EE ES eee ea He à PRET EC OEOIRE ET El M eve EANE- poid 7 sd d PRE ar “à a à. = ASS D rte AAA REPAS # Eos NE MES ces _ æ L DANS L'ANTIQUITÉ ET AU MOYEN AGE e= — 7 nus — —- A CE PRINCIPALES PUBLICATIONS DU MÊME AUTEUR Du c dans les langues romanes. Paris, 187%, in-8. Herder et la Renaissance littéraire en Allemagne au xvrre siècle. Paris, 1875, in-8. Épuisé. De la littérature allemande au xvrre siècle dans ses rapports avec la littérature française et la littérature anglaise. Paris, 1876, in-8. Essai sur le patois du Bessin, suivi d’un dictionnaire étymologique. Paris, 1881, in-8. Épuisé. Du caractère et de l'extension du patois normand. Étude de phoné- tique et d’ethnographie, suivie d’une carte. Paris, 1883, in-8. Mélanges de phonétique normande. Paris, 1884, in-8. Des rapports intellectuels de la France avec l'Allemagne avant 1789. Paris, 1884, in-8. Épuisé. J.-B. Tavernier, écuyer, baron d’Aubonne, chambellan du Grand- Électeur. Paris, 1886, in-8. La Flore populaire de Normandie. Caen-Paris, 1887, in-8. Le P. Guevarre et les bureaux de charité au xvrre siècle. Paris, 1889, in-8. Le voyageur Tavernier d’après des documents inédits (1670-1685). Paris, 1890, in-8. Pierre et Nicolas Formont. Un banquier et un correspondant du Grand-Électeur. Caen-Paris, 1890, in-8. La Rose dans l’antiquité et au moyen âge. Histoire, légendes et sym- bolisme. Paris, 1892, in-8. Fabri de Peiresc, humaniste, archéologue, naturaliste. Aix, 189%, in-8. Le comte du Manoir et la cour de Weimar. Paris. 1896, in-8. Les Plantes dans l’antiquité et au moyen âge. 1"e partie. Les Plantes dans l’Orient classique, I, Égypte, Chaldée, Assyrie, Judée, Phé- nicie. Paris, 1897, in-8. Madame de Staël et la cour de Weimar. Bordeaux-Paris, 1900, in-8. La Flore de l'Inde d’après les écrivains grecs. Paris, 1901, in-8. La Bataille de Formigny, d’après les chroniqueurs contemporains. Paris, 1903, in-8. Un helléniste-voyageur normand. J.-B. Le Chevalier. Paris, 1903, in-8. CHARTRES. — IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT. LES PLANTES DANS L'ANTIQUITÉ ET AU MOYEN AGE PREMIÈRE PARTIE MES PLANTES DANS L'ORIENT CLASSIQUE IT L'Iran et l'Inde PAR CHARLES JORET Membre de l’Institut. PARIS LIBRAIRIE Émice BOUILLON, ÉDITEUR 617, RUE DE RICHELIEU, AU PREMIER 190% TOUS DROITS RÉSERVÉES LIBRAEY JW Yon: ÆTANICA) GARDEN A LA MÉMOIRE DE MON AMI ABEL BERGAIGNE - La! ‘ lys PES # "7 ex No SL 2, L'E: di = à T D Éd né: Ç MAY5 15p (°° PRÉFACE Le volume que j'offre aujourd’hui au public — le second de mon Histoire des Plantes — parait beaucoup plus tard que je n'aurais voulu et que je ne le croyais, quand je l’ai commencé. J’espérais alors pouvoir le donner dans le courant dé 1901, il paraït seulement à la fin du printemps de 1904. L’étendue et les difficultés du sujet expliquent assez ces longs délais, et je crains bien plutôt qu'on me reproche de m'être trop pressé que d’avoir attendu trop longtemps à le publier. Lorsque, dans les derniers mois de 1897, je me suis mis à écrire cet ouvrage, j'en avais déjà, neuf ans auparavant, fait une première rédaction, et quelque abrégé que fût ce travail préparatoire, je me flattais que trois années me sufliraient amplement pour le revoir et lui donner les développements qu'il compor- tait. Le remaniement du premier livre, consacré aux plantes de l'Iran, a été, en effet, assez rapide ; il n’en a pas été de même du second, quitraite de la Flore de l'Inde. Des ouvrages qui m'étaient restés d’abord in- connus, comme le /hctionary of the economic Pro- ducts of India de Watt, les Indische Sprüche de Boehtlingk, l'étude plus approfondie de la poésie VIII PRÉFACE épique et dramatique, celle des traités religieux, m'ont montré que tout ou à peu près était à refondre dans ce second livre, et comme je n’en prévoyais pas de longtemps l'achèvement, je me suis décidé à faire imprimer le premier pendant l'hiver de 1901-1902. C’est seulement l’année dernière que j'ai pu commencer l'impression des Plantes de l'Inde, et j'ai dù encore l'interrompre plusieurs mois, afin de soumettre les derniers chapitres à un remaniement indispensable. Ces remarques étaient peut-être nécessaires pour ex- pliquer la lente genèse et la tardive apparition de ce volume; elles serviront du moins à excuser l’igno- rance inévitable où j'ai été de quelques ouvrages, qu'il m'eût été peut-être utile de consulter, mais que je n'ai pu mettre à profit, parce qu'ils n’ont été publiés qu'après l'impression des chapitres auxquels ils se rapportent. Malgré les soins que j'ai pris pour le rendre le moins imparfait possible, je sens tout ce qui manque à mon ouvrage, peut-être y découvrira-t-on des la- cunes, inévitables dans un sujet aussi vaste; peut-être par contre trouvera-t-on que j'ai trop développé cer- taines parties qui n'avaient pas un lien assez étroit avec mon sujet. J’avoue que, plus d’une fois, je me suis laissé trop séduire à l'attrait que m'offrait le monde mystérieux de l'Inde, monde que j'avais à peine entrevu jusque-là, et dont les légendes religieuses et profanes, la poésie et l’art exercent une irrésistible fascination sur quiconque essaie de les pénétrer et de les approfondir. Il y avait là d’ailleurs quelque chose de bien fait pour me retenir. La vie d'aucun peuple de l'antiquité n’a été dans un contact aussi constant et intime avec la nature ; aucun peuple n’a connu, aimé, PRÉFACE IX exalté, le monde des plantes, aucun ne l'a associé d’une manière aussi étroite à ses croyances, à ses aspi- rations, à son existence de tous les jours, comme l'ont fait les Hindous. Il n’est point de manifestation de leur activité où les plantes n’aient eu part; faire l'histoire, dans ses principaux et plus utiles représen- tants de la Flore de l'Inde, c'est faire l’histoire de la civilisation de cette vaste contrée. On comprendra que j'aie cédé à la pensée de l'essayer; on m'excusera aussi, je l'espère, si j'en ai retracé un tableau trop incomplet; mais peut-être voudra-t-on bien me tenir compte des efforts que j'ai faits pour en réunir quel- ques-uns des traits les moins connus; je m'estimerais heureux s’ils assuraient à ce nouveau volume l'accueil bienveillant qu'a rencontré son ainé, qu'il dépasse en intérêt, je crois, aussi bien qu’en étendue. Il y a sept ans, en publiant celui-ci, j'exprimais le vœu qu'il me füt donné de pouvoir faire paraitre, dans un avenir prochain, les trois volumes que devait encore comprendre mon Histoire des Plantes ; le second a exigé un temps si long, l’état de mes yeux, qui m'a rendu singulièrement pénible la correction des der- nières épreuves, est devenu si mauvais, que je n'ose plus former d’espoirs aussi ambitieux ; j'ose encore moins maintenant songer à publier l'Histoire, com- mencée et annoncée depuis tant d'années, des rapports intellectuels de la France et de l'Allemagne ; puisse- t-il au moins m'être permis de donner quelques frag- ments déja terminés de ces deux ouvrages, dont je révais la publication entière comme le couronnement le plus cher de ma carriere. Condamné, pour un temps dont j'ignore la durée, à un repos presque absolu, je me trouve dans l'impossi- X PRÉFACE bilité de faire en ce moment l'index général, que je me proposais de mettre à la fin de ce volume ; je compte l’entreprendre dès que ma santé se sera améliorée ; j'espère qu'on n'aura pas trop à l’attendre; je ferai du moins tout ce qui dépendra de moi pour qu'il soit aussi complet et paraisse aussitôt que possible. Un mot maintenant sur l'orthographe que j'ai suivie. Pour les noms géographiques et les noms propres d'homme universellement connus, j'ai adopté notre orthographe usuelle; je représente, en particulier, par ou et sh par ch. J'ai procédé autrement pour les autres noms; dans le premier livre, j'ai suivi l’ortho- graphe employée par James Darmesteter dans sa tra- duction du Zend-Avesta; dans le second livre, je me suis servi des signes le plus généralement adoptés au- jourd’hui pour la transcription des lettres sanscrites ; ainsi On trouvera représentées par €, 7, les palatales ich, dj, par {, d, n, les cérébrales, par # et n respec- tivement les # guttural et palatal, par ç et sh — je reconnais que les signes $ et $ eussent été préférables —— les chuintantes presque identiques c et sk, par 2 la demi-voyelle 7, par 7 l’anusvàra ou nasale affaiblie. Mais ici se présentait une difficulté; les auteurs d'ouvrages botaniques ignorent ces transeriptions ; 1l en est de mème de la plupart des traducteurs, même hindous ; ils ne distinguent jamais les cérébrales des dentales proprement dites; ils ne distinguent même pas toujours les voyelles longues des brèves ; ainsi Brandis écritsinsapa pour cunçapa, nom du Dalberqia sissoo ; Watt met hinqu, kushtha à la place de hiñqu, kushtha ; on trouve dans Protap Chandra Ray, le tra- ducteur du Mahäbhârata, Paéndu, Pandavas, au lieu de Pandu, Pandavas, ete. Je ne parle pas des tran- PRÉFACE XI scriptions de Fauche et des autres traducteurs, qui, par condescendance pour leurs lecteurs, ont cru devoir donner un costume francais aux mots sanscrits. Je me suis attaché à rendre à ces mots leur forme originelle ; mais comme J'ai parfois oublié de le faire ou dans mon manuscrit ou sur les épreuves, je prie les lec- teurs de se rapporter à l’errata qui se trouve ci-après. Je rappelle, au cas où quelques mots n'auraient pas été corrigés, que l’n suivi de g ou de # doit être écrit _ñ, qu'après la chuintante sh, il faut toujours les céré- brales {{h), n etnon /(h), n'.J'ajouterai enfin que dans les notes, j'ai laissé, pour plus de simplicité, Riq- Veda sans 7. Il me reste, en terminant, à adresser mes bien vifs remerciements à MM. Barth et Senart pour les rensei- gnements que ma connaissance imparfaite de la langue et de la littérature sanscrites m'a souvent forcé de leur demander, et qu'ils m'ont donnés avec un si géné- reux empressement. Je me reprocherais d'oublier dans l'expression de ma gratitude M. le D' Dorveaux, bibliothécaire de l'École supérieure de Pharmacie, qui, depuis quatre ans, à mis à ma disposition avec la plus grande libéralité les livres du riche dépôt con- fié à ses soins. Paris, le 15 mai 1904. 1. La cédille du c a été parfois omise devant ?, e dans quel- ques mots, par exemple Urvaci, au lieu de Urvaci., \ > x 8 x 4 , MAL ADDITIONS ET CORRECTIONS PAGES AU LIEU DE LIRE 1 ligne 5 transcapienne transcaspienne 31 note 1 3ojpattra Bhojpattra P. 34, ligne 7. Dans un ouvrage récent, Botanische For- schungen des Alexanderzuges. Leipzig, 1903, in-8, p. 272, M. Hugo Bretzl a identifié l’épine à rameaux verticillés avec l'épine aphylle de Théophraste et cru qu'elles n'étaient, l’une et l’autre, que l’£uphorbia antiquorum. P. 34, ligne 12. On lit dans Joh. L. Schlimmer, Terminolo- qie medico-pharmaceutique francaise-persane. Téhéran, 1874, in-fol. Art. Verium. « Ses feuilles sont un violent poison pour les bêtes de somme ; aussi partout où la plante croit le long des routes, on ferme la bouche des ânes, mulets et chevaux au moyen d’un petit sac... pour empêcher ces animaux de tou- cher à la séduisante verdure ». On voit que Schlimmer dit du laurier-rose ce que Théophraste rapporte, peut-être par erreur, de la Calotropis. 50 ligne 10 68 note 9 ariennes yudjeh, sdpist aryennes yondjeh, aspist 90 — 2 ajwain ajwan ou ajouan 98 — 92,3 Nes.Perien Notes. Persien — & Aitchiso Aitchison. 101 ligne 28 n’en ne 126 — 22 relevés relevées 129 note 3 Tristam Tristram 167 ligne 3 Ziziphora Zizyphora 168 to oo théom — — 25 hesliateris hestiatoris note 4 Sir Daria Syr Daria XIV ADDITIONS ET CORRECTIONS PAGES AU LIEU DE LIRE 184 ligne %# dakshina dakshina 190 — 27 le Kousi la Kosi 215 — 5 atteint atteignent 227 note 1 zanthoxyloides zanthozyloides 231 ligne 22 Rishi Rishis 236 — x ampan empan 239 — 18 _ Vishnu Vishnu ! 248 — 3 Samhità : Sarhità 265 — 25 kañcani käñcant P. 271 et suiv. Les noms sanscrits d’une plante ne sont pas une preuve aussi absolue que je l’ai dit parfois de la grande ancienneté de sa culture. 273 — 5 jingi Jiigt P. 277, ligne 17. En réalité rien n'indique que le chanvre ait été invoqué dans l’Atharva-Véda comme narcotique. 290 ligne 5 Asihrimi lishirini 291 — 21 açvatha acvaltha 300 note COCO- COCOa- 301 ligne 9 Æäshthilà kâäshthilà == — varanabushà väranabusä 305 note 5 Urvaci Urvaci ? 325 ligne 15 et de et du — 17 ankola añkola 3956 -- 7. nuñja muñ ja P. 368. On faisait aussi des cure-dents en bois de khadira (S. Beal, Buddhist Records, vol. I, p. 68, note 2), d'udumbara (Hiranyakecin et Päraskara, Grihya Sutra, 1, 3, 9 ; IE, 25, 17), ainsi, d’après Caraka (lb. I, lecon 5, 65, p. 61), qu’en bois de karañja, karavira, arka, mälati, kakubha et asana ?, etc. P. 376-377. D’après Caraka (lib. I, lecon 3, 88, p. 63), l’usage des couronnes de fleurs et des parfums fortifie, donne de la gaieté et assure une vie longue et agréable. P. 381. Outre les piliers des quatre angles, il y avait, au milieu de la maison védique, un poteau central destiné à sou- tenir le toit. 443 ligne 10 pâtalis pätalis 1. De même p. 243, note #, 245, note 5. 2. De même p. 465, lignes 9 et 11. 3. Pongamia glabra, Nerium odorum, Calotropis gigantea Echites caryophyllata, Terminälia arjunc et tomentosa. ADDITIONS ET CORRECTIONS XV PAGES 465, 468. — 17; 21 469 note 9 481 ligne 15 489 — 8 506 ligne 9 519 — 15 5572 note 1 AU LIEU DE entr'ouve(nt) Rakshasas escondes karnikàra partout Puräna wichtigten LIRE entr'ouvre(nt) Räkshasas secondes karnikâra partant Purâna wichtigsten P. 533. Outre l’encens et le guggulu, on brülait, en l'hon- neur des dieux, des bois parfumés, comme ceux de santal, de Juniperus excelsa, de Tabernaemontana coronaria, etc. P. 354, ligne 13. Les Lois de Manou prescrivent longuement les offrandes funéraires qu'on devait faire aux Mâänes. Lib. III, 82, 90, 122, 267. 942 ligne 25 243 — 9 579 — 19 608 — 20 puroàdca Pashan d’un chef village münja purodàca Püshan chef d’un village muñja P. 659, ligne 16. Le Bower Mss. connait un remède qui pro- curait à la fois santé, force et une bonne mémoire et pouvait méme faire vivre jusqu'à 1000 ans. Part [, 52-54. LIVRE PREMIER LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS CHAPITRE PREMIER LA FLORE ET LES HABITANTS DE L'IRAN ET DE LA RÉGION TRANSCAPIENNE La partie orientale de l’Asie antérieure — l'Iran — forme dans son ensemble un vaste plateau calcaire et argileux, d’une hauteur moyenne de 1 000 à 1200mètres, entouré d’une ceinture de montagnes, qui l'isolent de la mer et des pays voisins". À l'Occident se dresse la chaine qui, sous des noms divers, le sépare du bassin du Tigre et du golfe Persique, et dont les rameaux parallèles courent à travers le Louristan et le Khou- zistan — l’ancienne Susiane — du Nord-Ouest au Sud- Est, en s’élevant des monts du Kourdistan — le Zagros des Grecs —, aux massifs presque inabordables de la 1. Carl Ritter, Die Erdkunde im Verhältniss zur Natur und zur Geschichte des Menschen. Berlin, 1838, in-8, vol. VIII, p. 3-8. — Karl Prellberg, Persien, eine historische Landschaft. Leipzig, 1891, in-8, p. 3. Jorer. — Les Plantes dans l'antiquité. IL.-1 L 2 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS Perside — le Farsistan actuel * —. Au Sud s’'étagent parallèlement à la côte les monts du Laristan, la triple terrasse du Mékran et là haute plaine du Béloutchistan. A l'Est s'élèvent les monts Brahoui et Khirtar, con- treforts orientaux de cette plaine, qui dominent le cours inférieur du Sindh ou Indus ; plus loin se dresse, du Sud au Nord, la double chaîne des monts Sou- leïman : le Souleïman-dagh oriental, qui appartient au bassin de l’Indus, dont les affluents de droite traversent ses cols, et le Souleïman-dagh occidental, que suit la ligne de partage des eaux. À leur extrémité septentrionale ces monts s'appuient contre le Séfid- koh, qui limite au Sud la vallée du Kaboul-roud, — le Kophès ou Kophen des Grecs — et s’abaisse à son extrémité orientale vers le passage célèbre de Khaïber *. Au delà du Kaboul-roud s'étendent les contreforts méridionaux de l'Hindou-kouch, que sé- pare du Karakoroum le col de Baroghil, haut de 3 000 mètres, par lequel le bassin de l’Indus commu- nique avec celui de l'Oxus ou Amou-Daria *. Courant de l'Est au Sud-Ouest avec des sommets, comme le Tiritchmir, d'une hauteur de 7500 mètres, l’'Hindou-kouch — le Paropamise des anciens — sert, La 1. Élisée Reclus, Vouvelle Géographie universelle, vol. VI, p. 167. — Berthelot, art. Asie dans la Grande Encyclopédie. — A. Stieler’s Zandatlas, pl. 62. — Vidal-Lablache, Atlas général. Paris, 1894, pl. 120. 2. Fr. Spiegel, Erânische Allerthumskunde. Leipzig, 1871, in-8, vol. [, p.12 et 23 — Elisée Reclus, op. laud., vol. IX, p. 37-42. 3, W. Geiger, Die Ostiranische Kultur im Altertum. Erlan- gen, 1882, in-8, p. 54.— Guillaume Capus, Pamir et Tchitral. (Bulletin de la Société de géographie, 17e série, vol. XI (1890), p. 522). LA LA FLORE DE L’IRAN 3 ainsi que ses prolongements occidentaux, de limite septentrionale au plateau de l'Iran. Mais à mesure qu'il s’avance vers l'Ouest, il diminue d'altitude jus- qu’à la passe de Bamian, qui n’a plus que 2500 me- tres. Au delà commence le Koh-i-baba, auquel suc- cède la double chaîne du Séfid-koh et du Siyah-koh ; puis vient le massif du Khaïtou, qui s’abaisse à sa partie occidentale pour permettre à l'Héri-roud de gagner la plaine du Touran”. Là finit la chaine de l’ancien Paropamise. Plus loin commence le système complexe du « Caucase des Turkmènesw, qui, enser- rant le double bassin del’Atrek et du Gourgan, affluents de la Caspienne, se rattache vers Astrabad à l’El- bourz, « la plus vieille des montagnes », dont un pic isolé, le Démavend, domine de sa cime volcanique, haute de plus de 6500 mètres, la plaine de Téhéran*. L'Elbourz, qui court parallèlement à la côte méridio- nale de la Caspienne et ne s’entrouve que pour livrer passage au Séfid-roud ou Kizil-ouzen, va rejoindre à l'Ouest le Kara-dagh, limite septentrionale du pla- teau de l’Aderbeidjan, qui relie l'Iran an massif armé- nien *. La ceinture de montagnes, qui borde ainsi l'Iran, envoie dans l'intérieur de cette vaste région des ra- meaux plus ou moins étendus, tels que le Lahori, qui se détache de l’Hindou-Kouch prés du col de Ba- 1. Élisée Reclus, op. laud., vol. IX, p. 30-37. 2. Art. Asie dans la Grande Encyclopédie. — M.J.de Morgan, Mission scientifique en Perse. Paris, 189%, in-4. vol. I, p. 12, ne donne que 6 080 mètres au Démavend. E. Tietze lui attri- buait 18 600 pieds. Ueber die Bodenplastik und die geologische Beschaffenheit Persiens.(Mittheilungen der Kais. Künigl, geogra- phischen Gesellschaft. Wien, 1886, vol. XXIX, p. 521). 3. EÉlisée Reclus, 0p. laud., vol. IX, p. 150-160. 4 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS roghil ; telles encore que les chaïnes parallèles du Paghmän et du Goul-koh, qui se rattachent au même système”. Des massifs indépendants se dressent aussi çà et là dans l’intérieur du plateau, comme les monts Nihbandan à l'Ouest du lac Hamoun, le Sahend et le Savalan, volcans éteints, qui se dressent au milieu de l’Aderbeïidjan *; enfin parallèlement aux montagnes du Louristan et du Farsistan court, dans la direction du Nord-Ouest au Sud-Est, de la vallée du Kizil-ouzen au centre du Mékran, la chaîne du Kouh-roud, dont plusieurs pics, entre autres celui d'Elvend— l'Orontès des Grecs, au Sud de Hamadan — l’ancienne Ecba- tane—, et le Kouh-i-Hazar, dans le Kirman, atteignent le premier 3270, le second jusqu'à 4500 mètres de hauteur *. Cette,chaine sépare la région montueuse de l'Ouest des plaines arides du plateau iranien, le grand désert salé — le Dacht-i-kévir — au Nord et le désert de Lout — le Dacht-i-lout — au Sud. Plus loin se trouve le désert de Kirman et au centre du Béloutchistan, à l'Ouest des monts Brahoui, s'étend celui de Kha- ran ‘. Dans ces dépressions stériles, formées de fonds de mers intérieures, desséchées par l’évaporation et comblées par les alluvions, le niveau du sol se trouve bien au-dessous des collines les moins élevées ; il n’a plus que 300 mètres d'altitude dans le désert de 1. W. Geiger, Ostiranische Kultur, p.541-56. — Élisée Reclus, op. laud., vol. IX, p. 31 et 35. ; 2. J. de Morgan, Mission en Perse, vol. I, p. 9. — Elisée . Reclus, op.laud., vol. IX, p. 165. 3. Elisée Reclus, op. laud., vol. IX, p. 172. — Andrée, Handatlas, pl. 80. ; 4. Elisée Reclus, op. laud., vol. IX, p. 118 et 153. LÉERNS LA FLORE DE L’IRAN à Lout. Les parties les plus basses de ces plaines déso- lées sont occupées par des marécages salins — les kévir ou kéfih —, parfois aussi par des lacs — /a- moun —., restes des mers disparues, alimentés par les cours d’eau qui s’y jettent ‘. Malgré son étendue, le plateau de l'Iran compte peu de rivières considérables ; presque tous les grands cours d’eau, descendus des montagnes qui l’environ- nent, appartiennent aux contrées voisines. Mais ilren- ferme un certain nombre de bassins intérieurs. Le plus important est celui de l'Hilmend — l'Erymanthe ou Etymander des géographes grecs et romains, le Haitumat de l’Avesta — ; sorti à 3000 mètres de hau- teur du massif du Paghmän, près du col de Hadji-kak entre l'Hindou-kouch et le Koh-i-baba, il coule d’a- bord dans la direction du Nord-Est au Sud-Ouest, puis après avoir reçu l’Arghandäb, qui recueille les eaux du Tarnak et de l’Arghesän, il se replie vers le Nord-Ouest, pour aller se perdre, réuni au Khach-roud, dans le Hamoun-i-Savaran”, un des lacs qu'a laissés, en se desséchant, la mer du Seistan *. A l’époque de la fonte des neiges l'Hilmend roule une quantité d’eau considérable, et, comme le Nil, il est soumis à des débordements périodiques. Deux autres cours d’eau, issus du Siyah-koh, se jettent dans le Hamoun-i-Fa- rah, lac voisin du Hamoun-i-Savaran et de même ori- gine que lui. Au Sud de l’Hilmend coulent le Mech- 1. Art. Asie dans la Grande Encyclopédie. — Karl Prellberg, Persien, eine historische Landschaft, p. 9. 