.ELACHAUX & NIESTLÉ S.AA m FOR THE PEOPLE FOR EDVCATION FOR. SCIENCE LIBRARY OF THE AMERICAN MUSEUM OF NATURAL HISTORY u *izr^- .r ^1°: y» yç>^f% EUGÈNE RAMBERT • L. PAUL ROBERT LES (âlSEAWiK DANS ÈÀ^NATURÈ fi) NEUCHATEL DELACHAUX & NIESTLÉ S.A. ^4*^ <« LES OISEAUX DANS LA NATURE IMPRIMERIE DELACHAUX EJ NIESTLE S. A., NEUCHATEL 1916 EUGÈNE RAMBERT et LÉO PAUL ROBERT LES OISEAUX DANS LA NATURE 50 MONOGRAPHIES D'OISEAUX UTILES ILLUSTRÉES EN COULEURS PAR L. P. ROBERT PREFACE DE PHILIPPE GODET NEUCHATEL DELACHAUX & NIESTLÉ S. A. ÉDITEURS "Cous droits réservés PRÉFACE PREFACE ^^E livre est vieux de trente-six ans; mais il na pas vieilli. Au I contraire, il nous revient rajeuni par le travail nouveau de ïillus- trateur, rajeuni encore par un format moins solennel et plus commode que celui de ïin-folio primitif. Quant au texte, il est demeuré le même. L'auteur nest plus là pour y rien changer; aucun changement ny est d'ailleurs désirable: Eugène Ramhert na rien écrit de plus achevé. C'est vers 1876 que l'éditeur Daniel Lehet conçut le projet d'une grande publication sur les oiseaux, et en confia l'exécution à Paul Robert et Eugène Rambert. Celui-ci mentionnait cet ouvrage, au moment même où il allait paraître, dans une note auto-biographique rédigée vers 1 880 : « Le texte, disait-il, est complètement de moi. M. Robert, dont le nom est accolé au mien sur le titre, me fournit des matériaux nécessaires, me dirige scientifiquement — c'est un grand connaisseur — et me sert de caution. Je me suis laissé jeter dans cette entreprise par un goût des descriptions, et j'ai trouvé un grand plaisir à écrire ces médaillons d'oiseaux, dont il y aura en tout une soixantaine. » 8 PRÉFACE Heureuse collaboration du peintre neuchâtelois, connaissant à fond les oiseaux quil s^agissait de mettre en scène, et du littérateur vaudois, dont toute ï œuvre atteste le don de l'observation, joint à un vif sentiment poétique et aux ressources d'un écrivain de race. Les voilà donc à ïœuvre. Leur but est de décrire et représenter par ï image les oiseaux d'Europe qui méritent la protection de F homme. Ils font leur choix d'abord — car ils ne visent pas à tout dire, mais à indi- quer l'essentiel; — puis ils s'appliquent à faire de chaque planche et de chaque notice un tableau en raccourci des mœurs et de la vie de l'espèce décrite. Le peintre, pour qui ce petit monde ailé n'a plus de secrets, met chemin faisant ses trésors de renseignements à la disposition de l écrivain. — Ce fut un travail commun plein de cordialité et de charme. En dépit des imperfections de la chromolithographie d'alors, cet ouvrage en trois volumes eut un réel succès. Parmi les distinctions qui récompensèrent les auteurs, il faut mentionner la médaille d'or que leur décerna la Société nationale d'Agriculture de France. La presse l'accueillit aussi avec beaucoup de faveur et partagea équitablement les éloges entre le poète et le peintre. Plus tard, le texte de Rambert fut réimprimé seul à deux reprises (1884 et 1905) par les éditeurs mêmes du présent volume. Cela était d'au- tant plus désirable que ces notices, d'une brièveté si expressive, n'avaient pas été lues autant qu elles le méritaient : les images tracées par le peintre avaient accaparé toute l'attention, et beaucoup de lecteurs n'avaient par- couru que d'un œil distrait le texte patiemment et artistement composé par Rambert. Il faut d'ailleurs convenir que le format in-folio n'était pas pré- cisément propre à séduire le lecteur. Et pourtant, ces courtes monographies écrites par V auteur des « Alpes PRÉFACE 9 suisses » sont, à notre goût, les pages les plus parfaites quil ait jamais signées. Nulle part son talent de naturaliste-poète na déployé plus de souplesse, de grâce et de variété. Ce qui frappe tout d' abord, cest la concision de ces portraits à la plume. S'il est une qualité de Rambert qui ait failli devenir un défaut, cest sa scrupuleuse conscience. Expert en Vart de décrire, il craignait tou- jours de nen avoir pas dit assez, d'avoir négligé quelque trait nécessaire à ï effet d'ensemble et à la ressemblance parfaite de ï objet. Il lui arrivait d'insister avec une complaisance qui risquait de devenir prolixité. Mais ici, les conditions mêmes de la publication le préservèrent de ce danger. L'espace réservé à chaque notice était limité à une page. Dans cette page il fallait dire l'essentiel, rien de plus. C'était la concision obligatoire. Loin d'être gêné par cette contrainte, le talent de Rambert y trouva un stimu- lant nouveau. Force lui fut de concentrer ses effets, de supprimer tout déve- loppement superflu, de pratiquer l'art fécond des sacrifices. Au début, il le regrettait; pour un peu il eût maudit l'obligation d'être si bref : « // est certain, écrivait-il à Paul Robert, que presque tout est sacrifice dans cet ouvrage, et qu'il est plus remarquable par ce qu'il ne dit pas que par ce qu'il dit. » — Cela est vrai, mais un peu autrement que ne l'entendait Rambert. En effet, pas une ligne de trop dans ces mono- graphies où chaque trait porte, où chaque mot, scrupuleusement choisi, déploie la plénitude de son sens et concourt à l'évocation vive de la réalité. Ce qui ne frappe pas moins que cette brièveté, c'est la souplesse et la variété du ton. Décrire l'un après l'autre tant d'oiseaux, non seulement sans se répéter, mais en trouvant pour chacun l'accent juste et significatif; faire saisir au lecteur la physionomie particulière de tous ces petits êtres que le passant distrait distingue à peine l'un de l'autre; être pittoresque 10 PRÉFACE toujours à nouveau, varier constamment ses procédés descriptifs, comme la nature elle-même varie à Finfini ses moyens créateurs; puis, dans une même famille (voyez, par exemple, celle des mésanges), établir les rapproche- ments sans effacer les individualités, rappeler toujours le type commun, en évitant les redites fastidieuses, — c était là, comme le disait Rambert lui- même, « une mauvaise gageure à gagner ». // la gagna à force d'art et de patience, grâce aux ressources infinies d'un talent où entraient à proportions égales l'observation et la sympathie. Rambert a trouvé le secret d'individualiser ses personnages : car ce sont bien des personnes qui vivent sous nos yeux, et presque des membres de notre humanité, tant leurs attitudes, leurs manèges, leurs vertus et leurs passions ressemblent aux nôtres. Ces analogies, Rambert n'a garde de les souligner, mais elles sautent aux yeux. Et nous nous amusons de rencontrer dans le monde des oiseaux des types analogues à tous ceux qui forment la société humaine. Que de diversité! Que de contrastes! Voici le moineau citadin, hardi gamin des rues, et le moineau campagnard, moins dégourdi sous sa coiffe de milaine rousse; voici la huppe, sorte de princesse qui traîne soli- tairement sa grandeur; voici l'hirondelle familière; la bergeronnette rus- tique, amie des bœufs et des pâtres; voici le rude ouvrier prolétaire, le pic; voici des artistes : la grive musicienne; la fauvette des jardins; son aimable sœur la grisette, qui a reçu du ciel « le don de la joie inaltérable »; le merle noir, qui n'annonce pas seulement le printemps, mais qui le « prophétise »; Voici le minuscule troglodyte, et l' oiseau-souris, épris de la vie cachée; le phragmyte, rêveur nonchalant des plages; le rouge-queue, bourgeois rangé, bon époux et bon père; l'engoulevent, noctambule farouche; voici les ori- ginaux et les bizarres, tel le torcol, disloqué comme un clown; le traquet aux allures de maniaque.... Il y a même, dans ce monde où ne manque PRÉFACE 11 aucun type du nôtre, de ces êtres mal définis, de conscience obscure, qui ne paraissent nés ni pour la joie ni pour la souffrance : « La vie leur est un rêve; ils la traversent comme ils y sont entrés, sans la comprendre, et quand il s'agit d'en sortir, quand la mort est là, qui se dresse devant eux, ils la regar- dent et lui disent encore : « Que me veux-tu ? » Combien Rambert était poète, on s'en doutera moins en lisant ses vers que telle page de prose pleine d'une grandeur étrange : celle, par exemple : sur le pinson des Ardennes, ou l'idylle de la lavandière jaune, ou le mor- ceau lyrique sur le cantique du merle.... De telles pages méritaient de ne pas périr. Il faut louer grandement les éditeurs de nous les rendre en une édition qui mérite vraiment d'être appelée nouvelle. Ce qui en fait la nouveauté, ce n'est pas seulement la perfection avec laquelle sont reproduites en couleurs les délicates et bril- lantes compositions de Paul Robert, c'est quelles sont elles-mêmes en partie inédites. Paul Robert, en effet, ne s'est point contenté de reprendre ses aqua- relles primitives : il les a souvent transformées par un nouveau travail d'ob- servation et d'étude. Il a consacré des mois à repeindre entièrement les cinquante pages choisies parmi les cinq douzaines de la première édition. Le progrès de cette illustration est indiscutable, — ainsi que s'en convaincront aisément les personnes qui possèdent les trois volumes de l'édition Lebet, — d'abord grâce au développement qu'ont pris depuis trente ans les procédés de reproduction, mais plus encore par la valeur même des planches originales. L'artiste a réalisé mieux encore la tâche qu'il s'était proposée et qu in- diquait avec précision ce titre : « Les oiseaux dans la nature ». Le mérite des nouvelles compositions de Robert, c'est de tenir plus exactement que les premières tout ce que cette formule promet. 12 PRÉFACE // écrivait à Rambert le 5 mars 1879 : « Jusquici, à ma connaissance du moins, on a dessiné les oiseaux devant les vitrines d'un musée, et une fois dessinés, on a mis derrière des fonds quelconques, faits sans études d'après nature, et surtout sans inspiration. Mon rêve à moi est d'exprimer quelque chose de la poésie de l'oiseau au sein même de la nature. » C'est ce rêve ancien dont il s'est remis à poursuivre la réalisation avec une ferveur nouvelle. L'oiseau surpris chez lui, dans son cadre familier, dans le buisson qu'il affectionne, auprès de la plante qu'il préfère, dans l'abandon de ses mœurs, de ses occupations, de ses allures distinctives, voilà ce que l'art de Paul Robert fait surgir devant nos yeux. Le « milieu » de nature, forêt, jardin, rochers, broussailles, grève, prairie, habitations humaines, est étudié dans chacun de ces tableautins avec un amour aussi attentif que le héros même de la composition. Chacune de ces peintures est une petite scène surprise par l'observateur, et traduite avec un respect profond, presque religieux, de la réalité vivante. Voyez plutôt le groupe éclatant des chardonnerets parmi les chardons; ou bien, sur la branche encore nue où se gonflent les bourgeons vert pâle, le pinson chantant, le bec en l'air, l'ineffable douceur du renouveau! Voyez ce délicieux coin de parc, que les amis du maître du Ried reconnaîtront, cette pelouse semée de pâquerettes, ces parterres de fleurs, où trône le gobe- mouche à collier ! Ici, c'est un bout de coteau pierreux; là, une plage jon- chée de galets; plus loin une paroi de rochers que décore la dentelle des saxifrages; ailleurs encore, c'est, se Iprofilant sur la jolie église d'Orvin, le fil du télégraphe où l'hirondelle aime à se reposer.... Autant de petits tableaux où l'on retrouve le tendre et subtil paysagiste du Premier prin- temps. L'oiseau s'y révèle véritablement à nous, parce que nous le surpre- PRÉFACE 13 nons dans nntimité même de sa vie quotidienne, et dans la réalité caracté- ristique de ses préférences et de ses habitudes. Il ne pose pas, il vit. De ce parti pris fécond de peindre V oiseau dans la nature, sans con- vention ni calligraphie banale, naît la variété piquante d'une mise en scène qui se renouvelle à chaque page; on se sent dans la vérité; le pinceau de l'artiste a cette éloquence où atteint sûrement celui qui, loin de prétendre imposer sa formule préconçue à la représentation du monde extérieur, se soumet au contraire humblement à la nature, la contemple, l'écoute, la laisse parler. Les aquarelles de Paul Robert, si amoureusement poussées, sont un naïf hommage à l'œuvre divine. Les peintres d'une certaine époque par- laient volontiers du « fini », et l'on a pu sourire de ce mot démodé. J'oserai l'employer aujourd'hui à propos des oiseaux de mon vieil ami Robert. Mais son « fini » n'est pas celui de la mièvrerie impuissante, c'est le « fini » d'un maître pour qui la caresse du pinceau est une forme de l'adoration. Voëns, Juillet 1916. Philippe GODET LE MOINEAU FRANC LE MOINEAU FRANC LE MOINEAU FRANC JE serais curieux de savoir ce qu'on dirait du moineau franc s'il était parmi nous le seul représentant du monde des oiseaux. On ne se bornerait pas, je le pense, à admirer l'agilité de son vol; on trouverait du charme même à sa voix; on serait indulgent pour son humeur querelleuse ; on citerait son nid informe comme un exemple de l'industrie animale, et les poètes parleraient à l'envi de son plumage varié. Auraient-ils tort ? Non. Oubliez tout ce qu'à d'autres espèces a prodigué la nature, et dites si le duvet gris de cette tête ronde n'est pas aussi fin que charmant, si chacune de ces plumes du dos et de l'aile, diversement colorées, plus claires au bord, plus sombres au milieu, passant du jaune ou du roux au brun ou au noir, ne sont pas de petits chefs-d'œuvre; dites enfin si cette joue cendrée n'est pas coquette avec sa bordure marron, et s'il est possible de voir un petit œil plus éveillé? Mais comment ne pas comparer, lorsque tout nous y invite? Qu'est-ce que le vol du moineau en présence de celui de l'hirondelle, sa voix à côté de celle de la fauvette, son nid si l'on songe à celui du chardonneret, son plumage auprès de celui du pigeon, de la huppe ou du bouvreuil, sans parler du paon et du colibri ? Pauvre moineau, c'est la comparaison qui l'écrase. 20 LES OISEAUX DANS LA NATURE Quels que soient ses défauts, il lui reste un mérite : il est lui-même. Le moineau franc est un type, le type de l'oiseau qui s'est mêlé à l'homme et ne s'est point donné. Tout ce qu'on en peut dire découle de là. Ce n'est pas des demeures isolées qu'il s'est constitué le commensal : il n'en est plus à cette première audace; il a passé de la ferme au village, où quelques-uns sont restés ; puis du village à la ville où il croît et mul- tiplie : le moineau franc est un enfant de la rue, hôte assidu des halles, des places de marché, des faubourgs et des carrefours. Il s'ennuie dans la solitude. Il n'a plus le moindre goût pour les voyages; la promenade même lui paraît un plaisir vulgaire, bon pour les paysans, pour le cousin friquet; il a son quartier, sa rue, sa place; c'est son théâtre et il ne s'en éloigne pas. Il y vit en public, au milieu de la foule et faisant foule lui- même. Ses amours ont perdu tout mystère. En présence de témoins qui piaillent d'aise plutôt que de jalousie, il célèbre ses noces sur les trottoirs, dans les gouttières ou sous les tables de quelque jardin-buvette. Puis il amasse en hâte les matériaux d'un mauvais nid, que trahissent au dehors de longues pailles pendantes. Toute place lui est bonne, pourvu qu'elle soit à l'abri de la pluie et des chats. S'il peut voler le nid d'autrui, c'est encore mieux. Il n'est pas rare que l'hirondelle trouve un moineau à son domicile; mais on sait comment elle s'en venge, en murant le trou et faisant prisonnier l'intrus. Le père et la mère couvent tour à tour; ils poussent l'esprit de camaraderie jusqu'à partager cette peine. A peine éclos, les petits sont incorporés dans la communauté, au bruit assourdissant de mille félicitations. Les mœurs des jeunes sont déjà celles de leurs aînés, sauf un penchant marqué à chercher un abri pour la nuit plutôt dans le feuillage des arbres que dans les encoignures des murailles. Est-ce un dernier reste, un lointain souvenir de l'instinct LE MOINEAU FRANC 21 primitif? Leur éducation d'ailleurs n'est pas longue. L'exemple des parents leur a bientôt enseigné les feintes et les roueries du gai métier de maraudeur; il leur a bientôt appris à visiter les ordures éparses sur le pavé, à discerner les bonnes aubaines et à choisir le moment. Choisir le moment : c'est le grand art ! Le moineau le pratique avec autant d'audace que de ruse. L'aile à demi pendante, il sautille sans avoir l'air de rien, comme flâne le gamin polisson, les mains dans ses poches. Aucun regard ne trahit sa secrète pensée. Puis, pst.... il fait un demi- tour, happe la proie convoitée et disparaît : c'est le temps d'un clin d'oeil. Ces manèges sont curieux à observer dans les colonies d oiseaux aquatiques, de cygnes, de canards, qu'entretiennent les villes où il y a de l'eau. C'est là qu'il fait bon se constituer parasite ! Et dans les jar- dins zoologiques! Rien de plaisant comme de voir le moineau enlever à l'ours ou à l'éléphant la friandise qu'on vient de leur jeter et qu'ils flairent déjà du museau ou de la trompe. Et son air goguenard quand le tour a réussi et qu'il fait bombance à vingt pas ! Dans les jardins où il guette une treille, il sait fort bien attendre que le patron ait disparu, il redoute les pièges. A force de vivre avec l'homme, il est devenu très défiant. Aucun oiseau n'est plus difficile à prendre. Ce n est pas comme le friquet qui, avec sa bonhomie campagnarde, va donner droit dans les panneaux. Mais dans la rue, où il sait bien qu'on n'a pas le temps de s'occuper de lui, le moineau franc n'a peur de rien. Le tourbillon est son élément; entre deux voitures qui passent, il visite une ordure et ne lâche prise qu'au moment où il va être foulé par les chevaux. Mais gare au rival qui lui enlève le morceau qu'il se réservait ou qui lui joue quelque autre tour ! Car ils s'en jouent entre eux comme ils en jouent à autrui. Leurs querelles sont violentes et publiques, comme 22 LES OISEAUX DANS LA NATURE leurs amours. Avec un tapage infernal et des cris et des luttes corps à corps, ils se roulent dans la poussière, sous les roues des chars : la rage, parfois, leur fait oublier la prudence. Puis quand on a bien piaillé, bien maraudé, et qu'on s'est bien querellé, on se réunit le soir aux lieux d'assemblée, dans les arbres, sous les toits, dans les vieux lierres qui tapissent les murs, et l'ont clôt la journée par un charivari universel. Ainsi vivant, le moineau pullule, grâce à ses trois couvées par an. Encore le génie de la rue : multiplier, sans mesure ni souci ! Cependant si les affaires allaient mal, si la ville se dépeuplait, il faudrait bien que la race des moineaux diminuât à son tour. Son industrie est liée à la nôtre; il y a solidarité entre l'homme et son commensal; mais il faut un certain temps pour que, de l'un à l'autre, les actions et réactions se pro- duisent. Rien n'indique que maître Pierrot ait déjà souffert de la stag- nation générale dont se plaignent nos fabriques et nos magasins. Cela pourra venir. En attendant, il continue à multiplier. LE MOINEAU FRIQUET LE MOINEAU FRIQUET LE MOINEAU FRIQUET LE moineau est-il utile ou nuisible ? La question est fort dis- cutée. Il a deux titres à notre reconnaissance : d'abord il mange beaucoup de petits insectes, c'est même d'insectes qu'il a coutume de nourrir sa progéniture; ensuite il est grand dévoreur de hannetons. Dans la saison favorable, le hanneton est son gibier par excellence ; il le saisit au vol ou posé ; en deux coups de bec il lui fait sauter les él5^res, et pour le reste, quelques bouchées suffisent. Ces services sont assez grands pour qu'on puisse pardonner au moineau des villes ses façons cavalières, ses querelles et ses piailleries. Ceux qui habitent la campagne ont le tort de faire une grande consomma- tion de grains. Comment établir la balance des profits et des pertes? Le compte n'est point facile; aussi le moineau a-t-il ses partisans et ses adversaires. Peut-être s'il avait le don de plaire, aurait-on plus d'indulgence pour les peccadilles que lui fait commettre la faim. Plaisant ou déplaisant, le moineau n'en est pas moins curieux à observer. On ne peut guère admettre qu'une espèce d'oiseaux soit sortie des mains de la nature pour peupler de ses colonies les places de mar- chés et les quartiers poudreux des villes les plus affairées. S'il y en a 28 LES OISEAUX DANS LA NATURE qui y ont élu domicile, on doit croire qu'ils ne l'ont fait que peu à peu, et que, pendant un temps nécessairement long, une suite de siècles, ils ont vécu comme si la race d'Adam ne devait pas naître ou ne devait bâtir ni bourgades ni grandes villes. Il en est comme de certaines espè- ces de plantes, — l'ortie, la mercuriale, — qui suivent l'homme par- tout, qui sont un indice presque infaillible de sa présence, mais qu'il n'a sûrement pas créées et qui ont vécu avant lui et sans lui. Les mœurs du moineau, parasite de nos demeures, ne peuvent donc s'expliquer que par une appropriation graduelle aux conditions d'existence que lui offrait le voisinage de nos maisons. Que faisait-il lorsqu'il n'avait ni coins de murailles pour se loger, ni balayures de rues pour y chercher sa pitance? C'est ce que l'imagination peut, sans doute, se figurer, mais ce que nous ne saurons jamais d'une science certaine, car il n'y a sur ce point d'histoire aucun document consultable. Cependant, si l'on voulait supposer avec de grands naturalistes, que deux espèces aujour- d'hui distinctes peuvent fort bien ne l'avoir pas toujours été, il devien- drait possible de trouver dans la nature quelques renseignements sur la manière dont s'est opérée la transformation des mœurs du moineau. On en connaît, en effet, plus d'une espèce. Les deux principales sont le moineau friquet et le moineau franc. Si l'un a subi plus que l'autre l'influence de causes perturbatrices, c'est assurément le second, qui a maintenant lié sa destinée à celle de la civilisation humaine et qu'atti- rent de plus en plus les quartiers populeux, riches en débris. Le moi- neau friquet serait un moineau resté à mi-chemin de l'évolution dont son frère des villes a parcouru le cercle entier; au lieu du moineau cita- din, ce serait le moineau paysan. Quant au moineau primitif, au vrai moineau sauvage, il aurait disparu. Ceci n'est qu'une hypothèse, mais LE MOINEAU FRIQUET 29 elle semble plausible. En tout cas, elle indique bien la différence de mœurs entre les deux espèces. Les naturalistes positifs, qui ont peur de se laisser prendre aux piè- ges de l'apparence, distinguent entre le caractère et la figure des êtres vivants. L'habit pour eux n'est qu'un habit. Les artistes, plus impres- sionnables, devinent le caractère par la physionomie, et hardiment concluent de l'une à l'autre. Ce n'est point une méthode, c'est un don d'intuition; mais les abus que peuvent en faire ceux qui se piquent de l'avoir ne prouvent pas qu'il ne faille ajouter aucune foi à ceux qui l'ont réellement. Présentez à un physionomiste un moineau friquet et un moineau franc, dites-lui que l'un de ces oiseaux habite la ville et l'autre la campagne, et tout aussitôt il vous dira quel est le citadin et quel est le campagnard. Comment s'y méprendre? A ton air bonhomme, petit moineau friquet, moineau des haies, comme on t'appelle aussi, tu trahis ta champêtre origine. Elle est écrite de même sur ton plumage. Cette coiffe de milaine rousse qui te recouvre le dessus de la tête, ce n'est pas à la ville que tu te l'es procurée. Et ces pattes basses, ce dos arrondi, ce menton replet, cette queue qui s'écourte, comme les pans, mesurés au plus juste, d'un habit de paysan : tout cela ne vient pas des maga- sins à la mode. Le citadin, ton frère, n'est pas plus richement vêtu; il l'est moins, au contraire; sa robe plus terne, traînée dans la poussière, n'a pas les tons chauds de ta rousse milaine; elle ne s'en accorde que mieux avec les airs allures et débraillés de ce gamin des rues, sans toi- lette ni respect. A défaut du plumage, on te reconnaîtrait à ton babil modeste, à tes appels rustiques, qui n'ont rien sans doute de très musi- cal, mais qui, doux et tranquilles, ne rappellent point le bruit des trot- toirs et les piailleries des écoliers mutins. 30 LES OISEAUX DANS LA NATURE Si Ton veut épier les mœurs très simples de cet honnête campa- gnard, il faut aller en été sur les lisières des champs et des bois ou dans les prairies plantées de vieux arbres. Peut-être verra- t-on pendre des brins de paille ou de foin à l'entrée de quelque trou que le temps a prati- qué dans le tronc d'un vieux pommier ou d'un érable à l'écorce rugueuse. Là est le nid du friquet, un pauvre nid, fait des débris de la grange pro- chaine : une couche de paille, doublée d'un mince duvet de plumes. Plusieurs ménages habitent parfois le même tronc, et souvent d'autres oiseaux viennent augmenter et varier la population de la colonie. Tous les nids s'emplissent et l'on couve en famille. On va aussi picorer en famille dans les chemins du voisinage, où passent bœufs et chevaux, et faire bombance dans les champs, en dépit des épouvantails auxquels le laboureur a confié la garde de ses moissons : on s'habitue au monstre inoffensif. Belle saison pour les friquets que celle où l'épi verdoie, et où le grain juteux s'emplit d'un lait succulent. L'abondance règne ; on les voit gais et repus, et leurs rares querelles sont vite apaisées. Ils ont d'ailleurs le caractère plus heureux que le moineau franc : ils ne pensent pas que les chicanes soient l'entretien nécessaire et le pain quotidien de l'amitié. Mais l'hiver s'annonce. Les petites graines sont rares et le friquet fait maigre chère. L'idée ne lui vient pas d'émigrer au midi : le paysan n'est guère voyageur; il ne songe pas non plus à aller cher- cher fortune dans les grandes cités; mais il se rapproche des fermes et des hameaux. Et voilà, sans doute, la tentation qui peu à peu a fixé le moineau citadin sur les pas de l'homme, et du village l'a conduit au faubourg et du faubourg à la ville. Ah ! friquet, mon ami, prends garde ! tu suis le chemin de ton frère ! Et toi aussi, veux-tu déposer la milaine ? LE PINSON ORDINAIRE LE PINSON ORDINAIRE LE PINSON ORDINAIRE VOYEZ -VOUS cet oiseau dont la gorge rosée brille entre les bour- geons verts prêts à s'épanouir en corolles? C'est le pinson, — notre pinson, — fils du printemps, hôte assidu des cerisiers, des poiriers, des pommiers et de tous les arbres à fruits qui peuplent la prairie. Il n'est point muet sur son rameau. De moment en moment il jette dans l'air une roulade qui retentit. Sa chanson n'est pas longue : mais la note en est vibrante, et il n'a pas moins de plaisir à la répéter cent fois que n'en ont les maîtres de l'art à varier leurs savantes mélodies. Dans tous les pays du monde, le pinson est le symbole de la joie. « Gai comme un pinson, » dit le proverbe, et vraiment il est difficile de se figurer une existence plus heureuse que celle de cet oiseau brillant, quand, au souffle de la brise printanière, il chante et voltige parmi les arbres fleurissants. Cependant il y a pinson et pinson. On remarque entre eux de grandes différences de caractère, et les plus heureux ne laissent pas que de connaître aussi les luttes de la vie et les orages de la passion. Les uns sont sédentaires, d'autres émigrent. La femelle a l'humeur vaga- bonde. La plupart de ceux qui nous restent en hiver sont des mâles. On ne les voit guère en troupes qu'en automne. Ceux qui songent à 36 LES OISEAUX DANS LA NATURE faire le pèlerinage du Midi s'y préparent par des expéditions plus ou moins aventureuses, pour lesquelles ils se réunissent, sans former de grands vols. Les uns partent plus tôt, les autres plus tard. Leur passage dure deux longs mois, les escouades qui viennent de loin se succédant par intervalles. Au retour, même dispersion. Les uns poussent très avant vers le Nord; les autres préfèrent nos climats tempérés; mais partout les femelles n'arrivent que dix ou quinze jours après les mâles. Ceux-ci passent dans l'inquiétude ces jours d'attente; ils se surveillent d'un œil jaloux et commencent à se donner la chasse. Là est évidemment le secret de l'humeur peu sociable d'un oiseau qui semble né pour la joie. Madame est très coquette, monsieur est horriblement jaloux. La distribution par couples ne s'accomplit qu'après de longues batailles. Ce mot de conquête, qu'a usé le langage de la galanterie, est vrai à la lettre quand il s'agit des amours du pinson. C'est chose facile, pour peu qu'on y prenne garde, d'observer les péripéties de ces drames innombrables, souvent tragiques, qui se jouent chaque printemps sous nos yeux et qui n'échappent qu'à notre inattention. La femelle n'a l'air de rien. Elle se promène sur l'herbette, le long des haies, dans les parcs, dans les prairies, dans les jardins. Cependant elle sait bien qu'on l'ob- serve, et de temps en temps elle laisse échapper un petit cri très agaçant. Une brillante roulade y répond du haut d'un arbre voisin; une seconde, une troisième roulade se font entendre plus loin, et les chanteurs cherchent à se surpasser les uns les autres. Ils ont la voix pure, retentissante, harmonieuse, et ils ne la ménagent pas; chacun aspire à être seul distingué. Soudain l'un des prétendants s'abat sur la pelouse. Il est gauche, d'abord, timide, étonné de sa hardiesse; puis il s'approche et commence à se pavaner aux yeux de la belle, qui d un LE PINSON ORDINAIRE 37 air de suprême Indifférence continue à chercher sa pâture. Il hérisse et rabat ses plumes, montrant et voilant tour à tour les trésors de son galant costume de jeune et brillant amoureux. Les plumes de dessous découvrent des richesses cachées. Le bleu de la tête brille d'un éclat métallique ; la poitrine devient de plus en plus rosée ; les taches blanches de l'épaule jouent comme un éventail; l'œil noir étincelle comme un diamant. Mais pendant qu'il s'ingénie à faire sa cour, passe un rival, et une chasse effrénée commence. Ils se poursuivent de branche en branche, d'arbre en arbre, sans trêve ni repos. Parfois ils s'atteignent et se livrent, sur le sol, de furieux combats, corps à corps. Il n'est point rare que celui qui est attaqué se couche sur le gazon, pour rendre coup de bec contre coup de bec. Plus souvent ils se battent à la manière des coqs, en posi- tion tous deux et se précipitant l'un contre l'autre avec une frénésie aveugle. Les plumes volent, et l'on a vu fréquemment le plus faible rester mort sur le carreau. La jolie pinsonne assiste à ces duels, sans cesser de sautiller et de picorer. Son petit cri ranime au besoin la fureur des deux rivaux. Le vainqueur, s'il n'est pas trop maltraité, vient triom- pher auprès de la cruelle, qui lui accordera peut-être quelque faveur passagère, mais qui, avant de se donner tout à fait, laissera s'engager encore de nouveaux et non moins terribles combats. Chez les pinsons, la plus belle est au plus vaillant. Pendant les heureuses journées qui suivent la victoire décisive, quand les arbres et les prés se couvrent de fleurs, le pinson assiste sa compagne dans la construction du nid, qui devient en peu de jours un petit chef-d'œuvre d'industrie, et reçoit bientôt des œufs charmants comme lui. Ce nid est un tissu de mille jolies choses, douillettes et chaudes : le tout recouvert de lichens toujours de la même couleur que 38 LES OISEAUX DANS LA NATURE celle de Técorce des branches entre lesquelles il est posé. On a grand*- peine à le découvrir. Ce ménage, dont l'établissement a été si laborieux, est tranquille et bien uni. Deux couvées se succèdent, en avril et vers la fin de mai. Les parents sont pleins de sollicitude pour leurs petits, qu'ils nourrissent encore quand les nids sont déjà vides. On les voit qui leur apportent la becquée sur les branches des arbres. Jeunes et vieux vont et viennent, chantent et sautillent. C'est alors que le pro- verbe a raison : rien n'est joyeux comme une famille de pinsons. La pluie seule les attriste; ils la sentent venir, et l'annoncent par un chant particulier. Mais le moindre rayon ramène la joie. Chaque jour de soleil est jour de fête. Bientôt les petits sont élevés, et les pinsons se réfugient dans les bois pour échapper aux chaleurs de l'été. Ils n'y sont pas moins gais que dans les vergers fleuris. L'automne vient; ils sortent des cachettes de la forêt pour entreprendre leurs migrations, et ainsi s'écoule leur vie, ramenant de printemps en printemps la douce et terrible saison d'amour. LE CHARDONNERET ÉLÉGANT LE CHARDONNERET ÉLÉGANT LE CHARDONNERET ÉLÉGANT QU'Y a-t-il à dire de nouveau sur un oiseau si généralement connu, si généralement aimé, tellement populaire qu'il est, à lui seul, l'objet d'un commerce aussi grand que toutes les autres espèces réunies? Rien, sinon que toutes les popularités sont discutées, qu'il y a toujours dans l'ombre quelque observateur narquois qui épie et dénonce le succès, et que le chardonneret ne fait pas excep- tion à la loi commune. Et cela même n'est pas nouveau. Vieux est le procès, toujours pendant, toujours actuel; il durera probablement aussi longtemps qu'il y aura des marchands pour vendre les petits oiseaux et des amateurs pour les acheter. — Oh! la belle toilette! dit la foule charmée; du rouge cramoisi, du noir soyeux, du blanc, du jaune! Est-il possible d'être paré de plus brillantes couleurs? — Brillantes ! répond le critique morose. Arlequin aussi est brillant. Y a-t-il la moindre grâce à ce gros bec écrasé contre cette face cramoi- sie? Et cette cravate blanche! Et ce frac noir à longs pans, galonné de jaune et boutonné de blanc ! Ne dirait-on pas une livrée de chambellan ? — Vous êtes bien sévère pour un oiseau si facile à nourrir, si doux en cage.... 44 LES OISEAUX DANS LA NATURE — Oui, excellent à mettre en cage, afin que les jardiniers de la banlieue puissent vendre les graines qu'il n'eût pas manqué de leur dérober à la première saison d'automne. Et de quel droit lui faire une place dans un livre qu'on dit consacré aux seuls oiseaux utiles ? Ne sait-on point les ravages qu'il fait dans les potagers? Oh! s'il s'en tenait à ces chardons dont il a pris son nom! Mais nos légumes, nos choux, nos salades! — Vous oubliez les insectes dont il nourrit ses petits au printemps . Et son chant, le comptez-vous pour rien? — Son chant est de troisième ordre. — Et son bon naturel ! Et son honnête caractère ! — Son bon naturel consiste à réclamer partout la première place. C'est ce qu'il fait en liberté, où il lui faut toujours la plus haute branche des arbres. C'est ce qu'il fait en captivité, où il est pris de jalouse rage quand un confrère veut partager avec lui le plus haut bâtonnet. Telle est la fierté de cet honnête caractère : elle consiste à s'accommoder de la servitude le plus galamment du monde, moyennant qu'on ménage la susceptibilité de sa vanité chatouilleuse. — Rendez au moins justice à ses petits talents. — Oui, de petits, très petits talents. Un bon professeur peut lui apprendre en huit jours à faire le mort dans la main, à monter sur le bout de l'index, à passer d'un index à l'autre, à venir boire dans la bouche, et même à faire le grand soleil, c'est-à-dire à se tenir cramponné à un bâton qu'on fait tourner avec lui.... Voilà ses arts, en eflet! Mais quant aux nobles arts de la liberté, il n'est le premier dans aucun, pas même dans le vol, quoiqu'il ait l'aile bien prise et qu'il vole vite quand il a peur. Gymnaste pesant, mauvais coureur, artiste.... LE CHARDONNERET ÉLÉGANT 45 Assez, assez, critique impitoyable!... Viens ça, messire chardonne- ret, que je te donne l'absolution. Tu peux être inférieur dans tous les genres à certaines races d'élite comme il s'en trouve parmi les oiseaux; mais le jour où la nature t'a créé, elle a voulu faire plaisir à la majorité du genre humain, qui n'est pas non plus composée de races d'élite; et c'est pourquoi elle t'a donné ces qualités moyennes qui ont beaucoup de succès, parce qu'elles sont très répandues, et parce que chacun aime à se retrouver dans les objets de son admiration. Plus de richesse que de beauté, moins de génie que d'agréments, moins de fierté que de fatuité, un ramage plus varié qu'original, plus étudié qu'inspiré, mais toujours prêt, toujours caressant, avec des notes sonores, toujours accompagné de mouvements persuasifs, de grands haut-le-corps : avec cela on fait son chemin dans le monde, surtout quand on y ajoute le talent de s'apparier à plus haut que soi. La sagesse peut gronder lors- qu'elle voit de son coin les chardonnerets politiques briguer les suffrages sur la grande scène du monde; mais quand c'est un petit oiseau qui chante tranquillement dans sa cage, la sagesse consiste à sourire. La vanité des hommes est laide, parce qu'elle est calculée et prétentieuse; celle des enfants est charmante, parce qu'elle est naïve et sans consé- quence. Ta grâce est d'être un enfant, à qui l'on pardonne tout, en qui tout est aimable, même cette gravité d'emprunt, même ces grands airs et ces petits tours, même cette livrée de majordome, même cet amour du haut bâton, où tu perches si complaisamment. Il n'est pas vrai d'ail- leurs que tu ne sois le premier en aucun genre. Si tu n'as pas les grands talents, du moins as-tu l'industrie, et nul ne te surpasse dans l'art de se faire une maison. Aucun nid n'est plus que le tien solidement assis