ES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES L. HACHETTE ET CE PARIS Presented to the UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY by the ONTARIO LEGISLATIVE LIBRARY 1980 Digitized by the Internet Archive in 2009 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/lesmtamorphoOOgira el: 1 mi BIBLIOTHÈQUE DES MERVEILLES PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. ÉDOUARD CHARTON LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES OUVRAGES DU MÊME AUTEUR PÉRON, naturaliste, voyageur aux terres australes; ouvrage couronné par la Société d’émulation de l'Allier et publié sous ses auspices. — Paris, J.-B. Baillière et Fils, 1857. = Norices ENTOMOLOGIQUES et NOUVELLES NOTICES ENTOMOLOGIQUES, drcet De série. Paris, 1859, 1866, 1869. — Félix Malteste. Les AUXILIAIRES DU VER A S01E. Paris, 1864. J.-B. Baillrère et Fils. Les INSECTES UTILES ET NUISIBLES A L'ExPosiTION UNIVERSELLE. Paris, 1867. Librairie de la Maison rustique. ÉTUDES SUR LA CHALEUR LIBRE DÉGAGÉE PAR LES ANIMAUX INVERTÉBRÉS ET SPÉCIALEMENT PAR LES INSECTES, Paris, V. Masson et Fils, 1869. SOUS PRESSE TRAITÉ ÉLÉMENTAIRE D'ENTOMOLOGIE, avec les applications de cette science. — Paris, J.-B. Baillière et Fils. ne PARIS. — INP. SIMON l:AÇON ET CUMP,, RUE D'ERFURTIL, L. BIBLIOTHÈQUE DES MERVEILLES LES WÉTAMORPITONES DES INSECTES PAR MAURICE GIRARD ANCIEN PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ ENTOMOLOGIQUE DE FRANCE DOCTEUR ÈS SCIENCES NATURELLES TROISIÈME ÉDITION REVUE ET AUGMENTÉE PAR L'AUTEUR OUVRAGE ILLUSTRÉ DE 550 VIGNETTES PAR DELAHAYE, FORMANT, HUET, ETC. PARIS LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET C'* BOULEVARD SAINT-GERMAIN, N° 79 1870 Droits de propriëté et de traduction réservés. ss Au LIJ1 APE 7 LEE L À | » k LES : MÉTAMORPHOSES DES INSECTES CHAPITRE PREMIER INTRODUCTION Prétendue génération spontanée des insectes. — Expériences de Redi. — Insectes séparés des autres annelés. — Organisation des insectes — Sens merveilleux. — Instincts, intelligence. — Principales subdi- visions. Va-t'en, chétif insecte, excrément de la terre. Ce vers dédaigneux, placé par le fabuliste dans la bouche du lion, résume les idées des anciens sur l'origine des insectes. Pour tous les petits animaux difficiles à bien observer, on trouvait beaucoup plus commode la plus large acception des générations spontanées. La paresse de notre esprit aime ces so- lutions simples et générales, en accord avec le naïf orgucil de la suprème ignorance. On voyait sortir du sol, du milieu des gazons, ces petits êtres arlés qui, par l'éclat de leurs couleurs, rivalisent souvent avec les fleurs d’or et d'azur ; c’étaient les gracieux 1 2 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. enfants de la terre, de cette mère commune d’où naissaient à la fois les végétaux maintenus immo- biles sur son sein fécondant, et les insectes rem- plissant l'atmosphère de leurs scintillations, du murmure confus de leurs bourdonnements. La vase, séchée et crevassée par le soleil, engendrait les noirs essaims des mouches qui tourbillonnent à sa surface. D’autres prenaient leur origine dans la chair corrompue des cadavres d'animaux abandon- nés à l’air. Souvent les qualités des insectes dépen- daient de l'animal d’où ils tiraient le jour par une prétendue fermentation. Les abeilles mêmes, ces fières habitantes des monts sacrés, ces douces nour- rices de Jupiter enfant, n'échappaient pas à la loi commune. Celles qui proviennent des entrailles du lion, dit Élien, sont indociles, farouches, rebelles au travail ; celles qui naissent du mouton molles et pa- resseuses ; au contraire, on recherchail les abeilles nées des flancs du taureau : elles étaient laborieu- ses, obéissantes. Virgile, dans la fable d'Aristée, nous raconte comment ce secret fut connu des hommes. Les nymphes des eaux, compagnes d’Eu- rydice, dont Aristée avait involontairement causé la mort, la vengeaient en faisant périr ses abeilles. Pour apaiser leur courroux, il amène dans leur temple quatre magnifiques taureaux et les immole sur quatre autels. Il retourne dans le bois. O pro- dige inouï et soudain ! Il entend bourdonner dans les entrailles corrompues des taureaux des essaims d'abeilles. Elles percent frémissantes les cavités impures qui les retiennent, se répandent en nuage immense, gagnent le sommet d’un arbre et y restent INTRODUCTION. 3 suspendues comme [a grappe au cep d’où elle re- tombe. Jusqu'au dix-septième siècle, on ignora comment la larve qui rampe sur le sol se rattache à l'adulte ailé dont la subtile atmosphère devient le domaine. Cependant l’observation des petits animaux remonte à la plus haute antiquité, surtout à cause des dan- gers qu'ils font courir à l'agriculture. Les scarabées sacrés, qui enterrent et enlèvent les immondices corrupteurs de l'air, sont reproduits sur les monu- ments de l'antique Égypte. L’Exode nous apprend que l'Éternel fit des sauterelles une des plus terri- bles plaies infligées à l'Égypte. Elles couvrirent par son ordre tout le pays, amenées par un vent d'o- rient, et disparurent, balayées par un vent d’occi- dent, lorsque le pharaon consterné eut promis de laisser partir le peuple de Dieu. Moïse indique di- vers insectes du même ordre, les grillons, les truxa- les, etc., au sujet des animaux qu'il est permis ou non de manger. Il y a aussi de très-anciennes ob- servations des Chinois sur les insectes. Aristote s’est occupé assez longuement d’entomologie et avait reconnu les principaux groupes naturels de ces êtres. Il donne des détails sur le chant des ci- gales et de nombreuses et intéressantes observa- tions sur les abeilles. Il avait remarqué que les piqûres des insectes sont tantôt causées par la bou- che, tantôt par l’aiguillon de l'abdomen, que les premières sont dues à des insectes à deux ailest, 1 Il faut faire une exception à cet égard pour certains hémi- ptères, insectes à quatre ailes, les réduves,parmi les terrestres, plusieurs genres de punaises d’eau, qui enfoncent une trompe en lancette acérée dans les doigts qui les saisissent. 4 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. les secondes produites par des insectes à quatre ailes. Mais Aristote et son disciple Théophraste par- tagent la grande erreur de l'antiquité sur la géné- ration spontanée des insectes. Or rien n’était plus propre à écarter les observateurs que l’origine im- monde de ces animaux objets de dégoût. Ne trou- vons-nous pas comme un dernier écho de ces fables séculaires dans la répugnance imméritée qu'ils in- spirent encore à tant de personnes, dans l’idée que leur contact est malpropre et dangereux ? La grande erreur de lantiquité relative à la gé- néralion des insectes devait tomber sous la vul- gaire observation des plus simples faits. Il a fallu de longs siècles pour arriver à cetle vérité, si ba- nale aujourd’hui, qu'avant d'établir aucun raison- nement sur le monde extérieur, on doit daigner l’observer. Un médecin italien, Redi, eut l'idée que les vers qui fourmillent dans les viandes cor- rompues et qui donnent bientôt naissance à des mouches, proviennent des œufs déposés par les fe- melles. Il exposa à l'air un grand nombre de boites sans couvercles dans chacune desquelles 11 avait placé un morceau de viande, tantôt crue, tantôt cuite, afin d'inviter les mouches, attirées par Po- deur, à venir pondre leurs œufs sur ces chairs. Non-seulement Redi mit dans ses boîtes des chairs de mammifères communs, comme celles de tau- reau, de veau, de cheval, de buftle, d'âne, de daim, elc., mais aussi des chairs de quadrupèdes plus rares, qui lui furent fournies par la ménage- rie du grand-duc de Toscane, comme le lion et le Uigre. I essaya aussi les chairs de petits quadru- INTRODUCTION. 5 pèdes, d'agneau, de chevreau, de lièvre, de lapin, de taupe, etc.; celles de différents oiseaux, de poule, de coq d'Inde, de caille, de moineau, d’hi- rondelle, etc. ; de plusieurs sortes de poissons de rivière et de mer, comme l’espadon et le thon; enfin des chairs de repliles, notamment de ser- pents. Ces chairs si variées attirèrent des mouches dont Redi sut constater la ponte, et bientôt 1l vit appa- raitre de nombreux vers nés des œufs. Ils lui don- nérent, dit-il, quatre sortes de mouches, des mou- ches bleues (Calliphora vomitoria), des mouches noires chamarrées de blanc (Sarcophaga carnaria ou vivipara), des mouches pareilles à celles des mai- sons (Musca domestica), des mouches vert doré (Li- cilia cæsar). L’accroissement de ces vers de la viande ou larves de mouches est énorme. Redi reconnut qu'en vingt-quatre heures les larves de la mouche bleue dévorant un poisson augmentèrent selon les sujets, de cent cinquante-cinq à deux cent dix fois le poids initial. Il fallait faire une contre-épreuve décisive. Les mêmes viandes furent placées dans des boîtes re- couvertes de toiles à claire-voie, afin que l'air püt passer librement et amener la putréfaction, mais de sorte que les mouches, attirées par l'odeur et arrêtées par la torle, fussent dans l’impossibilité de déposer leurs œufs. Redi vit les chairs se corrom- pre, mais aucun ver ne s’y développa. Il observa des femelles de mouches introduisant l'extrémité de leur abdomen entre les mailles du réseau, pour lâcher de faire passer leurs œufs, et deux petits 6 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. vers, issus d’une éclosion interne chez la mouche vivipare, trouvèrent ainsi le moyen de passer à travers la toile. Redi réfuta aussi opinion commune, si souvent répétée dans les sermons des prédicateurs, dans les écrits des moralistes de tous les temps, sur la vanité de l’homme, pâture des vers immondes après sa mort. Il fit voir par expérience que les mouches ne savent point fouiller la terre, et que les lombrics ou vers de terre, qui abondent dans le sol végétal, ne sont pas carnassiers et ne vivent que de lhu- mus, dont ils peuvent extraire les sucs nutritifs. Il constata, par de nombreuses épreuves, que les chairs et les cadavres placés sous terre, même à une médiocre profondeur, se corrompent lente- ment, mais ne sont la proie d'aucun ver. Il est cu- rieux de voir combien une erreur habituelle est difficile à combattre et s'empare même des hommes les plus instruits. Ne la trouvons-nous pas dans l'épitaphe de Franklin, d’une piété si originale : « Ici repose, livré aux vers, le corps de Benjamin Franklin, imprimeur, comme la couverture d'un vieux livre dont les feuillets sont arrachés et le litre et la dorure effacés ; mais pour cela l’ouvrage ne sera pas perdu, car il reparailra, comme il le croyait, dans une nouvelle et meilleure édition, revue et corrigée par l’auteur. » Pendant longtemps on a confondu, sous le nom général d'insectes, un grand nombre d'animaux qui présentent entre eux des analogies incontestables, mais pour lesquels la multiplicité des formes se- condaires amenait de grandes complications dans INTRODUCTION. 7 l'étude d’un groupe aussi étendu. Le mot insecte, en effet, signifie corps coupé en anneaux ou seg- ments placés bout à bout, en série. Suivant une conception fort originale de Dugès, médecin natu- raliste de l’École de Montpellier, on peut se figurer ces segments comme autant d'animaux distincts, se nourrissant et se reproduisant à part, et cependant coordonnant leurs volontés et leurs sensations, de manière à former un être à la fois multiple et un. La nature réalise presque complétement cette idée hardie dans les affreux vers solitaires qui produi- sent parfois les troubles les plus funestes dans notre santé. Si le lecteur veut bien nous le permettre, nous allons rejeter successivement les êtres à anneaux sériés dont l’étude n’est pas notre objet, et nous arriverons bientôt aux véritables insectes. Il est d’abord des animaux dégradés sans pattes, ou n’offrant que quelques mamelons mous ou quel- ques poils comme organes de locomotion. J'ai nommé les vers qui vivent dans les intestins et dans les tissus de l’homme et des animaux, surtout chez les sujets affaiblis, au début ou à la fin de l'existence, les lombrics que nous voyons sortir avec délices, après les fortes averses, des trous de la terre de nos jardins. Ils se hissent au dehors en s'appuyant de toute part, comme le ramoneur qui monte dans une cheminée, étalent sur la terre humide leurs anneaux visqueux, et rejettent l’hu- mus dont leur corps est gorgé et qui est leur seule nourriture. Les eaux, séjour de prédilection des êtres infé- b) LES METAMORPHOSES DES INSECTES. rieurs, fourmillent de ces annélides de toutes sor- tes. Les eaux douces de France contenaient autre- fois en abondance les sangsues, aux triples mâchoires dentelées, puissant auxiliaire de la médecine, et que nos marchands demandent aujourd’hui aux marais de la Hongrie et plus loin encore. Sur nos côtes, nous rencontrons les serpules vivant dans les tubes entrelacés et serpentants dont elles recou-. vrent les rochers et les coquilles, et laissant sortir au dehors un très-élégant panache de branchies ; le sable est rempli de trous où habitent les aréni- coles, ces vers noirâtres qui servent aux pêcheurs à amorcer leurs lignes, ct dont le sang, d'un jaune vif, tache fortement les doigts ; enfin, après le gros temps, la marée montante jette sur les rivages de l'Océan les aphrodites, au corps couvert de longs poils, comme une soie marine, irisés des mille cou- leurs de arc-en-ciel. La nature s’est complue, chez d'autres êtres du grand groupe dont nous parlons, à perfectionner les organes et, comme enchantée du plan d’après lequel leur corps se divise en anneaux, elle a repro- duit la même formule pour leurs membres. Qu'on prenne la patte d'une écrevisse ou d’une araignée, on y verra une série de pièces articulées l’une à la suite de l’autre, succession de leviers coudés que termine une griffe. Nous écarterons d’abord des insectes les crustacés. Habitants presque exclusifs des eaux, surtout des eaux salées, ils présentent des pattes en nombre très-variable, dix chez les homards, les langoustes, les écrevisses et chez les crabes, si nombreux et de formes si diverses, dont INTRODUCTION. 9 la plupart ne quittent pas les eaux peu profondes des côtes, dont quelques-uns, munis de palettes ou rames puissantes, nagent au milieu des fucus flot- tants, loin de toute terre, dans l’immensité de la plaine liquide. On trouve, d'autre part, quatorze pattes dans ces paisibles cloportes endormis sous les pots à fleurs de nos jardins, dans ces armadilles qui vivent sous la mousse humide dés bois et se roulent en boule dès qu’on les touche, ne présen- tant plus au dehors que les cuirasses articulées du dos de leurs anneaux. Bien plus grand encore est le nombre des pattes dans les mille-pieds, qui en comptent environ de vingt et une à cent cinquante paires. Ils restent les derniers réunis aux insec- tes, et ressemblent, en effet, aux élats inférieurs des insectes, lorsque ceux-ci rampent en larves sur le sol avant d'acquérir ces ailes, apanage de la locomotion aérienne, objet des ardents désirs de l'homme, attribut quasi divin. Notre grand Cuvier n’était pas encore arrivé à rejeter hors des insectes ces formes inférieures et dégradées. Le nombre des pattes se restreint et devient fixe dans le groupe bizarre et menaçant des arachnides. Nous trouvons huit pattes seulement dans les arai- gnées, qui tendent de toutes parts leurs toiles per- fides et qui sont, malgré leur mauvaise mine, nos meilleurs amis en détruisant tant d'insectes nuisi- bles; dans ces phrynes des tropiques , horribles courtisanes aux triples griffes acérées comme des glaives; dans ces scorpions, chassant aux insectes terrestres comme les araignées chassent aux insec- tes aériens, et frappant leurs victimes à coups re- 10 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. doublés de leur queue, munie d’un venimeux ai- guillon. Nous arrivons enfin aux insectes, et ce qui nous frappe tout d’abord c’est qu'à l'état parfait 1ls n’ont jamais plus de six pattes, attachées par-dessous à la poitrine. Leur corps parait se diviser naturelle- ment en trois parties : la tête, le thorax, l'abdomen (fig. 1). La tête présente en avant deux appendices, simulant des cornes; ce sont les antennes, qui of- frent les formes les plus diverses. On dirait de minces alènes, des soies, des chapelets, des fu- seaux, des massues, des peignes, des plumes aux longues barbules. Elles se dirigent en avant lors du vol, les pattes, au contraire, se repliant en ar- rière. Ces organes sont les oreilles des insectes, ce sont des tiges qui vibrent sous l'influence des sons extérieurs comme de minces baguettes de métal qu'on placerait sur la caisse d’un piano. Les insec- tes s'appellent, en effet, par les stridulations les plus variées, et il est bien probable que ceux, en grand nombre, qui nous paraissent muets produi- sent des sons si légers que notre tympan ne peut les percevoir, tandis que les délicates antennes en éprouvent un imperceptible frémissement. Puis viennent, sur les côtés, deux globes où les appa- reils grossissants font découvrir des facettes hexa- gonales par milliers. Ce sont des télescopes que l’insecte braque sur tous les points de l'horizon, et qui servent à lui faire voir les objets à une assez grande distance. Les courbures variables des pe- tites cornées indiquent que l’insecte se sert succes- sivement de ses nombreux télescopes selon les dis- INTRODUCTION. 11 tances des objets. Qu'on prenne une de ces sveltes demoiselles, ces chasseresses cruelles volant presque toujours au bord des eaux, ou bien une de ces grosses mouches qui abondent dans nos bois en au- Fig. 1. — Guêpe frelon, en trois segments. tomne, une simple loupe permettra d'admirer l’élé- gant réseau des facettes de ses yeux multiples. En outre, le dessus de la tête porte, chez beaucoup d'insectes , trois petits yeux, disposés en triangle. Ce sont trois puissants microscopes très-bombés. On les trouve surtout chez les insectes qui habitent 12 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. des galeries peu éclairées ou qui construisent des nids. [ls ont besoin d’apercevoir de très-près les plus petits objets. En dessous, la tête présente des pièces buccales variées agissant latéralement l’une contre l’autre, servant à saisir les aliments. Tantôt ce sont des meules puissantes, destinées à brovyer des corps durs, ou des cisailles aiguës qui déchi- rent. Après cette première paire de mandibules, viennent les mâchoires et la lèvre imférieure, autres pièces dont les lobes festonnés ou dentelés réduisent les aliments en miettes eten même temps les maintiennent en place devant la cavité de la bouche ; d’autres fois, et nous formerons ainsi un second groupe d'insectes, les mêmes organes de- viennent des tubes destinés à sucer des liquides. Ces tubes s'enroulent en flexible spirale chez les papillons, après que ces insectes les ont retirés du fond des fleurs ; ils restent droits chez les punaises et une partie des mouches, et s’enfoncent comme des stylets sous la peau des animaux, sous l'écorce des plantes. D'autres mouches, comme celles des maisons, ont une trompe molle, charnue, se proje- tant sur les objets et les mouillant de salive, pour permettre l’aspiration de leur surface liquéfiée. Des palpes grêles, poilus, entourent les mâchoires et la lèvre inférieure, destinés à retenir les petits frag- ments rejetés sur les côtés et qui pourraient tom- ber, servant aussi à donner les sensations d’un tact exquis, nécessaires pour reconnaitre la nature, la consistance de l'aliment. Le thorax, qui succède à la tête, offre trois an- neaux, chacun ayant en dessous une paire de pattes INTRODUCTION. 15 (ce sont le prothorax, le mésothorax , le métatho- rax). Jamais le premier ne porte d’ailes ; quand ces organes existent, ils sont placés à la face dorsale. Les ailes sont constituées par une fine membrane portée par des baguettes ou nervures. Elles présen- tent, quand elles servent au vol, une épaisseur qui décroiît d'avant en arrière, loi mdispensable et trop méconnue dans tous les essais aéronautiques de notre époque ; sinon elles ne servent que de four- reaux, et se nomment alors élytres. On trouve, entre les nervures, des cellules constituant un réseau. Des poils, des écailles, comme une fine poussière, par exemple chez les papillons, peuvent recouvrir la membrane des ailes; ou bien elle reste nue et transparente ; telles sont les ailes des abeilles, des bourdons, des mouches. Les pattes offrent plusieurs parties ou articles qui se replient l’une contre l’autre, à la facon de lPavant-bras sur le bras. Les principales sont la cuisse, la jambe, le tarse à l’extrémité, formé, le plus souvent, de trois à cinq articles successifs, terminé par des ongles permettant à l’insecte de s’accrocher aux plus fai- bles aspérités, et par des poils ou des pelotes char- nues donnant à l’animal les sensations de la du- relé et de la chaleur des corps sur lesquels il marche. L'abdomen qui termine le corps des insectes ne porte pas de membres. Ses anneaux peuvent tour- ner l'un contre l’autre, et en outre se relever plus ou moins. À l'extrémité, on trouve chez les mâles des crochets, tantôt cachés, tantôt apparents au de- hors, et chez les femelles l'abdomen est prolongé 14 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. pour la ponte des œufs, soit sous forme d’un tube ou tarière pointue, parfois perforante, soit par la simple protraction de ses derniers anneaux, emboi- tés l’un dans l’autre et se dégageant comme les tuyaux d’une lunette. Une enveloppe coriace, cornée, revêt les anneaux des trois parties de ce corps, et ne devient molle et mince qu'aux articulations. A l’intérieur, nous rencontrons les grands appareils de nos fonctions vitales, qui, sous d’autres types, présentent une complication comparable à notre organisme. Tant pis pour l’orgueil du roi de la création si les pau- vres insectes deviennent ses rivaux, comme le lis, dont le simple vêtement éclipsait, dit l’Écriture sainte, Salomon dans toute sa gloire. De la bouche à l'extrémité opposée du corps, règne un tube muni de plusieurs renflements. A l'entrée, une abondante salive imprègne les aliments divisés par les pièces de la bouche. Parfois, détournée de son usage ha- bituel, elle devient le fil avec lequel linsecte enve- loppe le berceau mystérieux de sa dernière trans- formation ; elle nous fournit la plus riche matière textile qui réjouisse notre vanité, cette soie dont les plis voluptueux, flottant autour d'Héliogabale, scandalisèrent le sénat dégénéré ; cette soie, qui se payait, poids pour poids, avec de l'or, et qui fit couler les larmes de l'impératrice Severina, épouse d’Aurélien, mari trop économe, peu imité de nos jours. Moins heureuse que les femmes de nos ou- vriers et de nos paysans, elle se vit refuser une robe de soie par le maître du monde. Les aliments arri- vent ensuite dans un estomac où ils s’imprègnent INTRODUCTION. 15 de sucs acides, et enfin, vers l’extrémité de ce tube digestif, des canaux viennent verser un li- quide urinaire constitué par les éléments du sang purifié. Le sang des insectes est un fluide incolore ou d’une teinte grisätre à peine sensible, ce qui avait autrefois fait croire que ces animaux étaient privés de sang(animalia exsanquia). Un long canal, formé de chambres successives, règne le long du dos de l'insecte. On Le voit très-bien dans les chenilles ra- ses, à peau translucide, par exemple chez le ver à soie. On y remarque, dans ses diverses chambres, des mouvements de contraction et de dilatation qui poussent le sang d’arrière en avant. A l'entrée de la tête, au sortir de ces cœurs et d’une courte artère qui lies prolonge en avant, le liquide nourricier s'épanche entre les organes et suit divers courants qui le conduisent dans les pattes, dans les antennes, dans les ailes au moment où elles se forment. Ces courants sanguins sont manifestes pour l’œil armé d'un verre grossissant chez certains insectes des eaux à leurs premiers états ; tels sont les éphémeé- res, où la peau transparente permet de suivre le mouvement vital intérieur. Chez l’insecte, comme chez tous les animaux, 1l faut que l'air vienne réparer les pertes du sang épuisé parce qu'il a nourri les organes. Il doit re- prendre cet air vital, cet oxygène qui lui rend son action vivifiante. Qu’on imagine de chaque côté du corps de l’insecte deux troncs formés par des vais- seaux à mince paroi, d’où partent des rameaux en tous sens, simulant des arbuscules très-délicats ; 16 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. qu'on suppose ce système relié à l’air extérieur par des paires d’orifices s ouvrant sur les côtés des an- neaux, on aura l’idée de l'appareil de la respira- tion. Ces orifices, comme des boutonnières, se nom- ment les stigmates, et se voient très-bien, surtout sur les chenilles, où la couleur de leur pourtour tranche sur celle de la peau de l’animal. Un cercle corné, le péritrème, maintient Le calibre de la fente. La délicate arborisation de ces trachées (tel est le nom des tubes à air) s’observe parfaitement quand, à l’aide d'une aiguille, on dissèque sous l’eau les üssus d’un insecte; on dirait des fils d'argent. L’air les remplit et se trouve ainsi en rapport avec le sang. Quand linsecte vole peu ou qu’il est à l'état de larve rampante, ces tubes sont cylindriques par- tout ; dans les insectes qui volent bien, ils se ren- flent en ampoules. Celles-ci se remplissent d’air qui gonfle Le corps de l'animal et facilite sa locomo- tion aérienne en diminuant sa densité moyenne. En outre, ils mettent en magasin le corps combu- rant, source de la force musculaire considérable nécessaire pour le vol. Par une conséquence natu- relle, la température du corps de ces forts voiliers peut s'élever beaucoup au-dessus de celle du mi- lieu ambiant, de 12° à 15° centigrades parfois dans ces gros Sphinx qui butinent le soir sur nos fleurs en agilant leurs ailes avec une vibration rapide. C’est surtout dans le thorax, où s’attachent les ailes, que la chaleur propre ainsi développée est considé- rable et peut monter parfois de 6° à 8° et même plus au-dessus de la température de l'abdomen du même insecte. Il y a dans le thorax*un véritable INTRODUCTION. 17 foyer, lié directement à l'énergie du vol”. Les adul- tes ne sont pas doués exclusivement chez les in- sectes de la faculté calorifique : on est étonné, dans divers cas, de la chaleur énorme que peuvent pro- duire certaines larves. J'ai vu, dans des gâteaux d’abeilles remplis par les larves remuantes de la galerie de la cire, le thermomètre monter de 24° à 27° centigrades au-dessus de l’air extérieur, au point que la main était très-fortement impression- née. Quand on saisit dans le filet les gros sphinx, on sent très-bien entre les doigts la chaleur de leur corps frémissant. Les insectes font entrer l'air dans les trachées avant de s'envoler, au moyen de dilatations et de contractions successives de leur abdomen, qui rem- plissent l'office d'un piston de pompe foulante. On observe très-bien le hanneton soulevant nombre de fois ses élytres et faisant ainsi glisser de l'air le long de son corps, puis le forçant à pénétrer dans ses stigmates par l’abaissement de cette sorte de valve de soufflet : les enfants disent alors qu'il compte ses écus. Enfin, suffisamment gonflé, il prend son essor. De même on voit d'habitude les criquets, aux ailes inférieures en éventail, souvent bleues ou rouges, ne s’élancer dans leur vol qu’à deux ou trois mètres; mais certaines espèces, quand la nourri- ture manque, poussées par un mystérieux instinct, doivent au contraire parcourir d'immenses distan- ces, à l’aide du vent, en nuées dévastatrices. Elles ! Voy. Ann. des sciences natur, z00l., 1869, et M. Maurice Girard, Eludes sur la chaleur libre dégagée por les animaux invertébrés, et particulièrement les mnsectes. 9 4 18 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. se préparent plusieurs jours d’avance à ces funestes voyages, et se remplissent peu à peu d’air. Leurs trachées, qui à l’ordinaire apparaissent dans’ la dissection comme des rubans aplatis, sont alors des tubes ronds et renflés. Il faut un moyen de relier les fonctions diverses de ces admirables appareils, d'envoyer à tous les organes de ce petil corps les ordres souverains et de rapporter au frêle individu les sensations exté- rieures si intéressantes pour la conservation de son existence. L’insecte est muni d’un système ner- veux compliqué, formé principalement d’un cer- veau dans la tête, envoyant de minces nerfs aux antennes et aux yeux simples, et de gros nerfs op- tiques aux veux composés qui s’irradient en milliers de petits filets pour chaque œil élémentaire. Puis un collier nerveux qui entoure le tube digestif unit ce cerveau à une chaine nerveuse qui s'étend en dessous tout le long de la face ventrale et se rentle en série de ganglions. Des organes aussi parfaits indiquent dans lPin- secte une créature très-élevée, malgré sa petitesse. Cest lui qui offre la plus puissante locomotion -connue. Des mouches, en été, suivent les convois de chemin de fer lancés à toute vitesse et parvien- nent à entrer dans les wagons. Certains papillons, comme le sphinx du laurier-rose, le sphinx rayé, le sphinx célério, sont originaires de l’Afrique et même du cap de Bonne-Espérance, et se transpor- tent en certaines années dans l'Europe centrale et vont parfois jusqu'en Angleterre. Nous avons déjà fait mention de la vue, de l’ouie et du toucher des INTRODUCTION. 19 insectes en rapport avec des organes très-dévelop- pés. C’est surtout l’odorat, dont le siége laisse en- core certaine incertitude, qui est le sens éminem- ment subtil de ces faibles animaux. Les antennes, outre leur fonction acoustique, semblent aussi les organes de l’odorat. Voici une expérience récente et curieuse de M. Balbiani, qui parait bien con- cluante. Dans deux boîtes séparées et éloignées étaient, dans l’une des femelles de papillons de vers à soie, dans l’autre des mâles, dont une partie avait les antennes coupées. Dès qu’on plaçait au- dessus d’eux le couvercle de la boite des femelles, imprégné de leur odeur, les mâles à antennes agi- taient leurs ailes et leurs pattes, les mutilés res- taient parfaitement calmes. [ei on ne peut invoquer ni vue, ni ouie, l'odorat seul a agi par les antennes. Les mouches à progéniture carnivore sont attirées de très-loin par l'odeur des viandes, même quand celles-ci sont recouvertes de linges qui en empê- chent la vue. Bien plus, trompées par lodeur de certaines plantes fétides, elles vont confier à leurs corolles nauséabondes des œufs dont les produits sont destinés à périr faute d'aliments. L'instinct maternel est égaré et vaincu par l'attrait sensuel. Les sexes sont toujours séparés chez les insectes, et ce sont surtout les mâles qui présentent la loco- motion la plus active, les antennes plus longues, plus fortes, plus ramifiées, les yeux plus gros. Chez beaucoup d'insectes, le mâle est voyageur, la fe- melle sédentaire. On trouve en général, dans les papillons de nuit, la femelle lourde, paresseuse, fixée aux branches 20 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. ou contre les troncs, et, qui plus est, parfois même privée d’ailes, à organes des sens presque nuls. En revanche, le mâle est attiré par des émanations odorantes à d’incroyables distances. On a vu dans des appartements, au milieu de Paris, les mâles d'un papillon qu'on nomme le bombyx tau ou la hachette (d’après la forme des taches qu'offrent ses ailes) venir chercher les femelles, et l'espèce n'existe au plus près qu'à Bondy et à Saint-Ger- main. Rien de plus curieux que de suivre dans nos bois les vagabondes excursions du mâle du minime à bandes (Bombyx quercus). Il vole par mouvements saccadés avec de continuels crochets. Si son odorat lui indique une femelle tapie dans la mousse ou sous un buisson, il tournoie tout autour, s'éloigne un peu, revient, frôle les feuilles sèches ou les herbes. IL parait suivre une piste volalilisée, ou écouter de faibles sons de la femelle, imperceptibles pour nous, ne l’aperçoit que lorsqu'il en est pro- che, et fond alors vers elle en ligne droite, comme une flèche. La conservation d’une postérité que les insectes ne connaitront pas pour la plupart, l'édification des nids où elle devra trouver un abri chaud, une table succulente, mais sans restes, et mesurée d'avance Jour par jour, la fabrication des pièges de chasse les plus ingénieux, la construction de four- reaux, de coques protectrices pour passer certaines phases de leur existence où ils sont mal armés et contre les éléments et contre d'innombrables ennemis, les ruses pour échapper aux agresseurs, INTRODUCTION. 24 tous ces besoins complexes exigent de prodigieux instincts. Je dirai plus, une véritable intelligence éclate parfois chez les insectes placés dans des circonstances anomales, imprévues, et l’observa- teur demeure confondu d’étonnement et d'admura- tion en reconnaissant chez ces êtres, parfois presque imperceptibles, des idées communiquées et les lueurs divines de ce raisonnement que le Créateur n’a pas accordé à l’homme seul, dût s’en humilier notre orgueil. En rejetant un grand nombre de faits où des émanations olfactives ont pu guider les insectes, on me pardonnera de citer quelques observations presque incroyables pour ceux qui n'y sont pas préparés par une connaissance approfon- die de ces petites merveilles. On voit des insectes nidifiants, pour s’épargner la peine de creuser une terre dure ou des bois résistants, se servir des vieux nids d’autres espèces et les modifier de ma- nière à les approprier aux besoins de leurs larves. Un bien curieux exemple fut constaté autrefois au Muséum. On avait placé au dehors, abandonné, un nécrentome, vase de laiton où les boites d'insectes de collection sont soumises à la vapeur d’eau bouil- lante, afin de tuer les larves qui les dévorent. On trouva le tube métallique de sortie de cette vapeur contenant des loges superposées d’une xyflocope, qui entrait et sortait plusieurs fois par jour. L’in- secte, dans son intelligente paresse, avait trouvé ce tuyau propice, et s'était soustrait au travail de creuser une poutre d’un trou cylindrique pour y loger sa postérité. Huber, le fils du célèbre obser- vateur aveugle des abeilles, avait placé sur sa table 22 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. un nid de bourdons, et, comme il était mal posé et remuait sans cesse, la colonie ne pouvait travailler à l'intérieur. Grand embarras! les bourdons sor- tent, tournent autour du nid, l’examinent. Quel- ques-uns s’aperçoivent qu’en s'appuyant à reculons contre ce nid chancelant ils le soutiennent. D'au- tres, en même temps, bâtissent des piliers de cire, et, ce travail achevé, les souteneurs, comprenant que leur dévouement est devenu inutile, se retirent et se mêlent aux autres. Un insecte carnassier, un sphex, qui chassait dans une allée de jardin, tue une mouche énorme par rapport à lui, lui coupe la tête et l'abdomen, et emporte triomphant le thorax pour nourrir la famille qui naitra de ses œufs. Un vent violent règne, 1l frappe dans les ailes étendues du thorax de la mouche, et le pauvre sphex, inca- pable de surmonter cette nouvelle résistance, tour- noie sur lui-même plusieurs fois, il laisse retom- ber son fardeau, le reprend; c’est en vain; toujours le maudit vent s'oppose à ce qu'il l’entraîne dans son vol. Une idée subite l'illumine; il se laisse tomber à terre avec sa proie, lui arrache lestement les deux ailes l’une après l’autre, et, vainqueur d'Éole, remonte dans l'air ne portant plus entre ses pattes qu’une grosse boule sur laquelle le fluide olisse sans résister, On sait que certains insectes, agents prédestinés de l'hygiène générale, enterrent les petits cadavres après y avoir déposé leurs œufs. Aussi les appelle-t-on nécrophores ou fossoyeurs. Pour le soustraire à leurs atteintes, un crapaud, qu'on voulait faire sécher au soleil, fut fiché au bout d’un petit bâton. Les nécrophores vinrent INTRODUCTION. 23 creuser au-dessous, firent tomber crapaud et bâton et enterrèrent l’un et l’autre. Les abeilles ont une grande mémoire des localités, elles reconnaissent leur ruche au milieu d’une foule d’autres ; si un champ est cultivé de fleurs qui leur plaisent, elles retournent l’année d'après au même endroit, lors même que sa culture est toute changée et qu'elles n’y font plus qu’un maigre butin. Un essaim égaré avait été se loger sous les poutres d’un toit et y avait commencé ses gâteaux dorés. Le maitre le prend et le met dans une ruche. Le lieu précédem- ment choisi avait plu singulièrement aux abeilles, car pendant huit années tous les essaims de cette ruche (et aucun des autres ruches voisines) envoye- rent quelques éclaireurs le reconnaître. Le souvenir en fut donc non-seulement conservé dans la petite nation, mais transmis à plusieurs générations de descendants. Huber père constatait à Genève, en 1806, que le sphinx à tête-de-mort abondait. Il est très-courmand de miel, entre dans les ruches, et casse tous les gâteaux en promenant son énorme corps dont le volume est plus de cent fois celui d’une abeille. Qu'on juge donc du ravage! Quelle terreur! Les abeilles demeurèrent quelque temps résignées. Puis le courage revint avec la réflexion ; la force était impossible, la ruse fut employée. Un épais bastion de cire s’éleva à l'entrée de toutes les ruches du pays ; une petite poterne ne laissait pas- ser qu'une abeille à la fois ; les sphinx gloutons, mais dépourvus d'appareils tranchants, volaient en frémissant contre l’obstacle, mais ne purent entrer. L’année suivante les sphinx furent rares, les abeilles 2% LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. refirent de grandes entrées plus commodes. Au bout de deux ou trois ans, ennemi redevient plus nom- breux. Cette fois les abeilles sont averties, et im- médiatement les orifices des ruches sont rétrécis. Avant d'entrer en matière, 1l est indispensable de distinguer les principaux groupes des insectes. Sans cela tout langage serait impossible. Qu'on ne s’effraye pas de quelques mots, de vulgaires exem- ples les feront retenir tout de suite. Un premier ordre, celui des coléoptères, comprend des insectes à quatre ailes, dont les su- périeures ne servent pas au vol (fig. 2). Ce sont des étuis plus ou moins coria- ces, quelquefois colorés, tachetés de vives nuances. Au-dessous sont de lon- gues ailes membraneuses qui se replient en deux pour entrer sous l’éytre (ainsi se nomme l'aile supérieure). Tout le monde se rappelle à l'instant le hanneton, la cétoine do- rée, etc. L'ordre suivant nous offre des insectes dont les premières ailes sont longues, étroites, servant en- core de fourreau aux secondes, mais moins com- plet, moins solide (fig. 3). Les ailes de dessous sont très-larges, et au repos se plissent comme un éventail à partir de leur point d'attache. Ce sont les orthoptères, ainsi les sauterelles, les grillons, les mantes, les criquets. Viennent ensuite les névroptères, dont les quatre ailes sont membraneuses et en général offrent une Fig. 2. Silphe à quatre points, volant. INTRODUCTION. 25 fine et délicate réticulation, une sorte de dentelle (fig. 4). Le type le mieux connu de tous nous est donné par les libellules ou demoiselles, qui volent { LAN TE {ll eur AN fil. ma 8% | mea Le LS ESS RIT 14 \ Fig. 3. — Œdipode migrateur. non loin des eaux où elles passent leurs premiers états. Tous les insectes que nous venons d’énumérer sont toute leur vie des broyeurs, c’est-à-dire que leur bouche est entourée de meules, de cisailles, de brosses dures destinées à triturer, à couper les aliments, à les diviser en minces parcelles, et des appendices poilus ou palpes retiennent les petits morceaux qui, sans Cela, pourraient échapper à 26 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. l'entrée de la bouche et tomber. Le mode d’ali- mentation n'est plus le même dans les ordres qui suivent. Dans les deux premiers que nous indique- rons, l’insecte a encore la bouche conformée pour broyer, dans la première période de son existence, à la façon des précédents ; mais, quand il a pris des ailes, tout change, et les liquides sucrés des ) ke { X AURA | \ TITI LE 1 : PA \ SE Fig. 4. — Libellule déprimée. fleurs deviennent en général la seule nourriture d'êtres qui, dans leur enfance, beaucoup plus vo- races, avaient une nourriture plus grossière, dévo- raient d’autres insectes, ou des pâtées spéciales préparées par leurs mères, ou des feuilles, des bois, des fruits. Tels sont les hyménoptères, à ailes membraneuses comme le groupe précédent, mais dont les nervures divergentes dessinent de grandes cellules (fig. 5). A l'état adulte, ils lèchent les ma- tières liquides avec une longue et assez large langue INTRODUCTION. 97 cornée qui se promène à leur surface, et le liquide, aspiré ensuite, va s’accumuler dans une poche particulière, à l’intérieur du tube digestif. On re- connait les abeilles, les bourdons, les guêpes. I] faut y joindre un second groupe des plus naturels, les brillants papillons; ils enfoncent dans la co- rolle des fleurs une longue et mince trompe qui, au repos, s'enroule en spirale sous la. tête. Leurs ailes ressemblent, dans leur essence, à celles des précédents, mais leur apparence premièreest tout autre. Elles pa- raissent parsemées de grains de poussière de toutes les nuances pos- sibles et disposées, par la fantaisie du Créa- teur, en arabesques les plus variées et les Fig. 5. Bourdon terrestre, grosse femelle. plus éclatantes. Cette prétendue poussière, qui reste attachée aux doigts quand on saisit l’insecte sans précaution, est for- mée, comme le microscope le montre, de petites écailles de figures très-diverses, implantées par des pédicules en rangées régulières dans la mem- brane des ailes (fig. 6). De là le nom de lépidoptères donné à ces petits êtres aussi splendides dans leur dernière forme qu'ils semblent vils et mal vêtus dans leur jeunesse. C’est seulement pour le bal de leurs noces qu'ils prennent leurs riches atours, et, fleurs aériennes, rivalisent de magnificence avec ces fleurs immobiles où ils puisent dédaigneuse- 28 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. ment quelques parcelles de nectar parfumé. Bientôt les feuilles et les broussailles ont déchiré et sali leurs ailes délicates, le soleil en a terni la vivacité, et le couple meurt après la fécondation et la ponte. Fig. 6. — Papillon alexanor. Nous terminerons l'examen des insectes par les groupes où ces animaux se nourrissent en suçant les liquides dans toutes les phases de leur exis- tence. Les hémiptères enfoncent dans la peau des animaux ou dans l'écorce des plantes une sorte de stylet dur et droit, couché au repos sous la face inférieure de leur corps, entre leurs pattes. Tantôt leurs ailes sont entièrement membraneuses, ainsi chez les bruyantes cigales; tantôt celles de la paire inférieure ont cet état, tandis que celles de dessus, coriaces à leur base, ne deviennent minces et trans- parentes qu'à l'extrémité (fig. 7); on peut citer, pour ce second cas, les punaises de hoïs et celles des eaux. INTRODUCTION. 29 Le dernier grand ordre des insectes, celui des diptères, comprenant les immenses légions des cousins et des mouches, se reconnait tout de suite en ce qu'il paraît n'avoir qu'une seule paire d’ailes membraneuses, pareilles aux ailes antérieures des hyménoptères. En les regardant de plus près, on voit au-dessous une paire de petits organes formés d’une tige grêle ter- minée par une boule. On les aper- çoit très-bien en prenant une de ces grandes tipules qui volent le soir en abondance dans les jardins po- tagers. Ces singuliers appareils se nomment les balanciers, par ana- logie avec le balancier des dan- seurs de corde. Cette comparaison est inexacte, car les balanciers des diptères ne servent pas à les maintenir en équilibre, mais concourent au vol d’une manière active et efficace. Si on pique _par le milieu du thorax une des mouches si agiles des bois, on pourra remarquer sous la loupe, quand le pauvre insecte essaye de fuir en exécutant de ra- pides vibrations d'ailes, que les balanciers sont aussi agités de mouvements précipités. Si on les coupe délicatement avec des ciseaux à broder, le diptère ne peut presque plus voler et descend en tournoyant. Chez beaucoup de mouches, où les ba- lanciers sont courts, une observation attentive nous fait voir qu'ils sont entourés, par-dessus, d’une sorte de collerette blanchätre, formée par deux minces membranes appelées cuillerons. Qu'on me pardonne ces détails, ils peuvent apprendre com- Fig. 1. Réduve masqué. 90 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. bien les insectes les plus dédaignés par leur peu d'éclat offrent encore de ressources à la curiosité intelligente. Une humble mouche peut distraire d’un long ennui quiconque saura l’étudier de près et reconnaitre, sous un verre grossissant, sa mer- veilleuse structure. Les diptères sont des suceurs de liquides. Tantôt, comme les cousins et les taons, l'effroi du bétail, ils enfoncent dans la peau des stylets acérés ; tantôt, comme la mouche des maisons, ils déplient une trompe molle et spon- gieuse, et la promènent sur les surfaces humides des viandes, des fruits, des fumiers. A côté des groupes supérieurs viennent, selon la grande loi de la nature, quelques types dégradés dont les représentants vivent souvent en parasites sur des animaux, trouvant ainsi la table toujours servie, alors que la lenteur de leurs mouvements et leurs faibles organes de marche les exposeraient à mourir de faim s'ils devaient chercher en liberté leur pâture. Les ailes manquent toujours à ces in- sectes moins heureux, à la première apparence, que leurs frères aériens, mais toutefois admirable- ment appropriés aux conditions de leur obscure existence. Ainsi sont constitués les thysanoures, dont un {ype nous est offert par ces insectes plats, aux écailles brillantes, qui courent dans les armoires humides des garde-manger, dévorant les provi- sions, et que les enfants nomment pelits pois- sons d'argent; ainsi se présentent les aphaniptères ou puces, vivant sur un grand nombre de mam- mifères, avec de très-légères différences d'espèces, et les hideux anoploures ou épixoïiques, création INTRODUCTION. 51 désagréable où les partisans exagérés des causes finales veulent voir une excitation providentielle à la propreté, vertu si importante à l'hygiène pu- blique. CHAPITRE II LES MÉTAMORPHOSES Idées anciennes sur les métamorphoses. — Véritable acception. — Evo- lutions successives. — Mues. — Insectes sans métamorphoses. — In-, sectes à métamorphoses incomplètes. — Insectes à métamorphoses complètes. — Conclusion. L'insecte éclôt; il ronge ou brise la coque de l'œuf. Il n’a pas encore les formes qui viennent de nous servir à caractériser les groupes fondamen- taux. Ces petits animaux passent en effet par une série de transformations des plus curieuses. Les anciens avaient quelques notions sur ces change- ments. Ainsi Aristote nous dit, dans son Histoire des animaux (Liv. V, chap. xvin) : « Les papillons proviennent des chenilles. Cest d’abord moins qu'un grain de millet, ensuite un petit ver qui grossit et qui, au bout de trois jours, est une petite chenille. Quand ces chenilles ont acquis leur croissance, elles perdent le mouve- ment et changent de forme. On les appelle alors chrysalides. Elles sont enveloppées d’un étui ferme. Cependant, lorsqu'on les touche, elles remuent. Les chrysalides sont enfermées dans des cavités faites d'une matière qui ressemble aux fils d’arai- gnées. Elles n'ont pas de bouche ni d’autres parties LES MÉTAMORPIOSES. 33 distinctes. Peu de temps après, l’étui se rompt, et il en sort un animal volant que nous nommons un papillon. Dans son premier état, celui de chenille, il mangeait et rendait des excréments; devenu une chrysalide, il ne prend et ne rend rien. Il en est de même de tous les animaux qui viennent des vers. » Chez les Grecs, le mot y (psyché) signifie à la fois papillon et âme. Beaucoup de philosophes ont été frappés de retrouver, dans les divers états des insectes, une image parfaite des transformations de notre nature. La vie de l’homme, sa mort et son réveil semblent avoir leur représentation admirable dans la vie, le sommeil léthargique et le réveil du papillon. Comme la larve rampante, l'homme se traine sur la terre; comme la nymphe immobile, l’homme dort dans sa tombe; comme l'amant des fleurs, insecte aux ailes d’or et d’azur, l’homme renaît à la vie par l’immortalité de l’âme. Combien lanalogie est encore plus complète dans la doc- trine de l’Église catholique, de la résurrection des corps! Cependant, sous ces brillantes comparaisons des sages et des poëtes antiques, se cache une très. grave erreur d'histoire naturelle. Ils croyaient à un changement absolu, complet, dans le sens mytho- logique, comme Actéon devenu cerf par la pudique colère de Diane, comme lo transformée en génisse, vengeance cruelle de Junon. C'est dans ce sens qu'ils comprenaient les métamorphoses des insectes, mot qui doit éveiller aujourd’hui une autre idée. Les observations de Redi, de Vallisnieri, de Swam- J 54 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. merdam, de Leuwenhoeck ont fait reconnaitre qu'une individualité unique se conserve sous ces formes multiples, et qu'un examen patient peut saisir leurs passages et les deviner. Rien de plus différent à la première vue qu’une chenille et un papillon; il semble qu'aucune partie du premier être terrestre et rampant ne subsiste quand l’adulte s'élance dans l’atmosphère. En regardant mieux Fig. 8. — Chenille de Sphinx de troëne. cependant, on voit que les pattes sont conformées sur deux modèles différents. Celles qui viennent portées sur les trois premiers anneaux à la suite de la tête, et au nombre de six, sont en forme de pointes coniques, un peu recourbées, de consis- tance cornée ; les autres, au nombre de dix le plus souvent, ont l’aspect de mamelons arrondis et mous (fig. 8). On y reconnait, par le grossissement, une couronne de petits crochets qui permettent à l'animal de marcher, sans glisser, sur les surfaces lisses des feuilles, et de plus, à sa volonté, des muscles plient en deux, selon un de ses diamètres, ce large pied charnu, et en font une pince qui se cramponne aux pétioles des feuilles et à leurs LES MÉTAMORPHOSES. 35 bords. De ces dernières pattes, nulle trace ne sub- siste chez le papillon ; mais Swammerdam s’assura le premier qu'en coupant à des chenilles une ou plusieurs des pattes écailleuses des trois premières paires, le papillon qui éelôt par la suite se montre mutilé des mêmes membres. Ces pattes tiennent donc la place et sont la première ébauche des six pattes, qui sont le nombre normal et exclusif des appendices de locomotion terrestre des insectes adultes. Comme si l’homme ne pouvait jamais arriver à la vérité du premier coup, et sans y mêler les gra- tuites chimères de son imagination et les erreurs de ses préjugés, Swammerdam prétendait retrou- ver, sous la peau de la chenille, les différentes enveloppes qui la conduiront au papillon. Ces idées d’emboitement ont eu beaucoup de peine à dispa- raître de la science. On n'avait pas étudié autrefois ce qui se passe dans l’œuf, et on était habitué à voir naître les ] jeunes mammifères, les petits des oiseaux, pareils à leurs parents, sauf la taille. On voulait à toute force que tout fût fait dès l’origine de l’être. Il semblait que la chenille, pareille à à ces grotesques de nos cirques forains, chez qui un élé- gant acrobate se cache sous les vêtements divers et ridicules d’un grand nombre de personnages suc- cessifs, était constituée par des fourreaux superpo- sés, et que l’être parfait se trouvait comme ense- veli au milieu de ces langes multiples, destiné à sortir un jour du sépulcre. Rien de plus faux; ce n'est que tour à tour qvune nouvelle peau s° Orga- nise sous l'ancienne, qui crève comme un gant trop 35 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. étroit. I y a une série d’évolutions graduelles. C’est là l’idée récente et exacte des métamorphoses. Cette cause mystérieuse, qui est le mouvement vi- tal, assemble, à temps voulu, les matériaux plasti- ques sur des modèles nouveaux, que rien parfois ne fait prévoir. Prenons garde. Une grosse erreur était encore entrée par cette nouvelle porte. Qui ne connait cette séduisante théorie des perfectionne- ments sériés de la création, cette échelle des êtres de Leibnitz, de Bonuet, allant de la monade à l'homme, en rencontrant sur son chemin le ver, la limace, l'insecte, le poisson, le reptile, loiseau. Elle conduisit à admettre les formes passagères d'un même être en voie de développement comme pareilles aux états définilifs des créations moins élevées. Il n’en est rien en réalité; chaque insecte, dès que ses premiers linéaments sont formés dans l'œuf, a son cachet propre, sa place distincie. I ne s'identifie pas à d'autres animaux, ni éloignés, ni Voisins. Si nous ouvrons les œufs de la poule dans les vingt et un jours que dure l'incubation maternelle, nous trouverons chaque fois un être varié, depuis le premier jour, où la tache blanche qui recouvre le jaune s'élargit, s’accuse en son milieu en une ligne, et se raye de délicats filets sanguins, jusqu’au dernier jour, où le jeune oiseau nous apparait tout emplumé et portant sur le bec cette pointe cornée qui lui permet de briser la coque. Chez les insectes, les petits embryons paraissent hors de l'œuf, de bonne heure, parfois très-éloignés de la ressem- blance originelle qu'ils auront plus tard. Ils sont LES MÉTAMORPHOSES. 57 pareils à tous ces poulets des vingt et un jours qui sortiraient de leur captivité avant la dernière forme, la forme parfaite. Seulement, les insectes éclosent plus ou moins avancés, et doivent accomplir hors de l’œuf les phases par lesquelles l'oiseau passe sous la coque. Il en est qui sont analogues à des poulets qui naîtraient près de la fin de lincubation et n'auraient plus qu’à compléter quelques organes. D’autres, au contraire, éclosent très différents de l’état final, comme des pouleis qui briseraient l'œuf aux premiers jours, et dont les formes de passage ne rappelleraient que bien peu encore le type d’origine. Aussi, tous les degrés existent dans les métamorphoses des insectes, comme nous allons l'expliquer. On à réservé, à proprement parler, le nom de métamorphoses à des changements considérables qui ont lieu à certains intervalles, et après les- quels l’insecte offre un aspect nouveau. En outre, par périodes, Panimal se dépouille de sa peau et apparait avec un nouveau tégument rajeuni et une taille augmentée, sans modification, du resie, dans l'aspect général. Ce sont les mues. En effet, la peau de l’insecte en évolution cesse de croitre une fois formée, elle devient un habit trop juste pour le corps qui grossit en dessous, elle parait tendue sous un effort interne. La mue est un travail péni- ble, une véritable crise dans laquelle l'animal semble souffrir. Il ne mange plus et reste immo- bile ; il succombe souvent, surtout quand la mue doit devenir une métamorphose. La peau se fend le long du dos à la région du thorax, et l’insecte 38 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. dégage le dos, puis la tête, les pattes, l'abdomen. Les jeunes chenilles laissent toujours échapper des fils de soie dont elles tapissent les feuilles, les tiges. Ils leur servent de support pour se cramponner et s’arc-bouter dans cette opération pénible où elles doivent sortir du vieil étui. En général, les mues se répètent quatre fois, parfois trois seulement, pendant le premier état de l'insecte. Elles peuvent amener des changements partiels et légers dans l'aspect de l’insecte. A des chenilles velues, on voit succéder des chenilles rases, comme le ver à soie en offre l'exemple. On voit la couleur des peaux successives se modifier. Chacun connait le petit ver à soie noir en sortant de l'œuf, et qui finira par devenir d’un blanc plus ou moins pur. Des tubercules, des poils, des épines sont aussi le ré- sultat des mues. On aonue le nom d’âges, d’après ce qui se passe chez le ver à soie, aux diverses périodes de la vie de l'insecte, séparées soit par une mue, soit par une métamorphose. Les changements sont détermi- nés, à des époques un peu variables, par diverses circonstances extérieures. Tantôt une surabon- dance de nourriture fait croitre la nouvelle peau sous l’ancienne; parfois, au contraire, quand le régime doit changer, la difficulté de se procurer les vivres semble exciter à la transformation. Enfin, le froid qui engourdit les insectes, les arrête et les maintient dans les phases transitoires, tandis que la vivifiante ardeur du soleil, ce véritable roi de la nature animée, hâte les passages et précipite ces étapes de reptation et d'humilité qui doivent ame- LES MÉTAMORPHOSES. 39 ner le chétif Protée à la splendeur de son dernier vêtement, qu'illuminera la vive lumière de son do- maine aérien. Il y a quelques insectes constamment les mêmes (immutabilia insecta), dans lesquels la taille, les mues et le développement des organes reproduc- teurs sont le seul changement. Ils naissent tels qu'ils seront toujours, ainsi que les petits des mammifères et des oiseaux, mais, par un inexpli- cable renversement, ce sont précisément ces in- sectes dégradés et sans ailes dont nous avons parlé qui preoneat de la sorte un caractère des êtres supérieurs, tout en demeurant les derniers de leur groupe. Nous ne nous en occuperons pas. Les autres insectes doivent nous offrir deux plans généraux de métamorphoses. Les premiers, nommés insectes à métamorphoses incomplètes, naissent dans un état avancé de déve- loppement. Ils n’ont que les six pattes du thorax, mangent au sortir de l'œuf la nourriture qu’ils au- ront sans cesse par la suite, vivent dans les mêmes lieux, réglés par les mêmes mœurs. Les trois états diffèrent peu. L’insecte est d’abord larve, ce qui veut dire être caché ou masqué, et alors il n’a pas d'ailes ; puis il devient nymphe, et, dans cet état, des rudiments d’ailes se montrent, mais ces ailes sont courtes, repliées, impropres au vol (fig. 9). Tout le monde connait les sauterelles qui abondent dans nos prairies, les punaises de bois qui vivent sur différents végétaux et que trahit leur odeur infecte; on peut très-bien y suivre ces deux états, sans qu’on cesse d’avoir sous les yeux des êtres très- 40 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. analogues. Enfin les ailes se développent, alors que l'insecte a quitté sa dernière peau, et on obtient l’état adulte ou parfait, ce que Linnæus appelle l’image, pour indiquer que l'animal est arrivé à sa représentation complète, à laforme sous laquelle il est apte à perpé- tuer son espèce. À ce premier groupe d'insectes appartiennent les orthoptères, les hémiptères et une partie des névroptères. On a quelquefois beaucoup de peine à saisir l'instant où commence la nymphe, les premières apparen- ces d'ailes pouvant se montrer sans changement de peau et s'ac- Fig. 9: A e e LA Nymphe de Némoure Croître lentement avec continuité. bigairée. Un autre groupe, le plus mer- veilleux, le plus étrange, c’est celui des insectes à mé- tamorphoses complètes. Les trois phases de l'existence hors de l'œuf offrent loujours un élat moyen où lin- secte devenu immobile cesse de manger. Il perd alors peu à peu de son poids par évaporation, respire à peine, et la surface de son corps inerte peut s’a- baisser souvent un peu au-dessous de la tempéra- ture du milieu extérieur. Dans celte nymphe, véri- table second œuf, se forment les organes de l’adulte aux dépens d’une pulpe d’abord molle et laiteuse et sans parties internes bien distinctes. Il arrive alors très-souvent que le genre d'alimentation de la larve et de l’adulte, séparés par cet état de vie latente, a changé. A des larves qui vivaient de bois, de feuilles, ou de sang et de chairs fraiches ou mortes, succè- LES MÉTAMORPHOSES. 11 dent, après un temps d’arrèt et de jeûne, des in- sectes qui suceront le miel des fleurs ou feront une pâtée avec leur pollen. Habituellement, les insectes mangent peu au dernier état, et même certains, privés de bouche aple aux aliments, demeurent sans nourriture, appelés uniquement au but de propager l'espèce. Chez les Coléoptères et les Hyménoptères, la larve change complétement de forme dans sa deroière mue, pread l'as- pect de l’insecle partait, avec ses six pattes et ses ailes, mais le tout immobile, contracté, ramassé sur soi-même (fig. 10). Une peau fine enveloppe toutes les parties, sorte de sac moulé sur les organes et les tenant forcément immobiles, sans empêcher de les parfaitement reconnaitre (fig. 11). Souvent un co- con soyeux ou uue coque de malière agglulinée enveloppe ces nymphes. Si, au contraire, on passe aux Lépidoplères, la larve prend le nom spécial de chenille. Elle devient, à sa dernière mue, une masse indivise, conique, avec les anneaux de l'abdomen bien distincts et mobiles, au moins au commencement. Autérieurement, se dessinent très-confusément, sous une peau dure et fixe, en grand raccourci, les pièces de la bouche, les antennes, les ailes. On dirait une momie em- maillottée où certains compartiments de l'enveloppe externe indiquent grossièrement les formes. C’est ce qu’on appelle la fève, à cause de la couleur habi- tuellement brunàtre et de l'aspect desséché (fig. 12), Fig. 10.— Nymphe de Guêpe commune. 42 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. l'aurélie ou la chrysalide, parce que parfois de bril- lantes taches d’or ou d'argent tranchent sur la couleur habituellement terne de cette forme où sommeille l’insecte adulte. Ces apparen- ces disparaissent si on place l'animal dans le vide, elles sont dues à de l’air intercalé sous une mince peau jaune ou blanchâtre. Ce mot nous vient des Latins. Ainsi, nous dit Pline le naturaliste : « La chenille, qui s'est accrue de jour en jour, devient immobile sous une dure écorce, se remue seulement au contact, entourées d’un fin tissu, et s'appelle alors chrysalide. » (Liv. IE, ch. xxxvir.) Fig. 11. — Nymphe d'Orycte nasicorne mâle. Et ailleurs : « C'est la race des chenilles qui, rompant l'écorce où elles sont contenues, deviennent les papillons. » (Liv. If, ch. xx.) Tantôt les chrysalides demeurent diversement suspendues à Pair libre, tantôt dans une coque de Fig. 12. — Chrysalide du Sphinx du liseron. terre agglutinée, ou bien enveloppées d’un cocon soyeux filé par la chenille (fig. 15). Un des plus jolis spectacles qu’offrent les insectes est l’éclosion d'une chrysalide. Elle a lieu habi- LES MÉTAMORPHOSES. 43 tuellement au milieu du jour, comme si les premiers rayons de l’astre bienfaisant donnaient à l’insecte la force d'ouvrir la porte du tombeau. La peau de la chrysalide se rompt ou se fend dans la région de la tête et sur le dos. Il en sort, en se cram- ponnantaveceffort,un petit être tout gonflé, informe, tout mouillé ; il demeure d’abord quelques instants immobile, fatigué de ses labo- rieux elforts. Puis les antennes repliées s’allon- gent et s’agitent, semblant interroger cetle atmo- sphère, route nouvelle, inconnue, interdite jus- qu'alors. Les pattes sortent de dessous le ventre, et l’insecte marche en tournant autour de la peau de la chrysalide, comme s’il lPabandonnait avec quelque re- gret. Sur ses flancs pendent deux moignons épais, inertes, mais où apparaissent déjà en petit les des- _sins futurs, qui ne feront que s'amplifier en conservant leurs rapports (fig. 14). L’insecte in- troduit l’air dans ses trachées par de fortes inspirations ; ce fluide pénètre dans les nervures des ailes en desséchant les liquides et les raffermit. Bientôt de rapides mouve- Fig. 13. — Chrysalide et cocon de Mégasome recourhé. Fig. 14. — Vanesse morio éclosant. 44 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. ments vtbratoires les agitent; l’insecte tourne tour à tour chaque aile du côté de Pair libre, afin de la sé- cher. Le frémissement est si précipité que l'œil aper- çoit une masse élargie et indistincte, comme lorsque vibre une corde élastique. En même temps Paile grandit dans une proportion extraordinaire, incroya- ble. Une nouvelle immobilité indique un repos bien mérilé par tant d’eflorts. Bientôt un effluve de cha- leur, un rayon de soleil frappe l'insecte engourdi ; un instinct tout nouveau s'éveille en lui, celui de la reproduclion ; il s’élance sans crainte; les fines membranes battent l’air en mesure, le fluide élas- tique réagil, l'insecte s'avance dans le milieu sub- ul, et, dédaignant cette terre qui a nourri son en- fance , plus roi que le roi de la création, qui le regarde avec envie, il monte, il monte, amoureux de liberté, enivré de soleil. Quelques gouttes de miel, source de chaleur et de force musculaire par la combustion respiraloire, vont devenir sa seule nourriture. Les Diptères présentent certaines différences dans leurs métamorphoses. Quelques Diptères ont des larves à tête écailleuse devenant des nymphes. La plus grande partie, comme l'immense groupe des Mouches, nous offre des larves sans pattes, mais agiles de diverses manières, se raccourcissent, se contractent, avant leur dernière mue, en une coque ovoide, formée par la peau même de la larve. Cette peau, d’abord molle et blanche, se durcit et brunit. Cette coque ne laisse voir au dehors au- cune trace, aucun linéament de l’insecte parfait qui se formera à l’intérieur. C'est une sorte de ba- LES MÉTAMORPHOSES. 