—_—_ — ent ———— BIBLIOTHÈQUE DES MERVEILLES DE M. ÉDOUARD CHARTON LES PARCS ET LES JARDINS OUVRAGES DU MÊME AUTEUR : LA FLUTE DE PAN, 2e édition, 1 vol. in-18. LA LYRE INTIME, 1 vol. in-18. VIRGILE ET KaALIDASA, 1 vol. in-18. La VazLée pu Niz, par André LerèvRE et Henri Cammas, 1 vol. in-18. Les MERVEILLES DE L’ARCHITECTURE, 2e édition, 1 vol. in-18. Paris, — Imprimerie générale de Ch. Lahure, rue de Fleurus, 9. EE BIBLIOTHÈQUE DES MERVEILLES LES PARCS ET LES JARDINS PAR ANDRÉ LEFÈVRE OUVRAGE ILLUSTRÉ DE 29 VIGNETTES PAR ALEXANDRE DE BAR PARIS LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET (* BOULEVARD SAINT-GERMAIN, N° 77 1867 Tous droits réservés L'ORIENT Le Verger d’Alcinoüùs. I Vergers d’Alcinoüs et de Laërte. — Bois sacré de Diane.— Jar- dins d’Épicure. — Daphnis et Chloé. — Antioche. — Leucippe et Clitophon. Après avoir soumis le règne animal, l’homme eut _ à dompter la terre, à apprivoiser la végétation. - « Nécessité l’ingénieuse » donna naissance à l’hum- ble verger que le loisir et la richesse transformè- - rent plus tard et par degrés en jardins et en parcs * magnifiques. « Hors de la cour, près des portes, est un vaste verger de quatre mesures; de toutes parts une haie l'entoure, et des arbres d’une riche séve y L PARCS ET JARDINS. croissent chargés des plus beaux fruits : de poires} de grenades, de magnifiques pommes, de douces figues et d'olives verdoyantes. Jamais ils ne chô- ment; ni l’hiver, ni les longues chaleurs d'été ne leur nuisent. Toujours le souffle de Zéphyre fait mürir les uns tandis que les autres se forment. A la poire flétrie succède la poire nouvelle, la pomme remplace la pomme, la figue une autre figue et la grappe une autre grappe. Sur les rameaux de la vigne féconde qu’on a plantée, les raisins son à la fois desséchés au soleil dans un lieu aplani, dé- gagé de feuillages, ou cueillis, ou pressurés; à côté du raisin à peine hors de fleur, se colore le raisin déjà mür. Enfin, à l’extrémité de l’enclos, un potager abonde toute l’année en légumes divers. Deux fontaines répandent leurs ondes : l’une au travers du jardin entier ; l’autre sous le seuil de la cour, devant le superbe palais, et les citoyens viennent y puiser. » Tel était le jardin merveilleux d’Alcinoüs. Je le vois d'ici, sous mes fenêtres, sauf que notre climat moins doux admet à peine les figuiers et se refuse aux grenades et aux olives. Au pied de la maison royale, ornée de colonnes doriques en bois, une claire fontaine alimente un bassin, et d’un de ses bras laissé libre, traverse, enveloppe et fertilise le grand clos en pente, carrément dessiné par sa haie vive et les allées qui marquent ses divisions inté- JARDIN DE LAËRTE. p) x eures. En haut, sous le palais, est le bocage d’ar- * AE bres fruitiers protégeant le vignoble que le pen- - chant du coteau présente tout entier au soleil. Le | . potager est dans le vallon, sur les deux bords peut- être du lit où la funtaine assemble et ralentit ses - eaux. Il n'y a même pa: de fleurs, ou le poëte les - oublie. Comme Alcinoüs, il met tout le charme des Ë jardins dans l'utilité. C’est ce que nous verrons mieux encore si nous entrons avec Ulysse dans la . villa de Laërte : « Cependant, Ulysse et ses compagnons s’éloignent È de la ville et parviennent bientôt au superbe verger - de Laërte, que jadis ce héros acquit lui-même de ses richesses, après avoir déjà souffert bien des maux. Là s'élève sa demeure, entourée de toutes parts d’un portique, où les captifs qui cultivent son domaine prennent la nourriture et le repos. Ulysse... s'enfonce dans le fertile verger. Le héros descend le grand vignoble, et ne trouve ni Dolios, ni ses fils, ni les autres captifs. Dolios les a tous conduits au loin, et ils assemblent des épines pour servir de haies à l’enclos. Ulysse trouve donc son - père seul, bêchant dans le verger le pied d’un - arbre. Laërte est revêtu d’une tunique sordide, . rapiécée; autour de ses jambes il a lié, pour se | . préserver des écorchures, des cnémides en cuir _ reCOUSUES ; des gants défendent ses mains, et sa tête est couverte d’un casque de peau de chèvre, 6 : _. PARCS ET JARDINS. qui met le comble à son lugubre aspect. Il se di-. rige vers lui au moment où, la tête baissée, il creuse une fosse au pied d’un arbre, et lui dit : « O vieil- lard, tu n’es point inhabile à cultiver ces enclos. Quels soins attentifs! comme ces oliviers, ces fi-: guiers, ces poiriers, ces vignes, sont merveilleu- sement entretenus! Le moindre carré de terre témoigne de ta vigilance. » à Ainsi, lorsque la paix ou la vieillesse leur faisait des loisirs, les anciens rois prenaient la bêche et guidaientleurs serviteurs. Salomon, comme Laërte, semble avoir travaillé lui-même aux embellisse- ments du domaine qu’il appelait sa maison du Li- ban : « Je me suis fait, dit-il, des jardins et des vergers, et jy ai planté toutes sortes d’arbres frui- tiers. Je me suis fait des réservoirs d’eau pour en arroser le parc planté d'arbres. » Après avoir disposé des jardins autour de sa de- meure, l’homme en consacra aux dieux. Les Grecs entourèrent leurs temples de bois sacrés. Rien de mieux approprié au caractère des dieux antiques, sortis, aux yeux de l’homme, des divers phéno- mènes de la nature, lorsque nos ancêtres, à demi errants, cherchaient encore leur chemin à travers les forêts primitives. Puis, compagnons et frères de l’homme, ne devaient-ils pas avoir comme lui leurs jardins et leurs ombrages ? Le vieil Hérodote et après lui tous les auteurs, jusqu’à Lucien, BOIS SACRÉ D'OLYMPIE. 7 Apulée ou Pétrone, décrivent en passant des bois - sacrés qui se rapprochent de nos parcs. L’un des - plus remarquables et des plus anciennement si- gnalés était l’enclos consacré à Diane par Xénophon, ï auprès d’Olympie. Xénophon, l’un des disciples les ñ plus fameux de Socrate et l’un des plus habiles généraux de la Grèce, avait acheté ce terrain avec - une part du butin attribuée à Diane. Le pays était traversé par le Sélénus, homonyme du fleuve qui coule à Éphèse, la ville de Diane par excellence; la destination du lieu était donc tout indiquée. Dans l'enceinte, fort vaste, étaient compris des bocages et des collines boisées où l’on élevait des porcs, des chèvres, des bœufs et des chevaux. Autour du temple même, Xénophon planta un verger riche en fruits de toutes saisons. La Grèce proprement dite ne renfermait guère de merveilles en fait de jardins. Tout l’art se por- tait sur l'architecture et la statuaire, et se préoc- cupait bien plus de l’homme que de la nature. Il faut ajouter que l’espace en général manquait aux États et aux villes aussi bien qu’aux particuliers. Le sol aride et pauvre de l’Attique n’admettait que des quinconces ou des allées de platanes, d’ormes, de figuiers. Tels étaient les ornements et l’aspect des palestres et des gymnases où les adolescents exer- » et des môles, creuser des lacs où s’engrais- sait l’huître savoureuse, dessiner en face des flots bleus de blancs portiques habités par des dieux de marbre et protégés par de grands arbres aux feuilles luisantes. On citait dans la Ville les jardins de Pompée, de Lucullus, de Salluste (villa Ludovisi), de César, de Mécène, de Néron. Il serait possible d’en indiquer la place et les vestiges; mais nous irons plutôt de- mander aux montagnes voisines l’image encore vivante de la villégiature antique. Les innombrables maisons de plaisance de Tus- culum (Frascati) émaillaient comme des fleurs vertes et blanches la pente rapide qui regarde Rome. Cicéron possédait là un fameux domaine, ancienne propriété de Sylla, où une palestre à la grecque, un Lycée, orné de statues, une petite Aca- VILLA DE CICÉRON. 31 démie décorée d’un amphithéâtre et de doubles Hermès (Hermathènè, Hermhéraclès) à tête de bronze et corps de marbre sur piédestaux en forme de pyramides, rappelaient sans cesse à l’auteur des Tusculanes sa chère Athènes et flattaient ses goûts d'artiste et de lettré. Les eaux vives de l’'aqueduc de la Crabra raffraichissaient ces vastes jardins. Un jeune Gaulois, que M. Dézobry fait voyager en Italie sous Auguste, décrit ainsi la de- meure de Cicéron : « On la voitimmédiatement au-dessous de Tuscu- lum, sur le flanc oriental de la montagne. Elle s'élève sur une substruction faite pour racheter la pente du terrain, et qui, à rez de terre vers le midi, est fort haute du côté du septentrion. La mai- son, comme la plupart des villas romaines, a l’as- pect d’un portique; le bâtiment est orné de co- lonnes et forme à l’intérieur une longue et large galerie voûtée bien aérée, bien claire, sur laquelle s’ouvrent une vingtaine de chambres au moins, ser- vant à l'habitation. Cette maison a vraiment un aspect royal par la beauté de son ersemble et sur- tout par son importance et son étendue. Car sa profondeur est de trente-cinq mètres environ, et sa façade se développe sur une longueur d'environ : cent mètres. Le site lui prête encore beaucoup de . majesté : derrière, s'élèvent la citadelle et les murs . de Tusculum, qui semblent presque en faire partie, 32 PARCS ET JARDINS. tandis que devant soi on a la vallée d’Albe, la voie Latine, l'énorme mont Albain, l’Algide, et vers l'occident la mer. » Ce ne sont plus aujourd’hui que « restes infor- mes, amas de briques disjointes, soubassements mal déterrés qui vont s’effondrant sous les intem- péries de l'hiver et l’envahissement des herbes. Parfois, à mesure qu’on avance, les parois d’une chambre antique apparaissent sur le bord de la route dans les flancs d’un escarpement. Au som- met est un petit théâtre où gisent des fragments de colonnes » (Taine). Les villas modernes ont des- cendu d’un ou deux degrés sur la pente de la montagne. Horace, l'ami des bois où circulent les zéphyrs et les fontaines, habitait le plus souvent une petite campagne, sur les pentes du mont Libretti, auprès des bosquets de Tibur, aujourd’hui Tivoli. Il ne nous en a point laissé de description, et sa demeure semble avoir été modeste; mais elle a droit d’être mentionnée parmi les merveilles, puis- qu’elle à inspiré le génie. C’est là qu’il s’est étendu, tantôt sous l’yeuse antique, tantôt sur l’herbe drue, écoutant les oiseaux se plaindre dans les bois, et les flots des sources frémissantes mur- murer leur douce invitation au sommeil; c’est de à qu'il aimait à voir les troupeaux rentrer des champs, à inviter ses amis aux repas rustiques, VILLA D "HORACE, 33 à chanter le dieu Faune, gardien des vergers, et la nymphe Bandusia : « O fontaine de Bandusia, plus î claire que le cristal, l'heure cruelle de la dévorante ; canicule ne sait comment t’atteindre ; ; aux taureaux las de la charrue, aux brebis vagabondes, tu offres | . ta fraicheur aimable. Pour te rendre fameuse entre les sources, je dirai l’yeuse qui s'élève sur les rochers creux d’où s’élancent tes flots jaseurs! » | Hoc erat in votis. Il n’en demandait pas plus : un terrain modeste, assez grand pour contenir un - jardin, près de la maison une eau courante, et par-dessus un peu de forêt. Les dieux ont comblé ses vœux et au delà. Dans le coin de terre qui lui . sourit, il n’envie point la tour d’où Mécène embrasse d'un coup d'œil toute la campagne romaine, les . môles avancés dans les flots, comme si la terre ne suffisait point et qu’il fallût empiéter sur la mer, enfin toutes ces maisons bâties, si près du tom- beau; et, gourmandant ses fastueux contempo- rains avec une douce gravité, il boit, couronné de lierre, une jolie eau rougie de Falerne ou du Massique. Mais l’exemple d’un poëte et la voix de la médio- . crité dorée ne détournèrent pas ses contemporains des goûts luxueux que les Lucullus et les Scipions avaient rapportés d'Asie. Les arbres tels que la L nature les fournit semblaient trop peu civilisés; : il leur fallut recevoir de la serpe des formes géo- 1 à 34 PARCS ET JARDINS. métriques. On ne pouvait laisser à leur caprice les eaux des sources; il plaisait de les rassembler en de vastes bassins sertis de marbre précieux où, carpes étranges de ces Fontainebleaux, les mu- rènes étaient nourries d'esclaves hachés menu comme chair à pâté. Les oiseaux ternes de nos climats ne suffisaient point à animer de leur voix les bosquets ; on fit venir du fond de l'Orient des chanteurs plus riches qu’on établit dans des cages élégantes. Inventées par Lœnius Strabon, un peu avant la guerre de Pharsale, les volières se répan- dirent dans les domaines opulents. Celle de Lu- cullus, à Tusculum, était admirée. Varron en pos- sédait üne à Casinum, dont il nous indique les principales dispositions. C'était un parallélogramme d’environ vingt et un mètres sur quatorze, terminé, dans le sens de la longueur, par un hémicycle profond de huit mètres. Un portique soutenu par une double co- lonnade à jour en occupait la base; il y avait un petit arbuste dans chaque entre-colonnement. Deux autres galeries à jour et à ciel ouvert, fermées en haut et sur les côtés par des filets de chanvre, s’avançaient parallèlement en retour; deux pavil- lons fermés où pouvaient se retirer les oiseaux les reliaient à l’hémicycle. Un petit ruisseau longeait intérieurement cette construction. Entre les deux: galeries s’étendaient deux piscines oblongues sépa- VOLIÈRE DE VARRON. 35 rées par un étroit sentier. L’ornement de l’hémi- cycle consistait en un pavillon-temple à cage circu- Jlaire porté sur deux rangs de colonnes, pierre à l'extérieur et sapin en dedans, plantés à un mètre et demi de distance, et qui servaient de carcasse à un double filet de corde à boyaux et de chanvre tout plein derossignols, de merles et autres oiseaux harmonieux. Le centre du pavillon, bien qu’étroit, n'en était pas moins utilisé pour le plaisir de pue: c'était une petite salle de concert. On y voyait, l'un sur l’autre, un bassin égayé par des ‘canards rares (étranges musiciens), une île, une table à pivot garnie de robinets chauds et froids, Ein les mets que le maitre du lieu offrait à ses convives. Il va sans dire que cette ville des oiseaux était l’ornement, la curiosité d’un grand jardin. Derrière lesgradins de l’hémicycle, un bois très-épais et très-sombre étalait ses ombrages, comme pour aggraver la servitude par la vuede la liberté voisine. . Félibien a essayé une restitution assez peu pro- bable du Laurentin, la maison que Pline le jeune | res au _bord de la mer, entre Laurente et Le ce sa en écrit son Mbbrictaite, Ce n’était pas une de ces folies avec jetées et parcs aux huîtres; | éanmoins elle donne une idée suffisante des villas “Maritimes ; rien de mieux conçu que les bâtiments, de mieux ménagé que les points de vue. 36 PARCS ET JARDINS. On entrait au levant, par un atrium demi-cireu- laire, à large toit, à portique vitré, dans une grande cour très-gaie, d’où un portique parallèle au pre- mier conduisait à la salle à manger, l’un des beaux morceaux du Casino. Cette salle immense s'avan- çait dans la mer; le flot venait battre le pied du mur, sous les fenêtres occidentales. De larges et hautes baies ouvrent des perspectives variées sur les quatre côtés, car les portiques et l’atrium sont à jour. De droite et de gauche, s’échelonnent en retraite des pièces éclairées du levant et du cou- chant, et que le flot n’atteint jamais, chambres à coucher bien chauffées par des tuyaux, biblio- thèque, communs, bains chauds et froids, étuve et réservoir. À gauche, au midi, l'angle formé par la salle à manger et la première chambre sert de refuge l'hiver à tous les gens de Pline; c’est le meilleur endroit et le mieux abrité contre le nord et l’est. À droite, on remarque le jeu de paume, percé au couchant, une tour à deux étages d’où l’on embrasse la mer et la campagne. Il faut trou- ver encore à placer une autre tour avec chambre à coucher d'été, salle à manger au nord, d’où l’on entend la mer sans la voir, deux autres apparte- ments en retour vers le grand vestibule, une ga- lerie voûtée, percée de deux fenêtres sur la mer pour une sur le jardin, enfin, y attenant, un petit pavillon que Pline appelle ses délices, ses amours, LE LAURENTIN. 37 _ sans doute à l’extrémité nord de la villa. Un cou- loir ménagé entre le mur de la propriété et la paroi de ce retrait, absorbe tout bruit importun; peut- être, de son cabinet vitré, de son salon joyeux, V'aimable favori de Trajan voit-il la mer sans | l'entendre. . Le jardin, assez simple, rangées de vignes sur ormeaux, quinconces de müriers et de figuiers, _parterres de violettes, allées bordées de buis par endroits, et de romarin partout où l’haleine de la . mer eût desséché le buis, s’étendait vraisemblable- - ment assez loin au nord du principal corps de logis. IL manquait d'eaux courantes; mais l’eau . était si près de terre qu’on remplaçait aisément les sources par de petits puits inaccessibles à la saveur salée de la mer. Dans une contrée aujourd’hui malsaine et désolée régnait alors l’abondance; il y avait jusqu’à trois bains publics dans le village de Laurente. La mer fournissait des soles et des squilles, les pâturages voisins, d’excellent lait, Ostie, toutes les provisions possibles, et les forêts . d’alentour du bois et de la venaison. Parmi les autres domaines que Pline possédait, - à Tibur, à Tusculum, à Préneste, que sais-je en- “core! il en est un qui l'emporte, à bien des “égards, sur le Laurentin. La mer lui manquait; mais quelle végétation, que d'eaux, que d'art dans ’ornement des jardins! C'était la villa de Toscane, 38 PARCS ET JARDINS. située dans un air salubre, au pied des Apennins. Dans une lettre précieuse, Pline énumère avec . complaisance les chambres, les galeries, les cours ombragées, les bains et les jeux de paume; il ne tarit pas sur les grâces du jardin. _ La disposition du terrain est on ne peut plus belle. Imaginez-vous un amphithéâtre immense, tel que la nature seule peut le faire, une vaste plaine, environnée de montagnes chargées sur leurs cimes de bois très-hauts et très-anciens. Le gibier de toute espèce y abonde. Des taillis cou- vrent les pentes. Entre ces taillis sont des collines d’un terroir si gras qu'il serait difficile d'y trouver une pierre, quand même on l’y chercherait. Le long du coteau se prolongent des pièces de vignes qui semblent se toucher et n’en former qu'une seule. Ces vignes sont bordées par quantité d’ar- brisseaux. Ensuite, des prairies et des terres labou- rables. Les prés, émaillés de fleurs, fournissent du trèfle et d’autres sortes d'herbes, toujours aussi tendres et aussi pleines de suc que si elles venaient de naître. Ils tirent cette fertilité des ruisseaux qui les arrosent et qui ne tarissent jamais. Cependant, en des lieux où on trouve tant d'eaux, l’on ne voit point de marécage, parce que la terre, disposée en pente, laisse couler dans le Tibre le reste de celles dont elle ne s’est point abreuvée. Ce fleuve, qui passe au milieu des champs, est navigable et sert VILLA DE PLINE EN TOSCANE 39 dans l'hiver et au printemps à transporter toutes les provisions à Rome. En été, il baisse si fort que son litest presque à sec : il faut attendre l'automne pour qu'il reprenne son nom de grand fleuve. Il y a un plaisir extrême à contempler le pays du haut de la montagne. On croit voir, non une cam- _pagne ordinaire, mais un paysage dessiné d'après _un modèle idéal; tant les yeux, de quelque côté qu’ils se tournent, sont charmés par l'arrangement et par la variété des objets. Devant le portique, on voit un parterre dont les différentes figures sont tracées avec du buis. En- suite est une pelouse en pente douce autour de laquelle le buis dessine des figures d'animaux symétriquement opposées. Dans la partie plane, règne l’acanthe, si tendre aux pieds qu'on dirait une rosée. À l’entour s'étend une allée d'arbres drus et diversement taillés, qui se rattache à une promenade en forme de cirque où mille formes revêtent le buis et des arbres dont l’art retient la croissance. Tout cela est enclos d’une maçonnerie que des buis étagés recouvrent et dérobent aux yeux. Au delà, la vue n’est pas moins séduite par _ les beautés naturelles d’une prairie qu’elle était * charmée jusqu'ici par les surprises de l’art. Au loin, des champs, d’autres prés et des arbris- SEAUX. Vers le milieu d’une galerie, on entre dans dut À À ñ -& : L0 PARCS ET JARDINS. une petite cour bordée de bâtiments et ombragée de quatre platanes, avec bassin de marbre au centre. Devant les bâtiments agréables et bien disposés, est un vaste manége; il est ouvert par le milieu et s'offre d’abord tout entier à la vue de ceux qui entrent. Il est entouré de platanes revêtus de lierre : ainsi le haut de ces arbres est vert de son propre feuillage, et le bas, d’un feuillage étranger. Ce lierre court autour du tronc et des branches et, s'étendant d’un platane à l’autre, les lie ensemble. Entre ces platanes sont des buis, extérieurement bordés de lauriers qui mêlent leur ombrage à celui des platanes. L’allée du manége est droite jusqu'au bout, où elle se courbe en hémicycle et change de figure; l'ombre alors s’y épaissit, plus noire et plus profonde, sous un couvert de cyprès qui l’en- vironnent. Les allées circulaires, qui sont en grand nombre dans l’intérieur, sont au contraire éclai- rées du jour le plus vif. Les roses y naïssent de tous côtés, et les rayons du soleil y dissipent agréablement la fraicheur des ombrages. Après plu- sieurs détours, on rentre dans l'allée rectiligne, qui des deux côtés en a plusieurs autres, séparées par des buis. Là, est une petite prairie; ici, lebuis même est taillé en mille figures différentes, quelquefois en lettres, qui forment le nom du maître ou celui du jardinier. Dans la bordure alternent de petites ‘(OUv9SOL) aUr[4 op PILIA CT VILLA DE PLINE EN TOSCANE. L3 bornes et des-arbres fruitiers, comme si la simple . campagne intervenait tout à coup, apportée dans . l'œuvre symétrique de l’art. Un double rang de moyens platanes occupe le milieu. Aux platanes | succède l’acanthe flexible serpentant de tous côtés, _ et ensuite plusieurs figures et noms en buis. Au bout, sous une vigne qui le protége, est couché un . banc de marbre blanc. La vigne s’appuie sur quatre . colonnettes de marbre Carystien. Du banc même _ s'échappe, comme sous le poids de ceux qui s’y reposent, une eau que de petits tuyaux conduisent par une auge de pierre à un bassin de marbre, . ainsi ménagée de manière à ce qu’elle le remplisse sans jamais déborder. Le goûter et les mets solides peuvent être rangés sur la margelle ; les plus légers flottent librement dans des corbeilles en forme de navires ou d'oiseaux. Une fontaine, près de là, donne et résorbe l’eau; le jet s’élance et retombe, et deux passages qui se joignent le reprennent et le rejettent. Vis-à-vis du banc est une chambre qui lui donne autant d'agrément qu’elle en reçoit. Le marbre y - reluit; par ses portes elle domine la verdure et ji. 4 Ÿ 4 pe “4 ‘4 5 € semble se prolonger dans le jardin. Sous ses fené- . tres et au-dessus, on ne voit que du vert; un petit + cabinet semble s’enfoncer dans la même chambre, bien qu'il en soit distinct : il renferme un lit; des fenêtres l’éclairent de tous côtés, et cependant le [ren PARCS ET JARDINS. jour y est voilé par l'ombre qui l’environne : car “une vigne gaiement répandue par tout le bois s'élève vers le faite et l’atteint. À la pluie près, que vous n’y sentiriez point, vous vous croyez couché dans un bois : là encore naît une fontaine qui se perd en elle-même. En différents autres endroits, sont dis- posés des siéges de marbre destinés, comme la cham- bre, à reposer ceux qu'a lassés la promenade. Chacun a ses petites fontaines. Par tout le manége, murmu- rent en de petits canaux des ruisseaux dociles au cours qui leur est tracé, prêts à arroser ceci et cela ou tout à la fois. (PLINE, livre V, lettre 6.) D + 0 Che ane Din a ON GAL ER NS RE, 7 Ont I Villa Adriana. L'empereur Adrien ne manquait pas de vices, | mais il avait de grands talents, une instruction étendue, le goût des belles choses; il employait les loisirs du principat à voyager par tout son empire, mais surtout en Grèce et en Égypte, cherchant les muses, s’il en restait, dans la vallée de Tempé, interrogeant au bord du Nil le colosse de Memnon. Vers la fin de son règne, abandonnant les affaires à son fils adoptif, il voulut se recueillir en paix dans une villa où il amassait depuis dix ans les statues et les édifices (125-135). C'était une sorte de musée où les souvenirs du vieil artiste avaient pris corps, et qui mêlait à ses jours attristés par l'ombre de la mort prochaine les meilleurs jours de son âge mûr. Un conquérant chinois avait imité dans son . parc tous les palais détruits par ses armes; Adrien groupait dans sa villa les sites, les monuments, les L 46 PARCS ET JARDINS. statues qu’ilavait respectés et admirés dans ses pro- menades pacifiques; il essayait même d'y réaliser les rêves des poëtes : à côté d’un Lycée, d’un Pœcile, d’une Académie, s’ouvraient les Enfers de Virgile. Les constructions s’étageaient, entre Rome et Tibur, sur la cime ondulée d’une longue colline; des terrassements rachetaient les différences de niveau des plateaux supérieurs. La montée n’était point rude, mais cette hauteur moyenne suffisait à ouvrir une immense perspective sur quatre mon- tagnes, aujourd’hui nommées Peschiavatore, Ri- poli, Affliano et San-Stefano; il y avait de belles échappées sur Rome et sur la mer. Une vallée fraiche au nord, encore creusée par l'extraction des pierres, portait le nom de Tempé; une source ferru- gineuse grossie par un aqueduc lui servait de Pénée. Un autre ruisseau circulait dans un vallon au midi. Nul doute qu’Adrien n'ait dirigé lui-même les travaux d'ornement et de bâtisse; il était bon architecte, si l’on en juge par le môle qui porte son nom, où il avait imité, pour orner sa tombe, les jardins suspendus de Babylone; on lui attribue aussi le temple de Vénus et de Rome, dont il reste de beaux débris. Il s’associa, dit-on, pour sa villa, un artiste nommé Démétrius. En même temps, les sculpteurs, les ciseleurs de tout genre, pétrissaient les métaux précieux et taillaient les marbres rares ; on imaginerait difficilement la quantité de richesses VILLA ADRIANA. 47 : accumulée en deux ou trois plis de la terre. Dé- L pouillée par Constantin pour l’ornement de By- - zance, gâtée par les Augustes d'Occident, saccagée À par Totila en 544, après le sac de Tibur, habitée 1 par Ataulf, ruinée par les Lombards, par les Guelfes « et les Gibelins, achevée par la construction des … églises et des villas du moderne Tivoli, elle a pu - fournir encore de merveilles toutes les collections de Rome; l’exhaussement du sol donne lieu d’es- pérer que beaucoup de trésors sont encore sous … terre. Alexandre VI y retrouva des Muses et une + Mnémosyne que Léon X mitau V..tican,et qui depuis » ont disparu. La Farnésine de la Longara, le Qui- 4 - rinal et la villa Tiburtine, appartenant tous trois : aux Este, s’enrichirent d’un Adrien, d’une Cérès, - d'un grand buste d'Isis, à cette heure au musée - _Chiaramonti, d’une fausse Hécate, de trois figures en rouge antique couronnées d'olivier, dont une est aux Conservateurs, et de deux Proserpines avec _ Cerbère. Au dix-septième siècle, Bartoli mentionne _ la trouvaille des deux beaux candélabres Barberini, un escalier d’albâtre oriental, et dix statues égyp- tiennes qui ont dù aller en Espagne. Au dix- “huitième siècle, Volpi, Ficoroni, Piranese parlent 4 “du retour à la lumière de superbes mosaïques, plus a Flore, le Faune, l’Antinoüs égyptien, l'Harpo- rate, l’Athlète, à cette heure au Capitole, avec les leux centaures et un faune, plus un autre faune, la L8 PARCS ET JARDINS. collection des monuments pseudo-égyptiens, la mosaique des Colombes sur le vase, le bas-relief sublime d’Antinoüs à la villa Albani, sans compter les colonnes et les ornements d’architecture. Telle qu’elle est depuis le quinzième siècle, in- forme et dévastée, la villa Adriana fait encore l’'étonnement du touriste; et l’on y reconnait des traces non équivoques de sa grandeur passée. Elle s'annonce de loin par des files de cyprès au travers desquels paraissent çà et là quelques murs en ruine, que l’on trouve sur une circonférence de sept milles environ. À un quart de mille du pont Lucano, sous lequel les ruisseaux de Tempé et du Midi se jettent l'hiver dans l’Anio (l'été, fleuve et affluents sont à sec), dans une vigne luxuriante, sous un soleil étouffant, on devine à quelques fondements en travertin, à quelques débris de moulures et de bas-reliefs, la principale entrée. Aux environs de la belle avenue de cyprès, un petit marécage demi-circulaire re- présente l’'Amphithéâtre grec, où les spectateurs étaient rangés sur des gradins adossés à la colline. La scène et l’orchestre formaient à quelque dis- tance un parallélogramme, soutenu vers le sud par une maçonnerie en contre-bas. Un portique . voisin, refuge et foyer en cas de pluie, entourait un riant parterre. A l’est du Théâtre grec, quelques vestiges repré- VILLA ADRIANA. L9 3 sentent le Théâtre latin. Entre les deux, se voyait 3 . la Palestre, aux irrégularités dissimulées par des galeries et des statues. Ce trou plein de buissons . était un Nymphée charmant flanqué de deux fon- - taines monumentales. Entre ces deux files de cyprès, È un sentier conduisait aux réservoirs, aux bains et à l'escalier du Pœcile. Le Pœcile, grand espace à carré orné sur trois faces d’un portique à pilastres, était l’exacte copie du monument athénien, avec « ses peintures murales, telles que les décrit Pau- - sanias. Il en reste encore de très-hautes murailles et une cavité centrale, jadis naumachie, où des _ joutes aquatiques amusaient l’empereur. Le sol du - Pœcile, presque entièrement artificiel, reposait sur . une immense caserne à plusieurs étages, puissante et massive construction que le temps n’a pu tota- lement anéantir, on entre encore dans quel- ques-unes des cent chambres (cento camerelle), munies chacune de sa porte et de sa fenêtre. Chaque étage avait un promenoir en bois qui reliait les escaliers des angles; on croit que les prétoriens _ déposaient leurs enseignes dans uue tourelle ados- sée au flanc méridional du Pœæcile, qui formait comme la terrasse et le couronnement du prétoire. - On vous montre, à l’orient du Pœcile, une Schola, ancien lieu de conversation. Un Théâtre maritime où un ÆEuripe circulaire, maintenu par deux berges concentriques, environnait une île dé- 4 Der bass : Frans 50 PARCS ET JARDINS. corée de quatre fontaines qui l’alimentaient. Il y avait à l’entour un jardin planté d’arbustes fleuris. Quatre ponts, coupant l’Euripe aux bords pavés de mosaïques, répondaient à quatre portiques courbes réunis au centre de l’île, qui séparaient les quatre fontaines, et dont les colonnes moyennes, sans cesse mêlées par les lois changeantes de la perspec- tive, produisaient l'effet d’un taillis de toutes cou- leurs, à la fois étrange et régulier. À peine avons-nous énuméré la moitié des mer- veilles entassées dans la villa Adriana. Il faut y joindre, aux environs du Nymphée, deux bibliothè- ques, l’une grecque et l’autre latine, avec une vaste salle donnant sur un jardin décoré de portiques ; plusieurs voûtes souterraines ou corridors, sortes d’étuves nommées Ælio-Cammini ou Stufa-Solari, dont les soupiraux masqués par des broussailles ne sont plus que des piéges pour les pieds impru- dents; des salles hypêthres ouvertes sur la vallée de Tempé, et qui n'avaient pour toits que des ten- tures de pourpre; un stade disposé autour d’un bain, les Thermes du midi, un Panthéon pareil à celui d'Agrippa, des prisons sous terre, un mausolée rond qui rappelle le château Saint- Ange, des temples circulaires, octogones, carrés, dont les Vénus et les Dianes ont passé dans les mu- sées, et les Enfers qu’on croit reconnaître encore ; le Prytanée, le Cynosarge, et surtout, parmi les sou- TO SN D 4 VILLA ADRIANA. 51 - venirsd’Athènes, lesnoblesbâtimentsde l’Académie, . élevée sur une haute plate-forme à l'occident, flan- . quée d’une petite tour où eût habité le misanthrope - Timon, et pourvue d’un Odéon construit vers 134- - 137, le tout au milieu d’un grand bois d'oliviers. 1 L'Égypte était représentée par un Pseudo-Canope, : tout préparé pour les fêtes de Sérapis (an 123), et 5 si plein de curiosités qu'on a pu en meubler toute » une salle du Capitole. > Au dix-huitième siècle, le cardinal Marefoschi et le comte Centini exécutèrent des fouilles sur _ l'emplacement du palais, dont quelques murs à L peine décélaient l'existence. Ils parvinrent à des 4 données assez complètes et assez exactes sur la . configuration de l'édifice, grâce aux colonnades de marbres précieux qu'ils y trouvèrent et à quelques accessoires principaux d'habitation qui les aidèrent _ à distribuer çà et là les divers appartements. Sept ou huit mosaïques du premier ordre allèrent et sont encore au Vatican ; les colonnes entrèrent dans la construction de l'édifice pontifical ; mais il en résulta qu'il est impossible, sans le plan qui fut alors tracé, de se faire sur les lieux mêmes une idée - approximative de la splendeur de ce palais qu’on “ appelle encore aujourd'hui la « Piazza d’Oro. » En restituant, comme on l'a tenté, tous ces édi- - fices si divers, il sera toujours impossible de leur … rendre l'harmonie qu'ils empruntaient à mille arti- 52 PARCS ET JARDINS. fices, aux charmes des collines factices, des fon- taines, des arbres variés et des jardins sans nombre. L’imagination fera plus ici que toutes les mesures des architectes; quand je visitai ce qui fut la villa Adriana, je l'avais refaite dans ma tête, et le con- traste de ma vision intérieure avec la sauvage nudité de ces ruines désolées m'arracha un cri d'admiration pour la puissance humaine qui sait transformer en merveilles et en délices la stérilité d’une nature ingrate. ET ee mme SE | D'après une peinture de Pompéi. x A UTE ÿ Résidence des empereurs byzantins. — Childebert aux Thermes. — Jardins de Saint-Louis et de Charles V. — Le Lai de l'Oi- selet et le Roman de la Rose; Boccace. — Jaruins du roi René. L'histoire de l'Empire grec est moins dans le sombre tissu des événements militaires et des dis- putes religieuses que dans le réseau compliqué de ces antichambres, de ces galeries, tant de fois ba- Jayées par le ventre des patrices, de ces jardins “mystérieux où dépérissaient les empereurs, jus- qu’au jour où la conspiration permanente éclatait sur leur tête. Ici, l’on prenait les insignes de l’em- 56 PARCS ET JARDINS: pire ; là, on baisait la terre ; là, on se faisait baiser les pieds ; plus loin, on montait à cheval; mais il fallait attendre que les ostiaires, les spathaires, les sénateurs, les préfets, toute une cohue empa- nachée, se fussent rangés en procession devant, derrière et sur les côtés. C'était un chaos de co- lonnades, de coupoles, de terrasses, agglomérées, accumulées par le caprice des Justins et des Léons, Porphyrogénètes et Copronymes. Constantin d’abord avait établi, en face et sur le prolongement des murs orientaux de Sainte-Sophie, les appartements de Chalcé, de Daphné, de la Magnaure, et les tribunes qui dominaient l’hippo- drome; Justinien, Justin IT accrurent et embelli- rent ces demeures avec un luxe tout oriental. Dans la vaste enceinte, autour du Chrysotriclinium, vaste salle du trône dont la coupole s’appuyait sur huit absides, des bains, des gardes-meubles, des pavillons de plaisance, pavés. de marbres précieux, de mosaïques, constellés de pierreries, occupaient, au milieu d'immenses jardins, un espace qui pou- vait égaler en étendue l’emplacement du Louvre et des Tuileries. On comptait, au dixième siècle, sept péristyles, huit cours plantées, quatre grandes églises, dix-sept salles à manger, cinq salles du trône, dix galeries et neuf palais. Constantin VIE Porphyrogénète, artiste habile et souverain fai- néant, nous a laissé de sa demeure une description JARDINS DE BYZANCE. 