sur la branche élevée où tu le caches et l'abrites; aucun n'est plus exac- 46 LES OISEAUX DANS LA NATURE tement tissé de matériaux mieux choisis; aucun n'est plus chaudement doublé de plus fin édredon; aucun n'est plus gentiment arrondi, plus ingénieusement façonné, avec ses rebords protecteurs, qui font saillie en dedans, et le garantissent contre les vents et la pluie. Laisse donc murmurer la critique, heureux chardonneret ; bâtis-en beaucoup de ces nids qui sont des chefs-d'œuvre, remplis-les d'oeufs abondants, foisonne et multiplie; peuple les arbres de nos vergers, peuple les cages de nos maisons; il n'y en aura jamais assez de ces petits oiseaux que la nature a répandus dans le monde pour se pavaner dans leur parure innocente et y entretenir le sourire d'une enfance perpétuelle. LE BRUANT ZIZI LE BRUANT ZIZI LE BRUANT ZIZI POUR les simples amateurs, la nomenclature des oiseaux ofïre souvent des difficultés. Dans plusieurs provinces de la France, c'est le verdier qu'on appelle bruant; ce nom lui vient de son cri : bru-u-ul Je ne saurais dire pourquoi les naturalistes n'ont pas suivi cet usage. Ils donnent le nom général de bruant à un certain nombre d'espèces qui se distinguent, entre autres, par la forme de leur bec : un bec conique, dont la mandibule inférieure dépasse légèrement la supé- rieure, et s'en écarte parfois vers les coins. La plus répandue, le bruant jaune, ou bruant de France (Bufîon), a reçu le nom de verdière dans les provinces oii le verdier s'appelle bruant. De là de fréquentes confusions. Il y a des espèces remarquables parmi les bruants des naturalistes. Celui à la tête noire est un fort bel oiseau, gorge et poitrine d'or; on le voit rarement de ce côté-ci des Alpes. Celui des neiges, aussi blanc que le précédent est jaune, habite le Nord; à peine, au cœur de l'hiver, descend-il jusqu'en Allemagne. Le plus célèbre des bruants est l'orto- lan, qui n'est pas le seul à avoir la chair fine, mais qui, pour son malheur, est le plus facile à engraisser. On sait de quelle manière on s'y prend : on met les ortolans dans une chambre obscure éclairée par une lan- terne. Ne distinguant plus le jour de la nuit, ils mangent nuit et jour. 52 LES OISEAUX DANS LA NATURE et deviennent gras à faire peur. Quand ils ne peuvent plus prendre leur vol pour aller percher, ils sont à point. Après le bruant de France, le plus connu de nos régions est le bruant zizi, auquel nous consacrons une mention plus spéciale, parce que, de toutes les espèces du genre, il est le plus insectivore. Il ne dédaigne point les graines; mais il a une préférence pour les insectes, et il en nourrit exclusivement ses petits. Ce nom de zizi lui vient de son chant, qui n'est pas très sonore et qui se confond presque avec le cri-cri des grillons. C'est un honnête oiseau, modeste, et qui fait peu de bruit. Il faut le chercher pour le voir. Il établit son nid dans les fouillis des haies vives ou dans les buissons isolés, au milieu des champs. Une fois installé, ce qui a lieu dès le mois de mars, peu de temps après son retour du Midi, il est très sédentaire. Chaque couple vit pour soi, et s'absorbe dans les soins et les joies de la vie de famille. Le bruant ne connaît que son nid; c'est pour lui l'univers. Il fait deux ou même trois couvées par an. Dès que les petits marchent, le père et la mère les mènent dans les moissons, où ils peuvent, sans danger, apprendre à chercher leur pâture. Si quelque bruit inattendu, quelque mouvement dans les blés, vient à les effrayer, toute la bande s'éparpille en poussant de petits zi-zi-zi, qui trahissent leur présence sans les rendre plus faciles à découvrir. C est un remuement général, et ils sont en sûreté avant que le chasseur ait eu le temps de se reconnaître. Plus grands, ils pro- fitent des jours humides ou pluvieux pour aller picorer dans les sillons des champs labourés; aussi, quand on les prend, ont-ils souvent le bec souillé de terre. On rencontre également le bruant sur les chemins, tantôt sur le chemin lui-même, tantôt dans la haie à côté. Il laisse passer le promeneur indiscret, se gardant bien de venir sautiller sous ses yeux, LE BRUANT ZIZI 53 comme fait rimprudent rouge-gorge; mais quand on se retourne, on le surprend qui vole à la dérobée d'une haie ou d'un buisson à l'autre. Cette timidité ne l'empêche point de donner dans les panneaux presque aussi bonnement qu'un de ses proches cousins, celui qu'on appelle le bruant fou, à cause de la facilité avec laquelle il se laisse tromper. Il a les émotions trop vives pour être toujours sur ses gardes. Ces existences cachées sont souvent les plus passionnées. Quand le mâle chante, il est tellement absorbé qu'on peut l'approcher de très près sans qu'il s'en aperçoive, et l'on est alors tout surpris de voir que c'est un charmant oiseau, malgré le trait noir qui lui passe au travers des yeux, et 1 espèce de moustache, également noire, qui lui tombe des deux côtés du bec. On dirait un visage, plutôt qu'une tête d'oiseau, un visage un peu rébar- batif, mais auquel la passion donne une physionomie singulière quand le cou se renverse et qu'on voit, au passage de chaque note, vibrer toutes les plumes jaunes de cette gorge gonflée. La femelle s'oublie à couver, comme le mâle à chanter. On peut presque la prendre à la main sur ses œufs, et si l'on s'empare de l'un des petits, rien n'est plus simple que de capturer père et mère. Il suffit de l'enfermer dans une cage double, dont un compartiment, celui qui est vide, reste ouvert. On pose la cage sur la terre à quelque distance du nid, et bientôt l'on voit arriver les parents, qui se précipitent par la portière ouverte. S'ils parviennent à s'échapper au moment où l'on croit les saisir, on en est quitte pour recommencer. Ils se laisseront prendre dix fois de suite. Ce n est pas, sans doute, qu'ils ferment les yeux au danger; mais chez cet oiseau timide, la nature est plus forte que la peur, et rien ne saurait l'empêcher d'aller où l'appelle la voix suppliante du pauvre enfant pri- sonnier. LA MÉSANGE GRANDE CHARBONNIÈRE LA MÉSANGE GRANDE CHARBONNIÈRE LA MÉSANGE GRANDE CHARBONNIÈRE AVEC la grande charbonnière, nous abordons la famille des mésanges. La mésange n'est jamais un oiseau de haut vol; sa force n'est pas à l'aisselle, mais au cou, au bec et aux pattes. C'est un petit oiseau, ramassé, très agile parce qu'il est très fort pour sa taille, né pour faire la chasse aux insectes en se suspendant aux plus minces bran- chettes. Toutes les espèces du genre, sans exception, passent leur vie dans le feuillage; la plupart redoutent de se hasarder à l'air libre. Du Nord, les mésanges émigrent pour le Midi, en automne. Sous nos lati- tudes moyennes, elles hivernent; mais elles sont très vagabondes; elles entreprennent de lointaines reconnaissances, elles font des parties de chasse ou de plaisir. Elles sont attachées au nid néanmoins, et très fécondes, surtout la grande charbonnière. Elles vivent essentiellement d'insectes. Leur chair à toutes, même à celles qui picorent des graines ou des amandes de pin, est coriace et maussade. Elles sont peu musi- ciennes, mais elles ont quelques notes, vives et claires, dont elles savent modifier l'expression. Elles sont très amusantes, à cause de leur agilité, de leurs tours d'adresse et de l'imprévu de leurs évolutions. Elles bou- gent toujours; c'est le mouvement perpétuel, plus rapide que toute 60 LES OISEAUX DANS LA NATURE réflexion : l'aile, la patte, le bec jouent comme un ressort ; c'est instantané. L'espèce que nous avons plus particulièrement en vue dans cette notice est la plus grande de nos mésanges. Son nom de charbonnière lui vient de la sombre calotte qui lui couvre la tête. Elle est richement vêtue, de couleurs variées et choisies. La joue blanche brille encadrée de noir; le dos vert et l'aile bleue ressortent sur la gorge noire et jaune. Chaque plume a son système de coloration, sa note, sa nuance. Et cependant l'ensemble n'a rien de discordant : ce n'est pas le costume d'un arlequin, ni d'un perroquet, mais d'un petit oiseau joyeux, qui se fait fête de son innocente parure. Au reste, pour peu que le soleil s'en mêle, tout est plaisir dans la vie de la mésange. Elle ne sait que jouer et s'ébattre. Elle sautille de rameaux en rameaux; elle s'accroche d'une patte, se suspend, se relève, frétille, bat de l'aile, pique du bec, et n'est jamais à bout de postures folâtres et de jolis tours ingénieux. Nous rencontrerons les mêmes instincts, plus développés encore, chez les petites espèces du genre; mais la grande charbonnière, quoique moins légère, est déjà étonnante d'agilité. Elle entremêle ses jeux d'un joli cri sans cesse répété, un refrain de joie : si-ti-da, si-ti-da, si-ti-da! ... Cepen- dant, quand on y regarde d'un peu plus près, on découvre que cette façon de jouer est une façon de chasser. C'est à l'extrémité des rameaux, aux feuilles ou autour de leur pétiole, et souvent sous les feuilles, que se trouvent de préférence les proies chères à la mésange charbonnière : œufs de papillon, chenilles, araignées, pucerons. Voilà pourquoi elle ne cesse de tourner autour des branches menues. Mais si ce jeu est une chasse, cette chasse est un jeu, et rien n'est gai comme une journée de mésange, sinon une autre journée de mésange. Les mois, les saisons cou- lent ainsi; l'automne vient et les oiseaux se rapprochent de l'homme; LA MÉSANGE GRANDE CHARBONNIÈRE 61 les bois étaient peuplés, ils se dépeuplent en faveur des jardins. Si vous voulez vous divertir à prendre des charbonnières, c'est le moment. Tendez une trappe sur un arbre, le premier venu, dans la cour, dans le verger, peu importe. La mésange s'approche; elle est curieuse, elle est étourdie, elle a faim ; elle est fascinée par la tentation ; comptant sur la prestesse de son aile, pst! elle enlève l'appât, et crac! la voilà prise. Coupez-lui une plume pour être sûr de la reconnaître, et rendez-lui la liberté : demi-heure après, vous l'aurez reprise, et vous la prendrez ainsi trois ou quatre fois de suite. Mais gardez- vous de la mettre en cage si vous ne voulez pas assister à des scènes tragiques. Elle y mour- rait ou y ferait quelque malheur. Si, par exemple, il y a dans la volière un oiseau plus faible, un malade, elle le poursuivra de son bec pointu jusqu'à ce qu'elle l'ait tué, alors elle se posera tranquillement sur le corps de sa victime, et de ce même bec, toujours aiguisé, elle lui perforera le crâne et lui sucera la cervelle. Elle est terrible, la charbonnière, quand elle se livre à ses exécutions. On prétend que cela lui arrive en pleine liberté, alors qu'il n'y a point d'excuse pour elle, surtout pas celle de l'ennui. Hélas! ces mésanges sont des enfants, et cet âge est sans pitié!... Mais au printemps cette enfance n'en est plus une. Les amours ont fait trêve à la chasse. Combien y a-t-il d'œufs dans le nid? Est-ce dix, est-ce douze, est-ce vingt? La mésange ne s'effraie pas pour si peu. Autant il y en a, autant elle en couve, et chacun de ces œufs devient un oisillon mignon, un grand bec affamé. Il faut voir alors voltiger et pirouetter père et mère : ce n'est pas pour rien que la nature les a faits si agiles. Ils suffisent à la tâche, les vaillants braconniers, et bientôt la nichée s'envole etTva jaser sur les arbres voisins. Pendant quelques semaines, les parents les suivent encore; ils les dressent, ils leur appren- 62 LES OISEAUX DANS LA NATURE nent la voltige autour des branches ; puis, le nid s'emplit de nouveau. Ainsi est faite la vie de la mésange. Parfois un accident y met fin : un chat, un épervier; parfois la fin vient d'elle-même, le cœur cesse de battre. Il n'est pas impossible que la mésange soit surprise en pleine chasse, et qu'on la trouve accrochée à une branche, morte comme elle a vécu. LA MÉSANGE NOIRE LA MÉSANGE NOIRE LA MÉSANGE NOIRE SI quelqu'un nous disait que la mésange noire, autrement appe- lée petite charbonnière, est née d'un croisement de la grande charbonnière et de la nonnette, nous n'en serions pas trop surpris, car pour la taille et pour le plumage elle forme l'intermédiaire d'une espèce à l'autre. Elle a généralement la coloration sobre de la nonnette, mais avec des reflets soyeux sur les ailes, qui rappellent les tons écla- tants de la grande charbonnière; de celle-ci, elle a le collier de jais et la joue blanche; de celle-là le capuchon de velours noir, avec le voile jeté sur la nuque, mais un voile blanc comme la joue au lieu d'être noir comme le capuchon, ce qui donne à sa petite tête brillante, forte aussi pour le corps, une expression singulière, un air décidé et mutin. Rien n'indique d'ailleurs que ce soit réellement un hybride; on ne la ren- contre pas accidentellement, ce n'est point une rareté; c'est un petit oiseau très commun, qui a sa physionomie et ses mœurs particulières et que tous les naturalistes envisagent comme formant une espèce très distincte. — Voulez-vous faire connaissance avec la mésange noire? Allez dans les vieilles forêts les plus épaisses, celles où le sapin domine, vous aurez bien mauvaise chance si vous n'y entendez pas, dans la hau- teur du feuillage, des voix qui s'appellent et s'entre-répondent : Sittu! 68 LES OISEAUX DANS LA NATURE Dutti! DuttH... C'est le cri de notre mésange, qui, seule entre ses sœurs, se fait une patrie des retraites les plus obscures. Les autres hantent les bosquets, les vergers, parfois les bois clairs et feuillus ; la mésange noire est la mésange du sapin. Comment s'est fait entre les diverses espèces le partage des goûts, des mœurs, des demeures? Ceci est une grave question, pleine de difficultés et de ténèbres, où la science commence à jeter quelques rayons épars et douteux. En attendant qu'elle l'ait résolue, le poète et le sage restent frappés des harmonies que la nature offre à leurs regards. S'il est une mésange qui soit faite pour le sapin, pour égayer cet arbre sévère, c'est sûrement la mésange noire. Elle est facile à entendre, mais difficile à voir, à cause de sa petite taille et du mystère dont elle s'entoure. Quand elle niche, on l'aperçoit sur la cime des arbres, dans les clairières découvertes. Elle n'a pas l'habitude, en effet, de bâtir son nid aux lieux qu'en d'autres temps elle hante de préférence. C'est aux grands chênes qu'elle aime à le confier, dans un feuillage où pénètre un peu plus de jour qu'au milieu de la chevelure des conifères. Comme elle adore les amandes, on peut aussi la voir, au moment de leur maturité, campée sur une pomme de pin, qu'elle dépouille en sifflant. Elle est charmante quand elle voltige, soit à cause de la prestesse de ses mouvements, qui sont, de tout point, ceux d'une mésange, presque d'une rivale de la nonnette, soit à cause des couleurs tranchées de sa tête, de ce noir vif, de ce blanc éclatant, qui se meuvent sans cesse avec une extrême rapidité et produisent des effets d'optique imprévus, des illusions de kaléidoscope. Mais il faut avoir l'œil fin et une grande habitude de découvrir et de suivre les oiseaux pour observer un vol aussi dérobé. Pour le promeneur ordinaire, la mésange noire n'existe que par l'animation qu'elle donne à la forêt. LA MÉSANGE NOIRE 69 Elle la peuple, elle la remplit de son agilité et de sa grâce sémillante. Pst! un mouvement par-ci, un frôlement par-là! toujours quelque chose qui bouge, toujours des frissonnements, des frémissements, des tres- saillements, et partout des voix joyeuses, partout des notes cristallines qui publient la gaieté de ce peuple invisible, perdu dans les hautes branches. Pour lui du moins, la forêt n'engendre pas la mélancolie, et cette joie expansive se communique à l'homme, dont l'imagination troublée verrait peut-être, sans cette douce compagnie des oiseaux sans souci, se dessiner dans l'ombre les yeux menaçants de quelque fantôme importun. En fait d'yeux de fantôme, la mésange noire ne connaît que ceux du chat-huant, du terrible chat-huant qui mange les œufs des oiseaux plus petits. Mais elle n'en a pas peur. Comme la mésange bleue, elle pousse au monstre tout en appelant ses compagnes, et il ne faut pas longtemps pour que le tapage soit grand dans la solitude des bois. La mésange noire est l'amie du forestier, dont elle nettoie les sapins et les chênes. On lui pardonne les quelques graines de pin qu'elle picote, et dont il n'y a guère disette, en faveur de tous les insectes nuisibles dont son bec vigilant purge l'écorce des arbres. Cependant l'existence ne lui est pas toujours facile. En hiver, quand il fait froid et qu'il neige, la pitance est maigre parmi les sapins. Aussi l'expérience l'a-t-elle rendue prévoyante. Elle fait des provisions qu'elle cache dans les fis- sures des troncs. L'écureuil en fait autant, le geai aussi : véritable ins- tinct d'habitant des bois. La mésange noire garde cet instinct quand on la met en cage. Elle cherche encore des cachettes dans sa prison. Mais avec sa vive imagination de petit oiseau, il lui prend sans cesse des inquiétudes mortelles, et, comme l'avare, elle va cent fois par jour s'assurer que quelque voleur n'a point surpris son trésor. LA MÉSANGE NONNETTE LA MÉSANGE NONNETTE LA MÉSANGE NONNETTE ON chercherait en vain plus gentille mésange. Elle est petite, beaucoup plus petite que la grande char- bonnière, qui doit peser à peu près deux nonnettes ; mais cette taille exiguë est un oiseau destiné à une voltige perpétuelle. Elle a aussi le corps plus ramassé, la tête plus grosse ; elle est plus forte relativement à sa légèreté. En revanche, elle n'a pas cette robe diaprée, faite pour briller au soleil. A peine quelques vagues teintes pourraient-elles, en s'accentuant, devenir du jaune, du vert ou du bleu. Ce ne sont que des intentions, destinées à rappeler que la nonnette appartient à une famille dont la nature se plaît à parer le plumage. Pour le reste, il lui suffit d'un blanc sans éclat, d'un gris nuancé, d'un brun timide et d'un roux modeste; mais ces couleurs tranquilles ne font que mieux ressortir la grande calotte d'un noir puissant qui lui couvre tout le dessus de la tête, depuis le bec, et qui descend en arrière comme un voile rejeté sur la nuque. Qu'elle est mignonne, cette grosse petite tête blanche, coiffée de noir, plumeuse, chevelue, touffue, joufflue, ronde comme une tête de poupon, avec ces deux yeux de diamant, dont l'éclair l'illumine, et ce bec, conique et pointu, qui fait saillie tout seul! Ah! si la nonnette avait les proportions du vautour, il ne ferait bon pour personne sous 76 LES OISEAUX DANS LA NATURE un bec ainsi taillé et vers lequel se concentrent tous les muscles de la tête et de la nuque! Petite comme elle est, elle n'est que trop grande pour ceux qui sont plus petits; cette nonnette mignonne, c'est encore un vautour. Où trouver cette nonnette? Partout où il y a de l'eau et des arbres, des aunes, des saules; au bord des lacs, des étangs, des tourbières, dans les clairières des bois marécageux. Pour être sûr de ne pas la manquer, choisissons quelque lisière humide, voisine de terrains vagues ou de champs cultivés, car si elle aime les produits de la chasse, le gibier sai- gnant, elle ne redoute point quelque entremets farineux, fait de graine de chardon, de tournesol ou de salade, surtout elle adore les graines de chènevis. La voici sur une branche de sureau. Approchez- vous, elle n'est point sauvage. Qu'est-ce que ce fruit qu'elle tient entre ses deux pattes, qu'elle regarde d'un œil oblique et dont elle perce la coque d'un coup? Ne voyez- vous pas trembler encore une haute tige de chan- vre, une de ces tiges qu'on laisse pour la graine, au bord des chènevières? Elle voudrait bien y retourner, la coquine; mais elle hésite, ce petit carnassier a peur des grands carnassiers. Enfin, elle prend courage : le moment est propice, il n'y a dans l'espace ni faucon ni épervier; elle part, elle arrive, elle se suspend au chanvre feuillu, qui s'agite et plie sous le fardeau; elle bat de l'aile, pique du bec, repousse la tige qui se balance majestueusement à côté de ses sœurs immobiles, et retourne en toute hâte à sa branche de sureau, pour y croquer le fruit dérobé. Regardez encore : n'y a-t-il point quelque cavité dans le tronc à demi pourri du sureau ? Peut-être y trouverez-vous le nid de la nonnette, un pauvre nid, mal tapissé, mais souvent taillé dans le bois par l'oiseau lui-même, qui se sert de son bec aussi sûrement qu'un graveur de son LA MÉSANGE NONNETTE 77 poinçon. Comme les nids ne sont plus habités dans la saison où mûrit le chanvre, vous pouvez, sans déranger personne, examiner ce curieux produit de la menuiserie des oiseaux. Les petits caquettent dans le voisinage, et la mère, sans doute, ne va pas tarder à rejoindre son époux : ils ne sont jamais longtemps l'un sans l'autre; ils s'adorent, ils se choient, ils se donnent mutuellement la becquée. Elle vient, elle se pose sur la même branche que son seigneur et maître, avec un zisisisi^ auquel il répond par un sizidàdà, ou par tel autre cri de leur vocabulaire d'oiseau. Ce langage n'est pas riche; mais l'intonation le varie et même sans voir la nonnette, vous devineriez à son babil tout ce qui lui arrive, tout ce qu'elle veut dire, tant elle y met d'accent. Les nouvelles sont bonnes, et bientôt ils retournent à la provision. Ce que l'un rapporte, souvent il le donne à l'autre, et toujours ploie et reploie la haute tige du chanvre. Cependant l'appétit a ses caprices : après l'entremets on reprend goût au gibier. Regardez bien cette fois, si vous voulez suivre leurs évolutions dans le feuillage, car la nonnette est agile entre les plus agiles. Elle dépasse de beaucoup la grande charbonnière; seule, la mésange à lon- gue queue, moins forte, mais plus légère encore, pourrait lui disputer la palme de la rapidité. Jamais petit oiseau ne fit plus folle dépense de vie. Aucun mouvement n'est difficile à la souplesse de ce corps ner- veux et ailé. Elle s'accroche à tout, même au support fragile des feuilles. Elle se sert des moindres rameaux comme le gymnaste de sa barre; elle s'y tient horizontalement par la force de ses deux pattes tendues, s'y suspend et, la tête en bas, court et sautille le long de la branche; puis d'un élan elle se retrouve dessus, plonge, se raccroche, se relève, replonge et ne cesse de se faire tourner et pirouetter. Quand elle a fait une prouesse, elle n'attend pas qu'on applaudisse pour continuer la 78 LES OISEAUX DANS LA NATURE représentation. C'est une succession ininterrompue de culbutes, d'équi- libres, de sauts périlleux, de balancements, de tournoiements, d'audaces de voltige aérienne. Elle glisse et bondit de feuille en feuille, de branche en branche, de buisson en buisson, toujours piquant du bec, toujours appelant et chantant. Oh ! les grands oiseaux, les maîtres du vol, ramiers, hirondelles, mouettes et frégates, vous qui planez dans le haut espace, vos voyages, vos beaux et rapides voyages, vos grandes chasses dans les airs sont encore un travail ; venez, contemplez la voltige de la nonnette : voilà le plaisir, voilà le jeu. LA MÉSANGE BLEUE LA MÉSANGE BLEUE LA MÉSANGE BLEUE BUFFON fait honneur à une mésange bleue, apprivoisée, d'un joli trait de tendresse maternelle. « Ayant mis dans sa cage, dit-il, deux petites mésanges noires, prises dans le même nid, la bleue les adopta pour ses enfants, leur tint lieu d'une mère, et partagea avec eux sa nourriture ordinaire, ayant grand soin de leur casser elle- même les graines trop dures. » Le même Bufîon, d'accord avec les natu- ralistes modernes les plus autorisés, attribue aussi à cette espèce 1 ins- tinct féroce de la grande charbonnière, qui poursuit les oiseaux plus faibles, les tue et se régale de leur cervelle. Que faut-il en conclure, sinon que la mésange bleue a, comme nous, ses bons et ses mauvais moments, ses instincts généreux et ses appétits dépravés? La mésange bleue est courageuse ou poltronne, selon les occasions ou les ennemis. Le nombre ne la rend pas plus brave. On en voit des vols considérables pris de panique au moment de quitter le bocage pro- tecteur. C'est encore le faucon, le grand carnassier, dont la noire silhouette, toujours prête à se dessiner sur l'azur du ciel, hante comme un épouvantail l'imagination fébrile du petit carnassier. Le vol part, s'arrête et retourne précipitamment à ses cachettes. Les mauvais plai- sants peuvent multiplier ces frayeurs. Ils n'ont qu'à jeter en l'air un 84 LES OISEAUX DANS LA NATURE mouchoir ou un bonnet pour affoler les pauvres mésanges. Mais si quelques-unes d'entre elles, en petit nombre, viennent à découvrir un chat-huant hors de son trou, ce n'est pas de terreur, c'est de fureur qu'elles sont folles. Elles ne connaissent plus le danger; elles sonnent la charge, vont droit au monstre, le poursuivent, le harcèlent et déchaînent contre lui toutes les meutes de la forêt. Généreuse ou cruelle, poltronne ou courageuse, la mésange bleue est la mésange bleue, c'est-à-dire l'un des hôtes les plus gracieux de nos bosquets. Mais, peut-être, ne faut-il pas la voir au repos, malgré l'éclat de son plumage et le joli chaperon d'azur qui lui tient lieu de la coiffe de velours noir que portent la charbonnière et la nonnette. Plus grande que celle-ci, elle est moins heureusement proportionnée. Ses pattes trop courtes, sous un petit ventre rebondissant, son épaisse encolure, sa tête triangulaire, ramassée dans sa gorge, et la ligne noire qui lui va du collier au bec, passant par l'œil et coupant la figure en deux, lui donnent un air plus inquiétant qu'avenant. On se demande ce qui peut bien se passer dans cette tête. Il faut la voir en mouvement, la voir frétiller et miroiter sous un rayon de lumière. Quand elle saute de branche en branche, au haut des arbres, elle ressemble à un canari échappé de sa cage; quand elle vole à hauteur de l'œil, étalant l'azur de sa petite queue, pliant et dépliant l'éventail de son aile, on la prendrait pour l'oiseau bleu que chantent les vieilles légendes. Elle sait aussi, à la manière de la nonnette, pirouetter autour des branches, comme pour montrer toutes les richesses de sa robe couleur du temps. Elle n'ignore pas qu'elle est jolie, et elle profite de ses avantages; elle en profite sur- tout quand certaines pensées de mariage la chatouillent au cœur et qu'elle se sent embellir. Le fiancé, qui va devenir un époux, déploie toutes les LA MÉSANGE BLEUE 85 ressources de sa coquetterie et de sa beauté ; il se pose à côté de la belle, la regarde d'un œil tendre, hérisse passionnément son plumage, siffle, gazouille, roucoule, et soudain s'envole pour l'éblouir et la fasciner en planant au-dessus d'elle, les ailes étendues. En cette saison d'amourettes, les mésanges bleues vivent deux à deux; ensuite, elles ont famille, nom- breuse et double famille, comme toutes les mésanges; enfin, elles se réunissent en sociétés et forment des vols, qui vont courir le monde et faire bombance. On la rencontre en toute saison dans le voisinage des lieux habités, mais jamais aussi bien établie, aussi bien chez elle, que lorsqu'elle en a fini avec les labeurs de la vie conjugale. Ce ne sont pour- tant pas les fruits, les graines qui l'attirent, mais toujours les insectes, les larves, les chenilles. Quand un vol de mésanges bleues s'est emparé d'un cerisier ou d'un pommier, il n'en a pas pour longtemps à le net- toyer. Toutes les branches, toutes les feuilles sont examinées, dessus, dessous, en tout sens. Cette chasse se fait en jouant et en sifflant, comme toutes les chasses de mésanges, mais non sans précaution, car ce jardi- nier charmant, auquel nous devons chaque année une partie de nos récoltes, a peur de rien gâter, et quand il fait au printemps la revue des arbres en fleurs, cherchant sa proie de corolle en corolle, il sait, d'un bec délicat, piquer le ver sans blesser le fruit. LA MÉSANGE HUPPÉE LA MÉSANGE HUPPÉE LA MÉSANGE HUPPÉE CE curieux oiseau — mésange huppée, — comme l'appelle le peuple, ou Lophophane huppé, comme disent les ornithologues, — n'est pas très connu parce qu'il n'est pas très commun; mais on ne l'oublie guère quand une fois on l'a vu de près, tant il a de phy- sionomie, avec sa tête à larges bajoues claires, se détachant sur un collier noir, et son front tacheté de noir et de blanc, pareil à un damier en éventail, et sa huppe originale dont la pointe se dresse comme un cimier. Toutes ces mésanges ont des têtes étonnantes; celle dont nous parlons maintenant a mieux qu'une tête, elle a un visage, et l'on ne peut s'em- pêcher de penser qu'il doit naître de curieuses idées dans la petite cer- velle qui se cache sous ce front armorié et sous cette aigrette provocante. C'est un visage, et même un visage expressif, qui a quelque chose de sérieux et de bouffon, d'effaré et de malicieux. Les mœurs de la mésange huppée ressemblent à celles des autres espèces, particulièrement à celles de la mésange noire, dont elle égale presque l'agilité et avec laquelle elle ne craint point de partager, au besoin, les refuges des vieilles sapinières. Elle vit à peu près exclusive- ment d'insectes, surtout de coléoptères, de papillons et d'œufs de papil- lons. Si elle était plus répandue, elle serait aussi un des hôtes les plus 92 LES OISEAUX DANS LA NATURE utiles des bois. On ne la rencontre pas volant en grandes troupes; il y en a trop peu; mais elle a aussi l'instinct social très développé, et, pour le satisfaire, elle entre en arrangement avec d'autres oiseaux, tels que le roitelet, le grimpereau, la sittèle. Elle joue même un rôle important dans les explorations de leurs caravanes à travers les labyrinthes de la forêt. Il semble qu'on lui reconnaisse une sorte d'instinct supérieur. — Ce n'est pas pour rien qu'elle porte huppe. — Du moins a-t-on souvent remarqué que lorsqu'il y a une de ces jolies mésanges dans une escouade d'oiseaux en promenade, c'est elle qui mène la bande. Elle sert de guide. Son cri d'appel est assez retentissant pour être entendu de toute la troupe, qui le suit avec docilité. C'est une roulade caractéristique, un îtzerrrr accéléré. N'ayant pas d'autre cri, elle s'en sert pour tout exprimer : l'amour, la peur, la joie, la colère; mais elle l'accentue différemment, et l'on n'a pas de peine à reconnaître le sentiment qui l'agite. C'est, nous l'avons vu déjà, un talent qu'ont la plupart des mésanges, de varier l'intonation et l'expression de leurs appels uniformes. Chez la mésange huppée, ce talent frappe d'autant plus que son vocabulaire est plus monotone. Quoique ce gentil oiseau vive éloigné de nos demeures, l'homme ne lui inspire aucune frayeur, ce qui vient, peut-être, de ce qu'il le ren- contre moins souvent. Il s'en laisse approcher sans manifester de crainte, et peut même, à l'occasion, renoncer à la forêt pour camper sous les yeux de quelque amateur d'ornithologie, protecteur des petits oiseaux. L'un des deux auteurs de ces notices, celui qui tient le pinceau, en a fait l'expérience : « J'eus un jour, dit-il, la chance de voir arriver une paire de mésanges huppées dans mon jardin. C'était en avril. Elles y firent non seulement des visites d'inspection, mais encore, ce qui LA MÉSANGE HUPPÉE 93 m étonna beaucoup, elles entrèrent dans un nid artificiel suspendu à une branche de prunier, précédemment habité par des rossignols de muraille et de grandes charbonnières. Ce nid, que j'avais confectionné moi-même, était très convoité. Dans ce même temps, il fut l'objet des entreprises de deux rouges-queues, et les petites mésanges, qui avaient pour elles le droit du premier occupant, eurent de la peine à s'y main- tenir. Je crus un moment qu'elles abandonneraient la partie. Enfin, après une quinzaine de jours, il se trouva rempli de six jolis œufs blancs, pointillés de taches de rouille. Pendant douze jours le mâle sortit seul; dès lors, j'entendis chaque matin, de plus en plus distinctement, le ramage des petits. Je n'y tenais plus. A bout de patience, j'escalade mon prunier, et voilà qu'au moment même où je me penche sur le nid, un, deux, trois, quatre, cinq, six oisillons me passent sous le nez. La sortie était prématurée. Trop faibles pour voler, ils tombent à quelque distance dans l'herbe. Craignant qu'ils ne deviennent la proie des chats, je cours chercher une cage et je me mets à leur poursuite. Quand ils furent tous dans la cage, je la suspendis en lieu sûr. Quelques instants après je vis les parents entrer dans la cage et leur porter à manger, comme si de rien n'était. Le lendemain, je dus m'absenter. A mon retour, le soir, la cage était vide, et toute la petite famille piaillait sous les grandes feuilles d'un marronnier voisin. Un seul, hélas! le sixième, le Benjamin, n'avait pas été aussi gaillard que ses frères. Oublié ou non, il était mort. » LA MÉSANGE A LONGUE QUEUE LA MÉSANGE A LONGUE QUEUE LA MÉSANGE A LONGUE QUEUE ENCORE une joyeuse mésange. Elle rappelle la nonnette par la modestie de sa toilette : le noir, le gris, le roux et le blanc lui suffisent; elle a aussi une jolie tête ronde, mais presque entièrement blanche, et le corps petit, très petit, mais avantagé d'une longue queue, élégante et fragile, qui lui donne un air d'importance et qu'elle tient droite en volant. Elle n'est pas indigne, non plus, d'être comparée à la nonnette pour l'agilité; elle regagne par la légèreté ce qu'elle a de moins en force. Elle n'a ni le coup de bec moins vif, ni le coup d'aile moins instantané, ni le mouvement moins perpétuel, ni moins de petits cris joyeux au milieu de ses évolutions capricieuses. Elle se suspend à un rien, s'ac- croche par-dessous aux nervures des feuilles, et glisse de l'une à l'autre en s'égayant par mille prouesses de voltige. Quand elle abandonne l'ar- bre qu'elle vient de dépouiller pour voler à un autre, et qu'elle franchit l'espace libre avec ses ailes frétillantes et sa longue queue rectiligne, on dirait une flèche qui passe et bourdonne. A cette adresse triomphante, elle joint la douceur du caractère, l'aménité des mœurs, la tendresse conjugale, et une rare supériorité d'industrie. Son nid est un nid modèle. Le mâle en apporte les maté- 100 LES OISEAUX DANS LA NATURE riaux, savoir des tiges de mousse, des barbes de sapin, blanches ou noi- res, des fibres d'écorce de bouleau, des carapaces de chrysalides, des dépouilles de cocons et des écheveaux de fil d'araignée. Il est le pour- voyeur, la femelle est l'architecte. A leurs yeux, la condition principale d'un bon emplacement est d'offrir une assiette assurée. Ils choisissent de préférence l'aisselle d'une branche, ou de deux branches jumelles, afin qu'il y ait appui par-dessous et de côté. Dans le triage des matériaux qu'on lui apporte, la femelle n'a pas égard seulement à la solidité, mais aussi à la couleur. Ce nid a toujours la couleur de l'entourage immédiat, en sorte qu'on pourrait croire à un simple renflement d'écorce ou de mousse. Il faut y regarder de très près pour le découvrir. Les parois en sont tissées brin à brin. Plus épaisses vers le bas, elles s'amincissent à mesure qu'elles s'élèvent. Enfin le nid se ferme par-dessus, sauf une ouverture près du sommet; il prend alors la forme d'un œuf, qui n'a pas moins de deux décimètres en hauteur. Inutile de dire qu'on le tapisse en dedans d'un tendre duvet de laine et de plume. La porte en est étroite; mais une fois entrés, les époux y ont largement place, avec leurs dix ou douze œufs, moyennant qu'ils redressent un peu cette queue démesurée, moins faite pour s'abriter dans un nid que pour s'étaler au soleil du matin. Il faut trois semaines pour achever ce petit chef-d'œuvre d'art et de patience, mais quel abri ! quelle sûreté ! quelle douce chaleur et quelles bonnes nuits y passe le couple amoureux, le mâle couvrant de son aile la femelle blottie à ses côtés ! Les délices du nid et de la vie à deux ne les empêchent point de trouver plaisir à la société de leurs semblables. La mésange à longue queue est de toutes les mésanges celle qui développe au plus haut degré l'instinct social commun à plusieurs espèces de la famille. Le jour, aux LA MÉSANGE A LONGUE QUEUE 101 heures de chasse et de promenade, elles s'appellent, se réunissent en nombreuses compagnies et partent joyeusement. Quoique Tépervier soit aussi leur épouvantail, et qu'elles fuient se cacher sous les buissons les plus épais aussitôt qu'elles aperçoivent un point suspect, elles savent l'oublier quand rien ne les en fait souvenir, et s'abandonner à la joie de vivre, de se poursuivre, de se devancer et de s'exciter les unes les autres. C'est de quelque bois de chênes qu'elles sortent le plus souvent. Il vaut la peine de se mettre en route avec elles et de les suivre. Leur plumage blanc, rayé de noir, jette une lueur à chaque battement des ailes. Elles se posent ensemble, sur l'arbre le plus voisin de la forêt, et tout aussitôt les voilà batifolant de feuille en feuille, sans oublier leurs utiles fonctions de jardiniers nettoyeurs. Mais l'mstinct vagabond ne leur permet pas de longues haltes. La plus impatiente donne le signal, elles partent comme elles sont venues, pour aller s'abattre sur un second arbre et y batifoler de nouveau. D'arbre en arbre, de prairie en prairie, elles font le tour des villages dont le clocher pointu perce entre les dômes des noyers séculaires. Cependant il en est qu'une proie tente et retient. Une minute suffit pour qu'elles soient séparées de la compagnie. Alors, ce sont des cris d'appel et de détresse. Le pauvre oiseau perdu vole à quelque belvédère haut placé, tel que la cime d'un grand poirier, et des yeux et de la voix il interroge l'horizon; s'il n'a rien découvert, il cherche une cime plus haute encore, quelque flèche de peuplier, et n'a de repos que lorsqu'il a rejoint l'escouade voyageuse, qui ne s'attarde pas pour les traînards. Je laisse à penser combien est doux le sommeil côte à côte sur une vieille branche moussue. L'ALOUETTE L'ALOUETTE L'ALOUETTE VOICI l'alouette, une des gloires de la création! L'alouette est l'oiseau qui ne perche pas, l'oiseau qui n'a pour vivre que le sol et le ciel. A la terre son nid : un nid qui a exactement la couleur des sillons, formé de racines et de brins de chaume, berceau rustique où quelques crins de cheval tiennent lieu d'édredon. L'alouette huppée lui choisit un emplacement dans les bruyères ; l'alouette lulu, amie de l'homme, le construit plutôt parmi les légumes des maraîchers; l'alouette ordinaire l'établit en pleine campagne, dans les moissons peu serrées, ou parmi le trèfle et l'esparcette des prairies sablonneuses. Une motte de terre ou une toufïe d'herbe lui suffisent à le cacher. C'est à la terre aussi que les alouettes demandent leur nourriture, qui consiste en graines cultivées ou sauvages, et plus encore en insectes, surtout pour les jeunes. Elles ne prennent point les insectes au vol; elles les piquent sur le sol ou parmi le gazon ras; les scarabées, les saute- relles, les araignées, les chenilles, les nymphes, les larves de toute espèce, font les frais de leur cuisine. Au premier printemps, quand il n'y a pas encore de graines et que les insectes sont cachés, elles broutent les jeunes feuilles et les bourgeons des herbes tendres. 