MITISâSr.M. MPT01.T..F, BIBLIOTHÈQUE DE LA mm:E im'oiŒSQUE LES MONSTRES INVISIBLES Montwuge. - Inip. A. Rigaud, Giaudc-Kuc, 31, '^..Mt^- LES MON ES INVISIBLES PAB ARISTIDE ROGER OUTSAGB ILLUSTRÉ DE 156 GEAVUEE9 PARIS LIBRAIRIE D'ÉDUGATIOII Gébaiît: Amable RIGAUD, Éditeur 33, QUAI DES GRANDS- AUGUSTINS, 33 (Droits de traduction et de repioduclion réservés) ^^^^^BM.iit:rGii UN MOT SUR LE TITRE DE CET OUVRAGE On pourrait nous objecter que les Monstres dont nous allons parler ne sont pas tous des mon- stres, et que plusieurs de nos chapitres, ceux par exemple qui traitent des ne contiennent l'histoire d'aucune monstruosité. Cette critique serait juste, si nous prenions le mot monstre dans le sens tronqué que lui a donné le langage usuel. — Mais nous restituons ici à ce qualificatif toute la valeur du monsirum des Latins, et nous l'employons, — à l'imita- tion aes anciens, — pour désigner tous les êtres, toub les objets qui, par quelque singula- rité horrible ou gracieuse se distinguent de ceux que nous voyons ordinairement. Pris dans ce sens général, le titre que nous avons choisi couvre bien tous les sujets traités dans ce livre. Nous ne créons pas un mot nou- veau, nous nous contentons de rendre à une vieille expression toute l'extension qu'elle a per- due. C'est être fidèle au précepte d'Horace : € Multa renascentur quœjam cecidere ».... A. R. JlAmEI)i<.4î£TGArF, MONSTRES INVISIB < PREMIÈRE PARTIE CHE EXCURSION DANS L'INVISIBLB. CHAPITRE I CUnCZE CENTS ÉTAPES DANS LE CHAMP DE LA YUB. Voyager ! . . Voilà un rêve qui germe dans bien des esprits, qui trotte dans bien des cer- velles, mais qui ne se réalise, hélas! que poui- un bien petit nombre de privilégiés. La vapeur et l'électricité, en supprimant les distances, nous ont rendus, — il faut Tavouer, — extrêmement curieux. 8 LF.S MONSTUF.S INVISIBLES Oïl ne croit plus aujourd'hui coaimeaii temps de Boileau : Que tout fiait, où finit son domaine l'oii tient à connaître ses voisins, à se prome- ner chez eux, et même à se mêler un peu de leurs affaires. Je souhaite beaucoup, cher lecteur, que ce livre vous trouve dans cette heureuse disposition d'esprit. Puissiez-vous n'aspirer qu'à voir les plus étranges choses du monde ; ne rêver que voya- ges et courses aventureuses; ne projeter que lointaines excursions ; ne plus tenir en place ; comme on dit familièrement. Je veux vous mener dans le pays le plus fan- tastique qu'il soit possible de parcourir ; et cela sans vous obliger à faire vos malles, ni même â prendre le train, la voiture ou le paquebot. Ne croyez pas touteibis que je songe à vous mettre un bâton à la main pour que vous fassiez la route à pied... Non ! je n'en veux pas à vos jambes ; et je vous demande seulement de vouloir bien ouvrir les yeux. Que dis-je encore, les yeuxl Un seul est né- cessaire ; vous fermerez l'autre si vous y tenez. LES MONSTRES INVISIBLES 9 Peut-on, en bonne conscience, donner moins d'embarras à des voyageurs?... Mais voici que, fort étonné, vous vous de- mandez, en regardant autour de vous, oii peut bien être le but de ce problématique voyage ; vous cherchez des yeux la route que nous aurons à suivre et les pays qu'il nous faudra traverser... Eh bien, ne les voyez-vous point? Cet air que vous respirez, ces aliments que vous prenez, ces vêtements qui protègent et parent votre corps, cette terre que vous foulez, ces milliers d'élres organisés qui vivent avec vous, dans l'intimité la plus complète, souvent même sans que vous vous doutiez de leur pré- sence, ne voilà-t-il pas mille sujets d'étude des plus attrayants?... Et n'est-ce pas réellement un voyage que nous allons faire de compagnie?... C'est un très-long voyage, au contraire, un voyage qui serait interminable si nous voulions nous arrêter à tout ce que nous trouverons, à chaque pas, d'intéressant et de curieux. Dans ce monde où vous ne pouvez encore rien découvrir, nous verrons une multitude incroyable d'objets et d'êtres étranges, des peuples aux mœurs impossibles, des j[3héno- mènes extraordinaires, des œuvres inimagi- nables, des personnages d'une bizarrerie dont vous n'avez pas l'idée. 10 LES MONSTRES INVISIBLES Mais, pour bien voir tout cela, nos faibles yeux, Oi lecteur, ne seront cependant pas tout à fait suffisants... La nature n'a accordé à nos sens qu'une subtilité fort restreinte ; et il est probable qu'elle a proportionné leur puissance h la taille et aux besoins des êtres qu'elle a été chargée de produire. Je n'hésite pas à croire qu'un insecte, une fourmi, par exemple, voit à l'œil nu, des cor- puscules et des animalcules que nous ne pou- vons découvrir qu'à l'aide d'un instrument grossissant ; et je suis persuadé que l'acarus du fromage, vingt fois plus petit que la fourmi, voit aussi des objets beaucoup moins volumi- neux encore que ceux qui peuvent être distin- gués par l'œil de l'insecte travailleur. Il sera donc nécessaire, dans le voyage que nous allons entreprendre, non-seulement d'ou- vrir convenablement les yeux, mais encore d'augmenter la puissance et la portée de la vision ; de perfectionner pour ainsi dire la nature, et de donner à la vue le moyen de péné- trer dans des domaines qui semblent lui avoir été interdits. L'excursion, quelque longue qu'elle puisse vous paraître, ne vous fatiguera nullement. Les arpenteurs du pays de l'invisible ne comptent, il est vrai, pas moins de quinze cents étapes pour aller d'un bout à l'autre du domaine LES MONSTRES INVISIBLES %i de la vue ; mais grâce aux appareils d*optîque à l'aide desquels on parcourt cette immensité, Ton marche à travers ces espaces comme avec des bottes de sept lieues. Dans l'argot des savants, les étapes se nom- ment des diamètres y et à mesure que ceux-ci s'ajoutent les uns aux autres, les monstres, invi- sibles d'abord, paraissent de plus en plus énor- mes... On distingue les moindres détails de leur organisation ; on lit à travers leur corps ; et l'on va constamment de découverte en décou- verte. Il est des habitants de ce monde étrange que l'on voit à deux diamètres ; mais d'autres qui ne se montrent qu'à six ou huit cents... A cette effrayante distance, la plupart des objets revêtent d'ailleurs des formes trompeuses; et si l'on continue le voyage, tout devient sombre, vague et confus. A la quinze centième étape il faut nécessaire- ment s'arrêter. L'œil fatigué se sent mouillé de larmes ; le regard s'clTraie et recule, en pré- sence du désert de ténèbres qui s'étend au de- vant de lui ; la vue impuissante s'égare et se perd dans une nuit jusqu'à présent infranchis- sable. Voilà le domaine caché qui nous promet des surprises et des curiosités sans nombre. La nature, en vâin a voulu le fermer à ÎZ LES MONSTRES INVISIBLES regards, et mettre entre nos yeux et lui d'é- paisses murailles. Enfants espiègles et curieux, nous avons dé- robé la clef, et pour le moment, j'ai le bonheur de l'avoir dans ma poche. Vous plaît-il d'entrer ?... Je serai votre cicé- rone ; et peut-être ne serez-vous pas fâché de parcourir un monde si différent du nôtre. Est-il rien de meilleur que le fruit dé- fendu ? Je vous le demande, particulièrement h vous, mes curieuses et chères lectrices?... Assuré- ment non, n'est-ce pas? et je gage que vous ne dédaignerez point de promener une minute votre regard dans le mystérieux pays de l'invisible et de l'inconnu. Peut-être même me saurez-vous gré d'en- tr'ouvrir, pour vous, cette porte opaque der- rière laquelle sont accumulés tant de secrets et de merveilles, et je suis bien sûr, en tous cas, que vous ne m'en voudrez pas d'avoir un instant eu la hardiesse de centupler la force de pénétra- tion de vos jolis yeux, déjà si vifs et si perçants à la première puissance L,. CHAPITRE II LE CHEMliN DIRECT. Avant de commencer ce voyage fantaisiste, il est juste et nécessaire que je vous fasse con- naître l'instrument merveilleux qui doit nous transporter en un clin d'œil dans le monde des invisibles. Si d'un seul coup, et sans vous prévenir, je m'avisais de vous conduire maladroitement chez les infiniment petits, et si^ trop pressé de vous faire admirer ces êtres étranges, je vous criais de prime abord : « Regardez par ici !.. . voyez par là !.. . écarquillez vos yeux ! dilatez vos pru- nelles! observez! contemplez!... etc. », vous pourriez me prendre peut-être pour un magi- cien, ou plutôt pour UQ halluciné, ce qui serait très-injuste de votre part, et sans contredit très- désagréable pour moi. Aussi me permettrez-vous de vous prendre par la main et de vous faire suivre doucement ia route qui mène au mystérieux pays oii nous allons. Et d'abord laissez— moi vous montrer ce pe- tit disque de cristal, rond comme une pièce de cent sous, ventru et renflé à son centre comme 14 LES MONSTRES INVISIBLES une grosse lentille, et limpide comme le dia- mant. Le nom de ce disque de verre, si originale- ment taillé, nous venons de le prononcer à l'ins- tant même, en le comparant à la petite graine légumineuse pour laquelle Ésaii vendit son droit d'aînesse à Jacob. C'est une lentille. Approchez-la de vos yeux, ma belle lectrice, et regardez le bout rosé de votre petit doigt. Eh bien ? — Vous allez me trouver fort mal élevé, sans doute, mais malgré la grande envie que j'ai de vous être agréable, je ne puis pour- tant pas vous dire que, vu de cette façon, votre petit doigt est joli. Je le vois énorme, rugueux, sillonné de raies et de stries profondes, criblé de trous comme une écumoire... C'est un petit doigt de Gargantua, tout simplement, et non pas un petit doigt de jeune fille. Et pourquoi cette métamorphose subite?... Pourquoi cette transformation instantanée du beau en horrible? Où donc est la mauvaise fée qui nous joue de ces tours-là ?... Eh pirbleu, la fée, la voici ! c'est ce morceau de verre à tra^-ors lequel passe notre regard, c'est cette lentille de cristal qui amplifie la puis- sance de nos yCux, multiplie leur force rie pé- nétration, et augmente considérablement la portée de notre vue. LES MONSTRES INVISIBLES fô Placée entre l'œil et l'objet que l'on regarde, la lentille reçoit les rayons lumineux qui, du point observé, se dirigent vers la rétine et trompent celle-ci en lui montrant une image im- palpable et très-agrandie de l'objet; mais si tout à coup on enlève la lentille, l'objet se montre véritablement dans sa grandeur natu- relle, et la rétine s'aperçoit qu'elle a été le jouet d'une mystification. La lentille de verre, encadrée d'un anneau de bois ou de corne, porte le nom de loiipe ou celui plus savant de microscope simple; mais relative- ment au microscope composé, la loupe ne grossit que très-faiblement les objets. Il existe cependant une variété de microscope simple, qui grâce à d'ingénieuses compli- cations possède un pouvoir amplifiant très- considérable. Ce microscope permet en outre h toute une assemblée de voir sans fatigue et sans dérangement, les scènes du monde invisible, ce qui le rend précieux pour les démonstra- tions. Il est vrai que ce charmant appareil, cent )6 les MGNSTr;r£ JNv;..:r;Lrs fois plus merveilleux qu'une lanterne magique ne peut fonctionner sans le secours du soleil ou de la lumière électrique, aussi le nomme-t-on le microscope solaire. Pour l'étude, le microscope composé ordi- naire est celui que Ton doit préférer parce qu'il est d'un maniement plus facile et qu'il montre plus nettement les objets. Tous les microscopes ne sont pourtant pas également bons, ot pour tES MONSTRES mVlSlBLES 17 i^ ^ ' l|^i7fiiJ l les apprécier à leur juste valeur les micro- graphes leur font subir un grand nombre d'é- preuves qu'il serait trop long de rapporter ici. Je dois vous dire, d'ailieurs, qu'il en est des instruments grossissants comme des armes à feu. Ils ont, suivant leur perfection, plus ou moins de portée. Entre la loupe et le micros- cope tel que le construit aujourd'hui Arlhur Chevalier, il existe autant de différence qu'entre l'ancienne arquebuse à rouet et le fusil Chassepot. On pourrait même, à la rigueur, établir une sorte de comparaison entre les mesures adoptées pour déterminer la puis- sance d'un microscope et celles en usage pour apprécier la portée d'un fusil ou d'un canon. 18 LES MONSTRES INVISIBLES Ainsi, regardez à la loupe ou au microscope un petit objet, une lettre, un H si vous voulez. Le trait horizontal qui réunit les deux jambes parallèles de cet H peut être considéré comme le diamètre de ce caractère alphabétique. Ceci étant admis, supposez que votre instrument d'optique soit assez puissant pour vous mon- trer ce trait horizontal cinq fois plus long qu'il ne Test réellement sur le papier. Vous dites alors que votre microscope grossit à cinq dia- mètres, et vous connaissez ainsi son pouvoir grossissant. Ne procède— t-on pas de la même façon pour déterminer la portée d'une arme à feu ?... Il est vrai qu'on l'essaie contre des cibles et que c'est par des mètres et non par des diamètres que Ton mesure sa portée; mais n'est-ce pas là toute la différence ? Nous sommes pourtant au bout de cette inter- minable explication, et j'avoue, sans trop de fierté, toutefois, que ma comparaison me semble assez satisfaisante. N'allez pas croire cependant que je l'ai amenée dans l'unique but de vous dire plaisamment que nous allons dé- sormais conquérir le monde des infiniment petits au moyen de cette artillerie d'un nouveau genre. Il est certain que nos opticiens construisent au- jourd'hui des microscopes de tous les calibres, de toutes les dimensions et de toutes les portées. tES MONSTRES INVISIBLES 19 ^^^ Ces îiistiuménts ôôîisistènt tous, d'aîllônw, dans un assemblage plus ou moins compliqué de lentilles simples, disposées aux deux bouts d'un gros tube de cuivre poli Les lentilles placées à l'extrémité inférieure du tube constituent ce qne Ton nomme VobjecUf parce que Vobjet que l'on examine se fixe 20 LES MONSTRES v.i VISIBLES directement au dessous d'elles sur une plaque spéciale, nommée la platine ; et les len- tilles de l'extrémité supérieure forment Tocm- laire, en rapport avec Vœil de l'observa-* teur. La platine est percée d'une ouverture arron- die qui donne passage à la lumière réfléchie sur l'objet par un miroir concave assujetti dans ce buta la base du microscope. Tel est, dans son essence, l'instrument mer- veilleux qui doit nous transporter au— delà du monde vulgaire, dans le fantastique pays des êtres invisibles. Nous pourrons, grâce à lui, en sonder toutes les profondeurs jusqu'à ce que la lumière nous fasse défaut ; mais nous sentirons encore frissonner la vie dans ces ténèbres, et quoique jour peut-être, grâce aux progrès de l'optique, sera-t-il possible de débrouiller ce chaos et de pénétrer plus avant encore, dans le domaine de l'iafini. CHAPITRE III &Bf FAUSSES ROUTES. Si, nous laissant emporter par trop d'ar- deur, nous ne prenions pas garde à tout ce qui vient se présenter à notre microscope, nous serions inévitablement trompés et mystifiés à chaque instant. La lumière, Tair, Teau, les corpuscules qui flottent de toutes parts autour de nous , se joueraient de nos efforts avec une sorte d'effronterie, et nous donneraient l'idée la plus fausse du monde invisible. La fable des astrologues qui voyaient dans la lune un rat caché dans leur télescope, se réalise- rait cent fois pour nous, et nous marcherions constamment dans un dédale d'erreurs et de faussetés. Aussi, les touristes intrépides qui veulent se hasarder sans guide dans les champs infinis que nous allons explorer, doivent-ils, avant d'entrer en campagne, étiadier longuement les ruses, les supercheries, les travestissements des mystificateurs. Il ne s'agit pas d'aller prendre pour un monstre une impureté fixée à l'objectif, une 22 LES MONSTRES INVISIBLES tâche ou une strie altérant les lentilles de Tocu- laire ! Il ne faut pas que la lumière, mal dirigée par le miroir, dissimule les formes des ob- jets, les estompe sur les bords, les éclaire trop au centre, les fasse miroiter ou scintil- ler à l'œil . Le rayon lumineux doit être doux et pur. Il faut le demander à l'azur du ciel, ou mieux aux flancs opaques de ces gros nuages blancs qui cheminent si lentement dans l'at- mosphère. Le soir, une bonne et forte lampe peut remplacer la lumière du jour; mais il faut se défier de la flamme tremblotante du gaz, qui fatigue considérablement la vue. L'air et l'eau mêlés l'un à l'autre forment très-souvent des groupes de bulles arrondies qu'il suffît d'avoir vues une fois pour les recon- naître ; mais si ces bulles sont écrasées sous une lamelle de verre ou tout autre corps transparent, elles prennent l'aspect d'un réseau de cellules irrégulières, de formes très-capri- cieuses, et simulant à s'y méprendre des lambeaux de tissu végétal. Les poussières éparpillées dans l'atmosphère ont aussi leur malice et le ir perfidie. Elles viennent sournoisement se glisser sous l'ob- jectif, et frappent tout à coup l'observateur de stupéfaction. LES MONSTRES INVISIBLES 28 Tantôt il croit voir un monstre des plus étranges s'étirer sur d'innombrables paires de patf.es, dresser sa tête et sa queue, s'allonger, se raccor-rcir, prendre les positions les plus coeasses; tantôt il s'imagine avoir sous les yeux une cellule vivante dont il étudie bien la forme originale; tantôt enfin il se croit en présence d'une tribu d'infusoires dont il attend le réveil avec la plus grande an- xiété. Bien persuadé qu'il a fait une trouvaille, le malheureux micrographe étudie, commente, interprète ce qu'il voit. Il reste en contemplation des heures entières, il s'enfonce dans le sentier de Terreur ; il prend note de ces obser- vations trompeuses, les enregistre, les sou- ligne avec amour, se frotte joyeusement les mains en songeant au grand mémoire à publier sur ces importantes découvertes, et court à toute bride dans des chemins conduisant aux conclu- sions les plus insensées. Bien heureux quand il peut s'apercevoir à temps qu'il a été le jouet d'un brin de fil, d'une écaille de lépidoptère, ou de quelques grains d'amidon!,.. DEUXIÈME PARTIE KOS FARASITES. CHAPITRE I LES DEUX SOEURS. Vous avez sans doute entendu raconter dans votre enfance l'histoire merveilleuse de ce prince charmant, qui, pour conquérir un talisman ca- ché dans un sombre château, devait se frayer une route à travers une légion de monstres effroyables?.... Vous êtes en ce moment, cher lecteur, dans la situation de ce héros aventu- reux. Pour atteindre le but que je vous ai pro- posé, il faut vous armer de résolution et du cou- rage et commencer par franchir victorieusement l'effrayante barrière qui se dresse devant vous. Les monstres contre lesquels nous nous met- 26 LES MONSTRES INVISIBLES tons en campagne, vous les connaissez chacun par leur nom sans doute ; vous les avez même peut-être vus... à l'œil nu ; mais vous n'avez pas ridée de ce qu'ils peuvent être, considérés au microscope... Vous saurez de qui je veux parier, quand je vous aurai dit qu'on les nouima généralement nos parasites,.. Mais voilà que le cœur vous manque et que vous reculez déjà ! Nos jjarasites ! Ces mots vous rappellent une population d'êtres horribles, laids, malpropres, repoussants, et vous m'en voulez peut-être de vous avoir conduits en pré- sence de cette multitude hideuse, loin de la- quelle vous avez toujours vécu. Pourtant, rassurez-vous. Nous avons contre cette troupe malfaisante une arme terrible qui nous préservera de ses atteintes, et qui frappera de stupeur, aussi bien qu'une baguette enchan- tée, les monstres acharnés contre nous. Cette arme est la fleur odorante du pyrèthre. Pre- nons à la main un rameau de cette plante, et protégés par son influence salutaire, avançons hardiment... Voyez-vous déjà parader et sautiller, à Fa- vant-garde de nos ennemis, cet insecte noirâtre, revêtu de plaques imbriquées comme les pièces d'une cuirasse, et remuant avec convoitise ses lèvres avides de sangî LES MONSTRES INVISIBLES 27 C'est la puce, piilex irritans, comme rappe- lait Linné, le célèbre naturaliste. Vous distinguez parfaitement au microscope ses six pattes articulées et robustes qui lui per- melient d'accomplir des bonds si prodigieux relativement à l'exiguité de sa taille ; vous voyez ses grands yeux à facettes, ses an- tennes qu'elle agite constamment, et l'ap- pareil formidable qui lui sert à puiser dans la peau, le liquide généreux dont elle fait sa nourriture. C'est un petit chef-d'œuvre de délicatesse, que ce suçoir aux piqûres cuisantes, dont la bouche de la puce est armée. Il se compose, tout mince qu'il est, de cinq pièces mises en mouvement par des muscles d'une grande puis- sance, qui permettent à l'animal d'entamer l'épi- derme le plus dur. Au centre de l'appareil se trouvent deux lancettes dentelées sur leurs bords et appliquées l'une contre l'autre comme les deux lames d'une paire de ciseaux fermés. En dehors, ces deux lancettes sont recou- vertes chacune d'une gaine creusée dans l'épais- seur de la mâchoire, et en dessous elles repo— lenl sur la lèvre inférieure qui les profége et es soutient. Cette lèvre et les deux mâchoires sont terminées par des palpes finement articu- lés, qui sont à la fois le siège du goût et dç l'odorat. 