RECÊIVED A?" 3 0 1927 Ù HARVARD UNIVERSITY LIBRARY OF THE GRAY HERBARIUM Received . Or^ TTY I- • / -■ -c : , .. ^ r' f ■*• W‘: !> 50- ; ^ C '5** '%V' »&; I If « rfj; 'f- Â > « F : V ■ >•' I 3 a (TiMi. BIBUOTHBQÜE DES MERVEILLES POBLIÉE SODS LA. DIRECTIO:» DE M. ÉDOUARD GHARTON LES MERVEILLES DE LA VÉGÉTATION IMPRIMERIE GÉNÉRALE DE CH. LAHURE Rue de Fleurus, 9, à Paris V BIBLIOTHÈQUE DES MERVEILLES — LES MERVEILLES DE LA VÉGÉTATION PAR F. MARION ILLUSTRÉES DE 45 GRAVURES PAR E. LANCELOT PARIS LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET G" BOULEVARD SAINT-GERMAIN, N® 77 1866 * Tous droits réservés y';?-- ^ . ' . . . *' ■ ■ \ ^ -y' - ‘"'“fr A -‘'Vf '>V'! ''' ^ i ■ ,;■'. \}i> : i‘:.!i ; t"'"*' ;’ ■ ■ ■ -\,X .rv^fVvVV LES VEGETAUX MERVEILLEUX. INTRODUCTION Le but de ce petit livre est de mettre en évi- dence, par des exemples et des caractères sensibles, Tun des aspects de la puissance merveilleuse de la nature. Elle n’est pas encore assez connue, pas assez aimée, cette belle nature, dont nos goûts superficiels semblent nous éloigner de plus en plus ; elle nous devient chaque jour plus étran* gère, comme si la science, dont le but véritable est d’en approfondir les secrets, n’avait de valeur réelle que dans ses applications à Eindustrie ou à l’agrément de la curiosité humaine. Cependant c’est de notre communication plus intime avec la nature que dépendent les progrès de notre intel- 1 2 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, ligence, et peut-être aussi ceux de notre cœur; c’est de la connaissance de son action universelle que dépend l’élévation scientifique de notre esprit ; plus nous nous éloignerons d’elle, plus nous nous en isolerons, et plus aussi nous perdrons en va- leur intellectuelle; plus nous nous en rapproche- rons, mieux nous la comprendrons, et plus nous grandirons dans le savoir et dans la valeur. lf La grandeur et la beauté de la nature peuvent être étudiées dans toutes ses œuvres, car elles se manifestent jusque dans ses productions en appa- rence les plus insignifiantes. Sans doute, le spec- tacle imposant des révolutions célestes et des forces formidables qui sont en action dans le gouvernement des mondes, nous étonne par son étendue et par la puissance des actions qu’il nous révèle; mais la surprise qui naît en nous à la vue des grandeurs célestes tient plutôt à la supériorité comparative de celles-ci sur les pensées habituelles de notre esprit^ L’Auteur de la nature n’est pas plus grand dans la direction d’un soleil à travers les campagnes étoilées que dans la germination d’une plante ou dans la génération d’un être vi- vant j^pour lui, semer des étoiles par milliers dans les sillons du ciel ou répandre les semences légères des fleurs terrestres sur le sol humide, sont des œuvres également dignes d’attention, et qui revè- INTRODUCTION. 3 lent également l’action d’une intelligence infinie : - soustraire un globe rayonnant de vie au vol em- brasé des comètes échevelées, ou fermer la corolle tremblante à l’approche de la bise ou du brouil- lard; épanouir dans l’espace une nébuleuse riche de soleils ou décorer dans nos jardins nos arbres aux fleurs purpurines; présider à la formation des couches successives de l’écorce protozoïque d’un monde ou présider à celle d’un fruit mûris- sant; ce sont là des œuvres divines, et ce titre ne connaît pas de degrés en plus ou en moins.) Contempler la nature dans ses fleurs ou dans . ses étoiles, c’est donc s’élever à la notion du vrai par des voies diverses, c’est s’initier aux mystères de l’infini par des expressions différentes, c’est étudier le monde sous des aspects variés, c’est s’instruire dans la science de la nature par deux maîtres distincts, mais de la même école. ^ Se proposer de décrire complètement et indiffé- remment les Végétaux Merveilleux serait encore s’engager dans un vaste programme, car, d’après ce que nous venons de dire sur l’égalité des œu- vres de la puissance infinie, tout est merveilleux dans l’action de la nature, et les merveilles de la végétation embrassent la végétation entière. Sa- chons-le bien, la plus modeste d’entre les plantes, la fleur des champs qui se cache sous l’herbe 4 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, épaisse, et celles, plus inconnues encore, qui ap- partiennent au monde microscopique, sont tout aussi merveilleuses que les splendides orchidées, les cèdres séculaires, les tremblantes sensitives, les arbres empoisonnés. Mais ici comme en toutes choses, notre qualification se rapporte à nos im- pressions particulières. Par un effet de l’inertie de notre esprit, l’habitude a le don d’émousser notre sensibilité et de rendre moins vives les impressions qui se renouvellent fréquemment, de sorte que les objets qui, au premier abord, captivent le plus vi- vement notre attention et nous jettent dans la sur- prise la plus profonde, parviennent à la longue à passer inaperçus et ne réveillent plus notre atten- tion endormie. C’est ce qui constitue pour nous le degré apparent du merveilleux. L’inconnu, le nou- veau, nous frappera toujours et nous attirera sans cesse; à mesure que les choses deviennent plus connues, plus familières, elles perdent le don de nous émerveiller. Cependant, au point de vue de l’absolu, deux objets d’égale valeur ne sauraient évidemment subir de modification réelle, suivant qu’ils deviennent plus ou moins accessibles à l’ob- servation humaine. ~ Si l’un de nous arrivait aujourd’hui pour la première fois sur la terre, revenant d’un monde étranger au nôtre, quelle ne serait pas sa sur- INTRODUCTION. 5 prise, à son réveil, .de voir se manifester autour de lui toutes ces actions nombreuses qui consti- tuent l’ensemble de l’œuvre naturelle ! A l’aurore de l’année comme à l’aurore d’un beau jour, le printemps joyeux réveille les forces latentes et décore d’une nouvelle parure le monde dépouillé par la main de l’hiver ; le ciel renaît, son azur baigne au loin l’horizon transparent, la brise aérienne caresse les bourgeons naissants des plan- tes, le soleil verse du haut du ciel son rayonne- ment fécond, la verdure renaît, arbres et fleurs tressaillent sous le frémissement de la vie nou ■ velle, et depuis les dernières zones de la végéta- tion sur les montagnes, jusqu’aux plaines ver- doyantes, la joie et la lumière célèbrent en tous - lieux la renaissance de la vie. Quelle merveilleuse transformation s’est opérée ! Ces arbres de nos vergers, ces forêts entières, qui n’offraient, il y a quelques mois à peine, que des troncs décharnés, des tiges dénudées, des objets immobiles etinertes, que la mort semblait avoir exilés pour jamais du cercle de la vie, les voilà qui reverdissent, se revêtent de feuilles nouvelles, et bientôt répan- dront leur ombre et leur paix sur l’asile profond des retraites champêtres. L’habitude de voir chaque année renouveler la même merveille, nous em- pêche de l’apprécier dans sa grandeur et de recon- 6 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, naître en elle la manifestation de forces prodi- gieuses ; mais songeons un instant à l’aspect de l’hiver et à celui de la saison qui lui succède, et nous nous étonnerons de voir ces choses chaque jour sans les honorer d’un regard d’attention, d’une pensée observatrice. "■ Que serait-ce, si à. la contemplation générale du grand mouvement printannier et estival, nous fai- sions succéder l’observation spéciale de chaque espèce de végétaux? Que serait-ce si nous nous appliquions à suivre dans son mouvement indivi- duel chacune de ces plantes si diverses qui embel- lissent la surface du globe? Deux espèces diffé- rentes n’agissent pas de la même manière, et depuis la naissance des premières feuilles jusqu’à la maturité de leurs fruits, elles offrent chacune un spectacle différent. Telles plantes gardent hum- blement leurs fleurs cachées à tous les regards et semblent oser à peine laisser voir leur tige et leurs feuilles ; d’autres au contraire ne paraissent nées que pour l’éclat et la lumière, et déploient aux regards éblouis la parure étincelante de leur ri- chesse et de leur magnificence; d’autres encore semblent posséder un caractère plus sérieux et, dédaigneuses de la frivolité de leurs compagnes, ne révèlent leur existence qu’à l’époque où les fruits mûrs consacrent leur utilité. Ici l’œil s’é- INTRODUCTION. 7 tonne de la vigueur séculaire d’un chêne immor- tel qui, du temps de nos pères, a vu passer le col- lège des druides sous l’avenue sombre des forêts et méconnaît le nombre des hivers; les vents et les tempêtes ne saumient ébranler le colosse aux racines profondes. Là, c’est à peine si la main peut se permettre de légères caresses, et le baiser d’un petit oiseau brillant sur le front de la sensitive trouble sa timidité offensé^ Mais nous n’avons pas encore ouvert le monde merveilleux des cou- leurs ! Quel pinceau reproduira ces nuances va- riées, qui sont la parure des fleurs splendides? - Quoi ! nous foulons aux pieds dans les prairies les petites fleurs qui se cachent dans l’herbe; sur les bords du ruisseau dont le murmure nous attire, les corolles purpurines se penchent; au pied des grands arbres protecteurs se cachent ces petites violettes au parfum si doux ; mais toutes les beautés du monde des plantes restent inaperçues, nous passons auprès de la blancheur du lys su- perbe sans détourner le regard , et les charmants petits boutons de rose qui vont s’entr’ouvrir, s’é- veilleront à la vie sans qu’un regard humain soit là pour les contempler. Cependant les œuvres des hommes dans leur expression la plus glorieuse, offriront-elles jamais des beautés comparables aux plus modestes beautés de la nature ? 8 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. Mais les jeux splendides de la lumière solaire sur le tissu des plantes, qui constituent leurs cou- leurs et leurs nuances harmonieuses, ne sont-ils pas surpassés encore par la richesse des parfums dont les fleurs gardent en leur sein le riche trésor? -^Ne semble-t-il pas ici que les fleurs sont les plus opulentes des créatures, que la nature s'est plue à les enrichir de ses dons les plus admirables, et qu’elle les aime avec prédilection? Brises embau- mées du soir, qui descendez des coteaux en fleurs, souffles parfumés qui tombez des bois, de quelles propriétés êtes-vous donc dépositaires, et quelle est votre influence sur l’âme agitée par les troubles du monde ? Il semble que vous n’appartenez plus à la matière et qu’il y a en vous certaine vertu spirituelle qui nous fait songer au ciel. N’êtes-vous pas inaccessibles, en effet, aux grossières observa- tions de notre industrie ? Quels poids et quelles mesure^ pourrait-on appliquer à votre essence, et de quelle façon nos sens pourraient-ils recon- naître votre nature ? “1 11 est donc vrai de dire que tout est merveilleux dans le monde végétal, et qu’en décrire les mer- veilles c’est se proposer une description entière. Mais puisqu’il est également vrai, comme nous l’avons rappelé plus haut, que notre attention s’é- mousse et s’attiédit sur les objets offerts habituel- INTRODUCTION. 9 lement à nos regards, puisqu’il est vrai que le merveilleux apparent est constitué pour nous par l’inconnu, par le nouveau, c’est dans cet ordre que nous choisirons nos exemples pour réveiller notre curiosité oublieuse. Nous irons au delà du cercle de notre observation de chaque jour, et les faits que nous remarquerons posséderont peut-être l’attrait de la nouveauté — du moins relativement à nos pensées habituelles — et si nous n’avons pas la faculté de nous intéresser aux choses qui nous en- tourent, allons plus loin. Le voyage est un bon maître, suivons-le. f ■ t)i f 7* ' ' \ 1 ' ^ i ‘ : ; ;■ ^ j !:T?5^yM » .V. rfeiV'V'î.- »’^'*:,,î' '■■ • |. r., . ' ? i.vcM%>4uM->iv;tvr '"’Kî'nf-' ■' ■ .’ > "■?■ ' ■ '■ ''' ■; .V . '-'f ;' ;■? ■‘ ■•".•>•• Ai'.: fr' :. 4 Le pin de montagnes. PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE I. Idée générale de la distribution géographique des plantes à la surface du globe. (La parure végétale qui enveloppe le globe ter- restre n’offre pas dans son ensemble une unité de caractère indépendante des diverses contrées ; au contraire, chaque climat possède sa physionomie propre de végétation, certaines espèces sont spé- cialement affectées à certaines contrées ; les unes se plaisent sur le sol brûlant des tropiques ou dé- 12 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, veloppent à profusion leurs richesses dans les fo- rêts chaudes et humides de l’Équateur ; d’autres craignent l’ardeur du soleil et choisissent les ré- gions tempérées ou les terres du Nord. C’est ce qui donne à chaque pays sa physionomie caractéris- tique. Des trois règnes de la nature, le végétal est celui qui caractérise le mieux une contrée. Les roches et les montagnes gardent une même forme de l’équateur aux pôles, et leur aspect ne saurait donner à aucun pays une physionomie particu- lière. Les espèces animales malgré leurs variétés, offrent un aspect trop mobile et trop insaisissable pour arriver au même effet. C’est la distribution géographique des plantes qui influe le plus puis- samment sur notre esprit , en traçant en lui l’image des localités qu’elle favori seules arbres et les fleurs , la physionomie des champs et des prai- ries, des coteaux et des plaines, les formes et les nuances des feuilles, la grandeur des végétaux, constituent une mise en scène au milieu de la- quelle nous nous trouvons, et à laquelle nous ap- par^nons comme si nous en faisions partie inté- grante. Aussi, c’est en cela surtout que consiste le paysage, c’est là surtout l’aspect de notre pays, et bien souvent au milieu des longs voyages dans la nature tropicale si riche et si féconde, le voyageur cherche les formes regrettées des arbres de son pays, sentant palpiter son cœur lorsqu’une plante. DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE. 13 une fleur de la patrie, naît sous ses pas et lui rap- pelle de lointaines images. ^La principale cause qui préside à la géographie botanique, à la distribution variée des plantes sui- vant les contrées du globe, c’est la température. Ici comme dans le concert tout entier de l’harmo- nie de la vie terrestre, c’est le soleil qui règne en souverain; c’est lui qui dirige l’orchestre, mar- quant une mesure tantôt lente et solennelle, tantôt légère et brillante. Deux cent mille espèces végé- tales se partagent la surface terrestre ; une grande loi préside à ce partage, la loi de la température ; et nous allons reconnaître que nulle autre force ne saurait rivaliser avec celle-là. Si nous considérons un instant la terre comme une sphère tournant sur elle-même, autour d’une ligne idéale passant par son centre, nous appelle- rons pôles les deux points du globe où cette ligne aboutit : à ces deux points le mouvement est presque insensible ; et nous donnerons le nom d’équateur au grand cercle perpendiculaire à la ligne précédente, et qui coupe la sphère en deux hémisphères du côté de chaque pôle. Or, comme les rayons du soleil sont d’autant plus obliques qu’ils s’éloignent davantage de l’équateur, il s’en- suit que la chaleur est au maximum à l’équateur, et décroît jusqu’aux pôles où elle est minimum’. A 1 . Pour rexplication des causes de ces variations de tempéra- 14 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. cette décroissance correspond la distribution géo- graphique des plantes.^ A l’équateur et dans les régions tropicales cjui l’avoisinent, on rencontre les hautes formes des végétaux immenses, tels que les baobabes, les mangliers, les palmiers, les élégantes fougères arborescentes, les aloès, les bruyères, les plantes riches et rayonnantes qui aiment et cherchent l’influence de l’astre radieux. En nous éloignant des climats brûlants, nous ren- controns le^ oliviers, les lauriers, les mimosas, les t bambous. .^Continuons notre route vers le pôle; voici les magnolias, les châtaigniers, les coton- niers, les charmes. Marchons encore ; parvenus aux latitudes de la France et de l’Europe moyenne, nous trouverons le chêne, le hêtre, le bouleau. Forme, nos arbres fruitiers, nos céréales. Si nous poursuivons nos observations vers les contrées septentrionales, nous rencontrons aux limites de la végétation, le sorbier, le frêne, le sapin, le pin, les conifères , les végétaux précédents se sont ar- rêtés à diverses latitudes : le chêne, le noisetier, le peuplier à 60“, le hêtre, le tilleul à 63“ ; les coni- fères eux-mêmes ne dépassent pas le 67' degré. Au delà du 70' quelques saules rabougris se ren- contrent çà et là. Plus loin, au Spitzberg, au delà ture suivant la latitude, voyez la division astronomique du globe dans le volume de cette collection intitulé: les Merveilles Célestes. (P. 305.) DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE. 1 5 du 75® degré, il n’y a plus un seul arbre; les ar- bustes et les plantes sont eux-mêmes disparus ; le blé est mort, l’orge et l’avoine ne dépassent pas le 70' parallèle^ La physionomie locale de la géographie des plantes dépend comme on voit de la température normale de chaque climat; nous allons étendre ce principe à un autre mode de distribution végé- tale, et ce double point de vue sera suffisant pour nous faire connaître dans son ensemble la flore terrestre. Au lieu de voyager de l’équateur aux pôles, nous allons simplement gravir une haute montagne, et, chose digne d’attention, la distribution des plantes va nous apparaître dans le même ordre, suivant l’échelle thermométrique des altitudes. On saitque plus on s’élève dans l’atmosphère et plus la tempé- rature s’abaisse, et cet abaissement est si rapide qu’une ascension de quelques minutes en ballon ou de quelques heures sur une montagne, suffit pour faire passer par tous les degrés de tempéra- ture décroissante, depuis 20 ou 30 degrés de cha- leur, à la plaine, jusqu’à 10 ou 20 degrés au-des- sous de zéro dans les hauteurs de l’atmosphère. Par suite de cette loi de décroissance, toutes les montagnes du globe ont une température plus basse à leur sommePqu’à leur base, et l’on peut compter dans leurs productions végétales toutes 16 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, les zones caractéristiques que l’on compte en al- lant de l’équateur aux pôles. On pourrait donc, par exemple, comparer les deux hémisphères ter- restres à deux montagnes appuyées l'une contre l'autre par leur base au cercle de l’équateur; leurs sommets sont couverts de neiges éternelles, des espèces végétales spéciales se succèdent depuis la limite tropicale jusqu’à la limite polaire. Nous donnerons une idée juste de cette succes- sion des espèces végétales, en rapportant l’une des ascensions de M. Ch. Martins, de Montpellier, qui partage avec Humboldt, Hooker et quelques bota- nistes célèbres, la gloire des progrès réalisés dans la géographie végétale, science née au commence- ment de ce siècle. Voici les observations faites dans l’ascension du mont Ventoux, en Provence. Nous choisissons cet exemple parce qu’il appartient à notre pays. « Élevons-nous sur le versant sud, dit le profes- seur de Montpellier, celui qui se confond à sa base avec la plaine du Rhône : toutes les plantes de la plaine appartiennent à la région la plus basse; elle se caractérise très-bien par deux arbres, le pin d’Alep et l’olivier. Le premier ne dépasse pas 430 mètres au-dessus du niveau de la mer , le se- cond monte plus haut, mais ne dépasse pas 500 mètres. Sous ces arbres on rencontre toutes les espèces méridionales qui caractérisent la végé- DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE. 17 tation de la Provence : le chêne Kermès, le roma- rin, le genêt d’Espagne. Une zone étroite succède à celle-ci : elle est caractérisée par le chêne vert qui ne dépasse guère 56 mètres. Au milieu des taillis, on trouve la dentelaire d’Europe, le génevrier cade, etc. Une région dépourvue de végétaux arborescents vient immédiatement après les deux premières. Le sol est nu, pierreux, généralement inculte; cepen- dant çà et là on remarque des champs de pois chiches, d’avoine ou de seigle, dont les derniers sont à 1030 mètres au-dessus de la Méditerranée. Mais un arbrisseau, le buis, deux sous-arbrisseaux, le thym et les lavandes, une autre lobiée herba- cée, le nepeta graveoleus, dominent pour la taille et le nombre. Les hêtres montent jusqu’à 1660 mè- tres. A cette hauteur, les dépressions sont peu pro- fondes et les arbres exposés à l’action déprimante du vent qui les couche sur le sol ne sont plus que d’humbles buissons. A la hauteur de 1700 mètres, le froid est trop vif, l’été trop court, et le vent trop violent pour que le hêtre puisse encore subsister. Aussi sur le Ven- toux, comme dans les Alpes et les Pyrénées, un arbre de la famille des conifères est le dernier re- présentant de la végétation arborescente. C’est une espèce de pin assez basse, appelée pin de mon- tagne. Ces pins s’élèvent à plusieurs mètres de 2 18 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, hauteur dans les endroits abrités, et deviennent des buissons touffus dans les endroits exposés au vent : ils montent jusqu’à la hauteur de 1810 mè- tres, et forment la limite extrême de la végétation arborescente. La flore nous enseigne donc, au défaut du baro- mètre, que nous touchons à la région où cette vé- gétation a disparu, mais où le botaniste retrouve avec ravissement les plantes de la Laponie, de l’Is- lande et du Spitzberg. Dans les Alpes, cette région s’étend jusqu’à la limite des neiges perpétuelles, séjour d’un éternel hiver; mais le Ventoux ne s’é- levant qu’à 1911 mètres, son sommet appartient à la partie inférieure de la région alpine des Alpes et des Pyrénées. A cette hauteur, tout arbre a dis- paru, mais une foule de petites plantes viennent épanouir leurs corolles à la surface des pierres ou des rochers. Ce sont les pavots à fleurs orangées, la violette du mont Cenis, l’astragale à fleurs bleues, et tout à fait au sommet, le paturin des Alpes, l’euphorbe de Gérard et la vulgaire ortie qui apparaît partout où l’homme construit un édifice. C’est dans les escarpements du nord que l’on re- trouve la saxifrage, qui habile les sommets alpes- tres à la limite des neiges perpétuelles couvre les rivages glacés du Spitzberg. » Ainsi, que l’on voyage des chaudes contrées de l’équateur aux climats rigoureux du pôle, ou que GÉOGRAPHIE DES PLANTES. 19 Ton s’élève des plaines tempérées aux sommets neigeux des montagnes, on reconnaît pour loi dis- tributive des espèces végétales, la force calorifique qui vient du soleil. A chaque espèce son degré de chaleur préféré. Le bouleau nain résiste à des froids de — 40 degrés, les orchidées sont glacées à + iO®- D’RR autre côté, chaque espèce réclame pour entrer en végétation une somme de chaleur spéciale; de plus, une fois en végétation, il lui faut une provision de chaleur pour fleurir et mûrir. Pour que notre précieuse céréale, le blé, nous donne ses lourds épis d’or qui font la richesse des moissons, il lui faut une provision de 2000 degrés accumulés à la longue, de jour en jour, depuis les premiers rayons du soleil printanier. A la grappe brunissante dont les vendanges joyeuses dépouil- lent Fautpmne, il faut plus encore : près de trois mille degrés de chaleur. C’est pourquoi chaque vé- gétal montre une préférence pour telle localité, telle température, pourquoi les années modifient le rapport moyen des espèces suivant l’abondance de la chaleur, pourquoi chaque région du globe offre une physionomie végétale spécifique selon la moyenne thermométrique qui la caractérise. végétation sous les tropiques CHAPITRE IL Tableau de la nature végétale sous les tropiques. Pour se faire une idée approchée de la valeur et de la magnificence de la nature végétale, ce n’est pas en nos contrées tempérées ou sous le ciel boréal que l’observateur doit s’établir, mais bien aux pays aimés du soleil, où la nature vit encore dans toute sa sève et rayonne dans tout son éclat, où la terre garde comme un musée vivant des richesses disparues pendant l’immense succes- sion des âges primitifs. Nous suivrons à cet effet quelques voyageurs, que la science et la poésie ont VÉGÉTATION TROPICALE. ‘21 à la fois inspirés dans leur contemplation du monde. «ï La végétation déploie ses formes les plus ma- jestueuses sous les feux brûlants qui rayonnent du ciel des tropiques, dit A. de Humboldt dans son grand ouvrage sur les « Tableaux de la nature. » Dans le pays des palmiers, à la place des tristes lichens ou des mousses qui, vers les régions gla- ciales, recouvrent Técorce des arbres, le cymbi- dium et la vanille odoriférante se suspendent aux troncs des anacardes et des figuiers gigantesques. La fraîche verdure du dracontium et les feuilles profondément découpées du pothos contrastent avec les couleurs dont brillent les fleurs des or- chidées. Les bauhinia grimpants, les passiflores, les banistères dorés enlacent les arbres de la forêt et s’élancent au loin dans les airs. Des fleurs déli- cates sortent des racines du îheobroma et de l’é- corce rude des crescentia et des gustavia. Au milieu de cette végétation luxuriante, dans la confusion de ces plantes grimpantes, l’observateur a souvent peine à reconnaître à quelle tige appartiennent les feuilles et les fleurs: Un seul arbre entrelacé de paullinia, de bignonia et de dendrobium, forme un groupe de plantes qui, séparées les unes des autres, suffiraient à couvrir une espace considé- rable de terrain. {Les plantes sous les tropiques sont f)lus abon- 22 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. dantes en sucs, leur verdure est plus fraîche, leurs feuilles sont plus grandes et plus brillantes que dans les pays du nord. Les plantes sociales, qui rendent si uniforme la végétation européenne, manquent complètement aux régions équinoxiales. Des arbres, près de deux fois aussi hauts que nos chênes, portent des fleurs qui égalent nos lis en grandeur et en éclat. Sur les rives ombragées du Rio-Magdalena, dans l’Amérique du Sud, croît une aristoloche grimpante, dont les fleurs ont quatre pieds de circonférence ; les enfants s’amusent à s’en faire une coiffure. La fleur du rafflesia a près d’un mètre de diamètre, et pèse plus de six kilo- grammes et demi ‘.J « La hauteur extraordinaire à laquelle s’élèvent, près de l’équateur, non-seulement des montagnes isolées, mais des contrées tout entières, et l’abais- sement de la tempépature, qui est la conséquence de cette élévation, procurent à l’habitant de la zone torride un spectacle extraordinaire. En même temps qu’il contemple des buissons de palmiers et de bananiers, il est entouré de formes végétales qui ne semblent appartenir qu’aux contrées du nord. Des cyprès, des sapins et des chênes, des épines-vinettes et des aunes très-semblables aux 1. Voy. dans la seconde partie du livre, la description du Rafflesia Arnoidi, VÉGÉTAUX DES TROPIQUES. 23 nôtres, couvrent les plateaux du Mexique méri- dional et la partie des Andes qui traverse Téqua- leur. Ainsi, la nature permet à l’habitant de la zone torride de voir réunies, sans quitter le pays où il est né, toutes les formes végétales de la terre, de même que d’un pôle à l’autre la voûte du ciel déploie à ses regards tous ses mondes lumineux. Ces jouissances et beaucoup d’autres sont encore refusées aux peuples septentrionaux. Un grand nombre d’étoiles et de formes végétales, les plus belles précisément, telles que les palmiers, les fougères à haute tige, les bananiers, les graminées arborescentes et les mimoses aux feuilles délicates et pennées, leur restent éternellement inconnues. Les plantes maladives qui sont enfermées dans nos serres ne représentent que très- imparfaite- ment la majesté de la végétation tropicale; mais dans la perfection du langage, dans la fantaisie brillante du poète, dans l’art imitateur du peintre, sont des sources abondantes de dédommagements où notre imagination peut puiser les vivantes imagesdelanatureexotique. Sous les climatsglacés du Nord, au milieu des landes stériles, l’homme peut s’approprier tout ce que le voyageur va de- mander aux zones les plus lointaines, «et se créer au-dedans de lui-même un monde, ouvrage de son intelligence, libre et impérissable comme elle. » A cette esquisse due au grand fondateur de la 24 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. géographie des plantes, nous ajouterons des im- pressions non moins poétiques, non moins élevées, dues au laborieux auteur des « Scènes de la nature sous les tropiques. » Elles continuent dignement les perspectives ouvertes par Humboldt. « Sur les bords des lacs et des fleuves, dit Ferdinand Denis, la chaleur du soleil mettant en action l’humidité bienfaisante de ces vastes réservoirs, donne des formes gigantesques à la végétation. Les arbres qui s’élèvent à peine en d’autres endroits à la sur- face de la terre, prenant majestueusement leur essor, embellissent bientôt les rivages dont ils at- testent la fertilité. L’Amazone, le Gange, le Mé- chascébé, le Niger roulent leurs eaux au milieu de vastes forêts qui, se succédant d’âge en âge, ont toujours résisté aux efforts des hommes, parce que la nature n’a point connu de bornes dans tout ce qui pouvait perpétuer sa grandeur. Il semble en effet qu’elle ait choisi les rives de ces fleuves im- menses pour y déployer une magnificence incon- nue en d’autres lieux. J’ai remarqué dans l’Amé- rique méridionale que les arbres, en prenant un plus grand accroissement près des rivières, don- nent un aspect particulier aux forêts : ce n’est plus la nature dans un désordre absolu ; il semble que sa force et sa grandeur lui aient permis de répandre une sorte de régularité imposante dans la végétation. Les arbres, en s’élevant à une hau- LES TROPIQUES. 25 teur dont les regards sont fatigués, ne permettent plus aux faibles arbrisseaux de croître. Mais la voûte des forêts s’agrandit; les troncs énormes qui la supportent forment d’immenses portiques en étalant majestueusement leurs branches ; elles sont chargées à leur sommet d’une foule de plantes parasites dont l’air paraît être le domaine, et qui viennent mêler orgueilleusement leurs fleurs aux feuillages les plus élevés. Ici souvent, près de l’humble fougère, une liane flexible entoure en serpentant l’arbre immense, le couvre de ses guirlandes, l’unit à tous les grands végétaux qui l’environnent, et semble braver l’éclat du jour avant d’embellir la mystérieuse obscurité des lieux qui Font vu naître. » Dans les forêts moins majestueuses où les rayons du soleil pénètrent aisément, l’on découvre dans la végétation une variété extrême, qui se montre à une distance bien moins considérable. Parmi tous les voyageurs qui ont décrit les forêts dans leurs détails, il n’en existe peut-être point de plus exact que Leprince de Neuwied. « La vie, la végétation la plus abondante, dit-il, sont répandues partout, on n’aperçoit pas le plus petit espace dépourvu de plantes. Le long de tous les troncs d’arbre, on voit fleurir, grimper, s’en- tortiller, s’attacher les grenadilles, les caladium, les poivres, les vanilles, etc. Quelques-unes des 26 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, tiges gigantesques chargées de fleurs paraissent de loin blanches, jaune foncé, rouge éclatant, roses, violettes, bleu de ciel. Dans les endroits maréca- geux, s'élèvent en groupes serrés sur de longs pé- tioles les grandes et belles feuilles elliptiques des heliconia, qui ont quelquefois huit à dix pieds de haut, et sont ornées de fleurs bizarres, rouge foncé et couleur de feu. Des tiges énormes de bromelia, à fleurs en épis, couvrent les arbres jusqu’à ce qu’elles meurent, après bien des années d’existence, et déracinées par le vent, tombent à terre avec grand bruit. Des milliers de plantes grimpantes de toutes les dimensions, depuis la plus mince jusqu’à la grosseur de la cuisse d’un homme, et dont le bois est dur et compact, s’entrelacent autour des arbres, s’élèven^usqu’à leurs cimes où elles fleu- rissent et portent leurs fruits sans que Thomme puisse les y apercevoir. Quelques-uns de ces végé- taux ont une forme si singulière, par exemple cer- tains banisteria, qu’on ne peut pas les regarder sans étonnement. Quelquefois le tronc autour du- quel ces plantes se sont entortillées, meurt et tombe en poussière. L’on voit alors des tiges colos- sales entrelacées les unes les autres en se tenant debout, et l’on devine aisément la cause de ce phénomène. Il serait bien difficile de présenter fidèlement le tableau de forêts, car l’art restera toujours en arrière pour le dépeindre. » Végétation tropicale. i HARMONIES DES TROPIQUES. 29 Il y a dans les forêts du Nouveau-Monde une harmonie pafaitement d’accord avec ce qui frappe les regards ; comme tout est grand, imposant et majestueux, le chant des oiseaux ou le cri des divers animaux a quelque chose de sauvage et de mélancolique. Ces cadences brillantes et soute- nues, ce gazouillement léger, ces modulations si vives et si gaies se font entendre moins fréquem- ment que dans nos climats, ils sont remplacés par des chants plus graves et surtout plus mesurés. Tantôt c’est une voix qui imite le coup retentissant du marteau sur l’enclume, quelquefois les oreilles sont frappées d’un son qui ressemble à ce bruit que fait en se brisant les cordes d’un violon. Enfin, il existe dans les forêts des sons étranges qui vous font tomber dans un profond étonnement. Mais souvent au coucher du soleil, quand les oiseaux ont cessé leurs chants, on entend au sommet des arbres les plus élevés un bruit qui remplirait d’é- pouvante si l’on ignorait ce qui le cause. Des mur- mures semblables à la voix humaine annoncent que les guaribas ‘ tiennent une de ces assemblées qui ont lieu pour saluer l’astre du jour. Leurs ac- cents prolongés de la manière la plus funèbre ont fait croire à quelques hommes peu accoutumés à réfléchir, que ces animaux rendaient un hommage 1 . Simia Beelzebut. 30 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, à Satan et lui payaient un tribut qu'il exigeait. Ce chant a quelque chose d'imposant à l’heure où le jour finit, il agrandit la scène en la remplissant de tristesse. Si le jaguar et le tigre noir poussent leurs rugissements , ils remplissent la forêt d’un bruit majestueux, mais qui fait naître l’inquiétude. Les animaux paisibles, en les entendant, se taisent tout à coup, comme s'ils craignaient de mêler leurs voix à ces accents de domination. Si le vent vient alors à souffler avec plus de violence, qu'il agite la cime élevée des arbres, qu’il courbe en mugissant les palmiers, qu’il mêle avec bruit leurs festons de lianes, qu’il s’engouffre dans les som- bres profondeurs de ces forêts primitives, il en sort un murmure si funèbre, que l’admiration disparaît pour faire place à la terreur. [ Parmi les grands végétaux qui sollicitent l’atten- tiôn du voyageur et qui font de la nature tropicale un spectacle tout à fait étrange pour l’Européen, nous choisirons les plusremarquables, soitaupoint de vue de leur beauté et de leur grandeur, soit au point de vue des services que les indigènes savent instinctivement leur demander. Ce dernier aspect surtout sera d’une utilité profonde pour nous : il nous donnera une idée de la puissance et de la facilité avec lesquelles la nature procède dans ses œuvres, et par lesquelles elle sait varier les effets et les causes, suppléer à toutes choses, re- Foréi au Brésil. LA PLANTE ET LA VIE. 33 nouveler sans cesse la face de la vie. Pour n’en présenter qu’un exemple en rapport direct avec les descriptions qui surent, nous rappellerons que si la plante et l’animal sont l’alimentation de l’homme, cette alimentation varie nécessairement suivant les contrées; lorsqu’un certain mode de vie n’est plus possible à cause des climats et du sol, ce mode de vie change, et la vie n’est pas sus- pendue pour cela ; elle est le but su prême des forces de la nature , et sa loi est de se manifester sous toutes les formes possibles. /En France, par exemple, et dans l’Europe seprentrionale, les cé- réales et le blé en particulier, sont notre pain de chaque jour, l’orge et le maïs étendent son règne. Le vin, la bière, le cidre, servent de boissons selon les contrées. Mais pour que le blé germe en épis, il faut qu’il gèle pendant l’hiver; sans cela il monte en herbe et reste infécond. Or, dans les pays chauds, il n’y a pas d’hiver, les saisons, très- marquées aux latitudes lointaines, s’effacent à mesure qu’on s’approche de l’équateur, et sous les tropiques, le blé, ni aucun céréale ne sauraitgeler. Croira-t-on que pour cela, ces régions seront inha- bitables? Point du tout. Là où le blé ne germe plus, d’autres espèces végétales viennent le remplacer; le pain et le vin de chaque jour seront donnés par les fruits des arbres; le lait descendra d’une sève lactifère; les fruits de nos contrées seront suppléés 34 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, par les fruits d’un nouveau climat. Choisissons les types essentiels de ces végétaux précieux, et si nous ne pouvons les visiter dans leur patrie, faisons-les du moins comparaître devant nous afin qu’ils nous racontent leur histoire. Arbre à pain à Tahiti. CHAPITRE III. Arbre à pain. Nous inaugurerons cette histoire en présentant certains végétaux curieux, qui remplissent dans des pays essentiellement différents du nôtre par leur sol et leur climat, le rôle que remplissent chez nous certaines espèces animales domestiques , ou cer- tains arts d’application quotidienne. Tels sont, par exemple, les arbres à lait, les arbres à pain, et ceux qui gardent pour le voyageur une eau limpide ou quelque boisson fortifiante. Le pain étant le premier aliment de chaque jour, 36 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, nous parlerons d’abord d’une certaine espèce de figuier qui sert à la fois d’agriculteur, de moisson- neur, de meunier et de boulanger pour nos anti- podes de rOcéanie. Les anciens aimaient à considérer la nature comme un être personnel distinct du monde, doué de raison et de volonté, et parmi les titres dont ils la qualifiaient, le nom de Mère universelle est celui que les poètes ont le plus souvent et le plus chèrement célébré. Ce beau nom, sans doute , est justifié par l’action même de la nature sur tous les êtres vivants, bienveillance maternelle dont elle couvre tendrement les enfants sans nombre auxquels incessamment elle ouvre les portes de l’existence. Sans doute, les rayons fécondants du soleil sur les coteaux brunis, la pluie bienfaisante sur les sillons et les prairies, le chaud tapis de neige que l’hiver étend sur la terre glacée, la ro- sée du matin et la brume vaporeuse du soir, ce sont là autant de formes de Faction permanente de la nature, disons même de l’attention de l’uni- verselle Providence. Mais outre cette action im- partiale et sans préférence qui se rapporte indis- tinctement à toutes choses existantes, le voyageur philosophe remarque parfois des exemples spé- ciaux qui peuvent mettre ce caractère mieux en évidence que l’examen général des lois abstraites de la nature. ARBRES A PAIN. 37 Parmi ces exemples qui révèlent plus spéciale- ment cette face heureuse du grand être, nous pré- senterons Y arbre à pain découvert dans les îles de rOcéanie. Cet arbre précieux est classé dans le genre des jaquiers (artocarpi) , de la famille des figuiers ; ses feuilles sont simples, entières ou dé- coupées, et les fleurs très-petites , incomplètes ; les unes manquent de corolle, les autres de calice. Toutes se développent sur le même arbre, à l’ex- trémité des rameaux. Le véritable arbre àpain est \e jaquier à Feuilles dé- coupées. Nous disons le véritable, car ce genre ren- ferme plusieurs autres espèces qui, malgré leur organisation remarquable, ne jouissent pas despro- priétés de la première. Ainsi, il y a \e jaquier hétéro- phille : ses feuilles et ses fleurs sont plus petites que dans les autres espèces , mais ses fruits sont peut-être les plus gros qu’un arbre puisse porter ; ils présentent quelquefois un tel poids, qu’un homme peut à peine les soulever; ils sont cou- verts de tubercules courts, taillés en pointe de diamants ; on s’en nourrit et l’on en fait griller les noyaux comme des châtaignes, mais la digestion en est difficile. Il y a encore \q jaquier des Indes^ dont le tronc est très-gros, dont la cime rameuse est couverte d’un épais feuillage et dont les fruits me- surent jusqu’à dix-huit pouces de longueur sur fjuinze de large. Les voyageurs ne sont pas d’ac- 38 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, cord sur ses qualités. Rheede leur attribue une odeur et une saveur agréables, Commerson , au contraire, ne put se résoudre à en mettre un seul morceau dans sa bouche. « Des goûts et des cou- leurs on ne dispute pas, » dit un vers fort souvent cité; cependant on ne peut guère expliquer ces opinions extrêmes, à moins de croire que lesdits voyageurs, comme tant d’autres, hélas! ont parlé de choses qu’ils ne connaissaient pas. Une troi- sième espèce, c’est le jaquier velu, le plus élevé de ceux de son genre. Son bois sert à la menuiserie et aux constructions navales. Les Indiens en creu- sent le tronc pour en faire des pirogues dont quel- ques-unes mesurent quatre-vingts pieds de lon- gueur sur neuf de largeur et servent à de longs voyages en mer. j^Revenons à notre véritable arbre à pain. Les voyages dans l’Océanie l’ont rendu célèbre, et des expéditions furent entreprises, qui n’avaient d’au- tre but què l’acquisition de quelques pieds de ce végétal précieux, pour en doter l’ancien et le nou- veau monde. Nous rapporterons tout à l’heure la plus remarquable de ces expéditions. Voici les ca- ractères distinctifs de cet arbre. Le tronc est droit, de la grosseur du corps, et s’élève en décrivant quelques sinuosités à une hau- teur de quarante pieds environ; sa cime, ample et arrondie , couvre de son ombre une étendue de ARBRES A PAIN. 39 trente pieds de diamètre. Le bois est jaunâtre, mou et léger. Les feuilles, grandes, sont décou- pées en sept ou neuf lobçs ; c’est là un des carac- tères distinctifs de l’espèce. Le même rameauporte les deux espèces de fleur^ (^Le fruit, ou le pain porté par cet arbre , e.st glo- buleux, plus gros que les deux poings, raboteux à l’extérieur; ces rugosités affectent des formes géo- métriques, ce sont ordinairement des hexagones et des pentagones juxtaposés, et formant de petits triangles par leurs interstices. Sous la peau, qui est épaisse, on trouve une pulpe qui pendantle mois qui précède la maturité est blanche, farineuse et un peu fibreuse ; elle change , étant mûre, de couleur et de consistance, devient jaunâtre, succulente ou gélatineuse. L’île d’Otahiti, la plus fertile en arbres à pain, porte des arbres dont les fruits sont sans noyau ; les autres îles de l’Océanie produisent des variétés plus agrestes qui contiennent des noyaux anguleux presque aussi gros que des châtaignes.