108 LES OISEAUX DANS LA NATURE Comme elles sont très nombreuses, l'espace leur fait défaut parfois. Il faut que chaque couple se contente d'un champ restreint autour du nid. Les places de choix, ni trop arides, ni trop plantureuses, sont les plus disputées. Surtout elles aiment à avoir dans leur parc de chasse une motte de terre élevée, une borne, une miniature de colline, qui leur tienne lieu de belvédère. Quand elles y sont en sentinelle, elles ne souffrent l'ap- proche d'aucun autre oiseau ; d'ailleurs, une fois établies, elles surveillent d'un œil jaloux les empiétements des voisins, et les guerres sont fréquen- tes sur les frontières de ces petits royaumes, insuffisants et mal définis. La vie de l'alouette femelle se passe dans ces étroites limites. C'est là, entre les tiges des blés, parmi les liserons roses ou l'esparcette empourprée, que son heureux époux, au retour de ses fugues aériennes, vient coqueter autour d'elle; c'est là qu'elle couve, silencieuse, toujours seule sur ses œufs tachetés; c'est là qu'elle entreprend et mène à bien l'éducation de sa jeune famille, leur donnant à tous la becquée, les ras- semblant sous ses ailes, prenant ses ébats avec eux et voltigeant au- dessus des herbes pour les surveiller tous à la fois. Peu d'oiseaux ont au même degré l'instinct de la maternité. Il se développe chez elle avant l'instinct conjugal, et l'on assure que les alouettes d'une seconde cou- vée trouvent dans leurs sœurs aînées de petites mères pleines de ten- dresse et de dévouement. Le mâle prend aussi sa part des soins domestiques; il chasse pour ses petits et les accompagne dans leurs premières sorties ; surtout, il est époux jaloux et fidèle; mais il a sa vie au dehors, ses fonctions d'oiseau- poète, appelé à jeter sa note dans le concert de la création. Cette race a deux instincts également puissants, que la nature a partagés entre les deux sexes. A la mère les tendresses infinies et les délices du nid sous L'ALOUETTE 109 l'herbe; au père le vol et le chant. Dans les long jours du premier été, quand ondoient les moissons grandissantes, à peine voit-on l'orient rougir que déjà s'élancent les alouettes. En haut! toujours en haut! De moment en moment, elles s'arrêtent, suspendues; puis il leur prend une impatience d'être encore si près de la terre, et par un élan nouveau elles s'enfoncent de plus en plus dans l'espace. Que vont-elles faire dans cette immensité? Si l'on en croit Buffon, l'alouette ne s'élèverait ainsi que pour chercher du regard une femelle qui lui convienne. Le moyen serait bizarre. Le peuple en donne une raison plus simple. Il croit que les alouettes ont le cœur joyeux, qu'elles chantent pour le plaisir de chanter et qu'elles volent pour le plaisir de voler; il se figure même que le ciel est pour les oiseaux ce qu'il est pour les hommes, le séjour d'une divinité. C'est pourquoi le paysan, dans sa foi naïve, les encourage à monter haut, bien haut, « prier Dieu qu'il fasse chaud ». Nous croyons, avec le paysan, que c'est le bonheur qui fait envoler l'alouette. Comment, du fond d'un maigre sillon, jeter ces roulades perlées et ces trilles étourdissants ? 11 faut l'étendue à sa voix. Les oiseaux des arbres vont chanter à la cime des arbres; elle, qui n'a point d'arbres, va chanter au ciel. Et plus elle monte, plus elle se sent d'allé- gresse, plus aussi la note retentit. On ne la voit plus qu'on l'entend encore. Souvent on peut en entendre plusieurs à la fois. Elles s'excitent mutuellement; et tout ce peuple de chanteurs, sorti des blondes mois- sons, va répandre sa joie dans les espaces illimités. Parfois le faucon interrompt la fête; parfois l'ouragan les emporte; mais quand rien ne les dérange, elles montent à des hauteurs vertigineuses; puis, comme si elles se rappelaient soudain que quelqu'un les écoute et les attend, elles retombent du ciel au bord de leur nid. 110 LES OISEAUX DANS LA NATURE Alouettes, vives alouettes, chantez et multipliez. Voici l'automne et les migrations périlleuses. Les chasseurs vous épient ; miroirs et gluaux se préparent. C'est par milliers de milliers que vous allez périr en voyage. Ainsi est la vie : tout y est joie, tout y est piège. Les saisons se succèdent et ne se ressemblent point. Alouettes, vives alouettes, chantez et multipliez. LE PITPIT FARLOUSE LE PITPIT FARLOUSE LE PITPIT FARLOUSE COMBIEN il faut peu de chose dans l'organisation d'un être vivant pour changer son genre de vie et son rôle dans l'économie de la nature! Voici un pied d'oiseau. Il compte quatre doigts, munis chacun d'un ongle plus ou moins long et plus ou moins recourbé. Trois de ces doigts se détachent en avant, le quatrième en arrière. Cette disposition permet à l'oiseau de se servir de ses pattes comme l'homme de sa main, pour saisir les objets, et c'est à elles qu'il doit de pouvoir percher. L'oiseau qui perche tient serrée la branche sur laquelle il repose. Il n'a besoin pour cela d'aucun effort. Le seul poids du corps fait jouer les muscles des doigts. La pointe de l'ongle, qui est recourbé comme le doigt, achève de le fixer et de rendre son équilibre parfaitement stable. Mais si l'ongle postérieur était rectiligne, et non crochu, l'oiseau ne pourrait plus saisir la branche; il ne serait que posé, dans un équilibre instable. Ce détail a d'incalculables conséquences. Il semble qu'il y ait un rapport de nature entre l'arbre et l'oiseau et que l'un ait été créé pour l'autre; mais c'est à la condition que cet ongle de derrière ait la courbure voulue. Cette condition venant à manquer, l'arbre n'est plus rien pour l'oiseau, et la forêt n'est plus son élément. II en est réduit à marcher sur la terre comme les quadrupèdes, sauf à prendre de 16 LES OISEAUX DANS LA NATURE temps en temps son vol, pour avoir aussi sa part de vie aérienne. De là viennent quelques-uns des plus singuliers contrastes qui existent entre les mœurs de tant de petits êtres qu'on croirait destinés à vivre de la même manière. Quelle différence entre la mésange et l'alouette! La première ne sort, pour ainsi dire, jamais du feuillage, tandis que la seconde reste clouée au sol, à moms qu'elle ne s'envole en ligne directe, comme pour monter au ciel. L'une a l'ongle postérieur crochu, l'autre l'a rectiligne. Entre ces deux types extrêmes, on compte une quantité d'intermédiaires, parmi lesquels se place le groupe des pitpits. Le pitpit farlouse est déjà presque une alouette; c'est une ébauche de l'alouette. Il en a le manteau brun, couleur de terre. Aussi se con- fond-il avec les mottes des sillons, ou plutôt avec le terreau noir des prairies tourbeuses, car au lieu d'habiter les champs secs et sablonneux, en compagnie de l'alouette, il cherche le voisinage des fossés, des étangs, des eaux permanentes. Cette différence de goût leur épargne des que- relles sans nombre, les deux espèces ayant la prétention de n'être pas dérangées. Le pitpit cache son nid dans l'herbe, et s'en éloigne peu. Il passe des heures à courir à petits sauts dans les environs immédiats, le corps droit, le cou tendu, l'œil au guet. Ce vagabondage est interrompu par de courtes pauses, qu'il met à profit pour observer. Quand il a découvert une proie, il fond sur elle, de toute sa vitesse, d'un seul temps de course. Tous ces oiseaux à ongle postérieur non recourbé, inhabiles à percher, incapables d'aucune voltige autour des branches, sont de très habiles coureurs. C'est une de leurs spécialités, et ce talent supplé- mentaire, ajouté à celui du vol, leur rend les plus grands services à la chasse. Sur un sol uni, ils font merveille. Cela est vrai de presque tous, LE PITPIT FARLOUSE 117 mais plus frappant chez le pitpit farlouse, parce qu'il ne se cache point dans les lieux touffus, aimant à chasser et à flâner au grand jour, sur la vase humide, sur les grèves de sable et les gazons ras. Redoutable aux insectes qui passent à sa portée, il ne l'est pas moins aux braconniers qui ne respectent pas ses propriétés. Cet oiseau, terne de couleur, a de la physionomie et du courage : il se fait respecter. Quoique moins artiste que l'alouette, il s'élève aussi dans les airs pour chanter; mais il ne va pas très haut, et bientôt il retombe, ailes fermées, pour aller ache- ver sa chanson de noces sur une simple touffe de gazon, ou même sur la terre nue. En automne, quand la vie à deux a cessé, les pitpits se réu- nissent en grandes troupes, puis, après quelques explorations prépara- toires, ils partent pour le Midi. Leurs vols sont considérables, et ils ne peuvent souffrir d'être détachés du gros de l'armée. Ceux qui se laissent attarder ne cessent de crier et d'appeler, jusqu'à ce qu'ils aient rejoint. Ils se sentent plus en sûreté quand ils cheminent nombreux, ce qui ne les empêche pas de venir tous ensemble donner dans les pièges qu'on leur tend sur la route. On les chasse comme les alouettes, au miroir. Il vaut bien la peine, vraiment, d'avoir des ailes et de voler à force pour se laisser distraire par le premier objet qui brille ! 0 troupe naïve, éternelle- ment naïve, l'expérience ne vous a-t-elle donc rien appris? Que l'oi- seleur soit incorrigible, cela se comprend ; mais ce qui confond l'ima- gination, c'est que, depuis tant de siècles, alouettes et farlouses ne se soient pas encore corrigées. LE PITPIT SPIONCELLE LE PITPIT SPIONCELLE LE PITPIT SPIONCELLE LE pitpit farlouse, dont nous venons de parler, est un ami de la plaine; celui des buissons hante la région montagneuse; la spioncelle niche en pleine Alpe, jusqu'aux confins des neiges qui ne fondent pas. Le pitpit des buissons ressemble tellement à la farlouse qu'on a peine à les distinguer; il est un peu plus gros, et il a le dos d'un brun moins sombre; mais surtout il a l'ongle postérieur un peu plus recourbé, ce qui suffit pour changer son mode d'existence. La farlouse est inca- pable de se tenir sur une branche, sauf sur les plus épaisses, tandis que son frère des buissons ne craint pas d'aller percher à la flèche même des plus hauts sapins, où l'on voit sa silhouette se profiler sur l'azur. Il y trahit sa présence, même aux yeux mal exercés, par le hochement de queue qui est son tic familier. C'est, à proprement parler, un oiseau de lisière de forêt. Son nid est sur le sol, et il passe la plus grande partie de ses journées à chasser parmi les hautes herbes, dans les pâturages buissonnants, dans les endroits vagues et couverts; puis, au premier danger, il vole d'un trait à la forêt. C'est aussi là qu'il va chanter, lors- que, dans l'ivresse des fiançailles, il publie les joies d'une existence qu'en toute autre occasion il n'est jaloux que de cacher. 124 LES OISEAUX DANS LA NATURE Le pitpit spioncelle nous ramène aux vrais pitpits, qui n'ont rien à démêler avec les hôtes des bois et ne connaissent, en fait de voltige et de gymnastique, que celle de la course, à petits sauts pressés. Ses mœurs ont la plus grande ressemblance avec celles de la farlouse ; la principale différence est dans le séjour préféré. La farlouse hante les marais de la plaine et la spioncelle ceux des Alpes, même des hautes Alpes. Le voya- geur a beaucoup de chances de la rencontrer, lorsque, parvenu à la limite de la végétation arborescente, il quitte les sentiers battus pour explorer les terrasses supérieures. L'eau coule ou suinte de partout sur ces hauts plateaux. La provision en est entretenue par l'irrégularité de la fonte des neiges, dont le tapis uniforme commence par se trouer de taches vertes et ne disparaît que peu à peu, pour faire place à un tapis de verdure moucheté de taches blanches. Et quand la dernière tache blanche est fondue, encore reste-t-il les réservoirs des glaciers, qui ali- mentent d'innombrables ruisselets. Le sol a peine à absorber tant d'eau; aussi rien n'est-il plus commun à cette altitude que de petits marécages coupés de bancs de rochers, en sorte qu'on passe à chaque instant d'un terreau noir aux graviers cristallins, ou de la tourbe spongieuse à la roche compacte. D'une main, on cueille les fleurs du granit, les auricules roses, les saxifrages moussues; de l'autre, les laiches humides et les linaigrettes à chevelure d'argent. On croit être seul dans ce désert fleuri, lorsque, tout à coup, on entend un petit bruit à vingt pas ; c'est le pitpit spioncelle qui épiait quelque vermisseau, entre deux touffes de laiche, et qui, non moins surpris que le voyageur, s'enfuit de toute la vitesse de ses pieds agiles, sautillant et clapotant dans la vase. Vingt pas plus loin, un second oiseau, également vêtu de brun et de blanc, se lève d'entre les blocs et vole à quelque autre oasis de rocher. C'est encore un pitpit LE PITPIT SPIONCELLE 125 spioncelle, peut-être la femelle du premier, qui se chauffait au soleil, à moins qu'elle ne fût sur ses œufs, dans son pauvre nid, sous une anfrac- tuosité de la pierre. C'est une existence qui ne paraît guère enviable et qui est sujette à de cruelles déceptions que celle de l'humble pitpit des montagnes. Sa première couvée, qu'il fait dès le mois de mai, plus près de la lisière des bois, ordinairement sous quelque pin rabougri, est sou- vent dérangée par les retours de l'hiver ou par la visite imprévue d'un renard affamé. Néanmoins, on ne peut pas dire qu'il ait l'humeur morose; il est plus tranquille que mélancolique. Il chante mal, d'une voix criarde; mais il chante tant qu'il peut, ce qui est la marque d'un esprit content, et il faut que la faim l'aiguillonne pour qu'il quitte, en octobre, les solitudes des Alpes. Il ne descend d'abord que le moins possible; il se fait chasser par la neige, de station en station. Jusqu'à ce que l'hiver soit bien établi, on a peu de chances de le voir dans les vastes marais de la plaine. Il y fait enfin son apparition; mais il y est comme dépaysé, toujours solitaire et muet. Le chasseur l'y rencontre immobile sur la berge d'un fossé envahi par les glaces. On ne sait de quoi il vit. Il ne vit pas; il songe, il compte les jours de son exil. Enfin, le souffle du printemps dissipe la brume du marais. Les pitpits sont des premiers à en sentir la chaleur. Ils s'éveillent, s'agitent, se rassemblent sur les hauts peupliers qui bordent les chaussées; puis, un matin, quelque vieux mâle donne le signal, et, d'un seul mouvement, toute la troupe s'élance vers ses montagnes chéries.... Là-haut! Là-haut! LA LAVANDIÈRE GRISE LA LAVANDIÈRE GRISE LA LAVANDIÈRE GRISE CES oiseaux, nous dit-on, courent légèrement à petits pas très prestes, sur la grève des rivages ; ils y viennent, pour ainsi dire, battre la lessive avec les laveuses, tournant tout le jour à l 'en- tour de ces femmes, s'en approchant familièrement, recueillant les miet- tes que parfois elles leur jettent, et semblant imiter, du battement de leur queue, celui qu'elles font pour battre le linge; habitude qui a fait donner à cet oiseau le nom de lavandière. Ainsi parle Bufîon. Il va sans dire qu'il ne faut pas le prendre trop à la lettre, et qu'il n'y a rien qui doive passer pour une imitation dans ce perpétuel mouvement de queue, qui est si frappant chez les lavan- dières. Mais, pour leur être naturelle, cette habitude n'est pas moins curieuse. On la rencontre chez un grand nombre d'oiseaux, d'abord chez le merle, qui ne se pose jamais sans hocher la queue aussitôt qu'il a pris terre; puis plus prononcée chez les traquets. Elle est encore plus remarquable chez d'autres espèces, telles que la bergeronnette et les pitpits. Ce sont proprement les hochequeues, parmi lesquels il convient de placer la lavandière, qui est le plus hochant des hochequeues. La plupart des petits oiseaux sont des êtres nerveux, agités de mou- vements involontaires. Quand ils chantent, tout leur corps tressaille, 132 LES OISEAUX DANS LA NATURE toutes les plumes frémissent. Au repos, ils ont des soubresauts singu- liers. Quelques-uns paraissent avoir des tics. C'est un tic, le plus marqué, le plus répandu de tous, que cette habitude ou plutôt ce besoin de hocher la queue. Il tient, sans doute, à l'activité du sang et à l'excitation des nerfs. Chez la lavandière, nerfs et muscles ne cessent de jouer. Quand elle se pose, échauffée par la rapidité de son vol, elle est prise d'un véri- table accès de hochement, comme si elle devait donner à cette longue queue mobile une compensation pour tout le mouvement qui a été imprimé aux ailes. Elle se calme peu à peu, mais sans qu'il y ait jamais interruption complète. Quand elle chante, elle bat la mesure; quand elle court, elle hoche à la fois la tête et la queue. Il n'y a de repos, pour la lavandière, que dans le sommeil, et de mouvement régulier que dans le vol, qu'elle a superbe, à larges ondes, le plein vol d'une aile puis- sante. Agile et toujours agitée, la lavandière n'a peur de rien ni de per- sonne. Elle donne la chasse à l'oiseau de proie. Quand elle en voit un dans les airs, elle s'élance a sa rencontre, en appelant ses compagnes, et bientôt toute une escouade ailée s'évertue autour du rapace, l'importune de ses cris, le poursuit à coups de bec, et ne le lâche que lorsqu'il a pris le parti de la fuite. Alors les lavandières reviennent au logis, et comme le moucheron de La Fontaine, après avoir sonné la charge, elles vont sur quelque haut perchoir, sonner bruyamment la victoire. Elles n'ont peur, non plus, ni de l'homme ni de son activité. Au contraire, le mouvement les attire. Souvent elles suivent le laboureur aux champs et picorent dans les sillons que vient d'ouvrir la charrue; tout aussi souvent elles tiennent compagnie à quelque gardeur de mou- tons et font la chasse aux mouches sur le dos des brebis tondues de la LA LAVANDIÈRE GRISE 133 veille; on les rencontre également dans les rues des villages, autour des étables où rumine le bétail; mais leur séjour préféré est au bord des ruisseaux, où les femmes battent le linge à la file, et où, d'un pied non- chalant, viennent boire les troupeaux. Surtout, elles hantent les mou- lins rustiques, à la vieille mode, sûres qu'elles sont de trouver dans le voisinage quelque trou suffisant pour abriter un nid grossier, fait à la hâte, et d'y voir rassemblé autour d'elles tout ce qu'elles aiment, tout ce qui peut servir à leur table ou plaire à leur humeur folâtre : des che- vaux, des vaches, des moutons, des bergers, un train de campagne, des terrains toujours arrosés, une roue qui tourne, de l'eau qui jaillit, des canaux, des cascatelles, des mouches qui tourbillonnent au soleil, des libellules qui glissent sur les étangs, des poules à sauver de l'oiseau de proie, des enfants qui s'ébattent pieds nus, et des âmes charitables, hos- pitalières aux petits oiseaux. La lavandière est là chez elle; elle fait partie de la maison, et le peintre qui s'attarde pour tracer le tableau de cette pittoresque opulence, n'en emporte point une image complète s'il n'y a pas logé quelque part, sur la fontaine, sur la niche du chien, ou sur les barages du grand canal, ce petit oiseau haut sur jambes, si gai dans son costume demi-deuil, toujours prêt à ouvrir son aile, et qui, en attendant de prendre son vol, balance au soleil une longue queue noire, bordée d'un liseré blanc. Le soir arrive, et la lavandière, heureuse d'avoir chassé et remué tout le jour, voit approcher l'heure du repos. Au printemps, quand les nids sont pleins, chaque paire regagne son gîte; mais en automne, elles ont des places de rassemblement, où elles viennent de toutes les parties du vallon, et elles ne s'abandonnent au sommeil qu'après avoir joué, chanté, sifflé et s'être fait mille niches. Il convient de bien finir une jour- 134 LES OISEAUX DANS LA NATURE née bien remplie, et comment la mieux couronner que par une réunion générale, où chacun raconte ses hauts faits ? Les voilà donc qui pérorent toutes à la fois, jouant du bec et hochant la queue. Mais chez cette race irritable, tout est sujet à querelles. Celle-ci est trop près, celle-là a pris la meilleure place, cette autre a le verbe trop haut. Grande est la confu- sion, et le vacarme s'étend jusqu'aux extrémités de la prairie. Cependant la nuit devient sombre, et les yeux commencent à se fermer. Dormez bien, vaillantes lavandières. Ce jour a eu sa peine et sa tâche plus que suffisante. Celui de demain aura la sienne à son tour. Vaillantes lavan- dières, dormez en paix. LA LAVANDIÈRE JAUNE LA LAVANDIÈRE JAUNE LA LAVANDIÈRE JAUNE DEUX beaux oiseaux que ces lavandières! Celle-ci est la plus brillante. Elle habite aussi le bord des ruisseaux, mais non pas de tous les ruisseaux. Elle a une préférence marquée pour les ruisseaux de montagne, surtout pour ceux qui coulent à l'ombre des forêts. Rien n'indique qu'elle ait peur de l'homme et qu'elle cherche, par sauvagerie, des sites écartés. Si le cours d'eau près duquel elle a élu domicile vient à passer par un village, voire par une petite ville, elle y passera avec lui, et peut-être suspendra-t-elle son nid aux poutres d'un pont sujet à plier sous le poids des allants et des venants. Cependant on a d'autant plus de chances de la rencontrer que le ruisseau est plus solitaire, plus épaisse la forêt qui le couvre de son ombre, plus caché le vallon dont il rassemble les eaux. Seuls les promeneurs qui s'écartent des sentiers battus savent quelles successions de scènes variées offrent ces ruisseaux alpestres. Quand ils ne tombent pas d'un glacier, ils sont toujours limpides, si limpides parfois qu'on distingue à peine la ligne du rivage et qu on peut compter les moindres grains de sable jusque dans les anses les plus pro- fondes. Ils glissent de cascatelle en cascatelle, se frayant entre les blocs 140 LES OISEAUX DANS LA NATURE épars un chemin fait de caprices et de méandres, et partout entretenant sur leurs bords la richesse d'une végétation tropicale. Nulle part les hêtres ne s*élèvent à une hauteur plus considérable. Sous les arceaux du feuillage poussent les tiges creuses des hautes angéliques et les para- sols des tussilages énormes. Les racines des arbres et les blocs entassés sont couverts de mousses épaisses, émaillées de fleurettes mignonnes. C'est dans ces plantureuses solitudes qu'aime à vivre la lavandière jaune. Elle cache son nid sous une pierre ou sous une souche de bois sec, aussi près que possible du bord, afin de pouvoir, en deux sauts, aller se bai- gner dans l'eau courante. Elle n'est pas seule à y chercher sa vie. Les insectes aquatiques, qui y abondent toujours, les vers, les limaces, les mouches, les libellules, les petits poissons eux-mêmes, y attirent d'autres oiseaux, dont la chasse est une pêche, entre autres le joli merle d'eau, le cincle, comme on l'ap- pelle aussi, qui voit s'écouler son existence parmi l'écume des ondes, et qui chante encore en hiver, quand à peine murmure le ruisseau. Un rigorisme peut-être excessif l'a fait écarter de cet ouvrage : le malheu- reux commet quelques larcins. Il mange, disent les pêcheurs, le frai des truites à points rouges; il mange la truite elle-même, quand elle est petite, et c'est pourquoi les naturalistes, qui veulent qu'elle n'ait été créée que pour leur table, ont, de leur autorité privée, rangé le merle d'eau parmi les oiseaux nuisibles. La lavandière jaune, mieux avisée, ne dispute point au roi de la création une de ses délicatesses favorites. Les petites truites peuvent, en toute sécurité, s'ébattre devant elle parmi les ondes transparentes, car elle se nourrit de mets plus grossiers, de mouches, de coquilles, d'insectes. Elle n'a pas, non plus, l'audace du merle d'eau; elle ne sait LA LAVANDIÈRE JAUNE 141 pas plonger comme lui et faire la chasse au poisson en glissant sous la vague. Elle n'a pas davantage cette voix argentine, dont le timbre se détache sur la rumeur des flots; elle n'a pas ce répertoire inépuisable de gammes, de modulations, de chansons; mais elle ne contribue pas beaucoup moins à l'animation du paysage; elle n'est pas moins agile, et, peut-être, dans sa gaie toilette, est-elle encore plus jolie à voir courir sur le gravier ou folâtrer avec l'écume légère qui vient mourir à ses pieds. Dans la solitude où elle se plaît, la lavandière jaune fait la même dépense de vie que sa sœur de la plaine, près du moulin qui moud le grain. Elle est, elle aussi, une image du mouvement perpétuel. Parfois elle entre dans l'eau jusqu'à la hauteur de ses pattes menues, et pendant qu'elle y trempe sa gorge de velours noir et sa poitrine arrondie, ouatée d'un plumage doré, on la voit battre de sa queue frétillante la vaguelette qui blanchit et s'éloigne; puis elle s'enlève d'un coup d'aile, vole à une rive, vole à l'autre, rase les flots d'un élan toujours rapide, se pose sur un bloc, repart, sautille sur la grève, avise une mouche, la pique, s'envole encore, furette dans les grandes feuilles des tussilages, et va de temps en temps se faire balancer sur les ombelles des angéliques, peuplées d'insectes diaprés ; on dirait alors une fleur sur une fleur ; puis elle revient épier la vague, et tout en voltigeant, jouant et se baignant, elle ne cesse de jeter dans l'air un petit cri de joie, un zisi, si, sis, sissis, qui lui échappe sans qu'elle y songe et se prolonge parfois en trilles plus retentissants. Hélas ! toute vie a ses fatalités : le renard et le putois, attirés par le bruit de l'eau, rôdent parfois dans le voisinage de son nid; néanmoins, s'il est un oiseau dont l'existence éveille l'idée de la liberté. 142 LES OISEAUX DANS LA NATURE de la poésie et du bonheur, c'est bien la lavandière de nos montagnes Elle a tout ce qu'ont les autres habitants des bocages : mouvements faciles, grâce sémillante, abondance de pâture, verdure, fleurettes, ombre, fraîcheur, et par surcroît, l'éternel babil du ruisseau, les ébats sur la grève et les voluptés du bain parmi les cascatelles murmu- rantes. LA BERGERONNETTE LA BERGERONNETTE 10 LA BERGERONNETTE BERGERONNETTE, oiseau des bergers : ce nom est une idylle. Il est peu d'espèces, dans le monde des oiseaux, qui pré- sentent des différences aussi nombreuses et aussi frappantes que celles qu'on remarque chez la bergeronnette. Non seulement le type normal se complique de plusieurs variétés; mais, sans sortir du type, les modifications sont considérables d'une saison à l'autre, d'un âge à l'autre, d'un sexe à l'autre. La femelle ne ressemble pas au mâle; les petits diffèrent beaucoup de leurs parents, même de la mère, et le père a ses deux costumes, un pour l'été, un pour l'automne. Nous avons eu déjà l'occasion de le remarquer : chez les oiseaux, le sexe fort est en même temps le beau sexe, et la jeunesse n'y est point l'âge favo- rable à la beauté. Le grand-père est plus beau que le père, et le bisaïeul l'emporte sur l'aïeul. Il en est ainsi des bergeronnettes. C'est un admi- rable petit oiseau que ce vieux chef de famille, père déjà de nichées nombreuses, quand il rajeunit encore une fois aux approches d'un nou- veau printemps; tous ses enfants et petits-enfants pâlissent auprès de lui. Il a le dessous du corps, de la naissance de la gorge jusqu'à l'extré- mité de la queue, d'un jaune éclatant. Une petite calotte, d'un gris cendré, lui habille le dessus de la tête, tandis que les plumes du dos, 148 LES OISEAUX DANS LA NATURE des ailes et de la queue, s*égayent de teintes variées, vertes ou brunes, heureusement assorties. Ce brillant costume est relevé par le fini des détails : un bec noir et propret; un œil vif, tout noir ; des pattes d'un gris ardoisé; le pied bien fait et l'ongle fin. Tout est recherché dans cette toilette de choix, et le corps sur lequel elle s'ajuste est remarquable entre tous par l'élégance des formes, souples et sveltes, et par la grâce du profil. Les mœurs de la bergeronnette tiennent le milieu entre celles des lavandières et celles des pitpits, voisins déjà des alouettes. Elle a les deux tics des lavandières, le hochement de la queue et celui de la tête : elle a aussi leur prestesse et leur génie remuant. Peut-être même les sur- passe-t-elle pour la rapidité du vol et la soudaineté des mouvements. Aucun oiseau n'est plus habile à prendre les mouches au vol ou posées, et c'est un plaisir que de la voir, au moment de les happer, tendre indé- finiment son long cou dégagé. Mais, et c'est en quoi la bergeronnette se distingue des lavandières, pour se rapprocher des pitpits, elle a son nid posé à terre, d'où elle se plaît, comme les alouettes, à monter sur les mottes élevées pour épier ce qui se passe autour d'elle. Dans les volières, où elle est bien nourrie, elle se montre bonne camarade; tout au plus claque-t-elle du bec pour éloigner de l'auget telle rivale qui vient trou- bler son repas; mais, en pleme nature, abandonnée au rude combat de la vie, elle est très mauvaise voisine, jalouse, irritable, ardente, toujours prête à se jeter sur l'étranger qui se hasarde aux limites de ses terres. Elle a souvent maille à partir avec l'intrépide lavandière grise, qui lui fait payer cher son audace. Les deux espèces se rencontrent dans les champs qu'on laboure, dans les parcs aux brebis et dans les prés où paît le bétail. Les lavandières y font d'assez fréquentes excursions; LA BERGERONNETTE 149 quant à la bergeronnette, elle y est, en quelque sorte, à demeure. C'est là qu'elle trouve en plus grande abondance les deux gibiers qu'elle pré- fère, les vers et les taons gorgés de sang. Aussi, plus que tout autre, tient-elle fidèle compagnie à l'homme des champs. L'éclat de son plu- mage la fait reconnaître de loin sur les crêtes bosselées qui séparent les sillons. Elle ne craint pas de suivre de très près les laboureurs; on la voit se risquer jusque sous les pas de celui qui est aux cornes de la charrue. Elle sait, par expérience, que la chasse est d'autant plus fructueuse que la terre a été plus fraîchement remuée. Elle sautille de motte en motte, passant en revue avec une prestesse qui tient du prodige toutes les saillies, toutes les écorchures de ce sol violemment déchiré et qui fume sous le soc. Belles journées, où la bergeronnette fait bombance en pur- geant la terre des larves et des vers blancs dont le sommeil vient d'être brusquement dérangé! Puis, aux heures les plus chaudes, quand le travail est suspendu, elle s'approche des chevaux ou des bœufs, qui se reposent à l'ombre, et donne la chasse aux mouches qui les harcèlent. Ce sont des bergeronnettes, sans doute, que Pierre Dupont a vues sur les cornes noires de ses « grands bœufs blancs tachés de roux ». Si la terre est trop sèche, s'il n'y a pas de charrue dans les champs, du moins y a-t-il des troupeaux dans les pâturages, et c'en est assez pour que la bergeronnette soit assurée de trouver table mise. Du plus loin qu'elle peut les découvrir, elle accourt, moitié volant, moitié sautillant, toujours gazouillant, et il n'est pas nécessaire de la recommander à celui qui les garde, car il la connaît, il l'aime, et c'est un des plaisirs de sa solitude de voir arriver par les chemins de l'espace cet oiseau que lui envoie le ciel, et qui vient délivrer de leurs plus cruels persécuteurs la brebis dont la laine habille ses enfants et la vache dont le lait les nourrit. LE TRAQUET MOTTEUX LE TRAQUET MOTTEUX I LE TRAQUET MOTTEUX LES traquets sont de très petits oiseaux très alertes, toujours en mouvement, et c'est ce qui leur a valu ce nom de Traquets. Ne dit-on pas aussi d'une femme qui cause que sa langue est un traquet de moulin? Les naturalistes leur ont réservé, dans leur langage savant, le nom de saxicoles (saxicola) , lequel indique une affection par- ticulière pour les pierres et les rochers, ce qui est vrai de quelques-uns et pas du tout de quelques autres. On en compte en Europe trois espèces principales. La plus belle est celle qui est décrite dans Bufîon sous le nom général de traquet, sans autre désignation, et que les savants appellent Saxicola ruhicola, à cause de la belle teinte carmin de sa gorge et de sa poitrine, qui contraste avec le brun sombre de sa tête et de ses épaules. La seconde est la Saxicola rubetra (rougeâtre), qui, au lieu de ce brillant carmin, se contente d'un roux gracieux. C'est le traquet tarier, dont nous parlerons plus loin. La troisième est la Saxicola œnanthe, ainsi nommée de certaines grandes ombellifères, communes dans les prairies marécageuses et autres lieux sauvages, où elle aime à se poser. C'est de celle-ci que nous avons à nous occuper mamtenant. Dans le langage du peuple, elle a reçu le nom de traquet motteux, parce qu'elle se pose aussi volontiers sur les mottes proéminentes. 