui recouvrent les ailes de plusieurs papillons. M. Bernard Descharaps a étudié de près ces petites écailles. Se- lon ce naturaliste, elles seraient composées de trois membranes, au lamelles, superposées, dont la première serait couverte de gra- nulations, de forme arrondie, espèce de pollen qui donne à ces écailles leurs couleurs éclatantes et variées; la seconde écaille serait chargée de soie formant quelquefois des dessins curieux : Vifl);sEC'i'i;s. Le Machaon (lîg. 165) se trouve très-coiîiir.iiiiéaienL aax environs de Paris. Il parait depuis le commencement de mai jusque vers la mi-juin; ensuite depuis la fin de juillet jusqu'en septembre. Il fréquente les jardins, les bois et surtout les champs de luzerne. On le prend sans peine lorsqu'il est posé, particulièrement au couclicr du soleil. Le Machaon est un des plus grands et des plus beaux papillons ds notre pays. 11 est panaclié de jaune et de noir. Ses yeux, ses antennes, sa trompe sont noirs. Son corps est jaune sur les côtés et en dessous, noir en dessus. Les ailes supérieures sont à bords arrondis; les inférieures au contraire sont dentelées, et l'une des dentelures se prolonge en une sorte de queue. Les premières sont noires, tachées et rayées de jaune; les secondes ont leur partie supérieure et leur milieu jaunes, avec quelques traits noirs seu- lement. Vient ensuite une large bande transversale noire, mais couverte d'une poussière azurée ; enfin six taches jaunes en forme de croissant régnent sur le bord et aboutissent à un œil magni- fique de couleur rougeâtre, bordé de bleu. La chenille de cette espèce, si belle et si commune, est grande, lisse, munie de seize pattes, d'un beau vert clair, avec une bande transversale d'un noir foncé sur chaque anneau (fig. 167). Ces bandes sont parsemées de taches orangées. On voit que la livrée de la chenille est très-belle, et bien digne de l'être ailé quelle doit Fig. 166. Chasse aux papiUoiis iioclunies. LEPIDOPTERES. 207 produire. Elle vit sur le fenouil, la carotte et d'autres plantes de la famille des Ombellifères. Si on limportune, elle fait sortir du Fig. 167. premier anneau après la tête un tentacule charnu orangé, fait en forme de V. La chrysalide qu'on voit attachée par un fil au-dessous de la branche, est tantôt d'un vert clair, tantôt grisâtre. Dans les Basses-Alpes, sur les plateaux des environs de Digne Fig. 168. Alexaiior. et de Barcelonette, existe au mois de mai et de juillet VAlexanor, (fig. 168). En Corse et en Sardaigne se trouvent VHospiton, espèce 208 LES INSECTES. rare, voisine de notre Machaon^ et que nous nous contenterons de signaler. Le Flambé a une forme très-analogue à celle du Machaon. Il est de couleur jaune, un peu pâle (fig. 169) et flambé de noir. Les ailes inférieures portent une queue plus longue et plus fine que celle du Machaon, et sont magnifiquement ornées de lunules bleues et d'un œil de couleur orange, bordé de bleu par en bas. Cette belle espèce n'est pas rare à Montmorency, à l'Ile-Adam et à Saint-Ger- main. Elle paraît pour la première fois à la fin d'avril, et pour la seconde en juillet et en août. L'Apollon (fig. 170) est un beau papillon qui paraît en juin et juillet, et qu'on trouve assez communément dans les Alpes, les Pyrénées, les Cévennes. Ses ailes sont d'un blanc jaunâtre. Le dessus des premières ailes offre cinq taches noires presque ron- des; la base et le bord antérieur de ces ailes sont parsemés d'ato- mes noirs. Le dessus des secondes ailes présente deux yeux d'un rouge vermillon. Le bord interne est garni de poils blanchâtres, largement pointillé de noir et marqué vers son extrémité de deux petites taches noires. Le dessous des premières ailes est à peu près semblable au dessus. Mais le dessous des secondes offre, en outre, quatre taches rouges bordées de noir, formant une bande LÉPIDOPTÈRES. 209. transversale près de la base. Le corps est noir, garni de poils roiissàtres; les antennes sont blanches avec la massue noire. Les chenilles des ApoUons vivent sur les Saxifrages. Pour se transformer, elles s'entourent d'un léger réseau de soies, mainte- nant une ou plusieurs feuilles enroulées autour d'elles. Ces che- Fig. 170. Apollon. nilles sont lisses, cylindro'ides, épaisses, munies de petits mame- lons un peu velus, ornées sur leur premier anneau d'un tentacule charnu en forme d'Y. Les chrysalides sont cylindro-couiques, saupoudrées, comme le sont les prunes, d'une sorte d'efflores- cence bleuâtre. Le Semi-Apollon, ou Parnassien Mnémosyne, vit au mois de juin dans les montagnes du Dauphiné, en Suisse, en Sicile, en Hongrie, en Suède, dans les Pyrénées. Dans la famille des Piérides, nous citerons plusieurs espèces re- marquables à divers titres, telles que le Gazé, le grand Papillon du chou, le petit PapiVon du c/iou,la Piéride du navet et la Piéride Calli- dice, l'Aurore de Provence, l'Aurore, le Citron, le Souci. Le Gazé [Pieris cratœgi) est blanc tant en dessus qu'en dessous; les nervures seules des ailes sont noires et s'élargissent un peu au bord des ailes supérieures. Ces nervures noires sur un fond blanc assez transparent font ressembler ce papillon à une gaze. Il voltige au printemps et en été dans les prairies et dans les jardins. Dans le premier volume de ses Voyages dans le nord de la Russie, Pallas rapporte qu'il vit voler des individus de cette espèce aux environs de AVinofka en si grande abondance, qu'il les prit dabord pour des flocons de neige. Le Gazé se fixe, au coucher du soleil, sur les fleurs, où on peut 14 210 LES INSECTES. le prendre aisément avec la main. Pendant le jour, au contraire, il est difficile à saisir. Sa chenille, noire dansle premier âge, se garnit ensuite de poils jauneset blancs courts. Elle vit en société, sous une toile soyeuse qu'elle file, et dans laquelle elle pratique de petites cases, pour s'y mettre à l'abri de l'humidité et des froids d'hiver. Aux ap- proches du printemps, elle ronge les bourgeons des arbres de nos jardins. Les feuilles de l'aubépine, celles du prunier sauvage, celles du cerisier odorant et de plusieurs arbres fruitiers servent à sa nourriture. La chrysahde, jaune ou blanche, et quelquefois de ces deux couleurs avec de petites raies et des points noirs, offre des angles arrondis et est terminée antérieurement par une pointe mousse. Le Grand Papillon du chou (Pieris hrassicse) est peut-être le plus Fig. 171. Grand papillon du chou. commun de tous les papillons. Depuis le commencement du prin- temps jusqu'à la fin de l'automne, on le voit voltiger partout, dans les jardins, quelquefois aux portes et presque à l'intérieur des villes. On voit quelquefois, avec surprise, voler jusqu'au milieu de nos rues ce blanc messager des campagnes. On dirait qu'il vient apporter aux habitants des villes, confinés dans l'étroite enceinte de leurs murs, un échantillon de ce délicieux caprice de la nature qui s'appelle le Papillon. Le Grand Papillon du chou (fig. 171) est d'un blanc mat, tacheté de noir. On l'aperçoit de très-loin, quand il voltige de fleur en fleur, dans une prairie ou dans un jardin. Aussi les enfants font-isl une guerre acharnée à cette proie fuyante. La poursuite du Pa- LÉPIDOPTÈRES. pillon blanc à travers les allées des parcs, le long de la lisière des bois, ou sur le vert gazon des prairies, est la première joie et la [iremière passion de l'enfant dans nos campagnes. La chenille du Grand Papillon du chou (fig. 172) est d'un vert jaunâtre ou d'un jaune un peu verdâtre, avec trois raies jaunes longitudinales séparées par de petits points noirs, donnant naissance chacun à un poil blanchâtre. Elle vit par groupes sur les choux dans les jardins, et sur beaucoup d'autres plantes de la famille des Crucifères. Elle est si vorace qu'elle consomme par jour plus du double de son poids, et comme elle se multiplie très-vite, elle produit de grands ravages dans les potagers. Sa chrysalide (fig. 172) est d'un cendré blan- châtre, tachetée de noir et de jaune. La Piéride de la rave, ou Petit Papillon blanc du chou, ne diffère guère du papillon précédent que par la grandeur. Sa chenille est verte, avec trois lignes jaunes. Elle vit sur le chou, le navet, le réséda, la capucine. Elle n'y fait pas beaucoup de dégâts. Les jardiniers l'appellent lever du cœur, parce qu'elle pénètre entre les feuilles pressées. La Piéride du navet [Pieris napi) est assez semblable aux précé- dentes, mais les ailes, les inférieures surtout, ont en dessous de larges veines, ou bandes, de couleur verdâtre (fig. 173). La Piéride Callidice, dont les ailes sont blanches et tachetées de Fig. 172. Chenille etchrysalic du Papillon du chou. Fig. 173. Piéride du navet. noir, est commune dans les Alpes de la France, de la Savoie et de la Suisse et dans les Pyrénées. Sa cht nille vit près des régions des neiges éternelles, sur de petites plantes crucifères.. Les Aurores olfrent, chez les mâles, l'extrémité des ailes supé- 212 LES INSECTES. rieures d'un beau jaune orange. Le reste des ailes est blanc dans l'espèce des environs de Paris, qu'on trouve dans les bois, depuis la fin d'avril jusqu'au milieu de mai , et jaune soufre chez YAu- Fig. 174. Aurore de Provenoe. rorede Provence (fig. 174), qu'on trouve si communément dans les garrigues, c'est-à-dire les collines incultes de nos départements méridionaux. Une espèce extrêmement commune et qui parait sans inter- ruption depuis le commencement du printemps jusqu'à la fin de l'automne, est le Citron {Rhodocera rhamni). Ses ailes ont le dessus d'un jaune citron, avec un point orangé sur le milieu des quatre ailes. Le bord supérieur est terminé par une série de très-petites taches ferrugineuses. Le corps du papillon est noir avec des poils argentés. Le Souci [Colîa edusa), ainsi nommé de la couleur du dessus de ses ailes, est commun dans les prairies et les champs d'Europe. Le dessus des ailes est d'un jaune-souci; les supérieures offrent vers le milieu de leur bord d'en haut un gros point noir foncé. Il existe à l'extrémité des unes et des autres une large bande noire, continuée dans le raàle, divisée dans sa compagne par des taches jaunes. Le dos du corps est jaune, les pattes rosées comme les antennes. Dans la famille des Lycénides se trouvent un grand nombre d'espèces, ({ue nous signalerons rapidement. Les petits Porte-queue sont ainsi nommés à cause des dents qui frangent le bord postérieur des secondes ailes, dont l'une se pro- longe ordinairement en une petite queue, plus ou moins large. Ils ha])itent les bois. Leurs chenilles se trouvent sur le bouleau, le chêne, le prunellier, la ronce. On les nomme aussi Thécla. Le Thécla du bouleau [Thecla betulœ), qui a le dessous des ailes LÉPIDOPTÈRES. 213 .d'un vert vif, est commun dans tous les bois des environs de l>aris (iig. 175). Fig. 175. Thécla dQ bouleau. Le Thécla du chêne (lîg. 176), que Geoffroy appelle le Porte-queue bkuji une bande blanche, n'est pas rare dans les bois ; mais il est Fig. 176. Thécla du chêne. très-difficile à prendre, parce qu'il vole presque toujours par couple, à la cime des arlDres. Nous représentons encore ici le Thécla du prunier (fig. 177) et le Thécla de la ronce (fig. 178). Dans les prairies volent les Bronzés, papillons à ailes d'un fauve vif en dessus, avec dessins noirs. Tel est le Polyommale xanlhé, vulgairement nommé Argus myope, qui se trouve très-commu- nément aux environs de Paris, et surtout au bois de Boulogne, aux mois de mai et d'août. Il se plaît sur le genêt à balais, et se montre fréquemment dans les clairières des bois secs, où abonde 2J4 LES INSECTES. cette plante. Le dessus des ailes (fig. 179) est brun, mais tacheté è'^ ^ ■'''CmK\' ^ Fig. 177. Tbécla du prunier. de noir et de couleur fauve, surtout aux ailes supérieures. La Fig. 178. Thécla de la ronce. couleur fauve domine sur le bord de ces ailes et les termine en Fig. 79. Polyommate bronzé {Polyommatus plilaïas). formant une bande de points. Le dessus de l'aile est d'un gris LÉPIDOPTÈRES. 215 jaunâtre, parsemé de petits yeux et bordé d'une zone de taches lauves. Linné a compté quarante-deux petits yeux noirs sur le #-- Fig. iSO. polyommate verge d'or (Pobjommatus virgaurese). dessous des ailes. Citons encore dans ce groupe, le Bronzé, \ Argus satiné, le Grand Argus bronzé. Nous représentons ici les Polyommalus phlseas (fig. 179), virgaurex (fig. 180), et gordius (fig. 181). C'est dans les prés, les jardins, les luzernes, les trèfles que tr^^~ Fig. 181. Polyommatus gordius. voltigent les charmants Azurins, à ailes bleues en dessus chez les mâles, brunes chez les femelles. Les Azurins rentrent dans le genre Lycène. Nous nous conten- terons ici de figurer quelques espèces de ce genre , à savoir : le Lycœna corydon ou Argus bleu (fig. 182) qui est très-commun aux environs de Paris, dans les bois, en mai et en août. Le Lycœna 216 LES INSECTES. de l'orpin ou Argus brun (11g. 183), le Lycœna ccgon qui vole dans les clairières de nos bois remplies de bruyères et de genêts (ilg. 184). Les chenilles de ce genre, comme celles du genre précédent, /JT Fig. 182. Lycœna corydori. sont" élargies et aplaties, ressemblant à de petits cloportes, à pattes très-courtes et lentes dans leurs mouvements. Fig. 183. Lycœna de l'orpin. Fig. 184. Lycœna œgon. Dans la riche famille des Vanessides se rangent les belles espè- ces connues sous les noms de Grande et Petite Tortue, Paon de jour, Morio, Vulcain, lo, Belle-Dame et Robert le Diable. La Vanesse grande tortue (fig. 185) a des ailes anguleuses, de couleur fauve en dessus, d'un brun noirâtre en dessous, tachées de noir, bordées d une bande noire rayée de jaune dans son épaisseur. Elle se trouve en juillet et en septembre sur le chêne, l'orme, le saule et plusieurs arbres à fruit. LÉPIDOPTÈRES. 217 La chenille (lig. 186 est bleuâtre ou brunâtre, avec une ligne latérale orangée, et hérissée d'épines jaunâtres. Fig. 185. Vanesse grande tortue. La chrysalide, anguleuse, et de teinte incarnate, est ornée de taches métalli([ues dorées. Fig. 186. Chenilie de la Vanesse grande tortue. Nous donnons ici la figure de la Vanesse petite tortue (lîg. 187), papillon qui ressemble au précédent, mais qui est plus petit. Sa chenille, épineuse, noirâtre avec quatre lignes jaunâtres, vit en famille sur les orties. La Vanesse paon de jour ou œil de paon (lîg. 188 est très-aisée à reconnaître par les yeux de paon qu'elle porte en dessus, au nombre de quatre, un sur chaque aile, ce qui lui a fait donner le nom qu'elle porte. L'œil des ailes supérieures est rougeâtre au milieu 218 LES INSECTES. et entouré criin cercle jaunâtre. Celui des inférieures est noirâ- tre, avec un cercle aris autour, et renferme des taches bleuâtres. Fig. 187. Vanesse petite tortue. Le dessus des ailes est d'un fauve roux ; le dessous noirâtre. Cette Vanesse se rencontre dans les bois, les •champs de luzerne et les \ ^ fig. IbS. Vanesse paon de jour, ou Vanesse lo. plates-bandes des jardins. Sa chenille est d'un noir luisant avec des points blancs ; elle vit en société sur plusieurs espèces d'or- LÉPIDOPTÈRES. 219 lies et sur le houblon. La chrysalide, daI)ord verdâtre, puis hru- nàtre, est ornée de taches dorées. La Vanesse morio (tig. 189), uns des grandes raretés entomolo- giques de l'Angleterre, n'est pas très-commune dans les bois des environs de Paris; mais on la trouve fréquemment aux environs de Bordeaux et surtout à la Grande Chartreuse département de lig. 189. Vanesse morio. risère . Les chasseurs de papillons parisiens vont jusqu'à Fontai- nebleau à la poursuite de cette belle espèce, aux ailes anguleuses, d'un noir pourpre foncé, avec une bande jaunâtre ou blanchâtre au bord postérieur et une suite de taches bleues au-dessus. Sa chenille est noire, épineuse, avec des taches rouges. Elle vit en société sur le bouleau, le tremble, l'orme, diverses espèces de saules. Sa chrysalide est noirâtre, saupoudrée de bleuâtre, avec des points ferrugineux. Le papillon éclôt à la fin de février et parait pour la seconde fois en juillet et en août. Il vole très-rapidement et est très-difficile à prendre. La Vanesse Vulcain (fig. 190) doit sans doute son nom aux taches ou bandes couleur de feu qui sont sur ses ailes, noires en dessus et tachetées de blanc, marbrées de diverses couleurs en dessous. La chenille épineuse est noirâtre, avec une suite de trous de cou- leur citron sur les côtés. Elle vit isolément sur l'ortie piquante et sur l'ortie dioïque. Sa chrysalide est noirâtre, avec des points dorés. Cette magnifique flamme vivante est commune sur la fin de l'été, et facile â prendre. Si on l'a manquée, elle revient presque aussitôt se poser en quelque sorte sous le filet du chasseur. La Belle-Dame (fig. 191) doit son nom à la grâce de ses couleurs. 220 LES INSECTES. Les ailes supérieures sont, en dessus, mêlées de taches fauves, un peu couleur de cerise vers le bord intérieur, et de taches ])lanclies au bord extérieur, vers le bout de l'aile ; le tout sur un Fig. 190. Vanesse Vulcain. lond noir peu foncé. Les ailes inférieures sont de couleur fauve rougeâtre avec plusieurs taches noires, dont il y a une rangée de forme ronde qui borde l'aile. Fig. 191. Belle-Dame. La chenille est épineuse, brunâtre avec des lignes jaunes laté- rales et interrompues. Elle vit isolée sur plusieurs espèces de chardons, sur l'artichaut, la mille-feuille, etc. Elle se fait un tissu LÉPIDOPTÈRES. 221 assez semblable à un nid d'araignée et s'y renferme. La chrysa- lide est grisâtre, avec de nombreux points dorés. L'insecte parfait se montre presque sans interruption depuis le printemps jusqu'à lautomue. Il vole rapidement. On le trouve par toute la terre. La Vanesse gamma ou Robert le Diable (fig. 192) est assez com- mune aux mois de juillet et de septembre. En dessus, ses ailes sont fauves et tachées de noir. En dessous, elles sont plus ou moins brunes, ondées de diverses nuances, et quelquefois d'un peu de bleu, et de plus, les ailes inférieures ont chacune dans leur milieu en dessous une tache l)lanche de la forme d'un G. « Cette tache, dit le vieux Geotfroy, a fait donner à ce papillon le nom de gamma, et sa couleur de Diable enrhumé {sic) ainsi que la coupure singulière de ses ailes Font fait nommer par d'autres Eohert le Diable. » Sa chenille vit sur l'ortie, le chèvrefeuille , le groseillier , le noisetier, l'orme. Elle est d'un brun rougeàtre. avec une bande , , , ,1 r. . Fis. i9'J. Vanesse gamma. blanche sur le dos. Reaumur l'appelle la Bcdeaude, la comparant aux bedeaux des églises, qui s'habillent de costumes à deux couleurs tranchées. Ces brillantes A'anesses, dont nous venons de décrire succincte- ment quelques espèces remarquables, ont inspiré dans certaines circonstances une véritable terreur superstitieuse. Le fait doit paraître incroyable. Aussi avons-nous hâte de prouver la vérité de notre assertion. Lorsque les Vanesses viennent de quitter leur chrysalide, elles répandent un liquide coloré en rouge. Si beaucoup de papillons éclosent en même temps, et sur le même point, ce lieu est comme parsemé de gouttes de sang. Là est l'origine des prétendues i^luies de sang qui, à diverses époques, ont épouvanté des populations ignorantes, trop imbues de superstitions religieuses. Au commencement du mois de juillet 1608, une de ces préten- dues pluies de sang vint à toml)er dans les fauliourgs d'Aix, en Pro- vence, et cette pluie s'étendit à une demi-lieue de la ville. Quelques prêtres de la ville, trompés, ou désireux d'exploiter la crédulité du peuple, n'hésitèrent pas à voir dans cet événement des influen- ces sataniques. Heureusement un homme instruit, M. de Peiresc, qui n'était pas seulement versé dans la connaissance des littéra- 222 LES INSECTES. . tures anciennes, mais qui était encore familier avec les sciences naturelles, découvrit qu'une multitude prodigieuse de papillons voltigeait dans les endroits miraculeusement ensanglantés. Il re- cueillit des chrysalides dans une boîte, les fit éclore, et remarqua leurs déjections, en apparence sanguines. Il s'empressa de mon- trer le fait aux amis du miracle. Il constata, et fit constater que les prétendues gouttes de sang ne se trouvaient qua dans des cavités, des interstices, sous le chaperon des murs, jamais à la surface des pierres tournées vers le ciel. Il prouva par ces diverses observations que les prétendues gouttes de sang étaient des gouttes de liqueur rouge déposées par les papillons. Cependant, en dépit des remarques rassurantes du savant Peiresc, le peuple des faubourgs d'Aix continua de ressentir une véritable terreur à la vue de ces larmes sanglantes qui tachaient le sol de la campagne. Peiresc attribua à cette même cause quelques autres pluies de sang rapportées par les historiens, et qui se sont produites à peu près dans la même saison. Telle fut une pluie qui parut tomber, au temps de Ghildebert. à ]*aris et dans une maison du territoire de Senlis. Telle fut encore une prétendue pluie de sang qui ss manifesta vers la fin de juin, sous le règne di. roi Robert. Réaumur signale la Grande Tortue comme la plus capable de ré- pandre ces sortes d'alarmes fondées sur une déplorable ignorance et l'esprit de superstition. « Il y en a des milliers, dit-il, qui se transforment en chrysalides vers la fin de mai ou le commencement de juin. Pour se transformer, elles quittent les arbres, elles vont souvent s'appliquer contre les murs, elles entrent même dans les maisons de campagne, elles pendent aux cintres des portes, aux planchers. Si les papillons qui en sortent vers la fin de juin ou au commen- cement de juillet volaient ensemble, il y en aurait assez pour former de pe- tites nuées, et, par conséquent, il y en aurait assez pour couvrir les pierres de certains cantons de taches d'un rouge couleur de sang, et pour faire croire à ceux qui ne cherchent qu'à s'effrayer et qu'à voir des prodiges, que pendant la nuit il a plu du sang. « Dans la famille des Nymphalides, nous signalerons le Petit Sylvain, ou le Deuil (fig. 194). Le dessus de ses ailes est d'un brun presque noir et traversé au milieu par une bande blanche divisée en taches très-rapprochées. Le dessous des ailes est ferrugineux, avec une bande et des taches blanches, comme en dessus, plus une double rangée postérieure et transverse de points noirs. Ces points sont suivis aux secondes ailes de quelques taches blanches et les LÉPIDOPTÈRES. 225 mêmes ailes ont tout le bord abdominal d'un l)leu cendré luisant, avec la base tachetée de noir. Ce papillon n'est pas rare au mois Fig. 194. Petit Sylvain. de juin dans les forêts des environs de Paris, où il tournoie et se pose sur les branches des taillis. La chenille est d'un vert tendre, avec une raie] blanche latérale, et un peu épineuse. Elle vit sur le chèvrefeuille des bois. La chry- salide est anguleuse, verdâtre, avec des taches dorées. Le Sylvain azuré (fig. 195), dont le noir sur les ailes a un reflet bleu, ne se trouve pas aux environs de Paris. Fig. 195. Sylvain azuré. Le Grand Sylvain se montre dans les mêmes contrées, au mois de juin. Il arrive d'un vol rapide, planant au milieu des routes, 15 226. LES INSECTES. après avoir traversé les vastes forêts du nord de l'Europe. On le trouve, près de Paris, dans les bois d'Armainvilliers, de Yillers- Cotterets, de Compiègne. Cependant il n'est pas commun. Il re- pose sur les bouses de vache et les crottins de cheval. C'est là qu'il faut le prendre, sans chercher à le poursuivre. Le dessus des ailes de ce beau papillon de jour est d'un brun noirâtre, avec une bande blanche sur le milieu. Une rangée de lunules fauves se voit en avant du bord postérieur. Une douille ligne d'un bleu ardoisé règne le long de ce même bord, lequel a les échancrures blanches. La bande des premières ailes est tor- tueuse, tachetée de cinq points blancs. La bande des secondes a presque la forme d'un S. La chenille de ce papillon est verdàtre, et porte sur son dos des éminences charnues, épineuses, hérissées de poils courts. Elle vit sur le treml)le et sur les peupliers noir et blanc. Elle se tient toujours à la cime de ces arbres, et se cramponne par des fils de soie à leurs feuilles. La chrysalide est ovoïde, obtuse antérieurement, jaunâtre, mou- chetée de noir, gibbeuse au milieu du dos. On rencontre au mois de juillet, avec les mêmes habitudes, le Fig 196. Petit Mars. Grand Mars et \e Petit Mars (fig. 196), dont les ailes ont un beau reflet, d'un bleu violacé, quand on les examine dans un sens con- venable. On trouve ces deux espèces aux environs de Paris. LÉPIDOPTÈRES. 227 Le Char axes Jasius (fig. 197), qu'on trouve sur tout le littoral de la Méditerranée, a les ailes inférieures terminées par deux pointes. Aussi les paysans appellent-ils ce papillon le Pacha à deux queues- Le dessus de ses ailes est d'un brun chatoyant. Le bord terminal des premières e^t longé par une l)ande fauve finement lisérée de Fig. iy7. Charaxes Jasius. noir. Les secondes ailes ont leur bord postérieur noir, et garni d'une petite frange blanche. Les deux queues sont noires et la gouttière du bord interne d'un gris cendré. Le dessous des quatre ailes est ferrugineux vers la base avec des taches d'un brun oli- vâtre et encadrées de blanc. La chenille (fig. 198) est verte, aplatie en limace avec quatre Fig. 198. Chenille du Charaxes Jasius. cornes jaunes bordées de rouge. Elle vit sur l'arbousier, arbrisseau commun sur les collines et les montagnes qui bordent la Médi- terranée. A la famille des Satyrides apjîartiennent YÉrébie Euryale (fig. 199), 228 LES INSECTES. qu'on trouve au mois de juillet dans les régions subalpines ; — le Chionobas Aello' [ûg. 200), qui vit dans les Alpes de la Suisse, du Fig 200. Chinobas Aello. Tyrol et de la Savoie, et qui est assez commun, au mois de juillet, sur le sommet du Montanvers, près de la mer de glace; — le Satyre Fig. 201. Satyre myrtil. myriil {tig. 201), très-commun, aux mois de juin et de juillet, dans les bois et les prairies. Passons à la deuxième section des Lépidoptères. Elle renferme les papillons chez lesquels le vol est nocturne ou crépusculaire dans un grand nombre d'espèces^et diurne dans les autres. Leurs antennes sont plus ou moins renflées au milieu ou avant l'extré- mité, ety indépendamment de cela, tantôt prismatiques, tantôt cylindri- ques, tantôt pcclinées ou dentées. Le corps, qui était petit relativement aux ailes et présentait un rétrécissement notable entre le thorax et l'abdo- men dans la première section des Lépidoptères, est ici très- gros relative- ment aux ailes et non étranglé. Les ailes sont étroites, en toit horizontal ou légèrement inclinées dans le repos; les supérieures recouvrent alors les inférieures, qui sont généralement très-courtes et retenues par U7i frein aux premières, dans les anales seulement. LEPIDOPTERES. 229 Le genre Sésie sera pour nous le représentant de la famille des Sésiides. Ces singuliers papillons ont les ailes vitrées et le vol aussi rapide que celui des Mouches. On voit voler, à l'ardeur du soleil, un grand nombre de petites espèces de ce groupe, auprès des grands arbres, sur les arbustes de nos jardins et sur les fleurs des prairies. La plus grosse espèce et la plus commune est la Sésie apiforme (fig. 202) , c'est-à-dire semblable à l'abeille, qu'on trouve aux en- virons de Paris, et qui se plait sur le tronc des saules et des peupliers, depuis la fin de mai jusqu'à la mi-juillet. Elle ressem- l)!e à une guêpe-frelon. C'est la même taille, la même livrée; seu- 1 ,1 , j. 1 • Fig. 202. Sésie apiforme. Isment les couleurs sont plus vi- ves. Lorsque ce papillon vient déclore, ses ailes sont ferrugi- neuses; mais ses écailles, légères et caduques, tombent aux pre- miers coups d'aile de l'insecte. La chenille vit dans la tige ou les racines des saules et des peu- pliers. Elle se tient toujours au pied du tronc, ras de terre. Elle est de couleur jaunâtre. La chrysalide est allongée, brunâtre, renfermée dans une coque faite avec de la sciure de bois agglutinée provenant des érosions de la chenille. A la fin du printemps et au milieu de l'été, nos prairies sont fré- quentées par des papilloisà ailes brillantes, noires et veloutées, marquées de rouge, au vol pesant et peu prolongé, et qui demeu- rent immobiles pendant la grande chaleur du jour. Ce sont les Zygènes, de la famille des Zygènides. Le Sphinx bélier de Geoffroy, ou Zygène de la filipendule (fig. 203), n'est pas rare aux environs de Paris, depuis la fin de juin jusqu'au commencement d'août. Ses pattes, ses antennes, sa tête et son corps, sont noirs et un peu velus. Les ailes supérieures sont d'un vert bleuâtre brillant, avec six taches d'un beau rouge sur chacune, rangées deux à deux. Les ailes inférieures sont toutes d'un beau rouge, bordées d'un peu de vert. Sa chenille est jaune, tachée de noir. Son cocon est allongé, sillonné longitudinalement en forme de bateau et dun jaune paille (fig. 204). A côté des Zygènes se placent les Procris, qui volent pendant le 230 LES INSECTES. Jour, dans les prairies humiaes. Nous signalerons la Procris tur- quoise (fig. 205), qui se trouve assez communément aux environs Fig. 203. Zygène de la filipendu'e. Fig. 204. Cocon de la Zygène de la filipendule. (le Paris, entre la mi-juin et la mi-juillet, dans les parties arides des bois et sur le penchant des coteaux. Ses ailes supérieures, ses Fig. 205 Procns turquoise. antennes et tout son corps sont d'un vert doré en dessus. Les mêmes ailes sont de la même couleur en dessous, et les surfaces des inférieures sont d'un brun cendré. Les Sphinx, c'est-à-dire les espèces qui forment la famille des Sphingides, ont reçu ce nom général d'après l'attitude que présen- tent souvent leurs chenilles. Redressant la moitié antérieure de leur corps, elles conservent très-longtemps c«tte immobilité, que l'on prêtait au Sphinx de la mythologie. Les papillons du genre Sphinx ont le vol rapide et brusque. Ils ne paraissent qu'après le coucher du soleil. Leurs chenilles se métamorphosent dans la terre, sans former de coque. Dans ce nouveau groupe, les chenilles sont pourvues de poils, et ont presque toujours une corne sur le onzième anneau de leur corps. Les chrysalides sont rarement enveloppées d'une coque, (pii, lorsqu'elle existe, est formée de parcelles de terre, ou de dé bris de végétaux liés ensemble par des fils. LÉPIDOPTÈRES. 231 Cette famille, extrêmement naturelle, se compose d'espèces gé- néralement remarquables par leur grandeur et leur beauté. Le genre Macroglosse comprend quelques espèces au vol très- rapide et soutenu pendant le jour. Nous citerons particulièrement le Moro-Sphinx ou Sphinx du caille-lait [Macroglossa stellatarum) . Ce papillon (lig. 206) a frappé l'attention de tous ceux qui ont vécu dans un jardin fleuri. En Bourgogne, les enfants l'appellent Fig. 206. Moro-Sphinx. Oiseau-mouche. Lorsqu'il va d une fleur à l'autre, il a des mouve- ments brusques et rapides ; mais il reste en état de vol siation- naire devant chacune. 11 ne se pose pas; il vole sans cesse, tout en enfonçant sa longue trompe dans les corolles des fleurs, con- trebalançant l'action de la pesanteur par la vibration continue de ses ailes. Décrivons en quelques traits ce robuste lial)itant des airs, ce charmant Oiseau-mouche. Le Sphinx-moineau ou Moro-sphinx se montre dans toute la belle saison et jusqu'au milieu de l'automne, dans nos climats. On le voit 232 LES INSECTES. souvent pénétrer, en plein jour, dans nos maisons, et venir se heurter contre les vitres des fenêtres, où les enfants vont le saisir. Ses premières ailes sont d'un brun cendré, chatoyant en des- sus, avec trois lignes noires transverses et ondulées. Les infé- rieures, plus courtes, sont dun jaune couleur de rouille. Toutes les ailes sont jaunâtres en dessous près du corps, ferrugineuses au milieu, et d'un brun obscur à leur extrémité. Le corps est gros, brun, velu et terminé par un faisceau de poils divergents qui rappelle une petite queue d'oiseau. C'est pour cela qu'il a été appelé aussi Sphinx-moineau. La chenille de ce remarquable Lépi- doptère (fîg. 20?) est d'un vert tendre, avec huit rangées transversales de petits points blancs et quatre raies longitudi- nales, dont deux blanches et deux jaunâ- tres. Elle porte une corne d'un bleu obscur avec son extrémité orange. Elle vit sur différentes espèces de caille-lait, mais de préférence sur le Galium mollugo. Avant de se métamorphoser, elle se renferme dans une informe coque, qu'elle se fabrique avec des débris de feuilles retenues par quel- ques fils, et qu'elle place à la superficie de la terre. La chrysalide (fig. 208) est d'un gris blond parsemé de points Fig. 207. Chenille du Sphinx-moineau. 1, _]JV^;fe^,^,:,^_\ Fig. 208. Chrysalide du Sphinx-moineau. bruns et rayée de noir. Sa peau est si fine et si transparente qu'on peut srivre au travers toutes les phases de la transformation du papillon. Le genre Déiléphile se compose d'espèces dont le vol est rapide après le coucher du soleil. Telles sont les Déiléphiles de VEuphorbe, du Laurier-rose et de la Vigne. Le Déiléphile de l'Euphorbe, ou Sphinx du Tiihymale (fig. 209), LEPIDOPTERES. 233 a les ailes supérieures d'un gris rougeâtre, avec trois taches ver- dâtres ou couleur olive le long du bord supérieur, et une large bande noire oblique le long du bord inférieur. Les ailes inférieu- res sont rouges avec la base noire et une bande transverse noire Fig. 209. Spbinx du Tilhyraale. vers la partie inférieure. Elles ont, de plus, une grande tache ])lanche, ronde au côté intérieur. En dessous, les ailes sont rou- ges, ainsi que le corps, qui est couvert en dessus de poils ver- dâtres. Ce papillon se trouve aux environs de Paris, pendant les mois de juin et de septembre. Sa chenille (fig. 210) est une des plus remarqual)les du genre Fig. 210. Chenille du Sphinx TiUiymale. par l'éclat et la vivacité de ses couleurs, qui semblent recouver- tes d'un vernis. Le fond en est d'un noir luisant, avec une foule de petits points jaunes très-rapprochés et rangés en lignes cir- culaires dans le sens des anneaux. De chaque côté du corps sont 234 LES INSECTES. deux rangées longitudinales de taches ordinairement de la cou- leur des points. En outre, une bande étroite d'un rouge carmin règne sur le milieu du dos, et une bande semblable se remarque au-dessus des pattes, mais celle-ci est entrecoupée de jaune. Cette chenille vit particulièrement sur Y Euphorbe à feuilles de cxj- prèSy aux environs de Paris. On commence à la trouver à la fin de juin. Ordinairement la chrysalide passe l'hiver, et le papillon nen sort qu'en juin de l'année suivante. Le Déilèplnle ou Sphinx du Laurier-roie (fig. 211) est une char- Fig. 211. Sphinx du Laurier-rose. mante espèce propre aux pays chauds, où croît spontanément l'arbuste qui lui donne son nom, c'est-à-dire en Afrique, dans les parties méridionales de l'Asie, dans la Grèce, l'Espagne, etc. Emportés par un vol rapide et s'aidant des courants atmosphé- riques, ces beaux papillons arrivent accidentellement dans les contrées de l'Europe centrale. On les a rencontrés plusieurs fois à Paris, au jardin du Luxembourg, où le laurier-rose se cultive en caisse. Mais les individus qui naissent dans les environs de Paris ne s'y reproduisent point, en raison de la rigueur du climat. LÉPIDOPTÈRES. 235 Ils abondent dans le midi de la France. Comi)ien, dans notre en- fance, n'en avons-nous pas saisi, à l'heure du crépuscule, sur les lauriers-roses des jardins ! La chenille de cette espèce (fig. 212) est du nombre de celles Fig. 212. Chenille du Sphinx du Laurier-rose. (fue l'on nomme vulgairement Cochonnes, parce que leurs deux premiers anneaux , qui sont rétractiles et rentrent sous le troi- sième dans Tètat de repos, s'allongent de manière à imiter le groin d'un cochon, lorsqu'elles se déplacent ou qu'elles mangent. Elle est d'un beau vert, rayée et ponctuée de blanc sur ses côtés, et marquée sur le troisième anneau de deux grandes taches ocu- laires, d'un bleu d'azur, cernées de noir et pupillées de blanc. Une corne courte et orangée se dresse à l'extrémité du corps. Quelques jours avant sa transformation, cette admirable chenille perd entièrement sa riche livrée. Elle devient brune sur le dos et 213. Chrysalide du Sphinx du Laurier-rose. dun jaune sale sur le reste du corps. Elle se fabrique une espèce de coque avec des débris de feuilles qu'elle réunit par des fils au pied de l'arbuste sur lequel elle a vécu. 236 LES INSECTES. Cette coque renferme une chrysalide (fig. 213; d'un Ijrun noi- sette, finement striée de brun plus foncé, avec une tache noire très-apparente sur chaque stigmate. Le Sphinx de la Vigne (Dciléphile Elpenor, fig. 214) n'est pas rare aux environs de Paris pendant les mois de juin et de septembre. Fig. 214. Sphinx de la Vigne {Deihphile Elpenor.) Ses premières ailes sont d'un rouge pourpré, luisant en dessus, avec trois bandes, d'un vert d'olive clair; à la base des premières ailes, on voit une petite tache noire. Le bord interne est garni de poils blancs. Les secondes ailes sont d'un rose foncé en dessus, avec la base noire et le bord terminal liséré de blanc. Les quatre ailes sont roses en dessous avec le bord d'en haut et le milieu :4l>l ^.^r^^-î^^C- ,drt^^^^^S|5'lfe-, ^Tx^^ Fig. 215. Chenille du Sphinx de la Vigne. d'un jaune olivâtre ; les supérieures ont le bord interne teinté de noirâtre. Le corps est rose, avec deux bandes longitudinales d'un LÉPIDOPTÈRES. 237 vert olive sur Tabdomen et cinq lignes divergentes de cette cou- leur sur le corselet. Les côtés du ventre sont longés par une dou- ble série de points jaunâtres. La chenille de ce Sphinx (fig. 215) est d'un brun obscur, lîne- ment strié de noir. Deux lignes grises régnent de chaque côté du corps. Sur le quatrième et le cinquième anneau sont deux yeux noirs bordés de blanc violacé. Cette chenille vit plus souvent sur certaines espèces d'Épi- lobe que sur la Vigne. Il faut la chercher dans les endroits hu- mides, au bord des ruisseaux et des mares, depuis la fin de juil- let jusqu'en septembre. Elle se construit, à la surface du sol, une coque informe avec de la mousse et des feuilles sèches, qu'elle réunit à l'aide de quelques fils soyeux. Sa chrysahde (fig. 216), Fig. 216. Chrysalide du Sphinx de la Vigne. dun brun jaunâtre, offre de petites épines sur les anneaux de labdomen. La chenille possède au plus haut degré la faculté ré- tractile qui a fait donner à certaines espèces de ce genre le nom trivial de Cochonnes. Le Sphinx du Troène (Sphinx ligustri, fig. 217) a les ailes supé- rieures assez étroites, longues de deux pouces, d'un gris rougeâ- tre et comme veinées de noir en dessus, avec le milieu d'un brun obscur, le bord interne garni de poils roses et le bord postérieur longé de deux lignes blanchâtres, flexueuses. Les secondes ailes sont d'une teinte rosée avec trois bandes noires. Les quatre ailes sont d'un gris rougeâtre en dessous, avec une bande noire com- mune. Le corselet est brun avec le milieu grisâtre et les côtés d'un blanc rosé. L'abdomen est annelé de noir et de rose en des- sus, et présente dans son milieu une bande brunâtre entièrement divisée par une ligne noire. Cette espèce, répandue dans toute l'Europe, n'est pas rare aux 238 LES INSECTES. environs de Paris. On la rencontre dans les jardins, pendant les mois de juin et de septembre. De toutes les chenilles du genre Sphinx, c'est celle qui, par son Fig. 217. Sphinx du Troène. attitude dans létat de repos, ressemble le plus au Sphinx de la fable, d'où le cenre a tiré son nom. Elle est d'un beau vert Fig. 218. Chenille du Sphinx du Troène. pomme, avec sept raies obliques, moitié violacées et moitié blan- ches, placées de chaque côté du corps. Trois ou quatre petites LÉPIDOPTÈRES. 239 perles blanches continuent ces raies. Les stigmates sont orangés. La tète est verte et bordée de noir. L'extrémité du corps est sur- montée d'une corne lisse, noire en dessus, jaune en dessous (tig. 218). Cette admirable chenille n'est pas rare. Elle vit sur une foule ^^i^Ss^ Fig. 219. Chrysalide du Sphinx du Troène. d'arbres et d'arbustes. Mais c'est principalement sur le troène, le lilas, le frêne qu'il faut la chercher. Trois ou quatre jours avant Fig. 220. Sphinx du Liseron (,Sj>hin.x convolculi.) quelle s'enfonce en terre, pour se changer en chrysalide, ses belles couleurs se ternissent. Mais bientôt elle renaît sous une 240 LES INSECTES. autre forme, « plus charmante et plus belle, » comme la Jérusa- lem nouvelle! On rancontra aux environs de Paris, pendant les mois de juin et de septembre, le Sphinx du Liseron (lîg. 220), aux ailes brunes, au ventre rayé de bandes transversales alternativement noires et rouges. La chenille de ce Sphinx, qui présente un grand nombre de variétés, vit sur plusieurs espèces de Liserons, mais particu- lièrement sur celui des champs. C'est dans le genre Achérontie que se place le papillon nocturne le plus vulgairement connu. Nous voulons parler du Sphinx tête de mort {Acherontia atropos). Le Sphinx tête de mort {fig. 221, est la plus grosse espèce de Fig. 221. Sphinx tête de mort. Sphinx. Cet insecte présente, grossièrement figuré en jaune clair, sur le fond noir de son corselet, un crâne humain. Ce funèbre symbole, joint au cri plaintif que ce papillon nocturne émet lorsqu'il est effrayé, ont quelquefois jeté la terreur dans des po- pulations entières. L'apparition de ce papillon dans certaines con- trées ayant coïncidé avec l'invasion d'une maladie épidémique, LÉPIDOPTÈRES. 241 on crut voir dans ce lugubre sylphe des nuits le messager de la mort, car il en portait la livrée. VAcherontia atropos joue un grand rôle dans les croyances superstitieuses qui courent les campagnes de la vieille Angleterre. On entend dire, dans les veil- lées champêtres, que ce farouche habitant des airs est en rapport avec les sorcières, et qu'il va murmurant à leur oreille, de sa voix triste et plaintive, le nom de la personne que la mort doit bientôt emporter. Par quel fatal préjugé cet innocent insecte est-il ainsi voué à Tanathème I Pourquoi la superstition des campagnes veut-elle l'associer au principe du mal? Malgré sa noire livrée, Y Atropos ne vient pas des sombres bords; ce n'est pas un envoyé de la mort, un messager de la tristesse et du deuil. Comme les papillons qui font briller au soleil leurs couleurs diaprées, il vient du sein béni de l'auteur de la nature : il remonte aux sources divines et communes de la vie. Il ne nous apporte pas des nouvelles d'un autre monde; il nous apprend, au contraire, que la nature sait peupler toutes les heures; qu'elle a voulu, pour consoler leur tristesse, accorder au crépuscule et à la nuit ces mêmes sylphes ailés qui font la joie et l'ornement des heures de la lumière et du jour. Quelle heureuse mission pour la science, quelle joie paisible pour le cœur du naturaliste, de pouvoir dissiper un de ces préju- gés, une de ces mille superstitions, inutiles et dangereuses, qui égarent un peuple ignorant ! Le gigantesque Alropos a des ailes d'une couleur brune, noirâ- tre, sinuées en haut et en bas, par des bandes irrégulières plus claires, variées de brun et de gris. Sur le milieu de l'aile est un point blanc bien marqué. Les ailes de dessous ont deux bandes noires, une supérieure plus étroite et l'inférieure plus large ; le reste de l'aile est dun beau jaune. Le ventre a pareillement cinq à six bandes jaunes, et autant de noires transversales, placées alternativement. Sur son milieu est une longue bande longitudi- nale noirâtre. Nous ne revenons pas ici sur la funèbre figure qui se dessine sur le corselet. Ce papillon n'est pas rare aux environs de Paris, pendant les mois de mai et de septembre. Son vol est lourd et ne se fait, comme nous l'avons déjà dit, qu'après le coucher du soleil. Si on le prend, ou si on le tourmente, il jette des cris très-appré- ciables. \J Atropos serait un être bien inoffensif s'il ne pénétrait dans les 16 242 LES INSECTES. ruches des abeilles, pour y voler le miel, dont il est friand. Les abeilles ont beau cribler cet intrus de coups d'aiguillon : leurs dards s'émoussent contre son épaisse fourrure , et bientôt, épou- vantées de sa présence, elles se dispersent de toutes parts. La terreur des abeilles à l'aspect du Sphinx tête de mort se com- prend, car elle a un motif; celle de l'homme ne se comprend pas. La chenille de VAtropos (fig. 222) est la plus grande de toutes celles de l'Europe. Elle atteint jusqu'cà quatre pouces et demi de Fig. 222. Chenille du Sphinx tête de mort. longueur, sur huit lignes de diamètre. Le fond de sa couleur est d'un jaune citron, qui se change en vert sur les côtés et sur le ventre, Depuis le quatrième anneau jusqu'au dixième inclusive- ment, elle est ornée latéralement de sept bandes obliques, d'un bleu d'azur, qui sont teintées de violet, et liserées de blanc sur le côté postérieur. Ces bandes, en se joignant sur le dos de chaque anneau, sont comme autant de chevrons, parallèles entre eux. Le corps est, en outre, pointillé de noir. A son extrémité est une corne, recourbée en crochet, jaunâtre et hérissée de tubercules. La tête est verte et marquée latéralement d'un trait noir. LEPIDOPTERES. 243 Elle vit principalement sur la pomme de terre, et le lyciet d'Europe, arbrisseau épineux de la famille des Solanées. Elle Fig. 223. Chrysalide du Sphinx tête de mort. s'enfonce dans la terre, pour ss changer en une chrysalide (fig.223) d'un brun marron brillant. Nous citerons encore dans la famille des Sphingides trois espè- ces du genre Smérinthe, au vol lourd et crépusculaire. Le Sphinx du Tilleul [Smêrinlhe du Tilleul, iîg. 224) a les ailes .?0 /^'--xj Fig. 224. Smérinthe ou Sphinx du Tilleul. supérieures grises, avec quelques nuances vertes, et de plus, sur le milieu de l'aile, on voit une bande irrégulière d'un vert brun. Le corselet couvert de poils est gris, avec trois bandes longitudi- nales vertes. Le ventre est gris. Ce papillon vole lourdement, après le coucher du soleil. On le 2kk LES INSECTES. trouve sur les arbres des boulevards de Paris et des routes, peiï- dant les mois de mai et de juin. Sa chenille (fig. 2?,5) est d'un beau vert pomme, chagriné de Fig. 225. Chenille du Smérinthe du Tilleul. jaune , et marquée de chaque côté de sept lignes obliques de mèm& î*^i/i Fig. 226. Smérinthe demi-paon. couleur. Sa corne rugueuse est bleue en dessus et jaune en des- sous. Elle vit sur le tilleul et l'orme. Elle s'enterre au pied de LÉPIDOPTÈRES 245 l'arbre qui l'a nourrie, pour se changer en chrysalide sans faire de coque. Nous nous contentons de donner ici les figures de deux autres Fig. 227. Smérinthe du Peuplier. espèces du même genre : le Smérinthe ocellé , ou demi-paon [Sme- rinthus ocellatus)^ qui n'est pas' rare aux environs de Paris pen- Fig. 228. Chenille du Smérinthe du Peuplier. dant les mois de mai et d'août (fig. 226), et dont la chenille vit sur les saules, les peupliers et les arbres fruitiers; et le Smérin- 246 LES INSECTES. the du Peuplier, ou Sphinx à ailes denuUes (fig. 227), dont la che- nille (fig. 228) vit sur les peupliers, les trembles, et quelquefois les saules et les bouleaux. La famille des Bombycicns renferme les plus grands papillons connus; mais elle renferme aussi des espèces de taille moyenne et de petite taille. Ces papillons ne prennent point de nourriture. Ils vivent quel- ques jours seulement, pour conserver l'espèce. Ils volent rare- ment pendant le jour, et ne se montrent guère que le matin et le soir. Le groupe des Bombyciens est dispersé dans presque toutes les régions du globe. On les reconnaît à leurs antennes ordinaire- ment taillées en dents de peigne dans le mâle, à leur corps épais, robuste; dans le plus grand nombre des cas, à leur tête volumi- neuse, à leurs ailes plus ou moins étendues, à leur vol pesant. Dans la famille des Bombyciens se trouvent les genres Sericaria, Attacus, Bombyx, Orr/ya, Liparis, etc. C'est au genre Sericaria (ouvrier en soie) que se rapporte le Ver à soie, cet insecte célèbre que Linné appela Bombyx mori^ nom qui rappelait à la fois sa dénomination la. plus ancienne, et le Mûrier, arbre sur lequel vivent ses chenilles. M. Guérin-Méneville a appelé le ver à soie « le chien des in- sectes ». En effet, il a été réduit à l'état domestique dès les temps les plus anciens, et l'homme l'a dépouillé d'une bonne partie de sa force et de sa volonté. Il en a fait un animal dégénéré. Le papillon du ver à soie ne peut plus se tenir en plein air, sur les feuilles inclinées et mobiles du mûrier agité par le vent. Il n'a plus l'adresse de se dérober, sous les feuilles, à l'ardeur du soleil et aux ennemis des insectes. La femelle, toujours immobile, sem- ble ignorer qu'elle a des ailes. Le mâle ne vole plus; il volette autour de sa compagne, sans quitter le plancher. Cependant il doit avoir â l'état sauvage un vol assez puissant. M. Ch. Martins a reconnu qu'après trois générations d'élevage en plein air les mâles avaient repris la faculté de voler. Avant de parler des diverses phases de la vie des vers à soie et de l'éducation de ce précieux insecte, nous raconterons l'origine et les progrès de l'admirable industrie de la soie, l'une des bran- ches les plus importantes de l'industrie du midi de l'Europe et de rOrient. On ne connaît pas plus la patrie du ver à soie que l'on ne con- LEPIDOPTERES. 247 naît exactement celle de la plupart des plantes et des animaux qui sont la base de notre industrie agricole. Il est cependant pro- bable que sa patrie fut la Cliine. C'est positivement, en effet, dans ce vaste empire que naquit, il y a bien longtemps, l'industrie de la fabrication de la soie. On lit ce (|ui suit dans l'Histoire générale de la Chine par le P. Mailla : « L'empereur Iloang-ti, qui vivait 2600 ans avant notre ère, voulut que Si-ling-chi, sa légilime épouse, contribuât au bonlieur de son peuple; il la chargea d'examiner les vers à soie, et d'essayer à utiliser leurs fils. Si-ling- chi fit ramasser une grande quantité de ces insectes, qu'elle voulut nourrir elle-même dans un lieu qu'elle destina uniquement à cet usage; elle trouva non-seulement la façon de les élever, mais encore la manière de dévider leur soie et de l'employer à faire des vêtements. » On peut se demander pourtant si les lettrés qui ont composé ce récit, n'ont pas réuni sous le règne de l'empereur Hoang-ti tous les événements et toutes les découvertes dont la date se per- dait dans l'obscurité des temps les plus reculés de l'histoire. L'impératrice Si-ling-chi n'est-elle pas un personnage de conven- tion? une sorte de Gérés chinoise, à laquelle on aurait ensuite élevé des autels sous le nom de déesse des vers à soie? Voici du reste comment Duhalde' analyse le récit des annalistes chinois sur le fait remarqua])le de lintroduction du ver et de ses riches produits dans l'empire chinois. L'usage qu'il décrit forme le sujet de la gravure qui se voit à la page 249. « Jusqu'au temps de cette reine ^Si-ling-chi;, dit-il, quand le pays était nouvellement défriché, le peuple employait les peaux des animaux pour se vêtir. ^lais ces peaux ne furent plus suffisantes pour la multitude des habi- tants : la nécessité les rendit industrieux; ils s'appliquèrent à faire des toiles pour se couvrir, mais ce fut à cette princesse qu'ils eurent l'obligation de l'utile invention des soieries. Ensuite, les impératrices, que les auteurs chi- nois nomment selon l'ordre des dynasties, se firent une agréable occupation de faire éclore les vers à soie, de les élever, de les nourrir, d'en faire de la soie, de la mettre en œuvre. Il y avait môme un verger dans le palais destiné à la culture des mûriers. « L'impératrice, accompagnée des reines et des plus grandes dames de la cour, se rendait en cérémonie dans ce verger, et cueillait de sa main les feuilles de trois branches que ses suivantes abaissaient à sa portée ; les plus belles pièces de soie qu'elle faisait elle-même, ou qui se faisaient par ses ordres et sous ses yeux, étaient destinées à la cérémonie du grand sacrifice qu'on offrait à Chang-si. « Il est à ci'oire, ajoute Duhalde, que la politique eut plus de part que toute autre raison aux soins que se donnaient les impératrices. L'intention 1. Description de la Chine, t. II, p. 205. 248 LES INSECTES. était d'engager, par ces grands exemples, les princesses et les dames de qua- lité, et généralement tout le peuple, à élever des vers à soie ; de même que les empereurs, pour ennoblir en quelque sorte ragriculture et exciter le peuple à des travaux si pénibles, ne manquent pas, au commencement de cha- que printemps, de conduire en personne la charrue, d'ouvrir en cérémonie quelques sillons et d'y semer des grains. « Pour ce qui est des impératrices, il y a longtemps qu'elles ont cessé de s'appliquer aux travaux de la soie; on voit néanmoins dans l'enceinte du palais de l'empereur un grand quartier rempli de maisons, dont l'avenue porte encore le nom de chemin qui conduit au lieu destiné à élever les l'ers à soie pour le divertissement des impératrices et des reines. Dans les livres du philosophe Mencius, on trouve un sage règlement de police, fait sous les premiers règnes, qui détermine l'espace destiné à la culture des mûriers, selon l'étendue de terrain que chaque particulier possède. « M. Stanislas Julien* nous a fait connaître plusieurs des règle- ments portés par les empereurs de la Chine pour rendre obliga- toires les soins qu'exige l'industrie de la soie. Tchin-iu , étant gouverneur de l'arrondissement de Kien-Si, ordonna que chaque homme du peuple plantât quinze pieds de mûrier*. L'empereur (sous la dynastie de Witei) donna à chaque homme vingt arpents de terre, à la condition de planter cinquante pieds de mûrier ^ L'empereur Hien-tsang (qui monta sur le trône en 806) ordonna que les habitants des campagnes plantassent deux pieds de mûrier dans chaque arpent de terrée Le premier empereur de la dynastie des Song (qui commença à régner vers l'an 960) rendit un décret pour empêcher d'abattre des mûriers ^ A l'aide de tous les moyens qui viennent d'être rappelés, d'a- près le témoignage de M. Stanislas Julien, l'industrie de la fabri- cation de la soie se généralisa en Chine. Ce grand empire put bientôt fournir à ses voisins cette précieuse matière textile, et créer à son profit le monopole d'une branche très-importante de commerce. Il était interdit, sous peine de mort, d'exporter de la Chine des œufs de vers à soie, ou de fournir les renseignements nécessaires sur l'art d'obtenir la matière textile. Le produit seul pouvait être vendu au dehors de l'empire. C'est ainsi que les nations asiatiques connurent bientôt la soie, 1. nésumé des principaux traités chinois sur la culture des mûriers et Véducation des vers à soie, traduit par Stanislas Julien. Paris, Imprimerie royale, 1837. 2. Annales de la dynastie des Liang. — 3. Annales de la dynastie des Wei. 4. Annales de la dynastie des Thang. -- 5. Histoire de la dynastie des Song. ^. "^i-fe Fig. 229. L'impératrice de la Chine, Si ling-rbi, cueillant des feuilles de mûrier dans les jardins du Palais impérial. LÉPIDOPTÈRES. 251 et que dans plusieurs cités on se mit à tisser des étoffes de cette précieuse sul)stance. Les tapis et les tentures de Babylone, mé- langés d'or et de soie, ont joui dans l'antiquité dune renommée sans égale, La Chine n'était pourtant pas la seule contrée qui fournit alors de la soie aux villes de l'Asie Mineure A une époque très-recu- lée, l'Inde leur en envoyait, par ses caravanes, des quantités très-considérables. M. Emile Blanchard (de l'Institut) a fait re- marquer toutefois que les tissus de l'Inde devaient être confec- tionnés avec une soie différente de celle de la Chine, c'est-à-dire avec la soie de quelques-uns de ces Bombyx dont on a beaucoup occupé le public dans ces dernières années, et dont nous aurons bientôt à parler. La soie conserva pendant des siècles un prix prodigieusement élevé. Au temps d'Alexandre, sa valeur dans la Grèce était exac- tement son pesant d'or. Aussi la matière était-elle très-parcimo- nieusement employée dans les tissus de soie. Ces tissus étaient d'une transparence telle, que les femmes qui en portaient étaient à peine couvertes. La soie resta inconnue aux Romains avant Jules César. C'est à lui que Rome dut la connaissance de cette matière nouvelle. Il la produisit d'ailleurs avec un singulier éclat. Un jour, dans une fête donnée au Colisée , dans un combat d'animaux et de gladiateurs, le peuple vit la grossière tente de toile destinée à le garantir des rayons du soleil remplacée par un magnifique vélum de soie orientale. Le peuple murmura de cette prodigalité fastueuse; mais il ne put s'empêcher de trouver César un grand homme. L'introduction de la soie chez les Romains fut le signal de luxueuses dépenses. Les patriciens étalaient des manteaux de soie d'un prix incalculable. Aussi, du temps de Tibère, le sénat se crut-il obligé de défendre aux hommes les habits de soie. L'exem- ple de la simplicité partit quelquefois de haut; car l'empereur Aurélien refusa à l'impératrice Sévérina une parure si coûteuse. Le commerce de la soie pesait doublement sur l'Europe, et par la valeur de la matière, et par le grand usage qu'on en faisait. Les Perses avaient l'entrepôt et le monopole de cette marchan- dise. L'empereur d'Orient Justinien h% qui régna à Constantinople de 527 à 565, cherchait tous les moyens de soustraire ses États à cette tyrannie ruineuse, lorsqu'une circonstance fort heureuse 252 LES INSECTES. pour le commerce national vint déterminer l'introduction de la sériciculture en Europe. Deux moines de Tordre de Saint-Basile, dans leur ardeur pour la propagation de la foi, s'étaient avancés jusqu'en Chine. Là ils avaient été initiés aux opérations qui fournissent la matière textile si recherchée. De retour à Constantinople, et apprenant le projet que nourrissait Justinien, d'enlever aux Persans le commerce de la soie, les deux moines proposèrent à l'empereur d'enrichir ses États de l'art de la fabrication de la soie. La proposition fut acceptée avec transport par Justinien, et les deux moines retournèrent en Chine, dans le but de se procurer les œufs de l'insecte producteur de la soie. Arrivés au terme de leur voyage, ils parviennent à s'emparer d'une certaine quantité de graines de ver à soie. Ils les cachent entre les nœuds de leur bâton, et reprennent le chemin de leur patrie, sans être inquiétés. Deux ans après, ils rentraient à Constantinople avec leur pré- cieuse capture'. Les vers à soie, ainsi apportés à Constantinople, furent placés, pour opérer leur éclosion, dans du fumier. Il en sortit des vers, que l'on nourrit avec des feuilles de mûrier. Tout aussitôt on commença l'éducation des vers et la préparation de la soie, d'a- près les instructions que donnèrent nos courageux voyageurs. Les premières éducations réussirent parfaitement. Aussi vit-on les plantations de mûrier se multiplier et se répandre dans tout l'empire d'Orient. C'est surtout dans la Grèce méridionale que cette industrie prit une immense extension. C'est alors que le Péloponèse perdit son nom. On l'appela Morée, du nom latin du mûrier, morus. Constantinople et la Grèce sont les pays qui, pendant des siè- cles, ont fourni les vers à soie à toute l'Europe. Cette diffusion se fit toutefois assez lentement. Le peuple grec tenait à conserver son monopole, et l'empereur Justinien avait fait établir à Con- stantinople même des manufactures de soieries, où les ouvriers les plus habiles de l'Asie travaillaient, avec l'interdiction absolue de révéler leurs procédés aux étrangers. Vers le commencement du huitième siècle, les Arabes appor- 1. D'après M. de Gasparin, auteur d'un excellent Essai sur l'histoire de l'introduc- tion des versàsoieen Europe (Paris, in 8°, 1841), ce ne serait pas en Chine, mais seu- lement en T»rtarie, à Serinde, que les deux moines seraient allés chercher la graine des vers à soie (pages 37-39). ■ \ LÉPIDOPTÈRES. 253 tèrent le ver à soie en Espagne. Mais cette industrie y demeura confinée dans d'étroites limites. Ce ne fut réellement qu'à partir du douzième siècle que la séri- ciculture commença à se répandre en Europe. Roger, roi des Deux-Siciles, possédant une marine qui dominait la Méditerranée, l'employait surtout à des excursions et à des conquêtes. Il ravagea la Grèce, et non content du butin qu'il en- levait à ces malheureuses contrées, il voulut encore leur ravir, au profit de ses États, l'industrie de là soie, source de leur ri- chesse. Roger transporta en Sicile et à Naples un grand nombre de prisonniers, parmi lesquels se trouvaient des tisserands et des hommes adonnés à l'éducation des vers à soie. En 1169, il établit ces ouvriers dans un local attenant à son palais de Palerme. Là on teignait la soie de diverses couleurs ; on y entremêlait l'or, les perles et les pierreries. De la Sicile l'art de préparer la soie se répandit dans le reste de lltalie. En 1204 les artisans de soie se constituaient en syndicat, à Flo- rence. Ce n'est pourtant qu'en 1423, plus de 200 ans après l'introduc- tion de cette industrie en Italie, qu'on trouve la première mention de l'existence de la culture du mûrier en Toscane. En 1440, cha- que paysan de la Toscane était forcé de planter au moins cinq mûriers, sur le terrain qu'il cultivait. En 1474, le commerce de la fabrication de la soie était devenu extrêmement prospère à Florence. Les produits étaient expédiés dans toutes les parties du monde. En 1314, les manufactures vénitiennes commencèrent à prendre beaucoup d'importance. Trois mille ouvriers en soie étaient éta- blis alors dans l'intérieur de Venise. Sans insister plus longtemps sur la propagation de l'industrie de la soie en Italie, arrivons à son établissement en France. C'est en 1340 que des gentilshommes français qui avaient sé- journé à Naples, plantèrent à Avignon les premiers mûriers'. D'après Olivier de Serres, le mûrier ne fut transporté que beau- coup plus tard en Dauphiné. Il ne fut introduit à Alan, près de Montelimar, qu'en 1465, parle seigneur Guyape de Saint-Aubaine Louis XI s'efforça de développer l'industrie de la soie en France, 1. De Gasparin, Essai sur l'introduction des vers à soie en Europe, page 70. 2. Théâtre d'agriculture d'Olivier de Serres, t. II, p. 158, in-S". 