97 qui a permis à M. Jules Labarte d'en reconstituer avet vraisemblance l’ensemble et les détails. Et de ces magnificences, il ne reste rien: l'opinion com- _ mune place l’ancien palais dans les jardins du Sé- . rail; mais il n’en occupait probablement qu’une . très-faible partie; son enceinte descendait bien au _ delà, vers le sud, en bordant la mer à lorient. . Comment étaient conçus et plantés les jardins ? Sans doute comme ils pouvaient l'être dans la villa . Adriana, comme ils le sont dans les résidences : de la Perse ou de la Turquie; on y voyait des ci- - ternes entourées d'innombrables colonnes, des - bassins, des fontaines, de grandes avenues et des parterres. Quel que füt leur plan, leur aspect ne pouvait manquer de grandeur et de beauté. La na- ture avait tant fait pour eux! Il suffisait que l’art s'abstint d'y masquer les riantes perspectives du Bosphore et de la côte d’Asie. Le Moyen Age occidental n’innova guère en fait de jardins. A Constantinople, à Rome, à Paris même, il suivit la tradition plus ou moins effacée de l’art gréco-romain. Les chefs mérovingiens - eux-mêmes ne s’affublaient-ils pas des insignes des - patrices? ne bégayaient-ils pas le latin? Héritiers de ceux qu'ils avaient dépossédés, ils accommo- dèrent à leur usage les titres, les palais et les jar- | dins des empereurs. Tout en préférant ce qui res- “semblait à leur forêt natale, ils quittaient souvent : ; "à ps £ L- 58 PARCS ET JARDINS. leur vaste domaine de Compiègne pour habiter les Thermes de Julien et le jardin de Constance Chlore, grand espace compris entre Saint-Germain des Prés (autrefois Saint-Vincent) et un beau canal alimenté par la Seine, qui ne fut comblé qu'au quinzième siècle. C'était encore sous Childebert un verger bien fourni de fleurs et de fruits, comme nous l’apprend une assez plate rapsodie de For- tunat. « Ici, le printemps vermeil fait naître des gazons verdoyants et sème des roses dignes du paradis par leur odeur. Là, un jeune pampre défend l'ombre contre les ardeurs de l’été et offre des toits de feuillages à la vigne coiffée de raisins. Des fleurs variées émaillent le sol; la blancheur et la pourpre ont revêtu les fruits. L'été -s’adoucit, tandis que mollement, avec un tendre murmure, la brise légère ne cesse de balancer les pommes suspen- dues. Ces pommes, c’est le roi Childebert qui les a greffées amoureusement; elles lui sont d'autant plus chères que la reine les lui a données de ses mains. Peut-être est-ce du noble jardinier qu'est restée aux plantes cette saveur miellée (oh! la saveur de Childebert!); on dirait qu’il y a mêlé d’invisibles rayons de miel. L’honneur que le roi leur a fait assure aux fruits nouveaux une double grâce : suave odeur au nez, saveur douce à la bouche. Comment s'étonner qu’il ait tant fait pour JARDIN DE CHARLES V. 99 le salut des hommes, celui dont le toucher même laisse aux fruits une odeur qui plait. Ah! que cet arbre à jamais engendre un fruit heureux, afin que - tout homme garde la mémoire d’un pieux monar- que. Et toi, Ultrogotho, possède ce jardin, à jamais heureuse, toi troisième avec tes deux enfants, mère _triomphante ! » Charlemagne s’occupa des jardins royaux, et -dressa, dans un curieux capitulaire, la liste des plantes qu’il voulait y voir cultivées. Le jardin de Saint-Louis, assez restreint, occupait la pointe de la cité; sa riante perspective pouvait remplacer Ë avec avantage le terre-plein du pont Neuf, la statue de Henri IV et l'affiche haut placée du dentiste Dorigny. Puisque la place Dauphine doit bientôt disparaître, souhaitons qu'entre les deux bras de » la Seine soit rétabli le jardin de Saint-Louis; il n'y aurait pas besoin de détruire le pont Neuf; d’agréa- _bles escaliers monumentaux serpentant le long des quais des Orfévres et des Morfondus permettraient, l'été, de respirer les brises salubres de la rivière. VE “Hélas! il faudrait d’abord supprimer les égouts; ous n'avons plus de Childebert pour embaumer es fleurs et les fruits. « Les jardins de Charles V, dans le quartier Saint-Paul, étaient non-seulement plantés d'arbres . 3 r itiers, mais encore couverts de fleurs, distri- Duées soit en plates-bandes ou en bordures, soit en 60 PARCS ET JARDINS. carreaux ; ils offraient toutes les plantes potagères. On aimait alors beaucoup le romarin, la sauge, la marjolaine, la lavande, les giroflées et les roses. Il y avait aussi de grandes treilles disposées en tonnelles et en pavillons, dont les treillages en lozanges étaient ornés de fleurs de lis; ceux des coins étaient alternativement ronds et carrès, ter- minés par une espèce de clocher surmonté d’une boule dorée ou d’une girouette aux armes de France. Il fallait qu’ils fussent assez grands, puis- qu'ils renfermaient des bancs de gazon, des siéges et un préau ou pelouse. Au milieu du jardin jail- lissaient une fontaine et probablement un jet d’eau. On y voyait encore une grande volière d'oiseaux rares, et surtout de tourterelles et de papegaus ou perroquets, pour lesquels Charles V avait une grande prédilection; aussi avait-il à l'hôtel Saint- Paul une superbe cage octogone pour son perro- quet. Il y avait aussi un sauvoir ou vivier. En général, les jardins du moyen âge, entre le sixième et le quinzième siècle, manquaient de perspective et de grandeur; c’étaient des carrés plus ou moins grands, subdivisés en carrés d’ar- bres ou de fleurs assez communes, et parfois rac- cordés avec un rond-point circulaire. On lit dans le Lai de l’Oiselet la description d’un agréable jardin : | Du courant d'enceinte se détachait- un bras LE LAI DE L'OISELET. 61 d’eau qui venait isoler circulairement dans l’enclos un verger charmant. Là se trouvaient des roses, des fleurs et des épices de toute espèce, et en si grande abondance que si on y eût apporté un mou- _ rant pour lui faire respirer le baume qu’elles _exhalaient, elles l’eussént dans l'instant rappelé à la vie. Le terrain était uni et sans aspérité. Les . arbres, quoique fort élevés, avaient tous une hau- . teur égale, et quelque fruit qu’il vous plüt de leur demander ils pouvaient vous l’offrir. Au milieu du verger, s'élevait en bouillonnant une fontaine qui . allait perdre dans la rivière ses eaux claires et frai- . ches. Elle était ombragée par un pin Gont les ra- meaux épais et éternellement verts, aux jours les plus brûülants de l’année, la défendaient du _ soleil. …. Mais c’est surtout l’auteur du Roman de la Rose qui a rassemblé dans son jardin idéal tout ce que pouvait rêver de plus beau en ce genre l’imagina- tion de ses contemporains. Ses fleurs, ses arbres, ses oiseaux et ses fontaines sont jetés un peu au hasard comme ses vers enfantins, souvent puérils, souvent aussi malins ou gracieux. On a plaisir à écouter un moment le babil de cette muse et à la “prendre pour guide dans les mignardes prairies dont elle a encadré ses fictions naïves. Oisiveté se charge de nous introduire « au jardin : out vert » où siégent Déduict et sa cour; 62 PARCS ET JARDINS. Et ne fut oncques lieu si riche D’arbres et d’oisillons chantans. Car par les buissons bien sentans, Y en eut trois fois plus qu’en France, Et tant fut belle l’accordance De leur musique à escouter Qu'elle pouvoit tout deuil oster. Il y a de quoi se croire Venu en paradis terrestre. Car leur chant estoit gracieulx Comme une voix venant des cieulx. Violette y estoit moult belle, Et aussi parvanche nouvelle ; Fleurs y estoient rouges et blanches, Sur toutes autres les plus franches, De toutes diverses couleurs, De hault prix et de grans valleurs, Tres refragrans et odorans. Là estoit mainte bonne espice, Cloux de girofle et regalice, Graine de paradis nouvelle, Litail, anis, aussi cannelle. Jamais non plus on ne vit tant de fruits, de tout climat : grenades, muscades, amandes, figues, dat- tes, coins, pêches; Les chataingnes, pommeset poires, Neffles, prunes, blanches et noires ; Serises fresches nouvellettes, Cormes, alises et noysettes. Les haults lauriers et les haults pins Estoient là dedans ces jardins; nn de co Uri di ds TS NET LE ROMAN DE LA ROSE. _ 63 Oliviers aussi et cyprès, Dont il n’en est guères si près ; Les ormes y estoient branchez, Et aussi gros chesnes fourchez. Que vous iroys-je plus comptant? Des arbres divers y eut tant Que ce me seroit grant encombre Deous les déclairer par nombre. Ce n’était pas un taillis, c'était une futaie régu- lière, laissant entre les files d'arbres de larges allées, brages, mais cependant si drue et si épaisse que . les rayons du soleil n’en perçaient pas les om- Ne ne pouvoient en bas descendre Ne faire mal à l’herbe tendre. Au verger sont dains et chevreulx Et aussi plusieurs escureulx Qui par sur les arbres sailloient ; Connins (lapins) y estoient qui yssoient Bien souvent hors de leur tanières, En moult de diverses manières. Enfin, Par lieux, estoient clères fontaines, Sans barbelotes et sans raines; L’eaue alloit aval en faisant Son mélodieux et plaisant. Aux borts des ruysseaux et des rives, Poignoit l'herbe drue et plaisant, Grand soulas et plaisir faisant. Boccace nous fait un tableau analogue, bien que 64 _ PARCS ET JARDINS. déjà moins confus, d’un jardin italien au quator- zième siècle, que l’on croit être la villa Rinuccini. C'était un grand espace clos de murs et attenant à un palais. « Au centre et tout autour couraient de larges allées droites et couvertes de treilles en ber- ceaux. » On peut comprendre, sans forcer le sens, que toutes les allées rayonnaient d’un point cen- tral. Les fleurs sans nombre répandaient un tel parfum que l’on croyait marcher « à travers toutes les épices de l'Orient. » Les rosiers blancs et rouges faisaient, aux deux bords des allées, comme des murs impénétrables, si bien qu’on se promenait à l'abri du soleil, « sous un ombrage d’une odeur exquise. » Au milieu, dans un cercle verdoyant d’orangers et de cédrats, « s’étalait une pelouse d’une herbe presque invisible, mais d’une verdure si épaisse qu’elle en paraissait noire, » émaillée de mille va- riétés de fleurs ; une fontaine de marbre blanc en occupait le centre et lançait un grand jet d’eau de- bout sur une colonne, comme la flamme sur un chandelier, mais si vigoureux et si haut « qu'il au- rait fait marcher un moulin. » L’eau retombait dans la vasque avec un bruit délicieux, se répandait en canaux souterrains, « et ressortant en millé branches charmantes et admirablement tracées, re- venait au jour pour baigner le tour de la pelouse. De là d’autres canaux la portaient par tout le reste VILLA RINUCCINI. 65 . de l’enclos, se réunissant enfin dans un dernier en- droit où était la sortie du jardin. Elle descendait alors, toujours pure, vers la plaine, et en courant faisait, avec beaucoup de force et certes au grand profit du propriétaire, tourner deux moulins. « Les vifiteurs allant d’un côté et d’un autre, en- tendaient partout plus de vingt espèces d'oiseaux chanter à l’envi; c'était une dernière beauté du lieu dont les autres les avaient empêchés de s’aper- ‘cevoir. En effet, le jardin contenait peut-être cent espèces de superbes bêtes, qu'ils se montraient ré- | ciproquement. D'un côté partaient des lapins, d’au- - tres des lièvres; là reposaient des chevreuils, là paissaient des daims; enfin quelques autres fa- . milles d'animaux tranquilles et doux s’ébattaient comme nos bêtes domestiques. » L’Angleterre, qui devait inaugurer, trois ou quatre cents ans plus tard, une si complète révolu- tion dans le dessin des parcs, -n’entendait pas, au moyen âge, les jardins autrement que la France et - l'Italie. Elle semble même y avoir appliqué un » goût beaucoup plus mesquin et toutes sortes de : colifichets usités en Hollande; en somme, le plan À est toujours dirigé selon des lignes droites. — «À Warwick-Castle, dit Walpole, il y a une ta- —._ pissérie Moyen Age qui représente un jardin très- — analogue à de certaines fresques d'Herculanum : — petits enclos carrés fermés par des treillages et des D] 66 PARCS ET JARDINS. espaliers, ornés régulièrement de vases, de fon- taines, de cariatides; élégante symétrie appropriée au petit espace qu'on donne aux jardins dans les villes. » Il est probable que la France posséda, vers la fin du moyen âge, les modèles des jardins. Ils étaient dus aux loisirs de René d’Anjou, aussi “habile aux arts de la paix qu’impropre à ceux de la guerre et de la politique. Aux environs d'Angers, à l’entour d’une grotte qui rappelait à sa femme Isabelle celle de la Sainte- Baume, le bon roi René dessina lui-même un jardin qu’un sol schisteux semblait condamner à la sté- rilité. La patience et l'imagination triomphèrent de la nature; où végétaient les pâles bruyères, s'é- panouirent, pour la première fois dans l’Anjou, la rose de Provins et l’œillet. Entre de belles allées d'arbres s’étendirent des massifs de verdure et des parterres émaillés de raretés horticoles. René don- nait à ce lieu le nom de la Baumette. Mais son séjour de prédilection était sa bastide de Provence, où il aimait à guider lui-même les visiteurs et les étrangers, et où il passa les derniers moments de sa vie. Un sol très-mouvementé ajou- tait à la beauté des plantations la variété des formes et des perspectives; une admirable exposition fa- vorisait la croissance d'arbres rares et de fleurs nouvelles ; aux jardins d'Aix, au zèle du roi René, ‘Quoy 101 np uiprel ‘ayjouneg ET NY 4" "v A LE el eJgus JARDINS DU ROI RENÉ. 69 le Midi doit l'expansion de la culture du mürier, l'acclimatation de la canne à sucre et l’améliora- tion du raisin muscat. L’ordonnance de cette villa devançait, à ce qu’il semble, les élégantes concep- tions de cette Renaissance, dont les premiers rayons éclairaient les dernières années du quinzième siècle. C’étaient d'immenses terrasses disposées en amphi- théâtre, et qui toutes se reliaient à l’habitation. Deux collections de fleurs rares et d'oiseaux cu- rieux, les plus riches du monde, y enchantaient de longues galeries couvertes ou à ciel ouvert. De limpides ruisseaux, traversés çà et là de légères passerelles, venaient former au bas des terrasses d'immenses viviers qui en complétaient l'ensemlle, et où se jouaient toutes les espèces connues de poissons d’eau douce. Il _Les Arabes à Palerme, à Valence, à Cordoue, à. Séville et à Grenade; l’Alhambra et le Généralife. — Le jardin de Sse-ma- Kouang. — Les villas de Netzahualcoyotl et de Montézuma ; Tezcuco, Chapoltépec; jardins flottants de Mexico. Les Arabes, dont la civilisation jeta, du huitième au quatorzième siècle, un si vif éclat, excellaient à répandre la fraicheur des eaux dans des jardins réguliers comme les nôtres, exubérants comme la nature méridionale. La pièce d’eau des jardins de la Ziza, à Palerme (950), entourait un pavillon décoré de mosaïques, de stucs, et surmonté d’une coupole éclatante. A quelque distance, se trouvait un parc d'environ deux milles de circuit, encore admiré au seizième siècle. La pièce d’eau centrale, vaste et solidement pavée en pierres de tailles carrées, était dominée par un charmant édifice constellé de caractères “ 72 PARCS ET JARDINS. arabes. Un long portique, çà et là interrompu par de petits pavillons à jour, marquait le milieu des jardins ; des murs en dessinaient l'enceinte. L'art moresque a surtout laissé des traces en Es- pagne; c’est lui qui créa, vers 920, les Huertas de - Valence et de Murcie, charmantes plaines fécondées par des canaux qui existent encore. À Séville, PAI- cazar et le patio de la cathédrale ont gardé leur physionomie arabe. On y voit des allées pavées"en briques posées à plat et assemblées en point de Hongrie. Souvent les briques sont percées de trous garnis de viroles en métal, disposées en lignes obliques ou droites, de manière à former des des- sins. Tous ces petits trous, que boucherait une grosse épingle, sont autant de jets d’eau microsco- piques destinés à rafraïchir les pieds des prome- neurs, douce invention dans cet ardent climat. « Ce jeu charmant existe encore ; l’eau vient de partout; “elle file tout droit ou vous attaque du milieu de l'allée, des bordures, de toutes les pierres; on ne sait où fuir; en un instant, le sol est inondé, l'air rafraîchi et le promeneur trempé. » À l’Alhambra de Grenade, l’eau cirtule partout, fontaine ou cascade, recueillie au centre des patios dans de grands réservoirs; elle coule encore dans les massifs d’orangers, de cyprès, de cerisiers, d’a- cacias, dans les grandes allées de peupliers qui en- tourent le palais. « Un bras du Darro a été détourné L a L'A\hambra. Porte des Abencérages. LE GÉNÉRALIFE. 75 par les Arabes et amené de plus de deux lieues sur la colline de Alhambra. » Chaque maison de Grenade avait son patio, avec une fontaine entourée d’orangers. Au Généralife, les fontaines, les jets d’eau, les cascades de mar- bre, à la forme près (car les modes tourmentées du siècle dernier n’ont point épargné ces lieux) ont conservé leur physionomie moresque. « Un canal, revêtu de marbre, occupe toute la lon- sueur de l’enclos et roule ses flots sous une suite d’arcades de feuillage formées par des ifs contour- nés et taillés bizarrement. Des orangers, des cyprès sont plantés sur chaque bord; un de ces cyprès, d’une monstrueuse grosseur, remonte à Boabdil, et s’appelle le cyprès de la sultane. La perspective est terminée par une galerie, portique à jets d’eau, à colonnes de marbre, comme le patio des myrtes de PAlhambra. Au milieu d’un des bassins s’épanouit en immense corbeille, çcçommeuneexplosiondefleurs, comme le bouquet d’un feu d'artifice végétal, un igantesque laurier-rose d’un éclat et d’une beauté incomparables. » Les ruisseaux descendent par des pes rapides et des rigoles en tuiles creuses. chaque palier, des jets abondants partent du mi- lieu de petits bassins et poussent leur aigrette de ïistal jusque dans l’épais feuillage du bois de lau- iers dont les branches se croisent au-dessus d’eux. montagne ruisselle des toutes parts. #&: Fr. 76 PARCS ET JARDINS. C'est aux travaux hydrauliques des Arabes que « Grenade doit d’être le paradis de l'Espagne et de jouir d’un printemps éternel sous une température africaine. » (Th. Gautier.) La Chine continuait, au moyen âge, la tradition du jardin irrégulier. On sait que ses arts ne chan- gent point. Tels nous avons vu les parcs de Wen- Wang et de Chi-Hoang-Ti, tel nous verrons le jar- din du Palais d'Été, tel encore nous apparaît, au onzième siècle, celui que Sse-ma-Kouang, premier ministre sous la dynastie des Song , s’est plu à des- siner et à décrire. Que d’autres, nous dit-il, bâtissent des palais pour enfermer leurs chagrins et étaler leur vanité. Je me suis fait une solitude pour amuser mes loi sirs et causer avec mes amis. Vingt arpents dé terre ont:sufli à mon dessein. Au milieu est um grande salle où j'ai rassemblé ciaq mille volume: pour interroger la sagesse et converser avec l’anti quité. Du côté du midi on trouve un salon au mi lieu des eaux qu'amène un petit ruisseau qui des cend des collines de l'occident; elles forment ui bassin profond, d’où elles s’épandent en cinq bran ches, comme les griffes d’un léopard, et, avec elles des cygnes innombrables qui nagent et se jouent di tous côtés. À Sur le bord de la première, qui se précipit de cascade en cascade, s'élève un rocher escarpé JARDIN DE SSE-MA-KOUANG. 77 dont la cime, recourbée et suspendue en trompe d'éléphant, soutient en l’air un cabinet ouvert pour prendre le frais et voir les rubis dont l'aurore cou- ronne le soleil à son lever. _ La seconde branche se divise à quelques pas en deux canaux, qui vont serpentant autour d'une ga- lerie bordée d’une double terrasse en feston, dont les palissades de rosiers et de grenadiers forment le balcon. La branche de l’ouest se replie en arc vers le nord d’un portique isolé, où elle forme une petite ile. Les rives de cette île sont couvertes de sable de coquillages et de cailloux de diverses cou- leurs ; une partie est plantée d'arbres toujours verts. L'autre est ornée d’une cabane de chaume et de roseaux comme celles des pêcheurs. | Les deux autres branches semblent tour à tour se chercher et se fuir, en suivant la pente d’une prairie émaillée de fleurs dont elles entretiennent la fraîcheur ; quelquefois elles sortent de leur lit pour former de petites nappes d’eau encadrées dans un tendre gazon; puis elles quittent le niveau de la prairie et descendent dans des canaux étroits où elles s’engouffrent et se brisent dans un labyrinthe le rochers qui, leur disputant le passage, les font mugir et s'enfuir en écume et en ondes argentines dans les tortueux détours où ils les forcent d'entrer. ‘sh des pavillons sont disséminés dans les bosquets de bambous touffus, sur les pentes de la 78 PARCS ET JARDINS. colline et dans la gorge de la vallée. Ici des par- terres défendus par des cèdres antiques, là des saules pleureurs, des garennes rocheuses dont les : lapins «rendent aux poissons des étangs les ter- reurs qui les agitent, » des îles de roseaux, des ponts de toute forme et de toute matière, des lotus sur les eaux, de brillants volatiles sur les branches, : au loin des montagnes d’azur, des plaines couvertes de laboureurs , et les barques sans nombre qui animent le Kiang. Sse-ma-Kouang sent déjà la na- : ture comme Rousseau. « Le murmure des eaux, ! le bruit des feuilles qu’agite le vent, la beauté des | cieux, le plongent dans une douce rêverie; toute la | nature parle à son âme. » Les parcs des Aztèques et des Toltèques ne sont | point indignes d’être mentionnés, même après ceux | des Chinois. À la variété des perspectives, ils réu- nissent la grandeur, qui à presque toujours man- qué aux conceptions chinoises. Dans les nombreuses villas de Netzahualcoyotl (lë Renard sauvage), em- | pereur de Tezcuco, poëte et législateur, né en 1402, : mort en 1462, dont le règne fut l’âge d’or de la civilisation aztèque, on retrouve comme un vague : souvenir des tours et des jardins suspendus de Ba- : bylone.Si bien qu’à défaut de leur langue, non en- core classée, les arts des Mexicains suffiraient à révéler leur affinité avec les races asiatiques. Cinq cent vingt escaliers aux marches de por- JARDINS DU MEXIQUE. 79 phyre, polies comme des miroirs, décoraient le cône de la colline de Tezcotzinco, à deux lieues en- viron de Tezcuco, et en reliaient les nombreuses ter- rasses. Un long aqueduc venait, à travers la vallée, remplir un ample réservoir qui couronnait la mon- tagne: au milieu du bassin, un vaste rocher racon- tait en sculptures hiéroglyphiques l’histoire de Netzahualcoyotl. D'autres étangs, ornés de statues symboliques de villes, alimentaient des canaux et des cascades; l’un était dominé par un lion ailé, taillé dans le roc et dont la face était un portrait de l'empereur. Des portiques et des pavillons de marbre entouraient des piscines creusées en pleinporphyre, et que les indigènes ignorants montrent encore sous le nom de Bains de Montézuma. Au pied de la colline, au milieu d’un bois de cèdres embaumé par les parterres voisins, s’éle- vaient les toits aériens et les fines arcades de la Villa royale. Ces merveilles ont disparu; quelques cèdres ont seuls survécu aux ravages des conqué- rants; ils faisaient encore l'admiration de Padilla et de Pierre Martyr. … Mexico avait aussi ses délicieux labyrinthes, où des fontaines lançaient leurs jets en rosée sur les leurs. Dix étangs immenses, pleins de poissons, lassemblaient sur leurs bords et sur leurs ondes des peuplades de hérons et de poules d’eau. Une orte de mosaïque en marbre enchâssait les bas- 80 PARCS ET JARDINS. sins où se miraient de légers et fantastiques pavil- lons, pleins de brises parfumées qui assuraient l'empereur et ses femmes contre les ardeurs de l'été. Mais la plus luxueuse résidence de Montézuma était le royal coteau de Chapoltépec, consacré par le séjour de ses ancêtres. Autour de la base de la colline, sur les bords du lac de Tezcuco, les jardins embrassaient quatre milles. C’est à cette douce ré" sidence, à ces eaux enchanteresses, que se repor- tait sans doute par la pensée le malheureux Gua- timozin, quand les plaintes d’un de ses compagnons d’infortune lui arrachaient ces mots célèbres : « Et moi, suis-je donc au bain? » Où, comme le véulent d’autres historiens : « Suis-je sur des roses ? » On y voyait encore au milieu du siècle dernier un bas-relief de porphyre que Gama trouvait d’une bonne exécution. A la place où furent les parterres, de magnifiques cyprès, séculaires déjà lors de la conquête, dressent leurs énormes füts qui ont cin- | quante-pieds de circonférence. Sur la crête du mont ! s’élève le château superbe et désolé bâti, vers la fin du dix-septième siècle, par le jeune vice-roi Galvez. ! Par un bien singulier caprice de la destinée, Cha- poltépec est redevenu momentanément, de nos: jours, une villa impériale. Un autre ornement du Mexique, c’étaient les jar-* dins flottants de ses lacs. On raconte, qu’au qua-. JARDINS DU MEXIQUE. 81 torzième siècle, réduits par plusieurs défaites à leur ville et au lac qui l'entoure, les habitants de Mexico établirent sur des radeaux des terrains arti- ficiels où ils récoltèrent du maïs et des fruits. Au retour de leur prospérité, leurs îlots factices de- vinrent des jardins de plaisance. Diodore en signale de pareils, pour la culture de la vigne sur certains étangs d'Arabie. En Cachemire, où ils abondent, on les ancre au fond de l’eau par des pieux. TRE QUATRIÈME LA RENAISSANCE | : : ETC Jardin délectable de Bernard de Palissy. — Boboli, à Florence. — Frascati; villas Mondragone, Aldobrandini. — Tivoli; villa d’Este. — Villa Borghèse; villa du pape Jules Il. Jardins du Belvédère, du Quirinal. — Iles Borromées. La Renaissance est fille de la tradition antique ; c'est un jet vigoureux de l’art gréco-romain, triom- phant, après mille ans, de la barbarie qui l’étouf- fait. On peut donc s'attendre à retrouver dans les - jardins du seizième siècle les grandes qualités et les petits défauts des villas de Pline ou d’Adrien ; d'une part la symétrie, au moins apparente, des 86 PARCS ET JARDINS. lignes, l'architecture mêlée sans cesse à la végéla- tion, l’habile subordination de la nature à l’art et aux œuvres des hommes; et aussi les fantaisies bizarres, les cabinets et les murailles taillés dans des arbres verts, les noms et les dessins en buis, les surprises désagréables de jets d’eau invisibles, toutes les exubérances du mauvais goût, mais sau- vées par la grâce des détails èt l'harmonie de l’en- semble. 11 faut, pour avoir une idée des singularités qui plaisaient à cette époque ingénieuse et avide de jouissances, parcourir un opuscule de Bernard de Palissy, le Jardin délectable. Ce ne sont que cabi- nets couronnés de terrasses plantées, aux murailles « diaprées de reptiles en émaux coloriés qui sem- bleront y vivre; » cercles de peupliers dont les cimes attachées en pointes seront munies d’un en- tonnoir destiné à introduire le vent en divers fla- geolets aériens; des ilots revêtus d’un fil d’archal dissimulé par des feuillages, pour servir de vo- lières. « L’arrosage se ferait au moyen de conduits de sureau maniables sur des fourches, à deux ou trois pieds de terre, et percés d’une infinité de trous pour ne faire que distiller une rosée. » Si Bernard de Palissy réprouve les piéges qui font tomber le visiteur dans les bassins ou les ruisseaux, et les ressorts qui lui envoyaient des jets d’eau dans les jambes, il aime assez à voir des nymphes de marbre renversant leur urne sur la tête du curieux, au BOBOLI. 87 moment même où il se complait dans la lecture . d’une sentence de Salomon inscrite sur le socle. La plupart des beaux jardins de FItalie ont dû à la nature même le plus grand de leurs charmes, la vue. Ils s’adossent à des collines et à des monta- gnes. Soit que le château les domine ou se cache à leurs pieds, ils offrent toujours des terrasses, de _ vastes escaliers, des chutes d’eau qui leur donnent le mouvement et la vie; la pente aussi nécessite des allées obliques ou tournantes qui rompent la monotonie assez justement reprochée à nos jar- dins classiques. Le jardin Boboli, à Florence, + lun des modèles _ les plus purs de ces compositions végétales qui, par le juste accord du goût et de la fantaisie, satisfont complétement l'esprit et les yeux. Le mouvement du terrain le divise en deux par- ties distinctes : l’une, basse et se prolongeant jusque . vers l’enceinte, renferme d’épais ombrages, des . gazons entourés de sombres allées, des eaux éten- - dues en petit lacs; l’autre, élevée en face du palais | qu’elle domine, superposeen terrasses royales, étage - en vastes rampes les longues rangées de cyprès et de pins, les statues, les vases de marbre. De ses hauteurs une vue magnifique présente Florence en “panorama ; au premier plan, la couleur forte du palais Pitti contraste avec les tons lumineux des lointains. Entre les terrasses et le palais, on peut 88 PARCS ET JARDINS. s'arrêter sur une assez grande esplanade, nommée l’'Amphithéâtre, et décorée d’un obélisque égyptien. C’est de là que part une noble avenue qui conduit aux régions supérieures. Sur la droite s'étendent des taillis et des pelouses ; et à peu de distance, au bout d'une allée où les arbres alternent avec les statues, on entre dans une petite île ovale ornée d’une magnifique fontaine; on y admire la statue colossale de l’Océan, et les trois fleuves qui sou- tiennent son piédestal. Ce groupe passe pour le chef-d'œuvre de Jean de Bologne. Parmi les autres sculptures, pour la plupart médiocres, brillent des ‘figures de Bandinelli et des ébauches de Michel- Ange, placées dans une grotte, à peu de distance du palais, comme dans un sanctuaire. L'espace est assez grand pour que divers grands- ducs y aient essayé, sans détruire aucunement le caractère des jardins, certaines cultures utiles, comme celles du mürier et.de la pomme de terre. Dans son plan général et dans sa décoration, Boboli reste toujours l’œuvre de Nicolas Braccini et Ber- nard Buontalenti, qui le composèrent en 1550. Il y à autour de Florence un grand nombre de villas historiques : le Poggio imperiale qui, de, Cosme I‘ de Médicis, passa aux Orsini, aux Odes- calchi, à Madeleine d'Autriche; on y monte de Flo- rence par une superbe avenue de cyprès; au-dessus encore s'élève la colline d’Arcetri, célèbre par ses VILLAS FLORENTINES. 89 | vignobles; la villa del Giojello, où Galilée passa ses dernières années ; la villa Mozzi, séjour favori de À Cosme l’ancien; Careggi, où Savonarole visita Lau- - rent de Médicis à son lit de mort et lui refusa l’ab- solution ; Rinuccini, aujourd'hui Palmieri de’ tre visi, asile des héroïnes de Boccace durant la peste . de 1348; Pratolino, désert aujourd'hui et délabré, _ dont les eaux jaillissantes et les belles plantations, dessinées par Buontalenti, plurent jadis à Bianca- Capello, la terrible et romanesque Vénitienne ; on y voit encore un célèbre colosse de l’Apennin, ou- vrage de l’'Ammanati. La tragique histoire de cette Bianca Capello et de Laurent de Médicis eut son _ dénoûment au Poggio a Cuiano, charmante villa ._ grand'ducale, traversée par le fleuve Ombrone, et - où s’est exercée la fantaisie du grand architecte Ju- _ lien de San-Gallo. - Pise et Padoue sont fières de leurs jardins bo- * taniques, les plus anciens de l’Europe (1544, 1545). | À Pesaro, les ducs d'Urbin eurent leur parc. Gênes : montre au visiteur charmé le jardin de ses illustres | Doria ; le délabrement des colonnades, l'herbe qui envahit les allées, ne peuvent enlever à ces terrasses leur principale beauté, la vue d’une mer plus bleue … que le ciel, et dont tous les flots semblent des sa- … phirs taillés à facettes. . Les jardins de Rome et des montagnes voisines “n'appartiennent presque plus au seizième siècle ; { NT “OUPS RENTE 90 PARCS ET JARDINS. mais ils ont précédé le style classique et se ratta- chent étroitement à la Renaissance. Le goût du grand y tourne à l’emphase, et la grâce y dégénère en ma- nière. Des labyrinthes de splendides escaliers « qui semblent destinés à quelque cérémonie de peuples triomphants conduisent à une maisonnette étonnée et honteuse de son gigantesque piédestal. » Le marbre, l’ardoise, la brique, les buis, les ifs taillés dessinent des arabesques, des devises et des ar- moiries ; des statues jouent de divers instruments mus par les eaux. Le président de-Brosses s’est moqué avec une sorte de raison de ces jeux d'eaux, de ces girandes, de ces singuliers concerts hy- drauliques. Et cependant, « comme en somme, les palais sont d’une coquetterie princière ou d’un goût charmant; que ces jardins, surchargés de détails puérils, avaient été dessinés avec beaucoup d’intel- ligence sur les ondulations gracieuses du sol et plantés avec un vrai sentiment de la beauté des sites; enfin, comme les sources abondantes y ont été habilement dirigées pour assainir et vivifier cette région bocagère, il ne serait pas rigoureuse- ment vrai de dire que la nature y a été mutilée et insultée. Les brimborions fragiles y tombent en poussière ; mais les longues terrasses, d’où l’on do- mine l'immense tableau de la plaine, des monta- gnes et de la mer; les gigantesques perrons de marbre et de lave qui soutiennent les ressauts du VILLA D'ESTE. 91 terrain, et qui ont, certes, un grand caractère; les allées couvertes qui rendent ces vieux Édens pra- ticables en tout temps; enfin tout ce qui, travail élégant, utile ou solide, a survécu au caprice de la mode, ajoute au charme de ces solitudes, et sert à conserver, comme dans des sanctuaires, les heu- reuses combinaisons de la nature et la monumen- tale beauté des ombrages. » (G. SAND.) Il n’est pas de site plus privilégié que Tivoli. Sa grotte des Sirènes, ses eaux jaillissantes et claires, l'éternelle fraicheur des ombrages qui garnissent les flancs de sa vallée profonde, yavaient attiré Mé- cène, Quintilius Varus, Horace. La fameuse Zé- nobie, vaincue et prise par Aurélien, y termina sa glorieuse vie. Les modernes n’ont pas été moins empressés à s'y créer de somptueuses retraites; mais la triste décadence de l’État romain, l’incurie des propriétaires et des riverains du Teverone, ont laissé envahir par une humidité malsaine ces ré- gions autrefois renommées par leur salubrité, et . tomber en ruines les magnifiques villas construites : et aménagées par les plus élégants artistes de la Renaissance. | La villa d'Este, que Pirro Ligorio dessina en “1549 pour le cardinal Hippolyte d'Este, était aban- donnée déjà en 1730. S'ils n'étaient pas si mal tenus, dit le président de Brosses, ces jardins surpasse- raient tous céux de Fracasti, surtout pour l’abon- ve 4 + d F1 € + > 92 _ PARCS ET JARDINS. dance des eaux. « La situation ne pouvait être plus heureuse pour s’en donner à cœur joie. Le domaine bordant la colline et la rivière coulant au-dessus, on n’eut d'autre peine que de faire une saignée dans le lit- du Teverone. Aussi y voit-on plus de mille fontaines. Il serait à désirer seulement que de ces mille, on voulût bien en supprimer plus de neuf cents, misérables filets d’eau, purs colifichets, vraies amusettes d'enfants, et préserver les autres de la rouille et du délabrement. » Le spectateur en est réduit à se figurer les deux lignes des jets d’eau entre lesquels le grand canal passait sur la terrasse comme entre des allées de grands arbres ; il lui faut recourir à son imagina- tion pour animer les grandes pièces, la Girande, la Gerbe, le bassin des Dragons, la fontaine de Bac- chus, du Triton, d’Aréthuse, de Pégase, les grottes de Vénus et de la Sibylle. Au bout de la terrasse, du côté de la ville, les eaux entraient dans le jar- din par un portique orné de colosses, en formant une nappe d'une hauteur et d’une largeur surpre- nantes. C'était une des belles pièces qu’il fût possi- ble de trouver. À l’autre bout, de ridicules réduc- tions des édifices romains, lançant de minces filets d'eau, lui font un pendant mesquin. Près de cette Roma antica, un bosquet renfermait des instru- ments à vent, des oiseaux qui remuaient les aïles et chantaient d’un ramage enroué, par le moyen de FRASCATI. 93 . conduits d'air et d’eau. « C'est à peu près comme les contes des fées, que l’on fait aux petits enfants, . de la pomme qui chante, de l’eau qui danse et du . petit oiseau qui dit tout. » Si les fontaines sont en- | gorgées , les jardins sont en friche, les terrasses . sont moisies, les portiques de verdure ont dérangé . depuis longtemps la régularité de leurs formes _ architectoniques. Les cyprès de la terrasse ont pris des -proportions gigantesques et ennoblissent le premier plan d’une immense perspective dont Rome fait le fond. Les collines Tusculanes ne sont, jusqu’à leur _ point le plus élevé, qu’un immense jardin partagé entre quatre ou cinq familles princières. Et quels jardins! Celui de Piccolomini ne compte plus ; mais ici, à l'est, ce sont les platanes séculaires de la villa Falconieri (1548) ; là, sur la hauteur, le casino de la Ruffinella, construit par Vanvitelli sur l’em- placement du gymnase de Cicéron; plus bas, la Taverna, Conti, aux Torlonia, et Mondragone, aux Borghèse, avec les quatre cents fenêtres de son pa- lais, ses étonnantes cuisines, ses riches cheminées, son beau portique de Vignole et sa magnifique » avenue de chênes verts; enfin, à l’ouest, la célèbre villa Aldobrandini, montagne découpée en ter- 1 ; ; rasses couvertes de verdure, de grottes et de cas- cades, aujourd’hui sans eau, décorée par Jacques dela Porte et Fontana, pour un neveu de Clément "À É 94 PARCS ET JARDINS. VIII, qui avait puisé en deux ans plus de cinq mil- lions aux coffres de somencle. « : De ses hauteurs, qui confinent à la villa de Cicé- ron, la vue s'étend au loin sur les montagnes de la Sabine, les vignobles qui en garnissent le pied et sur la fauvecampagne de Rome, parsemée de dé- bris d’aqueducs et de lambeaux d'architecture, comme d’ossements une nécropole. On admire les avenues de platanes « et de charmilles taillées, les architectures d’escaliers, de balustres et de ter- rasses. À l’entrée, adossé contre la montagne, un portique revêtu de colonnes et de statues dégorge à flots l’eau qui lui arrive d’en haut sur un escalier de cascades; c’est le palais de campagne italien, disposé pour un grand seigneur d'esprit classique, qui sent la nature d’après les paysages de Poussin et de Claude-Lorrain.» (TAINE.) Le grand jet d'eau du Belvédère-Aldobrandini, à peu près égal à celui de Saint-Cloud, s’élançait avec un bruit effroyable d’eau et d’air, entremélés ensemble par des tuyaux pratiqués exprès, qui fai- saient, dit fort plaisamment de Brosses « une conti- nuelle pétarade. » La colline tout entière présente trois étages, garnis de portiques et de façades en architecture rustique, couronnés et flanqués de gerbes d’eau et de fontaines. La grande pièce est surmontée de colonnes torses dont les cannelures lançaient l’eau en spirale. VILLA ALDOBRANDINI. 