38 LLS MONSTRES INVISIBLES Quand l'insecte veut faire usage de ce mer- veilleux appareil, qu'envierait un gastronome, i| écarte ses mâchoires et sa lèvre inférieure deg deux lancettes denlelées. Il enfonce celles-ci verticalement, dans la peau qu'il a choisie ; et brusquement alors les deux lames tranchantes s'ouvrent, divisent le tissu cutané qui saigne, et conduisent dans la bouche de la puce le liquide nourricier, dont le monstre s'abreuve, jusqu'à ce que son estomac et ses intestins en soient remplis. Malgré sa voracité, la puce ordinaire est ce- pendant un modèle de tempérance à côté de sa sœur américaine, la puce pénétrante, que l'on nomme chique, k la Guyane et au Brésil. Celle- ci, lorsqu'elle attaque l'homme, ne se contente pas de lui faire une simple piqûre. Elle s'en- fonce elle-même dans la peau de sa victime, et LES MONSTRES INVISIBLES Î9 s'y tient solidement cramponnée, sans cesser de boire et de sucer son sang. Bientôt son abdo- men, presque imperceptible à l'état normal, acquiert les dimensions d'une grosse fève, et cependant l'horrible insecte pompe toujours. Sa peau distendue menace de crever ; il ne lâche pas prise ; et si le malheureux auquel il s'est attaché, veut essayer, pour mettre fm à la douleur qu'il éprouve, d'extirper l'insatiable vampire, la tète et les pattes de celui-ci restent dans la plaie, et finissent par y déter- miner une ulcération qui peut devenir très- grave. Il serait donc injuste de ne point reconnaître à la puce européenne quelques avaîitages sur la chique brésilienne, et nous devons remercier la Providence d'avoir jeté chez nous le moins fé— roce des deux suceurs. Notre insecte entend d'ailleurs très-bien la civilisation, tandis que celui qui vit en Amé- rique, n'ayant d'autre dieu que son ventre, me parait totalement dénué de la moindre aptitude intellectuelle. Nous avons encore pu voir tout récemment, à Paris, àes puces savantes, dres- sées à traîner un charriot, et à faire cent exer- cices bizarres, pour l'amusement du public. Nous devons ajouter encore, comme cir- constance atténuante, que la puce de nos cli- mats est une excellente mère de famille. A côté 9 LES MONSTRES INVlSlBLEi de§ œufs imperceptibles qu'elle pond, elle place une quantité de petits grains rougeâtres, qui ne sont autre chose que du sang coagulé. Quand les larves voient la lumière, elles trouvent ainsi la table mise, et commencent la vie par un bon repas. Il est vrai que c'est encore à nos dépens qu'elles font ce premier déjeuner !... CIlAriTRE ÏI UN DÉCLASSÉ. Il faut cependant en parler de ce monstre repoussant et hideux qui pullule, avide de sang humai a, dans la chevelure de l'enfance mal peignée !... A moi les métaphores, les périphrases, les mots couverts et les expressions voilées !... A moi non-seulement les fleurs de rhétorique, mais encore celles de la pédiculaire et du col- chique ; les semences de la staphysaigre et du pied d'alouette, les racines de la patience et de Tannée !... Le microscope au poing, je me mets en cam- pagne, et pour vous, cher lecteur, je vais atta- quer dans son repaire, comme une hyène dans un bois, l'insecte redoutable. Restez bravement à l'écart, je me sacrifie, et je vous rapporte emprisonné entre deux lames de verre, le para- site qui vous fait reculer d'horreur. Son histoire est d'ailleurs intéressante et cu- rieuse, comme l'est ordinairement celle d'un misérable ou d'un gredin, et peut-être vous plaira— t— il de l'entendre. Le pou, — puisqu'il faut rappeler son 3Î LES MONSTRES INVISIBLES nom, — fut longtemps un être déclassé, un va- gabond, sans place marquée dans la série ani- male. Il a toujours désespéré les bons natura- listes qui se sont occupés de le caser dans réchelle des êtres, et durant de longues années, il a été le sujet des discussions les plus vives. Aujourd'hui enfin, malgré les protestations de quelques puritains qui veulent encore absolu- ment le ranger dans un compartiment à part, ses protecteurs le font entrer dans l'ordre des Hémiptères, et dans la famille des Hosirés. Ces Rostres, il est vrai, auraient peut-être pu faire les dilïieiles, quand on leur imposa cet intrus, et ne pas vouloir reconnaître un parent d'une si mauvaise répu'ation; mais se trouvant déjà fortement compromis parleur évidente pa- renté avec la punaise, ils n'osèrent pas se plaindre, et les naturalistes indélicats profi- tèrent de cette situation embarrassante, pour leur glisser le pou en qualité de cousin. Voilà donc ce pauvre diable enregistré, mal- gré sa nudité complète, parmi les hémiptères, qui possèdent, eux, des moitiés d'ailes, comme l'indique leur nom. Je ne vous dirai rien de la forme ni de la couleur de ce malheureux parasite. Sa laideur est proverbiale ; son aspect dégoûtant. Mais son bec, en revanche, est, comme celui de la puce, d'une extrême délicatesse, quoiqu'il diffère com- LES MONSTRES INVISIBLES 33 plétement de lorgane à pièces multiples que nous avons étudié plus haut. Le suçoir du pou a la forme d'un poinçon, présenlant vers son extrémité quelques cro— cheis rayonnant au-dessous de la pointe, et destinés à maintenir l'arme dans la blessure. Outre cet appareil h la fois perforateur et as- pirateur, rinsecfc mâle porte sur le dernier an- neau de l'abdomen un petit aiguillon recourbé, dont on ne connaît pas bieu les usages. © L'homme n'est pas le seul être qui soit attaqué par les parasites dont nous parlons; mais ceux de ces inseclcs qui vivent sur les autres mammi- fères el sur les oiseaux, n'ont pas été classés, avec raison sans doute, dans l'ordre des hémi- ptères. Les savants leur ont donné des noms différents, et les ont placés parmi les ricins, les 34 LES MONSTUES INVISIBLES dermamjsses, et les ornithomyes chez les Ortho* pîères et les Arachnides, Revenons donc à notre parasite, dont le plus grand défaut, avant même celui de la laideur, est l'extraordinaire fécondité dont l'a gratifié la nature. En six jours, un de ces insectes pond une cin- quantaine de ces œufs blanchâtres, nommés lentes, qu'il suspend aux cheveux par une sorte d'anneau, et l'on a calculé, comme on Ta fait aussi pour quelques poissons, que la seconde génération d'un pou s'élèverait à 2,500, et la troisième à 125,000 de ces horribles animaux, si l'on n'y mettait obstacle.... Mais rien n'est plus terrible que l'effrayante propagation des poux dans cette abominable maladie que l'on appell;' pJithiriase ou maladie pédiculaire. L'espèce qui la produit, diffère no- tablement de l'espèce ordinaire autant par sa forme que par ses mœurs. Heureusement pour l'humanité, la phthiriase est si rare qu'elle est très-imparfaitement con- nue, môme des médecins. L'insecte, dans les cas épouvantables que l'on cite, creuserait des sortes de sillons sous l'épi- démie des malades, et s'y propagerait avec une telle rapidité que bientôt on en verrait sortir d'hori'ibles légions de parasites!... Je trouve dans la Zoologie médicale de Mo- LES MONSTRES INVISIBLES 35 quiii-Tandon, une sombre liste de noms illustres, que je ne puis m'empêcher, en terminant ce chapitre, de mettre sous les yeux du lec - teur. Ce sont les grands personnages qui ont succombé à la suite de la maladie pédicu- laire. On y trouve : Les rois Antiochus et Hérode , — le philosophe Phérécide, — le dictateur Sylla — Agrippa, — Valère Maxime, — l'em- pereur Arnould, — le cardinal Duprat, -— Philippe II, roi d'Espagne. — Foucquau, évo- que de Noyon, que Ton fut obligé de coudre, par précaution, dans un sac de cuir, avant de l'enterrer!... Ainsi, le hideux insecte que Ton croirait ne trouver qu'au fond du tonneau de Diogène, n'épargne pas plus les rois que les mendiants. Il ne fait aucune distinction entre les peaux hu- maines ; et quand la nature veut que cet être immonde se développe tout à coup, comme un fléau, l'animalcule obéit et ronge, malgré les mille moyens qu'on lui oppose, aussi bien le prince sous son manteau de pourpre que le mi- sérable sous ses haillons!... CHAPITRE m sous l'épiderme. Si rien n'est plus cruel que d'avoir des ennemis cachés, des tyrans inconnus qui nous attaquent dans l'ombre, que de remercîments ne devons- nous pas au microscope, qui nous permet de voir et de saisir les plus méchants d'entre eux. Un ennemi que l'on connaît est à moitié vaincu. On peut prévoir ses coups, déjouer ses complots, entraver ses desseins funestes, mettre un frein à sa perfidie. Connaissez-vous l'atome imperceptible qui vit en parasite sous l'épiderme de quelques ani- maux, et qui produit la gale ?.... C'est un être aux formes hideuses, arrondi, hérissé de longues soies, et muni, malgré sa petitesse, de mandi- bules fortes et tranchantes. Que de peines inutiles on se donnait autre- fois pour combattre l'affreuse maladie qu'il en- gendre quand il a élu domicile dans une peau humaine!... Toute la thérapeutique du temps était impuissante à guérir un galeux ; toutes les formules magistrales et toutes les drogues des boutiques étaient sans force et sans vertu de- vant l'animalcule invisible ! LES MONSTRES INVISIBLES 37 Aujourd'hui que le parasite est connu, le remède le plus simple agit très-efficacement contre lui. En deux heures, quelques lotions sulfureuses détruisent des légions de ce vorace fouisseur auquel jadis les apothicaires et les médecins étaient forcés de rendre les armes. Les naturalistes de notre siècle ont donné à cet infiniment petit le nom de sarcopte de la gale^ et l'ont rangé parmi les Arachnides dans la fa- mille des Acariens Mais leurs prédécesseurs connaissaient aussi ce parasite ; et Rabelais lui-même en parle deux fois dans son Panta^ grueL II est vrai qu'après Rabelais l'existence du sarcoptô fut mise en doute, et je suis bien persuadé que tes médecins du temps de Molière n'y croyaient plus. Ce ne fut qu'en 1834, qu'un étudiant en mé- 88 LES MONSTRES INVISIBLES decîne, nommé François Renucci, montra claîre- mentàtoussescamaraaesetàson maître lui-môme, le savant Alibert, de véritables sarcoptes qu'il fit sortir sous leurs yeux de la peau d'un malade. Depuis ce temps, rAraclinide qui produit la gale a été parfaitement étudiée par de savants micrograpbes, et Ton connaît aujourd'bui ses moindres babitudcs, et les plus intimes détails de son organisation. Quand un sarcopte est déposé sur la peau, il se dirige avec une extrême vitesse vers le poil le plus procbe, et c'est à sa base qu'il cberclie à creuser le tunnel sous^épidermique dans lequel il doit trouvera la fois un abri paisible et une abondante nourriture. Le moindre duvet est pour Tanimalcule ce que pour nous est un gros cbéne; et c'est sous son ombr.-^ge qu'il se met à Toeuvre avec un cour^ige tout- à-iait exemplaire. L'épiderme étant à la base du poil plus mincect moins adbérent à la peau, l'ouvrier fouisseur arrive bien vite à le décoller légèrement, à le soulever et à glisser sa tète, puis son corps, dans l'ouverture ainsi pratiquée. Sa victime éprouve alors une vive déman- geaison ; elle se gratte, se gratte.... mais il est trop tard: l'acarien, parfaitement abrité, resta coi ; et ce n'est que Je soir, à l'entrée de la nuit, qu'il reprend ses travaux. Il creuse sa galerie .dûucâoiûiiU Daliemmeut« ssj^ niocliû ni oûliflb LES MONSTRES INVISIBLES 39 taillant avec ses mâchoires le tissu résistant, et dévorant, pour mieux s'en débarrasser, les ma- tériaux qui le gênent. Les démangeaisons du patient redoublent ; il se frotte et s'cgratigne avec une sorte de rage- mais cela importe peu désormais au mineur qui continue à percer son tunnel avec une insou- ciance charmante. Il prend possession de sa vic- time, s'installe carrément sous sa peau, perce des fenêtres à travers Tépiderme pour laisser entrer jusqu'à lui l'air dont il a besoin pour res- pirer, pond ses œufs, élève ses petits, boit, mange, fouille, se promène en long et en large, dort toute la journée, et s'engraisse à loisir. Ja- mais locataire ne s'est moqué de son proprié- taire comme cet être-là. H fait les cent coups dans la maison, la dévore en même temps, et nargue le congé par huissier. Ce n'est qu'après avoir les mains sillonnées en tous sens par les galeries de l'effronté para- site que le propriétaire, poussé à bout, souffrant des douleurs intolérables, se décide enfin à s'a- dresser au médeciu: — j'allais dire à la force armée, — pour être débarrassé de son loca- taire intraitable. Mais^ chose cruelle et vrai- ment pénible !... ce n'est qu'à la condition d'être savonné à outrance et de recevoir deux ou trois bonnes frottées que l'infortuné propriétaire re- devient le maître chez lui !..• CHAPITRE ÏV MILLE MONSTBES DANS UN RUBAN Nous n'avons étudié jusqu'à présent que les parasites qui nous attaquent ouvertement, en pleine lumière, et loyalement, comme faisaient îes anciens preux ; mais vous n'ignorez pas, ami lecteur, que notre pauvre corps est quelquefois aussi ravagé par des traîtres et des félons, qui se glissent furtivement dans nos entrailles et nous rongent avec autant de sans-gêne que de perfidie. C'est encore au microscope que nous devons la connaissance exacte de ces êtres ténébreux, et Vidocq lui-même, malgré son talent bien connu pour découvrir les ruses des scélérats, n'eût jamais été aussi habile qu'une simple lentille grossissante, pour débrouiller la cu- rieuse histoire des malfaiteurs qui vivent dans nos tissus. La vie de cesEntozoaires (animaux intérieurs), comme les désignent les étiquettes scientifiques, fourmille de détails intéressants; car ce n'est qu'à travers une multitude de conditions hasar— deuses que ces parasites arrivent à leur complet développement. Leur existence, tourmentée et véritablement aventureuse, doit être à chaque LES MONSTRES INVISIBLES 4! instant modifiée, transformée, rem.aniée, sinoa elle s'arrête et s'éteint misërablemenf. Les plus remarquables des entozoaires sont les ténias ou ve^'s solitaires, de la grande familla des helminthes. DDDffBBIÎI^^ Vous ayez sans mil doute entendu parler de ce ver rubané, dont le corps, divisé en une in- terminable série d'anneaux, pouvait atteindre une longueur démesurée. Bien des personnes se vantent d'en avoir vu di' vingt, de trente mètres au moins, et la plupart se fâchent quand on taxe leur dire d'exagération. Jamais cependant le ténia n'arrive à ces dimensions colossales, et il ne dépasse guère quatre à cinq mètres de lon- gueur, ce qui est déjà bien joli. ^^ais avant d'en venir là, avant d'atteindre cette taille, supérieure même à celle de trois tambours-majors superposés, le ver solitaire mène la vie la plus accidentée qui soit au monde. Je vais essayer de vous faire brièveme le récit de toutes ses vicissitudes. L'enfance du tf;nia, son premier âge, sont 3 42 LES MONSTRES INVISIBLES couverts d'un voile de ténèbres, que le miroir du microscope lui— même n'a pu complètement encore percer de ses rayons. Ce que Ton sait bien, par exemple, c'est que le parasite existe dans la nature à l'état d'œufs ou de germes, et que ceux-ci ne viennent pas d'ailleurs que des intestins des animaux attaqués déjà par le perfide entozoaire. Ces œufs sont extrêmement petits; ils tombent avec les ex- créments, et le vent les disperse de tous côtés, au hasard: De la forêt à la plaîiie, De la moatagae au vaUon.