I yr K. "% UBFARY IJNIVERSITY^ TORONTO >X'i smJ LE SOGIALISMK ET L'AGRICULTURE BlBimÈOUE SOCIALISTE l?iTERi\.4TIOI4LE (SÉRIE lN-18) DEVILLE (G.). — Principes socialistes. 1898, 2e édition. 1 volume iii-18 3 fi\ 50 MARX (Karl). — Misères de la philosophie. Réponse à la philosophie de la misère de M. Proudhon, 1890. 1 volume in-18. 3 fr. 50 LABRIOLA (AntonioV —Essais sur la conception ma- térialiste de l'histoire. 1897. Avec prélace de G. Sorel. 1 volume in 18 3 fr. 50 DESTRÉE (J.j et VANDERVELDE (E).— Le Socialisme en Belgique. 1893. 1 volume in 18 3 Ir. 50 LABRIOLA (Antonioj. — Socialisme et Philosophie. 1899. 1 volume inl8 2 fr. 50 MARX (Karl;. — Révolution et contre-révolution en Allemagne, traduit par Laura Lafargue. 1900. 1 volume in 18 2 fr. 50 (SÉRIE lN-8) WEBB (Béatrix et Sydney). — Histoire du Trade-Unio- nisme. 1.^91, traduit par Albert Métin. 1 v. in.8 10 fr. «o KAUTSKY (Karl). — La question agraire. — Etuda sur les tendances de l'agriculture moderne, traduit par Edgard Milhaud et Camille Polack. 1900. 1 volume in-8 8 fr. »» MARX fKarl). — Le Capital. — traduit à l'Institut des sciences sociales de Bruxelles par J, Borchardt et II. Vanderrydt : — Livre U. — Le Procès de circulation du capital. 1900. 1 vol. in-lS 10 (r. »» — Livre 111. — Le Processus d'ensemble de la produc- tion capitaliste. 1901 1902. 2 volumes in 8 . . 20 fr. »» Pour parai tve prochainement ; Livre I. — Le procès de production du capital. 1 v, in-8. A LA MEME LIBRAIRIE CROCE iBenedetto). Matérialisme historique et Econo- mie marxiste. (Estais critiques), traduit par Alfred Bounnt. 18'Jl. 1 volume in-18 ' 3 Ir. CO FERRI (E.), professeur à la Faculté de Rome. — Socialisme et science positive (Darwin-Spencer-Marx). 1897. 1 voluuie in8 4 fr. »<> MA.RX (Karl) et ENGELS (Fr.). — Manifeste du parti communiste. Nouvelle édition française autorisée avcx les I)réface.s des auteurs aux éditions allemandes. Traduction de Laura Lafaryue, revue par En^cels 1901. Un j)etit volume in-18 0 fr. 20 — Prix, salaires, profits. 1899. Une broch. in-18. 0 fr. 50 RAE John). — La Joui'uée de huit heures. Théorie et étude comparée de sos applications et de leurs résultats éco- nomiijm's et sociaux. 19J0. 1 volume in-8 ... 6 fr. »» SOMBART (Warner), professeur à l'université de Breslau. — Le socialisme et le mouvement social au X1X« siècle. 1 volume inl>< 2 fr. »» SAl.Nr-AM.\ND, CHER. IMPRIMERIE BUSSIÈR^. LiIBLIOTHÈQUE SOCIALISTE INTERNATIONALE publiée sous la direction de Alfred BONNET VII LE ± ET L'AGRICULTURE PAR G. GATT D L 1' C T E AU PARLE .M E .\ T ITALIEN avec une introduction G. SOREL PARIS V. GLVRD & E. BRIÈRE LIBRAIRES-ÉDITEURS 16,. RUE SOUFFLOT, 16 1901 A MES PARENTS : FEDERICO GATTI ZEFFIHA ORSI GATTJ INTRODUCTION Il y a dans le monde beaucoup de thèses qui se mainliennent par la brce de la routine et qui ne sont plus fondées sur les faits : c'est ainsi qu'il n'est pas exact de dire aujourd'hui que les parlis socialistes nationaux ne sont que des fractions d'une grande armée prolétarienne, répandue dans le monde entier^ animée d'un même esprit, pour- suivant un but identique pour tous. Lorsque l'on veut faire ressorlir les ressemblances qui existent entre les divers socialismes, on est obligé de se contenter de formules dénuées de portée pratique ou den revenir aux déclarations purement démo- cratiques. En réalité, il y a au moins autant de socialismes qu'il y a de grandes nations ; pour les étudier, il ne faut pas seulement connaître le développement in- dustriel de chaque pays, il faut savoir aussi quelles sont les vues politiques dominantes et les diverses manières de comprendre les rapports sociaux, c'est-à-dire les sentiments juridiques du peuple. On a pu dire qu'il y a autant de socialismes que de races^ et M. G. Le Bon (I) s'est efforcé de mettre en lumière les grandes différences qui existent, à (1) Cl. Le Bon. — P^ijchologic du socialisme. 8 INTRODUCTION ce point de vue, entre les Lutins et les Anglo- Saxons ; son étude est insuffisante, parce qu'elle est fondée sur les qualifications de la psychologie classique ; et nous savons que celle-ci a été conçue pour décrire la vie des classes supérieures; les explications de l'histoire par la psychologie sont toujours superficielles parce qu'elles supposent que presque tout, dans l'histoire, dépend des sentiments des gens du monde. On admet, comme une chose évidente, que les idées socialistes se rattachent étroitement à l'orga- nisation du travail; mais cela ne signifie rien tant que l'on ne spécifie point ce qu'on entend par ce terme. Dans un premier sens, on peut dire que la manière de vivre et d'agir des ouvriers se rattache à leur métier ; mais il ne s'agit pas seulement de connaître foulillage dont se servent les travailleurs : le métier est, en quelque sorte, une technique vi- vante, qui fait de l'homme un élément du méca- nisme de la production. L'homme n'est pas un insltument passif, dont le mouvement soit donné par une définition géomé- trique ; il faut savoir de quelle manière il s'adapte à son travail ; on est ainsi amené à se poser des questions qui se rattachent à la psychologie de l'attention et qui ne doivent pas être examinées d'une manière générale, mais à propos de chaque genre d'occupation. Marx (I) considérait la race (1) Citpital, tome I, page 220, col. 2. — Cl', dans Récolii- non et contre-rcvohUion le ctiapiire viii sur les Slaves. — M. G. L"'errero a cherché à définir les qualités des races pour le travail, d'après leurs tendances erotiques [VEu- ropa t/iorane, pages 190-208) ; mais il ne peut entrer ainsi dans le détail et est obligé d'identifier tous les travaux. INTRODUCTION » comme un facteur essentiel dans l'histoire de l'in- dustrie humaine ; mais peu de recherches ont été faites par les marxistes dans cet ordre d'idées ; — celte omission de leur part ne doit pas trop éton- ner, car ils ont, généralement, fort négligé la diffé- renciation technologique dans l'économie (l) et beaucoup trop raisonné suivant la tradition démo- cratique, qui nivelle toutes choses. Les idées sociales apparaissent seulement quand le travailleur tait un retour sur lui-même pour juger les rapports qui se sont réalisés dans l'atelier : c'est ainsi que la conscience juridique du peuple se remplit de notions qui sont en rapport étroit avec la constitution des classes et qui persistent fréquem- ment durant des siècles, longtemps après que les conditions primitives ont disparu. Tous les voya- geurs nous apprennent que les émigrants trans- portent souvent, loin de leur pays, des manières tout à fait particulières de comprendre la société : les observateurs ont noté, par exemple, la conduite des Irlandais en Amérique ; dans les professions où ils sont nombreux (2), l'organisation ouvrière prend des caractères exceptionnels ; — si en Nouvelle Zélande les Ecossais ont exercé une grande in- fluence sur la législation sociale, cela tient moins, je crois, à leur tendance aux solutions théoriques (3) (1) Cela est surtout remarquable dans ce qu'écrivent encore tant de socialistes sur la concentration capitaliste, sans tenir compte des difTérences qui existent entre les industries. (2) Cf. l'organisation si singulière des ouvriers de che- min de fer {Mmée social, avril 1899). (3) Pierre Leroy-Beauliec. — Les nouvelles sociétés anglo- saxonnes, page 137. — Le servage des houillères et des salines a disparu en Ecosse en 1799 seulement. 1* 10 INTRODUCTION qu'aux itlros ft-odales transmises par une longue Iradi'ion. Ce qu'on appelle, assez mal à propos, le socia- lisme municipal en An^j^lelerre est basé sur des id'îes anciennes (Ij relatives au rôle des municipa- lités. Si ce genre d'administration fonctionne passa- blement, de l'autre coté de la xManche, cela tient à ce qu'il a été possible, dans certaines villes tout au moins, de conduire les affaires municipales comme des affaires privées ; cela suppose un -ensemble de traditions qui n'existent pas chez nous; on sait, en effet, que les ouvriers de nos régies administratives ne travaillent pas comme ceux de l'industrie ; et des personnes, qui semblent être bien informées, assurent que l'Etat français fait de sérieuses éco- nomies lorsque, ses ouvriers se mettant en grève, il peut acheter des allumettes sur le marché inter- national, au lieu de les faire fabriquer dans ses manufactures. Enfin l'idée, si fortement médiévale, du juste prix s'est si fortement maintenue dans la jurispru- dence anglaise que nous la trouvons appliquée aux Etats-Unis dans les relations des gouvernements avec les compagnies de chemins de fer. 11 y a une trentaine d'années, la Cour suprême décidait (2) que, d'après la common laïc, les pouvoirs publics peuvent fixer des limites aux rémunérations récla- (i) A la (lu de l'Aucioii Ui'yime on trouve en Franct parmi les recettes municipales, l'afferme de la boulangerie, de la boucherie, du cabaret, de la fourniture di^ la glace (tÎRUTAiLS. — yoles sur /'l'co/iow/t' rwdlc du Ruii-^silloii. pages 174-175). (2) D'après Lavoinne et Pontze.n. — Lc> Chemins de fer en Amérique, tome TI, page t'.Vi. INTRÛDICTION l^J niées par les transporteurs publics, les porlefaix, boulangers, meuniers, maîtres de quai et auber- gistes, et, en général, réglementer l'usage d'une propriété privée dès que cet usage peut affecter l'intérêt public. Il est résulté de cela que, si les cliarters des compagnies de cliomins de fer sem- blent leur donner une liberté illimitée, presque partout les Etats ont cependant interdit la percep- tion de taxes déraisonnables : et cette législation a été reconnue constitutionnelle (1). Ce qui caractérise surtout l'Angleterre, c'est le vieux trade-unionisme classique, qui n'a pu se dé- velopper complètement que là. Dans la préface qu'il a écrite pour le livre de ^\. Vigouroux, sur La concentration des forces ouvrières dans V Amé- rique du Nord, M. de Rousiers montre quil faut se garder de transporter d'un pa3's dans un autre de prétendues lois qu'on aurait tirées de l'observation; c( les organismes ne sont pas intercbangeables comme les pièces de macbines semblables ; ils conviennent cbacun à l'usage auquel ils sont des- tinés )). 11 me semble que ce grand économiste n'a pas suflisamment signalé les causes spécifiques qui ont assuré le succès du trade-unionisme an- En Angleterre, l'organisation du travail a été, jusqu'à une époque récente, soumise à des prin- (1) Dl'boi?. — les Chemins de fer aii.r Elah-Uim, pages 163, 179, 181. 12 INTFK)I)('CTION cipes du iMo\'en Age. 11 n'y a pas si longtemps que la loi d«'signait rcntrepreneur et l'ouvrier par les leimcs master and servant, qui comportaient un sons quasi-fe'odal ; l'ouvrier anglais e'tait vraiment un asservi ; il faut toujours penser à cela quand on lit le Capital. Ce n'est point par un abus métapho- rique des mots que Marx compare le capitaliste à un législateur privé, rédigeant un code qui(l) «n'est qu'une caricature de la régulalion'sociale (kapitalis- tisclio Karikaturd er gesellschaftlichen Regulirung des Arbeilsprocesses) telle que l'exigent la coopéra- tion en grand et l'emploi des moyens de travail, communs ». Dans son exposition, Marx s'est efïorcé de se pénétrer, aussi complètement que possible, des idées anglaises, de les faire passer de l'état confus qu'elles ont dans la conscience populaire, à un état supérieur et de leur donner ainsi un aspect juri- dique. Cela crée de très grandes difficultés pour les lecteurs superluiels du Capital qui, souvent, ne réfléchissent pas aux conditions si particulières de la société sur laquelle raisonnait l'auteur. La masse ouvrière est un champ de travail suv lequel les capitalistes moissonnent (2) ; ce champ n'est pas à eux ; ils abusent souvent do leur droit et (1) Capital tome 1, page 183, col. 2. — Cette législation privée {privalgcsetzlick luid cigenherrlich) manque de ratio- nalité ; elle est donc bien une caricature de l'ordre qui correspond à l'organisation de l'atelier, tandis que la lé- gislation publique est une élévation de la vie économique à la rationalité. (2) Marx se demande (page 113, col. I) si le fabricant d'acier, Sanderson, croit posséder, en vertu de son outillage, un droit de vingt-quatre heures sur ses ouvriers (Anwei- sung .'luf die Arbeitzeit). INTROnUCTIOX 43 ils épuisent le domaino ; il faut empêcher cet abus qui compromettrait l'avenir du pays : la limitation de la journée de travail est aussi ncécessaire que l'introduction du guano dans l'agriculture an- glaise (1). La vieille législation avait li\é la durée du travail et le salaire ; depuis que le commerce est devenu libre, les capitalistes s'efforcent d'accroître leurs profits, et ce changement est interprété en partant de l'ancienne doctrine juridique du travail : quand le patron parvient à allonger la journée sans aug- menter le salaire, il semblerait naturel de dire qu'il diminue le prix de l'heure ; Marx (2), à l'imilalion des ouvriers anglais, dit que le patron profile du travail non payé (unbezahlte Arbeit, unpaid la- bour). Les ruses que les entrepreneurs emploient pour allonger la journée normale sont assimilées constamment (3) à des usurpations et à des vols. La grande charte du travailleur moderne est la loi qui sépare (i) « le temps propre de l'ouvrier et celui de son mailre » (the worker's own time und his master's). Les idées que les ouvrieis anglais se tout de leurs droits sont, en grande partie, basées sur la pratique du long apprentissage qui a habitué les ouvriers (1) Capital, page 103, col. i ; comparer page 114, col. 2, — page 116, col. 1 et col. 2. (2) Capital, page 108, col. 1. — J"ai fait observer déjà (Revue de Sociologie, avril 1900, pages 268-269) que toute la théorie de la valeur de Marx est dominée par les idées anglaises qui font de l'homme ^ clafi!ie''i ou- /•j'iV/'cs', page .320. INTROnrCTION 29 sur riiicilalioii d'agents du ministre du Commerce ; il est, en tout cas, remarquable que les tullisles de Caudry, qui, apparlenaat au parti guesdiste, étaient à l'abri de telles suggestions, trouvent très convenable le système de travail, contre lequel s'étaient insurgés les ouvriers de Calais [Socialiste, 21 avril 1901) ; — au moment de l'arrivée du tzar il y a eu, à Dunkerque, une petite grève assez mys- térieuse, qui a commencé et s'est terminée si bien à point que des gens du pays ont cru y reconnaître la main du gouvernement ; — enfin les menaces de grève générale que font les mineurs, rendent les plus grands services à M. Waldeck-Rousseau que les modérés n'osent renverser. Cette déviation de l'action ouvrière conduit les travailleurs à penser qu'au lieu de discuter avec leurs patrons sur leurs intérêts économiques, il se- rait beaucoup plus avantageux pour eux de s'adresser aux pouvoirs publics, en les invitant — sons menaces de troubles — à faire aboutir leurs réclamations. Cet état d'esprit est tout naturel dans les sociétés encore mal préparées à la vie publique ; on avait cru qu'il disparaîtrait avec la pratique de l'organisation syndicale ; il n'en a rien été; les tendances politiques semblant même devenir tout à fait dominantes, l'avenir du socialisme en France donne beaucoup à réfléchir. Devons-nous penser que le monde des travailleurs se mettra désormais à la remorque de démagogues qui lui promettront de faire passer une partie de la ri- chesse des gras aux maigres ? Le socialisme est-il destiné à devenir (suivant une expression du vieil Engels) un antisémitisme à grandes phrases? Il faut espérer que les accidents actuels n'auront 30 INTRODUCTION pas une influence définitive sur l'avenir du mouve- ment ouvrier ; mais il ne faut pas perdre de vue le daiiiicr démagogique. La démagogie a ruiné tous les pays qu'elle a gouvernés ; elle commence gé- néralement à triompher quand les premiers signes de d('cadence se manifeslent dans une nation et elle accélère la décadence économique. Notre pays est d'autant plus menacé que son énergie est quelque peu épuisée ; l'esprit de confiance dans le progrès s'éteint de plus en plus: la faiblesse du mouvement de la population résulte surtout de celte cause. Nous sommes dans une époque cri- tique : si, appuyi'C sur la pliilanllir'jpie et la sot- tise bourgeoises, la démagogie l'emporte, la France est perdue : un fort courant vraiïnent socialiste pourrait seul, à l'heure actuelle, sauver la France de cette marche vers la ruine. L'Italie est, encore plus que la France, un grand pays agricole ; et on oublie trop souvent que l'agri- culture est de quelque poids dans l'économie des nations ; il me semble vraisemblable que l'évolution du socialisme devra subir très fortement l'inllucnce d'institutions rurales qui étaient à peu près in- connues il y a trente ans. Les associations agricoles ont pris chez nous un énorme développement ; on a eu la sagesse de les laisser fonctionner à leur guise et de se contenter des formalités qu'elles remplissent en se consti- tuant sous forme syndicale. Les auteurs de la loi de 1884 ne se doutaient, en aucune façon, des INTRODUCTION' 31 applicalions que ragrlcullure allait en faire ; quand on examine rextrême complexilé des relations (I) qui auraient dû être réglées par une loi complète sur la matière, on doit se féliciter de l'ea-eur com- mise en 188i; l'expérience a montré une fois de plus, contre les socialistes de la chaire et les pro- fesseurs de l'Ecole de droit, que la meilleure ma- nière de protéger les associations c'est de les laisser tranquilles. Les socialistes ne semblent pas être encore bien (îxés sur l'avenir et sur la portée de ces sociétés ; il y a quelques années beaucoup les considéraient comme un moyen de réaliser le socialisme (2) : « Nous ne croyons pas, en effet, que pour s'élever à la propriété collective les pa3'sans propriétaires soient fatalement, inéluctablement, condamnés à descendre la pente qui conduit au prolétariat et à gravir ensuite le calvaire douloureux de l'exploi- tation capitaliste. 11 leur appartient^ au contraire, d'y arriver par d'autres chemins et d'éviter la phase de la prolétarisation, en associant leurs etTorts. » Et ailleurs, dans le même livre, M. Van- dervelde disait encore à propos de la fondation de plusieurs coopératives (3) : « Tl n'est pas douteux que riri'ésisliblc action du développement tech- nique elcapitaliste de l'agriculture ne déterminera. (I) î.c? lliéoriciens de la coopéralion et du syndicalisme L'iiumèrent les variétés en s'arrêtant aux caractères les plus superficiels ; j'ai essayé de donner un tableau fondé sur les vraies causes de différenciation, (Les divers types dcsociclcs coopératives. Science sociale, septembre 1899.) (2} Destrée et Va.ndervelde. — Le socialisme en Belgique, page 429. (3) Loc. cit., pa^'o .120. 32 INTRODUCTLOX dans un avenir prochain, des transformations in- tellectuelles et morales éminemment favorables au développement de l'idée socialiste, b Aujourd'hui M. Vandervelde paraît être beaucoup moins opti- miste (I) ; ce changement d'attitude s'explique fa- cilement quand on voit à quels maigres résultats sont parvenus les socialistes belges ; les succès des coopératives rurales catholiques les inquiètent avec raison (2). Les socialistes belges ne sont peut-être pas très bien placés pour faire la théorie de la coopération rurale, parce qu'ils prennent pour mesure de la valeur d'une réforme l'influence qu'elle peut exer- cer sur la prospérité de leurs Maisons du peuple. Ces dernières institutions se ramènent, en dernière analyse, à ceci : un comité d'hommes politiques ouvre un magasin et dit aux ouvriers : « assurez la prospérité de cette boutique^ en devenant une clien- tèle fidèle ; nous vous ferons participer aux béné- fices et nous emploierons le surplus des bénéfices à des œuvres de propagande socialiste et d'éduca- tion populaire ». Ce n'est que par une figure de rhétorique — frisant l'ironie — que l'on peut appeler coopérateurs les clients d'une Maison du peuple qui est gouvernée par un groupe très res- treint (3). Les directeurs de ces magasins ont été parfois amenés, pour accroître les profits, à ouvrir des ateliers de confection et ils seraient disposés à (1) Mouvement soeialiste, 15 avril 1901, page 473. (2) Mouvement socialiste, l*' avril 1901, page 388 et page 393. (3) Cf. les conclusions du ménioiie consacré par M. Var- iez à la Fédération ouvrière gantoise {Musée social, jan- vier 1899). INTRODUCTION 33 commanditer des laiteries leur fournissant du beurre à bon compte : la coopération rurale serait ainsi une annexe d'un magasin urbain ; impos- sible d'en méconnaître davantage le vrai caractère ! L'association agricole est l'association par ex- cellence, celle qui réalise le plus complètement la notion. La société la plus parfaite n'est pas, en ctfet, celle qui réunit des hommes, mais celle qui met la volonté au second plan pour faire passer au premier les intérêts communs existant entre des biens: c'est faute d'avoir compris cette vérité bien simple que les théoriciens de la coopération tombent si souvent dans le bavardage philanthropique. L'union entre des hommes est toujours précaire ; elle ne se maintient (après les premiers jours d'en- thousiasme) que par routine, inditTérence, soumis- sion ou par intérêt: et nulle part les intérêts ne sont combinés d'une manière aussi forte, aussi stable et aussi claire que dans les sociétés qui ont pour objet l'amélioration des exploitations rurales. Dans l'agriculture on trouve tout ce qui peut donner de la force à l'association : les associés ont des intérêts communs d'une nature autrement plus concrète que ne sont les intérêts des actionnaires ; cette coalition d'intérêts se révèle dans la pratique de la vie économique journalière et se rapporte tout au moins à l'achat ou à la vente de produits semblables ; — ils sont d'un même lieu et on ne saurait trop insister sur l'importance de cette considération, car l'unité de résidence crée non seulement un usage commun et continuel de choses collectives, mais à la campagne force presque tout le monde à s'intéresser à la gestion de ces choses collectives ; — enfin des héritages voisins gagnent 34 INTRODUCTION tous beaucoup à la multiplicité des services fonciers réciproques ; c'est ce que l'on voit se manifester à un degré éminent dans les pays d'arrosage. Il est étonnant que M. Yandorvelde, quia attaché tant d'imporlance à la conservation des commu- naux, n'ait pas reconnu que la coopération rurale est fortement apparentée à l'antique association de la marche. C'est dans la vie des sociétés agricoles qu'il faut aller clicrcher la théorie de foules les sociétés ; on ne saurait faire cette théorie en partant des asso- ciations si abstraites que nous montre le droit commercial moderne, ni des simples groupements de bonnes volontés en vue d'œuvres spirituelles, ni de la Cité politique. 11 faut prendre pour point de départ ce qui contient le plus de moyens de tra- vail lixes, groupés suivant un plan et déterminant l'activité des individus, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus concret dans la vie sociale. Nous trouvons dans ces sociétés rurales com- plètes quelque chose d'analogue à ce qui a lieu dansla fabrique moderne : « Dans les manufactures, dit Marx (1), la division du procès de travail est purement subjective ; c'est une combinaison d'ou- vriers parcellaires. Dans le système de machines, la grande industrie crée un organisme de production complètement objectif ou impersonnel, que l'ou- vrier trouve dans l'atelier comme la condition ma- térielle toute prête de son travail (als fertige maté- rielle Producktionsbedingung). Le caractère coopé- ratif du travail y devient une nécessité technique dictée parla nature même de son moyen )).Mais dans (I) Capital, pago 1 07, col. 2. INTRODUCTION 35 la fabrique tout dépend d'une volonté extérieure, en sorte qu'il n'y a pas d'association ; tandis que dans un syndicat d'arrosage il n'y a pas de volonté extérieure et toutes les volontés particulières sont directement subordonnées à l'instrument d'amé- lioration pour tout ce qui concerne le but du syn- dicat: le caractère capitaliste (1), qui résulte de ce que le plan de division du travail est revendiqué comme propriété du Capital, ne se trouve plus ici. C'est dans ce genre de production qu'apparaît avec toute son étendue le principe de l'association ; c'est à l'étude de tels groupements qu'il faut avoir recours pour comprendre (par des raisons juri- diques) les règles relatives au droit des majorités, soit pour la formation, soit pour l'administration des associations. C'est ensuite par les voies de la logique juridique que l'on peut étendre ces règles aux cas plus abstraits. C'est toujours dans l'obser- vation de ce qui est le plus concret que le droit se revivifie, tout comme la science. Les associations rurales deviennent singulière- ment importantes pour les socialistes le jour où ceux ci comprennent que tout changement social suppose l'élaboration de nouvelles formes d'associa- tion et l'éducation juridique du peuple. C'est à la campagne, bien plutôt qu'à la ville, qu'ils doivent aller chercher des exemples capables d'éclairer la no- tion d'association. D'autre part les associations agri- coles se présentent à nous comme les facteurs di- rects et indispensables du progrès technique actuel dans les campagnes : elles agissent donc dans le sens du socialisme. Elles ont d'autant plus de va- (1) Capital, page 137, col. i. 36 INTRODUCTION leur pour nous qu'il est souvent difficile do savoir si certaines pratiques assurent le progrès écono- mique dans l'industrie, tandis qu'ici il ne peut y avoir de doute dans les appréciations. S'il existe donc dans un pays un socialisme ru- ral — lié d'un côlé aux forces qui produisent l'éducation juridique et de l'autre à une organisa- tion du travail où le progrès est facile à mesurer — il ne peut être exposé à tomber dans l'utopie ; il ne peut être que pratique. L'Italie possède, depuis des siècles, de grandes associations de dessèchement, de défense et d'irri- gation ; depuis quelques années des sociétés de toute nature se sont constituées pour permettre à l'agriculture de suivre la voie progressive ; MM. Mabilleau, Uayneri et de Uocquigny en ont dé- crit plusieurs types remarquables dans leur livre sur La prévoyance sociale en Italie. M. Gatti a la bonne fortune de vivre dans une région où les institutions coopératives et les nouvelles méthodes de culture ont pris le plus grand développement; c'est dans l'Emilie que le député Guerci et le pro- fesseur Bizzozzero ont accompli une des œuvres qui prouve le plus l'énergie de nos voisins ; c'est éga- lement là que le célèbre agronome S. Solari a inauguré son système d'assolement qui semble destiné à exercer une influence si considérable sur l'avenir de TTtalie (1). (1) Sur le système Solari voir : La prévoyance sociale en Italie, page 272 et le livre du professeur F. Virgilii. Il pro- INTRODUCTION 37 Dans quelle mesure les associaliotis rurales ita- liennes se pénètrent-elles de socialisme, c'est ce que je ne saurais déterminer; mais M. Gatti semble plein d'espoir et il est mieux placé que nous pour juger ses compatriotes. Si vraiment le coopéralisme rural se présente en Italie comme une bonne préparation des paysans au socialisme, il faut en conclure que le socialisme est appelé ù prendre chez nos voisins des formes nouvelles d'un grand intérêt pour l'avenir. Le socialisme traverse, en ce moment, une grande crise, qui trouble les meilleurs esprits; les gens qui se contentent de grands mots et de for- mules aussi vides que pompeuses, sont les seuls à nier celte crise. Les thèses que l'on regardait jadis comme classiques, ne s'appliquent pas aux besoins de la pratique actuelle ; il y a dissociation entre la doctrine et la conduite ; le socialisme abou- tit à une casuistique permettant toutes les compro- missions. Les résultats sont d'autant plus arbi- traires que l'écart est plus fort entre la théorie et la pratique ; aussi les plus opportunistes d'entre les socialistes trouvent-ils parfois commode d'être les plus intransigeants. J'écrivais, il y a quelques années, dans la Critica sociale (l^i^mai 1898) : « La science est, pour Marx, simplement l'expression abstraite d'une certaine manière d'exercer notre pouvoir sur les choses. Je ne puis pas croire que l'avenir prévu par les programmes maxima soit Ueina agricolo e l'uvcejtire sociale. Il existe une Irèsimpor- lanle littérature populaire destinée à vulgariser la méthode Solari ; le clergé catholique s'est fait l'ardent propagateur (le la nouvelle agriculture. (jatti 3 38 INTRODUCTION une des choses sur lesquelles nous exercions notre pouvoir... Les programmes minima, trop souvent encore, dépassent les limites de notre action pos- sible ; ils dépassent donc ce que nous pouvons dire de scientifique sur les questions sociales ». Au dernier Congrès international, le professeur E. Ferri exprimait des idéfes presque identiques (i) : « Je dis qu'on ne peut pas faire de distinction entre les principes et la tactique... Nous disons que la théorie n'est que la pratique généralisée et la pra- tique n'est que la théorie en action. » Ramener l'accord entre la doctrine et la conduite, voilà ce que devrait réaliser le socialisme pour vaincre la crise; mais il ne semble pas que l'on ait fait encore de pas décisifs dans cette voie. 11 ne serait pas impossible que l'Italie fût appelée à résoudre le conflit, grâce à la pratique de ses institutions rurales ; elle a été déjà plusieurs fois l'éducatrice de l'Europe ; elle pourrait l'être encore une fois de plus ; car elle semble être arrivée à une situation qui lui permettrait d'élaborer des doctrines qui re- vivifieraient le socialisme. G. SOREL. Novembre 1901. (i) Compte-rendu sténographique dans le seizième Cahier de la quinzaine, deuxième série, pages li8-lJ9. PRÉFACE C'est au développement du nouvel outillage technique agricole qu'il faut rattacher l'orienta- lion de l'économie agricole de ces dernières dizaines d'années. Au moment où Marx écrivait son Capital^ le nouvel instrument technique agricole était en- core en gestation et n'avait, pour ainsi dire, pas TU la lumière de l'application pratique. Il est vrai que Boussingault avait publié ses études fondamentales de Chimie agricole (1837), Lie- big sa Loi de restitutioii (1844), Pasteur ses dé- couvertes sur la Fermentation (1859), Ville son traité sur la Sidération (1868) et Solari avait écrit déjà VInduction de l'azote (1868-75), mais on ne possédait pas encore les travaux des Ber- thelot (1885), des Hellriegel, des Wilfarth et des Winogradsky (1886) sur l'action des bactéries dans la fixation de l'azote (symbiosis). Le prin- cipe de la sélection dans l'évolution des espèces qui devait, quelques dizaines d'années plus tard, 40 i'iu':rACE ôLre praliquemeat appliqué en agriculture à l'amélioration des races animales et des variétés végétales avait été tout récemment formulé par Darwin (1859) ; enfin la mécanique qui, grâce au développement croissant des machines, avait déjà envahi et renouvelé l'industrie était pres- que inappliquée en agriculture. Génialement, Marx a rattaché l'évolution éco- nomique aux transfonnalions de nnstrument technique de production ; mais, en agriculture, l'évolution économique capitaliste ou même sa cause immédiate, le nouvel outillage technique, étant inconnus à son époque, l'observation expérimentale était impossible. Aussi ses études, fondées sur l'ancien instrumenttechnique qui, dans le système de cullure d'épuisement, appau- vrissait le sol, l'ont-elles conduit à affirmer que le capital industriel « exploite le travail hu- main » tandis que le capital agricole « exploite le travail humain et la terre ». D'où il a conclu qu'en exprimant du sol, grâce à une plus grande somme de travail, une plus grande quantité de produits, on aurait non seulement maintenu, mais accentué sans cesse cet appauvrissement. Or, Marx n'aurait pas affirmé cela s'il avait eu sous les yeux le nouvel instrument technique et le système de culture rationnelle qui, tout en donnant des profits plus élevés que les systèmes anciens, n'épuise jamais la terre à laquelle il rend (Liebig), ou donne d'avance parles engrais chimiques (Solari) tout ce qui lui est enlevé en PRÉFACE il produits. De sorte qu'aujourd'hui il est égale- mont vrai de dire du capitalisme agricole et du capitalisme industriel qu'ils exploitent unique- ment le travail humain. Le nouvel outillage technique agricole n'est pratiquement appliqué que depuis quelques dizaines d'années ; il est à l'enfance de son évolution. Et déjà, grâce à lui, un nouveau do- maine s'ofîre à l'observation scientifique. Ainsi nous avons maintenant la possibilité et, partant, le devoir do rechercher si les vérités économiques déduites de l'observation dans le domaine industriel et rattachées jusqu'ici par simple analogie à l'agriculture sont réellement applicables à cette science : L'agriculture est-elle une industrie comme les autres ? L'évolution du nouvel instrument technique y amène-t-elle, comme dans les autres industries, un courant économique unique : la concentration capitaliste de la propriété ? Quels sont, en tout cas, les nouveaux courants de C économie agricole ? C'est à ces recherches que nous nous sommes proposé de contribuer dans les pages suivantes. Si la doctrine marxiste a gardé les bases in- destructibles que lui a données son créateur, ses grandes lignes et ses tendances ont été mo- difiées par les travaux de critique et de revision scientifiques commencés par les Vandervelde les Bernstein, les Belfort Bax, les Kautsky, etc.. 42 PRÉFACE et poursuivis par une foule de penseurs. Elle a donc cessé d'être l'œuvre exclusive d'un génie ; de personnelle elle est devenue collective. La doctrine marxiste s'est transformée en doctrine socialiste. La tiiéorie de Darwin et la découverte de Pasteur seraient déjà modifiées si elles n'avaient provoqué une foule de recherches critiques qui, tout en leur enlevant un peu de l'empreinte personnelle de leurs auteurs, ont cependant fortifié, dans un cycle d'existence nouveau, leurs principes et leurs aboutissants. On peut en 'dire autant de la théorie de Marx. Il y a dans le socialisme une théorie écono- mique et un parti politique, et celui-ci a besoin d'être incessamment rassuré par la critique sur la solidité de sa doctrine économique. L'auto- critique, pour les partis politiques comme poir les individus, est toujours une preuve de forcf^ Voilà la raison d'être de ce travail. Panne (Italie), août 1901. Gerolamo Gatti. Le Socialisme et V Agriculture PREMIÈRE PARTIE La production agricole. CHAPITRE PREMIER LA VIE RURALE. Aspiration et Réalité. L'idée que les campagnes sont la principale source de la richesse publique a, depuis quelques dizaines d'années, pénétré profondément la cons- cience nationale italienne. En Italie, les industries^ çà et là florissantes, ont peu d'importance encore el ne vivifient pas beaucoup de régions, tandis que le sol, fécondé par le climat, offre avec une cons- tante générosité les produits les plus divers. Le Parlement et les Conseils administratifs, les livres et les revues, les grandes villes et les vil- lages répètent que : « L'avenir de l'Italie est dans l'agriculture ». Mais cet axiome est demeuré lettre morte. Même, la campagne n'a jamais été, autant que de nos jours, un domicile forcé où vivent ceux-là seuls qui y sont retenus par des liens 44 I. PARTIE — LA PRODUCTION AGRICOLE inexorables et d'où s'évade quiconque peut courir à l'existence active et éblouissante des grands centres. 1. — Grande noblesse terrienne et vie rurale. Les fils des nobles propriétaires sont, pour la plupart, élevés loin des champs. Une partie de cette jeunesse mène dans les villes une existence oisive à laquelle les sports, le jeu, les aventures galantes donnent une fiévreuse mais vaine apparence d'ac- tivité. D'autres — les meilleurs — entrent dans l'armée, la diplomatie, ou la politique. Mais le jeune patricien se mettant, après de solides études, à diriger l'exploitation de ses domaines pour en renouveler ou en intensifier le rapport fait, on peut le dire, absolument défaut en Italie. On y entend souvent parler de gentilshommes campagnards ayant beaucoup d'analogie avec les land lords an- glais ; a:ais, en Angleterre, il y a le mot et la chose: en Italie il n'y a presque que le mot. 2. — Les propriétaires bourgeois et la vie rurale. Il se fait une sélection très dommageable à l'agri- culture au sein des familles de la bourgeoisie campagnarde : elles gardent auprès d'elles,, sans même les pourvoir d'une éducation technique agraire, les moins capables de leurs fils, tandis que les plus intelligents et les plus actifs les quit- tent pour s'adonner aux carrières libérales et aux emplois. Ainsi se forme un courant qui porte des CIIAP. 1. — LA AME RURALE 40 campagnes aux villes les plus énergiques et les plus instruits. La population des Facultés augmente rapidement. Elles étaient fréquentées par 13 066 étudiants, c'est-à-dire candidats aux carrières li- bérales en 1881-82 et par 24 398 en 1893-96 (1). En même temps que les carrières libérales et les emplois attirent à la ville les jeunes gens de la bourgeoisie, les industries y appellent les plus in- telligents et les plus hardis des prolétaires. Mosso, en étudiant ce phénomène au point de vue phy- siologique, a dit à propos de l'Italie : « Les villes peuvent être comparées à des gouffres épars dans la campagne, qui s'élargissent sans cesse et attirent, pour les corrompre et les miner, les plus robustes des paysans (2) ». Ce mot n'est pas vrai seulement de la santé physique : le sociologue peut l'appli- quer aussi aux forces intellectuelles. Des hommes robustes quittent les féconds et sains travaux des champs pour courir à des occupations plus brillantes, mais, souvent aussi, artificielles et stériles dans l'énorme fourmillement de nos grandes villes mo- dernes. 3. — L'Etat italien et la vie rurale. Ce contraste entre les aspirations et la réalité est sensible dans toute la vie de l'Etat. Grâce à la mégalomanie séculaire et incurable des peuples (1) Aanuario sladslico italiano. Direction générale de la statistique au ministère de l'Agriculture, lad. et Corn., lîome, 1808. (2) A. Mosso — La Riforma deJl' educazionc fmca, Milan, Trêves, 1898. 3* - lf> I, PARTIE LA PRODUCTION AORICOLE latins, l'Etat en Italie oblige la nation à tenir le rôle de grande puissance dans le drame internatio- nal de la diplomatie européenne. C'est le doulou- reux disparate d'une existence misérable de cabo- tin jouant les princes et subissant, dans la réalité, les plus dures privations. Une telle orientation de la politique atrophie les admirables ressources de l'Italie, car c'est à peine si une petite part est faite à l'agriculture dans un budget dont une moitié, par suite de la dette publique, sert à payer un gros intérêt de 4 0/0 à des milliards de capital inactif, tandis que l'autre est presque toute consacrée à l'entretien de ces deux inutiles colosses : l'arme'e et la flotte italiennes. 4. — Les électeurs campagnards et la vie rurale. Mais la note la plus fausse dans ce complet dé- saccord entre les aspirations et la réalité nous est donnée par les électeurs campagnards ; car, s'ils se plaignent toujours de la misère agricole de l'Italie, ils sont aussi, toujours, comme paralysés au mo- ment d'exprimer leur volonté et de donner une forme concrète à leurs aspirations, surtout au moyen des élections politiques. 11 est intéressant de comparer le genre des pro- fessions et la condition sociale des Parlementaires français, anglais et italiens pour notre vingtième législature ; CHAP. I. — LA VIE RURALE 47 Profession ou condition Chambre Chambre Chambre sociale italienne française des communes Professions libérales . . . 279 270 107 Agriculteurs 35 50 132 Industriels 22 41 131 N''gociaats Banquiers 4 4 17 D ^ 100 Militaires 13 6 66 Magistrats 6 23 1 47 Fonctionnaires 16 72 Rentiers nobles ou bourgeois 83 22 Professions et condition so- ciale indéterminées . . 25 40 Il y a donc 363 agriculteurs, industriels ou com- merçants dans la Chambre des communes. Il y en a 108 au Parlement français et 61 au Parlement italien. En ce qui concerne l'agriculture surtout, ces chiffres sont d'autant plus extraordinaires qu'en Italie, les 66 0/0 de la population sont adonnés aux travaux des champs, tandis qu'en France la popu- lation agricole est de 47 0/0 de la population totale (1), en Irlande de 41 0/0, en Ecosse de 14,2 0/0 et en Angleterre de 11,3 0/0 (2). Ce tableau montre d'emblée qu'en Italie la po- pulalion rurale, si nombreuse pourtant, est inca- pable de formuler nettement ses aspirations au (1 ) D.ZoLLA. — Les questions agricoles d'hier et d'aujourd'hui, Paris, Alcan, 1894. (2) ScHAEFFLE. — Dcutsche Kern-und Zeitfragcn, Berlin, 1893, page 192. — H. Denis. — La dépression économique et l'hii^foire des prix, Bruxelles, 1893. 18 1. PAirni: — l.\ production acrigole moyen des élections politiques. Une Italie suprê- mement agricole et envoyant au Parlement 35 agri- culteurs ! Il faut songer, pour s'expliquer ce phé- nomène : à Tabsence dans la péninsule d'un type d'agriculteur instruit, propre à la fonction de dé- puté ; à l'insuffisante notion des rapports existant entre les intérêts des particuliers et le fonction- nement des administrations publiques ; au servage économique des classes agricoles inférieures, les plus nombreuses de toutes ; à la torpeur de la vie des champs, à l'indolence, et à la résignation fata- liste qui appauvrit les consciences et les volontés des méridionaux et les rend physiquement et in- tellectuellement inertes en face de leurs intérêts les plus essentiels. ■), — Oppression agricole. Existe-t-il réellement en Italie une dépression agricole et cette dépression est-elle un effet naturel des causes énumérées ci-dessus? On pourrait ré- pondre affirmativement, sans plus, tant la chose est universellement admise ; mais nous ne voulons pas nous borner à rendre l'impression publique. C'est une démonstration positive qu'il nous faut. Et celte démonstration nous est malheureusement donnée de la façon la plus évidente par les doulou- reuses statistiques des trente dernières années. De 1870, époque de misère pour la campagne italienne, à 1896, la production agricole a baissé ou est de- meurée stationnaire. Les unitt^s de produit des ré- coltes sont depuis lors inchangées ou en diminu- CFIAP. I. — LA VIE RlRAt.E 49 tion. Les chilîres soiil loin d'indiquer une renais- sance .igricole. Le froment, donl la culture occupe en Italie 4 millions et demi d'hectares, n'y donnait que 11 hectolitres par hectare en 1871 et tandis que le rendement est aujourd'hui de 25 à 30 hect. en Angleterre, il n'a pas augmenté dans la péninsule : 10, 7o hectolitres en 1871 ; 10,50 en 1881 ; 11,7 en 18D2 ; 11,17 en 189G. L'Italie importe du blé — en quantité insuffisante d'ailleurs — parce que sa pro- duction agricole n'atteint pas le rendement né- cessaire pour pouvoir se passer de l'étranger. Le maïs, qui y occupe 1 936 000 hectares et qui, en 1871, donnait 18,16 hectolitres à l'hectare, n'en donna que 15,68 en 1881 ; 13,40 en 1886, et 14,40 en 1896. Le produit des oliviers, éminemment favorisé au double point de vue de la quantité et de la qua- lité par le climat italien, était de 3,71 hectolitres à l'hect. en 1871. Il est descendu à 3,60 en 1881 ; à 2,66 en 1891 et à 1,86 en 1896. Un produit moins important, la pomme de terre, peut servir à évaluer les malheureuses conditions de l'agriculture italienne. En France, où la pomme de terre est cultivée sur une étendue de 1.300.000 hectares, son rendement est de 75 quintaux à l'hect. ; il est de 1 iO quint, en Belgique ; de 150 en Angleterre et de 200 même, en certains endroits de l'Allemagne. 