2. W. Geiger, op. laud., p. 90-100. 3. W. Hughes, Grand atlas universel, 2° éd., revue et corri- gée par E. Cortambert. Paris, 1875, fol., pl. 31. &. Fr. Spiegel, op. laud., vol. I, p. 32-47. — Art. Afgha- 6 LES PLANTES CHEZ LES [RANIENS kid, qui draine le désert de Kharan, et le Lôra, dont les eaux se perdent dans le amoun, auquel il donne son nom, et, à l'Est de l’Arghandàb s'étend le bassin du Ghazni, qui alimente le lac salé et amer d’Ab- Istàäda, à une altitude de 2500 mètres. Au milieu des montagnes du Farsistan s’étend aussi, à une hauteur de plus de 1000 mètres, un lac, celui de Niris *, ali- menté par les eaux du Bandémir — l’Araxès —, grossi du Polvar — l’ancien Médos*. — Il faut citer aussi les affluents du lac d’Ourmiah, qui occupe, à une alti- tude de 1300 mètres, le fond occidental de la plaine élevée de l’Aderbeïdjan *. À l’angle Nord-Est du plateau iranien coule la ri- vière de Caboul, sortie de la chaine du Paghmän, près du col d'Ounnah, qui fait communiquer la vallée qu'elle forme avec celle de l'Hilmend ; dans son cours supérieur et moyen elle recueille par ses affluents, dont le plus important, le Kounar, forme la vallée de Tchitral, les eaux du Séfid-koh et des contreforts mé- ridionaux de l'Hindou-Kouch. Après avoir franchi le col de Khaïber, elle cesse d’appartenir à l'Iran et dé- nistan dans la Grande Encyclopédie. — Art. Hilmend dans Brockhaus, Conversationslexicon. — Elisée Reclus, op. laud., vol. IX, p. 47-49. Le Hamoun-i-Savara et le Hamoun-i-Farah sont le plus souvent représentés sur les cartes comme ne for- mant qu’un seul et même lac. 1. Elisée Reclus, op. laud., vol. IX, p. 117-119. — W. Geiger, op. laud., p. 109, donne à ce lac le nom d’Ab-Istäd. 2. Fr. Spiegel, op. laud., vol. I, p. 93, lui donne le nom de Koum-i-Firouz. £ 3. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 3, 6. — Andree, Handatlas, pl. 80. — Elisée Reclus, op. laud., vol. IX, p. 186 et 265. , &. Fr. Spiegel, op. laud., vol. I, p. 127-128. — Elisée Reclus, op. laud., vol. IX, p. 181-185. | PS LA FLORE DE L'IRAN ï pend désormais du bassin de l’Indus, dans lequel elle se jette. Il en est de même du Kouram et du Gomoul ou Gomal, sortis l’un et l’autre du Souleiman-dagh oc- cidental ". Le versant de l'Océan indien ne compte que des cours d’eau insignifiants; le plus considérable est le Dacht ou Bagva, qui, avec le Sarbas ou Koudjou, recueille les eaux du Mékran central *. Comme la mer Érythrée et plus encore, le golfe Persique, ne reçoit aussi que des rivières sans importance; mais les an- ciens en ont connu plusieurs, qui méritent par là d'être mentionnées, comme l’Aréôn — Nabend, — le Sita- cos — Presktaf —., le Granis — Séfid — et l'Oroatis — Thab, — la plus grande de toutes, d’après Strabon. Tandis que le versant occidental de la chaine du Louristan et du Khouzistan envoie au Tigre de puis- sants affluents, tel que le Diyalah — l'ancien Gyndès —, la Kerkha — le Choaspès des Grecs — et le Karoun — probablement le Pasitigris, — il ne sort du versant oriental que des cours d’eau peu considérables, comme * Ï , le Karatchaï, qui, avec l’Abagar, arrose l’ancienne Médie et va se perdre dans le lac Haus-i-Soultan, et le Zayendeh-roud, qui se jette dans le lac d'Ispahan*. Mais du pied oriental du Zagros sort le Kizil-ouzen ou Séfid- roud — l’ancien Merdos —, qui, après un long détour, traverse l’Elbourz pour porter à la Caspienne les eaux de la région orientale du plateau de l’Aderbeidjan *. 1. Fr. Spiegel, op. laud., vol. I, p. 13-16. — W. Hughes, Atlas, pl. 31. — Elisée Reclus, op. laud., vol. IX, p.44. 2. Art. Béloutchistan dans la Grande Encyclopédie. — Elisée Reclus, op. laud., vol. IX, p. 117. 3. Arrien, /istoria indica, cap. 38, 7 et 8, et cap. 39, 3 et 8. — Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 3, 1. 4. Andrée, Æandatlas, pl. 80. 5, Fr. Spiegel, op. laud., vol. I, p. 75-78. 8 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS J'ai déjà mentionné le Gourgan et l’Atrek, autres affluents de cette grande mer intérieure, ainsi que le Héri-roud — lArios dès Grecs —, qui, après avoir coulé de l'Est à l'Ouest entre la double chaîne du Séfid-koh et du Siyah-koh, se dirige brusquement au Nord et va se perdre dans la steppe du Touran. Le Mourghab — l'ancien Margos —, né sur le versant septentrional de la même chaine, disparait lui aussi au milieu des sables de la plaine de Merv!. On voit qu’une partie des cours d’eau de l'Iran dé- passent ses frontières et se rattachent ainsi aux con- trées voisines, qui, si l'on en excepte le versant de l'Indus, en dépendent géographiquement ou histori- quement. Telle est la bande littorale comprise entre l'Océan indien, les monts du Mékhran et le plateau du Béloutchistan; telle encore la région côtière de la Caspienne — le Mazandéran et le Ghilan — située au Nord de la chaine de l'Elbourz*. Il faut y joindre la région, qui s'étend de cette mer à l’Hindou-Kouch, au Pamir — le Toit du monde — et à la chaîne du Thian-chân. Bornée au Sud par les montagnes qui servent de limite septentrionale à l'Iran, elle forme une vaste plaine, traversée de l'Est à l'Ouest par l’Amou-Daria — l’ancien Oxus — et le Sir-Daria — l’Yaxarte des Grecs —; et qui se confond au Nord avec la région dés steppes de l'Asie centrale. Un premier dé- sert, celui de Kara-koum — les « Sables noirs » —, dans lequel se perdent les eaux de l’Héri-roud et du Mourghab, s'étend des montagnes de l'Iran jusqu'à 1. Fr. Spiegel, op. laud., vol. I, p. 49-53. — Art. Asie dans la Grande encyclopédie. — Vidal-Lablache, Atlas général, pl. 4 et 120. 2. Karl Prellberg, Persien, p. 424 et 51. LA FLORE DE L’IRAN 9 l'Amou-Daria ; un autre désert, le Kizil-koum — les « Sables rouges » —, sépare le cours moyen de ce fleuve du Sir-Daria, et, au delà du bassin inférieur de ce dernier, se déroulent les « Sables blancs » — Ak- koum —; ils vont rejoindre à l'Est la « Steppe de la faim » — Bek-pak-dala —, dernier rempart de cette vaste contrée contre les incursions des nomades du Nord *. A l'Ouest, entre la Caspienne et la mer d’Aral, s'étend le plateau crétacé de l'Oust-Ourt, élevé de 200 metres au-dessus de la première”. Avant notre ère l’Aral, qui était beaucoup plus vaste que de nos jours, recouvrait au Sud une partie du désert de Kara-koum, et était, par une espèce de canal, l'Ougbaï, aujourd'hui desséché*, relié à la Caspienne, qui se trouve main- tenant à plus de vingt mètres au-dessous de l'Océan. L'Amou-Daria, après avoir, sous le nom de Piandij, drainé tout le versant méridional du Pamir *, reçoit par ses affluents de gauche, le Koktcha et la rivière de Koundouz ou Akseraï, les eaux du versant septen- trional de l'Hindou-Kouch ; les autres rivières, sorties de cette chaine ou du Kohi-baba, se perdent dans les sables, avant d'atteindre le grand fleuve. Le premier 1. Élisée Reclus, op. laud., vol. VI, p. 376. 2. A. Grisebach, Die Vegelalion der Erde. Leipzig, 1884, in-8, t. 1, p. 383. 3. X. Hommaire du Hell, Les steppes de la mer Caspienne, le Caucase, etc. Paris, 184%,in-8, vol. III, p. 233. — M. Venukov, art. Aral dans la Grande encyclopédie. — Strabon, Geogra- phica, Gb. XT, cap. 7, #, confondant l'Ougbaï avec l'Oxus, dont il n’était qu’un réservoir, fait se jeter dans la Caspienne le grand fleuve touranien. 4. W. Geiger, Die Pamir-Gebiete. Eine geographische Mono- graphie. Wien, 1887, in-4, p. 153-169. 10 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS des affluents de droite de l’Amou-Daria, le Mourghab, lui apporte les eaux du Pamir central, les autres, le Sourkhab, le Kafirnagan et le Sourkhàän, recueillent celles qui descendent du versant méridional de l'Alaï et du mont Hissar *. Peu après avoir reçu le Sourkhân, l'Amou-Daria, «le plus grand des fleuves de l'Asie, à l'exception de ceux de l'Inde », suivant Aristobule”, quitte la région montagneuse et pénètre dans celle des sables ; mais le désert n’envahit point complètement ses bords ; sur la rive gauche la végétation persiste victorieuse de la steppe. Vers le 42° degré, l’Amou traverse, en la fertilisant, l’oasis du Kharizme. Aujourd'hui il se divise en plusieurs branches, avant de se jeter dans la mer d'Aral; à une époque préhisto- rique, et plus tard encore, il se perdait dans la mer Touranienne, dont le trop plein, après s'être frayé un chemin entre le grand et le petit Balkhan, se déver- sait, par le canal de l'Ougbaï, dans la baie actuelle de Krasnovodsk *. Entre le bassin de ce dernier fleuve et celui de l’'Amou-Daria s'étend la vallée du Zarafchan resserrée entre les chaînes du Hissar au Sud et de l’Aktau au Nord, contreforts occidentaux de l’Alaï. Sorti d’un glacier de cette montagne, le Zarafchan — l’ancien Polytimète — traverse d’abord la haute région du 1. J. Wood, À Journey lo the source of the river Oxus. London, 1872, in-8, p. 125-233. — W. Geiger, Die Ostiranische Kultur, p. 13 et 15-24. 2. Strabon, Geographica, lib. XII, cap. 7, 3. 3. Fr. Spiegel, op. laud., vol. I, p. 46. — M. Venukov, art. Amou-Daria dans la Grande Encyclopédie. — W. Geiger, Die Pamir-Gebiete, p. 79-100. — Henri Moser, À travers l’Asie centrale. Impressions de voyage. Paris, 1885, in-#, p. 231. # LA FLORE DE L’'IRAN 11 Kohistan', en coulant dans la direction de l'Ouest, qu’il garde jusqu à sa sortie de la région montagneuse au delà de Samarkand ; alors s’inclinant vers le Sud, comme pour rejoindre l’Amou-Daria, après avoir arrosé de ses eaux fécondes l’oasis de Boukhara, il va se perdre au milieu des sables, en donnant naissance au lac Dengiz *. Le Sir-Daria prend naissance dans le massif du Thian-chân, et, sous le nom de Narim, coule d’abord vers l'Ouest ; il se dirige ensuite vers le Sud-Ouest, reçoit le Kara-Daria, descendu du massif de l’Alaï, puis, sous le nom de Sir-Daria, reprenant sa route vers l'Ouest, il traverse la longue dépression du Ferghäna *; au delà de Khodjend il incline vers le Nord son cours changeant, et, après un long circuit autour de la mer desséchée de Kizil-koum, il se jette, presque tari par sa longue course à travers le désert, dans la mer d’Aral*. IT Peu de pays offrent une aussi grande variété dans leur climat et dans leurs produits que le plateau de l'Iran et les contrées qui s’y rattachent : la plaine du Touran, qui le continue au Nord et les deux bandes 1. Ch.-E. de Ujfalvy, Le Kohistan, le Ferghanah et le Kouldja. Paris, 1878, in-4, p. 3. 2. Fr. Spiegel, op. laud., vol. I, p. 275. — Elisée Reclus, 0p. _ laud., vol. VI, p. 396. — W. Geiger. Ostiranische Kultur, p. 8-10. 3. Ch.-E. de Ujfalvy, op. laud., p. 46. — W.Geiger, op. laud., FAC &. Fr. Spiegel, op. laud., vol. I, p. 270. 42 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS littorales qui bordent, l’une la Caspienne au Sud, l’autre la côte septentrionale de l'Océan indien. Entre- coupée de montagnes, qui interceptent presque toute communication entre les divers territoires dont elle se compose, renfermant d'immenses déserts sablon- neux ou salés qui ne recouvrent pas moins d’un tiers de sa surface ‘, cette vaste contrée présente dans sa température et sa végétation les contrastes les plus grands, soit qu'on s’élève de la plaine dans la région montagneuse, soit qu'on descende de celle-ci sur les côtes de la mer Caspienne ou de l'Océan indien ; aussi se divise-t-elle en plusieurs régions distinctes, mais qui cependant ont entre elles certaines ressemblances caractéristiques. Dans toutes les printemps sont courts et soudains, les étés secs et brülants, et des hivers d’une longueur et souvent d’une rigueur excessives leur succèdent presque sans l’intermédiaire de l’au- tomne. L'altitude du sol neutralise la différence de latitude ; dans les montagnes du Farsistan, dont la latitude est bien plus méridionale que celle du Caire, il tombe une quantité de neige aussi considérable que dans l’Europe centrale. La pureté de l'atmosphère, en favorisant l'évaporation, contribue encore à l’abaisse- ment et aux écarts les plus grands de la température ; à Chiraz, pendant trois mois, le thermomètre descend fréquemment le matin au-dessous de zéro *; en plein été, dans le plateau central, où, pendant le jour, le 1. A. Grisebach, Die Vegetation der Erde, vol. I, p. 405, le dit de la Perse; cela n’est pas moins vrai du Turkestan. 2. A. Grisebach, op. laud., vol. I, p. 375-376. — Otto Stapf, Der Landschaftscharakter der persischen Steppen und Wüsten. (Oesterreichische-Ungarische Revue, vol. IV, 1887, p. 231). — Karl Prellberg, op. laud., p. 5. LA FLORE DE L’IRAN 13 thermomètre atteint parfois à l'ombre jusqu'a 60 de- grès, il s'élève, au milieu de la nuit, à 14 ou 15 seule- ment ‘. À la rigueur et au caractère excessif du climat s'ajoute sa sécheresse ; les vapeurs venues de l'Océan se déposent sur les flancs des montagnes, et quand les vents, qui les ont portées, atteignent la plaine, ils y arrivent desséchés et n'y peuvent déposer qu'une humidité insuffisante ; par suite la rareté des pluies y est extrême ; dans la région montagneuse même, elles sont de courte durée; Aucher-Éloy dit qu’ilne pleutdans le Farsistan que de la mi-février à la fin mars *; même dans les contrées les plus favorisées, les pluies n’em- brassent guère que la période comprise entre décembre et avril ; mais passé cette époque, elles cessent com- plètement. Aussi les sources tarissent-elles bientôt, et beaucoup de cours d’eau restent à sec une partie de l’année. Toute vie végétale est alors suspendue dans la plaine iranienne, pour ne reparaître qu’au printemps suivant. Les Persans donnent le nom de biäbän, « qui n’a pas d’eau », à la région inférieure de l’Iran — la sous- région des plateaux de Boissier* —, qu'atteignent en quantité insuffisante les pluies du printemps, et qui, privée de sources, vives et de cours d’eau durables, ne peut par suite avoir de végétation arborescente que 1. J. de Morgan, Mission en Perse, p. 26. « Pendant la jour- née il avait fait (à Téhéran) 40° à l'ombre ; pendant la nuit le thermomètre s’est abaissé à 12° », dit Mme Dieulafoy, La Perse, la Chaldée et la Susiane. Paris, 1887, in-fol. p. 165. 2. Relaiions de voyage en Orient de 1830 à 1838. Paris, 1843, in-8, p. 485. 3. lora orientalis, vol. I, préface, p. 7. 14 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS dans quelques rares vallées, et ne se couvre de verdure que péndant un petit nombre de mois. Là surtout les hivers sont rigoureux, la chaleur de l’été excessive, et en toute saison la différence entre la température de la nuit ou du matin et celle du milieu du jour y pré- sente les écarts les plus considérables *. Plus égale est la température de la région qui s'étend au-dessus du Biaban ; arrosée par les pluies d'hiver que retiennent les gorges rocailleuses de ses vallées, rece- vant aussi dans ses parties élevées d’abondantes chutes de neige, elle n’est presque jamais dénuée de l’humi- dité nécessaire aux plantes ; aussi se couvre-t-elle d’une végétation arborescente plus ou moins épaisse, c'est le djaengael— a « région boisée » — comme l’appellent les habitants du pays *. Plus haut, entre cette région et la limite des neiges éternelles ou la cime des montagnes, s'étend le saerhadd — le « haut plateau » —, région où les précipitations d’eau, comme les chutes de neige, sont considérables et suffisent pour entretenir, sans qu’elle s’interrompe, la végétation ; mais où celle-ci, à cause de la rigueur et de la longueur de l'hiver ne dure que peu de temps et dès lors ne peut devenir arborescente*. Malgré la diversité que présente nécessairement la végétation de régions où elle se trouve dans des con- ditions si différentes, elle offre cependant dans toutes un caractère commun, celui de la flore des steppes ; on rencontre quelques-unes des plantes qui distinguent 1. O. Stapf, op. laud.(Oest.-Ung. Revue, vol. IV, p. 353). 2. O. Stapf, op. laud. (Oest.-Ung. Revue, vol. IV, p. 355). — O. Drude, Æandbuch der Pflanzengeographie. Stuttgart, 1890, in-8, p. 402. 3. O. Stapf, op. laud. (0est.-Ung. Revue, vol. IV, p. 337). LA FLORE DE L'IRAN 15 cette dernière dans le Biaban, comme dans le Saerhadd, et même au milieu des clairières du Djaengael. Con- traintes de s'adapter à la brièveté de la saison pendant laquelle seule elles peuvent se développer, obligées de résister aux températures extrêmes et à la sécheresse excessive de l'Iran ou de la plaine touranienne, en un mot de « lutter pour l’eau », suivant l'expression pit- toresque d'Otto Stapf', elles se font remarquer par une organisation et une existence végétales toutes parti- culières. Les unes, graminées annuelles, liliacées, crucifères ou silénées herbacées, comme pressées de vivre, se hàtent de parcourir, dans l'espace de quelques semaines ou de quelques jours, le cycle borné de leur existence. Dès les premières pluies du printemps ou aussitôt après la fonte des neiges, s'éveillant brusquement à la vie, elles se revêtent d’une verte parure et émaillent de leurs fleurs brillantes la surface naguère désolée des steppes ou des hauts plateaux ; tantôt isolées, tantôt en groupes compactes, elles se répandent sur la plaine ou s'élancent à l’assaut des côteaux; les unes préfèrent le sol im- prégné de substances salines des bas-fonds des steppes, les autres les terres gypseuses des pentes abruptes ou les gorges calcaires de la région montagneuse; elles s'élèvent ainsi des plaines arides du Biaban aux pentes boisées du Djaengael” et jusqu'aux hauts plateaux du Saerhadd ; elles ne disparaissent presque complètement que sur les cimes les plus élevées*. Cette végétation 1. Oester.-Ung. Revue, vol. IV, p. 349. 2. « Les prairies qui se continuent jusqu’au milieu des forêts sont entremèlées d'iris, de tulipes et de mille fleurs ». J. de Morgan, op.laud., vol. IT, p. 186. 3. O. Stapf, op. laud. (0est.-Ung. Revue, vol. IV, p. 360). 16 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS toutefois n’a dans les steppes surtout qu’une courte durée ; à l'approche de l'été elle se fane et se flétrit et, à la place de la tendre verdure et des fleurs éclatantes, qui naguère égayaient la monotonie de la plaine, il ne reste plus que des chaumes jaunis et desséchés, que les vents, en se jouant, arrachent et poussent devant eux, brisés et réunis en boule; comme animés d’une vitesse propre, ces « coureurs de la steppe » répandent, en la traversant, les semences fécondes qui germeront au printemps prochain pour lui donner une vie nou- velle*. Véritables éphémères qui succombent aux premières atteintes de l'été, ces végétaux, pendant leur courte existence, n’ont pas besoin de protection contre l’inclé- mence des éléments ; elles n’offrent aussi rien d’anor- mal dans leur organisation. Il en est tout autrement des plantes dont la période de végétation dépasse le printemps et qui, affrontant les ardeurs de l’été, pour- suivent pendant plus d’une année leur existence sous le climat excessif de la plaine ou des hauts plateaux. Pour se défendre contre les ardeurs du soleil et la sécheresse de l’air, celles-ci, ou retardent leur dévelop- pement, ce qui épargne l’eau nécessaire à leur crois- sance, ou le plus souvent modifient profondément leur organisme”. Les unes, comme les chénopodées ou les 1. K.-E. von Baer, Caspische Studien, p. 123, ap. A. Grise- bach, op. laud., vol. I, p. 421. Une chénopodée des collines sablonneuses du Béloutchistan, l’Agriophyllum latifolium, en particulier est ainsi roulée par les vents ; en Perse, une com- posée commune, la Gundelia Tournefortii, entrainée de même, malgré ses dimensions, jette la panique parmi les troupeaux. J.-E.-T. Aïtchison, Votes on Products of western Afghanis- tan and North-East Persia. Edinburgh, 1890, in-8, p. 6 et 96. 2. Tschirch, Ueber einige Beziechungen des analomischen LA FLORE DE L’IRAN 17 salsolacées, s'’entourent d’une carapace épidermique ou d'un vernis mauvais conducteur de la chaleur, qui diminue l'évaporation, ou bien elles se gonflent de sucs imprégnés des sels de soude fournis par le sol, solutions qui s’évaporent moins rapidement que la sève ordinaire ; d’autres — légumineuses, composées, borraginées, labiées, — se revètent d’une couche de poils ou s’en- tourent d’une atmosphère aromatique, afin de modérer l’action des rayons solaires et de limiter en même temps la transpiration ; d’autres encore se hérissent d’épines ou d’aiguillons, formés soit des pétioles lignifiés, soit de bourgeons avortés ou bien encore de la pointe foliaire endurcie', organisation qui tend à faire résis- tance à l’évaporation, en diminuant le nombre et la dimension des surfaces par lesquelles elle s'exerce. Pour la même raison les feuilles de certaines espèces, par exemple les tamariscinées, sont réduites aux dimensions les plus exiguës ou même supprimées, comme chez les chénopodées aphylles. Chez d’autres, certaines graminées en particulier, les feuilles s’en- roulent ou prennent la position verticale pour diminuer l’action du soleil et atténuer en même temps la trans- piration *. D’autres fois encore les cellules épidermiques se remplissent de mucilage, rebelle à l’évaporisation ; ou bien les stomates, par lesquels se fait la transpira- tion, sont abrités dans les cavités de l’épiderme — \ Baues der Assimilalionsorgane su Klima und Standort. (Lin- naea, vol. XLIII (1880-82), p. 139-252). — O. Drude, /and- buch, p. 27. 