« Voilà donc ces œufs disséminés de toutes parts, et condamnés à mener une vie errante, jusqu'à ce qu'un animal, une brebis, par exemple, venant à brouter l'iierbe fraîche, leur donne l'hospitalité dans son estomac. Malheureuse bête!... Comme le villageois de la fable, elle réchauffe un serpent dans son sein!... L'œuf du parasite arrivé dans le tube digestif se réveille ; il se sent dans sa patrie^ sur le terrain qui lui convient, sous 18 climat qui doit le faire éclore... El bientôt, en effet, l'intestin de la brebis est envahi par un hel- minthe, hydre vivante qui se nourrit aux dépens de l'animal qui lui a donné asile sans s'en LES MONSTRES INVISIBLES 43 douter. Mais ce n'est pas tout : le parasite qui se déveli ppe cliez la brebis, n'est pas encore le véri table Iciiia Ici que nous le connaissons; il exisie enlre lui et le ver solitaire aux longs rubans, la même dinerence qu'entre la chenille et le papillon. Celte vie inlrà-moutonruèie du ténia. — grâce pour l'expression, — n'est que transitoire, et nullement dérmitive; c'est un sui'numérariat. Heureusement pour le vilain parasite, l'homme un jour lue la brebis, la fait cuire et la mange ; mais la pauvre bcte est vengée par son ennemi même, car celui-ci passant — encore par hasard — du quadrupèdf^ chez l'homme, monleen grade et devient enfin le ténia rubané. L'histoire du ver solitaire est celle de tous les entozoaires helminthes. La trichine du porc se développe absolument de la môme façon. Le microscope nous a révélé une foule de particularités étranges sur l'organisation du ténia. Chacun de ses anneaux est un être complet, un animal distinct, à la fois mâle et femelle — hermaphrodite, — comme disent les savants. Or chaiiue mètre de ténia comprend bien en moy 'une 2;jO à 300 anneaux. Quand l'animal mesure 5 à (> mè res, voyez de quelle immense ehaiue de monstres ce ruban se trouve composé î... Grâce à cette étrange organisation, il est n LES MONSTRES INVISIBLES ^^^^^-^ aisé de comprendre que le moindre débris du ver puisse vivre quoique sépare du reste du corps, et cela d'autant plus facilement que le parasite ne se sert guère de son tube digestif pour d igérer . Il se nourrit surtout par imbibition au milieu des liquides qui le baignent. Il absorbe, à lafn^on d'une éponge, la meilleure part des alirih'iJiS pris par sa victime, et les boit au moment même où ils se transferment en chyle dans l'intestin. Sa tète n'est pas autre cbose qu'un renflement globuleux couronné de crochets microscopiques à l'aide desquels l'animai se fixe sur la muqueuse intestinale. Au— dessous d'eux se trouvent deux ou trois suçoirs qui complètent les armes of- fensives du monstre. CHAPITRE V LA TRIBU DES ASCARIDES. L'entozoaire dont vous venez de lire l'his- toire, n'est pas le seul qui vive dans l'épaisseur de nos tissus. Vous savez fort bien que les vers les plus communs ne sont pas ces ténias rubanés aux proportions effrayantes, mais bien ces hideux helminthes cylindriques, semblables dnixlombria terrestres, et nommés pour cette raison ascarides lomhricoidei. Ce sont surtout ceux— ci qui tourmentent les jeunes enfants, et c'est contre eux que Ton trouve dans l'arsenal thérapeutique le semen-contra, la mousse de corse et le calo- mel. Pendant de longues années, les nûédecins ont cru que l'ascaride vivant dans l'intes- tin n'était autre que le ver de terre acci- dentellement introduit dans les voies di- gestives, mais grâce au microscope on n*a pas tardé à découvrir qu'entre notre parasite et l'annélide il n'existait pas le moindre lien de parenté. L'ascaride lombriooïde attaque de préfé- 46 LES MONSTRES INVISIBLES rence les enfanls des classes pauvres, et ceux d'un tempérament lymphati pie. Ces vers se propagent quelquefois avec une exfrcme rapi- di!é, et des médecins dignes de foi assurent qu'ils en ont compté jusqu'à mille dans l'intes- tin de jeunes enfants tués par cette légion d'af- freux parasites. Quand ces vers sont en nombre, ils ne se bornent pas, en eO'et, à rester dans l'intesiin. Ils envahissent le tube digestif tout entier, re- montent vers l'estomac, traversent même cet organe, en rampant sur ses parois, gagnent l'œsophage, et arrivent dans le pharynx. Alors ils sont ordinairemen! expulsés par la bouche, mais quelquefois i!s péuèirent jusque dans les fosses nasales, et même, ce qui est beaucoup plus grave, ils s'inlr-iduisent dans le larynx. M. Cruveilliier a cité l'exeaiplc « d'un homme qui, éprouvant une vive démangeaison dans la narine, y porta la main et en arracha avec étonnemenfc une très-longue ascaride. » LIS MONSTRES INVISIBLES 47 M. Jobert de Lamballe a observé aussi un cas d'à pliyxie par un de ces parasites qui avait pénétré dans la trachée-artère d'un malade. L'organisation de l'ascaride est complète- ment diflërente de celle du ténia. Tandis que chez celui-ci chaque anneau du corps repré- sente un monstre distinct, Tascaride toute en- tière ne forme qu'un seul individu. Il existe môme dans la tribu des helminthes lombricoïdes, une notable différence entre les mâles et les femelles, celles-ci étant beaucoup plus nombreuses, et plus grandes que ceux-là. Labouche de l'ascaride, vueaumicroscopeest extrêmement curieuse. C'est un petit orifice en- touré de trois renflements arrondis, suscep- tibles de pouvoir s'écarter et se rapprocher. Cette disposition permet à l'ascaride de se fixer à la muqueuse intestinale comme au moyen d'une ventouse ; aussi Raspail qui attribue toutes nos maladies aux entozoaires, appelle-t-il le parasite dont nous parlons, « La sangsue de r intestin. » La femelle est surtout remarquable par sa fécondité. M. Fschricht, dont les calculs sont très-dignes de foi, évalue la ponte de cet hel- minthe à plusieurs millions d'œufs. CHAPITRE VI LES HOTES DE NOS TISSUg, Vous pensez maintenant, peut-être, cher lecteur, que l'ascaride et le ténia sont les seuls êtres organisés vivant à nos dépens dans Tinté- rieur de notre corps, et que nous sommes au bout de leur histoire. Je ne demanderais pas mieux que de vous dire : Vous avez raison , mais je vous dois avant tout la vérité, et, dussé-je vous effrayer un peu, je m'empresse de vous la faire connaître. Non-seulement le ver solitaire et l'ascaride ne sont pas les seuls habitants du tube digestif; mais encore tous nos organes ont leurs para- sites spéciaux. Je ne vous parlerai pas du hothriocéphalCy qui ressemble beaucoup au ténia ; mais je vous dirai quelques mots de nos autres ennemis. La partie inférieure du gros intestin, celle que les anatomistes appellent le rectum, est souvent habitée par une multitude de vers presque microscopiques, ne dépassant pas deux centi- mètres de longueur, et présentant l'aspect d'un morceau de fil blanc noué à l'une de ses extré- mités. LES MONSTRES INVISIBLES 49 Ces vers se nomment les oxyures vermicu— loires ; ils occasionnent des démangeaisons in- supportables, et sont presque aussi féconds que les ascarides. M. Raspail a calculé que chaque individu pondait environ 3,000 œufs; et plusieurs méde- cins ont constalé qu'à la façon des parasites lombricoïdes les oxyures émigraient aussi vers restomac et le pharynx. Si je voulais vous donner quelques détails sur les aulres entozoaires dont il me reste à vous parler, nn vohinie entier n'y snfTii'nit pas ; aussi me oon'enlerai -je de vous les signaler rapide- ment. -^ "'^^'M".^ Je vous rappellerai d'abord la trop fameuse trichine^ qui passe des muscles du porc aaiis 80 LES MONSTRES INVISIBLE! les nôtres, et les perfore comme les vrillettes rongent un meuble abandonné. D.ms les reins on trouve parfois le strongU qui peut atteindre la grcôseur d'une plume d'oie, et une longueur de 80 centimètres. Dans la vessie de deux Américains on a dé- couvert le spiroj itère, dont plusieurs espèces vivent dans le corps jlS oiseaux. La duuvc du [(Aj, semblaule à une petite ite la vc^icide du fiel, et s'y nourrit feuille, liabiie la ve^icuie de la bile qu'elle renferme LES MONSTRES INVISIBLES SI Les cy^ttcerqucs^ les échinccoqnes, les f c 'p' a* lonjsies, au corps globuleux, se rencontrent dans le cerveau, la rate, le foie, le poumon, le cœur, indistinctement. On en a môme obser\'é dans l'épaisseur des os Un parasite des plus curieux, la filaire de Mé iiie, très-commune dans l'Inde et au Sénégal, pénètre sous la peau, et se creuse un chemin dans la graisse, pour allor se mon- trer quelquefois à une grande distance du point par lequel elle s*est introduite dans les tissus. Quelques filaires plus délicates ne vivent que dans la glande lacrymale; il en est d'autres qui ne se plaisent que dans l'intérieur même du globe de l'œil, et une espèce un peu diffé- rente, la festiicaire, choisit de préférence le cri^idlin. Un autre animalcule invisible, le Dtmodex de$ follicules y habite les petites glandes qui cou- 52 LES MONSTRES INVISIBLES vrent les ailes du nez, et y vit au milieu de la snbstance grasse que Ton en peut faire sortir par la pression. Il est comuiun surtout chez les personnes à peau brune et huileuse. Enfin, le sang lui-même a ses parasites. Un entozoaire particulier, le thécosome sanguicole, habite la veine-porte, et sur 3G3 individus, le docteur Griesinger l'a rencontré 117 fois! CHAPITRE VII LES CADAVRES VIVANTS. Nous venons de passer rapidement en revue Teffrayante légion des helminthes qui vivent dans nos organes, mais nous n'en avons point fini pour cela avec les hideux parasites qui nous trouvent de leur goût. Après les horribles tribus des vers, dont vous connaissez maintenant les mœurs étranges, voici venir l'armée non moins formidable des insectes acharnés contre nous. Prenez votre loupe, et regardez courageusement, comme vous l'avez fait jusqu'ici, ces féroces troupes qui n'hésiteraient pas à dévorer le genre hu- main tout entier, si elles en avaient la permis- sion. Voyez ces aiguillons, ces dagues, ces poi- gnards, ces ciseaux, ces mandibules tournés contre nous! Quelle perfection dans toutes ces armes; quel raffinement dans les moyens d'attaque et de destruction ; quelle étonnante promptitude dans raccroisscment et la multiplication de ces troupes dévastatrices ! Vous savez quelle grande quantité d'œufs pond la mouche carnassière j et vous n'ignorez 54 LES MONSTRES INVISIBLES pas que ces larves grandissent en très peu de temps. Linné élaji ^^fiipcfait rie la rapidi'c avec laquelle li'ois de ces mouches, aidées par leur dévorante (irogéuilurc, disséquaient le cadavre d'un cheval. Cesontlàdes ennemis qui seraient bicnfôl maitres de nous, s'ils avaient pour la chair vivante le même appétit que pour les substances organiques en décomposition; heureusement Thomme propre et sain n'inspire à ces affamés de fumiers et d'ordures, que de la répulsion et du dégoût. Ces insectes ne sont donc pas de véritables parasites comme les helminthes ou l'acarus de la gale. Ils ne nous attaqucntqu'accidentellement et par exception. Certains diptères qu'on nomme les œstres, vivent bien cependant en véritables parasites sous la peau de quelques animaux. Les bœufs, les chevaux et les moutons nourrissent souvent ainsi les larves des mouches qui les tourmentent; mais les cas de ce genre sont très-rares chez l'homme, quoique, à vrai dire, on en ait observé plusieurs. Ce sont les mouches ordinaires, celles qui sont parfois si insupportables durant les chaleurs de Télé, qui dans certames circonsianees osent s'attaquer à nous. Je vous signale surtout, oomuie véritablement perfides, la grosse mouche LES MONSTRES INVISIBLES 55 carnassière, — la mouche bleue, — et la mouche dorée. Un savant médecin, M. J. Clo- quet, a vu un homme dévoré par ces atroces animaux, et quoique cette observation soit vraiment hori'ible, je remprunte à M. Moquin- Tandon pour la placer sous vos yeux: « Un chifTonnier d'environ cinquante ans fut trouvé endormi dans un fossé du boulevard, à Paris, près de Montfaucon, et porté à lliô- pilal Saint-Louis. Il avait le cuir chevelu sou- levé par des tumeurs arrondies avec des perfo- rations irrégulières h travers lesquelles on voyait la chair devenue purulente et fétide. Une énorme quantité de hirves de mouches se re- muaient, grouillaient dans ces tumeurs. Quinze à vingt de ces vers s'échappaient de ses pau- pières singulièrement gonllées et rapprochées. Les cornées, devenues opaques, avaient été perforées, ainsi que la sclérotique. Les yeux paraissaient presque vides. D'autres larves sortaientparlenezetles oreilles. Ce malheureux reproduisait dans toute son horreur, la maladie de Job. Jamais, dit M. Cloquet, on n'avait vu un spectacle plus horrible et plus dégoûtant que cet infortuné dévoré tout vivant par des larva de cadavre. » Mais, si ces affreux accidents sont fort heu— rejsement très— rares dans nos climats, il n'en est pas de même dans tous les pays. A la 56 LES MDNSTIIKS INVISIBLES Guyane, le plus insaluJjre coin de terre du globe, vit une espèce de mouche cent fois plus cruelle encore que celles que nous connaissons. Sa spécialité est de s'attaquer à l'homme ; aussi les savants lui ont-ils donné le nom de mouche hominivorc. £lle fait tous les ans un certain nombre de victimes ; et les cas semblables à celui que M. J. Cloquet a observé à Paris, ue sont pas rares à l'hôpital de Cayenne. Les auteurs anciens ont parlé de plusieurs hommes célèlires qui furent condamnés à être dévorés par les mouches. C'était là un genre de supplice que les rois de Perse ont rhonneur d'avoir inventé. L'on sait que l'un d'eux, Arta- xerçe, fît périr Mithridate de cette façon: en LES MONSTRES INVISIBLES 57 l'exposant dans une barque, en plein soleil, et le visage enduit de miel. Les mouches, — bourreaux sans le savoir, — mirent soixante- dix jours à dévorer cette proie qui leur était si royalement offerte. TROISIEME PARTIE MIGRÛPHYTES ET MIGRÛZÛAIHES. CHAPITRE I I.ES ATOMES MALFAISÂNTI. Nous allons désormais, ami lecteur, entrer dans un monde complètement étranger à nos regards, et dont le microscope seul pourra nous dévoiler les nombreux mystères. Nous allons y trouver les plus humbles de nos parasites, mais non pas les moins cruels. Vous avez sans doute ouï parler maintes fois des animalcules qui vivent dans la goutte d'eau, dans la lie du vinaigre, dans la colle de pâte, et généralement dans la plupart des infusmis de substances organiques. Vous savez que pré- cisément à cause de cela» les savants les oat LES MONSTRES INVISIBLES nommés infnsoircs; et qu'ils sont si petits, qu'on en découvre des milliers dans une gout- telette à peine volumineuse comme une tête d'épingle. Quelques espèces de ces infiniment petits, habitent en nous, et d'autres, quand elles pé- cèirent accidentellement dans notre corps, paraissent être la cause de plusieurs dange- reusÊâ maladies. Au nombre dss plus remarquables sont les vibrions, dont ia forme rappelle celle d'une anguille; mais dont la taillo ne dépasse jamais treize millièmes de milliiuètre. Les vibrions se meuvent très -rapidement, al décrivent des ondulations semblables à celles des reptiles. Ils vivent dans la salive et les mu- cosités de la bouche, en compagnie d'autres in- fusoires encore plus petits, nommés les Virgu- Unes. Ceux-ci sont ainsi appelés h cause de leur ressemblance avec le signe de ponctuation que vous Connaissez bien; et plus délicats qae leurs voisins, ils habitent de préférence dans Ja tarirc de$ dents. LES MONSTRES INVISIBLES 61 Ce ne sont pas là les seuls animalcules qui nous fassent Thonneur de loger chez nous. Un savant médecin, M. Lemaire, a découvert tout récemment, qu'une multitude d'autres infusoires, entre autres les Bactéries, se plaisent beaucoup aussi à vivre à la surface de notre peau. Mais bien moins difficiles que les précédents, ces derniers savent se contenter de peu C'est dans les dépôts graisseux des glandes cutanées, surtout aux endroits où la transpiration est abondante, qu'on les rencontre principalement; et l'on peut dire — sans métaphore — qu'ils se nourrissent de la su3ur du peuple, comme les aristocrates d'autrefois. . . . Quelques Bactéries ont des prétentions plus élevées. Elles s'introduisent par la voie at- mosphérique dans nos poumons, et paraissent déterminer un certain nombre de graves ma- ladies. On a trouvé plusieurs fois ces infusoires dans la rate des animaux morts du typhus ; et il est probable qu'ils ne sont pas étrangers aux fièvres pestilentielles qui peuvent frapper les hommes. Dans les déjections des cholériques et des malades atteints de fièvre typhoïde, on découvre au microscope des Paramécies et des Cercih- monades^ animalcules dont le corps garni de longs cils se meut avec une grande agilité, 6t qui bieD certainement sont pour quelque Çt LES NOiNSTRES liN VISIBLES chose dans le développement de ces maladies. Il y a quelques jours à peine, un autre mé- decin d'un grand mérite, M. Paulet, signalait encore, en ces termes, de nouveaux méfaits commis par ces vilains animalcules: « Une pelitc épidémie de coqueluche s'étant déclarée naguère dans la localité que j'habite, me mit à même d'examiner les vapeurs expirées par plusieurs enfants atteints de celte maladie réputée contagieuse par la plupart des obser- vateurs. « Ces vapeurs présentent à l'examen micros- copique un véritable monde de petits infusoiies, identiques dans tous les cas. Les plus nombreux, qui sont aussi les plus ténus, peuvent être rap- portés à l'espèce décrite sous le nom de Eac- ternun tcrmo. D'autres, en plus petit nombre, s'agitent ça et là sous le champ de l'instrument. Ils ont- une forme bacillaire, légèrement en fuseau; leur longueur est de 2 à 3 centiomes de millimètres; leur largeur d'à peine i/2 cen- tième de millimètre. C'est l'espèce que IMuiler nommait .l/o?zr/sj9u/ic/ww, et que les microgra- LES MONSTRES INVISIBLES ^ phes rangent habituellement parmiles Bactéries, Bacterium bacillus* » sacrer au moins vingt chapitres encore; mais les formes bizarres, l'organisation curieuse, Qi la beauté de ces animaux-plantes, excitent à un tel point déjà, l'admiration de celui qui les observe à l'œil nu, qu'il ne songe pas à les trouver plus merveilleux, en poursuivant leur étude à l'aide du microscope. Et pourtant que de délicatesse, que de variété, "que d'élégance, dans les moindres organes de ces infiniment petits perdus dans l'infiniment grand!.. Quels ravissants dessins, quels oroemenfe s», LES MONSTRES INVISIBLES splendides, quelles riches décorations captivent le regard de l'aiiatomiste qui étudie les Flustres^ les Eschnres, les Ué'ipom, les Holothurides, les Aciéries, les AcaUphn, et tant d'autres de ces êtres problématiques qui jouissent à la fois de la beauté de la fleur, de la vie de l'animal, et de l'invulnérabilité minérale* Sur les Algues, et les autres plantes submer- gées, on observe souvent de petites concrétions pierreuses qui ne sont pas autre chose que des polypiers. On les nomme des Lepralia. Leurs microscopiques cellules, imbriquées comme les tuiles d'un toit, sont habitées par desanimacules invisibles, qui vivent retirés couime des tortues sous ces élégantes carapaces. Les cellules de la Flu,4re foliacée ont une dis- position toute particulière. Adossées comme les alvéoles des gâteaux de miel, elles forment des ramifications plates et étalées, semblables à des raquettes ; mais logeant tout un peuple de zoophytes, dans leurs mailles innombrables. Le dernier de ces êtres, celui que l'on peut lES MONSTRES INVISIBLES 87 regarder comme ralioufîssant des trois règnes admis par les naturalistes, celui qui représenta le chaos où les substances organiques et inor- ganiques sont brouillées ensemble, c'est ïéponge. L'éponge est placée au carrefour d'où partent les trois immenses routes de la création. Elle est le nœud d'où se détaclie la Iriple branche de l'arbre naturel ; le centre du trépied que forment les corps bruts et les êtres vivants. Les éléments minéraux abondent dans l'éponge comme dans tous les polypiers; mais ils sont plus intimement liés ici aux éléments végétaux. Il résulte de ce mariage cette substance fibreuse plus ou moins rude que la civilisation utilise de tant de manières, et qui constitue ce qu'on nomme ordinairement LES MONSTRES INVISIBLES Véponrje. La partie animale, détruite sur les éponges livrées au commerce, consiste en une couche gélatineuse, jouissant d'une vie; rudi- men taire, mais accomplissant toutes les fonctions spéciales aux animaux. L'éponge est féconde et se reproduit par des œufs. Ceux-ci sont expulsés par les norps du polypier avec Teau qui s'en échappe constam- ment, et dès qu'ils sont éclos, les jeunes cherchent pendant longtemps un endroit favo- rable avant de s'y fixer. Ce phénomène tout à fait spécial à la vie animale a fermé à l'éponge la porte de la famille des algues, dans laquelle plusieurs savants voulaient la faire entrer. QUATRIEME PARTIE L^AUGHITKGTURE MICROSCOPIQUE. CHAPITRE I MATÉRIAUX INORGANIQUES : — LES CRISTAUX. Pour avoir une idée exacte d'une ville, il ne suffît pas d'observer seulement ses habitants, mais encore ses divers édifices. Dan '. le monde invisible, pas plus qu'ail— leurs, l'architecture n'est à dédaigner; et, si nous vouions nous donner la peine de l'étu- dier un moment, notre œil; armé d'un verre grossissant, découvrira de toutes parts de féeriques palais, bâtis avec des matériaux mi- croscopiques. Les moellons, dans ce monde privilégié, sont ce que nous appelons des cristaux, c'est-à— 00 LÉS MONSTRES INVISIBLES dire des corps d'une régularité géométrique et présentant une multitude de faceltes, comme le diamant quand il esl taillé. ^^3* ^f'^^ TV p\ LES MONSTRES INVISIBLES 9! Jetons d'abord nos yeux sur les merveilleux travaux que Teau seule peut former en se so- lidifiant, et regardons dans tous leurs détails quelques étoiles de neige. Que d'art et que de variété dans leur struc- ture ! Nous en examinerons une centaine avant d'en rencontrer deux qui soient exactement semblables. La plupart sont des étoiles à six rayons; mais que de différence entre les rayons de Tune et de l'autre. Prenez toutes les formes géométriq es connues, gruupez-les et combinez- les de toutes les façons, mettez votre imagina- tion à la torture pour inventer des dispositions et des arrangements innombrables, vous ne parviendrez jamais à jégaler la prodigieuse diversité des cristallisations naturelles. Regardez maintenant le centre de Tétoile, le 92 LES MONSTRES INVISIBLES point imperceptible sur lequel se fixent les rayons, vous allez voir à peu près partout une sorte d'écusson à six angles, un liescnëdrr, qui semble être à l'étoile ce qu'est le moveu à une roue. Mais quelle délicatesse dans l'ornemen- tation de ce cristal hexacdrique sur lequel viennent s'implanter les six branches rayon- nantes!... Que de variété encore dans les ca- pricieuses figures qui le bordent ou qui mai quent son milieu!... Tout cela cependant n'est qu'une goutte d'eau solidifiée par le froid ; et il suffit d'un rayon de soleil ou de la tiédeur de l'haleine pour faire évanouir toute cette merveilleuse architecture!... Mais si vous êtes curieux de pousser plus loin vos investigations, faites évaporer à l'air une dissolution de sel marin, et, l'œil sur le mii.roscope, regardez ce qui se passe : \ous allez assister à la construction des moriuments -l*s plus excentriques que l'on puisse rêver. Vous r.Ui'/ voir nailre et se dé- velopper des édifie, s 'iiiL. v nables. \oiJ des cube^' ^ i ^;t super.