254 LES INSECTES. en y appelant des ouvriers italiens, et l'on commença sous son règne à fabriquer des soieries dans la Touraine et à Lyon. François P"' donna beaucoup de développement à l'industrie lyonnaise. En 1554, sous Henri II, les maîtres et les ouvriers de la manufacture d'or, (V argent et de soie de Lyon étaient au nombre de douze mille. Sous Henri II furent plantés les mûriers de la Bourdezière, Tours, Chenonceaux, Toulouse et Moulins. Ces plantations toute- fois furent peu étendues. Il n'y avait pas là un effort général et vraiment populaire. D'ailleurs la guerre civile vint bientôt écarter les esprits des tentatives isolées de quelques particuliers. La sériciculture ne prit réellement une grande importance en France que sous Henri IV. Ce roi voyait avec chagrin sortir de France, chaque année, des sommes considérables pour les achats de soie grége ou de soie- ries. Deux hommes servirent merveilleusement son projet de fa- voriser l'industrie de la soie. L'un de ces hommes était Barthé- lémy Laffemas, dit Beausemblant. Depuis longtemps, Barthélémy Laffemas écrivait mémoires sur mémoires pour démontrer les avantages de la plantation de force mûriers en France. Cet écrivain émérite nous apprend qu'on éle- vait alors avec succès des vers à soie à Mantes, à Poissy et même à Paris. Le second appui que trouva Henri IV dans la propagation de la sériciculture, est un homme bien autrement illustre que messire Laffemas. Ce fut Olivier de Serres, l'excellent auteur du Théâtre de l'agriculture, celui que Henri IV appelait son seigneur et maître en fait de m.esnage des champs. Le premier parmi ses compatriotes, Olivier de Serres avait pu- blié des instructions relatives à la culture du mûrier et à l'édu- cation du ver à soie. Henri IV, qui avait remarqué ses écrits, l'appelaà Paris. Sur l'indication d'Olivier de Serres, le roi fit venir d'Italie vingt mille mûriers, et une grande quantité de graines, dont on fit une gigantesque distribution dans toute la France. Dès ce moment la sériciculture se propagea rapidement dans les Cévennes, en Provence, en Languedoc, dans la Touraine et plusieurs autres provinces. On planta des mûriers à Fontaine- bleau, au parc royal des Tournelles, et même au jardin des Tui- leries, où une Italienne, la dame Julie, femme des plus entendues qu'on puisse trouver, nourrissait des vers à soie pour Henri IV. L'essor donné à la sériciculture s'affaiblit beaucoup après la mort LEPIDOPTERES. 255 de Henri IV. Il reprit de nouvelles forces sous le grand ministre Colbert, qui sut faire naître dans notre pays l'esprit du commerce et de l'industrie. De nouvelles fabriques s'établirent en France; des pépinières de mûriers furent créées dans plusieurs de nos provinces. Tous ces progrès furent brusquement anéantis par l'immorale et inique révocation de l'Édit de Nantes, qui vint priver la France de l'élite de ses commerçants. Chassées de leur patrie, les familles protestantes des Cévennes allèrent établir à l'étranger des con- currences à notre production nationale. Au dix-huitième siècle, les intendants des provinces essayèrent, mais avec peu de succès, de réveiller en France l'industrie sérici- cole. L'abbé Boissier de Sauvages publia, vers 1760, divers ouvrages où il se montre observateur patient, esprit juste et éducateur ha- bile. Boissier de Sauvages est le père de la magnanerie moderne. Pendant notre première révolution , les esprits avaient des préoccupations plus graves que celles de la culture du mûrier. Mais au retour de la paix on se mit à l'œuvre de toutes parts. En 1808, le ministre Chaptal porte à cinq ou six mille kilogrammes le poids de la récolte des cocons, pendant que l'invention du mé- tier Jacquart vient donner au tissage des étoffes de soie une im- mense impulsion. Parmi les initiateurs et les bienfaiteurs de l'art séricicole, nous ne saurions oublier Dandolo. Né à Venise en 1758, mort en 1819, Dandolo est le premier qui, au commencement de ce siècle, se soit sérieusement occupé d'améliorer les pratiques de la sériciculture. 11 chercha à régulariser le chauffage, à introduire plus d'ordre dans la distribution des aliments du ver, plus d'espacement dans les locaux et un certain degré de ventilation. Il y aurait aussi de l'ingratitude à ne pas citer, à ce propos, les noms de nos contemporains qui ont rendu d'importants services à l'art séricicole, tels que M. Camille Beauvais, qui a fait sortir l'art du magnanier de l'état d'immobilité dans lequel il était plongé ; — M. Eugène Robert, qui a fondé, dans le midi de la France, la première magnanerie salubre ; — M. Guérin-Méneville, qui a con- sacré sa vie à l'étude des mêmes questions, et à qui l'on doit l'in- troduction et l'acclimatation d'espèces qui nous rendront peut-être un jour de grands services ; — enfin M. Robinet, qui a élucidé dif- férentes questions pratiques de l'art séricicole. En terminant ce rapide aperçu historique , nous dirons que la France consomme annuellement trente mille kilogrammes d'œufs 256 LES INSECTES. de ver à soie, chaque kilogramme valant aujourd'hui de trois cents à cincf cents francs, et même davantage. La valeur des soies manufacturées représente annuellement environ huit millions, et l'on trouve dans les tableaux officiels que la France a exporté, en 1863, pour une valeur de trois cent quatre-vingt-quatre mil- lions de ce produit. Cette exportation immense montre combien la soie est aujour- d'hui appréciée partout. Dans ces tissus nombreux qui se nom- ment taffetas, satin, velours, tout semble avoir un charme, un at- trait particulier. Consistance de l'étoffe, douceur glissante de sa surface, manière dont elle reçoit l'impression des couleurs, éclat, finesse, reflet, bruissement ou frou-frou, plis cassés ou plis lourds, tout cela, c'est la beauté, l'élégance et le luxe, de quelque façon que l'on entende ce mot. Le Bombyx du mûrier n'a pourtant rien de séduisant dans sa personne. D'autres chenilles du Bombyx ont de brillantes livrées -, elles se parent de globules bleus comme des saphirs, verts comme des émeraudes, rouges comme des rubis, mais ne produisent que des fils sans éclat ni finesse. L'humble ver à soie, vêtu d'une blouse blanche , comme un ouvrier, n'a rien de brillant dans son vête- ment, et il donne au monde entier ses plus belles parures. Étudions un peu de près cet artisan inimitable. Le corps du ver à soie se compose de dix anneaux distincts, qui forment neuf plis. En avant, sont trois paires de pattes articulées qui deviendront plus tard celles du papillon. Au milieu et en ar- rière, sont cinq paires de pattes membraneuses, armées d'un cer- cle d'épines très-fines, armature mignonne qui permet à l'animal de s'accrocher aux feuilles et aux tiges. Sur les deux côtés du corps sont dix-huit stomates ou bouches respiratoires. La tête du ver à soie se fait remarquer principalement par le museau qu'elle présente à sa partie antérieure. Ce museau est écailleux, corné et formé d'une seule pièce. La bouche est pourvue de six petites pièces articulées. En-dessous est une lame simple, la lèvre supérieure, présentant une échancrure dans son milieu. L'animal fait entrer dans F échancrure de cette pièce le bord de la feuille qu'il ronge, et la maintient ainsi sans efforts. Au-des- sous de la lèvre sont insérées deux grosses mâchoires qui tail- lent la feuille comme le ferait une paire de ciseaux. Au-dessous, des mâchoires plus faibles achèvent la division des fragments, et une petite tige, articulée à chaque mâchoire, c'est-à-dire un palpe, repousse vers la bouche et empêche de tomber les plus petites LÉPIDOPTÈRES. 257 parcelles de feuilles. Enfin, dans l'espace compris entre les deux mâchoires, est une lèvre inférieure, qui complète en dessous la clôture de la bouche. A l'extrémité de cette pièce, on remarque un petit prolongement, une sorte de papille percée d'un trou ; ce trou est l'oritice qui donne issue au lîl soyeux. Les organes qui servent à l'élaboration et à l'émission de la soie sont pour nous d'un intérêt particulier. Si l'on dissèque un ver à soie sous l'eau, on parvient bientôt, après avoir écarté d'uutres parties, à mettre à découvert un dou- ble appareil, couché des deux côtés du canal intestinal et au- dessous de ce canal. C'est l'appareil sécréteur de la soie; c'est la double glande sèricipare. Chacune de ces glandes se compose d'un tube formé de trois parties distinctes {iig. 230). La partie qui se trouve la plus rap- prochée de la queue du ver est une sorte de tube flexueux ABC, d'un millimètre de diamètre et de vingt-sept centimètres de lon- gueur, contourné un grand nombre de fois en zigzags arrondis et sans ordre. Cette partie de l'organe soyeux se continue en un renflement D E, qui est le ré- servoir de la matière soyeuse. A l'extrémité E de ce réservoir s'ajuste un nouveau tube capil- laire E F. Ces deux tubes capillaires, venant des deux glandes, se réunissent comme deux troncs vei- neux, ainsi que le montre la figure, en un ca- nal unique, court, F, qui s'ouvre dans la bou- che du ver, à sa lèvre inférieure. C'est dans les tubes grêles postérieurs que se forme la matière soyeuse. Elle se rassemble dans la partie renflée D E, qui est le réservoir proprement dit. Elle existe là à l'état gélati- neux. Parvenue dans les tubes capillaires, elle commence à prendre de la consistance ; elle forme deux fils qui se soudent au point de jonction des tubes et sortent par l'orifice soyeux , avec l'apparence d'un fil simple , pour être conduits et dirigés par l'animal sur les points qu'il a choisis. On avait espéré qu'en prenant dans le corps du ver la matière visqueuse contenue dans les "glandes, on parviendrait à faire de là soie; mais cet espoir a été déçu, On a pu, il est vrai, amener de 17 Fig. no. Appareil sécréteur de la soie. 258 LES INSECTES. la soie au dehors ; on a pu l'étirer en fils plus ou moins déliés ; mais on n'a obtenu ainsi qu'une matière qui, desséchée, ressemble plus ou moins à de la corde à boyau, et se laisse attaquer assez rapidement par l'eau. Ce n'est pas de la soie. La substance visqueuse contenue dans les glandes a donc besoin d'être travaillée par l'insecte lui-même. Lorsqu'elle arrive dans le conduit commun des deux tubes capillaires, sous la forme de fils, ces fils sont imprégnés en ce point d'une sorte de vernis qui est versé par deux petites glandes voisines. Le vernis réunit les deux en un seul, et donne à ce fil le brillant de la soie et la propi-iété de résister à l'action de l'eau. C'est pendant les dernières phases du développement du ver que la matière soyeuse devient abondante dans les glandes. A cette époque, l'animal mange beaucoup, et il est certain que la substance qui sera convertie est fournie par la feuille de mûrier dont l'in- secte se nourrit. Comme conséquence de cette remarque, il s'est trouvé des in- dustriels qui ont voulu retirer directement de la soie de la feuille du mûrier, mais on n'a obtenu ainsi qu'une mauvaise filasse. C'est que la soie n'est pas, tant s'en faut, toute formée dans la feuille du mûrier. Les organes des insectes sont des laboratoires vivants f: Fig. 231. Tête du ver Fig. 232. Position à soie pendant la mue. du ver à soie pendant la mue. OÙ se font des manipulations inconnues à l'homme et qu'il ne sau- rait reproduire. Après ce coup d'œil rapide jeté sur les parties fondamentales de l'organisme du ver à soie, nous allons successivement nous occu- per de l'histoire naturelle proprement dite de cet insecte, et de son éducation, faite en vue de la production de la soie. Pour répondre à la première partie de ce programme, nous avons à parler de la mue, des âgzs du ver à soie, de sa maturité, de sa monlée, de la formation du cocon, de la chrysalide, du pa- pillon et des œufs. On donne le nom de mue à une sorte de crise pendant laquelle a LÉPIDOPTÈRES. 259 lieu le renouvellement de la peau du ver à soie. Quand elle ap- proche, le ver à soie change de couleur : sa robe, qui était blan- che ou grise et opaque, devient jaune et plus transparente. La tète se tuméfie considéra])lement, surtout en dessus; la peau se plisse et se ride (fig. 231). Le ver se met volontairement à la diète; il se prépare à son dépouillement. Il pose çà et là des fils de soie sur les corps environnants; il se glisse sous ces fils, afin que pendant ses mouvements la vieille peau qu'il abandonnera se trouve pour ainsi dire ramassée. Puis il prend une position particulière, celle qui est représentée dans la figure 232, et y demeure dans un état d'immobilité auquel on a donné le nom de sommeil. C'est pendant ce sommeil que la nouvelle peau se forme sous l'ancienne. Il s'opère entre les deux membranes le suintement d'un liquide qui les sépare et permet au ver de quitter son ancien vêtement. Pour y arriver, le ver commence par lever la tête et par faire des contorsions. L'ancienne peau se fend autour du museau, sur la tête et dans le dos; puis, par divers mouvements, l'animal sort de sa peau, qui demeure retenue par les fils de soie. La durée de la mue varie avec le degré de clialeur ou d'humi- dité; mais, en général, l'état de sommeil dure de douze à vingt- quatre heures. Une heure après la crise , le ver recommence à manger. Les âges du ver à soie sont les périodes de temps qui s'écoulent d'une mue à l'autre. Si l'on considère une éducation dans une bonne condition de température , on observera quatre mues , par conséquent cinq âges. Au premier âge (fig. 233), le ver à soie du mûrier est noir, poilu; puis de couleur noisette, au moment où va ^^ s'opérer la première mue. « L'aspect de ces vers réunis sur une feuille , dit Dan- ^^.^ ^^^ dolo, est celui d'une superficie lanugineuse, de couleur châtain premier' âge. foncé, au milieu de laquelle on ne voit qu'un moment de petits animaux ayant la tète levée, la remuant, et présentant un museau noir, lui- sant. Leur corps est tout couvert de poils rangés en ligne, entre les- quels on aperçoit dans toute la longueur du corps d'autres poils plus longs'. » Le premier âge dure cinq jours. Au second âge (fig. 234), le ver paraît gris, presque sans duvet, 1. VArt d'élever les Vers à soie, par le comte Dandolo. la-S", 2' édition. Lyon, 1825. 260 LES INSECTES. puis blanc jaunâtre, et on voit se dessiner les croissants sur le second et le cinquième anneau de l'abdomen. Au troisième âge (lîg. 235), il n'y a plus aucun poil, et le ver devient d'un blanc terne qui va toujours s'éclaircissant. Le troisième âge dure six jours, ainsi que le quatrième âge (fig. 236). Au cinquième âge (fig. 237) , le ver est arrivé très-près du Fig. 234. Deuxième âge. -Sê«^«^ Fig. 235. Troisième âge. terme de sa carrière à l'état de chenille, et c'est alors le temps de sa plus grande voracité. Cet âge est le plus long ; il dure neuf jours. A chacune de ces périodes de la vie du ver à soie, on remarque Fig. 237. Cinquième âge du ver à soie. un pliénomène physiologique auquel on a donné le nom de frèze. Quand le ver â soie vient de muer, il mange peu. Mais il arrive bientôt un moment où il dévore la feuille de mûrier avec une avidité extraordinaire. Il est vraiment insatiable. La frèze du der- nier âge porte le nom de grande frèze; elle arrive vers le septième jour. Pendant cette journée, les vers issus de trente grammes de graines consomment, en poids, autant que quatre chevaux, et le bruit que font leurs petites mâchoires ressemble à celui d'une grande averse de pluie. C'est à la fin du cinquième âge que l'insecte se prépare Tabri au sein duquel doit s'opérer sa métamorphose en chrysa- lide. Peu de temps avant, il cesse de manger; il jaunit et devient LÉPIDOPTÈRES. 261 transparent comme un grain de raisin : aussi dit-on qu'il a alors atteint sa maturité. Jusque-là, le ver n'a jamais essayé de quitter sa litière ; il vivait sédentaire et ne pensait point à s'écarter de sa salle à manger, abondamment fournie. Maintenant, il est pris comme d'un besoin impérieux de déplacement : il lève , il dode- line , il promène sa petite tête dans tous les sens , pour chercher des points d'appui ; il chemine sur tous les corps qu'il peut at- teindre , particulièrement sur ceux qui sont posés verticalement. Il aspire , non à descendre , comme le héros de la tragédie clas- sique, mais à s'élever, à monter. C'est pour cela que cette période de la vie du ver à soie a reçu le nom de montée. Avant de construire son cocon, l'insecte commence par expulser de son corps tout ce qui devient inutile à ses nouvelles fonctions. Il rend un dernier excrément, plus mou, plus vert, plus volumi- neux que celui qu'il rend d'ordinaire, accompagné de plusieurs gouttes d'un liquide blanc, clair et ammoniacal. On dit alors et avec raison que le ver à soie se vide. Il cherche ensuite une place convenable pour l'établissement de son cocon. Tout le monde a remarqué comment l'animal s"y prend pour accomplir son travail. Il commence par jeter de divers côtés des fils destinés à fixer le cocon; c'est ce que nous appelons la bourre de soie. L'espace convenable étant circonscrit au moyen de cette bourre, le ver commence à dérouler son fil, — un fil continu de mille mètres de longueur environ. On a calculé, disons-le en passant, que quarante mille cocons suffiraient pour entourer d'un fil de soie le globe terrestre à son équateur. Replié sur lui-même à peu près comme un fer à cheval, le dos en dedans, les pattes en dehors, le ver dispose son fil tout autour de son corps en décrivant avec sa tête des tours ovales. Il rap- proche de plus en plus les points d'attache. Tant que la paroi du cocon n'est pas bien épaisse, on le voit au travers des mailles du tissu appliquant et fixant son fil , encore à un certain degré de mollesse , de façon à lui faire contracter une adhérence intime avec les parties déjà établies. « On a pu constater, dit M. Robinet, que le ver à soie fait environ par seconde un mouvement d'une étendue de cinq millimètres à peu près. La longueur des fils étant connue, il en résulte que le ver fait trois cent mille mouvements de tête pour former son cocon. S'il emploie soixante-douze heures à ce travail, c'est cent mille mouvements par vingt-quatre heures, 262 LES INSECTES. quatre mille cent soixante-six par heure et soixante-neuf par minute, c'est- à-dire un peu plus d'un par seconde ' . » Le quatrième jour environ, après avoir déposé toute sa soie, le ver renfermé dans le cocon est devenu d'un blanc cireux. Il est tuméfié dans sa partie moyenne. Les pattes abdominales se flétris- sent; les six pattes antérieures se rapprochent et noircissent; les parties de la bouche se portent en dessous, la peau se ride. Bien- tôt elle se détache et se trouve refoulée vers la partie posté- rieure. La chrysalide paraît sous les déchirures de cette peau. Elle est d'abord blanche, puis devient rapidement d'un rouge brun. Le ver à soie reste, en général, quinze à dix-sept jours à l'état de chrysalide. Au moment de l'éclosion, le papillon commence par rompre la pellicule dans laquelle il est renfermé et qui est assez mince. Mais comment pourra-t-il sortir de la prison soyeuse qu'il s'est construite lui-même ? Il fait usage pour cela d'une liqueur par- ticulière, contenue dans une vésicule dont sa tête est munie, et qui a été découverte par M. Guérin-Méneville. Il humecte les parois du cocon avec cette liqueur; il en imbibe et en pénètre toute l'épaisseur de ces parois. Les fils de soie qui les composent sont ramollis, décollés, disjoints, mais non rompus. Le papillon se fraye un passage au travers de ces fils écartés et il paraît au jour. Ses ailes sont repliées sur elles-mêmes, et il est encore tout mouillé. Mais il cherche aussitôt une bonne place pour se sécher, et prend en peu de temps son aspect définitif (fig. 238). La femelle (fig. 239) a les ailes blanches, les antennes peu dé- veloppées et pâles, le ventre volumineux, cylindrique et bien rempli. Elle est calme, lourde, stationnaire. Le mâle est plus petit ; ses ailes sont nuancées de gris, ses antennes noirâtres ; il s'agite, il bat des ailes, il est vif et pétulant. Après l'accouplement, la femelle cherche une place convenable pour pondre. Quand elle a trouvé cette place, elle expulse un œuf enduit d'un liquide visqueux, qui le fait adhérer au corps qui le reçoit. Bientôt elle dépose un second œuf à côté du pre- mier, puis un troisième à côté du second, et ainsi de suite. Il est très-rare qu'elle les entasse l'un sur l'autre. 1. Manuel de l'éducateur du Ver à soie, page 37. LÉPIDOPTÈRES. 263 La ponte dure trois jours environ. Le nombre des œufs est de 300 à 700 par femelle. Ces œufs sont généralement lenticu- laires et déprimés vers le centre. Au moment de leur expulsion. ;. 238. Papillon de ver à soie mâle. ils sont d'un jaune jonquille. Au bout de huit jours, ils devien- nent bruns. La couleur passe ensuite au gris roussâtre; enfin elle devient gris d'ardoise. Cette teinte persiste pendant l'automne , Fig. 239. Papillon de ver à soie femelle. l'hiver et une grande partie du printemps. Alors et à mesure que la température s'élève, la couleur des œufs passe successivement par les tons suivants : bleuâtre, violet, cendré, jaunâtre. Enfin ils blanchissent de plus en plus lorsque l'éclosion est prochaine. Cependant, en y regardant de plus près, on remarque dans cet œuf un point noir et un croissant brunâtre, qui s'étend à son pourtour. Le point noir est la tête du ver qui touche immédiate- ment la coquille. Le croissant est le corps du ver qui est déjà couvert de petits poils. Lorsqu'il veut sortir de l'œuf, le ver à soie ronge la coquille sur le côté, jamais sur sa face plate. Quand l'ouverture est assez grande, il la franchit, la tête en avant, et fixe immédiatement un fil de soie au corps qu'il peut atteindre, sans doute pour ne pas 264 LES INSECTES. tomber. Quelquefois l'ouverture est trop petite pour donner pas- sage à la tête, et le malheureux est forcé de sortir à reculons, c'est-à-dire par la queue. Sa tête d'autres fois ne peut se dégager, et le pauvre animal meurt bientôt de fatigue et de faim. Nous donnerons maintenant une idée sommaire de l'éducation du ver à soie, c'est-à-dire des soins qu'il faut donner à cet in- secte, pour l'amener à former son cocon dans de bonnes condi- tions. Nous nous aiderons, pour cet aperçu très-rapide, des ou- vrages ou notices de MM. Robinet, Guérin-Méneville et Eugène Robert, Louis Leclerc, et sans oublier l'excellent et classique Dandolo^ Quand on veut élever des vers à soie, des magnans comme on les nommait dans le vieux français, et comme on les nomme en- core en patois languedocien, la première chose à faire, c'est de se procurer de bons œufs, de la bonne graine, suivant l'expression des ateliers, et de choisir ensuite un local convenable. Le principe essentiel, fondamental, de cette éducation, c'est de posséder un local dans lequel l'air se renouvelle facilement. Il faut donner aux vers le plus d'air possible, sans jamais les re- froidir. Il n'y a pas de meilleur moyen pour atteindre ce but, que de faire un feu continuel de cheminée, dans une pièce, en faisant arriver dans cette pièce l'air d'une autre chambre qui la sépare de l'extérieur. On a, de cette façon, le meilleur atelier pour une petite éducation. On dispose dans l'atelier plusieurs rangées de pièces de bois légères, à l'aide desquelles on place, à la distance de 50 centimè- tres l'un de l'autre, des châssis faits avec des roseaux. Ces châssis, ou canisses, comme on les nomme dans les Gévennes, peuvent avoir de 1°\75 à 1'" de large. Ils doivent être placés de manière qu'on puisse aisément circuler à l'entour, pour placer et déplacer les vers, et leur distribuer uniformément la feuille. Ils doivent être munis d'un rebord de quelques centimètres de hauteur, pour em- pêcher les vers de tomber. Enfin on les recouvre, au fond, de grandes feuilles de papier. Un magnanier prévoyant a toujours à sa disposition une cave 1. L'Art d'élever les Vers à soie, par le comte de Dandolo, traduit par Philibert Fontaneilles. In-S", Lyon, 1825. — Robinet : Manuel de l'éducation des Vers à soie. In-8° Paris. — Guérin-Méneville et Eugène Robert : Manuel de l'édtication des Vers à soie. In-18, Paris. —Louis Leclerc : Petite Magnanerie. In-lS, Paris. LÉPIDOPTÈRES. 267 ou une salle fraîche, afin d'y déposer la feuille à mesure qu'on l'apporte de la campagne. Ce que nous venons de dire s'applique spécialement à une petite éducation. Dans les grands ateliers, ou dans les ateliers d'importance moyenne, toute chose est d'avance et mathémati- quement réglée : exposition et disposition des pièces, et ameuble- ment de ces pièces, chauffage, aération. Ainsi, pour une magna- nerie de 300 grammes d'œufs, le bâtiment doit être construit de manière que les deux grandes faces regardent l'est et l'ouest, pour éviter les inégalités d'échauffement par le soleil. Il doit se com- poser d'un rez-de-chaussée, d'un premier étage très-élevé et d'un comble peu considérable. Lerez-de-chausée comprend la chambre d'incubation, le magasin aux feuilles, la chambre d'air avec le poêle destiné au chauffage et à l'aération. Le premier étage forme la magnanerie proprement dite. Mais laissons ces grandes exploitations industrielles, pour re- venir à notre petite éducation, telle qu'elle se fait chez les paysans des Cévennes (fig. 240). On reçoit ordinairement la graine de vers à soie avant la fin de l'hiver. Pour la conserver jusqu'au moment de l'éclosion, il faut la placer en couches minces, dans un morceau d'étoffe de laine plié, que l'on suspend dans un lieu frais, mais non humide, ex- posé au nord. Dès que les bourgeons des mûriers commencent à s'entr ouvrir, il faut procéder au travail de l'incubation des œufs de vers à soie. On étend les œufs sur des feuilles de papier, en couches très- minces, que Ton place sur une table dans une chambre exposée au midi. On les laisse ainsi pendant trois ou quatre jours, en ayant soin d'éviter que les rayons du soleil ne viennent les tou- cher. Il faut aussi ouvrir de temps en temps les fenêtres. Au bout de trois ou quatre jours, on allume le feu de la che- minée, de manière à ne pas avoir plus de 13*' centigrades de cha- leur autour de la table qui porte les graines et qui doit être placée aussi loin que possible de la cheminée. Chaque jour, on chauffe un peu plus, de manière que la température s'élève de 1" à 2° par jour, tant qu'on n'a pas atteint le chiffre de 25" centi- grades, température qu'on maintiendra, une fois arrivé au dernier âge, et jusqu'à ce que l'éclosion soit terminée. Le premier jour peu de vers éclosent. Mais l'éclosion du second jour est très abondante, ainsi que celle du troisième. 268 LES INSECTES. De ces vers nouveau-nés, on fait deux catégories, ou divisions, séparées par un intervalle de vingt-quatre heures. On jette ordi- nairement les vers qui naissent ensuite, à moins qu'ils ne soient si abondants qu'on en puisse faire une troisième catégorie, que l'on fusionnera avec la seconde, à l'époque de la mue. Dans les grandes magnaneries, il y a une chambre spéciale pour l'incubation. On a proposé pour la petite magnanerie divers appareils simples, commodes, peu coûteux, dont le principe fon- damental est de créer une atmosphère permanente, chaude et humide et dont le degré de chaleur puisse se régler à volonté. M. Louis Leclerc, dans sa notice intitulée Petite Magnanerie, a donné la description et la figure d'une petite boîte fort commode pour faciliter l'éclosion des graines. Nous renvoyons à cet ouvrage pour connaître la disposition de cet appareil d'incubation. Lorsque les vers viennent d'éclore, on recouvre les œufs de filasse ou de tulle, et l'on place par-dessus quelques rameaux de mûriers, munis de feuilles tendres, sur lesquels les petits vers se réunissent tous. On enlève ensuite ces rameaux avec un crochet en fil de fer mince, et on place les vers sur une table garnie de papier, en les espaçant convenablement. On donne un premier repas, des feuilles tendres, que l'on a coupées en menus morceaux, à l'aide d'un couteau. C'est ainsi qu'on opère pour les deux levées de vers, faites le deuxième et le troisième jour de l'éclosion. Dans ce premier âge, on donne aux vers six à huit repas par jour, en ayant soin de leur distribuer la nourriture le plus également possible. Le premier repas a lieu à cinq heures du matin, le dernier à onze heures ou minuit. Lorsqu'on s'aperçoit que la mue approche, il faut faire monter les jeunes sur les rameaux de feuilles tendres, de manière qu'ils puissent être transportés sur des litières aussi minces et aussi propres que possible, et s'y endormir dans de bonnes conditions de salubrité. Quand la masse des vers est bien réveillée, il s'agit de les en- lever de la litière sur laquelle ils ont mué et de leur donner à manger. Si Ton posait à une personne étrangère à l'industrie qui nous occupe, ce problème : séparer les vers de la litière flétrie sur laquelle ils reposent sans les toucher, — cette personne serait certainement fort en peine. La solution de ce problème a présenté longtemps de grandes difficultés, et occasionné de nombreux re- vers dans les éducations. Aujourd'hui, grâce à l'emploi du filet, LÉPIDOPTÈRES. 269 le délilement est devenu une opération facile , sûre et peu coû- teuse. Sur les vers qui garnissent une table, on étend un filet, dont les mailles sont assez larges pour que les vers puissent les tra- verser. Sur ce filet, on répand les feuilles qui doivent composer 'V-^ Fig. 241. Filet losange. Fig. 2()2. Filet carré. un repas. Les vers quittent aussitôt la vieille litière, et montent sur la feuille nouvelle. On enlève alors le filet avec les vers, et l'on jette la vieille feuille devenue libre. On nettoie la table^et on replace le filet avec les vers. Au délitement suivant on retrouve le premier filet sous la litière. Les figures 'zkl et 242 représentent deux formes de ces filets. qui sont tressés en fil. Les filets de fil, qui ont rendu de grands services, ont été rem- placés, dans ces derniers temps, avec un véritable avantage, par des filets de papier, imaginés par M. Eugène Piobert, Ce sont des feuilles de papier, d'une fabrication spéciale, percées de trous, proportionnés à la taille des vers qui doivent les traverser. Ce même papier-filet peut réussir aussi à éclaircir les vers trop rapprochés, ou, comme on dit encore, à les dédoubler. Anciennement on dclUait et on dédoublait à la main, travail pé- nible et qui présentait de graves inconvénients. Aujourd'hui, comme on vient de le voir, les vers se chargent eux-mêmes de ces deux périlleuses opérations. Au second âge, on coupe encore la feuille aux vers, mais en morceaux moins menus et proportionnés à leur grosseur. Pendant la journée, la température de la chambre doit être 270 LES INSECTES, maintenue à 21" centigrades. Mais elle peut descendre de 1 ou 2" pendant la nuit. Vers la fin de cet âge, on ne donne que quatre repas. Lorsque les vers sont sur le point de s'endormir, on leur donne des repas de plus en plus légers. Pendant le troisième âge, le nom])re des repas est maintenu à quatre, le premier étant donné vers cinq heures du matin et le dernier entre dix et onze heures du soir. La feuille est coupée en morceaux beaucoup plus gros et distribuée le plus également possible. On procède au délitement et au dédoublement, comme dans l'âge précédent. On commence assez souvent à trouver, pendant cette période de la vie des vers, des luiseites, c'est-à-dire des vers qui n'ont pas eu la force de muer. Ils sont plus gros ({ue les vers qui vien- nent de se réveiller, et qui n'ont pas encore mangé ; ils devien- nent de plus en plus luisants. Il faut les enlever avec soin, car ils ne tarderaient pas à périr, et à infecter l'atelier. Pendant le quatrième âge, on ne coupe plus les feuilles du mû- rier. On en donne aussi aux vers beaucoup plus à la fois. Il ré- .sulte de là que les litières s'épaississent et qu'il faut déliter plus souvent. Au reste quatre repas sont toujours nécessaires. On ob- serve assez souvent des luiseites pendant le quatrième âge. La mue qui suit le quatrième âge est la phase la plus critique de la vie des vers à soie. Pendant leur sommeil on les voit en proie à une vive souffrance ; ils sont plongés dans un état lé- thargique, qui ressemble à la mort. Les litières les plus sèches et les plus propres répandent bientôt une odeur nauséabonde. Cette mue dure de trente-six à quarante-huit heures. Pendant ce temps l'atelier doit être maintenu au moins à 2-2'' centigrades. Quand les vers sont sortis de ce dernier sommeil, le magna- nier doit toujours être sur ses gardes. C'est alors, en effet, que les maladies se déclarent. Les vers en proie à ces diverses maladies ont reçu différents noms. Il y a, outre les luisettes, les arpians, c'est-à-dire les vers qui ont dépensé toute leur énergie dans le travail de la dernière mue et n'ont pas même la force de manger ; — les jaunes ou gras^ qui sont gonflés, jaunâtres et se crèvent facilement; — les flats ou mous, qui, après avoir bien mangé et bien grossi, meurent mi- sérablement et entrent en putréfaction. Enfin c'est à cet âge que la muscardine, qu'on a à peine entrevue dans les autres âges, peut apparaître avec une grande intensité. LÉPIDOPTÈRES. 271 La muscardine est un fléau redoutable pour les éducateurs. On estime à un sixième au moins des })roduits annuels les i)ertes qui en résultent pour les éducateurs français. Aucun symptôme parti- culier ne permet de reconnaître l'existence de cette maladie sur des vers qui en contiennent cependant le germe. Seulement le ver, qui a mangé jusque-là comme à l'ordinaire, paraît presque tout d'un coup d'un blanc plus mat; ses mouvements se ralentissent; il devient mou et ne tarde pas à mourir. Sept à huit heures après la mort, il est devenu rougeàtre et complètement rigide, A'ingt-quatre heures après, une efflorescence blanche se mani- feste autour du museau et des anneaux. Bientôt tout le corps est farineux. Cette farine n'est autre chose qu'un champignon qui se nomme Botrytis Bassiana, dont le mycélium se développe dans le tissu graisseux de la chenille, envahit l'intestin et vient fructifier à l'extérieur. On a considéré ce champignon comme la cause immédiate de la muscardine. Cette végétation cryptogamique a été regardée aussi comme le symptôme ultime ou la terminaison du mal. On a tour à tour admis et nié la communication de la maladie par voie de contagion. Comme la véritable cause de ce mal et les moyens efficaces de le combattre sont encore inconnus, il faut se borner à appliquer dans les magnaneries, pour prévenir ou combattre ce redoutable fléau, les préceptes de l'hygiène : une bonne aération, une pro- preté excessive, des délitements fréquents, et une bonne nourriture convenablement préparée. Après la muscardine, il faut mentionner une autre maladie épi- démique plus terrible encore : la gattine. Cette maladie se montre dès le début de l'éducation, et augmente d'intensité à chaque âge, de manière que le nombre des vers pouvant entrer régulièrement en mue est de plus en plus petit. Nous sommes encore dans une ignorance absolue sur la cause de cette dernière affection, qui a occasionné, depuis dix ans, des pertes incalculables dans nos magnaneries, qui menace nos races de vers à soie d une destruction complète, et qui, en attendant, a ruiné nos malheureuses contrées des Cévennes, siège principal de la sé- riciculture en France. Pendant le cinquième âge, les vers grossissent tellement vite qu'au cinquième ou sixième jour il faut les dédoubler sur la litière. On délite tous les deux jours ou même tous les jours, à cause de 272 LES INSECTES. la quantité énorme des déjections des vers. En même temps, on pratique sans relâche une bonne ventilation. ^ La température de l'atelier doit alors être maintenue à 24°, sans jamais dépasser ce degré de chaleur. Lorsqu'on s'aperçoit que les vers veulent monter, on place sur les ta])les, de distance en dis- tance, de petits brins de bruyère, ou des brancliages de bois léger bien secs. Quand les vers commencent à monter dans la bruyère, il faut encahantr, c'est-à-dire former avec ces branchages de petites haies Fig. 243 Rameaux de bruyère disposés pour la re ii.oiiter les vers à soie. recourbées en cabane ou en berceau de cinquante centimètres d'ou- verture en moyenne (lîg. 243;. Au bout de vingt-quatre heures, Fig. 244. Cocon étranglé de Bombyx Mori. Fig. 245. Cocon sphérique de Bomby.\ Mori tous les bons vers sont montés. Les traînards qui restent sous les cabanes sont enlevés à la main, et placés sur une table, que l'on encabane aussitôt. Les cocons que le ver à soie a (ilés sur ces branches de bruyère LÉPIDOPTÈRES. 273 doivent être gros, lourds et bien conformés. Les bons cocons sont réguliers. Leurs bouts sont arrondis et non percés. Ils sont durs surtout aux extrémités. Ils ont un grain lin. Ils sont cylindriques. Les meilleurs sont étranglés vers le milieu (fig. 244 et 245). Cha- Fig. 246. Ver à soie à ses divers états (chenille, chrysalide et papillon). cun sait qu'il existe des cocons blancs et des cocons jaunes, Ils proviennent de différentes races de vers. On distingue dans le commerce deux espèces de soies blanches : celles de premier blanc et celles, de second blanc. La soie de premier blanc est produite par la race Sina, dont les cocons sont d'une blancheur parfaite et azurée. Ils donnent la soie 18 274 LES INSECTES. la plus belle et la plus précieuse. Elle sert à fabriquer les blondes et quelques autres tissus aux couleurs tendres. La soie de deuxième blanc est fournie par deux races : VEspagno- let et le Roquemaure. Les races à cocons jaunes sont plus nombreuses que celles à cocons blancs. On distingue trois groupes de races jaunes : celui à petits cocons, celui à cocons moyens, enfin celui à gros cocons. Le premier et le second sont plus robustes et plus estimés que les derniers. Le plus grand nombre des races de vers à soie ont, disons- nous, des cocons blancs et jaunes ; il en est pourtant dont le cocon est blanc verdàtre, ou même tout à fait vert, ou jaune roussâtre. Une race élevée en Toscane, près de Pistoie, a des co- cons d'un rose pâle. On a mentionné enfin des cocons de couleur pourpre. Quand les cocons sont achevés , les éducateurs les séparent de la bruyère et les vendent aux filateurs de soie. Mais ils doi- vent mettre ces cocons en état de se conserver intacts pendant un temps plus oi. moins long. Il faut, en d'autres termes, tuer les chrysalides, pour prévenir le percement des cocons par le pa- pillon. Tuer les chrysalides afin de prévenir le développement du pa- pillon est une opération qui porte le nom à'étouffage. Pour étouffer les cocons, on les expose à une chaleur élevée. Autrefois, dans les Cévennes, on plaçait les cocons dans un four de boulanger, chauffé pour la cuisson du pain. Mais on était exposé à brûler des cocons, ou à laisser la vie sauve à un certain nom- bre de chrysalides. Aujourd'hui on fait usage, pour tuer les chry- salides, de la vapeur à 100" produite par l'eau mise en ébullition dans un bassin, et qui traverse des corbeilles dosier garnies de cocons. La figure 247 représente l'appareil le plus en usage dans les Cévennes pour Vélouffage des cocons au moyen de la vapeur de l'eau bouillante. L'éducateur doit aussi se préoccuper de séparer, dans sa récolte, les cocons qui serviront à préparer la provision d'œufs pour l'an- née suivante. Comme les cocons femelles ont plus de poids que les cocons mâles, on fait aisément ce triage avec la balance. Pour recueillir ces œufs, ou la graine, on fixe les cocons sur des feuilles de papier gris collé, recouvertes d'une légère couche de colle de farine. Ils sont rangés de manière que les papillons LÉPIDOPTÈRES. 275 ne trouvent pas d'obstacle quand ils sortent, la tète la première ; et que, d'autre part, ils puissent atteindre avec leurs pattes le t'^J^-r^Tt" Fig. 247. Appareil pour l'utouffage -des cocons. cocon qui se trouve en face d'eux pour s y accrocher et faciliter leur sortie (fig. 248). cMtiiïuiiuiLaiiu^ 11, , ) ilXuaXlLULliXLLlJULl , uimiiÂiuwiiiiiL iiikiiiiiiiwujiWJu , iUliÂlXiUWULLkJiW f ! I ClLiUllUXUÀUlUX \J'^^ — - -- ^ Fig. 248. Feuilles de papier avec rangées de cocons préparées pour rccueiltii le papillon destiné au yrainage. On colle sur des feuilles séparées les cocons mâles et les cocons femelles. . C'est quinze à vingt jours après la montée et lorsque la tempe- 276 LES INSECTES. rature des chambres a été maintenue entre 20 et 25", que les pa- pillons commencent à éclore. A mesure qu'ils paraissent, on les saisit par les ailes et on les pose sur des toiles tendues où on les laisse une heure environ, jusqu'à ce que leurs ailes soient retom- bées à plat sur leur corps. Dès que les papillons ont évacué une liqueur rousse, on rap- yjroche les mâles des femelles, jusque-là séparés. Après l'accouplement, on les sépare de nouveau. On attache des feuilles de papier sur des claies, en mettant vingt-cinq à trente femelles sur chaque feuille (fig. 249). C'est là qu'elles pondent. Fig. 249. Feuilles de papier attachées sur des claies et inclinées pour recevoir les papillons. On suspend ensuite les feuilles de papier garnies d'œufs sur des fils de fer, à peu de distance du plafond d une pièce exposée au nord, qu'on ne chauffe jamais. Les œufs restent ainsi exposés à toutes les variations de la température, jusqu'au retour de la belle saison. Nous dirons un mot, pour terminer ce sujet, du dévidage des cocons et de la filature de la soie. Le dévidage des cocons est une opération qui, au premier abord, paraît fort simple, mais qui ne laisse pas d'élre difficile et délicate. Elle demande une attention soutenue, une grande ex- périence et une délicatesse de tact qu'on ne saurait trouver que dans les doigts de la femme, et même dans ceux de certaines femmes. La fileuse s'établit devant une sorte de métier, qu'on nomme tour (fig. 250). Sous sa main est une bassine contenant de l'eau, LÉPIDOPTÈRES. 279 ([u'oUe échauffe au degré voulu, en ouvrant le robinet d'un tube, qui apporte un courant de vapeur. Elle plonge les cocons dans l'eau chaude, et les y agite, pour ramollir la substance gommeuse qui ai dutine entre eux les fils de soie du cocon. Ensuite elle les bat, d'une main légère, avec un petit balai de bouleau. Les fils Fig. 251. Olivier de Serres. des cocons s'accrochent à l'extrémité des brindilles du petit balai. jusqu'à ce qu'elle s'aperçoive qu'ils sont tous simples et propres à être associés entre eux. Supposons que louvrière veuille maintenant composer un brin en collant et unissant ensemble les bouts de cinq cocons. Elle 280 LES INSECTES. choisit cinq bouts dans la masse, en fait un faisceau et l'introduit dans le trou d'une filière. Elle fait deux brins à la fois, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche. Elle rapproche ensuite les deux brins, elle les croise, les roule, et les tord l'un sur l'autre à plusieurs tours ; après quoi, elle les sépare du haut et les maintient bien écartés, en les faisant passer chacun dans un crochet, d'où ils vont, au loin, s'enrouler en écheveau, à part, sur une roue. Les deux fils ainsi tordus se serrent, se compriment, n'en font qu'un et s'arrondissent en roulant l'un sur l'autre, en allant toujours, attirés qu'ils sont par le mouvement rapide de la roue. La difficulté que présente le dévidage du fil de soie du cocon fait comprendre celles qu'ont dû éprouver les industriels qui, de nos jours, ont essayé de retirer de la tige du mûrier une sorte de iilasse de soie. Nous n'entrerons pas dans le détail des tentatives qui ont été faites dans ce but, à notre époque, et qui n'ont d'ail- leurs été couronnées d'aucun succès. Nous nous bornerons à rap- peler que ces tentatives sont loin d'être récentes , puisqu'elles remontent à Olivier de Serres, le père de la sériciculture française. Dans un opuscule publié par Olivier de Serres, en 1603, sous le titre de Cueillette de la soie, on lit un mémoire intitulé : La se- conde richesse du Mûrier qui se trouve en son escorce, pour en faire des toiles de toute sorte, non moins utile que la soie provenant d'icelui. Oli- vier de Serres prouve dans ce mémoire que la seconde écorce ou le liber du mûrier contient une filasse propre à remplacer le chan- vre ou le lin, et il donne les procédés qui permettent d'extraire cette filasse. Les procédés qui ont été proposés par Olivier de Serres, en 1603. ont été repris dans les Cévennes, il y a une dizaine d'années, par M. Duponchel d'une part, et d'autre part par M. Cabanis S qui a opéré avec lécorce au lieu de prendre le bois entier du mûrier. Mais aucun de ces essais n'a donné de bons résultats jusqu'à ce moment. Les diverses maladies qui, depuis quinze ans, ont si gravement atteint les vers à soie du mûrier, ont fait naitre la pensée d'ac- climater en Europe d'autres Bombyx sétifères, sinon comme ému- les au moins comme auxiliaires de celui du mûrier. C'est le genre Attacus qui a fourni ces auxiliaires. Parmi les espèces qui ont, sous ce rapport, le plus de droit à notre intérêt, il faut placer en première ligne celles qui se nour- 1. Voir notre Année scientifique, 7° année, page 432. LÉPIDOPTÈRES. 281 rissent des feuilles du cliène. En effet, les arbres qui pourraient se prêter à leur exploitation sont très-répandus chez nous, et de plus la soie provenant de ces vers paraît avoir des qualités supé- rieures. On connaît trois espèces d'Attacus qui mangent les feuilles du chêne. Ce sont VYama-Maï, le Pernyi et le Mylitla. La soie de VYama-Maï est aussi brillante que celle du mûrier, mais un peu moins tine et moins forte. Elle occupe le premier rang après celle-ci. Si on parvient à acclimater cette espèce d'Auacus, elle pourra suppléer à l'insuftisance de nos récoltes de soie or- dinaire. Les œufs de VAltacus Yama-Maï furent rapportés du Japon en 1862. Ce ver est, en effet, élevé au Japon, concurremment avec celui du mûrier. Les insectes éclos à Paris, en 1863. donnèrent des chenilles vertes, de grande taille, qui vivent quatre-vingt-deux jours et s'élèvent facilement. Leur cocon ressemble à celui du ver à soie du mûrier. Il est composé dune belle soie d'un blanc ar- genté dans ses couches internes, et d'un vert plus ou moins vif extérieurement. Le papillon est très-grand, très-beau, d'un jaune vif tirant un peu sur l'orangé. Nous représentons VAttacus Yama-Maï, l'un des vers à soie du ^ ~ s Fig. 252. Chenille du Bombyx ou Attacus Yama-Maï. chêne, d'après les planches qui accompagnent le mémoire de M. Guérin-Méneville*. 1. Sur le Ver à soie du Chêne et son introduction en Europe, in-8°. Extrait du Magasin de Zoologie, 1855, n" 6. 282 LES INSECTES. La figure 252 représente la chenille aux deux tiers de sa gran- deur naturelle; la figure 253, le cocon, dessiné à la même échelle, et la figure 254, le papillon qui sort de ce cocon. Fig. 253. Cocon du Bombyx ou Attacus Yama-Maï, M. Camille Personnat a publié, en 1866, une très-intéressante monographie de V Yama-Maï, qui sera consultée avec profit par les sériciculteurs et les naturahstes^ Fig. 254, Papillon de l'Attacus Yama-lNIaï, VAttacus Pernyi donne une soie remarquablement belle, fine, forte et brillante. Elle se laisse filer et teindre avec facilité. Les tissus obtenus participent à la fois de la soie ordinaire, de la laine 1, Le Ver à soie du Chêne {Bombyx Yama-Maï), son histoire, sa description , ses mœurs, in-S", avec planches coloriées, A Laval, à l'école de sériciculture. LÉPIDOPTÈRES. 283 et du coton. Cette espèce iVAitacus qui est élevée sur le chêne, en Mandchourie, a l'ait concevoir en France de grandes espérances. C'est à lExposition universelle de 1855 que l'on vit pour la Fig. 255, Papillon de l'Attacus Pernyi. première fois des cocons et des papillons de ce ver. Ils prove- naient d'une éducation faite par M. Jordan, de Lyon, à la suite dun envoi de cocons expédiés de la Chine par les missionnaires. Fig. 256. Cocon de l'Attacus Pernyi Il serait bien à désirer que cette espèce put s'acclimater sur no- tre sol. Les figures 255 et 256 représentent, d'après les planches du mémoire, déjà cité, de M. Guérin-Méneville, le cocon et le papil- lon de YAttacus Pernyi. La soie que donnent les cocons de YAttacus mylitta est peut- être supérieure à celle du Pernyi. Quand les cocons sont con- venablement préparés, ils se dévident d'un bout à l'autre avec facilité. Ce ver se rencontre dans plusieurs parties du Bengale et de Calcutta, et à Lahore. Sa soie est exportée en quantité considéra- 284 LES INSECTES. ble sous le nom de tussah. On en a fait, dans les Indes, des étoffes brunâtres, fermes et brillantes, qui servent pour vêtements d'été ou pour meubles. Les deux figures suivantes représentent le papillon et le cocon de VAttacus mylilta, d'après M. Guérin-Méneville. Fig. 2j:. Pdi-iillon de l'Attacus iiiylutii. En 1855, M. de Chavannes éleva cette espèce en plein air, près de Lausanne, en Suisse. Ces éducations en plein air réussirent Fig. 258. Cocon de r.\ltacus mylitta. parfaitement , sans dégénérescence , pendant plusieurs années. Cependant tout périt ensuite, par l'effet peut-être d'une différence trop grande dans les climats, ou par des accidents encore mal connus, qui sont propres même à nos papillons indigènes. Quoi qu'il en soit, cette espèce est une de celles dont on doit le plus désirer l'acclimatation chez nous, car elle pourrait rendre de grands services à l'industrie séricicole. Il nous reste à parler de deux autres espèces fort importantes, en ce que leur domestication en Europe est maintenant un fait LÉPIDOPTÈRES. 285 accompli. Nous voulons parler de TAttacus, ou Bombyx de l'Ai- lante et de celui du Ricin. Tout le monde a entendu parler du ver à soie de lAilante {Bombyx Cynlhia) , dont l'acclimatation chez nous est due aux admirables et persévérants efforts de M. Guérin-Méneville. Le ver de lAilante est originaire du Japon et du nord de la Chine. Il fut rapporté en 18b8 par le P. Annibale Fantoni, et en- voyé à M. Guérin-Méneville [)ar MM. Griseri et Colomba, de Turin. Il porte sur chaque anneau des points noirs. Quand il approche Fig. 259. Ver à soie de TAilanto (chenilles, cocons et œufs sur une branche d"Aiiante). de son entier développement, il est vert émeraude, avec la tète, les pattes et le dernier anneau d'un beau jaune d'or. On voit ce ver, à l'état adulte, dans la ligure 259. Sur la même figure sont la chenille et le cocon de ce même Atlacus. Le papillon a le ventre jaunâtre en dessus, avec de petites houppes blanches. Ses ailes sont traversées par une grande ligne blanciie, qui est suivie extérieurement d'une autre ligne d'un rose vif. et elles ofTrent quatre lunules. C'est en 1858 que M. Guérin-Méneville présenta à lAcadémie 286 LES INSECTES. des sciences de Paris les premiers papillons et les premiers œufs éclos en France de YAttacus cynthia. Ce savant entomologiste prouva bientôt après : 1° que les chenilles de cet insecte peuvent s'élever en plein air, et presque sans frais de main-d'œuvre ; 2° qu'ils peuvent donner deux récoltes par an, sous le climat de Paris et du nord de la France; ^^ que la culture de l'ailante, ou vernis du Japon, sur lequel vit cet insecte domestique, est facile dans les terrains les plus ingrats. M. Guérin-Méneville montrait encore que Vailantine, matière textile fournie par le cocon de Cynthia, est une bourre de soie ([ui tient le milieu entre la laine et la soie du mûrier; que, pro- duite presque sans frais, elle serait d'un très-bas prix et servirait à la fabrication des étoffes dites de fantaisie, où l'on fait usage de bourre de soie. En 1862 M. Guérin-Méneville adressa un rapport au ministre de l'agriculture sur les progrès de la culture de l'ailante et de l'éducation du Yer à soie que l'on élève en plein air sur cet arbre. Il mentionnait dans ce rapport le rapide développement de la cul- ture des allantes en France, le chiffre considérable de la vente des œufs du ver à soie de l'allante, la fondation d'une magnanerie modèle à A'incennes, et ce fait capital, qu'on avait trouvé le moyen de dévider les cocons du Cynthia en soie grége ou continue. Jusque-là l'industrie européenne n'avait pu retirer des cocons du ver de l'ailante qu'une bourre, composée de filaments plus ou moins courts, obtenue par le cardage, et ne pouvant donner, au moyen de la torsion, que de la filosellë, c'est-à-dire de la soie de rebut. C'est à Mme la comtesse de Yernède de Corneillan d"une part, et d'autre part à M. le docteur Forgemol, que revient le mérite d'avoir obtenu de la soie grége du cocon du Cynthia. Une monographie du ver à soie de l'ailante a paru en 1866. Elle a pour titre : i'Ailante et son Bombyx, par Henri Givelet^ C'est un exposé complet de tous les résultats obtenus jusqu'ici, tant pour l'éducation de ce ver à soie que pour la culture en grand de l'ailante, ou vernis du Japon. VAttacus du Ricin est une espèce très-voisine du ver de l'al- lante, peut-être même une simple race de ver. Il provient des Indes. La soie qu'il donne est, à très-peu de chose près, pareille, sous tous les rapports, à celle du Cynthia. 1. In-8° avec plans et planches coloriées. Paiis, 1866. LÉPIDOPTÈRES. 287 L'éducation de ce dernier ver ne saurait prendre une grande im- portance en France, en raison de la nécessité de renouveler chaque année les plantations du ricin. Elle pourrait cependant apporter un revenu de plus aux agriculteurs qui cultivent, dans nos provinces du midi de la France, le ricin, en vue de la vente de sa graine*, qui est d'un grand emploi en pharmacie. Le genre Attacus qui nous fournil tous ces précieux auxiliaires de ver à soie du mûrier contient, outre ces espèces sétifères, un assez grand nombre d'autres types, tant indigènes qu'exotiques, qui sont remar([ual)les par leur grande taille, et abondent dans nos climats. Le Grand Paon de nuit Tig. 260 est le plus grand papillon de Fig. 260. Grand Paon de nuit (chenille et papillon). l'Europe. Il ne dépasse guère la latitude de Paris. Ses ailes sont brunes, ondées et variées de gris. Elles offrent chacune un grand œil noir, entouré d'un cercle fauve, surmonté d'un demi-cercle blanc et d'un autre rougeâtre, et enfin complètement cerclé de 1. On peut consulter aussi sur le même sujet une brochure de M. Guérin-Méneville : Éducation des Vers à soie de l' Allante et du Ricin, in-12. Paris, 1860. 288 LES INSECTES. noir. « Ces phalènes, dit Geoffroy, sont fortes, grandes; elles ont l'air fourré et, quand elles volent, on est tenté de les prendre pour des oiseaux. » Le Grand Paon provient d'une chenille très-grande, qui est d'un Fig. 261. Petit Paon de nuit beau vert, avec des tubercules d'un bleu de turquoise, surmontés chacun de sept poils raides et divergents. Cette chenille vit prin- Fig. 262. Altacus atlas, cipalement sur l'orme, mais se nourrit aussi des feuilles du poi- rier, du prunier, etc. Elle file un cocon brun, formé d'une ma- tière soyeuse grossière très-résistante. LÉPIDOPTÈRES. 289 Ce n'est qu'au printemps suivant qu'elle se métamorphose en papillon. Le Petit Paon de mal (fig. 261) ressemble beaucoup, sauf la taille, au précédent. Parmi les Aitacus étrangers à l'Europe, nous citerons V Allas (lig. 262). dont l'envergure dépasse seize centimètres. Ce magni- fique papillon, l'un des plus grands que l'on connaisse, [jrovient de la Chine. Le genre Bombyx comprend plusieurs espèces (luejious ne pou- vons nous dispenser de citer. La Livrée {Bombyx neuslria) tire son nom des couleurs de la che- nille, sur laquelle on remarque des lignes longitudinales bleues "^m^-.A étranges. Ces chenilles vivent en société sur un grand nombre d'arl)res de nos forêts et de nos jardins, auxquels elles font beau- coup de mal. Le papillon de la Livrée (tîg. 263) a le corps brunâtre, les ailes d"un jaune plus ou moins fauve, avec deux lignes plus foncées sur les ailes antérieures. Les Processionnaires {Bombyx processionea) sont de petits pa- pillons grisâtres, dont les chenilles vivent en troupes nombreuses sur les chênes, et en rongent les feuilles au moment de leur dé- veloppement. Le soir, ces chenilles sortent de leur nid commun, et forment une sorte de procession : de là leur nom de Proces- sionnaires. 19 290 LES INSECTES. « J'en ai gardé pendant quelque temps chez moi à la campagne, dit Réau- mur; j'apportai une branche de chêne qui en était couverte dans mon cabi- net, et c'est là où j'ai mieux suivi l'ordre et la régularité de leur marche que je n'aurais pu le faire dans les bois. Je me suis amusé avec plaisir à les voir pendant plusieurs jours. J'attachai la branche sur laquelle je les avais apportées contre un des volets de mes fenêtres. Quand les feuilles se furent desséchées, quand elles furent devenues trop coriaces pour les dents des chenilles, elles tentèrent d'aller chercher ailleurs de meilleure nourriture. Il y en eut une qui se mit en mouvement, une seconde la suivit en queue, une troisième suivit celle-ci, et ainsi de suite elles commencèrent à défiler et à monter le long du volet, mais étant si proches les unes des autres que la tète de la seconde touchait le derrière de la première. La file était partout con- Fig. 264. Chi'niUes processionnaires. tinue, elle formait un véritable cordon de chenilles sur une longueur d'envi- ron deux pieds; après quoi la file se doublait. Là deux chenilles marchaient de front, mais aussi près de celle qui les précédait que l'étaient les unes des autreè celles qui marchaient une à une. Après quelques rangs de nos proces- sionnaires qui étaient de deux de front, venaient des rangs de trois de front ; à quelques-uns de ceux-ci il en succédait de quatre de front ; enfin il y avait des rangs de cinq, d'autres de six, d'autres de sept, d'autres de huit chenilles. Cette troupe si bien ordonnée était conduite par la première; s'arrêtait-elle, tout s'arrêtait ; recommençait-elle à marcher, tout se mettait en mouvement et la suivait exactement.... Ce qui se passait dans mon cabi- net se passe tous les jours dans les bois où sont nos chenilles.... Quand le soleil est près de se coucher, on en voit sortir une de quelque nid par l'on- LÉPIDOPTÈRES. 291 verture qui est k sa partie supérieure, et qui suffirait h peine à en laisser sortir deux de front. Dès qu'elle est sortie, elle est suivie à la file par plu- sieurs autres ; arrivée environ à deux pieds du nid, elle fait une pause pen- dant laquelle celles qui sont dans le nid continuent d'en sortir; elles prennent leur^ng, le bataillon se forme; enfin la conductrice marche et tout la suite. Ce (^ se passe dans ce nid se passe dans tous les nids des environs, on les voit tous se vider à la fois. « (;)ii voit sur une partie de la ligure 264 Farrangement que pren- nent les chenilles en sortant du nid, et dans une autre partie, un arrangement différent dans lequel chaque rang n'a qu'une che- nille de moins que celui qui le précède. Ces chenilles sont garnies de poils longs, peu touffus, qui tom- hent avec la plus grande facilité et qui, s'ils pénètrent dans la peau, y déterminent de vives démangeaisons. En 1865, plusieurs allées du bois de Boulogne furent interdites aux: promeneurs, pour leur éviter ce désagrément. Pour se transformer, ces chenilles construisent une toile com- mune, dans laquelle chaque insecte se forme un petit cocon par- ticulier. Les Orgyies renferment un grand nombre de petites espèces, de Fig. 265. Orgyie antique (mâle et femelle). couleur [sombre, qui nuisent beaucoup aux arbres de nos forêts. On voit souvent dans les jardins de Paris voler, en septembre et octobre, le mâle, à ailes fauves, de V Orgyie antique. La femelle de cette espèce (fig. 265) est remarquable parce qu'elle n'a que des rudiments d"ailes et ne sort seulement que sur le bord de son cocon. Les chenilles de YOrgyle pudibonde (lig 266 attaquent presque tous les arbres. Quand les circonstances atmosphériques favori- sent leur propagation, elles se montrent en quantité effrayante, 292 LES I^'SECTES. et causent les plus grands ravages. Pendant 1 automne de 1828, aux environs de Phalsbourg, on les compta par millions. La su- ])erficie des bois ravagés dans ce pays fut évaluée à quinze cents hectares. Parmi les Liparis, qui sont également très-nuisibles aux arbres, Fig. 26G. Orgyie pudibonde. nous citerons le Liparis chnjsorrhé, la plus commune de ces espèces de Lépidoptères (fig. 267). Ces chenilles vivent par masses, Fig. '261. Liparis chrysorrhé. sur les pommiers, les poiriers, les ormes, et dévastent les plan- tations des promenades de Paris. Les femelles des Liparis s'arrachent les poils de leur abdomen, pour en faire un lit moelleux à leurs œufs, et préserver du froid LÉPIDOPTÈRES. 293 les jeunes. Cependant elles ne doivent jamais les voir, car elles meurent après la ponte. 0 nature ! Une autre tribu des Bonibyciens renferme des esjjèces peu vo- lumineuses, (|ui sont remarquables en ce que les chenilles se Fourreau de la chenille Psyché graniinelle. Fig. 269. Fourreau de la chenille Psyché rubicolelle. fabriquent avec les corps étrangers, des fourreaux, à l'intérieur desquels elles vivent et se métamorphosent. Les chenilles des Psychés, par exemple, 'se tiennent crampon- Fourreau de la chenille Psyché muscella. Fig. 27!. Psyché graniinelle. nées aux parois internes de ce fourreau, qu'on trouve attaché aux arbres , et qui se compose de fragments de feuilles , de brins d'herbe, de fétus de paille, de bûchettes de bois ou de petites -<%^^. Fig. 272. Chenille de Psyché graminelle. Fig. 27 3. Psyché graminelle. pierres appliquées sur une pâte faite avec ces substances, et en- tremêlée de hls soyeux. Nous représentons Tig. 268, 269 et 270) les fourreaux des che- nilles de trois espèces. Les femelles des papillons de ce genre sont complètement dé- pourvues d'ailes et ressemblent aux chenilles. En général, elles ne sortent pas du fourreau de celles-ci. Les niAles fig. 271, 273) 294 LES INSECTES. Les chenilles des ^épia/e5 sont difficiles à observer, parce qu'elles vivent dans l'intérieur des racines de divers végétaux. Telles sont Fig. 274. Hépiale du houblon. les Hépiales du lioul)lon, qui causent quelquefois les plus grands dégâts. Nous donnons la figure de ce papillon (fig. 274). Fig. 275. Zeuzère du marronnier. L'espèce type des Zcuzères est le Zeuzère du marronnier à ailes blanches (fig. 275), avec une multitude de gros points d'un bleu f^-?