156 LES OISEAUX DANS LA NIATURE Le plumage du traquet motteux ne connaît ni la pourpre, ni l'or, ni l'azur, ni aucune de ces couleurs de parade. Il ne manque cependant ni de grâce, ni même d'éclat. Tout le dessous du corps, du bec à la queue, est d'un blanc plus ou moins pur. Une mantille d'un gris cendré tombe de la tête sur la nuque et sur le dos; l'aile est brune, avec des reflets d'un vert sombre, élégamment veinée par un liseré noir au bord de chaque plume; la queue est courte, carrée, moitié brune comme l'aile, moitié blanche comme la poitrine. Toilette à la fois tranquille et brillante, que rehaussent les vives attitudes de cet oiseau toujours en éveil, le cou dressé, l'œil au guet. Il est charmant lorsqu'il se pose, comme un papillon, sur les ombelles de l'œnanthe, et s'y laisse balancer par la brise. Même dans l'attitude du repos, il paraît prêt à partir. Au vol, le passage d'un traquet est une apparition; on dirait, selon la juste remarque de Friderich, une plume blanche emportée par le vent. Le traquet motteux est commun dans la plus grande partie de l'Eu- rope. Il recherche, de préférence, les contrées coupées de collines et les régions plus ou moins montagneuses. On le rencontre à de hautes alti- tudes. S'il lui arrive de s'établir dans la plaine, ce qui n'est point abso- lument rare, il y trahit son goût pour la montagne en recherchant les éminences, les tas de pierres, les blocs épars. D'ailleurs, il se plaît aux parois de rochers, aux gorges escarpées, aux tours démantelées, aux ruines, aux carrières : de toutes les espèces du genre, aucune ne justifie mieux le nom de saxicole. Son nid, assez informe, est placé de manière à être couvert par un avant-toit naturel, formé le plus souvent d'une pierre surplombante ou de quelque saillie de rocher. Ami de la solitude et des retraites écartées, ce petit oiseau, agile, inquiet, est un type d'humeur sauvage : rebelle aux soins de l'homme, LE TRAQUET MOTTEUX 157 incapable de toute éducation, toujours triste en captivité. Il ne vit pas longtemps dans les volières, même les plus spacieuses, et son air rechigné montre bien que toutes les délicatesses dont on l'environne ne valent pas, à ses yeux, la voluptueuse liberté. Il est très curieux à observer quand on réussit à l'approcher sans être vu ; mais cela est rare et difficile, parce qu'il s'enfuit du plus loin qu'il voit une forme humaine. Il a des manies et des tics. Son vol est des plus rapides, en ligne presque directe, mais sans cesse interrompu. Il s'abat tout à coup sur le sol, devant une pierre ou une motte, sur laquelle il grimpe lestement. A peine y est-il arrivé qu'il hoche de la queue ou fait une révérence comique. Puis il dégringole de l'autre côté, et se met à courir avec une rare prestesse : on dirait qu'il roule. Il continue, courant, volant, roulant, et ne manquant aucun des belvédères qu'il rencontre sur son chemin. Sur chacun, il fait une ou plusieurs révérences. Ainsi s'ébat, loin de toute société, ce petit être, gracieux et farouche, qui vit seul, chasse seul, voyage seul, et ne souffre de compagnie que celle de sa femelle dans la saison où l'ins- tinct de l'amour l'emporte sur celui de l'indépendance. Et encore cette saison est-elle très courte pour le traquet motteux, qui ne fait, en général, qu'une couvée par an. Mais c'est alors surtout qu'il est curieux à obser- ver. Il en est de lui comme de certains misanthropes, qui ont l'abandon rare, mais excessif. Le traquet amoureux semble pris de folie. Il se pose, pour chanter, sur quelque haut perchoir, d'où il s'élance dans les airs, en donnant à ses ailes une agitation vertigineuse; puis il retombe sur le perchoir d'où il est parti, ou sur tel autre, pour s'y livrer à une pantomime étrange, composée de révérences et d'une série illimitée de culbutes et de sauts périlleux. Cette crise dure quelques semaines; après quoi, le traquet retourne à ses habitudes de vieux garçon mania- 158 LES OISEAUX DANS LA NATURE que, qu'il ne quitte qu'au printemps suivant, pour revenir, avec une singulière fidélité, nicher aux mêmes lieux. Pauvre traquet sauvage, telle est ton année et ta vie : onze mois de solitude et d'indépendance, un mois de fol amour ! Ainsi ont fait tes pères, ainsi feront tes enfants, aussi longtemps qu'il y aura, pour s'y poser ou s'y blottir, des mottes dans les champs, des ombelles dans les prairies et des cachettes dans les rochers. LE TRAQUET TARIER LE TRAQUET TARIER 11 LE TRAQUET TARIER A EN juger sur un premier coup d'oeil, on pourrait croire qu'il n'y a rien de commun entre le traquet motteux et le traquet tarier. Ils ont, en effet, le plumage fort différent. Le tarier est un oiseau tacheté, moucheté, ponctué. Le dos brun est écaillé de noir; les plumes de l'aile sont noires, frangées de brun; l'épaule est bigarrée de blanc, et la tête est un fouillis de raies bru- nes, de traits blancs et de points noirs : toilette agitée, physionomie bizarre. Si des couleurs on passe aux formes, on commence à découvrir quelque analogie entre les deux espèces. Ce sont de petits oiseaux cossus, dont la tête n'est pas fine et dont le cou n'est pas mince. Ils ont la queue courte et carrée, les formes épaisses, et l'agilité qu'ils déploient est celle de la force plus encore que celle de la légèreté. L'analogie ne devient frappante que si l'on considère les tics et les mouvements. On dirait deux frères qui ne portent plus le même costume, qui n'habitent plus les mêmes lieux et ne mènent plus la même vie, mais qui, avec des mœurs différentes, ont encore dans le caractère assez de traits communs pour attester leur parenté. Une ressemblance qui saute aux yeux est 164 LES OISEAUX DANS LA NATURE celle de la démarche. Ceci est essentiel. Chez les espèces animales, comme dans les familles humaines, rien n'est plus héréditaire, plus de race, que la façon d'aller et de venir, le geste et l'allure. Entre frères ou cousins, la figure est sujette à beaucoup plus de variations qu'une cer- taine manière d'être qiM tient aux habitudes générales du corps. Le tarier sautille comme le motteux ; il a aussi le vol bas et direct ; il rase la terre jusqu'à quelque lieu proéminent, où il se pose avec les mêmes hochements de queue. Il a la même agitation de caractère, tempérée par des mœurs moms sauvages. Il semble qu'il y ait chez lui un adou- cissement du type, à moins qu'il ne faille admettre que le motteux s'en est écarté par une sauvagerie croissante. Cette différence, qui frappe, paraît en étroite liaison avec celle des lieux préférés. Le tarier est beaucoup moins saxicole que le motteux, et l'on peut presque dire qu'il ne l'est pas du tout. Il ne cherche point le désert, les gorges, les escarpements montagneux ; il est chez lui dans la plaine ; il aime les lieux cultivés, les bords de bois, les prairies. Son nid n'est pas dans une fente de rocher, mais dans l'herbe. Il se pose moins sur les mottes et sur les blocs épars que sur les branches des buissons, les échalas de vignes, les piquets et les supports de plantes grimpantes. Quand il a trouvé un perchoir qui lui convient, il y fait de longues stations pour épier les mouches; il les prend au vol et les avale d'une bouchée. Il est d'ailleurs exclusivement insectivore, de même que le motteux. La manière dont il se comporte avec l'homme est tout à fait singulière. Tandis que le motteux donne des signes de vive inquiétude quand on s'approche de son nid, le tarier reste absolument impassible, à moins que les petits ne soient éclos, auquel cas il pousse des cris lamentables. Ceci est une de ces bizarreries qu'on trouve en grand nombre chez les LE TRAQUET TARIER 165 oiseaux et qu'on ne sait comment expliquer. Il ne fait guère attention aux simples passants. Quand il est poursuivi, il a l'air plutôt surpris qu'efïrayé. Au lieu de s'enfuir au plus vite, comme le motteux, il tarde, et ne fait que passer d'un buisson ou d'un piquet à un autre, se posant toujours de manière à regarder le chasseur, à lui montrer sa jolie poi- trine rose. Il est inquiet, effarouché, hagard, mais il ne s'éloigne pas, et son bel œil noir, ouvert sous un sourcil blanc, garde une expression de douceur et d'étonnement. Il se demande ce qu'on lui veut. Il est aussi beaucoup plus facile à vivre, beaucoup plus accommodant avec ses voisins et ses semblables. Le motteux est positivement farouche, impropre à toute compagnie. Le tarier a bien ses querelles et ses démê- lés, mais qui ne vont pas jusqu'à lui rendre impossible la vie de société. En automne, il émigré en famille, au lieu de voyager seul. Il a la mélan- colie plus tranquille que le motteux; en revanche, il a la gaîté moins folle au temps des amours. Il fait moins de culbutes et chante plus assidûment, même la nuit. Il a la voix plus douce, plus souple, plus har- monieuse; son répertoire, plus varié, est enrichi de couplets empruntés à celui du pinson ou de la fauvette; surtout il n'a pas de ces notes rauques, qui, dans la chanson du motteux, dénotent au travers de la mélancolie, comme un souvenir de sa nature rebelle. Il semblerait devoir être plus facile à apprivoiser; mais quand on le met en cage, on est tout surpris de le trouver aussi sauvage que son sauvage parent. Il se blottit en un coin, et se ronge d'ennui jusqu'à ce que la mort lui rende la liberté. Nombreux sont les oiseaux qui ont le caractère assez accusé pour qu'on voie clair, en quelques jours, dans ces petites âmes naïves, qui se trahissent ingénument. D'autres, et c'est le cas du tarier, ont les sensa- 166 LES OISEAUX DANS LA NATURE tions confuses et la conscience obscure. Etres mal définis, ils ne paraissent nés ni pour la joie, ni pour la souffrance; la vie leur est un rêve; ils la traversent comme ils y sont entrés, sans la comprendre, et quand il s'agit d'en sortir, quand la mort est là, qui se dresse devant eux, ils la regardent et lui disent encore : « Que me veux-tu ? » LA GORGE- BLEUE LA GORGE-BLEUE LA GORGE-BLEUE YA-T-IL de l'exagération à dire de la gorge-bleue qu'elle est, de tous les oiseaux de nos contrées, celui qui a le plus d'analogie avec ces espèces du Midi célèbres pour l'éclat de leur plumage ? Elle est un peu plus forte que le rouge-gorge, et elle se présente mieux, parce qu'elle se tient droite sur ses hautes jambes, étalant aux regards la magnificence de son incomparable plastron d'azur. Le dos, l'aile, le ventre, n'offrent rien de particulier; le dos et l'aile sont d'un gris sombre, et le ventre d'un gris clair; la queue est déjà plus parée, grâce à deux belles taches rousses, qui en font ressortir le brun sombre. L'oiseau a l'air de savoir qu'il a une jolie queue; il la tient droite, comme sa gorge. Le front, qui est de la couleur du manteau, est coquettement dessiné par un fin bandeau blanc jaunâtre, qui passe au-dessus des yeux et fait presque le tour de la tête. Mais le triomphe de cette toilette, simple dans sa recherche, est ce plastron d'azur qui, attaché sous le bec, tombe sur la gorge et jusque fort avant sur la poitrine. Il a la forme d'une jolie bavette d'enfant. Une bordure de velours noir et un liseré de satin blanc, bordé lui-même d'une frange orangée, en font valoir la coupe élégante. Quant au bleu dont il est fait, c'est un de ces bleus qu'on rêve, à la fois éclatant et doux, chaud et métallique : le chatoiement du 172 LES OISEAUX DANS LA NATURE velours uni au rayonnement du saphir. Et pour en augmenter encore la richesse, au centre, à la gorge même, pareille à une broche sur un corsage, étincelle une étoile d'argent. Comment la nature s'y prend-elle, sous nos pâles climats, pour exécuter ce chef-d'œuvre? D'où lui en est venue l'idée? Où en a-t-elle trouvé les couleurs? Elle n'y réussit pas sans peine; souvent elle le manque ou le laisse inachevé. Les jeunes n'ont pas une plume bleue; la femelle non plus, au moins jusqu'à un certain âge. Sur ses vieux jours, elle s'embellit, aux yeux de son époux, d'un demi-collier où brillent quelques vagues teintes de cette couleur trop riche pour sa modestie. Les mâles d'un ou même de deux ans semblent n'avoir pas encore eu le temps de porter à sa perfection cette pièce royale. Quelques-uns n'y arrivent jamais; l'étoile d'argent ne sort pas, ou reste confuse. Seuls, de vieux chefs éprouvés peuvent offrir à leurs femmes et à leurs enfants le spectacle complet d'un costume de gorge-bleue. Et encore sont-ils en grand danger de le voir se faner. Qu'ils n'aillent pas, s'ils y attachent du prix, donner dans les pièges que leur tendent les hommes ! L'air de la cage ne comporte point une telle parure. Soit qu'elle ait besoin, pour se maintenir et se renouveler, des migrations de chaque année, c'est-à- dire du soleil du Midi, soit que la tristesse de la captivité puisse assom- brir non seulement l'humeur, mais encore le plumage d'un oiseau, la gorge-bleue prisonnière voit, dès les premières mues, l'azur de sa poi- trine dégénérer en un gris vulgaire. Il est des magnificences qui ne conviennent qu'à la liberté. Comment se peut-il faire qu'un si bel oiseau, et qui a le sentiment de sa beauté, mène une vie obscure, se dérobe, se cache, comme s'il était honteux du privilège de sa naissance? La nature a de ces mystères. LA GORGE-BLEUE 173 qu'il est inutile de vouloir expliquer. Le fait est que les gorges-bleues sont très répandues dans notre pays et dans les pays voisins, et qu'on en voit cependant assez peu, infiniment moins que de rouges-gorges. Elle n'aime pas la forêt proprement dite, mais les lisières, les lieux vagues, où elle trouve des fossés marécageux, des talus, de grandes herbes, des broussailles, des saules. Elle a une préférence pour les plantations d'osier. Son nid est près de la terre ou sur la terre même ; elle n'en sort, le plus souvent, que pour aller courir dans les herbes ou sous les taillis, à la chasse des insectes, qui ne font point défaut dans ces parages humides, où la pluie laisse des flaques, qui tiédissent au soleil. A peine nés, les petits se culbutent du nid et se faufilent, comme des souris, dans tous les trous qu'ils rencontrent. L'aile leur pousse, et ils n'en profitent que timidement. Ils continuent avec leurs parents cette vie à demi souterraine, jusqu'au moment où les familles se réunissent et forment des groupes ou des tribus, pour entreprendre la grande migra- tion automnale. Il n'y a que deux occasions où la gorge-bleue oublie le terre à terre de ses mœurs bourgeoises pour faire preuve d'un tempérament moins tranquille, c'est lorsqu'elle célèbre la fête de ses noces ou qu'elle ren- contre un rival. Pendant que la femelle couve, le mâle va chanter sur quelque haute branche d'osier. C'est sa tribune, d'où, par moments, il s'élève perpendiculairement dans les airs. Il y va souvent la nuit, au clair de lune. Sa chanson est un gazouillement musical, qu'on dirait à deux voix, et sur lequel se détachent des sons argentins. Douce chanson d'oiseau très heureux et d'époux attendri! Mais où il n'est pas tendre, c'est lorsque, entre deux touffes d'herbe ou sur la berge d'un fossé, il voit apparaître un plastron semblable au sien. Alors il entre dans une 174 LES OISEAUX DANS LA NATURE fureur indescriptible. Toutes ses plumes se hérissent, et les deux adver- saires se précipitent l'un contre l'autre, d'un élan simultané. La bataille est toujours sanglante. Le vainqueur ne lâche pas prise qu'il n'ait vu rouler sur la terre son insolent rival. Quelquefois il l'achève à coups de bec; puis il rentre au nid, couvert de poussière, meurtri, mais triom- phant. On voit par là que la gorge-bleue connaît le prix de sa livrée. Si elle dédaigne d'en faire étalage au dehors, au moins entend-elle être seule à en déployer devant les siens le spectacle glorieux. LE ROUGE- GORGE LE ROUGE-GORGE 12 LE ROUGE-GORGE LE rouge-gorge nous arrive de bonne heure au printemps; il s'ins- talle dans nos bois et y monte aussitôt, avec sa douce femelle, son petit ménage solitaire. Sans les rets et la fouine, rien ne serait plus digne d'envie que l'existence du rouge-gorge. Il choisit pour sa demeure les endroits les plus frais, les plus verdoyants, si possible dans le voismage d'une source. Il confie son nid aux basses branches, ou bien aux cavités des troncs et des blocs moussus. Il le bâtit avec grand soin, le tapisse d'un duvet moelleux et s'ingénie à le cacher. Souvent il le couvre de feuilles, ne laissant pour y parvenir qu'un passage dérobé ; d'autres fois, il le dissimule sous les géraniums aux fleurs roses ou parmi le feuillage serré du pain de coucou. Fidèles et jaloux sont les amours qu'abritent ces nids gracieux. Aucun autre couple n'est souffert dans le voisinage immédiat. Il faut à chaque famille son buisson, sa source, son petit parc de chasse. La vie n'est pas difficile au rouge-gorge, car le gibier abonde sous les fourrés humides et dans le voisinage des ruis- selets. Aussi lui reste-t-il du loisir pour l'amour, le chant et le bain, ses trois passions. II est un des premiers que l'on entende à l'aube; quand il se tait, le soir, c'est que le rossignol va commencer. Il chante encore en juin et en juillet. Sa voix, sans doute, n'est pas comparable 180 LES OISEAUX DANS LA NATURE à celle des chanteurs nocturnes. Elle a du timbre néanmoins et du carac- tère. Son chant est vif, délié, tendre, avec des frémissements passion- nés, qui lui donnent l'air et l'accent de la prière. Il chante tourné vers la lumière, qu'il contemple de son grand œil humide et noir, et son plu- mage se hérisse comme s'il était en proie à une violente émotion. Il y a de la ferveur dans les chansons du rouge-gorge : il y en a aussi dans ses amours. Deux fois en quelques semaines, le nid s'emplit, et bientôt toute une tribu d'oisillons voltige le long du ruisseau, où les parents vont se baigner en battant des ailes. Fin chasseur, amant jaloux, voisin peu commode, du moins pour ses semblables, le rouge-gorge a la naïveté de ne pas compter l'homme au nombre de ses ennemis. En vain lui fait-on, surtout au Midi, une chasse à outrance : l'expérience des victimes ne profite pas à la race. Le rouge-gorge aime à voltiger autour du passant; souvent il accompa- gne le promeneur solitaire, avec un joli manège, qui consiste à se poser à vingt pas devant lui, à l'attendre, à s'enfuir au dernier moment, à se poser de nouveau, et ainsi de suite. S'il s'établit des charbonniers dans la forêt, il ne tarde pas à leur rendre visite; il s'approche à petits sauts de leur cabane de branches; il les suit, les regarde, écoute leurs dis- cours, picore les miettes de leurs repas et tourne avec eux autour de la charbonnière qui fume. Il y a plus d'une légende sur l'amitié du rouge- gorge et du charbonnier. Quoiqu'il se nourrisse essentiellement d'insectes, le rouge-gorge, comme la grive, aime les baies sauvages. Aussi s'attarde-t-il parfois en automne. Il a peine à quitter les belles grappes du sorbier. Le moment du départ n'est point annoncé par des conciliabules préparatoires. Cependant ils voyagent ensemble, multipliant les étapes, se dérobant LE ROUGE-GORGE 181 de bocage en bocage et profitant de l'obscurité pour décamper du gîte. Au coucher du soleil, ils montent de branche en branche, et un peu plus tard, la nuit close, on les entend qui s'appellent dans les airs. Quelques- uns cependant oublient de partir et passent l'hiver dans nos climats. Ces retardataires quittent les bois et s'approchent des fermes et des chaumières ; ils viennent picorer dans les basses-cours. D'autres oiseaux font de même : c'est la loi générale, on se serre quand il fait froid. Mais le rouge-gorge y met une hardiesse particulière. Il vient comme s'il était à la maison. Il se blottit sous les toits, il se pose sur le rebord des fenêtres, il profite des ouvertures pour se glisser dans les greniers, parfois dans les chambres. Ce n'est point chose rare de rencontrer un rouge-gorge installé pour l'hiver dans une chambre de paysans, vivant de peu, sans peur ni indiscrétion, et payant les miettes qu'on lui donne par un ramage toujours charmant. Mais ce n'est jamais pour longtemps que le rouge-gorge se fait ainsi le familier de l'homme. Dès les premières brises attiédies, il lui ressouvient de la forêt, de la source, du nid caché sous le pain de coucou, et par la fenêtre entr'ouverte, il s'envole et ne revient plus.... à moins qu'en automne, il n'oublie encore de partir : alors, après quelques jours passés autour de la ferme, voyant la terre chargée de neige et se rappelant la chambre chaude, il ira frapper du bec à la vitre. LE ROUGE-QUEUE LE ROUGE-QUEUE LE ROUGE-QUEUE SOUS le nom populaire de rouge-queue, on comprend deux espèces, qui ont entre elles une différence de mœurs très fréquente entre espèces voisines, celle-là même que nous venons de rencontrer chez les traquets : l'une est plus champêtre, l'autre plus saxicole. La première, le rouge-queue des jardins, comme on l'appelle souvent, rappelle le rouge-gorge par la tenue générale, les formes et l'aspect. Il s'en distingue surtout par sa queue rouge, sauf les deux plumes cen- trales, et par une grande tache noire qui se détache sur l'orange de la poitrine et monte de la gorge jusqu'au-dessus des yeux. L'autre, celui des maisons, est un oiseau tout deuil, à qui l'on a oublié de passer en noir deux paires de plumes, à droite et à gauche de la queue. La gorge et la poitrine sont grand deuil, d'un beau noir, bien franc; la nuque et le dos petit deuil, d'un gris mélancolique, relevé de quelques plumes blanches à l'aile. Les pattes sont chaussées de deuil; le bec est grand deuil; l'œil est d'un brun sombre, voisin du noir : il n'y a que ces taches de rouille sur la queue qui détonnent, comme une plaisanterie, au milieu de cette toilette d'enterrement. Les deux espèces de rouge-queue ont une existence bien distincte. Celui des jardins remplit les forêts et les vergers; il est chez lui partout 188 LES OISEAUX DANS LA NATURE où il y a des arbres, et son nid, le plus souvent, est dans le creux d'un tronc. Celui des maisons n'aime point les arbres; rarement il s'y pose, jamais il ne leur confie son nid. Ce qu'il aime, c'est le sol nu, le rocher, la pierre. Les altitudes lui sont indifférentes, pourvu qu'il y trouve des stations à son gré. On le rencontre jusque dans le voisinage des glaciers, parmi les pierres des moraines. Il a une prédilection pour les masures en ruines et pour les chalets abandonnés. Son nid est dans une crevasse de rocher ou dans un trou de mur. Ce n'est d'ailleurs nullement un oiseau farouche, comme le traquet motteux. Il ne hante pas moins la plaine que la montagne, et dans la plaine il recherche particulièrement les lieux qu'anime la présence de l'homme. Il préfère même, quand il a le choix, la ville au village. Ce qu'il lui faut, c'est la pierre et de hauts perchoirs : les cheminées, les flèches d'église et les pointes de para- tonnerre. Il est facile à observer, même des profondeurs de la rue. On le connaît à ses révérences répétées et à cet amour exclusif des toits et de tout ce qui fait saillie par-dessus. Son chant, moins harmonieux que celui du rouge-queue des jardins, paraît mieux assorti au voisinage des girouettes. Il consiste en quelques notes, belles, vives, sonores, brus- quement interrompues par un grincement criard. Quand on 1 entend, il n'y a qu'à lever la tête, et l'on peut être assuré de voir le chanteur, tranquillement posé, bien en vue, peut-être sur la girouette même dont il imite le cri. Le rouge-queue est très habile à se laisser tomber des hauteurs où il réside, pour saisir au vol quelque proie, sauf à y remonter aussi vite qu'il en était descendu. Mais c'est un exercice auquel il ne se livre pas très souvent. Les gouttières, les tuiles et les ardoises humides, ainsi LE ROUGE-QUEUE 189 que la région d'air dont il fait son séjour, lui fournissent assez de quoi vivre. Il est grand chasseur d'insectes. Cependant, lorsque le nid est plein, et qu'il faut faire double ou triple provision, la disette le force à se rapprocher des lieux bas, à descendre sur les terrasses et dans les potagers, oij parfois il se rencontre avec son frère des jardins. Il en est de même en automne, quand le départ approche. Ce sont les graines de sureau qui l'attirent alors dans la campagne. Il en fait une grande consommation : c'est son régal d'arrière-saison. Puis les jours deviennent courts et froids, et les rouges-queues se réunissent pour aller, en famille, passer l'hiver au Midi. Bonne, simple, utile existence, toute bourgeoise, excepté cet amour des toits, qui semble trahir un certain goût pour les aventures. Mais quand on a des ailes, autant vaut le toit que la rue. Sur les toits ou ailleurs, le rouge-queue se distingue par la tranquillité de son caractère et la régularité de sa vie. Il remplit ses devoirs de chaque saison sans offenser personne, et peut, à la veille d'une nouvelle année, faire le compte de celle qui vient de s'écouler, sans avoir la conscience trop chargée. Il n a ni volé, ni même convoité le fruit défendu; il n'a eu que de rares et insignifiantes querelles; il a fait ses deux couvées, ni plus ni moins; il a élevé ses enfants sans luxe ni négligence; enfin, il a exercé son petit talent de chanteur sans fatiguer le monde, malgré quelques fausses notes, imitées de la girouette. Et toutes les années, c'est le même bilan, la même existence paisible de bourgeois rangé. Si les oiseaux avaient des monuments funéraires, on pourrait graver sur le marbre du rouge-queue qu'il fut bon fils, bon époux et bon père. Mais il est trop honnête homme pour avoir besoin d'épitaphe. LE ROSSIGNOL DE MURAILLE LE ROSSIGNOL DE MURAILLE 13 LE ROSSIGNOL DE MURAILLE QUEL oiseau plus élégant que le rossignol de muraille ? La nature paraît l'avoir créé en vue d'animer nos jardins. Aussi ' lui a-t-elle donné une toilette faite pour briller parmi les fleurs. Prenez un rouge-gorge; teignez-lui d'un beau rouge les plumes de la queue, à l'exception de la paire du milieu; couvrez-lui le visage d'un domino de velours noir, qui lui descende jusque sous la gorge et se détache sur sa poitrine orangée; jetez sur ses épaules une mantille d'un gris cendré, dont le capuchon, bordé de blanc, lui retombe sur la tête et le front, et vous aurez, à peu près, le costume du rossignol de muraille. Il ne vous restera, pour achever la métamorphose, qu'à mettre cette riche toilette sur un corps un peu plus petit et de forme plus svelte, à la poitrine plus effacée, à la gorge plus mince et au bec plus effilé. Si on lui a donné le nom de rossignol, ce n'est pas à cause de ce costume, beaucoup plus brillant que celui de son illustre homonyme; ce n est pas non plus à cause de son chant, qui est doux et mélodieux, avec une pointe de mélancolie, mais qui n'a ni la variété ni la puissance du vrai rossignol; c'est seulement parce qu'il n'attend pas le jour pour préluder à ses concerts. A peine l'.aube s'annonce-t-elle par quelque 196 LES OISEAUX DANS LA NATURE vague lueur qu'il est déjà à son poste, sur sa branche favorite, la plus haute branche d'un lilas fleuri, et qu'il entonne sa chanson matinale. Enfin, si, pour le bien distinguer du rossignol des bosquets, on l'a appelé le rossignol de muraille, cela ne veut pas dire qu'il ait coutume de nicher dans un trou de mur, comme l'a cru Victor Hugo, qui parle de « son nid pierreux », et comme on se le figure assez communément. Cela veut dire qu'il n'est pas rare de le voir grimper aux murs, exami- nant les interstices des pierres, entrant dans les petites cavernes qu'elles forment en se disjoignant, ou dans les trous destinés à l'écou- lement des eaux. C'est même une de ses habitudes caractéristiques; aussi lui arrive-t-il souvent de se rencontrer, bec à bec, avec le troglo- dyte, qui est comme lui, un grand visiteur de cachettes. Néanmoins, la condition essentielle dans le choix de son domicile, est le voisinage d'arbres et d'arbrisseaux, pour y loger son nid dans quelque excavation naturelle. S'il y a des arbres et des murs, tout alors se trouve réuni, et c'est pourquoi le rossignol de muraille est surtout commun dans nos vergers et nos jardins. Les landes stériles, les tourbières, les marais, les champs uniformes et les sapinières à sol moussu ne le comptent jamais au nombre de leurs habitants. Le caractère de cet oiseau offre un mélange particulier de crainte et de confiance, d'adresse et d'imprudence. Quand la femelle est sur ses œufs et qu'on approche de son arbre, elle pousse un cri de détresse bien connu : huid, huid, dà, dà! huid, huid, dà, dà! Est-ce une manière d'en appeler à la pitié de l'ennemi, ou bien n'est-elle pas maîtresse de l*émotion qui la saisit? On ne sait; mais elle se trahit, et ce cri lui est souvent fatal, d'autant plus fatal que son nid, dans la plupart des cas, est à la portée de la main. Elle continue à crier, sans fuir, lorsqu'on LE ROSSIGNOL DE MURAILLE 197 avance le bras pour la saisir; elle est comme clouée sur ses œufs, si bien clouée qu'elle s'y laisse prendre. En toute autre occasion, le rossignol de muraille n'a pas l'air de se préoccuper de la présence de l'homme. Il s'établit chez lui, mais sans entrer avec lui en commerce familier. Il ne l'évite ni ne l'approche, et ne s'en laisse pas non plus approcher. A chacun ses affaires! Les affaires du rossignol de muraille sont de jouer, de chasser et de se pavaner sous les regards de sa mignonne compagne. Il a les mou- vements vifs, le vol alerte; il passe par bonds d'un bout du jardin à l'autre; il trottine à grands sauts saccadés dans les allées finement sablées; il se redresse et montre sa poitrine, dont il semble très fier; il hoche sans cesse la queue, et de temps en temps fait une révérence; il grimpe et se faufile entre les mailles du treillis contre lequel s'appuie l'espalier; puis il va se percher sur le toit, d'où il se laisse tomber comme une flèche : il a vu un insecte. Tout ce manège est fort gai, rarement troublé par des querelles avec des voisins; mais il y faut le soleil. Quand il pleut, le rossignol de muraille est triste; il vit dans quelque encoi- gnure, renfrogné, sans autre chanson qu'une note monotone, qu'il jette à intervalles réguliers ; on dirait une grosse goutte d'eau qui tombe dans un bassin. Aussi le peuple l'a-t-il nommé F oiseau de pluie. Mais vienne un rayon de soleil, voici de nouveau le couple amoureux parmi les plates-bandes, entre les touffes de réséda ou de pensées. Le jeu recommence, bientôt accompagné de protestations passionnées. Le rossignol de muraille est passé maître dans ce langage du geste et de l'attitude qu'entendent si bien les oiseaux; il a des pas de côté, des déploiements de queue et des étirements d'aile auxquels en vain on voudrait résister. La belle le regarde, d'abord avec indifférence, puis 198 LES OISEAUX DANS LA NATURE avec un intérêt trop visible, et pendant que sur la terre encore humide se joue cette idylle gracieuse, les grandes pensées, attristées par la pluie, relèvent leurs têtes veloutées, et leurs petits yeux jaunes regardent les oiseaux folâtrer. Les grandes pensées sont discrètes : elles voient, mais ne parlent pas. LA FAUVETTE DES JARDINS LA FAUVETTE DES JARDINS LA FAUVETTE DES JARDINS UN des inconvénients de ces courtes notices, dont chacune se rapporte à une espèce distincte, est de nous obliger à des répétitions, qu'il serait facile d'éviter si nous pouvions décrire le genre avant de préciser les caractères de l'espèce. Voici, par exemple, des fauvettes, — celle des jardins, celle à tête noire et la grisette, - dont les mœurs ont tant de ressemblance que parler de l'une c'est parler des autres. Pour ne pas fatiguer le lecteur, en disant trois fois les mêmes choses, nous envisagerons ces trois notices comme faisant une suite et se complétant, ce qui nous permettra de consacrer la première à la physionomie de la fauvette, la seconde à son vol et à son chant, la troi- sième au détail de ses mœurs. C'est une opinion commune que la fauvette n a d autres grâces que celles du chant, et que la beauté de sa voix rachète l'insignifiance de son plumage. Il est vrai qu'elle n'a ni or, ni pourpre, ni azur; le préjugé populaire n'en est pas moins très injuste. D'abord, c'est un oiseau bien fait. Il a la grâce des formes. On dit qu'il est sujet, en cage, à devenir obèse. Une fauvette obèse! Passe pour un moineau, mais une fauvette!... La fauvette est l'oiseau svelte par excellence. Elle a le corps allongé, presque trop allongé, dans certaines espèces, l'aile bien prise, la gorge 204 LES OISEAUX DANS LA NATURE libre, la tête fine, l'œil vif et parfois remarquablement clair. — La grisette surtout se distingue par son œil clair. — De bec, elle en a ce qu'il faut pour vivre; de queue, ce qu'il faut pour finir un joli corps d'oiseau : rien de plus. Elle n'a jamais l'air fatigué. Même au repos, elle garde l'attitude du mouvement. Penchée en avant, la tête haute et mobile, l'œil au guet, elle part sans élan ni réflexion : elle était prête. La nature du plumage ajoute à ces souplesses de pose et à la grâce de ces ports de tête : il est fin, menu, soyeux; il s'applique au corps et en dessine tous les mouvements. Rien de bouffant, ni de chevelu. La couleur générale est une teinte fauve, ou plutôt fauvette, — ce nom est une peinture, — qui s'éclaircit sur la poitrine, surtout à la gorge, et s'ac- complit jusqu'au brun sur la tête, le dos et les ailes. Pour tout ornement, un fin liseré clair aux plumes de l'aile. Telle est du moins la robe de la fauvette des jardins. Celles de la fauvette à tête noire et de la grisette, quoique très simples, n'ont déjà plus cette rigoureuse sévérité. S'il fallait choisir, je donnerais la palme à la plus modeste. Elle n'a pas ce qu'ont tant d'autres oiseaux, une parure, un costume : elle n'a qu'un vêtement. Elle ne veut être reconnue pour une fille de noble maison que par le bon goût d'une toilette tranquille. Ce genre de distinction est inconnu à ces espèces du Midi qui font montre, sur leur plumage, de tout ce qu'il peut y avoir de couleurs dans un rayon du soleil des tropiques; il est également inconnu de ces pâles oiseaux du Nord qui, pour ne pas faire tache dans le paysage, endossent la livrée de leurs frimas; c'est un type qui ne convient qu'aux pays où une lumière tempérée produit des harmonies douces et multiplie les effets reposants. Ces couleurs fauvettes, ces bruns qui n'ont rien de triste, ces gris légè- rement dorés, développent, sous un ciel favorable, des nuances variées LA FAUVETTE DES JARDINS 205 dont la modestie s'empare pour réaliser Télégance parfaite dans la par- faite simplicité. Oiseau bien fait, la fauvette est encore un oiseau bien élevé, ou plutôt bien né. Ces petits êtres ailés, nerveux, ont souvent l'humeur taquine et colère. Ils ne savent pas seulement jaser et chanter, ils piail- lent, ils criaillent, ils crient. Point de bruit discordant, point de chicane dans les bosquets de la fauvette. On peut s'y poursuivre et s'y exciter mutuellement, toujours par plaisir; on peut s'y faire des niches, toujours innocentes. Une querelle entre fauvettes n'est qu'un prétexte de plus à chansons. Elles ne fuient pas l'homme, elles ne recherchent point la solitude; elles aiment les ombres légères, les paysages gracieux, les haies vives, les bouquets de petits arbres. Elles se plaisent aux fleurs. Celle à tête noire ne quitte pas souvent, non plus que la grisette, les asiles champêtres aménagés par la nature; celle des jardins vient chanter sur nos terrasses, parmi le chèvrefeuille et le jasmin. En cage, malgré les accès de mélancolie qui la prennent dans la saison des voyages, la fau- vette a pour ses compagnons de captivité des égards, des politesses qu'on ne trouve guère aux autres oiseaux. Elle ne demande point à être servie la première, comme l'impérieux rossignol; elle attend son tour pour boire ou picorer à l'auget, et ne dérange pas celui qui l'y a devancée. Tout au plus marque-t-elle, en s'approchant à pas discrets, son intention de prendre part au régal quand la place sera libre. Ces douces manières ne proviennent ni de faiblesse, ni de timidité, car la fauvette est polie envers les petits comme envers les grands ; ce ne sont pas non plus de vains dehors : c'est un effet de nature. La fauvette n'est jamais de triste humeur. Elle ressemble aux enfants, elle ne croit ni au mal, ni au danger. Quand un péril la menace, elle s'en tire comme 206 LES OISEAUX DANS LA NATURE elle peut, très habilement parfois; mais quand c'est fini, c'est fini; elle n'y songeait point auparavant, elle n'y songe plus ensuite ; elle joue, elle voltige comme si rien ne s'était passé; elle continue à charmer les autres et à se charmer elle-même par la gaîté de ses chansons. Comment ferait-on pour être méchant quand on est si content de la vie? C'est la joie qui la rend bonne, avenante à chacun, et sa politesse n'est que la bienveillance d'un cœur heureux. LA FAUVETTE A TÊTE NOIRE LA FAUVETTE A TÊTE NOIRE 14 LA FAUVETTE A TÊTE NOIRE ELEGANTE et svelte, la fauvette à tête noire est de celles à qui l'on pourrait reprocher d'avoir presque trop de finesse dans le profil de leur long corsage. La calotte noire ou brune, selon le sexe, qui lui couvre la tête, lui donne un faux air de mésange, ainsi que les teintes bleues ou vertes qui, sur la nuque et sur le dos, colorent sa robe grise. Mais si elle n'est pas vêtue avec la stricte simplicité de sa sœur des jardins, elle n'est guère moins modeste. Elle ne cherche pas les regards, et l'on peut l'entendre longtemps avant de réussir à la voir. Son séjour préféré est dans les bois clairs, dont le sol est couvert d'un fouillis d'aubépines, de ronces, de clématites et d'églantines. C'est dans ce fouillis qu'elle vit et se cache, passant avec une merveilleuse adresse, et sans y laisser de plumes, entre les tiges hérissées d'aiguil- lons. Grâce à son corps mince et allongé, et à ses ailes bien dégagées, sinon très amples, la fauvette noire, comme toutes les autres fauvettes, glisse dans l'air avec une grande facilité. Au temps des migrations, elle se distingue parmi les fins voiliers de l'espace. Elle a le vol sinueux, mais rapide. En temps ordinaire, elle est toujours en mouvement. Chaque fauvette a son quartier, son coin de bois, qu'elle ne cesse de 212 LES OISEAUX DANS LA NATURE parcourir, ne faisant que de très courtes haltes, moins pour se reposer que pour picorer un fruit ou reconnaître un insecte. Sa manière de vol- tiger n'est pas de faire de la voltige, comme les mésanges; elle voltige au sens propre du mot, se jetant par bonds d'un buisson à l'autre, en battant l'air des coups saccadés de son aile. Qu'est-ce qui la tient ainsi en haleine? Est-ce la faim ou l'humeur folâtre? L'une et l'autre, sans doute. Elle n'a jamais plus de verve qu'après les courtes pluies qui tombent dans les jours chauds de l'été ; alors, dit Buffon, « on la voit courir sur les feuilles mouillées et se baigner dans les gouttes qu'elle secoue du feuillage. » Il faut qu'il y ait une provision de vie peu commune dans ce petit corps élastique, car la fauvette, — n'importe l'espèce — est un des oiseaux qui en font la plus grande dépense. Elle ne la dépense pas seu- lement par ce vol incessant, mais encore par un chant ou un gazouille- ment perpétuel. Aucun oiseau ne se fait plus entendre. Il est des fau- vettes qui chantent toute l'année, sauf pendant la mue. Elles donnent en général deux grands concerts par jour : un dans la matinée, de huit à onze; l'autre après midi. Elles sont capables de soutenir leur chant pendant un quart d'heure plein, sans arrêt, sans respiration apparente. La fauvette a même ceci de particulier qu'elle chante en volant. La plupart des oiseaux artistes se posent pour chanter. Ainsi fait le rossignol, qui reste immobile. On peut le voir, dans les volières, se coucher parmi le sable, à plat ventre, avant de laisser couler une note de son bec grand ouvert. C'est un maître, tout à l'œuvre sacrée, qui ne veut pas en être distrait par le moindre mouvement, par le moindre effort d'autres muscles que ceux qui agissent sur la voix. La fauvette n'y regarde pas de si près; elle chante comme elle vole, de verve et pour le plaisir de LA FAUVETTE A TÊTE NOIRE 213 chanter. Sa voix n'a pas la puissance de sonorité de celle du rossignol ; mais elle est flexible, douce, limpide, et forte au besoin. Elle n'a pas non plus le riche vocabulaire du rossignol. Ce sont des didildû didilda, des ddidi, daïda et autres refrains de joie ; mais elle rachète cette moindre variété par les nuances infinies de la modulation. Parfois, la fauvette ne laisse échapper qu'un tout petit filet de voix, comme si elle avait un secret à murmurer à une oreille amie; il faut s'approcher pour l'enten- dre : les ruisselets de la prairie ont peine à gazouiller plus doucement sur leur lit de sable et de mousse; puis elle s'anime, la note vibre et s'égaye, avec des sons argentins et un timbre de flûte, pur et velouté. Pour les notes les plus hautes, elle a une sorte de voix de tête comme les bergers appenzellois et les chasseurs tyroliens, qu'elle rappelle aussi par la gaîté de ses mélodies. La gaîté est l'âme de son chant, consacré tout entier à la jeunesse, aux fleurs, à l'innocence, à ce printemps étemel que le bon Dieu fait fleurir dans le cœur des enfants et dans celui des petits oiseaux. Cependant, au mois de mai, saison des nids, il s'y mêle un accent particulier, surtout chez celle à tête noire. Les piano sont encore plus doux, les forte ont plus d'éclat. 