LES
PLAIDEURS
LES PLAIDEURS
COMÉDIE
— IMPRIMERIE EMILE MARTINET, HUE MIGNON, 2.
JEAN RACINE
LES
PLAIDEURS
COMÉDIE
KO TION PUBLIÉE CONFORMEMENT AU TEXTE. DES
GRANDS ÉCRIVAINS DE LA FRANCE
T. I
AVEC UNE ANALYSE ET DES NOTES PHILOLOGIQUES ET LITTÉRAIRES
PAR R. LAVIGNE
Agrégé des lettres, professeur au lycée Henri IV
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET Gie
79 BOULEVAttD SAINT-GERMAIN, 79
1882
Univers i
f.Q
AVERTISSEMENT
Cette édition n'a qu'un but : offrir aux jeunes gens un texte pur et les conduire, par la lecture de Racine, à la connaissance de la langue française.
L'histoire littéraire leur apprendra à juger, dans sa vie et dans ses œuvres, l'auteur des Plaideurs; le commentaire oral des professeurs leur fera sentir les beautés de toute nature dont sont remplis les chefs- d'œuvre de nos écrivains : il ne nous appartient pas d'empiéter sur leurs appréciations, et nous nous bor- nons à quelques remarques, philologiques et gramma- ticales plutôt que littéraires.
Notre humble travail nous a été rendu facile par les études approfondies de MM. Mesnard et Marty- Laveaux sur le style de Racine. Quant au texte, il est tel que nous le donne l'édition des Grands Écrivains de la France, publiée à la librairie Hachette sous la savante direction de M. Régnier.
'S'
R. Lavigne.
ANALYSE DES GUÊPES
D'ARISTOPHANE
Racine ayant emprunté à Aristophane le sujet et plusieurs épi- sodes des Plaideurs, il est bon d'avoir une idée précise de la pièce grecque où l'auteur français a trouvé un modèle.
La comédie des Guêpes est une satire politique : Aristophane y attaque, non seulement l'humeur processive de ses concitoyens, mais encore et surtout un vice radical de la constitution athé- nienne, l'organisation des tribunaux. A Athènes, en effet, tout homme libre, âgé de trente ans, pouvait prendre place, sans fournir aucune garantie de morale ou de capacité, parmi les six mille juges répartis entre les dix tribunaux qui rendaient la jus- tice au civil ou au criminel. Quand la guerre du Péloponèse eut chassé les paysans des champs et ruiné les habitants des bourgs, Athènes fut encombrée de pens oisifs et pauvres qu'il fallait occuper et nourrir : Pénclès imagina de donner une légère rétri- bution à ceux qui siégeaient comme juges, et leur fit accorder une obole par jour. L'appât de ce salaire, quelque modeste qu'il paraisse, joint au plaisir d'entendre de beaux discours, rendit les citoyens pauvres plus avides de procès et plus assidus que jamais aux tribunaux.
Cléon, le démagogue attaqué par Aristophane dans les Cheva- liers, fit par politique plus que Périclès n'avait fait par humanité . il porta à trois oboles (45 centimes) l'indemnité payée aux juges. Aux yeux du parti aristocratique, c'était là un acte de corruption odieux ; il n'y avait plus de justice à Athènes ; les juges se ven- daient tous les jours et Cléon tenait les tribunaux dans sa main: Aristophane fit jouer les Guêpes (423 av. J.-C).
Philocléon (l'ami de Cléon : la composition môme du mot trahit l'intention de l'auteur) a la raison troublée par la fureur
4 ANALYSE DES GUEPES D ARISTOPHANE.
de juger; son fils, Bdélycléon (l'ennemi de Cléon), maudit cette manie et tient son père enfermé dans sa maison, sous la garde de deux esclaves, Xanthias etSosias; en vain le vieillard cherche à s'échapper par l'étuve, par les gouttières, sous le ventre d'un àne, comme Ulysse s'enfuit de l'antre du cyclope sous un bélier ; toutes ses ruses sont déjouées.
Pendant que ses geôliers essayent de goûter quelque repos, les Héliastes viennent appeler leur collègue en chantant des vers de Phrynichus ; ils sont travestis en Guêpes, prêtes à bourdonner, à piquer, à transpercer de leurs dards les ennemis de la démagogie. Philocléon leur apprend qu'il est victime de la tyrannie de son fils, et, aidé de "ses amis, il est sur le point de s'évader, quand Bdélycléon, toujours en éveil, accourt avec ses esclaves. Les vieillards se préparent à défendre leur collègue et envoient leurs enfants annoncer à Cléon ce qui se passe : « Qu'il marche contre cet ennemi de la cité, qui a mérité la mort, puisqu'il prétend
empêcher qu'on ne juge les procès C'est intolérable, c'est une
tyrannie manifeste. 0 citoyens, ô Théorus ennemi des dieux, et vous tous, flatteurs qui nous gouvernez, accourez à notre aide ! » On voit quelle est la portée politique de la pièce. — La lutte s'en- gage : les Guêpes sont éloignées un moment par les esclaves qui jouent du bâton, et Bdélycléon profite d'un instant de répit pour proposer de terminer le combat par une discussion pacifique.
« bdélycléon. Si tu consens à te taire et à m'écouter, je me fais fort de te persuader que tu te trompes du tout au tout.
philocléon. Je me trompe, quand je juge?
bdélycléon. Tu ne vois pas que tu es un objet de risée pour ces hommes que tu adores presque ; tu ne t'aperçois pas que tu es leur esclave !
philocléon. Ne me parle pas d'esclavage, à moi qui exerce la souveraineté.
bdélycléon. La souveraineté ! Tu obéis, quand tu crois com- mander ! »
Voilà une cause intéressante : les Guêpes écoutent attentive- ment, pendant que le père et le fils développent leurs raisons. Le premier déclare qu'un juge est plus heureux qu'un roi : les hommes les plus puissants implorent son indulgence ; les accusés l'égayent par leurs plaidoieries, se prosternent à ses pieds avec leur famille, lui récitent de beaux vers ou lui jouent de beaux airs de flûte; Cléon lui-même, « ce grand criard », n'ose pas mordre le juge, il le « flatte de la main » et « lui chasse les
ANALYSE DES GUEPES D ARISTOPHANE. 5
mouches »;et, quand le juge rentre dans sa maison, quel accueil on lui fait ! comme on le soigne, comme on le cajole pour avoir le triobole qu'il a reçu ! Il mange une galette bien levée et boit du vin pur. »
Le chœur admire l'éloquence de Philocléon et, sous le charme de sa parole, déclare qu'il s'est cru dan? les îles Fortunées. Mais Bdélycléon commence à son tour, quoique « guérir une maladie si invétérée, si répandue à Athènes, soit une entreprise difficile et d'un' portée trop haute pour la comédie ». 11 démontre que le salaire des juges ne représente même pas le dixième des revenus de l'État ; tout le reste va à ces hommes qui crient sans cesse : « Je combattrai toujours pour le peuple » et qui vivent aux dépens de ce peuple. Les juges sont les esclaves volontaires des déma- gogues qui les payent.
Le chœur se rend à ces arguments solides et engage Philocléon à ne plus faire de résistance ; mais le vieillard ne peut s'y résoudre : la vie la plus douce lui parait sans charmes si elle est sans procès. Eh bien! Il y aura des procès : Philocléon siégera dans sa maison et y connaîtra de tous les méfaits qui peuvent s'y commettre ; les inculpés, esclaves et servantes, comparaîtront à sa barre, il les condamn?ra tout en mangeant ses lentilles et son fils lui payera son salaire.
Précisément un délit domestique est signalé : le chien Labès a dévoré un fromage de Sicile; c'est une cause toute prête. Les formalités de la procédure minutieusement remplies, Xanthias prononce un réquisitoire contre le voleur : Bdélycléon le défend ; il rappelle ses servies et, voyant le juge ébranlé, il introduit, pour achever sa victoire, les enfants de l'accusé, de petits chiens qui jappent, prient, supplient et pleurent: dans son trouble, Phi- locléon absout Labès; mais, en entendant proclamer l'acquitte- ment, il s'abandonne à un violent chigrin : il a « chargé sa con- ?< idice de l'acquittement d'un accusé! » Jamais il n'avait eu à regretter pareille faiblesse! Son fils le console en lui promettant nue fois de plus de bien le nourrir et de le mener dans les festins et les fêtes.
Les Athéniens avaient l'esprit assez fin pour saisir sans peine les intentions malicieuses du poète, ses allusions et ses jeux de mots; ils avaient retrouvé, traits d'1 Philocléon, plus
d'un juge à l'humeur acariâtre, ne sachant pas <- pins absoudre que jouer de la lyre », pauvre d'ailleurs, et cherchant à servir les passions d.; ceux qui payaient le triobole; dans le chien
P» ANALYSE DES GUÊPES D'ARISTOPHANE.
Labèsils avaient reconnu Lâchés qui commandait la flotte envoyée j en Sicile, el que l'on accusait de concussions. Néanmoins, Aris- , tophane ne s^ contente pas de ces attaques indirectes : il prend ouvertement le peuple à parti, et, dans la « parabase », il lui adresse des reproches et des conseils. Il lui rappelle avec quel courage il a combattu dans les Chevaliers ce monstre « aux dents aiguës » que l'on appelle Cléon ; avec quelle persévérance il a poursuivi ces « fiévreux pâles et frissonnants », ces sophistes si dangereux pour les particuliers et pour l'État : le peuple ne l'a pas soutenu dans cette lutte, le peuple a trahi son défenseur dévoué.
La parabase achève ainsi de nous faire voir toute la portée qu'Aristophane prétendait donner à ses plaisanteries : en repré- sentant le peuple sous les traits d'un juge ridicule et maniaque, il voulait le faire rougir de sa faiblesse et le soulever contre les démagogues et les novateurs. L'abeille attique piquait de son dard acéré, mais cet aiguillon était une arme patriotique : c'est sous ces traits qu'étaient tombés les barbares, vaincus à Marathon ; le chœur des Guêpes célèbre cette grande journée, et, suivant l'ex- pression de M. Villemain, bourdonne aux oreilles des Athéniens un hymne de gloire.
Le reste de la pièce est de moindre importance : Philocléon,
mené par son fils dans les joyeuses compagnies, se livre aux
plaisirs et ne veut plus entendre parler de procès; il devient un
débauché, dont le poète, ce semble, eût pu nous épargner les
plaisanteries grossières : après avoir rendu le juge ridicule, Aris-
ie l'avilit ; c'était dépasser la mesure. Aussi est-il permis de
croire qui les Guêpes ne turent pas couronnées, du moins le
ste n'en fait pas mention. Le peuple, qui s'était montré
pour le détracteur de Socrate, ne fut pas sans doute plus
in lulgent pour le poète, qui, dans son aveugle attachement au
, poursuivait de ses traits acérés les hommes populaires et
les idées nouvelles, et les enveloppait dans un égal mépris.
ANALYSE DES PLAIDEURS
Malgré la ressemblance des sujets, il y a loin des Guêpes d'Aristophane aux Plaideurs de Racine, L'esprit des deux pièces n'est pas le même : la passion politique anime la première; dans la seconde, règne la fantaisie légère et inoffensive qui fronde les travers de quelques personnes sans songer à attaquer les institu- tions sociales. Quelques traits cependant semblent si peiçants et si vigoureusement lancés, qu'ils ne peuvent venir d'une aiain indifférente : l'auteur des Plaideurs n'est pas seulement un lettré qui veut voir « si les bons mots d'Aristophane auront quelque grâce dans notre langue » ; c'est un plaideur lui-même, qui a soui- i'ert des subtilités de la chicane, et qui a appris à ses dépens ce que coûtent les procès ; il a eu maille à partir avec les procureurs et les huissiers, à propos, soit du prieuré de l'Épinay, soit de quelque autre bénéfice, et il s'est alors souvenu de la Guêpe attique ; il en a causé, au cabaret du « Mouton-Blanc », avec ses amis Despréaux, Furetière, La Fontaine et Chapelle; ils se sont réjouis en daubant sur les gens de robe, les avocats et leurs clients et, dans ces libres entretiens, est née spontanément cette fleur d'esprit et de gaieté, la comédie des Plaideurs. En voie, ie canevas.
ACTE l
L'exposition de la pièce est faite par Petit Jean, un « franc portier de comédie », qui nous apprend comment son nuitre, M. Perrin Dandin, un juge qui « avait le cœur trop au métier », s perdn la raison :
Tous les jours le premier ;iux plaids, et le dernier,
Et bien souvent tout seul
11 a si bien veillé
Et si bien fait qu'on dit que son timbre est brouillé.
8 ANALYSE DES PLAIDEURS.
Son fils, Léandre, ne soutfre plus qu'on parle d'affaire au pauvre fou, et le fait garder jour et nuit par son portier et par l'Intimé, son secrétaire, pour l'empêcher de courir au tribunal (Scène i). Petit Jean, épuisé de fatigue, se promet quelques instants de repos, lorsque Dandin, croyant « ses guichetiers en défaut », saute par la fenêtfre pour aller juger. On l'arrête (Scènes il et m). Léandre accourt, et, malgré les protestations et les reproches de son père, ordonne qu'on le ramène dans sa chambre (Scène iv).
Léandre aussi a sa folie : il aime Isabelle, la fille d'un voisin, M. Chicanneau, plaideur enragé, qui dissipe son bien en procès. Or nul ne peut approcher d'elle s'il n'est huissier ou commis- saire : l'Intimé, garçon peu scrupuleux, se charge de remettre un billet à Isabelle, en portant à son père un faux exploit (Scène v). Au même instant, M. Chicanneau, après avoir donné à ses servi- teurs des ordres qui dénotent un homme prévoyant et habitué aux affaires, frappe à la porte de Dandin (Scène vi); il s'y ren- contre avec la comtesse de Pimbesche, que sa famille a fait interdire, et qui veut plaider contre son mari, son père et ses enfants. Les deux solliciteurs se racontent leurs affaires, se plai- gnent mutuellement, se donnent des conseils ; mais un mot de Chicanneau, mal compris, irrite la comtesse, et leur entretien, d'abord si cordial, dégénère en une violente querelle (Scène Vil), que Petit Jean s'efforce en vain d'apaiser (Scène vin).
ACTE II
La fortune favorise les projets amoureux de Léandre : l'Intimé, habillé en huissier, a rencontré la comtesse de Pimbesche, qui l'a chargé d'un exploit pour M. Chicanneau ; voilà un excellent prétexte pour pénétrer dans la maison si bien gardée d'Isabelle: Léandre, sous la robe et la perruque d'un commissaire, feindra « d'informer », verra la fille et fera adroitement signer au père un contrat en bonne et due forme (Scène i). En effet, l'Intimé, si bien déguisé qu'il a quelque peine à se faire reconnaître, remet le « poulet » à Isabelle (Scène n), et, M. Chicanneau arrivant à l'improviste, joue à merveille le rôle de sergent qu'il s'est donné; la jeune fille, non moins habile que lui, simule une grande colère, déchire le prétendu exploit. .. . après l'avoir lu, et s'enfuit (Scène m). L'Intimé donne alors à M. Chicanneau en personne le véritable exploit, celui qu'il a reçu de la comtesse et qui est signé Le Bon.
ANALYSE DES PLAIDEURS. 9
Ce nom paraît suspect à M. Chicanneau qui flaire une rase jamais exploit qc fut signé Le Bon ; sans hésiter, le vieux plai- deur traite le faux sergent de fripon, et, son indignation crois- sant, lui donne un soufflet, « réitère » avec le pied, saisit un bâton pour achever : l'Intimé verbalise sans s'émouvoir, et, voyant le bâton levé : « frappez, dit-il, j'ai quatre enfants à nourrir. » Ce mot héroïque désarme M. Chicanneau; il tient désormais son impassible visiteur pour un sergent authentique et lui présente des excuses, qui ne sont pas acceptées (Scène pr). M. le commissaire, c'est-à-dire M. Léandre; arrive fort à propos ; il constate le flagrant délit et mande « la rebelle » qui a déchiré un exploit: il lui fait subir un ingénieux et plaisant interroga- toire qui trompe et charme son père, et que M. Chicanneau signe « aveuglément ». La justice est contente, comme le dit Léandre : M. Chicanneau a signé, sans s'en douter, un bon contrat, et « sera condamné tantôt sur son écrit ». Cette formalité remplie, M. le commissaire se retire, en ordonnant à M. Chicanneau de le suivre, au nom du Roi (Scène Vi).