^ La vue dessinée en tête de ce chapitre repré- sente, sur le plan de droite, l’aspect de l’Arbre à pain et de ses fruits. I^On récolte les fruits de cet arbre pendant huit mois consécutifs. Les insulaires s’en nourrissent comme nous faisons de notre pain fabriqué, c’est leur aliment journalier, et la nature le leur fournit, comme on voit, sans qu’il leur soit né- 40 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. cessaire de labourer, de semer, de moissonner, de battre , de moudre , de pétrir. Pour manger leur pain frais, ils choisissent le degré de matu- rité où la pulpe est farineuse, ce que Ton recon- naît par la couleur de Fécorce. La préparation qu’on leur fait subir consiste à les couper en tranches épaisses que Fon fait cuire sur un feu de charbon.) — On se rappelle que leur grosseur égale à peu près celle de deux poings : ils ressemblent un peu aux pains anglais , d’une livre, qu’affec- tionnent particulièrement nos voisins d’outre- Manche.Au lieu de les faire cuire sur le charbon, on les met aussi au four chauffé, comme nous le fai- sons pour notre pâte, et on les y laisse jusqu’à ce que Fécorce commence à noircir. On racle en- suite la partie charbonnée : c’est du pain trop grillé dont on enlève l’excédant. L’intérieur est blanc, prêt à l’alimentation, tendre comme de la mie de pain frais, d’un goût peu différent de celui du pain de froment, avec un léger mélange de celui du cœur d’artichaut. Comme il leur faut naturellement du pain pour tous les jours, et que l’arbre n’en produit que pendant les deux tiers de Fannée, les Océaniens profitent de l’époque où les fruits sont plus abondants qu’il ne faut pour la consommation journalière , et de l’excédant ils préparent une pâte qui fermente et qui peut être conservée très-longtemps sans subir d’altération ARBRES A PAIN. 41 acide. Pendant les quatre mois du repos des ar- bres, on se nourrit de cette pâte que l’on a fait cuire au four^ Nous donnerons maintenant ta relation de l’ex- pédition anglaise commandée par le capitaine Bligh, destinée à aller chercher l’arbre à pain d’Otahiti pour en planter les colonies tropicales de la Grande-Bretagne et servir à la nourriture des esclaves. Ce voyage mérite ici une mention particulière. Les récits de Bougainville, de Cook et d’autres explorateurs, avaient donné la plus haute opinion des avantages qui résulteraient de la culture de l’arbre à pain. Les colons anglais demandèrent à leur gouvernement cet arbre merveilleux ; celui- ci accéda, et prépara un excellent vaisseau de deux cent cinquante tonneaux, sous le comman- dement de M. Bligh, alors simple lieutenant, et qui devint plus tard amiral de la Grande-Bre- tagne. Le commandant était bien choisi, ayant accompagné Cook dans ses voyages, et donné preuve mainte fois , de talents et de bravoure. Partie en 1787, dix mois après son départ l’expé- dition abordait à Otahiti. Les insulaires l’accueil- lirent avec empressement ; plus de mille pieds d’arbres à pain furent mis dans des pots et des caisses, et embarqués avec une provision d’eau suffisante pour les arroser. Cinq mois plus tard on 42 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, voguait en pleine mer pour le retour. Mais, mal- gré les plus heureux auspices dont Texpédition jusqu’alors avait paru protégée, elle devait avoi un dénoùment fatal. C’est là un de ces exemple heureusement rares de la révolte d’un équipage et de la position.désespérée d’un capitaine livré à la merci d’un peuple d’aventuriers au milieu des flots muets. Vingt-deux jours après le départ, la ma- jeure partie de l’équipage ayant tramé contre le commandant le complot le plus lâche, s’emparèrent de Bligh pendant son sommeil, ainsi que de dix-huit amis qui lui étaient restés fidèles. Ils les mirent dans une chaloupe avec quelques vivres et des in- struments, les laissèrent isolés au milieu de l’Océan et montèrent sur le vaisseau, qui bientôt se perdit hors de vue à l’horizon inaccessible. Bligh et ses (compagnons firent preuve, au milieu de leurs fa- tigues et de leurs souffrances, d’un courage surhu- main. Un seul succomba à la fatigue. Ils abordèrent Ceupan, dans l’île de Timor, après douze cents lieues de navigation en chaloupe. Le gouverneur hollandais les reçut avec intérêt, et bientôt douze d’entre eux furent en état de se rendre en Eu- rope. Bligh obtint justice en Angleterre, fut bientôt promu au grade de capitaine et chargé d’une nou- velle expédition plus considérable. Celle-ci réussit à souhait, et deux ans après les deux vaisseaux de l’expédition jetaient l’ancre , ayant à bord douze ARBRES A PAIN. 43 cents pieds d’arbres à pain et sans avoir perdu un seul homme de leurs équipages. Les esclaves ne se montrèrent pas aussi bien dis- posés qu’on le supposait à accepter ce fruit comme nourriture ; les Européens diffèrent des nègres, et ceux-ci préfèrent toujours le banane. Il faut dire qu’ils se nourrissent de ce fruit sans lui faire su- bir grande préparation, tandis que les colons an- glais préparent le pain du jaquier de diverses manières, suivant les savants préceptes de la cui- sine anglaise. ( Les vieillards de Tahiti attribuent l’origine de l’arbre à pain à une légende touchante. Dans un moment de grande disette, un père mena sur les montagnes ses nombreux enfants et leur dit: «Vous allez m’enterrer à cette place, puis vous viendrez me retrouver demain. » Les enfants obéirent, puis étant revenus le len- demain, ainsi que cela leur avait été commandé, ils furent très-surpris de voir que le corps de leur père s’était métamorphosé en un grand arbre. Ses doigts de pieds s’étaient allongés pour former des racines; son corps fort et robuste jadis, consti- tuait le tronc; ses bras tendus s’étaient changés en branches et ses mains en feuilles. Sa tête chauve enfin , était remplacée par un fruit suc- culent./ Cette légende nous rappelle le septième cercle 44 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. de l’enfer du Dante, où les âmes qui furent violen- tes sur la terre se voient sous la forme d’arbres vivants, dont les membres se tordent comme les branches d’arbres desséchés. Mais peut-être préfé- rons-nous la légende naïve des îles primitives à ces imaginations d’outre-tombe. Là c’est le règne des vivants, tandis qu’ici c’est le règne des morts. Les arbres à lait. Dès la découverte du nouveau monde, par Co- lomb, les explorateurs s’empressèrent de faire in- time connaissance avec les nouveaux pays qui s’ou- vrirent devant eux, et ne tardèrent pas à rapporter en Europe la description des espèces vivantes, ani- males ou végétales. Si l’on voulait ajouter foi aux relations merveilleuses de ces premiers temps, de- puis Marco Polo jusqu’à Magellan, on pourrait avec le livre des Merveilles, trouver des hommes à tête de chien et des sapins parlants; mais ce n’est pas de ces merveilles fabuleuses dont nous devons nous entretenir ici. Il s’agit des espèces naturelles, dé- crites dès ces premiers voyages. Dès 1505, on en- tend déjà parler des sarigues, des picaris, singes à queue prenante; du maïs et du manioc, plantes précieuses pour l’alimentation, du mancenillier. ARBRES A LAIT. 45 plante perfide, des bambous et des palmiers, ar- bres majestueux et pleins d’élégance, des cactus- raquettes et des cierges épineux, végétaux à la forme bizarre. Cependant quelques espèces, et des plus rares, furent longtemps oubliées, quoiqu’elles appartins- sent aux premières contrées découvertes et quoi- qu’elles eussent dû attirer l’attention par les Arbre de la vache. caractères spéciaux qui les distinguent. De ce nombre est Y Arbre à lait dont nous venons de don- ner un petit dessin. Cet arbre, nommé par les voyageurs Palo de vaca, Arbre de la vache, est l’un des plus remarquables de l’Amérique équinoxiale, et cependant l’Europe ignorait encore son existence au commencement de notre siècle. C’est le 1" mars 1800 que MM. de 46 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. Hiimboldt et Bonpland eurent occasion de l’obser- ver dans la ferme de Barbula dans leur expédition aux vallées d’Aragua. Un ancien écrivain, Lact, en avait dit quelques mots dans son Novus orbis : « Dans la province de Cumana, avait-il écrit, il y a des arbres qui , lors- qu’on entame leur écorce, laissent couler une ré- sine aromatique , d’autres un suc qui ressemble à du lait coagulé, qui peut être pris comme aliment. » Cette indication unique était comme on voit , fort incomplète, jusqu’au jour où M. de Humboldt donna les relations que nous allons résumer. « En revenant de Porto Cabello, nous nous arrê- tâmes de nouveau à la plantation de Barbula. Nous avions entendu parler depuis plusieurs se- maines d’un arbre dont le suc est un lait nourris- sant. On l’appelle palo de vaca, et on nous assurait que les nègres de la ferme qui boivent abondam- ment de ce lait végétal, le regardent comme un aliment salutaire. Tous les sucs laiteux des plantes étant âcres , amers et plus ou moins vé- néneux, cette assertion nous parut très-extraordi- naire. L’expérience nous a prouvé qu’on ne nous avait point exagéré les vertus du palo vaca. Lorsqu’on fait des incisions dans le tronc de cet arbre, il donne un lait gluant, assez épais, dé- pourvu de toute âcreté , et qui exhale une odeur de baume très-agréable. On nous en présenta dans ARBRES A LAIT. 47 des calebasses ; nous en bûmes des quantités con- sidérables, le soir avant de nous coucher, et de grand matin, sans éprouver aucun eflet nuisible. La viscosité de ce lait le rend seule un peu désa- gréable. Les nègres et les gens libres qui travail- lent dans les plantations le boivent en y trempant des gâteaux de maïs et de la cassave. Le major- dome de la ferme nous assura que les esclaves engraissent sensiblement pendant la saison où le palo de vaca leur fournit le plus de lait. « Parmi le grand nombre de phénomènes curieux qui se sont présentés à moi dans mon voyage, ajoute le savant voyageur, il y en a peu dont mon imagination ait été aussi vivement frappée que de l’aspect de l’Arbre de la vache. Tout ce qui a rap- port au lait, tout ce qui regarde les céréales, nous inspire un intérêt qui n’est pas uniquement celui de la connaissance physique des choses, mais qui se lie à un autre ordre d’idées et de sentiments. Nous avons de la peine à concevoir que l’espèce humaine puisse exister sans substances farineuses, sans le suc nourricier que renferme le sein de la la mère, et qui est approprié à la longue faiblesse de l’enfant. La matière farineuse se trouve non- seulement répandue dans la graine, mais déposée dans beaucoup de racines*, et même dispersée 1. Surtout dans les renflements ou tubercules, comme dans la pomme de terre, la patate, l’igname, le manioc, etc. 48 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. entre les fibres ligneuses de certains troncs b Quant au lait, nous sommes portés à le considérer comme exclusivement produit par Torganisation animale. Telles sont les impressions que nous avons reçues dès notre première enfance, telle est aussi la source de Fétonnement qui nous saisit àFaspect de l’arbre dont nous parlons. « Sur le flanc aride d’un rocher, croît un arbre dont les feuilles sont sèches et coriaces; ses grosses racines pénètrent à peine dans la terre. Pendant plusieurs mois de l’année, pas une ondée n’arrose son feuillage ; les branches paraissent mortes et desséchées; mais lorsqu’on perce le tronc, il en découle un lait doux et nourrissant. C’est au lever du soleil que la source végétale est la plus abon- dante. On ^oit alors arriver de toutes parts les noirs et les indigènes munis de grandes jattes pour recevoir le lait qui jaunit et s’épaissit à la surface. Les uns vident leurs jattes sous l’arbre, d’autres les portent à leurs enfants. On croit voir la famille d’un pâtre qui distribue le lait de son troupeau. » Ne trouvez-vous pas un caractère singulier à ce tableau d’une vie lointaine, si différente de la nôtre 1. Dans le Ironc de certains palmiers des Indes qui fournissent le Sagou, et de quelques palmiers américains qui fournissent un aliment aux tribus sauvages de la Guyane. ARBRES A LAIT. 49 dans ses aspects généraux et par la race des indi- gènes et qui pourtant offre ce côté de ressemblance dans les usages de la vie domestique? Les plantes lactescentes appartiennent surtout aux trois familles des euphorbiacées, des orticées et des apocynées; mais dans presque toutes, à l’é- mulsion laiteuse, se trouvent mêlés des principes âcres ou délétères dont le suc du palo de vaca est exempt. Cependant , les genres euphorbia et as- clépias oflraient déjà des espèces dont le suc est doux et innocent. Ainsi, aux Canaries se trouve le tabaïba (euphorbe balsamique) dont Pline nous parlait déjà sous le nom de férula, comme don- nant, quand on la presse , une liqueur agréable au goût, à Ceylan se trouve l’asclépias lactilère, dont le lait est employé à défaut de lait de vache. Busman raconte que l’on fait cuire avec ses feuilles les aliments que l’on prépare ordinairement avec du lait animal. Ce lait végétal naturel dont nous parlons offre en outre d’autres points d’affinité et de ressem- blance avec le lait animal. Ainsi, abandonné à l’air libre, il ne tarde pas à se couvrir d’une mem- brane résistante semblable à la pellicule qui re- couvre le lait qui vient de bouillir. Cette mem- brane devient bientôt assez épaisse et on l’écrème pour la garder séparément .'lous le nom même de fromage, que l’on conserve pendant une semaine. 4 50 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. Quoique plusieurs espèces de végétaux lactifères fournissent du caoutchouc, ce lait n’en renferme pas de trace, et l’élasticité des fromages dont nous venons de parler n’est pas différente de l’é- lasticité de nos fromages. L’analyse chimique de ce lait montre en lui une grande analogie avec le lait animal; le beurre y est remplacé par une cire fort belle et très-abondante, car elle forme la moi- tié en poids du suc, le caséum, par une substance animalisée qui a beaucoup de rapport avec la fibrine du sang , et le sérum, par un liquide aqueux contenant un peu de sucre et un peu de sel de magnésie. Sur le feu , le lait végétal se comporte comme le lait animal. Une pellicule formée h la surface s’oppose au dégagement, le lait s’enfle et monte, tendant à se répandre au dehors du vase qui le renferme. Si l’on enlève cette pellicule à mesure qu’elle se forme et qu’on maintienne l’action d’une douce chaleur, le suc prend la consistance de la frangipane; puis on voit apparaître à la surface des gouttes huileuses comme celles qui se mon- trent à la surface de la crème tenue trop long- temps au feu. Il arrive à la fin que cette partie grasse baigne entièrement le caillot fibreux, le- quel répand alors exactement l’odeur du rôti. Cet arbre se trouve principalement dans la val- lée de Caucagua, dans les Cordillères du littoral. ARBRES A LAIT. 51 et aux environs du lac de Valence. A Gaucagua, les indigènes le nomment Arbol de leche (ar])re à lait), et prétendent reconnaître à la couleur et à Tépais- seur du feuillage les troncs qui renferment le plus de sève, comme le pâtre distingue à des signes ex- térieurs une bonne vache laitière. On a classé cet arbre parmi les figuiers urticés, et on fa nommé Brosinum galactodendron. En 1829, le voyageur Smith, parcourant les bois de la Guyane, cherchait partout farbre dont M. de Humboldt avait donné une si curieuse description, et s’adressait à tous les guides pour avoir des nou- velles d’un arbre à lait quelconque. Il avait bien rencontré des végétaux lactescents, mais la saveur âpre de leur sève n’avait pas grand rapport avec le lait, et la métaphore n’eût pas été fondée. Enfin, se trouvant un jour dans un petit village indien, si- tué près des premiers rapides du Pemerary, il en- tendit parler d’un arbre nommé Hya-hya, dont le lait, disait-on, était agréable au goût et nourris- sant. Empressé de vérifier le fait, le voyageur envoya un Indien à la recherche d’un de ces ar- bres. L’Indien s’était non-seulement acquitté de la commission de son maître, mais il avait encore abattu l’arbre, et celui-ci était tombé au travers d’un ruisseau qu’il blanchissait par son lait. Un couteau enfoncé dans l’écorce fit immédiatement 52 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. Jaillir un large filet auquel l’Indien colla ses lèvres. .M. Smith but après lui et trouva le lait excellent ; il était, dit-il, plus épais et plus riche que le lait de vache, entièrement exempt d’âcreté ; tout ce qu’il avait d’un peu déplaisant, c’était de laisser les lè- vres un peu collantes. — « Gomme je passai la nuit dans le village, ajoute le narrateur, je pus, le len- demain, avoir pour mon café une tasse de ce lait, qui remplaçait si bien le lait de vache, que per- sonne n’en eût pu faire la différence, car cette lé- gère viscosité que je lui avais trouvée en le goû- tant, ne se faisait plus sentir dans le mélange. » Le lait coule plus abondamment si on l’en- tame transversalement ou obliquement que si l’entaille est longitudinale. L’écorce du hya-hja est grisâtre, légèrement rude, et épaisse de six à sept millimètres; il faut la traverser complètement pour faire sortir le lait. Cet arbre est bien diffé- rent du palo de vacca, ses feuilles sont elliptiques et disposées par couples. La composition chimique de son lait diffère également de celle du lait de l’arbre précédent; il est moins nourrissant. On a classé cet arbre dans le genre Tabernæmon- lana, dont une espèce, le Taberna echinata de Cayenne, était déjà indiquée comme fournissant un suc laiteux. Outre ces deux espèces remarquables d’arbres à lait appartenant à l’Amérique, on a étudié dans ARBRES A LAIT. 53 le port de Fera, où tant de vaisseaux européens viennent jeter Tancre, un arbre à lait, non moins remarquable, désigné chez les Indiens sous le nom de Masaranduba, C’est un des plus* grands arbres des forêts du Brésil; il fournit un bois très-recher- ché par les constructeurs de navires. Il fleurit en février, et donne un fruit délicieux, dont le goût rappelle celui des fraises assaisonnées à la crème. Une incision dans le tronc fait jaillir un lait blanc parfaitement liquide, d’un goût agréable et sans odeur. Les indigènes s’en nourrissent habituelle- ment. L’état-major de l’équipage le Chanticlcer^ dont le chirurgien, Webster, fit le premier con- naître le masaranduba, l’employa constamment pendant son séjour, comme du lait ordinaire, dans le thé et le café. Cet arbre est très -élevé; son écorce est d’un brun foncé ; ses feuilles sont grandes et ovales. L’équipage ayant conservé de ce lait en des bou- teilles bouchées, au bout de deux mois il s’était séparé en deux parties, l’une liquide, opaline et d’o- deur légèrement aigre; l’autre, solide, blanche, insi- pide, insoluble dans l’eau et dans l’alcool, fondant à 70L Cette subs:ance brûle en donnant une flamme verte et brillante ; elle paraît composée en grande partie de cire, et ne pas contenir la matière animalisée, qui est si abondante dans le caillot du palo de vaca. 54 LES VP:GÉTAUX MERVEILLEUX. L’arbre qui portait le lait, que nous venons de décrire, est le galactadendron dulce, de la famille du figuier. Mais Ton connaît dans la mon- tagne du littoral, plusieurs arbres qui donnent un suc laiteux et que l’on confond souvent avec celui-ci. Par exemple, dans les environs de Maca- raïbs, le clusia galactodendron laisse couler avec abondance une sève lactescente très-agréable ; toutefois, ce lait ne paraît pas renfermer autant de matière animalisée; du moins il ne se purifie pas sensiblement, et à la place de la matière cireuse, on obser^une substance moins fusible, et qui par sa nature se rapproche des résines. On rencontre dans les mêmes régions du globe Yhura crepitans^ dont la sève laiteuse renferme aussi une matière azotée qui est analogue au glu- ten; mais ce suc contient une base alcaline cristal- lisable qui la rend résineuse; on s’en sert en Amé- rique pour pêcher en empoisonnant les cours d’eau. Arbre à manne. Au mois d’août, époque des grandes chaleurs, où la sève est la plus abondante, on tire de cet ar- bre une substance nutritive, et d’un goût un peu âpre, qui sécrétée naturellement par le végétal, lui MANNE. 85 a fait donner un nom qui rappelle l’alimentation miraculeuse des Hébreux dans le désert. La manne est une substance liquide et limpide comme un filet d’eau; elle s’échappe ainsi de l’arbre qui lui donne naissance, lorsque, à dater du milieu d’août, on fait une incision qui en traverse l’écorce. Généra- lement, on commence au pied de l’arbre, et jour par jour, on fait une nouvelle incision de deux pouces en deux pouces jusqu’aux branches infé- rieures ; ces incisions faites, avec une serpette ou un ciseau de menuisier, ont deux pouces de lar- geur horizontale, et environ un demi-pouce de profondeur. Pendant la première époque, cette sève abon- dante coule comme un filet liquide; au bout d’un mois on remarque déjà qu’elle devient plus épaisse, plus lente, et sort difficilement. La saison plu- vieuse interrompt la récolte ; vers la fin de sep- tembre, la chaleur du jour n’est déjà plus assez puissante pour faire monter la sève, qui se refoule au pied de l’arbre. La manne perd peu à peu la saveur un peu amère qu’elle possède au moment où on la tire de l’é- corce, ses parties aqueuses se sont évaporées ; il lui reste même un goût assez fade qui n’a rien d’appétissant. Cet arbre est classé parmi les variétés du frêne commun (fraxinus ornus). Il est originaire de la 56 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. Sicile et du midi de Tltalie. Sa hauteur normale est de vingt pieds; à première vue, on le prendrait pour un jeune orme, mais Taspect des feuilles montre bientôt son espèce. On compte trois varié- tés de cet arbre ; sur la première les feuilles sont longues et droites comme celles du pêcher, sur la seconde, elles ressemblent à celles du rosier, les feuilles de la troisième participent aux caractères de Tune et de l’autre. La manne de Calabre esttrès-estimée, et la plus renommée du pays est celle que produisent les jardins d’OEnotrie. Une tradition populaire raconte que les rois de Naples ayant voulu enclore ces jar- dins et soumettre à un impôt la récolte de la manne, celle-ci tarit tout à coup, comme si les arbres eus- sent été soudain frappés de stérilité, et elle ne revint qu’après la suppression de l’impôt injuste- ment établi. L’arbre du voyageur. Urania speciosa. C’est surtout à Madagascar que l’on rencontre cette espèce de palmier parmi les raffias aux ieuilles foncées, de cinq mètres de long, dont les indigènes font si grand prix. Ils croissent dans l’in- térieur des terres plus favorablement que sur la L arbre du voyageur. ;v^ r ■ ■ ..; ’■'/ . ?.?''7i; ---s ', -!'■ ,. L’ARBRE DU VOYAGEUR. 59 côte, et leur aspect produit une diversité agréable au milieu des bambous aux touffes délicates. Les voyageurs se sont généralement accordés dans les témoignagesde sympathie qu’ils ont donnés à cet arbre , par suite desquels \urania speciosa vit changer son nom pour un titre plus amical. Les descriptions rapportent, en effet, que ce végétal croît principalement dans les régions où l’eau manque, et qu’il est revêtu de la propriété fort utile de garder aux voyageurs une eau limpide et ra- fraîchissante. Ses grandes et larges feuilles recour- bées,adhérant au tronc principal, forment une ca- vité végétale où l’eau peut s’amasser et séjourner, et les passants peuvent s’y désaltérer. Ce fait, pour être fort acceptable, n’a cependant pas reçu d’una- nimes adhésions. Mme Ida Pfeiffer, qui fit trois fois le tour du monde, n’a pu vérifier l’exactitude de cette assertion ; elle rapporte même que les natu- rels du pays ne sont pas du même avis, et qu’ils prétendent que ce palmier ne vient que sur un sol humide. Cette île, si vaste et si riche de Madagascar, n’est pas encore suffisamment explorée pour que les botanistes puissent dire leur dernier mot à l’é- gard de ses productions végétales. Les palmiers raffias dont nous parlions tout à l’heure, sont plus élégants que les précédents; leurs longues feuilles se recourbent en ornements et au sommet de ces colonnes végétales, qui res- 60 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, semblent aux piliers d'un édifice, retombent en arabesques recourbées. En observant cet arrange- ment et en se souvenant des édifices d'Orient, on est involontairement porté à croire que cette ar- chitecture végétale a fourni le type original des colonnes byzantines; l'harmonie de ce temple na- turel semble inviter les pensées au recueillement et à la prière, mieux peut-être que les arceaux de pierre qui viennent se joindre hermétiquement sur nos tètes et arrêter l'essor des âmes sous la voûte des basiliques immobiles? L’arbre saint de l’île de fer. « Au plus haut du pays, sont des arbres qui tou- jours dégouttent eau belle et claire qui chet en fossettes auprès des arbres, la meilleure pour boire qu’on ne sauroit trouver. » Ainsi s’expriment les historiens de la Conquête des Canaries au sujet de l’arbre saint de l’île de fer. » Cardan l’a mentionné comme une muraille végé- tale, se plaisant à voir en lui aussi bien et mieux qu’en toutes choses un phénomène quelque peu magique. Le chancelier Bacon s’en est de même occupé dans son Novum organum; mais, ne sacliant comment expliquer le genre de distillation qu’ii présentait, il prit le parti de tout nier, jusqu’à l’existence même de cet arbre. ARBRES A EAU. 61 Abren-Galindo, qui voulut examiner par lui- même c'et arbre extraordinaire, en a donné la des- cription. Son tronc a 12 palmes de circonférence, 4 de diamètre, et 30 ou 40 pieds de hauteur. La tête, qui est ronde, a 120 pieds de tour. Les bran- ches sont très-ouvertes et touflues ; son fruit res- semble à un gland avec son capuchon. Il ne se dé- pouille jamais de ses feuilles, c’est-à-dire que la feuille sèche ne tombe que quand la jeune est for-* mée, et cette feuille est comme celle du laurier, dure et luisante, mais plus grande, courbée et as- sez large. Il y a tout autour de l’arbre une grande ronce qui entoure aussi plusieurs de ses rameaux; et aux environs sont quelques hêtres, des landiers et des buissons. Chaque jour, dans la matinée, des vapeurs et des nuages s’élèvent de la mer. Ils sont portés par le vent d’est, qui est le plus fréquent dans cet en- droit, contre les roches qui les retiennent. Ces va- peurs s’amoncellent sur l’arbre qui les absorbe, et coulent en eau, goutte à goutte, sur ses feuilles polies. La grande ronce, les hêtres, les landiers et les arbustes qui sont autour distillent de la même manière. Plus le vent d’est règne, plus la récolte d’eau est abondante; on ramasse alors plus de vingt fûts d’eau douce. Un homme qui garde l’ar- bre en fait la distribution aux habitants. Cet arbre a plus d’importance encore que de sin- 62 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. gularité, car sans lui, l’île manquerait à peu près d’eau potable. On dit, que faute d’eau, les bestiaux y sucent, pour se désaltérer, les racines d’une plante nommée garnona, qui paraît être Yasphodèle^ et qu’ils boivent même de l’eau de mer. Dopper rapporte que lorsque les Européens se présentèrent pour faire la conquête de l’île, les indigènes avaient entouré l’arbre saint d’une barrière de branchages, âlîn qu’il ne fût pas remarqué des étrangers. Les Européens se fussent retirés, si une femme n’avait révélé à un soldat français le secret de l’arbre et sa position. L’arbre saint dont ont parlé les historiens de la conquête, n’existe plus aujourd’hui ; un ouragan l’a déraciné au dix-septième siècle, et procès-ver- bal fut dressé de ce malheur public; mais les in- digènes n’eurent pas l’industrie de reproduire l’arbre précieux, soit par graine, soit par bouture. Il appartient à la famille des lauriers. Borg de Saint-Vincent l’a nommé laurus indica^ le docteur Boulin, laurus fœteus. Les indigènes le nomment garvé. Des sceptiques ont prétendu que cet arbre n’avait pas même existé; mais il n’offre, en résumé, rien d’inacceptable. D’autres végétaux remplissent un rôle analogue. On peut même dire qu’en géné- ral les arbres agissent comme de véritables alam- bics, distillant par leur action réfrigérante les va- peurs contenues dans l’atmosphère. C’est là tout le L’arbre saint de l’îlede Fer. ARBRES DISTir.LATEURS. 65 secret de Farbre merveilleux. Aujourd’hui encore, les pâtres se procurent de l’eau potable en creu- sant au pied des troncs de certains arbres de même qu’en basse mer il suffit de creuser un trou dans le sable pour avoir autant d’eau qu’on en dé- sire; au pied des arbres, une eau distillée de- meure, et lorsqu’on a formé une ouverture, cette eau provenant de la rosée et des brouillards ne tarde pas à les remplir. 5 Le palmier. CHAPITRE IV. LES PALMIERS, LE DATTIER. Après les arbres qui précèdent, plus curieux que remarquables par leur Importance, il est de droit d’ouvrir notre description du monde végétal par l’illustre et antique famille des palmiers. La dynastie des palmiers, pour nous servir d’une expression de Linné, règne sur les contrées tropi- cales de la terre, et se placent au premier rang des végétaux. Cette suprématie leur est acquise par leur richesse, leur beauté et leur élégance, et plus encore par l’importance des services qu’ils rendent é LES PALMIERS. 67 aux habitants des tropiques. Les palmiers se char- gent en effet de subvenir aux besoins de l’existence, fqjlrnissent le pain, l’huile et le vin, et par surcroît, les vêtements, les objets usuels et jusqu’aux maté- riaux de construction. Par leur forme, leur aspect, aussi bien que par leur structure, ces végétaux diffèrent essentielle- ment de ceux de nos contrées. Une seule tige, droite et svelte, s’élève à la hauteur de quinze, vingt et vingt-cinq mètres au-dessus du sol ; complètement nue, aucune branche, aucune feuille ne se montre dans toute sa hauteur ; au sommet seulement, un immense panache, formé de longues feuilles com- posées, que tout le monde connaît sous le nom de palme, couronne la colonne végétale; la longueur de cette touffe peut atteindre de trois à quatre mè- tres ; c’est à la naissance de ces longues feuilles que se montrent les fruits du palmier. Cette description sommaire se rapporte principalement au dattier, que l’on a nommé le prince des palmiers, et par extension, le prince du règne végétal. Originaire de l’Arabie et de l’Afrique septentrionale, le dattier est l’arbre par excellence des oasis. Par son om- brage rafraîchissant, par son fruit, par son lait, par son utilité générale, il s’est assuré la sympathie des voyageurs, ausssi bien que l’affection des indi- gènes. Le dattier, dit M. Ch. Martins, est l’arbre nour- 68 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. ricier du désert; c’est là seulement qu’il mûrit ses fruits ; sans lui le Sahara serait inhabitable et inhabité. La poésie arabe en a fait un être animé créé par Dieu le sixième jour, en même temps que l’homme. Pour exprimer à quelles conditions il prospère, l’imagination des Sahariens exagère le vrai afin de le rendre plus palpable. « Ce roi des «oasis, disent-ils, doit plonger ses pieds dans l’eau « et sa tête dans le feu du ciel. » La science consacre cette affirmation, car il faut une somme de chaleur de 5100“ accumulée pendant huit mois pour que le dattier mûrisse parfaitement ses fruits. La somme de chaleur est-elle moindre, les fruits nouent, mais ils grossissent à peine, restent âpres au goût et privés de la fécule et du sucre qui constituent leurs propriétés nutritives. Le climat du Sahara réalise ces conditions, ajoute le savant botaniste. La température moyenne de l’année doit être de 20 à 24", suivant les localités. Les chaleurs commencent en avril et ne cessent qu’en octobre. Pendant l’été le thermomètre at- teint souvent 45“ et même 52“ à l’ombre; c’est ce que l’on observa, par exemple le 15 août 1850 et le 17 juillet 1863 à Tougourt. L’hiver est re- ativement froid.... Les dattiers supportent par- faitement un froid nocturne sec et passager de 6“ au dessous de 0, et une chaleur de 50". Le sable du désert, qui rayonne beaucoup, se re- LE DATTIER. ô9 froidit plus que Tair et conserve à quelques décimè- tres de profondeur une certaine fraîcheur qui se communique aux racines des arbres. Les pluies sont rares dans le Sahara; elles tombent en hiver et provoquent le réveil de la végétation desséchée par les chaleurs de Tété. Quelquefois elles sont tor- rentielles, mais de courte durée. A Tougourt et à Ouargla, des années entières se passent sans qu’il tombe une goutte d’eau. Comprend-on maintenant la reconnaissance des Arabes pour l’arbre aux fruits sucrés qui prospère dans le sable, arrosé par des eaux saumâtres mortelles à la plupart des végé- taux, restant vert quand tout autour de lui se tor- réfie sous les rayons d’un soleil implacable, résis- tant aux vents qui courbent jusqu’à terre sa cime flexible, mais ne sauraient ni rompre son stipe, composé de fibres entrelacées, ni déraciner sa sou- che, retenue par des milliers de racines adventives qui,* descendant du tronc vers la terre, le lient invariablement au sol? Aussi peut-on dire sans métaphore : « ün seul arbre a peuplé le désert; une civilisation rudimentaire comparée à la nôtre, très- avancée par rapport à l’état de nature, repose sur lui; ses fruits, recherchés dans le monde entier, suffisent aux échanges, et créent non-seulement l’aisance, mais la richesse. » Dans les trois cent soixante oasis qui appartiennent à la France, chaque dattier acquitte un droit qui varie de 20 à 70 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. 60 centimes suivant les oasis, et ces cultures pros- pèrent, le produit moyen de chaque arbre étant de trois francs environ. Nous savons par le même naturaliste que, pour obtenir le lait du dattier, les Arabes de Tougourt emploient le procédé suivant. On enlève circulai - rement la couronne de feuilles en ne ménageant que les inférieures. La section a la forme d’un cône où l’on enfonce un roseau creux par lequel le li- quide s’écoule dans un vase qui se déverse à son tour dans un autre suspendu aux feuilles de l’arbre. Celui-ci ne meurt pas toujours après cette mutila- tion, le bourgeon terminal se reproduit, et le pal- mier se rétablit peu à peu. L’opération peut être renouvelée jusqu’à trois fois. La tête des palmiers s’élève à environ quinze mètres. L’air circule sous le vaste parasol formé par leurs cimes rapprochées, mais le soleil n’y pénètre pas. De l’ombre, de l’air et de l’eau, tels sont les trois éléments qui per- mettent les cultures les plus variées dans les jar- dins de palmiers, malgré les chaleurs brûlantes de l’été. Les oasis de palmiers sont de véritables paradis dans l’immensité brûlante des déserts. Nous ne pouvons nous refuser à rapporter ici la rencontre fortuite d’un groupe de ces végétaux sauveurs faite par M. Martins dans sa traversée du Sahara orien- tal. « Le désert sans limites, dit-il, s’étendait devant LE DATTIER ET SON FRUIT. 71 moi. Le soleil, suspendu au-dessus d’un horizon circulaire comme celui de la mer, semblait seul vivant au milieu de cette nature inanimée. Tout à coup j’aperçois des cimes de palmiers dont je ne voyais pas les troncs; je crois à une illusion, à un mirage; nous avançons, les cimes se dessinent mieux, mais les troncs n’apparaissent pas.- La ca- ravane s’arrête près d’un puits à bascule; je cours vers les palmiers, ils étaient plantés au fond d’un trou conique de huit mètres de profondeur environ. Le sable avait été relevé de tous côtés; les faibles palissades en feuilles de palmiers plantées sur la crête le retenaient sur certains points ; sur d’autres, des cristaux de sulfate de chaux, de toutes les for- mes et de toutes les grosseurs, alignés comme dans une galerie de minéralogie, contribuaient aussi à fixer un peu le sable mobile. Au fond de ces trous, les dattiers étaient plantés sans ordre; mais ce n’était plus le palmier grêle et élancé des oasis, le palmier idéal des peintres ; c’étaient les arbres au tronc cylindrique, court et gros, portant à quelques mètres du sol des palmes de trois mètres de long et une colonne de régimes de dattes, chapiteaux de ces fûts d’un mètre d’épaisseur. Il me semblait voir les colonnes basses et massives d’un temple égyptien ou d’une mosquée de style mauresque. Des racines adventices partant de la base du tronc et s’enfonçant dans le sol formaient à ces colonnes 72 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, un piédestal conique, elles grandes palmes s’entre- croisant en ogive rappelaient ces colonnades si habituelles dans les monuments dont je viens de parler. Le soir, en pénétrant sous ces voûtes som- bres, j’étais saisi d’un véritable sentiment de res- pect, et ces palmiers majestueux et immobiles au fond de leur cratère de sable étiient bien l’emblème de la civilisation africaine, immobile au milieu du monde agité qui l’entoure. » La famille des palmiers est fort nombreuse, et les différentes espèces qui la constituent (on en compte aujourd’hui quatre cent cincpiante) offrent un merveilleux intérêt, soit au point de vue de leur étrange beauté, soit au point de vue des services étonnants que les habitants des régions équato- riales savent leur demander. Le cadre de cet ou- vrage ne nous permet pas d’ouvrir tous ces trésors ; nous choisissons du moins les plus dignes de l’in- térêt et de la curiosité de tous. Parlons maintenant du cocotier. Cocotier. Comme le dattier, ce végétal élève à la hauteur de trente mètres son stipe droit et isolé, couronné d’un chapiteau de feuilles en forme de plumes, lon- gues de six mètres. On le rencontre sous toute la LE COCOTIER. 73 zone torride, et principalement au voisinage des mers. De son fruit, de sa graine, de ses feuilles, du végétal tout entier, Thomme a su tirer tous les éléments d’une existence champêtre. Le récit sui- vant, de M. Bonifas-Guizot, donnera une excellente idée de Timportance et de la nature de ces ser- vices. Un voyageur parcourait ces pays situés sous un ciel brûlant, où la fraîcheur et l’ombre sont si rares, et où l’on ne trouve qu’à des distances con- sidérables quelque habitation où l’on puisse goûter un repos que la fatigue de la route rend si néces- saire. Accablé et haletant, ce pauvre voyageur aper- çoit une cabane entourée de quelques arbres au tronc droit, élevé et surmonté d’un gros bouquet de feuilles très-grandes, dont les unes relevées et les autres pendantes avaient un aspect élégant et agréable. Rien d’ailleurs, autour de cette cabane, n’annonçait un terrain cultivé. A cette vue qui ranime ses espérances, le voyageur rassemble ses forces épuisées, et bientôt il est reçu sous ce toit hospitalier. Son hôte lui offre d’abord une boisson aigrelette, qui le désaltère et le rafraîchit. Lorsque l’étranger eut pris quelque repos, l’Indien l’invita à partager son repas; il servit divers mets contenus dans une vaisselle brune, luisante et polie; il servit aussi du vin d’une saveur extrêmement agréable. Yers la fin du repas, il offrit à son hôte des confi- 74 LES .VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. tures succulentes, et lui fit goûter d’une fort bonne eau-de-vie. Le voyageur étonné demanda à l’Indien qui, dans ce pays désert, lui fournissait toutes ces choses. « Mes cocotiers, lui répondit-il. L’eau que je vous ai offerte à votre arrivée , est tirée du fruit avant qu’il soit mûr, et il y a quelquefois des noix qui en contiennent trois ou quatre livres. Cette amande d’un si bon goût est le fruit de sa matu- rité ; ce lait, que vous trouvez si agréable, est tiré de cette amande; ce chou si délicat est le sommet d'un cocotier; mais on ne se donne pas souvent ce régal, parce que le cocotier dont on a ainsi coupé le chou meurt bientôt après. Ce vin dont vous êtes si content, est aussi fourni parle cocotier; on fait pour cela des incisions aux jeunes tiges des fleurs, il en découle une liqueur blanche, qu’on recueille dans des vases, et qui est connue sous le nom de vin de palmier. Exposée au soleil, elle s’aigrit et donne du vinaigre. Par la distillation, on en obtient cette bonne eau-de-vie que vous avez goûtée. Ce même suc m’a encore fourni le sucre pour ces con- fitures que j’ai faites avec l’amande. Enfin toute cette vaisselle et ces ustensiles qui nous servent à table ont été faits avec la coque des noix de cocos. Ce n’est pas tout : mon habitation elle-même, je la dois tout entière à ces arbres précieux; leur bois a servi à construire ma cabane, leurs feuilles sèches LE COCOTIER ET SES SERVICES. 75 et tressées en forment le toit; arrangées en parasol, elles me garantissent du soleil dans mes prome- nades; ces vêtements qui me couvrent s mt tissus avec les filaments de ses feuilles ; ces nattes qui me servent à tant d’usages différents en proviennent aussi. Les tamis que voilà, je les trouve tout faits dans la partie du cocotier d’où sort le feuillage; avec ces mêmes feuilles tressées, on fait des voiles de navire ; l’espèce de bourre qui enveloppe la noix est bien préférable à l’étoupe pour calfeutrer les vaisseaux; elle pourrit moins vite, et se renfle en l’imbibant d’eau. On en fait aussi de la ficelle, des câbles et toutes sortes de cordages. Enfin, je dois vous dire que l’huile délicate qui a assai- sonné plusieurs de mes mets, et qui brûle dans ma lampe, s’obtient par l’expression de l’amande fraîche. » L’étranger écoutait avec étonnement et admira- tion comment ce pauvre Indien, n’ayant que des cocotiers, avait néanmoins par eux absolument tout ce qui lui était nécessaire. Lorsque le voyageur se disposait à partir, son hôte lui dit : « Je vais écrire à un ami que j’ai à la ville; vous vous char- gerez, je vous prie, de mon message. — Oui, et sera- ce encore le cocotier qui vous fournira ce qu’il vous faut? — Justement, reprit l’Indien; avec de la sciure des branches jai fait cette encre, et avec les feuilles ce parchemin ; autrefois on en faisait 76 LES VÉGP]TAUX MERVEILLEUX. toujours usage pour les actes publics et les faits mémorables. » Le Laqby. A l’époque où le retour du printemps réveille la sève engourdie, dit M. le baron de Krafft* un homme monte au haut d’un dattier, dont il gravit le tronc svelte et écaillé sans autre secours que ses pieds nus et une ceinture de corde qui l’unit à l’arbre. Il est armé d’une hachette bien aiguisée. Arrivé au faîte, à ce chapiteau d’où s’élance le panache de palmes qui surmonte la flexible colonne, il taille sans pitié, il coupe tous les rameaux, n’en réser- vant que quatre qui tristement s’allongent en croix, parallèlement à l’horizon, comme pour indiquer les quatre points cardinaux. Sur l’insertion de l’un d’eux, il fait passer une cordelette dont les deux bouts touchent le sol, et entre deux des palmes épargnées, il blesse le pauvre arbre d’une incision profonde. Il descend alors. Le tonneau de laqby est mis en perce. Une petite jarre à large goulot, pouvant contenir trois litres, est hissée au moyen de la corde et va s’appliquer sous l’incision : douze heures après, vous pouvez la descendre et la rem- 1. Le Tour du Monde, t. II, 1, p. 71. LES PALMIERS. 