1. Grisebach, op. laud., vol. I, p. 426. — Trad. Tchihatchef, vol. I, p. 633. — O. Stapf, op. laud. (Oest.-Ung. Revue, vol. IV, p. 349 et suiv.) 2. Grisebach, op. laud., vol. I, p. 421-424. Jorer. — Les l’lantes dans l’antiquité. II, — 2 18 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS c’est le cas pour le 24d —, ou dans des rainures garnies de cils, comme chez les Aristida". Cette organisation particulière permet aux plantes qui la possèdent de continuer de vivre et de se déve- lopper pendant la saison sèche et brülante de l'été; grace à l’abondance de sève alcaline dont elles sont pourvues, quelques-unes même peuvent atteindre à des dimensions considérables; tel est le saksaul — Halozylon ammodendron —, salsolacée répandue de la région de l’Aral jusque dans les déserts sablonneux du Béloutchistan*. Dans un voyage qu’il fit d'Oren- bourg à Khiva, le naturaliste Basiner rencontra sur le plateau d’Oust-Ourt une forêt de saksauls qui avaient des troncs de 2 décimètres de diamètre et 5 à 6 mètres de hauteur”. Cet arbre singulier se couvre de fleurs et porte des fruits, mais il n’a pas de feuilles véritables ; elles sont remplacées par de petites écailles, longues d'environ deux millimètres. Le tronc n’est pas formé non plus de couches concentriques rassemblées autour de l’axe primitif, mais d'espèces de bourrelets réunis en faisceau ; le bois est néanmoins d’une extrême dureté et sa pesanteur spécifique dépasse celle de eau‘. Toutes les plantes des steppes cependant ne sont 1. Georg Volkens, Die Flora der Ægyplisch-Arabischen Wäüste auf Grundlage anatomisch-physiologischer Forschungen dargestellt. Berlin, 1887, in-#4, p. 43. 2. Aitchison, Votes on products of Western Afghanistan, etc., p. 98. Les Perses lui donnent le nom de térgaz; saksaul est celui que lui donnent les Turcomans. 3. Reise durch die Kirgisensteppe nach Chiva.(Beiträge zur Kenniniss des Russischen Reichs, vol. XV, p. 93). Aitchison dit en avoir mesuré un qui, à 2 pieds du sol, avait #4 mètres de circonférence. 4. Al. Petzholdt, Turkestan. Leipzig, 1874, in-8, p. 13. — A. Grisebach, op. laud., vol. I, p. 424. LA FLORE DE L’'IRAN 19 pas armées contre la chaleur et la sécheresse du cli- mat: il en est qui, quoique vivaces, ne présententrien de particulier dans leur organisation, si ce n'est peut- être l’extrème division du feuillage de quelques-unes d'entre elles. Leur végétation, il est vrai, n’est guère plus longue que celle des éphémères; mais si leurs tiges et leurs feuilles se dessèchent presque aussi rapide- ment sous les ardeurs du soleil, elles laissent dans le sol une partie de leur organisme, qui survit à la pé- riode de sécheresse et dont la plante renait au prin- temps suivant. Pendant la durée de leur rapide crois- sance elles emmagasinent dans leur partie souterraine des provisions pour leur développement futur, et éla- borent, dans cet atelier secret, les organes qui s’éveil- leront à la vie lors d’un nouveau printemps. Les dimensions auxquelles peuvént atteindre ces plantes leur permettent de prendre les formes les plus variées; les unes, comme les férules et quelques ombel- lifères du mème groupe, avec leurs feuilles finement découpées, se rapprochent encore des éphémères ; d’autres, telles que les rhubarbes s’en écartent déjà par leur large feuillage; d’autres enfin s’en distinguent complètement par les oignons ou les bulbes, qui assu- rent leur persistance ; mais toutes ont ceci de parti- culier qu'une portion de leur tige plus ou moins con- sidérable reste vivante dans le sol, et se couronne au printemps d’unerosettede feuilles, du milieu de laquelle s’'élance une tige nue ou feuillée, qui porte les fleurs. La souche jadis arrêtée dans son développement en- treprend maintenant, soit seule, soit unie à une ra- cine puissante, la tâche de fournir en quantité sufli- 1. O. Stapf, op. laud. (0est.-Ung. Revue, vol. IV, p. 362). 20 LES PLANTES CIIEZ LES IRANIENS sante les matériaux nécessaires à la production des parties aériennes de la plante, à la formation future des boutons et des fleurs, matériaux qu'elle tient cachés au milieu d’enveloppes protectrices pendant le repos forcé du prochain hiver. Tel est le rôle que jouent en particulier les oignons, les bulbes et les grif- fes d’un nombre si considérable de plantes de l'Iran. «Dans son développement, l'oignon des liliacées est, suivant la remarque ingénieuse de Grisebach”, comme le symbole de la conservation et de la résurrection périodique des forces organiques de la nature, engagée . dans la lutte avec le climat. » Les plantes d'organisation si variée, dont je viens d'essayer de donner une idée générale, sont très iné- galement réparties dans les diverses régions de l'Iran et du Turkestan ; chacune de ces contrées a sa flore particulière, qui présente même parfois des différences notables, suivant la nature du sol et son degré plus ou moins grand d'humidité ou de sécheresse. Quel- ques espèces ou quelques familles cependant croissent presque également dans les diverses régions du plateau iranien, seulement à des époques différentes. Dès les premiers jours du printemps les steppes de la plaine s’émaillent ici de liliacées — tulipes *, Gagea, Ere- murus,muscaris, etc. —; là d’iridées — glaïeuls, iris, Ixiolirion —, ailleurs d'amaryllidées ou de colchica- 4. Die Vegetation der Erde, vol. I, p. 430. Trad. Tchihatchef, vol. I, p. 638. 2. Les tulipes surtout sont nombreuses dans l’Iran; Baber dit qu'il fit compter celles qui émaillaient de leurs riches cou- leurs les pieds de la montagne du touman de Gour-Bend dans le Caboul, et qu'on en trouva 32 ou 33 espèces. Mémoires, tra- duits par Pavet de Courteille. Paris, 1871, in-8, vol. I, p. 297. LA FLORE DE L’'IRAN 21 cées, auxquelles se mêlent parfois des anémones! et des Draba?. Bientôt ces fleurs envahissent les hauteurs, où se plaisent seulement plusieurs d’entre elles, comme la Couronne impériale, qu’on ne rencontre que dans les montagnes des environs de Chiraz, et si, à l'exception des aulx, elles sont rares dans la région du Djaengael, elles abondent, au contraire, dans le Saerhadd, où quel- ques-unes apparaissent dés la fonte des neiges, tandis que les autres ne fleurissent qu'au milieu ou même à la fin de l'été*. Mais là elles se mêlent aux plantes frutescentes propres à cette région: astragales tragacanthes, non moins nombreuses dans les parties élevées de l'Iran ou du Turkestan‘ que sur le plateau anatolien”, cara- ganas, onobrychides, spirées ligneuses, férules et autres grandes ombellifères au feuillage finement dé- coupé, borraginées frutescentes et touffues”, rhubar- bes aux larges feuilles d’un vert sombre et à reflets mé- talliques, qu'on rencontre là où le sol est plus maigre. D'autres plantes semi-frutescentes occupent les colli- 1. Par exemple l’Anemone biflora, Boissier, op. laud., vol. I, p. 12. Parmi les amaryllidées il faut citer le MWarcissus tazellæ. 2. G. Capus, Climal et végétation du Turkestan. (Annales des sciences naturelles, 6° série. Botanique. lib. XV, p. 202). 3. O. Stapf, op. laud. (Oester.-Ungar. Revue, vol. IV, p. 364- 365). — Boissier, Flora orientalis, s. v. 4. Mission Capus, Plantes du Turkestan.(Annales des sciences naturelles, vol. XV, p. 254-261). : 5. Bunge a évalué à 800 le nombre des astragales du do- maine des steppes de l’ancien monde. Grisebach, op. laud., vol. I, p. 556. Cf. Les plantes dans l'antiquité et au moyen âge, Volsal; ip: 328: 6. Telles que les Cachrys, Dorema, Ferulago, etc. 7. Comme les Solenanthus, Paracaryur, Cyphomatlia, Trichodesma, etc. 22 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS nes ou les premières hauteurs qui précèdent la région du Djaengael : silénées épineuses, malvacées aux bel- les fleurs blanches, jaunes ou écarlates, hedysarums aux feuilles velues et argentées, inules, centaurées aux larges fleurons, labiées aux longs épis de fleurs, etc." Et plus bas, dans la plaine inculte, des réglisses, dont les rameaux trainants étouffent toute autre végéta- tion, des phlomides cotonneuses, des chardons hérissés et de nombreux représentants du genre Cousinia, composée propre surtout à l'Iran et au Turkestan’, ainsi que l’Acantholimon, plumbaginée épineuse, dont les tiges presque dépourvues de feuilles sont couvertes de fleurs roses et délicates”; enfin des armoises au feuillage soyeux, répandues en nombreuses espèces, des steppes de la plaine aux sommets neigeux du Saerhadd. Les plantes frutescentes et épineuses, qui croissent en si grande quantité sur les versants déboisés des montagnes ou sur les hauts plateaux, se rencontrent par- fois aussi dans les steppes ; la flore de ces dernières varie d'ailleurs singulièrement avec l'altitude et sur- tout avec la nature du sol, ici dépourvu de substances salines et mêlé d’humus, la sablonneux ou alcalin. Aussitôt après les premières pluies du printemps, les steppes de la première espèce — les steppes à humus‘ — se couvrent de liliacées et d’autres plantes bulbeu- 1. O. Stapf, op. laud. (Oester.-Ung. Revue, vol. V, p. 155- 157). 2. Boissier, op. laud., vol. III, p. 463-513, indique 104 espèces de Cousinia dans cette double région. 3. Sur 74 espèces d’Acantholimon, Boissier en indique 56 sur le plateau de l'Iran. 4. Grisebach les appelle steppes herbeuses ou à graminées. LA FLORE DE L’IRAN 23 ses, ainsi que de graminées”, qui les revètent pendant quelque temps d’un tapis de verdure, mais qui se dessèchent et meurent dès que le sol a perdu son hu- midité ; seules quelques espèces vivaces, comme les Arishida et les stipes — le ‘4yrsa des Russes —, ré- sistent, grace à leur organisation spéciale et plus ro- buste, aux premières atteintes du soleil, mais elles ne laissent bientôt que des chaumes jaunis, impropres à l'alimentation du bétail. A côté de ces graminées croissent aussi quelques plantes herbacées ou sous-fru- tescentes : crucifères, silénées, légumineuses et com- posées, borraginées surtout *. Quelques-unes de ces plantes se rencontrent aussi dans les steppes sablonneuses, mais à titre d’excep- tion; celles-ci ne sont pas complètement dénudées toutefois ; plusieurs légumineuses semblent même en rechercher le sol aride, tels que les Ammodendron et les Ammothamnus des bords orientaux de Ja Cas- pienne et du désert de Kizil-koum”, le genêt aphylle* de celui de Kara-koum ; telles encore que les nombreuses tragacanthes frutescentes, répandues en touffes épi- neuses sur toutes les hautes steppes de l'Iran”, les alhagis, demi-buissons épineux aussi des régions plus basses, ainsi que la rose à feuilles d’épine-vinette — Hulthemia berberifolia — de la steppe des Kirghis'; 1. Entre autres la Festuca ovina et le Trilicum cristatum. 2. F.-J. Basiner, op. laud. (Beiträge, vol. XV, p. 62). — A. Grisebach, op. laud., vol. I, p. 435-437. 3. Boissier, Flora, vol. IT, p. 627-628. 4. Eremosparton aphyllum. Boissier, op. laud., vol. If, p 4197: 5. Grisebach, op. laud., vol. I, p. 439. Trad., vol. I, p. 648. 6. Grisebach, op. laud., vol. I, p. 426. Trad., vol. I, p. 633. 24 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS les zygophyllées ’, dont nous avons rencontré plusieurs espèces dans les déserts libyque et arabique”; les polygonées du genre Atraphaxis *, et surtout les cal- ligonées*, sous-arbustes aux rameaux grêles et divari- quées, aux feuilles ténues ou nulles, dont le représen- tant le plus curieux est le Calhigonum Pallasu* des sables mouvants voisins de la Caspienne. Quand le sable fait place à l'argile et que les pluies ne sont pas assez abondantes pour empêcher ou en- trainer les formations alcalines, la steppe change alors de caractère, elle devient plus ou moins saline et sa flore se compose presque exclusivement de plantes halophyles ; les salsolacées surtout y développent leurs nombreuses espèces * et leurs formes variables ; tantôt annuelles et herbacées avec des feuilles courtes et cylindriques, tantôt vivaces et frutescentes et sou- vent presque aphylles, elles bravent, grâce à l’abon- dance de leur sève alcaline, les ardeurs du soleil, et, continuant de se développer au milieu des chaleurs de l'été, elles peuvent atteindre, comme le saxaul, des 1. Nitraria Schoberi ; Zygophyllum Karelini, macropterum, euryplerum, brachyplerum, miniatum, ovigerum, Turcomani- cum, etc. Boissier, vol. I, p. 900-519. 2. Les plantes dans l'antiquité, vol. TI, p. 11. 3. Atraphaxis Aucheri, Afghanica, candida, compacta, py- rifolia, spinosa, suaedaefolia. Boissier, vol. IV, p. 1019-1024. 4. Calligonum Bungei, denticulalum, stenopterum, Persicum, comosum, Crinilum, ertopodum, Catlliphysa, caput-Medusae. Boissier, vol. IV, p. 997-1001. 5. Ou Pterococcus aphyllus. Grisebach, op. laud., vol. IT, p. 425. Trad., vol. I, p. 631. 6. Atriplex, Ceratocarpus, Camphorosma, Kochia, Salicor- nia, Halostachys, Suaeda, Haloxylon, Salsola, Anabasis, Halocharis, Halimocnemis, Halarchon, Halanthium, Cornu- laca, etc. Boissier, Flora, vol. IV, p. 907-985. LA FLORE DE L’IRAN 29 proportions arborescentes. À ces plantes s'associent parfois l’Aalimodendron argenteum, légumineuse du Khoräsan et du Turkestan, ainsi que des euphorbia- cées, mais surtout des armoises ! au feuillage velu et . blanchâtre et des chénopodées dont le nombre et les dimensions augmentent avec l'humidité et diminuent avec elle. Dans la steppe desséchée de Mangichlak, sur le versant caspien de l’Oust-Ourt, par exemple, on ne voit plus en été qu'une seule chénopodée aux rameaux dénudés, l’Anabasis aphylla ?. Malgré les dimensions considérables qu'elles at- teignent parfois, ces plantes n’appartiennent pas à la flore arborescente proprement dite: on ne rencontre les représentants de cette dernière qu'aux bords des rivières de la plaine, dans les vallées arrosées du ver- sant des montagnes ou sur les croupes de celles-ci dans la région humide du Djaengael. Partout où l’eau abonde ou se trouve en quantité suffisante, la végéta- tionse transforme; une flore nouvelle apparait près des sources et aux bords des torrents ; on voit, ici des buis- sons de ronces*® ou d’églantiers *, la des fourrés de tamaris*, ces grands arbustes au feuillage aciculé et 1. Arlemisia eriocarpa, eranthema, songarica, salsoloides, scoparia, lobulifolia, herba-alba, fragrans, Sogdiana, sero- tina, Tournefortiana, etc. Boissier, vol. II, p. 361-376. 2. Baer, Kaspische Studien, p. 119 et 127, ap. Grisebach, op. laud., vol. I, p. 440. Trad., vol. I, p.650. 3. Rubus caesius, collinus, discolor, glandulosus, Persicus. Boissier, Flora, vol. IT, p. 692-695. 4. Rosa asperrima, Cabulica, canina, albicans, anserinae- folia, ferox, glutinosa, Kotschyana, lacerans, Lehmanniana, lulea, moschata, oxyodon, Rapini, Tuschetica, etc. Boissier, Flora, vol. IF, p. 671-687. 9. Tamarix Bungei, Bachtiarica, dubra, elongata, florida, Ispahanica, Kotschyi, laxa, leptopetala, macrocarpa, man- 26 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS grisätre, parfois charnu, aux belles grappes de fleurs roses ou écarlates, qui accompagnent tous les cours d’eau douce et les lacs salés de la Perse et du Turkes- tan. Parfois il s’y mêle des gattiliers”, ainsi que des lauriers-roses odorants et des myrtes, arbrisseau mé- diterranéen, qu’on rencontre aussi dans la région mon- tagneuse de l'Iran. Sur les collines croissent également l'arbre de Judée — Cercis siliquastrum —, des chèvre- feuilles frutescents * et, dans les sous-bois, des bague- naudiers”, des daphnés, des épines-vinettes“, ainsi que des vignes non sarmenteuses”*. On trouve encore au milieu des rochers, où se plai- sent ces vignes, des figuiers aux feuilles larges et sombres‘, des nerpruns ’, des épines*, des pistachiers* et des amandiers ”. Mais on rencontre ces derniers en bien d’autres lieux, depuis les steppes de la plaine jusqu’à la région du Djaengael, seulement sous des nifera, octandra, rosea, serotina, stricta. I] faut y joindre les Reaumuria frulicosa, Persica, Oxiana, squarrosa, Stocksii. Boissier, vol. I, p. 759-777. 1. Vilex agnus-castus et nequndo. Boiïssier, vol. IV. p. 535. 2. Lonicera Iberica, orientalis, Persica où nummularifolia, etc. Boissier, vol. IIT, p. 4-8. 3. Colutea Persica, triphylla. Boissier, vol. IT, p. 196. 4. Daphne acuminata. — Berberis vulgaris et densiflora. Boissier, vol. IV, p. 1048, et vol. I, p. 102. 5. Vitis Persica ou Cissus vilifolia. Boissier, vol. I, p. 955. j 6. Ficus Persica, virgata. Boissier, vol. IV, p. 1154-53. 7. Rhamnus cornifolia, Kurdica, Persica. Boïissier, vol. II, p. 17-20. 8. Crataequs melanocarpa, pectinata. Boïssier, vol II, p. 662-663. | 9. Pistacia Cabulica, Khinjuk. Boissier, vol. II, p. 6-7. 10. Amygdalus eburnea, horrida, leiocarpa, scoparia, Spino- sissima. Boissier, vol. II, p. 643-645. LA FLORE DE L’'IRAN 21 aspects et avec des formes différentes ; nains et ram- pants dans les steppes", ces arbres prennent des pro- portions considérables sur les collines rocailleuses et dans les gorges des montagnes, où ils croissent sou- vent en compagnie d’une paronychiée frutescente, le Gymnocarpum fruticosum”, mais surtout des £phe- dra* particulièrement communs sur le plateau iranien. La plupart de ces espèces appartiennent à la région qui précède le Djaengael; mais beaucoup aussi péne- trent dans celle-ci et se mêlent aux grands arbres dont la présence la caractérise. Si, en effet, on en rencontre quelques-uns aux bords des rivieres de la plaine: peupliers*, en particulier celui de l'Euphrate — palta —, et saules” mêlés aux tamaris, parfois aussi aux chalefs à feuilles argentées, ainsi qu’à de gigantesques roseaux, retraite d'innombrables oiseaux et des fauvesf, les arbres n'apparaissent véri- tablement que sur les hauteurs alpestres”, mais ils y sont communs, là où la main de l’homme ne les a pas détruits: chênes du Kourdistan et de la chaine du 1. Amygdalus nana. Basiner, Beiträge, vol. XV, p. 63. 2. Grisebach, op. laud., vol. I, p. 140. 3. Ephedra distachya, pachyclada, Nebrodensis, foliata, polylepis, peduncularis, alata. Boïissier, vol. V, p. 715-717. 4. Populus alba, Euphratica. Boissier, Flora, vol. IV, p. 1193-1194. 5. Salix alba, angustifolia, Daviesti, Persica, etc. Boissier, vol. IV, p. 1183-1187. 6. A. Grisebach, op. laud., vol. I, p. 430. Trad., vol. II, p. 638. 7. Il faut dire que, sans parler du peuplier de l’Euphrate, les tamaris ont parfois des dimensions arborescentes. Aitchison, Votes, p. 201, dit avoir vu sur les bords de l’Hilmend des 7'a- marix articulata qui avaient de 6 à 9 pieds de circonférence et près de 40 pieds de haut. 28 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS Zagros', dont ils couvrent toutes les pentes jusqu’à 2000 mètres d'altitude ; frênes des hauteurs du Kour- distan et du Khorûsan*; peupliers de l’Euphrate et diverses espèces de saules au bord des torrents ; pla- tanes des hautes vallées du Nord-Ouest; genévriers des montagnes du Khoràsan et de l'Elbourz méridional * ; cyprès — sürvi kuhi — de la Perse septentrionale ; pins du Khoràäsan oriental et de la Perse méridio- nale”, etc. Quelque nombreux qu'ils soient, ces arbres cepen- dant sont le plus souvent trop isolés pour former de véritables forêts ; celles-ci n'apparaissent à vrai dire en Perse que sur le versant septentrional de l’Elbourz, dans le Ghilan, le Mazandéran et le Daghistan. Grâce au climat exceptionnellement humide de cette contrée, la végétation arborescente s'y trouve dans les conditions les plus favorables ; aussi y est-elle aussi riche que variéef. À part quelques ifs isolés, les conifères toute- fois y font défaut’; mais on y rencontre de nom- breuses espèces d’arbres à feuilles caduques ou per- 1. Quercus balotta, Libani, Persica. Boissier, Flora, vol. IV, p. 1165-1167. — Grisebach, op. laud., vol. IÏ, p. 453. Trad., vol. II, p. 669. 2. Fraxinus oxyphylla, var. oligophylla, et parvifolia. Boissier, vol. IV, p. 40-41. 3. Juniperus communis, macropoda, oxycedrus, sabina. Boissier, vol. V, p. 707 et 710. Aitchison, Votes, p. 108, men- tionne aussi le Juniperus excelsa dans le Khorâsan et sur les contreforts septentrionaux du Paropamise. 4. Cupressus sempervirens. Boissier, vol. V, p. 705. 5. Pinus Brutia et Persica, Boissier, vol. V, p. 695 et 698. 6. « Densa silvis est », dit Strabon de la Parthyène, lib. XII, Cap 9; d: 7. A. Grisebach, op. laud., vol. I, p. 452. Trad.. vol. I, p. 668. « Aristobulus ait Hyrcianiam silvosam esse et quercum ferre, picea, abiete, ac pinu carere ». Strabon, hib. XI, cap. 7, 2. LA FLORE DE L’'IRAN 29 sistantes, depuis le buis et le houx jusqu'au platane oriental, des tilleuls, des charmes et des aunes ?, des érables*, diverses espèces de chênes et de frènes", de peupliers” et surtout de saules; le hêtre, qui atteint là sa limite orientale ; le Ze/kova crenata, grand arbre semblable à l’orme, qu’il remplace dans cette région ; une belle hamalidée, voisine du Liquidambar — Ja Parrotia Persica® —; une légumineuse à l'élégant feuillage, le fèvier de la Caspienne — Gleditschia Caspica — ; une gracieuse mimosée, l’A/hizzia Juli- brizzin*, enfin des fusains”, des nerpruns, des épines ," sans parler des arbres à fruits, dont il sera question plus loin ”. Jouissant à la fois des tièdes hivers de l'Ir- lande et des étés de l’Andalousie, la végétation de cette contrée privilégiée diffère profondément de celle de l'Iran proprement dit, et sa flore n’a rien de celle des steppes, qu'on rencontre de l’autre côté de l’Elbourz. C'est, au contraire, la flore des steppes qu’on 1. Boiïssier, Flora, vol. IV, p. 3%, 1144 et 1161. 