^osent, s'en- chevêtrent, se dressent cc s'appiiieni, au mé- pris de tou.es les luis de réqullibre, pour lur— mer un château fantastique, avec bcs tours et ses créneaux. Ne cherchez pas les petits maçons gui tra— lES MONSTRES INVISIBLES 93 vaillent avec tant d'empressement et d'habileté à cette audacieuse conslruclion, vous perdriez votre temps. Les moellons cubiques se grou- pent, s'entassent et s'élèvonl comme par enchan- tement. Une fce invisible semble présider à ces magiques travaux, el l'on croirait voir sortir de terre cetle mystérieuse tour, .... Bine on troi^ naits. rw f\[re d». nos pôrfis, Par uu eroi'te saint, aju roma iU les pierres Avec le Les matériaux viennent se placer d'eux- mêmes à l'endroit qu'ils doivent occuper, obéissant à une a traclion secrèie, à une force cachée que l'on nomme V affinité. Ce que vous voyez se produire par l'évapo— ration de l'eau salée, se manifeste toutes les fois qu'un liquide contenant un sel en disso- lution se volalilise et abandonne la substance solide. Faites fondre dans l'eau, l'alcool, i'cther, 94 LES MONSTRES INVISIBLES un corps crisfallisable, tel que le sucre, les sels de potasse, de soi'.de, de magnésie, de fer, de cuivre, etc., vous verrez se dérouler devant vous, au momen' de l'évapoiaùnn du liquide, lou'es les merveilles acliilecLurales du monde des infiuimenî peiils. De même que nous reconnaissons dans notre architecture des styles variés, suivant le goût de chaque époque, vous remarquerez aussi, dans les édifices invisibles, des cristallisations très différentes, suivant la nature des substances tenues en dissolution. Au lieu du style grec, du roman, du gothi- que, du mauresque, etc., vous découvrirez avec étonnement les cristallisations en cube^ , en pr;swes, en aiguilles, en octaèdres, en rhom- boëdrea, etc. ; et, malgré leur petitesse, vous les admirerez peut-être autant que les mosaïques de l'Alhambra, les rosaces de Notre-Dame, ou la flèche de la Sainte-Chapelle. Vous n'aurez pas besoin d'avoir recours à l'évaporation des liquides pour contempler ^^utes ces beautés, si vous avez à votre dis- position une pile voltaïque. En faisant passer m courant électrique à travers une dissolu- jon d'un sel de plomb ou d'argent, vous serez témoin d'un des plus curieux phénomènes que puisse présenter la physique. Les cris'aux se formeront avec une promptitude extrême au LES MONSTRES INVISIBLES dS seîîi même du liquide. Vous les verrez s'atta- cher les uns aux autres, s'allirer, s'appeler, pour ainsi dire, et se grouper en touffes arbo- rescentes, simulant des végétaux de l'aspect le plus pittoresque. C'est ce que les anciens chimistes appelaient arbres de Saturne et de Diane. Si vous voulez maintenant connaître l'im- portance de ces microscopiques édifices, re-« gardez à la loupe un morceau de granit. Vous reconnaîtrez, sans peine, qu'il est formé par une infinité de petits cristaux serrés et pétris les uns avec les autres. Vous distinguerez à côté des blancs rhomboèdres du quurîz liyalin, les i^nsmesôu frlihpaih el les pailleîtesétiucelantes du mica; et vous songerez que le granit cons- titue, au moins en très grande partie, la coque solide du globe que nous habitons!.,. CHAPITRE II MATÉRIAUX ORGANISÉS : LES CELLULES. Vous connaissez maintenant la structure deà minéraux : Leurs éléments, d'une extrême peti tesse, sont groupés comme ceux d'une mo%av[ue construite par un habile artiste, et sans colle ni vernis, ils adhèrent les uns aux autres, main- tenus par une force spéciale nommée la cohé-^ sion. Cette structure, d'une perfection achevée, excite l'admiration de l'observateur, et défie toute concurrence humaine. Aussi, ce procédé d'architecture, à la fois si simple et si merveilleux, se retrouve-t-il par- tout dans l'œuvre de la Création, dans l'orga- nisation des êtres vivants aussi bien que dans la structure des corps inorganiques. Seulement, au lieu d'être composés de petits mstaux, les êtres vivants sont formés de maté- riaux élémentaires qui n'ont pas une forme* toujours bien déterminée. Loin d'être solides, ils sont mous, et se prêtent à toutes les exigen- ces de l'organisation. Ces nouveaux éléments sont toutefois aussi microscopiques que les précédents, et se nom- ment des cellules. Ils ^nt en outre des pro- LES MONSTRES INVISIBLES 9? priéfés fort remarquables, que ne possèdent pas les cristaux, c'est-à-dire qu'ils peuvent se diviser, se fractionner d'eux-mêmes, et, jar conséquent, engendrer d'autres éléments qui leur ressemblent. La structure cellulaire caractérise essentiel- lement l'être organisé, comme la structure cris- talline caractérise le minéral dans sa plus grande perfection. Mais avant de vous décrire les principales merveilles de l'architecture organique, il est nécessaire que je vous dise un mot des maté- riaux élémentaires qui sont la base de tous les édifices dont j'ai à vous parler. Les cellules, dans toute leur simplicité, se composent d'une petite vésicule transparente, contenant une substance qui peut être liquide, molle, solide et même gazeuze. Ordinairement, cette substance elle-même est transparente ; et si elle est liquide, la cellule n'apparaît au mi- croscope que comme une petite boule, que je ne saurais mieux vous . représenter que par la lettre majuscule 0. Encore faut-il pour cela qu'à l'endroit où elle se trouve, cette cellule ait toutes ses aises et ne soit point gênée par des cellules voi- sines; autrement, molle comme elle l'est, vous comprenez bien qu'elle n'aura pu garder sa forme arrondie. Elle sera aplatie sur tous les 93 LES MONSTRES INVISIBLES points où ses voisines auront pesé sur elle, et sera devenue, de oelUile spbérique qu'elle était, cellule j)o:ycjunale. Ce mot, qui veut dire beau-* coup d'ang'es, peint bien, sans doute, l'idée que vous vous laites de cette cellule comprin.ée. Dans tous les corps mous ou fluides, tels que la graisse, le lait, la levure de bière, \ou3 pourrez voir des cellules arrondies, parce ( ue, dans ces milieux-là, elles ne sont point pies— sées les unes contre les autres; mais dans le bois, dans les os, par exemple, vous ne décou- vrirez que des cellules présentant les formes les plus variées. J'ai dit que la paroi des cellules était oidi— nairement transparente ; elle est aussi pres- que toujours lisse et unie; mais quelquefois elle présente cependant des pouciualions, des granulations, des lignes qui semblent être les débris d'une enveloppe intérieure. Il n'est pas rare de voir ces lignes se contourner en spi- tES MONSTRES INVISIBLES 99 raîes. Elles sont presque toujours dues alors à la présence dans la cellule d'un mince ruban disposé en tire-bouchon, et servant à soutenir les parois de la vésicLdc. Les substances contenues dans les cavités cellulaires sont (rès-di (Té rentes. Ce sont des huiles es>:onlio!îes, de l'oaii, des sues particu- liers, des liquides colomiUs, des grains de fécule. etc. Les gaz que ron y rencontre le plus fré— queanuenl sont l'acide carbonique, l'oxygène et 100 LES MONSTRES INVISIBLES l'azote ; on voit quelquefois aussi, dans les cel- lules végétales, de petits cristaux groupés d'une façon bizarre. Les botanistes leur ont donné le nom de raphides. Ce sont ordinairement des sels de chaux et de potasse. Mais ce que les cellules contiennent de plus remarquable, c'est un petit noyau qui, bien souvent, renferme, à son tour, un noyau plus petit, nommé nucléole. Les micrographes mo- dernes attachent une grande importance à ces organes, dont les formes variables servent à distinguer les cellules entre elles. Quand celles-ci doivent se fragmenter, pour donner naissance à d'autres cellules, on voit toujours la division commencer par le nucléole et le noyau, pour s'étendre en rayonnant jusqu'aux parois de la vésicule elle-même. La classe des cellules est très-nombreuse. On reconnaît les cellules ordinaires, des cel- lules fibremes, filamenteuses^ vasculaires^ etc., chez les végétaux seulement ; et leur nombre est encore plus considérable dans l'organisation animale. Nous allons voir comment tous ces corps élémentaires s'assemblent et se groupent pour constituer les diiïerents organes des végé- taux ef des animaux. Après avoir étudié les matériaux de l'édifice, nous admirerons son architecture. CHAPITRE III LES ÉDIFICES MINÉRAUX. Leî^ cristaux représentant assez exactement les matériaux dont sont formées les substances minérales, l'archilecture des corps simples doit être elle-même d'une grande simplicité. Un fragment de soufre ou de plomb cristal- lisé n'est autre chose, en effet, qu'un assem- blage, qu'un groupement de cristaux de même forme, maintenus au lieu de ciment ou de mortier par la cohésion. Mais cette simplicité disparaît, lorsque le corps est un composé de plusieurs substances différentes; et l'étude de l'architecture extrême- ment compliquée qui résulte de ces combinaisons minérales comprend toute une science d'une importance considérable, la cristallographie. Sans nous aventurer dans cette étude, que le minéralogiste lui— même n'aborde qu'avec le plus grand effroi, et sans nous jeter dans le domaine de la chimie, nous ne parlerons que des édifices minéraux les plus importants, de ceux qui, malgré leur petit nombre, suffisent à constituer en grande partie l'écorce terrestre. Ces roches, comme les appellent les géolo* 4 !02 LES MONSTRES INVISIBLES gues, ont une composition très-différente, sui- vant qu'elles sont dues à Tac' ion du feu ou à celle de l'eau ; mais leurs éléments ne sont jamais très-nombreux. Ce sont pourtant ces élémen^s infiniment petits, ces cristaux microscopiques dont ces masses énormes sont faites, qui déterminent l'aspect de la roche, et la forme qu'elle revêt, lorsqu'elle est soumise aux vicissitudes atmos- phériques. De la structure intime, dépend la configura- tion, le faciès extérieur. L'air, la pluie, la gelée, sont les ouvriers qui taillent et désagrègent les roches des monla- gnis; mais ils sont les esclaves de l'architec- ture et de la composition élémentaire de l'édi- fice minéral ; et ils sont forcés de se soumettre aux lois qui résultent de cette sorte d'organisa- tion. Il leur est impossible de dégrader un bloc de marbre sur le modèle d'un bloc de granit; de tailler une table schisteuse d'après une assise calcaire ; l'élément invisible dérange toujours le travail de ces forces colossales. Un voyageur curieux et observateur, peut aisément s'assurer de ces vérités-là. Dans un grand nombre de nos départements, les schistes constituent des masses rocheuses lamellées, se brisant facilement et s'écaiilaat lES MOSSTRES INVISIBLES 103 par larges plaques. Les buttes qu'ils forment sont en général basses, arrondies, sèches et arides. Les granits, sous Tinfïnence de l'air et de la pluie, se désagrègent lentement de la circon- férence vers le centre. Les rochers qu'ils for- ment sont lisses, sans anfractuosités profondes, globuleux, et ne se délitent que par minimes par- celles, qui forment à leur base un sable fln, d'un blanc rosé ou grisâtre et mélangé d'une infinité de paillettes de mica, d'un éclat argenté. Dans les contrées volcaniques, en Auvergne, par exemple, les rochers ont souvent des pro- porlious g'ganîesques. Les tracliyies se dressent en masses imposan- tes, largement taillées, d'un gris blanchàlre, très-peu caverneuses et coupées, au contraire, en vastes pans unis et à pic. Cependant, quand la roche n'est pas très- pure, qu'elle est mêlée de cendre et qu'elle forme ce qu'on nomme du conglomérat, la pluie dissout et entraîne les parties friables, et le rocher se trouve alors tout hérissé de tuber- cules, de bosses, de mamelons rugueux et irrégi 1 tiers. Les basaltes sont les plus remarquables de tous les rochers. Ils se divisent naturellement en larges colonnes prismatiques, dont la dispo^ sition rappelle assez exactement celle des tuyaux 104 LES MONSTRES INVISIBLES d'orgue, ou bien en gros blocs arrondis et su- perposés figurant d'énormes fromages empilés les uns sur les autres. Ils forment quelquefois dans les régions volcaniques des plateaux d'une immense étendue. Les calcaires doivent aux différents degrés de friabilité des couches qui les composent leur apparence extérieure. Ils sont taillés en gra- dins, en escaliers, en créneaux plus ou moins espacés. Les bancs de pierres, plus durs que les autres, sont proéminents; les bancs argileux ou marneux se désagrègent, s'éboulent et ne font jamais saillie. Les roches calcaires sont celles que l'air et la pluie dégradent le plus facilement ; ce sont les plus riches en grottes ornées de sialactites, autres édifices minéraux d'une élégance extrê- me ; aussi, les touristes et les géologues trou' vent-ils aans les montagnes des pays calcaires, un grand nombre de sites pi itoresques et de curiosités. CHAPITRE IV LES ÉDIFICES ANIMAUX. Considérée dans ses éléments, l'architecture de tous les animaux est partout à peu près la même. Les fibres musculaires de la grenouille présentent la plus grande analogie avec celles des muscles de l'homme ; les éléments nerveux du cerveau du chien ne dilTèrent pas essentiel- lement de ceux qui composent la substance cé- rébrale du pigeon ou du lézard. La forme de» organes, au contraire, est très- variable suivant les espèces ; ei, considérés dans leur ensemble, les divers animaux ont entre eux des différences encore plus frappantes. N'en est-il pas de même pour les édifices bâtis par la main de l'homme?... Les pierres et les matériaux qui servent à leur construction sont les mêmes dans tous les pays et à toutes les époques; et pourtant quelles grandes diffé- rences n'existent-elles pas entre les divers monuments élevés par les générations qui ont précédé la nôtre !... Ainsi, chez tous les vertébrés, les os présen- teront à peu près la même structure. En exami- nant au microscope de minces lamelles de subs- t05 LF.S MONSTRES INVBÎBLKS tance osseuse, nous y remarquerons de petites cavités cellulaires tassées et pressées les unes contre les autres et drainées en tout sens par d'innombrables canalicules remplis par les vais- seaux nourriciers du tissu osseux» A i V Les enrtilftgps nacrés qui revêtent comme un enduit prolecleiir le.s surfaces articulaires des os, afm de les préserver de l'usure qu'amènerait un frottement continuel, sont consiilués dans toute la série animale par des cellules plus ou moins irrégulières et plongées pour ainsi dire au mi- lieu d'une substance amorphe, cYdiniani moins abondante que les cellules sont plus nombreuses. L£S MOiNSTHëS iiNVibiBLLS 107 ■>o ® Les ligaments et les tham fibreux se compo- sent de faisceaux de fibres entrecroisées, formant comme une sorte de toile résistante et serrée, qui soutient les parties molles et empêche le déplacement trop considérable des surfaces des- tinées à glisser l'une sur l'autre. Les muscles, ces moteurs de l'économie, ont dans toute la série animale, la même propriété essentielle ; ils peuvent se conir acier. Les élé- 108 LES MONSTRES INVISIBLES ments qui les constituent sont encore des fibres, qui, vues à un grossissement considérable, sont marquées de lignes transversales parallèlement alignées les unes au- dessus des autres. Le sys- tème musculaire a un développemenî énorme chez la plupart des animaux. C'est lui qui forme la chair, et celle-ci, comme on sait, comprend à peu près les truis quarts de la masse entière du corps. Le cœur lui-même, l'organe le plus impor- tant peut-être de la machine humaine, est un muscle qui travaille à la distribution du sang dans toutes les parties de réconomie. LES MONSTRES INVISIBLES 109 Les autres organes creux, tels que les vais- seaux artériels et veineux, le tube digestif, la vessie, etc., ont entre eux, au point de vue de reur structure, plus d'une ressemblance. Ils sont formés de plusieurs membranes super- posées, parmi lesquelles on retrouve toujours une enveloppe extérieure ordinairement fibreuse et résistante ; une tunique moyenne, musmlcuse ou élastique^ une membrane intérieure, mu- queuse oa séreuse, qui tapisse l'organe, plutôt qu'elle ne sert à sa solidité. Dans les vésicules pulmonaires, on ne retrouve que la membrane fibreuse et la muqueuse, réduites à leur plus simple expression. Les nerfs, dont la structure a longtemps été ignorée des anatomistes, sont formés par de longs tubes d'une