11 n'est point rare alors que la fauvette se pose pour chanter; puis elle s'oublie dans un trans- port dont elle n'est plus la maîtresse; les plumes de sa tête se hérissent, sa queue se dilate et s'étale, et, comme enlevée par son chant, elle con- tinue dans les airs la roulade commencée, pour retomber, ivre d'amour et de joie, auprès de sa timide compagne. Grâce à la flexibilité de sa voix, la fauvette est très habile à imiter le chant des autres oiseaux, et c'est une disposition dont on peut tirer parti. Une fauvette élevée avec un rossignol finit par chanter à peu près comme lui. L'apprentissage se fait tout seul, sans querelle ni jalousie : 214 LES OISEAUX DANS LA NATURE elle écoute et s'instruit. Michelet parle d'un rouge-gorge qui voletait en liberté dans son appartement, et qui fut pris d'un terrible accès de fureur en apercevant un rossignol en cage, qu'on venait d'y installer. Il se ruait contre les barreaux, ne demandant qu'à dévorer le monstre. Nous savons une fauvette qui se prit d'une amitié passionnée pour un rossignol, son compagnon de captivité. Heureuse d'étudier à son école, elle témoignait sa tendresse et sa reconnaissance en se couchant auprès de lui, aile contre aile, et en caressant de son bec mignon le front che- velu du voluptueux maestro. LA FAUVETTE GRISETTE LA FAUVETTE GRISETTE LA FAUVETTE GRISETTE CETTE gentille fauvette est aussi de celles dont la modestie s'accommode de quelques reflets plus vifs : elle a le dessous du corps plus blanc que celle des jardins, la nuque et le dos d'une jolie couleur cendrée et les plumes de l'aile bordées d'un liseré rouge clair. Elle habite les mêmes lieux que la fauvette à tête noire, et elle ne contribuerait pas moins à les égayer si elle était plus répandue. Il semble que l'espèce tende à devenir rare. De bons témoignages font craindre qu'il n'en soit de même des fauvettes en général. Friderich, toujours si exact, affirme, dans son Histoire naturelle des oiseaux, que pour la fau- vette des jardins la diminution est considérable. Ce dont il faut s'étonner, c'est qu'il y ait encore des fauvettes, car leur genre de vie les expose à toutes sortes de dangers. Elles ont leurs migrations très régulières. Elles passent l'hiver au Midi, sur la côte africaine de la Méditerranée, quelquefois plus loin. Humboldt a entendu chanter la fauvette à tête noire au pied du Ténériffe. Elles ne se hâtent point de revenir; elles attendent que le printemps soit bien établi et la campagne fleurie. Les espèces les plus pressées ne devancent guère la mi-avril; celle des jardins ne se montre parfois que dans les premiers jours de mai. Elles cheminent une à une. Les couples se cons- 220 LES OISEAUX DANS LA NATURE tituent dès l'arrivée ou très peu après. Elles mettent peu de soin à la construction du nid; les arts de la patience ne sont pas leur fait : elles ont trop besoin de mouvement. Elles se contentent d'une simple cor- beille, en forme de coupe, dont le tissu, à l'extérieur grossier, est par- fois si lâche qu'il a peine à tenir jusqu'au bout. Ce nid est ordinairement près de terre, à portée de la dent et de la patte des rôdeurs. La grisette est assez habile à le cacher; mais il n'en est pas de même de celle des jardins, qui en commence trois ou quatre et n'achève, d'ordinaire, que celui dont l'emplacement paraît le plus mal choisi. Cette dernière espèce ne fait guère qu'une couvée, à moins qu'il ne lui soit arrivé malheur; les autres en font deux de quatre à six œufs. Le mâle a pitié de sa com- pagne, condamnée, la pauvrette, à deux longues semaines d'immo- bilité. Il la remplace pendant quelques heures, au milieu du jour. Lors- qu'un danger menace la couveuse, lorsque, par exemple, un passant vient à fureter trop près de son nid, elle se laisse tomber à terre, avec un cri plaintif ; puis elle contrefait la blessée ou la malade, et, au moment où l'on croit la saisir, elle vous glisse entre les mains et disparaît dans le fourré. C'est son moyen de détourner l'attention. Souvent il lui réussit; mais si elle voit que le nid a été découvert, elle tient ses œufs pour perdus et les abandonne. Ainsi périssent de nombreuses couvées, sans compter ce que dévorent les fouines, les renards et les chats, sur- tout les chats. Un autre ennemi de la fauvette est le coucou, qui la choisit souvent pour la nourrice d'un de ses enfants. On dit qu'il est très difficile, presque impossible, de faire adopter à une fauvette en cage un œuf étranger. En liberté, elle ne reconnaît pas l'œuf du petit monstre qui, à peine éclos, jettera hors du nid la famille légitime. Le chant de la fauvette lui est aussi un piège; il la désigne comme une LA FAUVETTE GRISETTE 221 proie de valeur aux amateurs et aux fournisseurs de volières. C'est par milliers que périssent les fauvettes en cage. Quand vient l'automne et qu'elles rêvent voyage, elles s'agitent et battent les barreaux. Il faut des soins minutieux pour qu'elles traversent sans accident cette crise périodi- que de la captivité. Cependant, celles qui continuent à jouir de la douce liberté ne se refusent point les régals de la saison. Peu à peu les petites baies savoureuses remplacent les insectes, dont, au printemps, elles faisaient leur seule nourriture; comme les grives elles s'oublient à festoyer, et il faut une blanche gelée d'octobre pour leur rappeler qu'il serait temps de partir. Cette nouvelle expédition se fait à la faveur des longues nuits, par familles ou petites compagnies. Pour avoir moins de mer à traverser, on profite des îles et des presqu'îles : on fait relâche en Italie, en Corse, en Espagne. Pauvres fauvettes ! Elles ne savent donc pas que leur chair est devenue bonne au goût, et que ces îles et presqu'îles sont peuplées d'impitoyables mangeurs de petits oiseaux. Il n'est ni beauté, ni talent, ni art, ni gentillesse qui trouve grâce aux yeux de ces barbares du Sud. Quoi de plus simple que de manger grives, alouettes, fauvettes et rossi- gnols! encore leur avoir fait En les croquant beaucoup d'honneur. Les vols arrivent plus que décimés. Néanmoins les voyageuses qui ont la fortune d'atteindre le port ne paraissent pas avoir rien perdu de leur bonne humeur. Les chansons recommencent, car la fauvette est toujours la fauvette, même au pays des figuiers et des dattiers. C'est le propre de cet heureux oiseau de conserver sa sérénité au milieu d'une vie qui n'est qu'une suite d'embûches, de périls et de deuils. Ce n'est point indifférence pour le malheur d 'autrui, ce n'est pas légèreté de 222 LES OISEAUX DANS LA NATURE cœur. Elle aime ses frères et ses enfants, elle est très capable de se dévouer, elle est bienveillante à tous; mais elle ne compte avec la mort ni pour elle, ni pour les autres. Elle vit, et c'est aux vivants qu'elle est bonne. Qu'est-ce que vivre, sinon aimer, chanter, voltiger? Elle a reçu du ciel le don de la joie inaltérable, la suprême insouciance de cette gaîté que les anciens attribuaient aux seuls immortels. On dit que la fauvette se fait rare; mais cette race qui s'en va chante-t-elle moms pour cela? Si, ce qu'à Dieu ne plaise, elle devait s'en aller tout à fait, la der- nière fauvette mourrait en chantant sa dernière chanson. L'HYPOLAIS ICTÉRINE L'HYPOLAIS ICTÉRINE 15 L'HYPOLAIS ICTÉRINE FRILEUX et délicat, l'oiseau qui porte ce nom d'hypolaïs, un nom bien savant, est un enfant du Midi, qui ne fait qu'une apparition dans nos contrées. Il retarde prudemment son arrivée jusqu'à ce que le printemps soit bien établi ; on ne le voit guère avant les der- niers jours d'avril ou même les premiers jours de mai ; il se loge parmi les arbustes en fleurs, dans les vergers et les jardins; il s'y fait un nid coquet, artistement tissé; il élève sa petite famille; puis, dès le mois d'août, il la réunit et repart pour des pays plus chauds. C'est un oiseau élégant, bien vêtu et de fines manières. Il porte sur les épaules un manteau gris, nuancé de vert, lequel s'ouvre largement pour laisser voir le long justaucorps jaune paille qui lui serre la gorge et la poitrine. La tête est intelligente, bien dégagée, plus fine encore que celle des fauvettes, avec une chevelure grise, qui se hérisse quand il chante. Le bec est mignon, rosé, orné de barbes noires à sa naissance; l'œil est noir, petit, flamboyant. La campagne est en pleine fête quand nous arrive l'hypolaïs. Les cerisiers, pour la plupart, ont déjà dépouillé la neige brillante dont ils se parent au printemps ; mais les poiriers et les pommiers, gloire de nos prairies, plient sous le poids des corolles blanches ou roses; les lilas 228 LES OISEAUX DANS LA NATURE embaument les bosquets, et les mouches commencent à bourdonner autour des sorbiers. L'herbe est haute dans les prés, les plates-bandes des jardins sont autant de parterres fleuris, et les buissons de roses se couvrent de leurs premiers boutons. Depuis longtemps le pinson chante dans le feuillage, la fauvette suspend des nids ébauchés à tous les arbus- tes, et le merle, drapé de noir, psalmodie sur sa gouttière; pour que l'orchestre soit complet, il ne manque plus que l'hypolaïs, qui, avec la souplesse de sa voix, viendra imiter tour à tour pinsons, merles et fau- vettes, et se moquera d'eux tous en accommodant leurs mélodies à ses inépuisables pots pourris. Car tel est le talent particulier de l'hypolaïs, talent dont veulent jouir tous les amateurs de pots pourris, et Dieu sait s'ils sont nombreux ! On se donne beaucoup de peine pour élever cet habile artiste, et le plus souvent on n'y réussit guère, car il faut des précautions infinies. Un rien, et le voilà mort dans sa cage! Le froid le tue, l'odeur d'un poêle le tue, la fumée du cigare le tue, toute senteur infecte le tue. Il faut le traiter comme un enfant, l'environner d'une propreté exquise et ne lui faire respirer qu'un air toujours pur. Sa cage demande plus de soin qu'un berceau. Il s'en perd plus de vingt pour un qu'on mène à bien. C est une barbarie, et il faut avoir peu de pitié pour rechercher des plaisirs qui font tant de victimes. Cependant, je l'avoue, c'est une chose charmante qu un pot pourri improvisé par l'hypolaïs. On peut n'être pas très amateur de ceux que composent nos musiciens, à tête reposée, pour les orchestres des cafés chantants : c'est un genre commun, le dernier des genres, si même c'est un genre. Mais qui donc oserait faire un crime à ce petit oiseau de s'égayer aux dépens de ses confrères et de leur dérober sournoisement L'HYPOLAIS ICTÉRINE 229 leurs chansons? Regardez-le : il est sur sa branche de sorbier, caché parmi les feuilles; il se tient droit, sa gorge s'enfle, les plumes grises qui ornent le dessus de sa tête se dressent et s'agitent, et, sans interrup- tion, pendant des heures, il chante de verve, mêlant les réminiscences aux inspirations originales et l'ironie à l'enthousiasme. Il commence par une sorte de jargon musical, sur lequel se détachent bientôt des stro- phes au rythme plus accentué. S'il rencontre un motif qui lui plaise, il le répète, il s'en fait un refrain, qui passe et repasse de couplet en couplet; puis, tout à coup, sa voix prend un timbre nouveau; il chan- tait, maintenant il se moque : voici la roulade du pinson, voici la flûte de la fauvette; ceci est l'alto du merle, ceci la fugue de la grive.... 0 rossignol, vous n'y êtes point épargné; entre deux refrains de fauvette se glissent vos longues notes soutenues, vos points d'orgue retentissants. Mais le malin oiseau n'est pas encore au bout des surprises de son talent : il a des registres de voix humaine et il chante comme nous rions; ce n'est pas Mozart, ce n'est pas Beethoven; mais c'est quelque- fois Paganim, et dans le savant tissu de ses mélodies, on entend passer des masques, comme dans le Carnaval de Venise. Mouches légères, insectes dorés qui vivez du suc des fleurs, pro- fitez de ces longues heures où s'oublie le maestro, et n'attendez pas qu'il ait fini pour fuir l'ombelle odorante près de laquelle il s'est posé, car aux oiseaux l'appétit vient en chantant. Dès qu'il aura cessé, il se couchera sur sa branche, et, le cou tendu, il ne songera plus qu'à guetter l'imprudente qui aura le malheur de s'égarer dans son voisinage. Qu'elle ne compte point sur la vivacité de son aile : l'ennemi ne la poursuivra pas; il l'attendra, il la fascinera. Il y a une force magnétique dans ces deux yeux brillants qui la fixent, immobiles. Une mouche qui tombe 230 LES OISEAUX DANS LA NATURE sous leur regard est une mouche perdue. Elle peut, d'un air distrait, voltiger un moment à l'entour. Mais le charme opère; elle s'approche, et, sans autre mouvement qu'un coup instantané du joli bec rose, elle disparaît, engloutie. Une seconde, une troisième disparaissent de la même manière, après quoi le prestidigitateur, bien restauré, fait de nouveau place au maestro, qui reprend sa position première et recom- mence son pot pourri. LE POUILLOT FITIS LE POUILLOT FITIS LE POUILLOT FITIS DEUX espèces de pouillots vivent sous nos latitudes : l'une porte le nom de pouillot fitis et l'autre celui de petit pouiïlot, ou de bec- fin véloce. Elles sont toutes deux très petites, surtout la seconde, d'ailleurs si parfaitement semblables qu'on peut fort bien les prendre l'une pour l'autre. C'est le même corps menu, plutôt allongé que ramassé, fait pour glisser et pirouetter dans le feuillage; ce sont les mêmes teintes d'un gris vert sur les ailes et sur le dos, et d'un jaune pâle, mêlé de blanc, à la gorge et sur la poitrine ; c'est le même bec mignon et le même œil brillant. Le moyen le plus sûr de les reconnaître est de regarder aux pattes, qui sont couleur de chair chez le fitis et d'un gris plus ou moins foncé chez son frère ou cousin. Il y a aussi quelque différence dans la taille, dans la longueur des premières plumes de l'aile, dans la construction du nid, dans les œufs et surtout dans le chant. Quant au genre de vie, il est le même, à très peu près. Le roitelet, le troglodyte et les deux pouillots sont nos oiseaux- mouches. Le petit pouillot ne pèse guère plus que le roitelet quoiqu'il ait le corps un peu plus allongé. Mais, tandis que le roitelet est un oisillon robuste, qui ne redoute point les hivers de la montagne, le pouillot est un être délicat, et les gelées d'avril lui font souvent expier 236 LES OISEAUX DANS LA NATURE un trop prompt retour sous notre ciel inconstant. Le petit pouillot nous arrive à la mi-mars, et le fitis une quinzaine de jours plus tard ; ils s'éta- blissent tous deux dans les forêts d'essences diverses, pauvres en sapins, riches en hêtres, en chênes et en sous-bois. Ils cachent leur nid parmi les buissons trapus, et le construisent, le plus souvent, directement sur la terre. C'est un nid en forme d'œuf, fermé par-dessus, et dont l'issue est une ouverture latérale, que le petit pouillot pratique aux deux tiers de la hauteur, et le fitis un peu plus bas, mais toujours aussi étroite que possible. Toutes les précautions sont prises pour qu'il se confonde avec les feuilles et les herbes sèches. On marche dessus, on voit l'oiseau en sortir et s'envoler, qu'on a encore toutes les peines du monde à le trouver. La coque en est forte, d'un tissu serré; l'intérieur en est doublé de plumes et d'autres matériaux choisis, toujours fins, chauds et soyeux. Les pouillots ne se déplacent qu'au temps des migrations. D'ail- leurs, ils vivent en famille, toujours au même lieu, toujours réunis : père, mère et les deux nichées printanières. On les voit peu, mais on les entend beaucoup, car ils s'agitent et chantent sans cesse. Le chant du fitis est un peu monotone, avec une nuance de mélancolie : ce sont des di, di, di, des diie, due, due, des deâ, due, deida; le d est la seule con- sonne qui le coupe d'articulations appréciables; tandis que celui du petit pouillot, gaîment comique, connaît des delm, dilm, dôlm, des zilp, zalp, zilp, et même des hédédedat doux et prolongés. Leur cri de guerre, hûid, hûid, cent fois répété, n'annonce rien de bon aux importuns qui viennent les troubler dans leurs retraites. Ils ont des fougues d'oiseau- mouche, dont la violence est en proportion de leur faiblesse. Ils ne connaissent pas le danger, ils se précipitent contre l'ennemi, quel qu'il soit, et remplissent la forêt du bruit de leurs colères. Ils sont très amu- LE POUILLOT FITIS 237 sants dans ces petites tempêtes. Malheureusement, on ne peut guère les observer ; ils déroutent le regard par la rapidité de leurs mouvements ; et puis, ils ne sortent presque jamais du feuillage. Ils paraissent n'avoir aucune peur des grands rapaces. Lorsque, par rare occasion, ils tra- versent un espace découvert, rien ne trahit chez eux la moindre inquié- tude. Ils diffèrent en cela des mésanges, dont ils n'imitent pas non plus le vagabondage automnal ; mais ils leur ressemblent par le goût de la chasse autour des branches et des feuilles des arbres. Seulement, la mésange chasse en s'accrochant de l'ongle et du bec, en faisant de la voltige d'équilibriste, tandis que le pouillot chasse au vol, l'aile toujours en action. C'est au vol qu'il pique les pucerons, les phalènes, les larves, tous les petits insectes qui peuvent se cacher sous les feuilles. Il pique aussi les mouches au vol, et c'est son gibier de prédilection; mais une mouche est déjà un gros morceau pour ce diminutif d'oiseau, et quand il en a pris une, il faut qu'il aille se poser sur une branche pour la dépecer bouchée à bouchée. Joyeux et sédentaire, le pouillot est toujours en mouvement, jamais en voyage. Il n'émigre que parce qu'il le faut bien, et pour s'en- fermer aussitôt dans une autre résidence. Le plus souvent, il passe la saison sans sortir de son coin de bois. Heureuse sagesse du plus gai et du plus pétulant des petits oiseaux! Qu'irait-il chercher au delà? Où pourrait-il rencontrer plus jolie chose que la mousse sur l'écorce, ou la feuille qui tremble au bout de sa tige menue? Où donc plus riches perspectives que celles des branches entrelacées, des hautes arcades du feuillage et de ses dômes aériens? Où la brise aurait-elle plus de mur- mures et la lumière plus de reflets? Où trouverait-il plus beau parc de chasse, enclos mieux disposé pour voltiger et frétiller? Le nid, c'est le berceau; l'arbre, c'est le monde. Qu'irait-il chercher au delà? LE ROSSIGNOL LE ROSSIGNOL 16 LE ROSSIGNOL ARTISTE, dit Michelet, le rossignol est un artiste! Il ne l'est pas toujours. Huit ou neuf mois sur douze, il n'a que de petits cris, qui n'ont rien de musical. K'à — K'àl... K*à — K*à! disent les jeunes rossignols : Krrrî Krrr! répondent les parents, quand, vers la fin de l'été, parents et enfants voltigent de bran- che en branche. Ils sont très affairés; ils chassent, ils font une grande destruction d'insectes, de mouches, de vermisseaux, auxquels ils adjoignent, comme entremets, quelques baies de sureau : ils prennent des forces pour émigrer. Septembre arrive, et les voilà partis. Ils che- minent furtivement, de nuit, solitaires ou par familles, se cachant dans les broussailles. Ils ne se dirigent point en ligne directe vers le Sud, comme font les hirondelles; ils cherchent plutôt l'Orient, les pays où naît le soleil, et c'est de l'Egypte et de la Syrie qu'ils nous reviennent au printemps. Vers le commencement d'avril, les rossignols regagnent leurs quartiers d'Occident et se répandent en plus ou moins grande abon- dance en Italie, en France, en Allemagne. Les mâles arrivent les pre- miers. Ils viennent se choisir un lieu. Ils n'ont de goût ni pour les forêts épaisses, ni pour les pelouses nues. Il leur faut des bocages, des arbris- 244 LES OISEAUX DANS LA NATURE seaux, des vallons fleuris et bien arrosés, un mélange d'ombre et de lumière, et de riants paysages. Ils ne redoutent point la nature arrangée par l'homme. Les parcs qui existent encore à l'intérieur de Paris sont un des lieux du monde où il y a le plus de rossignols. Ce qu'ils redoutent, c'est d'être trop près les uns des autres. On les accuse même d'avoir le caractère mal fait, jaloux, tyrannique, et de ne supporter le voisinage d'aucune autre espèce d'oiseaux. Cela est vrai dans les volières, où ils déploient une humeur peu sociable et veulent toujours être servis les premiers. Mais il n'est pas bien sûr que ce soit un trait de leur tempé- rament naturel. La captivité, pour laquelle ils ne sont pas faits, les rend tristes et méchants. Ce qui est plus certain, c'est que ce petit oiseau est un gros mangeur. C'est un carnassier. Comme l'aigle, comme le vautour, il se réserve une aire de chasse. Quelques jours après les mâles, arrivent les femelles, et le peuple des rossignols se distribue en couples. La nature semble avoir pris plaisir à rendre l'opération malaisée. Les mâles, dit-on, sont plus nombreux que les femelles. De furieux com- bats accompagnent ce double partage de la terre et des épouses. Si l'on veut mettre un rossignol en cage, il faut le prendre à l'ar- rivée, avant que les couples soient constitués; autrement le mari captif mourra de tristesse, pendant que sa veuve se laissera consoler par un de ces surnuméraires qui guettent les places vacantes. On sait la vie de ces ménages d'artistes. La femelle se fait un nid sur les plus basses branches, ou même plus souvent à terre, parmi les pervenches et les lierres rampants. Elle le cache très habilement; pour le reste, elle n'y met ni grand art, ni grand luxe. Le rossignol est bien trop bohème pour bâtir avec le sérieux des races bourgeoises. Quelques feuilles forment la charpente, la coque du nid ; un duvet moins grossier tapisse LE ROSSIGNOL 245 l'intérieur. Cependant la femelle couve ses œufs avec passion, avec d'autant plus de passion qu'elle ne fait, en général, qu'une nichée par an. Elle ne les abandonne qu'à la chute du jour, un instant, pour aller en toute hâte picorer quelques vermisseaux. Souvent elle s'absorbe si bien dans son œuvre maternelle qu'elle n'entend pas venir les noc- turnes rôdeurs, la fouine, le renard, qui ne font qu'une bouchée de la mère et de ses œufs. Le mâle passe la journée à chasser ou à dormir. On prétend qu'il a le sommeil agité, comme s'il chantait en rêve. La nuit, il gîte sur une branche, à peu de distance du nid, et bientôt quel- ques notes annoncent qu'il n'en est plus au Km! Krrrî de l'automne. Le printemps est venu : le rossignol a retrouvé sa voix. Beaucoup d'oiseaux ne font que jaser, siffler, gazouiller : le rossi- gnol est le roi de ceux qui chantent. Est-il plus musicien que la grive? Non, mais il l'est autrement. La grive ne se possède plus au haut du sapin : son chant est un alléluia. Celui du rossignol est une composi- tion musicale, une symphonie. Le rossignol a d'ailleurs la voix plus exercée, plus étendue, plus vibrante, plus féconde en ressources variées. Nonchalamment perché sur sa branche, les ailes à demi tombantes, il ouvre largement le bec, pour que la note jaillisse plus pure. Il sait écouter ses rivaux et s'instruire à leur école. Il s'écoute lui-même. Il aime l'écho qui lui renvoie sa mélodie. Il sait aussi s'oublier; il a aussi ses entraîne- ments d'inspiration : il n'a pas le délire; il a mieux, peut-être : l'extase. C'est un grand avantage pour le rossignol que de chanter la nuit. Comme les vrais artistes, il veut le silence, afin que chaque nuance res- sorte, que chaque note soit entendue. Son chant semble fait pour célébrer les magnificences et les voluptés des belles nuits de printemps. Parfois la lune enveloppe d'une vapeur d'azur le bosquet parfumé qui 246 LES OISEAUX DANS LA NATURE le couvre d'une ombre légère, et il s'inspire de cette lumière éthérée, propice aux doux épanchements : il a des mélancolies ineffables, des soupirs, des tendresses infinies. D'autres fois, il semble ébloui des splendeurs du firmament; la gloire s'en réfléchit dans ses roulades per- lées, et la note scintille comme les étoiles au ciel. C'est une croyance chez le peuple et chez les poètes que le rossignol chante pour sa femelle, pour lui plaire et lui abréger le travail de la maternité. L'illustre Buffon, dont on dit parfois trop de mal, s'en est assez gauchement moqué. Il avoue cependant que c'est l'amour qui fait chanter le rossignol. Nous n'en voulons pas davantage. Qui dit amour dit tout, et le préjugé poétique est amplement justifié. On remarque chez tous les oiseaux, dans la saison où s'emplissent les nids, un épanouissement du talent. Ceux qui ne font que gazouiller gazouil- lent avec plus de verve; ceux qui sifflent sifflent avec passion. Mais chez le rossignol la différence est plus grande que chez les autres. Elle tient du prodige. Ce n'était qu'un oiseau vulgaire; avec l'amour lui vient le génie; l'amour en fait un artiste, le plus grand parmi ceux dont la voix s'élève du sein des bois et des prairies. LE PHRAGMITE LE PHRAGMITE LE PHRAGMITE SI quelque chose doit ressortir de ces notices multipliées, c'est la remarquable distribution des espèces sur la surface de la terre, selon leurs aptitudes naturelles ou leurs habitudes acquises. Elle paraît plus frappante encore lorsque nous comparons les oiseaux des arbres avec la série de ceux qui sont fixés au sol, dans les pâturages, dans les blés, dans les bruyères, dans les plaines marécageuses, partout où il y a de quoi vivre. Le poète l'a bien dit : A chacun Son lieu cher et choisi, son abri, sa retraite. Le nom même de celui qui nous occupe en cet instant indique où il faut le chercher. Phragmite (phragmites) est un mot à double sens; c'est le nom du roseau aux longues feuilles aiguës, aux grands épis plumeux, laineux et cuivrés, qui peuple les bords de nos étangs ou de nos lacs, et c'est aussi le nom du très petit oiseau dont le manteau roux et brun a justement la couleur de ces moissons lacustres, et qu'on y voit voltiger ou qu'on y entend chanter au printemps. C'est donc un hôte des plages. Il lui faut de l'eau, les mouchets des roseaux, les pana- ches des massettes, les iris jaunes, les roses blanches des nénuphars. 252 LES OISEAUX DANS LA NATURE les touffes coriaces des laîches, quelques saules rabougris dont les branches trament dans la vase, un bouleau enfin, ou un aune, roi du paysage, avec de grêles chatons qui pendent aux branches mal fournies. Le phragmite installe son nid dans le fourré des saules trapus, ou bien au milieu de quelque îlot de verdure, assez élevé pour que ses œufs soient à l'abri de la vague. Tout autour, le gibier abonde. Libel- lules diaprées, au vol saccadé, gyrins aux reflets d'acier, qu'on voit glisser à la surface des flaques savonneuses, mouches qu'attire la cha- leur humide du sol, insectes aquatiques qui nagent, rampent ou s'em- bourbent dans les creux inondés : tel est le menu de ses festins. Les oiseaux qui voltigent, qui vivent de chasse et non de pêche, ne sont pas très nombreux dans ces parages; il n'a donc pas beaucoup de concur- rents, aussi l'existence lui est-elle facile. Le phragmite ne se fait pas faute d'en jouir. Il est flâneur et musard. Il aime à se rengorger, comme le troglodyte, la tête dans le cou et le cou dans les épaules. Sa queue, qu'il tient basse ordinairement, achève de lui donner un air de non- chalance. Il fait de longues poses à certaines places favorites; il se lisse le plumage, il se chauffe au soleil, il rêve et fait sa sieste, les yeux fermés. Il n'a point l'allégresse habituelle des espèces qui habitent les bois ou le bord des eaux courantes. La mélancolie des grèves, le bruit monotone de la vague, les pesantes vapeurs qui s'élèvent des mares tièdes et crou- pissantes, semblent avoir agi sur le tempérament de cet être ailé, né pour gazouiller et sautiller. Il est devenu contemplateur, comme le sont les enfants des rivages. Cette disposition à la rêverie est d'autant plus remarquable qu'il sait être très agile, quand il le veut. Les hommes troublent rarement sa solitude. Il n'en est guère plus confiant. Dès qu'on l'approche, il LE PHRAGMITE 253 disparaît avec la prestesse du troglodyte, dont il partage le goût pour les abris et les lieux couverts. Quand l'heure du repas est venue, il se montre très habile chasseur. Il va, il vient, il court, il furette. Laîches et roseaux frémissent sur son passage : il est partout à la fois. Aucun insecte n'a les mouvements assez vifs pour lui échapper. Quand il veut happer une mouche, on voit partir comme un trait sa petite tête ren- gorgée, au bec effilé, et briller ses deux yeux espiègles, couleur noisette. C'est alors un oiseau charmant, svelte, gracieux, il ne rappelle plus du tout le troglodyte : on dirait une miniature de fauvette. Il n'est pas plus alerte, mais encore plus éveillé, si possible, dans la rapide saison des amours. C'est le moment où l'on a le plus d'occa- sions de l'approcher et de l'observer. Il abandonne ses cachettes, il s'aventure jusqu'aux plus hauts sommets des plus hautes herbes, il s'élance même, par bonds imprévus, dans le vide des airs. La plupart des oiseaux ont la passion imprudente : ils ne savent point aimer sans le publier à tout venant. Un instinct commun les porte à s'élever pour entonner leurs épithalames. N'ayant pas, comme la grive, des sapins à sa disposition, le phragmite va chanter tour à tour sur une tige feuil- lue, qui plie à peine sous le poids, sur le panache d'une massette, sur les branches du saule qui abrite son nid, ou parmi les grêles rameaux de l'aune ou du bouleau voisin. Pour chanter, comme pour rêver, il a ses places favorites. Il passe de l'une à l'autre, en prenant un élan en hauteur, et sur chacune il s'arrête un moment, juste le temps d'achever sa chanson. Elle n'est pas longue, mais elle est vive et perlée : une petite chanson de fauvette à la voix flûtée, qu'accompagnent de leur basse éternelle le bruissement plaintif des roseaux et le murmure des vagues qui viennent l'une après l'autre mourir parmi les galets du rivage. LE TROGLODYTE LE TROGLODYTE 17 LE TROGLODYTE CE nom qui vient du grec, — troglé caverne; duein entrer, — a été donné par d'anciens historiens à un peuple d'Afrique, qui vivait, dit-on, dans des grottes naturelles ; c'est pour la! même raison qu'on l'a donné au petit oiseau qui le porte, grand ami des trous et des cachettes. On l'a souvent confondu avec le roitelet, ce qui est absolument l'erreur la plus malheureuse qu'il soit possible de commettre, car ils n'ont rien de commun, sinon l'extrême petitesse. Le roitelet, enfant de prince, porte sur la tête une large toque d'or, bordée de velours noir; le troglodyte, humble parmi les plus humbles, d'appa- rence lourde, au petit corps ramassé, porte une robe d'ermite, d un brun roux ou cuivré, sans autre ornement que le liseré de l'aile, blan- châtre et rayé de noir. Le roitelet mène une vie aérienne, dont le joyeux mystère se dérobe dans le feuillage des hautes sapinières; le troglodyte hante les lieux bas et couverts, il se tapit sous les racines et se blottit dans les terriers abandonnés : c'est l'oiseau rampant, l'oiseau des trous, l'oiseau-souris, eti'si, en butte aux mépris des uns, aux embûches des autres, il lui reste un fonds inépuisable de gaîté, c'est qu'il y a des com- pensations dans ce monde, et que la Providence, dans sa souverame justice, n'a pas voulu que la joie et le bien-être fussent l'apanage exclusif de la grâce et de la beauté. 