95 Les avenues d’en bas sont bordées d’orangers, de gradins, de balustrades, ases pleins de myrtes et de grenadiers qui s’alignent contre des palissades de lauriers. On ne se ferait pas une idée des grâces et des singularités de la villa, si l’on ne consultait quelque voyageur du dernier siècle. De Brosses va nous les décrire avec sa verve gauloise: « La fa- çade du bâtiment a deux ailes en retour et en forme de grottes. Dans l’une est un centaure son- nant du cornet à bouquin ; dans l’autre un faune jouant de la flûte par le moyen de certains con- - duits qui fournissent de l’air à ces instruments ; mais c'est une déplorable musique. Ces deux mes- sieurs auraient besoin de retourner quelque temps à l’école, ainsi que les neuf Muses qu’on voit avec leur maître Apollon, dans une salle voisine, exécu- tant sur le mont Parnasse un chétif concert par le même artifice. Cette invention me parut puérile - et sans agrément. Rien n’est plus froid que de voir - neuf créatures de pierre, barbouillées en couleur. - Près de là, un Pégase fait jaillir une Hippocrène ; « pourvu que ces princesses et les oiseaux qui les è accompagnent ne se donnent pas la peine de rom- pre la tête aux assistants, ce salon doit être fort “agréable pendant l'été. Des conduits, pratiqués “sous le pavé, y apportent de l’air qui entre avec sez de force pour soutenir en l’air une boule de is léger. 96 PARCS ET JARDINS. « Nous étions assis de très-bonne foi sur un par- vis du Belvédère pour entendre le centanre jouer de son cornet, sans nous apercevoir d’une centaine de petits traitres de tuyaux, distribués entre les joints des pierres, qui partirent tout à coup sur nous en arcades. Il y a surtout un excellent petit esca- lier tournant où, dès que l’on y est engagé, les jets d’eau partent en se croisant en tous sens, du haut, du bas et des côtés. On est pris là sans pouvoir s’en dédire. » La troupe joyeuse rentra à l’auberge ab- solument trempée, changea d’habits, revint aux cascades, et prit tant de goût à ce qui nous semble- rait aujourd’hui une assez mauvaise plaisanterie, qu’une seconde campagne lui valut pareille im- mersion. Plus de vêtements secs, il fallut s'aller coucher. Il s’en faut, d’ailleurs, que le délabrement de la villa Aldobrandini l'ait rendue moins charmante et moins poétique. Rappelez-vous les vers du poëte : Voulez-vous qu’une tour, voulez-vous qu’une église Soient de ces monuments dont l'âme IQSAUES La forme et la hauteur, Attendez que de mousse elles soient revêtues, Et laissez travailler à toutes les statues Le temps, ce grand sculpteur! Dans un coin du pare, on s’était imaginé de creu- ser le roc en forme de mascaron, et d'ouvrir dans Eric PE EEE Lo anus CA die Es tte VILLA ALDOBRANDINI. 97 la bouche de « ce Polyphême » une caverne où plu- sieurs pérsonnes peuvent chercher un abri. «Les branches pendantes et les plantes parasites se sont chargées d’orner de barbe et de sourcils cette face fantastique reflétée dans un bassin. » C’est La grotte où le lierre Met une-barbe verte au vieux fleuve de pierre. Le temps a émoussé les contrastes et fondu l’œu- vre de l’homme et de la végétation. Les arbres ont à peine eu le temps d'oublier Les lignes où la serpe enfermait leur verdure ; Mais la forme imposée ondoie, et la nature Tempère ce que l’art eut de trop régulier. Des portiques d’ormeaux le cintre diminue, Le chapiteau déborde et l'angle s’arrondit. La charmille en tout sens se projette etgrandit, Par l’habitude ancienne à moitié contenue. Les deux rangs de cyprès qui conduisaient au seuil, Selon l’heure du jour tournent leurs noires ombres; Et, sans inscriptions, ces obélisques sombres Gardent les doux secrets des demeures en deuil ; Et par l’humide oubli de mousses revêtues, En écaille de plâtre, à chaque carrefour, Semant leur vieille peau sans espoir de retour, Pleurent, groupes muets, les joyeuses statues. Sous les lambris déteints, avec recueillement On marche, environné de peintures flétries, Et la sonorité des vastes galeries Répond à chaque pas par un gémissement. = : J8 PARCS ET JARDINS. « Les Pans n’ont plus de flûte, les nymphes n’ont plus de nez; à beaucoup de dieux badins, il manque davantage encore, puisqu'il n’en reste qu'une jambe sur le socle. Le reste git au fond des bassins. Les eaux ne soufflent plus dans des tuyaux d'orgue; elles bondissent encore dans des conques de marbre et le long des grandes girandes ; mais elles y chan- tent de leur voix naturelle. Les rocailles se sontta- pissées de vertes chevelures, qui les rendent à la vérité. Les fraises et les violettes ont tracé des ara- besques aux contours des tapis verts; la mousse a mis du velours sur les mosaïques criardes : tout a pris un air de révolte, un cachet d’abandon, un ton de ruine et un chant de solitude. » (GEORGE SAND.) La villa Borghèse, malgré son étendue et ses agré- ments, est loin du charme poétique des villas de Frascati. Nous lui préférerions l’admirable jardin Ludovisi, avec ses haies de lauriers, ses futaies solitaires de chênes verts, ses allées de cyprès cen- tenaires, ses souvenirs antiques, et son enceinte formée par les murailles de Rome, une vraie ruine naturelle. La villa Borghèse, située à quelque dis- tance de la porte du Peuple, était, quand nous visi- tâmes Rome, la promenade publique du dimanche. C'est un vaste parc de quatre milles de tour, sorti tout entier du trésor pontifical, aux temps de Paul V, oncle des Borghèse et Borghèse lui-même. « À l’entrée, est un portique égyptien du plus mau- o n — 20 o _ = = > É] _ LE QUIRINAL. 101 vais effet ; c’est quelque importation moderne. L’in- térieur est plus harmonieux et tout classique : ici un péristyle, là un petit temple, plus loin une co- lonnade en ruine, un portique, des balustres, de grands vases ronds, une sorte de cirque. Le terrain onduleux courbe et relève de belles prairies toute rouges d’anémones molles et tremblantes. Les pins, séparés à dessein, profilent dans l'air leur taille élégante et leur tête sérieuse; droits et can- nelés comme des colonnes, ils portent leur coupole dans le pacifique azur. Aux détours des allées, les fontaines bruissent, et, dans les petites vallées, les grands chênes dressent leurs vaillants corps de hé- ros antiques, d’une rondeur aussi ample que les arbres d'Angleterre. » (TAINE.) Si les papes prodiguaient à leurs neveux la for- tune publique, ils savaient en garder pour l’embel- lissement de leurs propres demeures. Les jardins du Quirinal, composés au dix-sep- tième siècle pour le pape Urbain VII, « s’étagent : depuis le sommet jusqu’au bas de la pente; il sem- ble qu’on se promène dans un paysage de Pérelle : . hautes charmilles, cyprès taillés en forme de vases, . plates-bandes bordées de buis qui font des dessins, . coionnades et statues. Le jardin a la régularité - froide et la correction grave du siècle. Ces jardins | ainsi entendus conviennent mieux en Italie que chez nous. Les charmilles sont en lauriers et en buis, 102 PARCS ET JARDINS. qui durent l'hiver et qui, l’été, préservent du so- leil; les chênes-liéges, qui ne perdent jamais leur verdure, font en tout temps un ombrage épais; les murailles d'arbustes vivaces arrêtent le vent. Les eaux, qui jaillissent de tous côtés, occupent les yeux par leur mouvement et conservent la frai- cheur des allées. Des balustrades, on aperçoit toute la ville, Saint-Pierre et le Janicule, dont la ligne sinueuse ondule dans la pourpre du soir. On des- cend ensuite par de grands escaliers, ou sur des pentes adoucies, jusqu'au bassin central où cin- quante jets d’eau partis des bords viennent rassem- bler leurs eaux bleuàtres. Tout à côté, une rotonde pleine de mosaïques offre, sous sa voûte, l'ombre et la fraicheur. » (TAINE.) On trouve, dans le beau jardin du Vatican, des traces intéressantes de la première Renaissance; un vaste parterre, commencé par Nicolas V, y fut agrandi et embelli par Jules IT sur les dessins de Bramante. Dans la façade principale des bâtiments qui l'entourent se creuse une niche où l’on voit deux paons et une grande pomme de pin en bronze qui décoraient jadis le môle d’Adrien. Suit un autre jardin où Pie IV fit construire par Pirro Ligorio un somptueux casin, décoré de belles colonnes et de statues. C'est la villa Pia. Nombreux et variés sont les bassins et les jeux d’eau, parmi lesquels il faut remarquer une petite vasque de bronze VILLA DE JULES II. 103 d’où s'élancent à grand fracas cinq cents jets gra- cieux. Bien qu'un peu bagatelle, elle est tout à fait cu- rieuse et amusante. Elle figure une espèce de na- vire percé de deux rangs de pièces de canon; autour de ses mâts, de ses vergues, de ses banderoles, des filets d’eau forment les cordages et les agrès. Les canons tirent des jets d’eau. Des jets d'eau en- core couvrent du haut en bas le rocher qui abrite le bassin de la fontaine. Jules II, de belliqueuse mémoire, le contempo- rain de Michel-Ange, s'était fait bâtir et dessiner par Vignole une élégante villa, hors des murs, du côté de la porte du Peuple. Des piliers corinthiens y supportaient le portique d’une cour circulaire. À gauche se développe une large rampe, escalier sans marches que l’on pouvait monter à cheval ; elle conduit à uue délicieuse loggia soutenue par des colonnes, élargie par un vaste balcon. C'était là que Jules après souper, s’entretenait de littéra- ture et d'art avec Michel-Ange, avec Raphaël ou Bembo. La masse de la construction a résisté au temps; mais les jardins ont disparu. Les canards se -baignent dans les cascades ; les laveuses battent leur linge sur le rebord des vasques de marbre. Les colonnes ont les pieds dans le fumier, et des “hangars masquent la belle ordonnance des bâti- «ments. 104 PARCS ET JARDINS. Terminons par quelques mots du président de Brosses sur les iles Borromées, particulièrement sur l’Isola vella décorée dans le courant du dix- septième, siècle (1670) par le prince Vilalien Bor- romée. É « Une quantité d’arcades, construites au milieu du lac, soutiennent une montagne pyramidale cou- pée à quatre faces, revêtue de trente-six terrasses en gradins l’une sur l’autre, savoir : neuf sur cha- que face; mais ce nombre n’est pas si grand, à cause des bâtiments qui occupent une partie des faces de la pyramide. Chaque terrasse est tapissée, dans le fond, d’une palissade soit de jasmins, soit de grena- diers ou d’orangers, et revêtue sur son bord d’une balustrade chargée de pots de fleurs. Le comble de la pyramide est terminé par une statue équestre formant un jet d’eau, et les quatre arêtes sont char- gées sur les angles de statues, obélisques et jets d’eau. « Cela ne ressemble à rien qu'aux palais des contes de fées. Le jardin n’est pas, à beaucoup près, aussi agréable en dedans qu’à l'aspect. Cependant il y a des endroits exquis, comme bocages de gre- nadiers et d’orangers, corridors de grottes, et sur- tout de vastes berceaux de limoniers et de cédrats chargés de fruits. » Ces jardins, ral entendus en bien des endroits, ILES BORROMÉES. 105 n’en seront pas moins toujours beaux, par les | perspectives qu'ils offrent et: par celles qui les en- _ tourent ; il n y a rien de plus riche et de plus riant _ que les bords du lac Majeur, avec leur végétation _ exubérante et leur horizon de montagnes nei- geuses. IT | Anet , Gaillon, Fontainebleau. — Seconde Renaissance sous - Henri IV: parterres des Tuileries, de Saint-Germain, du Luxem- .. hourg. Éloge du buis, par Olivier de Serres. — Rueil. . «Il ne faut voyager en Italie ni ailleurs, » dit Oli- wier de Serres, « pour voir les belles ordonnances des jardinages, puisque notre France emporte le prix sur toutes nations, pouvant d’icelle, comme d'une docte école, puiser les enseignements sur telle matière. » - Ducerceau, habile architecte qui décrivit, en 1576- 1579, la plupart des belles résidences de la France “centrale, mentionne une foule de jardins qui n’a- vaient rien à envier aux célèbres villas d'Itakie : Folembray, avec son parc d’une lieue de tour ; Val- à lery (à cinq lieues de Fontainebleau), château en- ouré de vergers, de vignobles, et dont le grand ardin, attenant à un étang et à une héronnerie, des Tuileries, enrichi d’arabesques inscrites en des carrés, des losanges, des plates- bandes et des cercles, ressemble à s’y méprendre à _une riche boiserie. Cet autre est une de ces étoffes soutachées et brochées dont on couvre les siéges. Au milieu d’enrichissements, fleurons, palmettes, verdoye la devise royale, H coupé d’un glaive, croisé des deux sceptres, (France et Navarre) le tout lié dune banderolle. Celui-ci présente un carré aux encoignures rehaussées de carrés plus petits, et flanqué de quatre demi-cercles ; au centre, l’H royal est chargé de faucilles et de caducées. Celui-là, ingénieusement armorié de fleurs de lys et de chimères alternant avec des entrelacs de G (Cory- -sandre?), inscrit dans son riche carré une jolie rose centrale. … À Fontainebleau, on voit des ovales groupés au- pour d’un cercle d’où rayonnent des sentiers. Dans s jardins de Saint-Germain, les chiffres royaux sont très-grands ; les caducées y ont des ailes; et FE 118 _ PARCS ET JARDINS. sur la banderolle (de gravier sans doute), on lit : Duo proteget unus, un seul protégera les deux scep- tres. Olivier de Serres donne le plan d’un «rond sis à Saint-Germain, accompagné ès deux bouts de bordures qui rendent la planche longue : dont l’on pourra tirer l'adresse de faire un jardin entier, ayant des allées droites, des côtés droits, des dia- gonales et des courbes. » L'ancien parterre du Luxembourg était bordé de deux murs de terrasse, l’un à hauteur d'appui, l’autre plus élevé; entre les deux, circulait une plate-bande fleurie, d'environ quatre mètres de large ; de petits bassins à jets d’eau, communiquant par des rigoles, couronnaient les murs et rafraichis- saient les ifs et les buis de la bordure. Ces miévre- ries ont disparu ; mais le plan du jardin, avec ses élégantes terrasses courbes, garde encore la forme générale que lui donna Jacques Desbrosses ‘. Le mauvais goût de la décadence italienne, évité dans nos jardins royaux et princiers, s'était répandu dans les provinces, en Flandre, surtout en Hollande. Près de Harlem, toute une chasse au cerf était re-. présentée en charmille ; l'abbé de Clairmarais, dans son jardin de Saint-Omer, gardait une troupe d’oies, dindons et grues, en if et en romarin; l’abbé des | 1. Des accroïssements successifs avaient fait du Luxembourg la | plus grande et la mieux aérée de nos promenades urbaines. Peut- « être, quand ce livre paraîtra, sera-t-il diminué d'un quart. RUEIL. 119 Dunes au contraire était gardé par des gens d’armes _ de buis. M. de La Borde a encore vu (1808) à Cham- _ baudoin, en Beauce, des instruments de musique taillés en grand dans les ee verts et groupés en . labyrinthe. Les jardins de Rueil qui, dit-on, inspirèrent Le . Nôtre, en quête d’un plan pour Versailles, ont été, . sans nul doute, les mieux conçus et les plus riche- . ment ornés de l'Occident, dans la première moitié du dix-septième siècle. Le domaine entier consti- tuait une demeure d’une magnificence inouïe pour le temps et qui éclipsait les châteaux royaux. Il appartenait au reste au véritable roi, à Richelieu, qui l'avait créé à grands frais sur l’emplacement d'une petite maison de plaisance achetée à un nommé Moisset. Ce fut vers 1621 que Rueil fut ter- _ miné; il avait coûté l’énorme somme de treize cent vingt six mille livres. L'aménagement des eaux y _surpassait tout ce qu’on avait vu jusqu'alors ;-les _ jardins étaient séemés de curiosités végétales et ornementales ; ici les premiers marronniers d'Inde - apportés en France étalaient et relevaient au prin- - temps les cinq doigts de leurs feuilles qui semblent | des mains ouvertes ; là, un arc de triomphe, copie de l'arc de Constantin, précédait la plus riche des » orangéries. A l’entour d’un immense parterre qui se déroulait devant la façade, plus de cent jets d’eau |élancés retombaient sur une cascade à trois chutes. CU ANA TE br" 120 PARCS ET JARDINS. Trois épaisses colonnes d’écume s’élevaient encore dans une vaste pièce carrée au bout du canal. D'autres eaux jaillissanies animaient le parc, dé- coré d’une cascade en amphithéâtre. _ Parterres, jets d’eau, parc et pavillon sur le lac, où Richelieu présidait son conseil, tout cela n'est plus. Morcelé au dix-huitième siècle, Rueïl fut anéanti en 93. (Les Borromées). Isoa M:dre. Versailles. Bassin de Flore. Le style régulier : Versaïlles, Trianon, Marly, Chantilly, Saint- Cloud, Meudon, Sceaux. Villa Panfili. André Le Nôtre, qui mérita de donner son nom à toute une classe de jardins, moins par son génie in- ventif que par son habileté à mettre en œuvre les enseignements successifs des âges, à combiner en ses plans toutes les données de ses prédécesseurs, naquit en 1613. Il avait étudié la peinture et s'était lié avec Lebrun; mais, fils d’un surintendant des Tuileries, et trouvant sa voie toute tracée, il appli- 124 PARCS ET JARDINS. qua à l’embellissement des jardins ce qu'il avait appris dans l'atelier de Vouet. Je ne sais si, Comme on le dit, il emprunta directement son système aux villas d'Italie ou aux jardins français tels que Gaillon et Rueil; il n’y a guère de différence entre ces ma- nières et la sienne; le parc régulier convenait si bien aux mœurs des ecclésiastiques opulents et des rois absolus qu'il s’imposait de lui-même à tout dessinateur de jardins. Le Nôtre eut plus de goût que les Italiens de son temps et plus de grandeur que les artistes français antérieurs à Poussin. Sa grande supériorité fut dans l’unité de ses plans ; il conçut le jardin comme un prolongement du palais et voulut que, d’un lieu donné, d’un seul coup d’œil, on püt embrasser tout l’ensemble. Au point de vue de l’art, cette con- ception l'emporte évidemment sur le jardin irrégu- lier dit chinois ou anglais, qu’on peut détacher sans lui nuire des bâtiments qu’il accompagne, puis- qu’il n’en est pas solidaire; le but suprême de l’art n'est point d’imiter la nature, mais d’en accommo- der les charmes à la pensée de l’homme et à son service. Si notre œil aujourd’hui est mieux satisfait par des harmonies moins rectilignes, si nous don- nons à nos parcs l'apparence de bois et de prairies, nos créations n’en sont pas moins artificielles, et elles aboutissent plus souvent encore à la confusion que les alignements des classiques n’atteignaient la JARDINS RÉGULIERS. 125 roideur. Il est d’ailleurs possible d’agencer les deux genres contraires; et Le Nôtre lui-même l’a tenté souvent, à Versailles par exemple, à Saint-Cloud et à Meudon, avec non moins de bonheur que les des- . sinateurs paysagistes à Ermenonville ou à Morfon- * taine. La tristesse et la froideur qui règnentaujourd’hui dans la plupart de ces beaux jardins sont naturelles aux lieux abandonnés; et il semble vraiment que les œuvres de l’homme, lorsqu'elles survivent à leur raison d’être, gardent un mortel regret de ce qui leur communiquait l'apparence de la vie. Il y a là une incurable mélancolie que ne dissipent ni les beaux jours, ni la foule accourue aux Grandes Eaux comme à une exhumation; mais c'est dans la se- maine surtout, lorsque la solitude complète étend sa morne tranquillité sur lesgrandes allées veuves, qu’il faut venir admirer ces pompes vides et cette majesté déchue. Sous nos yeux s’étendait, gloire antique abattue, Un de ces parcs dont l’herbe inonde le chemin, Où dans un coin, de lierre à demi revêtue, Sur un piédestal gris, l’Hiver, morne statue, Se chauffe avec un feu de marbre sous sa main. O deuil! le grand bassin dormait, lac solitaire ; Un Neptune verdâtre y moisissait dans l’eau ; Les roseaux cachaient l’onde et l’eau cachait la terre, Et les arbres mêlaient leur vieux branchage austère, D'où tombaient autrefois des rimes pour Boileau. 126 PARCS ET JARDINS. Les manteaux relevés par la longue rapière, Hélas! ne passaient plus dans ce jardin sans voix ; Les tritons avaient l’air de fermer la paupière ;° Et, dans l'ombre, entr'ouvrant ses mâchoires de pierre, Un vieux antre ennuyé bâillait au fond du bois. Peut-être dans la brume au loin pouvait-on voir Quelque longue terrasse aux verdâtres assises, Ou, près d’un grand bassin, des nymphes indécises, Honteuses à bon droit dans ce parc aboli, Autrefois des regards, maintenant de l'oubli. V. HuGo. A mesure qu’on avance dans ce jardin antique Où, marquant tous ses pas de l’aube jusqu’au soir, L'heure met tour à tour dans les vases de marbre, Les rayons du soleil et les ombres de l'arbre, . on évoque peu à peu les habits éclatants, les mol- lets solennels, les grandes perruques et lès jupes énormes qui balayaient chaque jour ces sentiers moisis, et les conversations nobles qui animaient les charmilles classiques, complices de bien des mystères et de bien des chuchotements. Peu à peu toutes ces nymphes, tous ces faunes paraissent moins dépayssés; et nous y voyons le dix-septième siècle en déshabillé. O dieux ! O bergers! O rocailles! Vieux Satyres, Termes grognons, Vieux petits ifs en rang d'oignons, O bassins, quinconces, charmilles, : : E en La LE VAUX. Boulingrias pleins de majesté, Où les dimanches, tout l’été, Bâillent tant d’honnêtes familles ! Fantômes d’empereurs romains, Pâles nymphes inanimées Qui tendez aux passants les mains, Par les jets d’eau tout enrhumées ! Tourniquets d’aimables buissons, Bosquets tondus où les fauvettes * Cherchent en pleurant leurs chansons, Où les dieux font tant de façons Pour vivre à sec dans leurs cuvettes ! Dites-nous, marches gracieuses, Les rois, les princes, les prélats Et les marquis à grands fracas, Et les belles ambitieuses, Dont vous avez compté les pas ! ACFRED DE MUSSET. 127 Vous voyez que les vieux jardins français ne sont point hostiles à la poésie; ils élèvent la pensée et l'invitent insensiblement à cette évocation du passé qui seule rend leur valeur à ces vases, ces bassins, ces statues, ces rampes, ces terrasses multipliées auxquels se prêtent si bien la régularité des plans et la symétrie des lignes. Le premier grand ouvrage qui portât l'empreinte de Le Nôtre fut le parc de Fouquet, à Vaux, l’un des objets qui ont le plus surexcité la jalousie de « Louis XIV et causé la disgrâce du surintendant. Fon- tainebleau, Rueil même, n'étaient rien près de ces 128 PARCS ET JARDINS. huit cents arpents coupés de parterres, de bosquets et d’eaux vives et dont l’acquisition (1640) et l’amé-' nagement n'avaient pas coûté moins de dix-huit millions. L'auteur de ces merveilles fut appelé à les surpasser et on lui livra la vaste plaine de Ver- sailles, triste terrain à la fois marécageux et stérile. De si mauvaises conditions devaien tdoubler la gloire de la réussite, mais peut-être en centupler les frais. On raconte que Louis XIV se faisait détailler toutes les beautés projetées et qu’à chaque fontaine, à chaque pièce d’eau, il disait : « Le Nôtre, je vous donne vingt mille francs. —Sire, Votre Majesté n’en saura pas davantage, je la ruinerais » réponditenfin le brave dessinateur, à la fois enchanté de ses plans et ravi de paraître ménager la caisse de son maître. L’anecdote est aussi instructive qu’agréable; elle fait voir avec quel dédain le grand roi traitait la fortune publique ; il n'avait guère plus pitié du sang des Français que de leur argent. Quand il fut démontré que la machine de Marly, engin dispendieux du liégeois Rennequin, ne pou- vait, malgré ses deux cent vingtet une pompes, suf- fire aux insatiables bassins, aux dévorants jeux d'eau du nouveau parc, on entreprit de leur don- ner à boire la rivière d’Eure qui coule à cinquante kilomètres de Versailles. Un canal fut creusé jusqu'à Berchère le Mangot; restaient deux lieues environ; | aussitôt on commença les deux cent quarante-deux F, VERSAILLES. 129 _arcades projetées de l’aqueduc de Maintenon. Racine en vit quarante-huit en 1687 et les déclara cons- truites pour l'éternité. On y fit travailler jusqu’à trente-six mille soldats qui périssaient par milliers; toutes les nuits les chariots funèbres fonction- naient. « Cet inconvénient, dit Mme de Lafayette, ne paraissait digne d'aucune attention aw sein de la tranquillité dont on jouissait. » Les travaux meurtriers, interrompus par la guerre, ne furent jamais repris. Un système de ri- goles, qui a cinquante lieues de développement, et les eaux des étangs environnants, suffirent, dans les grandes occasions, à remplir les innombrables tuyaux répandus sous les parterres, sorte de par- quet posé sur des voûtes de plusieurs mètres de -haut. Enfin pourvus d’eau, les jardins reçurent leurs derniers atours, statues, vases et colonnades. Du pied de la longue façade qui braque sur l’ho- rizon ses trois cent soixante-quinze fenêtres, par delà les bronzes groupés sur des tablettes de mar- bre autour du parterre d’eau (1688-1690), le re- gard, passant par-dessus le bassin de Latone, qui se cache entre deux rampes tournantes décorées de - statues et d’ifs en pyramides, va se reposer sur le “ fameux tapis vert, longue alléé herbue entre deux « charmilles transversalement coupées par des ave- - nues dont les noms sont empruntés aux saisons, | : distingue encore, au bout du petit parc (le seul fré- à 9 130 PARCS ET JARDINS. quenté), le Char embourbé du bassin d’Apollon, suit dans sa longueur le beau canal du grand parc, dont les bras latéraux gagnent à angle droit, ici la plaine de la Ménagerie, là le grand Trianon, et se perd en- fin dans une campagne lointaine semée de villages, de hameaux, et qu'enfermait jadis une muraille dé neuf lieues. Parmi les beautés sans nombre semées dans ce merveilleux ensemble, il faut placer en première ligne l’Orangerie, l’Allée d’eau, le Bassinde Neptune, les Bains d’Apollon, de Latone, la Salle de bal, Ençe- lade et la Colonnade. Nous ne parlons pas du Jardin du roi, qui date de 1816, ni du Labyrinthe, remplacé en 1775 par le Bosquet de la reine. On descend à l’Orangerie par le parterre du Midi, déjà situé en contre-bas du parterre d'Eau, sur la gauche du palais où nous étions tout à l'heure adossé. De ce premier palier, la vue s’étend sur la vaste pièce d'eau des Suisses, et jusqu'aux bois de Satory; ces jardins, sur la gauche, occupent l’empla- cement du potager du roi (cinquante arpents), cul- tivé par le fameux la Quintinie. L’Orangerie est bâtie au-dessous du parterre, entre deux magnifi- ques escaliers dits des Cent marches; c’est un des chefs-d’œuvre de Mansart et ce qu’il y a de plus | beau en architecture à Versailles, sans excepter le château. Entre ses trois galeries d’un caractère mâle et simple et d’une vaste étendue, s’alignent, VERSAILLES. 131 autour d’un bassin, jusqu’à douze cents caisses d’o- rangers et trois cents d'espèces variées. Les orangers . sont anciens et célèbres; l’un entre autres, le Grand . Bourbon, fut acquis en 1530 par la confiscation des biens du connétable de Bourbon. Si, comme on le croit, il fut semé en 1421, il atteint l’âge pro- digieux de quatre siècles et demi. L’Orangerie a été construite en 1685. De l’autre côté du château, en avant de l'aile du Nord, descend la charmante Allée d’eau, dessinée par Claude Perrault. Deux petites pelouses en longueur la partagent et s’égayent de vingt-deux groupes d'enfants aux attitudes variées qui tous, trois à trois, baignent leurs pieds folâtres en un bassin de marbre blanc et soutiennent sur leurs têtes une vasque empanachée d’un jet d’eau. Plus loin, dans le même axe, s’étale le bassin de Neptune, dont les jets superbes sont chargés du bouquet final dans le feu d’artifice des Grandes Eaux ; _ il faut, pour le contempler dans sa grandeur impo- sante, aller se placer à l'extrémité septentrionale du parc; on a d’abord en face de soi, au-dessus du bassin, soixante-trois jets d’eau, dont moitié plantés comme des arbres de neige en des vases de plomb bronzés, et qui retombent par de vastes coquilles “dans la grande pièce. Au-dessous, trois groupes ‘énormes en métal, fouillis de dieux, de tritons, de maiades et de chevaux marins vomissant des flots 132 PARCS ET JARDINS. d’écume avec une verve qui eût réjoui un Homère. Les eaux s’élancent, bouillonnent, se croisent, se heurtent, faisant jaillir aux rayons du couchant des millions d’étincelles évanouies bientôt en brouillard diaphane. C’est une ivresse de-fraicheur et de lumière. Mais fuyons vite, toutes ces puis- sances de la mer qui exhalent fièrement leur souffle gigantesque ne seront plus tout à l'heure que des formes noiràtres au-dessus d’une eau troublée, tristes de leur silence et de leur immobilité. Tel devait être Louis XIV vieilli, lorsque la grande comédie des représentations royales cessait un moment de dérider sa face, et qu’il rentrait dans le silence de la vie intime entre l’austère Maintenon et l’austère père La Chaise. C'est en 1685, d’après Dangeau, que le roi-soleil vit pour la première fois jouer toutes les machines de Neptune; malgré le pouvoir magique de la flat- terie, il était alors assez loin du bel âge où Girardon et Regnauldin le représentaient sous les traits de Phébus servi par les nymphes. Le groupe consi- dérable des bains d’Apollon, un des ouvrages qui honorent la sculpture française, exécuté vers 1662, fut d’abord placé dans la grotte de Thétis, où des fêtes furent données en l'honneur de La Val- lière (1664). La Fontaine l’a décrit ainsi : Ce dieu, se reposant sous ces voûtes humides, Est assis au milieu d’un chœur de Néréides : VERSAILLES. 133 Toutes sont des Vénus, de qui l’air gracieux N’entre point dans son cœur et s'arrête à ses yeux. _ Il n'aime que Thétis, et Thétis les surpasse. Le Bosquet d’Apollon, tel que nous le voyons aujourd’hui, aété remanié complétement par Hubert Robert en 1775, et il n’a rien perdu de ses grâces premières. Nous avons indiqué l’emplacement du bassin de Latone ; c'est une composition ingénieuse et par- faitement appropriée à sa destination. L'artiste, Balthasar Marsy, a choisi le moment où Latone change en grenouilles etautres animaux aquatiques des paysans qui l'avaient outragée. On appelle Salle de Bal, ou mieux Bosquet de la Cascade, une ellipse verdoyante dont le fond est décoré de gradins en rocailles où ruissellent, aux jours de fêtes, des nappes d’eau colorées par des lumières qu’il est aisé de dissimuler en certaines cavités du monticule artificiel. Le grand Dauphin aimait à diner en ce lieu et la cour y dansait par- fois. En face de la cascade s'élève un amphithéâtre gazonné. La Salle de Bal est située du côté de l’O- . rangerie, et le Tapis vert la sépare des bains d’A- pollon. A l’autre extrémité des massifs, et près du Bassin . d’Apollon, toujours du même côté du Tapis vert, Lapierre exécuta, sur les dessins d’Hardouin Man- sart, un élégant péristyle en marbre de forme cir- 134 PARCS ET JARDINS. culaire, soutenu par trente-deux colonnes multi- colores aux chapiteaux blancs et dont les arcades supportent des plafonds décorés de bas-reliefs et une élégante corniche. Sous chaque arcade, une vasque en marbre lance un jet d’eau qui retombe dans un petit canal inférieur. Au centre de cette colonnade est un Enlèvement de Proserpine, assez décoratif, par Girardon. L'ensemble est gracieux, riche, et dépasse de beaucoup la naumachie si vantée de Monceaux. Les Romains auraient volon- tiers dîné là sous un vélarium de pourpre. À peu près en face, au nord, un Encelade gigan- tesque, dont on n’aperçoit que la tête et les bras, lance du milieu des rochers qui l’écrasent un dernier défi au ciel. De sa bouche s'élève un jet d’eau de vingt-trois mètres. Le Grand Canal qui marque le milieu du pare sylvestre et le divise encore de ses deux bras trans- versaux, présente des dimensions remarquables, plus de 60 mètres de large sur environ 1600 de long. « Sous Louis XIV, cette majestueuse pièce d'eau était couverte de bâtiments de toutes for- mes, et principalement de gondoles vénitiennes conduites par de nombreuses troupes de rameurs et de matelots pour lesquels on avait construit un village dans les environs. Le roi, le grand Dauphin, les princesses yallaient souvent prendre le plaisir de la promenade etde la collation. Les fêtes finissaient VERSAILLES. 135 toujours par quelque feu d’artifice sur le canal. En 1770, pour le mariage du prince qui fut Louis XVI, on y avait établi un soleil de feu qui éclairait tout l'horizon (on eût dit un emblème de la révolution prochaine); et deux cents chaloupes couvertes de verres de couleurs fendaient les-eaux enflammées. La direction heureuse des jardins de Versailles avait valu à Le Nôtre la surintendance de tous les parcs royaux; il ne s’en montrait pas plus fier, et l’on rapporte qu’il ne voulut sur son écusson que trois colimaçons, deux et un, couronnés d’une feuille de chou et accompagnés d’une bèche. Il mourut en 1700, « après avoir, » dit Saint- Simon, « vécu quatre-vingt-huit ans, dans une santé parfaite, avec sa tête et toute la justesse et le bon goût de sa capacité, illustre pour avoir le pre- mier donné les divers dessins de ces beaux jar- dins qui décorent la France, et qui ont tellement effacé la réputation de ceux d'Italie (qui, en effet, ne sont rien en comparaison) que les plus fameux maitres en ce genre viennent d'Italie apprendre et admirer ici. Le Nôtre avait une probité, une exac- titude, et une droiture qui le faisaient estimer et aimer de tout le monde. Jamais il ne sortit de son état ni ne se méconnut, et fut toujours parfai- tement désintéressé. Il travaillait pour les par- ticuliers comme pour le roi, et avec la mêmeappli- cation, ne cherchait qu'à aider la nature et à ré- 136 PARCS ET JARDINS. duire le vrai beau au moins de frais qu’il pouvait; il avait une naïveté et une vérité charmantes. « Le pape pria le roi de le lui prêter pour quel- ques mois. En entrant dans la chambre du pape, au lieu de se mettre à genoux, il courut à lui. « Eh! bonjour, lui dit-il, mon révérend père, en lui sautant au cou, et l'embrassant et le baisant des deux côtés. Eh! que vous avez bon visage, et que je suisaise de vous voir, et en si bonne santé! » Le pape, qui était Clément X, Altieri, se mit à rire de tout son cœur. Il fnt ravi de cette bizarre entrée, et lui fit mille amitiés. « À son retour, le roi le mena dans ses jardins de Versailles, où il lui montra ce qu'il y avait fait depuis son absence. À la colonnade, il ne disait mot. Le roi le pressa delui dire son avis : «Eh! bien, Sire, que voulez-vous que je vous dise? D'un maçon vous avez fait un jardinier (c'était Mansart), il vous a donné un plat de son métier. » Le roi se tut et chacun sourit; et il était vrai que ce morceau d'architecture, qui n’était rien moins qu’une fon- taine et qui le voulait être, était fort dénlacé dans un jardin’. Un mois avant sa mort, le roi, qui ai- mait à le voir et à le faire causer, le mena dans ses jardins, et, à cause de son grand âge, le fit mettre dans une chaise que des porteurs roulaient 1. 11 y a bien de la sévérité dans l'opinion de Saint-Simon, et peut être quelque jalousie dans la réponse de Le Nôtre. VERSAILLES. . 137 à côté de la sienne, et Le Nôtre disait là: « Ah! mon pauvre père, si tu vivais et que tu pusses voir un _ jardinier comme moi, ton fils, se promener en chaise à côté du plus grand roi du monde, rien ne manquerait à ma joie. » Parmi les nombreux jardins qu'il eut à dessiner pour le roi, les princes ou des particuliers, on cite le grand Trianon et Marly, dont nous allons parler, Clagny, donné par Louis XIV à la Montespan, Saint-Cloud, Meudon, les Tuileries (1665), souvent modifiées, surtout dans leur partie antérieure, et récemment défigurées par la maladroite adjonction d’un parterre pseudo-anglais, Chantilly, Sceaux, la terrasse de Saint-Germain, le parc de Turin. Appelé en Angleterre, il y donna le plan de Greenwich et de Saint-James; on lui attribue la villa Panfili, à Rome. Vers 1687, Louis XIV, las des grands appar- tements mal distribués de Versailles, se fit con- struire par Mansart un agréable rez-de-chaussée sur l'emplacement d’un ancien pavillon de chasse nommé Trianon, à l'extrémité septentrionale du grand parc. Le Nôtre y joignit un assez beau jardin; mais le plus bel ornement de Trianon est la terrasse élevée dans l’axe d’un bras transversal du grand canal, et d’où le roi aimait à suivre les diver- tissements aquatiques de ses enfants. Vers 1700, il se dégoûta du grand Trianon et se prit de passion 138 PARCS ET JARDINS. pour Marly, que Mansart ornait de concert avec Le Nôtre. C’est là que tout est grand, que l’art n’est point timide ; Là, tout est enchanté, c’est le palais d’Armide ; C’est le jardin d’Alcide, ou plutôt d’un héros Noble dans sa retraite, et grand dans son repos... Voyez-vous et les eaux, et la terre et les bois, Subjugués à leur tour, obéir à ses lois ; A ces douze palais d’élégante structure Ces arbres marier leur verte architecture, Ces bronzes respirer, ces fleuves suspendus, A gros bouillons d’écume à grands flots descendus, Tomber, se prolonger dans des canaux superbes, Là s’épancher en nappe, ici monter en gerbes.