77 placer par une autre. Elle est pleine d’un liquide gris pâle, un peu trouble, assez semblable à de l’eau d’orge peu chargée ; c’est le laqby frais, sève presque fade tant elle est douce et sucrée, char- mant et léger purgatifà prendre le matin. Quelques heures après on entend un bruissement dans le vase; le liquide s’éclaircit et semble bouillir; d’in- nombrables bulles d’air viennent former à sa sur- face une mousse sans consistance, et si vous goûlez alors le breuvage pétillant, vous songerez sans regret aux meilleurs vins de Champagne Le laqby pris à ce point n’offre aucun inconvénient, il égaye sans enivrer, la fermentation l’a rendu rafraîchis- sant tout en lui faisant perdre ses propriétés laxa- tives. Mais laissez encore passer une demi-journée, cette boisson devient blanche et épaisse comme du lait, prend une odeur pénétrante, un goût légère- ment aigre, et enivre comme l’eau-de-vie. Le vin de Champagne s’est changé en une bière blanche d’une force alcoolique remarquable. C’est alors que les amateurs l’apprécient; tel bon musulman, telle musulmane rigide qui se voile la face devant un verre de vin boira sans scrupule et publique- ment sa tasse de laqby qui n’est que de l’eau de palmier. 11 faut vider la cruche, car demain on ne trouverait qu’un liquide nauséabond encombré de petites mouches rougeâtres. C’est la plus éphémère des boissons; on ne peut la boire qu’à l’ombre de 78 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. Tarbrequi la produit. Tous les essais pour en régler ou en arrêter la fermentation ont été inutiles. C'est un prédicateur éloquent de la philosophie d’Ho- race : a Jouissez du jour qui passe et ne vous fiez pas au lendemain. »* C’estdanslaTripolitaine (Afrique septentrionale) que les Arabes font du laqby leur consommation habituelle, en fumant sur le bord d’une djébié. Palmier Arec. Auprès du palmier au vin de Champagne, il con- vient de placer le svelte palmier arec , tant estimé des Indiens pour ses feuilles et pour ses fruits. La tige, malgré son élévation, n’a pas trois centi- mètres de diamètre, et ne s’élève pas à moins de douze à treize mètres. C’est grâce à ses racines profondes que cet arbre résiste au vent des tropi- ques. Les feuilles longues et divisées comme celles de tous les palmiers terminent élégamment par une sorte de chapiteau végétal cette haute et légère colonne; à leur plein degré de développement elles mesurent cinq mètres de long sur moitié de large; à leur naissance et avant de sortir de leur bour- geon elles forment le chou du palmier, aliment recherché par les Indiens et même par les blancs. Une plantation d’arecs donne des fruits en tout LES PALMIERS. 79 temps, et souvent un même palmier porte trois régimes, dont l’un est encore en fleur tandis que le plus ancien est tout à fait mûr. Ces fruits, quand la grosseur est à peu près celle d’un œuf, sont réunis en grappes volumineuses, et prennent en mûrissant la couleur de l’orange. On les cueille quelquefois avant leur maturité, parce que leur pulpe intérieure, nommée pinang, est alors d’une saveur agréable. Mais généralement on attend les six mois nécessaires à la maturité, parce que le pinang est alors converti en filasse blanchâtre, dans le genre de notre cerneau, et développe une se- mence de la grosseur d’une noix muscade : cette noix d’arec est un des trois ingrédients qui compo- sent le bétel, cette substance si connue, que les Indiens mâchent perpétuellement, et qui donne à leurs dents cette teinte d’ocre et noire si repous- sante pour nous. Le bétel se compose en effet d’arec, de chaux. et du fruit du bétel, sorte de poivre analogue au nôtre. On se demande comment la réunion de ces trois substances peut être agréable au goût; cependant il est incontestable que le règne du bétel est de longue date parmi les Indes orientales et non moins étendu que celui du tabac en Eui'ope. Les femmes l’emploient habituellement, et son règne date de si longtemps que les indigènes né se rappellent pas — traditionnellement même — d’avoir jamais 80 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. VU de dents blanches chez eux, si bien qu’à leurs yeux c’est un signe de laideur que d’avoir les dents blanches ® comme celles des chiens. » Il ne faudrait pas croire cependant que ce mastkatoire n’ait p*as quelque avantage ; il fortifie l’estomac et donne à l’haleine une odeur fort agréable : les médecins ont établi sabonne renommée en donnant l’exemple ,à ceux qui craindraient d’en contracter J’habitude. Mais ces avantages n’empêchent pas qu’il ne fasse tomber l’émail des dents et les dents elles-mêmes ; la chaux est très-probablement le principe de Cette action. Le bétel indien ne doit pas être confondu avec celui dont les femmes turques font usage; ce der- nier n’a pas les mêmes inconvénients que le précé- dent, tout en ayant les mêmes avantages. C’est toujours avec de l’arec et du bétel récemment cueillis que l’on prépare le masticatoire indien; on le sert ordinairement sur des feuilles de cet arbre, et souvent on laisse aux consommateurs le soin de faire eux mêmes, suivant leur goût, le mélange des trois substances. La couleur est rougeâtre, c’est ce qui fait que la salive, devenue plus abondante par la mastication, se colore en rouge et doit être re- jetée jusqu’à ce que sa couleur ait disparu; préli- minaire fort déplaisant, et qui cependant n’em- pêche pas les Indiennes d’en faire usage. Les Anglais appellent cet arbre : arbre à noix de LES PALMIERS. 81 bétel. Cette dénomination n’a pas de fondement dans la nature, mais dans la cuisine, et on garde à ce végétal son nom spécifique. Le palmier Elaïs. Parmi les plantes précieuses qui croissent dans les forêts brillantes de l’Afrique, au delà du Cap- Vert, il est un palmier dont le panache se balance à dix mètres dans les airs et que les nègres ap- pellent leur ami. Ceux-là même qui ont visité les splendides forêts des tropiques sont ravisa l’aspect de cette végétation vigoureuse et magnifique qui revêt les pentes inclinées vers J a mer, et ne passent pas sans remarquer cet arbre, Vèlcïis guineensis^ qui récompense avec tant de largesse les soins des habitants du rivage. Et cette impression n’est pas inférieure à celle qui résulte de l’utilité que l’in- dustrie européenne a reconnue dans cet arbre, et dont l’exportation tire si bon parti de Liverpool à New-York. Parmi ces divers produits, l’huile a seule été l’objet d’un commerce étendu et de l’exportation. Non-seulement les indigènes demandent à cet arbre, le vin et l’huile, mais ils l’utilisent encore pour la confection de leurs lignes de pêche, de leurs chapeaux, de leurs paniers, de leurs instru- 6 82 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, ments de bois et pour la construction de leurs cabanes. Il est leur compagnon, leur soutien, chargé par la nature de subvenir à leurs besoins de chaque jour. Autrefois la fabrication était abandonnée aux indigènes, mais l’importance qu’elle a prise a donné lieu à de vastes établissements agricoles composés de fermes disséminées parmi les forêts de la côte. A l’époque de la maturité on cueille les graines et on en remplit des auges formées en terre; les nègres, chaussés de sandales de bois, les écrasent en les foulant. L’huile de palmier est une des plus importantes à considérer de la côte d’Afrique. L’élaïs ne croît pas dans les mêmes conditions que le sésame. Il est exclusivement tropical et africain. On le trouve en familles considérables dans les localités abri- tées et dans les terrains fertiles. L’aspect de ce magnifique palmier rappelle celui du dattier des Arabes. Ce n’est guère qu’à l’état sauvage qu’on l’ex- ploite, et la plus grande partie de l’huile de pal- mier qui s’importe en France est fabriquée dans les contrées où nous ne possédons que des comptoirs. Du palmier élaïs on tire non-seulement l’huile, que l’on a dernièrement pu décolorer de son aspect jaunâtre ; mais Marseille en fabrique encore du savon et des bougies. LES PALMIERS. 83 Le palmier latanier. Linné donnait aux palmiers le titre pompeux de Principes vegetantium, princes des végétaux. On peut dire, en effet, qu’ils constituent l’aristo- cratie du monde des plantes, et que par leur beauté et leur majestueuse stature, ils sont dignes du titre dont on les a décorés. Le latanier, et notamment le latanier rouge, est l’un des plus beaux représentants de la famille des palmiers. Il est originaire des provinces méri- dionales de la Chine, et répandu dans l’Inde en- tière. La fleur est d’un rouge superbe. Les feuilles servent aux naturels à couvrir leurs cabanes, et leurs fibres à la confection de chapeaux légers, qu’il faut bien se garder, toutefois, de confondre avec les chapeaux de panama. Cet arbre ne fleurit que deux fois par siècle. Notre dessin représente le latanier rouge. Ce végétal acclimaté n’est pas moins beau ni moins élevé que ceux de son espèce qui croissent à l’état sauvage dans son pays natal. On voit généralement, au frontispice des manu- scrits hindous, un dessin symbolique représentant la valeur des palmiers dans les Indes : c’est un homme lisant, couché à l’ombre de l’un de ces 84 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, arbres. En eüet, l’Inde est redevable aux palmiers, non-seulement de l’alimentation ‘de ses enfants, mais encore des choses indispensables à la vie. Trois surtout lui rendent d’excellents services, ce sont le Sagou, le Cocotier et le Dattier. En fleuris- sant, le Sagou donne à l’homme une fécule nutri- tive, en abondance, jusqu’à 200 kilogrammes par chaque arbre. De son côté, le cocotier peut à lui seul fournir à tous les besoins de l’homme dans ces climats. Nourriture (pain et vin), habillement, maison, instruments d’usage quotidien : le cocotier se charge de tout cela. Le dattier ne lui est pas inférieur. On sait quelle ressource alimentaire son fruit donne aux Africains. Ces trois espèces de palmiers méritent des habitants des tropiques l’in- térêt que nous portons dans nos contrées au blé et à la vigne ; les indigènes ne sont pas ingrats. Dans plus d’une religion antique, on a trouvé ces arbres sujets d’adoration chez les peuplades recon- naissantes. Le voyageur en Palestine et en Syrie contemple avec un intérêt différent le palmier de ces terres solennelles. Lfe dattier est l’arbre le plus commun dans ces parages. Partout, dit un voyageur, on ad- mire son stype cylindrique balançant dans les airs un chapiteau formé de nombreux régimes de dattes et surmonté d’un panache de grandes feuilles fine- ment découpées. Rien n’est plus beau qu’une ave- Latanier rouge. 1 /• „ jr\ X PALMIERS A CIRE. B7 nue de ces nobles arbres. Sur la baie d’Aboukir, on voit quels aspects variés le palmier peut revê-. tir, et l’on conçoit l’enthousiasme des prophètes de la Bible et des poètes de l’Orient qui l’ont célébré dans leurs chants poétiques : tantôt il s’élance verticalement, semblable à une colonne solitaire, ou bien il se couche et se tord sur le sol comme un serpent ; ailleurs, plusieurs arbres réunis s’arron- dissent en dôme de verdure ; plus loin, le tronc cassé par le vent a été remplacé par les innom- brables rejetons de la souche qui l’ont transformé en buisson épineux ; la vie qui circule en lui se manifeste sur toutes les formes, suivant les cir- constances extérieures, de sorte qu’à l’état sauvage son aspect n’est jamais le même ; mais une ran- gée de dattiers plantés et alignés a toute la régula- rité, la symétrie et la majesté de la colonnade an- tique dont elle est le modèle. Le palmier à cire. Nous ne saurions quitter la cité des palmiers sans citer celui qui donne la cire, le Carnaliuba, auquel A. de Humboldt donne comme au Murichi le nom d’arbre de vie. C’est un de ces arbres, dit M. Ferdinand Denis dans son beau livre sur Le 88 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. Brésil^ auxquels l’existence entière d’une aidée peut se rattacher, surtout dans une contrée aride. Grâce à la solidité de son bois et à la disposition de son feuillage, une cabane commode peut être construite avec quelques carnahubas, sans qu’il soit néces» saire d’employer d’autres matériaux qu’un peu de terre pour en former les murailles. Les folioles, disposées en éventail, servent à fabriquer une foule de menus ouvrages, tels que des nattes, des chapeaux, des corbeilles, des paniers; et, de plus, le gros bétail peut s’en nourrir. Durant les temps de sécheresse extrême, on donne également aux animaux le cœur de l’arbre quand il est jeune, et ils peuvent s’en contenter à défaut d’autre aliment. Parvenu à toute sa croissance, on en tire pour les hommes une sorte de fécule nourrissante, à la- quelle on a recours dans les temps de disette. Son fruit est agréable et tout le monde peut s’en nourrir. Mais la véritable production du Carna- huba, ce qui en fait un végétal tout à fait à part dans l’économie végétale, c’est la cire qui couvre la superficie de ses jeunes feuilles, et qui se pré- sente sous l’aspect d’une poudre glutineuse. Ex- traite par le moyen du feu, cette poussière prend la consistance de la cire, et elle en a l’odeur : aussi en fait-on dans le pays des cierges de petite dimen- sion. Le carnahuba fournit au luxe des cannes que l’on recherche dans le commerce à cause de leur PALMIERS A CIRE. 89 poli admirable et des mouchetures heureusement disposées qu’elles présentent *. C’est à la Havane, qu’il faut admirer la belle fa- mille des palmiers. On rencontre souvent dans l’île de Cuba, des avenues de palmiers, plantés devant les maisons blanches qui président aux plantations des cannes à sucre. Ici, ce sont de longues avenues de palmiers, là, ce sont des manjos, des orangers ; à l’extrémité sont les jar- dins et les vastes plantations où les nègres, hom- mes, femmes et enfants, renouvellent chaque jour la veine de l’activité industrielle. A Cuba, sans être excessivement chaud, l’air est transparent, dit le voyageur anglais Richard Dana. Des nuages doux flottent à demi-hauteur dans un ciel serein; le soleil est brillant, et la luxuriante flore d’un été perpétuel couvre tout le pays. Partout s’élèvent ces étranges palmiers ! Beaucoup d’autres arbres ressemblent aux nôtres; mais ceux-là constituent l’aspect carastéristique de la contrée tropicale. Le palmier royal a cet air par excellence : il ne peut croître hors d’une étroite ceinture qui court autour du globe. Son 1. .M. Ferdinand Denis, nous a remis un spécimen de la cire produite par le carnahuhaj que ce savant voyageur a rapporté lui-même du Brésil; nous remarquons une telle analogie entre cette cire et celle des abeilles, que Ton peut très-facilement s’y tromper. 90 LES vp:gétaux merveilleux. tronc, long, mince, si droit et si uni, emmaillotté depuis le pied dans le bandage serré d'une toile grise, montre un cou d’un vert foncé, et au-dessus une crête et un plumage de feuilles de la même couleur. Il ne donne pas d’ombre, et ne porte pas de fruits estimés de l’homme. 11 n'a aucune beauté particulière pour faire pardonner son inutilité. Pourtant il a quelque chose de plus que la beauté, il exerce sur le regard une facination étrange, et on sent, quand on l’a vu, qu’on ne peut plus l’ou- blier. Castel, dans son poème sur les Plantes, célèbre les palmiers à cire, et s’étend sur les facultés dont la nature a doué leurs fleurs de voyager au loin à la surface des eaux : On voit sur l’Océan ces flottes végétales Franchir sans conducteur d’immenses intervalles, Repeupler en passant des rivages déserts Et voguer d’île en île au bout de l’univers. Ne craignez pas que Fonde à travers la nacelle. Porte aux germes éclos une atteinte mortelle ; Tous les ais sont cousus avec un art divin ; Et même la nature a souvent de sa main Pour fermer toute entrée à la vague orageuse, Enduit l’esquif entier d’une cire onctueuse. Tel flotte le canot du cirier odorant Des présents de l’abeille aimable supplément; Tels mille végétaux qu’en ses rades profondes L’Américain charmé voit courir sur les ondes. PALMIERS A CIRE. 91 L’Amérique septentrionale produit deux espèces de ciriers, l’un est orignaire de la Louisiane, c’est celui que Linné a décrit sous le nom de Myrica cerifera, et qui s’élève à la hauteur de dix à douze pieds. 11 fut le premier connu en Europe. Les graines que l’on apporta en France ne levèrent que dans les serres chaudes ; sa culture demande des soins et il ne fleurit que très -rarement. L’autre est le cirier de Pensylvanie, dont la tige ne monte pas au delà de cinq pieds, qui porte des feuilles ' plus larges et plus courtes, et dont le fruit est plus gros. Celui-ci n’est pas parfaitement acclimaté. Il végète avec vigueur et résiste aux froids les plus rigoureux. Les marécages, les bords humides et sablonneux de la mer sont des terrains qui lui conviennent. Un arbrisseau bien fertile peut fournir jusqu’à sept livres de baies qui rendent près de deux livres de cire. On retire cette cire par le moyen de l’eau bouillante, en ayant soin, pour la détacher, de remuer et de froisser les graines contre les pa- rois du vase. Les bougies de cette cire végétale par- fument les appartements ; leur lumière est vive et claire, surtout si dans la manipulation l’on ajoute un peu de suif, comme en Amérique. Le cirier ré- crée la vue par le vert animé de son feuillage dont l’hiver même ne le dépouille pas; il flatte l’odorat et purifie, par ses émanations balsamiques, l’air insalubre des marais au milieu desquels il habite. 92 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. Nous terminerons nos revues des palmiers en mentionnant celui des îles Séchelles, dont parle Pyrard de Laval dans la relation de son voyage aux îles Maldives. « Au bord de la mer, dit-il, il y aune certaine noix que la mer jette quelquefois à bord, qui est grosse comme la tête d'un homme et qu’on pourrait comparer à deux melons joints ensemble. Ils la nomment tavarcarré^ et ils tiennent que cela vient de quelques arbres qui sont sous la mer. Les Portugais les nomment coco des Mal- dives : c’est une chose fort médicinale et de grand prix. Souvent, à l’occasion de ce tavarcarré, ou bien de l’ambre gris et noir, comme il s’en trouve aussi, les gens et les officiers du roi mallraitent de pauvres gens, qnand ils les soupçonnent d’en avoir trouvé ; et même , quand on veut faire déplaisir à un homme, on lui impute et on l’ac- cuse de cela, comme on fait ici de la fausse monnaie, afin qu’il en soit recherché; et quand quelqu’un devient riche tout à coup et en peu de temps, on dit communément qu’il a trouvé des tavarcarré ou de l’ambre, comme si c était un trésor L » Le fruit de ce palmier porta pendant longtemps le nom de Nux medica. L’arbre porte le nom de 1 . Voyageurs anciens et modernes^ par Édouard Charton, t. IV, p. 279. Palmiers des îles Séchelles. PALMIERS A CIRE. 95 Lodoicea. Son fruit volumineux est souvent entraîné par la mer à des distances considérables ; c’est de là que vint l’idée des indigènes d’imaginer qu’il sortait d’arbres sous-marins. Le bambou. CHAPITRE V. Bananier. — Bambou. — Baobab. Voici peut-être les trois plus forts ouvriers du monde végétal; ils ont vaincu les siècles, et aucun être iVest capable de rivaliser avec leur puissance. Certains écrivains ont cherché à démontrer que le bananier était l’arbre placé au centre du para- dis terrestre, dont le fruit défendu trop convoité par la curieuse mère du genre humain, causa tant de malheurs à notre pauvre race, et que c’est de ses feuilles que Adam et Ève se vêtirent lorsque après leur faute ils furent chassés de l’heu- LES USAGES DU BANANIER. 97 reux séjour. La chose est assez difficile à détermi- ner, et ce n’est pas sous ce point de vue que nous parlerons ici de cet arbre merveilleux. Les populations de l’Amérique, de l’Afrique, de l’Inde, et les indigènes des îles de l’océan Paci- fique apprécient à sa haute valeur ce végétal pré- cieux, car il nourrit une grande partie des hommes qui habitent les régions tropicales et est répandu avec assez de profusion pour servir à la nourri- ture journalière de peuples entiers. C’est un végé- tal herbacé, dont la hauteur est de quinze pieds environ, et qui se compose d’une tige simple, ronde et droite, vert-jaunâtre, terminé par un épanouissement de grandes feuilles ovales, longues de six pieds ^ur dix-huit à vingt pouces de large. Une grande et forte nervure centrale traverse les feuilles, mais celle-ci est si tendre, que souvent les vents la déchirent. Un épi de fleurs de quatre pieds de haut environ, s’élève du centre des feuilles huit à neuf mois après la naissance du végétal. Aux fleurs succèdent bien- tôt des fruits de la longueur de huit pouces sur un de diamètre, fruits délicieux qui se remplissent d’une chair mûrie à mesure qu’ils avancent vers leur maturité. Ces fruits longs, dont le poids s’é- lève quelquefois à soixante-dix livres, offrentl’aspect d’une énorme grappe, où se serrent un nombre considérable de fruits, quelquefois de cent cin- 7 98 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. quante à cent soixante. Lorsque Ton dépouille Farbre de ses fruits, on coupe en même temps la tige, qui se dessécherait, et les rejetons s’élèvent rapidement aux pieds, préparant une nouvelle ré- colte pour une demi-année plus tard. On entretient la végétation en cultivant de temps en temps le sol au pied des arbres ; c’est la culture la plus simple et les bananiers, ordinairement établis près des rivières, sont des établissements faciles à entretenir. La préparation culinaire des bananes est éga- lement des plus simples ; on se contente de faire cuire le fruit, soit à Feau bouillante, soit au four, soit sous la cendre. On utilise la partie fibreuse des tiges pour la fabrication de certaines chemises grossières, et la partie verte pour la nourriture des gros bestiaux. Les habitants des îles Moluques, font subir aux feuilles une préparation qui leur permet de s’en servir comme linge en divers usages. A poids égal, le bananier est inférieur au fro- ment comme substance nutritive ; mais il produit bien davantage à égale étendue de terrain. Un de- mi-hectare qui, planté de blé, en Europe ne suffi- rait pas à la substance de deux individus, en entre- tiendrait cinquante dans les régions tropicales, s’il était planté de bananiers. On a calculé qu’un terrain de cent mètres carrés est capable de four- LE BANANIER. 99 nir plus de quatre raille livres de substances nu- tritives : il en résulte que le produit de ce végétal est à celui du froment semé sur une égale surface de terrain, comme 133 est à 1, et à celui des pommes de terre, comme 44 est à 1. On a dans la fécondité naturelle des tropiques, un exemple philosophique de l’état de la nature humaine et des conditions de son développement. Cette vérité : que l’homme ne fait guère de progrès que sous la nécessité d’une excitation vive et con- , tinue, trouve son application et sa preuve ici, avec plus d’évidence que partout ailleurs. Le bananier nourrit les habitants de cette zone sans leur de- mander de travail ; le pain de chaque jour s’offre de lui-même à leurs besoins physiques et leur suf- fit sans nécessiter de leur part aucune fatigue. Il s’ensuit qu’ils se reposent dans une sécurité per- manente et que sur leur front mort, le caractère de l’inertie est imprimé en caractères ineffaçables. On rencontre à Java une zone de bananiers dont l’aspect laisse toujours une grande impression dans l’esprit. Écoutons M. de Molins rapportant son arrivée dans les forêts de l’île « Nous arrivâmes, dit-il, dans des pays découverts, et nous atteignîmes après une heure et demie de marche les premières jungles. C’était un fouillis de verdures, où le ba- nanier sauvage, avec ses feuilles vert pâle d’un côté et de l’autre tachées de rouge et de brun, se 100 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. rencontrait en majorité. Nous nagions dans des flots de plantes de tous sortes; nous y admirions surtout les grandes fougères au tronc solide, aux feuilles si gracieuses et si régulières, les grandes fougères qui tiennent è la fois de la fleur par leur forme exquise, de l’oiseau par leur belle cou- leur et de l’arbre par leur taille imposante. « Tout à coup le mandour qui nous servait de guide et qui savait le but de notre excursion s’ar- rêta en nous disant: «Voilà ! — Voilàquoi? dis-je. — Le premier des grands arbres, monsieur, celui que Ton voit de Maga-Meudouy. » « Et il m’indiqua du regard une sorte de tour, garnie à son sommet de branches et de feuilles, mais que bien certainement je n’aurais pas pu prendre pour un arbre. « Celui-ci est petit, me ait-il ; mais, en montant plus haut, ces messieurs en verront de bien plus grands. » «En effet, bien que l’échantillon que nous avions devant les yeux dépassât les limites du vraisem- blable, nous reconnûmes, en arrivant aux lisières de l’immense forêt, que les arbres devenaient de plus en plus gros. Chose remarquable pourtant, ils étaient presque tous malades; plusieurs d’entre eux, noirs dans le haut, étendaient dans les airs leurs grands bras décharnés. L’on m’apprit que le soleil en était la seule cause et que ces vigoureux végétaux ne pouvaient pas supporter ses rayons. BAMBOUS. JOl « Je ne saurais bien exprimermaintenant, n’ayant plus la réalité devant les yeux, l’impression de recueillement que m’inspira la vue de ces colosses, véritables patriarches des forêts , témoins sans doute des antiques créations et des époques où la nature était encore dans toute la fécondité de sa jeunesse, et qui, encore debout aujourd’hui, m’en- touraient de la colonnade de leurs troncs géants et me recouvraient du feuillage de leurs énormes branches. » A. de Humboldt présente les bananiers (scita- minées et musacées) comme partout associés aux palmiers. Les buissons de bananiers, dit-il, font l’ornement des contrées humides. Leurs fruits fournissent à la nourriture de presque tous les peuples qui vivent sous la zone tropicale. De même que les céréales farineuses ont été une res- source constante pour les habitants du Nord, le bananier n’a jamais fait défaut aux populations voisines de l’équateur, depuis l’enfance de leur civilisation. D’après les traditions sémitiques, cette plante nourrissante se développa originairement sur les bords de l’Euphrate; suivant d’autres, elle naquit dans l’Inde, au pied de l’Himalaya. Les lé- gendes grecques présentent les champs d’Enna en Sicile comme l’heureuse patrie des céréales. Mais les fruits de Gérés, répandus par la culture dans toutes les contrées septentrionales, n’offrent que 102 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. ' des prairies monotones qui ajoutent peu aux charmes de la nature ; Fhabitant des tropiques, qui multiplie les plantations de bananiers, pro- page au contraire Tune des formes les plus belles et les plus majestueuses du règne végétal. Les bambous. Nous ne connaissons aucune espèce d’arbres qui puissent servir à des usages aussi diversifiés que le bambou. L’Indien en tire une partie de sa nour- riture, des ustensiles de ménage, des tiges à la fois légères et capables d’une résistance supérieure à celle de bois très-lourds et de même volume. Souvent, dans les voyages tropicaux, sous les rayons ardents d’un soleil vertical, des tronçons de bambous ont servi de barriques pour garder aux équipages une eau plus pure que celle qui trop longtemps séjourne dans des vases impré- gnés de matières putrescibles. Sur les côtes occi- dentales de l’Amérique du Sud, dans les grandes îles de l’Asie, les bambous fournissent seuls les matériaux pour la construction de maisons à la fois agréables, solides et préférables pour la sécu- rité aux maisons de pierre que les tremblements de terre renversent sur ceux qui les habitent. Les bambous, tels qu’on les rencontre sous les BAMBOUS. 103 tropiques, se présentent sous l’aspect esquissé en tête de ce chapitre. On voit qu’en faisant abstraction delà grandeur, ces plantes pourraient être rangées parmi les gra- minées ou parmi les roseaux. L’aspect extérieur offre de grandes similitudes avec les plantés de cette première classe , l’organisation de la tige creuse, longue, articulée et à feuilles aiguës, offre avec les secondes des analogies tout aussi remar- quables. L’indécision est restée dans les classifica- tions des botanistes, et aujourd’hui encore on ne s’accorde pas sur le nom à donner à ces végétaux exceptionnels. Mais le nom ne fait rien à la chose, et nous nous garderons bien d’entrer ici dans les classifi- cations un peu arbitraires de la botanique. Mieux vaut considérer le végétal tel qu’il est, dans ses ca- ractères distinctifs, sans trop nous préoccuper de l’étiquette latine ou grecque que l’on pourrait attacher à sa cime. Ces végétaux sont confinés à la zone tropicale, soit que les conditions de leur développement ap- partiennent à la chaleur torride, soit que leurs semences n’aient pas encore rencontré des dispo- sitions favorables dans les régions tempérées. On en distingue cinq ou six espèces. Le plus élevé des bambous est le Sammot. Il atteint quelquefois une hauteur de 1 00 pieds dans 104 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. les terrains où il se plaît, et mesure alors dix-huit pouces de diamètre à la base- Son bois n’a pas, en tout, un pouce d’épaisseur. La capacité du grand vide intérieur rend ces longues tiges très-propres à faire des mesures de capacité, des sceaux, des coffrets, etc. On fabrique même des barques légères avec les plus grosses tiges, en les bordant de pièces de bois travaillées suivant les formes nécessaires. Au second rang par la taille se trouve le bam- bou Illy; son élévation normale est de 60 à 70 pieds. Son bois presque aussi mince, sa légèreté et sa so- lidité le rendent propre aux mêmes usages que celui de l’espèce précédente. L’une et l’autre ai- ment les terres humides et fertiles. La troisième espèce est la plus employée dans toute l’Asie méridionale, sur le continent et dans les îles. Sa hauteur est de 50 pieds; elle rem- place d’abord les deux premières pour les usages mentionnés plus haut, et possède de plus certains caractères d’utilité qui n’appartiennent pas aux premières. Ainsi les jeunes pousses, de la tige et de la racine du télin (tel est le nom de cette es- pèce) sont, il paraît, d’excellentes substances ali- mentaires que l’on mange à la façon des asperges, soit confis dans le vinaigre, soit à divers assaison- nements et avec des viandes. Les colons européens s’en nourrissent par goût aussi bien que les indi- gènes. Le bois du télin réunit de plus, mieux que BAMBOUS. 105 tout autre bois, une grande force à une extrême léaèreté, et ses poutres, divisées en planches ou subdivisées en lattes, sont des plus favorables aux constructions des tropiques. Une espèce de bambou, plus petite encore que le télin, et moins précieuse pour l’économie domes- tique, l’industrie et l’agriculture, c’est Vampel; elle fournit les léviers , les brancards, les échelles, les rampes, les objets usuels. L’Indien qui, à la cime des hauts palmiers, fait la cueillette du vin à cent pieds de hauteur, ne craint pas de jeter d’un pal- mier à l’autre un pont d’ampel pour se rendre sur le palmier voisin. Une longue tige de ce bambou forme son pont suspendu, une autre plus légère, perpendiculairement attachée par le côté, lui sert de garde-fou. On se nourrit également des jeunes pousses de cette espèce. C’est dans ce genre de plantes que l’on trouve le bois de fer, dans lequel la hache fait jaillir des étincelles; bois d’une dureté sans égale et qui néanmoins peut être divisé en filaments d’une telle ténuité qu’il remplace l’osier pour de délicats ouvrages de vannerie; on en fa- brique même des tissus. Mentionnons encore le tcho des Chinois, qui leur donne un papier solide, et dont ils se servent pour la fabrication des grands parasols. Les pein- tres souvent s’en servent comme de toile. Il y a encore le téba, dont on fait des haies défensives. 106 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. des retranchements protégés par les hérissements redoutables de tollam dont les pointes aiguës per- cent les chaussures des fantassins et les pieds des chevaux. Puis Varundo scriptoria de Linné , nom donné au beesha, parce qu’il est la ressource des écrivains de l’Inde qui en tirent leurs plumes. Ces dernières espèces préfèrent les terrains secs et maigres et sont plus faciles à acclimater. La matière sucrée de leurs jeunes pousses en fait un aliment agréable pour l’homme aussi bien que pour les animaux herbivores. La végétation de ces plantes coïncide avec le cours de la lune, d’où l’on a conclu que cet astre la réglait par son in- fluence; — sorte d’illusion qui n’est pas particu- lière aux Indes, et que les habitants de nos cam- pagnes partagent encore aujourd’hui. — Les touffes des tiges qui naissent aux pieds des bambous, is- sues de la souche souterraine, se développent avec une telle rapidité qu’on les voit littéralement grandir à vue d’œil : en un seul jour, elles attei- gnent les hauteurs de plusieurs pieds, et le mi- croscope peut facilement en suivre le développe- ment. Le caractère le plus remarquable à signaler sur les bambous, c’est leur floraison qui , malgré la rapidité de croissance dés tiges, n’arrive qu’a- près cinquante ans. Les bambous ne fleurissent que tous les demi-siècles. BAOBAB. 107 Le Baobab. Le plus colossal et le plus ancien des monuments organiques de notre planète est ce végétal de grosseur monstrueuse , aux feuilles cardiformes et lanugineuses souvent découpées , aux fleurs pourpres, magnifiques. Arbre énorme qui, parmi les végétaux, semble tenir la place de l’éléphant parmi les animaux, témoin antique des dernières révo- lutions du globe et des déluges qui sont venus ensevelir les productions de l’ancien monde. Plusieurs baobabs mesurés accusèrent une gros- seur de 70 à 77 pieds de circonférence. A ses branches sont quelquefois suspendus des nids de 3 pieds de long, ressemblant è de grands paniers ovales ouverts par le bas; il offrait de loin l’aspect des signaux suspendus aux cordages des ports. Les oiseaux habitants de ces nids, dont la taille n’est guère inférieure à celle de l’autruche, sont des hôtes en rapport avec le colosse végétal dans les bras duquel leurs demeures sont bercées. La hauteur du baobab n’est pas en proportion avec sa longueur, comine on peut le voir par cette figure. Quinze hommes étendant les bras suffiraient à peine à embrasser ces troncs immenses, qu’au Sé- 108 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, négal on vénère comme des monuments sacrés. Des branches énormes s’en détachent à une faible hauteur et s’étendent horizontalement jusqu’à donner à l’arbre un diamètre de plus de 100 pieds; chacune de ces branches, dit A. Danton, ferait un des arbres monstrueux de l’Europe, et leur en- semble paraît moins former un arbre qu’une forêt. Ce n’est qu’à l’âge de huit cents ans que les baobabs cessent de ^ossir et arrivent à leur taille définitive. Le fruit de cet arbre est rond ou ovale, selon l’espèce ; la couleur de la coquille passe en mûris- sant du vert au fauve et au brun. On désigne quel- quefois ce fruit sous le nom de pain de singe. Il contient une substance spongieuse plus pâle que le chocolat et pénétrée d’un liquide abondant. Les feuilles, d’abord longues, se divisent plus tard en trois parties, et plus tard encore en cinq fragments, leur donnant de loin l’apparence d’une main. L’écorce, gris cendré, d’un pouce d’épaisseur en- viron, est réduite en poudre par les nègres du Sé- négal; ils assaisonnent leurs aliments de cette poudre pour entretenir leur corps dans un état de transpiration modéré et pour tempérer l’excessive chaleur intérieure. Ils s’en servent aussi comme antidote pour certaines fièvres. Les abeilles prennent pour ruche, en Abyssinie, Le baobab. 'V h 1 lÛ^- BAOBAB. 111 ï des troncs de baobabs; ce miel tire de l’arbre un parfum et une saveur qui le font rechercher par les indigènes. Comme les abeilles, les poètes et les 1 musiciens sont ensevelis par les tribus africaines I dans des troncs de baobabs. Mais ce ne sont pas, aux yeux de ces tribus, des tombeaux d’honneur ; j au contraire, croyant ces hommes supérieurs en i communication avec les génies, ils ont de leurs I restes une horreur superstitieuse et ne veulent les I confier, ni à la terre qui les nourrit, ni au courant des fleuves. On se ferait difficilement une idée de la capacité des cavités de ces troncs. Il en est dans lesquels 240 hommes pourraient tenir. Outre les sépultures dont nous avons parlé, les nègres se servent de ces troncs pour d’autres usages. Quel- quefois ils y campent; ailleurs, ils les convertis- sent en écurie. Adanson a calculé l’âge des arbres d’après la profondeur des entailles faites au quinzième siècle par des navigateurs qui y avaient taillé leurs noms en lettres longues de 16 centimètres; en exami- nant les nouvelles couches de bois qui ont recouvert ces entailles et en comparant leur épaisseur à celle des troncs d’arbres de même espèce dont l’âge est connu. « 11 a trouvé, dit A. de Humboldt, pour un diamètre de 10 mètres, une durée de 5150 ans. 11 a d’ailleurs eu la prudence d’ajouter ces mots : « Le calcul de l’âge de chaque couche n’a pas d’exac- 112 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, titude géométrique. » Dans le village de Grand- Galarques, situé aussi en Sénégambie, les nègres ont orné Touverture d'un baobab creux avec des sculptures qui ont été taillées dans le bois encore vert. L’espace intérieur sert aux assemblées géné- rales dans lesquelles ils débattent leurs intérêts. Cette salle rappelle la caverne (Specus) formée dans le tronc d’un platane de Lycie, où un personnage consulaire, Licinius Mucianus, fit servir à dîner à dix-neuf convives. Pline accorde trop généreu- sement peut-être à une cavité du même genre une largeur de 80 pieds romains. — Les évaluations d'Adanson et de Perrottet, en attribuant aux Adan- sonia qu’ils ont mesurés un âge de 5150 à 6000 ans, les font contemporains des constructeurs des pyramides ou même de Ménès, c’est-à-dire à une époque ou la Croix du Sud était encore visible dans le nord de l’Allemagne. » Ces troncs immenses sont couronnés d'un grand nombre de fortes branches et presque horizontales ; ce qui leur donne de loin la forme de gigantesques parasols ; les inférieures, en traînant pour ainsi dire sur le sol, donnent à l’ensemble de l’arbre la forme d’un hémisphère assez régulier de 30 mètres de hauteur sur 70 mètres de circuit. La grande sécheresse et la chaleur du climat produisent sur ces végétaux un effet analogue à celui du froid sur les nôtres ; ils perdent leurs BAOBAB. 113 feuilles et ne s’en revêtent que dans la saison des pluies, de décembre à juin. Outre l’usage que les nègres de la Sénégambie font du fruit et de l’écorce du baobab, ils ont encore la précaution de faire soigneusement sécher les feuilles qui apparaissent à l’époque des pluies; et ils les réduisent en poudre, qu’ils nomment lâlo. Il paraît que cette poudre jouit de certaines pro- priétés, et que notamment elle préserve des dys- senteries et des fièvres inflammatoires auxquelles sont fréquemment exposés les Européens qui ré- sident au Sénégal. De tous les arbres connus, le baobab est le doyen pour la grosseur. Il n’y a que le colossal Séquoia de la Californie qui l’égale et le surpasse même. Notre héros fait exception à la loi générale de la végétation en Australie. Il ne se voit presque jamais dans les terres à plus de cent milles du ri- vage ; on le trouve principalement depuis la rivière Glenelyjusqu’aux confins occidentaux d’Arnheim’s- Land. Il se peut qu’il vienne aussi sur le bas Alligator ; mais certainement il n’en existe pas au centre et au nord d’Arnheim’s-Land. Il se plaît dans les terrains plats et sablonneux ; sur les terres pierreuses et dans les terres à peu près stériles, il ne s’élève point, mais atteint une grosseur colossale, et il s’en échappe des branches d’un diamètre extraordinaire. En Australie, son 8 114 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. fruit est plus petit que celui de l’essence africanis, dont on fait au Sénégal un commerce important. Le fruit des baobabs d’Australie n’est pas moins recherché des Australiens que le précédent n’est recherché des nègres. La pulpe acidulée de ce fruit est appelée par les Allemands de la rivière Orange crème de tartre, et par les colons anglais, pain de singe. Le baobab australien n’est pas considéré seulement comme une curiosité, mais comme un arbre portant une sorte de nourriture providen- tielle, aliment solide et liquide à la fois, précieux à rencontrer dans les lieux arides et brûlants*. l. Voy. pour les arbres remarquables au point de vue spécial de la grosseur, notre chapitre ix : Les doyens et les géants du monde végétal. CHAPITRE VI. Les cèdres. — Le Liban. — L’Afrique. Le voyageur qui gravit les antiques montagnes du Liban ne peut se défendre d’une certaine émo- tion lorsque, parvenu sur les plateaux élevés qui les couronnent, il remarque sur sa tête le ciel vert des cèdres. Témoins calmes et silencieux des révo- lutions qui bouleversèrent le monde, ils ont assisté aux terreurs humaines en ces jours funestes où de partielsdélugesinondaientlescontrées.Leshommes vigoureux des premiers âges se sont reposés sous leur ombre, des hordes et des tribus sauvages y ont 116 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, établi leurs tentes, des familles patriarcales s’y sont arrêtées aux étapes de leur vie nomade. En appro- chant d’eux, il semble que nous soyons indignes de les toucher à notre tour, tant les souvenirs qu’ils renferment sont formidables, à côté de notre his- toire actuelle. Ces arbres sont les monuments naturels les plus célèbres de l’univers, dit Lamartine, qui les visita en 1 833; la religion , la poésie et l’histoire les ont éga- lement consacrés. L’Écriture les célèbre en plusieurs endroits ; ils sont une des images que les poètes emploient de prédilection. Salomon voulut les con- sacrer à l’ornement du temple qu’il éleva au Dieu unique, sans doute à cause de la renommée de magnificence et de sainteté que ces prodiges de la végétation avaient dès cette époque.... Les Arabes de toutes les sectes ont une vénération tradition- nelle pour ces arbres ; ils leur attribuent non-seu- lement une force végétative qui les fait vivre éter- nellement, mais encore une âme qui leur fait donner des signes de sagesse, de prévision semblables à ceux de l’instinct chez les animaux, de l’intelligence chez l’homme. Ils connaissent d’avance les saisons, ils remuent leurs vastes rameaux comme des membres, ils étendent ou resserrent leurs coudes, ils élèvent vers le ciel ou inclinent vers la terre leurs branches. Ce sont des êtres divins sous la forme d’arbres. Ils croissent dans ce seul site des CÈDRES. 