260 LES OISEAUX DANS LA NATURE Sur Tarrière-automne, quand les premières neiges blanchissent le sol, les habitants des hameaux, même des villes, voient approcher de leurs demeures cet hôte mystérieux, connu par ses allures bizarres et par sa bonne humeur persistante au milieu des rigueurs de l'hiver. D'où vient-il ? Il ne vient ni du Nord ni du Midi ; il arrive tout simple- ment de la forêt voisine, comme les rouges-gorges acclimatés. Il y a fait son nid au printemps, sous la mousse ou les feuilles sèches; il y a élevé ses petits ; il y a vécu des vers et des insectes de la terre ; il y a chassé de broussaille en broussaille, de niche en niche, et maintenant que la bise est venue, il demande à l'homme, pour subsister, quelque petit morceau De mouche ou de vermisseau. A l'homme? Non. C'est plutôt le rouge-gorge qui se confie à la garde du villageois et fait appel à sa générosité. Le troglodyte, plus craintif, ne va pas heurter du bec à la vitre; mais il sait que, dans le voisinage des fermes, il y a toujours de quoi vivre, et les cachettes n'y manquent pas, soit pour chasser, soit pour dépister la fouine, le chat et les enfants. Que lui faut-il? Rien qu'il ne soit sûr de trouver. Il lui faut ces fagots entassés, pour en visiter tous les interstices. Tout a l'heure, nous l'en verrons ressortir; il se montrera à la dérobée et jettera au vent sa joyeuse chanson, une chanson courte, mais retentissante. Il lui faut cet autre tas de débris, pour s'y insinuer entre les plâtras et les moellons; après quoi il viendra chanter au-dessus. Il lui faut ce gros mur percé de petites meurtrières, par où s'écoulent les eaux des ter- rains supérieurs. Oh! la bonne fortune! Il ne gèle guère au fond de ces galeries ; la verdure y est fraîche et les violettes y fleurissent en décembre; mille insectes y cherchent un refuge, et quand le troglodyte en sortira. LE TROGLODYTE 261 le plus sonore de ses refrains annoncera qu'il y a fait bombance. Il lui faut des écuries, des granges, des fenils, avec des réduits, des coins, des recoins : surtout il lui faut de ces maisons-chalets, à la bernoise, aux galeries étagées et aux riches provisions de combustibles entassées sous d'énormes avant- toits. Ah! c'est pour le coup que le troglodyte est heureux! Ces dessous de galeries, ces auvents, ces poutres disjointes, ces planches disloquées, ces ciselures vermoulues, ces bois qui ont fermenté, ces écorces flétries, ces toits de bardeaux sont autant de gre- niers où la bonne mère nature amasse des provisions pour les petits oiseaux qui savent aller les chercher. Entre deux aubaines, le troglodyte fait son apparition régulière; le voici sur une corniche, le voilà sur la gouttière : il se montre, chante et disparaît. Oui, il y a des compensations, et le troglodyte en est la preuve. Quand on le met dans une cage tout unie, il meurt, au bout de peu de temps, de frayeur et d'anxiété : il ne saurait subsister sans un trou où s'enfuir; c'est sa vie, c'est sa sûreté et sa joie. Il a des ennemis et ne peut guère compter sur la vitesse de son vol, qui est lourd, malgré la rapidité avec laquelle il agite ses ailes ; mais il est petit, prudent, vite caché, leste à la course, et c'est pourquoi, si le trou n'est pas loin, il échappe presque toujours à la main ou à la griffe qui veut le saisir. Il a des ennemis, mais il a peu de concurrents, et c'est pourquoi le vivre et le couvert ne lui manquent jamais, même dans les plus rudes saisons. Il a des ennemis, mais il n'est pas frileux : le sang circule avec énergie dans ce petit corps arrondi, [entre ces chairs grassouillettes, et c'est aussi pourquoi, tandis que la plupart des oiseaux maigrissent et grelottent, le troglodyte, avec sa figure joviale d'ermite bien nourri, chante encore matines et vêpres, sans compter les bénédicités et les gratias, parmi la neige et les glaçons. LE ROITELET HUPPÉ LE ROITELET HUPPÉ LE ROITELET HUPPÉ DE tous les noms qu'a donnés le peuple à ses oiseaux favoris, aucun, peut-être, n'est mieux trouvé, aucun ne tombe plus heureusement que ce joli nom de roitelet. Comme celui de la fauvette, et plus encore, c'est une peinture en un mot. Une miniature de roi : tel est bien le roitelet. Le roitelet est notre colibri d'Europe. Il est plus petit que la mésange nonnette. Le seul troglodyte, avec lequel on le confond quelquefois, approche de ces dimensions exiguës. Ce lui est une sûreté que cette extrême petitesse. Il passe au travers des mailles des filets et entre les barreaux des cages. Une feuille suffit à le dérober à la vue de l'épervier, et le chasseur ne peut guère le tirer avec le plomb qu'il emploie pour le commun des oiseaux. Un grain de grenaille est pour lui comme un boulet. Quand on le prend et qu'on le garde en chambre, malgré que la porte et les fenêtres soient exactement fermées, il disparaît ; il a toujours quelque cachette où s'engloutir. La nature s'est accordé le plaisir de parer ce petit corps, d'en faire un de ses bijoux. Elle n'y a pas mis ces couleurs de feu qui ne sont pos- sibles que sous le soleil des tropiques et qui font la gloire des oiseaux- mouches. Elle s'est contentée de celles qui conviennent à nos climats; 268 LES OISEAUX DANS LA NATURE mais avec quel soin elle les a choisies et assorties! Elle y a employé, sans doute, une de ses fées les plus habiles, heureuse marraine du mignon roitelet. Des écheveaux de soies fines et claires ont, pour ce tissu léger, marié leurs fils délicats. Il fallait une toilette d'enfant de prince : la voilà, gaie et brillante, et telle qu'elle devait être pour cette tête fri- ponne, pour ce tout petit bec pointu comme une aiguille, pour ce tout petit œil au regard perçant, et pour cette grande toque d'or, bordée de noir, posée sur une rousse chevelure. Un oiseau pareil semble né pour se faire admirer. L'existence qu'on rêve pour lui est à peu près celle du rossignol : l'hiver au Midi, le prin- temps dans nos bosquets. Il faut, sans doute, à ce petit-maître, comme dit Buffon, un entourage de choix, des massifs de verdure et de fleurs, toutes les élégances d'une terre parée, une galerie pour l'applaudir, et de brillantes toilettes que la sienne effacera. Eh bien, non! On ne ren- contre pas le roitelet près des villes et des villas; il n'habite pas davan- tage les vergers et les prairies; ce prétendu petit-maître n'a nul besoin des suffrages de l'homme; c'est un enfant de la forêt, l'hôte le plus fidèle des antiques sapinières, et ce n'est pas un des moindres contrastes de la nature que ce brillant plumage créé pour cette ombre éternelle, et cet oiseau coquet pour ces retraites de cénobite. Cependant il n'est pas impossible que le roitelet voltige sur la lisière des bois, ou qu'il descende à un groupe d'arbres plus jeunes. Quelquefois même, en automne, il sort de ses refuges, et va faire l'école buissonnière avec les folâtres mésanges. Il faut profiter de ces occasions, si l'on veut l'observer. C'est un petit oiseau infatigable, toujours en l'air, toujours babillant, toujours happant au passage les moucherons qui dansent avec la poussière dans les rayons du soleil. Son vol ressem- LE ROITELET HUPPE 269 ble souvent à celui du sphinx de Feuphorbe, qui se soutient par la seule vibration de ses ailes devant les fleurs dont il convoite et pompe le nectar; souvent il imite la voltige des mésanges, ses compagnes. Sa légèreté et la force relative de ses petites pattes lui permettent aussi de se suspendre aux moindres brindilles des branches, aux découpures des feuilles et aux pédoncules des fleurs. Il sait de même courir sous les rameaux, en s'accrochant de l'ongle aux gerçures de l'écorce. Parfois, il tournoie un instant devant la proie qu'il guette, un insecte, un puce- ron collé sous une feuille; puis il se lance comme une flèche et l'enlève sans toucher la feuille, qui frémit à peine au passage. Mais ce n'est guère pour un long temps que le roitelet quitte les branches des hauts sapins. C'est là qu'est son nid, un nid rond, suspendu, une miniature, comme les œufs qui l'emplissent; c'est là, dans l'ombre humide, qu'est fructueuse la chasse aux moucherons, aux tipules, aux phalènes; c'est là qu'il est né, là qu'il s'est choisi une compagne; c'est là qu'il aime et qu'il joue; c'est là qu'il mourra. Est-ce par instinct de sauvagerie, est-ce par crainte qu'il s'en éloigne si peu et qu'il y revient toujours? C'est peu probable, car il n'est point défiant; il se laisse même approcher quand on le rencontre à portée. S'il y vit, c'est qu'il s'y plaît. C'est le lot qui lui est échu, la patrie qui lui a été assignée. Par la forêt, sans doute, ont commencé la plupart des oiseaux de nos campagnes. Plusieurs l'ont quittée, gagnés par les séductions du dehors. Le roitelet s'y est toujours si bien trouvé qu'il n'a pas jugé qu'il en dût sortir. On le voit à grand'- peine dans les fouillis des branches; mais on l'entend, et il n'en faut pas davantage pour s'assurer qu'il n'est guère de petit oiseau plus heureux. Ils y sont à l'ordinaire plusieurs ensemble? ils vivent en famille ou en société, jasant, s'appelant, s'entre-répondant dans les hautes basiliques 270 LES OISEAUX DANS LA NATURE du feuillage. Et pourquoi ne seraient-ils pas heureux? Le roitelet ne se doute point des fantômes dont l'imagination des hommes, toujours troublée par le remords, peuple l'obscurité des bois. On l'entend qui chante et siffle dans les jours les plus sombres, entre les rafales de l'ou- ragan et pendant que gémissent les troncs qui ploient comme des roseaux. Que lui peut la tourmente? Son nid est solidement attaché aux bran- ches qui le portent, et le moindre rameau le met à couvert. Quand on occupe si peu de place, on est vite en sûreté. Il ne craint rien, pas même l'hiver. Petit comme il est, il trouve encore sa pâture dans les ingrates saisons. Il y a toujours et partout de quoi suffire à sa table. Aussi est-il peu voyageur. Quelquefois il entreprend, avec la mésange, des tournées d'exploration; quelquefois aussi il émigré; mais il nous en reste chaque hiver un grand nombre, et pendant que les rossignols sont aux pays du soleil, pendant que les fauvettes et les hirondelles campent aux plages africaines, pendant que les grives et les rouges-gorges vont se faire prendre au Midi par des oiseleurs sans pitié, le roitelet, fidèle à la patrie de ses amours, siffle et voltige encore dans les vieilles sapinières, et l'on voit jusque sur les montagnes briller sa couronne d'or, entre les stalactites de glace, les aiguilles de neige et tout ce feuillage de givre dont l'hiver habille les forêts. L'ACCENTEUR DES ALPES L'ACCENTEUR DES ALPES 18 L'ACCENTEUR DES ALPES HOTE des régions élevées, Taccenteur des Alpes est peu connu dans la plaine, où il ne fait d'apparition qu'en hiver, et tou- jours dans le voisinage des montagnes. C'est un oiseau sombre, aux teintes enfumées, brunes ou cuivrées, à peine plus gros que le moineau. Quand on le regarde de près, on trouve son plumage plus riche et plus varié qu'il ne semble à distance. Il y a bien quelque coquetterie, par exemple, à cette jolie bavette blanche, ponctuée de noir, qu'il porte attachée sous le cou. Cette toilette, néan- moins, n'est pas faite pour attirer les regards; elle n'en convient que mieux à un oiseau que la nature n'a point destiné à jouer un rôle brillant. L'accenteur est un solitaire, taciturne et méditatif. Il ne va point au Midi. La patrie du jasmin et de l'oranger, dont tant d'autres com- mencent à rêver dès qu'apparaissent les premières brumes automnales, n'existe pas pour cet humble enfant de la montagne. La chanson de Mignon n'est pas pour lui. Ses migrations ont lieu de haut en bas et de bas en haut. Aux approches de la mauvaise saison, on le rencontre dans les pâturages des Alpes, volant en troupes près des chalets aban- 276 LES OISEAUX DANS LA NATURE donnés. Quoique ses voyages ne soient pas longs, il a cet instinct qui fait que tant d'espèces se réunissent pour se préparer au départ. La neige l'oblige à descendre de station en station. Il finit par s'approcher des fermes, dans les vallées. Si rude que soit l'hiver, il lui reste toujours quelque source où aller boire et quelque meule de foin où aller picorer des graines. Heureux quand il découvre un tas de marc, abrité sous un avant-toit! Les pépins secs sont de bonne prise, et si la nourriture n'est pas fine, du moins elle est abondante. Dès le premier printemps, il regagne les hauteurs, devançant les troupeaux. Il lui suffit de quelque endroit balayé par le vent, de quelque bord de ruisseau où le sol se montre à nu et où commencent à s'éveiller les insectes, pour qu'il s'aventure en plein désert, en pleins frimas. De jour en jour, les espaces libres sont plus nombreux et plus grands, et l'accenteur s'élève à mesure qu'il voit la neige reculer devant lui. En été, il est commun dans les plus hauts pâturages, et jusque sur les plateaux des grands cols dont les eaux alimentent les fleuves du Nord et du Midi. A 2000 et 2200 mètres d'altitude, il est encore chez lui. Et comme si ce n'était point assez d'affronter ces solitudes, il y choisit, de préférence, les endroits les plus sauvages. Si vous traversez une pelouse fleurie, ne vous attendez pas à le rencontrer ; mais si vous vous égarez sur quelque pente caillou- teuse, où s'accumulent les débris des parois supérieures, vous le verrez, à votre approche, partir d'entre les pierres. Il se tient là, immobile et les plumes hérissées, ce qui lui donne la figure la plus étrange. Quelques observateurs croient que c'est pour échapper à la crécerelle, qui l'épie du haut des airs, qu'il a coutume de se déguiser ainsi, car c'est un vrai déguisement. Il en devient méconnaissable. Les heures se passent, et il secoue sa torpeur pour aller faire la chasse aux mouches, aux scara- L'ACCENTEUR DES ALPES 277 bées, aux petits limaçons. Il va de-ci, de-là, sautillant, regardant par- tout, retournant du bec les graviers et les mottes de terre. Il fait preuve alors d'une agilité singulière pour un oiseau qui a si souvent l'air endormi; surtout, il est attentif. Quelquefois il grimpe aux rochers, pour en visiter les fissures. C'est un exercice où il est très adroit. La moindre saillie lui suffit pour s'accrocher de l'ongle. Puis il revient à son lit de cailloux et reprend son attitude première, immobile, et les plumes toujours retroussées. Dort-il? observe-t-il ? contemple-t-il ? On ne sait. Il a cette placidité de génie que donne la montagne à la plupart de ceux qui l'habitent. C'est ainsi que, dans le haut pâturage, le petit chevrier passe des heures à regarder autour de lui. Cependant la saison des amours arrache l'accenteur à cette somno- lence méditative. Il chante, et l'on est tout étonné de sa voix claire et juste. Il a des sons de flûte très purs, et sa chanson rappelle celle de l'alouette huppée. Mais de combien d'accidents ces amours sont tra- versées ! La femelle fait deux couvées, l'une à la fin de mai, l'autre à la mi-juillet. Cette dernière a plus de chances de réussir, quoique l'été lui-même soit perfide à ces hauteurs. Mais la première! Il en est peu qui viennent à bien! Et quel courage pour un petit oiseau que de se bâtir un nid au milieu des frimas accumulés et de rester immobile sur ses œufs pendant que les avalanches grondent tout à côté ou que, par une bise en retard, la neige recommence à tourbillonner dans les airs! Maintes fois, dans nos courses à la montagne, nous avons trouvé, au plus épais des fouillis de rhododendrons, des nids admirablement façonnés, fermes et douillets, faits de mousse et de chaume, où se trou- vaient encore quatre ou cinq œufs allongés, d'un bleu tirant sur le vert. C'étaient des nids d'accenteurs. De pauvres mères, chassées par les 278 LES OISEAUX DANS LA NATURE retours de l'hiver, avaient dû abandonner l'espérance de leurs printa- nières amours. L'été, dès lors, avait fondu les neiges et fait éclore les bourgeons. Chaque branche de rhododendron avait sa grappe purpu- rine, chaque buisson était un bouquet, et la brise, chargée de parfums enivrants, balançait sous les roses un berceau devenu un cercueil. LA GRIVE MUSICIENNE LA GRIVE MUSICIENNE LA GRIVE MUSICIENNE LES diverses espèces de grives qui vivent ou passent sous nos latitudes moyennes, — la grive musicienne, la draine, la litorne et la grive du Nord ou mauvis, — ont des mœurs assez sembla- bles. La première, la seule dont nous ayons à nous occuper, est la plus répandue; c'est aussi la plus intéressante. En été, on trouve la grive musicienne jusqu'en Suède et en Nor- vège; en hiver, elle abonde en Italie, en Espagne et en Algérie. Il nous en vient, en France et en Suisse, du Nord pour la mauvaise saison et du Sud pour la bonne. Celles-ci sont de beaucoup les plus nombreuses. Elles recherchent la solitude des grands bois, où elles font leur appa- rition dès la fin de février. A peine la neige fondue, en mars, la grive musicienne célèbre ses premières noces de l'année. On les voit alors se poursuivre deux à deux. Entre les troncs moussus, passe une grive, rapide comme la pensée; elle est aussitôt suivie d'une autre, qui se pose tout à côté; elle repart, pour être encore poursuivie. A force de se pour- suivre on s'atteint. C'est aux heures fraîches, avant ou après la chaleur du jour, que s'ébattent les couples amoureux. Le nid se fait, doux tra- vail, que le mâle interrompt pour aller publier sa joie du haut des arbres de la forêt. Il choisit, de préférence, la cime du plus grand sapin, de 284 LES OISEAUX DANS LA NATURE manière à dominer la houle du feuillage et à jeter librement sa voix dans l'immense étendue. Debout sur une seule patte, il s'essaye, il prélude. Il commence par un signal, un coup d'archet ou de diapason; puis se succèdent les sons, les gammes, les roulades, les variations nuancées. C'est d'abord un chant un peu saccadé, avec des reprises, comme si l'artiste s'exerçait. Il lui faut un moment pour développer tous ses moyens. Enfin, la voix prend des inflexions plus amples, plus moelleu- ses, et la grive s'oublie dans une improvisation débordante, où il y a moins d'art, mais, s'il est possible, plus d'âme et d'inspiration que dans celle du rossignol. Comme la plupart des oiseaux musiciens, la grive a son chant de vêpres et son chant de matines. Celui-ci est, peut-être, le plus entraînant de verve et de lyrisme. Il retentit dès avant l'aube, lorsque les étoiles tremblent encore au ciel et qu'il reste à la blanche anémone de longues heures à dormir dans les ténèbres de la forêt. Immobile sur son sapin, la grive a l'œil fixé sur les profondeurs de l'Orient, et de sa gorge qui se gonfle les mélodies coulent à flots. Elle ne compose pas une symphonie, comme fait le rossignol; elle entonne un hymne, un hymne sans fin, l'hymne de la lumière et du réveil de la nature, l'hymne de l'aurore et du printemps. Elle est si belle, l'aurore; il est si doux, le printemps! Quel bonheur que de vivre, de voir renaître les fleurs, de respirer la brise attiédie, d'être éveillée la première et d'an- noncer au monde la venue du soleil! C'est plus qu'un bonheur, c'est une ivresse, c'est un délire. Schiller, dans son hymne A la Joie, semble s'être inspiré du chant de la grive et l'avoir traduit en paroles humaines. L'allégresse dilate ce petit cœur d'oiseau. Rien n'est trop grand pour lui. La grive chante comme si elle voulait embrasser l'univers et asso- cier à la fête de ses noces la création et le Créateur. LA GRIVE MUSICIENNE 285 S'il est un oiseau qui dût être sacré à tout homme bien né, c'est la grive musicienne, et cependant il n'en est guère qui soit l'objet de chasses plus impitoyables. Au printemps, de mars en juin, elle jouit dans ses bois d'une tranquillité relative, et il y aurait pour elle plus de repos si elle savait s'y confiner et se contenter des insectes, des larves, des chenilles qu'elle y trouve en abondance. Vers la fin de juin, quand la cerise rougit au bout des branches, la grive ne tient plus dans ses cachettes; elle descend, par tombées, vers les prés plantés d'arbres, et ne regagne le gîte qu'à la chute du jour, à peine rassasiée. Cette pre- mière escapade ne tirerait pas à conséquence; mais en octobre, la grive flaire le raisin parfumé, comme en juin elle a flairé la cerise, et elle s'en va faire vendanges. Gare alors au retour! Les chasseurs l'attendent à la lisière des bois. Elle passe vite, car elle est défiante, et souvent elle doit son salut à la rapidité de son vol. Mais c'est à recommencer chaque jour. Au plomb du chasseur s'ajoutent les pièges de l'oiseleur, plus redoutables. C est au travers de dangers sans cesse renaissants que la grive exécute son voyage d'automne au pays des olives, où l'attendent de nouveaux régals et de nouveaux ennemis en nombre toujours plus grand. C'est la punition de cet artiste gourmet : il devient lui-même un plat de gourmets. De vendange en vendange, sa chair est plus tendre, plus grassouillette, d'un goût plus exquis, comme si elle s'imprégnait de l'arôme des fruits mûrs. Aussi voit-on les trappes, les rets et les coups de feu se multiplier sur son chemin. C était bien pis encore autrefois. Aux raffinements de la nature, les Lucullus du temps passé ajoutaient ceux de l'art. On élevait pour eux des grives par milliers. C'était toute une industrie, très répandue aux environs de Rome et dans les montagnes de la Sabine. Il y fallait 286 LES OISEAUX DANS LA NATURE des précautions infinies, non seulement pour amener ce gibier captif au point de perfection qu'exigeait un sybaritisme effréné, mais d'abord pour le sauver de la mélancolie des oiseaux prisonniers ; car la grive est encore plus friande de liberté que de fruits et de pâtes fines. On les réunissait en tribus dans d'immenses volières, qu'on plantait d'arbres et qu'on entourait de feuillage pour leur donner l'illusion de la forêt. On avait beau faire : plusieurs se laissaient mourir plutôt que de con- sentir à s'engraisser ainsi. La grive n'a plus à redouter les volières de la Sabine. Mais que de victimes encore! quelles hécatombes chaque automne! Comment faire pour éveiller la pitié, non de l'oiseleur ni du chasseur, — il n'y a point là de pitié à attendre, — mais de tant d'honnêtes gens qui contribuent, sans s'en douter, à la destruction de cet oiseau-poète, le plus poète des oiseaux? Il y aurait un moyen, peut-être, un seul : ce serait de les faire lever avant l'aube et de les mener dans les bois entendre la grive chanter. LE MERLE NOIR LE MERLE NOIR 19 LE MERLE NOIR TANTOT caché au plus épais des bois, tantôt mêlé au tourbillon des villes, le merle est un oiseau énigmatique, qui a des enthou- siastes et des détracteurs. «Un sot merle! un vilain merle!» ainsi parle la langue française. En allemand, c'est un grand éloge de dire de quelqu'un qu'il chante comme un merle. Même contradiction chez les poètes. Ceux d'Allemagne traitent le merle avec amitié et respect, en confrère. En France, il a au moins un ami, Théophile Gautier, qui en a dessiné le profil dans un de ses plus fins Camées ; mais, en général, la poésie française, fidèle à ses traditions citadines, n'a guère connu que le merle des rues. Elle en fait un personnage équivoque, même grotesque. Alfred de Musset n'a-t-il pas comparé ce gracieux chanteur à « un mar- guillier en train d'avaler une omelette. » Il est certain que le merle ne res- semble guère à la plupart des autres oiseaux. Son costume le désigne à l'attention : tout noir, d'un noir parfait, avec le bec et les paupières jaunes. Ainsi vêtu, il aime à sautiller sur la neige. Il a les mouvements brusques, le vol bas, court, en ligne droite ; il ne voltige pas, il ne flâne pas dans les airs; quand il ouvre les ailes, il a un but : il y va, s'y pose, et d'un double coup de queue, toujours le même, il semble dire : « M'y voici ! » S'il vole bas, il perche haut : près du sommet des arbres, sur les gouttières, 292 LES OISEAUX DANS LA NATURE sur les cheminées, sur les mâts de cocagne. C'est un oiseau agité et qui se déplace perpétuellement, mais le plus grave et le plus immobile de tous quand il chante. Epoux très fidèle et qu'on dit très passionné, il est souvent en guerre, même avec sa compagne, pour les morceaux. Chanteur sentimental, il est glouton et querelleur. Il n'y a pas jusqu'à la réputation gastronomique du merle qui ne soit contradictoire. « Faute de grives, on mange des merles », disent les chasseurs, et ces mêmes chasseurs payeront fort cher un pâté de merles de Corse. Enfin, cet oiseau tout noir s'avise parfois d'être blanc. Le cas est rare, mais il y en a des exemples, principalement pour le merle à plastron, frère du merle noir, et qui, à l'état normal, en diffère déjà par une cravate de neige sur sa robe de jais. Quelques-unes de ces contradictions s'expliquent par la nature. C'est la nature qui fait naître les albinos, c'est elle qui donne au merle son vaillant appétit, cette voracité qui ne le rend pas toujours bon camarade. Le rossignol aussi n'est-il pas gros mangeur? Dame! on s'épuise à chanter. Et qui donc chante plus que le merle? Il commence en février, parfois en janvier, et ne finit qu'à la mue, en juillet. Croit-on, peut-être, que le travail de l'artiste ne soit pas un travail? Voyez plutôt les hommes. Si un artiste mange du bout des lèvres, défiez-vous. Ceux dont la tête travaille le plus ne sont pas ceux dont l'appétit a le moins d'exigences. C'est aussi la nature qui fait que la chair du merle est bonne ou mauvaise, selon les temps et les lieux. Les merles jeunes vont en grand nombre passer l'hiver au Midi. La Corse est une de leurs étapes favorites ; ils y vivent des baies aromatiques du myrte, qui donne à leur chair, déjà préparée par les régals de l'automne, sa délicatesse suprême. L'âge venu, le merle commence à trouver son aile un peu LE MERLE NOIR 293 courte pour de si longues traversées. Il se fixe, il hiverne sous nos lati- tudes : c'est ce merle devenu sédentaire qui justifie le proverbe dédai- gneux. Souvent aussi ces contradictions sont ex£igérées par quelque influence fâcheuse. Les mauvais exemples corrompent les talents et les mœurs. Le moineau est bon garçon, sans doute; mais il est difficile de ne pas s'encanailler un peu dans sa société. Et le tapage des rues, ce mélange de cris et de bruits, et le grincement des girouettes, est-ce une école pour un chanteur? Mais l'explication des explications est celle que donnent la plupart des naturalistes, savoir que le merle était un habitant des bois, des bois profonds, et que, par l'effet de causes malaisément appréciables, il s'est peu à peu rapproché de l'homme. On cite dans telle ville la date de son établissement. Il s'est rapproché et non encore donné. De là ses allures inquiètes et sa perpétuelle agitation. C'est un oiseau dépaysé. A la rue, il doit les façons hardies et la dégénérescence du talent. Des bois, il tient ce sombre vêtement, et cet amour pour les sapins massifs et les lierres épais où, même dans nos jardins, il aime à cacher son nid, et ce vigou- reux coup de bec qui retourne les feuilles mortes pour trouver les lima- ces et les lombrics, et ces accès de sauvagerie défiante qui le prennent encore au milieu de ses familiarités, et cette fidélité à l'épouse choisie, et cette habitude d'aller chanter sur les hautes branches. Des bois, du fond des bois solitaires, il tient cette poésie, solennelle et joyeuse, suave et profonde, qui déborde dans ses chansons. Que dis- je, chansons? Le mot est léger : ce sont mieux que chansons. Le merle n'a ni la science, ni le brio du rossignol; il n'a pas non plus les grandes fugues lyriques de la grive musicienne; il a néanmoins un talent hors ligne, et je ne sais 294 LES OISEAUX DANS LA NATURE quel accent de conviction qui n'est qu'à lui. Lorsque, gravement posé sur la cime d'un arbre à peine dépouillé de givre, la gorge dressée, les yeux en haut, on le voit psalmodier si sérieusement, on se prend à croire à un sacerdoce. Il a la foi, cet oiseau drapé de noir; il n'annonce pas le printemps, il le prophétise. C'est quelque prêtre d'un ancien culte; il en suit le rite et quand il ouvre si bien le bec, c'est pour ne pas perdre une note de la litanie sacrée. Si la légèreté de ce siècle voltairien y trouve matière à raillerie, c'est qu'apparemment elle ne distingue plus entre le sacrificateur et le marguillier. L'ÉTOURNEAU L'ÉTOURNEAU L'ÉTOURNEAU NOUS voici en présence du plus sociable des oiseaux. C'en est aussi le plus répandu, le plus babillard, le plus familier, le plus plaisant, le plus hâbleur, le plus étourdi et le plus dégourdi. Maître étourneau est un type. L'avoir nommé, c'est avoir décrit son caractère. Les étourneaux ont, chaque printemps, un moment difficile à passer, quand leurs multitudes doivent se disperser pour constituer des couples et fonder des familles. L'opération est trop compliquée pour leur impatience, et la guerre éclate au sein de ces peuplades, d'ailleurs plus bruyantes que belliqueuses. Les plus forts ravissent les plus dési- rées; les autres s'accommodent de ce qui reste. Ce démêlement tumul- tueux a lieu vers la mi-mars. Ensuite, pendant plusieurs semaines, les étourneaux vivent retirés, occupés aux soins du ménage. Si l'on trouve un nid déjà fait, en lieu favorable, on s'y installe, sans prendre l'avis du propriétaire; sinon, on en fait un de quelques matériaux épars, moins un nid qu'une simple couche, dans le premier trou venu, et l'on mène à bien la couvée. Les petits éclosent vers la fin d'avril, et les jeunes familles, bientôt abandonnées à elles-mêmes, se recherchent, et vont butinant, par groupes, dans les lieux boisés, coupés de clairières humi- 300 LES OISEAUX DANS LA NATURE des, de prairies et de champs. Dès le commencement de juillet, les parents les rejoignent, avec une nouvelle couvée. Les groupes conti- nuent à se mêler, et ainsi se forment, en automne, ces vols, ordinaire- ment ronds et compacts, qui passent avec un bruit particulier, semblable à un déchirement. Les vols s'ajoutent aux vols, on voit défiler des armées d'étourneaux, qui coulent par torrents dans les airs. Cependant ces multitudes sont petites en comparaison de celles qui se réunissent, le soir, à leurs places de rassemblement. Ils choisissent dans ce but les grèves peuplées de roseaux. Ils se posent trois ou quatre sur le même roseau, qui plie sous le poids, et devient, ainsi incliné, le plus commode des perchoirs. Ils accourent, au coucher du soleil, de tous les points de l'horizon. Leur nombre est légion, et chacun travaille de son petit gosier et de sa langue frétillarde. Le brouhaha en est étourdissant. Par moments, on remarque des crescendo : ce sont des vols nouveaux qui arrivent, saluent et sont salués. Il n'y a rien de comparable à ces rassemblements parmi les oiseaux de nos contrées, sauf ceux du pinson des Ardennes, quand l'hiver le chasse loin du pôle. Le bruit décroît à mesure que s'éteignent les dernières lueurs du couchant; la nuit tombe, et l'on n'entend plus que l'eau qui clapote et le vent qui balance tout ce peuple endormi. A l'aurore, le charivari recommence; puis, tous ensemble, ils s'élèvent dans les airs, battent de l'aile et retombent sur leurs roseaux. Ce signal est répété deux ou trois fois de suite; à la troi- sième ou à la quatrième, ils partent, en se divisant en vols, qui ne se retrouveront que le soir, à moins que le hasard ne les fasse rencontrer en chemin. Ainsi vit l'étourneau en liberté. En captivité, il n'est pas moins curieux à observer. Il devient rapidement le familier de tous les oiseaux L'ÉTOURNEAU 301 dont il partage la volière, non sans être importun quelquefois. Si on le garde en chambre, il se fait un ami du chien, du chat, des enfants et de son maître. Il n'y a pas de réserve qui tienne, il faut se rendre à ses agaceries. En moins de huit jours, il se trouve en assez bons termes avec ses compagnons, le caniche ou le gros dogue, pour leur sauter sur le dos et y faire la chasse aux parasites. Heureux si, d'un bec indiscret, il ne va pas les chatouiller sous le nez ou dans les oreilles. Avant de se per- mettre de telles privautés avec son maître, il épiera un sourire, il attendra un encouragement. Au premier signe, le voilà sur les genoux, sur la main, sur l'épaule. Et tout en sautillant, il babille, il répète des mots, des bouts de phrases. Ce talent d'imitation de la parole est, chez l'étour- neau, un accompagnement et un développement de l'instinct social. Il y surpasse le perroquet lui-même. Tschudi cite un étourneau qui disait son oraison dominicale sans faute et distmctement, d'un bout à l'autre. C'était, dans la famille, le benedicite en usage avant les repas, et il l'avait appris à force de l'entendre. On rapporte mille traits analogues. Un des plus piquants est celui que raconte Friderich. Un instituteur allemand semait ses discours d'expressions françaises estropiées. Un de ses mots favoris était : « per compagnie ». Il mangeait sans avoir faim ou buvait sans avoir soif, « per compagnie ». Autant en fit un étourneau qu'il avait apprivoisé et affublé d'un collier rouge. Un beau jour, maître étourneau s échappe, et se mêle au premier vol de confrères qu'il ren- contre. La bande joyeuse donne droit dans un filet. « Comment es-tu venu ici?» lui dit l'oiseleur en voyant son collier. «Per compagnie ! » répond l'oiseau. Sur quoi l'homme aux filets, — celui-là, paraît-il, était capable de pitié, — au lieu de lui tordre le cou, « per compagnie », ouvre la main et lui rend la liberté. 302 LES OISEAUX DANS LA NATURE Babil d'oiseau, grâces d emprunt, heureux talents de société! Etoumeaux ailés, vos pareils sont nombreux!... Mais quoi, allons-nous à notre tour tendre les filets de la critique? Non, la pitié nous prend, aussi.... Etourneau, mon ami, profite du moment, et sauve-toi vite <« per compagnie ». LE GOBE-MOUCHES GRIS LE GOBE-MOUCHES GRIS 20 LE GOBE-MOUCHES GRIS A CORSAIRE, corsaire et demi! Ceci est une loi de justice à laquelle vous n'échapperez point, vous qui vivez de sang, taons et moustiques. Pendant que vous volez lourdement ou que vous pirouettez dans l'air, cherchant une proie, le châtiment est suspendu sur vos têtes. Moustiques et taons, le gobe-mouches vous regarde. Transportons-nous dans les bois, non dans les grandes sapinières, mais dans ces bois à feuilles légères, où le hêtre rivalise avec le chêne, où l'érable aux larges dômes se marie avec le frêne élancé, et où tremble, dans les clairières, la grêle verdure des bouleaux. Nous nous arrêtons au bord d'une mare, comme il s'en trouve souvent dans l'épaisseur des fourrés. L'eau a ces tons bruns, presque noirs, qu'elle prend en filtrant au travers d'un sol tourbeux ou en croupissant sur le terreau des bruyè- res. Elle n'est pas fraîche; elle n'invite pas au bain : elle a la tempéra- ture du sol et de l'air. Mais peut-être donnera-t-elle de grandes tenta- tions aux peintres qui s'égareront sur ses bords. Elle est brune, et n'y est pas trouble; pour y être colorés, les reflets n'y sont pas moins lim- pides. Ils le sont d'autant plus, au contraire, qu'elle est plus tranquille, dormant à l'ombre, garantie contre tous les vents, et même contre ces 308 LES OISEAUX DANS LA NATURE zéphyrs instantanés, contre ces frémissements qui, dans les plus chaudes journées, surprennent encore les vagues immobiles de Tair. Les moin- dres brins d'herbe y retracent distinctement leur image ; les épis retom- bants d'une laîche des bois, aux touffes à demi submergées, ne se pen- chent sur elle que pour s'y regarder à loisir. Les troncs blancs et noirs qui peuplent la rive y reproduisent, pour le plaisir des dryades empri- sonnées sous leur robe d'écorce, tous les accidents de leur surface rugueuse ou polie. Il n'y manque pas une ride, pas une mousse. Il ne manque pas une branche, non plus, à ces arcades de verdure, dont la perspective fuit dans la profondeur, et qui laissent voir, entre les feuilles étagées, l'éther diaphane et sans fond. Dans le mystère de ce réduit obscur brillent çà et là, sur les laîches, sur les troncs, sur le sol, des rayons égarés, car il n'est pas de feuillage que ne traverse de ses flèches le divin archer, le dieu aux javelots d'or. Ce paysage vous étonne-t-il par l'excès de son immobilité? Regar- dez, écoutez : le mouvement va naître. N'entendez- vous pas une dent furtive déchirer le tissu des herbes coriaces! Une chenille est collée sous une feuille inclinée, qui montre déjà le squelette de ses nervures. C'était sa provision pour un jour; elle en achève le reste. Voici un bruit plus distinct. Les épis de la laîche ont tremblé : une sauterelle a pris son élan. Cette fois c'est l'eau qui frissonne : une libellule l'a touchée. Un autre bourdonnement agite les airs; vous le connaissez, car il a souvent importuné vos oreilles : c'est l'inchassable ennemi; c'est le moustique qui dormait tout à l'heure et qui danse maintenant sous un rayon de soleil, en faisant vibrer ses élytres musicales. Il vous a senti venir; il a flairé l'odeur du sang. Quel est encore cet étourdi qui se jette au travers de l'espace? c'est le taon vorace, que harcèle la faim; il vous LE GOBE-MOUCHES GRIS 309 a vu, lui aussi, et vous a jugé de bonne prise.... Soudain, au milieu de sa course, avant qu'il ait pu faire un mouvement pour éviter sa destinée, il est pris, il est enlevé. Une aile a passé, une aile d'oiseau, plus sûre et plus prompte que la sienne. Et déjà l'on entend sur une branche les petits coups saccadés d'un bec qui dépèce une proie. Ainsi a disparu le taon; ainsi disparaîtront, chacun à l'heure marquée, le moustique, la libellule, la sauterelle et la chenille elle-même. Qui est donc ce dernier larron, ce justicier dont l'apparition a été si foudroyante? C'est le gobe-mouches : ainsi dit le peuple dans son langage naïf. Vous ne vous étiez pas douté de sa présence, et cependant il était Jà, tapi sur une branche. Il laissait pendre ses ailes, qui s'agitaient quelquefois de tressaillements involontaires. Vous l'avez entendu; mais vous ne l'avez pas vu, parce qu'il était trop bien caché. Vous avez cru que ce n'était qu'une feuille qui frissonnait. C'était lui. Il voyait tout, il épiait tout, il attendait l'occasion : l'occasion s'est offerte et il l'a saisie. Telle est la manière de chasser de ce rapace tranquille. Il fait ce que font les fauves du désert, ce que fait le lion lorsqu'il se dérobe parmi le feuillage, au-dessus de la source où vient boire la gazelle, et qu il la saisit au passage, d'un bond. Est-ce le lion qui a été à l'école du petit oiseau, ou le petit oiseau qui s'est fait instruire par le lion? Ils n'ont pris leçon ni l'un ni l'autre. Ou plutôt ils n'ont eu l'un et l'autre qu'un maître, la nature, qui a mis le même instinct chez le plus puissant et chez le plus humble des chas- seurs. Dans l'infinie variété de ses créations, elle a de ces répétitions ingénieuses, familières aux grands compositeurs, de ces motifs qui reviennent, dans un ton et avec des instruments différents. Où se montre plus irrésistible la puissance du bond, du bond soudain, rapide comme 310 LES OISEAUX DANS LA NATURE le regard, instantané comme la pensée? Est-ce chez le roi du désert ou chez l'oiseau de nos bois? Qu'importe? L'intérêt du spectacle ne dépend pas de la taille des acteurs. Gazelle, le bond du lion nous paraîtrait seul terrible; taon ou moustique, nous n'aurions peur que de celui du gobe- mouches. Simple spectateur, juge des coups, la gloire, ce nous semble, s'en partage également entre le grand et le petit carnassier. LE GOBE-MOUCHES A COLLIER LE GOBE-MOUCHES A COLLIER LE GOBE-MOUCHES A COLLIER DANS une précédente notice, nous avons fait abstraction des diverses espèces de gobe-mouches, pour décrire uniquement le système de chasse qui leur est commun. Nous devons main- tenant les considérer de plus près. Il y en a de plusieurs espèces, prin- cipalement au Midi, où, autour de toutes les flaques d'eau, à l'ombre de tous les feuillages, fourmillent et pullulent mille sortes d'insectes. Parmi celles qui viennent passer quelques mois dans nos zones tem- pérées, on en distingue trois plus connues : le gobe-mouches ordinaire, le gris et celui à collier. Ils ont à peu près, pour la longueur du corps, les proportions de la mésange grande charbonnière; mais les ailes sont plus développées, ce qui les rapproche des hirondelles, auxquelles ils ressemblent encore par leurs petites pattes, courtes et faibles. Ce sont des oiseaux faits pour voler, non pour marcher ou sautiller. On le voit bien quand ils s'élancent sur leurs victimes. Ils n'auraient qu'à le vou- loir pour briller parmi les maîtres dans l'art de nager dans l'espace; mais c'est une gloire qu'ils ne paraissent pas ambitionner. Ils volent peu, et seulement pour satisfaire aux besoins de la vie, pour aller boire à la source prochaine ou pour changer de perchoir. La plus grande partie de leur existence se passe sur les branches, à guetter, les ailes ordinaire- 316 LES OISEAUX DANS LA NATURE ment pendantes et immobiles, malgré le tic qui les leur fait agiter de temps en temps, ainsi que la queue. D'où leur vient ce naturel flegma- tique? Il ne s'explique, semble-t-il, par aucun défaut de conformation, et l'on n'en peut rien dire, sinon que c'est l'habitude de la race. Le gobe-mouches gris n'a pas une toilette qui attire les regards; les teintes répandues sur son plumage sont plutôt douces et ternes. Le dessus du corps est gris, un gris de souris, relevé de taches noires au front; le dessous est blanchâtre. Beaucoup plus brillant est le gobe- mouches ordinaire, à cause de la vive opposition entre le noir de jais qui lui habille la nuque et les épaules et le blanc de neige du front et de la poitrine. Celui à collier, aussi noir et blanc, est surtout remarquable, comme son nom l'indique, par le large collier blanc qui fait le tour de sa gorge et lui dégage la tête. Cette belle opposition, du