Cependant Perrin Dandin, gardé par le seul Petit-Jean, a pénétré dans le grenier, et, par une lucarne, se dispose à donner audience. Tandis qu'il écoute les plaintes de M. Chicanneau, de la comtesse et de l'Intimé qui exposent leurs doléances tous à la fois, Léandre le surprend et le fait enfermer dans une salle basse tout auprès de la cave (Scènes vn-ix). Là du moins il sera en sûreté : point; Dandin a pénétré dans la cave même, et le voici qui paraît par le soupirail : la comtesse et son adversaire se pré- cipitent vers lui, le tirent chacun de son côté, l'étranglent, et font tant et si bien que M. Chicanneau, entraîné, tombe et « s'encave » avec son juge (Scènes ix-xm). On vole au secours de Dandin ; on le ramène, boitant fort bas, mais plus entêté que jamais de son idée fixe : il veut aller juger. Qu'il juge donc, mais sans sortir de chez lui ; qu'il fasse comparaître ses serviteurs pour la moindre faute, qu'il les condamne à l'amende, au fouet ; leurs gages tien- dront lieu de nantissement (Scène xm). Cette proposition de Léandre paraît acceptable à son père, qui est sur le point d'y consentir, quand un grand tumulte se fait entendre: c'est Citron, un chien gourmand, qui vient de manger un chapon ; qu'on l'ar- rête, M. Dandin jugera avec sévérité ce voleur domestique; pour la circonstance, le portier et le secrétaire se transformeront en avocats : Petit Jean sera le demandeur et maître l'Intimé sera le défendeur (Scène XIV).
10 ANALYSE DES PLAIDEURS.
ACTE III
Léandre n'est pas un jeune étourdi qui se joue de son père ; c'est un fils affligé qui satisfait les caprices d'un malade et se plie aux visées d'un fou qu'il aime ; c'est aussi un amoureux qui espère vaincre la résistance que cet autre fou,. M. Chicannear, oppose à son mariage avec Isabelle (Scène n). Mais l'audience commence. Petit Jean ne parvient pas, malgré le secours du souffleur, à débiter le discours qu'on lui a composé; il faut que, renonçant à « tourner autour du pot », il en vienne au fait : alors il l'expose avec beaucoup de clarté et d'énergie. Quant à l'In- timé, « il plaide bien ». Après un long exorde sur un ton de fausset, il cite Pausanias et Rebuffe, et le grand Jacques, et d'autres encore; tantôt il précipite son débit, tantôt il le ramène à une lenteur désespérante, et, pour finir, il remonte « avant la naissance du monde ». Pendant qu'il décrit le ebaos, Dandin, endormi par tant d'éloquence, tombe lourdement; on le relève, on le tire à grand'peine de son sommeil. Le défendeur, pour achever son œuvre, présente au tribunal la famille désolée de Citron : ces petits chiens, ces « pauvres enfants qu'on veut rendre orphelins, » versent des larmes, et le iuge, touché, hésite à prononcer la sentence vScène m). L'audience est interrompue par l'arrivée de Chicanncau et de sa fille. M. Perrin Dandin, charmé de la grâce d'Isabelle, l'invite avec galanterie à exposer sa cause ; mais c'est Léandre qui s'en charge : il s'agit d'un mariage pour lequel tout le monde est d'accord :
La fille le veut bien; son amant le respire ; Ce que la fille veut, le père le désire.
« Mariez au plus tôt, » s'écrie le juge. Tout le monde accepte avec joie ce bel arrêt, sauf M. Chicanneau, fort surpris quand il apprend que la fille à marier est la sienne : on lui montre le contrat qu'il a signé, et on l'apaise en ajoutant que, s'il accorde la main d'Isabelle, il peut garder son bien. — Dandin, enchanté de l'audience, fait grâce à Citron et s'engage, pourvu que les procès vienne tt en abondance, à passer en paix, dans sa maison, le reste denses jours (Scène îv).
AU LECTEUR
Quand je 1ns les Guêpes d'Aristophane, je ne songeo.y guère que j'en dusse faire les Plaideurs. J'avoue qu'elle,; me divertirent beaucoup, et que j'y trouvai quantité dfi plaisanteries qui me tentèrent d'en faire part au public; mais c'étoit en les mettant dans la bouche des Italiens ', à qui je les avais destinées, comme une chose qui leur appartenoit de plein droit. Le juge qui saule par les fenêtres, le chien criminel, et les larmes de sa famille, me sembloient autant d'incidents dignes de la gravité de Scaramouche. Le départ de cet acteur interrompit mon dessein, et fit naître l'envie à quelques-uns de mes amis de voir sur notre théâtre un échantillon d'Aristophane. Je ne me rendis pas à la première proposition qu'ils m'en firent. Je leur dis que quelque esprit que je trouvasse dans cet auteur, mon inclination ne me porteroit pas à le prendre pour modèle, si j'avois à faire une comédie; et que j'aime- rois beaucoup mieux imiter la régularité de iMénandre et de Térence, que la liberté de Plaute et d'Aristophane. On me répondit que ce n'étoit pas une comédie qu'on me de- mandoit, et qu'on vouloit seulement voir si les bons mots d'Aristophane auroient quelque grâce dans notre langue. Ainsi, moitié en m'encourageant, moitié en mettant eux-
-1. La troupe italienne joua successivement au Petit-Bourbon, au Palais- Koyal et à l'hôtel de Bourgogne; elle alternait avec la troupe d<:s comé- diens français. Son principal acteur était le Napolitain Fiurilli, ou Fiorelli, célèbre son.', le personnage de Scaramouche.
12 AU LECTEUK.
mêmes la main à l'œuvre, mes amis me firent commencer un pièce qui ne tarda guère à être achevée.
Cependant la plupart du monde ne se soucie point de l'intention ni de la diligence des auteurs. On examina d'abord mon amusement comme on auroit fait une tra- gédie. Ceux mêmes qui s'y étoient le plus divertis eurent peur de n'avoir pas ri dans les règles, et trouvèrent mau- vais que je n'eusse pas songé plus sérieusement à les faire rire. Quelques autres s'imaginèrent qu'il étoit bienséant à eux de s'y ennuyer, et que les matières de Palais ne pou- voient pas être un sujet de divertissement pour des gens de cour. La pièce fut bientôt après jouée à Versailles. On ne fit point de scrupule de s'y réjouir ; et ceux qui avoient cru se déshonorer de rire à Paris, furent peut-être obligés de rire à Versailles pour se faire honneur.
Ils auroient tort, à la vérité, s'ils me reprochoient d'avoir fatigué leurs oreilles de trop de chicane. C'est une langue qui m'est plus étrangère qu'à personne, et je n'en ai employé que quelques mots barbares que je puis avoir appris dans le cours d'un procès que ni mes juges ni moi n'avons jamais bien entendu.
Si j'appréhende quelque chose, c'est que des personnes un peu sérieuses ne traitent de badineries le procès du chien et les extravagances du juge. Mais enfin je traduis Aristophane, et l'on doit se souvenir qu'il avoit affaire a des spectateurs assez difficiles. Les Athéniens savoient ap- paremment ce que c'éloit que le sel attique; et ils étoient bien sûrs, quand ils avoient ri d'une chose, qu'ils n'avoient pas ri d'une sottise.
Pour moi, je trouve qu'Aristophane a eu raison de pous- ser les choses au delà du vraisemblable. Les juges de l'Aréopage n'auroient pas peut-être trouvé bon qu'il eût remarqué au naturel leur avidité de gagner, les bons tours leurs secrétaires, et les forfanteries de leurs avocats. Il étoit à propos d'outrer un peu les personnages pour les empêcher de se reconnoitre. Le public ne laissoit pas de
AT LECTEUR. 1 ?>
discerner le vrai au travers du ridicule; et je m'assure * qu'il vaut mieux avoir occupé l'impertinente éloquence de deux
orateurs autour d'un chien accusé, que si l'on avoit mis sur la .sellette un véritable criminel, et qu'on eût intéressé les spectateurs à la vie d'un homme.
Quoi qu'il en soit, je puis dire que notre siècle n'a pas été de plus mauvaise humeur que le sien, et que si le but de ma comédie étoit de faire rire, jamais comédie n'a mieux attrapé son but. Ce n'est pas que j'attende un grand honneur d'avoir assez longtemps réjoui le monde. Mais je me sais quelque gré de l'avoir fait sans qu'il m'en ait coûté une seule de ces sales équivoques2 et de ces malhonnêtes plaisanteries qui coûtent maintenant si peu à la plupart de nos écrivains, et qui font retomber le théâtre dans la tur- pitude d'où quelques auteurs plus modestes l'avoient tiré.
•I. Je m'assure pour je suis assuré. S'assurer que s'employait très bien dans le sens de se persuader, avoir la confiance que, avoir la cer- titude que. (Voyez ci-après vers .
2. Var. « Un seul de ces sales équivoques. » Edition de 1669-1687.
L<' genre des substantifs n'est pas détinitivemenl fixé du jour qu'ils entrent daus la langue. lia varié souvent dans les ouvrages d'un même auteur.
Le texte que nous donnons est celui de 1697, adopté dans l'édition des Grands Écrivains de la France.
LES PLAIDEURS
COMÉDIE
ACTEURS
DANDIN, juge ». LÉANDïlE, fils de Dandin. CHICANNEÀU, bourgeois. ISABELLE, fille de Chicanneau. LA COMTESSE PETIT JEAN", portier. * L'INTIMÉ, secrétaire» LE SOUFFLEUR.
La scène est dans une ville de basse Normandie.
1. Racine a trouvé le nom de Pcrrin Dandin dans les œuvres de Rabe- lais, on Chicanneau a aussi son origine. Ce dernier s'écrit aujourd'hui avec une seule n.
2. Le nom de l'Intimé est emprunté à la langue du palais : L'intimé est le défendeur en cause d'appel. (Note de M Bfesnard.)
LES PLAIDEURS
COMÉDIE
ACTE I
SCÈNE PREMIERE
PETIT JEAN, traînant un gros sac do procès
[a foi, sur l'avenir bien fou qui se fîra : el qui rit vendredi, dimanche pleurera, n juge, l'an passé, ine prit à son service;
ra'avoit fait venir d'Amiens pour être Suisse1. dus ces Normands vouloient se divertir de nous : 5
q apprend à hurler, dit l'autre, avec les loups. Dut Picard que j'étois, j'étois un bon apôtre2,
je faisois claquer mon fouet3 tout comme un autre.
I. La plupart des domestiques chargés de garder la porte des hôtels laient autrefois de Suisse : Petit Jean vient de Picardie ; c'est ce qui il l'expression piquante. *
!. Bon apôtre se prend d'ordinaire dans ie sens d'hypocrite, homme rusé
'tabile. C'est une antiphrase. Cette expression a été formée sans doute
allu i<>a ;i Judas, le méchant apôtre; qui paraissait souvent sur la
ne au moyen âge, notamment dans le drame de la Passion. — Ici, bon
gnific homme habile, qui sait son métier.
Je me donnais de i iri porta§ce, comme un cocher qui fait dn brait en
ant claquer non fouet.
Li:s PLAIDEURS. i
ACTEURS
DANDIN, juge l. LÉANDïlE, fils de Dandin. CHICANNEAU, bourgeois. ISABELLE, fille de Chicanneau. LA COMTESSE PETIT JEAN, portier. ■ L'INTIMÉ, secrétaire* LE SOUFFLEUR.
La scène est dans une ville de basse Normandie.
1. Racine a trouvé le nom de Perrin Dandin dans les œuvres de Rabe- lais, où Chicanneau a aussi son origine. Ce dernier s'écrit aujourd'hui avec une seule n.
2. Le nom de l'Intimé est emprunté à la langue du palais : H intimé est le défendeur en cause d'appel. (Note de M Mesnard.)
LES PLAIDEURS
COMEDIE
ACTE I
SCENE PREMIERE
PETIT JEAN, traînant un gros sac de procès
Ma foi, sur l'avenir bien fou qui se fîra :
Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera.
Un juge, l'an passé, me prit à son service;
Il m'avoit fait venir d'Amiens pour être Suisse *.
Tous ces Normands vouloient se divertir de nous : 5
On apprend à hurler, dit l'autre, avec les loups.
Tout Picard que j'étois, j'étois un bon apôtre 2,
Et je faisois claquer mon fouet 3 tout comme un autre.
1. La plupart des domestiques chargés de garder la porte des hôtels venaient autrefois de Suisse : Petit Jean vient de Picardie ; c'est ce qui rend l'expression piquante. *
2. Bon apôtre se prend d'ordinaire dans le sens d'hypocrite, hoh
et habile. C'est une antiphrase. Cette expression a été formée sans doute par allu ion à Judas, le méchant apôtre; qui paraissait souvent sur la scène au moyen âge, notamment dans le drame de la Passion. — Ici, bon ignifie homme habile, qui sait son métier.
3. Je me donnais de L importance, comme un cocher qui fait du bruit en faisant claquer son fouet.
LES l'LAIDEUKS. t
18 LES PLAIDEURS.
Tous les plus gros monsieurs • me parloient chapeau bas :
« Monsieur de Petit Jean, » ah! gros comme le bras2! '0
Mais sans argent l'honneur n'est qu'une maladie.
Ma foi, j'étois un franc portier de comédie 3 :
On avoit beau heurter et m'ôter son chapeau,
On n'entroit point chez nous sans graisser le marteau.
Point d'argent, point de Suisse4, et ma porte étoit close. 45
Il est vrai qu'à Monsieur j'en rendois quelque chose :
Nous comptions quelquefois. On me donnoit le soin
De fournir la maison de chandelle et de foin;
Mais je n'y perdois rien. Enfin, vaille que 5 vaille,
J'aurois sur le marché fort bien fourni la paille. 20
C'est dommage : il avoit le cœur trop au métier;
Tous les jours le premier aux plaids, et, le dernier,
Et bien souvent tout seul ; si l'on l'eût voulu croire,
Il y seroit couché sans manger et sans boire.
Je lui disois parfois : « Monsieur Perrin Dandin, 25
Tout franc, vous vous levez tous les jours trop matin :
Qui veut voyager loin ménage sa monture.
Buvez, mangez, dormez, et faisons feu qui dure. »
Il n'en a tenu compte. Il a si bien veillé
Et si bien fait, qu'on dit que son timbre est brouillé6. 30
11 nous veut tous juger les uns après les autres.
1. Monsieurs pour Messieurs s'explique en partie par la prononciation mosieu. — Mme de Sévigné dit de même : « des Madames », et La Fontaine : « des Monseigneurs ».
2. La phrase est elliptique : « On me donnait gros comme le bras (c'est-à- dire très-respectueusement, très-cérémonieusement) le titre de monsieur de Petit Jean. (Les Grands Écrivains, note des éditeurs.)
3. Le portier de comédie se tenait à la porte du théâtre et ne laissait passer que ceux qui avnie^f. payé le droit d'entrer.
4. Les Suisses, soldats mercenaires, ne servaient que pour de l'argent : de là l'expression proverbiale dont Petit Jean fait ici une application plai- sante.
5. Que entre ainsi dans plusieurs gallicismes avec le sens du latin quod ou plutôt quidqu'ul. — Il y a ici une forte ellipse : au hasard que l'entre- prise vaille ce qu'il se pourra qu'elle vaille : c'est-à-dire à tout hasard.
6. On dit mieux dans ce sens : son timbre est fêlé.
ACTE i , SCENE II. 10
Il marmotte toujours certaines patenôtres *
Où je ne comprends rien. Il veut, bon gré, mal gré,
e coucher qu'en robe et qu'en bonnet carré. Il iil couper la tête à son coq, île colère, 35
Pour l'avoir éveillé plus tard qu'à l'ordinaire * ; Il disoit qu'un plaideur dont l'affaire alloit mal Avoit graissé la patte à ce pauvre animal \ Depuis ce bel arrêt, le pauvre homme a beau faire. Son lils ne souffre plus qu'on lui parle d'affaire. 10
Il nous le fait garder jour et nuit, et de près : Autrement serviteur, et mon homme est aux plaids. Pour s'échapper de nous, Dieu sait s'il est allègre. Pour moi, je ne dors plus : aussi je deviens maigre, C'est pitié. Je m'étends, et ne fais que bâiller. 45
Mais veille qui voudra, voici mon oreiller. Ma foi, pour cette nuit, il faut que je m'en donne; Pour4 dormir dans la rue on n'offense personne. Donnons.
SCÈNE II L'INTIMÉ, PETIT JEAN.
l'intimé
Ay, Petit Jean! Petit Jean!
1. De pater nosler, dans l'acception de prières, et, par suite, formula que l'on répète.
2. Trait emprunté aux Guêpes d'Aristophane, comme beaucoup d'autre-: que les proportions de cette édition classique ne nous permettent pas de citer.
3. Expression proverbiale (toute cette pièce en est remplie) où patte doit s'entendre de la main de l'homme qui se laisse corrompre Elle est d'au- tant [«lus juste ici que le mot patte est le terme propre. — Rapprochez graisser le marteau, au vers 14. Les Espagnols disent de même untar el carro, graisser la voiture, el les italiens ugner le carrucole à uno, graisser les poulies à quelqu'un. Le marteau, la voiture, les poulies, la patte, desi- sigmmt, d^ns ces locutions, \' instrument de la volonté qu'on nchète.
4. Pour remplace parce que.
20 LES PLAIDEURS.
PETIT JEAN
L'Intimé! 11 a déjà bien peur de me voir enrhumé. 50
l'intimé
Que diable! si matin que fais-tu dans la rue?
PETIT JEAN
Est-ce qu'il faut toujours faire le pied de grue *, Garder toujours un homme, et l'entendre crier? Quelle gueule2! Pour moi, je crois qu'il est sorcier
l'intimé Bon !