extrême ténuité, mais qui pourtant sont encore assez complexes. Ces tubes, en effet, sont remplis d'une sorte de moelle graisseuse, et au milieu de cette moelle est placé un axe aussi long que le tube lui- même. Celte disposition ressemble tout à fait è celle que l'on donne aux fils télégraphiques, lorsqu'on les fait passer sous terre ou à tra— vers un tunnel humide. L'enveloppe dans la- quelle on les place en pareil cas représente le tube nerveux ; la gutta-percha dont on les entoure peut être comparée à la moelle grais- seuse, et le fil métallique lui-même figure très- 110 LES MONSTRES INVISIBLES exactement Vaxe nerveux. Dans le cerveau, îa moelle épinière Qt les gros ganglions du gnad sympathique, les éléments constitutifs encore peu étudiés, sont cie grosses cellules munies de prolongements tubuleux, qui leur donnent l'ap- parence d'étoiles irrégulières ou de moyeux de roues munis de leurs rayons. C'est dans la composition des diverses glandes annexées à l'appareil digestif que se trouvent les plus grandes différences d'organisation. Chacune ayant sa spécialité a aussi sa structure propre. Les cflandes salivaires sont tout à fait sem- blables à des grappes de raisin. Chaque grain LES MO: choses . de la résine de cachou, des féciiics, des fibres végéla les etc., 134 LES MONSTflES l^iVlSIBLES sauf des feiùiles caraotéristiques du bienfaisant arbrisseau. II lui est très-facile encore de dis— tinguer du lait pur celui qui est fabriqué avec des cervelles pilées, et de retrouver les nym- phes de la Seine dans les bouteilles de Bor- deaux ; toutes ces recherches-là sont des jou- joux pour elle. Mais le microscope devient parfois entre ses maîns un téngeur terrible ; c'est quand il retrouve sur les vêtements du meurtrier l'imperceptible souillure faite par le saniï de la vicîiinc !... i CINQUIÈME PARTIE L^ORGANISATION DES INSECTES. CHAPITRE I CES ARMES OFFENSIVES ET DÉFENSIVES. Sortons un peu du monde des infiniment petits, et parcourons mamlenant ses fronticr<^s. Nous allons rencontrer des peuples puissants et redoutables, des nations industrieuses, des tribus aguerries ; et nous pourrons admirer à loisir leurs armes, leurs outils, les nombreux instruments dont ils se servent suivant les di- vers besoins de leur existence. Entrons dans le vaste domaine des,Artwnfés. Son étendue est presque illimitée ; sa place dans a nature est immense : par les plus humbles des êtres qui lui appartiennent, il touche au IS6 LES MONSTRES INVISIBLES cœur du monde invisible ; par les plus impor- tants, il s'élève presque au niveau des animaux supérieurs. L'acarus imperceptible occupe le dernier iê^ré de cette longue série, à la tête de laquelle figurent les coléoptères énormes de la zone torride, et les grands crustacés qui peu- plent nos mers. Mais entre ces deux extrêmes, que de variétés dans la taille, la forme, le genre de vie, les mœurs des animaux intermédiaires !... Du premier au dernier échelon, la transition est insensible : une chaîne étroite et non inter- rompue unit l'animalcule à l'articulé colos- sal ! Dans ce monde intéressant, au sein duquel nous pénétrons, nous n'étudierons pas séparé- ment les genres et les espèces d'individus qui le composent, car cette étude nous entraînerait beaucoup trop loin. Nous nous contenterons de choisir les particularités curieuses de chacun d'eux ; et nous examinerons ainsi suc- cessivement leurs armes, les organes dont ils se servent pour se procurer leur nourriture ; les outiU nécessaires à leurs travaux ; et en- fin les instruments qu'ils emploient dans la culture des arts d'agrément. Que ce dernieif mot ne vous étonne pas, ami lecteur, car il existe des artistes chez les articulés aussi bien que parmi nous. Commençons aujour— LES MONSTRES INVISIBLES 137 d'hiii, si vous le voulez bien, par visiter l'ar- senal. Voici d'abord deux divisions très-naturelles : d'un côté,- /es armes ordinaires ; d'un autre côté, les armes venimeuses. Au rang des premières, voici d'abord les armes défensives représentées par les corse- lets et les élytres des coléoptères, qui protègent l'animal à la façon de la cuirasse et du bouclier. L'armure des crustacés semble avoir servi de modèle à celles de nos anciens preux ; et le cloporte est aussi bien défendu par sa cara- pace que l'était jadis Ajax par les sept lames de cuir derrière lesquelles il se mettait à l'abri. Quelques larves nues, exposées à être la proie des oiseaux ou des insectes cuirassés, ont un moyen de défense plus extraordinaire, et qui, je me plais à le croire, n'a pas son analogue dans l'espèce humaine. Elles s'enveloppent de leurs excréments et s'en font un fourreau pro- tecteur. D'autres, quand on les menace, sécrè- tent immédiatement un liquide rougeâtre et nau- séeux qui baigne leur peau. Telles sont les larves delsichrysomèïe du peuplier La cercopis, que l'on trouve sur les genêts, se cache dans un flocon d'écume semblable à de la salive ; les sauterelles et les silphes crachent une humeur noirâtre quand on les saisit; le itaphylin re— 8 138 LES MONSTRES INVISIBLES dresse fièrement son abdomen et souille, par rémission d'un liquide blanchâtre, les doigts qui le font prisonnier. Mais la plus remarquable des armes défen- sives que la nature ait donnée aux articulés appartient aux insectes du genre hrachin. Ces petits animaux portent, à l'extrémité inférieure de leur corps, un petit appareil détonant et pouvant tirer, au gré de l'animal, une douzaine de coups successifs et presque instantanés. A chaque décharge, une explosion se fait en- tendre et un liquide très-corrosif, suivi d'un jet de vapeurs ruussàlres, est projeté avec force contre Tennemi. L'insecte fabrique lui- même ses projectiles, et quand la giberne est épuisée, les cartouches se renouvellent bientôt comme par enchantement. Les chassepots auront beau faire merveille, jamais ils n'at» teindront à ce degré de perfection et de simplicité. Les armes offensives de la plupart des articu- lés ne sont point venimeuses. Presque tous, en effet, n'ont que leurs mandibules pour attaquer LES MONSTRES INVISIBLES 139 leur proie ou répondre aux aggressions des au- dacieux qui leur cherchent noise. Les mâchoires ont ordinairement Taspect de faucilles microscopiques aiguisées sur un de leurs bords, et coupant en chevauchant l'une sur l'autre, à la façon des ciseaux. Elles sont disposées de la sorte chez les coléoptères, les orthoptères et un grand nombre d'autres in- sectes : mais dans d'autres classes elles se modifient considérablement et se changent en trompes, en suçoirs, etc., selon* le mode d'existence de Tanimal auquel elles appar- tienneaL CHAPITRE II LES ARMES VENIMEUSES. Les articulés venimeux possèdent des arme s qui, par leurs terribles effets, peuvent rivaliser avec celles dont nous nous servons, et dont Tétude, à ce point de vue, est très-intéressante. Jamais l'homme, dans son infernale aptitude à inventer des instruments de destruction et de mort, n'imagina des armes aussi terribles que celles des insectes venimeux: jamais l'horrible génie de Locuste et de Borgia ne put créer des poisons aussi subtils que les venins dont sont doués quelques-unes des plus faibles créatures. Et quelle diversité encore dans ces liquides pernicieux et dans ces armes venimeuses ! Qu'elle produise le mal ou le bien, qu'elle enfante la fleur gracieuse ou l'aiguillon empoisonné, la nature est toujours aussi féconde, aussi variée, aussi ingénieuse. Les chimistes n'ont pas encore bien étudié les poisons animaux; celui des plus dangereux reptiles est à peine connu ; celui des ara- chnidesj des guêpis, des counins, etc., n'a ja- mais été l'objet d'une étude vraiment conscicu- cicuso. Voilà une lacune à remplir. lES MONSTRES INVISIBLES Ul En revanche, les entomologistes ont assez bien décrit les di\ erses armes qui servent à in- troduire ces venins dans les plaies qu'elles pro- duisent. Il est vrai qu'ils n'ont guère considéré ces armes indépendamment de Tinsecte qui les porte ; et c'est au contraire de cette façon que nous allons les examiner. À ce point de vue nous pourrions diviser en deux classes les articulés venimeux : Nous rangerions dans la première tous ceux qui inoculent le venin par des armes dépendant de leur bouche : Armes buccales ; dans la se- conde tous ceux dont les armes sont placées à l'extrémité de l'abdomen : Armes abdominales. Enfin, quelques insectes occasionnant, parle simple contact, des démangeaisons ou des cuis- sons plus ou moins vives, — propriété qu'ils partagent avec des mollusques et des 200- phytes, — nous les réserverions pour une classe spéciale contenant tous les animaux appelés nrlicants» Si vous voulez bien admettre cette classifica- tion, ami lecteur, nous passerons d'abord en revue l'arsenal des : ARMES BUCCALES. Voici de fortes mandibules terminées par un crochet aigu percé d'un trou. Un canal est creuso dans ce crochet ; et le tube excréteur d'une glande venimeuse vient y aboutir. Cette 142 LES MONSTRES INVISIBLES. arme formidabîe est à la fois une mâchoire, une antenne, une patte, un crochet, une pince, un aiguillon. On la voit, à la bouche de l'araignée et de la scolopendre ; et les blessures qu'elle produit peuvent être parfois d'une gravité extrême. Si les araignées de notre pays ne peuvent tuer que des mouches, il n'en est pas de même, en effet, des grosses espèces des pays chauds, qui sont la plupart très-dangereuses. La tarentule, sur laquelle on a débité tant de fables, peut dé- terminer, quoi qu'on en ait dit, d'effrayantes convulsions ; et l'on a même cité des cas de mort occasionnée par la piqûre de la malmignatte d'Amérique. Les scolopendres des Antilles et du Sénégal ne sont pas moins redoutables; leur morsure donne une fièvre très-intense à laquelle peuvent succéder des accidents nerveux, quelquefois mor- tels. Examinons maintenant ces sortes de becs articulés qui semblent faits pour pénétrer an Iravers des corps les plus durs. Leur finesse cl leur acuité nous étonnent; mais regardons-le.^ plus attentivement. Ce que nous prenions pour le glaive lui-même n'est qu'un fourreau conte- nant trois ou quatre lames d'une aclniirable dé- licatesse maintenues serrées les unes conljo les autres, par la gaine qui les protège et les sou- lES MONSTRES INVIS\BLES 143 tient. Ces soies parallèles servent à conduire dans la bouche de l'agresseur le sang puisé dans la plaie de la vicfime. Cette arme est celle d'une affreuse bestiole que nous connaissons tous : la punaise. Elle ap- partient encore à une foule d'individus de la classe des hémiptères. La notonccte qui nage sur le dos dans toutes les mares de l'Europe, la ré- duve sanglante, et la nèpe cendrée savent en faire usage contre les insectes plus faibles dont ils veulent faire leur nourriture, aussi bien que contre leurs plus redoutables ennemis. Mais le rostre des hémiptères, comme le nomment les naturalistes, n'est qu'une arme grossière, comparée à la trompe dont un grand nombre d'insectes diptères sont pourvus. Ici, plus de gaîne rigide, plus de fourreau pénétrant dans la blessure avec les soies qu'il contient. Chez les diptères, ia trompe est nue, ou bien H4 LES MONSTRES INVISIBLES la gaine qui sert à la former se replie en dehors, lorsque les lancettes tranchantes qu'elle enve- loppe s'enfoncent dans le tissu qu'elles ont at- taqué. La trompe dn cousin estie type du genre. Elle se compose de cinq lancettes, dont deux sont terminées par une petite dilatation lancéo- lée, U'indis que les deux autres sont dentelées à LES MONSTRES INVISIBLES 145 leur partie inférieure, et la cinquième dans toute son étendue. La lèvre inférieure de/a bouche est allongée pour servir de gaine à ce merveilleux appareil. C'est à l'aide d une trompe que les mous- tiques et les maringouins occasionnent ces cui- santes piqûres que presque tous les voyageurs ont à subir quand ils explorent les pays chauds. L'hippobosfjîie, ou pou volant, pique avec une arme semblable les bœufs et les chevaux ; et dans certaines conirées de l'Afrique une autre mouche, plus redoutée que la vipère, la terrible tsetsé, inocule de la même manière aux animaux domestiques un poison qui les épuise et les fait mourir en quelques jours. Passons maintenant aux : ARMES ABDOMINALES. Les plus dangereuses que les articulés aient à leur service, celles dont ils font quelquefois un si cruel usage. Ces armes connues sous le nom d'aiguillons sont placées à l'extrémité postérieure de l'ab- domen. Chez les scorpions, elles ont la forme d'un cro- chet recourbé, et chez fes guêpes, \e^ abeilles et au- tres liymériop' ores, elles consisten t en deux lames très-déliées et très-aiguës, que l'insecte peut faire sortira volonté du fourreau qui les renferme. Le crochet du scorpion a la forme d'une alêne 146 LES MONSTRES INVISIBLES de cordonnier ; un gros renflement allongé en forme de poire est placé au dessous de la pointe venimeuse, cl c'est dans cette sorte d'ampoule que sont logées les glandes destinées à la sé- crétion du venin. Ces glandes sont au nombre de deux ; une sorte d'enveloppe musculaire les entoure, et de leur extrémité anlérieure, se dé- tache un mince conduit qui va porter le liquide venimeux à la pointe du crochet. Quand le scorpion, irrité, veut faire usage de cette arme, on voit à l'extrémité du dard, relevé, perler une gouttelette de venin. L'animal pique, et les enveloppes musculeuses des glandes, se contractant aussitôt, chassent dans la plaie toute la liqueur contenue dans l'appareil. La piqûre du scorpion est dangereuse. Celle des arachnides de cette espèce, vivant en Eu- rope, ne produit il est vrai, q le des accidents insignifiants ; mais celle du scorpion d'Afrique peut être très-grave. On a vu des hommes pi- qués à la lete, mourir au milieu d'affreuses convulsions... Les hyménoptères venimeux sont moins re- doutables, quoique leurs armes soient beaucoup plus compliquées cependant, que celles des scorpions. Toutes ces armes sont faites sur le même lype, et il nous suffira de connaître colle de l'abeille pour savoir comment sont di^sposécs toutes les autres. lES MONSTRES INVISIBLES 147 Représentez-vous deux fines lancettes ados- sées Tune contre Tautrc, présenlant une petite rainure sur le côté par lequel elles se toui.lient, et Irès-dclicatemenl dentelées en dehors. Ce dard, ainsi conslitué, est enferme dans un Ibur- reau cartilagineux, et i\ obéit à deux systèmes de muscles soumis eux-mêmes à la volonté de Tinsecte. Le premier système de muscles fait sortir le dard du fourreau et le pousse dans les tissus qu'il attaque; le deuxième système retire le dard de la plaie et le fait rentrer dans le fourreau. La base de l'aiguillon est en rapport avec un tube formant le conduit de dégorgement d'une petite vessie ; celle-ci n'est autre chose que le réservoir des glandes veniT.euses avec lesquelles il communique parTintermédiaire d'un autre ca- nal. C'est dans deux petites ampoules, qui ne sont pas sans analogie avec les vésicules de nos glandes salivaires, que se fabrique le venin. L'appareil venimeux des abei les jouit d'une grande sensibilité; au moindre attouchement le dard est vivement projeté hors de l'abdomen, et douze heures encore après que le ventre a été séparé du corselet de l'animal, l'aiguillon fonc- tionne avec autant de force que si l'insecte était encore en vie. Tout le monde connaît les elTets de la piqûre 4es hyménoptcros Les abeilles sont moins dan- 148 LES MONSTRES INViSIBLEi gereuses que les gnépos, cl le vcnîn deccllcs-cî ne cause pas d'accidents aussi graves que celui des frelons et des bourdons. Il faut cependant éviter d'approcher trop près des ruches, car les accidents pourraient être ter* ribles, si Ton était assailli par tout un essaim à ki fois. Souvent, lorsqu'un hyménoptère pique» son ennemi ne lui laisse pas le temps de retirer Taiguillon de la pkiie. L'insecte, pour échapper à la mort, s'envole alors si précipitamment, que son dard, retenu par les nombreuses denticules dont il est hérissé, reste dans la blessure. La douleur et le gur.îlement que détermine le venin sont, dans ce cas, un peu plus intenses ; et le premier soin à prendre pour combattre les effets LES MONSTRES INVlSlBLF.S 1 i9 du poison consiste dans l'extraction immédiate de Tarme venimeuse. Il nous resle, pour terminer cette étude, à dire quelques mois des : ARMES URTICANTES. C'est-à-dire de celles que la nature a don- nées aux animaux urticants. Ceux-ci ont été désignés de la sorte parce que les démangeai- sons et les éruptions inflammatoires occasion- nées parleur contact sont analogues aux piqûres des orties. Un grand nombre de clienillcs velues, mais entre autres celles qui vivent en troupes et qui sont connues sous le nom de processionnaires, les homJ>yrcs du chêne , les liihosies, les liparis^ les clienillcs du pin, etc., portent dans leur toi- son des poils urticants dont le simple contact engendre des rougeurs cuisantes. Ces poils sont si (énus qu'on ne peut les distinguer qu'au mi- croscope, et c'est surtout au moment où la che- nille veut se transformer en chrysalide, qu'ils se détachent de son corps pour se répandre dans l'air. Quelques animaux marins, les actinies et les wédmes, par exemple, produisent aussi des phénomènes d'urtication. Il suffît de tenir pen- dant quelque temps à la main une de ces mé- duses gélatineuses si abondantes sur nos côtes, pour sentir bientôt une démangeaison assez vive. 9 150 LES MONMIIES INVISIBLES Mais ces accidents, au lieu d'être déterminés par des poils, sont causés ici par des humeurs fabriquées dans des organes spéciaux. Lo^> animaux urlicanls n'ont jamais, que je sache, occasionné la moi't de personne; cepen- dant un savant illustre, Réaumur, resta cinq à six jours très-malade pour avoir étudié de ti'op près les mœurs des chenilles processionnaires. Quelque temps après, — ceci est plus grave, — quatre dames ayant voulu assister aux expé- riences de l'ingénieux entomologiste furent, à leur tour, atteintes de rougeurs au cou et aux épaules Pour une fois peut-être, que ces belles curieuses s'intéressaient à un spectacle scienti- fique, elles furent, nous devons en convenir, bien mal récompensées. CDAPITRE m Ut OKaANBS DSS SEKi. Aussi bien que les armes offensives ou défen- sives que possèdent les insectes, les organes dont ces petits êtres font usage tous les jours pour se procurer leur nourriture, et ceux qui leur ont é!