45 rillet, pareil à une graine de belle-de-nuit, tout à fait immobile (fig. 15). Quand l’insecte a pris assez de force, sa tête rompt le couvercle de cette prison, qui se détache comme une calotte, et le diptère sort, d’abord pâle et humide, se colorant bientôt à l'air, raffermissant et développant ses ailes. Cette sorte particulière de nymphe s’ob- serve très-bien dans ces vers de diverses mouches à viande, nom- més asticots, et qui servent d’a- morce pour les pêcheurs à la | ligne. On l’appelle pupe. On re- il connaît 1c1 le mot qui exprimait Fig. 15. : : Larve et nymphe de chez les Romains ces petites figu- sarconhage carnassière. res humaines en bois, en carton, en cire (nos poupées, chères délices du premier âge), que les petites filles recouvraient de langes qui cachaient leurs formes, comme la coque du dyptère. Elles les déposaient et les consacraient à Vénus quand elles avaient atteint l’âge de puberté. (l | | « Dites-moi, pontifes, que fait l’or dans vos temples? Le même effet que ces poupées offertes par les jeunes filles à Vénus, » (Perse, Sat. 11.) Nous termimons ici cet indispensable préambule. Nous en avons assez dit pour faire pressentir qu’au lieu de la dédaigneuse épigraphe du début notre admiration va s'écrier avec Pline : « Dans ces êtres si petits, et qui paraissent si nuls, quelle force, quelle raison, quelle inextricable perfection ! » Nous nous joindrons à Linnæus dans cet adage célèbre : 26 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. La nature fait voir les plus grandes merveilles dans les plus pe- tits objets. Un enseignement plus élevé, une vérité supé- rieure doit ressortir encore de l’étude des insectes. C’est dans ses plus petites créations que Dieu est le plus grand : maximus in minimis Deus ! Nous dirons avec un maître éminent : « On doit s’étonner qu’en présence de faits tellement significatifs et telle- ment nombreux, il puisse encore se trouver des hommes qui viennent nous dire que toutes les mer- veilles de la nature sont de purs effets du hasard, ou bien des conséquences forcées des propriétés générales de la matière, de cette matière qui forme la substance du bois ou la substance d’une pierre; que les instincts de l'abeille, de même que les con- ceplions les plus élevées du génie de l'homme, sont de simples résultats du jeu de ces forces phy- siques qui déterminent la congélation de l’eau, la combustion du charbon, ou la chute des corps. Ces vaines hypothèses, ou plutôt ces aberrations de l'esprit, que l’on déguise parfois sous le nom de science positive, sont repoussées par la vraie science ; les naturalistes ne sauraient y croire, et aujour- d’hui, comme du temps de Réaumur, de Linné, de Cuvier et de tant d’autres hommes de génie, ils ne peuvent se rendre compte des phénomènes dont ils sont témoins qu’en attribuant les œuvres de la création à l'action d’un Créateur. » (M. Milne-Ed- wards, Conférence à la Sorbonne, décembre 1864.) INSECTES A MÉTAMORPHOSES COMPLÈTES CHAPITRE III COLÉOPTÈRES Carnassiers de proie vivante, cicindèles et carabes. — Les calosomes, chasseurs de chenilles. — Ce mormolyce-teuille, les scarites. — Les canonniers. — Carnassiers aquatiques : dytiques, gyrins, hydrophiles et leurs coques; mœurs cruel'es des larves. — Les fossoyeurs, les sil- phes, amis des cadayres. — J.es coléoptères des cavernes. — Les sta- phylius. — Les dermestes deslructeurs. — Les vers luisants et les driles, chasse aux colimacous. — Les taupins, leurs sauls; phospho- rescence. Les vers blaucs et les h-onetons; ravages. -— Les cétoines et les goliaths. — Le scacabée rhiaocéros. — Les pilulaires, le scara- bée sacré. — Les fables aatiques. — Les cerls-volants. — Les téné- brions des bovlangseries. — Curieuses méamorphoses des coléoptères vésicants. - Les charancons ou porte-becs. — Les bruches des lé- gumes secs. — Les scolyies. — Les richards ou buprestes. — Les ca- pricornes. — Les chrysomèles. — l.es criocères et les cassides; mœurs étranges des larves. — Les coccinelles ennemies des pucerons. Les coléoptères sont les insectes les mieux con- nus et les plus étudiés à l’état parfait, principale- ment par la facilité que les amateurs éprouvent à les conserver en collections ; on peut assurer qu’on n’en à décrit et nommé pas moins de soixante- dix mille espèces. Ils présentent les modes d’habi- 48 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. tation et de nourriture les plus variés. Les uns, pareils aux carnassiers, qui sont l’effroi des ani- maux supérieurs et même de l'homme, dévorent les insecies vivanis. Ils chassent, soit sur le sol, soit sur les plantes basses, soit dans les arbres. D’autres, aquaiiques, poursutveat leur proie au sein des eaux. Il en est qui habitent des lieux arides et brûlés par le soleil où toute proie semble manquer. Beaucoup de coléoplèces viveat de cadavres, de matières animales en voie de décomposiliou. Ce sont, dans l’ordre harmonique de la nature, d'u- tiles auxiliaires de la salubrité atmosphérique. Enfin d'immenses légions d'insectes de ce groupe se nourrissent de matières végétales, attaquant les racines, les écorces, les bois, les feuilles, les fruits et les graines, tantôt sur les plautes vivantes, tan- tôt sur les produits du règne végétal, servant à l’ali- mentation de l'homme et à ses constructions. Autant les coléoptères sont bien décrits sous la forme adulte, autant leurs larves et leurs nymphes sont encore ignorées pour Ja plupart. Elles ne peuvent que très-difficilement s'élever en captivité, et c’est le motif qui détourne les amateurs de leur recherche. Nous nous contenterons, ici comme pour les autres ordres des insecles, d'indiquer ce qui con- cerne les types les plus intéressants et qu’on ren- contre le plus souvent. Le meilleur commentaire de notrelivre,c’est la nature continuellement observée ; elle est la vérification aisée de nos indications. Donnons, comme d'habitude, le pas aux guer- riers. Voici les carabiques. Leur tête est armée de COLÉOPTÈRES. 49 puissantes mandibules propres à déchirer leurs faibles victimes; elles jouent le rôle des dents du lion et du tigre. Des yeux composés très-larges permettent à ces cruels chasseurs d’embrasser un vaste horizon. Des paites cylindriques, robustes, allongées sont les instruments d’une course pro- longée et de grande vitesse. Nous trouvons d’abord des carnassiers à taille élancée, à grosse tête saillante, à pattes très-lon- gues. Ce sont les cicindèles, d’une démarche vive et rapide. Elles se jettent sur les insectes qui passent à leur por- tée; leur vue excellente, leur agilité nous empêchent de les saisir facilement. Elles se plai- sent, par la chaleur du jour, dans les lieux sablonneux et secs; au soleil, elles volent de- vant l'observateur en changeant constamment de direction ; mais ce vol dure peu. Par les temps GR LRU froids et humides, elles ne volent pas, mais courent entre les gozons. On rencon- tre en abondance près de Paris, dans les sen- tiers, dans les jardins même, la cicindèle cham- pêtre, d’un beau vert, aux cinq points blancs, sur les élytres, parfois d’un nombre moindre, parfois nuls. L'abdomen offre d’éclatantes nuances de rouge cuivreux (fig. 16). La cicindèle hybride vit dans les bois sableux ; son vert est terne et assom- bri, relevé par des bandes et un croissant blanc. La cicindèle sylvatique, plus grande;,' qu'on trouve 4 20 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. à Fontainebleau, est brune, toujours avec bande et points blancs. La cicindèle germanique est une jolie petite espèce effilée, à corselet cuivreux, à élytres vertes. Elle vole peu et court comme un carabe dans les hautes herbes. M. le docteur Laboulbène l'a rencoalrée très-commune au Bourg-d’Oisans, près de Grenoble. On la trouve accidentellement près de Paris, je lai prise dans la Brie. Ces beaux insectes cherchent à mordre quand on les saisit, mais sans pouvoir entamer la peau. Ils répandent une forle odeur de rose ou de ja- cintbe, bientôt mêlée d'une odeur âcre due à une salive brane qu'ils désorgent ;.« ce sont les tigres des insectes, » dit Linnæus; bienfaisants carnas- siers qui dévorent une foule d'insectes nuisibles, ils concourent à la protection de nos forêts. A l'état adulte, ces puissants chasseurs dédai- oneut la ruse et s’élancent avec férocité sur leur proie. Il n’en est pas de même dans leur premier âge. Leur appétit est aussi cruel, mais leurs pattes sont courtes et faibles; ils se déplacent difficile- ment et presque tout leur corps est mou. La ruse va suppléer à la force. On rencontre en abondance, de juillet à octobre, les larves de la cicimdèle champêtre dans des trous verticaux ou obliques, comme des cheminées cylindriques, ayant de > à 12 centimètres de long, placés dans les en- droits secs. Les trous creusés par la larve de la cincidèle hybride ont jusqu'à 90 centimètres de profondeur. La larve de la Cicindèle champêtre, qui atteint de 20 à 22 millimètres, est allon- gée, composée de douze anneaux (fig. 17). La COLÉOPTÈRES. 54 tête est cornée, bien plus large que le corps, en forme de frapèze, le premier anneau également corné, d’un vert métallique, est élargi comme un bouclier : les autres anneaux sont mous et d’un blanc sale; le hui- tième, bien plus large, supporte une paire de tubercules charnus, rétractiles, surmontés de crochets et dont voici l'usage : la larve, pliée en Z, monte dans son tube et s’y cramponne, appuyée par le dos du thorax, et souteuue par les crochets du huitième anneau. Sa large tête, repliée à fleur de terre, forme un pont qui masque le lrou. Malheur à l’insecte imprudent qui Fig. 17. — Larve de cicindèle champêtre. passe sur cette bascule perfide ! Elle cède sous lui, il est précipité au fond du puits meurtrier où la ci- cindèle se gorge de son sang (fig. 18). Pour obte- nir cette curieuse larve, C. Du- méril recommande de des- cendre avec précaution un fétu de paille dans le trou et de l’y laisser quelque temps immobile. Bientôt elle saisit la paille qui lirrite, et on peut la remonier, cramponnée par ses puissantes mandibu- les. Au moment de se méta- Fig. morphoser, la larve agrandit AM . 18. — Trou d'affût de cette larve. le fond du trou et bouche l’orifice avec de la terre détachée du sol; c’est ce qui fait qu’on a été fort 52 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. longtemps sans connaitre la nymphe, découverte et publiée par M. Blisson, en 1848. Il est bon de fixer à demeure un petit piquet dans le trou de la cicindèle, il servira plus tard à retrouver la nymphe. Elle est luisante, un peu arquée, d’un jaune paille, avec des pattes blanchâtres, le tout recouvert d’une mince peau qui laisse voir les formes, comme chez tous les coléoptères. Les pre- miers segments de l'abdomen ont de petiles épines, le cin- quième deux longues poin- tes divergentes, servant sans doute à la maintenir au fond du trou (fig. 19 et 20). Fig. 49. — Nymphe de la Près des cicindèles se pla- RS M cent des coléoptères, égale- ment ailés el très-agiles, de forme plus robuste, remarquables par la grosseur de la tête et le développement des yeux qui sont très-proéminents. Ce sont des chasseurs semi-nocturnes, ayant besoin de bien apercevoir leurs victimes, dans une lueur indé- cise qui tend à les dérober aux atteintes. On les nomme les mé- __ gacéphales, et ils existent dans Pet Re meme les deux continents. Une espèce doit nous intéresser à juste ti- tre, c'est la mégacéphale de l'Euphrate (genre Te- tracha des auteurs modernes), découverte par Olivier sur les rives de ce fleuve célèbre. Elle est un peu plus grande que notre cicindèle champêtre ; COLÉOPTÈRES. 25 ses appendices sont fauves, le sommet de la tête, le corselet, la majeure partie des élytres et le des- sous du corps d’un beau vert brillant. L'extrémité des élytres est noirâtre, puis, d'un fauve pâle. Celte mégacéphale existe près d'Oran, sur le bord de salines natu- relles, vivant dans des trous circulaires qu'elle creuse dans la terre grasse et humide des berges. C’est seulement au cré- puscule du soir et du matin, nous apprend M. Cotty, qu’on voit ces insectes courir avec rapidité autour de leurs trous, * sans faire usage de leurs ailes. Il ne faut donc pas chercher ce brillant insecte ni en pleine + nuit , ni au milieu du Jour. En Dans la Transcaucasie, pareil- lement dans des terrains salés, Ménétriès a capturé la mégacéphale et l’a vue se nourrir avec voracité de lombrics et de chenilles. Sa larve est remarquable par sa grosse tête et la largeur du premier segment du thorax. Elle se tient en embuscade, pliée dans son trou, comme les larves de cicindèle, et, pour s'appuyer, son hui- tième anneau est muni de quatre crochets cornés. Enfin, cet insecte est devenu européen, on l'a ren- contré dans des salines naturelles près de Murcie, en Espagne, et on peut présumer qu'il existe en France dans quelques localités analogues, par exemple dans les environs de Maremmes ou près À A mL ZE D4 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. des marais salants des côtes méditerranéennes. L'espérance de déterminer quelques personnes à faire celie intéressante recherche nous a engagé à mentionner la mégacéphale de l'Euphrate, et à montrer combien s'étend sa zone d'habitation. Un type des plus étranges termine le groupe des cicindèles. Ils se compose d'insectes {rès-rares dans les collections et habitant les déserts du pays des Holtentots, dans l'Afrique australe. Au lieu des formes élégantes des cicindèles proprement dites, imaginez des coléoplères aux longues paltes ro- bustes et velues, à la parlie ventlrale renflée, non sans analogie d'aspect avec les mygales, ces énormes araignées poilues qui atlaquent, dit-on les oiseaux- mouches, vous avez les manticores. Leurs élytres soudées, larges el tranchantes sur les bords, ne recouvrent pas d'ailes. Les manticores, peuchées un peu en arrière lors de l'affût, tiennent leurs formidables mandibules hautes et ouvertes. Elles disparaissent par la fuite la plus rapide dès qu’on cherche à les saisir. Si elles ne trouvent pas de retraite, elles s’adossent contre quelque obstacle et se mettent sur la défen- sive. C’est à l’ardeur du soleil qu’on les voit courir, dit M. de Castelnau dans la relation de son voyage en Cafrerie. Elles se réfugient dans des trous cir- culaires, faits peut-être par des Condylures, ani- maux de la famille des Taupes. M. de Castelnau essaya en vain de s'en emparer dans ces retraites profondes. I] fit inutilement creuser à deux mètres et demi, et les nombreuses galeries qu’on décou- vrait sans cesse l’obligèrent à abandonner un travail COLÉOPTÈRES. 55 manifestement inulile. On connait maintenant plu- sieurs espèces de ces curieux insectes, dont la moins rare est la manticore tuberculeuse. Nous figu- Fig. 22. — Manticore à larges élytres. rons la plus grande espèce, la manticore à larges élytres. Les carabes sont des chasseurs encore plus for- tement armés que les cicindèles. Ce sont essentiel- lement des carnassiers terrestres ; ils manquent d’ailes sous leurs élytres soudées. On les reconnait tout de suite à leur corps ovale et convexe, à leurs longues antennes amineies, à leur corselet élégam- 26 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. ment découpé en cœur. Leurs élytres sont épais- sies au bord, leurs pattes longues et robustes. Tou- jours solitaires, ils courent dans les sentiers, entre les herbes des bois, sur les talus bien exposés où abondent les insectes. Leurs élytres sont parfois lisses, le plus souvent striées longitudinalement ou rugueuses et chagrinées. Parfois elles sont noires et ternes, le plus souvent elles brillent d’un viféclat métallique. Dans nos jardins, dans nos champs abonde le carabe doré, aux élytres d’un beau vert, avec des côtes élevées; aux pattes et aux antennes jaunätres (fig. 21). On le nomme la jardinière, la couturière, le sergent, le vinai- grier. Cet insecle, comme ceux de son genre, lance par l’anus, quand on lirrite, un liquide cor- rosif et d’une odeur fétide; c’est de l'acide butyrique, ainsi que l’a reconnu Pelouze, celui qui donne . {6e la mauvaise odeur au beurre crus rance. En outre, il rejette une sa- live brune et âcre. Il serait bien à désirer que les gens de la campagne, au lieu d’écraser ce brillant insecte, eussent pour lui le respect qu'on doit aux défenseurs des récoltes. Les larves qui vivent de racines, les chenilles, les hannetons surtout n’ont pas de plus formi- dable ennemi. On rencontre parfois au milieu d’un sentier un carabe doré saisissant un hanneton par le ventre, lui dévorant les intestins, tandis que le hanneton marche en endurant ce terrible sup- COLÉOPTÈRES. 57 plice, sans que le carabe cesse de le suivre un seul instant. Nos environs de Paris nous offrent aussi le carabus monilis, d’un vert cuivreux ou violacé, avec trois rangs de lignes sur les élytres et trois séries de points saillants entre les sillons comme des grains de chapelet, le earabus purpurascens, d’un aspect très-allongé, à robe sombre bordée de belles nuances violettes et purpurines (fig. 22). Le midi de la France, les Pyrénées pré- sentent aux amateurs des ca- rabes dont les teintes métalli- ques rivalisent d'éclat avec les plumes à reflets étincelants des paradisiers et des oiseaux-mou- ches; ainsi les Carabus auro- nitens, splendens et rutilans, ces derniers propres aux Pyré- nées, dont la rencontre comble de joie les jeunes entomologis- tes, émerveillés des feux bril- lants de leur parure. Les larves des carabes vivent sous les herbes et les mousses, une dans les feuilles sèches et les trones d'arbre. Elle se ressemblent beaucoup dans les diverses espèces, sont assez longues, aplaties, d’un brun foncé, luisant en dessus, avec le corps ter- miné par deux petites pointes. Elles s’enfoncent en terre et se transforment en nymphes sous les pier- res. Les carabes qui en sortent par la peau fendue le long du dos sont d’abord mous et d’un jaune terne; mais au bout de deux ou trois jours leurs D 58 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. téguments acquièrent leur dureté et leur éclat mé- tallique. Les larves des carabes sont agiles, à pattes Rig.25;: Larve du Carabe brillant d'or. bien développées ; aussi n’ont-elles pas besoin de piéges. Elles chassent à découvert et sont aussi carnassières que les insectes pariaits. Nous figu- rons la larve du Carabus auro nitens (fig. 25). Nous engageons à rechercher sur les berges des ruisseaux une espèce de carabe, très-rare à cause de la difficulté de sa chasse. Il faut le guet- ter la nuit, aux lanternes. IL parait vivre de grenouilles et de petits poissons. C’est le carabe noduleux à élytres creusées de fossettes et re- levées de bosselures, tout noir. On le cite d’Allema- one et d'Alsace, mais on doit le rencontrer avec de la pa- tience en d’autres lieux de notre pays. Un autre groupe de co- léoptères chasseurs est ce- lui des calosomes. Ceux-là grimpent aux arbres et de plus ont des ailes sous leurs élytres, ce qui leur sert à passer d’un arbre à l’autre. Fig. 26. — Carabe noduleux. Tandis que les carabes ont les épaules étroites, arron- dies eteffacées, les calosornes ont la base des élytres bombée et saillante sur les côtés, afin de loger ces or- COLÉOPTÈRES. 59 ganes nécessaires à leur genre de chasse. Ce sont, eux et leurs larves, de grands destracteurs de che- nilles. C’est au mois de juin, de six à sept heures du soir, dans nos bois parisiens, qu’il faut cher- cher le magnifique calosome sycophante, le long des troncs de chène ou en en secouant les branches. Son corselet en cœur, comme celui des carabes, est d'un blea sombre bordé de bleu plus vif, ses élytres étincellent de lé- clat de l'or le plus poli, son abdomen est mêlé de noir et de violet (fig. 27). Réaumur nous fait con- naître que sa larve, d’un noirlustré analogue d’as- pect à celles des cara- bes, va souvent établir son domicile au milieu de ces grandes bourses soyeuses que nous voyons attachées sur les chênes. Elles sont habitées Par Fig. 27. — Calosome sycophante. des chenilles dites pro- cessionnaires (Bombyx processionea) d’après la ma- nière dont elles sortent en rang à la suite les unes des autres. Ces chenilles paisibles semblent ignorer les intentions de leur hôle terrible. Tout d’un coup il se jelte sur elles, les perce de ses robustes mandibules et sème autour de lui le carnage, au grand profit de l'arbre, qu'il débar- rasse d’un fléau. Nos bois présentent aussi une espèce plus petite, le calosome inquisiteur, à cou- 60 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. leur sombre, un peu cuivreuse. On trouve bien plus rarement le calosome à points d’or, propre au Midi. M. Lucas a vu en Algérie, près d'Oran, la larve de cette espèce dévorer des colimaçons et s’é- tablir dans leur coquille (fig. 28 et 29). Toutes les larves de calosomes sont si voraces, qu’elles se gor- gent d'aliments au point de doubler de grosseur dans leur peau distendue. Elles tombent alors dans un état de torpeur, comme les serpents qui digèrent, et sont pariois dévorées par de plus jeunes lar- ves de leur propre es- pèce. Elles s’enfoncent en terre pourse changer en nymphes de couleur claire, en forme de croissant. Nous nous contente- rons maintenant d'indi- Fig. 98 et 29. quer d'une manière ra- ne ne du Calosome bide quelques exemples Curieux qui lermine- ront cette revue de la grande famille des carabi- ques ou coléoptères terrestres se nourrissant de proie vivante. En 1895 fut signalé pour la première fois à l’at- tention des amateurs un coléoptère de Java, de la forme la plus singulière, avec les élytres élargies et débordant en manière de feuille (fig. 50). Il de- meura longtemps fort rare dans les collections et d’un prix excessif. On peut voir ci-contre la figure COLÉOPTÈRES. 61 d’un magnifique exemplaire de cette espèce, prise d'après nature, comme au reste presque tous les Fig. 50. — Mormolyce-feuille. dessins de cet ouvrage. La larve, récemment con- nue, se rapproche par sa forme de celle des carabes, et se trouve sur les troncs et les racines des arbres de haute futaie, dans les forêts profondes de Pile malaise. On peut voir que la nymphe commence à présenter un élargissement en rapport avec la forme de l’adulte (fig. 31 et 52). On a cru longtemps que 62 LES METAMORPHOSES DES INSECTES. ces Carnassiers aplalis vivaient sous Jes écorces. On sait maintenant, par M. de Castelnau, qui a décou- vert deux espèces nouvelles dans la presqu'ile de Malac- ca, qu’ils se tiennent ex- clusivement, favant la lu- mière,con{re le sol, sous les arbres gigantesques, gisant renversés. Quand, à force de bras, de vigoureux Malais, ces troncs sont déplacés brus- FR quement, on voit les mor- Larve et nymphe de Mormotyce, Molyces immobiles, éblouis pendant quelques instants. Qu'on se hâte de les saisir, car ils fuient bientôt avec rapidité. Nous rencontrons dans le midi de la France, sur les plages sablonneuses de la Méditerranée, par exemple près de Cannes, de singuliers coléoptères noirs, à tète énorme, insérée sur un corselet en demi-cercle et armée de deux fortes mandibules. Ce sont les scarites, insectes semi-nocturnes, qui se creusent des galeries dans le sable et sortent la nuit pour chasser. Une espèce, la plus grande que nous ayons en France, passe le corps à demi hors de son terrier, à la façon d’un grillon, et tient écartées comme une pince ses fortes mandibules, prètes à saisir la proie qui passe à portée (fig. 33). Nous recommandons aux touristes ces insectes in- téressants. Écoutons M. de la Brülerie au sujet de cet insecte, le Scarite géant, qu'il observait sur les côtes du sud de l'Espagne : COLÉOPTÈRES. 65 « Les heures de soleil sont pour lui les heures de chasse. Ses pattes, si bien construites pour fouir la terre, lui seraient de peu de secours pour atteindre Fig. 55. — Scarite géant à l'affut. à la course une proie plus agile que lui; aussi ne connaîl-il que l'affût à l’entrée de son trou. Il sait que ni la nuit ni l'ombre ne sont favorables à ses exploits, puisque les mélasomes dont il se nourrit n'aiment que la lumière et la chaleur. Aussi met-il à profit les nuits et les journées sombres pour la promenade. Les mäles sont bien plus vagabonds que les femelles ; celles-ci sortent peu de leur re- traite. C’est sans douie leur recherche qui, par certaine journée où le soleil ne se monira pas, avait fait sortir des scarites mâles plus nombreux que de coutume. J’en vis deux qui se battaient, peut-être pour la possession d’une femelle. C’était plaisir de les voir prendre champ, et, dressés sur leur première paire de paltes roides en avant, se me- nacer de la dent. Tous deux ensemble ils s’élan- 64 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. , cent, enlacent leurs maudibules, serrent et se- couent avec rage. L’un et l’autre fait d'inutiles efforts pour blesser son adversaire ou le forcer à lâcher prise. Grâce aux armes et aux cuirasses égales des deux champions, cette première attaque reste sans résultat. Ils se séparent, reculent de quelques pas et s’élancent de nouveau. Cette fois, le plus adroït réussit à saisir l’autre par la taille, c'est-à-dire par le pédoncule étroit qui joint le prothorax au reste du corps. Il serre de tout son pouvoir; son iateniion manifeste est de couper en deux son ennemi, mais c’est en vain; il ne par- vient pas même à entamer sa carapace. Alors, au lieu d’user ses forces en pure perte, il prend un autre parti. Roïdissant en avant plus que jamais ses paltes antérieures et fléchissant en arrière son prothorax, dont l'articulation mobile lui permet de donner à ce mouvement une amplitude peu ordi- naire chez les carabiques, il élève verticalement ses mandibules et tient ainsi son adversaire enlevé de terre. Le pauvre scarite, privé de point d'appui, agite en vain ses pattes, ouvre et ferme sa bouche sans rien saisir que le vide, puis cesse de faire au- cun mouvement. Mais le vainqueur inexorable ne se laisse pas prendre à ce stratagème ; il continue à rester immobile et à tenir en l’air son adversaire. J'avais été jusqu'alors simple spectateur du com- bat; mais comme la scène paraissait devoir se pro- longer sans nouvelle péripétie, je me décidai à intervenir. Le danger commun fit fuir les combat- tants, mais à peine avaient-ils parcouru quelques décimètres qu'ils se retournaient et se jetaient de À COLÉOPTÈRES. 65 nouveau l’un contre l’autre. Tous deux étaient sur leurs gardes ; aussi, bien des attaques furent-elles parées. Enfin, l’un saisit l’autre et l'enleva de terre comme la première fois. Malgré mon désir de voir l'issue définitive de la lutte, je ne pouvais rester à la même place toute la journée, et je les laissai dans cette position‘. » Nous passons avec indifférence à côté des pierres qui gisent dans les chemins champêtres. Soule- vons-les au contraire, 1l s’en échappe une nuée de petits êtres divers. Nous y trouverons d’élégants carabiques dont la tête, dont le corselet svelte et brillant se détachent en rouge sur des élvtres vertes ou bleues. Ils sont faibles et ne peuvent vivre que des plus chétives proies. Les gros carnassiers se meltent volontiers à leur poursuite. 0 surprise ! de petites explosions se font entendre, une vapeur corrosive sort en forme de fumée par l'anus de ces brachins ; l'ennemi est mis en fuite à coups de re- volver. Il parait en outre que la nuit une légère lueur phosphorescente accompagne la crépitation. Chez les espèces exotiques de beaucoup plus grande taille, l'explosion est plus violente et le liquide pro- jeté peut causer des urtications sur la peau. Ces fu- mées sont très-acides, rougissent le tournesol et répandent une odeur analogue au gaz nitreux. De là le nom de canonniers ou bombardiers, qu’on donne à ces petits coléoptères, qui vivent chez nous en sociétés nombreuses sous les pierres. Les noms d’es- pèces, sclopeta, crepitans, explodens, sont en rap- port avec celte singulière arme défensive. 1 Ann. Soc. entomol. de France, 1866, p. 521. 66 LES METAMORPHOSES DES INSECTES. Enfin une innombrable légion, celle des harpales, termine le groupe des carnassiers terrestres. On les rencontre toute l’année, sous les pierres, dans les chemins, au pied des arbres. Ils sont de petite taille, de couleur foncée, quelquefois métallique, - avec des pattes päles. Grâce à eux, le plus menu gi- bier des espèces nuisibles aux végétaux est dévoré; ils s'attaquent à ces petites proies que dédaignent les grandes espèces, et, malgré leurs faibles dimen- sions, nous rendent d'éminents services. Qui n’a observé parmi eux le harpale bronzé, si commun, si répandu, qu’on rencontre dans l'intérieur de Pa- ris, dans toutes les cours, dans les moindres jardi- nets ? Nous citerons encore, comme bien utiles et se trouvant partout, la féronie noire, la féronie cuivrée, l'amara trivialis, ete. On voit souvent ces petits in- sectes, courant en tous sens après la proie, agiles, étincelants, comme de menus morceaux de cuivre ! qui brillent sur les chemins et même entre les pavés des places publiques. Par une curieuse inversion de régime, les zabres sont des carabiques dont quelques espèces man- ent des plantes. La larve du zabre bossu est nuisi- ble aux céréales; le docteur Laboulbène a vu dans les Landes le zabre enflé dévorer les étamines des Carex. Les eaux, comme la terre, sont habitées par d'au- tres chasseurs. Les pattes recourbées et élargies en rames, munies de cils, les font aussitôt reconnaitre, D'ingénieux arlifices leur permettent de respirer l'air en nalure; de même que les marsouins, les dt té ton es > à à COLÉOPTÈRES. 67 épaulards, ils sont obligés de puiser Pair à la sur- face et ne peuvent se contenter de l'eau aérée comme les poissons et les mollusques. Les plus puissants de ces carnassiers aquatiques sont les dytiques. Leur corps ovalaire, aplati, arrondi vers les extrémités, en biseau sur tous ses bords, est admirablement conformé pour fendre l'eau. Amis des eaux stagnantes, bourbeuses même, on les voit nager avec vélocité au moyen de leurs pattes posté- rieures. Ils remontent aisément en demeurant im- mobiles, la tête en bas, leur corps étant gonflé d'air amassé dans la partie terminale de l'intestin. Ils soulèvent l'extrémité postérieure de leurs élytres, englobent une bulle de fluide atmosphérique et les referment. De cette façon l'air, poussé comme par le piston d’une pompe, pénètre dans leurs tubes respiratoires,sans que l’eau puisse y entrer. Ils pour- suivent tous les êtres vivants qui nagent autour d'eux ; ce sont les requins de la création entomolo- gique. Ils saisissent leur proie avec leurs pattes de devant et la portent contre leur bouche. Non-seu- lement ils s’attaquent aux larves des libellules, des éphémères, des cousins, mais aux têtards des gre- nouilles et des tritons, aux mollusques des eaux, aux petits poissons, aux œufs des écrevisses. Qu'on leur jette une grenouille éventrée, ils s'y allachent avec délices. On peut les conserver dans des bocaux et les alimenter avec de petits morceaux de viande crue. Esper en à nourri ainsi un plus de trois ans : dès qu'il voyait arriver sa pelile provision, il se Jetait dessus avec l’avidité de Phyène et en suçait le sang de la manière la plus complète. Une si 65 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. grande voracité doit dépeupler souvent les eaux qu'habitent les dytiques. Heureusement pour eux, ils sont amphibies. Ils sortent de l’eau et marchent sur le sol avec quelque difficulté; mais le soir, dépliant leurs ailes, bour- donnant à la facon des hannetons, ils se transpor- teront dans d’autres mares où ils amèneront la ter- reur el le ravage. Une espèce commune et de forte taille est le dytique bordé. Le mâle a les élytres lis- ses, celles de la femelle sont cannelées pour qu'il Fig. 54et 35. — Dyhque bordé, mâle et femelle, patte antérieure du mâle grossie. puisse s'y cramponner, et sous ses pattes antérieu- res sont deux cupules garnies d’une foule de peti-" tes ventouses qui assurent son adhérence. Dans leur premier état, les dytiques sont exclusi= vement aquatiques, encore plus voraces qu’à l’état adulte, se nourrissant pareillement de proie vivante. La lave du dytique bordé est brune, comme cou verte d’écailles, allongte, renflée au milieu. Elle *4 shoes FAR TS PT ST NE $ à ne] COLÉOPTÈRES. 69 nage par des mouvements vermiculaires rapides en frappant l’eau avec la partie postérieure de son corps. Deux petits corps cylindriques, divergents, à l'extrémité de son abdomen, lui servent à puiser l'air à la surface de l’eau. Sa tête est armée de deux mandibules en pince acérée, propre à harponner ses victimes. En dessous est la bouche, très-cachée, et contenant de petites mâchoires à l’intérieur. Quand le temps de la métamorphose est arrivé, ces larves aquatiques deviennent exclusivement terrestres. Elles quittent l’eau, s'enfoncent dans la terre hu- Fig. 36 et 57. — Nymphe et larve du dytique bordé. mide qui borde les ruisseaux et les mares, et, dans une cavité ovale qu’elles se pratiquent, se chan- gent en nymphe d’un blanc sale, qui passe habi- tuellement l'hiver. Disons, pour terminer, qu'on à remarqué l’extrême sensibilité du dytique bordé aux variations de l’atmosphère. [se tient dans l'eau à diverses hauteurs selon l’état du ciel, et peut ser- vir ainsi de baromètre vivant. La plus grande espèce de France est le dytique très-large, trouvée d'abord dans le nord de l'Europe, puis en Alsace, en Lor- 70 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. raine, enfin aux Andelys. Nous engageons les jeunes amateurs à la rechercher près de Paris, où elle existe probablement. Dans un genre très-voisin, il faut citer le cybister de Rœsel, dont le corps à l'état vivant parait orné d’un beau glacis bleu. A la suite des dyti- ques se placent d’autres carnassiers des eaux, les gyrins, de mœurs un peu différentes. Ceux-là aiment les eaux claires, un peu agitées. Qui ne connait ces petits In- bronzé, traçant à la sur- Di face des eaux les plus Dytique Re femelle. capricieux méandres. On dirait au soleil de brillantes étoiles se détachant sur l'azur liquide. Ils vivent en troupes nombreuses, tournoyant sans cesse les uns dans les autres sans se heurter, ce qui leur a valu le nom vulgaire de tourriquets. Leur corps est entouré d’une mince couche d'air qu'ils entraînent avec eux lorsqu'ils plongent, et on voit alors sous leur ventre une bulle d'air simulant un globule d'argent et qui trahit leur présence. Ils poursuivent sans relâche les insectes qui, comme eux, vivent sur la surface de l’eau, ceux qui y viennent respirer ou qui y tombent. Deux longues pattes antérieures sont projetées brusquement sur la proie, puis elles sectes noirs, à reflet RÉ Se Se ns COLÉOPTÈRES. 71 se cachent dans des sillons latéraux pour ne pas gèner la natation rapide du gyrin. Ce sont les paltes suivantes, courtes, mais larges et munies de cils roides, qui font l'office de rames. Par une organisa- tion admirable, les yeux composés des gyrins sont doubles : la moitié inférieure aperçoit dans l’eau la larve molle qui peut servir de proie ou les pois- sons féroces , la moitié tournée vers le ciel avertit l'animal du danger aérien qui le me- nace et lui permet d'échapper, par un plongeon rapide, au bec assas- sin de l'hirondelle. Qu’on mette un gyrin dans un verre d'eau; après avoir fait quelques tours en nageant, il vient se poser immobile à la surface du liquide; sion approche le doigt, il s'enfonce aussitôt. Il saute hors de l'eau pour échap- per aux poissons, et bientôt s’aide de ses ailes, qui lui servent le soir à se transporter de ruisseau en ruis- seau. Cette vue perçante, la prestesse de leurs mou- vements, rendent fort difficile la capture des gyrins. À peine si on en prend quelques-uns en jetant brus- quement un filet en forme de poche au milieu de la troupe en ébats. On les saisit entre les doigts, aus- sitôt, arme perfide ét imprévue, une humeur lai- teuse et fétide suinte de leur abdomen. Si on les pose sur le sol, ils exécutent une série de petits bonds et tâchent de retourner à l’eau. Les femelles du Gyrin nageur pondent leurs œufs sur les plantes ou sur les pierres submergées, œufs cylindriques d’un blanc jaunâtre. Il en sort de pe- tites larves vermiformes, au corps entouré d'ap- Fig. 59. — Cyrin nageur, grossi. T3 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. pendices flottants qui les font ressembler à de petits mille-pieds. Bien développées, ces larves quittent l'eau au commencement d'août et grimpent sur les feuilles des roseaux, des nénuphars. Là elles se construisent une coque ovale, pointue aux deux bouts, qu’on a com- parée à du papier gris, et y deviennent nymphe, molle d’abord, puis prenant peu à peu de la consistance. Le dernier groupe des coléoptères des eaux qui mérite d'attirer notre at- _ tention est celui des hydrophiles, dont Fig.40. une espèce, le grand hydrophile brun, nageur, Commun dans les eaux des environs de Paris, est un des plus gros coléoptères de la France. Ce groupe est beaucoup moins car- nassier que les précédents, surtout à l’élat par- fait, et on nourrit très-bien l'hydrophile brun avec des feuilles de salade. Je m'étonne que, par la mode d’aquariums qui court, on ne s'amuse pas à remplacer par ces curieux insectes les in- sipides poissons rouges. Les hydrophiles nagent moins bien que les dytiques; leurs pattes plus longues sont moins élargies, et ils les font mou- voir non pas simultanément, mais l’une après l’autre. Il ne faut les saisir qu'avec précaution, car leur poitrine porte en dessous une pointe aiguë qui perce la peau jusqu’au sang. Bien que puissamment cuirassés, les hydrophiles sont souvent la proie de dytiques de taille moitié moindre, qui parviennent à les tuer en les perçant entre la tête et le corselet, c’est-à-dire à la seule place qui, comme le talon L à Ê » RE des ne né à ponts... COLÉOPTÈRES. 75 d'Achille, donne prise aux blessures. C'est par la tête que l’hydrophile, à l'inverse du dytique, vient puiser l'air à la surface de Peau. L’antenne est cou- dée, et ses articles aplalis, en godet, collés contre le corps, forment une gouttière ou rigole où s’en- gage une bulle d'air quand l'antenne sort de l’eau. De là, l’air glisse sous le corps, où il est retenu par un duvet de poils serrés, de sorte que l'animal semble entouré d’une robe d’argent, et il parvient ainsi aux orifices respiratoires. C’est à la fin de l’été que lhydrophile brun prend sa forme parfaite. Il passe l’hiver engourdi au fond de l'eau, ou parfois sous les mousses et les feuilles sèches des bords. IL peut se transporter en volant d'une mare à l’autre. Dès le mois d’avril, les fe- melles fécondées s’occupent du soin d’assurer le sort de leur postérité. Des glandes abdominales leur permettent de sécréter une sorte de soie ; les filières de ces glandes, à la façon de celles des araignées, sont autour de l’orifice anal. Cet exemple est unique chez les insectes adultes. La femelle s’accroche en _ lravers sous une feuille qu elle courbe un peu. *L'’abdomen s'applique sous ce dôme, et les filières laissent sortir une humeur gommeuse qui se soli- difie dans l’eau et forme une coque voütée où il reste engagé (fig. 41). Puis on voit se dégager une à une de petites bulles d'air, à mesure que les œufs pondus occupent leur place. Enfin linsecte façonne une pointe relevée au-dessus de l’eau et qui ferme la coque. La femelle traine après elle cette coque fixée à une feuille; puis, comme la mère de Moise, elle confie à l’onde ce cher berceau 74 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES, dans un endroit calme et propice. La corne solide et recourbée qui Le termine lui donne la faculté de Fig. 41. — Hydrophile brun, larve et coque. s’accrocher aux corps flottants qu’il rencontre et sauve ainsi la jeune famille que des vents violents pourraient porter sur des rives inhospitalières. Au bout de douze à quinze jours sortent des œufs et de la coque de petites larves. Elles restent plusieurs jours attachées contre leur berceau, et paraissent d’abord se nourrir de végétaux. Elles changent plusieurs fois de peau’ et deviennent très-carnas- sières. Réaumur les nomme vers assassins. Agiles, à longues pattes, elles grimpent volontiers aux plantes. Elles sont brunes, se raccourcissent et se COLÉOPTÈRES. 15 dilatent aisément. De longues mandibules et de longues mäâchoires dépassent leur tête. Nous leur trouvons des instincts bien curieux. Elles vivent surtout de ces Ivmnées, de ces physes, mollusques à minces coquilles spiralées qui flottent sur l’eau. Les mollusques sont saisis par-dessous ; la larve recourbe sa lête en arrière et presse la coquille contre son dos, comme un point d'appui, la brise, puis mange le limaçon à son aise. Qu'on la saisisse, que le bec d’un oiseau aquati- que la rencontre, elle fait la morte, son corps pend de cha- que côté comme une dépouille flasque et vide. Si cette ruseestinutile, elle rend par l'anus une liqueur noire qui trouble l'eau et peut lui permettre d’é- chapper à son ennemi. L'état de larve dure environ : deux mois. Elle cesse de manger, sort de l’eau et va creuser en terre une sorte de terrier de # à » centimètres de profondeur , s’y pratique au fond une cavité sphérique très-lisse à l'intérieur, Elle s’y change en nymphe blanchâtre, et chaque angle du corselet porte trois pointes cornées qui semblent permettre à la nymphe de rester à quelque distance des parois de la coque (fig. 43). Au bout d’un mois environ, l'hydrophile sort de la peau de la nymphe fendue sur le dos ; ses élytres couchées le long du ventre se retournent sur le dos, ses ailes se déploient, puis se replient, quand elles sont de- Fig. 42, — Sa filière. 76 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. venues fermes, sous les étuis encore blancs et mous ; l’insecte s’appuie sur ses pattes encore mal affermies. Telle est la manœuvre commune aux coléoptères. Peu à peu linsecte se colore; il reste encore une douzaine de jours sous terre, puis s’é- chappe et se rend à l’eau après trois mois d'évolu- tions successives dont nous avons présenté l’his- toire. Selon une découverte anatomique intéressante de C. Duméril, Pintestin de la larve, à mesure que ses métamorphoses se poursuivent, s’allonge de plus en plus, en même temps que le ré- gime tend à devenir herbivore. En effet, l’a- dulte préfère les végé- taux aux matières ani- males, dont il mange cependant si la faim le presse. La métamorphose mverse s’observe pour le tube digestif du tétard, qui se nourrit de végé- taux aquatiques; ce tube devient très-court sous la forme adulte de la grenouille, avide au contraire d'insectes et de mollusques. Nous retournerons maintenant sur la terre, et nous trouverons d’autres mœurs à étudier. Après les lions et les tigres des insectes, viennent les hyènes et les chacals, qu'un odorat des plus subtils amène vers les cadavres. Qu'un mulot, une taupe ait trouvé la mort, qu’une grenouille ou qu'un pois- son soit abandonné sur le bord des eaux, bientôt arrive en volant une troupe funèbre; ce sont les Fig. 45, — Nymphe de l’hydrophile. COLÉOPTÈRES. 77 nécrophores ou fossoyeurs. Le plus souvent leur corps quadrangulaire offre les élytres bigarrées de jaune et de noir, par bandes, comme on le voit dans le necrophorus vespillo, c'est-à-dire fossoyeur, le plus commun, le type du genre, et aussi dans le necrophorus fossor où fouisseur, que nous repré- sentons (fig. 44). On rencontre, mais bien plus ra- rement, une grande espèce toute noire, le Nécro- phore germanique (fig. 45). Ces insectes bizarres Fig. 44. Fig. 45. Nécrophore fouisseur, Nëécrophore germanique. exhalent une odeur désagréable, mêlée de muse. Souvent leur corps est couvert de petits animaux à huit pattes, les gamases des coléoptères, de la classe des arachnides. Mœurs étranges! ces chétifs para- sites ne semblent nullement vivre de l’insecte qui les porte, ils se sont accrochés à ses poils, et leur troupe s’en sert comme d'un véritable omnibus pour se faire conduire là où la table sera à leur goût. On trouve aussi ces gamases sur les carabes, les géotrupes, etc., et sur les bourdons, insectes hyménoptères. On les rencontre aussi sur de petits mammifères, comme les mulots: enfin ils courent librement entre les mousses, Quand on inquiète les nécro- 78 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. | É 1 | È phores, ils font entendre un petit bruissement, en frollant leur corselet contre les élytres. Les femelles surtout entourent le petit cadavre ; s'il est trop lourd, elles vont chercher des aides de leur espèce en leur apportant sans doute des traces odorantes de leur proie. Ce n’est pas seulement pour leur propre nourriture que ces coléoptères COLÉOPTÈRES. 79 sont atlirés, c’est pour préparer le berceau et les repas de leurs enfants, en débarrassant le sol d’une source d'infection, par une admirable harmonie. La terre est creusée au-dessous des restes de l’ani- mal au moyen des larges pattes de devant des né- crophores, pareilles à des bêches ; le petit cadavre s'enfonce peu à peu, parfois à trente centimètres au-dessous du sol. Après ce travail acharné, la troupe festine et les femelles pondent leurs œufs. Le diner des pères servira aux fils. Promptement écloses des larves à douze anneaux, grisätres, gar- nies sur la région du dos de plaques écailleuses, à pattes très-courtes, car elles ont à peine besoin de se mouvoir, à tête brune et dure, munie de puis- santes mandibules, elles s’enfoncent ensuite plus profondément, et s’entourent d’une loge ovalaire, en terre enduite d'une salive gluante qui durcit bientôt, puis sortent à l’état adulte environ un mois après. Quelques espèces de nécrophores vivent dans les champignons pourris. A côté des nécrophores, et plus utiles encore pour la salubrité atmosphérique, se placent les silphes ou boucliers, ainsi nommés à cause de leur forme large et arrondie. Ils s’attaquent aux mam- milères et aux oiseaux morts qui gisent dans les bois et les campagnes ou que rejettent les eaux ; ils ne les enterrent pas, mais pénètrent avec avidité sous leur peau et bientôt ont dépouillé leurs chairs jusqu'aux os. Une grande espèce noire, le silphe littoral se plait dans les poissons morts rejetés par les eaux. Leur livrée est en général sombre, en rapport avec ces repoussantes fonctions. Leur odeur 80 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. est nauséabonde. Les larves, comme les adultes, vivent au milieu des chairs putréfiées. Elles sont plates et paraissent très-larges par suite des pro- longements latéraux et dentelés de leurs anneaux. Elles seremuent avec vivacité et se réfugient promp- tement dans les cadavres, quand on cherche à les saisir. Elles s’enfouissent en terre pour se changer en nymphes. Deux espèces, que nous trouvons abon- dantes près de Paris, ont des mœurs plus nobles Fig. 47. Fig. 48. Silphe thoracique. Silphe à quatre points. et recherchent les proies vivantes. Elles grimpent aux arbres et vivent de chenilles, ainsi la silpha thoracica, dont le corselet fauve et arrondi tranche sur les élytres noires (fig. 47), et surtout la silpha quadripunctata, à élytres jaune clair, marquées de quatre points noirs (fig. 48). On la voit voler d'un arbre à l’autre, principalement entre les chênes et les ormes. Souvent les sentiers des bois sont jon- chés de chenilles arrachées aux feuilles, mutilées et sur lesquelles s’acharnent les silphes à quatre points. Une espèce dite le silphe obscur cause sou- vent beaucoup de tort aux betteraves à sucre. Par un changement de régime dont les insectes offrent d'assez nombreux exemples, les larves mangent nn rot AS COLÉOPTÈRES. sl les feuilles de la plante. Sans doute aussi elles se nourrissent de chenilles et d'insectes qu’elles v rencontrent. Plusieurs espèces de silphes dévorent les coli- maçons. Nous signalerons surtout sous ce rapport la silpha lævigata et sa larve. Quand on se promène sur les falaises crayeuses de nos côtes normandes, ainsi au Tréport, à Mers, etc. ; on écrase à chaque pas une hélix (helix variabi- lis) qui pullule sur tousnoslittoraux, ra- vageant les avoines, les maigres luzernes de ces sols crayeux. CEE tn nn LS Les noirs silphes cou- rent et grimpent, assurés d’une perpétuelle pro- vende, et eux et leurs larves enfoncent leur tête avide dans la bouche de la coquille pour se repaitre de l'habitant. La famille des silphes nous conduit à dire un mot de créations bien étranges. On s’est longtemps refusé à croire que l'horreur de la profonde nuit des cavernes puisse servir de demeure habitueile et normale à des êtres vivants. On sait aujourd’hui au contraire, que le Créateur a peuplé les abimes de la mer comme les ténèbres des grottes. Les in- sectes souterrains ont d’abord été trouvés dans la célèbre grotte du Mammouth, dans le Kentucky; Vhabitation dans des cavités à température con- stante, très-humides et sans lumière a imprimé à 6 82 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. (ous ces animaux un cachet uniforme. Les organes de la vue et du vol se dégradent, ceux du tact, de l'odorat et de l'ouie acquièrent au contraire une sensibilité exquise, comme chez les personnes qui ont perdu les yeux. Près des silphes se range le plus singulier de ces in- sectes des cavernes, du genre leptodère. On en connait aujourd hui trois espèces, d'une taille qui varie de 4 à 6 millimètres , d’une couleur toujours uni- forme, d’un brun clair ou ferrugineux, propre aussi aux aulres Co- léoptères très - souter- rains. La plus grande est le leptodère de Ho- henwart, découverte en Carniole dans la grotte d’Adelsberg où vit le protée décoloré. Qu’on s’ima- gine une sorte d'araignée roussâtre, translucide, à abdomen vésiculeux, avec la région antérieure du corps étroite et allongée, sans trace d’ailes ni d’yeux. On trouve toujours ces insectes dans les parties les plus profondes des cavernes les plus obscures, accrochés aux stalactites humides ou dansles fissures des stalagmites du sol. Le leptodère marche lente- ment, élevant son corps sur ses longues jambes comme sur des échasses. Il s’arrête au moindre bruit, comme stupéfait d’une commotion qui trouble Fig. 50. — Leptodère de Hohenwart. na ne à à COLÉOPTÈRES. 85 sa silencieuse solitude, étale ses longues pattes, le corps collé au sol. Qu'on le touche ou qu'on ap- proche une torche, 1l se cache dans les replis des pierres. Il parait qu’une araignée, aveugle comme lui et vivant aux mêmes endroits, lui fait une chasse active et en détruit un grand nombre. Les divers groupes de coléoptères, surtout les carnassiers , sont représentés dans la faune des cavernes. On a cru longtemps que tous étaient aveugles, tant on trouvait naturelle la suppression des yeux chez des êtres destinés à passer leur vie dans lPobscurité. Il n’en est rien, comme la re- connu M. le docteur Grenier. Si cela est vrai pour quelques genres, la plupart ont au contraire des yeux allengés, sans facettes et dépourvus de pig- ment foncé, ce qui est une condition pour que la lumière les impressionne avec la plus grande fa- cilité. Bien plus, on voit souvent, dans la même espèce, des individus aveugles, et d’autres dont les yeux ont divers degrés de développement, en raison sans doute du degré variable d’obscurité de leurs retraites. À ce propos, M. Grenier se demande avec beaucoup de raison, si lobscurité des cavernes est véritablement absolue. Ne peut-il pas se faire que de minces filets de lumière, entrés par l'ouverture et réfléchis par les parois, tout à fait insensibles pour nos yeux habituës à lPéclat éblouissant du jour, puissent impressionner ces jeux particuliers. IL y aurait des yeux faits pour les ténèbres des ca- vités, comme d'autres animaux ont des yeux appro- priés à la faible lumière de la nuit étoilée, et d’autres aux rayons douteux des crépuscules. La vie S4 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. r des ténèbres n'est pas une des moindres merveilles | du Créateur, et l’on voit que l'observation exacte de la nature dépasse en curiosité les conceptions les plus hardies de l'imagination des romanciers. Nous indiquerons aux amateurs un moyen assez simple de se procurer sans grande fatigue ces singu- | liers insectes des cavernes, toujours rares dans les : collections. On laisse sur le sol de la grotte quelques débris organiques, par exemple une tête de mouton, ! etonattire ainsiles insectes qu'on saisit sans peine. Il faut qu'aucun détritus animal ne puisse rester longtemps exposé à l'air, où il répandrait l’infec- tion. Matières stercoraires, fumiers, champignons corrompus, tous ces débris doivent disparaître sous l’action d’une foule d'espèces de coléoptères, la … plupart de petite taille, les staphylins, dont les M plus volumineux chassent les proies vivantes et | dépècent les petits cadavres. Ces insectes frappent » les yeux à première vue par l'extrême brièveté de leurs élytres. On dirait qu’ils portent un habit beau- coup trop court, ou une veste, laissant à découvert presque tous les anneaux de labdomen. Il y a là évidemment dégradation, persistance d’une forme temporaire chez les nymphes. Cependant des ailes développées sont cachées sous ces courtes élytres, et la plupart des espèces volent bien. Il est probable que les grands staphylins, qui fréquentent les ca= davres, y cherchent surtout les larves de diptères provenant des œufs pondus par les muscides. Less grandes espèces ont de fortes mandibules qui serrent vivement, et ils dégorgent, comme les Cas rabes, une salive âcre et brune. A l’extrémité des COLÉOPTÈRES. 85 l'abdomen du staphylin odorunt paraissent, quand on l'irrite, deux vésicules émettant une matière volatile odorante, éthérée ou musquée. Aristote croyait que les staphylins eausaient La mort des chevaux qui les avalaient. On rencontre à chaque pas, dans les chemins de toute l'Europe, le staphylin odorant (ocypus olens), d’un noir terne, vivant de rapine; au moindre danger, il AL LU Fig: 51, 52, 53 et 54. Staphylin odorant adulte {face et profil}, nymphe et larve. écarle ses mandibules et relève l'abdomen, d'où font saillie deux vésicules blanches (fig. 51, 22, 99,94). Ses métamorphoses ont été bien étudiées en même temps par MM. Blanchard et Heer. La larve est allongée, atténuée vers l'extrémité, avec deux longs filets écartés et un tubercule par-dessous qui l'empêche de trainer sur le sol. La tète et les anneaux du thorax sont d’un brun brillant, avec des pattes grèles et longues; les autres anneaux sont d’un gris cendré. Comme l'adulte, elle relève l'abdomen d'un air menaçant. Très-agile et très- carnassière, elle guette le jour sa proie au passage, à demi-enfoncée dans un trou en terre, et sort la 86 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. nuit pour chasser. Souvent elle saisit à la gorge un autre individu de son espèce et Le suce avec avidité. Vers la fin de mai, elle s'enfonce en terre et se transforme en nymphe dans une cellule. La nymphe est d’un jaune paille avee la tête repliée en dessous, ainsi que les pattes, les ailes sur le côté. Elle est très-crosse à la région antérieure, puis amincie. Au bout d’une quinzaine de jours, 1l en sort un in- secte jaunâtre prenant bientôt la couleur noire. Nous citerons aussi le staphylin à grandes mû- choires (maxillosus), revêtu de bandes cendrées, grand amateur des cadavres, et le staphylin velu (hirtus), noir, à longs poils jaunes, qui lui don- dent quelque ressemblance avec un bourdon, quand on le voit s’abattre sur les charognes. Aussi Geof- froy, le vieil historien des insectes de Paris, Pap- pelle le staphylin bourdon. Les pœdères chassent au bord des eaux, sous les pierres, et leurs espèces, dans tous les pays, présentent un agréable mélange de noir, de rouge et de bleu. De petits staphylins vivent en parasites dans les nids des fourmis, et une rare espèce, de forte odeur musquée, habite le gué- pier des frelons : il est fort difficile de se la pro- curer, vu les mœurs peu traitables de ses amis !. Quelques staphylins ont des mœurs très-singu- lières. Une petite espèce, découverte d’abord dans le nord de PEurope, a été trouvée par le docteur Laboulbène au cap de la Hève, près du Havre. C’est le micralymna brevipenne. Ainsi que la larve et la nymphe linsecie parfait vit sous Peau à la maréé 1 C'est le Quedius où Velleius dilatatus. tt nn 2 ne nn Sd : +2 COLÉOPTÈRES. 87 haute. On les prend, à marée basse, dans les fentes des roches, qu’on fait éclater au ciseau. Dans cer- taines grottes de la Carniole se rencontre un grand staphylin, d’un centimètre de long, de couleur de poix, ayant un très-petit œil, allongé et sans fa- celtes. On Le nomme le glyptomère cavicole. Il faut en finir avec ces tristes carnassiers. Nous avons vu les silphes fétides se nourrir avec avidité des chairs putréfiées ; les dermestes, qui attaquent de préférence les tendons et les peaux des cadavres, achèvent l’œuvre de destruction. Il n'y aurait qu’a- vantage, au point de vue des grandes harmonies naturelles, si les larves des dermestes ne man- geaient indifféremment toutes les matières ani- males sèches, le lard, les pelleteries, les plumes, les erins, les objets en écaille, les cordes à boyau, les vessies, etc. Une espèce très-commune, le der- meste du lard, abonde dans les charcuteries mal tenues (fig. 55, 56, 57). Il est noir avec une large bande grise à la base des élytres. Il aime les en- droits obscurs et malpropres. Ses larves, à fortes mandibules, ont des pattes courtes ; elles marchent lentement et avancent en se servant, comme d’un levier, d’un tube qui termine leur corps. De longs poils rougeâtres forment comme une couronne au- tour de leurs anneaux d’un brun rouge. Pendant quatre mois elles ne cessent de se repaitre, et même se dévorent entre elles, si la faim les presse. Elle se recouvrent d’excréments pour se changer en une nymphe qui conserve pour s'appuyer les deux ap- _ pendices postérieurs de la larve. Le dermeste renard (vulpinus), d’un gris fauve, 88 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. ñ DOTE » se plait surtout dans les pelleteries, où il cause les ‘plus grands ravages. La compagnie de la baie d'Hudson, dont les magasins à Londres étaient dé- Fig. 55, 56 et 57. Dermeste du lard, nymphe, larve, adulte. vastés par cet insecte, avait offert 20,000 livres sterling pour le moyen de le détruire. Les sombres dermestes volent peu ; sans cesse ils fuient le jour; ümides, ils s'arrêtent au moindre bruit, paraissent - morts afin d'échapper au danger. Les pelleteries ont aussi à craindre un autre insecte du même eroupe, le dermeste à deux points blancs de Geof- froy (attagenus pellio) ; sa larve, couverte de poils Jaunâtres que termine un long pinceau, marche par mouvements saccadés; sa nymphe est couverte de poils courts et blanchâtres (fig. 58, 59, 60). L’a- dulte, fort différent des vrais dermestes, vole sur les fleurs, où sans doute il chasse aux petits insec- tes. Enfin, un petit coléoptère d’un genre voisin, l’'anthrène des musées', est le désespoir des ento- mologistes. Il pénètre dans les boites d'insectes et dépose ses œufs sur leurs corps desséchés. Les, 1 Nom vulgaire, c’est réellement l'anthrène varié. I Y a ici une confusion d'usage. Le véritable anthrène des musées, de Linnæus, est fort rare. , COLÉOPTÈRES. 89 larves s'introduisent dans l’intérieur, et un amas de fine poussière brune au-dessous trahit seul leur présence. Elles sont blanchâtres, entourées de fai- Fig. 58, 59 et 60. Altagène des pelleteries, nymphe, larve, adulte. sceaux de poils qu’elles hérissent à la façon du porc-épic, dès qu’on les touche. Un petit coléoptère globuleux, couvert de fines écailles agréablement colorées, en provient. Il replie ses pattes et semble mort quand on le veut saisir. 11 vole bien et vit sur les fleurs. Une visite fréquente des boïtes, les va- peurs de benzine ou de sulfure de carbone, sont les meilleurs moyens de détruire les larves des an- thrènes. IL est fort difficile de dire aujourd’hui quelle est la patrie première des insectes dont nous venons de parler. Le commerce les a transportés partout, et comme tous les insectes cosmopolites, ils sont fort peu sensibles à la température. Par suite des échanges, les collections d'insectes en Amérique sont infestées par l’anthrène des musées, comme les nôtres. En général, tous les coléoptères dont il a été question jusqu ici avaient des téguments durs et solides. Ces armures puissantes ne sont cependant pas nécessaires à tous les insectes de cet ordre qui 90 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. vivent de proie. Il en est à élytres faibles et molles, : d’un vol facile, très-carnassiers surlout à l’état de larve. Les transformations et les mœurs de deux groupes de ces malacodermes méritent toute notre attention. Dans toutes les nuits d’été, on voit scin- tiller dans l'herbe, sous les buissons, de petits feux blanchâtres et mobiles. On cherche à les sai- sir, et l’on a dans la main un être aplati, annelé, d’un gris brunâtre. Les plus gros, les plus brillants de ces vers luisants sont des femelles privées d'ailes, ayant conservé l'aspect des larves (fig. 61, 62). Seulement, chez les larves, tous les anneaux sont pareils, la tête très-petite et cachée; les femelles ont la tête plus apparente, à petites anten- nes, et le corselet en bouclier Fig. 61, 62. comme les mäles, et bien dis-. Lampyre noctiluque, mâle finct.… |Les trois tdermer et femelle. : À neaux de leur abdomen bril- lent par-dessous d’un vif éclat. La lueur est produite par la combustion lente d’une sécrétion qui laisse des traces lumineuses si on l’écrase entre les’doigts. Dans l'oxygène, elle devient plus intense, el le gaz se mêle d’acide carbonique, comme par l'action de nos lampes, de nos foyers. Elle s'éteint bientôt dans les gaz inertes. Elle semble émise par scintillations et s’affaiblit à la volonté de l'animal, se dégageant violemment lors deses contractions mus- culaires et quand on les excite artificiellement; ces propriétés appartiennent, au reste, à tous les ani-. maux phosphorescents. Les adultes vivent peut-être à F | x ée -mbtds 2: ro disait mitai Él ni tt. Dé és ds none dE > à ce de Ba duié | : ç COLÉOPTÈRES. 91 de végétaux mais leslarves, très-carnassières, s'atta- quent aux mollusques terrestres, pénètrent dans la coquille des colimaçons, en tuent lhabitant, et au moyen d’une brosse de poils roides, dont leur partie postérieure est munie, se débarrassent des muco- sités qui gêneraient leur respiration. Elles sont phosphorescentes par-dessous, mais moins que les femelles, et de mème les nymphes, dont la forme reste celle de la larve quand il en doit éclore des femelles. La nymphe, au contraire, est tout autre si elle doit donner un mâle. Elle offre alors les ailes repliées sous une mince peau, et présente en dessous deux points très-lumineux, surtout quand l'air les frappe. Il en sort en automne un coléoptère ailé, à corselet arrondi comme un bouclier, à longues élv- tres recouvrant l'abdomen. Le mâle du lampyre noctiluque est très-faiblement phosphorescent com- paré à la femelle, seulement en deux points sous V’avant-dernier anneau. Il recherche sa femelle im- mobile attiré par l'éclat qu'elle projette au loin. On voit donc que cette brillante lumière est pour elle le seul moyen d'assurer la reproduction de son es- pèce, un véritable flambeau de l’hyménée. Telle Héro, prêtresse de Vénus, plaçait chaque soir un fanal sur une tour élevée, pour guider Léandre dans les flots écumeux de l'Hellespont. Le lampyre splendide, fort analogue au précédent, habite sur- tout le midi de la France. En Italie, dans un petit genre voisin (luciola italica) les deux sexes sont ailés, d'un brun foncé, et également phosphores- cents. [ls se poursuivent la nuit à travers les som- bres feuillages, et multiplient à un point prodi- 92 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. gieux. Ils offrent, pendant les nuits d’élé, un des spectacles les plus curieux qu'on puisse voir, car l'air est éclairé d’une multitude de petites étoiles errantes, fugitives étincelles du plus charmant effet. Ces insectes présentent en dessous de l’ab- domen, à lPextrémité, l'appareil phosphorescent comme une large plaque d’un jaune soufré, conser- van! cette couleur chez les sujets secs de collection. Nous trouvons ces lucioles dans l'extrême midi de la France, près de Nice, de Marseille jusqu'à Grasse. IL est d’autres mangeurs de colimaçons qui se montrent au jour et n’ont dès lors plus besoin des lueurs de feu des lampyres nocturnes. On connais- sait depuis longtemps un petit coléoptère ailé et jaunâtre, à antennes munies de longs filaments, ressemblant de forme aux mâles des lampyres. C'est le drile flavescent, le panache jaune de Geof- froy. Un naturaliste polonais élabli à Genève, Miel- zincky, trouva dans les coquilles de lhelix nemo- ralis (la livrée, à coquilles à bandes) des larves qui dévoraient l'animal, mais 11 w’obtint de leurs mé- tamorphoses que des insectes sans ailes, ressem- blant beaucoup à ces larves carnassières et aux femelles de vers luisants, mais plus aplalies, dont il fit un genre spécial, ne connaissant pas les mâles. En France, G. Desmarest fut plus heureux. Ayant trouvé dans le parc de l’école vétérinaire d'Alfort un grand nombre de colimacons remplis de ces larves, 1l en vit sortir, des uns les petits driles aux élégants panaches, des autres les lourdes femelles, dix à quinze fois plus grosses que les mâles et re- COLÉOPTÈRES. 