117 groupes du Liban : ils prennent racine bien au- dessus de la région où toute grande végétation expire. Chaque siècle voit diminuer le nombre de ces arbres. En 1550, Bellon en comptait une trentaine. En 1600 on n’en comptait plus que 24; en 1650, 22 ; en 1700, 16 ; en 1800, 7. Ces sept arbres gigan- tesques sont peut-être aujourd’hui les seuls témoins des temps bibliques. Le mont Liban sépare la Terre-Sainte de la Syrie, dont il domine les montagnes les plus élevées. Il présente dans sa longueur la forme demi- circulaire d’un fer à cheval. Le circuit total ne mesure pas moins de cent lieues. Au sud est la Palestine ; au nord, l’Arménie; à Test l’Arabie; à Touest, la mer de Syrie. De Tripoli à Damas les côtes du Liban ne sont pas fort éloignées de la mer ; elles s’y baignent même en certains points. La partie orientale porte chez les Grecs le nomd’Anti-Liban. Les montagnes s’élèvent les unes sur les autres et présentent quatre zones distinctes. Les voyageurs rapportent que le sol de la première abonde en grains, et porte des arbres fruitiers. La seconde n’est qu’une ceinture de rochers nus et stériles. La troisième, malgré son élévation, offre l’aspect d’arbres toujours verts : la douceur de sa tempé- rature, ses jardins, ses vergers chargés des plus beaux fruits de la Syrie, les ruisseaux qui les 118 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. arrosent, en font une sorte de paradis terrestre. La quatrième zone se voit dans les nues ; les neiges dont elle est couverte sont Torigine du nom Libaîi (blanc) que l’on a donné à ces montagnes. C’est sur un de ses sommets que se trouvent les cèdres dont parle l’Écriture. La petite esquisse dessinée en tête de ce cha- pitre ne vous rappelle-t-elle pas l’exorde de la Chute d'un Ange? Ne voit on pas, malgré la pâleur même de la reproduction, qu’il y a là une terre antique, témoin vénérable des âges disparus ? Qui n’a relu la belle description dont le « chœur des cèdres du Liban » est précédé, description qui semble descendre, tant elle est en harmonie avec cette magnifique nature, des âges disparus où fleu- rissaient ces végétaux gigantesques : Arbres, plantés de Dieu, sublime diadème Dont le roi des éclairs se couronne lui-même. Leur ombre nous couvrit de cette sainte horreur D’un temple où du Très-Haut habite la terreur. Nous comptâmes leurs troncs qui survivent au monde, Gomme dans ces déserts dont les sables sont Tonde, On mesure de Tœil, en renversant le front, Des colonnes debout, dont on touche le tronc. De leur immensité le calcul nous .écrase ; Nos pas se fatiguaient à contourner leur base Et de nos bras tendus le vain enlancement N’embrassait pas un pli d’écorce seulement. Debout, l’homme est à peine à ces plantes divines Ce qu’est une fourmi sur leurs vastes racines. CÈDRES. 119 Que de prières n’ont pas résonné sous ces ra- meaux! dit le poète, et quel plus beau temple, quel autel plus voisin du ciel ! Quel dais plus ma- jestueux et plus riant que le dernier plateau du Liban, le tronc des cèdres, et le dôme de ces rameaux sacrés qui ont ombragé et ombragent encore tant de générations humaines prononçant le nom de Dieu différemment, mais le reconnaissant partout dans ses œuvres, et l’adorant dans ses manifestations naturelles I . Les arbres s’élèvent de 60 à 100 pieds de hauteur. Le plus gros d’aujourd’hui mesure treize pieds de diamètre et couvre une circonférence d’environ cent vingt pieds. Les branches toujours vertes, même lorsqu’elles sont couvertes de neiges, ce qui arrive une partie de l’année, sont plates, touffues et horizontales. De loin on croirait voir ces nuages chassés par le vent dans les régions du crépus- cule. Longtemps le cèdre fut classé parmi les mélèzes ; aujourd’hui on s’accorde à en former un genre distinct et particulier. Les fruits, gros comme ceux des pins, sont plus ronds, plus compactes et plus lisses. Dans la relation de son voyage au Sahara oriental*, M. Ch. Martins témoigne la même admi- 1. Revue des Deux-Mondes du 15 janvier 1864. 120 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. ration pour ces arbres superbes « Les plus belles forêts de cèdres, dit-il, ornent les crêtes et des- cendent dans les gorges du Chellalah, près de Batna ; on en voit également dans le Djurjura et autour de Teniet-el-Had, au sud de Miliana. Quel contraste entre ces magnifiques forêts et les plateaux stériles qui y conduisent! Jeunes, les cèdres de l’Atlas ont une forme pyramidale ; mais quand ils s’élèvent au-dessus de leurs voisins ou du rocher qui les protège, un coup de vent, un coup de foudre, un insecte qui perce la pousse terminale les prive de leur flèche ; l’arbre est découronné : alors les branches s’étalent horizontaleinent et forment des plans de verdure superposés les uns aux autres, dérobant le ciel aux yeux du voyageur, qui s’avance dans l’obscurité sous ces voûtes impénétrables aux rayons du soleil. Du haut d’un sommet élevé de la montagne, le spectacle est encore plus grandiose. Ces surfaces horizontales ressemblent alors à des pelouses du vert le plus sombre ou d’une couleur glauque comme celle de l’eau, semées de cônes ovoïdes et violacés ; l’œil plonge dans un abîme de verdure au fond duquel gronde un torrent invisible. Souvent un groupe isolé attire les regards; on s’approche, et au lieu de plusieurs arbres, on se trouve en face d’un seul tronc coupé jadis par les Romains ou les premiers conquérants arabes : le tronc a repoussé du pied, des branches énormes BEAUTÉ DES CÈDRES. 121 sont sorties de la vieille souche ; chacune de ces branches est un arbre de haute futaie, et les vastes éventails de verdure étalés autour du tronc mutilé ombragent au loin la terre. Quelques-uns de ces cèdres sont morts debout, leur écorce est tombée, et, squelettes végétaux, ils étendent de tous côtés leurs bras blancs et décharnés. Les cèdres d’Afrique attendent encore leur peintre. Marilhat seul nous a fait admirer ceux du Liban ; mais ses successeurs , campés à Barbizon, s’acharnent après l’écorce de deux ou trois chênes de la forêt de Fontainebleau, toujours les mêmes, que l’amateur salue comme de vieilles connaissances à chacune de nos expo- sitions. Des artistes éminents dépensent une somme considérable de talent à reproduire les mêmes formes, tandis que les cèdres séculaires vivent et meurent ignorés dans les gorges de l’Atlas, où leur beauté n’est admirée que par les rares voya- geurs qui s’aventurent dans ces montagnes. » Les cactus. — Le cierge géant. (Voir page i!28.) CHAPITRE VIL LES PANDANÉES. La diversité merveilleuse des productions de la nature selon les climats, est si grande que les voyageurs eux-mêmes ne peuvent s’empêcher de jeter un cri d’étonnement lorsqu’ils passent d’une partie du monde à l’autre, parfois même, d’une rive à l’autre d’un même continent. C’est notam- ment l’effet qui se présente aux explorateurs du Sénégal, lorsqu’ils viennent de côtoyer les plages désolées du Sahara. La végétation la plus riche succède brusquement à la plus complète aridité. LES PANDANÉES. 12^ et les grands hommes noirs de l’Afrique rempla- cent les Arabes à petite stature. Les arbres conser- vent éternellement leur fraîcheur, rajeunissant avant de vieillir; on les voit penchés vers les flots de la mer comme s’ils venaient boire leurs eaux tièdes et salées. Le végétal singulier que nous représentons, ap- partient à la famille des pandanées, dont le Séné- gal est la patrie favorite, mais que l’on rencontre également en Polynésie, dans la Nouvelle-Zélande et dans la Guinée. M. de Folin qui l’a dessiné sur nature, donne les détails suivants sur ce végétal, observé dans l’île du Prince, située à trente heures de la côte de Guinée et à un degré et demi de lati- tude. Un cours d’eau, descendu des sommets escarpés de l’île, brisant de roc en roc sa nappe argentée, entretient une humidité constante dans un étroit vallon où se reflète et se concentre la chaleur des rayons dardés tout le long du jour sur les flancs de deux montagnes très -voisines. La tiède atmo- sphère due à cette double cause, nourrit au fond de ces abîmes la plus vigoureuse végétation. Le pan- danée s’élève à l’endroit où la gorge s’élargit, et où reposées un moment dans un bassin limpide, les eaux du torrent vont se rencontrer avec la lame que l’Océan roule au-devant d’elle. Le végétal peut avoir environ 35 centimètres de diamètre )24 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, au quart de sa hauteur, qui, à l’île du Prince, at- teint de 14 à 16 mètres. En descendant, la tige di- minue de volume, et lorsqu’elle touche la surface de l’eau où elle s’enfonce, elle n’a plus que la grosseur d’une mince racine. Cette tige est anne- lée, et à partir du point de décroissance, chaque anneau donne naissance à plusieurs fibres qui s’é- chappent à angles aigus, décrivant parfois des courbes ogivales et plongeant dans le lit du ruis- seau. Ce faisceau qui rayonne à l’entour du centre, supporte l’arbre tout entier. Les fibres qui se bi- furquent elles-mêmes, ont jusqu’à 12 et 15 cen- timètres de circonférence et sont revêtues comme la tige-mère, d’une écorce blanchâtre, mais pri- vées d’anneaux. Au-dessus de ces supports, l’arbre dressé comme un monstrueux reptile, se partage aux deux tiers de sa hauteur en cinq ou six ra- meaux qui poussent de petits rejets vers leurs ex- trémités. Chaque branche, d’abord resserrée, puis gonflée en cou de cygne, arrondie au bout, se couronne d’une gerbe de feuilles longues, char- nues, aiguës, à bords tranchants, assez semblables à un trophée de dards. Cet arbre étrange, avec ses frêles appuis, avec ses branches nues dont les gracieuses courbes s’inclinent vers l’horizon pour épanouir leur dia- dème de feuilles, est d’un effet aérien. Des massifs de jeunes rejetons et de plantes aquatiques sont Panel an i’ CACTUS. 197 dispersés autour des pandanées, et se reflètent sur les eaux dans lesquelles l’arbre se nourrit. Ajoutez au charme du tableau la solitude qui l’entoure et le profond silence troublé seulement par les sou- pirs modulés des tritons et autres batraciens qui s’ébattent sur la rive, ou bien par le cri de l’ai- grette perchée sur une roche à demi submergée, d’où elle guette l’instant de fondre sur sa proie. Parmi les pandanées, on remarque une espèce chère aux insulaires de l’Océanie, qui tressent de belles nattes avec ses feuilles : c’est le pandanée odorant, dont les fleurs exhalent une odeur suave et forte à la fois qui parfume de vastes pièces. Un autre pandanée plus remarquable encore, si l’on en croit de Candolle, c’est celui dont la fleur s’ouvrant lancerait une sorte d’éclair accompagné de bruit. On rencontre à Madagascar, le pandanée meri- catus, mais on chercherait en vain dans cette île les beaux arbres que l’on admire dans les forêts vierges de Sumatra, de Bornéo, ou même de l’Amé- rique. Cependant, les pandanées utiles envahissent le premier plan des arbres de la côte ; ils sont d’un port étrange, gracieux et triste à la fois; le tronc, couvert d’une écorce lisse, se divise à une hauteur de deux mètres environ en trois branches égales. Chaque branche elle-même, trifurquée au som- met, lui compose une tête volumineuse d’où pen- 128 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, dent, semblables à une chevelure éplorée, de gran- des feuilles charnues brisées par le milieu. La hauteur de ces vacoas ne dépasse pas trente pieds. Les cactus. — Le cierge géant (Cereus giganteus). En Amérique, du Mississipi aux côtes de l’océan Pacifique, dans l’État de Sonora, au sud de la Ca- lifornie, le voyageur rencontre de pas en pas cette plante simple et singulière à la fois, que l’on a nommée cierge géant à cause de sa forme et de sa grandeur. Elle est la reine des cactus et domine, svelte, au milieu de ses sujets nains et difformes. Quelquefois sa hauteur atteint 20 mètres et sa grosseur devient considérable. Dans ce pays, dit le voyageur Môllhausen, les animaux et les végétaux sont bien supérieurs à l’homme; les hideux sauvages que nous rencon- trâmes habitaient près d’un défilé, auquel les voyageurs donnèrent le nom de Cactus Pass, à cause des plantes de ce genre qui s’y trouvent en foule. Parmi ces arbres se distingue surtout le ce- reus giganteus. Ce roi des cactus est connu en Ca- lifornie et dans le Nouveau-Mexique sous le nom de petahoya. Les missionnaires qui visitèrent, il y a plus d’un siècle, le Colorado et le Gila, parlent des fruits du petahoya, dont se nourrissent les in- CIERGES. 129 digènes et s'extasient, comme Font fait plus tard les chasseurs de pelleteries, sur cette plante mer- veilleuse qui a des branches et peu de feuilles. La limite septentrionale de cette espèce de cactus s’é- tend au midi par delà les rives duGila. Les déserts les plus sauvages et les plus incultes paraissent être la patrie de cette plante, qui trouve moyen de pousser des racines entre les pierres et les ro- chers, là où l'on n’aperçoit qu’un atome de terre, et qui parvient pourtant à une hauteur surpre- nante. La forme de ces cactus varie suivant leur âge. Généralement, les cactus jeunes, de la hauteur de 0"'64 à 2 mètres, ont la forme d’une massue dont la pointe est tournée en bas et dont l’extrémité supérieure a une circonférence double. Mais à me- sure que les plantes acquièrent une plus grande élévation, leurs diamètres tendent à s’égaliser, et vers huit mètres, elles ne présentent que la forme d’une colonne régulière où des rameaux commen- cent à se montrer. Des branches sphériques sortent du tronc, mais en vertu de la tendance natu- relledetouslesvégétaux, elles se recourbent bientôt en couche, se prolongent vers le ciel et s’élè- vent alors à quelque distance du tronc et parallè- lement à lui, jusqu’à la hauteur de la tige. A cet état de maturité, le cactus à plusieurs rameaux ressemble à un candélabre gigantesque, d’autant 9 130 LES végp:taux merveilleux. mieux que ses branches sont symétriques. Le dia- mètre du tronc principal atteint quelquefois 80 centimètres; mais le plus ordinairement il n’en mesure que 48. En voyant ces hautes tiges isolées et découvertes se dresser à la pointe extrême d’un roc, on ne con- çoit pas qu’elles puissent résister à l’ouragan : elles doivent leur solidité à un système de côtes circulaires placées à l’intérieur de l’enveloppe char- nue du haut en bas de la plante, ayant de 0“026 à 0™ 039 de diamètre, et aussi dures que le bois du cactus. Le tronc et la branche sont garnis dans toute leur longueur de cannelures régulières, pla- cées à égale distance, ce qui lui donne une remar- quable analogie avec des colonnes corinthiennes sans chapiteaux; lecorce offre en même temps une vague ressemblance avec un orgue d’église, parce que les fibres intermédiaires ont une direc- tion perpendiculaire aux cannelures. Sur la crête du cereus, on remarque des pointes grises, épines symétriquement espacées, entre lesquelles brille la teinte vert clair de la plante. En mai et en juin, époque de la floraison, l’extrémité des branches et de la tige principale se couronne de grosses fleurs blanches, que le mois de juillet et d’août remplacent par des fruits savoureux. Ce fruit est un des mets favoris des Indiens ; ils s’en font une sorte de sirop. Sur l'arbre, ces fruits sont serrés CIERGES. 131 les uns contre les autres, ovales et piriformes : ils sont verts, sauf à la partie supérieure qui est rouge. La chair, de couleur cramoisie, ressemble à celle de la figue fraîche, mais elle est loin d'offrir sa succulence. Ces cactus atteignent, comme nous l’avons dit, une hauteur de 60 pieds. Quand la plante meurt, la chair tombe pièce à pièce des fibres du bois, et l’on voit sur le rocher se tenir encore pendant plusieurs années, un squelette gi- gantesque et dénudé. ' C’est au nouveau monde, dit M. de Humboldt, qu’appartient exclusivement la forme des cactus, tantôt articulés, tantôt sphériques, et quelquefois se dressant comme des tuyaux d’orgue en colonnes cannelées. Ce groupe forme le contraste le plus frappant avec celui des lilacées et des bananiers. Il appartient aux plantes que Bernardin de Saint- Pierre nomme si heureusement les sources végé- tales du désert. Dans les plaines arides de l’Améri- que méridionale, les animaux tourmentés par la soif cherchent à déterrer sous le sable, où ils sont à moitié enfouis, des melocactus dont la moelle aqueuse est défendue par de redoutables épines. Les cactus qui affectent la forme de colonnes, at- teignent jusqu’à 9 à 10 mètres de haut. Divisés comme des candélabres et souvent recouverts de lichens, ils offrent une physionomie analogue à celle de quelques euphorbes d’Afrique. Ces plantes 132 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. forment de vastes oasis au milieu des déserts dé pourvus de végétation. Asclepias gigantea. L’Afrique orientale offre dans l’aspect de ses bois des formes non moins étranges que les noms dont on les décore. Au sud du détroit de Bab-el-Mandeb (le passage des Larmes), près du Gubet-el-Khérab (bassin du Mensonge), petite baie de la partie du golfe d’Arabie que l’on appelle Bahr-el-Bonatein (mer des Deux-Sœurs), on trouve la petite ville de Tanjourra. C’est dans cette localité que l’on ren- contre particulièrement Y asclepias gigantea^ l’acacia épineux, auxquels s’enlacent et se suspendent des lianes exubérantes. Les bois où croissent ces beaux arbres entrecoupent d’oasis ombreuses les grandes plaines et les montagnes qui s’élèvent en demi-cercle en face de la mer. La petite antilope, des oiseaux pêcheurs, des poules d’eau, animent ces ombrages, et l’aspect agréable et calme de ces sites ne laisserait dans l’ame aucune impression défavorable si Tanjourra n’était le centre d’un abominable commerce d’esclaves. Asclepias giganfea, CHÊXE-LIKGE. 135 Le chêne-liége- Terminons ce chapitre par un végétal utile, plus connu par ses produits que par lui-même ; la des- cription de son enveloppe corticale tera occasion- nellement connaître la structure générale de tous les arbres, et ce sera bien finir une causerie que Chêne-liége. d’offrir en dernier lieu les caractères les plus pra- tiques. La section d’un arbre adulte présente trois par- ties fondamentales concentriques : 1° le canal médullaire, où se trouve la moelle ; 2° une couche complexe de nature ligneuse, le bois ; 3“ une en- 136 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. veloppe extérieure, l’écorce. Dans l’écorce on re- marque encore trois substances différentes juxta- posées ; ce sont : le liber, minces feuillets ; le pa- renchyme, ensemblé de cellules où circule la sève; l’épiderme, pellicule enveloppant le tout. C’est la structure générale de tous les arbres. Dans l’arbre qui porte le liège, le parenchyme est la partie qui fournit cette substance. Ce n’est qu’à partir de l’âge de quinze ans qu’un chêne de cette espèce possède un parenchyme assez consistant pour servir à la fabrication. A par- tir de cette époque jusqu’à la dernière vieillesse de l’arbre, on peut le dépouiller entièrement de son écorce, à des intervalles de huit ou dix ans, et chaque écorçage peut produire de quarante à cin- quante kilogrammes de liège. En Catalogne, patrie de ces chênes, on récolte annuellement de quoi fabriquer cinq cents millions de bouchons, divisés par ballots de trente mille. Voici comment s’opère l’extraction : on pratique dans l’écorce deux incisions longitudinales paral- lèles, puis deux perpendiculaires, ce qui découpe un carré sur l’arbre ; l’incision ne doit pas attaquer le liber. Par une des fentes horizontales on passe avec précaution la lame d’un instrument tran- chant au-dessous du parenchyme, et l’on soulève doucement la plaque carrée, dans toute sa lon- gueur. D’autres incisions lèvent nécessairement CHÈNP>LIKGE. 137 d’autres plaques, et Ton peut arriver de la sorte au dépouillement complet de l’arbre porte-liége. Un liquide semblable à de la cire ramollie coule entre le liber et le parenchyme, et facilite Topéra- tion. Après son dépouillement, le chêne s’enve- loppe bientôt d’une matière visqueuse qui s’é- chappe par les pores du liber, et qui se répandant à la surface, se durcit, s’organise et renouvelle l’écorce. Mais il lui faut près d’une dizaine d’an- nées pour être propre à une nouvelle extraction. Cet arbre appartient surtout aux pays chauds ; l’Algérie en possède des forêts entières en exploi- tation. Sauvage lançant des flèches empoisonnées. (Voy. p. 154.) CHAPITRE Vlll. sucs LAITEUX. Lait végétal. — Caoutchouc. — Arbres à poison. Les arbres à lait, dont les premières pages de ce livre ont oflèrt la description, ne sont pas les seuls qui soient remarquables au point de vue de l’abondance du suc laiteux ; d’autres, dont les ser- vices sont d’une autre nature ou même, il faut le dire, dont l’action est pernicieuse et perfide, mé- ritent d’être classés parmi les végétaux dignes de notre intérêt. Les familles végétales qui renferment le plus grand nombre d’espèces au suc abondant, sont les euphorbiacés, les apocynées et les urti- suc LAITEUX DES PLANTES. 139 cées ; elles se distinguent les unes des autres par une structure anatomique différente. On trouve dans leur écorce, et quelquefois dans la moelle de leurs tiges, un grand nombre de tubes allongés, anastomosés et plus ou moins flexibles, dont la ressemblance avec les veines des animaux a trompé plus d’un théoricien et autorisé en apparence l’assimilation du liquide végétal au sang animal. Cependant, il semble que le ternie de suc vital ap- proprié à ce liquide est impropre et que celui de suc laiteux est plus directement justifié. Certains arbres au suc laiteux abondant, ont été surnommés les serpents du régne végétal; le ca- ractère le plus frappant de cette ressemblance ré- side dans l’organe à l’aide duquel les uns et les autres émettent le poison. On sait que chez les serpents, le poison réside dans deux dents longues de la n âchoire supérieure traversées dans leur longueur par un étroit canal. A la racine de ces dents se trouve la glande qui secrète le venin, lae[uelle, semblable à une éponge, est comprimée par la pression de la dent. Au moment où l’animal mord et jette sa liqueur dans le canal médullaire de la dent, un orifice la verse en même temps dans la blessure. Chez les végétaux vénéneux, on remarque une disposition analogue dans les poils des feuilles ; on peut facilement s’en rendre compte par l’examen des feuilles des orties. Le poison de 140 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, nos orties, comme celui de nos serpents indigènes, n’est pas dangereux; mais il le devient d’autant plus que l’on s’approche davantage de l’équateur : l’ardeur du soleil tropical augmente la puissance funeste de l’un et de l’autre. Les trois grandes familles de végétaux qui se font remarquer par Tabondance et la valeur du suc lai- teux, se ressemblent par l’analogie de ce suc; il ne sera pas sans intérêt de mentionner les espèces les plus remarquables. Parlons d’abord d’un pro- duit végétal qui a pris la plus grande extension de nos jours, du caoutchouc. Cette gomme peut être extraite d’un grand nombre d’arbres ceux qui la produisent en plus grande abondance sont l’Hevea guyanensis, le Si- phonia cahuchu et le .latropha elastica. Aux An- tilles, on l’extrait de l’Euphorbe pourprée, de l’Ur- céale élasti([ue, dont le produit est aux yeux de plusieurs, supérieur à celui de l’Hevea. Malgré ce grand nombre de végétaux, on serait autorisé à craindre que l’immense exploitation qui se fait de ce produit ne’ transforme les forêts qui les con- tiennent en forêts d’arbres secs, comme il est ar- rivé dans la Caroline du Nord, où les mélèzes et les pins d’où l’on a extrait la térébenthine couvrent deux millions d’acres de bois morts, d’arbres dénudés, semblables à une forêt de mâts de vais- seaux. Ficus elastica. (Caoutchouc.) n JM. r.E CAOUTCHOUC. 143 L’extension qui, d’année en année, se manifeste dans la plupart des genres d’industrie, est très- remarquable dans l’exploitation du caoutchouc. Les Anglais surtout en font un usage considérable. En 1820, 52 000 livres, avaient été introduites en Grande-Bretagne ; en 1829, près de 100 000 livres; en 1833, 178 676livresont été déclarées à la douane; aujourd’hui, c’est par cent mille kilogrammes que l’on compte. L’extension s’est manifestée surtout depuis l’in- . vention du caoutchouc vulcanisé, La vulcanisation est comme on sait, une opération chimique par laquelle on enlève au caoutchouc toute sa sou- plesse, toute son élasticité, pour en faire une ma- tière inoxydable ayant les qualités du bois, de l’écaille, de l’ivoire, de la baleine, capable de ré- sister à une chaleur de 150 degrés comme au froid le plus vif, à l’humidité comme au contact des acides. On obtient cet état, en lui incorporant du soufre, soit directement, soit au moyen du sulfure de carbone ; il suffit de combiner cinq parties de soufre avec sept parties de carbonate de plomb, et de soumettre ce composé à une chaleur de 132 de- grés. Il n’est personne qui ne sache par expérience quelle quantité et quelle diversité d’objets on fa- brique avec le caoutchouc vulcanisé, si léger et si dur à la fois, depuis les articles de bijouterie et de marqueterie, jusqu’aux instruments de préci- 144 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. sion de lu physique et aux objets usuels de Fin- d U strie. C’est en 1736 que la Condamine appela le pre- mier l’attention sur ce produit végétal, et sur la manière dont on l’extrait du Siphonia elastica ; un peu plus tard, Fremeau découvrit à Cayenne l’Hevea guyanensis et donna de nouveaux détails sur la préparation de son produit. Avec un instru- ment tranchant, on pratique des incisions longi- tudinales ou obliques, qui pénètrent jusque sous Técorce et qui sont disposées les unes sous les autres. On fixe au-dessous^ avec de la terre glaise une feuille assez large pour recevoir tout le suc qui découle des incisions, et le transmettre à un vase de calebasse placé au pied de Farbre. Le suc est fluide et ordinairement blanc au moment de l’extraction: la couleur brune que nous lui con- naissons provient des matières étrangères qui y sont mêlées et que noircit encore la fumée de feux d’herbe allumés sous les arbres pour activer la solidification ; il offre l’aspect d’un lait épaissi par une longue ébullition; le caoutchouc se trouve en suspension dans l’albumine, comme la crème dans le lait; pour Fen dépouiller on l’étend de trois ou quatre fois son volume d’eau, et comme il se rassemble à la surface, le lendemain on vide le vase par un robinet inférieur. Ce produit arrive quelquefois sur le continent, coulé en grosses LE CAOUTCHOUC. 1A5 poires et plus généralement étendu en grandes feuilles pesant jusqu’à cent kilogrammes. Tous les pays qui comptent le caoutchouc parmi leurs productions sont situés sous la zone torride : ce sont principalement l’Amérique méridionale, les Indes orientales, certaines parties de l’Afrique même. A ce sujet A. de Humboldt fait observer que le nombre de plantes lactifères augmente à mesure qu’on avance vers l’équateur. La chaleur des tro- piques paraît exercer une grande influence sur la formation du caoutchouc, car on a fait la remar- que que les végétaux qui le produisent sous les tropiques ne contiennent, élevés chez nous dans nos terres, qu’une substance qui ressemble à la glu du gui. Euphorbiacées. — Manioc. — Mancenillier. Le végétal dont nous venons de parler, appar- tient à la famille des euphorbiacées ; d’autres plantes appartenant à ce groupe, renferment éga- lement le caoutchouc, comme certaines espèces de la famille des apocynées, telles que l’Ur- ceola elastica de Sumatra, le Vaheagummifera de Madagascar, le Collophora utilis et I Haucornia speciosa du Brésil, le Willughbeja edulis des Indes orientales ; mais aucune n’en renferme une quan- 10 146 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. tité aussi considérable. Les plantes dont nous al- lons parler se distinguent par d’autres points. Le suc de la Siplionia elastica ne possède aucune propriété nuisible ; celui du Tabayba dolce (Eu- phorbia balsamifera) ressemble au lait frais ; Léopold de Buch raconte que les naturels en font une gelée qu’ils mangent avec délices ; mais toutes ne sont pas aussi innocentes, quelques-unes con- tiennent un poison virulent, et, caractère étrange, que nous remarquerons plus loin encore, ces plantes offrent en même temps un poison délétère et une nourriture très-saine. La culture du manioc représente dans l’Amé- rique centrale celle des céréales en Europe. On fait néanmoins une grande différence entre la juca douce et la juca amère; la première peut être mangée sans inconvénient, la seconde renferme un poison mortel. Suivons un instant, avec Schlei- den l’auteur de « La Plante et sa vie » les naturels du pays dans leur camp. Au milieu d’une forêt épaisse de la Guyane, le chef de la tribu, après avoir étendu son hamac entre deux grands magnolias, se repose à l’ombre des larges feuilles des bananiers ; il fume pares- seusement et regarde le mouvement que se donne sa famille. Sur ces entrefaites, sa femme écrase le manioc dans le creux d’un arbre à l’aide d’un pilon de bois, enveloppe la pulpe dans un tissu MANIOC. — MANCENILLIER. 147 serré, fait de fibres de feuilles, auquel elle attache une grosse pierre ; le tout est suspendu à un bâton reposant sur deux fourches plantées en terre. Le poids de la pierre fait l’effet d’une presse et ex- prime tout le jus contenu dans le manioc. A me- sure qu’il s’écoule, on le reçoit dans une calebasse, et un garçon accroupi à côté y trempe les flèches du père, pendant que sa mère arrange le feu destiné à sécher le marc et à le priver de son poison vola- til. Le résidu est ensuite pulvérisé entre deux ^ pierres, et la farine de canave est toute pré- parée. Pendant ce temps, l’enfant achève sa dangereuse besogne ; le jus a déposé une tendre fécule qu’on sépare du liquide et qui, après avoir été lavée dans de l’eau fraîche, constitue le tapioca. C’est de cette façon qu’on prépare partout cette substance nutri- tive. Le sauvage, après avoir assouvi safaim, cherche une nouvelle place pour y faire sa sieste, mais malheur à lui si, par inadvertance, il se couche sous le redoutable mancenillier, une pluie sou- daine tombe de ses feuilles, et éveille le malheu- reux sous les douleurs atroces qu’elle lui cause ; son corps se couvre presque aussitôt d’ampoules, d’ulcères, et s’il conserve la vie, il gardera du moins un souvenir éternel des propriétés véné- neuses des euphorbiacées. 148 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. Le mancenillier passe chez nous pour un arbre funeste, à Tombre duquel il est imprudent de se reposer, ou, selon Texpression d’un poète, «le plaisir habite avec la mort ; » et l’on craint de s’as- seoir à son ombre. Cette fâcheuse renommée doit provenir delà sève de cet arbre, qui est vénéneuse, et de son fruit qui, pris à forte dose, peut causer un empoisonnement. La réputation du mancenil- lier chez nous a son pendant en Afrique dans l’eu- phorbe arborescent. Comme le premier, cet arbre offre un aspect magnifique, plus singulier encore. Sa lourde silhouette tranche nettement sur tout ce quil’environne;sa masse impénétrable aux rayons du soleil, n’offre au regard qui la sonde, qu’une sombre profondeur. Par leur position élevée, autant que par l’ombre frais qu’entretiennent leurs ra- meaux d’un vert sombre, ils forment des belvé- dères naturels où les nègres aimeraient à se re- poser sans la crainte qui s’attache à ces végétaux; mais ils ont un moyen naïf d’éviter l’influence de cette ombre, c’est d’établir une toiture horizon- tale en chaume, sous les branches inférieures de ces arbres. M. Trémaux raconte comme il suit son excur- sion au Soudan oriental, où il eut l’occasion d’ob- server les euphorbes arborescents. En dessinant la vue de Kaçane, j’invitai un des nègres qui étaient autour de moi à aller s’asseoir ARBRES EMPOISONNÉS. 149 près du pied du grand euphorbe que présente cette planche. Il hésita d'abord, puis enfin il se décida à s'y rendre, non sans lever les yeux à plu- sieurs reprises vers les branches de cet arbre. Lorsque j'eus fini, je me mis à gravir sur les roch^'s pour en rompre un rameau, que j'ai rapporté en France ; mais le nègre, en me voyant approcher, s'enfuit avec terreur hors de son ombrage en fai- sant des signes , en gesticulant et en prononçant avec volubilité divers mots d’un idiome que je ne pouvais comprendre. Cependant l'expression de ses signes et quelques mots arabes que l'un d'eux prononça {Intè a/iouze mâat ! Tu veux donc mourir ! ) me firent comprendre qu'en touchant à cet arbre, j'allais me faire mourir ; mais l’impulsion était donnée, le rameau venait de se rompre, et immé- diatement un suc laiteux, beaucoup plus abondant que je n'eusse pu m'y attendre, d'après ce que je connaissais de ces plantes dans nos contrées, ruis- sela sur mes vêtements et pénétra même sur mon corps. Les figures et les gestes de ces nègres expri- mèrent à divers degrés la crainte ou la pitié. Ils me firent comprendre que si le suc blanc atteignait une des nombreuses blessures que j'avais sur le corps, j'en mourrais, et que, même sur la peau, il était dangereux. C'est avec ce suc qu'ils empoisonnent leurs armes, afin de rendre leurs blessures mortelles; ils le font 150 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, préalablement concentrer jusqu’à ce qu’il ait ac- quis une consistance un peu pâteuse; ensuite ils trempent dans cette matière la pointe ou la lame de Tarme qu’ils veulent empoisonner. 11 n’est pas rare de voir des euphorbes dont la ramification mesure plus de 8 mètres de diamètre, ce qui donne plus de 24 mètres à sa circonférence. A cette taille, la plus grande hauteur au-dessus du sol est aussi d’à peu près 8 mètres; son tronc, ainsi que les branches qui s’y rattachent sont formés de bois dur. Les branches secon- daires ou rameaux, sont formées de moelle et de parenchyme soutenus par une faible partie li- gneuse. Ces rameaux forment des côtes ou arêtes ondu- lées, ordinairement au nombre de quatre; cepen- dant quelques-uns n’en n’ont que trois, d’autres en ont cinq. Sur les branches entièrement ligneuses attenant au tronc, on reconnaît encore les an- ciennes côtes qui se sont transformées en écorce, tandis que la branche a passé de la forme primi- tive à la forme cylindrique. L’Euphorbia mamillaris croît aussi sur les mon- tagnes du Dar-fog, à peu près dans les mêmes con- ditions que l’Euphorbia canariensis, que nous venons de décrire, avec lequel elle a beaucoup d’analogie ; néanmoins son port est très-différent et ne paraît point atteindre d’aussi grandes pro- ARBRES A POISON. 151 portions ; ses branches et ses rameaux sont cylin- driques. Ces derniers sont entourés de petites ma- melles portant des épines. Généralement, dans le sens longitudinal du rameau, ces mamelles se pré- sentent suivant une ligne oblique, et, dans le sens du pourtour, suivant deux systèmes de spirales. Sur chaque tour de ces spirales, on compte huit inter- valles de mamelles pour arriver sur la même ligne longitudinale de laquelle on est parti, et en tour- nant sur les spirales qui se présentent dans un sens, on arrive à trois intervalles au-dessus et au- dessous du point de départ ; tandis qu’en tournant sur celles qui se présentent dans l’autre sens, on arrive à cinq intervalles au-dessus et au-dessous de ce même point. Il pousse chaque année, à l’extrémité même des rameaux, un petit jet de fleurs jaunes et de feuilles qui se développent en faisceaux ; à mesure que le rameau s’allonge, les petites feuilles de quelques centimètres de long qui accompagnent chaque ma- melle épineuse tombent, et celles-ci restent seules. Les végétaux perfides. (Suite.) Euphorbes. — Apocynées. — Curare. Le caractère étrange que nous signalions tout à l’heure à propos des plantes perfides, qui sont à la 152 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, fois un aliment sain et un poison terrible, est ap- plicable d’une manière plus frappante encore à celles dont nous allons nous occuper. Le suc lai- teux de quelques genres est riche en caoutchouc, ou se transforme dans d’autres en un lait doux, sain et d’une saveur agréable, ou se présente sous la forme des poisons les plus mortels. Nous avons parlé des arbres à lait, de ceux qui produisent en abondance le caoutchouc, des euphorbes arbores- cents; plusieurs de la même famille possèdent des sucs dont l’action est des plus dangereuses. Les sauvages de l’Amérique méridionale empoi- sonnent leurs flèches avec le lait euphorbia, les Éthiopiens agissent de même : au Cap, on se sert comme d’un moyen infaillible pour tuer les hyènes de morceaux de viande saupoudrée dans la pous- sière des fruits de i’Hyananche globoza.Une espèce d’euphorbia, décrite par Martins, offre cette parti- cularité remarquable, que son lait, quand il s’é- coule pendant les nuits sombres et tièdes de l’été, répand une lumière phosphorescente. Le woorarei, ourari, urali, etc., n’est autre chose que le curare. Dans le temps passé, on croyait cette substance formée d’un suc végétal mêlé à du sang de vipère, du venin de crotale, de la bave de ser- pent, et autres substances aussi vénéneuses. Ces faits ont été démontrés faux par A. de Humboldt, Boussingault et d’autres voyageurs, qui ont eu ARBRES A POISON. LE CURARE. 153 roccasion de l’étudier dans les végétaux qui le produisent, dans le mode d’extraction qu’en font les Indiens et dans les mains de ceux qui s’en ser- vent d’une façon si cruelle. C’est une substance purement végétale, produite par une liane appar- tenant au genre Strychnos, que nous décrivons ci-après, liane de mavacure, abondante à l’est de la mission de l’Esmaralda, sur la rive gauche de l’Orénoque, et que l’on recueille aussi sur le ver- sant oriental des Cordillères, dans les forêts que traversent les grands fleuves de l’Amérique équa- toriale. Pour l’obtenir, on commence, dit Humboldt, à faire une infusion à froid en versant de l’eau sur la matière filandreuse qui est l’écorce broyée de mavacure. Une eau jaunâtre filtre pendant plu- sieurs heures goutte à goutte, à travers l’entonnoir de feuillage. Cette eau filtrée est la liqueur veni- meuse, mais elle n’acquiert de la force que lors- qu’elle est concentrée par l’évaporation, à la ma- nière des mélasses, dans un grand vase d’argile. L’Indien qui remplissait là l’office de Maître du poison nous engageait de temps en temps à goûter le liquide; on juge, d’après le goût plus ou moins amer, si la concentration par le feu est poussée assez loin. Il n’y a aucun danger à en boire, le cu- rare n’étant délétère que lorsqu’il entre immédia- tement en contact avec le sang. 154 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. D’autres voyageurs, Schomburgk, Poeppig, ont laissé d’intéressantes descriptions de cette prépa- ration et des foudroyantes propriétés de ce poison, dont la puissance a pu autoriser les naturels à préférer leurs armes silencieuses au fusil bruyant des Européens. Le sauvage s’arme d’un long tube bien régulier : ses flèches, taillées d’un bois dur, longues d’un pied, ont la pointe trempée dans le curare, tandis que le bout opposé est enveloppé d’une quantité de coton suffisante pour occuper exactement l’entrée du tube. Muni de cette arme terrible, il cherche à surprendre son ennemi qui se régale tranquillement du cerf qu’il vient de tuer. Pas le moindre bruit ne trahit ses mouve- ments furtifs; son pied semble glisser sur le sol. Mais voilà qu’il s’arrête, il souffle avec force dans sa sarbacane meurtrière, le trait vole et va attein- dre à plus de trente pas de distance la malheu- reuse victime sans défense, qui, à la plus légère blessure, tombe dans des convulsions atroces et rend Pâme immédiatement. Schleiden^ rapporte qu’une foule deqilantes de la même famille possèdent des poisons analogues; ce sont leurs graines surtout qui les distinguent des plantes précédentes par leurs propriétés toxi- cologiques, car on y trouve deux des poisons les 1. La Plante y leçon X. LES VÉGÉTAUX PERFIDES. 155 plus violents, la strychnine et la brucine. La fève de Saint-Ignace (Ignatia amara) et les noix vomi- ques (strychnos nux vomica) se trouvent partout sous les tropiques. Il rapporte à ce propos une coutume singulière (qui rappelle les jugements de Dieu, du moyen âge, en Europe) qu’ont les Mal- gaches de faire dépendre la culpabilité ou l’inno- cence d’un individu de la force de l’estomac. L’homme accusé d’un crime est obligé, en pré- sence du peuple et des prêtres, d’avaler une noix de Thangin; si son estomac est assez fort pour pouvoir vomir le terrible poison, l’accusé est ac- quitté ; sinon il est considéré comme coupable et ne tarde pas à subir son châtiment, car le malheu- reux meurt presque immédiatement. Ce genre de jugement est à peu près aussi ab- surde, aussi injuste et aussi ridicule que le moyen encore en usage de nos jours pour consacrer le droit des nations. On devine que nous voulons parler de la guerre, cette raison du plus fort qui juge les différends des peuples, comme si les canons rayés avaient quelque chose de commun avec les principes de la justice morale! 156 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. Arbres à poison de Java. Stryrhnos Tiente (Upas). Un certain nombre d’arbres produisent le poi- son : tels sont le curare, qui croît sur les bords de rOrénoque, le woorava, qui borde la rivière des Le Duho-Upas. Amazones; mais le plus terrible est celui que nous venons de choisir, le duho-upas, qui croît dans plu- sieurs contrées de l’Inde, à Sava, Bornéo, Sumatra et aux Célèbes. Rumph qui en a donné la description le nomme arbor toxicaria. Cet arbre a le tronc gros, les branches étendues; son écorce est'brune etrabo- LES VÉGÉTAUX PERFIDES. 