… Tout bosquet est un temple et tout marbre est un dieu; Et Louis, respirant du fracas des conquêtes, Semble avoir invité tout l’Olympe à ses fêtes. DELILLE. Louis XIV eût aimé ces rimes emphatiques, lui qui souffrait l'énorme adulation, bien déplacée après Ryswick et au moment de la succession d’Es- pagne, que Mansart n'avait pas craint de traduire en pierre de tailie dans la grande avenue de Marly. Douze pavillons, consacrés aux douze heures du jour, y précédaient le château du roi-soleil; ainsi Virgile mêlait Auguste vivant aux signes du z0- diaque. Rien de plus beau d’ailleurs que la dispo- sition du jardin, de la grande cascade, qui, ruisse- lant à larges nappes sur soixante-trois marches de marbre, alimentait aisément plusieurs grands MARLY. 139 bassins revêtus de carreaux en porcelaine et en- . tourés de balustrades dorées, prison des carpes royales. Les “parterres s’en allaient d'étage en étage, séparés par diverses allées, jusqu'à la pièce de la Grande-Gerbe, que sa bordure faisait ressem- bler à un miroir de Venise. Marly ne manquait, comme on pense, ni de statues, nid’ifs taillés, ni de tapis verts. Saint-Simon se plaint que toutes les allées, se côtoyant à des niveaux différents, et cachées les unes aux autres par des haies touffues, eussent trop d'oreilles. Il allait à la dernière pièce d'eau du dernier parterre, représentant une conque, et dans laquelle se miraient les chevaux de Coustou. Le plus riche ouvrage de Le Nôtre, après Ver- sailles et Marly, paraît avoir été Chantilly, De héros en héros, d’âge en âge embelli. Il y règne seulement un peu de confusion, qu'il faut attribuer aux perpétuelles retouches ou addi- tions qui le modifièrent dans le courant du dix- huitième siècle; peut-être aussi à la difficulté de “ trouver un centre de perpective dans un domaine - qui comprend trois châteaux ou habitations sé- - parées. La confusion entraîne du moins la variété . et l’imprévu; ce sont les qualités de Chantilly. On vantait l’Orangerie, la galerie des Vases, celle des Trente-Arcades, le Vertugadin, amphi- 140 PARCS ET JARDINS. théâtre vert qui semble un riche manteau attaché aux formes gracieuses du coteau de Vineuil, le Parterre d’eau, dont le canal fornié une grande allée transparente, bordée de dix jolis bassins, l'ile des Jeux, pourvue de manéges et de balan- çoires, la fameuse pelouse dont le gazon dru et court est si favorable encore aux courses de che- vaux, un beau potager à trois étages, et par- ‘ tout ces cascades qui, du temps de Bossuet, ne se taisaient ni jour ni nuit; on ne 1e a guère entendues depuis 1791. Les eaux de Chantilly, pour l’abondance, étaient sans rivales. Le canal, alimenté par la Nonette, a trois mille mètres de long sur quatre-vingts de large. Au-dessous du large bassin circulaire où la Nonette vient tomber parmi les grands arbres, une chute d’eau en hémicycle, à cinq nappes, forme la tête du canal. Les Grandes-Cascades doivent être placées au rang des merveilles de l’hydraulique; peut-être surpassaient-elles les magnificences du bassin de Neptune à Versailles. Au centre d’un bassin circu- laire, une gerbe entourée de huit jets jaillit de la cime d’un rocher, et retombe en pyramide au milieu de quinze autres jets. À l’entour, jouent des fontaines et des guéridons rangés sur quatre gradins de verdure. Au-dessus, dans un autre bassin, des candélabres, buffets d’eau, mascarons, CHANTILLY. là! stalactites, dragons, luttent de verve et d’écume. Un * troisième bassin, pourvu de cinq jets symétriques, termine cettepartie de la cascade. D'une sale D verdure où aboutissent six grandes allées, descendent deux escaliers em fer à cheval, se développant avec grâce, décorés de guéridons empanachés d’eau, qui déversent leurs nappes dans trois bassins. Il y a quatres paliers, cinq nappes encore, tombant dans autant de bassins garnis de soleils et de jets, des chandeliers dont le soleil allume les fusées liquides, et toujours des colonnes d’eau, de l’écume et du bruit. Enfin, une forêt de sept mille arpents, coupée d’a- venues immenses réunies au rond-point dela Table, s’étendait à perte de vue autour de Chantilly, et assurait à ce domaine des chasses magnifiques. Le fils du grand Condé, l’un des hommes les plus hargneux, les plus patelins, les plus bizarres qu’aient produits les nobles races, qui se croyait chien par instants, aboyait, se fourrait sous les meubles, comme eût pu le faire un brahmane dé- gradé par la métempsycose, puis redevenait le plus noble, le plus charmant, le plus affable des mortels, fut le vrai créateur des merveilles de Chantilly; c’est lui qui fit achever le grand château, flanqué de hautes tours, formé par Mansart en pentagone régulier; qui, dans le petit château, legs des Mont- morency, d’un aspect moins noble, mais d’un 142 PARCS ET JARDINS. aménagement intérieur beaucoup plus riche et plus élégant, accumula les salons chinois, lescham- bres dorées, les galeries de tableaux en l'honneur de son père. Ses trois millions dé rentes suffi- saient à peine à ces embellissements ruineux et aux réceptions splendides que les rois honoraient de leur présence; c’étaient des collations, des festins, des feux d'artifice de seize mille livres (plus de cinquante mille francs), des folies véritables. M. le Duc, petit-fils du précédent, voulut recevoir à Chantilly la duchesse de Berry, fille du Régent. Le voyage dura dix jours, et chaque jour eut sa fête. « La profusion, le bon goût, la galanterie, la magnificence, les inventions, l’art, l'agrément des diverses surprises, s’y disputèrent à l’envi. Il pensa, dit Saint-Simon, y arriver une aventure tragique au milieu de tant de somptueux plaisirs. M. le Duc avait, de l’autre côté du canal, une très-belle ménagerie, remplie des oiseaux et des bêtes les plus rares. Un grand et fort beau tigre s’'échappa et courut les jardins de ce même côté de la ménagerie, tandis que les musiciens et les comédiens hommes et femmes, s’y promenaient. On peut juger de leur effroi et de l'inquiétude de toute cette cour rassemblée. Le maître du tigre accourut, le rapprocha et le remena adroïtement dans sa loge sans qu’il eût fait aucun mal à per- sonne que la plus grande peur. » SAINT-CLOUD. 143 De si éblouissants souvenirs pâlissent un peu la ‘renommée de Saint-Cloud, malgré son joli château d’eau et la belle venue de son grand jet qui s’é- lève à quarante-deux mètres, avec une force capa- ble de chasser un poids de soixante-cinq kilo- grammes. Le parc de Saint-Cloud est très-grand (onze cents quarante-six arpents) et très-beau, mais il n’a d'autre lien avec le château que le grand escalier de gazon qui monte à la lanterne; quoique bien inventé, c’est insuffisant. On pense que l'architecte Lepautre, en établissant la cascade en face de la Seine, espérait en faire comme le piédestal d’un château élevé dans son axe. La résidence des Gondi, des Orléans, de Louis XVI et de Napoléon est demeurée la maison mal pla- cée et mal distribuée du contrôleur Hervart. Sans doute elle a été sans cesse, depuis 1658 et 1693, reconstruite et modifiée; mais aucun embellisse- ment n’a pu racheter les défauts qu’entraîne sa . situation. Rejetée sur le côté du parc et en contre- bas des côteaux de Ville-d’Avray, elle est à peu près masquée par les arbres magnifiques de la grande allée. Considéré isolément, et en dehors du château, le parc de Saint-Cloud est une admirable promenade, . soit qu’on parcoure l'avenue qui longe la Seine et : dont les ormes séculaires abritent en automne les l4k PARCS ET JARDINS. grandes baraques multicolores des saltimbanques et des marchands forains accourus pour les fêtes de septembre; soit qu'on gravisse les chemins obliques et les sentiers tortueux qui mènent à la lanterne de Démothènes ; ou que, de la haute pe- louse hantée par les commerçants endimanchés et les jeunes joueurs de ballon, on regarde les méandres de la Seine, les masses vertes du bois de Boulogne et la carrure massive de l'Arc de Triomphe ; ou bien qu’on s'engage dans les vastes allées qui se prolongent jusqu’à Ville-d’Avray et : Sèvres : partout on trouvera de grandes ou riantes perspectives, des retraites cachées et une puissante végétation. Le parc réservé, qui occupe toute la droite: êu domaine, renferme de belles avenues ombragées où l’on entrevoit des cerfs et des chevreuils tran- quilles. Il domine les bois de Marne et de Ville- d’Avray. Le chemin de fer de Versailles le traverse dans sa largeur. Charles X l’accrut, au nord, d’un jardin du Trocadéro, qui occupe les hauteurs de Montretout. M. Vatout, qui a fait l’histoire de Saint-Cloud. a constaté les changements considérables que le parc a subis; ainsi, dit-il, on chercherait vainement la grotte de verdure qui servait de couronnement à la grande cascade, une foule de statues, d’ailleurs médiocres qui ornaient les bassins; les Goulottes, *ON0N 91 ed ‘ouoy sud ‘jyuea4 vIIIA UT LL EL M, < SA WAL EN À Ne dx a “s d LATE CE qe MEUDON, SCEAUX. 147 au murmure desquelles Charlotte de Bavière allait souvent rever et quelquefois médire; le Trianon, remplacé par le pavillon de Breteuil, mais déshé- rité de ses jardins brodés, de ses tourelles et du grand bassin de Vénus; l'allée des Portiques, le pavillon de la Félicité, élevé par Marie-Antoinette ; le Mail, le Fort, et mille autres détails minutieu- sement célébrés par les poëtes et les auteurs con- temporains. Le parc a du moins gardé son jet d’eau et les gradins élégants de sa grande cascade, ouvrage de Lepautre, et d’où l’eau retombe dans un grand bassin dessiné par Mansart ; il s’est enrichi en 1800 d’une copie exacte du monument de Lysicrate, dit lanterne de Démothènes, que l'architecte Fontaine éleva sur une tour carrée, au-dessus de l’amphi- théâtre de verdure. Meudon a de l’agrément, et sa terrasse est bien composée; mais après les richesses énumérées dans ce chapitre, il ne saurait y occuper une grande place. Son parc, dessiné moitié à la française et moitié à l'anglaise, est un morceau de bois détaché des massifs charmants qui entourent les villages de Meudon et de Bellevue. Sceaux avait peut-être plus d'importance. Le peu qui en reste donne l’idée d’un jardin bien composé; Le Nôtre l’avait dessiné pour Colbert vers le même temps que Versailles pour Louis XIV (1670). Ni les 148 PARCS ET JARDINS. belles statues de Puget et de Girardon, ni les eaux amenées du Plessis-Piquet et d’Aulnay, ni lé- tendue (600 arpents), ne manquaient à cette rési- dence, deux fois honorée de la visite du roi. En 1700, le duc du Maine en devint propriétaire et l’embellit encore. Le domaine de Sceaux fut mor- celé et vendu en 1798. La villa Panfili date d’Innocent X (1650), et certaines de ses dispositions la rapprochent plus de la renaissance italienne que du goût français. Le Nôtre n’a pu que l’achever. C’est assurément la plus belle villa de Rome. Située à un kilomètre au delà de la porte San- Pancrazio, sur une éminence, elle fut en 1849 le quartier général de Garibaldi puis des Français. Le prince Doria y a élevé un monument à nos soldats morts durant le siége. On a singulièrement exagéré les dégâts commis à cette époque dans la villa. Ses beaux pins séculaires n’ont que peu souffert du canon et de la fusillade. On y voit une heureuse alliance des lignes savantes avec les grâces natu- relles des pelouses. De la terrasse extrême, la vue s'étend sur la solennelle campagne de Rome; d’admirables chênes verts, de grands pins para- sols ornent encore ce jardin; il n’y manque rien de ce qui constitue la villa italienne, palais, casino, parterre, vases et statues, jeux d’eau, orgue hy- draulique; mais sa principale beauté est dans ses VILLA PANFILI. 149 : ombrages et ses gazons. L’abandon y joint encore un charme mélancolique. Le silence y est aussi grand qu'à Versailles, et cependant exempt de cette tristesse que semblent partout avoir laissée der- rière elles les pompes désastreuses du grand siècle. Le grand canal (Fontainebleau). Villa Albani. — Caserte. — Villa Reale. —Schœnbrunn et Napo- léon. — Plaisanterie de Pope. — Moor-Park. Durant la plus grande partie du règne de Louis XV, les successeurs de Le Nôtre continuèrent la tra- dition du jardin classique; et de nouvelles des- criptions d’un type identique seraient à bon droit accusées de monotonie. De la France, le style de Le Nôtre s’était aisément répandu en Italie, où ilne paraissait d’ailleurs qu’une suite naturelle du goût de la Renaissance, commun aux deux pays. La villa 154 PARCS ET JARDINS. que le cardinal Albani se fit construire auprès de Rome, sur ses propres plans, est le parfait modèle de cette symétrie qui prétendait raffiner même sur la régularité du dix-septième siècle. Sans.en nier la beauté, M. Taine en a bien saisi le caractère: « Aucune liberté n’y est laissée à la nature ,tout y est factice. L'eau ne s'élève qu’en jets et en pa- naches, elle n’a pour lit que des vasques et des urnes. Les pelouses ysontenfermées dans d'énormes haies de buis’ plus hautes qu'un homme, épaisses comme des murailles, et formant des trianglesgéo- métriques dont toutes les pointes aboutissent à un centre. Sur le devant, s’étend une palissade serrée et alignée de petits cyprès. On monte d’un jardin à l’autre par de larges escaliers de pierres sem- blables à ceux de Versailles. Les plates-formes de fleurs sont enfermées dans de petits cadres de buis, elles forment des dessins et ressemblent à des. tapis bordés, régulièrement bariolés de couleurs nuancées. «Desuperbes chênes-liégesélèventsuruneterrasse leurs pilastres monstrueux et le dômetoujours vert de leur feuillagemonumental. Des allées de platanes s’allongent et s’enfoncent comme un portique; de hauts cyprès silencieux collent leurs branches noueuses contre leur écorce grise et montent d'un air grave, monotone, en pyramides. Des aloès dres- sent contre la paroi blanche des murailles leur tige PIEIII OP OIES EI OP DIU ‘IUEIY ELA CASERTE. 157 _ étrange, pareille à un serpent convulsif hérissé par la lèpre. « Les yeux se promènent sur la suite d’arcades rondes qui forment le portique tournant, sur la balustrade et les statues qui diversifient la crête du toit, sur les colonnes jetées çà etlà, sur les ron- deurs des viviers et des haies. » IL n’y a là aucun compromis avec la nature, aucune concession au goût nouveau qui commen- çait à passer d'Angleterre sur le continent. Ailleurs, on trouve les deux styles déjà juxtaposés et non sans charme, comme dans la résidence royale de Caserte, bâtie et dessinée par Vanvi- teili (1752-1759). Le jardin, d’une étendue immense, est divisé en deux parts. La première, tristement majestueuse, imparfaite imitation du genre de Le Nôtre et du parc de Versailles, est terminée par un vaste canal, des fontaines etune abondante cascade tombant du haut d’une colline; le canal est si long qu'on a dû éta- blir par deux ponts une communication entre les deux rives. Au delà, commence le jardin paysager célèbre par la grandeur de ses chênes-liéges. Les accidents du terrain, la diversité des plans, l'éclat de la verdure et la magnificence de la végétation, soit indigène, soit exotique, en font une délicieuse promenade. La Villa Reale, à Naples, présente le même carac- 158 PARCS ET JARDINS. tère avec moins de solennité. Entre cinq avenues d’acacias, d’yeuses, de saules pleureurs, des rosiers de Bengale, des myrtes et des orangers forment des massifs et des corbeilles que décorent des vases et des statues. Le motif central et auquel tout se rattache, est un bassin de granit porté par des sphinx; une nappe d’eau s’en échappe en cascade. Un tiers environ du parc est planté à lan- glaise. La plupart des beaux jardins en Allemagne, et ils y abondent, bien que plantés à l’erigine dans le goût français, appartiennent plutôt au genre paysager. Nous aurons occasion de les parcourir et d'admirer la parfaite mesure avec laquelle ils ont fondu Kentet Le Nôtre. Ici, nous ne mentionnerons que Schœnbrunn, imitation directe de Versailles ou de Marly, (1700), et qui conserve toujours sa physionomie classique. Pour rappeler à Marie- Louise une treille de Schænbrunn qu’elle aimait, Napoléon fit rapidement élever dans le parc de Compiègne par l’habile dessinateur Bertault un berceau long de dix-huit cents mètres, route fleurie et close que l’on peut parcourir en voiture. La Hollande restait fidèle à cet art mièvre et propret que la Renaissance et Le Nôtre avaient agrandi jusqu'à l’emphase. Instruite à son école, l'Angleterre ne faisait que suivre de loin l'Italie et la France. C’est Addison qui l’avoue lui-même : ANCIENS PARCS ANGLAIS. 159 « Les jardins d'Angleterre, dit-il, ne sont pas si pro- pices à l’imagination que ceux de Franceet d'Italie, véritables mélanges de jardins et de forêts d’une sauvagerie bien plus charmante que la correction et l'élégance des jardins anglais... Nos jardiniers, au lieu de faire produire à la nature son effet, semblent prendre à tâche de l’annihiler. » Walpole a pu voir encore à Piddleton, dans la résidence de lady Orford, une double enceinte de treize jardins d’assez médiocre étendue, commu- niquant par une enfilade de portes correspondantes. Vous passiez, pour y arriver, par un couloir étroit entre deux terrasses de pierre, élevées au- dessus de votre tête et couronnées par une rangée d’ifs. Un boulingrin était le seul terrain uni qu'on admit alors; une pièce d’eau circulaire, le comble de la magnificence. Ces extravagances mesquines,, venues de Hol- lande vers 1450, faisaient encore les délices de Henri VIIL, et son parc Non Such (sans pareil) était un vrai échiquier de charmilles, treilles ouvragées et sculptures de feuillage. Le manoir des Percy (Wresehill-Castle) était décoré dans le même goût. London et Wise, dit Walpole, ont meublé nos anciens jardins (1600-1700) de géants, d'animaux, de monstres, d’armures, et de devises en if, en buis, en houx. Pope s’est agréablement moqué de ce genre suranné. « Dans ces jardins, on voit 160 PARCS ET JARDINS. l'arche de Noé en houx, dont les côtés sont en assez mauvais état, faute d’eau ; un saint Georges en buis, dont le bras n’est pas tout à fait assez long, mais qui pourra tuer le dragon au mois d'avril prochain; une reine Élisabeth en tilleul, tirant un peu sur les pâles couleurs, mais, à cela près, croissant à merveille; une vieille fille d'hon- neur en bois vermoulu; plusieurs grands poëtes modernes un peu gâtés, un cochon de haie vive, devenu porc-épic, pour avoir été laissé à la pluie durant une semaine; un verrat de lavande, avec de la sauge qui pousse dans son ventre; deux vierges en sapin prodigieusement avancées, etc., etc. » Charles IT, qui avait été élevé en France, invita Le Nôtre à tracer le plan de Greenwich et à dessiner la grande pièce d’eau de Saint-James. Aussitôt tous les parcs anglais prirent l’allure classique, qu'ils devaient garder au moins jusqu’à 173v. On a trop oublié que Le Nôtre fut l'initiateur véritable de nos voisins dans l'art des jardins, qu’il en élar- git pour eux le cadre, les perspectives, et délivra les feuillages des formes animales. La nature même a fait le reste et rompu par endroits les lignes encore trop rigides; puis l’art a dépassé la nature et tordu ce qu’elle avait simplement ondulé. Mais nous n’en sommes point encore aux jardins an- glais. Blenheim, ce don national offert à Marlbo- rough, et Chatsworth, dans le Derbyshire, si pitto- MOOR-PARK. 161 resquement arrosé par le torrent du Derwent, furent d’abord des parcs français et classiques. Moor-Park, antérieur à Chatsworth, nous est dé- crit par W. Temple. Devant la maison, située sur un coteau peu escarpé, s'étendait une assez large terrasse sablée, longue d'environ trois cents pas, et bordée de lau- riers en pleine terre très-espacés. Du milieu et de chaque bout de cette esplanade, trois escaliers de pierre descendaient dans un vaste parterre dont les compartiments, circonscrits entre des allées de sable, étaient décorés de fontaines et de statues. A chaque bout de la terrasse, il y avait un pavillon. Le long des parterres deux grands portiques s’ou- vraient sur le jardin; leurs arcades, leurs galeries pavées aboutissant à des pavillons de repos, rap- pellent tout le passé classique, le jardin de Leu- cippe et Clitophon, le Laurentin de Pline le Jeune. Les portiques sont couronnés de terrasses cou- vertes en plomb et garnies de balustrades. La fa- çade de celui qui regarde le midi est tapissée par de la vigne; il serait très-bon pour une orangerie ; l’autre servirait bien de serre pour des myrtes ou d’autres arbustes communs; et l’écrivain ne doute pas qu’ils n’eussent été employés, si cet ornement avait été d'usage alors comme il l'est devenu depuis. Du milieu de ce parterre, un escalier de plu- Il 162 PARCS ET JARDINS. sieurs marches descend par deux côtés à une grotte à toit plat et de plomb, qui est entre les deux ram- pes. On se trouve alors dans un jardin plus bas, rempli d'arbres à fruits qui bordent différents com- partiments d’une clairière bien ombragée. Là, toutes les allées sont d'arbres verts, la grotte est ornée de figures en rocaille, de fontaines et de jets d’eau. De l’autre côté de la maison est un autre enclos d'arbres verts, vraiment agreste, décoré de nouvelles fontaines et d'ouvrages rustiques en rocaille. ES I Alamédas espagnoles, Cadix, Séville, Grenade. — L’Escurial, Aranjuez, Saint-Ildefonse, Buen-Retiro. — Passeios de Lis- bonne; jardins de la Penha et de Santa-Cruz. Plantation à Cuba. Une rapide excursion dans les jardins arabes nous à déjà menés en Espagne. Telles nous y avons vu les charmantes et simples compositions mo- resques, telles nous y retrouverons les promenades publiques, moins l’ingéniosité des jets d'eaux, le pavage en briques et les mosaïques de marbres pré- cieux. L'origine ou la physionomie des Alamédas est tout arabe. De l’eau, des fleurs, des arbres, quel- ques bancs, voilà tout ce que comporte le goût oriental et ce que nous admirons à Tolède, dans les Huertas del rey, sur les deux rives du Tage; à Vitto- ria, à Gibraltar, dont l’Alaméda est pour les Anglais « un paradis. » Barcelone a son labyrinthe et le tour intérieur de ses remparts; Bilbao, sa char- 164 PARCS ET JARDINS. mante fontaine de la Renaissance (1560); Elche, sa forêt de palmiers; Valence se promène aux bords du Guadalaviar, entre des files d’ormes, de cyprès, de platanes, des massifs de lauriers-roses, de citronniers, d’orangers, de grenadiers, auxquels se mêlent divers arbres, transplantés de l'Amérique méridionale et beaux comme sur leur terre natale. À Cadix, « pour arriver à la place des Taureaux, on traverse des jardins remplis de palmiers gigan- tesques et d'espèces variées. Rien n’est plus noble, plus royal qu’un palmier. Ce grand soleil de feuilles au bout de cette colonne cannelée rayonne si splen- didement dans le lapis-lazuli d’un ciel oriental! » (Théophile Gautier.) Mais Séville et Grenade l’emportent sur toutes leurs rivales, et Grenade sur Séville, bien qu’à celle- ci appartiennent les jardins de l’Alcazar, véritable forêt d’orangers entremêlée de parterres, la Chris- tina, beau salon de marbre et de feuillage sur les bords du Guadalquivir, et encore cette jolie Ala- méda plantée sous Philippe Il, par l’intendant D. Fr. Zapata, comte de Barahas y etc. Mais, comme dit si bien le poëte : Soit lointaine, soit voisine, Espagnole ou Sarrasine, Il n’est pas une cité Qui dispute sans folie A Grenade la jolie L’ALAMÉDA DE GRENADE. 165 La pomme de la beauté, Et qui, gracieuse, étale Plus de pompe orientale Sous un ciel plus enchanté ! « L’Arabie est son aïeule » et le monde n’a rien à opposer au laurier-rose du Généralife. La riante Alaméda de Grenade peut servir de type et de mo- dèle. « Figurez-vous une longue avenue de plusieurs rangs d'arbres d’une verdure unique en Espagne, terminée à chaque bout par une fontaine monu- mentale dont les vasques portent sur les épaules de dieux aquatiques d’une difformité curieuse et d’une barbarie réjouissante. Ces fontaines, contre l'ordinaire de ces sortes de constructions, versent l'eau à larges nappes qui s’évaporent en pluie fine et en brouillard humide, et répandent une fraicheur délicieuse. Dans les allées latérales, courent, en- caissés par des lits de cailloux de couleur, des ruis- ‘seaux d’une transparence cristalline. Un grand parterre orné de petits jets d’eau, rempli d’arbustes et de fleurs, myrtes, rosiers, jasmins, toute la corbeille de la flore grenadine, occupe l’espace entre le Salon et le Génil et s'étend jusqu’au pont élevé par le général Sébastiani, du temps de l’inva- sion des Français. Le Génil arrive de la Sierra- Nevada dans son lit de marbre, à travers des bois de lauriers d’une beauté incomparable. Le verre, le cristal sont des comparaisons trop opaques, 166 PARCS ET JARDINS. trop épaisses, pour donner une idée de la pureté de cette eau qui était encore la veille étendue en nappes d'argent sur les épaules blanches de la Sierra-Nevada. C’est un torrent ,de diamants en fusion. »(Théophile Gautier.) Les domaines royaux de l'Espagne, quelques dis- parates qu'y aient introduites des embellissements récents, sont tous réguliers et classiques; les leçons de la Renaissance s'y trouvaient d'accord avec les traditions moresques; et la royauté de Le Nôtre y fut moins contestée que celle de Phi- lippe V. L’Escurial était la demeure de Philippe IE, et on l'y sent encore. « Ce sont de grandes terrasses el des parterres de buis taillé, qui représentent des ‘ dessins pareils à des ramages de vieux damas, avec quelques fontaines et quelques pièces d’eau verdàtre; plus d'architecture que de végétation ; un jardin solennel, ennuyeux, empesé, digne du mo- nument morose qu il accompagne. » En revanche, on ne saurait imaginer rien de plus agréable que la campagne d’Aranjuez. C'est une oasis au milieu des steppes de la Nouvelle-Cas- tille; de riants horizons se découvrent de toutes parts aux alentours du Tage et du Xarama ombra- gés d’aunes, de peupliers, de saules, bordés de prairies où paissent des chevaux andalous, napo- litains et normands, des vaches de toute robe et ARANJUEZ. 167 de tout pays; les müriers blancs couvrent les pentes des collines; les montagnes sont couron- nées de chênes-kermès ; les haies et les bosquets sont pleins de nids et de chansons. Le domaine rassemble des échantillons de toutes les cultures : la Huerta-Valenciana est à la moresque; le Champ Flamand est un verger régu- lier; sur les pentes de Reajal s’étend le Jardin des fleurs; aux Délices, on voit des parcs d’acclima- tation, et dans le Real Cortijo des bosquets d’oli- viers et de vignes entremêlés qui rappellent l’Axa- ! rafe de Séville. Les jardins proprement dits portent le cachet de différents règnes, depuis Charles-Quint jusqu’à Isabelle IT. On remarque surtout, vers l’est, le petit Jardin des statues, au milieu duquel s'élève un Philippe V entouré d’empereurs romains; puis le Parterre, divisé en carrés de fleurs et d’arbustes, décoré de quatre bassins qui accompagnent la fon- taine d’Hercule. C’est au nord de ce parterre que le Tage, de toute sa largeur, se précipite en cascade et s'échappe en deux bras autour d’une île char- mante distribuée en jardins et en bosquets, toute parsemée de statues, de bassins et de fontaines. « Tous ces ornements, dit M. Quadrado, portent l'empreinte de la sévérité et du bon goût des pre- mières années du dix-septième siècle, et le jardin entier, malgré les réformes qu'il a subies, a con- 168 PARCS ET JARDINS. servé l'empreinte de ses premiers maîtres. Il est sombre comme les pensées de Philippe IF, mys- térieux et galant comme les pensées de Phi- lippe IV. » | A lorient du palais, entre une longue avenue d’ormes noirs et le cours du Tage, sur l’espace d’une lieue, se succèdent des sites délicieux, le Sotillo, la Primavera, et le jardin del Principe, Créa- tion plus moderne du règne de Charles IV. « Moins loin du palais, on conduit le visiteur à la . casa del Labrador, (la maison du laboureur) petite construction de modeste apparence égayée par des statues placées dans des niches à la hauteur des balcons de l'étage supérieur, et dont l’intérieur recèle toutes les surprises de l’opulence royale : un escalier en beaux marbres rehaussés de bronzes dorés, le pavage en mosaïque et en jaspe; une suc- cession de salons plus riches les uns que les autres, dont les plafonds sont couverts de fresques et les murs garnis de tentures en soie et de paysages brodés ; une galerie italienne peuplée de bustes et de riches curiosités. » (G. DE La VIGNE.) Enfin une montagne suisse, un labyrinthe, un pavillon chinois, un temple grec et autres brim- borions de jardins anglais, affectionnés par Isa- belle If, sont disséminés en avant d’une hautefutaie, épaisse et touffue, qui s’enfonce au loin vers le nord et l’occident. Le domaine royal occupe autour aie ©, PEU FRERE PS PT TR CT UT SO TE LA GRANJA. 169 - d’Aranjuez un territoire dont la circonférence est de cent dix kilomètres: Chaque roi, depuis Char- les V, s’est complu à l'agrandir, à l’embellir de constructions et des cultures les plus variées. On y voit des bois d’oliviers, des forêts de müriers, des vignobles des crus les plus fameux et des prai- ries entretenues par les dérivations du Tage. Le parc immense de la Granja ou Saint-Idefonse, a des jeux d’eau dignes de Chantilly et de Ver- sailles, dont il imite aussi les ifs et les myrtes tail- lés, et la décoration monumentale. Au fond d’un beau parterre, en face du palais, Amphitrite, entourée de cygnes, de dauphins, de zéphyrs, arrête en un grand bassin la cascade Nueva, qui, par dix gradins -de marbre polychro- mes, s’élance d’un bassin supérieur où nagent les trois Grâces soutenues par des tritons. La cas- cade est dominée par un temple octogone un peu massif. Une vaste mer, alimentée par les ruisseaux de la montagne, verse, des hauteurs du parc, ses ondes intarissables à vingt-six fontaines, bassins, chutes et groupes répandus dans les parterres et sous les bosquets. On cite une série de cascatelles, nommée la Carrera de Caballos; Apollon tuant Python qui vomit de véritables torrents; le dragon d’Andro- mède, dont le jet a trente mètres; l’amphithéâtre de Vertumne et Pomone; le Canastillo, d’où qua- 170 PARCS ET JARDINS. rante fusées jaillissent parmi les fruits et les fleurs ; la Renommée, gerbe de trente-cinq mètres; enfin les Bains de Diane, évidente contrefaçon, mais très- réussie, des fameux Bains d’Apollon. C’est une scène immense où des nymphes et des animaux luttent à qui fera le plus d’écume et de bruit; l'extraordinaire abondance des eaux prolonge indé- finiment leurs ébats. Cette seule pièce coûta trois millions. « Le mélancolique ‘Philippe V s'arrêta quelques instants, avec un sentiment de plaisir, devant cette magnifique pièce, la première fois qu’on la fit jouer devant lui, puis reprenant son allure morose : « Tu m'as distrait trois minutes, dit-il, mais tu « m'as coûté trois milkons. » Le Pardo, à trois lieues de Madrid, vaste enclos giboyeux de vingt lieues de tour, renferme aussi des jardins et des pièces d’eau. Le Buen-Retiro, de Madrid, dont les curiosités ont excité la verve bouffonne de Théophile Gautier, est d'une étendue assez restreinte (1400 mètres): Ravagé en 1808, ila été rétabli par Ferdinand VII à peu près tel qu'il existait sous Philippe IV. Une large avenue de tilleuls, doublée de haies et de statues colossales des rois d'Espagne conduit à un vaste étang, der- rière lequel s'étendent les enclos réservés. Théo- phile Gautier a vu dans le Buen-Retiro la réalisation du rêve d’un épicier cossu, « des fleurs communes LA PENHA. 171 et voyantes, de petits bassins dans le goùt des devantures de marchands de comestibles, cygnes de bois peints en blanc et vernis, et autres mer- veilles d’un goût médiocre; » chalets à prétentions indoues ou turques, étables garnies de chèvres ‘empaillées et de truies en pierre grise. Dans une de ces fabriques, d’affreux automates, mus par des rouages mal graissés, « battent le beurre, filent au rouet, bercent de leurs pieds de bois des enfants de bois couchés dans leurs berceaux sculptés ; dans la pièce voisine, le grand-père malade est couché dans son lit, sa potion sur la table; on a poussé le scrupule jusqu’à placer sous la couchette une urne indescriptible, mais fort bien imitée.... Une belle statue équestre en bronze de Philippe V relève un peu toutes ces pauvretés. » La végétation des passeios de Lisbonne est mer- veilleuse. Les héliotropes garnissent les murailles comme du lierre; les géraniums ont trois mètres de hauteur; les jasmins sont immenses; les oran- gers forment des vergers. Le parc du château de la Penha, aux environs de Cintra, se développe sur plusieurs lieues d’étendue; camélias, myrtes, ba- naniers, géraniums, s’y pressent en allées si épaisses que le jour y pénètre à peine; des eaux courent au pied des haies d’hortensias bleus; les jardins en- clavent deux montagnes d'où l'on voit la mer. Versailles peut seul donner une idée des vastes 172 PARCS ET JARDINS. jardins du couvent de Santa-Cruz; les ravages du temps et de l'abandon y ont épargné une énorme muraille de cèdres séculaires autour d’un lac pres- que aussi grand que la pièce d’eau des Suisses. De cette Espagne, où le bananier et le palmier croissent en forêts, on passe sans être dépaysé dans les riches plantations de Cuba, bien plus voi- sines de l’Eden de Milton que les jardins anglais. Ce sont de magnifiques avenues doubles de pal- miers et de manguiers qui s’allongent entre d’in- terminables plaines de verdure où les plants de café semblent des massifs de lauriers du Portugal. A l’entour, les västes frondaisons du bananier éten- dent leur ombrage et balancent leurs cimes lé- gères pour protéger les arbrisseaux plus délicats contre les rayons du soleil. Des arbres à fleurs et à fruits de toute espèce sont disséminés dans toutes les directions. Autour de la maison s’étend généra- lement un parterre, riche harmonie de couleurs, suave bouquet des parfums les plus variés; quel- quefois un labyrinthe de citronniers cache une sta- tue de marbre. Des ailes de la maison partent en ligne droite d’autres avenues d’amandiers, de li- mons, d'orangers pliant sous le poids de leurs fruits éclatants. C’est le domaine lui-même comme le voulait Addison, et rien autre, qui constitue le jardin. | ce II Fleurs de la Perse; La Grande Avenue et les Mille Arpents à Ispahan. — Jardins du Sérail; Cimetières turcs. — Scutari; Choubrah. — Jardins du Grand Mogol et du roi de Lahore. — Parc du temple du Ciel à Pekin ; le palais de la Mer sereine. La Perse a-t-elle eu son Le Nôtre ? Je l’ignore; mais ses jardins royaux, tels que le voyageur Char- din les décrit, ressemblent assez à une ébauche du Grand-Trianon. L'art de Le Nôtre se rattache en droite ligne à la composition des villas de la Re- naissance, et celles-ci aux villas de Rome antique ; de même les Persans sont restés fidèles aux tradi- tions de leurs ancêtres ; ils n’ont fait que rajeunir les paradis des satrapes et les accommoder à la vie apathique et voluptueuse où les ont réduits le fatalisme musulman et l’épuisement de leur race. Leurs jardins consistent ordinairement en une grande allée qui partage le jardin, tirée à la ligne et bordée de platanes, avec un bassin d’eau au mi- 174 PARCS ET JARDINS. lieu, d’une grandeur proportionnée au jardin, et deux autres plus petites sur les côtés. L'espace entre deux est semé de fleurs confusément et planté d'arbres fruitiers et de rosiers, et c’en est toute la décoration. On ne sait ce que c’est que parterres et cabinets de verdure, que labyrinthes et terrasses, et que ces autres ornements de nos jardins. Les Persans ne se promènent pas dans les jardins comme nous faisons ; ils se contentent d’en avoir la vue etd’en respirer l’air. Ils s’asseyent pour cela en quelque endroit du jardin à leur arrivée, et s’y tiennent jusqu’à ce qu’ils en sortent. La monotonie de l’ensemble et le négligé des dé- tails sont amplement rachetés par la variété infinie des arbres fruitiers et des plantes fleuries, non que leurs espèces puissent égaler les nôtres en excel- lence et en beauté cultivée; les Persans ne prati- quent ni la greffe, ni les croiséments féconds de notre horticulture raffinée ; leur sol produit de lui- même tout ce que rassemblent leurs jardins. Les fleurs de la Perse, par le vif des couleurs, sont généralement bien plus belles que celles de l’Europe et que celles des Indes. L’Hyrcanie est un des plus admirabies pays pour les fleurs ; ily a des forêts toutes d’orangers. La partie la plus orientale de ce pays-là, le Mazenderan, n’est qu’un parterre depuis septembre jusqu’à la fin d'avril. C’est aussi le meilleur temps pour les fruits. FLEURS DE PERSE. 