95 cherchées par ceux-ci. Le docteur Laboulbène a élevé à Agen les deux sexes du drile flavescent avec lPhelix hmbata, jolie espèce à trait blanc sur le dos de la spire. Nous rencontrerons par la suite d’au- tres exemples de ces bizarreries de la nature dans ces espèces dont rien ne montre au dehors la res- semblance des sexes. La larve du drile, d’un jaune blanchâtre, est transportée, on ne sait encore com- ment, sur la coquille du mollusque, et s’y fixe par une sorte de ventouse qu’elle porte à son extrémité postérieure, à la façon d'une sangsue. Ces larves aplaties ont de fortes mandibules et des bouquets de poils latéraux, des pattes assez longues et grêles. Elles se glissent entre l'animal et la coquille, le dévorent peu à peu, puis, quand elles deviennent nymphes, elles ferment l’entrée de la coquille avec la vieille peau de la larve. Une espèce très-voisine, observée en Algérie, près d'Oran, par M. Lucas, le drile mauritanique, offre un instinct plus singulier. La larve s'attaque à des cyclostomes, mollusques qui ferment l'entrée de leur coquille avec un oper- cule de même substance. Le vorace ennemi s’est cramponné par sa ventouse à la coquille, mais la porte est close et trop dure pour ses robustes man- dibules. Il ne se décourage pas, il est persuadé qu'elle devra s’ouvrir. Sa patience égale son appé- tit ; il demeure en sentinelle parfois plusieurs jours. Le malheureux limaçon sait sans doute que la mort attend à l'entrée de sa maison, car il retarde sa sortie tant qu’il peut. Enfin, vaincu par le jeûne ou par le besoin de respirer, il détache son opércule. La larve du drile aux aguets le blesse aussitôt au 94 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. muscle qui fait adhérer la petite porte au corps du limaçon, de manière à empêcher à l'avenir cette porte de se clore, puis se glisse sans inquiétude à l’intérieur de la coquille, et, maitresse de la place, dévore à loisir le pauvre et inoffensif animal qui l'habite. Nous allons retrouver les facultés lumineuses dans un autre groupe de coléoptères, de conforma- tion remarquable à d’autres égards. Ce sont des in- sectes qui vivent habituellement de végétaux, mais qui, dans certains cas, peuvent devenir carnivores. lis sont de forme ellipsoidale, et plus ou moins aplatis. Leur tête est petite, leur corselet ou pre- mier anneau du thorax, très-grand, en forme de trapèze allongé, rebordé latéralement, et plus ou moins prolongé en pointe aux angles postérieurs. Ce qui les fera immédiatement reconnaitre, c'est que, placés sur le dos, alors que leurs pattes trop courtes ne leur permettent pas de se retourner, 1ls savent sauter et retomber sur le ventre par un In- génieux mécanisme. De là leur nom d’élatères, de taupins, de maréchaux, à cause d’un choc sec qu'ils produisent en sautant. Leur corps retourné se cam- bre en s'appuyant par la tête et par l'extrémité de - l'abdomen. Une pointe du dessous du corselet pé- nètre, par un brusque mouvement de linsecte, dans une fossette du dessous de lanneau suivant ; en même temps le dos vient heurter avec force le plan d'appui, et, par réaction, l'animal est lancé en l'air, et recommence sa manœuvre jusqu'à ce qu'il retombe sur ses pattes (fig. 63, 64). Les larves de certaines espèces sont très-nuisibles à nos cultures, COLÉOPTÈRES. 95 et vivent dans les racines ; la plupart se trouve dans les bois décomposés. Ces larves sont cylindri- ques, revètues d’écussons cornés, à pattes courtes, mais fortes, avec de rares poils roides entre Les anneaux (fig. 65). La dureté dela peau et leur forme les ont fait nommer, par les Anglais et les Allemands, vers fils de fer. Nous représentons la larve d’une espèce étudiée par M. Blan- chard. Quelques espèces d'Amérique, ap- partenant au genre pyrophorus (porte- re feu), répandent une vive lueur phos- Organe de saut phorescente. Les plus célèbres (Pyro- % tupin (face): phorus noctilucus) abondent à la Havane, à la Guyane, dans le nord du Brésil (fig. 66). Leur lumière pro- vient de deux taches sur les côtés du cor- selet, et aussi des an- neaux de l'abdomen : elle est assez vive pour permettre de lire à petite distance. Les Indiens en attachent sur leurs orteils pour se gui der la nuit dans les sentiers des bois. [ls les capturent en balançant en l’air des charbons incandescents au bout d’un bâton, ce qui prouve que la lueur qu'ils répandent est pour eux un appel. On les ren- ferme dans de petites cages de fil métallique, on les nourrit de morceaux de canne à sucre et on les baigne deux fois par jour ; ce bain est indispensable Fig. 64. — Profil. o 96 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. à leur santé et remplace pour eux les rosées du soir et du matin. La nuit ils s'élèvent par milliers à tra- vers les feuillages. Lors de la conquête espagnole, une troupe nouvellement dé- barquée, et en hostilité avec a les premiers arrivants, crut TA Vire murin, Voir les mèches d’arquebuses prêtes à faire feu et n’osa en- gager le combat. Ces insectes deviennent des bijoux vivants, d’un bien autre éclat que les pierres pré- cieuses. On les introduit le soir dans des petits sacs en tulle léger qu’on dispose avec goût sur les jupes. Ilen est d’autres à qui on passe sans les blesser une aiguille entre la tête et le corselet, et on la pique ensuite dans les cheveux pour maintenir la mantille, en les entourant de plumes d’oiseaux-mouches et de diamants, ce qui forme une éblouissante coiffure. Fig. 66. Voici quelques détails que Pyrophore noctiluque. nous empruntons à ce sujet à M. Chanut: «Ces insectes ser- vent dejouet aux belles dames créoles de la Havane, où ils sont appelés cucujos. Souvent, par un charmant caprice, ellesles placent dans les plis de leur blanche robe de mousseline, qui semble alors réfléchir les rayons argentés de lalune, oubien elleslesfixent dans leurs beaux cheveux noirs. Cette coiffure originale a un éclat magique, qui s’harmonise parfaitement COLEOPTÈRES. 97 avec le genre de beauté de ces päles et brunes Espa- gnoles. Une séance de quelques heures, dans les cheveux ou sous les plis de la robe d’une señora, doit fatiguer ces pauvres insectes habitués à la li- berté des bois. Cette fatigue se révèle par la dimi- nution ou la disparition passagère de la lumière qu'ils émettent ; on les secoue, on les taquine pour la ramener. Au retour de la soirée, la maitresse en prend grand som, car ils sont extrêmement déli- cats. Elle les jette d’abord dans un vase d’eau pour les rafraichir ; puis elle les place dans une petite cage où ils passent la nuit à jouer et à sucer des morceaux de canne à sucre. Pendant tout le temps qu'ils s’agitent, ils brillent constamment, et alors la cage, comme une veilleuse vivante, répand une douce clarté dans la chambre. » Leurs larves se trouvent à l’intérieur du bois; c’est ce qui explique comment, au milieu du siècle dernier, le peuple du faubourg Saint-Antoine fut agité d’une frayeur su- perstitieuse, des cucujos, sortis de morceaux de bois des iles, s'étant répandus la nuit dans un ate- lier. Ce sont les coléoptères à nourriture végétale qui vont maintenant nous occuper, à peu d'exceptions près. Les pièces de la bouche deviennent moins proéminentes et moins acérées. Au premier rang se présentent à nous les hannetons, aux antennes à larges lamelles, s'écartant à la volonté de l'animal, plus amples chez le male que chez la femelle, Nous sommes habitués à rire à la pensée de cet insecte sans défense, jouet infortuné des enfants, au vol lourd, retombant au moindre obstacle, ou ballotté 7 98 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. par le vent, ce qui a amené le proverbe : Etourdi comme un hanneton. Les agriculteurs ne rient pas à | 1 nu | | 7 (ALI \|LLLL ll tFig, 67. — Hanneton commun, mâle et femelle. la vue du hanneton ordinaire (melolontha vulgaris), au corselet noir, aux élytres et pattes fauves (fig. 67). A l’état parfait, le hanneton ne vit pas au dela de six semaines, généralement du milieu COLÉOPTÈRES. 99 d'avril à la fin de mai. Il se tient sous les feuilles pendant la forte chaleur du jour qu'il redoute beau- coup ; il dévaste tous les arbres, aimant principale- ment les ormes, dont les enfants désignent les fruits sous le nom de pain de hanneton. Ce n’est que par exception qu'il touche aux plantes herbacées. La durée totale de la vie du hanneton est de trois ans. La femelle, avec ses fortes pattes de devant, creuse le sol pendant la nuit, à un ou deux décimètres de profondeur, et y dépose de vingt à trente œufs d’un blanc jaunâtre, de la grosseur d’un grain de chène- vis. Son instinct la conduit à choisir les terres les plus légères et les mieux fumées pour leur confier sa progéniture ; ce sont les terres où les végétaux abondent et qui sont les plus perméables à Pair, nécessaire à tout être vivant. Elle évite avec soin les lieux marécageux, les terres qui reposent sur un fond de glaise, ou compactes et battues que les jeunes larves ne sauraient percer ; elle redoute pour elles l’ombrage des grands arbres, ne pond pas dans les taillis serrés, n1 sous les arbustes touf- fus et dont Les branches et les feuilles descendent jusqu’à terre. La prudence conseille aux cultiva- teurs de terrains secs et légers de s'abstenir de fu- mer et labourer au printemps, et de remettre ces travaux après la ponte. L'état dela terre à celte épo- que explique comment, de deux champs contigus, l'un peut être ravagé par les vers blancs et Pautre épargné. Les cultures de Phomme et ses labours, rendant la terre perméable, ont fait devenir le han- neton plus commun qu'il ne devrait être naturelle- ment. Dans les années où il abonde, on peut en effet 100 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. remarquer dans les bois que ce sont les arbres des lisières, contre les champs cultivés, qui sont dé- pouillés de leur feuillage, et que le hanneton n’est jamais dévastateur au centre des grandes forêts. Un mois après la ponte sortent des œufs ces larves re- courbées, à têle dure et cornée, à pattes grèles, d'un fauve terne, dont la peau est gonflée d’une oraisse blanchätre et paraît noirâtre à l'extrémité postérieure par amas des excréments (fig. 68, 69). Ce sont les insectes connus, selon les pays, souslesnoms de ver blanc, ture, man, terre, engrais- se-poule, chien de terre, etc. Les cor- beaux et les pies, er qu'onvoitconstam- Fig. 68, 69. ment picorer de Larve de hanneton. motte en motte | leur font une guerre très-acharnée, mais bien insuffisante. Les petites larves mangent peu la première année, restant réunies en famille. En hiver , elles s’enfoncent profondément, échap- pant ainsi à la gelée et aux inondations. Au prin- temps suivant, la faim les presse, elles se disper- sent en tous sens dans des galeries qu’elles creu- sent. Alors commencènt d’affreux ravages. Les ra- cines sont dévorées, d’abord celles des céréales et des légumes, puis, lorsque les larves sont plus for- tes, les racines des arbustes et des arbres. Bien que mangeant toutes les racines, et même le bois mort, COLÉOPTÈRES. 101 les vers blancs ont une prédilection pour les sa- lades et les fraisiers, et parmi les rosiers, pour ceux des quatre saisons. Sur les racines des arbus- tes, les morsures des vers blancs s'étendent dans toute la longueur et simulent celles des rats; les plantes potagères, au contraire, sont en général coupées au Collet en travers, et viennent à la main dès qu’on les tire. D’immenses pièces de gazon, de luzerne, d’avoine ou de blé jaunissent et meurent. Les rosiers, les arbres à fruits se fanent sur pied, et on trouve parfois autour de chaque souche de deux à huit litres de vers blancs. Aussi jadis les foudres de l’excommunication furent lancées contre ces en- nemis souterrains, ainsi que contre les chenilles. Les mans, cause d’une famine, étaient cités en 1479 devant le tribunal ecclésiastique de Lausanne, dé- fendus par un avocat de Fribourg, probablement trop peu éloquent ou mal à l'aise devant les méfaits de ses clients, car le tribunal, après müre délibé- ralion, les bannit formellement du territoire. Il faut dire, à la décharge de ces pieuses et naives croyances, que nous ne sommes pas plus avancés aujourd'hui contre leurs dévastations. C’est encore à la Providence, par suite de gelées subites au prin- temps, qu'il est donné d'en détruire le plus grand nombre. Leurs ravages semblent augmenter d'année en année, avec l'extension de nos cultures. Ainsi, en 1854, un seul pépiniériste de Bourg-la-Reine évaluait à 50,000 francs la perte que lui causait cette terrible larve. M. de Reiset estimait, il y a trois ans, à 25 millions, les dommages causés au seul département de la Seine-Inférieure. Il a reconnu 102 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. que les vers blancs, très-sensibles à la chaleur, s’'enfoncent ou reviennent près de la surface, selon les variations de la température. Ces larves s’enterrent et s’engourdissent pour passer le second hiver et sont alors aux quatre ein- quièmes de leur taille. Elles remontent au prin- temps et continuent pendant deux mois et demiles ravagesdel'année précédente, s’altaquantalorsmème aux racines des arbres, dont leur forme arquée leur permet d'embrasser le contour. Vers le milieu de l'été de la seconde année qui a suivi Pannée de la ponte, le ver blanc, parvenu à toute sa croissance, : s'enfonce profondément à plus d’un demi-mètre, se façonne une coque enduite d’une bave glutineuse, con- solidée par la pression de son corps. Il s'y change en nym- phe où les élytres et les ailes couchées recouvrent les pattes et les antennes (fig. 70, 71). Fig. 70, 71. Dès la fin d'octobre, la plus Nymphe de hante. orande partie des hannetons sont devenus insectes parfaits, mais encore d’un blancjaunâtre, mous et sans force. Ils passent l'hiver dans la chambre natale, se durcissent et se colorent en général vers la fin de février et remontent peu à peu pour sortir de terre en avril. Dans les hivers très-doux, on voit paraitre accidentellement des in- sectes adultes beaucoup plus tôt, trompés par une chaleur insolite. Voilà pourquoi nous avons tous les trois ans une année à hannetons ; Ceux qui parais- sent en bien moins grand nombre dans les deux COLÉOPTÈRES. 195 autres années forment des générations dont l’ori- gine première est une éclosion précoce ou re- tardée. Pendant tout l'hiver on trouve des hannetons, éclos et colorés, dans les labours, dans les trous qu'on pratique dans les vergers pour planter les arbres. Dans les années chaudes, on en voit voler dans les mois de septembre et d'octobre, ce qui fut constaté dans tout le nord de la France en 1865. En janvier 1854, il en parut dans le Wurtemberg et en Suisse. Cela se présente dans les hivers très- doux où les adultes sont trompés par une chaleur insolite. La vie entière du hanneton, qui est en France de trois ans, peut se répartir à peu près de la manière suivante, les dates, n’ayant, bien entendu, qu'un sens approximatif : TEMPS DE DOMMAGES OÙ DE VIE ACTIVE DES LARVES. Première année, à partir de l’éclosion des œufs, du 1” juillet au 1% novembre. . . . . 5e l'E DIS Seconde année, du 1% avril au 1* AA ; 7 -- Troisième année, du 1% avril au 1° juillet. . . 3 — TOTALE va 0 2 AMOIS TEMPS D'ENGOURDISSEMENT, SANS NOURRITURE. Cinq mois en automne et hiver des deux pre- mières années, du 1° novembre au 4° avril. . . . 10 mois Total de l'existence en larves. . . 9% mois Temps de vie latente ou de nymphe du Le juillet au 4% mars de la troisième année. , . . . . . . S mois 104 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. Hannetons adultes éclos, demeurant ententes dd: Ts, :e VOD JOUE TT 00 À 120 jours Hannetons hors de terre el dévorant L x les feuilles: . : - 2". ON OU ANS ÉPŒUISUEN 7 DEEP COUT Durée de la vie totale avec toutes ses métamor- phôsés. MN 00. CEST OU NN Pour donner une idée des quantités fabuleuses auxquelles le hanneton arrive en certaines années, nous rappellerons qu’en 1688 les hannetons détrui- sirent toute la végétation du comté de Galway en Irlande, de sorte que le paysage prit l'aspect désolé de l'hiver. Le bruit de leurs mullitudes dévorant les feuilles était comparable au sciage d’une grosse pièce de bois, et, le soir, le bruit de leurs ailes ré- sonnait comme des roulements éloignés de tam- bours. Les habitants avaient de la peine à retrouver leur chemin, aveuglés par cette grêle vivante. Les malheureux Irlandais furent réduits à cuire les hannetons et à les manger. En 180%, les nuées im- menses de hannetons, précipitées par un vent vio- lent dans le lac de Zurich, formèrent un bane épais de cadavres amoncelés sur le rivage, dont les exha- laisons putrides empestèrent l'atmosphère. Le 48 mai 1852, à neuf heures du soir, la route de Gour- nay à Gisors fut envahie par de telles myriades de hannetons, qu’à la sortie du village de Talmoutiers, les chevaux dela diligence, aveuglés etépouvantés, refusèrent opiniätrément d'avancer et forcèrent le conducteur à revenir sur ses pas. En 1841, ils ra- vagèrent les vignobles du Mâconnais, et certaines de leurs nuées s’abattirent sur Mâcon, au point qu'on COLÉOPTÈRES. 10> avait grand’peine à s’en garantir parles moulinets de canne les plus rapides, et qu’on les ramassa à la pelle dans certaines rues. Un hannetonnage de ces insectes adultes, mais général, mais obligatoire, serait le seul moyen efficace de combattre un fléau qui coûte bien des millions au pays ; maisen France, l'esprit de facétie, compagnon de l'ignorance, est encore plus funeste que le hanneton. On peut citer comme exemple un spirituel préfet du roi Louis- Philippe, M. Romieu, alors préfet de la Sarthe, qui rendit un arrêté en ce sens. Il devint la proie des petits journaux et fut représenté en hanneton dans le Charivari. Nous rencontrons aussi, mais rarement dévasta- teur, le hanneton du châtaignier, à corselet brun, à pattes noires, et le hanneton foulon, de taille dou- ble du hanneton commun, agréablement bigarré de fauve et de blanc, mais qui n’habite que les ri- vages de la mer et surtout les dunes. En été appa- raissent deux petits hannetons blonds et poilus, bien plus nocturnes que le hanneton commun, vo- lant le soir dans nos prairies. Ce sont le rhizotrogus solstitialis, qui paraît en juin, et le rhizotrogus æsti- vus, en Juillet. Leurs larves, très-nuisibles, vivent des racines des arbres. A côté des hannetons se rangent les cétoines inof- fensives, ornées souvent de magnifiques couleurs métalliques. Les pièces buccales des adultes sont très-molles ; aussi ne vivent-ils que de fleurs. On voit la cétoine dorée se jeter avec frénésie sur les li- las et sur les roses et s’y endormir. Les larves vivent dans le bois pourri, et les nymphes s'y fa- 106 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. connent une coque; dans ces deux états l'insecte ressemble au hanneton (fig. 72, 73). A l’état adulte les cétoines volent le jour et très-facilement, en Fig. 72, 15. — Coque et larve de cétoine dorée. o faisant glisser leurs ailes au-dessous des élytres qui restent closes (fig. 74). Cette espèce est le mélo- Fig. 74. — Cétoine dorée volant. lonthe doré d’Aristoteet partageait, avec le hanneton, le privilège fort peu agréable pour elle d’amuser les enfants des Grecs. Nous devons citer deux petites céloines, communes sur les fleurs de chardons, la cétoine stictique, noire, à points blancs, et la cétoine velue, toute couverte de poils jaunâtres. A côté des cétoines viennent ces gigantesques Goliaths, des EULER. ILRY Goliath de Drury (mâle). ». Or ls De d Fig. COLÉOPTÈRES. 109 côtes de Guinée et du Gabon, vivant de la séve des arbres, d’un blanc ou d’un jaune mat, avec des ta- ches ou des bandes d’un noir velouté (fig. 75); les femelles n'ont pas la tête bicorne des mâles et leurs jambes de devant sont munies d’épines, sans doute pour fouiller les arbres pourris où elles pondent ; puisles Trichies, communes en France sur les fleurs, à bandes parallèles noires et jaunes, dont les larves vivent à l'intérieur des vieilles poutres en respectant leur superficie. Les cultures maraichères, qui emploient fré- quemment aux environs de Paris la tannée de Fig. 76. Fig. 71. Tête d'oryete nasicorne mâle. Tête de la femelle. l'écorce de chêne, ont rendu très-commun un gros coléoptère brun, bien connu sous les noms de rhi- nocéros ou de licorne (oryctes nasicornis). II est beau- coup plus rare dans les bois où se rencontrent peu souvent les écorces assez divisées pour ses larves. Le mâle porte sur le front une corne dont la femelle est dépourvue (fig. 76, 77). Les larves vivent trois ou quatre ans, analogues à celles du hanneton, mais bien plus fortes ; elles mangent les détritus ligneux du terreau et attaquent aussi les racines des plan- tes. De même en Amérique les énormes scarabtes, tels que les scarabées Hercule et Jupiter, ont sur 110 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. la tête, chez les mâles, de longs appendices dont manquent les femelles. Leurs larves vivent dans les bois décomposés. La prédilection des larves de ce groupe pour les matières ligneuses altérées nous explique les pré- cieux services rendus par certains insectes pour dé- barrasser le sol des excréments des animaux her- bivores. Les mœurs les plus curieuses sont celles de scarabées de genres voisins, plaçant leurs œufs dans de petites boules de fiente qu’ils roulent, et qu’ils enterrent. Les larves se développent dans ces boules, au milieu des aliments azotés qui leur conviennent. Nous devons donner le premier rang, parmi les rouleurs de boules, aux ateuchus, à cause de la vé- nération qu'avaient pour certains de ces insectes les anciens Égyptiens. Le plus célèbre est l'ateuchus sacré, qui se trouve dans le Midi de la France, et plus ordinairement en Provence qu’en Languedoc; il est commun à Marseille sur les bords de la mer, du côté de Montredon. Il habite en général tout le littoral de la Méditerranée, et remonte jusqu’à Montpellier. On le trouve à Cette, à Perpignan, etc. Il déploie, sous l'influence de la chaleur solaire surtout, une activité incroyable. IL choisit d’or- dinaire un terrain en pente pour y placer sa boule. On voit souvent, au printemps ainsi qu’au commen- cement de l’été, dans les dunes ou dans les sables du bord de la mer, les ateuchus se livrer au travail nécessaire pour enfouir leurs pilules. Hs grattent avec une grande vivacité la terre qu’ils amoncellent d'abord derrière leurs pieds de derrière, puis, se Dec Wa Le. E\ Fig. T8. — Scarabées sacrés roulant leurs boules. COLÉOPTÈRES. 115 retournant et se servant de leur front comme d’une pelle, ils poussent plus loin les débris qui les em- barrassent. Leur front large est muni de six dentelures, comme des rayons, et leurs pattes antérieures sont dépourvues de tarses qui auraient pu se briser en fouissant, ou, peut-être, tombent-ils immédiate- ment; la jambe étalée et tranchante fonctionne comme une pioche. C’estentre les pattes de derrière, longues, épineuses, arquées, que sont logées les boules, confectionnées avec les débris stercoraires séparés des pailles et des grains non digérés. L’in- secte marche à reculons sur les quatre pattes de devant, jusqu’à ce que, parvenu au trou qu'il a creusé, 1l y précipite sa boule. On peut dire que les ateuchus contribuent à la salubrité atmosphérique et à disséminer les engrais dans le sol. Les larves qui sortent des œufs déposés dans les boules sont conformées sur le plan commun des larves de sca- rabées, dont le type est la larve du hanneton. Elles vivent en terre, dans les trous où ont été projetées les boules et aux dépens de la matière de celles-ci; c'est là aussi qu’elles deviennent nymphes dans une coque de terre et de débris. Les ateuchus, avons-nous dit, sont obligés de marcher à reculons; ils sont renversés fréquemment pour peu que le terrain soit inégal, et se relèvent avec peine. Ces difficultés, loin de les rebuter, semblent redoubler leur zèle. Ils font concourir leurs efforts à un but commun, et, pour l'obtenir, paraissent fort indifférents au droit de propriété ; quand une boule, par la culbute de son possesseur, 8 11% LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. vient à rouler au loin, un autre s’en saisit, et le dépossédé relevé de sa chute prend la première boule qu'il voit à sa portée, ou travaille avec ardeur à en faire une nouvelle. Les prêtres égyptiens, à l'aspect des ateuchus, de leurs boules roulant sans cesse comme le monde dont ils trouvaient l'emblème, comparèrent leurs travaux à ceux d’Osiris ou du Soleil. D’après Porphyre, on honorait l'ateuchus sacré comme la figure de cet astre. Aussi les monuments, les hiéroglyphes représentent, multipliée de mille facons, l'image du scarabée sacré; il est ciselé, quelquefois de taille gigantesque, sur les murs des temples, sur les chapiteaux des colonnes, sur les obélisques, gravé sur les pierres précieuses, sur des médaillons, des cachets, des grains de colliers ou de chapelets. Il était le symbole de la transmi- gration des âmes et placé dans la tombe des per- sonnes pieuses comme un dieu tutélaire. Une momie rapportée de l'expédition d'Égypte, par E. Geoffroy Saint-Hilaire, renfermait un scarabée sacré parfaitement conservé, Les mages et les empiriques le pendaient en amulette, d’après Pline, au bras sauche des malades qu'il devait guérir des fièvres intermiltentes; le zodiaque de Dendérah le présente dans les signes célestes au lieu du Scorpion des Grecs. Enfin cet insecte, sculpté au bas de la statue des héros, exprimait la vertu guerrière, exempte de toute faiblesse. De tous les auteurs anciens qui ont parlé du scarabée sacré, Hor-Apollon est celui qui a traité ce sujet avec le plus d’étendue. Hlui a consacré le COLÉOPTÈRES. 115 chapitre X d’un ouvrage intitulée : De la sa- gesse symbolique des Égyptiens, ouvrage mystique et compilation confuse qui ne mérite pas de citation textuelle. Nous y voyons que tous les individus des ateuchus étaient regardés comme mâles. Les boules demeuraient en terre vingt-huit jours, temps d’une révolution lunaire, pendant lequel la race du sca- rabée s'animait. Le vingt-neuvième jour, que l'in- secte connait pour être celui de la conjonction de la lune avec le soleil et de la naissance du monde, il ouvre cette boule et la jette dans l’eau. Il en sort un nouveau scarabée. Les anciens voyaient bien cet insecte enterrer sa boule, mais, convaincus de l'existence d’une géné- ration spontanée, il fallait nécessairement suppo- ser que l’insecte venait ensuite la déterrer et la Jeter dans Peau, élément nécessaire pour produire, selon leurs idées, avec le concours.de la chaleur, les êtres qui n'avaient ni père ni mère. Un fait intéressant doit nous frapper dans les récits confus el erronés de Hor-Apollon. Il lance, dit-il, en parlant du scarabée sacré, des rayons ana- logues à ceux du soleil. On remarque fréquemment que les images sculptées de cet insecte ont été dorées. Latreille, dans son mémoire sur les in- sectes sacrés, avait d’abord supposé que les six den- telures du front représentaient les rayons de l’'astre, mais une intéressante découverte amena une hy- pothèse plus vraisemblable. En 1819, M. Cailliaud (de Nantes), découvrit à Méroë, sur le Nil Blanc, dans son voyage au Sennaar, un autre rouleur de boules, très-semblable de forme à l’ateuchus sacré. - 116 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. avec six dents comme lui en avant de la tête; mais, au lieu de la couleur noire uniforme de l’insecte de la basse Égypte, celui-là présente une belle couleur d’un vert doré, rappelant en conséquence, par ses reflets, les rayons étincelants de l’astre du jour. Or les Égyptiens, originaires de l’Éthiopie, c'est-à- dire des régions élevées de la vallée du Nil, véné- rèrent d'abord ce brillant scarabée et, plus tard, quand le delta du Nil suffisamment accru devint habitable, ils y réunirent, dans une superstition commune, son noir congénère des bords méditerranéens. C’est dans cette croyance très- vraisemblable que Latreille a appelé la seconde espèce ateu- chus des Égyptiens. L'Europe ne renferme que des ateuchus d’un noir bril- lant. Outre l'ateuchus sacré, Fig. D. on possède en France, dans les Ateuchus à large cou. mêmes locahtés, une espèce de dimensions moindres , l’ateu- chus demi-ponctuë. L'espèce la plus réduite comme taille, et qu’on rencontre dans notre pays le plus au nord, est lateuchus à large cou. Le front a six dentelures, comme dans les précé- dents, mais les élytres sont fortement et régulière- ment sillonnées. On voit cet insecte dans plusieurs de nos départements du Midi; il est commun près d’Aix en Provence. On le trouve dans l’Ardèche, et aussi, mais assez rarement, dans certaines parties des environs de Lyon, particulièrement sur les COLÉOPTÈRES. 117 monts-d'Or et les coteaux de la Pape. Il n’a pas été constaté aux environs de Paris, ni même, je crois, au centre de la France. Les mœurs de toutes ces espèces sont toujours analogues à celles de lateuchus sacré. IT y a des espèces où les mâles aident, dit-on, parfois les fe- melles à rouler leurs boules. Ils paraissent d’habi- tude beaucoup moins occupés que leurs compagnes, et des observateurs peu attentifs leur ont fait Pin- jure de les comparer à ces guerriers des peuplades sauvages, laissant aux femmes les pénibles travaux. Cependant, le fait seul que les mâles survivent à la fécondation et demeurent assidus auprès des fe- melles doit nous amener à une opinion plus con- forme aux lois naturelles, qui ne laissent la vie qu'aux êtres nécessaires pour perpétuer l’œuvre du Créateur. Une espèce du midi de l'Espagne, étudiée sur les rivages de Malaga par M. de la Brülerie, nous donnera une idée exacte du rôle des mâles. «En certains endroits de la plage sont parqués, dans des clôtures mobiles, des porcs en nombre considérable. L'élève de ces animaux est une des richesses de la contrée, et Malaga l'un des princi- paux marchés où on les conduit. Là où les pores ont séjourné, viennent bientôt les histérides, les lamellicornes coprophages, et notamment l’ateu- chus cicatricosus. Je Le vis rouler ses boules. «La femelle seule se charge de ce soin, et, comme les autres espèces du genre, marche à reculons et se sert de ses pattes de derrière pour maintenir son précieux fardeau. Le mâle surveille le travail avec un intérêt visible, mais sans y prendre une 118 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. part active. Qu'un obstacle se rencontre, et que la boule qui contient sa progéniture tombe dans une inégalité du sol, il faut voir comme ils’agite, tourne tout autour, pousse sa femelle du chaperon, et l’ex- cite, j'allais dire de la voix, mais plutôt en faisant relentir, sur un {on désespéré, le bruit que produit le frottement de son abdomen contre ses élytres. « Si l'observateur prend la femelle et la pose à terre, à quelque distance, le mâle redouble son cri plaintif. La femelle l'entend; elle parait imdécise, consulte les quatre points cardinaux, s'oriente en- fin, et de sa course la plus rapide revient, tout en trébuchant, ressaisir la boule, objet de sa mater- nelle sollicitude. « Vous accusez le mâle d’être un paresseux jouant le rôle de la mouche du coche. Mouche peut-être, mais mouche indispensable, car, si vous le prenez, la femelle s'arrête et reste la tête baissée sur le sable, de l'air le plus piteux du monde. « Elle serre toujours sa boule dans ses pattes de derrière, mais rien ne la fera bouger, et, si on ne lui rend son compagnon, je crois qu’elle mourra sur place !. » Un second groupe de constructeurs de boules est formé par les gymnopleures, de couleur noire, qu’on reconnait au premier abord parce que les flanes du premier arceau ventral sont mis à découvert par un rétrécissement brusque des élytres au-dessous des épaules. Is ont des tarses très-grèles anx mem- bres antérieurs, de même que les sisyphes, du MOUP CCD 022: COLÉOPTÈRES. 119 groupe suivant. Une espèce très-commune dans le midi de la France est le gymnopleure pilulaire. W abonde aux environs de Lyon. Ces insectes vivent rassemblés en troupe plus ou moins considérable, et couvrent parfois de leur multitude les déjections des chevaux et des bœufs ; mais, à peine les appro- che-t-on, surtout dans les journées chaudes, qu'ils s’envolent avec facilité, au point que, dans un in- stant, on n’en voit plus un seul. On a trouvé cette espèce jusqu'à Pithiviers, mais Je ne crois pas qu’elle arrive plus près de Paris.On prend quel- quefois, mais rare- ment, dans les chau- des journées de juin, près de la capitale, . une seconde espèce Gymnopleure flacellé, de profil. de gymnopleure, un peu plus petite, à surface chagrinée, le Gymno- pleure flagellé. Ces insectes recherchent les matières stercoraires des ruminants. Ils volent autour des chèvres etdes moutons, et, à défaut de leurs propres boules, se jettent sur les crottins et les roulent. Quelquelois une véritable intelligence semble présider à leurs travaux. « Souvent, dit M. Mul- sant, surtout parmi les scarabées!, qui construi- sent une pelote beaucoup plus grosse qu'eux, un ami obligeant vient prèter ses bons offices. Il se place sur le sommet du corps sphérique, et, en se 1 Hist. natur.des Coléopt. de France, Lamellicornes, 1842, p. 41. 120 LES METAMORPHOSES DES INSECTES. penchant en avant, l’entraine dans un mouvement de rotation. Par moment un accident arrive : la boule tombe dans un trou, et y resterait inévitable- ment sans le secours de nouvelles forces nécessaires pour l’en extraire. Un gymnopleure auquel sem- blable mésaventure était arrivée se dirigea, dit Ili- ver, vers un tas de bouse voisin, et revint bientôt avec trois camarades ; tous quatre réunirent leurs efforts pour tirer la pelote du précipice, et ils y parvinrent enfin; ce résultat obtenu, les trois com- pagnons, dont la tâche était accomplie, s’en retour- nèrent aussitôt à leur ouvrage. » Les sisyphes forment un troisième groupe, ainsi désigné par Latreille en sou- venir de ce fils d'Éole et d’A- rénète condamné, suivant la fable, à rouler au sommet d'une montagne un rocher qui lui échappait toujours au mo- ment où 1l croyait toucher au terme de ses peines. Les Si- syphes ont le corps court et ramassé, les pattes grêles et très-élendues , surtout celles de derrière, qui sont courbées pour mieux em- brasser la boule. Cet aspect des membres a valu le nom de bousier araignée (Gcoffroy) au sisy- phe de Schæffer, la seule espèce d'Europe, qu’on a pris quelquefois accidentellement près de Paris. Ce noir et bizarre animal vit dans les matières les plus rebutantes; il marche gauchement à cause de ses longues pattes postérieures, se plait sur les Fig. 81. Sisyphe de Schæffer. COLÉOPTÈRES. 191 terrains en pente, les coteaux exposés au soleil. On peut dire de lui qu’il a la monomanie du jeu de boules ; sans relâche les sisyphes sont occupés à en construire ou à en rouler, et, souvent, ils con- tentent leur instinct, à peu de frais, avec des crot- tins de chèvres. Écoutons encore les curieuses observations de l’entomologiste lyonnais : « Les mâles, écrit M. Mulsant, montrent en géné- ral un attachement moins vif que l’autre sexe pour ces petites pelotes qui doivent servir de berceau à leurs descendants. Souvent, pour mettre à l’épreuve leur amour maternel, il m'est arrivé de transpor- ter dans la main un couple de sisyphes avec le fruit de leurs travaux. Dès que je leur rendais la liberté, le mâle en usait pour s'envoler ; la femelle ordi- nairement restait attachée à la pilule, objet de ses espérances, et se résignail à la conduire seule. J'ai vu quelques-unes de ces créatures surprises par la nuit avant d’avoir pu enterrer assez profondément leur globule; le lendemain, de grand matin, je les retrouvais le tenant entre leurs paltes, comme un trésor dont elles n'avaient pu se séparer. » Ces instincts affectueux sont propres à tous les scara- bées rouleurs de boules. En creusant la terre on trouve souvent, avec une boule, le couple d'insectes qui l’ont produite. On dirait qu'ils ont voulu rester attachés à cet objet pour veiller à sa conservation ou pour attendre, près de ce dépôt précieux, la mort qui doit mettre fin à leurs travaux. Malgré l’odieuse exploration qu'exige l’étude des bousiers, nous oserons encore continuer un peu ce 422 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. sujet, tant les mœurs de ces insectes, toujours liées à leurs métamorphoses, tiennent en suspens la cu- riosité. La science n’est-elle pas comme le charbon ardent qui purifiait les lèvres du prophète Isaïe! Les copris ne construisent pas habituellement de boules, mais creusent des trous proportionnés à leur taille sous les matières stercoraires, et y accu- mulent, mêlées à leurs œufs, les substances néces- saires à la nourriture des larves, qui, s’entourent, pour se transformer, d’une coque de bouse séchée. C’est ainsi qu'opère le copris lunaire ou bousier capucin de Geoffroy, très-commun dans le Midi, mais qu'on peut voir aussi près de Paris, surtout dans les lieux sablonneux où ont passé des che- vaux. Il est d’un noir brillant et remarquable par les trois cornes qui ornent son corselet, celle du milieu étant la plus grande, et la corne qui se dresse au centre du front, longue et pointue dans le mäle, courte et tronquée chez la femelle. IL fait entendre une stridulation en frottant ses élytres contre le dos. Les aphodiens sont les plus petits scarabées des fientes, les seuls communs dans les régions du Nord, existant même en Laponie. On les voit voler le soir en abondance sur les routes parsemées de déjections. Leur corps est arrondi et convexe en dessus, mais plat en dessous. Ils n'ont pas d'indus- trie, ne creusent pas la terre au-dessous des bouses dont ils se repaissent, dont ils ont percé la surface de petits trous et qu'ils sillonnent de galeries. Les femelles pondent dans le milieu où elles vivent, et c'est là que les larves se développent. Rien de plus COLÉOPTÈRES. 123 commun que l'aphodie du fumier, noire, avec des élytres rouges striées. Quand on a bouleversé sa triste demeure, linsecte fait le mort. Les cuisses courtes et aplaties, les jambes larges et dentelées indiquent un fouisseur. Chose étrange ! de son asile immonde il sort net, sec et brillant, comme d’un bain immaculé. Il est impossible de ne pas accorder notre atten- tion aux géotrupes qui volent le soir, avec un bour- donnement sourd, sur tous nos chemins ; leur pré- sence dans les airs indique au laboureur qui re- gagne sa chaumière que le temps sera beau le lendemain. Leur abdomen est très-court, et par contre leur thorax énorme, donnant attache à des pattes larges, crénelées, éperonnées, constituées pour fouir avec force. Ils font entendre une stridu- lation par le frottement d’une saillie de l’article d’articulation du membre postérieur, contre le bord de la cavité où il s’emboite. Leur corselet n’est pas armé de cornes, du moins dans les espè- ces ordinaires. Les géotrupes creusent sous les dé- Jections des trous verticaux ou obliques, ayant par- fois plusieurs décimètres de profondeur, à louver- ture desquels ils se tiennent pendant le jour, oc- cupés à satisfaire leur appétit et prêts à s’y réfugier en cas de danger. Le soir, après des mouvements répétés de leurs élytres à la façon des hannetons, pour gonfler d'air leur corps massif, ils se dressent sur leurs pattes de derrière et essayent de prendre leur essor ; mais souvent leur premier coup d’aile, frappant l'air avec trop de force, les rejette en ar- rière sur le dos, et ils doivent s’y reprendre à plu- 124 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. sieurs fois. Ils rasent la terre d'un vol court, lourd et sinueux, se frappent contre les obstacles et re- tombent étourdis. Si on cherche à les saisir, ils se renversent sur le sol et contrefont les morts, en étendant leurs pattes qui demeurent roides et sans fléchir aux articulations. Ces insectes sont tour- mentés par une mullitude de gamases, petites ara- chnides d'un fauve terne, dont nous avons parlé à propos des nécrophores; ils couvrent souvent le corps des géotrupes. Les espèces les plus commu- nes sont le géotrupe stercoraire, d’un noir brillant, le plus souvent avec reflet bleu ou bronzé, et le géotrupe printanier, plus petit, d’un bleu foncé à reflet rougeñtre, à élytres moins fortement striées. Très-voisins des scarabtes et des hannetons par leurs larves et leurs nymphes, les lucanes ou cerfs- volants présentent quelques différences à l’état par- fait. Leurs antennes sont coudées et les lamelles, au lieu de se replier comme les feuillets d’un livre, demeurent écartées. La plus grande espèce de no- tre pays, le lucane-cerf, d’un brun foncé, est bien connue par ses énormes mandibules, bifurquées à l'extrémité, crénelées, avec une forte dent au mi- lieu. L'usage de ces énormes appendices qui simu- lent un bois de cerf, est mal connu ; ils n’existent que chez les mâles ; la femelle ou biche ne les offre qu'à l’état ordinaire (fig. 82, 83, 84, 85). Ils peu- vent serrer la peau jusqu'au sang et soulever un poids considérable. Les Romains suspendaient ces mandibules cornues au cou de leurs enfants, pour les préserver des maladies du jeune âge. Linnæus dit qu'un éléphant qui aurait une force proportion- ee UE Z Lucane cerf-volant, larve, nymphe, insectes mâle et femelle. Fig. 82, 85, 84, 85. COLÉOPTÈRES. 127 née à celle d’un lucane, ébranlerait une montagne. On croit, dans certaines parties de l’Allemagne, qu'ils prennent des charbons ardents entre ces pinces et vont propager des incendies. Leurs mœurs sont douces, ils sucent avec délices, au moyen de leurs mâchoires en forme de houppe, les liqueurs qui suintent des crevasses des chênes. Ils mangent aussi les feuilles de ces arbres. Ils sont très-friands de miel et on prétend qu’ils peuvent s’apprivoiser. Swammerdam, dit-on, en avait un qui le suivait comme un chien quand il lui présentait du miel. Accrochés pendant le jour au tronc des chênes, ils ne volent que le soir et du vol le plus lourd, se tenant presque verticaux pour ne pas basculer par le poids de leurs gigantesques mandibules. Leur taille varie beaucoup. La collection du Muséum en présente deux énormes individus, provenant de la dernière expédition de Syrie. Ils étaient venus frap- per avec tant de force dans le schako d'un capitaine commandant un détachement, que celui-ci erut d’abord à une agression à coups de pierres. La fe- melle pond ses œufs dans les vieux troncs de chêne. La larve enroulée, ressemblant beaucoup à celle des hannetons, à anneaux moins marqués, vit près de quatre ans et commet souvent de grands dégâts. On ne sait trop si c’est à cette larve ou à celle du grand capricorne, dont nous parlerons bientôt, qu’il faut rapporter ces vers, nommés cossus par les Romains, remplis d’une crème délicate, et qui figuraient avec honneur sur les tables de Lucullus. Les meilleurs à manger, dit Pline, sont les gros vers des chênes, ce qui se rapporte aux larves des deux genres. Les 128 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. dames demandaient à cette nourriture substantielle un embonpoint qui prolongeait leur beauté. Pour se changer en nymphe, la larve s’enveloppe d'une coque de parcelle de bois agglutinée, et l’a- dulle passe souvent l'hiver dans cette coque après son éclosion pour se consolider. Passons rapidement sur le triste groupe des mé- lasomes, coléoptères au manteau noir. Nous y ren- controns les blaps, dont l'espèce commune, la blaps obtusa, à odeur repoussante (fig. 86), et la blaps Fig. 86. Fig. 87, 88. Blaps obtus. Ténébrion de la farine et sa larve mortisaga \(présage de mort), à élytres soudées avec une pointe terminale, sans ailes, se trainant dans les caves, les celliers, les grottes obscures, vivant de débris animaux et aussi des limaces de cave, et les ténébrions, habitant les boulangeries. Leurs lar- ves séjournent dans la farine, ont un corps cylindri- que et comme vernissé. Les amateurs d'oiseaux les recherchent pour nourrir les jeunes rossignols et divers oiseaux insectivores. Trop souvent nous en trouvons avec dégoût les débris dans le pain, ainsi que les restes noirs de l'adulte (fig. 87, 88). COLÉOPTÈRES. 129 Un très-grand intérêt sous le rapport des méta- morphoses encore imparfaitement connues, s’atta- che à la famille des coléoptères vésicants, fournissant à l'art de guérir un puissant caustique dérivatif et aussi un dangereux poison. Les plus employés en Europe sont les cantharides, au corps et aux lon- gues élytres molles, d’un beau vert brillant, s’abat- tant en immenses essaims sur les frênes, dont elles dévorent le feuillage, et quelquefois sur les lilas. Dans le midi de l'Europe, en Orient, en Chine, on se sert, comme vésicants, des mylabres, qu'on ren- contre en grappes sur les fleurs des composées, les chicorées, les chardons, etc. Les Romains en fai- saient le même usage, et la loi Cornelia punissait de mort les empoisonneurs par les mylabres. Enfin, au printemps surtout, dans les prairies, on voit courir des coléoptères d’un noir violet brillant, aux élytres très-courtes, sans ailes, et dont les femelles trainent avec peine un énorme abdomen rempli d'œufs. Les Allemands les nomment scarabées de mai (Maykæfer). Si on les saisit, ils replient leurs pattes, et de toutes leurs articulations suinte une liqueur jaune, onctueuse, fétide. Ce sont les bou- prestis ou enflebœufs des anciens, car on à vu des bestiaux gonfler et mourir pour en avoir avalé. Dès le commencement d'avril, le méloë proscarabée, le plus commun, se rencontre en abondance dans les prairies qui sont contre le pont d'Ivry et bordent le confluent de la Seine et de la Marne. On à complé- tement ignoré longtemps les premiers états des co- léoptères vésicants. Newport en Angleterre, M. Fa- bre en France, ont soulevé le voile en grande partie. 9 150 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. On avait rencontré sur diverses abeilles solitaires, construisant des nids en terre et les approvision- nant du miel des fleurs pour leur progémture, des petits êtres cramponnés dans leurs poils. On les prenait pour des parasites et ils furent décrits sous les noms de pou de la mélitte, de triongulin. Ce sont les premières larves des vésicants. Les nombreuses transformations d’une espèce nommée Sitaris humé- ral ont été observées par M. Fabre (fig. 89). La larve Fig. 89. Fig. 90. Sitaris huméral (grossi). Première larve (très-grossie). est tour à tour carnivore et mellivore. La femelle va pondre à reculons dans les conduits terreux qui mè- nent aux nids des abeilles solitaires. De ces œufs sort une très-petite larve, d’un millimètre de longueur seulement, très-agile, à fortes mâchoires, à longues pattes, à longues antennes, avec des filets caudaux, une peau cuirassée et des yeux au nombre de qua- tre (fig. 90). Elle attend patiemment tout Phiver. Au printemps sortent du nid les mâles, éclos les premiers. Prestement elle s'accroche à leurs poils; ils la font passer soit directement, soit par linter- COLÉOPTERES. 151 médiaire des fleurs où 1ls l’ont déposée, sur les fe- melles. Celles-ci ont fait un nid comme leur mère, ont garni les cellules d’un doux miel pour leurs enfants ; dans chacune doit être pondu un œuf. La petite larve a l’instinet de se laisser tomber sur cet œuf, l'ouvre, se nourrit de l'intérieur et se sert de la coque comme d’un radeau pour ne pas se noyer dans le lac de miel qui l'entoure. Après la mue parait une seconde larve (fig. 91). Combien Fig. 91. Deuxième larve. Pseudonymphe. elle diffère de la première! Elle est aveugle, n’a que des pattes et une bouche à peme formées, un énorme ventre renflé. Elle mange peu à peu tout le miel de Fig. 95. Fig. 94. Troisième larve. Nymphe. la cellule. Puis, dans la peau desséchée de cette se- conde larve, mais distincte, se forme une pseudo- nymphe, ovalare, segmentée, inerte et ne man- geant pas, de couleur ambrée, passant l'hiver (fig. 92). Il en sort une troisième larve (fig. 93) très-analogue à la seconde, devenant bientôt une 152 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. nymphe ordinaire, d’un blanc jaunâtre, à organes re- pliés et d’où sort un sitaris adulte, ne vivant que peu de Jours pour la reproduction et la ponte (fig. 94). Les méloës pondent dans de petits trous, sous les gazons, des amas d’œufs oblongs, d’un beau jaune citron. Les premières larves qui en sortent Fig. 95. — Cantharide mâle Fig. 96. — Cantharide femelle volant. avant la ponte. grimpent aux fleurs, de là passent sur des mellifi- ques, et subissent toute une série analogue de trans- formations. Il doit en être de même, pour les myla- bres el pour les cantharides, dont les femelles ont peine à voler, tant leur abdomen est gonflé par les œufs, tandis que les mâles volent vivement au so- leil autour des frênes ou des lilas; mais l’observa- tion directe est encore à faire (fig. 95, 96). La plupart des coléoptères dont il nous reste à dire quelques mots ont des larves souvent sans pat- tes, molles, blanchâtres, ne se mouvant que par replation, vivant cachées dans les tiges, les graines, les fruits des végétaux. Ils se rattachent de plus ou moins près à uneimmense famille,les charançons ou porte-becs, comptant bien 20 000 espèces, offrant un COLÉOPTÈRES. 155 prolongement allongé du front qui porte les anten- nes, le plus souvent coudées. On leur donrie le nom latin de cureulio ou gurgulio, à cause de leur vora- cité et de leurs dégâts : Le charançon ravage un vaste champ de blé Virg., Géorg., liv. E[, vers 185. dit le poëte en parlant de la calandre des grains, fléau de nos réserves de céréales. Chacun de nos légumes secs a son hôte funeste. La bruche du pois, brune, tachetée de blanc, ne sort du pois Fig. 97, 98. — Bruche du pois et pois percé. qu'à la fin de l’été. Chaque femelle, qui peut pondre une centaine d'œufs, dépose à la fin de la floraison, sur la jeune gousse, un œuf par pois. La larve vide peu à peu le pois, qui grossit avec elle, et l’adulte sort en perçant un trou circulaire Wig. 97, 98). La bruche des fèves dépose ses œufs dans les champs de fèves et marque chaque fève d'un à trois points noirs. Une fève peut nourrir plusieurs larves. La lentille et la vesce ont aussi leurs bru- ches spéciales. C'est un charançon dont la larve dé xore la noisette et qui sort de la coque par un trou arrondi. Tous les végétaux sont rongés par une ou plusieurs espèces de ces coléoptères : ainsi la vigne, 154 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. les arbres fruitiers, les bouleaux, les peupliers, les coudriers, les pins et les sapins, etc. Il y a des cha- rançons qui sautent au moyen de leurs pattes pos- térieures repliées. Ainsi les orchestes qui minent le parenchyme des feuilles. Le docteur Laboulhène à Fig. 99. — Pissodes notatus. décrit la métamorphose d'une de leurs espèces (Ann. Soc. ent. de France, 1858, p. 286). Parfois les femelles ont l'instinct de couper à demi les jeu- nes tiges ou les pétioles des feuilles oùelles doivent pondre, afin que la séve n’afflue que difficilement dans l'organe flétri et ne puisse étouffer les jeunes, larves (fig. 99). À côté, nous trouvons les scolytes, les hylésines, les bostriches, dont les larves vivent dans les galeries qu’elles creusent entre l'écorce et le bois des arbres de diverses essences (fig. 100): Chaque espèce a sa propre forme de galeries. Ces petites larves sont sans pattes, à peau très-froncée, repliées en deux, à bouche armée de pièces solides COLÉOPTÈRES. 155 (fig. 101). Les adultes dévorent les feuilles des ar- bres où vivent les larves. On prétend que par là ils affaiblissent ces végétaux et les rendent plus faciles à attaquer par leurs larves, et que l'instinct les porte à choisir pour la ponte des arbres ou vieux ou lan- Fig. 100. Fig. 101. Hylésine du pin (grossi). Larve de scolyte replié (grossie). guissants, moins résistants que ceux où abonde la séve. Ces insectes, qui creusent des galeries dans le bois, ont des mandibules si dures qu’il y a dans la science des exemples où ils ont perforé des pla- ques de plomb et même desclichés typographiques, formés d’un alliage plus dur que le plomb. On dirait que certains charançons, principale- ment d'Amérique, cherchent à faire pardonner, par leurs riches couleurs, les méfaits de leur race. Cet éclat est dû, non aux téguments mêmes qui sont noirs, mais à de brillantes écailles, imbriquées comme les tuiles d’un toit, et que Le frottement en- lève. Dans le midi de la France, vit sur les tamarix une petite espèce de cette sorte, verte avec points 156 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. d'un rouge vif, qui étincelle au soleil comme des perles de feu. Ce sont encore des larves sans pattes, ou à pattes très-rudimentaires, et vivant dans les bois, qui pro- duisent ces magnifiques coléoptères nommés richards ou buprestes, aux colorations Les plus vives, aux teintes métalliques (fig. 102). Aux Indes, en Chine, les femmes s'en servent pour leur coiffure ou comme pen- dants d'oreilles, et une mode analogue commence à s’intro- duire en France. La forme ex- térieure des buprestes rappelle un peu celle des taupins. Ils ne sautent pas, et, par une ex- ception unique chez les coléo- ptères, leurs ailes ne sont pas repliées en deux sous les ély- tres. La France n’en possèdeque de petites espèces, surtout du Midi. Les larves sans pattes ont une petite tête, un très-large thorax, sont très-allongées et vont en s'amincissant, comme un pilon aplati. Elles vivent isolées entre l'écorce et le bois, se creusant des galeries irrégulières, et sont parfois, dit-on, de dix à vingt ans avant de don- ner Padulte. Nous figurons une de ces larves appar-- tenant à une espèce qui vit dans les jeunes arbres des pins maritimes des Landes, le bupreste de Solier, larve bien propre à montrer la forme typique, et qui vit une année. Nous devons citer la plus grande espèce d'Europe, le Buprestis mariana, atteignant 0,02 de longueur. Il cst d'un beau vert foncé à Fig. 402. Bupreste impérial. COLÉOPTÈRES. 137 reflet cuivreux. 11 vit sous les écorces des arbres verts et se rencontre de la Suède à la Méditerranée, zone d'habitation très-étendue, fait wénéral pour les insectes des coni- fères. Les buprestesn'ont que de petites antennes; mais leurs larves sont très-voisines, comme formes et comme mœurs, de celles des lon- gicornes ou capricornes, dont les très-longues antennes, surtout chez les mâles, formées d’articles en Fig. 103. fuseau, ont, dans certaines espèces, "5 ner" deux et trois fois l'étendue du corps. Le type de ces insectes est le grand capri- corne (CGerambyx heros), qu'on rencontre en juin sur les chênes (fig. 104). Il est d’un brun presque noir. Le mieux pour les amateurs qui veulent re- cueillir toutes ces espèces à longues et si fragiles antennes est de les renfermer dans de grands sacs de toile pleins de feuilles. La larve, dite gros ver du bois, creuse ses larges galeries dans l’intérieur des chênes parvenus à toute leur croissance, et gâte les plus belles pièces de charpente. Elle est allongée, sans pattes, à thorax renflé, mais sans un rétrécis- sement aussi fort que chez les larves de buprestes (fig. 106). Toutes les larves de longicornes ont une forme qui rappelle, plus ou moins, celle d'un prisme à six pans, à arêtes obtuses. La tête est enchässée dans un prothorax très-développé, et les segments portent, en dessus et en dessous, de forts mamelons rétractiles, tantôt lisses, tantôt chagrinés, tantôt 158 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. tubereuleux. Parfois les pattes manquent complé- tement; quand elles existent au thorax elles sont très-courtes, et le genre de vie est le même, dans les galeries creusées dans les troncs et les branches, ce qui montre que ces pattes n'ont aucune impor- tance. Certains longicornes répandent des odeurs agréables : il en est ainsi de cet élégant insecte, d’un vert métallique, vivant sur les saules, volant parfois à la forte ardeur du soleil de juin, et qui exhale le parfum pénétrant de la rose. Le longicorne européen le plus curieux par la Fig. 107,108, — Æstinomus edilis, mäle et femelle. grandeur démesurée des antennes est celui que les entomologistes nomment Æstynomus edilis où mon- tanus. Long de 0,012 à 0",015, il est un peu dé- primé, d'une couleur cendrée, nébulense, avec un duvet jaunâtre et deux bandes arquées, irrégulières, brunâtres sur les élytres. La femelle porte en ar- (9) oudur£u es ‘{£) oaxer es ‘(y) euroorrlen puex — ‘907 “SOL ‘FOI ‘SU ‘die LPS ut 2 noyau s , j TN du its A î ., SALUT) ve n CENT ICT TUE tait h, A. AE | er 4 ! 6 : L .." f : \ 1 vi Mat, £ 'phas 4) e ‘ 1 t'a n » ! K (1 G À * ‘ t 1 4 sd! Lu 4 F4 se \ a DNS M vod" 1 Ua D: 4 à 4 t APE AV 4 d Ni w LT ni 1% COLÉOPTÈRES. 141 rière un tube droit, lui servant à pondre sous les écorces. Les antennes sont près de trois fois aussi longues que le corps dans les femelles, et jusqu’à cinq fois aussi longues chez le mâle. De tels appen- dices antérieurs seraient bien gènants pour le vol; aussi ces insectes se tiennent fort tranquilles sur les troncs des pins ou des sapins dans lesquels ils ont passé leurs premiers états. On trouvera ces cu- rieux insectes dans toutes les localités où existe un bois de conifères un peu étendu. Nous recomman- dons sous ce rapport la forêt de Fontaine- bleau aux jeunes ama- teurs parisiens. Les adultes éclosent en août et septembre, et la femelle fait aussitôt sa ponte, surtout sur les souches et tiges des arbres morts. La larve Fig. 409, 110. est déjà parvenue à Larve et nymphe de l'Æstinomus edilis. moitié de sa crois- sance à l'entrée de l'hiver, et creuse de larges galeries dans les couches intérieures de lécorce. Elle vit une année, du moins dans les pins mari- times des Landes où l’a observée M. Perris. Son corps est d’un blanc jaunâtre, entièrement revêtu de poils très-fins. Elle est aveugle et sans pattes. Elle a soin, en creusant le bois, de laisser toujours une épaisseur d’écorce ou d’aubier suffisante pour se protéger contre le bec des pics et la longue tarière des ichneumoniens, en prenant cette précaution 142 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. d’autre part, que l'épaisseur ne soit pas trop grande: il ne faut pas que l'insecte adulte demeure empri- sonné et ne puisse la percer pour sortir. Elle se change en nymphe dans une cellule ainsi creusée dans la tige, en se retournant toujours de façon que la nymphe se trouve la tête en haut. Un travail organique considérable s’opère alors, surtout pour le développementdes énormes antennes de l’adulte, remplaçant les très-petites antennes de la larve. La nymphe, couverte d'épines rousses, présente les longues antennes des mâles disposées avec une admirable symétrie. Elles forment un double peloton qui passe en dessous du corps entre les pattes; puis elles se contournent en décrivant trois quarts de cercle, et, remontant le long de la poitrine, passent par-dessus la tête, longent toute l'étendue dorsale du corps, et se courbent pour se croiser près de l'extrémité du dernier segment. En terminant cette revue rapide des coléoptères, reparaissent des larves pourvues de pattes bien dé- veloppées. Elles sont obligées de se déplacer pour ronger les feuilles de proche en proche. Les chry- somèles, à couleurs vives et tranchées, à corps glo- buleux, ont des larves ovoïdes, molles, sauf la tête coriace. Telle est la larve assez allongée, d’un gris verdàtre terne, qui dévore les feuilles des peupliers et des trembles. L'adulte a les élytres rouges et le corselet bronzé (fig. 111). Les criocères ont des mœurs étranges. On trouve en abondance sur les lis des petits coléoptères, à élytres d’un rouge luisant, faisant entendre une petite stridulation lorsqu'on les saisit. La larve est COLÉOPTÈRES. 145 très-molle et serait promptement desséchée par le soleil. Son anus se recourbe vers le dos et les ex- créments se projettent au-dessus de la larve, de fa- çon à lui constituer un manteau protecteur d’où elle ne laisse sortir que la tête (fig. 112). Vient-on à Fig. 111. — Larve de chrysomèle Fig. 112. — Criocère du lis, du peuplier. larve et adulte. lui enlever ce vêtement malpropre et singulier, elle se met à manger avec voracité afin de réparer le plus promptement possible le désordre de sa toi- lette. Elle marche assez vite, en attaquant les feuil- les de lis par le bord. La Criocère de l'asperge a des habitudes analogues. Ses élytres sont fauves, bar- rées de noir. Les larves des criocères deviennent nymphes en terre dans une petite coque. Les cas- sides, à corps aplati et élargi, leur ressemblent. La larve de la casside verte, qui vit sur les chardons et les artichauts, dont les côtés sont bordés d'épines rameuses, présente le dernier anneau du corps 14% LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. recourbé sur le dos en une longue fourche. Cette fourche retient les peaux des mues et les excré- ments. Cette larve n’a pas un manteau, mais un parasol. Les coccinelles ne nous rendent que des services et méritent bien leur nom de bêtes à bon Dieu, va- ches à Dieu. Elles ont des points noirs sur leurs élytres globuleuses à fond rouge ou jaune, ou bien la disposition des couleurs est inverse, car ces in- sectes offrent de continuelles variétés (fig.115). Elles Fig. 113. Fig. 114. Coccinelle à sept points. Sa larve grossie. laissent suinter une humeur jaune, fétide, moyen de défense. Si elles se promènent sur les végétaux, ce n’est pas pour leur nuire, mais pour les débar- rasser d’ennemis acharnés. Elles pondent, en petits tas, des œufs jaunes, allongés, au milieu des puce- rons. Les larves à six pattes, que Réaumur nomme vers mangeurs de pucerons, ont un corps allongé et mou, hérissé de petits tubercules de couleur choco- lat ou bleuâtre, avec des taches jaunes ou rouges (fig. 114). Leur extrémité postérieure est munie d’un mamelon visqueux, qui leur sert à marcher et à s'accrocher. Leurs pattes antérieures s oppo- sent l'une à l’autre et saisissent, un à un, les puce- rons pour les porter à la bouche. Quand la nymphe doit se former, la larve s'attache à une tige ou à COLÉOPTÈRES. 145 une pierre par son tubercule postérieur, qui se colle au moyen d’une sécrétion visqueuse. L’animal se gonfle, se raccourcit; sa peau, fendue le long du dos, se dessèche et reste en manteau sur la nym- phe, dont les élytres écartées ressemblent à une fleur flétrie. CHAPITRE IV NÉVROPTÈRES L Les fourmilions et leurs piéges. — Les ascalaphes. — Les némoptères. Les panorpes, métamorphoses nouvellement connues. — Les bitta- ques, les borées. — La semblide de la boue. — Les phryganes; larves à fourreaux mobiles, larves à abris fixes. Une partie seulement des névroptères offre des métamorphoses complètes, ce qui nous oblige à scinder en deux sections l'histoire de ces insectes, à mœurs très-variées, comme les précédents, habi- tant les uns la terre, d’autres les eaux à leurs pre- miers âges. Si l’on se promène pendant la belle saison sur des terrains secs et légers, et surtout contre les excavations d’où on retire du sable, il n’est pas rare que les yeux soient frappés par des entonnoirs creusés avec une régularité parfaite. Au fond appa- raissent quelquefois deux crochets recouverts de sable. Is appartiennent à une larve d'un gris rosé, courte, ramassée, à six pattes, les deux paires an- térieures dirigées en avant, la troisième en arrière. La tête est large, carrée, munie de deux mandi- bules en crochets acérés, avec un orifice absorbant communiquant à la bouche et permettant la suc- NÉVROPTÈRES. 