PETIT JEAN
Je lui disois donc, en me grattant la tête, 55
Que je voulois dormir. « Présente ta requête Comme tu veux dormir, » m'a-t-il dit gravement Je dors en te contant la chose seulement. Bonsoir.
l'intimé
Comment bonsoir? Que le diable m'emporte Si.... Mais j'entends du bruit au-dessus de la porte. 60
1. La grue ne se couche pas pour dormir : elle se tient debout sur une jambe, sur an pied.
•2. Ce mot, aujourd'hui grossier, n'effrayait pas le goût de nos pères, du moins dans la comédie :
... Vous êtes, mamie, une fille suivante Un peu trop forte en gueule, et fort impertinente.
{Tartuffe, acte I, scène c.f
ACTE f, SCÈNE III. 21
SCKXE III DANDIN, L'INTIMÉ, PETIT JEAN.
DANDIN, à la fenêtre
Pelit Jean! L'Intimé!
t'iNTIMÉ, à Petit Jean
Paix !
DANDIN
Je suis seul ici. Voilà mes guichetiers en défaut, Dieu merci. Si je leur donne temps, ils pourront comparoître *. Çà, pour nous élargir, sautons par la fenêtre. Hors de cour2.
l'intimé
Comme il saute!
PETIT JEAN
Ho ! Monsieur, je vous tien3. 65
DANDIN
Au voleur! Au voleur!
PETIT JEAN
Ho! nous vous tenons bien.
l'intimé
Vous avez beau crier.
DAXDIX
Main forte! l'on me tue!
\. Les ancien portent compareslre, pour rimer avec fenettre.
2. lia: ! un terme de palais, comme élargir et con \ ou plutôt comp ■ '.',. ! ■ m, . plu i bas la note au wsra 234.
22 LES PLAIDEURS
SCÈNE IV LÉANDRE, DANDIN, L'INTIMÉ, PETIT JEAN.
LÉANDRE
Vite un flambeau! j'entends mon père dans la rue. Mon père, si matin qui vous fait déloger? Où courez-vous la nuit?
DANDIN
Je veux aller juger. 70
LÉANDRE
Et qui juger? Tout dort.
PETIT JEAN
Ma foi, je ne dors guères.
LÉANDRE
Que de sacs! il en a jusques aux jarretières1.
DANDIN
Je ne veux de trois mois rentrer dans la maison. De sacs et de procès j'ai fait provision.
LÉANDRE
Et qui vous nourrira?
DANDIN
Le buvetier, je pense. 75
LÉANDRE
Mais où dormirez-vous, mon père?
1. Les pièces de procédure formant ce que nous appelons aujourd'hui un dossier, étaient alors contenue* dans des sacs, des « sacz de toille plains d'informations», comme dit Rabelais.
ACTE I, SCÈNE IV. '£',
h\NDlN
A l'audience.
LÉANDKE
.Von, mon père : il vaut mieux que vous ne sortiez pas. Dormez chez vous. Chez vous faites tous vos repas. Souffrez que la raison enfin vous persuade ; El pour votre santé....
DANDIN
Je veux être malade. 80
LÉAXDRE
Vous ne l'êtes que trop. Donnez-vous du repos : Vous n'avez tantôt1 plus que la peau sur les os.
DANDIN
Du repos? Ah! sur toi tu veux régler ton père.
Crois-tu qu'un juge n'ait qu'à faire bonne chère,
Qu'à battre le pavé comme un tas de galants, 85
Courir le bal la nuit, et le jour les brelans2?
L'argent ne nous vient pas si vite que l'on pense.
Chacun de tes rubans me coûte une sentence.
Ma robe vous fait honte : un fils de juge ! Ah, fi!
Tu fais le gentilhomme. Hé ! Dandin, mon ami, 90
Regarde dans ma chambre et dans ma garderobe
Les portraits des Dandins : tous ont porté la robe ;
Et c'est le bon parti. Compare prix pour prix
Les étrennes d'un juge à celles d'un marquis :
Attends que nous soyons à la lin de décembre. 95
Qu'est-ce qu'un gentilhomme? Un pilier d'antichambre.
1. Tantôt se dit encore familièrement pour bientôt : je viendrai tantôt.
2. Brelans, du vieux mot berlant ou berlan, hasard. — Il dé>k'ne : 1° un jeu de hasard qui se joue avec des carie? — et certains cob| s do ce
. le lieu où l'on joue et, par suite, une maison de jeu ; 3° une reunion do personn - assemblées pour jouer {se prend en maura -e part).
24 LES PLAIDEURS.
Combien en as-tu vu, je dis des plus hupés1,
A souffler dans leurs doigts dans ma cour occupés,
Le manteau sur le nez, ou la main dans la poche ;
Enfin, pour se chauffer, venir tourner ma broche ! 100
Voilà comme on les traite. Hé! mon pauvre garçon,
De ta défunte mère est-ce là la leçon?
La pauvre Babonnette ! Hélas ! lorsque j'y pense,
Elle ne manquoit pas une seule audience.
Jamais, au grand jamais2, elle ne me quitta, 105
Et Dieu sait bien souvent ce qu'elle en rapporta :
Elle eût du buvelier emporté les serviettes,
Plutôt que de rentrer au logis les mains nettes3.
Et voilà comme on fait les bonnes maisons. Va,
Tu ne seras qu'un sot.
LÉANDRE
Vous vous morfondez* là, 110
Mon père. Petit Jean, ramenez votre maître; Couchez-le dans son lit ; fermez porte, fenêtre ; Qu'on barricade tout, afin qu'il ait plus chaud.
\. Telle est l'orthographe des anciennes éditions. — Ces hommes huppés rappellent les hommes de quatre coudées d'Aristophane,
"AviSfE; \L?(à.Xoi «où teTpaitifoetç. (Guêpes, V, 566.)
Dès le seizième siècle, on appelait huppe le panache dont les seigneurs ornaient leurs chapeaux, et huppés les gens de qualité qui le portaient.
2. L'adverbe jamais est ici une sorte de nom adverbial. — Un certain nombre d'à Iverbes, marquant des rapports de temps, de lieu et de quantité, peuvent ainsi être précédés d'une préposition et d'un article; par exemple : aujourd'hui, demain, dessus, dedans, beaucoup, peu, combien, etc., etc.
3. Ce trait visait, s'il faut en croire Brossctte, la femme du lieutenant criminel de Paris, Jacques Tardieu : d'une avidité incroyable, elle avait pris jusqu'à des serviettes chez le buvetier du palais. (Voy. la Xe satire de Boileau.)
4. Se morfondre est pris ici dans son sens propre : se laisser pénétrer par le vent ou le froid. — Au figuré, perdre son temps à es succès d'une entreprise ou l'arrivée d'une personne.
ACTE I, SCÈNE V.
PETIT .1;
Faites donc mettre au moins des garde-fous là-haut.
DIN
Quoi? l'on me mènera coucher sans aulre forme?.., 115 Obtenez un arrêt comme il faut que je dorme.
LÉANDKE
Hé! par provision1, mon père, couchez-vous.
DAN]
J'irai; mais je m'en vais vous faire enrager tous : Je ne dormirai point,
léa:
Hé bien, à la bonne heure! Qu'on ne le quitte pas. Toi, l'Intimé, demeure.
SCÈNE V LÉANURE, L'kNTIMÉ
LÉANDiîE
Je veux t'entretenir un moment sans témoin.
l'intimé Ouoi? vous faut-il garder?
{. Par palais, ainsi
de l;i ci.
26 LES PLAIDEURS.
LÉANDRE
J'en aurois bon besoin. J'ai ma folie, hélas! aussi bien que mon père.
l'intimé Ho ! vous voulez juger?
Tu connois ce logis.
LEANDRE
Laissons là le mystère.
LINTIME
Je vous entends enfin : 425
Diantre! l'amour vous tient au cœur de bon matin. Vous me voulez parler sans doute d'Isabelle. Je vous l'ai dit cent fois, elle est sage, elle est belle; Mais vous devez songer que monsieur Chicanneau De son bien en procès consume le plus beau. 430
Qui ne plaide-t-il point? Je crois qu'à l'audience1 11 fera, s'il ne meurt, venir toute la France. Tout auprès de son juge il s'2est venu loger : L'un veut plaider toujours, l'autre toujours juger. Et c'est un grand hasard s'il conclut votre affaire 135
Sans plaider le curé, le gendre et le notaire.
LÉANDRE
Je le sais comme toi. Mais, malgré tout cela, Je meurs pour Isabelle.
1. A qui n'en veut-il point? Je crois qu'à l'audience (1669-87). Plaider, employé activement, est de la langue du palais.
2. Chez Racine, comme en gênerai chez les auteurs de son temps, quand les pronoms régimes dépendent d'un infinitif qui lui-même dépend d'un autre verbe, l'usage à peu près constant en prose et le plus fréquent de beaucoup en vers e-t de mettre le pronom avant le verbe qui régit l'infi- nitif, tandis que le noire est de h' mettre après ce verbe.
[M. Harty-Laveaux, Introduction grammaticale au lexique de Racine).
ACTE I, SCENE V. 2/
l'intimé
Hé bien ! épousez-la. Vous n'avez qu'à parler : c'est une affaire prête.
LEANDRE
Hé ! cela ne va pas si vite que ta tête. UO
Son père est un sauvage à qui je ferois peur.
A moins que d'être huissier, sergent ou procureur,
On ne voit point sa fille; et la pauvre Isabelle,
Invisible et dolente, est en prison chez elle.
Elle voit dissiper1 sa jeunesse en regrets, Ho
Mon amour en fumée, et son bien en procès.
Il la ruinera si l'on le laisse faire.
Ne connoîtrois-tu pas quelque honnête faussaire
Oui servit ses amis, en le payant2, s'entend,
Quelque sergent zélé ?
l'intimé
Bon! l'on en trouve tant! 150
LEANDRE
Mais encore?
L INTIME
Ah! Monsieur, si feu mon pauvre père Étoit encor vivant, c'étoit bien votre affaire. Il gagnoit en un jour plus qu'un autre en six mois :
1. On dirait aujourd'hui se dissiper. La suppression du pronom se n'a rien d'incorrect; elle est parfaitement conforme aux habitudes de notre an- cienne langue, où la plupart des verbes furent d'abord employés comme actifs, neutres et réfléchis tout à la fois.
2. Le participe précédé de en devrait se rapporterai! sujet de la propo- sition dont il dépend. Mais ce rapport n'est pas rigoureusement nécessaire; il suffit que les mots ne présentent ni amphibologie ni obscurité : la for tu ni' lui vient endormant [Aead.f.
28 LES PLAIDEURS.
Ses rides sur son front gravoient tons ses exploits
11 vous eût arrêté le carrosse d'un prince; 155
Il vous l'eût pris lui-même; et si dans la. province
Il se donnoit en tout vingt coups de nerfs de bœuf,
Mon père, pour sa part, en emboursoit dix-neuf2.
Mais de quoi s'agit-il? Suis-je pas fils de maître?
■1d vous servirai.
LÉANDRE
Toi?
l'intimé
Mieux qu'un sergent, peut-être. 16
LÉANDRE
Tu porterois au père un faux exploit?
l'intimé
Hon ! hon î
LÉANDRE
Tu rendrois à la fille un billet?
l'intimé
Pourquoi non? le suis des deux métiers.
LÉANDRE
Viens, je l'entends qui crie. Allons à ce dessein rêver3 ailleurs.
1. Parodie d'un vers du Cid dont Corneille se montra fort irrité. — La parodie es! même compliquée d'un jeu de mots.
2. « Si en tout le territoyre nestoyent que trente coupz de baston à guaingner, il en emboursoyt tousiours vinghuyct et demy. » {Panta- gruel, IV, 40.) — Vous, au vers 155 et 150, est explétif; il ne sert qu'à animer le discours.
3. Rêver se prenait dans l'acception de méditer, réfléchir. — La rêverie, dans le sens où nous employons ce mot aujourd'hui, est chose toute mo- derne, toute récente même; elle a été mise à la mode par J ,-J. Rousseau et surtout par Chateaubriand.
ACTE I, SCÈNE VI..
SCÈNE VI
CHICANNEAU, allant et revenant.
La Brie, Ou'on garde la maison, je reviendrai bientôt. 165
Ou'on ne laisse monter aucune âme là-haut, porter cette lettre à la poste du. Maine. Prends-moi dans mon clapier trois lapins de garenne, Et chez mon procureur porte-les ce malin. Si son clerc vient céans, fais -lui goûter mon vin. 170
Ah ! donne-lui ce sac qui pend à ma fenêtre. Est-ce tout ? 11 viendra me demander peut-être Un grand homme sec, là, qui me sert de témoin, Et qui jure pour moi lorsque j'en ai besoin £ : Qu'il m'attende. Je crains que mon juge ne sorte. 175
Quatre heures vont sonner. Mais frappons à sa porte.
PETIT JEAN, entrouvrant la porte.
Oui va là ?
CHICANNEAU
Peut-on voir Monsieur ?
PETIT JEAN, refermant la porte.
Non.
CHICANNEAU
Pourroit-on Dire un mot à Monsieur son secrétaire ?
PETIT JEAN
Non.
i. C'était un çle ces hommes dont parle Rabelais (liv. V, ch. x.wi, <, vivaient honestement du me $ tic r de tesmoignei
30 LES PLUDEURS.
CHICANNEAU
Et Monsieur son portier ?
PETIT JEAN
C'est moi-même.
CHICANNEAU
De grâce, Buvez à ma santé, Monsieur.
PETIT JEAN
Grand bien vous fasse ! 180 Mais revenez demain.
CHICANNEAU
Hé ! rendez donc l'argent. Le monde est devenu, sans mentir, bien méchant. J'ai vu que * les procès ne donnoient point de peine : Six écus en gagnoient une demi-douzaine. Mais aujourd'hui, je crois que tout mon bien entier 185 Ne me suffi roit pas pour gagner un portier. Mais j'aperçois venir Madame îa comtesse De Pimbesche2. Elle vient pour affaire qui presse.
SCÈNE VII CHICANNEAU, LA COMTESSE
CHICANNEAU
Madame, on n'entre plus.
4. J'ai vu un temps dans lequel, etc.; que. joue ici le même rôle que quum en latin ; ce tour est plein de vivacité. 2. Remarquez l'enjambement.
ACTE I, SCENE VII. 3]
LA COMTESSE
Hé bien ! l'ai-je ' pas dit 1 Sans mentir, mes valets me font perdre l'esprit. 190
Cour les faire lever c'est en vain que je gronde : Il faut que tous les jours j'éveille tout mon inonde.
CHICANNEAU
11 faut absolument qu'il se fasse celer.
LA COMTESSE
Pour moi, depuis deux jours je ne lui puis2 parler.
CHICANNEAU
Ma partie est puissante, et j'ai lieu de tout craindre. 195
LA COMTESSE
Après ce qu'on m'a fait, il ne faut plus se plaindre.
CHICANNEAU
Si pourtant3 j'ai bon droit.
LA COMTESSE
Ah ! Monsieur, quel arrêt!
CHICANNEAU
Je m'en rapporte à vous. Écoutez, s'il vous plaît.
LA COMTESSE
Il faut que vous sachiez, Monsieur, la perfidie.
1. Ellipse de ne qui convient au langage vif et familier.
2. Voy. la note au vers 133.
3. Si n'exprime pas le doute, mais bien l'affirmation; il s'unit à pourtant pour en redoubler la force. Si pourtant est donc une locution signifiant cependant ; elle est très bien placée dans la bouche du vieux plaideur qui parle mu; langue surannée. - Voy. ci-dessous le vers ï>o8.
32 LES PLAIDEURS
CHICANNEAU
Ce n'est rien dans le fond.
LA COMTESSE
Monsieur, que je vous die1.... 200
CHICANNEAU
Voilà le fait. Depuis quinze ou vingt ans en çà,
Au travers d'un mien pré certain ânon passa,
S'y vautra, non sans faire un notable dommage,
Dont je formai ma plainte au juge dn village.
Je fais saisir l'ànon. Un expert est nommé, 205
A deux bottes de foin le dégât estimé.
Enfin, au bout d'un an, sentence par laquelle
Nous sommes renvoyés hors de cour. J'en appelle.
Pendant qu'à l'audience on poursuit un arrêt,
Remarquez bien ceci, Madame, s'il vous plaît, 210
Notre ami Drolichon, qui n'est point une bête,
Obtient pour quenme argent un arrêt sur requête,
Et je gagne ma cause. A cela que fait-on ?
Mon chicaneur s'oppose à l'exécution.
Autre incident : tandis qu'au procès on travaille, 215
Ma partie 2 en mon pré laisse aller sa volaille.
Ordonné qu'il sera fait rapport à la cour
Du foin que peut manger une poule en un jour :
Le tout joint au procès enfin, et toute chose
Demeurant eu état, on appointe la cause 220
Le cinquième ou sixième avril cinquante-six.