11 était, en Italie, de 58,3 à l'hect. en 1871 et n'est plus aujourd'hui que de 33,67. Il n'y a, en somme, qu'une seule culture dont Vunilé de production i.\\idi\i!^m.QYii6, en Italie: le ver à soie. Et encore la quantité totale du produit ne s'est-elle pas accrue, l'élève des vers à soie ayant diminué. 50 ]. PARTIE LA PRODUCTION AGRICOLE 6. — V agriculture et la vie sociale. Les hommes de bonne volonté essayant par eux-mêmes ou grâce à l'appui de quelque société de réveiller la vie agricole italienne sont de rares exceptions. Le courant rurifuge pousse irrésisti- blement l'élite intellectuelle des champs aux villes, de l'agriculture aux autres formes de l'activité hu- maine, des occupations essentiellement produc- tives aune vaine et creuse existence de dissipation. La conscience nationale est dans un état de tor- peur. Les aspirations agricoles de l'Italie sont comme la voix inconsciente de l'instinct de conser- vation, pressentant que la source de la vie est dans le sol. Mais l'absence dune tendance agricole effi- cace indique une détérioration de la grande ma- chine sociale. Elle ne correspond pas à l'aspiration collective, aux besoins instinctifs de l'existence nationale. On dirait que ses vieux rouages sont incapables de fonctionner dans le domaine de l'agriculture selon le mode nouveau qu'impose la science agronomique contemporaine. Nous allons décomposer cette grande machine^ en examiner tous les rouages, voir quelle position est faite, dans le problème de là production agri- cole, aux volontés (individus, sociétés, pouvoirs publics, partis politiques) de qui la nation italienne attend une renaissance de son agriculture et enfin étudier les conditions ambiantes qui s'opposent à cette renaissance pour pouvoir remonter aux causes premières de la dépression agricole générale. CHAPITRE II LES VOLONTES HUMAINES ET LA PRODUCTION AGRICOLE 1. — La petite et la inoyenne propriété. On peut appliquer à la petite propriété en Italie ce que Cartuyvels, leader des « agrariens » , disait à la Chambre belge lors de l'enquête agricole de 1886 : « La petite culture n'a pas le quart du capital né- cessaire : elle se ruine on ruinant le sol (1). » Le petit propriétaire italien arrive rarement à réaliser des économies et plus rarement encore il peut avoir recours aux banques, même aux soi-disant Banques populaires ou agricoles. Celles-ci protègent la grande et la moyenne propriété, non la petite. Le chiffre des prêts inférieurs à oÛO lires, consentis parles Banques populaires, ne représente en Italie que 14 0/0 de la totalité des prêts (2). Voilà qui suffît à montrer l'appui donné par les banques à la classe des petits propriétaires, les plus nom- breux de tous pourtant en Italie. Et si, dans certaines régions, d'ailleurs pou étendues, une (1) Destrée et Vandervelde. — Le socialisme en Bel- ijiquc, page 4*22. C2) iomnd\ Cre (lit 0 e Cooperazione, lo mai 1896. 52 1. PARTIE LA PROniTCnOX AGRICOLE vivacc reprise des travaux des champs parvient à donner quelque facilité au crédit, il ne faut pas oublier cette insuffisance générale des capitaux qui, en empêchant le petit propriétaire italien d'ac- cumuler et de s'instruire, paralyse son activité en face du problème agricole. En outre, petits et movens propriétaires sont, par la faute du gouver- nement, presque dépourvus de connaissances tech- niques agraires, presque entièrement abandonnés à eux-mêmes dans leurs travaux d'amélioration et d'irrigation et enlin accablés par un fisc si épuisant qu'il empêche l'épargne, pousse à l'hypothèque et amène souvent l'expropriation forcée. 40.000 pro- priétaires ont succombé de 1871 à 1881, et de 1883 à 1893, 50.503 propriétés sont passées au domaine pour défaut de paiement des impôts. 2. — Le grand propriétaire. La grande propriété foncière est entre les mains de la noblesse et de la grosse bourgeoisie : de l'an- cienne noblesse qui a survécu financièrement à la Révolution française et de la bourgeoisie qui s'est enrichie au cours de ce siècle. 11 semble que le grand propriétaire soit dans une situation exceptionnelle- ment favorable pour accroître la production agri- cole. Son instruction agraire est supérieure ; ses rentes élevées pouvant lui permettre des économies annuelles, il dispose de capitaux considérables. Et d'ailleurs, à défaut d'économies, il trouverait fa- cilement à emprunter auprès des établissements de crédit foncier sur hypothèque. Toutes les fois qu'une association s'impose pour l'exécution CIlAr. II. — LES VOLONTÉS HUMAINES o3 d'une grande entreprise agricole, il devrait lai être particulièrement facile d'en proposer et d'en réa- liser la formation. 11 pourrait, mieux que tout autre, obtenir l'intervention de l'Etat ou démon- trer l'ulililé de réformes léo:islatives orràce à son inlluencc dans la vie politique et administrative du paj'S. Il pourrait être et faire tout cela. Et, en réalité, que fait-il? Avant de répondre, nous ne devons pas oublier de noter que nous écrivons en Italie où existent des familles de propriétaires nobles chez qui l'amour du progrès agricole est une glorieuse et généreuse tradition. Mais cette glorieuse tradition, en combien peu de familles de l'aristocratie elle se perpétue ! Généralement, nous l'avons vu, les jeunes de la grande propriété fon- cière aspirent à tout autre chose qu'à diriger l'ex- ploitation de leurs domaines ; et si les petits et les moyens propriétaires sont, pour la plupart, impuis- sants, les grands sont presque toujours insouciants. On peut appliquer à l'Italie actuelle le mot d'Arthur Young sur la France d'avant la Révolution : « Toutes les fois qu'on rencontre les terres d'un grand seigneur, quand même il possède des millions, on est sur de les trouver mal culti- vées (1). » Ce phénomène s'explique d'abord par une raison d'ordre économique. Les rentes élevées du grand propriétaire lui permettent le désœuvre- ment ; aucune stimulation économique ne le pousse au travail, à un travail déterminé ; son activité s'épanche sans être fortifiée en même temps que disciplinée par le besoin. Il ignore les aiguillons et les freins des nécessités financières. (1) F. Maurice. — La France agricole cl ayraiir, Paris 1892, pag. M. 34 I. PARTIE — LA PRODUCTION AGRICOLE Cependant, cette explication est insuffisante, car les lords anglais, descendants de maisons très an- ciennes et très illustres, dont les richesses énormes les émanciperaient également de tout travail pro- ductif, n'ont pas de pareils préjugés. Ils ne réputent pas indigne de leur caste l'activité tenace du gen- tilhomme campagnard ; et c'est en grande partie grâce à eux que la production anglaise a atteint un niveau beaucoup plus élevé que la production italienne et peut, à la moyenne de 11 hectolitres de blé à l'hect. de cette dernière, opposer une moyenne de 25 à 30 hectolitres. On ne peut s'expliquer cette dilTérence entre le grand propriétaire italien et le landlord anglais quand on considère leur identité économique ; mais on la comprend facilement quand on songe à leurs différences biologiques, à la diversité des cli- mats et à celle des races. La race latine est indo- lente dans les chaudes régions méridionales, de sorte que les conditio::scconomiques de l'Italie favorisent les tendances hiologiqucs des grands propriétaires. Est-il permis d'espérer qu'ils se transformeront et deviendront une force rénovatrice de la produc- tion agricole ? Souhaitons-le sans l'espérer : leur manière d'être tient, en elTet, à des conditions éco- nomiques et biologiques fondamentales que non seulement nos souhaits, mais la bonne volonté même des meilleurs et des plus éclairés d'entre eux ne peuvent guère changer. 3. — Propriétés sociales. Biens du clergé, Œuvres pies. Instituts — tous ces êtres de raison se trouvent actuellement dans CFIAP. II. — LES VOLONTKS HUMAINKS O-^) les conditions les plus défavorables à l'accroisse- ment de la production agricole, car V absentéisme des propriétaires atteint dans les proprie'tés collec- tives sa plus complète manifestation. Et il faut, en outre, compter les cas spéciaux où à l'insou- ciance s'ajoute le pillage. Les administrateurs des Œuvres pies se préoc- cupent uniquement de la rente des biens-fonds conlîés à leurs soins : mais augmenter cette rente par une surveillance directe et intelligente des travaux agricoles qui constituent le patrimoine de l'Œuvre afin d'obtenir, au fur et à mesure de leur développement technique, un surcroit de produc- tion, c'est à quoi ils ne songent nullement. Les Œuvres pies ont en Italie un capital vrai- ment remarquable. 11 y en a 21 866 et elles pos- sèdent 1 827 millions. Dans ce total, 622 millions représentaient, en 1880^ des propriétt's funcièies ; mais en ajoutant à ce chiffre celui des donations faites depuis lors on a une valeur approximative de 700 millions (I). Or, la production va de mal en pis dans ces exploitations abandonnées à des fermiers et à des métayers. 11 faut en dire autant des biens-fonds du clergé. En Italie, les personnes morales constituées pour l'administration des bénéfices archiépiscopaux, épiscopaux ou paroissiaux ont une rente foncière de 15 389 6i9 francs (2). Quel énorme capital représente cette rente ! Il serait, au taux de 4 0/0, de 400 millions environ. Eh bien, puisqu'on (1) Anmiario statislico italiano, Rome, 1896. (2) Rapport du Directeur Générai des fonds pour les culte (Antonio Terni;. 'jG l. PARTIt; — T,A PRODUCTION AGRICOLE discute tant maintenant sur la réorganisation de la propriété ecclésiastique, on devrait surtout con- sidérer la détérioration de ces terrains toujours négligés, parfois objet de pilleries de la part de la famille de l'usufruitier, laquelle, dans certains cas, épuise plutôt qu'elle ne cultive les terres dont le produit lui est temporairement dévolu. L'agri- culture requiert souvent des travaux à longue échéance ; or, comment admettre leur accomplis- sement par un usufruitier qui s'attend incessamment à être privé par la mort du titulaire de la jouis- sance de ses rentes ? Par conséquent les personnes morales moins encore que les autres propriétaires, peuvent faire espérer un réveil de Tagriculture, car elles sont, de tous, les plus incapables d'intensifier la pauvre production agricole de l'Italie. Elles traî- nent après elles, inévitablement, la misère agricole. i. — f^e fjonvernrnicnt. a) Ihidiji'l (le fitiivicultiirc . Le gouvernement italien consacre chaque année 5 millions environ au budget de l'agriculture et au crédit agraire. Les travaux agraires dépendent, comme les autres, du ministère des Travaux publics. Or, de 1862 à 189G on ne leur a jamais alîecté plus de 3 millions et demi par an. C'est donc avec 8 mil- lions et demi — en tout — que le gouvernement italien doit pourvoir aux grands travaux agraires, à l'enseignement théorique et pratique de l'agro- nomie (stations et laboratoires, écoles, colonies, académies, associations agraires), aux maladies des CHAP. II. — LES VOLOXTKS HUMAINIÎS ■) i plantes (au phylloxéra surluul, aux épizuolies, aux reboisements, aux mines et carrières, aux ser- vices geodynamiques et météorologiques, aux ins- titutions de crédit foncier et agricole, aux bulle- tins, etc. Il y a eu, parmi les ministres italiens de l'Agri- cullure, quelques hommes zélés ; mais que peut la volonté d'un homme contre les misérables en- traves de pareils budgets? Il faudrait que le gou- vernement accordât au ministère de l'Agriculture de oO à 100 millions au moins. Mais cela est in- compatible avec les exigences inexorables de la po- liliijue générale de l'Italie, Peut-on penser à aug- menter considérablement le budget de Tagricullure quand le rôle de grande puissance imposé à l'Italie pai sa politique extérieure rend non seulement indispensables mais insuflisantes les sommes que lui coûtent maintenant sa flotte et son armée ? b; L' fsc. Mais l'orientation de la politique italienne n'est pas seulement funeste au développement de l'agri- culture ; elle aboutit aussi à une fiscalité épui- sante, véritable pieuvre qui enlace le pays. C'est une croissante exagération d'impôts : création de nouvelles taxes et augmentation des anciennes, voilà le domaine où s'exerce l'ingéniosité des mi- nistres de l'Italie. L'impôt foncier italien est en moyenne de (i fr. 48 à l'hectare. Il est de 3,41 aux Pays-Bas, de 3,17 en France_, de 1,51 en Autriche, de 1,39 en Prusse et de 0,89 en Angleterre. Si, d'autre part, l'on considère, au lieu de l'impôt sur les biens, celui sur la rente agricole, on s'aperçoit qu'il coûte en France M 0/0, en Prusse ; lo 0 0 ; o8 1. PARTIE — LA PRODUCTION AGRICOLE .-•n Belgique, 18 0/0; en Angleterre, 22 0 0; en Italie, 24 0/0 ; notre seule consolation est qae l'Au- triche avec ses 30 0/0 tient le record dans ce dou- loureux concours. Il ne faut pas oublier non plus que les centimes additionnels des surcharges fis- cales des provinces et des communes ne dépassent jamais 2o 0/0 dans les autres pays, tandis qu'ils son», parfois de 100 0/0 en Italie (1). En 1871, l'Etat italien percevait 128 487 480 francs d'impôt foncier, et cet impôt n'était plus que de 100 G23 4o0 francs en 1897. Il oscille depuis dix ans autour de 106 mil- lions. Mais le surcroit de charges foncières impo- sées pa;' les communes a passé dans le même temps de 55 677 312 francs à 80G09 049. De même, les surcharges provinciales sur les terrains et les cons- tructions allant à 48 893 833 francs en 1871 se sont élevées à 86 423 486 ; de sorte qu'abstraction faite, pour les constructions, d'un peu plus d'un tiers des sommes perçues, elles ont passé do 29 à 54 mil- lions (2). Ainsi, l'Etat a diminué l'impôt foncier de 22 millions, mais les surcharges communales et pro- vinciales l'ont, ensemble, accru de 50 millions. Quod 7ion fecenint barbari, feccrunt Barberini. Aujourd'hui, l'agriculture italienne donne un mil- liard de revenu net, que grèvent les charges sui- vantes : Perçu par l'Etat Fr: 106 625 156 Surcharges communales. . . 80 669 069 Surcharges provinciales. . . 54 000 000 241294 525 c'est-à-dire, 24 0/0 environ. (1) Maggiore Per.ni. — Il ïnùvhnentû cconomico e sociale in Italia, Palerme, 1893. (2) Aiinuario statistico italiano, 1898, /. c. CHAP. II. — LES VOLONTÉS HUMAINES 39 Nos réllexions sur le mesquin budget de l'agri- culture italienne et sur les exigences du fisc nous amènent à conclure, brutalement, que si le gou- vernement alloue de maigres ressources à l'agri- culture, il lui suce, par contre, avidement le sang par l'impôt. Sans doute, nous ne croyons pas qu'un adou- cissement de l'impôt actuel constituerait une pana- cée pour notre production agricole. Une diminu- tion de la fiscalité n'amènerait, pour l'immense majorité des intéressés, qu'une augmentation de leur revenu loncîer. Ce serait là pour eux un avan- tage purement personnel ; ils ne penseraient pas (surtout les si nombreux propriétaires absentéistes et les corporations propriétaires) à appliquer les sommes économisées sur l'impôt à l'intensification des cultures. N'empêche que^ pour rares que soient les hommes de bonne volonté, les impôts excessifs exercent sur eux une action déprimante en entra- vant la formation de l'épargne destinée à faire pas- ser la culture des terres du régime extensifau régime intensif, dont le rendement est bien supérieur. c) Malencontreuse intervention de l'Etat dans la cie écono- mique du pays. Le mal serait moins grand si l'intervention de l'Etat dans l'économie nationale était dirigée par une juste appréciation des besoins du pays. De 1862 à 1897, le gouvernement italien a dépensé deux milliards et demi en chemins de fer, c'est-à-dire en faveur de la circulation des citoyens ou des matières de consommation. Et, pendant la même période, 217 millions seulement ont été atïectésà la produc. (il) I. PARTIE LA PRODUCTION AGRICOLE tien agricole (budget de l'aj^ricullure et améliora- lions rurales) (1). d) Dette publique. En Angleterre, le taux moyen de l'emprunt est de 2 ou 2 1/2. Son maximum en France est 3 0/0. C'est justement dans ces pays que les capitaux sont prolitablement cmploj^és dans les entreprises agricoles et que, au fur et à mesure de leur augmen- tation, la culture devient plus intensive, c'est-à- dire plus productive. Eu Italie, le taux di' l'inténH est de 3 0/0 dans les établissements de crédit ; mais il est de 4 0/0 et au-dessus pour les titres de rente. L'Etat offre ainsi un placement commode à des ca- pitaux improductifs, qu'il détourne d'un meilleur emploi. Car le marché mono taire intluant sur la production, une dette publique à 4 0/0 ne contribue certes pas à faire du gouvernement italien un bien- faiteur de l'agriculture. e) Pruleeliouniame. Spécialisations agricoles. — L'Etal exerce une iulluence considérable sur la production agricole par le protectionnisme. Abstraction faite de l'Italie, on peut se demander si, en général, le protectionnisme favorise réelle- ment l'économie agricole. Les chemins de fer et le télégraphe qui ont^ dans ce siècle, élargi la sphère du commerce en trans- formant le marché régional en marché interna^ (1) Aiiiiunriu stutistico ihiliaiio, I80S, /. c. CIIAP. H, LFS VOLONTl':S HIMAINRS 01 iional ont provoqué la di\ ision du travail dans la production agricole et, partant, les spécialisations de t agriculture. On peut dire que, jadis, chaque ferme devait produire toutes les denrées nécessaires à la famille qui la cultivait ; mais, grâce à l'actuelle facilité des transports, on est libre aujourd'hui de cultiver les seuls genres que le climat, la nature du s()l_, permettent d'obtenir on abondance, de qualité supérieure et à un moindre prix de revient, sauf à faire venir les autres de bien loin, s'il le faut, à meilleur marché qu'on ne les obtiendrait sur place. N'étaient les droits d'entrée et le protectionnisme, les petites propriétés sur les coteaux do l'Europe méridionale pourraient être entièrement plantées soit en vignobles^ soit en vergers, soit en orangers ou en fleurs. Les propriétaires, après avoir bien vendu ces produits, acquerraient à très bas prix le blé venu des immenses plaines de TxXmérique aux ports de la Méditerranée. Mais le protectionnisme entrave artificiellement cette heureuse tendance vers la spécialisation. Et l'on voit sur les collines italiennes des milliers d'hectares qui pourraient être profitablemont cultivés en vignobles, en oran- gers et plantes congénères, en jardinage ou en fruits, produire un froment auquel le climat et la nature du sol sont défavorables et qui, en bien des en- droits, ne rend que de trois à six fois la semence. Voilà le résultat du droit de 7 fr, 50 au quintal par lequel l'Etat italien majore le prix du blé de l'Anié- rique du Sud. En Italie, le blé ne descend jamais au-dessous de 20 francs le quintal ; il oscille entre 20 et 23 francs, sauf à monter parfois à 30 et au- dessus. Aux Etals-Unis et en Russie, la culture extensive 4 02 I. PARTir; — LA PRODUCTION AFRICOLE d'étendues vastes et qui s'accroissent sans cesse permet d'obtenir d énormes quantités de blé à un prix minime. En juin 1893, le quinlal de blé coû- tait : 14 fr. 75 à N'ew-York 13 fr. 40 à Chicago 12 fr. 7o à Saint-Louis ot ce blé était vendu : 15 fr. 15 à Londres 16 fr. 00 à Bruxelles 15 fr. 75 à Amsterdam (1). Il est même arrivé des blés d'Amérique à 12 fr. dans les ports italiens. Mais l'Etat impose des droits d'entrée, et le paysan italien, pour ne pas payer son blé trop cher, en cultive la quantité né- cessaire à sa consommation en dépit du climat et de la nature du sol, c'est-à-dire, enfin, même dans les régions les plus impropres à cette culture. Et son énorme travail aboutit à une bien pauvre moisson. La spécialisation, en assignant à chaque produit les zones où il trouvera les meilleures conditions de germination et de fructification, est un progrès en agriculture. Or, le protectionnisme l'entrave. H est donc — au point de vue général de la produc- tion agricole internationale — en contradiction avec les lois biologiques régissant la distribution géographique des véj^étaux et des animaux cl avec les lois économiques qui conseillent de consacrer (1) C. V. Garola. — Les Céréales, Paris, Firniin Diitot page 29. CHAP. II. — LES VOLONTÉS HUMAINES 63 chaque région aux produits fournis par son climat et son sol au moindre prix de revient. Le protectionnisme des Etats modernes est donc, d'abord, préjudiciable à la production agricole in- ternationale. Mais la vie économique actuelle se développant au sein de nations souvent en lutte commerciale entre elles, voyons l'action qu'il exerce dans le moindre ressort de la production agricole nationale. Nous y retrouvons le même phénomène : les produits les plus rémunérateurs pour les produc- teurs italiens, les vins et les bestiaux par exemple, ne peuvent être exportés à cause des barrières douanières élevées par les autres Etats ; et, d'autre part, certaines cultures (celle du ble, par exemple, si peu rémunératrice dans les pays de collines) doivent être maintenues au dépens des plus pro- ductives, à cause des droits à Timportation. Le protectionnisme empêche donc l'orientation natu- relle et féconde des cultures, et, en s'opposant aux lois de l'économie rurale, il nuit à l'agriculture na- tionale, à la quantité, à la qualité et à la vente de ses produits. Libre concurrence bourgeoise. — Mais il y a plus. Dans la socie'té bourgeoise, la concurrence est le stimulant le plus actif de la production. La libre concurrence est un aiguillon des énergies in- dividuelles et un instrument social de sélection (il s'agit ici de sélection commerciale, non biologique). Quand un producteur parvient à diminuer le prix 64 1. PARTIE — LA PHODUCTIUN AGRICOLK de revient d'une denrée, ses concurrents sont obli- gés do redoubler d'aclivitc pour obtenir le même résultat. Et si un ou plusieurs d'entre eux, moins habiles ou moins heureux, ne parviennent pas à produire à aussi bon marché que les autres, et ne peuvent abaisser d'autant leurs prix, ils sont des- tinés à la faillite. Ainsi la sélection commerciale, qui résulte de la libre concurrence, assure la survi- vance des plus forts. Les grands producteurs lancent annuellement une quantil(' considérable de céréales sur le marché. Mais c'est tout au plus si les petits propriétaires produisent plus qu'il n'est nécessaire à la consom- mation de leur famille et de celle de leurs pa3'sans. Les grands propriétaires sont donc les plus direc- tement intéressés aux lluctuationsdu marché inter- national. Il faudrait, pour le bien de tous, que, se trouvant à la merci de ces fluctuations, ils ressen- tissent aussi l'aiguillon et subissent l'œuvre de sélection de la concurrence. A cette condition sine qiia )ion on pourrait réaliser une diminution pro- gressive du coût de production, d'où un abaisse- ment progressif du prix commercial des marchan- dises, ce desideratum des masses. Le peuple a, biologiquement et socialement, un droit sacré à une quantité et une qualité d'aliments telles qu'elles puissent assurer le bon fonctionnement de l'orga- nisme. 11 faut que la macliiue, homme ne dépense pas en travail plus qu'elle n'acquiert en charbon alimentaire, et partout où il y a violation de ce droit, la vie sociale est minée par le ver rongeur du mécontentement. Or, que fait le protectionnisme? Quand les pro- ducteurs étrangers parviennent^ à la grande joie CHAP. II. — LES VOLONTÉS HUMALNES 65 des consommateurs italiens, à introduire une denrée à un prix moindre, les producteurs nationaux de- vraient se sentir excités à soutenir la concurrence en fertilisant davantage leurs terres et en perfec- tionnant leurs méthodes de culture. Et s'ils n'ont pas de chance de réussir de ce côté, ils devraient orienter l'exploitalion de leurs propriétés vers des productions plus rémunératrices. On peut, par exemple, sensiblement diminuer le prix de revient du blé. Virgilii (l ) croit à la possibilité de l'obtenir, grâce au système Solari, à 6 fr. 34 l'hectolitre ; Poggi, agronome qui fait autorité (2), critique ces chiffres et même, avec le système Solari, évalue le coût de l'hectolitre de blé à 10 fr. 34. Ils fondent tous deux leurs calculs sur un rendement de 20 quintaux à l'hectare, tandis que Solari et d'autres arrivent à 30-3.J quintaux. Poggi est donc pessimiste lorsqu'il nie la conve- nance du système Solari dans les terres dites fer- tiles (celles qui produisent 12 quintaux à l'hectare !), tandis qu'on obtiendrait sur celles-là mêmes une amélioration sensible du rendement en diminuant du même coup le prix de revient du quintal. Et si même le chitTre de 6 fr. 34 donné par Jemina et par Ranieri, admis par Yirgilii et discuté par Poggi, est trop optimiste, la facilité avec laquelle on pour- rait dépasser — et considérablement — les 20 quin- taux à l'hectare permettrait toujours d'obtenir, avec il; F. Virgilii. — Il problema agricolo e ravvenirc sociale Païenne, R. Saiidron, 1900. (2) T. Poggi. — Sul costo di produzione del frumentoin Ilalia, N'ciiise, Tip. Ferrari, 1898. 60 I. PARTIE — LA PRODUCTION AGRICOLE un rendement plus élevé, une grande diminution sur le coût actuel, qu'on le calcule à 6 fr. oi ou à 10 fr. 34 l'hectolitre. Poggi pense qu'en tout cas on ne peut pas appliquer ces calculs à toutes les régions de la péninsule ; et, dans les conditions actuelles de l'Italie, cela est vrai. Mais des condi- tions sociales et économiques permettant une plus large application des progrès techniques de l'agri- culture, en favorisant partout le développement agricole, feraient augmenter toute la production nationale. Le coût des produits baisserait partout et leur prix commercial diminuerait sans qu'il y eut diminution des revenus. Ce n'est certes pas toute- fois le protectionnisme qui amènera cet ét;it de choses. Aujourd'hui, quand le marché est défavo- rable aux grands producteurs italiens, ils échappent doucement à la concurrence étrangère en relevant le pont-levis des droits d'entrée. Grâce à l'œuvre complaisamment protectionniste de l'Etat, ils se renferment ainsi^ et les consommateurs avec eux, dans une sorte de forteresse où ils peuvent impo- ser à la consommation le pain national, plu& pa- triotique, sans doute, mais aussi bien plus coûteux que celui qui nous viendrait du dehors sans les tarifs. « Si le blé national ne suitlt pas, disent-ils, que l'étranger nous en envoie ; mais qu'un tarif de 7 fr. 50 l'élève au prix auquel nous voulons vendre le nôtre ». Quand il sera nationalisé de la sorte, et à celte condition seulement, les consommateurs pourront manger aussi du pain Hranger, Voilà comment l'Etat enlève aux grands produc- teurs le sCunulanl, c'est-à-dire la condition néces- saire de leur activité; voilà comment il empêche la splection, c'est-à-dire la condition indispensable au CMAP. II. — LES VOLONTÉS HUMAINES 67 progrès. Tant que ces deux conditions seront, comme elles le sont dans la vie bourgeoise, des conséquences de la libre concurrence, on ne pourra pas se passer de celle-ci ; de sorte que, dans le milieu social actuel, le protectionnisme va à ren- contre des lois naturelles, économiques et biologi- ques, de la perfectibilité. La chose est d'autant plus grave que, s'il est une classe à qui le tourbillon de la libre concur- rence doive être utile, c'est celle des grands pro- prie'taires, trop étrangers jusqu'ici, et pour bien des raisons, à la fiévreuse activité industrielle de ce siècle. Leur indolence est telle que la remarquable diminution du prix du blé en Italie, dans ces der- nières années, n'a pas amené un accroissement de production. Faut-il que le gouvernement sacrifie à cette indolence des grands propriétaires les desti- nées de l'agriculture nationaleetl'intérètdemillions de consommateurs ? Schippel, au Congrès national des socialistes allemands, à Stuttgart (octobre 1898), a combattu le libre échange aveugle en citant le cas où un Etat doit défendre une industrie active, pleine d'avenir, mais faible encore, contre les industries plus fortes et plus avancées des autres pays. Le parti socialiste international n'a pas résolu la question ; mais je crois que, mis en présence d'industries naissantes, le parti socialiste lui-même, libre e'changiste par principe, admettrait provisoirement, en l'état ac- tuel des choses, quelques lois protectrices. Mais, en tout cas, ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici. L'Etat italien, habitué du reste à favoriser les in- dustries naissantes en les suffoquant sous les im- pôts dès leurs premiers vagissements, ne peut s'ap- 08 I. PARTIE — LA PRODUCTION AGRICOLE puyer sur pareil argument. L'agriculture italienne n'est pas une industrie nouvelle ; elle est même, en général, très vieille et très indolente, et les tarifs douaniers ne font qu'en favoriser la décrépitude et l'inertie. Et cela est si vrai que, tandis que les grands propriétaires trouvent, dans le crédit fon- cier, les capitaux, et, dans le protectionnisme, les moyens nécessaires pour opérer les lentes et coû- teuses transformations agricoles, on ne voit pas se produire de courant rénovateur dans la grande propriété. Foggi préconise le protectionnisme au nom de la production agricole. Mais son principal argument est celui-ci : « Le profit net est représenté par la ditîérence entre le coût de production et le prix de vente. En augmentant ce prix par des droits, on augmente l'écart et, par conséquent, les profits nets qui font la richesse et la prospérité d'un pays (1). » Et il ajoute que cela est dans l'intérêt même des travailleurs, parce que plus le profit est élevé, plus les travaux agricoles augmentent. Poggi croit apparemment que les profits sont générale- ment appliqués en Italie à intensifier les cultures. Mais qui ne sait qu'ils sont, au contraire, généra- lement employés à de nouvelles acquisitions de terrains ou gaspillés dans les grandes villes, si bien que ce que l'impôt enlève à l'estomac des consom- mateurs, au lieu de se transformer en salaire, va augmenter les rentes ou alimenter les plaisirs des propriétares? Il nous semble que Poggi, si expert en agronomie, est un peu naïf comme sociologue. (1) Prof. Tito PoGGL — Idazisvi Qvani, Casale Monferrato, Tip. Cassone, 1894. i:HAP. II. — LES VOLONTÉS HUMAINES 69 11 est donc évident que le protectionnisme ne pro- tège ni la production agricole ni les agriculteurs en général, mais exclusivement les grands proprié- taires et grands producteurs italiens aux dépens des consommateurs et même des petits propriétaires; ceux-ci sont contraints, pour ne pas acheter des grains artiliciellement renchéris, à semer en cé- réales des terres absolument impropres à celte cul- ture (les collines) ou, en tout cas, convenant mieux à d'autres : vignes, pâturages, orangers et plantes congénères, etc. En outre, leurs produits, auxquels les barrières douanières des autres Etats ferment leurs débouchés naturels, subissent une déprécia- lion. C'est ce qui est arrivé, par exemple, à nos vins et à nos bestiaux chassés tout à coup de France il y a quelques années. Proloctionnisme et fonction sociale du gouver- nement. — La situation économique créée par le système protectionniste est si grave que son adop- tion est, pour un gouvernement, un aveu d'impuis- sance en ce qui concerne la production agricole. En effet, l'Etat protectionniste : 1° manque à un de ses devoirs essentiels ; 2° commet un acte impolitique ; Satire d'une source impure les ressources du budget. 1. — Il manque à une des bases morales et éco- nomiques de son existence en augmentant artili- ciellement le prix des denrées de première néces- 70 1. PARTIE LA PRODUCTION AGRICOLE site et en dispensant les grands propriétaires oisifs des importants travaux agricoles auxquels, sans son intervention, ils seraient contraints par la nou- velle orientation de l'agriculture. L'Etat, en effet, ne doit pas seulement protéger la vie des citoyens contre les maux violents, mais aussi contre les maux chroniques tels que latente détérioration des organismes produite par l'insuffisance du travail et de la consommation. 2. — Le système protectionniste est si impoli- tique qu'il est inadmissible qu'un Etat l'adopte volontairement. Sans entrer ici dans le détail de la façon dont les grands producteurs italiens obtiennent l'appui du gouvernement, constatons seulement que ce- lui-ci n'intervient jamais d'une manière efficace en faveur des consommateurs et promulgue, par contre, à leur détriment, les lois protectionnistes qui bercent la tranquillité béate des grands pro- priétaires. Or, adopter des mesures évidemment profitables à une classe de citoyens et directement et complètement nuisibles à d'autres est l'acte le plus impolitique que puisse faire un gouvernement. Tôt ou tard, en eftet, il crée par là entre les groupes antagonistes des rancunes profondes — un de ces phénomènes que les socialistes baptisent du nom de lutte des classes — et semble, aux yeux du peuple qui le voit mettre dans la poche des grands producteurs ce qu'il enlève aux besoins des con- sommateurs, administrer la chose publique au pro- fit exclusif d'une minorité. 3. — Le protectionnisme ne profite pas seule- ment aux grands propriétaires, mais aussi au bud- get de l'Etat, auquel il fournit une encaisse annuelle CIIAP. II. — LES VOLONTÉS IIUMAINKS 71 de 240 millions. Or, il ne peut [)as }' avoir de preuve plus claire des conditions malheureuses où se trouve un gouvernement, car les droits de douane sont arrachés à la consommation déjà in- suffisante des classes inférieures. Cette source im- pure de revenus peut satisfaire l'insatiable soif de l'Etat, mais elle est une cause latente de corruption pour l'organisme social. Ainsi le protectionnisme est un phénomène de pathologie sociale dont les nations devraient se garder et dont, on peut le croire^ se garderaient les hommes du gouvernement italien, sûrs d'abou- tir à d'inévitables désastres, si les pressions impré- voyantes exercées par les grands propriétaires, aveuglément soucieux de leur proiit immédiat, n'imposaient une ligne de conduite en contradic- tion avec les besoins de la production nationale. 5. — Provinces, Communes et Caisses d'épargne. Les Provinces ont un budget et des fonctions administratives très bornés, une plus grande dé- centralisation en matière d'administration a3^ant élé réclamée en vain jusqu'à présent. C'est pour- quoi, de toute façon, elles ne pourraient pas faire grand'chose. En outre, l'esprit d'innovation fait défaut dans la plupart des conseils généraux : c'est à peine si certaines provinces sentent le devoir d'eucourager, fût-ce modiquement, les chaires am- bulantes d'agronomie, les comices et associations agraires, le crédit agricole, les sociétés contre le phylloxéra, etc. il 1. PARTIE — LA PRODUCTION AGRICOLE Quant aux communes, ces pupilles soumis à la stricte tutelle de conseils administratifs très peu portés aux dépenses facultatives, elles sont bâillon- nées, l'.t, du reste, n'ayant au sujet delà production agricole aucun esprit d'initiative, elles ne se plai- gnent pas beaucoup de ce bâillon. Il est rare ,de voir, comme dans la province de Parme, des communes rurales offrir de faire les frais de con- férences d'agronomie (1). Dans certains pays, et surtout en Angleterre (2), la fonction communale est véritablement entrée dans une période de renaissance depuis que les com- munes, avec une fréquence croissante, se chargent directement des services publics et remplacent les anciens contrats de ferme des travaux publics par un S3'stème beaucoup plus rationnel. Mais en Italie la centralisation excessive condamne les munici- palités, et principalement les municipalités rurales, à une existence rachitique absolument impropre à favoriser la production agricole. Ajoutez à cela, dans les provinces du midi sur- tout, un d('Sordre chronique de l'organisme com- munal: cabales, empiétements de particuliers sur les biens communaux, mauvaise administration des services publics, etc. Nous pouvons donc, sans nous arrêter ici aux détails, noter que non-seule- ment il n'y a pas beaucoup à espérer des munici- ])alités italiennes mais qu'il faut môme au contraire, dans certaines régions, en craindre beaucoup de mal. (1;C. GuERCf. — htituzlom agrarie (Jcllu Prori>ic!i( di Vanna, Parme, L. Rattei, 1895. (2) U. Rabbeno. — l'na bella rifonna auraria aile faille delCiinuiic (Hiforiita sociale, Tunn, 1806). CHAP. 11. — LES YOLONTFS HUMAINES i -1 Les Caisses d'é/jargne oui, en bien des eiidruils, favorisé le réveil agricole partiel que l'on a vu se produire dernièrement dans certaines régions de TTlalie. Leur action s'exerçant principalement dans un milieu agricole, elles sont intéressées à l'amé- lioration des cultures locales. Kn effet, à mesure que celles-ci se trouvent dans de meilleures condi- tions, les Caisses d'épargne multiplient leurs suc- cursales. C'est ainsi qu'à Milan, Bologne, Parme, Cento, Césène, Imola, Plaisance, Sienne, Rimini, Udine, etc., elles ont contribué au développement de l'agriculture par des subsides accordés aux comices agricoles, des emprunts consentis à un taux modeste (de 2 à 5 0/0)_, des sommes annuelles affec- tées à des chaires ambulantes d'agronomie ou à d'autres objets utiles. Malheureusement, dans le problème qui nous occupe, l'influence favorable de la Caisse d'épargne a une importance secon- daire et subordonnée pour les motifs que nous exposerons plus loin au sujet du crédit agricole. 6. — Les partis. Kii îlulie, les partis politiques ne peuvent fuiie moins que de se préoccuper incessamment de l'état des campagnes. J'ai dit de se prèoccwper — ce qui implique un souci — et non i^as de s'occuper — ce qui exprimerait une action. Et c'est là justement ce qui se produit : touslespartispolitiquesitaliens son- gent continuellement aux moyens de favoriser l'agri- culture et cependant ils ne font presque absolument rien en sa laveur. Ils s'en préoccupent et, au fond^ ne s'en occupent pas. Ceux d'entre eux qui exercent Gatti. 0 7i I. PART. LA PRODUCTION ACrRlCOLE une influence manifeste sur la vie publique sont : les cléricaux, les libéraux (conservateurs et pro- gressistes), les radicaux (légalitaires et républi- cains) et les socialistes. a) Le parti clérical. Son activité et sa force s'affirment surtout dans les villes où il obtient un nombre considérable de suffrages aux élections non politiques et de grandes victoires dans la formation des conseils municipaux ou provinciaux. Ce fait, en contradiction avec le fait — d'ordre spirituel — que la foi religieuse est beaucoup plus vive dans les campagnes que dans les villes, s'ac- corde avec cet autre fait — d'ordre écono- mique — que la puissance linancièredu parti cléri- cal est beaucoup plus considérable dans les villes et principalement dans les grandes villes. C'est là qu'il domine par les e'tablissemenls de bienfaisance (hospices, hôpitaux, etc.), et qu'il trouve surtout le solide appui deïarislocratie noire, l'aristocratie riche, généralement cléricale. Cependant, il ne néglige pas la conquête des campagnes, où la pro- pagande et les protestations acharnées de ses jeunes recrues lui donnent de[)uis quelques années un caractère batailleur. Rappelons ici, comme indice des plus significatifs, l'histoire des Caisses rurales de crédit agricole type Ralîeisen, qui, introduites en Italie par les libéraux, sont en grande partie, maintenant, entre les mains du clergé : CIIAP. II. LES VOLONTES HUMAINES 73 Cair^ses rurales Lille r aies Callioliquus 27 43 101 20 juin 1883 — 6 avril 1892 .... û avril 1892 - 31 décembre 1892 . . 1893 1S94 63 15 7 3 !«■■ janvier 1895 — 15 mai 1895 . . . Caisses laïques devenues cathol. 1894. 