147 cion. Cette larve ne peut marcher qu'à reculons. Elle creuse son entonnoir en moins d’une demi- heure, en décrivant en arrière des tours de spire de diamètre décroissant. Sa robuste tète lui sert de pelle pour rejeter le sable, chargé var une de ses pattes de devant. Puis elle se tapit cachée au fond de l’entonnoir de sable, bien exposé au midi, car la rusée chasseresse parait frileuse (fig. 115). Tout Fig. 115. — Entonnoir du fourmilion. est prêt. Si quelque malheureux insecte vient rôder autour de l’abime mouvant, le sable s'écroule sous ses pas. Il cherche à se cramponner au talus; une pluie de sable, lancée du fond du trou par la larve, l’aveugle et l’étourdit. Il tombe; aussitôt les cro- chets cruels s’enfoncent dans son corps, et tous ses fluides sont sucës, comme par une araignée. Puis le cadavre est lancé hors du trou d’un coup de tête, et la larve recommence l'affût. Comme les fourmis _ sont souvent ses victimes, on nomme le genre au- quel elle appartient myrméléon ou fourmilion. Le 148 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. Myrmeleo formicarius se trouve aux environs de Paris, mais s’avance peu au nord. On le rencontre encore à Compiègne. Par une erreur singulière, Réaumur croyait que la larve n'avait pas d’orifice anal. Il est très-pelit, et les excréments très- fins se perdent dans le sable. Elle se file un cocon ovoïde en soie tout satiné à l’intérieur, revêtu à l'extérieur de grains sableux, ct y devient une nymphe à parties Fig. 416. bien visibles, recouvertes d’une Lane mymple#E60000 mince pellicule: VOn JESPIPtonnE de la grandeur des ailes de gaze de Pélégant insecte qui sort de cette petite nymphe. On dirait, au premier aspect, une libellule ou demoiselle. Ses antennes grenues, terminées par un renflement, l’en distinguent (fig. 117). En outre, pour qui l’a vu voler, il est impossible de faire confusion. Ses ailes molles s’agitent lente- ment, et il est obligé de se reposer bientôt, tandis que les libellules ont un vol très-rapide et long- temps soutenu. Il répand une odeur de rose, comme plusieurs autres insectes des sables. Les espèces de ce genre augmentent à mesure qu'on s'avance vers les régions chaudes. On ren- contre dans la partie la plus méridionale de la France, dans les endroits les plus secs, et sortant du repos seulement sous les rayons les plus ardents du soleil, une grande et superbe espèce, à ailes ta- chetées de noir, le myrméléon libelluloïde (fig. 118). Sa larve ressemble à celle de l’espèce parisienne, Ld NÉVROPTÈRES, 149 mais beaucoup plus forte, également avide du sang des insectes. Elle peut se diriger en avant et chasse Fig. 117. — Fourmilion adulte. à découvert dans les lieux arides et sablonneux, mais sans creuser d’entonnoir. Le fait a été bien prouvé récemment par une de ces larves, élevée pendant plusieurs mois chez M. Blanchard (fig. 119). K \ Les Parisiens connaissent très- peu de magnifiques insectes, au vol le plus vif pendant les chaudes jour- nées où le soleil brüle la terre de ses rayons : ce sont les ascalaphes. = Des ailes amples, variées de noir et Fig. 119. de jaune, un corps noir, velu, de 127% denyenéléon longues antennes avec une large massue à l'extrémité, comme chez les papillons de jour, les caractérisent. On en signale plu- sieurs espèces, très -analogues. L'ascalaphe lon- gicorne se montre toujours rare dans le centre de la France et se trouve au mois de juillet près 150 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. de Paris, sur les coteaux secs de Lardy et de Po- quency; on observe en Provence l’Ascalaphe mé- ridional (fig. 120). Les mâles, à la recherche des femelles, volent avec la plus grande vélocité le long du versant des collines arides, au plus ardent so- Fig. 121. Fig. 120. Larve d’ascalaphe. Ascalaphe méridional. lil. La femelle s'élève verticalement, quand le mâle vient à passer au-dessus d’elle, comme une pierre lancée avec force. Les deux insectes s’accro- chent par leurs ongles arqués et le couple va se placer sur quelque plante. Quand ces puissants voi- liers se reposent quelques instants, c’est sur l’ex- trémité des plantes. Les larves des ascalaphes ont une tête très-crande, des tubercules épineux aux anneaux de labdomen. Leurs mandibules sont percées, comme chez les larves de fourmilions, de manière à sucer le sang des insectes (fig. 121). Elles ne font pas d'entonnoirs, marchent en avant, se cachent dans les petites pierres et les détritus, et de là s’élancent sur les insectes qui passent. On peut dire qu'elles sont aux fourmilions immobiles et rélrogrades ce que les araignées sauteuses sont aux araignées tendeuses de toiles. Fig. 118. — Myrméléon libelluloïde, mâle. NÉVROPTÈRES. 153 I serait curieux de rechercher les premiers états, encore inconnus, des némoptères, à ailes élégam- ment maculées de jaune et de noir, et dont les ailes inférieures sont très-grèles, presque linéaires, sou- vent dilatées en spatule à l'extrémité. On rencontre l'espèce la plus commune dans les îles de lArchi- Fig. 122. — Némoptère de Cos. pel et en Écypte; cette espèce, ou une très-voisine, existe aussi en Espagne et en Portugal, et, dit-on, très-rarement en France, aux environs de Perpignan (fig. 122). Nous serions heureux de provoquer à ce sujet d’intéressants travaux. On observe dans les bois, les jardins, et souvent à la fin de l'hiver, collés aux vitres, à l’intérieur des maisons de campagne, de délicats insectes, au corps grêle, aux ailes finement réticulées de vert ou de jaune, aux yeux très-saillants et d’une teinte d’or ou de cuivre poli. Ils laissent entre les doigts, si on 194 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. les saisit, l'odeur la plus infecte, plus infecte encore que celle des coccinelles, autres mangeurs de puce- rons. Cette sécrétion parait être la seule défense d'animaux aussi débiles, dont le vol est faible et de courte durée. De longues et fines antennes sur- montent leur tête. Ce sont les hémérobes ou demoi- selles terrestres. Elles pondent sur les tiges ou sous les feuilles des œufs très-singuliers, portés sur de longs filaments, qui les firent prendre pour des champignons par les premiers observateurs et dé- crire comme tels. La femelle vole un peu après avoir déposé l’œuf, de sorte que la matière gluante qui l'entoure s’étire et se solidifie à l’air en pédi- cule. IT nait de ces œufs des larves ressemblant à celles des fourmilions, mais plus élancées, à tête moins aplatie. Elles marchent en avant, sur les tiges et les feuilles, à la chasse des pucerons, dont elles font un grand carnage, enfonçant dans leur corps dodu et succulent leurs longues mandibules percées d’un canal pour la succion. Aussi lhabile historien des mœurs des insectes, Réaumur, les ap- pelle les lions des pucerons. Elles attaquent aussi les chenilles. Parvenues à toute leur croissance, elles lilent dans les replis de quelque feuille une très- petite coque de soie, de forme sphérique, et l'in- secte parfait en sort au bout d’une quinzaine de jours. On esf tout étonné de ses dimensions si on le compare à la nymphe ramassée qui était dans cet étroit cocon. Les nombreuses espèces de ce genre se ressemblent beaucoup et sont difficiles à distin- guer. Nous avons choisi, pour la faire figurer, la plus grande espèce de France, d’un genre très- NÉVROPTÈRES. 155 voisin, l'osmyle tacheté, qu'on trouve près de Paris, au mois d'août, dans les arbustes qui bordent les ruisseaux el les mares (fig. 125). Ce bel insecte est toujours rare. Caché pendant le jour, il vole au cré- puseule, faiblement et sans aucun bruit. Sa larve vit dans la terre humide qui est au contact de l'eau, et monte après les tiges des plantes pour se méta- morphoser en nymphe. Les névroptères carnassiers terrestres nous of- Fig. 123. — Osmyle tacheté. frent encore un groupe singulier par le prolonge- ment des pièces de la bouche, rassemblées en une sorte de bec perforant. Aristote et Théophraste avaient observé les panorpes, et, trompés par une analogie fort grossière, les appelaient mouches- scorpions, distinguant alors deux sections dans-les scorpions, les uns fixés au sol et sans ailes, les autres pouvant s’élancer dans les airs pour saisir leurs victimes. Les panorpes se tiennent dans l'herbe et dans les broussailles, depuis le mois d'avril jusqu’à la fin de Pété. Elles ont le corps grèle, porté sur de longues pattes, tacheté de jaune et de noir. Quatre ailes droites, maculées de noir, chevauchent au repos lune sur Pautre et recou- vrent Pabdomen (fig. 12% et 125). Chez le mâle lab- 156 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. domen se recourbe à l’extrémité sur le dos, et son dernier anneau se termine par un crochet rougeâtre et gonflé qui offre quelque ressemblance avec la griffe courbe qui termine la queue relevée du scor- pion; mais ici il n’y a pas de poche à venin, et, en Fig. 124 et 195. — Panorpe femelle et mâle. regardant mieux, on voit que le crochet est double. Les deux pointes sont insérées sur deux tubercules renflés et forment une pince destinée à saisir la femelle (fig. 126). L’abdomen de celle-ci se termine tout différemment; ses anneaux s’ef- filent en un long tube rétractile pro- pre à la ponte des œufs. En hberté, dans la nature, ces insectes montrent Fig. 126. t Pince du male. leur audace et leur bravoure. Ils sai- sissent au vol les mouches et les papillons, les percent de leur bec puissant et les dévorent posés sur les plantes. On les voit souvent se jeter sur des libellules de beaucoup plus erande taille, les renverser et les tuer. Quand on saisit les panorpes, elles laissent couler par la bou- che une salive brune, caractère propre à beaucoup d'insectes carnassiers, Bien que ces panorpes soient communes, ce n’est NÉVROPTÈRES. 157 que tout récemment que leurs premiers états ont été bien connus et décrits en Allemagne par M. Bauer. Les larves et les nymphes vivent en effet profondément cachées dans les terrains humides. M. Bauer réussit à élever pendant six semaines une paire de ces insectes en les nourrissant de pommes, de pommes de terre et de viande crue, et à les faire reproduire. La femelle dépose ses œufs dans la terre (fig. 127). Ces œufs, d’abord blancs, deviennent en- suite d’un vert brunâtre, avec des lignes d’un brun foncé. Ils sont volumineux et éclo- sent au bout de huit jours. La larve molle se tient cour- bée et se nourrit de débris organiques. En captivité, on peut lui faire manger de la viande pourrie et du pain. Elle grandit peu d’abord, su- borne feaclie pondant. bit plusieurs mues, et ne par- vient à toute sa croissance qu’au bout d’un mois. Sa couleur est en dessus d’un gris rougeñtre et bianchâtre en dessous. La tête a la forme d’un cœur, des yeux saillants, de fortes pièces buccales. Les anneaux du thorax ont de petites pattes cor- nées, les autres charnus ont des pattes abdomi- nales molles et en forme de cône. Sur le dos des trois derniers anneaux sont des stylets cylindriques terminés par de longues soies. Le dernier anneau porte quatre tubes qui déversent une liqueur blan- che. Ordinairement tranquille, elle sait se mouvoir avec rapidité si on leflraye. Pour se changer en 158 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. nympbhe, elle s'enfonce plus profondément dans la terre et conserve encore assez longlemps sa forme. Ce n’est qu’au bout de dix à vingt jours qu'elle de- Fig. 198 et 129. — Larve et nymphe de panorpe, très-grossies. vient nymphe, laissant voir alors la figure défimi- tive de l’insecte et deviner son sexe (fig. 128 el 199). Elle offre déjà les couleurs de l'adulte, avec cette différence que le jaune est beaucoup moins intense, surtout en dessous. C’est au bout de quinze jours environ que linsecte remonte à la lumière. I] lui a fallu neuf semaines pour attendre, à partir de l’œuf, son entier développement. Comme les pa- norpes n'apparaissent pour la première fois qu’à NÉVROPTÈRES. 159 la fin d'avril, il en résulte qu'il ne peut y avoir que deux générations par an. Les larves de la seconde génération passent l'hiver sous la terre et donnent les adultes d'avril. Le midi de la France possède un autre genre de ces névroptères à bec, de mêmesmœæurs, la bittaque | Fig. 151. Bittaque tipulaire. Borée hyémal grossi, mâle. tipulaire, dont l'aspect est celui d’un grand cousin qui aurait quatre ailes (fig. 130). Cette espèce, dit- on, se rencontre très-rarement et d’une manière accidentelle près de Paris. On ne connait pas ses métamorphoses, et il en est de même pour un autre genre de très-petite taille, le Borée hyémal. La tête présente un rostre, comme les panorpes. Les bo- rées sautent, et sont d’un noir luisant avec des re- flets d’un vert de bronze. Les mâles ont des ailes amincies en soie, finement ciliées (fig. 131); les fe- melles n’ont que de très-petits rudiments d’ailes, avec une tarière aiguë destinée à la ponte, presque aussi longue que la moitié du corps. C’est dans 160 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. le nord de l’Europe, en Suède, et dans les régions élevées des Alpes, qu’on rencontre ces singuliers insectes, en troupes considérables sur la neige. Dans le précédent ordre d'insectes, des larves vivaient dans l’eau, ainsi celles des dytiques et des hydrophiles, mais ne cessaient pas de respirer l'air en nature. Les moyens employés par le Créateur sont multiples, appropriés à des circonstances que nous ne saisissons pas toujours. Aussi ne de- vons-nous pas nous étonner si les larves aquati- ques des névroptères nous présentent un autre mode de respiration, la respiration au moyen de branchies, organes qui absorbent l’air dissous dans l’eau, comme on le voit chez les poissons, les écrevisses, les huitres, etc. Les eaux vaseuses contiennent en abondance des larves allongées, à tête écailleuse, pourvues d’yeux, de mandibules arquées et de courtes antennes. Les anneaux de l’abdomen portent des paires de filets libres, flottants, perpendiculaires au corps et articulés en quatre pièces qui vont en s’effilant. Un prolonge- ment caudal le termine. Ces larves vivent de proie dans les fonds boueux, et ouvrent fortement les mandibules pour mordre. Les nymphes sont terrestres; aussi les larves quittent l’eau et ga- gnent la terre sèche, au pied des arbres, parfois à plusieurs mètres de distance de l’eau. Elles s’en- foncent en terre et vivent encore environ quinze jours avant de se transformer, respirant alors l'air gazeux au moyen de ces mêmes branchies qui au- paravant fonctionnaient dans l’eau. C’est un fait curieux, analogue à celui des crabes de terre ou Là NÉVROPTÈRES. 1o1 tourlourous, de nos colonies des Antilles. Elles se creusent une cavité ovoide et y deviennent une nymphe, immobile et molle, offrant des antennes, des pattes, des rudiments d'ailes et des couronnes de poils roides aux anneaux de l’abdomen. Ces nymphes laissent éclore sur place l'adulte qui sort de terre en y abandonnant intacte sa peau de nym- phe. L'espèce très-commune est la semblide de la boue, à ailes réticulées de noir, d'aspect enfumé, les postérieures très-larges, recouvertes au repos par Fig. 132, 135, 154. — Semblide de la boue, adulte, nymphe, larve. les antérieures en forme de toit un peu renflé sur les côtés (fig.132,133, 134). Les semblides ne vivent que quelques jours à l’état parfait. Le mäle est d'environ un tiers plus petit que la femelle. Celle-ci pond sur les feuilles, les roseaux, les pierres, les murs, des œufs allongés à l'extrémité, et que la mère dispose les uns contre les autres, comme des _ petites bouteilles. La jeune larve est quelquefois forcée de parcourir une certaine distance pour se rendre à l’eau. Les pêcheurs à la ligne connaissent parfaitement _ des larves, que Réaumur plaçait dans ses teignes | aquatiques, et dont le corps mou et délicat est pra- tégé par des fourreaux très-variés. Elles s’y cram- . ponnent par des crochets, placés à l'extrémité de 11 te 162 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. l'abdomen, et il faut un certain effort pour les re- | tirer du fourreau quand on veut s'en servir pour : amorcer la ligne. On les nomme casets, d’aprèscette … habitude de se renfermer dans une case ; charrées, parce qu’on les voit souvent trainer après elle ces fourreaux. Les paysans les appellent porte-bois, porte-feuilles, porte-sables, parce que, selon les es- pèces et selon les eaux, les fourreaux sont recouverts de substances différentes. Le nom scientifique qui leur a été donné par Belon, notre vieux naturaliste des habitants des eaux, et adopté par Linnæus, … celui de phryganes, a la même signification, ear 1l veut dire fagot, réunion de petites branches. Ces insectes aquatiques, après avoir fixé l’attention des anciens observateurs, ont été étudiés avec soin par C. Duméril, puis par M. Pictet, à qui nous emprun- terons quelques curieuses figures. Les œufs pondus par les femelles sont enfermés dans des sortes de boules gélatineuses qui se gonflent dans l’eau et se fixent aux pierres. Cette gelée conserve l’œuf quand les petites mares et les ruisselets sont à sec pen- dant leschaleurs de l'été,etnous expliquentcomment on peut trouver des phryganes dans des fossés qui ont été privés d’eau pendant plusieurs mois. La larve s'aperçoit dans l’œuf transparent, comme un petit ver sans pattes ; elle éclôt peu de jours après la ponte, sort de l'œuf, puis de la gelée, après avoir séjourné plusieurs jours dans celle-ci. Ces larves sont alors comme de petites lignes noires. Les coques des œufs restent dans la gelée, qui bientôt se détruit. Toutes les larves de ce groupe vivent dans l'eau, mais se partagent d’après leurs mœurs 1 ! 4 4 NÉVROPTÈRES. 165 en deux sections. Les phryganes proprement dites se construisent des étuis mobiles dont nous allons parler ; d’autres genres ne bâtissent que des abris fixes, plus ou moins imparfaits, contre le sol et les erosses pierres. Il est facile d'élever ces larves dans des aquariums et de voir leurs singuliers travaux ; c'est ce qui nous engage à entrer dans certains détails. Si les larves à étuis mobiles vivent dans les eaux courantes, elles atta- chent leurs éluis par quelques fils de soie ; dans les eaux stag- . nantes elles flottent ou ._ marchent au fond de Peau. L’abdomen est toujours protégé par - l'étui ; la tête et le . thorax sont souvent _ plus ou moins dehors, ct la larve se cram- | ponne par les pattes. : Tout rentre dans l’é- tui si l'animal est in- »quiété. Les anneaux de Pabdomen portent « des houppes molles et » couchées transversa- | à VAR À 7 1 1 Fig. 15ù. S ement pour Se PIACET Larve de phrygane rhombique (grossie). RE ément dans "4 EU (fig. 135). Ce sont des sacs branchiaux, com- -muniquant avec les trachées intérieures et servant (Al 164 LES MÉTAMORPIOSES DES INSECTES. à la respiration par l’eau aérée sans que l'animal ait ; besoin de venir à la surface. Ces larves sont omni- … vores. On les élève bien avec des feuilles dans l’eau, à des feuilles de saule par exemple, en ayant soin de. renouveler l’eau très-fréquemment, carellesmeurent - vite dans l’eau corrompue. Les grandes espèces … mangent toute la feuille en commençant par le … bord, les petites ne vivent que du parenchyme en laissant intactes les nervures. En outre, comme . leurs mâchoires sont peu tranchantes, elles mangent les parties molles des insectes aquatiques ou de leurs compagnes sorties par accident de l’étui pro- tecteur. L'instinct porte les larves, dès leur nais-… sance, à s’entourer d'éluis cylindroïdes, un peu“ plus larges en avant qu’en arrière. Leur intérieur, * toujours lisse, est formé par un tissu fin et assez fort de soie produite par deux glandes placées de. chaque côté du corps et sortant par la filière de la, bouche. Le fourreau est toujours fortifié par des” matières étrangères qui le recouvrent à l'extérieur. Chaque espèce choisit ses matériaux et les dispose suivant une loi régulière et prédestinée. Ainsi la phrygane rhombique (que nous figurons) (fig. 136, 157), dispose transversalement des brins de bois et des débris végétaux (fig. 158, 139) ; d’autres espèces” disposent ces mêmes matériaux longitudinalement," d’autres en spirale. La phrygane flavicorne se sert volontiers de petites coquilles, ainsi que de pla- norbes très-jeunes, pour constituer son étui; sou= vent les mollusques continuent de vivre (fig. 140) Réaumur dit à ce sujet : « Ces sortes d’habits sonb fort jolis, mais ils sont aussi des plus singuliers» sl Std LL tt à En. 1 | % L 1 | emploient les malières végétales. L'instinct de \ . vent de pierres ou de sable ont des étuis plus NÉVROPTÈRES. 165 Un sauvage qui, au lieu d'être couvert de fourrures, le serait de rats musqués, de taupes ou autres ani- Fig, 156. Fig. 157. Phrygane rhombique. Phrygane au repos. maux vivants, aurait un habillement bien extraor- dinaire ; tel esten quelquesorte celuide noslarves. » Les espèces qui se ser- réguliers et plus con- stants que celles qui construction est perfec- üble et laisse parfois en- _trevoir une lueur d’in- telligence: Ainsi une larve habituée à faire un 4 He pailles ou de feuilles, mise dans un vase où il n'y a que de petites pierres, finit par s’en servir pour se construire un élui inaccoutumeé. Sion expulse une larve de son étui en la poussant en arrière avec une pointe mousse, elle cherche à y rentrer par la plus large extrémité, celle de la Fig. 138, 139. Fourreaux réguliers. 166 LES MÉTANMORPHOSES DES INSECTES. tète, mais alors elle doit se retourner ou couper l’'étui et le modifier. Si on le lui retire, elle en fait | un autre. Supposons la larve nue se promenant sur Fig. 141. Fig. 140. Fourreau de mousses Fourreau de coquilles. - un fond sablé de petites pierrailles. Elle reconnait d’abord et choisit ses matériaux. Elle fait ensuite une voûte de deux ou trois pierres plates, soute- nues et liées par des fils de soie et se loge en des- sous. Puis elle choisit les pierres une à une, les tient entre ses pattes et les présente, comme un maçon, de manière qu’elles entrent dans les inter- valles des autres et que les surfaces planes soient intérieures. Quand la pierre est bien placée, la larve la colle par des fils de soie aux pierres voi- sines. C’est toujours par la partie postérieure que se commence l’étui. Les étuis de petites pierres, les plus longs à construire, demandent cinq à six heures. La larve doit venir à l’état de nymphe, immobile, impropre à se défendre. Il faut un sureroît de pré- caulions. Elle ferme les extrémités de son étui par des fils de soie, à interstices assez Tâches, laissant NÉVROPTÈRES. : 167 passer l’eau. Ces grilles de soie sont fortifiées par des brins de bois, des herbes, des pierres. Les nym- phes laissent voir les organes de l'adulte ; elles ont sur le dos des panaches de filaments blancs, ser- vant à la respiration. Elles font osciller presque constamment l’abdomen dans le fourreau. Au bout de quinze à vingt jours, elles rompentla grille, sor- tent du fourreau, et on voit ces nymphes blanchä- tres nager librement dans l’eau, le plus souventsur le dos, au moyen de leurs pattes intermédiaires c1- liées servant de rames (fig. 142). C. Duméril a pu ainsi en conserver vivantes et mobiles pendant huit jours, en les empêchant de sortir de l’eau où elles ne sauraient se transformer. Vient-on à présenter un support à cette nymphe, elle le saisit, puis, quand elle est hors de l’eau, on la voit tout d’un coup se boursoufler comme une vessie pleine d’air. Elle se déchire sur le dos ; par cette crevasse saillit le corselet entraînant les ailes; celles-ci s’allongent et s'étendent. Les antennes se déroulent comme par ressort, puis les pattes se déplient, enfin l’ab- domen sort de la peau, qui reste en place complète et transparente comme un spectre. Comme les nymphes marchent très-mal sur la terre, Péclosion a toujours lieu très-près du bord de l’eau. Les phry- ganes adultes, d'abord pâles et molles, ne se colorent complétement qu’au bout de quelques heures. Elles ne mangent pas à l’état adulte et leur bouche est rudimentaire. Leurs couleurs sont peu variées, le gris jaunätre y domine. Leurs ailes sont poilues. L'aspect de ces insectes rappelle certains papillons de nuit; aussi furent-ils appelés mouches papillona- 168 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. 77180 cées. Elles volent peu jet ne quittent guère le bord des eaux. Pendant le jour elles se tiennent sous les feuilles des buissons, sur les murs, les trones d’ar- # Se TS ETS À ."#. à è à | | À 4 EX 1 NN € é Fig. 142. 4 Phrygane poilue Phrygane poilue A (nymphe grossie). (adultes). bres ; les ailes supérieures sont. alors repliées en toit sur les inférieures, bien plus larges et plus dé- licates (fig. 142). Ces ailes supérieures sont des sortes d’élytres. Au repos, les longues antennes sont ac- colées et dans le prolongement du corps. Si la phry- ganeentend quelque bruit, elle les écarte vivement, puis s'envole à quelque distance. Le printemps et … l'automne voient paraître des espèces différentes, bed. #7, NÉVROPTÈRES3 169 dont la vie, dans sa durée totale, est d’un an. Le soir, les phryganes volent au-dessus des ruisseaux el sont parfois si nombreuses que certaines espèces forment des nuées au-dessus des rivières. Comme Fig. 144, 145, 146, 147. Hydropsyche atomaire, larve, adulte, nymphe, sa maison. tous les insectes nocturnes, la lumière les attire, et on les trouve parfois en grand nombre sur les ré- verbères des quais. Il y a de petites espèces, très-analogues à l’état adulte, mais dont les larves ont certaines différen- ces. Ce sont les rhyacophiles et les hydropsyches. I _est de ces larves qui ont des branchies en touffes, et, en outre, au bout de l’abdomen, deux longs pé- _dicules à crochets entre lesquels sortent quatre tubes rétractiles communiquant avec les trachées. D’autres n’ont pas de branchies et offrent à l’abdo- 170 LES MÉTAMORPIIOSES DES INSECTES. x men deux tubes pour respirer l'air au dehors | (fig. 144, 145, 146, 147). Toutes ces larves se font. des abris momentanés et fixes, dont elles sortent au reste souvent pour y rentrer à volonté. Le plus ha- Fig. 148, 149, 150, 151, 152. Rhyacophile vulgaire, larve, nymphe, abri, cocon et adulte mäle. bituellement l’abri consiste en une calotte ou ré- seau de fils de soie, collée à une pierre plate, à une souche, à une tige immergée. Cette calotte est for- tifiée de corps étrangers, herbes ou pierres, et la larve rampe en dessous, dans un canal ménagé en- tre la pierre et la calotte. Telles sont les larves d’hydropsyches sans branchies. Parfois les réseaux sont très-grands, lâches, irréguliers, et plusieurs larves se logent dedans. Parfois ces réseaux flottent. dans la vase. Enfin il est des larves qui se font des RARE STE TT ds in ns + NÉVROPTÈRES. 171 boyaux sinueux en terre durcie, dont un côté est appliqué contre une pierre, et circulent dedans ; la pierre en parait réticulée. Au moment de se chan- ger en nymphes, toutes ces larves ferment les en- trées et sorties de leur dernier abri fixe, façonné avec plus de solidité que les précédents. Les rhya- cophiles présentent une particularité propre: leur nymphe n’est pas libre, comme chez les autres in- sectes qui nous occupent; outre l’abri fixe, la larve se file une seconde enveloppe soyeuse, exactement adaptée à son corps, et subit sa métamorphose dans ce véritable cocon (fig, 148, 149, 150, 151, 152). * CHAPITRE V HYMÉNOPTÈRES 18 Les abeilles: mères, faux-bourdons, ouvrières. — Éducation des larves, « influence de la nourriture. — Les mélipones, ou abeilles sans aiguil- | lon. — Les bourdons — Parasites de leurs nids. — Abeilles solitaires, perce-bois, maconnes, coupeuses de feuilles et tapissières. — Anthidies. — Guêpes et polistes. — Guèpes solitaires. — Hyménoptères fouisseurs. — Le philanthe apivore. — Le pompile des chemins. — Pélopées. — Fourmis; travaux, soins maternels, combats. — Essaimage des mâles et des femelles. — Ichneumoniens zoophages. — Cynips et galles vé- gétales. — Hyménoptères purte-scies; ravages, perforations. Si notre intention était de faire connaitre dans “ leurs merveilleux détails l'intelligence et l'instinct, 4 les mœurs et l’industrie des insectes, aucun ordre … dela classe ne nous arrêterait aussi longtemps que 4 les hyménoptères, qui tiennent le premier rang par leurs aptitudes. Nous trouverons, au contraire, une grande uniformité dans l’étude des larves et des nymphes. La majeure partie des hyménoptères ont des larves privées de pattes et demeurant toute leur vie dans le berceau où la mère est venue pondre son œuf. Ces insectes qui, à l’état adulte, sont les plus élevés de leur classe, comme division du tra- vail physiologique et développement de la sensibi-. lité, sont au contraire très-peu avancés en sortant de « Pœuf. Rien ne varie plus que la première demeure, IIYMÉNOPTÈRES. 175 ainsi que l'alimentation propre au jeune insecte. Un instinct admirable à guidé la mère dans le choix et la disposition de ces nids, dans leur approvisionne- ment, et toute la vie de l'adulte est destinée à assu- rer la conservation d’une postérité que la mère ne connailra jamais, dans la plupart des cas. Les dif- férentes provisions qui serviront à nourrir les lar- ves nous amènent, de la manière la plus naturelle, à classer les objets de notre examen. Les mets les plus délicats et les plus suaves, puisque les anciens en faisaient le seul aliment des dieux immortels, sont offerts à la progéniture des hyménoptères mellifiques. Le nectar, ou miel des fleurs, mêlé à leur pollen, constitue une gelée par- fumée, sorte d’ambroisie, servie à ces enfants dé- biles, et soignés avec la plus tendre et la plus in- quiète sollicitude. Les anciens, qui ne connaissaient pas le sucre, avaient divinisé le miel exquis des habitantes de l'Hymette et de l’Ida. Is savaient qu’il existait dans chaque ruche d’abeilles un indi- vidu unique, mais ils le croyaient mâle et le nom- maient roi (Bxsnebs, rex); malgré les idées prédo- minantes de la génération spontanée des abeilles, Aristote avait pressenti sans doute leur reproduc- tion sexuelle ; il semble croire que les faux-bour- dons sont des femelles, et les ouvrières des mâles particuliers. C’est Swammerdam qui, le premier, par une anatomie interne, établit la vérité à cet égard. L'individu unique est une mère ou femelle, qui porte à tort le nom de reine, car elle n’exerce pas de commandement ; les faux-bourdons ne sont pas ses soldats, mais ses époux aléatoires ; les ou- 174 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. vrières ne sont pas ses sujets, mais de singuliers et indispensables compléments de sa fonction mater- nelle. En effet, si deux êtres différents sont en gé- néral nécessaires, mais suffisants, pour assurer la perpétuité de l'espèce, les insectes nous offrent certains exemples où il en faut un plus grand nom- bre. Nous avons la manie d’affubler les animaux de nos gouvernements. La ruche n’est ni une mo- narchie ni une république, c’est une communauté de trois sortes d'individus d’une utilité forcée pour la reproduction, et chez qui tous les instants de l'existence concourent à ce but, avec la plus par- faite concordance harmonique. Les faux-bourdons servent à assurer la fécondité complète de la mère, de telle sorte qu’elle puisse pondre des œufs des deux sexes; mais cette mère, cetle reine imaginaire que ses enfants retiennent souvent captive ou dont ils retardent l’éclosion, est incapable de recueillir sa propre nourriture, de construire la demeure de son innombrable postérité, d’en nourrir les pre- miers âges. Les ouvrières, ou femelles imparfaites, rempliront ce rôle accessoire de la maternité, Pa- beille mère passant uniquement sa vie à pondre. Cette mère est plus allongée et plus grosse que les ouvrières, surtout au moment de la grande ponte. Sa couleur est plus brillante et plus fauve, surtout dans sa jeunesse, car elle vit quatre à cinq ans. Ses paltes sont plus colorées et plus longues que celles des ouvrières, mais sans brosse ni cuilleron pour récolter le pollen. On la distingue tout de suite en ce que ses ailes ne dépassent guère le milieu de son abdomen, lorsqu'elles sont couchées sur le dos « HYMÉNOPTÈRES. 175 (fig. 493). Un aiguillon, plus fort et plus recourbé que chez les neutres, arme l'extrémité terminale de son corps. La prétendue reine, avec ce glaive re- doutable, est très-timide, se cache au moindre dan- ver dans la partie la plus recu- lée ‘de la ruche, alors que les ouvrières furieuses se pressent à l'entrée et se jettent sur l’a- gresseur. On peut saisir impu- nément la reine sans qu'elle sa- che piquer votre main; une abeïlleétrangère ne craint pas de Pig. 455. la molester, de lui tirerles ailes Abeille femelle. et les pattes; singulière har- monie ! Ce craintif insecte devient un tigre féroce à égard de tous ses pareils. Deux mères ne veulent pas exister ensemble ; elles se poursuivent avec fu- reur et se lancent adroïtement, entre les jointures des anneaux, le mortel aiguillon. Quand une seule mère, après l’essaimage ou la mort de ses rivales, est restée maîtresse de la ruche, elle se hâte d’aller tuer dans leurs berceaux les mères plus Jeunes encore emprisonnées, de sorte que normalement il ne s’en trouve qu’une seule en activité par ruche. Les mâles ou faux-bourdons sont au nombre d'’en- viron quinze cents par ruche ; ils sont plus gros et plus longs que les ouvrières, sans organes collec- teurs de pollen. Leur couleur est d’un brun noirä- tre, leurs yeux énormes occupent toute la tête et se rejoignent (fig. 154). Leur abdomen arrondi et poilu à l'extrémité n’a pas d’aiguillon, fait général chez les mâles des hyménoptères. Malgré la grosse tête, 175 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. le cerveau de ces mâles est plus petit que celui des neutres ou ouvrières ; aussi sont-ils peu intelligents. Ils ont des mœurs douces et paisibles, comme il convient à des êtres désarmés. Ils dor- ment dans la ruche quand le temps incertain ou le vent ne les invitent pas à la prome- nat nade. Ils mangent du miel à À RS leur fantaisie, puis, par les beaux jours de printemps, se décident à sortir, font autour de la ruche ees évolutions sonores qui leur valent leur nom, car leur bruit en volant est bien plus fort que celui des ouvrières et bien différent, ainsi que leur odeur. Leur vie est limitée forcément, comme nous le ver- Pons, à deux ou trois mois. Les ouvrières varient en nombre de quinze mille à trente mille par ruche, et dix mille pè- sent un kilogramme. Elles vivent 5 de douze à dix-huit mois. Elles Fig. 155. voient à grande distance, et leur Abeille ouriéré odorat subtil les guide, à deux ou trois kilomètres, vers les fleurs préférées. Leurs! ailes atteignent presque le bout de l'abdomen (fig. 155). On y distingue deux classes d'individus : les pourvoyeuses et nourrices s'occupent de récolter au dehors le miel et le pollen, de nourrir les larves, d'aider à l’éclosion des nymphes, de ventiler la ruche lorsque la température s’y élève trop, en agitant rapidement leurs ailes près de l'entrée, et détermi- nant ainsi un courant d’air frais, de faire sentinelle #, 2 Post ls fiate. se LS HYMÉNOPTÈRES. 177 - à la porte pour écarter les ennemis ou jeter le signal d'alarme auquel répond ce bourdonnement aigu précurseur de la sortie de l’armée. Les autres sont les cirières où architectes, à abdomen plus long que celui des précédentes, ressemblant plus à la mère. Elles ramassent entre les anneaux de leur abdomen de minces plaques de cire, produit d’une sécrétion intérieure, la pétrissent et construisent les alvéoles des gâteaux. Selon beaucoup d'apiculteurs, et no- tamment M. Hamet, la division des fonctions n’est pas absolue. Les jeunes ouvrières sont cirières, les vieilles butineuses. En outre, par Les beaux jours, la plupart vont récolter au dehors; elles construi- sent beaucoup plus au dedans dans les jours moins _ propices. Les architectes font trois sortes de cellu- À je. les. Les trois quarts des cellules des gâteaux sont les plus petites. Elles ont une section hexagonale, comme par une géométrie innée chez les abeilles, la figure de l'hexagone régulier étant celle qui per- met de remplir une surface donnée du plus grand nombre de compartiments. Ces cellules servent à deux usages. Les unes sont des réserves de miel et sont bouchées par une mince couche de cire formant un couvercle plat; les autres sont employées comme berceaux des larves et des nymphes d’ouvrières, et remplies elles constituent leur couvain. Il en est qui contiennent du pollen, servant à la pâtée des larves. Chaque gâteau olfre deux rangs de cellules se tou- chant par le fond. D'autres cellules de même forme, un peu plus grandes, sont destinées uniquement au couvain des males. Enfin, sur le bord des gà- fecaux sont construites d'énormes cellules arron- 12 178 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. 3400 dies, en très-petite quantité, employant de cent à » cent cinquante fois plus de cire qu’une cellule d'ouvrière. Ce sont les cellules royales, à surface ouillochée de petits trous triangulaires (fig. 156), et où s’élèveront les mères. Les ouvrières, sans avoir vu les œufs que pon- dra la mère, ont le pres- sentiment exact des cellules à édifier et varient leur travail selon les époques. Au milieu du printemps, de mai à juin chez nous, selon la température exté- rieure, une activité extraor- dinaire s'empare de la ru- couvain , et de nombreux Fig. 156. Diverses cellules d'abeilles. respirent avec force, par de che. Elle est remplie de. mâles sont nés. Les abeilles - rapides pulsations ; ellesfré- missent continuellement des ailes, et, en raison de la combustion considérable qui se produit en elles, une chaleur étonnante est dégagée, maintenue, puis accumulée par les parois de la ruche, qui condui- sent très-mal la chaleur. Un thermomètre placé dans la ruche peut alors monter de 40° à 45°, et Réaumur a vu parfois la cire des gâteaux couler à demi fondue. C’est aussi, pour les visiteurs de ru- ches, le moment dangereux. Une véritable fureur : maternelle à saisi les ouvrières, ces mères impar- faites, qui gardent la progéniture de la mère com: mune ; continuellement de nouveaux défenseurs CT. POSTE NT CT POPEU SE. VTC NET RE SAT HYMÉNOPTÈRES. 179 . éclosent, les sentinelles vigilantes averuissent au . moindre bruit. Il ne faut alors s'approcher qu'avec précaution, sans aucun mouvement brusque qui effraye et irrite les abeilles, et surtout ne pas frap- . per contre la ruche. Une mère nouvelle sort de sa - cellule, c’est elle que nous allons suivre. L'an- * cienne mère cherche à la tuer. Si elle ne réussit * pas, une grande partie des ouvrières se groupe au- - tour d'elle, et, dépossédée de son domaine, elle » sort entourée de son essaim qui se pend en pelote à - une branche voisine, la vieille mère au centre. On se hâte de le recevoir dans une ruche nouvelle ; sinon, averti par les éclaireurs , il irait construire “dans quelque creux d'arbre ou dans une cavité for- luite du sol. La jeune mère est restée maitresse. Six à sept jours après sa naissance , par un beau matin où brille le soleil, elle sort, tourne autour de a ruche pour bien la reconnaitre, puis s’élance dans les hautes régions de l'air, où voltigent en ourbillonnant de nombreux faux-bourdons. Elle revient bientôt à la ruche, féconde pour toute sa vie, et ne la quittera que pour essaimer. Elle com- Imence sa ponte dès le second jour. Ses œufs sont : allongés, un peu courbés, d’un bline bleuà- re. Ils sont de deux sortes, les uns de femelles, les utres de mâles. La jeune mère, pendant la belle ison de la premitre année et l'hiver, s’il est oux, ne pond que des œufs de femelles, dans les tites cellules vides. Ces œufs doivent produire des ouvrières ou femelles imparfaites. Pendant Ja Ponte la mère est l’objet des soins empressés des ouvrières. Elles l'essuient avec leur langue, lui 2. IS) LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. dégorgent de temps à autre du miel dans la bouche et détruisent les œufs qui tombent par hasard ou dont le nombre dépasse un par alvéole,. La mère s'arrête quelques secondes dans chaque | cellule et dé pose un œuf au fond, oùil est maintenu À par un enduit visqueux. La température de la ri che, de 25° à 30°, suffit pour faire éclore cet œufau bout de trois jours habituellement. Il en sort une larve sans pattes, d’un blanc un peu grisätre ou jau- nâtre, ridée circulairement, à tête à peine plus co= lorée que le corps. Sa bouche n'offre que deux fai- bles mandibules écailleuses, sa lèvre inférieure a une filière comme celle des chenilles. Ces larves” restent toujours roulées en anneau au fond de la cellule et peuvent s’y mouvoir lente-" ment en spirale (fig. 157). Les nour- rices leur apportent une pâtée for, bg. 151 née de miel et de pollen et variant ane selon l’âge du ver, d’abord blanche el insipide, puis devenant de plus en plus sucrée et sous forme de gelée transpa= rente. Les soins les plus tendres sont ainsi donnés“ plusieurs fois par jour, pendant six jours en ron. Alors les nourrices ferment les cellules des larves avec un couvercle bombéet non plat, comme celui des cellules à miel; les larves se redressent, s'allongent, et pendant un jour et demi tapissen les cellules d'une pellicule de soie roussätre. La même cellule peut avoir ainsi plusieurs pellicules: si elle a logé plusieurs larves. Cette chemise dt soie est destinée à empêcher la peau si délicate dé la nymphe d’être blessée par les parois. Après troi HYMÉNOPTÈRES. 181 jours de repos, la larve se change en nymphe blan- che,emmaillottée d’une fine peau qui laisse voir les yeux, les antennes, les ailes et les pattes couchées le long du corps. Pendant sept jours environ, a nymphe reste immobile, et ses organes internes se forment. La larve n’a eu besoin que de la chaleur de la ruche. S'il faut admettre qu'on puisse géné- raliser par analogie les observations bien positives de Newport sur les bourdons, les nourrices seraient aussi des couveuses et augmenteraient volontaire- nent, par une plus puissante respiration, la cha- leur ambiante, en se posant, à la fin de la vie de la nymphe, sur le couvain operculé. Les mâles pour- raient aussi participer à cette incubation qui serait nécessaire pour donner aux nymphes leur vitalité - complète. Celles-ci déchirent avec leurs mandibules les couvercles qui les maintenaient caplives, et sor- tent sans secours étranger ; mais aussitôt que les _ jeunes abeilles, encore molles et plus pâles, ont réussi à quitler les cellules et sont reconnues par là aptes aux travaux communs, les ouvrières les *essuient, les brossent, étendent leurs ailes et leur offrent du miel. Tant que la chaleur du début de lété se maintient et que les fleurs pul- lulent, les mâles, paresseux et indolents, ont continué leurs excursions et rentrent le soir à la ruche; mais les provisions deviennent moins abon- .dantes, une fureur subite s'empare des ouvrières . contre ces bouches devenues inutiles. La consigne du meurtre est donnée ; des sentinelles spéciales si- _nalent l’arrivée des malheureux faux-bourdons, | une escouade d’exécuteurs se précipite sur chaque È 182 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. mâle qui rentre plein de confiance, à l'heure habi- : tuelle du souper; ilest percé de coups d’aiguillons, » et le lendemain les alentours des ruches sont noirs de cadavres. Ce n'est pas tout ; leslarves et nymphes de mâles qui existent encore sont arrachées des berceaux et jetées dehors, criblées de blessures mor- telles. Cependant on peut trouver accidentellement, » à la fin de Paulomne, quelques mâles dans les ru-. ches ; tantôt ce sont des ruches en décadence où les … neutres semblent devenus indifférents à l’intérêt gé- néral: tantôt, au contraire, par les années floris- santes où les rayons regorgent de miel, c’est à une dédaigneuse insouciance que quelques faux-bour- dons doivent la vie, comme le riche bien repu qui tolère un insignifiant parasite à sa table. La ponte de la mère diminue peu à peu, à me- sure que la saison s’avance. Aux premiers froids, les abeilles se rassemblent en peloton dans la ruche et ne mangent plus. Ce peloton est d'autant plus serré que la température du dehors s’abaisse davantage. Réaumur et Huber ont affirmé que pendant lhiver il régnait dans les ruches la chaleur d'un perpétuel printemps. Au contraire, Newport soutient que les abeilles tombent en engourdissement dans les grands froids et que la température de la ruche dif- fère alors peu de celle du dehors. Dubost, tous les” praticiens modernes, ont une opinion contraire 2" les abeilles ne s’endorment pas en hiver et la ruche | reste toujours très-chaude, au moins au tempéré: Il parait très-probable que l'erreur du célèbre na turaliste anglais vient de ce que lethermomètre placés dans la ruche, pour ce genre d'observations, n'6skM 4 » RP TP NT PT PT À e HYMÉNOPTÈRES. 183 pas toujours recouvert par la masse serrée des abeilles. Alors la température peut s’abaisser au- dessous de la glace, et nème, dans les hivers très- froids, comme l’a vu Dubost en 1788-1789, des glaçons tapissent la ruche et s'arrêtent tout près du peloton d’abeilles où se maintient, mais là seu- lement, une température élevée. Aux premières chaleurs du printemps, elles con- somment le miel qui a été mis en réserve, Jus- qu'aux premières fleurs. La ponte de la mère re- prend, et pendant deux mois environ ce sont encore des œufs femelles qu'elle dépose dans les petites cellules et qui donnent des ouvrières destinées à réparer les pertes dues aux décès de l’hiver. Puis, la ponte d'ouvrières continuant toujours, en avrilet en mai, à certains jours, la mère pond des œufs dif- férents, des œufs de mâles, et, sans hésitation, les confie aux grandes cellules hexagonales. L’œuf du mâle éclôt en trois jours; sa larve vit six jours, nourrie de la même pâtée que celle des ouvrières, avec la même tendresse. Après la pose du couvercle de cire bombé, cette larve reste trois jours à filer, puis douze jours environ en nymphe, ce qui fait que le couvain de mâle n’éclôt qu’en vingt-quatre jours au plus tôt, au lieu de vingtet un jours qui ont suffi au couvain des ouvrières. Les jeunes mâles qui se- ront massacrés par la suite reçoivent en naissant les mêmes attentions dévouées que les ouvrières. Par intervalles, à des jours distincts, la mère, au milieu de sa pointe de mâles, va déposer des œufs _ de femelles, pareils en tout à ceux d'où naissent les ouvrières, dans les immenses cellules latérales dont e 1 184 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. nous avons parlé. Un des plus étonnants prodiges dont abondent les métamorphoses des insectes va nous être offert. A la petite larve, toute pareilleaux larves d’ouvrières, qui sort de œuf au bout de trois jours, les nourrices apportentune nourriture toute particulière, d'abord acidulée, puis plus sucrée que la pâtée ordinaire. En outre, cette pâtée royale est pro- diguée et reste en excès dans cette vaste loge où la jeune larve dilate son abdomen à son aise. Qu’ar- rive-t-il? les organes producteurs des œufs, au lieu de rester stériles comme chez louvrière peu nour- rie et resserrée dans sa petite loge, se développent, et, à la place d’un neutre, la larve donnera une mère féconde. Tout va aller plus vite sous l’influence de cette succulente nourriture. Elle ne met qu'un jour à filer, prend deux jours et demi de repos, de- vient nymphe et ne reste sous cette forme que qua- tre à cinq jours, de sorte qu’au bout de quinze à seize Jours après la ponte, la jeune mère est prête à percer le long couvercle pointu avec lequel les ou- vrières ont fermé la cellule royale. Il arrive quel- quefois que les ouvrières ne jugent pas l’instant de sa sorlie favorable; elles renforcent le couvercle avec de la nouvelle cire et maintiennent la femelle en prison, de quatre à huit jours, en lui passant du miel par un petit trou. L'influence de la pâtée royale est bien évidente, car il en tombe quelques miettes dans les cellules d’ouvrières placées près de la grande cellule, par la confusion inévitable de la mulütude des nourrices empressées autour de la larve de mère. Cela suffit pour donner une demi- fécondité à ces ouvrières et leur faire pondre ex- HYMÉNOPTÈRES. 185 clusivement des œufs de mâles. Ces ouvrières pon- deuses, comme les vraies femelles, sont exposées à toute la colère de la mère. Les ouvrières connais- sent très-bien cette propriété merveilleuse qui as- sure la durée des ruches. Si un accident les prive de Ja reine à un moment où la ruche n’a pas de cou- vain d’ouvrières, tout est perdu, les abeilles se dis- persent et vont mourir dans la campagne, car les abeilles des autres ruches tuent sans pitié toute étrangère qui cherche à entrer. S'il y a du cou- vain, le travail continue. Vite on isole une larve d’ouvrière en massacrant les voisines pour rompre les cloisons, et une vaste cellule, cette fois au mi- lieu du gâteau (cellule royale artificielle), entoure la préférée ; on lui apporte la précieuse nourriture, elle devient une femelle; la ruche est sauvée. Nous connaissons en Europe deux espèces très- voisines d'abeilles, l'abeille commune (Apis mel- lifica), à abdomen brun, de l'Europe centrale, et l'abeille ligurienne (Apis ligustica), d'Italie, de Si- cile, de Crète et de Grèce, celle qu’a chantée Vir- gile. Son abdomen est fauve. Peut-être n'a-t-on que deux races constantes, car on peut les croiser et l’on a des ruches mixtes fécondes. En Égypte, on élève, également en ruches, l'abeille à bandes. Dix ou douze autres espèces d'abeilles existent dans l’ancien monde, au Sénégal, au Cap, à Madagascar, aux Indes orientales, à Timor, ete. On récolte leur miel sauvage. L'Amérique n'avait point d’abeilles ; on y à introduit, au nord et au sud, l'abeille d'Eu- rope qui y a multiplié. Seulement elle y devient très-facilement sauvage dans les bois, ce qui lui 186 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. arrive au contraire très-rarement chez nous. Cette influence du continent américain s'est manifestée sur tous nos animaux domestiques importés, sur les bœufs et les chevaux libres aujourd'hui dans les pampas comme sur les abeilles. Les vaches n’y gar- dent le lait que pendant l'allaitement de leur veau. Les populations primitives de Amérique con- naissaient cependant le miel, un miel moins doux que le nôtre, plus parfumé, plus coloré et plus fluide. Lors de la conquête, les Espagnols recon- nurent au Mexique et en Colombie l'existence d’in- sectes plus petits que nos abeilles, faisant leurs gâteaux dans les creux d’arbre, où l’on va encore habituellement les chercher, présentant des mâles, des femelles et des neutres, mais tous sans aiguil- lon (il est rudimentaire chez les femelles et ou- vrières), ce qui rend la récolte très-aisée. La cire est brune et de médiocre qualité. Sous d’épais feuillets de cire sont des gâteaux à alvéoles hexagonaux, les uns des mâles, les autres de femelles ou d'ou- vrières. Ces cellules des larves sont bouchées par les ouvrières, et les larves se filent un cocon. Tout autour de cet amas de berceaux sont de grands pots arrondis, où amphores, où s’amasse le miel, de forme tout autre que les cellules à couvain. Il est très-probable que les mâles, les neutres et plusieurs femelles fécondes existent ensemble. En effet, iei per- sonne n'a d'arme, la bonne intelligence doit régner. On doit être porté à croire que les femelles fécondes se font, à la volonté des ouvrières, par une pâtée spéciale ; car, quand on veut multiplier les nids de ces douces mélipones, on prend au hasard quel- HYMÉNOPTÈRES. A87 ques gâteaux et on les porte dans un creux d'arbre, et toujours une nouvelle colonie se fonde. On com- mence en Amérique à rendre domestiques certaines espèces de mélipones, qui consentent à accepter pour ruche des pots de terre, de caisses de bois ou des troncs d'arbres perforés. On a amené plusieurs fois en Europe ces nids de mélipones. En été, les insectes ont butiné, mais ont toujours péri aux premiers froids, en refusant le miel qu'on leur offrait. Ainsi, on a conservé au Muséum, pendant l’été de 1863, une ruche de la mélipone scutellaire, du Brésil (fig. 198). On ne trouva pas de couvain dans le nid, les amphores à miel étaient vi- des, et tous les individus qui arrivèrent Jusqu'en octobre étaient des neutres. Il est très-probable 2 que les sociétés des mélipones es sont permanentes, comme celles des abeilles. L'ancien monde offre aussi quelques mélipones, en Abyssinie, au Bengale, etc. ; la Tas- manie également. Les mellifiques sociaux dont il nous reste à parler ne font que des colonies annuelles, dont tous les in- dividus meurent à la fin de l’automne, à l'exception de certaines femelles fécondes, qui vont passer l’hi- ver engourdies dans quelque trou, et commence- ront au printemps le logement de leur nombreuse postérité. Parcourez, au mois de mars, les prairies . -où commence le gazon, les bois encore dépourvus de feuilles ; vous verrez voler çà et là des bourdons au corps velu, tous de la plus grosse taille. Ce sont les femelles réveillées par les premiers soleils du 1588 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. printemps. Elles visitent les interstices des pierres, les trous creusés par les mulots ; elles se glissent sous les amas de mousse, cherchant une place con- venable pour leur nid. Si nous suivons le travail d’une de ces grosses femelles, nous la verrons ap- porter d’abord de la mousse, des herbes sèches pour façonner les parois du nid, dans lequel elle pénètre par une longue et étroite galerie couverte, afin d’en rendre l'accès difficile aux insectes enne- mis. Puis elle y dépose une pâtée de miel et de pollen ; des petits trous y sont creusés où elle pond ses œufs, opération assez pénible pour elle et dans laquelle son aiguillon lui sert d'appui. Il en naît des larves blanches, sans pattes, trouvant tout de suite leur subsistance dans cette boule mielleuse que la mère accroit sans cesse autour d’elle. Les larves se filent des coques de soie, placées l’une contre l’autre, où elles se transforment en nym- phes. Il n’éclôt d’abord que des ouvrières ou pe- tites femelles infécondes, qui aident aussitôt la mère dans son travail et amassent la nourriture des larves. Elles achèvent le nid, l’agrandissent, y fa- çonnent des gâteaux grossiers formés de cellules ovoides de cire. Un miel très-fin y est déposé, ser- . vant à humecter la pâtée des larves et à nourrir la colonie, seulement dans les jours pluvieux, car les bourdons meurent à l’entrée de l’hiver: certaines cellules sont remplies de boulettes de pollen. Bien- tôt la mère ne fait plus que pondre, mais aux œufs d'ouvrières s'ajoutent des œufs de mâles et de fe- melles fécondes, de taille très-variée, souvent plus petites que la mère, plus grosses que les ouvrières, ee CP TS HYMÉNOPTÈRES. 189 C’est sans doute une nourriture spéciale qui provo- que la formation de ces femelles. On croit que ces sortes de femelles ne donnent naissance qu’à des mâles, et on explique ainsi le grand nombre de ceux-ci à l’arrière-saison. Au mois d'août éclosent quelques grosses femelles fécondes, pareilles à celle qui à fondé le nid. Il n’y a pas de cellules distinctes pour ces divers individus; la colonie des bourdons est une dégradation évidente de celle des abeilles. Les femelles fécondes demeurent ensemble dans le nid sans combat. Les grosses femelles, nées à la fin de lété, ne pondent pas, bien que fécondées. Elles se dispersent à la fin de l’année, alors que la mère fondatrice de l’année d’avant, les mâles de bonne heure, un certain nombre de femelles, les ouvrières, meurent. Ce sont elles qui, après l'engourdissement de l'hiver, seront les mères des colonies de l’année suivante. Chaque nid de bourdons peut avoir de cent cinquante à deux cents individus, mais il est rare qu'ils y soient tous en même temps; beaucoup, surpris par la nuit ou par la pluie, restent à dormir sur les fleurs et découchent du nid. Le petit nombre d'habitants des nids de bourdons rend ceux-ci bien plus faciles à observer que les abeïlies et les guêpes. Cesontles bourdons (humbles bees des Anglais) quiont permis à Newport de constater le rôle des femelles, et aussi des mâles, se plaçant comme couveuses au- dessus des coques de soie où résident les nymphes prêtes à éclore, et par une respiration volontaire- ment activée, ainsi que le témoignent les rapides inspirations de leur abdomen, élevant la tempéra- ture de leurs corps et par suite celle des nymphes 190 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. au-dessus de celle de l'air du nid. Voici, sur l’es- pèce que nous avons figurée dans l'introduction, p. 27, quelques observations du célèbre naturaliste anglais, traduites en degrés centigrades. Des ther- momètres très-étroits, à réservoir gros comme une plume de corbeau, étaient glissés entre les coques à nymphes et les bourdons placés au-dessus. Dans une expérience, la température de Pair du nid étant de 21°,2, celle des bourdons, au nombre de sept, recouvrant les nymphes, fut de 35°,6 et la température des coques voisines; sous la même voûte de cire, mais non recouvertes par les bour- dons, seulement 27°,5. Dans une autre expérience, l'air du nid étant à 24°,0, le thermomètre placé sous quatre bourdons couveurs monta à 54°,5. Les jeu- nes bourdons sortaient de leurs coques, après plu- sieurs heures de ces incubations dans lesquelles les insectes couveurs se relayent. Ils sont d’abord mous et grisâtres, mouillés, très-sensibles au moin- dre courant d’air, s’insinuant pour se réchauffer au milieu des gâteaux ou entre les bourdons an- ciens. Ce n’est qu’au bout de plusieurs heures qu'ils durcissent, et qu’on voit se dessiner les bandes jaunes et noires de leurs anneaux. C’est en étudiant les bourdons que le comte Le- pelletier Saint-Fargeau fit une bien curieuse décou- verte qui éclaira toute l’histoire des hyménoptères nidifiants. Il avait reconnu qu’on trouve dans nos bois certains insectes ayant tout à fait l'apparence de bourdons (fig.159), par leurscorps poilu, à bandes de diverses couleurs, mais dont les pattes posté- rieures, étroites et non dilatées, sans épines, ni Cor- vi PDT UT, D. 7". n nn + .ssi CPE où ni fie HYMÉNOPTÈRES. 491 beille, ni brosses, ne peuvent permettre la construc- tion des nids ni la récolte du pollen (fig. 160, 161). Ces psithyres, ou apathes des entomologistes anglais, n'ont que des mâles et des femelles fécondes. On trouve au mois de septembre beaucoup de mâles de psithyres dans nos bois, sur les capitules des scabieuses, des chardons. Incapables de nourrir leurs larves, les psithyres pondent leurs œufs au Fig. 160. Jambe et larse postérieur. Psithyre rupestre. Fig. 159. Fig. 161. Psithyre rupestre. Jambe et tarse postérieur Bourdon terrestre. milieu de la pâtée des bourdons, et ceux-ci confon- dant les enfants étrangers avec les leurs, les entou- rent de la même sollicitude. Les psithyres sont de vérilables parasites, selon la signification antique donnée très souvent mal à propos aux animaux épizoïques qui vivent sur le corps d’autres animaux. Vêtus comme les légitimes propriétaires du nid, ils trompent, sous cette analogie de livrée, les yeux vigilants des ouvrières. Les hyménoptères pré- sentent bien des exemples de ce genre. Il y a chez les insectes de nombreuses espèces pareilles aux coucous qui portent leurs œufs dans les nids des 192 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. fauvettes, et dont les pelits, avides et gloutons, prennent toute la nourriture apportée par les pau- vres parents, dont 1ls jettent souvent au dehors la malheureuse postérité. Nous trouvons fréquemment aux environs de Paris, un peu plus tard que les vrais bourdons, le Psithyrus rupestris, noir, à abdomen terminé par des poils rouges, habillé comme le Bourdon des pierres dans le nid duquel il vit. On rencontre encore les Psithyrus campestris et vestalis, ornés de bandes jaunes et blanches au bout de l'abdomen, comme les bourdons terrestres et des jardins. Ces psithyres ont les ailes plus enfumées que leurs bourdons. Un grand nombre de mellifiques vivent isolés. Les femelles seules construisent des nids divisés en cellules et ne sécrètent plus de cire. Dans chacune est déposé un œuf, etla jeune larve sans pattes se nourrit de miel et de pollen accumulés par la mère, puis devient nymphe, tantôt nue, tantôt dans une mince coque de soie. Il y a une complète identité dans les métamorphoses avec les constructions de nids les plus diverses. Toutes ces abeilles solitaires qui nidifient sont des femelles, fécondées à la fin de l'été précédent, et qui ont passé l'hiver engourdies. Elles bouchent le nid, après qu’il est rempli d'œufs et de pâtée mielleuse, et meurent sans voir éclore celte postérité, pour laquelle elles ont cependant l'attachement le plus vif. Un premier groupe de ces abeilles solitaires à en- core, comme les abeilles et les bourdons, les pattes postérieures élargies et munies de brosses, de façon à pouvoir amasser sur ces pattes une boulette de HYMÉNOPTÈRES. 195 pollen. Les anthophores, à trompe allongée, qui res- semblent à des abeilles, mais plus velues et gri- sâtres, font leur nid entre les fentes de muraille, entre les pierres des lieux arides, dans la terre sèche. Ce nid est un tuyau courbe, en terre gâchée ét agglutinée par leur salive. IL est divisé par des cloisons terreuses en cellules, dont chacune contient une larve entourée de pâtée. La cellule du fond, la plus ancienne, se rapproche du sol, de sorte que le premier insecte qui éclôt n’a qu’une mince couche de terre à percer pour sortir. Les autres éclosent successivement, chacun perçant la cloison de la cellule du frère qui l’a précédé, et tous profitant du trou de sortie du premier-né. Les anthophores abon- dent dans les ravins arides de la Provence, exposés au brûlant soleil du Midi. Ce sont elles qui ont fourni à M. Fabre ses curieuses observations sur les métamorphoses des coléoptères vésicants, à larves parasites. Cet habile observateur a d’abord remar- qué que l’on peut étudier sans danger ces abeiïlles solitaires, bien qu’on soit effrayé au premier abord par la quantité d'insectes qui bourdonnent sur les talus criblés de nids. A cet aspect, on croirait à une ruche; mais, en réalité, on n’a pas ici des insectes sociaux, solidaires pour la défense d’une progéniture confiée à tous. Ces insectes sont des voisins indiffé- ren{s, qui laissent bouleverser sans émoi la maison d'autrui; on n’a à craindre que l’aiguillon de la mère dont on attaque les berceanx. M. Fabre a bien examiné aussi des insectes, poilus comme les an- thophores, noirâtres, tachetés de blanc, les mélectes. dépourvus d’instruments propres à recueillir le 13 19% LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. pollen. Ces mélectes ne peuvent que déposer leurs œufs au milieu de la pâtée des anthophores, et celles- ci laissent les mélectes entrer en toute liberté dans leur galerie, leur font place, en se serrant contre la paroi, pour leur livrer passage, sans colère, sans inquiétude. Ineffables harmonies ! Qu'une antho- phore, au contraire, pénètre étourdiment chez sa voisine, qu'elle se montre seulement à la porte : aussitôt celle-ci se précipite sur l’imprudente, et, toutes deux, ivres de fureur, se mordent, se roulent dans la poussière du chemin, cherchant à s’enfoncer l'aiguillon. Cette anthophore, si courroucée pour une sœur inoflensive, capable de prendre à peine une gorgée de miel, se montre pacifique, débonnaire pour la mélecte, qui ne sait élever ses larves, ct qui, pour leur procurer le vivre et le couvert, ex- termine à demi la race de l'aveugle mère, dont une partie des enfants périront affamés. Les xylocopes (abeilles charpentiers ou perce-bois de Réaumur) sont ces gros insectes à ailes très- enfumées, d’un beau violet métallique, qui butinent au printemps dans les jardins sur les fleurs des arbres fruitiers (fig. 162). Les femelles ereusent des galeries dans le bois vermoulu, selon le sens des fibres, et y placent une série de cellules super- posées. Dans chaque cellule est déposé un tas de pollen mêlé de miel, exactement calculé pour chaque arve, dans lequel un œuf est pondu; puis la cellule est fermée par un plafond de sciure de bois hu mectée de salive gluante. Sur ce plafond, nouveau dépôt de pâtée, nouvelle cellule construite (Hg. 165). Le premier œuf pondu est dans la cellule la plus CON PT CN DORE US DIT TI PT STRESS HYMÉNOPTÈRES. 195 #] 1 éloignée du trou d'entrée de l’insecte: elle se re- . courbe très-près de la paroi, de sorte que la jeune : xylocope n'aura qu’une mince lame de bois à per- - cer, et chacune de celles qui naissent successive- » ment n'ont à perforer que le plancher de leur cel- » lule. De cette façon, il n'y à jamais de massacre: - l'insecte qui sort de la nymphe trouve le chemin . libre, chacun naissant dans l'ordre de la ponte. « Les nymphes passent l'hiver et les adultes parais- - sent au début du printemps. Nous engageons à rechercher les nids de la xylo- 196 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. cope dans les vieux arbres, surtout dans l'espérance d'y rencontrer les cocons d'un brun noiràtre‘et ovoides d'un très-rare parasite, de la taille d’une forte guêpe, nommé Polocrum repandum, à ailes d'un jaune enfumé, à antennes en fuseau, avec l’ab- domen noir rayé de bandes jaunes. C’est M, le docteur Giraud qui a découvert l'habitation et les mœurs de cet insecte, décrit par Spinola, qui ne savait d’où 1l provenait. Dans un autre groupe d’abeilles solitaires, les: pattes postérieures sont impropres à récolter le pollen des fleurs. Celui-ci est ramassé entre les anneaux de l'abdomen, qui est muni de poils. Telles sont les chalicodomes et les osmies, ressemblant à de petits bourdons, construisant contre les murs des nids en Lerre gâchée, d’une dureté extrême, et pleins de cellules à larves. Réaumur nommait à juste titre abeilles maçonnes ces insectes, dont il trouvait les nids en abondance sur les murs de sa maison de campagne de Conflans. Il désignait sous le nom d’abeilles coupeuses de feuilles d'autres hy- ménoplères du même groupe, nidifiant dans des tubes enroulés faits avec des feuilles de rosier, de poirier, de bourdaine (mégachiles), et sous celui de tapissières les anthocopes, qui revèlent avec des pé- tales de fleur, par exemple de coquelicot, les tubes creusés en terre, contenant les larves et la pâtée de. pollen et de miel. Très-souvent dans les jardins, les rosiers offrent à leurs feuilles des découpures circulaires faites « par les mandibules des mégachiles, comme dans un dessin de broderie, bien plus régulièrement que OR . TT EE. he 4 27 TT ER rreT Tr cie der + sole. 2e à ot 1 bn NT de de Le de re _ Ils sont placés au # des coquilles vides de colima- Fig. 164. HYMÉNOPTÈRES. 