2. Tilia rubra. — Carpinus betulus et Duinensis. — Alnus cordifolia et orientalis. Boïssier, vol. I, p. 847; vol. IV, p. 1177et1179. 3. Acer campestre, insigne, laetum, Tataricum, opulifolium. Boissier, vol. I, 947-948. &. Quercus sessiliflora, mannifera, et castaneaefolia. — Fraxinus oxyphlla. Boissier, vol. IV, p. 40, 1164 et 1174. 5. Populus alba, Euphratica et nigra. Boissier, vol. IV, p. 1193-1194. 6, Salix alba, angustifolia, capraeu, cinerea, purpurea, triandra, etc. Boissier, vol. IV, 1185-1186. 7. Boissier, Flora, vol. IT, p. 818. 8. Boissier, Flora, vol. IT, p.631, 633, 639. 9. Evonymus latifolius. Boissier, Flora, vol. I, p. 10. 10. Rhamnus grandiflora, Persica, etc. — Crataequs lagena- ria, pectinata. Boissier, vol. Il, p. 17, 22, 663-664. 11. Das Ausland, an. 1868, p. 495. — Drude, /Zandbuch, p. 402-409. 30 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS retrouve encore dans la partie orientale du plateau iranien, en même temps que, par quelques-uns de ses représentants, elle se rapproche de celle de J’Hin- doustan occidental ; cette contrée forme ainsi comme une région botanique intermédiaire entre la Perse et l'Inde. Dans les plaines brülantes ou sur les collines du Béloutchistan et de l'Afghanistan méridional, on ren- contre un certain nombre d'espèces végétales : mélia- cées, célastrinées, sapindacées, pomacées, lythrariées, lagoniacées, apocynées, bignoniacées ‘, mimosées ? surtout, etc., propres au Sindh et au Pendjab; puis dans les hautes vallées et sur les flancs du Souleiman, ainsi que dans les régions élevées de l'Afghanistan septentrional, en particulier sur les montagnes qui enserrent l’étroite vallée du Caboul, des jasmins *, des lilas‘, des chèvrefeuilles, des viornes”, etc., formant les sous-bois avec des essences arborescentes nou- velles : frênes", chênes’, bouleaux, le marronnier 4. Melia azedarach ; Celastrus spinosus et senegalensis ; Dodonaea viscosa ; Cotoneaster nummularia ; Woodfordia floribunda ; Buddleia paniculata; Rhazya stricta ; Bignonia undulata. Brandis, The Forest Flora of North- West and central India. London, 1874, in-8, p. 81, 113, 209, 237, 318, 322, 352. — A.-W. Hughes, The country of Balochistan, its geography, ethnology, ete. London, 1877, in-12, p. 19. 2. Acacia eburnea, modesta. Boissier, Flora, vol. IT, p. 637- 638. ‘3. Jasminum officinale, revolulum dans le Waziristan. Bois- sier, vol. IV, p. 42. — Brandis. Forest Flora, p. 313. &. Syringa Persica, Emodi. Brandis, forest Flora, p. 306. 5. Lonicera quinquelobaris. — Viburnum cotinifolium. Brandis, Flora, p. 255 et 258. 6. Fraxinus Moorcrafliana ou æanthoxyloïides. Boissier, Flora, vol. IV, p. 41. 7. Quercus dilatata, semecarpifolia. Brandis, Flora, p. 479 et 481. LA FLORE DE L’IRAN 31 d'Inde’, l’ébénier sissou*, et surtout des conifères, que nous rencontrerons dans l'Himalaya occidental : déodara de la vallée du Kouram*, sapins* et pins du Kafiristan, des monts Souleiman et du Séfid-Kouh, etc. La plupart des derniers représentants de cette flore arborescente se retrouvent aussi dans le haut Turkestan, surtout dans la vallée du Zarafchan et dans le Ferghäna, en même temps que des espèces incon- nues dans l'Iran proprement dit: tamaris de Karelin et de Pallas, hippophaëés, frêne de la Sogdiane, orme, peu- plier baumier, bouleau blanc, sapin de Schrenck ©, etc. L’Iran oriental et le haut Turkestan forment, on le voit, une région botanique particulière, mais sans caractère bien tranché; la bande littorale, qui va du détroit d'Ormuz à l'embouchure du Sindh, en forme, au contraire, une bien caractérisée, non plus tempérée, comme la côte méridionale de la Caspienne, mais semi- tropicale par son climat et la nature de ses produits ; c'est le germsir, la « terre chaude’ ». A la fois sèche 1. Betulus Bojpattra. — Aesculus indicus. Brandis, Flora, p. 103 et 458. 2. Dalbergia Sissoo de la vallée de Kouram. Aïtchison, On the Flora of the Kuram valley. (Journal of lhe Linnean So- ciety, vol. XIX, p. 160). 3. Journal of the Linnean Society, vol. XVIII, p. 98. 4. Abies Smithiana, Webbiana. Boissier, vol. V, p. 700 et 70%. — Grisebach, op. laud., vol. I. Trad., vol. II, p. 606. 5. Pinus excelsa, Gerardiana. Brandis, Flora, p. 506-510. — Aitchison, Votes, p. 153 et Journal of the Linnean So- ciety, vol. XVIIT, p. 98. 6. Capus, Zndications sur la végétation du Turkestan. (An- nales des sciences naturelles. Botanique, 6° série, vol XV (1883), p. 206, et Franchet. Plantes du Turkestan, vol. XVIII (1884), p. 247-253). 7. Otto Stapf, Oest.-ungarische Revue, vol. IV (1887), p. 357. Oscar Drude, Æandbuch, p. 401. 32 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS et brülante, on y trouve des plantes du Sahara, en même temps qu'un certain nombre d'espèces propres aux steppes ou aux coteaux arides de l'Iran. Parmi les premières il faut mentionner l'asher — Calotropis procera” —, asclépiadée au feuillage glauque et épais, au suc àcre et laiteux, aux rameaux tortueux, que nous avons rencontrée dans les déserts de l'Égypte et de la Syrie, et qui croit également dans le voisinage du golfe Persique, ainsi que près de l’oasis de Khab- bis et même dans l'Afghanistan ; le mada des Perses — Periploca aphylla® —, plante de la même famille, mais dénuée de feuilles, qui se trouve à la fois dans le Laristan, et dans le Béloutchistan ; le £onar — Zizyphus Spina Christi* —, jujubier de la flore d'Egypte et de la région du lac Asphaltique, qui appar- tient aussi à celle de l'Iran méridional. A ces plantes ou grands arbustes il faut ajouter des amandiers*, ainsi que des tamaris”, qui se plai- sent sur le littoral brülant de l'Océan indien, des mi- mosées et surtout des palmiers. Sans doute quelques représentants de la tribu des Mimosées, tel que, le Prosopis stephaniana, se rencontrent dans la Perse centrale et même septentrionale, comme dans l'Iran méridional ; mais c’est dans cette dernière région 1. Boissier, Flora, vol. IV, p. 57. Cf. Les Plantes dans l’an- tiquité, vol. I, p. 9 et 338. | 2. Boissier, Flora, vol. IV, p. 51. 3. Boissier, Flora, vol. II, p. 13. Cf. Les Plantes dans l’an- tiquilé, vol. I. p. 125 et 338. 4. Amygdalus scoparia, Stocksit, Brahouica. Boissier, Flora, vol. IT, p. 644-646. 5. Tamarix arliculata, ete. Boissier, vol. V, p. 777. 6. « Ichthyophagorum regio .. maximam partem arbori- bus caret, practer palmas, acanthum et myricam ». Strabo, lib. XV, cap. 2,2. LA FLORE DE L’IRAN 33 seulement que croissent le Prosopis spicigera, ainsi que les acacias rupestre et de Nubie'. Là aussi seu- lement croit le dattier, qui se rencontre à l’état spon- tané, en même temps qu'il est cultivé, des bords du golfe Persique aux bouches de l'Indus*. Tandis que le dattier est confiné dans la « terre chaude » et dans quelques oasis privilégiées, un autre palmier à feuilles en éventail, le Chamærops de Ritchie, dont les touffes tapissent le lit des torrents de la région du Germsir”, s'élève au Nord jusque dans l'Afghanistan; Aïtchi- son l’a recueilli en particulier dans la vallée du Kou- ram *. Différentes comme elles l’étaient de celles de la Grèce”, certaines espèces végétales de l'Iran ne purent manquer de frapper les compagnons d'Alexandre. Plus ou moins fidèlement reproduites par les écri- vains postérieurs, en particulier par Théophraste, les descriptions qu'ils en ont données, tout incomplètes qu'elles sont parfois, n’en sont pas moins précieuses, car elles nous montrent quelle idée les Grecs du Iv° siècle avant notre ère se faisaient de la flore ira- nienne. Je remets au paragraphe des arbres fruitiers à examiner ce que Théophraste à dit du pommier de Médie et du térébinthe de la Bactriane. Pour le moment, je me bornerai à passer en revue quelques 1. Boissier, Flora, vol. Il, p. 633-638. 2. « Phænicis patria in Asia... omnis est Arabiae Persidisque tractus, qui ab India ad rubrum mare protenditur. » Kaempfer, Amcnitates exolicae, p. 669. 3. Ern. Aycoghe Floyer, Unexplored Balüchistan. À survey with observations astronomical, geographical, botanical, ete. London, 1882, in-8, p. 23. — Aïtchison, Votes, p. 138. 4. The Journal of the Linnean Society, vol. XVIII, p. 99. 5. Théophraste, Historia plantarum, lib. IV, cap. 4, 12. JORET. — Les Plantes dans l'antiquité. IL. —3 34 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS plantes de l’Arie et de la Gédrosie, dont il a parlé d’après les historiens d'Alexandre. Dans le pays qu'on appelle Arie, dit le naturaliste grec, vient une épine, sur laquelle se forment des espèces de larmes, semblables d'aspect et d'odeur à la myrrhe ; mais ces larmes fondent aux premiers rayons de soleil. Ailleurs croît une épine blanche à rameaux verticillés par trois, dont on fait des baguettes et des cannes; elle est poreuse et pleine de suc. Une autre plante de la grandeur du raifort a des feuilles dont la forme et la dimension rappellent celles du laurier; elle est mortelle pour les animaux qui en mangent; aussi les Grecs en gardèrent-ils soigneusement leurs chevaux. Dans la Gédrosie croit aussi, dit-on, une plante à feuilles de laurier, qui fait mourir presque aussitôt, au milieu de convulsions épileptiques, les bêtes de somme, pour peu qu’ils les broutent. On y trouve également une espèce d’épine dont les tiges, issues d’une souche unique et dépourvues de feuilles, sont couvertes d’ai- guillons acérés; quand on en brise une ou qu'on la frotte, il en découle en abondance un suc capable de faire perdre la vue aux animaux, Comine aux hommes, dans les fyeux desquels il en tomberait une goutte. Il est probable que la première de ces plantes repré- sente deux arbustes différents, confondus par Théo- phraste, mais distingués par Pline, l’A/hagi, qui pro- duit la manne, et le Balsamodendron, qui distille le bellium. J’incline à voir dans la seconde l'Eu- phorbia osyridea, dont les longues pousses ressemblent à des cravaches, dit Aitchison*. Sprengel, qui s’est déclaré incapable de déterminer la troisième, à cru reconnaitre dans la quatrième une Cerbera. E. Meyer a rejeté avec raison cette hypothèse *; mais il n’a pas été, je crois, plus heureux que son devancier, quand 1. Historia plantarum, Lib. IV, cap. &, 12-15. 2. Notes on products of Western Afghanistan, p. 68. 3. K. Sprengel, Theophrasts Naturgeschichte der Gewächse. Altona, 1822, in-8, Il, 151. — Botanische Erläuterungen, p. 82. LA FLORE DE L'IRAN Sr. il a voulu voir dans l’arbuste du naturaliste grec un Aegiceras. Strabon a décrit’ la quatrième plante de Théophraste, presque dans les mêmes termes que lui, mais il n’a rien dit de la troisième ; Pline, lui, les a décrites toutes les deux, la quatrième, en lui attribuant les mêmes caractères que Théophraste, la troisième en renchérissant sur quelques-unes des propriétés que lui donne le naturaliste *. On ne saurait tirer des amplifications de Pline au- cune induction sur la nature des plantes dont il s’agit; il n’est pas impossible toutefois de les déterminer. La troisième ne peut être que la Calotropis procera — goul bad samour —, dont le suc est un poison violent, et dont l'ombre même, suivant le P. Ange de Saint- Joseph, passait pour mortelle. La quatrième est sans aucun doute le laurier-rose odorant — kherzehreh —, ainsi nommé, dit Chardin, parce que les animaux do- mestiques qui en mangent meurent en peu de temps. Quant à la cinquième, Strabon, qui en a donné à peu près la même description que Théophraste, ajoute, trait inexact, que « ses fruits couvrent le sol à l'instar des concombres » ; Arrien‘, qui en parle aussi, en in- sistant sur la force de ses aiguillons, remarque que 1. Geographica, lib. XV, cap. 2. 2. Ainsi il dit que « l'odeur de cet arbrisseau vénéneux atti- rait les chevaux et avait ainsi fait perdre à Alexandre une partie de sa cavalerie ». Hist. naturalis, lib. XII, cap. 18. 3. Pharmacopoeia persica. Paris, 1681, in-8, p. 365. — Voyages en Perse, vol. IT, p. 12. 4. De expeditione Alexandri, lib. VI, cap. 22, 7-8. « Ei adeo validam spinam adnasci, ut si cujus adequitantis vestis impli- cata fuerit, eques citius equo detrahatur quam ipsa a caule avellatur. » H.-0. Lenz (Die Botanik der alten Griechen und Rümer. Leipzig, 1859, in-8, p. 737) a supposé à tort qu'Arrien avait eu en vue l’Acacia Catechu. * 36 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS « la tige se laisse couper facilement, et qu'il en dé- coule alors un suc plus abondant et plus acre que celui du figuier ». D’après ces divers caractères, Sprengel a cru pouvoir identifier cette plante avec l’'Euphorbia antiquorum, identification acceptée par E. Meyer et qui ne saurait faire de doute. Dans le second des chapitres qu’il a consacrés aux plantes marines, Théophraste a décrit aussi trois es- pèces d'arbres, dont deux au moins croissent dans le golfe Persique”. Dans certaines îles que le flux submerge croissent de grands arbres, de la taille des platanes et des peupliers les plus hauts. A la marée montante, ils sont recouverts en entier par les flots, à l'exception des plus hautes branches, auxquelles on attache les amarres des bateaux ; on les fixe aux racines à marée basse. Ces arbres ont le feuillage du laurier, la fleur, par la couleur et le parfum, rappelle celle du violier; le fruit a la forme d'une olive et une odeur agréable. Ils ne perdent pas leurs feuilles ; les fleurs et les fruits paraissent à l'automne et tom- bent au printemps. Dans la partie de la Perse qui confine à la Carmanie on voit, au moment du flux, s'élever du milieu des eaux de grands arbres, dont le port et le feuillage rappellent ceux de l’an- drachlé. Ils sont couverts de fruits nombreux, qui, à l'extérieur, ont la couleur de l’amande, et dont le noyau a les cotylédons repliés l’un sur l’autre. Corrodés, jusqu’à mi-hauteur par l’eau de mer, ils semblent, comme des polypes, fixés au sol par leurs racines. Et en terminant Théophraste remarque que le manque d’eau douce dans le voisinage porte à conclure que ces arbres se nourrissent de l’eau de la mer. Et plus loin: Sur la côte orientale de Tylos se trouve, dit-on, une si grande quantité d'arbres que, quand la mer se retire, ils forment comme un rempart à l'ile. Ces arbres sont de la grandeur L Historia plantarum, hb. IV, cap. 7, 4-5. LA FLORE DE L'IRAN 37 d'un figuier ; ils portent des fleurs d’un parfum exquis et leurs fruits non comestibles ressemblent à des gousses de lupins. Quels sont les arbres ainsi décrits par Théophraste? Sprengel a supposé”, malgré ce qu'il y a là d’invrai- semblable, que les premiers étaient probablement des lauriers-roses odorants ; quant aux seconds, il n’a pas cru pouvoir les identifier ; il serait parvenu à les dé- terminer les uns et les autres, s’il avait rapproché de la description de Théophraste celles qu’on trouve dans Pline et dans Arrien. Sur les côtes de la mer Persique, dit le premier ?, là où les marées s’avancent loin dans les terres, croissent des arbres d’une nature merveilleuse. Corrodés par le sel, ils ressemblent à des végétaux qui ont été apportés et délaissés par les flots; on les voit, le rivage à sec, étreindre de leurs racines nues, comme des polypes, les sables arides. Quand la mer monte, ballottés par les flots, ils résistent immobiles ; bien plus, à la mer haute, ils sont complètement couverts, et le fait prouve que ces eaux salées leur servent d’aliment. La grandeur en est étonnante ; ils rappellent l’arbousier ; le fruit en dehors est semblable à l’amande ; au dedans le noyau est contourné. Cette description n'ajoute rien d’essentiel à la se- conde de Théophraste ; mais elle montre, comme elle, qu'il est évidemment question ici d’un palétuvier. Voyons maintenant ce que dit Arrien’. Parmi les arbres de la Gédrosie il y en a dont les feuilles ressemblent à celles du laurier; croissant sur les côtes baignées par la mer, ils restent à sec au moment du reflux; mais à la haute mer, ils sont recouverts par les flots. Ceux qui se trouvent dans les bas-fonds, d’où la mer ne se retire pas, non seule- ment n’ont point à souffrir de l’eau salée, mais ils s’en nour- 1. Theophrasts Naturgeschichte, vol. IT, p. 163. 2. Historia naturalis, lib. XIT, cap. 20, 1. Trad. Littré. 3. De expeditione Alexandri, lib. VI, cap. 22, 6-7. IL — 3. 38 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS rissent. Ces arbres ont jusqu'à trente toises de haut et leurs fleurs rappellent celles du violier blanc, mais elles ont un parfum plus agréable. Malgré les différences qu’elles présentent, la des- cription d’Arrien et la première de Théophraste se rapportent évidemment à un même arbre; j'incline à y voir la Rhizophora mucronata; quant à l’arbre de Pline, le second de Théophraste, dans lequel Lenz ! a vu aussi une rhizophorée, sans dire de quelle espèce, et que Littré a identifié avec la R/2zophora mangle ’, c'est encore un palétuvier, mais tout différent, l’Ani- cennia officinalis. Enfin dans les arbres de Tylos, à fruits semblables à des lupins, que Théophraste fait croître aussi avec les Rhizophora des iles submergées de l'Océan et les Avicennia des côtes de la Perside, que Pline connaît également”, mais dont Arrien et Strabon ne disent rien, il est impossible de ne pas y reconnaitre l’Aegiceras majus, myrsinée des mers tropicales. On voit par ce qui précède combien était riche et variée la flore de l'Iran et du Turkestan ; aussi mal- gré l’aridité d’une partie considérable de son terri- toire, cette vaste contrée offrait aux populations qui s'y établirent d’abondantes ressources pour leur ali- mentation et pour leur industrie. À part l'orge toute- 1. Botanik der alten Griechen und Rômer, p. 676. 2. Traduction de Pline, vol. I, p. 480. La À. mangle est plutôt une plante de l'Amérique tropicale. 3. Hist. plantarum, IV,7, 5 et 6. — Jlist. nat., XI, 21 (10), XIII, 41. sc STE LA FLORE DE L'IRAN 39 fois, qui paraît avoir été trouvée à l’état sauvage dans la Perse méridionale et dans le Béloutchistan, cette immense région ne produisait spontanément aucune céréale, car il est douteux que le seigle soit indigène dans l'Afghanistan, quoique Griffith dise l'y avoir rencontré ‘. Si les céréales font défaut au plateau iranien, une partie des autres plantes alimentaires et des condiments y croissent certainement à l’état spontané. M. Capus a trouvé le pois chiche et le pois gris, le premier à Karap (Turkestan), le second dans la vallée du Jaghnau*. Regel n'indique l’ail comme indigène que plus à l'Est dans la Dzoungarie*; mais De Candolle, je l’ai rappelé autre- fois *, n’est pas éloigné de regarder cette plante comme une simple variété de quelqu’une des espèces d’A/lium, qu'on rencontre depuis l'Ouest de l’Europe jusque dans l'Asie centrale’; le type de l’ail ordinaire peut donc fort bien s'être trouvé dans l'Iran. Quant à l'oignon, on l’a découvert à l’état sauvage, à la fois dans le Khorâsan, l'Afghanistan et le Béloutchistan”. L'aneth aussi, le fenouil, l’ache, la laitue, la carotte viennent 4. Aïtchison, Votes, p.186, pense aussi que le seigle serait indigène dans le Khoräsan et la vallée de Kouram, mais com- ment alors les anciens Iraniens ne l’auraient-ils pas cultivé ? 2. Annales des sciences naturelles, 6e série. Botanique, vol. XV, p. 266 et 268. 3. Alliorum monographia. Petropolis, 1875, p. 44, ap. V. Hehn, op. laud., p. 201. 4. Les plantes dans l'antiquité el au moyen âge, vol. T, p.65. 5. Origine des plantes cultivées, p. 52. M. Schweinfurth regarde l'Asie antérieure comme la patrie de l'ail, aussi bien que de l'oignon. Aus den Verhandlungen der Berliner anthro- pologischen Gesellschaft, an. 1891, p. 666. 6. A. de Candolle, op. laud., p. 54. — Engler ap. V. Hehn, op. laud., p. 203. 40 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS spontanément en Perse et le cumin a été rencontré dans le désert de Kizil-koum'. Mais quoi qu’en ait affirmé Linné, il semble bien que ni les concombres, ni les melons ou les pastèques ne sont indigènes dans la région iranienne *. La plupart de nos arbres fruitiers, au contraire, croissent naturellement dans cette contrée ; on peut dire que le plateau de l'Iran en est la patrie d'élection. Le poirier commun est indigène dans la Perse septen- trionale, sur le versant dela Caspienne”, et une variété à feuilles tomenteuses a été trouvée par M. Capus dans les gorges du Tchotkal*; le poirier de Syrie croît aussi dans les montagnes de la Perse septentrionale, et le poirier à feuilles glabres — andjudjek — dans celles du Farsistan”. Le cognassier a été signalé dans la province d’Astrabad et sur tout le littoral persan de la Caspienne. Le pommier commun se trouve dans les forêts du Ghilan*; M. Capus l’a découvert aussi dans les vallées du Jaghnau et du Pskem, en Boukharie, ainsi que dans le Ferghàäna’. Au Sud de Wernoje, il existe une vallée appelée Almati à cause de la grande quantité de pommiers sauvages qui s’y trouvent*. Le 1. Boissier, Flora, vol. Il, p. 856, 975, 1026, 1076 et 1080. 