J'écris sur nouveaux frais. Je produis, je fournis
I. Oie pour dise est un archaïsme, connue en cà, comme un mien pré. — Voy. la note précédente.
-2. Ma partie, c'est-à-dire "non adversaire. Ce terme était passé du ; dans la langue usuelle :
Va, je suis la partie et non pus loi] bourreau.
(Corneille, Cid. V, 940.)
ACTE 1, SCÈNE Vil. '■',■',
iJe dits, de contredits, enquêtes, compulsoires,
Rapports d'experts, transports, trois interlocutoires,
Griefs el faits nouveaux, baux et procès-verbaux. Llïo
J'obtiens lettres royaux1, et je m'inscris en faux.
Quatorze appointements, trente exploits, six instances,
Six-vingts productions, vingt arrêts de défense,
Arrêt enfin. Je perds ma cause avec dépens,
Estimés environ cinq à six mille francs. 230
Est-ce là faire droit? Est-ce là comme on juge?
Après quinze ou vingt ans ! Il me reste un refuge :
La requête civile2 est ouverte pour moi,
Je ne suis pas rendu. Mais vous, comme je voi3,
Vous plaidez.
LA COMTESSE
Plût à Dieu !
CHICANNEAU
J'y brûlerai mes livres. 235
LA COMTESSE
Je....
1. Lu plupart de ces tenues de chicane se trouvent dans un passage de l'antajruel (liv. III, eh. xxxixi où Rabelais les a accumulés à plaisir. — Remarquez particulièrement lettres royaux. — Les adjectifs français dé- rivés d'adjectifs latins qui avaient une forme unique pour le masculin et le féminin (grandis, regalis) ne marquèrent par leur féminin, dans notre vieille langue, par la présence d'un e. Grand mère, grand tante, grand messe, —où l'apostrophe doit être supprimée — sont des traces de cette ancienne coutume.
2. La requête civile est celle qu'on présente à une cour souveraine, pour ci» obtenir qu'elle revoie et juge de nouveau la même affaire sur laquelle elle a déjà rendu un arrêt définitif auquel il n'y a plus lieu de former oppo- sition.
(Note des éditeurs des Grands Ecrivains de la France).
3. Du temps de Racine, les verbes de la deuxième, troisième et quatrième conjugaison n'avaient pas >\'s à la première personne du singulier (pas plus
i latins d'où ils dérivent). Voy. plus haut le vers 05: « Je vous lien. r>
LES PLAIDEURS. 3
34 LES PLAIDEURS.
CHICANNEAU
Deux bottes de foin cinq à six mille livres !
LA COMTESSE
Monsieur, tous mes procès alloient être finis ;
Il ne m'en restoit plus que quatre ou cinq petits :
L'un contre mon mari, l'autre contre mon père,
Et contre mes enfants. Ah ! Monsieur, la misère ! 210
Je ne sais quel biais * ils ont imaginé,
Ni tout ce qu'ils ont fait; mais on leur a donné
Un arrêt par lequel, moi vêtue et nourrie2,
On me défend, Monsieur, de plaider de ma vie.
De plaider?
De plaider
J'en suis surpris.
CHICANNEAU LA COMTESSE
CHICANNEAU
Certes, le trait est noir. 215
LA COMTESSE
Monsieur, j'en suis au désespoir*.
CHICANNEAU
Comment, lier les mains aux gens de votre sorte ! Mais cette pension, Madame, est-elle forte?
LA COMTESSE
Je n'en vivrois, Monsieur, que trop honnêtement.
Mais vivre sans plaider, est-ce contentement ? 250
i . Biais compte ici pour deux syllabes : c'est une licence poétique. 2. Sorle d'ablatif absolu; celte construction est passée du latin dans la langue du palais. — (Voy. des tours analogues, vers 217, 219 et 220.)
ACTE I, SCÈNE VII. 35
CHICANNEAU
Des chicaneurs viendront nous manger jusqu'à l'âme, Et nous ne dirons mot ! Mais, s'il vous plaît, Madame, Depuis quand plaidez-vous?
LA COMTESSE
Il ne m'en souvient pas; Depuis trente ans, au plus.
CHICANNEAU
Ce n'est pas trop.
LA COMTESSE
Hélas !
CHICANNEAU
Et quel âge avez-vous ? Vous avez bon visage. 255
LA COMTESSE
Hé, quelque soixante ans1.
CHICANNEAU
Comment ! c'est le bel âge Pour plaider.
LA COMTESSE
Laissez faire, il ne sont pas au bout : J'y vendrai ma chemise; et je veux rien 2 ou tout.
1. Dans les éditions de 1669-87 il y a : * quelques soixante ans. » Racine a donc considéré ce mot comme adjectif avant de le prendre adver- bialement dans le sens d'environ.
2. Nous sommes tellement habitués à considérer rien comme une négation, que Racine semble l'avoir employé ici dans le sens de nulle chose. La phrase s'explique par une ellipse : je (ne veux) rien ou je veux tout. Rien vient de rem, et signifie proprement quelque chose. — Il en est de même de personne {une personne); aucun {quelqu'un); guère (beau- coup); ces mois ne prennent la force négative que grâce à l'adjonction de ne, qui est la seule vraie négation. — (Voy. ci-après le vers \~rl.)
36 LES PLAIDEURS.
CHICANNEAU
Madame, écoutez- moi. Voici ce qu'il faut faire.
LA COMTESSE
Oui, Monsieur, je vous crois comme mon propre père. 260
CHICANNEAU
J'irois trouver mon juge.
LA COMTESSE
Oh ! oui, Monsieur, j'irai.
CHICANNEAU
Me jeter à ses pieds.
LA COMTESSE
Oui, je m'y jetterai : Je l'ai bien résolu.
CHICANNEAU
Mais daignez donc m'entendre.
LA COMTESSE
Oui, vous prenez la chose ainsi qu'il faut la preudre.
CHICANNEAU
Avez-vous dit, Madame ?
LA COMTESSE
Oui.
CHICANNEAU
J'irois sans façon 265
trouver mon juge.
LA COMTESSE
Hélas ! que ce Monsieur est bon !
CHICANNEAU
Si vous parlez toujours, il faut que je me taise.
ACTE I , SCÈNE VII. 37
LA COMTESSE Ah ! que vous m'obligez. Je ne nie sens pas d'aise.
CHICANNEAU
J'i roi s trouver mon juge, et lui dirois....
LA COMTESSE
Oui.
Voii.
CHICANNEAU
Et lui dirois : Monsieur....
LA COMTESSE
Oui, Monsieur.
CHICANNEAU
Liez-moi.... 270
LA COMTESSE
Monsieur, je ne veux point être liée2.
CHICANNEAU
A l'autre!
LA COMTESSE
Je ne la3 serai point.
1. Voi est une interjection qui exprime l'impatience. Elle a beaucoup de rapport, du moins par le son, avec ouais, que l'on trouve souvent dans les comédies. — Le sens des interjections est d'ailleurs assez large et peu précis, comme on peut le voir par hélas! au vers 2GG. Hélas, dans ce cas, n'exprime pas la douleur; il marque simplement que la comtesse est tou- chée de la bonté de M. Chicanneau.
2. La comtesse interprète mal le mot liez-moi : semblable malentendu avait rausé une grosse querelle entre la comtesse de Crissé, plaideuse de profession, et une personne qui lui donnait des conseils dans le cabinet de Boileau, le greffier, frère aîné de Boileau Despréaux. Racine avait ri de celle scène qu'on lui avait racontée et il s'en souvint quand il écrivit les Plaideurs.
?.. La grammaire demanda ici le; mais elle a grand peine à se faire
3S LES PLAIDEURS.
CIIICANNEAD
Quelle humeur est la vôtre?
LA COMTESSE
Non.
CHIGANNEAU
Vous ne savez pas, Madame, où je viendrai.
LA COMTESSE
Je plaiderai, Monsieur, ou bien je ne pourrai.
CHICANNEAU
Mais....
LA COMTESSE
Mais je ne veux point, Monsieur, que l'on me lie. 275
CHICANNEAU
Enfin, quand une femme en tête a sa folie....
LA COMTESSE
Fou vous-même.
CHICANNEAU
Madame !
LA COMTESSE
Et pourquoi me lier?
CHICANNEAU
Madame....
LA COMTESSE
Voyez-vous? il se rend familier1.
obéir. Madame de Sévigné, qui connaissait la règle, disait plaisamment : « Je croirais avoir de la barbe si je parlais ainsi. » (M. Géruzez.)
C'est Vaugelas qui a établi que, lorsque le pronom le représente un adjectif, un nom indéterminé, un verbe ou une proposition, il rente inva- riable.
1. Notez ici une légère irrégularité dans h rime : lier n'a que deux syl- labes ; familier, dont les deux dernières syllabes ne forment qu'un seu temps prosodique, constitue une rime imparfaite.
ACTE F, SCÈNE VMF. 39
CHICANNEAU
Mais, Madame...
LA COMTESSE
Un crasseux, qui n'a que sa chicane, Veul donner des avis !
CHICANNEAU
Madame !
LA COMTESSE
Avec son âne 280
CHICANNEAU
Vous me poussez.
LA COMTESSE
Bonhomme, allez garder vos foins.
CHICANNEAU
Vous m'excédez.
LA COMTESSE
Le sot!
CHICANNEAU
Que1 n'ai-je des témoins?
SCÈNE VIII PETIT JEAN, LA COMTESSE, CHICANNEAU.
PETIT JEAN
Voyez le beau sabbat qu'ils font à notre porte.
\. Que interrogatif dans le sens de pourquoi?— Souvenir du quinUV.n, lequel équivaut à quînon. — Voy. ci-après le vers 201.
40 LES PLAIDEURS
Messieurs, allez plus loin tempêter de la sorte.
CHICANNEAU
Monsieur, soyez témoin....
LA COMTESSE
Que Monsieur est un sot. 285
CHICANNEAU
Monsieur, vous l'entendez : retenez bien ce mot.
PETIT JEAN
Ah! vous ne deviez pas lâcher cette parole.
LA COMTESSE
Vraiment, c'est bien à lui de me traiter de folle!
PETIT JEAN
Folle! Vous avez tort. Pourquoi l'injurier?
CHICANNEAU
On la conseille.
PETIT JEAN
Oh!
LA COMTESSE
Oui, de me faire lier. 290
PETIT JEAN
Oh! Monsieur.
CHICANNEAU
Jusqu'au bout que ne m'écoute-t-elle?
PETIT JEAN
Oh! Madame.
LA COMTESSE
Qui? moi? souffrir qu'on me querelle1?
\. Langage plein de vivacité, où 1rs ellipses peuvent être facilement rétablies.
ACTE I, SCÈNE VIII. Al
CHICANNEAU
Une crieuse!
PETIT JEAN
Hé, paix!
LA COMTESSE
Un chicaneur!
PETIT JEAN
Holà!
CHICANNEAU
Qui n'ose plus plaider!
LA COMTESSE
Que t'importe cela? Qu'est-ce qui t'en revient, faussaire abominable, 295
Brouillon, voleur?
CHICANNEAU
Et bon, et bon, de par le diable ! Un sergent! un sergent!
LA COMTESSE
Un huissier! un huissier!
PETIT JEAN
Ma foi, jii£e et plaideurs, il faudroit tout lier.
4CTE II
SCENE PREMIÈRE LÉANDRE, L'INTIMÉ.
l'intimé
Monsieur, encore un coup, je ne puis pas tout faire :
Puisque je fais l'huissier, faites le commissaire. 300
En robe sur mes pas il ne faut que venir :
Vous aurez tout moyen de vous entretenir.
Changez en cheveux noirs votre perruque blonde.
Ces plaideurs songent-ils que vous soyez au monde?
Hé ! lorsqu'à votre père ils vont faire leur cour, 305
A peine seulement savez-vous s'il est jour.
Mais n'admirez-vous pas cette bonne comtesse
Qu'avec tant de bonheur la fortune m'adresse;
Qui dès qu'elle me voit, donnant dans le panneau,
Me charge d'un exploit pour Monsieur Chicanneau, 310
Et le fait assigner pour certaine parole,
Disant qu'il la voudroit faire passer pour folle :
Je dis folle à lier ; et pour d'autres excès
Et blasphèmes, toujours l'ornement des procès?
Mais vous ne dites rien de tout mon équipage? 3J5
Ai-je bien d'un sergent le port et le visage?
ACTE II, SCENE II. Aô
LÉANDRE
Ali! fort bien,
l'intimé
Je ne sais, mais je me sens enfin L'àme et le dos six fois pins durs que ce matin. Quoi qu'il on soit, voici l'exploit et votre lettre. Isabelle l'aura, j'ose vous le promettre. 320
Mais pour faire signer le contrat que voici, 11 faut que sur mes pas vous vous rendiez ici. Vous feindrez d'informer1 sur toute cette affaire, Et vous ferez l'amour en présence du père.
LÉANDRE
Mais ne va pas donner l'exploit pour le billet. 325
l'intimé
Le père aura l'exploit, la fille le poulet. Rentrez.
SCÈNE II L'INTIMÉ, ISABELLE.
ISABELLE
Qui frappe?
l'intimé Ami. C'est la voix d'Isabelle.
ISABELLE
Demandez-vous quelqu'un, Monsieur?
1. Informer, pris ainsi absolument, sans régime direct, est de la langue du palais. — Signifier (vers 330) est aussi un terme de droit.
ACTE II
SCENE PREMIÈRE LÉANDRE, L'INTIMÉ.
l'intimé
encore un coup, je ne puis pas tout faire : fais l'huissier, faites le commissaire.
pas il ne faut que venir : z tout moyen de vous entretenir, ii cheveux noirs votre perruque blonde, 'iigent-ils que vous soyez au monde? itre père ils vont faire leur cour, ^^^^l^uvez-voiis s'il est jour.
s cette bonne comtesse leur la fortune m'adresse; donnant dans le panneau, pour Monsieur Chicanneau, certaine parole, faire passer pour folle : >our d'autres excès
l'ornement des procès? de tout mon équipage? Bit le port et le visage?
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300
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Isabelle i'jun. |«H • mi> jrimeitrv. Mus pm ■ - ^-- ■ ■ ■ w\
Il faut me <u:* w 'us a»us >u^ - losftaÉMI TtîTorn^r" >ur :uuie ^ttw Et vous Im .liiio ur :*u |BÉWMM u
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U LES PLAIDEURS.
l'intimé
Mademoiselle, C'est un petit exploit que j'ose vous prier De m'accorder l'honneur de vous signifier. 330
ISABELLE
Monsieur, excusez-moi, je n'y puis rien comprendre. Mon père va venir, qui pourra vous entendre.
l'intimé
Il n'est done pas ici, Mademoiselle?
ISABELLE
Non.
l'intimé
L'exploit, Mademoiselle, est mis sous votre nom.
ISABELLE
Monsieur, vous me prenez pour une autre, sans doute * : 335
Sans avoir de procès, je sais ce qu'il en coûte;
Et si l'on n'aimoit pas à plaider plus que moi,
Vos pareils pourroient bien chercher un autre emploi.
Adieu.
l'intimé
Mais permettez....
ISABELLE
Je ne veux rien permettre.
l'intimé Ce n'est pas un exploit.
1. Vak. Monsieur, vous me prenez pour un autre sans doute.
(<676.) Les anciennes éditions de Racine cl de Corneille donnent souv. nt un autre <>ù nn:is arrivons une nuire.
ACTE II, SCENE II.
-45
Encor moins.
ISABELLE
Cli an son! l'intimé
isa d elle l'intimé
Mais lisez.
C'est de monsieur
ISABELLE
Vous ne m'y tenez pas. l'intimé
ISABELLE
Adieu.
l'intimé Léandre.
ISABELLE
Parlez bas.
C'est de Monsieur.
L INTIME
Que diable1 ! on a bien de la peine A se faire écouter : je suis tout hors d'haleine.
ISABELLE
Ah ! l'Intimé» pardonne à mes sens étonnés : Si
Donne.
i. M. Génin veut que cette exel imation que diable soit pour quel diable ! quel se prononçant queu dans l'ancien langage. Cette hypothèse n'est pas nécessaire pour expliquer une locution qni se comprend facilement, en sup- posant une ellipse fuit naturelle : Que diable ! dites-vous. I
(Note de M. Geruzez.)
46 les plaideurs.
l'intimé Vous me deviez fermer la porte au nez
ISABELLE
Et qui t'auroit connu déguisé de la sorte ? Mais donne.
l'intimé
Aux gens de bien ouvre-t-on votre porte ?
ISABELLE
Hé, donne donc.
l'intimé
La peste....
ISABELLE
Oh ! ne donnez donc pas. Avec votre billet retournez sur vos pas. 350
l'intimé Tenez. Une autre fois ne soyez pas si prompte.
SCÈNE III CHICANNEAU, ISABELLE, L'INTIMÉ
CHICANNEAU
Oui ? je suis donc un sot, un voleur, à son compte ?
Un sergent s'est chargé de la remercier,
Et je lui vais servir un plat de mon métier.
Je serois bien fâché que ce fût à refaire, 355
Ni* qu'elle m'envoyât assigner la première.