88 12 - 239 12 + 76 251 (') (1) P. Aruoino. — Le casse rnrali di prestiti. (Ru'ista int. di scien. soci. c dise, ans., mars et avril 1896). Le parti catholique a, en Italie, une tout autre physionomie que chez les autres peuples, par suite de la question dupoiivoir temporel des papes. Cette question lui donnant un caractère essentiellement politique, il tend à se créer une hase économique dans le double but d'acquérir des partisans parmi les populations en proie à une misère croissante et de voiler cette aspiration au rétablissement du pou- voir temporel qui froisse profondément le senti- ment national. Yoilà pourquoi les jeunes prêtres s'agittcnt dans les campagnes. Mais le parti clé- rical n'a pas exercé jusqu'ici d'action sensible- ment rénovatrice sur l'économie rurale, la produc- tion et les classes agricoles. Il est, d'abord, sans influence sur la législation, puisqu'il s'abstient de prendre part aux élections politiques et aux assem- blées législatives, d'entrer à la Chambre ou au Sé- nat. Ensuite, son active propagande n'a su mettre en lumière qu'un seul des nombreux côtés du grand prisme de la coopération agricole : le crédit 70 1. PART. LA PRODUCTION AGRICOLE par l'organe des Caisses rurales, dont le nombre et l'importancG ne suffisent pas à lui assurer une intluence considérable. Ce parti, plein d'élan et puissant par son enthou- siasme, sa discipline et ses moyens pécuniaires, est presque toujours représenté par des prêtres dans les campagnes et très rarement par des laïques. Or, les curés et les vicaires sont des profanes en agriculture. Kn outre, grâce aux études spéciales qui poussent leur esprit à la contemplation et aux occupations sacerdulalos qui créent en eux des habitudes d'inertie physique, ils se trouvent au pôle opposé de ce qui constitue Yaptitiide requise pour agir sur un milieu agricole. b) Le parti libéral. Le parti libéral (conservateurs et progressistes, droite et gauche parlementaires) est, depuis la constitution du royaume d'Italie, à la direction des affaires, où les conservateurs succèdent aux pro- gressistes ou se confondent avec eux. Sa position vis-à-vis de la production agricole doit donc être examinée à deux points de vue : celui de son action législative, gouvernementale, et celui de sa puis- sance excitatrice et organisatrice comme parti. Nous avons déjà parlé dans ce chapitre de l'ac- tion gouvernementale sur la production agricole italienne. Or, puisque le gouvernement a toujours été aux mains du parti libéral, démontrer son inca- pacité c'est, en d'autres termes, démontrer l'im- puissance législative du parti politique qui, depuis plusieurs dizaines d'années, gouverne l'Italie. Examinons maintenant l'action du parti dans CHAP. 11. LES VOLONTÉS HUMAINES 77 le pays. Ce parti libéral qui se rccrule piiiicipa- lenieut dans les mille pelils centres agricoles de ritalie, qui tire toute sa force de l'adhésion, mallieureusement inconsciente, d'une population presque exclusivement rurale, et qui cherche, par unprolond instinct de conservation, à maintenir et à fortifier cette adhésion, que fait-il en faveur des classes rurales et de la production agricole ? Sa première tâche, une fois l'unité italienne obtenue, était de former une conscience nationale. Dans le domaine de la vie sociale, il s'agissait de développer d'abord la conscience politique, encore imparfaite malgré le liisorgimento, provoqué et dirigé par une élite. Dans le domaine économique, il fallait d'abord donner à un pays voué à l'agricul- ture une conscience agricole, en secondant les rapides progrès de la science économique et les perfectionnements incessants de l'instrument tech- nique de production. Mais le parti libéral crut que le bien-être devait pleuvoir d'en haut, du gouvernement. Il s'occupa sans y parvenir — nous l'avons vu — de réformer l'Etat, et son action dans le pays fut à peu près nulle. Erreur fondamentale, car le bien-être social provient nécessairement des conditions générales du pays dont l'Etat n'est qu'une émanation. Il faut qu'un peuple soit intellectuellement et économi- quement fort pour se donner un gouvernement éclairé et puissant. L'action qui descend du gou- vernement sur la population, c'est, dansle jet d'eau lancé en hauteur, la retombée sur le sol d'autant plus abondante et plus claire qu'elle est alimentée par une source plus riche et plus limpide. Le parti libéral italien n'a jamais, par indolence 78 1. PART. LA PRODUCTION AGRICOLE et par peur, voulu ni osé s'occuper directement du peuple. L'indolence, ce caractère biologique des méridionaux, s'ajoute, dans notre classe bour- geoise, à la peur des trop vives revendications des classes inférieures les plus nombreuses (petite bourgeoisie et prolétariat). LMtalie n'a presque rien de comparable au mou- vement coopératif agricole, si ample et si vigou- reux que, depuis plusieurs années déjà, les conser- vateurs ont créé en Belgique : associations pour l'achat d'engrais, de macbines, de semences, de fourrages ; sociétés d'assurance pour le bétail, caisses agricoles de crédit, distilleries coopératives, syndicats pour les betteraves, raffineries sociales, sociétés d'élevage, ligues d'agriculteurs et d'apicul- teurs, laiteries sociales. Devant la puissance croissante du parti socia- liste, les conservateurs belges ont senti le besoin de se créer un appui solide parmi les populations ru- rales, en coopérant avec elles à un travail fécond de renouvellement agricole. Et il faut reconnaître qu'ainsi, tout en se défendant fort bien, ils rem- plissent une fonction sociale ind('niablement utile. Cette haute bourgeoisie belge n'est pas seulement le lest conservateur qui maintient l'équilibre u '. navire social, malgré les flots orageux du mécon- tentement populaire et la poussée des désirs inas- souvis. Elle ne se sert pas aveuglément de sa pré- pond(Mance politique ]jour refouler la cohorte des classes inlérieuresassoifïées de justice et avides de leur part de pouvoir ; mais, par une intelligence éclairée de ses moyens de défense, elle barre le passage au prolétariat agressif en s'agrégeant les classes so- ciales qui ont le plus d'afiinité avec elle, en tra- CHAP. 11. LES VULOXTKS HUMAINES 79 vaillant en leur faveur, en satisfaisant leurs besoins les plus urgents, en ouvrant une large voie aux courants naturels de l'économie agricole. C'est faire œuvre intelligente que de rivaliser avec les partis avancés dans l'accomplissement du bien : entre celui qu'elle réalise et celui que réa- lisent les novateurs socialistes, le bon sens popu- laire n'a qu'à clioisir. Le progrès a pour domaine la liberté et pour arme le bien. Il y a certes, en Italie, des conservateurs ou des progressistes taille's sur ce modèle, mais, avouons- le, l'inertie de l'immense majorité du parti libé- ral italien s'oppose à l'activité des conservateurs belges. c) Le parti radical. Le parti radical comprend le groupe légalitaire guidé jadis par Cavallotti, et le groupe républicain. Economiquement.^ légalitaires et républicains se confondent; poliliqnement, ils divergent en ce que les légalitaires croit qu'il est possible d'accomplir les plus audacieuses réformes économiques même sous un régime monarcbique, tandis que les répu- blicains soutiennent le contraire. L'extrême gauche parlementaire, formée jusqu'à ces derniers temps de légalitaires et de républi- cains, s'est tout dernièrement armexé des socia- listes. Elle n'a jamais été au pouvoir. Malgré son effort constant dans le sens d'une politique géné- rale et d'une législation favorables à la petite bourgeoisie, elle ne peut, grâce à un état de choses plus fort que sa volonté et à sa ténacité, se vanter 80 1. PART. — LA PUUDLCTIOX AGRICOLE d'avoii- obtenu des résultats remarquables en fait de réformes économiques. C'est que jusqu'ici la vie politique italienne a été dominée par des ten- dances nettement conservatrices, qui ont rendu impossible un gouvernement radical ou même nettement progressiste. Les radicaux italiens, représentants de la petite bourgeoisie, auraient dû, devant la résistance opposée par le Parlement^ en appeler à la cons- cience ])opulaire, prendre la direction de la vie économique du pays, stimuler, éclairer, grouper les énergies individuelles, et, par ces leviers, pousser le gouvernement sur la voie des réformes essentielles. Mais, comme les libéraux, ils conti- nuèrent à compter sur les Cbambres plutôt que sur la petite bourgeoisie et ils s'imaginèrent aussi que le bien peut venir d'en liaut sans avoir été préparé dans les couches sociales inférieures. Si le groupe radical italien compte beaucoup d'hommes de talent, il a néanmoins un vice d'ori- gine. Ses principes sont surannés et datent d'avant la grandiose conception du matérialisme historique. 11 est l'écho lointain des revendications proclamées par la Révolution française, le rejeton nouveau d'une très vieille souche. Ses membres, imbus de doctrines antérieures à notre conception actuelle de l'bisloire, ne peuventpercevoir nettement, d'une façon claire, la vie économique telle qu'elle s'agite et rernienle sous ses dehors politiques. Il y a là, en somme, une onde sentimentale de généreux élans plutôt que l'alfirniation rigoureusement exacte d'un ensemble déteiininé d'intérêts économiques. Car on ne saurait faire honneur à tout le parti de l'œuvre personnelle d'un de ses membres, M. Guerci, CHAP. II. — T.ES VOLONTKS HUMAINES «1 qui seconde activement, dans sa province de Parme, un réveil agricole donnant déjà des résultats excel- lents. Ce député est le seul do son groupe qui ait compris la mission d'un parli radical en Italie. d) he jiinii sociitliste. Dans toute l'Europe, le parti socialiste poursuit aujourd'hui la conquête des campagnes et ses aspi- rations s'affirment avec une ardeur particulière dans les pays agricoles : en France, en Italie et en Belgique. Ce parli s'est formé au sein d'une société indus- trielle, mais les principes fondamentaux de sa doctrine — matérialisme historique, lutte des classes, théorie de la plus-value, etc., — sont aussi vrais au point de vue de l'agriculture qu'à celui de l'industrie. V instrument de production, — ce pivot de l'évo- lution économique, selon la doctrine socialiste, — ne trouve pas l'industrie agricole dans les mêmes conditions que les autres industries. Elle en difîère économiquement. Grâce à descauses complexes que nous étudierons plus loin, l'outil technique y est relativement moins perfectionné, la concentration capitaliste de la propriété s'y fait plus lentement et la petite propriété y présente une résistance que Marx n'avait pas prévue. Lors du Congrès national de Bologne (Sept. 1897), les socialistes italiens n'ont pas fait bon accueil au rapport sur l'agriculture (Gatti) qui niait la dispa- rition rapide de la petite propriété, cet aphorisme que la plupart soutiennent par habitude mentale, sans doute, bien plus que par une conviction née 82 1. PART. LA PRODL'CnON AGRICOLE de l'étude patiente de la réalite'. Le député Sichel, membre du groupe socialiste, avait soutenu encore l'opinion traditionnelle pendant la discussion du budget de l'agriculture au Parlement (Juin 1897). Malgré les drmentis de l'observation courante et de la statistique, la croyance à la disparition de la petite propriéti' est devenue presque un dogme dans le domaine théorique. Il y a là un phéno- mène de cristallisation mentale dont n'a pas pu se défendre même le parti qui compte dans ses rangs, outre des intelligences d'élite, les moins misonéistes des tempéraments intellectuels. Ainsi les socialistes, étant portés à croire que la petite propriété agonise sous la pression du ca- pitalisme agricole, se gardent, par principe, d'entreprendre un travail quelconque d'organisa- tion économique ou d'association agricole qui puisse lui être favorable. Ils admettent donc, offi- ciellement, en Italie (et, en général, du reste, par- tout ailleurs) la nécessité d'intéresser à la politique et d'organiser économiquement le prolétariat agri- cole ; mais pour les petits propriétaires ils n'ad- mettent que la propagande politique. Il y a bien sans doute un courant socialiste favo- rable à une action directe sur la petite bourgeoisie agricole et à l'institution de caves coopératives, de laiteries sociales, d'assurances pour le bétail, de caisses de prêts agricoles, etc., mais il est trop faible pour s'imposer. 11 faut noter cependant que, dans le Mantouan et le Montferrat, les socialistes viennent d'ébau- cher l'organisation économique de la petite pro- priété en vue de la production et de la manipula- tion des denrées agricoles. Et le Congrès de Rome • H Al'. II. L1£S VOLONTÉS IILMAINLS 83 (Sept. 1900) a approuvé un ordre du jour expri- mant le vœu qu'une solution définitive de la ques- tion soit formulée au prochain Congrès national. Voilà pourquoi, insoucieux de la productioji ayricole, le socialisme italien ne s'est préoccupé jusqu'ici que de la distribution des produits, et pourquoi, tout comme les autres partis politiques italiens, il n'a pas accompli l'œuvre de renouvelle- ment agricole qui répondra aux aspirations et aux préoccupations générales. 7. — Impuissance subjective de V homme sur la production nationale. On tend généralement à attribuer à des per- sonnes, c'est-à-dire à des volontés humaines, le bien ou le mal publics. Parce que, dans le drame social, des individus représentent, expriment ce bien ou ce mal, c'est à eux que s'en prennent les juge- ments collectifs sur les causes des phénomènes et que le sentiment collectif concentre ses espoirs et ses enthousiasmes, ses haines et ses imprécations. Une école de sociologie, dite subjective, fonde aussi ses espérances et son programme d'organi- sation sociale future sur les volontés humaines. Mais pour faire dépendre tout le bien-être écono- mique et le progrès moral futur de la volonté des hommes, il faut ne considérer que les ac- teurs et non les forces qui les font agir. Ces forces sont, au point de vue économique, les irrésistibles courants d'intérêts qui poussent certaines classes ou catégories sociales dans certaines directions et s'opposent fatalement aux courants d'intérêts con- 84 I. PART, — LA PRODUCTION AGRICOLE traires ; au point de vue biologique, les toutes puissantes iniluences du climat et de la race sur la nature et les spécialisations des forces indivi- duelles. Il n'y a pas bien longtemps, après les émeutes qui ont agité l'Italie, de la Sicile à Milan, en avril- mai 18'J8, un député, M. Arnaboldi, publia un opus- cule où il était dit que ces douloureux phénomènes provenaient A' un état morbide de la conscience pu- blique, qu'il fallait inviter les esprits à la concorde y compter sur /'e^o;-/ des volontés pour la réalisation du bien public. Ainsi le « subjectivisme » peut, on le voit, s'allier à des intentions ge'néreuses, mais il dénote surtout une connaissance superficielle des données de la sociologie. Quand Gladstone, alors premier ministre, pro- posa ses lois agraires pour l'expropriation des domaines d'Irlande au profit des paysans, sa vo- lonté se trouva aux prises avec les propriétaires dont les intérêts, fortement représentés à la Cham- bre des Communes et dans celle des Lords, finirent par triompher après une longue et formidable lutte. De rrième, l'impérieuse volonté d'un Crispi n'a pu mener à bien un projet de loi analogue. On sait qu'en 1894, après les émeutes siciliennes, il pro- posa la subdivision des latifundia appartenant aux Œuvres pies ou à des particuliers en lots déterre à donner aux cultivateurs soit en emphyléose (biens communaux et ecclésiastiques ) soit à ferme (pro- priétés privées). Afais une coalition des intérêts me- nacés, ayant à sa tète M.DiUudini, fit avorter cette réforme. Nous pouvons donc terminer ce chapitre consacré àrinfluonre delà volition humaine sur la CHAP. 11. — LKS VOLONTÉS HUMAINES 83 production agricole en affirmant que les volontés, individuelles ou collectives, sont impuissante: à pro- duire la rénovation désirée. Même si des particu- liers, des associations, et les partis politiques, les Communes, les Provinces et le gouvernement même voulaient fortifier l'anémique production agricole nationale et accomplir l'œuvre de renouvellement ardemment réclamée par l'opinion publique, ils nele pourraie)}l pas, paralysés qu'ils sont par un état d3 choses qui s'impose à leur volonté. Il arrive toujours sans doute que la pensée dans son vol idéal va bien loin au delà de l'action ralentie par sa matérialité. Mais le contraste est ici exceptionnel. Les milliers de vouloirs anxieux d'assurer un avenir fécond à l'agriculture italienne sont comparables aux douloureux désirs de mou- vement du paralytique, dont les vains stimulus cé- rébraux se heurtent à l'inexorable inertie matérielle des membres immobilisés. chapitrl: m INFLUENCE DU MILIEU SOCIAL ET DU MILIEU BIOLOGIQUE SUR l'aGRICULTLRE Nous avons vu les volontés humaines arrêtées par de nombreux et complexes états de choses. Examinons-les tous, rangeons-les par groupes na- turels, soumettons-les à une minutieuse analyse objective, déterminons le degré de leur importance dans le problème de la production nationale. En repassant ensuite de l'analyse à la synthèse nous remonterons vers la cause centrale de ces phéno- mènes et compléterons par là l'étude du milieu où évolue l'agriculture italienne. 1. — Conditions de la vie intellectuelle. a) Isolement. Une des causes les plus évidentes de la torpeur intellectuelle est l'isolement profond où vivent la plupart des campagnards, surtout dans un grand nombre de régions de la péninsule. Dans l'isolement, point de stimulants propres à aviver la réflexion, la formation des idées, l'esprit CHAP. Uf. MILIIiU SOCIAL ET AGRICULTURE 87 d'initiative; point de cette activité fiévreuse et fé- conde qui naît de la concurience économique ou de la discussion intellectuelle. Le physique reproduit le moral. Uegardez le cita- din: il marche d'un pas léger et rapide tout en regardant sans cesse autour de lui. L'expression de sa physionomie change avec une extrême faci- lité. 11 s'arrête à tout moment pour causer et parle d'une voix brève en gesticulant avec animation. De toute sa personne^ enfin, se dégage Tintense vivacité d'une pensée tumultueuse et d'une vie bouillante. Voyez, par contre, le campagnard : sa démarche lente et lourde, son regard placide, sa physiono- mie calme, son geste rare, sa parole sobre^ toute sa massive personne dénotent le peu de mobilité de son esprit. L'énergie d'un homme isolé, ou presque isolé, est une force purement individuelle. Cet homme est comparable à une machine électrique actionnée par une seule pile. Mais le citadin ne dispose pas seulement de la dose d'énergie psychique innée en lui ; il absorbe en outre toute celle que son entou- rage lui transmet par des contacts et des frotte- ments incessants. Et cette force accumulée en lui se manitestera, comme le courant d'une puissante batterie, par des etTets considérables. La facilité des communications, les routes car- rossables, les chemins de fer, les services postaux et télégraphiques modernes ont certainement mo- difié l'ancienne vie champêtre, patriarcale. Toute- fois l'isolement persiste dans la campagne pendant que les agglomérations se font toujours plus nombreuses dans les villes. 88 1. PART. — LA PRODUCTION AGRICOLE Les études tle M. Ammoii nous serviront à mettre en relief les diiîérences que l'action excitante de la vie des villes exerce sur le système nerveux (1). Il a démontré que l'instinct sexuel, par exemple, se dé- veloppe plus précocement (trois ans plus tôt à peu près) dans les villes. On peut en outre facilement noter le contraste existant entre la précocité des enfants des villes et la lenteur intellectuelle des petits campagnards, même dans des conditions économiques toutes pareilles. L'isolement entretient une incrustation d'inertie et de misonéisme sur la vie intellectuelle de l'homme des champs, et sa torpeur psychique, sa méfiance aveugle ou sa répugnance envers les nou- veautés, sa résignation fataliste créent aux meilleures et plus fécondes audaces du mouvement agronomique un obstacle, secondaire sans doute, mais réel, que les audacieuses tentatives de l'in- dustrie ne connaissent pas dans les grandes villes. b) Instruction ijcnérale. Il faut ajouter à l'eiïet de l'isolement celui d'une ignorance presque complète. Le nombre des illet- trés a un peu diminué en Italie. En 1871, les in- dividus — hommes ou femmes — incapables de signerleuracte de mariage formaientune proportion de 67,23yo etlesconscrits illettrés (arméeetmarine) une proportion de 63 y^. En 1895, le chiffre des nou- veaux mariés complètement illettrés n'était plus que de 43,88 Yo et celui des conscrits de 40,60 Vo (2). (1) Otto Ammon. — Die natiirliche Auslcse beim Menschem, léna, 1893, pape 243. (2) Annuiirio stutistico ituliano, 1898. CHAP. m. MILIEU SOCIAL b: T AGRICULTURE 89 Mais la proportion actuelle de 42 7^ est encore très iiaute, surtout si on la compare à celle des autres nations ( 1) : V.\\6 ILLETTRÉ? Saxe U.U 7,^ Bade 0,0 Norvège 0,2 Prusse 0,4 Suisse 0,S Pays-Bas ... 7,:i France 9,4 Angleterre. . . . • li-,0 Belgique 16,0 Hongrie 36,0 Italie 42,0 Bellune est la seule province de l'Italie où le nombre des enfants que la loi oblige à Iréquenler lécole corresponde à celui des écoliers. Dans les 68 autres il y a un écart plus ou moins grand entre les deux chifîres — écart de 20 à 25 % pour 2'J provinces, et pour 19 autres de 50,70 7o- ïl ressort de cette statistique qu'en 1895 sur 2.973.910 en- fants qui auraient dû être inscrits aux cours élémen- taires, il n'y avait que 1.670.092 inscrits. Ainsi, 805,818 enfants environ éludent chaque année, de la façon la plus complète_, Y obligation scolaire ! L'absence de connaissances générales empêche toute conception large et claire de la vie sociale moderne et, par conséquent, des conditions nou- velles que le perfectionnement de l'outillage fait à chaque agriculture nationale et aux rapports économiques complexes des divers pays. (1) Bull, de llnst. intcrn. de stat., 1892, t. VI. 90 I. l^\RT. — LA PRODUCno.N AGRICOLE Le gouvernement, dans les conditions politiques et budgétaires actuelles, ne peut pas appliquer efficacement la loi sur l'instruction primaire. Celle- ci a été confiée aux Communes, mais les inspecteurs observent que « l'instruction populaire est déte-lée « et entravée par la plupart des administrateurs u communaux et aussi par bon nombre de gros c( bourgeois (1) ». a) Instruction afjricole. Naturellement, le manque de connaissances se rattache à l'absence de notions générales. Nous ne sommes en Italie qu'au tout commencement d'une véritable organisation de l'agronomie. Nous avons aujourd'hui : 10 écoles supérieures, 8 écoles spéciales d'agriculture et 2(j fermes écoles ; 16 écoles libres subventionnées ou non par le gou- vernement ; 23 chaires ambulantes d'agronomie; 5 chaires ambulantes de viticulture et d'œnolo- o'ie. Nous avons en outre 1 i stations d'expérience-- générales ou spéciales d'agriculture, ;3 laboratoires de chimie agricole et quelques laboratoires pour le vin ou pour le beurre annexés aux écoles spé- ciales. Cet ensemble ne peut suffire sans doute à une grande nation . agricole, mais surtout l'enseigne- ment populaire agricole est défectueux. 11 n'est donné que dans quelques provinces et même il esl souvent borné à l'étude spéciale d'une seule (1) L'iiitnizionc eloncntarc ncllanno ficolaslico lS9o-96 (Enquête Torraca. Miuistero ili Pul)bl. Istruzione. l{ome, 1897, page 6G). Ctl.Vi'. lU. — MILIEU SOCIAL ET AGRICL" LTURK Ul branche de ragronomie : culture des fruits, viticul- ture ou zootechnie. Les chaires ambulantes d'enseignement général ou spécial sont encore bien peu nombreuses et de rares provinces ont recours aux comices agricoles, si utiles et que l'on a mis à profit partout où il y tendance à une reprise de l'agriculture. En ce qui concerne l'instruction dans les écoles élémentaires, quelques-unes — 471 en tout — ont donné des notions d'agriculture en 189-3. Le gouvernement italien alloue un million et demi par an environ à l'instruction agricole. Cette somme est presque entièrement absorbée par les fermes écoles. Pour les subsides à accorder aux écoles et aux colonies, pour les enseignements spéciaux, les cliniques ambulantes, les bourses d'études dans les instituts agricoles nationaux ou étrangers, les voyages d'instruction, l'enseignement de l'agriculture dans les écoles élémentaires, les conférences de professeurs sédentaires ou les chaires ambulantes, il dispose annuellement de... 30.000 francs environ ! Ainsi, l'enseignement agronomique commence à peine en Italie. Les conditions ambiantes y sont encore défavorables à son développement, et sauf dans quelques rares régions qui ne doivent pas nous faire oublier les autres, l'agriculture ilalienne marche aveuglément sur les brisées de l'ancien empirisme. En 1897-08 le budget de prévision de l'agriculture fixait une somme de 1. 360.013 francs pour l'ensei- gnement agricole et — fuit digne de remarque — elle était de 2.032.827 francs dans le budget de 1890-91. iXous marchons à reculons ! Et pen- 92 T. PART. LA PRuDrCTIuX AGRICOLE (lant ce temps la France consacre à son enseigne- ment agricole des fonds de plus en plus considi'- rables, plus de 4 millions aujourd'hui (1) ! Voilà encore une preuve de l'impuissance du budget et de la détectueuse organisation des admi- nistrations locales. 2. — Les coudilions sociales. a) PoliliijUe ijénéruk'. Après avoir noté que limpuissance financière du ministère de l'Agriculture est une conséquence de l'orientation actuelle de la politique italienne, voyons s'il est permis d'espérer un changement de cette orientation et une plus considérable inter- vention financière du gouvernement en faveur (\o l'agriculture nationale. L'Italie pourrait-elle adop- ter une politique où ses frais de défense seraient moindres et les fonds destinés à l'agriculture et à l'industrie plus considérables? Mais, d'abord, le- complications diplomatiques ne sont pas des nœuds gordiens qu'un Alexandre, en arrivant au pouvoir, puisse trancher d'un coup. En outre, comment espérer l'action lente qui arracherai I l'Italie à sa situation actuelle ? La vie politique' italienne est dirigée par des classes et des élcnionl- convaincus que, — pour maintenir le prestige natio- nal au milieu des inévitables confiits économit|ues qui se déroulent dans les pays prêts à s'émancipe i commercialement de l'étranger, pour assouvir la soi 1 (1) P. P. Dehérain. — Le.s engrais, les fcrmcnls de la tcrrr, Paris, liueff, 189:;. CHAP. III. MILIEL SOCIAL ET AORICILTURE 03 û'tMiérale Je colonies militaires, — l'Italie a besoin d'une position éminente, assurée par de solides alliances et une puissante organisation mili- taire. D'autre part, la politique bourgeoise est domi- nt' ' par V individualisme, qm rejette toute interven- tion importante du gouvernement dans le domaine de l'économie nationale. L'initiative individuelle devrait senle^ selon cette opinion, même sous le manteau de plomb du fisc, développer les germes de la productivité nationale. Ainsi, la mégalomanie latine (colonies militaires de Massaouah et de Saint-Mûn), intérêts écono- miques des classes riches (colonie commerciale du Bénadir et droits de douane) et V individualisme èo2/r^^o/5 s'unissent pour rendre immuable l'orien- tation actuelle de la politique italienne. Il) Continent l'Etal intervient en fureur de l'économie nationale. Il faut rattacher aux conditions politiques de l'Italie les fautes commises par le gouvernement dans ses encouragements à l'économie nationale, erreurs dont il a déjà été question. Le parlementarisme bourgeois laisse les portes ouvertes à des influences, des compromissions poli- tiques qui, en l'absence d'une conscience populaire capable de contrôler les actes du gouvernement, troublent les fonctions de l'Etat. Si cette plaie existe autre part que chez nous, il faut pourtant reconnaître qu'elle n'est nulle part aussi grave. Le gouvernement est, surtout dans certaines régions, considéré comme un plat savou- 94 I. PART. — L\ PRODUCTION' AGRICOLE reux qu'entourent des nuées de mouches avides, acharnées et bourdonnantes : dépulég, sénateurs^ fonctionnaires demandent, avec l'invincible téna- cité de Tintérêt personnel, des travaux publics qui avantageront telle province — ou même tel entre- preneur — et ne seront peut-être pas en harmonie avec les besoins généraux de l'économie nationale. Le gouvernement ne peut se soustraire à cette mul- titude de pressions. Pour se ménager l'induence électorale et parlementaire de tous les postulants, il satisfait au hasard et souvent convulsivement aux mille requêtes individuelles, se mettant ainsi dans l'impossibilité de satisfaire convenablement les besoins généraux essentiels. En Angleterre, le tempérament et les mœurs ont été un remède naturel contre la plaie du par- lementarisme. Les Anglo-Saxons, habitués à compter surtout sur eux-mêmes, agissent sans trop se préoccuper de l'appui du gouvernement, dont ils sont les juges et non les parasites. Cependant nous ne faisons pas chorus avec les ennemis du régime parlementaire, la meilleure des constitutions politiques que la bourgeoisie puisse se donner. S'il fonctionne mal en Italie, cela ne dé- pend pas dun vice essentiel, mais du niveau trop bas auquel une minorité cupide a maintenu la vie économique et intellectuelle de la majorité du peuple italien. c) La dette publique. Nous avons parlé de la situation défavorable que la dette publique crée à la production agri- cole. N'y a-t-il pas moyen de remédier à cet état CHAP. m. — MILIEU SOCIAL ET AGRICULTURE 9o (!(' choses? Le gouvernement peut envisager deux laçons d'y parvenir : tendre à diminuer la dette publique, ou diminuer les intérêts paj'és aux dé- tenteurs des titres de rente. La réduction de la dette a été le rêve des res- taurateurs de l'unité italienne ; mais elle n'a cessé de croître en même temps que les impôts. De sorte qu'aujourd'hui l'Italie « est incontestablement au premier rang- pour l'importance de la dette pu- blique comparée à la richesse nationale, de même que pour la proportion entre le chiffre de cette dette et celui de l'actif du budget (1) ». On ne peut plus maintenant en espérer l'extinction. Il faut même, après avoir constaté son accroissement pro- gressif dans le passé, croire à une progressive aug- mentation future. lAlais peut-on en diminuer Vinté- rrt ? Ce serait facile, s'il ne fallait toucher au profit d'une classe puissante, qui s'opposerait victorieu- sement aux efforts des ministresles plus populaires. S'il y en avait un qui eût l'audace de proposer la réduction, il succomberait sous l'assaut du monde delà Banque. L'histoire parlementaire delà France contemporaine nous offre un exemple frappant de la force de ce monde-là. En 1881, le programme ministériel de Gambetta comprenait le rachat des chemins de fer des mains des actionnaires qui les détiennent depuis 1838, au grand détriment de la population française (il lui en coûte, parait-il, un demi milliard par an). Le monde de la finance, menacé de perdre une source si abondante de gains faciles, engagea contre le ministère Gambetta une lutte formidable (\.) G. GiOLiTTF. — Discours à la Chambre des députes, Rome. Actes Parlementaires. Séance du 17 févr. 1898, 06 I. PART. — LA PRODUCTION AGRICOLE dirigée par Rotschild lui-même. Ganibella repre'sen- tait dans cette lutte l'intérêt général, Rotschild le profit égoïste de quelques banquiers; et c'est pour- tant à lui et à ses acol3'tes que demeura la vic- toire. Le ministère, talonné par une meute de poli- ticiens et de journalistes, fut abattu en six semaines. Deux ans plus tard, M. Rouvier et M. Raynal, moins scrupuleux que Gambetta, renouvelaient la convention qui laissait aux capitalistes la pro- priété des chemins de fer et subordonnait l'intérêt général à des intérêts particuliers. Le ministère italien qui voudrait toucher dans le même sens à la dette publique éprouverait un sort pareil. Les ministres le savent et ils se garde- raient bien d'alfronter une lutte aussi périlleuse. Et l'intérêt de la dette demeure immuable. 3. — Organisation administrative. Centralition. — Le besoin d'unité et d'indé- pendance de l'ancienne Ralie était contrarié par sa configuration géographique. Bande étroite de terre qui s'allonge du nord au sud, à travers des climats et, par conséquent, des aptitudes, des mœurs et des besoins très divers, ses conditions naturelles la rendaient réfraclaire à l'unité quand des moyens de transport primitifs mettaient une distance énorme entre ses ditîérentes parties. Ce n'est que dans le siècle où la vapeur et le télégraphe ont transformé la vie régionale en vie internationale, et grâce à la croissante facilité des communications que l'en- thousiasme patriotique, alimenté par d'antiques et glorieuses traditions, a pu réunir en un seul corps CHAP. m. — MILIEU SOCIAL ET AGRICULTURE 97 des pays ethnologiquement et économiquement disparates. Au moment de cette fusion, l'union sentimen- tale des âmes empêcha de voir la diversité' des conditions matérielles des provinces et on ne tint pas compte des incompatibilités biologiques dans l'organisation administrative du nouveau royaume. Même, la désagrégation étant le spectre, l'ombre de Banco, de tous les Italiens d'alors, on crut qu'il serait sage d'ajouter le ciment administratif au lien politique pour consolider l'unité. Et l'Italie eut une organisation administrative centralisée qui resserra en une étreinte suffocante ses diverses ré- gions. Or, de toutes les fonctions de la vie nationale, celle à laquelle l'engrenage compliqué de la cen- tralisation administrative lit le plus de tort fut l'agriculture. Et cela se conçoit, car elle présente en Italie, par suite des conditions très diverses des milieux, desaspecls si variés qu'ils reflètent, à vrai dire, tous les aspects éparsdans tout le reste de l'Eu- rope; c'est un véritable phénomène de cosmopoli- tisme agricole soustous les rapports, de la qualité et de la situation deslerrains, desconditions climatolo- giques, des modes de propriété et des contrats agri- coles, etc. Il aurait fallu, par conséquent, pour assurer la régénération de cette production agri- cole d'où les citoyens et l'Etat tirent une si large part de leur subsistance, constituer et développer progressivement, dans chaque milieu, des corps ayant une large mission administrative et iech- niqup. Et, par contre, on n'eut, en fait d'administra- tions locales, que les Communes et les Provinces. 6 98 I. PART, — ].\ rnODUCTidN AGRICOLE Ces succursales étiqucs auxquelles l'Etat délègue l'exécution des devoirs — formels plutôt qu'essen- tiels — qu'il ne peut absolument pas exécuter, malades de toutes les maladies de l'Etat, non point vigoureuses et autonomes mais faibles et subor- données, ont fait dans ces conditions dirresponsa- bilité la triste figure que font toujours les irres- ponsables. A l'instar des étudiants irréfléchis et flâneurs^ abusant sans scrupule du crédit qu'ils doivent au nom de leur père, elles descendirent la pente désastreuse des detîes. Celles-ci s'élevaient, lors de la constitution du royaume d'Italie, à un milliard 3.")0 millions, et ce cliiffre continue à grossir sans que. rien d'important ait été fait en faveur de la production nationale. La centralisation n'est pas d'ailleurs, et tant s'en faut, l'unique misère de nos administrations pu- bliques. « Notre vie politique et notre organisation bureaucratique, remarque Virgilii, tendent àperpé- tuer le désordre qui traîne après soi un gaspillage énorme de la fortune nationale (1). » 4. — Système social. a) Absentéisme. Souvenirs /lisioriques. — L'absentéisme n'est pas un phénomène nouveau, caractéristique de la société bourgeoise de ce siècle. Le luxe superbe des riches cives de l'ancienne Rome et les folles prodigalités des rois, des nobles et du clergé à la (1) F. Virgilii, — Online amministrativo {Riforma sociale. Turin, mai 1898). CHAP. III. — MILIEU SOCIAL ET AGRICULTIRE 99 cour de France aux xvu^ et xyiii*-' siècles étaient ali- mentés parles revenus de vastes domaines, que leurs propriétaires exploitaient à distance avec l'achar- nemcnt le plus aveugle. Plus anciennement encore, IfS riches Spartiates vivant dans les villes partageaient leurs propriétés lointaines entre leurs Ilotes, dont ils exigeaient, comme redevance annuelle, la moitié à peu près de la re'colte (I i. L'absentéisme est donc un pliémimène très an- cien et pour en trouver l'origine il faut remonter aux premières époques de l'agriculture. Roscher (lit: (.<. Quand un peuple encore barbare s'adonne à l'agriculture, les gros propriétaires ne s'occupent pas de faire valoir le sol. Se dédiant uniquement ù la guerre et à la politique ou s'abandonnant à une vie agréable, ils partagent leurs biens entre leurs serviteurs et entretiennent leurs maisons par les tailles qu'ils lèvent sur eux. Plus tard, la rente foncière augmente et l'aoriculture revêt le carac- tère d'une industrie lucrative à mesure que la mon- naie s'introduit dans la vie économique des peuples : dès lors, les possesseurs des terres ont un plus grand intérêt à diriger eux-mêmes l'exploitai ion de leurs propriétés » (2). Ainsi, selon Roscher, l'absentéisme est contem- porain des premières exploitations (« quand un peuple encore barbare s'adonne à l'agriculture... ») (1) Plato. — De L>Tj., VII, pag. 806. Confr. Mûller, i Dorii, II, pag. 34 et suiv. (2) G. BoriCHER. — Economia deWuyricoltura e délie imt- terie prime (Biblioteca flell'Economi-ta, 1. 1, pag. 097, I8To). 100 I. PART. LA riiÛDUCTIÛN AGRICOLE et il diminue à mesure que l'agriculture se per- fectionne et devient lucrative. Les faits ne nous semblent pas s'accorder avec l'aftirmation du grand économiste allemand. S'il était dans le vrai, le faire-valoir du pro- priétaire devrait succéder habituellement dans l'histoire du contrat agricole au très ancien sys- tème du co/owa^/^ar/iaiVe (à la moitié, au tiers, etc.), tandis que celui-ci est_, au contraire, habituelle- ment remplacé par le bail, forme de contrat qui date d'une époque où l'évolution agricole était assez avancée. Or, cela se produit quand, selon la thèse de Roscher, « les possesseurs de terres ont un plus grand intérêt à diriger eux-mêmes l'exploitation de leurs propriétés ». Aujourd'hui encore le faire- valoir est, nous le voyons bien en Italie, moins fréquent que le colonat partiaire ou les baux. L'histoire de Tagriculture prouve, au con- traire, qu'à l'absentéisme du colonat partiaire s'est ajouté et en partie substitué celui du fermage, qui serait à son tour remplacé par celui des action- naires, si l'agriculture devenait une {j,rande indus- trie. Nulle part, en elîet, l'absentéisme n'est plus complet que dans les grandes entreprises, les mines et les usines, où les capitalistes — propriétaires exclusifs ou possesseurs d'actions — ne consacrent pas une parcelle de leur énergie à des exploita- lions dont la gestion administrative et technique est confiée à des directeurs et à des ingénieurs mer- cenaires. Non, Roscher se trompe et l'absentéisme, loin d'aiïecter exclusivement l'agriculture primitive, suit, en se modifiant, les vicissitudes de l'économie agricole jusqu'à sa dernière période. Il n'est donc CHAP. III. MlI.lEi: SOCIAL KT AGRICULTURE 101 pas lié à une époque déterminée de l'évolution agronomique mais aux conditions du milieu so- cial en tant qu'elles donnent la prééminence abso- lue, la souveraineté guerrière ou économique, à un homme sur un autre. il n'est pas même vrai de dire que l'absentéisme est né avec la propriété privée. La possession du sol était encore collective et l'intelligence humaine commençait à peine à substituer une agriculture rudimentaire à la chasse, à la pèche et au pâturage que, déjà, le travail des champs pouvait être im- posé par le maitre à son esclave ou par la tribu victorieuse à la tribu asservie. Dès lors, les pro- priétaires qui partaient à la guerre ou en tout cas dédaignaient les travaux agricoles pouvaient être absentéistes. La propriété collective existait encore dans les tout premiers temps de la puissance de Rome. L'agriculture y était assez avancée déjà puisque les anciens Romains cultivaient le blé, l'olivier, la vigne, les légumes, etc. Or, Mommsen écrit : « Nous avons déjà indiqué que, dans les pre- miers temps, la terre labourable était cultivée en commun, probablement par les diflérentes gens. Chacune d'elles cultivait sa propre terre, et en dis- tribuait ensuite le produit entre les différents foyers qui en faisaient partie. Il y a, en fait, une relation intime entre le système de la culture en commun et la foniiC de la société en^e;i/e5. Plus tard encore, à Rome, la résidence commune et la culture en commun, quand il y avait des co-propriétaires, était très usuelle. Les traditions mêmes de la loi romaine nous montrent que la richesse consistait primitivement en bétail et en droit d'usage de la 0' 102 I. PART. — LA PRODUCTION AGRICOLE terre et que le sol ne fut divisé que plus tard en propriétés particulières (!) ». Et plus loin il ajoute : « ]1 n'est pas probable que les esclaves ou les journaliers fussent ordinairement employés aux travaux de la ferme », ce qui indique, au moins par exception, la possibilité du travail agricole des es- claves ou des salariés et, par conséquent, de l'ab- sentéisme, même sous le régime de la propriété commune. Le propriétaire d'esclaves ou de serfs pouvait faire surveiller les travailleurs des champs par des régisseurs (iu7/tct) ou encore céder son exploitation à des métayers [partiari). 11 est digne de remarque cependant qu'en général les anciens Romains ne connaissaient pas la ruineuse institution des agents intermédiaires et que : « Le propriétaire n'était guère moins enchainé à la terre que le travailleur ou le métayer. 11 voyait toute chose et y pre- nait part, et le riche Romain regardait comme l'honneur le plus grand celui d'être estimé bon propriétaire » (2). L'absentéisme se manifesta d'une façon beau- coup plus grave, surtout en France, à la fin du Moyen Age et dans les siècles qui précédèrent immédiatement la Révolution, quand la vieille aris- tocratie féodale, avide de plaisirs et de luxe, accou- rut de toutes parts dans les salons de la capitale et à la cour des rois. Jamais les campagnes ne furent plus abandonnées et en même temps plus exploi- tées de loin par des propriétaires insouciants. Le (1) Mo.\iM?EN. — Storia Romarui, l. I, page i69. (2) MoMMSEN. — Op. c(7., t. I, page 175. i IIAl>. m. — MILIET SOCIAL ET AGRICULTUR K l(l3 produit des terres était réduit à néant, les disettes étaient fréquentes et terribles (1). Après la Hévolution, la subdivision croissante des grands fiefs en des milliers de domaines petits ou moyens fit rêver d'une généralisation de la pro- priété privée, d'un avenir où chacun serait à la fois maître et cultivateur d'un espace de terrain suffisant à son entrelien et à celui de sa famille, C'eût été la fusion du capital el du travail, la dispa- rition de l'absentéisme. iMais la tendance à la ré- partition naturelle Ao la propriété subit un temps d'arrêt et le nombre des lots de très vaste ou de moyenne étendue ne diminua pas pendant la se- conde moitié du x\\^ siècle. Voilà pourquoi nous avons pu constater dans le chapitre précédent que l'absentéisme sévit encore à tous les degrés de la propriété et surtout dans la moyenne et la grande. Le siècle qui vient de finira, parles carrières li- bérales, les industries, le commerce, l'armée, la magistrature, la vie politique et la diplomatie énor- mément élargi le cercle de l'activilé bourgeoise. Le courant qui pousse à la vie urbaine est une cause nouvelle d'absentéisme. 11 force à abandonner la culture des terres aux travailleurs moyennant des contrats qui permettent un minimum de sur- veillance et d'intervention économique de la part des milliers de propriétaires vivant au loin dans les villes. Ajoutons à tout cela l'augmentation con- tinuelle des propriétés collectives ((Euvres pies, .Biens ecclésiastiques, Etablissements de genres divers) où l'absentéisme se manifeste toujours de Il façon la plus absolue. {[)_ II. Ï.UNK. — ]'iii>cii')i rrijiiiti', Paris, Haclielte, 1887, pages no ot suiv. 104 I. PART. — LA PRODUCTION AGRICOLE Essence cl conséquences de l'absentéisme. — Nous avons noté que les propriétaires (actionnaires) des grandes entreprises, mines ou usines vivent sou- vent loin de ces établissements, de sorte que l'ab- sentéisme n'est pas uniquement un phénomène agricole. Le mot cependant n'a ét(' créé et n'est usité que par rapport à l'agriculture. Gela se con- çoit d'ailleurs, car il exprime quelque chose de plus que l'absence du propriétaire. Dans la grande in- dustrie, quand même que le capitaliste s'absente, le capital et les techniciens demeurent, celui \k pour alimenter et renouveler incessamment l'en- treprise, ceux-ci pour lui donner l'orientation la plus exacte et l'impulsion la plus vigoureuse. Mais l'agriculture moderne n'attire pas encore les grands capitaux et elle se trouve, par conse'quent, dans les conditions de la petite industrie^ où la présence du patron-directeur est toujours nécessaire. Que celui-ci s'éloigne ou néglige ses aiïaires, elles pé- riclitent aussitôt et la vitalité commerciale, la di- rection technique, l'aliment financier, tout ce que le sens commun exprime par le proverbe « l'œil du maître engraisse le cheval », viennent à leur manquer. De même, la prospérité de la petite, delà movenne ou de la grande propriété est toujours liée à la présence du propriétaire. Le chef d^exploita- tion qui se substitue au maître n'a pas d'habitude les connaissances nécessaires pour bien remplir son rôle ni un intérêt direct à avoir des initiatives fé- condes. Le métayer n'est que le bras ; quand l'in- CHAI'. 