2. Il faut dire toutefois que le Cucumis trigonus, dont on a voulu parfois faire le type du melon, parait indigène dans l'Iran. Aïtchison, Votes, p. 49. 3. Boissier, Flora, vol. IT, p. 653. 4. Annales des sciences naturelles, vol. XVIIT, p. 284. 5. Boissier, Flora, vol. Il, p. 655-656. 6. Boissier, Flora, vol. Il, p. 656. Kôüppen, Geographische Verbreitung der Holzgewächse. (Beilräge zur Kenntniss des russischen Reichs, vol. V, p. 09). 7. Annales des sciences naturelles, vol. XV, p. 266; vol. XVIII, p. 285. 8. M. Przéwalsky a, paraït-il, trouvé dans Ja vallée du Youl- LA FLORE DE L’'IRAN #1 néflier de Germanie vient au pied de l’Elbourz, sur le versant de la Caspienne; l’azerolier dans la Perse mé- ridionale près de Pérézend et sur le Kouh-Delou ‘. L’alisier et ses variétés croissent dans le Nord de la Perse? ; le sorbier du Turkestan aux bords de l’Iskan- der-koul et le sorbier des oiseleurs dans les vallées des monts Karatau”*. Les arbres fruitiers à noyau sont encore plus com- muns dans l’Iran et le Turkestan que les arbres fruitiers à pépins. Le merisier croit dans les forêts de la province de Ghilan, en même temps que le laurier-cerise*; il a été aussi trouvé dans des terrains pierreux du Turkestan méridional*; plus au Nord, sur les bords du Pskem, à 1 200 metres d'altitude, a été également découvert le cerisier mahaleb°, si répandu à l'Ouest du Zagros. M. Capus mentionne aussi comme fréquent dans la vallée du Vorou le cerisier à basse tige’; le voya- geur Basiner l'avait aussi rencontré dans la steppe des Kirghis*. Le prunier épineux est spontané dans les forêts du Ghilan et le prunier à rameaux divariqués dans les basses terres de cette province et de celle douz, au Turkestan oriental, des bois entiers de pommiers. An- nales, vol. XVIII, p. 284. 1. Boissier, Flora, vol. II, p. 659-662. 2. Boissier, Flora, vol: IT, p. 658. 3. Annales des sciences naturelles, vol. XVI, p. 287. — Boïis- sier, tbid. ; 4. Boissier, Flora, vol. II, p. 649. o. Annales des sciences naturelles, vol. XVI, p. 281. Toute- fois M. Capus, tbid., vol. XVIII, p. 283, dit qu'il ne l’a pas rencontré à l’état spontané, ni subspontané dans la montagne. 6. Annales, vol. XVI, p. 281. 7. Cerasus chamaecerasus. Annales, vol. XVIII, p. 283. 8. Beiträge zur Kenntniss des russischen Reiches, vol. XV, p. 65. 42 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS d’'Astrabad !: il a été trouvé encore sur les bords de la rivière Pskem et dans les gorges du Tchotkal*. Le prunier domestique, si répandu dans le Caucase, a été également rencontré par Buhse dans l’Elbourz*. M. Capus a trouvé l’abricotier à l’état spontané sur les bords de l’Iskander-koul, à Chirabad en Boukharie, ainsi que dans la vallée du Pskem et dans celle de l’Abla- toun au Tchotkal, à 1300 mètres d'altitude“; mais il n’est point indigène dans l'Iran proprement dit ni dans le Caucase, pas plus d’ailleurs que le pècher, encore que Boissier* et Buhse° indiquent ce dernier comme spontané dans les provinces de Ghilan et d’Astrabad, où il n’est que naturalisé. On trouve aussi dans la vallée du Séfid-roud, où il forme de véritables forêts, l'olivier ordinaire que Buhse regarde comme indigène”, tandis que Kôppen le con- sidère à tort comme simplement naturalisé*. En tout cas on rencontre dans le Béloutchistan et l'Afghanistan, en particulier dans la vallée du Kouram”, une espèce d'olivier — Olea cuspidata — qui ne diffère de l’oli- vier ordinaire — Olea europaea — que par ses feuilles 1. Boissier, Flora, vol. IT, p. 650. — Küppen, Beiträge, vol. V, p. 266. 2. Annales, vol. XVI, p. 281 et vol. XVIII, p. 283. 3. Kôppen, Beiträge, vol. V, p. 261. &. Annales, vol. XV, p. 206, XVI, p. 281 et XVIII, p. 280. 5. Flora orientalis, vol. Il, p. 650 et 653. 6. Kôppen, Beiträge, vol. V, p. 255. Cf. De Candolle, op. laud., p. 181. 7. Boissier, Flora, vol. IV, p. 36. 8. Beiträge, vol. V, p. 573. Strabon, lib. XI, cap. 13, 7, constate la présence de l'olivier en Médie ; il dit seulement que ses fruits y manquent d'huile. 9. Journal of the Linnean Society, vol. XIX, p. 79. — Bois- sier, vol. IV, p. 56. LA FLORE DE L'IRAN 43 plus acuminées et ferrugineuses en dessous. Il ne faut pas oublier ici, quoique j'en aie déjà fait mention pré- cédemment, le chalef — ÆElaeagnus anqushfolius — qu'on rencontre au bord des cours d'eau de l'Iran et de Touran presque entiers à partir de 1000 metres d’élévation ‘. Bien que plus importants pour leur excel- lent bois que pour leurs fruits médiocres, on peut encore mentionner les micocouliers ; l'espèce ordinaire — Celhis australis — a été trouvée dans la province d’Astrabad, sur le Karatau et dans la vallée du Zaraf- chan ; le micocoulier du Caucase croit à la fois dans la Perse septentrionale et méridionale, le Khoräsan, le Béloutchistan et le royaume de Caboul*. | L'amandier commun est aussi très répandu sur le plateau iranien. On le rencontre à l'état spontané dans l’Aderbeiïdjan et le Khoräsan, ainsi que dans les monta- gnes du Turkestan. M. Capus à trouvé les deux variétés à amandes douces et amères dans la vallée du Zaraf- chan, à une altitude de 1 300 mètres et une autre variété à feuilles ovales sur les bords du Pskem et dans les rochers du Vorou*. Le pistachier « vrai », dont le nom paraît venir du zend — pers. pistä, pistak* —, croit à l'état sauvage dans les terrains primitifs du Turkestan 1. Boissier, Flora, vol. IV, p. 1056. On a supposé que l'oli- vier, qui croissait dans la région montagneuse de l'Inde, d’après Théophraste, lib. IV, cap. 4, 11, était le chalef; je crois bien plutôt qu'il s’agit de l'olivier à feuilles cuspidées. 2. Boissier, Flora, vol. IV, p. 1156. — Annales, vol. XVIII, p. 290. 3. Kôppen. Beiträge, vol. V, p. 164. — Annales, vol. XVI, p. 281 et XVIII, p. 281. — De Candolle, op. laud., p. 174. — Boissier, Flora, vol. II, p. 642. 4. A. Schrader, ap. V. Hehn, KXulturpflanzen, p. 1%. Un lieu planté de pistachiers s'appelle pistalik. 41 LES PLANTES CIIEZ LES IRANIENS et de l'Iran septentrional. Le voyageur Lehmann rap- porte qu'en 1841, dans la vallée du Zarafchan, au milieu des monts situés à l'Est de Pendjakend, iltraversa, sur une longueur de 50 verstes, un bois presque entièrement formé de pistachiers sauvages. M. Capus a rencontré aussi cet arbre pres des sources du Jaghnau, ainsi que dans les monts de Hissar et de Baissoun'. Aiïtchison dit * qu'il en existe de vastes forêts dans les Badghis et au milieu des collines du Khoräsan. Une autre espèce du même genre à fruits comestibles aussi, le pistachier mutique, est, elle, indigene dans l'Iran tout entier ; on l’a rencontrée dans l’Aderbeidjan, dans les mon- tagnes voisines de Yezd, ainsi que dans l'Afghanistan, entre Hérat et Tebbes, et dans la vallée du Kouram*. Le noyer ordinaire — Juglans reqia — croit aussi spontanément dans la Perse boréale et dans le Bélout- chistan; M. Capus l’a indiqué également dans les val- lées du Pskem et de l'Ablatoun, à une altitude de 1 000 à 1500 mètres. Une espèce différente, le noyer à fruits : ailés — Juglans pterocarpa —., fruits peu comestibles, il est vrai, se rencontre dans la province de Ghilan et de Mazandéran et près d'Astrabad*. D’après Ledebour, le chàtaignier serait aussi indigène dans la Perse sep- tentrionale; mais Kôppen a mis le fait en doute”. Le grenadier, lui, est bien spontané dans l'Iran; on le trouve à la fois sur les monts Avroman et Chahou 1. Kôppen, Beiträge, vol. V, p. 164. — Annales, vol. XV, p. 250 et vol. XVIII, p. 281. 2. Notes on the products of Western Afghanistan, p. 156. 3. Boissier, Flora, vol. IT, p. 7. — Journal of the Linnean Society, vol. XIX, p. 157. — Aïtchison, Votes, p. 155. 4. Boissier, Flora, vol. IV, p. 1160-1161. — Annales, vol. XVIII, p. 286. 5. Boissier, Flora, vol. IV, p. 1175. — Beiträge, vol. V, p. 142. LA FLORE DE L'IRAN 45 dans le Kourdistan perse, ainsi qu'au milieu des rochers du Béloutchistan et de l'Afghanistan, entre autres dans le district de Kouram. Le figuier ordinaire — Ficus carica — n'est pas moins répandu sur le plateau iranien; on a trouvé la variété rupestris dans les monts Kouh-Kilouyeh et une autre variété, le Ficus Johannis, dans l'Afghanistan, entre Tebbes et Hérat, ainsi que dans le Béloutchistan *. La vigne à l’état sau- vage n’est guère moins commune que le figuier dans l'Iran, quoiqu'elle s’avance moins loin vers le Sud; on l’a rencontrée dans le Ghilan et sur plusieurs points du Turkestan; MM. Capus et Regel entre autres l'ont trouvée dans les vallées du Pskemetdel’Ablatoun à une hauteur de 1250 mètres ; elle y portait des grappes bien fournies, mais dont les baies étaient petites”. On rencontre aussi, dans les provinces de Ghilan, de Mazandéran et d’Astrabad, ainsi que dans l’Afgha- nistan, une espèce de plaqueminier — le Drospyros lotus, le kharmandu des Perses‘. On a signalé dans le Daghestan l'existence des groseilliers à maquereau et à fruits rouges‘; M. Capus a trouvé aussi dans les montagnes de Tchirtchik et Tchotkal l'espèce à fruits noirs ou cassis; enfin le groseillier oriental croit dans l’Elbourz. Dans la région du Sud-Ouest on rencontre le jujubier nummulaire”, dans le Khoràsan et ailleurs le 1. Boissier, Flora, vol. Il, p.737. — Journal of the Linnean Society, vol. XIX, p. 163. 2. Boissier, Flora, vol. IV, p. 1154-1155. 3. Boissier, Flora, vol. I, p. 955. — Annales, vol. XV, p. 247 et XVIII, p. 286. 4. Boissier, /lora, vol. IV, p. 34. 5. Boissier, Flora, vol. IIT, 815. 6. Annales, vol. XVIII, p. 287. 7. Brandis, Forest Flora, p. 89. 46 LES PLANTES CIIEZ LES IRANIENS jujubier commun, et presque partout, au-dessus de 2000 pieds, l'épine-vinette', tandis que dans l'Afghanistan oriental croissent aussi, entre autres, à l’état spontané, la Myrsine Africana et la Reptona burifolia, arbustes du Pandjab, dont les fruits quoique petits sont recher- chés”. Il semble bien que le mürier à fruits noirs soit également indigène et ne soit pas seulement acclimaté sur le versant persan de la Caspienne”. Enfin il faut rappeler en terminant que diverses espèces de ronces à fruits comestibles croissent sur les points les plus divers du plateau iranien et touranien. S'ilétait moins riche en plantes textiles, tinctoriales, oléifères et autres propres à l'industrie qu’en plantes alimentaires et en arbres fruitiers, l’Iran en renfermait néanmoins plus d’une espèce précieuse. Le cotonnier n'y est point indigène sans doute, come on l’a dit à tort; mais on y rencontre à l’état spontané de nom- breuses espèces de lin°; le chanvre a été trouvé au Sud et à l'Est de la Caspienne, dans la vallée alpestre du Jaghnau et même dans le district de Kouram”; des astragalées, quelques apocynées, en particulier l’Apo- cyruum venetum, sont riches en fibres”. Plusieurs gra- minées des steppes ou du bord des eaux, des laîches, etc. 1. Aitchison, Votes on products of Western Afghanistan, p. 25 et 225. 2. Brandis, /‘lora, p. 283 et 285. 3. Boissier, Flora, vol. IV, p. 1153. — Kôppen, Beiträge, vol. VI, p. 15. — Aitchison, Votes, p. 134, semble croire que le mürier blanc est indigène dans le Khoräsan, où il est commun. 4. Spiegel, Eranische Alterthumskunde, vol. T, p. 259. 5. Linum angustifolium, humile, Bungaei, perènne, perst- cum, etc. Boiïssier, vol. [, p. 861. 6. De Candolle, op. laud., p.118.— Capus, Annales, vol. XVIIT, p. 249. — Journal of the Linnean Society, vol. XIX, p. 94. 7. Aitchison, Votes on products, p. 75. LA FLORE DE L'IRAN 47 sont propres aux divers ouvrages de vannerie. On trouve aussi dans l'Iran quelques plantes tinctoriales dès longtemps recherchées ; l’indigotier tinctorial * et probablement le safan? y sont, il est vrai, exotiques ; mais la garance y croît à l’état sauvage”, tout comme l'arbre au henné, spontané dans le Béloutchistan et peut-être dans la Perse méridionale * ; l'écorce des racines de diverses espèces indigènes : épine-vinette, érable, prunier, ronce, celle des fruits du grenadier, les tiges et les fleurs d’autres espèces, par exemple de la dauphinelle zalil, les galles du chène, du pistachier mutique, du Prosopis, etc., les feuilles du sumac des corroyeurs, arbuste de la Perse septentrionale, du Kho- räsan et du Turkèstan, offrent aussi des matières colorantes variées. Les galles de ces divers arbres ou arbustes et d’autres encore, l'écorce, les feuilles et les brindilles d’autres espèces indigènes peuvent servir pour le tannage *. Enfin si le sésame y est exotique, on trouve dans la plupart des provinces de l'Iran la roquette et des sénevés à graines riches en huile°, et nous avons vu qu'on y rencontre aussi l'olivier, le chalef, le noyer, ainsi que le lin et, dans le Touran, le chanvre, dont les fruits ou les graines renferment également de l'huile en abondance. Enfin l'Iran et le Touran possèdent de nombreuses plantes aromatiques ou oflicinales, dont la plupart ont 1. L'[ran méridional et oriental renferment plusieurs espèces d'indigotier, mais non le {inctoria. 2. Boissier, /lora, vol. V, p. 100, ne l'indique que dans la Grèce et l’Asie Mineure occidentale. 3. Boissier, Flora, vol. III, p. 17. &. Boissier, Flora, vol. IT, p. 744. 9. Aïtchison, Votes on products, p. 62, 205. 6. Fruca sativa et Sinapis juncea. Boïssier, vol. I, p. 392-896. 48 s LES PLANTES CIIEZ LES IRANIENS dû être connues dès la plus haute antiquité et employées par les habitants. Strabon dit’ que la Gédrosie, « la contrée la plus aride de l’Asie, produit cependant des aromates, en particulier le nard et la myrrhe ». Ni la myrrhe, ni encore moins le nard ne sont indiqués par les botanistes modernes dans cette province ou dans aucune autre de l'Iran; mais sur les rochers brülants du Béloutchistan croissent, d’après Stocks, deux arbustes à encens, les Balsamodendron pubes- cens et mukul?, et tous les endroits arides sont cou- verts d'Andropogon laniger qui dégage, quand on le foule aux pieds, une odeur agréable *. Dans la région des steppes, on rencontre de nombreuses astragales qui produisent la gomme adragante*; on trouve dans celle de la Caspienne le Datura stramonium ; les grandes ombellifères ”, d’où on extrait l’asa fœtida, le galbanum, le sagapenum, la gomme ammoniaque et l’opopanax croissent également en abondance sur les points les plus divers du plateau iranién et touranien ; la rhubarbe ordinaire® — le rivas des Perses — 1. Geographica, lib. XV, cap. 2, 3. « L'armée d’Alexandre. ajoute Strabon,. s’en servit pour abri et comme de couche, ce qui lui permit de respirer un air plus sain et parfumé. » 2. Boissier, Flora, vol. Il, p. 8. 3. Aitchison, Notes on products of Western Afghanistan, p. 12: 4. Astragalus adscendens, brachycalyx, qummifer, Kurdi- cus. etc. F.-A. Flückiger et D. Hanbury, Aistoire des drogues d'origine végétale, traduite par J.-L. de Lanessan. Paris, 1878, in-8, vol. I, p. 346. 5. Ferula asa-fætida, galbaniflua ou rubescens, alliacea, rubricaulis, ete. l'erulago macrocarpa, lophoptera, Cardu- chorum, cinerea, contracta, etc. — Dorema ammoniacum, Au- cheri, aureum. — Opopanax Persicum. Boissier, vol. IV, p. 988-1010. 6. Rheum ribes. Boissier, vol. IV, p. 1003. — Aïtchison, LES HABITANTS DE L’IRAN 49 est commune au-dessus de 2000 mètres dans les ter- rains argileux de l’Aderbeidjan, du Farsistan et du Khoràäsan, sur le versant Nord du Paropamise et même dans les montagnes du Béloutchistan, et une autre espèce aux larges feuilles radicales, la rhubarbe de Tartarie, croît en particulier dans les plaines d'alluvions de la vallée du Héri-roud et dans le désert de Kara-koum *. III Quelles populations sont venues tour à tour mettre en valeur les richesses végétales que leur offrait la vaste région, dont je viens d'essayer de faire connai- tre la flore. L'histoire des premiers siècles de l'Orient ne renferme aucune réponse à cette question. Il semble que le plateau iranien füt d’abord occupé par des po- pulations de race obscure, dont on retrouve peut-être les restes épars dans les tribus négroïdes de la Susiane * et chez les Brahouis du Béloutchistan *. En Notes, p. 174. Il est inutile de dire qu’il n'y a rien de com- mun entre cette plante et le ARiîbes — groseillier —, qu'on a parfois confondu avec elle. Cf. A. de Gubernatis, Mythologie des Plantes, vol. Il, p. 317. 1. Rheum Tataricum L., Rheum Caspicum Pal. Cette espèce se rencontre aussi dans la Russie méridionale, la Dzoungarie et la région de l’Altai. Boissier, Flora, vol. IV, p. 1003. — Aït- chison, Votes, p. 174. 2. Fr. Houssay, Les langues humaines de la Perse. Lyon, 1887, in-8, p. 40. Cf. Les plantes dans l'antiquité, vol. I, p. 359. 3. Ceux-ci paraissent d’origine dravidienne, comme les populations d’une partie de l'Hindoustan. Fr. Spiegel, Era- nische Alterthumskunde. Leipzig, 1871, vol. I, p. 337. M. Duncker, Geschichte des Alterthums. Leipzig, 1879, in-8, vol. II, p. 10. Il faut dire toutefois qu'on a fait aussi venir les Brahouis Jorer. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 4 ue 50 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS même temps ou à une époque de peu postérieure, l'Iran dut être traversé par des peuplades aralo-al- taïques ou touraniennes, ancêtres probables des Sumériens de la Babylonie, dont quelques tribus se fixèrent dans les vallées du Zagros ‘. D’autres tribus paraissent s'être arrêtées plus au Nord, dans la con- trée comprise entre le Zagros et l'Elbourz*, mais elles ne devaient pas en rester toujours seules maïtres- ses ; elles furent obligées ou de la partager ou de la céder aux tribus ariennes, qui envahirent à leur tour le plateau de l'Iran. À une époque où les empires de Ninive et de Baby- lone étaient déjà arrivés au plus haut degré de civili- sation, ces tribus menaient encore la vie nomade dans la haute plaine du Touran *; d’où étaient-elles venues “? On l'ignore. Depuis combien de temps y de l’Inde dans l’Iran à l’époque de l'invasion des Ariens dans la Péninsule. A.-W. Hughes, The country of Baluchistan, p. 38. Cf. Fr. Spiegel, Eränische Alterthumskunde, vol. I, p. 335. 1. Les Karkhes, les Korbrènes, les Corséens et autres peu- plades guerrières. Polybe, Res Syriacae, Lib. V, cap. #4, 7. 2. M.-J. Oppert, Le peuple des Mèdes. Paris, 1879, in-8, p. 15- 25, a supposé que ces tribus touraniennes portaient le nom de Madai — les Mèdes —., et qu’elles auraient donné à cette région leur nom, conservé par les peuplades ariennes qui se mêlèrent à elles sans les subjuguer. — Duncker, Geschichte des Alter- . thums, vol. IV, p. 206, note 3, a refusé, au contraire, toute réa- lité aux Touraniens de Médie. Cf. A. Delattre, Le peuple et l’em- pire des Mèdes jusqu'à la fin du règne de Cyaxare. (Mémoires couronnés par l'Académie des sciences, etc., de Belgique, vol. XLV (1883), p. 5 et suiv.). — Fr. Spiegel, op. laud., vol. I, p. 384. 3. Fr. Spiegel, Die arische Periode.(Op. laud, vol. I, p. 424). 4. Schleicher (Compendium der vergleichenden Grammatik der indogermanischen Sprachen. Leïpzig, 1876, p. 8 ) a consi- déré la haute plaine du Touran comme le berceau de la race arienne ; Rud. von Jhering (Vorgeschichte der Indoeuropüer. Leipzig, 1894, in-8, p. 21) les fait aussi vivre réunis pendant LES HABITANTS DE L'IRAN o1 étaient-elles établies ? On ne le sait pas davantage. Tout ce qu'on peut dire, c’est qu’elles n'étaient qu’un rameau détaché de la grande famille des nations indo- européennes : Slaves, Lettons, Germains, Celtes, Ita- liotes et Grecs, avec lesquels elles avaient erré durant des siècles dans les steppes qui avoisinent la Cas- pienne ‘. Séparés d'eux, les Ariens avaient occupé le haut bassin de l'Yaxarte et de l’Oxus, avec celui du Polytimète ; puis poussés par une force inconnue, peut-être une invasion des peuplades touraniennes, ils avaient, tout en laissant des colonies dans les anciens pays qu'ils possédaient, franchi le Paropa- mise ; mais là ils se divisérent ; une partie, les Ariens proprement dits, s'engageant dans la vallée du Kophen, alla occuper le bassin de l’Indus, fleuve dont elle a pris le nom ; le reste de la nation, les ancètres des Iraniens — Arjana, dérivé de Arja* — se répan- dit sur tout le plateau de l'Iran ; quelques tribus occu- pêrent les bassins du Margos et de l’Arios, d’autres, ancètres des Afghans d'aujourd'hui”, descendirent au des milliers d'années au Nord de l’Hindou-Kouch; mais à l’ori- gine asiatique des Indo-européens on a, depuis un quart de siècle, opposé une origine européenne ; Isaac Taylor, en par- ticulier (L'origine des Aryens et l'homme préhistorique, trad. de Henri de Varigny. Paris, 1895, in-12, p. 296), a été jusqu'à supposer que la langue aryenne primitive avait été formée « dans l’Europe centrale » ; hypothèse bien aventureuse et qui importe d’ailleurs fort peu ici. 1. A. Schrader, Sprachvergleichung und Urgeschichte. Linquistisch-historische Beiträge zur Erforschung des indo- germanischen Allertums, 2° éd. Iéna, 1890, p. 629. 2. Eduard Meyer, Geschichte des Alterthums. Stuttgart, 1884, in-8, vol. I, p. 526. à 3. « Les Afghans sont Eraniens et leur langue est, quant au fond, purement éranienne ». Victor Henry, Études afghanes Paris, 1882, in-8, p. 95. 