1. Remarquez celte construction : la conjonction ni est ici placée dans une proposition qui n'est nullement négative, selon un usage fréquent au soixième et au dix-septième siècle. A cette époque, on mettait aussi avec ni 1 s mots pas ou point que l'on omet aujourd'hui.
ACTE II, SCENE III. 47
Mais un homme ici parle à ma fille. Comment? Elle lit un billet ? Ah ! c'est de quelque amant ! Approchons.
ISABELLE
Tout (Je bon, ton maître est-il sincère ? Le croirai-je ?
l'intimé
Il ne dort non plus que votre père. 360
(Apercevant Chicanneau.)
11 se tourmente; il vous.... fera voir aujourd'hui Que l'on ne gagne rien à plaider contre lui.
ISABELLE
C'est mon père ! Vraiment, vous leur pouvez apprendre Que si l'on nous poursuit, nous saurons nous défendre. Tenez, voilà le cas qu'on fait de votre exploit. 365
CHICANNEAU
Comment? c'est un exploit que ma fille lisoit1?
Ah ! tu seras un jour l'honneur de ta famille :
Tu défendras ton bien. Viens, mon sang, viens, ma fille2.
Va, je t'achèterai le Praticien françois.
Mais, diantre ! il ne faut pas déchirer les exploits. 370
ISABELLE
Au moins dites-leur bien que je ne les crains guère; Ils me feront plaisir : je les mets à pis faire3.
1. Vieille orthographe que Racine a conserve'e avec soin, comme au vers 366. On prononçait encore ainsi au palais € à pleine bouche », comme le dit d'Olivet.
2. Parodie d'un vers de Corneille.
Viens, mon fils, viens, mon sang, viens réparer ma honte.
(Ciel., vers 226.)
3. C'est-à-diiv « je les défie de faire ce dont ils me menacent ». « Je les
• faire plus de mal encore qu'ils ne preteiulcnl ». — On dit aussi : je les mets au pis faire, ou simplement : je les mets au pis.
iS LES PLAIDEURS.
CHICANNEAU
Hé ! ne te fâche point.
ISABELLE
Adieu, Monsieur.
SCÈNE IV CIIICANNEAU, L'INTIMÉ
l'intimé
Or ça *, Verbalisons.
CIIICANNEAU
Monsieur, de grâce, excusez-la : Elle n'est pas instruite; et puis, si bon vous semble, 37 En voici les morceaux que je vais mellre ensemble.
l'intimé Non.
CHICANNEAU
Je le lirai bien,
l'intimé
Je ne suis pas méchant : J'en ai sur moi copie.
CHICANNEAU
Ah ! ce trait est touchant. Mais je ne sais pourquoi, plus je vous envisage, Et moins je me remels, Monsieur, votre visage. 331
1. Çà est une interjection qui exprime le commandement, l'exhortât ion
Çà, pour nous élargir, sautons par la fenêtre.
(Vers G4.) Réunie à or, elle constitue une formule de transition.
ACTE II, SCÈNE IV 49
Je connois force1 huissiers.
l'intimé
Informez-vous de moi : Je m'acquitte assez bien de mon petit emploi.
CHICANNEAU
Soit. Pour qui venez-vous ?
l'intimé
Pour une brave dame, Monsieur, qui vous honore, et de toute son âme Voudroit que vous vinssiez à ma sommation 385
Lui faire un petit mot de réparation.
CHICANNEAU
De réparation? Je n'ai blessé personne.
l'intimé Je le crois : vous avez, Monsieur, l'âme trop bonne.
CHICANNEAU
Que demandez-vous donc ?
l'intimé
Elle voudroit, Monsieur, Que devant des témoins vous lui fissiez l'honneur 390
De l'avouer pour sage et point extravagante.
CHICANNEAU
Parbleu, c'est ma comtesse.
i. Force est uo nom collectif qui s'emploie sans de'termi natif dans le sens de nombre, quantité. Vis a en latin une acception analogue : vis morlalium, force gens.
LES PLAIDEURS. 1
CO LES PLAIDEURS,
l'intimé Elle est voire servante.
CH ICA NX EAU
.le suis son serviteur.
l'intimé
Vous êtes obligeant, Monsieur.
CHICANNEAU
Oui, vous pouvez l'assurer qu'un sergent Lui1 doit porter pour moi tout ce qu'elle demande. 305 Hé quoi donc? les battus, ma foi, pairont l'amende ! Voyons ce qu'elle chante. Hon.... Sixième janvier, Pour avoir faussement dit qu'il falloit lier, Étant à ce porté par esprit de chicane, Haute et puissante dame Yolande Cudasne, 400
Comtesse de Pimbesche, Orbesche, et caetera, Il soit dit que sur l'heure il se transportera Au logis de la dame, et là, d'une voix claire, Devant quatre témoins assistés d'un notaire, Zeste2, ledit Hiérome avoûra hautement 405
Qu'il la tient pour sensée et de bon jugement. Le Bon. C'est donc le nom de votre seigneurie?
l'intimé
Pour vous servir. Il faut payer d'effronterie.
CHICANNEAU
Le Bon ! Jamais exploit ne fut signé le Bon. Monsieur Lebon !
1. Sur la place occupée dans la proposition par le pronom régime, voy. la note au vers 133. — Remarquez en môme temps le vers 38G, où la construction adoptée par Racine est celle que nous employons aujourd'hui.
k2. Le mot zeste désigne la couche supérieure de la peau d'une orange ou d'un citron, c'est-à-dire un objet très mince, sans poids et sans valeur;
acte ii, scène iv. 51
l'intimé
Monsieur.
CilICANNEAD
Vous êtes un fripon. 410
l'intimé Monsieur, pardonnez-moi, je suis fort honnête homme.
CHICANNEAU
Mais fripon le plus franc qui soit de Gaen à Rome.
l'intimé
Monsieur, je ne suis pas pour vous désavouer2 : Vous aurez la bonté de me le bien payer.
CHICANNEAU
Moi, payer ? En soufflets.
l'intimé
Vous êtes trop honnête : -4! 3
Vous me le paîrez bien.
CHICANNEAU
Oh ! tu me romps la tête. Tiens, voilà ton paîment.
l'intimé
Un soufflet ! Écrivons :
il a donc le sens de « rien » et l'on a pu s'en servir à la place do non, certes non. — C'est une interjection de mépris par laquelle M. ChlosnasM interrompt la lecture de l'exploit.
2. Être pour c'est-à-dire être homme à, être capable de, être fait
pour....
Je crois qu'un ami chaud, et de ma qualité, N'est pas assurément pour être rejeté.
(Molière, 31isanth., v. 259-2G0.)
52 LES PLAIDEURS.
Lequel Hiérome, après plusieurs rébellions,
Aurait1 atteint, frappé, moi sergent, à la joue.
Et fait tomber d'un coup mon chapeau dans la boue. 420
CHICANNEAU
Ajoute cela.
l'intimé
Bon : c'est de l'argent comptant ; J'en avois bien besoin. Et de ce non content, Auroit avec le pied réitéré. Courage! Outre plus, le susdit seroit venu, de rage, Pour lacérer ledit présent procès-verbal. 425
Allons, mon cher Monsieur, cela ne va pas mal. Ne vous relâchez point.
CHICANNEAU
Coquin ! l'intimé
Ne vous déplaise, Quelques coups de bâton, et je suis à mon aise 2.
CHICANNEAU
Oui-da : je verrai bien s'il est sergent.
L'INTIMÉ, en posture d'écrire 430
Tôt donc, Frappez : j'ai quatre enfants à nourrir.
CHICANNEAU
Ah ! pardon !
t. Ce conditionnel paraît étrange dans une proposition subordonnée et affirmative : c'esi le style des precès-verbaux où le conditionnel est, en général, amené par un verbe principal exprimant une supposition, comme : oa dit que, on prétend que....
2. « Les chicquanous gaignent leur vie à estre battuz, » dit Rabelais. Pantagruel, IV, 12.)
ACTE 11, SCÈNE V. 53
Monsieur, pour un sergent je ne pouvois vous prendre;
Mais le plus habile homme enfin peut se méprendre.
Je saurai réparer ce soupçon outrageant.
Oui, vous êtes sergent, Monsieur, et très sergent.
Touchez là. Vos pareils sont gens que je révère ; 435
Et j'ai toujours été nourri par feu mon père
Dans la crainte de Dieu, Monsieur, et des sergents.
l'intimé
Non, à si bon marché l'on ne bat point les gens.
CIIICANNEAU
Monsieur, point de procès!
l'intimé
Serviteur. Contumace1, iiàton levé, soufflet, coup de pied. Ah !
CHICANNEAU
De grâce, MO
Uendez-les-moi plutôt.
l'intimé
Suffit qu'ils soient reçus : Je ne les voudrois pas donner pour mille écus.
SCÈNE V
LÉANDRE, CHICANNEAU, L'INTIMÉ
Voici fort à propos Monsieur le commissaire.
Monsieur, votre présence est ici nécessaire.
1. Contumace signifie le refus opiniâtre d'un accusé de comparaître devant ses juges, auxquels il se soustrait par la fuite. — Ce mot semble avoir ici le sens de rébellion.
5i LES PLAIDEURS.
Tel que vous me voyez, Monsieur ici présent
M'a d'un fort grand soufflet fait un petit présent. 445
LÉANDRE
A vous, Monsieur ?
l'intimé
A moi, parlant à ma personne. Item, un coup de pied ; plus, les noms qu'il me donne.
LÉANDRE
Avez-vous des témoins?
l'intimé
Monsieur, tâtez plutôt : Le soufflet sur ma joue est encore tout chaud 450
LÉANDRE
Pris en flagrant délit. Affaire criminelle.
CHICANNEÂU
Foin de moi * !
l'intimé
Plus, sa fille, au moins soi-disant telle, A mis un mien papier en morceaux, protestant Qu'on lui feroit plaisir, et que d'un œil content Elle nous défioit.
LÉANDRE
Faites venir la fille. 455
L'esprit de contumace est dans cette famille.
CHICANNEAU
Il faut absolument qu'on m'ait ensorcelé :
Si j'en connois pas 2 un, je veux être étranglé.
1. Sorte d'interjection qui exprime le dégoût, le dédain, la répugnance, ia crainte. — Fi, interjection analogue, se construit de mémo. 2 Pas n'était à l'origine nullement négatif; c'est ne, dont il est ordi-
ACTE II, SCENE VI. 55
LÉANDRE
Comment battre un huissier! Mais voici la rebelle.
SCÈNE VI
LÉANDRE, ISABELLE, CHICANNEAU, L'INTIMÉ
L'INTIMÉ, à Isabelle
Vous le reconnoissez.
LÉANDRE
Hé bien, Mademoiselle, 460
C'est donc vous qui tantôt braviez notre officier, Et qui si hautement osez nous délier? Votre nom ?
ISABELLE
Isabelle.
LÉANDRE, à l'Intimé
Écrivez. Et votre âge?
ISABELLE
Dix- huit ans.
CHICANNEAU
Elle en a quelque peu davantage, Mais n'importe.
LÉANDRE
Etes-vous en pouvoir de mari? 463
ISABELLE
Non, Monsieur.
LÉANDRE
Vous riez? Écrivez qu'elle a ri.
miirr-ni-Mit accompagné, qui lui a communiqué la force négatira. — Pas
un est une locvtioa familière qui est synonyme de quelqu'un, un seul.
56 LES PLAIDEURS.
CHICANNEAU
.Monsieur, ne parlons point de maris à des filles : Voyez- vous, ce sont là des secrets de familles.
LÉANDRE
Mettez qu'il interrompt.
CHICANNEAU
Hé ! je n'y pensois pas. Prends bien garde, ma fille, à ce que tu diras. 470
LÉANDRE
Là, ne vous troublez point. Répondez à votre aise. On ne veut pas rien1 faire ici qui vous déplaise. N'avez-vous pas reçu de l'huissier que voilà Certain papier tantôt ?
ISABELLE
Oui, Monsieur.
CHICANNEAU
Bon cela.
LÉANDRE
Avez-vous déchiré ce papier sans le lire ? 475
ISABELLE
Monsieur, je l'ai lu.
CHICANNEAU
Bon.
LÉANDRE
Continuez d'écrire.
Et pourquoi l'avez-vous déchiré?
\. Voyez ci-dessus la note au vers 258. — Rien n'est pas négatif; il si-
rniiïe quelque chose.
ACTE II, SCENE VI. 57
ISABELLE
J'avois peur Que mon père ne prît l'affaire trop à cœur, Et qu'il ne s'échauffât le sang à sa lecture.
CHICANNEAU.
Et tu fuis les procès? c'est méchanceté1 pure. 480
LÉANDRE
Vous ne l'avez donc pas déchiré par dépit,
Ou par mépris de ceux qui vous l'avoient écrit?
ISABELLE
Monsieur, je n'ai pour eux ni mépris ni colère.
LÉANDRE
Écrivez.
CHICANNEAU
Je vous dis qu'elle tient de son père : Elle répond fort bien.
LÉANDRE
Vous montrez cependant 485
Pour tous les gens de robe un mépris évident.
ISABELLE
Une robe toujours m'avoit choqué la vue; Mais cette aversion à présent diminue.
CHICANNEAU
La pauvre enfant! Va, va, je te marîrai bien,
Dès que je le pourrai, s'il ne m'en coûte rien. 490
4. C'est-à-dire : c'est une action indigne, une mauvaise, une méchante action. — Méchanceté a donc ici son sens étymologique ; ce mot vient du vieux verbe français méehoir qui signifie mal tomber, mat réussir.
58 LES PLAIDEURS.
LÉANDRE
A la justice donc vous voulez satisfaire ?
ISABELLE
xMonsieur, je ferai tout pour ne pas vous déplaire.
l'intimé Monsieur, faites signer.
LÉANDRE
Dans les occasions Soutiendrez- vous au moins vos dépositions?
ISABELLE
Monsieur, assurez-vous qu'Isabelle est constante1. 495
LÉANDRE
Signez. Cela va bien : la justice est contente. Çà, ne signez-vous pas, Monsieur?
CHICANNEAU
Oui-da, gaîment, A tout ce qu'elle a dit, je signe aveuglément.
LÉANDRE, à Isabelle
Tout va bien. A mes vœux le succès2 est conforme :
Il signe un bon contrat écrit en bonne forme, 500
Et sera condamné tantôt sur son écrit.
CHICANNEAU
Que lui dit-il? Il est charmé de son esprit.
1. Constante est le tonne propre, parce que ce mot répond à des idées et à des sentiments à peine voilés dans cet ingénieux interrogatoire. — Remarquez l'emploi de s'assurer dans le sens de avoir la certitude, la confiance.
2. Sticcès, dans le sens de issue, résultat. — « J'en veux voir le succès. » (Molière.)
ACTE II, SCÈNE VII. 59
LÉANDRE
Adieu. Soyez toujours aussi sage que belle :
Tout ira bien. Huissier, ramenez-la chez elle. 505
Et vous, Monsieur, marchez.
CHICANNEAU
Où, Monsieur?
LÉANDRE
Suivez-moi.
CHICANNEAU
Où donc?
LÉANDRE
Vous le saurez. Marchez de par le Roi.
CHICANNEAU
Comment?
SCÈNE VII
PETIT JEAN, LÉANDRE, CHICANNEAU
PETIT JEAN
Holà! quelqu'un n'a-t-il point vu mon maître? Quel chemin a-t-il pris? la porte ou la fenêtre?
LÉANDRE
A l'autre!
PETIT JEAN
Je ne sais qu'est devenu son fils; Et pour le père, il est où le diable l'a mis. H me redemandoit sans cesse ses épices ! ;
lu
1. On appelait autrefois épicéa des confitures, des dragées et antre, frian- dises ; il était d'usage d'en offrir des boites aux juges quand un procès était
60 LES PLAIDEURS.
Et j'ai tout bonnement couru dans les offices Chercher la boîte au poivre ; et lui, pendant cela, Est disparu1.
SCENE VIII
DANDIN, LÉANDRE, CH1CANNEÀU, L'INTIMÉ, PETIT JEAN
DANDIN
Paix! paix! que l'on se taise là.
LÉANDRE
Hé! grand Dieu!
PETIT JEAN
Le voilà, ma foi, dans les gouttières2 515
DANDIN
Quelles gens êtes-vous? Quelles sont vos affaires? Qui sont ces gens de robe? Êtes-vous avocats? Çà, parlez.
terminé; ces présents en nature, marque de reconnaissance, se changèrent plus tard en sommes d'argent, sorte de droit prélevé avec plus ou moins de délicatesse sur les plaideurs. Ainsi, dans les marchés, les pots-de-vin, les épingles, ont été remplacés, tout en gardant le même nom, par de l'argent comptant.
1. Les verbes qui peuvent se conjuguer avec deux auxiliaires expriment ordinairement l'action quand ils sont construits avec avoir, et l'état quand ils sont construits avec être. — Mais il ne faut pas oublier que longtemps il y a eu indécision, dans les mêmes sens, sur l'emploi des deux auxiliaires.
2. C'est une imitation d'Aristophane; c'est peut-être aussi un souvenir d'une historiette de Tallemant ; il raconte qu'un conseiller au Parlement de Paris, M. de Portail, s'était retranché dans son grenier, où il avait son cabinet, et donnait delà audience aux gens la tête à la lucarne.