111. MlI.lKl' SUCl-AL ET AGRICULTURE lOS ti.lligence et la richesse d'un propriétaire attentif lui font défaut il laisse tout à l'abandon. Le fer- mier n'a pas généralement les capitaux et les connaissances nécessaires ; il n'est pas assez in- téressé aux travaux de longue haleine. Ainsi, contrairement à ce qui se passe dans la plu- part des grandes entreprises modernes, l'entreprise agricole, grâce au système social et aux modes de contrats actuels, est dépourvue de capitaux et d'orientation technique quand elle n'est pas sous la surveillance et la direction immédiates du pro- priétaire. Voilà pourquoi l'absentéisme est une des plaies les plus douloureuses de l'agriculture. Ce triste phénomène n'est pas une spécialité de l'Italie : il dépend de conditions sociales analogues dans tous les pays, malgré la diversité des milieux. Telle région de la Belgique (Hesbaye) a des com- munes rurales où 80 et même 90 % des terres appartiennent à des gens qui ne vivent pas sur les lieux. Il n'y a, à Thorembais-les-Béginnes, que 60 hectares sur 700 dont les propriétaires résident dans le pays (1). En France, sur 4. 83j. 000 proprié- taires de biens-fonds, 1.309.000 habitent la ville et sont, par conséquent, absentéistes (2). L Etat et V absentéisme . — Peut-on, pour remé- dier à cet état de choses, invoquer l'intervention de l'Etat ? Nos lois, notre système social actuels permeltont-ils d'obliger un homme à quitter une (1) Destrée et Vandervelde. — Op. cit. (2) D. ZoLLA. ■— op. cit., page 340. 106 I. PART. — LA PRODUCTION AGRICOLE existence hrillanle dans l'armée, la diplomalie, la politique, ou les loisirs des grandes villes pour aller faire valoir ses biens-fonds incultes ? Peut-on imposer l'activité champêtre au pro- priétaire exerçant une profession ? ou contraindre le propriétaire capitaliste à employer modeste- ment dans l'agriculture des capitaux que solli- citent des entreprises financières, des industries ou des usages plus lucratifs ? Non. les lois actuelles ne donnent à l'I'^tat au- cun droit d'imposer ces choses. Il est désarmé maintenant contre l'absentéisme. \][ des lois nouvelles tendant à limiter la iiberti' presque absolue de la propriété privée seraient cer- tainement mal accueillies dans nos assemblées législatives. Outre que, sous le régime de la pro- priété privée, elles seraient, en tout cas, difficile- ment applicables et facilement tournées, V'uidivi- dualisme économique bourgeois dont s'inspirent les deux assemblées législatives, principale- ment formées de grands propriétaires ou de leurs représentants, opposerait toujours d'invincibles obstacles à leur adoption. Car, pour les grands propriétaires, l'absentéisme est chose si commode qu'ils ne s'en priveront pas volontairement. b) Oricntalinm nrttnrelles de rai/ri(iiltnre. Chaque région agricole, subissant l'influence dos nouveaux moyens de communication et de trans- port, des nouveaux déhoiichés pour lexportation, des concurrences nouvelles amenant le rabais du coût d(>s produits, est tenue maintenant de se con- former aux exii^ences du marché international. CIl.VP, 111. — MILIEU SOCIAL ET AGRICLLTURE 107 Ces exigences sont telles qu'elles imposent des orientations nouvelles et fécondes, de continuels perfectionnements techniques et des transforma- tions de cultures pour résister à la concurrence étranp^ère. Or, si l'absentéisme est un obstacle aux perfectionnements techniques^ le protection- nisme en est un aussi, et des plus graves, à l'orien- tation naturelle des cultures vers les spéciali- sations agraires. Celles-ci, exigeant un apport nouveau de capital et de travail, les intérêts personnels, refoulés et troublés par les tendances naturelles de l'économie agricole, recourent au protectionnisme pour les entraver. Le protectionnisme n'est possible que dans un sj'stème social où le gouvernement est l'inslru- mont de la prépondérance politique et économique d'une seule classe sociale ou d'un petit nombre de classes sociales agissant au détriment de toutes les autres. '.'}. — Le milieu économique. ai ].e capital ai/ricole. Absence de parallélismi' ntire le capital industriel et le capital agricole. L'évolution économique au xix^ siècle a directe- ment subi l'influence des inventions qui, par l'élec- tricité, la vapeur et les nouveaux procéde's chi- miques, ouvraient une carrière nouvelle et infinie àl'aclivité humaine. C'est grâce aux progrès de la science qu'ont pu se produire des entreprises internationales telles que le percement de l'isthme de Suez, la facile exploitation des mines, la croissante multiplicité des réseaux de chemins de fer, l'énorme développe- 108 l. PART. — L\ PRODUCTION AGRICOLE ment des industries, et, partant, du commerce^ les échanges rapides et vertigineux de l'argent, le grand rôle de la Bourse. 11 a fallu naturellement réunir des capitaux con- sidérables pour atteindre à ces manifeslations grandioses de l'activité sociale. On y est parvenu le plas souvent par le concours de beaucoup de personnes, c'est-à-dire par le système des actions, grâce auquel les plus humbles comme les plus im- portantes fortunes peuvent aujourd'hui coopérer à de grandes entreprises : canaux, routes, exploita- tions minières, établissements industriels et autres. Le progrès technique a par conséquent créé au ca- pital une foule d'emplois souvent très lucratifs. La plupart des capitaux privés sont, dans les na- tions modernes, absorbés par ces emplois. Il y a en outre, à l'usage des personnes très prudentes, une autre catégorie, constituée par les dettes pu- bliques de l'Etat, des provinces, ou des villes, qui donnent des prolîts moins élevés mais beaucoup plus sûrs. Le capital va fatalement là où il peut s'employer le plus lucrativement, commodément et sûrement. Or, dans quelle condition se trouve l'agriculture, considérée comme emploi de capitaux, quand on la compare aux emplois ci-dessus ? La 7'ente foncière. — Pour réaliser un profit, l'agriculteur comme l'industriel a besoin d'un oii- tillagi' technique. Les instruments de ])i'oduction se réduisaient à bien peu de cliose dans rancienne CIIAP. m. MILIEU SOCIAL ET AGRICULTURE 109 a-n-iculture : une charrue primitive, la herse, quelques oulils servant à faucher, piocher, bêcher ou effectuer des transports, le fumier de l'etable. C'était à peu près tout. L'agriculture moderne tend à progresser sans cesse techniquement par ses machines, ses engrais chimiques, ses instruments perfectionnés, ses règles spéciales pour l'élevage des bestiaux, etc., si bien que son outillage est aujourd'hui très complexe. On peut même àîCirmev que pour obtenir des pro/ifs élevés, il faut, dans l'industrie agricole, un outil- lage plus complexe que dans les autres industries. Les usines pour ouvrages en métal ou en bois se fondent sur la mécanique, de même que les fda- tures (machines) ; les verreries, sur les lois de la cha- leur ; les fabriques de matières colorantes, ali- mentaires et médicamenteuses, sur la chimie, etc. Ainsi, pour chaque industrie, l'outillage se base soit sur une branche de la physique, soit sur la chimie. Or, l'outillage agricole relève à la fois des di- verses branches de la physique (machines, cons- tructions hydrauliques, thermo-siphons), de la chi- mie (engrais), de la zootechnie (élève et sélection des animaux), de la géologie (étude et analyse des terrains), de la bactériologie (maladies des ani- maux et des plantes, chimie des ferments). En outre, le travail manuel y est encore nécessaire, même dans les exploitations les plus avancées, pour les défrichements, les plantations, la viticul- ture, etc. Ce n'est pas tout : l'industrie agricole n'est pas seulement plus complexe, elle est aussi plus coû- teuse que les autres et représente une plus haute capitalisation. Gatti 7 110 1. PART. — LA PRODICTION AfiRlCOLE Sorel (1) repète, d'après unslalicien originaire de la Lombardie, que « la valeur actuelle des ter- rains dans l;i haute Lombardie, terre clas>ique de la culture intensive, ne représente que les dépenses faites pour obtenir leur degré d'irrigation et de fer- tilité actuels. » Mais si on calculait le capital représenté par les propriétés sises sur nos collines toscanes, par exemple, en tenant compte des frais énormes d'ameublissement, des innombrables murs de sou- tènement^ des constructions que le transport des matériaux rend si coûteux, des fumures néces- saires à la fertilisation de ces terrains où abonde le tuf, on verrait bien que leur valeur ne repré- sente pas un tiers des dépenses faites pour les mettre dans leur état actuel. Hérisson, cité par Sorel, dit que a. les nations civilisées et riches, seules, peuvent jouir d'un sys- tème d'irrigation parce qu'il faut pour l'établir de très grands capitaux et un très long espace de temps ». Que l'on songe à toutes les dépenses ultérieures, plantations, défrichements, drainyge, constructions, outils, capital vivant, avances, amendements, etc., et on comprendra facilement que cette capitalisa- tion, jointe au prix d'acquisition des terrains, rend, surtout dans les propriétés à culture intensive, une grande entreprise agricole moderne plus coûteuse qu'une grande entreprise industrielle. Voilà donc d'abord deux caractères qui dilTé- rpucient l'agriculture des autres industries : la (1) G. Sorel. — Notespourles bases de rt-glements d'arro- !^n(/e, Latrobe, Perpignan, 1891. CHAP. 111. — MILIEU SOCIAL ET AGRICULTURE 111 complexité plus grande et le coût plus élevé de son outillage. Mais il y en a un autre, et très important : La résistance du milieu naturel. Presque entièrement éliminée dans l'industrie, depuis que les forces motrices naturelles (cours d'eau) ont été rempla- cées par la vapeur, ou l'électricité, cette résistance demeure très étendue, très puissante, très restric- tive de la production en agriculture. Grâce à son indépendance du milieu naturel, l'industrie a des machines incessamment actives et une production « immédiate » et « continue ». Immédiate, car, en quelques heures ou en quelques minutes l'industrie sait tirer de la matière première un produit achevé; (tissus, outils, armes, aliments), continue, car le labeur industriel se poursuit sans interruption toute l'année, tous les jours, à toute heure. Les travaux des champs durent presque toute l'année mais leurs résultats sont intermittents et se réalisent à des époques fixes, déterminées pour chaque produit, car, àl'exception de quelques cul- tures spécialisées dans les serres, la production agricole est subordonnée aux « résistances passives et actives » du milieu naturel. Les i< résistances passives » proviennent surtout du cycle des saisons et des lois de la physiologie végélale et animale (développement des semences, élevage des bestiaux). Bien loin, par conséquent, d'être immédiate et continue, la production agri- cole suppose une longue attente et elle est pério- dique, c'est-à-dire beaucoup plus restreinte que la production industrielle. 11 est vrai que les progrès continuels de l'outillage diminuent peu à peu les 112 I. PART. — LA PRODUCTION AGRICOLE résistances passives du milieu naturel. Certaines cnlturesf par exemple, leslégumes, fruits ou fleurs), sont parvenues à s'émanciper du cycle et des con- ditions climatériques des saisons, grâce à des sys- tèmes techniques artiliciels permettant des matu- ralions très précoces et même hivernales dans les pays les plus froids. Mais ce ne sont là que des victoires partielles et lenles que, seuls, do consi- dérables perfectionnements ultérieurs pourront gé- néraliser. Elles ne peuvent pas d'ailleurs, même dans les plus re'centes applications exceptionnelles, donner à la production agricole, comme à l'indus- trlelle, un caractère « d'instantanéité » et de « con- tinuité >;. Les résistances actives du milieu naturel pro- viennent des troubles atmosphériques (grêle, sé- cheresse, gelées excessives ou intempestives, pluies, vents) et des maladies parasitaires des végétaux ou des animaux (microbes du sol, de l'eau, de l'air). Sans doute, l'homme oppose, même à ces résistances actives et avec un succès toujours plus grand, des freins d'ordre technique (remèdes contre les maladies) ou économiques (assurances) ; mais elles subsistent au détriment de la production agri- cole, qu'elles contribuent à maintenir dans des con- ditions moins favorables que la production indus- trielle. Le manque de production « immédiate » impose à l'agriculture de longues périodes de préparation : la viticulture, par exemple, exige, pendant une période de cinq à six ans, en attendant la première récolle, une mise de fonds infructueuse. On peut en dire autant de la culture de tous les fruits. Pour les oliviers et les forêts l'attente dure des dizaines CHAP. III. — MILIEU SOCIAL ET AGRICULTURE lld d'années. La transformation d'un terrain pauvre ne s'obtient pas non plus d'une année à l'autre. En ;2,énéral, la transformation de l'agriculture ancienne en agriculture moderne exige toujours des périodes d'attente plus ou moins longues. Il ne faut qu'un an pour lancer une entreprise industrielle; il en faut dix au moins pour faire marcher une exploi- tation agricole. La lenteur de la production, qui impose pendant de longues années l'emploi d'un capital improduc- tif est encore aggravée par les changeantes exigences du marché international, dont les oscil- lations, réglées ^-ivV offre et la demande^ amènent des transformations fatales dans la variété et la quantité des produits agricoles. Naguère, le mar- ché demandait avec insistance tel genre de produit et il fallciit avoir celui-là surtout en vue. Aujour- d'hui il en demande un autre avec insistance et l'agriculteur, transformant ses cultures, doit s'impo- ser les débours nécessaires pour l'obtenir, quitte à abandonner le premier ou à le faire passer en se- conde ligne. Et encore : certaines zones fournissaient seules, naguère, telle denrée que d'autres zones parvien- nent maintenant à produire abondamment et à meilleur marché : de par la loi de la concurrence, le prix de cette denrée a diminué. Alors, il faudra que les anciennes zones diminuent leur coût de production (en intensifiant la culture par l'em- ploi (le nouveaux capitaux) ou qu'elles s'adonnent à In production d'autres produits pour lesquels, mo- mentanément du moins, aucune concurrence n'est à craindre. Ainsi, tout changement dans les conditions de 114 I. PART. LA FRUDUCTION AGRICOLE la demande ou dans celles de Voffre impose de ra- pides transformations agricoles. La demande, en agriculture, ne portant que sur des denrées de première nécessité, ne subit pas, comme dans l'industrie, les caprices changeants du luxe, mais, pour Voffre, les changements sont très grands et ils le seront encore davantage à l'avenir. Chaque jour, en effet, de nouvelles régions s'ou- vrent à la production agricole, surtout en Amé- rique et aux Indes, et jettent à un prix minime sur le marche international leurs stocks immenses de grains ou d'autres produits. La production eu- ropéenne en est tout entière et gravement affectée. Il laut alors que partout les cultures deviennent plus intenses ou se transforment ; et ce mouvement incessant d'orientations agricoles dont nous avons parlé à propos du proteclionisme, s'il est souvent dommageable aux exploitations privées, est tou- jours fécond pour la production générale, à la- quelle il assure la sélection progressive des spécia- lisations et l'amélioration des méthodes de cul- ture. Mais, si les machines industrielles peuvent, en un mois, abandonner un genre démodé pour en produire un autre, il faut, pour changer les pro- duits du sol, deux ans quand il s'agit de cultures herbacées et dix ans pour l'arboriculture. En somme, le premier et le plus grand obstacle économique au développement de l'agriculture est qu'elle constitue, pour le capital, toujours docile à la force magnétique du revenu, un emploi moins lucratif que ceux dont nous avons parlé plus haut. Voilà pourquoi, en dépit dos prédictions scienti- fiques, l'argentn'afflue pas largement vers les entre- CHAP. 111. MlLlliU SOCIAL liT AGRICULTURE 115 prises agricoles. Celles-ci sont, selon de Gaspa- rin(l), soumises à quatre sortes d'obstacles : mété- oriques, économiques (obtention du plus haut prolît), statistiques (population et consommation) I el agraires. Notons que les industries neconnais- sent que deux de ces obstacles : les obstacles éco- nomiques et statistiques, et qu'en agriculture l'existence des obstacles météoriques et agraires rend les obstacles économiques encore plus puis- sants. Ainsi, par la complexité et le coût de son ou- tillage, par les résistances actives et passives que lui oppose le milieu naturel, l'agriculture se trouve dans des conditions tout à fait spéciales. Elle tend, sans doute, à acque'rir toujours davantage le carac- tère d'une industrie ; mais elle est une industrie fon- damentalement différente de toutes les autres et de plus régie par des lois économiques particu- lières. L'évidente infériorité relative de r outillage agri- cole comparé à l'outillage industriel détruit en agriculture la possibilité des gains fabuleux, verti- gineux, donnés par les monopoles, le commerce, ou la grande industrie. Ainsi s'explique l'absence de parallélisme entre la transformation capitaliste de l'industrie, qui se trouve au sommet de sa parabole, et la transfor- mation capitaliste de l'agriculture, dont le cycle d'évolution commence à peine. La doctrine marxiste s'était trompée en comp- tant sur ce parallélisme. Nous nous arrêterons plus loin sur la cause de l'erreur; relevons sim- (!) Lo Re. — Economia dclV industria agraria, page 20. Mo 1. PART, — LA PRODUCTION AGRICOLE plcment ici que, seul, un duginalisine politique (c'est-à dire l'inertie mentale), pourrait encore faire soutenir aujourd'hui la réalité d'un parallélisme démenti par des dizaines d'années d'observations scientifiques. Les difficultés que crée le milieu naturel à l'évo- lution aL,^raire mettent l'agriculture dans des condi- tions économiques en contradiction avec les affir- mations de théoriciens, les aspirations des partis, les volontés individuelles ou collectives. Commodité d'emploi. — Le grand capitaliste qui achète un certain nombre d'actions et s'en va chaque année encaisser des dividendes ne connaît même pas les terres dont le revenu l'enrichit. De même, les exploitations minières nourrissent des actionnaires lointains. Il n'y a, sur ce point, aucune différence entre la rente et le profit. Quand les grands capitaux iront à l'agriculture comme ils vont à l'industrie, le propriétaire pourra se faire remplacer par des administrateurs et des techniciens. Mais les systèmes agricoles actuels (faire-va- loir, fermage, métayage, etc.) exigent la sur- veillance continue ou tout au moins fréquente, ac- tive et éclairée, des ca[)ilalistes eux-mêmes. Aussi les détenteurs de capitaux que des nécessités de fa- mille ou le désir d'une vie plus agréable retiennent à la ville, peuvent bien acquérir des domaines ; ils ne se soucient point, dans l'iminensc majorité des cas, d'en rendre la culture plus intensive. CHAP. lu. — MILIEU SOCIAL ET AGRICULTURG HT Les grandes exploitalions agricoles exigeant des connaissances agricoles, une surveillance constante, de l'initiative, ne peuvent pas constituer un place- ment commode, comme des titres de rente ! Sûreté d'emploi. — A ce point de vue, notons que le propriétaire terrien absentéiste ne tire de son capital qu'un mince profit et ne jouit pas de la tranquillité assurée par d'autres placements également modestes ; désastres atmosphériques, maladies des végétaux et des animaux, contrats frauduleux, oscillations du marché, etc., autant de causes d'instabilité du rendement et de la rente agricole elle-même. La dette publique est un em- ploi bien plus sûr pour le capitaliste prudent ! Le gouvernement et réconomie agricole. — Le gouvernement n'aurait pu, en aucun cas, changer la direction des courants actuels de l'économie agricole, mais son action aurait pu s'adapter plus complètement aux besoins de la production géne'- rale. Intervenant hors de propos dans l'e'conomie na- tionale, il a contribué au mouvement des capitaux en créant de nombreuses et parfois inutiles en- treprises. Sa politique générale a accru la dette publique et facilité par là d'autres placements' commodes et sûrs en dehors de l'agriculture. En 7* 118 I. PART. — LA PRODUCTION AGRICOLE outre, rorientation politique actuelle, en privant le budget de l'agriculture des sommes nécessaires à un réveil agricole, empêche que l'exploitation du sol devienne plus lucrative. b) Le crédit agricole. L'agriculture actuelle est aux mains de petits capitalistes et de groupes de co-intéressés. Obligée de se passer du secours des grands capitaux, elle s'abreuve volontiers au mince filet d'eau de l'épargne personnelle, lentement amassée par le cultivateur. Cette épargne fait aussi partie du c«/}i7«/, puisque, selon de Gasparin, le capital est « l'accumulation des profits du passé destiné à pourvoir aux be- soins de l'avenir ». Mais celle dont nous parlons ici est un capital casanier, pour ainsi dire, dont la source est purement individuelle. Tout autre est l'origine du courant capitaliste qui donne à l'agri- culture une impulsion régénératrice, une vie nou- velle^ et constitue enfin le capitalisme agricole. En l'état des choses et devant les immenses be- soins de l'agriculture, l'épargne personnelle, appli- quée au relèvement de la production, est une faible mais bienfaisante ressource. Seulement elle est détruite par les désastreuses conditions générales de l'agriculture italienne. De plus, les charges lis- cales et les crises agricoles forcent parfois le capi- tal agricole à s'embourber dans les emprunts et les hypothèques, que l'usure rend encore plus dommageables. Pour remédier à une si douloureuse situation, des pouvoirs locaux et des particuliers proposèrent ClIAP. m. — MILIEU SOCIAL ET AGRICULTURE li9 l'iiistitulion d'un crédit ayricolc. Ses généreux |iai"lisaus cs[iéraiciil constiluer une puissante force rénovatrice. Des économistes admirent même que le crédit peut créer des capitaux. Ne nous faisons pas illusion ; il ne peut, en tout cas, que rempla- cer assez imparfaitement le mince filet d'eau de l'épargne personnelle. Du reste, en présence de ces enthousiastes, on trouve des e'conomistes comme Say et Ricardo, tout pleins de métîance : « Or, si l'on ne peut prê- ter et emprunter une portion de capital qu'en objets efïectifs et matériels, que devient cette maxime que le crédit multiplie les capitaux? Mon crédit peut bien faire que je dispose d'une valeur matérielle qu'un capitaliste a mise en réserve, mais s'il me la prête, il faut qu'il en demeure privé : il ne peut pas, en même temps, la prêter à une autre personne... " Il [le crédit] empêche les valeurs capitales de demeurer oisives... [mais il...] multiplie les occu- pations des industrieux sans multiplier les pro- duits ; il les force à des sacrifices qui sont une augmentation des frais de production, il expose les capitalistes à des pertes non méritées, et élève le taux de l'intérêt (1). » Or, les producteurs qui n'ont pas pu rester de- bout, c'est-à-dire éviter le déficit quand ils étaient sans dettes, pourront-ils se maintenir en vertu du crédit, alors que, selon la remarque de Say, leurs dettes (les intérêts à payer) augmenteront les prix de revient? (1) Say. — Cours complet d'économie politique, t. I, ch. x, page 282 et pass. (Paris, 1828). 120 I. PART. — LA PRODUCTION AGRICOLE Les grands propriétaires dépensent chaque année tout leur revenu pour eux et pour leurs fa- milles. Us n'épargnent pas, ou, s'ils le font, c'est pour acquérir de nouveaux terrains et non pour rendre les cultures-plus intensives sur ceux qu'ils possédaient déjà. Quant aux moyens ou aux petits propriétaires, ils ont été, ces dernières dizaines d'années, non seulement dans l'impossibilité d'épargner, mais dans la nécessité de s'endetter; et de là un besoin de crédit qui semble dévorer la campagne italienne. Leur triste situation est une conséquence des croissantes exigences de la consommation, des nouvelles habitudes de vie, de l'oppression crois- sante du fisc, de laugmentalion du prix de la main- d'œuvre et de l'immutabilité des rendements de la production italienne, des épidémies végétales, de la dépréciation de certains produits sur le marché national. Tout le monde agricole a, comme eux, soif de crédit ; cela apparaît partout dans les couches inférieures de la propriété foncière. La dette hypothécaire portant intérêt, qui était de 6.009.430.696 de lires en 1871, s'est élevée à 6.803.400.1)64 de lires en 1881 età 10.142.431.827 en 18y6. Et une moitié de cette dette, à peu près, grève le sol (1). Et sur celte plaie de l'économie agricole se dé- veloppe avec une vitalité morbide la pourriture du crédit usuraire. L'usure a porté l'intérêt à des pourcentages fabuleux. Il est des régions où un taux de 23 % semble raisonnable. Que de petits propriétaires sardes ont glissé jusqu'à l'expropria- (1) Annuario stalistico italiano, Rome, 1897, page 307. CHAP. Ur. — MILIEU SOCIAL ET AGRICULTURE 121 tion sur la pente d'une usure partie de ce cliilîre pour aller encore au-delà ! et combien d'autres, ailleurs, ont succombé de la mèm3 façon ! La justice pénale est presque de'sarméc devant Tusure. C'est tout au plus si, de temps à autre, elle peut racler la surface du mal et enlever ou dé- truire les microbes les plus apparents. Mais elle ne peut pas — car ce n'est pas sa fonction — in- ciser jusque-là où, dans les fibres intimes de l'or- ganisme social, grouillent les parasites et porter le sublime' corrosif d'une intervention radicale au fond de la plaie. Et, maigre elle, les parasites continueront à se multiplier librement et à em- poisonner le corps social, jusqu'à ce qu'une trans- formation économique permette d'agir efficace- ment contre eux. Les économistes hétérodoxes du socialisme ne voient de profondément efficace contre l'usure que l'abolition du capital privé et son remplacement par la propriété collective de tous les moyens de production. Les économistes orthodoxes de l'indi- vidualisme bourgeois préconisent au contraire, et parfois avec une véritable ferveur d'apôtre, la création artificielle du crédit agricole et d'établis- sements favorables à la grande, à la moyenne et à la petite propriété foncière. La création de ces établissements nous intéresse ici surtout au point de vue de la production agricole. L'Etat italien s'est occupé du crédit agricole en créant le crédit foncier, à l'imitation de ce que la Prusse et la Pologne avaient fait dès la fin du xviu^ siècle. La loi relative à ces établissements date de 1869. 122 1. PART. LA. PRODUCTION AGRICOLE Elle a été revisée en 1883, 9U,9I , 93, 90 et elle a été l'objet d'arrêtés ministériels en 189J, 92, 93, 94, 95, 96 et 97. 11 y a actuellement en Italie cinq établissements de crédit foncier qui font le crédit hypotliécaire et pour des sommes qui ne peuvent dépasser la moitié de la valeur hypothé- quée. L'intérêt est de 4, 4 1/2, 3 "/o, mais, il faut y ajouter l'impôt sur la richesse mobilière et les frais de perception et l'amortissement du capital. La loi du 23 janvier 1897 sur le crédit agricole dit que les prêts hypothécaires doivent ser- vir : « à des perfectionnements agraires et à la transformation des cultures (maisons pour les cultivateurs et leurs familles, amélioratrons du bétail et des produits agricoles, dessèchements, irrigations, canalisations, percements de puits, plantations, orientation et nivellement des terrains, établissements de routes en terrasse, de para- pets), etc. » Or, notons d'abord que ce crédit foncier ne sert presque pas à la petite propriété. Celle-ci n'af- Ironte le crédit hypothécaire qu'à la dernière extrémité. Elle répugne aux dépenses à faire et aux formalités si longues et si coûteuses à remplir pour obtenir un emprunt modeste. Et quand, après avoir épuisé tout son crédit sur lettres de change, elle recourt à l'hypothèque, elle ne s'adresse pas aux établissements de crédit foncier, mais au capital privé qui, s'il demande un intérêt un peu plus haut, n'exige pas en revanche un aussi inextricable fouillis de formalités coûteuses et consent à prêter des sommes supérieures à la moitié de la valeur attribuée aux biens hypo- théqués. Les moyens et les grands propriétaires CHAP. m. — MILIEU SOCIAL ET AGRICULTURE 123 qui profitent seuls du crédit foncier, le détournent de son objet en ne l'appliquant presque jamais à des améliorations agraires ou à des transformations de culture. Ils l'emploient môme généralement à hypothéquer un bien dont ils veulent éviter la vente ou à compléter le paiement d'une propriété nouvelle, quand ils ne peuvent pas en débourser toute la valeur. De même, les établissements de crédit coopé- ratif et les Caisses d'épargne (autorisés à exercer le crédit agricole en Italie depuis le mois de jan- vier 1887) sont surtout utilisés par la grande et la moyenne propriété, car la petite se trouve rare- ment à même de leur fournir les garanties qu'ils exigent. Cependant ils ne favorisent que par ex- ception d'intelligentes rénovations agricoles et servent principalement à éviter la vente ou à faci- liter quelque acquisition nouvelle. Le crédit ne nous inspire pas une admiration aveugle et nous réservons tout notre enthou- siasme pour une situation économique où il ne serait pas nécessaire. Seulement, nous admettons qu'en l'état des choses, il faut l'accorder large- ment et à tous les degrés de la propriété, en Italie ; la peliteja grande et la moyenne propriété devraient pouvoir en profiler également, à la seule condition qu'elles sachent et puissent en faire un bon usage. Les Communes italiennes, par exemple^en ont abusé et se sont engouffrées dans les dettes pour satis- faire à une manie croissante de bâtir. Mais les agriculteurs auxquels on accorderait du crédit sans leur fournir toutes les autres condi- tions nécessaires au développement de la produc- tion (syndicats, manipulations sociales des produits, 124 1. PART. — LA PRODUCTION AGRICOLE diminution de l'impôt) ne songeraient pour la plupart qu'à conserver plus longtemps leurs pe- tites propriétés où, cadavres momiliés, ils s'enfer- meraient comme dans un tombeau sans air ni lu- mière. La première condition de la vie économique est de faciliter la production de façon à augmenter le rendement ; quand celui-ci est insuffisant, le pro- priétaire qui a recours au crédit se ruine encore plus tôt, puisqu'il lui faut ajouter à ses frais les intérêts de la dette contractée. On ne peut cependant nier l'utilité du crédit pour l'homme obéré de charges financières pres- santes, car, selon le mot de Bastiat, « celui qui accorde un répit rend un service (I) ». Voici, en somme, notre opinion : le crédit, pour devenir efficace, doit être accompagné de nouveaux moyens techniques et à'un allégement dimpôt (ces conditions étant indispensables à un accroissement de la production). 11 doit en outre, tout en exi- geant des garanties réelles, acquérir un caractère fiduciaire marqué de façon à pouvoir descendre bientôt à portée de la petite propriété. Le gouvernement prussien a mieux compris le rôle du crédit agricole en facilitant les opérations des syndicats agricoles, dont le capital s'est suc- cessivement élevé de 5 à 20 millions de marks. En 1897 ces syndicats ont conclu pour 1.987.000.000 de marks d'affaires, dont 226 millions avec des sociétés. Cela est plus logique, car les syndicats sont des instruments de réveil agricole : point de fonction utile du ciédit agricole sans réveil tech- nique et économique de la production agricole. (i) Bastiat. — Harmonies économiques. CHAP. III. — MILIEU SOCIAL ET AGRICULTURE 1 2d D'ailleurs la cause première du développement considérable qu'ont pris, même en Italie, les Caisses rurales de cré lit agricole, t3'pe Rafîeisen, est la na- ture propre de ces établissements microscopiques. H y a là un mouvement trop faible encore sans doute, et qui s'intéresse trop peu aux divers pro- blèmes de la production, mais dont le double point d'appui, la réalité et la confiance, est éminem- ment pratique, car la réalité sert de base solide à la confiance et celle-ci e'mancipe celle-là de ses plus complexes et plus coûteuses entraves babi- luelles. Si le crédit agricole^ cette affluence artificielle des capitaux vers V agriculture^ était plus ample- ment et mieux exercé en Italie, il pourrait — en certains cas et réserve sous certaines conditions — y servir d'utile pallialit. Mais l'appât d'un rende- ment élevé pourrait seul fournir à la production un remède économique radical, en provoquant Y affluence naturelle des capitaux vers l'agricul- ture. Le gouvernement et les enthousiastes de la coo- pération se trouvent en face du crédit comme le médecin devant l'inextinguible soif de la fièvre. Tl ne suffit pas de donner à boire au fiévreux : l'eau qui le désaltère et ravive un instant son orga- nisme en augmentant la pression du sang, qui, en passant à travers le corps, en lave les tissus et draine une partie des produits toxiques déposés par l'infection, n'est et ne peut pas être pour lui un remède curatif radical. De même, le crédit agri- cole, en lavant l'organisme de la petite et de la moyenne propriété, a beau les débarrasser du fisc, des crises, de l'usure, et augmenter par des cm- 126 I. PART. — LA PHOUUCTION AGRICOLE prunts avantageux leur vitalité productrice, il n'en demeure pas moins inefficace contre les causes pathogènes profondes — contre la princi- pale, d'abord : l'absence d'un large courant natu- rel des capitaux vers l'agriculture — et contre d'autres moins essentielles mais graves encore ce- pendant, telles que la fiscalité excessive, les crises agricoles, l'absentéisme, rignorance agronomique, les pauvres budgets du gouvernement, les épi- démies imparfaitement combattues, le protection- nisme, etc. ('). — Le milieu naturel. a) Climat, sol, maladies. Il s'agit ici des conditions du milieu physique (climat et sol) et du milieu organique (maladies des végétaux et des animaux) dont l'influence sur la production agricole est très considérable. Dans un monde social où toutes les forces hu- maines — sans heurts d'intérêts opposés — con- vergeraient vers un maximum de production gé- nérale, grâce à la certitude d'une équitable répar- tition des produits, l'homme n'aurait plus à sur- monter que des difficultés naturelles dans sa lutte séculaire contre la nature. Mais aujourd'hui cette convergence n'existe pas. Des lois économiques el biologiques régissent souverainement notre vie sociale. Aujourd'hui les énergieshumaines isolées et discordantes, au lieu de tendre comme un faisceauconvergent vers le maxi- mum de production générale, se mettent souvent en antagonisme avec les exigences de cette pro- CHAI'. 111. — MILIEU SOCIAL ET A(tRlCL'LTURE \2l duction parce que, obéissant à des intérêts parti- culiers inliniment disparates, elles s'entrechoquent, se contrarient et poursuivent enfin les buts les plus divers. En fait, ces conditions du milieu éco- nomique et social, cette divergence des intérêts individuels opposent des obstacles plus nombreux et plus puissants- à la production agricole que les forces physiques et organiques du milieu na- turel. Cependant ces obstacles naturels existent : le marquis A. di Rudini n'en voit presque point d'autres au développement agricole de la Sicile, dans l'étude qu'il a consacrée aux latifundia dont elle est couverte. Le climat et les parasites, la séche- resse des étés et le phylloxéra lui semblent empê- cher la solution de ce qu'on appelle la question sici- lienne. Les propriétaires siciliens qui avaient entre- pris de transformer leurs cultures en découpant dans les champs de céréales de leurs vastes domaines des vignobles de peu d'étendue et des orangeries, ont vu détruire leur œuvre par le phylloxéra. Cet ennemi naturel, en tuant les vignes, a ruiné les spéculateurs et ramené les terres à leur misérable rendement primitif. Sans nous arrêter à discuter ici le cas spécial de la Sicile, voyons, d'une façon générale, jusqu'où s'étend véritablement l'inQuence des facteurs na- turels dans le problème de la production agricole. Sans doute^ les longues pluies de l'hiver arrêtent les travaux des champs, les denses brouillards des collines nuisent au produit des oliviers, les brumes glaciales qui surviennent au printemps après des journées tièdes éteignent toute vitalité dans les herbes nouvelles ou les bour- 128 1. PART. — LA l-RODUCTION AGRICOLE iléons précoces ; des vonls impétueux détruisent (en France et en Sicile) les orangeries imparfaite- ment protégées par des plantations de roseaux ; la grêle arrache au cultivateur le fruit presque miir de ses longues fatigues ; et les tempéralui-es trop élevées, les sécheresses, l'intensité des radiations lumineuses sous l'inaltérable pureté du ciel (1) causent l'étiolement des racines assoiffées d( s herbes ou des céréales pendant l'été^ dans le mi^li notamment. Sans doute, la nature oppose à la patiente œuvir humaine le développement énorme de gernK - destructeurs et infectieux qui s'attaquent à tout( les plantes utiles. Sans doute, malgré les progrt de l'hygiène et des traitements plus rationnels, une foule de maladies du bétail — peste bovine, aphte épizootique, charbon, morve, farcin, infec- tions puerpérales, et tous les troubles organique- analogues à ceux de l'organisme humain — se vissent encore. b) Pouvoir croissant cfe Vhomme sur le milieu naturel. Les maux naturels contre lesquels l'homme n'a point trouvé de remède radical ou d'efficace pro- cédé préventif semblent être inévitables. Mais le nombre et la gravité de ces maux diminuent peu à peu. Grâce au développement constant des sciences et à celui des méthodes pratiques les diftîcultés que pi'ésenlent la climatologie et la nosologie agricoles ont aujourd'hui beaucoup diminué. Et leur élimi- (1) D. ZoLLA. — Op. cit., page iOi. HAP. III. MILIEU SOCIAL ET AGRICULTURE 129 ation suit le mouvement scientiRque progressi- ement accéléré des découvertes contemporaines t de leurs applications pratiques. Si l'été dessèche encore les terres brûlées du lidi, c'est par suite de l'imprévoyance des méri- ionaux. L'Angleterre, qui a pourtant un cli- lat très huuiide, possède de vastes prairies irri- uées ; la France et la Belgique ont de même des jues irriguées ; et les immenses étendues de la aute et de la movenne Lombardie, traversées par n réseau serré de canaux, les marciie constam- lent arrosées, nourrissent une e'norme quantité de iches laitières. D'autre part, les sécheresses de l'été éprouvent irtout les plantes nées sur un sol épuisé et sont oins redoutables aux terrains convenablement imés. Voici un tableau dressé par les illustres ronomes anglais MM. Lawes et Gilbert. On y ut, d'après des expériences poursuivies pendant ente-trois ans, noter les etîets delà sécheresse de no (1). Quantités de foin obtenue. par hectare Zones (1 expérimentation 1836-18T0 1870 Déficit 1870 Moyenne Sans engrais !<-. 2.271 72.5 2.046 Entrrais minéraux et sels ammoniacaux >, G.r,27 3 (325 2.y02 Entrais minéraux et nitrate de soude » 7.250 7.000 250 (1) Annales ar/ronomiques, Dehérai.n', directeur, 1. 1, 187o, aris, Masson, page 20.31. 130 I. PART. — LA PRODUCTION AGRICOLE Ainsi, le premier terrain, entièrement dépourvu d'engrais, n'a donné qu'un tiers de la récolte habi- tuelle en 1870. Le second était tumé ; la séche- resse n'y a pas diminué le produit de moitié; et la diminution a été imperceptible sur le troisième dont l'amendement était meilleur. Les mêmes agronomes ont constaté, au sujet des céréales, que là où le sol n'avait point reçu d'engrais ou point d'autre que le fumier de ferme la récolte habituelle (moyenne prise sur 19 ans) avait diminué de I/o, tandis qu'elle avait diminué de 1/14 seulement sur les terrains à engrais miné- raux et ammoniacaux. l^n tout cas, n'exagérons pas les dommages cau- sés par les sécheresses de Tété. L'imprévoyance qui laisse à la merci des agents atmosphériques de vastes terrains non irrigués et, pour comble, épuisés et stérilisés par leur épuisement même, nuit bien davantage à l'agriculture. D'autre part, les animaux de ferme ne sont plus, comme par le passé, décimés par de ruineuses épidémies. Des élables aérées, une prophylaxie mieux entendue contre certaines maladies, des méthodes de traitement meilleures ont considéra- blement restreint le mal. Les plantes ont de même profité des progrès de la prophylaxie et de la nosologie végétales ; du reste, leurs maladies seraient moins dangereuses si la terre n'était pas épuisée par une agriculture habituellement déraisonnable. Ainsi les vignes, par exemple, ne trouvent pas dans le sol une quantité suffisante d'aliments et toutes les conditions essen- tielles d'un vigoureux développement. Il en est des végétaux comme des animaux. CHAP. 111. — MILIEU SOCIAL ET AGRICULTURE 131 comme de l'homme. Généralement le phylloxéra s'attaque de préférence à la vigne faible, de même que la phtisie à l'homme imparfaitement nourri. En outre, les organismes faibles ^résistent toujours moins que les autres à l'assaut des maladies. La vigne Irappée par le midlew résiste moins qu'un vignoble sain aux gelées de l'hiver. Les germes morbides sont continuellement répandus sur les hommes, les animaux et les végétaux sains, prêts à frapper dès qu'ils rencontrent une moindre force de résistance. M. E. Gautier dit, à propos du phylloxéra : « Vous ne me ferez pas croire que le phylloxéra « soit né d'hier. La vilaine bête a dû exister de tout « temps. Seulement les vignes d'autrefois à lapo- « gée de leur robustesse et de leur rusticité ne « s'en portaient pas plus mal c( Mais depuis l'anémie est venue ! On les a « épuisées, nos pauvres vignes, en les forçant à pro- « duire à outrance et en les mutilant par des tailles « cruelles ;... en même temps, on épuisait le sol en « y pompant à pleines mains les sucs nourriciers, « sans jamais rien lui rendre (l), » Que de prétendues fatalités sont simplement un effet de notre imprévoyance ! c) Maux naturels et milieu économique. Chaque découverte, chaque application scienti- fique nouvelles apportent donc une nouvelle res- triction aux difticultés créées par le climat, le sol et les maladies. (1) Emile Gautier. — Une révohttion agricole, Paris. Lecène-Oudin. 1892, page 7."^. 132 I. PART. — LA PRODUCTION AGRICOLE Mais les armes que la science donne à l'homme contre les maux naturels, n'ont éié jusqu'ici que bien rarement et bien imparfaitement employe'es en faveur de l'agriculture. Celle-ci se trouve presque partout dans la douloureuse condition des malades pauvres ; leur misère les prive de la jouissance des découvertes thérapeutiques et le médecin écrit souvent en vain pour eux la prescrip- tion régénératrice. La sécheresse est bien réellement un phénomène climatologique. Mais, puisqu'il serait possible de l'éliminer ou de l'alténuer beaucoup par l'irriga- tion et les amendements, et puisque des raisons d'ordre économique empêchent de la combattre, n'est-il pas vrai de dire que le phénomène climato- logique se subordonne en une question économique et sociale ? Sans doute, il est toute une catégorie de maux climatologiques ou nosologiques contre lesquels on n'a pas encore trouvé de remèdes. -Mais ces maux ne pourront jamais ébranler les bases de la production nationale ou de la production interna- tionale. Notons même que l'internationalisme de la production diminue sensiblement leur impor- tance, puisqu'on peut aujourd'hui combattre des crises passagères et locales d'ordre climatologique ou nosologique grâce à des produits de pays ou de régions éloignés. Considérons un de ces fléaux que j'ai appelés fatals : le phyllo.rèra. Je le choisis à dessein, parce que le marquis A. di Rudini l'a indiqué comme la cause principale de notre crise agricole et de la question sicilienne et parce qu'il y a \k un exemple CHAP. m. — MILIEU SOCIAL ET AGRICULTURE 133 typique de ce que l'incurie humaine peut ajouter aux maux infligés par la nature. Cette maladie si terrible et, nous le verrons, si insuftisamnient combattue en Italie, a mis une vingtaine d'années à infester o à (iOO des 8. 