52 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS Sud dans ceux de l'Etymander et de l’Arachotos ; d’autres, au contraire, se dirigèrent vers l'Ouest et gagnèrent les vallées de l’Elbourz. Là, elles se heur- térent aux peuplades touraniennes qui y étaient campées. Après les avoir subjuguées, les tribus, dont la réunion a formé le peuple arien des Mèdes ', s’éta- blirent à demeure dans le pays qui a porté leur nom pendant toute l'antiquité, et qui fut le premier foyer de la civilisation iranienne. D’autres tribus, les Parses, après avoir pénétré peut-être jusqu'aux bords du lac d'Ourmiah ?, les quittèrent, et, longeant la chaine du Zagros et le massif des monts Élamites, allèrent se fixer dans le Farsistan et le Laristan actuels. Un souvenir confus de ces longues migrations se conserva dans la mémoire des Iraniens, et l’auteur du Zend-Avesta a cru devoir les rappeler en les symboli- sant”. Le premier fargard ou chapitre du Vendidad contient l’énumération des seize « pays excellents », créés par Ahura Mazda — Ormuzd —, occupés suc- cessivement par les tribus iraniennes, et des fléaux envoyés par Añgra Mainyu — Ahriman — pour en rendre le séjour intolérable *. Mais l’histoire ne sait rien de ces établissements, ni de ces persécutions, et 1. Oiôn Midor Exahéovro nahat rp0 révrwv "Apt. Hérodote, Historiae, Lib. VIT, cap. 62. .2. C’est l'opinion de M. A. Amiaud, Cyrus, roi de Perse. (Mé- langes Renier. Paris, 1886, in-8, p. 255-256). Mais rien ne prouve que les Parsua des inscriptions de Salmanassar II fussent, comme il l’admet, les ancêtres ou les frères des Perses proprement dits. 3. M. Bréal, De la géographie de l’Avesta.(Mémoires de my- thologie et de linguistique, p. 187 et suiv.). 4. J. Darmesteter, Le Zend-Avesla, traduction nouvelle avec commentaire historique et philologique, vol. II, p. 5, note 4. (Annales du musée Guimet, vol. XXIT). EE de 3 or LES HABITANTS DE L’IRAN elle ignore complètement ce que furent et ce que devinrent les habitants de l'Iran, jusqu’au moment où ils entrèrent en relation avec les Assyriens. Les montagnes qui les séparaient de la Mésopo- tamie avaient longtemps protégé les Iraniens contre leurs redoutables voisins ; mais lorsque les rois d’Ashshur eurent définitivement établi leur domination sur la Syrie et l'Arménie, ils songerent à subjuguer les pays situés à l'Est de leurs états, comme ils avaient asservi ceux qui les bornaient à l'Ouest et au Nord. Abritées dans leurs montagnes inaccessibles, les tribus pillardes, qu'ils rencontrèrent d’abord, leur opposèrent une longue et énergique résistance. Quand ils les eurent vaincues, l'Iran se trouva ouvert devant eux. Après avoir reçu le tribut de vingt-sept rois des Parsua, peuple qui habitait au Sud du lac Ourmiah, Salmanassar Il, dans la vingt-quatrième année de son règne, pénétra une premiere fois dans le pays des Amada — les Mèdes —, et il se vante, dans une inscription”, d’en avoir pris et rançonné les villes. Ses successeurs Shamshiramän et Rammäânniràri III enva- hirent aussi cette province *, mais sans la soumettre. Les armées de Téglathphalassar IT y parurent à leur tour, et les inscriptions de ce prince nous apprennent qu'il en ravagea plusieurs cantons et imposa un tribut « à tous les chefs mèdes jusqu'au pays de Bikni ». Sargon continua l’œuvre de conquête de 1. Inscription de Nimrod, publiée par H. Winckler. Xeilin- schriftliche Bibliothek, hergg. von Schrader, vol. [(1889), p.143). 2. Keilinschr. Bibliothek, vol. T, p.175 et 189. — A. Delattre, Le peuple et l'empire des Mèdes, p. 74 et 84. — Hugo Winckler, Geschichte Babyloniens und Assyriens. Leipzig, 1892, in-8, p. 203. 3. Keilinschr. Bibliothek, vol. Il, p. 17 et 19. — A. Delattre, d4 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS ses prédécesseurs ; il s'empara des villes les plus importantes de la Médie orientale, leur imposa un tribut, détruisit celles qui voulurent résister (715-716) et bâtit des forteresses dans le Zagros pour surveiller le pays'. Malgré quelques révoltes passagères, les Mèdes restèrent pendant plus d'un siècle soumis à la suzeraineté de l’Assyrie. Il était réservé à Cyaxare — Uhvakhshatara — de les affranchir. Après avoir établi sa suprématie sur tous les chefs indigènes, le fils de Phraorte — Fra- vartish — organisa une forte armée et marcha contre Ninive. Une invasion des Scythes l'arrêta au moment où il venait de battre le roi d’Ahshshur * ; mais quel- ques années plus tard, il vainquit et chassa les enva- hisseurs. Il reprit alors la lutte contre les amis héréditaires de son pays ; uni à Nabopolassar de Babylone *, il battit Ashshurakhiddin Il, dernier roi d'Assyrie, s’empara de Ninive, où ce prince s'était réfugié, et réunit ses états à la Médie (607)*, Non con- tent de cette conquête, Cyaxare aspira à soumettre toute l’Asie antérieure à son empire. Laissant Nabo- polassar régner en paix sur la Babylonie et la Syrie, il tourna ses armes contre les peuples qui habitaient à l'Occident de ses états, et s'avança en vainqueur op. laud., p. 85-99. — Max Duncker, op. laud., vol. IV, p. 216, a dit à tort que les armées de Téglathphalassar avaient pénétré jusqu’à Nisée et même dans le pays des Sagartiens — Zikrouti — et dans l’Arachosie. 1. Keilinschr. Bibliothek, vol. II, p. 41, 55 et 61. — A. De- lattre, op. laud., p. 99-109. 2. Hérodote, Æistoriae, lib. I, cap. 103 et lib. IV, cap. 1 et 2. 3. Eduard Meyer, op. laud., vol. I. p. 576. &. Diodore, Bibliotheca, lib. II, cap. 23-28. ; LES HABITANTS DE L’'IRAN Hp) jusqu'aux frontières de la Lydie‘. La résistance d’Alyattes mit un terme aux conquêtes de Cyaxare ; mais bien que la paix eût été conclue entre les deux états (585)°, la conquête de la Lydie n’était qu'ajournée ; toutefois ce fut un monarque perse, non un souverain mède, qui la fit. Restée, grâce à son éloignement, indépendante de l’Assyrie, la Perse était, après la chute de Ninive, tombée sous la domination de la Médie victorieuse. Mais Astyage — Ishtuvegu —, le successeur de Cyaxare, n'avait pas les talents nécessaires pour con- server à son pays le rang élevé où le fils de Phraorte l'avait porté. Un prince de la famille perse des Aché- ménides, Cyrus, fils de Cambyse, vassal d'Astyage, se révolta contre le faible monarque ; il le battit, enleva à la Médie la suzeraineté qu’elle exerçait depuis un demi-siècle, et la rendit tributaire de la Perse (550). Après la défaite des Mèdes, Cyrus tourna ses armes contre la Lydie, vainquit Crésus, roi de ce pays, et réunit ses états, avec toute l'Asie mineure, à son empire *. Sa domination s’étendait à l'Occident jusqu’à la mer Égée, il résolut d'en reculer les bornes à l'Orient et au Nord-Est jusqu'aux confins du plateau iranien et de la plaine du Touran: la Margiane, la Sogdiane, la Bactriane, le pays des Khorasmiens — l'Uvärazmiya —, furent soumis ; les Sakes, qui habitaient dans les steppes de la Transcaspienne, 1. Hérodote, Æistoriae, lib. I, cap. 71. 2. Max Duncker, op. laud., vol. IV, p. 226 (585). — Mas- pero, Histoire ancienne des peuples de l'Orient classique, vol. IN p-2529" 3. Max Duncker, op. laud., vol. IV, p. 325-344. — Maspero, Histoire ancienne, vol. IN, p. 613-624. 26 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS battus et rendus tributaires ‘. De la descendant vers le Sud, Cyrus parcourut l’Arie — Haraiva —, l’Arachosie — Harahvaiti —, le pays des Zarangiens — Ia Drangiane — et la vallée du Kophen ; une légende voulait qu'il eût pénétré jusque dans la Gédrosie *. Son pouvoir maintenant s’exerçait sur presque tout le plateau iranien ; il allait bientôt s'étendre jusqu'aux rivages de la Syrie et de la Phénicie. En 538, Cyrus attaqua Nabonide, roi de Babylone, et s'emparasuccessivement de toutes les villes de son royaume. La Chaldée, ainsi que tous les états qui en étaient tributaires: Syrie, Phénicie, Arabie, recon- nurent la domination du conquérant. Le chef d’une peuplade jusque-là ignorée de l'Iran occidental était devenu le maître de l’Asie antérieure tout entière. La puissance perse devait encore s’accroitre sous les successeurs de Cyrus ; Cambyse y ajouta l'Égypte ; Darius, l’Hapta-hindu — le Pendjab actuel —. Ja- mais empire aussi grand n'avait encore existé, et l'or- ganisation que lui donna le génie politique du fils d'Hystaspe lui permit de durer pendant deux siècles *. Les armes d'Alexandre seules parvinrent à le renver- ser. Mais la prospérité dont il avait joui durant de si longues années, le luxe de ses princes, l'impulsion qu'ils donnèrent aux entreprises commerciales, eurent sur l’agriculture et l’horticulture une influence consi- 1. Ctesias, Persica, éd. Müller, par. 2 et 3. 2. Spiegel, Eränische Allerthumskunde, vol. IT, p. 286-287. — Maspero, op. laud., vol. IT, p. 626. 3. Maspero, op. laud., vol. II, p. 635-638. — Eduard Meyer, op. laud., vol. I, p. 605. 4. James Darmesteter, Coup d'œil sur l’histoire de la Perse. Paris, 1885, in-18, p. 17. LES HABITANTS DE L’'IRAN sy dérable. Elle continua de se faire sentir sous les Ar- sacides de la Parthiène et les Sassanides, qui se suc- cédèrent tour à tour dans la domination de la Haute Asie. Des cultures nouvelles furent découvertes, des espèces indigènes anoblies, des essences exotiques, inconnues jusque-là, acclimatées, et de l'Iran et de l’A- sie antérieure, répandues dans le monde hellénique et dans l'empire romain. CHAPITRE II L'AGRICULTURE ET L'HORTICULTURE LES IRANIENS LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION ET DANS L'INDUSTRIE Aussi loin que nous pouvons remonter dans le passé, les [raniens nous apparaissent à la fois comme un peu- ple de pasteurs et d'agriculteurs *. La nature du pays qui a reçu leur nom, comme celle de la plaine du Touran, les invitait à la vie pastorale”. Au printemps ils trouvaient dans leurs immenses steppes, l'été sur les pentes des collines impropres à la culture, puis sur les hauteurs herbeuses de la région montagneuse, des pâturages abondants et variés pour leurs troupeaux ?; aussi l'élevage du bétail et des bêtes de somme resta- t-il toujours une de leurs occupations favorites ; parmi les sept tribus d'importance secondaire dont parle 1. Fr. Spiegel, Die arische Periode. Leïpzig, 1887, in-8, p. 66-71. 2. « Herbosa equisque abundans », dit déjà Arrien de la Carmanie (Historia indica, cap.xxxnr, 4); mais il vante surtout les pâturages de la région moyenne de la Perside: « Regio- nemque ipsam herbosam, multa irrigua prata habere ». /bid., cap. XL, 3. Les pâturages de la Médie aussi étaient célè- bres, en particulier pour la nourriture des chevaux. Stra- bon, lib. XI, cap. 13,7. M. de Morgan vante également (op. laud., vol. V, p. 268 et II, p. 136), les pâturages alpestres du Louristan et ceux des montagnes du Talych persan. L'AGRICULTURE ET L’HORTICULTURE DES IRANIENS 59 Hérodote ”, il y en avait, d’après l'historien grec, trois qui se livraient à l’agriculture et quatre à la vie pas- torale, et aujourd’hui encore un tiers de la population de l'Iran est nomade *. Mais s’ils n’ont jamais renoncé à la vie pastorale, les Iraniens se sont toujours aussi livrés aux travaux de l’agriculture ; ils l'avaient pratiquée dès les temps les plus reculés, alors qu'ils vivaient en commun sur les hauts plateaux du Turkestan actuel avec leurs frères Ariens, futurs colonisateurs de la presqu’ile hindoustanique ; la présence dans le zend et dans le sanscrit des mêmes termes pour désigner le labourage en est la preuve *. Ils continuèrent à plus forte raison de se livrer à la culture du sol, après leur établisse- ment dans les fertiles vallées de l'Iran, sans négliger toutefois l'élevage du grand et du petit bétail, que l’a- bondance des pàturages de la région alpestre et celle même des steppes leur rendait si facile. L'Avesta fait mention à la fois de la possession des troupeaux et des champs. « La terre est heureuse, dit Ahura Mazda dans le Vendidad “, là où l’homme sème le plus de blé et d'herbe... là où se multiplient le plus le petit et le gros bétail ». Cependant il semble que l'écrivain sacré mette la culture des champs au-dessus du soin des troupeaux. « L'homme quiréjouit la terre dela joie la plus grande, dit-il *, est celui qui sème le plus de 4. Historiae, lib. I, p. 125. 2. Polak, Persien. Das Land und seine Bewohner. Leipzig, 1865, in-8, vol. II, p. 90. 3. Fr. Spiegel, Die arische Periode, p. 69. — W. Geiger, Die Ostiranische Kultur, p. 393. 4. Fargard III, 4-5. Trad. James Darmesteter. (Annales du musée Guimet, vol. XXII, p. 34-35). 5. Vendidad. Fargard III, 23-27. 60 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS blé et d'herbe... car la terre n’est point joyeuse qui git longtemps en jachère, au lieu d’être ensemencée : elle désire un bon labour ». Aussi récompense-t-elle celui qui la travaille de ses bras, en portant pour lui du blé en abondance, en produisant pour lui tous les aliments, tandis qu’elle voue à la misère et condamne à mendier honteusement son pain celui qui ne la cultive pas. Mais en cultivant la terre, l’homme ne travaille pas seulement pour lui,-il fait avancer, il nourrit la reli- gion : « Qui sème le blé, sème le bien, dit le Vendidad', il fait marcher, il allaite la religion de Mazda. » Avec de tels préceptes et de telles croyances Pagri- culture ne pouvait manquer d’être en honneur chez les Iraniens ; Xénophon nous apprend * que les rois eux- mêmes la tenaient en grande estime et qu'ils ne l’en- touraient pas de moindres soins que l’art militaire. Ils inspectaient eux-mêmes leurs domaines, dit l'historien grec, et comblaient de présents et d’honneurs les gou- verneurs qui les avaient bien entretenus et cultivés. Dans une lettre adressée par Darius, fils d'Hystape, au satrape de l’Asie-Mineure, Gadatas, on voitle grand roi féliciter ce gouverneur « d'appliquer ses soins à cultiver sa terre ».° Et Plutarque rapporte qu'Artaxerxès II, à la vue d'une grosse et belle grenade qu’un certain Onésimos lui avait offerte, s’écria que cette homme serait capa- ble, d'une petite ville qu'il aurait à gouverner, d’en faire en peu de temps une grande cité ‘, tant l’habileté 1. Fargard III, 30-31. 2. Oeconomicus, cap. IV, 4-8. 3. Tnv éunv éxroveïs yiv. Bulletin de correspondance helléni- que, vol. XIII (1890), p. 529. &. Arloxerxes, Cap. V. L'AGRICULTURE ET L'HORTICULTURE DES IRANIENS 61 que ce paysan avait montrée en obtenant un si beau fruit, inspirait d'admiration au monarque perse. Mais pour que l’agriculture prospérât, il fallait, le législateur des Iraniens le comprit, fournir en abon- dance à la terre l’eau qui, sous le ciel aride de leur pays, lui fait trop souvent défaut. L'irrigation et l’as- séchement des marécages pouvaient seuls rendre fructueuse la culture du sol et en accroitre l’exten- sion ; aussi sont-ils recommandés dans le Vendidad en même temps que le labourage et l’ensemencement. « L'homme qui amène l’eau dans une terre qui en est privée, enseigne Ahura Mazda à Zoroastre ‘, et re- tire l’eau d’où il y en a trop, fait œuvre bonne et ré- jouit la terre à l’égal de celui qui sème le blé et l'herbe. » Ce précepte fut entendu et mis en pratique dès la plus haute antiquité ; les rivières des vallées furent divisées en plusieurs bras et leurs eaux répan- dues dans les plaines environnantes, à l’aide d’un système ingénieux de canaux et de rigoles. Ailleurs encore, comme à l'entrée du défilé du Kah-roud, des barrages furent construits pour retenir, dans de spa- cieux réservoirs, l’eau provenant de la fonte des nei- ges. C'est ainsi que la vallée du Zarafchan a été transformée en un véritable paradis”, que les eaux du Mourghab ont rendu si fertiles les environs de Merv, que les canaux dérivés du Zayendeh-roud ont 1. Vendidad. Fargard III, 4 et 23. 2. Aboulféda n’a pas assez d’admiration pour « l’enchevêtre- ment ininterrompu de verdure et de jardins et les champs cultivés » du Sogh de Samarcande, «le plus agréable de tous les pays que Dieu a donnés à l’ homme ». Géographie, trad. Guyard, vol. IT, p. 23. « C’est un long jardin », dit H. Lier A tr avers l'Asie ‘centrale, p. 125. 62 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS donné une fécondité sans égale à la plaine d'Ispahan!, et que d'anciennes digues élevées auprès de Persépo- lis avaient gagné à la culture de vastes territoires aujourd’hui desséchés et stériles. Quand les rivières ou les montagnes couvertes de neige étaient trop éloignées pour qu'on en püt dériver l’eau nécessaire, on creusait dans la plaine des puits de profondeur variable, réunis entre eux par des gale- ries souterraines — des kandl? —, ayant une pente convenable pour l'écoulement de l’eau et prolongées jusqu'au point où l’on désirait l’amener *. On y puisait sans doute l’eau nécessaire à la culture, comme on le fait aujourd’hui, à l'aide d’un seau fixé à une longue corde, passée sur une espèce de treuil et qu’un bœuf tire par l'extrémité opposée“. Des ouvrages de ce genre firent l'admiration d’Antiochus le Grand, lorsque, tra- versant le désert de la Parthyène, il y trouva de l'eau ainsi emmagasinée par les habitants de ce pays aride. ° Dans quelques parties de la Médie et du Kourdis- tan, les pluies du printemps suffisent pour faire pro- duire à la terre quelques récoltes hâtives ; mais, même dans ces provinces favorisées, elles ne sont pas assez 1. Polak, op. laud., vol. IT, p. 119-120. 2. Ces galeries portent dans le Béloutchistan le nom de kariz. Fischer, Die Existenzhedinqungen der Dattelpalme. (Petermann’s Geographische Mittheilungen. Ergänzungsheft XV (1880-1881). 3. R. Ker Porter, Travels in Georgia, Persia, Armenia du- ring the years 1817, 1818, 1819 and 1820. London, 1821, in-#, vol. I, p. 296. — G. Rawlinson, The five great monarchies, vol. III, p. 54. 4. Polak, op. laud., vol. II, p. 120. 5. Polybe, Reliquiae, lib. X, cap. 28, 2. tte L'AGRICULTURE ET L'HORTICULTURE DES IRANIENS 63 abondantes pour permettre de cultiver le sol pendant toute l’année. Il en est ainsi à plus forte raison dans les autres contrées, où les précipitations aqueuses sont plus rares et de moins longue durée. L'irrigation y est par suite la première condition de toute culture, aussi de tout temps a-t-elle été encouragée par les rois perses. Suivant une tradition recueillie par Po- lybe ‘,ils accordaient pendant cinq générations la jouis- sance des fruits et de tous les produits à ceux qui avaient amené de l’eau dans une terre. Tant l’arrosage était regardé dans l'Iran commela condition première de l’agriculture ! Quand le sol avait été suffisamment irrigué, on le labourait. Les Iraniens devaient employer pour ce tra- vail une charrue aussi grossière que celle dont se ser- vent encore aujourd'hui les Persans et les Turcomans, et qui consiste en un simple morceau de fer recourbé, fixé à l’une des extrémités d’une barre de bois, dont l’autre extrémité est attachée au joug d’une paire de bœufs ?. Après avoir ainsi écorché plutôt que retourné le sol, on répandait la semence sur la glèbe que l’on aplanissait ensuite, soit en la faisant fouler aux pieds des bestiaux, soit en faisant passer dessus une es- pèce de herse. De nos jours, il en était probablement de même dans l'antiquité, on divise les champs en car- rés, séparés par des rigoles destinées à recevoir l’eau. Les semailles avaient lieu sans doute au commen- cement de l’automne ; quant à la moisson, elle se fai- sait à des époques variables suivant les contrées ; au- 1. Reliquiae, lib. X, cap. 28, 3. 2. Polak, Persien, vol. Il, p. 131. — Petzholdt, Türkestan, p. 52. | 6% LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS jourd'hui elle a lieu dans l'Arabistan dès le mois de mars ; à Kachan elle ne commence qu’en juin ; aux environs d’Ispahan elle ne se fait qu’en juillet ‘ ; à une altitude plus considérable elle est encore plus tardive ; mais vers le commencement de septembre toutes les récoltes étaient rentrées, et à cette date on célébrait la fête de la moisson. Il est vraisemblable qu’on faisait aussitôt fouler les gerbes aux pieds des bœufs pour en retirer le grain, tandis qu'aujourd'hui, après les avoir étendues sur l'aire, on fait passer dessus une espèce de rouleau. Le nombre des céréales cultivées par les anciens Jraniens parait avoir été assez restreint; l'Avesta les désigne toutes indistinctement sous le nom de yava— lith, yavas — mot qu'on a parfois traduit par orge, mais qui désigne tout aussi bien le froment. L’inscrip- tion du palais de Cyrus, lue par Alexandre, nous apprend que les Perses possédaient d’ailleurs ces deux espèces de grains, ainsi que l’épeautre”, dès les pre- miers temps de la dynastie des Achéménides. Il est même probable qu'ils connaissaient l’orge et le fro- ment, sinon l’épeautre, dès l’époque où ils pénétrè- rent sur le plateau de l’Iran*°. Ils devaient alors aussi connaitre une autre céréale, qui peut-être même oc- cupa d’abord dans leurs cultures une place plus con- 1. Polak, op. laud., vol. II, p. 132. 2. Polyen, Sératlegica, lib. IV, cap. 3, 32. On cultive en Perse à la fois l'orge commune et l'orge à six rangs. 3. Fr. Kôürnike, Die Arlen und Varietäten des Gelreides. Bonn, 1885, in-8, p. 250. Ve Te ER EE Re EN NS Ne US cr ES e * L'AGRICULTURE ET L'HORTICULTURE DES IRANIENS 65 sidérable que les premières": le millet commun. Du temps d'Hérodote, il était encore la céréale la plus cultivée chez les Hyrcaniens, les Parthes, les Saran- giens et les Thamanéens ; ils le semaient en été, nous apprend l'historien”. Cette céréale a continué d’être cultivée dans l'Iran jusqu’à nos jours ; on y sème aussi le millet d'Italie et même, dans le Béloutchistan et la vallée de l'Hilmend, le millet à épis’; mais je ne saurais dire à quelle époque remonte la culture de ces derniers. Vers le 1v° ou le 1° siècle avant notre ère, se joignit aux céréales déjà cultivées, au moins dans les terres humides, le riz, originaire de l'Inde; Strabon rapporte, d’après Aristobule*, qu'on le cul- tivait dans la Bactriane et même dans la Babylonie et la Susiane; on ne tarda guère sans doute à le semer au Sud de la Caspienne, ou il est surtout répandu de nos jours. Quant au Sorgho, il n'a dù être introduit dans"l'Iran que lontemps après notre ère. Le seigle y a pénétré aussi assez tard; inconnu des Iraniens, comme des autres peuples de l’ancien Orient, il n'est de nos jours encore qu'exceptionnellement cultivé dans le Turkestan”° et ne réussit que dans quelques contrées montagneuses de la Perse”. 