197 par les chenilles. On voit la mère emportant au vol la pelite tenture du berceau de ses enfants. Dans ce groupe d’abeilles solitaires ramassant du pollen sous le ventre sont les anthidies, insectes velus à bandes fauves et brunes. Le midi de la France et l'Algérie possèdent l’anthidie tacheté, à abdomen noir, avec six taches transversales rousses de chaque côté de la ligne mé- diane, à ailes obseurcies. M, Lu cas a observé son nid aux en- virons d'Oran. Le choix de l'insecte est bizarre; c’est dans LS " L Anthidie tacheté, adulte. cons qu'il dépose ses œufs et la pâtée de miel et de pollen. En hiver, on trouve à l’intérieur de ces coquilles des cocons oblongs, formés deplusieurs couches superpo- sées d’une soie très- fine et roussälre. nombre deun,deux ou trois contre la spire, et entre eux sont des amas de petits cailloux qui Fig. 465. s : Larve et cocon de l’anthidie dans une séparaient les lar- coquille” d'HENe. ves et consolident la . coquille. Afin de dérober sa postérité aux insectes ennemis, l’anthidie a eu soin de fermer la beuche de la coquille avec une sorte de miur de maçon- _nerie faite en terre gâchée, mêlée de débris de co- 198 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. quilles, et parfois de fiente de chameau. La larve qui vit à l’intérieur des colimaçons est inerte, courbée, entièrement d’un jaune clair. Ses yeux sont d'un brun foncé ainsi que l'extrémité de ses mandibules. Tous les hyménoptères précédents conservent au repos les ailes supérieures étalées; d’autres, au contraire, ne les étendent que pour voler et les plent en deux au repos, selon leur grand diamètre, de sorte qu’elles paraissent alors très-étroites. Nous trouvons d’abord dans cette subdivision la grande famille des guèpes. Ce sont des insectes sociaux dans lesquels trois sortes d'individus sont nécessaires pour perpétuer l'espèce. Leur corps dépourvu de poils nous indique que ces insectes ne peuvent plus récolter le pollen des fleurs. Les guêpes ne sécrètent pas de cire; elles coupent les végétaux avec leurs fortes mandibules, et, au moyen d’une salive par- ticulière, composent une sorte de carton servant à faire les guëpiers, et sur lequel on peut écrire. Les guëpes proprement dites ont le corps épais. Leurs nids présentent des feuillets papyracés entourant les gâteaux composés de cellules hexagonales sur un seul rang. La quêpe commune fait son nid sous terre avec un boyau de sortie; la guépe rousse où guépe des arbustes, un peu plus petite, suspend son euèpier, entouré de nombreux feuillets et sphé- roïdal, aux branches des arbres; la guêpe frelon, de très-grosse taille, fait son nid dans les troncs d'arbres, avec un carton jaunâtre, très-friable, composé d'écorces d’arores. Les nids sont toujours commencés au printemps par une seule femelle fé- … je st NDS W 7 PTT OUR UN NT NV PPONX, POP LOTS \+ >. TANT, VOEP PTT, DE HYMÉNOPTÈRES, 199 conde, à la fois architecte et nourrice. Ses premiers œufs donnent des ouvrières (femelles avortées) qui ne tardent pas à suppléer la mère dans ses soins et agrandissent le nid. Les guëêpes butinent sur les fleurs el amassent du miel qu'elles dégorgent dans certains alvéoles; en outre elles déchirent des fruits, des morceaux de viande, des insectes qu'elles tuent. Dans les beaux jours de l'automne, on voit les diptères, qui pullulent sur les fleurs des allées des bois, s'éloigner avec crainte dès qu'ils entendent le bourdonnement du terrible frelon. Au milieu de l'été, la mère guêpe pond des œufs de mâles, de fe- melles et encore de neutres. Les larves sont soi- gnées dès lors par les ouvrières seules, qui leur apportent du miel et aussi des morceaux de fruits et d'insectes, du jus de viande, etc. Les larves ont la bouche plus forte que celle des abeilles, en vue de cette nourriture plus résistante. Elles filent un petit couvercle soyeux à leur alvéole, s'y changent en nymphe. Celle-ci, au bout de peu de jours, devenue adulte, coupe avec ses mandibules le couvercle de la cellule et prend son essor. Le nid est gardé par des sentinelles qui veillent aux abords, rentrent lors du danger et avertissent les guêpes qui sortent en colère et piquent les agresseurs. Si on bouche tout de suite l'entrée du guëèpier et si on tue les sentinelles avant qu'elles aient jeté l'alarme, ou si on Les distraii de leur devoir avec des morceaux de suere, les guêpes demeurées dans le nid sont pleines de con- lance, ne s’irritent pas, ne cherchent pas à piquer. Les mâles des guëpes sont notablement plus petits que les femelles. Les sociétés des guëpes sont bien 200 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. moins nombreuses que les ruches d’abeilles, ont, au plus et rarement, deux à trois mille individus. Au mois d'octobre, les neutres cessent de construire et de nourrir les larves, tuent et jettent dehors les dernières larves, qui du restent périraient de faim ; puis les mâles, les ouvrières, une partie des femelles meurent de froid. l’autres, plus vivaces et fécon- dées, sortent du guëêpier abandonné et hivernent dans des trous pour perpétuer l'espèce au prin- temps. C'est dans cette saison qu'avec un peu d’en- tente, 1l serait aisé de diminuer singulièrement le nombre des guêpes, sinuisibles plus tard aux fruits, en chassant au filet les mères guëêpes, qu’on attire- rait en abondance au moyen de groseilliers-cassis en fleur. Les polistes sont des guèpes particulières, plus petites, élancées, à abdomen aminci à sa base. Leurs nids sont moins parfaits que les vrais guêpiers, en ce qu’ils n’ont jamais d’enveloppes; les gâteaux sont à nu. On trouve en abondance sur les arbustes, sur les genêts, la poliste française, dont la femelle, aux premiers beaux jours du printemps, attache à une lige ou contre un mur un gâteau porlé par un pédicule et contenant un petit nombre de cellules (fig. 166). Elle nourrit d’abord des larves d’ouvrières seulement, et celles-ci augmentent le gâteau et quel- quelois en superposent un second, attaché au pre- mier par des piliers. La seconde ponte de la mère donne à la fois des mäles, des femelles et des neu- tres. On peut détacher le nid et le transporter où on veut, sans que la mère et les ouvrières songent à le quitter, et ces pauvres insectes sont si attachés re HYMÉNOPTÈRES. 201 aux larves et aux nymphes renfermées dans les al- véoles, qu'ils ne pensent pas à piquer l’observa- teur, s’oubliant en entier dans leur préoccupation maternelle. Les guêpes solitaires, aux couleurs variées de jaune et de noir comme les guëêpes sociales, vivent . 166. — Nid de poliste française. à l'état adulte du miel des fleurs, mais leurs larves sont devenues exclusivement carnassières. Les mères font des {trous dans la terre et dans des tiges de diverses plantes et y établissent des cellules dans chacune desquelles est pondu un œuf que la mère entoure d’un certain nombre de larves, sou- vent toutes de la même espèce et destinées à fournir une proie à la larve molle et sans pattes qui sortira de l'œuf. Admirable et aveugle instinct! un insecte qui ne vit que de miel chasse des insectes vivants qu'il ne doit pas manger ni voir manger à ses pe- Hits. En outre, comment la larve pourra-t-elle trou- ver une pâture toujours fraiche et cependant inca- pable de résister à ses morsures? Les larves ou les insectes adultes sont percés par l’aiguillon de la 202 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. mère, mais demeurent vivants, engourdis et immo- biles, en véritable anesthésie. De même, certaines peuplades sauvages de l'Amérique du Sud lancent au gibier des flèches empoisonnées, avec une dose de curare telle que l’animal atteint est seulement paralysé et sans défense. Les odynères sont les plus communes de ces guêpes solitaires. Ainsi l’ancienne odynère rubicole, étudiée par M. Blanchard, nom- mée maintenant oplope à pieds lisses ou épipone (fig. 167), creuse une tige de ronce sèche et y dis- Fig. 167. — Oplope adulte. Fig. 168. — Nid de l'oplope. pose des loges, à parois de terre sableuse pétrie, et chacune séparée par un plancher de moelle et de terre (fig. 168). Dans chaque loge est un œuf, en- touré de chenilles de pyrales. La larve à anneaux gonflés, moyen d'appui et de mouvement limité (fig. 169), tapisse la loge d’un en- duit soyeux, et construit, au-dessus de sa tête et de celle de la nymphe, Fig. 169. un couvercle de soie à deux tuni- “ane ques séparées par de la moelle très-serrée ; puis elle devient nymphe (fig. 170). lei la première cellule n'est pas rapprochée de la paroi, comme chez les abeilles solitaires. Aussi un fait inverse se présente. C'est l'œuf le der- HYMÉNOPTÈRES. 205 nier pondu, dans la dernière cellule, qui se déve- loppe le plus vite, et dont l’adulte sort le pre- mier. Le plus anciennement pon- du, au contraire, donne l’adulte le dernier. Sans cela, si un insecte parfait était sorti d'abord d’une loge inférieure, 1l aurait détruit tous les autres sur son passage. La Fig. 170. même chose se produit pour d’au- ‘?"7"phe tres odynères qui font leurs nids en terre ou dans de vieilles murailles. On peut s'amuser, à l'exemple de Réaumur, à élever au fond d’un petit tube de verre une jeune larve, retirée d’un de ces nids d’o- dynères, en ayant soin de lui fournir chaque jour une chenille ou une larve appropriée à son espèce. On la voit manger avec voracité et atteindre toute sa croissance au bout d’une quinzaine de jours. Un très-crand nombre d’hyménoptères, diffé- rents des guêpes en ce que leurs ailes supérieures au repos ne se replient pas, sont désignés sous le nom de fouisseurs, parce qu'ils nidifient en terre ou dans des troncs d'arbres. On y distinguera en- core des solitaires et des sociaux. Les premiers approvisionnent leurs nids avec les proies les plus variées, engourdies par le venin de l’aiguillon, qui n'est plus mortel comme celui des abeilles et des guêpes. Nous nous contenterons de citer quelques exemples. Les cerceris donnent à leurs larves des insectes adultes, toujours de la même espèce pour le même cerceris ; ainsi, dans les Landes, le Cerceris bupres- ticide va, à plus d’une lieue de sa demeure, cher- 204 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. cher des buprestes ; comme ces coléoptères sont lrès-rares, le plus sûr moyen, pour les amateurs, de se les procurer est de visiter les nids des cerce- ris, et de guctter leur retour. Le philanthe apivore rôde autour des ruches. Il est moitié plus petit qu'une abeille ; mais sa peau est très-épaisse, et sa vivacité est telle qu'il se jette sur le dos de l'abeille butinant dans une fleur et lui enfonce son aiguillon Fig. 171. — Philanthe apivore emportant une abeille. dans le cou avant qu'elle ait le temps de se mettre en défense. Il la porte engourdie dans le trou en terre où seront ses larves, en la tenant retournée, le ventre contre le sien, et entourant de ses pattes ce lourd fardeau ; aussi son vol est alors très lent. Si elle ne peut entrer, il lui coupe les pattes et les ailes et la tire à lui, à reculons, en la comprimant comme à la filière. La larve du philanthe, bien re- pue d’abeilles, se file un très-curieux cocon dans lequel elle parait être mise en bouteille. Lepelletier PE \ HYMÉNOPTÈRES. 205 Saint-Fargeau a depuis longtemps observé et décrit les mœurs du philanthe apivore. Il a vu qu'il ne prend que les abeilles ouvrières et jamais les mâles. En Algérie, M. Lucas a constaté qu'une espèce voi- sine, le philanthe Abd-el-Kader, emporté aussi l'a- beille dans son nid, et toujours l'ouvrière, jamais le faux-bourdon. Cependant les mâles sont sans aucune défense, tandis que l’ouvrière à un aiguillon redoutable. Les pompiles semblent _ les vengeurs de la race des insec- tes, car ils donnent à leurs larves des araignées engourdies par l’ai- Hu guillon. Ils saisissent surtout les de philanthe araignées errantes, mais ne crai- DE _gnent pas d'affronter le danger des toiles, et par- fois l’on voit le pompile des chemins venir jusque dans les maisons saisir l’araignée domestique. Rien de plus intéressant que les manœuvres du pompile, si bien étu- diées par le D'° Giraud. Ce n'est qu'après avoir _engourdi une araignée destinée à nourrir une larve, qu'il creuse son trou. Il pose son arai- £ gnée au haut d'une M lopiate min grande herbe et non à terre, près de lui, car les camarades, qui chassent en rasant le sol, la lui prendraient pendant qu’il fouit. 206 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. De temps à autre, inquiet de son butin, il retourne voir son araignée, la touche avec sa tête, et, salis- fait, reprend son travail. L’ammophile des sables, noir, très-allongé, avec une partie de l’abdomen fauve, emporte dans son nid les chenilles des gros papillons de nuit. Les sphex, à pédicule de l’abdo- men très-grèle, ont un aiguillon à piqüre très-dou- loureuse, surtout chez les grandes espèces exoti- ques. Beaucoup attaquent les araignées ; nous en avons en France qui arrachent de sa toile l’araignée des jardins (Epeira diadema), bien plus grosse qu'eux, lui coupent la tête et les pattes, et donnent à leurs larves son énorme abdomen gonflé de sucs. A Pile de la Réunion, les chlorions, à corps métal- lique, percent de leur aiguillon ces hideuses blattes ou cancrelats, fléau de nos colonies, les traînent avec effort, leur enlèvent les pattes et les font en- trer dans leur nid en terre en les comprimant. Quelquefois, mais très-rarement, aux environs de Paris, vole un élégant insecte de cette tribu, le pelo- pée tourneur, très-singulier par le long pédicule qui rat- tache labdomen au thorax. Bien difficile doit être la cir- culation du sang d’une région à l’autre avec une telle orga- nisation. Les pélopées font des nids en terre, d’où lenom Moses “D een du genre qui veut dire potier ou pétrisseur de terre, et l’es- èce tourne sans cesse au vol autour de ce nid. P L'espèce est bien plus fréquente dans le midi de a CE PORT, NE) PT OUT IT PO à sh R HYMÉNOPTÈRES. 207 la France et en Algérie, où M. Lucas à observé ses métamorphoses. L’insecte construit sous les grosses pierres, avec de la terre et du sable ag- glutinés par une salive particulière, des nids de forme grossière, contenant chacun cinq à six larves. Les cellules des larves sont assez rappro- chées et toutes verticales. Ces larves sont molles, immobiles, tenant la tête recourbée contre le milieu Na : AS / Ha je A I Fig. 175. — Larve, nid et cocons du pélopée. du corps, jaunes, marquées en dessus et en dessous de taches arrondies, blanches et faisant saillie. Par- venues à toute leur croissance, elles se renferment dans un cocon formé d’une soie fine, serrée, recou- verte d’une couche gommeuse. On a longtemps ignoré quelles étaient les victimes des pélopées. Tout récemment M. Lucas a découvert que leurs nids sont exclusivement approvisionnés d'araignées et très-principalement du genre des épeires. Les pé- lopées, bien différents des chlorions, nous rendent 208 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. donc de mauvais services en détruisant nos utiles auxiliaires contre une foule d'insectes dévastateurs. On trouve dans le midi de la France et très-rares ment près de Paris, à Fontainebleau, un singulier “enre de ce groupe, les mutilles, dont les femelles, toujours sans ailes, ressemblent à des fourmis, agréablement variées de rouge et de jaune (fig. 176). Les mâles, ailés et bien plus petits, sont noirs Fig. 176. — Mutille maure, } Fig. 177. — Mutille maure, femelle grossie. i male grossi. (fig. 177). On à longtemps ignoré les métamorpho- ses des mutilles. On sait maintenant que ces hymé- noptères des terrains sablonneux vivent parasites dans les nids des abeilles solitaires. Leurs larves dévorent, non la pâtée mielleuse, mais les propres larves des abeilles. Sans doute la mutille femelle les perce de son aiguillon acéré. Les hyménoptères fouisseurs ont des parasites, encore très-mal connus, de leurs nids, ne sachant pas s'emparer de proies vivantes et devant cepen- dant les fournir à leurs larves. Telles sont, entre autres, les jolies quépes dorées (chrysidiens) à corps brillant de bleu métallique et de rouge cuivreux. Leur abdomen, continuellement agité ainsi que leurs antennes, étincelle au soleil comme une pierre précieuse. Les unes vont pondre leur œufs au mi- HYMÉNOPTERES. 209 lieu des larves amassées par les cerceris et les phi- lanthes ; d’autres entrent dans les nids de mellifi- ques solitaires pour tuer leurs larves, comme les mutilles, au bénéfice de leurs propres enfants. Les fouisseurs sociaux constituent l'immense lé- gion des fourmis, répandues dans tous les pays. Nous ne devons voir dans les fourmilières aucune espèce d'organisation à la façon de nos gouverne- ments ; ce sont des associations pour la reproduc- lion de l'espèce composées de mâles, de femelles et de neutres ou femelles incomplètes plus modifiées encore que chez les abeilles et les guêpes, car elles ont perdu les ailes. On distingue trois groupes prin- eipaux, dont les mœurs et les métamorphoses sont Fig. 1478. — Myrmique Fig. 179. — Myrmique lævinode, mäle, grossi. ouvrière, grossie. analogues. Les myrmiques ont deux nœuds au pédi- eule de l’abdomen, un aiguillon chez Les femelles et les neutres (fig. 178, 179). Les ponères n'ont qu’un . nœud au pédicule et un aiguillon chez les femelles et les neutres. Dan, ces deux groupes, les larves ne lilent pas de cocon pour se changer en nymphe. En- fin les fourmis proprement dites, de beaucoup les 1% 210 -_ LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. plus nombreuses en espèces, n’ont qu’un nœud au pédicule de l'abdomen. Leurs larves se filent une petite coque de soie. Elles n’ont pas d’aiguillon, mais versent dans les blessures que font leurs man- dibules un liquide acide, l'acide formique, produit de combustion des matières ligneuses et amylacées. Leur corps en est imprégné et a une forte saveur aigre. Les fourmilières où habitations communes des fourmis sont construites avec des matières vé- gétales ou en terre, On y trouve des séries de cham- bres soutenues par des piliers, des galeries, des corridors mullipliés pour le service de ces cham- bres où sont déposés dans les unes des œufs, dans les autres des larves et des nymphes ; certaines en- fin contiennent des femelles fécondes retenues cap- lives. Les fourmis ont de tout temps été citées comme des modèles d'économie et de prévoyance. Les anciens croyaient qu'au centre de l’Asie exis- tuent d'énormes fourmis, allant chercher l'or dans les sables aurifères et gardant avec soin les précieux trésors qu'elles accumulaient. Les opinions sont au- jourd’'hui partagées au sujet des provisions qu'elles amasseraient pour lhiver. Dans nos hivers rigou- reux, les fourmis tombent en engourdissement et beaucoup périssent. Peut-être dans les hivers doux en est-il autrement, et alors des aliments leur sont nécessaires, comme pour les jours pluvieux où elles ne sortent pas; au reste une grande partie des ob- jets que les ouvrières transportent sans cesse sont des matériaux de construction. Les ouvrières exé- cutent seules les travaux d'architecture, nourris- sent les larves et leur prodiguent des soins bien IYMÉNOPTÈRES. 214 plus compliqués que chez lesabeilles, car ces larves ue sont pas à poste fixe. Enfin elles défendent avec acharnement la progéniture des mâles et des femel- les qui, eux, ne s'occupent de rien. Les femelles vivent.en bonne intelligence et pondent des œufs çà et là. Les neutres recueillent avec soin ces œufs, -tantôt cylindriques, tantôt renflés et arqués, selon - les espèces, les humectent d’un liquide qui les gros- sit et Les portent dans les couvoirs. Au bout d’une die SUR TA | w « 2 * qu'elles enferment entre les man- _dibules écartées des ouvrières; celles-ci, comme les oiseaux pour - leurs petits, leur donnent la bec- quinzaine de jours ces œufs éclosent par la chaleur de la fourmilière. Il en sort de petites larves blanches, privées de pattes, à corps ramassé et conique (fig. 180). Leur bouche est une sorte de mamelon rétractile -quée en dégorgeant dans cette “bouche mnbliquide sucré. Ces Fse- 180 garvede b L S * larves sont entourées des soins myrmique, grossie. les plus tendres. La nuit, les ouvrières les portent dans les parties profondes de à fourmilière pour 4 leur épargner tout air froid. Quand le soleil du ma- tin a acquis assez de force, elies les exposent au sommet de la fourmilière pour qu’elles recoivent à] influence bienfaisante de ses rayons ; plus tard, il “est devenu trop ardent, alors elles les descerident dans des chambres supérieures, mais moins rap- ; _prochées des parois. Si la fourmilière est attaquée, _une partie des ouvrières emporte en toute hâte 4 4 dr. 212 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. les œufs, les larves, les nymphes dans les case- males de süreté, situées dans la partie la plus profonde ; les autres se jettent avec un intrépide courage sur les assaillants et lancent en quantité l'acide formique. Ce sont les larves et les nym- phes qu’on appelle improprement œufs de four- mis. On les recherche, dans les grosses espèces, pour élever les jeunes faisans et les jeunes per- dreaux, principalement chez la fourmi rousse, Si commune dans nos bois, où elle amoncelle des pe- lits fragments de branches. Les larves des fourmis proprement dites, parvenues à toute leur taille, de- viennent nymphes sous une coque de soie, allongée, d’un tissu serré, jaunâtre ou gris. La nymphe, d’a- bord d’un blanc pur, passe peu à peu au jaune pâle, au roussâtre, au brun ou au noir. Elle offre tous les organes de l'adulte enveloppés d'une peau si mince qu'elle parait .. Fig. 181... sommet de la coque de soie, en se Nymphe de myrmi- . é que, grossie. mettant plusieurs pour cette opt- ration.Elles tirent avec précaution lesnymphes hors * de la coque, puis les débarrassent de la pellicule, élalent leurs pattes et leurs antennes, les brossent, « leur donnent à manger, guident leurs premiers pas," irisée à la lumière (fig. 184). Ce « sont les ouvrières qui déchirent le . . 3 # , 4 à 8 « et pendant quelques jours, les promènent dans rl fourmilière pour leur en faire connaitre les couloirs et les issues. Ces mêmes ouvrières, quand les pro- visions manquent ou que la fourmilière esttrop ex= | HYMÉNOPTÈRES. TER posée aux attaques, ont l'instinct d'émigrer et transportent ailleurs, ce qu’on doit vraiment appe- ler leurs dieux domestiques, les œufs, les larves, les nymphes objet d'un continuel amour. Elles prennent aussi sur le dos les mâles et les femelles qui refu- seraient de les suivre, sans oublier les ouvrières imfirmes ou malades. Ce sont également les ou- xrières qui s'acquittent du soin difficile d’étaler Les ailes si fragiles des mâles et des femelles qui vien- nent d’éclore et qui restent dans la fourmilière jus- qu'au moment de la reproduction. . C’est le plus souvent en été, aussi en automne - pour quelques espèces, que se forment ces essaims composes de fourmis ailées des deux sexes, empor- tés parfois à d'assez grandes distances par les vents Par une belle soirée chaude on voit d’abord sortir - les mâles de leurs souterrains. [ls agilent par cen- taines leurs ailes argentées et transparentes. Les femelles, moins nombreuses, trainent au milieu . d'eux leur large ventre bronzé et déploient aussi leurs ailes, d’un éclat changeant et irisé. Un nom- breux cortége d’ouvrières les accompagne sur les plantes qu’elles parcourent ; le désordre et lagita- üon règnent dans la fourmilière. Elles vont desuns aux autres, les touchent de leurs antennes et sem- blent leur offrir encore de la nourriture. Enfin les mâles, comme obéissant à une impuision générale, quittent le toit de la famille, et les femelles ne tar- dent pas à les suivre. La troupe ailée a disparu et les ouvrières retournent encore sur les traces de ces _ êtres favorisés qu'elles ont soignés avec tant de per- sévérance. Une fois les femelles fécondées, la force 214 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. qui soutenait tant d'insectes tourbillonnant dans les airs les abandonne : mâles et femelles retombent sur le sol. Les ailes se détachent aussitôt qu'elles sont exposées à l'humidité de ja terre, et souvent les femelles se les arrachent elles-mêmes. Selon les espèces, la scène varie. Tantôt l’essaim a été em- porté loin de la fourmilière : alors les femelles fé6- condées se groupent comme une peuplade naissante et donneront de nouveaux nids ; tantôt c’est près de l'ancienne fourmilière que se laisse choir la gent ailée : alors les ouvrières s'emparent des femelles, les dépouillent de leurs ailes et entrainent avec em- pressement ces précieuses mères, leur espérance nouvelle, dans les galeries intérieures où elles les garderont à vue. Dans ce cas, quelques femelles s’é- chappent, chacune se met isolément dans quelque trou, des ouvrières errantes les rejoignent, une nou- velle fourmilière commence. Nous ne suivrons pas plus loin Huber fils, obser- vateur aussi passionné des fourmis que son père aveugle l’était des abeilles. Nous laisserons de côté tant de curieux détails étrangers aux métamorpho- ses; l'amour des fourmis pour les pucerons et pour les coceus,fixés à diverses plantes, et qui leur pro- curent une liqueur sucrée, leurs délices ; les soins qu'elles leur donnent en les portant sur les plantes propices et en les enfermant dans leurs fourmilières comme des vaches à l’étable; les nombreuses es- pèces de petits coléoptères qui vivent au milieu d'elles en hôtes affectionnés. Rien de plus bizarre que les combats de fourmis, incapables d'élever leurs larves, allant chercher les ouvrières d’autres ? COR | F £ | à IIYMÉNOPTÈRES. 915 espèces, les emmenant captives et en faisant de vé- ritables nourrices sur lieu. Les fourmis sont très- batailleuses et pillent parfois les habitations d’autres espèces, les expulsent, les détruisent même. Ainsi dans les serres chaudes du Muséum, il n'existe plus, - depuis une dizaine d'années, qu'uue seule espèce de fourmis, la Formica gracilescens, très-agile, poilue, à longues pattes grèles. Elle s’est d'abord montrée dans la serre des orchidées et vient probablement de la Guyane; elle à détruit toutes les espèces francaises. Les serres chaudes de Vienne et de Schæn- brunn sont envahies par une espèce indienne ; celle d’Helsingfors, par la Formica vividula, étrangère à l'Europe, d’origine inconnue. Dans les maisons de Paris, on trouve une très-petite espèce importée, la Formica Pharaonis, qui s'attaque à tout. Beaucoup d’hyménoptères, avons-nous vu, ali- mentent leur larves de proie vivante engourdie, disposée d'avance auprès d'elles. D’autres, dont les larves sont pareillement carnassières, déposent leurs œufs sous la peau de divers insectes, prinei- palement à l’état de larves ou de chenilles. Ces hy- ménoptères, qui constituent plusieurs grandes familles, sont de véritables protecteurs de Pagri- culture. Une continuelle alternance s’opère entre les insectes nuisibles aux végétaux et les parasites intérieurs qui les dévorent. Ces derniers finissent ainsi par anéanlir presque entièrement la race des insectes herbivores, mais alors les carnassiers meu- rent presque tous de faim, et les insectes nuisibles, | au bout de peu de générations, reparaissent en abondance, donnant ainsi une pâture excessive aux 4 216 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. carnassiers, qui ne tardent pas à prédominer à leur tour. C’est ce qui explique comment les ravages de nos arbres forestiers, de nos vignes, de nos céréales ne se produisent que par intermittences. Tous ces hyménoptères sont dépourvus de Paiguillon. Il s’est transformé en une tarière entourée de deux valves, ou tube destiné à percer la peau des victimes et à pondre l'œuf. Ces tarières peuvent parfois percer nos doigts si nous saisissons ces insectes : la dou- leur est vive; mais passagtre, car 1l n’y a pas de venin versé dans la piqüre. Les plus grandes espè- ces appartiennent au groupe des ichneumoniens, dont le nom vient de celui de l’ichneumon, ce carnassier vermiforme, vénéré autrefois par les Égyptiens, et que les anciens croyaient, à tort, pouvoir faire par- venir ses petits dans l’intérieur du corps du eroco- dile, où ils dévoraient ses entrailles. La plupart des ichneumoniens introduisent leurs œufs sous la peau des chenilles, et celles-ci paraissent marquées de points noirs. Les petites larves sont privées de pat- tes, avec des yeux rudimentaires etdes mandibules crochues. Elles ont l'instinct de vivre d’abord aux dépens des tissus graisseux, en respectant les orga- nes essentiels de la digestion, de la circulation et de la respiration, qu'elles n’attaquent qu’en dernier. Tantôt elles sortent de la chenille ou de sa chrysa- lide pour se transformer au dehors ; tantôt elles de- meurent sous sa peau desséchée. Elles se filent des petits cocons ovoïdes, en soie blanche, jaune ou bru- nâtre, parfois ceinturés de bandes brunes. On voit finalement sortir un ou plusieurs hyménoptères au lieu du papillon, et c’est ce qui avait donné l'idée HYMÉNOPTÈRES. 217 à d'anciens observateurs des insectes de véritables transmutations. Les adultes paraissent se nourrir de nectar des fleurs et de pollen, surtout des ombel- lifères. On les voit voler au soleil le long des talus, des troncs d'arbres, des murs. Toujours en quête de la proie, 1ls courent en agitant continuellement leurs longues antennes, souvent noires et blanches. La même espèce peut s'attaquer à divers insectes ; elle cherche avant tout de la chair fraiche. Ces adul- tes répandent par- fois des odeurs va- riées, tantôt fortes et acides, tantôt agréables, de rose ou de tubéreuse. Lesichneumonspro- prement dits ont une tarière courte; ils pondent leurs œufs sous la peau des larves en re- pliant l’abdomen en avant sous la poitrine et s’ap- puvant sur leurs pattes. Les pimples, au contraire, ont, chez les femelles, une très-longue tarière qui, avec ses deux appen- dices latéraux, simule trois soies (fig. 182); aussi Fig. 182. — Pimple manifestateur femelle. 218 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. les anciens observateurs les appelaient Muscæ tripi- les. Ces longues tarières permettent aux femelles de piquer les larves au milieu du bois ou dans les nids maternels. L'insecte s’arc-boute avec ses pattes et replie son ventre en dessous. La tarière s'enfonce à angle droit, s’il faut atteindre des larves de capri- cornes (coléoptères), ou les chenilles de sésies (lé- pidoptères), au milieu des tiges. Elle se place pa- allèle au corps, si elle doit se glisser entre l'écorce et le bois. Les ophions WA sont remarquables par ; leur abdomen amine en faucille (fig. 185). Ils pon- dent leurs œufs en de- hors des chenilles, atta- chés à leur peau par un pédicule contourné. Les larves qui sortent de l'œuf se mettent aussitôt à ronger leur victime, et leur tête est engagée sous sa peau, alors que Fig. 185.— Ophion obscur, leur ventre est encore de profil. , à dans lœuf. II ne sort par chenille qu'un ou deux sujets de ces grandes espè- ces. Si la chenille est attaquée par une femelle de braconiens, qui sont de très-petite taille, c’est une nuée de larves qui percent la peau de la victime et se filent à côté une série de petites coques de sote agglomérées (fig. 184); tels sont les amas de petits cocons jaunes du Microgaster glomerator, qui attaque les chenilles du papillon blanc du chou. Le HYMÉNOPTÈRES. 219 Dans les luzernes on trouve souvent les chenilles attaquées par une espèce voisine, le Microgaster perspicuus. Ses petits cocons, filés par les larves Fig. 184. — Chenilles attaquées par des microgasters. sorties de la chenille, sont enchevètrés les uns dans les autres et non isolés, comme ceux de l’es- pèce précédente. Aussi on croirait voir un cocon unique de quelque ver à soie. Comme l’a reconnu le docteur Giraud, ces cocons peuvent être blancs ou jau- nes, sans doute selon l'espèce de chenille dontse sont nourries les larves. Quand on fait éclore les cocons des microgasters, on voit sortir, outre les MIClOLAS- 220 . LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. ters bruns, de brillants petits insectes à quatre ailes d’un vert doré: ce sont des chalcidiens, parasites de parasites, qui mangeaient les larves des premiers, toujours dans la chenille, théâtre et victime des combats. M. Giraud a même constaté l'existence de parasites du troisième degré! Ces harmonies admi- rables maintiennent le balancement des espèces. Une innombrable multitude d’imperceptübles enne- mis s’acharnent après les plus minimes insectes; il en est qui pondent leur œuf dans l'œuf d’un pi- pillon, suffisant à nourrir leur larve. De petits hyménoptères, noirs ou fauves, ont, chez les femelles, une tarière cachée dans l’abdomen , tantôt droite, tantôt très-grèle et roulée en spirale (fig. 185). Celles à tarière droite, ou des vrais cy- nips, piquent les végélaux, et autour de l’œuf naît une excroissance ou galle, par un afflux de séve. Les au- tres, à tarière effilée, intro- duisent leurs œufs dans les galles une fois formées et dont leurs larves doivent vi- vre en parasites. Au centre des galles s’amasse de la fécule, nourriture des larves; peu à peu cette fécule se transforme en matière grasse, néces- saire à la nymphe. L’adulte sort en perçant la galle d’un petit trou circulaire. Ces galles ont des formes parfaitement spécifiques. Elles sont chevelues sur les églantiers (bédéguars); elles forment un gon- lement aux tigres de ronce, de chardon. Le chène semble larbre de prédilection des galles. Tantôt et Fig. 185. — Cynips des baies de chêne, grossi. M ss HYMÉNOPTÈRES. 291 selon les espèces de cynips, pareilles à des pommes de moyenne grosseur, elles terminent les rameaux, ou, comme de petites boules vertes et rouges, se groupent sur les feuilles (fig. 186). Des galles mo- difient les bourgeons et les développent en forme de pe- Uts artichauts; d’autres, dites en groseilles, se balancent portées sur les chatons ou fleurs du printemps. Les plus curieuses, telles que de gros- ses truffes dures, s’attachent au chevelu des racines en hi- Fig. 187. Cynips aptère femelle et sa larve. ver, à plusieurs décimètres sous terre. Ilen sort, provenant de larves blanches enroulées, des cynips aptères (apophyllus), semblables à des fourmis à gros ventre, marchant len- tement au pied des chè- nes sur la terre hu- mide ou sur la neige (fig. 187), en faisant vibrer leur longues an- tennes. On ne connait encore que des femelles de cette espèce, et cela arrive pour beaucoup de eynips, notamment ceux qui, en Syrie, au nombre d’un: ou plu- sieurs espèces, font nai- Fig. 186. Galles des feuilles de chêne. tre sur les chênes les noix de galle, riches en tannin, 299 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. servant à faire l’encreetlesteintures noires (fig. 188 Les voyageurs qui font le pèlerinage de la terre sainte rapportent, des bords de la mer Morte, les pommes de Sodome, grosses galles pleines de larves et d’une poussière sèche. Quand on re- cueille les galles, il arrive souvent Fig. 188. Noix de gale qu’au lieu des sombres Cynips qu’on coupée. : ; . ar : s'attend à en voir sortir, apparaissent de charmants petits insectes, verts ou bleus, à reflet métallique. Ce sont des chalcidiens, famille d'hymé- nopières que nous avons déjà citée, dont la mère était venue déposer son œuf au milieu de la galle, dans les larves qui y vivent. Les larves des chalcidiens dévorent celles des ey- nips ou légitimes propriétaires de la galle et celles de leur commensaux, ou Synergus. De perpétuelles luttes, qui laissent toujours survivre les œuvres du Créateur, agitent ces microscopiques atomes. Les derniers hyménoptères ont des larves d’un aspect tout nouveau. Elles doivent résider sur les végétaux qu'elles ravagent. Elles ont des pattes multiples pour se déplacer. Les adultes ont été ap- pelés porte-scies, à cause de la tarière des femelles, dentelée en scie pour inciser les végélaux où elles déposent leurs œufs. En outre, l'abdomen ne fait plus la faille de quêpe; au lieu d’une insertion étroite, il s'implante largement sur le thorax. Les tenthrédiniens à l'état de larve vivent sur les feuilles. Ces larves, dites fausses chenilles, simulent au pre- mier aspect des chenilles de papillon; mais leur grosse tête globuleuse, non échancrée, leurs pattes : : $ IYMÉNOPTÈRES. 293 abdominales, en nombre généralement supérieur à dix, les en distinguent (fig. 189). La plupart, si on les touche, retroussent et agitent, d’un air me- naçant, la partie posté- rieure de leurs corps. Elles laissent souvent suinter un liquide d’o- deur désagréable. Elles se transforment en nym- phes dans des cocons de soie qu'elles se filent. Elles y demeurent long- \ temps enfermées avant Fig. 189. — Fausse chenille de changer de peau, et eo souvent passént ainsi tout l'hiver. Elles devien- nent nymphes et nullement chrysalides, comme on pourrait le croire d’après leur ressemblance avec les chenilles. Ces nymphes,comme celles de tous les hyménoptè- res, n'ont qu’une mince peau, sur l’insecte par- fait, et éclosent prom- pltement. Nous citerons Fig. 190. comme exemple le lo- Lophyre du pin, mâle grossi. phyre du pin. Sa Wrve dévore les feuilles des forêts d'arbres verts; le mâle a de belles antennes pecti- nées (fig. 190). Les tenthrédiniens ont de petites espèces très- nuisibles à divers végétaux utiles : ce sont Les cèphes. Plusieurs cèphes ont des larves atlaquant les cé- 224 LES MÉTAMQRPHOSES DES INSECTES. réales, le cèphe comprimé se porte sur les pom- miers, elc. Les Sirex percent les bois des arbres verts, et leurs larves vivent à l’intérieur plusieurs années. Assez rares en France, ils sont fréquents dans les e ss Ÿ No Fig. 191. — Sirex géant, femelle. forêts de sapins du nord de l’Europe; ils bour- donnent comme des frelons, auxquels ils ressem- blent par leurs couleurs jaunes et noires. Une longue tarière droite sort du corps de la femelle. Les larves de ces insectes ont une incroyable force dans lac- tion de leurs mandibules. Après la guerre de Gri- mée, M. le maréchal Vaillant présenta à PAcadémie des sciences, en 1857, des paquets de cartouches dont les balles coniques de plomb étaient percées par les larves du Sirex juvencus. Le même fait s’est reproduit plus {tard pour des balles de plomb de l'arsenal de Grenoble, perforées par le Sirex gigas (HE TO): a, 1: CHAPITRE VI LÉPIDOPTÈRES Les satyres des plaines, des montagnes et des neiges. — Les nymphales — Les vanesses, pluies de sang. — Les argynnes des bois. — Les ar- gus. — Le machaon et le flambé. — Les piérides, les coliades, les au- rores. — Les parnassiens des montagnes. — Les hespéries. — Les sésies. — Les zygènes, les étranges hétérogynis. — Les sphinx. — La tête de mort. — Les papillons qui chantent. — les bombycides. — Le ver à soie, ses âges, son cocon, son papillon. — Les auxiliaires du ver à soie. — Les processionnaires. — Les orgyes à femelles aptères. — Les cossus gâte-bois. — Les psychés et leurs fourreaux. — Les noc- tuelles. — Les chenilles arpenteuses. — Les phalènes, les papillons de l'hiver. — Les tordeuses, pyrales et teignes, leurs dégâts. — Les bril- lantes adèles. — Les ptérophores aux ailes divisées. Les lépidoptères adultes se nourrissent tous de sucs liquides, presque exclusivement puisés dans les fleurs, au moyen d'une trompe flexible, roulée au repos en spirale sous la tête; leurs chenilles, au contraire, pourvues de pièces de la bouche orga- nisées pour broyer, de feuilles, quelquefois de fleurs, de fruits, de bois, très-rarement de sub- stances animales. Cette identité de régime est liée à une conformité de métamorphoses bien plus grande que dans les autres ordres, et ce que nous dirons pour le ver à soie s'applique, presque sans exception, à toutes les espèces. On les a divisés longtemps en diurnes, crépuseu- laires et nocturnes, mots qui s'expliquent d’eu:- 15 226 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. mêmes. Nous devons faire remarquer que ces dis- tinctions sont peu exactes. Ki les diurnes des anciens auteurs ne volent pas la nuit, certaines espèces des deux autres groupes butinent pendant le jour, à l'ardeur du soleil. En outre, les prétendus nocturnes ne sortent pas du repos au milieu de la nuit, dont la fraicheur les engourdit; ils paraissent pendant! le jour dans les régions voisines des pôles, et sont ailleurs toujours plus ou moins amis du crépuscule. La lumière de la lune parait les blesser encore plus que celle du soleil; ils recherchent les soirées sombres. C’est encore une erreur de les croire tou- jours vêtus d’une livrée obscure; ce sont parmi eux que beaucoup d'espèces présentent les couleurs à la fois les plus vives et d’un ton plus pur que chez les papillons qui volent au soleil, surtout si on examine leurs ailes inférieures cachées, au repos, sous les autres. Une première section de lépidoptères, paraissant exclusivement dans la journée, ont les antennes terminées par un bouton, et les ailes inférieures entièrement libres des supérieures. Ce sont les che- nilles et les chrysalides qui vont nous permettre de meltre un peu d'ordre dans la revue que nous al- lons passer de ces beaux insectes, dont l'éclat et la grâce ont frappé de tous temps les personnes les plus inattentives et arrachent une exclamation d’é- tonnement et de plaisir aux plus vulgaires observa- teurs. Les chenilles de tous ces lépidoptères n’ont que très-peu de soie. Celles d’un premier groupe, arri- vées aux fermes de leur croissance, se fixent à quel- LÉPIDOPTÈRES. 997 que Support, se recourbent en are, et filent avee la bouche un petit faisceau de fils de soie qui attache leur extrémité postérieure. Elles changent ensuite de peau, et les chrysalides sont suspendues la tête en bas. Ces chrysalides nues sont, en général, plus ou moins anguleuses aux régions de la tête et du thorax, dont les organes se dessinent en saillie. Si on examine en dessous l’insecte parfait, il semble n'avoir que quatre pattes. En regardant mieux, on reconnait que les pattes de devant, très-courtes et couvertes de larges poils, forment comme une co!- lerette autour du cou du papillon. On les appelle souvent pattes palalines ; elles ne peuvent servir à la marche de l’insecte. Tous les pays de la terre nous présentent les sa- lyres, au vol assez rapide dans les grandes espèces, mais toujours saccadé et sautillant. En effet, leurs chenilles vivent sur les graminées qui sont répan- dues partout. Les chenilles vertes ou Jaunätres s’a- mincissent à la partie postérieure, simulant un peu une queue de poisson, et sont rayées dans le sens longitudinal. Elles sont très-difficiles à trouver, bien qu’abondantes, car elles se cachent avec soin pendant le jour; mais la nuit, en parcourant les prairies avec une lanterne, on les voit mangeant les feuilles des gazons. Les chrysalides sont cylindri- ques, peu anguleuses, grisitres; celles des plus grandes espèces reposent à nu sur le sol: toutes les autres sont suspendues par la queue. Les papillons ont des ailes où dominent le jaune, le fauve, le brun, avec des bordures de taches oculiformes ar- rondies, à prunelle foncée, à pupille claire. Les 228 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. espèces de forte taille vivent dans les bruyères et les heries des lieux secs; d’autres ne se trouvent que dans les allées sombres et humides des bois; cer- {aines affectionnent Les sentiers, le bord des fossés, Fig. 192. — Satyre myrlil, femelle. les murs des villages au pied desquels croit l'herbe ; les prairies de nos plaines sont le domaine d'autres Fig. 195. — Arge Ines. espèces. Celle que nous figurons, le myrtil, SV rencontre à chaque pas à l’époque de la fenaison (fig. 192). Un groupe particulier d'espèces se nomme satyres demi-deuils, parce que les ailes offrent des dessins et'des ocelles noirs sur fond blanc : ainsi LÉPIDOPTÈRES. 229 l’Arge Ines, d'Espagne que nous figurons (fig. 193). On trouve ces papillons dans les clairières herbues des bois et dans les prairies qui les avoisinent. Les montagnes nous pré- ( sentent une autre sé- rie de ces insectes, nommés satyres nègres (genre erebia), à cause de la couleur brune ou noirâtre de leurs £ ailes, accidentées seu- Fig: 494. Ac par Ce Erébie euryale, femelle. noirs sur des taches rougeâtres (fig. 194). On les voit, à mesure qu'on s'élève dans les Alpes ou les Pyrénées, se tenir confinés pour chaque espèce dans une zone de quelques centaines de mètres d'altitude, Fig. 195. — Chionobas aello. changeant avec la nalure des graminées. Enfin, près des neiges perpétuelles, apparaissent les chio- nobas (qui se promènent à travers les neiges), à ailes d’un fauve terne, nébuleux, peut-être par l'influence d’un froid intense. Autour des hauts glaciers qui entourent le mont Blanc vole le Chio- 230 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. nobas aello (fig. 195) ; les autres espèces de ce genre appartiennent aux régions polaires arctiques des deux mondes. Les nymphales habitent les bois. Leurs chenilles sont nues, de couleur verte, leurs chrysalides très- anguleuses, avec le dos tement caréné. Dans les allées des bois vole le petit sylvain (Limenitis sibylla), ou le deuil, à ailes d’un noir terne, avec une bande de taches blanches (fig. 196). Il tournoie et se pose Fig. 196. — Le petit sylvain. fréquemment sur les branches des taillis. On ren- contre aussi, mais moins souvent, près de Paris, le sylvain azuré (L. camilla), dont le noir sur les ailes a un reflet bleu. Le chèvrefeuille nourrit les che- nilles de ces deux papillons. Les grandes espèces de nymphales ont leurs chenilles au sommet des arbres les plus élevés, se cramponnant à des fils de soie dont elles enduisent continuellement les feuilles, pour ne pas tomber par le vent. Sur les peupliers et les trembles vit le grand sylvain, qui descend, au mois de juin, d’un vol rapide et en planant, au milieu des routes traversant les vastes forèts du nord de l’Europe. fl est attiré par les ma- LÉPIDOPTÈRES. 251 tières stercoraires des chevaux et des bestiaux, et se pose dessus avec avidité. Il revient toujours à la même place. Ce rare et beau papillon se trouve près de Paris, dans les bois d’Armainvillers, de Villers-Cotterets, de Compiègne. Au mois de juillet, on rencontre, avec les mêmes habitudes, les grand Fig. 197. — Petit Mars. et pelit Mars, dont les ailes ont un beau reflet d’un bleu violacé quand on les examine dans un sens convenable. Les Anglais nomment le srand Mars the purple emperor. Leurs écailles sont à deux couleurs, comme ces images plissées qui repré- sentent deux figures distinctes, selon qu'on les re- garde à droite ou à gauche. Les femelles sont beau- coup plus rares que les mâles, parce qu'elles 292 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. descendent très-peu du haut des peupliers où vivent les chenilles. Elles n’ont pas de reflet bleu. IL y a dans le petit Mars, outre le type à fond brunâtre, une variété aussi fréquente à fond d’un fauve jaunälre. Autrefois, on prenait le pelit Mars sur les peupliers de la Glacière et des prairies de Gentilly. Fig. 198. Dans le midi de la France, PT près d'Iyères, de Cannes, vit 4 sur l'arbousier une chenille verte aplatie en limace, avec quatre cornes jaunes bordées de rouge. C’est celle d’une espèce de ce groupe que nous représentons se retournant pour filer la soie du faisceau d’attache de la chrysalide (fig. 198). Le papillon, à odeur de muse, offre les ailes inférieures terminées par deux pointes. Ce Charaxes jasius se trouve sur tout le littoral de la Méditerranée, et les paysans turcs l’appellent le pacha à deux queues (fig. 199). Dans une division voisine se placent ces magni- fiques et gigantesques papillons, aux ailes d’un bleu miroitant, et dont la mode fait usage depuis quelques années pour la coiffure des dames : on colle au-dessous de ces ailes admirables mais fra- giles des bandes de crèpe apprèté, et on assujettit le corps à une longue épingle. Ces morphos vivent dans les bois de la Guyane, de la Colombie, du Bré- sil. Les femelles, à peine connues, parce qu'elles ne quittent presque jamais Le haut des arbres, comme celles de nos nymphales, sont en général de couleur LÉPIDOPTÈRES. 255 fauve, et ne ressemblant presque pas à leurs splen- dides époux. Viennent ensuite les vanesses, aux couleurs vives si connues de tous. Qui n’a suivi dans les jardins, sur le bord des routes, la grande et la petite tortue, le paon de jour, la belle-dame, si agréablement bi- LU Fig. 199. — Charaxes jasius. garrée, le vulcain aux bandes de feu? Leurs che- nilles épineuses vivent, selon les espèces, sur les orties, les chardons, les ormes, les saules, les peu- pliers, les bouleaux (fig. 200). Elles sont en général sociales dans leurs premiers âges, et se dispersent au moment de se changer en chrysalide. La belle- dame est un papillon cosmopolite habitant l’ancien et le nouveau monde. La chenille du vulcain cher- che à se cacher sous des feuilles d’ortie, qu’elle as- semble avec des fils de soie, mais ne parvient guère 25% LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. à se dérober aux ichneumons qui la guettent. Les chrysalides des vanesses présentent ces belles taches fl du qu (l nl fl a He ET 14 II (ll - LL — DLL LL rm a ù n A | ui TT il “im il Ur du nn er { On \ qi ces BA , | \ Eu 4 no LU ||) | | No: AL Fig. 200. — Chenille et chrysalide de grande tortue. d’or ou d'argent dont nous avons expliqué la cause. Le Morio, une des grandes raretés fentomologiques Fi g. 201. — Vanesse Morio. de l'Angleterre, est peu commun dans les bois qui avoisinent Paris. Il est fréquent aux environs de LÉPIDOPTÈRES. 955 Bordeaux et surtout à la Grande-Chartreuse. Les amateurs parisiens vont chercher à Fontainebleau cette belle vanesse, au fond des ailes d’un riche pourpre sombre (the Gamberwell Beauty des Anglais), avec une large bordure jaune relevée de taches violettes (fig. 201). Bien plus fréquente se rencontre la vanesse Gamma ou Robert-le-Diable, à ailes très- découpées, présentant une sorte de lettre C, en blanc d’argent mat, sur le fond gris noirâtre du dessous de ses ailes de devant (fig. 202). La che- Fig. 202. — Vanesse Gamma. nille, qui vit sur l’ortie, le chèvrefeuille, le groseil- lier, le noisetier, l'orme, est d’un brun rougeûtre avec une bande blanche sur le dos; aussi Réaumur l'appelle la bedeaude, par comparaison avec les be- deaux des églises, habillés de robes de deux cou- leurs tranchées. On ne se douterait guère que ces brillantes va- nesses ont quelquefois inspiré une terreur super- stitieuse. Les papillons à l'état parfait, peu après leur sortie de la chrysalide, répandent un liquide coloré, contenu dans leur intestin, sorte de méco- 236 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. nium, résidu des humeurs de la chrysalide, et dont ils doivent se débarrasser avant de prendre leur essor. Chez les vanesses, cette déjection est d’un beau rouge sanguin ou carminé, et quand nombre de papillons éclosent en même temps, les murs sur lesquels cette liqueur tombe semblent parsemés de gouttes de sang. De là l’origine probable de cer- taines prétendues pluies de sang qui épouvantèrent, au dire des historiens, les populations crédules. Ainsi, vers le commencement du mois de juillet de l’année 1608, les murs d’un cimetière voisin de la ville d'Aix, et ceux des villages et des petites villas des environs parurent tachés de larges gouttes de sang. Le peuple, et même, dit Réaumur, certains théologiens, n’hésitèrent pas à y voir l’œuvre des sorciers où du diable lui-même. Heureusement qu'un homme instruit, de Peirese, alors dans la ville, observa qu’une multitude de papillons vo- laient dans ces endroits maudits. Il fit éclore des chrysalides dans une boîte, et montra aux curieux inquiets la diabolique pluie de sang sur le fond et les parois. I leur fit aussi remarquer que les gouttes miraculeuses n'existaient pas au centre de la ville, ni sur les toits, qu'elles se trouvaient pour la plu- part dans des creux, sous les chaperons des murs, et non à la surface des pierres tournées vers le ciel, et enfin qu’il n'en existait pas à de plus grandes bauleurs que celles où volent ordinairement les papillons. De Peirese n’hésita pas à attribuer à la même cause certaines des pluies de sang dont parle l’histoire, par leur analogie d'époque et de circon- stances : ainsi une pluie de sang, rapportée par LÉPIDOPTÈRES. 237 Grégoire de Tours, tombée, sous le règne de Chil- debert, dans différents endroits de Paris et près de Senlis ; une autre, à la fin de juin, sous le roi Ro- bert. Réaumur ajoute que c'est l’espèce ravageant les ormes dans certains cantons (Vanessa polychlo- ros, la grande tortue), qui lui parait la plus ca- pable de répandre ces alarmes. Elle se montre quel- quefois en très-grande quantité, quitte les arbres au moment de se mettre en chrysalide et se disperse \\ N AN N N y N À > Fig. 205. — Argynne grand-nacré. alors contre les murs, aux cintres des portes et même dans les maisons. Au reste, il y a des pluies dites de sang qui ont d’autres origines‘. Les bois sont habités par les argynnes, dont les chenilles épineuses ressemblent aux précédentes, ainsi que les chrysalides très-anguleuses, à tête bifide, mais sans taches métalliques. Les papillons ont le fond des ailes d’un jaune fauve avec une 1 Biblicthèque des Merveilles : les Météores, p. 254 258 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. multitude de dessins noirs ; en dessous elles offrent presque toujours des taches imitant complétement l'argent poli, ce qui fait donner à ces papillons le nom de nacrés. Hs se posent volontiers sur les fleurs Fig. 204. Chenille et chrysalide de l'Argynnis paphia. de chardon et de ronce. Tels sont le grand-nacré (Argynnis aglaia, fig. 203), le tabac d'Es- _pagne (A. Paphia), dont une belle variété femelle a le fond des ailes tout obscurci, sans changement du dessin noir, de même que la panthère noire de Java conserve les taches noires des’panthères fauves. On trouve cette variété femelle acciden- tellement dans les bois des envi- rons de Paris, à Compiègne, etc. Elle devient une race constante en Suisse, dans le Valais. Aussi la nomme-t-on Valesina. Les chenilles de ces grandes argyn- nes vivent sur les violettes de plusieurs espèces (fig. 204). Les mélitées ou damiers, dont le nom vient de leurs dessins noirs en carrés, ressemblent en dessus aux argyn- nes, mais n’ont pas au-dessous les taches nacrées. Les chenilles d’argynnes et de mélitées, selon la curieuse remarque de M. Goossens, ont sous la orge, dans la ligne médiane, une petite poche ar- rondie, un peu en avant de la première paire de pattes écailleuses. Son usage est tout à fait inconnu; LEPIDOPTÈRES. 239 elle existe rudimentaire chez les chenilles des va- nesses. Dans un autre grand type des papillons à an- tennes en massue qui nous occupent, les six pattes sont allongées, propres à la marche; les chenilles se suspendent par la queue en se changeant en chrysalide, mais en outre s’entourent d’une cein- ture formée de plusieurs fils de soie accolés. C’est en retournant la tête nombre de fois à droite et à gauche qu’elles fixent ce second lien de Ia chrysa- lide, puis elles passent la tête et glissent le corps dans ce demi-anneau ; le même mouvement que les précédentes leur a servi auparavant à constituer le faisceau soyeux qui attache l'extrémité postérieure. Les prairies, les champs, les bois nous présen- tent une légion de petits papillons aux vives cou- leurs, offrant au-dessous de leurs ailes de nom- breuses rangées de taches en figure d’yeux, qui leur ont valu le nom général d’argus par un souve- nir mythologique. Les chenilles de ces lépidoptères sont lentes dans leurs mouvements, à pattes très- courtes. Élargies et aplaties, elles ressemblent à de pelits cloportes. Les chrysalides sont ternes, rac- courcies. Dans les papillons de ce groupe nous de- vons signaler les petits porte-queues, à cause des pointes de leurs ailes inférieures. [ls sont brunâtres en dessus et habitent les bois, où leurs chenilles se trouvent sur le bouleau, le chêne, le prunellier, la ronce. L'espèce de la ronce a le dessous des ailes d’un vert vif. Les prairies nous offrent les bronxés, à ailes d’un fauve vif,en dessus, avec des dessinsnoirs (fig. 205, 206, 207). Les prés, les jardins, les lu- 249 LES MÉTAMORPIIOSES DES INSECTES. zernes, les trèfles sont fréquentés par les azurins, à ailes bleues en dessus chez les mäles, brunes chez les femelles. Les chenilles de ces azurins se nour- rissent de légumineuses. Par un contraste de taille des plus remarquables, les grands porte-queues sont représentés par des pa- pillons de jour de forte dimension. Leurs ailes, à Fig. 205, 206, 207. Polyommate, æanthe, adulte femelle, chrysalide, chenille. fond jaune, sont traversées par des bandes noires dans le flambé (Papilio Podalirius), et couvertes de taches et de dessins noirs dans le machaon (fig. 208, 209). Cette dernière espèce, très-commune, a sa chenille sur les ombellifères, la carotte, le fe- nouil, ete. Elle est verte, avec des bandes noires parsemées de taches oranges. Quand on l’inquiète, elle fait sortir, comme toutes les chenilles de son genre, du premier anneau après la tête, un tenta- cule charnu orangé en forme d’Y. Elle offre sou- vent, ainsi que le papillon, une odeur de fenouil. La chrysalide est tantôt d’un vert clair, tantôt gri- sàtre (lg. 210). Dans les Basses-Alpes, sur les pla- teaux des environs de Digne et de Barcelonnette, Le flambé, le machaon 209. Fig. 208, RNA CO s° ; MT À SO LÉPIDOPTÈRES. 245 existe le Papilio alexanor ; en Corse et en Sardaigne, le Papilio hospiton : ces deux rares espèces sont voi- sines de notre machaon. L'homme a amené avec lui et a multiplié par ses cultures de plantes fourragères et potagères plu- Fig. 210. — Chenille et chrysalide du pavillon machaon. sieurs espèces de la famille des piérides. Ainsi les papillons blancs du chou, du navet, de la rave, dé- croissent de taille, à partir de la Syrie et de l'É- gypte, à mesure qu'ils avancent dans les régions du Nord (fig. 211). Leurs chenilles sont légèrement velues, et, sans les insectes ennemis dont les larves les dévorent, elles détruiraient la plupart de nos légumes (fig. 212). Les prairies artificielles nour- 244 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. rissent les coliades, dont les ailes ont le fond jaune, à bord noir. Nous voyons voler sur les fleurs des trèfles et luzernes, le soufré, d’un jaune clair, et le Fig. 212. — Chenille et chrysalide de la période du chou. souci, d'un jaune orange. Une belle variété femelle d: cette espèce, dite helice, a Le fond des ailes d’un ton carné päle. On la prend près de Paris, mais elle est rare. Les hautes montagnes et Les régions polaires ont plusieurs espèces de coliades : ainsi celles nommées Palæno, Phicomone, etc. (fig. 215). Fig. 215. — Chenille et chrysalide Fig. 214. de coliade palæno Aurore de Provence. Les aurores offrent, chez les mâles, lextrémité des ailes supérieures d’un beau jaune orange. Le reste des ailes est blanc dans l'espèce des en- dirons de Paris (Anthocharis cardamines), et jaune soufre chez l'aurore de Provence (A. eupheno) de LÉPIDOPTÈRES. 94 nos départements les plus méridionaux (fig. 214). On voit voler dans nos bois, dès le milieu de février, les papillons nommés citrons, à cause de leur cou- leur, d’un beau jaune chez les mâles, d’un jaune verdâtre pâle chez les femelles. Dans le midi de fà France et en Espagne, une espèce très-voisine pré- sente, chez le mâle, une large tache orangée au centre des ailes supérieures. Une espèce de cette famille, à ailes blanches rayées de lignes noires, dont la chenille vit sur Fig. 215. — Parnassien Apollon. l'aubépine (Leuconea cratægi, le gaxéj, et dont la femelle a les ailes en partie dépouillées d’écailles, nous conduit aux parnassiens, habitants des mon- tagnes. Leurs noms rappellent les souvenirs du mont cher aux poëles, le mnémosyne des Alpes, l’a- pollon plus répandu, se rencontrant dans les monta- gnes moyennes , comme les sommets des Vosges, les hauts plateaux ou causses de la Lozère, etc. (fig. 215). Dans le nord de l’Europe, en Finlande, en Norwége, ce beau papillon descend dans les plai- nes. On dit que sa femelle vient parfois dans les 246 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. jardins de Besançon. Les chenilles des parnassiens vivent sur les saxifrages et s’entourent pour se transformer d’un léger réseau de soie, maintenant enroulées autour d'elles une ou plusieurs feuilles. Nous ne trouverons plus maintenant de chrysalides suspendues. Les chrysalides des parnassiens sont saupoudrées d’une efflorescence bleuâtre, sorte d'enduit cireux, comme les prunes. Les femelles” portent sous l'abdomen une singulière poche cor- née, d’un usage encore inconnu, et qui doit se rapporter à quelque particularité de leur ponte. C’est également dans un mince cocon soyeux que se transforment les chenilles des hespériens, papil- lons qui nous amènent naturellement aux anciens crépusculaires et nocturnes. Leur tête est élargie, leur thorax épais, leurs six pattes sont développées et robustes (fig. 216). Les ailes sont médiocres, et par suite le vol est peu soutenu el comme par sauts. En outre, | Fig. A6. ces ailes, lors du repos de Hespérie sylvain mâle. se f l’insecte, ne se dressent pas l'une contre l'autre perpendiculaires au corps; elles sont seulement relevées à demi. Le nom de ces papillons vient de ce qu’ils volent de préférence dans l'après-midi, On les rencontre sur le bord des grandes routes, dans les avenues des bois, sur les coteaux secs, etc. Les papillons, dont la grande majorité ne se montre qu'au crépuscule et à l'entrée de la nuit, avec d'assez fréquentes exceptions, ont les antennes LEPIDOPTÈRES. 247 de forme très-diverse. En outre, leurs ailes infé- rieures sont liées aux supérieures au moyen d’une sorte de crin roide, situé à l’insertion des secondes ailes et qui entre dans un anneau placé à la base des ailes de devant. En examinant un des grands sphinx de nos jardins de campagne, on verra très- bien cette disposition qui met les ailes en dépen- dance mutuelle. Au reste, en coupant cet organe; on ne rend pas le vol impossible, mais seulement de moindre durée et moins rapide. Dans une première série de ces papillons, les an- tennes sont élargies vers le milieu, puis amineies à l'extrémité, qui souvent se recourbe en crochet. Plusieurs types bien tranchés se montrent à notre observation. On prend d'habitude pour des hymé- noptères les sésies, à ailes vitrées et au vol rapide comme celui des mouches. On voit voler à l’ardeur du soleil un grand nombre de petites espèces de ce groupe sur les fleurs des prairies, sur les troncs des arbres, sur les groseilliers des jardins, etc. Il faut une grande habitude pour les reconnaitre et les saisir au filet. Les chenilles sont blanches ou rosées et se creusent des galeries dans l’intérieur des tiges ou des racines. La chrysalide est entourée d'une coque faite avec de la sciure de bois agglutinée, pro- venant des érosions de la chenille, tantôt au pied de lParbre, tantôt à l'entrée de la galerie où elle sait se hisser afin que le papillon sorte à l'air libre. La plus grosse espèce et la plus commune (Sesia api- formis) dévaste les jeunes plantations de peupliers (fig. 217). On voit facilement les entrées des galeries de la chenillle et les pelotes de parcelles de bois 248 LES MÉTANORPHOSES DES INSECTES. mouillées de salive qui en sont expulsées. On croi- rait à une guêpe-frelon quand on aperçoit le papil- lon posé sur les troncs de peuplier : même taille, même livrée ; les couleurs sont plus vives el males. Si on prent les sésies au sortir de la chrysalide, leurs ailes sont cou- vertes d’une fine poussière brune. Ce sont les écailles ordinaires des ailes des papillons, mais si peu attachées qu’elles tombent aux premiers coups d’aile de l’insecte. Le type de lépidoptère est conservé. Les prairies sont fré- quentées, de la fin du printemps au milieu de été, par des papillons à ailes brillantes, d'un noir velouté, avec des taches d'un rouge carmin. Ce Fig. 218. sont les xygènes, au vol Zygène de la filipendule. pesant et peu prolongé, immobiles pendant la grande chaleur du jour (fig. 218). Les chenilles sont épaisses, comme boursouflées , jaunâtres avec des taches noires. Elles se nourrissent de légumineuses et se chan- gent en chrysalides allongées dans un cocon aminei aux deux extrémités, ressemblant à un bateau, fixé dans sa longueur à une tige, lisse, Fig. 217. — Sésie apiforme femelle. LÉPIDOPTÈRES. 