noir et du blanc, ne se montre dans sa force que chez les individus complets, si l'on peut ainsi dire, et à certains moments de l'année. Ce sont des oiseaux qui varient beaucoup. Ils ne portent pas moins, dans une seule saison, de trois à quatre costumes successifs : le plus beau est le dernier, qui est aussi le costume de noces. Les gobe-mouches attendent que les insectes soient sortis de terre pour venir prendre leurs quartiers sous nos climats. Ils font des étapes en chemin, et nous arrivent, deux à deux, vers la fin d'avril, heureux quand une neige tardive ne les surprend pas, à peine établis. La neige leur est fatale, parce qu'ils se nourrissent exclusivement d'insectes, et qu'ils ne savent pas, comme d'autres oiseaux, brouter les pointes des herbes ou picorer de vieilles graines. On cite des printemps où, dans certaines contrées, ils ont presque tous péri. Ils n'ont pas peur des hommes; mais ils ne les recherchent pas. Pourvu qu'ils aient des arbres LE GOBE-MOUCHES A COLLIER 317 au branchage dégagé, ils sont chez eux; peu importe que ce soit dans une forêt ou dans un verger, même dans un jardin. Ils cachent souvent leur nid parmi les lierres ou les espaliers, et ne manquent point d'art dans le choix des places et des matériaux; cependant ils n'y mettent pas le soin qu'y apportent d'autres espèces. Il y a un fonds d'indolence dans la nature du gobe-mouches. Une couvée par an lui suffit. Ce serait trop que de se donner deux fois peine pareille. Les gobe-mouches ne sont pas au nombre de nos bons chanteurs, quoique le ramage de celui à collier ait de la grâce et de la vivacité. On en élève cependant, parce qu'ils ont l'humeur heureuse et qu'ils devien- nent aisément familiers. La cage leur est mortelle; mais on peut les garder en chambre. Il suffît de disposer dans un appartement de petits bâtons où ils puissent percher, pour qu'ils se livrent à la chasse aux mouches avec autant d'ardeur que dans les bois. Ils ont bientôt fait d'en nettoyer une maison. Malheureusement, il faudrait les en repour- voir, car aucune autre nourriture ne paraît leur convenir également. Bien soignés, ils s'attachent aux personnes et aux lieux, et reviennent faire des visites d'amitié quand on leur a rendu la liberté. Friderich en avait apprivoisé une paire en 1862. Quand il leur ouvrit la fenêtre, ils en profitèrent mais sans s'éloigner. Ils séjournèrent plusieurs semaines dans le voisinage, revenant au premier appel; puis ils disparurent. Au moment du passage automnal, le mâle vint voltiger, avec obstination, devant la fenêtre par où il avait appris le chemin de la liberté. On lui ouvrit et on lui tendit un ver de farine, qu'il piqua dans la main. L an- née suivante, au printemps, nouvelle visite du gobe-mouches. Mais il était plus sauvage, et il partit, cette fois, sans avoir touché le ver qu'on lui offrit, mais non sans avoir longuement tourné autour. Il ne reparut 318 LES OISEAUX DANS LA NATURE pas en automne, soit que l'instinct de la sauvagerie eût pris tout à fait le dessus, soit qu'il eût péri dans l'été. Quoi de plus aimable, quoi de plus touchant que ces visites d'un petit oiseau, qui se détourne dans ses longs voyages pour frapper à une vitre connue et saluer un ami en passant ! L'homme ne sait pas de com- bien de jouissances pareilles il pourrait enrichir son existence, s'il était bon envers tous les êtres que la nature semble avoir confiés à sa garde et auxquels elle a donné, comme à lui, l'air, le soleil, la vie et la liberté. L'HIRONDELLE DE CHEMINÉE L'HIRONDELLE DE CHEMINÉE 21 L'HIRONDELLE DE CHEMINÉE IL y avait tant d'hirondelles dans la cheminée de mon grand-père! C'était une de ces vieilles cheminées comme on en trouvait autre- fois dans nos campagnes du pays romand, et particulièrement dans ces villages heureux, aimés des oiseaux et des poètes, que la nature sem- blait avoir semés de sa main sur les rives du plus beau des lacs, entre Vevey et le manoir de Chillon. Cheminées vraiment patriarcales! Débor- dant de toutes parts le foyer, — un foyer autour duquel pouvaient s'asseoir à l'aise toutes les générations d'une famille, — elles allaient s'amincissant régulièrement, comme un intérieur de pyramide, pour se terminer en pointe, au-dessus du toit. Parfois, à mi-hauteur, une petite fenêtre aux carreaux rougis, laissait passer un jour douteux; tou- jours un grand couvercle à bascule, qu'on faisait manœuvrer d'en bas, permettait de les ouvrir et de les fermer par en haut. Les cheminées d'aujourd'hui sont de vulgaires tuyaux; celle dont je parle était un monde. Quand le couvercle en était abaissé, le regard plongeait confusément dans des profondeurs infinies. Les blancs nuages de la fumée s'y engouffraient tour à tour, et les étincelles allaient y brillerTet s'y perdre avec eux. Dès que le couvercle se levait, le jour pénétrait dans cette nuit, et l'abîme se peuplait : les chaînes des cré- 324 LES OISEAUX DANS LA NATURE maillères se détachaient sur la muraille; des poutres noires, courant d'une paroi à l'autre, et portant des perches chargées de trésors, sor- taient de l'ombre comme des apparitions; c'était toute une perspective de jambons appétissants et de larges quartiers de lard; vers le haut, s'étageaient les nids habités, et, par l'ouverture, brillait un coin du ciel : on voyait s'envoler la fumée et voltiger les petits oiseaux. Dans ce temps-là nous savions, année par année et jour par jour, tout ce qui se passait chez les hirondelles. Nous n'avions pas besoin d'aller aux informations pour apprendre si quelque voisin, plus heu- reux, en avait des nouvelles. Elles s'annonçaient elles-mêmes, et leur apparition comptait comme un événement. C'était, à l'ordinaire, à la première semaine d'avril. A peine de retour, elles prenaient leurs mesures pour s'établir, à moins toutefois qu'il ne fît trop mauvais temps. Elles ont besoin, paraît-il, que la terre dont elles font leur maçonnerie ne soit pas humectée par la pluie, mais uniquement par leur salive gluante, qui la transforme en une espèce de ciment. Quand il faisait beau, elles travaillaient avec un zèle incroyable. Il leur fallait du temps néan- moins, et quelquefois elles se facilitaient la besogne en se servant d'un vieux nid pour y appuyer et emboîter le nouveau. Avec quel intérêt nous suivions toutes ces allées et venues! A peine achevé, le nid se remplissait. Nous savions bien, dans la cuisine de mon grand-père, quand les petits devaient éclore; nous le savions presque aussi bien que cette mère, immobile, dont on n'apercevait que le bec. Nous comp- tions les jours, douze ou treize, et, pour nous comme pour elle, c'était un triomphe que d'entendre les premiers cris des oisillons affamés, qui piaillaient après la pâture. Un autre jour impatiemment attendu était celui où ils se hasarderaient à voler ; on suivait les progrès de leur audace L'HIRONDELLE DE CHEMINÉE 325 croissante; on les voyait se hisser sur le bord du nid et frétiller de l'aile.... Oh! c'était le grand moment!... Tombera-t-il ? Ne tombera-t-il pas? Ils rentraient quelquefois; ils remettaient à plus tard; mais ils ne tom- baient jamais. C'était en plein mois de mai que s'accomplissait ce coup de théâtre, et ordinairement par un de ces jours où le soleil encourage les fleurs à s'ouvrir et les oiseaux à prendre leur volée. Nous suivions aussi les événements d'une seconde nichée, qui ne manquait pas plus que la première; mais ce qui manquait moins encore, c'était le départ général. Que de fois j'ai vu les hirondelles, sur le point de partir, se poser à la file sur le bord du couvercle soulevé; les noires silhouettes de leurs longues queues effilées s'agitaient sur un ciel automnal : on les entendait jaser, siffler, discuter. Et puis, le soir, on n'entendait plus rien. Elles étaient parties. Jamais vie ne fut plus réglée que celle de nos hirondelles. C'était régulier comme les saisons. Un jour, cependant, il y eut de l'imprévu. Nous en trouvâmes une, le matin, morte sur le foyer. Ce n'était point un petit, mais le père lui-même. Que lui était-il arrivé? On ne l'a jamais su. Je ne m'étais pas encore avisé qu'une hirondelle pût mourir. J'avais bien ouï dire que le faucon les prend quelquefois. Mais ce n'est pas mourir, cela; c'est être tuée. Peut-on bien mourir, mourir sans cause, quand on est hirondelle et qu'on sait voler? Longtemps nous essayâmes de réchauffer dans nos mains ce petit corps déjà froid, enveloppé comme d'un linceul de ses deux ailes croisées. Comme ses plumes étaient d'un beau noir, tout brillant de reflets bleus ! Il fallut enfin se rendre à l'évi- dence. Que faire de ce cadavre? «Donnez-le au chat», dit une voix. Les enfants ne furent point de cet avis. Ils allèrent creuser une fosse, ils habillèrent l'hirondelle d'un chiffon qui servait à quelque toilette 326 LES OISEAUX DANS LA NATURE de poupée; ils l'enterrèrent gravement; puis ils établirent autour de cette tombe une balustrade de petites branches, et ils plantèrent au milieu une marguerite des prés. Y a-t-il encore dans nos hameaux des hirondelles de cheminée? On le dit. Mais, en vérité, je ne sais où elles se logent, à voir les boîtes carrées que nos paysans appellent aujourd'hui des maisons. Ce que je sais, c'est que la cheminée où je les observais dans mon enfance existe toujours. Il y a longtemps que je ne l'ai revue; mais je suis bien sûr que les nids en sont encore habités, malgré le fourneau vulgaire que la civi- lisation doit avoir établi au coin de l'énorme foyer. Quand il n'y aura plus d'hirondelles sur les rivages du lac Léman, encore y en aura-t-il dans la cheminée de mon grand-père. UHIRONDELLE DE FENÊTRE L'HIRONDELLE DE FENÊTRE L'HIRONDELLE DE FENÊTRE RETRANCHEZ de la création un de ces oiseaux que nous aimons : quel est celui dont l'absence sera le plus sentie? C'est îassurément l'hirondelle : non pas une espèce plutôt qu'une autre, celle de fenêtre plutôt que celle de cheminée, mais le type hirondelle, en général. La raison en est qu'il n'y a pas d'oiseau qui soit plus complètement oiseau. Ce n'est point l'éclat du plumage, ce n'est point la beauté de la voix, c'est l'aile qui fait l'oiseau. La parure et le chant lui sont donnés par-dessus, comme l'accompagnement naturel de cette vie aérienne, brillante et joyeuse; mais l'essentiel, c'est l'aile. Or, en retranchant l'hirondelle de la création, on en retrancherait l'aile la plus agile. Quel est l'oiseau qui vole mieux? Le martinet?... Mais le mar- tinet est lui-même une hirondelle. Le faucon?... Mais quand le faucon se précipite sur la proie qu'il a choisie, il vole moins qu'il ne tombe; c'est une chute, ailes fermées, et la rapidité en augmente selon les lois de la pesanteur. La frégate?... De tous les navigateurs de l'océan des airs, la frégate est, en effet, celui qui fait les plus puissantes ramées; 332 LES OISEAUX DANS LA NATURE elle a l'aile la plus grande, presque démesurée, car ce vaste appareil lui devient un obstacle dès qu'il s'agit de se retourner. La vitesse en ligne directe ne fait pas la seule beauté du vol. Il faut, sans doute, que l'aile porte l'oiseau; mais il faut encore que l'oiseau soit maître de son aile; là est le triomphe de l'hirondelle. Bufi^on ne s'y est pas trompé. Aussi, dans le long article qu'il lui a consacré, a-t-il soigneusement réservé toutes les ressources de son art pour la description de ce vol admirable. On sait par cœur la fameuse page où il semble que sa plume veuille en égaler la prestesse. Un mot a suffi à Michelet pour en dire autant et pour en faire deviner davantage : « L'hirondelle, écrit-il, est l'oiseau par excellence, l'être entre tous né pour le vol. La nature a tout sacrifié à cette destination. Pour produire cette aile unique, elle a pris un parti extrême, celui de supprimer le pied. » Voilà le premier et le dernier mot sur l'hirondelle, et ceux qui viendront comme nous, après l'illustre écrivain, ne pourront que le répéter. Mais vous voyez combien sont merveilleuses les voies de la nature : cet être, — nous continuons à répéter Michelet, — cet être, qui est le plus libre, se trouve asservi par sa liberté même. Il faut l'ap- prendre, ce vol. La petite hirondelle aura donc besoin, plus que tout autre, des soins de parents dévoués, et voilà ce père et cette mère, libres par l'aile, enchaînés au foyer domestique. La race dépérirait si les mères hirondelles n'étaient pas les plus tendres des mères. Aussi rien au monde n'est-il plus touchant que de voir les leçons qu'elles donnent à leurs enfants. La petite alouette a beau jeu pour apprendre à voler. Elle sort de son nid, fixé au sol, pour aller courir et sautiller dans les blés. En sautillant on volette, et à mesure que l'aile se fortifie, on pousse sa L'HIRONDELLE DE FENÊTRE 333 pointe plus haut au-dessus des épis protecteurs. La petite mésange, avec son berceau dans le feuillage, voit au-dessus d'elle des branches dont chacune est un reposoir. Son premier coup d'aile n'est qu'un élan pour sauter sur le rameau voisin, où elle s'accroche de l'ongle et prend haleine avant de repartir. Mais la petite hirondelle ! Quand elle regarde hors du nid, elle n'aperçoit que le vide; c'est dans le vide qu'il faut se jeter. Longtemps elle hésite, longtemps elle se prépare; on la voit se pencher en dehors, on la voit essayer son aile, sans cependant lâcher du pied. Sa mère est devant elle, qui lui offre la becquée, et tour à tour s'approche et se recule. On la prend par la famine. Enfin.... comme le cœur doit lui battre, et quel moment dans sa vie!... enfin, elle est dans l'espace. S'y est-elle jetée d'un élan délibéré, y est-elle tombée à force de s'agiter? Le plus souvent on ne le sait pas. Mais quand elle ne se sent plus soutenue, son aile grandit tout à coup; elle l'ouvre comme elle n'avait jamais fait jusqu'alors. L'air la porte, elle saisit la becquée, et, tant bien que mal, elle se détourne et regagne vite le bord du nid. Quelle aventure!... Une seconde fois la mère se reculera davan- tage; il faudra faire double voyage pour prendre la mouche qu'elle montre à la pointe de son bec. Quelques leçons encore, et la petite hirondelle l'accompagnera dans les airs! Cette liberté de vol a encore une autre conséquence, savoir que l'hirondelle n'a pas besoin de se choisir et de se réserver un domaine; elle laisse cette faiblesse aux oiseaux des arbres et à ceux qui nichent sur la terre. Elle dispose de l'étendue; aussi les nids peuvent-ils être très rapprochés sans inconvénient pour personne; ils se touchent sous les toits, sous les corniches, aux fenêtres. De là vient qu'il s'établit une vie de famille entre toutes les hirondelles qui habitent les mêmes lieux. 334 LES OISEAUX DANS LA NATURE Chacune de leurs générations y apprend à voler dans le même temps; elles assistent mutuellement à ce premier apprentissage de la vie; elles ont les souvenirs communs des écoliers qui ont fait leurs classes ensem- ble, elles forment une volée, comme on dit avec grâce dans notre pays romand. Ainsi naissent les liens d'affection et de solidarité qu'on remarque entre tous les membres de leurs tribus voyageuses. Elles partent ensemble, elles reviennent ensemble, elles chassent ensemble, s'avertissent l'une l'autre du danger. Toutes les hirondelles sont sœurs, dit encore Michelet.... L'exemple qu'elles donnent à l'homme et que l'homme ne suit guère est le plus beau qui puisse être donné : la fidélité dans la liberté! LE MARTINET LE MARTINET 22 LE MARTINET VOUS n'avez qu'un défaut, aimables hirondelles : vous êtes trop confiantes. Vous craignez le faucon. Et l'homme, pourquoi ne le craignez- vous pas? Parce que vous êtes bonnes, vous pensez que la bonté règne dans le monde. Si l'homme avait des ailes, il n'aurait pas cette illusion. Votre seul motif pour adosser vos nids à nos demeures, c'est qu'ils sont maçonnés, de même que nos murailles. Le mortier s'appuie au mortier. C'est un avantage; mais à quel prix le payez-vous? J'ai connu de l'autre côté des monts, sur les versants italiens des Alpes, un curé, brave homme, excellent chrétien, replet, jovial, à double et triple menton. En voyant son vaste presbytère et ce grand dévelop- pement d'avant- toits, les hirondelles s'étaient dit : « Voici notre affaire! * Peut-être la bonne mine du vénérable doyen les avait-elle engagées plus encore à se mettre sous sa protection. Or, savez-vous ce qu'avait fait maître curé? Il avait pratiqué des ouvertures, habilement dissi- mulées, correspondant à chaque nid, et, pendant la saison, il faisait deux tournées quotidiennes, guettant l'absence des parents, pour aller tâter de la main les petits. Quand ils étaient à point, la veille du jour où 340 LES OISEAUX DANS LA NATURE la jeune famille aurait pris son essor, il empochait la nichée, et c'était la délicatesse de son repas du soir. Il faut dire, à la louange de l'humanité, qu'il y a des peuples entiers qui frémiraient d'horreur à l'ouïe de ce simple récit; mais il y a d'autres peuples également unanimes à louer et à imiter l'industrie du bon curé. Étranges contrastes de la conscience humaine! Ce qui révolte l'homme du Nord fait les délices de l'homme du Midi. Comment donc faut-il s'y prendre pour faire entrer dans la religion de tous quelque chose de cette pitié que l'art et la nature, à défaut du christianisme, devraient suffire à inspirer? La moins imprudente des hirondelles est le martinet ou la grande hirondelle d'église; mais ce n'est point par défiance qu'elle est plus sage, c'est par une simple nécessité naturelle. Plus hirondelle encore que les autres hirondelles, ainsi parle Bufïon, elle n'a, pour ainsi dire, plus de pied. Le peu qu'elle en a se dérobe parmi les plumes. En revanche, elle a l'aile très grande, si grande qu'elle souffre des mêmes embarras que la frégate. Quand elle est posée sur un sol plat, elle ne peut plus prendre sa volée. Il lui faut un perchoir pour se laisser couler dans les airs. Si elle n'en avait point, si la terre était unie comme un parquet ciré, le plus rapide des oiseaux — c'est encore Buffon qui le remarque — ne serait qu'un reptile, et le plus triste des reptiles, un reptile inhabile à ramper. L'excès de cette infirmité glorieuse a une autre conséquence : le martinet est incapable de ramasser à terre les matériaux dont il aurait besoin pour faire son nid, tels que la terre elle-même pour le maçonner et l'édredon pour le matelasser. Il se tire de cette difficulté en faisant élection de domicile dans quelque nid déjà tout maçonné, c'est-à-dire LE MARTINET 341 dans un trou de mur, et en meublant sa couche pierreuse de tous les débris — paille, crins et chiffons — qu'il peut saisir au passage dans les nids des moineaux. Il lui faut donc des trous et des trous élevés, et c'est ce qui déter- mine sa préférence pour les vieilles tours et les clochers gothiques. A ces hauteurs, les curés eux-mêmes ne vont pas le chercher. Chacun se rappelle la réponse de Bernardin de Saint-Pierre, qui regardait les hirondelles pendant que son père voulait lui faire admirer les flèches de la cathédrale de Rouen : « Bon Dieu ! qu'elles volent haut ! » Cette exclamation d'un enfant résume ce qu'on peut dire du martinet. Le vol est son existence naturelle. A part le repos de la nuit et de courtes visites au trou qui leur tient lieu de nid, à part l'épreuve de la couvée, les martinets ne font que voler. Ils volent dès l'aube, ils volent tout le jour, ils volent longtemps encore après le coucher du soleil, lorsque partout dans la campagne se sont retirés les oiseaux : ils volent toujours. Souvent ils volent pour chasser. Comme les autres hirondelles, ils détruisent une multitude d'insectes. Ils n'apportent à manger à leurs petits qu'à de longs intervalles, mais chaque fois une pleine becquée, tout un repas. Ils s'épargnent ainsi la peine d'entrer souvent au nid, et surtout — car c'est le difficile — de s'y tourner laborieusement pour en ressortir. Ce sont autant de moments qu'ils dérobent à la vie de reptile à laquelle les condamne la nature quand ils ne se reposent pas sur les ondes aériennes. Ils ne cessent de voler pour chasser qu'afin de voler pour jouer. Oh! le noble jeu! Offrir au vent une large poitrine, à laquelle jamais le souffle n'a fait défaut; se laisser bercer dans l'espace ou battre l'air à coups redoublés; se donner l'ivresse du mouvement; monter, descendre, décrire des courbes dans les solitudes du haut azur. 342 LES OISEAUX DANS LA NATURE et tout cela sans vertige, sans effort, comme on marche, comme on respire!... Eh quoi! ne nous sera-t-il jamais donné de connaître cette volupté! Des ailes, des ailes! disait le poète. C'est le cri de l'humanité. De toutes les servitudes, celle de la pesanteur est la plus dure. En vain la pensée y échappe. Ce n'est point assez de se figurer qu'on vole; au lieu d'être une satisfaction, c'est un aiguillon pour le désir. Hélas! l'homme est ainsi fait que si cette faveur lui était accordée, il s'en lasse- rait, comme des autres. Il épuiserait cette joie, comme il épuise toutes celles que la bonté du ciel a mises à sa portée; néanmoins, il ne se résigne pas à cette coupe refusée à ses lèvres. Voir l'espace et n'en point jouir, est-ce bien être le roi de la création?... Des ailes, des ailes! L'ENGOULEVENT L'ENGOULEVENT L'ENGOULEVENT PRENEZ garde, nocturnes phalènes, voici venir l'engoulevent! Malgré son infinie variété, la nature nous offre partout le même spectacle : les espèces vivent les unes des autres ; tout animal est poursuivi par un autre animal. Si dans cette universelle tragédie, il est des acteurs destinés non pas à y échapper, mais à en moins souffrir, il semble que ce soient ceux dont le rôle est de dormir quand les autres sont en scène, et d'être en scène quand les autres dorment, tels que ces phalènes au vol léger, qui reposent le jour et travaillent la nuit. De jour, il peut leur arriver d'être surpris dans leur cachette par le merle ou la mésange. Mais au moins ont-ils cet avantage de ne pas se sentir poursuivis; ils meurent sans avoir pu s'en douter. Le soir vient, et ceux dont le sommeil n'a pas été troublé, se réveillent gais et dispos. Les phalènes voltigent sous la feuillée; les lucioles glis- sent dans l'air embaumé, comme des feux follets capricieux. Pour le coup, ils doivent être en sûreté. Le rossignol chante, le merle dort, la mésange rêve : qu'ont-ils à craindre? Grand privilège que d'être libre de toute crainte douze heures sur vingt-quatre! Mais non. La nature n'a pas permis cette exception à ses lois impitoyables, et pour que phalènes et lucioles aient leurs ennemis de nuit aussi bien que de jour, 348 LES OISEAUX DANS LA NATURE pour qu'ils puissent être non seulement surpris dans leur sommeil, mais poursuivis dans leurs jeux et dans leurs amours, elle a créé l'en- goulevent. Cet oiseau n'a pas moins de trois noms populaires. Les uns l'appellent ïhirondelle de nuit. Il a, en effet, des ana- logies avec l'hirondelle : jambes courtes, poitrine forte, longues ailes, vol puissant. Il fait aussi de grandes chasses dans les airs et se nourrit d'insectes enlevés à la course. Mais il a les yeux faibles, blessés par l'excès de la lumière, et, comme ses victimes, il se cache pendant le jour. D'autres l'appellent le crapaud ailé, et ce nom bizarre n'est point mal imaginé. Comment peut-on ressembler à la fois à l'hirondelle et au crapaud? C'est un problème que l'engoulevent a résolu. De l'hi- rondelle, il a le vol; du crapaud la physionomie. La couleur de son plumage est étrange; ce sont des teintes mdécises et fausses, du jaunâtre, du verdâtre, du blanchâtre, combinées de manière à former un dessin varié et tacheté. L'aspect général en est à la fois riche et inquiétant : c'est diapré comme une aile de phalène, marbré comme une robe de serpent, et, semble-t-il, visqueux comme un épiderme de crapaud. Et puis, il a l'œil énorme, la pupille dilatée, la bouche qui se fend jusqu'à la gorge, armée à l'extrémité d'un petit bec, qui distille de la glu. Enfin, on l'appelle Vengoulevent, et ce nom qui se rapporte au bruit qu'il fait dans son vol, comme s'il avalait l'air ou le vent, est, peut-être, le plus caractéristique de tous. Cet oiseau singulier n'est pas commun partout; mais il est moins rare qu'on ne le croit en général : ses habitudes nocturnes font qu'il échappe à l'observation. Il y en a beaucoup en France, en Allemagne, L'ENGOULEVENT 349 en Suisse, et dans toute l'Europe méridionale et centrale. On le trouve jusqu'en Suède. Il est d'humeur assez voyageuse; mais c'est sous nos latitudes qu'il aime à nicher, dans les clairières des forêts de pins ou de sapins. Un trou dans la terre lui suffit pour y déposer deux œufs, toute sa couvée. La mère est pleine de sollicitude. Elle use de subter- fuges, elle contrefait la blessée pour détourner l'attention du gîte où elle a caché ses petits; parfois, quand un indiscret s'approche, elle va lui voler autour de la tête, comme pour se jeter sur lui. Les engoule- vents adultes ne vivent guère en société. On n'en rencontre presque jamais plus de deux à la fois, le mâle et la femelle. Et encore ont-ils coutume de voler séparés, chacun pour soi. Ils passent la plus grande partie du jour couchés sur une branche, non pas en travers, mais en long, ce qui fait qu'ils sont difficiles à découvrir. Ils ne sortent que vers le soir, pour chasser toute la nuit. Leur vol est accompagné d'un bruis- sement étrange, qui a quelque rapport avec celui du vent lorsqu'il s'en- gouffre dans un tuyau de cheminée. Ce bruit vient de ce qu'ils volent avec beaucoup de rapidité, la bouche toujours grande ouverte. Quand ils avisent une proie sur le sol, ils savent très bien plonger sur elle; mais ils n'ont besoin, pour faire bonne chasse, que de parcourir l'espace du soir au matin. Tous les papillons que rencontre cette bouche sont irré- médiablement perdus : phalènes et sphinx y disparaissent tour à tour, ou restent pris à la glu qui suinte du bec. Il y a bien des manières de se représenter la mort. Les hommes, qui savent ce qu'elle fait de leurs corps et combien de vies elle tranche à chaque moment, se la figurent comme un squelette hideux, armé d'une faux. Les animaux doivent s'en faire des images plus simples. Pour la gazelle, elle doit avoir un œil clignotant et une griffe de lion; 350 LES OISEAUX DANS LA NATURE la mouche doit lui donner pour attribut principal un bec de gobe- mouches ; la mésange, un bec d'épervier, crochu ; la fourmi, une langue gluante qui se pose sur la fourmilière. Toutes ces images sont sinistres; mais la plus sinistre de toutes est celle que doivent s'en faire les papil- lons de nuit : une bouche toujours ouverte, une gueule béante, jamais assouvie, qui passe et repasse dans les ténèbres, avec un bruit rauque et la rapidité de la foudre, engloutissant tout ce qu'elle rencontre en son chemin. Prenez garde, lucioles, phalènes et sphinx, voici venir l'engoule- vent ! LE GRIMPEREAU 23 LE GRIMPEREAU LE GRIMPEREAU NOUS avons insisté dans la notice consacrée aux pitpits sur une distinction qui est de toute importance, si Ton veut établir une classification quelconque parmi les oiseaux : il y a ceux qui perchent et ceux qui ne perchent pas. Les premiers habitent les arbres et aiment à voltiger dans le feuillage; les seconds établissent leur nid sur le sol et volent dans l'espace libre. Nous avons remarqué que cette grande différence dans les mœurs s'explique par une toute petite différence dans la conformation du pied, c'est-à-dire par une courbure plus ou moins marquée de l'arrière-doigt et de l'ongle qui le termine. Une autre différence dans les mêmes organes correspond à une troisième destination. Les oiseaux qui ne perchent pas sont bons coureurs, mais ils ne sont pas nécessairement bons grimpeurs. L'alouette grimpe fort peu. Il lui faudrait des ongles plus forts, plus aigus, plus tranchants, capables d'entrer dans l'écorce des arbres ou de s'accrocher aux moindres saillies des murailles. Ces ongles, quelques oiseaux les possèdent, avec d'autres organes modifiés aussi en vue de cette destination nouvelle. Ainsi s'est constitué, dans le monde des oiseaux, un groupe particulier, qui est celui des grimpeurs, parmi les- 356 LES OISEAUX DANS LA NATURE quels se distinguent le grimpereau, la sittelle et les pics. On ne peut pas dire qu'ils aient seuls le talent de grimper; nous avons déjà rencon- tré quelques espèces qui n'en sont pas absolument dépourvues, telles que la mésange et le troglodyte. Néanmoins, ceux dont nous avons à parler maintenant sont les vrais grimpeurs. Ce talent de grimper rend à la forêt des espèces qui ne sont point faites pour percher. Tous les grimpeurs cependant ne grimpent pas aux arbres ; quelques-uns, le beau trichodrome, par exemple, exercent leur art contre les murailles et les rochers. Le grimpereau est le premier de ceux qui grimpent aux arbres. Il en est aussi le plus léger, ce qui n'est pas un avantage de peu d'im- portance quand il s'agit de s'accrocher à des parois perpendiculaires ou de se tenir suspendu sous des branches horizontales. Il n'a guère que six centimètres de longueur de corps, et autant pour la queue. A peine pèse-t-il plus que le roitelet, le pouillot ou le troglodyte; c'est un des plus petits oiseaux que nous ayons en Europe. Il ne fait pas de très grands voyages; il mène en automne et en hiver une vie plus ou moins errante, mais sans s'éloigner beaucoup des contrées où il a passé l'été. Souvent il se borne à sortir de la forêt et à se rapprocher des lieux habités. Il n'est pas très commun dans les contrées méridionales, en Italie ou au midi de la France; mais on le trouve partout de ce côté-ci des Alpes, jusqu'à la Baltique et plus loin. Il est très répandu en Alle- magne et en Suisse. C'est un oiseau basset, comme la plupart des grimpeurs. Les longues jambes sont bonnes pour faire de grandes enjambées; mais pour s'accrocher aux parois, la force doit résider dans les doigts de pieds et dans l'ongle, et il convient que la jambe soit courte et musculeuse. LE GRIMPEREAU 357 Le grimpereau a l'armature du pied remarquablement développée. Il n 'offre rien d'ailleurs, à le considérer au repos, qui attire l'attention, quoique ce soit un joli petit oiseau, au plumage clair par-dessous, foncé par-dessus, avec une aile sombre, décorée de lignes et de taches blan- ches. Il n'est pas facile à observer dans sa vie intime, concentrée dans le trou qui recèle son nid. Mais ce qu'il y a de très extraordinaire, ce qui lui vaut d'être connu de tous, c'est l'agilité avec laquelle il monte le long des troncs et des branches. Il n'aime pas beaucoup les arbres à écorce lisse, non qu'il ait plus de peine à y grimper, mais parce qu'il y trouve moins de gibier. Il a le bec long, mais faible, incapable de percer l'écorce ou de la faire éclater; il ne peut que fouiller dans les fissures. On prétend qu'il rachète cette infériorité par d'habiles petites ruses, qu'il suit le pic, par exemple, et lui dérobe sa proie par surprise. Ce qui est plus certain, c'est qu'il est très agile, et qu'il supplée par l'agilité aux ressources que lui a refusées la nature. Sort-il de sa cachette, un instant lui suffit pour être au sommet des arbres les plus élevés; il s'y arrête, cherchant, furetant, tournant autour des branches, visitant toutes les gerçures; puis il saute dans l'espace comme un écureuil, se raccroche à une branche, court dessus, court dessous, regagne le tronc, remonte et continue sans fin ce manège productif. Il grimpe indiffé- remment la tête en haut ou en bas. Quand il est dans une volière, il ne se borne pas à monter le long des barreaux; il va se promener au pla- fond, comme les mouches. Ceci est le triomphe de son art, imité par un petit nombre de rivaux. En automne, on le rencontre parfois avec les mésanges, mais chassant toujours à sa manière. Tandis que celles-ci se suspendent aux feuilles et aux branchettes, il va droit aux troncs et aux rameaux épais. La mésange fait de la voltige; le grimpereau 358 LES OISEAUX DANS LA NATURE court; mais une course pareille, verticale, est une autre espèce de vol- tige, non la moins brillante. Oh! les oiseaux! La nature a été prodigue envers eux. Il semble qu'elle leur ait tout donné en leur donnant l'aile. Mais elle a voulu mettre le comble à ses faveurs, et ajouter la richesse à la richesse. Elle leur a donné, par-dessus, le ressort du jarret et la pointe de l'ongle, afin qu'ils puissent goûter sous toutes les formes imaginables les joies du mouvement et l'ivresse de la liberté. LA HUPPE LA HUPPE LA HUPPE NOM juste et parlant! La huppe est le plus huppé des oiseaux. Et cependant il ne faut pas croire qu'elle ait été ainsi baptisée à cause de l'ornement qu'elle porte sur la tête. Son nom, comme celui du coucou, vient de son cri : hup! hup! hup! hup! — Upupa! disaient les Latins. — Et de l'oiseau ce nom a été transporté à la riche aigrette qui lui tient lieu de couronne. Ce n'est donc pas un nom com- mun devenu un nom propre, mais un nom propre devenu un nom commun, et ce nom propre, lui-même, n'est autre chose qu'une ono- matopée, l'imitation du cri. C'est ainsi que, par une association d'idées tout à fait naturelle, un mot s'éloigne de son origine, et en quel- ques pas fait un long chemin. Pour donner à cet oiseau le grand air qui le distingue, la nature n a pas eu besoin d'assembler sur son plumage les couleurs étincelantes qu'elle a prodiguées aux perruches et à tant d'espèces du Midi. Elle n'est point sortie de la gamme qui convient à nos climats tempérés; elle semble même avoir mis à s'y renfermer un soin particulier, comme pour démontrer par un exemple éclatant combien aux vrais artistes il faut peu de ressources pour produire de grands effets. Il n'y a pas le moindre fil d'or, d'azur ni de pourpre dans le tissu dont elle a fait sa 364 LES OISEAUX DANS LA NATURE robe; le blanc est la seule couleur vive qui y brille par places, encore y est-il répandu avec parcimonie. Elle a composé une toilette de prin- cesse avec une palette sur laquelle elle n'a voulu broyer que de l'encre de Chine^et^'de la sépia. Une mantille claire, d'un gris fauve, tombe sur les épaules. Les ailes, séparées par une tache de neige, sont marbrées de noir et de blanc. Les plumes de la queue, longues et lisses, sont noir brillant relevé d'une tache blanche à la naissance. Et ce simple cos- tume, au dessin large et pur, est porté par un grand corps, dont les formes, sveltes et riches, font ressortir une tête charmante, fière, haute, mobile, digne de porter couronne. Cette tête est d'un grand style : un œil, un bec, une huppe, rien de plus. Le bec est long, presque aussi long que la huppe est haute ; il est effilé, fragile, légèrement recourbé, et moins destiné à blesser un ennemi qu'à piquer une proie dans la boue ou dans la poussière : deux yeux brillants et bien ouverts l'accompa- gnent comme deux lampes pour l'éclairer. La huppe, faite de belles plumes, larges, hautes, d'un roux doré et coquettement terminées par une pointe noire et blanche est le plus souvent rejetée en arrière, mais toujours prête à se redresser et à se déployer en éventail. La moindre émotion de colère ou d'amour se marque par cette riche aigrette, qui tressaille, frissonne, s'agite et s'étale ou se replie tour à tour. Les plumes en sont vivantes ; elles ont un langage, comme le geste, comme le regard, et chacune de leurs crépitations trahit un mouvement de l'âme. Dame huppe est une princesse. En a-t-elle toutes les qualités? On dit que non, ou plutôt, si l'on en croit sa réputation, ce serait une de ces princesses de théâtre meilleure à voir de loin que de près. Elle passe pour un bel oiseau malpropre. La vérité est que les insectes dont elle vit et dont elle fait une grande consommation ne sont pas toujours LA HUPPE 365 d'espèce noble. Il en est qui vivent dans les immondices, et ce long bec a pour fonction principale de les y piquer délicatement. Il est encore vrai que la huppe est mauvaise ouvrière, et que, soit paresse, soit manque d'art, elle ne sait ni se construire, ni se creuser un nid. Il lui faut des nids tout faits. Elle choisit dans ce but les cavités des troncs. Si le fond, comme il arrive souvent, en est recouvert de terre et de feuilles sèches, elle y dépose ses œufs sans autre formalité. Si les aspé- rités du bois s'y présentent à nu, elle y transporte quelques débris plus tendres, les premiers qu'elle trouve, et s'y fait ainsi, sans art ni peine, un lit toujours grossier. Tout va bien aussi longtemps qu'il ne s'agit que de couver; mais lorsque les petits sont éclos, au nombre de quatre, de cinq ou de six, cette cachette profonde, dont ils ne peuvent gravir les parois, ne tarde pas à se transformer en un cloaque. Cela dure quelques jours, après quoi toute la nichée s'envole, et l'air et le soleil ont bientôt fait disparaître jusqu'aux moindres traces des souillures de ce berceau, dont un prodige d'industrie pourrait seul entretenir la pro- preté. Pauvre princesse, il lui manque des gens de service! La huppe n'a pas, non plus, l'instinct de la société. Avec qui vivrait-elle? Il y a trop de différence entre elle et les autres oiseaux pour qu'elle puisse se plaire en leur compagnie, et quant à ses sembla- bles, elle les fuit parce qu'ils lui