157 teuse; son bois dur, d’un jaune pâle, et marqué de taches noires. Des diverses espèces de strychnos (d’où l’on lire la strychnine), celle-ci est avec la noix vomique, celle dont le poison est le plus vio- lent. On a raconté sur ce végétal bien des faits mer- veilleux, et des fables extraordinaires dont nous nous garderons bien de nous faire l’écho; les ob- servations réelles faites sur cet arbre sont du reste assez curieuses par elles-mêmes- pour fixer notre attention. Voici, sous réserve encore, ce qu’en dit Thunberg, le botaniste d’Upsal. L’upas se reconnaît à une grande distance : il est toujours vert. La terre est2 autour de lui, sté- rile et comme brûlée. Le suc est d’un brun foncé. Il se liquéfie par la chaleur comme les autres ré- sines. On le recueille avec beaucoup de précau- tions. On s’enveloppe la tête, les mains et tout le corps, pour se mettre à l’abri des émanations de l’arbre, et surtout des gouttes de suc qui en tombent. On évite même d’en approcher de trop près ; pour cela, on a des bambous, terminés par une pointe d’acier, creusés en gouttière; on enfonce une ving- taine de ces bambous dans le tronc de l’arbre ; le suc coule le long de la rainure de l’acier, dans le creux des bambous jusqu’au premier nœud. On les y laisse trois ou quatre jours, pour que le suc puisse les remplir et se figer : on va les arracher ensuite. On sépare la partie des bambous qui con- 158 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. tient le poison, et on l’enveloppe avec grand soin. Ce poison perd de sa force quand il est gardé un an. Les émanations de l’arbre produisent des spasmes et de l’engourdissement. Si l’on passe au-dessous la tête nue, on perd ses cheveux. Une goutte de suc qui tombe sur la peau produit une violente inflammation. Les oiseaux volent difficilement au- dessus, et si quelqu’un se pose sur les branches, il tombe mort. Le sol est absolument stérile alen- tour à la distance d’un jet de pierre. Les personnes blessées avec un dard empoisonné, éprouvent à l’instant une chaleur ardente suivie de convulsions, et meurent en moins d’un quart d’heure. Après la mort la peau se couvre de taches, le visage est li- vide et enflé, et le blanc des yeux devient] aune. Foerset rapporte des expériences faites avec la résine de l’upas. «Étantà Soura-Charta, dit-il, j’as- sistai à l’exécution de treize femmes. On les con- duisit à onze heures du matin sur la place vis-à- vis le palais. Le juge fit passer au-dessus de leur tête la sentence qui les condamnait; on leur pré- senta ensuite l’alcoran pour leur faire jurer que cette sentence était juste, ce qu’elles firent, en mettant une main sur le livre et l’autre sur la poi- trine, et levant les yeux au ciel. Ensuite le bour- reau procéda à l’exécution de la manière sui- vante : LES POISONS. 159 « On avait dressé treize poteaux : on y attacha les coupables. Elles restèrent dans cette situation, mêlant leurs prières à celles des assistants, jus- qu’à ce que le juge, ayant donné le signal, le bour- -reau les piqua au sein avec une lancette trempée dans la résine de l’upas. A l’instant elles éprouvè- rent un tremblement suivi de convulsions, et six minutes après aucune d’elles n’existait. Je vis sur leur peau des taches livides; leur visage était enflé, leur teint bleuâtre, leurs yeux jaunes. « J’eus occasion de voir une autre exécution à Samarang. On y fit mourir sept Malais de la même manière, et j’observai les mêmes efTets. » ^ Le descripteur hollandais donne d’autres rela- tions que nous tiendrons pour fabuleuses. Mais comme il s’agit dans ce qui précède de faits vérifiés par d’autres voyageurs et expliqués par la violence de ce poison — qui tue par l’inoculation d’une seule piqûre au doigt — nous avons avec le tra- ducteur de Darwin * admis les observations rela- tives à l’arbre de Java. Les forêts de Java offrent peu d’attrait aux voyageurs européens; du moins un sentiment de crainte se mêle-t-il ordinairement à celui de la curiosité. De toutes parts, dit Schleiden, des pal- 1. Médecin et poète anglais du siècle dernier (1731-1802), auteur des Amours des Plantes et de plusieurs ouvrages de bo- tanique. 160 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. -miers hérissés d’épines et d’aiguillons, des ro- seaux aux feuilles tranchantes, coupant comme des couteaux, repoussent de leurs armes dange- reuses celui qui veut y pénétrer. Partout dans ce -'fourré épais se dressent d’uO air menaçant de ter- ribles orties ; de grandes fourmis noires tourmen- tent le voyageur de leurs morsures dangereuses, et des essaims d’innombrables insectes le poursuivent ' et le persécutent. Après avoir vaincu ou écarté tous ces obstacles, il arrive devant les massifs de bam- î bous, élevant leurs tiges, grosses comme le bras, j à cinquante pieds de hauteur, et présentant une j écorce dure et vitreuse qui résiste aux coups de j hache les plus formidables. Enfin, quand ce nou- | vel ol stade est écarté, il atteint l’entrée des dômes j majestueux de la forêt vierge proprement dite. Des troncs gigantesques de l’arbre à pin, du bois -de teck dur comme le fer, des légumineuses aux touffes brillantes de fleurs, des barringtonia, des figuiers et des lauriers en forment les colonnades qui supportent la voûte verdoyante et rare. De branche en branche il voit sautiller les singes qui ; -ne font que l’agacer et lui jeter des fruits. A me- sure qu’il s’avance, il voit l’orang-outang, à la mine sévère et mélancolique, s’élancer d’un ro- : cher couvert de mousse, et, soutenu sur son bâton, -s’enfoncer dans le fourré. Partout on rencontre des animaux ; ce qui rend ces forêts bien diffé- LES POISONS. 161 rentes de la solitude désolante de plusieurs de celles de l’Amérique centrale. On y voit des plantes grimpantes élever en spirales leurs tiges miliaires, et entrelacer à une hauteur de cent pieds les ar- bres les plus gigantesques, au point qu’elles sem- blent vouloir les étouffer. De grandes feuilles vertes et luisantes alternent avec des vrilles qui s’y cram-- ponnent et des ombelles odorantes amplement fournies de fleurs blanches à teintes verdâtres. Cette plante, de la famille des apocynées, est le tjettet des indigènes {Strychnos Tienté) dont les ra- cines fournissent le terrible upas radja ou poison des princes. A la moindre blessure faite au tigre avec une arme trempée dans ce poison, ou avec une petite flèche de bois dur envoyée par le souffle d’une sarbacane, l’animal tremble, reste immo- bile pendant une minute, tombe ensuite foudroyé - et expire dans de rapides convulsions. La partie de cet arbre qui se développe au-dessus de la terre est inoffensive. En continuant sa marche", le voya- geur ne tarde pas à rencontrer un arbre dont la tige élancée dépasse tous les autres qui l’environ- nent. Le tronc, parfaitement cylindrique et glabre, monte à 60 ou 80 pieds et porte une superbe cou- ronne hémisphérique qui domine fièrement les plantes étalées humblement autour de lui. Malheur au voyageur si sa peau vient à toucher le suc lai- teux que contient en abondance scn écorce trop 11 \ 162 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX prompte à s’ouvrir; des ampoules, des ulcères douloureux et plus redoutables que ceux produits par le sumac vénéneux , se déclarent presque aus- sitôt. C’est l’autjar des Javanais, le pohan upas des Malais (l’arbre du poison), l’ypo des habi- tants de Célèbes et des îles Philippines. Il produit l’upas ordinaire qui servait à l’empoisonnement des flèches, usage qui paraît avoir été répandu dans toutes les îles de la mer du Sud, mais qui diminue de nos jours à mesure que celui des armes à feu devient général. Rien en même temps n’est plus grandiose, plus sublime que le caractère des mon- tagnes de ce pays, lesquelles, ainsi que les îles elles-mêmes, doivent le jour à des éruptions vol- caniques. La Vallée empoisonnée. Nous ne saurions terminer cette courte exquisse des arbres vénéneux, et surtout fa description des upas javanais, sans dire un mot de cette vallée, dont le caractère funeste est attribué par l’igno- rance des indigènes aux exhalaisons de ces végé- taux terribles. Suivons ici aussi le récit de Schleiden. En quittant le fourré de la forêt vierge, si le voyageur escalade une colline, son regard terrifié VALLÉE DE LA MORT. 163 aperçoit soudain l’image de la désolation. Une val- lée plate et déserte ne présentant pas la moindre trace de végétation, calcinée par l’ardeur du so- leil, se déroule devant lui à perte de vue. La mort seule habite cette région parsemée de squelettes et d’ossements à moitié détruits. Souvent on recon- naît, d’après leur position, que le tigre a été frappé La Vallée empoisonnée. (Java.) au moment de saisir sa victime, et que l’oiseau de proie, en descendant sur son cadavre, a subi le même sort. Des monceaux de coléoptères et d’au- tres insectes se rencontrent éparpillés çà et là, et témoignent en faveur de la justesse du nom que cette vallée a reçu des naturels. C’est la Vallée de la Mort ou la Vallée Empoisonnée. Cette propriété funeste du terrain est due aux émanations d’acide 164 LES VÉGÉTAUX MERVEIfXEUX. carbonique qui, à cause de sa pesanteur spécifique, ne se mêle que lentement aux couches supérieures de l’atmosphère, comme cela se voit dans la Grotta del Cane (Grotte de Chien) près de Naples et dans la caverne à vapeurs de Pyrmont. Ce gaz donne in- failliblement la mort à tous ceux qui se baissent vers le sol. L’homme seul, à qui Dieu a départi la faculté de marcher debout, traverse impuné- ment ces endroits dangereux pour les animaux d’une stature moins élevée, parce que ces vapeurs asphyxiantes ne peuvent atteindre à la hauteur de sa tête. De même que l’oppression qu’on éprouve sur l’Himalaya à une hauteur de 15 000 à 16000 pieds est attribuée par les indigènes aux émana- tions vénéneuses de certaines herbes, de même aussi les terribles phénomènes de la vallée de la mort ont été mis sur le compte des émanations du poison upas dont nous venons de parler, et ce que l’on en raconte est d’autant plus effrayant, que jusqu’ici, on ne connaît pas encore le contre- poison à opposer à ce venin violent dont l’effet est instantané. N’envions pas aux habitants des tropiques le lait de l’arbre à vache, et, contents de l’utile présent du caoutchouc, renonçons sans regret au reste de la végétation luxuriante de ces contrées qui, avec toutes leurs beautés, présentent toujours aussi quelque chose de funeste. Aucun médicament LES VÉGÉTAUX PERFIDES. 165 connu n’est capable de neutraliser les effets de ces poisons, qui sont autant d’énigmes terribles posées au genre humain. Ils confirment ce dire que la brillante lumière de la nature tropicale a aussi son côté sombre, et que plus d’un dragon défend l’ap- proche de ces jardins des Hespérides. Les chênes. CHAPITRE IX. LES DOYENS ET LES GÉANTS DU MONDE VÉGÉTAL. I. Longévité des arbres. De tous les objets dont la nature organique revêt notre globe, aucun ne laisse une plus vénérable idée du temps que ces arbres séculaires dont les bran- ches ont étendu leur ombre sur tant de généra- tions. L’arbre immense et calme a quelque chose de mystérieux et d’attirant pour le regard ; pour notre part, nous avons rarement vu la vie printa- nière revêtir d’une nouvelle parure un arbre que chaque année on revoit pareil à lui-même, sans LONGÉVITÉ DES ARBRES. 167 rencontrer au fond de notre être une pensée do- minante qui nous exprimait plus éloquemment que tout autre la brièveté de notre vie. Les monuments de l’homme vivent plus longtemps que lui, c’est vrai ; mais ils ne sont point animés par la vie de la nature. Les montagnes aussi ont assisté aux révo- lutions séculaires des âges, mais ce ne sont point des individualités avec laquelle nous puissions entrer en confidence. L’arbre , au contraire , l’arbre comme la fleur, est un individu qui nous regarde et qui se tient devant nous comme le témoin calme de notre existence. Cet arbre exis- tait longtemps avant que nous ayons reçu le jour, il a vu les siècles qui nous ont précédés; bien des hommes ont passé à ses pieds, qui furent nos loin- tains ancêtres durant ces époques pour nous si mystérieuses de notre non existence. Et quand le flambeau de notre vie sera consumé, ce même arbre restera, lui, calme et silencieux comme au- jourd’hui, il refleurira au printemps et de nou- velles générations viendront se jouer comme la nôtre à ses pieds ! Les grands végétaux comptent leur existence par siècle. Qui ne connaît le chêne des partisans, dans le département des Vosges, qui offre 13 mètres de cir- conférence au-dessus du collet, et, à la naissance des principales branches, 5 mètres 70? Sa hauteur est de 33 mètres, son envergure de 25. Il a près de 168 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. 650 ans d’âge, et peut dater du temps où les bandes des cothereaux, carriers ou routiers,, dévastaient la France sous le règne de Philippe-Auguste. A la base des pentes méridionales du Mont-Blanc, dans la forêt de Ferri, près du col de ce nom, on trouve un mélèze qui a 5 mètres 45 de circonfé- rence au-dessus du collet de la racine, et qui paraît attester 800 ans de vieillesse. Non loin de lui, entre Dolonne et Pré-Saint-Di- zier, on voit sur les montagnes du Béqué un sapin désigné par les habitants du pays sous le nom d’A"- ciirie des chamois, parce qu’il sert d’abri à ces ani- maux pendant l’hiver. Il mesure 7 mètres 62 de circonférence et 4 mètres 80 encore au premier . embranchement. Malgré sa magnifique végétation et sa verdoyante parure, on lui attribue 1200 ans d’existence. Aux îles du Cap-Vert, Adanson a mesuré plu- sieurs baobabs de 30 mètres de circonférence, lesquels, suivant ses prévisions, devaient compter près de 6000 ans d’existence. Ils eussent été anté- rieurs au déluge. On peut au premier abord s’étonner que l’on • puisse par l’aspect d’un arbre déterminer approxi- mativement son âge. L’explication en est cepen- dant fort simple. Chaque année une nouvelle couche de bois se forme dans l’arbre, et l’on peut voir sur ùn tronc r.ONGÉVITÉ DES ARBRES. 169 scié qu’en effet le bois montre une suite de zones concentriques. Si l’on divise un arbre par tronçons en faisant des coupes continues le long de la tige et au-dessus de chaque embranchement régulier, le nombre de couches ligneuses qu’on comptera sur les diverses coupes diminuera successivement d’année en année, depuis la première série de bran- ches jusqu’à la cime. Le nombre’d’embranchements réguliers disposés le long de la tige coïncide de plus avec le nombre d’années écoulées depuis la naissance de l’arbre jusqu’à l’instant de sa destruc- tion. De plus, si l’on coupe transversalement l’une 'des branches latérales de chaque série, on s’aper- cevra que le nombre de couches ligneuses de cha- que coupe coïncide avec celui de la partie corres- pondante de la tige, car ces branches se sont développées la même année. Chaque zone ligneuse concentrique indiquant une année, un arbre qui montre cent zones peut être regardé comme comp- tant un siècle d’existence. C’est par ces observations sur les arbres mêmes ou sur ceux de la même espèce, et par d’ingénieuses déductions, que les botanistes sont parvenus à déterminer l’âge des arbres. Les végétaux qui, dans tous les pays du monde, acquièrent la dimension la plus remarquable, sont l’if, le châtaignier, plusieurs bambous, les mimosas, les césalpinia, les figuiers, les acajous, les courba- rils, les cyprès à feuilles d’acacia, et le platane *170 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. >' occidental. Nous ne parlons pas dune race de \ géants récemment découverte dont nous offrirons . ci-après quelques spécimens. i Ages de quelques arbres. On voit en Écosse, à For- ' tingall, un if de plus de trois mille ans. En France, à Foullebec (Eure), un if mesuré en 1822, parais- sait âgé de onze à douze cents ans. Adanson a mesuré au Gap- Vert un baobab dont le tronc présentait 29 mètres de circonférence ; la comparaison de cet arbre avec les plus jeunes de nos espèces accuse pour lui cinq mille ans d’âge. Golberg en a observé un autre qui atteignait 34 mè- tres de pourtour, et par conséquent, selon toute apparence, plus âgé que le précédent. Mais le plus remarquable encore, au point de vue de l’ancien- neté, c'est le pin colossal de Californie, le séquoia, qui s’élève à une hauteur de 100 mètres et pré- sente une épaisseur de 10 mètres. Les couches concentric{ues d’un de ces troncs immenses,témoi- gnèrent six mille ans : il était donc contemporain des premières dynasties égyptiennes. Nous en par- lerons à la fin de ce chapitre. Nous nous proposons de décrire maintenant les arbres les plus merveilleux au point de vue de leur âge, de leur grosseur, ou de l’intérêt de leur rôle historique. En Europe, le tilleul paraît l’arbre le plus sus- ceptible de longévité et de proportions gigantes- LONGÉVITÉ LES ARBRES. 171 ques. Le Tilleul de Neustadt en est un exemple remarquable. C’est en Allemagne, dans le royaume de Wurtemberg, que cette petite ville garde ce co- lossal monument de la végétation, dont le couron- nement décrit une circonférence de 133 mètres, et dont les branches sont soutenues par 106 colonnes de pierre. Au milieu du seizième siècle, le duc de Wurtemberg lit peindre ses armoiries sur les deux colonnes du devant A son sommet, le tilleul de Neustadt se divise en deux grosses branches, dont l’une fut brisée par la tempête en 1773, tandis que l’autre mesure encore aujourd’hui une lon- gueur de 35 mètres. Le Tilleul de Fribourg, dont la circonférence est de 5 mètres, en offre un autre exemple. Il présente de plus un intérêt historique, parce qu’il provient d’un rameau planté le jour de la bataille de Morat, à côté du cadavre d’un jeune Fribourgeois mort de fatigue en arrivant annoncer la victoire. Glorieuse ardeur qui rappelle les jours de la Grèce antique. Le Tilleul de Villars-en-Moing, près Fribourg, est plus ancien encore, carilétaitdéjàcélèbreen 1476, date de la bataille précédente. Sa circonférence ne mesure pas moins de 12 mètres; sa hauteur est de 24. Deux branches énormes le divisent à 3 mètres au-dessus du sol, et ces branches se subdivisent elles-mêmes en cinq nouvelles branches, puissan- tes et touffues. 172 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. Le chêne est avec le tilleul le végétal de nos con- trées qui acquiert les plus grandes proportions. L’Angleterre en possède de fort remarquables par leur vieillesse et leurs dimensions. En voici quelques-uns : Le chêne du parc Clipson est âgé de quinze cents ans. Ce parc existait avant la conquête, et il appar- tient au duc de Portland. Le chêne le plus haut de taille, aussi bien que le plus vieux, appartient au même lord. On l’avait siïrnommé la Canne du duc. Le plus gros chêne d’Angleterre est le chêne de Calthorpe, dans le Yorkshire; il mesure 78 pieds de circonférence à sa base. Le chêne des Trois-Comtés est ainsi nommé parce qu’il appartient à un domaine situé à la fois dans les comtés de Nottingham, de Derby et d’A'ork. Cet arbre couvre de son feuillage 777 mètres carrés. Le chêne le plus productif était celui de Gebnos, dans le comté de Montmouth; il fut abattu en 1810; l’écorce seule fut vendue 200 livres ster- ling (5000 francs) et le bois 670 livres sterling (16 750 francs). Ces chiffres sont extraits de la Re- vue britannique. Dans le manoir de Tredegar, même comté, une salle de quarante-deux pieds de long sur vingt-sept de large a été parquetée et lam- brissée avec le produit d’un seul chêne tiré du parc de ce domaine. LONGF^VITÉ DES ARBRES. 173 Voici maintenant les plus remarquables de notre France. On observera qu’ils ne le cèdent en rien aux précédents. LES COLOSSES OU RÈONE VÉGÉTAL. II. Chênes — d’Autrage, — d’Antein, — d’Allouville, de Montravail. Le chêne d’Autrage, dans l’arrondissement de Bedfort (Haut-Rhin), l’un des plus gros arbres de nos contrées, fut abattu il y a quelques années. Il avait près de 5 mètres de diamètre à la base, et plus de 14 de circonférence, habille seule produi- sit 126 stères de bois marchand. On faisait remon- ter l’origine de ce chêne aux temps druidiques. Le chêne d’Antein, dans la forêt de Sénart. Il n’est pas nécessaire de s’éloigner beaucoup de Paris pour voir certains monuments végétaux fort respectables. Sans aller même jusqu’à la forêt de Fontainebleau, et sur la route même, vous pouvez descendre à la station de Montgeron ou de Brunoy, et faire une longue excursion dans la belle forêt de Sénart. Avant d’arriver au petit village de Champrosay, à trois cents mètres environ au-des- sus, il y a une croisée où huit routes viennent aboutir. C’est au milieu de cette croisée que re- pose le vieux chêne d’Antein. Les Parisiens qui 174 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. descendent le dimanche à la station de Villeneuve- Saint-Georges, et qui s'éloignent dans la campagne arrosée par la petile rivière d’Yèrres, ne perdraient rien à l’intérêt de leurs promenades s’ils regardaient de temps en temps les arbres et les plantes avec l’œil du botaniste et de l’historien. Le tronc du chêne dont nous parlons mesure 5 mètres 20, et son feuil- lage couvre un espace de plus de 30 mètres. Plusieurs de ses vieilles branches ont été abat- tues. Jadis, au bon vieux temps, on y pendait haut et court. Au dernier siècle, l’extravagant marquis de Brunoy avait dignement remplacé cet usage en faisant servir sous son ombre d’excellents déjeu- ners de chasse. Les tilleuls et les chênes que nous venons de dé- crire, quelque remarquables qu’ils soient, ne for- ment encore que l’entrée en matière des descrip- tions qui vont suivre ; ils sont à la lisière des bois géants que nous devons parcourir. Voici en effet les végétaux dignes d’être nommés merveilleux par leur taille gigantesque et par l’âge que sup- portent ces patriarches du monde, près de la vie desquels celle des animaux n’est qu’une ombre. Le vieux chêne d’Allouville. Parmi les arbres antiques et merveilleux qui excitent au plus hautdegré l’intérêt des voyageurs, LES COLOSSES DU RÈGNE VÉGÉTAL. 175 le chêne immense que l’on rencontre à Allouville, près d’Yvetot, doit être compté parmi ceux aux- quels le souvenir reste le plus chèrement atta- ché. Ce que l’on a écrit de mémoires savants, de discussions scientifiques sur cet arbre, ne vaut pas les récits des villageois qui, tradition- nellement, se succèdent à ses pieds depuis des siè- cles. Son ombre a couvert des ancêtresbien chers, et s’étend sur la dernière demeure de bien des gé- nérations. Planté au milieu du cimetière, souvent les pieux habitants des campagnes sont venus s’a- genouiller à ses pieds aux heures d’inquiétude et de souffrance ; peu d’arbres, peu de chênes ravi- vent avec autant de vérité le patriotique souvenir qui s’attache, dans l'esprit des fils de la Gaule, à la source du culte de la nature chez les druides. Au-dessus du sol, il mesure trente pieds de cir- conférence, et vingt-quatre à hauteur d’homme. Dans l’intérieur du tronc creux, on a établi une chapelle. Au-dessus, — on pourrait dire au pre- mier, — se voit une chambre rustique d’anacho- rète, garnie d’une couche taillée dans le bois. Plus haut encore, au second, un petit clocher couronné par une croix surmonte l’édifice végétal. Ce chêne ne compte pas moins de neuf cents ans d’âge. C’est au dix-septième siècle que l’on décora son intérieur en chapelle, et que l’on consacra cette chapelle à la Vierge. Sous la Révolution, des fana- 176 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. ti(iues inintelligents, qui font consister leur bon- . : heur à tout détruire, tentèrent à plusieurs reprises d’incendier ce vénérable monument historique ; mais les habitants d’Allouville et des alentours, qui vouent à cet arbre une sorte de culte de fa- mille, le défendirent avec amour et le sauvèrent. Bien des générations viendront encore s’asseoir sous son ombre immense. j «L’aspect de cet arbre, dit un chroniqueur*, excite un intérêt encore plus grand, peut-être, que celui des éditices que nous ont légués les peuples éteints. ; Il nous semble qu’il y a réellement quelque chose 1 de plus éloquent dans cette végétation sans cesse ' renaissante qui a vu tant de fosses se fermer et s’ouvrir, dans cette écorce vive qui palpite sous le doigt, que dans les pierres muettes et froides des vieux temples; et nous ne connaissons pas d’histo- rien qui nous ait plus touché que la tradition humble et pieuse qui raconte aux voyageurs les rois, les guerriers qui se sont reposés contre ce tronc antique, les troubadours qui l’ont chanté, ou les orages qui l’ont frappé sans le consumer ja- mais. » Un jour, dans une excursion de touriste, reve- nant de Caudebec à Yvetot, nous fîmes un détour pour visiter le vieux chêne. L’aspect qui nous 1. Magaôin pittoresque, t. 1, 1833. 12 Le Chêne d’Allouville. V'' ■ 1 i'. j^r ,. . ■ -.y- LES COLOSSES DU RÈGNE VÉGÉTAI.. 179 trappa le [plus particulièrement dans ce végétal, c’est de le voir réduit pour ainsi dire à son écorce seule. 11 est entièrement creux, de la racine au sommet, et l’intérieur est plaqué de bois, muré ou plâtré, tapissé comme une cellule ou un oratoire. Cependant l’arbre est aussi vert que ceux de la forêt voisine, et des milliers de glands le décorent chaque été de fruits toujours jeunes. Le chêne de Montravail. Le vieux chêne-chapelle d'Allouville n’est pour- tant qu un monument fort modeste à côté de celui- ci, qui ne compte pas moins de dix-huit cents ans à deux mille ans d'existence; et Ténorme châtaignier de TEtna n’en est qu’une ombre, attendu que sa circonférence est formée par la réunion de plu- sieurs branches sortant d’une base commune en- fouie sous les cendres volcaniques, et rapprochées de manière à simuler un même tronc. Ce chêne, qui se trouve dans la vaste cour de la ferme de Montravail, près de Saintes, est, sans con- tredit, le doyen des forêts de la Saintonge et de la France entière. Il appartient à l’espèce quercuslon- gœva, et sa robuste constitution peut encore suppor- ter le poids des siècles à venir. Un feuillage vert et abondant vient chaque année le couronner, pour la (Jeux millième fois peut-être. Au niveau du sol, son 180 LEE VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. diamètre estde huit à neuf mètres, sa circonférence de près de vingt-six. Le développement général des branches mesure cent vingt mètres de circuit. Dans le bois mort de l’intérieur du tronc, on trouve une salle creusée, de trois à quatre mètres de dia- mètre sur trois de hauteur ; un banc circulaire taillé en plein bois est préparé pour les visiteurs, et lors- qu’on place une table au centre, douze convives peuvent facilement prendre leur collation dans cette salle à manger rustique. Une tapisserie vi- vante de fougère et de mousse la décore ; elle re- çoit le jour par une fenêtre placée à gauche, et par la porte qui est vitrée. Il ne reste plus guère de cet arbre qu’une épaisse écorce ; c’est le sort de presque tous les vieux végé- taux qui perdent leur moelle, leur cœur et leur bois et ne vivent plus que sur leur squelette exté- rieur. Cet aspect se remarque surtout dans les sau- les. Dernièrement nous suivions le bord de la Marne, sous le magnifique viaduc de Chaumont, lorsque l’un de ces saules nous arrêta. Il ne possé- dait plus qu’une écorce crevasée entièrement creuse du haut en bas. Cependant il était verdoyant, et de plus mille parasites, végétaux et animaux en habi- taient les profonds interstices. Le chêne de Montravai), près de Saintes. LES COLOSSES DU RÈGNE VÉGÉTAL. 183 III. Châtaigniers — de Neuve-Gelle, — de l’Etna; Platanes de Smyrne, — de Cos, — de Godefroy de Bouillon. Le châtaignier de Neuve-Gelle (Suisse). La Suisse est remarquable par la diversité de ses trésors naturels. Aux sites délicieux, aux points de vue pittoresques, aux paysages magnifiques, elle ajoute encore des beautés particulières non moins précieuses. Nous parlerons seulement ici de quel- ques arbres célèbres. Au bord du lac Léman domine le manoir de .Meil- lerie , dont les rochers suspendus ne sont séparés du lac que par la route du Simplon. De Meillerie on arrive, par Talemon (site légendaire) à Maxili et au château de Neuve-Gelle, auquel appartient le châtaignier dont nous parlons. Dés le quinzième siècle, cet arbre abritait un modeste ermitage, et sans doute, à cette époque, était-il déjà d’un âge respectable. Aujourd’hui, sa base mesure une cir- conférence de treize mètres Son élévation, plusieurs fois frappée par le feu du ciel, s’est arrêtée dans son développement ; mais l’envergure de ses bran- ches l’enveloppe encore d’un aspect vénérable, et l’été voit chaque année de nombreux touristes ve- nant se reposer à son ombre. On admirait encore, il y a un demi-siècle, à Mor- 184 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. ges, sur la rive septentrionale du lac, deux arbres jumeaux à peu près de la même taille. En 1824, le plus grand succomba sous le poids de sa vieillesse, chute dont les habitants ressentirent une douleur réelle, car l’ormeau tombé, depuis longtemps était le confident immobile de leurs ancêtres. Cet or- meau mesurait, à la sortie des branches du tronc, plus de 11 mètres de circonférence; la branche principale mesurait 5 mètres 44, plusieurs autres, 3 mètres. — Son frère est resté debout et grossit encore. A Prilly, vers Lausanne, on rencontre un tilleul dont l’ombre, il y a cinq cents ans, couvrait déjà la justice du lieu. La municipalité de Lausanne le surveille avec soin ; son attentive sollicitude pré- side à sa conservation, chère aux deux commu- nes; une petite fontaine entretient la fraîcheur de ses racines. Les dimensions de cet arbre ne sont pas inférieures à celles du j>récédent. L'ormeau de Lutry et le tilleul de Villars sont, comme les précédents, le rendez-vous des voya- geurs, et reçoivent comme eux une admiration lé- gitime. N’oublions pas les bains d’Évian, où l’on voit, un peu au-dessous de la route, deux rosiers de même forme, et presque égaux en grandeur et en gros- seur. Ce ne sont pas des monuments gigantesques auprès des colosses arborescents dont nous venons LES COLOSSES DU RÈGNE VÉGÉTAL. 185 de parler; mais ils ne causent pas aux voyageurs une moindre surprise. Ces admirables rosiers sont d'une taille respectable pour le monde des fleurs leur tronc mesure près de trente centimètres de circonférence. Le châtaignier de l’Etna. LechâtaignierdeNeuve-Gelle est loind’être com- parable à celui-ci, connu aussi sous le nom de Châtaignier des cent chevaux, à cause de la vaste étendue de son ombrage. La tradition rapporte que Jeanne d’Aragon visita l’Etna dans son voyage d’Espagne à Naples, et que toute la noblesse de Catane l’accompagna dans son excursion. Un orage étant survenu, la reine et sa suite auraient trouvé un abri sous le feuillage de cet arbre immense. •< Cet arbre si vanté et d’un diamètre si considé- rable est entièrement creux, dit Jean Houel, le pre- mier voyageur qui en ait donné la description au siècle dernier, car le châtaignier est comme le saule, il subsiste par son écorce; il perd en vieil- lissant ses parties intérieures, et ne s’en couronne pas moins de verdure. La cavité de celui-ci étant immense, des gens du pays y ont construit une maison où est un four pour sécher des châtaignes, des noisettes, des amandes et autres fruits que l’on veut conserver; c’est un usage général en Sicile. 1B6 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. Souvent, quand ils ont besoin de bois, ils prennent une hache et ils en coupent à Farbre même qui entoure leur maison; aussi ce châtaignier est dans un grand état de destruction. « Quelques personnes ont cru que cette masse était formée de plusieurs châtaigniers qui, pressés les uns contre les autres, et ne conservant plus que leur écorce, n’en paraissent qu’un seul à des yeux inattentifs. Ils se sont trompés, et c’est pour dissiper cette erreur que j’en ai tracé le plan géo- métrai. Toutes les parties mutilées par les ans et la main des hommes m’ont paru appartenir à un seul et même tronc ^ « On a dit, en effet, comme le rappelle Houel, que plusieurs arbres étaient réunis dans ce végétal gi- gantesque : cependant un examen attentif paraît détruire cette objection. Brydone, qui le visita en 1770, rapporte que ses guides, interprètes des tra- ditions du pays, assuraient qu’à une époque très- ancienne une écorce continue et très-saine couvrait encore ce tronc, dont on ne voit plus aujourd'hui que les véritables ruines. Le chanoine Recupero, naturaliste sicilien, attesta en présence du voyageur anglais et de plusieurs autres témoins que la racine 1. Nous tenons de M. Isabeau , horticulteui* distingué, que certains arbres sont particulièrement disposés à se souder lors- qu’ils prennent naissance autour de la souche paternelle, et que ce fait a été maintes fois observé sur l’olivier. Le châtaijjnier de l’Etna LES COLOSSES DU RÈGNE VÉGÉTAL. 189 de cet arbre colossal était unique. La meilleure observation à l’appui de l’unité de ce végétal, c’est encore l’exemple fourni par d’autres châtaignier^ de l’Etna qui présentent jusqu’à 12 mètres de dia- mètre. Celui que nous décrivons a cent soixante pieds de circonférence. — On ne saurait assigner la limite de son âge probable. Aujourd’hui une ouverture, assez large pour que deux voitures y passent de front, le traverse de part en part, ce qui n’empêche pas qu’il se couvre annuellement de fleurs et de fruits. Nous devons cependant ajouter, en terminant, que c’était une coutume, chez les horticulteurs anciens, de rassembler autour d’une meme pousse plusieurs autres de mêmq espèce, de manière à former l’apparence d’un seul arbre, dont les années affermissaient la taille colossale. On écorçait les côtés intérieurs, et bientôt une seule écorce parais- sait l’envelopper. Ce fait se rencontre surtout chez les oliviers. Le platane de Smyrne. Vers le milieu de la plaine de Smyrne, en Asie Mineure, près de la route qui mène à Bournabat, on voit le vieux platane que représente notre dessin. Sa forme singulière n’est pas moins remarquable que ses dimensions. 190 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. Bournabat est un village où l’on montre une grotte dans laquelle la tradition rapporte qu’Homère écrivit l’Iliade. Ce lieu pittoresque est le séjour favori des riches négociants de Smyrne, qui y ont établi leurs maisons de plaisance. Or les piétons, et même les cavaliers qui se rendent de la ville à la campagne, aiment à suivre un sentier, parallèle et contigu à la route, qui traverse cette haute porte végétale formée par les divisions du tronc. Ces deux souches sont assez fortes pour supporter la masse du platane énorme, du hautduquel on dominel’un des plus beaux golfes de la côte asiatique. De là on aperçoit les cimetières orientaux de Smyrne, les plus mémorables avec ceux de Péra et deScutari; où s’étend l’ombre silencieuse de cyprès séculaires. Le regard domine la plaine, depuis les limites orientalesde la grande villejusqu’aux riches collines qui s’élèvent à l’opposite de la mer. Le platane de Cos. Cos, l’île célèbre des Sporades, dans la mer Égée, qui donna le jour au plus grand des médecins, Hippocrate, au plus grand des peintres de la Grèce , Apelles, nous offre au centre de la place publique le platane traditionnel que l’on compare souvent au précédent. Le développement prodigieux de ses branches couvre cette place fout entière. Affaissées Le platane de Smyrne. \ ' 4 1 ' * -^jr- •. ; i ■ ; vS’?. .y^}r - -V^x ï sS -i' LES COLOSSES. 193 SOUS leur propre poids, elles pourraient se briser, si les habitants ne s'étaient chargés de les soute- nir par des colonnes de marbre. Ils vouent à ce monument organique une espèce de culte non moins sincère, non moins profond qu'aux édifices qui restent, derniers témoins de leur ancienne grandeur. Le platane de Godefroy de Bouillon. Je serais presque tenté de vous dire, comme l’as- trologue: Ce platanequevousvoyezn’enest paswn; — . en effet, c’est une réunion de neuf platanes soudés formant trois groupes très-rapprochés. M. Ch. Mar- tins, qui l’a observé et décrit, le regarde comme le végétal le plus colossal qui existe, et M. Th. Gautier l’appelle non pas un arbre, mais une forêt. En com- mençant par l’est, dit lepremier de ces écrivains, on voit d’abord deux troncs réunis, ayant, à un mètre au-dessus du sol, une circonférence de 10 mètres 80. Le feu y a creusé une cavité de cinq mètres d’ou- verture; puis vient un tronc isolé dont le pourtour est de 5 mètres 40. Le dernier groupe se compose de six troncs réunis, formant une ellipse courbe dont la circonférence est de 23 mètres; savoir: 13 mètres pour l’axe extérieur, 10 mètres pour l’intérieur qui est concentrique au premier. Cet énorme tronc a été creusé par le feu, car la barbarie 13 194 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. turque n’admire et ne respecte rien. Un cheval était à l’aise dans cette cavité qui lui servait d'écurie. M. Martins estime à 60 mètres environ la plus grande hauteur du massif. La projection de la cime sur le sol couvre une surface irrégulière de 112 mètres de pourtour. Quelques branches mortes dépassent le dôme du feuillage, mais de longues branches vivantes retombent de tous côtés, chargées de feuilles plus découpées que celles du platane. d’Occident. Des tentes que le platane abrite, on dé- couvre la rade de Bujugdéré, village du Bosphore non loin duquel est situé le plateau de Godefroy de Bouillon. IV. If de la Motte-Feuilly ; Orme de Brignolles ; Erable deTrons; arbre de Pope; lierre de Rousseau. L’if de la Motte-Feuilly (Indre). Cet if est à la fois un monument de la nature et un monument de l’histoire. Un monument de la nature, car il porte les traces d’un âge séculaire ; son tronc n’offre pas moins de 8 mètres de tour ; l’ombre donnée par ses branches restées vertes s’étend sur une étendue de 22 mètres. Un monu- ment de l’histoire, car après avoir vu passer les légions romaines, il reçut les pleurs de Charlotte d’Alhret, l’épouse infortunée de César Borgia, duc LES VIEILLARDS. 195 de Valentinois, et ceux de Jeanne de France, di- vorcée d’avec Louis XII, qui vint confondre ses peines avec celles de sa cousine. Aujourd’hui, la moitié de cet arbre est morte et ne voit plus renaître, au printemps, son feuillage sombre; mais le trône principal reste, souvenir per- manent d’un âge disparu. Cet if se trouve dans l’un des clos du château féodal de la Motte-Feuilly, non loin de la route de Châtre à Châteaumeillant, sur les limites de l’ancienne province du Berry et de la Manche. L’orme de Brignolles. Il y a dans le département du Var une petite ri- vière, nommée la rivière deCaranci, qui maintenant coule hors des murs de Brignolles, et autrefois, si l’on en croit la tradition, passait au milieu de la place qui porte son nom, au pied de l’orme sécu- laire. Ce vénérable vieillard était déjà bien connu au quinzième siècle, avait assisté à bien des évé- nements, et donné asile à bien de pauvres arti- sans. Au seizième siècle, Michel de l’Hôpital en célébra les rares proportions, pour occuper son exil de Provence. Le roi Charles IX assista, le 25 octobre 1564, au bal champêtre qui fut donné sous l’orme gigantesque. Maintenant un bâton de vieil- lesse soutient ce patriarche antique; c’est un mo- deste et silencieux vieillard; en le voyant, on songe 196 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. involontairement au bon Bernardin de Saint- Pierre. L’érable sycomore de Trons (Grisons). Dans lalongue vallée du Varder-Rheinthal qui pro- tège l’enfance du Rhin, on rencontre la petite ville de Trons. C’est à peu de distance que Ton remarque l’arbre vénérable dont Tombrage recouvre une petite chapelle à la romaine. En 1424, les députés des communes de la vallée se réunirent sous ses branches pour former la fédération de la ligue Grise supérieure, d’où sortit la république des Grisons. Le quatrième jubilé de la formation de la ligue, en 1824, inaugura la petite chapelle, dont le portique montre cette inscription : « Vous êtes ap- pelés à la liberté; où est l’esprit de Dieu, là est la délivrance; nos pères ont espéré en toi. Seigneur, et tu les as fait libres. » Cet arbre fut longtemps appelé le platane de Trons, et c’est sous cette dénomination qu’on le trouve encore généralement désigné. Cependant ce n’est qu’un faux platane, un érable sycomore. A l’altitude où il végète, 865 mètres, le platane ne trouverait pas les conditions d’une existence pros- père. A un demi-mètre du sol; le tronc mesure 8” 60 de circonférence. Dans son voyage à Nuremberg, M. Edouard . / 3É tv. IhJ ■vâ^yyyi' LES VIKILr.ARDS. 199 Charton rapporte la visite qu’il fit au vieux chêne de cette ville, planté, dit-on, par l’impératrice Cunégonde. Jadis, dans les grandes fêtes de la cité germanique, on venait danser sous son feuillage qui couvrait de son ombre la cour entière des païens, au milieu de laquelle il était situé. Le jour même où, en 1445, le père d’Albert Durer vint s’établir à Nuremberg, le praticien Philippe Pir- kleimer célébrait sa noce sous le tilleul. Quatre statues entourent le tronc, ce sont les statues des empereurs, parmi lesquelles on remarque surtout celle de Wenceslas. L’arbre de Pope. L’arbre de Pope, près Binfield, n’a rien de re- marquable au point de vue botanique. C’est un pauvre hêtre, isolé sur un sol étranger, presque sans feuilles et sans rameaux, ridé et épuisé de vieillesse, à demi mutilé par la foudre. Cependant on sent en l’approchant se manifester au fond de son être l’émotion d’un respect indes- criptible. Puissances mystérieuses de l’association des idées, qui faites entrer dans le cercle de nos amitiés et pour ainsi dire dans notre famille, jusqu’aux choses inanimées 1 A sept milles de Windsor on rencontre cet arbre où Pope enfant vint rêver et recevoir les premières 200 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, impressions du monde extérieur. Sur son écorce des inscriptions sont gravées en Thonneur de Pope. Alentour, sur les arbres et sur les pierres sont des fragments empruntés aux œuvres principales de ce poète, à Y Essai sur F Homme, k la Prière univer’- selle, etc. Voici Tun des plus beaux fragments : « Toutes choses ne sont que les parties d'un en- semble merveilleux « Dont la nature est le corps et Dieu Pâme; « Qui se transforme partout et partout est le même ; « Grand sur la terre, grand dans l'immensité du ciel. « Sa chaleur rayonne sur nous dans le soleil, son souffle nous rafraîchit dans la brise ; « Il brille d'une douce lumière dans les étoiles, et il fleurit dans les arbres du printemps; cc II existe dans toute existence, il s’étend dans toute étendue; « Il répand sans se diviser, il donne toujours sans jamais perdre; ce II respire dans notre âme, il vit dans notre être mortel ; cc Aussi complet, aussi parfait dans un cil de notre œil que dans un battement de notre cœur, ce Aussi complet, aussi parfait dans l'homme mi- LES VIEILLARDS. 