249 comme vernissé, jaunâtre où blanchâtre (fig. 219). Près des zygènes se placent les procris; qui vo- lent comme elles pendant le jour dans les prairies humides. Leurs ailes sont d’un beau vert brillant ou d’un bleu de turquoise. Les auteurs rangent souvent à la suite des pro- cris un genre de papillons à méta- morphoses très-curieuses, les héte- rogynis, dont les mâles et les femel- les ont les plus étranges dissemblan- ces. Les mâles sont des petits papil- lons gris, à antennes pectinées; les femelles ressemblent tout à fait aux chenilles, sans trace d'ailes, ayant six Fig. 219. très-petites pattes au thorax; ellessont FEV d'un jaune verdâtre avec des bandes noires. Les che- nilles filent un joli cocon, très-soyeux, un peu lâche, ovoïde, d'un jaune pâle, attaché à une tige de genèt, plante qui les nourrit. La chrysalide de la femelle est une sorte de sac brunâtre, renflé à l'abdomen. Du côté de la tête est un petit clapet que la femelle pousse après son éclosion. Elle sort de cette chrysa- lide etdu cocon, mais reste attachée postérieurement à celui-ci, près de l'orifice de la chrysalide demeurée dans l’intérieur du cocon. Elle se tient ainsi re- courbée, la têle en bas, attendant le mâle qui la cherche de son côté (fig. 220, 221, 2292, 293). Si on vient à la toucher, elle rentre dans la peau de la chrysalide pour ressortir ensuite. Quand elle à été fécondée, elle retourne définitivement dans la chrvy- salide et laisse retomber le clapet sur elle. Elle 250 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. s’enferme ainsi dans un sépulcre, qui doit être le berceau de sa postérité. Son corps se réduit beau- coup après la ponte d'un nombre énorme d'œufs jau- nâtres liés entre eux en cha- pelet par une humeur vis- queuse. Les petites chenilles restent quelque temps dans ce sac de la chrysalide et mangent l’humeur vis- queuse qui colle les œufs et même le cadavre rétréci de ANS leur mère. Ce n’est qu’au Fig. (920, 221, 922 25. — moment de leur première femelle ec et yat mue qu'elles percent la chry- mer salide et le cocon et se ré- pandent sur les feuilles de genêt. Nous devons à l'observation de M, de Graslin ces curieux détails reconnus sur l'espèce française, l’Heterogynis penella rencontrée dans différentes localités, au Vernet, daus les Pyrénées-Orientales, dans le département des Basses-Alpes, dans la Côte-d'Or, près de Dijon. Les sphinx ont reçu ce nom général d’après Patti- tude fréquente de leurs chenilles, redressant la moi- tié antérieure de leur corps et restant,ainsi long- temps immobiles, dans la position prèlée par les sculpteurs au monstre de la Fable, jetant sa terrible énigme aux passants. L’avant-dernier et onzième anneau de leur corps porte un appendice courhé simulant une corne. Elles se changent en chrysa- lides dans des coques de grains de terre ou de dé- bris de feuilles sèches, agglutinés par une salive LÉPIDOPTÈRES. 251 visqueuse et réunis par quelques fils de soie. Ces chrysalides sont ovoides, sans angles et deviennent promplement d'un brun marron. Nous citerons d'abord les smérinthes du peuplier et du tilleul, à ailes découpées, d’un vol faible, contre l'ordinaire de celte famille ; les macroglosses, doués au contraire Fig. 224. — Moro-sphinx butinant sur un pétunia. d'un vol rapide comme la flèche, ne laissant pas distinguer leurs ailes frémissantes. Pendant toute l'année, le moro-sphinx ou sphinx-moineau, à cause du faisceau de poils divergents qui termine son ab- domen à la façon d'une queue d’oiseau, butine en plein jour sur les fleurs de nos jardins (fig. 224).11 reste en vol stationnaire, devant chaque fleur, sans 252 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. s’y poser, c’est-à-dire qu'il contre-balance par la vibration continue de ses ailes l'action de la pesan- teur, ce qui est le cas des meilleurs voiliers seuls. En même temps sa longue trompe se re- courbant à angle droit avec son corps s'enfonce dans les corolles jus- qu'aux nectaires. Cette espèce parait pendant toute la belle saison, et au milieu de l’automne, entre souvent dans les maisons pour se réchauffer (fig. 295). Les sphinx proprement dits se trouvent le soir sur les fleurs, volant avec une extrême vitesse, avec un léger bruissement, plongeant dans les fleurs tubu- leuses une trompe aussi longue que leur corps. On tire leur nom de la nourritutue de leurs chenilles. L'un vit sur les pins, l’autre sur les troënes et les lilas, le troisième sur les liserons. De longues ailes antérieuresaiguës, à nuancesgrises, lesdistinguent. Les ailes inférieures du sphinx du troëne, ainsi que son abdomen, ont des bandes noires et roses. Le mâle répand une légère odeur musquée qui est bien plus forte dans le mâle du sphinx du liseron, où corne- bœuf. Les femelles en sont dépourvues. La chrysalide du sphinx du liseron a la trompe déjà très-visible. Les deiléphiles ont en général le vol un peu moins puissant. Les espèces les plus intéressantes sont le petit-pourceau et le sphinx de la vigne, à magnifiques couleurs d’un rose vif; le sphinx du laurier-rose, Fig. 225. — Sa chenille. LÉPIDOPTÈRES. 955 nuancé d’un beau vert, habilant PAfrique, l'Espa- gne, l'Italie méridionale, la Grèce, pays où croit naturellement le laurier-rose. Emporté par leur vol impétueux et s'aidant de courants atmosphériques, certains individus viennent pondre dans l'Europe centrale, et jusqu’en Angleterre, sur les lauriers- roses des jardins ; mais les papillons qui naissent dans ces contrées trop froides ne se reproduisent Fig. 226. — Deiléphile de l'euphorbe. pas. Les chenilles de ces trois espèces font rentrer la tête et les premiers anneaux du corps dans les suivants ornés de taches qui simulent des yeux. Les chenilles paraissent alors avoir un groin, ce quiles a fait appeler chenilles cochonnes. Le sphinx de l'eu- phorbe (fig. 226) a une chenille à peau comme ver- nissée, bigarrée de jaune et de rouge, ne craignant pas l’ardeur du soleil. Ainsi que plusieurs autres chenilles de deiléphiles, les petites chenilles de cette espèce mangent les peaux qu’elles viennent de quit- ter. Les chenilles du deiléphile vespertilion, ct aussi celles de l'espèce dont nous allons parler 25% LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. (Atropos), qui se cachent le jour, sont cependant attaquées par certaines mouches diurnes, les tachi- naires, qui savent bien les {rouver, et déposer sur leur peau des œufs d'où naïîtront des larves, entrant dans le corps des chenilles et les dévorant. Enfin Ja plus grosse espèce de sphinx est le cé- lèbre sphinx à têle de mort, présentant grossière- ment figuré en jaune clair sur fond noir un crâne humain dessiné sur son corselet. Il est souvent attiré par la lumière dans les appartements. Le mâle a les pattes de devant très-velues. Ce papillon fait entendre dans les deux sexes un eri aigu et plaintif, sortant probablement de la base de Pab- domen et qui parait lié chez lui à quelque sentiment de crainte. Ce chant un peu sinistre ne devrait réellement épouvanter que les abeilles; 1l a jeté souvent la terreur dans les populations , joint au lugubre emblème de l’insecte. Cette espèce, ori- oinaire des Indes, des iles Malaises, de l'Afrique, s’est répandue en Europe au siècle dernier, avec la pomme de terre sur les feuilles de laquelle vit de préférence son énorme chenille, de 0",12 de long, habituellement jaune et verte avec sept bandes transversales bleues et la corne grenue. Elle est parfois assez commune en Bretagne, et Réaumur nous rapporte que l'apparition du papillon ayant coincidé avec des maladies épidémiques, «il n’en a pas fallu davantage au peuple timide, toujours dis- posé à adopter des présages funestes, pour juger que c’était ce papillon qui portait la mort ou au moins qui était venu annoncer les maladies fatales qui régnaient. » Le nom scientifique du papillon, e, a chenill ète de mort ets Sphinx à ti 228. 227, Fig. Le LA bd La D: la : ce l 17 « A L U “À é y », : De | Fd 1 LAS ER + Li s ’ : ' Tu n Ê k F dre ; ” LR LÉPIDOPTÈRES. 957 Acherontia atropos, est au reste l'expression de ces terreurs populaires. Au dire du docteur J. Franklin, on croit, dans les campagnes de l'Angleterre, que l’Atropos est en rapport avec les sorcières et va murmurer à leur oreille le nom de la personne pour laquelle la tombe est près de s'ouvrir. « Quant à moi, dit-il, j’éprouve pour ces animaux, longtemps méconnus, voués à l’anathème universel, associés par la superstition au principe du mal, le même sentiment de miséricorde et de respect qui saisit le cœur de l'historien à la pensée des races humaines maudites. L’atropos, si sombre que soit sa livrée, ne vient point des rives de l’Achéron; 1l vient des sources divines de la vie. Le doigt de la nuit, et non celui de la mort, a marqué sur lui son em- preinte. Il n'apporte pas aux hommes de mauvaises nouvelles de l’autre monde ; 1l Leur apprend que la nature a voulu peupler toutes les heures et consoler celles du crépuscule, en leur fournissant des com- pagnes ailées. » Le sphinx à tête de mort est réellement un pa- pillon qui chante. On peut encore donner, moins exactement, cette qualification à d’autres papillons qui sont munis d'appareils de stridulation non sans rapport avec ceux des cigales. Tels sont lécaille pudique, du midi de la France, et plusieurs espèces des montagnes du genre Setina (fig. 229, 250). Ce sont vraiment des papillons timbaliers. Sur le der- nier anneau du thorax on voit une large membrane blanchätre, triangulaire, recouvrant une cavité sans communication avec l’intérieur du corps, sans tendon ni battant agissant sur la membrane. C’est 17 258 LES METAMORPHOSES DES INSECTES. du dehors, à reconnu le docteur Laboulbène, que vient le coup sec qui fait vibrer la membrane sèche et parcheminée, tendue sur la vésicule pleine d'air. Ce sont de petites percus- sions des cuisses des pattes postérieures ou des pres- sions latérales rapides des genoux. D’après de Villiers, qui à découvert en 1833 le son de lécaille pudique, on dirait le bruit d’un mé- üer de fabricant de bas. M. Guenée, en 1861, à fait Fig. 229, 950. — Appareils sui, CONNaÎlre un acte analogue dulants des Chelonia pudica chez les Setinu, où le son et Selina aurita. ; RS : produit unite le tic-tac d’une montre ou les pulsations des vrillettes, ces petits coléoptères des bois ouvrés s’appelant la nuit, d’un sexe à l’autre, en frappant contre les cloisons avec leur tête ces coups secs qui leur ont valu le nom d'horloges de la mort. Dans nos papillons ces organes de stridulation servent, comme il est d’usage chez les insectes, à des appels pour la reproduction, car ils sont plus développés chez les mâles que chez les femelles. Ces derniers papillons appartiennent aux bom- bycides caractérisés par la forme de leurs antennes, simulant des dents de peigne, surtout chez les mâles, et par l'imperfection de leur bouche. A l’état adulte, ils ne mangent pas et ne vivent que peu de jours, uniquement occupés de perçétuer leur es- pèce. Enfin les chenilles de ces insectes sont par LÉPIDOPTÈRES. 959 excellence les productrices de soie et s'entourent de cocons pour devenir chrysalides. À ce titre, la première place revient au ver à soie (Sericaria mort). Son origine, perdue dans une haute antiquité, est encore incertaine. Il à dû exister sauvage et existe sans doute encore dans les forêts du centre de la Chine, de la Perse, des pentes de l'Himalaya. Selon l'opinion la plus répandue, la couleur primi- tive des cocons était le jaune, et on voit de temps à autre reparaître cette couleur dans les races à co- cons blancs. De même, les couvées des serins do- mestiques, qui sont des albinos, reproduisent par- fois le type vert des iles Canaries. IL semble, chez toutes les races domestiques, que des souvenirs de l'état primitif, perçant la nuit des âges, reprennent une influence intermittente sur la loi mystérieuse de la génération. Des auteurs regardent les vers noirs, appelés moricauds où bouchards, et qui sont très-robustes, comme le type premier de l'espèce. La domesticité aurait blanchi la chenille, puis sa soie, par une véritable dégénérescence. D’autres pensent qu’il y a deux espèces très-voisines, l’une à soie jaune, l’autre à soie blanche, confondues par de très-anciens croisements. Ces ‘incertitudes, qui tiennent à l’antique domestication du ver à soie, justifient tout à fait l’heureuse expression de M. Guérin-Méneville : « Le ver à soie est le chien des insectes. » L'influence de l'homme a dépouillé cet animal de toute force, de toute volonté, à la façon du mouton, si éloigné aujourd’hui du mouflon. Le ver à soie ne peut plus se tenir sur les feuilles incli- TS PS .\ 26) LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. nées et mobiles du müûrier en plein air, agité par le vent ; il n'a plus ladresse de se cacher sous les feuilles pour éviter l’ardeur du soleil et échapper aux ennemis des chenilles. La femelle demeure immobile : à peine si elle sait remuer les ailes; le mâle tourne autour d’elle en voletant, sans quitter le plan d'appui. Il est certain que le ver à soie sau- vage doit avoir un vol énergique à la façon des bombyx silvestres. M. Martins a reconnu, à Mont- pellier, qu'après trois générations d'élevage en plein air, les mâles avaient repris la faculté de. voler. Les vers à soie, nommés magnans dans le midi de la France, présentent dans leur existence les phases qui caractérisent tout lordre des lépido- nu ptères. On fait éclore les œufs lorsque la feuille du | müûürier est assez développée. Autrefois on déter- minait cette éclosion par la chaleur du fumier ou M celle du corps humain; on se sert maintenant de chambres d’incubation échauffées par des poêles. Quand le ver est sur le point d’éclore, la loupe per- « met de voir son bec noir commençant à user lente- ment la coque. Les éclosions se font à toutes less heures, mais principalement et dans une proportion considérable de cinq à dix heures du matin, et Ja“ plus grande partie de cinq heures à sept heures, uni-« formité fort commode pour le premier travail de la magnanerie où atelier de l'éducation des vers à soie. On nomme âges du ver à soie les périodes de son existence séparées par des mues. Prenons une édu cation dans une bonne condition de température," à 19°, et non à de trop hautes températures ; elles LÉPIDOPTÈRES. 961 mont en effet augmenté le profit des éleveurs par la rapidité du développement qu’en affaiblissant les races et les prédisposant à la redoutable épidémie qui menace aujourd'hui d'anéantir cette mdustrie capitale de la France, et qui a provoqué les plus justes alarmes au sein des pouvoirs publics. Le premier âge comprend cinq jours, le second quatre, le troisième six, le quatrième sept; le cinquième dix. Ces âges sont séparés par des périodes où le ver à soie reste immobile et sans prendre de nour- riture, le corps à demi relevé, comme les chenilles de sphinx, auxquelles il ressemble par sa tête petite, son premier anneau très renflé, et l’avant- dernier muni d’une corne. Les magnaniers n'ont Fig. 251 et 232.— Vers à soie en position de mue et sa tête. aonc pas besoin de donner de feuille de mürier dans chaque jour de passage d’un âge à l’autre, et c’est .ce qui explique la grande importance d’une égalité parfaite dans l'éducation des vers. On laisse jeûner les premiers éclos pour assurer celte précieuse et économique uniformité de transformations. La tête de la chenille, qui ne grossit pas, parait allongée et noire au moment d’une mue ; elle est au contraire grosse et peu foncée après la mue. Le ver jette au- tour de lui des fils qu'il attache comme supports aux objets voisins, et, appuyé sur ces fils, il sort de * 262 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. son ancienne peau, qui sc fend au milieu du dos. Nous avons pu constater que, dans ces sommeils, la température de la surface du corps du ver devient celle du milieu ambiant et peut même tomber un peu au-dessous, pour se relever un peu au-dessus | dans les frèxes ou périodes de voracité. Au premier âge, le ver à soie est noir, poilu, puis de couleur noisette au moment où va s’opérer la première mue. Pour commencer l’éducalion, on a jelé sur les œufs en train d’éclore des bourgeons de mürier qu'on ramasse bientôt chargés de petits vers; ou mieux, on verse de la feuille finement hachée sur des papiers percés de petits trous dont on recouvre les œufs dans la chambre d’incubation. Cette feuille hachée convient aux premiers âges, car elle évite de la fatigue aux jeunes chenilles, en multipliant les bords artificiels. En effet, à l'exception de très- petites espèces de papillons dont les chenilles minent le parenchyme des feuilles, les chenilles sont dans l'habitude de manger les feuilles des arbres en partant du bord : ce sont les coléoptères ou les limaces qui dévorent les feuilles dans linté- rieur du limbe. Au second âge, le ver parait gris, presque sans. duvet, puis blanc jaunâtre, et on voit se dessiner les croissants sur les second et cinquième anneaux de l'abdomen. Il n’y à plus aucun poil au troisième âge, et le ver devient d'un blanc terne qui va tou- jours en s’éclaircissant. Pour le nourrir et enlever en même temps la litière sans blesser les vers (délitage), on place les feuilles fraiches sur des filets ou sur des papicrs percés de trous proportionnés à LÉPIDOPTÈRES. 265 la grosseur de la chenille. Les vers passent à travers les interstices pour gagner les feuilles; on les en- lève alors d'un seul coup et on se débarrasse des litières putrides. Au quatrième âge, on opère le dédoublement , c'est-à-dire on transporte une partie des vers sur de nouvelles tablettes pour leur donner plus de place, et, par suite, plus d’air. Le cinquième âge est celui de la plus grande voracité de ces insectes. Au septième jour de cet âge, leur faim est insa- tiable: c’est la grande frèze ou briffe, la furia des Italiens. En ce jour, les vers issus de 50 grammes de graine (œufs) consomment en poids autant que quatre chevaux, et le bruit de leurs mâächoires res- semble à celui d'une forte averse. A la fin de cet âge se fait la montée. Le ver, prêt à filer, va récom- penser le travail et la dépense du magnanier. On voit les vers grimper sur la feuille sans la mordre et dresser la tête; leur corps devient translucide, de la couleur d’un raisin blanc très-muür, mou comme de la pâte. Les anneaux se raccoureissent, la peau du cou se ride. Enfin, la plupart des vers trainent après eux un long fil sorti de leur bouche. La soie, que le ver produit toute sa vie, provient de deux longues glandes occupant toute la longueur du corps, et dont la couleur, dans les races à cocon jaune, se voit à travers la peau. Le fil est formé de deux fils, tordus ensemble par la chenille avant de sortir par la filière, au moyen de petits muscles. On peut, en effet, parfois, au moyen d’eau de sa- von, dédoubler le fil en deux fils presque invisi- bles. 264 LES METAMORPHOSES DES INSECTES. Les glandes à soie ne contiennent pas un peloton de fil qui se déroulerait, mais une matière vis- queuse qui se solidifie dans l’intérieur même de la bouche du ver. Quand on voit l’animal se raccour- cir, ce qui indique qu'il ne donnera qu'un très- mauvais cocon ou deviendra tapissier, c'est-à-dire ne fera qu'un enduit plat de sa soie, on le fait ma- cérer dans du vinaigre et on tire de sa bouche les deux glandes à soie, qu’on crève. Il en sort un filet visqueux qu'on allonge tant qu’on peut en le main- tenant à l'air pour qu'il se solidifie. On obtient ainsi ces fils si résistants, servant à attacher lha- meçon à la ligne, et qu’on nomme fils de soie, fils de Florence. A l’état sauvage, le ver à soie établissait son co- con dans les branches mêmes du mürier. Domesti- que, il ne procède pas autrement. Il faut donc lui donner des moyens d'attache. Ce sont des branches de bruyère, de genêt, de buis, des tiges de colza ou de chicorée sauvage, etc., des bottes de paille, ou, enfin, ce qui vaut mieux, des sortes d’échelles de petites planchettes parallèles, entre lesquelles il y a place pour un cocon (coconnières Davril). Le ver à soie commence par jeter des fils rameux çà et là pour accrocher le cocon; c’est la bave. Puis ül reimue constamment la tête en décrivant des tours ovales, et forme son cocon d’un fil continu, mais non homogène, pouvant atteindre environ 4,000 mètres de longueur, de sorte que quarante mille cocons permeltraient d’entourer le globe terrestre d’un fil de soie. Les premières couches sont flocon- neuses, s’enlèvent facilement et forment Ia bourre, LÉPIDOPTÈRES. 965 qui, cardée avec les déchets du filage, donnera la fantaisie ; vient ensuite la soie proprement dite, qui doit être dévidée sur le tour et former la soie grége, et enfin un tissu interne si serré qu'il n’est qu’une pellicule. Il finit par n’être plus dévidable, et cela d'autant plus tôt que l’ouvrière fileuse est moins adroite. Le fil du cocon est maintenu accolé dans tous ses replis par une sorte de glu naturelle, bien moins tenace et épaisse que celle qu’on trouve dans beaucoup de cocons de bombycides. L'eau bouil- lante décolle les fils et permet Ie dévidage. Le plus grand nombre des races de vers à soie font des cocons jaunes, et d’autres des cocons blancs. Il en est à cocon jaune pâle ou soufré, ou blanc verdâtre (céladons); en Chine, dit-on, il y a des races à co- cons tout à fait verts. On connait aussi des cocons de couleur nankin ou jaune roussâlre ; une race, élevée en Toscane près de Pistoie, a des cocons d’un rose pâle; enfin, on a fait mention de cocons cou- leur de pourpre. Le ver à soie met trois ou quatre jours à filer son cocon sans muer ; seulement ses anneaux se resser- rent, et il se raccourcit beaucoup, outre la perte de poids qu'il subit à mesure que se vident ses glandes à soie. Au bout de deux ou trois jours, 1l se change en chrysalide (cinquième mue), c’est-à-dire passe au sixième âge. On opère alors le déramage des co- cons, on les détache de leurs appuis et on se hâte de les vendre à cause de la perte de poids. En effet, le cocon n'empêche pas complétement l’évaporation de la chrysalide. Son rôle harmonique est de dimi- nuer celte évaporation et Le refroidissement super- 266 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. ficiel qui en résulte. Comme nous l'avons constaté sur beaucoup d’espèces de chrysalides à cocon, au moment où on les en retire, elles sont toujours no- tablement plus chaudes que Pair ambiant; puis, mises à l'air, la température de leur surface s’a- baisse promptement à celle de l'air qui les entoure et même au-dessous, à mesure que l’évaporation superficielle amène des pertes de poids croissantes. Le septième âge, qui succède à la sixième mue ou éclosion de la chrysalide, est l’âge adulte ou de reproduction du ver à soie (fig. 259). Les chrysa- lides éclosent au bout de quinze à vingt jours après la confection du cocon. Celles du ver à soie, comme celles de toutes les espèces à cocon fermé, ont à la tête une vésicule, découverte par M. Guérin-Méne- ville, et contenant un liquide qui permet au pa- pillon d’écarter les fils de soie en les décollant, afin de se frayer un passage. Les bombycides à cocon très-lâche ou ouvert naturellement à un bout man- quent de cet organe. Les cocons percés n'ont pas le fil coupé, car la bouche du papillon n’a aucune par- tie tranchante, mais aminci et dissocié. Ces cocons non dévidables sont cardés et servent à faire la filo- selle. En général, les cocons mâles sont de dimension moyenne et étranglés au milieu ; les cocons femelles sont plus gros, plus renflés, plus arrondis aux extré- milés. Les cocons de choix, réservés pour la ponte, sont placés dans une chambre où la température varie de 21° à 24°, et on a soin de les attacher, afin que les papillons ne puissent les entrainer. Ils éclo- sent le matin (comme les œufs), de cinq heures à huit heures. On établit l'obscurité autour d'eux, car Fig. 255. — Ver à soie à ses divers états. re: LÉPIDOPTÈRES. 269 ces papillons nocturnes seraient blessés par l'éclat du jour et se fatigueraient en agitant leurs ailes. On met les mâles à part dans une boite, puis on les réunit aux femelles après que, les uns comme les autres, se sont vidés d’un liquide de couleur nankin. On fait enfin pondre les femelles fécondées sur des toiles ou sur des cartons (procédé chinois et japo- nais suivi à la magnanerie expérimentale du Jardin d'acclimatation). Les œufs sont d’abord d’un jaune tendre, passant, en huit à dix jours, au jonquille, puis au gris roussätre, et enfin au gris d’ardoise, avec une légère dépression au centre. On conserve les toiles ou les cartons à œufs dans des filets qu’on suspend dans une chambre où la température ne doit pas dépasser 18°. Au reste, ces œufs, bien que la petite chenille y soit formée de très-bonne heure, peuvent supporter sans périr une chaleur de 50° et les froids les plus rigoureux de nos hivers, et même de la Sibérie, comme l'expérience en a été faite pour des graines chinoises venues par caravane. Au printemps, quand la température commence à s'éle- ver, on porte la graine à la cave ou à la glacière, de peur d'éclosions prématurées. On a depuis longtemps créé en Italie une race spéciale, dite trivoltine, à peine connue en France, en choisissant pour la reproduction des vers hâtifs qui accomplissent leurs évolutions en trois mues au lieu de quatre. L'éducation a alors une moindre du- rée, mais la soie est médiocre. Dans les pays chauds existent des races de vers à suie à plusieurs généra- tions dans l’année. Les autres bombycides à cocons soyeux présen- 270 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. tent, les uns des chenilles munies de {ubercules surmontés d’épines, les autres de longs poils. Les deux principales espèces du premier groupe, origi- naires de l’Europe, sont le grand paon de nuit et le petit paon, à cause des taches arrondies et vitrées de leurs ailes (fig. 254, 255,256). La première es- pèce, le plus grand papillon d'Europe, ne dépasse Fig. 254. — Petit paon de nuit, femelle. gucre la latitude de Paris. Introduit par des ama- teurs dans le département du Nord, il a bientôt dé- péri. ILest très-commun dans tous les environs de Paris, vit sur les arbres fruitiers de sa banlieue, sur les platanes du chemin stratégique des fortifica- tions, etc. La seconde s'étend plus au nord, existe en Angleterre, se nourrit sur le prunellier, l'aubé- pine, l'orme, le charme. Dans ces deux insectes, la chenille se file un cocon en forme de nasse, ouvert naturellement à un bout pour la sortie du papillon. Elle ne casse nullement le fil à eet orifice de sortie, LÉPIDOPTÈRES. 271 comme on l'a cru autrefois, mais le replie; on la voit, par un mécanisme différent du ver à soie, transporter continuellement sa têle d'une extrémité à l’autre du cocon. La chrysalide manque de la vési- cule destinée à la liqueur pour percer le cocon ; elle était inutile dans ces espèces à cocon ouvert. Leurs cocons sont trop incruslés pour être dévida- bles. L'Allemagne nous présente en outre le paon Fig. 255. Fig. 256. Chenille du petit paon de nuit. Son cocon. moyen; une autre espèce, à ailes jaunes, est spé- ciale à la Dalmatie. Enfin, dans le centre de l'Espa- one, vit une rare et magnifique espèce, à ailes d’un vert d’émeraude, avec d’épaisses nervures rougeà- tres, découverte en 1848, et dédiée à la reine Isa- belle. Elle conservera ainsi, dans le paisible domaine de la science, un rang à jamais incontestable. Quel- ques personnes seules connaissent exactement les localités de cette espèce et l'arbre qui la nourrit ; mais elles gardent le secret avec soin. Aussi une LL 972 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. paire de ces papillons s’est vendue 250 francs. Nous figurons, pour la première fois en France, le mâle, si curieux par les longues queues un peu tordues qui terminent ses ailes inférieures (fig. 237). Dans tous ces Attacus d'Europe, les antennes du mâle sont bien plus pectinées que celle de la femelle. Les antennes sont à peu près également fournies dans les deux sexes de deux races ou espèces, à cocons ouverts, employés pour leur soie grise, plus crossière que celle du ver du mürier. Ce sont les Atiacus du ricin et de Pailante, le premier de l'Inde, le second du nord de la Chine. M. Milne Edwards éleva le premier au Muséum, en 1854, le ver du ricin, abandonné aujourd’hui en France, à cause de ses générations trop rapprochées et de l’impossibi- lité de le nourrir en hiver. Quant au ver de Pai- lante, dont on doit lintroduction en France à. M. Guérin-Méneville, en 1858, 1l n’a d'ordinaire que : deux <énérations par an. Le cocon commence à être dévidé en soie grége. On peut dire qu'il est tout à fait acclimaté aujourd'hui. On a pu voir, à l’ex- position des insectes de 1865, un nombre considé- rable de ses cocons et une vaste cage de toile pleine de papillons dus aux remarquables éducations de M. Givelet, en son château de Flamboin (Seine-et- Marne). On trouve maintenant de ces papillons, échappés aux éducations, venant voler autour des ailantes, dans les jardins de Paris, pour y déposer « leurs œufs. L'Asie donne également à l'industrie trois vers à soie du chène, de l'Inde, de la Mandchourie, du Japon, à cocons fermés, dévidables comme ceux 13 1belle, mâle ; sa chenille. d Fig. 257, 258. — Allacus de la reine Is LÉPIDOPTÈRES. S Lo 15 du ver à soie du mürier. De très-intéressantes ten- talives se sont faites dans ces dernières années pour introduire en France l'espèce japonaise (Attacus yama-mai), à cocon d'un blanc verdätre, ressem- blant aux céladons. En Autriche, M. de Bretton élève cette espèce et la fait reproduire depuis 1863. Il y a là le germe d'une bien précieuse conquête. L'intérêt qu'offre cette espèce si importante nous fait un devoir d’un figurer les divers états. Le pa- _pillon est dessiné un peu réduit en taille (fig. 239, 240, 241). C'est au Muséum que furent essayées les premières éducations, en France, de l'Attacus Cecro- pia, par Audouin, puis par MM. Lucas et Blanchard. Cette espèce, des régions méridionales de l’'Améri- que du Nord, se nourrit volontiers d’aubépine, de pommier et surtout de prunier. La Guyane, le Sénégal ont aussi des espèces à cocon utilisable. - Les bombyx proprement dits ont des chenilles très-velues. Nous voyons les papillons de plusieurs espèces parcourir nos bois d’un vol rapide, avec de fréquents crochets. Le plus commun, celui du chêne, n’a qu'un cocon de couleur brune, commeune sorte -de gros papier. Le Bombyx de la ronce, dont la che- nille se roule dès qu'on la touche, ce qui l’a fait appeler anneau du diable, présente un cocon plus -soyeux, mais bien trop pauvre encore pour nous servir. Le même genre est beaucoup plus favorisé Len soie à Madagascar, et plusieurs espèces sont uti- lisées par les Hovas. Elle vivent sur un cytise, 'am- 1 Voy. les Auxiliaires du ver à soie, Paris, 1864, J.-B. Baillière et Fils. \ 276 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. brevate, et pourront être acclimatées à l'ile de la Réunion. Les cocons sont remplis de poils de la chenille ; il faut s’en débarrasser par des lessives bouillantes, puis les carder. La soie est inaltérable, et les Hovas couvrent leurs morts de vêtements de cette soie. Les chrysalides servent encore à un cu- rieux usage ; on les mange frites ou bouillies. Lors de la réception de ambassade française envoyée au couronnement du malheureux Radama Il, le docteur Vinson rapporte que le fils du roi, enfant de dix ans, présent à l’audience, mangeait de ces chrysalides avec un grand plaisir. Les chrysalides du ver à soie sont aussi employées à l'alimentation dans plusieurs provinces de la Chine. Les bombyx ont des espèces qui vivent en société dans d’immenses toiles de soie filées en commun, et où chaque chenille, parvenue à sa croissance, se file en outre un cocon particulier. À Madagascar, au Mexique, on a cardé la soie sauvage de certaines de ces espèces. Nos bois de pin et surtout les forêts. de chêne offrent en France deux espèces de mœurs analogues. Celle du chêne est appelée la Procession- naire, parce que le soir les chenilles sortent du nid commun en véritable procession, une en tête, suivie de files qui augmentent d’une chenille àchaquerang, jusqu'à une largeur égale à l'entrée du nid. Ces chenilles sont très-velues, et les poils se détachent, volent de toute part, pénètrent dans la peau, pro- duisant des rougeurs, des cuissons comme lesorties, au point de donner la fièvre à certaines personnes. Ce sont là les prétendues chenilles venimeuses, si redoutées dans les bois des environs de Paris, dans gl 7) \\ a Fig. 259, 240, 241. — Cocon du ver du chène, chenille et papillon de ce ver à soie du chêne du Japon. LÉPIDOPTÈRES. 979 les années où les bourses abondent, collées au tronc des chênes. Dans l’année 1865, plusieurs allées du bois de Boulogne furent interdites aux promeneurs pour cette cause. Ces poils urticants empêchent de faire aucun usage des toiles. Enfin rien de plus com- mun que le Bombyx neustrien, dont la chenille est nommée la livrée, à cause de ses lignes longitudi- nales, de diverses couleurs. Les œufs sont pondus en bracelets autour des branches, et éclosent au printemps, aux premiers bourgeons. Accidentelle- ment, si on les garde chez soi, à la chambre, sous- (raits au froid de l'hiver, on voit la chenille sortir de l'œuf en octobre ou en novembre. Cette chenille de la livrée se file un mince cocon blanc, saupou- dré d’une poussière comme de la fleur de soufre. Les Liparis sont très-nuisibles aux arbres. Une espèce à ailes blanches (L. chrysorrhea) dévaste les plantations des pro- menades parisiennes. Les petites chenilles, nées à la fin de l’au- ) tomne, assemblent des Liparis nn ris mäle, paquets de feuilles avec des fils de soie pour y passer l'hiver. Elles se dis- persent au printemps. Les femelles des liparis s'arrachent les poils roux de leur abdomen et en font un moelleux duvet autour de leurs œufs, pour préserver du froid ces enfants qu’elles ne verront jamais, car leur mort suit la ponte. Sur nos bou- levards extérieurs nous trouvons sur le tronc des ormes des plaques d'œufs du L. dispar passant 280 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. l'hiver sous cet abri protecteur. Les mâles de cette. espèce sont bien plus petits que leurs énormes fe- melles immobiles. Les bombycides ont certaines chenilles des plus bizarres, où les pattes anales se sont changées en prolongements fourchus, qu'elles agitent d’un air Fig. 245, — Chenille de Dicranura erminea. de menace et qui paraissent destinés à chasser les insectes hostiles, cherchantà pondre sur leur corps. Telles sont les chenilles du genre dicranure (fig. 245) etcelles de la harpie du hêtre, d’un aspect si étrange, qu'on hésite d’abord à y reconnaitre une chenille (lg. 244). Les papillons n’ont au contraire rien de remarquable. Il y à quelques bombycides dont les chenilles vivent dans l’intéricur des bois. Les femelles ont LÉPIDOPTÈRES. 28] alors l'abdomen très-prolongé en pointe pour pondre dans les cavités des écorces. Ainsi le cossus güûte-bois, Fig. 244. — Chenille de harpie du hêtre. à chenille rougeätre, comme cuirassée, d’une odeur très-désagréable , ronge l'intérieur des saules et Tig. 245. — Zeuzère du marronnier, femelle. d'autres arbres ; ainsi la coquette ou Zeuxère du mar- ronnier d'Inde, qui vole le soir dans nos Jardins 282 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. publics (fig. 245), vit à l'état de chenille dans l’ar- bre qui donne son nom à l'espèce. Les femelles des bombycides sont en général aussi lourdes et paresseuses que les mâles sont vifs et agiles. Bien plus, il en est qui n'ont que des rudi- ments d'ailes et sortent seulement sur le bord du cocon. Ce sont les orgyes (fig. 246, 247). Nous voyons souvent, dans les rues de Paris à jardins, voler, en septembre et octobre, le mâle à ailes Fig. 246, 247. — Orgye antique (mâle et femelle). fauves de lorgye antique. Les femelles perdent com- plétement les ailes chez les psychés. Elles ressem- blent tout à fait aux chenilles et en général ne sortent pas du fourreau de celles-ci. Leurs chrysa- lides n'ont aucune marque d'ailes. Les chenilles ont les anneaux du thorax assez durs et à pattes agiles (fig. 248, 249) ; les autres anneaux sont très- mous et leurs pattes ne servent qu’à retenir des brins d'herbes, de feuilles, des morceaux d'écorce, ele., avec lesquels la chenille se fabrique un four- LÉPIDOPTÈRES. 985 reau protecteur , toujours hérissé et de forme spéciale, ainsi que la nature des matériaux, suivant des espèces. Les mâles, à antennes pectinées, sont Fig. 248, 249. Fig. 250. Chenille de Psyche du gramen Psyché du gramen et de Psyche radiella. mâle, d’un gris noirâtre et volent très-vivement (fig. 252). Un très-nombreux groupe de papillons est con- stitué par les noctuelles. Les papillons ont, en géné- ral, les ailes supérieures sombres, avec des taches au milieu en forme de rein, et les inférieures très- variablement colorées, parfois rouges ou jaunes, souvent blanchätres. Ils volent presque tous le soir, sont pourvus d’une trompe pour sucer le miel des fleurs. Les chenilles, lisses ou très-peu velues, se cachent pendant le jour, vivent le plus ordinairement de plantes basses, parfois de racines et sont alors très-nuisibles à nos cultures. Elles ont presque toujours seize pattes. Il en est qui se dévorent entre elles. Les unes s’entourent d’un léger cocon pour devenir chrysalides, et d’autres s’enfoncent dans la terre meuble (fig. 251). Nous représentons, comme exemple de ce type, une es- 284 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. pèce qui vit sur les pins et qui leur nuit dans cer- tains pays. On la trouve près de Paris, mais pas très-commune. Fig. 251. — Trachea piniperda à ses divers états. Bien plus singulières sont les chenilles qu'on nomme arpenteuses où géomètres. En général, outre les six paltes du thorax, elles n’ont plus que quatre LÉPIDOPTÈ ES. 985 pattes de l’abdomen, y compris les deux autour de l'orifice anal. Quand elles veulent avancer, elles fixent d'abord les pattes de devant, puis rappro- chent les pattes postérieures en formant une boucle avec leur corps. Elles paraissent ainsi arpenter le sol sur lequel elles marchent. Souvent elles restent immobiles des heures entières, dressées sur leurs pattes dederrière, leur corps simulant tout à fait une baguette (fig. 252). Les chrysalides sont le plus ha- bituellement dans la terre. Les papillons ont des ailes délicates, ornées parfois de riches couleurs et en général horizontales au repos. On les nomme spécialement phalènes. Nous figurons une belle es- pèce du début du printemps (fig. 255). 286 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. On peut appeler certaines phalènes les papillons de l’hiver. On ne se doute guère que des papillons Fig. 253, — Amphidasys prodromaire. volent par les soirées brumeuses du mois de no- vembre. C’est pourtant ce qui arrive aux mâles des hibernia. Deux espèces, la phalène défeuillée et la Fig. 254. Fig. 255. Phalène défeuillée mâle Phalène défeuillée femelle. phalène hyémale, sont fort communes. La femelle de la seconde n’a que des ailes très-petites, tout à fait impropres au vol (fig. 256, 257); celle de lau- tre, entièrement aptère, marquée de taches noires sur le dos, à abdomen pointu, ressemble à une araignée allongée (fig. 254, 255). On les trouve fa- cilement, au commencement de novembre, dans une singuhière stalion, sur les candélabres à gaz de certaines promenades publiques, par exemple des _ mois de mars, la Nyssia zona- LÉPIDOPTÈRES. 287 routes du bois de Boulogne, soit qu’elles aient grimpé, attirées par la lumière, soit que les mâles ailés les y transportent. En février et mars appa- Fig. 256. Fig. 257. Phalène hyémale, mâle. Phalène hyémale, femelle. raissent d’autres espèces analogues. On peut citer parmi elles, comme type nouveau de femelles sans ailes, la phalène æsculaire, à femelle cylindrique, couverte de brosses de poils étagées, dont l'abdo- men se termine par une houppe (fig. 258). Nous trouvons aussi près de Paris, dans les prairies qui entou- rent le confluent de la Seine ct de la Marne, à la fin du ria, dont les mâles restent pendant le jour immobiles sur l'herbe; les femelles à moi- (( gnons d’ailes sont très-poi- Fig. 258. lues. Les mâles volent le soir Phalène æsculaire femalle. en rasant l'herbe. Nous représentons cette espèce qui malheureusement va disparaître tout à fait près de Paris, car ces prairies sont envahies par les constructions et livrées à la culture maraichère. Les derniers papillons sont de très-petite taille. 288 LES MËTAMORPHOSES DES INSECTES. Leurs écailles semblent une imperceptible poussière que délache Le moindre contact. Les chenilles de ces délicates espèces, tantôt roulent les feuilles en WA VI {v, L j A à \ EX TA: J } NC (] NN \ Ki SL = SN NE RSS TR LAN CE - Fig. 259, 260. — Nyssia Zonaria, mâle et femelle. attachant leurs bords avec de la soie, tantôt minent leur parenchyme, n’attaquant que la matière verte, trop faibles pour manger les nervures (fig. 261). Il Fig. 261. Fig. 262. Œcophore du prunier, très-grossie. Teigne des draps, très-grossie. en est qui vivent à l’intérieur des pommes ou des poires (fruits véreux), des châtaignes, des glands. On donne en général le nom de teignes à ces insec- tes. Les chenilles courent très-vite, se tortillent en tous sens dès qu’on les touche. Il en est deux espè- ces qui vivent des grains de blé, deux qui dévastent les vignes. Certaines de ces chenilles se nourrissent LÉPIDOPTÈRES. 259 de matières animales. Les galleries chassent les abeilles des ruches et mangent la cire dont les rayons sont pénétrés de leurs fils soyeux. Une cha- leur considérable, sensible à la main, se dégage des gâteaux envahis par ces larves voraces. Beau- Fig. 265. — Drap rongé. coup de chenilles de teignes s’abritent sous des Fig. 264. Fig. 265. Teigne du drap marchant. Fourreau suspendu. fourreaux qu’elles traînent avec elles. Telle est la teigne des draps, qui accroit son fourreau à mesure qu'elle grandit en y mettant des pièces de laine 19 290 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. (fig. 265, 264, etc.). En lui donnant à manger des étoffes de laine de diverses couleurs, on finit par lui voirun véritablehabit d’arlequin.Nousreprésentons, en figures grossies, les chenilles qui attaquent le drap dans diverses attitudes. La feigue des pelleteries se comporte de mème. Dans nos bois, beaucoup de à / \ \ Fig. 266. — Adèle de de Géer, très-grossie. icignes ont des fourreaux lisses, d'une sorte de carton grisätre : ainsi les petites chenilles des adèles (fig. 266), dont les adultes, ornés des plus riches couleurs métalliques, lorsqu'ils sont rassem- blés dans les matinées de printemps sur les buis- sons, ressemblent à des émeraudes ou à des amé- thystes élincelantes. Les antennes démesurtes des LÉPIDOPTÈRES. 291 mâles, comme des fils d'argent, les gènent pour leur vol, toujours lent et oblique. Il est des teignes dont les chenilles s’entourent de plusieurs étages de parcelles de feuilles en forme de collerettes. Réau- mur les nommait les teignes à falbalas (fig. 267). Remarquons aussi des papillons frappés de dé- gradation organique, ayant les ailes divisées en es- pèce de plumes. Leurs chenilles, à seize pattes, sont couvertes d'un duvet court et serré; la plupart s'attachent, pour se transformer, par la queue et par un lien autour du corps. Les chrysalides res semblent beaucoup aux chenilles, dontelles gardent Fig. 267. Fig. 268. Chenilles à fourneaux Ptérophore pentadactyle. d'une coléophore. la-couleur et la villosité. Une espèce fort commune dans les jardins, au bord des chemins, le long des haies, est le ptérophore pentadactyle, d’un beau blanc de lait (fig. 268). Une autre espèce, assez fréquente contre les vitres à l’intérieur des maisons de campagne, est l’or- néode hexadactyie, dont les ailes ont l'apparence d’un éventail étalé, à douze divisions. La chenille vit pi, 969. _ Grnéode sur le chèvrefeuille des jardins hexadactyle. et se fileun petit cocon à claire-voie (fig. 2C9). CHAPITRE VIT | DIPTÈRES Les cousins, larves et nymphes, éclosion en bateau. — Les moustiques. — Les tipules. — Le vermilion et ses piéges. — Les volucelles. — Les mouches des viandes ét des cadavres. — La mouche qui tue les forçats à Cayenne. — Les mouches des squelettes. — Les mouches ennemies des chenilles. — La mouche tsetsé, fléau de l'Afrique cen- tale. — Les œstres, leurs larves à l'intérieur des chevaux et des mou- tons. — Les mouches des tumeurs. — Les mouches-araignées sur les mammifères et les oiseaux. Les diptères ou mouches à deux ailes offrent une immense quantité d'espèces; beaucoup sont très- peu distinctes, et les naturalistes sont très-loin de connaitre complétement ces insectes, dont les larves ont cependant des habitudes curieuses et des plus variées. Ce sont les diptères qui s’avancent le plus loin versles pôles, et ils forment les seuls insectes des régions glacées qui entourent le pôle boréal ; ils peuvent vivre et voler à des températures infé- rieures à celle de la glace fondante. Il en est qui piquent les animaux et même l'homme pour se re- paitre de son sang. C’est au moyen de leur bouche munie de lancettes perforantes que la piqûre s’0- père. I n’y a aucun danger à saisir entre les doigts les diptères dont la piqûre est le plus douloureuse. Ils sont alors terrifiés et ne songent aucunement à L LIPTÈRES. 993 manger. Ils n’enfoncent leurs lancettes que quand ils sont sans crainte et libres sur la peau. Au con- traire, nous pouvons laisser courir une abeille ou une guêpe sur la main et le visage : elle ne fera pas usage de l’aiguillon qui termine son abdomen. C’est que chez les hyménoptères, ou mouches à quatre ailes, cet aiguillon est une arme et non une bouche, et l'insecte ne s’en sert que lorsqu'on Île serre ou qu'on l’irrite. Il nous est impossible de présenter autre chose que l’examen de quelques types remarquables, en laissant de côté tous les intermédiaires. Il est d’a- bord des diptères dont les antennes sont dévelop- pées, souvent plumeuses. Ils ont de longs balanciers et des pattes excessivement allongées se dirigeant en arrière dans le vol. Au-dessus des eaux, apparaissent le soir des danses aériennes formées de cousins qui montent et descendent en s’'entre-croisant en tous sens, illu- minés par les rayons obliques du soleil couchant. De temps à autre, les femelles fécondées quittent la troupe, s’abattent doucement à la surface de l'eau, placent leurs quatre pattes de devant sur quelque corps qui flotte ou même les appuient sur l’eau. L'abdomen porte son extrémité sur la surface liquide, et les œufs allongés sortent, passant à me- sure entre les pattes de derrière entre-croisées. La mère en façonne ainsi une espèce de radeau en les accolant les uns contre les autres. Sa forme est celle d'un fuseau : il se renfle au milieu et s’amincit aux deux extrémités. Le radeau est abandonné à la chaleur solaire, et, au bout de deux jours, appa- 294 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. raissent des larves ressemblant à de très-petits poissons, à corps allongé et diaphane, à grosse tête, à œil noir. Elles aiment les eaux croupies, se trou- vent dans les tonneaux d'arrosage, etc. Dès qu'on agite l’eau, elles fuient de toutes parts en faisant de nombreux soubresauts. Elles sont sans pattes; de : courtes antennes poilues les aident à nager avec vivacité (fig. 270). En outre, une roue locomotrice de cils, servant aussi de branchies, entoure l’ori- fice anal ; l’avant-dernier anneau porte un tube des- tiné à puiser l’air en nature au-dessus de l’eau. En quinze jours ou en trois semaines, celte larve éprouve trois ou quatre mues. Elle sort de l’eau la région dorsale du thorax. La peau se dessèche et se fend, et tout le corps parvient à sortir par cette ou- | verture, en laissant l’ancienne peau flotter à la sur- face de l'eau. A la dernière mue, la larve du cousin prend l'aspect d’une nymphe encore mobile. La forme est tout à fait changée ; le thorax, très-élargi, gonflé d’air, vient flotter; l'abdomen, replié en des- sous, se termine par des battants membraneux qui aident l'animal à nager, et aussi par deux larges branchies. La respiration se fait en outre par deux tubes, simulant deux cornes, implantés sur le tho- rax. La nymphe monte à la surface de l’eau ; elle déroule sa queue, son thorax se boursoufle et crève entre les deux cornets respiratoires. La dé- pouille de la nymphe forme alors une nacelle, au centre de laquelle sort d’abord la tête du cousin. [se dresse verticalement comme un mât, et l’esquif tournoie sous le vent sans chavirer et se remplir d’eau. Ensuite, les pattes et les ailes se dégagent ; Fig. 270, — Le cousin, mâle et femellefnymphe, larve, cloison. (Figures très-grossies.) DIPTÈRES. 297 les pattes se posent sur l’eau, les ailes s’écartent. Si la brise souffle doucement sur ces voiles, cent fois plus fines que la dentelle, le navigateur est poussé vers la rive; si un vent impétueux s’élève, la frêle embarcation est submergée, et Le cousin trouve la mort dans les flots qui tout à l'heure lui donnaient la vie. Les maringouins où moustiques, très-voisins des cousins, sont le fléau des pays humides, plus encore dans les régions froides que sous les tropiques (fig. 271). Ils rendent certaines localités inha- bitables. Ils sont en telle quantité dans le haut Canada, pays des grands lacs, que Les bisons sau- vages et les besliaux passent les mois d’été enfoncés dans l’eau tout lejour, ne laissant sortir que le mufle, tant ils Rene 2 Ædes cendré, moustique grossi. sont lourmentés par ces insectes. Nous empruntons sur ces moustiques du Nord de curieux extraits à l’exploration du capi- taine Bach, à la recherche de la rivière du Poisson qui se jette dans l'océan Arctique américain (Voya- ges dans les glaces du pôle arctique, Hervé et de Lanoye, Paris, Hachette, 1865, p. 323 et 350). « Parmi les nombreuses misères inhérentes à la vie aventureuse du voyageur, il n’en est point, dit Bach, de plus insupportable et de plus humiliante 298 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES, que Ja torture que vous fait subir cette peste ailée. En vain vous essayez de vous défendre contre ces petits buveurs de sang, en vain en abattez-vous des milliers, d’autres milliers arrivent aussitôt pour venger la mort de leurs compagnons, et vous ne tardez pas à vous convaincre que vous avez engagé un combat où votre défaite est certaine. La peine et la fatigue que vous éprouvez à chasser ces in- nombrables assaillantsdeviennent à la fin si grandes, qu'à moitié suffoqué vous n'avez d'autre ressource que de vous envelopper d’une couverture et de vous eter la face contre terre, pour tâcher d'obtenir quelques minutes de répit. Les vigoureuses et in- cessantes attaques de ces insectes montrent bien toute l'impuissance de l'homme, puisqueavectoutes ses forces si vantées, il ne peut venir à bout de re- pousser ces faibles atomes de la création. » Et plus loin : « Mais comment décrire les souffrances que nous causèrent, dans ce trajet, les moustiques et leurs alliés les maringouins? Soit qu'il nous fallüt descendre dans des abimes où la chaleur nous suffoquait, ou passer à guë des terrains maréca- geux, ces persécuteurs s’élevaient en nuages et ob- scurcissaient Pair. Parler et voir était également difficile; car ils s’élançaient sur chaque point de notre corps qui n'était pas défendu, et yenfonçaient en un instant leurs dards empoisonnés. Nos figures ruisselaient de sang comme si on y eût appliqué des sangsues. La cuisante et irritante douleur que nous éprouvions, immédiatement suivie d'inflam- mation et de verlige, nous rendait presque fous. DIPTÈRES. 299 Toutes les fois que nous nous arrètions, et nous y étions souvent forcés, nos hommes, même les In- diens, se jetaient la face contre terre en poussant des gémissements semblables à ceux de l’agonie. « Comme mes bras avaient moins souffert, je cherchaï à me garantir moi-même en faisant tour- noyer un bâton dans chaque main ; mais en dépit de cette précaution, et malgré les gros gants de peau et le voile que j'avais pris, je fus horriblement piqué. » Acesujet,ilrapporte une anecdote assez curieuse : Leur guide Maufelly, Le voyant remplir satente de fumée, se jeter à terre, agiter des branches pour chasser les intolérables insectes, témoigna sa sur- prise de ce qu’il ressemblait si peu à l’ancien capi- taine, sir John Franklin. Il parait, en effet, que celui-ci, se faisant scrupule de tuer une mouche, avait assez d’empire sur lui-même pour continuer tranquillement son ouvrage, en dépit de toutes les piqûres de ces venimeux essaims, el ne leur faisait lâcher prise que lorsqu'ils étaient à moitié gorgés. Un jour qu'il en était affreusement tourmente, il se contenta de souffler dessus en disant : « Allez, le monde est assez grand pour vous et pour moi. » C’est pour se garantir des moustiques que beau- coup de peuplades sauvages s’enduisent le corps de graisse, et que le pauvre Lapon se condamne à vivre dans une hutte enfumée. Les régions boréales, et aussi, moins souvent, les vallées humides des Cé- vennes, des basses Alpes offrent parfois de vérita- bles nuées de moustiques noirâtres qui obscurcis- sent littéralement l'éclat du jour. Ainsi, dans les 300 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. Cévennes, au commencement de septembre, « des ouvriers employés au reboisement d’une partie de la montagne de l'Espérou ont été témoins d’un phénomène extraordinaire dans ces contrées. A deux heures du soir, un bruit sourd et monotone, à peu près analogue à celui que produit un orage lointain, fixa leur attention sur un épais brouillard qui traversait un mamelon à environ deux kilomè- tres devant eux. L'air était très-calme ; ils furent étonnés de ce bourdonnement, et leur: première pensée leur fit croire à un incendie du côté de l'Es- pérou ; mais voulant connaître la cause réelle de ce brouillard intense, ils ne furent pas peu surpris lorsque, s'étant avancés, ils reconnurent que c'était une colonne immense de moucherons dont la lon- gueur était de plus de 1,500 mètres sur une largeur de 50 et une hauteur de 50. Cette colonne d'insectes se dirigeait de l’est à l’ouest !. » Les cousins et les moustiques ont la bouche munie de stylets très- grêles, capables cependant de percer les peaux les plus épaisses. La salive est venimeuse et produit des ampoules causant une douleur qui persiste long- temps. Les tipulaires ressemblent d'aspect aux cousins, mais ils ont la bouche trop faible pour attaquer l’homme et les animaux, et ne peuvent que sucer les fluides végétaux. Il en est dont les larves vivent dans l’eau. Tel est le chironome plumeux, dont la larve, d’un beau rouge de sang, ressemble à un ver délié. Cette larve, connue sous le nom de ver de 1 Bibliothèque des Merveilles, les Météores, p. 251. DIPTÈRES. 301 vase, est fort recherchée des pêcheurs parisiens pour amorcer les lignes destinées aux petits pois- sons. On amoncelle en tas le sable retiré de la Seine, surtout près d’Asnières, on laisse l’eau s’égoutter, et on récolte en abondance, en fouillant le sable, ces larves, qu’on doit conserver toujours humides. Fig. 272. — Tipule des potagers pondant, nymphe, larve. De grandes espèces de tipules se voient dans les champs et dans les jardins potagers. Souvent on les aperçoit, appuyées sur les feuilles par leurs longues pattes, balançant leur corps d’un mouvement sac- cadé et rapide. La tipule femelle pond sur le sol humide (fig. 272). Les larves allongées, grises, 202 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. sans pattes, à la tête écailleuse, dévorent les raci- nes, et sont souvent très-nuisibles aux légumes. Elles changent de peau pour devenir une nymphe immobile, laissant reconnaitre les ailes et les pattes couchées de Padulte. Dans ces tipulaires nous devons citer les mycé- tophiles, dont les larves à tête noire vivent dans les champignons, les sciara, amies des truffes, mais ne servant nullement à propager ce savoureux cry- ptogame ; les petites cécidomyes, dont plusieurs es- pèces attaquent les céréales. Une d'elles ravage les blés en Amérique, et a recu dans ce pays le nom de mouche de Hesse, car elle fut importée avec les grains destinés à nourrir les troupes mercenaires de Hesse dans la guerre de l'indépendance. Les diptères dont il vient d’être question ont de longues antennes (némocères). La plus grande par- tie, au contraire, des insectes de cet ordre, ne pré- sente que des antennes courtes (brachocères), for- mées de trois articles, dont le troisième est comme un gros bouton renflé, présentant sur le côlé une tige grêle, avec indices d’articulations, qui est le reste de l'antenne, déplacé et atrophié. Parmi ces brachocères est un genre qui partage avec les fourmilions, de l’ordre des névroptères, le curieux instinct de la chasse à l'affût dans un entonnoir. Aussi l’insecte s'appelle ver-lion ou ver- milion, d'après les mœurs de sa larve. Cette curieuse bête fut indiquée pour la première fois en 1706, sous le nom de fourmi-renard , el étudiée en 1795 par Réaumur, puis par de Géer, en Suède, sur un individu envoyé par Réaumur à la reine Ulrique DIPTERES. 005 Éléonore, sœur de Charles XI, passionnée pour l’entomologie, et possédant un riche musée d’in- sectes de tous pays. On trouve l'espèce (Leptis ou Psammorycter vermileo) en Provence, dans le Lyon- nais, en Auvergne. Réaumur la chercha vainement aux environs de Paris, où elle n’a pas encore été trou- vée, à ma connaissance. Cette larve, comme celle des fourmilions, et souvent en leur compagnie, se tient au pied des murs dégradés ou au bas des talus abrités de la pluie par une roche en surplomb. Le corps de la larve, d’un gris sale, un peu jau- nâtre, va régulièrement en augmentant de grosseur de la têle à la région opposée. La tête est effilée comme celle des asticots, et rentre au repos dans le premier anneau du corps. Il en sort deux man- dibules en forme de dards, qu'elle enfonce dans ses victimes, et dont elle se sert comme point d’ap- pui pour marcher, lirant son corps après elle. En outre, elle saute en débandant sa région postérieure. Le dernier anneau, plus long que les autres et un peu aplati, se recourbe en dessus, comme un cram- pon qui fixe la larve au sable de l'entonnoir pen- dant que sa proie se débat. Il se termine par quatre appendices charnus, que Réaumur compare à une main ouverte à quatre doigts. Elle n’a pas de pattes et s'enfonce comme un éclair dans le sable dès qu'on touche à son entonnoir ; très-agile, elle s'é- lance du fond sur la victime, qui y tombe, et l'enlace comme un petit serpent. Elle ne commence pas par tracer l'enceinte &@e son entonnoir, ainsi que le fourmilion. Elle s'enfonce dans le sable, de haut en bas, par sa tête pointue. Le sable est lancé au 504 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. dehors par les inflexions alternatives de son corps ; parfois il se plie en compas, dont la plus longue branche tourne autour de la plus courte, formée Fig. 275. — Entonnoir, larve et nymphe du vermilion. par la partie posté- rieure, de sorte que le bout de la partie antérieure jette le sa- ble en tournoyant. On comprend que ce mouvement est très- propre à faire un cône ; aussi l’enton- noir du vermilion est plus profond, eu égard à sa taille, que celui du four- milion, et à parois plus abruptes. Il en aplanit les bords escarpés en frottant son corps contre eux, et lance une pluie de sable sur l’insecte infortuné qui cherche à lui échapper en remontant la surface du cône meurtrier. La larve parait vivre plusieurs années. Elle de- Fig. 274. — Vermilion adulte, grossi. vient nymphe sans faire de coque, en- tourée de grains de sable collés à elle et gardant la peau de larve plissée et atta- chée au dernier seg- ment. La nymphe fait pressentir les formes de l'adulte. Elle a une petite tête, un thorax renflé et comme bossu, avec des ailes enroulées DIPTÈRES. 505 autour du thorax, des rudiments de pattes, un abdomen long et mince. Au bout de quinze jours, vers la fin de juin, les adultes sortent de la peau de la nymphe fendue sur le dos. Ils sont jaunätres, avec des traits et des taches noires et ont un as- pect général de tipules, en raison de leur corselet renflé et de leurs longs balanciers. Souvent ils re- courbent en dessous leur abdomen, grêle à l’ori- gine, déprimé, arrondi à l'extrémité. Ces diptères ont un vol léger et rapide; au repos, leurs ailes transparentes, légèrement embrunies et irisées, se placent l’une sur l’autre le long du corps, atteignant presque l'extrémité de l'abdomen. Nous avons parlé précédemment de ces psithyres qui, vêtus comme les maitres de la maison, vont introduire sous ce déguisement leurs enfants à la table des enfants légitimes, et partagent la pâtée de miel et de pollen des larves de bourdons. Un arüifice analogue sert à certains diptères à péné- trer dans les nids des hyménoptères sociaux. Ce sont les volucelles, qu’on voit en été et en automne tournoyer dans nos bois d’un vol rapide et bour- donnant. Leur corps parait souvent comme vésiculeux par la transparence des téguments. Tantôt elles sont velues et ornées de poils jaunes, blancs, rouges, comme les bourdons chez lesquels elles pénètrent ; ou bien, faiblement poilues et parées de bandes jaunes ct brunes, elles ressemblent aux guëpes et aux frelons, et envahissent sans crainte, sous ce masque trompeur, leur asile redoutable. Il semble rouvé par là que les insectes n’ont pas à distance P P Ï 20 306 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. une vision très-netle et sont plus facilement impres- sionnés par les couleurs que par les formes des ohb- jets. Les volucelles pondent dans les gâteaux, mais leurs larves, bien moins innocentes que celles des psithyres, puissamment cuirassées contre l’aiguil- lon, dévorent les larves des hyménoptères. Réau- mur avait observé les ravages des larves de la Vo- lucella bombylans dans les nids de bourdons. M. Künckel a étudié complétement les métamor- Fig. 275, — Volucella zonaria, adulte. phoses de cette espèce et de plusieurs autres. Il a constaté les plus curieux changements dans les ter- minaisons extérieures de l'appareil respiratoire. Chez la larve, hérissée de spinules, on trouve quatre : stiymates, deux antérieurs au second anneau, deux postérieurs au douzième. Les pattes existent bien développées. Lors de la nymphose, le tégument s'isole de la peau de la larve; on a une pupe, plus raccourcie, offrant Fig. 276, 277. Larve et pupe de la a Volucella Zonaria. aussi des couronnes de spinules. Ces pupes des volucelles ont été découvertes par: DIPTÈRES. z07 M. Künckel'. Les orifices d'entrée de l'air ont dis- paru, et la région antérieure offre au dos deux tuyaux qui simulent deux courtes cornes. A leur surface est un nombre considérable de petits ori- fices d'entrée de l'air, spéciaux à ces pupes. Enfin, chez l’adulte, cet appareil transitoire si singulier m’existe plus ; il y a sept paires de stigmates aux places habituelles, et cette multiplicité d’orifices correspond à des trachées perfectionnées. Nous re- présentons les divers états de la Volucella zonaria des nids de frelons et aussi de guêpes. Les larves, sans pattes, ne changent pas de peau, dans la grande majorité des espèces de diptères à courtes antennes, pour prendre l’état Intermédiaire, mais deviennent des pupes brunes et immobiles dans l'ancienne peauséchée,àl’intérieur de laquelles’orga- nise l'adulte, sans que rien au dehors atteste sa forme. La plus grande puissance de locomotion que présente le règne animal est celle de certains de ces diptères, si on considère que, malgré leur pelite taille, nous en voyons des espèces, en été, attirées par l'odeur, suivre quelque temps des convois de chemin de fer lancés à toute vitesse et pénétrer dans les wagons. Écoutons Macquart nous exposer le rôle harmonique de l’innombrable famille des mouches : « Voyez ces nuages vivants de tipulaires qui s'élèvent du sein de nos prairies comme l’encens de nos temples, et qui rendent également hommage à la Divinité en nous montrant sa puissance créatrice; voyez ces myriades de muscides répandues sur toutes les par- ! La figure, que M. Künckel nous permet de donner, est encore inédite, 308 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. ties du globe, tourbillonnant autour de tous les vé- gétaux, de tous les êtres animés, et même particu- lièrement de tout ce qui a cessé de vivre : La profu- sion avec laquelle ils sont jetés leur fait remplir deux destinations importantes dans l’économie générale : ils servent de subsistance à un grand nombre d'animaux supérieurs; lhirondelle les happe en rasant l’eau ; le rossignol les saisit de son bec effilé pour les porter à ses nourrissons; ils sont pour {ous une manne toujours renaissante. D'autre part, ils travaillent puissamment à consommer et à faire disparaitre tous les débris de la vie, toutes les substances en décomposition, tout ce qui corrompt la pureté de l'air : 11s semblent chargés de la salu- brité publique. Telle est leur activité, leur fécondité et la succession rapide de leurs générations, que Linné à pu dire, Sans trop d’hyperbole, que trois mouches consomment le cadavre d'un cheval aussi vite que le fait un lion. » Les plus connues des mouches proprement dites sont celles qui sont attirées par les matières pus tréfiées ou mortes. La mouche domestique, si com= mune dans les maisons, pond ses œufs dans le fu- mier où vivent ses larves. Éloignez avec soin les amas de fumier des maisons de campagne si vous voulez diminuer en été leur innombrable multi tude. Les animaux abattus, les viandes dépectes attirent aussitôt des légions de diptères, parmi les= quels la mouche à viande (Calliphora vomitoria), d'un bleu d’acier,et la mouche dorée (Lucilia Cæsar),quiy pondent des œufs, et les sarcophages , mouches grises, rayécs de noir, qui déposent de petites | | DIPTÈRES. 