é donnés pour i^uccomplissement des diverses fonctions de la vie sont dignes de notre admiration. Examinons d'abord, cbez ces intéressants animaux, l'appareil de la vue. Chacun de vous sait évidemment que la mouche ordinaire etTa- beille — les deux insectes les plus connus — portent de chaque côté de la tête un petit globe rugueux et cliagriné que Ton ne peut prendre pour autre chose que pour Torgane de la vision. Ces globes sont en effet des yeux ; mais des yeux agglomérés, serrés les uns contre les autres des yeux composés comme les nommeni les entomologistes. Si vous regardez au microscope la surfacft rugueuse de ces glol)es, vous verrez avec éton— nement que chacune de ces aspérilés, nettement distincte de sesvoisines, alalorme d'une facette hexagonale ; et si vous poussez plus loin oet m LES MONSTRES INVIbiuLîîS -% cvomensuperficiel, VOUS reconnaîtrez que chaque hoxagone termine un tube perpendiculaire à la surface de l'œil. L'ensemble des tubes donne à l'organe tout entier, considéré à un fort grossissement, l'as- pect d'un gâteau de miel, dont chaque cellule serait un œil distinct. Le nombre de ces yeux est considérable chez quelques insectes. Sur l'œil d'un papillon on en a compté dix-sept mille trois cent cinquante-cinq; sur cehii d'une demoiselle, douze mille cinq cent quaranle quatre; sur celui d'une mordelle, vingt-cinq mille quatre-vingt'kuit /,.. Les araignées, qui pourtant ont la vue (rès- perçante, manquent d'yeux à facettes. Elles ont à la place des yeux simples, lisses, semblables LES MONSTRES INVISIBLES Î53 à de petits points brilianls, et gro^^pés r?e di- verses laçons sur la tête. Ces yeux simples se retrouvent d'ailleurs chez les insectes, car un certain nombre d'entre eux présentent à la fois les deux sortes d'organes. L'abeille et la giiépe, par exemple, possèdent entre les deux globes à facettes trois yeux lisses, situés sur le front. Ces yeux de luxe servent, dit-on, à l'insecte, lorsqu'il veut se diriger dans le sens vertical ; mais on croit qu'ils lui sont toujours ufilespour distinguer les objets qui sont près de Ini, les yeux à facettes étant sur!.^iit disposés de façon à mieux voir de loin que de près. De tous les insectes, celui qui voit le plus clair est une espèce d'éphémère dont la vie n'a cependant qu'une durée d'un jour. Elle possède à la fois quatre yeux à facettes, et trois yeux lisses parfaitement organisés. Peut-être, à cause de la brièveté de son existence, la nature a-t-elle voulu la dédommager. Mais, en revanche, un certain nombre d'articulés n'ont reçu en partage que des yeux petits, déprimés, presque impéné- trables à la lumière. Tels sont les blaps, les ter" mites, et bien d'autres qui ne sortent que pen-- dant l'obscurité. On trouve même, dans quelques cavernes de l'Amérique, des insectes complète- ment aveugles ; leurs yeux, devenus inutiles, se sont lentement atrophiés de génération en géné- ration, et les individus qui naissent de nos 1S4 LES MONSTRES INVISIBLES jours sont absolument dépo'irvus de ces organes. Le sens du ton lier atteint cjez quelques articulés une sensibilité extrême. Il ne réside pas, co-aiiiie cliez nous sur tous les points de l'enveloppe cxiérieure. Celle ci étant, comme on sait, très-dure e^ très-curiace, il est limité à des appendices de ibraie variable placés à la partie antérieure de la iéîe et nommés les an- tennes. Ces organes sont très-déliés et presque filiroriiicschezun givmd nombre d'insectes ; sou- vent ils ont Taspcct d'une petite massue ; d'autres fois ils ont beaucoup plus de lar- geur que de longueur. Les antennes du banne- ton sont divisées en plusieurs feuillets; celles d -S bombyx soat ramifiées, celles de l'abeille sont très courtes ; celles de quelques longi- corues peuvent atteindre une longueur de plu- lES MONSTRES INVISIBLES 155 tÊTinr- . — _ - ■ nmiii n n sieurs pouces. A la base de ces organes sî(?ge, dit-on, le sens de l'odorat, très développé sur- tout eliez les mouches et les nécropliores, qui sentent à de très grandes distances les cadavres tles animaux. Le sens du goût paraît être assez obtus chex te plupart des articulés. Il est représenté par de petits prolongements filiformes, fixés de cliaque côté de la bouche et nommés palpes labiaux et ftalpes maxillaires, selon qu'ils sont attachés aux lèvres ou aux màclioires. Un grand nombre d'insectes paraissent être privés du sens de Touïe : car, malgré la saga- cité des naturalistes, on n'a pu découvrir chez eux, aucun organe qui ressemblât à une oreille. Il existe pourtant de nombreux exemples d'à» raignées passionnées pour la musique ; et beau- coup d'insectes, les grillons, les cigales, les criocères, etc., sont des musiciens consommés. Si ces artistes n*entendaient pas les airs qu'ils jouent, à quoi pourraient leur être utiles les instrumenta dont lis se servent si hicnl CHAPITRE IV LES AILES. Parce que nous aurons, dans notre précédent chapitre admiré les organes des sens chez les articulés, nous ne serons pas à bout de surprises et d'étonnements, si nous continuons l'élude de ces petits êtres. Savez-Yous comment ils respirent? Leur corps est percé d'une multitude de petits tubes nommés trachées par lesquels l'air pénètre pour aller vivifier, au travers d'une membrane, d'une ténuité extrême, le liquide nourricier. ATenlrée de ces tubes est placé une sorte de grillage formé par des cils microscopiques, s'opposantà la pénétration des poussières dans ces conduits aériens. Grâce à ces appareils respiratoires si com- pliqués en apparence, mais si élémentaires en réalité, les insectes peuvent voler ou courir avec la plus grande vitesse sans jamais être essoufflés. Vous conuaissez la rapidité de la course ou du vol de quelques-uns d'entre eux. Piclativement à sa taille, la mouche court sans se fatiguer, pl-'sieurs centaines de fois plus vi'e que l'homme, quand elle est placée sur une glace ou LES MONSTRES INVISIBLES 157 tout autre corps poli. La libellule vole au- dessus des eaux avec une telle promptitude que l'œil le plus perçant a grande peine à la suivre dans ses zig-zags capricieux. Les ailea des insectes ne sont— elles pas des merveilles de légèreté?... N'avez-vous jamais admiré la finesse et en même temps la résis- tance de leur tissu? Quelle force et quelle puissance aussi dans les muscles qui les meu- vent et qui déterminent leurs vibrations.... Voilà un sujet d*observa!ion et d'étude, que nos aéronautes feraient bien peut-être d'ap- profondir. Il y a tant de variété dans la dispo- sition et la forme de ces appareils de locomo- tion aérienne, qu'un patient observateur trou- verait sans aucun doute, en les comparant entre eux, le secret de quelque invention merveilleuse. Chez les coléoptères, les ailes membraneuses et d'une ampleur reniarquable, sont si fragiles, qu'à l'état de repos elles sont protégées par des étuis ou é^ytres durs et comme cornés. Quelques oiihopîèrefi, les criquets, par exem- ple, ont leurs ailes déployées en éventail, et leur déploiement brusque occasionne, quand ces insectes prennent le vol, un bruit strident tout à fait caractéristique. Les hétniplèri s, dont les punaises sont les repiéseniants les plus connus, portent des ailes 10. 15S LES MONSTRES INVISIBLEf membraneuses découvertes à Tex^rémîté , et protégées à leur base seulement par des demi-^ ilijîrcs. Les névroptères, dont la famille, peu nom- breuse d*ailleurs, comprend les libellules ou demoiselles, ont quatre ailes rigides qui frap- pent l'air comme les palettes d*un navire frappent les eaux, et qui sont douées d'une force surprenante. Les hyménoptères, abeilles, guôpes, bour- dons, fourmis, possèdent aussi quatre ailes membraneuses, vibrantes, mais beaucoup moins fortes que celles des insectes de Tordre pré- cédent. Ceux-ci font entendre en volant un bruit sec; le frémissement des ailes des abeilles et des bourdons produit au contraire un son grave et musical. Les diptères, mouches, taons, cousins, etc., n'ont que deux ailes membraneuses , mais n'eu volent pas moins avec une grande rapidité. Les insectes les mieux partagés au point de Tue du genre de locomotion qui nous occupe, paraissent être les papillons. Il est vrai que sur leurs ailes, la nature semble avoir essayé tous les caprices et toutes les fantaisies de son pin- ceau. Mais, en revanche, beaucoup des lépida^ ptères diurnes volent lentement et presque avec paresse. On dirait qu'ils ont de la peine à mouvoir ces larges membranes richement LES MONSTRES INVISIBLES r> décorées et couvertes de brillantes écailles, analogues en quelque sorte aux plumes des oiseaux. Il est possible de suivre à la course un grand nombre de papillons voltigeant dans nos prés, et Ton voit souvent plusieurs d'entre eux être forces de se poser de temps en temps sur une fleur, comme pour reprendre lialeine. A la moindre décbirure, leurs ailes ne peu- vent plus fonctionner, et les pauvres blessés, se traînant péniblement à terre, y brisent bientôt complètement les splendides organes qui servaient à les soutenir dans les airs. On comprend qu'avec des ailes de structure et de forme si différentes, los insectes ne volent pas tous de la même fagon. Je me suis loogue^ 1G0 LES mox«;trë5 î^^vr^înTES ment occupé, il y a quelques années de Téfude comparée du vol des insectes, et j'ai recueilli sur ce sujet de nombreuses notes que je vous communiquerai peut-être quelque jour. Au printemps, quand les bois et les prairies ont leurs feuilles et leurs fleurs, placez-vous sous quelque arbre touffu, en présence d'un immense champ de verdure, et remarquez les innombrables insectes qui volent çà et là autour devons. Voici la demoiselle à la robe violette, celle que nous appelons communément VÉléonore; elle passe comme un Irait ; son vol est presque rec!iligne, et ce n'est qu'à de rares intervalles qu'elle (ait soudain un brusque crochet, pour reprendr,' presque instantanément sa première allure. A vos pieds un criquet s'envole; il dé- crit une courbe peu étendue et va retomber dans une touffe d'herbe. Son vol est presque pénible et vertical. Regardez maintenant ce papillon blanc : c*est la Piéride du chou ; il descend, rase la cime des plantes, se relève insensiblement pour s'abaisser de nouveau, rétrograde pour effleurer encore les herbes, sans trouver aucune fleur digne de le fixer, se relève brusquement pour planer à une grande hauteur, puis retombe doucement sur la corolle que son caprice a choisie. Après ce fliàneur insoucieux, voici venir à toute LES MONSTRES INVISIBLES 16t vitesse, affairée, bruyante, étourdie, la grosse mouche bleue, qui cherche quelque fumier pour y déposer ses larves. Son vol est horizontal, saccadé, irrégulier, brusque, composé d'une série de crocl;e-s, d'anneaux, de zig-zags, de demi-tours difficiles à suivre. Elle se pose tout à coup au soleil sur quelque pierre ou quelque troue d'arbre, fait cinq à six pas très rapides, brosse ses ailes et sa tête, s'envole soudain, plane un moment au-dessus et tout près de l'objet sur lequel elle s'est posée, fait entendre un bourdonnement aigu et désagréable, puis disparait brusquement pour reprendre son vol bizarre et tourmenté. Je pourrais considérablement multiplier ces exemples; mais en voilà bien assez pour atti- rer l'attention du lecteur sur un curieux spec— tacle qu'il n'avait jamais peut-être songé à contempler. CHAPITRE V LES PATTES. Après avoir suivi les insectes dans leurs capricieuses évolutions au milieu des airs, après avoir étudié dans ses nombreuses variétés, le merveilleux appareil qui les soutient et les dirige dans leurs courses aériennes , lailet examinons un autre de leurs organes qui les rapproche davantage de nous : la patte. Nous avons deux jambes et deux bras, quatre membres, tandis que les insectes en ont six. Sous ce rapport, ils nous sont par conséquent bien supérieurs encore. On dira peut-être que nous avons des mains, et qu'ils n*en ont pas ; mais leur bouche si admirablement compliquée, n*est-elle pas à la fois un appareil de préhension et de mastication? Nous portons nos mains à l'extrémité de nos membres supérieurs ; les insectes ont les leurs de chaque côté de la bouche, voilà toute la didéronce. Et nous n'avons pas à nous enor- giicillir de nos travaux, de notre habileté, de notre adresse, quand nous les comparons à ceux de ces petits étrusque nous plaçons pourtant bien au-dessous de notre race. Nos mains savent LES MONSTRES INVISIBLES 1G3 écrire, buriner, broder, bâtir ; mais les insectes n'accomplissent- ils pas des travaux aussi remarquables que les nôtres? Quef géomètre, sans compas et sans rapporteur saura tracer des cercles ou des polygones aussi sûrement que la tenthrède et le frelon? Quel ciseleur habile fouillera aussi délicatement que la xylocope ou la fourmi, le chêne le plus dur?... Quelle patiente dentellière saura tramer, sans modèle, des tissus aussi fins que ceux de la plupart des araignées?... Quel architecte et quel maçon s'entendront mieux à construire, que le termes, Tabcille, la phrygane et Tosmie?.., Los paltes, cependant, ne servent guère à rinsecte pour travailler. Ses mandibules sont ses outils; les membres ne sont que des ins- truments locomoteurs, et quelquefois des armes. Chez quelques-uns, tels que les snuterdles, les locustes j les puces, etc., les membres postérieurs disposés pour le saut, se com— posent d'une cuisse très-volumineuse et très- forte qui, se pliant sur une jambe grêle, constitue un ressort d'une grande puissance. Les mantes, les nèpes, les ranalres, ont, à rexlrémité de leurs pattes antéiieures, un crochet très aigu qui leur sert à se défendre et à saisir leur proie. La patte de la mouche commune, vue au microscope, présente une disposition des plug 164 LES MONSTRES INVISIBLES remarquables. De chaque côté des minces griffes qui la terminent, s'étale une expansion membraneuse, une sorte de manchetie du tissu le plus fin qu'il soit possible de voir, et dont Tusage est vraiment singulier. Loin d'être des objeis de luxe, ces manchettes servent à ?o itenlr l'insecte sur les corps les plus glissants et les plus lisses. Ce sont des sortes d^ ventouses foncîionnn^U commp cps joujoux 'iv.e les enfants nomment des arracki-yaiés. Grâce à ces ■1 ^C^fjTliV appareils pneumatiques, les mouches se tiennent parfaitement, même le dos en bas, sur les glaces, les vitres et les p-'a'bnds les plus polis. Ces mêmes organes se retrouvent plus grands et plus développés, toutefois, aux pattes anté- rieures de ces gros coléoptères qui nagent dans LES MONSTRES INVISIBLES 165 ïes eaux douces, et que les entomologistes ont nommés des dijlh\iies. Chez ces insectes nageurs et quelques autres espèces aquatiques, telles que les notonectrs , les corixes , etc. , (v^s paUes postérieures sont disposées en paleti. ^ larges et minces, fonctionnant à la façon d s rames ou des nageoires. Les insectes, dépourvus d'aiguillons, sont quelquefois armés d'éperons ou d'ergots, qui leur rendent de grands services quand un en- nemi vient les attaquer. Ces pointes, très fines et très aiguës, sont ordinairement f^îcées à la partie inférieure de la jambe; et chez la plupart des coléoptères on les distingue au premier coup d'œil. Celles des dytiques sont d'une longueur suiïisante pour occasionner une doulou- reuse piqûre aux doigts imprudents qui saisissent ces insectes sans précaution. Un grand nombre de papillons portent aussi des ergots comme la rose porte des épines ; mais à côté du brillant lépidoptère, qui rarement fait usage de ses armes, la reine des fleurs peut passer pour terrible , hérissée comme elle Test ordinairement d'aiguillons et de dards. Les insectes fouisseurs ont des pattes qui diffèrent encore de toutes celles que nous venons d'étudier. Leurs bras sont des outils, pouvant tenir lieu, à la fois, de scie, de pelle et de pioche. Voyez le bousier ou la courlilière 160 LES MONSTRES INVISIBLE! creuser une galerie souterraine. A mesure qu'il avance, rinsecte, comme la taupe, se débarrasse de la terre qui le gêne, en la rejetant au dehors. Qu'une racine lui fasse obstacle, il la coupe d'un trait de scie aussi nettement qu'un char- pentier qui divise une pièce de bois. En une nuit, deux ou trois couriilières dévastent cum— plélement un carré de jardin. Les pattes postérieures de l'abeille ont encore une structure toute particulière. Elles sont creu— sées de petites cavités bordées de brosses, qui leur servent de hottes et de paniers à provisions. Quand eeshyniénopfcres butinent sur les fleurs, les brosses font tomber le pollen dans les cor- beilles, et ce n'est qu'après avoir empli celles-ci que les insectes laborieux retournent à leur ruche. CilAPiTRE VI LES TARIERES. Un des plus admirnbles organes qui aient été donnés aux insectes, c'est la tarière. On ne le trouve pas chez toutes les espèces, mais un très grand nombre en ont été pourvues. Cet ins- trument, qui no ressemble pas aulant que son nom le laisserait croire, h la tarière dont se servent les charpentiers, est placé h la partie pa térieure de l'abdomen, et les personnes peu fat .ilières avec les petits êlresdonl nous racon- te:-s l'histoire le prennent volontiers pour une queue de luxe plus ou moins inutile à celui qui la porte. Cet appendice n'est cependant pas un simple ornement. C'est à la fois un organe de perfora- tion et un tube destiné à laisser glisser des œufs dans les blessures qu'il produit. Les tarières les plus remarquables sont celles dos locustes et des sauterelles vertes, que l'on nomme improprement cigales dans quelques pays. Elles ont la foi'me d'un sabre recourbé, it sont horizontalement placées à l'extrémité abdominale du corps. Quand Tin— secte veut poudre, il 66 soulàve sur ses pattes, 168 LES MONSTRES INVISIBLES recourbe verticalement sa tarière, Tenfonce dans la terre et laisse échapper ses œufs, qui glissent un à un clans le tube comme pour- raient le faire des balles dans le canon d'un fusii. Mais cette énorme tarière est un instru- ment relativement grossier auprès de celui que présentent plusieurs insectes beaucoup plus petits. Le même appareil chez certains hyménop- tères voisins des abeilles et nommés les CynipSy est un tube d'une délicatesse extrême. Et ce- pendant, avec cette arme mignonne, les cynips allaquent les rois de la création végétale : le chêne et le rosier. Le cynips du chêne incise avec sa tarière les feuilles ou les jeunes rameaux do Tarbre gdant. Dans la pîqûrc il déposai un ou plusieurs œufs, et cette tâche accomplie, il meurt. Le végétal se tuméfie à l'endroit de la blessure: une excroissance plus ou moins arrondie se forme, c'est une galle. I^S MONSTRES INVISIBLES 169 Ouvrez, vous trouverez une sorte de cel- lule à son centre, et dans cette cbambrette les petites larves nées des œufs déposés par la tarière maternelle. Le cynips du rosier ne procède pas autrement. C'est Tépiderme du rosier sauvage qu'il pique de préférence ; mais la galle qui se développe à la suite de cette blessure est chevelue et mousseuse au lieu d*être lisse ou rugueuse comme celle du chêne. On la nomme un bédéguar. D'autres cynips produisent sur les feuilles du saule, des am- poules, au sein desquelles vivent leurs larves ; une espèce non moins remarquable perce les figues, mais loin de nuire à ce fruit délicieux, elle augmente ainsi sa saveur et accélère sa maturité. Les tarières des tenthrèdes, des eaUidics et celles d'un grand nombre de longicornessont as- sez résistantes pour percer le bois ; mais celles des ichneumons sont terribles. Ces insectes sont pour tout le peuple des articulés des bri- gands redoutables, de perfides assassins. Les chenilles