^?!f P^^ ^\ lliïlil Fig. 276. Cossus iigniperde. Papillon, larve et chrysalide LEPIDOPTERES. 297 noirâtre sur les antérieures et de petits points noirs sur les pos- térieures. La chenille, d'un jaune livide, ponctué de noir, vit dans lintérieur du tronc d'un assez grand nombre d'arbres, principa- lement du marronnier, de l'orme, du tilleul, du poirier, etc. On voit le papillon connu sous le nom de Coquette voler le soir dans nos jardins publics. L'espèce la plus célèbre du genre Cossus est le Cossus gâte-bois Cossus ligniperda). Le papillon a un corps épais brunâtre et des ailes grisâtres striées de noir. On le rencontre communément dans toute l'Europe. La chenille rougeàtre, grosse comme le doigt, comme cuirassée, exhalant une odeur désagréable, dégorgeant une liqueur qu'on croit propre â ramollir les libres ligneuses, ronge l'intérieur des saules et d'autres arbres. C'est sur cette chenille, que Lyonnet a fait ses admirables travaux anatomiques. La figure 276 de Pouchetj représente le Cossus hijniparde, ou Gdiebois sous ses états de papillon (1 ,2), de larve ;3 ou de chenille (4). Les Bombyciens d'une autre tribu comprennent certaines che- nilles très-bizarres, chez lesquelles les dernières pattes se sont changées en prolongements fourchus, qu'elles agitent d'un air à m> }/M , :;r Fig. 277. Chenille du Dicranure vinule. [Dicranura vinula.) menaçant. Ces espèces de chasse-mouches sont peut-être destinées à éloigner les insectes qui auraient quelque velléité de pondre 298 LES INSECTES. sur leur corps. Telles sont les chenilles du genre Dicranurc. Nous représentons la chenille et le papillon de la Dicranure vinute Fig. 278. Dicranure vinulo (fig. 277 et 278), ainsi que le papillon de la Dicranure de la Molène (fig. 279) et la chenille de la Harpyie du hclre (fig. 280), dont l'as- Fig. 279. Dicranure de la Wûlene pect est vraiment étrange. Les papillons nont. au contraire, rien de remarquable. Fig. 280. Chenille de la Harpyie du hêtre. La famille des Noctuelles comprend des Lépidoptères de taille moyenne, qui se trouvent ordinairement dans les bois, les prai- LEPIDOPTERES. 299 jies et les jardins où leurs chenilles ont vécu. Ils ne volent géné- ralement que vers le coucher du soleil, ou pendant la nuit. Leurs Fig. Q81. Noctuelle tégamon. ailes supérieures sont de couleur somhre, avec des taches au milieu, en forme de rein. Les ailes inférieures, colorées de nia- 282. Noctuelle nébuleuse. nière variable, sont souvent blanchâtres, quelquefois rouges ou jaunes. On voit ici représentées les principales espèces de cette famille : Noctuelle tégamon (fig. 281), Noctuelle nébuleuse Tig. 282;, Noctuelle mosaïque (fig. 283), Noctuelle brune (fig. 284), Lichcnée bleue ffig. 285), Lichénée américaine (fig. 286), Lichénée paramjmphe (fig. 287), Li- chénée du saule (fig. 288), Érèbe chouette (fig. 289). Le corps de ces papillons est robuste et quelquefois massif; il 300 LES INSECTES. est plus écailleux que laineux. Le corselet est quelquefois hérissé de crêtes velues. Ce genre renferme encore huit cents espèces, dont trois cents environ en France. Les chenilles des Noctuelles, lisses ou très-peu velues, habi- Fig. 283. Noctuelle mosaïque. tuellement de couleur pâle, vivent de plantes basses dont elles rongent, les unes les feuilles, les autres les racines, et sont alors Fig. 284. Noctuelle brune. très-nuisibles à nos cultures. Il en est qui mangent les chenilles qu'elles peuvent rencontrer, et même celles de leur propre es- pèce. Elles n'en laissent que la peau. Les unes s'entourent d'un léger cocon pour devenir chrysalides, les autres s'enfoncent dans la terre meuble. LEPIDOPTERES. 301 La famille des Plialcniens comprend des papillons essentielle- ment nocturnes, de moyenne taille, qui ne volent qu'après le Fig. "285. Lichénée bleue. coucher du soleil ou pendant la nuit. Ils fréquentent les allées des bois humides, où ils deviennent la proie des Libellules et des Fig. 28t)- Lichénée américaine. autres insectes carnassiers. Leur corps et leur abdomen sont grêles, leurs ailes grandes, minces, fragiles, souvent de couleur sombre et parées de dessins brillants. Les chenilles des Phalènes sont connues sous le nom d arpen- 302 LES INSECTES. teuses ou géomètres. Nous avons décrit plus haut leur organisation singulière. Elles filent continuellement une soie, qui les tient Fig. '287. Lichenee paranymphe. attachées à la plante sur laquelle elles vivent. Si l'on touche la feuille qui les porte, elles se laissent aussitôt tomber. Fig. 288. Lichénée du saule. « Néanmoins elles ne tombent pas ordinairement à terre, dit Réaumur, il y a une corde prête à les soutenir en l'air (fig. 290), et une corde qu'elles peuvent allonger à leur gré. Cette corde n'est qu'un fil très-fin, mais qui a LÉPIDOPTÈRES. 303 de la force de reste pour porter une chenille J\f. 291 , 292]. Tout ce qui semblerait à craindre, c'est que le fil ne s'allongCcàttrop vite,et que la chenille ne tombât plutôt à terre qu'elle n'y descendît. Mais ce que nous devons remarquer d'abord et même admirer, c'est ipie la chenille est maîtresse de ne i)as des- ^^$j;VJ\\Vv^\^ wlfw^^Hil' 'fl'ii'W'f' "f'^^ ^^ . ' j|^llJl.n\\\^W^^^^^^^^.^^^|j|^,.^,, Kig. 289. Érèbe chouette. cendre trop vite; elle descend à plusieurs reprises; elle s'arrête en l'air quand il lui plaît. Ordinairement elle ne descend de suite que d'un pied de haut au plus, et quelquefois d'un demi-pied ou de quelques pouces, après quoi elle fait une pause plus ou moins longue à sa volonté. » (Vest de cette façon que ces chenilles se laissent tomber du haut des plus grands arbres. Elles y remontent avec non moins de facilité. Écoutons Piéaumur décrivant les procédé.^ employés par cette clienille pour descendre de ces hauteurs. Les figures 293 et 294, dessinées, comme les trois précédentes, d'après les planches du mémoire de Réaumur, permettent de suivre les explications que donne rillustre naturaliste, des évo- lutions de notre petit acrobate : « Pour se remonter, dit Réaumur. la chenille saisit le fd udre ses deux dents, le plus haut qu'elle peut le prendre ; aussitôt la tête se contourne, su couche d'un côté, et cela de plus en plus. Elle semble descendre au-dessous 304 LES INSECTES. de la dernière des jambes écailleuses qui esl du même côté. Le vrai est pour- tant que ce n'est pas la tète qui descend, l'endroit du fil qu'elle tient saisi est un point fixe pour elle et pour tout le reste du corps ; c'est la partie du dos Fig. 290. Chenille Fig. 291. Chenille Fig. 292. Chenille Fig. 293. Fig. 29 Chenille arpenteuse arpenteuse pendue à un fil. arpenteuse vue du côté du dos. arpenteuse vue du côté du ventre. remontant le long de Sijn fil. qui répond aux jambes écailleuses que la chenille recourbe en haut : par con- séquent ce sont les jambes écailleuses et la partie à qui elles tiennent qui remontent alors. Quand celles de la dernière paire se trouvent au-dessus des dents de la chenille, une de ces jambes, celle qui est du côté vers lequel la tète est inclinée, saisit le fil et l'amène à la jambe correspondante qui s'avance pour prendre ce même fil. Si la tête alors se redresse, ce qu'elle ne manque pas de faire dans l'instant, elle est en état d'aller saisir le fil dans un endroit plus élevé que celui où elle l'avait pris d'abord ou, ce qui est la même chose, la tête et par conséquent tout le corps de la chenille se trouve remonté d'une hauteur égale à la longueur du fil qui est entre l'endroit où les dents l'avaient saisi la première fois et celui où elles le saisissent la seconde fois. Voilà, pour ainsi dire, le premier pas fait en haut. A peine est-il achevé que la chenille en fait un second.... Si on saisit la chenille qui est arrivée à son terme, on lui voit un paquet de fils mêlés entre les quatre dernièresjambes écailleuses. Ce paquet est plus ou moins gros selon qu'elle s'est plus ou moins remontée; tous les tours du fil qui le composent sont mêlés. Aussi la chenille n'en tient-elle aucun compte; dès qu'elle peut marcher, elle s'en défait, elle en débarrasse ses jambes, et elle le laisse avant que de faire un premier ou au plus un second pas. Chaque fois donc qu'elle se remonte, il en coûte la corde dont elle s'est servie pour se remonter, mais c'est une dépense à laquelle elle fournit tant qu'elle veut; elle a en elle-même la source de la LEPIDOPTERES. 305 matière nécessaire à la composition du fil, et c'est une source où ce qui en a été tiré se répare continuellement. D'ailleurs, la façon du fil lui coûte peu, aussi les arpenteuses sont si peu ménagères de ce fil que la plupart en lais- sent sur tous les chemins qu'elles parcourent. » On rencontre ces chenilles sur plusieurs arbres, mais particu- lièrement sur les chênes, dont elles rongent souvent presque en entier le feuillage. Elles entrent dans la terre, pour se changer en chrysalides, et subissent toutes leurs métamorphoses dans le courant de l'été qui les a vues naître. D'autres ne deviennent insectes parfaits qu'en automne, ou même seulement au printemps qui suit. Quelques-unes ne donnent leur papillon qu'en hiver. Il est même de ces papillons, tels que les mâles des Hibernies Fig. 295. Hibernie grisâtre. (fig. 295), qui volent par les soirées brumeuses de novembre. Les femelles, dans ce genre, sont entièrement dépourvues d'ailes ou Fig. 296. Phalène défeuillée (mâle). Fig. 297. Phalène défeuillée (femelle). ne présentent que des moignons rudimentaires. Deux espèces, a Phalène défeuillée (fig. 296, 297) et la Phalène hiémale (fig. 298, 299), sont fort communes aux environs de Paris. M. Maurice Girard dit dans son ouvrage sur les Métamorphoses des insectes qu'on trouve facilement les femelles de ces phalènes au commencement de novembre, dans une station assez singu- 20 306 LES INSECTES. lière : sur les candélabres à gaz des promenades publiques, par exemple le long des routes du bois de Boulogne. Sans doute elles Fig. 298. Phalène hiémale (mâle). Fig. 299. Phalène hiémale (femelle). ont grimpé en ce haut lieu, attirées par la lumière, ou bien les mâles ailés les y ont transportées. En février et mars apparaissent d'autres espèces analogues. On trouvé, dit M. Maurice Girard, près de Paris, dans les prairies qui entourent le confluent de la Seine et de la Marne, à la fin du mois Fig. 300. Nyssia zonaria. de mars, la Nyssia zonaria (fig. 300), dont les mâles restent pen- dant le jour immobiles sur l'herbe. 11 est des espèces de cette famille chez lesquelles les ailes des femelles sont développées comme celles des mâles. Telles sont la Phalène du bouleau, le Zèrène du groseillier, dont la chenille vit sur le groseillier rouge et le groseillier â maquereau. Les Phalènes sont les plus redoutables ennemis des forêts, leurs ravages sont souvent incalculables, car elles s'attaquent surtout aux arbres vigoureux et âgés. La Phalène du pin (Phalxna bombyx Pini) que nous représentons ici (fig. 301) et que les agronomes allemands ont appelée Pileuse du pin, à cause des nombreux cocons dont elle tapisse les feuil- Fig. 301. Bombyce ou Fileuse du pin. Phahrna bombyx pini. (Larve, cocons et papillon.) LÉPIDOPTÈRES. 309 les du pin, est la terreur des forestiers, qui emploient tous les moyens pour lécarter ou pour la détruire. La famille des Pyraliens renferme les plus petits Lépidoptères nocturnes, et presque toutes ces espèces mignonnes qui viennent, le soir, voltiger autour de nos lumières. Voici l'image de quelques-unes des nombreuses espèces de cette famille, remarquables par leur petitesse et leur gentillesse : Pen- îhine du prunier (mâle) (fig. 302), Œdic mignonnette (tig. 303), Tor- l -,. dO_. tLiidiin^. du piunier. deuse du rouvre {ïi'^. 304), Phalène du hêtre (lig. 305), Xylopode des ^orêts (lig. 306), Tordeuse automnale (fig. 307), Tordeuse du sorbier (fig. 303. Œdie mignonnette. Fig. 304. Tordeuse du rouvre. 30S), Tordeuse de Vosier (fig. 309), Pœdisque bouclier (fig. 310), Coccyx alpicole (fig. 311), Séricore de Zincken (fig. 312), Sarrothryspée de Her- vay (fig. 313), Cochylis riante (fig. 31ii), Choreuîes dolosane (fig. 315). Dans un livre tel que celui-ci, nous ne pouvons signaler que quelques types parmi ces derniers insectes et qui s'imposent à notre attention d'une manière, pour ainsi dire, tyrannique. Nous nous contenterons en conséquence de dire quelques mots de la 310 LES INSECTES. Tordeuse verte, de la Pyrale de la vigne, de la GaUèrie des ruches, des diverses espèces de Teigne, enfin des Œcophores. Fig 305. Phalène du hêtre Fig 306, Xylopode des forêts. Fig. 307. Tordeuse automnale. ig. 308. Tordeuse du sorbier. Fig. 309. R Tordeuse de l'osier. Fig. 310. Pœdisque bouclier. Fig. 311. Coccyx alpicole. Fig. 312 Séricore de Zincken. Fig. 313. Sarrothryspée de Hervay. La Tordeuse verte {Tortrix virida) a des ailes d'im vert noir, avec la côte et la frange blanchâtres sur les ailes antérieures, et d'un LÉPIDOPTÈRES. 311 gris cendré sur les postérieures. Le dessous des quatre ailes est d'un blanc luisant et comme argenté. Ce joli papillon éclôt au mois de mai. Il est si commun dans les Fig. 314. Cochylis riante. Fig. 315. Choreutes dolosane. environs de Paris, qu'il suffit à cette époque de secouer les bran- ches des chênes qui bordent les allées des bois pour en faire par- tir des centaines. La chenille est verte, avec des points noirs verruqueux, portant chacun un poil de cette couleur. Elle est d'une vivacité extraor- dinaire. Dès qu'on l'inquiète, elle se réfugie dans une feuille rou- lée, qui lui sert de demeure. Si on l'y poursuit, elle se laisse tom- ber, à l'aide d'un fil, et ne remonte que quand elle croit pouvoir compter sur le repos et la sécurité. Cette espèce, et plusieurs autres voisines, font beaucoup de mal à nos arbres. Elles les dépouillent de leurs feuilles, et quel- quefois leur donnent, pendant les premiers jours de l'été, l'aspect triste et désolé qu'ils offrent en plein hiver. Nous venons de signaler le tuyau formé d'une feuille roulée dans lequel la chenille se réfugie et qu'elle habite. Ce tuyau, elle Ta construit elle-même. Réaumur a consacré un magnifique cha- pitre de ses Mémoires à ses Observations sur la mécanique avec la- quelle diverses espèces de chenilles plient, roulent et lient les feuilles de plantes et d'arbres, surtout celles de chêne. Écoutons le grand obser- vateur : « Si Ton considère les feuilles des chênes vers le milieu du printemps, on en aperçoit plusieurs roulées de différentes manières. La partie supérieure du bout des unes paraît avoir été ramenée vers le dessous de la feuille, pour y décrire le premier tour d'une spirale qui ensuite a été recouvert de plusieurs autres tours Tig, 316). D'autres feuilles sont roulées vers le dessus.... d'autres sont roulées vers le dessous de la feuille, mais dans des directions totalement différentes. La longueur ou l'axe des premiers rouleaux est perpendiculaire à la principale côte et k la queue de la feuille, la longueur de ceux-ci est pa- raît'le à la même côte.... (fig. 317). Des ouvrages pareils ne seraient pas bien difficiles à faire à qui a des doigts ; mais les chenilles n'ont ni doigts ni parties qui semblent équivalentes. D'ailleurs avoir roulé les feuilles, c'estavoir fait au plus la moitié de la besogne, il faut les maintenir dans un état d'où leur 312 LES INSECTES. ressort naliircl tend continuellement à les tirer. La mécanique à laquelle les chenilles ont recours pour cette seconde partie de l'ouvrage est aisée à observer. On voit des paquets de fils attachés par un bout à la surface du rouleau, et par Tautre au plat de la feuille. Ce sont autant de liens, autant de Fig. 316. Feuille de chêne roulée perpendiculairement à la côte. Fig. 317. Feuille de chêne roulée parallèlement à la côte. petites cordes qui tiennent contre le ressort de la feuille. Il y a quelquefois plus de dix à douze de ces liens rangés à peu près sur une même ligne. Cha- que lien est un paquet de fils de soie blanche pressés les uns contre les autres, mais qu'on juge pourtant tous séparés'. » Réaumiir fit travailler chez lui les rouleuses de feuilles du chêne. Il a décrit admirablement toutes leurs petites manœuvres; mais la place nous manquerait pour transmettre au lecteur le résultat de ses délicates observations. En somme, les chenilles rouleuses se construisent une espèce de cellule cylindrique, qui ne reçoit le jour que par les deux bouts. Ce qu'il y a de commode dans cette verte et fraîche habitation, c'est que ses murs fournissent la nourriture à l'animal qui l'ha- bite. La chenille, ainsi mise à l'abri, commence à ronger le bout qui a été contourné le premier; elle mange ensuite tout ce qui a été tortillé, jusqu'au dernier tour. Réaumur trouva aussi des rouleaux qui avaient été formés de deux ou trois feuilles roulées suivant leur longueur, et vit que 1. Mémoires pour servir à l'histoire des Insectes, tome II, page 210 (5* Mé- moire). LÉPIDOPTÈRES. 313 les feuilles qui en avaient occupé le centre , avaient été presque enlièrement mangées. Il vit des chenilles qui continuaient de manger tout en faisant leur rouleau. Ajoutons que Tun des bouts du rouleau est l'ouverture par la- quelle la chenille jette ses excréments; — que cette chenille sait se préparer un nou- veau rouleau, si elle a été chassée du pre- mier; — enfin que c'est dans un rouleau de feuille que la chenille se métamorphose en chrysalide et en papillon. Réaumur a étudié d'autres rouleuses de feuilles, par exemple celle de l'ortie et celle de l'oseille. Cette dernière travaille d'une manière qui mérite une mention. Son rouleau n'a rien de singulier dans sa forme, mais c'est sa position qui est remarquable. Il est planté sur la feuille comme une quille (fig. 318). Il faut que la chenille contourne non-seulement le rouleau , mais encore qu'elle le pose perpendiculairement sur la feuille. A côté des chenilles rouleuses, signalons celles qui se contentent de plier les feuilles. Ces chenilles se tiennent donc dans une espèce de boite plate. Outre les chenilles rouleuses et plieuses, il y a encore celles qui réunissent plusieurs feuilles en un seul paquet. On trouve de ces paquets sur presque tous les arbres et tous les arbrisseaux. La chenille , nichée vers le milieu de ce paquet, se trouve à cou- vert, et environnée d'une bonne provision de nourriture. Nous nous contenterons de donner, d'après Réaumur, la figure du joli arrangement qu'on peut observer sur les feuilles d'une espèce d'osier (fig. 319-320). Dans la figure de gauche, on voit le paquet de feuilles liées ensemble par la chenille. Dans la figure de droite , on voit la coupe transversale du paquet de feuilles , grossi à la loupe. On reconnaît que les deux bords de chaque feuille sont contournés en dehors. On voit les tours du fil qui re- tiennent ces feuilles ensemble, et la cavité occupée par la che- nille. Fig. 318. Feuille d'oseille dont une partie a été cou- pée, roulée et posée per- pendiculairement sur la feuille par une chenille. La Pyrole de la vigne est un papillon provenant d'une chenille 314 LES -INSECTES. tordeuse, qui mérite de fixer notre attention à cause des ravages qu'elle a occasionnés depuis longtemps, et qu'elle occasionne en- Fig. 319-320. Feuilles d'osier liées ensemble par une chenille, et coupe transversale des mêmes feuilles. C'est à la fm du seizième siècle que la Pyrale se montra pour la première fois, aux environs de Paris, sur le territoire d'Ar- genteuil. « Les habitants de cette commune, écrit l'abbé Lebœuf, regardèrent en 1562 comme un fléau de Dieu les insectes qui gâtaient leurs vignes dans le printemps. L'évèque de Paris ordonna qu'ils feraient des prières publiques pour la diminution de ces insectes et qu'on y joindrait des exorcismes sans sortir de l'église. « Des prières, des processions, des exorcismes furent de nou- veau mis en jeu, en 1629, en 1717, en 1733, pour arrêter les ravages de ces insectes dans les vignes de Colombes et sur le ter- ritoire d'Aï. Le Maçonnais et le Beaujolais devinrent à leur tour le théâtre LEPIDOPTERES. 315 des ravages de la Pyrale. Ces ravages ne firent bientôt que s'aug- menter et s'étendre. En 1836, 1837, 1838, le fléau sévissait dans les départements de Saône-et-Loire , du Rhône, de la Côte-d'Or, de la Marne, de Seine-et-Oise, de la Charente-Inférieure, de la Haute-Garonne, des Pyrénées-Orientciles et de l'Hérault. Pour donner une idée des pertes qui peuvent être occasionnées par la Pyrale, nous dirons que, dans une période de dix années (1828-1837), vingt-trois communes, comprises dans les deux dé- partements de Saône-et-Loire et du Rhône, perdirent soixante- quinze mille hectolitres de vin par an, que l'on peut évaluer à un million cinq cent mille francs. Si l'on calcule les fournitures de tout genre que ce grand nombre de pièces de vin auraient né- cessitées, les droits de circulation, d'entrée, de débit qu'elles au- raient dû payer, les transports par terre et par eau qui auraient amené des recettes pour le trésor, enfin les dégrèvements de droits qu'il fallut accorder pendant sept ans aux propriétaires de vignes dans le département de Saône-et-Loire, et en 1837 dans le dépar- tement du Rhône, et qui s'élevèrent à un total de plus de cent mille francs, on trouvera que les ravages de la Pyrale ont amené dans ces deux départements une perte annuelle de trois millions quatre cent huit mille francs. Et comme ce fléau dura dix ans, on arrive au total énorme de trente-quatre millions perdus par les ravages d'une seule espèce d'insecte ! Le papillon de la Pyrale (fig. 321) se montre du 10 au 20 juin. Il est jaunâtre, à reflets plus ou moins dorés. Pendant le repos Fig. 321. Papillon de La Pyrale de la vigne. ses ailes sont repliées en toit l'une sur l'autre. Son vol est de peu de durée. Il se contente d'aller d'un cep de vigne à l'autre. C'est au coucher du soleil qu'on voit voltiger le plus de pa- 316 LES INSECTES. pillons de Pyrale. Ils demeurent tranquilles pendant le jour et surtout au moment de l'ardeur du soleil. Ils vivent en moyenne dix jours. Les femelles déposent leurs œufs, qui sont d'abord verts, puis jaunâtres, puis bruns, à la face inférieure des feuilles. La chenille de la Pyrale (fig. 322) porte vulgairement, et sui- vant les divers pays où on la rencontre, les noms de ver de la vigne, ver de Vété, ver de la vendange, conque. Dans le midi de la France, on la nomme, en patois languedocien, babota. A peine sorties de l'œuf, les petites chenilles se cachent dans les fissures du tronc des ceps ou des échalas. Elles s^ filent un petit cocon, d'une soie grisâtre, et y demeurent blotties jusqu'au mois de mai. Dès que les feuilles commencent à se développer, elles jettent des fils, çà et là, enchevêtrent tous les jeunes orga- nes du végétal, ce qui donne aux vignobles un aspect désolé. Fig. 322. Chenille de la Pyrale de la vigne. Fig. 323. Chrysalide de la Pyrale de la vigne. Elles mangent de préférence les feuilles de la vigne, mais atta- quent aussi les grains du raisin. On prétend que le matin on peut entendre le bruit que ces chenilles font en mangeant les feuilles. Comme elles augmentent tous les jours de grosseur, leurs dégâts vont sans cesse croissant, et n'ont atteint le maximum de leur intensité que lorsque les chenilles sont au moment de se trans- former en chrysalides. Elles sont alors longues de trois centimè- tres et d'un vert jaunâtre. Du 20 juin au 10 juillet, elles cherchent un abri dans les feuil- les desséchées et entrelacées de fils qui leur ont servi précédem- ment de refuge et en partie de nourriture, ou bien elles se font un nouveau nid. Au bout de deux ou trois jours, la chenille est devenue une chrysalide (fig. 323) qui prend, en peu de temps, une couleur brune. Renfermée dans l'intérieur du cocon que la chenille a filé avant de se métamorphoser, cette chrysalide se change, au bout de quatorze à seize jours, en papillon. Le meilleur moyen de diminuer les ravages de la Pyrale, c'est LÉPIDOPTÈRES. 317 d'enlever les feuilles chargées de plaques d'œufs, et de brûler ces feuilles, ou de les enfouir dans des trous profonds. La planche 324 que nous consacrons au redoutable insecte dont nous n'avons pu qu'esquisser ici très-légèrement la triste his- Fig. 324. Pyrale de la vigne à ses trois états. 1 Feuille ayant reçu des pontes. — 2. Pontes récentes. — 3. Œuf dans lequel on aperçoit les chenilles. — 4. Plaque d'où sont sorties les chenilles. — 5. Petites chenilles suspendues par un fil. — 6. Feuille avec des chrysalides. — 7. Chenille. — 8. Papillon. toire, donne toutes les particularités relatives à ce dangereux hôte de nos vignobles. On y voit, sur un rameau de vigne, la Pyrale à l'état de chenille, les œufs qui ont été pondus par ces chenilles, les chrysalides et les papillons. Les œufs y sont figurés à deux époques de leur développement. 318 LES INSECTES. La GaÙérie des riches ou de la cire se rencontre dans toutes les contrées où l'on élève des abeilles. Le papillon (tig. 325) se cache pendant le jour autour des ru- ches, et essaye d'y pénétrer après le coucher du soleil. La che- nille est d'un blanc sale, avec des points verruqueux bruns, sur- montés chacun d'un poil fin. Elle se nourrit de cire, enlace les gâteaux de ses fils et fait bientôt périr les larves qui y sont contenues, A la sortie de l'œuf, que la femelle est venue déposer dans les gâteaux Fig. 32.-.. Gaiierie de la cire. ^|g j^-^jg^ g|. ^g ^i^e , la chenille se fa- brique, avec de la cire, un tuyau arrondi, dans lequel elle est à l'abri du dard des abeilles. Ce tuyau, d'abord très-petit, s'allonge et s'élargit à mesure que grossit la chenille. Il a ordinairement dix à quinze centimètres de long. C'est dans son intérieur que la chenille se construit une coque dure, ressemblant à du cuir, et qu'elle se change en une chrysalide brunâtre. Une espèce du genre Butale, la Butale ou Alucile des grains, est, en certains cantons de la France, un des plus grands fléaux de l'agriculture. La chenille de VAlucite des grains se métamorphose à l'intérieur même des grains d'orge et de froment, qu'elle ronge sans qu'on s'en aperçoive au dehors. La femelle du papillon de VAlucite dépose ses œufs sur les grains des céréales avant leur maturité. Quatre à six jours après, les œufs éclosent, et les jeunes chenilles sont à peine grosses comme un cheveu. Chacun s'empare d'un grain, et y pénètre par une imperceptible ouverture. Elle mange la farine, sans entamer les téguments du grain. Quand elle a atteint toute sa taille, elle se file une coque de soie blanche, à l'intérieur de ce même grain, qui, après avoir été son logement et son garde-manger, va lui servir de tombeau pour quelque temps. Toutefois, avant ce moment, elle a eu le soin de pratiquer à l'extrémité du grain une ouverture circulaire, par laquelle le papillon sortira lorsque les grains seront battus et emmagasinés dans le grenier. Le genre Teigne est fort important à signaler ici, non parce que ces petits papillons sont beaux, — ils sont fort laids au contraire, mais parce que c'est dans ce groupe que se trouvent des insec- tes qui causent les plus grands dégâts à nos récoltes. LÉPIDOPTÈRES. 319 Les papillons du genre Teigne sont très-petits. Leurs ailes, gri- sâtres ou brunâtres, sont le plus souvent marquées de taches ou de lignes blanchâtres et jaunâtres. Ce sont ces petits papillons qui, dans nos demeures, viennent se brûler â la flamme des bougies. Leurs chenilles sont petites, voraces, et méritent, par les dégâts qu'elles causent, dètre comparées aux rats et aux souris. Mu- nies de mâchoires puissantes, elles détruisent tout ce qui se trouve à leur portée, en lainage, crin, pelleteries, étoffes, plumes, grains, etc. On divise les Teignes en trois groupes : 1" les espèces nuisi- bles à nos étoffes et â nos fourrures; 2° l'espèce qui détruit les céréales; 3° les espèces phytophages, c'est-â-dire qui mangent les plantes. Dans la première subdivision se rangent la Teigne des pelleteries, la Teigne des tapisseries, la Teigne du crin. Le papillon de la Teigne des tapisseries est représenté dans la li- gure ci-contre. Sa chenille a la forme d'un ver. Elle est d'un blanc gras et luisant , avec quelques poils clairsemés et une ligne grise sur le dos. Elle est renfermée dans un tuyau, ou étui, ouvert par les deux bouts, dont l'intérieur est une sorte de tissu de laine, tantôt bleue, tantôt verte, tantôt rouge, selon la couleur de létoffe â laquelle l'insecte s'est attaché et Fig. 3î6. Teigne des tapisseries. Fig. 327. Deux Teignes occupées h ronger un morceau de drap. qu'il a dépouillée. L'intérieur de cet étui est, au contraire, formé d'une soie propre à l'insecte, de couleur blanchâtre. 320 LES INSECTES. Les vers sont à peine nés qu'ils commencent à se vêtir. Réau- miir observa un de ces vers au moment de son accroissement. Il s'occupait journellement à allonger son étui. Pour cela, il fai- sait sortir sa tête par un des bouts de l'étui, et cherchait avec vi- vacité, à droite et à gauche, les poils de laine les plus convenables pour en tisser son fourreau. Dans la figure 327, on voit deux Tei- gnes occupées à ronger le drap. « La Teigne change de place continuellement et prestement, dit Rêaumur. Si les poils qui sont proches ne sont pas tels que la Teigne les veut, elle tire quelquefois plus de la moitié de son corps hors du fourreau pour aller choisir mieux plus loin. A-t-elle trouvé un poil tel qu'elle le veut, sa tète se fixe pour un instant, elle le saisit avec deux dents qu'elle a au-dessous de la tète, elle arrache ce poil après des efforts redoublés, aussitôt elle l'apporte au bout de son tuyau, contre lequel elle l'attache. Elle répète plusieurs fois de suite une pareille manœuvre , sortant tantôt en partie du tuyau et y rentrant ensuite pour coller contre un de ses bords un nouveau brin de laine.... )> Après avoir travaillé pendant une minute à un des bouts du tuyau, elle songe à l'allonger de l'autre. Elle se retourne dans son tuyau, avec une telle promptitude qu'on n'imagine pas qu'elle ait eu le temps de le faire, et l'on croirait que le bout de sa queue est fait comme sa tète, et possède la même adresse pour choisir et arracher les brins de laine. Au reste, quand la Teigne qui travaille à allonger son fourreau Fig. 328. Teigne dans son fourreau cl se tirant sur ses jambes antérieures. ne trouve pas de poils à son goût là où sa tète peut atteindre, elle change de place. Réaumur a vu cet insecte marcher, même assez vite, emportant avec lui son fourreau. Il marche au moyen de ses six jambes antérieures (fig. 328). Les intermédiaires et les postérieures lui servent pour se cramponner contre le fourreau. En même temps que l'insecte devient plus long, il grossit. Bientôt son vêtement sera trop étroit pour lui. Quittera-t-il son habit? S'en fera-t-il un neuf? Réaumur a reconnu qu'il préfère l'élargir. C'est ce que vit notre naturaliste, en plaçant des Teignes à fourreau bleu, par exemple, sur une étoffe de couleur rouge. LÉPIDOPTÈRES. 321 Des bandes qui s'étendaient en ligne droite d'un bout à l'autre du fourreau montraient la partie qui avait été ajoutée. « A force de les observer en différents temps, dit cet admirable observa- teur, j'ai vu que le moyen qu'elles emploient est précisément celui auquel nous aurions recours à pareil cas. Nous n'y saurions autre cbose pour élar- gir un étui, un fourreau d'étoffe trop étroit, que de le fendre tout du long et de rapporter une pièce de grandeur convenable entre les [)arties que nous aurions séparées ; nous rapporterions une pareille pièce de cliaque côté si la figure du tuyau le demandait. C'est aussi précisément ce que font nos Teignes, avec une précaution de plus, et qui leur est nécessaire pour ne pas rester à nu pendant qu'elles travaillent à élargir leur vêtement. Au lieu de deux pièces qui auraient chacune la longueur du fourreau, elles en mettent quatre, qui ne sont pas plus longues chacune que la moitié d'une des précédentes : ainsi elles ne fendent jamais que la moitié de la longueur du fourreau, qui a assez de soutien pendant que cette fente reste à boucher. » Les laines de nos étoffes ne fournissent pas seulement aux Teignes de quoi se vêtir, elles leur fournissent aussi de quoi se nourrir. Elles mangent et digèrent les étoffes. Leurs excréments sont de petits grains, qui ont la couleur de la laine qu'elles ont mangée. Quand elles sont parvenues au terme de leur accroissement, et que le temps de leur métamorphose approche, les Teignes abandonnent les étoffes , et vont s'établir dans l'angle des murs. Elles grimpent jusqu'aux pla- fonds, et s'y suspendent par une extrémité de leur tube. Les deux bouts du tube sont clos avec un tissu de soie (fig. 329). L'insecte ainsi renfermé change bientôt de forme, il devient chrysalide; puis, au bout de trois semaines en- Fig. 329. Fourreau viron, il se dégage papillon. "' J*!,»"" La Teigne des pelleteries travaille comme celle de drap. des tapisseries; elle se fait des fourreaux de même forme, et les construit de la même manière. Seulement ici ces fourreaux sont des espèces de feutres qui ressemblent à ceux de nos chapeaux. Tandis que la Teigne des tapisseries ne détache des étoffes que la laine qu'il lui faut pour se vêtir et se nourrir, celle des pelle- teries occasionne des dégâts bien plus considérables et bien plus rapides. Elle coupe tous les poils qui la gênent à fleur de peau, et il semble qu'elle se plaise à les couper. Ce qui lui est nécessaire pour ses besoins n'est rien en comparaison des gros flocons de poils qu'on voit tomber d'une peau où elle s'est établie et qu'on secoue. A mesure qu'elle va en avant, elle coupe, et plus nette - 21 322 LES IM SECTES. ment que ne le pourrait un rasoir, tous les poils qui sont sur son passage. Les Teignes du crin (fig. 330) se montrent en grand nombre à l'état de papillon, depuis la fin d'avril jusqu'au commencement de juin. Elles apparaissent de nou- veau en septembre et se tiennent habituellement au dossier des meubles. La chenille, cylindrique, blanche, nue, rayée de brun, vit principalement dans le crin dont on rembourre les meubles, et quelquefois dans celui des matelas. Parvenue à toute sa taille , elle abandonne sa demeure , perce l'étoffe qui recouvre le crin, et se construit, avec cette étoffe, un fourreau de soie, ouvert seulement du côté de la tète. Au commencement d'avril, elle ferme ce fourreau, et s"y change en chrysalide. A l'état de chenille, la Teigne des grains (fig. 331) ne se nourrit que de blé, d'orge et de seigle; mais elle produit moins de dégâts que VAlucite des grains, dont nous avons parlé plus haut. C'est lorsque la récolte est placée dans les gre- Fig. 331. niers que ce petit papillon vient y déposer ses Teigne des grains. ^^^^.^ j^a chenille ue SB logc pas dans l'intérieur des grains de blé, mais elle en réunit plusieurs par des fils, en laissant entre eux un espace suffisant pour s'y fabriquer un fourreau de soie blanchâtre, percé seulement en haut, pour donner passage â sa tète, qui ronge les grains environnants. Nous ne pouvons que signaler ici les espèces phytophages, comme la Teigne du cerisier, celle de V aubépine, celle de la bardane et la Teigne rustique. Les OEcophores ont des chenilles qui ressemblent à des vers blanchâtres. Elles attaquent les feuilles, les fleurs, l'écorceet cer- taines parties du fruit des arbres. Les unes se creusent des gale- ries dans l'épaisseur et entre les deux épidermes des feuilles, dont elles ne mangent que le parenchyme. D'autres perforent éga- lement des galeries, mais seulement dans les chatons du bouleau ou dans les parties les plus tendres de son écorce. Certaines se renferment dans une ou plusieurs feuilles roulées en cornet. D'autres se tiennent au sommet des plantes, dont elles réunissent les feuilles en paquet par des fils. Il en est enfin qui dévorent le noyau des fruits, tels que celui de l'olivier. Les papillons de ces chenilles sont très-petits, et presque tous ornés de couleurs métalliques brillantes. On les trouve dans les LÉPIDOPTÈRES. 323 bois, et surtout dans les vergers, depuis le commencement de juin jusqu'au mois de septembre. Les Œcophores ont une forme svelte très-élégante. Leurs ailes antérieures, très-étroites, sont souvent ornées de lignes argentées longitudinales. Les ailes postérieures ont littéralement la forme de deux plumes. Les cbenilles de ces insectes vivent et se métamorphosent dans des .fourreaux portatifs, qu'elles se fabriquent avec la partie mem- braneuse des feuilles, dont elles mangent seulement le paren- chyme. Ces fourreaux sont ordinairement d'un brun de feuille morte. Ils sont attachés perpendiculairement sous les feuilles de plusieurs arbres, mais principalement sur celles de nos arbres fruitiers. Une certaine espèce d'OEcophore possède un fourreau qui est en partie recouvert par des pièces flottantes légèrement superposées, formées de parcelles de feuilles, et disposées de telle sorte que Réaumur les compare aux falbalas que les dames attachaient au- trefois au bas de leur robe. î;::ç^ç5l^ V ORDRE DES ORTHOPTERES, Orthoptères coureurs : les Perce-Oreille. — Les Blattes. — Les Mantes. — Les Bléphares. — Les Empuses. — Les Phasmes. — Orthoptères sauteurs : les Grillons. — Les Sauterelles. — Les Criquets. — Les invasions et les ravages des Criquets en différents pays. C'est parmi les Orthoptères que nous rencontrons quelques- unes des plus grandes espèces d'insectes, et particulièrement les espèces aux formes bizarres et insolites. Les insectes les plus con- nus de cet ordre sont les Mantes, les Blattes ou Cancrelats, les Perce-Oreille, les Sauterelles, les Grillons, les Criquets, etc. Les Orthoptères ont les ailes antérieures longues, étroites, demi- cornées; ce sont des èlytres, qui servent de fourreaux aux secondes ailes , comme chez les Coléoptères. Mais les élytres des Ortho- ptères sont moins solides, moins complets que celles des Coléo- ptères. De plus, ils sont ordinairement croisés l'une sur l'autre à l'état de repos, ce qui est encore un caractère distinctif des Orthoptères. Les secondes ailes sont membraneuses, très-larges et veinées; elles se ploient en éventail pendant le repos. La bou- che est composée de pièces libres. Les mandibules, les mâ- choires, les deux lèvres , toujours bien développées, annoncent des insectes broyeurs. Leur voracité et leur rapide multiplication font quelquefois de ces insectes les fléaux des campagnes. On les rencontre surtout dans les pays chauds, où ils causent des rava- ges tels que toute végétation disparaît sur leur passage. Les Orthoptères ne sont pas très-nombreux en espèces. Ce sont des insectes à métamorphoses incomplètes. Ils ne subissent que ORTHOPTÈRES. 325 des changements peu importants, depuis le moment de l'éclosion de l'œuf jusqu'à celui où l'insecte est fait. A sa sortie de l'œuf, l'individu ressemble déjà à ses parents; il n'en diffère que par la taille et l'absence des ailes. Après quatre ou cinq mues successives, l'Orthoptère a presque sa taille défini- tive, et les ailes commencent à paraître sous une sorte de mem- brane. C'est l'état de nymphe. Une dernière mue dégage aussi les ailes. L'insecte est alors parfait, et s'élance dans l'air, avec ses congénères. Tous les Orthoptères connus sont funestes aux récoltes de l'homme, ou aux produits qu'il emmagasine pour son usage. On les divise en deux grandes sections : celle des coureurs et celle des sauteurs. Nous commencerons par les coureurs, qui comprennent les Forficules, les Blattes, les Mantes et les Phasmes. Les Forficules, ou Perce-Oreille, que nous représentons dans les figures 332-33^, sous leurs trois états, ont les élytres très-courts. Fig. 332-334. Forficule ou Perce-Oreille sous ses trois états : de larve, de nymphe et d'insecte parfait. Les ailes de dessous sont très-larges et se plissent à la fois en éventail et en travers. Leur abdomen se termine par une sorte de pince, qui ressemble à celle dont se servaient autrefois les bi- joutiers pour percer les oreilles des jeunes filles, à l'effet d'y in- troduire des anneaux. De là sans doute est venu leur nom; car rien ne justifie la croyance vulgaire que ces insectes s'introdui- sent dans les oreilles, et les percent à l'intérieur, pour pénétrer dans le cerveau. Ce sont des insectes fort innocents, qui ne font aucun mal. Ils vivent de substances végétales et mangent surtout l'intérieur de certaines fleurs. Les Forficules fuient la lumière. On les trouve dans les trous des arbres, sous les écorces, sous les pierres. Les femelles veil- 326 LES INSECTES. lent sur leurs œufs avec une sollicitude maternelle, et les trans- portent ailleurs lorsqu'on y touche. Elles protègent aussi les larves et les nymphes, jusqu'au jour où celles-ci sont assez fortes pour se passer de tout soin. Les Blattes sont des insectes très-nuisibles; leur nom le dit assez, car il vient du grec pXâTtTO), je nuis. Elles sont omnivores, et s'attaquent à toutes les substances mortes , végétales ou animales. Horace leur reproche de dévorer les étoffes comme les Teignes : Cm stragula vestis, Blattarum ac tinearuni epulx^ Putrescit in arca'. Ces insectes désagréables dévorent nos provisions de bouche. Ils ajjondent dans les cuisines, dans les boulangeries, à bord des navires marchands, etc. Leur corps aplati leur permet de s'intro- duire facilement dans les fentes des caisses et des barils; de sorte que, pour s'en garantir, on est obligé, dans les voyages au long cours, d'enfermer les objets dans des boîtes de zinc ou de tôle bien soudées. (^hamisso raconte que des marins ayant ouvert des barriques qui devaient contenir du riz et du blé, les trouvèrent remplies de la Blatte germanique : cette transsubstantiation fut peu agréable à l'équipage ! D'autres naturalistes ont vu cet insecte se fourrer par milliers dans des flacons qui avaient contenu de l'huile. La Blatte aime aussi le cirage des bottes, qu'elle ronge jusqu'au cuir inclusivement. Les nymphes mangent quelquefois la peau abandonnée par une autre nymphe, mais on n'a jamais vu des Blattes s'attaquer entre elles, pour s'entre-dévorer. Ces Orthoptères ont un corps plat et large, un corselet très- développé, des antennes très-longues, des pattes grêles, mais fortes. D'une extrême agilité, ils courent avec une vitesse remar- quable. Ils répandent une odeur nauséabonde, qui souvent per- siste sur les objets qu'ils ont touchés. Le poète comique grec Aristophane mentionne cette particularité dans sa comédie de la Paix. Les Blattes sont pour la plupart nocturnes, et se cachent pen- 1. De qui la tente pourrit dans un coffre, faisant les délices des Blattes et des Teignes. ORTHOPTÈRES. 327 dant le jour. Mais ce sont les plus cosmopolites de tous les in- sectes. Transportés par les navires, ils se perpétuent partout où ils sont amenés, comme de la mauvaise herbe ! La poudre persane, composée de diverses parties du pyrèthrc pulvérisées, est un moyen excellent pour les faire périr. La plupart des espèces de Blattes sont plates, noires ou brunâ- tres. Deux d'entre elles, la Blatte germanique et la Blatte laponne, que l'on rencontre dans les bois des environs de Paris, se sont domestiquées dans les habitations des pays du nord. Elles arri- vent à une taille d'un centimètre. Les Russes prétendent que la Blatte germanique fut importée de la Prusse par leur armée, à son retour de l'Allemagne, après la guerre de Sept ans (1756-1762). Jusqu'à cette époque, elle était inconnue à Saint-Pétersl)Ourg, où on la rencontre aujourd'hui en grand nombre. Elle haljite les maisons, et mange à peu près tout; mais elle préfère le pain blanc à la farine et à la viande. La Blatte laponne dévore les poissons fumés préparés pour l'hiver. Le naturaliste allemand Hummel a fait d'intéressantes obser- vations sur le développement et les mœurs de la Blatte germanique. Les femelles sont très-fécondes. Elles pondent leurs œufs dans une capsule soyeuse, qui a la forme d'un haricot ou d'une fève, avec deux valves à l'intérieur. Elles la traînent pendant quelque temps, appendue à l'extrémité de leur abdomen; puis elles finis- sent par l'abandonner. Hummel plaça sous une cloche de verre une Blatte femelle et une coque toute fraîche, qui venait d'être abandonnée par une autre femelle. H vit alors la Blatte s'approcher de l'œuf, le tâter et le retourner en tous sens. Elle le prit ensuite entre ses pattes de devant, et y pratiqua une ouverture longitudinale. A mesure que la fente s'élargissait, on en vit sortir de petites larves blan- ches, foulées et attachées deux à deux. La femelle présidait à cette opération. Elle aidait les larves à se dégager, en les tirant doucement avec ses antennes. En quelques secondes, elles furent en état de marcher; alors la femelle ne s'en occupa plus. Ces larves changent six fois de peau avant de parvenir à l'état d'insecte parfait. En sortant de leur peau, elles sont incolores, mais les couleurs leur viennent au bout de quelques minutes. A la cinquième mue, qui a lieu trois mois après la naissance, on peut dire qu'elles deviennent nymphes, car on aperçoit alors le commencement des ailes, et toutes les formes de l'insecte sont 328 LES INSECTES. déjà bien arrêtées. La sixième et dernière mue a lieu au bout de six semaines; la nymphe se change alors en insecte parfait. La femelle se distingue du mâle par un abdomen plus renflé. Les Blattes les plus nuisibles sont les Kakerlacs ou Cancrelats, qui ont été importés en Europe par les navires venant des colonies. Le Kakerlac américain a de 4 à 5 centimètres. Ses ailes sont très- longues. Il infeste les navires, court, la nuit, sur les passagers endormis, et dévore les comestibles. On le rencontre dans toutes les parties du monde. Il abonde particulièrement dans les parties chaudes de l'Amérique. Le Kakerlac oriental (Blatta orientalis) est encore plus répandu que le précédent. Il pullule dans les cuisines, les boulangeries, Fig. 335. Kakerlak oriental. les magasins de vivres, etc.. où il se cache dans les fentes des murailles, ou contre les gonds des portes. C'est une petite bête hideuse, d'une odeur repoussante, d'une couleur brun rougeâtre. Sa taille est un peu au-dessus de celle du Kakerlac américain. On lui donne, en France, les noms de Cafard, Panetière, Noirot, Bêle noire, etc. Si, au milieu de la nuit, on entre à l'improviste, avec une lumière, dans des cuisines basses, on voit souvent ces bestioles courir sur les tables, dévorant les restes d'aliments, avec une prestesse étonnante. La plus grande espèce du genre qui nous occupe est la Blatte géante, qui habite Cayenne et le Brésil, et dont la longueur dépasse quelquefois 7 centimètres et l'envergure 18 centimètres. On dit qu'elle ronge, pendant la nuit, les ongles des hommes endormis. C'est principalement dans les pays chauds que les Kakerlacs exercent de grands ravages. Dans les Antilles, dont ils sont le ORTHOPTÈRES. 329 fléau, on assure qu'ils peuvent, en une seule nuit, percer des malles, des caisses, des valises, et y détruire les o])jets qu'on croyait tenir le mieux à l'abri, A certains moments, les murs, les plancliers, les lits, les tables, tout en est infesté, et on ne sait comment préserver les mets de leur contact repoussant. On parvient toutefois à les détruire en partie à l'aide des pou- dres insecticides. Ils ont, en outre, des ennemis naturels. Les oi- seaux de basse-cour et les chouettes en sont très-friands. Une espèce de guêpe, le Chlorion, approvisionne ses larves de Blattes, qu'il engourdit par une piqûre. Plusieurs espèces de Chalcidiens se nourrissent également des œufs de ces Orthoptères, On compte aussi parmi les Blattes certaines espèces exotiques aux couleurs vives. Ces couleurs annoncent quelles ne fuient pas la lumière. Nous citerons, comme exemples, le Brachycole robuste et la Corydie. Les Mantes sont de jolis insectes, de mœurs bien différentes. Ce sont les seuls carnassiers parmi les Orthoptères. Ils se nourrissent de proie vivante, qu'ils saisissent au passage. Ils se tiennent or- dinairement sur les arbustes, demeurant pendant des heures en- tières dans une immobilité complète, pour mieux tromper les insectes qui passent et qui deviendront leurs victimes. C'est cette attitude posée et comme méditative qui leur a valu le nom de Mantes, dérivé du grec [Jtavxtc, devin. On s'est imaginé que dans cette attitude elles interrogent l'avenir. La manière dont elles tiennent leurs longues pattes antérieures élevées en l'air comme des bras, a encore contribué à accréditer cette croyance superstitieuse, que rappellent suffisamment les dénominations données aux diverses espèces de Mantes : religieuse, sainte, prê- cheuse, oratoire, mendiante, etc. Au dire du voyageur Caillaud, une Mante serait, dans l'Afrique centrale, l'objet d'un véritable culte. Suivant Sparmann, une au- tre espèce serait adorée par les Hottentots. Si par hasard une Mante vient à se poser sur une personne, celle-ci est considérée par les Hottentots comme ayant reçu une faveur particulière du ciel : dès ce moment elle compte parmi les saints ! En France, les habitants des campagnes croient que ces insectes indiquent le chemin aux passants. Un naturaliste du dix-septième siècle, Mouffet, dit à ce sujet, dans une description de la Mante : « Cette petite bète est réputée si divine, qu'à l'enfant qui l'inter- roge sur son chemin, elle l'enseigne en étendant une de ses pattes, et se trompe rarement, ou jamais. » 330 LES INSECTES. Aux yeux des paysans du Languedoc, la Mante religieuse est presque un animal sacré : ils l'appellent Prega-Diou (Prie-Dieu), et croient fermement qu'elle l'ait ses dévotions. Son attitude, lorsqu'elle est à l'affût d'une proie, imite, en effet, assez bien celle de la prière. Posée sur le sol. elle redresse la tète et le corselet, joint les articulations des pattes de devant, et de- meure ainsi immobile des heures entières. Mais qu'une mouche imprudente arrive à portée de notre belle dévote, vous la verrez s'en rapprocher en tapinois, à la manière d'un chat qui guette une souris, et avec tant de précaution qu'on s'aperçoit à peine de ses mouvements. Puis tout à coup, rapide comme l'éclair, elle saisit sa victime entre ses pattes, garnies d'épines acérées qui s'entre-croisent, et la porte à sa bouche, pour la dévorer. Notre prétendue Religieuse, Prêcheuse, etc., notre Prega-Diou, n'est qu'une guetteuse patiente et impitoyable. La Mante religieuse (fig. 336, a), assez commune dans le midi de la France, s'avance jusqu'aux environs de Fontainebleau. La 3Iante oratoire, un peu plus petite, est moins répandue. Ces élégants insectes se font remarquer par leur corps élancé, leurs grandes ailes, et leurs couleurs généralement assez vives. Dans quelques espèces, les élytres verts ou jaunâtres imitent à s'y méprendre les feuilles desséchées des arbres. Les Mantes pondent leurs œufs à la fin de l'été, dans des coques arrondies, assez friables, qu'elles attachent aux branches. L'éclo- sion n'a lieu que l'été suivant. Les larves subissentplusieurs mues successives. Rien n'égale la férocité de ces Orthoptères. Lorsqu'on esferme deux Mantes ensemble, elles se livrent un combat, se portent des coups avec leurs pattes de devant, et ne cessent de s'escrimer que lorsque la plus forte des deux est parvenue à manger la tête de l'autre. Dès leur naissance, les larves s'attaquent entre elles. Le mâle étant plus petit que la femelle, est souvent sa vicffme. Kirby nous apprend qu'en Chine les enfants achètent des Mantes, comme dans nos pays ils achètent des Hannetons, et les enferment dans de petites cages de bambou, pour se donner le spectacle émouvant de leurs combats. UAcanthops est une Mante qui vit au Brésil. Aux Mantes se rattachent les Érémiaphiles, qui vivent dans les déserts de l'Afrique et de l'Arabie. Elles se traînent lentement sur le sable, dont elles ont la couleur, au point qu'il est très-difficile ORTHOPTERES. 331 de les en distinguer à l'état de repos. Le voyageur Lefebvre rap- porte qu'il a toujours trouvé ces Orthoptères dans les endroits privés de toute végétation, et où il n'y avait aucune autre espèce Fig. 33f). IMante religieuse et sa larve (a). Empuse pauvresse et sa larve (6). d'insectes qui aurait pu leur servir de pâture : il est donc pro])a- ble qu'ils vivent d'insectes microscopiques. Les Empuses, qui forment une autre famille parmi les Mantes, ontdes antennes pectinées chez les mâles, plus petites chez les Xemelles. Le genre Blepharis, auquel appariient VEmpitse pauvresse {Ble- 332 LES INSECTES. pharis menclica), se rencontre en Egypte, en Arabie, aux iles Ca- naries. LEmpuse pauvresse, qui est d'un vert pâle, n'est pas rare dans le midi de la France. On la voit représentée, avec la Mante reli- gieuse, dans la figure 336. h'Emjmse gongylocle, qui habite l'Afrique, porte des manchettes à ses bras et des volants à sa robe. Les Phasmes ou Spectres se distinguent des Mantes par leur corps très-allongé, droit et raide comme un bâton, par l'absence des pattes préhensibles et par leur genre de nourriture, qui est exclusivement végétal. Ils se nourrissent de feuilles fraîches. Leurs œufs sont pondus à nu, sans enveloppe soyeuse. Quant aux mœurs de ces insectes, elles sont peu connues, parce que la plupart des espèces sont exotiques; ils habitent principalement l'Amérique méridionale, l'Asie, l'Afrique et la Nouvelle-Hollande. C'est dans cette tribu que l'on rencontre les formes les plus bi- zarres et les plus monstrueuses, comme le prouvent les déno- minations populaires qu'elles ont reçues en différents pays : spec • très, fantômes, chtvaux du diable, soldats de Cayenne, feuilles ambulantes, bâtons animés, etc. On trouve aussi parmi les Phasmes les plus grands insectes connus, car il en est qui atteignent une longueur de trente cen- timètres. Les plus beaux Phasmes sont ceux de la Nouvelle-Hollande et de la Tasmanie. Nous citerons comme exemple le Phasme géant [Cyphocrana gigas) . Quelques espèces sont dépourvues dailes, et ressemblent, à s'y méprendre, à des tiges de bois sec. Le type le plus connu est le Bacille de Rossi (fig. 337), que l'on rencontre aux environs de Cannes et d'Hyères. Cet insecte inof- fensif marche lentement sur les branches des arbres, et aime à se reposer au soleil, ses longues pattes antennaires étendues en avant. D'autres espèces, pourvues d'ailes, ont tout à fait l'aspect des feuilles dont elles se nourrissent ; telles sont les Phyllies ou Feuilles ambulantes des Indes orientales. D'après Cuningham, tous ces insectes ont des habitudes soli- taires et paisibles. On ne les rencontre qu'au nombre d'un ou de d'eux individus seulement, se traînant avec lenteur sur les arbris- seaux, où ils passent les mois les plus chauds de l'année. Quel- ques-uns, lorsqu'on les saisit, lancent un liquide laiteux d'une odeur forte et désagréable. ORTHOPTÈRES. 333 Les Orthoptères dont nous avons parlé jusqu'ici avaient les six pattes appropriées à la course. C'étaient les Orthoptères coureurs. Les Orthoptères sauteurs, auquels nous arrivons maintenant, ont Fig. 337. Bacille de Rossi, mâle, femelle et larve. les pattes postérieures plus fortes et renflées, ce qui les rend pro- pres à exécuter des sauts. Cette section comprend trois familles, qui ont pour principaux types les Grillons, les Sauterelles et les Criquets. Tous ces insectes se ressemblent par la disproportion qui existe entre les pattes postérieures et les deux paires de devant. Un 334 LES INSECTES. autre caractère qui leur est commun consiste dans le chant des mâles. Ce chant, bien connu, qui parait avoir pour but d'appeler les femelles, n'est qu'une sorte de stridulation, produite par le frottement des élytres. Mais le mécanisme varie un peu pour les trois espèces. Ciiez les Grillons, les élytres tout entiers sont sillonnés de nervures épaisses, très-saillantes et très-dures, qui sont la cause du bruit que l'insecte produit en frottant ces élytres l'un contre l'autre. Chez les Sauterelles, ou Locustes, il existe seule- ment à la base des élytres une membrane transparente, appelée le miroir, qui est garnie de nervures saillantes et sert à produire la stridulation. Enfin, les Acridiens ont les cuisses et les élytres garnis de stries élevées et très-dures. Les cuisses, en passant ra- pidement et avec force sur les nervures des élytres, produisent le son, à la manière d'un archet qui frotte les cordes d'un violon. Chez tous ces insectes, le mâle seul est doué de la faculté de faire du bruit. Les Grillons et les Sauterelles ont des antennes très-longues et minces, tandis que les Acridiens (Criquets) ont des antennes courtes, soit aplaties, soit filiformes, soit renflées en forme de massue. Chez les deux premières espèces, la femelle est munie d'une tarière, qui est plus forte chez les Sauterelles que chez les Grillons. Les femelles des Criquets n'ont pas de tarière. Étudions successivement les trois types de ces familles, à savoir: les Grillons, les Sauterelles et les Criquets. Les Grillons sont répandus dans toutes les parties du monde. Ce sont ces insectes que le peuple désigne, en France, sous le nom de Cri-cri. Le Grillon des champs (fig. 338) vit solitairement, dans un trou qu'il se creuse en terre, et où il se tient pendant le jour. Il ne quitte sa retraite qu'à la nuit, pour chercher sa nourriture. Il est très-timide. Au moindre bruit, il cesse son chant. S'il est posté au bord de son terrier, il y rentre dès qu'on approche. Les trous des Grillons sont bien connus des enfants de la cam- pagne, qui savent prendre ces insectes en leur présentant une paille. L'imprudent Grillon la saisit aussitôt avec ses mandibules et se laisse tirer hors de son trou. C'est pour cela qu'on dit : plus sot qu'un grillon. Cet insecte est très-frileux. Il tourne toujours vers le midi l'orifice de son trou. Il se nourrit d'herbes, peut-être aussi d'in- sectes. Le Grillon domestique, long d'environ deux centimètres, d'une ORTHOPTÈRES. 335 teinte cendrée, se rencontre surtout dans les boulangeries et dans les cuisines de campagne, où il se cache, le jour, dans les cre- 338. Grillon des champs. vasses des murailles ou derrière les plaques des cheminées. Il mange de la farine, peut-être aussi les petits insectes qui vivent dans la farine. Lorsqu'on place plusieurs Grillons dans une boite, ils s'entre- dévorent. Gela ne prouve pas précisément qu'ils soient carnas- siers, car il y a plusieurs espèces ne se nourrissant que de végé- taux et qui se détruisent également dans ce cas. Quelques auteurs prétendent que ces insectes sont toujours al- térés, car on les trouve souvent noyés dans les vases qui renfer- ment un liquide quelconque. Tout ce qui est humide est de leur goût. C'est pour cela qu'ils font quelquefois des trous aux vête- ments mouillés qu'on suspend près du feu pour les sécher. Ils habitent de préférence les maisons nouverllement construites; car le mortier encore humide leur permet d"y creuser plus facilement leurs demeures. Les habitudes du Cri-cri domestique sont nocturnes, comme celles de son congénère des champs. Ce n'est qu'à la nuit qu'il sort de sa retraite, pour aller à la recherche de sa nourriture. Quand on l'expose malgré lui à la lumière du jour, il paraît en- Cet insecte rappelle, parmi les Oiseaux, la Chouette, non-seu- lement par ses habitudes lucifuges, mais encore par son chant monotone, auquel le vulgaire attache, on ne sait pourquoi, un présage de mauvais atigure pour la maison dans laquelle on l'en- tend. Autrefois ce singulier préjugé était bien plus enraciné qu'il 336 LES INSECTES. ne l'est aujourd'hui. Le chant du Cri-cri n"a cependant pour but que d'appeler la femelle. Le Grillon sylvestre, heaucoui^ \Au& petit que le précédent, se ren- contre en grand nombre dans les bois, où ses sauts produisent quelquefois le bruit de gouttes de pluie. Les femelles des Grillons ont une longue tarière, pour déposer leurs œufs dans les fentes et crevasses du sol. Chacune pond envi- ron trois cents œufs, vers le milieu de l'été. Les larves passent l'hiver et ne deviennent nymphes ou insectes parfaits que l'été suivant. Mouffet rapporte que, dans certaines régions de l'Afrique, les Grillons sont un objet de commerce. On les élève dans de petites cages, comme nous faisons pour les Serins Canaris, et on les vend aux habitants, qui se plaisent à entendre leur chant amoureux. Ce chant les dispose au sommeil. On dit que certaines peuplades mangent ces insectes. Chez nous, ils sont recherchés comme appâts pour la pèche. On s'en sert dans les ménageries, pour nourrir de petits reptiles. Fig. 339. Grillon-Taupe ou Courtilière. On range près des Grillons les OEcanthes, insectes du midi de l'Europe, qui vivent sur les plantes, et qu'on voit souvent voltiger sur les fleurs; — les Sphœries , qui vivent dans les fourmilières; ORTHOPTÈRES. 337 — les Platy dactyles; — enfin les Cour lilièresow. Taupes-Grillons, dont les mœurs méritent de nous arrêter un instant. Les Gourtilières se distinguent de tous les autres insectes par Fig. 340. Nid de Courtilière. la structure de leurs pattes antérieures, qui sont élargies et dentées, de manière à représenter une sorte de main, analogue à celle des Taupes. Cette main trahit leurs mœurs, bien mieux que nos mains ne trahissent les nôtres; on n a pas besoin de chiroman- cie pour y lire des habitudes de fouisseur. Les Gourtilières sen 22 3S8 LES INSECTES, servent, en effet, comme d'une pelle, pour creuser des galeries souterraines, et pour accumuler à côté de l'orifice les débris qu'elles en retirent. Leur nom vulgaire vient du vieux mot fran- çais courlille, qui signifie jardin; il rappelle le séjour favori de ces insectes nuisibles. Si les Courtilières, ou Grillons-Taupes, ont des pelles aux pattes de devant, en revanche leurs pattes de derrière sont peu déve- loppées; de sorte qu'il leur est tout à fait impossible de sauter, d'autant plus que leur abdomen volumineux s'y opposerait. Les ailes sont larges et se replient en forme de lanières ; elles servent peu, et ce n'est qu'à la tombée de la nuit qu'on voit la Courtilière prendre ses ébats, en décrivant dans l'air des courbes peu élevées. On la rencontre surtout dans les terrains cultivés : potagers, pé- pinières, champs de blé, etc., où elle se creuse une cavité ovale communiquant avec la surface par un trou vertical (fig. 3(â0.) A ce trou aboutissent de nombreuses galeries horizontales, plus ou moins inclinées, qui permettent à l'insecte de gagner sa retraite par beaucoup de chemins, lorsqu'il est poursuivi. On comprend sans peine qu'un insecte qui mine de la sorte les terrains, doive causer de grands dommages aux cultures. Que les végétaux lui servent ou non de nourriture, ils n'en sont pas moins détruits sur son passage. On reconnaîtàla couleur de la végétation, qui est jauneet flétrie, les terrains infestés par les Taupes-Grillons. En outre, les déblais que ces fouisseurs entassent à côté des orifices de leurs galeries, et qui ressemblent en miniature aux taupinières, dévoilent leur présence aux cultivateurs. Pour les détruire, on verse de l'eau ou d'autres liquides dans leurs nids, ou bien on enterre, à différentes distances, des vases remplis d'eau, dans lesquels les Courtilières viennent se noyer. Dès le mois d'avril, les mâles se rendent à l'entrée de leurs ter- riers et font entendre leur cri d'appel. Ce sont des notes lentes, vibrantes, monotones, qu'ils répètent longtemps sans interruption et qui ressemblent vaguement au cri de la Chouette et de l'Engou- levent. La femelle fécondée pond ses œufs, au nombre de deux à trois cents à l'intérieur d'une sorte de chaml)re creusée dans un ter- rain assez compacte pour résister aux pluies. L'éclosion a lieu au bout d'un mois. Ce n'est qu'au printemps suivant que les larves passent à l'état de nymphe, et que les organes du vol commencent à se dessiner. ORTHOPTÈRES. 