509 ves vivantes, les œufs étant éclos dans le corps de la mère (fig. 278). Les femelles ont l'abdomen pro- longé pour la ponte en une sorte de tuyau. Les larves molles, sans pattes, blanches, rampant sans cesse en contournant leurs anneaux, sont les asticots des pêcheurs à la ligne. Fig. 278. Elles deviennent des pu- ‘be de la viande. pes brunâtres. Il se dégage de la chaleur de ces animaux à nutrition si active, et les pêcheurs en éprouvent la sensation quand ils versent ces larves dans leur main engourdie par le froid. Ces mouches, attirées par les odeurs fortes, pondent parfois acci- dentellement sur les plaies de Phomme, ou s’intro- duisent dans la bouche et dans les narines de mal- heureux endormis dans une dégoûülante ivresse. Fig. 2179, 280. — Lucilia hominivorax, larve, adulte. Depuis que les condamnés aux travaux forcés sont transportés à Cayenne, on à déjà constaté cinq cas mortels causés par un insecte de ce groupe, nommé par le docteur Coquerel Lucilia hominivorax (fig.279, 31) LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. 280). D'autres condamnés ont perdu le nez. La larve, à crochets des mandibules très-aigus, vit dans l'intérieur des fosses nasales et des sinus fron- taux. On en voit gagner le globe de l'œil et gangre- ner les paupières ; elle peut entrer dans la bouche, corroder les gencives, l'entrée de la gorge, dévo- rer le pharynx, avec les symptômes d’une angine aiguë. Les malades commencent par éprouver un fourmillement dans les fosses nasales, puis du mal de tête, un gonflement du nez. Ils ressentent une douleur sous les orbites comme si on y appliquait des coups de barre. Vient ensuite une ulcération du nez d’où sortent les larves, puis une réaction in- flammatoire très-vive amène une méningite ou un érysipèle du cuir chevelu, suivi de mort: Des larves, sorlies des malades, ont élè nourries de viande, et on à obtenu la mouche. Celle-ci n'est pas un para- site de l’homme, car les véritables épizoïques ne tuent pas leurs animaux ; ils sont destinés à vivre l'un de Pautre. Il n’y a là que des faits accidentels dus à une horrible malpropreté et à l'ivresse ; un des malheureux qui ont succombé aux larves de cette mouche était atteint de boulimie ou faim in- saliable et dévorait souvent des viandes gâtées. La larve en question est connue à Cayenne sous le nom de ver macaque et avait été indiquée par Arture, mé- decin du roi, en 1755. IL est probable que le ver moyacuil du Mexique, qui attaque l’homme et le chien, est une espèce analogue. Le docteur Coquerel a aussi fait connaitre une autre mouche (dia Bigoti) | piquant, au Sénégal, les soldats des petits postes de la côte, probablement en introduisant sa tarière | DIPTÈRES. 511 dans la peau avant de pondre. La larve a été ren- contrée dans des furoncles du dos, des bras, des jambes. Les nègres sont souvent attaqués par cet insecte et savent très-bien extirper la larve. Quand les mouches ordinaires des viandes et des cadavres ont rempli leur office, tout n’a pas encore satisfait à la voracité de la gent à deux ailes. Des mouches, qu’on peut qualifier de funèbres, vivent de la graisse des os des squelettes. L'espèce la plus célèbre de ces thyréophores se trouve, en janvier et février, sur les squelettes de cheval, de mulet, d'âne, dans les charniers des équarrisseurs. Elle est très- rare, et singulière, parce que sa tête répand, la nuit, une lueur phosphorescente, peut-être pour éclairer l’insecte dans son œuvre de dernière des- truction. Une autre espèce, plus commune, fréquente les squelettes des chiens morts dans la campagne. Le squelette du roi de la création n'est pas à l'abri des outrages de ces mouches. Une imperceptible espèce réduit en poussière impalpable les os, les ligaments , les muscles desséchés. Elle abondait, dans l’année 1821, sur les préparations du Musée de l’École de médecine de Paris. D’autres muscides déposent toujours leurs œufs dans des animaux vivants, et leurs larves doivent se nourrir des tissus animés. Les hyménoptères ne sont pas les seuls auxiliaires que la nature nous présente pour détruire les insectes hostiles à l’agri- culture. Une foule de mouches, nommées pour cette raison entomobies, ont des larves dont l'instinct est de dévorer les amas graisseux des insectes, pour n’attaquer qu’à la fin de leur existence les viscères 912 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. essentiels de l'insecte dont le corps est à la fois leur. berceau et leur magasin de vivres. Ces entomobies peuvent subsister dans beaucoup d'insectes d'ordres différents, et même dans des araignées ; mais elles attaquent surtout les chenilles des lépidoptères. Les mouvements inquiets de la tête, les poils, les épines défendent peu les chenilles. La mouche pond ses œufs sur la peau, sans faire de trous à la façon des femelles des ichneumoniens. Les petites larves, écloses très-promptement, se hâtent de déchirer la peau de la chenille avec leurs crochets ; parvenues à toute leur croissance, elles sortent de la chenille ou de la chrysalide, et très-rarement de l'adulte, et deviennent pupes immobiles dans leur dernière peau durcie. I faut remarquer que les larves doi- vent se métamorphoser au dehors, parce que la mouche adulle manque d’organe pour perforer la peau de lanimal où a véeu la larve. En Chine, les vers à soie sont altaqués par des insectes de cette section ; ce qu’on nomme la maladie de la mouche. J'ai publié des observations analogues faites en France sur des vers à soie élevés à Passy par M.Caillas. L'instinct avait trompé la femelledel’en- tomobie cherchant seulement de la chair vivante pour ses enfants, car les larves ne peuvent sortir de l’épais cocon, et les mouches y trouvent la tombe à côté du berceau. C’est en ouvrant des cocons des- linés au grainage et qui ne donnaient pas de papil- lons qu'on à pu reconnailre ces faits. I ne faudrait pas croire que les mouches pro- duisent seulement la mort de chétifs insectes (les cas mortels pour l’homme sont des accidents ano- DIPTÈRES. 313 maux). Une des causes qui rendent si difficile l’ex- ploration de l’intérieur de l'Afrique est l'existence d'une simple mouche (Glossina morsitans) nommée la tsetsé. Cette mouche infeste d’une manière per- manente le centre de l'Afrique australe, entre 18° et 25° lat. sud et de 22° à 28° long. Elle remonte périodiquement vers le nord en certaines saisons, car elle fut indiquée autrefois par Agatharchides, puis par Bruce en Abyssinie. Ne peut-on pas ad- mettre, qu’à l'ordre du Seigneur, dépassant ses li- mites ordinaires , elle causa la quatrième plaie d'Égypte? « Une multitude de mouches très-dange- reuses vint dans les maisons de Pharaon, de ses serviteurs, et par toute l'Égypte. » (Exode, chap. vin, v. 24.) La cinquième plaie, la peste sur les bêtes, devient alors la conséquence de la quatrième. Les premiers renseignements positifs sur ce ter-- rible insecte sont ceux de MM. Livingstone et Oswald qui le rencontrèrent en 1849 dans leur voyage au Zambèse, sur la rive méridionale du Chobé, un des affluents septentrionaux du lac Noeami. La tsetsé n’est pas plus grosse que la mouche domestique, elle est brune avec quelques raies jaunes et trans- versales sur l'abdomen (fig. 281,282).S$es ailes sont plus longues que son corps. Sa vue est très-per- çante ; et, rapide comme la flèche, elle s'élance du haut d’un buisson où elle guette ses victimes, et immédiatement sur le point qu’elle veut attaquer. C’est une suceuse de sang. Si on la laisse agir sans la troubler, dit M. Livingstone', on voit sa trompe 1! Explorations dans l'intérieur de l'Afrique australe, par le doc- teur Livingstone. Hachette, 1859, p. 86, 92 et suiv. 914 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES se diviser en trois parties dont celle du milieu s'in- sère assez profondément dans votre peau. La pi- qüre prend une teinte cramoisie ; l'abdomen de la mouche, flasque et aplati auparavant, se gonfle peu à peu, et, si l’insecte n’est pas tourmenté, il s'en- vole tranquillement aussitôt qu’il est gorgé de sang. Fig. 281, 282. — Mouche tsetsé de grandeur naturelle et grossie, avec détail des pièces buccales. Une légère démangeaison succède à cette piqûre, mais n’est pas aussi sérieuse que celle causée par un moustique. Les enfants de M.Livingstone étaient souvent piqués par cette mouche. Il n’y a aucun danger pour l’homme, pour tous les animaux sau- vages, et parmi les animaux domestiques pour le pore, la chèvre, l'âne, le mulet et les veaux tant qu'ils tettent leur mère. Par une étrange exception, DIPTÈRES. 515 cette piqûre est mortelle au bout de quelques jours pour le bœuf, le cheval, le mouton et le chien. C'est un empoisonnement du sang produit par le venin que sécrète une glande placée à la base de la trompe dela tsetsé. M. Livingstone perdit quarante- trois bœufs magnifiques qui, bien surveillés, n'a- vaient reçu chacun que très-peu de piqûres. Au bout de peu de jours, le bœuf piqué rend par les yeux et le mufle un mucus abondant. La peau tressaille et frissonne comme sous l'impression du froid. Le dessous de la bouche enfle, les muscles deviennent flasques. Il en est qui sont pris de vertige et de- viennent aveugles. Un bruit sourd et prolongé sort de l’intérieur du corps quand l'animal marge. Au bout d’une à deux semaines il meurt dans un état d'amaigrissement considérable. A lPautopsie, le tissu cellulaire parait hoursonflé, la graisse changée en un liquide jaune verdâtre ; le sang est devenu albu- mineux el tache très-peu les doigts. C’est à peine s'il en est resté. La chair est molle, le foie et le pou- mon altérés, et le cœur, semblable à de Ia viande macérée dans l’eau, est tellement mou et vide que les doigts qui le saisissent se rencontrent en le pressant. La mouche tsetsé parait peu en plaine mais fré- quente les buissons et les roseaux qui bordent les fleuves et les marais. Son bourdonnement , bien connu des bestiaux, les frappe d’épouvante. Elle est localisée dans certains cantons de la manière la plus complète et ne franchit jamais leurs limites. Les deux rives du Zambèse en sont infestées, et beaucoup de peuplades qui les habitent ne peuvent 916 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. avoir d’autre animal domestique que la chèvre. Quand des troupeaux doivent traverser les domaines de celte mouche si redoutable, on choisit les clairs de lune des nuits de la saison froide, où elle est trop engourdie pour piquer. Les docteurs indigènes ont aussimis à profit le dégoût qu’inspirent aux tsetsés les excréments desanimaux ; on barbouille de fiente mêlée de lait les bœufs qui doivent traverser les cantons dangereux. Les rares observateurs de la tsetsé ne nous ont encore rien appris de certain sur ses métamorphoses. Ils s'accordent à dire que sa disparition suivra celle des animaux sauvages de- vant l'extension de l’empire de l’homme et l'emploi des armes à feu, car Le sang de ces animaux est sa seule nourriture. Il semble que les diptères sont les insectes créés le plus spécialement pour vivre aux dépens des grands animaux. Les æstres, au corps velu, à la Fig. 285, 984. — Œstre du cheval, mâle et femelle. bouche à peine formée chez l'adulte, ne paraissent pas prendre de nourriture à l’état parfait, où 1ls ne vivent que peu de jours. Les femelles s’approchent des chevaux, se balancent quelque temps les ailes ouvertes, puis fondent comme un trait, l'abdomen DIPTÈRES. 517 replié. Un œuf adhère au poil touché par le di- ptère. Le même manége est répété un grand nombre de fois. Le noble quadrupède redoute singulière- D — Fig. 285. — Œufs collés aux poils. ment ces contacts renouvelés, qui lui causent des titillations excessives. Il se frotte contre les arbres, cherche à replier sa tête entre les jambes de devant quand l'insecte a touché ses lèvres, enfin quitte le Fig. 286. — Portion d'estomac avec larves d’œstres. champ de bataille dans un état de rage, et, si son galop rapide ne suffit pas pour le soustraire à l’en- nemi, n a d'autre ressource que de se plonger dans 918 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. l’eau. Les œufs sont déposés sur les poils dans toutes les parties que la langue du cheval peut atteindre (fig.283). De ces œufs munis d’une opercule sortent des petites larves. En se léchant, le cheval les colle à sa langue, puis, avec la nourriture, elles passent dans l'estomac. Les larves s’accrochent aux parois par des couronnes de crochets qui les entourent et qui leur servent aussi à ramper (fig. 287). Quand leur développement au moyen des sucs digestifs est achevé, elles sortent avec les excréments et, dans leur peau durcie, deviennent pupes à la surface du sol. La cephalémye du mouton pond ses œufs dans les narines de l’animal ; les larves remontent avec leurs crochets dans les cavités olfactives. On trouve fort souvent ces larves dans les boucheries quand on fend les têtes de mouton pour en extraire la cer- velle. C. Daméril rapporte avoir recueilli les in- sectes adultes en grande quantité sur les solives du plafond des bergeries. Au moment où cet insecte touche le nez du mouton, le pauvre animal secoue la tête et frappe violemment la terre avec ses pattes de devant. Il se sauve, le museau baissé contre le sol, il flaire l'herbe en courant de crainte qu’une autre mouche n’y soit cachée, et, s'il l’aperçoit, s'é- loigne avec terreur. Il cherche les ornières pleines de poussière et y place son museau pour en rendre l'accès impossible. Les larves des genres voisins doivent vivre dans des tumeurs excitées par elles. Les femelles déposent l'œuf sur la peau percée ensuite par les larves. Ces larves sont munies de crochets pour se mouvoir dans leur horrible berceau. Elles en sortent et se DIPTÈRES. 519 laissent tomber sur le sol à l’état de pupes encore molles. L'hypoderme du bœuf en France fait déve- lopper des tumeurs sur le dos du bétail. Réaumur en étudiait les larves sur les vaches de l’abbaye de Malnoue en Brie. Les diptères qui proviennent ce Fig. 287. — Hypoderme du bœuf, très-grossi. ce genre de larves sont très-velus, et Réaumur les compare à des bourdons. Leurs cuillerons sont très- développés, et leurs balanciers ont de gros bou- tons ovales. D’autres espèces produisent des tumeurs sur le dos des cerfs, des daims et des chevreuils dans nos bois, et les oiseaux insectivores viennent parfois les becqueter et les débarrasser des larves. Le renne, dans les marécages glacés de la Laponie, souffre des attaques d’un diptère analogue. Dans les pays tropicaux, les cutérébrés ont les mêmes mœurs. 520 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. Une espèce, à la Nouvelle-Grenade (Cuterebra no- æialis) couvre de tumeurs les bœufs et les chiens (fig. 288, 289, 290). Ce diptère est aussi à redouter pour l'homme, et l’on voit souvent le ventre des Fig. 288, 289, 290. — Cutérébré nuisible, adulte, larve, nymphe. naturels couvert de petites tumeurs où vit la larve pourvue de cercles de crochets. Quand ces larves se sont fixées sur les jambes, elles peuvent produire de graves ulcères, avec de vives douleurs, et mettre obstacle à la marche. On les force à sortir au moyen de cataplasmes de tabac. Les derniers diptères présentent les signes de la dégradation la plus manifeste. Ils ne peuvent plus vivre seuls, mais courent entre les poils ou les plu- mes de certains mammifères et oiseaux. Les balan- ciers ont disparu; les ailes ne leur servent qu'à passer d’un animal à l’autre; la bouche est munie de deux soies qu’ils enfoncent dans la peau pour aspirer le sang ou la graisse. Enfin l'abdomen, sorte de poche volumineuse, est garni d’une peau très- extensible. Ce sont les métamorphoses qui rendent curieuse au plus haut point cette famille d'insectes dégénérés. Elles ont été très-bien décrites par DIPTERES. 321 Réaumur sur la mouche-araignée du cheval, qu'on trouve en été entre les poils du ventre des chevaux et sous la queue. Tous ces insectes très-agiles, cou- rant même de côté, à longues pattes munies de forts ongles crochus pour se cramponner aux poils ou aux plumes, ressemblent à des araignées. On voit sortir de l'abdomen distendu des femelles non pas un œuf, mais une énorme masse blanche, presque aussi grosse que la mère, en forme de lentille ronde et plate. C’est une larve qui a accompli Fig. 291. Fig. 292. Sténoptéryx Mélophage du mouton, de l’hirondelle, grossi. grossi. son évolution à l’intérieur du corps de la mère. Bientôt elle brunit et l’on reconnait que réellement le diptère a mis au monde une pupe, d’où l’insecte parfait sort bientôt en soulevant la portion supé- rieure comme un couvercle. L'hippobosque du cheval a les ailes assez développées; elles deviennent longues et très-élroites dans le sténoptérix de l'hi- rondelle, qu’on rencontre entreles plumesdes jeunes hirondelles et dans les nids de ces oiseaux (fig. 291). Elles sont presque nulles dans une espèce qui vit sur le cerf, et enfin manquent tout à fait dans les mélophages, qui restent accrochés au milieu de la toison des moutons (fig. 292). Leur présence nous 21 322 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. explique ces vols d'étourneaux suivant les trou- peaux et se cramponnant sur le dos des moutons au point de s’empêtrer parfois les pattes dans la laine; ils cherchent ces diptères parasites. La tête se distingue à peine du thorax chez lous ces Insectes imparfaits; elle se confond tout à fait avec lui dans les nyctéribies cachées entre les poils des chauves- Fig. 293. — Nyctéribie de la chauve- souris, gros:ie. souris et ressemblant tout à fait à des arai- gnées quin’auraient que six paltes (fig. 293). On ne sait trop si ces singu- liers insectes ont des métamorphoses. Les di- ptères nous conduisent ainsi, de dégradation en dégradation, aux insec- tes épizoiques, les poux des mammifères et les ricins des oiseaux, chez lesquels les changements se réduisent à de simples mues. II INSECTES A MÉTAMORPHOSES INCOMPLÈTES CHAPITRE VIII ORTHOPTÈRES Les perce-oreilles. — Les blattes cosmopolites et leurs ravages. — Les mantes et les empuses; chasse à l'affût. — Les bacilles pareils à des branches. — Les grillons et les courtilières. — Les sauterelles, leur chant. — Les acridiens voyageurs, dévastations ; l’Algerie en 1866. Il y a encore des broyeurs et des suceurs dans les insectes où les changements se bornent à l’acquisi- tion graduelle des ailes. Les orthoptères sont les gros mangeurs de la création entomologique. Leurs esto- maecs multiphiés rappellent les animaux ruminants. Leurs espèces sont peu variées, mais nombreuses en individus, au point de constituer parfois d’é- pouvantables fléaux. Ces insectes ne sont pas d’une organisation élevée ; les sens et les instincts sont médiocres, tout parait subordonné à une continuelle voracité. En effet, au sortir de l’œuf, ces insectes sont déjà ce qu'ils seront plus tard au point de vue de l'appareil digestif. Ils sont agiles et mangeront à 024 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. tous les âges de leur existence; une évolution con- sidérable s’est donc accomplie à l'intérieur de l'œuf. C’est l'opposé des hyménoptères. Nous commencerons l’étude des orthoptères par un petit groupe dont l’aspect rappelle les staphylins. Les forficules présentent, sous de très-courtesélytres, des ailes très-larges, se repliant d’une façon com- pliquée, et que l'insecte emploie rarement. Le plis- sement est à la fois en éventail et en travers Fig. 294, 295, 296. — Forficule auriculaire, adulte grossi, D nymphe et larve. (fig. 294, 295, 296). On a répandu, fort à tort, la fable que ces insectes peuvent entrer dans les oreil- les, les percer à l'intérieur et pénétrer dans le cer- veau. Il est probable que cette erreur découle d’une fausse interprétation de leur nom. La pince qui ter- mine leur abdomen ressemble aux anciennes pinces des bijoutiers pour percer les oreilles des enfants. | Elle ne serre pas d’une façon sensible et ne fait aucun mal, sauf chez de très-gros sujets. Les forficules fuient la lumière, vivent de fruits et de détritus, mangent l'intérieur des fleurs, sur- ORTHOPTÈRES., 325 tout des roses, des dahlias, des œillets, des oreilles- d'ours. Les femelles pondent leurs œufs en tas, dans un coin obscur, sous une écorce. Elles se tiennent au-dessus, comme des poules sur leurs poussins. Si on les disperse, la mère les recueille et les trans- porte délicatement. Les petits éclosent vers le mois de mai, d'abord blancs, presque transparents. La mère veille sur eux et les protége jusqu’à ce que les larves soient devenues brunes et assez fortes. Ces soins après l’éclosion sont très-rares chez les in- sectes. Les autres orthoptères coureurs nous offrent une famille encore plus nuisible, celle des blattes. Ce sont des insectes nocturnes, à couleurs brunes ou fauves. Elles étaient bien connues des anciens. Ho- race leur reproche de dévorer les vêtements, commé les teignes. Virgile croit à tort qu'elles vont dévas- ter, la nuit, les ruches des abeilles. « Les dépôts amoncelés par les blattes! lucifuges souillent les rayons, » dit-1l (Géorg., Liv. IV, v. 245). Ces insectes ont un corselet large, cachant la tète, de longues antennes ténues, des pattes grèles, mais fortes; aussi sont-ils très-agiles. Leur corps aplati leur permet de passer à travers les fentes des caisses et, dans les voyages au long cours, on est obligé de protéger les objets contre leur voracité en les enfermant dans des boites de tôle soudées à l'élain. Les femelles, très-fécondes, pondent leurs œufs entourés d’une coque en forme de haricot ou de fève, où chaque œuf a sa capsule. Elles trainent ! Peut-être le mot blatta désigne-t-il les cloportes, crustacés lucifuges. 26 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. avec elles cette coque, la surveillent, la fendent ct aident les larves à sortir des œufs. Les blattes sont omnivores et répandent une odeur forte qui reste sur tout ce qu’elles touchent. Les substances ali- mentaires sont surtout l’objet de leur gloutonnerie. Comme les dermestes, elles n’ont plus de patrie et se naturalisent partout où le commerce les trans- porte. Quelques petites espèces vivent dans nos bois sous les mousses. Deux espèces, qui sont en liberté près de Paris, dans les bois, sont devenues domestiques dans les maisons en raison d’un cli- mat plus rude, el très-nuisibles dans les pays du nord, la blatte germanique en Russie et la blatte laponne, dans les huttes des pauvres Lapons, où elle dévore les poissons fumés préparés pour l'hiver. Ces insectes voraces s’excluent l’un l’autre des mai- sons, et la blatte laponne, la plus faible, a dû se réfugier tout à fait au Nord. Chez nous ils sont de même probablement chassés par la Periplaneta orientalis, ou kakerlac oriental. Les pays chauds nous ont transmis par les vaisseaux les hideux can- crelats ou kakerlacs, à ailes plus courtes que les vrales blattes, manquant quelquefois chez les fe- melles. Le kakerlac américain infeste les navires, court la nuit sur les passagers endormis, se trouve dans les docks, les raffineries de sucre exotique, et a été apporté dans les serres du Muséum. Cette espèce est un véritable fléau à la Havane. Aussi l'on conserve avec grand soin des crapauds dans les maisons pour s’en débarrasser. Ces utiles batraciens se proménent partout très-respectés, et courent sans cesse à la recherche des kakerlacs. Les dames ORTHOPTÈRES. 327 du pays les tolèrent, même sous leurs robes, en raison de leurs continuels services. On cite un voyageur nouvellement débarqué se réveillant au milieu de la nuit et voyant dans la chambre, autour de son lit, cinq énormes crapauds. Effrayé de ce cénacle étrange, il appelle. Un enfant de la maison arrive, se contente de prendre chaque crapaud, un par un, sans lui faire aucun mal, et de le porter Fig. 297. Kakerlac oriental. dans une pièce voisine. Le kakerlac oriental, de l'odeur la plus repoussante, est bien plus répandu dans l’Europe. On le nomme cafard, noirot, bête noire, blatte des cuisines, etc. (fig. 297). Il aime la chaleur, vit dans les boulangeries, dans les cuisines, près des machines à vapeur, se cache dans les fentes des murailles, contre les gonds des portes. Qu’on entre à l’improviste dans le calme de la nuit, avec une lumière, dans la cuisine de quelque restaurant mal tenu, on verra ces ré- voltants animaux courir sur les tables, dévorant 328 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. tous les dthris d'aliments. On dit que la blatte géante, de l'Amérique du Sud, ronge, pendant la nuit, les ongles des gens endormis. Que ne peut-on naturaliser dans nos maisons un autre groupe d’orthoptères de mœurs bien diffé- rentes, avides chasseurs d'insectes ? Ils renferment aussi leurs œufs dans des coques oblongues, à plu- sicurs loges, attachées aux branches. Ces mantes sont remarquables par leur corps élancé, leurs grandes ailes. Théocrite, dans une de ses idylles, donne ce nom, par analogie, à une jeune fille mai- gre, à bras minces et allongés. Ces insectes assez lents, verts ou jaunâtres comme les feuilles avec Les- quelles on les confond, emploient la ruse pour chasser. Ils s’approchent peu à peu, en tapinois, des insectes et tout à coup les saisissent entre la jambe et la cuisse de devant, repliées l’une contre l’autre, garnies d’épinesacérées quis’entre-croisent. Qu'on se défie, en saisissant les mantes, des bles- sures aiguës de ces pattes ravisseuses. La férocité de ces élégants insectes est incroyable; les petites larves sans ailes s’attaquent au sortir de l’œuf, les femelles mangent les mâles qui sont plus petits qu'elles. En Chine, les enfants s'amusent à mettre des mantes dans de petites cages et à les regarder se battre avec leurs pattes de devant, jusqu’à ce que l'une mange la tête de l’autre. L'attitude d’affût a valu à ces in- sectes leur nom, qui signifie devin (fig. 299). On s’est imaginé qu'immobiles pendant des heures entières, le corps et les pattes relevés en avant, ils interro- geaient l’avenir. On les nomme, dans le midi de la France, préga-diou (prie-dieu) ; on a vu une adora- ; Mante religieuse et sa larve, Fig, 298, 299. — Empuse appauvrie mäle et sa larve ‘T1@ liées da A5 , LITE TE V'ret,. Ag ECILEE DT ATUAL La +" P"; NTA n 1 AT TNNT à ' s 1. | f AIM AT » DEP à of y En LE J b % # i EN di pra 1 \ 0 t À Ë é \ 4 Lu L d ‘ Le à LP } e © " | Lre DA É \ k A + F À ni UM M N "| \ k, 9 FA di à dl \n 14 re PA 4 7, t'NOROUE 1; ! ù Can: , { LOL ü ps! ATLAS NAT, gr PS AN #, LE 4 sh je ORTHOPTÈRES. 331 tion dans la pose de leurs pattes ravisseuses. Ce sont de sanguinaires prières que les leurs! Les noms d'espèces portent la preuve de ces croyances super- stitieuses. La mante religieuse s’avance, en France, Jusqu'à Fontainebleau et à Lardy et aussi, parfois, près du Havre. La mante oratoire, plus petite, s'étend moins loin. On a eu l’idée que les mantes indiquent le chemin qu’on leur demande par le mouvement d’une des pattes de devant. L'ancien naturaliste Mouffet rapporte avec bonhomie: « Cette petite bête est réputée si divine, qu’à l'enfant qui l'in- terroge sur son chemin, elle l'enseigne en étendant une de ses pattes, et se trompe rarement ou Jamais. » Les empuses, à longue tête grêle, avec des antennes à deux rangs de barbules chez les mâles, ont les mêmes mœurs (fig. 298). On en trouve une espèce en Provence. Les femelles ont les antennes trés- grèles; les larves de mâles ont déjà les antennes élargies. Aux environs de Cannes, d’Hyères, nous rencon- trerons un orthoptère encore plus étrange. On di- rait un mince bâton vert ou brunâtre. C’est le ba- cille de Rossi, inoffensif insecte vivant de feuilles, et qui échappe aux regards de ses ennemis par celte ressemblance. Il marche lentement sur les arbres, et reste au repos au soleil, les longues pattes de devant étendues (fig. 300). Les petites larves, toutes semblables à lui, à la taille près, se trouvent sou- vent dans les feuilles sèches. Cette curieuse espèce remonte jusqu à la Loire. Ces insectes sans ailes n’ont que trois ou quatre mues; ce sont de vraies larves devenant propres à la reproduction. Dans les 992 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. pays {ropicaux, on trouve de plus grandes espèces nommées vulgairement bätons animés, chevaux du diable, grands soldats de Cayenne ; d’autres espèces, pourvues d’ailes, s'appellent spectres, feuilles ambu- lantes, etc. Les autres orthoptères, que nous passerons rapi- dement en revue, ont les paltes postérieures fortes el renflées et exécutent des sauts plus ou moins étendus. Il en est de fouisseurs, creusant des trous Fig. 501. — Grillon champêtre, mâle. dans la terre pour y placer les œufs et s’abriter. Qui n’a vu, au soleil, le grillon champétre, l'œil au guet, à moitié hors de son trou, montrant sa grosse tête noire (fig. 301)? Qu'on lui présente une paille, il la saisit avec ses mandibules et se laisse tirer au dehors; d’où le proverbe de quelques pays : Plus sot qu'un grillon. Il sort la nuit, chasse aux insectes ct mange aussi des végétaux. Le mâle appelle la femelle en frottant l’une contre l’autre ses élytres à nervures épaisses, Les femelles ont une tarière pro- Fig. 509. — Bacille de Rossi, mâle, femelle et larves. ORTHOPTÈRES. 239 longée ou sabre, servant à la ponte. Les grillons sont très-frileux et tournent toujours au midi l’eri- fice de leurs trous. Au printemps, on ne voit guère que des larves qui ont passé l'hiver engourdies ; les adultes sont morts. Le grillon domestique, qui mange nos provisions, est un peu plus petit, d’une teinte cendrée. Il se tient, Le jour, derrière les pla- ques des cheminées, dans les crevasses des fours de boulanger. La nuit, ilse promène et fait entendre son cri-cri. Il parait loujours altéré, se noie dans les vases pleins de liquide et fait des trous aux vête- ments humides qu’on met sécher. On prétend qu’en introduisant dans les cuisines des grillons champê- tres, 1ls ont bientôt détruit les grillons domestiques et les blattes. Le grillon sylvestre est beaucoup plus petit que les précédents et parfois si commun dans les bois, que ses sauts sur les feuilles sèches pro- duisent le bruit de gouttes de pluie. Les femelles des grillons ont une longue tarière ou tuyau à deux valves pour pondre leurs œufs dans les fissures, ce qu’on nomme vulgairement un sabre. Mouffet ra- conte que, dans certaines parties de l’Afrique, on vend des grillons dans de petites cages et qu'on aime à entendre leur chant qui provoque au som- meil. Chez nous, au contraire, on a souvent regardé comme de funeste augure le chant du grillon du foyer. Dans cette famille, il faut encore citer le tridac- tyle panaché, qui vit dans les sables des rivières, ainsi sur les bords du Rhône, et les rares myrméco- philes, à grosses cuisses, sans ailes, qu’on a trouvé és dans les four milières. 356 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. Les courtilières sont des fouisseurs bien plus éner- giques que les grillons. Elles sautent encore moins bien. Leurs pattes de devant sont élargies en pelles robustes, ressemblant aux mains de la taupe; de là le nom de taupes-grillons donné à ces insectes. L'autre nom vient du vieux mot courtille ou jardin, d’après le séjour habituel de ces orthoptères. Les ailes sont longues, repliées en lanières. Elles ser- vent peu; cependant, le soir, la courtilière vole en s'élevant un peu, puis retombant en courbe. Le corselet très-vaste ressemble à une carapace d’écre- visse ; il y a une tarière de ponte chez la femelle, et aussi, dans les deux sexes, deux filets terminaux, comme chez les grillons. Les courtilières vivent de végétaux et également de proie vivante, qu’elles cher- chent avec avidité en perforant les racines des plan- tes; aussi sont-elles très-nuisibles. Elles se réfu- gient volontiers dans le fumier, surtout à cause des insectes qu’elles y trouvent. La femelle creuse un trou ovale, chambre d'incubation où elle déposera ses œufs (fig. 302). Une galerie verticale y commu- nique et, en outre, des galeries en divers sens abou- tissent à la galerie verticale, de sorte que l'insecte a de nombreux refuges. Les œufs éclosent vers la fin de l'été, et les larves, d'abord molles et blan- ches, sont gardées avec sollicitude par la mère, qui les tient rassemblées dans le nid et va, dit-on, leur chercher de la nourriture. Elles ne deviennent nymphes, c’est-à-dire ne prennent des rudiments d'ailes, que l'année suivante. Il faut, paraît-il, trois ans pour le développement complet. Dès le mois d'avril, les mâles font entendre leur cri d'appel, sur ORTHOPTÈRES. 337 une note lente, monotone, moins pénétrante que le grillon, ressemblant au cri de la chouette ou de l'engoulevent. Ce sont les mâles seuls, chez les courtilières et les grillons, qui peuvent striduler. Aussi, le poëte grec comique Xénarque félicite, dans une de ses pièces. les grillons mâles : « Que vous êtes heureux, dit-il, vous qui avez des femmes silen- cieuses ! » Les sauts deviennent bien plus étendus chez les locustiens, qui marchent peu à cause de la grande disproportion de leurs pattes. Ce sont les sauterelles, c’est-à-dire les orthoptères sauteurs par excellence. Les femelles ont au bout de l'abdomen une longue tarière recourbée, à deux valves, qu’on appelle quel- quefois leur sabre, et qui leur sert à entamer la terre pour y pondre leurs œufs. Ces œufs passent l'hiver, et les jeunes larves n’éclosent qu’au prin- temps suivant. Elles ressemblent dès lors complé- tement aux insectes parfaits, sauf les ailes, et on peut immédiatement en reconnaitre l'espèce. Elles subissent trois mues, puis, à une quatrième, de- viennent nymphes en prenant des rudiments d’ai- les. Enfin, à la cinquième mue, du milieu de l'été à l'automne, les ailes sont développées, et l'insecte est apte à reproduire. Les sauterelles peuvent émellre des sons comme les grillons, surlout les mâles. C’est encore le même mécanisme ; ces in- sectes sont des cymbaliers et frottent leurs élytres l'une contre l’autre, Le son n’est plus produit dans toute l'étendue de lélytre, mais à sa base, dans une partie transparente qu’on appelle le miroir. Une seule note répétée constitue ce chant mono- 22 308 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. tone. Il est des espèces cachées dans lherbe qui chantent le soir seulement ; d’autres se font enten- dre pendant le jour. Ainsi, la grande sauterelle verte, qu’on appelle à tort la cigale dans le nord de la France, fréquente les prairies un peu humides, les orlies; le mäle, perché sur quelque buisson, chante Fig. 305. — Dectique verrucivore pondant pendant toute la nuit à la fin de l’été. On croirait entendre zic, zic, zic, avec des interruptions égales à la durée de chaque note. A cette espèce se rap- porte par erreur la célèbre fable de La Fontaine : la Cigale et la Fourmi. Je ne sais trop si le fabuliste connaissait la vraie cigale. C’est, au contraire, pen- dant le jour qu’une plus grosse espèce, le dectique verrucivore, au milieu des blés mürs, produit une Fig. 302. — Courtiliére, larves et œufs. ORTHOPTÈRES. 341 stridulation analogue, un peu plus lente (fig. 303). Au dire de Linnæus, les paysans suédois croient que cet insecte, en mordant les verrues qu’on a sur les doigts, les fait disparaitre, grâce à la liqueur dégorgée. De petites espèces de dectiques, pareille- ment grises, habitent les prairies, et on trouve dans les vignes, en automne, quelquefois près de Paris, mais surtout dans le midi de la France, les éphip- pigères dont le corselet, fortement excavé, ressemble à une selle de cheval. Les males et les femelles sont également bruyants, en frottant l'une contre l’autre deux écailles voûtées qui représentent leurs ailes rudimentaires. Tous ces insectes chanteurs sont très-timides et cessent de s'appeler dès qu'ils en- tendent le moindre bruit. D’autres orthoptères, encore mieux organisés pour le saut que les précédents, par suite de la lon- gueur et de la force de leurs pattes postérieures, ne possèdent plus chez les femelles cette longue ta- rière de ponte des sauterelles. Ces acridiens ou eri- quets sont tous diurnes et aiment pour chanter à grimper au soleil sur les herbes : ils fréquentent les lieux secs et recherchent la chaleur. Les pays de montagnes en ont de nombreuses espèces, se ras- semblant en grande quantité dans les sentiers qui sillonnent les pentes gazonnées, là où les mulets ont répandu leur urine. Les chants des criquets sont plus variés que ceux des sauterelles, peuvent avoir plusieurs notes et se modifier, tantôt chant d'appel pour la femelle, tantôt chant de colère, si plusieurs mâles se rencontrent. Les sons sont moins musi- caux que ceux des grillons et des sauterelles. Il y à 149 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. là plutôt un bruit de crécelle, mais avec des tim- bres très-divers, selon les espèces, comme si les pièces sonores étaient en carton, ou en bois, ou en métal. Yersin a noté en musique les chants des or- thoptères. Les criquets sont des violonistes. Leur chant se produit par le frottement des pattes de derrière contre les élytres. Ordinairement, les deux pattes frottent à la fois. La note est grave si le mou- vement de la patte est allongé et lent, aiguë si ce mouvement est court et rapide. Il y a des espèces où une tout autre note que la note habituelle est donnée par des mouvements alternatifs des pattes. Le chant s'accélère à mesure que le soleil monte au-dessus de l'horizon, et se ralentit à l'approche de la nuit, ou quand la saison devient plus froide. Enfin, les femelles de ces mâles si bruyants, et les deux sexes de certaines espèces, font le même mou- vement des pattes sans que notre oreille perçoive de son. Très-probablement, il y a là une musique très-douce qui n’est destinée qu'à ses auditeurs na- turels. Il semble que les criquets musiciens habi- tent de préférence les contrées tempérées et froides de l’Europe, et que les espèces à stridulation insen- sible aiment mieux les régions chaudes du Midi. Là, les orthoplères musiciens sont remplacés par les cigales (hémiptères), bien plus bruyantes, mais d'un chant moins varié d’une espèce à l’autre. Tous, nous connaissons ces criquels qui s'enlè- vent à quelques mètres au-devant du promeneur, et lui font admirer leurs belles ailes rouges ou bleues. La plupart des espèces volent peu; mais cerlaines, sous l'empire de causes inconnues, se ORTHOPTÈRES. 345 gonflent d’air et entreprennent ces désastreux voya- ges qui sont un des plus grands fléaux des régions chaudes. Deux espèces, dans l'ancien monde, sont le désespoir de l’agriculteur. La plus grande, le eriquet voyageur, se rencontre des côtes occidentales de lAfrique aux rivages de la Chine. Une seconde espèce, de taille un peu moindre, l’œdipode mi- grateur (figuré dans l'introduction), s’avance plus au nord et se montre dans le midi de la France et dans toute l’Europe orientale. On en trouve des in- dividus isolés dans les prairies de la banlieue de Paris. Le nouveau monde et l'Australie ont aussi quelques autres espèces d’acridiens à migrations, mais moins fréquentes et moins désastreuses que dans l’ancien monde. On a reconnu, en étudiant en Afrique le criquet voyageur, qu’il a cinq mues : la première a lieu cinq jours après la sortie de l'œuf: la seconde six jours après la première ; la troisième huit jours après la seconde; et, dans ces trois pre- mières mues, l’insecte n’a pas d'ailes. Ensuite se produit la quatrième mue au bout de neuf jours, et l’insecte est alors en nymphe, avec des rudiments d'ailes. Enfin, la cinquième mue ou l’état parfait arrive dix-sept jours après; en tout quarante-cinq jours à partir de la sortie de l'œuf. L'histoire de tous les temps a enregistré les si- nistres voyages des acridiens. Les criquets dévasta- teurs paraissent habituellement prendre leur ori- gine dans les déserts de lArabie et de la Tar- larie ; les vents d'est les amènent en Afrique et en Europe. On voit des vaisseaux couverts de ces insectes à 60 ou 80 lieues en mer. Les vents 344 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. sont en effet leur auxiliaire indispensable. Nous ne remonterons pas aux époques éloignées pour cher- cher les récits de leurs dévastations, des famines qui les suivent et des pestes qui résultent de leurs cadavres amoncelés. L'Europe fut particulièrement ravagée en 1747, 1748, 1749. En 1748, une de leurs nuées arriva jusqu’en Angleterre. Si les hannetons ont forcé une diligence à rebrousser chemin, les criquets ont arrêté l’armée de Charles XIT, en re- truite dans la Bessarabie, après sa défaite de Pul- tawa. L'armée se trouvait dans un défilé, hommes. et chevaux étaient aveuglés par une grêle vivante sortie d’un nuage épais interceptant le soleil. L’ap- proche des criquets fut annoncée par un sifflement pareil à celui qui précède la tempète, et le bruisse- ment de leur vol surpassait le sombre mugissement de la mer courroucée. Aux Indes, dans le pays des Mahrattes, on en vit une colonne serrée sur une longueur de 80 lieues et épaisse de plusieurs pieds. Barrow et Levaillant nous rapportent que les criquets dévastent souvent l'Afrique australe, que leurs cadavres masquent la surface des rivières, et que le sol semble balayé ou hersé. En 1835, des nuages de criquets cachaïent, en Chine, le soleil et la lune. Après les végétaux sur pied, les récoltes en magasin et les vèlements dans les maisons furent dévorés. Les habitants s’en- fuirent dans les montagnes. En 1780, le Maroc fut en proie à la plus affreuse famine, à la suite des criquets, et les pauvres déterraient les racines el recherchaient pour se nourrir les grains d’orge dans la fiente des dromadaires. A la fin de 1864, les ORTHOPTÈRES. 545 plantations récentes de cotonniers furent détruites au Sénégal par les criquets, et on observa un nuage d'avant-garde de 15 lieues de long. Notre colonie algérienne, dans toute son étendue, est très-sou- vent leur proie. Le général Levaillant en à vu à Philippeville un nuage de 3 à 4 myriamètres de longueur former .sur le sol, en s'abattant, une couche de 0,3. Les récoltes furent ruinées en 1847. En 1845, l'Algérie avait été éprouvée en entier par le fléau des acridiens. Depuis, leurs invasions avaient été partielles ; mais, en 1866, leurs bandes, sorties du Sahara , couvrirent de nouveau toute notre colonie, et les désastres méritèrent le nom de calamité publique qui leur est donné dans la circu- laire du comité central de souscription , présidé par le maréchal Canrobert (Moniteur du 6 juillet 1866). L'invasion commença au mois d'avril; les criquets, sortis des gorges et des vallées du sud, s’abaltirent d'abord sur la Mitidja et le Sahel d’AI- ser ; la lumière du soleil était interceptée par leurs nuées ; les colzas, les avoines, les blés, les orges, les légumes furent dévorés, et les insectes dévas- tateurs pénétraient même dans les maisons. Les Arabes tentaient d'empêcher par de grands feux et d’épaisses fumées, et par divers bruits, la descente de leurs faméliques essaims. A la fin de juin, les jeunes criquets sortis des œufs, atffamés en raison de la déprédation précédente, comblaient les sour- ces, les canaux, les ruisseaux. L'armée, par cor- vées de plusieurs milliers d'hommes, réunit ses efforts à ceux des colons et des indigènes pour en- 346 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. fouir les cadavres amoncelés, mais avec peu de succès devant le nombre immense des criquets. Presque en même temps, les provinces d'Oran et de Constantine furent envahies. Le sol était jonché de criquets à Tlemcen, où, de mémoire d'homme, Fig. 504.— Grand criquet d’.frique, petites larves sortant de l'œuf, œufs (acridien voyageur). ils n'avaient paru. Is atlaquèrent à Sidi-Bel-Abbès, à Sidi-Brahim, à Mostaganem, les tabacs, les vignes, les figuiers, les oliviers même, malgré leur amer feuillage ; à Rélizane et à l'Habra, les cotonniers. La route de 80 kilomètres, de Mascara à Mosta- ganem, en était couverte sur tout son parcours. On les rencontra, dans la province de Constantine du Sahara à la mer et de Bougie à la Calle, dévas- ORTHOPTÈRES. 5417 tant les environs de Batna, Sétif, Constantine, Guelma, Bône, Philhippeville. Le fléau n’a pas dis- paru les années suivantes, et il a amené en grande Fig. 305. Fig. 306. Abdomen d'acridien Abdomen de locustien et tarse grossi. et tarse grossi. partie, sur le territoire arabe, une désolante fa- mine, aidé, 1l faut le dire, par un mauvais système de propriété et de cullure et le fatalisme musul- man. Quelle pénible stupeur, quelle angoisse pro- fonde, dans toute la France intelligente et instruite, à la lecture de cette lettre lamentable de l’archevé- que d'Alger, pleine de charité ardente et si dignc- ment évangélique ! Il semble qu'après tant de désastres on devrait admirablement connaitre ces criquets et surtout l’acridien voyageur de 1866. Il n’en est rien, et, dans Particle du Moniteur, qui annonce oflicielle- ment le fléau à toute la France (1* juillet 1866), et inscrit la souscription dont la famille impériale s’'empresse de prendre l'initiative, il est dit que les sauterelles donnent naissance à des légions de cri- quets. Autant confondre un bœuf avec un cerf. 348 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. Dans notre pays, ces erreurs sont continuelles, triste mais inévitable conséquence de la part pres- que nulle accordée dans l’enseignement élémen- taire à l’histoire naturelle, malgré ses applications si fréquentes ! ILest facile d'établir la distinction. Les sauterelles ou locustes ont de longues et fines antennes ; des tarses au bout des pattes, à quatre articles. L’abdo- men des femelles se termine par une longue tarière ousabreleurservantà pondredansdestrous(fig. 306). Les acridiens ou criquets ont des antennes plus ou moins courtes et épaisses, des farses de trois ar- ticles, et Pabdomen des femelles manque toujours de la longue tarière cornée, remplacée par quatre pièces, deux supérieures, deux inférieures, plus ou moins acuminées (fig. 305). Aussi la ponte a lieu sur le sol même. L’acridien voyageur dépose en- viron quarante œufs, disposés sur trois rangs lon- gitudinaux,oblongs, d’un jaune pâle entourés d’une matière visqueuse, à laquelle se colle la terre ou le sable, de sorte que ses œufs sont dans une sorte de nid, courbe, arrondi à un bout et tronqué à l’autre, qui est fermé par une calotte de terre. Pour s'opposer à tant de désastres, on ramasse les criquets avec de grands filets traînants, et on recherche pour les brûler leurs œufs déposés sur le sol ou sur les branches. Les nègres du Soudan essayent d’épouvanter les criquets dans leur vol par leurs cris sauvages, et on a vu,en Hongrie, employer à cet effet les détonations du canon. Dans la Grèce antique, des lois imposaient les citoyens de diverses provinces à un certain nombre de mesures de cri- ORTHOPTÈRES. 349 quets. En 1613, en Provence, on paya des primes de 50 centimes par kilogramme d’œufs,et moitié de ce prix pour les adultes. Marseille dépensa alors 25,000 francs, et Arles 25,000. Plus récemment on dépensa dans le même pays pour cette chasse 2,997 francs en 18292, 2,849 en 1895, 5,842 en 1824 et 6,200 en 1825. En 1850, on donna en Algérie une prime de 25 centimes par sac de criquets, et on les apportait à Médéah par charge de trente à quarante dromadaires. Par une sorte de vengeance due à une cruelle nécessité, des populations se nourrissent de ces insectes, et ont mérité le nom d’acridophages. Moïse en permet quatre espîces aux Hébreux (Lévit., vi, v. 21 et 22); les Grecs les vendaient au marché (Aristophane, les Acharniens, v. 1115); saint Jean-Baptiste en fit sa nourriture dans le désert (Matth., Évang., c.ur, v. 4), et Diodore de Sicile rap- porte que les Éthiopiens les servaient sur leurs tables. De nos jours, en Algérie, les indigènes man- sent le criquet voyageur, l'espècela plus commune, nommée par eux djerad el arbi (la sauterelle arabe). M. Lucas a observé que ce sont surtout les Bédouims ou habitants des plaines, et les Kabyles ou habitants des montagnes, et très-rarement les Maures, qui l’emploient comme aliment. À cet effet, les Arabes leur coupent la tête en prononçant les mots sui- vants : Bism Allah (Au nom de Dieu), Allah akbar (Dieu le plus grand), enlèvent les ailes et les grandes pattes, puis salent le corps et le mangent au bout de quelque temps. La saveur du mets n’est pas très- désagréable, au dire de M. Lucas. En Arabie, les 390 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. femmes et les enfants enfilent les criquets en cha- pelets pour les vendre après dessiccation. Les pro- phètes s’en nourrissaient autrefois dans les grottes du Carmel ; aujourd’hui, en Orient, on les mange au café comme dessert et friandise. Il est des pays où on les fait frire ou bouillir ; les Hottentots les aiment beaucoup. CHAPITRE IX NÉVROPTÈRES Les termites, ouvriers, soldats et sexués. — Les termiles des Landes. — Les termites exotiques, la mère séquestrée. — Les raphidies et les man- tispes. — Les libellules et leurs chasses, ruse des larves. — Les éphé- mères, leur longue vie à l'état de larves, mœurs diverses de celles-ci, métamorphose supplémentaire. — Les perles et les némoures, larves et nymphes. Comme dans l'autre section de l’ordre des né- vropières, ceux qui n’ont que des métamorphoses incomplètes se divisent, sous ce raport, en deux oroupes, selon que les larves et les nymphes sont terrestres comme les adultes ou qu’elles habitent l’eau à ce premier état. Les termites sont les plus curieux représentants des premiers. On les nomme souvent fourmis blan- ches, à cause de leurs teintes blanchâtres, poux de bois, vagvagues, carias, etc. Les prétendus peuples mangeurs de fourmis se nourrissent réellement de termites, dont on dit que les nègres sont très- friands. Nous retrouvons chez ces insectes l’exis- tence de sociétés nombreuses, et la fonction de reproduction, pivot unique de ces prétendus gou- vernements, est divisée en un plus grand nombre d'individus que partout ailleurs, même chez les 352 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. bourdons. Là où la révolte est impossible, la sub- ordination est inutile. Comme la plupart des es- pèces de termites sont exotiques, elles n’ont été l’objet que d’observations peu scientifiques. On se préoccupe surtout des dégâts qu'ils causent, et beaucoup de points de leur histoire restent encore obscurs. Il nest nullement certain qu’on soit auto- risé à généraliser ce qui n’a encore été constaté que sur un très-petit nombre d'espèces. Il existe en France, principalement dans les landes de Gas- cogne, deux espèces de termites. La plus abondante fait des nids en parcelles de bois rongé, composés de quelques centaines d'individus, dans les sou- ches des pins qui restent en grand nombre sur le sol après que les arbres ont été coupés. On nomme cette espèce termite lucifuge, parce que, à Pordi- naire de tous les termites, ils rongent les objets ligneux à l'intérieur, en respectant toujours la sur- face externe, de sorte qu’on se trouve dans la plus parfaite ignorance de leurs atteintes. Un grand nombre de maisons de la Rochelle, Rochefort, Tonnay-Charente ont eu leurs poutres entièrement détruites à l’intérieur. A Tonnay-Cha- rente, une salle à manger s'écroula, et ’amphitryon et ses convives tombèrent à la cave. On peut voir dans les galeries du Muséum les colonnes de bois qui soutenaient la salle et qui furent rapportées par Audouin, en mission pour constater les dégäts des termites. L’hôtel de la préfecture de la Rochelle était envahi par ces insectes, et les archives furent en partie détruiles, la reliure des registres restant intacte. On est forcé de les enfermer maintenant NÉVROPTÈRES. 553 dans des boites de zinc. M. Blanchard à vu, aux voûtes des caves de la préfecture, des tubes formés par des matériaux agglutinés, servant de galeries aux termites qui ne paraissaient pas à l’air libre. Le linge est aussi exposé à la dent de ces insectes. Au- douin a rapporté de Tonnay-Charente le voile de noces d'une dame entièrement troué par eux. Cer- tains quartiers d'Agen et de Bordeaux commencent à souffrir des ravages de ces insectes. Leurs socié- tés restent séparées dans les bois; elles se réunis- sent dans les villes pour leurs déprédations. M. Lespès a reconnu dans les termitières des landes cinq sortes d'individus bien distincts. Cha- que nid présente d’abord un couple fécond, roi ou reine, ou petit roi el petite reine. Il S'y trouve des neutres de deux formes différentes. Les plus nom- breux sont des ouvriers, de la taille d’une forte fourmi, chargés de creuser les galeries dans le bois, de soigner les œufs, les larves et surtout les nymphes, en les aidant à opérer leurs mues, les brossant, les léchant ; d’aller à la recherche des provisions, de les emmaganiser dans le nid. Chose singulière ! ils sont aveugles. D’autres neutres, bien moins abondants, au lieu de la tête arrondie des ouvriers et de leurs courtes mandibules, ont une énorme tête, presque moitié du corps, un peu carrée et avec de très-fortes mandibules croisées. Ce sont les soldats chargés de la défense du nid, se précipitant pour mordre les agresseurs. Au reste, ces pauvres défenseurs sont aveugles comme les ouvriers. L’anatomie a fait voir à M. Lespès que ces neutres des deux sortes sont les uns des mâles, 95 304 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. d'autres des femelles, toujours à organes avortés. Il se rencontre des larves de deux variélés, res- semblant beaucoup aux ouvriers. Les unes doivent devenir des neutres, les autres des mâles ou des femelles, et on les reconnait en ce qu’elles ont de très-légers rudiments d'ailes. Les nymphes à ailes imparfaites deviendront des mâles et des femelles. Il en est qui ont de longs fourreaux pour les ailes; d'autres, plus ramassées, ont des fourreaux alaires plus courts. Les larves et les nymphes des indivi- dus sexués ont les veux cachés sous la peau. Les males et femelles seuls ont des veux des deux es- pèces, composés et simples. Ils prennent des ailes et émigrent ; puis, comme les fourmis, les perdent aussitôt après que la fécondité des femelles est as- surée. Les mâles et femelles provenant des nymphes à longs fourreaux deviennent les petits rois et pe- Htes reines, après leur essaimage qui a lieu à la fin de mai. En août, des autres nymphes éclosent des mâles et des femelles plus volumineux, plus fé- conds, qui sont les rois et reines. Les couples des deux sortes, recueillis par les ouvriers et les soldats, forment le noyau de colonies de printemps et d'automne. [l y à là, comme on le voit, une re- marquable complication. L'abdomen de la reine est énorme et traine à terre. Elle se tient dans une galerie profonde du nid, sans cellule spéciale ; le male ordinairement près d’elle. Quoique très-em- barrassée de son gros ventre, elle marche cepen- dant assez bien, et le roi est toujours très-vif. Les ouvriers ne paraissent pas avoir pour eux de soins d'aucun genre. 2 NÉVROPTÈRES. 255 Des faits analogues, mais avec un caractère plus tranché, plus exagéré, se montrent chez les termi- tes exotiques. Quelques espèces ont été étudiées dans l'Afrique australe par un voyageur hollandais, Smeathman, à la fin du siècle dernier. L’une d’elles, le termite belliqueux ou fatal, construit en terre sâchée des nids en monticules coniques, pouvant dépasser 3 mètres de hauteur, assez solides pour supporter le poids des taureaux sauvages. Smeathman et ses compagnons se cachaient en em- buscade entre ces grands nids pour chasser ; 1l rap- porte qu'il monta une fois sur l’un d'eux avec quatre hommes pour chercher à lhorizon si quel- que navire n'était pas en vue. Au milieu de la partie inférieure du nid est'la cellule royale oblongue, à voûte arrondie, ayant jusqu’à 0,25 de longueur. Elle est entourée des salles de ser- vice du couple royal. Au-dessus sont des ma- gasins remplis de parcelles de gomme et de sucs de plantes solidifiés. Dans le pourtour du nid sont de grandes chambres ou nourriceries, avec cellules de bois collé à la gomme. Là sont déposés les œufs de la reine, et éclosent les jeunes larves. Ces chamn- bres, grandes parfois comme une tête d'enfant, sont bien ventilées. Le haut du nid est occupé par un dôme creux, plein d'air. On trouve dans ce nid une mullütude d'ouvriers , de 0",005 de longueur, des soldats, de 0*,010, dont chacun pèse autant que dix ouvriers, des mâles et des femelles non fécon- dées, de 0",018 de longueur, pesant autant que trente ouvriers. Les ailes des mâles, qui ne subsis- tent que quelques heures, ont 0",050 d'envergure. 386 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. « La cellule royale, dit M. de Quatrefages!, ren- ferme toujours un couple unique, objet des soins les plus empressés, mais qui achète sa grandeur au prix d’une réclusion perpétuelle, car les portes et les fenêtres du palais, suffisantes pour laisser passer un ouvrier ou un soldat, sont trop étroites pour livrer passage au roi et plus encore à la reine. Celle-ci, toujours au centre de la chambre prin- cière et reposant à plat, frappe tout d’abord les veux de l'observateur. Qu'elle ressemble peu à ce gracieux insecte aux ailes fines, à la taille svelte, qui n'avait que trois à quatre fois la longueur et trente fois le poids d’un ouvrier ! Kes ailes ont dis- paru, la tête et le corselet sont restés à peu près les mêmes ; l'abdomen, au contraire, a pris un dé- veloppement monstrueux et tend à s’accroitre sans cesse. Dans une vieille femelle, il est deux mullé fois plus gros que le reste du corps, et atteint jusqu’à 0",15 de long. Cette femelle pèse alors autant que trente mille ouvriers, el, grâce à cette obésité exagérée, les précautions prises pour prévenir la fuite sont parfaitement mutiles, car elle ne peut faire un seul pas. Quant au mâle, il a aussi perdu ses ailes, mais n a d’ailleurs changé mi de dimensions, ni de formes. Toutefois 1l use peu de sa faculté de locomotion, et, tapi d'ordinaire sous un des côtés du vaste abdomen de sa compagne, 1l se borne à ôtre le mari de la reine. Les travailleurs et les soldats ont l'air de faire assez peu d'atten- tion au roi ; mais ils sont fort occupés de la reine. 1 Souvenirs d’un naturaliste, t. W, p. 387. 1 it — | 1 D || I] ï | | TN | k Lime Ve M Fig. 507, 508, 509, 310. — Termite lucifuge, mâle, ouvrier, soldat, grossis ; femelle féconde d'un termite exotique. NÉVROPTÈRES. 359 L'espace laissé libre autour de celle-ci est constam- ment rempli par quelques milliers de serviteurs empressts qui circulent autour d’elle en tournant toujours dans le même sens (fig. 307, 508,509,310). Les uns lui donnent à manger, d’autres enlèvent les œufs qu'elle ne cesse de pondre, car ici, comme chez les abeilles, cette reine est avant tout la mère de ses sujets. » Sa fécondité est devenue vraiment pro- digieuse chez les termites exotiques. Son corps dé- formé n'est plus qu'un sac à œufs. II Y en a toujours un de mûr, eton voit de continuels mouvements de contraction s’exécuter, tantôt sur un point, tantôt sur l'autre. Elle pond au delà de soixante œufs par minute, plus de quatre-vingt mille par jour. De ces œufs naissent des petiles larves blanches, objets des soins les plus attentifs ; elles se nourrissent de cham- pignons qui poussent sur les murs gommeux et hu- mides des couvoirs. Vers la saison des pluies les nombreux mâles et femelles de la termitière pren- nent des ailes, et sortent par millions, lors d'une soirée d'orage, de leurs retraites souterraines. Leur vie aérienne dure peu, leurs ailes flétries se déta- chent au bout de quelques heures. Le sol est jon- ché de ces insectes qui deviennent la proie de mille ennemis. Quelques couples, recueillis par des ou- vriers, protégés par des soldats, sont Les noyaux de nouvelles termitières, et bientôt se trouvent cloi- trés chacun dans une cellule royale. Smeathman signale encore un fermite mordant, construisant des mds en forme de colonnes cylin- driques, terminées par des chapeaux voûtés comme des champignons, et un fermite destructeur, établis- 360 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. sant aux fortes branches des arbres des nids en forme de grosses boules composées d’un mélange de branchage, de feuilles et de terre réunis à des sucs gommeux et résineux. Les insectes y abordent au moyen de tubes clos et maçonnés descendant le long de l'arbre. Rien de plus curieux, rapporte- t-il, que les voyages des termites. Les soldats, qui font l'office d'inspecteurs quand les ouvriers ré- parent une brèche au nid, se postent ici en défen- seurs sur les flancs de la colonne d'ouvriers. Cer- tains se placent en sentinelle sur des plantes, et de temps en temps battent des pattes, de façon à pro- duire un cliquetis. À ce signal, l’armée répond par une sorte de sifflement prolongé, et tous doublent le pas avec la plus grande ardeur. On rencontre au printemps dans les bois, volant contre les troncs d’arbres, surtout les pins et sa- pins, des insectes à grosse tête triangulaire suivie d’un long corselet. Les ailes ont de fines nervures, el les femelles ont une longue tarière pour déposer leurs œufs entre les écorces où vivent les larves (fig. 5311). Celles-e1 sont allongées, carnassières, et se Raphidie remarquable, tordent comme de petits ser- ax pents (fig. 5312). De là le nom de raphidie serpentine donné à l'une des es- pèces. Il y en a plusieurs se ressemblant beau- coup, loujours rares. On les nomme, en Allemagne, mouches à tête de chameau. Les nymphes, pourvues de fourreaux d'ailes, sont agiles et commencent à ressembler aux adultes (fig. 315). Près de ces ra- NÉVROPTÈRES. 361 phidies se rangent les mantispes. La forme du corps et des ailes est analogue ; les pattes de devant sont” EG k@u D s CAE = du on nt ns 155 20. Fig. 312.— Larve Fig. 313. Fig. 314. de raphidie, Nymphe de Mantispe païenne. grossie. raphidie, grossie. élargies, épineuses et repliées pour saisir les in- sectes, comme chez les mantes. Une des plus rares captures qu’on puisse faire dans les bois des envi- rons de Paris est celle de la Mantispe paienne, dont les métamorphoses sont à découvrir (fig. 314). Les névroptères aquatiques dans leurs premiers états quittent peu le bord des eaux. Les libellules volent avec rapidité en repassant sans cesse aux mêmes endroits. La grâce de leurs mouvements, leurs riches couleurs qui disparaissent malheureu- sement par la dessiccation, leur ont valu le nom de demoiselles. Leurs veux énormes, embrassant tout l'horizon, leurs fortes mandibules indiquent des insectes cruels et carnassiers. Chacun a son terri- toire de chasse, saisit au passage les mouches, les papillons et les déchire aussitôt. On voit souvent les femelles planer au-dessus des eaux, surtout des eaux stagnantes el vaseuses. L’extrémité de leur long abdomen se replie et 362 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. touche l'eau de temps à autre. C'est un œuf qui tombe au fond et donne naissance à une larve. Celle-ci rappelle la forme de l’adulte, mais plus ra- massée. Elles sont souvent couvertes de la vase dans laquelle elles aiment à vivre. Leur respira- tion est fort étrange. L’eau pénètre dans la partie terminale du tube digestif très-élargie et dont les parois portent un réseau de délicates branchies communiquant avec les trachées. Cette eau sort ensuite refoulée brusquement, et la larve s’avance par un effet de recul. Elle n’a plus ces branchies latérales en panaches qui servent en outre à la na- tation chez d’autres larves aquatiques. Cette larve, lourde et peu agile, est cependant très-carnassière, avide d'insectes, de mollusques, de petits poissons. Elle s'approche lentement de sa victime; puis, tout d'un coup, débande sa lèvre inférieure, très-longue, qui était repliée sous le thorax. Deux crochets, si- tués à l'extrémité, forment une pince pour saisir la proie, qui, par le retrait de cette lèvre, se trouve naturellement portée à la bouche. Les nymphes, un peu plus allongées que les larves et à moignons d’ailes, ont les mêmes mœurs (fig. 515, 316). Pour se transformer elles sortent de l’eau et s’attachent par les pattes à quelque plante. Le soleil sèche peu à peu la peau, qui se fend en long sur le dos, et la libellule se débarrasse de son fourreau. Elle reste molle pendant quelques heures ; puis, ses tégu- ments bien raffermis, prend son essor. Les adultes vivent plusieurs mois. Les grandes espèces sont souvent emportées, dans l’ardeur de leur chasse, fort loin des eaux. On rencontre parfois sur les NÉVROPTÈRES. 