surtout pourraient s'en plaindre ; car elles sont l'objet de la plus atroce persécution. Les ichneumons s'acharnent après elles avec une jsauvage cruauté. Dès que l'un de ces hyménop- tères aperçoit la larve qu'il doit attaquer, aus— sitôt il vole sur elle. Un moment il plane comme yn vautour âu dessus d@ sa victime, puis, avec 170 LES MONSTRES INVISIBLES une rapidité inouïe, s'abattant sur îa malheu- reuse larve, il enfonce clans ses chairs molles sa longue tarrère pleine d'œiifs. Ceux-ci restent dans le corps de la chenille, et l'ichneumon disparaît. Qu'arrive~l-il alors?., sans fatigue et sans douleur apparentes, la chenille s'apprête à se transformer en chrysalide pour subir sa mé— tamorphose. Mais alors une hydre effroyable se développe dans son corps. Les œufs de Tich- neumon ont donné naissance à de petites larves dévorantes, dont chacune mord et ronge continuellement les organes de la che- nille, impuissante à s'en débarrasser. Horrible supplice, que l'imagination de Dante n'a pas su trouver!... Les ichneumons, du reste, ne sont pas les seuls insectes qui puissent inoculer ainsi leurs œufs aux chenilles. Ce mode de parasitisme est très- fréquent, au contraire, chez les articulés. Les œstres qui tourmentent les bœufs et les chevaux durant les chaudes jo rnées de l'été introduisent leurs œufs sous leur épiderme, et plusi rs sortes de mouches sont parasites d'un grand nombre de larves. Une année j'avais élevé douze énormes che- nilles de ce beau papillon de nuit, que l'on trouve assez fréquemment aux environs de Paris, et que l'on nomme le grand paon. Toutes avaient fait leurs cocons dans les bocaux LÈ$ MONSTRES INVISIBLES 171 qui leur servaient de logement, et j'avais tout lieu de croire qu'elles me donneraient au prin- temps de magnifiques papillons; mais quatre d'entre elles seulement accomplirent régulière- ment leur métamorphose. Les huit autres ne se décidant pas à éclore, je les ouvris, et je trouvai dans chaque dépouille une dizaine de chrysalides cylindriques, courtes, annelées et brunâtres, que j'exposai pendant quelques jours au soleil, dans un large flacon. Leur éclosion ne se fit pas attendre, il en sortit un essaim de mouches grises, que je reconnus appartenir à l'espèce nommée mouche des larves et comme je savais que ces insectes piquent de préierence les chenilles du grand paon, je m'expliquai très-promptement leur présence dans les cocons où je comptais trouver des papillons. CHAPITRE VI! LES OUTILS ET LES TRAVAILLEURS. Nous ne pouvons pas terminer l'histoire des merveilleux petits organes que nous venons d'étudier, sans parler des prodigieux tra- vaux que ces outils microscopiques peuvent exécuter. Réaiimur avait été tellement frappé de l'éton- nante industrie des insectes, qu'il avait proposé de classer l'innombrable peuple des articulés en corps d'état parfaitement caractérisés par la nature même du travail qu'ils accomplissaient. Au lieu de coléoptères, àliéoiipières, de longi- cornes, etc.; l'ingénieux naturaliste voulait des charpentiers, des mineurs^ des maçons , des pa- petiers, des fiieurs, etc. C'était une classification charmante, et la science rigoureuse eût bien dû céder le pas à la fantaisie. Mais à côté des insectes ^rai'a^//^ m rs et capables de former une corporation, il se trouvait tant d'espèces paresseuses ou sans profession connue, que les savants efPrayés de leur nomT)re durent, pour les distinguer entre elles, chercher dans leurs organes des signes caractéristiques. De là naquirent des classifica- LES MONSTRES INVISIBLES 173 lions prosaïques, mais exactes, qui depuis ont prévalu. Et cependant, quoi de plus nettement tranché que la spécialité du travail dans les di- verses tribus des insectes? Quoi de pins différent que les mœurs et les habitudes du peuple articulé, suivant que Ton considère les classes du haut ou celles du bas de Téchelle. Toute la famille des carabes est carnassière. EUeestcomposée de chasseurs intrépides, de sol- dats armés de fortes mâchoires et vêtus d'épaisses cuirasses. Tous ses membres sont des gaillards redoutables qui ne rêvent que batailles et combats. Quelques-uns même, les brachins^ portent, à Textrémité de l'abdomen, une arme détonante qui tire quinze k vingt coups à la minute, et lance un jet de vapeurs extrêmement caustiques. Grâce à ce revolver très-perfectionné, le biarliin pistolet met en déroute un ennemi cent fois plus gros que lui Le chassepot n'est qu'une affreuse canardière comparée à cette carabine— là. Les eacarboH sont des terrassiers, des mineurs de premier ordre. Le taupe— grillon seul peut lutter avec eux dans l'art de creuser une galerie souterraine ou de percer un tannel. Les nécrophor es feraient rougir les fossoyeurs et les employés des pompes funèbres, tant ils M 174 LES MONSTRES INVISIBLES excellent à enterrer habilement les cadavres des petits mammifères qu'ils rencontrent. Les premiers architectes du monde ne sont- ils pas les termites qui, malgré leu." taille de fourmi, savent élever des édifices de vingt pieds de haut, si solidement construits qu'un buffle peut se tenir sur leur toiture sans les écraser ? Et les fourmis, elles-mêmes, ne nous éton- nent-elles pas parleur intelHgence et les remar- quables travaux qu'elles accomplissent dans nos bois?... Aucun gastronome, aucun confiseur n'a ja- mais imaginé un mets plus exquis que le miel de Vabeille. Sans navette et sans métier, aucun tisse- rand n'a jamais ourdi une toile ; et l'araignée, sans autre instrument que ses pattes, tisse des réseaux plus délicats que la plus fine dentelle. La vrillette perce le bois le plus dur, beau- coup mieux que ne le ferait un habile ouvrier avec une tarière. Les teignes et les bombyx, sans patron et sans aiguille, se font des vêtements — tou- jours à la mode, — à la fois imperméables et chauds ; et les 'phrygnnes sont assez adroites pour se cuirasser en même temps qu'elles s'habillent, La guêpe française est une papetière qui pousse le raffinement jusqu'à moirer les minces lames papyracées qui protègent son nid ; et celle LES MONSTRES iNVlSlBLES 175 de Cayenne étend son industrie jusqu'à la fa]>ri- catioii du carton. Si vous voulez des charpentiers de (aient, des menuisiers, et même des ébénistes, étudiez les tenihrè'Ies et les xyJocopes, Celles-ci vous étonneront par leur dextérité à percer une porte ou à placer une cloison. Les osmies et les chalicodomes bâtissent des cellules avec un art merveilleux. Les atithocopes^ qui aiment le confortable, ne se contenteraient pas, pour tapisser leurs nids, du papier à quatre sous le rouleau que vendent les marchands de papiers peints. Elles vont tailler leurs rideaux et leurs tentures dans les larges pétales des co- quelicots, et revêtent leurs murs de ces tissus odorants. Ces quelques exemples, qu'il serait facile de multiplier considérablement, montrent bien toute la justesse de l'idée de Réaumur ; et quoique sa classification ait le tort immense de rapprocher des insectes très-différents au point de vue de leur organisation, elle milite d'être con- servée dans le domaine de la science pitto- resque. Je ne voudrais pas finir sans vous parler un peu de la puissance organique des insectes. On a reproché à leur sysfèmc nerveux (Vè^re im- partait, et cependant, un grand nombre des phé- nomènes qui sont sous sa dépendance s'accom- 176 LES MONSTRES INVISIBLES plissent chez ces animaux avec une incroyable énergie. Prenons comme exemple leur force muscu- laire qui, proportionnellement à leur taille, est vraiment extraordinaire. D'après les ex- périences récemment faites par un savant belge, M. Plateau, le carabe doré, attelé à un poids déterminé, tire dix-sept fois le poids de son corps ; la ncbrie brcvicollt vingt-cinq fois, le nécrophore cnt erreur et le luinnclon quinze fois, le trichius à bandes quarante et une fois, Vescai'hot rhinocéros quatre fois seulement. Comparons cette puissance musculaire à celle de l'homme et des mammifères, dont le sys- tème nerveux est complètement développé, et nous verrons jusqu'à quel point nos athlètes ont le droit ae s'enorgueillir de leurs biceps. La force de traction étant en moyenne, chez l'homme, de 55 kilogrammes, tandis que le hanneton tire quinze fois le poids de son corps, il s'ensuit que si l'un de ces insectes avait notre taille, il tirerait, sans se fatiguer, un poids de 950 iviios! CHAPITRE VIII LES ÀATISTES. Les insectes musiciens ne sont pas très-nom- breux; mais quelques-uns ont un talent qui doit plaire à l'homme lui-même. Les plus remarquables de ces artistes vivant dans nos climats sont les cigales, les grillons, les lonisteSy et \escriocères. La cigale, le plus criard de tous, était au- trefois regardée comme le plus harmonieux des chanteurs ailés. Elle était pour les Grecs, le symbole de la musique, et les poêles lui adres- saient dans leurs chansons les épilhèteslcs plus flatteuses. Aujourd'hui elle a perdu tout son prestige. On l'accuse, — comme tous les ténors tombés — d'être rauque, ennuyeuse, et mono- tone; et généralement on lui préfère le grillon. L'appareil musical de la Cigale existe seu- lement che^- le mâle. Il est logé dans une dé- pression de l'abdomen sous la dernière paire de pattes. Il consiste en deux parties principales, le miroir et la timhale, placées sous la dépen- dance de muscles puissants qui les tendent et les font mouvoir. La timbale a l'aspect d'une 17S LES MONSTRES INVISIBLES membrane sèche comme un parchemin ou la peau d'un tambour. Elle résonne par le frot- tement, et c'est elle qui produit la stndulation aiguë que fait entendre l'insecte. Le miroir et les autres piècesde l'appareil paraissent destinées surtout à renforcer le son, et à le rendre plus éclatant. Les antécédents du Grillon sont beaucoup plus modestes que ceux de la Cigale; mais depuis longtemps son joyeux cricri a cependant attiré l'attention des poètes. Son instrument de stridulation, différant beaucoup de celui de la chanteuse favorite des Grecs, a été soigneu- sement décrit par M. Goureau. Le son aigu et strident qu'il produit est dû à la vibration des élytres, divisées par de nombreuses nervures en une multitude de petits compartiments. Chacune de ces étroites surfaces possède une vibration particulière, déterminant un son partiel ; et c'est l'ensemble de tous ces petits sons qui forme le cri-cri général, ou la stridulation. Voici l'ingénieux mécanisme qui sert à faire vibrer les élytres : à la base de celles— ci, au dessous du corselet, se voit une surface ovalaire et saillante, que l'on nomme la chanterelle. Elle est séparée du reste de l'élytre par une ner- vure finement dentelée en dessous, et désignée sous le nom d^archet. Quand les deux ailes sont au repos, l'archet LES MONSTRES INVISIBLES 179 de l'une passe sur la chanterelle de l'autre. Il suffit alors que l'insecte les remue légèrement, pour que les rugosités de l'archet frottant sur la chanterelle déterminent les vibrations sonores; et selon qu'il s'agite plus ou moins, le musicien exprime son exaltalion ou sa méiau— colie. Les Locustes, voisines des Grillons, ont leur appareil musical pareillement placé à la base des élytres. Il consiste en une série de petites lames membraneuses et parcheminées que l'in— secte fait grincer à volonté, en les frottant les unes contre les autres. La famille des orthoptires^ h laquelle appar- tiennent ces artistes à six pattes, renferme encore quelques autres musiciens. Les criquets par exemple se servent de leur cuisse comme d'un archet, et de l'élytre comme d'un violon. Les courtilières mâles chantent aussi dès le mois d'avril ; mais ce sont des élé- giaques pleurnicheurs, tristes comme des aveugles. Les Criocères ont un peu plus de gaité, mais leurs accents, produits par le grincement des plaques abdominales, ne se font pas entendre comme ceux des grillons. Les larves de cette espèce ont d'ailleurs l'habitude de se couvrir de leurs excréments; et cette malpropreté nuit coûsidérabiemeut à la réputation de l'insecte 180 LES MONSTRES INVISIBLES parfait. Celui-ci, dès qu'il qu'il a des ailes, a beau choisir pour sa demeure les corolles des lys les plus purs; on tremble toujours qu'il ait tout à coup la fantaisie de chanter ses souvenirs d'enfance 1 CHAPITRE IX LE BRIN DE FIL ET l'ÉTOFFB. Quand un drapier veut apprécier la qualité d'une étoffe, ses yeux et ses lunettes ne lui suffisent pas toujours. Il faut qu'il voie beaucoup plus loin, et qu'il parvienne à compter combien de fils l'étoffe présente en un centimètre carré Il se sert pour cela d'une loupe assez forte qu fait ressembler le drap le plus fin à de la grosse toile d'emballage, mais qui pourtant ne montre pas dans tous ses détails la structure du tissu. Ce n'est qu'à un grossissement de trois ou quatre cents diamètres que les voiles les plus impénétrables n'ont plus de secrets pour l'ob- servateur, et qu'ils lui apparaissent dans toute leur perméabilité. Alors les étoffes les plus ser- rées sont percées à jour ; elles ressemblent à des treillis ou à des palissades. Le fil de soie devient un énorme câble, la fibre ténue du lin a le volume et l'apparence d'un arbrisseau. Dans un vêtement de laine, les fils appa- raissent comme de gros faisceaux lâches, com- posés de longs poils irrégulièrement entrelacés. Chacun d'eux offre l'aspect d'une épaisse mèche d^ voton; disposition remarquable qui explique 182 LES MONSTRES INVISIBLES bien pourquoi les vêtements de laine sont plus chauds que ceux dont le tissu est beaucoup plus serré. — Dans les nombreux espaces qui FiG. 121. — Etoffe de laine, très-grossia. séparent les filaments laineux se loge en effet une certaine quantité d'air dont la iempérature s'élève promptement au contact du corps, et ne s'abaisse ensuite qu'avec u.e grande difficulté, précisément à cause de la laine qui par elle- même est très-mauvaise conductrice de la ehaieur. Fie. 12?. — Batiste, très grosSi3 Les tissus végétaux de lin, de chanvre ou de jcolon présentent une sLrucLurc bien diiié»'ente. LES MONSTRES INVISIBLES 183 Leurs fils, au lieu d'être lâches et mollement entrelacés, ont la raideur d'une cordelette ; et Ton distingue avec peine les longues fibres qui servent aies former. Mais rien n'est plus curieux à étudier que l'étoffe de soie, et que la composition du fil sécrété par la chenille du bombyx. C'est dans deux glandes spéciales, placées dans le corps du ver à soie, que se prépare, au *»%jûaoment où la chenille doit subir sa métamor- phose, la substance visqueuse qui doit produire les fils soyeux. Ces glandes ont deux conduits qui viennent aboutir à deux filières placées sur la lèvre in- férieure de l'insecte ; et dès que le liquide, après avoir traversé ces filières, arrive au contact de l'air, il se coagule immédiatement, se solidifie et prend la forme filamenteuse. La chenille travaille alors à son cocon, et presque toujours elle le file sans interruption, jusqu'à ce qu'il soit entièrement terminé. Le fil ainsi sécrété atteint quelquefois douze ou treize cents mètres de longueur. Étudié au microscope, ce fil, quelque mince qu'il soit, paraît toujours formé de deux brins parallèles, accolés, et maintenus par une sorte de gomme qui les fait adhérer l'un h l'autre. Malgré les apprêts que l'industrie leur fait subir, Où les reconnaît cependant à ces caractères dans 184 iTis RiONSînrs invisibl'^s tous les tissus de soie, et la lentille grossissante y révèle dans tous SC3 détails leur bizarre FiG. — Lu *oie. Un fil qui n'est pas moins remarquable que celui du bombyx, et qui offre d'ailleurs avec ce dei'iiier de noaibreux points de ressemblance, c'est le Td sécrété par les araignées. On sait avec quelle habileté ces industrieux petils animaux s'en servent pour tisser ces toiles aériennes, cael's-d'ceuvred élégance etdelégère.é quelles s ispeiidcnt aux brancnes des arbrisseaux ou qu'elles cachent dans les angles de nos habita- tions. Les glandes et les filières de Taraignée ont r.ne grande analogie avec celles du ver à soie; mais, au lieu d'être placées à la partie anté- rieure du corps, comme chez les chenilles des bombyx, elles occupent la partie inlérieure de Tabdumen. La disposition des toiles et la force des fils LES MONSTRES INVISIBLES 185 varient considérablement avec les diverses espèces d'araignées. On a calculé que dix mille fils sécrétés par un aranéide de nos climats égalaient à peine la grosseur d'un cheveu, tandis que la*- toiles d'une araignée du Mexi- que sont ass^., fortes pour arrêter de petits oiseaux. On a cherché depuis bien des années à uti- liser les fils des arachnides; mais, jusqu'à ce jour, les résultats fournis par les expériences entre- prises dans ce but, n'ont pas été assez satis- faisants. Déjà, en 1710, le savant entomologiste Réaumur cherchait par le calcul combien il faudrait d'araignées pour obtenir une livre de soie; et il arrivait au chiffre ef^v^y suit de sept cent mille individus!... Avant lui, cependant, on s'était occupé de cette importante question, et l'on avait pu fa- briquer avec des fils d'arachnides des gants, des bas , et quelques autres menus objets. Un Espagnol, Raymondo Maria de Tremeyer, voulut reprendre vers la fin du dix-huitième siècle ces essais de filature ; mais après quelques expé- riences, il se vit forcé d'y renoncer. De nos jours plusieurs voyageurs ont raconté que dans certaines contrées de l'Amérique méridionale il n'est pas rare de voir des indi- vidus portant des vêtements tissés en fils d'a- raignées ; mais il est probable que les espèces U 186 LES MONSTRES INVISIBLES qui fournissent ces fils sont beaucoup plus grosses que celles de nos climats. Cependant, grâce aux rapides progrès de l'industrie moderne, peut-être \ orrons -nous, dans un avenir prochain la soie 'l'araignées se dérouler en plis majestueux, rî nos dames dédaigner les produits du bombyx, pour adopter exclusivement les merveilleux tissus d'Aracliaél SIXIÈME PARTIE LES SEGMTS D£S PLANTISL CHAPITRE PREMIER Parfums it poisomi. Les insectes ont de tels rapports avec les fleurs, que l'histoire des uns appelle tout natu- rellement l'histoire des autres. Les plantes d'ailleurs sont assez riches pour mériter par elles— mêmes notre attention. Déjà nous connaissons les généralités de leur Structure. A propos de cellules, nous avons étu- dié leur constitution générale ; mais nous avons gardé, pour ce chapitre, leurs plus remarqua- bles particularités. Coupons ^^ le seeours d'un instrument grossissant, et nommés des spores. Depuis quelques années, on a découvert, chez les algues surtout, des spores mâles et femelles, et l'on a ftut sur les premiers quelques observa- tions extrêmement curieuses. Ces spores, nommés anthérozoïdes^ sont pourvus d'un cil vibratile. Ils se remuent avec une grande vivacité, et s'ils opè- rent la fécondation autrement que les grains de FiG i to à loi. — Fructification des mousses. , f'ne nioiis^e (Puiyiric. g hud. nul.!. 6. 'urne el >on oi ermlft.