175 Vers les confins de la Médie, aux frontières sep- tentrionales de l'Arabie, les campagnes produisent d’elles-mêmes les tulipes, les anémones, les renon- cules simples du plus beau rouge, les couronnes im- périales. En d’autres lieux, comme autour d'Ispahan, les jonquilles croissent d’elles-mêmes; aussi des _ narcisses de sept à huit espèces, du muguet, des lis et des violettes de toutes couleurs, des œillets sim- ples et doubles et des œillets d'Inde d’une couleur qui éblouit, du jasmin simple et double, et du jas- min que nous appelons d'Espagne, plus beau et plus odorant qu’en Europe. Les guimauves sont aussi d’une belle couleur. Les tulipes ont la tige courte à Ispahan, ne montant qu’à quatre pouces de terre. Entre les fleurs d'hiver {septembre-avril), sont les jacinthes blanche et bleue, le lis des vallées, de petites tulipes, la violette, le muguet, la myrrhe. Au printemps, la giroflée jaune et rouge en égale abondance, des ambrettes de toutes couleurs, et une admirable fleur de clou de girofle (ainsi nom mée parce qu’elle ressemble tout à fait à un clou de girofle); elle est d’un ponceau incomparable Chaque tige porte une trentaine de ces fleurs ar rangées en forme ronde de la grandeur d’un écu. La rose est de cinq sortes, outre sa couleur natu relle : blanche, jaune, rouge (que nous appelons rose d’Espagne), d’un rouge encore plus ponceau, et bicolore : rouge et blanc ou rouge et jaune. On voit 176 PARCS ET JARDINS. sur le même arbre des roses jaunes, jaune et blanc, jaune et rouge. Rien de plus beau à voir que les arbres fleuris, surtout les pêchers; car les fleurs les couvrent si fort, que la vue même n’y trouve pas de passage. La dynastie des Séfewys, la plus intelligente qui ait gouverné la Perse depuis les Sassanides, avait fait de sa capitale, Ispahan, une merveille d’archi- tecture. Les palais, les colléges même, activement protégés par la mère de Shah-Abbas le Grand, s’alignaient autour de charmantes cours encom-. brées de fleurs et de platanes. On ne voit plus au- jourd'hui que de faibles restes de ces magnificences, contemporaines de Versailles, de Chantilly et de Sceaux. Les jardins du sérail étaient un ensemble féerique, bien que toujours régulier, de bassins, de volières, de pavillons, de palais, posés au milieu des grands arbres et des fleurs. Les Champs-Élysées, prolongés de l’avenué de Neuilly, ne peuvent donner l’idée de la grande avenue d'Ispahan, longue de plus de trois mille mètres sur cent, et coupée vers son milieu par un magnifique pont. « Les rebords du canal, qui coule au milieu d’un bout à l’autre, faits de pierres de taille, sont élevés de neuf pouces et sont si larges que deux hommes à cheval peuvent se promener dessus de chaque côté. Les rebords des bassins LA GRANDE AVENUE D'’ISPAHAN. 177 sont de même largeur. Les ailes de cette charmante allée sont de beaux et spacieux jardins, destinés aux grands officiers, dont chacun a deux pavillons : l’un fort grand situé au milieu du jardin, consistant en une salle ouverte de tous côtés avec des cham-. bres et des cabinets aux angles; l’autre sur le por- tail du jardin, ouvert du devant et des côtés, afin de voir plus aisément ceux qui vont et qui viennent dans l’allée. Ces pavillons sont de différentes con- struction et figure, mais presque tous d’égale gran- deur, et tous peints et dorés, ce qui offre aux yeux l'aspect le plus éclatant et le plus agréable. Les murailles de ces jardins, pour la plupart percées à jour, ressemblent à ces rangées de mottes qu’on fait sécher ; en sorte que, sans entrer dans les jar- dins, on voit du dehors tous ceux qui y sont et ce qui s'y passe. Les bassins d’eau sont différents aussi et en grandeur et en figure. L’allée n’est pas unie au cordeau ; on dirait qu’elle est en terrasses de quelque deux cents pas de long, plus basses d'environ trois pieds l’une que l’autre en deçà de la rivière, plus hautes d'autant au delà; les larges Canaux sont plantés de hauts platanes à double rang. À travers les jardins des Vignes, des Müriers, des Derviches, du Rossignol, du Trône, et vingt autres, au milieu des jets d’eau et des cascades, la superbe avenue débouche dans un domaine royal, nommé les Mille-Arpents (non qu’il les contienne 12 178 PARCS ET JARDINS. en effet, mais pour faire entendre que sa grandeur est extraordinaire). «L'enclos est long d’un mille et large de presque autant, fait en terrasses soutenues de murs de pierre. On y compte douze terrasses élevées de six à sept pieds, l’une sur l’autre, et qui vont de l’une à l’autre par des talus fort aisés à monter, et aussi par des degrés de pierre qui joignent le canal. ILy a quinze allées, dont douze de traverse ; et, de quatre en quatre de ces allées, vous trouvez un large canal d’eau à fond de cuve qui traverse le jardin paral- lèlement, passant sous des voütes de briques à l'endroit de trois allées longues, afin de ne pas les interrompre. Ces allées longues, qui sont tirées au niveau, mènent d’un bout à l’autre du jardin. Gelle du milieu est ornée d’un canal de pierre, profond de huit pouces et large de trois pieds, avec des tuyaux de dix en dix pieds qui jettent l’eau ‘ort haut. Au bas de chaque terrasse, à l’endroit de la chute du canal, laquelle est en talus et fait une nappe d’eau, il y a un bassin de dix pieds de dia- mètre, et au haut il y en a un autre, sans compa- raison plus grand, profond de plus d’une toise, avec des jets au milieu et autour.» On ne saurait énumérer les bassins, pavillons peints, jets d’eauet volières dorées qui embellissent ces modernes pa- radis de la Perse. 4 Les jardins turcs sont fort simples et conçus à: : | | | JARDINS DE STAMBOUL. 179 peu près dans le même esprit que ceux des Per- sans : peu faits pour la promenade et beaucoup pour le repos. Il n’y a point de plus belle perspective que celle du sérail à Constantinople, et le Bosphore ferait du plus humble parterre un endroit délicieux; le jardin du sultan n’a donc point de peine à être lun des plus beaux du monde. Le sérail, ancienne résidence des sultans, affectée maintenant au séjour des vieilles sultanes, occupe la pointe des Jardins, extrémité orientale de Stam- boul. Les bâtiments datent de Mahomet II. Du côté de la terre règne une muraille crénelée, flanquée de tours, dont la vaste enceinte comprend de grands jardins où sont bâtis sans ordre, au milieu des platanes et des cyprès, nombre de kios- ques simples et charmants. L’ancienne demeure des sultans domine de ses petits dômes les riches per- spectives du Bosphore. M. de Lamartine veut que l’in- telligence et l'amour de la nature soient l'instinct de la race turque. 11 pense que « cet instinct des beaux sites, des mers éclatantes, des ombrages, des sources, des horizons immenses encadrés par les cimes de neige des montagnes, » rappelle les goûts naturels et spontanés d’un peuple pasteur; n'est-il pas plus juste de voir dans les sultans les successeurs des empereurs byzantins, et dans le choix de leur résidence l’imitation toute simple de ceux qu’ils venaient de supplanter? Le palais du 180 PARCS ET JARDINS. Sérail est loin du luxe intérieur que nous déployons dans nos palais d'Europe. On dirait un assemblage de tentes en bois doré, percées à jour, un riche cam- pement au milieu d’un parc «où les arbres croissent libres et éternels comme dans une forêt vierge, où les eaux murmurent, où les colombes roucoulent. » Les terrasses planent sur les jardins et sur la mer; assis derrière les persiennes des kiosques, les sul- tans pouvaient jouir à la fois de la solitude et de l'aspect enchanté de l'Hellespont. Une grande co- lonne corinthienne, dite de Théodose, se dresse sur une plate-forme entre les Jardins de Fieurs, qu’on ne peut visiter, et des kiosques également interdits aux profanes. Plus loin s'étendent deux grandes esplanades plantées de superbes platanes et de pins d'Italie, égayées par des bassins et des gazons. En Turquie, les cimetières sont des promenades fréquentées. Il n'en est pas de plus beaux que le grand et le petit Champ des morts, à Péra. Le grand Champ des morts est un plateau im- mense ombragé de sycomores et de pins. On s’as- sied sans scrupule sur les longues dalles qui cou- vrent les sépultures franques (souvent anglaises). Un café en forme de kiosque s'élève dans une éclaircie dont la vue domine la mer. Des rires bruyants résonnent sous ces arbres funèbres. On aperçoit distinctement le rivage d'Asie, chargé de maisons peintes et de mosquées, comme si l’onre- D ETS LE CHAMP DES MORTS., À PÉRA. 181 gardait d’un bord à l’autre du Rhin. L'horizon se termine au loin par le sommet tronqué de l’Olympe de Bithynie, presque confondu avec les nuages. Sur le rivage, à gauche, le palais d’été des sultans allonge ses colonnades grecques dorées. Le petit Champ des morts consiste en un bois de cyprès au noir feuillage, au tronc grisâtre, sous lesquels sont plantés sans ordre, penchés à droite ou à gauche, des pieux de marbre, coiffés de tur- bans ; des terre-pleins entourés de balustrades si- gnalent la sépulture des familles riches. Deux ou trois allées pavées glissent sous la futaie que borne une vieille muraille crénelée. Au-dessous de la colline funéraire se déploie un admirable spectacle, un lointain vaporeux et brillant, encore allégé par les arbres sombres et massifs du premier plan. Ce sont les tuiles brunes, les maisons rougeûtres du quartier de Kassem ; puis le golfe azuré qui sépare la pointe du Sérail et les Eaux-Douces d'Europe; tout au fond, Constantinople aux dômes bleuâtres, aux minarets blancs, aux jardins mystérieux, se déroule en amphitéätre, depuis les Sept-Tours jus- qu'aux hauteurs d'Eyoub. « En face, sur la côte d’Asie, au delà de Scutari, se prolonge une ligne de palais d'été, coloriés en vert pomme, ombragés de platanes, d’arbousiers, de frênes, d’un aspect riant, et, malgré leurs fené- tres en treillage, rappelant plutôt la volière que la 182 PARCS ET JARDINS. prison. Ces palais, rangés sur la rive de manière à tremper leurs pieds dans l’eau, ont assez l'aspect des bains Vigier ou Deligny. Les villas turques, sur le Bosphore, éveillent souvent cette comparaison. » (Ta. GauriEr.) Ge sont les kiosques des Eaux-Douces d'Asie, les palais des pachas, des sérails d’été, dont les longues galeries vitrées, véritables serres, abri- tent des arbustes rares et des fleurs de l'Inde. Au Caire, les voyageurs admirent la promenade de Choubrah et les jardins de Méhémet-Ali. Un canal, un petit lac entouré de cafés et de jardins publics, précèdent une magnifique avenue « la plus belle qu’il y ait au monde assurément, » où s’en- foncent à perte de vue les cavalcades. « Les syco- mores et les ébéniers, qui l’ombragent sur une étendue d’une lieue, sont tous d’une grosseur énorme, et la voûte que forment leurs branches est tellement touffue, qu’il règne sur tout le che- min une sorte d’obscurité relevée au loin par la lisière ardente du désert, qui brille à droite au delà des terres cultivées. À gauche, c'est le Nil, qui côtoie de vastes jardins pendant une demi-lieue, jusqu’à ce qu’il vienne border l’allée elle-même et l'éclaircir du reflet pourpré de ses eaux. Il y a un café orné de fontaines et de treillages, situé à moitié chemin de Choubrah, et très-fréquenté des promeneurs. Des champs de maïs et de cannes à sucre, et, çà et là, quelques maisons de plaisance, ‘yrrqnoun ke ‘U9IAES auf] ” CHOUBRAH. 185 continuent à droite, jusqu’à ce qu’on arrive à de grands bâtiments qui appartiennent au pacha. « On peut critiquer le goût des Orientaux dans les intérieurs; leurs jardins sont inattaquables. Partout des vergers, des berceaux et des cabinets d'ifs taillés qui rappellent le style de la Renais- sance; c'est le paysage du Décaméron. Il est pro- bable que les premiers modèles ont été créés par des jardiniers italiens. On n’y voit point de statues, mais les fontaines sont d’un goût ravissant.»(G. DE NERY AL.) | Ce ne sont que terrasses sur terrasses, cou- ronnées de pavillons peints, dont les draperies de soie voltigent au milieu des festons de fleurs, lon- gues allées de citronniers en qüenouilles, bois de bananiers aux feuilles transparentes ; et des roses, toujours des roses. « Les roses de Choubrah! c’est tout dire en Égypte. » La merveille du jardin, c’est un immense bassin de marbre blanc, le bain du härem, environné de colonnades; au milieu, une haute fontaine laisse couler ses eaux par des gueules de crocodile. Comme la Perse, la Turquie et l'Égypte, l'Inde a toujours été le pays des jardins réguliers. Dans ceux des Grands-Mogols, à Digue, les allées, soit qu’elles plongent dans les profondeurs du sol, soit qu'elles s'élèvent jusqu'à la cime des bois touffus qui les encadrent, et à portée des fruits et 186 PARCS ET JARDINS. des perroquets dont ils sont couverts, sont main- tenues, comme nos voies ferrées, à un niveau par- fait. Ce qu’on a dit des jardins de Le Nôtre, que c'était de l'architecture, est surtout vrai pour ceux- ci; car tout y est pierre : le sol revêtu de dalles, les bordures garnies de petits murs sculptés à jour, et jusqu'aux gerbes de fleurs d’où jaillissent d’in- nombrables jets d’eau. Les jardins de Schalimar, dit le prince Soltykoff, sont le Versailles des rois de Lahore (page 153). Ils portent le nom de jardins suspendus, peut-être à cause de leurs terrasses superposées; ils abondent en orangers, en pièces d’eau animées d’une foule de canards et d’oies grises ; les jeux des innombrables fontaines etcascades symétriques sont siartistement combinés, qu'ils saturent l’air d’une imperceptible poussière humide dont la fraicheur pénètre les vé- tements sans les mouiller. Les kiosques, les allées mêmes, dans les grandes occasions, sont tapissés de délicieux cachemires. A l’entour des pavillons des rampes de marbre blanc ciselé changent les nappes . d’eau qui s’y précipitent en des torrents de diamants. Ne serait-il pas curieux de trouver le jardin clas- sique dans cette Chine qui, dès la plus haute anti- quité, s’ingéniant à rassembler dans ses parcs tous les sites tourmentés ou mélancoliques, subor- donnait entièrement l’homme à la nature ? Cette surprise ne nous manquera pas. LE PALAIS DE LA MER SEREINE. 187 Mme de Bourboulon a vu à Pékin, dans le parc du temple du Ciel, de grandes avenues droites, dallées en pierre, bordées de chaque côté de bal- cons de marbre et entourées de futaies de cèdres deux fois séculaires. Le sol est couvert d’une cou- che épaisse de feuilles affilées et jaunies; on n’en- tend rien que le battement cadencé du pic noir qui frappe sur les vieux troncs, et le gémissement du vent qui souffle dans les clairières, Les jésuites ont importé, au dix-huitième siècle, le goût français en Chine. Dans la grande enceinte de Youen-Ming-Youen, ils bâtirent, pour l'empereur Khien-Loung, une sorte de ville européenne où étaient reproduites les merveilles hydrauliques de Versailles. Le palais dit de la Mer sereine est un singulier compromis entre le style de Mansart, ou plutôt de Gabriel, et le goût chinois. C’est un bâtiment avec avant-corps, attique, pilastres, flanqué de pavillons en saillie. A la porte d’entrée aboutissent deux ma- gnifiques escaliers latéraux ornés à la chinoise, et dont les rampes sont décorées de nombreux vases à jets d’eau en guise de fleurs. (Voir les jets d'eau de la. cascade de Saint-Cloud, et à Versailles ceux du perron entre la pièce-du Dragon et la terrasse.) Toutes ces eaux se rassemblent dans un grand bassin à peu près triangulaire. Douze animaux fa- buleux, rangés sur le bord au pied des escaliers, 188 ‘PARCS ET JARDINS. lancent de l’eau, à chaque heure du jour, suivant le nombre. Pour une heure un seul joue; pour deux, deux, et ainsi de suite jusqu'à douze; c’est une horloge aquatique; les gerbes retombent au centre du bassin. En face du palais un groupe de rochers porte une vaste coquille d’où sort un jet d’eau. Partout cascades et panaches retentissants. Tous ces jeux aquatiques étaient montés comme ceux de Versailles et de Saint-Cloud ; mais il était rare qu’on se servit des conduits disposés par les jésuites jardiniers. Les serviteurs chinois préfé- raient remplir à force de bras les bassins et les pièces d’eau pendant le séjour de l'Empereur. De chaque côté et en dehors des escaliers, est une pyramide étrange et d’un goût charmant sur un piédestal. Ailleurs, les piédestaux ne sont que des caisses de marbre où se dressent de petits arbres dont les Chinois savent arrêter la croissance. La partie du parc qui avoisine le palais de la Mer sereine à quelque rapport avec Chantilly; mais la _ fantaisie chinoise s’y mêle, avec une certaine inco- hérence pleine de grâce. On y voit un vaste lac avec son île reliée au rivage par un superbe pont de dix-sept arches. Vers l’ouest, un lac plus petit environne une île en forme de citadelle, où aboutit un grand pont d’une arche; puis, dans la même direction, deux tours dominent des hauteurs où s'étagent les édifices et les rochers artificiels cou- LE PALAIS DE LA MER SEREINE. 189 verts d'inscriptions. Il semble qu’en voulant imiter le jardin classique la Chine l'ait transformé, et qu’elle ait tout d’abord traduit Versailles en Er- menonville. Pont chinois. DIN ANGLO-CHINOIS OM # ÿl ÿ ” ie À _ Ë W° <. 3 b y 4° ül SES 4 - 1 Porte chinoies. (Voyez page 222.) - 2 \ 14 Ï Bacon, dessinateur de jardins ; l’Éden de Milton : idées d’Addison et de Pope; Twickenham; Théorie de Walpole. — Kent et Brown ; Blenheim ; Stowe. Bacon (1560-1626) a composé pour un prince qu’ilne nomme pas un jardin que les Anglaisaiment à considérer comme le type de leurs parcs paysa- gers. Il recommande tout d'abord de réunir des fleurs et des plantes de toute saison, pour que chaque mois puisse présenter sa beauté particulière : dé- cembre et janvier, par exemple, les houx, les lier- 13 194 PARCS ET JARDINS. res, lauriers, genévriers, cyprès, ifs, pins, sapins; février et mars, les primevères, les anémones, les. pervenches, les violettes ; avril et mai, les arbres fruitiers en fleurs, l’églantier, la giroflée, le lilas, la pivoine et le chèvrefeuille; juin et juillet, les lis, les œillets etles roses; août et septembre, les fruits de toute couleur et de toute saveur. Cette succes- sion d’ornements naturels procurera un éternel printemps. Une pelouse à l’entrée, un parterre au centre, une bruyère ou solitude à l’extrémité, sont les divisions qu’il adopte, toutes trois marquées par des haies. La pelouse sera entourée d’une galerie de charpente. La haie du jardin se compliquera de piliers et d’arceaux en bois, avec cages à oiseaux et morceaux de verres colorés. Tout en admettant des ornements d’un goût aussi douteux, Bacon repousse . les tableaux taillés daus le genévrier et autres enfantillages. De petites haies basses, semblables à des bordures, avec des pyramides gracieuses, lui plaisent beaucoup mieux, et çà et là quelques co- lonnes en charpente. Il lui faut encore, juste au centre, une jolie montagne, parfaitement circulaire, garnie de trois allées menant à «un pavillon à boire avec cheminées bien propres et pas trop de bouteil- les dans les armoires. » Il admet dans la partie plane des eaux transparentes, soigneusement en- tretenues, et un grand bassin, «susceptible de beaucoup d’ornements et de curiosités dont nous IDÉES DE BACON. 195 n’embarrasserions pas nos forêts, » tels que fond richement pavé, bordures de marbre, verres de couleur et statues basses. Il arrive à la bruyère, ou désert, qui fait le troi- sième tiers de son plan, et qu’il veut aussi sauvage que possible. Point d'arbres, rien qu'un buisson par ci, par là, d’aubépine ou de chèvrefeuille, entre- mêlé de quelque vigne sauvage ; sur la terre, des violettes, des fraises, des primevères, semées sans ordre. J'aimerais encore, dit-il, de petits monticu- les dans le genre des taupinières, comme on en voit tant dans les bruyères, les uns couverts de serpo- let, les autres d’œillets ou de pervenches blanches _ et bleues; quelques-uns arboreraient comme des étendards un buisson d’églantiers, de houx ou d’é- pines-vinettes, de groseilliers rouges ou à maque- . reau, de genévriers, de lauriers ou de romarin. Ces bouquets d’arbrisseaux seraient taillés avec soin, de façon à les empêcher de croître outre mesure. Les terrains latéraux seront sillonnés d’allées de tout genre, bordées de grands arbres. C’est là qu’on . ira chercher la fraicheur. Le jardin proprement dit n’admet que des arbustes, le parterre n'étant fait - que pour les mois tempérés, ou « si nous sommes - en été, seulement pour le matin et le soir ou les - jours nébuleux. » Walpole cite l'Éden de Milton comme le véritable jardin anglais et s’écrie : « Que dirons-nous de ce 196 PARCS ET JARDINS. demi-siècle intermédiaire qui a pu lire un tel plan et qui n’a pas essayé de le mettre à exécution ? » A nos yeux, la belle description de Milton ne présente pas un plan et ne diffère pas sensiblement detoutes les autres peintures poétiques de la nature. L'Éden était adossé à une haute montagne où des cèdres, des sapins, des palmiers, élevant cime sur cime, ombrage sur ombrage, formaient un sublime am- phithéätre. Les quatre grands fleuves consacrés, avant de traverser « différents empires, » sortaient en claire fontaine du sommet de la montagne et tombaient dans l’Éden en cascade gigantesque. « La Nature encore dans son enfance, et mépri- sant l’art et les règles, déployait là toutes ses grâces et toute sa liberté. On voyait des champs et des tapis verts admirablement nuancés et environnés de bocages. Tout ce que la Fable attribue de mer- veilleux aux vergers des Hespérides s’offrait réelle- ment dans l’Éden. Des troupeaux broutaient l'herbe tendre sur le penchant des vallons. Des palmiers ornaient de jolis monticules ; des ruisseaux serpen- taient dans un vallon fleuri. Ailleurs, s’ouvraient des grottes où règnait une délicieuse fraîcheur et que la vigne embellissait de ses grappes de pourpre. Les eaux d’agréables cascades venaient se réunir en un beau lac. Les oiseaux formaient un chœur mélodieux, et ies zéphyrs, portant avec eux les odeurs suaves des vallons et des bosquets, mur- PLAISANTERIE DE POPE. 197 muraient entre les feuilles légèrementagitées, tan- dis que Pan, dansant avec les Grdces et les Heures, menait à sa suite un printemps éternel. » On ne s'attendait guère à voir Pan dans cette: affaire, ni les Heures et les Grâces, ni les Hespéri- des. Walpole ne s'aperçoit pas qu'il fait la critique du goût anglais, lorsqu'il suppose que les succes- seurs de Le Nôtre auraient placé dans l’Éden un labyrinthe meublé des fables d'Ésope, des ber- ceaux, des treillages et des fontaines de Girardon. Les véritables promoteurs du jardin paysager fu- rent Addison (mort en 1719) et Pope, qui vécut jus- qu’en 1744. « Pourquoi, dit le premier, un proprié- taire ne ferait-il pas de son domaine entier une sorte de jardin ? Grâce à de nombreuses planta- tions, il en tirerait autant de profit que d'agrément. Si les routes étaient entretenues par les riverains, si les prairies recevaient de l’art du fleuriste quel- ques légers embellissements, si les chemins ser- pentaient entre de grands arbres et des berges fleu- ries, un propriétaire composerait un délicieux paysage rien qu'avec son petit domaine. » . Dans une de ses plus agréables épitres, Pope condamne les jardins classiques, ceux dont l’archi- tecture est la base, et recommande l’art nouveau, qui procède de la peinture et cherche à imiter la campagne, soit d’après elle-même, soit d’après Sal- vator ou le Guaspre. Il ne se moque pas sans grâce 198 PARCS ET JARDINS. de nos bosquets taillés qui, selon l'expression de Walpole, ressemblent à des coffres verts posés sur des perches, et de ces allées propres que balayent les arbres dant on voudrait les voir ombragées. « Allons, dit-il, passer une journée à la villa de Timon, où tout crie: « Voyez que d’argent on a « gaspillé ici ! » À en faire le tour, les bâtiments sont une ville, l’étang un océan, le parterre une plaine. Qui ne rirait, quand le propriétaire, avorton mal- sain, grelotte sous la brise? O gigantesques amon- cellements de petitesses! qu'est-ce que tout cela ? Une carrière en mal d'enfant qui gonfle le sol. De- vant, deux Cupidons bavardent; derrière, un lac reçoit les flèches aiguës du vent du nord. Ensuite les jardins appellent votre admiration; vous regar- dez de tous côtés, que voyez-vous ? la vallée. Point de complications agréables à la vue, point de désert pour varier la scène; les bosquets s’inclinent de- vant les bosquets, chaque allée a sa sœur, et la moitié de chaque plate-forme n’est que le sosie de l’autre. L’œil s’afflige à contempler la nature mise à l'envers : les arbres taillés en statues, les statues en quinconce comme des arbres; là, une fontaine qui ne joue jamais; ici, une maison d’été qui nesait ce que c’est que de l’ombrage. Là, Amphitrite navi- gue à travers des berceaux de myrtes; ici, le gladia- teur lutte et meurt dans les fleurs. Dans une mer à sec, le cheval marin languit et se désole, et les PRÉCEPTES DE POPE. 199 hirondelles perchent sur l'urne poudreuse du Nil. » Après la critique, la leçon : « Qu'on bâtisse, qu on plante, qu'on dresse des colonnes ou que l’on recourbe des cintres, qu’on élève des terrasses ou que l’on creuse des grottes, en tout, il faut se sou- venir que la nature est là. Traitez cette déesse en beauté modeste : ni ornements superflus, ni com- _ plète nudité. Ne livrez point au regard chacune de ses grâces; elles gagnent souvent à rester demi- voilées dans l'ombre. Le triomphe de l'art réside dans la variété des surprises qui mêle les perspec- tives et cache les raccords. Partout consultez le génie du lieu : c'est lui qui réclame les jets d’eau ou les cascades, l’escarpement d’un mont ou la rondeur d’un amphithéâtre, l'ouverture d’une clai- rière ou l’épaisseur d’un taillis. C’est lui qui fait ressortir les ombrages par leurs contrastes ; lui qui prolonge ou brise les lignes du paysage. Deman- dez-lui vos couleurs et vos plans; il est le peintre et le dessinateur. » La conclusion est inattendue : « Les fontaines et les parterres quitteront la scène, et l’homme trouvera ce qui doit lui plaire, un champ. » Alors quel besoin de jardins? Mais les poëtes vont sou- . -vent plus loin qu'ils ne veulent. Pope lui-même avait admis dans son jardin de Twickenham quelques-unes de ces fabriques dont l’Europe fut 200 PARCS ET JARDINS. plus tard inondée. 11 y avait, dit Walpole, un sin- gulier effort de l’art et du goût, à savoir jeter tant de variété sur un espace de cinq arpents. Le pas- sage de l'obscurité au grand jour par une grotte, les ressauts alternatifs des ombrages, les bocages épais, la disposition de la clairière et, au bout du jardin, la solennité religieuse de ce plant de cyprès | qui mène à la tombe de la mère de Pope, sont mé- nagés avec un jugement exquis : | Tel j'ai vu ce Twicknham, dont Pope est créateur; Le voilà ce musée où, l'œil trempé de larmes, De la tendre Héloïse il soupirait le nom; Là sa muse évoquait Achille, Agamemnon, Célébrait Dieu, le monde et ses lois éternelles, Ou les règles du goût, ou les cheveux des belles. Je reconnais l’alcôve où, jusqu’à son réveil, Les doux rêves du sage amusaient son sommeil; Voici le bois secret, voici l’obscure allée Où s’échauffait sa verve, en beaux vers exhalée. Approchez, contemplez ce monument pieux, Où pleurait en silence un fils religieax : Là repose sa mère ; et des touffes plus sombres Sur ce saint mausolée ont redoublé leurs ombres; Là du Parnasse anglais le chantre favori Se fit porter mourant sous son bosquet chéri; Et son œil, que dé à couvrait l'ombre éternelle, Vint saluer encor la tombe maternelle. (DELILLE.) Ce petit domaine servit de modèle à Kent pour le plan de Carlton-House et de Rousham, son chef- d'œuvre. ‘Sa1pUO'T ‘equoIIAL KENT. 203 Selon Walpole, le coup de maître, le pas décisif _ vers le jardin paysager, ce fut la destruction des enceintes murées et l'invention des fossés, essai hasardé, si étonnant alors qu’on l’exprima par une exclamation (ah! ah!) pour marquer la surprise du promeneur devant une brèche imprévue. On n'eut pas plutôt donné ce coup de baguette que les campagnes voisines vinrent se grouper au fond du jardin. Il fallut bientôt que. pour s’assortir avec la liberté de la nature ambiante, le parc secouât son réseau de formes rigides. Si bien que l'horizon de- vint partie intégrante du plan, partie dominante, commanda la distribution des jardins. Faisons observer en passant que cet artifice, tout indiqué par la nature, a été pratiqué de tous temps. Ce ne sont pas les Anglais qui l’ont découvert; il faut se défier de leur excessive vanité, qui les rend souvent par trop naïfs. Où la campagne entre-t-elle plus dans les jardins que dans la villa de Toscane de Pline, dans les villas de Tivoli et de Frascati, qu'à Versailles enfin, ou à Saint-Cloud, ou à Meu- don ? | « C'est alors (quand l’horizon devint partie inté- grante du plan) que parut Kent, assez peintre pour sentir les charmes d’un paysage, assez hardi et ferme dans ses opinions pour oser donner des pré- ceptes, et né avec assez de génie pour entrevoir un. grand système dans le crépuscule de nos essais 204 PARCS ET JARDINS. imparfaits. 11 franchit la clôture, et vit que toute la nature est un jardin. » Kent (1685-1748) est celui de leurs dessinateurs que les Anglais opposent le plus volontiers à Le Nôtre. Il avait pour axiome que la Nature a hor- reur de la ligne droite. De là cette absence d’unité qui est le défaut de ses plans ; ses idées, Walpole, son admirateur, l’avoue, eurent rarement de la grandeur. Après avoir proscrit toute école et toute règle, il ne sut point s'arrêter à de justes limites. Ne s’avisa-t-il pas de planter à Kensington des arbres morts, pour donner à la scène un plus grand air de vérité ? Les travaux de Kent paraissent avoir été aussi nombreux que ceux de Le Nôtre; mais ils ont manqué de cachet personnel et d’unité : aussi est-il difficile de lui faire sa part dans la création des domaines fameux de Stowe, de Painshill, de Leasowe, de Hagley, qui ont été considérablement modifiés par ses continuateurs Brown, Chambers ou Wbhately. Le parc anglais, étant plus ou moins une imitation de la nature, n’est jamais terminé; rien n'y est nécessaire; la raison n’y joue aucun rôle; et c'est là son infériorité absolue vis-à-vis des villas d'Italie et des jardins français. Ïl a souvent plus de charme pour le promeneur, et toujours moins de mérite aux yeux d’un artiste. Ce n’est point que l’art ou du moins l’artifice y ait manqué ; beaucoup d'écrivains spéciaux, le poëte Mason, RÈGLES DES JARDINS ANGLAIS. 205 les dessinateurs Whately, Chambers, l'amateur Walpole, et tant d’autres, Shenstone, Mason, Rep- ton, Alison, Hilpin, Uvedale-Price, en ont tracé les lois, traitant dogmatiquement des édifices, parterres, arbres, eaux, rochers, ruines même. Voici quelques-unes des règles ou des idées, souvent contradictoires ou vagues, d’après les- quelles ont été composés les jardins anglais. Nous les empruntons çà et là aux ouvrages théoriques du poëte Mason, de Walpole, de sir Henri Wotton, de sir: Thomas Whately., et des Français Morel, Thoin et Girardin. Un jardin étant un tableau, un sol nu est un ca- - nevas. L’eau et le feuillage sont les deux coloristes. La perspective est la beauté la plus essentielle d’un jardin. Les situations sont partout si variées qu’il ne peut jamais y avoir de monotonie, tant qu'on étudiera, qu’on suivra la disposition des ter- rains et qu’on saura tirer parti de chaque accident dans les points de vue. L'art de former des jardins est aussi supérieur à l'art de peindre un paysage que la réalité est au- dessus de la représentation (grosse hérésie!). Les anciens jardins sont aux nouveaux ce qu'est une momie d'Égypte auprès d’une belle statue antique. Cinq éléments doivent entrer dans la composi- tion des jardins : les terrains, les bois, les eaux, les rochers et les bâtiments; les quatre premiers em- 206 PARCS ET JARDINS. pruntés à la nature, le cinquième, création de l’homme. Telle est, par conséquent, la proportion qui s'impose au dessinateur d’un jardin dans l’em- ploi de sa personnalité en face de la nature. Les beautés d’un terrain résultent du mélange des trois formes, plane, convexe et concave. La première, qui règne dans les anciens jardins, est dénuée d'intérêt et ne peut que se subordonner aux deux autres dans les conceptions nouvelles. Il faut avant tout éviter les figures parfaitement régulières; avec cette restriction, la forme con- cave, présentant plus de surface et de perspectives prochaines que la forme convexe, est évidemment la plus favorable. Heureux si vous pouvez choisir un vallon dominé par un château féodal ou, à mi- côte, par une humble et gothiqne abbaye. Là vous n'avez rien à faire que de dégager l'effet martial ou religieux du site, et le comble de l’art est de s’y dérober. Dans un terrain que l'artiste a disposé, l’har- monie des parties entre elles est l’objet perpétuel et principal. Dans la nature, les inégalités sont si considérables par elles-mêmes que leurs rapports réels deviennent imdifférents. Mais sur la moindre échelle d’un jardin, si l’ensemble est manqué, la composition paraît artificielle. Par exemple, une interruption marquée choque l’œil ; il faut donc voiler les fossés, de manière que la campagne fasse RÈGLES DES JARDINS ANGLAIS. 207 partie du domaine et le continue à l’horizon. Rien de plus simple, si, du côté du jardin, on surélève le bord du fossé. Deux lignes d'arbres compléteront l'illusion. Quand le terrain change de direction, il y à un point où commence le changement, et ce point ne doit jamais s’apercevoir. Mais il ne doit jamais y avoir d’uniformité, même dans les liaisons. Ainsi, la manière même de cacher la séparation doit être : déguisée. Dans une pente générale, quelques pentes par- tielles ajoutent à la rapidité, du moment qu'elles ne sont pas en sens contraire. Encore faut-il qu’elles n'aient point trop d’enfoncement, sans quoi l'œil saute par-dessus au lieu de glisser; c'est un hiatus et non une transition. Toutefois, dans un terrain vaste, on peut couper ou contrarier une pente au lieu de la précipiter. En thèse générale, avant de commencer de tels travaux, il faut savoir si le résultat gardera quelque chose de la majesté de la nature; car si ce n’en doit être qu’une copie mi- croscopique, partant ridicule, mieux vaut tout sim- plement la prairie, le bosquet non planté, et le “ruisseau modeste qui serpente parmi les fleurs des champs. « Le Parterre doit se présenter inopinément dans “une clairière ou quelque autre lieu bien abrité. Les “plates-bandes éviteront à la fois la régularité et la 208 PARCS ET JARDINS. bizarrerie, tâächant d’imiter les sites sylvestres où les fleurs sont jetées au travers des pelouses, au- tour des buissons d’épines, et viennent souvent se ranger sur les bords du chemin. Comme un par- terre est une œuvre d'art, déshéritée des beautés de la nature, sans perspective, ni rehauts, ni fonds, il est permis de l’orner de quelques bagatelles sé- rieuses qui veulent être examinées de près, telles que les emblèmes des Vertus et des Arts, les bus- tes des grands fleuristes, le tout sous quelque por- tique sans prétention. Dans la disposition des grandes lignes, les arbres sont d’un grand secours, déguisent certains défauts du terrain, ou dispensent de travaux onéreux. Aussi, sans être naturaliste, le jardinier devra être au fait de la taille, de la croissance, de l’aspect et des habitudes de chaque arbre; il lui faudra con- naître ceux dont les branches naissent près ou loin de terre, les touffus et les déliés, les pyramidaux et les pommés, les ternes et les vernissés. Les cou- leurs, les allures des arbres produisent par leur juxta-position des effets puissants et que l’on peut préméditer. On rangera bien les arbres toujours verts derrière ceux qui rougissent en automne ; ce sera un repoussoir aux tons différents des feuilles mortes. La perspective s’étendra au moyen de pre- miers plans d’une verdure sombre placés devant des feuillages grêles et pâles. Pour couvrir les dif- PELOUSES ET ROCHERS. 209 : formités un peu trop apparentes du sol, on em- ploiera, mais avec discrétion, les hautes et pro- fondes futaies. Avec un rideau d’ormes ou de peu- pliers, on cachera le bas d’une pauvre église de village et on n’en laissera voir que le clocher. Si une colline se dresse devant une perspective et la dérobe entièrement, outrez le défaut, plantez haut et épais le sommet du monticule ; et dépouillez la plaine qui le suit, à part un arbre çà et là. Gardez-vous bien de planter des buissons sur le milieu d’une pelouse ; craignez de l’encombrer. Il faut ranger les arbustes le long des allées, bien en vue, pour que l’on jouisse des agréments particu- liers, fleurs, parfums, feuillages, qu’ils peuvent présenter. On n'ira point, à plus forte raison, per- dre des arbres exotiques et rares en des plans étendus. Il sera raisonnable de les reléguer en des coins particuliers, où ils peuvent avoir quel- que signification. Si la nature a, dans un coin de parc, préparé d'elle-même un site sauvage, un désert tout fait, on n’a plus qu’à en faire ressortir l’âpreté par l’ad- jonction discrète de quelques touffes d’arbrisseaux. On vêtira les roches de lierres, de fougères, d’œil- lets rustiques. Si elles atteignent une certaine hau- teur, une petite et légère fabrique au sommet en augmentera l'importance. Les rochers peuvent dif- ficilement se passer de bois ou d’eau ; ils aiment à 14 210 PARCS ET JARDINS. être couronnés de grands pins et parcourus par une cascatelle bondissante. Plusieurs chutes d’eau qui se succèdent sont pré- férables à une grande cascade, dont la figure et le mouvement sont trop réguliers. Une rivière par- semée d’iles ovales, entre des bords parallèlement contournés, donnera au parc de la variété, du calme et de la fraicheur. Un bon moyen d’en allon- ger et même d’en élargir le cours, c’est de la cou- per de ponts. On doit mettre-à profit ce que donne la nature, fontaines, ruisseaux, torrents; mais c’est une hérésie, un contre-sens, que d’enfermer l’eau en des bassins de pierre, de l’élever malgré elle en gerbes et en panaches : il faut lui laisser sa pente et ses courbes, les exagérer plutôt. Les cas- cades en escaliers sont formellement condamna- bles, l’eau ne se conduisant pas ainsi quand elle est livrée à elle-même; il faut une bonne vraie chute, de roc en roc. Cependant, les lacs étant dans la nature, on admettra dans les parcs des étangs habités par de jolis poissons, semés d'îles, et ani- més par des massifs dont le soleil distend ou rac- courcit les ombres. Les ruines sont belles et expressives ; elles s’ac- commodent aisément aux irrégularités du terrain ; elles donnent de l’âge au domaine. Mais il faut qu’elles fassent illusion, qu’elles ne soient ni trop frustes ni trop neuves. Là est la difficulté; les RUINES ET FABRIQUES. 