ACTE H, SCÈNE IX. 01
PETIT JEAN
Vous verrez qu'il va juger les chats.
DANDIN
Avez-vous eu le soin de voir mon secrétaire?
Allez lui demander si je sais votre affaire. 520
LÉANDRE.
Il faut bien que je l'aille arracher de ces lieux. Sur votre prsionnier, huissier, ayez les yeux.
PETIT JEAN
Ho ! ho ! Monsieur.
LÉANDRE
Tais-toi, sur les yeux de ta tète, Et suis-moi.
SCENE IX DANDIN, CHICANNËAU, LA COMTESSE, L'INTIMÉ.
DANDIN
Dépêchez, donnez votre requête.
CHIC ANNE AU
Monsieur, sans votre aveu, l'on me fait prisonnier. 523
LA COMTESSE
Hé, mon Dieu! j'aperçois Monsieur dans son grenier. Que fait-il là?
l'intimé
Madame, il y donne audience. Le champ vous est ouvert.
62 LES PLAIDEURS
CHICANNEAU.
On me fait violence, Monsieur; on m'injurie; et je venois ici Me plaindre à vous.
LA COMTESSE
Monsieur, je viens me plaindre aussi. 530
CHICANNEAU ET LA COMTESSE
Vous voyez devant vous mon adverse partie.
l'intimé Parbleu! je me veux mettre aussi de la partie *.
CHICANNEAU, LA COMTESSE ET L'INTIMÉ
Monsieur, je viens ici pour un petit exploit.
CHICANNEAU
Hé! Messieurs, tour à tour exposons notre droit.
LÀ COMTESSE
Son droit? tout ce qu'il dit sont2 autant d'impostures. 535
DANDIN
Qu'est-ce qu'on vous a fait?
CHICANNEAU, L'INTIMÉ ET LA COMTESSE
On m'a dit des injures.
L'INTIMÉ, continuant
Outre un soufflet, Monsieur, que j'ai reçu plus qu'eux.
1. Rime négligée : on ne fait pas rimer des noms ayant une même ori- gine et un sens analogue, à plus forte raison quand ils sont matériellement identiques. De même, plus bas, aux vers 787 et 788, pièces rimant avec pièces est une négligence à peine excusable dans une œuvre légère. — Voy. aussi les vers 779 et 780.
2. Sont : ce pluriel s'explique par une syllepse; tout ce équivalant, dans la pensée de la comtesse, à toutes les choses.
ACTE II, SCÈNE IX. C3
CHICANNEAU .Monsieur, je suis cousin de l'un de vos neveux.
LA COMTESSE
Monsieur, père Cordon vous dira mon affaire.
l'intimé Monsieur, je suis bâtard de votre apothicaire. 540
DANDIN
Vos qualités?
LA COMTESSE
Je suis comtesse.
l'intimé
Huissier.
CHICANNEAU
Bourgeois. Messieurs...
DANDIN
Parlez toujours : je vous entends tous trois.
CHICANNEAU
Monsieur....
l'intimé
Bon! le voilà qui fausse compagnie1.
LA COMTESSE
Hélas!
CHICANNEAU
Hé quoi? déjà l'audience est finie? Je n'ai pas eu le temps de lui dire deux mots. 545
1. Fausser compagnie, se dérober à une compagnie, la tromptr dans son attente en la quittant (du latin fallere, falsus).
(34 LES PLAIDEURS.
SCÈNE X
CHICANNEAU ; LÉANDRE , sans robe, etc. LÉANDRE
Messieurs, voulez-vous bien nous laisser en repos?
CHICANNEAU
Monsieur, peut-on entrer ?
LÉANDRE
Non, Monsieur, ou je meure!
CHICANNEAU
Hé, pourquoi? J'aurai fait en une petite heure, En deux heures au plus.
LÉANDRE
On n'entre point, Monsieur.
LA COMTESSE
C'est bien fait de fermer la porte à ce crieur '. 550
Mais moi....
LÉANDRE
L'on n'entre point, Madame, je vous jure.
LA COMTESSE
Ho ! Monsieur, j'entrerai.
1. Nous croirions volontiers que la comtesse prononçait crieu. Toutefois, la rime peut bien ici, comme aux vers 389 et 390, 737 et 738, n'être pas à exacte.
(Les Grands Écrivains de la France, J. Racine. Note des éditeurs.)
ACTE II, SCENE XI. 05
LÉANDRE
Peut-être.
LA COMTESSE
J'en suis sûre.
LÉANDRE
Par la fenêtre donc.
LA COMTESSE
Par la porte.
LÉANDRE
Il faut voir.
CHICANNEAU
Quand je devrois ici demeurer jusqu'au soir.
SCENE XI
PETIT JEAN, LÉANDRE, CHICANNEAU, etc.
PETIT JEAN, à Léandre
On ne l'entendra pas, quelque chose qu'il fasse, 555
Parbleu! je l'ai fourré dans notre salle basse, Tout auprès de la cave.
LÉANDRE
En un mot comme en cent, On ne voit point mon père.
CHICANNEAU
Hé bien donc. Si pourtant1
1. Vovoz la note au vfrs 197. — Stir, au vers suivant, au sujet de... LES PLAIDEURS. 5
66 LES PLAIDEURS.
Sur toute cette affaire il faut que je le voie.
(Dandin paroit par le soupirail).
Mais que vois-je? Ah! c'est lui que le ciel nous renvoie 560
LÉANDKE
Quoi? par le soupirail?
PETIT JEAN
Il a le diable au corps,
CHICANNEAU
Monsieur....
DANDIN
L'impertinent1! Sans luij'étois dehors.
CHICANNEAU
Monsieur....
DANDIN
Retirez-vous, vous êtes une bête
CHICANNEAU
Monsieur, voulez-vous bien....
DANDIN
Vous me rompez la tête.
CHICANNEAU
Monsieur, j'ai commandé....
DANDIN
Taisez-vous, vous dit-on. 565
CHICANNEAU
Que l'on portât chez vous....
1. C'est le sens primitif et véritable du mot impertinent : qui agit ou qui parle mal à propos.
ACrtî II, SCÈNE XI. C7
DANDIN
Qu'on le mène en prison.
CHICANNEAU
Certain cartaut1 de vin.
DANDIN
Hé! je n'en ai que faire2.
CHICANNEAU
C'est de très-bon muscat.
DANDIN
Redites votre affaire.
LÉANDRE, à l'Intimé
Il faut les entourer ici de tous côtés.
LA COMTESSE
Monsieur, il vous va dire autant de faussetés. 570
CHICANNEAU
Monsieur, je vous dis vrai.
DANDIN
Mon Dieu, laissez-la dire>
LA COMTESSE
Monsieur, écoutez-moi.
DANDIN
Souffrez que je respire,
CHICANNEAU
Monsieur....
1. Cartaut est l'orthographe des éditions publiées du vivant de Racine. L'Académie (1694) et Furetière (1690) écrivent quarlaud, quartaut.
(Note des éditeurs de Racine, Les Grand» Écrivains.)
2. Pur latinisme devenu une expression très frauçaise.
C8 LES PLAIDEURS.
DANDIN
Vous m'étranglez.
LA COMTESSE
Tournez les yeux vers moi.
DANDIN
Elle m'étrangle.... Ay! ay!
CHICANNEAU
Vous m'entraînez, ma foi Prenez garde, je tombe.
PETIT JEAN
Ils sont, sur ma parole, 575
L'un et l'autre encavés1.
LÉANDRE
Vite, que l'on y vole : Courez à leur secours. Mais au moins je prétends Que Monsieur Chicanneau, puisqu'il est là dedans, M'en sorte d'aujourd'hui. L'Intimé, prends-y garde.
l'intimé Gardez le soupirail.
LÉANDRE
Va vite : je le garde. 5S0
1. Expression plaisamment détournée de son acception ordinaire : elle ne 'applique qu'aux boissons mises en cave.
ACTE II, SCÈNE XII. 60
SCÈNE XII LA COMTESSE, LÉANDRE
LA COMTESSE
Misérable! il s'en va lui prévenir l'esprit.
(Par le soupirail.)
Monsieur, ne croyez rien de tout ce qu'il vous dit ; 11 n'a point de témoins : c'est un menteur.
LÉANDRE
Madame, Que leur contez-vous1 là? Peut-être ils rendent l'âme.
LA COMTESSE
Il lui fera, Monsieur, croire ce qu'il voudra. 585
Souffrez que j'entre.
LÉANDRE
Oh non ! personne n'entrera.
LA COMTESSE
Je le vois bien, Monsieur, le vin muscat opère
Aussi bien sur le fils que sur l'esprit du père.
Patience! je vais protester comme il faut
Contre Monsieur le juge et contre le cartaut. 590
1. Conter, terme familier que l'on emploie dans la colère ou par mépris pour signifier : dire des choses inutiles, banales, fausses. — Ce même mot, dans un ordre d'idées tout différent, appartient au style noble et poétique.
Ariane aux rochers contant ses injustices.
(Racine.)
70 LES PLAIDEURS.
LÉANDRE
Allez donc, et cessez de nous rompre la tête. Que de fous! Je ne fus jamais à telle fête.
SCENE XIII DANDIN, L'INTIMÉ, LÉANDRE
l'intimé
Monsieur, où courez-vous? C'est vous mettre en danger, Et vous boitez tout bas1.
DANDIN
Je veux aller juger.
LÉANDRE
Comment, mon père? Allons, permettez qu'on vous panse. 595 Vite, un chirurgien2.
DANDIN
Qu'il vienne à l'audience.
LÉANDRE
Hé ! mon père, arrêtez....
DANDIN
Ho ! je vois ce que c'est : Tu prétends faire ici de moi ce qui te plaît ; Tu ne gardes pour moi respect ni complaisance : Je ne puis prononcer une seule sentence. 600
i. Tout bas, dans le sens de beaucoup.
2. Construction elliptique très fréquente et qui s'explique facilement : Vile, qu'un chirurgien vienne.
ACT1-; il, SCÈNE \lli. 71
Achève, prends ce sac, prends vite1.
LÉANDRE
Hé ! doucement, Mon père, 11 faut trouver quelque accommodement. Si pour vous, sans juger, la vie est un supplice, Si vous êtes pressé de rendre la justice, Il ne faut point sortir pour cela de chez vous : 605
Exercez le talent, et jugez parmi nous -.
DAXDIN
Ne raillons point ici delà magistrature :
Vois-tu? je ne veux point être un juge en peinture3.
LÉANDRE
Vous serez, au contraire, un juge sans appel,
Et juge du civil comme du criminel. 610
Vous pourrez tous les jours tenir deux audiences :
Tout vous sera chez vous matière de sentences.
Un valet manque-t-il de rendre un verre net,
Condamnez-le à l'amende; ou^il le casse au fouet4.
1. Encore une de ces parodies qui, malgré leur innocence, blessaient Corneille; celui-ci avait dit dans le Cid :
Achève, et prends ma vie après un tel affront.
(Vers 227.)
2. Dans les Guêpes d'Aristophane, Bdélycléon dit de même à son père : « Eh bien ! puisque ce sont là tes délices, ne sor3 pas d'ici ; reste dans la maison et juge tes serviteurs. » (Vers 783-785.) « Exercez le talent » est un peu vague.
3. Expression vive et familière qui oppose fortement l'image à la réalité, la vaine représentation d'une chose à cette chose même.
4. L'e muet du pronom le est élidé; on en trouve des exemples dans Molière.
Mais, mon petit Monsieur, prenez-le un peu moins haut !
(Vers 399 du Misanthrope).
Cette licence n'est guère admissible que dans la comédie. — Levers 017 offre une césure assez irrégulière qu'il est bon de noter dans la versifica- tion si sévère de Racine.
72 LES PLAIDEURS.
DAN'DIN
C'est quelque chose. Encor passe quaud on raisonne. 615 Et mes vacations, qui les paîra? Personne?
LÉANDRE
Leurs gages vous tiendront lieu de nantissement.
DANDIN
11 parle, ce me semble, assez pertinemment*.
LÉANDRE
Contre un de vos voisins....
SCÈNE XIV
DANDIN, LÉANDRE, L'INTIMÉ, PETIT JEAN
PETIT*JEAN
Arrête ! arrête ! attrape !
LÉANDRE
Ah ! c'est mon prisonnier, sans doute, qui s'échappe ! 620
l'intimé Non, non, ne craignez rien.
PETIT JEAN
Tout est perdu.... Citron.... Voire chien... vient là-bas de manger un chapon. Rien n'est sûr devant lui : ce qu'il trouve il l'emporte.
LÉANDRE
Bon ! voilà pour mon père une cause. Main-forte!
4. Voyez la note au vers 562 en ce qui concerne impertinent.
ACTE 11, SCENE XIV. 73
Qu'on se mette après lui1. Courez tous.
DÂNDIN
Point de bruit, 625 Tout doux. Un amené8 sans scandale suffit.
LÉANDRE
Çà, mon père, il faut faire un exemple authentique : Jugez sévèrement ce voleur domestique.
DANDIN
Mais je veux faire au moins la chose avec éclat.
Il faut de part et d'autre avoir un avocat ;
Nous n'en avons pas un. 630
LÉANDRE
Hé bien ! il en faut faire. Voilà votre portier et votre secrétaire : Vous en ferez, je crois, d'excellents avocats ; Ils sont fort ignorants.
l'intimé
Non pas, Monsieur, non pas. J'endormirai Monsieur tout aussi bien qu'un autre. 635
PETIT JEAN
Pour moi, je ne sais rien; n'attendez rien du nôtre3.
LÉANDRE
C'est ta première cause, et l'on te la fera.
1. Après lui, à sa poursuite. Cette proposition est aujourd'hui, dans ce sens, du style familier; on la trouve fréquemment au dix-septième siècle, même dans les tragédies. — Tout ce passage est imité d'Aristophane [Guêpe», vers 854-859).
2. Terme de procédure signifiant un ordre d'amener devant le tribunal, c'est-à-dire un ordre d'arrêter un coupable.
3. Du nôtre, c'est-à-dire de nous. Les pronoms possessifs le mien, le tien, le sien, etc., employés d'une manière absolue, signifient : le fonds, les ressources, le bien de chaque personne, et, par suite, la personne elle-
li LES PLAIDEURS.
PETIT JEAN
Mais je ne sais pas lire.
LÉANDRE
Hé! l'on te soufflera1.
DANDIN
Allons nous préparer. Çà, Messieurs, point d'intrigue ! Fermons l'œil aux présents, et l'oreille à la brigue. 640 Vous, maître Petit Jean, serez le demandeur ; Vous, maître l'Intimé, soyez le défendeur.
I. Après ce vers, l'édition de 1669 porte ces vers, retranchés plus tard par Racine.
Petit-Jean. Je vous entends, oui; mais d'une première cause, Monsieur, à l'avocat revient-il quelque chose ?
Léandre. Ah, fi! Garde-toi bien d'en vouloir rien toucher : C'est la cause d'honneur, on l'achète bien cher. On sème des billets par toute la famille; Et le petit garçon et la petite fille, Oncle, tante, cousins, tout vient, jusques au chat, Dormir au plaidoyer de Monsieur l'avocat.
Dandin. Allons nous préparer, etc., etc.
ACTE III
SCENE PREMIÈRE CH1CANNEAU, LÉANDRE, LE SOUFFLEUR
CH ICANN EAU
Oui, Monsieur, c'est ainsi qu'ils ont conduit l'affaire. L'huissier m'est inconnu, comme le commissaire. Je ne mens pas d'un mot.
LÉANDRE
Oui, je crois tout cela ; 645 Mais si vous m'en croyez, vous les laisserez là. Eu vain vous prétendez les pousser l'un et l'autre, Vous troublerez bien moins leur repos que le vôtre. Les trois quarts de vos biens sont déjà dépensés A faire enfler des sacs l'un sur l'autre entassés ; 650
Et dans une poursuite à vous-même contraire1....
1. Var. Et dans une poursuite à vous-même funeste, Vous en voulez encore absorber tout le reste. Ne vaudroit-il pas mieux, sans soucis, sans chagrins, Et de vos revenus régalant vos voisins, Vivre en père jaloux du bien de sa famille, Pour en laisser un jour le fonds à votre fille, Que de nourrir un las d'officiers affamés
7b LES PLAIDEURS.
CHICANNEAU
Vraiment, vous me donnez un conseil salutaire,
Et devant1 qu'il soit peu je veux en profiter,
Mais je vous prie au moins de bien solliciter.
Puisque Monsieur Dandiu va donner audience, 655
Je vais faire venir ma fille en diligence.
On peut l'interroger, eile est de bonne foi ;
Et même elle saura mieux répondre que moi.
LEANDRE
Allez et revenez : l'on vous fera justice.
LE SOUFFLEUR
Quel homme !
SCÈNE II LÉANDRE, LE SOUFFLEUR
LÉANDRE
Je me sers d'un étrange artifice ; 6G0
Mais mon père est un homme à se désespérer,
Qui moissonnent les champs que vous avez seme's;
Dont la main toujours pleine, et toujours indigente.