— c. La cdiffe. — d. L urne burtine de cils. — e. Coupe de i'urne pour montrer les spores. — f. 2. Spores très-grosais. *^ g* Spore au moment de la fécondation. LES MONSTRES INVISIBLES pollen des plantes phanérogames, ils ne sont moins actifs ni moins empressés. Les mousses ont une façon de disséminer leurs spores qui vaut la peine d'être signalée. Ceux-ci sont contenus dans de petites urnes soigneusement fermées par un couvercle ou opercule^ et coiffées pour plus de sûreté d'une membrane en forme de cornet ou d'un bonnet poilu. Au moment de la maturité, coiffe et couvercle se déchirent et disparaissent. Autour de l'ouver- ture de l'urne on voit alors, à l'aide du microscope, une ou deux rangées de cils, fixés sur les bords du petit vase, et couchés horizontalement à la sur- face des spores. Au moment favorable, ces cils, qui jouissent de propriétés hygrométriques très- remarquables, se relèvent et permettent à quelques spores de s'échapper. Puis ils se recourbent et se relèvent de nouveau, enlevant chaque fois un cer- tain nombre de corpuscules, et les lançant de tous côtés par un redressement brusque, à peu près comme on chasse une bille au moyen d'une chi- quenaude. Les spores des prêles sont beaucoup plus curieux encore. On les trouve dans des sortes de sachets suspendus à des écailles arrondies et plantées comme des clous sur la tige des végétaux de cette famille. Quand les spores s'échap[)enl de ces cap- sules ils sont munis de quatre prolongements fili- formes, d'une longueur considérable, relativement éÔ2 LES MONSTRES INVISIBLES à la grosseur des spores eux-mêmes, qui sont très-petits. Ces filaments portent le nom d'élatères. Doués de propriétés liygrométriques, et d'une élasticité très-grande, ils sont toujours en mouve- ment, et semblent remplacer le cil vibratiie des anthérozoïdes. CHAPITRE m LES GRAINS VEAONAUXES. L'épanouissement de la fleur annonce que la plante a acquis toute sa force, et qu'elle est par- venue au plus beau temps de son existence Dès que la fleur se fane, le végétal perd sa jeuaesse et sa fraîcheur. Il vieillit très-rapidemenl, et toute sa vie se concentre dans V ovaire fécowdé, où les petites graines se développent et mû- rissent. Tous les organes servant à la nutrition, à la défense ou à l'ornement de la plante se d^es- sèchent et meurent ; au bout des tiges et des pé- doncules si touffus et si fleuris au printemps , il ne reste, l'automne venu, que des fruits gon- flés, s'ouvrant aux derniers rayons du soleil, et laissant emporter auvent qui passe les nombreux corpuscules qu'ils renferment. Ceux-ci tombent à terre, lorsque leur poids ne permet pas leur dissémination ; mais le plut souvent ils sont jelés à une certaine distance de la plante maternelle ; et quelquefois transportés sous un autre ciel que celui qui les a vu naître. Les graines d'un grand nombre de végétaux soni même organisées tout exprès pour être (^nleî^ées par les vents, et dispersées de tous c4- 204 LES MONSTRES INVISIBLES tés. On les reconnaît à la présence de véritables ailes ou d'aigrettes, attachées à leur sommet ou sur leurs flancs, et admirablement disposées pour voyager dans l'atmosphère. Je me sni's permis rio donner an jour h ces graines Tépithète d^icronautes qui leur convient à merveille ; et je suis sur que l'art de la navi- gation aérienne ferait de grands progrès si quelque savant avait la patience d'étudier ces microscopiques voyageuses qui s'envolent du sein d'une fleur. Les graines de Vorme et celles de Y érable sont pourvues d'un appareil d'aérostation des plus simples. Une expansion membraneuse en forme d'ailes leur sums puur se maintenir dans les airs, et le vent les pousse très— vite en les faisant tournoyer avec une exLrémo Kl^idité. LES MONSTRES INVISIBLES 205 C'est dans la famille des composées, klSiqueWe appartiennent les chardons, les laitues, les séne- çons, etc., que l'on trouve le plus grand nombre de graines aigreitées. Vous n'êtes pas sans avoir remarqué dans les prés, à la fin du printemps, ces sphères duve- teuses et d'une délicatesse incomparable que supporte la tige de la plus vulgaire des fleurs ; k pissenlit I,., L'enfant se plaità disperser d'un souffle cette élégante toison, et le moindre vent qui glisse sur elle l'enlève et l'emporte pour ne la laisser relomber quelquefois que dans une contrée loin- taine. Aussi le pissenlit et un grand nombre de plantes de la même famille sont— ils cosmo- poli es, et se retrouvent-ils sous toutes les latitudes et sous tous les climats. Une plante américaine, V ériger on du Canada, qui ne se trouvait pas en Europe avant le dix— huitième siècle, est aujourd'hui si répandue en France et dans l'Europe centrale, qu'il suflit de laisser une année un champ en friche, pour que l'an- née suivante il produise une moissoa d'érige- roris, ensemencée par ce grand semeur dont je vous parlais tout à l'heure : le vent. -indonnez à la nature un carreau de jar— • Vous verrez si elle le laissera oisif. Les iw ^eçons des ois0-**j«* Iaa m'ses» les chardons y 206 LES MONSTRES INVISIBLES viendront conime par enchantem^ c t et jamais vous n'aurez vu une végétation plu^ abondante et mieux nourrie. La dissémination des graines, des spores, dts œufs microscopiques des petits insectes et des autres animalcules, a lieu, comme on le voit, par l'entremise des vents et de l'air. Qui sait si m n'est pas à la présence dans l'atmosphère des plus insaisissables de ces éléments que sont dues un grand nombre des maladies qui nous frappent et la plupart des phénomènes de fer- mentation et de décomposition dont tes chi- mistes ignorent encore les véritables causes î... SEPTIEMF PARTIE LE SEUIL DE L'INFINL CHAPITRE I LES FLUIDES INVISIBLES. Au delà du monde des infiniment petits, que le microscope nous révèle, il en existe un autre dont nous ne connaissons point l'éten- due, et dont les meilleurs instruments d'op- tique ne nous découvriront sans doute jamais les impalpables limites. C'est le monde des mvisibles, dans toute l'acception du mot. Ja- mais aucun regard humain n'a pu en sonder l'infinie profondeur; jamais aucun savant n'a pu étudier l'intime structure des êtres qui le peuplent. Un grand nombre de ces corps invisibles 203 LES MONSTRES INVISIBLES tahissent pourtant chaque jour leur exis- tence par les multiples phénomènes auxquels ils donnent lieu ; quelques-uns sont aisément perçus par le goût et l'odorat; quelques autres, invisibles seulement sous leur forme naturelle, prennent un corps lorsque le chi- miste les y force ; de sorte que nous con- naissons beaucoup de ces êtres mystérieux à peu près aussi bien que si nos yeux les aperce- vaient. Les anciens ne soupçonnaient pas l'exis- tence de ce monde impalpable dont la chimie moderne a fait la conquête. Les sorciers du moyen -âge avaient, disaient— ils, à leur ser- vice des esprits qu'ils évoquaient au moyen de formules magiques, et qu'ils faisaient accou- rir par la seule vertu d'une baguette enchan- tée. Aujourd'hui les chimistes sont aussi les maîtres de ces corps invisibles dont la puis- sance est extraordinaire et les vertus souvent précieuses. A l'aide de formules bien moins in- fernales que celles des sorciers, ils les font apparaître, les gouvernent, les dirigent, les forcent au travail, les obligent à se plier à tous leurs caprices, à toutes leurs volontés. Malgré leur force terrible et leur grand amour pour la liberté, ces êtres, domptés par la science, lui obéissent. Quelquefois, honteux ÎIO LES MONSTRES INVISIBLES de leur esclavage, essayent-ils d'en secouer le joug ; mais ces révoltes sont très rares, et ce n'est guère que lorsqu'on les entasse dans une prison trop étroite qu'ils la font voler en éclats. A ce dernier trait, vous aurez reconnu sans doute que je V3ux parler des cja%. Ces corps ne sont-ils pas les plus redoutables des êtres invisibles? Voyez le grisou, l'hydrogène carboné des houillères, quels ravages il produit dans ses trop fréquentes manifestations... Au contact d'une flamme, il s'allume brusquement, détone avec une violence extrême, brûle et asphyxie des centaines d'ouvriers, ébranle et renverse les parois de la mine, qui s'écroulent sur les tra- vailleurs ! Et Vacide carbonique^ le gaz du charbon, qui habite à l'état naturel le fond d'un si grand nombre de cavernes et de cavités souterraines, que de méfaits n'a-t-il pas commis ?. . . . Que d'asphyxies, que de morts horribles, dont il a été le cruel agent!... Passons à la bande formidable de ceux qui se trouvent à l'état latent dans ces petits grains noirs qui constituent la poudre. Qu'une bluette tomue sur leur prison, immédiatement ils se réveillent, et vous savez avec quelle irrésistible puissance, avec quel fracas ils prennent leur liberté. Azote, acide carbonique^ LES MONSTRES INVISIBLES 211 acide sulfureux, c'est à qui partira le pins vite, et chassera le plus brusquement ce qui rembarrasse. Vous savez tout le mal qu'ils ont fait, et qu'ils peuvent faire, quand ils brisent leurs chaînes dans 1-a chambre à feu d'un fusil ou dans l'âme d'un canon ; mais vous n'ignorez pas non plus quels importants services, ils savent rendre, quant il s'agit de percer une montagne ou de briser un rocher. Deux de ces invisibles, l'acide sulfureux et l'acide carbonique, peuvent être réduits à l'état liquide et même solide au moyen d'une forte compression et d'un refioidissement énergique. L'œil peut alors les voir tout à son aise ; mais sous cette nouvelle forme, les gaz vaincus ont perdu plusieurs propriétés qu'ils possédaient à l'état gazeux. Leur frère l'azote, et quelques autres gaz, tels que l'hydrogène, l'oxygène, etc., ont jusqu'à présent résisté à cette double épreuve de la compression et du refroidisse- ment. Combinés l'un à l'autre, ïhydrogène et Voxygène se présentent cependant sous la forme liquide, et constituent Veau. Chauffez celle-ci, réduisez-là en vapeur ; et dans cette eau vapo- risée, vous retrouverez toute la force et toute la puissance des deux gaz qui servent à la former. Décomposez— la au moyen d'un courant élec- trique, et vous obtiendrez séparément ses deux éléments constitutifs. 212 LES MONSTRES INVISIBLES L'air est un mélange d'oxygène et d'azote k la tempéraiiire ordinaire, et dan? son état naturel ce mélange parait n'avoir d'autre fonc- tion que d'entretenir la respiration des êtres vivants; mais cet air comprimé ou chauffé devient une force capable, aussi bien que la vapeur, de faire marcher les machines les plus colossales. Il est d'autres corps invisibles plus cachés que les gaz, plus étranges, plus inconnus, et dont nous n'apprenons la présence que par leurs pernicieux effets. Je veux parler des émanations paludéennes et des miasmes qui engendrent ces terribles maladies épidémi- ques, nommées la peste, le choléra, le ty- phus, etc. Jusqu'à ce jour, ils ont été insaisissables, et cependant ils ont déjà fait des milliards de victimes. Aucun médecin ne les a vus, mais il est hors de doute qu'ils existent; et, quoique la science les combatte en aveugle, elle réussit bien souvent à atténuer leurs ra— vages. Si nous voulions pénétrer plus avant dans cet mcomiiiensurable domaine de l'invisible, nous serions encore témoins de bien des phénomènes extraordinaires, et nous aurions à examiner bien dauires êtres aux mervuiileuses pro- priétés. LES MONSTRES INVISIBLES 2f& Le magné lis me et V électricité ne soni-Ws pas aussi des puissances bien étonnantes que durant de longues séries de siècles, ies hommes ont ignorées précisément parce qu'elles ne se mon- traient point à leurs yeux?... Il a fallu tout le génie des grands physiciens pour faire des es- claves de ces forces aujourd'hui encore trop peu connues, mais qui sont app. i es à changer complètement la face de l'industrie humaine. L'étincelle impondérable qui, en une seconde, transporte la pensée d'un bout de la terre à l'autre, à travers les continents et les mers, est destinée à réaliser des merveilles que nous ne pouvons pas même soupçonner aujourd'hui. Cet infiniment petit sera l'origine de rinfiiiiment rand. CHAPITRE n LES DEUX PÔLES DE L'iMMENSITÊ. Nous avons jusqu'à présent pronaené nos regards autour de nous, pour les faire pénétrer, grâce au se« , jrs du microscope^ dans le do- maine de rinvisible. Dans notre constante préoccupation à cher- cher, dans les divers mondes avec lesquels nous sommes en relation directe, les êtres les plus intéressants, nous avons oublié de lever les yeux, et de sonder cet espace infini que la nuit nous montre peuplé de myriades d'étoiles. Avant de pressentir le monde microscopique, l'homme avait soupçonné que les astres étaient autre choi^e que des points lumineux cloués à la voûte du ciel et destinés i\ éclairer la terre. Aussi les premiers savants furent-ils des astro- nomes, et ceux-ci précédèrent-ils de quelques dizaines de siècles les histologistes et les micro- graphes. Le télescope fut le père de tous les instru- ments d'optique. Les bergers de la'Chaldée, et le moine Gerbert, avaient depuis longtemps dirigé vers les espaces célestes un tube percé dans une branche de swi^eau, lorsaue Leuwen- LES MONSTRBS INVISIBLES III hoeck et Swammerdam appliquèrent pour la pra» mière fois le microscope à l'étude des infusoireb Depuis ces temps reculés, quels immenses progrès n'ont pas fait ces deux sciences, touf- nées pour ainsi dire en sens contraire, mais identiques cependant par les moyens d'investi» galion qu'elles emploient; soulevant les mêmes problèmes, se heurtant aux mêmes difficultés, et demeurant impuissantes devant le méflàO obstacle : l'invisible. Le microscope ne nous permet pas de voif dans l'infmiment petit au-delà des monades j; le télescope ne découvre rien dans i'infînimeal grand, au delà des nébuleuses. Les premières sont une poussière dont chaque grain est un corps organisé, un être vivant ; les secondes sont une poussière dont chaque grain est un 216 LES MONSTRES INVISIBLES soleil. Examinées à Taide des meilleurs instru- ments, ces deux poussières ne paraissent pas avoir plus d'importance Tune que Vautre : les extrêmes se touchent. Cependant l'astronomie est une science bien plus complète que la micrographie. Il est vrai qu'elle est beaucoup plus ancienne, et que la solution de ses problèmes a usé l'intelligence d'un bien plus grand nombre d'hommes de gé- nie ; mais en très-peu de temps la science de l'infiniment petit a fait des progrès extrême- ment remarquables. Si jamais il était possible de la doter comme sa sœur aînée de ces admi- rables lois qui nous expliquent si parfaitement l'ordre sublime et l'harmonie de l'univers, la micrographie atteindrait bien vite à la perfec- tion ; mais le temps n'est pas encore arrivé de ces précieuses découvertes. Les sciences d'observation, d'ailleurs, se dé- veloppent bien moins rapidement que les scien- ces mathématiques. Ce n'est que par l'accumu- lation lente et difficile des faits qu'elles parviennent à formuler une vérité ; tandis que le calcul conduit promptement à la déduction de lois d'une exactitude mei^veilleuse. C'est grâce à lui que nous connaissons les mouve- ments des corps célestes, que nous apprécions les nombreux phénomènes qu'ils déterminent, que nous nous expliquons les troubles parfois LES MONSTRES INVISIBLES 217 à peine sensibles qui peuvent modifier leurs évoluions. Entre ces deux extrêmes invisibles, l'infîni- ment grand et l'infîniment petit, si nous cher- chons quelle place est la nôtre, nous serons à la fois effrayés et surpris. Sommes-nous d'a- bord à égale distance de ces deux pôles de l'immensité ? Gela n'est pas probable. Compa- rés à l'infusoire nous sommes tout un uni- vers ; et nous avons cependant un commence- ment et une fin ; comparés à l'univers, nous sommes bien moins que l'infusoire ; et les mondes innombrables, suspendus comme le nôtre dans l'espace, nous accablent de leur grandeur. Il nous reste, pour nous élever au-dessus de notre humilité corporelle, l'intelligence et la pensée. Grâce à elles, nous avons arraché à la nature quelques-uns de ses secrets les plus pro- fonds; nous sommes montés jusqu'à l'infini— ment grand, puisque nous avons pu le deviner et le comprendre. Nous pénétrons même par la pensée, aussi loin que nous le voulons dans le monde invisible : notre imagination dépasse de beaucoup la portée du télescope et du micros- cope ; mais hors des limites que nos sens peu- vent atZ-eindre parcourons-nous le champ de l'erreur ou celui de la vérité? APPENDICE, Après avoir tant parlé du Monde Invisible et de ses merveilles, nous considérerions notre tâche comme incomplète si nous ne mettions nos lecteurs à même de voir ce que nous leur avons fait conDaîire par la lecture. Pour cela ilfautôtre armé desinslruments convenables et guidé par une méthode sûre pour entreprendre ces attrayantes études. Le mieux est de se pourvoir de suite d'un bon microscope. Acheter un instrument médiocre est une triste économie; le» résultats sonl nuls, les observations mauvaises et incomplètes; on est rebuté promptement, puis vient le découragement parce que l'on a attribué à la difficulté des études micrographiques ce qui provient de l'instrument seul. Avec un microscope bien construit, au contraire, l'intérêt va toujours croissant parce que l'on a confiance dans l'exactitude de ?on instrument, et, dans cette science si entraînante de la micrographie, l'on devient d'une ambition démesurée à mesure que l'on avance dans l'étude de ce monde plein de mystères charmants qui se dévoilent peu à peu. Pour faire votre choix d'une façon Airt', allez consulter un homme d'expérience et consciencieux; voyez surtoutM Arthur Chevalier», La vieille réputation de sa maison et son talent reconnu vous assurent des qualités do l'instrument qu'il vous remettra. C'est encore à sa pratique exercée de la micrographie que vous ferez appel pour savoir quelle méthode vous devez suivre afin de pénétrer dans ce monde nouveau pour vous, et il vous confiera un ouvrage plein d'enseignements précieux dont il est l'auteur. Dans ^'Etudiant micrographe ^, vous trouverez 400 planches qui sont autant de jalons auxquels vous reconnaîtrez le chemin parcouru et celui qui vous restera à faire. Maintenant que vous voici muni d'un guide sûr et d'un auxiliaire précieux, laucezvous dans ce voyage auquel nous vous avons convié en commençant ce petit livre; et vous en rapporterez croyez le bien, les plus étonnantes impressions, les plus heureux souvenirs. • Ingénieur-opllcien, flls et successpur de Charles Chevalier, l'Inventeur ihrosonpes ;nliromatiques— Palais Royal, 1»8, galerie de Valois. 3 1 Le.iu volume in-S» che» l'auteur. 1 TABLE PREMIÈRE PARTIE EXCURSION DANS L'INVISIBLK. l. — Quinze cents étapes dans le champ de la Vue . 7 II. — Le chemin direct l;i III. — Les fausses routes .: 21 DEUXIÈME PABTIlk NOS PARASITES. I, — Les deux sœurs 25 II. — Dn déclassé 31 îll. — Sous l'épiderme »... 3() IV. - Mille monstres dans un ruban. ; . , . . AO V. — La tribu des Ascarides 45 VI. — Les hôtes de nos tissus . . . ^ • • . • 48 VII. -• Les cadavres vivants - . , 53