ressemblent trop. Plutôt que de s'en- tourer de rivales, elle traîne solitairement sa grandeur. On ne voit jamais les huppes en troupes. Elles voyagent seules et quand elles nous arrivent, au printemps, elles se fixent par couples sur quelque lisière de bois, à portée des champs et des terres remuées. C'est alors qu'elles font admirer leur plumage. Le mâle a des roucoulements magnifiques. C'est tout une pantomime, faite de salutations et de révérences. Le 366 LES OISEAUX DANS LA NATURE frémissement des ailes et les tressaillements de cette tête huppée deviennent irrésistibles. La passion est ingénieuse à se créer des lan- gages, et celui-ci n'est pas le moins éloquent. Malheureusement, il est rare qu'on puisse l'observer à loisir, car la huppe est un oiseau timide et qu'un rien met en fuite. Elle n'a pour se défendre que sa seule beauté, et cette arme ne lui inspire pas une entière confiance. Quand elle aper- çoit un épervier dans les airs, elle se couche sur le ventre, s'enveloppe de ses ailes, rejette la tête en arrière, et n'en laisse voir que le bec, ouvert contre l'agresseur. Dans cette posture, elle est méconnaissable, et c'est ce qui la sauve le plus souvent de son farouche ennemi. Quand elle voit un homme, elle s'enfuit et se cache dans l'épaisseur des bois. Si toutefois on réussit à la prendre, et si on la soigne avec intelligence, elle se laisse gagner le cœur et s'apprivoise. Elle reste craintive néanmoins, et ne se rend qu'à la bonté. Chaque visage nouveau l'inquiète; mais elle a mille grâces charmantes pour témoigner sa reconnaissance à la main qui la nourrit. Ainsi réduite en esclavage, la huppe est encore une princesse; le maître paraît le serviteur, et elle paye en faveurs, en fami- liarités précieuses, les services qui lui sont rendus. LA SITTELLE LA SITTELLE 24 LA SITTELLE SI nous avions voulu produire un contraste, nous n'aurions pu mieux faire que de placer la sittelle après le torcol. La sittelle est aussi un oiseau bas sur jambes et qui paraît massif, dans sa petitesse, quand on ne le voit ni grimper ni voler. Elle le paraît d'autant plus qu'elle a la queue très courte, presque nulle. Mais son plumage, au lieu d'être ponctué, zébré, bigarré, est d'une simplicité exemplaire. Si l'on néglige une bride noire sur les yeux et une tache blanche à la gorge, on ne lui trouvera que deux couleurs : tout le dessus du corps est d'un bleu cendré; tout le dessous est d'un beau roux vif. Il n'en faut pas davantage pour former un ensemble harmonieux et une toilette dis- tinguée. Sans cette queue écourtée et cet air alourdi, la sittelle méri- terait une place d'honneur dans nos musées; dans la nature, on ne se doute pas qu'elle ait rien à racheter. Au printemps, on la trouve dans les bois, surtout dans ceux où de grands arbres, à l'écorce rugueuse, abritent un fourré de buissons, de ronces et de noisetiers. Elle s'apparie dans les premiers beaux jours, impatiente de s'entourer d'une famille. Son nid n'est jamais qu'un trou dans un arbre, qu'elle pratique du bec, si elle n'en trouve point à son gré. Elle en tapisse le fond de feuilles sèches, et en rend l'entrée aussi étroite que possible, au moyen d'un travail en maçonnerie, exécuté 372 LES OISEAUX DANS LA NATURE avec beaucoup d'art. Elle a la salive gluante, comme les hirondelles, ce qui lui permet de faire des murs de terre tout à fait solides. Ce nid ne tarde pas à se remplir de sept ou huit œufs, que la mère couve avec une assiduité sans exemple. Une fois sur ses œufs, elle n'en bouge plus. Si l'on introduit une baguette par l'ouverture du nid, elle pousse des cris aigus, mais elle ne se déplace pas; si l'on en détruit la maçonnerie et qu'on y plonge la main, elle se laisse arracher des plumes sans songer à s'enfuir. Le soin de sa nourriture est abandonné au mâle. Les petits éclosent le quatorzième jour; mais ce nid aux parois perpendiculaires leur est une prison, où ils demeurent enfermés trois longues semaines. Lorsqu'ils sont sortis, ils restent encore un grand mois sous la dépen- dance de leurs parents, qui les nourrissent de chenilles jusqu'à ce que leur bec ait acquis plus de force et de consistance. Il s'écoule ainsi près de trois mois entre le moment où le premier œuf est déposé et celui où le dernier des petits voit finir son éducation. On conçoit que la sittelle ait assez d'une couvée aussi laborieuse, et qu'elle n'en fasse pas deux par saison. Cette tâche accomplie, la famille se dissout, et chacun vit de son industrie. En automne, les sittelles se rapprochent des villages. J'ai parlé d'industrie. Le mot est juste. Le premier des arts indis- pensables à la sittelle est celui de grimper. Peu s'en faut qu'elle n'y égale le grimpereau lui-même, sur lequel elle a l'avantage d'un bec beaucoup plus fort, capable de fendre l'écorce. Elle vole très bien aussi; mais elle grimpe infiniment plus qu'elle ne vole. On peut la voir courir pendant de longues heures sur le même arbre. Elle fait une grande destruction d'insectes. En automne, elle y ajoute toutes sortes de petits fruits, surtout des noisettes, des faînes, des noix. Sa manière de casser les noisettes est charmante à observer : elle les introduit dans une fente LA SITTELLE 373 de l'écorce et les y tient serrées; quand elle les sent bien assujetties, elle travaille du bec, à grands coups, jusqu'à ce que la coque se fende. Elle pratique ordinairement cette opération, la tête en bas. On entend de fort loin ce martelage. Celui du pic, qui est un oiseau bien plus fort, est moins retentissant. La sittelle est prévoyante autant qu'industrieuse. Elle a ordinaire- ment cinq ou six magasins dans le voisinage du nid. En cage, quand elle a fini son repas, elle en rassemble et en serre les restes dans un coin. La sittelle ne perd pas le temps à chanter, quoiqu'elle ait un petit cri assez joyeux, qu'elle pousse assez fréquemment : sïï, siï, sit! Elle ne s'attarde pas à faire de la sentimentalité. Elle ignore absolument les démonstrations du torcol. Si elle fait quelque révérence ou quelque caresse à sa compagne, c'est à la course, tout en trottinant et furetant. Elle ne s'oublie pas non plus dans la société des autres oiseaux, même des mésanges, avec qui on la rencontre parfois. De là vient qu'on lui reproche d'avoir le génie positif, d'ignorer jusqu'à la poésie des bois où elle vit. Et il est vrai que c'est une petite personne qui a toujours l'air afFairé, avec sa tête intelligente et fluette, ses petits yeux brillants, son mouvement qui n'a pas de cesse et son plumage qui s'agite pendant qu'elle vient et qu'elle va. Elle prend le monde tel qu'il est et ne tourne pas la vie en songe; elle est active, empressée, sérieuse. Mais quand la nature lui fait entendre sa voix, quand le moment est venu de remplir les saintes fonctions de la maternité, elle écarte toute autre idée et se fait tuer plutôt que d'abandonner le poste du devoir. Il est certains héroïsmes, celui de la règle rigoureusement observée, celui de l'abso- lue fidélité à la consigne, qui sont le fait des caractères positifs : si ce n'est pas de la poésie, il faut que ce soit quelque chose de mieux. LE TORCOL / ,^ - / t/F^ LE TORCOL LE TORCOL TORCOL, c'est-à-dire l'oiseau qui tord le col. C'est le nom qu'il a reçu en latin, torquilla ; en allemand, Wendehals, et dans plu- sieurs autres langues. Pour quiconque le connaît, il ne saurait en avoir d'autre. Le torcol n'est pas très rare, mais il vit très caché et passe inaperçu de ceux qui ne le cherchent pas. Son existence est tellement uniforme, tellement simple, qu'il suffit, pour s'en faire une idée, de réduire au minimum tout ce qu'il peut y avoir d'intéressant dans une vie d oiseau. Les mâles arrivent vers la fin d'avril, voyageant seuls et de nuit; les femelles sont de peu de jours en retard. Les couples, aussitôt formés, s'établissent sur quelque lisière de petit bois, au feuillage clair, ou sur quelque arbre isolé, en rase campagne. On en voit jusque dans nos vergers. Une cavité quelconque leur suffit, en guise de nid. Ils y trans- portent parfois un peu de paille ou de mousse, ou bien, si le bois est pourri, ils y font tomber de la sciure, à coups de bec. Le plus souvent, ils s'épargnent cette peine. Ils n'ont pas de chant, mais un simple cri d'appel, plus ou moins pressant et plaintif : weid! weid! weidî Le mâle le fait entendre à chaque instant dans la courte période où il se cherche une compagne. La femelle pond une douzaine d'oeufs, parfois 380 LES OISEAUX DANS LA NATURE davantage, petits, fragiles, transparents. Elle couve avec application pendant que son époux fait la chasse aux insectes, ou mène sur les branches voisines une vie assez désœuvrée. Les petits éclos, on les nourrit. A peine peuvent-ils se suffire à eux-mêmes qu'ils se séparent. Autant en font le père et la mère. Puis, dès le mois d'août, les torcols se dirigent vers le Sud, en voyageant comme au printemps, toujours solitaires et nuitamment. Voilà une pauvre existence d'oiseau. Point de chants, point de jeux dans l'espace, point d'affections durables; ce qu'il faut de société pour assurer la reproduction de l'espèce, rien de plus. Le torcol n'en est pas moins un des êtres les plus curieux parmi ceux qui ont reçu le don du vol. Il est de la grosseur d'une alouette, bas sur jambes et plutôt lourd que svelte. Jusqu'ici rien d'extraordinaire. Mais c'est sa toilette qui est extraordinaire. Quand la nature s'est amusée à mettre la couleur à ce plumage délicat, elle s'est trompée de pinceau; elle a pris le tout petit pinceau avec lequel, sans doute, elle venait de peindre l'aile dia- phane de quelque nocturne phalène. Elle a fait de la miniature. C'est strié, zébré, sablé, ponctué, guilloché. Les nuances extrêmes sont le blanc teinté de gris, ou gris cendré, et un brun marron foncé; l'œil passe de l'une à l'autre par une gamme merveilleuse de tons délicats. Expliquer par des mots comment ces nuances se distribuent entre les diverses parties du corps serait tenter l'impossible. La peinture seule peut en donner quelque idée, une peinture exacte, minutieuse, faite pour être considérée à la loupe, car ce qu'il y a de plus singulier dans ce vêtement de fantaisie, c'est la profusion et la ténuité des détails : cette gorge rayée de mille traits noirs, ces épaules semées de petites croix et ce front couvert de circonflexes, sous lequel brille un œil jaune, perçant. LE TORCOL 381 Ce n'est pas à son plumage cependant, c'est à ses grimaces, à ses postures comiques, que le torcol doit sa popularité. Les mouvements auxquels il se livre pour saisir un insecte, ses allongements de cou, et le jet imprévu de sa langue effilée qui part comme un trait et va piquer la proie convoitée, sont déjà très curieux à observer, surtout dans les fourmilières, quand il en harponne les habitants. Le pic a aussi ce goût pour les fourmis, et n'est pas moins habile à les harponner. Mais où le torcol ne ressemble à rien ni à personne, c'est lorsque, féru d'amour, il se blottit sur une branche pour appeler et charmer sa compagne. Il s'y tend, il s'y colle en quelque sorte, et entreprend sa grande panto- mime. Il commence par s'allonger presque indéfiniment. Le cou devient à lui seul aussi long que tout le reste du corps. En même temps, la tête s'aplatit. C'était tout à l'heure un oiseau, ayant quelque rapport avec le moineau; on jurerait, maintenant, un lézard. Tout à coup les plumes du crâne se dressent en huppe, la queue s'étale en éventail, la gorge s'étire encore et se tord, les yeux se tournent et la tête se renverse len- tement en arrière, jusqu'à ce que le bec vienne s'appliquer sur le dos. Alors se produit une contorsion en sens inverse : bec, tête et cou revien- nent en place avec la même lenteur, à moins que tout ne rentre dans l'ordre d'un seul mouvement, par une sorte de frisson, rapide comme la pensée. L'instant d'après le spectacle recommence, et ainsi de suite, quinze, vingt fois. Sont-ce réellement des convulsions, ou bien est-ce une manière de gesticulation passionnée? Le torcol est-il un malade atteint d'un tic héréditaire? Ou bien n'est-il qu'un comédien, un clown de cirque qui cherche à recueillir des applaudissements? On incline plutôt vers cette dernière supposition, quand on l'observe dans ses colères. Deux torcols rivaux, deux mâles, ne se battent jamais; mais 382 LES OISEAUX DANS LA NATURE ils se font, sous les yeux de la belle qu'ils se disputent, des grimaces épouvantables. On incline plutôt vers la première, quand on voit les petits à peine éclos, tordre le cou dans le nid, à qui mieux mieux. Les sorciers d'autrefois avaient le torcol en grande estime; ils le faisaient entrer dans la composition de leurs philtres. Les sorciers d'au- jourd'hui sont les naturalistes. La magie est devenue science, et la science ne fait plus de philtres; mais le torcol est demeuré pour elle un des plus singuliers mystères de la mystérieuse nature. LE COUCOU LE COUCOU 25 LE COUCOU ON entend une voix dans les bois : h'ou-h'ou! h'ou-h'ou! Aucune articulation de consonne n'annonce le mouvement d'une langue ou d'un bec. Tout se réduit à cette sourde diph- tongue, avec une aspiration. Ce n'est pas un chant, ce ne sont pas des paroles, ce n'est qu'une voix. Les naturalistes, les ornithologues et le peuple lui-même affirment néanmoins que cette voix est celle d'un oiseau. On l'appelle le coucou, et l'on raconte à son sujet des choses bien extraordmaires. On dit qu'il arrive du Midi au printemps, comme les hirondelles, les grives et les rossignols. Les mâles, assure-t-on, viennent les premiers, en grand nombre; huit jours après, voici les femelles, en plus petit nombre. Ils se distribuent dans les bois feuillus, sur les collines et les bas versants des montagnes, chacun ayant son quartier de forêt. Le coucou passe pour n'avoir point de nid. La femelle est accusée de conclure, par pitié sans doute, plusieurs mariages successifs dans une même saison. Elle consacre à rôder sournoisement, pour découvrir les nids du voisinage, le temps que les autres oiseaux emploient à construire le leur. Elle se dérobe autant qu'elle peut dans ces reconnaissances furtives, mais sans réussir à se cacher tout à fait, car c'est un gros oiseau, dit-on, presque 388 LES OISEAUX DANS LA NATURE aussi gros qu'un pigeon. Il doit être encore plus étrange que gros : de corps, fort peu; mais une grande queue étagée, un long cou, qui ne cesse de s'étirer en avant, et un regard de feu qui fascine. Elle a les mouvements convulsifs, le mâle aussi. Tantôt le coucou part comme un trait, sans cause ; tantôt il tombe dans une longue et muette contem- plation. L'inquiétude règne sur son passage; les oiseaux crient et s'agi- tent; ils pressentent quelque malheur. Ce pressentiment n'est que trop justifié. La rôdeuse s'arrête, un beau jour, à portée des nids dont elle a reconnu les abords; elle pond un œuf à terre, un œuf marbré de toutes les couleurs; puis elle le considère, pour savoir comme il est fait, car ils varient beaucoup; après quoi, elle le prend dans le bec et va le déposer dans un nid, en ayant soin de choisir celui dont les œufs ont le plus de ressemblance avec le sien, et d'en jeter un dehors, pour que le compte y soit. Quelquefois aussi, le choix manquant, elle va pondre dans le nid même, s'il est assez large. Le mâle assiste de loin à cette opération, et, quand elle a réussi, on l'entend chanter sur sa branche : h'ou-h'ou! La femelle pond ainsi cinq ou six œufs, à quelques jours d'intervalle. Cela dure un grand mois, autant d'œufs, autant de pères, peut-être; en tout cas, autant de nids volés. Ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que les oiseaux à la charge desquels elle place chacun des membres de sa famille acceptent ces substitutions. Ils ont peur du coucou, dont ils ont une idée de ce qu'il est capable de faire; ils doivent l'avoir surpris en flagrant délit; la ressemblance des œufs n'est d'ail- leurs jamais parfaite : celui du coucou n'en est pas moins couvé avec le même soin que les autres. Mais ce n'est encore que le commencement du mystère. Cet œuf est très petit, presque aussi petit que ceux du rouge-gorge ou de la lavandière jaune, qu'il remplace trop souvent. Le LE COUCOU 389 monstre qui en sort grossit avec une étrange rapidité, et son appétit est en proportion. Un amateur qui se vante d'en avoir élevé un, affirme qu'il dévorait chaque jour plus de cent vers de farine, vingt gros hanne- tons et une copieuse ration de pain imbibé de lait. On conçoit que le coucou grossisse, à un régime pareil. Bientôt il voit dans ses frères et dans ses sœurs d'adoption autant d'ennemis que lui a donnés la nature, et se sentant le plus fort, il commence à s'agiter dans le nid, à pousser du dos, à pousser du bec, à se remuer et à se tortiller jusqu'à ce qu'il les ait tous fait passer par-dessus le bord. Et le père et la mère voient le massacre de leurs enfants et continuent à nourrir l'étranger! D'où vient cette fascination? On n'a pas su me le dire : ils continuent! C'est ainsi que l'éducation d'un seul coucou fait quatre ou cinq victimes. Combien faut-il qu'il détruise d'insectes pour expier ce crime aux yeux des législateurs utilitaires qui lui ont assuré la protection de la loi? Quand ce vorace glouton quitte le nid pour chasser lui-même, il est déjà plus gros que ceux qui l'ont élevé. Bons lecteurs, voilà une histoire bien étonnante et que vous relé- guerez, peut-être, parmi les contes que l'on fait aux enfants. Je puis vous assurer néanmoins qu'elle a pour garants des hommes dont le témoi- gnage est irrécusable quand il s'agit des mœurs des oiseaux. Friderich, le plus exact, le plus savant des ornithologues modernes, longtemps incré- dule à ces prétendues légendes, a fini par être convaincu lui-même. Il a vu, vu de ses yeux, les agissements de la mère coucou et de son mons- trueux rejeton. Je vous en parle d'après lui, et d'après d'autres témoins également dignes de foi, car, pour moi, humble amateur, je n'ai rien observé de pareil, et je ne suis pas même bien sûr que l'existence du coucou ne soit point un mythe. On m'en a montré dans les musées; 390 LES OISEAUX DANS LA NATURE mais on peut mettre tout ce qu'on veut dans un musée. Quelquefois on m'a dit, dans la forêt : « Voilà le coucou! » et j'ai vu, en effet, voler un gros oiseau d'un arbre à l'autre, mais toujours de si loin que je n'ai pu me faire aucune idée précise de sa figure. La seule chose dont je sois assuré et dont, je pense, personne ne doute, c'est que chaque prin- temps retentit cet appel mystérieux, qui semble venir du creux des vieux chênes : on dirait le premier tressaillement de quelque génie longtemps engourdi qui s'éveille enfin du pesant sommeil de l'hiver. H'ou-h'ou! on entend une voix dans les bois. LE PIC BIGARRE ^. *;^\., "^'! ; /#** LE PIC BIGARRÉ LE PIC BIGARRÉ C'EST l'aile qui fait l'oiseau. Et cependant il est des oiseaux à qui l'aile semble n'avoir été donnée qu'à titre d'instrument supplémentaire. De ce nombre sont les pics. On en compte plusieurs espèces, dont six sont assez communes sous nos latitudes. Ce sont le pic noir, le plus beau et le plus grand de tous, sombre habitant des gorges et des sapinières de la montagne, le pic cendré et le pic vert, ou pivert, comme on l'appelle souvent, par une corruption familière; enfin les trois épeiches, ou pics bigarrés, la grande, la moyenne et la petite. On donne souvent à la première le nom assez malheureux de pic épeiche. Epeiche n'est que le mot alle- mand Specht, pic, estropié par une oreille welsche, de sorte qu'en disant pic épeiche, on dit en réalité, pic-pic. La langue est pleine de ces pléonasmes inconscients. Le nom de pivert bigarré, aussi fort en usage, est un contresens. L'espace nous manque pour entrer dans des détails sur chacune de ces espèces. Bornons-nous à caractériser la famille. Quand la nature veut qu'un oiseau réalise énergiquement l'idéal de son type, du type oiseau, elle concentre ses soins sur l'appareil res- piratoire et sur les muscles qui font mouvoir les ailes. Elle a eu quelque 396 LES OISEAUX DANS LA NATURE autre intention en créant la famille des pics. Ils ont des ailes, — tous les oiseaux en ont, — mais des ailes petites relativement à la grosseur du corps, incapables de soutenir un vol rapide et prolongé. La force du pic est aux pattes, à la queue et au bec. Le pic est bas sur jambes; il n'a pas le pied long, mais robuste et puissamment armé. Il n'a que deux doigts tournés en avant, au lieu de trois; le doigt extérieur est déjeté en arrière, comme l'ergot. Tous sont munis d'ongles gros, arqués, tranchants. Les deux antérieurs sont courts et ramassés; celui qui fait la paire avec l'ergot est le plus long et le plus fort. La queue présente des particularités très remar- quables, dont il y a quelques traces déjà chez le grimpereau. Elle se compose de dix plumes, recourbées en dessous, munies de barbes dures, qui ont presque la consistance d'arêtes de poisson; la tige centrale est plus forte encore; terminée en pointe vive, elle ressemble à un piquant de hérisson. De tels instruments ont une destination spéciale; ils ne sont pas faits pour le vol, mais bien pour permettre à l'oiseau de se fixer contre les troncs verticaux. Je dis se fixer, ce qui est plus difficile que de grim- per. Avec un élan et des griffes, on court tant bien que mal d'étage en étage; mais c'est un autre problème que de rester sur place contre une paroi perpendiculaire, et de s'y tenir assez solidement pour travailler dans cette attitude. C'est à quoi servent ces ongles tranchants, parti- culièrement celui qui est déjeté en arrière, sur lequel s'appuie l'oiseau. Les piquants de la queue entrent dans l'épiderme de l'écorce, comme autant de pointes d'aiguilles, et supportent aussi une partie de l'effort; les ongles antérieurs agissant de haut en bas, permettent au pic de se renverser en arrière, si sa besogne l'exige. LE PIC BIGARRÉ 397 Elle l'exige, en efïet, à chaque instant, car elle consiste à perforer l'écorce, et même le bois des arbres. Pour lui en fournir les moyens, la nature a muni le pic d'un outil double, à la fois marteau et ciseau. Le marteau, c'est la tête, emmanchée d'un cou qui n'est pas très long, mais souple, nerveux et fort; le ciseau, c'est le bec. Ce bec est bien un ciseau, non une pointe, ni une pioche, comme pourrait le faire croire le nom qu'on a donné à l'ouvrier qui s'en sert. Il est d'une substance très dure aussi, épais et presque rond à la base, puis carré et cannelé, avec des arêtes tranchantes, enfin aplati et terminé brusquement en coin de bûcheron bien aiguisé. Travailleur infatigable, le pic ne cesse de faire jouer son outil, frappant et refrappant du bec, taillant l'écorce, taillant le bois, enle- vant bûchette après bûchette. Mais il possède un autre engin, peut- être plus extraordinaire encore, sa langue. Elle est longue, affilée, pointue, cornée, munie de crochets à son extrémité, faite pour trans- percer les vers sous l'écorce et pour les arracher à leurs cachettes. Il y a une force étonnante et une merveilleuse prestesse de mouvement dans les muscles qui la font jouer, comme dans ceux qui font jouer le bec : au moment voulu, elle part comme un trait lancé par un ressort. Nous ne saurions rien des mœurs de cet oiseau, nous ne 1 aurions jamais vu dans la forêt, nous n'en posséderions que le squelette, qu'il n'en faudrait pas davantage pour reconnaître en lui une des créations les plus ingénieuses de la nature. Tout le monde l'admire-t-il comme il le mérite? Il ne le semble pas. Les hommes ont des idées étroites. Emprisonnés dans les limites d'une courte existence, ils ont coutumes dans leurs études, de se hâter vers un résultat. Ils aiment les résumés, ils abrègent, ils classent. La nature, qui a du temps, multiplie les inven- 398 LES OISEAUX DANS LA NATURE tions et semble prendre à tâche de mettre les classifications en défaut. Elle ne s'empare d'un titre que pour le varier indéfiniment, et à force de le varier, elle le retourne. Elle fait voler des poissons et des quadru- pèdes, et parmi les oiseaux, elle crée le pic, l'ouvrier immobile, le pio- cheur, le marteleur, le ciseleur, le bûcheron fixé au tronc où l'attache l'espérance d'une proie. Les types purs sont peut-être les plus beaux; mais la nature n'est nulle part plus intéressante, plus curieuse, plus étonnante que dans les types retournés. LE PIC VERT LE PIC VERT 26 LE PIC VERT OUI, certainement, l'homme est enclin aux idées étroites! Quand il rencontre un écureuil, c'est-à-dire un animal à quatre pattes, fait pour marcher et courir sur le sol, et qu'il le voit se livrer à de brillants exercices de voltige aérienne, il est charmé et désarmé. L'écureuil peut tout se permettre : de lui tout plaît, tout enchante, tout est pardonné. Les forêts attestent ses déprédations; n'im- porte, c'est l'écureuil. Sa grâce est la plus forte. Mais voici un oiseau qui mène une existence obscure, qui se cache au fond des bois, qui se sert peu de son aile, qui pique du bec l'écorce des arbres, qui travaille pour vivre, au lieu de chasser, en vrai gentilhomme, dans les parcs du vaste azur : de lui tout déplaît, tout est crime ou délit; on paye une prime à quiconque le tue, et les poètes et les naturalistes regardent en pitié cet être ailé qui ne mène pas une vie d'oiseau. L'idée d'encourager la chasse au pic est une pure absurdité. C'est un oiseau qu'il faudrait introduire, au contraire, partout où il manque, et protéger partout où il existe. Les forestiers n'ont pas de plus utile auxiliaire. Il vit des parasites de l'écorce et du bois, dont il fait une énorme consommation. Chaque larve qu'il détruit est un ennemi dont la forêt n'aura plus à craindre la postérité. On comprendrait, à la rigueur. 404 LES OISEAUX DANS LA NATURE le préjugé qui le condamne, s'il s'attaquait au bois vert; mais il ne s'at- taque jamais qu'au bois vermoulu, de sorte qu'il fait beaucoup de bien sans aucun mal appréciable. Ce qui est encore plus étonnant, c'est de voir des hommes d'un grand esprit parler du pic comme d'un être mal fait, fruit d'une erreur de la nature. Buffon lui refuse toutes les grâces dont la source peut se trouver dans la sensibilité du cœur; il ne lui accorde que «l'instinct étroit et grossier d'un oiseau borné à une vie triste et chétive. » Ah ! monsieur de Buffon, vous êtes un maître incomparable; mais n'est-ce pas à vous, bien plutôt, que manquent trop souvent les grâces de la sen- sibilité ? Il est très vrai que le pic est un oiseau inquiet. Il craint 1 homme et il a raison. Il épie et regarde sans cesse autour de lui. Le surprend-on dans son travail, aussitôt il passe, sans avoir l'air de rien, de l'autre côté de l'arbre, et profite pour fuir du moment où il est masqué. Va-t-il se désaltérer à la source voisine, il use de mille précautions, descendant d'arbre en arbre, de branche en branche, et ne se risquant au bord de l'eau qu'après s'être assuré qu'il n'y a d'embûches nulle part. Tant de prudence et des calculs si ingénieux prouvent au moins que ce n'est pas l'intelligence qui fait défaut à ce prolétaire des bois. La figure ne lui manque pas davantage. Plus d'un pourrait envier au pic vert l'éclat de son manteau, ainsi que la toge d'un vif incarnat qui lui sert de coiffure et se redresse en huppe parfois. Le pic noir, avec sa toque plus riche encore et son œil presque blanc, est un oiseau superbe autant que farouche. Quant aux pics bigarrés, aux épeiches, c'est l'extré- mité postérieure du corps qu'ils ont trempée dans l'encre rouge; mais leur toilette, pour être un peu bizarre, n'en est guère moins brillante. LE PIC VERT 405 Le pic mène une existence cachée, la même à peu près pour toutes les espèces. Il vole assez vite; mais il ne se sert de son aile que pour passer, par bonds, d'un arbre à l'autre. S'il descend à terre, c'est pour aller boire ou pour faire la chasse aux fourmis, dont il est très friand. Il connaît les sentiers où elles cheminent à la file, et il y allonge sa langue gluante. Quand elle est garnie, il la retire. D'autres fois, il va droit à la fourmilière; il y donne quelques coups de bec ou de patte, puis il pique les larves ou promène sa langue au milieu de la multitude effarée. Les fourmis, cependant, ne lui fournissent qu'un supplément à ses repas, un dessert. C'est sur les vers du bois qu'il fonde l'espoir de sa cuisine. Il passe la plus grande partie de son temps à leur faire une chasse laborieuse, où l'art et la patience sont tout, l'agilité rien. Il grimpe en spirale autour des troncs, interroge l'écorce du bec et travaille partout où elle sonne creux. Au printemps s'ajoute à ses occupations ordinaires celle du trou à façonner pour le nid, un grand trou qui mesure jusqu'à trois et quatre décimètres de profondeur. Le mâle y partage avec la femelle les labeurs de la couvée; quand il ne la remplace pas, il la nourrit, et l'un et l'autre donnent à leurs petits les témoignages de la plus vive tendresse. La mère se laisse prendre avec eux plutôt que de les aban- donner. Il a donc des entrailles et du dévouement, cet oiseau qu'on dit privé des grâces de la sensibilité. Il n'est point d'ailleurs aussi triste qu'on veut bien le prétendre; il est plus craintif que morose; il a ses cris d'appel et de joie, gais et retentissants et, s'il n'est pas chanteur, il est cependant musicien. A force de frapper les troncs creux, il leur imprime une vibration sonore; il s'y plaît, il s'y anime; elle devient de plus en plus intense, et l'on dirait un orgue dans la forêt. Malheureusement, son industrie elle-même l'expose à des dangers. 406 LES OISEAUX DANS LA NATURE Les copeaux répandus à terre trahissent son nid et font capturer la nichée. Pauvre pic, c'est en cela que la nature lui a été ingrate. Pour le reste, elle lui a fait un lot dont il serait, sans doute, le dernier à se plaindre. S'il ignore les voluptés réservées aux maîtres du vol et du chant, il a, en revanche, la joie saine de l'ouvrier qui gagne son pain à la sueur de son front, qui s'égaye au retentissement du marteau, et qui accompagne d'une cantilène sonore le travail de son outil. LA CRÉCERELLE LA CRÉCERELLE TOUS les oiseaux qui vivent d'insectes pourraient être envisagés comme des oiseaux de proie. Qu'on mange sauterelles ou cou- leuvres, la différence, en soi, n'est pas considérable. La plupart de ces êtres charmants qui égayent la campagne de leur vol et de leurs chansons sont aussi rapaces que les plus grands rapaces. L'hypolaïs fascinant une mouche, le moineau faisant sauter les élytres d'un hanne- ton, l'engoulevent engloutissant les phalènes au passage, la mésange nonnette disséquant du bec le petit scarabée qu'elle tient entre ses deux pattes; que veut-on de plus carnassier? Cependant l'homme, habitué à juger sur les apparences, est plus sensible aux larcins qui le touchent qu'à ceux dont les autres ont à souffrir; l'homme a réservé le nom d'oiseaux de proie pour les grands oiseaux qui menacent ses troupeaux et ses basses-cours. Destinés à attaquer et à déchirer des animaux qui ont des os et des muscles, la nature les a munis des armes nécessaires : un bec crochu, capable de lacérer toute chair, et des serres assez fortes pour s'enfoncer dans le corps de leurs victimes. Il n'en faut pas davantage, pour leur donner à tous un air de famille, auquel contribuent encore les tons fauves du plumage, l'aplatissement du crâne, une vue perçante et la puissance du vol. La terreur les entoure. Les 412 LES OISEAUX DANS LA NATURE enfants du peuple ont un nom caractéristique pour désigner tous ces grands rapaces ailés ; c'est la bête, disent-ils. Cette terreur est empreinte dans les descriptions des anciens naturalistes, y compris BufFon. Ils distinguent mal entre les habitudes des diverses espèces, et toutes sont accusées de tous les méfaits de la famille. Des observations plus exactes, de nombreuses dissections anatomiques, ont montré que si certains oiseaux de proie nous causent de réels dommages, d'autres nous rendent de très réels services. 11 faut distinguer entre ceux qui jettent leur dévolu sur les poules, les pigeons, les lapins, les levrauts, les marmottes, au besoin les agneaux, et ceux qui vivent plus modes- tement de souris, de taupes, de mulots, d'orvets, de serpents, voire de hannetons et de sauterelles. La limite n'est pas rigoureuse. Tel man- geur de souris peut nous dérober un poulet; tel amateur de volaille peut nous délivrer d'une souris; mais il est des espèces dont le compte est facile à régler. Personne ne songera à une protection légale en faveur de l'aigle ou du vautour, tandis que la crécerelle et la buse, surtout la buse, sont décidément, malgré quelques méfaits, des oiseaux dont on aurait le plus grand tort d'encourager la destruction. La notice suivante dira les mœurs de ces deux espèces; quelques traits généraux suffiront ici. Si l'habitude ne nous faisait pas envisager les choses les plus étonnantes comme si elles étaient toutes simples, nous ne pourrions nous lasser d'admirer cette chasse du haut de l'espace qui est propre aux grands oiseaux carnassiers. Nous autres, hommes lents et lourds, quand nous voulons chasser, nous allons nous mettre à l'affût, c'est-à- dire en embuscade, et nous attendons la proie convoitée, à moins que nous ne cherchions à nous en approcher à pas de loup. Voilà qui est LA CRÉCERELLE 413 mesquin et vulgaire. Vulgaire aussi la chasse de tous ces rôdeurs qui s'en vont où les mène le hasard^ flairant des traces; vulgaire celle du lion qui surprend la gazelle à l'abreuvoir; vulgaire la maraude du moi- neau dans les rues et les carrefours; vulgaire, malgré la magnificence du vol, la chasse de l'hirondelle, qui vient et qui va, et ne fait que fouiller les airs comme d'autres fouillent les campagnes et les bois.... Ce qui est grand, ce qui est rare, ce qui devrait confondre la pauvre imagina- tion humaine, c'est de chasser comme l'aigle ou le faucon, c'est de se perdre dans la voûte azurée, de se cacher dans les profondeurs de l'es- pace, d'y décrire des orbes immenses, de considérer du ciel tout ce qui se passe sur la terre, de choisir sa proie et de fondre sur elle avec l'im- prévu de la foudre éclatant dans un jour serein. En vain la victime élue veut-elle se dérober, en vain a-t-elle des jambes ou des ailes pour fuir; elle est saisie avant d'avoir vu le danger; c'est irrésistible, c'est fatal. Son sort a été décidé là-haut. Tous les oiseaux de proie ne répondent pas absolument à cette description idéale. Il en est de moins rapides que d'autres, et l'on en a vu qui remontent bredouilles vers le ciel d'où ils venaient de tomber; on en cite même qui sont paresseux et couards. Mais qu'importent ces dégénérescences? Il suffit d'une ou deux espèces qui aient cette vue et ce vol pour que le type en soit fixé à jamais. On fait le compte des richesses dont elles nous dépouillent, des agneaux, des pigeons enlevés. Soit. Mais qu'on veuille bien considérer aussi que si l'oiseau de proie n'existait pas, la nature manquerait d'une de ses merveilles, la poésie d'un de ses plus magnifiques symboles. Il ne faut pas juger toute chose du seul et unique point de vue de l'utilité matérielle. Dans ce monde où régnent tour à tour la force et la ruse, où chaque espèce 414 LES OISEAUX DANS LA NATURE a reçu un ministère de mort à exercer contre quelque autre espèce, il y aurait dépouillement et abaissement pour l'imagination, si celles qui l'exercent dans les conditions les plus sublimes venaient à disparaître au seul profit d'autres destructeurs de race moins noble et de moins fière attitude. La poésie perdrait moins à la disparition du lion ou du tigre qu'à celle de l'oiseau de proie. Les fauves du désert ne sont que des tyrans plus ou moins cruels, plus ou moins généreux; l'oiseau de proie, roi de l'espace, est l'image du tyran des tyrans, de celui qui menace toute vie. La mort, toujours planant sur nos têtes, voilà le véri- table oiseau de proie; voilà la bête. A celle-là nul encore n'a échappé. TABLE DES MATIÈRES TABLE DES MONOGRAPHIES LE MOINEAU FRANC 19 LE MOINEAU FRIQUET 27 LE PINSON ORDINAIRE 33 LE CHARDONNERET ÉLÉGANT • • • . 43 LE BRUANT ZIZI 51 LA MÉSANGE GRANDE CHARBONNIERE 59 LA MÉSANGE NOIRE 67 LA MÉSANGE NONNETTE 75 LA MÉSANGE BLEUE 83 LA MÉSANGE HUPPÉE 91 LA MÉSANGE A LONGUE QUEUE • • ■ • 99 l'alouette 107 LE PITPIT FARLOUSE 115 LE PITPIT SPIONCELLE 123 LA LAVANDIÈRE GRISE 131 LA LAVANDIÈRE JAUNE 139 LA BERGERONNETTE 147 LE TRAQUET MOTTEUX 155 LE TRAQUET TARIER 163 LA GORGE-BLEUE 171 LE ROUGE-GORGE 179 LE ROUGE-QUEUE 187 LE ROSSIGNOL DE MURAILLE . . . . 195 LA FAUVETTE DES JARDINS 203 LA FAUVETTE A TÊTE NOIRE . . . . 211 LA FAUVETTE GRISETTE 219 l'hypolais ICTÉRINE 227 LE POUILLOT FITIS 235 LE ROSSIGNOL 243 LE PHRAGMITE 251 LE TROGLODYTE 259 LE ROITELET HUPPÉ 267 l'aCCENTEUR DES ALPES 275 LA GRIVE MUSICIENNE 283 LE MERLE NOIR 291 l'étourneau 299 LE GOBE-MOUCHES GRIS 307 LE GOBE-MOUCHES A COLLIER • • . • 315 l'hirondelle DE CHEMINÉE • . . . 323 l'hirondelle de fenêtre 331 LE MARTINET 339 l'engoulevent 347 LE GRIMPEREAU 355 LA HUPPE . . . . 363 LA SITTELLE 371 LE TORCOL 379 LE COUCOU 387 LE PIC BIGARRÉ 395 LE PIC VERT 403 LA CRÉCERELLE 41 1 g ^ V w V AMNH LIBRARY 100099049