201 sérable qui gémit que dans l’éclatant séraphin qui adore en brûlant. « Pour lui, rien de haut, rien de bas, rien de petit; « Il remplit, il limite, il unit, il égalise tout. » Le lierre de Jean-Jacques Rousseau à Feuillancourt. Peut-être pouvons-nous couronner cette série d’arbres remarquables au point de vue de leur vé- nérable antiquité, par une branche de lierre dont l’origine historique est digne d’attention. Du passé de Feuillancourt l’industrie n’a respecté qu’une habitation appartenant à un ancien procureur du Châtelet nommé Usquin. On remarque dans le parc anglais qui entoure la villa italienne de Feuil- lancourt, un peuplier gigantesque autour duquel s’enroule un plan de lierre qui a pris d’immen- ses proportions d’année en année. Ce lierre vient d’une bouture mise en terre par Jean Jacques- Rousseau , ami de Trochereau, auquel appartenait alors ce terrain . A ce propos, la manière dont Rousseau mit fin brusquement à son amitié avec le botaniste précé- dent est assez curieuse. Le duc de Noailles, pro- priétaire d’un très-beau parc à Saint-Germain, dé- sirait voir Jean-Jacques Rousseau et causer avec lui. Comme une invitation directe de celui-ci eût été certainement suivie d’un refus immédiat, car on 202 r.KS VKGKTAUX MERVEILLEUX. connaît le caractère misanthropique de Rousseau et son aversion pour le monde, le duc pensa em- ployer la ruse, et pria Trochereau de conduire in- sensiblement son ami vers son parc, tout en bota- nisant. Le duc devait l’attendre derrière la grille, se trouver là par hasard, et les inviter à visiter les plantes de sa collection. Tout marcha bien jus- qu’au moment où le philosophe génevois aperçut le duc, mais en ce moment, Trochereau le chercha en vain : il était dispqru. Le lendemain Rousseau écrivait à son ami qu’il rompait de ce jour tout commerce avec lui. Rillancourt a perdu ses beaux jours. Il est bien solitaire aujourd’hui. Cependant au treizième siècle Blanche de Castille y avait une maison de cam- pagne, et à la fin du dix-septième le pavillon Mon- tespan marqua sa place dans l’histoire. Nous nous arrêtons ici. D’autres végétaux cepen- dant mériteraient d’être mentionnés. Nous en cite- rons encore quelques-uns. Il existe à Paris un vieillard de deux cent trente ans.... Vous avez bien lu, ami lecteur, nous disons deux cent trente ans, ni plus ni moins. Hâtons-nous d’ajouter que nous parlons d’un arbre, V Acacia de Rohin, du Jardin des Plantes, près de qui le cèdre du Liban n’est qu’un adolescent, la gloire du marronnier des Tuileries que de la iumée. LKS CEXTKXAIRKS. 203 Ce végétal, disait le Moniteur du mois de mai dernier , a été le pied - mère d’où sont issus les innombrables acacias qui peuplent aujour- d’hui nos jardins et nos bois. C’est dans un carré voisin de la rue de Bu don qu’apparaît son tronc vermoulu, crevassé, soigneusement calfeu- tré avec du plâtre, et protégé par une armature en fer. Ainsi qu’on peut le penser, rien n’est négligé pour prolonger l’existence de ce doyen d’âge de tous les acacias européens, bien connu de toutes les personnes qui fréquentent le Jardin des Plantes, et qui chaque année, au printemps, vont inter- roger ses rameaux, désireuses d’y surprendre les signes d’un reste de sève. Mais, évidemment, les derniers ans de l’arbre sont comptés. Cependant, nous avons constaté nous-même, au dernier prin- temps des signes de vie chez le vénérable patriarche de la faune parisienne. Son front chauve se cou- vrait d’une chevelure fine ; la sève, qui est le sang des arbres, circulait dans ses membres rabougris ; le vétéran se cramponnait à l’existence. Relégué à l’extrémité de la galerie de minéra- logie, dans une partie peu fréquentée du Mu- séum, il est loin d’attirer l’attention des visiteurs comme le Cèdre du Liban, situé au labyrinthe; cependant il serait peut-être plus digne de notre intérêt. Il fut planté en 1635 (un siècle avant le cè- 204 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, dre apporté par Bernard de Jussieu), dans l’endroit où on le voit encore aujourd’hui, par Vespasien Robin. Le père de ce naturaliste l’avait reçu quel- que temps auparavant de l’Amérique septentrio- nale. C’est en cette année, 1635, que le Jardin Royal fut définitivement institué par un édit de Louis XIII; et des arbres qui furent contempo- rains de cette fondation , l’acacia dont nous pa- rlons est le seul qui soit resté. C’est en même temps le premier acacia qui soit venu en Europe. Il a peuplé, non-seulement la France, mais encore l’Europe de l’une des espèces végétales les plus utiles et les plus belles. Non loin de cet acacia, on remarquait ancienne- ment le premier sophora du Japon, et l’un des premiersmarronniers d’Inde qui aient été importés en Europe. L’Arbre des sept Frères, dans la forêt de Villers- Coterets, est remarquable par ses sept branches colossales que l’on a pu disposer pour soutenir un plancher et une galerie sans nuire à sa riche végé- tation. L’Arbre de Cracovie, que l’on voyait au Luxem- bourg jusqu’au commencement de ce siècle, a un intérêt historique. Planté, dit-on, par Catherine de Médicis, c’est sous son feuillage que les bour- geois de Paris s’assemblaient pendant la guerre de sept ans. Ponce lui a consacré une élégie tou- LES CENTENAIRES. 205 chante, mais dont le sujet n’entre pas dans le cadre de cet opuscule. Les noyers jouissent d’une gfande longévité et acquièrent parfois des proportions gigantesques. L’un des plus merveilleux est celui que nos soldats ont remarqué à Balaklava, en Crimée, qui produit chaque année une récolte de cent mille noix. Cinq familles se les partagent. La table de Saint-Nicolas en Lorraine, mentionnée par de Candolle, donne une idée non moins sur- prenante de la grosseur que ces végétaux peuvent acquérir. Sa largeur est de huit mètres. Inutile d’ajouter qu’elle est d’un seul morceau. Sur ce spé- cimen magnifique l’empereur Frédéric III donna, en 1472, un repas de cour. Terminons par le type le plus élégant des végé- taux formés par la main des hommes. L’érable de Matibo. Ce végétal, type des arbres belvéders que la main exercée des horticulteurs sait élever avec tant d’ha- bileté dans les jardins de plaisance, est surtout remarquable au point de vue de son ornementa- tion architecturale. Ce n’est pas, à vrai dire, une merveille de la nature, et ce serait une erreur de le classer parmi les végétaux précédents, qui doi- vent à la nature seule le caractère qui les dis- 206 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, tingue. Cet érable se trouve à Matibo, délicieux séjour, situé aux environs de Savigliano, près de Coni, en Piémont L’adresse et la patience d’un architecte de jardins lui a fait subir une éclatante métamorphose. C’est, comme on sait, un édifice à deux étages. Chacune- des salles est éclairée par huit fenêtres et peut contenir aisément vingt per- sonnes. Le plancher, très-solide, est construit par un arrangement de rameaux tressés avec art; leurs feuilles en sont le tapis naturel. Les joyeux habitants de l’air voltigent en chantant dans son vert feuillage, sans être effarouchés par les visi- teurs qui viennent s’accouder au balcon des fenê- tres. Plus élégant que le chêne d’Allouville, dont nous avons plus haut donné la description, cet érable est loin, cependant, d’offrir le même ca- ractère. Nous le mentionnons ici, surtout comme type des arbres d'art dont la fantaisie des archi- tectes orne les résidences champêtres. V. Les arbres les plus élevés de terre. Dragonnier. — Adansonia. — Gommiers. M. de Humboldt avait une prédilection marquée pour le dragonnier, datant des premières années de son enfance. Pour clore nos descriptions par -x... ARBRES LES PLUS ÉLEVÉS DE LA TERRE. 209 les exemples les plus remarquables de la grandeur prodigieuse à laquelle certains végétaux peuvent atteindre, nous nommerons en premier lieu le dragonnier d’Orotava. « Ce dragonnier colossal, dit l’auteur des Ta- bleaux de la nature, se trouvait au milieu des jar- dins de M. Franqui, dans la petite ville d’Orotava, l’un des lieux les plus agréables qui soient au monde. Lorsque nous gravîmes, en juin 1799, le pic du Ténériffe, nous trouvâmes que le périmètre de ce dragonnier, mesuré à quelques pieds au- dessus de la racine, était d’environ 15 mètres. Plus près du sol, le duc dit avoir trouvé 24 mètres de circonférence. La hauteur de l’arbre est de 24 mètres. La tradition rapporte que ce dragon- nier était chez les Gouanches un objet de vénéra- tion comme chez les Athéniens l’olivier, chez les Lydiens le platane que Xerxès chargea d’orne- ments, et le bananier pour les habitants deCeylan. On raconte aussi que lors de la première expédi- tion de Béthencourt, dans l’année 1402, le dragon- nier d’Orotava était déjà aussi gros et aussi creux qu’ aujourd’hui. On peut conjecturer d’après cela à quelle époque il remonte, si l’on songe surtout que le dracæna croît très-lentement. Berthelot dit, dans sa description de Téréniffe : « En comparant les jeunes dragonniers voisins de l’arbre gigan- tesque, les calculs qu’on fait sur l’âge de ce der- 210 I>ES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, nier eflrayent l’imagination. » Le dragonnier est cultivé depuis les temps les plus reculés dans les îles Canaries, à Madère, à Porto-Santo, et un ob- servateur très-exact, Léopold de Buch, l'a vu à l’état sauvage près d’Ygueste, dans l’île de Téné- riffe. 11 n’est donc pas originaire, comme on l’a cru longtemps, des Indes orientales, et son existence chez les Gouanches ne renverse pas l’opinion de ceux qui considèrent ce peuple comme une race atlantique, entièrement isolée, et sans aucun rap- port avec les nations de l’Afrique et de l’Asie. La forme du dracæna se retrouve au cap de Bonne- Espérance, à l’île Bourbon, en Chine et à la Nou- velle-Zélande. On rencontre dans ces contrées lointaines différentes variétés appartenant au même genre ; mais il n’en existe aucune dans le nouveau monde, où elles sont remplacées par le Yucca *. Le dracæna borealis d’ Alton n’est autre chose qu’un véritable convallaria dont il a en effet tous les caractères. Borda mesura le dragonnier de la villa Franqui, lors de son premier voyage avec Pingré, en 1771 , et non dans la seconde expédition qu’il fit en 1776 avec Varela. On prétend qu’au XV' siècle, très-peu de temps après les conquêtes normande et espagnole, on célébrait la messe sur un petit autel élevé dans la cavité du tronc. 1- Voy. page 238. ARBRES LES PLUS ÉLEVÉS DE LA TERRE. 21 1 Le caractère monumental de ces végétaux gigan- tesques, l’impression de respect qu’ils produisent sur tous les peuples, ont fait naître chez les savants de nos jours l’idée de déterminer leur âge et de mesurer plus exactement leur grosseur. D’après les résultats de ces recherches, de Candolle, l’au- teur de l’important traité sur la longévité des ar- bres, Endlicher , Unger et d’autres botanistes distingués, ne sont pas éloignés d’admettre que l’origine de plusieurs arbres existant encore au- jourd’hui remonte à l’époque des plus anciennes traditions historiques, sinon delà vallée du Nil, du moins de la Grèce et de l’Italie. Plusieurs exem- ples semblent confirmer l’idée qu’il existe encore sur le globe des arbres d’une antiquité prodigieuse et peut-être témoins de ses dernières révolutions physiques. . . La stérilité est pour les plantes une cause de longévité. A côté des dragonniers qui, malgré le dévelop- pement gigantesque de leurs ** • ARBRES LES PLUS ÉLEVÉS DE LA TERRE. 219 des autres; la Mère et le Fils; les groupes des Ju- meaux Siamois, etc. Ces arbres ont tous une cir- conférence d’au moins 55 à 60 pieds, et une hau- teur qui n’est presque jamais moindre de 300 pieds. Plusieurs d’entre ces colosses du règne végétal ont été trouvés âgés de quarante et cinquante siè- cles. L’un des arbres tombés était si gros, que lorsqu’on en eut transporté l’écorce à San-Fran- cisco, on avait pu la rétablir dans sa forme circu- ! laire primitive, et dans le vide qu’elle formait, ! installer un piano, donner un bal à plus de vingt personnes et en installer cinquante sur des sièges. On s’amusa aussi à y disposer un petit bazar. L’un des cèdres géants de la Californie ayant été intégralement transporté à Londres, parties par parties, on l’a reconstitué au palais de Cristal, où chacun peut se convaincre de visu de la taille gi- gantesque de ces végétaux. Nous figurons le plus gros de ces cèdres, celui que les Américains ont surnommé le Père de la forêt. Ou l’a représenté tel qu’il est, d’après le croquis pris sur la terre aurifère. Cet arbre gigantesque e.st encore connu sous le nom significatif d’arbre mammouth. Il fut trouvé, dit le botaniste Millier, par Lobb, sur la Sierra- Nevada, à une hauteur de 5000 pieds, vers les sources du fleuve Stanislas et Saint -Antoine. Il appartient à la famille des conifères et atteint une 220 LES VÉGÉTAUX MERVEÜXEUX. hauteur de 250 à 320 pieds. Des renseigne- ments plus récents lui donnent même une hau- teur de 400 pieds. Proportionnellement à celle-ci, son diamètre aurait l’importante dimension de 10 à 20 pieds, et d’après de nouveaux renseigne- ments, de 12 à 31 pieds. L’écorce, qui comporte 18 pouces d’épaisseur, est d’une couleur de can- nelle, et possède intérieurement une contexture fibreuse, tandis que la tige est au contraire d’un bois rougeâtre, mais mou et léger. Cela nous rap- j pelle que le bois du baobab non plus n’est pas dur, bien qu’il soit cependant un des plus anciens colosses du monde. On rencontre environ 90 de ces arbres sur une circonférence d’un mille. Pour la plupart, ils sont groupés par deux ou trois sur un sol fertile, noir, arrosé par un ruis- . seau. Les chercheurs d’or eux-mêmes, leur ont accordé leur attention. Aussi l’un de ces arbres porte chez eux le nom de Miners’Cabin, et pos- sède une tige de 300 pieds de hauteur, dans la- quelle s’est pratiquée une excavation de 17 pieds de largeur. Les « Trois -Sœurs » sont des individus issus d’une seule et même racine. La « Famille » se compose d’un couple d’ancêtres et de 24 en- fants. « L’École d’équitation » est un gros arbre renversé et creusé par le temps, dans la cavité du- quel on peut entrer à cheval jusqu’à une distance de 75 pieds. 11 est étonnant que de semblables LES GÉANTS DU MONDE VÉGÉTAL. 221 monuments végétaux aient pu nous demeurer si longtemps inconnus. Les explorateurs rencontreront-ils un jour des géants plus formidables encore? C’est ce dont il est permis de douter. Quant à présent, fermons notre monographie sur la merveille du monde vé- gétal. La mandragore. INTERMÈDE. La mandragore. Les liabitants traditionnalistes des campagnes se rappellent encore l’effroi que le seul nom de cette plante velue produisait chez nos aïeules. C’était un être végétal tenant à l'humain par quel- ques liens, et les ouvrages de magie si nombreux et tant accrédités au moyen âge professaient una- nimement pour elle une sorte de culte. Théo- phraste l’appelle : anthropomorphose ; — Colu- melle ; semi-homo; — Eldal ; l’arbre à la face d’homme j — les traditions populaires : petit homme planté, etc. Elle entrait dans les compo- LA MANDRAGORE. 223 sitions des i3hiltres, dans celles desmaléüces et des recettes diverses dues à la sorcellerie. Elle a même ofTert à certains un aspect surnaturel des plus prononcés. Le P. Joseph-François Lafiteau, émet l’opinion que : Les éléphants rencontrent la man- dragore sur la route du paradis terrestre. Elle était précieuse pour celui qui la possédait, et rayonnait divinement sur sa destinée; mais des maléfices rendaient extrêmement hardie son ex- traction. Quand on l’arrachait de terre, ce petit homme planté poussait des gémissements. Il fal- lait la cueillir sous un gibet, avec l’observance de rites particuliers; c’est en de certaines conditions seulement, qu’elle jouissait de toutes ses pro- priétés. Le meilleur procédé, il paraît, était de la faire arracher par un chien ; on l’enveloppait en- suite dans un linceul. Dès lors, des vertus mer- veilleuses lui étaient attachées : l’une des plus dé- sirées, c’était de doubler les pièces de monnaie que l’on enfermait avec elle. Cette plante appartient à la famille des solanées et son nom scientifique est Atropa mandragora. C’est une plante vénéneuse; elle croît dans les bois ombreux, au bord des rivières, dans ces lieux mystérieux où les rayons du soleil ne pénètrent point. La racine est épaisse, longue, blanchâtre en dehors, quelquefois partagée en deux parties. Des feuilles ovales, ondulées, couronnent cette ra- 224 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. cine et s’étalent en rond sur la terre; ses Heurs blanches sont légèrement teintes de pourpre; son fruit, semblable à une petite pomme, est d’une odeur fétide, comme la plante tout entière. C’est principalement la bifurcation de sa racine qui l’a fait comparer à un petit corps humain. A la Mandragore d’Europe, nous devons ad- joindre le Gin-seng de Tartarie, découvert au Ca- nada en 1616 par le P. Lafitau, et présenté par lui au duc d’Orléans, alors régent du royaume de France. Voici en quels termes il raconte sa dé- couverte : « Ayant passé près de trois mois à chercher le Gin-seng inutilement, le hasard me le montra quand j’y pensais le moins, assez près d’une mai- son que je faisais bâtir. 11 était alors dans sa ma- turité. La couleur vermeille de son fruit arrêta ma vue. Je ne le considérai pas longtemps sans soupçonner que ce pouvait être la plante que je cherchais. L’ayant arrachée avec empressement je la portai, plein de joie, à une sauvagesse que j’avais employée pour la chercher de son côté. Elle la reconnut d’abord pour l’un de leur remèdes ordi- naires, dont elle me dit sur-le-champ l’usage que les sauvages en faisaient. Sur le rapport que je lui fis de l’estime qu’on en faisait à la Chine, elle se guérit dès le lendemain d’une fièvre intermittente qui la tourmentait depuis quelques mois. Elle n’y LA MANDRAGORE. LE GIN-SENG. 225 fit point d’autre préparation que de boire l’eau froide où avaient trempé quelques-unes de ces ra- cines brisées entre deux pierres. Elle fit depuis deux fois la mémo chose, et se guérit chaque fois dès le même jour. « Ma surprise fut extrême quand sur la fin de la lettre du P. Jartoux, entendant l’explication du mot chinois qui Signifie Ressemblance de l’homme, ou, comme l’explique le traducteur du P. Kirker, Cuisses de l’homme, je m’aperçus que le mot iroquois Garent-ogven avait la même signification. En effet, Garent-oguen est un mot composé d’orenta qui signifie les cuisses et les jambes, et d’oguen, qui veut dire deux choses séparées. Faisant alors la même réflexion que le P. Jartoux sur la bizar- rerie de ce nom, qui n’a été donné que sur une ressemblance fort imparfaite qui ne se trouve point dans plusieurs plantes de cette espèce, et qui se rencontre dans plusieurs autres d’espèce fort diffé- rente, je ne pus m’empêcher de conclure que la même signification n’avait pu être appliquée au mot chinois et au mot iroquois, sans une commu- nication d’idées, et par conséquent de personnes. Par là je fus confirmé dans l’opinion que j’avais déjà, et qui est fondée sur d’autres préjugés, que l’Amérique ne faisait qu’un même continent avec l’Asie, à qui elle s’unit par la Tartarie au nord de la Chine. 15 226 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. « Quand j’eus découvert le Gin-seng, il me vint en pensée que ce pouvait être une espèce de mandra- gore. J’eus le plaisir devoir que je m’étais rencon- tré sur cela avec le P. Martini, qui dans l’endroit que j’ai cité, et qui est rapporté par le P. Kirker, parle en ces termes ; * Je ne saurais mieux repré- senter cette racine, qu’en disant qu’elle est presque semblable à notre mandragore, hormis que celle-là est un peu plus petite, quoiqu’elle soit de quel- qu’une de ses espèces. Pour moi, ajoute-t-il, je ne doute point du tout qu’elle n’ait les mêmes qualités et une pareille vertu, puisqu’elle lui ressemble si tort et qu’elles ont toutes deux la même figure. » « Si le P. Martini a eu raison de l’appeler une espèce de mandragore à cause de sa figure, il a eu tort de l’appeler ainsi à cause de ses propriétés. Nos espèces de mandragore sont narcotiques, ra- traîchissantes, et stupéfiantes. Ces qualités ne con- viennent point du tout au Gin-seng. Cependant l’idée du P. Martini, que j’ai vue justifiée ailleurs, m’a donné envie de pousser plus loin ma recherche. En effet, ayant trouvé que notre mandragore d’au- jourd’hui, d’un commun sentiment, n’était pas la mandragore des' anciens, j’ai cru qu’en cherchant un peu, et qu’en comparant le Gin-seng avec ce que les anciens ont dit de leur mandragore, on pourrait soutenir que c’est l’avôpoTtojAop^oç de Pytha- gore et la mandragore de Théophraste. Ce que j’en LES MAXDKAGOHES. 227 % dis poui'taiit est moins pour donner mes conjec- tures pour des certitudes, que pour les soumettre aux savants et leur donner lieu de pousser plus loin leurs recherches. « Voici donc comme je raisonne. Théophraste est le premier des auteurs anciens qui ait décrit des plantes. Théophraste nous fait la description d’une mandragore, qui ne nous est point connue ; il est évident aussi qu’il ne connaissait point celles que nous connaissons aujourd’hui, du moins sous ce nom-là, de là on pourrait conclure que celle de Théophraste s’est perdue et qu’on lui en a sub- stitué une autre. •< Il est facile d’expliquer comment la mandragore des anciens a pu s’être perdue. Premièrement : elle aura été sans doute d’une grande recherche dans les premiers temps, à cause de ses effets singuliers, dont on peut voir les effets dans l’antiquité. Secon- dement ; la difficulté que cette plante avait à se multiplier l’aura rendue rare, il est probable qu’elle ne se trouvait que dans Iqs forêts . Le pays s’étant dans la suite découvert et les racines en ayant été arrachées avant la maturité de leurs fruits, la plante aura été en peu de temps épuisée. « La mandragore des anciens étant ainsi perdue, on lui en aura substitué une autre à raison de quelque rapport commun à Tune et à l’autre. Nos mandragores ont des racines qui ont quelque res* 228 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, semblance avec le corps de l’homme depuis la ceinture en bas ; leurs semences sont blanches et ont la figure d’un petit rein, c’est sans doute ce qu’elles ont de commun avec la mandragore et cela se trouve parfaitement dans le Gin-seng. » Racines de Wandragores façonnées. Nymphéacées. DEUXI ÈME* PARTIE. ' CHAPITRE I. Les Fleurs. Se proposer de décrire les fleurs merveilleuses, c’est se proposer de présenter la flore entière du globe, car en vérité, les fleurs de toute forme, de toute nuance, de toute grandeur, sont chacune un type merveilleux, soit sous un titre, soit sous un autre. Aussi, pour se tracer un programme réalisable, doit-on se borner d’abord à quelques vues d’ensemble, destinées à rassembler sous un 230 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. même coup d’œil les beautés générales du monde de Flore, ensuite à faire choix de quelques types spéciaux destinés à mettre même en relief certains aspects des merveilles végétales. La terre est un vaste jardin, disait L. G. Des- préaux, jardin parsemé de fleurs qui répandent un charme singulier sur tout le domaine de l’homme. Par leur succession, suivant Fordre de Fannée, elles nous donnent une superbe fête, composée de décorations qui se suivent dans un ordre réglé. Vous avez vu d’abord la perce-neige sortir de la terre; longtemps avant que les arbres se hasardassent à développer leurs feuilles, elle osa se montrer, et, de toutes les plantes, elle fut la première et la seule qui charma les yeux de l’a- mateur empressé. Ensuite parut la fleur de safran, mais timide parce qu’elle était trop faible pour ré- sister à l’impétuosité des vents. Avec elle se mon- trèrent l’aimable violette et la brillante primevère. Ces plantes et quelques autres sur les montagnes, faisaient Favant-garde de l’armée des fleurs, et leur arrivée, si agréable par elle-même, avait en- core le mérite de nous annoncer la venue pro- chaine d’une multitude de leurs aimables com- pagnes. En effet, nous voyons après elles se montrer avec ordre les autres enfants de la nature; chaque mois étale les ornements qui lui sont propres. La LES FLEURS. 231 tulipe commence à développer ses feuilles et ses fleurs. Bientôt la belle anémone formera un dôme en s’arrondissant; la renoncule déploiera toute sa magnificence et charmera nos yeux par l’heureuse distribution de ses couleurs. Les cou- ronnes impériales, les narcisses à bouquets, le muguet, le lilas, l’iris et la jonquille, s’empressent à décorer les parterres. Dans le lointain, les ar- bres fruitiers mélangent les couleurs les plus ten- dres avec la verdure naissante, et relèvent de tou- tes parts la beauté des jardins. J’aperçois en même temps se développer le feuil- lage des rosiers, pour tenir le premier rang parmi l’aimable troupe des fleurs, leur reine va s’épa- nouir et étaler tous les agréments qui la distin- guent. Il n’est personne qui ne soit touché des charmes qu’elle offre à nos regards. Qui peut, sans éprouver une douce émotion, voir une rose entr’ouverte aux rayons du soleil levant, toute brillante des gouttes de rosée dont elle est char- gée et mollement agitée sur sa tige légère par le vent frais du matin! Les lis, les juliennes, les gi- roflées, les thlaspis, les pavots accourent aux or- dres de l’été, et l’œillet se montre avec toutes les grâces qui lui sont propres. L’automne présente ensuite les pyramidales, les balsamines, les soleils, les tubéreuses, les Ama- rantbes, l’œillet d’Inde, les colchiques et cent au- 23^ LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, très espèces. La fête continue «ans interruption : celui qui y préside offre sans cesse de nouvelles beautés, et prévient, par d’agréables changenients, les suites de runiformité. Enfin le triste hiver, ra- menant les frimas, couvre d’un lideau toute la nature et vous en dérobe le spectacle : mais, en même temps qu’il nous fait souhaiter le retour de la verdure et des fleurs, il commence le travail inté- rieur en action dans la terre. Arrêtons-nous ici, avec Louis-Cousin, et réflé- chissons sur les vues de sagesse et de bienfaisance qui se manifestent dans cette succession.... Qu’elles sont belles, les couleurs qui se réunissent sous nos yeux! que leur mélange est gracieux et diversifié! quel artifice admirable dans la distribution de ces nuances! Là, c’est un pinceau léger qui semble avoir apliqué les couleurs : ici, elles sont mélangées selon les règles les plus savantes de l’art. Il sem- ble que la couleur du fond soit toujours choisie de manière à faire ressortir le dessin qui y est tracé, que le vert qui entoure la fleur, ou l’ombre qu’y répandent ses feuilles serve encore à donner à l’en- semble une nouvelle vie; et que les fleurs desti- nées à être vues de près aient été peintes avec soin, et, pour ainsi dire, en miniature. La nature en a travaillé d’autres à plus grands traits, ou d’une manière plus simple : ce sont celles des ar- brisseaux à fleurs. LES FLEURS. 233 Pour faire de la création un théâtre de merveilles, Dieu n’a pas besoin de pénibles préparatifs. Les éléments les plus communs prennent, sous sa main, les formes les plus belles et les plus variées. L’eau et l’air s’insinuent dans les canaux des plan- tes : ils se filtrent par cette suite de canaux trans- parents : et cela seul opère sous l’influence de la lumière, toutes les beautés qu’on admire dans le règne végétal. On contemple avec satisfaction , et on ne se lasse point d’admirer comme l’effet d’une profonde sagesse un ouvrage qui, avec autant de variétés dans ses parties, est cependant si simple eu égard à sa cause, et où l’on voit qu’une multi- tude d’effets dépendent d’un seul ressort, qui agit toujours de la même manière. C’est là un des effets les plus merveilleux qui dis- tinguent les œuvres de Dieu, où l’empreinte d’une puissance infinie est toujours visible, des ouvrages faits de la main des hommes, où l’on remarque toujours le terme où s’arrête la capacité de l’être fini. Dans la fleur, écrit F. A. Pouchet*, ce pom- peux et suprême effort de la vie végétale, la poétique imagination de Linnée ne voyait que le tableau d’un chaste hyménée. Parmi les végétaux qui se décorent de fleurs apparentes, celles-ci 1. U Univers J ]I^ ch. ii. 234 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. nous offrent une infinie variété pour la feuille, la forme, la coloration et le parfum. « Si quelques plantes, telles que les Valérianes, portent de si petites corolles, qu’on les distingue à peine, déjà les lis nous en offrent de grandes et magnifiques, qui séduisent tous les regards; et certains végétaux exotiques les laissent bien loin d’eux sous ce rapport. La fleur d’une Aristoloche qui croît sur les bords de la Madeleine, présente la forme d’un casque à grands rebords. L’ouver- ture en est tellement ample, qu’elle peut admettre la tête d’un homme; aussi de Humboldt rapporte- t il qu’en voyageant le long de cette rivière, il ren- contrait parfois des sauvages coiffés de cette fleur en guise de chapeau. « Mais c’est à la surface des fleuves que s’étalent toutes les pompes de la végétation. La nature ne nous offre aucune fleur qui, pour la taille et le gracieux coloris, puisse être comparée à celle des Nymphéas et des Nélumbos. De tout temps ces merveilleuses plantes ont attiré l’attention de l’homme, et sont devenues l’objet de son admira- tion. L’art en a fait le plus splendide emploi, et les mythes anciens en ont tiré leurs plus délicates et leurs plus gracieuses conceptions. Dans la mytho- logie et l’art égyptien, elles jouent même un rôle immense. Sur les monuments indous, c’est la fleur du nélumbo qui sert de siège à Brama lorsqu’il est LES FLEURS. 235 représenté assis et tenant dans ses mains les Védas sacrés. « La poésie a épuisé toutes ses ressources en parlant du parfum et du coloris des fleurs. La na- ture a débordé l’art ; et la palette d’Apelles et de Rubens ne pourrait en reproduire toutes les ma- gnificences. Une seule couleur fait défaut au milieu de cette multitude de teintes variées : c’est le noir. Quelques corolles sont, il est vrai, d’un pourpre sombre, mais le noir absolu ne s’observe jamais sur cet organe. « Il se passe, au sujet de la coloration des fleurs, un phénomène dont on a beaucoup parlé, c’est celui de sa mutabilité. Pallas, en explorant les bords du Volga, remarquait avec étonnement qu’une espèce d’anémone, Yanemone païens, portait tantôt des fleurs blanches, tantôt des fleurs jaunes et tantôt des fleurs rouges. Ce phénomène encore inexpliqué avait paru tellement anomal qu’on le mentionnait souvent. Il est cependant assez commun, et sans affronter un si long voyage, nous pouvons l’observer en France. « Le mouron des champs, si abondant dans nos campagnes, nous l’offre fréquemment. Ordinai- rement sa fleur est d’un rouge de vermillon ; mais souvent aussi elle est d’un magnifique bleu de ciel, ce qui avait fait croire à certains botanistes que c’étaient deux espèces différentes. 236 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. e Une jolie petite plante du genre myosotis, que l’on rencontre dans nos terrains arides, varie encore plus extraordinairement sa coloration, car c’est sur la même tige que l’on trouve à la fois des fleurs rouges, d^s jaunes et des bleues ; particularité à laquelle cette espèce doit le nom de myosotis diversicolore qu’on lui a im- posé. « D’autres végétaux présentent encore un phéno- mène beaucoup plus remarquable ; c’est la même fleur qui change de couleur à différentes époques de la journée. Tel est VHyhiscus mulabilis, dont les corolles sont blanches le matin, deviennent roses vers le milieu du jour, et le soir prennent enfin une teinte d’un beau rouge. « La mutabilité successive des teintes des corol- les se conçoit facilement; elle peut dépendre de l’action vitale ou des réactions chimiques ; mais ce qui ne s’explique que bien plus difficilement, ce sont les fleurs qui, après avoir offert une certaine série de colorations durant la journée, reprennent celles-ci tour à tour le lendemain. Cela s’observe sur le glaïeul diversicolore, dont la corolle brune le matin, devient bleue le soir, et le lendemain, re- prend exactement la succession des teintes qu’elle représentait la veille. «Combien aussi le parfum des fleurs ne possède- t-il pas de variétés ! Et cependant, malgré ses mille LES FLEURS. 237 et mille nuances, avec des sens exercés, nous re- connaissons celui de chaque espèce. On raconte même, dans quelques ouvrages, qu’une jeune Américaine, devenue absolument aveugle, en se guidant seulement à l’aide de l’odorat, herborisait au milieu des prairies émaillées d’une végétation luxuriante, et, dans sa moisson, ne commettait jamais aucune erreur. » Boufflers a traduit de madame Helena Williams, un gracieux sonnet sur le Calebassier, qui mérite de couronner un premier chapitre sur les fleurs : Toi qu’on voit dans les airs suspendre un beau feuillage, Dont le soleil encor rehausse les couleurs, Tandis qu’au malheureux couché sous ton ombrage Ton riche fruit présente un suc consolateur ! Quand je porte vers toi mes pas involontaires Je sens parmi tes fleurs mon chagrin endormi. Ton ombrage invitant et tes fruits salutaires Offrent à mon esprit l’image d’un ami. Tu me peints l’amitié, qui soigneuse et discrète, Travaille à refermer les blessures du cœur Et, d’un mal incurable émoussant la douleur. Verse un baume secret sur la peine secrète. Je sais trop que le baume est peu sûr; mais hélas ! Il adoucit du moins ce qu’il ne guérit pas. Orchidée. CHAPITRE H. Les Orchidées. Ce n’est pas aux caprices des amateurs que les orchidées doivent leur précieuse valeur et leur cé- lébrité; elles justifient cette prédilection non-seu- lement par leur beauté et leur singularité, mais encore par les difficultés que les explorateurs ont à vaincre pour les rapporter des forêts vierges inter- tropicales, et par les soins et le talent qu’elles ré- clament des horticulteurs pour vivre acclimatées. Et d’abord parlons de leur beauté et de leur singularité. Dans ces plantes bizarres on rencontre ORCHIDÉES. 239 en effet, des caractères opposes à ceux de toutes les autres plantes. Elles vivent en parasites, soit sur l’écorce des grands arbres des forêts de l’équateur ; ce sont les orchidées épiphytes ; soit aux dépens du sol : ce sont les orchydées terrestres. Les premiè- res— et ce sont les plus nombreuses — suspendent aux voûtes ombreuses formées par les grands ar- bres des tropiques, des guirlandes d’une richesse incomparable. Sous les tropiques, dit A. de Humboldt (Tableau de la nature, livre IV), les orchidées animent les troncs d’arbres noircis par les rayons brûlants du soleil et les fentes des rochers sauvages. Entre ces végétaux, les vanilliers se distinguent par leurs feuilles charnues, d’un vert clair, par la couleur variée et la structure -singulière de leurs fleurs. Les fleurs des Orchidées ressemblent tantôt à des insectes ailés, tantôt aux oiseaux qu’attire le par- fum des nectaires. La vie d’un peintre ne suffirait pas pour reproduire, en se bornant même à un étroit espace de terre, les magnitiques orchidées qui ornent les vallées profondes des Andes du Pérou. A l’opposé des parasites ordinaires, elles enri- chissent leur propriétaire. Des fleurs aux nuances brillantes, diversifiées à l'infini, décorent les hautes branches des arbres, et répandent dans l’atmo- sphère des parfums d’une enivrante suavité. Elles 240 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. poussent de haut en bas, contrairement aux autres fleurs, et semblent des êtres purement aériens, dont les racines mêmes se nourrissent dans Tatnio- sphère. La richesse des couleurs et des parfums qu'elles répandent dans les forêts est telle, que non-seulement les Européens les admirent et les apprécient, mais encore les peuplades sauvages, qui revêtent de leurs magnifiques tapis les huttes de leurs villages. Un autre caractère particulier à ces fleurs singu- lières, et non moins remarquable, c'e.st que, comme leur patrie originaire, elles ne connaissent pas le mouvement des saisons et ne suivent pas dans leur vie une marche régulière et successive. Elles fleu- rissent capricieusement, sans époque fixe et peu- vent constamment offrir leur coloris et leur parfum. De plus, leur florai'On se prolonge souvent deux ou trois fois au delà du temps ordinaire. Le pos- sesseur d'une collection un peu nombreuse peut donc offrir à toute époque de Tannée un certain nombre de ces végétaux en fleurs. Il va sans dire que si les orchidées ne suivent pas le cours des saisons, il importe de ne pas le leur faire sentir, et de les tenir constamment dans une serre chaude à égale température. PlusquemiTe autres espèces de plantes, elles réclament des soins minutieux, inteU ligents et permanents. * L'orchidée que représente notre dessin est un ORCHIDÉES. 241 acinctum, plante nouvellement introduite en France, et fort rare encore dans les serres les plus opulen- tes. La tige florale est dirigée de haut en bas, comme celle des dendrobium, des serides et des stanhopœa; la plante vit en parasite sur un arbre et ses fleurs pendent en guirlandes le long du tronc. Ces plantes sont encore d’une telle rareté en Europe, que pour les obtenir, certains riches ama- teurs ont payé des sommes fabuleuses. Il est inu- tile de dire que lesdits riches étaient des Anglais Parmi ces nobles acheteurs on met en première ligne le duc de Devonshire qui, il y a une dizaine d’années, visitant les serres de M. Henderson, fut frappé de la beauté d’une orchidée cattlega. Le duc n’était pas seul; une jeune dame de ses parentes, passionnée pour les fleurs, l’accompagnait, et la contemplation de la belle cattlega la ravissait en extase. Sur le refus timide mais constant du pro- priétaire, qui ne voulait à aucun prix se dessaisir d’une plante unique en Europe, le duc lui tendit un portefeuille garni de billets de banque, et l’hor- ticulteur ne put s’opposer à la gracieuseté du duc pour sa compagne. Le portefeuille contenait quel- ques milliers de francs. 16 242 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. Scrophularinées. Cette fleur élégante et gracieuse est TAntirrhi- num grec de la famille des scrophularinées (quels vilains noms pour de si jolies choses!). Peu de plantes pourraient rivaliser avec elle pour Télé- gance et la légèreté. Elle est originaire de la Mo- rée; il semble que ce soit une plante de Pair, affranchie de la pesanteur et de la grossièreté des choses qui appartiennent à la terre. Elle fleurit en été, et reste épanouie pendant plusieurs semai- nes; les fleurs, d'un jaune vif, sont très-nombreu- ses, et disposées en grappes; ses feuilles, finement découpées, sont alternantes; ses tiges sont grêles et harmonieusement entrelacées. A celte famille riche et variée appartiennent encore de charmantes petites plantes qui font la parure de nos jardins, et dont quelques-unes sont douées de propriétés médicales très-intenses. Telles sont : la véronique, plante amère; le bouillon blanc; la gratiole, âcre et astringente; la digitale, récemment mise en évidence par ses propriétés funestes lorsqu'on ne l'emploie pas à une dose infiniment petite; la milampyre, la pédiculaire, la scrophulaire, le paulownia, fleurs et arbustes remarquables par leur beauté et leur élégance. SCROPHULARINÉES. 243 Suivant les espèces les fleurs sont tantôt solitaires, tantôt réunies en cimes, en grappes ou en épis. Outre Tantirrhinumgrec, que nous représentons, on remarque d'autres espèces non moins dignes d'intérêt, ce sont : la gueule de loup (A. majus), le muflier des champs (A. arantium) et l'arbuste d'o- rangerie aux feuilles longues et fines (A. augusti- folium). Les Yuccas. CHAPITRE 111. Yucca filamentosa. — Yucca aloifolia. — Yucca gloriosa. Ces belles plantes, véritables palmiers de nos jardins, sont maintenant au nombre des plus re- cherchées par les amateurs d’horticulture. L’Amé- rique est leur patrie, et l’Europe ne les possède que depuis fort peu de temps. Parmi les caractères remarquablesquiappartiennentàces p'antes, nous citerons en particulier leurs feuilles papyracées, sur lesquelles on peut dessiner et peindre comme sur le papier ordinaire, qui sont plus épaisses, plus fermes et plus veloutées, et dont on peut se servir Le Yucca, YUCCAS. 247 avec avantages pour certaines œuvres d'art, pour des ornements légers, pour les corbeilles et les fleurs artificielles. La nature de ces plantes nous rappelle l’une des plus belles pages du journal de l’illustre naufragée Marguerite Puller, où la sensib lité s’unit à l’im- pression vraie qui résulte de l’observation de la nature. 11 s’agit d’un homme auquel il était interdit de vivre dans la société des autres hommes, et qui semblable au prisonnier de Fénestrelle dans la touchante histoire de Picciola, avait donné toute sa sympathie à la nature, aux animaux et aux plan- tes. Nous laisserons parler cet homme lui-même, causant de ses fleurs aimées. Son discours nous apprendra plus que des pages de botanique sur cette fleur en particulier et. sur les plantes en général. « J’avais, dit-il, conservé pendant six ou sept ans deux yucca filamentosa, sans qu’ils eussent jamais fleuri. Je ne connaissais pas les fleurs de cette plante, et n’avais nulle idée des sensations qu’elles éveillent. Au mois de juin dernier, je découvris un bouton sur celle qui était le mieux exposée. Une ou deux semaines après, la seconde, plus à l’ombre, se mit aussi à boutonner. Je pensai que je pour- rais les étudier et suivre leur floraison l’une après l’autre; mais non! celle qui était la plus favorisée attendit sa compagne, et toutes deux s’épanouirent 248 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX ensemble, juste à l’époque de la pleine lune. Cette coïncidence me frappa d’abord comme bizarre; mais dès que je vis la fleur au clair de lune, je compris. Cette plante est créée pour la lune comme l’héliotrope pour le soleil. Elle se refuse à toute autre influence, et ne déploie sa beauté à nulle autre lumière. La première nuit que je la vis en fleur, je ressentis une joie particulière, je puis même dire un ravissement. Une foule de fleurs blanches sont beaucoup plus belles au grand jour. Le lis, par exemple, avec ses pétales épais et fer- mes, d’un blanc mat, a besoin de la grande lumière pour se manifester dans tout son éclat; mais les pétales transparentes du yucca, d’un blanc ver- dâtre, qui le jour paraissent ternes, se fondent sous le regard de la lune en un argent lumineux et non-seulement la plante ne revêt pas de jour sa véritable teinte, mais la fleur qui, comme toutes les fleurs en cloche, ne peut se refermer tout à fait une fois qu’elle s’est ouverte, se contracte, se res- serre à midi, penche ses petits fleurons, et sa haute tige ne semble se dresser que pour trahir une mes- quine insignifiance. Les feuilles aussi, qui de nuit s’élancent d’un seul jet, et s’écartent comme le palmier, en éventail pour faire place à la tige, pa- raissent, de jour, languissantes et incomplètes. Les bords en sont déchirés, inégaux, comme si la nature, impatiente de |)asser à une tâche plus YUCCAS. 