339 Il faudrait, selon M. Fébiirier, trois ans pour le développement complet de la Taupe-Grillon, ce qui indiquerait chez ces insectes une longévité remarquable. Tous les auteurs s'accordent d'ailleurs à vanter la sollicitude avec laquelle la Courtilière prend soin de ses petits. Elle les surveille et va-, dit-on, leur chercher leur nour- riture. Les Tridactyles, qui ont beaucoup d'analogie avec les Taupes- Grillons, sont les plus petits Orthoptères connus : ils n'ont pas plus de cinq millimètres de longueur. On les rencontre dans le midi de la France, sur les bords du Rhône et des autres rivières, où ils prennent leurs ébats dans le sable exposé au soleil. Les Tridactyles sautent avec une agilité remarquable, même à la surface de l'eau, car leurs pattes sont munies d'appendices for- tement aplatis, véritables battoirs. Les Sauterelles, ou Locustes, exécutent des sauts plus étendus que les Grillons, grâce à la conformation de leurs jambes posté- rieures. Elles s'aident souvent de leurs ailes, qui sont très-dé ve- loppées. Ces insectes sont incapables de marcher, à cause de la disproportion qui existe entre leurs différentes paires de pattes. On ne les voit jamais avancer que par bonds. La femelle est pour- vue d'une tarière recourbée, à deux valves, que les enfants appel- lent son sabre. Elle lui sert à entamer la terre, afin d'y déposer ses œufs. Le mâle produit une stridulation aiguë, en frottant l'un contre l'autre ses élytres munis de plaques résonnantes, que l'on pourrait comparer à des cymbales. Le chant des Sauterelles, connu de tout le monde, est un zic- zic-zic monotone, qu'on peut entendre le soir dans les prairies. C'est à cause de ce chant qu'on donne quelquefois, à tort, le nom de Cigale à notre grande Sauterelle verte. Comme nous l'avons déjà dit en parlant de la Cigale, c'est la Sauterelle verte que la Fontaine avait en vue dans sa fable de la Cigale et la Fourmi, car toutes les figures qui ornent les anciennes éditions de fables de cet auteur représentent une Sauterelle, et non une Cigale. Les Sauterelles sont répandues dans toutes les parties du monde , mais surtout dans l'Amérique du Sud , qui renferme à peu près les trois quarts des espèces connues. Au contraire, les espèces européennes sont peu nombreuses. Leurs habitudes sont celles des autres Orthoptères herbivores. Elles vivent dans les prairies, dans les champs, sur les arbres, dévorant les feuilles et les tiges des végétaux ; mais elles ne sont jamais en assez grand nombre pour causer des ravages compara- 340 LES INSECTES. blés à ceux des Acridiens. On les voit apparaître dès le mois de juillet et disparaître aux premiers froids. Vers la fin de l'été, leur chant se fait entendre dans les prairies et les champs de blé. Les femelles, appelées 'par les mâles, ne tardent pas à s'accoupler et à pondre leurs œufs dans la terre» Les œufs passent l'hiver, et les larves n'en sortent qu'au prin- temps suivant. Après quatre mois, elles se transforment en nym- phes qui montrent déjà des ailes rudimerrtaires, et qui, par une cinquième mue, passent à l'état parfait. La grande Sauterelle verte (Locusta viridissima) est fort commune en Europe. Elle se tient pendant le jour sur les arbres, et va le soir prendre ses ébats dans les prairies, où elle chante le soir. Le Dectique verrucivore (tig. 341) est une espèce plus courte et Fig. 341. Dectique verrucivore pondant. un peu plus trapue, qui se distingue par une tête fort large, of- frant des couleurs grises mélangées. On l'entend chanter, pendant le jour, dans les blés mûrs. Son nom lui vient de l'usage qu'en font les paysans"en';Suède et en Allemagne contre les verrues. « Les paysans, dit Charles de Geer, font mordre à ces Sauterelles les ver- rues qu'ils ont souvent sur les mains, et la liqueur que l'insecte verse en même temps de la bouche dans la plaie, fait sécher et disparaître les verrues. C'est pourquoi ils leur ont donné le nom de Wartbit, qui veut dire ronge- verrue. ORTHOPTÈRES. 341 Les Phanéroptères et les Copiphores sont des Sauterelles exoti- ques. Les Éphippigères sont de petites espèces dont le corselet, forte- ment excavé, ressem])le à une selle de cheval. On rencontre assez fréquemment aux environs de Paris YÈphippigbre des vignes, qui est verdâtre, avec quatre raies brunes sur la tète. Chez cette es- pèce, les élytres sont à peu près nuls et les ailes sont réduites à de simples écailles voûtées dont le frottement produit une stri- dulation. Les femelles partagent cette disposition avec les mâles : les Éphippigères peuvent donc exécuter des duos^ La famille des Grillacris ressem])le beaucoup aux Grillons. Elle comprend les Anostoslomes de la Nouvelle-Hollande, qui, à ce que l'on prétend, sont dépourvus d'ailes, même à l'état parfait. Nous arrivons à la redoutable tribu des Acridiens, ou Criquets, dont les affreux ravages sont ordinairement endossés par les Sau- terelles. Les Criquets sont, parmi les Orthoptères, les mieux conformés pour sauter. La cuisse et la jambe, repliées ensemble au repos, sétendent brusquement, sous l'action de muscles très-puissants. Le corps, posant alors sur les tarses et sur les épines mobiles des jambes, se trouve lancé en l'air à une grande hauteur. Les Cri- quets volent très-bien, mais la course leur est interdite, comme elle l'est aux Sauterelles. Les femelles n'ont point de tarière. Cette particularité, et la configuration des antennes, qui sont très-cour- tes, distinguent les Criquets des Sauterelles. Les mâles, comme nous l'avons déjà dit, exécutent une stridu- lation perçante, en frottant leurs cuisses sur les élytres. Ce n'est jamais qu'une seule cuisse qui est en mouvement; l'insecte se sert tour â tour de la cuisse gauche et de la droite. Le son est renforcé par une sorte de tambour rempli d'air et recouvert d'une peau très-mince, qui se trouve de chaque côté du corps, à la base de l'abdomen. Le chant des Criquets est plus varié que celui des Sauterelles. Il comporte plusieurs notes différentes; c'est un vé- ritable bruit de crécelle, mais avec des timbres très-divers, selon les espèces. Les Acridiens sont diurnes: ils fréquentent les lieux secs et aiment â se poser sur les herbes, en plein soleil. Certaines espè- 1. Le genre Saga atteint quelquefois des dimensions extraordinaires. Ainsi, en 1863, on a recueilli en Syrie, à la suite d'une pluie de Sauterelles ordinaires, un exemplaire de Saga qui avait une longueur de 13 centimètres. 11 a été offert au Muséum d'histoire naturelle de Paris par M. L. Delair. 342 LES INSECTES. ces, qui habitent les régions chaudes du Midi, remuent les jambes sans qu'on entende le bruit qu'elles produisent ; il n'est percep- tible que pour les oreilles délicates. Dans ces pays, la Cigale est donc*la musicienne brevetée, et les Criquets mettent une sourdine à leur musique de carrefour. Les Criquets sont très-abondants dans toutes les parties du monde. Dans les pays du Nord, où ils se multiplient moins rapi- dement, leurs dégâts sont moins désastreux, quoique encore con- sidérables. Mais dans les parties méridionales du globe ils con- stituent un véritable fléau : la huitième des plaies d'Egypte. Certaines espèces se multiplient d'une manière si prodigieuse , qu'elles ravagent de vastes champs, et dans un temps très-court réduisent des contrées entières à la dernière misère. Ces insectes se gonflent d'air et entreprennent des voyages, pendant lesquels ils font plus de six lieues en un jour, dévastant sur leur parcours toute la végétation. L'espèce la plus nuisible est le Criquet nomade [Acridium ou Fig. 342. Grand criquet d'Afrique, petites larves sortant de ]"œuf, œufs. (Acridien voyageur.) /Édipodium migratorium, fig. 342), très-commun en Afrique, aux Indes, dans tout l'Orient. On trouve des individus isolés dans les prairies des environs de Paris, surtout à la lin de l'été. Cette es- ORTHOPTERES. 343 pèce est verdâtre, avec des élytres transparents, d'nn gris sale, des ailes blanchâtres et des jambes roses. Le Criquet nomade a le corps rouge , les élytres gros , tachetés de noir, les jambes rougeàtres. Une seconde espèce, le Criquet cVItalie {Calliptamus) , fait aussi beaucoup de dégâts dans le Midi. Toutes ces espèces ont cinq mues, qui prennent un mois et demi; la dernière a lieu à la fin de la belle saison, vers l'au- tomne. C'est surtout dans les pays chauds que les Criquets deviennent le fléau de l'agriculture. Là où ils s'abattent, ils changent tout à coup en désert aride la contrée la plus fertile. On les voit arriver en bandes innombrables, qui de loin ont l'aspect de nuages ora- geux. Ces nuées sinistres cachent le soleil. Aussi haut et aussi loin que les yeux peuvent porter, le ciel est noir, et le sol inondé de ces insectes. Le bruissement de ces millions d'ailes est compa- rable au bruit d'une cataracte. Quand l'horrible armée se laisse tomber à terre, les branches des arbres cassent. En quelques heu- res, et sur une étendue de plusieurs lieues, toute végétation a disparu. Les blés sont rongés jusqu'à la racine, les arbres dé- pouillés de leurs feuilles. Tout a été détruit, scié, haché, dévoré. Quand il ne reste plus rien, le terrible essaim s'enlève, comme à un signal donné, et repart, laissant derrière lui le désespoir et la famine. Il va à la recherche d'un autre pâturage : quxrens quem devoret ! Ordinairement, pendant l'année ([ui suit celle où une contrée a été dévastée par une pluie de Criquets, les dégâts de ces insectes sont moins à craindre ; car il arrive souvent qu'après avoir tout ravagé, ils périssent de faim avant l'époque de la ponte. Mais leur mort devient la cause d'un mal plus grand. Leurs innombrables cadavres, amoncelés et échauffés par le soleil, ne tardent pas à entrer en putréfaction. Par les exhalaisons infectes qui s'en dégagent, des maladies épidémiques se déclarent, qui dé- ciment les populations. Les Criquets naissent dans les déserts de l'Arabie et de la Tar- tarie ; les vents d'est les amènent en Afrique et en Europe. Les navires qui se trouvent dans les parages de l'est de la Méditerra- née en sont parfois couverts, à une grande distance des conti- nents. La Bible rapporte, au dixième chapitre de VExode, que Jéhovah ordonna à Moïse d'étendre la main, pour faire venir sur tout le 344 LES INSECTES. pays d'ÉgyjDte les Sauterelles {Arbelh), comme huitième plaie, des- tinée à intimider Pharaon, rebelle à sa volonté. Ces insectes arri- vèrent, amenés par un vent d'orient, et couvrirent à ce point la surface du pays, que l'air en était obscurci. Ils broutèrent toute l'herbe de la terre et tout le fruit des arbres que la grêle (la sep- tième plaie) avait laissé. Un vent d'occident les emporta, lorsque Pharaon eut enfin promis de laisser partir le peuple d'Israël ^ Pline rapporte que dans plusieurs pays de Grèce une loi obli- geait les habitants à faire la guerre aux Criquets trois fois par an, c'est-à-dire sous leurs trois états d'œuf, de jeune et d'adulte. Dans l'île de Lemnos, les citoyens étaient imposés à un certain nombre de mesures de Criquets. L'an 170 avant notre ère, les Criquets dévastèrent les environs de Capoue. L'an 181 après Jésus-Christ, ils exercèrent leurs ra- vages dans le nord de l'Italie et dans la Gaule. En 1690, les Sauterelles arrivèrent en Pologne et en Lithuanie, par trois endroits et comme en trois corps. « Il s'en trouva en certains lieux, écrivait Fabbé de Ussans, témoin ocu- laire, où elles étaient mortes les unes sur les autres, jusqu'à quatre pieds de hauteur. Celles qui étaient vivantes se perchant sur les arbres, faisaient ployer les branches jusqu'à terre tant leur nombre était grand. Le peuple crut qu'il y avait des espèces de lettres hébraïques sur leurs ailes; un rabbin prétendit y lire les mots qui signifient en français: Colère de Dieu. Les pluies faisaient mourir ces insectes, ils infectèrent l'air, et les bestiaux qui en man- geaient parmi l'herbe, mouraient aussitôt. » En 1749, les Criquets arrêtèrent l'armée de Charles XII, roi de Suède, en retraite dans la Bessarabie, après sa défaite de Pultawa. Le roi se croyait assailli par un orage de grêle, lorsqu'une nuée de ces insectes s'abattit brusquement sur son armée, engagée dans un défilé. Hommes et chevaux étaient aveuglés par cette grêle vivante, tombant d'un nuage qui cachait le soleil. L'arrivée des Criquets avait été annoncée par un sifflement pareil à celui qui précède une tempête, et le bruissement de leur vol couvrait la voix de la mer Noire. Toutes les campagnes furent bientôt dé- solées sur leur passage. Pendant la même année, une grande partie de l'Europe fut 1. « Moïse étendit sa verge sur le pays d'Egypte et rÉternel fit passer sur le pays un vent oriental, tout le jour et toute la nuit, et au matin le vent oriental avait amené les sauterelles. Elles étaient en très-grand nombre. Elles couvrirent la surface de tout le pays, tellement que la terre en fut couverte, et elles broutèrent toute l'herbe de la terre, et tout le fruit des arbres que la grêle avait laissé, et il ne demeura aucune verdure aux arbres, ni aux herbes des champs dans tout le pays. » ORTHOPTÈRES. 345 envahie par ce fléau. Les journaux du temps sont remplis de récits relatifs à cette calamité publique. En 1755, le Portugal fut atteint. C'était l'année du tremblement de terre de Lisbonne. Tous les fléaux semblaient donc s'acliarner sur ce malheureux pays. En 1780, le mal prit, en Transylvanie, des proportions telles qu'il fallut réclamer l'aide de l'armée. Des régiments ramassaient les insectes et les enfermaient dans des sacs. Quinze cents per- sonnes s'employèrent à les écraser, à les enterrer, à les brûler. Malgré tout, leur nombre ne paraissait pas diminué. Un vent froid, qui s'éleva heureusement, les fit disparaître. Mais au printemps suivant le fléau reprit son cours. Tout le pays s'employa à le com- battre. On poussait les Sauterelles avec de grands ])alais, dans des fossés, au fond desquels on les brûlait. Le pays n'en fut pas moins ruiné. Les Sauterelles se montrèrent à la même époque dans l'empire du Maroc, ou elles causèrent une famine affreuse. Les pauvres erraient de tous côtés, déterrant les racines des végétaux, se jetant sur les fientes des chameaux, pour y chercher les grains d'orge conservés... Barrow et Levaillant, dans leurs Voyages à travers l'Afrique cen- trale, parlent de semblables calamités arrivées plusieurs fois, de 1784 à 1797. Ils ajoutent que les rivières sont alors masquées par les cadavres de Criquets qui couvrent tout le pays. D'après Jackson, en 1739 les Criquets couvrirent toute la sur- face du sol, de Tanger à Mogador. Toute la région voisine du Sahara fut ravagée, tandis que de l'autre côté de la rivière El Kos on ne voyait pas un seul de ces insectes. Quand le vent vint à souffler, ils furent poussés dans la mer, et leurs cadavres occa- sionnèrent une peste qui désola la Barbarie. Les Indes et la Chine sont souvent la proie de ces insectes dé- vastateurs. En 1735, des nuages de Criquets cachaient aux Chinois le soleil et la lune. Non- seulement les récoltes sur pied, mais encore les céréales en magasin et les vêtements dans les maisons furent dévorés. Dans le midi de la France, les Criquets se multiplient quelque- fois si prodigieusement, qu'on peut remplir en peu de temps plusieurs barils de leurs œufs. Ils ont causé , à diverses époques, d'immenses dégâts. C'est notamment dans les années 1613, 1805, 1820, 1822, 1825, 1832 et 1834 que leurs apparitions ont été re- doutables dans cette région. 346 LES INSECTES. Mézeray rapporte qu'au mois de janvier 1613, sous Louis XIII, les Sauterelles firent invasion dans la campagne d'Arles. En sept ou huit heures, les blés et les fourrages furent dévorés jusqu'à la racine, sur une étendue de pays de 15 000 arpents. Elles passèrent ensuite le Rhône, vinrent à Tarascon etàBeaucaire,où elles man- gèrent les plantes potagères et la luzerne. Puis elles se transpor- tèrent à Aramon, à Monfrin, à Valabrègues, etc., où elles furent heureusement détruites en grande partie par les Étourneaux et autres oiseaux insectivores, accourus, par bandes immenses, à cette curée formidable. Les consuls d'Arles et de Marseille firent ramasser les œufs. Arles dépensa, pour cette chasse, 25 000 francs, el Marseille 20 000 francs. 3000 quintaux d'œufs furent enterrés ou jetés dans le Rhône. En comptant 1 750 000 œufs par quintal, cela donnerait un total de 5 milliards 250 000 000 de Sauterelles détruites en germe, et qui, sans cela, auraient bientôt renouvelé les ravages dont le pays venait d'être victime. En 1822, on dépensa encore en Provence 2 227 francs pour le même objet. En 1825, la chasse coûta 6 200 francs. On payait une prime de 50 centimes pour chaque kilogramme d'œufs, et la moitié pour chaque kilogramme d'insectes. Ces œufs recueil- lis étaient brûlés, ou bien on les écrasait avec de pesants rou- leaux. La chasse aux Criquets, qui se faisait en Provence, à l'époque dont nous parlons, était confiée aux femmes et aux enfants. Elle consistait à promener à ras de terre de grands draps, dont on tenait les coins relevés. Les Criquets venaient s'y poser, et on s'en emparait en roulant le drap. Dans le territoire des Saintes-Mariés, situé, non loin d'Aigues- Mortes, sur le bord de la Méditerranée, on remplit 1598 sacs à blé de Sauterelles mortes, d'un poids de 68 861 kilogrammes, età Arles 165 sacs, ou 6 600 kilogrammes. Les primes accordées aux chas- seurs s'élevèrent à 5 542 francs. Mais l'année suivante les Saute- relles causèrent plus de dégâts encore. On trouve toujours des Sauterelles en Algérie, dans les provinces d'Oran, Bone, Alger, Bougie; mais elles ne vont pas jusqu'à pro- duire ces invasions terribles qui changent en désert les lieux cul- tivés. Il y a en Algérie des années à Sauterelles, commeilyachez nous des années à Hannetons, à Altises, à Chenilles, etc. Ces fléaux sont heureusement assez rares. Les plus terribles ont eu lieu en 1845 et en 1866. ORTHOPTERES. 347 En 1845, une invasion formidable de Sauterelles arriva en Algé- rie. Elle dura cinq mois, de mars à juillet. Chaque jour amenait de nouvelles bandes de ces insectes dévastateurs. M. Henry Ber- thoud, qui habitait alors Alger, en vit une colonne, dont le pas- sage, commencé avant le jour, était à peine terminé à quatre heures de l'après-midi. Le docteur Guyon, médecin de l'armée, correspondant de lln- stitut, adressa à cette compagnie savante la relation de quelques particularités de l'invasion des Sauterelles de 1845, dont il fut témoin. Il parle d'une bande de Sauterelles qui passa le 16 mars au-dessus de la plaine de Sebdou, se dirigeant vers le désert d'Angard. Ce passage dura trois heures. Les Sauterelles, n'ayant rien trouvé à dévorer dans le désert, revinrent sur leurs pas, et le lendemain elles s'abattaient dans la plaine de Sebdou, qui a 30 kilomètres de long sur 12 à 15 kilomètres de large. En quatre heures, toutes les récoltes furent dévorées, toute la végétation dé- truite. « Les Sauterelles, dit le docteur Guyon, laissèrent après leur départ une odeur infecte d'herbes putréfiées produites par leurs excrétions. » A Alger, dans le faubourg Bab-Azoum, on les vit pénétrer en masses dans les magasins d'orge, et l'on eut toutes les peines du monde à les en chasser. On élevait devant ces magasins des bar- ricades, pour empêcher l'invasion de ces barbares volants. Les Sauterelles ne dévorent donc pas seulement des plantes vertes : les grains deviennent aussi leur proie. On les vit en 1845 pénétrer dans les silos où les indigènes conservent les blés. D'après le rapport du commandant de la place de Philippeville, M. Levaillant, une colonne de Sauterelles s'abattit sur cette région le 18 mars 1845. Cette colonne avait une étendue de 30 à 40 cen- timètres. On trouvait sur le sol une épaisseur de Sauterelles qui avait jusqu'à 3 centimètres de hauteur. Les soldats et les colons faisaient à ces envahisseurs une guerre incessante. On les pourchassait à coups de fusil. Les résultats de cette guerre d'un nouveau genre méritent bien d'être rappelés. \ux environs d'Alger seulement, on détruisit, en 1845, S69 quintaux de Sauterelles. On comptait 400 Sauterelles par kilogramme : c'est donc un total de 14 760 000 individus qui furent détruits. Comme dans ce nombre il se trouve généralement moitié de femelles, et que chaque femelle pond en moyenne 70 œufs, il résulte que cette chasse empêcha la production de 516 600 000 larves de Sauterelles sur le seul territoire d'Alger. 348 LES INSECTES. L'invasion de Sauterelles «qui a eu lieu en 1866, dans notre colonie d'Afrique, a été tout aussi désastreuse que celle de 1845, C'est dans le courant d'avril 1866 que parurent les premières phalanges de ces insectes dévastateurs. Débouchant par les gorges des montagnes et par les vallées dans les plaines fertiles du litto- ral, elles s'abattirent d'abord sur la plaine de la Mitidja et sur le Sahel d'Alger. Leur masse, sur certains points, interceptait la lu- mière du soleil, et ressemblaità ces tourbillons de neige qui, pen- dant les tempêtes d'hiver, dérobent aux regards les objets les plus rapprochés. La végétation offrait à leur voracité un appât qui les attirait. Bientôt les colzas, les avoines, les orges, les blés tardifs, les plantes maraîchères furent en partie détruits. Sur cer- tains points, les Sauterelles pénétrèrent dans l'intérieur des habi- tations. Le gouvernement général de l'Algérie s'efforça de ranimer le courage des populations. Par ses ordres, les troupes se joignent aux colons pour combattre le fléau. Les Arabes, atteints eux- mêmes dans leurs intérêts, se lèvent pour apporter leur concours contre l'ennemi commun. Des quantités immenses de Sauterelles sont détruites en quelques jours. Mais que peuvent les efforts hu- mains contre ces multitudes ailées, qui s'échappent dans l'espace, et n'a])andonnent un champ que pour aller retomber sur le champ voisin! Il n'était pas possible d'empêcher la fécondation de ces insectes. La ponte donnant promptement naissance à des larves innombra- bles, les premiers essaims furent bientôt centuplés et remplacés par une génération nouvelle. L'apparition des jeunes Sauterelles est particulièrement re- doutable, en raison de leur voracité. Ces masses affamées se précipitent sur tout ce qui a été épargné par leurs devanciè- res. Elles encombrent les sources, les canaux, les ruisseaux ; et l'on a grand'peine à débarrasser les eaux de ces causes d'in- fection. Presque en même temps, les provinces d'Oran et de Constantine furent envahies. A Tlemcen, où de mémoire d'homme les Criquets n'avaient point encore paru, le sol en était jonché. A Sidi-bel- Abbès, à Sidi-Brahim, à Mostaganem, ils attaquèrent les ta- bacs, les vignes, les figuiers, les oliviers même, malgré l'amer- tume de leur feuillage. A Relizane et à l'Habra, ils envahirent les cultures de cotonniers. La route de 80 kilomèla"es qui relie Mos- taganem à Mascara, en fut couverte dans tout son parcours. ORTHOPTÈRES. 351 Dans la province de Constantine, les Sauterelles apparurent presque simultanément, du Sahara à la mer, et depuis Bougie jusqu'à la Galle. A Batna, à Sétif, à Constantine, à Guelma, à Bone, à Philippeville, à Djidjelly, les populations luttaient avec énergie contre cette invasion. Mais ni le feu, ni les obstacles oppo- sés à la mardis de ces phalanges ailées ne purent empêcher les désastres. Pour alléger autant que possible la ruine qui avait ainsi atteint notre colonie, le gouvernement français ouvrit, à la fin de Tan- née 1866, une souscription publique. N'est-il aucun moyen d'empêcher ces terribles imasions? Les nègres du Soudan s'efforcent deffrayer les Sauterelles dans leur vol, en jetant des cris sauvages. En Hongrie, on a employé, dans le même but, le bruit du canon. Au moyen âge, à défaut du canon, on exorcisait' les Sauterelles. Un voyageur du seizième siècle, le moine Alvarez, rapporte qu"il employa aussi les exorcismes contre une immense nuée de ces insectes destructeurs, qu'il rencontra en Ethiopie. Quand il les eut aperçus, il fit former en procession les Portugais et les indi- gènes, et leur ordonna de chanter les psaumes. « Ainsi chantant, dit-il, nous nous acheminâmes en une campagne, là où étoient les froments. Où parvenu, je fey prendre assez de ces locustes, aux- quelles je fey une conjuration, que je portois sur moi en écrit, par moi composée la nuit précédente, les requérant, amonétant et excommuniant, puis les en chargeay que dans trois heures eussent à vider de là et tirer à la voile de la mer, ou de prendre la route de la terre des Maures, abandonnant les terres des chrétiens. En refus de quoy, j'adjurois et convoquois tous les oyseaux du ciel, les animaux de la terre et toutes les tempestes de Pair, à les dissiper, détruire et dévorer, et pour cette amonition fey saisir une certaine quantité de ces locustes, prononçant ces paroles eu leur présence, afin qu'ils n'en ignorent, puis les laissey aller pour avertir les autres. « Si l'on songe qu'à leur arrivée dans la terre des Maures, ces mêmes Criquets avaient peut-être été accueillis par des i3rières qui les renvoyaient dans la terre des chrétiens, on conviendra que ces insectes durent se trouver bien embarrassés entre ces deux adjurations contradictoires. Les Arabes ont aussi un moyen « infaillible » pour éloigner les Sauterelles. Yoici ce que le général Daumas nous apprend à cet égard. D'après Ben Omar, le Prophète lut un jour, sur les ailes d'une Sauterelle, écrit en caractères hébraïques : « Nous sommes les troupes du Dieu le plus grand ; nous pondons chacune quatre- 352 LES INSECTES. vingt-dix-neuf œufs. Si nous en pondions cent, nous dévasterions le monde entier. » Alors Mahomet effrayé fit une ardente prière, par laquelle il suppliait Dieu de détruire ces ennemis des musul- mans. A cette invocation, l'ange Gabriel vint dire à Mahomet qu'une partie de ses vœux serait exaucée. Depuis cette époque, en effet, les paroles d'invocation au Prophète, écrites sur un papier, et renfermées dans un roseau, que l'on plante au mi- lieu des blés ou des vergers, ont le pouvoir de détourner les Sau- terelles ^ Cette recette est infaillible, au dire des dévots musulmans. Il en existe une autre tout aussi efficace. On prend quatre Sau- terelles, et l'on écrit sur les ailes de chacune un verset du Roran (quatre versets du Koran sont affectés à cet usage). On lâche les Sauterelles ainsi stigmatisées au milieu de lessaim, et l'armée volante prend aussitôt une autre direction. A en croire les Arabes, les Sauterelles auraient une foule de vertus. Quand on les voit en songe, elles annoncent l'avenir; si vous rêvez que vous en mangez, c'est bon augure; si vous rêvez qu'il pleut des Sauterelles d'or. Dieu vous rendra ce que vous avez perdu, etc. Sous le califat d'Omar-ben-el-Khotthal, les Sauterelles sem- blaient avoir complètement disparu. Grande tristesse dans le pays. Le calife éprouvait surtout une vive affliction. Il expédia des cour- riers dans l'Yemen, dans le Gham et dans llrak.pour voir si Ion n'en trouverait pas quelques-unes. • Un des envoyés réussit dans samission.il rapportaune poignée de Sauterelles. « Dieu est grandi» s'écria Omar, qui dès lors resta sans inquiétude sur le sort du genre humain. Il faut savoir, pour comprendre et le désespoir et la satisfac- tion du calife Omar, qu'il est écrit, selon les musulmans, que l'espèce humaine disparaîtra de la terre après l'extinction des Sauterelles. Car ces insectes ont été formés du reste du limon qui a servi à faire l'homme, et ils sont destinés à lui servir de nourriture. Aussi les Sauterelles avec les poissons sont-ils les seuls ani- maux que Dieu permette aux musulmans de manger sans les écorcher. Encore faut-il qu'ils aient été tués par un croyant, sans cela leur cliair serait impure ! 1. Le Grand Désert, par le général E. Daumas et E. de Cliancel. In-18, Fa- ris, 1860. ORTHOPTÈRES. 353 f Les Aral)es mangent d'ailleurs avec délices les Sauterelles. Quand on lui demandait son avis sur cet aliment, le calife Omar- ben-el-Khottal disait : « J'en voudrais avoir un panier plein pour les croquer! « D'après le général Daumas. les Sauterelles, fraîches ou conser- vées, sont une bonne nourriture pour les hommes et pour les chameaux. On les mange grillées ou bouillies, et préparées au couscoussou, après leur avoir enlevé les pattes, les ailes et la tète. Quelquefois on les sèche au soleil, et on les réduit en poudre, (|ue Ion mélange avec du lait, ou que l'on pétrit avec de la fa- rine; puis on en fait une pâte, avec de la graisse ou beurre et du sel. Les chameaux en sont très-frian:ls : on leur donne à manger les Sauterelles desséchées ou rôties entre deux couches de charbon. Séchées et salées, les Sauterelles sont en Asie et en Afrique un objet de commerce. A Bagdad, elles font quelquefois baisser le prix de la viande. Le goût de leur chair est comparable à celui de FÉcrevisse. C'est d'ailleurs de tout temps que les Orientaux ont mangé les Sauterelles. :- Le poète comique grec Aristophane nous apprend, dans les Acliarniens, que les Grecs en vendaient au marché. Moïse en per- mettait aux Juifs quatre espèces, qui sont indi({uées dans le Lévi- tique. Saint Jean-baptiste, à l'exemple du prophète Amos, en fit sa nourriture dans le désert, où il ne trouvait que des Sauterelles et un peu de miel. La salubrité de cet aliment fut pourtant contestée chez les an- ciens. Strabon raconte qu'il existe sur les bords du golfe Arabique un peuple Acridophageou Mangeur de Sauterelles .Oy ces mangeurs de Sauterelles ont tous une lin malheureuse. Ce peuple se procurait les Sauterelles en allumant de grands feux, quand les vents déqui- noxe apportaient les essaims voyageurs. Aveuglées et suffoquées par la fumée, les Sauterelles tombaient à terre, et étaient ra- massées avidement par ces nègres, qui les mangeaient fraîches ou salées. Ces Acridophages, dit Strahon, sont, il est vrai, agiles, bons coureurs; mais leur vie ne dépasse point quarante ans! Lorsqu'ils approchent de cet âge, il sort de leur corps une horrible vermine, qui les ronge, à commencer par le ventre, et ils meurent ainsi misérablement. 23 354 LES INSECTES. Le même conte se retrouve dans la relation du Voyage de cir- cumnavigation de l'amiral Drake. Ce voyageur parle des naturels de l'Ethiopie, qui, se nourrissant de Sauterelles, meurent rongés par des insectes ailés nés au sein de leur corps. Il est difficile d'expliquer l'origine de pareilles fables. Les voyageurs qui ont visité l'Arabie s'accordent à déclarer que la Sauterelle est un aliment des plus sains. On assure même qu'il fait engraisser. Dans tous les cas, c'est une bonne pâture pour les bestiaux et la volaille. Les anciens employaient les Sauterelles en médecine. Dioscoride déclare que les cuisses de Sauterelles mises en poudre et mélan- gées avec du sang de bouc guérissent la lèpre ; que, mélangées avec du vin, elles sont un spécifique contre la piqûre des scor- pions, etc. Nous ne pensons pas néanmoins que nos médecins soient jamais tentés de les administrer à leurs malades. Il nous reste à décrire quelques autres espèces de Criquets, moins nuisibles par leurs ravages que les Criquets nomades. Dans les déserts de l'Egypte, on rencontre la grande Êrémobie, et dans l'Amérique méridionale YOmmexèque, qui marche plutôt qu'elle ne saute. Au contraire, les Télrix sautent très-bien. Ils sont remarquables par la conformation du corselet, qui se prolonge en pointe et re- couvre tout le corps. Ce sont de petits insectes aux couleurs vives et brillantes, qui se tiennent sur les feuilles des plantes basses et échappent facilement à la main qui les veut saisir. Le Télrix subulé, de couleur brunâtre, est commun au printemps aux environs de Paris, dans les bois et les champs arides et secs. Les Pneumores sont des insectes assez singuliers. Les mâles ont un abdomen très-gonflé, qui ressemble à une vessie remplie d'air, et des ailes bien développées. Les femelles ont un abdomen de forme ordinaire; leurs ailes sont très-courtes ou même tout à fait rudimentaires. Ces insectes produisent une stridulation aiguë, en frottant leurs cuisses postérieures contre une rangée de petits tubercules ou de crénelures, que l'on remarque de chaque côté de l'abdomen. Le son est d'autant plus pénétrant qu'il est renforcé par un abdomen vésiculeux, tendu comme la peau d'un tam- bour. Les Pneumores habitent l'Afrique méridionale, comme aussi les Truxales, dont quelques variétés se rencontrent cependant en Es- pagne, en Sicile et dans le midi de la France. ORTHOPTÈRES. 355 Nous passerons sous silence un grand nombre d'autres espèces d'Orthoptères moins intéressantes. Celles que nous avons décrites suffisent pour justifier ce que nous avons dit plus haut, à savoir que cet ordre renferme les insectes aux formes les plus singu- lières et les plus anomales. ctap^ VI ORDRE DES HYMENOPTERES. Les Abeilles, leur organisation et leurs mœurs. — L'Apiculture. — . Les Mé- lipones. — Les Bourdons. — Les Guêpes. — Les Fourmis; leur organi- sation et leurs mœurs. — Les Gallinsectes. L'ordre des Hynwioptères comprend les insectes qui ont quatre ailes nues, croisées horizontalement sur le corps, entièrement membraneuses et pourvues de nervures sans réticulations. Leur nom dérive des deux mots grecs : uaviv (membrane) et Trxepov (aile) . Les Hyménoptères ont une bouche composée de deux man- dibules cornées, de mâchoires et de lèvres propres à la suc- cion. C'est parmi les Hyménoptères que se rencontrent les insectes les plus industrieux, des insectes qui possèdent une véritable intelligence. Ces petits animaux nous offrent les plus admirables exemples de la sociabilité. Nés architectes, ils construisent des demeures merveilleusement agencées, ({ui leur servent à la fois à élever leur progéniture et à accumuler leurs provisions. Rien n'égale la maternelle sollicitude avec laquelle ils surveillent leurs jeunes larves, encore incapables de se mouvoir et de subvenir elles- mêmes aux besoins de leur existence. Ils forment des républiques, gouvernées par des lois immua- bles. Ils font la guerre à leurs ennemis, en corps de bataille. Ils ont des prédilections ou des antipathies pour l'homme, qui recherche leur société, par suite des avantages matériels qu'il en retire. HYMÉNOPTÈRES. 357 Les Abeilles, les Bourdons, les Guêpes et les Fourmis sont les types les plus connus de cet ordre d'insectes. Chez la plupart des Hyménoptères, les femelles sont armées d'un aiguillon, ce qui leur a fait donner le nom de porte- aiguillon. La piqûre produite par cet aiguillon sur l'homme ou les ani- maux est douloureuse. Les Hyménoptères sont donc en état de se défendre, et même d'attaquer. Tous ces insectes subissent des métamorphoses complètes. A Tétat de larve, ils sont incapal^les de se mouvoir et de cher- cher leur nourriture; mais la nature a pourvu, de différentes manières, à leur conservation. Les uns sont logés et nourris par les ouvrières de la tribu, femelles infécondes qui, par un exemple d'abnégation bien rare dans la nature, ne paraissent avoir d'autre vocation que de se sacrifier au bien-être des larves. Les ouvrières construisent le nid et apportent les provisions de bouche. C'est là ce qui s'observe chez les Abeilles et les Fourmis. Il est des Hyménoptères qui établissent le l)erceau de leur posté- rité dans la carcasse d'autres insectes, et qui meurent au moment où leurs larves, placées dans ce corps étranger, ont acquis leur développement complet. Les larves de la Chalcide et de Y Ichneumon fournissent des exem- ples d'Hyménoptères qui habitent l'intérieur même du corps d'un autre insecte. Proie vivante du parasite, ce dernier continue d'exister, renfermant en lui-même les germes de sa mort ! D'autres Hyménoptères parasites sont moins bien organisés pour cette sorte d'exploitation d'autrui. Ils se contentent de dé- poser leurs œufs dans les nids d'autres espèces, qui ont sur eux l'avantage de savoir construire leurs retraites. Leurs larves vi- vent ainsi sur le bien du prochain; elles se nourrissent de la pro- vision qui a été amassée par d'autres. Ainsi vivent les Cleptes, les Chrysis, etc. Enfin, quelques Hyménoptères, tels que les Gallinsectes et les Tenthredo, ou Fausses-Chenilles, vivent dans leur premier état, à découvert sur les végétaux, et se nourrissent de leurs feuilles. Nous ne décrirons ici que les familles principales de l'ordre des Hyménoptères, qui renferme un nombre considérable d'es- pèces. Ces familles seront : 1» les Apides, comprenant les Abeilles^ les Mélipones, les Bourdons; 2° les Vespides, c'est-à-dire les Guêpes; 3° les Formicides, qui comprennent les Fourmis ; 4° les Cynipsides ou Gallinsectes. Les Abeilles. — L'homme, de toute antiquité , avant toute civi- 358 LES INSECTES. lisation, a connu les Abeilles, et a tiré parti des produits de ces industrieux insectes. Il a su profiter de leur travail, en s' empa- rant de leur cire et de leur miel. La Bible fait mention des Abeilles. Leur nom bébraïque est Deborah. Les Grecs les désignaient sous le nom de Melissa ou MelUla. Les étonnantes facultés d'architecte qui se manifestent chez les Abeilles, leur prévoyance économique, la combinaison surpre- nante de leurs raisonnements, qui dénote une véritable intelli- gence, leur admirable organisation sociale, ont, de tout temps, fixé l'attention des naturalistes, comme celle des poètes et des penseurs. Virgile les a célébrées dans le quatrième chant de ses Géorgiques. Le poète latin a parfaitement résumé les connais- sances que les anciens avaient sur les Abeilles. Il peint avec beaucoup de vérité plusieurs traits de leur histoire, signale leurs ennemis, et expose avec justesse tous les soins qu'il faut leur donner. Aux yeux du poète de Mantoue. les Abeilles sont un don du ciel, dona cœlestia. Leur intelligence excita son admiration : His quibus signis atque hœc exempla secuti, Esse apibus partem divinse- mentis, et haustus ^£thereos dixere*.... Hâtons-nous de dire pourtant que tout ce que les anciens na- turalistes ou poètes, grecs et latins, rapportent au sujet des Abeilles, est un mélange de vérité et d'erreur, et ne repose en général que sur des suppositions. Aristote connaissait bien les trois sortes d'individus qui consti- tuent les sociétés d'Abeilles, et quelques autres faits principaux de leur histoire; mais ces faits ne sont pas précisés nettement dans son récit, et ils sont surtout mal interprétés. Le philosophe grec a fort mal compris les insectes en général. Il les fait naître des feuilles des arbres, et met en avant à leur sujet une foule d'erreurs, que la plus simple observation aurait suffi pour dis- siper. Pline nous apprend qu'iVristomaque de Soles consacra cin- quante-huit années à observer les mœurs de l'Abeille , et que Philiscus de Tlirace passa, pour le même motif, toute sa vie dans les forêts. Mais ce dévouement ne paraît pas avoir porté de grands fruits, si l'on rapproche des découvertes de notre temps 1 . Frappés de ces traits, quelques-uns ont dit qu'un rayon do l'intelligence divine, une sorte d'émanation du ciel, avait été départi aux Abeilles. HYMENOPTERES. 353 toutes les erreurs que Pline, Aristote et Columelle ont enregis- trées sur les Abeilles. Pline dit que les Abeilles occupent le premier rang parmi les insectes, qu'elles ont été créées pour l'homme, auquel leur travail procure le miel et la cire. Il ajoute qu'elles forment des associa- tions politiques, qu'elles ont des conseils, des chefs, et même une morale et des principes. On voit par cette opinion du naturaliste romain dans quelle haute estime les anciens tenaient les Abeilles. Mais les anciens avaient les plus singulières idées sur la reproduction de ces petits êtres. Comme personne n'avait jamais vu leur génération, on in- ventait fables sur fables, pour expliquer leur origine. Les uns prétendent que les Abeilles naissent d'un bœuf, tué récemment et enterré dans du fumier. D'autres ajoutenfqu'elles ne prennent naissance qu'au sein du corps d'un jeune bœuf, tué par violence. Les plus courageuses Abeilles sortaient du ventre d'un lion pu- tréfié. C'est de la tète de ce même animal, corrompu, que se for- maient les rois (c'est-à-dire les reines) des Abeilles. Le cadavre de vache fournissait des Abeilles douces et traitables; un veau ne pouvait fournir que des Abeilles petites et faibles. D'autres naturalistes, ou plutôt d'autres rêveurs, faisaient naî- tre ces insectes du calice des fleurs odorantes. Combinées et dis- persées d'une certaine manière , les fleurs engendraient les Abeilles. On disait encore que les Abeilles allaient chercher sur les fleurs de l'olivier et sur celles du roseau une semence qu'elles rendaient propre à former leurs larves. Toutes ces fables, sorties de l'imagination des anciens, furent développées par un écrivain de la Renaissance, par Alexandre de Montfort, auteur du Printemps de l'Abeille. A len croire, le roi des Abeilles se forme aux dépens du suc que les ouvrières tirent des plantes. Ces dernières sont créées au moyen du miel ; et les tyrans, c'est-à-dire les femelles, qui ne parviennent pas à devenir sou- veraines d'une ruche, sont formées de gomme seulement. On voit qu'Alexandre de Montfort avait trop bien profité de ses lectures des auteurs grecs et romains. L'Abeille était fort affectionnée dans l'ancienne Egypte. On la trouve souvent représentée sur les monuments, au-dessus des cartouches qui renferment des noms propres, avec deux demi- cercles et une sorte de faisceau. Ghampollion-Figeac pense que ce groupe, dans son ensemble, représente un titre, ajouté au nom propre. 360 '^" LES INSECTES. D'après Hor- Apollon, autre commentateur des biéroglyphes égyptiens, l'Abeille, clans le pays des Pharaons, était l'emblème d'un peuple doucement soumis aux ordres de son roi. Rien n'est plus juste d'ailleurs que cette assimilation. C'est pour cela sans doute que Napoléon I" a semé de symboliques abeilles sur le manteau impérial qui supporte les armes de la dynastie. Toutes les fables, toutes les hypothèses, répandues et caressées chez les anciens sur le compte de ce peuple industrieux, se sont dissipées en un clin d'œil, lorsqu'il a été permis d'observer ses opérations et ses mœurs. Et ce qui permit de se livrer à ces ob- servations, ce fut l'invention des ruches de verre, faite, au com- mencement du siècle dernier, par Maraldi, mathématicien de Nice. C'est de cette époque seulement que datent nos connais- sances exactes sur là vie, véritablement merveilleuse, de ces in- sectes. Avant Maraldi, le naturaliste hollandais Swammerdam avait écrit une excellente Histoire des Abeilles. Il mourut avant d'avoir publié son ouvrage, et lorsque, longtemps après sa mort, son livre fut enfin imprimé, d'autres savants avaient déjà poussé plus loin que lui les observations sur ce sujet. Grâce à l'invention de Maraldi, Réaumur, John Hunter, Schirach, François Hube, ont dévoilé, par leurs admirables recherches, les mœurs étonnantes des iVbeilles. Les découvertes de François Huber sem])lent tenir du miracle, quand on considère que cet observateur était aveugle depuis l'âge de dix-sept ans. Privé du spectacle du monde extérieur, François Huber n'en voulut pas moins consacrer sa vie à l'observation et à l'étude de la nature. Il se faisait lire les meilleurs ouvrages de son temps sur l'histoire naturelle et la physique. Son lecteur habituel était son domestique , nommé François Burnens, natif du pays de Yaud. L'honnête Burnens s'intéressait singulièrement à tout ce qu"il lisait, et il révélait par ses réflexions judicieuses un véritable ta- lent d'observateur. Huber résolut de cultiver ce talent. Bientôt il put accorder toute confiance à son compagnon, et voir par ses yeux comme par les siens propres. Les deux naturalistes (nous n'hésitons pas â donner ce titre au pauvre paysan du canton de Vaud, qui seconda si bien son maître dans ses longues heures détude) imaginèrent une foule d'expé- riences originales, qui leur firent découvrir des vérités que per- HYMENOPTERES. 361 sonne n'avait soupçonnées jusque-là. Les résultats de leurs re- cherches lurent publiés, en 1789, dans un volume qui produisit, parmi les naturalistes, une sensation profonde*. Burnens fut plus tard rajipelé au sein de sa famille, et investi, .-^^^-^V Fis. 34'(. François Hubtr. par ses concitoyens, de fonctions importantes. François Huber continua alors ses observations, par les yeux de l'excellente femme qu'il avait épousée. Un second volume fut ainsi composé par lui, à vingt ans de distance du premier. 1. Nouvelles observations sur les Abeilles , "par Fra.nço'\s Huber. Paris et Genève, in-8, • édition, 1814. 362 LES INSECTES. Ce volume fut publié par son fils Pierre Huber, à qui l'on doit les admirables recherches sur les fourmis, dont nous aurons à parler plus loin. Arrivons maintenant à l'exposé des mœurs des Abeilles. Les travaux des Réaumur, des Schirach, des Huber nous les ont par- faitement révélées, et nous ont initiés, d'une manière complète, aux habitudes de ces précieux Hyménoptères, qui sont en quel- que sorte pour nous des animaux domestiques. Commençons par décrire Y Abeille ordinaire, ou Mouche à miel {Apis mellifica) . Pendant la plus grande partie de l'année, la population des ruches se compose exclusivement de deux sortes d'individus : la femelle, ou mère Abeille, appelée aussi reine, et les ouvrières, ou neutres, qui sont, à proprement parler, des femelles incomplète- ment développées. Une troisième catégorie d'individus, les mâles, appelés aussi faux-bourdons, ne se rencontrent en général que de- puis le mois de mai jusqu'en juillet. V Abeille ouvrière (fig. 345), c'est le peuple, la foule, le servum pecus, la force vive de la nation apienne. On la reconnaît à sa petite taille, à sa couleur d'un roux brun, et surtout aux palettes et aux brosses, dont ses jambes postérieures sont Fig. 345. munies. Abeille ouvrière. ^^^ ^^^^-^ ^^^^^^^ ^^ ^^^^^^^ ^^^y s'iusèrent à son corselet sont ses instruments de travail. Les deux dernières jambes sont plus longues que les quatre antérieures. Elles présentent à la partie externe une dépression triangulaire, nom- mée palette, qui est surmontée, sur les côtés, de poils raides, for- mant comme les bords d'une sorte de corbeille, où l'insecte dépose le pollen des fleurs. La partie la plus large de la jambe s'articule avec le tarse, de forme carrée, lisse à l'extérieur et garni de poils à sa face interne, ce qui lui a fait donner le nom de bipasse. Cet article sert à récolter le pollen. Il se replie sur la jambe (tig. 346) et forme avec elle une sorte de petite pince. Enfin la patte se termine par cinq articles plus petits, dont le dernier est armé de crochets. Un autre outil de VAbeille ouvrière consiste en une paire de mandibules mobiles, qui ferment la bouche des deux côtés, et dans une trompe (fig. 347), qui peut être considérée comme une langue. Avec ses mandibules, l'Abeille ouvrière saisit les matières HYMENOPTERES. 363 qu'elle veut broyer. La trompe lui sert à recueillir le suc répandu à la surface des feuilles, ou au fond de la corolle de la fleur. Lorsqu'une Abeille s'est posée sur une fleur bien épanouie, on Fig. 3'k;. Terminaison dune patte d'abeille (grossie). Fig. 347. Trompe de l'abeille. la voit se diriger vers l'intérieur de la corolle. Elle avance sa trompe, et l'applique contre les pétales; elle l'allonge, la rac- courcit, la contourne et l'infléchit avec une ardeur infatiga- ble. Quand la surface velue de cet organe s'est enduite du suc végétal, l'Abeille le rentre dans la bouche, et dépose son butin dans un conduit, d'où le suc passe dans son premier estomac. La trompe est donc une véritable langue, avec laquelle l'Abeille aspire, lèche, pompe le miel des fleurs. Mais sa récolte se compose encore de la poussière pollini- que. Lorsqu'elle entre dans une fleur, TAbeille s'enfarine de la tète aux pieds. Elle se passe alors soigneusement ses brosses sur tout le corps, enlève la poussière qui adhère partout, et l'empile sur les palettes triangulaires de ses jambes postérieures, de ma- nière à en former des pelotes, plus ou moins volumineuses. Si la fleur est incomplètement épanouie, l'Abeille se sert de ses man- dibules pour ouvrir les anthères de cette fleur. Les pattes an- térieures transmettent le butin à la seconde paire de pattes, qui le charge dans les corbeilles de la troisième paire. Quand sa récolte est faite, l'ouvrière rentre dans la ruche, les jambes plei- nes de thym : Crura thymo plena, dit Virgile. L'outillage si complet que nous venons de décrire ne se ren- 364 LES INSECTES. contre que chez les Abeilles ouvrières. Les mâles, ou faux- bourdons (fig. 348), plus gros et plus velus que les ouvrières, à vol sonore et bourdonnant, n'ont pas de palettes aux pattes. Les poils de leurs brosses ne sont pas appropriés au travail de la récolte. Leurs mandibules sont plus courtes. Ils sont dépourvus d'aiguillon, ou dard à venin, qui est l'arme des ouvrières. La femelle, ou reine (fig. 349), moins grosse que les mâles, a le / Fig. 348. Faux-bourdon, ou Abeille mâle. Fig. 349. Reine ou mère abeille. corps plus allongé que les ouvrières. Les ailes, relativement courtes, ne couvrent que la moitié du corps, tandis qu elles l'abri- tent en entier chez les autres Abeilles. Le rôle unique, exclusif, de la reine, cest la ponte. Aussi est- elle dépourvue de palettes et de brosses. Notre souveraine est, comme il convient au rang suprême, dispensée de tout travail. Elle est toujours escortée d'un cer- tain nombre d'ouvrières, qui la brossent, la lèchent, lui pré- sentent du miel avec leur trompe, lui épargnent toute espèce de fatigue, et lui font un cortège digne de sa majesté féminine. Fait bien remarquable, une seule reine vit dans chaque ruche. Véritable souveraine de cet état mignon, elle commande à un peuple de quel({ues milliers d'ouvrières. Il n'est pas rare de trou- ver vingt mille ouvrières dans une ruclie. Toutes, elles obéissent docilement à la souveraine du lieu. Le nombre des mâles est à peine le dixième de celui des ou- vrières ; encore ne vivent-ils guère que trois mois. Les ouvrières représentent donc la vie active de ce petit monde ailé. « Les dehors d'une ruche, dit U. Victor Rendu, donnent la plus haute idée de ce peuple essentiellement travailleur. Depuis le lever du soleil jusqu'à son déclin, tout y est mouvement, diligence, empressement; c'est une série incessante d'allées et venues, d'opérations variées qui commencent, conti- nuent, s'achèvent pour recommencer encore. Des centaines d'abeilles arrivent des champs, chargées de matériaux et de provisions ; d'autres les croisent et vont à leur tour en campagne. Ici, de prudentes sentinelles explorent cha- que nouvel arrivant ; là, des pourvoyeuses, pressées de retourner au travail, HYMÉNOPTÈRES. 365 s'arrêtent à l'entrée de la ruche, où d'autres abeilles les déchargent de leur fardeau ; ailleurs, c'est une ouvrière qui engage une lutte corps à corps avec un téméraire étranger; plus loin, les agents voyers de la ruche la débarras- sent de tout ce qui gène la circulation ou nuit à la salubrité ; sur un autre point, des ouvrières sont occupées à traîner au dehors le cadavre d'une de leurs compagnes; toutes les issues sont assiégées par une foule d'entrants et de sortants, les portes suffisent à peine à cette multitude pressée, affairée. Tout paraît désordre et confusion aux abords de la ruche, mais le tumulte n'est qu'apparent, un ordre admirable préside à cette émulation dans le tra- vail qui distingue les Abeilles'. Un calcul fort simple peut servir à donner une idée de cette prodigieuse activité. Louverture d'une ruche bien peuplée livre passage à une centaine d'Abeilles par minute ; ce qui fait, depui cinq heures du matin jusqu'à sept heures du soir, environ quatre- vingt mille rentrées, ou quatre excursions pour chaque Abeille, en supposant une population de vingt mille ouvrières. Suivons maintenant les occupations de ce peuple bourdonnant, depuis le moment où il s'établit dans une ruche. Les ouvrières commencent par boucher toutes les ouvertures, excepté une porte, qui doit toujours rester ouverte. Un certain nombre part à la recherche dune substance résineuse et odorante, connue sous le nom de propoiis, qui est destinée à revêtir les parois de la ruche, comme l'indique son nom, tiré d'un mot grec qui signifie avant-cité ou faubourg. Huber a constaté que le propolis est recueilli sur les ])ourgeons des plantes. Cette substance n'a pas trouvé d'emploi jusqu'ici dans les arts, bien qu'elle offre les qualités de la cire, comme le fait remarquer M. de Frarière dans son ouvrage sur les Abeilles et V Apiculture^. Le propolis n'est employé qu'en Italie, pour faire des vésicatoires. Cette, espèce de gomme est visqueuse et très-adhérente. L'A- beille la pétrit en boulettes, et la rapporte, sous cette forme, à la ruche, où d'autres ouvrières s'en emparent. Celles-ci saisissent, avec leurs mandibules, les pelotes, et vont l'appliquer sur les fentes qu'il s'agit de calfeutrer. Les Abeilles se servent encore du propolis pour un autre usage, qui mérite d'être mentionné. Il arrive assez souvent que des ennemis pénètrent dans la ruche. Les Alieilles ne sont pas assez fortes pour jeter cet intrus 1. L'Intelligence des bêtes. In-18. Paris, 1864. 2. Ia-18, •2'^ édition. Pans, 1865. 366 LES INSECTES. hors du logis commun. Que font-elles? Dès qu'elles ont remar- qué l'invasion de leur domicile , elles s'abattent sur l'impudent, et le tuent à coups d'aiguillon. Mais comment traîner au dehors l'animal défunt, qui est souvent fort lourd? tel est le cas de la limace. D'un autre côté, il y aurait danger à abandonner ce ca- davre au milieu de la ruche. Un empereur romain disait que le corps d'un ennemi tué sent toujours bon. Ce n'est pas l'avis de nos abeilles. Elles savent que si l'on abandonnait ce cadavre dans la ruche, il l'empesterait, au grand danger de l'hygiène publique de lendroit. Que faire donc de ce corps mort? On l'embaume. On le fait disparaître sous une enveloppe de propolis, qui le préserve de la putréfaction. On prétend que l'art de l'embaumement fut pratiqué pour la première fois par les anciens Égyptiens. C'est une erreur : les inventeurs de cet art sont les Abeilles. Si, au lieu d'une limace, c'est un colimaçon que sa mauvaise étoile a conduit dans l'intérieur d'une ruche, le procédé est plus simple. Dès qu'il a reçu un seul coup d'aiguillon, le colimaçon se retire promptement sous le toit protecteur de sa maison ambu- lante. Tout aussitôt les Abeilles murent ou ferment l'ouverture de sa coquille avec du propolis. La coquille est ensuite cimentée, avec le môme propolis, au plancher de la ruche. La maison du pauvre Mollusque, devenue son tombeau, demeure ainsi au mi- lieu de la ruche, comme une sorte d'éditîce et de tumulus déco- ratif. Quand les parois de la future ruche sont bien closes, les Abeilles jettent les fondements de leur nid. Il n'était pas facile d'observer, comme on est parvenu à le faire, les détails des travaux des Abeilles. En effet, ces insectes, une fois dans leur ruche, ont une grande aversion pour la lumière. Si on les introduit dans une ruche vitrée, leur premier soin est d'en boucher les fenêtres, soit en les plâtrant avec du propolis, soit en formant, grâce à l'attroupement prémédité d'un bataillon d'ouvrières, une sorte de rideau vivant. Pour les surprendre et pouvoir les observer â sa convenance, Huber construisit une ruche à feuillets, qui s'ouvrait à la manière d'un livre. La figure 350, qui représente la niche à feuillets dont on se sert quelquefois, donne une idée de la disposition qu'adopta Huber pour pouvoir, à volonté, ouvrir la ruche et surprendre ses habi- tants. Huber avait aussi recours dans certains cas â une cacre de verre HYMÉNOPTÈRES. 367 placée dans l'intérieur de la ruche, et que l'on pouvait aisément ramener à la lumière. Grâce à ces procédés ingénieux, lïuber put suivre les ouvrières dans toutes les phases diverses de leurs travaux. Lorsque les Abeilles commencent à construire leur ruche, elles Fig. 350. Ruche à feuillets. se divisent le travail. Un premier détachement est chargé de recueillir la cire, qui est la véritable pierre à bâtir de nos petits architectes. On a cru pendant longtemps que la cire était purement et sim- plement le pollen des fleurs, élaboré dans l'estomac des Abeilles, puis dégorgé par la ])ouche. Il était réservé à un paysan de la Lusace de reconnaître le premier la nature de cette sécrétion. Cet observateur, qui n'appartenait à aucune académie, tout au plus et à son insu à l'académie des Curieux de la nature, trouva les lamelles de cire engagées entre les arceaux inférieurs des anneaux de l'abdomen ou du ventre de l'Abeille ouvrière. La cire est donc un produit d'exsudation de l'insecte et non le simple pollen des fleurs recueilli. De son côté, Huber a constaté que les Abeilles exclusivement nourries de pollen ne sécrètent pas de cire, et qu'au contraire elles en fournissent lorsqu'elles mangent des matières sucrées. Tl est facile d'apercevoir les petites plaques de cire en soûle- 368 LES INSECTES. vant un peu les derniers anneaux du ventre de l'Abeille. La figure 351 représente une Abeille très-chargée de cette matière transparente et blanchâtre. FJg. 351. Abeille vue à la loups, au momsnt où les lames de cire se laissent apercevoir entre les anneaux de 1 abdomen. 1:^ Les Abeilles ouvrières se suspendent à la voûte de la ruche, de manière à y former, avec la cire quelles sécrètent, comme des guirlandes, ou des festons entrelacés, La première se cramponne au toit avec ses pattes-de devant, la suivante s'accroche aux pattes postérieures de la première, et ainsi de suite, comme le montre la figure 352. Elles composent ainsi des chaînes, fixées par les deux bouts à la voûte, et qui ser- vent de pont ou d'échelle aux Abeilles qui viennent se joindre à rassemblée. Il résulte, en fin de compte, de tout cela, une grappe qui pend jusqu'au bas de la ruche. Dans cette attitude, elles se tiennent d'abord immobiles, attendant que le miel déposé dans leur es- tomac se soit changé en cire. Bientôt l'une délies se détache du groupe dont elle fait partie. La cire est alors élal)orée suftisam- ment dans ses organes. Elle prend avec ses pattes une des la- melles de cire engagées dans ses anneaux , la triture avec ses mandibules, l'humecte de salive, et lui donne l'apparence d'un filament mou, qu'elle applique sur un point saillant de la voûte. A cette première assise, elle en ajoute de nouvelles, jusqu'à ce qu'elle ait épuisé sa provision de cire. Alors elle quitte sa place et retourne aux champs. Une autre ouvrière, une autre maçonne, comme on l'appelle quelquefois, lui succède et continue les fon- HYMÉNOPTÈRES. 369 dations. Bientôt des blocs de cire informes descendent au-dessous de la voûte. C'est dans ces blocs que d'autres ouvrières creuse- ront, avec leurs mandibules, les premières cellules ou alvéoles. 