000 communes du royaume. Aussi, grâce à la lenteur de l'invasion et à la rénovation progressive dune partie des vignobles détruits, la production natio- nale du vin n'a-t-elle pas été profondément atrec- tée. Les 333.000 hectares de vignobles détruits ne représentent en somme qu'un dixième à peu près de la superficie cultivée en vignobles en Italie (3.446.000 h.). Et n'oublions pas de noter que la lenteur de la destruction au cours d'une période de vingt années permit de reconstituer, à mesure, près de la moitié des 330.000 h., si bien que les vignes italiennes n'ont pas même, et il s'en faut de beau- coup, diminué d'un dixième. Le dommage subi par la production aurait sans doute été bien moindre si, d'une part, le gouver- nement avait prévenu plus énergiquement le mal, grâce à une plus sage surveillance et à des destruc- tions plus décisives des vignobles infectés, et si, d'autre part, les grands propriétaires, plus éner- giques et s'imposant de nouvelles dépenses de ca- pitaux, avaient essayé de reconstituer leurs vi- gnobles au moyen de ceps américains réfractaires à la terrible maladie. En ce qui concerne le gouvernement, le minis- tère de l'Agriculture dispose, il est vrai, contre le phylloxéra, d'une somme très importante relative- ment à ses mesquines ressources, mais qui s'est trouvée manifestement inférieure aux besoins im- périeux imposés par le péril croissant. Les secours 134 I. PART. — LA PRODUCTION AGRICOLE ont même diminué à mesure qu'ils devenaient plus nécessaires. En effet, tandis que l'invasion ph3'lloxérique s'est constamment étendue de- puis 1879, les sommes accordées par le gouverne- ment, après avoir progressivement atteint le chiffre de 1.900.000 lires en 1883, n'ont pas dé- passé, de 1886-87 à 1893-96, une moyenne an- nuelle de 700.000 lires ! Il est vrai que dans ces dernières années elles ont été un peu plus considé- rables, mais c'est à peine si elles ont dépassé un million. Aujourd'hui, vingt ans après l'apparition du phylloxéra, les provisions de ceps américains sont encore tout à fait insuftisantes. En 1897-98 les pé- pinières du gouvernement ont pu satisfaire à un dixième à peine des demandes des cépages Ru- pestris, qualité commune pourtant. A propos de l'initiative du gouvernement, rap- pelons ici que quand l'Angleterre, la Belgique, la France et l'Allemagne voulurent répandre la i)va- i'ique du. drainage, elles otTrirent aux particuliers un crédit illimité, à un intérêt minime, crédit que l'Angleterre, — ce pays de l'individualisme — s'est élevé à 131 millions (1). Les pépinières du gouvernement italien ne four- nissent annuellement de jeunes ceps greffés que pour 7.000 hect. (2). En présence de mesures aussi insuffisantes, on n'a pas le droit de considérer le phylloxéra, la (1) G. SoLDANi. — Ancora siii rimedi antifilosserici (Gior- nale d'Agricoltura e Commercio délia Toscana, fasc. lo, t. m, 1898). (2) Il Movimento a(/ricolo (juillet 1898). CHAP, m. — MILIEU SOCIAL ET AGRICULTURE i 3o sécheresse ou d'autres calamités naturelles comme des facteurs essentiels du problème agraire. La France nous offre un exemple de ce que l'on aurait pu et dû faire contre le phylloxéra. Le ta- bleau suivant a été publié par la Société centrale d'agriculture du déparlement de l'Hérault : Dat«i Hectares de vignoble» Production 1873 1880 226.000 95.000 60.000 47.000 167.000 13.000.000 hl. 5.000.000 » 8.000.000 » 3.000.000 > 7.000 000 » 1881 1882 1892. . , Des 22(5 mille hectares de vignobles existant en 1873, 179.000 avaient été ravagés par le phyl- loxéra en 1882. D'autres devaient, dans la suite, subir le même sort. Mais on en replanta 163.231 de 1883 à 1892, si bien qu'à 59.000 hectares près l'étendue primitive était reconstituée en 1892. Voilà pour l'Hérault. Les choses en sont à peu près au même point dans tous les autres départe- ments du midi, dont l'exemple, quoiqu'un peu len- tement, est suivi par le nord. Aussi la production française descendue, après l'invasion du phylloxéra, des 63 millions d'hectolitres de 1874 aux 3 i millions de 1884, aux 23 millions de 1889, s'était-elle déjà relevée en 1893 et atteignait dès lors 49 millions d'hectolitres. La France, frappée en 1875, a pu chanter vic- toire au Congrès de Montpellier en 1893. La crise phylloxérique a été pour elle un phénomène passa- 130 1. PART. — LA PRODUCTION AGRICOLE ger. L'Italie, frappée en 1879, est, au bout de vingt ans, plus que jamais viclicne du fléau ou plutôt de l'imprévoyance du g-ouvernement et des grands propriélaires, surtout de ceux du midi. Les difficultés naturelles — climatologiques et nosologiques — ne sont certainement pas sans importance dans le problème agraire, mais leur influence a des bornes assez étroites. Elle diminue au fur et à mesure des progrès des sciences phy- siques, chimiques et physiologiques et pourrait être encore plus rapidement restreinte si des con- ditions d'ordre social et économique, si (en Italie du moins) l'orientation de la politique et les ten- dances de l'économie rurale n'opposaient d'insur- montables obstacles à toute œuvre de transfor- mation scientifique. Une phrase de Barrai, le savant agronome fran- çais, exprime fortement la foi des savants dans l'avenir de la technique agraire : « Combinez len- grais et l'eau — et vous n'aurez plus de mauvaises années. » CHAPITRE IV ORIGINES DU MOUVEMENT « RURIFUGE )) Les volontés humaines aspirant à un réveil agri- cole général se heurtent aux difficultés suscitées par le milieu, et le courant rurifuge^ la tendance à fuir la campagne, demeure, en fait, un des phéno- mènes sociaux les plus caractéristiques du siècle. Or, parmi les obstacles que le milieu oppose au développement de l'agriculture et que nous avons analysés un à un dans le chapitre précédent, com- ment distinguer les obstacles fondamentaux des obstacles accessoires ? Quelles sont, en d'autres termes, les origines premières du mouvement qui détourne les grands capitaux et les plus auda- cieuses énergies humaines du travail de la terre ? 1. — Le suhjectivisme dans V économie sociale. Pour les « subjectifs » qui abondent surtout en Russie (MM. iMikailowski etKrowenko sont russes tous deux}, X intelligence volitive de riiomme est le pivot de la vie sociale^ la cause essentielle de ses 138 I. PART. LA PRODUTCTION AGRICOLE transformations, — c'est-à-dire aussi, implicite- ment, celle de l'évolution agraire. Nous avons vu, en examinant les conditions de l'économie agricole italienne, que celte opinion est erronée. Bien loin qu'une conscience collective dirige toutes les énergies humaines contre les résistances du milieu naturel et que les individus essaient d'atteindre au bien-être commun en modifiant le milieu économico-social, ils s'efforcent au con- traire de s'adapter à ce milieu, quel qu'il suit, afin d'y rencontrer moins d'obstacles et de l'ex- ploiter plus facilement selon leurs intérêts particu- liers. L'ignorance rend l'homme esclave des lois natu- relles et l'aveuglement de sa conscience sociale le met à la merci des lois économiques. Propriétaires, sociétés, gouvernement, partis ! Que de volontés, toujours plus anxieuses de réno- vation agricole, paralysées par un milieu hostile ! La volonté humaine n'est donc pas, comme le prétendent les « subjectifs », la grande force régu- latrice de la vie sociale et de ses adaptations succes- sives au milieu économique. La responsabilité du mal passe, selon nous^ de l'individu, auquel elle était anciennement attribuée, à un autre facteur : le milieu, dans les multiples conditions de fait analysées dans le chapitre précétient. L'intelligence volitive est le pilote qui manœuvre le vaisseau social, mais dans la direction et avec la rapidité que lui impriment les forces ambiantes. CHAP. IV. — ORlGrlNES DU MOUVEMENT 139 2. — Le facteur biologique dans l'économie sociale. a) Sature Inimahie et production ayricole. L'économie orthodoxe place à la base de la vie économique et de ses évolutions l'action des plus forts, stimulés par l'intérêt personnel. Ce sont eux qui dominent et transforment la vie sociale; le pro- grès, selon les économistes bourgeois, court sur les rails posés i^àvV intérêt personnel des organismes robustes. Or, cette conception biologique de révolution sociale est démentie d'abord par la très fréquente prédominance d'individus physiquement et intel- lectuellement faibles, parfois dégénérés, et dont le seul moyen d'action est l'argent, la puissance éco- nomique. Il n'est donc pas vrai de dire que la vie économique est dirigée par les plus forts. C'est le milieu ambiant, physique et écono- mique, qui détermine les natures humaines. Les fastueuses cours de l'Italie médiévale ont formé et nourri les natures d'artistes que l'on voit pulluler du xni* au xv* siècle à Florence, Sienne, Venise, Rome, etc. Le milieu économique actuel façonne des esprits plus aptes aux initiatives com- merciales et aux luttes de la libre concurrence. Les Juifs, timides commerçants nomades et persécutés au Moyen Age par une société guerrière et igno- rante pour laquelle ils n'étaient pas faits, sont devenus, dans le milieu économique et social du xix*^ siècle, les richissimes maîtres des marchés et des Bourses. Le milieu politique et militaire où 140 I. PART. — LA PRODUCTION AGRICOLE s'est réalisée l'épopée de la Révolution française a inspiré les Marceau et les Hoche et, leur donnant un champ d'action approprié à leur nature, leur a permis d'être à 25 ans des généraux célèbres, tandis qu'ils seraient tout au plus devenus colonels à 50 ans à une époque comme la nôtre. A son tour, la nature humaine réagit sur le mi- lieu physique et sur le milieu économique, à l'ins- tar de la plante qui modifie chimiquement le ter- rain et l'air d'où elle a tiré sa subsistance. Mais, ne l'oublions pas_, hommes ou plantes sont faibles ou forts selon le milieu d'où ils proviennent. b) Du climat, du sol et de la race. En parlant de l'indolence méridionale, nous avons dit que l'inertie des grands propriétaires italiens est un trait de race des Latins, bien plus pauvres d'énergie individuelle que les Anglo- Saxons, par exemple. Mais en remontant vers l'explication première du phénomène il nous fau- dra considérer le climat et le sol, ces facteurs élé- mentaires des races. Des conditions spéciales, in- dépendantes du climat, peuvent avoir concouru à leur formation. Ainsi, par exemple, la vie nomade et les occupations imposées aux Juifs pendant de longs siècles ont accentué ou créé en eux quelques-uns des traits intellectuels, moraux et ph3^siques qui les caractérisent. Mais le climat et les conditions topographiques et agricoles du sol adaptent les organismes au milieu physique par un travail séculaire de sélection. Les animaux ne sont pas moins modifiés que les végétaux ; con- traints à de particulières variétés d'aliments, sou- CHAP. IV. — ORIGINES DU .MOUVEMENT lit mis à certaines conditions de travail, ils ac- quièrent des formes, des habitudes de vie, des aptitudes intellectuelles et physiques, des mœurs spéciales. On peut dire que la race est le prisme à travers lequel se manifestent les grandes influences connexes du climat et du sol. L'Italie, dont les diverses régions ont des cli- mats très diff'érenls, présente aussi de très grandes variétés du tempérament national. Ainsi les Ita- liens du nord, grâce surtout au voisinage et au rigoureux climat des A.Ipes, ont un caractère net- tement septentrional, dont on a déjà relevé Taffî- nité avec celui des Anglo-Saxons (H. La mollesse latine s'accentue du nord au sud de la péninsule ; elle apparaît surtout au-delà du haut et du moyen Apennin et l'on voit peu à peu se briser la ténacité des énergies physiques et psychiques et se dessiner l'indolence, la vivacité et la sensualité propres aux climats chauds. Ces différences climatologiques se répercutent de la façon la plus évidente sur la vie agricole et intellectuelle des diverses régions de l'Italie. Ainsi, tandis que les grands domaines incultes abondent en Sicile, des plaines fécondes couvrent la Lom- bardie. La production moyenne du blé, de 11 hec- tolitres à peu près à l'hectare, s'élève dans la haute Italie — en y comprenant l'Emilie jusqu'à Bo- logne — à 22 ou 24 hectolitres. Dans le Milanais elle dépasse même 26 hectolitres. D'autre part, voici la moyenne des illettrés dans les provinces du sud : (1) Butter, cité par A. Mosso, op. cit. 142 l. PART. — LA PRODUCTION AGRICOLE Sicile 67 Vo Calabre 77 % Basilicate 73 % Campanie 69,7 "/(, et dans le nord : Emilie et Vénétie 31 «/o Ligurie 18,8 o/o Lombardie 15,6 7o Piémont 8,9 Vo c) Du climat et (h' la fertilité des terres. Jl faudrait, pour combattre Vindolence biolo- gique, une quantité extraordinaire de stimulants économiques. Or, ils sont justement moins nom- breux dans les régions où l'indolence est la plus accentuée, parce qu'elle a, comme l'exubérante fer- tilité du sol, pour cause première le climat. Les populations méridionales sont dispensées des tra- vaux agricoles les plus pénibles dans leurs vergers et leurs orangeries. M. Demolins cite (l) certains économistes qui préconisaient la destruction de tous les cliàtai- gners de la Corse, parce qu'en elïet, ce produit spontané du sol, suf lisant à la nourriture des habi- tants favorise, leur indolence et les détourne du travail de la terre. L'absence d'énergie individuelle et l'insuffisance des stimulants économiques expliquent ensemble l'état d'abandon de l'agriculture dans les pays où le sol est naturellement fécond et le phénomène (1) E. Demolins. — La^ Français d'aKJourcniui, Firmin Didot, Paris, 1898. CHAP. IV. ORIGINES DU MOUVEMENT 143 en apparence si étrange d'un rendement inférieur à celui des brumeuses et ingrates régions de l'An- gleterre sur des terrains très fertiles, très riches de soleil et de lumière. d) Bornes du facteur biologique. Telle est l'importance du facteur biologique. Elle est grande sans doute, mais il ne faut pas l'exagé- rer ni méconnaître l'influence plus considérable d'autres facteurs. Ainsi, remarquons que l'agriculture n'a atteint ni en Angleterre, ni en France, ni en Allemagne le degré de perfectionnement qu'elle pourrait avoir grâce au développement actuel de la technique agricole. Elle est_, dans ces divers pays, bien loin d'obtenir le maximum de production possible ; bien loin d'avoir généralement adopté les systèmes les plus récents et les meilleurs d'irrigation, de sé- lection, de cultures spéciales ; bien loin enfin d'avoir mis Y économie rurale en état d'exploiter entièrement Y instrument technique de production dont l'agronomie dispose aujourd'hui. Les différences dans la production agricole en Europe sont en grande partie l'œuvre du facteur biologique ; mais, dans son Tensemble, le fait que la production européenne et, disons-le, uni- verselle, soit généralement si pauvre encore, est dû à l'imparfaite application du nouvel instrument agricole, entravé par les conditions techniques, économiques et sociales que nous avons déjà ex- posées et sur lesquelles nous reviendrons. 3. — Le w • 208 II. PART. — TENDANCliS TliClIN. ET ÉCON. demmcnt, la grande culture paye trop cher la main- d'œuvre, elle a, d'autre part, sur la petite, l'avan- tage immense de disposer, par sa richesse, des meilleurs procédés de l'agronomie moderne. Elle pourra donc, dans un avenir prochain, jeter sur le marché des denrées et des ce're'ales à très bas prix et faire, par conséquent, une concurrence meur- trière à la petite culture. Toutefois — notons cette diiïérence essentielle entre l'agriculture et l'industrie — la concurrence du grand capital agricole n'aura pas pour la petite culture, même désagrégée, les inévitables et promptes conséquences que la concurrence du ca- pital industriel a eues pour la petite industrie. En présence d'un développement ultérieur du capital agricole, la petite culture pourrait, même sans améliorer sa technique et ses conditions d'isole- ment économique, lutter en abolissant ses spécia- lisations. Sur chaque petit domaine, une famille de cultivateurs, produisant toutes les denrées néces- saires à sa consommation, réduirait par là, au mi- nimum, les ventes et les achats — c'est-à-dire le besoin de se préoccuper du marché international, que la grande culture lui aurait rendu défavorable. Tel terrain, planté aux trois quarts en vignobles, fournit aujourd'hui, par le produit de la vente du vin, tout le blé, les légumes et les tissus nécessaires à son propriétaire, mais celui-ci pourrait borner sa production de vin aux besoins de sa famille et ré- server la plus grande partie de sa terre à d'autres denrées de consommation, du moment où la grande culture capitaliste jetterait, sur le marché, du rai- sin ou du vin à assez bas prix pour lui faire une insoutenable concurrence. CHAT. II. — TRCHNIQUE ET ECONOMIE 209 Il y aurait, dans celte rétrogradation technique, une forme possible de résistance à l'envahissement du capital. Mais, même efficacement soutenue contre la concurrence capitaliste, la petite propriété n'en serait pas moins en butte à la tyrannie croissante de ses anciens ennemis : le fisc, les crises agri- coles, etc. Or, en de telles conditions, il est naturel que, pour arriver à survivre, elle cherche, à l'instar delà moyenne culture, à s'approprier et à utiliser le nouvel instrument technique agricole. Petite et moyenne culture, et, par conséquent, petite et moyenne propriété ne se résigneront certes pas à la disparition que l'économie collectiviste leur a prédite. Et tandis que, socialement, la petite propriété se cramponne aux diverspartis politiques — âux. partis conservateur, radical, clérical, ou socialiste — en- clins à la favoriser par des réformes législatives ou des institutions économiques, la petite culture s'ef- force d'appliquer quelques-uns des incessants per- fectionnements techniques de l'instrument de pro- duction. Les marxistes et les combatifs du socialisme ont cru jusqu'ici à l'inutilité des efforts de la petite propriété et de la petite culture et, jugeant par analogie, ils affirment que celle-ci, écrasée, comme la petite industrie, par la concurrence du nouvel instrument technique, sera forcée de disparaître. Mais elle leur offre des exemples d'application de cet instrument technique (engrais, machines, sélections, irrigation, etc.) toujours plus intenses et plus amples. Parviendra-t-elle à son but, et pourra- t-elle, contrairement aux prévisions d 12' 210 II. PART. — TENDANCES TECHX. ET KCON. marxisme, se dillrreiicicr de la pelilc iiiduslrie? C'est d'où dépend son avenir économique et ce que nous allons rechercher. Nous n'aurons, heureusement, pas Ijesoin pour cela d'abandonner l'observation — la terre ferme — pour nous conlier à la mer trompeuse de l'hypo- thèse. Il nous suffira de relever les faits qui, comme autant de jalons, marquent l'orientation et la route de la petite et de la moyenne industrie. Les comices agricoles — rares points lumineux parmi de profondes ténèbres — parurent çà et là en Italie dès la première moitié du xix® siècle, dès lors que des découvertes scientifiques et des expé- riences pratiques permirent d'entrevoir, dans le perfectionnement de l'instrument de production, la régénérescence do l'agriculture patriarcale exten- sive. Ils indiquèrent d'abord aux propriétaires les notions les plus récentes et les rno)'ens techniques agricoles les plus efficaces; mais bientôt^ grâce au rapide développement théorique et pratique de l'instrument de production, ils ne purent plus suf- fire aux exigences des agriculteurs. Alors surgirent autour d'eux des établissements nouveaux et divers avec fonctions spécialisées. Des associations agricoles permirent à de grands et à de petits propriétaires d'acheter ensemble sur une vaste échelle, et par conséquent à d'excellentes conditions, les matières et les outils indispensables à l'application de la nouvelle technique agricole. Des chaires ambulantes et des consultations agricoles servirent à la dilfusion des notions d'agro- nomie. Il y a déjà, par exemple dans la province de Parme, 10 champs servant à des expérimentations, CHAP. II. TECHNIQUE ET ECONOMIE 211 12 autres réservés à des démoiislralions, 8 Caisses agricoles qui facilitent l'œuvre de la chaire ambu- lante, une société coopérative agricole d'une impor- tance croissante, comptant aujourd'hui plus de 500 associés, et, en outre, d'autres institutions plus spécialisées (i). L'association agricole de Parme n'avait, lors de sa fondation, que 4.000 fr. de capital. Elle en avait 2o.628 en 1897 et sa réserve était alors de 13.07o fr., tandis que ses ventes s'élevaient à 4-75.379 fr. Depuis que M. Bizzozero a fondé et dirige dans cette même province une chaire ambulante.onyfaiten moyenne 80 conférences et on y donne 400 consultations par an. Des Associations spéciales se sont fondées : cercles vinicoles ou horticoles, sociétés zootech- niques, ou anti-phylloxériques, ou hydrauliques pour l'irrigation et le dessèchement de vastes zones marécageuses, etc. D'autres associations contre les incendies, la grêle ou la mortalité du bétail préviennent les effets de toute sorte de calamités. Puis les croissantes exigences du marché impo- sèrent, avec l'amélioration de la production, celle de la manipulation des produits et les laiteries sociales, fournissant des qualités supérieures de beurre et de fromage, les caves coopératives, créant un typede vin plus rationnel et, ce qui vaut mieux, uniquepourchaquerégion,surgirentdetoutes parts. Rappelons ici la cave coopérative d'Oleggio (Pié- mont). Elle a commencé en 1891-92 par la mise en (1) C. GuERCi. — htituzioni agrarie délia provincia di Parma, Parme, 1895. 212 II. PART. — TENDANCES TEGFIN. ET ÉCON. commun de 853 quintaux de raisin ; elle dispose au- jourd'hui de 2 OUO quintaux. Le prix des raisins a augmenté, grâce à elle, de 16 fr. oO à 21 fr. 4oqui, parradjonctiou d'un boni de 10 0/0, équivalent res- pectivement à 19 fr. 90 et à 25 fr. 74. Les associés, dont le nombre augmente sans cesse, sont soixante aujourd'hui. Ces groupements agricoles sont de plus en plus nombreux, plus cohérents et plus spéciaux. Bref, une ère nouvelle commence, que caractérise ce phénomène essentiel : la cessation de l'isolement séculaire de ragriculleur. Cette grande tendance de l'économie rurale est bien loin d'affecter particulièrement une nation. Elle se manifeste plus ou moins complètement dans tous les pa)^s civilisés et elle est souvent ailleurs bien plus développée qu'en Italie. En Allemagne, grâce à l'initiative de Schulze- Delitzsch, une vaste association nationale, fé- dération -de petites associations, s'est formée dès le milieu du xix^ siècle. Ces Unions, à res- ponsabilité illimitée entre propriétaires du sol, comprenaient, à la date du l^"" septembre 1899, 12.830 coopératives agraires ainsi réparties : unions de crédit, 9.269 ; syndicats agricoles, 1.045 ; laiteries sociales, 1.786 ; sociétés di- verses, 736 (1). Le mouvement agraire de l'Allemagne s'est communiqué à l'Autriche-IIongrie, où s'est rapi- dement constituée une organisation analogue d'Unions locales, régionales et nationales (2). {\) Maggiorino Ferraris. — Op. cit. (2) Idem. — Op. cit. CHAP. 11. — TECHNIQUE ET ECONOMIE 213 En avril 1898, la France comptait 2.036 syndi- cats agricoles en plein fonclionnement. De nom- breuses sociétés vinicoles s'y forment dans les dé- partements du sud (1) ; la Franche-Comté et la Savoie possèdent depuis longtemps des fruiteries sociales ; la Charente-Inférieure a des laiteries et des beurreries sociales, dont la plus remarquable — celle de Chaille — a 20 associés et un capital de fondation de 21.000 fr. ; le bétail qu'elle entretient, et qui est assuré, lui fournit annuellement un mil- lion et demi de litres de lait (2). Ce mouvement coopératif agricole date de quinze ans à peine en France ; sa rapidité et sa puissance d'expansion sont dignes de remarque. En Belgique, 1er. gildes, sortes de syndicats agri- coles, surgissent par centaines ; elles couvrent le pays d'associations destinées à assurer aux agri- culteurs, aux meilleures conditions possibles, du crédit, des engrais, des machines, l'instruction agraire, des lois favorables à l'agriculture petite et moyenne, tous les perfectionnements réalisés dans la manipulation des produits (laiteries, caves, raffi- neries sociales, etc.). Les laiteries sociales, par exemple (3) , s'occupent aujourd'hui , non seulement de la fabrication du beurre et du fromage, mais encore de la condensation et de la stérilisation du lait et de toutes les applications industrielles dont ce produit agricole est susceptible. Il y avait en Angleterre, dès 1892, quatre Trade- Unions rurales, dont trois fondées en 1872 et une en 1890 (4). (1) D. ZoLLA. — Op. cit., p. 337. (2) D. ZoLLA. — Op. cit., p. 41. (3) Voir I" partie, chap. ii. (4) C. OttoleiNghi. — Le Unioni operaie ntrali in Inghi - 214 II. PART. — TENDANCES TECHX. ET ÉCON. En Irlande, 116 sociétés coopératives s'occupent (le la fabrication du beurre, 27 autres sont pure- ment agricoles. La coopération pour le crédit agri- cole a pris une extension énorme en Ecosse. Pour l'Australie, Rabbeno nous dit, à propos de la Nouvelle-Galles du sud(l) : « Le factonj systcm a grandement contribué à développer la coopéra- tion agricole. Ce système d'exploitation est très généralement apprécié aujourd'hui parce qu'il per- met l'emploi des machines à vapeur les plus coû- teuses. Les fermes coopératives sont fondées sur la distinction entre fournisseurs et non fournisseurs de lait. » Une de ces fermes dispose déjà de 33.000 litres de lait par jour. Le Berry estate — immense propriété fondée en 1822 et qui occupait 3.500 personnes dès 1839 — nourrit aujourd'hui 12.800 tètes de bétail et produit 6.000.000 gallons de lait. Cette Butter Factonj, la plus belle de la colonie, est subdivisée en douze fermes, où se récoltent les produits élaborés ensuite dans la ferme centrale. On y applique le système de la participation aux bénéfices et de la coopé- ration. Les petits et les moyens cultivateurs peuvent s'associer pour résister à une ligue de capitalistes. C'est ce qu'ont fait les producteurs de betteraves d'Anvers en fondant leur sucrerie coopérative et les éleveurs de bestiaux de Nimes quand, pour tenir tète au syndicat hostile des bouchers, ils terra. (Laboratoire d'Ecoii. pol. de l'Uuiversité de Turin, J89o). (1) U. Rabbeno. — La qucdione foiuliaria nei paesi niiovi Œuvre posth., etc., Turin, 1898, vol. I, p. 188. CFIAP. II. — TECHNIQUE ET ÉCONOMIE 215 ont créé un abattoir coopératif, où le chiffre des affaires s'élève à 200.000 fr. par an (1). Mais la petite et la moyenne propriété disposent très rarement des capitaux nécessaires pour l'ac- quisition de l'instrument technique et les transfor- mations agricoles qu'il amène (plantations, défri- chements, etc.). INi le crédit foncier, ni les banques soi-disant populaires n'alimentent, nous l'avons vu, les dernières ramifications de la petite pro- priété. Eh bien, elle commence à s'associer pour la recherche des capitaux, et, à côté et dans la dépen- dance des syndicats et comices agricoles, on voit fonctionner des établissements de petit crédit, avant- gardes d'un futur réseau serré de sociétés de prêts agricoles. Le crédit rentre dans son véritable rôle, quand il seconde ou accompagne ainsi tous les autres moyens d'accroissement delà production et d'élévation de la rente. Nous avons déjà fait allusion au développement pris par le crédit agricole coopératif, surtout en Allemagne, où l'on compte 9.269 Unions de crédit. Ce genre de coopération est très répandu en Ecosse, d'après ce qu'en écrivait, dès 1886, M. Mae:- giorino Ferraris (2). Ses renseignements, nom- breux et exacts, lui venaient des directeurs mêmes des banques écossaises. Le système écossais de Crédit agricole (Cash Crédit) est très simplement organisé, puisque, en fait, il se réduit à « un compte « courant actif avec garantie. L'agriculteur ou le (i) D. ZoLLA. — Op. cit., page 93. (2) Maggiorino Ferharis. — Laj)iccola propricià e il ore- dito arjrario, {Hiuova Antoloyia, février 1886.) 216 II. PART. — TENDANCES TECUN. ET ÉCON. « commerçant demande à la banque un crédit qui « dépasse rarement la valeur de 25.000 lires ila- c( liennes et il offre, comme garantie, sa signature « et celle d'au moins deux autres personnes con- « nues... L'intérêt est, par exception, de 4 J/2, plus (( souvent de 3, parfois môme de 6 ou G 1/2 0/0. » M.Maggiorino Ferraris met en relief la supériorité du système du compte courant sur celui de la lettre de change et il fait observer que « la création du « Cash Crédit coïncide avec la rénovation de l'agri- « culture en Ecosse ». Ce systèm.e a pourtant deux vices essentiels : l'élévation du taux de l'intérêt et l'absence de ca- ractère fiduciaire. La nécessité de trouver deux ga- rants qui s'engagent solidairement avec le postu- lant constitue un obstacle considérable, celui-là même qui entrave la petite propriété en Italie aussi et l'empêche, le plus souvent, de recourir aux banques populaires dues à l'initiative de M. Luzzatti. Les exemples ne manquent pas non plus de so- ciétés agricoles de production. L'une d'elles, la Cooperativa agricola italiana de Surigheddu, en Sardaigne, a acheté 434 hectares à peu près in- cultes et où l'on n'obtenait que de 3 à 8 fois la se- mence : on l'y reproduit 22 fois maintenant. Les so- ciétaires versent une modique cotisation mensuelle et l'institution, en voie de progrès continu, a déjà ouvert à Milan de grands magasins pour la vente de ses produits. Ainsi, des besoins anciens et des besoins nou- veaux,des conditions complexescréées par le nouvel instrument technique, naissent à mesure les forces que rattache en un faisceau toujours plus compact le coopératisme — la coopération agricole. CHAP. II. — TECHNIQUE ET ÉCONOMIE 217 Il y a là im phénomène commun aux pays les plus civilises : unions agraires, guîldes, syndicats, comices, associations, laitei'ies, se multiplient en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en France et en Italie. La petite et la moyenne culture, menacées par la grande exploitation capitaliste, se transforment économiquement pour pouvoir utiliser le nouvel instrument de production et, en passant de l'état de propriclcs isolées à celui de proprU'lvs associres, elles aboutissent enfin au coopératisme agricole. e) Capitalisme et Coopcratismc ar/ricnlcs. Ainsi, pour la grande culture, les grands capi- taux — ce que nous appellerons le capitalisme — pour la moyenne et la petite coopération, le coo- prratisme agricole, telles sont les conditions éco- nomiques indispensables à l'emploi du nouvel ins- trument technique. Le capitalisme fertilise le vieux Inlifundium sté- rilisé, et le coopératisme la petite ou la moyenne propriété, cultivées jusqu'ici d'après la méthode ex- tensive d'épuisement. Ainsi, tandis qitc le nouvel inslnnnoii technique \a créé dans l'indiistrie nn courant économique unique, le capitalisme, il a créé en agriculture le capitalisme pour la grande exploitation et le coo- pératisme pour la petite. Coopératisme et capitalisme demeurent nette- ment séparés encore dans notre vie sociale, fécon- dant, de leurs courants parallèles, l'un la grande cul- ture, l'autre la petite culture. Quand le capitalisme ittaque audacieusement la petite culture, celle-ci Gatti. 13 218 11. PART. — TENDANCES TECUN. ET ÉCON. lui résiste parfois victorieusement grâce au coopé- ratisme. Ainsi, par exemple dans les provinces (l'Anvers et de Namur, les grandes laiteries capi- talistes, au nombre de trente environ, ont disparu devant les laiteries sociales dues à l'union des pe- tits propriétaires (1). Les petits et les moyens propriétaires n'utilisent pas seuls la coopération agricole ; certaines petites ou moyennes exploitations sont entre les mains de grands propriétaires et, le s}stème coopératif étant l'unique moyen de renouvellement technique de la petite culture, ils sont aussi forcés d'y recourir. Le coopéralisme agricole est donc : technique- ment et économiquement — l'association dans la petite ou la moyenne culture, sociologiquement — l'association de la propriété. (1) Desthée et Vandervelde. — Le socialwnc en Bclyiqiie, p. .S 28. CHAPITRE III CARACTERE SOCIOLOGIQUE DU CAPITALISME ET DU COOPÉRATISME AGRICOLES i. — Caractère sociologique du capitalisme agricole. Nous appelons capitalisme, dans l'industrie C'jmme dans l'agriculture, la grande concentration de capitaux destinée à obtenir, par l'applicalion des mogens techniques les plus perfectionnés, les plus hauts revenus possibles. Le capitalisme agricole, comme le capitalisme industriel, crée en outre et concentre la foule des salariés, en remplaçant par les formes du salariat les anciens contrats agricoles : bail, régie coïntéressée, etc. Il transforme par conséquent les conditions de la production et les rapports économiques et so- ciaux des classes rurales. Xous n'avons d'ailleurs, pour comprendre la fonction économique et sociale de ce capitalisme agricole né d'hier, qu'à lui appliquer les faits de l'évolution capitaliste industrielle, arrivée désor- mais à son apogée et déjà profondément étudiée par les économistes et les sociologues. Le capita- 220 11. PART. TENDANCES TECHN. ET KCON. lismc ne change pas de signification économique et sociale en passant d'une industrie à l'autre. Cette forme économique, plus complexe que toutes celles qui l'ont précédée, est, selon les économistes ortho- doxes de la bourgeoisie, un système stable quoique perfectible ; selon les économistes hétérodoxes du collectivisme, il constitue un moment de l'histoire économique, une phase intermédiaire entre l'ancien régime féodal et le collectivisme futur. ■'o' 2. — Caractère sociologique du coopi'ralisme agricole. a) La petite propriété associée. Nous nous arrêterons plus longtemps sur le coo- pératisme agricole : Vassociation de la petite pro- priété en forme, nous l'avons dit, le phénomène sociologique le plus saillant. La petite propriété agricole, plus liée que la grande et la moyenne propriété au coopératisme, est aussi la catégorie rurale qui comprend le plus grand nom- bre d'adhérents ; c'est elle qui forme l'objet de plus de discussions scientifiques entre les écoles d'éco- nomistes et de plus de discussions politiques entre les divers partis. Appauvrie et en pleine crise, prête, selon les marxistes, à sombrer dans un abime d'où les so- ciologues de la bourgeoisie s'efforceraient en vain de l'éloigner par des mesures législatives, elle va se sauver sans besoin de secours extérieur, en passant de l'isolement à l'association et, par l'association — c'est-à-dire par la possibilité d'utiliser le nouvel ClIAP. m. — CAP1TAL1S>[E ET COOPÉrATISME 221 instrument technique — , à un cycle d'existence nouveau. Les petits propriétaires, destinés dans leur iso- lement à aller grossir les rangs du prolétariat, gar- deront en s'associant leur caractère économique de |ietits bourgeois. Voilà qui ne peut manquer d'in- lluencer considérablement l'ensemble de la vie so- ciale et par conséquent la vie politique. C'est donc la petite propriété qui subit surtout l'influence économique du coopératisme agricole et ses plus fortes répercussions sociales et poli- tiques. 1)) Caractère démocratique de la j^etitc j^roprictè. Le pullulement de la petite propriété a com- mencé au xviii^ siècle, à la veille de la Révolution. La bourgeoisie affirmait dès lors très hautement ses revendications et tendait à la transformation du serf en salarié, du travailleur coïntéressé ou du fermier en producteur propriétaire. Cette tendance économique qui produit l'accroissement du bien-être des masses est éminemment démocratique et ni- veleuse. L'ancienne noblesse terrienne et la nouvelle grande bourgeoisie foncière (économiquement elles se confondent depuis la Révolution) se trouvent, au point de vue économique, en opposition directe avec elle. Sur les terres de l'ancienne noblesse se main- tienllagrande culture extensiveetabsentéiste; mais les vastes propriétés qu'accumule la grosse bour- geoisie, ne sont pas cultivées autrement, lly alàune tendance conservatrice, directement antagoniste de la tendance à la diffusion et à l'émiettement 222 11. PART. — TENDANCES TECHN. ET ÉCON, de la propriété. Au point de vue politique, la g'rande propriéti' foncière — noble ou bourgeoise — ne peut assister impassiblement à la formation d'une classe nombreuse et forte de petits proprié- taires, impatiente d'influer sur la législation. Car cette influence transformerait sans doute le gou- vernement ; elle en élargirait la base et lui donne- rait un caraclère polygarchique dont nous sommes aujourd'hui bien éloignés. Nos gouvernements actuels sont en effet des oligarchies, les castes très riches qui dirigent la chose publique, étant très peu nombreuses. C'est la concentration progressive des fortunes qui a mis le pouvoir économique et, partant, le pouvoir politique aux mains d'un petit nombre d'hommes ; aujourd'hui, ïancienne aristocratie nobiliaire fait place à Y aristocratie capitaliste bi- dustrielle ; une aristocratie capitaliste agraire s'ajoutera à celle-là quand, le capitalisme agricole étant plus développé, la grande propriété foncière d'origine féodale aura disparu. La petite propriété agricole, destinée à transfor- mer le pouvoir économique et politique, tend à créer, en face de l'aristocratie capitaliste agraire, une démocratie agraire. c) La petite propriété et le parti radical. Ainsi les seuls lacteurs d'une généralisation de la petite propriété devaient être les représentants du [irolétariat et ceux de la petite bourgeoisie — les uns pour demeurer propriétaires, les autres pour le devenir. Voilà [)ourquoi, du marquis de Mirabeau jusqu'à nous, l'émiettement de la pro- CHAP. IH. — CAPITALISME ET COOPERATISME 223 priété a été voulu et soutenu dans le monde poli- tique par des radicaux. Nous avons noté le peu d'influence exercée par le parti radical italien malgré l'active générosité de ses intentions ; la chose s'explique quand on l'étu- dié au point de vue économique. Ce parti radical, issu de la petite industrie, de la petite agriculture et du petit commerce, a pu, dans l'économie in- dustrielle — en Italie et ailleurs — opposer un contre-courant à la force capitaliste qui sape la petite industrie ; mais l'économie agricole a été pour lui un étang glacé. Car là, un instrument technique arriéré empêchait la tormation du capi- talisme agricole qui aurait détruit la petite pro- priété, ou du coopératisme qui lui aurait permis de lutter contre les coercitions capitalistes et de se fùililîer en se renouvelant. Si, donc, le parti radical n'a pas eu d'action décisive au xix*" siècle, c'est que la tendance éco- nomique qu'il aurait dû représenter politiquement était encore informe. Et un parti ne se développe et ne s'affirme victorieusement dans la législation d'un pays que s'il est la manifestation politique exacte de courants économiques naturels. Mais sa base économique se constitue solidement cà mesure que l'instrument technique est mieux utilisé au moyen de l'association par la petite propriété elle- même. Le coopératisme agricole permettra Vorganisa' tion politique (fime démocratie radicale agraire. Un seul des radicaux italiens, IM. Gucrci, a eu l'intuition de la puissance que donnerait au parti radical le coopératisme solidement établi dans les régions où prédomine la petite propriété. 221 II. PART. TENDANCES TECHN. ET KCON. (1) La pelilc proprictc et le parti conscrvatriiv. Les conservateurs-libéraux — ce groupe de grands propriétaires que nous avons vus être économi- quement opposés à la généralisation de la petite propriété, — exercent pourtant on sa faveur une ac- tion, assez faible du reste, ainsi que nous l'avons déjà montré au sujet des rapports entre les partis politiques et les questions agraires. Leurs hommes d'Etat appartiennent à l'école sociologique des soi-disant parlementaires, aux 3'eux desquels l'œuvre législative est un facteur prépondérant de l'évolution économique et sociale, {l^n r('alilé le contraire est vrai et la législation est un ellet et non une cause de l'évolution économique.) Ils espèrent revivifier la petite propriété anémiée par un système de lois qui en empêche le frac- tionnement excessif [AncrbcjirecJil) cl Taliéuation [liomestead]^ qui en favorise la formation (exemp- tions des droits de transmission) ou en allège les charges (exemption de tout impôt de muta- tion), etc. (jCS théoriciens vivent trop au Parlement et trop peu dans le pays. Les lois ne peuvent pas descendre del'éther de la vie politique ; elles jaillis- sent des profondeurs de la vie économique. Le système législatif, fait pour favoriser le progrès économique, le favorise seulement alors que des forces spontanées et déjà agissantes dans le milieu économique y attendent une législation favorable à leur développement. C'est donc une erreur de prétendre réorganiser la petite propriété au moyen des lois — que ce soit YAnerhenrecJit ou le homesiead. CHAP. 111. — CAPITALISME ET COOPERATISME 225 L'œuvre de ces parlementaires s'explique par leur désir de créer autour de la grande propriété privée une nombreuse petite propriété satisfaite. Aujourd'hui, la mer orageuse des salariés et des petits propriétaires mécontents gronde autour de leur forteresse, battue tour à tour par les vagues déchaînées d'une colère impulsive ou la marée puissante de mouvements organisés. Pourquoi^ au lieu de recourir au pouvoir légis- latif, ces parlementaires italiens ne songent-ils pas — à l'imitation des conservateurs belges et français — à associer et à activer les forces de la petite propriété? C'est qu'ils en redoutent l'éveil et ne veulent pas sincèrement la faire sortir de son état de pupille inconsciente. Il faut armer les petites entreprises agricoles de tous les moyens dont dispose la technique agraire. Il faut que l'Etat, au lieu de les pressurer, les fa- vorise et qu'enfin les petites exploitations soient fortement capitalisées. Les grands propriétaires conservateurs pourront tout au plus stimuler, pousser à l'association la petite propriété ; mais elle ne se sauvera que par ses propres forces et en suivant le courant mo- derne du coopératisme. I3« CHAPITRE IV L AVENIR DU CAPITALISME ET DU GOOPERATISME AGRICOLES 1. — Expansion des deux courants. La nouvelle économie industrielle a pris une voie unique : la concentration capitaliste. La nou- velle économie agricole bifurque en deux cou- rants : la concentration capitaliste et l'association. D'une importance essentielle tous deux, ils naissent, nous l'avons vu, des conditions faites à l'agriculture par l'instrument technique de pro- duction. L'ancienne économie agricole était beau- coup plus complexe que l'ancienne économie in- dustrielle : de là, la diflicullé pour elle de s'orienter tout entière vers une direction unique et la pos- sibilité de s'adapter, d'après des modalités diverses, à la situation technique actuelle. On ne saurait, dès aujourd'hui, établir la tra- jectoire des deux grandes tendances de l'économie agricole. Toute hypothèse serait hasardeuse par suite des transformations rapides et des impré- voyables progrès de la science. Bornons-nous à observer l'état actuel des choses pour, tout au plus, en déduire quelques critères sur la situation probable dans un avenir prochain. nUAP. IV. — AVENIR DU CAPITALISME 227 a) Capitalisme agricole. Le capitalisme et le coopératisnie agricoles commencent à peine, mais leurs caractères princi- paux se dégagent nettement déjà. Au point de vue du sens et de l'intensité de. l'action, celle du capitalisme s'exerce surtout dans les régions où existe la grande exploitation du la- tifundium (en Angleterre, en Ecosse, dans des pro- vinces à grande culture comme lllesbaye en Bel- gique) et là où l'on défriche des terres nouvelles (Amérique, Australie). Ainsi Rabbeno, dans l'ouvrage posthume cité (1), fait remarquer le caractère capitaliste pris, dès leur commencement en 1788, par les premières colo- nies australiennes de la Nouvelle-Galles du Sud et de la Tasmanie. Partout du reste en Australie la concentration de la propriété foncière entre les mains d'un petit groupe de capitalistes est contem- poraine des premiers essais d'exploitation (2). Naturellement, les cultures étant alors accessibles au premier venu (c'est la terre libre de M. Loria) le salariat n'était pas possible. Mais les capitalistes purent, grâce au gouvernement anglais, disposer des déportés comme d'esclaves. On finit presque par les leur vendre, tant la demande en devint con- sidérable (3). Sur les terres nouvellement occupées, le régime (1) t'. Rabbeno. — La qiiestione fondiaria nei paesi nuovi, Turin, 1898, pag. 7. (2) Idem, pag. 11. (3) Idem, pag. 9. 