249 agréable, n'y eût pas mis la dernière main. Le jour qui suivit la nuit où j'avais trouvé mes yuccas si beaux, je ne pouvais concevoir ma méprise. Mais le second soir, je retournai au jardin. Là sous le plus suave clair de lune, s'épanouissaient mes chères fleurs, plus éclatantes que jamais. La tige perçait l’air comme une flèche, toutes les clochettes se groupaient autour d'elle dans l'ordre le plus gracieux, avec des pétales plus transparents que le cristal, et d'une lumière plus douce que le dia- mant; les contours en étaient nettement dessinés; on les eût crus modelés par les rayons mêmes de la lune. Ses feuilles qui, de jour, m’avaient paru dé- chiquetées, semblaient bordées des plus fines fran- ges des fils de la vierge. Je contemplai ma belle plante jusqu'à ce que mon émotion devint si forte, que j'aspirais à la faire partager. Une pensée me vint alors à l'esprit, c'est que cette fleur de la lune était le plus parfait symbole de la beauté, de la pureté féminine. « J'ai eu depuis de fréquentes occasions d'étudier le yucca, et de vérifier par l’observation ce qui m'avait été si poétiquement révélé : c'est que cette plante ne fleurit qu'à l’époque de la pleine lune, et qu’il lui plaît de cacher ses charmes à l'œil bril- lant du jour, pour ne les révéler qu'à l'œil divin des nuits. » Rafflesia Arnoldi. CHAPITRE IV. Nymphéacées. — Victoria Regina. — Rafflesia Arnoldi. Le voyageur d’Orbigny étant en exploration dans la république de Bolivia, à Corrientes, fut frappé de rencontrer sur les eaux, des fleurs, des feuilles et des fruits d’un végétal gigantesque. Cette plante, qui est l’une des plus belles de l’Amérique, res- semble un peu aux nénufars. Elle paraît apparte- nir à la famille des nymphéacées. Les Guaranis lui ont donné le nom de Yrupé , par suite de son sé- jour habituel à la surface des eaux et de l’analogie de la forme de ses feuilles avec celles des grands NYMPIiÉACÉES. 251 plats. Qu’on se figure une vaste étendue cou- verte de feuilles arrondies flottant à la surface des eaux , toutes larges d’un à deux mètres avec des fleurs tantôt violacées, tantôt jaunes, tantôt blan- ches, larges de plus d’un pied, répandant un par- fum délicieux. Ces fleurs produisent un fruit sphérique qui, dans sa maturité, est gros comme la moitié de la tête, et plein de graines arrondies très-farineuses, —d’où les Espagnols ont appelé cette plante du nom de maïs des eaux. Les patriotiques Anglais, enthousiasmés de la beauté et de la rareté de ce colosse des fleurs, s’empressèrent à le baptiser du nom de leur souveraine. Nous pouvons nous faire une idée de la nature de cette plante qui croit dans les rivières calmes, en nous rappelant notre beau nymphéa, notre lis des étangs ; mais la première est dans des propor- tions gigantesques à côté de notre fleur indigène. Les larges disques des feuilles rondes , de cinq à six piedsde diamètre, sont de vastes plats d’odeurs. Leur pétiole est fixée intérieurement au centre. Elles sont lisses et vertes en dessus, avec un bord relevé de deux pouces tout autour comme celui d’un tamis ou d’un large plateau. En dessous, elles sont rougeâtres, gaufrées ou divisées en une foule de compartiments par les nervures qui sont trés- saillantes et laissent entre elles des espaces trian- LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, sfulaires ou quadrangulaires , dans lesquels une certaine quantité d’air peut rester englobée, ce qui contribue à maintenir les feuilles à la surface de Teau. Aussi , voit-on souvent des oiseaux ou des insectes de toutes formes venir se promener ou poursuivre leur proie sur ces larges feuilles comme sur une planche solide. Le pétiole de la racine au fond des eaux est tout hérissé d’épines longues de neuf à dix lignes , ainsi que les plus fortes nervures du dessous des feuilles, le pédoncule et le calice de la fleur. M. Schomburgh, qui découvrit cette fleur dans la Guyane anglaise, indépendamment du voyage ur dont nous parlions tout à l’heure, s’arrête avec plaisir à la description de cette belle plante. Le calice est formé de quatre feuilles d’un rouge fru- nâtre en dehors et blanches en dedans, longues de six à sept pouces et larges de trois. Sur ces feuilles du calice s’étale circulairement et symétrique- ment un nombre considérable de pétales , blancs d’abord, puis devenant de plus en plus rouges à mesure que les fleurs approchent de sa maturité. Elle devient d’une couleur plus foncée au centre' et finit par revêtir la nuance de l’œillet; elle offre une grande analogie avec notre nymphéa. Les pé- tales, dont on compte plus de cent, passent insen- siblement à la forme d’étamines en se rappro- La Victoria Hegiria. ■ '>5 i.* VICTORIA REGIN A. 255 chant du réceptacle central qui est charnu et contient des graines grosses et farineuses à sa surface. Notre nymphéa indigène offre, à part la gran- deur, un aspect aussi digne d’attention que le nymphéa exotique ; il peut se comparer aux plus belles plantes. Il suffira de faire remarquer avec Castel, qu’il est aussi éclatant et aussi étoffé que le lis. Vers sept heures du matin, cette flêür com- mence à sortir de l’eau, et à midi elle est éle- vée de trois pouces au-dessus de la surface. Sur les quatre heures du soir elle fait ses préparatifs pour la nuit, se ferme, et rentre peu à peu dans son habitation aquatique, où elle demeure jus- qu’au lendemain. On trouve dans un mémoire de Ribaucourt des observations curieuses sur le développement des feuilles de cette plante, et sur les pronostics qu’on en peut tirer. Ce fut sans doute, au moyen de quelques observations semblables , que Thalès donna autrefois une si noble leçon aux habitants de Milet. On lui reprochait que sa science était stérile, puisqu’elle ne lui produisait ni or ni ar- gent. Pour réponse, le philosophe acheta avant la saison tous les fruits des oliviers qui étaient au- tour de la ville. Il avait prédit que l’année serait très-abondante ; elle le fut, et Thalès tira de son marché un fruit considérable. Mais, content de 256 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. prouver qu’un sage pouvait comme un autre, arri- ver à la fortune, il distribua aux marchands de Milet la totalité de son bénéfice. La feuille du nénufar sort du collet de sa ra^ cine dès les premiers jours d’automne ; elle reste très-petite et totalement roulée pendant cette sai- son et la suivante; aux approches du printemps, elle commence à grandir et à se dérouler, et suit le cours de la saison progressive. Castel raconte que, se promenant avec un ami dans le courant de septembre 1788, le long d’un étang où se trou- vaient beaucoup de nénufars, il fut surpris de ne plus voir aucune des feuilles hors de l’eau, ce qui n’a lieu d’ordinaire que vers la fin d’octobre. Il en augura que les gelées commenceraient incessam- ment, et que l’hiver pourrait être long. L’événe- ment justifia cette prédiction. Certaines formes végétales sont spécialement affectées à l’ornementation des différentes régions du globe terrestre. Les nymphéacées , flottant à la surface des eaux douces et tranquilles, charment dans le monde entier les yeux du rêveur et du paysagiste; en Europe et dans l’Amérique du Nord, ce sont les nénufars blancs et jaunes, en Afrique, les espèces à fleurs bleues , dans les Indes , les euryale et les nelumbium. 11 y a en outre des formes végétales qui sem- blent affeclionner plus spécialement certaines zones NYMPHE ÂGÉES. 257 montagneuses et certaines expositions, tt mar- quer en diverses contrées la région où elles se plaisent. Tels sont les rhododendrons , charmant arbrisseau au feuillage toujours vert, qui décore la région moyenne des versants ombreux, et que le touriste rencontre soit dans l’ancien monde, soit dans la moitié septentrionale du nouveau conti- nent, fleurissant tantôt à la hauteur de 1000, 1500 ou 2000 mètres, comme sur les revers abrupts du * Faulhorn, tantôt à 700, 400, 200 mètres seulement au-dessus du niveau de la mer, comme sur les belles rives du lac Majeur. La belle fleur de cet arbuste vert laisse une im- pression qui fait songer aux montagnes, aux cimes élevées qui se perdent dans les nues. Elle caracté- rise en effet cette zone particuli ère qui sépare les bois des dernières prairies alpines, limites de la végéta- tion dominées par la région des neiges éternelles. Le climat plus chaud des plaines ne convient pas à cette belle plante, et moins encore à sa sœur, le rhododendron ponticum, qui redoute les rayons trop ardents du soleil. Rafflesia Arnoldi, La plus grande de toutes les fleurs connues, la plus extraordinaire par l’importance de ses di- mensions, est la fleur découverte en 1818 par 258 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. Je docteur Joseph Arnold, et décrite par sir Stamford Raffles, alors gouverneur de l’établis- sement de la Compagnie des Indes occidentales, à Sumatra. C’est à la Société linéenne de Londres que fut adressée la première communication relative à cette fleur remarquable, et c’est à cette société que l’on doitles recherches publiées à son sujet: c’est pour- quoi nous nous adresserons à elle pour les données dont nous avons besoin ici ; nous serons seule- ment l’interprète dés Transactions of the linnean Society. Cette fleur gigantesque qui surpasse toutes les autres par son importance parasite fut découverte dans le premier voyage de sir Stamford dans l’in- térieur de la province, voyage dans lequel il fut accompagné de J. Arnold, membre de la Société linéenne, qui promettait à la science les plus belles espérances, si la mort n’était venue le frapper dès le commencement de ses recherches. Sir Raffles écrivait à ce propos la lettre sui- vante : « Je vous apprends avec regret la mort du doc- teur Arnold.... J’avais espéré, au lieu d’un sujet de mélancolie, vous rendre compte de décou- vertes dues à la main de ce savant, et surtout de celle d’une fleur gigantesque, la plus magni- fique, sans contredit, qui ait été vue jusqu’ici. RAFFLESIA ARNOI.ni 259 Voici un extrait d’une lettre écrite à bord par lui-même. a .... Arrivé à Pulo LeSbar, sur la rivière de Manna, je me réjouis de vous annoncer que j’ai rencontré le prodige le plus surprenant qui doit exister dans le monde végétal. Je m’étais un peu éloigné, lorsqu’un de mes esclaves malais revint à moi en courant avec l’étonnement dans le re- gard et en criant : « Venez, monsieur, venez « voir, une fleur, très-grande, magnifique, extraor- « dinaire !» Je me rendis au lieu où me dirigea le Malais.... « Et voilà le docteur Arnold plongé dans la stupé- faction de voir un pareil colosse dans l’empire de Flore; il la fait couper et transporter à sa rési- dence ; elle fait l’admiration de tous. On l’exa- mine, on l’étudie, on la dessine, et c’est d’après ce dessin que l’on donne la figure suivante. «c Les cinq magnifiques pétales qui rayonnent du centre sont d’un beau jaune orange; au centre de la couronne , sur un fond violet s’élève un large pistil, donnant l’apparence d’une flamme dans un globe de punch. Cette fleur prodigieuse mesure un mètre (ou yard) de large; les pétales ont douze pouces de la base au sommet, il y a environ un pied de l’insertion d’un pétale à celle d’un pé- tale opposé. Le nectarium paraît d’une capa- cité suffisante pour contenir douze pintes ; le poids 260 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. de la fleur entière a été calculé de quinze livres (fifteen pounds)*. » 1. Après leRafflesia Arnoldi, viennent, par arbre de grosseur: l’Helianthus du Mexique, les Aristoloches, les Datura, les Bar- ringtonia, les Gustavia, les Carolinea, les Lecythis, les Nym- phéa, les Nelumbium, les Magnolia, les Cactus, les Orchidées et les Liliacées. Le Népenthès. CHAPITRE V. Nelumbium. — Népenthès. Après les nymphéacées, nous parlerons des Ne- lumbium, magnifiques plantes herbacées, d’une conformation générale très-ressemblante aux pré- cédentes , qui croissent dans les eaux douces des parties chaudes de l’Asie et de l’Amérique septen- trionale. Les fleurs sont très-grandes, blanches, roses ou jaunes. Deux espèces surtout méritent notre attention : le nélumbo brillant et le nélumbo jaune. Les fleurs de la première figurent parmi les plus 262 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. belles et les plus grandes du règne végétal ; elles ressemblent aux magnolias, émettent une odeur d'anis et sont portées sur de longs pédoncules qui les élèvent à la surface de Teau. C'est dans les Indes et en Chine qu'on la rencontre principalement; elle y est aussi cultivée à cause de la vénération qu'ont pour elle les habitants de ces contrées, qui en font leur plante sacrée et qu'ils considèrent comme le symbole de la fertilité; ils représentent leurs divinités placées sur une de ces feuilles. ' Le nélumbo jaune croît dans l'Amérique septen- trionale, dans la Floride, la Caroline; il ressemble au précédent, si l'on réserve que ses fleurs sont plus petites et constamment jaunes. C'est sur les pieds de nélumbo cultivés au jardin de Montpellier que M. Delille a fait ses curieuses observations sur la respiration des plantes. Il a vu que, lorsque l’eau séjourne un peu sur le centre de la feuille, il y a fréquemment émission naturelle d'air, par les bulles, à travers cette eau, et il a reconnu que cet air qui sort seulement de la tache centrale blanche, où se trouvent beaucoup de sto- mates, y arrive, du reste, de la face supérieure de la même feuille. A minuit, les feuilles qui avaient exhalé de Fairpendant le jour n’en donnaient plus; à six heures du matin, comme le soleil ne donnait pas encore sur elles, elles n'étaient point exha- lantes ; elles le redevenaient pendant le reste de LES NÉPENTHÈS. 263 la journée. La conclusion est celle-ci ; chaque feuille de la plante est pourvue d’un système res- piratoire complet, pour lequel le velouté possède la faculté absorbante, et les stomates celle seule- ment exhalante, ce qui est sans exemple pour toute autre plante que celle-ci, la seule qui ait pu se prêter aux expériences qui décident si manifes- tement l’aspiration et l’exhalation. Le Népenthès. Ce que dit Homère du népenthès a été interprété allégoriquement par plusieurs auteurs anciens tels que Plutarque et Athénée, par la raison que la fleur à laquelle on donne ce nom aujourd’hui ne paraît pas avoir été connue des anciens. On a pensé que dans l’esprit du poète il s’agissait de la façon brillante dont la reine de Sparte faisait passer le temps à ses hôtes par les récits charmants qui fai- saient sa conversation habituelle. Ni Lamark, ni Brongniart, ni Jussieu n’ont cru pouvoir classer le népenthès parmi les genres connus ; le premier l’a rapproché des orchidées, le second du rafflesia, le troisième l’a nommé incertæ sedis, comme s’il ne pouvait rentrer dans aucune famille naturelle. On en a même fait une famille spéciale, celle des népenthées, représentés dans l’Inde par le népenthès distillatoria, à Madagascar 264 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.. par un genre spécial que caractérisent les crêtes foliacées de ses urnes , en Cochinchine par le N. phyllamphora, à Java par le N. gymnamphora. On croit communément chez les Indiens des montagnes que si Ton coupe les urnes d’un népen- thès et qu'on en renverse le contenu, la journée ne se passera pas sans que les nuages et la pluie ap- paraissent; aussi, quand ils craignent la pluie, se gardent-ils bien de toucher à cette plante. Au con- traire, lorsqu’une sécheresse trop prolongée leur fait demander la pluie, ils se hâtent de renverser les urnes. Ils tiennent cette plante en grande estime comme Tune des plus précieuses pour le voyageur, quoiqu’il arrive souvent de ne rencontrer les né- penthès qu’au bord des rivières, dont l’eau est pré- férable à celle de ces urnes végétales, où les petits insectes viennent parfois déposer leurs œufs. La structure des urnes des népenthès avait d’abord paru tout à fait inexplicable aux botanistes, dit un correspondant du Magasin Pittoresque , car chez les autres végétaux on ne voit point les véritables vril- les se développer d’une manière aussi singulière ; mais, en examinant de plus près, on a reconnu que la véritable feuille est simplement le petit couver- cle de l’urne, et que l’urne elle-même, le filet con- tourné qui la supporte, et la partie élargie que l’on prenait pour la feuille, ne sont que des dépendan- ces et des mortifications du pétiole ou du support OUVIRANDRA FENESTRALIS. 265 de la feuille. Or, on connaît dans une foule de vé- gétaux des modifications du pétiole qui peuvent donner idée de celle des népenthès. Ainsi, dans la macre ou châtaigne d’eau, qui, poussant ses racines dans la vase , vient étaler avec grâce ses rosaces de feuilles à la surface des étangs, on voit les pétioles renflés au milieu en une sorte de vessie creuse pleine d’air, qui sert à soutenir la plante ; les pétioles de Toranger sont élargis en feuille, ceux des mimo- sas prennent souvent la place des vraies feuilles qui toutes ont avorté; ceux des abricotiers, des ceri- siers, etc., portent plusieurs glandes qui donnent une idée de celles qui tapissent l’intérieur des urnes. Ouvirandra fenestralis. Au point de vue de la conformation des feuilles, l’ouvirandra fenestralis n’est pas moins curieuse que la précédente, cetteplante malgache estmerveil- leuse par la singulière organisation de ses feuilles en forme de fenêtres, où le réseau vasculaire reste seul, dépouillé du parenchyme qui revêt les feuilles de toutes les autresplantesdela famille des sauria- nées ; c’est une plante vivace, croissant dans l’eau. Sa racine est un gros tubercule oblong, charnu, aux dépens duquel naissent des libres cylindriques. Les feuilles sont pétiolées, elliptiques, obtuses, 266 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. percées de trous parallélogrammes très-rappro- chés ; Télégant réseau les forme entièrement. La hampe est cylindrique, plus grande que les feuilles, renflée dans sa partie moyenne, terminée supé- rieurement par deux à cinq épis digités de petites fleurs roses et odorantes; chaque fleur offre un calice formé de cinq pétales colorés. Parmi les fleurs merveilleuses nous pourrions encore citer la vallinseria, dont l’espèce type est la V. spiralis. Les rivières de l’Europe méridionale possèdent des familles nombreuses de cette plante. Ce qu’il y a de spécialement remarquable dans ce végétal, c’est le fait qui s’accomplit à l’époque de la fécondation des fleurs. Les fleurs fécondantes viennent à la surface de l’eau, où elles planent comme dans l’attente des fleurs qui doivent être fécondées. Sensibles à cet appel, celles-ci, portées sur le mécanisme admirable d’une longue spirale, déroulent ce long pédoncule et montent jusqu’à ce qu’elles atteignent la superficie de l’eau. Lorsque les fleurs se sont touchées, elles rentrent au fond des eaux pour y mûrir leurs graines. De Jussieu a décrit ce phénomène en un langage latin d’une grande élégance, et Castel en a traduit la des- cription en beaux vers français dans son poème sur les plantes. Le Rhône impétueux, sous son onde écumante Durant six mois entiers, nous dérobe une plante MIGRATIONS DES PLANTES. 267 Dont la tige s’allonge en la saison d’amour, Monte au-dessus des flots et brille aux yeux du jour. Avant de nous introduire dans le sanctuaire de la sensibilité végétale, il convient de terminer cette esquisse du monde des fleurs par la considération d’unphénomène plus général et plus important que tous les précédents : celui des migrations des plan- tes. C’est à cette grande faculté d’extension et de voyages que nous devons la richesse du verdoyant tapis dont la terre est décorée. Le savant directeur du muséum de Rouen , M. Pouchet, sera notre cicérone ici comme dans tous les faits d’analyse générale où l’ampleur du sujet réclame la présence du praticien. « Rien ne nous révèle avec plus de splendeur les ressources de la nature, dit-il, que la facilité avec laquelle celle-ci couvre de végétation et de vie toute la sur- face du globe. Là, elle semble ne se confier qu’à l’immense fécondité qu’elle accorde à l’espèce; ailleurs, elle emploie les procédés les plus ingé- nieux et les plus variés, pour transporter d’un pôle à l’autre ses fruits et ses semences. Le nombre considérable de semences que portent certains végétaux en assure l’incessante reproduc- tion, et sous ce rapport le calcul donne souvent des résultats inattendus. Ray a compté 33 000 grai- nes sur un pied de pavot , et 36 000 sur une seule tige de tabac. Dodard porte encore beaucoup au- 268 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, dessus de ces chiffres le nombre de fruits qu’on peut récolter sur un orme; selon lui, cet arbre en fournit annuellement plus de 520 000. Il est évident que si toutes ces semences se déve- loppaient , il ne faudrait que bien peu de généra- tions pour que ces végétaux couvrissent toute la surface du globe. Mais une foule de causes arrê- tent cette menaçante invasion. La fécondité de quelques champignons est en- core plus extraordinaire. Fries a compté plus de 10 000 000 de corps reproducteurs sur un seul in- dividu du Reticularia maxima. D’autres plantes, de la même famille, nourrissent une progéniture bien autrement considérable, et son abondance tient tellement du prodige, que toutes les ressources de l’intelligence humaine ne pourraient parvenir à en supputer le dénombrement. L’incommensurable fécondité du lycoperde gi- gantesque est telle, que c’est par millions de mil- liards qu’il faut compter ses grains microscopiques. Or, quoique celles-ci soient invisibles à l’œil, cha- cune d’elles peut cependant donner naissance à un volumineux champignon qui, en une nuit, acquiert souvent le volume d’une citrouille. Et l’on peut dire, sans hyperbole, que si les sémiles de ce végétal se trouvaient miraculeusement dispersés sur tout le globe , et s’y développaient simultanément, le len- demain sa surface en serait absolument couverte. MIGRATIONS DES PLANTES. 269 C’est assurément l’air qui remplit le rôle le plus important dans la dissémination végétale. Une foule de semences légères ne semblent avoir été décorées d’aigrettes ou d’ailes membraneuses que pour être plus facilement emportées dans ses tourbillons. A cet effet, le fruit léger de beaucoup de synan- thérées est surmonté d’une aigrette de fibrilles étalées, véritable parachute qui s’enlève au moin- dre souffle du zéphir. Ravie a la plante mère, à l’aide de sa nacelle aérienne, la semence accom- plit les plus longs voyages. La plus faible brise, du fond des vallées, va l’implanter sur les aiguilles des montagnes. Si la tempête s’élève, le frêle para- chute, emporté par ses tourbillons, se mêle aux nuages orageux, traverse les mers et opère sa des- cente sur un rivage inconnu. Trop pesants pour être enlevés par l’effort des vents, d’autres fruits accomplissent de longs voya- ges nautiques, et traversent les mers, emportés par les courants et les vagues. Ainsi, protégés par leur boîte ligneuse, les cocos des Seychelles, en- traînés par les courants réguliers, viennent joncher les rivages du Malabar , après avoir accompli , sur mer, un trajet de plus de 400 lieues. Étonnés de cette fécondité inattendue, qui se répète cha- que année, les Indous ne l’expliquent qu’en sup- posant que les profondeurs de l’Océan nourris- 2 70 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. sent les arbres qui produisent ces énormes fruits. C’est aux cours d’eaux douces, aux fleuves et aux ruisseaux que sont dues les plus importantes mi- grations végétales. Si Pascal a dit que les rivières sont des chemins qui marchent , avant lui les plantes semblent l’avoir deviné. Enlevées parleurs ondes fugitives , les semences franchissent parfois de grandes distances pour rencontrer une nouvelle patrie. Les animaux concourent amplement aussi à la dissémination végétale. Les marmottes, les loirs et les hamsters approvisionnent de fruits leurs de- meures souterraines, et une partie du butin de leur active prévoyance , souvent oubliée sous le sol, y germe et s’y développe au retour du printemps. D’autres mammifères travaillent à la dissémina- tion par des procédés encore plus simples : les se- mences s’accrochent à leurs toisons et sont trans- portées çà et là par eux, dans leurs pérégrinations. Si les animaux consomment, pour leur nourri- ture, une fort notable quantité de graines, par une heureuse compensation, la Providence trouve dans leurs déprédations une inépuisable source régéné- ratrice. C’est aux grives qui mangent avec avidité les fruits du gui que l’on doit la multiplication de la plante si célèbre dans l’ancienne Gaule. MIGRATIONS DES PLANTES. 271 D’autres oiseaux, par des moyens analogues, propagent aussi un grand nombre de plantes. Les voyageurs rapportent que les Hollandais ayant dé- truit les muscadiers dans plusieurs îles de l’Inde, afin d’en concentrer la culture à Ceylan, les co- lombes muscadivores, qui sont très-friandes de leurs fruits, repeuplèrent la plante presque partout où le vandalisme néerlandais l’avait extirpée. L’homme doit être lui-même considéré comme un des plus grands agents de la dissémination végé- tale. Lèses vaisseaux et ses caravanes, en franchis- sant l’Océan et le désert, transportent à son insu des semences et des plantes, qui viennent envahir des contrées nouvelles. » L’Antirrhinum græcum. (Voy. p. 242.) CHAPITRE VL Sensibilité végétale. « .... Descendez, chœurs aériens, sylphes qui vol- tigez sur nos têtes, et de vos doigts délicats tou- chez vos lyres d’argent : Gnomes, rassemblez-vous sur l’herbe, imprimez-y vos anneaux mystiques, et que vos pas cadencés s’accordent avec la musique céleste; tandis que sur un chalumeau je chante, avec une mélodie douce , les espérances riantes et les peines amoureuses de la prairie. « .... Sans cesse agitée par la délicatesse de ses organes et par son exquise sensibilité, la chaste LA SENSIBILITÉ VÉGÉTALE. 273 mimosa redoute le plus léger attouchement. Elle est alarmée lorsqu’un nuage passager lui dérobe les rayons du soleil. Au moindre vent, elle frémit et s’enfuit par la crainte de l'orage. A l’approche de la nuit elle abaisse ses paupières, et lorsqu’un sommeil paisible a rafraîchi ses charmes, elle s’éveille et salue l’aurore. Fidèle aux mœurs de l’Orient, mêlant la gaieté à la décence et la modes- tie à la fierté, elle se couvre d’un voile, s’avance vers la mosquée, et s’engage à l’époux qui la re- connaît pour la reine de son sérail. Ainsi s’élève ou s’abaisse aux moindres variations de l’atmo- sphère le fluide argenté' contenu dans un tube de cristal. Ainsi vacille continuellement sur son pivot l’aiguille aimantée, qui dans tous ses mouvements se dirige vers son pôle chéri. » Telles sont les paroles de Darwin sur la Sensitive, dans son premier chant des Amours des Plantes. Il n’est pas un amateur qui n’ait observé ce mouve- ment singulier qui s’opère au moindre contact sur les feuilles de la Sensitive. Au choc le plus léger, au simple toucher, ses folioles fléchissent sur leur support, les branches pétiolaires s’inclinent sur le pétiole commun, et le pétiole commun tombe lui-même sur la tige. Si l’on coupe l’extré- mité d’une foliole, les autres folioles se rappro- chent successivement. On voit que les feuilles de cette plante sont digitées, c’est-à-dire formées de 18 274 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, rayons disposés comme les doigts de la main; ce sont ces feuilles étroites et longues qui à la moin- dre secousse s'appliquent les unes sur les autres en se recouvrant par leur surface supérieure. Elles se réunissent de même à 1 entrée de la nuit ou lorsqu’il survient un froid assez vif pour fatiguer la plante. Elles sont dans un état de parfait épa- nouissement par un temps calme et chaud. Un nuage qui passe devant le soleil suffît pour chan- ger la situation des feuilles, dont l'expansion dimi- nue par raffaiblissement de la lumière. Quoique fermées et dans un état de sommeil pendant la nuit, elles s'abaissent encore davantage si on les touche. A l’insertion du pétiole sur la tige, et à celle de chaque foliole sur le pétiole, on aperçoit une petite glande qui est le point le plus irritable. Il suffit de la toucher avec la pointe d'une épingle pour faire fermer la feuille ; si la secousse est vive, toutes les folioles font successivement le même mouvement, deux à deux, dans un ordre régulier. La feuille elle-même ne s’abaisse qu'après que toutes les folioles sont abaissées , comme si le membre principal ne s'endormait qu’après l’as- soupissement de tous ses appendices. En plaçant avec une grande délicatesse une pe- tite goutte d'eau sur les folioles, de Gandolle par- venait à ne susciter aucun mouvement; mais si l’eau était remplacée par une goutte d'acide sulfu- LA SENSIBILITÉ VÉGÉTALE. 275 rique, les folioles se crispaient et fléchissaient. L’irritation n’est pas locale, comme nous l’avons dit, elle se communique de proche en proche. La faculté contractile réside en des bourrelets cylin- driques placés aux points d’insertion. Certaines expériences tendraient à établir que ces délicates Sensitives peuvent, jusqu’à un cer- tain point, s'habituer au mouvement, et en ressen- tir les effets avec d’autant moins d’intensité. Des- fontaine a observé ce fait en charriant une de ces plantes. Aux premiers mouvements de la voiture, aux premiers cahotements, elle fermait ses folioles et toutes ses feuilles s’infléchissaient. Mais peu à peu, à mesure que la voiture roulait, on eût dit que la Sensitive commençait à s’habituer à ce nou- vel état; ses feuilles se relevaient et ses folioles s’épanouissaient. Si la voiture était arrêtée pen- dant quelque temps, au moment où elle se remet- tait en marche, la plante délicate subissait comme la première fois l’influence du mouvement; mais au bout de quelque temps elle semblait revenir de sa frayeur et reprenait sa beauté du jour. On connaît quelques autres plantes qui se meu- vent lorsqu’on les touche, mais à un degré moins sensible que chez la Sensitive. Telles sont la Dio- née, l’Onalis sensitiva, l’Onoclea sensibilis, etc. Du temps de Pline, on connaissait déjà cette in- fluence d’un simple contact sur les plantes sensi- 276 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. blés. Ce naturaliste rapporte qu’aux environs de Memphis se trouve un arbre qui a le port de l’Aca- cia, et dont les feuilles, faites comme des plumes, s’abaissent lorsqu’on touche les rameaux, et se relèvent ensuite. Il est ici question d’une Sensitive, quoiqu’on ne sache pas précisément à quelle espèce se rapporte le récit de Pline, qui du reste n’a fait que copier Théophraste, 1. III, c. iii. Plantes à mouvements spontanés. Desmodie oscillante. Tous les êtres créés sont vraiment de la même famille ; c’est le même esprit qui ordonna la créa- tion universelle, ce sont les mêmes lois qui la dirigent, ce sont les mêmes forces qui la sou- tiennent: tous les enfants de la nature sont frères et tous sont unis par des liens indissolubles. Du minéral à l’homme, la série monte par degrés in- sensibles; tels caractères appartiennent à la fois aux trois règnes: minéral, végétal et animal, formant en vérité l’unité la plus parfaite qui puisse être conçue. Parmi les végétaux, ceux qui paraissent pos- séder le plus particulièrement des caractères ap- partenant au règne supérieur, au règne animal, sont encore les plantes sensibles, dans lesquelles des mouvements spontanés se manifestent, soit LA SENSIBILITÉ VÉGÉTALE. 277 dans l’état normal de la plante, soit par des causes occasionnelles. En apparence elles se rapprochent en cela des êtres vivants qui jouissent exclusi- vement de cette faculté, digne d’être comparée au sens du toucher. Les feuilles de certaines plantes possèdent un mouvement que l’on nomme révolutif, parce qu’il s’exécute suivant une courbe fermée, et décrit une sorte de cône dans l’air ; les vrilles de la bryone et du concombre cultivé sont douées de ce mouve- ment perpétuel, dont la durée dépend de la tempé- rature. Ces mouvements sont peu apparents. Il n’en est pas de même de ceux de la desmodie oscillante dont nous allons parler. Dans cette plante, la feuille se compose de trois parties: une grande et large feuille, et deux étroites plantées à la naissance de celle-ci. Or, pendant toute la vie de la plante, de jour et de nuit, par la sécheresse et par l’humidité, sous le soleil et dans les ténèbres, les folioles latérales exécutent sans cesse de petites saccades, assez semblables à celles de l’aiguille d'une montre à secondes. L’une des deux s’élève et pendant le même temps sa sœur jumelle s’abaisse d’une quantité correspon- dante; quand la première descend, celle-ci re- monte, et ainsi de suite. Ces mouvements sont d’autant plus rapides que la chaleur et l’humidité sont plus grandes. On a observé dans l’Inde 278 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, jusqu’à soixante petites saccades régulières par minute. Il y avait là en vérité une montre végétale d’un genre particulier. La grande feuille exécute elle-même des mouvements analogues, mais beau- coup plus lents. Cette plante fut découverte au Bengale par Mme Mouson, botaniste distinguée de l’Angleterre, qui mourut au milieu de ses excur- sions scientifiques. Nous avons dit tout à l’heure que chez ces plantes sensibles les mouvements se manifestent, soit dans l’état normal, soit par des causes occa- sionnelles. La desmodie est un type du premier genre ; voici un type caractéristique du second. Dionée attrape-mouches. Dans un poëme sur les plantes, Castel chante ainsi la dionée : J’admire le réseau, fatal aux moucherons, Qu’un insecte suspend autour de nos maisons ; Mais le fil aminci de l’agile araignée A-t-il jamais atteint l’art de la dionée? Sa feuille en embuscade au milieu des marais Cache sous un miel pur la pointe de ses traits ; D’un perfide ressort elle est encore armée : Le piège, au moindre tact de la mouche affamée. Se ferme; plus d’issue, et l’insecte imprudent, Percé des deux côtés, expire en bourdonnant. Cette plante si singulière, ajoute le même auteur, semble avoir reçu de la nature des facultés très- LA SENSIBILITÉ VÉGÉTALE. 279 supérieures à celles des autres végétaux. Avançons, dit William Bartram , près de ce ruisseau qui en est bordé. Voyez s’ouvrir ces lobes vermeils; leurs ressorts sont tendus, ils sont prêts à saisir l’insecte sans défiance. Voyez comme une des feuilles se replie sur une autre mouche qui fait pour s’échap- per de vains efforts. Une autre a pris un petit ver; elle s’en saisit et ne le lâchera pas. Comment , en voyant le jeu de la nature, n’être pas tenté de croire qu’elle a donné aux végétaux quelque sentiment, quelques facultés analogues à celles que nous ad- mirons dans les animaux! Ils ont comme ceux-ci l’action, la vie, le mouvement spontané. Nous trouvons dans cette plante tout ce qui indique l’in- tention et la volonté. Les premiers individus de ce genre ont été com- muniqués à l’Europe par John Bartram, père du précédent; cette plante est originaire de l’Amérique septentrionnale. On voit par le dessin ci-joint que les feuilles étalées à la surface du sol se terminent par deuxpanneaux qu’une nervure en forme de char- nière relie. Sur le pourtour on voit des cils roides allongés. Une liqueur répandue comme une légère couche de miel sur les panneaux attire les insectes; mais l’irritabilité extrême de la feuille ne peut sup- porter le moindre contact sans que les deux pan- neaux se rapprochent et croisent leurs cils. L’in- secte est prisonnier; les mouvements qu’il fait en 280 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. se débattant ont encore pour effet de fermer davan- tage le singulier appareil, dont les serres ne s’ouvrent qu’après la cessation de tout mou- vement, c’est-à-dire' après la mort du petit insecte. L’observation de ces faits peut donner beaucoup à réfléchir au botaniste philosophe. « Quelles mystérieuses forces président à la vie des plantes? se demande le naturaliste Pouchet. Ces êtres, d’un aspect si gracieux ou si imposant, parés de couleurs éblouissantes , embaumant l’air des plus suaves parfums, ont-ils été déshérités de toutes les facultés qu’on accorde aux plus ignobles animaux? Il y a deux écoles qui, à ce sujet, ont également exagéré leurs prétentions : l’une s’est complue à trop élever l’essence intime des végé- taux, l’autre à la dégrader. « L’antiquité avait surtout donné dans le premier excès. Empédocle n’hésitait pas à accorder aux plantes des facultés d’élite, et quelques-uns des successeurs du philosophe d’Agrigente l’ont même dépassé à cet égard. La merveilleuse mandragore passait parmi eux pour- être douée de la plus ex- quise sensibilité. A la moindre blessure, la plante aux formes humaines poussait de lamentables gémissements. Et ceux qui avaient l’audace de la cueillir, pour n’en être point terrifiés et braver ses maléfices, devaient employer certaines précautions. Les hypothèses de la crédule antiquité se sont re- LA SENSIBILITÉ VÉGÉTALE. 281 produites; on les a même dépassées de notre temps. Adanson, savant audacieux s’il en fut, ré- partit largement les âmes parmi les plantes ; une ne lui suffisait pas pour chacune d’elles, il leur en ac- corde plusieurs. Hedwig, botaniste profond, Bonnet, plus rhéteur que réellement savant, et surtout Ed. Smith, accordaient aussi aux végétaux une sensibi- lité exquise, et même des sensations assez élevées. » Ces idées ont encore trouvé de nos jours d’ar- dents défenseurs en deux des plus célèbres savants de la studieuse Allemagne, Von Martius et Théo- dore Fechner. Ceux-ci considérèrent, la plante comme un être sentant et doué d’une âme in- dividuelle; et le dernier pousse même la témé- rité jusqu’à fonder une sorte de psychologie végé- tale. Dansson charmant petit livre, Camille Debans fait au systèmé de ces deux botanistes une allusion pleine de poésie et de fraîcheur. Il peint une rose tellement affaiblie et languissante, que le moindre souffle de l’air, aussi léger que le soupir d’une vierge, en arrache successivement les pétales souf- frants et fanés. Et quand sa meurtrière haleine a enfin tué la fleur, naguère si belle et si parfumée, les gnomes tout en larmes emportent son âme en paradis sur leurs ailes diaphanes. « Le génie de Descartes avait été assez puissant pour faire admettre aux masses que les animaux ne représentaient que de simples automates mon- 282 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. tés pour accomplir un certain nombre d’actes. A plus forte raison beaucoup de savants, en particu- lier Huler , dont les belles expériences fondaient la physiologie végétale, eurent la plus grande ten- dance à ne considérer les plantes que comme au- tant d’êtres absolument sous l’empire des forces matérielles. Mais, ni les témérités des Cartésiens, ni les hypothèses des Animistes , ne trouvent au- jourd’hui aucun asile dans le sévère domaine des sciences. On ne peut assimiler les phénomènes de la vie végétale, ni à de simples actes physico- chimiques, ni à une suprême direction iritellec- tuelle. Il est évident que ceux-ci sont régis par une force vitale qui enchaîne tous les ressorts de l’existence ; elle disparue, rien ne préserve l’être de la destruction. « Tous les savants qui ont traité la question en physiologistes sérieux, professent que les végétaux jouissent d’une vie tout aussi active que beaucoup d’animaux et qu’ils possèdent des vestiges de sen- sibilité et de contractilité. Le plus illustre des anatomistes modernes, Bichat, dans son magni- fique ouvrage sur la vie et la mort, l’admet sans hésitation. De nombreuses expériences attestent qu’il y a évidemment, dans les plantes, des ves- tiges de sensibilité analogue à la sensibilité animale. L’électricité les foudroie , les narcotiques les paralysent ou les tuent. En arrosant des sensitives LA SENSIBILITÉ VÉGÉTALE. 283 avec de l’opium on les a endormies profondément. Dans leurs curieuses recherches , MM. Gœppers et Macaire Princeps ont reconnu que l’acide prussique empoisonne les plantes avec autant de rapidité que les animaux. « Divorçons avec toutes nos vieilles idées sur la vie végétale , observons simplement les phéno- mènes, et nous arriverons à des conclusions qui nous étonneront nous-mêmes. Nous serons tout surpris de reconnaître que l’énergie des actes bio- logiques des plantes surpasse souvent tout ce que nous présente le règne animal; fait qui n’a été méconnu que parce que nous avons, à tort, consi- déré ses manifestations turbulentes comme en étant la suprême expression. « Quoique l’existence des nerfs soit encore para- doxale dans les plantes, dit en terminant le même auteur, il n’en est pas moins vrai que l’irritabilité qu’offre la sensitive semble absolument sous l’empire d’organes analogues à ceux-ci, puisqu’elle se trouve impressionnée par les mêmes agents, et de la même manière que le sont les animaux. » Parmi les plantes aux facultés merveilleuses, nous en citerons une susceptible de prêter des armes puissantes aux charlatans, VAnastatiqw (plante qui ressuscite), connue, des savants sous le nom de Jerore hygrométrique et plus vulgairement appelée Rose de Jéricho. C’est vraiment un spectacle digne 284 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, d’admiration de voir cette plante morte et desséchée reprendre, aussitôt qu’on plonge sa racine dans l’eau, les couleurs de la vie végétale ; ses boutons se gonflent, les feuilles de son calice se séparent, ses pétales se désimbriquent, sa hampe grandit et sa corolle arrive à son entier épanouissement. La rose de Jéricho appartient à la famille des Crucifères ; elle croît dans les régions sablonneuses de l’Arabie, de l’Égypte et de la Syrie. Sa tige se ramifie dès la base et porte des épis de jolies fleurs blanches qui se transforment en fruits ar- rondis. A la maturité de ces fruits, les feuilles tombent, les rameaux se durcissent, se dessèchent, se courbent en dedans de manière à former une espèce de pelote. Puis viennent les vents d’automne qui déracinent la plante et remportent jusqu’;! la mer. Là. elle est recueillie et apportée en Europe où elle est recherchée à cause de ses singulières propriétés hygrométriques. Il suffit déplacer dans l’eau l’extrémité de la racine, pour voir la plante renaître, se développer, et sous le regard charmé faire éclore de nouvelles roses ; l’eau retirée, la fleur pâlit, se referme, et l’on assiste à l’agonie, et à la mort de la plante. Dans certaines contrées, on croit encore que cette rose merveilleuse s’épa- nouit tous les ans au jour et à l’heure de la naissance du Christ. Le Liseron. CHAPITRE VII. Le Sommeil des plantes. Lorsque le soir étend ses voiles sur les jardins et les prairies, les filles aimées de la lumière re- plient leurs feuilles craintives, comme si elles prévoyaient la période des ténèbres et du froid. Nous avons vu la sensitive fermer ses folioles aus- sitôt que l’absence de la lumière tant aimée se fait sentir, comme au contact d’un corps étranger; cette habitude n’est pas particulière à cette plante délicate, elle appartient à un grand nombre d’autres plantes, dont la disposition inverse des feuilles 286 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. pendant la nuit est tellement différente de leur disposition normale pendant le jour, que leur phy- sionomie est complètement changée et qu’elles de- viennent difficiles à reconnaître d’après leur port. C’est ce que Linné a nommé le Sommeil des Plantes, quoique cette expression, empruntée au règne animal, n’indique pas comme dans celui-ci un état de repos, de souplesse et de flaccidité, car la position nocturne des plantes est aussi roide et aussi ferme que la position diurne. Linné, pour constater cette diversité dans l’état des feuilles pendant le jour et pendant la nuit, qu’il avait re- marqué sur le Trèfle du Nord, s’arrache chaque nuit au sommeil et descend dans son jardin visiter ses chères plantes. Bientôt, il reconnaît que c’est à l’absence de la lumière et non à l’intensité du froid nocturne que ce phénomène doit sa cause princi- pale, ce qui lui sert à établir avec plus d’autorité les rapports intimes qui existent entre la lumière et l’organisation des plantes. Il en place dans les serres chaudes, à l’abri de toute influence étran- gère, et constate que comme les plantes libres, elles subissent l’action négative de l’obscurité. Il recon- naît encore que la différence entre l’état diurne et l’état nocturne est beaucoup plus sensible dans les jeunes plantes que dans les sujets plus âgés. L’ob- servation constante lui montre que le but de la na- ture dans cette circonstance, c’est de mettre les LE SOMMEIL DES PLANTES. 