211 moins compliquées seront toujours les meilleures, à moins d’un talent consommé; on recommande les naumachies, les aqueducs, les colonnes tron- quées, les tombeaux. Comme pour les ruines, pour tous les bâtiments accessoires, il est plus avantageux d’être vus obli- quement que directement; tous les détails doivent se fondre dans l’ensemble. Toutefois, il faut recon- naître une certaine opposition entre l'architecture et le jardinage, car les édifices veulent être régu- liers, et les jardins demandent une irrégularité quelconque, ou au moins une certaine rusticité dans la régularité. Autour de la maison d’habita- tion, il sera convenable de modérer les écarts de la nature et de l’astreindre à quelques formes in- diquées par le bâtiment lui-même. Tous les envi- rons de la maison doivent participer de sa forme. Si une avenue conduit au portail, elle y aboutira bien à angle droit; des termes, des statues, des vases, des pavillons seront admis sur les terras- ses. Au reste, tous les genres d'architecture . sont compatibles avec les dispositions d’un parc, et nul décorateur n’est plus accomodant que la nature. On peut diviser les parcs en quatre genres, selon leur richesse ou leur simplicité, leur dimension ou leur destination. Le Parc et la Carrière, ou ; Pays, diffèrent assez peu : les massifs et les futaies : 212 PARCS ET JARDINS. jouent un plus grand rôle dans le premier; il ya plus de liberté naturelle dans la seconde. La Ferme est le domaine dont parlait Addison, un compro- mis entre la culture lucrative et la décoration de luxe. Le Jardin proprement dit n’a pour objet que l’agrément. À vrai dire, on ne voit pas trop ce que ces théo- ries et ces divisions apportent de nouveauté dans la conception des pares. Comme les jardins clas- siques, les jardins paysagers admettent l’emploi, l'appropriation humaine, du terrain, des eaux, des bois, des rochers, des bâtiments; on y préfère la ligne courbe à la ligne droite, la pelouse au tapis vert, le lac au bassin, les rochers aux girandes; en sont-ils moins factices ? Ils le sont moins franche- ment, voilà tout; et en voulant imiter la nature, ils arrivent à la singer mesquinement. Contentons- nous de planter des bois et d'y ouvrir des allées, * mais n’y semons pas, comme nous l’allons voir, la plus bizarre multitude de curiosités hétéroclites. Sinon, revenons aux jardins de Le Nôtre qui subor- donne nettement la nature à la fantaisie humaine. Et encore, est-ce que Le Nôtre ignorait l’art des plantations, des parterres, l'aménagement des ter- rasses et des eaux? Est-ce qu'il oubliait d'agrandir les perspectives à l’aide des campagnes environ- nantes? Est-ce que la plupart de ses grands ou- vrages ne réunissaient pas tous les genres sur les- - DANGERS DU GENRE ANGLAIS. 213 quels on s’est tant appesanti à la fin du dix-huitième siècle, le jardin, la ferme, le parc et la carrière ? Le jardin anglais n’est lui-même qu'un genre du jardin de la Renaissance et du jardin français, une modification secondaire et qui n’a rien produit d’é- gal à la ville Aldobrandini, à Versailles, à Caserte, à Aranjuez : c'est ce dont on pourra juger avant la fin de ce chapitre. Disons que, sans un vaste espace, il ne peut exister de véritable jardin paysager, et que partout où la nature avoisine une œuvre de l’homme, maison, statue, vase, elle doit se plier aux exigences de son: maître et s'habiller à l'italienne et à la française. Réduit à des proportions médiocres, telles qu’en comportent les jardins de nos maisons bourgeoises et les squares des villes, le style anglais est parti- culièrement mesquin et affecté. « Un danger pres- sant, dit Walpole, menace notre goût : la recherche de la variété. Un Français l’a dit avec justesse : l’en- nui du beau mène à la singularité. » Nous avons cité deux ou trois des plus remar- quables parcs dessinés par Kent ou son école. Les domaines de ce genre abondent en Angleterre et en Écosse, tous beaux et verdoyants, munis de pe- louses magnifiques, de charmants bouquets d’ar- bres et de plus ou moins de fabriques ou de ruines. On peut dire qu'ils se ressemblent tous par la va- riété même qui empêche d’en saisir le plan et qui « 214 PARCS ET JARDINS. en fait des paysages charmants, mais sans carac- tère particulier. Cependant Painshill était remar- quable par son agreste simplicité; Longleate, par son aspect riant et ses vastes perspectives; Wilton par les accidents de son sol et l’étroitesse de son horizon. On vante la végétation de Sion-House, au duc de Northumberland, que Brown planta sur les rives de la Tamise, en face de Kew. Chiswick, plein des trésors de la ville et des champs, est semi-classique; on y trouve les vieux ifs de Louis XIV et la disposition ondoyante des parcs nouveaux ; on y voyait un pavillon dans le style de Palladio ; Chiswick appartientau duc de Devonshire. Blenheim, à Woodstock, domaine offert à Marlbo- rough, présente, à côté d’un premier jardin symé- trique, un beau parc de Brown. Certains bouquets d'arbres jetés au milieu des pelouses sont admira- blement groupés; la végétation est splendide; ce ne sont que platanes, ifs, épicéas, tulipiers, catal- pas, cèdres du Liban. Mais toute cette riche ver- dure, cette suite incohérente de perspectives di- . verses, ont certainement moins de grandeur signi- ficative que la grande avenue de trois milles de long qui vient se terminer, en face même du chà- teau, par un arc de triomphe à pilastres corin- STOWE. 215 thiens : c’est bien là l’offrande de la nation anglaise au vainqueur de Ramillies. Stowe, dans le Buckingham-Shire, modèle re- connu du jardin anglais orné, d’abord planté à la française, fut transformé par Bridgman et Kent, sous la direction du propriétaire, lord Cobham. Vanbrugh et divers autres artistes contribuèrent depuis à son embellissement. Admiré de Pope, il n’a rien perdu de sa renommée. Le domaine a de trois à quatre cents arpents. C’est un ensemble très-compliqué de terrasses, de pièces d’eau, et surtout de fabriques sans nombre, groupées autour du château et comme noyées dans un vaste parc extérieur ou carrière qui commu- nique par plusieurs grilles au jardin central. On ne peut guère qu’en mentionner les perspectives les plus réussies sans en indiquer la distribution; c'est un plan à la main qu’il faudrait marcher à travers ces fantaisies jetées là pêle-mêle sans desti- nation utile et sans lien qui les rattache. La perspective de la terrasse méridionale a beau- coup d'agrément; elle domine une belle pélouse semée de troupeaux, et dans le fond, au bout d'une large avenue bien alignée, une grande pièce d’eau irrégulière formée par la jonction de deux rivières sinueuses. La terrasse mène à une oran- gerie, annexe d’une des ailes du château, et qui se développe devant un gracieux parterre. 216 PARCS ET JARDINS. Un bosquet sillonné de chemins capricieux pré- cède le temple dorique de Bacchus, annoncé par des sphinx et décoré de médiocres peintures; un tapis vert, un grand lac, un temple de Vénus, sur la rive opposée, lui font un attrayant horizon. Dans le bois voisin, une sorte de cellule de la Thébaïde, en troncs d'arbres, surmontée de deux croix, agrémentée de vilaines inscriptions où « le latin dans les mots brave l'honnêteté, » se nomme l’er- mitage de Saint-Antoine ; à peu de distance, comme un reste de la fameuse tentation, danse une dryade de pierre. Les dèmes des deux pavillons qui terminent les jardins au couchant sont couronnés d’une petite ro- tonde à deux colonnes; Kent les a reliés par une belle grille en fer. Si maintenant nous coupons droit vers la gauche, la clairière nous laissera voir la pyramide consacrée à Vanbrugh, monument noi- râtre qui a bien vingt mètres de haut. Le labyrinthe voisin est d’un aspect plus gai; ses détours nous conduisent, par de jolies salles de verdure, à une éminénce ornée de cyprès où une statue de la reine Caroline repose sur quatre colonnes ioniques. Nous nous apercevons bientôt que nous avons tourné autour du grand lac entrevu tout à l'heure; nous voici arrivés au bord de l’eau. Deux îles ver- doyantes, les pelouses ou les bosquets des rives, des rochers semés de grottes que fréquentent des dieux STOWE. 217 _ marins en marbre, une superbe cascade et surtout . destro@ipes de cygnes font de ce lieu la plus piquante _etla plus animée des scènes de Stowe. Le temple _ de Vénus, appuyant sur un petit bocage ses trois . pavillons reliés par un hémicycle de six arcades, fait pendant et face au temple de Bacchus; l’inté- rieur du pavillon principal est décoré de peintures _ d’après la Reine des fées de Spencer. Au delà de la grande pelouse, est un autre édifice consacré encore à Vénus : c’est la Rotonde, élevée de manière à former le centre d’une foule de points de vue. A ses pieds, au milieu des taillis, se cache la caverne de Didon, séparée par un sentier sombre mais court d’un monticule où s'élève la colonne corinthienne _ de Georges II. La colline est habilement placée au centre d’un panorama où se groupent le lac avec la _ Rotonde et le temple de Vénus, le éhâteau et des _ édifices que nous ne connaissons pas encore, le | temple des grands hommes, la colonne de Cobham et la grande porte Buckingham. Nous ne sommes pas au bout des monuments et . des points de vue. Le temple de l'Amitié ne nous arrêtera pas; nous le retrouverons partout. Nous . descendons dans un vallon garni ou farci de fabri- . ques; ici une colonne, cannelée, octogone, couron- _ née de huit petites colonnes, coiffée d’une rotonde, porte la statue de lord Cobham ; là un temple gothi- - que agrémenté de six divinités saxonnes semble un 218 PARCS ET JARDINS. voisin bien rébarbatif pour un château antique et pour un pont dans le goût de Palladio. Mais la grâce de la rivière, la richesse de la végétation, la beauté des vues sauvent ou compensent les dis- parates. Le pont, en lui-même, est magnifique. Il élève, au premier tiers du vallon, une décoration aussi élégante que majestueuse, formée de portiques re- liés par des balustrades. C’est l’une des fabriques les mieux motivées du jardin ; et sans le temple gothique en grès rouge, ce paysage à la Claude Lor- _ rain serait irréprochable. Comment arrivons-nous à une terrasse du nord bordée d’ifs toujours noirs ? Je ne sais, mais nous y voilà. Jouissons simplement de l’admirable hori- zon du grand parc, qui se développe en pelouses immenses couvertes de troupeaux, en forêts gi- boyeuses et en campagnes semées de moissons et de villages : c’est la nature elle-même, et combien plus belle dans sa variété spontanée que dans les complications factices des jardins paysagers ! Toute- fois on l’a affublée encore d’une ferme moyen âge, à créneaux (horreur!), et d’une exécrable statue équestre de Georges IT; seul, un grand obélisque de trente mètres y figure avec noblesse : c’est un monument dédié à Wolfe, le vainqueur de Québec, un des plus grands généraux de J’Angleterre. Entre la terrasse du nord, qui marque une des RTE en M x - ne STOWE. 219 limites du jardin, et la façade septentrionale du . château, il y a encore à voir une foule de curiosi- . tés : une exacte réduction du Parthénon {sauf les _ frises), dédiée à la concorde, à la victoire et à la liberté publique, décorée, en bas-relief, des victoi- . res remportées sur les Français ; deux vallons, l’un avec vue sur la colonne Cobham, l’autre couvert _ de bois, où Hercule et Antée font pendant à Caïn et Abel, tous quatre en plomb blanchi; le temple des _ Dames, aux trois rangs d’arcades croisées, pavé de cailloux plats en mosaïque, peint à l'avenant, sou- tenu de colonnes de marbres rouge et blanc, ouvert sur de riches perspectives; une grotte de porcelaine et de pierre à fusil, genre rocaille, réfléchissant aux mille facettes de ses glaces les beautés d’une . jolie statue de marbre blanc, et précédée de deux - rotondes, à six colonnes, à coupole, qui servent . d’abri à des groupes d'enfants. Whately blâme jus- tement cet étrange amalgame, et surtout ces ro- tondes, én un lieu qui veut être sauvage. Il faut louer cependant les arbrisseaux, les lierres qui en- veloppent à demi la grotte et la délicieuse alter- nance des pelouses et des bocages. Ici encore, des cascades, une ile avec bains froids décorés de mé- daillons d’empereurs romains, et les gracieux « méandres de la rivière des aulnes. Plus loin, dans “ un endroit nommé Champs-Élysées, l’amphithéâtre . de gazon où seize bustes d’illustres Bretons, tels 220 PARCS ET JARDINS. que Pope, Milton, Shakespeare, Locke, Newton, Bacon, le roi Alfred, Drake, ete., s'élève au mi- lieu des lauriers-roses. Par une étrange anomalie, dans ces bocages païens et classiques se cache une église paroissiale avec un faux cimetière rempli de fausses épitaphes. Nommons encore la colonne ros- trale du capitaine Grenville; un péristyle de seize colonnes ioniques, consacré à l'antique Vertu, sous les traits colossaux d'Homère, Lycurgue et Épaminondas ; le temple de la moderne Vertu, amas informe de ruines entrelacées de lierre et de ronces ; l’arcade d’Amélie-Sophie, tante du roi (1760), entourée d’Apollon et des muses en hémi- cycle; deux gladiateurs combattant près d’une ca- bane rustique; un singe assis qui se regarde dans un miroir, sur une colonne tronquée, dédié à Con- grève; et dans une grotte en forme de coquille, les armes des Cobham avec la devise : Templa quam di- lecta! Tout cela disséminé dans les bois, au bord des eaux, sans ordre et non sans grâce, constitue une sorte de musée incohérent, bien inférieur à la grandiose conception logique de Versailles. LI IT Jardins des bonzeriés chinoises. Le Palais d'été des empereurs chinois. — Yédo. Stowe n’est rien à côté de la complication des jardins chinois. Iles pyramidales, portiques, kios- ques, bassins, tours, hameaux, ponts de toute forme, chemins de toute courbure, les Cninois ac- cumulent d'innombrables fabriques ; ils excellent à les isoler, à les éloigner les unes des autres par des monticules et des allées tortueuses; ils simulent des lointains par des plantations graduées d’arbres décroissants. Aimant peu la marche, ils disposent à chaque endroit des lieux de repos, chacun pourvu de son point de vue, de son lac, ou de sa biblio- - thèque. Tel parterre est consacré au printemps, tel - ruisseau à l'été, tels autres objets à telle heure de .… la journée. Dans les bosquets du printemps, on ménage des 229 PARCS ET JARDINS. ” serres, des volières et des ménageries, de grands espaces découverts destinés au manége, à l’es- crime, au tir et à la course. Les scènes d'été ad- mettent des lacs, des rivières, avec des flottilles de plaisance, de joute, de pêche et de combat. - Salles de bain, de repas, de lectures, de concerts, de méditation, labyrinthes cachant dans des mas- sifs d'arbres rares de discrets pavillons, salons ouverts sur de petites cours embaumées par des pots de fleurs, volières, fontaines, poissons do- rés, lacis de vignes et de bambous, rien n'y man- que de ce qui rendait cher aux Romains les Thermes de Caracalla. Aux scènes d'automne appartiennent les ermitages où vivent les vieux serviteurs, les tombeaux des ancêtres, les grands chênes, les hêtres ou les pins, les souches mortes couvertes de mousse et de lierre. Les Chinois imposent aux sites des aspects riants, mélancoliques ou terribles, afin de choisir à coup sûr une promenade appropriée à l’humeur du moment. Leurs artistes excellent à combiner des sites ro- : mantiques, à multiplier les échos, à faire mugjir le vent entre des rochers, à dissimuler sous la terre le cours rapide d’un torrent dont le fracas inexpli- cable étonne une oreille expérimentée. Ils imagi- nent des scènes d'horreur, des roches pendantes, des cavernes obscures, des cataractes impétueuses, AT ET TN nn Mie L) JARDINS CHINOIS. +. 223 _ des arbres difformes et qui paraissent courbés par . la violence d’un ouragan, ceux-ci renversés par la . fureur des eaux, jetés au travers des torrents, ceux- . là brisés et comme calcinés par la foudre. Des ruines, des cabanes éparses sur les flancs nus des côtes arides complètent le tableau par l’idée de la : misère et de la faim. D’habiles contrastes effacent bientôt ces impressions pénibles. Ce ne sont plus . que rivières délicieuses, riches ombrages, paysages _ élyséens. L'art consiste à disposer les sites de manière qu’envisagés séparément, ils se déploient sous l’as- _ pect le plus avantageux, et que, considérés en bloc, ils forment un ensemble aussi élégant que magni- Eee 2 CARE ET E fique. Quand le terrain est borné, les Chinois l’a- - grandissent en y accumulant des coteaux factices, des vallons, des sentiers tortueux, en y associant les campagnes voisines. Si les environs n'offrent aucun point de vue, les jardins sont enveloppés de terrasses sur lesquelles on monte par des glacis. Ces terrasses sont couronnées de grands arbres et . de buissons qui dissimulent les clôtures. Les eaux entrent peut-être pour la moité dans le plan d’un jardin chinois. Des îles pyramidales s’é- » lèvent au-dessus des lacs, portant un temple, une - rotonde ou un colosse. Certaines constructions aux - plafonds de glace, aux murs de coquillages, aux planchers de jaspe, d’agate et de madrépores, figu- 224 PARCS ET JARDINS. : rent sous les eaux des palais de nymphes, vérita- bles aquariums pleins de poissons dorés. Des ponts de toute matière et de toute forme, souvent en ligne brisée, traversent les ruisseaux, les rivières, joi- gnent les ilots aux rives des lacs, se prolongent en galeries, s'élèvent en arcs de triomphe, en riches escaliers pavés de mosaïques brillantes. Enfin, les Chinois peuvent prétendre qu'aucun des arts ne surpasse le jardinage. Leurs jardiniers sont des botanistes consommés, mais aussi des peintres et des philosophes qui ont su prévoir, pour les combattre ou les exciter, tous les sentiments qui naissent dans le cœur humain. Ils ne se contentent point, comme le voulaient Addison, Kent, Brown, d’imiter à s’y méprendre la liberté de la belle na- ture, ils en veulent faire la consolation, l’amie et la compagne de l’homme; ils arrivent à lui prêter des intentions, des pensées et une puissante magie. Le malheur est qu’en morcelant la nature pour amuser leur paresse, en l’astreignant à une exces- sive variété, ils en font une marquetterie; en la pliant à l’expression des sentiments moraux, ils la faussent et la surmènent. Leurs chefs-d’œuvre sont souvent des curiosités maniérées. È On en jugera mieux par la description d’une de leurs bonzeries et des fameux jardins du Palais d'été, qui, avant d’être saccagés par l’armée anglo-fran- Çaise, pouvaient passer pour le modèle du genre BONZERIE DE HO-KIEN. + paysager en Chine. Les restrictions que nous avons faites ramèneront à sa juste valeur l'enthousiasme des témoins oculaires dont nous emprunterons les impressions. « Les Chinois, dit Mme de Bourboulon, choisis- sent pour élever un temple, un site riant et pitto- resque, avec des eaux pures, de grands arbres et une végétation fertile; ils y creusent des étangs et des ruisseaux, et y tracent une foule d’allées tour- nantes, près desquelles ils multiplient les arbustes et les fleurs (surtout les asters); par ces avenues fraiches et parfumées, on arrive à plusieurs corps de bâtiment entourés de galeries, dont les piliers sont couverts de plantes grimpantes. « La bonzerie de Ho-Kien (province de Tientsin), une des plus vertes et des mieux entretenues que | j'aie encore vues, est située sur le penchant d’une colline agreste, où sont disséminés dans un dés- ordre pittoresque les vingt-cinq pagodes, temples et kiosques dont elle se compose... Je m’achemi- nai sous la conduite d’un jeune bonze vers le parc dont on aperçoit les hautes futaies. Après avoir franchi quelques kilomètres, nous nous engageàmes sous l’ombre épaisse d’une allée bordée d'arbres centenaires. Elle décrivait mille détours capricieux à travers des ravins, des étangs, des ruisseaux bor- … dés de plates-bandes de fleurs odorantes et d’ar- « bustes aromatiques, et nous amena au débouché de 15 296 PARCS ET JARDINS. grottes profondes taillées en plein rocher, en face d’un lac majestueux, au-dessus duquel un temple principal élevait ses portiques de marbre soutenus par douze colonnes de granit. Rien de plus saisis- sant que l’aspect architectural et grandiose de ce monument qui se reflèle dans les eaux paisibles du lac. Au milieu des nymphéas roses qui étalent leurs brillantes corolles au-dessus de leur tige d’un vert tendre moucheté de noir, se promènent des ca- nards mandarins couleur de feu et d'azur; des gouramis et des dorades aux écailles d’or et d’ar- gent s’y jouent à la surface de l’eau et sortent pour attraper les mouches luisantes qui forment comme des chœurs aériens; de temps en temps, des tor- tues effrayées par notre passage se laissent tomber dans le lac, semblables à de grosses pierres qui roulent ; de petits oiseaux gazouillent sur les lon- gues branches des saules pleureurs et des peupliers argentés. Le spectacle de ce paysage enchanteur me fit une vive impression, et je ne crois pas avoir vu dans aucun autre pays du monde un parc où la nature, secondée par l’art, se soit présentée à moi sous des dehors aussi séduisants. » Le Palais d'été des empereurs de la Chine (Youen- Ming-Youen) frappa d’admiration les soldats euro- péens qui le saccagèrent. C’est, dit M. Pauthier, l’ensemble le plus extraordinaire de palais, de pa- villons, de kiosques, de pièces d’eau, de rochers, YOUEN-MING-YOUEN. 227 de collines et de vallées factices que la main de l'homme ait jamais créé. L'emplacement fut choisi par Young-Tchin, sur les recommandations de Kanghi, son père, au dix-septième siècle. L’exécu- . tion appartient à Khien-Loung, mort en 1796, après soixante ans de règne. Un album chinois dessiné et peint en 1744 nous a conservé toutes les dispo- sitions et toutes les splendeurs de cet immense domaine, plus grand-que Pékin. La bibliothèque impériale possède cet album. À un peu plus de trois lieues de la porte occiden- _ tale de Pékin, s'étend la double enceinte qui ren- _ ferme quarante palais chinois et une vingtaine . d’autres, construits à l’européenne. En avant, dans . le village d’Haï-tien, se logaient tous les fonction- naires et les courtisans. C'était un véritable Ver- . sailles chinois. Outre le palais de la Mer sereine, quelques au- - tres sites méritent une description particulière. L'habitation ordinaire de Khien-Loung, annon- . cée par trois singulières portes triomphales, était - située à l’entrée du parc. Assemblage prodigieux de bâtiments, de cours, de jardins, on eût dit une ville, d’un quart de lieue en tout sens. Elle avait ses quatre portes aux quatre points cardinaux, ses . tours, ses murailles, ses parapets, ses créneaux, ses à rues, ses places, ses temples, ses halles, ses mar- chés, ses boutiques, ses tribunaux, ses palais, son 298 PARCS ET JARDINS. port. C'était une miniature de Pékin. On va jusqu’à raconter qu’en certaines circonstances, des eunu- ques et des valets, prenant les rôles et les costu- mes des Pékinois, imitaient au naturel le mouve- ment de la grande ville, y compris les rixes, les émeutes, les condamnations et les exécutions, quel- quefois sanglantes. Le Fils du ciel daignaïit s’amu- ser de cette parodie de son empire. Le palais de la Méditation occupait le sommet d’un rocher en surplomb sur un lac. Au-dessous, au milieu d’un détroit, s'élevait sur un soubasse- ment carré un pavillon à jour relié aux côtes par deux escaliers symétriques. La Cour des boissons fermentées au milieu des fleurs de nélumbium agitées par le vent occupait la rive d’un lac couvert de fleurs de lotus ou nélumbium et semé de pavillons. L'une de ces constructions renfermait une bibliothèque de dix mille cinq cents ouvrages volumineux. Sur le lac se déployait un riche pont à arcades étroites régulièrement crois- santes et décroissantes, à parapets ornés de petits édicules pyramidaux. Trois îles reliées par des ponts en zigzag, bor- dées de rochers symétriquement sauvages, ombra- gées d'arbres pleureurs et d’essences diverses, riches en kiosques et galeries à jour peintes des plus magnifiques vernis, formaient le palais des Génies et des pierres précieuses. « On doit suppo- ES Ve Let YOUEN-MING-YOUEN. 229 ser, dit la légende de l'album, qu’elles ont été éta- blies exprès pour y passer des journées à étudier, à peindre. En les voyant, on se croit transporté par la pensée dans la montagne des Immortels. On di- _rait que l’on a sous les yeux les douze salles d'or (les signes du Zodiaque). » Au milieu d’un vaste bassin, sur un rocher, l'or et les laques éclatantes resplendissent, ou mieux _ resplendissaient, dans les moindres détails d’un palais féerique à cent chambres, à quatre façades. _ Les rives sont variées à l'infini; aucun endroit n’y ressemble à l’autre; ici, ce sont des quais de pierre de taille où aboutissent des galeries, des allées et des chemins ; là, des quais de rocaille, en manière _de degrés; ou bien des terrasses, et, de chaque côté, un escalier montant aux bâtiments qu’elles supportent; et au delà, d’autres encore, avec d’au- tres palais en amphithéâtre. Ailleurs, c'est un mas- sif d'arbres en fleurs, un bosquet d'arbres sau- vages et qui ne croissent que sur les montagnes les plus désertes : arbres de haute futaie et de construction, arbres étrangers, arbres à fleurs, arbres à fruit. On trouve à l’entour quantité de cages et cabanes ornées, moitié dans l’eau, moitié sur terre, retraite _ d'oiseaux aquatiques innombrables (ailleurs, il y a de petits parcs pour la chasse et de petites ména- _ geries). Un grand espace entouré de treillis de fil de 230 _ PARCS ET JARDINS. cuivre très-fin y rassemble en foule les poissons précieux et rares, brillants comme or où comme argent, bleus, rouges, verts, violets, noirs, gris de lin, ou bariolés et moirés de toutes ces couleurs ensemble. A de certaines heures, comme par enchantement, le lac se couvrait de barques dorées et vernissées. Les nuits de fête, et surtout à la fête des lanternes, des illuminations, des feux d'artifice bien plus par- faits que ceux de l’occident, inondaient le bassin d’une pluie de refléts et de fleurs enflammées. Point de chambre, de salle, de galerie, de statue où ne parussent plusieurs lanternes. Il y en avait sur tous les canaux, sur tous les bassins, en façon de petites barques promenées par les eaux; sur les ponts, sur les montagnes, presque à tous les ar- bres; et toutes d’un travail fin, délicat, de toutes grandeurs, de toutes formes et de toutes matières, poissons, oiseaux, animaux, vases, fleurs, fruits ou bateaux, de soie, de nacre, de corne ou de verre; on en a vu de peintes, de brodées, qui ne l'avaient pas été à moins de mille écus. Voici la légende de l’album : « Ce site est en forme de vase ou de coupe quadran- gulaire. À lorient est le palais des perles, qui bril- lent comme les pistils de fleurs abondantes ; à l’oc- cident, trois grands bassins forment comme des croissants de lune. Une verdure naissante brille YOUEN-MING-YOUEN. 231 dans les intervalles vides. Enfin tout ce qui se découvre à la vue fait de ce lieu un sie sans rival. Toutes les montagnes et les collines sont cou- vertes d'arbres, et surtout d’arbres à fleurs, qui sont icitrès-communs. Les canaux ne sont point, comme chez nous, bordés de pierres de taille tirées au cordeau, mais tout rustiquement avec des mor- ceaux de roches, dont les uns avancent etles autres reculent, et qui sont posés avec tant d'art qu’on dirait que c’est l'ouvrage de la nature. Tantôt le canal est large, tantôt il est étroit; ici il serpente, là il fait des coudes comme si réellement il était maîtrisé par les collines et les rochers. Les bords sont semés de fleurs qui sortent des rocailles et qui paraissent être le produit de la nature; chaque saison a les siennes. Outre les canaux, il ya partout des chemins, ou plutôt des sentiers qui sont pavés de petits cailloux et qui conduisent d’un vallon à l’autre. Ces sentiers vont aussi en serpentant. Les galeries non plus ne vont guère en droite ligne; elles font cent détours pour embrasser un bosquet, un rocher ou un bassin. Leurs toitures en selles et en dos d’âne sont terminées par de capri- cieux frontons. Les ponts ne sont pas moins libres en leur forme. Ils tournent en serpentant; si bien qu’un espace de trente ou quarante pieds de long comporte un pont qui en a cent ou deux cents. Le 232 PARCS ET JARDINS. bois, la brique, les pierres de taille sont tour à tour employés à la construction des ponts. Les uns Gnt pour garde-fousdes balustrades de marbre sculptées en bas-relief et ciselées avec art; d’autres portent à leurs extrémités des pavillons à jour, ou d’élégants arcs de triomphe. On veut partout un beau désordre, une anti- symétrie. La variété de toutes ces maisons de plai- sance, disséminées dans une foule de petits vallons, derrière de petits monticules, au bord de petits lacs, aux colonnes de cèdre ou de marbre, aux charpentes laquées, aux murailles polies, aux toits rouges, jaunes, bleus, verts, violets, se trouve non- seulement dans la position, la vue, l’arrangement, la distribution, la grandeur, l’élévation des corps de logis, mais encore dans les parties différentes dont le tout est composé. Il faut aller en Chine pour voir des portes et des fenêtres de toutes figures : rondes, ovales, carrées ; en forme d’éven- tails, de fleurs, de vases, d'oiseaux, d'animaux, de poissons, régulières et irrégulières. « Un empereur doit lui-même bâtir son palais, et ilne peut habiter dans aucun de ceux qu’ont habités ses prédécesseurs. » Il en est de même sans doute pour les princes, fils, frères ou cousins de de l’empereur. De là cette multitude de bâtiments, sans cesse accrue depuis deux siècles, jusqu'aux jours où des peuples civilisés, amis des arts, ont + YOUEN-MING-YOUEN. 233 été saccager et piller les merveilles du Versailles chinois ‘. L'art déployé par les Chinois dans la décoration de la nature n’est sans doute point ignoré des Ja- ponais. Il y a entre les deux peuples des simili- tudes qui permettent de le supposer. M. le mar- quis de Moges à vu à Yédo, autour du palais de lempereur, sur les bords d’un large fossé plein d’eau courante, des talus admirablement soignés, couverts de cèdres qui viennent appuyer leurs branches sur de frais gazons. On dirait un parc anglais. 1. Les détails qui précèdent résument une intéressante mono- graphie de M. Pauthier et une lettre du frère Attiret, attaché comme peintre au service de Khien-Loung. Lettres édifiantes, tome XXXV. II Kew.— Parcs de Londres et squares; Kensington ; Saint-James ; Hyde-Park; Regent’s-Park. — Botanic-garden de Calcutta ; Barrackpour, domaine du gouverneur général de l'Inde. — Parc des rois de Ceylan. — Buitenzorg, à Java. — Bois de La Haye; bois et jardins de Harlem. Les merveilles de Stowe étaient en Angleterre de véritables raretés, lorsque Chambers, qui visita la Chine et y connut l’habile dessinateur de jardins Lepqua, rapporta d'Orient le goût d’une fantaisie encore plus bizarre et plus confuse. | « La plupart des jardins anglais, écrit Cham- bers, diffèrent très-peu des champs ordinaires, tant la nature vulgaire y est servilement copiée. On y trouve en général si peu de variété dans les objets, une si grande sécheresse d'imagination dans l'invention, un art si borné dans l’ordonnance, que ces compositions paraissent plutôt l’œuvre du hasard que la production d’un dessein réfléchi. Un 236 PARCS ET JARDINS. étranger n’y voit rien qui l'amuse, rien qui excite sa curiosité, il n’aperçoit aucun objet qui puisse soutenir son attention. A peine est-il entré qu'on le régale de la vue d’une grande pièce verte sur laquelle quelques arbres éparpillés semblent se fuir les uns les autres et dont le pourtour est une bordure confusément chargée de fleurs et de pe- tits arbrisseaux..… Prêt à périr d’ennui, il prend le parti de n’en pas voir davantage ; vaine résolu- tion! Il n’y a qu’un seul et unique sentier ; il sera obligé de s’y traîner jusqu’à la fin ou de retourner sur ses pas par l’ennuyeux chemin qu’il a par- couru. » Chambers proposa donc à notre imitation l’art chinois; il en transporta les procédés et les sur- prises dans le parc de Kew, commencé par Kent dans le goût de Stowe. À demi jardin des plantes, ménagerie, ensemble de collections, Kew ne bril- lait point par ses beautés naturelles. Un art vrai- ment consommé et une munificence princière ont pu seuls transformer en éden la sécheresse et la platitude d’un sol ingrat, sans eau et sans bois. Les jardins proprement dits, célèbres par leurs belles fleurs et leurs arbres exotiques, sont bien conçus. Chambers y dessina une orangerie ou maison verte, un temple du Soleil (1761), un petit arc de triomphe gracieux entre deux parterres, une magnifique volière, un bassin peuplé de poissons ‘MO @ UOITAPd _ ES PRIE TT RE PAR EE NOR SPORT ENT ESCPMENENERIS KEW. _ 239 dorés. La ménagerie qui fait suite au parterre n’est elle-même qu’une grande volière ovale où des cages abritent, sur les bords d’un bassin, une foule de faisans de la Chine et de la Tartarie avec toutes sortes d’autres grands oiseaux exotiques. Au milieu du bassin, un Ting chinois octogone irrégulier ne paraît pas trop dépaysé (1760). Mais qu'avons-nous à faire en un jardin d'un temple de Bellone ? Chambers, qui le construisit en 1760, en mentionne avec complaisance le style, les dimensions, les détails et la forme; il paraït en- chanté d’avoir assujetti un dôme elliptique sur une cella rectangulaire. Passe encore pour un sanctuaire du bon Pan, genre monopière, ordre dorique, imitation du théà- tre de Marcellus à Rome (1758). Pan est volontiers admis dans nos parcs ; la mythologie a le double mérite de nous être familière et de tenir de près à - Ja nature. Ainsi en est-il d’Éole, à condition qu'il retiendra les aquilons pour ne lâcher que les zé- phyrs, Obstrictis aliis præter Japyga. Éole aura donc son temple auprès du grand lac, temple composite où le dorique domine. On s’as- soira volontiers dans cette grande niche montée sur un pivot et qui, malgré sa masse, peut être 240 PARCS ET JARDINS. tournée d’une seule main vers toutes les parties du jardin. Enfin, il est possible d’apprécier, à cause du con- traste, un pavillon ou temple de la Solitude, placé à peu de distance du palais. Ce sont là, pour la plupart, des constructions bien entendues et telles que les anciens Romains en établissaient dans leurs villas. Le reste des édifices s’en va, comme on dit, à la débandade avec des prétentions à la villa cosmo- polite, mais sans pouvoir aucunement prétendre à une comparaison avec le jardin d’Adrien. L’empe- reur avait imité dans son domaine, non-seulement les édifices, mais, avec eux, les sites mêmes de divers pays. Ici, la Chine, la Grèce et l’Arabie se rencontrent étonnées dans un parc anglais. Ici, la maison chinoise de Confucius, dont les meubles ont été dessinés par Kent, coudoie à la tête du lac le temple d’Éole. De la maison de Confucius, une avenve cou- verte et fermée conduit à un bosquet où Kent a placé un refuge octogone. À droite du bosquet, abritée par des massifs sur un terrain montant, se profile une colonnade corinthienne, œuvre de Chambers en 1760, appelée théâtre d’Augusta. Tout auprès, le temple de la Victoire s'élève sur une colline ; il rappelle des succès remportés sur les Français (1759). Chambers en est l’auteur. C’est, sénbsbis - KEW. 241 dit-il, un périptère d'ordre ionique décastyle. Des feuillages, des festons de laurier, des ornements : en stuc, des trophées décorent la frise, l’attique et l’intérieur. La cela commande une charmante perspective sur Richmond et le Middlesex. ._ Ne nous éloignons pas du lac avant d’avoir vi- . sité le temple d’Aréthuse (1758), une île où mène un pont imité de Palladio, un temple de la Paix | qui affecte la forme d’une croix latine, et sur- tout la galerie des Antiques, charmant péristyle, } la perle de Kew (1757), tous ouvrages de Cham- | bers. . Des ruines d'arc de triomphe orit été figurées : (1760) sur les pentes qui dominent le temple de la Victoire. La partie supérieure du parc se compose - en site sauvage, sur la lisière duquel paraît un bâti- ment moresque, communément nommé Alhambra. _ Le milieu du désert est marqué par une tour, dite - grande Pagode (1761-62), imitée de la Taa chinoise. - Tout auprès et plus haut, s’élève la mosquée (1761) É coiffée de trois dômes inégaux, dont le plus grand - porte une élégante lanterne à jour de vingt-huit arceaux et flanquée de minarets. Sur les trois portes qui introduisent dans les trois divisions de l’édifice on lit des inscriptions tirées du Coran : « Point “de contrainte en fait de religion; il n’y a d’autre dieu que Dieu; ne donnez point une figure à la divinité. » J'ai essayé, dit Chambers, de rassem- 16 244 PARCS ET JARDINS. munication non interrompue de pelouses et d’al- lées entre Whitehall et Kensington, sur une lon- gueur de quatre kilomètres en droite ligne. Ils occupent près de deux cents hectares. Green-Park est gâté par un mauvais arc de triomphe que sur= monte une statue équestre de Wellington. Dans la partie méridionale s'étend une longue pièce d’eau (dix-sept hectares environ), une Serpentine-river, qui date de 1730 : « Assez étroite à son origine, elle se recourbe vers l’est, passe sous un élégant pont de briques, après lequel elle pénètre dans Hyde-Park en s’élargissant toujours. Au delà des casernes de Knightsbridge, elle se termine bruss quement et laisse échapper le trop-plein de s eaux par une petite cascade bondissant sur d rochers artificiels ombragés de grands arbres. Elle est bordée de massifs de rhododendrons. Les cerfs et les daims ont leur enclos réservé, où on les voit folâtrer. Les voitures et les chevaux de l& fashion, qui paradent au bord des eaux, parmi le boulingrins, ne peuvent enlever à Hyde-Park ù air champêtre et naturel. On regrette seulem (1 d'y voir un ridicule Wellington-Achille, qui jun avec les imitations du Parthénon appliquées à la porte d’Aspley-House. 