228 II. PART. TENDANCES TEGHN. ET ÉCON. du salariat n'est possible, selon Wake(ield, que là où « la concession graluile des terrains ayant « cessé », — et tel était le cas de l'xVustralie — « les lois en fiiclie se vendent à un prix élevé, le « bénéfice de cette vente permettant d'importer un « fort contingent de travailleurs pauvres destinés au « salariat (1). » ('ela a été vrai de l'Australie. Même l'exploitation pastorale, favorisée par des causes spéciales en Australie, y prit un caractère capitaliste. En I80O, dans la Nouvelle-Galles du Sud et à Victoria, 822 squallers (éleveurs non mu- nis de concession) avaient envahi et occupé 30.000 milles carrés ; et dans la province de Vic- toria, sur 50.000.000 d'acres, 29.000.000 n'avaient que GGO propriétaires, tous squatters (2). Et quand la Nouvelle-Zélande fut envahie à son tour, la New Zealand Company, grande société de capitalistes, s'arrogea à elle seule environ 20.000.000 d'hectares ; une foule d'aventuriers agirent de même sorte. Mais les terres (jui appar- tenaient aux Maoris n'étant pas accessibles à tous, il n'y eut pas d'esclavage. Et tandis qu'à Otago la nature montagneuse du sol poussait une société — la Otago association — à accorder des facilités de toute sorte aux agricul- teurs et à créer par là une classe de petits proprié- taires cultivateurs libres, l'élévation du prix des terrains dans tout le territoire occupé par la A''. Z. Company empêchait de les acquérir aux gens (1) U. Habbeno. — La qncslione foitiiiai'ia nci pae^i nuovi, Tuiiii, IN'JS, pag. 22. {2) Idem, p. 50. CEIAP. IV. AVENIR DU CAPITALISME 229 dépourvus de capitaux. D'autre part, les terres de- meurées libres étaient si boisées, requéraient un labeur si long et si ingrat qu'elles décourageaient le petit capitaliste agriculteur. La législation foncière démocratique de l'Aus- tralie n'a commencé qu'en 1877. Celte législation tend à faciliter l'accès de la terre aux petits et aux moyens agriculteurs. Et pourtant à cette heure le sol de la Nouvelle-Zélande est presque entière- ment occupé par un nombre restreint de grands propriétaires : 2.000 personnes possèdent des terres d'une valeur supérieure à celles possédées par 700.000 autres. Cette extension de la grande pro- priété a été souvent et vainement déplorée, surtout au cours de la discussion du laiid bill (1892) et du land assestment bill (1891) (1). b) Cûopératisme agricole. Il se développe là où domine la petite culture et où un groupe de petits ou de moyens propriétaires sentent le besoin de fonder, en s'associant, un or- ganisme économiquement vigoureux, capable d'as- surer la nouvelle fonction technique de l'agricul- ture. Il est donc répandu surtout dans les pays où la petite culture est très répandue : la France, la Belgique, l'Italie, etc. Quand le capitalisme et le coopératisme sont également possibles sur des terres récemment ac- quises à la culture, le premier, plus apte à la con- quête du sol et à l'application du nouvel instrument technique, obtient d'abord les résultats les plus (1) U. Habbeno. - Op. cit., p. 238. 230 11. PART. — TENDANCES TECIIN. ET ÉCON. rapides et les plus grandioses. On constate, dans la Nouvelle-Zélande, que la petite propriété isolée et pauvre succombe, malgré une l('gislation favo- rable, devant l'invasion du capitalisme agri- cole (1). l*ar conséquent, le coopératisme est surtout a[)pli- cable dans les régions déjà vouées à la petite culture. 11 [»eut la créer et prospérer sur des terres vierges ou extensivement exploitées, mais il s'y trouve dans des conditions de manifeste infériorité vis-à- vis du capitalisme^ si celui-ci tend à s'y développer aussi. Car, en dépit de l'association, la petite culture est, au point de vue technique, presque toujours moins apte que la grande culture à l'exploitation du complexe instrument de production moderne. Et la petite propriété, môme associée, est, économique- ment, moins apte que le capitalisme à l'application de cet instrument. Economiquement, le coopératisme rencontre beaucoup plus d'obstacles que le capitalisme, car il est, en elTet, bien difficile d'obtenir l'association, la cohésion de volontés disparates, d'exploitations isolées. Et, techniquement aussi, la grande exploi- tation capitaliste présente quelques avantages, sur- tout pour l'emploi des machines, sur la petite pro- priété associée. Le fait que la coopération atteint son but et peut même, en certains cas, tenir tète au grand capital, ne doit pas nous cacher son véritable caractère de succédané du capitalisme. Seulement, comme d'une foule d'autres dans la vie organique, il est vrai de dire de ce succédané (1) U. Rabbeno. — Op. cil. . CHAP. IV. — AVENIR DU CAPITALISME 231 (le la vie économique agricole qu'il y a parfois avantage à s'en servir. La masse des petits cultiva- teurs peu fortunés pourrait-elle, sans lui, se servir ;iG 1 S()6 1880 isor. Entreprises ininiiiies . » petite?. . . » moyennes » grandes. . 0 à 2 2 à 10 10 à 50 50 et plus 400.514 126 120 41,683 4.333 527.1115 163.503 47 062 5 627 710.563 158,261 38.16H 3,403 634.353 150 586 41.002 3.584 Il y a donc eu, de 184G à 1893, une remar- quable diminution du nombre des grandes exploi- (1) Emile Vandervelde. — La propriété foncière en Bel- gique, Paris, 1900. CHAP. 1. — LA PROPRIÉTÉ FONCIERE 261 talions, une presque insensible diminution des moyennes, une sensible augmentation des petites et une augmentation très considérable des très pe- tites. Vandervelde arrive à une conclusion diffé- rente parce qu'au lieu de fonder ses calculs sur le demi-siècle, 18iG-189o, il juge d'après les quinze dernières années seulement, 1880-189o. Mais tous les chiffres qu'il cite doivent nous mettre en garde contre les conclusions appuyées sur de trop courtes statistiques. Si nous jugions, en effet, d'après la période 18i()-1866 nous conclurions que le nombre des grandes entreprises augmente, selon la prévi- sion de Marx; d'après la période de 1866-1880, leur forte diminution nous semblerait un démenti à la thèse marxiste ; enfin, de 1880 à 1893, leur lé- gère augmentation paraîtrait de nouveau confirmer cette thèse. Le fait est qu'on ne peut tabler sû- rement sur les oscillations de courtes périodes ; mais nous pouvons affirmer qu'un accroissement de la petite culture a marqué la dernière moitié du xix° siècle en Belgique. D'ailleurs, la tactique du parti socialiste belge est nettement déterminée. Il essaie, comme le parti français, d'attirer la petite propriété dans son or- bite, en outre du prolétariat. 11 voit avec plaisir les conservateurs préconise des associations de toute sorte entre petits propriétaires (syndicats agricoles, assurances du bétail, coopératives pour la mani- pulation et la vente des produits) et il croit que, loin d'entraver son oeuvre^ de pareilles mesures la facilitent (1). Vandervelde ajoute même que la (1) E. Vandervelde. — Discours à la Chambre belge, îi et 6 mai 1897. 2G2 m. PART. — LE PARTI SOCIALISTE condition actuelle des petits propriétaires nuit à leur développement intellectuel et moral, et qu'un tel état de choses disparaîtra « grâce à l'extension de l'association agricole et à l'agrandissement du domaine collectif ». Un groupe de socialistes belges travaille dans ce but à la formation de syndicats agricoles (l) et le parti tout entier appuie les projets de loi favo- rables à la petite propriété et repousse comme une calomnie l'assertion qu'il essaie d'en précipiter la ruine. Cependant, il ne croit pas à la possibilité de la reconstituer et de la consolider et ne promet pas aux petits propriétaires de les maintenir dans leur propriété quand se réalisera le collectivisme (2). Nolonsd'ailleurs qu'uncminorité, dontïIectorDenis est le chef, professe à ce sujet des opinions toutes différentes, analogues à celles du socialisme fran- çais. 3. — En Allemagne. Le socialisme allemand, le plus nombreux et le plus aguerri des corps de la grande armée socia- liste internationale est, par contre, celui dont la tactique agraire est la plus indécise. Il ne s'est nettement posé la question agraire que tout récemment, mais il en subit depuis long- temps Tinfluence latente, car les anciennes luttes entre réformistes du sud (guidés par Volmar) (1) E. Vandervelde. — Discours à la Chambue belge, o etG mai 1897. (2) Hector Denis. — Rapport sur les syndicats agricoles au Congrès de Gand {Peuple, 5 août 1897). CHAP. 1. — LA PROPRIÉTÉ FONCIÈRE 203 et marxistes orthodoxes du nord (guidés par Bebel et Liebknccht) avaient pour cause le milieu agricole de l'Allemagne méridionale. Au nord, un milieu industriel justifiait pleinement la théorie marxiste, née de l'observation exacte de l'éco- nomie industrielle ; mais les socialistes du sud se trouvaient mal à l'aise dans les limites d'une doctrine qui n'avait pas été édifiée sur l'exacte observation de l'économie agricole, et dont les déductions, applicables aux autres industries, ne convenaient pas à l'agriculture. C'est une appréciation erronée de l'instrument agricole, de sa complexité, des entraves mises à son action par les résistances actives et passives du milieu naturel qui a entraîné Marx à assimiler l'agriculture actuelle aux autres industries et à prédire pour elle aussi l'assujettissement au capi- talisme, dont les socialistes allemands du sud ont vainement attendu le triomphe. Marx n'a pas prévu non plus que la petite agriculture pourrait, à la difîérence de la petite industrie, utiliser le nouvel instrument technique, et il a, par consé- quent, proclamé l'élimination rapide de la petite propriété. Son assertion, devenue un dogme pour les socialistes du nord industriel, a été, dans le sud agricole, complètement démentie par les faits. Cependant, à cette heure où le socialisme a pres- que entièrement conquis les régions industrielles, le problème agraire se précise au sein du parti allemand, et une lutte ouverte a éclaté entre les deux tendances opposées. Sur 5.276.344 exploitations agricoles — dont la moitié dirigées par leurs propriétaires mêmes — 264 m. PART. — LE PARTI SOCIALISTE l'Allemagne en a 4.043.238 ne dépassant pas 5 hectares (1). Le nombre des propriétés inférieures àl hectare s'est élevé de 2.323.316 (en 1882) à 2.529.132 (en 1895). Kautsky noie qu'en Alle- magne ce sont les exploitations uioyennes (5 à 20 hectares) qui présentent, de 1882 à 1895, le plus grand accroissement numérique (1). Au nord prédominent le latifundium (Poméra- nie et Mecklembourg) et la grande propriété (Ol- denbourg, Brunswick). Quoique le servage y ait été aboli, des liens presque féodaux y rattachent encore les paysans, surtout dans les anciennes provinces prussiennes, à la noblesse terrienne, amie de l'agriculture mais ignorante et rétrograde. Il est telle région (le Mecklembourg par exemple) où le paysan, comme au Moyen Age, n'a pas le droit de posséder un bien-fonds. Au sud de l'Allemagne existent aussi des terres nobles très vastes ; mais les moyennes et les petites propriétés y sont très nom- breuses (surtout dans la liesse et l'Alsace-Lor- raine). Le Congrès national d'Erfurth finit par nommer une commission pour déterminer la ligne de con- duite à suivre dans la conquête des compagnes. Ce fut une victoire des socialistes du sud sur Jîebel et ses adeptes qui n'admettaient pas même la néces- sité de cette tactique spéciale. Cependant le projet de la commission d'iirfurth fut repoussé par le Congrès national de Breslau (1895). Et les deux tendances ont continué à occu- per la presse et agiter les réunions socialistes : les (1) Uc'conscment profes<;w)incl, 1892. — A. Maudi, — La piccola liropriclà fondiaria in Italia. CHAP. 1. — LA PROPRIÉTÉ FONCIERE 265 uns préconisant une propagande unique et la f^uerre à la petite propriété destinée à disparaître; les autres, convaincus que,, tout en se donnant comme but le collectivisme, le socialisme de l'heure présente a le devoir de travailler activement à la reconstitution progressive des biens communaux sous forme de domaines collectifs et à Féduca- tion, par le coopératisme, des masses rurales (prolétaires et petits propriétaires) (1). La question, posée de nouveau dans les mômes termes au Congrès de Stuttgart, y donna lieu à une discussion violente et inutile, car on ne put s'ac- corder sur la ligne de conduite à suivre. Depuis, Bernstein a résolument nié non seule- ment la disparition de la petite propriété agri- cole, mais celle même de la petite propriété indus- trielle. Le débat, ainsi élargi et reporté sur le ter- rain industriel, suscita une vive polémique dont le Congrès socialiste national allemand de 1899 se flt l'écho. Toutefois, la grande majorité des mem- bres de ce Congrès approuva l'ordre du jour Bebel, favorable à la tactique actuelle du parti, c'est-à- dire implicitement contraire à l'adoption d'une tactique spéciale pour les campagnes. Du reste, il faut songer que l'Allemagne n'est pas, comme la France, l'Italie ou la Belgique, un pays éminemment agricole. Les ruraux n'y for- ment, au dire de M. Scliulze-Gaervernitz, disciple connu de l'économiste Brentano, que les 36 cen- tièmes de la population, qui tend de plus en plus à s'adonner à l'industrie et au commerce. C'est pour- (1) Hubert Langerock. — La question ar/rairc et le Congrès de Brcslau {Revue Socialiste, février 1896). 266 m. PART. — LE PARTI SOCIALISTE quoi le parti socialiste allemand, qui préjuge de l'avenir à travers les conditions du milieu indus- triel où il se recrute surtout, hésite à adopter une tactique spéciale pour les campagnes, parce qu'il craint de voir la tendance actuelle exclusivement prolétarienne du socialisme dégénérer pour des raisons politiques. L'absence d'un courant économique de proléta- risation rurale pousse les socialistes agraires à préconiser un groupement àù prolétaires et de petits propriétaires ; mais ils se trouvent en opposition avec la majorité industrielle du parti dont l'atti- tude, vis-à-vis des campagnes, est celle qu'a con- seillée Bebel : demeurer les bras croisés en face du prolétariat agricole et de la petite propriété, et négliger, dans l'attente de tous les bienfaits du régime collectiviste, toute amélioration compatible avec le régime bourgeois. Kautsky, par contre, dans son étude sur les conditions de l'agriculture (1), voudrait que l'on intervint en faveur du prolétariat rural, mais sans dépasser de simples mesures de protection : ré- duction de la journée de travail, dispositions hy- giéniques pour les femmes et les enfants, etc. Quant aux paysans propriétaires, ils sont, à son avis, destinés à se confondre avec les prolétaires, et il est, par conséquent, impossible d'agir en leur faveur. Au point de la tactique, il réprouve celle des socialistes français ; car, s'il admet les mesures indi- rectes (diffusion de l'instruction générale et agricole, reforme de l'impôt, abolition de l'armée, etc.), il (1) K. Kautsky. — La question agraire, Paris, 1900. CHAP. I. — LA PROPRIÉTÉ FONCIÈRE 2G7 est davis que les mesures directes devraient être minimes et se borner presque uniquement aux cas de maladies des animaux et des plantes et à l'ins- titution de coopératives rurales pour l'exploitation en commun de la petite propriété. Mais, comme avec cela il partage l'opinion d'Engels et des socia- listes français sur la possibilité d'une coexistence de petites propriétés privées et du régime collec- tiviste, ses conclusions contiennent une irréduc- tible contradiction. Si la petite propriété est en train de disparaître, c'est que sa fonction technique et économique est achevée. Dès lors, à quoi bon cet opportunisme poli- tique qui tend à la maintenir môme sous un régime socialiste ? On ne se met pas seulement, en agissant ainsi, en contradiction avec la théorie marxiste ; on fait, de plus, œuvre inutile. Car, en reconnaissant, comme nous l'admettons en dépit du principe posé par Marx, une fonction permanente et ultérieure, technique et économique, k la. petite culture, ceiie fonction n'impose la petite propriété que sous le régime de la propriété privée ; mais elle n'en est pas inséparable, et toutes les formes de la pro- priété, petite et grande, aussi bien que la propriété collective, peuvent, nous le verrons, permettre à la petite culture d'exister et de prospérer. Kautsky n'accorde pas beaucoup de confiance aux sociétés coopératives d'achats, de ventes, et, pourrait-on ajouter, de manipulation des produits : (c Les avantages dérivant de la division du travail et de la direction d'un agronome, dit-il (l), ces (1) K. Kautsky. — Op. cit, Paris, 1900. 268 m. PART. LE PARTI SOCIALISTE avantages propres à la grande culture, ne seront jamais à portée des petits propriétaires coopérati- vement associés. On espère en vain que les coopé- ratives leur donnent le moyen de se prévaloir des progrès agricoles que la grande propriété seule peut appliquer. » Il y a d'abord, dans ces paroles, une inexactitude de fait. Est-il encore permis d'affirmer que les sociétés coopératives doivent se passer de la direc- tion d'un agronome quand l'Italie, la Belgique, la France, possèdent des laiteries, des caves, des raffineries sociales régies par d'anciens élèves d'écoles de viticulture, de fromagerie, etc., très sa- vemment organisées? quand on voit se multiplier les chaires ambulantes, dont les titulaires se mettent à la tète des associations agricoles, afin do diriger le développement de la coopération rurale ? Mais admettons, comme (en théorie, bien en- tendu) nous l'avons déjà admis, la supériorité technique et économique de la grande culture sur la petite : est-ce une raison pour condamner la coopération? Eh non! le petit propriétaire qui, dans l'isolement, produit 40, dédaignera-t-il la coopération grâce à laquelle il produira 80, uni- quement parce que le grand capitalisme, c'est-à- dire la grande culture, parvient à produire 100 ? Petits et moyens propriétaires veulent augmenter leur production et il leur faut, pour y parvenir, appliquer le nouvel instrument technique (engrais, sélections, machines, hydraulique agricole, mani- pulations perfectionnées, etc.). Or, le coopératisme leur offre le moyen d'adopter cet instrument et d'atteindre un surplus de rendement; dès lors, et sans songer à la masse plus considérable des pro- CHAP. I. — LA PROPRIETE FONCIERE 260 duits du grand capitalisme, ils s'associent avec enthousiasme. D'autre part, ils n'ont pas encore à craindre du capitalisme une redoutable concurrence sur le grand marché international. Les grandes exploitations otîrent de splendides exemples de productivité, mais le capitalisme agricole n'a pas dépassé la première période de son développe- ment ; il n'est pas aussi puissant ni aussi envahis- sant que le juge Kautsky. Son évolution est même — nous l'avons vu dans la première partie de ce livre — singulièrement lente et les petits proprié- taires ne sont pas écrasés par la concurrence des grandes entreprises capitalistes, d'autant que celles-ci ne s'associent jamais entre elles. Des coo- pératives se forment souvent, il est vrai, entre ex- ploitations de latifundia à culture extensive ; mais leur unité de production est loin d'égaler celle de l'exploitation capitaliste et la productivité de la petite culture associée n'est pas à la leur comme 80 est à 100, mais comme 80 est à 30. Kautsky a donc tort de se méfier du coopéra- tisme agricole et de méconnaître la force qui sus- cite chaque année des milliers de sociétés pour l'achat, la vente et la manipulation des produits. Ce sont justement celles de ces associations qu'il juge le moins efficaces, les coopératives pour rachat et la vente (Unions agraires), qui pullulent avec une vitalité croissante et sous des formes de plus en plus parfaites ; les seules en lesquelles il ait foi, les coopératives pour la productio?i en commun, ne surgissent pas du tout, comme il est bien forcé d'en convenir. Cela se comprend d'ailleurs : il est aisé de pré- voir, à côté de l'évolution du capitalisme agricole, 270 m. PART. — LE PARTI SOCIALISTE trois phases économiques successives de la petite culture : 1° Acquisition de l'instrument technique et mani- pulation et commerce en commun avec production isolée (associations pour l'achat d'engrais, de semences, de machines et pour la manipulation ou la vente des produits ; 2° Production commune ; 3'^ Propriété en commun (collectivisme). L'isolement dans lequel a vécu jusqu'à ce jour le petit propriétaire rend la première de ces trois phases la moins difficile à réaliser ; la seconde l'est bien davantage. C^est qu'en etfet, outre les achats, les manipulations et les ventes faites en commun, — malgré l'isolement de la production, — elle suppose des fédérations de petits exploitants et dans ces fédérations le maintien des lots en propriété pri- vée sous une direction technique commune cl une administration en compte social de tous les pro- duits. Les petits |iroj»riétaires, point du tout théori- ciens, mais instinctivement positifs, réalisent cette })remière phase du coopératisme que Kautsky dé- sapprouve. Ils ne savent pas encore s'élever à des modes d'association plus avancés ; ils ne les en- trevoient pas même, tant ils sont habitués à songer au présent beaucoup plus qu'à l'avenir ; et c'est tout au plus si, inconsciemment, ils en ébauciienl les formes primordiales. Kautsky, en marxiste oilhodoxe, n'aihnetlait d'abord que la troisième phase de cette évolution : le collectivisme. Il a, depuis, admis la deuxième aussi, la manifestation la plus élevée du coopéra- tisme ; mais, grâce à une sorte d'hypermétropie CHAP. I. — LA PROPRIÉTÉ FONCbÈRE 271 intellectuelle, il voit nettement ce qui est à distance et ne semble })as avoir la sensation exacte de ce qui l'entoure immédiatement, c'est-à-dire, en ce cas, la première forme d'évolution, le coopératisme agricole de la période actuelle. Il faut aussi noter, parallèlement à la croissance économique du coopératisme agricole, son impor- tance politique croissante. Deux grands courants d'opinion se dessinent dans la bourgeoisie, en Italie, du moins. La ré- forme agraire proposée par M. Maggiorino Ferra- ris et la récente solennité de Crémone, où M. Luigi Luzzatti a prononcé un beau discours en faveur de la coopération, ne sont pas des manifestations purement individuelles, mais des symptômes hau- tement significatifs de deux nouvelles tendances ; l'une aboutit au coopératisme d Etat (c'est celle que personnifie M. Ferraris) ; l'autre, à une coopé- ration rurale démocratique, créée par le pays lui- même,, indépendamment de toute initiative gou- vernementale. Et, dans le camp socialiste, un ordre du jour récemment voté au Congrès de Rome a, selon une juste remarque de Bonomi, implicitement admis un principe de la plus grande importance au sujet de la persistance de la petite propriété. Car nous ne doutons point que l'allusion de Bonomi ne se rapporte au besoin, non inexprimé par la Ifttre, mais se dégageant de l'esprit du texte en question, d'accorder droit de cité à Faction des socialistes organisateurs et coopérateurs dans les 272 III. PART. — LE PARTI SOCIALISTE régions a petites propriétés. Il faut, en effet, que leur action soit officiellement approuvée, bien que l'ancienne théorie demeure, en ce qui con- ceine l'économie agraire et en déj)it des assauts de la critique contemporaine, \ enceinte dogma- tique du socialisme. D'ailleurs, une preuve de la justesse de notre interprétation est que l'ordre du jour de Bonomi fut soutenu surtout par des compagnons de la pro- vince d'Asti et du Monlferrat. Or, c'est là qu'au mois d'octobre dernier, les petits exploitants socia- listes, auxquels s'étaient joints plusieurs députés, affirmèrent d'abord la nécessité « de répandre constamment parmi les petits propriétaires l'idée du collectivisme » ; puis, « l'inéluctable nécessité de créer' dans les régions à petite propriété (ou de conquérir au socialisme là où elles existent déjà) les coopératives de consommation, de production, de crédit, etc. (caves sociales, fours pour les co- cons, caisses rurales, etc.), où seraient pratique- ment appliqués les principes de la solidarité sociale. Grâce à l'intense propagande qui précéderait et accompagnerait celte œuvre, les associations coo- pératives constitueraient, dans la conscience des petits propriétaires et dans la réalité des faits, une série d'étapes vers l'organisation collectiviste de la production agricole et la propriété collective de la terre. » C'est ainsi que \ évolution de la pensée scienti- fique vers un coopératisme parallèle à la première phase du capitalisme agricole et applicable à la pe- tite etàla moyenne propriété, provoque déjà, avec la rapidité ordinaire à ces sortes d'enchainements de phénomènes, une action politique d'une impor- CIIAP. 1. LA PROPRIÉTÉ FONCIÈRE 273 tance croissante. Née du coopèratisme agricole^ elle le poussera à ses plus complètes manifesta- tions, soit qu'elle aboutisse d'ailleurs au coopèra- tisme if Etat, comme le pense M. Ferraris, ou à la démocratie rurale, comme le prévoit et le souhaite M. Luzzati, soit enfin qu'elle se serve du coopèra- tisme comme d'une arme de propagande et d\me préparation économique au collectivisme. Cette dernière opinion devrait, selon nous, s'imposer à tous les socialistes. 4. — En Angleterre. Pour les socialistes anglais, la question de l'atti- tude à prendre vis-à-vis des campagnes n'existe pas, et cela est naturel. Les petits propriétaires {yeo- ?;2en) qui avaient prospéré en Angleterre, en Ecosse et en Irlande, du xiv® au xvi'' siècle, ont presque disparu (en Angleterre depuis deux siècles déjà et un peu plus récemment en Ecosse et en Irlande). Partout domine le « latifundium » [landlordism) que les propriétaires louent et que leurs locataires sous-louent à des entrepreneurs de culture, tandis que le prolétariat rural vit dans la plus abjecte mi- sère. D'après les chiffres du cadastre dressé en 1875, il n'y a en Angleterre, sur 36 millions d'habitants, que 321.392 propriétaires (outre les 8o2. 402 pos- sesseurs d'une maisonnette et d'un jardin de moins d'un acre, mesure équivalant à 40 ares). La superficie totale du territoire est de77. 063. 030 acres, dont 30.080.421 possédés par 2.184 propriétaires. A eux seuls, les 500 membres de la Chambre des 274 m. PART. — LE PARTI socialistl: Lords en ont 13 millions (l) ; l'un de ses membres, le duc de Sutherland, en a 1.350.000. Dans un tel état de choses, le programme socia- liste a, sans tâtonnements, préconisé la nationali- sation du sol. Seulement, les partisans de cette mesure sont collectivistes marxistes (avec Ilynd- man) ou encore (et ce groupe, très nombreux, existe aux Etats-Unis aussi) socialistes ayraires ou socialistes d'Etat (disciples de Henri George, Wal- lace, etc.). Selon ces derniers, TEtal devrait lever un impôt unique {Sinf/le Tax) sur la rente foncière ou, rachetant toutes les propriétés, devenir pro- priétaire de la totalité du sol et le louer ensuite, par petits lots, aux cultivateurs. Les socialistes agraires font une active propagande dans les cam- pagnes en dépit des « lords » et des « farraers » ; ils répandent partout les programmes de leurs ligues, font des conférences et, pour faire com- prendre ce qu'est la « Single Tax », distribuent des pamphlets et des graphiques jusque parmi les petits écoliers. La grande masse des non-propriétaires ne se prête pas facilement à la dilTusion des doctrines collectivistes. C'est qu'elle vit dans les misérables conditions d'existence des paysans siciliens : le prolétariat du latifundium est plus indigent, plus ignorant, plus insociable et, partant, plus complè- tement dépourvu de conscience politique que celui du capitalisme. (1) Albert Metin. — Le socialisme en Angleterre, Paris, 1897. CHAP. I. LA PROPRIÉTÉ FONCIERE 27' 5. — Italie. Quand, au Congrès de Bologne, en 1897, au cours de la discussion sur la tactique à suivre vis- à-vis de la petite propriété rurale, je vis paraître, contre mon ordre du jour, favorable à la grelTe du bourgeon socialiste sur la brandie bourgeoise du coopératisme agricole, l'ordre du jour Agnini, opposé à toute alliancecntrelccoopéralismeagiicole et le socialisme, je compris Fécbec qui m'attendait. Les /flj75 sur lesquels je me basais (la persistance de la petite propriété, sa capacité pour utiliser le nou- vel instrument technique, etc.), étaient inconnus à la grande majorité de mes collègues italiens ou étrangers ; et Tordre du jour Agnini attaquait le coopératisme agricole au nom du principe marxiste de la rapide disparition de la petite propriété, dont en général on n'avait pas encore reconnu l'erreur. Je dis alors à mes amis: « Mon ordre du jour sera réponse, mais je m'obstinerai à la propagande des idées que j')^ ai exprimées. J\Jon livre « Socia- lisme et Agriculture » est en effet une œuvre de propagande scientifique. Je suis heureux pourtant de constater que, de 18U7 à 1900, nombre d'observations de détail et de sta- tistiques sont venues corroborer mon pauvre ordre du jour de Bologne. S'il n'avait pas paru viable, c'est qu'en réalité il était né avant terme. Et, en effet, s'il a succombé à Bologne et entraîné dans sa chute ce rapport agraire que mon ami Lagar- delle, dans le « Devenir social », a traité depuis d'utopique et môme de réactionnaire, l'édition ita- 27G III. PART. — LE PARTI SOCIALISTE liennede« Socialisme et Agriculture ))(!) n'a trouvé, parmi ses critiques, qu'un seul censeur. Et ce cen- seur — fort peu sévère — I. Bonomi (2) vou- drait, à la vérité, calmer quelques-uns de mes en- thousiasmes excessifs ; mais il admet, et je ne suis pas médiocrement satisfait de cette approbation donnée à une opinion de si grande et si fondamen- tale importance, « que si, dans le capitalisme in- dustriel, la concentration de la propriété suit la fatale et rapide courbe prévue par le marxisme, elle est, par contre, beaucoup plus lente en agri- culture : elle y est même nulle, bien souvent. » Plus loin, Bonomi, sans se prononcer sur mon opi- nion que le coopératisme agricole n'est pas seu- lement une préparation psychologique, mais aussi une véritable préparation économique au collec- tivisme agricole — quelque chose comme un pre- mier à-compte — admet (d'accord en cela avec Kaulsky et contrairement à l'idée mère de l'ordre du jour Agnini de 1897) que : « sous le régime so- cialiste, les petits propriétaires pourront continuer à cultiver leurs lots et que la coopération est écono- miquement supérieure à la petite propriété isolée. Toute forme de coopératisme est donc, ajoute- t-il, môme à notre point de vue, un progrès so- cial. » Eh bien ! nous voilà parfaitement d'accord sur la possibilité de mettre l'instrument technique à la portée de la petite propriété et de voir la petite culture survivre au régime actuel. Les socialistes, jusqu'ici, avaient horreur du coopératisme parce qu'ils jugeaient la disparition des petites exploita- (1) G. Gatti. — AgricoUura c socialismOf Palerme, 1900. [2) Critica sociale, n° 20, Milauo, 1900. CHAP. I. — LA PROPRIÉTÉ FONCIERE 277 lions et leur remplacement par de grandes entre- prises fortement capitalisées, à l'instar des indus- trielles, nécessaires au triomphe du collectivisme. Telle est V évolution Itistorique de la pensée socia- liste italienne sur cette question et les points de concordance établis jusqu'à ce jour. On a dit de l'Italie, comme de la France, qu'elle est « le pays par excellence de la petite pro- priété » (1). Elle a environ 8 millions d'agricul- teurs, dont 3 millions et demi inscrits sur les rôles de l'impôt foncier. Parmi ces 3.300.000 propriétaires, 3 millions à peu près paient moins de 20 fr. d'impôt d'Etat et de surtaxe provinciale, et 370.000 paient de 20 à 40 fr. Les diflérents degrés de la propriété sont ainsi répartis entre les diverses régions : Piémont. — Prédominance de la petite propriété, sauf dans la plaine d'Alexandrie, où existe aussi la propriété moyenne et dans celles de Bobbio, de Vogliera et surtout de Novare^ où prédomine la grande propriété — irriguée en partie seulement. Lombardie. — Prépondérance de la petite pro- priété, mêlée à la moyenne sur les coteaux, à la moyenne et à la grande dans la plaine. La grande exploitation agricole occupe la partie septentrionale de cette région. Elle a été, grâce à des capitaux considérables, à des techniciens habiles et surtout à l'irrigation, amenée à un degré de productivité remarquable. (1) S. Jacini. — Ilproblema agricolo in Italia c l'Inchiesia. Procès verbaux de la cotniaisbioa de l'enquête agricole. Rome, vol. I, 1882. 16 278 m. PART. LIi PARTI SOClALISTIi Vé)iélie. — M. Morpurgo a dit un mol très juste sur les si nombreux petits propriétaires de cette région : « Ils sont presque des martyrs de leur propriété ». Emilie. — Prépondi-rance de la petite propriété sur les hauteurs, de la petite et la moj^enne sur les coteaux et dans la plaine, de la grande dans les vallées. Toscane. — Les 8/10 des terres cultivées sont tenues en petite propriété. Marches. — l^a petite propriété y représente 94^58 0/0 de la totalité des propriétés, dont 59,43 0/0 ont moins d'un hectare de contenance. Ombrie. — 43.498 propriétaires y possèdent des lots de moins d'un hectare. Latiiim. — Prédominance du latifimdiian, mais avec des zones étendues de petite et très petite propriété. Abruzzes, Samnium, Molise. — Prédominance de la propriété parcellaire ; les propriétaires repré- sentent 28,31 0/0 des habitants. Terre de Labour, proviîîces de Naples et deBénc- vent, Principautés ultérieure et intérieure, Basi- licate. — Prédominance de la petite et de la très petite propriété. Calabre. — Mélange des trois degrés de la pro- priété. Sicile. — Deux régions : l'une, très étendue, en latifundia ; l'autre, moins vaste, découpée en pe- tites ou très petites propriétés (1). Sardaigne. — Comme en Sicile. Les deux ex- trêmes y sont plus marqués encore. Des latifundia (1) Jaciini. — L'enquête cujricole, Home, 1882. CHAP. I. LV PROPIÎIKTK FONCIERE 279 désolés, couvrant parfois des milliers d'hectares, et une propriété infiniment morcelée , pulvérisée. Elle l'emporte sur le latifiuidium. Ces données mettent en relief la variété des as- pects de l'Italie agricole et expliquent les grandes difticultés que rencontre le parti socialiste italien dans les campagnes. Les nombreuses discussions nées au sein des Congrès ou relatées par les journaux ont complète- ment élucidé quelques opinions fondamentales. C'est ainsi que Bissolati (i) a pu constater le refus unanime des socialistes italiens de garantir aux petits propriétaires la possession de leurs domaines après lavènement du collectivisme. Le socialisme belge partage cet avis, qui n'est pas celui du parti français. On admet en outre que la propagande socialiste ne s'adresse pas seulement au prolétariat des cam- pagnes mais aussi à la petite propriété (2). On s'accorde enlin à préconiser l'organisation politique du prolétariat rural. Mais en ce qui con- cerne la petite propriété, la majorité des votants s'est prononcée contre le coopératisme agricole au dernier Congrès national de Bologne (18-25 sep- tembre 1898). Il est certain, du reste, que la tactique du parti (1) F^UGio, Gatti, Bissolati, Bonomi et d'autres, dans la Critica sociale, i89o-96, discussion réunie en brocliure : La conquista délie campagne. [2) Lucio, seul (dans la polémique mentionnée ci-dessus) voudrait, comme le remarquait Bissolati, que « les socia- listes n'interviennent en tant que parti, parmi les paysans, qu'au moment où les petits propriétaires et les métayers auront disparu ». A cela Bissolati répondait, (c'est sa 280 m. PART. — LE PARTI SOCIALISTE vis-à-vis de la petite propriété ne peut être encore nettement arrêtée et que la discussion demeurera longtemps ouverte sur ce point dans tous les pays agricoles et en Allemagne même. Car la petite pro- priété se trouve dans des conditions spéciales et qui contredisent toujours plus évidemment l'ancien dogme de sa disparition rapide. conclusion) : « Nous ne pouvons pas oublier une dernière argumentation que Gatli vient de nous offrir en faisant remarquer que la petite bourgeoisie n'est pas tellement opposée au socialisme qu'on voudrait bien le croire, car, si elle n'a pas d'initiative dans le mouvement, elle sou- tient pourtant bien souvent le parti socialiste dans ses luttes. En Italie, quand le parti socialiste remporte la victoire dans les campagnes, c'est la petite propriété qui l'a décidée ». Le fait, ajoute Bissolati, est indiscutable on ne peut pas nier que les résultats favorables de la pro- pagande socialiste dans les élections soient dus à la coo- pération consciente de ces « paysans », envers lesquels Lucio montre si peu de confiance ». CHAPITRE II LE SOCIALISME ET LA PETITE PROPRIETE FONCIERE EN ITALIE La propriété parcellaire a donné lieu à un pro- blème sociologique des plus intéressants sous ses divers aspects et dont l'importance est aussi grande pour la bourgeoisie que pour le socialisme. Son dépérissement est, pour la bourgeoisie, la souffrance d'une personne chère qui succombe à une lente consomption, tandis que le parti socialiste a devant elle l'impassibilité du savant qui ne veut pas se faire d'illusions sentimentales et qui, ayant dû pro- noncer une sentence de mort, songe aux modalités et aux conséquences de l'inévitable catastrophe. 1. — Elimination de la petite propriété foncière. Sa disparition est un fait avéré déjà en Angle- terre, en Ecosse et en Irlande, et elle a commencé aux Etals-Unis et dans certaines régions de la Bel- gique et d'autres pays. La France, l'Italie, etc., constatent chaque année l'élimination d'une foule de petites parcelles, mais presque partout la perte est neutralisée par des émiettemenls de grands do- maines à la suite de partages héréditaires ou du morcellement de grands domaines. 16* 282 m. PART, LE PARTI SOCIALISTE Naturellement, on ne peut embrasser d'un coup d'œil d'ensemble l'étendue et la rapidité de ce phé- nomène sans remonter d'abord à ses facteurs. La bourgeoisie ratlacl.e le dép('rissement de la petite propriété à des causes essentiellement agraires (ma- ladies, désastres atmosphériques) ou essentielle- ment commerciales (dimiimlion dans la demande ou concurrence étrangère amenant la baisse des prix), à rinfluence des charges fiscales et à l'insuf- fisance d'une technique arriérée. Aussi le phéno- mène lui semble-t-il passager. Pleine de foi dans l'avenir de la petite propriété, elle s'arme d'impôts protecteurs, contre les crises agricoles; d'espoir... dans les futures ressources du budget, contre le fisc; de la coopération entre petits propriétaires, contre l'insuffisance de l'outillage. Mais un autre facteur, la concentration agraire entre les mains de capitalistes ou plutôt de sociétés d'actionriaires est mis en ligne de compte par les socialistes, lis prévoient de vastes exploitations produisant, grâce au machinisme, à l'hydraulique, à la chimie agricole, si abondamment et à si bas prix que leur concurrence écrasera la petite et la moyenne propriété. Les illusions de la bourgeoisie proviennent de ce qu'elle néglige ce facteur auquel le parti socia- liste a, par contre, donné jusqu'ici une importance excessive, disproportionnée avec son rôle actuel ; ce qui a été, par conséquent, une source d'erreurs aussi. Le capitalisme agricole est déjà apparu à l'ho- rizon ; mais sa montée est lente et il faudra bien lontemps encore avant qu'il ait fourni sa journée. L'erreur du parti socialiste a été de croire à la rapiilité de sa parabole. Celle erreur n'a commencé CHAP. II. — SOCIALISME ET PETITE PROPRIÉTÉ 283 à so dissiper que du moment où l'on a voulu agir sur les campagnes, dans les pays ou les régions où abondent les paysans-propriétaires, les petits fer- miers et les métayers. Sans doute, dans les pays qui sont à la tête du mouvement de concentration de la propriété agri- cole— aux Elals-Unis et en Australie, par exemple, — les grands capitaux s'emparent de l'agriculture aussi bien que des industries : ils s'y associent pour accaparer la terre comme ils ont accaparé les fa- briques (1). Mais ce cas est encore bien rare au- jourd'hui, La culture la plus intensive est actuelle- ment pratiquée par la petite propriété, la grande propriété demeurant presque entièrement livrée à la culture extensive. Rien de plus instructif à ce sujet que le spectacle ofTert par la Sicile : la région des petites propriétés, assez intensivement culti- vée, y produit en abondance du vin, des oranges, des cédrats, etc. ; dans la région du latifundium l'agriculture est éminemment extensive et la terre n'oifre que de pauvres récoltes de céréales et des pâturages. La petite culture garde une supériorité produC" tive qu'elle doit à un emploi très considérable de la main-d'œuvre : c'est pour cela qu'elle continue à subsister en dépit des crises, des charges fiscales et de l'insuffisance de ses capitaux. Et si le capita- lisme est sur le point d'atteindre à une unité de production plus éiavée que celle de la petite pro- priété isolée actuelle, cette petite propriété pourra, (1) Breuil. — Uiujrieullure aux Etats-Unis. — V.