305 coteaux secs la plus grande espèce des environs de Paris, atteignant 0,1 de longueur, l’æschne grande, dont le vol dépasse en vélocité celui de l'hirondelle. Ce sont surtout les ailes antérieures Fig. 515, 516. — Larve de libellule et éclosion de l'adulte. qui concourent au vol des libellules, et qui peu- vent encore le produire seules, quand on a coupé les autres. Quand ces insectes se tiennent au repos à l'extrémité des branches, les ailes restent étalées. Dans des genres, voisins, les insectes volent beau- coup plus lentement, et tiennent au repos les ailes relevées. Ainsi les calopteryx, dont les larves ai- ment les eaux courantes et dont les adultes, pour- vus d’ailes colorées, volent au bord des fleuves et 304 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. des rivières. Le calopteryx vierge est très-commun dans toute la France. Le mâle, d’un bleu métalli- que, a ses ailes diaphanes traversées d’une bande bleue verdûâtre, et la femelle offre le corps d'un vert de bronze etles ailes d’un brun clair. Is se posent fré- quemment sur les roseaux. Les agrions ont le corps très-grêle, les yeux très-éloignés lun de l’autre et très-saillants. Leur corps est tantôt d’un blane de lait, tantôt brun, tantôt vert. Ils volent faiblement, et abondent sur les buissons qui bordent les mares. Ils peuvent voler avec l’une ou l’autre paire d'ailes qui sont bien égales. Leurs larves sont minces et illongées. Les éphémères sont des sortes de libellules dégra- dées, dont les adultes ne vivent que quelques heures sans prendre d'aliments, comme l'indique leur bouche imparfaite. L'éclosion a lieu le soir, plus rarement le matin, et la nuit ou le Jour suflit pour accomplir leur reproduction et mettre fin à leur existence. C'est ce qu’indique leur nom. Bien- tôt les étangs, les rivières sont jonchés de leurs ca- davres, véritable manne pour les poissons. Le sol semble parfois couvert de neige, et on assure même que, dans certaines parties de la Hollande, on les ramasse à pleines charretteset qu’on s’ensert comme engrais. Au-dessus des eaux, on voit une nuée de ces éphémères qui se précipitent en tournoyant autour des lumières. Chez elles Jes ailes de la se- conde paire sont très-pelites, et manquent dans cerlains genres. Les antennes sont deux soies très- courtes comme celles des libellules. L’abdomen se termine par deux ou trois longs filets; les pattes NÉVROPTÈRES. 565 antérieures, très-grandes , se tiennent dirigées en avant. L'éphémère vulgaire est brune, tachée de jaune, avec les ailes enfumées, à taches brunes, et les trois filets de l'abdomen sont bruns (fig. 517). Les éphémères, dans leur vol, s'élèvent et s'abaissent con- tinuellement; en agitant leurs ailes, elles montent ; en les laissant étalées et immobiles, ainsi que les filets de l'abdomen, elles retombent. Les poëtes et les philosophes se! sont complu à établir leurs com- paraisons sur la vie si courte de cet élégant in- secte. Le fait n'est même pas exact pour les adultes, car on peut prolonger leur vie pendant une à deux / / semaines en empêchant la reproduction. Il est tout à Fig. 317. fait faux, sion prend l'os: Éphémère vulgaire, adulte. tenceentière de insecte, qui est d’un an ou plus. Les femelles laissent tomber dans l’eau leurs œufs en deux ou trois paquets portés au‘dehors de l’abdomen, et cette ponte se fait avec une extrême rapidité. Les paquets d'œufs s'imbibent d’eau et vont au fond. Il en nait des larves très-agiles, entourées sur les côtés de longs panaches de branchies qui leur ser- vent en même temps à nager. L'extrémité de l'ab- 566 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. domen est muni de deux ou de trois longs filets, comme dans les insectes parfaits. Selon les genres, ces larves offrent des différences intéressantes. Celle des éphémères proprement dites et des palingénies, de forme cylindrique, sont fouis- seuses et se creusent avec leurs mandibules et leurs pattes de de- vant des galeries droites, séparées les unes des autres et à deux ou- verlures, dans la vase argileuse et molle des bords des rivières et des étangs (fig. 518). Dans cet abri qui les soustrait à la vora- cité des poissons, elles se nourris- sent de petits insectes, et vivent deux ou trois ans. Les bætis ont des larves plates qui ne creusent pas de terriers, mais demeurent Fig. 518. Larve d'éphémére appliquées contre les pierres dans vulgaire, grossie. les ruisseaux rapides. Elles sont carnassières, et vivent un an. Les cloës ont des lar- ves nageuses allongées et cylindriques qui chassent en nageant les petites proies. On (rouve souvent dans les maisons, contre les vitres et les rideaux, la cloë diptère, qui n’a que deux ailes et vole peu (fig. 319). Enfin, les larves rampantes des pota- manthes ne peuvent fouir, se trainent sur le limon, s’'entourent de vase et chassent à Pembuscade. Les nymphes des éphémères ne diffèrent des larves que parce qu’elles ont des rudiments d'ailes (fig. 320). Elles se meuvent et se nourrissent de la même manière. Le dos, sorti de l’eau, se gonfle NÉVROPTÈRES. 367 et se fend lors de l’éclosion de l'adulte. Elle a lieu à la surface même de l’eau pour les larves eylindri- ques, et la peau de la nymphe sert de radeau à l'adulte. Les larves plates sortent de l’eau et s’atta- 1) \| \\ ETS 0ÈSE Fig. 19. Fig. 520. Nymphe Cloë diptère, grossie. d'éphémère vulgaire, grossie. chent. En s’échappant de la peau de nymphe, les éphémères présentent une particularité remarqua- ble. L'animal parait lourd, il vole mal, ses ailes sont en partie opaques. Il se fixe sur quelque plante, et se débarrasse, au bout d’une ou deux heures, d’une dernière peau, très-fine et blanche, qui recouvrait le corps et les ailes, et reste attachée 368 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. au support en conservant la forme de l’insecte. On oblient, au lieu de la première forme (subimago); un insecte à ailes diaphanes, volant beaucoup mieux, et dont les antennes, les soies caudales et les pattes sont plus longues (imago). Cette dernière mue est spéciale aux métamorphoses des éphé- mères. Les perles et les némoures sont des insectes au vol Es NS , — LE # ee CIN LL EL) PE cu KK SS | Fig. 521. — Perle à deux points, adulte. faible, ne quittant pas le bord des eaux. Leur corps est large, la tête surtout, leurs ailes amples et celles de la seconde paire très-développées en ar- rière, et se repliant sur elles-mêmes dans le repos (fig. 521). En outre les supérieures s’entre-croisent. Les larves sont toujours nues, sans fourreaux, tou- Jours aquatiques (fig. 322). Les unes respirent au moyen de branchies placées latéralement, les au- tres par la peau. Elles nagent peu, mais marchent NÉVROPTÈRES. 369 au fond des eaux, en laissant leur abdomen trainer sur la vase. Elles se cachent sous les pierres ou contre les feuilles et les tiges des plantes aquatiques. Elles aiment les eaux courantes et se plaisent là où l’eau se précipite et se brise sur les pierres. On les voit souvent balancer leur corps, en se tenant fixées par leurs pattes contre une pierre. Elles sont exclusivement car- nassières, vivent de petits in- sectes, de larves d’éphémères ou de larves d'espèces de leur senre. Elles chassent à l'affût en se cachant dans la vase. Les nymphes prennent des rudi- ments d’ailes, et, à cela près, ont la vie et les habitudes des larves (fig. 5323). Pour se méta- morphoser, elles sortent de l’eau et atlendent, en se sé- Fig. 322. Perle à deux points, larve. chant, qu'une couche d’air soit venue s’intercaler entre l’ancienne peau et la nouvelle. Alors, la peau se fend au milieu du thorax. L'adulle ne vit que peu de jours, car sa bouche est imparfaite et il ne mange pas. Les larves ont passé l'hiver, et c’est sur- tout au printemps qu’éclosent les adultes. Une es- pèce est très-commune à Paris, au commencement d'avril, et se trouve sur les parapets des quais el des ponts, et contre les maisons des rues voisines. Les femelles sont bien plus fortes que les mâles, el 24 370 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. pondent dans l’eau les œufs associés en paquels peu compactes, sans gelée comme les phryganes, et se séparant facilement. Les larves et les nymphes des perles ont à l’ex- trémité de l'abdomen deux longs filets qui subsis- / \ Fig. 595. Fig. 8 Perle bordée, larve-nymphe. Némoure trifasciée, larve. tent chez les adultes. Il en est de même pour les premiers états des némoures (fig. 324); mais chez celles-ci les soies caudales demeurent attachées à la dépouille de la nymphe, et les adultes en man- quent ou n'en sont que des vestiges (fig. 325). Ils sont plus grèles et plus délicats que les perles, avec une tête plus petite, plus ronde et moins aplatie. Dans beaucoup d'espèces, les males ont les ailes plus petites que les femelles, et même quelquefois NÉVROPTÈRES. 571 à l'élat de rudiments. C’est une exception fort re- Fig. 325. — Némoure bigarrée. marquable chez les insectes, où ce sont au contraire les femelles qui d'habitude présentent, dans cer- lains types des divers ordres, une réduction ces ailes. CHAPITRE X HÉMIPTÈRES Les cigales et les fables anciennes. — Les cigales de France et leur chant. — Les fulgores, les lystres et leur cire. — La cercope sanglante l'aphrophore écumeuse. — Le petit diable, les membraces aux formes étranges. — Les pucerons, double reproduction. — les cochenilles, espèces utiles. — Les punaises des eaux, pain d'œufs de punaises. — Les gerris et les hydromèêtres courant sur l'eau. — Les punaises de hois. — La punaise des lits et le réduve. — Les puces, soins maternels. Les hémiptères ont tous un bec replié en dessous et plus ou moins long, droit et non courbé en spi- rale comme la trompe des papillons. On appelle homoptères ceux dont les ailes supérieures sont par- tout de mème consistance. Parfois les ailes infé- rieures sont pareilles aux précédentes, parfois plus minces. Les plus remarquables représentants de ce pre- mier groupe d'insectes sont les cigales. Nous em- pruntons à l’érudition d’un de nos anciens collè- ques de la Société entomologique, Amyot, quelques détails sur les croyances antiques dont les cigales furent l'objet. Les Grecs étaient des partisans dé- clarés des cigales et faisaient leurs délices de leur chant qui nous parait, à si juste titre, étourdissant et monotone. Platon, au début du Phèdre, s’ex- HÉMIPTÈRES. 315 prime ainsi: «Par Junon, le charmant licu de repos! Il pourrait bien être consacré à quelques nymphes et au fleuve Achéloüs, à en juger par ces figures et ces statues. Goûle un peu le bon air qu’on respire ; quel charme et quelle douceur! On entend comme un bruit d'été, un murmure harmonieux qui accompagne le chœur des cigales. J'aime sur- tout celte herbe si douce dont la pente mollement inclinée semble disposée tout exprès pour s’y cou- cher et y reposer sa tête, avec quel plaisir ! » Ho- mère compare les sages vieillards troyens, assis près des portes Scées, aux cigales, à cause de la suavité de leur éloquence. Platon à reçu aussi le même éloge. On parle d’un monument qui avait été élevé en Laconie à la beauté du chant des cigales, avec une inscription destinée à en célébrer le mé- rite. Les cigales, disaient les Grecs, provenaient d'hommes nés du limon de la terre (c’est toujours la vieille fable des générations spontanées). Ils en- seignèrent aux Muses l’art de la musique : mais ils avaient une telle passion d'harmonie, qu'oubliant de boire et de manger pour chanter, ils moururent de faim. Les Muses reconnaissantes les changèrent en cigales, en leur donnant la faculté de vivre sans manger, pour ne s’occuper qu'à chanter. Cette fable ingénieuse peint l’msouciance des artistes, oublieux des soins de la fortune par amour de leur art, Aussi la cigale était l'emblème de la musique On la re- présentait posée sur un instrument à cordes, la cithare, Eunome et Ariston, luttant un jour en- semble de talent sur cet instrument, et une des cordes de celui d'Eunome s'étant brisée, une cigale 974 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. vint se poser dessus et remplaça avec (ant de succès la corde manquante, qu'il remporta la victoire. Les Égyptiens traçaient aussi la figure de la cigale dans leurs hiéroglyphes comme symbole de la musique. La cigale était spécialement chez les Athéniens un signe de noblesse; ceux qui se vantaient de l’anti- quité de leur race, qui se prétendaient autochthones ou nés de la terre du pays, portaient une cigale d’or dans les cheveux. Les Locriens frappaient sur leurs monnaies la figure d’une cigale. La rive du fleuve où Locres était bâtie se faisait, dit-on ,remarquer par l'abondance et le bruit des cigales, tandis que sur l’autre rive du même fleuve où Rhège était située, on ne les entendait jamaïs chanter. Une fable popu- laire prétendait qu'Hercule ayant un jour voulu chercher le sommeil sur cette rive, fut tellement tourmenté par le bruit des cigales, qu'il s’em- porta en imprécations contre elles et obtint des dieux qu’elles ne pourraient plus chanter en ces lieux. Dans toute l'antiquité et jusqu'aux temps mo- dernes, on croyait que la cigale ne prenait aucune nourriture, si ce n’est en suçant la rosée. De là l’ode charmante d'Anacréon : A LA CIGALE. Heureuse cigale, qui, sur les plus hautes branches des arbres, abreuvée d'un peu de rosée, chantes comme une reine ! ton royaume, c'est tout ce que tu vois dans les champs, tout ce qui nait dans les forêts. Tu es aimée du laboureur; personne ne te fait de mal; et les mortels te respectent comme le doux prophète de l'été. Tu es chérie des Muses, chérie de Phébus ÉMIPTÈRES. 515 même, qui t'a donné ton chant harmonieux !. La vieillesse ne t'accable point. O sage petit animal, sorti du sein de la terre, amoureux des chants, libre de souffrances, qui n’as ni sang ?, ni chair, que te manque-t-il pour être dieu ? Les Grecs enfermaient les cigales dans des pots ou dans de petites cages pour se donner le plaisir de les entendre. Ils regardaient leur corps comme un mets délicat, en choisissant, d’après Aristole, les femelles remplies d’œufs et surtout les nymphes qu'on cherchait en terre au pied des arbres. On se servait de cigales dans l’ancienne pharmacopée comme remède contre les calculs urinaires. Il pa- rait que les Chinois tiennent aussi des cigales cap- tives dans les appartements pour entendre leur bruit. Les Latins avaient le chant des cigales en médiocre estime et n'y trouvaient qu’un son rauque et désagréable. Virgile s’écrie, avec l'habitude an- tique de personnifier toute la création : Et les cigales criardes ébranleront les arbustes par leur chant ! (Bucol.) Plus la chaleur du jour est forte, plus le chant des cigales est vif et continu. C’est l'instant où les moisonneurs quittent le travail pour prendre leur 1 Avpupos signifie proprement clair, aigu; mais les Grecs le prennent presque toujours dans le sens d’harmonieux. * Homère, JL, V, 342, dit que les dieux n'ont pas de sang, mais une certaine humeur aqueuse appelée iyp. Cette traduction, comme celle du Phèdre, est d'une grande exactitude. Nous en remercions un de nos anciens élèves, M. Car- rau; mais comment rendre toute la grâce et l'élégance de cette langue divine ! 316 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. repas et se reposer. Les anciens disaient que les ci- vales aimaient à se réjouir en même temps que les hommes, et que plus elles les voyaient riant, bu- vant, chantant, plus elles redoublaient de vivacité dans leurs stridulations. Virgile fait allusion à cette heure du chant des cigales, quand il dit, dans sa seconde églogue : « Thestilis broie les plantes odo- rantes de l'ail et du serpolet pour les moissonneurs succombant sous une chaleur accablante, tandis que moi, à l’ardeur du soleil, je cherche tes traces, et les arbustes résonnent de bruyantes cigales. » Le bruit des cigales est assourdissant et insup- portable dans le midi de l’Europe. A Solférino, les müriers étaient couverts de leurs légions, mais bientôt une terrible musique fit concurrence aux pauvres arlistes, qui tombaient avec les branches brisées par la mitraille. Dès la plus haute antiquité, on a observé que le mâle seul des cigales d'Europe chante, tandis que la femelle est silencieuse. Il y a des cigales exo- tiques où sans doute elles stridulent comme les mâles, car elles offrent les organes développés et non rudimentaires comme chez les femelles des cigales européennes. Aristote (Hist. des Animaux, livre V, chap. xxx) indique l’existence de l'organe sonore sous la ceinture du mâle. On voit en effet, à la base de l'abdomen du mâle, deux volets écailleux qui recouvrent l'appareil musical (fig. 526). Il con- siste essentiellement en deux cavités où sont deux timbales où membranes ridées, contournées et con- vexes en dehors, résonnant comme du parchemin sec, et munies de sillons. Deux muscles s’y atta- HÉMIPTÈRES. 571 chent; l’un, très-petit, tend la timbale, l'autre, très-développé, fixé aux parois de l'abdomen, se relie à un tendon qui s'attache au fond de la concavité de la tim- bale. Par les contractions et relà- chements très-rapidement réitérés de ce muscle, la timbale se dé- prime et reprend brusquement sa forme convexe en vertu de son élasticité. De là le son qu’on peut produire, comme Pa vu Réaumur en disséquant des cigales mâles, si on tire le tendon avec une pince sur l’animal mort. D’autres mem- branes accessoires servent à ren- forcer le son, comme la table Fig. 3%. d'harmonie d’une guitare. On ne Fr 0 | se rend pas encore compte dans tous ses détails de l'appareil compliqué de la stridulation. C'est à tort que les fabulistes ont fait des cigales un modèle d’imprévoyance. Des insectes qui doivent mourir à l’arrière-saison n’ont pas à faire de pro- visions pour l'hiver. Les cigales vivent de la séve des arbres qu’elles piquent avec leur rostre. On prétend qu’en Calabre la manne purgative découle des ornes (sorte de frènes) par suite des piqüres des cigales. Les femelles ont, à l'extrémité de l’abdo- men, une tarière munie de trois pièces. Au milieu est un poinçon qui s’enfonce dans une branche et maintient l’insecte, tandis que les deux valves den- telées scient le bois et produisent un trou où la 3178 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. femelle pond ses œufs. Dans chaque incision sont déposés de cinq à huit œufs, vers la fin de l'été. Des œufs naissent de petites larves blanches, de la srosseur d’une puce. Elles descendent le long des ges et s'enfoncent en terre où elles sucent les ra- cines des arbres (fig. 527). Elles se changent en nymphes très-peu agiles, avec rudiments d'ailes. Leurs pattes antérieurs très-développées leur per- Fig. 527. Fig. 598. Larve de cigale, Nymyphe de cigale. mettent de fouir la terre et de s'attacher aux ra- cines (fig. 328). A la fin du printemps les nymphes sortent de terre, s'accrochent au tronc, et les cigales se dé- pouillent le soir de la peau de la nymphe qui reste entière et desséchée (fig. 329). Elles sont d’abord faibles et se traînent péniblement sur les tiges. Le lendemain, réchauflées par le soleil, elles volligent, et les mâles se mettent à chan- VC ter: 25-000 nr CE de Dans le midi de la France vd ircleas se trouvent plusieurs espèces de cigales. La cigale plébéienne ou du frêne est très-commune en Provence et remonte assez loin HÉMIPTÈRES. 579 au nord. On la prend tous les ‘ans, en pelite quantité, à Fontainebleau, et, de temps à autre, accidentellement dans la Brie. Quand elle chante, ellé remue rapidement son abdomen, de manière à l'éloigner et à le rapprocher alternativement des opercules des cavités sonores. Sa stridulation est forte et aiguë, formée d’une seule note fréquem- ment réitérée, finissant par s’affaiblir peu à peu et se terminant par une sorte de sifflement, comme sf, analogue au bruit de l'air sortant d’une petite ou- verture d'une vessie que l’on comprime. Si on la saisit, elle jette des cris intenses qui diffèrent assez notamment de son chant en liberté et paraissent évidemment le résultat de la frayeur. L'entomolo- giste Solier rapporte une observation très-intéres- sante faite sur cet insecte par son ami Boyer, phar- macien à Aix, et qu'il a répétée avec lui. Les cigales, en général, sont très-craintives et s’envolent au moindre bruit suspect qu’elles entendent. Cepen- dant, lorsqu'une d'elles chante, on peut s’en appro- cher en sifflant d’une manière tremblotante, à peu près comme elle, de façon à dominer son chant. Elle descend d’abord un peu le long de larbre, comme pour se rapprocher du siffleur, puis elle s'arrête. St on lui présente une canne, en conti- nuant de siffler, elle s’y pose et redescend lente- ment encore à reculons; elle s'arrête de temps en tenfps, comme pour écouter, et finit, sous l'attrait de cette harmonie, par venir jusqu'à l'observateur. Boyer parvint un jour à en faire placer une sur son nez, où elle chantait en même temps qu'il sifflait d'accord avec elle. La cigale semblait charmée par 380 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. ce concert et avait perdu sa timidité naturelle. On croirait, avec un peu d'illusion, assister à la lutte musicale d'Eunome et d’Ariston. De même en Amé- rique les chasseurs d’iguanes (sauriens comestibles très-estimés) s’'approchent lentement et en sifflant de ces reptiles placés sur les arbres, et finissent, au moyen d’une longue perche, par leur passer au cou un nœud coulant et faire tomber à terre l’ani- mal fasciné. Une autre espèce, la cigale de l’orne, abonde surtout dans le midi occidental de la France, entre Bordeaux et Bayonne, et en Andalousie. Son chant est d’une intonalion plus basse, moins accé- léré et dure moins longtemps ; il ne se termine pas par l'expiration qui caractérise celui de l’autre es- pèce. A côté des cigales viennent les fulgores, remar- quables par leur tête vésiculeuse, tantôt gonflée et massive, tantôt offrant un prolongement grêle et recourbé. La plus grande espèce est le célèbre ful- gore porte-lanterne de la Guyane (fig. 530). Made- moiselle Sibylle Mérian rapporte qu’en ayant ren- fermé plusieurs dans une boite, ils s'échappèrent la nuit et remplissaient la chambre de léclat phos- phorescent que jetait leur énorme tête. Un de ces insectes lui servit à lire la Gaxette de Leyde, dont les caractères étaient très-petits. Depuis on a révo- qué en doute la phosphorescence de la tête des ful- gores. Peut-être cette propriété n’existe que dans un des sexes et à certaines époques. En Chine, une es- pèce plus petite, le fulgore porte-chandelle, est sou- vent représentée sur les papiers peints de ce pays. Une petile espèce loute verte, à front prolongé et Fulgore porte-lanterne. PCT Te RL 0 POUR LL et ALT EEE A rÜur ER id 2 dés URL LA ae he Lg Mint ro Ca L. 4 fu] hntré dub HEC TE (LA HÉMIPTÈRES. 583 strié de cinq lignes longitudinales, existe en Eu- rope. ©. Duméril dit l'avoir recueillie deux fois sur les noyers. Cette fulgore d'Europe se rencontre dans les Landes, à été capturée à Agen par le doc- teur Laboulbène. L’abdomen des fulgores offre une sécrétion de poussière blanche, cireuse. Dans des senres voisins, les phénax, les lystres, cette cire blanche sort de labdomen en longs filaments Fig. 351. — Lystre pulvérulente. (fig. 331). Cette matière, mêlée à de l’huile, s’em- ploie dans certains pays comme la cire d’abeilles. Il existe dans l’Europe centrale et septentrionale même un certain nombre de petits hémiptères sau- teurs qu'on nomme cicadelles, mot diminutif de ei- gale. On trouve fréquemment dans les lieux om- bragés des environs de Paris, la cercope sanglante (cigale à taches rouges de Geoffroy), ornée de trois taches rouges sur les ailes supérieures, et ayant l'abdomen et les pattes mêlés de rouge et de noir (fig. 552). Elle saute sur les buissons, mais assez lourdement, de sorte qu’on la saisit sans difficulté. Cette espèce a beaucoup de variétés à taches diverse- ment modifiées dans les parties méridionales de 584 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. l’Europe. L’aphrophore écumeuse (cigale écumeuse de Linnæus) est d’un gris cendré ou jaunâtre, avec Fig. 532. — Cercope sanglante, grossie. deux bandes obliques blanches sur les élytres du mâle, plus ou moins marquées selon les sujets, qui Fig. 355. — Larves d'aphrophore écumeuse. firent appeler l'espèce cigale bedeaude par Geofroy, d’après l'analogie avec la robe à deux couleurs des bedeaux. Les métamorphoses très-curieuses de cette espèce ont été étudiées par de Géer. Au mois de mai HÉMIPTÈRES. 585 et de juin, les larves molles et sans défense de cet insecte ont recours à un singulier mode de protec- lion. Elles ont la tête, le thorax et les pattes noires, Fig. 554. — Aphophore écumeuse, mâle et femelle. avec ses larves, grossis. l'abdomen mou, gonflé, d’un blanc grisätre, avec le bout ou dernier anneau noir. On trouve sur les tiges des arbres de presque toute espèce, surtout à Paisselle des feuilles, des amas d’écume très-blan- 25 336 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. che, que les paysans nomment écume printanière, crachat de coucou. Ce sont surtout les saules jeunes et ombragés et les petits peupliers qui offrent ces écumes ; elles sont plus rares sur les chênes et ont moins de larves. À l’intérieur de chaque flocon se trouve une larve et souvent plusieurs, jusqu'à cin- quante environ (fig. 533, 594). La larve suce la séve de la plante et bientôt rejette par l’anus une bulle d'air entourée d'une pellicule liquide, qu’elle fait ghisser au-dessous de son corps. Les bulles suc- cessives entourent la larve d’une mousse qui pré- vient la dessiccation par le soleil de son corps dé- licat. La viscosité du liquide empêche l'air de s'échapper. Par moment l’écume dégoulte des ar- bres de manière à imiter une pluie. De Geer rap- porte que des hyménoptères chasseurs savent arra- cher ces larves au milieu de l'écume qui les cache aux resards. Si on met la larve sur une plante des- sechée, Pécume s'évapore peu à peu, et la larve n'en produisant plus s’amaigrit et meurt bientôt. Les nymphes ne quittent point écume où ont vécu les larves pour subir leur dernière métamorphose. Elles ont l’art de faire évaporer et dessécher la cou- che d'écume qui les couvre immédiatement, de manière à se trouver à sec au centre d'une voûte mousseuse. Alors la peau de nymphe se fend sur le dos et l’adulte sort de son enveloppe. C'est au mois de septembre qu’on trouve sur les plantes les in- sectes parfaits, faisant, malgré leur petite taille, des sauts de 2 mètres. On a peine à saisir les mâles et à les retrouver si on les laisse échapper. Les fe- melles au contraire sont peu santeuses, à cause de grossies, — Les membraces 540 > à d . 5 Fig Centrote cornu. 9: e feuillée, Membrac 2, - Mypsauchénie baliste, Cyphonie 6. lobulaire. o L°] — 5. Bocydie épineuse, 4. Umbonie lourchue. FRET ES £ MNT CUIR 771 HÉMIPTÈRES. 589 leur ventre gonflé d’œufs. Il est probable qu'elles les pondent dans de petites entailles faites avec leur tarière sur les branches et qu’ils y passent l'hiver. Pans les endroits humides des bois des environs de Paris et de la plus grande partie de l'Europe, de préférence sur les hautes tiges de fougères et sur les chardons, on voit sauter avec vigueur un petit insecte d’un brun noirâtre, ayant à la partie antérieure du corselel deux cornes aiguës et tri- gones, avec une partie postérieure très-rétrécie ondulée et bossue dans le milieu, atteignant lab- domen à l'extrémité de cette proéminence. Celle forme bizarre aval frappé Geotfroy, le vieil histo- rien des insectes des environs de Paris, et il appe- lait le Petit diable ce bizarre Centrote cornu. Cet im- secte appartient à un typetrès-étrange, les membraces, dont le corselet se prolonge en dessus de la façon la plus singulière et la plus variée, comme la figure permet de s’en convaincre (fig. 535 à 540). Presque tous ces singuliers hémiptères de petite taille sont américains, de la Guyane, du Brésil et de la Flo- ride. On croirait volontiers à quelque caprice extra- vagant de lartiste dans le dessin si fidèle de ces créatures anomales. Des insectes dégradés, remarquables par leur extrême mulliplication et par leurs dégâts, termi- nent la section des hémiptères homoptires. Il n° a presque pas de plante qui ne possède une ou plu- sieurs espèces de pucerons. Ces petits insectes très- lents, de couleurs diverses, verts, noirs, bronzés, bigarrés, enfoncent dans les végétaux un long bec au moyen duquel ils sucent la séve, et amènent des o 0 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. déformations dans les feuilles et Les tiges. Depuis plusieurs années le puceron du tilleul abime ces ar- bres sur les promenades publiques de Paris. C’est le puceron du pêcher qui produit la cloque des feuilles, maladie que les paysans attribuent à du hâle, à des mauvais vents. Le puceron lanigère, re- couvert d’un duvet cireux, à corps rempli d’un li- quide rouge, fait souvent manquer la récolte des pommes dans les pays à cidre. On a encore fort peu éludié les pucerons qui produisent sur les feuilles des saules, des peupliers, des ormes, etc., des galles où ils sont logés en grand nombre. Ces insectes laissent suinter par de longs tubes qui ter- minent leur abdomen un liquide sucré que les fourmis et aussi certaines noctuelles (lépidoptères) recherchent avec avidité. Il parait servir à nourrir les très-jeunes pucerons. Ce liquide sucré imbibe les feuilles et les tiges où vivaient les pucerons, et bientôt se développent des matières noires, crypto- games très-inférieurs, constituant la fumagine, qui recouvre les orangers, les oliviers, ele., et cause de grands dommages. Les vignes de la Provence el du Bordelais viennent d’être envahies par un pu- ceron des racines, le Phylloxera vastatrix Planchon, et les ceps meurent. La reproduction des pucerons est entourée de singuliers phénomènes qui sont encore l’objet des plus récentes études. Bonnet reconnut le premier, en 1740, sur le Puceron du plantain, ce fait général pour les pucerons, que pendant toute la belle saison il n'existe que des femelles sans ailes mettant au monde de petits pucerons vivants également fe- HÉMIPTÈRES. 5ç1 melles, et ainsi de suite pendant un grand nombre de générations. Bonnet obtint neuf générations de ce genre. Duveau en observa jusqu’à onze en une saison. À l’approche de l'hiver apparaissent des nymphes à moignons d’ailes, puis des mâles munis d'ailes transparentes, et de même des femelles ai- lées. Très-différentes des précédentes femelles, celles-ci pondent des œufs qui passent l'hiver, et d’où naissent au printemps exclusivement des fe- melles vivipares. La température à une très-grande influence sur ce double mode de reproduction, car Kyber, en 1812, publia des expériences faites sur le puceron de l’œillet, dont il obtint, en serre-chaude, des générations exclusivement femelles et sans ailes pendant quatre années successives. La famille presque immobile des cochenilles est aussi singulière que celle des pucerons. Les fe- melles, qui sont les plus nombreuses, sont privées d’ailes, de forme globuleuse et attachées par leur bec au végétal, dont elles aspirent la séve. Elles se fixent ainsi et pondent un grand nombre d'œufs qu'elles font passer à mesure sous leur corps. Celui-ci se vide et devient, après la mort de la mère, un toit protecteur des œufs et des jeunes larves. Celles-ci d’abord agiles se fixent à leur tour, si elles sont femelles. Les mâles sont des insectes à deux ailes (les inférieures avortent), très-petits compara- tivement à leurs femelles, sans bec et toujours agiles ; ils ont des antennes pareilles à celles des femelles, mais plus complètes, leur abdomen se termine par deux longs filets, qui sont, au con- traire, fort courts chez les femelles. Comme certains 392 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. pucerons, les cochenilles sécrètent une matière ci- reuse qui revêt leur corps d’un duvet blanc plus ou moins épais. Il en est aussi qui produisent des li- quides sucrés et que les fourmis viennent visiter avec une affection peu désintéressée. Beaucoup de végétaux sont recouverts par ces singulières excroissances, dues aux femelles enve- loppant leurs œufs, et qui, confondues autrefois avec les galles, firent donner à leurs producteurs le nom de gallinsectes. On en rencontre sur l’orme, sur le chêne, le tilleul, l’aune, le houx, l’oranger, le laurier rose, etc. Certaines de ces espèces d’hé- miptères sont remarquables par les belles matières colorantes rouges qu'elles renferment. Le nom de cochenille où graine d'écarlate vient de ce qu’on prit d'abord pour une graine les femelles desséchées que les Es- pagnols importèrent du Mexique, où on les employait déjà à la teinture avant l'invasion euro- péenne. La cochenille du cactus, saupoudrée seulement de point blancs, s’élève sur le cactus no- pal et exige certaines précau- tions (fig. 5341, 342). On récolte Fig. 341, 542. Cochenille du cactus les femelles avant la ponte, en nopal, mâle et fe- melle, grossis. laissant sur la plante quelques- unes de celles-ci pour la re- production. L'insecte à été introduit aux Antilles, en Andalousie, à Madère, en Algérie, où les essais ont été heureux, mais où cette éducation se répand peu par ignorance des soins à y apporter. Cette HÉMIPTÈRES. 393 cochenille, qui donne le meilleur carmin, ne pas- sant pas à l'air comme les rouges des goudrons de houille, est de la grosseur d’un pois, et son mâle est à peine visible à Pœil. L'histoire de son impor- tation aux îles Canaries est assez curieuse. Elle v prospéra jusqu'en 18352 sur le cactus à figues de Barbarie, mais comme elle épuisait ces plantes, dont les fruits douceâtres sont d’une grande res- source pour la classe pauvre, une véritable émeutc se produisit en fut suivie du massacre des coche- milles. Actuellement il n’en reste que dans queiques propriétés. Une seconde espèce, la Cochenille sylves- tre, couverte d’un duvet qui la rend peu délicate, et bien moins sensible aux pluies, se récolte au Mexique à lélat sauvage et donne une couleur moins vive. Autrefois on employait, pour obtenir des rouges violacés, la cochenille du chêne vert, du midi de l’Europe, et la cochenille de Pologne, insec- tes assez délaissés maintenant. Aux Indes orienta- les, la cochenille laque, qui vit sur les figuiers, s’en- toure ainsi que ses larves d’une abondante sécrétion de gomme-laque. C’est une cochenille qui, en pi- quant les tamarix, produit la manne alimentaire, dont la rencontre causait la joie des Hébreux émi- grant vers la terre promise. La seconde catégorie d'hémiptères renferme ceux qu'on nomme les hétéroptères, parce que les ailes supérieures coriaces à la base sont membraneuses à l'extrémité. Le vulgaire comprend tous ces in- sectes sous le nom de punaises. Nous les diviserons irès-simplement d'après leur mode d'habitation. Les unes vivent dans l’eau, les autres à Pair libre. 394 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. Toutes les punaises d'eau sont des insectes très- carnassiers et qu’il ne faut saisir qu'avec précau- lion, car ils font pénétrer dans les doigts leur ros- tre acéré. Ils sucent avec avidité des insectes et les mollusques des eaux, auxquels ils livrent une chasse active. Nous nous bornerons à indiquer les deux principaux {ypes. Les nèpes ont l'abdomen terminé par une lon- gue tar ère formée de deux pièces servant à introduire l'air dans les trachées, et probablement aussi à la ponte des œufs (fig. 343). Ceux-£1, présentant plusieurs Fig. 543. pointes, sont enfoncés dans les ti- Nèpe cendrée. , ges submergées de plantes aqua- tiques. Les nèpes nagent mal et se trainent lente- ment dans la vase. Elles volent très-rarement. Leurs pattes antérieures sont recourbées en pince pour sai- sir la proie et l’apporter contre la bouche. Les noto- necles, à face ventrale aplatie tandis que l’autre est convexe, nagent renversées sur le dos au moyen de leurs longues pattes postérieures contournées, qui leur ont valu le nom de punaises à avirons. Un fin duvet retient autour de leur corps, comme un four- reau d'argent, l'air nécessaire à leur respiration. Elles se rencontrent dans les mares et s'y meuvent avec vélocité. Le soir elles en sortent en marchant el surtouten volant. Les femelles pondent un grand nombre d'œufs qu'elles attachent aux plantes aqua- tiques, et les larves éclosent au printemps. On HÉMIPTÈRES. © 395 trouve en abondance près de Paris une assez grande espèce, la notonecte glauque, à corps noir, à élytres d'un jaune brunâtre (fig. 944). On ne se douterait guère du singulier usage de certaines punaises d'eau de petite taille au Mexique (Corixa femorata G. Mén.). Dans les lacs voisins de Mexico, et principalement dans le lac Tesceuco, ces hémip- Fig. 34. tères aquatiques sont en Din nombre immense. On recueille leurs œufs pondus contre les jones, on les réduit en farine dont on fait des galettes d’un pain appelé hautlé, et qui à un goût prononcé de poisson. Les indigènes du Mexique faisaient usage de ce pain d'œufs de pu- naises avant la conquête. Ces punaises séchées, de la grosseur d’un fort grain de millet, se vendent dans les rues de Mexico, sous le nom de mosqui- tos, pour nourrir les pelits oiseaux en cage. Les punaises qui vivent à l'air libre renferment des genres qui courent à la surface de l’eau sans y pénétrer. Leur corps est comme huilé, afin de ne pas être mouillé, et une matière grasse, qui existe à l'extrémité des pattes, empêche l’eau d'y adhérer et la courbe au-dessous. Il en résulte, par les lois de la capillarité, une force plus que suffisante pour porter l’insecte, de même qu'on fait surnager une aiguille d'acier enduite de graisse. Si on lave avec un pinceau imbibé d'éther les bouts des pattes de 596 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. ces insectes, ils enfoncent dans l’eau et n'y mar- chent plus qu'avec peine. Les gerris courent très- vite, sous leurs trois états, à la surface des eaux calmes, et sautent rapidement par bonds à peu près égaux. Les hydromètres, dont le corps est beaucoup Fig. 345. — Hydromètre des étangs grossi. plus grêle et la tête plus allongée, sont très-souvent terrestres, et ont des mouvements plus lents à la surface de Peau (fig. 345). On rencontre au pied des arbres, au bas des murs exposés au midi, des hémiptères assez allongés, bariolés de noir et de rouge vermillon. C’est la Pyrrhocoris aptère (punaise rouge des jardins de Geoffroy, punaise sociable de Stoll). Les paysans et les enfants des environs de Paris l’appelaient au- trefois le suisse, d’après l'uniforme rouge des trou- pes suisses au service de la France. La très-majeure partie de ces insectes ne prend pas d’ailes ; on en trouve fort rarement qui présentent des élytres à membrane noire et, au-dessous, des ailes de même couleur. Ces individus aïlés sont plus communs dans les départements méridionaux. Ces punaises, dépourvues de mauvaise odeur, sucent des végé- aux, des fruits tombés, des insectes morts. Elles s’'engourdissent en hiver sous les pierres et les écorces. Les femelles déposent sous les feuilles hu- mides des œufs d’un blanc de perle, lisses et bril- HÉMIPTÈRES. 597 lants, devenant ensuite bleuâtres. Les petiteslarves sont blanches en sortant de l'œuf; elles se colorent bientôt à l'air, et leur abdomen, de forme lenti- culaire, est d’abord entièrement d'un beau rouge vermillon. Peu à peu, avec les mues, il s’allonge et se raye de bandes transversales noires. Les végétaux nourrissent de nombreuses espèces d'hémiptères larges et aplalis, répandant une odeur infecte, qui persiste longtemps sur les doigts qui les saisissent. D'après M. J. Künckel, deux glandes odorifiques occupent, chez les larves et les nym- phes, la région dorsale de l'abdomen. Chez l'adulte les ailes meltraient obstacle à leur fonction ; une autre glande se développe sur la partie inférieure du thorax, produisant la même matière odorante, Fig. 346. Fig. 547. Pentatome grise. Phyllomorphe de Madagascar, grossie. moyen de défense de ces insectes appelés punaises de bois. Nous signalerons parmi elles la pentatome grise, à corps et à élytres d'un jaune grisätre ponc- tué de noir (fig. 546). Très-commune dans toute l'Europe, elle vit en famille sur les troncs des arbres, principalement des bouleaux et des ormes 398 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. qui bordent les routes. De Geer rapporte que la femelle, au mois de juillet, conduit ses pelites larves, au nombre de vingt à quarante, comme une poule ses poussins ; elles la suivent quand elle se déplace. Si on l’inquiète, elle bat des ailes comme pour les défendre, sans fuir ni s’en- voler. Elle a surtout à les protéger contre le mâle, qui, nouveau Saturne, cherche avec empresse- ment à les dévorer. Certaines de ces punaises de bois sont remarquables par des appendices bi- zarres. Telle est par exemple la phyllomorphe de Madagascar, qui ressemble à une feuille à demi déchirée (fig. 547). Une odeur plus infecte encore relie ces espèces sylvestres avec un insecte domestique, fléau des maisons malpropres, la punaise des lits. Cet insecte n’était pas inconnu des anciens, mais parait avoir été rare autrefois. Aristote le désigne, avec les poux et les puces, parmi les insectes qui ne sont pas car-- nivores, mais qui vivent des humeurs de la chair vivante. Pline, Dioscoride, Martial en font mention. C’est à partir du seizième siècle que la punaise de- vint commune dans une partie de l’Europe. Mouffet raconte qu’elle fit son apparition en Angleterre en 1505, et que deux dames nobles, épouvantées des pustules produites par ses piqûres, firent venir en toute hâte leur médecin, se croyant atteintes de quelque contagion. La punaise des lits est inconnue dans le nord de la Suède et de la Russie, et paraît manquer aussi dans l'extrême midi de l’Europe. M. Blanchard dit n’en avoir rencontré que deux en Sicile et pas une en Calabre, pays où lPespèce hu- HÉMIPTÈRES. 599 maine ne brille pas cependant par la propreté. C’est le centre de l’Europe qui en est infesté, et Lyon est connu en France comme leur quartier général. Un célèbre naturaliste, voyageur espagnol, Azzara, re- marquant que les punaises sont inconnues chez les sauvages et n’attaquent que les hommes civilisés rassemblés dans des maisons, arrive à cette conclu- sion singulière, qu’elles ont été créées longtemps après l’homme, et seulement quand il fut parvenu à l’état urbain. I parait probable que la punaise des lits provient des Indes orientales et qu’elle y ac- quierl un développement complet des ailes et des élytres. En Europe, au con- traire, c’est une extrême ra- reté de voir la punaise des lits avec des ailes; elle reste à la mue des nymphes et n’a que des vestiges d’ailes (fig. 348). L'aplatissement de la punai- se, passé en proverbe, lui Fig 345. permel de se loger sous les Punaise des lits, grossie, tentures des murailles et dans les interstices des lits. Cet abominable insecte nocturne a l'instinct de se laisser tomber verticalement du plafond sur le lit qu'on à eu la précaution d’écarter du mur. Les œufs des punaises sont pondus isolés dans les en- coignures. Leur coque est couverte de sortes de poils destinés à faciliter leur adhérence contre les corps et les tissus où ils sont déposés. C. Duméril dit en avoir trouvé sous les ongles des gros orteils de cadavres provenant des hôpitaux. L’œuf (c'est le cas habituel de hémiptères) a un couvercle que 400 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. la petite punaise pousse pour sortir. On comprend qu'un insecte qui n’a qu’un sucçoir effilé ne pourrait percer une coque. Ces larves sont d’abord pâles et blanchâtres, puis leur tube digestif devient rouge par le sang qu’elles absorbent, ensuite tout leur corps. La punaise des lits (ou peut-être des espèces voisines) a élé rencontrée dans les nids des perdrix, des pigeons, des hirondelles et dans les poulaillers. Dans les maisons vole souvent le soir un hémi- ptère nocturne, sans odeur, qu’on ne doit saisir qu'avec précaution, car il pique avec son rostre imprégné d’un venin et produit plus de douleur qu'une abeille. Cet insecte noir et velu (figuré dans l'Introduction, p.29) est la punaise-mouche de Geof- froy ou le réduve masqué, à cause des curieuses habitudes de la larve et de la nymphe. Elles sont peu agiles, et s'enveloppent de poussière, de flo- cons de laine, de toiles d’araignées, au point de doubler leur volume. Elles s’avancent ainsi par pe- tits soubresauts et trompent sous ce déguisement les insectes qui deviennent leur proie. Adulte et volant bien, le réduve abandonne ce travestisse- ment. Sous leurs trois états les réduves font dans les maisons une guerre active aux punaises des lits, aux mouches et aux araignées. LES PUCES Les puces semblent des hémiptères dégradés, présentant les deux paires d’ailes à l’état de ves- tiges, d’écailles de la même couleur que le corps. Elles sucent le sang de l’homme et de divers ani- HÉMIPTÉR. S. 401 maux. La puce de l'homme, ou puce irritante, a le front lisse (fig. 349). Elle devient plus grosse que la puce du chien et du chat. On prétend qu’elle ac- quiert une forte taille sur les bords de la mer. Les mâles sont quatre à cinq fois plus petits que les femelles. La puce abonde dans les pays chauds ; les ; 04 OT lig. 549. Puce de l'homme, grossie. Arabes, très-malpropres, logent dans les plis cras- seux de leurs burnous des œufs de puces et des It- gions de ces insectes à tous leurs états. Les puces du chat et du chien peuvent piquer l'homme, mais moins fortement que la puce irritante, et elles le quittent volontiers. La puce du chien a le bord du front garni d'énormes épines. La puce irritante choisit avec prédilection les peaux plus délicates des femmes et des enfants. Beaucoup d'animaux ont leurs puces ; ainsi le pigeon, l'hirondelle, la chauve- souris, la taupe, le hérisson, le blaireau, le mulot, la musareigne, etc. Par une anomalie singulière, les puces si dégra- dées ont des métamorphoses complètes. Les œufs sont pondus dans la poussière, dans les fentes du plancher, sur les coussins où dorment les animaux, 26 4aU2 LES MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. dans les langes des jeunes enfants. Il en sort des larves blanches et transparentes, sans pattes, très- remuantes, se tortillant comme des petites an- cuilles. Réaumur, M. Blanchard ont vérifié, sur ces larves, un fait de mœurs étrange, unique chez les insectes. La mère puce va leur dégorger dans la bouche le sang dont elle s’est remplie, et on voit, sous leur peau transparente, se colorer le tube di- gestif. Si la mère est tuée ou se laisse emporter au loin, les larves meurent de faim. Chaque larve, au bout d’une quinzaine de jours, se file un petit co- con entremêlé de poussière. Elle s'y change en nymphe dont la forme rappelle l'adulte et qui en a déjà les longues pattes. Les puces ont une grande force musculaire. On en a montré, sous le nom de puces travailleuses, at- tachées par des fils de soie de cocon, trainant des chariots, des petits ca- nons. Cette récréation n’est pas récente, car Mouffet et Geoffroy en parlent dans leurs écrits. À propos de la force des puces, gar- dons-nous de croire, au mé- pris des mathématiques, qu’une puce de la taille d’un homme sauterait aussi haut que le Panthéon ; clle ne sauterait pas à deux mètres. L'homme est encore la proie de la puce pénétrante ou chique. Son bec est très-long, son corps effilé et étroit (fig. 550). Le mâle demeure toujours grêle el Fig. 550. Puce pénétrante, grossie. HÉMIPTÈRES. 405 errant, plus pelit que la puce irritante. La femelle pénètre sous la peau et se gonfle peu à peu par les liquides qu'elle aspire. Son abdomen devient énorme, gros Comme un pois, sur lequel la tête et le thorax ne paraissent plus que comme un point brunätre. La ponte a lieu, de graves ulcérations en résultent, et on a vu des cas suivis de mort. Ces chiques abondent aux Antilles, à la Guyane, au Brésil, en Colombie. Les pieds nus des nègres et des Indiens en sont souvent attaqués. De vieilles négresses savent les enlever avec dextérilé, à la pointe d’une aiguille, de manière à prévenir tout danger si on opère à temps. Le docteur Guyon rap- porte qu’au Mexique une compagnie de chasseurs de Vincennes fut obligée d'abandonner un vieux bâtiment où elle devait passer la nuit, en raison des insupportables piqûres d'une armée de ces puces pénétrantes. C'élait la 6° compagnie du 18° bataillon de chasseurs qui, dans la nuit du 19 au 20 mars 1862, avait reçu l’ordre de séjourner sous une vaste voûte dont le sol était couvert de pierres et de débris. Les lancettes envenimées des chiques furent plus puissantes que le fusil à ai- guille. Toutes les parties du corps de l’homme peuvent être leur proie. Elles piquent aussi les animaux domestiques et les singes élevés en cap- tivité dans les maisons. Le docteur Laboulbène a observé la chique à Paris sur un sujel revenant du Brésil, d’où il avait rapporté ce parasite vivant et développé. 40% LES MÉTAMORPIIOSES DES INSECIE*. NOTES I. — Pendant l'impression de ce livre, des ren- seignements nouveaux nous sont parvenus, relatifs au magnifique Attacus de la reine Isabelle (voy. p. 271), une des plus curieuses découvertes ento- mologiques de ce siècle. Après un premier voyage infructueux en Espagne, à la recherche de cet in- secte, le docteur Staudinger, plus heureux une se- conde fois, découvrit la chenille sur les collines qui avoisinent Madrid ; elle se nourrit des feuilles aci- culaires du pin maritime, entre lesquelles elle se transforme en chrysalide dans une coque soyeuse dont la couleur varie du brun rougeître au blond presque blanc. M. Staudinger élève maintenant celte belle espèce, très-bien figurée par M. Millière, dans les Annales de la Société linnéenne de Lyon (août 1868). I. — La vésicule rétractile qui existe sous la gorge de beaucoup de chenilles de papillons diurnes (voy. p. 238) a été vue par Bonnet en 1737. Il a reconnu qu'elle renferme un liquide acide, et a CO SE de sa découverte à Réaumur, puis à de Geer. M. Lacordaire signale le fait, oublié depuis longtemps. M. Goossens, qui a repris ces recherches anciennes, croit que la liqueur acidulée de cette vésicule se répand sur la feuille et la rend plus apte à la triluration par la chenille. TABLE DES GRAVURES Abeille femelle. . . . . . .. mâle. ‘ larve. . Acridien voyageur, œufs et lar- NES ce EEE NAS PATENT Aphrophore écumeuse, larves. AFIN UNE Le : de la reine Isabelle, Sd Chenile eau 0: Attagène des pelleteries, nym- phe, larve, adulte, . . . . Aurore de Provence... , . . . Bacille de Rossi, mâle, femelle et larves... Bittaque tipulaire. . . . . Se lee Taha lourdon terrestre, jambe et tarse postérieur.. , , . . . Bruche du pois et pois percé. Bupreste impérial... . , . | — deKolier, larve. , . € Calosome à points d'or, larve CÉYMDNE SE NN Calosome sycophante. .: : ! Cantharide mäle volant. ue _ femelle avant la DONC NE DE Carabe brillant d'or, larve... . doré... TT RUCLES a s tetes let ei P Centrote cornu. . . , . . | s nyim- coque et larve. . . . Charaxes jasius, chenille. : . 116 | Charaxes Jasius, adulte.. . . 977 | Chelonia pudica , appareils 275 SÉDduIANES NES ES 977 | Chenilles attaquées par des mi- 277 CrOBASLELS LEE RE TE Chionobas aello.. . , : : | 22 Chrysomèéle du peuplier, larve 244 | Cicindéle champêtre. . . .. — larve can — trou d'affût de la lagre PR RE er 303 — nymphe en dessus. . 159 — en dessous... . . . . 128 | Cigale plébéienne, mâle en 987 ÉSSOUSER En . . . CRE RER | | NYNPHE" - . : . 27} Cigale sortant de sa nyinphe. 406 Cloë diptère. SSMOMOEUE Coccinelle à sept points. . . . — SANATYE Cochenille du cactus nopal , mäle et femelle., . . Coléophore (chenilles à four- reau d'une).. . . . . Coliade palæno, chenille et chrysalide. . . Ciee Couriilière, larves et œufs. Cousin, mile et femelle, nym- phe, larve, éclosion.. Criocère du lis, larve et adulte. Cutérèbre nuisible , ue larve, nymphe. . . : Cynips des baies de chêne: . Cynips aptère, femelle et larve. Cyphonie fourchue. . . . . . Dectique verrucivore pondant. Deiléphile de l'euphorbe.. bermeste du lard, nymphe, larve ratdulte ee Dicranura erminea, chenille. Dytique bordé,maile et femelle, et patte antérieure du mâle. Dytique bordé, nympheet larve. très-large, femelle. Elatère murin, larve. Empuse appauvrie, ‘femelle, mâle et sa larve. . . Ennomos de l'aune, chenilles arpenteuses. . . Ephémèére vulgaire , adulte. — larve. nymphe . Érébie euryale, femelle. . , . F Fausse chenille de cimbex va- riable "Me à Tlambé (papillon). : Forficule auriculaire, adulte nympne et larve. - Fourmilion adulte. : larve, nymphe et co- CON: : 2 A CRETE Fourmilion (son entonnoir). Fourreau de mousses _{phry- ganes . Le — de coquilles. réguliers... 5€ Fulgore porte-lanterne. ! 2 G Galles des feuilles de chène TABLE DES 599 «292 GRAVURES. Goliath de Drury. . . . . Grande tortue, chenille et chr ÿ- salidé. "Fe CURE TA Grillon champêtre, mâle Guêpe commune, nymphe.. . Guêpe-frelon,en trois segments. Gymnopleure flagellé Gyrin nageur. . . . 567 144 114 291 944 — larve... 399 H 205 145 Hanneton commun, mâle et fe- melle.. . . ” 320" |Hannefon, tar\e RER 220 — nYNmphe ESC 221 | Harpye du hètre, chenille. 531 | liespérie sylvain, mâle... Heterogynis penella, mâle, ; melle, cocon et chrysalide de la femelle. . . . . . : 558 Hydromètre des étangs. Û : 2) ose brun larve et coque. à sa filière. : _— nymphe. Hydropsyche atomaire, larve, adulte, nymphe, sa maison. Hylésine du! pin... ee Hypoderme du bœuf. : Hypsauchénie baliste. . . . 96 EE 599 Kakerlac oriental. . . . . . . 28 L 565 : 366 | Lampyre noctiluque, mâle et 367 femelle: 1e," R"hr 4e 929 | Leptodère de Hohenwart. Libellule déprimée. . . Libellule, larve et éclosion de l'adulte. . . 10140000 _ | Liparis queue-dorée.. . . . 295 | Locustien, abdomen et tarse 2 grossis. ON « Lophyre du pin, mâle. 324 | Lucane cerf-volant, larve, nym- 139! phe, insecte mäle et femelle. Lucilia hominivorax, larve, 1481 adulte. : RS 147 | Lystre pulvérulente. . : : : - 166 166 so. 165 381 | Machaon: . : : ME Mante religieuse et sa larve.. Manticore à larges élytres.. . Mars (Pelit) 60e Mantispe paienne. : TABLE Mégacéphale de l'Euphrate. . Mégasome recourbé, chrysalide et GCOUCOILe + » +. lolo Re - Melipone scutellaire.. . . . . Mélophage du mouton. . Membrace feuillée.. Mormolyce-feuille. . larve et nymphe... Moro-sphinx butinant. : sa chenille. . Mouche tsetsé et sa tête grossie. Mutille maure, femelle et mâle. Myrméléon libelluloïde. . larve. Myrmique lævinode, larve. nyriphe. 2 Myrmique ouvrière. . . . . . mäle.. x Nécraphore fouisseur. . . . . germanique. . . . Nécrophores enterrant une taupe... . SE Némoptére de Cos... SCO Némoure bigarrée, nymphe. : Némoure bigarrée, adulte. Némoure trifasciée, larve.2 : Nepe cenirép- "1-0" Me. Noix de galle coupée. ARRETE Notonecte glauque. . . . Nyctéribie de la chauve- souris. Nyssia zonaria, mäle et fe- melle.. o Ophion obscur... . . -- Oplope à pieds lisses, adulte. SON nid eh Eu ARE Ricci = — nymphe. Orgye antique, mâle et femelle. Ornéode hexadactyle. . . . Orycte nasicorne, mâle et fe- melle (Têtes d’).. Sox Orycte nasicorne, mâle (nym= phe). . VE Osmyle tacheté | P Paon (petit) de nuit, femelle. sa chenille, son cocon.. Panorpe femelle el mâle. . . pince du mâle. . . . femelle pondant.. . . larve et nymphe. . Papillon alexanor.. . . . . Papillon machaon, chenille et chrysalide. PANE L: GRAVURES. Parnassien Apollon. = Pélopéeltourneur-1-11r7 7 — larve eftrnidé -/.1 Pentatome grise. . . Perle à deux points, adulte. larve . Perle bordée, larve-nymphe. Phaléne æsculaire femelle. Phalène défeuillée, mâle. . . femelle. Phalène ‘hyémale, male: : femelle. Philanthe ‘ ARITORE DPPrARt une abeille. PL Philanthe apivore, son cocon. Phrygane MENU nymphe . adulies. . . Phrygane e rhombique. ; au repos. larve. . . Phyllomorphe de Madagascar... Piéride du chou, mäle.. Piéride du chou, chenille et chrysalide. é Pimple mani'estateur femelle. Pissodes notatus. . . . . . . Poliste française, nid. . . l'olyommate Xanthe adulte , chrysalide, chenille. . . . . Pompie des chemins enlevant TUEUR o80 0 ee me Psithyré rupestre. . . + - « - — jambe et tarse posté- HIGUTS= M. =: e Mie Psyché du gramen, mâle et che- mule ee 5*E Psyché radiella, ‘chenille. Ptérophore pentadactyle... Puce de l'homme.. . Puce pénétrante.. . Punaise des lits.. LME Pyrophore noctiluque. . . . . C'RCRCE Raphidie remarquable, mâle. larves te mn nymphe. . Réduve masqué... . . . . . . Riyacophile vulgaire , | larve, nymphe, abri, cocon et adulte males nt Sarcophage carnassière, larve et nymphe. . . ic etes + de la viande. Satyre myrlil, femelle. . . . Scarabées sacrés roulant leurs boules. . pe 48 TABLE DES Scarite géant à l'affût... . . . 63 Scolyte replié, larve.. . . . . 155 Semblide de la boue, adulte, nymmphe Jarre. 161 Sésie apiforme, femelle. . . . 248 Setina aurita, appareils stri- Ua SENS NAN ENNE 258 Silphe à quatre points.. . . . 80 NO AN TER STE ET RES 24 Silphe tho acique.. . . . . . SU Silpha lævigata adulte, avec larve et colimaçon dévoré... SI Sisyphe de Schæffer.. . . . . 120 Sirex géant, femelle.. . . . . 294 Sitaris huméral, adulte. . 150 — première larve . . 130 — deuxième larve. . . . 131 — pseudonymphe.. . . . 151 — troisième larve. . . . 151 — A NMPNE. SET 151 Sphinx du troëne, chenille.. . 34 Sphinx du liseron, chrysalide. 42 Sphinx tête de mort et sa che- MUC ER EAN CET 255 Staphylin odorant, adulte (face et profil), nymphe et larve. Sténopléryx de l'hirondelle. , 3521 Sylvain (pet) EE te 1250 T Tanpin, organe du saut (face). 95 — (profil). 95 Reine des ÜrAps 2 0 ESS — Adrapirpn ELEC RU) — larve marchant... . . 9289 — fourreau suspendu. 289 Ténébrion de la farine et sa LEO ERNEST 128 Termite lucifuge, mäle, ou- Wrier SDIHAÉ -.. MU ORIe 657 Termite exotique (Femelle fé- Condeun) 7 +. 357 Tipule des potagers pondant, avec nymphe et larve.. . . SOI Trachea piniperda à ses di- Vers étais RAP EE, | 284 FIN DE LA TABLE GRAVURES U Umbonie épineuse.. . . . . . v Vanesse gamma.. . . . . .. Vanesse morio éclosant. . . . Vanéése mOrIo NES EFALS eve STE EN CRE Ver à soie en position de mue RE QU CPOS ES EE : PNB NUS CCE Volucella zonaria, adulte,. . . larve, nymphe., . . x Xanthe (Polyommate).. . . . Xylocope femelle et son nid. Z Zeuzère du marronnier, fe- son cocon. , . Æ Ædès cendré, moustique. . . Æstynomus edilis, mâle et fe- nelle larve et nymphe.. RC . Œ Œcophore du prunier.. . . . Œdipode migrateur.. , . . . Œstre du cheval, mâle et fe- œufs collés aux poils... portion d'estomac avec lat es... cETORRORE DES GRAVURES 317 TABLE DES MATIÈRES Cuap. I. Ixrropucriox. — Prétendue génération spontanée des insectes, 1. — Expériences de Reli, 4. — Insectes séparés des autres annelés, 7. — Organisation des insectes, 11. — Sens merveilleux, 20. — Instincts, intelligence, 25. — Principales subdivisions, 24, Cuar. II. MérauorPnoses, 52. — Idées anciennes sur les mélamorphoses, 33. — Véritable acception, 36, — Évolutions successives, 37. — Mues, 57. — Insectes sans métamorphoses, 359. — Insectes à mélamor- phoses incomplètes, 39. — Insectes à métamorphoses complètes, 40. — Conclusion. 45. I. — INSECTES A MÉTAMORPHOSES COMPLÈTES. Cuap. LIL. CocéoprÈres, 47. — Carnassiers de proie vivante, cicindéles et carabes, 49. — Les calosomes, chasseurs de chenilles, 59. — Le mor- molyce-feuille, les scarites, 61, 65. — Les canonniers, 65. — Carnas- siers aquatiques : dytiques, 67; gyrins, 71; hydrophiles et leurs coques; mœurs cruelles des larves, 72. — Les fossoyeurs, 77 ; les sil- phes, amis des cadavres, 79; les coléoptères des cavernes, 81. — Les staphylins, 84. — Les dermestes destructeurs, 87. — Les vers luisants, 90 ; les driles, chasse aux colimacons, 92. — Les taupins, leurs sauts, 95; phosphorescence, 95. — Les vers blancs et les hannetons, 97; ravages, 99. — Les cétoines, 104; les goliaths, 107. — Le scarabée rhinocéros, 109. — Les pilulaires, le scarabée sacré, 111. — Les fables antiques, 111. — Les cerfs-volants, 124. — Les ténébrions des bou- langeries, 128. — Curieuses métamorphoses des coléoptères vésicants, 130. — Les charançons ou porte-becs, 132. — Les bruches des l- gumnes secs, 153. — Les scolytes 135. — Les richards ou buprestes, 156. — Les capricornes, 138. — Les chrysomèles, 143. — Les criocères et les cassides; mœurs étranges des larves, 144. — Les coccinelles enne- mies des pucerons, 144, Cuar. IV. NévrorrÈres, 146, — Les fourmilions et leurs piéges, 147. — e ” 410 TABLE DES MATIÈRES. Les ascalaphes, 150. — Les némoptères, 153. — Les hémérobes, lions des pucerons, 154 — Les panorpes, métamorphoses nouvellement connues, 155. — Les biltaques, les borées, 159. — La semblide de la boue, 161. — Les phryganes, 162; larves à fourreaux mobiles, 165 ; larves à abris fixes, 16). Cuar. V. HymÉxortÈres, 172. — Les abeilles; mères, 175; faux-bourdons, 476; ouvrières, 176, — Éducation des larves, 181; influence de la nourriture, 184. — Les mélipones, ou abeilles sans aiguillon, 186. — Les bourdons, 188. — Parasites de leurs nids, 191. — Abeilles soli- taires, perce-bois, 195 ; maçconnes, coupeuses de feuilles et tapissières, 196. — Anthidies, 197. — Guêpes et polistes, 198. — Guëêpes soli- tres, 201. — Hyménoptères fouisseurs, 205. — Le philanthe api- vore, 204. — Le pompile des chemins, 205. — Pélonées, 206. — Fourmis, travaux, soins maternels, combats, 209. — Essaimage des mäles et des femelles, 215. — Ichneumoniens zoophages, 215. — Cynips et galles végétales, 220. — Hyménoptères purte-scies; ravages, perforations, 222. Cuar. VI, LÉrinoptÈres, 225. — Les satyres des plaines, 227; des mon- tagnes, 228, et des neiges, 228.— Les nymphales, 250. — Les vanesses, 255 ; pluies de sang, 256. — Les argynnes des bois, 237. — Les argus, 259. — Le machaon et le flambé, 240. — Les piérides, 245; les co- liades, 244; les aurores, 24. — Les parnassiens des montagnes, 245. — Les hespéries, 246. — Les sésies, 247. — Les zygènes, 248; les étranges hétérogynis, 249. — Les sphinx, 251. — La tête de mort, 254. — Les papillons qui chantent, 258. — Les bombycides, 259. — Le ver à soie, 259 ; ses âges, 261; son cocon, 265; son papillon, 265. — Les paons de nuit, 270. — Les auxiliaires du ver à soie, 272. — Les pro- cessionnaires, 276. — Le cossus gâte-bois, 281. — Les orgyes à fe- melles aptères, 282, — Les psychés et leurs fourreaux, 285. — Les noctuelles, 285. — Les chenilles arpenteuses, 285. — Les phalènes, 285; les papillons de l'hiver, 286. — Les tordeuses, pyrales et teignes, leurs dégâts, 288. — Les brillantes adèles, 290. — Les ptérophores aux ailes divisées, 291. Cap. VIL. Drorères, 292. — Les cousins, larves et nymphes, 295; éclosion en bateau, 294. — Les moustiques, 297. — Les tipules, 3500. — Le vermilion et ses piéges, 505. — Les volucelles, 305. — Les mouches des viandeset des cadavres, 308.—La mouche qui tue les forçats à Cayenne, 309. — Les mouches des squelettes, 5311. — Les mouches ennemies des chenilles, 311. — La mouche tsetsé, fléau de l'Afrique centrale, 313. — Les œstres, leurs larves à l'intérieur des chevaux et des moutons, 516, — Les mouches des tumeurs, 518. — Les mouches-araignées sur les mammifères et les oiseaux, 320. + « s TABLE DES MATIÈRES. 411 11. — INSECTES A MÉTAMORPHOSES INCOMPLÈTES,. Cuar. VIIT. Onruoprères, 525. — Les perce-oreille, 324, — Les blattes cosmopolites et leurs ravages, 525. — Les mantes et les empuses ; chasse à l'affût, 528. — Les bacilles pareils à des branches, 3551. — Les grillons, 35?, et les courtiliéres, 335. — Les sauterelles, leur chant, 5517. — Les acridiens voyageurs, 345. — Dévastations, 544. — L'Algérie en 1866, 545. Cap. IX. NévrortÈres, 551. — Les termites, ouvriers, soldats et sexués, 551. — Les termites des Landes, 355. — Les termites exotiques, 555 ; la mère séquestrée, 556. — Les raphidies, 360, et les mantispes, 561. — Les libellules et leurs chasses, ruses des larves, 561. — Les éphé- mères, leur longue vie à l'état de larves, 365; mœurs diverses de celles-ci, 366; métamorphose supplémentaire, 367. — Les perles et les némoures, 568; larves et nymphes, 569. Cap. X. HÉmiprÈres, 572. — Les cigales et les fables anciennes, 573. — Les cigales de France et leur chant, 378. — Les fulgores, 380; les lystres et leur cire, 585. — La cercope sanglante, 584; l'aphrophore écumeuse, 585. — Le petit diable, 389; les membrances aux formes étranges, 389. — les pucerons, double reproduction, 390. — Les coche- nilles, espèces utiles, 5392. — Les punaises des eaux, 394; pain d'œufs de punaises, 595. — Les gerris et les hydromètres courant sur l'eau, 596. — Les punaises de bois, 397. — La punaise des lits, 39, et le réduve, 400. — Les puces, soins maternels, 401. FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES FAHI=. — IMP, SIMON RAÇON ET COMP., RUE D'ERFURTH, Î- à D” ; AAANQER £ s Les té , (lle e sun 4 mi! he. tes nn 006 0 dE Fe ou Lo 1 tu, VO Dr DELL. | , Fo lui 28 - re" ER LUE PRE Fc sr à AE T. 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