1. Ed. Hahn, Die Haustiere. Leipzig, 1896, in-8, p. 138 et 410. : 2% Historiae, lib. III, cap. 117. 3. Panicum miliaceum, Italicum, spicatum. Aïtchison, Notes, p. 147, 150 et 187. 4. Geographica, lib. XV, cap. 1, 18. 5. Polak ne compte pas le sorgho au nombre des céréales de l'Iran. 6. Par les Russes seuls, dit Petzholdt, Turkestan, p. 16. 7. Polak, Persien, vol. Il, p.137. — Aïtchison, Votes, p. 186, dit qu’il croit comme une mauvaise herbe dans les champs de blé du Khoràsan. dorer. — Les Plantes dans l'antiquité. I, — 5 66 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS L’Iran possède aujourd’hui la plupart de nos légu- mes, mais on ne saurait dire avec certitude combien d’entre eux furent connus des anciens habitants du pays, ni à partir de quelle époque ils les cultivèrent. On peut croire que les lentilles — das — répandues dans toute l’Asie antérieure, ainsi que les fèves, pri- rent, dès les temps les plus reculés, place dans les potagers iraniens ; il en fut sans doute de même des petits pois, des pois chiches, comme de l’ervillier — mäsh —, un des légumes favoris des Perses actuels”. Il est vraisemblable qu’on cultiva aussi dans l’ancien Iran la plupart des légumes verts : laitues, chicorées, épinards, auroches, indigènes d’ailleurs , dans cette contrée. Il en fut de même probablement des carottes” et des betteraves, qui croissent spontanément dans l'Asie antérieure. On peut encore ajouter les radis, les raves et peut-être les navets, sinon les choux. Il est question du cresson et du persil, ainsi que des raÿes et des radis, des oignons et des aulx dans l'inscription de Cyrus à Persépolis”, ce qui «prouve l'ancienneté de la culture de ces plantes en Perse. Le cresson ou la roquette et le persil, comme l’ail et même l'oignon, sont moins des légumes véritables que des condiments ; ces derniers: aneth, cumin, nigelle, 1. Polak, Persien, vol. IT, p. 138. C’est l’Ervum ervilia. On cultive aussi aujourd’hui, dans les champs des régionsséle- vées, le Lathyrus saltivus — la jarousse — et, dans le Bélout- chistan et la région de l’Hilmend, le Phaseolus radiatus ; mais j'ignore depuis quelle époque. Aïtchison, Votes, p. 124 et 151. Le botaniste anglais donne au dernier le nom de m&sh. 2. La carotte indigène dans la Perse occidentale est le Daucus maximus Desf. G. Schweinfurth, Zeitschrift für Eth- nologie, an. 1891, p. 632. — Aitchison, Votes, p. 55, dit que la carotte est indigène dans la vallée du Kouram et Ie Cachemir. 3. Polyen, Strategica, lib. IV, cap. 3, 382. L'AGRICULTURE ET L’HORTICULTURE DES IRANIENS 67 silphium ou asa-fœtida, moutarde, câpres, étaient, l’in- scription de Cyrus nous l’apprend, connus, sinon tous cultivés, par les anciens Perses. Ils connurent aussi peut-être la coriandre, dont le Bundehesh fait mention. On ne peutguère douter que les Iraniens n'aient connu encore et cultivé de bonne heure les melons, les con- combres, les gourdes et les pastèques, dont les graines sont si faciles à transporter, et qui donnent, en par- ticulier les melons, des produits délicieux dans leur pays; ce n’est pas une raison toutefois pour que la culture en remonte à une très haute antiquité, encore moins pour que ces fruits-légumes soient originaires de l'Iran ou du Turkestan, comme M. Vambéry n’a pas hésité à le dire pour cette dernière contrée ?. Les Iraniens ne s’adonnèrent pas seulement à la cul- ture des'céréales et des légumes, ils cultiverent aussi plusieurs plantes fourragères. Si les herbes des step- pes, dès les premiers jours du printemps ; pendant les premiers mois de l'été, les graminées des clairières”, avec le feuillage des arbres de larégion forestière; enfin plus tard les prairies du Saerhadd offraient une nour- riture abondante et variée à leurs troupeaux de bœufs et de moutons ou de chèvres, ainsi qu'à leurs nom- breux chevaux et à leurs chameaux ; ni les unes ni les autres ne pouvaient leur être d'aucun secours enhiver, 1. The Bundahish, chapt. xxvu, 15. (Pahlavi Texts transla- ted by E.-W. West, Part. I. Sacred Books of the East, vol. V). Le Bundehesh en fait mention, en même temps que de l’ail et du cresson. 2. Die primilive Cullur des Turko-Talarischen Volkes. Leipzig, 1879, in-8, p. 219. 3. « Equis aliisque jumentis pascendis idoneam esse », dit Arrien de la région moyenne de la Perside, Æistoria indica, Cap. XL, #. 68 LES PLANTES CIIEZ LES IRANIENS et les premières mêmes cessaient de leur servir en été; ils durent aussi chercher de bonne heure dans la cul- ture des plantes fourragères de quoi suppléer à l’in- suffisance des prairies naturelles et à la pénurie des fourrages en hiver. Quelles espèces choisirent-ils à cette intention, parmi celles qui croissaient naturelle- ment dans leur pays? Aujourd’hui les Perses cultivent dans ce but, outre l'orge, l’esparcette ou sainfoin, le trèfle renversé et le fenugrec, une espèce de vesce, que mangent avidement les brebis, ainsi que la luzerne”. Quoique ces diverses légumineuses soient également indigènes dans l'Iran, la luzerne — Medicago sativa— est la seule peut-être qu’on y ait cultivée avant no- tre ère ; c’est la seule du moins dont les écrivains an- ciens fassent mention; connue déjà de Théophraste”, Strabon remarque qu’on lui avait dônné le nom d'« herbe de Médie » à cause de son abondance dans cette province”, et Pline dit que, étrangère à la Grèce, la luzerne y fut apportée par les Mèdes, pendant les guerres de Darius‘. Awant de pénétrer en Europe, elle avait été acclimatée en Mésopotamie; sous la forme assyrienne aspasti, qui rappelle le zend aspest, perse uspust, pehlvi aspast*, cette plante"figure dans la liste dressée par le jardinier du monarque babylo- . 1. Polak, Persien, vol. IT, p. 135, mentionne l'orge, l’espar-. cette, le tréfle, la vesce et la luzerne: Aïtchison, p. 77, ne parle pas de l esparcette, ni de la vesce, mais il fait mention du fenugrec. 2. Historia plantar um, lib. VIT, cap. 7, 7. 3. Tv foravnv... dro roù rAcovalery tlws Mnôrzny xœ)00- uev. Geographica, lib. XI. cap. 13, 7. 4. « Medica externa etiam Graeciae est, ut a Medis advecta per bella ue quae Darius intulit ». Historia naturalis, lib. XVIII, cap. 14 5. La luzerne en aujourd’hui yudjeh et sdpist. | À L'AGRICULTURE ET L’'HORTICULTURE DES IRANIENS 69 nien Mardukbalidin — Mérodach-Baladan —, contem- porain d'Ezéchias, roi de Juda”. Ce document montre que la luzerne était déjà connue au vin siècle avant Jésus-Christ dans la vallée de l'Euphrate. Son nom araméen aspastä prouve qu'elle a dü aussi être cultivée anciennement en Syrie. Elle ne cessa jamais de l'être en Perse sur une vaste échelle; vers le milieu du vi° siècle de notre ère, Khosrou frappa les champs de luzerne d’un impôt qui devint pour lui une source con- sidérable de revenus?, tant était grande l'importance qu'avait prise de son temps la culture de cette plante, Indigène dans la Perse septentrionale, le lin a dû y être cultivé aussi très anciennement; mais les monu- ments nationaux et les écrivains grecs ne nous four- nissent à cet égard aucun renseignement, Nous igno- rons également à quelle époque le chanvre, de la région de l’Aral et de la Caspienne, où il croit spon- tanément, a été importé et cultivé dans l'Iran propre- ment'dit; s’il l’est aujourd’hui et probablement depuis longtemps, ce n’est pas comme textile toutefois; et le lin, planté presque uniquement, de nos jours, dans le Mazandéran et le Turkestan, n’est plus guère, lui aussi, cultivé comme tel. La seule plante textile qui soit cultivée maintenant est le cotonnier, mais il est exotique: depuis quand a-t-il été importé en Perse de l'Inde, son pays d'origine ? Théophraste, qui le range parmi les plantes de cette dernière contrée et en a 1. J. Halévy, Wélanges élymologiques.(Mémoires de la Société de linguistique, vol. XI (1900), p. 73). Cf. O. Schrader, ap. V. Hehn, Xulturpflanzen, p. 401. 2. Nüldeke,Geschichte der Perser und Araber zur Zeit der Sassaniden, aus der arabischen Chronik des Tabari übersetit. Leiden, 1879, in-8, p. 244. 70 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS donné une description détaillée ', rapporte qu'on le trouvait aussi dans l’île de Tylos, au milieu du golfe persique, et après avoir dit quelle était la forme des feuilles et du fruit, ainsi que la nature des fibres qu’on en retirait, 1l ajoute qu'il croissait également en Arabie”. De son temps, on le voit, le cotonnier avait déjà été importé dans l’Asie antérieure ; on peut donc supposer que, s'il n'était pas encore introduit en Perse, il ne tarda pas à y être cultivé. Le Bundehesh, qui nous reporte à l’époque des Sassanides, en parle comme du plus important des textiles connus”. » * Dès longtemps on dut aussi cultiver dans l'Iran la garance, le carthame, le safran, l’arbre au henné et même l'indigotier. Il est probable qu'indigène dans cette contrée, la garance y a été plantée à une époque reculée; mais aucuns écrivain de l’antiquité ne nous renseigne à cet égard ; le Bundehesh lui-même n’en fait pas mention, et Edrisi est le premier écrivain qui en parle; elle était, dit-il’, cultivée sur une grande ééhelle entre Derbend et Tiflis. La mention du safran et du carthame dans l'inscription de Cyrus* montre que ces deux plantes étaient connues et probablement cultivées en Perse dès le temps des premiers Achéménides ; le carthame l'était d'ailleurs dans l'Égypte ancienne depuis l’époque la plus reculéef. Le Bundehesh ne 1. Historia plantarum, Lib. IV, cap. 4, 8. Cf. plus loin, livre II, chap. 2. 2. Historia plantarum, lib. IV, cap. 7, 7. Cf. Pline, Historia naluralis, lib. XIT, cap. 21. ï The Bundahish, chapt. xxvir, 16. . Ernst Meyer, Geschichte der Botanik, Kénigehers, 1856, in- 8, vol. ITT, p. 299. 5. Polyen, Sfrategica, lib. IV, cap. 3, 41 et 42. 6. Les plantes dans l'antiquité, vol. I, p. 49. L L'AGRICULTURE ET L’'HORTICULTURE DES IRANIENS 11 parle point de ce dernier, mais il met le safran au premier rang des plantes tinctoriales de l'Iran’. La culture en Perse de l'arbre au henné remonte certai- nement à une haute antiquité. M. Schweinfurth a même supposé qu'elle avait été importée de la Perse en Égypte?. Elle a mainténant encore une grande impor- tance aux environs de Yezd et de Minab'. Quant à l'indigotier, il n'est pas douteux qu’il a été apporté de l'Inde en Perse ; mais on ignore à quelle époque a eu lieu cette importation*. Il est difficile de dire quelles plantes oléagineuses furent cultivées dans l’antiquité par les Perses ; le ricin et le sésame, qui fournissent aujourd’hui presque toute l'huile dont se servent les habitants, ne sont pas indi- gènes dans l'Iran; mais ils ont dû y pénétrer de bonne heure.#L’inscription du palais royal de Persépolis fait déjà mention de l'huile de sésame”; cette plante était donc connue et probablement cultivée en Perse dès le temps des premiers Achéménides, ce qui ne doit pas surprendre, car elle l’était depuis l’époque la plus reculée en Mésopotamie®. Hérodote, de son côté, nous apprend que le sésame était cultivé chez les Parthes, les Hyrcaniens et les Sarangiens ‘; il l’était aussi sans doute, comme de nos jours, dans la Médie et la Car- 1. The Bundahish, chapt. xxvn1, 18. 2. Zeitschrift für Ethnologie, an. 1891, p. 658. 3. Polak, Persien, vol. Il, p. 152. — Elisée Reclus, Géogra- phie, vol. IX, p. 279. 4. Aujourd’hui la culture en est pratiquée aux environs de Chouster dans l’Arabistan. — Polak, Persien, vol. II, p. 152. 5. Polyen, Strategica, lib. IV, cap: 3, 23. 6. Les plantes dans l'antiquité, vol. I, p. 140. 7. Historiae, lib. IIT, cap. 117. 712 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS manie’. Quant au ricin, si la culture en a pris une grande importance dans l'Iran, aucun document ne nous dit à quelle époque elle y a pénétré; toutefois on peut admettre qu'elle y était connue bien avant notre ère. En fut-il de même de la culture de la roquette — mandäo, — plantée de nos joursdans quelques districts de la Perse occidentale”. Cela n’est pas invraisem- blable ; mais rien ne permet de l’affirmer. Pour l'olivier, il a dû être cultivé dès longtemps dans la région cas- pienne, où il est encore commun aujourd’hui; mais il ne l’a été ni dans la Médie, ni dans la Perside ou la Carmanie”*, encore moins dans la Bactriane et les pro- vinces centrales et orientales de l'Iran. e Les Iraniens ne cultivaient pas les arbres à fruits avec moins de soin que les plantes alimentaires ou industrielles. Nous avons vu combien nombreux et variés étaient ceux qui croissaient spontanément dans leur pays et dans les vallées de la’ haute plaine du Touran; s'ils n’essayèrent pas d'en anoblir toutes les espèces, ils en cultivèrent du moins quelques-unes des plus productives. Ahura Mazda n’avait-il pas lui-même recommandé à ses sectateurs la plantation des arbres à fruits? « L'homme qui réjouit la terre de la.joie la plus grande, dit le Vendidad dans un passage que j'ai 1. Polak, Persien, vol. II, p. 150. 2. Polak, Persien, vol. II, p. 151. On peut encore moins se prononcer sur l’époque à laquelle remonte la culture du colza. 3. Arrien, Aistoria indica, cap. xXX11, 5 SKXXII, 2 et XL, 3. &. « Bactria.. omnium rerum ferax, excepto oleo », Strabon, lib. XII, cap. 11, 1. ù | + LEE L'AGRICULTURE ET L'HORTICULTURE DES IRANIENS 13 déjà cité”, est celui qui sème le plus de blé et d'herbes et d'arbres fruitiers. » Dans la lettre à Gadatas, dont il a été aussi question plus haut, Darius louait ce satrape d’avoir planté dans ses domaines de la basse Asie des arbres à fruits des pays d'au delà de l’'Euphrate*. Ce qu'avait tenté Gadatas n’était pas sans doute un fait isolé; dès longtemps on dut s'attacher à transporter d'une province dans une autre les meilleures espèces étrangères, en même temps qu'on cultivait celles qui étaient indigènes. Quels étaient les arbres à fruits plantés dans les vergers iraniens ? Si les écrivains de l'antiquité nous apprennent. que ces arbres étaient nombreux dans certaines provinces”, il ne nous en ont fait connaître qu'un très petit nombre. Arrien, qui parle, à plusieurs reprises, de ceux que Néarque et ses compagnons avaient vus, dans leur voyage le long des côtes de la Carmanie et de la Per- side, ne mentionne nominativement que le dattier‘ et la vigne, pour les autres il se borne à dire que c’étaient, à l'exception de l'olivier, les mêmes qu’on cultivait en Grèce. Strabon aussi n'indique que ces deux arbres à fruits dans l'Iran méridional : le dattier, dans la Susiane, la Perside, la Carmanie, la Gédrosie et le pays des Ichthyophages”; la vigne dans la Carmanie et la Perside‘. Le dattier était-il autrefois, comme 1. Fargard III, 23. Cf. p. 59. 2. Tobs répav Eupodrou xaprobc Eni ta xdtw ts ’Agias pepn AATAYUTEUCOV. 3. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 2, 14. — Arrien, /is- toria indica, Cap. XXXIH, 5. &. Historia indica, cap. XXXVIT, 2; XXXVII, 6 ; XXXIX, 2 et XI 9, £ 5. Geographica, lib. Kv, cap: ?, Jet 5, et 3, 1. 2* 6. Geographica, lib. XV, cap. 2, 14; lib. XVI, cap. 1, 5. 74 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS aujourd’hui, cultivé plus au Nord”. Depuis quelle époque l'était-il dans les provinces du Sud? Les habitants en avaient-ils trouvé eux-mêmes la fécondation artificielle ou l’avaient-ils apprise des Babyloniens*? Ce sont là des questions auxquelles il est impossible de répondre; mais on peut dire que la culture de cet arbre précieux remonte en Perse aux temps les plus reculés. Celle de la vigne n'y est sans doute pas moins ancienne et elle fut pratiquée au Nord comme au Sud de l'empire des Achéménides, dans l’Asie, la Margiane et l'Hyrcanie, provinces septentrionales, comme dans les provinces méridionales de la Carmanie et de la Perside. Les vigno- bles de Carmanie en particulier étaient célébres; ils produisaient entre autres une variété de raisins appelée carmanique du nom de la province *, variété aussi remarquable par les dimensions de ses grappes — elles avaient souvent jusqu’à deux coudées de long — que par la grosseur et la fermeté des grains. Les vignes de la Margiane ne produisaient pas de moins belles grappes et elles atteignaient parfois des dimensions énormes ; Strabon rapporte qu'on en voyait de tellement grosses que deux hommes en auraient pu difficilement embras- ser le tronc. Le géographe vante aussi la fécondité exceptionnelle des vignes de l’Hyrcanie. Celle des figuiers de cette province n’était pas moindre d’après . lui‘. 1. Dans le Khoräsan, par exemple, en particulier dans les oasis de Khabbis et de Tebbès. Th. Fischer, Zeimath und Ges- chichte der Verbreitung der Dattelpalme.(Petermanns geogra- phische Mittheilungen, an. 1881. Ergänzungsheft 64, p. 79. 2. Th. Fischer, op. laud., p. 11, suppose que la fécondation - artificielle du dattier a été découverte en Arabie. 3. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 2, 14. 4. Geographica, lib. VI, cap. 7, 2 et cap. 10, 1 et 2. Lao L'AGRICULTURE ET L’'HORTICULTURE DES IRANIENS 15 Indigène dans l'Iran, le figuier devait être cultivé dans bien d’autres provinces que l’Hyreanie. Plus répandu encore était le grenadier et ses fruits étaient plus estimés ; il en est fait mention dans l'inscription de Persépolis', qui ne parle pas de ceux du figuier; mais le Bundehesh n'a pas oublié de mentionner ces derniers. L'inscription de Persépolis mentionne aussi les fruits de l’amandier, d’où l'on peut conclure que cet arbre était vraisemblablement cultivé dans l’an- cienne Perse. Le noyer l'y était sans doute également et peut-être même le châtaignier”*, sinon le noisetier. Il faut ajouter à ces arbres le £hormandu — Dios- pyros lotus — dont les fruits frais et séchés sont re- cherchés en particulier par les Afghans d'aujourd'hui. Il est permis de supposer aussi que le mürier noir fut cultivé par les anciens Iraniens, comme il l’est de nos jours à cause de ses fruits’; on doit l’'admettre encore plus du cognassier et, dans les cantons mon- tagneux, où ils peuvent seulement prospérer*, des poiriers, des pommiers, des cerisiers et des pruniers, tous indigènes dans l'Iran, On cultivait peut-être même, dans l'Iran central et oriental, le chalef et le jujubier commun; mais les écrivains anciens ne nous en ont rien appris. Il en est tout autrement de quelques autres arbres fruitiers dont la nature encore inconnue les avait frappés : le pistachier, le cédratier ou citron- nier, l’abricotier et le pècher. 1. Polyen, Strategica, lib. IV, cap. 3, 32. 2. The Bundahish, chapt. xxvn, 23. 3. Aitchison, Votes, p. 134, indique Surtout comme cultivé aujourd’hui, au moins dans le Khoräsan, le müûrier blanc. k. Polak, Persien, vol. II, p. 147 et 149. 5. Aitchison, Votes, p. 63 et 224, 16 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS J'ai parlé plus haut de l’indigénat du pistachier dans le Turkestan septentrional — l’ancienne Sogdiane —, ainsi que dans le Khoràsan. Les compagnons d’Alexan- dre l'avaient vu dans la Bactriane. On ne peut guère douter, en effet, que « le térébinthe ou l'arbre semblable à un térébinthe »que, d’après Théophraste*, ils aper- curent dans cette province, et « dont les fruits rappe- laient ceux de lamandier, mais avaient un goût plus agréable », soit autre chose que le pistachier vrai. Cet arbre pénétra bientôt dans l'Iran méridional. Au r°'siècle avant notre ère, Nicandre, qui lui donnait le nom de Bordes où de œuræxov, nous le montre croissant en Susiane, dans la vallée du Choaspès *. Vers la même époque, Posidonius le connaissait aussi déjà en Syrie”, contrée que les écrivains grecs et romains postérieurs ont même regardée comme sa patrie, tant les fruits qu'il y portait étaient excellents ‘. S'il en donnait de si bons dans la région méditerranéenne, le pistachier 1. Historia plantarum, hb. IV, cap. 4, 7. Les térébinthes des défilés du Paropamise, dont parle Strabon (XV, 2, 10), étaient probablement aussi des pistachiers. 2. Xoasxov - Biordxr” arpeuôveooty auuydadevta Tépaytat. Theriaka, vers 890. Le nom rtoréxtov apparait d’abord dans Dioscoride. 