-G. Sal- viOLi. — L' « Uomcstcad » in America c i)i Europa {Riforma $oriale, novembre 1886). 284 III. PART. LE PARTI SOCIALISTE à son tour, surélever la sienne par l'association (coopératisme). Que l'on songe, par exemple, à l'énorme production vinicole que peut donner la petite culture, et, partant, la petite propriété, grâce à l'application d'un système de culture ration- nel (1) ! Du reste, la petite propriété a d'autres moyens auxiliaires pour se défendre. ■ Dans les régions montagneuses ou sur les coteaux élevés, où le sol est ingrat, le travail du laboureur énorme et le rendement minime, elle appelle à son secours V émigration temporaire. Ainsi, les paysans propriétaires cmigrent en foule l'hiver des vallées des Alpes du Piémont. Ils s'en vont amasser en France, en qualité de vitriers, de portefaix, de ba- layeurs des rues, etc., un petit pécule qui leur ser- vira à acheter, à trois, cinq ou dix mille francs l'hectare, de terrains arides mais capables de les nourrir pendant l'été. Des montagnes et des hauts coteaux des Marches, métayers (mezzadri) et pay- sans propriétaires émigrent aussi en grand nombre à Rome ou dans la campagne romaine. Il est tel village où les femmes demeurent seules, tandis que les hommes vont s'employer comme moisson- neurs, vignerons, boulangers, marchands ambu- lants, etc. Ils rapportent de ces tournées et de leurs pénibles travaux de 14 à 24 écus — en même temps que la « malaria », le plus souvent. Les travaux de l'Enquête agricole montrent qu'en une seule année (1890), 25.082 personnes ont (1) Nous avons déjà rappelé les 100 à 200 hecloUtres de vin produits par liectare par les cultivateurs tranrais dans les vignobles de l'Hérault. CflAP. II. — SOCIALISME ET PETITE PROPRIETE 285 émigré des Marches dans la campagne romaine. Si cette émigration à l'intérieur n'est pas d'un grand secours, celle qui, partie des hauts coteaux des IMarches, afllue vers les pa3's étrangers, est beau- coup plus rémunératrice. Le paysan en rapporte ordinairement la somme nécessaire à l'achat d'un petit fonds (l). Le partage héréditaire contrebalance, d'autre part, les inévitables disparitions de petits proprié- taires écrasés par les charges fiscales. Ce partage est un facteur si important de l'accroissement nu- mérique de la petite propriété qu'on lui a^ dans certains pays, opposé des lois spéciales {VAnerhen- recht allemand, par exemple). En Sardaigne, le fractionnement de la propriété, poussé à un degré auquel il n'arrive en aucune autre région de l'Italie, est dû surtout aux partages que les propriétés su- bissent en passant du père aux enfants (2). Quand Karl Marx analysait le problème agraire dans le Capital il avait sous les yeux l'Angleterre où existait déjà la concentration de la propriété foncière entre les mains d'un nombre restreint de riches. Ce spectacle influa sans doute sur son opinion et lui fit croire que les petites propriétés allaient, comme les petites industries, rapidement disparaître. Mais s'agit-il réellement en Angleterre d'une concentration capitaliste de la propriété fon- cière^ analogue à la concentration industrielle que (A) Renseignements (la plupart; empruntés à des sources officielles) indiqués par Dominico Spadoni dans le rapport fait au nom du parti socialiste des Marches en 1896. (2) A. NiCEFORo. — La delinquenza in Sardegjia, Pa- lerme.Remo Sandron, 1897. 286 m. TART. — LE PARTI SOCIAUSTK Marx a si neltemonl perçue ? Examinons rapide- ment les faits. Au xvi" siècle, la demande des laines, très ac- tive surtout sur les marchés llamands, poussa les agriculteurs anglais à transformer tous les terrains pauvres ou médiocrement fertiles en pâturages. Il n y eut pas de propriétaire qui n'essayât, par tous les moyens possibles, de s'agrandir pour enclaver des prairies dans son lot. L'usurpation des biens de l'Eglise, que les grands du royaume se parta- gèrent, fut un des moyens mis en œuvre par les plus riches ; beaucoup s'emparèrent aussi des commu- naux contigus à leurs propriétés. Une série d'/?i- closure Acls a permis aux grands seigneurs ter- riens {landlords) de s'arroger, de 1702 à 1860.. sept millions d'acres de communaux. Le même phénomène s'est reproduit en Irlande, grâce aussi à des abus et des conliscations (expro- priations d'Irlandais catholiques) et plus tard (xvui^ siècle) en Ecosse, où les conquérants an- glais usurpèrent le sol. Ainsi la disparition de la petite propriété dans le royaume britannique a pour cause un fadeur auquel nous avons dc'jà lait allusion : les oscilla- tions du marché. 1/augmentation de la demande d'une certaine marcliandise — la laine, — en pro- voquant une nouvelle orientation de la production agricole, a amené l'élimination progressive de la petite culture et le développement du grand pâtu- rage. Des causes commerciales ont fait sentir le besoin de ce changement, mais ce n'est pas la libre con- currence économifiiie qui l'a réalisé : c'est l'usur- pation, la violence guerrière ou pseudo-légale, CHAP. II. SOCIALISME ET PETITI-: PROPRIÉTÉ 287 forte do la complaisante complicité du Parlement. La concentration de la propriété foncière dans la Grande-Bretagne (et pourrait-on ajouter en Si- cile, en Hongrie et on Prusse) ne provient donc pas d'une transformation de Tinstrunient technique producteur ; et elle ditlère essenliellement d'une concentration capitaliste qu'aurait provoquée, par la libre concurrence économique, une supe'rio- rité technique et productive générale de la grande exploitation. L'Angleterre, en effet, nous présente un type de latifundium d'où, malgré quelques exemples re- marquables de capitalisme agraire, est bannie la grande entreprise capitaliste parfaitement outillée, telle que, dès aujourd'hui, elle apparaît çà et là. Les lords grands propriétaires et surtout les maî- tres du sol irlandais sont de monstrueux parasites. Ils afferment des étendues de centaines et même de milliers d'acres à des locataires (farmers) qui vivent en gentilshommes, sans frayer avec leurs subalternes, et qui sous-louent à des entrepreneurs de culture, lesquels à leur tour ont des termiers. Tout le poids de ces intermédiaires retombe sur le cultivateur dont Texistence est des plus miséra- bles (1). Sans doute, ce mode de tenure stimule la pro- duction, si bien qu'en Angleterre le rendement moyen du blé est d'environ trente hectolitres à l'hectare ; mais le fermier anglais ne peut pas faire l'avance de capitaux considérables sur une terre qui ne lui appartient pas. 11 est vrai de dire que la (1) A. Metin. — Le socialisme en Angleterre, Paris, Al- can, 1897. i^OO m. PART. LE PARTI SOCIALISTE loi intervient en sa faveur : un Agriculliiral Ilol- ding Ad de 1873, dont les dispositions furent en- core améliorées en 1883, lui accorde une indem- nité proportionnelle aux amendements réalisés. Toutefois ces règlements sont demeurés presque entièrement inefficaces : ceux de 1875, parce qu'ils n'étaient pas obligatoires et ceux de 1883, parce qu'ils étaient compliqués et contradictoires. Et c'est ainsi, par exemple, que, les oscillations du marché imposant des baux annuels, les cultures arborescentes, si rémunératrices pourtant, sont impossibles. En tous cas, l'exploitant qui voudrait intensifier réellement la production de ces lots im- menses devrait disposer de capitaux extraordi- naires. C'est ce capitalisme agricole bâtard qui a inspiré à Marx son aphorisme sur la dilTéience entre le ca- pitalisme agricole et le capitalisme industriel il'un, dit-il, exploite le travail de l'homme, l'autre le travail humain et le sol, si bien que les progrès de l'agriculture capitaliste surexcitent la producti- vité actuelle des terres aux dépens des éléments réels de leur fertilité (1). Celte opinion a été dé- mentie par l'agronomie moderne, qui a démontré que les rendements les plus élevés sont dûs à la culture rationnelle qui n'épuise aucunement le sol, comme le faisait l'ancienne agriculture exten- sivc. Des sociétés de capitalistes accaparent le sol : le grand capital lui apporte l'énorme force exci- tatrice qui l'accompagne et toutes les créations de la science agricole dont il est un précieux sti- (1) K. Marx. — Le Capital. CHAP. II. — SOCIALISME ET PETITE mOPRlÉxÉ 289 mulant. Le capitalisme iagricole, qui ne saurait vouloir épuiseï" plus ou moins rapidement une terre, mais veut la transformer en une puissante et constante source de produits, met en pratique cette règle de l'agronomie moderne : « La production est élevée et durable quand on rend à la terre {loi de restitution) ou qu'on lui donne par avance sous forme d'engrais chimiques [loi d anticipation) lous les éléments que, chaque année, lui enlèvent les diverses récoltes. » Le grand capitalisme est donc tenu d'appliquer la culture rationnelle. Dans l'ancienne agriculture à capital infime, le gain était surtout constitué par la rente, produite par le capital fixe, — le sol, — par ses énergies natu- relles exploitées jusqu'à l'épuisement. Le revenu^ qui dérive du capital mobilier engagé dans l'exploi- tation, passait en seconde ligne. La nouvelle cul- ture rationnelle met au second rang le capital fixe, la valeur naturelle du terrain, car elle compte sur une préparation intelligente (labours, engrais, irri- gation, etc.), plutôt que sur les énergies du sol. C'est pourquoi la rente tend à diminuer à mesure qu'augmente l'importance technique — et, par- tant, économique — du capital. Il arrivera enfin que l'application générale du système rationnel ayant, grâce aux lois de restitution (Liebig) et d'anticipation (Solari) absolument éliminé l'épuise- ment du terrain, et, du même coup, aboli la rente, tout le gain d'une exploitation agricole proviendra du revenu. La rente est le produit de la rapine exercée sur le sol. La culture rationnelle la diminue et tend à l'éliminer entièrement. Le revenu est le produit de la rapine exercée sur (jalti 17 290 ut. l'AUT. — LE PARTI SOCIALISTE le travail liumain : il tendra à augmenler dans la culture rationnelle jusqu'au moment où la produc- tion sera réglée par un système social compatible avec une équitable répartition des produits. Ainsi le capitalisme moderne, auquel la puis- sance de l'argent permet d'employer de grands ca- pitaux dans l'agriculture et, par conséquent, d'avoir une agriculture rationnelle, n'épuise pas la terre, contrairement à l'opinion formulée par 3Iarx ; mais, à l'instar de ce qui se passe dans l'industi'ie, il exploite à l'excès le travail bumain. La véritable concentration capitaliste de la propriété commence à peine. En Italie, dans la plaine lombarde et dans les parties basses du Pié- mont, le capital a créé, sans doute, grâce à l'irriga- tion, sur de vastes étendues jadis médiocrement fertiles, la grande exploitation fortement produc- tive ; mais c'est là une forme étroite et embryon- naire du capitalisme. L'intensilication des cultures et l'application du nouvel instrument technique y sont à peine visibles. L'irrigation n'est pas tout : les engrais cbimiques, les machines mues par la vapeur ou l'électiieité et tous les nombreux [ierfec- tionncments que réalise la nouvelle technique, ne sont pas moins nécessaires. La petite propriété, quoique fortement ébranlée par les crises agricoles, les impôts, l'insuflisance de ses ressources techniques et l'usure, a continué à vivre. C'est un vieux ponton que depuis longtemps on croyait défoncé ; souvent les économistes et les adeptes du socialisme disent qu'il s'engloutit, et qu'on peut l'abandonner et laisser les Ilots le submerger, puisque le trois-màts du capitalisme va le remplacer. Le vieux navire, pourtant, n'a pas CHAP. II. SOCIALISME KT TETiTE PROPRIÉTÉ 2ÎI l encore coulé ; il n'avance guère, mais il flotte et, niùme, le coopératisme semble devoir être le moyen de la redouber. De 1882 à 1892, en France, le nombre des {grands producteurs a varié de 3.072.000 à 5.702.000 ; mais les petits producteurs ont aug- menté aussi. Tls étaient 2.167.000 en 1882 et 2.233.000 en 1892. Et cela, malgré les crises agri- coles qui pendant ces dix dernières années ont fait émigrer de la campagne à la ville plus de 400.000 prolétaires journaliers et 138.000 propriétaires journaliers agricoles ( l). Ainsi, les fréquentes crises agricoles ne suffisent pas à détruire la petite pro- priété, qui — ces chitTres l'indiquent assez claire- ment — n'est pas du tout en train de disparaître rapidement. 11 ressort d'un rapport de M. Challamcl que le nombre des termiers et métayers est passé, en France, de 1802 à 1882, de l.4i0.000 à 1.309.000 ; celui des valets de terme, de 4.098.000 à 3. i34.000 ; tandis qu'il y avait 1.812.000 paysans propriétaires en 1802, et 2.130.000 en 1882. Bien loin de dimi- nuer, leur nombre, pendant ces vingt ans, se serait accru de 338.000 personnes (2) ! Du reste, les statistiques comparées de 1802 et 1882 donnent les chiffres suivants (3) : 18G2 : Cultivateurs non propi-iétaires .... 3.563.306 1882 : » » » .... 3.363.162 (1) MÉLi.NE. — Discours à la Chambre F/vmçai.se, juillet, 1897. (2) M. Challa.\iel. — Rapport à la Société (V économie sociale et des Unions de la paix sociale (Réforme sociale, avril 1897). (3) D. ZoL.\. — Op. cit., p. 3.30. 292 111. PART. — LE PARTI SOCIALISTE H y a donc eu diminulion et non acciois.'^emenl du chiffre des cultivateurs non propriétaires. Quant à la propriélè^ voici le rapport entre 1862 et 1882 : Hectares 1862 1882 De 0 à 10 hectares .... De 10 à 40 » .... De 40 hectares et au-delà . . 2.435.402 636.309 154.167 2.635.000 727.222 142.083 c'est-à-dire accroissement de la petite pi'opriélr et diminution de la grande propriété ! C'est précisernei.l la roule opposée à celle qui conduit au capitalisme, c'est-à-dire à l'augmenta- tion du nombre des salariés prolétaires et à la dé- croissance du nombre des petits propriétaires. En 1846, la Belgique comptait 613. .")75 hectares cultivés par leurs propriétaires et 1.179.383 mis en valeur par des locataires. En 1880, la super- ficie cultivée par les propriétaires était do 713.039 hectares et celle aux mains de locataires de 1.270. .'512. De sorte que les locataires repré- sentaient 63 0/0 des exploitants en 1846 et 64 0/0 seulement en 1880 ; et, par contre, les exploitants propriétaires formaient 3i 0/0 des exploitants en 1846 et 33 0/0 en 1880. Ainsi, les statistiques officielles nous montrent les heureux résultats sui- vants : 1° Augmentation du nomhre des paysans pro- priétaires ; 2'' Diminution de la superficie cultivée par des locataires. CH AP. 11. — S0C1.\L1SME ET PETITE PROPRIÉTÉ 293 Un fait ressort clairement de ce tableau : la ré- sistance des paysans propriétaires, le peu d'in- fluence du grand capitalisme agricole qui conduit à la séparation du capital foncier d'avec le tra- vail. Nous constatons, en effet, une diminution (minime, à la vérité) de la superficie cédée à bail et une augmentation corrélative de celle qui est directement cultivée par tes propriétaires, la per- manence et l'accroissement même de l'union de la propriété privée et du travail. Les calculs approximatifs d'Hector Denis, le so- cialiste belge, aboutissent à peu près aux mêmes constatations (l). Tl a essayé de calculer le nom- bre des propriétaires plutôt que la superficie cul- tivée : Années Nombre des propriétaires fonciers 1846 612.614 768.033 735 203 1880 1890 Ces chiffres présentent, de 1840 à 1890, une augmentation d'à peu près 123.000 propriétaires. Je crois utile de citer, d'après Yandervelde (2), quelques données plus détaillées sur les divers de- grés de la propriété en Belgique : (1) H. Denis. — V Impôt, Bruxelles, 1889. La dépression économique et sociale et Vhistoire des prix. Bruxelles, 1895. (2) Emile Vandervelde. — La propriété foncière en Bel- gique, Paris, 1900. 294- m. PART. — LE PARTI SOCIALISTE 1816 ISGô 18SÛ Lots de 0 à 2 hectares » 2 à 10 » » 10 à 50 » Lots de50hect.et plus Affermés P'aire-valoir . . . . 400.514 126.126 41.083 3.333 371.324 201.226 526.915 163.503 47.063 5.827 423.036 320.971 700.563 158.161 38.169 3.403 293.124 516.817 La remarquable augmentation de la très pelile propriété', nous dit E. Vandervelde, n'indique pas que ses détenteurs aient quitté les rangs du sala- riat. Sans doute, mais le fait sert à indiquer un cou- rant économique contraire à la prolétarisation agri- cole progressive et rapide, que l'on a tant prédite et que bien, des sociologues prédisent encore. Mais, à part l'augmenlation de la très petite pro- priété, il est évident que la petite propriété aussi a augmenté. Comparez les deux chillres : 12G.12G et 1.j8.1()1 ! Or, est ce après de telles constatations que l'on peut continuer à proclamer la disparition rapide de la petite propriété? Est-ce ainsi que, dans les pays à petite propriété comme la Belgique, on procède à la concentration capitaliste de la pro- priété? Et quand on considère les chifTrcs du faire- valoir direct par les paysans propriétaires et que Ton en constate l'augmentation, (c'est-à-dire une plus grande fusion du capital et du travail), on se demande si c'est bien par là que la propriété agricole peut s'acheminer vers le capitalisme, vers la séparation du capital et du travail ? Vandervelde a d'ailleurs raison de noter que des hypothèques grèvent aujourd'hui ces propriétés. CFIAP. II. — SOCIALISMK ET PETITE PROPRIÉTÉ 293 11 est effectivemenl vrai que les propriétés hypo- théquées forment_, en certains endroits de la Bel- gique, 70 0/0 de la totalité des biens fonds (ils représentent en France à 00 0/0) ; mais pour com- bien la dette hypothécaire, arrivée en 1897 à 870 millions, pèse t-elle sur la petite propriété plutôt que sur la moyenne et sur la grande? Nous savons que H. Denis reçut, des diverses régions de la Belgique, les réponses les plus contradictoires à ce sujet, au cours de son enquête. Rappelons en outre que la grande et la moyenne propriété recou- rent souvent, elles aussi, au crédit foncier hypo- thécaire soit pour des améliorations, soit pour des exigences d'administration familiale, soit enfin pour compléter les sommes nécessaires à de nouvelles acquisitions. Nous ne voulons pas nier, sans doute, que la petite propriété est chargée d'hypothèques, mais nous essayons d'évaluer exactement cette charge. Elle est très générale, mais la longue résistance de la petite propriété belge prouve que le mal est moins dangereux que fréquent ; de 1846 à 1890, il n'a pas diminué le nombre des petits propriétaires ; il ne l'a pas même empêché d'augmenter. L'hypothèque n'est qu'un symptôme morbide, la diminution numérique serait un indice de mortalité. Et quand, malgré l'absence de diminution numé- rique, Vandervelde soutient que la petite propriété est en train de disparaître, il se trompe et prend pour mortalité ce qui n'est que morbidité. 11 n'arrive pas toujours que la maladie mène à la mort. L'asso- ciation coopérative agricole ne pourrait-elle pas être un remède efficace, pour longtemps du moins? Et d'ailleurs, Vandervelde lui-même note que^ 290 m. PART. — LE PARTI SOCIALISTE même dans l'IIcsbaye, une des régions où l'évolu- tion du capitalisme est particulièrement avancée, le morcellement des terres a augmente ces der- nières années... Dans l'Ardenne, où les méthodes d'exploitali(/n sont encore si primitives, la plus grande partie du sol (83 0/0) est cultivée d'une façon toule rudimentaire. Et, d'autre part, les paysans y ont un droit collectif sur la forêt commu- nale^ où chacun peut prendre du bois, envoyer son porc à la glandée, et sa vache au pâturage. 11 n'y a parmi eux ni riches ni indigents (1). » Nous voilà bien loin du capitalisme agricole ! Pour l'Italie, beaucoup de données nous man- quent. La Direction générale des impôts directs au ministère des Finances m'écrivait récemment : « L'Administration centrale n'a jamais eu l'occa- sion dernièrement, ni à des époques antérieures, de compiler des statistiques basées sur Vétcndiie des proprié lés individuelles (2). Nous avons pu constater, cependant, qu'en 1899 le nombre des articles inscrits dans les rôles princi- paux de l'impôt s'est élevé à G. 251. 612 pour la pro- priété foncière et à 3. 005. 012 pour l'impôt sur la propriété bâtie (3). Quand même on prélèverait de ces totaux les parcelles trop petites pour constituer (1) Destrée et Vandervelde. — Le socialisme en Belgique. (2) En IJelyique les socialistes Vandervelde, Vinck et Zéo, ont entrepris depuis quelques années une enquête agricole. En France, les socialistes, pour combattre le ministère Mé- line, commencèrent aussi une vaste enquête sur laquelle s'appuyèrent Jaurès et Deville à la Clianibre des députés en 1897, contre MM. Méline et Deschanel. (3) Direction (jcncralc des imj)ûts directs. Ministère des Finances. CHAP. II. SOCIALISME ET PETITE PROPRIETE 297 de véritables entreprises agricoles, ces données suffisonl à montrer qu'en Italie les exploitations sont encore très nombreuses et que, par consé- quent, la petite culture y est très répandue. D'autre part, d'après les chiffres de l'enquête ag-ricolo Ja- cini, cités plus haut, près de trois millions de pro- priétaires, sur un total de trois millions et demi, payent moins de 2 francs d'impôt, tandis que 370.000 autres en paient moinsde 40 : c'est donc que la petite propriété foncière est aussi très répandue en Italie. Du point de vue où nous nous sommes placés, ces masses énormes de petits propriétaires enlèvent toute valeur au chiffre des expropriations (22.130 de 1883 à 1887) (1); d'autant plus qu'en Sardaigne, par exemple, où l'expropriation est la plus fréquente, la plupart des expropriés, au bout de quelque temps, rentrent dans leur minuscule domaine, demeuré à l'abandon. Et ce retour est conforme à l'intérêt de l'Etat qui, en général, ne trouve point de particuliers, ni de sociétés, ni d'ad- ministrations communales à qui céder la propriété saisie, de sorte qu'il ne peut encaisser la valeur du terrain, ni en retirer le moindre revenue, tandis qu'il est tenu de payer aux Villes et aux Provinces les taxes additionnelles à l'impôt. Le tableau suivant, par Péloquence de ses chiffres, nous montrera Vexpcinsion croissante de la petite culture en Italie (2) : (1) Selon ces cliiffres, il faudrait en efîet cent ans pour faire disparaître 400.000 des .3.370.000 petits propriétaires italiens. (2) Renseignements empruntés aux rapports annuels de la Direction générale des impôts directs (Ministère des Finances), que la Direction elle-même a eu la bouté de me communiquer. 17» 208 m. PART. — LE PARTI SOCIALISTE Articles de l'impôt foncier Années Articles îles rùlcs 1871 1876 4 835.191 5.225.487 5.366.874 5.524.056 5.819.552 6.056.064 6.257.912 1881 1886 1891 1896 1899 Pour ce qui est du processus de co7icentration de la propriété foncière, nous savons qu'en 1 882 Fenquùte Jacini estimait qu'il y avait en Italie 3.0OO.OOO propriétaires (1). Au cours de la po- lémique à laquelle il a déjà été fait allusion : « La conquête des campagnes » (2), Lucio déclara qu'en 1892-93 les rôles de l'impôt foncier conte- naient o. 800. 000 articles (3), c'est-à-dire qu'en tenant compte des biens possédés dans plusieurs couimunes par un même propriétaire (4) et en fai- sant toutes les réductions possibles, on arrive à un total approximatif de 4.500.000 propriétaires, chifîre qui ne souleva aucune objection. J'ai déjà (1) Jackni. — Il iirohlcma ayricolo in Ilalia e i'Incliiesia, Rome, vol. I, 1882. (2) J.ucio, G.\TTi, BissoLATt, BoNOMi, etc, — La conquista délie campagne {Critica sociale, 1895-90). (3) Rapport de la Direction générale des impôts directs pour l'exercice 1892-93, p. 23." (4-) Et quelquefois aussi dans la même commune par des achats faits à des époques différentes et constituant îiinsi souvent des articles différents. CdAP. II. — SOCIALISME liT PETITE PROPRIÉTi': 299 dit qu'en 1899 la Direction générale dos impôts me communiqua que les cotes foncières étaient cette année-là au nombre de 6. 2o 1.31 2, ce qui correspond, pro[)ortionneilement, aux calculs de Lucio, à 4.860.000 propriétaires fonciers. On peut donc calculer qu'il y avait en Italie 3.500.000 proprie'taires fonciers en 1882 ; il y en avait 4..J00.000 en 1892 et 4,860.000 en 1899. Après avoir lu ces données, les plus exactes qu'il soit possible d'obtenir aujourd'hui en Italie, pouira-t-on partager encore les opinions ex- primées par Bissolati dans « La conquête des campagnes » et croire que : « non seulement la classe des petits propriétaires se prolétarise rapi- dement, mais qu'elle est même déjà confondue, dans ses traits essentiels, avec le prolétariat ? » Et, d'une façon plus générale, après le coup d'œil que nous avons jeté sur ce qui se passe en Belgique, en France, en Italie, etc., pourrons-nous appliquer cette remarque au milieu agricole inter- national et parler, comme tout récemment encore l'a fait Kautsky (1), de disparition rapide, de dis- solution de la petite propriété? Non, certes. Une conclusion toute contraire s'impose : le nombre des petites propriétés, même isolées comme elles le sont encore généralement et placées dans de mauvaises conditions, ne tend pas à dimi- nuer dans l'ensemble ; et il y a des pays où il tend à augmenter. Non seulement la petite propriété n'a pas dis- paru jusqu'ici, mais elle nest certes pas en train de disparaître rapidement, et cela par la raison que (1) K. Kautsky. — La question agraire. 300 III. PART. — LE TARTI SOCIALISTE le capitalisme agricole, encore trop primitif, n'a pas sensiblement modifié les conditions de la con- currence économique. 2. — Petite propriété et petite culture. La grande et la petite culture sont^ dans la plu- part des cas, respectivement liées aujourd'hui à la grande et à la petite propriété ; mais ce lien n'est pas nécessaire et il existe déjà de grandes propriétés subdivisées en petites entreprises agricoles. La propriété est un phénomène social, la culture un phénomène purement technique. a) La petite culture dans la grande propriété privée et dans le collectivisme. C'est une spécialité des sociologues orthodoxes de confondre les problèmes techniques de l'agricul- ture avec les problèmes sociaux. Ils sont connexes, sans doute, mais il ne faut pas conclure de là à leur identité. A chaque conquête de la science ou de l'empirisme en agriculture, les sociologues bourgeois croient découvrir la terre promise : la solution de la question sociale. Le fait est que les problèmes techniques de l'agriculture ressortissent à la production et les problèmes sociaux à hi répar- tition des produits. Beaucoup d'adversaires de l'attribution du sol à la collectivité croient à tort que la propriété collec- tive sera impossible tant qu'existera la petite cul- ture. iMais s'il est vrai que la plaine se prête mieux à CHAP. H. SOClALlSMt; ET PETITE PROPUIÉTÉ 301 la grande exploitation, les hauts coteaux sont plus facilement exploitables par petits lots et la mon- tagne impose un morcellement excessif des par- celles. 11 est certain aussi que la grande exploitation se prête mieux au pâturage et la petite à l'arbori- culture. Il n'est certes pas au pouvoir d'une révolution socialiste d'abolir la. pe/ilc culture. C'est chose qui dépendra de l'évolution technique agricole, c'est- à-dire desprogrès de riiydraulique,de la mécanique et de la chimie. L'Etat collectiviste serait-il contraint d'adopter partout la grande culture? Non, certes. 11 pourrait maintenir ou créer la grande culture intensive, c'est-à-dire la grande entreprise agricole là où elle serait requise par les conditions ambiantes et, sous des conditions différentes, maintenir la petite culture ou la petite exploitation agricole, — tout comme aujourd'hui un propriétaire exploite la partie de ses biens située sur les hauteurs autre- ment que celle qui est dans la plaine. Du reste, le pays par excellence de la grande propriété, l'Irlande, où 741 personnes (1,68 0/0 du total des propriétaires) possèdent les 40 cen- tièmes du sol, est aussi le pays de la petite culture, parce que les riches landlords trouvent leur avan- tage à partager leurs domaines en une grande quantité de petits lots. Le même phénomène a lieu en Flandre (1). M. l'abbé Daens a dit, à propos de la Belgique justement ; « Je connais des villages où deux ou « trois propriétaires capitalistes accaparent toutes (1) E. Vandkrvelde. — La question agraire en Belgique. 302 m. PART. LE PARTI SOCIALISTE « les terres mises en vente. Ils les afferment à des « ouvriers agricoles au prix de 1 franc la verge, « c'est-à-dire à 320 Irancs riiectare (1) ». Nous avons noté en Italie aussi la tendance des propriétaires des lalijiind'ia siciliens et des gros pro- priétaires de la péninsule à partager leurs grands domaines en une foule de parcelles mises en petite culture. Il est probable, d'autre part, que l'on sera con- traint d'abandonner des lots en petite culture situés sur les hauteurs. L'humanité s'est répandue des terres les plus fertiles aux moins fertiles et elle a dû élargir sans cesse son cercle d'action à me- sure que les meilleures terres étaient monopo- lisées par une poignée d'hommes. Mais ce mou- vement d'expansion cessera sans doute sous le ré- gime collectiviste. La production suffisante de la plaine et desicoteaux fera abandonner la pénible culture de la montagne et l'on verra la zone agri- cole se restreindre, ainsi que nous l'avons démontré plus haut. On peut prévoir que la petite culture sera main- tenue surtout sur les hauteurs pour une période dont il est impossible de fixer la durée. Elle n'en- trave aucunement en tout cas l'évolution sociolo- gique et demeure applicable même en plein régime collectiviste. La possibilité de maintenir la petite culture à travers les transformations de la propriété privée en propriété collective facilitera, au point de vue technique, l'orageux passage de l'un à l'autre état (1) Daens. — Discourti à la Chambre des représentants, 2'6 mai 1897, CHAP. II. SOCIALISMK ET PETITE PROPRIÉTÉ 303 social, et empêchera que l'on considère encore la nationalisation du sol comme une brusque révolu- tion de toute la vie agricole actuelle. Le caractère purement économique du socia- lisme se dégage toujours plus nettement des vagues tendances morales qui l'embrumaient et elïrayaient inutilement les masses. Celles-ci maintenant se rallient volontiers à ses principes ; mais elles lui demandent de mieux préciser les modalités de la transformation économique à laquelle il tend, de sortir entièrement de l'indéterminé, de dire l'exacte répercussion spéciale qu'aura pour chaque classe agricole le passage de la propriété individuelle à la propriété collective, de réduire enfin à ses propor- tions réelles l'imaginaire vision d'un bouleverse- ment de toute la vie sociale. Il est, par conséquent, dans l'intérêt du parti so- cialiste de démontrer et d' affirmer la possibilité économique de la petite culture même sous un ré- gime collectiviste. Le socialisme peut dire à la plèbe rurale : Par- tout où l'exigeront les exigences techniques, pas une haie ne sera abattue, et les petites exploita- tions (dirigées, parbesoin de décentralisation admi- nistrative, par des administrations locales) demeu- reront intactes aux mains de l'Etat. 3. — Propagande socialisle et petite propriété. a) Dcchions des Congrès et courants économiques naturels. La persistance de la petite propriété qui tend à se revivifier par l'adoption du nouvel instrument 304 m. PAP.T. — LE lARTI SOCIALISTE tic production, semble être en contradiction avec l'anatlième prononcé contre le coopératisnie agri- cole par les Congrès socialistes qui se sont succédé jusqu'ici. Le coopératisme n'est pas à la merci du parti socialiste. Ce grand courant naturel émane, comme le capitalisme, de la vie économique bour- geoise. Du reste, l'association agricole, quand même on ne chercherait pas en elle-même sa raison d'être, peut fournir un moyen décisif de rompre l'isole- ment des campagnes, et en attendant elle sert à mettre en évidence un des deux grands courants actuels de l'économie rurale. Sa valeur psycholo- gique est considérable au point de vue de la pro- pagande socialiste. Là où n'existait qu'une étroite conscience individuelle^ elle suscite une conscience sociale. Elle permet aux collectivistes de faire en- trevoir aux membres de l'association agricole, par delà la lutte des classes, le complet assainissement économico-social qui sera la conséquence du col- lectivisme complètement réalisé. Elle amène les associés à concevoir, dans l'entière élimination de la propriété privée, une vie économiquement et moralement supérieure à celle du petit propriétaire actuel. N'oublions pas cette opinion d'Engels : « Nous croyons qu'il faut amener les paysans à « réunir en associations coopératives leurs cn- « treprises et leurs propriétés privées. » Et n'oublions pas non plus qu'un des plus actifs des socialistes belges, Zéo, a écrit, à l'occasion de l'institution d'une laiterie coopérative : « Préoc- « cupés de l'idée de nous assimiler la vie des cam- « pagnards, leurs misères et leur psychologie, de « trouver quelque élément pour l'élucidation des ClIAP. II. — POCIALISMK ET l'i-TlTE ['ROPIUÉTK 3Uo « problèmes sociaux qui se posent en face du so- « cialisme, et surtout du problème agraire, dcsi- « reux aussi de gagner à la cause qui nous est « clière, le monde des villages, nous sommes allés « fonder une laiterie sociale à Ilerfîelingen, dans c< un des trois cantons noirs de rarrondissemcnt t( de Bruxelles, un de ceux où la réaction recueille « des milliers de votes. (( La coopérative offrait aux agriculteurs un « lieu où se réunir pour discuter sur leurs intérêts « et parler du malaise social dont ils souffrent et « des moyens de l'atténuer. Elle nous permettait, « comme coopérateurs, de nous procurer du « beurre pur et du bon lait et, comme socialistes, « de prendre contact avec les paysans, de les « mieux connaître et de nous faire mieux con- « nailre. '( Ilerffelingen possède une laiterie centrale mo- « dèle avec machine à vapeur, montée de façon à « travailler 10.000 litres de lait par jour, pourvue « d'appareils frigorifiques et de pasteuriseurs pour « la crème et le lait. « Ajoutons enfm qu'avec la nouvelle coopérative « agricole sont nés les premiers propagandistes de « la campagne à la campagne dans le canton de « Lennick (1). » b) Adhésion de la petite propriété au aociahsme. Jl est indiscutable, et, croyons-nous, indiscuté, qu'au moment des élections politiques de 1895 et de 1897 nombre de petits propriétaires agricoles (1) ZÉo. — Peuple, 25 mars 1898. 30G lu. PART. LE PARTI SOCIAUSTË tèrent pour les canrlidals socialistes. Le prolétariat agricole italien a un pourcentage encore trop élevé d'illettrés pour pouvoir fournir à lui seul la quant ih' de votes nécessaires à rélection dun député socia- liste ; et, sans l'appoint des petits propriétaires, au- cun des dépulés socialistes élus par les collèges ruraux ne siégerait aujourd'hui au Parlement. Mais parmi ces petits propriétaires, quelle était la proportion des mécontents et celle des adhé- rents au programme collectiviste ? Il ne nous est pas possible de répondre par des chiffres à ces de- mandes. Cependant, si l'on ne peut établir une statistique exacte^ il est permis d'aflirmer que par- tout où les socialistes réunissent la majorité des suifrages aux élections administratives ou aux élec- tions politiques, se trouvent en foule des petits pro- priétaires qui n'adhèrent pas seulement au parti col- lectiviste par leur vote, mais aussi, le plus souvent, par leur activité militante. Et notons, en passant_, que les socialistes s'imposent toujours davantage dans les administrations municipales. Quand un propriétaire donne son adhésion au programme collectiviste, c'est qu'un sentiment al- truiste l'entraîne à combattre dans les rangs des deshérités ou qu'une conviction rationnelle lui fait prévoir un avenir où le salaire du ré/jirne collecti- viste garantira des tempêtes sociales mieux que ce manteau léger et hien râpé, d'habitude : la petite propriété privée. Le petit propriétaire myope ne voit que le ré- gime actuel : hors de la propriété privée, point de salut, selon lui. Mais les plus éclairés de ces pro- priétaires comprennent que — surtout dans le milieu agricole des pays pauvres — la petite propriété CHAP, 11. SOCIALISME ET PtTlTE PROPRIETE 307 n'osl qu'une arme (assez faible, du reste) dans la lutte pour l'existence ; ils considèrent l'ouvrier comme un salarié bourgeois sans propriété, généralement mieux nourri et plus instruit — surtout en France, en Suisse ou en Angleterre — qu'ils ne le sont eux-mêmes ; et ils entrevoient dans l'Etat collecti- viste une situation économique oùleur petit revenu actuelle sera avantageusement remplacé par un salaire d'ailleurs plus élevé que celui de nos ou- vriers manuels ou intellectuels (plus élevé surtout que celui de nos travailleurs italiens) et gagné au j)rix d'une fatigue moindre, en d'excellentes condi- tions intellectuelles et morales. Ainsi donc, en Italie, beaucoup de petits proprié- taires votent pour les candidats socialistes : les uns, sans adhérer au parti, par simple mécontentement ècononnique et pour protester contre le gouverne- ment ; d'autres^ par adhésion consciente et expresse aux programmes minimum et maximum du socia- lisme. Du reste, l'adhésion des petits propriétaires au ])arti socialiste est constatée même à l'étranger. En ])anemark, le nombre des votes politiques obtenus par les socialistes a été de 20.000 en 1892, de 26.59o en 1895, de 31.878 en 1898. Dans les der- nières élections municipales, à Copenhague, les socialistes ont eu 14.727 voix. Or, on ne peut être électeur en Danemark à moins de justifier d'un re- venu de 1.000 couronnes (1.500 fr.) : ainsi, la pro- gression ascendante des votes socialistes est bien due aux petits propriétaires. En Hongrie, le prolétariat agricole lutte par d'immenses grèves contre la grande propriété féo- dale. En 1897, 40.000 ouvriers se sont mis en 308 m. PART. — Lli PARTI SOCIALISTE grève pour obtenir une élévation de salaire, une réduction des heures de travail et un traitement plus humain. Les grands propriétaires réagirent, et grâce à la connivence du gouvernement, obtinrent, au printemps de 1898, un projet de loi où l'ouvrier retardataire, ou ne se présentant pas au travail, ou prenant part à des réunions pour le relèvement des salaires, était frappé d'une amende pouvant s'élever jusqu'à 400 couronnes, ou condamné à la prison jusquà un maximum de soixante jours. Or, les moissonneurs socialistes ont eu gain de cause sur toute la ligne dans la grève de l'Alfold hongrois (1897) à cause de leur organisation d'abord, et aussi — et le fait est digne de re- marque — grâce à l'appui des petits propriétaires ruraux presque tous favorables au socialistne (I). En ce qui concerne l'Italie, Vacirca a bien voulu m'adresser un clair exposé des conditions du socialisme vis-à-vis des classes agricoles sici- liennes. Il y affirme que le problème de la propa- gande est, en Sicile, moins difficile à résoudre parmi les petits propriétaires (dans les régions à petite culture) que dans le prolétariat agricole (région du latifundium). Il faut rechercher la cause de ce phénomène dans la misère du salarié sicilien, tellement acca- blé que son activité intellectuelle en est paralysée et dans le fait que la petite propriété et. un certain degré de bien-être n'excluent pas l'adhésion au so- cialisme. (1) Alexandre Strabados. — Peuple, 12 janvier 1898. CHAPITRE III T,E PROLETARIAT AGRICOLE Dans toutes les régions de l'Italie septentrionale et centrale, à l'exception du Latium, domine le colonat partiaire [colonia parziaria) surtout sous forme de partage à la moitié [mezzadria). Dans le Latium et l'Italie méridionale comme aussi en Sicile c'est le fermage qui domine. Le faire-valoir direct est, dans toutes les réglons de l'Italie continentale et insulaire, au troisième rang après le partage à la moitié [mezzadria) ou. au tiers [terzeria) et le fermage. Voici un tableau des contrats en usage dans les diverses régions : nous les avons placés suivant leur ordre de fréquence en commençant par les plus usités. Piémont : colonat, fermage, faire-valoir direct, hoaria ou schiavanderi (sorte de borderie). Lomhardie : colonat, fermage, contrats mixtes, faire-valoir direct, contrats de labours {bifolcheria) partages au quart. Vcnétie : colonat, fermage, contrats mixtes, faire-valoir direct. lÀgnrie : colonat^ fermage, faire-valoir direct. 310 m. PART. — LE PARTI SOCIALISTE Emilie .'colonat, fermai^e,boaria{famigli), faire- valoir tlitect. Marches et Ombrie : colonat, fermage, faire- valoir direct. Toscane : colonat, fermage, faire-valoir direct. Latium : fermage, emphytéosc, faire-valoir direct, contrat de métayage avec entente spéciale pour les améliorations à réaliser (co/o;z/a amiglio- ramento), colonat. Région méridionale, côles de l' Adriatique : fer- mage, colonat, faire-valoir direct. Région méridionale méditerranéenne : fer- mage, colonat, emphytéose, faire-valoir direct. 1. — Le salariat agricole. Le salarié est le t3'pe le plus moderne d'ouvrier des champs. Il est surtout nombreux en Angle- terre,où l'agriculture est remarquablementavancée, quoiqu'elle n'y ait pas non plus véritablement atteint encore au capitalisme agricole. L'essence du contrat de travail ne changerait pas du tout pour le salarié si le sol devenait propriété col- lective : son traitement seul serait modifié par le fait qu'il travaillerait pour l'Etat propriétaire, au lieu de travailler pour un propriétaire privé. Aussi son misonéisme ne s'oppose-t-il pas à l'idée collec- tiviste, tandis qu'il perçoit clairement les avan- tages attachés au nouveau système. 11 accepte donc les idées socialistes et d'autant plus rapidement que, de toutes les classes rurales, celle dont il fait partie, aie plus de liberté d'action, justement parce qu'elle est de formation toute CIIAP. 