2. Grappes d'abeilles. Pendant ce temps les ouvrières continuent à prolonger le mur de fondation, et à mesure que ces premières cellules se construi- sent, de nouvelles sont ébauchées. L'ouvrage avance avec une merveilleuse rapidité. Chaque alvéole constitue un petit godet hexagonal, fermé, d'un côté seulement, par un fond pyramidal résultant de la réu- nion de trois rhombes. Les gâteaux sont le résultat de l'adosse- ment de deux couches d'alvéoles, disposées de telle sorte que le fond des uns devienne le fond des autres, la base de chaque cellule étant formée par la réunion de trois cellules opposées. Les Abeilles commencent par façonner les rhombes qui for- meront la base de l'alvéole; puis elles ajoutent successivement les six pans de mur qui doivent compléter le godet hexagonal. En même temps, d'autres ouvrières attaquent la face opposée du 24 370 LES INSECTES. gâteau, et y construisent des cellules adossées par leur fond aux cellules de la face antérieure. Elles ne les finissent pas du premier coup. Les murs sont d'abord très-épais. De nouvelles ouvrières qui succèdent aux èbaucheuses s'occupent de limer et de raboter les cellules dégros- sies et d'en réduire les parois à l'épaisseur voulue. Ce travail s'accomplit avec une incroyable célérité, car les Abeilles peuvent bâtir jusqu'à quatre mille alvéoles en vingt-quatre heures. La forme hexagonale des cellules d'Abeilles a sa raison d'être. Elle tient à une question d'économie, que ces insectes ont résolue de la manière la plus admirable. « Quand on a bien vu, ditRéaumur ', la véritable figure de chaque alvéole, quand on a bien étudié leur arrangement, la géométrie semble avoir donné le dessin de tout Touvrage et en avoir conduit Texécution. On reconnaît que tous les avantages qui pouvaient y être souhaités s'y trouvent réunis. Les Abeilles paraissent avoir eu à résoudre un problème qui rassemble des con- ditions qui en eussent fait regarder la solution comme difficile à bien des géomètres. Ce problème peut-être énoncé ainsi : une quantité de matière, de cire, étant donnée, en former des cellules égales et semblables, d'une capacité déterminée, mais la plus grande qu'il est possible par rapport à la quantité de matière qui y est employée, et des cellules tellement disposées qu'elles occupent dans la ruche le moins d'espace possible. Pour satisfaire à cette dernière condition, les cellules doivent se toucher de manière qu'il ne reste entre elles aucun espace angulaire, aucun vide à remplir. Les Abeilles y ont satisfait, et en même temps elles ont satisfait aux premières conditions en faisant des cellules qui sont des tuyaux à six pans égaux, des tuyaux hexa- gones.... On voit encore que tout ce que les Abeilles pouvaient faire de mieux pour ménager le terrain et la matière, était de composer leurs gâteaux de deux rangs d'alvéoles tournés vers des côtés opposés. » Cette disposition leur permet, en effet, d'économiser la moitié de la cire destinée à former les fonds. Elles ménagent, en outre, la matière, en faisant les pièces du fond et les parois des tubes extrêmement minces ; les bords seuls des cellules sont fortifiés par un excès de cire. C'est ainsi que l'Abeille a résolu un problème qui aurait em- barrassé bien des architectes humains. Les gâteaux, ou rayons à deux faces, descendent de la voûte de la ruche, en séries parallèles. Leur épaisseur est d'environ deux centimètres. Ils sont fixés au sommet par une espèce de pied en cire, et assujettis aux parois par de nombreuses attaches. Les Abeilles circulent dans les interstices des gâteaux. Elles y réservent, en outre, des ouvertures circulaires, qui servent de 1. Mémoires pour servir àl'histoire des insectes, t. V, p. 379. HYMÉNOPTÈRES. 37] portes de communication. La forme et la disposition générale de ces édifices sont d'ailleurs très-variées, suivant les circonstances. Les Fig. 353. Alvéoles construits par les Abeilles. Abeilles s'accommodent toujours aux données du problème, c'est- à-dire à la nature de la ruche. Dans toutes ces opérations, ces admirables ouvrières font preuve d'un grand jugement. Il est impossible, lorsqu'on les a vues tra- vailler, de les regarder comme de simples machines organisées, dont l'instinct serait le ressort moteur. On est forcé de leur accor- der l'intelligence. Les cellules des gâteaux sont de trois dimensions. Les peiife^ sont destinées aux larves des ouvrières, les moyennes aux larves des mâles, et les grandes aux larves des reines (fig. 354). Ces dernières, c'est-à-dire les cellules royales, ne sont d'ordinaire qu'au nombre d'une vingtaine, dans une ruche qui en renferme vingt mille. Construites avec un mélange de cire et de propolis, semblables à un dé arrondi, elles forment des tubes de 2 centimè- tres de long, guillochés à l'extérieur, et placés toujours verticale- ment, de manière à paraître détachés du gâteau. Le poids d'une cellule royale équivaut à celui d'une centaine 372 LES INSECTES. d'autres cellules. Les Abeilles n'épargnent rien pour la rendre commode et spacieuse ; « c'est tout un Louvre, « dit Réaumur. Fig. 354. Alvéoles d'une ruche, grands alvéoles destinés aux larves des reines; — b, alvéoles moyens, destinés aux larves des mâles ; — c, petites alvéoles destinés aux larves des ouvrières. Mais, indépendamment de leur usage comme berceaux, les cel- lules servent encore de magasins à miel. Quelques-unes reçoi- Fig. 355. Intérieur d'une ruche. vent tour à tour ces deux destinations, mais un grand nom- bre sont réservées uniquement pour les provisions de miel et de pollen. . -- HYMÉNOPTÈRES. 373 Le pollen est apporté, avons-nous déjà dit, sous forme de pe- lotes, dans les espèces de corbeilles que forment les jambes pos- térieures. L'ouvrière qui l'a récolté, le pousse dans la cellule, en y rentrant avec les jambes de derrière. Une autre arrive ensuite et pétrit la masse, pour la faire bien tenir. Quant au miel, l'Abeille l'apporte dans son premier estomac, et le dégorge dans une des cellules destinées à le conserver. Ce- pendant ce n'est pas toujours en portant son miel dans une cellule que l'ouvrière s'en défait. Souvent elle en trouve le débit en. chemin. « Quand elle rencontre, dit Réaumur', de ses compagnes qui ont besoin de nourriture et qui n'ont pas eu le temps d'en aller chercher, elle s'arrête, elle redresse et étend sa trompe, afin que l'ouverture par laquelle le miel peut sortir se trouve un peu par delà des dents. Elle pousse du miel vers cette ouverture. Les autres mouches, qui savent bien que c'est là qu'il faut le prendre, y portent le bout de leur trompe et le sucent. La mouche qui n'a pas été arrêtée en chemin, se rend souvent aux ateliers des travailleuses, c'est-à-dire aux endroits où d'autres Abeilles sont occupées, soit à construire de nouvelles cellules, soit à polir et à border des cellules déjà faites; elle leur offre du miel, comme pour empêcher qu'elles ne soient dans la néces- sité de quitter leur travail pour en aller chercher. » Le miel qui remplit les magasins est destinée la consommation journalière. Il doit aussi servir de réserve pour l'époque où les plantes n'en fournirontplus. Les cellules en vidange sont ouvertes. Les ouvrières y puisent au besoin, surtout pendant les jours de pluie, qui les consignent au logis. Mais les cellules qui contiennentlemielde réserve sont fermées. « Elles sont, dit Réaumur, comme autant de petits pots de confi- ture ou de sirop, qui ont chacun leur couvercle, et un couvercle bien solide. » Ce couvercle, composé de cire, bouche hermétiquement les pots de réserve. Il a pour but de maintenir le miel dans une certaine liquidité, en empêchantlévaporation del'eau qu'il renferme. Il esta remarquer que le miel ne s'écoule pas des alvéoles ouverts, quoi- que leur position soit presque toujours horizontale. C'est qu'il a toujours dans les parois de ces tubes étroits des points d'attache suffisants pour le retenir, et qu'en outre la dernière couche pré- sente toujours une consistance plus grande que le liquide inté- rieur, sur lequel elle forme une espèce de croûte. Quand la récolte a été abondante, on trouve dans chaque ruche 1. Ouvrage cité, page 449. 74 LES INSECTES. plusieurs gâteaux de cellules bouchées, véritables greniers d'abon- dance tout garnis pour les besoins de la mauvaise saison. Quand la construction des cellules marche bon train, — souvent dès le lendemain de l'installation des Abeilles dans leur ruche, — la reine sort, pour aller à la rencontre des mâles. A l'heure où ceux-ci ont coutume de s'ébattre au soleil, c'est-à-dire de midi à cinq heures du soir, elle quitte la ruche, tournoie pendant quel- ques instants et disparaît dans les airs. Au bout d'une demi-heure, elle revient fécondée. Lorsque la femelle revient à la ruche, elle est l'objet de toute l'attention, de tous les soins des ouvrières, qui se pressent au- tour d'elle, et lui forment un véritable cortège. Il n'est sorte de bons offices qu'on ne lui prodigue. Plusieurs ouvrières s'ap- prochent d'elle, et lèchent la surface de son corps; d'autres la brossent, la caressent, et lui présentent leurs trompes pleines de miel. Quarante-huit heures après sa rentrée à la ruche, la mère Abeille commence à pondre. Parcourant les gâteaux, elle dépose un œuf dans chaque cellule vide, et le fixe dans le fond au moyen d'une matière agglutinante, de telle sorte que l'œuf paraît sus- pendu dans l'air à l'intérieur de l'alvéole. Ces œufs offrent l'aspect de petits corps oblongs, d'un blanc bleuâtre. Si la reine, pressée de pondre, laisse tomber plus d'un œuf dans la môme cellule, les ouvrières qui l'accompagnent se hâtent d'enlever et de détruire ceux qui sont de trop. C'est ce qui arrive souvent quand les gâteaux n'offrent pas assez de loges pour contenir tous les œufs pondus. On a reconnu que la reine ne pond d'abord que des œufs d'ou- vrières. Les autres œufs viennent plus tard. La reine Abeille ou Abeille mère continue ses pontes jusqu'aux approches des premiers froids. La ponte cesse alors, pour ne re- prendre qu'au printemps suivant. Dans les premiers temps, elle est très-abondante. La reine produit, en moyenne, deux cents œufs par jour, si bien que dans l'espace de deux mois on en compte plus de douze mille. Vers le onzième mois de son existence comme femelle ailée, la reine se met à pondre des œufs de mâles, dont le nombre varie de quinze cents à trois mille. La ponte des œufs mâles dure envi- ron un mois. Vers le vingtième jour, les ouvrières posent les fondements de HYMÉNOPTÈRES. 375 quelques cellules royales. Quand ces cellules ont atteint une cer- taine longueur, la reine dé])ose un œuf dans chacune, en laissant cependant un à deux jours d'intervalle entre les pontes de ces œufs privilégiés, afin que les jeunes reines auxquelles ils doivent don- ner naissance n'éclosent pas toutes à la fois, ce qui ferait naître des difficultés et même des guerres de succession. Cette compli- cation, le gouvernement des hommes n'a pas su toujours l'éviter, comme le montre l'histoire de France; mais la sagesse des Abeilles sait parfaitement la prévenir. La distribution des œufs dans les alvéoles n'est pas abandonnée au hasard. Chaque œuf, suivant le sexe auquel il appartient, est déposé dans la cellule qui l'attend. Les œufs de femelles ne diffè- rent toutefois en rien de ceux d'ouvrières. La différence de leur développement dépend uniquement de l'espace et delà nourriture qui leur est accordée. Nous représentons ici (fig. 356) une portion de ruche contenant les œufs placés dans les alvéoles ainsi que les cellules royales. Fig. 356. Portion de ruche dans laquelle les œufs remplissent les alvéoles. Cellules royales, dont l'une a été entr'ouverte par la reine. L'ordre régulier de la ponte est tel que nous venons de l'in- diquer. Mais le résultat est tout autre lorsque la fécondation de la reine a été retardée, par suite d'une captivité accidentelle de 376 LES INSECTES. deux à trois semaines. Plus ce retard est long, plus le nombre des œufs mâles sera considérable. Si la reine est enfermée du- rant plus de vingt jours après sa naissance, elle ne peut plus pondre que des œufs de mâles, pendant toute la durée de son existence. Il paraît aussi que ce retard trouble son intelligence : elle se trompe alors souvent de cellules. Elle pond des œufs de mâles ou faux bourdons dans les berceaux de reines, et met ainsi le désarroi dans la communauté future. Les œufs, une fois pondus, sont abandonnés aux ouvrières que Réaumur a appelées nourrices, par opposition aux cirières, qui sont chargées des travaux de construction. Selon beaucoup d'api- culteurs, et notamment d'après M. Hamet\ la division des fonc- tions n'est pas absolue. Les jeunes ouvrières sont cirières; les vieilles, butineuses et nourrices. En outre, au plus fort de la récolte, toutes les ouvrières vont butiner. Tout est bon à la ré- colte en ce moment critique, de même que tout est panier en temps de vendanges. Les œufs pondus par la reine ne tardent pas à éclore et â donner des larves. Depuis le moment où la larve sort de l'œuf jusqu'à celui de sa métamorphose en nymphe, la reine se tient dans sa cellule, ^^^^ roulée sur elle-même, immobile comme une idole /^_ ;^ indienne dans son temple vénéré. Elle y repose 1^; ^'"'^ gui^ i^Yie litière de bouillie. F'g- ,3"-. Heureuse reine , qui a pour lit sa table, et Larve d Abeille ' i i (grossie:. qui dort sur sa nourriture ! Nos rois de la terre n'ont pas encore inventé une combinaison aussi raffinée ! Les ouvrières visitent de temps à autre la reine, pour voir si rien ne lui manque, et pour renouveler ses provisions. Elles inspectent aussi avec soin les différentes cellules, et s'as- surent du bon état de leurs nourrissons. La bouillie qu'elles leur servent comme aliment est blanchâtre, et ressemble â de la colle de farine. Selon toute apparence, c'est une sorte de décoc- tion de pollen, préparée dans le corps de l'insecte. A mesure que les larves grandissent, leur bouillie prend un goût de miel plus prononcé, et devient même légèrement acide. Il semble donc que les Abeilles savent graduer la nourriture des larves, de manière à la rapprocher de plus en plus du miel. Dans l'espace de cinq jours, les larves sont développées. Elles 1. Cours d'apiculture. 1 vol. in-18, Paris, 1864. HYMENOPTERES. 377 ont absorbé toute la pâtée, et n'ont plus besoin, dès lors, de prendre aucune nourriture, car elles vont se métamorphoser en nymphes. Alors les nourrices leur rendent un dernier soin. Elles les mu- rent dans leurs cellules, dont elles ferment les orifices, par un petit couvercle de cire. Ces larves blanchâtres, molles et sans pieds, s'avancent alors petit à petit, jusqu'à proximité du couvercle. Dans l'espace de trente-six heures, elles se lilent un cocon soyeux, dans lequel elles subissent leur transformation en nymphes, après s'être dépouillées de leur peau. Cette mue, ({ui précède leur méta- morphose, constitue une crise, comme chez la chenille des pa- pillons. L'insecte parfait éclôt sept ou huit jours après sa transforma- tion en nymphe. Les organes se sont développés peu à peu, la jeune Abeille est prête à paraître au grand jour. Elle déchire le voile mince et transparent dans lequel elle est encore emmaillottée ; puis, avec ses mandibules, elle perce le couvercle ou la porte de sa prison, et se fraye une issue au dehors. Aidée de ses jambes de devant, elle se cramponne sur les bords du trou, et se tire en avant, jusqu'à ce que son corps entier se trouve dégagé. Les autres Abeilles prodiguent à la nouvelle arri- vée tous les soins imaginables, pour lui faciliter l'entrée dans le monde. Elles l'aident et la soutiennent jusqu'à ce qu'elle soit bien raffermie. Bientôt elle a pris toute la force nécessaire. Si c'est une ouvrière, elle ne tarde pas à se mettre à l'ouvrage et à se mêler à ses laborieuses compagnes. Voilà comment a lieu l'éclosion des Abeilles ordinaires, ou- vrières et mâles, vingt jours après la ponte pour les premières, vingt-quatre jours après pour les mâles. L'éducation et la naissance des jeunes reines est un peu diffé- rente. Au fur et à mesure que leurs larves se développent, les ouvrières agrandissent les cellules qui les renferment, puis elles les rétrécissent graduellement, lorsque approche le moment de la métamorphose suprême. Les larves des reines reçoivent une nourriture toute spéciale, et fort différente de celle qui est donnée aux larves d'ouvrières. C'est une substance plus épaisse, plus sucrée, une sorte de ragoût épicé. que l'on désigne sous le nom de gelée royale. Cette nourriture spéciale parait exercer une influence si énergi- que sur le développement des ovaires, que de simples ouvrières. 378 LES INSECTES. qui en ont reçu accidentellement quelques bribes, pendant leur état de larve, peuvent devenir fécondes et pondre quelques œufs. Mais ce développement anomal demeure imparfait, parce quelagelée prolifique n'a été administrée qu'en petite quantité. En outre, le volume des cellules est d'une grande importance au point de vue du développement des larves qui y sont emprisonnées. Aussi les larves d'ouvrières ayant vécu dans les petites cellules ne peuvent- elles jamais atteindre les proportions des reines, ni acquérir leur fécondité. Mais tout change si les larves d'ouvrières sont trans]jortées dans les grandes cellules, et nourries de gelée royale. Alors elles deviennent elles-mêmes de véritables reines. Si, chez nous, l'ha- bit ne fait pas le moine, il est certain que chez les Abeilles le ber- ceau fait la reine. C'est à Schirach que l'on doit cette dernière découverte. Elle explique comment le peuple des A]:)eilles peut facilement rempla- cer sa reine quand il vient accidentellement à la perdre. Ainsi, chez les Abeilles, le président de la république compte des milliers de vice-présidents. Pour remplacer un Lincoln, enlevé par une mort imprévue et violente, on a sous la main tous les Johnson nécessaires. Quand la reine a péri par un accident, les citoyens de la ruche s'aperçoivent bien vite de ce malheur, et sans perdre leur temps en regrets inutiles, ils s'appliquent à le réparer. On choisit une larve d'ouvrière, âgée de moins de trois jours, à laquelle on donne l'éducation, c'est-à-dire la nourriture propre à en faire une femelle. Les ouvrières agrandissent la cellule de ce ver, en démolissant les alvéoles environnants, et lui administrent, à forte dose, la gelée royale, pour opérer sa transfor- mation. Cette métamorphose merveilleuse s'accomplit comme celles qu'on lit dans les contes de fées, où tant de pauvres men- diantes sont changées, d'un coup de baguette, en belles prin- cesses, couvertes d'or et de pierreries. Seulement ici le conte de fées est une vérité ; le rêve du poète est un phénomène réel. Selon François Huber, qui a confirmé les observations de Schi- rach, la larve destinée à donner une femelle doit changer de posi- tion. Les ouvrières ajoutent donc à son domicile une sorte de tube vertical, dans lequel elles poussent et retournent le jeune ver, espoir de la patrie. HYMÉNOPTÈRES. 379 Pendant douze jours, une A])eille, espèce de garde du corps, est spécialement affectée à la personne de notre infante. Elle lui ofTre à manger, elle est pour elle aux petits soins. Quand le moment de la métamorphose est venu, on ferme l'ori- fice du tube, et on attend l'éclosion de la nouvelle reine. C'est ainsi que la perte de la reine est heureusement remplacée, et que la cour apienne peut dire, en son i)ourdonnant langage : La reine est morte; vive la reine! Les larves des reines, quand elles sont renfermées dans leurs cellules, ont la tète en bas, tandis que les larves des mâles ont la tète en haut. Leur éclosion a lieu treize jours après la ponte des œufs. Dès qu'elles ont quitté leur berceau, les jeunes reines sont en état de prendre leur vol. Les autres, ouvrières et mâles, sont moins fortement organisées. Avant de pouvoir prendre part aux ébats et aux travaux des anciens, elles ont besoin d'un repos de vingt- quatre heures, pendant lequel les nourrices les lèchent, les bros- sent et leur offrent du miel. Mais les jeunes ouvrières n'ont besoin d'aucun apprentissage pour accomplir les travaux- qui leur incombent. Elles vont tout de suite à leur travail , et suppriment tout apprentissage. La nature est leur guide et leur conseil. Quand les éclosions ont commencé, chaque jour ajoute quel- ques centaines de jeunes AI)eilles à la population de la ruche, qui ne tarde pas à devenir trop étroite pour le nom])re de ses habitants. C'est alors qu'ont lieu les curieuses émigrations de ce peuple ailé, que l'on désigne sous le nom (ï essaims. La reine quitte la ruche, avec une partie de ses sujets, et va fonder ailleurs une co- lonie nouvelle. Sous le climat de France, les Abeilles essaiment ordinairement aux mois de mai et de juin. Dans le Midi, les ruches très-peuplées peuvent fournir jusqu'à quatre essaims de suite; mais dans le Nord elles en donnent rarement plus d'un ou deux. Il est même des années où Y essaimage n'a pas lieu, faute de population suffi- sante. Alors les ouvrières ne construisent pas de cellules royales à l'époque de la ponte des œufs de mâles, et l'essaimage est remis au printemps suivant. Il arrive aussi, d'une part, qu'une ruche qui regorge d'Abeilles ne se décide pas néanmoins à jeter un essaim, et d'autre part, que des ruches faiblement peuplées essaiment jjravement. Il 380 LES INSECTES. y a donc encore d'autres causes que l'excès de la population qui exercent une influence sur cette crise annuelle de la vie des Abeilles. Le premier essaim est toujours conduit par la vieille reine. S'il est suivi d'autres essaims, ce sont les jeunes femelles nouvelle- ment écloses qui en prennent la direction. Plusieurs signes annoncent la sortie prochaine d'un essaim. L'apparition des mâles, ou faux bourdons ailés, en est un premier indice. Un autre signe, mais qui est loin d'être infaillible, c'est l'exubérance de la population dans le domicile commun. Les mou- ches à miel semblent alors se trouver si mal à leur aise dans leur ruche trop remplie, qu'une partie en sort et se tient au dehors, soit contre le support de la ruche, soit contre la ruche elle- même. On voit des tas d'Abeilles amoncelées les unes sur les autres au dehors de la ruche, et qui n'attendent plus que le signal du départ. Mais le moins équivoque de tous les signes, celui qui annonce l'événement pour le jour même, dit Réaumur, c'est lorsque les Abeilles d'une ruche ne vont pas à la campagne en aussi grand nombre que d'ordinaire, quoique le temps soit favorable et semble les inviter à butiner les fleurs. « Il n'y a point de signe, dit Réaumur, qui indique aussi sûrement qu'il y a un essaim qui se dispose à prendre l'essor, que lorsque le matin, à des heures oîi le soleil brille, et où le temps est favorable au travail, les Abeilles sortent en petit nombre d'une ruche dont elles sortaient en grande quantité les jours précédents, et qu'elles y rapportent peu de cire brute. Une telle façon de se comporter semble forcer d'accorder h ces mouches plus d'esprit et de prévoyance qu'on ne voudrait ; elle embarrasse extrêmement celui qui veut expliquer toutes leurs actions par un pur mécanisme. Ne paraîtrait-il pas prouvé que dès le matin toutes les habitantes d'une ruche sont instruites d'un projet qui ne sera exécuté que vers midi ou quelques heures après?... C'est une histoire très-connue que celle de ce vieux grenadier qui, étant dans un repos parfait pendant que ses camarades étaieivt occupés à établir leurs tentes, répondit à son général, M. de Turenne, qui le questionnait sur sa tranquillité, qu'il savait bien que farmée ne devait pas rester dans le camp où elle était. Toutes nos mouches, ou presque toutes, semblent avoir pi'évu la marche que leur reine veut leur faire faire, comme ce vieux soldat avait prévu celle que le général devait faire faire à l'armée '. » Dans une ruche qui va jeter, comme on dit en termes de l'art, souvent on entend le soir, et même pendant la nuit, un bourdon- nement particulier. Tout semble y être dans l'agitation. Quel- 1. Mémoires pour servir à l'histoire des insectes, t. V, p. 611. HYMÉNOPTÈRES. 381 quefois, pour y entendre du l)ruit, il faut en approcher bien près l'oreille, et l'on n'entend que des sons clairs et aigus qui paraissent être produits par le bruissement des ailes d'une seule mouche. « Ceux qui savent mieux que moi le langage des Abeilles, dit Réaumur, ont dit des merveilles de ces sons. Ils prétendent que c'est la nouvelle reine qui fait ce bruit, qui harangue peut-être la troupe qu'elle veut engager h sortir, ou qui, avec une espèce de trompette, les anime pour leur donner le courage de tenter une grande aventure. Charles Butler, Fauteur de la Mo- narchie féminine, donne à ce bruit une tout autre signification. Il dit qu'il semble que l'Abeille qui aspire à devenir reine supplie la reine mère par des lamentations et par des gémissements de lui accorder la permission de con- duire une colonie hors de la ruche ; que la reine ne se rend quelquefois à de si touchantes prières qu'au bout de deux jours; que quand elle y acquiesce, elle répond à la suppliante d'une voix plus pleine et plus forte; que lorsque l'on a entendu la nu- re accorder cette permission, on peut espérer, dès le lendemain, d'avoir un essaim.... Le même Butler a déterminé toutes les modulations du chant de l'Abeille suppliante, les différentes clefs sur les- quelles elles sont composées, et de même celles des chants de la reine mère. Il prétend qu'il n'est pas permis à celle qui veut s'élever au rang supérieur d'imiter les chants de la souveraine ; malheur à la jeune femelle si cela lui arrive ! elle ne le fait que par esprit de révolte ; elle en est punie sur-le- champ par la perte de sa tête. L'ancienne reine fait plus : dans. le même moment elle fait oter la vie à plusieurs des Abeilles qui avaient été séduites*. « La véritable cause de ce bruit insolite est l'agitation des ailes d'un grand nombre d'Abeilles , qui sont en émoi au cœur de la ruche. On a remarqué ({u'aux approches de l'essaimage, les Abeilles semblent comme frappées de vertige. Elles perdent la tête, et la reine leur en donne exemple. François Huber a fait à ce sujet les plus curieuses remarques. Voici , d'après cet immortel observa- teur, ce qui se passe dans la ruche quand une émigration se prépare. La reine s'émeut la première du ])ruissement que font dans leurs cellules les jeunes femelles prêtes à éclore. Elle parcourt les rues de la cité, examine les alvéoles, veut se jeter sur celles qui contiennent des femelles ; mais elle rencontre une résistance très-ferme de la part des ouvrières auxquelles est confiée la garde de ces prisons. Elle fait çà et là une tentative pour pondre encore un œuf; mais le plus souvent se retire sans l'avoir déposé dans la cellule qui l'attendait. Elle court, s'arrête, reprend sa course, 1. Mémoires pour servir à Vhisloire des insectes, t. V, p. 616, 617. 382 LES INSECTES. marche sur le corps des ouvrières qu'elle rencontre ; quelquefois, lorsqu'elle s'arrête , les Abeilles qui sont près d'elle s'arrêtent aussi, comme pour la regarder. Elles s'avancent brusquement vers elle, la frappent de leur tête et montent sur son dos. Elle s'élance alors, portant en croupe quelques-unes de ses ouvrières. Aucune ne lui offrant du miel , elle en prend elle-même dans les cellules ouvertes, qui sont abandonnées à la discrétion de tout le monde. On ne fait plus haie sur son passage, on ne l'entoure plus d'une cour d'honneur; elle semble déchue du rang suprême. Cependant les premières Abeilles, que ces courses ont troublées, la suivent en courant comme elle, et répandent l'émoi à leur tour, parmi le reste de la population. Le chemin que la reine a parcouru est reconnaissable par la fermentation qu'elle a laissée sur son passage, et qui ne peut plus se calmer. Bientôt elle a visité tous les recoins de la ruche, si bien que la fièvre est devenue générale. Quantum mutata! la reine ne pond plus dans les cellules. Elle laisse tomber ses œufs au hasard. Elle paraît frappée de vertige. Qu'est devenue cette sage et prudente souveraine, cette mère attentive et prévoyante? Les nourrices , à leur tour, sont atteintes par cette contagion du délire et du mal. Elles ne s'occupent plus du couvain. Celles qui reviennent de la campagne ne sont pas plutôt entrées dans la ruche, qu'elles prennent part à ces mouvements tumultueux, et s'abandonnent au tourbillon général. Ne songeant plus à se débarrasser des pelotes de pollen qu'elles portent à leurs jambes, elles courent dans tous les sens, comme de petites folles : ce sont bien les folles du logis. Le délire s'est emparé de toute la ré- publique. Cette valse infernale, ce vertige commun se termine par une sortie générale. Toutes les mouches, la reine à leur tête, se pré- cipitent vers les portes, et vont au dehors créer un nouvel essaim. Une fois au grand air, nos jeunes folles reviennent à des senti- ments meilleurs. Leur ivresse se dissipe. Elles se fixent à une branche d'arbre , et nos échappées, redevenues captives volon- taires, reprennent leur travail, conformément à leurs habitudes. Est-il rien de plus curieux que cette partie de l'histoire de notre petit peuple bourdonnant ! François Huber a remarqué bien des fois que, dans un essaim qui s'élance, si l'on vient à saisir, à tuer la reine, qui dirige la marche, placée en tête de la cohorte ailée, aussitôt toutes les Abeilles rentrent dans la ruche, et reprennent le domaine aban- HYMÉNOPTÈRES. 383 donné. On dirait qu'ayant perdu leur chef, elles se reconnaissent incapables de faire prospérer et mener à ])ien la colonie future.. On ne voit jamais sortir d'essaim que par un beau jour, ou, pour parler plus exactement, à une heure de la journée où le so- leil luit, où l'air est calme et le ciel favorable. C'est ordinairement entre dix heures du matin et trois heures de l'après-midi. « Il nous esl arrivé, dil François Huher, crobserver dans une ruche tous les signes avant-coureurs du jet, le désordre, Tagitation; mais*lni nuage passait devant le soleil, et le calme renaissait dans la ruche; les Abeilles ne songeaient plus h essaimer. Une heure après, le soleil s'étant montré de nouveau, le tumulte recommençait, il s'accroissait très-rapidement, et l'es- saim partait ' . « Dans le moment qui précède la sortie de l'essaim, le bourdon- nement augmente dans la ruche. Quelques ouvrières sortent les premières, comme pour interroger l'état de l'atmosphère. Dès que la reine a passé le seuil, les émigrantes se précipitent en foule à sa suite. En un clin d'œil, l'air est tout noir d'Abeilles, qui se pressent, en formant comme un nuage épais. L'essaim s'élève en tourbillonnant dans l'air ; il se balance pendant quelques minutes au-dessus de la ruche, pour laisser aux traînards le temps de se rallier, et pour reconnaître la situation du terrain ; puis il s'élance à tire-d'aile dans la campagne. Ce n'est pas la reine qui fait le choix du lieu où s'aljritera la société qui vient de prendre ainsi la clef des champs. Quand une branche d'ar])re a plu à un certain nombre de nos voyageuses, elles se déterminent à se fixer en ce séjour nouveau. Beaucoup d'autres les suivent. Quand elles sont en nombre, la reine vient se joindre à l'assemblée, et entraîne avec elle le reste de la troupe. Le peloton , déjà formé , se grossit d'instant en instant. Les Abeilles qui sont encore dispersées dans l'air s'empressent d'ad- hérer au choix qui a été fait par la majorité, et bientôt toutes en- semble ne composent plus qu'un seul massif d'Abeilles, crampon- nées les unes aux autres par les jambes. Cette grappe (tig. 358) est tantôt sphérique, tantôt de forme py- ramidale. Son poids peut atteindre jusqu'à quatre kilogrammes, 1. En général les Abeilles craignent beaucoup l'apparition du mauvais temps. Lors- qu'elles butinent dans la campagne, la seule apparition d'un nuage devant le soleil les fait rentrer précipitamment chez elles. Cependant, si le ciel est uniformément couvert, et s'il n'y a pas d'alternatives brusques d'obscurité et de lumière, elles ne s'en inquiètent pas, et les premières gouttes d'une pluie douce les chassent à peine du théâtre de leurs ébats. 384 LES INSECTES. et elle peut renfermer environ quarante mille Abeilles. A partir de ce moment, quoiquelles soient à découvert, elles se tiennent Fig. 358. Grappe d'Abeilles suspendue à une branche d'arbre, après l'essaimage. tranquilles. En un ({uart dheure tout devient calme, et on ne voit guère voltiger plus d'Abeilles autour de cette grappe que près d'une rucbe ordinaire. C'est le moment où l'agriculteur ou l'amateur qui veut élever des Abeilles, pour en récolter le miel, doit s'emparer de 1 essaim et lui offrir une ruche préparée d'avance. Sil tarde trop à profiter de l'occasion, la troupe s'envole et va s'établir dans quelque ca- vité naturelle, dans le creux d'un arbre, etc. Les Abeilles re- tournent alors à létat sauvage. Sous un climat chaud oii les fleurs abondent, les ruches peuvent jeter plusieurs fois de s.uite. Cependant le premier essaim est tou- jours le meilleur. 11 est plus nombreux, et il a devant lui plus de temps pour s'approvisionner. Si l'état du ciel demeure favorable, il n'est pas rare de le voir jeter lui-même trois semaines après sa sortie. La vieille reine conduit alors l'émigration du second es- saim, en abandonnant la colonie qu'elle a fondée. Si la ruche mère jette plusieurs essaims, l'intervalle entre le HYMÉNOPTÈRES. 385 premier et le deuxième est de dix à sept jours; le troisième et le quatrième suivent à des intervalles plus courts. Mais ces jets tardifs ont rarement assez de vitalité pour subsister. Les Abeilles qui composent un essaim ne rentrent pas dans la ruche qu'elles viennent de quitter. On peut donc s'étonner qu'une ruche puisse fournir un second essaim à quelques jours d'inter- valle, sans s'affaiblir outre mesure. Mais la vieille reine, en quit- tant son ancien domaine, y laisse une quantité considérable de couvain. Ces larves ne tardent pas à repeupler la ruche, de ma- nière à fournir un second essaim. Le troisième et le quatrième jet affaiblissent la population d'une manière plus sensible; mais il reste toujours encore assez d'ou- vrières pour continuer les travaux. Dans quelques cas, l'agitation du jet est assez vive pour que toutes les Abeilles sortent à la fois, en laissant la ruche déserte ; mais cette désertion ne dure qu'un instant, une partie de l'essaim rentre sagement au logis. Il s'en faut bien que toutes celles qui prennent la clef des champs deviennent membres de la colonie nouvelle. Quand le délire général dont nous avons parlé vient les saisir, elles se pré- cipitent, s'entassent toutes à la fois vers les portes de la ruche, et s'échauflent jusqu'à transpirer abondamment. Celles qui sont au centre de la mêlée, supportent la charge de toute la cohue, et paraissent baignées de sueur. Leurs ailes deviennent humides, elles ne sont plus capables de voler. Lors même qu'elles parviennent à s'échapper, elles ne vont pas plus loin que l'appui de la ruche, et ne tardent pas à rentrer au bercail, sans suivre le gros de la troupe qui vient d'émigrer. Il ne faut pas oublier enfin qu'une partie de la population, un tiers environ, est toujours dehors aux heures de la journée où se forment les essaims, occupée à bu- tiner dans les champs. Leur récolte faite, ces ouvrières revien- nent à la ruche abandonnée par la plupart de leurs compagnes, et reprennent leurs occupations comme si de rien n'était. Elles forment le noyau de la population nouvelle de la ruche, qui se complète bientôt par Féclosion des larves. Nous avons déjà dit que le premier essaim est toujours conduit par la vieille reine ou mère, et que celle-ci part avant l'éclosion des jeunes femelles. Si elle n'était pas sortie avant leur nais- sance, elle les détruirait, et la ruche ne pourrait s'organiser, faute de chef. Le premier essaim parti, les Abeilles qui restent dans la ruche soignent particulièrement les cellules royales. Si les jeunes reines 25 386 LES INSECTES. font des efforts pour sortir, leurs gardiennes les surveillent de plus près. Elles rétablissent le couvercle de cire à mesure que les prisonnières le détruisent. Seulement, comme elles ne veulent pas la mort du pécheur, elles leur passent du miel à travers l'ou- verture avant de la refermer, afin d'adoucir leur captivité. A un moment donné, la femelle issue du premier œuf pondu quitte son berceau. Bientôt elle cède à l'instinct meurtrier qui la pousse à détruire ses rivales , pour régner seule et sans par- tage dans la communauté. Elle va donc à la recherche des cel- lules où ces dernières se trouvent enfermées. Mais dès qu'elle s'en approche, les ouvrières la pincent, la tiraillent, la chassent, l'obligent à s'éloigner, et comme les cellules royales sont nom- breuses, à peine trouve-t-elle dans sa ruche un coin où elle soit tranquille. Sans cesse tourmentée par le désir d'attaquer les au- tres femelles, et sans cesse repoussée par la garde, elle s'agite alors, traverse en courant les divers groupes d'ouvrières, et leur communique son agitation. Ce manège se répète fréquemment dans la journée. Parfois la jeune reine, à bout de moyens, fait entendre un chant aigu, analogue à celui de la Cigale. Ce chant, si insolite dans notre peuple ailé, a la vertu de pétrifier tout l'auditoire. Voici ce que François Huber raconte à ce propos, en parlant d'une reine qui venait d'éclore, et qui cherchait en vain à satisfaire ses instincts jaloux : « Elle chanta, dit-il, deux fois. Lorsque nous la vîmes produire ce son, elle était arrêtée, son corselet appuyait contre le gâteau, ses ailes étaient croisées sur son dos, elle les agitait sans les décroiser et sans les ouvrir davantage. Quelle que fût la cause qui lui faisait choisir cette attitude, les Abeilles en paraissaient affectées, to^ites baissaient alors la tête et restaient immobiles. Le lendemain, la ruche présentait les mêmes apparences, il y restait encore vingt-trois cellules royales qui étaient toutes assidûment gardées par un grand nombre d'Abeilles. Dès que la reine s'en approchait, toutes ces gardes s'agitaient, l'environnaient, la mordaient, la houspil- laient de toutes les manières, et finissaient ordinairement par la chas- ser; quelquefois elle chantait dans ces circonstances en reprenant l'atti- tude que j'ai décrite tout à l'heure; de ce moment les Abeilles devenaient immobiles' . » Mais la fièvre qui a saisi la jeune reine finit par se communi- quer à ses sujettes, et, à un moment donné, un nouvel essaim part sous sa conduite. 1. Observations sur les Abeilles, t. I, p. 260. HYMÉNOPTÈRES. 387 Cette émigration effectuée, les ouvrières qui sont restées à la maison mettent en liberté une autre femelle. Celle-ci recommence le même manège que la première. Elle en veut à ses rivales en- core incarcérées, et qu'elle flaire dans leurs berceaux; mais les gardiennes la repoussent avec vigueur et paralysent toutes ses tentatives, jusqu'à ce qu'elle se décide à émigrer avec un nouvel essaim. Cette scène curieuse se répète, avec les mêmes circonstances, trois ou quatre fois dans l'espace de quinze jours, si le temps est favorable et si la ruche est bien peuplée. A la lin, le nomjjre des Abeilles ({ui restent se trouve tellement réduit, qu'elles ne peuvent plus faire autour des cellules royales une garde aussi vigilante. Il arrive alors que deux femelles sortent à la fois de leurs berceaux. Aussitôt, moment terrible ! nos deux rivales se cherchent, se combattent, et la reine qui sort victorieuse de ce duel à mort règne paisiblement sur le peuple conquis. Si, dans le tumulte qui précède l'essaimage, une femelle surnu- méraire parvient à s'échapper de sa prison, il se peut aussi qu'elle soit entraînée avec l'essaim. Alors les déserteurs se partagent en deux camps séparés. Mais le moins fort en nombre ne tarde pas à être délaissé, et les transfuges vont grossir l'essaim principal. Finalement, toute la troupe se trouve réunie, et elle renferme alors deux reines. Tant que l'essaim reste fixé sur sa branche, tout se passe tran- quillement malgré la présence de deux reines. Mais dès que l'es- saim a pris possession d'un domicile définitif, l'aff'aire devient très- sérieuse. Un combat à mort s'engage entre les deux prétendantes; le trône doit rester à la plus forte. Deux reines, en effet, ne sau- raient exister en liberté dans la même ruche. L'une est de trop sur la terre, et il faut nécessairement que le Dieu des combats décide entre les deux rivales. François Huber est le premier qui ait décrit ces duels de reines. Voici le récit intéressant qu'il nous a laissé d'un combat qu'il ob- serva le 12 mai 1790 : « Deux jeunes reines, dit-il, sortirent ce jour-là de leurs cellules, presque au même moment, dans une de nos ruches les plus minces. Dès qu'elles furent à portée de se voir, elles s'élancèrent Tune contre l'autre, avec l'appa- rence d'une grande colère, et se mirent dans une situation telle que chacune avait ses antennes prises dans les dents de sa rivale; la tète, le corselet et le ventre de l'une étaient opposés à la tète, au corselet et au ventre de l'autre; 388 LES INSECTES. elles n'avaient qu'à replier l'extrémité postérieure de leur corps, elles se se- raient percées réciproquement de leur aiguillon, et seraient mortes toutes les deux dans le combat. Mais il semble que la nature n'a pas voulu que leurs duels fissent périr les deux combattantes; on dirait qu'elle a ordonné aux reines qui se trouveraient dans cette situation (c'est-à-dire en face et ventre contre ventre) de se fuir à l'instant même avec la plus grande précipitation. Aussi, dès que les deux rivales sentirent que leurs parties pos- térieures allaient se rencontrer, elles se dégagèrent l'une de l'autre, et cha- cune s'enfuit de son côté.... « Quelques minutes après qu'elles se furent séparées, leur crainte cessa^ et elles recommencèrent à se chercher ; bientôt elles s'aperçurent, et nous les vîmes courir l'une contre l'autre ; elles se saisirent encore comme la pre- mière fois, et se mirent exactement dans la même position : le résultat en fut le même ; dès que leurs ventres s'approchèrent, elles ne songèrent plus qu'à se dégager, et elles s'enfuirent. Les Abeilles ouvrières étaient fort agi- tées pendant ce temps-là, et leur tumulte paraissait s'accroître lorsque les deux adversaires se séparaient ; nous les vîmes, à deux différentes fois, arrê- ter les reines dans leur fuite, les saisir par les jambes, et les retenir prison- nières plus d'une minute. Enfin, dans une troisième attaque, celle des deux reines qui était la plus acharnée ou la plus forte courut sur sa rivale au mo- ment où celle-ci ne la voyait pas venir ; elle la saisit avec ses dents à la nais- sance de l'aile, puis monta sur son corps, et amena l'extrémité de son ventre sur les derniers anneaux de son ennemie, qu'elle parvint facilement à percer de son aiguillon; elle lâcha alorsl'aile qu'elle tenait entre ses dents, et retira son dard ; la reine vaincue tomba, se traîna languissamment, perdit ses forces très-vite et expira bientôt après ' . « Ces combats singuliers, dont on vient de lire la description, ont lieu entre les jeunes reines vierges. François Huber, en introdui- sant dans une ruche quelques reines étrangères, s'est assuré que la même animosité porte les femelles fécondes à se combattre et à se détruire. Dès que la jeune reine, à laquelle la souveraineté est échue, est fécondée, elle n'a rien de plus pressé que de détruire toutes les nymphes royales qui existent encore dans la ruche, et qui lui sont dès lors livrées, sans résistance, par les ouvrières. Où-/. (ÎYaObv TuoXu/oipaytrj- sTç xofpavo? è'^JTO), Efç 5aad£uî ^... La femelle devenue mère attaque donc l'une après l'autre les cellules qui contiennent encore des femelles. On la voit se jeter avec fureur sur la première cellule qu'elle rencontre. Elle y pra- tique, avec ses dents, une ouverture suffisante pour y introduire 1. Observations sur les Abeilles, tome I, pages 174-178. 2. La domination de plusieurs ne fait pas bien : il faut un seul chef, un seul roi. (Homère, Iliade, II, llO.) HYMENOPTERES. 389 son ventre, et se contourne jusqu'à ce quelle ait réussi à frapper d'un coup d'aiguillon la femelle qui s'y trouve logée. Elle s'éloigne alors, satisfaite. Les ouvrières, qui jusque-là sont restées specta- trices indifférentes de ses efforts, se chargent du reste de la besogne. Elles se mettent à agrandir le trou fait par la reine victorieuse, et à retirer de la cellule royale le cadavre de la victime. Pendant ce temps, la farouche et jalouse souveraine se jette sur une autre cellule, et en fait l'effraction avec violence. Si elle n'y trouve pas d'insecte parfait, mais seulement une nymphe, elle dé- daigne de faire usage de son royal aiguillon. Les ouvrières se chargent de vider la cellule et de sacrifier son contenu. Ces exécutions accomplies, la reine peut s'occuper de la ponte, sans avoir désormais à craindre de rivales. Disons, en passant, que l'homme n'est pas tout à fait en reste de cruauté avec les insectes dont nous venons de raconter les exploits sauvages. Chez quelques tribus de l'Ethiopie, le premier soin du chef nouvellement courenné est de mettre en prison tous ses frères, afin d'éviter les guerres de prétendants. Délivrée des soucis de la rivalité, notre reine se met à pondre avec un zèle infatigable, et les ouvrières, animées par l'espoir d'un nombreux couvain, entassent joyeusement des provisions autour d'elle. Mais ici va s'accomplir un nouveau drame. Les faux bourdons, c'est-à-dire les mâles, sont maintenant de trop dans la colonie. Leur mission est finie. Par une logique inexorable de la nature, il faut se débarrasser d'eux. Les ouvrières procèdent au massacre général des faux bourdons. C'est dans les mois de juillet et d'août qu'a lieu cet affreux car- nage. On voit alors, au milieu des airs, les ouvrières donner avec fureur la chasse aux mâles, et les poursuivre jusqu'au fond des ruches, où les malheureux vont chercher un asile. Trois ou qua- tre ouvrières s'élancent à la poursuite d'un mâle. Elles le saisis- sent, le tirewt par les jambes, par les ailes, parles antennes, et le tuent à coups d'aiguillon. Ce carnage impitoyable comprend même les larves et les nym- phes de mâles. C'est bien le massacre des innocents. Les bourreaux les arrachent de leurs cellules, les percent de leur dard, et sucent avidement les liquides contenus dans leurs corps; puis ils jettent au vent leurs dépouilles vides. La tuerie se poursuit plusieurs jours. Elle dure jusqu'à l'extinc- 390 LES INSECTES. tion complète des mâles, pauvres diables qui ne peuvent se défen- dre, étant privés d'aiguillons! Ils ont pourtant la vie sauve quand ils ont le bonheur d'ha- biter une ruche privée de reine. Ils y trouvent même un asile assuré, s'ils sont chassés d'une autre ruche. On les rencontre alors en certain nombre, dans cet asile, jusqu'au mois de janvier. On accorde également la vie aux faux bourdons dans les ruches qui, au lieu d'une véritable reine, n'ont qu'une femelle à demi féconde, f[ui ne pond que des œufs de faux bourdons. Mais une telle ruche, dont la population active ne peut plus s'augmenter, finit par être abandonnée de ses habitants. La stérilité de la reine, ou son absence, entraîne la dissolution de la société. La mère Abeille est, en efTet, l'âme et la vie de la ruche. Sans elle, plus d'espoir, plus de courage, plus d'activité. Le peuple, abandonné à lui-même, tombe dans l'anarchie. La famine, le pillage, la ruine et la mort sont à ses portes. N'ayant plus de couvain â espérer, les Abeilles vivent au jour le jour, sans souci du lendemain. Elles cessent de travailler, ne vivent plus que de vol et de rapine, et hnissent par disparaître. C'est une société qui se décompose et se dissout par l'absence d'un lien moral. Si la perte de la mère Abeille, ou reine mère, a lieu à une épo- que où il existe encore dans la ruche des larves d'ouvrières âgées de moins de trois jours, les nourrices, comme nous l'avons déjà dit, adoptent quelques-unes de ces larves, et en font des reines, grâce à l'éducation physique et à la nourriture spéciale qu'elles leur donnent. Dans ce cas, le mal est donc réparable, les ouvrières s'en tirent toutes seules. Mais si la ruche possède une reine dégé- nérée, qui ne pond que des mâles, l'intervention de l'homme est nécessaire pour sauver cette ruche, par la substitution d'une reine féconde. Si, en effet, une reine étrangère voulait pénétrer seule dans une ruche qui renferme une mère régnante, elle serait in- failliblement arrêtée à la porte, et étouffée par les sentinelles qui gardent la ruche. Celles-ci l'entourent aussitôt, et la retiennent captive sous elles, jusqu'à ce qu'elle périsse d'asphyxie ou de faim. Elles n'emploient point leurs dards contre la reine intruse, excepté dans le cas où l'on chercherait à la délivrer de leurs étreintes. C'est en l'étouffant qu'elles la font disparaître. Lorsqu'on veut introduire dans une ruche une reine étran- gère, après avoir enlevé l'ancienne souveraine, il faut user de beaucoup de précautions pour la faire pénétrer dans le domicile commun. HYMÉNOPTÈRES. 391 Les x\beilles ne s'aperçoivent qu'au ])out de quelque temps de la disparition de leur reine ; mais alors elles manifestent un grand émoi. Elles courent çà et là comme des folles; elles quittent leurs travaux, et font entendre un bourdonnement singulier. Si on leur rend leur souveraine naturelle, elles la reconnaissent, et le calme renaît à l'instant même dans l'atelier. La substitution d'une reine nouvelle à la souveraine primitive ne produit pas le même effet dans toutes les circonstances. Si l'on introduit la nouvelle reine une demi-journée seulement après Tenlèvement de l'ancienne reine, la nouvelle venue est fort mal reçue. Elle est sur-le-champ environnée, cernée ; les ouvrières cherchent à l'étouffer. D'ordinaire elle succombe à ces mauvais traitements. Mais si on laisse s'écouler un intervalle plus considé- rable avant d'introduire la remplaçante, les Abeilles, rendues plus traitables par l'attente, se montrent mieux disposées à son égard. Si, enfin, on laisse passer un interrègne de vingt-quatre heures, la reine étrangère est toujours reçue avec les honneurs dus à son rang. Un bourdonnement général annonce l'événement à toute la population de la ruche. On décerne à la reine adoptive un cortège choisi. On forme la haie sur son passage; on la caresse du bout des antennes; on lui offre du miel. Un petit trémoussement joyeux de l'escorte annonce que tout le monde est satisfait dans la petite république. Les travaux des champs et ceux de l'intérieur recom- mencent avec plus d'activité que jamais. C'est surtout pendant les jours orageux, alors que la chaleur et l'électricité de l'atmosphère favorisent la sécrétion du pollen dans les plantes, que les Abeilles vont à la récolte dans la campagne. Elles pressent, elles entassent dans la ruche les provisions pour la froide saison, tout en élevant avec soin le couvain, l'espoir de l'avenir, spem gentis^ comme dit Virgile. Ces occupations pacifiques, et pour ainsi dire pastorales, sont interrompues quelquefois par les dures nécessités de la guerre. 11 arrive que les Abeilles d'une ruche appauvrie, poussées par la faim, mauvaise conseillère, se décident à attaquer, pour en piller les trésors, une ruche voisine, qui abonde en provisions de bouche. Alors s'engage entre les deux bataillons un combat acharné^ Chacun se précipite avec furie sur son adversaire. Deux Abeilles se pressent et se mordent jusqu'à ce que l'une soit terrassée. Le vainqueur grimpe sur le dos du vaincu, il le serre au cou avec 392 LES INSECTES. ses mandibules, et le perce de son dard, entre les anneaux du ventre. L'Abeille victorieuse se place auprès du corps de son en- nemi terrassé. Posée sur quatre pattes, elle frotte orgueilleuse- ment l'une contre l'autre ses pattes de derrière, signe suprême du triomphe. Réaumur raconte un fait assez bizarre, qu'il dit avoir observé plusieurs fois, et qui prouve que nos insectes ne se battent pas pour satisfaire un instinct sanguinaire et farouche, mais, ce qui est moins blâmable, pour satisfaire leur faim. Les Abeilles atta- quées par une force supérieure ont la vie sauve si leurs ennemis parviennent à leur faire rendre gorge, c'est le mot propre. Trois ou quatre Abeilles s'acharnent après une seule. Elles la tirent par les jambes, et la mordent au corselet. La malheureuse objet de cette agression n'a alors rien de mieux à faire, pour sortir vivante de ce mauvais pas, que d'allonger sa trompe, toute chargée de miel odorant. Les pillards viennent l'un après l'autre boire ce miel; puis, repus, satisfaits, n'ayant plus rien à demander et la conscience tranquille, ils s'en vont, laissant TAbeille retournera sa demeure champêtre. Il est aussi des combats singuliers, de véritables duels, entre les Abeilles d'une même ruche. Les fortes chaleurs ont pour effet d'irriter nos Hyménoptères, do les exciter, de mettre leur petite tête en ébuUition. Elles sont alors dangereuses pour l'homme, qu'elles attaquent hardiment. Mais, le plus souvent, cest entre elles qu'elles se prennent de querelle et de bec, autrement dit d'aiguillon. On voit souvent deux Abeilles qui se rencontrent, se saisir au collet, dans l'air. Il arrive aussi qu'une Abeille furieuse se jette sur une autre, qui se promène tranquillement et sans penser à mal sur le bord de sa ruche tranquille. Quand deux Abeilles sont ainsi aux prises, elles descendent à terre, car elles n'auraient pas en l'air assez d'appui pour se por- ter des coups assurés. Elles luttent alors corps à corps, comme autrefois les gladiateurs dans le cirque. Elles dardent continuelle- ment leur aiguillon, mais, presque toujours, la pointe glisse sur les écailles dont elles sont revêtues. Le combat se prolonge quel- quefois pendant une heure avant que l'une des deux ait trouvé chez l'autre le défaut de la cuirasse naturelle, et lui ait enfoncé dans les chairs son terrible dard. Le vainqueur laisse souvent ce dard dans la plaie qu'il a faite, et alors il meurt dans son triom- phe par suite de la perte de cet organe. Quelquefois aussi nos deux combattants, malgré des assauts HYMÉNOPTÈRES. 393 longs et acharnés, ne peuvent parvenir à entamer leur solide armure. Ils se quittent, de guerre lasse, et senvolent, chacun de son côté, désespérant d'ojjtenir une victoire complète. C'est ainsi, si parva licet componere magnis , — en d'autres termes, entendons-nous bien, sil est permis de comparer les œuvres in- limes de l'homme aux œuvres admirables de la nature, — c'est ainsi que l'on a vu, de nos jours, deux navires cuirassés, après avoir lutté, une journée entière, l'un contre l'autre, après avoir échangé, sur les eaux frémissantes de la mer, des centaines de coups de canon dont les boulets rebondissaientinoffensifs et inertes sur leurs cuirasses de fer et d'acier, se retirer lentement, s'éloi- gner l'un de l'autre, avec une majesté tranquille, devant l'évi- dente impuissance de s'anéantir réciproquement, en perçant l'énorme ceinture métallique qui entoure et protège leurs flancs robustes. A la lin de l'automne, quand les Abeilles ne trouvent plus dans les champs de fleurs à butiner, elles achèvent d'élever le couvain avec le pollen qu'elles conservent en magasin, et la ponte de la reine mère s'arrête. Engourdies par le froid de l'hiver, les ouvrières tînissent par ne plus sortir. Serrées les unes contre les autres, elles se réchauffent mutuellement, et résistent ainsi, quand le froid n'est pas trop in- tense, à la rigueur des gelées. Blotties entre les gâteaux, elles attendent le retour de la belle saison, pour recommencer les tra- vaux dans la campagne et chez elles. Après deux ou trois ans de cette existence laborieuse, l'Alieille meurt, mais pour revivre dans une nom])r.euse postérité, comme le dit Virgile en ces ])eaux vers : At genus iinmortale manet, muJtosque per annos Stat fortuna domus, et avi numerantur avurum '. On a beaucoup discuté sur la question de savoir si les Abeilles constituent des monarchies ou des républiques. C'est, à notre avis, une véritable république. Comme toute la population est issue d'une mère commune, et que chaque larve de sexe féminin peut devenir reine, c'est-à-dire Abeille mère, si elle reçoit une nourriture appropriée, il est manifeste que le titre de reine a été donné à tort à l'Abeille mère. Au fond, elle n'est que présidente 1. Mais sa race est immortelle, la iortune de la maison regte debout pendant de longues années, et l'on compte les ancêtres des ancêtres. 394 LES INSECTES. d'une république. Les vice-présidentes, comme nous l'avons déjà fait remarquer, sont toutes ces femelles, qui, à un moment donné, peuvent être appelées, par choix, c'est-à-dire par élection popu- laire, à remplir les fonctions de la souveraine, quand la mort ou un accident a supprimé le titulaire. « Il n'y a point de roi dans la nature, « disait un jour Daulieji- ton, dans son cours au Jardin des plantes. Tout aussitôt, l'audi- toire d'applaudir et de crier bravo ! L'honnête savant s'arrête tout troublé, et demande à son aide- naturaliste la cause de ces applaudissements, peut-être ironiques. « J'aurai dit quelque sottise, répétait entre ses dents le pauvre Daubenton, se rappelant le mot de Phocion en pareille circon- stance. — Non , lui répondit son aide-naturaliste, vous n'avez rien dit que do très-vrai; mais, sans vous en douter, vous avez fait une allusion politique. Vous avez parlé contre les rois, et nos jeunes répu])licains croient que vous faites allusion à Louis XVI. — Vraiment, s'écria le collaborateur de Buffon, je ne me dou- tais guère d'avoir fait de la politique ! « La république des Abeilles , cette petite société animale , est admirablement constituée, et tous ces citoyens obéissent docile- ment à ses lois archiséculaires. Les Abeilles ont souvent servi d'exemple pour déjnontrer, selon les uns, l'intelligence merveilleuse de certains petits animaux ; selon d'autres, un instinct merveilleusement développé. Nous n'avons jamais bien compris, quant à nous, ce que l'on entend par le mot instinct, et nous accordons très-nettement rintelligenc;; à l'Abeille, comme à beaucoup d'animaux. La plupart des actes de leur vie semblent résulter d'une idée, d'une délibération men- tale, d'une détermination prise après examen réfléchi. La construction de leurs cellules, toujours uniforme, est, dit-on, le résultat de l'instinct. Pourtant il arrive que, dans des circon- stances particulières , ces petits architectes savent abandonner l'ornièrfc de la routine, se réservant de revenir, en temps utile, aux grands principes traditionnels qui assurent la beauté et la régularité de leurs constructions. On a vu, en effet, des Abeilles s'écarter de leurs pratiques ordinaires, pour corriger certaines irrégularités qui résultaient d'accidents, ou de l'intervention de l'homme qui était venu déranger leurs travaux. François Huber raconte qu'il a vu des Abeilles étayer par des piliers et des arcs-boutants de cire un rayon qui venait de tom- HYMÉNOPTÈRES. 395 ber. Eli même Icmps, averties par cet accident néfaste, elles se mirent à fortifier les ])rincipales charpentes des autres rayons et à les lier plus fortement à la voûte de la ruche. Gela se passait au mois de janvier, c'est-à-dire à une époque où le travail n'est plus de saison , et lorsqu'il ne s'agissait que de pourvoir à une éventualité lointaine. Une observation tout à fait analogue a été rapportée parM.A^'a- lond. N'y a-t-il pas là. d'abord un véritaljle et excellent raisonne- ment, ensuite un acte, une opération, un travail, exécutés par suite de ce même raisonnement? Or une opération qui se fait comme conséquence d'un raisonnement est toujours le résultat de rintelligence. L'Aljeille donne une autre nourriture aux différentes espèces de larves. Elle sait changer cette nourriture à temps, lorsqu'un accident a privé la ruche de sa reine, et qu'il s'agit de la rempla- cer. Elle fait donc encore ici preuve de jugement, d'intelligence. Mais c'est surtout en face d'un ennemi que se montrent les facultés intellectuelles de notre insecte. Il y a toujours à l'entrée de chaque ruche trois ou ([uatre Abeilles qui n'ont d'autre fonc- tion que de garder la porte, pour surveiller les allants et venants, et empêcher qu'un ennemi ou un intrus ne se glisse dans la communauté. Lorsqu'une de ces sentinelles aperçoit un ennemi aux environs de la ruche, elle s'élance vers lui, et, par un bour- donnement menaçant et significatif, le somme de se retirer. S'il ne comprend pas l'avertissement, ce qui est rare, car hommes. chevaux, chiens, et animaux de toute espèce, connaissent parfai- tement le danger auquel ils s'exposent en approchant trop d'une ruche en travail ', l'Abeille va chercher du renfort, et revient ])ientôt avec un bataillon déterminé au combat. Tout cela s'ap- pelle, il nous semble, intelligence. M. de Frarière, dans son ouvrage sur les Abeilles et l'Apiculture, raconte l'anecdote suivante. Un amateur d'Abeilles avait établi un rucher dans son jardin. Mais bientôt il reconnut que certains oiseaux, que l'on nomme Abeillers ou Guêpiers, avaient élu domicile chez lui. Perchés sur les arbres, ils croquaient toutes les Abeilles qu'ils pouvaient saisir 1. Les piqûres produites par des Abeilles ont des suites assez graves. Il arrive souvent que de gros animaux, tels que des chevaux ou des bœufs, attachés dans le voisinage d'un rucher, et qui ont inquiété les Abeilles, meurent des suites de leurs piqûres. 396 LES INSECTES. au passage. Les coups de fusil n'éloignaient que les oiseaux utiles, tandis que nos Guêpiers se montraient indifférents à l'odeur de la poudre : ils semblaient invulnérables. Un jour, comme le propriétaire, embarrassé, cherchait en sa Fi g. 359. Abeilles portières gardant l'entrée d'une ruche. cervelle le moyen de chasser les ennemis de ses Abeilles, il en- tendit tout à coup un grand bourdonnement. Quelques Abeilles qui avaient heureusement échappé au bec vorace de leurs agres- seurs emplumés, s'étaient empressées d'aller répandre l'alarme dans la ruche, et y demander vengeance. Une véritable armée d'Abeilles menaçantes se dirigeait, en bon ordre, contre deux de ces oiseaux, désignés à leurs coups. Ces derniers eurent raison de la phalange apienne, et se gor- gèrent de cette proie; puis ils reprirent leur position, pendant que les Abeilles, vaincues, retournaient au rucher. HYMÉNOPTÈRES. 397 Mais bientôt il se fit un grand tapage au sein de la ruche, et l'on vit les Abeilles, rassemblées en masse serrée, s'élancer avec la vitesse d'un boulet de canon vers l'ennemi, qui, cette fois, s'enfuit à tire-d'aile et ne revint plus. Alors nos Al)eilles firent dans leur demeure une rentrée triomphale, satisfaites du succès de leur tactique*. Nous venons de dire qu'il y a des sentinelles à l'entrée de chaque ruche. Ce portier attentif, cet incorruptible cerbère, touche de ses antennes chaque individu qui veut pénétrer dans la maison. Les Frelons, les papillons dont nous avons parlé sous le nom de Sphinx tête de mort, des Limaces, etc., cherchent souvent à s'in- troduire dans la rucIie. Dans ce cas, à l'appel des portiers vigi- lants, toutes les Abeilles réunissent leurs efforts pour défendre l'entrée du sanctuaire. Il leur serait , en effet , impossible de s'opposer aux dégâts de ces ennemis, une fois entrés au cœur de la place. Quand un Sphinx a réussi à s'introduire dans une ruche, il s'attable et boit le miel à grandes lampées; il dévore toutes les provisions, et les malheureuses propriétaires du logis sont forcées d'émigrer. Des Teignes, des Crabronides, etc., font la guerre aux Abeilles. Virgile, dans ses Géorgiques, fait une longue énumération de ces ennemis divers. Pour empêcher l'entrée des papillons nocturnes, les Abeilles rétrécissent et barricadent quelquefois leur porte avec un mé- lange de cire et de propolis. Quand une limace ou une autre grosse bête est parvenue à s'introduire dans l'intérieur, elles la tuent et l'ensevelissent dans le propolis, ainsi que nous l'avons déjà raconté. Cependant elles restent sans défense contre certains para- sites microscopiques qui les attaquent quelquefois. Le Pou de Vabeille, qui a été décrit et dessiné par Réaumur dans un de ses Mémoires^, le parasite qui a été décrit en 1866 par M. Du- chemin , c'est-à-dire VAcarus de sucre, que l'on trouve aussi dans le miel liquide des ruches atteintes par la maladie qu'on nomme ■ pourriture, sont les ennemis les plus sérieux de l'Abeille. Les Fausses Teignes [GaUeries) sont aussi de terribles ennemies de notre peuple industrieux. Toute ruche attaquée par les GaUeries est perdue. Ces insectes destructeurs s'attaquent aussi aux Abeil- 1. Les Abeilles et l'Apiculture, in-S", 2" édition. Paris, 1865. Page 107. 