S'engraisse impune'raent de vos chapons de rents?
Le beau plaisir d'aller, tout mourant de sommeil,
A la porte d'un juge attendre son réveil,
Et d'essuyer le vent qui vous souffle aux oreilles,
Tandis que Monsieur dort, et cuve vos bouteilles!
Ou bien, si vous entrez, de passer tout un jour
A compter, en grondant, les carreaux de sa cour!
Hé! Monsieur, croyez-moi, quittez cette misère. Chic. [Vraiment, vous me donnez un conseil salutaire.] (1669) Racine, qui ne prétendait écrire qu'une plaisante satire, aura sans doute jugé que ces vers étaient d'un ton trop élevé.
1. Aujourd'hui, nous distinguons avant de devant; la première de ces prépositions s'applique au temps, la seconde à l'espace. Il n'en était pas
ACTE III, SCÈNE III. 77
Et d'une cause en l'air il le faut bien leurrer1. D'ailleurs j'ai mon dessein, et je veux qu'il condamne Ce fou qui réduit tout au pied de la chicane2. Mais voici tous nos gens qui marchent sur nos pas. 065
SCENE III
DANDIN, LÉANDRE, L'INTIMÉ, PETIT JEAN, LE SOUFFLEUR
DANDIN
Cà, qu'êtes-vous ici ?
LÉANDRB
Ce sont les avocat?.
DANDIN
Vous?
LE SOUFFLEUR
Je viens secourir leur mémoire troublée.
DANDIN
Je vous entends. Et vous ?
LÉANDRE
Moi ? Je suis l'assemblée
ainsi au dfx-septième siècle. — Vaugelas admettait également avant qw et devant que, en remarquant néanmoins que avant que était « plus de la cour et plus en usage ».
1. Une cause en l'air, c'est-à-dire sans réalité; en l'air se dit, dans un sens figuré, de tout ce que l'on voit dans l'espace, dans le vague, enima- gination : une Iris en l'air; des craintes en l'air. — Leurrer était pri- mitivement un terme de vénerie qui signifiait élever des oiseaux de pro'« au leurre, à Yappât : de là, prendre ou flatter par un appât quelconq^ tromper.
2. Au pied de ... réduire tout à cette mesure; — le pied était la mesure généralement usitée avant l'adoption du mètre.
78 LES PLAIDEURS
DANDIN
Commencez donc.
LE SOUFFLEUR
Messieurs....
PETIT JEAN
Oh ! prenez-le plus bas : Si vous soufflez si haut, l'on ne m'entendra pas. 670
Messieurs....
DANDIN
Couvrez- vous.
PETIT JEAN
Oh! Mes...
DANDIN
Couvrez-vous, vous dis-je.
PETIT JEAN
Oh! Monsieur, je sais bien à quoi l'honneur m'oblige1.
DANDIN
Ne te couvre donc pas.
PETIT JEAN, se couvrant
Messieurs.... Vous, doucement; Ce que je sais le mieux, c'est mon commencement. Messieurs, quand je regarde avec exactitude 675
L'inconstance du monde et sa vicissitude ; Lorsque je vois, parmi tant d'homme* différents, Pas une étoile fixe, et tant d'astres errants; Quand je vois les Césars, quand je vois leur fortune; Quand je vois le soleil, et quand je vois la lune ; 680
1. Il devrait savoir aussi que les avocats ont coutume de se couvrir;» mais Petit Jean fait ses débuts et il ignore bien des choses.
ACTE III, SCÈNE III. 70
Quand je vois les États des Babiboniens*
Transférés des Serpans aux Nacédoniens; Quand je vois les Lorrains, de l'état dépotique, Passer au démociite, et puis au monarchique; Quand je vois le Japon....
l'intimé
Quand aura-t-il tout vu ? 685
petit JEAN
Oh ! pourquoi celui-là m'a-t-il interrompu ! Je ne dirai plus rien.
DANDIN
Avocat incommode, Que ne lui laissez-vous finir sa période ? Je suois sang et eau, pour voir si du Japon 11 viendroit à bon port au fait de son chapon, G90
Et vous l'interrompez par un discours frivole. Parlez donc, avocat.
PETIT JEAN
J'ai perdu la parole.
LÉANDRE
Achève, Petit Jean : c'est fort bien débuté.
Mais que font là tes bras pendants à ton côté ?
Te voilà sur tes pieds droit comme une statue. G95
Dégourdis-toi. Courage ! allons qu'on s'évertue2.
PETIT JEAN, remuant les bras
Quand.... je vois.... Quand.... je vois....
i. Babyloniens, dans les trois vers suivants, les noms propres sont éga- lement estropiés; lisez : Persans, Macédoniens, Romains et les adjectifs despotique et démocratique.
2. S'évertuer, faire des efforts, déployer du zèle, se donner du mouve- ment. (Du latin, virtus, force, puissance.)
M) |
||
t. .. |
||
\\ |
||
. |
||
■ |
ACTE III, ^ENE III.
LE SOUFFLEUR
PETIT JEAN
81
Encor !
Le chien !
vocal !
LE SOUFFLEUR PEUT JEAN
Le chien....
LE SOUFFLEUR
Le butor !
PETIT JEAN LE SOUFFLEUR
Le butor. ..
Ali ! peste de loi-même !
mtre avec sa face '1'- c irême ! 'i diable !
DAMDIM
El rou s, venez au fait Un mot 705
I) ait.
PU JEAN
faut-il taui tourner autour du pot ?
'I m' font dire aussi des mots longs d'une toise,
l >rbineli, toofle m
y ne n'en ^nis pas Moreira.
• I!. Il':.
• rur ha. h ippe. P Oui Paoi .il'., i-.. - i '•■m i
II.) Le v.il.'t, 0MMM "ii \.>il,
qu'on lui donne '!«■ fuir, m lien de prendre la Mfc
m G uieZé 8
80 LES PLAIDEURS.
LÉANDRE
Dis donc ce que tu vois,
PETIT JEAN
Oh dame ! on ne court pas deux lièvres à la fois.
LE SOUFFLEUR
On lit....
PETIT JEAN
On lit
LE SOUFFLEUR
Dans la....
PETIT JEAN
Dans la....
LE SOUFFLEUR
Métamorphose....
PETIT JEAN
Comment ?
LE SOUFFLEUR
Que la métcm....
PETIT JEAN
Que la métem....
LE SOUFFLEUR
psycose.... 700
PETIT JEAN
Psycose....
LE SOUFFLEUR
Hé ! le cheval !
PETIT JEAN
Et le cheval'....
1. Cette plaisanterie est en germe dans cette comédie de Cyrano, le Pédant joué, d'où Molière a tiré deux des meilleurs scènes des Fourbe-
ncor... .
Le chien !
'este de l'avocat !
ACTE III, SCENE III. LE SOUFFLEUR
PETIT JEAN
LE SOUFFLEUR
PETIT JEAN
Le chien... ,
LE SOUFFLEUR
Le butor !
PETIT JEAN
LE SOUFFLEUR
PETIT JEAN
81
Encor !
Le butor..
Ah ! peste de toi-même ! /oyez cet autre avec sa face de carême ! /a-t'en au diable !
DANDIN
Et vous, venez au fait. Un mot Du fait.
PETIT JEAN
Hé ! faut-il tant tourner autour du pot 1 î!s me font dire aussi des mots longs d'une toise,
705
ries de Scapin. Voici le passage : « PaqdibR. Corbinelli, souffle-mov. — Coi'.dinelli, bas. Non, monsieur, je ne m'en suis pas souvenu. — Paquirr. Non, monsieur, je ne m souvenu — Granger. He,
maraut! ton sang me vengera de la perfidie. Il tire l'épée sur lui. — Corbinelli. Fuis-t'en donc, de peur qu'il ne te frappe. — Paqi'ikr. Cela est-il de mon rôle? — CORBIHBLLI. Oui. — Paqlier. Fuis-t'en donc, de peur qu'il ne te frappe, t. (Acte V, scène il.) Le valet, comme on voit, répète le conseil qu'on lui donne de fuir, au lieu de prendre la fuite. C'est la iuèiiic situation et la inëuic méprise (TOC dans Racine.
(Note de M. Géruzcz. LKS PLAID h l l. 6
80 |
LES PLAIDEUhS. LÉANDRE |
||||||||
Dis |
donc |
ce |
que |
tu voii |
PETIT JEAN
Oh dame ! on ne court pas deux lièvres à la fois.
LE SOUFFLEUR
On lit....
PETIT JEAN
On lit.
Comment ?
LE SOUFFLEUR
Dans la....
PETIT JEAN
Dans la.
LE SOUFFLEUR PETIT JEAN
Métamorphose.
LE SOUFFLEUR
Que la mélem....
PETIT JEAN
Que la métem....
LE SOUFFLEUR
psycose.... 70
T'svcose....
PETIT JEAN LE SOUFFLEUR
Hé ! le cheval !
PETIT JEAN
Et le cheval'...
1. Cette plaisanterie est en germe dans cette comédie de Cyrano, 'h Pédant joué, d'où Molière a tiré deux des meilleurs scènes des Fourbe
ACTE III, SCENE III. 81
LE SOUFFLEUR
Encor !
PETIT JEAN
Encor....
LE SOUFFLEUR
Le chien !
PETIT JEAN
Le chien...,
LE SOUFFLEUR
Le butor !
PETIT JEAN
Le butor..
Peste de l'avocat !
LE SOUFFLEUR
PETIT JEAN
Ah ! peste de toi-même ! Voyez cet autre avec sa face de carême ! Va-t'en au diable !
DANDIN
Et vous, venez au fait. Un mot 705
Du fait.
PETIT JEAN
Hé ! faut-il tant tourner autour du pot ? Ils me font dire aussi des mots longs d'une toise,
ries de Scapin. Voici le passage : « PaquieR. Corbinelli, souffle-moy. — Corbinelli, bas. Non, monsieur, je ne m'en suis pas souvenu. — Paquif.r. Non, monsieur, je ne m'en suis pas souvenu — Granger. He, marant! ton sang me vengera do la perfidie. Il tire l'épée sur lui. — Corbinelli. Fuis-t'en donc, de peur qu'il ne te frappe. — Paqlier. Cela est-il de mon rôle? — Corbinelli. Oui. — Paquier. Fuis-t'en donc, de peur qu'il ne té frappe, r. (Acte V, scène il.) Le valet, comme on voit, répète le conseil qu'on lui donne de fuir, au lieu de prendre la fuite. C'est fa même situation et la môme méprise que dans Racine.
(Note de M. Ge'ruzez.
Les plaidei r 6
82 LES PLAIDEURS.
De grands mots qui tiendroient d'ici jusqu'à Pontoise.
Pour moi, je ne sais point tant faire de façon
Pour dire qu'un mâtin vient de prendre un chapon. 710
Tant va1 qu'il n'est rien que votre chien ne prenne;
Qu'il a mangé là-has un bon chapon du Maine;
Que la première fois que je l'y trouverai,
Son procès est tout fait, et je l'assommerai.
LÉANDRE
Belle conclusion, et digne de l'exorde ! 715
PETIT JEAN
On l'entend bien toujours. Qui voudra mordre y morde2
DÀNDIN
Appelez les témoins.
LÉANDRE
C'est bien dit, s'il le peut : Les témoins sont fort chers, et n'en a pas qui veut.
PETIT JEAN
Nous en avons pourtant, et qui sont sans reproche.
DANDIN
Faites-les donc venir.
PETIT JEAN
Je les ai dans ma poche. 720
Tenez : voilcà la tète et les pieds du chapon. Voyez-les, et jugez.
l'intimé
Je les récuse.
DANDIN
Bon! Pourquoi les récuser ?
1. Tant y a locution familière signiflanl ce qui est certain, c'est
que quoi qu'il en soit.
-2. Encore une locution familière où l'cllii>se s'explique facilement.
acte iii, scene iii. 83
l'intimé Monsieur, ils sont du Maine*.
DANDIN
Il est vrai que du Mans il en vient par douzaine.
l'intime Messieurs....
DANDIN
Serez-vous long, avocat? dites-moi. 7'25
l'intimé Je ne réponds de rien.
DANDIN
Il est de bonne foi.
L'INTIMÉ, d'un ton finissant en fausset.
Messieurs, tout ce qui peut étonner un coupable,
Tout ce que les mortels ont de plus redoutable,
Semble s'être assemblé contre nous par liasar5 :
Je veux dire la brigue et l'éloquence3. Car 730
D'un côté le crédit du défunt m'épouvante;
Et de l'autre côté l'éloquence éclatante
De maître Petit Jean m'éblouit.
1. La bonne foi des Manceaux avait déjà été mise en doute par Rabelais; l'auteur du Pantagruel nous peint (liv. V, ch. xxxi) un grand nombre de bonsestudians, Percherons et Manceaux, qui apprennent à estre témoïngs.
2. Racine a écrit husar sans d pour les besoins de la rime; on ne saurait le blâmer de cette licence dans un morceau aussi plaisant. — Car, après un point, à la fin du vers, contribue au fausset de l'Intimé.
3. « Quae res in civitate duae plurimum possunt, lise contra nos ambse faciunt in hoc tenipore, summa gratia- et eloquentia... » (Cicéron, Pro Quintto). — On voit que Corneille n'était pas seul parodia. Peut-être même la plaisanterie de Racine atteint-elle dans ce cas d'autres que Cicéron; cette imitation prétentieuse et déplacée d un exorde latin était attribuée à desa ocau contemporains.
84 LES PLAIDEURS.
DANDIN
Avocat, De votre ton vous-même adoucissez l'éclat.
L'INTIMÉ, du beau ton.
Oui-da, j'en ai plusieurs.... Mais quelque défiance 735
Que nous doive donner la susdite éloquence,
Et le susdit crédit, ce néanmoins, Messieurs,
L'ancre de. vos bontés nous rassure d'ailleurs1.
Devant le grand Dandin l'innocence est hardie ;
Oui, devant ce Calon de basse Normandie, 740
Ce soleil d'équité qui n'est jamais terni :
Victri.r causa diis placuit, sed vicia Catoni*.
DANDIN
Vraiment, il plaide bien.
l'intimé
Sans craindre aucune chose, Je prends donc la parole, et je viens à ma cause. Aristote, primo, péri Politicon, 745
Dit fort bien....
,DANDIN
Avocat, il s'agit d'un chapon, Et non point d' Aristote et de sa Politique.
l'intimé
Oui; mais l'autorité du Péripatétique 3 Prouveroit que le bien et le mal....
DANDIN
Je prétends Ou Aristote n'a point d'autorité céans. lôo
Au fait.
1. Voy. la note au vers 550.
2. Lucain (Pharsalr, liv. I. vers 128).
3. C'est-à-dire d' Aristote, le chef de l'école péripatéticithnt.
ACTE ni, SCÈNE III. 85
l'intimé Pausanias, en ses Corinthiaques....
DANDIN
Au fait.
l'intimé Rebuffe....
DANDIN
Au fait, vous dis-je.
l'intimé
Le grand Jacques1....
DANDIN
Au fait, au fait, au fait.
l'intimé Armeno Pul, In Prompt2....
DANDIN
Ho! je te vais juger.
l'intimé
Ho! vous êtes si prompt!
(Vite.)
Voici le fait. Un chien vient dans une cuisine ; 755
Il y trouve un chapon, lequel a bonne mine.
Or celui pour lequel je parle est affamé;
Celui contre lequel je parle autem plumé;
Et celui pour lequel je suis prend en cachette
Celui contre lequel je parle. L'on décrète : 760
On le prend. Avocat pour et contre appelé;
1. Pausanias est un historien grec du second siècle; Rebuffe, juriscon- sulte français, vécut dans la première moitié du seizième siècle. — Quant au Grand Jacques, c'est peut-être le Toulousain Jacques Cujas (15201590).
2. Armeno Pul est l'orthographe adoptée du temps de Racine. Il l'agif d'un jurisconsulte grec, Harmenopoulos.qui vivait au quatorzième siècle et dont le manuel a été traduit en latin sous le titre de : Promptuarium jitris rivilis.
86 LES PLAIDEURS.
Jour pris. Je dois parler, je parle, j'ai parlé.
DANDIN •
Ta, ta, ta, ta. Voihà bien instruire une affaire !
Il dit fort posément ce dont on n'a que faire1
Et court le grand galop quand il est à son fait. 765
l'intimé
Mais le premier, Monsieur, c'est le beau.
DANDIN
C'est le laid. A-t-on jamais plaidé d'2une telle méthode? Mais qu'en dit l'assemblée?
LÉANDRE
Il est fort à la mode.
L'INTIMÉ, d'un ton véhément
Qu'arrive-t-il, Messieurs? On vient. Comment vient-on?
On poursuit ma partie. On force une maison. 770
Quelle maison? maison de notre propre juge!
On brise le cellier qui nous sert de refuge!
De vol, de brigandage on nous déclare auteurs!