1)1. LK PROLlÎTARlAT AGRICOF.E 311 n'ccnle, et, parlant, très complètement livrée au loLirbillon de la libre concurrence bourgeoise. Le salariat ne se développe pas sur la colline et la montagne, où règne la petite culture exploitée par des colons parliaires ou des paysans proprié- taires. Par contre, les salariés abondent dans les plaines piémontaises, lombardes, émiliennes et vé- nitiennes et surtout le long du Pô (1), où les modes de leiiure les plus fréquents sont la moyenne ou la grande exploitation directe et la moyenne ou la grande lerme. Celte dernière sorte de contrat est très répandue dans les plaines da Latium, de l'Italie méridionale et de la Sicile, mais elle n'y suscite pourtant pas le type du salarié moderne. C'est que, sur de vastes étendues, — en Sicile surtout — les grands entre- preneurs de culture {gabellottï), afin de payer moins cher le travail, cèdent le terrain par petits lots moyennant des contrats de coparlicipation. Et les salariés que l'on rencontre dans ces régions, sont contraints, par les misérables conditions delà pro- duction et par la pauvreté de leurs gains, à me- ner une existence physiquement et moralement anormale. Le parti socialiste italien admet maintenant, pour le prolétariat agricole, l'organisation politique aussi bien que l'organisation économique. Les derniers Congrès nationaux de 1806 et 1807 ont préconisé : les associations politiques^ les ligues de résistance et d'amélioration, les Bourses du travail, les Bureaux du travail, les sociétés cooppratives de (i) C'est précisément sur les rives du Pô qu'un grand nombre de députés socialistes recueillent le plus de voix. 312 m. PART. LE PARTE SOCIALlSTt; co7isommation y de travail el de production^ les Conseils de Prudhommes, les grèves^ quand les besoins du moment les imposent, les luttes pour le relèvement des salaires et la dimijiulion des heures de travail ^ Y abandon graduel du partage au tiers, au quart, etc. sur les récoltes spéciales et du travail à la tâche, la surveillance de l'émigration (permanente et temporaire), l'hygiène du travail, surtout de celui des femmes et des enfants, et, ^onv Q,e\r^-Q\,\at. fréquentation de l'école. Les coopératives de travail donnent de bons ré- sultats quand l'administration en est très prudente. Elles sont, en etîet, exposées à des pertes consi- dérables^ surtout dans les entreprises de travaux importants. La difficulté de gérer de telles asso- ciations provient de ce qu'elles n'ont pas seule- ment besoin, comme les sociétés de consomma- mation, d'une comptabilité complexe, mais aussi d'une excellente direction technique : deux points assez difficiles à réaliser dans le prolétariat rural italien. Les coopératives de consommation ont donné des résultats plus satisfaisants. Les conseils de prudhommes, les bourses du travail et les coo- pératives de production agricole ont fort peu agi encore en Italie. Ces dernières sortes de sociétés, se proposant d'acheter des terrains pour les exploiter coopèrati- vement, mettent presque l'ouvrier dans les condi- tions où il sera sous le régime collectiviste, mais leur action est semée d'obstncles. En effet, même en admettant, au moment de lâchât des terrains, certaines facilités qui ne sont pas partout ni tou- jours réalisables, Texploitalion requiert des capi- CHAP. 111. — LE PROLÉTARIAT AGRICOLE 313 taux [)lus considérables que ceux dont disposent liabituellement les associés. En outre, quand les lots acquis sont trop peu étendus pour le nombre des exploitants, les gains sont minimes ou même nuls, et les associés se trouvent dans la situation d'un entrepreneur qui aurait mal calculé ses cbances. 11 existe un grand nombre de sociétés de ce genre en Angleterre et surtout en Amérique. Des deux sociétés anglaises de Gurdon, l'une, fondée en 1830, a commencé à cultiver 00 acres, elle est parvenue à en cultiver 130; l'autre, fon- dée en 1834, en exploite aujourd'hui 212 (deux acres et demi équivalent à un hect.). Mais, en général, ces coopératives afîerment des terrains défavorables, de sorte qu'elles finissent par se dis- soudre. Il serait à désirer qu'elles se multipliassent dans les régions du latifundium ; mais encore une fois, elles ne sauraient réussir sans la remise gratuite des terrains (là où ils sont actuellement incultes) aux mains des paysans associés et sans des aides et des encouragements de toute sorte. De nombreuses ligues d' amélioration (nées des anciennes ligues de résistance) se sont, en ces derniers temps, formées en Italie. Les pre- mières ont paru dans la province de Mantouc ; mais d'autres ont, bientôt après, couvert toute la Haute Italie, toutes les régions où existe un sala- riat agricole. La province de Mantoue, à elle seule, en compte aujourd'hui 240 (32.000 membres), dont près d'une centaine sont des sociétés de femmes. Ces ligues s'efforcent d'obtenir le relève- ment des salaires, la diminution de la journée 18 314 111. PART. iAi PARTI SOCIALISTE (Je travail et la constitulion de Bureaux de tra- vail (1). 2. — Mf'tayagc et colonat partiaire. Le colonat partiaire domine dans le Piémont, la Lombardie, la Vénétie, la Ligurie, l'Emilie, les Marclics, l'Ombrie, la Toscane. C'est certainement la forme de contrat la plus répandue en Italie. Ses principales variétés sont le partage à la moitié {jnezzadria) et au tiers [terzeria). a) Métayage. 11 est très fréquent dans l'Italie centrale et on en trouve des exemples mcine dans les régions septentrionales et méridionales. Il y a en Italie 1.035.339 métayers (mezzadri) ; 401.613 fermiers ; 3.000.000 à peu près de salariés (déduction faite des enfants de moins de huit ans) et 1.323.079 propriétaires exploitants (2). Le métayage assure généralement à l'ouvrier (1) G. Gatti, N. Badaloni, E. Ferri. — Lef/he e Socialismo in Parlementa, Rome, Imp. de la Chambre des députés. E. l^ERRi, G. Gatti. — Lotta di classe e Leghe di miglio- ramento fra contadini, Rome, Imp. Forzani, 1901. — J. Bo- NOMi, G. Vezzani, Il moviincnto prolelario nel mantovano. Imp. de la « Ciitica Sociale n, Milan, 1901. (2) D. Spadoui — Dclla nwr^zadria nt relaiionc congT inte- ressl dell' agricoltura, Macerala, Mauiini, 1893" S'il y a 1.323.079 propriétaires dirigeant eux-mêmes leur exploitation, alors que le nombre des propriétaires est de •4.860.000, il en résulte qu'il y a, en Italie, environ 3 millions et demi de propriétaires absentéistes. CIIAP. 111. LK PROLETARIAT AGRICOLE 3 1 'j rural des conditions dévie acceptables, meilleures que celles des salari(5s et de nombre de petits fer- miers et de petits propriétaires. Le parti socialiste italien, dans ses derniers congrès nationaux, a affirmé qu'il empêche les progrès de l'économie agricole et qu'en même temps il exploite l'ouvrier des champs et l'asservit plus que toute autre forme de contrat. Mais il n'en est pas moins cher aux conservateurs, et surtout — parmi eux — à M. Sid- ney Sonnino. M. Zolla (1) le considère comme une véritable association agricole entre propriétaire et tra- vailleur ; et eiïectivement, c'est bien là son carac- tère quand le métayer donne à la terre son travail, et que le propriétaire expose le capital mobilier nécessaire à l'exploitation de la terre. Dans une telle éventualité, l'affirmation des congrès socialis- tes que le métayage empêche les progrèsde la tech- nique agricole, me semble inexacte ; mais il est vrai dédire qu'il exploite l'ouvrier et que moralement, il l'assujettit au propriétaire. Je l'ai vue favori- ser excellemment la production quand maître et fermier s'entendaient pour donner à la terre, l'un tout le capital indispensable à l'application de la technique agricole, l'autre tout le travail requis par des cultures proportionnées à ses forces. Mais quand le métayer est tenu de mettre en valeur un do- maine trop vaste et que le propriétaire absentéiste et ignorant en agriculture expose un capital insuffi- sant, alors, — et ce cas est des plus fréquents — les résultats du métayage sont loin d'être admi- rables. (1) I). Zolla. — Op. cit., i>. 3o. 316 m. PART. — LE PARTI SOCIALISTE Le rapport agraire du congrès national socia- liste de 1800 (1) affirme qu' « en présence des croissantes exigences du métayer, instruit par la propagande socialiste, les propriétaires se verront bientôt contraints de passer de la « mezzadria » au salariat ». Cet espoir est illusoire. L'évolution éco- nomique n'est pas à la merci de la prédication politique. Le métayage tend, il est vrai, à tomber en désuétude dans quelques plaines et même (en Ro- magne, par exemple) avec quelque rapidité : mais ce phénomène n'est pas général. C'est que les propriétaires ne sont pas seuls in- téressés à le maintenir, et les métayers reculent devant les conditions encore plus dures faites par les autres contrats aux ouvriers des champs, de sorte que la propagande socialiste n'a pas prise sur eux. Les métayers, en effet, préféreront fatalement être des cointéressés plutôt que des salariés, tant que le sort de ces derniers sera, comme de nos jours, des plus miséiables. Le métaj^er a, en toute saison, du travail, un logement, une foule de petits profils ; et — malheureusement pour sa moralité — la fraude lui sert à grossir sa part des diverses récoltes. Le maître, souvent absent, habituellement dépourvu de la totalité des sommes nécessaires à l'exploitation, a, grâce au métayage, une famille de paysans occupée tout entière et tout le long de l'année à faire valoir son bien. S'il dirigeait per- sonnellement l'exploitation, il lui faudrait payer bien plus cher la main-d'œuvre, car, selon les (1)1{0GCA, PiLO, SaMOGGIA, BlSSOLATI. — Op, Cit., p. 10. CIIAP. 111. — LE PROLIÊTARIAT AGRICOLE 31 7 calculs de Vcacirca (1), chaque membre aclif de la famille du métayer gagne en moyenne 1 fr. 10 par jour seulement sur les meilleures terres tos- canes, tandis qu'en maint endroit, dans la province de Sienne, par exemple, il a environ 213 fr, par an, soit 0 fr. al) par jour. M. le marquis RidoHi a calculé que, lorsque ses terres des Marches étaient exploitées en métayage, le salaire quotidien du tra- vailleur était de 30 cent, environ (2) ; et d'après les travaux de l'enquête agricole, le gain du métayer des Marches est généralement de 28 à 30 centimes par jour ; il peut s'élever à 40 ou 45 cent, et, dans les conditions les plus favorables, il ne dépasse pas 60 cent. Ainsi, en Italie, propriétaires et métayers conti- nueront à résister aux forces économiques qui assaillent une forme arriérée du contrat agricole et qui tendent à l'abolir comme elles l'ont déjà entiè- rement abolie en Angleterre et presque entière- ment aussi en Autriche, en France et en Alle- magne. Le métayage subsistera sur les coteaux et dans la petite et la moyenne exploitation tant que durera l'ancienne culture d'épuisement et, avec elle, l'absentéisme des moyens et des grands pro- priétaires. Le salarié et le petit propriétaire adhéreront au socialisme avant le métayer. Celui-ci est presque complètement étranger aux victoires remportées par le parti socialiste en Toscane. (1) A. Vacirca. — La mezzadria e il socialismo. Colle d'Eisa, 1897. (2) D. Spado.m. — Délia mezzadria in relazione con gV iii^ tere$i,i deW af/ricoltura, Macfinita, 1893. 18' 318 m. PART. LE PARTI SOCIALISTE Les métayers sont eu réalité des prolétaires. Ce n'est que par exception que (en certains lieux de la province de Brescia par exemple) ils apportent à l'exploitation un petit capital mobilier. b) Le partage au tiers {Terzeiia). On l'applique surtout à la récolle du raisin, dans le Piémont ; à toute sorte de récolte, en Lombar- die. En Vénétie, avant de partager par tiers, le propriétaire prélève la diuie du produit total ; dans l'Emilie il en prélève les 8 centièmes. Le même système est suivi pour le partage des olives et des châtaignes dans les Marches. Mais dans les Abruzzes et la région méditerranéenne du sud c'est au contraire le métayer qui prélève les 3/5 ou, si les terrains sont en mauvais état, les 2/3 des récoltes (1). Ce contrat que l'on trouve en vigueur un peu partout,, allié au système du salaire, dégénère en certains endroits où le partage des récoltes, au lieu de se faire au tiers, se fait (par exemple pour le maïs dans la basse Lombardie) au quart, au cin- quième ou au sixième. Les socialistes sont con- vaincus qu'il favorise injustement les propriétaires en ce qu'il extorque un travail intense à toute la famille du paysan et la rend tout entière dépendante du maître. Et ils essaient de pousser les cultiva- teurs à demander leur salaire en espèces (2) ou, (1) L. CosTANTiNO. — î tipi de contratti agrari ncir Italia continentale [Giornale dcgli Econoitiisti, mars 1897). (2) liapports agraires des congrès nalionaux socialistes de 1890 et de 1897. CllAP. III. — LE PROLKTARIAT AGRICOLE 3 1 9 tout au moins, à exiger une plus grande part des produits. Partout où le capitalisme agricole tend à se dé- velopper, la lerzeria, avec non moins de lenteur que la mezzadria, du reste, s'elîace devant le sala- riat. 3. — Les petits baux. Le bail est la forme de contrat. agricole qui do- mine du Latium à l'extrémité méridionale de l'Ita- lie, parce qu'il est inséparable du latifundium. C'est même pour cette raison qu'il est si fréquent en Angleterre. Mais nous ne voulons pas parler des grands fermiers qui sous-louent les vastes étendues prises en location, où ils ne paraissent presque jamais. Nous ne nous arrêterons pas non plus aux locataires de domaines moins vastes, quoique considérables encore, très fréquents dans les plaines de l'Italie septentrionale, qui peuvent et savent engager dans l'exploitation un capital assez élevé (bétail, outillage, etc.), jouer activement leur rôle d'agriculteurs et employer des ouvriers sa- lariés. Mais occupons-nous du petit fermier, de ce- lui qui, sans être absolument pauvre au sens strict du mot — puisqu'il possède un microsco- pique capital dans ses outils d'agriculteur et ses quelques têtes de bétail — peut être assimilé au prolétaire agricole en ce qu'il n'est pas moins ex- ploité que le salarié et le métayer. Le prix du lo3'er de la terre annule pour lui la valeur de la rente du terrain, tout comme le partage des récoltes l'annule dans le métayage. Sa situation économique n'est donc pas envia- 320 m. PART. — LE PARTI SOCIALISTE blc : il ne peut pas tirer du sol un revenu beaucoup plus élevé que le prix exigé par le propriclairc ; et son sort, en dépit d'un pénible labeur, n'est guère plus assuré que celui d'un salarié. Souvent même il est contraint do louer son travail. Des conditions pareilles lui imposent une sorte do ser- vage moral et, s'il est moins soumis au maître que le métayer, il l'est bien plus que le salarié. On comprend que la propagande socialiste ait facilement prise sur lui et le convainque sans peine que le propriétaire l'exploite en lui soutirant une rente : celle rente qui ne coûte pas au maître la moindre partie de son temps, de son intelligence ou de sa responsabilité. Mais, sans doute, le petit fermier ne se laissera pas séduire par le rêve des soi-disant socialistes agraires, qui voudraient que l'Etat fût maître de tout le sol et en tirùt un lo3'er, qu'il pratiquât, en somme, une soustraction annuelle du gain du tra- vailleur équivalente au montant du bail exigé par les propriétaires actuels. Le collectivisme marxiste veut, avec l'abolition du droit de propriété privée, celle de la rente. Le petit fermier consentirait volontiers sans doute au transfert de la propriété qu'il cultive à l'Etat et n'aurait nul regret du capital engagé dans l'exploitation si, en passant aux mains de l'i'^tat, ce capital entraînait dans l'abîme la rente foncière, c'est-à-dire le prix du bail. 4. — Einpliylèose. Ce contrat, en usage dans les antiques colonies grecques, s'est répandu en Italie et 3' a survécu ClIAP, lir. — I,E PROLKTARIAT AGRICOLE 321 au Moyen Age. Après avoir été effacé du Code Na poléon il a été rétabli par le Code italien. De toutes les formes du contrat agricole, c'est la plus favorable à l'absentéisme. I^^lle est justement préconisée dans un article récent dela^Yz^oya Anto- logia, par M. Sidney Sonnino, cbef des agrariens (c'est-à-dire des réactionnaires) italiens (l). Mais on ne se sert généralement plus de ce contrat qui rappelle la féodalité. (1) SiDNEY-SoNNiNO. — Nuocci Antologia, Rome, 1901. CHAPITRE IV L ACTION AGRAIRE DES SOCIALISTES DANS LES COMMUNES ET AU PARLEMENT 1. — Dans les Cumimincs. Le dernier congrès socialiste national réuni à Bologne en 1897 décida qu'il no fallait pas renon- cer à la conquête des Communes. Et le pouvoir croissant des socialistes dans les administrations des villes tend déjà à donner à ces administrations une orientation nouvelle : l'autonomie commu- nale, la municipalisation des services publics, l'abolition des impôts de consommation, la pro- gressivité des impôts, une instruction populaire plus efficace (cantines scolaires), etc. Mais, quoique d'une importance vitale et de grande actualité, ces questions dépassent la portée do notre étude ; nous ne voulons ici qu'exposer l'action agraire do la Commune. Les municipalités rurales ont la possibilité d'agir puissamment dans le sens des courants na- turels de l'économie agricole. Ainsi, là où domine la petite culture, les administrations communales pourraient grandement favoriser le coopératisme CIIAP. IV. — ACTION DANS LES COMMUNES 323 agricole. Et même, des petites communes, sur- tout dans les régions hautes, seraient des syndicats agraires tout constitués pour l'acquisition des ma- chines agricoles et leur cession aux administrés à litre gracieux ou moyennant une légère rétribution. Les municipalités possédant des communaux cultivables en confieraient l'exploitation à des so- ciétés coopératives d'ouvriers ruraux. Les autres s'elTorceraient d'en acquérir pour les faire exploiter do même. Elles devraient, pour cela, maintenir, et, au besoin, remettre en vigueur leurs droits sur les biens communaux de r«//je (pâturages et forêts), injustement annexés à leurs domaines par les par- ticuliers. Quant aux terrains appartenant à l'Etat, la mu- nicipalité socialiste a le devoir de leur conserver leur caractère collectif, tout en réglant la façon de les exploiter. 11 y a actuellement en Italie 41 i, 000 hectares de ces terrains, jadis propriétés féodales et servant à des usagers sous l'administration des Communes. Il faut combattre la tendance bourgeoise à les transformer en propriétés particulières ; elle s'ac- centue sans cesse, ainsi que le prouveront les chiffres suivants : 60.000 hectares en ont été par- tagés de 1816 à 1800 et 379.000 de 1860 à 1889 (entre 368.000 agriculteurs). Il reste en Sardaigne 49.220 hectares de biens dits ademprivili, que possèdent ensemble l'Etat et les Communes et que ces dernières admi- nistrent (1). (1) L. BoDio. — Di alcuni indici misuratun del inovi- mento cconomico in Itcdia, Home, 1890. 324 m. PART. — Lli PARTI SOCIALISTE 2. — Action parlementaire agraire. Reconstitu- tion de la petite propriété foncière. La tendance à la reconstitution de la petite pro- priété est, dans d'autres pays, plus forte et plus an- cienne qu'en Italie. Elle s'est manifestée par une action complexe, destinée à empêcher le fraction- nement excessif et le transfert des petites parcelles. On a essayé d'alléger pour elles les charges fiscales, de les débarrasser de la. dette hijpotJn'caire, de faci- liter la vente de leurs produits, de favoriser leur accroissement par la création directe de nou- veaux propriétaires, de ralentir leur disparition par une lutte ouverte contre la concentration de la pro- priété foncière et — ce qui peut être vraiment efli- cace — àQ développer leur vitalité économique par une législation favorable à la coopération agricole. Pour empêcher le morcellement de la petite pro- priété on a essayé, en Allemagne, de reconsti- tuer la petite propriété en modiliant le régime successoral. h'Anerbenrecht s'oppose au fraction- nement excessif des terres en accordant le fonds laissé par lepère à l'aîné des enfants, à la condition qu'il assure à ses frères une pension alimentaire ou une part des produits. Notons cependant que, sauf dans le Hanovre, les paysans propriétaires eux-mêmes se sont partout insurgés contre des dispositions qui provoquent tant d'abus de la part des premiers nés et une foule de querelles de famille. CHAP. IV. ACTION PARLKMI'NTAIRE 325 En Prusse, les lois du 27 juin 1890, du 7 juillet 1891 et du 8 juin 1896 autorisent le gouvernement ou les particuliers à partager leurs domaines en parcelles soumises à V Ancrbenrecht (indivisibilité du bien fonds entre frères) et grevées de rentes perpétuelles irrachetables (1). L'Anerbenrecht existe en Autriche aussi (Hof- recht). Inalicnabilité de la petite propriété. — Ceux qui voudraient faire intervenir la loi en faveur de la petite propriété, s'efforcent surtout d'en assurer l'inaliénabilité, afin que la saisie ne puisse jamais précipiter le petit proprie'taire dans le prolétariat. En Allemagne, une loi protectrice, sur iesBenteii- giiter, défend d'expulser le petit propriétaire, en constituant la perpétuité de la rente, l'indivisibilité et l'intégrité des lots. Une loi analogue a été présentée en 1897 au parlement autrichien. Mais la loi protectrice par excellence et qui semble vouloir river au sol le pa3'san propriétaire est V homestead-exemption , promulguée d'abord aux Etats-Unis (1839). Elle donne la faculté au pro priétaire d'un bien fonds de faire déclarer inalié- nable et indivisible une étendue de terre pouvant valoir jusqu'à 10.000 fr. L'intervention de cette loi est mémo inutile dans certains Etats et Fina- licnabilité y est de droit commun. \]homestead (l) BiiK.NTANO. — Açjranan refonn in Priissia. (Economi journal, mai-juin 1897). Gatti 19 326 m. PART. — LE PARTI SOCIALISTE exemption a été adopté en Australie, dans certaines parties de l'Allemagne, et, avec de légères modifi- cations, en Serbie et en Roumanie. Il a été im- porté dans les colonies anglaises de l'Inde et dis- cuté, sinon sanctionné par les Parlements de France, d'Allemagne et d'Italie. En Belgique, la « Société d'économie sociale » a formulé un vœu d'après lequel la loi devrait reconnaître à chaque propriétaire le droit de cons- tituer un bien de famille (valant au maximum 10.000 fr.) Ces biens seraient insaisissables et indivi- sibles entre frères. La loi supprimerait le morcelle- ment dans les successions de moins de 19.000 fr. (1). Le projet Van der Bruggen (2), discuté à plusieurs reprises depuis 1896 et que le gouvernement semble disposé à adopter accorde au testateur le droit de défendre aux héritiers la vente du bien de famille. Mais le ciment législatif est incapable de résister à Yémiettement économique. Qu'arrive-t-il enelfet? UJiomestcad enlève au petit propriétaire la possi- bilité de recourir au crédit, en proclamant l'ina- liénabilité de sa parcelle. Dès lors il tombe entre les mains des usuriers et végète misérablement. Le cas est fréquent en Roumanie et, bien que celte loi protectrice existe depuis 1865, la condition des paysans y est misérable. Aux Etats-Unis les petits propriétaires ne se servent pas de cette loi, afin de conserver leur crédit et il en est de même, paraît- il, au Canada, où aucune propriété n'est inscrite sur les registres de Yhomestead. (1) Destrée et Vandervelde. — Op. cit., p. 390. (2) Destrée et Vandervelde. — Op. cit., p. 408. CUAP. IV. — ACTION PARLEMENTAIRE 327 Comment une petite propriété dont on a cru de- voir protéi;er la faiblesse par une si minutieuse tu- telle, pouirait-elle se passer de crédit? hliomestead, d'ailleurs, en immobilisant la terre entre les mains de gens incapables d'en tirer un produit suffisant diminue la production générale et — conséquence plus triste encore — augmente au lieu de l'amoindrir la grande masse prolétarienne, puisque l'ainé des enfants demeure, à l'exclusion de tous ses frères, en possession de l'héritage indivisible. Allégements d'impôts. — Le groupe parlemen- taire socialiste belge a présenté, au cours de la session 1894-1893, un projet iï impôt général sur la rente. Cet impôt était, dans la pensée des légis- lateurs, destiné à en remplacer plusieurs autres et principalement les droits de mutation et ceux de transcription et îïJigpothèque (réduits de 50 0/0) qui grèvent surtout la petite propriété (1). Trois jours après la motion des socialistes le gouvernement belge proposa des réductions ana- logues, mais applicables seulement aux biens im- meubles d'une valeur égale ou infe'rieure à 7.000 fr. (200 fr. de revenu cadastral) possédés par des gens non pourvus d'autres propriétés et exploitant eux- mêmes leurs fonds. Ainsi, en Belgique, conserva- teurs et socialistes se préoccupent également du sort de la petite propriété foncière. Sans doute, aux yeux des socialistes, des lois pareilles sont des remèdes homéopathiques (Vandervelde), mais ils (1) Destrée et Va.ndervelde. — Op. cit., p. 39o. 328 m. PART. — LE PARTI SOCIALISTE jugent opportun de prendre, même législativement, une altitude favorable à la petite propriété. Le congrès national socialiste français(I) de 181)2 pour « rallier au socialisme les travailleurs des champs » a demandé, entre autres choses, la sup' pression des droits de miitalion pour Jes propriétés valant moins de 5.000 fr. De V extinction de la dette Jiypoihécaire. — On étudie, en Autriche, un projet de loi tendant, par la constitution des biens à annuités {Rentengilter), à éliminer la dette hypothécaire. De la vente des produits. — Le Sénat français a approuvé, en 1897, une loi dcfinitivement promul- guée le n juillet 1898 sur les ivarrants agricoles. Elle autorise les cultivateurs à contracter des em- prunts pour des produits (blé, vin, etc.) qu'ils gardent chez eux mais qui servent de gage. De la sorte, le petit et le moyen producteurs pressés d'ar- gent ne sont plus obligés de vendre leurs récoltes sur pied ou de subir lalalement les exigences du marché. Création directe de nouveaux petits proprié- taires. — En Angleterre on vise directement à la (I) Dixième contjVL'S Hatio)i(d du Piirti oiirvicr tenu à Mar- seille, 24-28 septembre 1892. — Lille, Inipr. ouvrière. GHAP. IV. ACTION PARLEM liNTAIRR 329 création de nouveaux petits propriétaires et, dans ce but, à C(Mé des partisans de la nationalisation du sol nous trouvons les partisans de la restau- ration Je la petite propriété. Ceux-ci ont existé dès le xviii* siècle; ils avaient alors pour devise: « Trois acres de terre et une vache par paysan », Au- jourd'hui ils agissent sur la législation anglaise ; ils ont fait approuver en 1897 la loi sur les allotments (droit accorde aux assemblées locales d'exproprier, après indemnité aux possesseurs actuels, des terres à répartir entre petits cultiva- teurs) et en 1892 celle sur les small holdings, qui facilite les acquisitions de terrains. En Allemagne, la loi sur la colonisation à l'inté- rieur tend à constituer de nouvelles petites pro- priétés au moyen d'annuités payées par les nou- veaux acquéreurs [Rentengïiler). Contre la concentration delà propriété foncière. — Le gouvernement néo-zélandais (Australasie) a promulgué en 1885 le Land Act, qui sanctionne les baux perpétuels. D'après cette loi, tout acquéreur âgé d'au moins 17 ans pouvait se faire céder en bail perpétuel une partie du domaine de l'Etat ne dépassant pas la contenance de 460 acres pour les terres de première classe, et de 2.000 pour celles de deuxième classe. Il avait droit à réclamer la valeur de ses améliorations et au renouvellement per- pétuel du bail. « Les hommes qui étaient alors au gouvernement avaient cru, en remplaçant l'alié- nation par le bail perpétuel, réfréner la spéculaliou sur les terrains et, parlant, la concentration de 330 m. PART. LE PARTI SOCIALISTE la propriété et la formation des grands domaines. Mais, deux ans après la promulgation du Land Aci, à la chute du ministère Stout-Vogel, la légis- lation cessa de s'opposer à la concentration de la propriété foncière, et, en 1887, une modilication du fameux bill accorda aux locataires « le droit d'acquérir en propriété les terrains pris en lo- cation ». Ce fut, affirme M. Reeves, un triomphe des spé- culateurs, pour qui disparaissait tout obstacle légis- latif à la libre concentration de la propriété (i). Développement de l'économie rurale coopérative. — La législation la plus rationnelle est celle qui stimule la vitalité économique de la petite propriété en faisant intervenir l'Etat en faveur de l'associa- tion agricole. Ce moyen est excellent pour per- mettre à la petite propriété d'utiliser le nouvel ins- trument de production et obtenir des rendements plus élevés. I^'Allemagne a déjà des lois concernant: les Chambres d' Agricu It nre {oO jum 1894); l'institution d'une Caisse coopérative centrale (31 juillet 1895) ; l'institution d'un fonds destiné à la construclion <\' entrepôts pour les grains (3 juin 1896) (2). En Autriche, le mouvement législatif analogue est très récent et ne forme encore, à proprement (i) U. Rabbeno. — La queslionc fondiaria ncipaesi nuovi, p. 214. (2) Maggiorino Ferraris. — Di iina rifonna agraria {Nnova Antolojia, 16 novembre 1899j. CHAP. iv. — ACTION PARLEMENTAIRE 331 parler, qu'une tendance législative. Cependant, on y trouve à l'étude un projet de loi sur les associa- tions professio7inelles d agriculteurs proposant (comme nous l'avons déjà vu) l'institution d'une corporation agraire obligatoire par district, et l'union des corporations de districts en corpora- tions régionales et accordant aux unes et aux autres le droit d'établir en cas de besoin des centimes additionnels à l'impôt foncier. M. Maggiorino Ferraris a raison de voir dans le caractère obliga- toire de l'association agricole le trait fondamental et innovateur de la réforme agraire autrichienne (1). En France, le tout récent mouvement agraire se manifeste par les syndicats, dont nous avons parlé. La loi sur les syndicats professionnels (21 mars 188i) a été le point d'appui de la c( So- ciété des agriculteurs de France », laquelle a active- ment travaillé à la constitution de syndicats agri- coles, dont 80 formèrent en 1886 « l'Union des S}^- dicats des agriculteurs de France ». Cette société s'adjoignit le « Syndicat central des agriculteurs de France » ayant la personnalité juridique (2). Rap- pelons en outre la loi Méline (o novembre 1894) pour la création de sociétés de crédit agricole ; la loi citée plus haut sur les warrants (11 juil. 1898) et celle du 23 mars 1899 sur les caisses régionales de crédit agricole mutuel, dont l'institution a si heu- reusement mis le crédit à la portée de la petite propriété. M. Maggiorino Ferraris note dans Farticle cité plus haut que le mouvement en faveur du crédit agricole (1) Maggiorino Ferraris. — Op. cit. (2j Maggiorino Ferraris. — Op. cit. 332 m. PART. LE PARTI SOCIALISTE a en France un caractère gouvernemental. M. Du- puy, au temps de son ministère, recommandait aux préfets les Caisses locales. L'Italie a beaucoup légiféré sur le crédit pré- tendu agricole mais ne servant, ainsi que nous l'avons montré plus haut, qu'à la grande, et, tout au plus, à la moyenne propriété et demeurant presque entièrement inutile à la petite propriété. Elle possède sans doute, en fait de réforme agraire, le projet si fortement étudié de M. Maggio- rino F^^Mraris, mais il n'existe encore que dans les colonnes de la Niiova Anloloyia. * Groupe parlementaire socialiste et législation protectrice de la petite propriété. — Les collecti- vistes ne peuvent se faire les promoteurs des lois qui veulent à tout prix river le petit cultivateur à son lopin de terre^ qui essaient d'arrêter léyislati- vement le fractionnement héréditaire de la propriété., facilitent les petites acquisitions, c'est-à-dire \di créa- tion de nouveaux petits propriétaires., et s'efforcent d'entraver la naturelle concentration de la pro' priété. La manne législative est un vain secours pour des populations et des classes maintenues dans la misère par les conditions économiques du milieu. Les collectivistes ne pourront arrêter par aucune loi le développement de \ association coo- pérative de la propriété ; mais ils ne voudront pas, d'autre part, retarder, par des moyens législatifs ou de toute autre façon, la naturelle concentration ca- pitaliste de la propriété dans les pays où le capita- CHAP. IV. ACTION PARLEM1:NTAIRE 333 lisme agricole peut se développer plus puissamment que le coopératisme. Cependant le groupe des députés socialistes ita- liens, convaincu qu^une petite propriété associée, éclairée et indépendante adhérera plus aisément au collectivisme qu'une petite propriété isolée, igno- rante et servile, et poussé en outre par des raisons de tactique, ne s'opposera probablement pas aux lois essentiellement favorables à la petite propriété que présentera la bourgeoisie parlementaire. Car les conservateurs partisans de la reconstitu- tion de la petite propriété essaieront sans doute de la maintenir vivante à tout prix et en allant, s'il le faut, contre le courant économique capitaliste : ils la créeront là où elle n'existe pas et s'oppose- ront partout à son fractionnement excessif et à son aliénation. Les socialistes collectivistes appuieront celte législation indirectement favorable à une des deux grandes tendances de l'économie agricole mo- derne (le coopératisme) parce qu'il ne faut jamais entraver le développement d'un courant naturel économique, parce que le coopératisme aboutit au collectivisme aussi sûrement que le capitalisme agricole et parce qu'enfin la propriété associée faci- litera mieux encore qae la propriété isolée l'évolu- tion et la propagande des idées socialistes. i9' » CHAPITRE V SOCIALISME AGRAIRE Ce terme, si usité pourtant, de socialisme agraire, correspond-il à une re'alilé? Il n'exprime pas sans doute une fin du socia- lisme, car le socialisme est un : c'est la nationali- sation de tous les instruments de production, usines, mines, terre, etc. Mais il a un sens dans le devenir socialiste ; car il exprime les conditions techniques^ les courants économiques et les formes sociales spéciaux au milieu agricole, au cours de l'évolution du collec- tivisme. L'erreur des économistes marxistes a été de con- clure de Tunité du buta l'unité du devenir socialiste. A leur avis, l'évolution économique ira, par la voie unique du capitalisme, de l'ancien régime féodal au futur régime collectiviste. Or, cela n'est vrai que de l'évolution économique industrielle. Quant à l'évolution économique agraire, elle rattachera le passé féodal à lavenir collectiviste par deux grandes lignes à peine ébauchées encore : le capi- talisme (concentration capitaliste do la propriété) et la coopération (association coopérative de la propriété). CHAP. V. — SOCIALISME AGRAIRE 335 Dans le milieu agricole, l'instrument technique se trouve dans des conditions spéciales, inconnues au capitalisme industriel, qui ralentissent la marche de ces grands courants : le capitalisme et le coopé- ratisme agricoles. La nature spéciale des conditions du milieu agri- cole est déjà pressentie dans les pays où l'évolu- tion économique est la plus avancée et le plus pro- fondément étudiée. Vandervelde a dit (1) : « Nous en sommes aux « premiers défrichements, La culture intensive sera « l'œuvre de demain. S'il convient de ne pas se « faire d'illusion sur le développement actuel du c( socialisme agraire en Belgique, il ne paraît pas c( douteux que ses progrès seront plus>apides que « dans les autres pays du continent, parce que la « transformation capitaliste de l'agriculture y est « plus avancée, les charges hypothécaires plus « lourdes, le divorce de la propriété] et du] travail « plus complet ». Ainsi, Vandervelde croit que l'évolution écono- mique agraire (le socialisme agraire) sera lente en Belgique, et plus lente encore partout ailleurs, c'est-ù-dire en Italie aussi. Cela est vrai. Est-il possible que, la parabole de l'économie capitaliste industrielle accomplie, le socialisme victorieux puisse, grâce à l'appoint des forces in- dustrielles et professionnelles, réaliser le régime collectiviste (nationalisation du sol) dans les cam- pagnes, avant l'achèvement de la double parabole du coopératisme et du capitalisme agricoles ? Sans doute, cela est possible, comme il a été (1) Destrée et Vandervelde. — Op. cit., p, 311. 330 m. PART. LE PARTI SOCIALISTE possible en France à la boui}jeoisie induslriellc et commerciale d'imposer même aux campagnes le régime social constitutionnel d('mocratique de la Révolution, de les débarrasser presque entièrement du type économique féodal. Cela est possible parce que l'évolution sociale vers le collectivisme n'eni- pêcberait pas la naturelle évolution leclinique agraire. La culture rationnelle peut se développer aussi bien sous le régime de la propriété privée (par le capitalisme et le coopératisme) que sous le régime de la propriété collective. Sans doute, celle révolution violente est pos- sible. Mais si, sans nous abandonner à des prévi- sions, nous observons scientifiquement l'heure pré- sente de l'économie agraire, nous vo3'ons deux grandes forces, le capitalisme et le coopératisme, commencer leur parabole. Le collectivisme pourra aussi bien surgir de l'association coopérative de la propriété que de sa concentration capitaliste. Partout où il aura fallu maintenir la petite culture, la grande collectivité de l'Etat se substituera aux multiples et moindres collectivités des associations, et elle se substituera de même aux grandes pro- priétés capitalistes partout où dominera la grande exploitation agricole. Mais, en attendant, jusqu'au moment histo- rique où le collectivisme pourra se réaliser, et abs- traction faite de l'action violente de facteurs étran- gers à l'agriculture, les deux grands courants de l'économie agraire, poussés et réglés dans leur expansion par les progrès de l'instrument tech- nique productif, s'écouleront vers l'aboutissant commun, le socialisme. TABLE DES iMATlEHES DÉDICACE ^ Introduction de G. Sorel ~ Préface de l Auteur 3y PREMIÈRE PARTIE LA production AGRICOLE Cliap. I. — La vie rurale. — Aspiration el réalité. . 43 i. Gi^ande noblesse terrienne et la vie ru- rale 44 2. Les propriétaires bourgeois et la vie ru- rale 44 3. L'Etat italien et la vie rurale 43 4. Les électeurs des campagnes et la vie ru- rale 40 5. La dépression agricole 48 6. L'agriculture et la vie sociale .... oO Chap. II. — Les volontés humaines et la jjvoduction agricole ijl 1. La petite et la moyenne propriété ... oi 2. Le grand propriétaire 52 3. Propriétés sociales 54 4. Le gouvernement u6 a) Budget de l'agriculture oG 6) Le fisc S7 c) Malencontreuse intervention do l'Etat dans la vie économique du pays . . o9 338 TABLE DES MATIERES (/) Dette publique 60 e) Protectionnisme 60 5. Provinces communes et caisses d'épargne 71 6. Les partis 73 a) Le parti clérical 74 b) Le parti libéral 76 c) Le parti radical 79 d) Le parti socialiste 81 7. Impuissance subjective sur la production nationale 83 Cliap. IIL — hifluence du milieu social et du milieu biologique sur Vagricidture 86 1. Conditions de la vie intellectuelle ... 86 a) Isolement . 86 b) Instruction générale 88 c) Instruction agricole 90 2. Les conditions sociales 92 a) Politique générale 92 b) Comment l'Etat intervient en faveur de l'économie nationale 93 c) La dette publique 94 3. Organisation administrative 96 4. Système social 98 a) Absentéisme 98 b) Orientations naturelles de Vagricul- ture 106 0. Le milieu économique 107 a) Le capital agricole. Absence de paral- lélisme entre le capital industriel et le capital agricole 107 b) Le crédit agricole 118 6. Le milieu naturel 126 a) Climat, sol, maladies 126 b) Pouvoir croissant de l'homme sur le milieu naturel 128 c) Maux naturels et milieu économique 131 Chap. IV. — Origines du mouvement « rurifuge » . . 137 1. Le subjectivisme dans l'économie sociale 137 2. Le facteur biologique dans l'économie so- ciale 139 a) Nature humaine et production agri- TABLE DES MATIERES 330 cole 139 b) Du climat, du sol et de la race. . . 140 c) Du climat et de la fertilité des terres 142 d) Bornes du fadeur biologique . . . 143 4. La technique de réconomie rurale. . . 145 a) La vie intellectuelle 145 b) Conditions politiques et organisation administrative 148 c) Le système social 149 d) Outillage agricole et milieu écono- mique 157 o. Source premièi^e des maux de l'agricul- ture IGO DEUXIÈME A E TENDANCES TECHNIQUES ET ÉCONOMIQUES DE l'aGRICULTURE Chap. 1. — Le progrès de la technique agricole. V ou- tillage agricole dans V antiquité et de nos jours . . 161 1. Méthode dite d'épuisement du sol . . . 161 2. Agriculture rationnelle (intensive) . . . 163 a) La terre, grandiose incubatrice . . 164 b) Alimentation des germes dans le sol (amendements) 165 c) Perméabilité du sol (mécanique) . . 169 d) L'humidité du sol 171 c) De la température 174 f) La sélection végétale et animale en agriculture 175 g) Forces nouvelles de l'agriculture : électricité, lumière condensée . . . 176 h) Manipulation des produits .... 178 4. Agriculture rationnelle et zone agricole . 179 a) Etendue de la zone agricole. . . . 179 6) Diminution des dénivellements ac- tuels dans le degré de fertilité des terrains 181 Chap. II. — Du double courant économique déterminé par le nouvelinstniment technique agricole. . . . 182 3i0 TAr.LK DES MATIERES 1. Les facteurs de l'évolution économique . 1S2 a) Instrument technique producteur. , 183 b) Climat, surface terrestre, nature du sol 184 c) La race, les volontés humaines, la nature humaine 18.1 d) La terre libre (Loria) 180 e) Facteurs fixes, facteurs variables . . 188 2. Influence du nouvel instrument tech- nique sur l'économie agricole lOi- a) L'ancien instrument de l'économie agricole 193 b) Le nouvel instrument technique et les conditions de son application . . \'X't c) La grande culture et le nouvel instru- ment technique fOT d) La moyenne et la petite culture et le nouvel instrument technique. . , . 203 e) Capitalisme et coopératisme agri- coles 217 Chap. III. — Caractère sociologique du capitalisme et du coopératisme agricoles 219 1. Caractère sociologique du capitalisme agricole 219 2. Caractère sociologique du coopératisme agricole • 220 a) La petite propriété associée. . . . 220 b) Caractère démocratique de la petite propriété 221 c) La petite propriété et le part, radical. 222 d) La petite propriété et le parti conser- vateur 224 Chap. IV. — Lavenir du capitalisme et du coopéra- tisme agricoles 220 1. Expansion des deux courants .... 220 a) Capitalisme agricole 227 b) Coopératisme agricole 22V) 2. Capitalisme et coopératisme par rapport à la proprli'té privée et au collectivisme . 2;il fl) Le capitalisme dans le Tégime de la propriété privée et en régime coUec- TABLE DES MATIERES 3il tiviste 232 b) Le coopératisme agricole. Son action sur la propriété privée et sur la pro- priété collective 234 3. Rapport de l'économie agricole à révolu- tion sociale 241 a) L'évolution sociale et les inlluences économiques étrangères à Tagricul- ture 241 b) Coopératisme industriel et profes- sionnel 242 c) Capitalisme industriel 243 d) Résultante sociale des divers cou- rants économiques 244 TROISIÈME PARTIE LF, PARTI SOCIALISTE ET LES CLASSES RURALES Chap. I. — La propriété foncière et le parti socialiste. 249 1 . En France 249 2. En Belgique 259 3. En Allemagne 262 4. En Angleterre 273 0. Italie 273 Chap. II. — Le socialisme et la petite propriété fon- cière en Italie 281 1. Elimination de la petite propriété fon- cière 281 2. Petite propriété et petite culture . . . 300 a) La petite culture dans la grande pro- priété privée et dans le collectivisme. 300 3. Propagande socialiste et petite propriété. 303 a) Décisions des Congrès et courants économiques naturels 303 b) Adhésion de la petite propriété au socialisme 30o Chap. III. — Le Prolétariat agricole 309 1. Le salariat agricole 310 2. Métayage et colonat partiaire .... 314 a) Métayage 314 342 TABLE DES MATIÈRES b) Le partage au tiers (Terzeria) . . . 318 3. Les petits baux 319 4. Eraphytéose 320 Chap. IV. — L'action agraire des socialistes t/a/i; les communes et au parlement 322 1. Dans les communes 322 2. Action parlementaire agraire. Reconsti- tution de la petite propriété foncière . . 324 Chap. V. — Socialisme agraire 334 FIN Saint-Amaud (Glier). — Imprimerie BUSSIERE. If/ t TA xsi-V ^ Â^ 0) (0 rH .H o •H CD e >r: Universityof Toronto Library DONOT REMOVE THE CARD FROM THIS POCKET Acme Library Card Pocket LOWE-MARTIN CO.UMITFD n\ "^.m: m '^. >; »fc^^^<