2. Tome V, planche 36. 398 LES INSECTES. les sauvages, les chassent de leurs nids et détruisent la cire des gâteaux. La Gallerie fait maison nette dans les édifices des Abeilles, tant sauvages que domestiques. Les mœurs des Abeilles sauvages, qui font leurs nids dans les troncs d'arbres et autres cavités, ne diffèrent pas de celles des Abeilles réduites en domesticité. Seulement ces dernières s'ap- privoisent avec l'iiomme. Elles s'habituent aux personnes qui les soignent, et deviennent moins agressives envers les personnes étrangères. L'apiculture, ou culture des Abeilles, est encore aujourd'hui une industrie importante, quoique le miel ait beaucoup perdu de son utilité depuis l'introduction du sucre en Europe. Sans entrer dans beaucoup de détails sur l'apiculture, cest-à- dire sur les soins à donner aux Abeilles, nous mentionnerons les principales occupations de l'apiculture. Quand, au printemps, les ruches font la barbe, c'est-à-dire se disposent à essaimer, on les surveille de près, afin de ne pas perdre les essaims. Dès qu'un essaim s'est fixé sur un arbre, ou sur un reposoir artificiel, que l'on a préparé dans le voisinage, on s'en approche, après s'être couvert la figure d'un linge trans- parent, d'un canevas ou d'un camail, et on fait tomber la grappe dans une ruche qu'on lui présente ouverte et renversée. On re- tourne ensuite cette ruche, et on la met en place, ou bien, si elle ne doit servir qu'au transport de l'essaim, on la secoue devant la porte de la ruche qui lui est destinée. Les Abeilles battent alors le rappel, et se mettent à entrer, en colonne serrée, dans leur nouvelle habitation. La figure 360 représente la manière dont il faut s'y prendre pour recueillir un essaim qui s'est fixé sur une branche d'arbre, et l'introduire ensuite dans la ruche qu'on lui a préparée. Écoutons, à ce sujet, un savant apiculteur, M. Hamet : « Dès qu'un essaim s'est fixé quelque part et qu'il n'y a plus que quelques Abeilles qui voltigent autour de la grappe , il faut s'apprêter à la loger dans une ruche qu'on aura disposée à cet effet. Quelques personnes frottent inté- rieurement cette ruche de plantes aromatiques ou de miel, dans le but d'y faire fixer plus sûrement les Abeilles. Cette précaution n'est pas indispen- sable. L'essentiel est que la ruche soit propre et n'ait pas de mauvaise odeur. II est bon de la passer au préalable sur la flamme d'un feu de paille, qui détruit les œufs d'insectes et les insectes qui auraient pu s'y loger. « Après s'être recouvert d'un camail si l'essaim est placé dans un lieu dif- HYMÉNOPTÈRES. 399 ficile et si Ton craint d'être piqué, on présente la ruche sous la grappe d'Abeilles que l'on fait tomber dedans, soit en secouant fortement la branche à laquelle cet essaim est attaché, soit au moj-en d'un petit balai, ou même Hc 3G0 Rtception cl un es-iii avec la main, car alors elles piquent très-rfirement ; il n'est presque jamais nécessaire de prendre de précautions pour en approcher, excepté pour les essaims qui sont fixés depuis plusieurs heures ou depuis la veille. Lorsque les Abeilles sont tombées en masse au fond de la ruche, on retourne dou- cement celle-ci, que l'on place sur un linge étendu à terre, près de l'endroit où était l'essaim, ou sur un plateau, ou simplement sur le sol, s'il est sec et propre. On a eu soin de placer sur ce linge une petite cale, un bâton ou un caillou pour soulever un peu la ruche, et par là laisser plus d'entrée aux Abeilles. Une grande partie des Abeilles tombées dans la ruche s accrochent aux parois ; mais bon nombre sont versées sur le linge lorsqu'on retourne cette ruche. On agit ainsi lorsqu'elle est destinée h loger l'essaim; mais lorsque celui-ci doit être logé dans une autre ruche, ainsi que nous le ver- rons plus loin, aussitôt que les Abeilles reconnaissent le logement qu'on leur a destiné, elles se mettent à battre le rappel et à entrer en colonne serrée dans ce logement ; celles qui voltigent dans l'air sont appelées par ce rappel et ne tardent pas à s'abattre où se trouvent celles de leurs compagnes déjà 400 LES INSECTES. fixées. Au bout d'un quart d'heure ou d'une demi-lieure au plus, toutes, ou à peu près toutes, sont entrées dans la ruche. Quelques-unes voltigent encore autour de l'endroit où s'est fixé l'essaim. Si le nombre en est assez grand et si plusieurs sont demeurées à cet endroit, il faut les en faire déguer- pir en y plaçant quelque herbe puante, telle que l'éclairé chélidoine, la ma- roube, la camomille des champs, etc., ou bien y projeter de la fumée de chiffon, qui éloignera les Abeilles et les contraindra à chercher la colonie ou à retourner dans leur ruche mère. On peut aussi projeter de la fumée, mais modérément, aux Abeilles groupées autour et aux environs du logement qu'on vient de leur donner, et qui tardent trop à y entrer '. » Un borf essaim pèse de 2 à 4 kilogrammes ; 1 kilogramme con- tient environ 10 000 iVbeilles. Les essaims secondaires pèsent ra- rement plus de 1 kilogramme, et les troisièmes moins encore. On peut aussi former des essaims artificiels, par le transvase- ment d'une ruche dans une autre, opération qui est facile avec les ruches vulgaires dites en cloche. L'inspection de la figure 361, qui représente la ruche vulgaire Fig. 361. Ruche en cloche ou ruche villageoise. du nord de la France, c'est-à-dire la ruche en cloche, fait com- prendre combien il est facile d'opérer ce transvasement en ac- colant par leur base deux ruches, l'une vide, l'autre renfermant l'essaim. 1. Cours d'Apiculture, in- 18, p. 73, 74. HYMENOPTERES. 401 Pour maîtriser les Abeilles pendant l'opération, on les engour- dit légèrement, par la lumée d'un cliidon allumé. ^^^;^ '^ '^^-'^C^^^' Fig. 362. Ruche anglaise. Fig. 363. Ruche suisse. Les ruches dans lesquelles on loge les Abeilles ont mille for- mes différentes, dont chacune a ses avantages particuliers. On 26 402 LES INSECTES. les fait en bois ou en paille. Les formes usitées dans différents pays sont très-variées. Nous citerons comme exemples : la ruche Fig. 365. Intérieur de la ruche des jardins. anglaise (fig. 362), la ruche [suisse (fig. 363), la ruche polonaise (fig. 364), la ruche des jardins (fig. 365). HYMENOPTERES. 403 L'emplacement des ruches, c'est-à-dire le lieu où on les installe, n'est pas indifférent. On croit généralement qu'il faut établir les Abeilles en plein soleil, et dans les lieux les plus exposés à la grande chaleur du jour. C'est une erreur. M. de Frarière, dans son ouvrage sur les Abeilles et l'Apiculture , recommande de placer les ruches sous les arbres, de manière à les maintenir à l'ombre des feuilles, c'est-à-dire comme elles sont placées au milieu des forêts. La Fig. 366. Rucher ombragé. ligure 366 montre la disposition que M. de Frarière conseille de donner aux ruches. M. le docteur Monin, auteur d'une intéressante monographie de l'Abeille, publiée en 1866, après avoir parlé des différentes ex- positions ou dispositions qui ont été conseillées pour les ruches, conclut en ces termes : « C'est pour concilier toutes ces exigences que les apiculteurs expéri- mentés recommandent tant pour les ruches l'exposition au soleil de dix heures, c'est-à-dire qu'elles soient tournées de façon à ce que le soleil donne sur l'entrée lorsqu'il a atteint déjà une certaine hauteur sur l'horizon, et assez échauffé l'air ambiant pour que les Abeilles, que l'éclat de ses rayons engage à se lancer au dehors, ne soient point saisies par le froid, etengourdies avant d'avoir pu regagner assez tôt leur demeure'. » 1. Phiisiologie de Vabp.ille, suivie de Vart de soigner et d'exploiter les abeilles, d'après une méthode simple, facile, ln-18. Paris, 1866. Page 94. 404 LES INSECTES. Au mois de mars, on fait la récolte de la cire, en taillant la partie inférieure des ruches, dont les rayons ont vieilli. La principale récolte du miel a lieu vers la fin de mai, en juin ou en juillet, suivant les localités. On opère la taille plus ou moins forte, selon la quantité du miel préparé et l'état de la saison. Seulement les Abeilles ne verraient pas sans colère cette vio- lation de leur domicile, et ce vol prémédité de leurs provisions d'hiver. Pour s'emparer des gâteaux de miel qui remplissent la ruche, il faut mettre ces insectes irritables hors d'état de nuire à l'homme. On y parvient, on les rend paisibles, en les enfumant. On envoie la fumée dans l'intérieur de la ruche, à l'aide d'un soufflet, dont la figure 367 représente les dispositions. Fig. 367. Soufflet. Si l'on prolonge l'action de la fumée, on entend bientôt les Abeilles battre des ailes d'une façon particulière : elles sont en état de bruissement. Quand on les voit se redresser sur leurs pattes ■de derrière et agiter les ailes, on peut en faire à peu près ce qu'on veut : tailler les rayons, extraire du couvain ou enlever le miel, saos qu'elles s'en inquiètent. Seulement il ne faut pas faire trop durer cet état, parce qu'on pourrait asphyxier les Abeilles. C'est une espèce d'anesthésie que l'on provoque ainsi chez notre Hyménoptère ; et, de même que pour l'anesthésie provoquée chez l'homme, il ne faut pas trop prolonger cet état physiologique. Certains apiculteurs, pour faire leur récolte, étourdissent leurs Abeilles avec des mèches de soufre allumées. C'est là une mau- vaise pratique. « Les auteurs qui conseillent crétouffer les Abeilles, dit M. Haniet, sous prétexte que leurs colonies deviendraient trop nombreuses, et qui ajoutent : on ne peut manger de bœuf sans tuer la bête, sont plus stupides queTanimal qu^ils choisissent ix)ur comparaison. » Une ruche produit souvent de 6 à 8 kilogrammes de miel cha- que année, et une quantité de cire presque égale. Elle peut donc fournir à l'agriculteur un revenu important, d'autant plus que l'éducation des Abeilles donne peu de peine et de travail. Il HYMÉNOPTÈRES. 405 suffit d'avoir un endroit convenablement exposé et bien garni de fleurs. On possède en Europe deux espèces ou races d'Al)eillcs, Y Abeille commune {Apis mellifica) et V Abeille ligurienne {Apis Ugusiica), à ab- domen fauve, avec des anneaux l)ordés de noir. C'est cette espèce queA'irgile a chantée, et qui se trouve en Italie et en Grèce. On a remarqué que les Abeilles liguriennes percent à leur base les ca- lices des fleurs trop longues pour qu'elles puissent y pénétrer commodément, et qu'elles s'emparent ainsi du miel, tandis que nos Abeilles ordinaires passent à côté de ces fleurs sans en pro- fiter. Cette o])servation prouve plus d'intelligence chez la première espèce. On peut d'ailleurs croiser ces deux races. On élève en Egypte V Abeille à bandes {Apis fasciata). Dix ou douze autres espèces d'iVbeilles existent au Sénégal, au cap de Bonne-Espérance, à Madagascar, aux Indes orientales, à Timor {V Abeille de Péron), etc. On a acclimaté en Amérique l'xVbeille d'Europe, mais elle y re- prend vite l'état sauvage, comme du reste tous nos animaux do- mestiques transportés dans l'autre hémisphère. Au cap 'de Bonne-Espérance, les Hottentots recherchent avide- ment les nids d'Abeilles sauvages. Un oiseau, nommé pour cette raison V Indicateur, les guide dans cette chasse. Cet oiseau vient de lui-même au-devant des hommes. On le voit voleter d'arbre en arbre, en poussant un petit cri significatif. On n'a dès lors qu'à suivre l'oiseau délateur. Il ne tarde pas à s'ar- rêter devant quelque arbre creux, qui renferme un nid d'Abeilles. Les Hottentots reconnaissent toujours ses services en lui laissant une part du butin. Le romancier Fenimore Cooper nous a appris, dans son ou- vrage intitulé la Prairie, comment les chasseurs d'Abeilles en Amérique savent découvrir les ruches sauvages. Ils placent sur une planche recouverte de peinture blanche encore fraîche un morceau de pain sucré, ou recouvert de miel. Les Abeilles en bu- tinant ce pain s'eml)arbouillent le corps, et on les suit plus faci- lement du regard quand elles retournent à leur ruche. Dans l'Amérique du Nord, les Abeilles sont, pour ainsi dire, les messagères de la civilisation. Quand les Indiens aperçoivent un es- saim cherchant à s'établir dans les solitudes de leurs forêts, ils se disent entre eux : « L'homme blanc s'approche; il va venir. » Véritables pionniers de la civilisation, ces insectes semblent donc 406 LES INSECTES. annoncer aux forêts et aux déserts du Nouveau-Monde que le rè- gne de la nature est passé, et que le rôle de l'état social a com- mencé, pour ne jamais prendre fin. Les Abeilles qui sont propres à l'Amérique méridionale sont dépourvues d'aiguillon : ce sont les Mélipones. Les Mélipones (fig. 368) ont une forme plus ramassée que celle de nos Abeilles, un corps plus velu, une taille plus petite. Très- nombreuses dans les forêts vierges de l'Amé- rique, elles font leurs nids dans le creux des arbres. La cire provenant des Mélipones est brune et de médiocre qualité. Sous d'épais feuillets de cire, on trouve des gâteaux, à alvéoles hexagonaux, renfermant des mâles, des fe- melles et des neutres. Les cellules de larves sont bouchées par les ouvrières, et les larves s'y filent un cocon. Tout autour des berceaux sont de grands pots arrondis, de toute autre forme que les berceaux, et où s'amasse le miel. On peut supposer que les mâles, les ouvrières et les femelles vivent ensemble en bonne harmonie , et même qu'il y a dans chaque nid plus d'une femelle, car l'absence d'aiguillon doit em- pêcher les combats. Si l'on transporte quelques gâteaux de Mélipones dans un creux d'arbre, il s'y fonde toujours une nouvelle colonie. On peut con- clure de là que les ouvrières se procurent â volonté des femelles au moyen d'une nourriture spéciale. Les sauvages habitants des forêts américaines récoltent le miel des Mélipones; mais ils détruisent en même temps les nids de ces précieux insectes avec l'insouciance de l'homme non civilisé. On a commencé de nos jours, en Amérique, à domestiquer cer- taines espèces de Méhpones, en les introduisant dans des pots de terre ou des caisses de bois. On a amené des Mélipones en Europe, mais elles ont toujours péri aux premiers froids. Pendant l'été de 1863, on possédait, au Muséum d'histoire naturelle de Paris, un nid de Mélipones scutel- laires du Brésil; mais il ne prospéra point. Les Bourdons. — Si l'on parcourt, au mois de mars, les prairies qui commencent à verdir, ou les bois encore privés de feuilles, on voit voltiger çà et là de gros insectes velus, qui ressemblent à des Abeilles géantes. Ce sont les femelles des Bourdons (ainsi HYMÉNOPTÈRES. 407 nommés à cause du bruit qu'ils produisent). Ces femelles ont été réveillées par le soleil du printemps. Elles examinent les cavités des pierres, les amas de mousse, les trous creusés par les ron- geurs, cherchant un endroit convenable pour y construire le nid de leur postérité. Les Bourdons sont de la même famille que les Abeilles, aux- quelles ils ressemblent par leur organisation. (iOmme les Abeilles, les Bourdons se divisent en mâles, femelles et neutres, ou ouvrières. Msds leurs sociétés ne durent qu'un an. A la fin de l'automne, tout le peuple s'éteint, à l'exception des fe- melles fécondées, qui passent l'hiver dans un état d'engourdisse- ment, au fond de quekjue trou, où elles attendent le printemps, pour perpétuer leur race. Les sociétés de Bourdons ne comprennent ordinairement qu'un petit nombre d'individus : de cinquante à trois cents. Ce sont des peuplades aux mœurs paisibles et pastorales, dont l'existence éphémère commence et finit avec la saison des fleurs. Les Bourdons (fîg. 369) se reconnaissent à leur grande taille, à leur corps trapu, entouré de bandelettes de couleurs éclatantes, et à leur vol bruyant. Leurs jambes postérieures sont armées de deux éperons. Les femelles et les ouvrières sont organisées pour butiner comme les Abeilles : elles ont la trompe et les pattes façonnées en brosses et en corbeilles. Fig. 369. Bourdon mâie. pour la récolte du pollen. Les mâles sont dépourvus d'aiguillon , comme les mâles des Abeilles. La plupart des Bourdons se logent sous terre. D'autres font leurs nids à la surface du sol, dans les fentes des murs, dans les tas de pierres, etc. Les premiers s'établissent dans des cavités si- tuées jusqu'à un demi-mètre sous terre, et qui sont précédées par une galerie longue et étroite. C'est presque toujours une fe- melle solitaire qui a été l'architecte du nid. Elle nettoie la cavité qu'elle a choisie, la rend aussi lisse que possible, et la tapisse de feuilles et de mousse, pour embellir les souterrains où doit se passer son existence presque tout entière. Le Bourdon des mousses {Bombus muscorum), appelé aussi Abeille cardeuse, choisit pour y faire son nid une excavation peu profonde, ou bien il entreprend lui-même de le creuser dans le sol. Il recou- vre ce trou d'un dôme de mousse ou d'herbes sèches. Mais il ne transporte pas la mousse au vol, il la traîne sur la terre. Le dos 408 LES INSECTES. tourné du côté du midi, il saisit un paquet de mousse, se met à en tirer les brins avec ses mandibules, les pousse ensuite sous son corps, et les lance dans la direction du nid, par une espèce de ruade de ses pattes de derrière. On voit quelquefois dans l'arrière-saison plusieurs Bourdons travailler à la file. Le premier saisit la mousse; après l'avoir cardée, il la passe sous son ventre, et la lance au deuxième, qui la lance au troisième, et ainsi de suite, jusqu'au nid. Quand les matériaux sont prêts, l'insecte s'en sert pour fabri- quer une espèce de calotte feutrée, qui recouvre le nid, et qui est revêtue de cire à l'intérieur. Si l'on soulève cette calotte, ce qui n'est pas dangereux, car les Bourdons sont peu agressifs, on trouve au-dessous un nid, composé d'un gâteau grossier, qui est surmonté d'une voûte en cire. Les cellules qui entrent dans les compartiments de ce nid, et qui doivent recevoir la larve de l'insecte, sont de forme ovoïde, Fig. 370. Cellules du nid des Bourdons. d'un jaune pâle ou bien noirâtre. La figure 370 représente ces cellules. La cire qui les compose n'a point les qualités de celle des Abeilles. Elle est molle, tenace, brunâtre. Quand la mère Bourdon, qui d'abord est seule à édifier son nid, a confectionné un certain nombre de cellules, elle va cher- cher du miel et du pollen sur les fleurs, et prépare une pâtée, qu'elle dépose dans les futurs berceaux. Ensuite, elle pond six ou sept œufs dans chaque cellule. Les larves qui en sortent vivent en commun, à la même table, sous la même tente. La cellule n'a d'abord que la grosseur d'un pois; elle devient bientôt trop étroite, se fend, et a besoin d'être agrandie et réparée à plusieurs HYMENOPTERES. 409 reprises, besogne dont s'ac({uittent avec beaucoup de soin et d'at- tention nos industrieux insectes. Avant de passer à l'état de nymplie, cbaque ver se file une co- que de soie blanche, très-fine. Il cesse de manger, se tient d'a- bord roulé, puis se relève peu à peu, et change de peau après trois jours. Il passe quinze jours à l'état de nymphe, dans une immobilité complète. A quoi songe, en son tom])eau temporaire, notre Bourdon, de- venu chrysalide? Demandez-le à la nature. Après le temps normal écoulé dans son gîte, notre nymphe se réveille. Elle se délivre de ses enveloppes de momie, avec le se- cours de la mère ou des ouvrières. Le Bourdon paraît alors au jour, robuste et déterminé, le corps recouvert d'un duvet grisâ- tre. Il se raffermit sur ses jambes et se rend au réfectoire de la communauté. C'est évidemment ce qu'il a de mieux à faire, après une abstinence de deux semaines. Quand les écîosions successives ont fourni à la mère Bourdon le renfort qu'elle attend, les ouvrières qu'elle a pondues s'occu- pent de construire de nouvelles cellules, et d'élever le mur d'en- ceinte qui doit abriter le nid. Ce mur. formé de cire, part de la base et s'élève, comme un rempart vertical, de tous les points de la circonférence. On le surmonte ensuite d'une première toiture plate, soutenue par quelques piliers, et dans laquelle on a con- servé une ou deux ouvertures irrégulières. Le tout est enfin pro- tégé par un couvercle hémisphérique , en mousse feutrée et re- vêtue de cire à l'intérieur. La figure 371 représente, dans son ensemlde, un nid de Bour- dons cardeurs. Les ouvrières prennent aussi leur part à l'éducation du cou- vain. Elles apportent aux larves leur pâtée, qu'elles glissent dans les cellules, par un petit trou, qui est refermé aussitôt après. Plus tard, elles aident encore les nymphes à se débarrasser de leurs enveloppes. Bref, elles se rendent utiles de toutes manières. Seulement, elles ont un vilain défaut : elles sont très-friandes des œufs que pond la mère. Elles cherchent k les saisir à la sortie du corps de la pondeuse émérite, ou à les tirer des alvéoles, pour en humer, avec délices, le contenu. Aussi la mère est-elle sans cesse obligée de défendre ses œufs contre la voracité des ou- vrières, et de faire bonne garde, pour chasser les maraudeuses des cellules nouvellement remplies. On doit à un naturaliste anglais, Newport, la connaissance d'un 410 LES INSECTES. autre fait curieux, relatif à la ponte des Bourdons. C'est l'expé- dient qu'emploient les femelles et les mâles pour hâter l'éclosion des œufs. Les femelles et les mâles se placent, comme des poules cou- Fig 371. Nid de Bourdons cardeurs. veuses, au-dessus des coques de cire qui contiennent les nymphes prêtes àéclore. En respirant avec activité, ces industrieux insectes élèvent la température de leur corps, et par suite celle de l'air des cellules. Grâce à cette chaleur supplémentaire, la métamor- phose des nymphes est beaucoup plus prompte, Newport, en glissant des miniatures de thermomètres entre les coques à nymphes et les Bourdons couveurs, constata que la tem- pérature de ces derniers était d'environ 34 degrés, pendant que la température des coques abandonnées à elles-mêmes était seu- seulement de 21 à 24 degrés. Après plusieurs heures de ces incubations , à la fois naturelles HYMENOPTERES. 4H et artificielles, dans lesquelles lart et la nature se donnent si étroitement la.... patte, lorsque les insectes couveurs se sont bien des fois relayés les uns les autres, les jeunes Bourdons sortent de leurs coques. Ils sont d'abord mous, grisâtres, humides et très- impressionnables par le froid. Mais au bout de quelques heures ils se raffermissent, et Ion voit se dessiner les bandelettes jaunes et noires, dont leur ventre est entouré. La ponte du printemps produit exclusivement des ouvrières. Elle est surtout a])ondante en août et septemt)re. La ponte des femelles commence en juillet. Les mâles suivent de près. Jusqu'à l'automne, les Bourdons agrandissent sans cesse leur nid, et y multiplient leurs petits pots de miel. Sans accumuler de grandes provisions, dont ils n'auraient que faire, ils tiennent pourtant toujours en réserve une quantité de pollen et de miel pour les besoins du jour. Ces pots à miel ont les formes les plus diverses. Quelques es- pèces de Bourdons leur donnent des cols longs et étroits. D'autres, moins recherchés dans leur style architectural, fabriquent des vases simplement cylindriques. Il y a dans les Bourdons des races d'artistes et des races de simples bourgeois. Les uns construisent avec goût, les autres ne cherchent que l'utile. Pendant la journée, les Bourdons vont butiner les fleurs. Ils rentrent le soir au logis; mais un certain nombre se permet de découcher. Surpris par l'arrivée de la nuit, au sein du calice d'une odorante fleur, ils prennent le parti philosophique de dormir à la belle étoile, couchés sous le regard du ciel, dans ce lit parfumé. C'est là que la main cruelle de l'homme peut venir les prendre : ils se laissent enlever sans opposer de résistance. L'accouplement des Bourdons a lieu vers la fin de septembre. Il coûte la vie aux mâles, comme nous l'avons raconté pour les Abeilles. Les femelles fécondées ne pondent qu'au printemps suivant. Ce sont elles qui, après l'hivernage, seront les mères des nouvelles générations. Elles prendront les rênes de la famille lorsque la mère fondatrice de la colonie actuelle, les mâles ainsi que les ouvrières, auront, d'après la loi de la nature, passé de vie à tré- pas. Cette maternité latente est cause qu'elles vivent en paix ensemble. Il y a souvent, au contraire, quelques ouvrières qui, nées au printemps, deviennent fécondes, et pondent dans Tannée même, mais seulement des œufs de mâles. Celles-ci se voient en butte 412 LES INSECTES. à la jalousie de la mère régnante, qui les poursuit avec fureur, et, dévore leurs œufs. Du reste, ces femelles retardataires ont, elles aussi, le cœur assez cruel. Animées les unes contre les autres d'une jalousie pro- fonde, elles se disputent les cellules avec acharnement pour y déposer quelques œufs, qui sont aussitôt détruits par leurs mé- cliantes sœurs. Toutefois, dans ces diverses attaques, elles ne se servent ja- mais de leurs aiguillons. Le peuple des Bourdons est pacifique, même en ses combats. Aux premiers froids de l'automne, tous ces insectes, comme nous l'avons dit plus haut, périssent, sauf les femelles fécondées. Ces dépositaires privilégiées de la postérité liourdonnicnne, spes altéra domi, cherchent une retraite, et y dorment jusqu'au prin- temps suivant. Elles se réveillent alors et fondent de nouvelles colonies, qui continueront la race. On a longtemps confondu avec les Bourdons certains insectes qui ont la même apparence, c'est-à-dire un corps velu, à bandes de diverses couleurs, mais dont les pattes postérieures ne sont conformées ni pour récolter, ni pour construire. Ce sont les Psi- thyres, dont Lepelletier de Saint-Fargeau a découvert le véritable rôle. Les Psithyres sont des parasites. Ils n'ont que des mâles et des femelles fécondes et pas d'ouvrières. Ils vont pondre leurs anifs dans les nids des Bourdons. Les Psithyres sont, en effet, tellement semblables aux Bourdons, qu'ils peuvent s'introduire chez eux sans éveiller de soupçon. On les admet sans défiance, on les accueille comme s'ils étaient de la famille ; si bien que les pauvres Bourdons élèvent eux-mêmes les larves de ces hôtes impudents. Chez les insectes de l'ordre des Hyménoptères, on rencontre beaucoup d'exemples de ces sortes de parasites qui installent leur progéniture dans un nid étranger, comme le fait le Coucou dans les nids des autres oiseaux. Les Apiens solitaires. — Nous avons trouvé jusqu'ici les insectes de la grande famille des Apiens réunis en sociétés parfaitement organisées. Mais il est un grand nombre d'espèces de la même famille qui vivent solitaires. Nous mentionnerons brièvement les plus intéressantes de ces espèces. Les femelles des Abeilles solitaires sont fécondées comme celles des Bourdons, à la fin de septembre, et pondent au printemps, HYMÉNOPTÈRES. 413 après avoir passé l'hiver à dormir. Elles construisent un nid, divisé en cellules, le remplissent d'œufs et de pâtée mielleuse, le ])ouclient et meurent sans avoir vu éclore leur postérité. Les Anthophovcs ^tig 372, 373, 374) ressemblent aux Abeilles Fig. 372. Fig. 373-374. Anthophore ditusa. Anthophore pariétine. mais elles sont plus velues et grisâtres. Elles font leurs nids, composés de terre gâchée et agglutinée par leur salive, dans les fentes des vieux murs ou dans la terre. Elles donnent à ce nid la forme d'un tuyau courbe. Ce tuyau est divisé en compartiments, ou cloisons, qui doivent recevoir chacun une larve. Chaque in- secte qui éclôt perce sa paroi et profite du trou de sortie du frère qui l'a précédé. Les Anthophores abondent dans les ravins de la Provence, où ils ont été desséchés par un soleil ])rùlant. Si l'on vient les dé- ranger, ils s'élèvent en quantités innombra])les, et entourent, en bourdonnant, l'importun qui troujjle leur solitude. Mais ce bruit n'est qu'une vaine menace, car ils ne font pas usage de leur aiguillon. Ces insectes ne vivent pas en société. Voisins indifférents, ils ne se prêtent pas une mutuelle assistance. Ils ont d'ailleurs leurs parasites comme les Bourdons. Ces parasites sont les Mélecies. Ces insectes poilus, noirâtres et tachetés de blanc déposent leurs œufs chez les Anthophores, qui les laissent faire, et élèvent leurs petits aux dépens de leur propre progéniture. V Abeille charpenlière ou perce-bois [Xylocopa) creuse des galeries dans le bois vermoulu, et y construit des cellules superposées, travail qui lui coûte souvent plusieurs semaines. Elle en garnit ensuite le fond de pollen pétri avec du miel, dépose un œuf au milieu de cette pâtée, et ferme la cellule par un plafond de sciure de bois agglutinée avec sa salive. Sur ce plafond, elle établit une nouvelle loge, et ainsi de suite jusqu'à l'orifice qui est fermé de la même manière. Réaumur s'étonne avec raison de linstinct admirable qui fait 414 LES INSECTES. reconnaître à cette mère prévoyante la quantité exacte de nour- riture qui sera nécessaire à sa larve. Quand celle-ci a absorbé toute sa provision, elle remplit à elle Fig, 37 5. Abeille charpentière. — Nymphes, œufs, galerie et nids. seule toute sa loge, et se métamorphose en nymphe. Il est à re- marquer que la tète de la jeune Xylocope est toujours tournée en bas, de sorte que c'est par le fond de sa loge qu'elle cherche à sortir. Le fond de la première est très-rapproché de la surface du bois, de sorte que l'insecte qu'elle renferme n'a qu'une mince lame de bois à percer pour s'affranchir. Chacun de ceux qui nais- sent ensuite n'a qu'à percer le plancher de sa crypte, et trouve le chemin lilire devant lui. Les nymphes des Xylocopes passent l'hiver, et éclosent au prin- temps, sous la forme de gros insectes à ailes enfumées, d'un beau violet métallique, que l'on voit butiner sur les fleurs des ari^res fruitiers. D'autres Abeilles solitaires ont les pattes postérieures impropres à la récolte du pollen. Elles le ramassent entre les anneaux de l'abdomen, qui est muni de poils. Telles sont les Abeilles maçonnes HYMÉNOPTÈRES. 415 de Réaiimiir [Osmia et Clialicodoma) (fig. 376), qui construisent leurs nids contre les murs, en terre gâchée qui devient très-dure. Fjg. 37(>. Abeille maçonne et son nid. Ces nids (fig. 376 et 377) sont remplis de cellules disposées assez irrégulièrement et de forme oblongue. Au premier al)ord, on les prendrait pour des mottes de terre plaquées contre le mur. Quand l'insecte parfait veut sortir de sa crypte, il est obligé de ramollir le mortier avec sa salive, et de l'enlever, grain par grain, avec ses mandibules. Les nids de Chalicodomcs sont communs aux environs de Paris, sur les murs en moellons exposés au midi. On en trouve souvent dans les parcs de Meudon, de Conflans, du Vésinet, etc. Les Abeilles coupeuses de feuilles {Mégachiles) ne sont pas moins dignes de remarque dans leurs habitudes. Ces insectes nidifient dans des tubes enroulés, faits avec des feuilles de rosier, de poi- rier, de bourdaine, etc., et qui remplissent un terrier cylindrique ou oblique. Chaque nid contient ordinairement de trois à six loges, séparées par des fragments de feuilles. Les Mégachiles coupent les morceaux de feuilles (|ui leur sont nécessaires avec leurs mandibules. Les entailles sont d'une netteté parfaite, comme si |lles avaient été pratiquées cà Temporte-pièce. .16 LES INSECTES. Les Mcgachiles confectionnent jusqu'à huit ou dix enveloppes successives avec les feuilles qu'elles ont apportées, et ces feuilles Fig. 377. Intérieur de nids de l'Abeille maçonne. en se desséchant se resserrent davantage, tout en conservant la forme que l'insecte leur a donnée. Les loges destinées à recevoir les œufs acquièrent ainsi une certaine solidité élégante. La figure 378 représente le nid de la Mégachile du rosier. Les Anlhocopes, ou Abeilles tapissières, revêtent leurs nids avec des pétales de fleurs, par exemple de coquelicot. Leurs terriers sont creusés perpendiculairement dans la terre battue des cliemins, et chacun contient un seul alvéole tapissé de morceaux de pétales. Quand l'œuf a été déposé au fond de cette loge, l'Aijeille comble le reste du trou avec de la terre pour le dérober aux regards. Les Abeilles mineuses [Andrena] creusent dans le sol des galeries tubulaires (lig. 379). Elles ne sont pas plus grosses que nos mouches ordinaires. On connaît encore un grand nombre d'autres insectes qui appartiennent à la famille des A])eilles. Leurs mœurs sont peu connues, et nous ne nous en occuperons pas. Us Guêpes. — Tout le monde connaît les Guêpes comme une HYMÉNOPTÈRES. 417 race de brigands dangereux, qui vivent de rapine, bataillent sans cesse et n'existent que pour nuire. Cependant les Guêpes, comme Fig. 378. Nid de la Mégachile du rosier. i Flg. 379. Galerie de l'Abeille mineuse Figaro, valent mieux que leur réputation. Leurs sociétés sont ad- mirablement organisées. Leurs nids sont des modèles d'industrie et de fantaisie artistique. Elles ont même certaines vertus domestiques qui leur mé- ritent notre estime. Seulement, c'est une gent excitable, à laquelle il ne fait pas bon de se frotter. Si les grandes chaleurs vien- nent s'ajouter à leur irritabilité naturelle, elles s'acharnent après ceux qui les gênent, et les poursuivent très-loin. Personne n'i- gnore d'ailleurs que leur piqûre est très-douloureuse. Par les temps froids, et à l'entrée de la nuit, les Guêpes sont moins vives et moins redoutables. Les Guêpes se distinguent des Abeilles par un caractère assez tranché. A l'état de repos, elles plient en deux les ailes supé- .rieures, qui alors paraissent très-étroites. Elles ne les étalent que pour voler, tandis que les Abeilles conservent, au repos, les ailes supérieures étalées 27 418 LES INSECTES. Les Guêpes vivent en sociétés, qui ne durent qu'un an et sont composées de mâles, de femelles et d'ouvrières. Mais la Guêpe fe- melle ne passe pas sa vie entière dans l'oisiveté, en reine, comme la mère Abeille. Elle s'occupe de la nidilication et des soins de ses petits, comme la mère Bourdon. Les mâles ont aussi leurs charges. Ils veillent à la propreté de Flg. 380. Guêpe commune Fig. 382. Guêpe des arbustes. l'habitation et la débarrassent des cadavres. Ce sont les agents voyers et les croque-morts de la cité. On reconnaît facilement les Guêpes à leur corps oblong, élé- gamment suspendu au corselet comme par un fil (fig. 380). Leur aiguillon est plus grand que celui des Abeilles. Il puise le venin dans une poche placée à sa base; les mâles en sont dépourvus. Les Guêpes ne sécrètent pas de cire. Leurs mandibules leur ser- vent à couper les végétaux, dont elles savent agglutiner les frag- ments, de manière à former une espèce de carton très-résistant, HYMÉNOPTÈRES. 419 sur lequel on peut écrire. On voit que les Guêpes ont inventé, bien avant les hommes, la fabrication du papier. Voici comment le Suédois Charles de Geer, dans son ouvrage célèbre, résume les habitudes de ces insectes : « Les Guêpes, dit-il, aiment les douceurs et le miel, comme les Abeilles, quoiqu'elles n'aillent que rarement les chercher sur les fleurs; mais leur principale nourriture consiste en bien d'autres matières, comme les fruits de toute espèce, la chair crue et les insectes vivants, dont elles se saisissent pour les dévorer. Elles font quelquefois de terribles dégâts dans les ruches des abeilles en dévorant le miel et tuant les abeilles mêmes. Elles ne font point de récolte de cire, leurs nids et leurs gâteaux à cellules sont composés d'une matière qui ressemble à du papier gris, et qu'elles vont chercher sur le vieux bois, qu'elles raclent avec leurs dents; elles font une espèce de pâte de cette raclure en l'humectant avec une certaine liqueur qu'elles dégorgent. Les cellules des gâteaux sont hexagones et très-régulières comme celles des abeilles*. « Avant de commencer leur construction, les Guêpes entassent des matériaux, près de l'endroit qu'elles ont choisi pour y établir leur domicile. Ces matériaux sont des fibres ligneuses, pétries avec de la salive, à l'aide desquelles ces insectes préparent une substance papyracée, très-résistante, destinée à former les parois des cellules et leur enveloppe extérieure. La plupart des Guêpes établissent leur habitation dans la terre. De ce nombre est notre Guêpe commune (Vespa vulgaris), qui est noire et agréablement variée de jaune vif. La Guêpe des arbustes ou Guêpe rousse {Vespa ru fa), qui habite nos bois, construit son nid entre les branches des arbrisseaux. Elle est plus petite que l'es- pèce commune, et son ventre est roussâtre. Le Frelon [Vespa crabro, fig. 383^ est la plus grosse espèce eu- Fig. 383. Frelon. ropéenne de la famille des Yespiens. La substance de son nid est jaunâtre et très-fragile. L'insecte le construit sous un toit, dans 1. Mémoires pour servir à riùsloire des Insectes, Stockholm, 1771, in-4", tome II, page 765. 420 LES INSECTES. un grenier, ou dans le trou d'un vieux mur, le plus souvent dans le creux d'un arbre vermoulu. La Poliste française {Polistes gallica, fig. 384) fixe son petit nid par un pédicule, à la tige d'une plante quelconque. La ponte des Guêpes commence au printemps, et dure tout l'été. Chaque cellule reçoit un seul œuf, et, comme chez les Abeilles, les œufs d'ouvrières sont les premiers pondus. Huit Fig. 384. Fig. 385. Nymphe Poliste française. de Guêpe commune. jours après la ponte, il sort de chaque œuf une larve sans pieds, plus grosse que sa coque, et dont la tête laisse déjà apercevoir deux mandibules. Ces larves reçoivent leur nourriture sous la forme de boules, que les femelles ou les ouvrières pétrissent avec leurs mandi- bules et leurs pattes, avant de les présenter à leurs nourrissons ; à peu près comme les oiseaux qui donnent la becquée à leurs petits. Au bout de trois semaines, les larves cessent de prendre des aliments, et commencent à se cloîtrer dans leurs alvéoles, dont elles tapissent l'intérieur d'une coque soyeuse. Dans cette mue, elles changent de forme, et prennent l'aspect de l'insecte parfait, avec ses six pattes et ses ailes, mais le tout immobile, contracté, ramassé sur soi-même. ^Une sorte de sac tient tous les organes emmaillottés (fig. 385). Cet état de nymphe dure huit ou neuf jours. Au bout de ce temps, l'insecte est mûr. Il se dépouille de son enveloppe, brise la porte de sa prison et s'élance dans les airs. Une cellule n'est pas plutôt abandonnée, qu'une ouvrière la visite, la nettoie, et la met en état de recevoir une génération nouvelle. Pendant l'été, la Guêpe femelle reste constamment au nid, ab- sorbée par les soins de famille. Elle est occupée à pondre, et à donner la becquée au couvain, avec le concours actif des ou- HYMÉNOPTÈRES. 4-21 vrières, ou mulets, comme les appellent Réaumur et Ch. de Geer, parce qu'elles sont infécondes. Dans rintérieur des nids, on voit régner d'ordinaire l'entente la plus cordiale et un ordre parfait, malgré les instincts belli- queux de ces insectes. Ce n'est que très-rarement que la paix intérieure est troublée par des rixes de mâle à mâle ou d'ouvrière à ouvrière, mais ces combats ne sont point meurtriers. Jamais non plus on ne voit un guêpier déclarer la guerre à un autre guêpier, pour le piller. « Le gouvernement des guêpes, dit M. Victor Rendu, explique très-bien la douceur de leurs mœurs publiques. Parmi elles, point de despotes ; per- sonne ne règne ni ne gouverne ; chacun vit librement dans une cité libre, sous la seule condition de n'être jamais à charge à FÉtat. Tous agissent de concert, sans privilèges ni monopoles, sous Finfluence d'une loi commune. la grande loi du bien public, dont personne n'est dispensé '. » Mais cette meilleure des républiques est fatalement vouée à une chute rapide. A l'approche de l'hiver, toute la gent ouvrière, ainsi que les mâles, périssent. Quelques femelles fécondées résistent seules au froid, et traversent l'hiver, pour propager et perpétuer l'espèce. Avant de mourir eux-mêmes, ces insectes détruisent toutes les larves qui ne sont pas encore écloses à l'époque des premiers froids. Les femelles se réveillent au printemps, et commencent seules la construction d'un nouveau guêpier. Elles y pondent des œufs d'ouvrières, qui ne tardent pas à leur fournir tout un régiment d'aides, dévoués et actifs. Ces traits de mœurs sont à peu près les mêmes pour les diverses espèces de Guêpes. Les différences se rencontrent seulement dans la nidification. Nous avons déjà dit que la Guêpe commune fait son nid en terre. Une galerie, de deux à trois centimètres de diamètre, con- duit au guêpier, situé à une profondeur qui varie de 15 à 50 cen- timètres : « C'est, dit Réaumur, une petite ville souterraine qui n'est pas bâtie dans le goût des nôtres, mais qui a sa symétrie; les rues et les logements y sont régulièrement distribués; elle est même entourée de murs de tous côtés; je ne donne point ce nom aux parois du creux où elle est située, les murs dont je veux parler ne sont que des murs de papier, mais forts de reste i)our les usages auxquels ils sont destinés. » 1. V intelligence des hèles, in-18, Paris, 1864. 422 LES INSECTES. Communément, la figure extérieure du nid, ou guêpier, est sphé- rique ou ovale, quelquefois conique. Son diamètre est d'environ 3 ou 4 décimètres. Sa surface d'aspect moutonné, et semblable à un amas de coquilles bivalves, est percée d'un trou d'entrée et d'un trou de sortie, assez grands pour laisser passer tout juste une seule Guêpe (fig. 386). Le guêpier se compose, à l'intérieur, de quinze ou seize gâteaux Fig. 386. Guêpier vu à l'extérieur. horizontaux, distribués par étages et soutenus par de nombreux piliers de séparation. Nous en donnons ici (fig. 387) la coupe et la vue intérieure d'après le mémoire de RéaumurV Les gâteaux sont formés de cellules hexagones, dont l'architec- ture rappelle la science géométrique des Abeilles, et qui ne ser- vent que comme berceaux, jamais comme magasins. Elles s'ou- vrent en bas. L'enveloppe extérieure du nid est fabriquée avec des feuilles d'une sorte de papier grisâtre, fortement gommé, qui s'appliquent couche sur couche. 1, Tome VI, planche 14, page 167. HYMÉNOPTÈRES. 423 Réaumur a donné une description très-détaillée de la manière dont ces insectes exécutent ces constructions '. Les Guêpes vont cliercher à la campagne les fibrilles de vieux bois qui en forment la matière première. Elles les mettent en charpie, les réduisent en boules, et les emportent, entre leurs jambes, au nid. Ces boules sont ensuite appliquées sur les ou- vrages commencés; puis l'insecte les étire, les aplatit et les étend WfmsÊm Mimmim ^^^M~-_ïï^^^« Fig. 337. Coupe et vue intérieure d'un Guêpier, d'après Réaumur. en couches minces, comme un maçon étend du mortier avec sa truelle. La Guêpe travaille avec une extrême vitesse, et toujours à reculons, afin d'avoir sans cesse devant Iles yeux l'ouvrage qui est fait. Le mouvement de ses mandibules est encore plus prompt que celui de ses jambes. Vers la fin de l'été, le guêpier peut renfermer jusqu'à trois mille ouvrières, et jusqu'à trois cents femelles, qui vivent en bonne harmonie. Le nombre des mâles égale celui des femelles. 1. Mémoires, tome VI, page 177. 424 LES INSECTES. Une femelle pèse, à elle seule, autant que trois mâles, ou que six ouvrières. A l'exception de celles qui s'occupent de la bâtisse et de l'édu- cation du couvain, toutes les Guêpes vont à la chasse, pendant la journée. Elles sont carnassières. On les voit s'attaquer à d'autres insectes, qu'elles dépècent, après les avoir tués, afin d'en empor- ter les quartiers au nid, où les milliers de bouches béantes récla- ment leur nourriture. • La Guêpe affectionne les vignes dans nos campagnes. Elle pé- nètre aussi dans l'intérieur de nos maisons. Elle infeste les étals des bouchers. Mais ces derniers ne s'en plaignent pas trop, car la Guêpe éloigne les mouches, qui déposeraient leurs œufs sur la viande fraîche, et contribueraient ainsi à la corrompre. Quand l'hiver approche, les sorties des Guêpes deviennent de plus en plus rares, et elles cessent bientôt tout à fait. La plupart meurent alors, blotties dans leur nid. Quelques femelles seules,, comme nous l'avons dit, traversent la froide saison. Elles dor- ment, les ailes et les pattes repliées sous le corps, ce qui leur donne l'aspect de chrysalides. Elles peuvent néanmoins encore piquer dans cet état, ainsi que M. Guérin-Méneville en a fait la douloureuse expérience. Le printemps les réveille, et elles fondent alors de nouvelles colonies. (c C'est dans cette saison, dit M. Maurice Girard dans son livre sur les Métamorphoses des insectes, qu'avec un peu d'entente il serait aisé de diminuer singulièrement le nombre des Guêpes si nuisibles plus tard aux fruits, en chassant au filet les mères Guêpes, qu'on attirerait en abondance au moyen de groseilliers-cassis en fleurs. » Avis aux cultivateurs. Les Frelons se distinguent des autres Guêpes par leur grande taille. Ils aiment â faire leur nid dans les troncs des vieux arbres. Ils perforent le bois sain, pour arriver au noyau carié, oîi ils creusent un trou, qu'ils déblayent par la galerie d'entrée. Dans ce trou, ils construisent d'abord une calotte, suspendue à la voûte par un pédicule, puis une série de gâteaux composés de cellules et suspendus le premier à cette calotte, le deuxième au premier, et ainsi de suite, par des tiges ou piliers d'une substance papyracée. Les nids logés sous des toits ont souvent la forme d'une poire allongée. La figure 388 représente un de ces nids, d'après Réaumur. Les sociétés de Frelons sont encore moins nombreuses que HYMENOPTERES. 425 celles des Guêpes ordinaires. Elles comprennent au plus deux cents individus. Les Polistes sont des Guêpes particulières, plus petites que les Fig. 3S8. Nid de Frelon. autres, élancées, à abdomen aminci à sa base. Elles emploient moins de façons pour construire leurs nids, qui sont dépourvus d'enveloppes, comme le montre la figure 389. Elles les attachent Fig. 389. Nid de Poliste française. aux tiges de genêts ou d'autres arbustes, par un pédicule. Ce sont des espèces de petits bouquets papyracés, composés de vingt à trente cellules groupées en cercle ou en éventail, dans une position oblique. La Guêpe canonnière de Cayenne [Chmicrgus nidulans,rig 390) est un artiste consommé. Son nid représente une sorte de boîte ou 426 LES INSECTES. d'3 sac, fabriqué avec un carton si fin et si blanc, que le meilleur ouvrier cartonnier s'y méprendrait. Le nid de Chartergue ou Guêpe cartonniére offre un seul trou au Fig. 390. Guêpe cartonniére. centre de sa base; chacun des gâteaux qu'il contient est égale- ment percé d'un trou à son milieu, afin de donner passage aux Guêpes. Au point de vue de l'architecture , la Guêpe cartonniére est presque supérieure à l'Abeille, car l'Abeille ne bdiit pas sa de- meure, elle ne fait que la meubler, comme le fait remarquer, avec raison, Latreille. Le Chariergue hrèsVicn, que les habitants du Brésil nomment Lecheguana, fabrique un miel dont l'usage n'est pas sans danger. Il occasionne le vertige et de vives douleurs d'estomac. Le natu- raliste Auguste Saint-Hilaire, pendant son séjour au Brésil, en ressentit lui-même les effets fâcheux. Il y a encore des Guêpes solitaires, qui font leurs cellules dans des trous qu'elles creusent dans la terre, ou dans les tiges de cer- taines plantes. A l'état adulte, elles se nourrissent de miel; mais leurs larves sont carnassières, et la femelle est obligée de leur apporter des insectes vivants. Les plus communes de ces Guêpes solitaires sont les Ocbjnèrcs. Fig 39t. Odynère rnbicole adulte. Fig. 3>.2. Fig. 393. Larve Nymphe de l'ûdynere rubicole. de l'Odynère rubicole. UOdyncre rubicole (fig. 391, fait son nid dans une tige de ronce avec du mortier qu'elle prépare. La larve (fig. 392) tapisse sa loge HYMÉNOPTÈRES. 427 d un cocon soyeux; puis elle devient nymphe (tig. 393). C'est l'œuf le dernier pondu qui éclôt le premier; puis viennent les autres dans l'ordre inverse de leur ponte. S'il en était autrement, Fig. 394. Nid de l'Odynère dans une tige de ronce. les insectes ne pourraient pas sortir de leurs cryptes sans dé- truire sur leur passage les nymphes moins avancées. Nous représentons (fig. 394) le nid de VOdyncre bâti par ce petit insecte à l'intérieur d'une tige de ronce. Les Fourmis. — Les mœurs des Fourmis sont aussi remarqua- bles que celles des Abeilles. Dans leurs merveilleuses républiques, chacun a ses attributions déterminées, dont il s'acquitte par sen- timent et sans contrainte. Confiée à tous les citoyens, l'autorité s'exerce au profit de tous. Par suite des habitudes de prévoyance et de frugalité, l'aisance règne dans les demeures de ces petits animaux, qui s'attachent à leur patrie souterraine avec une sorte de patriotisme exalté. Malheur à celui qui viendrait les troubler dans leurs occupations, ou démolir leur maison! Les Fourmis sont un peuple guerrier qu'on n'attaque pas impunément. Les Fourmis, comme les Abeilles, forment une véritable ré- publique, composée : 1" des mâles; 2° des femelles; 3° des neu- tres ou ouvrières. Nous verrons plus loin les travaux et le rôle de chacun de ces trois ordres de membres de la république. Par- lons d'abord des espèces. Les Fourmis se divisent en un grand nombre d'espèces, qui ont été décrites avec soin par Réaumur, de Geer, Latreille, et Pierre Huber, le fils du célèbre aveugle qui a si admirablement écrit l'histoire des Abeilles. Toutes ces espèces ont cependant quelques traits généraux com- muns qui les font distinguer aisément de tous les autres insectes. Les Fourmis ont un corps svelte porté sur de longues jambes. Les ouvrières sont plus trapues et plus petites que les mâles; et ces derniers plus petits ({ue les femelles. Les mâles ont les yeux 428 LES INSECTES. gros' et saillants, tandis que les yeux des ouvrières et des femelles sont petits. Tous ces insectes sont pourvus d'antennes coudées, avec les- quelles ils examinent tout ce qu'ils rencontrent, et qui paraissent leur servir à se communiquer leurs idées. Deux mandibules cor- nées, très-vigoureuses, leur tiennent lieu, à la fois, de pinces, de tenailles, de ciseaux, de pioche, de fourchette et d'épée. Un cou mince et court joint la tète au corselet, qui, chez les mâles et les femelles, donne attache à quatre ailes grandes, inégales et vei- nées. Les ouvrières seules sont dépourvues d'ailes. Des trois paires de pattes, les postérieures sont les plus longues. Chaque paire de pattes est armée d'un éperon, et frangée de poils très-courts, qui tiennent lieu de brosses. L'abdomen, gros, court, ovale ou carré, est toujours plus volumineux dans les femelles. On distingue trois groupes principaux de Fourmis. Les Mijr- miques (fig. 395, 396) ont deux nœuds au pédicule, par lequel Fig. 395. Myrmique rouge, maie (grossi). Fig. 396. JMyrmique ouvrière (grossie). l'abdomen s'attache au corselet; les Ponères n'y ont qu'un nœud. Dans ces deux groupes, les femelles et les neutres ont un aiguil- lon, et les larves ne filent pas de cocon pour se changer en nym- phes. Enfin, les Fourmis proprement dites [Formica) n'ont qu'un nœud au pédicule de l'abdomen, comme les Ponères. Leurs larves se filent une coque soyeuse. Elles n'ont point d'aiguillon, mais elles versent dans les blessures que font leurs mandibules, une liqueur acide, dont l'odeur pénétrante est bien connue. Cette liqueur, c'est l'acide formique, produit naturel que le chimiste sait aujourd'hui fabriquer artificiellement, par la combustion de matières ligneuses et amylacées. Tout leur corps est imprégné de cette liqueur acide, et a une forte saveur aigre. Quelques per- HYMENOPTERES. 429 sonnes aiment à mâcher des Fourmis, à cause de ce goût aigrelet. « On en fait aussi, dit Gli. de Geer, des crèmes pour entremets, auxquelles ces Fourmis donnent, dit-on, le goût de jus de citron.» Nous connaissons, dans le midi de la France, des personnes qui ont mangé de ces crèmes aux Fourmis ! Les Polyergucs forment un sous-genre des Fourmis proprement dites. Chez toutes ces espèces, les ouvrières, ou neutres, sont char- gées des constructions, des approvisionnements, de l'éducation des larves, entîn de tous les soins du ménage et de la défense du nid. Dépourvues d"ailes, elles sont attachées à la glèbe et con- damnées au travail. En revanche, c'est à elles qu'appartiennent la force, l'autorité, la puissance. Rien ne se fait que par elles. « Tutrices nées crime immense famille au berceau, dit M. Victor Rendu, par leur vigilance, leur tendresse et leur sollicitude, sans être mères ^les- mèmes, elles participent aux fonctions et aux jouissances de la maternité. Seules, elles décident de la paix ou de la guerre; seules elles prennent part aux combats : tète, cœur et bras de la république, elles assurent sa pros- périté, veillent à sa défense, fondent des colonies et dans leurs œuvres se montrent grands et courageux artistes. » Les nids de Fourmis (lig. 397-398) sont connus sous le nom de fourmilières. Ils varient beaucoup, quant à la forme et à l'emploi des matériaux. Le bois ou la terre en font surtout les frais. Ce qui frappe au premier abord dans les fourmilières, c'est la grandeur de ces demeures, qui forment un curieux contraste avec l'exiguïté de l'ouvrier. Il est certain que sous ce rapport l'homme ne saurait comparer ses œuvres à celle d'un humble insecte. Chaque espèce de Fourmi a un ordre d'architecture qui lui est propre. La Fourmi fauve, ou Fourmi rousse {Formica rufa), l'une des plus communes dans nos bois, construit un monticule ar- rondi , avec tous les objets qu'elle peut ramasser sur son che- min : fragments de bois, brins de paille, feuilles sèches, grains de blé, débris d'insectes, etc. Ce monticule, dont la base est pro- tégée par des matières plus solides, n'est que l'enveloppe exté- rieure du nid, qui se prolonge sous terre, à une profondeur assez grande. Des avenues, habilement ménagées, conduisent du som- met à l'intérieur. Les ouvertures de la fourmilière sont plus ou moins larges; mais à l'approche de la nuit elles sont barricadées avec soin. On les ouvre chaque matin, excepté les jours de pluie, oîi les portes restent fermées et les habitants consignés à l'intérieur. La fourmilière n'est d'abord qu'un simple trou creusé dans la 430 LES INSECTES. sol, et dont l'entrée est masquée par des [matériaux de construc- tion. Mais les ouvrières mineuses ne cessent de creuser des gale- Fig. 397-398 Coupe de nids ae Fourmis. ries et des chambres, disposées par étages. Les déblais terreux sont portés au dehors, et servent à élever l'édifice supérieur, qui grandit en même temps que l'excavation s'approfondit. C'est un labyrinthe miné de toutes parts. Il renferme des corridors, des carrefours, des chambres et des salles spacieuses, qui communi- quent entre elles par des passages souvent verticaux. Les corri- dors aboutissent tous à une grande salle centrale, moins basse que les autres, et soutenue par des piliers; c"est là que se tien- nent la plupart des Fourmis. Les fourmilières ont souvent 60 centimètres d'élévation, sur une profondeur égale. La figure 399 montre l'intérieur d'une fourmilière, dessinée d'après nature dans le bois de Meudon. On voit à l'extérieur quelques Fourmis, occupées à traire des Pucerons. La catégorie des Fourmis maçonnes comprend un grand nombre de variétés : la Fourmi noire cendrée {Formica fusca, fig. 100-101), Fig. 399. Vue d'une fourmilière. HYMÉNOPTÈRES. 433 la brune, la. jaune, la sanguine^ la roussdlre {Polyergus rufescens), la noire, la mineuse {Forr)iica cunicularia) , la Fourmi des gazons, etc. 7; '/ W \ ■'/ Fig. 400-402. Fourmis noires cendrées, mâle, femelle et ouvrière. Toutes ces espèces emploient un mortier plus ou moins lin pour élever leurs monticules, en même temps qu'elles creusent des souterrains. La Fourmi fuligineuse, d'un noir luisant, sculpte le bois; elle creuse son labyrinthe dans le tronc d'un arbre avec une habileté consommée. La Fourmi rouge [Myrmica rubra) exerce , suivant les circon- stances, le métier de maçon ou de sculpteur. Les maçonnes procèdent à leurs construc- tions en profitant de la pluie ou de la rosée du soir, pour faire du mortier. Elles ne sor- tent qu'après le soleil couché, ou lorsqu'une pluie fine vient mouiller le toit. Alors elles se mettent au travail. Elles roulent des pe- lotes de terre, les rapportent entre leurs mandibules, et les appliquent aux points où les constructions ont été arrêtées. De toutes parts, on voit arriver des terrassiers chargés de matériaux. Tout cela s'agite, s'empresse, se remue, mais toujours dans le plus grand ordre, et avec une entente parfaite. Tout s'exécute à la fois. Les appartements s'élèvent les uns au-dessus des autres, et l'édifice monte à vue d'œil. La pluie, le soleil et le vent se chargent de consolider et de durcir le savant édifice de ces industrieux ouvriers , qui ont reçu de Dieu seul leur mer- veilleuse science. Sans autre outil que leurs mandibules, les Fourmis sculpteuses viennent à bout du bois le plus dur. Elles le percent à jour et le réduisent en guipure, en y creusant de nombreux étages de gale- ries horizontales. La Fourmi jaune a deux sortes d'habitations : elle passe lété dans un arbre, et l'hiver dans un terrier. Indépendamment des entrées principales, il existe, dans quel- 28 Fig. 403-405. Fourmis cendrées, mâle, femelle, ouvrière. 434 LES INSECTES. qiies nids, de petites portes, dissimulées, gardées par des senti- nelles. Beaucoup d'espèces creusent aussi des galeries couvertes, que l'on ne démasque que dans un danger pressant, soit pour ouvrir une issue aux assiégés, soit pour tourner l'ennemi qui a déjà envahi la place. Les fourmilières sont, en effet, de véritables forteresses défen- dues par mille artifices ingénieux, et gardées par des postes tou- jours sur le qui-vive. La vie d'intérieur est à peu près la même chez les différentes espèces. La naissance et l'éducation des petits, les fonctions des adultes ne diffèrent pas sensiblement d'une variété de Fourmi à l'autre. Les femelles vivent ensemble en bonne harmonie. Elles pon- dent, sans cesser de marcher, des œufs, de dimensions microsco- piques, blancs et de forme cylindrique. Les ouvrières les ramas- sent et les emportent, pour les amonceler dans des chambres spéciales. Quinze jours après la ponte, la larve apparaît (fig. 406). Son corps est transparent. On y distingue une tête et des anneaux, mais point de pattes. Leur bouche est un mamelon rétractile, bordé de mandiimles rudimentaires. Les ouvrières y dégorgent les sucs qu'elles ont élaborés dans leur estomac. Comme elles ne font pas de provisions , il leur faut ré- colter chaque jour les liquides sucrés destinés à l'alimentation des larves. Dès la naissance des larves, une troupe de nour- rices est chargée des soins que réclame leur édu- Flg. 406. Larve de Myrmique catiou. Ccs nouiTices les mettent à l'air pendant rouge (grossie). ^^ ^^^^^ ^ ^^^-^^^ ^^ ^^j^-j ^,^^^_^y ^^^.^^ ^^^^ ^^^ Fourmis placées sous le toit vont avertir celles qui sont au de- dans, en les touchant avec leurs antennes, ou les remuant avec leurs mandibules. En peu d'instants, toutes les issues sont en- combrées par des ouvrières qui portent des larves à l'extérieur. Elles vont les placer au sommet de la fourmilière, pour les ex- poser à la chaleur bienfaisante du soleil. Quand les larves sont restées quelque temps à la même place, leurs gardiennes les soustraient à l'action directe des rayons solaires, et les mettent dans des loges peu profondes, où elles peuvent encore ressentir une chaleur plus douce. On voit ensuite les Fourmis elles-mêmes s'accorder pendant quelques instants les douceurs d'un repos HYMÉNOPTÈRES. 435 bien gagné, en s'entassant les unes sur les autres en plein soleil. Il n'est aucun habitant de la campagne qui n'ait vu le curieux spectacle que nous venons de rappeler, c'est-à-dire la peuplade d'une fourmilière portant au soleil les jeunes nourrissons, pour leur faire éprouver l'action bienfaisante de la chaleur solaire. Nous conseillons à l'habitant des villes, transporté pour un jour à la campagne, de s'allonger près d'une fourmilière, dans la belle saison, pour assister à ce spectacle, l'un des plus curieux de la nature. Les soins que les Fourmis ouvrières prodiguent aux jeunes ne consistent pas seulement à les nourrir et à leur procurer une température convenable ; elles doivent encore les entretenir dans une extrême propreté. Avec leurs palpes, elles les nettoient, les brossent, distendent leur peau, et les préparent ainsi à l'épreuve critique de leur seconde métamorphose. A ce moment, les larves des Fourmis proprement dites se fdent une coque soyeuse, d'un tissu serré, de couleur grise ou jaunâtre; celles des Myrmiques et des Ponères ne s'entourent pas d'une coque avant de se changer en nymphes. Les nymphes sont d'abord d'un blanc pur, mais elles prennent bientôt une couleur de plus en plus foncée, qui va jusqu'au brun noir. Elles possèdent tous les or- ganes de l'adulte, enveloppés d'une membrane si mince qu'elle paraît irisée. La ligure 407 repré- sente la nymphe de la Fourmi rouge. Ce sont les coques de Fourmis qui renferment ces nymphes qu'on appelle improprement dans les campagnes des œufs de fourmis. On les recher- che pour les donner aux jeunes faisans et aux jeunes perdreaux. Fig. 407 Les nymphes restent immobiles jusqu'à leur dé- Nymphe de livrance, qui s'accomplit avec les secours des au- '^'y™'*!"