4 Regent’s-Park n’est qu'un morceau du pare dé Marylebone, mais un morceau de cent soixante-trois! hectares. Sa disposition dernière date de 1812, CALCUTTA. 245 ainsi que York, Cumberland et Cornwall-terraces. De Primerose-Hill, tertre vert qui domine le parc au nord, on suit des yeux les ombrages d’une grande avenue de deux milles environ; on aper- çoit, au milieu de l'allée circulaire, les serres con- sidérables, les riants parterres du Jardin bota- nique, et une pièce d’eau en Ÿ, qui s’arrondit vers l'ouest en méandres élégants. A Regent’s-Park est contigu le Zoological-Garden, qui, sans égaler en beauté notre Jardin des Plantes, le surpasse de beaucoup en richesses spéciales. De Regent’'s-Park à Calcutta, la distance pour nous n’est point grande ; nous ne sortons point de Tlempire britannique; Calcutta est un Londres in- dien. Tout ce que nous admirions tout à l'heure dans les serres et le jardin d'hiver du Jardin bo- tanique, nous allons le retrouver à l'air libre sur les rives de l’Hoogly. Le Botanic-garden de Cal- -cutta déversait, il y a quelques années, sur le globe plus de cinquante mille sujets; en 1858, il avait perdu de sa beauté; mais bien qu’on y cher- chât en vain «l’ordre, la distribution et l'harmonie des lignes qui en faisaient le charme, et cette allée sans pareille de cycas des Moluques, dont les troncs étranges, les hautes ramures entre-croisées Let les folioles légères rappelaient les piliers, les voûtes, les nervures et les ombres mystérieuses d’un monument gothique, » on y voyait encore 244 PARCS ET JARDINS. munication non interrompue de pelouses et d’al- lées entre Whitehall et Kensington, sur une lon:- gueur de quatre kilomètres en droite ligne. Ils occupent près de deux cents hectares. Green-Park est gâté par un mauvais arc de triomphe que sur- monte une statue équestre de Wellington. Dans la partie méridionale s’étend une longue pièce d’eau (dix-sept hectares environ), une Serpentine-river, qui date de 1730 : « Assez étroite à son origine, elle se recourbe vers l’est, passe sous un élégant pont de briques, après lequel elle pénètre dans Hyde-Park en s’élargissant toujours. Au delà des casernes de Knightsbridge, elle se termine brus- quement et laisse échapper le trop-plein de ses eaux par une petite cascade bondissant sur des rochers artificiels ombragés de grands arbres. » Elle est bordée de massifs de rhododendrons. Les cerfs et les daims ont leur enclos réservé, où on les voit folâtrer. Les voitures et les chevaux de la fashion, qui paradent au bord des eaux, parmi les boulingrins, ne peuvent enlever à Hyde-Park son air champêtre et naturel. On regrette seulement d'y voir un ridicule Wellington-Achille, qui jure avec les imitations du Parthénon appliquées à la porte d’Aspley-House. Regent’s-Park n’est qu’un morceau du parc de Marylebone, mais un morceau de centsoixante-trois hectares. Sa disposition dernière date de 1812, CALCUTTA. 245 ainsi que York, Cumberland et Cornwall-terraces. De Primerose-Hill, tertre vert qui domine le parc au nord, on suit des yeux les ombrages d’une grande avenue de deux milles environ; on aper- çoit, au milieu de l'allée circulaire, les serres con- sidérables, les riants parterres du Jardin bota- nique, et une pièce d’eau en Ÿ, qui s’arrondit vers l’ouest en méandres élégants. A Regent’s-Park est contigu le Zoological-Garden, qui, sans égaler en beauté notre Jardin des Plantes, le surpasse de beaucoup en richesses spéciales. De Regent's-Park à Calcutta, la distance pour nous n’est point grande ; nous ne sortons point de l'empire britannique; Calcutta est un Londres in- dien. Tout ce que nous admirions tout à l’heure dans les serres et le jardin d’hiver du Jardin bo- tanique, nous allons le retrouver à l’air libre sur les rives de l’Hoogly. Le Botanic-garden de Cal- cutta déversait, il y a quelques années, sur le globe plus de cinquante mille sujets; en 1858, il avait perdu de sa beauté; mais bien qu’on y cher- chât en vain « l’ordre, la distribution et l'harmonie des lignes qui en faisaient le charme, et cette allée sans pareille de cycas des Moluques, dont les troncs étranges, les hautes ramures entre-croisées et les folioles légères rappelaient les piliers, les voûtes, les nervures et les ombres mystérieuses d’un monument gothique, » on y voyait encore 246 __ PARCS ET JARDINS. « les belles lianes de l’Amérique du Sud, suspen- dues en guirlandes fleuries aux plantains gigan- * tesques des îles de la Sonde et aux rameaux du Rima de Taïti; » à l'abri des palissades de cactus et d’eu- phorbes, «le délicat muscadier, au feuillage de myrte, mêlait constamment à sa verdure lustrée l'éclat de ses fruits d’or et les teintes délicates de ses fleurs tendres comme celles du pêcher. » « À force d’argentet de bras, le niveau parfait des plaines où coule le Gange a été assez tourmenté à Barrackpour pour animer le parc du gouverneur gé- néral par quelques mouvements de terrain. On y à faitavec goût des montagnes et des vallées, afin d’être obligé d’y bâtir quelques ponts d’un effet agréable ; rien de tout cela n’est heurté ni mesquin, et tous les accidents du sol semblent dus à la seule na- ture. Sur un gazon toujours vert se dressent, tan- tôt en massifs serrés et tantôt en clairières, et çà et là en tiges isolées, des manguiers, des pipeuls, des lauriers d'Inde, des banians, des tamarins, des mimosas, des casuarinas, des cocotiers, des dat- tiers, des borassus et d’admirables gerbes de bam- bous. Le tour des massifs les plus imposants, ou le pied des plus grands arbres, est garni d’une bor- dure d’arbrisseaux à fleurs : lauriers-roses, apo- cynées superbes ou jasmins aux larges pétales qui embaument au loin les parcours des sentiers. Ail- leurs ce sont des roses de l'espèce qui s’est ré- CEYLAN. 947 pandue si abondamment de ce pays en Europe; des pêchers, dont le fruit est amer, mais succulent et parfumé ; puis des orangers, des citronniers, des grenadiers de la taille de nos futaies, mais qui ne servent là que d'ornement. » (DE LanoYyeE.) Barrackpour n’a point les hôtes sauvages du parc de Delhi, où l’on trouve des chacals, des loups et des hyènes. Des lièvres, des faisans, des paons, des perdrix et des perroquets composent sa population animale. : « Le jardin des rois Cinghalais existe encore à l'extrémité N. E. de Candy. Au centre d’un vallon revêtu du gazon le plus vert et le plus velouté, et qu'ombragent çà et là des massifs de rocous et de magnolias, s'élève le plus beau vestige des con- structions royales; c'est un pavillon de marbre blanc, entouré d’une colonnade régulière du meil- leur style. De ce point, on domine toute la ville. Les plantations de ce parc sont entretenues soi- gneusement et sa vaste superficie présente à cha- que pas de délicieux paysages de montagnes. » Sauf la beauté historique et pittoresque des jar- dins de Ceylan, on peut leur comparer, à Java, l'habitation de plaisance du gouverneur général. Devant le palais de Buitenzorg, s'étend une superbe prairie avec des étangs et de gros et forts arbres, des banians aux ombrages touffus. A l’entour se plaisent des troupeaux de cerfs etde biches. Un jar- 248 PARCS ET JARDINS. din botanique admirablement entendu, « lun des plus beaux du monde, et qui devrait servir de mo- dèle à nos jardins des plantes, » rassemble et classe une foule d'espèces et d’essences d'arbres et de fleurs. Chaque groupe a son parterre, son bosquet, sa prairie; et partout, au travers de la verdure, sur les bords des ruisseaux et des étangs, se croisent de jolis sentiers et de belles routes. Comme nous avons passé d'Angleterre au Ben- gale, nous sauterons sans scrupule de Java dans sa métropole, de Batavia en Hollande, à La Haye et à Harlem. Tous les voyageurs sont d'accord sur les beautés du bois de La Haye. _« Figurez-vous des arbres énormes , hêtres et frênes pour la plupart, dont le pied baigne pres- que toujours dans l’eau, et qui étalent leurs masses de feuillages d’un vert vigoureux sur des étangs, des lacs, des rivières dont la surface tranquille berce leurs sombres reflets; les lentilles d’eau, les . conferves, les nénufars, toute la froide famille des plantes marécageuses, remplissent les rigoles pra- tiquées le long des chemins; une fraîche humidité | imprègne l'air, même au temps des plus vives cha- leurs, et donne à la végétation une activité extraor- dinaire. » (THÉOPHILE GAUTIER.) Partout « de larges allées de sable dont on ne voit pas la fin et que traversent çà et là des cerfs et des daims en liberté, ; 4 | LA HAYE, HARLEM. 249 des ponts rustiques, des eygnes dans l’eau, des fauvettes et des rossignols sur les branches; tout cela conservé, entretenu avec un soin qui laisse à la nature tous ses avantages et cache partout la main de l’homme; figurez-vous cette délicieuse oasis au bord de la mer, au milieu de prairies et d’eau, dans un pays où les arbres sont une ra- reté, » et vous direz avec M. Maxime du Camp : « C’est le plus beau parc qui se puisse voir en Europe et je ne lui connais rien de comparable ; notre bois de Boulogne, tapageur et parvenu, ne saurait un seul instant supporter la compa- raison. » Le bois de Harlem est une agréable réduction de celui de La Haye; mais il le cède en beauté à la banlieue même de la ville, qui, sur une étendue de huit milles, n’est qu'un assemblage de jardins admi- rablement cultivés. (Des tulipes s’y sont négociées jusqu’à vingt-six mille francs et plus.) Rien ne saurait exprimer le soin que les Hol- landais apportent à l'entretien de leur habitation. Leurs jardins, plus curieux par leur bizarrerie que _ par leur étendue, ont conservé leur allure moyen âge, en y adjoignant les mièvreries du genre an- glais; ce sont tous de petits Buen-retiros. « Sur de petits canaux, de petits ponts rustiques et japonais ont jeté leurs petites arches; de petits obélisques s'élèvent à côté de petits pavillons chi- 250 PARCS ET JARDINS. nois, de petites chapelles gothiques, de petits tem- ples corinthiens. Sur les bassins nagent des cygnes et des canards en zinc; dans une chaumière, des automates, grandeur naturelle, d'hommes et de femmes mis en mouvement par une criarde méca- nique, filent, tissent, etc. Sous des bosquets taillés en lozanges, en triangles, apparaissent les dieux de l’Olympe, tout englués de badigeon. » (MAXIME DU Camp.) Il y a dans les coins des bergers et des ber- gères en plâtre colorié, des rochers factices en co- quillages surmontés de belvédères à clochettes, des magots de porcelaine, et de beaux vases orientaux aux teintes éclatantes ; autour de tout cela, un ré- seeu de sentiers peints en sable rouge et noir. Le Batave à son tour, par un art courageux, Sut changer en jardins son sol marécageux ; Mais dans le choix des fleurs une recherche vaine, Des bocages couvrant une insipide plaine, Sont leur seule parure ; et notre œil attristé Y regrette des monts la sauvage âpreté : Mais ses riches canaux et leur rive féconde, De ses moulins dans l'air, de ses barques sur l’onde, Des troupeaux dans ses prés les mobiles lointains, Ses fermes, ses hameaux, voilà ses vrais jardins. DELILLE. Voilà des vers aussi artificiels que les anciens jardins hollandais; cependant on découvre sous cette phraséologie vague une judicieuse appréciation HOLLANDE. 251 de ce qui manque à la Hollande pour atteindre à la grandeur des parcs français ou à la variété des parcs anglais, et des ressources que ses eaux, ses prés et ses troupeaux offrent à la peinture de paysage. CHAPITRE HUITIÈME. JARDINS PAYSAGERS EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE. Berlin , Potsdam, Sans-Souci. — Schœnbrun, Hofgarten de Vienne ; Laxenbourg. — Munich, Nymphenbourg. — Woærlitz. — Cassel. — Russie : l'zarskoë-Sélo. L'Allemagne fourmille de jardins symétriques- pittoresques. C'est un grand tableau composé de deux plans et de deux couleurs, mis bout à bout, quoi- que de genres tout à fait différents. Une partie, fai- sant façade avec un château ou un palais, se déve- loppe majestueusement en jardin symétrique; les parties cachées sur les côtés sont plantées en jardins paysagers ou pittoresques. 256 PARCS ET JARDINS. Le promoteur de cette très-raisonnable combi- naison est Sckell. De Hake à Hanovre, Weyhe à Dusseldorf, Lenné à Berlin, Sieback à Leipsig, marchèrent sur ses traces et firent école. Leurs ouvrages inspirèrent, en France, Thoin, Hardy, Viart et Lalos; en Angleterre, Nash et Paxton. A ces modèles se rattachent nos modernes bois. de Boulogne et de Vincennes. Un grand nombre de ces parcs sont . quelques-uns satisfont pleinement le goût et con- cilient dans un accord plein de charmes la libre na- ture et l’art, l’unité réclamée par le voisinage d'un château et la variété capricieuse qui sied à la végé- tation ; mais, nés du mélange de deux systèmes, ils ne peuvent prétendre à l'originalité. Le lecteur les connaît d'avance; il n’a qu’à réunir bout à bout Versailles etStowe pour constituer l'idéal allemand. Les longues descriptions seraient donc ici super- Îlues. | : Berlin a ses jardins zoologiques et botaniques, riches de dix-huit serres fameuses, son Thiergarten (hors les murs), son Charlottenbourg, arrosé par 12 Sprée; Potsdam, son Lutsgarten, contemporain du grand Frédéric, ses grands parcs modernes du Babelsberg (1835-48) de l’île des Paons, de Glie- nicke, munis des fabriques et des ruines de ri- gueur.Nous nous arrêterons un peu, avec M. Joanne, à Sans-Souci, domaine sans cesse agrandi et qui ‘19N0S-SUES SANS-SOUCI. | 959 contient, comme Versailles, deux ou trois châteaux et plus encore de jardins, français, anglais ou ita- liens. L'entrée principale du parc est marquée par un obélisque de trente et un mètres ; la grande avenue conduit à uu beau bassin &e marbre d’où s’élance le grand jet d’eau, plus haut que l'obélisque. Des pié- destaux et de très-grandes colonnes isolées por- tent des statues de Pigalle et de Thorwaldsen. Au nord, on entrevoit une autre entrée que signalent deux sphinx colossaux en carrare, par Ebenbrecht. Au sud, six terrasses montent au plateau sur le- quelesthâti le château de Sans-Souci. Ces terrasses, transformées en serres chaudes, sont ornées, pen- dant l'été, d’orangers et de lauriers-roses. Le moulin historique, celui dont l’histoire a si bien inspiré Andrieux, existe encore, restauré par un roi qui l’acheta du meunier en faillite pour le donner en fief aux héritiers. D’autres moulins à vent, sur le Mühlenberg, lui font pendant. Ici est Ruinenberg, ruine factice destinée à masquer un réservoir ; là, le Mausoleum, pastiche romain, la tour chinoise, le temple de Amitié. Le Nouveau-Palais (1763-69) est entouré de plu- sieurs dépendances : d’une faisanderie, derrière laquelle s’étend l'immense Wild-Park royal, tout un pays giboyeux et riant ; un bain romain avec une maison japonaise et une mosquée; une villa 260 PARCS ET JARDINS. italienne nommée Charlottenhof, et qui date de 1826. Des bustes sur des colonnes, des profils royaux sur porcelaine, au milieu d’arabesques, des statues de Thorwaldsen, Canova, Kiss, Rauch, les têtes de Gæthe, Schiller, Wieland et Herder sur des hermès en carrare, une foule de jets d’eau, décorent les parterres, la terrasse et la véranda de Charlot- tenhof; on a réuni là l’une des plus riches collec- tions de roses qui se soient vues jusqu’à ce jour. Au Nouveau-Palais appartiennent encore des jardins anglais, dessinés en 1786-94, fort bien ap- provisionnés de points de vue et d’édifices de tous les styles et de tous les marbres. Le Versailles autrichien, Schœnbrunn, . com- mencé vers 1700, se rapproche surtout du style de Le Nôtre. Le public peut s’y rassasier de statues et de fabriques élevées dans le cours du dix-huitième siècle: orangerie, ménagerie, kaïiscrhaus, jardin botanique (1753), monument de Marie-Thérèse, grotte de la Sibylle. obélisque (1777). Nous avons mentionné l'immense berceau de treillis que re- grettait Marie-Louise. La plus belle décoration de Schœnbrunn est un portique ouvert (1775) dont les arcades couronnent un amphithéätre de verdure, au-dessus du bassin qui termine le grand parterre. À Vienne même, on trouve les belles serres dé Hofgarten, et les allées peu fréquentées de l’Ausgar- ten, jardin de Joseph II. Le Prater aussi est une LAXENBOURG, LUNDENBOURG. 261 jolie promenade, comparable à nos Champs-Élysées, aux Alamédas espagnoles et aux Cascine florentines. « On ne voit nulle part, dit Mme de Staël, si près d’une capitale, une promenade qui puisse faire jouir ainsi des beautés d’une nature tout à la fois agreste et soignée. Une forêt majestueuse se pro- longe jusqu'aux bords du Danube. L'on voit de loin les troupeaux de cerfs traverser la prairie. » L’Autriche nous garde encore les merveilles de Laxenbourg, très-vaste parc, très-riche en cascades, en temples, pavillons, monuments, lacs, îles, ponts et musées; et surtout celles de Lundenbourg, quinze cents aloëès, neuf cents orangers, un choix admirable des plus beaux arbres de tous les pays, une forêt de trois milles de long avec arc de triomphe au rond-point, enfin les eaux naturelles et abondantes de la Thuya qui alimente les lacs, les bains, abreuve et fortifie les végétaux, et vaut à Lundenbourg le renom du plus beau parc de l’Alle- magne. Les décorateurs de ce paysage charmant n’ont pas évité le mauvais goût de Kew et de Tria- non ; On y trouve tout un musée disparate en plein air, où la mosquée élève, à côté de la cabane des pêcheurs et de la rotonde chinoise, son minaret haut de trois cent deux marches qui a dévoré un million de florins; puis c’est un burg du moyen âge, un temple des Grâces, une meierie ou métairie. Dresde voudrait nous retenir sur sa terrasse de 262 PARCS ET JARDINS. Brühl, dans son jardin japonais, ou du moins sous les ombrages de Grosse-garten qui ne le cèdent en rien à beaucoup d’autres. Mais l'Allemagne est grande; et nous voulons jeter un coup d'œil sur Munich et Nymphenbourg. Nous retrouvons comme toujours Le Nôtre et Kent, séparés à Munich même, réunis et fondus à Nymphenbourg. Hofgarten présente un grand carré planté de marronniers et de tilleuls et à demi entouré d’ar- cades où le roi Louis a fait peindre des scènes his- toriques et des paysages. C’est le débris du parc planté en 1614 par Maximilien; la mode l’a détruit peu à peu; de ses cent vingt-huit fontaines, il n’en reste plus que quatre. Le jardin anglais est en longueur, abondamment arrosé par des bras de l’Isar. Nymphenbourg étend ses ombrages sur des prairies que traverse la Wurm, au-dessous d’un château classique (1663) avec plate-forme, bassin, jet d’eau et canal. On visite dans le parc, au milieu des canaux et des lacs, les grandes serres de Maxi- milien I‘, la chapelle de la Madeleine et l'Ermitage (1728), le château des Pagodes (1719), d'Amélie, les Bains, la Cascade de marbre, la fontaine de Pan, la Ménagerie. Il y a encore, à Nymphenbourg, un pensionnat de demoiselles nobles, une fabrique de porcelaine et un enclos pour les cerfs. Bayreuth, Leipsick, Dessau, Dusseldorf, Ham- WŒRLITZ, WILHEMSHŒHE. 263 bourg vantent à bon droit leurs parcs et leurs jar- dins botaniques. On admire à Biberich des châtai- gniers gigantesques, desserres, des pavillonsfleuris; à Schœnau et à Teplitz, des saules pleureurs tels qu'il n’en existe pas ailleurs. On en mesure dont la circonférence dépasse six mètres. Le tilleul, cet arbre national de la race slave, atteint, sur cette terre privilégiée, la même grosseur. Les jardins de Wéærlitz (Anhalt-Dessau) sont renommés en Allemagne. Nombreux sont les ca- naux qui en alimentent le grand lac, plus nom- breux encore sont les temples, les ponts, les rochers, les ermitages, etc., que l’art y a accumulés avec un goût contestable. On erre de surprise en sur- prise. Là c'est un labyrinthe, ici une mine, plus loin une grotte. Le jardin Neumark occupe trois îles. La principale curiosité se trouve dans le jardin de Schoch. C’est une maison gothique pleine de tableaux précieux. Le parc de Wilhemshæbhe, à Cassel, est plus fa- meux encore. Dessiné en 1701, il a gardé beaucoup de son aspect français, etse détache véritablement de tout ce que nous venons de parcourir à vol d’oi- seau. S'il y a des monuments chinois, des ermi- tages, des châteaux féodaux et autres colifichets, ils se dissimulent prudemment derrière des bos- quets et ne viennent point se faire écraser par la grandeur de certaines fabriques colossales. Telle 264 PARCS ET JARDINS. cascade classique a dix-sept mètres de large, c’est un fleuve; tel temple, celui de Mercure, domine un escalier de huit cents marches. La grosse pièce est le château des Géants (riesenschloss), dont la plate-forme, soutenue par cent quatre-vingt -douze colonnes toscanes, porte une pyramide de trente- deux mètres, que couronne un Hercule en cuivre forgé, de trente et un pieds. De cette construction monstrueuse, descendent par bonds, par nappes, des cascades longues de trois cents mètres, qui se reposent tous les cinquante mètres en de vastes bassins. En avant, s’élance un jet d'eau presque aussi haut que les tours Notre-Dame (63 mêt.), et le plus grand qui existe en Europe. | La Russie peut réclamer une place à la suite de l’Allemagne et de la France pour ses jardins de style mixte; il faut en citer au moinsun. La résidence impériale de Tzarskoë-Sélo (le bourg du Tzar) est située à vingt-deux verstes en- viron de Saint-Pétersbourg, sur une éminence peu élevée qui domine la vaste plaine d’alluvion formée par la Néva. Catherine IT en avait fait son séjour de prédilection. Le palais, œuvre de Forster, est une des plus belles productions d’une époque où la solennelle architecture de Louis XIV avait fait place à un art moins sévère et moins monotone. Malgré le goût contestable du genre rocaille, on ne peut refuser au dix-huitième siècle une entente TSARSKOË-SÉLO. 265 jusque-là inconnue des agréments que comportent les habitations de plaisance. Tzarskoë-Sélo est à la fois vaste et charmant. On regrette que Nicolas Ie" ait converti en bronze tous les ornements dorés qui brillaient sur cette fastueuse demeure. Peut- être l'aspect général du monument avait-il plus d'originalité, alors que sous le ciel doux du Nord il attirait de loin les regards sur ses murs blancs constellés de paillettes d’or et que surmontait un toit peint en vert clair et de ton brillant. « Le parc, couvert de beaux ombrages, entouré de vertes prairies, de bois d’essences variées, ar- rosé par de nombreux canaux serpentant en ri- vières ou s’élargissant en lacs, est planté sur un terrain un peu accidenté qui contraste avec la vue des plaines unies des environs de Saint-Péters- bourg. Ses allées sinueuses, entretenues incessam- ment avec une minutieuse propreté, ménagent à chaque pas une surprise au promeneur. Là, c’est une colonne monumentale ; ici, les ruines d’une église gothique; plus loin, un théâtre; au détour d’une allée, on rencontre un obélisque au pied duquel sont enterrés quelques-uns des chiens fa- voris de la Sémiramis du Nord, et sur la pierre funéraire de l’un d’eux, on peut lire les vers agréa- bles que M. de Ségur a consacrés à sa mémoire. » Ailleurs, au fond d’une vallée, un vaste lac sert de naumachie aux jeunes princes et berce une flot- 266 PARCS ET JARDINS. tille en miniature; et tout au bord, un bain turc moderne, dont le mobilier a été rapporté d’Andri- nople, mire dans l’eau sereine ses arcades élé- gantes. De là on peut voir au-dessus du parc ver- doyant la masse vraiment noble du palais, et comme contraste, au bas d’une longue allée de sycomores et de sapins, près du rivage, un de ces kiosques mignons, à jour, avec dôme fleu- ronné, colonnes, niches et frontons interrompus, un des plus jolis qu'on puisse voir dans un parc anglais. k Le parc et les jardins de Tzarskoë-Sélo se joignent sans interruption avec ceux de Pavloskij, résidence du grand-duc Constantin. Là, le terrain est encore plus accidenté, la végétation peut-être plus puissante, les eaux sont plus abondantes, et lorsque, entraîné dans un léger droschky, on parcourt ces deux fraiches oasis par un beau jour d’été, il est impossible de se figurer que l’on touche à la limite du soixantième degré de lati- tude. II Énumération. Morfontaine, Ermenonville et Guiscard, types des jardins paysagers en France. — Le petit Trianon. — La villa Pallavicini. — Boulogne et Vincennes. On ne peut nier que l'amour de la libre nature, si oubliée aux temps pompeux de Louis XIV, si admirée aujourd’hui, n’ait commencé à reparaitre en France vers la seconde moitié du dix-huitième siècle, avec Watteau lui-même et surtout avec Rousseau. C'était une réaction naturelle. Las des terrasses et des quinconces et des bassins régu- liers, l'œil redemandait « la ligne des coteaux qui fait rêver, » le vieil orme Qui regarde à ses pieds toute la plaine vivre Comme un sage qui rêve attentif à son livre, et sur les rives des lacs ou des ruisseaux, Quelque saule noueux tordu comme un athlète. 268 PARCS ET JARDINS. Mais il est plus difficile encore d’imiter la nature que de l’arranger. Chez nous comme chez les An- glais, le goût nouveau ne produisit d'abord que des labyrinthes assez ridicules où les Parthénons coudoyaient les chinoiseries. La nature, cette grande indifférente, se vit conviée à la glorification de la morale et de ce qu’on applait alors «les sen- timents. » Il y eut des parcs chinois où à peine pouvait-on tenir deux dans une allée; des parcs philosophiques, romantiques, funéraires, ver- tueux, pleins d’ostentations mélancoliques et d’af- fectations dévotieuses. M. de Beaurepaire, seigneur bressan, avait figuré, dans son désert, tous les pères de la Thébaïde, en bois, en plâtre ou en osier. Il n'y avait pas de jardin de plaisance sans tombeau ; à défaut de mort célèbre, on empruntait à la fa- mille un mort obscur ; on raffolait d’un suicidé ; un chien même était matière à monument. La prome- nade devenait un vrai travail, si l’on voulait se con- former aux exigences morales des sites. Le plus souvent, on se disputait au temple de l’'Amitié. On n'avait pas le temps d'arriver à l’antre du Sommeil et l’on dormait au temple de l’Étude; on profa- nait par des cartes et des dés le bosquet de la Sim- plicité, et la vallée des Tombeaux par des rires mondains. C'était le temps où Buffon écrivait « sur les genoux de la nature. » Morel et avec lui une légion de dessinateurs, ÉNUMÉRATION. 269 émules des Kent et des Whately, se mirent à trans- former nos parcs, ou à en composer de nouveaux; d’illustres amateurs, MM. de Morfontaine et de Gi- rardin, marchèrent sur leurs traces, et nous n’eù- mes rien à envier à nos voisins. Dampierre, sur sa haute colline, avec ses vastes pelouses et ses perspectives sévères; Monceaux, dont les restes nous charment encore ; Betz, Prulay, Bel-OEil; Crillon, qui allonge deux iles parallèles sur sa délicieuse rivière ; Maupertuis, fameux par le tombeau de Coligny et des imitations de Claude Lorrain; Grosbois, les délices de l'empire (1700 arpents); « l’aimable Tivoli; » le Raincy, le pre- mier en date des parcs anglais en France, à qui l’on ne peut reprocher qu’un hameau d'opéra-comique « pour les réceptions » et un mauvais colombier gothique ; Tracy, au château insulaire ; Brunehaut, éruditico-sentimental ; l’ermitage du Mont-D’or, une de ces fantaisies cénobitiques plus haut condamnées, aussi charmant par sa situation que ridicule par ses fabriques ; Méréville, où le tombeau de Cook, par : Pajou, et des colonnes rostrales en l'honneur des naufragés s’étonnent de voir tourner un joli mou- lin près d’une laiterie de marbre, entre les jardins d’Armide et d’Alcinoüs ; et ce riche désert de Monville (près Saint-Germain), verdoyante curiosité, où tout n’est que ruine apparente, où un tronçon de co- lonne dorique d’énorme proportion (22 brasses de 270 PARCS ET JARDINS. tour) recèle tout un château éclairé par des lézardes | qui s'ouvrent dans ses cannelures. Tous ces parcs M anglo-français mériteraient sans doute une descrip- î tion. Mais quatre ou cinq nous suffiront ,parexemple Morfontaine, Guiscard, Ermenonville et Trianon. Le domaine de Morfontaine (1770) est divisé en grand et petit parcs. L'ensemble en est compliqué et magnifique. Pour jouir de l'un des plus beaux | points de vue intérieurs, il faut s'élever, vers la. gauche, sur les pentes d'un coteau gazonné d'où | l’on embrasse un vert horizon de prairies semées | de pièces d’eau et de massifs élégants. Au centre. de la perspective est situé le pittoresque pavillon » Vallière; et tout au fond, dans le lointain, la Butte aux Gendarmes, plateau sablonneux, domine et fait valoir les frais et vigoureux ombrages. Le lac Colbert, le lac de Vallière communiquent avec la rivière et le grand lac de l’Épine; des pa- villons de chasse et de pêche avoisent ces eaux poissonneuses. Un ilot du grand lac recèle, sous les beaux arbres dont il est couvert, une jolie petite anse abritée qu’on nomme les Bains de Diane. Sou- vent sur un rocher à fleur d’eau, en avant de l’île, on aperçoit un héron immobile, guettant le poisson. Plus près du rivage du lac, se dresse une autre île escarpée, dont les rochers de grès sont mêlés à une futaie de pins : c’est l’île Molton ou Morton ; de là, la vue s’étend au loin sur les environs de Senlis et MORFONTAINE. 271 desChantilly. Le Bois Defay couronne, à quelque distance, une colline accidentée où s'élève, au mi- lieu des pins, la tour Dubosq. Un peu plus loin, le grand rocher de Delille avec l'inscription connue : Sa masse indestructible a fatigué le temps. On peut visiter encore un beau pont rustique double sur la rivière et sur la vallée, un temple entouré d’un paysage à la Poussin, une glacière surmontée d’un pavillon, une volière de fer encastrée dans un portique grec, et le tombeau en marbre noir, sans statue, devant lequel était planté le plus grand pin du Nord connu. Le parc abonde en endroits soli- taires ombragés de thuyas et de mélèzes et décorés d’un autel champêtre. Le château est assez maladroitement construit en face d’une grande route, comme pour se faire valoir aux dépens des chaumières voisines; ce sot amour-propre lui a fait perdre tout l'agrément qu’il pouvait tirer d’une position mieux entendue. Ermenonville, à 12 kilomètres de Senlis et 36 environ de Paris, sur un petit affluent de la Nonette, semble avoir été de bonne heurele centre d’un riche domaine ; c’est ce qu’indique son nom : ferme ou résidence d'Ermangon. La famille de ce premier maître, petit seigneur féodal, dut-elle s’y main- tenir longtemps? C’est ce qui importe peu. D’ail- leurs aucun débris du moyen âge ne peut nous 272 PARCS ET JARDINS. éclairer sur cette obscure question, qui entra rait sans doute à plus de recherches qu'elle n’en mérite. Un château, dont il ne reste pas de traces aujourd’hui, fut le séjour momentané de Gabrielle d’Estrées. En 1603, Henri IV le donna à son ami et serviteur de Vic, gouverneur de Calais, pour sa vaillance à la journée d’Ivry. Lorsque Rousseau consentit à s’y fixer, quelques mois avant sa mort, 20 mai 1778, Ermenonville appartenait à la fa- mille de Girardin ou Gérardin; c'est l'hôte de Rousseau, le marquis de Girardin, qui, aïdé du fameux Morel et mettant à profit les formes heureuses du terrain, dessina le parc à la ma- nière anglaise, ou plutôt selon les principes qu’il à donnés lui-même dans son traité De la composition des paysages. Les contemporains furent séduits par la riante Arcadie, le Désert, le Bocage, par le contraste entre de riches prairies boisées et des rochers sauvages semés par la nature au milieu de terres sablonneuses; ici l'ile des peupliers, la plus grande d'un petit archipel; là des genêts, des genévriers, de hauts sapins, des cèdres; cascades naturelles; pièces d’eau irrégulières; fabriques heureuse ment disséminées dans la verdure, et parées, se- lon la mode du temps, de quatrains, de huitains, en l’honneur de Gabrielle ou des de Vic; un Ermi- tage, une Salle de danse, la chaumière du char- bounier, un autel dédié à la Réverie, une pyramide ERMENONVILLE. 273 à gloire de Théocrite, Virgile, Gessner, et Saint- Lambert; enfin le temple de la Philosophie, com- mencé sous l’invocation de Rousseau, Montesquieu, Penn, Voltaire, Descartes, Newton, et léguéaux sages futurs. M. de Girardin avait partout discrètement marié l’art à la nature, sans jamais étouffer celle- ci; au contraire, il avait fait graver quelque part cette sentence de Montaigne : « Ce n’est pas raison que l’art gagne le point d'honneur sur notre grande et puissante mère nature.» Montaigne était, avec Jean-Jacques, le philosophe aimé de M. de Girardin, et dans le temple on lisait cette dédicace : « A Michel Montaigne, qui a tout dit. » « Les promenades dans ce beau lieu, lit-on dans une notice écrite peu après la mort de Rousseau, ne sont pas moins agréables à l'oreille qu'aux yeux. M. de Girardin a des musiciens qui concertent, tan- tôt dans les bois, tantôt sur le bord des eaux ou sur les eaux mêmes, et qui se rassemblent, lorsque la nuit est venue, pour exécuter la meilleure musique dans une pièce voisine du salon, où la compagnie converse sans en être incommodée. La franchise et la liberté, la simplicité dans les manières comme dans les habillements, se trouvent là plus que par- tout ailleurs. Mme de Girardin et ses filles, vêtues en amazones d’étoffe brune, ont un chapeau noir pour coiffure. Les garçons ont l'habillement le plus simple, etc. » 18 274 PARCS ET JARDINS. Le pare, qui a été conservé dans ses parties les plus importantes, confine au village, qu’on ne voit pas cependant, et entoure de trois côtés le château. L'habitation est très-simple; elle paraît remonter au commencement du règne de Louis XV. Bâtie en pierres de taille, elle est cantonnée de deux tours façon Reine-Blanche, tours crépies en plâtre et plus récemment ajoutées, pour la plus Len gloire du pittoresque. La vallée en face du château, du côté du nord, n'é- tait, dit Morel, il y a quelques années (1776), qu'un marais impraticable ; son sol tourbeux retenait les eaux de mille sources qui l’abreuvaient; quatre ou cinq canaux fangeux n'avaient pu le dessécher ; des vapeurs blanchâtres le couvraient matin et soir. Des allées symétriques bornaient la vue de tout côté; en s’opposant à la libre circulation de l'air, ces plantations contribuaient à l’insalubrité du parc: tandis qu’en cachant le jeu des pentes, elles interceptaient la marche du terrain et faisaient d’une vallée agréable une plaine froide et sans ac- cidents. De droite et de gauche, des coteaux et des vallons charmants étaient ignorés ou négligés ; et une belle forêt, tout près de la maison, en était si bien séparée qu’elle ne procurait ni embellisse- ment pour le site, ni jouissance pour la prome- nade. Un parterre humide, de profonds canaux d’eaux impures et verdâtres, des charmilles en la- ERMENONVILLE. 