On nous traîne, on nous livre à nos accusateurs,
A Maître Petit Jean, Messieurs. Je vous atteste : 775
Qui ne sait que la loi Si quis canis, Digeste,
De Vif paragrapho, Messieurs, Caponibus3,
4. Construction toule latine, qui sert aussi en français à exprimer unj interrogation indirecte; quey signifie quoi (en latin quid et le subjonctif).
2. Remarquons, une fois pour toutes, que la préposition de s'employait fréquemment au dix-septième siècle dans le sens de : par, avec, au moyen de et même à cause de.
3. Le Digeste, recueil des décisions des jurisconsultes, a été rédigé par l'ordre de Justiniea : il va sans dire qu'on n'y trouve pas citée la loi Si quis canis et que le paragraphe des chapons n'y existe pas plus que celui des chapeaux dans Arislote
ACTE m, SCENE III. N7
Est manifestement contraire à cet abus?
Et quand il seroit vrai que Citron, ma partie,
Auroit mangé, Messieurs, le tout, ou bien partie 780
Dutlil chapon : qu'on mette en compensation
Ce que nous avons fait avant cette action.
Quand ma partie a-t-elle été réprimandée?
Par qui votre maison a-t-elle été gardée?
Quand avons-nous manqué d'aboyer au larron1? 785
Témoin trois procureurs, dont icelui Citron
A déchiré la robe. On en verra les pièces
Pour nous justifier, voulez-vous d'autres pièces
PETIT JEAN
Maître Adam....
l'intimé
Laissez-nous.
PETIT JEAN ;
L'Jntimé....
l'intimé
Laissez-nous.
PETIT JEAN
S'enroue3,
1. 'Vy/Oô; •'Jj.'j ètti x«l &»xet tous ajzvj;... .. Toï ?: so aà/ et'/', xcù fiA&rcEi tîjn Sôçav.
(Guêpes, p. 971 et 97G.)
2. Voir la note au vers 53-2; notez aussi la rime Je partie avec partie au vers 780.
3. La phrase, deux fois interrompue, de Petit-Jean paraît devoir être lue de suite : « Maître Adam l'Intimé s'enroue. » Ce nom d'Adam n'est donné à l'Intimé dans aucun autre passage de la pièce. Nous hasarderons cette explication : Petit-Jean, qui veut appeler l'Intimé maître, de même que celui-ci l'a appelé maître Petit-Jean, et qui ne connaît d'autre maître que maître Adam, le poète populaire, ajoute à la qualification de maître le nom d'Adam, comme s'il en était inséparable.
(Les Grands Écrivains de la France. J. Racine. Note des éditeurs.)
Je finis.
L INTIME
DANDIN
Ah!
800
LINTIME
Avant la naissance du monde...
DANDIN, bâillant
Avocat, ah ! passons au déluge.
l'intimé
Avant donc
1. Voilà un mot long d'une toise, fort plaisamment choisi pour signifier: en abrégé. On se trompe parfois sur le sens de ce terme (compendium, abrégé).
2. Nous avons trouvé déjà icelui, au vers 786. Ces vieux mots, que Racine place fort bien dans la bouche de son plaisant avocat, viennent de ce], ieelle, anciens vocables dérivés de eccillum, eceillam.
88 LES PLAIDEURS.
l'intimé Hé! laissez-nous. Euh! euh!
DANDIN
Reposez-vous, 790 Et concluez.
LINTIME, d'un ton pesant
Puis donc, qu'on nous, permet, de prendre, Haleine, et que l'on nous, défend, de nous, étendre, Je vais, sans rien omettre, et sans prévariquer, Compendieusement1 énoncer, expliquer, Exposer, à vos yeux, l'idée universelle 795
De ma cause, et des faits, renfermés, en ieelle2.
DANDIN
Il auroit plus tôt fait de dire tout vingt fois,
Que de l'abréger une. Homme, ou qui que tu sois,
Diable, conclus; ou bien que le ciel te confonde!
Mon i
ACTE III, SCENE III. S!)
La naissance du monde, et sa création,
Le monde, l'univers, tout, la nature entière
Etoit ensevelie au fond de la matière.
Les éléments, le feu, l'air, et la terre, et l'eau, 805
Enfoncés, entassés, ne faisoient qu'un monceau,
Une confusion, une masse sans forme,
Un désordre, un chaos, une cohue énorme :
Unus erat toto naturœ vultus in orbe,
Quem Grœci dixere chaos, rudis indigestaque moles1. 810
Quelle chute! Mon père!
Mon père, éveillez-vous.
Mon père!
LEANDRE PETIT JEAN
Ay! Monsieur. Comme il dort!
LÉANDRE PETIT JEAN
Monsieur, êtes-vous mort?
LÉANDRE DANDIN
Hé bien? hé bien? Quoi? Qu'est-ce? Ah! ah!
[quel homme Certes, je n'ai jamais dormi d'un si bon somme
Mon père, il faut juger.
LEANDRE DANDIN
Aux galères.
1. Ces deux vers appartiennent à Ovide (Métam. I, vers 6 et 7). L'Intimé ajoute au second le mot Grœci; l'hexamètre a ainsi sent pieds, mais n'en puait que plus majestueux à l'orateur. — Après cette citation pompeuse, Dandin, endormi, se laisse tomber.
88 les plaideurs.
l'intimé Hé! laissez-nous. Euh! euh!
DANDIN
Reposez-vous, 790 Et concluez.
LINTIMÉ, d'un ton pesant
Puis donc, qu'on nous, permet, de prendre, Haleine, et que l'on nous, défend, de nous, étendre, Je vais, sans rien omettre, et sans prévariquer, Compendieusement1 énoncer, expliquer, Exposer, à vos yeux, l'idée universelle 795
De ma cause, et des faits, renfermés, en icelle2.
DANDIN
Il auroit plus tôt fait de dire tout vingt fois,
Que de l'abréger une. Homme, ou qui que tu sois,
Diable, conclus; ou bien que le ciel te confonde!
l'intimé Je finis.
DANDIN
Ah!
l'intimé
Avant la naissance du monde.... 800
DANDIN, bâillant
Avocat, ah ! passons au déluge.
l'intimé
Avant donc
1. Voilà un mot long d'une toise, fort plaisamment choisi pour signifier: en abrégé. On se trompe parfois sur le sens de ce terme (compendium, abrégé).
2. Nous avons trouvé déjà icelui, au vers 786. Ces vieux mots, que Racine place fort bien dans la bouche de son plaisant avocat, viennent de tel, icelle, anciens vocables dérivés de eccillum, eccillam.
ACTE III, SCENE III. S!)
La naissance du monde, et sa création,
Le monde, l'univers, tout, la nature entière
Etoit ensevelie au fond de la matière.
Les éléments, le feu, l'air, et la terre, et l'eau, 805
Enfoncés, entassés, ne faisoient qu'un monceau,
Une confusion, une masse sans forme,
Un désordre, un chaos, une cohue énorme :
Unus erat toto naturœ vultus in orbe,
Quem Grœci dixere chaos, rudis indigestaque moles1. 810
LÉ ANDRE
Quelle chute ! Mon père !
PETIT JEAN
Ay! Monsieur. Comme il dort!
LÉANDRE
Mon père, éveillez-vous.
PETIT JEAN
Monsieur, êtes-vous mort?
Mon père
LEANDRE
DANDIN
Hé bien? hé bien? Quoi? Qu'est-ce? Ah! ah!
[quel homme Certes, je n'ai jamais dormi d'un si bon somme.
LÉANDRE
Mon père, il faut juger.
DANDIN
Aux galères.
1. Ces deux vers appartiennent à Ovide (Métam. I, vers 6 et 7). L'Intimé ajoute au second le mot Gi'Kci; l'hexamètre a ainsi sept pieds, mais n'en paraît que plus majestueux à l'orateur. — Après cette citation pompeuse, Dandin. endormi, se laisse tomber.
90 LES PLAIDEURS.
I.ÉANDRE
Un chien 815
Aux galères!
DANDIN
Ma foi! je n'y conçois plus rien : De monde, de chaos, j'ai la tête trouhlée. Hé! concluez.
L'iNTIMÉ, lui présentant de petits chien»
Venez, famille désolée; Venez, pauvres enfante qu'on veut rendre orphelins1 : Venez faire parler vos esprits enfantins. 820
Oui, Messieurs, vous voyez ici notre misère : Nous sommes orphelins ; rendez-nous notre père, Notre père, par qui nous fûmes engendrés, Notre père, qui nous....
DANDIN
Tirez, tirez, tirez2. l'intimé Notre père, Messieurs....
DANDIN
Tirez donc. Quels vacarmes! 825 Ils ont pissé partout.
1. ... t.o'j toc iratà-a;
"AvaÇaîvET*, S vovr^jà, xa! xvu;o'j;a.eva \;.-i~-.i, xivTtSe^eTTe, xaù £axoùeT£.
(Aristophane, Guêpes, v. 995-997.)
Où sont les enfants? Venez, famille désolée, criez, suppliez, versez des larmes.
-2. Tirez, i terme dont on se servait autrefois pour chasser un chien. » (Académie.) On l'a même employé avec des personnes :
Tirez, tirez, vous dis-je, ou bien je vous assomme.
(Molière, l'Étourdi, acte IV, seène VIII.)
acte iii, scene iv. 91
l'intimé
Monsieur, voyez nos larmes ».
DANDIN
Ouf! Je me sens déjà pris de compassion.
Ce que c'est qu'à propos toucher la passion !
Je suis bien empêché2. La vérité me presse ;
Le crime est avéré : lui-même il le confesse. 830
Mais s'il est condamné, l'embarras est égal :
Voilà bien des enfants réduits à l'hôpital.
Mais je suis occupé, je ne veux voir personne.
SCENE IV CH1CANNEAU, ISABELLE, etc.
CHICANNEAU
Monsieur....
DANDIN
Oui, pour vous seuls l'audience se donne3. Adieu. Mais, s'il vous plaît, quel est cet enfant-là? 835
CHICANNEAU
C'est ma fille, Monsieur.
DANDIN
Hé ! tôt, rappelez-la.
1. Var. Ils ont pissé partout.
l'intimé.
Monsieur, ce sont kurs larmes. (1669.)
2. Empêché, c'est-à-dire embarrassé, impedihts.
3. Dandin parle à Petit-Jean et à l'Intimé. — D'autres éditions portent : pour vous seul; il faut supposer alors que le juge s'adresse ironiquement m Chicanneau.
m LES PLAIDEURS.
ISABELLE
Vous êtes occupé.
DANDIN
Moi ! Je n'ai point d'affaire. Que ne me disiez-vous que vous étiez son père ?
CHICA.NNEAU
Monsieur....
DANDIN
Elle sait mieux votre affaire que vous. Dites. Qu'elle est jolie, et qu'elle a les yeux doux ! 840 Ce n'est pas tout, ma fille, il faut de la sagesse. Je suis tout réjoui de voir cette jeunesse. Savez-vous que j'étois un compère autrefois? On a parlé de nous.
ISABELLE
Ah ! Monsieur, je vous crois.
DANDIN
Dis-nous : à qui veux-tu faire perdre la cause ? 845
ISABELLE
A personne.
DANDIN
Pour toi je ferai toute chose. Parle donc.
ISABELLE
Je vous ai trop d'obligation.
DANDIN
N'avez-vous jamais vu donner la question1?
\. Chacun est galant à sa manière. Le divertissement que Dandin offre à Isabelle rappeile celui que Thomas Diafotrus propose à Angélique dans
ACTE III, SCÈNE IV. 93
ISABELLE
Non ; et ne le verrai, que je crois1, de ma vie.
DANOIN
Venez, je vous en veux faire passer l'envie. 850
ISABELLE
Hé! Monsieur, peut-on voir souffrir des malheureux?
DÀNDIN
Bon ! Cela fait toujours passer une heure ou deux.
CHICANNEAU
Monsieur, je viens ici pour vous dire....
LÉANDRE
Mon père, Je vous vais2 en deux mots dire toute l'affaire : C'est pour un mariage. Et vous saurez d'abord 855
Qu'il ne tient plus qu'à vous, et que tout est d'accord. La lille le veut bien ; son amant le respire ; Ce que la fille veut, le père le désire. C'est à vous de juger.
DÀNDIN, se rasseyant.
Mariez au plus tôt : Dès demain, si l'on veut ; aujourd'hui, s'il le faut. 860
Molière : « Je vous invite à venir voir, l'un de ces jours, pour vous diver- tir, la dissection d'une femme. » (Malade imaginaire, acte II, se. VI.) — Notons que le Malade imaginaire parut quatre ans après les Plaideurs, et que la question ne fut abolie qu'à la fin du dix-huitième siècle.
1. Il y a dans ce vers deux ellipses :
Non; et l'y1) ne le verrai, (à ce) que je crois, de ma vie.
— Dans notre vieille langue, on omettait volontiers ce devant que, et le conjonctif s'employait très-bien gans antécédents : « advienne que pourra. »
2. Voir la note au vers 433 sur la place du pronom régime dans la proposition.
94 LES PLAIDEURS.
LÉANDRE
Mademoiselle, allons, voilà votre beau-père : Saluez-le.
CHICANNEAU
Gomment ?
DANDLN
Quel est donc ce mystère?
LÉANDRE
Ce que vous avez dit se fait de point en point.
D AN DIX
Puisque je l'ai jugé, je n'en reviendrai point.
CHICANNEAU
Mais on ne donne pas une fille sans elle. 86!
LÉANDRE
Sans doute, et j'en1 croirai la charmante Isabelle.
CHICANNEAU
Es-tu muette? Allons, c'est à toi de parler. Parle.
ISABELLE
Je n'ose pas, mon père, en appeler.
CHICANNEAU
Mais, j'en appelle, moi.
LÉANDRE
Voyez cette écriture 2.
1. En remplace souvent de cela; à cela, sur cela; il entre avec un sens analogue dans un grand nombre de locutions où il semble explétif.
2. C'ost-à-dire « cet écrit ». C'est le contrat qu'il a signé aveuglément. (Acte II, se. vi.)
ACTE 111, SCÈNE IV. 95
Vous n'appellerez pas de voire signature? 870
CHICANNEAU
Hait-il?
D AND IN
C'est un contrat en fort bonne façon.
CHICANNEAU
Je vois qu'on m'a surpris ; mais j'en aurai raison : De plus de vingt procès ceci sera la source. On a la fille, soit : on n'aura pas la bourse.
LÉANDRE
Hé! Monsieur, qui vous dit qu'on vous demande rien? 875 Laiisez-nous votre fille, et gardez votre bien.
CHICANNEAU
Ah!
LÉANDRE
Mon père, êtes-vous content de l'audience?
DANDIN
Oui-da4. Que les procès viennent en abondance,
Et je passe avec vous le reste de mes jours.
Mais que les avocats soient désormais plus courts. 880
Et notre criminel ?
LÉANDRE
Ne parlons que de joie : Grâce! grâce! mon père.
1. Oui-da est du style familier. Da renforce le sens de l'affirmation; on v ;■. vu un souvenir de Av., accusatif de Ztù;, que les Grecs employèrent dans une construction analogue, w, Av.. C'est de cette dernière formule que serait venue noire négation neam-aa.
96 LES PLAIDEURS.
DANDIN
Hé bien, qu'on le renvoie C'est en votre faveur, ma bru, ce que j'en fais. Allons nous délasser à voir1 d'autres procès.
1. Au lieu de à, suivi de l'infinitif, nous mettons aujourd'hui en et le participe présent; la construction usitée du temps de Racine était plus vive et plus élégante :
A vaincre sans péril on triomphe sans gloire.
(Corneille, Cid, 433.)
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La Bibliothèque
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(tes noms des annotateurs sont indiqués entre parenthéses).\
LOILEAU: Œuvres poétiques (Geruzcz) . i fr. 50
BOSSUET: De la connaissance de Dieu (de Lens) i fr. 60
— Sermons choisis (Rébelliau) 3 fr.
LUFFON : Morceaux clioisis (E. Dnpré). 1 fr. 50
— Discours sur le style 30 c.
DESCARTES : Discours de la méthode; première m
(Charpentier) l fr. 50
FÉNELON : Fables (Ad. Régnier; 75 c.
— Sermon pour la fête de l'Epiphanie (G. Merlet). .. 60 c.
— Teicmaque (A. Cliassang) I fr. 80
1 LORIAN ; Fables (Geruzez) .
JOINV1LLE : Histoire de saint Louis (Nalalïs de WaiUy) 2 fr. LA FONTAINE : Fables (E. Geruzez) . 1 fr. 00 LAMARTINE : Morceaux chou LEIBNIZ: Extraits de la Théodicée (Janet) 2fr. 50
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MOLIÈRE : L'a 1 fr.
— Le mùatdhropeiLiLvigne) 1 fr.
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MONTAIGNE: Extraits (Guillaume Giûzot)
PASCAL : Fragments (Jourdain). . . HACINE : Andromaque (Lavigi
— Les plaideur* (Lavi.-
SEVIGNÉ : Lettres choisies (Ad. Régnier) . . 1 lr. 8» THEATRE CLASSIQUE (Ad. Régnier) 3 fr.
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MOLIÈRE : 'l'avare (Lavigne) 1 fr,
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