^ i"o"ge- très ouvrières. Ce sont celles-ci qui déchirent le manteau de la nymphe, et achèvent de l'en dégager. Elles surveillent ensuite le nouveau-né. Pendant quelques jours , elles le nourrissent , le promènent, et ne l'abandonnent que lorsqu'il peut se passer de leurs bons offices. Les mêmes ouvrières, quand ;ies provisions manquent, ou que la fourmilière est menacée d'un grand danger, mettent sur leurs épaules les œufs, les larves, les nymphes, et quelquefois les fe- ^36 LES INSECTES. melles et les mâles qui refuseraient de les suivre. Ainsi chargées, elles s'en vont, nouveaux Anchises, chercher une autre pa- trie. Elles n'oublient jamais, dans cette émigration précipitée, les ouvrières infirmes ou malades, qui périraient dans le logis aban- donné et désert. Les femelles et les mâles qui viennent d'éclore, ne jouissent pas de la même liberté que les jeunes ouvrières. On les cantonne dans la fourmilière, où ils sont gardés à vue jusqu'au jour du départ général. C'est vers la fin du mois d'août qu'on voit apparaître au dehors les essaims de Fourmis ailées des deux sexes. Les mâles sortent les premiers, agitant leurs ailes irisées et transparentes. Les fe- melles, moins nombreuses, les suivent de près. On voit tout à coup cette troupe s'enlever sur un signal donné, et disparaître dans les airs, où se fait l'accouplement. Les mâles périssent im- médiatement après. Les femelles fécondées retournent à la maison paternelle, ou bien vont fonder de nouvelles colonies, avec l'aide de quelques ouvrières, qui leur font cortège. A partir de ce moment, les femelles n'ont plus besoin de leurs ailes. Les ouvrières s'empressent de les leur couper, ou bien, et le plus souvent, elles se les arrachent elles-mêmes. Elles ont perdu, avec leurs ailes, le désir de la liberté. Désor- mais elles ne quitteront plus leur retraite. Les soins de la mater- nité future doivent seuls les occuper. Les ouvrières leur réser- vent des chambres souterraines, où elles sont gardées à vue par des sentinelles. A certaines heures seulement, on les rencontre dans les étages supérieurs. Lorsqu'elles veulent marcher, un cor- tège de gardes se presse sur leurs pas et les enveloppe de tous côtés, de manière à les empêcher d'avancer trop vite. Il n'est sorte d'attentions qu'on ne leur prodigue, pour leur faire oublier la captivité. On les caresse, on les brosse, on les lèche, on leur offre continuellement des victuailles. iV la moindre apparence de danger, les ouvrières s'emparent, avant tout, des femelles fé- condées, et les entraînent par des issues secrètes, pour mettre en sûreté leur précieuse personne, espoir de la nation formicienne. La tâche des ouvrières est immense, car la besogne augmente à mesure que la population s'accroît. Mais la division du travail et l'entente cordiale ({ui existe entre les membres de la commu- nauté, leur permettent de faire face à tous les événements, de parer à toutes les nécessités. Rien n'est amusant comme d'observer les manèges cfue «s HYMÉNOPTÈRES. 437 Fourmis emploient pour transporter des objets d'un certain vo lume. Elles trébuchent, elles culbutent, elles roulent dans les précipices. Mais, en dépit de tous les accidents, elles reviennent à leur tâche, et finissent toujours par l'amener à bonne fin. Les tranquilles habitants de ces républiques souterraines sont liés entre eux par une affection mutuelle et une fraternité dé- vouée, qui rendent l'assistance facile. Tout le monde s'entr'aide dans la mesure de ses forces. Si une Fourmi est fatiguée, une ca- marade la porte sur son dos. Celles qui sont absorbées par l'ou- vrage, et n'ont pas le temps de songer à leur repas, sont nourries par leurs compagnes. Lorsqu'une Fourmi est blessée, la première qui la rencontre lui porte secours et la ramène à la maison. Latreille, ayant arraché les antennes à une Fourmi, en vit une autre s'approcher de la pauvre blessée, et verser, avec sa langue, quelques gouttes d'un liquide jaunâtre sur la plaie saignante de la victime. Hélas! combien les sentiments des hommes sont différents de ceux de l'humble insecte que foule son pas distrait, et combien cet Hyménoptère, si petit par la taille, est grand par le cœur! Huber fils prit un jour une fourmilière, afin d'en peupler un des appareils vitrés qui lui servaient à faire ses observations, et qui consistait en une sorte de cloche de verre superposée au nid. Notre naturaliste mit en liberté une partie des Fourmis, qui alla se fixer au pied d'un marronnier voisin. Le reste fut conservé pendant quatre mois dans l'appareil. Au bout de ce temps, Huber transporta le tout dans le jardin. Quelques Fourmis parvinrent à s'évader de l'appareil. iVyant rencontré leurs anciennes compa- gnes, qui habitaient toujours le pied du marronnier, elles les re- connurent. On les vit, en effet, toutes gesticuler, se caresser mu- tuellement avec leurs antennes, se prendre par les mandibules, comme pour s'embrasser en signe de joie, puis rentrer ensemble dans le nid, au pied du marronnier. Bientôt elles vinrent en foule chercher les autres Fourmis qui se trouvaient sous la cloche, et en quelques heures l'appareil de notre observateur se trouva complètement vide de ses prisonniers. Lorsqu'une Fourmi a découvert une riche proie, loin de s'en délecter seule, comme une égoïste, elle convie toutes ses compa- gnes au festin. La communauté de biens et d'intérêts existe parmi tous les membres de cette société modèle. C'est la réalisation pra- tique du rêve formé par certains philosophes de nos jours, qui n'ont jamais pu concevoir Fidée, la possibilité, le projet, de cette 438 LES INSECTES. commimauté d'intérêts et de biens, qui chez les Fourmis est la société même. Comment ces pauvres insectes parviennent-ils à s'entendre pour tant de rapports continuels, pour ces secours, ces conseils, ces invitations? Il faut qu'ils aient un langage propre, ou bien qu'ils se communiquent leurs impressions par le jeu de leurs antennes. Quand une Fourmi a faim, et qu'elle ne veut pas se déranger de son travail, elle en prévient une butineuse qui passe, en la tou- chant avec ses antennes. Celle-ci, s'approchant aussitôt, lui pré- sente au bout de sa langue des sucs qu'elle dégorge à cet effet. Les antennes servent donc aux Fourmis pour se faire compren- dre les unes des autres. Le docteur Ebrard, qui a beaucoup étu- dié ces insectes, est d'avis qu'elles s'en servent aussi, comme l'aveugle de son bâton, pour se conduire, parce qu'elles n'ont pas bonne vue. La durée de l'existence des Fourmis n'est pas bien connue. On admet que les ouvrières vivent plusieurs années. Les Fourmis se nourrissent de toutes les substances. On les voit se repaître de viandes fraîches ou corrompues, de fruits et de fleurs, particulièrement de tout ce qui est sucré. Elles attaquent les insectes vivants, et les tuent pour les sucer. Comme plusieurs insectes, les Fourmis aiment beaucoup les liquides sucrés, le miel, les sirops, le sucre pur, etc. Dupont de Nemours raconte dans ses Mémoires que, pour mettre son sucrier à l'abri de l'invasion des Fourmis, il n'avait rien trouvé de mieux que de le placer « dans une île «, c'est-à-dire au milieu d'une cuvette pleine d'eau. Il croyait bien avoir ainsi mis la forteresse à l'abri de toute attaque; mais voici le parti que prirent les assiégeants. Les Fourmis montèrent le long du mur jusqu'au plafond, bien perpendiculairement au-dessus du sucrier. De là elles se laissè- rent tomber dans l'intérieur de la place, pénétrant ainsi de vive force, et sans faire de mal à personne, dans la tour au sucre. Comme le plancher était assez élevé, le courant d'air faisait dé- vier nos petits adversaires, dont un certain nombre tomljaient dans les fossés de la citadelle, c'est-à-dire dans l'eau de la cu- vette, à côté du sucrier. Leurs compagnes, placées sur le rivage, faisaient tous les efforts imaginables pour repêcher les noyées. Mais elles craignaient ^de se mettre à l'eau sur un aussi grand lac. Tout ce qu'elles pouvaient faire, c'était de s'allonger le plus HYMÉNOPTÈRES. 439 possible, en se tenant au rivage, pour tendre aux noyées une patte secourable. Néanmoins le sauvetage n'allait pas grand train, lorsqu'il vint à la troupe inquiète une bonne idée. On en vit quelques-unes courir à la fourmilière, puis repa- raître. Elles amenaient avec elles une escouade de huit grena- diers, qui se jetèrent à l'eau sans balancer, et qui, nageant vigou- reusement, saisirent avec leurs pinces et rapportèrent tous les noyés sur la terre ferme. Onze Fourmis à demi mortes furent ainsi ramenées au rivage, c'est-à-dire au bord de la cuvette. Elles auraient probablement succombé toutes, si leurs compagnes ne se fussent hâtées de leur prodiguer à peu près les mêmes secours qui servent à rappeler nos noyés à la vie. On les roula dans la poussière, on les frotta, on les frictionna, on s'étendit sur les moribondes, pour les ré- chauffer; puis on les roula et on les frotta encore. Quatre revin- rent à la vie. Une cinquième, à demi rétablie et remuant encore un peu les pattes et les antennes, fut reconduite chez elle avec toutes sortes de précautions. Les six autres étaient mortes. Elles furent portées dans la fourmilière par leurs compagnes attristées. On croit rêver en lisant ces choses -là, et pourtant Dupont de Nemours nous dit : « Je l'ai vu ! » Les Fourmis sont aussi très-friandes d'un liquide particulier que les Pucerons sécrètent par une poche de leur abdomen. Quand elles se sont emparées d'un Puceron, elles le harcèlent et l'excitent, pour le forcer à dégorger cette liqueur," mais sans lui faire aucun mal. Elles emportent les Pucerons dans la fourmi- lière, ou dans des étables particulières. Là, elles les entretien- nent, leur donnent des aliments, puis elles tettent ces bonnes vaches laitières. Nous avons déjà mentionné ces curieux rapports des Fourmis avec les Pucerons en parlant de ces derniers. Nous nous bornerons, en conséquence, à rappeler par une figure les curieux rapports qui s'établissent entre les Fourmis et les Puce- rons. La figure 408 montre des Fourmis mâles, femelles et neu- tres occupées à traire des Pucerons. Les Gallinsectes contribuent également à fournir aux Fourmis des liquides sucrés. Pendant les froids de l'hiver, les Fourmis dorment au fond de leurs nids, sans prendre aucune nourriture. Un petit nombre d'espèces seulement résistent à la saison rigoureuse, en s'enfer- mant dans la fourmilière avec un troupeau de Pucerons. C'est 440 LES INSECTES. ainsi que nos pâtres passent l'hiver dans leur cabane enfermés avec un troupeau de moutons et de brebis, pour subvenir à leur nourriture. Fig. 408. Fourrais occupées à traire des Pucerons. Il faut dire toutefois que l'hibernation n'a pas lieu chez les Fourmis dans les pays chauds. Nous venons de décrire la société formicienne pendant les pé- riodes tranquilles de paix extérieure. Mais nos petits Hyménop- tères ne sont pas plus exempts que les autres animaux des né- HYMENOPTERES. 441 Les Fourmis comptent beaucoup d'ennemis parmi les popula- tions des bois. Il faut donc qu'elles songent à repousser leurs at- taques. Elles déploient dans ce cas les plus savantes ressources de Fart militaire appliqué à la défense des places. Il est presque inutile de dire que des sentinelles sont, en tout temps, postées à une distance raisonnable de la fourmilière, pour observer les alentours. Lorsque la forteresse est inopinément at- taquée, soit par de gros insectes, des Coléoptères par exemple, soit par une fourmilière voisine, aussitôt nos sentinelles vigi- lantes se replient, et vont donner l'alarme dans le camp, non toutefois sans avoir fait dabord bonne contenance devant l'en- nemi, et lui avoir opposé une résistance lionorable. Rentrées en toute bâte dans la fourmilière , elles se précipitent dans les couloirs, frappant de leurs antennes toutes les Fourmis qu'elles rencontrent et répandant ainsi Falarme dans la cité. Bien- tôt l'agitation est devenue générale et des milliers de combattants sortent de la citadelle, prêts à repousser l'attaque et à faire mor- dre la poussière à Fennemi. La possession d'un troupeau de Pucerons est quelquefois un sujet de discorde et devient un casus belli entre deux fourmilières voisines. Mais le plus souvent la guerre a pour but de faire des prisonniers dans d'autres fourmilières, et d'emmener comme es- claves une partie des habitants d'un nid voisin. Telle est l'origine des fourmilières mixtes qui, indépendamment de leurs fondateurs naturels, contiennent une ou deux espèces étrangères, ilotes que les vainqueurs ont enlevées à leur berceau, pour en faire des auxiliaires et des serviteurs. Dans ces fourmilières mixtes, l'espèce importée dépasse en nombre la population première, comme il arrive quelquefois sur les navires qui se livrent à la traite des nègres, et où les esclaves se trouvent en plus grande proportion que les matelots de l'équi- page. La phalange des Fourmis réduites en esclavage rend toutes sortes de soins aux maîtres du logis. Ils sont léchés, brossés, ca- ressés, voitures, nourris par leurs bons et fidèles serviteurs, qui s'occupent même d'élever leur progéniture. Les maîtres rejettent sur les esclaves toute espèce de travail. Ils ne se réservent que la guerre. De temps en temps, ils entre- prennent des expéditions contre quelque fourmilière voisine. S'ils sont vaincus, et reviennent sans emmener de prisonniers, les es- claves, ou auxiliaires, les boudent, et leur défendent pendant quel- 442 LES INSECTES. que temps l'entrée du nid. S'ils reviennent, au contraire, chargés de butin, comme le représente la figure 409, on les flatte, on leur tt;;,i, .! ^/74-,»v£oç, étui, et TTTepôv, aile) sont des insectes à quatre ailes. Les ailes antérieures, ou élytres, ne servent pas au vol -, ce sont des étuis plus ou moins coriaces, quelquefois tachetés de vives nuances, et ne se croisant jamais l'un sur l'autre. Les ailes postérieures sont membraneuses, offrant des nervures rami- fiées, et se repliant sous les élytres, qui les protègent pendant le repos. La bouche des Coléoptères est garnie de mandibules, de mâchoires et de deux lèvres bien distinctes, propres à la masti- cation. Les métamorphoses de ces insectes sont complètes. Une larve ou un petit ver sort de l'œuf pondu par la femelle. Après une existence plus ou moins longue dans ce premier état (il dure trois ans chez le Hanneton), l'insecte se transforme en nymphe, qui se tient dans une immobilité complète. Au bout d'un certain temps, la nymphe déchire son enveloppe et revêt la forme d'insecte par- fait. Les Coléoptères présentent les mœurs les plus variées sous le rapport de l'habitation et de la nourriture. On ne retrouve pas, dans cet ordre, ces admirables instincts, ces manifestations d'in- telligence , qui rapprochent certains Hyménoptères des êtres les plus élevés dans l'échelle animale. Mais leur existence offre des particularités très-dignes d'une étude sérieuse et approfondie. Quelques-uns sont carnassiers ; c'est par là qu'ils se rendent utiles à l'homme. Hs détruisent d'autres insectes nuisibles, auxquels ils font la chasse sur le sol, sur les plantes basses, dans les arbres et jusqu'au sein des eaux. Beaucoup de ces Coléoptères se nourris- sent de cadavres ; ils recherchent les matières animales en putré- faction. On peut les considérer comme d'utiles auxiliaires : ce sont les croque-morts de la nature. Un grand nombre de Coléoptères habitent les excréments des animaux. Les bouses de bœufs, de buffles, de chameaux, donnent asile à des Coléoptères de diverses familles, qui vivent ainsi de matières végétales plus ou moins animalisées. D autres attaquent les peaux, et en général les animaux desséchés; ils sont le fléau des collections entomologiques. Enfin, d'immenses légions de Co- léoptères sont phytophages, c'est-à-dire attaquent les racines, les écorces, le bois, les feuilles et les fruits , et font le désespoir des agriculteurs. 492 LES INSECTES. Ce sont surtout des larves qu'il faut redouter. Celles qui vivent dans le bois peuvent, en quelques années, occasionner la perte d'arbres vigoureux et pleins de vie, ou détruire complètement les poutres d'un bâtiment. Certaines larves, telles que celles du Han- neton, rongent les racines des végétaux, et font périr les récoltes. D'autres , enfin , dévorent les feuilles et les tiges des plantes sur pied, détruisent les fleurs dans les jardins, ou attaquent les cé- réales dans nos magasins. Aussi l'homme leur fait-il une guerre acharnée. Il bénit les oiseaux qui lui viennent en aide, en détrui- sant ces dangereux rongeurs. Dans l'immense variété des Coléoptères connus, nous devrons nous contenter de choisir les types les plus saillants et les mieux caractérisés. Nous commencerons par les Scarabées, au corps épais et ra- massé, aux antennes courtes, terminées par une massue foliacée. C'est à cette tribu qu'apparticnent la belle Cétoine dorée qui vit sur les roses, le Hanneton, le Nasicorne, le Scarabée des Égyp- tiens, le Bousier, etc. C'est la tribu la plus intéressante de tout l'ordre des Coléoptères. Elle correspond à la grande division des Lamellicornes de Latreille. Ce nom de LameUicorne était destiné à rappeler la disposition en lames, plus ou moins serrées, des ex- trémités des antennes de ces insectes. Beaucoup de Scarabées ont des mandi])ules membraneuses, au moins partiellement, et toujours petites. Cette particularité est en rapport avec leurs habitudes. Jamais, en effet, ils n'ont à triturer de corps durs; ils se nourrissent tous, soit de fleurs ou de feuil- les, soit de matières stercoraires. Leurs larves se ressemblent beaucoup, même pour des familles assez éloignées entre elles à l'état parfait. Ce sont de gros vers blanchâtres, à peau diaphane, à tète écailleuse , garnie de man- dibules dentées, qui vivent dans la terre ou dans les bois pourris. Les nymphes sont grosses et trapues; elles laissent déjà aper- cevoir toutes les formes de l'insecte parfait. Elles se fabriquent une loge ou crypte, pour subir leur métamorphose. Les larves des Scarabées restent ordinairement trois ans sous cet état. La durée de la vie de nymphe est très-courte, comme aussi celle de la vie d'insecte parfait. Les différences de sexes sont souvent très-marquées à l'e^té- rieur, par des saillies, cornes, etc., qui font l'ornement distinctif du mâle. COLEOPTERES. 493 Dans le groupe des Scarabées, nous aurons à parler surtout des Cétoines, des Hannetons et des Scarabées, proprement dits. La famille de Cétoines est l'une des plus remarquables, par la beauté des insectes qui la composent et par la ricliesse des reflets de leur corps. Les uns ont des couleurs métalliques d'un grand éclat, les autres des teintes veloutées, richement assorties. Leurs larves vivent dans des morceaux de bois en décomposi- tion ; les insectes parfaits fréquentent les fleurs et aiment le so- leil. Cette famille comprend un très-grand nombre d'espèces, dont le type est Y Eméraudine ou Cétoine dorée [Cetonia aurala), d'une Fig. 469. Cétoine dorée. belle couleur vert doré , avec de petites lignes transversales Idan- châtres. La Cétoine dorée fréquente surtout les roses, dont elle mange les pétales et les étamines. C'est le Mélolonthe doré d'Aristote, qui nous dit que cet insecte infortuné partageait avec le Hanneton le privi- lège d'amuser les enfants. La Cétoine vole jour et nuit sans diffi- culté, en se servant de ses ailes inférieures sans ouvrir les élytres (fig. 469) . Lorsqu'on la saisit, elle répand, par l'extrémité de l'abdo- men, une liqueur fétide, seul moyen de défense que possède ce pauvre insecte. Les larves de la Cétoine dorée (fig. 470) ressemblent beaucoup aux larves des Hannetons ; mais leurs pattes sont plus courtes. On les trouve dans les bois pourris, et souvent dans les fourmilières. Quand elles ont acquis tout leur développement, elles se fabri- quent une coque de forme ovale (fig. 470), où elles se transfor- ment en nymphes ; la coque se compose de parcelles de bois ag- glomérées avec une matière soyeuse que les larves sécrètent. La larve de la Cétoine splendide, qui est la plus magnifique de 0 i^Qii, LES INSECTES. France, se rencontre quelquefois dans les nids d'Abeilles sau- vages. En Russie , la Cétoine dorée passe pour un remède très-efficace Fig. 470. Larve et coque de Cétoine dorée. contre la rage. Dans le gouvernement de Saratow, que traverse le Volga, la rage se déclare assez fréquemment, par suite des cha- leurs qui régnent pendant tout l'été dans ces steppes arides. Les habitants, sans cesse exposés à être mordus par des chiens enra- gés, ont essayé successivement bien des préparations pour com- battre les suites de ces terribles accidents. Il paraît que la Cétoine, séchée et réduite en poudre, a produit plusieurs fois de bons effets. Voici la recette qu'un habitant de Saratow a publiée dans un journal russe, en ajoutant qu'il s'en servait depuis trente ans, qu'aucun des sujets traités par lui n'était mort, et que son re- mède pouvait s'employer avec succès dans toutes les phases de la maladie. Au printemps, on cherche au fond des fourmilières de la Fourmi rousse certaines larves blanches, que l'on conserve avec soin dans un pot, avec la terre où on les a trouvées, jusqu'au mo- ment de leur métamorphose, qui a lieu au mois de mai. L'insecte, qui n'est autre que la Cétoine dorée, est tué, desséché, et gardé dans des pots hermétiquement fermés, pour qu'il conserve l'odeur forte qu'il exhale au printemps, et qui paraît être une condition de l'efficacité du remède. Quand un cas de rage se présente, on pulvérise quelques-unes de ces Cétoines desséchées, et on étend la poudre sur une tartine de beurre, que l'on fait manger au ma- lade. Toutes les parties de l'insecte doivent entrer dans la compo- sition de cette poudre, qui, par cela même, ne peut pas être très- fine. Pendant toute la durée du traitement, il faut éviter, autant que possible, de boire, ou si la soif est trop impérieuse, ne boire qu'un peu d'eau pure ; mais on peut manger. Ordinairement, ce remède COLÉOPTÈRES. 49& procure un sommeil plus ou moins long, qui peut durer trente- six heures, et qu'il ne faut pas empêcher. Au réveil, le malade est, dit-on, guéri. La morsure doit être traitée localement par les moyens chirurgicaux ordinaires. Quanta la dose du remède, elle dépend de l'âge du malade et du développement de la maladie. On donne à un sujet adulte, immédiatement après la morsure, de deux à trois Cétoines; à un enfant, de une à deux ; à un individu chez lequel la maladie s'est déjà déclarée, de quatre à cinq. Donné à un individu sain, le re- mède n'offrirait d'ailleurs aucun danger. Dans le cas où des symptômes d'hydrophol^ie se manifesteraient quelques jours après l'emploi du remède, on recommencerait le traitement. On a aussi essayé de préparer ce remède avec des Cétoines re- Fig. 471. Cétoine argentée. cueillies, non à l'état de larve, mais à l'état d'insecte parfait, en les prenant sur des fleurs, et il paraît que les tentatives ont réussi. D'après M. Bogdanoff, dans plusieurs gouvernements de la Rus- sie méridionale, les amateurs de chasse ont l'habitude de faire avaler de temps en temps à leurs chiens, comme préservatif, une moitié de Cétoine en poudre avec du pain, ou avec un peu de vin. Tout le monde, dans ces contrées, est persuadé de l'efficacité de ce moyen pour empêcher le développement de l'hydro- phobie. On ne devrait peut-être pas rejeter une croyance aussi répan- due et aussi enracinée sans s'appuyer sur quelques expériences, car la médecine ne possède encore aucun remède contre la rage. Il ne serait donc pas inutile d'essayer celui-ci. 496 LES INSECTES. Deux espèces plus petites que la Cétoine dorée, la Cétoine piquetée et la Cétoine, velue à poils jaunâtres, vivent sur les fleurs de char- dons. L'Afrique occidentale, le Cap, Madagascar, etc., sont très- riches en espèces de Cétoines. On compte parmi les Cétoines les GoUaths, insectes gigantesques qui habitent l'Afrique et les Indes orientales. Leur longueur totale peut atteindre de dix à quinze centimètres. Leurs couleurs sont ordinairement un blanc ou un jaune mat, qui n'ont rien de métal- lique, avec des taches d'un noir velouté ; elles sont dues à une sorte de duvet d'une extrême ténuité, qui s'enlève assez facile- ment. La tète de ces énormes Coléoptères est d'ordinaire découpée ou échancrée. Elle est ornée parfois d'une ou deux cornes. Leurs pattes, fortes et robustes, sont armées d'éperons, et présentent sur leur arête externe des dentelures aiguës, qui donnent à ces Fig. 472. Goliath de Derby. Fig. 473. Goliath polyphème. insectes une physionomie rébarbative, que leurs mœurs inoffensi- ves sont loin de justifier. Toutes ces cornes, et toutes ces dents à l'aspect terrible, ne COLÉOPTÈRES. 497 sont, en effet, pour un assez grand nombre de ces insectes, que de simples ornements. Ils composent le pittoresque uniforme des mâles. C'est l'équivalent des bonnets à poil, des casques à flamme et des épaulettes à graines d'épinards de nos militaires. La tenue Fi^. 474. Goliatb cacique mâle. des Goliaths femelles est beaucoup plus modeste, comme il con- vient à leur sexe. Nous représentons ici le Goliaih de Derby (tig. 472) et le Goliath polyphème (fig. 473). Les Goliaths étaient autrefois excessivement rares dans les col- 32 498 LES INSECTES. lections et d'un prix inaccessible aux amateurs ordinaires. Un seul exemplaire se payait jusqu'à 500 francs. Mais depuis quelque temps les Goliaths de la côte de Guinée et du cap des Palmes se vendent aux amateurs d'Europe à un prix modeste, grâce aux Fin. 475. Goliath cacique femelle. voyageurs qui, à l'exemple du docteur Savage, les ont recueillis par centaines dans les pays qui les produisent. On voit sur la côte de Guinée ces énormes Coléoptères voltiger au sommet des arbres, dont ils recherchent les fleurs. Pour les attraper, on abat les arbres, ou bien on tire sur eux avec un fusil chargé de sable, comme on le fait pour les Colibris. L'espèce que COLEOPTERES. 499 le docteur Savage a rendue commune, est le Goliath cacique, dont nous représentons le mâle et la femelle (lig. 474-475). On le ren- Fig. 476. Goliath de Drury (grandeur naturelle). contre sur la côte de Guinée. Le Goliath de Drury (fig. 476) habite la Sierra Leone (côte de la Guinée occidentale). Les nombreuses expéditions qui visitent actuellement l'inté- rieur de l'Afrique, ne manqueront pas d'accroître le nombre des 500 LES INSECTES. espèces connues de ces splendides insectes, qui font l'ornement des collections. Le groupe des Trichies, qui compte dans nos pays quelques re- présentants, est très-voisin de celui des Cétoines. Les Trichies ont les élytres plus courts, l'abdomen plus gros, les pattes plus grêles. La Trichie à bandes [Trichius fasciatus), qui est noire et couverte d'un duvet cendré, avec les élytres jaunes, à trois bandes noires, se rencontre en masse sur le rosier des jardins, aux mois de juin et de juillet. Les larves vivent à l'in- térieur des vieilles poutres, en respectant leur surface. Dans un jardin, à quelques lieues de Paris, on avait construit un petit pont en bois. Il paraissait extérieurement dans un parfait état de conservation ; rien au dehors n'aurait fait croire à la pos- sibilité d'une rupture des poutres de chêne qui le composaient. Cependant plusieurs de ces poutres se brisèrent tout à coup. On vit alors que le bois était creusé jusqu'à la surface , qui n'était plus qu'une mince feuille , d'une épaisseur imperceptible. Tout l'intérieur était rempli de Trichies, à l'état de larve, de nymphe et d'insecte parfait. La Trichie à bandes est l'espèce la plus commune aux environs de Paris. Geoffroy l'a décrite sous le nom assez bizarre de la Livrée d'Ancre, parce que le marquis d'Ancre faisait porter à ses valets des habits jaunes bordés de galons alternativement coupés de vert et de jaune. La Trichie ermite [Osmoderma eremila) est un gros insecte, d'une couleur lie de vin, autrefois commun aux environs de Paris, et qu'on ne trouve guère plus près que Fontainebleau. Il faut le chercher dans le terrain qui remplit la cavité des vieux troncs de saules, ou de poiriers. L'odeur de cuir de Russie ou de prune qu'il exhale, lui a fait donner, dans quelques pays, le nom de prunier. La Trichie noble {Gnorimus nobilis) ressemble beaucoup à la Cé- toine dorée, et se trouve sur les fleurs du sureau, dont cet insecte doré relève la blancheur. Une espèce beaucoup plus petite, longue seulement de 4 à 5 millimètres, est le Yalge hémiptère {Valgus himepterus]^ que l'on ren- contre fréquemment au printemps, dans la poussière des chemins. La femelle porte une longue tarière, qui lui sert à déposer ses œufs dans les bois pourris. Duméril a décrit longuement les singuliers manèges de ce petit insecte : les mouvements saccadés et comme convulsifs par les- COLÉOPTÈRES. 501 quels il se transporte d'un endroit à l'autre; son attitude chan- celante, suite de la longueur démesurée de ses pattes postérieures;, le port vertical de celles-ci, qui, par leur singulière direction, gênent beaucoup moins la marche, qui est dirigée par les quatre autres pattes. Il faut admirer surtout l'artifice que le Valge em- ploie , comme du reste beaucoup de Coléoptères, pour échapper à ses persécuteurs, en faisant le mort. Aussitôt qu'il est appré- hendé par quelque ennemi, ses membres se roidissent et de- viennent immobiles. Le corps, abandonné à lui-même, porte à faux de quelque côté qu'il tombe, car ses pattes ne se fléchissent plus ; si on les fait plier, elles restent dans l'inclinaison qu'on leur donne. Rien ne trahit donc la vie, la volonté, dans ce petit être sec et grêle glacé par la peur et qui contrefait le mort, peut- être sans s'en douter lui-même. Nous mentionnerons encore ici les Incas, beaux insectes du Fig. 477. Inca treillissé. même groupe, qui se rencontrent dans l'Amérique méridionale, et dont les mâles ont une tête biscornue. Ils volent pendant le jour, autour de grands arbres, sur lesquels ils vivent. La figure 477 représente VInca treil'.issé. 502 LES INSECTES. L insecte le plus vulgairement connu de la famille qui nous oc- cupe, est le Hanneton. Le mot Hanneton, d'après M. Mulsant, vient du latin Alitonus (qui a des ailes sonores) dont on a fait d'abord Halleton. Linné lui a donné d'abord le nom de Méloloniha, qu'il portait probable- ment chez les Grecs, ainsi que cela semble résulter de ce passage d'Aristophane, dans sa comédie des Nuées .- « Donnez l'essor à votre esprit, dit l'auteur grec, laissez-le voler où il voudra, comme le Mélolonthe attaché par la patte à un fil. " On voit que l'habitude de martyriser le Hanneton date de loin. F. g. 47S. Hanneton vulgaire. Le Hanneton vulgaire (fig. 478) est un des plus grands fléaux de l'agriculture. A l'état d'insecte parfait, il dévore les feuilles de beaucoup d'arbres, et principalement celles des ormes. Aussi les enfants désignent-ils les fruits de l'orme sous le nom de pains de COLÉOPTÈRES. 503 Hanneton. Mais les dégâts qu'ils occasionnent à l'état d'insecte parfait, sont encore peu de chose à côté de ceux qui sont causés par leurs larves, c'est-à-dire par ces vers blancs, si redoutés des agriculteurs. On voit paraître les Hannetons dès le mois d'avril si la saison est chaude. Mais c'est surtout au mois de mai qu'ils se montrent en grande quantité. Aussi portent-ils en Allemagne le nom de Maikœfer (scarabée de mai). On les trouve jusqu'en juin. La durée de leur vie d'insecte est de six semaines. Ils craignent la chaleur du jour, et les rayons brillants du soleil ; car ils se tiennent ac- crochés à la face inférieure des feuilles. Ce n'est que le matin, de bonne heure, et au coucher du soleil , qu'on voit voltiger les Han- netons autour des arbres qu'ils fréquentent. Ils volent avec ra- pidité, en produisant un bruit monotone, par le frottement de leurs ailes. Mais le Hanneton se dirige mal en volant. Il se cogne à chaque instant contre les obstacles qu'il rencontre. Il tombe alors lourdement à terre, et devient le jouet des enfants qui le guettent. On connaît le dicton : Étourdi comme un Hanneton. Ce qui contribue encore à rendre le vol de ces insectes lourd et peu soutenu, c'est qu'ils ont besoin de se gonfler, comme des montgolfières, pour s'élever dans l'air. C'est une particularité qu'ils partagent avec le Criquet voyageur. Avant de prendre son essor, le Hanneton agite ses ailes pendant plusieurs minutes, et gonfle son abdomen, de manière à absorber le plus d'air pos- sible. Les enfants, qui s'aperçoivent de ce manège, disent alors que le Hanneton compte ses écus.^ et ils lui chantent ce refrain, qui s'est conservé depuis bien des générations : Hanneton, vole, vole, Va-t'en à l'école. Une variante qu'on entend dans les provinces de l'Ouest, est celle-ci : Barbot, vole, vole, vole. Ton père est à l'école, Qui m'a dit, si tu ne voles. Il te coupera la gorge Avec un grand couteau de saint George. Pendant le jour, les Hannetons se tiennent sous les feuilles, dans une immobilité parfaite ; car la chaleur qui donne de l'ac- tivité aux autres insectes, paraît, au contraire, les engourdir. C'est pendant la nuit seulement qu'ils dévorent les feuilles des 504 LES INSECTES. ormes, des peupliers, des chênes, des hêtres, des bouleaux, etc. Dans les années où leur nombre est peu considérable, on s'aper- çoit à peine de leurs dégâts; mais à certaines époques ils se montrent en légions innombrables, et alors on voit des parties entières de jardins ou de bois dépouillées de leur verdure, et présenter, au milieu de l'été, l'aspect d'un paysage d'hiver. Les arbres ainsi dépouillés ne périssent pas en général; mais ils re- prennent difficilement leur première vigueur, et ceux des vergers restent un an ou deux sans porter de fruits. Ce sont surtout les arbres des lisières, placés le long des champs cultivés, qui sont exposés aux ravages des Hannetons, parce que les larves de ces insectes se développent dans les champs. A l'intérieur des forêts, on ne les rencontre jamais en grand nombre. Dans certaines années, les Hannetons se multiplient d'une ma- nière si effrayante qu'ils dévastent toute la végétation d'une contrée. Dans les environs de Blois, quatorze mille Hannetons furent recueillis par les enfants, en quelques jours. A Fontaine- bleau, on aurait pu en recueillir autant, une certaine année, en quelques heures. Parfois les Hannetons se réunissent en essaims, comme les Sauterelles, et ils émigrent d'un canton à un autre, lorsqu'ils ont tout dévasté et qu'ils n'y trouvent plus de nourriture. Pour donner une idée du nombre prodigieux auquel les Han- netons arrivent dans certaines circonstances, nous rapporterons quelques dates historiques. En 1574, ces insectes furent si abondants en Angleterre, qu'ils empêchèrent plusieurs moulins de tourner sur la Sa- vern. En 1688, dans le comté de Galway, en Irlande, ils formaient un nuage si épais, que le ciel en était obscurci l'espace d'une lieue, et que les paysans avaient peine à se frayer un chemin dans les endroits où ils s'abattaient. Ils détruisirent toute la vé- gétation, de sorte que le paysage revêtit l'aspect désolé de l'hiver. Leurs mâchoires voraces faisaient un bruit comparable à celui que produit le sciage d'une grosse pièce de bois ; et le soir, le bourdonnement de leurs ailes ressemblait à des roulements loin- tains de tambours. Les malheureux Irlandais furent réduits à faire cuire leurs envahisseurs et à les manger à défaut d'autre nourriture. En 1804, d'immenses nuées de Hannetons, précipitées par un vent violent dans le lac de Zurich , formèrent sur le rivage un ■" lllll*llfl' ■%l. i'/^'l COLÉOPTÈRES. 507 banc épais de corps amoncelés, dont les exhalaisons putrides em- pestaient l'atmosphère. En 1832, le 18 mai, à neuf .heures du soir, une légion de Han- netons assaillit une diligence, sur la route de Gournay à Gisors, à sa sortie du village de Talmontiers, avec une telle violence, que les chevaux aveuglés, et épouvantés, refusèrent d'avancer, et que le conducteur fut obligé du rétrograder jusqu'au village, pour y attendre la lin de cette grêle d'un nouveau genre. M. Mulsant, dans sa Monographie des Lamellicornes de la France^ raconte qu'en mai 1841 on vit des nuées de Hannetons traverser la Saône, dans la direction du sud-est au nord-ouest, et s'abattre sur les vignobles du Maçonnais. Les rues de la ville de Màcon en étaient jonchées au point qu'on les ramassait avec des pelles. A certaines heures, on ne pouvait passer sur le pont sans exécuter un rapide moulinet avec un bâton, pour se garantir de leur contact. L'accouplement a lieu chez les Hannetons vers la fin de mai. Les femelles une fois fécondées , les mâles meurent. Les femelles ne leur survivent que le temps nécessaire pour assurer la propa- gation de leur espèce. Elles meurent après la ponte. Le nombre des œufs que pond une femelle est de vingt à trente. Avec ses pattes de devant, la femelle creuse dans le sol un trou de dix à vingt centimètres de profondeur ; c'est là qu'elle dépose ses œufs, d'un blanc jaunâtre, de la grosseur dun grain de chènevis. Son instinct la conduit à choisir les terres douces, légères et bien fumées, qui sont, en même temps, les terres les mieux aérées et les plus fertiles. n est facile de conclure de là que les cultures et les labours ont rendu le Hanneton plus commun qu'il ne l'était autrefois. C'est l'enfant de la civilisation, le parasite de l'agriculture, et les culti- vateurs peuvent dire : Mea culpa, cest ma faute. Dans un intervalle de quatre à six semaines après la ponte , les petites larves éclosent (fig. 480-481) et s'attaquent immédiatement aux racines des végétaux. Ces larves sont connues dans les diffé- rentes localités sous les noms de Ver blanc, Turc, Engraisse- Poule, etc. Recourbées, contournées en demi-cercle, elles ont une tète dure et cornée , des pattes grêles et noires, plus longues que chez les autres espèces de Scarabées. Leur corps est gonflé par une graisse blanchâtre, sous une peau transparente. La tête et la bouche ont une nuance rougeâtre. -: La durée de leur existence est de trois et quelquefois de quatre 508 LES INSECTES. ans. De l'œuf pondu au mois de juin, il éclôt une larve au mois de juillet. Elle commence à grandir pendant les six derniers mois Fig. 480-481. Larve du Hanneton. de l'année, et continue pendant les deux années suivantes. Pen- dant cet espace de temps, elle change plusieurs fois de peau. Vers la fin de la troisième année, la larve se transforme en nymphe, après s'être entourée d'une coque consolidée par une bave glutineuse et par quelques fils de soie. La nymphe (fig. 482-483) est d'une couleur pâle, jaune rous- Fig. 482-483. Nymphe du Hannelon. sàtre, avec deux petites pointes à l'extrémité du corps. Les élytres et les ailes, couchées, recouvrent les pattes et les antennes. Vers la fin d'octobre, l'insecte parfait se dessine déjà; mais il est encore mou et sans force. 11 passe l'hiver dans sa loge, durcit et se colore à la fin de l'hiver, et se montre peu à peu à la sur- face du sol. Au mois d'avril, trois mois après sa naissance, le Hanneton sort de terre, et va s'attaquer aux feuilles des arbres. Cette longue durée du développement des Hannetons explique pourquoi on ne les voit pas chaque année en même nombre. Lorsqu'ils ont paru une fois en grande quantité, ce n'est qu'au bout de trois ans qu'on doit s'attendre à revoir leur progéniture en nombre proportionné. C'est donc tous les trois ans que nous COLÉOPTÈRES. 509 avons une année à Hannetons, comme celle qui s'est montrée en 1865. Dans les années intermédiaires, ils ne sont jamais très- abondants. La première année, les petites larves mangent peu. Elles se nourrissent alors principalement de parcelles de fumier et de dé- tritus de végétaux , et se tiennent réunies en familles. En hiver, elles s'enterrent profondément, pour se mettre à l'abri de la gelée et des inondations. Au printemps suivant, le besoin d'une nour- riture plus abondante les force à se disperser. C'est alors qu'elles pratiquent des galeries souterraines dans toutes les directions, sans s'éloigner toutefois beaucoup du lieu où elles sont nées. Elles commencent à s'attaquer aux racines qu'elles trouvent à leur portée; leurs dégâts augmentent avec leur grosseur et la force de leurs mandibules. Parmi les racines, elles semblent pré- férer celle des fraisiers, des salades, des rosiers; mais elles ne dédaignent pas les autres végétaux , et s'attaquent aussi bien aux légumes et aux céréales qu'aux arbustes. Les ravages qu'elles exercent sont parfois incalculables. Les jardins maraîchers sont quelquefois entièrement dévastés. On a vu des champs de luzerne détruits en partie ; des prairies d'une grande étendue perdre leur herbage; des pièces d'avoine périr sur pied avant la maturité; le quart, le tiers et jusqu'à la moitié des épis de blé tomber avant d'être coupés. Ces larves voraces ne bornent pas leurs dégâts à la destruction des plantes herbacées. A mesure qu'elles croissent en âge et en force, dans leur dernière année surtout, elles attaquent aussi les végétaux ligneux. Quand elles ont rongé les racines latéra- les d'un jeune arbre, on voit pendre, desséchées, les pousses nou- velles qui leur correspondent. Les larves attaquent ensuite la racine principale, et amènent ainsi la perte de l'arbre. On trouve autour de chaque souche, ainsi minée, jusqu'à dix litres de vers blancs. M. Deschiens rapporte qu'il a vu six hectares de glandées, se- més trois fois dans l'espace de cinq ans, avec une réussite par- faite, être autant de fois entièrement détruits par les vers blancs. Un pépiniériste de Bourg-la-Reine éprouva, en 1854, par les ravages de ces terribles larves , des pertes qu'il évaluait à trente mille francs. D'autres ne conservaient que la centième partie de leurs plants. En Prusse, les vers blancs ont détruit, en 1835, un semis con- sidérable de bois de VInstitut forestier. Dans la forêt de Kolbetz, 510 LES INSECTES. plus de mille mesures de pins sauvages furent dévastées de la même manière. On ne sera donc pas étonné d'apprendre que les foudres de l'ex- communication furent autrefois lancées contre les Hannetons, comme elles l'avaient été contre les Chenilles et les Sauterelles. Nous ne savons pas si cela leur causait grande impression. En 1479, les Hannetons, ayant occasionné une famine dans le pays, furent cités devant le tribunal ecclésiastique de Lausanne. L'avo- cat de Fribourg qui les défendit ne trouva pas sans doute dans les ressources de son éloquence des arguments assez puissants en leur faveur; car le tribunal, après mûre délibération, condamna la troupe inculpée, et la bannit du territoire. Mais il ne suffit pas de rendre un arrêt , il faut encore avoir le moyen de le faire exécuter. Ces moyens coercitifs manquaient au tribunal de Lausanne. Aussi les Hannetons condamnés continuè- rent-ils de vivre sur la terre de Suisse, sans paraître se douter de la condamnation qui venait d'être fulminée contre eux. Les larves des Hannetons ont la vie dure. Elles résistent par- faitement à des fléaux qui sembleraient devoir leur être funestes. C'est ainsi que les inondations qui dévastèrent les rives de la Saône, il y a une quinzaine d'années, n'eurent aucune influence sur les vers blancs. Des terres et des prairies qui étaient restées quatre à cinq semaines sous l'eau , n'en furent nullement débar- rassées pour cela. La seule circonstance qui leur soit réellement nuisible, et qui l'est aussi pour les Hannetons adultes, ce sont les gelées tardives des mois d'avril et de mai. Quand ces gelées arrivent après un temps doux, elles surprennent les larves à la surface du sol, et les font périr. Malheureusement, les mêmes causes font aussi du tort aux plantes qui ont déjà commencé à se réveiller. La nature n'a donc pas suffisamment avisé aux moyens de dé- truire ces êtres malfaisants. On dirait qu'elle n'a pas prévu leur multiplication extraordinaire , qui a été , il faut le dire , favorisée par les progrès de l'agriculture et par le défrichement. Les animaux ne contribuent pas beaucoup à limiter le nombre des Hannetons, quoique ces derniers ne manquent pas d'ennemis naturels. Parmi les insectes, ce sont les grandes espèces de Ca- rabes qui recherchent les vers blancs, aussi l)ien que les Hannetons adultes. Le Carahe doré, qu'on appelle aussi Couturière et Jardi- nier, s'attaque aux Hannetons , avec un sang-froid admirable. M. Blanchard a vu un Carabe tenir au milieu d'un chemin un COLÉOPTÈRES. bid Hanneton, lui ouvrir le ventre avec ses mandibules, et lui dévorer les intestins. Le Hanneton s'agitait, et même marchait encore, tout en subissant ce cruel supplice ; et le Carabe le suivait, sans interrompre son opération sanglante. Quelques reptiles, plusieurs mammifères carnassiers, tels que les musaraignes, les fouines, les ' belettes, les rats et certains oiseaux, surtout les oiseaux noctur- nes, font aussi leur proie du Hanneton ou de sa larve. Les cor- beaux et les pies, qu'on voit picorer de motte en motte, font aux vers blancs une guerre acharnée , mais bien insuffisante. En effet, tous ces animaux réunis ne détruisent pas la centième partie des Hannetons qui naissent chaque année. Voici un exemple qui montrera toute l'étendue du mal. Dans une pièce de terre de S9 ares, on a fait trois labours à 72 raies. Au premier labour, on a ramassé par raie, 300 vers blancs; au deuxième, 250; au troisième, encore 50 : ce qui fait 600 par raie, et 43 200 en tout. 11 y avait donc au moins 150 000 vers blancs dans un hectare , car le labour ne pouvait atteindre ceux qui étaient à une grande profondeur. L'homme, victime de ces dégâts , a dû nécessairement songer à la destruction de cet ennemi volant. On a proposé bien des moyens iiifaillibles , lesquels n'ont donné aucun résultat. On a of- fert des primes, mais le mal n'a pas diminué. Voici quelques-uns des procédés recommandés. Aussitôt après le labour, on mène sur le champ infesté une bande de dindons, qui se font fête de dévorer les vers blancs. Ou bien, on sème dans le champ du colza très-épais, qu'on enterre par un labour profond, lorsqu'il est haut comme la main. Le colza fait, dit-on, périr les larves, tout en fumant le sol. Ou bien encore, on laboure la terre à l'approche des fortes gelées, pour exposer les vers au froid. Enfin, on peut arroser le champ avec de l'huile de houille, ou y répandre des cendres de buis. Tout cela est dispendieux. Les moyens les plus simples sont ici les meilleurs. H faut plutôt compter sur les labours que sur des substances destructives, dont l'emploi présente toujours des in- convénients. Vu les difficultés qui s'opposent à la recherche des larves, il faudrait recueillir les Hannetons à l'état adulte , en secouant for- tement les branches des arbres sur lesquelles ils sommeillent pendant le jour, et les faire périr ensuite par un moyen quelcon- que. On détruirait ainsi de 20 à 40 œufs avec chaque femelle. Un hannetonnage général , rendu obligatoire par une loi , et favorisé 512 LES INSECTES. par des primes, serait donc le seul moyen efficace de combattre un fléau qui coûte bien des millions à l'agriculture. Ce moyen se- rait aussi moins dispendieux que le bouleversement des terres qui recèlent les larves, attendu que celles-ci se tiennent de préfé- rence dans les terrains en plein rapport. En 1835, le conseil général de la Sarthe vota une somme de vingt mille francs pour la chasse aux Hannetons. Près de six cent mille litres en furent livrés, grâce à une prime de 3 centimes par litre. Comme un litre contient environ 500 Hannetons, on détruisit ainsi environ 300 millions de Hannetons ! n est vrai que M. Romieu, alors préfet de la Sarthe, qui était le principal promoteur de cette excellente mesure, devint la pâture des petits journaux, et fut représenté costumé en Hanneton, dans le Charivari. La dérision et le ridicule sont trop souvent, dans no- tre pays, la récompense des idées utiles ! En Suisse, on prit, en 1807, plus de 150 millions de ces insec- tes. Mais ces mesures isolées ne peuvent pas produire un résultat durable. On a essayé de tirer parti des Hannetons dans l'industrie. D'a- près M. Farkas, on a réussi, en Hongrie, en les faisant bouillir dans l'eau, à en retirer une huile, qui sert â graisser les roues des voitures, et, d'après M. Mulsant, on a pu utiliser pour la pein- ture le liquide noirâtre que renferme leur œsophage. Mais le pro- duit de ces industries n'est pas assez considérable pour leur assurer une certaine extension ; cela est à regretter, car on dé- barrasserait ainsi l'agriculture d'un de ses plus redoutables fléaux. Dans les basses-cours, on nourrit quelquefois les volailles avec ces insectes. Les porcs en sont aussi très-friands. Le Hanneton du châtaignier diffère de l'espèce commune, par ses pattes noires. Le Hanneton foulon, d'une taille double de celle de l'espèce commune, est bigarré de fauve et de blanc. On le rencontre sur les rivages de la mer, dans les dunes du nord et du midi de la France; car ses larves se nourrissent des racines des plantes salées. Parmi les genres très-voisins du Hanneton, nous citerons les petits Rhizotrogues^ blonds et poilus, qui volent le soir dans les prairies, et les Euchlores ou Anomales , aux couleurs métalliques éclatantes. LEuchlore de la Vigne est un insecte long de 15 â 20 millimètres, d"un beau vert, bordé de jaune, avec des élytres profondément COLEOPTERES. 513 sillonnés. Il cause parfois des ravages assez étendus dans nos visnobles. Après les Cétoines et les Hannetons , nous arrivons aux Scara- bées proprement dits. VOryctès nasicorne (fig. 484) est très-commun dans toute l'Eu- Fig. 484. Oryctès nasicorne. ^^^ Fig. 48,i. Tête de l'Oryctès nasicorne mâle. Fig. 486. Tête de la femelle. rope. C'est un Scarabée dune taille d'environ 3 centimètres, d'un brun marron, parfaitement lisse. Le mâle porte sur le front une corne, qui manque à la femelle (fig. 485-486). Sa larve, qui est un gros ver blanchâtre, plus gros que celui du Hanneton, vit dans le Fig. 487. Oryctès dichotome. bois pourri et dans la tannée qu'on employait autrefois dans les serres chaudes et dans les couches des jardins. On en trouvait ainsi par centaines dans les anciennes serres du Jardin des Plantes de Paris. Les cultures maraîchères, qui emploient la tannée de l'écorce de chêne, ont rendu ce coléoptère très-commun aux envi- rons de la capitale. 33 514 LES INSECTES. On donne souvent à VOryclès nasicorne les noms de Rhinocéros ou de Licorne. La figure 487 représente une espèce exotique, YOryctès dichotome. Parmi les vrais Scarabées, nous rencontrons plusieurs espèces d'une taille gigantesque, surtout en Amérique. Le Scarabée hercule, grand insecte d'un beau noir d'ébène, avec les élytres d'un gris olivacé, n'est pas rare aux Antilles. Son corselet se prolonge en une corne aussi longue que le corps, et recourbée à l'extré- mité; la tête porte également une longue corne élevée. Les fe- melles sont dépourvues de ces appendices. La figure 488 représente le Scarabée clavigcr, de la Guyane; la figure 489, le beau Scarabée de Porter. Fig. 488. Scarabée claviger. Les Géoîrupcs sont des insectes presque aussi gros que nos Han- netons communs. Ainsi que leur nom le rappelle, ils fouissent ou percent la terre. Ils la creusent particulièrement dans les prai- ries, sous les bouses de vaches desséchées à leur surface. C'est sous les excréments des ruminants et des chevaux qu'il faut les chercher. Ils volent surtout le soir. On les entend bourdonner, par les belles soirées d'été, dans le voisinage des fumiers. Le Géotrupe stercoraire est d'un noir bleuâtre brillant; il atteint une longueur d'environ deux centimètres. On peut regarder ce Coléoptère comme un utile auxiliaire de l'homme, parce qu'il dé- barrasse le sol des excréments qui y sont répandus. Les Trox, f(ui appartiennent au même groupe, habitent, en général, les terrains sablonneux, et ont le corps presque toujours couvert de terre ou de poussière ; ils se nourrissent de substances végétales ou animales en décomposition. Les mœurs des Bousiers (Copris) ressemblent à celles des Géo- trupes. Ils vivent dans les excréments. La forme du chaperon, COLEOPTERES. 515 large, arrondie, sans dentelure, et s'avançant au-dessous de la bouche, suffit pour les faire distinguer des genres voisins. On Fig- 4S9. Scarabée de Porter. ne trouve aux environs de Paris qu'une seule espèce de Copris, le Copris lunaire. Les larves de ces insectes se forment une coque composée de terre et de bouse, avant de se transformer en nymphes; cette coque est plus ou moins ronde, et acquiert une grande dureté. Les espèces du genre Ateuchus ramassent des portions d'excré- ments, qu'elles façonnent en boules où elles déposent leurs œufs ; elles les roulent jusqu'à ce qu'elles soient parfaitement arrondies 516 LES INSECTES. comme des pilules. C'est ce qui a valu à ces insectes le nom de Pilulaires. Leurs pattes postérieures semblent spécialement con- formées pour ce manège. Elles sont fort longues et assez éloignées des autres pattes, ce qui donne aux Aleuchus un aspect étrange et une démarche péni])le. Ils semblent marcher à reculons, et font souvent des culbutes. On les voit ordinairement sur les coteaux, exposés aux plus grandes chaleurs du midi, réunis au nombre de quatre ou cinq, occupés à rouler une même boule; de sorte qu'on ne peut pas savoir quel est le véritable propriétaire de l'objet roulant. Ils ne paraissent pas le savoir eux-mêmes; car ils rou- lent indifféremment la première boule qu'ils rencontrent, ou près de laquelle on les place. Les Aleuchus sont de gros insectes aplatis, à large chaperon denté; ils appartiennent tous à l'ancien continent. Le type du genre est V Aleuchus saccr, le Scarabée sacré des Égyptiens (fig. 490". 11 est noir, et atteint une longueur d'un peu moins de trois cen- timètres. On le trouve assez communément dans le midi de la France, dans toute l'Europe méridionale, la Barbarie et l'Egypte, Les peintures et les amulettes des anciens Égyptiens le repré- sentent très-souvent, et quelquefois en lui donnant une taille gi- gantesque. Il n'est donc pas douteux que ce ne soit cette espèce qui était un objet de vénération pour les Égyptiens. Il existe une autre espèce qui est toujours représentée avec une couleur vert doré magnifique, et à laquelle Hérodote attribue aussi cette couleur. Comme on ne la rencontrait pas en Egypte, on a cru longtemps que les Égyptiens avaient voulu peindre l'espèce noire avec une couleur plus éclatante, pour lui rendre en quelque sorte hommage. Mais, en 1819, M. Caillaud trouva effectivement à Méroé, sur les rives du fleuve Blanc, \ Aleuchus doré, qui ressemble beaucoup, à la couleur près, à V Aleuchus or- dinaire. Depuis, on l'a aussi rapporté du Sennaar. On lui a donné le nom (i' Aleuchus des Égijpliens. Les deux espèces étaient probable- ment sacrées l'une et l'autre. IIor-Apollon, savant commentateur des hiéroglyphes des Égyp- tiens, croit que ce peuple, en adoptant comme symbole religieux le Scarabée, a voulu représenter tout à la fois : une naissance unique, — un père, — le monde ^ — un homme. La naissance unique exprime que le Scarabée n'a pas de mère. Un mâle voulant procréer, disaient les Égyptiens, prend de la fiente de bœuf, la pétrit en boule, et lui donne la forme du monde, la roule avec ses pattes de derrière, du levant au cou- COLEOPTERES. 519 chant, et la dépose dans la terre, où elle reste vingt-huit jours. Le vingt-neuvième jour, il jette dans l'eau sa ])Oule ouverte et il en sort un Scarabée mâle. Cette explication montre aussi pourquoi le Scarabée était em- ])loyé à représenter à la fois un père, un homme, et le monde. Il y avait d'ailleurs, d'après le même auteur, trois sortes de Scara- bées : l'un avait la forme d'un chat et jetait des rayons éclatants Fig. 491. Scarabée chema. (probablement YAteuchus doré); les deux autres avaient des cor- nes, leur description paraît se rapporter à un Bousier et à un Géotrupe. VAteuchus sacré ne se trouve pas seulement en Egypte ; il se 492. Scarabée chonnee. rencontre dans le midi de la France, avec quelques espèces plus modestes et plus petites que cet Ateuchus sacré sur lequel on a fait tant de commentaires, plus ou moins justes, plus ou moins tirés par les cheveux. 520 LES INSECTES. Comme autres espèces remarquables de Scarabées nous repré- FJg. 493. Scarabée anubis mâle. Fig. 494. Scarabée anubis femelle. sentons le Scarabée chema (fîg. 491), aux cornes robustes et perma- COLÉOPTÈRES. 521 rentes, le Scarabée chorinée (fig. 492), le Scarabée anubis (fig. 493 et 494), et le Scarabée hercule (lig. 495). Fig. 495. Scarabée hercule. La dernière famille des Scarabéiens comprend les Lucanes ou Cerfs-volants. Ces Coléoptères sont de grande taille, et leur tête est armée de robustes et énormes mandibules. Tout cela leur donne un air féroce, que ne justifient aucunement leurs mœurs inoffensives. Ils vivent dans les arbres à demi décomposés, dont 522 LES INSECTES. ils accélèrent la ruine. Leurs mandibules, apanage exclusif du mâle, les gênent plus qu'elles ne leur servent; elles les empê- chent de voler avec facilité. La force de ces mandibules leur permet de soulever des poids considérables. Mais cet insecte ne s'en sert guère que pour montrer sa force, qui est énorme. Il n'attaque pas les autres insectes, et ne vit que de détritus de végétaux. Le Lucane commun (fig. 496) atteint une longueur de sept centi- mètres en y comprenant les mandibules. Il est d'un brun marron foncé. On le rencontre, pendant les mois de mai, juin, juillet, dans les grandes forêts, grimpant le long des arbres et s'accro- chant aux tiges, avec ses mandibules. COLÉOPTÈRES. 523 Charles de Geer dit que le Cerf-volant suce la lifiueiir mielleuse qui se trouve sur les feuilles du chêne, arbre qu'il recherche par- ticulièrement, ce qui lui a fait donner en Suède le nom de Ek- Oxe (bœuf du chêne). On suppose qu'il mange aussi des feuilles. Dans quelques cas, il attaque des insectes. Westwood dit qu'on a vu un Lucane [descendre un arbre en emportant une chenille dans ses mandibules. Le Lucane peut s'apprivoiser. Swammer- Fig. 407. Lucane belliqueux. dam en avait un qui le suivait comme un chien, quand il lui pré- sentait du miel. Les Lucanes ne volent que le soir, se tenant presque droits, pour ne pas basculer. Leurs larves, blanchâtres, à tète rousse, vivent dans l'intérieur de morceaux de bois, qu'elles triturent avec leurs mandibules. Leur vie dure près de quatre ans. Plu- sieurs naturalistes pensent que les larves de Lucanes étaient les Cossus des Romains, qui figuraient sur la table des riches patri- ciens, et particulièrement de Lucullus. 524 LES INSECTES. La figure 497 représente le Lucane belliqueux; la figure 498, le Lucane d'Europe; la figure 499, une espèce exotique, le Lucane M elly Fig. 498. Lucane cerf-volant (Europe) Fig. 'i99. Lucane Melly (Gabon). du Gabon, et la figure 500 une autre espèce exotique, le Lucane des Célèbes (Malaisie) ou Lucane Titan. Le Syndcse de Tasmanie [Syjidesus cornulus, fig. 501), et le Chia- soqnathe, de la côte du Chili (fig. 502), d'un beau vert doré, à reflets cuivreux, constituent des genres voisins des Lucanes. Nous arrivons à la tribu des Silphes, qui sont pour l'homme des auxiliaires encore plus utiles que les Bousiers, puisque beau- coup d'entre eux débarrassent le sol des cadavres d'animaux en putréfaction. Les insectes les plus remarquables de cette tribu sont les Escar- bols, les Silphes proprement dits et les Nècrophores. VEscarbot [Hister) est un petit insecte reconnaissable à son corps presque rond , lisse et brillant , avec les élytres marqués COLÉOPTÈRES. 525 de stries. Ses mandibules sont assez développées. Il atteint une Fig. 500. Lucane Ti'.an Les Silphcs ou Boucliers, ainsi nommés à cause de leur forme large et arrondie, sont d'une taille plus grande (15 à 18 millimè- tres), de couleur foncée, et exhalent une odeur nauséabonde. Quand on les saisit, ils dégorgent un liquide noirâtre. Ils s'intro- duisent sous la peau des cadavres d'animaux , et en dévorent les chairs jusqu'aux os. Les larves, plates et dentelées, vivent, comme les adultes, dans les charognes. L'espèce la plus commune est le Silphe obscur, d'un noir foncé, finement ponctué. Deux espèces que l'on rencontre aux environs de Paris, le Sil- phe à quatre points (lig. 504) et le Silphe thoracique (lig. 505), grim- pent sur les arbres et vivent de chenilles. Il paraît certain que la larve du Silphe obscur fait beaucoup de tort aux betteraves , dont elle dévore les feuilles. 526 LES INSECTES. Les Nécrodes s'éloignent peu des Silphes. Ils s'en distinguent par des pattes postérieures plus grandes. On ne rencontre en Fig. 502. Chiascgnathe de Grant. Europe que le Nécrode littoral (llg. 506-507) ; la figure 508 repré- sente le Nécrode à larmes, de l'Australie. Les Nécrophores, ou fossoyeurs, sont d'honnêtes croque-morts, qui enterrent avec soin les cadavres abandonnés sur le sol. Lorsqu'ils flairent un mulot, une taupe, un poisson en décom- position, on les voit arriver, par troupes, pour procéder à l'in- humation. Ils se glissent sous le cadavre, et creusent la terre avec leurs pattes, projetant en tous sens les déblais qu'ils retirent. Peu à peu le cadavre s'enfonce ; au bout de vingt-quatre heures, COLÉOPTÈRES. 527 il a cVordinaire disparu dans un trou de 20 centimètres de pro- fondeur, mais les Xécrophores le descendent encore plus ])as, Fig. 503. Escarbût rugueux. Flg. 504. Silphe à quatre points. Fig. 505. Silphe thoracique. jusqu'à 30 ou 40 centimètres au-dessous de la surface. Alors nos fossoyeurs remontent, chassent la terre dans la fosse de manière Fig. 506. Necrodes littoralis mâle. Fig. 507. Necrodes littoralis femelle. Fig. 508. Kecrodes lacrymosa. à la remplir, et les femelles pondent leurs œufs dans la tombe, où les larves trouveront plus tard une nourriture abondante. Quand le terrain est trop dur pour être entamé, les Nécrophores poussent le cadavre plus loin , jusqu'à ce qu'ils trouvent un sol perméable. On a percé une taupe d'un bâton, ou bien on l'a attachée à une ficelle, pour voir comment les Nécrophores s'en tireraient. Ils ont creusé le sol au-dessous du bâton et coupé le fil, et la taupe a été enterrée malgré les obstacles qu'on avait suscités aux pauvres fossoyeurs. La figure 509 représente une troupe de Nécrophores enterrant un petit rat. 528 LES INSECTES. Le Nécrophore fossoyeur (fig. 510) est bigarré de jaune et de noir; le Nécrophore germanique (fig. 511) est plus grand, tout noir, et Fig. 509. Nécrophores enterrant le corps d'un rat. plus rare. Tous ces insectes exhalent une odeur musquée dés- agréable. Leur corps est souvent couvert de petits importuns, les Fig. 510. Nécrophore fossoyeur. Fig. 511. Nécrophore germanique. Gamases, qui se font voiturer par eux, en s'accrochant à leurs poils, et qui se servent des Nécroplioi^es comme d'un omnibus, pour aller à la recherche de leur nourriture. COLEOPTERES. 