275 byrinthe sur chaque flanc, faisaient l’insipide déco- ration d'un jardin où l'on n’osait demeurer, à cause de sa fraicheur malsaine. Du côté du midi, une rue sale, encaissée, formant la communication entre le château et les deux parties du village, longeait les murs d’un potager aquatique, terminé par une haute chaussée en pierres qui contenait un étang et bornait la vue de ses deux rangs de tilleuls. Enfin, ajoute Morel, tout était désuni, incohérent, sans caractère, sans expression ; partout le mou- ._ vement du terrain avait été maladroitement déna- turé. Il a suffi de quelques arbres abattus, de quel- ques judicieuses coupures pour découvrir au nord un site délicieux, terminé par une montagne à deux lieues de distance, qui est surmontée d’un village et d’une belle ruine, la tour de Mont-Épiloy; au midi, la rivière, qui prend sa source de ce côté, _ arrose et traverse une pelouse, sur l'emplacement même ou moisissait le potager, encadrée par une forêt à l’ouest, bornée à lorient par le cours capricieux de l’eau qui, serpentant au pied du : château, l'enveloppe en ses replis, en assainit les fossés et va se répandre au loin dans l'immense vallée du nord. La route coupe le parc en deux parties; un par- terre la sépare du château et la masque habile- } ment, si bien que les rares passants, dont on ne Je 276 PARCS ET JARDINS. | voit guère que le buste, semblent gagés pour ani- mer la vue du parterre. k Au delà de la route et derrière le château, le terrain qui s'élève en pente douce offre à vue les grandes pelouses encadrées par de beaux arbres ét animées par une cascade au centre d'un hémicycle de verdure. On peut monter au-dessus de la grotte, d’où s’élancent à travers les ro chers les eaux écumeuses. De tous côtés des villages et des clochers, Ghailly, Ermenonville, des étangs, des massifs bien dis- tribués forment des perspectives nouvellés. Au sommet et vers la gauche d'un horizon prochain, le Temple, ou la ruine factice d’un temple circu- laire, dresse sa colonnade au milieu d’essences variées. Du pied de ce sanctuaire, qui fail songer aux templa serena de Lucrèce, de nouveaux points de vue se découvrent : à gauche, au milieu d’un vaste lac aux eaux dormantes, s’allonge l’île des peupliers ; on voit le cénotaphe antique dessiné par P. Robert, où demeurèrent quelque temps les cendres de Rousseau. (On sait que, sous prétexte de Panthéon, le corps a été enlevé et a disparu.) Dans une autre île fut placée la pierre sépulcrale du peintre Meyer, mort à Ermenonville. Ces sim- ples monuments dépassent de bien loin l'effet que peuvent produire les fabriques vulgaires; on sent qu'ils ont servi, et quelque chose d’humain se ERMENONVILLE. 277 mêle à cette solitude mélancolique. À quelque dis- tance, sous un bois, se cache encore la tombe né- gligée d'un inconnu. Sur la droite, derrière de grands rideaux de verdure, la maisonnette du philosophe, chaumière pieusement entretenue dans un état de ruine apparente, occupe le haut d'une île de sable, au milieu de pins et de mélèzes, do- minant le Désert célèbre, où pullulent les lièvres. Au pied de la cabane et vers le bord du lac est un amas de rochers où l’on s’est plu à rappeler le souvenir des rochers de Meillerie (Suisse). Rien ne ressemble plus à certains sites de Fontainebleau que le désert d’'Ermenonville : grès, bruyères ari- des, sables et bouquets de genévriers; ici la nature a tout fuit, et le dessinateur n’a d'autre mérite que d’avoir compris la valeur qu contraste. _ Pour parvenir aisément à la partie déserte, il faut prendre la pelouse du midi qui mène à la Forët, où l’on rencontre quelques allées circulantes sur la droite, qui conduisent au haut d’une pelouse sèche et mousseuse; de là l’on découvre le pays sauvage. Un grand lac enfermé dans un vaste bas- in, formé par un cercle de montagnes entrecou- pées, de gorges profondes, couvertes de bruyères et de massifs de toutes sortes d’arbres, parmi les- “quels se font remarquer de superbes genévriers "espèce et de grosseur peu communes, dont les branches et les tiges s'élèvent, rampent et se cour- ati jour lo ei re 2178 PARCS ET JARDINS. bent en tout sens, composent ce singulier tableau. Derrière une de ces montagnes qui s’abaisse av rapidité, on aperçoit l'église et l’abbaye de Chailly et une échappée au delà. La pente douce et la chars mante pelouse que présente ce coteau engagent à descendre jusqu’au lac qui en baigne le pied. La forme, les plantations, les bords de cette vas pièce d’eau sont fortement contrastés. D'un côté, la croupe d’une haute montagne, couverte de gros ros chers entassés hardiment les uns sur les autres, fait une pointe qui s’avance fièrement jusqu'a lac et ne laisse qu’un passage étroit entre elle à l'eau. À la rive opposée, un monticule isolé d’une pente assez rapide, tout planté de bois de- puis le pied jusqu’au sommet, fait une saillie cir- culaire qui se prolonge dans le lac et le force d'en suivre le contour. Le grand mouvement des hau- teurs qui l’environnent, la triste bruyère do presque tout le sol est couvert, le vert obscur des aunes qui croissent sur une partie de ses rives, les jones et les roseaux qui en occupent d’autres, en se peignant dans ses eaux, les brunissent. Tous ces alentours jettent sur le tableau une teinte som: bre et lui impriment un caractère si opposé à celui des deux vallées, qu’on croit en être séparé par un espace immense. Ces deux sites se touchent, un moment suffit pour passer de l’un à l’autre; mais, par leur position, l'œil ne saurait les apercevoir ERMENONVILLE. 279 ensemble que de quelques points, d’où jamais ils ne se nuisent. Au delà du lac du Désert, le terrain tourmenté, bouleversé, marécageux et sablonneux tour à tour, va joindre des montagnes hautes et sauvages, à peine vêtues de légers bouleaux, ou de petites collines vertes entre lesquelles des rochers parsemés de bruyères se pressent en de petits vallons frais. IL est doux, après avoir joui de ce beau désordre, auquel l’art n’a rien ajouté, dé re- venir par la vallée du norG, si grande aussi, mais d’une grandeur si tranquille et si familière. La façade antérieure du château jouit d’une perspective aussi ouverte, aussi étendue que l’au- tre est relativement bornée par les collines pro- chaines. Il y a là encore un contraste bien entendu. | La rivière, partant des fossés, serpente à perte de lvue dans une prairie qui rappelle, sauf la régula- rité, et qui surpasse en fraîcheur le fameux tapis vert de Versailles. Des groupes d'arbres savamment disposés encadrent la prairie et rompent à l’horizon les lignes monotones des plaines. C’est par là que sont les îles, le moulin, les massifs d’aunes, les “deux vues du village, de Chaïlly et de Mont- "Ares lLe rive droite de la rivière est bordée d'arbres gi- gantesques épandant et mirant leur ombre dans Lune eau transparente; on ne peut dire les précau- “tions minutieuses qui sont prises chaque jour pour conserver la limpidité de l’eau. Des vannes, qu’on 280 PARCS ET JARDINS. ne lève qu’à la tombée de la nuit, sont chargées de retenir et de cacher aux yeux les impuretés qu pourraient déparer la rivière et en obscurcir le cristal. Ce parc immense, cette création princière es religieusement entretenue par les descendants du fondateur ; il y a bien quelque ‘part un grand lat que l’on cultive, mais les levées et les vannes son intactes, et les eaux peuvent y être amenées. Ce n’est que par une abnégation qui trouve en des souvenirs sacrés sa force et sa récompense, qu'ux particulier peut conserver Ermenonville dans si beauté première, en présence des tentations d’ur morcellement qui quadruplerait sa fortune. Espé- rons qu’un noble esprit de famille, animant long- temps encore les descendants du marquis de Gi: rardin, gardera pour la postérité ce modèle varié, gracieux, mélancolique, imposant ue à tour, et qui ne sera pas dépassé. Dans la classification des jardins paysagistes Ermenonville réalise l'idéal du Pays. Guiscard est par excellence un Parc, plus arrangé, moins scru- puleux à ne point contrarier ou modifier la na ture ; il ne craint point de laisser deviner qu'il es une production de l’art. L'ancien parc était régulier. « En face du château, dit Morel, qui éprouva une vive jouissance à dé: faire ce petit Versailles, il y avait une avenue par GUISCARD. 281 où l’on ne venait jamais; elle devait son existence non au besoin, mais à l'usage qui voulait qu’une longue allée d'arbres dirigée sur le milieu du chà- teau lui fût essentielle, même lorsqu'elle était inu- tile. De droite et de gauche on avait planté des bos- quets où toutes les ressources de la géométrie avaient été épuisées. » Des allées droites découpaient et perçaient les bois dans toutes sortes de direction. De hautes charmilies enveloppaient si exactement les massifs, qu’à l’exception de ces allées, le reste du parc, c’est-à-dire les cinq sixièmes, était abso- lument clos et interdit à la promenade. De grands et profonds fossés entouraient le château de miasmes malsains. Les eaux croupissaient dans de vastes bassins de forme régulière, sans écoule- ment, enfermés dans de roides talus. La perspec- tive par trop simple et pauvre, écourtée par une pente qui venait en droite ligne sur le château, se terminait par un petit bout de ciel au fond d’une allée dans les bois. Ces jardins qui, dans leur symétrie, réunissaient toutes les beautés du genre régulier avaient été plantés par le duc d’Aumont. Le propriétaire, voyant changer le goût, changea son parc. En cinq ans Morel eut fait disparaître tout ce qui pouvait sentir la ligne droite, le contour factice, rendu aux bois leur liberté, aux sentiers leur caprice, au ter- rain partout la pente naturelle. Il avoue que sa 282 PARCS ET JARDINS. tâche fut singulièrement facilitée par les plantations toutes venues de ses prédécesseurs, et par un ac- croissement de territoire qui doubla l'étendue de Guiscard. de parc présente au premier coup d'œil trois grandes parties dont l’ensemble est imposant : une vaste pelouse, en face du château, un très- grand lac qui en baigne les bords, et des boïs con- sidérables qui la terminent. Jadis placé dans le plus bas du terrain, le château, par la manière dont les pentes ont été dirigées, paraît situé à mi-côte; il domine le parc au couchant, et jouit de la vue de la pelouse, des bois et d’un coin du grand lac, au delà duquel des plantations, sur la rive opposée, s'ouvrent pour laisser voir une jolie vallée. Le château, en partie de briques, mieux entendu que celui d'Ermenonville, se lie assez bien avec le paysage; présentant un de ses angles sur les jar- dins, il est peu de place d’où l’on ne découvre deux de ses faces. La grande pelouse qui l'enveloppe lui vient par une descente insensible et s’en éloigne plus mollement encore pour aller mourir aux bords du lac. Au couchant un joli ruisseau sort d’un bassin irrégulier, suit les sinuosités d’un petit vallon. compris dans la grande pelouse et va se jeter dans le lac. Les plantations et les promenades à l’ombre sont distribuées autour de la pelouse et commencent GUISCARD. 283 immédiatement aux deux flancs du château. Plus près de l'habitation on a rassemblé tout ce que le règne végétal a de plus riant, les arbres et les ar- bustes à fruits et à fleurs dont le vent frais du matin lui apporte les parfums. De brusques res- sauts dans les lignes boisées, de forts et épais mas- sifs de tilleuls, interrompus, prolongés, fondus avec des taillis légers, contournent la pelouse du midi et dessinent nettement leurs ombres sur le gazon fin. Des arbres isolés, des groupes, semblent composés par un peintre, c’est le tableau du poëte : De grands hêtres touffus, droits, forts comme des tours, Sur Fimmobile appui de leurs colonnes grises Portent le voile épais que balancent les brises Entre l’obscur chemin et l'ardeur des beaux jours. Au loin, sous les arceaux de la noble futaie, Paraït développant ses muscles presque humains, L'yeuse au noir feuillage, arbre des parcs romains, Que l'argent des bouleaux par intervalle égaie. Un groupe aux beaux contours s’écrie : « En nous touchant Poussin nous a donné la noblesse et la force ; Le pinceau de Ruysdal a poli notre écorce; Claude nous a baignés dans le soleil couchant. » Ailleurs, c’est un immense quinconce, plein de jour et d'air, qui dissimule une large route sur le côté droit de la pelouse occidentale; puis une an- tique allée d’ormes, qui terminait l’ancien parc, une vallée couverte de saules, au delà du lac, et 284 PARCS ET JARDINS. qui se prolonge jusqu’à une colline boisée, en de- hors de l’enceinte du parc. Les jets d’eau de l’ancien parterre, tirés à grands frais de sources lointaines, se sont évanouis ou plutôt sont revenus à leur allure première; sous forme de ruisseau, ils accidentent les bois qui bor- dent la pelouse du midi, et traversent sous un pont rustique une Route-Verte aux larges sinuosités.. Au bout de la route est une vieille futaie percée d’allées droites d’où l’on débouché sur une croupe avancée. Sur la gauche du coteau, la perspective change, les montagnes se rapprochent et'enferment l'horizon dans un sombre hémicycle Aux envi- rons, comprises dans le domaine, une ferme agri- cole et une ferme pastorale rustique répandent leurs sillons et leurs prés émaillés de bestiaux. Il faut noter en passant un précieux avantage de Guiscard. Bien peu de ses ornements ne sont pas un objet de revenu. La grande pelouse est une très-bonne prairie; tous les taillis sont en coupes réglées; les eaux sont empoissonnées; ily a dans le bois de vastes pâtures propres à nourrir nom- bre de bestiaux et à faire des élèves qu’on peut nommer les jardiniers des pelouses : car en les tondant ils les renouvellent. Le parc est d’un mo- dique entretien, puisqu'on en a exclu les arbres taillés, les fleurs délicates, les eaux forcées, les murs de terrasse et de clôture. LE PETIT TRIANON. 285 Morel a tracé à Guiscard une piste pour les courses ; il remarque lui-même que les anciens, si appréciateurs des exercices du corps, joignaient à leurs villas des Xystes pour la gymnastique et des hippodromes pour les luttes équestres. La piste ou carrière de Guiscard est entièrement liée aux jardins. Très-variée dans les sites qu’elle par- court, partout égale ou dessinée sur des pentes très-douces, elle part du château, traverse la pe- louse du midi, passe sur le pont deila Route-Verte, . contourne le grand bois, joint la vieille futaie, descend vers le grand lac, remonte sur le coteau opposé, enfin revient au château par l'allée d’or- mes, après avoir fourni une course de quatre kilo- mètres. Tant d’agréments réunis dans ce parc très-simple et d’une beauté tempérée en font un modèle pour tous les domaines qui se croiraient déshérités, pour être dépourvus d'accidents singuliers et d’effets extraordinaires, tels que rochers imposants, éton- nantes chutes d’eau, brusques ravines. Les jardins du petit Trianon sont comme un di- minutif, un échantillon de Kew ou de Stowe; on y trouve tout le mobilier de rigueur : Laiterie, Ha- meau, temple de l'Amour, Salon de musique ou du déjeuner, deux lacs, le tout de l'invention de l’ar- chitecte Micque. On sait que Marie-Antoinette se plaisait à y faire la fermière de Boucher; ces petites 286 PARCS ET JARDINS. paysanneries raffinées étaient fort à la mode à la veille de la Révolution. Le véritable ornément de Trianon est sa végétation et les arbres rares qui y ont prospéré; le cyprès chauve de la Louisiane y étend les renflements de ses racines envahissantes : les pins de l'Amérique du Nord y atteignent presque leurs dimensions natives; diverses espèces de ché- nes et surtout le chêne à feuilles de saule, s'y élèvent jusqu’à trente mètres de hauteur. Les grands ali- gnements de Versailles donnent une singulière va- leur aux libres verdures de ce petit coin de terre. En 1850, M. Charpentier, jardinier de Trianon, a créé près de l’orangerie un charmant Jardin des fleurs où l’on admire des collections de rodo- dendrons et d’azalées. Nous citerons encore, parmi les jardins anglais ou mixtes, la villa Pallavicini, à Pegli (deux lieues et de- mie de Gênes), composition moderne d’une richessé folle et d'un mauvais goût délirant où se marient tous les styles et toutes les fantaisies ; Part ture y est représenté par un kiosque voisin d’un obé- lisque égyptien; le moyen âge y rêve sous l’arcade d'un pont gothique où s'encadre une brillante vue de la Méditerranée, la plus païenne des mers. La mythologie, qui est si bien à sa place dans les jar- dins classiques, jure ici avec une grotte, genre anglais, chèrement bâtie, de véritables stalactites ; Flore, en sortant de son temple ionique peut s’as- mi o [=] [= d © " = << fs < Be TT & s M [ere] P T D TT 3 Q CA ES] Le) COTE DR EM TERRRAT? VILLA PALLAVICINI. 289 seoir sur des coussins en porcelaine du Japon; Vénus, si elle abandonne un moment ses petits sanctuaires en marbre blanc de Carrare, risque de rencontrer la chapelle de quelque saint. L'une des moins agréables inventions de la Renaissance a été reproduite sous un berceau que nous conseil- lons d'éviter. A peine y a-t-on fait quelques pas qu’une pluie d’eau tombe de tous côtés, transper- çant le voyageur malavisé. Cette plaisanterie, dont le président de Brosses aurait ri, n’est plus de notre temps ni de notre goût. . Bien que la villa Pallavicini soit avant tout une curiosité singulière et de beauté douteuse, on ne peut méconnaître son admirable situation au-des- sus du golfe de Gênes, la pureté de son lac et deses eaux jaillissantes. Sur un coteau aride où l’on ne voyait naguère que de maigres vignobles et des plan- tations de pins, se déploie aujourd’hui un vaste parc aux magnifiques ombrages, aux fabriques somp- tueuses. Voilà de quoi faire oublier un certain nom- bre de bizarreries et de colifichets di sparates. Les bois de Boulogne et de Vincennes, auxquels nous consacrons nos dernières lignes, auraient paru bien simples et bien nus aux architectes paysagers du dernier siècle ; les fabriques d’ornement y sont rares et pauvres; et c’est à peine si l’on peut les compter parmi les parcs, malgré leurs grandes al- lées sinueuses et leurs lacs peuplés d'oiseaux de 19 290 PARCS ET JARDINS. toutes couleurs. C’est le dernier effort du style an- glais pour dissimuler les traces du travail humain sous la liberté des ombrages et la simplicité de la nature. L’artifice ne se trahit que dans les cascades du bois de Boulogne, trop peu importantes pour une si vaste étendue, et dont les escarpements ne sont annoncés en aucune façon par la platitude d’un terrain sablonneux. Elles sont construites avec soin, leurs rochers sont authentiques; mais, quel que soit leur mérite propre, elles ne sont point à leur place. Le sol tourmenté des Buttes-Chau- mont les motivera davantage. Quoi qu'il en soit, il faut savoir gré à d’habiles ingénieurs, qui se sont montrés dessinateurs pleins de souplesse et d'invention, d’avoir embelli le voisinage de Paris et fourni à notre population les promenades qu’elle enviait à Londres. Comme lieu de plaisance, le bois de Boulogne date de François I, qui en régularisa l'enceinte, y fit des plantations et le peupla de cerfs et de che- vreuils qui ont disparu vers 1793; ils ont repris. leur liberté. C’est sous François I:" que s’éleva le magnifique palais de Madrid, tout éclatant de ses faiences émaillées, l’une des merveilles de la Re- naissance dont l’art déplorera à jamais la perte. Madrid, entouré par HenriIV de quinze mille plants de müriers, donné en apanage à Marguerite de Va- lois, qui laissa son nom à l’une des allées du bois, pie 291 F fréquenté par Louis XIIT,-dédaigné par Louis XIV, abandonné pour la Muette par Louis XV, se vit éclipsé par les châteaux de Bagatelle, de Neuilly, de Boulogne, de Maurepas, de Saint-James. Toutes ces demeures seigneuriales étaient entourées de grands parcs, orgueil des financiers et des princes. C’est là que MM. Helvétius et de Boufflers rassem- blaient, dans leurs salons célèbres, tout l'esprit et toute la science française, les Tressan, les Nar- bonne, les Ségur, Voltaire, Montesquieu, d’Alem- bert, Diderot, Turgot, J. J. Rousseau, puis Cabanis, Condorcet, d’Holbach, Helvétius, tous les maîtres de l'encyclopédie, et les promoteurs des idées nou- velles. « Le séjour préféré de b'ihtéligonce était aussi, dit M. Lobet, celui de la mode et des plaisirs élé- gants. Les premières courses de chevaux organisées en France eurent le bois de Boulogne pour théâtre en 1776. À cette époque, les grands seigneurs fai- saient courir, non pour améliorer le cheval fran- çais, « vain et stérile prétexte de folles dissipations, » mais pour faire diversion aux plaisirs de la cour. Le bois vit aussi la première ascension aérostatique de Pilatre du Rosier, qui paya de la vie une seconde tentative. La mode, chaque printemps, rendait à la fameuse promenade de Longchamp ses arrêts éphé- . mères. C’est là enfin, sur la pelouse du brillant vil- lage de Passy, si célèbre alors par ses eaux ther- BOULOGNE. 4 4 292 PARCS ET JARDINS. males, que les grands seigneurs, les danseuses et les royautés financières du temps venaient déployer le luxe de leur maison et appeler sur leur opulence les regards d’une foule déjà frémissante. » On voit que la destination du bois de Boulogne n’a guère changé. Il a eu des emplois plus utiles. C’est à la Porte-Maillot que Parmentier obtint de semer les premières pommes de terre. Après la tempête affreuse qui accompagna la naissance du monde moderne, de 1789 à 1795, les Parisiens retrouvèrent leur promenade favorite af- freusement dévastée ; plus de château de Madrid, une bande noire l’avait démoli, plus de futaie : il avait fallu chauffer Paris; plus de gibier : on l'avait mangé ou épouvanté. L’abandon et laridité firent leur demeure de ce sol naturellement ingrat et sablonneux, des voleurs s’y établirent, gens amis de la solitude, et les plus grandes allées furent mal sûres. Napoléon I‘, traversant chaque jour ce lieu désolé pour se rendre à Saint-Cloud, rêva d’en faire un grand parc pour le palais du Roi de Rome, qu’il faisait bâtir sur les hauteurs de Chaillot. Puis vinrent les invasions de 1814 et 1815, les dévasta- tions des Anglais, campés entre le Ranelagh et la Porte-Maillot. Les beaux chênes de François I: sou- tinrent des baraques de soldats. Le bois était trop peuplé alors. Le pavillon d’Armenonville servait de quartier général aux Hanovriens; Wellington BOULOGNE. 293 occupait les châteaux de Saint-James et de Neuilly ; le camp russe était établi à Madrid. : L'œuvre de régénération du bois fut longue et difficile. Des acacias, des marronniers, arbres à la croissance rapide, à la verdure précoce, des syco- mores, des érables, des sapins, des chênes verts du Chili remplacèrent peu à peu les arbres centenai- res abattus par la hache ennemie; il fallut vingt ans pour qu'un peu d'herbe couvrit le sable, pour qu’un peu d'ombre rafraichit le sol nu. Du gibier il ne restait que les lapins, indestructibles hôtes que l'on pourchasse en vain. Au temps de Louis- Philippe, les Parisiens avaient repris l'habitude de fréquenter Boulogne et Auteuil. 1848 faillit détruire une troisième fois ces mal- heureuses plantations. Les fureurs d’une populace idiote, écartée de Paris par le vrai peuple, qui fai- sait bonne garde, tombèrent sur Neuilly, Villiers, Anières, Puteaux, Surènes; il y eut là des incen- dies qui, durant toute la nuit du 25 au 26 février, reflétèrentsur l'horizon parisien les lueurs les plus sinistres. = Repris en 48 à la liste civile pour être réintégré dans le domaine national, il fut, en juin 1852, cédé à la ville de Paris, qui se chargea de le surveiller, de l’entretenir et d'y dépenser deux millions en quatre ans, On sait ce que ces travaux ont produit, et nous nous plaisons à dire qu’il ne faut pas les re- 294 PARCS ET JARDINS. gretter, bien qu’à notre sens le sol de la plus. grande partie du bois de Boulogne, par sa plati- tude et sa stérilité, doive être longtemps rebelle à la culture intelligente de ses nouveaux maîtres. Le nouveau Bois a subi, très-récemment, quel- ques modifications territoriales qu'il est bon de mentionner. Il a, sur certains points, fort dimi- nué, et s’est agrandi sur d’autres. Ainsi aux ha- meaux de Madrid, de Saint-James, il faut mainte- nant ajouter ceux de Sablonville, près de Neuilly, de la Villa Montmorency, près du chemin de fer, de la Retraite, aux environs de la Porte des Princes, “et le nouveau village de l’Alma entre la Villa de Montmorency et la Retraite. Les fortifications ont aussi notablement entamé les beaux quinconces du Ranelagh et la pelouse de Passy. En revanche les enclos de Madrid, de Saint-James, de Bagatelle rentrent ou rentreront dans le domaine de la ville. Le hameau de Longchamp disparait et déjà son em- placement se reboise. En somme le grand parc des Parisiens, quoique notablement réduit, est d’une étendue largement suffisante. « A l’ouest et à l’est, la Seine et les bastions du mur d'enceinte le dé- fendent contre les empiétements de la propriété privée. Au nord et au midi, il est entouré par des boulevards, qui vont être bordés' de maisons mo- numentales. Lorsque, dans un temps peu éloigné, Paris aura absorbé les grands villages d'Auteuil, BOULOGNE. 295 de Neuilly et de Boulogne, le Bois au moins ani- mera de sa masse verdoyante ces arrondissements nouveaux. » Il n’entre pas dans le plan de cet ouvrage de ser- vir de guide et d'itinéraire. Nous nous bornerons donc à indiquer les sites les plus fréquentés ou les plus agréables du moderne bois de Boulogne. C’est d’abord la magnifique Avenue de l’Impératrice, longue de 1400 mètres, large de 140, si l’on y com- prend les pelouses latérales qui font partie de la décoration, puis les riches pelouses du Parc aux daims, le beau jardin fleuri de la Muette, faible reste des dépendances du château royal si cher à Louis XV, Bagatelle, avec son belvédère, d’un go- thique renaissance, et son parc anglais, véritable œuvre d'art, conçue par le dessinateur Bellanger, tandis que Carmontelle plantait Monceaux. Le Rond des chênes, voisin de la Mare d'Auteuil, est l’un des plus beaux restes des plantations de François Ie, les arbres séculaires, échappés à la cognée des Prussiens, s'élèvent, mutilés par la foudre, mais répandant encore sur les gourmets de la prome- nade un calme, une fraicheur qui rappellent les plus nobles futaies de Fontainebleau. La foule hante surtout les grandes routes pou- dreuses qui contournent les grands lacs, les îles à friture et la Butte Mortemart, monticule assez mes- quin, couronné d’un petit cèdre, mais d’où le re- 296 PARCS ET JARDINS. gard s'étend au loin sur les coteaux de Bellevue, Meudon, Issy, Vanves, Saint-Cloud, le Mont-Valé- rien et, tout au fond en lignes grisâtres, Écouen et Montmorency. Nous avons déjà dit un mot des Cas- cades, qui sont convenables et rien de plus. Le pré Catelan, le grand hippodrome appartiennent à la chorégraphie et au sport. Dans l’un on consomme des liqueurs et des boissons, dans l’autre on voit couvrir d’or des chevaux trop maigres, tandis que de pauvres gens manquent de pain. Nous nous sommes toujours demandé pour notre part à quoi pouvaient servir les cent mille francs des grands prix impériaux ? triste emploi de la fortune pu- blique ! Mais il vaut mieux dire quelques mots du Jardin d’Acclimatation, dont les fondateurs cher- chent à accroître le nombre des serviteurs de l’homme. C’est une enclave elliptique située entre les Sablons et Madrid, et dont le centre est arrosé dans toute sa longueur par une rivière et par des bassins où s’ébattent les oiseaux les plus variés, les plus riches; des poules, des cigognes, des cygnes, des cerfs et des daims en grand nombre, des hé- miones, que M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire avait habituées au harnais, peuplent de toutes parts des pavillons et des enclos élégants. On vante à bon droit la magnanerie où sont réunis les vers à soie du mürier et de l’ailante. Quant à lAquarium, charmant en lui-même, il n’est rien si on le com- VINCENNES. 297 pare à ce que l'Angleterre exécute en ce genre. Les serres méritent une visite attentive. Enfin, lorsque les arbres seront complétement poussés et que l'entrée cessera d’être payante, le Jardin d’Acclima- tation sera presque aussi fréquenté que le vieux Jardin des Plantes, mais sans pouvoir rien opposer aux grandes avenues ombreuses qui joignent le muséum au quai d'Austerlitz. L’inauguration du Jardin zoologique ne remonte qu’à 1860 (6 octobre). Le plan et les fabriques ont été dessinés par M. Da- vioud. La conception générale et la décoration du nouveau bois de Boulogne sont dues à MM. Varé, petit-fils de l’habile jardiniste Best-Marcellin, Ba- rillet-Deschamps et Alphan, ingénieur en chef des promenades parisiennes. Plus étonnante encore et mieux réussie, soit que la nature y fût plus maniable, soit que les yeux soient plus frappés de ce qu'ils voient plus rarement, est la transformation du bois de Vincennes par MM. Vi- caire et Bassompierre. Depuis le douzième siècle les rois chassaient à Vincennes ; les Parisiens ne commencèrent à le fréquenter qu’au dix-huitième siècle, et Louis XV «pour leur rendre la prome- nade plus agréable » fit abattre et replanter le bois en 1731. Mais quiconque a vu ces pauvres futaies, ces maigres terrains émaillés d’uniformes, avant _ ces dernières années, n’a pu les comparer aux sites délicieux de Meudon et de Bellevue. Eh bien! par 298 PARCS ET JARDINS, un art merveilleux, en moins de dix-huit mois, au milieu d’arides taillis où l’on ne voyait pas une goutte d’eau, des rivières coulèrent, des lacs répan- dirent la fraicheur et nourrirent sur leurs bords les gazons les plus drus et les plus appétissants. On ouvrit des routes sinueuses, on dégagea les beaux arbres qui ne manquaient pas, mais que dé- robaient aux yeux des massifs informes. Quoi de plus charmant que les alentours du petit lac de Saint-Mandé, établi dans une dépression de terrain où se rassemblaient des eaux croupies et des éma- nations pestilentielles ? Si le lac de Saint-Mandé a remplacé un égout, celui des Minimes a pris la place de plusieurs couvents qui se succédèrent en ce lieu de 1164 à 1787. Le site ne se sent pas de cette lon- gue occupation monastique ; il est frais, vert, animé par deux îles à chalet où sont établis des restau- rants. À l’ouest, une riche pelouse laisse voir entre les marronniers tout le champ de manœuvres, la pyramide de Louis XV et le polygone de l'artillerie. Un ruisseau où s'écoule le trop-plein de la mare de Nogent vient tomber en cascades dans le lac, de concert avec le ruisseau des Minimes qui descend de Gravelle, et dont le cours traverse le bois, y se- mant, sur plus d’un kilomètre, de jolies petites îles ombragées. Le lac de Gravelle domine tout le bois ; il est à quarante mètres au-dessus de la Marne, à vingt- VINCENNES. 299 cinq au-dessus de Saint-Mandé, à quatorze au- dessus des Minimes. C’est un vaste réservoir bitumé et bétonné où deux puissantes turbines amènent et maintiennent vingt mille mètres cubes d’eau, qui alimentent le ruisseau et le lac des Minimes. Dans le voisinage, à deux minutes environ, le Rond-point de Gravelle offre un panorama superbe où la Marne et ses îles, la Seine et sa vaste vallée, le confluent des deux rivières, le champ de manœuvres et les cimes des bois, çà et là coupées par des pelouses mates ou éclatantes, selon l’heure du jour, sem- blent s'arranger toujours, comme disait Fénelon, à souhait pour le plaisir des yeux. On travaille à un quatrième lac, le plus grand de tous, qui oc- cupera vingt hectares et comprendra deux îles, sur un terrain aujourd'hui désert, entre Saint- Mandé, Picpus et Charenton. Le bois de Vincennes mesure environ mille à douze cents hectares de su- perficie, selon qu’on y comprend ou qu’on en exclut les terrains destinés aux manœuvres militaires. Il est entouré de murs sur une longueur de seize kilo- mètres au moins. _ Cet immense parc sylvestre, l’un des plus beaux sans doute et des plus simples qui existent au monde, n’est point promis à de si brillantes desti- nées que son confrère et son pendant le bois de Boulogne. Très-éloigné du centre de Paris, il n’en gardera que plus de fraîcheur et de beautés impré- 300 PARCS ET JARDINS. vues. Nous le recommandons à tous ceux qui cher- chent et qui aiment la nature à demi solitaire. Mais, redisons-le en terminant, après Vincennes, l'ère des grands parcs ornés est définitivement close; il n’y a plus que des jardins de médiocre étendue, quelques massifs de fleurs au pied des arbres, ou bien des bois simplement arrangés pour la commodité du public. À force d’abdiquer devant la nature, prenons garde de nous annihiler tout à fait. Croyez-vous que des jardins comme Panfili, Aldobrandini ou Chantilly seraient déplacés aux portes de Paris? Espérons que les Buttes- Chaumont, si accidentées, si admirablement dispo- sées par la nature, inspireront quelque riche fan- taisie, quelques terrasses, quelques fontaines à nos modernes jardiniers, et relieront tout à la fois notre art à celui de Le Nôtre et de Morel. Lac de Morfontaine. TABLE DES GRAVURES. Pages. Le Verger d'Alcinoüs.................... sde 3 Jardin antique dans l’Archipel grec. Nés ices saaideqe 9 Jardin antique en Égypte ............................ 21 (Égypte ancienne.) Arrosage. .... RE MT ri Le ET 25 Tivoli. . ... en ess ins cc éhaue Fours. 29 La villa de Pline (Toscane)..... PANNES a LS à de DURE 41 L’Alhambra. Porte du Jugement........................ 55 La Baumette, jardin du roi René.................. set: 07 L’Alhambra. Porte des Abencérages..................... 73 du send en te choadattes 81 Fontainebleau. Jardin de Diane......................... 85 ne scsi tiges 99 Fontainebleau. Cour des Fontaines, vue du Jardin anglais. 111 (les Borromées). Isola Madre.. ......................... 120 VOS Dassin do FlOre... 2... 41... ose 123 La villa Panfili, près Rome, par Le Nôtre................ 145 Le grand canal (Fontainebleau)......................... 149 lin di ln ae erven EAP PEP EE 153 Villa Albani. Entrée de la salle de billard................ 155 CON... co ccsspeadmeesasss 183 PR PR APP LR OS PT 189 de rene su iié des eu trs 193 Ftkethan, près Londres. ..............,......0.... . 201 san once ve ose « Strass 237 A Java ........................essssssesessessee 251 Chälet du bois de Boulogne............................ 255 1 ES SR PRO ER PE RARE “251 Cascade du grand lac, à Vincennes.......... Grease En 287 Lac de Morfontaine................ Hoéexe PRE jsui 300 FIN DE LA TABLE DES GRAVURES. TABLE DES. MATIÈRES. CHAPITRE PREMIER. LA GRÈCE ANTIQUE ET L'ORIENT. Pages. 1. Vergers d’Alcinoüs et de Laërte. — Bois sacré de Diane. — Jardins d’Épicure. — Daphnis et Chloé. — Antioche. — Leucippe et Clitophon ............ SR RITES II. Jardins suspendus de Babylone. — Paradis de la Perse. — Jardins de l'Égypte et de la Chine; le philosophe Meng-tseu ss... oser. ss... CHAPITRE SECOND. VILLAS DES ROMAINS. I. Cicéron à Tusculum. — Varron à Casinum. — Horace à Tibur. — Pline à Laurente et dans l’Apennin.......... 1, Vila Adriana: 2 eu ss tiliiios ie CHAPITRE TROISIÈME. JARDINS DU MOYEN AGE. I. Résidence des empereurs byzantins. — Childebert aux Thermes. — Jardins de saint Louis et de Charles V. — Le Lai de l’Oiselet et le Roman de la Rose; Boccace. — Jardins du roi René....,,.......4,:...4 2h II. Les Arabes à Palerme, à Valence, à Cordoue, à Séville et à Grenade ; l’Alhambra et le Généralife. — Le jardin 15 29 45 TABLE DES MATIÈRES. É de Sse-ma-Kouang. — Les villas de Netzahualcoyotl et de Montézuma ; Tezcotzinco, Chapoltépec ; jardins flot- 17 tot de Mexico. .................. did ésare maider cas à CHAPITRE QUATRIÈME. LA RENAISSANCE. I. Jardin délectable de Bernard de Palissy. — Boholi, à Flo- rence. — Frascati; villas Mondragone, Aldobrandini. Ti- voli, villa d'Este; villa Borghèse; villa du pape Jules II. Jardins du Belvédère et du Quirinal.................. II. Anet, Gaillon, Fontainebleau. — Seconde Renaissance sous Henri IV : Parterres des Tuileries, de Saint-Germain, CHAPITRE CINQUIÈME. LE NÔTRE. 1. Le style régulier; Versailles, Trianon, Marly, Chantilly, Saint-Cloud, Meudon, Sceaux ; villa Panfili............ CHAPITRE SIXIÈME. LES JARDINS CLASSIQUES. I. Villa Albani. — Caserte. — Villa Reale. — Schæœnbrunn et Napoléon. — Plaisanterie de Pope. — Moor-Park.... Il. Alamédas espagnoles, Cadix, Séville, Grenade. — L’Es- curial, Aranjuez, Saint-Ildefonse, Buen-Retiro. — Pas- seios de Lisbonne; Jardins de la Penha et de Santa-Cruz. — Plantations à Cuba ...... satdasésés tel EL ET eS d I]. Fleurs de la Perse ; la Grande Avenue et les Mille- Arpents à Ispahan.— Jardins du Sérail ; Cimetières turcs. — Scutari ; Choubrah. — Jardins du Grand Mogol et du roi de Lahore. — Parc du temple du Ciel à Pékin; le nn ds le Mer sereme.., 2... cie Ti U os M es. 71 107 133 163 dE 304 TABLE DES MATIÈRES. - CHAPITRE SEPTTÊME. JARDINS ANGLO-CHINOIS. IT. Bacon dessinateur de jardins; l'Éden de Milton ; idées d’Addison et de Pope; Twickenham ; Théorie de Wal- pole. — Kent et Brown ; Blenheim; Stowe:........... II. Jardins des bonzeries chinoises. — Le Palais d’été des empereurs chinois. — Yédo.....,... SM sud nie III. Kew. — Parcs de Londres et squares; Kensington : Saint-James ; Hyde-Park ; Regent’s Park. — Botanic- garden de Calcutta ; Barrackpour, domaine du gouver- neur général de l'Inde. — Parc des rois de Ceylan. — Buitenzorg, à Java. — Bois de la Haye; bois et jardins de Harlem...... A EN NE RE ere ET CHAPITRE HUITIÊME, JARDINS PAYSAGERS EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE. I. Berlin, Potsdam, Sans-Souci. — Schœnbrunn, Hofgar- ten de Vienne ; Laxenbourg. — Munich, Nymphenbourg. — Woærlitz. — Cassel. — Russie : Tzarskoë-Sélo........ I. Énumération. Morfontaine, Guiscard, Ermenonville, types des jardins paysagers en France. — Le petit Tria- non. — Villa Pallavicini. — Boulogne et Vincennes..... 9158. — Imprimerie bénéshfé de Ch. Lahure, rue de Fleurus, 9, à Paris. 59 2 4 © Pages. 193 221 255 267 Lg rs Mur ou PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY ARS 3 sf ne RÉREE MEA At SALE HA PENINS pe AU TIRE 150 AE ÿ # WE #} D x Fra, * RE à n 4 NO RTEX ht RO AU AA RTE CH TR aAÉ ue Das PA MMA feet : 47: tonne WE ti , ut à RAUEN es RENE el 14 AE # peurs \ Wors area # is ! te the 4. RULES Fes