287 pousses jeunes ou sensibles à l’abri du froid de la nuit et de l’impression de l’air. Les positions prises par les feuilles pendant la nuit diffèrent selon que ces feuilles sont simples ou composées. C’est dans ces dernières que la diffé- rence est le plus nettement marquée. Dans les Oxa- lis aux feuilles composées, les folioles descendent s’appliquer sur le pétiole commun, s’y adossent par leur face inférieure et ne laissent visible que leur face supérieure. La naissance de la feuille est cachée avec l’extrémité de la tige. Dans le Trèfle incarnat, les folioles se redressent en se courbant dans le sens longitudinal, et forment un berceau par la manière dont ils s’approchent par la base et par le sommet. L’OEnothère agit de la même façon. Les Maruves roulent leurs feuilles en cornet. On sait que les pois de senteur, les fèves cultivées ap- pliquent leurs feuilles les unes contre les autres, comme si elles s’appuyaient pour dormir. Le mouvement est remarquable dans les légu- mineuses. 11 s’exécute d’après des Ibis constantes, et la situation des feuilles pendant le sommeil caractérise certains genres. Ainsi plusieurs cosses ressemblent aux Sensitives, mais la manière dont elles plient leurs feuilles les fait reconnaître au premier coup d’œil. Si Ton se promène dans un jardin botanique après le coucher du soleil, on renouvelle l’observa- 288 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, tion de Linné, en remarquant combien les plantes présentent un aspect différent pendant la nuit et pendant le jour. Dans les unes les feuilles se re- dressent et recouvrent les tiges, dans d’autres elles s’abaissent et joignent leurs folioles par la surface inférieure, dans d’autres les folioles s’élèvent, se rapprochent, et forment une sorte de bateau. Les feuilles simples et arrondies comme celles des Mau- ves ont la surface supérieure concave ou convexe, selon l’heure du jour. A quelle cause est dû ce phénomène général ? Il semble indépendant de l’état thermométrique ou hygrométrique de l’air. Après Linné, de Candolle a observé que la lumière en était la cause la plus directe. Il soumit des plantes dont les feuilles se ferment pendant la nuit à une lumière artificielle peu inférieure à celle du jour sans soleil. Lorsque j’ai exposé, dit-il, des Sensitives à la clarté, dans la nuit, et à l’obscurité pendant le jour, j’ai vu dans les premiers temps les Sensitives ouvrir et fermer leurs feuilles sans règles fixes ; mais au bout de quelques jours elles se sont soumises à leur nouvelle position et ont ouvert leurs feuilles le soir, qui était le moment où la clarté commen- çait pour elles, et les ont fermées le matin, qui était l’heure où leur nuit commençait. Lorsque j’ai exposé les Sensitives à une lumière continue, elles ont eu, comme dans l’état ordinaire des choses. LE SOMMEIL DES PLANTES. 289 des alternatives de sommeil et de réveil ; mais cha- cune des périodes était un peu plus courte qu’à l’ordinaire. Lorsqu’on expose des Sensitives à l’obs- curité continue, elles offrent bien aussi des alter- natives de réveil et de sommeil, mais très-irré- gulières. La conclusion des faits observés, est que cette disposition de mouvement périodique est inhérente au végétal, et que la lumière en est la cause active, agissant avec des intensités différentes suivant les espèces. 11 est vrai que les expériences de Duhamel et celles de Mairan sont peu favorables à ce juge- ment exclusif sur la lumière, car l’un et l’autre ayant gardé une Sensitive dans un lieu obscur, elle a continué de s’ouvrir le jour et de se fermer la nuit. On serait porté à croire qu’il y a un rap- port plus intime encore et caché à l’observateur, entre l’organisme végétal et la condition astrale de la Terre. Écoutons, en terminant, le chant de Delille, bien digne ici de célébrer les merveilles de la nature, mais qui n’a pas toujours puisé ses inspirations à cette source véritable. Voyez, ainsi que nous, sur leurs tiges baissées S’assoupir de ces fleurs les têtes affaissées Et, dormant au lieu même où veilleront leurs sœurs, Des nocturnes repos savourer les douceurs. 19 290 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. Voyez comment Finstinct qui gouverne les plantes Assigne à leur réveil des heures différentes : L’une s’ouvre la nuit, l’autre s’ouvre le jour; Du soir ou du midi l’autre attend le retour. Je vois avec plaisir cette horloge vivante ; Ce n’est plus ce contour où l’aiguille mouvante Chemine tristement le long d’un triste mur ; C’est un cadran semé d’or, de pourpre et d’azur Où d’un air plus riant, en robe diaprée, Les filles du printemps mesurant la durée. Ou nous marquant les jours, les heures, les instants Dans un cercle de fleurs ont enchaîné le temps. CHAPITRE YIII. L’Horloge de Flore. « L’aimable Lampsane,la belle Nymphæa et la brillante Calendula suivent d’un œil attentif le mouvement diurne de la Terre sous le Soleil. Elles marquent sa situation, son inclinaison, ses divers climats, et par un art imitatif elles indiquent la marche du Temps, Elles attachent une chaîne ma- gique autour de son pied léger, comptent les vibra- tions rapides de son aile, et donnent le premier modèle de cet instrument merveilleux qui calcule et divise Tannée. » 292 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. Ainsi s’exprime le poète déjà cité des « Amours des Plantes ». Les fleurs de la Lampsane, du Nym- phæa, du Souci et d’un grand nombre d’autres plantes s’épanouissent et se ferment à des heures fixes. C’est sur celte observation que Linné a établi son horloge de Flore. Il forma trois divisions ; fleurs météoriques, qui s’ouvrent ou se ferment plus tôt ou plus tard , selon l’état de l’atmosphère ; tropi- cales, qui s’ouvrent au commencement et se fer- ment à la fin du jour; équinoxiales, qui s’ouvrent et se ferment à une heure déterminée. C’est cette dernière division qui constitue spécialement l’hor- loge de Flore. Voici vingt-quatre fleurs s’ouvrant successivement aux différentes heures du jour et de la nuit. Minuit Cactus à grandes fleurs. Une heure Lacieron de Laponie. Deux heures Salsifis jaune. Trois heures Grande décride. Quatre heures Cripide des toits. Cinq heures Emerocalle fauve. Six heures Epervière frutiqueuse. Sept heures Laitron. Huit heures Piloselle. Mouron rouge. Neuf heures Souci des champs. Dix heures Ficoïde napolitaine. Onze heures Ornithogale (Dame-d’Onze-Heures). Midi Ficoïde glaciale. Une heure Œillet prolifère. . Deux heures Épervière. Trois heures Léontodons. Quatre heures Alysse alystoïde. l’horloge de flore. 293 Cinq heures Belle de nuit. ^ix heures Géranium triste. Sept heures Pavot à tige nue. Huit heures Liseron droit. Neuf heures Liseron linéaire. Dix heures Hipomée pourpre. Onze heures Silène fleur de nuit. Parmi les fleurs qui s’épanouissent à heure fixe, plusieurs ne se rouvrent plus après s’être fermées, comme les Keturies ; d’autres, comme la plupart des composées, s’épanouissent de nouveau le len- demain. Un grand nombre de fleurs ne s’ouvrent que la nuit. Tel est, parmi les plus remarquables, le Cierge à grande fleur (Cactus grandiflorus), originaire de la Jamaïque et de la Vera-Cruz. Sa fleur magni- fique, large de deux centimètres, s’épanouit et ré- pand un parfum délicieux au coucher du soleil ; mais elle ne dure que quelques heures, et avant l’aurore elle se fane et se ferme pour ne plus s’ou- vrir. Ordinairement il s’en épanouit une nouvelle la nuit suivante, et cela continue de même pendant plusieurs jours. On a vu quatre ans de suite, dit le traducteur de l’ouvrage cité plus haut, ce cierge fleurir chez un jardinier du faubourg Saint-Antoine, le 15 juillet à 7 heures du soir. Parmi les autres plantes qui ne s’épanouissent et n’ont d’odeur que la nuit, nous mentionnerons en particulier ; les Nyctantes ou Jasmin d’Arabie, 294 LES VÉGÉTAUX MERVEILI.EUX. diverses espèces de Cestrum, d’Onagre, de Ly- chnis, de Silenes, de Géraniums, de Glayeuls." Les Belles-de-Nuit doivent leur nom à cette pro- priété. Le Souci d’Afrique s’ouvre constamment à sept heures, et reste ouvert jusqu’à quatre, si le temps doit être sec : s’il ne s’ouvre point, ou s’il se ferme avant son heure, on peut être sûr qu’il pleuvra dans la journée. Le Laitron de Sibérie reste ouvert toute la nuit, s’il doit faire beau le lende- main. Les fleurs de Nymphæa se ferment et se plongent dans l’eau au coucher du soleil ; elles en sortent et s’épanouissent de nouveau lorsque cet astre repa- raît sur l’horizon. Pline avait déjà remarqué ce mouvement. « On rapporte, dit-il (Liv. XIII, c. viii) que dans l’Euphrate la fleur du Lotus se plonge le soir dans l’eau jusqu’à minuit, et si profondément qu’on ne peut l’atteindre avec la main ; passé mi- nuit, elle remonte peu à peu, de sorte qu’au soleil levant elle sort de l’eau, s’épanouit, et s’élève con- sidérablement au-dessus de la surface du fleuve. » Selon plusieurs auteurs, cette observation est l’o- rigine du culte des Égyptiens pour le Nymphæa Lo- tus, qu’ils avaient consacré au Soleil. On en voit fréquemment la fleur et le fruit sur les monu- ments égyptiens et indiens. La fleur orne la tête d’Orisis. Horus ou le Soleil, est souvent représenté l’horloge de flore. 295 assis sur la fleur du Lotus. Hancarville a histori- quement prouvé qu’ils donnent par cette fleur un emblème du monde sorti des eaux. En regard de l’Horloge de Flore, il n’est pas hors de propos de placer le Calendrier, où chaque mois est représenté par sa fleur favorite. Janvier Ellébore noire. Février Daphné bois gentil. Mars Soldanelle des Alpes. Avril Tulipe odorante. Mai Spirée filipendule. Juin Pavot coquelicot. Juillet Centaurée. Août Scabieuse. Septembre Cyclame d’Europe. Octobre Millepertuis de Chine. Novembre Xyménésie. Décembre Lopésie à grappes. CHAPri'RE IX. Les Plantes de la mer. L’élément liquide occupe à peu près les deux tiers de la surface du globe terrestre, le rapport de la surface baignée est de 3, 8 à 1, 2, et sur les 5 millions de myriamètres qui constituent la su- perficie du globe, il y en a 3 millions 800 mille qui appartiennent exclusivement à la souveraineté de Fonde. Cette immense étendue naît-elle privée des beautés et des richesses de la vie tandis que la terre ferme offre dans sa flore et dans sa faune une si grande variété et une telle opulence ? Les anciens LES PLANTES DE LA MER. , 297 naturalistes étaient loin de comprendre toute la richesse des océans, et Linné lui-même en parlant des végétaux de la mer n’en embrassait qu’une quantité insignifiante. Aujourd’hui, la science moins incomplète a sondé les profondeurs océaniques, et parmi ces régions cachées elle a trouvé une exubérance de vie non inférieure à celle qui se manifeste sur les conti- nents. Il y a là tout un monde, un monde vraiment nouveau dontlesclassiticationsrelativesaux plantes et aux animaux aériens ne sauraient nous donner une idée suffisante. La mer offre à l’observateur des montagnes et des vallées, couvertes d’une .vé- gétation magnifique, un milieu où mille formes animales se jouent, des forêts qui abritent des hôtes plus nombreux et non moins variés que les hôtes des forêts terrestres. Cependant nous devons dire que s’il y a incom- parablement plus d’animaux dans la mer que sur la terre, la vie végétale y est moins largement re- présentée; mais il semble qu’il y a ici compensa- tion, car le monde des polypiers crée pour f océan une série d'êtres à la fois végétaux et animaux, qui lui donne une vie insolite, bizarre, compliquée, tenant à la fois des trois règnes de la nature. Oui, la mer est un monde nouveau, dont les productions riches et variées formeront peut-être un jour les branches les plus merveilleuses de 298 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. rhistoire naturelle. Le livre posthume de Moquin- Tandon^ a révélé la valeur de ce monde, et pour la première fois réuni en un même écrin toutes les perles cachées de l’élément liquide. Nous écoute- rons dans ce chapitre ce qu’il dit sur les plantes. Remarquons d’abord avec Schleiden, que toute la flore sous-marine comprend presque exclusive- ment une seule grande classe de végétaux, les algues ou les fucus — ajoutons en même temps que ce sont précisément là les premières plantes créées. — « Ces plantes offrent une diversité de formes telle, qu’un paysage au fond de la mer n’est ni moins intéressant ni moins varié que celui que présente une contrée à laquelle le soleil aurait imprimé le riche cachet de la végétation des tro- piques. Une structure particulière, molle, gélati- neuse dans toutes ses parties, un ensemble d’or- ganes arrondis ou allongés et étalés, auxquels les expressions de tiges et de feuilles ne sont point applicables comme dans les autres plantes; de brillantes couleurs d’un ton vert, olive, jaune, rose et pourpre, parfois bizarrement assorties sur le même organe foliacé, tout cela imprime à ces vé- gétaux un caractère étrange et féerique. » « Les plantes de l’Océan, dit l’auteur du livre dont nous parlions tout à l’heure, ne ressemblent 1. Le Monde de la mer, volume in-4”, orné de 270 planches sur acier, et de 200 vigne;t:s. Paris, Hachette, 1865. LES PLANTES DE LA MER. 299 pas beaucoup à celles qui ornent nos bois et nos vallons. D’abord elles n’ont pas de racines. Celles qui flottent sont globuleuses ou ovoïdes, tubulées ou membraneuses, sans apparence au- cune de corps radiculaire. Celles qui adhèrent sont fixées par une sorte d’empâtement super- ficiel plus ou moins lobé et divisé. La terre n’est pour rien dans leur développement, car leur point d’origine est toujours extérieur. Tout sepasse dans l’eau, tout vient d’elle et tout retourne à elle (Quatrefages). Les plantes terrestres choisissent tel ou tel ter- rain ; elles ne prospèrent bien que dans un sol dé- terminé. Les plantes marines sont indifférentes au rocher qui les supporte. Qu’il soit calcaire ou gra- nitique, elles n’en profitent pas; aussi croissent- elles indistinctement partout, même sur des co- raux ou sur des coquilles. Ces hydrophytes ne possèdent ni vraies tiges ni vraies feuilles ; elles se dilatent souvent en lames ou lamelles larges ou étroites, d’une seule ou de plusieurs pièces, qui tiennent lieu de ces organes. Elles ressemblent tantôt à des lanières onduleuses, tantôt à des fila- ments crispés ; celles-ci épaisses et coriaces, celles- là minces et membraneuses. Il y en a qu’on pren- drait pour de petits ballons transparents, pour des étoffes régulièrement gaufrées, pour des lambeaux de geb'e tremblante, pour des rubans de corne 300 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. blonde, pour des baudriers de peau tannée ou pour des éventails de papier vert ! Leur surface est tantôt lisse, polie, même luisante, tantôt couverte de papilles, de verrues ou de véritables poils. On y trouve un enduit visqueux, une poussière saline, une efflorescence sucrée et quelquefois un dépôt crétacé. Leur couleur est olivâtre, fauve, jaunâtre, d'un brun plus ou moins obscur, d'un vert plus ou moins gai, d'un rose plus ou moins tendre ou d'un carmin plus ou moins vif. Quelques auteurs les ont divisées d'après leurs teintes dominantes en trois grandes sections : les brunes ou noires (Mèlanospermées), les vertes (Chlorospermées)^ et les rouges {Rhodospermées), Les premières sont de beaucoup plus nombreuses. Elles s'enfoncent plus ou moins, et semblent occuper dans l'Océan trois régions plus ou moins distinctes ; elles constituent la plus grande partie des forêts sous-marines. Les vertes.sont superficielles et souvent flottantes. Les rouges se rencontrent habituellement à de faibles profondeurs et sur les rochers peu éloignés des rivages. » On rencontre souvent dans la mer — et la pre- mière navigation de Christophe Colomb en est un exemple célèbre — des îles herbacées d'une éten- due immense, flottant vers la surface et quelque- fois entraînées par les courants à des distances prodigieuses. Ces îles, dont les Açores offrent un LES PLANTES DE LA MER. 301 banc immense appelé mer des Sargasses, sont for- mées de varechs nageurs, et ce sont elles qu’Oviédo avait nommées la prairie des Varechs. Pour les premiers navigateurs, c’étaient les colonnes d’Her- cule de l’Océan, elles marquaient les limites des eaux navigables. Outre les varechs et les fucus, les laitues de mer, avec leur ample et mince feuil- lage, présentent souvent les mêmes oasis , les algues étendent à la surface des mers leurs fils tortueux et agglomérés. Mais cesprairies flottantes, uniformes et stériles, recouvrent au fond de l’Océan de riches pelouses à plantes touffues, des buissons où le poisson, véritable oiseau des mers, bâtit son nid humide, des bosquets et des jardins où se jouent les habitants du royaume aquatique, des bois et des forêts dont les retraites cachent aux grands ravisseurs leur proie craintive et silen- cieuse. Un fait digne de remarque, c’est que, comme la végétation terrestre, les plantes marines se ratta- chent, quant à leur distribution, à des limites géo- graphiques précises (Schleiden). Si l’on considère que cette répartition est liée en grande partie à des conditions différentes de chaleur et d’humidité ; que la mer est peu susceptible de sentir ces diffé- rences de température, vu qu’à une profondeur relativement peu considérable, elle possède sous toutes les latitudes le même degré de chaleur. 302 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, nous pouvons nous étonner avec raison de rencon- trer dans la flore sous-marine tant de variations, même pour des régions voisines ou situées à de faibles distances l’une de l’autre. On peut dire ce- pendant que les algues déploient le plus de richesse dans la zone tempérée et diminuent graduellement vers les pôles comme vers l’équateur. Mais au fond des mers, plus on s’approche de l’équateur et plus luxuriante est la végétation. Quittons, dit Schleiden, les forêts aquatiques du nord et leurs plantes gigantesques, parmi les- quelles le fucus porte-poire, par exemple, atteint l’énorme longueur de 500 à 1500 pieds : jetons un dernier regard fugitif sur les baleines qui se jouent à leur ombre, sur les troupeaux de chiens de mer, les myriades de harengs, de cabillauds, de sau- mons et de thons. Tournons-nous vers les régions où le soleil est plus ardent, pour voir si dans les mers antarctiques nous retrouvons au fond de l’Océan la même profusion que déploie la flore aérienne. Plongeons dans le cristal limpide de la mer des Indes, et aussitôt nous aurons sous les yeux le spectacle le plus enchanteur, le plus mer- veilleux. Des massifs d’arbustes au singulier bran- chage portent des fleurs vivantes; des masses compactes de méandrines et d’astrées forment un étrange contraste avec les organes palmés ou en forme de coupes qu’étalent les explanaires et les LES PLANTES DE LA MER. 303 tortueux madrépores avec leurs grosses branches articulées ou couvertesde rameaux digitiformes.Le coloris en est au-dessus de toute description; le vert le plus frais alterne avec le brun ou le jaune; des nuances de pourpre se confondent avec le rouge, le brun pâle et le bleu le plus foncé. Des millipores d’un rouge pâle, jaunes ou de couleur fleur de pêcher recouvrent les masses flétries et sont eux-mêmes entremêlés et tapissés de gracieux rétipores couleur de perle et imitant les plus admi- rables sculptures d’ivoire. Le sable pur du fond est recouvert par des milliers de hérissons et d’é- toiles de mer aux formes bizarres et aux couleurs les plus variées.... Autour des fleurs des coraux jouent et voltigent les colibris de mer, de petits poissons aux reflets rouges ou bleus, ou d’un feu vert doré et argenté ; semblables aux esprits de l’abîme, les méduses branlent sans bruit leurs cloches bleuâtres à travers ce monde enchanté. Ici les isabelles chatoyantes de couleur violette ou d’un vert doré, livrent la chasse aux coquettes ta- chetées d’un rouge de feu, de violet et de vermil- lon ; là s’élance la tanaïde comme un serpent, et ressemblant à un ruban argenté qui réfléchit des teintes roses et azurées. Viennent ensuite les seiches fabuleuses affectant toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, lesquelles disparaissent et reparais- sent tour à tour, se confondent de la manière la 304 ^ LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX, plus fantastique ou se recherchent pour se séparer ensuite de nouveau. Et tous ces animaux se suc- cèdent avec la plus grande rapidité, formant les plus merveilleux contrastes d’ombres et de lu- mières. Le moindre souffle qui frise la surface de l’eau fait disparaître le tout comme par enchan- tement. Si maintenant le soleil roule son char vers l’oc- cident, et que les ombres de la nuit descendent dans les abîmes , ce jardin fantastique recommence à briller avec une nouvelle splendeur. Des millions d’étincelles de méduses et de crustacés microsco- piques dansent dans l’obscurité comme autant de vers luisants. Plus loin on voit la magnifique plume de mer, rouge pendant le jour, balancer ses lueurs verdâtres ; partout ce ne sont qu’étincelles lumi- neuses, que jets de flamme et de feu brillamment colorés; ce qui le jour s’efface dans la splendeur générale brille maintenant avec un éclat empreint de toutes les nuances de l’arc-en-ciel; et pour compléter les mille et une merveilles de cette illu- mination féerique, ajoutons que les môles, formant des disques argentés de près de six pieds de dia- mètre, nagent avec majesté au milieu des myriades d’étoiles étincelantes. — Ajoutons un dernier trait. Le voyageur solitaire qui vient d’étudier les merveilleuses côtes de Ceylan retourne le soir dans sa demeure. « Tout à coup, au milieu de la Iran- LES PLANTES DE LA MER. 305 quillité d’une nuit sereine, éclairée par la lueur argentine de la lune, une douce musique sem- blable à l’harmonie des harpes d’Éole frappe son oreille. Ces sons mélancoliques, assez forts pour couvrir le bruit des brisants, viennent de la plage voisine et rappellent à l’imagination le chant des sirènes. Ce sont des moules chantantes qui font en- tendre du rivage une douce et plaintive mélodie. » (Schleiden, la Plante). Si nous complétons ce panorama par le tableau d’ensemble du monde végétal pélagien, où l’on ne rencontre ni 'feuilles, ni calices, ni corolles, et celui de ces animaux étoilés qui semblent tenir la place des fleurs, dans ce bizarre élément « où le règne animal fleurit, où le règne végétal ne fleurit pas; » si nous réfléchissons à la formation des coraux, des zoophytes et de leurs îles circulaires ; faisant abstraction du temps, si nous considérons la perpétuelle mutabilité du fond des mers, qui tour à tour envahissent et découvrent les régions continentales, nous nous formerons une idée ap- prochée de la puissance , de l’importance et de la richesse de l’élément, que la poésie expressive des Orientaux avait salué comme la source première et éternelle de toutes choses. 20 Forêt de l’époque houillière CHAPITRE X. Les Végétaux des temps primitifs. La parure végétale qui de nos jours embellit la surface du globe terrestre et nous donne les fruits et les fleurs, n’a pas toujours existé sous la forme brillante qu’elle revêt aujourd’hui. Il fut un temps où l’aspect de la végétation était essentiellement différent de celui-ci ; l’œil à qui il serait donné de pouvoir comparer ces deux natures croirait admi- rer non un seul monde, mais deux mondes fort di- vers dans leurs conditions d’existence. A l’époque primitive dont nous parlons, aucune des plantes AVANT L’HOMME. 307 actuellement existantes n’avait pu être vue sur la terre, aucun arbre, aucun arbrisseau, aucune fleur, de l’immense collection que nous pouvons examiner aujourd’hui, n’existait; sans contredit, c’était véritablement là le spectacle d’un monde essentiellement différent du nôtre. 11 y avait en vérité des forêts touffues et de pro- fonds ombrages, des retraites silencieuses et des vastes avenues dans les bois; comme aujourd’hui le vent faisait résonner sous les touffes pressées le tumulte des tempêtes; comme aujourd’hui lesrayons du soleil se jouaient à travers les vapeurs du matin et du soir, la nature entière rayonnait de vie, de richesse et de mouvement. Mais alors aucune pen- sée humaine n’était là pour contempler ces splen- deurs, entendre ces harmonies; c’est à peine si les premiers représentants de l’animalité étaient éveil- lés au sein des mers ou sur les rivages maréca- geux; les plantes étendaient sur la terre leur domination absolue; c’était vraiment là le Règne végétal par excellence. Néanmoins on s’est fait une idée erronée de la végétation primitive lorsqu’on en a conclu que ces végétaux étaient plus grands, plus forts, plus beaux, plus dignes d’admiration que ceux qui revê- tent la terre sous le règne de l’homme ; et ce serait encore se tromper que d’imaginer à ces époques reculées une végétation riche et luxueuse compa- 308 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. rable à la nôtre. Non. A la période houillère dont nous parlons, la terre n’avait pas encore vu appa- raître une seule fleur, un seul fruit ; et quant à la grandeur réputée colossale de ces végétaux, voici en quoi consistait cette supériorité compara- tive. Les beaux végétaux dont nous avons parlé, les géants de la Californie, les baobabs monstrueux, les palmiers élégants, les chênes gigantesques, les arbustes charmants et gracieux, les fleurs bril- lantes et odorantes, n’étaient pas encore sortis du mystérieux berceau des êtres. Depuis les derniers âges de la période primitive, où les algues et les filaments avaient ouvert dans la plus modeste simplicité le mouvement de la vie végétale, la terre n’avait vu naître que des végétaux d’une grande simplicité, d’une grande pauvreté de formes. Ces végétaux simples et primitifs n’ont plus aujourd’hui que des représentants déchus qui restent inaperçus à côté de la richesse des formes modernes. Tout le monde connaît ces herbes marécageuses, formées d’une unique tige, cylindrique, creuse, ces sortes de j oncs que l’on nomme prêles, queues de cheval, etc., nos modestes lycopodes que l’on nomme herbes aux massues, pieds de loup, etc., et encore nos fougères des coteaux et généralement nos plus humbles cryptogames ; tels étaient les représentants du règne végétal pendant la période houillère, ter- Fougères arboresceuies. AVANT L'HOMME. 311 rains de transition entre l’époque primitive et l’é- poque secondaire, période plus riche par la quan- tité des végétaux que nulle autre ne le fut jamais, puisque c’est à elle que l’on doit les six cent mille kilomètres carrés de houilles que l’on peut exploi- ter dans les deux continents. Seulement, au lieu d’atteindre un pied à peine d’élévation, ces prêles atteignaient 7 à 8 mètres ; ces lycopodes, au lieu de 1 mètre s’élevaient à 25 et 30, et c’étaient des lépidodendrons qui peuplaient les forêts. Ainsi dans ces forêts la mousse avait les proportions d’un arhre ; on voyait des asperges de 25 pieds, et des équisé- tacées, des queues de rat de dix mètres; les champi- gnons mesuraient 40 pieds de diamètre*, et les fou- gères arborescentes qui sous les tropiques s’élèvent à 10 et 12 pieds seulement portaient leur couronne touffue à 30 pieds au moins. Mais l’imagination se fourvoierait si elle se représentait nos chênes agrandis à 200 pieds, nos pins à 400, nos tilleuls de 60 pieds de diamètre, etc. La terre naissante, dit 1. On a ’vn de notre temps des champignons acquérir en des conditions particulières des proportions incroyables. Vlllustrated London News de juin 1858, racontait d’après la société linnéenne que dans le tunnel de Doncaster se trouvait un champignon de douze mois, qui ne semblait pas encore avoir atteint sa dernière phase de croissance. Il mesurait alors quinze pieds de diamètre et végétait sur une pièce de bois. On le considérait à juste titre comme le plus beau spécimen de champignon qu’on ait jamais observé. Les avis étaient partagés sur sa classification. 312 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. Zimmermann, dépensait toute sa sève au dévelop- pement des roseaux et des fougères, des mousses et des champignons, et tandis qu’on trouvait des mousses pareilles à des arbres, et peut-être des champignons gros comme des montagnes, il n’exis- tait pas en réalité de plantes plus grandes que celles de nos jours. Le merveilleux de la végétation primitive, pour nous habitants de la période quaternaire, c’eût été précisément la grandeur relative de ces plantes si simples, l’uniformité de leur aspect, l’immense étendue des forêts, qui occupaient la terre entière partout où les eaux ne dominaient pas, le petit nombre des espèces, et surtout l’unité de la végé- tation sur toute la terre. Non-seulement la prodi- gieuse variété des deux cent mille espèces actuelles n’existait pas, mais encore la diversité que nous avons esquissée selon les climats, depuis les cha- leurs tropicales jusqu’aux glaciers polaires, ne se faisait pas encore sentir, attendu que les climats n’existaient pas eux-mêmes- Les saisons, et la tem- pérature moyenne des lieux, qui dépendent de l’obliquité des rayons du soleil, ne s’étaient pas fait reconnaître, la chaleur solaire était insigni- fiante à côté de l’immense chaleur terrestre. Aussi trouve-t-on au pôle comme à l’équateur les vestiges et les fossiles des mêmes espèces, tant animales que végétales. On pourrait donc dire sans liar- LE MONDE PRIMITIF. 313 diesse qu'une seule forêt uniforme s’étendait alors sur la terre entière. La chaleur des pôles, dont l’unique source était, comme nous l’avons dit, le foyer intérieur de la terre, était à l’époque dont nous parlons au moins égale aux plus hautes températures actuelles de notre zone tor- ride. Outre les équisétacées et les fougères, dont les humbles représentants de l’époque actuelle nous donnent une meilleure idée que ne pourrait le faire tout dessin, le monde primitif possédait quel- ques autres espèces végétales également simples, mais entièrement disparues de la flore terrestre. Tels sont les Sigillaria, ainsi nommés parce que des stigmates de l’attache des feuilles sur le tronc, qui subsistent lorsque celles-ci sont tombées, res- semblent à des sceaux. Il n’y a, dit Zimmermann, ni plantes européennes ni autres encore vivantes, dont la forme extérieure reproduise l’aspect de ces végétaux disparus. En effet, dans ces derniers, le tronc tout entier a dù être couvert de feuilles ser- rées ; des losanges composant une sorte d’échiquier dérangé s’ajoutent les uns aux autres du bas jus- qu’au haut du tronc, et chacun de ces losanges porte l’empreinte et l’attache d’une feuille. Ce pé- tiole étant triangulaire et le tronc présentant des saillies analogues, il a fallu, pour que la feuille fut portée librement et détachée du tronc, que Tarbre 314 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. fût couvert de pyramides aplaties et étroitement agencées. Une autre espèce de cette famille, très- commune à l’époque de la formation houillère, montre sur le tronc, cannelé comme une colonne, la trace des feuilles, alternant de telle sorte, que sur chaque connexité on trouve une série non in- terrompue de facettes ou de stigmates ; seulement ces facettes sont disposées en quinconces, comme les arbres d’une pépinière. D’autres arbres encore sont cuirassés de haut en bas de boucliers hexa- gonaux, qui tous portent en même temps les traces des feuilles, ou bien ces sortes d’écussons sont trois fois plus longs que larges et ne por- tent les attaches des feuilles qu’à l’angle supé- rieur. Tous ces végétaux ont été trouvés pétrifiés dans les terrains de formation houillère. C’est un aspect merveilleux de voir que la tenture, les fibres, la pulpe ont conservé leurs formes sans aucune alté- ration, alors que la substance elle-même a com- plètement disparu. A la simpld vue, on saurait souvent distinguer si le bois est naturel ou pétrifié, et c’est par le toucher seul qu’on reconnaît l’état pierreux. On peut voir de beaux spécimens de pé- trification dans les troncs et fragments entassés au sommet du labyrinthe du Jardin des Plantes à Paris. L’hôtel de ville de Nordhausen renferme un escalier de grès, dont chaque fragment indique LES VÉGÉTAUX DES TEMPS PRIMITIFS. 315 clairement qu’il a été primitivement de bois. Mais il n’y a nul exemple plus remarquable que la forêt d’arbres pétrifiés que sir James Ross a visitée sur la terre de Van Diémen. Une des curiosités naturelles les plus merveil- leuses qui attirent l’attention des géologues visi- tant la terre de Van Diémen, dit ce voyageur, est la vallée des arbres pétrifiés, dont un grand nom- bre se sont transformés en la plus belle opale. Le comte Strzelezki raconte dans sa remarquable des- cription de ce pays, que nulle part il n’a vu de plus belle pétrification de bois que dans la vallée de Derwent, et nulle part la structure originelle du bois ne s’est mieux conservée. Tandis que l’ex- térieur offre une surface luisante et homogène, pareille à celle d’un sapin revêtu d’écorce, l’inté- rieur se compose de couches concentriques qui paraissent tout à fait compactes et de même na- ture, mais se laissent parfaitement fendre dans toute leur longueur. Ces arbres sont verticaux, d’où il semble résulter qu’ils étaient encore en pleine croissance lorsque la lave ardente les attei- gnit. Quelques fragments de ces bois ayant été étudiés, parurent encore si vivaces, qu’il fallut se livrera un examen très-attentif pour se convaincre qu’on avait sous les yeux de la pierre. Leur degré de pétrification varie depuis la houille très-com- bustible jusqu’au silex capable d’entamer le verre. 316 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. Une couche de schiste de plusieurs pieds d’épais- seur, déposée sur les arbres, paraît en avoir em- pêché la carbonisation, lors de l’invasion de la lave. Un des caractères géologues les plus cu- rieux de cette île est précisément qu’on y trouve des couches de houille superposées, depuis plu- sieurs pouces jusqu’à plusieurs pieds d’épais- seur. La houille est formée, comme on sait, par cette prodigieuse exubérance de la végétation primiiive qui tapissait la terre entière. Tout le monde a pu observer que dans les caves humides qui servent à la conservation du bois mort, pendant l’hiver, on recouvre ce sol d’une couche ligneuse et molle, d’une sorte d’humus végétal, de même que les plantes de nos marais se convertissent avec le temps en tourbières. C’est par un mode analogue, mais infiniment plus puissant, que les végétaux primitifs ont constitué les mines de houille. Ce ne sont pas précisément les grands végétaux dont nous avons parlé qui ont amassé ces immenses couches de lignites et d’anthracites, car malgré leurs dimensions, ils étaient loin de constituer la végétation entière, représentée surtout par les herbes et les plantes herbacées qui recouvraient le sol d'un tapis immense ; mais ce sont particu- lièrement ces dernières plantes, si nombreuses, si répandues, dont les couches ont conservé jusqu’en LES VÉGÉTAUX DES TEMPS PRIMITIFS. 317 notre temps les troncs intacts mais transformés des végétaux arborescents. En même temps que la végétation préparait à l’homme futur l’alimentation de son industrie, elle semblait appelée à jouer un rôle important dans l’économie générale de la nature, celui de purifier au profit des animaux aériens qui bientôt devaient naître, l’atmosphère surchargée d’acide carbonique (il faut se garder d’appliquer ces re- marques à une interprétation étroite des causes finales). L’existence de l’acide carbonique, disons- nous, très-favorable au progrès du règne végétal, l’était fort peu à celui du règne animal. On ne sau- rait douter, dit M. Brongniart, que la masse im- mense de carbone accumulée dans le sein de la terre à l’état de houille et provenant de la destruc- tion des végétaux qui croissaient, à cette époque reculée, sur la surface du globe, n’ait été puisée par eux dans l’acide carbonique de l’atmosphère, seule forme sous laquelle le carbone, ne provenant pas d’êtres organisés préexistants, puisse être ab- sorbé par une plante. Or, une proportion même assez faible d’acide carbonique dans l’atmosphère est généralement un obstacle à l’existence des ani- maux, et surtout des animaux les plus parfaits, tels que les mammifères et les oiseaux ; cette pro- portion, au contraire, est très-favoroble à l’accrois- sement des végétaux; et si l’on admet qu’il existait 318 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. une plus grande quantité de ce gaz dans Tatmo- sphère primitive du globe que dans notre atmo- sphère naturelle, on peut le considérer comme une des causes principales de la puissante végéta- tion de ces temps reculés. Écrit à Paris, au mois de juin 1865. FIN. TABLE DES MATIERES, Pages. Introduction 1 PREMIÈRE PARTIE. Chap. I. Idée générale de la distribution géographique des plantes à la surface du globe 11 Chap. II. Tableau de la nature végétale sous les tropiques. 20 Chap. III. Arbre à pain 35 Arbres à lait 44 Arbre à manne 54 Arbre du voyageur. (Urania specioso.) 56 Arbre saint de l’île de Fer 60 Chap. IV. Les Palmiers. — Le Dattier 66 — Le Cocotier 72 — Le Laqby 76 — Le Palmier Arec 78 — Le Palmier Elaïs 81 — Le Palmier Latanier 82 — Le Palmier à cire 87 Chap. V. Bananier. — Bambou. — Baobab 96 — Le Bambou 102 — Le Baobab 107 Chap. VI. Les Cèdres, — Le Liban. — L’Afrique 116 Chap. VII. Les Pandanées 122 — Les Cactus. — Le Cierge géant (cercus giganteus) . 1 28 — Asclepias gigantea 132 — Le Chène-bége 135 Chap. VIII . Sucs laiteux 138 — Lait végétal. — Caoutchouc. — Arbres à poison. 138 320 TABLE DES MATIÈRES. Pages. Chap. VIII. Euphorbiacées. — Manioc. — Mancenillier. . . . 145 — Les végétaux perfides. (Euphorbes. — Apo- cynées. — Curare.) 151 — Arbres à poison de Java. (Strychnos Tient e, Upas.) 156 Chap. IX. Les Doyens et les Géants du monde végétal. 166 I. Longévité des arbres 166 Les Colosses du règne végétal 173 II. Chênes d’Antrage, — d'Antein, — d’Allou- ville et de Montravail 173 — Le Chêne d'Antein, dans la forêt de Sénart. . 173 — Le Vieux chêne d’Allouville 175 — Le Chêne de Montravail 179 III. Châtaigniers de Neuve-Gelle, — de l’Etna; — Platanes de Smyrne, — de Cos, — de Godefroy de Bouillon 183 — Le Châtaignier de Neu-Gelle (Suisse) 183 — Le Châtaignier de l’Etna 185 — Le Platane de Smyrne 189 — Le Platane de Cos 190 — Le Platane de Godefroy de Bouillon 193 IV. If de la Motte-Feuilly. — Orme de Brignol- les. — Érable de Trous. — Arbre de Pope. — Lierre de Rousseau 194 — L’if de la Motte>Feuilly (Indre) 194 — L’Orme de Brignolles 195 — L'Érable sycomore de Trons (Grisons) 196 — L’Arbre de Pope 199 — Le Lierre de J. -J. Rousseau à Feuillancourt. 201 — L’Érable de Matibo 205 V. Les Arbres les plus élevés de terre 206 — üragonnier. — Adansonia. — Gommier. 205 Les Arbres géants en Californie 215 Intermède. — La Mandragore 222 DEUXIÈME PARTIE. Chap. I. Les Fleurs 229 Chap. IL Les Orchidées 238 — Scropbularinées 242 TABLE DES MATIÈRES. 321 âges. Chap. III. Yucca filamentosa. — Yucca aloïfolia. — Yucca gloriosa 244 Chap. IV. Nympliéacées. — Victoria Regina. — Rafflesia Arnoldi 250 — Rafflesia Arnoldi 257 Chap. V. Nelumbium. — Népenthès 261 — Le Népentbès 263 Ouvirandra fenestralis 265 Chap. VI. Sensibilité végétale 272 Plantes à mouvements spontanés 276 — Desmodie oscillante 276 — Dionée attrappe-mouches : 278 •Chap. VIL Sommeil des plantes 285 Chap. VIII. L’Horloge de Flore 291 Liste de Fleurs s’ouvrant à différentes heures. 292 Calendrier de Flore 295 Chap. IX. Plantes de la mer 296 Chap. X. Les Végétaux des temps primitifs 306 FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES. 21 .V :'?'AÎ^ hy.i f fl \U Kk\ ' /■•ij,#- .': . ’• ! .•■ b>'M ^ ^ ^ ; v. /)[■ / ■' . |îl - * • ,; >t - . . ..\ ^ . •■ . - . ■ . . . : . , i . . • ,. vr^j;» ■ " y-' •'• ' '•••';■ * r '.;.. .. .. :!^4''. -y :■■■ ■ :\‘::it ^ ■ t ' vv. TABLE DES GBAVURES. PREAIIÈRE PARTIE. Pages. Le Pin des montagnes 11 Végétation sous les tropiques 20 Végétation tropicale 27 Forêt au Brésil 21 Arbre à pain à Tahiti 35 Arbre de la vache 42 Arbre du voyageur. ... 57 Arbre saint de ITle de Fer 6^ Le Palmier. 6& Le Latanier rouge 85 Le Palmier des îles Séchelles 93 Le Bambou 96 Le Baobab 109 Les Cèdres de TAtlas 115 Les Cactus. — Le Cierge géant 122 Pandanus 12.5 Asclépias gigantea 133 Chêne-liége 135 Picus élastica (caoutchouc) 141 Sauvages lançant des flèches empoisonnées 154 Le Duho-Upas 156 La Vallée empoisonnée (Java) 163 Chênes 166 Le Chêne d’Allouville 177 Le Chêne de Montra vail, près de Saintes 181 324 TABLE DES GRAVURES. Pages. Le Châtaignier de l’Etna 187 Le Platane de Smyrne 191 L’Érable sycomore de Trons 197 Le Dragonnier 207 Les Arbres géants de la Californie 217 La Mandragore 222 Racines de Mandragores façonnées 228 DEUXIÈME PARTIE. Nymphéacées 229 Orchidée 238 Les Yuccas 244 Le Yucca 245 Rafflésia Arnoldi 250 La Victoria Regina 253 Le Népenthès 261 L’Anthirrinhum græcum 272 Le Liseron 285 291 La Flore de la mer 296 Forêt de l’époque houillière 306 Fougères arborescentes 309 FIN. 8722. — Imprimerie générale de Ch. Lahure, rue de Fleurus, 9, à Paris. -1 3