529 Les StaphyHns vivent de cadavres d" Fig. 534- Haliplus fulvus. Fig. 535. Hydroporus griseo-striatus. quatre yeux. Les yeux inférieurs regardent dans l'eau et guettent Fig. Hydroporus confluens. fFig. 537. Saphis cimicoïde. Fig. 538. Laccophilus variegatus. la proie ou le poisson qui s'avance en ennemi ; tandis que les yeux supérieurs regardent dans l'air, et avertissent l'insecte de l'ap- 538 LES INSECTES. Yjroche des oiseaux. Pour échapper aux poissons, le Gyrin saute Fig. 539. Laccophilus minutus. Fig. 540. Hydaticus grammi:us. Fig. 541. Hygrobia Hermanni. hors de leau, et se sert aussi de ses ailes. Pour échapper aux Fig. 542. Cybister de Rœsel. Fig. 543- Fig. r>44. Gjriii i.ageur. Larve du Gyrin nageur. oiseaux, il plonge rapidement. Cette agilité et cette double vue Fig. 546. Gyrinus distinctus. Fig. 547. Epinectes sulcatus. rendent la capture des Gyrins fort difficile. Il faut les surprendre COLÉOPTÈRES. 539 avec un filet disposé en forme de poche. Au moment où on les saisit, ils émettent un liquide laiteux et fétide. Les femelles déposent leurs œufs bout à bout, sur les feuilles des plantes aquatiques. Les larves sont longues et étroites, d'un blanc sale. Elles sortent de l'eau à la fin de l'été, et se forment un cocon sur les plantes qui bordent les rives. Après un mois, l'insecte parfait éclôt et s'élance dans l'eau. La figure 543 représente le Gyrin nageur, et la figure 544 sa larve. Le Gyrin strie (fig. 545) se trouve dans les eaux de l'Europe méridionale. Toutes ces espèces sont de petite taille, et ne dépassent pas 5 à 6 millimètres, mais sous les tropiques on rencontre des Gyrins de 20 millimètres de longueur. L'une de ces espèces, le Distinctus, existe dans le petit lac des Solazies, à l'île de la Réunion, connu pour ses eaux minérales. Les malades s'amusent à pêcher cet insecte, au moyen d'une ligne amorcée d'un lambeau de drap ronge, sur lequel l'insecte se jette avec ardeur. On le trouve aussi dans une source thermale de l'Algérie. Les Epinectes (fig. 547) sont de grands Gyrins du Brésil, à pattes antérieures très-allongées. Mais les insectes carnassiers terrestres par excellence, ceux qui se font le plus redouter par leurs ravages et leur voracité, sont les Carabiens. Cette tribu, l'une des plus nombreuses de l'ordre des Coléop- tères, renferme des insectes à pattes longues et agiles, armées de puissantes mandibules , propres à déchirer leurs victimes. Ils sont, parmi les Coléoptères, les lions et les tigres, tandis que les Nécrophores et les Silphes jouent le rôle des hyènes et des cha- cals. Les yeux des Carabiens sont très-saillants, ce qui leur permet de voir de très-loin leur proie. Ils se réfugient sous les pierres et sous les écorces; mais par un beau temps on les voit aussi courir dans les chemins. Ardents et audacieux, il n'est pas rare de les voir s'attacher à des espèces beaucoup plus grosses qu'eux. L'agilité qui distingue ces insectes , se retrouve chez leurs larves, qui sont également obligées de faire la chasse aux proies vivantes, au lieu de rester ensevelies, au milieu de leur nourri- ture, comme les larves des Hannetons et celles des autres Sca- rabées. Ces insectes carnassiers sont fort nombreux, circonstance heu- reuse, vu la quantité infinie de petits êtres nuisibles qu'ils dé- 540 LES INSECTES. truisent. Ils dévorent les Chenilles, les Charançons et une infinité d'autres parasites qui sont le fléau de l'agriculture. Il faut donc regretter le préjugé populaire qui porte des cultivateurs ignorants à les exterminer. On devrait, au contraire, les importer dans les jardins maraîchers, comme on y importe les crapauds, et comme on introduit les chats dans les greniers. « Les Carabes, dit M. Michelet, tribus immenses de guerriers armés jus- qu'aux dents, qui, sous leurs lourdes cuirasses, ont une activité brûlante, sont les vrais gardes champêtres, qui, jour et nuit, sans fêtes ni repos, pro- tègent vos champs. Jamais ils ne se permettront d'y toucher la moindre chose. Ils procèdent uniquement à renlèvement des voleurs, et ne veulent de salaire que le corps du voleur même. » Mais le paysan détruit brutalement ces utiles chasseurs. Il se fait ainsi l'auxiliaire des insectes nuisibles, le conservateur et le propagateur de ceux qui mangent son bien. Les enfants, séduits par la richesse des ailes des Carabes, s'a- musent à attraper ces vigilants protecteurs de nos cultures, sans connaître la fâcheuse portée de leur action. Heureusement l'in- struction se répand peu à peu dans les campagnes ; les cultiva- teurs commencent à être éclairés sur leurs véritables intérêts , et à savoir distinguer les animaux utiles qu'il convient de conserver dans les champs pour la sauvegarde des récoltes. Dans quelques localités de la France, on a déjà fait des essais pour introduire les Carabes et les Cicindèles dans les jardins, et l'on s'en est fort bien trouvé. Les vrais Carabes se reconnaissent à leur corps ovale et con- vexe, à leurs longues antennes, et à leur corselet élégamment découpé. Ils ont, en général, des formes plus massives que les Cicindèles, qui composent une famille voisine. Ces dernières for- ment, en quelque sorte, l'avant-garde et les troupes légères; les autres, les gros bataillons. Les Carabes étant, en général, nocturnes ou du moins crépus- culaires, et se tenant, pendant la journée, cachés sous des pierres, il n'est pas facile d'observer leurs manèges. On peut regarder comme le type de ce genre le Carabe doré (fig. 548), que le peuple appelle Couturière, Jardinière, Sergent, Vinaigrier, etc., et qui abonde dans nos champs et dans nos jar- dins. Il a les élytres d'un beau vert, avec trois côtes et les pattes jaunâtres. Quand on le touche, il dégorge une salive noire et acre, et il lance par derrière un liquide corrosif d'une odeur dés- agréable. Le Carabe doré détruit les larves d'insectes et les che- COLEOPTERES. 541 nilles. On l'a même vu s'attaquer à de gros insectes comme le Hanneton. Dans les environs de Paris, on rencontre le Carabe pourpré Fig. 548. Carabe doré. Fig. 549. Carabe pourpré. (fig-. 549), dont la robe, de couleur sombre, est bordée de nuan- ces rouges et violettes. On rencontre dans les Pyrénées, plusieurs Cara])es aux reflets métalliques, dont les belles couleurs font la joie des collectionneurs ; le Carabe splendide, le Carabe rutilant, etc. Mais les plus beaux insectes de cette tribu viennent de la Sibérie et du nord de la Chine. Citons comme exemple le Carabe émeraude, d'un beau vert pré, le Carabe de Viakinghof, d'un beau noir, bordé d'azur avec une bande dorée, etc. Les figures 550, 551 et 552 représentent le Carabe à côtes, le Carabe Adonis et le Carabe à nœuds, dont les étuis sont relevés en bosses et creusés de fossettes chagrinées. Ce dernier Coléoptère n'est pas rare en Alsace; il vit le long des berges des ruisseaux. Les larves des Carabes, longues et aplaties, vivent dans les troncs d'arbres, dans les feuilles sèches, sous les mousses. Elles sont agiles et font la chasse aux insectes. La figure 553 représente la larve du Carabe à reflet doré (auronitens) . Un autre groupe de la même famille est constitué par les Cab- somcs. Ils ont des ailes sous leurs élytres, tandis que les vrais Ca- rabes n'en ont pas; ils s'en servent pour passer d'un arbre à l'autre. Au mois de juin , on trouve sur les chênes le beau Calosome sy- cophante (fig. 554), d'un bleu violacé, ayant les antennes et les 542 LES INSECTES. pattes noires, et les élytres d'un vert doré éclatant, avec des stries longitudinales. D'après Réaumur, la larve de ce Galosome va sou- Fig. 550. carabe à côtes. Fig. 551. Carabe Adonis. vent élire domicile dans les poches où se sont renfermées les Che- Fig. 552. Carabe à nœuds. Fg. 553. Larve du Carabe à reflet doré. nilles processionnaires du chêne, et elle en débarrasse promptement l'arbre qui en est infesté. Le Calosome à points d'or [auropuactatus) est propre au midi de COLEOPTERES. 543 la France. Sa larve (fig. 555j dévore les colimaçons et s'établit dans leur coquille. On a vu les larves de Calosomes se remplir d'aliments au point Fig. 554. Calosome sycophante. Fig. 555. Larve et nymphe du Calosome à points d'or. de doubler de volume. En cet état, elles sont quelquefois dévo- rées par des larves de leur propre espèce. Une espèce plus petite, le Calosome inquisiteur, se rencontre as- ^V- Fig. 55G. Calosome inquisiteur poursuivant un Bombardier. sez fréquemment dans nos bois. La figure 556 représente cet insecte poursuivant un Bombardier [Brachinus explodens), qui lui lance, pour l'arrêter, une vapeur à odeur pénétrante. 544 LES INSECTES. Dans les contrées du sud-est de l'Europe, et dans l'Asie Mineure, on trouve d'énormes Garabiques, les Procrusles et les Procères, qui atteignent à 5 et 6 centimètres, et dont les téguments sont sculp- tés comme une peau de chagrin à fortes aspérités. Fig. 557. Procruste coriace. Fig. 558. Procère géant, de la Carniole. Une seule espèce se rencontre en France, le Procruste coriace Fig. 559. Omophron limbatum. Fig. 560. Nebria arenaria. (fig. 557). Dans la Carniole^ (Au triche), on trouve le Procère géant (fig. 558). Les Omophrons (fig. 559), petits Garabiques presque globuleux, COLEOPTERES. 545 d'un jaune pâle avec des lignes vertes, vivent dans le sable, au bord des rivières. Les Nèbries aiment en général les contrées montagneuses. La plus grande espèce, la Nébrie arénaire (fig. 560), se trouve sur tous les bords de la Méditerranée, et même sur nos côtes occidentales. Mais ses couleurs pâlissent à mesure qu'elle remonte vers le nord sur la côte africaine. Elle est d'un jaune clair avec des lignes noires. Les Nébries se cachent, soit sous les tas de plantes marines amenées par les vagues, soit sous les souches des arbres roulés par la mer. Quand on les prive de leur abri, elles s'échappent avec une rapidité telle, qu'il est difficile de s'en emparer. Fig. 561. Tefflus Megerlei. Fig. 562. Damaster laptoides. On trouve au Sénégal les Tèfles (iig. 561), gros Carabes noirs aux élytres cannelés et vermiculés. D'autres espèces voisines sont : le Damaster (fig. 562), propre au Japon , remarquable par sa tête allongée et ses élytres poin- tus; — VAnthie (fig. 563), qui se rencontre dans les sables en 35 546 LES INSECTES. Afrique et dans l'Inde, et dont la tète est armée d'une façon re- Fig. 563. Anthia thoracica. Fig. 504. Campylocnemis Schraeteri. doutable; le Campylocnemis ou Hypêrion (tig. 564), insecte d'Aus- f^*5^A. Fig. 5ti5. Scarite géant à l'aflût. tralie, d'un noir brillant, qui atteint plus de sept centimètres, et dont les pattes courtes et dentelées lui permettent de creuser des terrains. COLÉOPTÈRES. 547 On trouve, sur les côtes du midi de la France, un représentant de ce groupe, le Scariie géant (fig, 565), qui se blottit dans un an- tre comme les Grillons, et dévore tout ce qui passe à sa portée, L'innoml)rable tribu des Harpales renferme des Carabiques de taille assez petite, tantôt d'un vert bronzé, tantôt d'un noir terne ou brillant, qui rendent de grands services à nos jardins. Cachés sous les pierres, ou dans les feuilles sèches, au pied des arbres, ils font la chasse à une foule de petites mites, chenilles, clopor- tes, etc. Ces Coléoptères exterminent ainsi le menu gibier. On rencontre dans toutes les cours, dans tous les jardinets, ■X ,/j Fig. 566. Harpale bronzé. Fig. 567. Galérite de Leconte (larve). Fig. 568. Galérite de Leconte. Y Harpale bronzé (fig. 566), qu'on voit reluire au milieu des pavés, comme une petite lame de laiton. Les Gaîérites (fig. 567, 568) se distinguent par des antennes épaisses à la base ; elles exhalent une odeur très-forte . Presque toutes sont propres à l'Amérique. Un des insectes les plus curieux de cette tribu est le Mormolyce- feuille, de Java (tig. 569), dont les élytres débordent de manière à lui donner l'aspect d'une feuille. Il vit sous les écorces. La larve et la nymphe (fig. 570) ressemblent à celles des autres Cara- biques. 548 LES INSECTES. La deuxième grande famille de la tribu des Carabiens se com- pose des Cicindèles, insectes à taille élancée, à grosse tète sail- lante, à pattes très -longues, à la démarche vive et rapide. Fig. 569. Mormolyce-leuille, Les Cicindèles aiment les plaines sablonneuses. Au soleil, elles Fig. 570. Larve et nymphe de Mormolyce. volent en décrivant des zigzags continuels ; mais leur vol est peu soutenu. Par un temps couvert, on les voit courir sur le gazon, COLEOPTERES. 549 ou se cacher dans des trous. Quand on veut les prendre, on se pose de manière à les mettre à l'ombre de son corps. Cela suffit pour les calmer, au moins pendant un instant; et l'on en profite pour les saisir. On les rencontre sur les plages de la mer, d'où on les voit quelquefois s'élever par centaines , sous les pas des pro- meneurs, comme des bouquets de feux d'artifice. Elles se nour- rissent de Mouches et de petites Crevettes , dont les bords de la mer sont littéralement criblés. Dans les sentiers des environs de Paris, on rencontre, à chaque instant, la Cicindèle champêtre (fig. 571), qui est d'un beau vert taché de blanc ; l'abdomen est d'un rouge cui- vreux. La Cicindèle hybride, d'un vert terne relevé par dix bandes, habite les bois sableux; la Cicindèle maritime est une espèce qui diffère de la précédente. La grande Cicindèle des bois, qui vole très-bien et qu'il n'est pas facile de saisir, se rencontre souvent dans les gorges les plus brûlantes des forêts de Fontainebleau et de Montmorency. Elle est brune, tachée de blanc ; elle répand une forte odeur de rose, à la- quelle succède bientôt l'odeur acre de la salive qu'elle dégorge. Nous représentons ici les Cicindèles de Dumoulin, — rugueuse, — ■ scalaire, — héros, — à quatre lignes, et la Cicindèle du Cap. Fig. 571. cicindèle champêtre. Fig. 572. Cicindèle de Dumoulin. Fig. 573. Cicindèle rugueuse. Fig. 574. Cicindèle scalaire. Il est curieux de voir l'ardeur avec laquelle les Cicindèles pour- suivent leur proie. Avec leurs mâchoires, elles dépècent prompte- ment les ailes et les pattes de leur victime; elles sucent ensuite ses intestins avec leurs palpes. Souvent, lorsqu'elles sont déran- 550 LES INSECTES. gées dans cette occupation agréable, comme elles ne veulent pas lâcher prise , elles s'envolent avec leur proie. Cependant leur vol Fig. 575. Fig. 576. Fig. 577. Cicindèle héros. Cicindèle à quatre lignes. Cicindèle du Cap n'est point assez puissant pour leur permettre de transporter un peu loin un tel fardeau. Lorsqu'on saisit entre les doigts une Cicindèle, elle agite avec fureur ses mandibules aiguës, et cherche à vous pincer. Mais ses morsures sont inoffensives et peu dou- loureuses. Les Cicindèles sont prodigieusement agiles à la course. Armées de mâchoires assez puissantes pour atteindre leurs victimes et pour les saisir corps à corps , elles peuvent se passer de ruses et de stratagèmes. Leurs larves (fig. 578), dont le corps est mou, et dont les pattes Fig. 578. Larve de Cicindèle champêtre. Fig. 579. Trou d'affiit de la larve de Cicindèle. sont courtes, se déplacent moins facilement. Pour satisfaire leur voracité, elles sont obligées de se mettre à l'afïùt dans des trous. Ces larves ont une longueur de deux centimètres leur tète est COLÉOPTÈRES. 551 cornée et présente la forme d'un trapèze. Le premier anneau est également corné, d'un vert métallique. Le huitième porte une paire de tubercules à crochets, dont la larve se sert pour monter et descendre dans son trou vertical, à la façon d'un ramoneur. Ce trou (fig. 579) a une profondeur de cinquante centimètres. Pour le creuser, la larve emploie d'abord ses mandibules et ses pattes. Elle le déblaye de la manière suivante : elle se retourne, charge de terre le plateau ([ui couvre sa tète, grimpe le long de la cheminée en se pliant en forme de Z, et transporte ainsi son fardeau jusqu'en haut, comme les servants des maçons, qui grim- pent sur une échelle, en portant sur la tète une auge de mortier. Arrivée à l'oritice du trou, elle lance au loin les déblais dont sa tète est chargée; ou s'ils sont trop lourds, elle les écarte simple- ment en les poussant avec sa tète. Il est difficile d'observer ces manèges ; car les larves sont très- iléfîantes, et se retirent aussitôt dans leur trou, lorsqu'elles pren- nent ombrage. Elles se tiennent en embuscade à l'entrée de ces souterrains, qu'elles bouchent hermétiquement avec leur tète et leur corselet. C'est une espèce de trappe <[ui bascule dès qu'un être imprudent essaye d'y passer. Le malheureux qui se hasarde sur ce pont chancelant est précipité dans le puits, et la Cicindèle se gorge de son sang. Ces mœurs rappellent, on le voit, celles du Fourrai-lion. Quand arrive le moment de la métamorphose, la larve de Ci- 80-.)31. Nymphe ae la cicindèle. (Dessous.) cindèle agrandit le fond de son trou et en bouche l'entrée avec de la terre, avant de se changer en nymphe. La nymphe (fig. 580-581) est d'un jaune pâle, luisante, garnie de petites épines. La métamorphose a lieu entre les mois d'août et d'octobre; l'insecte éclôt au printemps. On rapproche des Cicindèles le Mégaccphaks (lig. 582-584) de l'Afrique et de l'Amérique tropicale; les Manticor.cs (lig. 585), qui 552 LES INSECTES. se distinguent par un aspect robuste et trapu ; — les Pogonostomes (fig. 586), qui vivent à Madagascar; — les Gténostomes, propres à Fig. 582. Mégacéphale de King. Fig. 583. Mégacéphale oxychéloïde. l'Amérique (fig. 587) , remarquables par la longueur de leurs palpes pendants et hérissés ; — les Omus^ de Californie ; — les Thérates (fig, 588), insectes de la Nouvelle-Hollande, etc. Fig. 584. Mégacéphale bifasciée. La tribu des Piméliens, appelés autrefois Mélasomes, parce qu'ils sont presque tous habillés de noir, offre quelques ressemblances avec celle des Carabiens. Ils recherchent les endroits obscurs et fuient la lumière. On les trouve à terre, sous les pierres; leurs mouvements sont lents, ils paraissent marcher avec difficulté. L'insecte le plus connu de ce groupe, c'est le Blaps, à odeur re- poussante, qui habite les endroits sombres et humides, tels que les caves, et ne sort de sa retraite que pendant la nuit. Ses ély- tres sont soudés et dépourvus d'ailes. Le vulgaire les regarde comme un présage de mauvais augure. On a nommé l'espèce la COLÉOPTÈRES. 553 plus commune, le Blaps porte-malheur, présage-mort, sorcière de la mortj etc. Fig. 585. Manticore tuberculeuse. Fig. 586. Pogonostome gracieux. La figure 589 représente le Blaps obtus. D'après le rapport d'un voyageur, les femmes en Egypte, atln d'engraisser, mangent, cuit Fig. 587. Cténostome rugueux. Fig. 588. Thérate labié. avec du beurre, le Blaps sillonné, qui est très-commun. On l'em- ploie également contre les douleurs d'oreilles, la morsure du Scorpion, etc. 554 LES INSECTES. Un autre insecte de la même famille est le Tênébrion (fig. 590), d'un brun noirâtre , avec les élytres fortement striés , et d'une Fig. 590. Tênébrion de la farine et sa larve. longueur de quinze millimètres. Sa larve vit dans la farine ; elle est cylindrique et d'un fauve luisant. Les amateurs d'oiseaux les recherchent, pour en nourrir les habitants de leurs volières. On trouve souvent dans le pain les débris du Tênébrion meunier, ou ceux de sa larve, que le peuple appelle Ver de farine (fig. 590). L'insecte que l'on considère comme le type de la tribu des Pi- raéliens, est la F imélie à deux points, commune dans le midi de la France. Nous arrivons à la tribu des Coléoptères vésicants, dont les plus connus sont les Cantharides. Ces insectes ont généralement une consistance molle ; leurs ély- tres sont très-flexibles. Ils recherchent les fleurs. Quelques-uns se tiennent constamment sur les arbres. Tous sont très-vifs et très- agiles. Avalés, ils sont un dangereux poison. On les emploie en médecine pour faire des vésicatoires. La Cantharide des boutiques {Cantharis vesicatoria) est d'un beau vert. Elle attemt une taille de deux centimètres. On la trouve sur les frênes, sur les lilas et sur d'autres arbustes. Dans toute l'Eu- rope on en fait une grande consommation. Le commerce l'a long- temps tirée d'Espagne, et la tire encore souvent de ce pays; c'est de là que lui vient le nom vulgaire de 3Iouche d'Espagne. Comme elle vit en sociétés nombreuses, sa récolte est plus facile et moins coûteuse que ne le serait celle des autres espèces de la même fa- mille qui vivent isolément, mais qui ont les mêmes propriétés médicinales. La présence des Cantharides se manifeste par l'odeur de souris qu'elles répandent au loin. Fig. 591. liécolte des Canlhandes dans le miUi de la Vn COLÉOPTÈRES. 557 Quand, à l'aide de cette odeur, on a découvert l'arbre, ordi- nairement un frêne, sur lequel les Cantharides se sont abattues, on les récolte de la manière suivante". On étend de grand matin, au pied de l'arbre, une toile d'un tissu clair, et on secoue forte- ment les branches, pour en faire tomber les insectes. Ces der- niers, engourdis par le froid de la nuit, ne cherchent pas à s'échapper (tig. 591). Lorsqu'on juge que la récolte est suffisante, on relève les quatre coins, et on plonge le tout dans un baquet rempli de vinaigre étendu d'eau. Cette immersion suffit pour faire périr les Cantharides. On les transporte ensuite dans un grenier, ou sous un hangar bien aéré. Pour les faire sécher on les étale sur des claies recouvertes de toile ou de papier. De temps en temps, pour faciliter leur prompte dessiccation, on les remue, soit avec un bâton, soit avec les mains, ce qui est plus commode. Mais il faut alors prendre la précaution de mettre des gants, car si on les touche avec les mains nues, on éprouve des accidents plus ou moins graves. La même précaution doit s'employer aussi pendant la récolte. Quand les Cantharides sont bien sèches, on les introduit dans des vases de bois, de verre ou de faïence, hermétiquement bou- chés, et on les conserve dans un endroit à l'abri de l'humidité. Avec ces précautions, on peut les garder longtemps sans qu'elles perdent rien de leurs propriétés caustiques. Duméril a essayé, pour faire des vésicatoires, des Cantharides qui avaient vingt-quatre ans de magasin, et qui n'avaient rien perdu de leur énergie vésicante. Les Cantharides desséchées sont si légères qu'un kilogramme renferme près de treize mille individus. Arétée, médecin qui florissait à Rome au premier siècle de notre ère, paraît avoir employé le premier, comme moyen de vésication, les Cantharides réduites en poudre. Hippocrate les donnait à l'intérieur contre l'hydropisie, l'apoplexie, et la jau- nisse. Mais il est à peu près établi que les- Cantharides des anciens n'étaient pas celles dont l'usage a prévalu aujourd'hui. C'était probablement une espèce voisine, le Mylabre des chicorées. On a fait l'analyse chimique des Cantharides et on en a retiré un principe vésicant, la cantharidine. Ce produit organique se présente sous forme de petites lames brillantes, incolores, solu- bles dans l'éther et dans les huiles. Un atome de cette matière appliqué sur la peau, et en particulier sur la lèvre inférieure, fait à l'instant même soulever l'épiderme, et produit une vésicule remplie de sérosité. 558 LES INSECTES. Malgré le principe corrosif que renferment lesCantharides, elles sont attaquées, comme les autres insectes desséchés, par les Dermestes et les Antlirènes, qui s'en régalent sans le moindre inconvénient. Les Mylahres ont le plus grand rapport de structure, d'appa- rence et de propriétés, avec les Canlharides , qu'elles remplacent en Orient, en Chine, et dans le midi de l'Europe. On les rencontre en grappes sur les fleurs des chicorées, des chardons, etc. Le Mylabre de la chicorée, assez commun en France, surtout dans le midi, est de taille assez petite, tandis que d'autres espèces sont assez grandes. Il est noir, velu, avec une grande tache jaunâtre à la base de l'élytre, et deux bandes transversales de la même couleur. Un autre groupe de cette famille comprend les Méloés , aux élytres très-courts, sans ailes. Ils marchent lentement et diffi- cilement sur les plantes basses, les femelles traînant un énorme abdomen, rempli d'œufs. On les observe ordinairement au prin- temps. En Allemagne, on leur donne le nom de Maiwurm (ver de mai). Leur succulence les exposerait sans doute par trop à la voracité des oiseaux, et de quelques petits mammifères insecti- vores, s'ils n'avaient la ressource de faire suinter, à volonté, au moment du danger, de toutes leurs articulations, une humeur onctueuse, d'un jaune rougeâtre , dont l'odeur et probable- ment aussi les propriétés caustiques repoussent leurs 'agres- seurs. Les femelles déposent leurs œufs sous la terre, et il en sort des larves d'une forme très-bizarre. Avalés par des bestiaux, les- Méloés les font gonfler et mourir. C'est pour cette raison que La- treille a émis l'opinion que ces insectes sont les Buprestes (Enfle- bœuf) des anciens, dont parle la loi de Cornélius {Lex Cornelia rf ■ sicariis et veneficis). Mais le nom de Buprestes a été appliqué par Linné aux Richards, coléoptères dont il sera question plus loin, et il a été généralement adopté par les naturalistes. Le plus commun parmi les Méloés est le Méloé proscarabée. On le trouve en abondance, dès le mois d'avril, dans les prairies voisines du pont d'Ivry près de Paris. Les métamorphoses des insectes de la famille des Cantharides étaient restées longtemps entourées d'un voile impénétrable. Les recherches de Newport, en Angleterre, et de M. Fabre (d'Avignon), en France, ont fait connaître, de nos jours, les phases, extrême- ment curieuses, au milieu desquelles s'accomplissent les meta- COLÉOPTÈRES. 559 morphoses' d'une espèce qui appartient à la même famille, le Sitaris humeralis. Ces observations, dont nous allons donner un aperçu rapide, mettront probablement les naturalistes sur la voie pour observer également les premiers états des Cantliarides pro- prement dites. Les SUaris (lig. 592) ne prennent aucune nourriture lorsqu'ils sont parvenus à l'état parfait. Quand la femelle a été fécondée, elle dépose, à lentrée du nid d'une Abeille solitaire, deux à trois Fig. 592. Sitaris humerai. Fig. 593. Première larve de Sitaris (très-grossie). mille œufs, très-petits, blanchâtres, agglutinés en masses in- formes. Un mois après, il sort de ces œufs de très-petites larves (d'un millimètre de longueur seulement), d'un vert noir luisant, coriaces, armées de fortes mâchoires et de longues pattes et an- tennes (fig. 593). Ce sont les laryes primitives . Elles restent immo- biles et sans prendre de nourriture jusqu'au printemps suivant. A cette époque éclosent les Abeilles mâles, qui précèdent d'un mois l'apparition des femelles. A mesure que les Abeilles sortent de leur nid. les larves de Sitaris s'accrochent à leurs poils. De là ils passent sur les femelles, à l'époque de l'accouplement. Quand les abeilles mâles ont bâti des cellules, et les ont garnies de miel, la femelle, on le sait, dépose dans chacune un œuf. Aus- sitôt les larves de SUaris se laissent tomber sur ces œufs, les ou- vrent et en hument le contenu. Alors elles changent de peau, et la seconde larve paraît. 1. Annales des sciences naturelles, 1857, 4= série, t. Vif, p. 300. 560 LES INSECTES. Celle-ci tombe dans le miel, dont elle se nourrit pendant un mois et demi. Elle est aveugle, tandis que la première larve est munie de quatre yeux, sans doute pour guetter au passage les Abeilles qui doivent lui servir de conducteurs, comme les compa- gnons d'Ulysse guettaient les moutons de Polyphème , pour sortir de 1 antre où ils étaient retenus prisonniers. Peu de jours après, cette seconde larve se contracte, et il se dé- tache de son corps une pellicule transparente, qui laisse entrevoir une masse, d'abord molle, bientôt assez dure et d'un fauve vif; on la nomme pseudonymphe (tig. 594), Elle passe l'hiver. Au printemps il en sort une troisième larve (fig. 595) semblable Fig. 594. Fig. 595. Fig. 596. Pseudonymphe de Sitaris. Troisième larve de Sitaris. Nymphe de Sitaris. à la seconde. Celle-ci ne mange pas et se meut à peine. Elle se change bientôt en une nymphe ordinaire (fig. 596), d'un blanc jaunâtre, d'où sort le Sitaris adulte, qui ne vit que quelques jours, pour assurer la propagation de l'espèce, comme cela s'observe aussi chez les Éphémères. Telles sont les curieuses circonstances qui président aux méta- morphoses de ce Coléoptère. On avait remarqué depuis longtemps les larves de Sitaris, cramponnées aux poils des Anthophores; mais on les prenait pour des parasites, et on les avait décrits comme tels. Les Lampyriens ont des élytres faibles et mous, comme les in- sectes de la tribu précédente. A l'état d'insectes parfaits , ils fré- quentent les fleurs. Leurs larves sont carnassières et attaquent d'autres insectes, ou des vers. C'est à ce groupe qu'appartiennent les Lampyres, ou Vers lui- sants, qu'on voit scintiller, pendant les nuits d'été, dans l'herbe et sur les buissons. Les Vers luisants sont fort agiles. Quand on réussit à s'en em- parer, ils cessent aussitôt d'émettre leur douce lumière blanchâ- tre. Ils ont la faculté de faire briller ou disparaître à volonté ce COLÉOPTÈRES. 561 flambeau naturel; ce qui est, du reste, une propriété commune à tous les animaux phosphorescents. Les propriétés lumineuses dont ces animaux sont doués, ont pour but de révéler leur présence au sexe opposé, car les femelles surtout possèdent ces propriétés à un haut degré. De même que les sons ou les odeurs qu'exhalent d'autres insectes, attirent, sé- duisent et dirigent les uns vers les autres les deux sexes, ainsi, chez les Lampyres, une odeur phosphorescente signale les fe- melles aux mâles. C'est le flambeau de l'amour, c'est un phare naturel, c'est un télégraphe anhné qui brille dans le silence et l'obscurité des nuits. Le siège de la substance phosphorescente varie suivant les es- pèces. Il existe ordinairement sous les trois derniers anneaux de l'abdomen. La lueur est produite par la combustion lente d'une sécrétion particulière. Elle semble émise par scintillation. On a constaté qu'elle se dégage brusquement lorsque l'animal contracte ses muscles, soit spontanément, soit sous l'influence d'une excitation artificielle. On a tenté quelques essais chimiques pour connaître la nature ou la composition de l'humeur qui produit cet effet étrange ; mais jusqu'ici les recherches ont appris seulement que l'action lumi- neuse est plus énergique dans l'oxygène et nulle dans les gaz inertes. Chez l'espèce que l'on rencontre le plus souvent aux envi- rons de Paris, le Lampyris noçtiluca, la phosphorescence est d'une teinte verdàtre; elle prend, dans certains moments, Féclat d'un charbon incandescent. Les femelles des Lampyres sont dépourvues d'ailes, tandis que les mâles en sont pourvus, et possèdent des élytres bien dévelop- jîés. Les femelles ressemblent beaucoup aux larves; seulement, elles ont la tête plus apparente et le corselet en bouclier, comme les mâles. Les larves se nourrissent de petits mollusques. Elles pénètrent dans la coquille des Colimaçons, après en avoir dévoré l'habitant. Elles possèdent la propriété phosphorescente à un moindre degré que les femelles adultes. La nymphe femelle res- semble à la larve; la nymphe du mâle, au contraire, laisse aper- cevoir ses ailes repliées sous une mince peau. L'insecte parfait éclôt vers l'automne. Le Lampyre luisant {Lampyris noçtiluca, fig. 597) est d'un jaune brunâtre. Il est commun dans les environs de Paris. Dans un genre voisin, la Luciole d'Italie, les deux sexes sont ai- 36 562 LES INSECTES. lés, d'un brun fauve, et également phosphorescents. On les ren- contre en grand nombre en Italie, et les pelouses sont émaillées de leurs feux errants. D'autres insectes de cette famille sont privés de la faculté d'é- Fig. 597. Lampyre noctiluque. mettre de la lumière. Tels sont, par exemple, les Lyques, aux brillantes couleurs, que l'on rencontre en Afrique et dans l'Inde. Un des plus beaux est le Lycus latissimus. Un autre groupe est formé par les Driles, insectes fort singuliers dans leurs habitudes. Le type est le Drile flavescent, au panache jaune {Drilus flavescens). Le mâle, long de sept millimètres, noir et velu, avec les élytres d'un jaune testacé, à antennes munies de longs filaments, a été longtemps seul connu. La femelle, dix à quinze fois plus volumineuse, privée d'ailes et d'élytres, d'un brun jaunâtre, n'a été découverte que beaucoup plus tard, parce qu'elle n'a, en apparence, rien de commun avec le mâle, par la forme et la couleur. Les métamorphoses de ces curieux insectes sont aujourd'hui parfaitement connues. Mieczinsky, naturaliste polonais établi à Genève, avait trouvé des Driles à l'état de larve dans la coquille de V Hélix nemoralis. Ces larves dévoraient le Colimaçon dont elles occupaient la demeure, comme font les larves des Lampyres. Mieczinsky observa leur éclosion, mais il n'obtint que des Driles femelles, qui diffèrent à peine des larves dont elles procèdent. Le naturaUste genevois en fit un genre particulier sous la dénomina- tion de Cochleoctonus vorax (vorace tueur de coquilles). Plus tard, Desraarest reprit ces observations. Il se procura à l'école vétéri- naire d'Alfort un certain nombre de coquilles d'Hélix, remplies des mêmes larves. Il en vit sortir, non-seulement des Gochléoc- tones, mais encore des Driles. et il observa leur accouplement. Il fut donc prouvé, par cet argument sans réplique, que ces deux insectes, si dissemblables, appartiennent à la même espèce. La larve du Drile jaune se fixe sur la coquille du colimaçon, par COLÉOPTÈRES. 563 comme une sangsue. Peu à peu, elle se glisse entre le mollusque et sa maison, et le dévore entièrement. Pour se métamorphoser en nymphe, elle ferme l'entrée de la co- quille avec la vieille peau qu'elle a abandonnée. Parvenue à l'état parlait, elle quitte la coquille qui lui a servi de demeure tempo- raire. Les femelles de Driles jaunes se réfugient sous les pierres et les feuilles séchées, ou rampent lentement sur le sol, pendant que les mâles, qui volent avec une grande facilité, se trouvent sur les plantes et sur les broussailles. Ces insectes ne sont pas rares aux environs de Paris. M. H. Lucas a observé en Algérie, près d'Oran, une autre espèce curieuse, le Drile maurilanique . La larve de cet insecte vit aux dé- pens de l'animal du Cijclosioma Volzianuvi , qui ferme l'entrée de sa coquille avec un opercule de substance calcaire. La larve de ce Drile se fixe sur le bord de la coquille, à l'aide de sa ventouse, et dirige ses fortes mandibules du côté où le Colimaçon est obligé de soulever son opercule, soit pour respirer l'air, soit pour mar- cher. Dans cette position, elle a la patience d'attendre quelquefois plusieurs jours à la porte. Le colimaçon recule aussi longtemps qu'il le peut le moment fatal. Mais quand , vaincu par la faim ou étouffant dans sa prison, il se décide enhn à ouvrir sa porte, le Drile profite aussitôt de cette occasion pour couper le muscle qui retient le pied du limaçon. La brèche étant faite, rien ne s'oppose plus à l'entrée de l'ennemi dans la place. Il s'y glisse et se met à manger tranquillement le malheureux mollusque inolfensif, qui lui donne le logement et la nourriture. Les Piilodaclyles, les Eucinètes et les Cébrions appartiennent aux insectes de la même famille. Les deux premiers sont exotiques. Les Élatériens sont d'assez gros insectes, d'une texture souvent fort dure , ayant le prosternum prolongé en pointe, et les anten- nes dentelées en scie. Ils ont la faculté de sauter lorsqu'on les couche sur le dos, et de retomber sur leurs pattes. De là leur nom (ÏÉlatères (dérivé de la même racine que le mot élastique) ou de Scarabées à ressort. Ils produisent, en sautant, un choc sec, et sou- vent frappent à coups redoublés lorsqu'on les empêche de s'é- lancer; c'est ce qui les a fait nommer Taupins et Maréchaux [fig. 598 et 599). Voici le mécanisme qui permet au Taupin d'exécuter ces mouvements. Il s'arcboute, en s'appuyant sur le sol par la tête et par le dos; puis il se débande comme un ressort : la pointe 564 LES INSECTES. du corselet pénètre dans une fossette située au-dessous de l'an- neau suivant, et le dos vient heurter avec force le plan d'appui. Par réaction, l'animal est lancé en l'air. Il recommence ce manège jusqu'à ce qu'il se retrouve sur le ventre, car ses pattes sont trop Fig. 599.' Organe du saut chez le Taupin. (Profil.) ^i Fig. 598. Organe Fig. 600. du saut chez le Taupin (face). Larve. courtes pour lui permettre de se retourner. Sa structure lui donne le moyen et la force de rebondir autant de fois qu'il est tombé sur le dos, et il peut s'élever ainsi à plus de douze fois la longueur de son corps. ) Les larves des Taupins (fig. 600) sont cylindriques, à peau écailleuse, à pattes très-courtes. Elles vivent dans le bois pourri ou dans les racines de plantes. D'après M. Goureau, elles passent cinq ans dans cet état. Les larves du genre Agriotes occasionnent des dégâts considéra- bles dans les champs de blé. Elles ressemblent beaucoup aux vers de farine (larve du Ténébrion). Les Tétralobites sont les plus grands Élatériens connus ; ils attei- gnent une longueur de six à sept centimètres. On les rencontre aux Indes orientales et en Afrique. On trouve en x\mérique des Taupins phosphorescents. Ce sont les Pyrophores, que les Espagnols de l'Amérique du Sud désignent sous le nom de Cucuyos. Ils ont à la base du corselet deux petites faciles lisses et brillantes, qui scintillent pendant la nuit; les an- neaux de l'abdomen émettent aussi une lueur. Les Cucuyos éclai- rent assez pour qu'on puisse lire à une faible distance de leur corps. Le Pyrophore nocliluque est très-répandu à la Havane, au Brésil, à la Guyane, au Mexique, etc. On les voit en grand nombre, CpLÉOPTÈRES. 565 la nuit, dans le feuillage des arbres. Lors de la conquête espa- gnole, un bataillon nouvellement débarqué n'osa engager le com- Fig. 601. Cage ou lustre à Taupiris, pour l'éclairage. Fig. 602. Taupin lumineux des Antilles. bat avec les naturels, parce qu'il prit les Cucuyos qui brillaient sur les arbres environnants pour des mèches d'arquebuses prêtes à faire feu. a Dans ces contrées, dit M. Michelet, on voyage beaucoup la nuit pour échapper à la chaleur. iNIais on n'oserait s'engager dans les ténèbres peuplées des profondes forêts, si les insectes lumineux ne rassuraient le voyageur. Il les voit briller au loin, danser, voltiger. Il les voit de près posés sur les buissons à sa portée. Il les prend pour l'accompagner, les fixe sur sa chaus- sure pour liù montrer son chemin et pour faire fuir les serpents. Mais quand l'aube se fait voir, reconnaissant et soigneux, il les pose sur un buisson, les rend à. leur œuvre amoureuse. C'est un doux proverbe indien : « Emporte la « mouche de feu; mais remets-la où tu l'as prise ». » Les femmes créoles se servent des Cucuyos pour rehausser l'é- clat de leur toilette. Singuliers bijoux auxquels il faut donner à manger, qu'il faut baigner deux fois par jour, qu'il faut soigner sans cesse, pour les empêcher de mourir 1 Les nègres des Antilles se servent des Taupins lumineux pour éclairer leurs cases (fig. 603). Ils prennent ces petits animaux en balançant en l'air, au bout d'un bâton, pour les attirer, des charbons incandescents : ce qui prouve que la lueur que répandent ces insectes est pour eux un appel. Puis ils les vendent aux dames de la ville. Une fois entre les mains des femmes, les Cucuyos sont renfermés dans de petites 1. VInsecte. 566 LES INSECTES. à sucre, et on leur fait prendre des bains, qui remplacent pour eux la rosée du matin et du soir. Quand les dames mexicaines veulent orner leur toilette de ces Fig. 603. Case de nfgres éclairée par des Taupins lumineux. diamants vivants, elles les placent dans de petits sacs de tulle lé- ger, qu'elles disposent avec goût sur leurs jupes. Il y a encore une autre manière de monter les Cucuyos. On leur passe, sans les blesser, une épingle sous le corselet, et on pique cette épingle dans les cheveux. Le raffinement de l'élégance consiste à combiner avec les Cucuyos, des colibris et de véritables diamants, ce qui produit une coiffure éblouissante. Parfois, em- prisonnant de gaze ces flammes animées, les gracieuses Mexicaines les tournent en ardents colliers; ou bien elles les roulent autour de leur taille, comme une ceinture de feu. Elles arrivent au bal sous un diadème de topazes vivantes, d'émeraudes animées, et ce diadème flambloie ou pâlit, suivant que Tinsecte est frais ou fati- gué. En rentrant, après la soirée finie, on fait prendre à ces pau- vres bêtes un bain qui les rafraîchit, et on les remet dans leur cage, qui, veilleuse dun nouveau genre, répand toute la nuit dans la chambre une douce clarté. COLEOPTERES. 567 En 1766, un Giicuyo amené vivant d'x\mérique à Paris, proba- blement dans quelque vieux morceau de bois qui se trouvait dans le vaisseau, causa une grande frayeur aux habitants du lauljourg Saint-Antoine , lorsqu'ils le virent voler le soir, en brillant dans l'air. En 1864, un certain nombre de Cucuyos furent apportés du Mexique à Paris, par M. Laurent, capitaine de la frégate la Flo- ride. Une expérience faite dans le laboratoire de l'École normale montra que le spectre chimique de leur lumière est continu, sans raies noires aucunes; il se distingue, en outre, du spectre de la lumière solaire par une plus grande intensité de la couleur jaune. La lumière se produit proba])lement comme chez les Lampijres, par la combustion lente d'une substance sécrétée par l'animal. Le Cucuyo peut d'ailleurs, à volonté, augmenter ou diminuer l'éclat de cette lueur, au moyen de membranes qu'il superpose, comme des écrans, au devant des bosses phosphorescentes qu'il a au front. Aux Indes et en Chine, les femmes se servent pour leur coiffure, ou comme pendants d'oreilles, d'un autre coléoptère de la même tribu, qui commence même à être employé à cet usage par les femmes du midi de la France. C'est le Richard , aux couleurs splen- dides et d'un éclat métallique. Linné, comme nous l'avons dit plus haut, lui donna, à tort, le nom de Bupreste qui, chez les anciens, servait à désigner un coléoptère très-différent, le Méloé, du groupe des Cantharides ; mais les naturalistes modernes ont consacré ce titre illégitime. Les Richards ou Buprestes ont la démarche lourde ; mais ils vo- lent avec la plus grande facilité pendant l'ardeur du soleil, et se jettent sur les troncs d'arbres exposés aux rayons du midi. En Europe, et surtout dans le nord, ils sont assez rares et de taille assez petite. Il faut les chercher sur les bouleaux, dont la couleur blanche semble les attirer. Dans les régions les plus chaudes du globe, ils sont très-abondants, de grande dimension, et parés d'é- tincelanLes couleurs. Ils ne sautent pas et ne sont pas doués de la propriété phosphorescente. Leurs larves sont sans pattes, allon- gées, blanchcâtres, de consistance charnue, avec le premier anneau du corps très-élargi. Elles vivent dans les troncs d'arbres, entre l'écorce et le bois, se creusant des galeries irrégulières, et restent parfois sous cet état dix ans avant de se métamorphoser. Laporte de Castelnau et Gory ont décrit et figuré environ treize cents espèces de Buprestes. La figure 604 représente le Bupreste 568 LES INSECTES. impérial. Le Bupreste albospère, les Julodis, les Chrysochroas, les Brachys, appartiennent également à la grande famille des Bu- prestes. Les Clériens se rattachent aux tribus précédentes. Ils ont le cor- selet plus étroit que les élytres et assez long, leurs téguments sont moins solides que ceux des Taupins et des Richards. Les uns sont phytophages, les autres carnassiers. Le type principal de cette famille est le Clairon four- mi (Clerus formicarius) , roux, avec la tête et les pattes noires, dont la larve vit aux dé- pens des larves des Charançons. Une autre espèce, la Nécrobie, qui vit de matières animales desséchées, est devenue Fig. 604. Bupreste Impérial. célèbre, parcc qu'elle fut la cause du salut du plus grand entomologiste de notre siècle. Le nom de Nécrobie (de vexpô; et pto'ç) ne signifie point : qui vit sur les cadavres, mais bien vie et mort. Voici la touchante histoire dont ce nom est destiné à consacrer le souvenir, et que Latreille lui- même a racontée dans son Histoire des Insectes. Avant 1792, Latreille n'était connu que par quelques mémoires qu'il avait publiés sur les insectes. Il était alors prêtre à Brives- la-Gaillarde. On l'arrêta, avec les curés du Limousin qui n'avaient pas prêté serment. Ces malheureux furent conduits à Bordeaux, sur des charrettes, pour être déportés à la Guyane. Arrivés à Bor- deaux au mois de juin, ils furent incarcérés à la prison du grand séminaire, en attendant qu'un navire fût prêt à appareiller. Sur ces entrefaites, le 9 thermidor arriva , et fit suspendre pour quel- que temps l'exécution de l'arrêt qui condamnait les prêtres non assermentés à la déportation. Cependant les prisons ne se vidaient que lentement, et les condamnés n'en devaient pas moins partir pour l'exil. Seulement, leur déportation avait été remise au prin- temps. Latreille demeurait donc détenu à la prison du grand séminaire. Dans la chambre qu'il occupait, se trouvait, en même temps que lui, un vieil évêque malade, dont un chirurgien allait chaque matin panser les plaies. Un jour, comme le chirurgien achevait le pansement de l'évêque, un insecte sortit d'une fente du plancher. Latreille s'en empare aussitôt , l'examine , le pique avec une épingle sur un bouchon de liège, et paraît enchanté de sa trou- vaille. COLEOPTERES. C'est donc un insecte rare, dit le chirurgien. - Oui, répond l'ecclésiastique. - En ce cas, vous devriez me le donner. 569 Fig. 605. Latreille, — Pourquoi? — C'est" que j'ai un ami qui a une belle collection d'insectes et à qui il ferait plaisir. — Eh bien, portez-lui cet insecte; dites-lui comment vous l'a- vez eu, et priez-le de m'en dire le nom. » Le chirurgien courut chez son ami. Cet ami, c'était Bory de Saint-Yincent , naturaliste qui devint célèbre depuis, mais qui était fort jeune à cette époque. Il s'occu- pait déjà beaucoup de sciences naturelles, et en particulier de la 570 LES INSECTES. détermination des insectes. Le chirurgien lui remit la trouvaille du prêtre. Mais, malgré toutes ses recherches, il ne parvint pas à classer ce coléoptère. Le lendemain, le chirurgien ayant revu Latreille dans sa pri- son, fut obligé de lui déclarer que, d'après son ami, ce coléoptère n'avait pas été décrit. Latreille comprit à cette réponse que Bory de Saint-Vincent était un adepte. Comme on ne donnait aux déte- nus ni plume, ni papier, il dit à son messager : « Je vois bien que M. Bory de Saint-Vincent doit connaître mon nom. Vous lui direz que je suis l'abbé Latreille, et que je vais al- ler mourir-à la Guyane, avant d'avoir publié mon Examendes gen- res de Fabrîcius. » Bory, à cette nouvelle, commença d'activés démarches, et obtint que Latreille sortirait de prison, sous caution de son oncle Dayclas et de son père, comme convalescent, avec l'engagement formel qu'on présenterait le prisonnier à la première réquisition de l'au- torité. Le vaisseau qui devait emmener Latreille en l'exil, ou plutôt à la mort, appareillait déjà lorsque ces démarches aboutirent et que Bory et Dayclas obtinrent sa sortie de prison. Cette sortie fut pro- videntielle, car le bâtiment sur lequel Latreille devait être embar- qué sombra en vue de Cordouan , et les marins seuls purent se sauver. Peu de temps après, ses amis obtinrent sa radiation de la liste des déportés. C'est ainsi que la Necrobia ruficollis fut le sauveur de La- treille. La- tribu des Charançons est encore bien plus nombreuse que celle des Taupins et des Richards. On les reconnaît à leur tête prolongée en museau ou en trompe, à leur bouche rudimentaire, à leurs antennes coudées. Il en existe environ vingt mille espèces. Ils se nourrissent de végétaux. Les larves sont des vers sans pat- tes, mous, blanchâtres, â tête très-petite, et vivent dans l'inté- rieur des tiges ou des graines des plantes; elles occasionnent sou- vent d'énormes dégâts. C'est l'un des fléaux de l'agriculture. Chacun de nos légumes secs, chaque variété de céréales, a dans cette immense famille son ennemi personnel. Voici d'abord les Bruches. La Bruche du pois (fig. 606), qui est brune, avec des taches blanches, sort du pois, à la fin de l'été. Chaque femelle dépose ses œufs sur les pois mûrs et encore sur pied. La larve s'y creuse une habitation, et sort ensuite par un trou circulaire (tig. 607). COLÉOPTÈRES. 571 La Bruche de la lentille reste dans son nid tout l'hiver, et n'éclôt que vers le printemps suivant. M Fig. 606. Fig. 607. Bruche du pois (grossie). Bruche du pois et pois percé par cet insecte. La Bruche des fèves marque chaque fève de plusieurs points noirs. La vesce a également sa Bruche spéciale. La Calandre du blé, d'un brun noirâtre, dépose ses œufs sur les grains, et la larve en mange ensuite les parties intérieures. On a proposé une foule de moyens pour éloigner ce dernier Charançon. Le meilleur moyen est un ensilage rationnel, et une bonne aération des tas de blé. Citons encore le Charançon du trèfle [Apion) : le Charançon du colza [Gripidius trassicœ), le Charançon des navets [Cenlorhyn- chus), etc., etc. Tous les végétaux, la vigne, les arbres fruitiers, les bouleaux, les pins, etc., sont rongés par des Charançons. Yoici, comme exemple, le Pissode tacheté du pin (lig. 608), qui a la précaution, comme le montre la figure ci-contre, de couper à demi les jeunes tiges et les pétioles des feuilles du pin, afin, dit M. Maurice Gi- rard', que la sève n'afflue que difficilement dans l'organe flétri, et ne puisse étouffer ses jeunes larves. Les Scolytes, les Hylésines, les Bostriches, qui se rattachent à la famille des Charançons, creusent des galeries entre le bois et l'écorce de différents arbres, lorsqu'ils sont à l'état de larve, et dévorent les feuilles à l'état adulte. La figure 609 représente l'Hylésine du pin. Les Scolytes sont quelquefois si nombreux dans les forêts que les arbres en sont tatoués dans toute leur étendue. En 1837, on fut obligé d abattre, dans le bois de Yincennes, vingt mille pieds de chênes, âgés de trente à quarante ans, qui étaient entièrement l. Métamorphoses des insectes, p. 116. 572 LES INSECTES. perdus par les ravages du Scolyte pygmée, dont la larve est repré- sentée ici (lîg. 610). Les Tomiques, velus, de couleur fauve, constituent un terrible fléau des forêts de pins. En 1783, dans la forêt du Hartz, on per- Fig. 609. H^lésine du pin. fig. 610. Larve de Scolyte (repliée). dit, par ces insectes , un million et demi d'arbres. Souvent les prêtres ont imploré, dans les églises, la clémence divine, pour mettre un terme aux dévastations exercées par les Tomiques. Nous arrivons à la tribu des Longicornes ou Capricornes, laquelle comprend de beaux insectes, aux formes élégantes et aux couleurs variées, parfois aussi d'assez grandes dimensions. Les Capricornes ont les antennes très-longues ; elles dépassent chez quelques-uns deux ou trois fois la longueur du corps. Leurs COLEOPTERES. 573 larves sont de gros vers blanchâtres, qui vivent dans le bois des arbres. Les insectes adultes fréquentent les fleurs, les arbres Fig. 611, Grand Capricorne (Cerambyx héros) et sa nymphe. pourris, etc. Au mois de juin, on rencontre sur les chênes fie Fig. G 12. Larve de grand Capricorne. grand Capricorne [Cerambyx heros^ fig. 611), d'un brun foncé, dont la larve (fig. 612) creuse ses galeries dans l'intérieur de l'arbre, et occasionne souvent de grands dégâts. Les Chrysomèles sont d'autres insectes phytophages, parés des plus vives couleurs, ayant des formes courtes et ramassées. Les larves, molles, ovoïdes, dévorent les feuilles des arbres. L'une des espèces les plus connues est celle du peuplier (fig. 613), de couleur bronzée, avec les élytres rouges, dont la larve, d'un gris verdâlre, déchiqueté les feuilles du peuplier. 574 LES INSECTES. Les Galéruques et les Altises appartiennent à la même famille, ainsi que les Cassides^ les Criocères, les Donacies. La Casside verte fréquente les chardons et les artichauts; on l'appelle aussi Scarabée tortue, à cause de la forme arrondie de ses élytres. La figure 614 représente la Criocère du Us. La Criocère de V as- perge, fauve et barrée de noir, a des habitudes semblables. Le dernière tribu des Coléoptères se compose des Coccinelles (fig. 615). Ces petites insectes, globuleux, lisses, rouges ou jaunes avec des points noirs, nous sont très-utiles, car ils débarrassent Fig. 613. Larve de Chrysomèle du peuplier. Fig. 614 Cnocere du lis, larve et adulte. Fig. 615. Coccinelle à sept pièces. Fig. 616. Larve grossie de Coccinelle. les arbres des pucerons, cochenilles et autres bêtes malfaisantes. Leurs larves (fig. 616) se servent de leurs pattes antérieures pour porter à la bouche les pucerons auxquels elles font la chasse. Quand un danger menace une Coccinelle, vite elle cache ses pieds sous son corps, et reste collée à la tige de l'arbuste. Si on la touche, elle se laisse tomber à terre. Parfois elle ouvre ses élytres, et s'envole rapidement. Elle peut aussi laisser suinter de la jointure de ses articulations un liquide jaune, mucilagineux, à odeur pénétrante et désagréable. C'est le seul moyen de défense de ce petit être inolfensif, qui mérite, à tous égards, le nom de Bête à bon Dieu, que les enfants lui ont donné. TABLE DES CHAPITRES. rajes. Introduction. — Structure générale des Insectes : la tête, le thoiax et l'abdo- men. — La peau chez les Insectes. — La digestion, la circulation et la respiration chez les Insectes parfaits. — Métamorphoses des In.secles : états d'œuf, de larve, de nymphe et d'insecte parfait. — La force des Insectes. — Classification I I. Ordre des Aptères. La Puce. — Les Puces savantes. — La Chique du Brésil. — Les Nègres du Brésil et leurs petits pédicures. — Le Pou. — Les victimes du phthyriasis 33 II. Ordre des Diptères. — Rôle des Diptères dans l'économie de la nature. — Leur organisation. — Le Cousin. — La Tipule. — Les Larves de Sciarra. — Le Taon. — Le Chrysops. — L'Asilique. — L'Anthrax, — Le Vermi- llon. — L'Hélophile. — L'Œstre. — Impression des chevaux piqués par un Œstre. — L'Œstre et les troupeaux de Bœufs. — Les Moutons et la Céphalémie. — La Lucilie hominivore. — La Lucilie et les déportés de Cayenne. — Un mendiant mangé par les mouches. — La mouche Tsetsé de l'Afrique centrale. — Observations du docteur Livingstone. — La Mouche de la viande ; merveilles de sa trompe. — La .Mouche domesti- que. — L'Anthomye. — L'Hélomyze. — Le Dacus des Olives. — Obser- vations de M. Guérin-Méneville sur le Dacus des Olives 42 IH. Ordre des Hémiptères. — Les Pentatomes. — Les diverses espèces de Punaises. — Le Réduve masqué. — L'Hydromètre. — La Nèpe cendrée. — La Ranâtre. — La Gorise. — Récolte du Hautle d^ins les hics du Mexi- que. — Le Notonecte. — La Cigale. — La Cigale dans l'antiquité. — Le bon la Fontaine mauvais naturaliste. — Le Fulgore porte-lanterne. Mlle Sibylle de Mérian à la Guyane. — L'Aphrophore. — Les Membraces. — Les Pucerons. — Observations de Ch. Bonnet sur la reproduction des Pucerons. — Amitié singulière des Pucerons et des Fourmis. — La Co- chenille; sa culture et sa récolte en Algérie IO7 ÎV, Ordre des Lépidoptères. — Étude générale des chenilles, des chrysalides •et des papillons. — Principaux papillons de jour et de nuit. — Hisloire de la soie. — Les nouveaux vers à soie. — Autres Lépidoptères utiles ou nuisibles ' jq,-, V. Ordre des Orthoptères. — Orthoptères coureurs : les Perce-Oreille. — Les Blattes. — Les Mantes. — Les Bléphares. — Les Kmpuses. — Les Phasmes. — Orlhoptère's sauteurs; les Grillons. — Les Sauterelles. — — Les Criquets, — Les invasiOns et les ravages des Criquets endifférents pays 324 576 TABLE DES CHAPITRES. Pages. VI. Ordre des Hyménoptères. — Les Abeilles, leur organisation et leurs mœurs. — L'Apiculture. — Les Mélipones. — Les Bourdons. — Les Guêpes. — Les Fourmis; leur organisation et leurs mœurs. — Les Gallinsectes . , . . 356 VIL Ordre des Névroptères. — Le Termite, son organisation et ses mœurs. — Ravages occasionnés en France par le Termite. — Les Perles et les Némoures. — L'Éphémère. — Les Cloës. — Les Libellules ou Demoiselles. — L'^shne. — Les Caloplérix. — Les Agrions. — Les Raphidies. — Les Mantispes. — Les Semblides. — Le Fourmi -lion. — Les Ascalaphes. — Les Hémérobes. — Les Panorpes. — Le Bittaque et le Borée. — Les Phryganes. — Le Rhyacophile et l'Hydropsyche 454 VIII. Ordre des Coléoptères. — Les Cétoines. — Les Goliaths. — Les Trichies. — Le Hanneton. — Ravages qu'occasionnent les larves du Hanneton. — Les Scarabées proprement dits. — Les Scarabées sacrés. — Les Bousiers. — Les Lucanes. — Les Sylphes. — Les Nécrophores. — Les Hydrophiles. — Les Dytiques. — Les Colymbètes. — Les Gyrins. — Les Carabes. — Les Calosomes, etc. , etc 490 INDEX ALPHABÉTIQUE DES NOMS DES PRINCIPALES ESPÈCES D'INSECTES CITES DANS CET OUVRAGE. A Abeilles 357 Acanthées l!2 Aconlhops 330 Acilius 535 jEshne 476 Agrions 476 Agriotes 564 Alexanor 207 Altise 574 Alucite des grains 318 Anostoslomes 341 Anthie 545 Anthomyie ... 100 Anihophore 413 Anthrax 66 Anthrène 531 Aphrophore 137 Apollon 208 Argus 213 Ascalaphe 481 Asile frelon 64 Ateuchus 515 Attacus 280 Attagène 531 Aurore 211 B Bacill de Rossi 332 Belle-Dame 219 Blaps .t^52 Blattes 326 Bombyle bichon 65 Bostriches 571 Bourdons 406 Bousiers 514 Brachycole robuste 329 Brachys 568 Bronzé 213 Bruche 570 Bupreste 507 G Calandre 571 Caloptéryx 476 Calosomes 541 Campyloc:iémis 546 Cantliaride- 554 Capricornes 572 Carabiens 539 Cassides 574 Cébrions 563 Céplialémie du mouton 80 Cétoines 493 Charançons 570 Charaxes Jasius 227 C^i^NI LES 165 Chiasognathe 524 Chionobas Aello 228 Chique 36 Chlorion 329 Choreutes 309 Chry-alides 174 Chr V sochroas 568 Chry somèles 573 Chrysops 64 Ciàndèles 548 Cigales 120 Citron 212 Clairon-fourmi 568 37 578 INDEX ALPHABÉTIQUE. CL t4 Clavi^ère 530 Clériens 568 Cloës 473 Coccinelles 574 Coccus 175 Coccyx 309 Cochenilles 155 Cochylis 309 Colymbfcites 535 Conops 84 Copiphores 341 Corise 118 Corydie 329 Cossus 297 Courtilières 337 Cousin 44 Créophiles 85 Criocères , . 574 Cténostomes 552 Cucuyos 564 Cybisters 534 Dacus des olives 103 Damaster . . Dectique. . Dernaestes. . Dicranures. Donacies... Driles Dytiques... 545 340 531 298 574 562 534 E Galérites 547 Galéruques 574 Galiérie de la cire 318 Gallinsectes 155 Gazé 209 Géotrupes 514 Glossine tsetsé 90 Goliath 499 Grillons 334 Guêpes 416 Gyrins 536 H Haliples.. •. 535 Hannetons 502 Harpales 547 Harpie du hêtre 298 Hélomyze de la trufle 102 Hélophiles 67 Hémérobes , 482 Hépiale du houblon 294 Hiljernie 205 Hospiton 207 Hydatiques 535 Hydromètre des étangs 115 Hydrophiles 532 Hydropores 535 Hydropsyches 488 Hygrobies , 536 Hylésines 57 1 Échinomie 86 Élatériens 563 Ëmpides 65 Empuses 330 Éphémère 47] Éphippigère des vignes 341 Épinectes 539 Érèbe chouette 299 Érébie Euryale 227 Érémiaphiles 330 Érémobie 354 Escarbot 524 Euchlore 512 Eucinètes 563 Inca treillissê 501 Jassus devastans. Julodis Kakerlacs ou Cancrelats. 140 568 328 Flambé 208 Forficule 325 Fourmi lion 480 Fourmis 427 Frelon 419 Fulgeor porte lanterne 130 Laccophiles 535 Lampy riens 560 Libellules...: 473 Lichénées 299 INDEX ALPHABÉTIQUE. 579 Liparis chrysorrhé 292 Livrée 289 Lucanes 521 Lucilie hominivore 87 Luciole d'Italie 561 Lycœnas 215 Lyqaes 562 M Machaon 204 Mantes 329 Manticores 551 Mantispes 479 Maréchaux 563 Mars (grand et petit) 226 Mégacéphales 551 Mélipones 406 Méloés 558 Mormolj'ce-feuille 547 Mouche dorée 87 Mouche de la viande 92 Mouche tsetsé 89 Mouche domestique 99 Mouche bourreau 100 Mouche des bœufs IL'O Moustiques 53 Mylabres 558 Nébries . . 545 Nécrobie 568 Nécrodes 526 Nécrophores 526 Némoures. Nèpe Noctuelles Notères. .. Notonecte . Nyssia 470 116 298 535 119 306 Panorpes , 484 Paons (le nuit 287 Papillons 195 Papillon du chou 210 Pégomyies . . 101 Pentatomes 108 Penthine du prunier '309 Perles 470 Petit Diable 141 Phalènes 301 Phanéropières 341 Phasmes 332 Phryganes. ' 485 Phyllies 332 Piérides 2ll Piméliens 552 Pissode 571 Platydactyles 337 Pneumores 354 Pœdisque bouclier 309 Pogonostomes 652 Poliste française 420 Polyomœates 213 Pou 37 Procères 544 Processionnaires 289 Procris 229 Procrustes 544 Psélaphe 530 Psychés 293 Ptilodactyles 563 Puce 33 Pucerons 141 Punaise 110 Pyrale de la vigne 313 Pyrophores 564 R Raphidies 479 Réduve masqué 113 Rhizotrogiies 512 Rhyacophiles 488 Richards. 567 Œcanthes 336 Œcophores 322 Œdie 309 Œstres 68 Ommexèque 3,54 Omophrons 544 Omus 552 Orgyies 291 OrtaliiJe du cerisier 103 Oryclès 513 Osmyle 484 Sanothryspée de Hervay 309 Saphis 535 Sarcophages 86 Satyre myrtil 228 Sauterelles et Criquets 339 Scarabées 514 Scarite géant 547 Sciara 58 580 INDEX ALPHABÉTIQUE. Scolytes 571 Scorpion aquatique 116 Semblides 479 Semi-Apollon 209 Séricore de Zincken 309 Sésie apiforme 229 Silches 525 Sitans 559 Smérinthes 243 Souci 212 Sphinx 229 Sphœries 336 Staphylins 529 Stomoxe 87 Sylvains 222 Syudèse 524 Syromastes 109 Théclas 212 Thérates . . 554 Tipiiles 55 Tomiques 572 Tordeuses 309 Trichies 500 Tridactyles 337 Trox . 514 Truxales , 354 Vanesses 216 Vermilion 66 Vers à soie 246 Volucelles 67 Taon ... 63 Taupin 563 Tèfles 545 Teignes 319 Ténébrion... 554 Termites 455 Tétralobites 564 Xylopode des forêts . Zérène du groseillier... Zeuzère du marronnier 309 S 06 294 Tétrix 354 Zygène de la filipendule FIN DE L INDEX ALPHABETIQUE. 10728. — Imprimerie générale de Ch. Lahure, rue de Fleurus, 9, à Paris. '•■r.p 'Xî \- K^ W' i^-7 i"!- p} Ea^ wt i;/..-^^ 1^^»a«;4:^'"=r