3. Déoer dt nat ro répoetov h'Apabia"rat h Dupia (ai) to xalobuE- voy Biotdxtov. J'ai cru autrefois (Revue des éludes grecques, vol. XI (1899), p. 47) pouvoir changer répoeoy en repouxôv ; il est préférable de conserver ce mot et de se borner, comme me l'a fait remarquer M. G. Schweinfurth, à supprimer xai après Eupia; le passage de Posidonius signifie alors: l’Arabie pro- duit aussi le TÉPIELOY (perséa) et la Syrie le soi-disant fistaxoy pe . Dioscorides, De materia medica, lib. I, cap. 177 — Pline, lib. XIIT, cap. 51. — Galenus, De simplicium medicamentorum temperamentis et facultatibus, Nb. VIIT, cap. 21. RARES PEN Los Sons Er AU le f L'AGRICULTURE ET L'HORTICULTURE DES IRANIENS 17 en devait produire encore de meilleurs dans l'Iran ; c'est un des arbres de ce pays dont le Bundehesh loue en premier lieu les fruits. Il est aussi question dans ce texte sacré du citronnier ou cédratier, dont Théophraste le premier a fait mention. Au quatrième livre de son Histoire des Plantes, le naturaliste grec, parlant des arbres de l’Asie, dit que la Médie et la Perse en produisaient un, le « pommier de Médie » ou « pommier de Perse »', qui leur était particulier, et il ajoute : Les feuilles, par leur forme et leur dimension, rappellent celles de l’arbousier; les aiguillons sont presque semblables à ceux du poirier ordinaire et de l’aubépine, mais ils sont lisses, forts et très aigus. Le fruit ne se mange pas, mais il exhale, ainsi que les feuilles, une odeur agréable?. ...Cet arbre porte toute l’année et se couvre à la fois de fleurs et de fruits mürs et non mürsÿ. Malgré ce qu'elle à d’incomplet, il est difficile de ne pas reconnaître dans cette description une espèce de citronnier, sans doute le cédratier, que les compa- gnons d'Alexandre avaient vu en Médie et en Perse, et dont quelques fruits, nous apprend un passage sou- vent cité de la comédie d’Antiphane, la Béofie*, furent apportés en Grèce vers cette époque. 1. Mähoy 70 pnduxov à to repouxôv. Hisloria pläntarum;ib. IV, Cap. 4 2. « Le fruit est rugueux, de couleur d’or, dit Dioscoride, lib. I, cap. 166, et d’une bonne odeur mélangée de quelque chose de désagréable: » 3. « Arbor ipsa omnibus horis pomifera est, aliis cadentibus, aliis maturescentibus, aliis subnascentibus ». Pline, lib. XI, Cap. 7. :. Deipnosophistae, lib. IIT, cap. 27 (84). Athénée cite aussi un passage de la Mélibée d'Eriphe, qui n'est qu’une répétition de celui d’Antiphane. 78 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS Cet arbre qui, inconnu dans la Mésopotamie et l'Égypte ‘, existait quatre siècles avant notre ère, dans l'Iran occidental, n’y était pas indigène, et, d’après son mode de culture, on peut supposer qu'il n’y était même pas encore acclimaté et, par suite, y avait été importé depuis peu de temps. On sème au printemps, dit Théephraste?, les pépins retirés des fruits sur des plates-bandes bien préparées; on les arrose tous les qüatre à cinq jours ; quand les jeunes plants sont suf- fisamment forts, on les repique dans une terre un peu com- pacte, mais humide et non point trop légère. ...On cultive aussj le cédratier, comme les palmiers, dans des vases en terre percés de trous. Il vient dans la Médie et en Perse. Pline, parlant des tentatives qui avaient été faites ailleurs pour acclimater le cédratier, remarquait que cet arbre «ne voulait croître » que dans ces deux pro- vinces ”. À quelle époque et de quel pays y avait-il été importé? Des formes, qui se rapportent plus ou moins à cette espèce ou au citronnier, ont été trouvées, à l’état sauvage, dans les régions basses et chaudes de l'Hi- malaya, du Garwal au Sikkim, ainsi que dans les Ghâtes occidentales et les monts Satpoura*; c’est de 1. M. Victor Loret, Le cédratier dans l'antiquité. Paris, 1891, in-8, p.36, a voulu prouver, mais sans y réussir, que dès le xvir siècle avant notre ère, le cédratier aurait existé aux bords du Tigre. Cf. Revue critique, vol. XXXV (1892), n° 7, p. 115. 2. Lib. IV, cap. 4,3 3. « Nisi apud Medos et in Perside, nasci noluit ». /Zbid. En réalité le citronnier ou cédratier ne réussit que sur la côte de la Caspienne et dans la Perse méridionale, de Chiraz au golfe persique (Polak, vol. IT, p. 139) ; c’est là, et non en Médie, où il ne peut croître en pleine terre, qu'il était cultivé au moins du temps de Pline. 4. A. de Candolle, Origine des plantes cullivées, p. 143. L'AGRICULTURE ET L’HORTICULTURE DES IRANIENS 19 ces contrées, les plus occidentales où croisse sponta- nément le cédratier, que cet arbre s'est répandu dans le bassin de l’Indus, et de là il aura sans doute passé dans l'Iran, à la suitedes expéditions que les monar ques perses firent dans cette contrée ou des relations qu'ils entretinrent avec ses habitants. Parmi les nombreux arbres fruitiers, autres que le : cédratier ‘, qu’on trouvait encore, d’après Théophraste, en Perside et en Médie, le naturaliste grec a-t-il com- pris l’abricotier et le pêcher ? Cela est peu probable; inconnus en Grèce, ces arbres n'auraient guère moins frappé * les compagnons d'Alexandre que le cédratier. Quoi qu'il en soit, étrangers, comme ce, dernier, à la flore de l'Iran, ils finirent par être, ainsi que lui, culti- .vés dans cette contrée et dans toute l'Asie antérieure. L’abricotier croît spontanément, on l’avu”, dans la vallée du Zarafchan et dans le Ferghäna, ainsi que dans l’Alatau transilien et le territoire de Wernoje; il ne pouvait manquer de se répandre de là dans l'Iran. S'il n'y était pas encore acclimaté avant la conquête d'Alexandre, il devait y être planté avant notre ère. De l'Iran, l’abricotier ne tarda pas à pénétrer dans 1. Historia plantarum, lib. IV, cap. 4, 2 2. « L'expédition d'Alexandre, disait, en 1855, A. de Candolle (Géographie botanique raisonnée, p. 881), à propos du pêcher, est probablement ce qui l'avait fait connaitre à Théophraste, lequel en parle comme d’un fruit de Perse ». Théophraste ne parle nullement du pêcher, et l’on s'étonne quê le savant bota- niste génevois ait, en 1883, répété cette erreur dans l’Origine des plantes cultivées, p. 177. 3. Chap. 1, p. 42. L’abricotier croit aussi spontanément plus à l’Est dans la Dzoungarie, où Przewalski a vu des bois entiers d’abricotiers sauvages sur les bords du Youldouz, dans la Mandchourie méridionale et dans la Daourie. Engler, ap. V. Hehn, p. 418. T3 Le DRE « rt. PA 80 LES PLANTES CHEZ LES JRANIENS toute l'Asie antérieure et bientôt même en Europe. Vers le milieu du premier siècle de notre ère, nous ap- prend Pline’, cet arbre était cultivé en Italie déjà de- puis une trentaine d'années. La précocité de ses fruits leur avait fait donner chez les Romains, le nom de præcoqua* ; mais ils leur donnaient aussi, comme les Grecs d’ailleurs, celui de « pommes d'Arménie” », en- core que l’abricotier ne fût pas, nous le savons, ori- ginaire de cette contrée. En même temps que des abricots, Pline fait mention des pêches — persica —, dont le nom indiquait l’ori- gine étrangère ; mais, quoiqu’en ait dit l'écrivain latin *, cette origine n'était pas persique, pas plus que celle des abricots n'était arménienne. Bien qu'on ait cru le pêcher indigène dans le Ghilan, il n'y est certaine- ment qu'acclimaté, et il faut en chercher la patrie dans une région encore plus éloignée que le pays d’o- rigine de l’abricotier. Jusqu'ici le pêcher n’a été trouvé à l’état vraiment spontané qu'en Chine; l’on rencontre dans les montagnes des environs de Pékin, ainsi que dans les provinces chinoises de Chensi et de Kansou , une espèce de prunier — Prunus Davidiana —, voi- sine de notre pêcher — Prunus Persica —, et les di- verses variétés ‘ de cet arbre aux fruits savoureux sont « 1. Historia naluralis, Lib. XV, cap. 11. 2. Ou praecocia. 3. Mala armeniaca ou simplement armenia. Tà de puxpotepa, zahodueva DE dopeviaxa, pwnuatoti d rpoatxôxta. Dioscoride, lib. I, cap. 165. ’ 4. « Persica, peregrina .. ex nomine ipso apparet atque ex Perside advecta ». /Jist. naluralis, lib. XV, cap. 13. 5. Engler, ap. V. Hehn, op. laud., p. #18. | 6. A. de Candolle, op. laud., p. 181, en distingue cinq prin- cipales. L'AGRICULTURE ET L'HORTICULTURE DES IRANIENS 81 cultivées depuis un temps immémorial dans l'empire du Milieu. | Comment et quand le pècher a-t-il pénétré dans l'Asie antérieure. On peut croire qu'il y a été intro- duit à la suite des relations commerciales, qui s’éta- blirent entre la Chine et la Bactriane, depuis le voyage d'exploration, entrepris, en 159 avant notre ère, sur l'ordre de l’empereur Hsiawouti, par le général Tchang- Kiën, voyage qui le conduisit, onze ans après, Jusque dans le bassin de l'Yaxarte et de l'Oxus ‘. À partir de 114 et surtout depuis la conquête du Ta-wan — le Ferghâna — par la Chine, conquête qui eut lieu peu après, des caravanes nombreuses et chargées de ri- ches présents furent envoyées à diverses reprises par les Fils du Ciel dans le pays des ’Ansi — peut-être le royaume des Parthes. — Des ambassades se rendirent à leur tour de la Bactriane et de la Sogdiane en Chine°. Ces échanges de relations contribuërent à faire connaître et à répandre dans l'Occident les pro- duits agricoles et industriels de l'Empire du Milieu ; peut-être est-ce une des caravanes dont je viens de parler qui apporta le pêcher dans la région caspienne. 1. De Guignes, Réflexions générales sur les liaisons et le commerce des Romains avec les Tartares et les Chinois. (Mé- moires de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, vol. XXXII (1768), p. 357-358). — Abel Rémusat, Remarques sur l'extension de l'empire chinois du côté de l'Occident. (Mémorres, nouv. série, vol. VIII (1827), p. 116. — Ferdinand Freiherr von Richthofen, China. Ergebnisse eigener Reisen. Berlin, 1877, in-4, vol. II, p. 449-456. 2. P. Hyacinthe Bitchacrine, Recueil de renseignements sur les peuples qui habilaient en Asie centrale dans les anciens temps, ap. Nicolas Svertzow, Ætude de géographie historique sur les anciens ilinéraires à travers le Pamir. (Bulletin de la Société de géographie, vol. XI (1890), p. 596-597). Jorer. — Les Plantes dans l'antiquité. = (à 82 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS Quoi qu'il en soit, du Turkestan, où il avait été d’a- bord importé *, cet arbre ne tarda pas à pénétrer dans la Perse, puis dans l'Asie antérieure, et, dès le pre- mier siècle de notre ère, il passa en Europe. Pline nous apprend * qu’il était cultivé de son temps en Ita- lie et en Gaule et qu’il y avait déjà donné plusieurs variétés *. Les arbres fruitiers ne sont pas les seuls végétaux qui fussent cultivés, avec les légumes et les autres plantes alimentaires par les Iraniens ; les rois et les grands ne pouvaient se contenter de jardins purement potagers ou de vergers remplis seulement d'arbres fruitiers ; 11 leur fallait aussi des parcs,- plantés de grands arbres, qui servissent d’abri aux fauves qu'ils aimaient à chasser, des jardins d'agrément garnis d’arbustes rares et même de fleurs, où ils pussent ve- nir prendre le frais et se reposer de leurs fatigues ; aussi faisaient-ils établir de ces paradis, comme ils les appelaient, partout où ils résidaient*, et ils pre- 1. Charles Joret, L'abricotier et le pêcher. Aix-en-Provence, 1899, in-8, p. 7. 2. Historia naturalis, lib. XV, cap. 11. 3. Joh. Gottfr. Wetzstein, p. 18 de la préface de l'ouvrage de Karl Koch, Die Bäume und Sträucher des alten Griechenlands. Berlin, 1884, in-8, a fait dériver le nom de l’espèce duracina, à laquelle Pline « donnait la palme », de Durak — mieux Dorak —., ville du Khouzistan — ancienne Susiane —; mais cette étymologie que j'ai eu le tort d'accepter (Revue des études grecques, vol. XI, 1899, p.46), doit, je crois, après examen, être rejetée. Cf., tbid., T. R., Duracinum, p. 48. 4. Xénophon, Oeconomicus, cap. IV, 13. L'AGRICULTURE ET L'HORTICULTURE DES IRANIENS 83 naient soin qu'ils fussent « remplis de tout ce que la terre peut produire de beau et de bon ». Aussi loin que nous pouvons remonter dans le passé, nous trouvons des preuves nombreuses du goût que les Iraniens avaient pour les jardins et pour les parcs. Une tradition ‘ attribuait au roi légendaire Manosheir l'invention des jardins d'agrément et de la culture des arbres fruitiers. Si l’on en croit Xénophon”’, il y avait auprès d'Ecbatane un grand parc, rempli de fauves, qu'Astyage, afin de le retenir auprès de lui, donna à son petit-fils Cyrus. On voyait à Pasargade, l’ancienne capitale des Achéménides, les « jardins de Cyrus », arrosés d’eau courante, couverts de gazons épais et remplis, dit Arrien*, d'arbres de toute espèce. C'est dans ces jardins, dont les arbres, au rapport de Stra- bon *, le dérobaient à la vue, que fut édifié le tom- beau du conquérant perse. Quand Darius transporta la capitale de son empire à Persépolis, il n'oublia pas, l'inspection des lieux donne lieu de le croire”, d’y éta- blir aussi des réservoirs et des jardins ; il en établit également sans doute auprès du palais de Suse, l’une de ses résidences favorites. Mais auquel des rois perses faut-il attribuer l’établissement, dans le voisinage de la ville mede de Khavon, du vaste paradis décrit par Diodore*, et dont, avec le crédule Ctésias, il fait hon- neur à Sémiramis ? On ne le saurait dire. Si ce para- 1. Fr. Spiegel, Die eranische Alterthumskunde, vol. I, p. 555. 2. Cyr institutio, lib. I, cap. 13, 14. 3. Alexandri Anabasis. liv. VI, cap. 29, #. k. Geographica, lib. XV, cap. 3, 7. 5. E. Flandin, Voyage en Perse. Relation du voyage. Paris, 1851,in-8, vol. II, p. 141. 6. Bibliotheca, lib. II, cap. 13, 3. 84 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS dis était contemporain du parc voisin, situé, d’après le compilateur grec”, au milieu des rochers de Baghis- tan, il remonterait à Darius. Est-ce à cette époque aussi ou à une date plus récente qu'il faut placer la création des beaux parcs qu'on voyait, au milieu d’une contrée nue et déboisée, près de la résidence royale, où Ar- taxerxès Mnémon, raconte Plutarque*, vint se reposer des fatigues de sa pénible campagne contre les Cadu- siens ? On l’ignore. Si ce prince ne créa pas, il réta- blit du moins à Suse le paradis de l’ancien palais de Darius, restauré ou rebâti par ses soins *; c’est dans la cour de ce jardin que, d’après le livre d’Esther, Ahas- vérus * donna un festin au peuple assemblé ; c’est sous ses bosquets que ce prince se retira, « plein de co- lère », quand la reine lui eut révélé les desseins san- guinaires de Haman *. Pharnabaze, qui commandait en Phrygie pour Ar- taxerce Mnémon, avait près de sa résidence de Dascy- lium de vastes vergers entourés de clôtures, oùil luiétait loisible de chasser *. Lorsque Cyrus le Jeune eut été chargé du gouvernement de l’Asie Mineure, son premier soin fut de faire établir à Célènes, où il résidait, un parc 1. Bibliotheca, lib. IT, cap. 13, 1-2. 2. Artoxerxes, Cap. XXV, 1. 3. Perrot, Histoire de l’art dans l'antiquité, vol. V, p. 763. — M. Dieulafoy, l'Acropole de Suse. Paris, 1893, in-fol., p. 279 et 142. 4. L’Assuérus de Saint-Jérôme, l’Artaxerxès des Septante, dans lequel les commentateurs ont voulu voir, les uns Artaxerxès Longuemain, les autres Xerxès ou même Cambyse. 5. Cap. 1, vers. 5 et cap. vu, vers. 7. M. Dieulafoy, Le livre d'Esther et le palais d’Assuérus. Paris, 1888, in-8, p. 17-24. — Edouard Reuss, Littérature politique et polémique : Ruth, Da- niel, Esther, etc. Paris, 1879, in-8, p. 286-289. 6. Xénophon, Æellenica, Lib. IV, cap. 1, 15. L'AGRICULTURE ET L'HORTICULTURE DES IRANIENS® 85 immense plein de fauves pour se livrer au plaisir de la chasse à courre ‘. Il possédait auprès de Sardes un paradis d’une nature toute différente ; là, c'était à la culture des plantes, non au plaisir de la chasse, qu’il se livrait. Xénophon raconte qu'il le montra avec fierté à Lysandre, quand celui-ci vint lui rendre vi- site *. Comme le général spartiate, frappé de la beauté des arbres qui y étaient plantés, de leur ingénieuse dis- position en quinconces et du parfum qu'en exhalaient les fleurs, dit à son hôte que, plusencore que la beauté de ce jardin, il admirait l'habileté de celui qui avait si bien tout ordonné, Cyrus, charmé de cet éloge, lui répondit que c'était lui-même qui en avait réglé la dis- tribution, et il ajouta que ce jardin renfermait plus d'un arbre qu’il avait planté de ses propres mains. Quelque embelli que soit le récit de Xénophon, on ne peut guère douter qu’il ne soit exact dans ses traits généraux, et il nous fournit un exemple manifeste de la passion des grands et des monarques de l'Iran pour les jardins et les parcs. Un exemple différent, mais non moins frappant, nous est donné par Diodore *. Si l’on en croit cet historien, ce fut pour plaire à une de ses femmes, qui, originaire de la Perse, regrettait les verts ombrages des montagnes de sa patrie, que le roi Nabuchodonosor * aurait fait élever près de son palais 1. Xénophon, Cyri Anabasis, lib. I, cap. 2, 7. Deux bas- reliefs de Takht-i-Bostan, de l’époque des Sassanides, il est vrai, nous montrent ce qu'étaient ces parcs aménagés pour la chasse. F. Flandin et P. Coste, Voyage en Perse. Paris, s. d., in-fol., vol. I, pl. 10 et 12. — J. de Morgan, Mission scientifique en Perse, vol. IV, 2, pl. XXXVII et XXX VIII. 2. Oeconomicus, Cap. IV, 20-23. 3. Bibliotheca, lib. IT, cap. 10. 4. Josèphe, Antiquitates Judaicae, lib. X, cap. 11, 45. 86 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS des jardins suspendus, où l’on voyait les arbres les plus propres à charmer et à réjouir la vue”. Malheureusement les historiens ne nous ont pas fait connaitre quels étaient les arbres plantés dans les jar- dins suspendus de Babylone et dans les paradis de l'Iran. Ils devaient varier suivant que ces paradis étaient des parcs destinés à la chasse ou des jardins d'agrément. Dans les premiers, c'étaient surtout de grands arbres, pins, et autres conifères *, chènes et frênes, etc., qui étaient plantés ; dans les seconds, on voyait plutôt des arbres recherchés pour l'ombre qu'ils donnaient, tel que le platane, le cyprès qu’on aperçoit sur tant de bas-reliefs, ainsi probablement que les principaux arbres fruitiers indigènes: vignes, grena- diers, figuiers, etc. et, là où le climat le permettait, des dattiers. On y cultivait aussi sans doute quelques ar- bustes d'ornement et quelques fleurs. Quels étaient- ils ? L'Iran, nous l’avons vu, renfermait, au bord des eaux et dans ses montagnes, nombre d’arbustes et de plantes d’agrément : lilas, chévrefeuilles, lauriers- roses, jasmins, gattiliers, tulipes, iris, lis, fritillaires, narcisses, cyclamens, malvacées *, anémones, etc., dont plusieurs font aujourd'hui l'ornement de nos par- terres. Quelques-uns durent pénétrer dans les paradis perses. Arrien rapporte * que Néarque vit dans un jardin d'une ville des Ichthyophages, voisine de la Carmanie, des myrtes et diverses fleurs, dont les habi- 1. Quinte Curce, Alexandri historia, lib. V, cap. 1, 35. Cf. Histoire des plantes dans l'antiquité, vol. I, p. 384. 2. Plutarque, Artoxerxes, cap. XXV, 1. 3. Par exemple les Althaea lavateraeflora et Hohenackeri. 4. Historia indica, cap. XXvVH, 2. L'AGRICULTURE ET L’HORTICULTURE DES IRANIENS 81 tants faisaient des couronnes. Si des fleurs étaient ainsi cultivées dans les jardins d’un pays à moitié sau- vage, il devait y en avoir à plus forte raison dans ceux des provinces centrales de la monarchie iranienne, la Perse, la Médie, la Susiane. Leurs paradis renfer- maient, on n’en peut douter, au moins dans les derniers temps de la domination des Achéménides, et plus encore sous les Arsacides, une partie des fleurs que nous avons rencontrées dans les jardins de l'Égypte et de la Mésopotamie et quelques autres qu'on n’y trou- vait pas. De ce’nombre furent probablement, avec Île myrte, le laurier rose, des chévrefeuilles, et des ar- bres de Judée, des jasmins, l'arbre au henné, qui se recommandait non moins par la beauté et le parfum de ses fleurs que par l'emploi industriel qu'on faisait de ses feuilles desséchées et broyées, quelques lilia- cées, etc. Quand l'Égypte fut tombée au pouvoir des Achéménides, ces princes durent en rapporter le lotus blanc, tandis qu'ils firent connaitre en retour dans la vallée du Nil, le lotus rose, venu de l'Inde dans l'Iran. Ils durent aussi, à l'exemple des Grecs, qui l'avaient anoblie depuis longtemps *, cultiver la rose dans leurs jardins ; enfin, nous avons vu qu'ils y avaient accli- maté le cédratier. Le Bundehesh cite parmi les fleurs « que fait croître le travail de l’homme », la rose, le jasmin, l’églantine, le narcisse, la tulipe, le crocus, la violette et d’autres semblables *. 1. Schweinfurth, Zeitschrift für Ethnologie, an. 1891, p. 659. 2. La rose dans l'antiquité et au moyen âge. Paris, 1892, in- 8, p. 30-44. 3. The Bundahish, chapt. xxvrr, 11. 88 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS IT Si nous n'avons que des renseignements incomplets sur la nature et l'extension de la culture des céréales et des plantes potagères, tinctoriales, oléifères, etc., chez les anciens habitants de l'Iran et de la plaine du Toaran, nous en avons tout aussi peu sur l'emploi qu'ils en faisaient dans leur alimentation et leur industrie. Ils se nourrissaient, l'inscription du palais de Cyrus nous l’apprend', de pain fabriqué avec de la farine de froment ou d'orge, ainsi que de gruau d’épeautre ; mais ce n'étaient pas là certainement les seules céréales dont ils faisaient usage. Le millet commun entrait aussi, mais cuit en bouillie, dans l'alimentation du peuple, ainsi que, du moins dans certaines provinces, et plus où moins tôt, le millet d'Italie et le millet en épis”. Enfin, quand la culture du riz eut été importée dans l'Iran, il servit à son tour à l'alimentation, en particulier des classes riches. À côté des céréales, les légumes les plus variés for- mèrent de temps immémorial un appoint considérable de la nourriture des Iraniens; l’inseription de Cyrus nous en fait connaître quelques-uns; mais il y en avait bien d’autres, les uns cultivés, les autres croissant à l'état sauvage. Tels étaient les fèves, les lentilles — ädas —, les pois chiches, les petits pois, peut-être aussi l’ervilier — Ervum ervilia — et la jarousse — Lathyrus sativus —. Il est probable que les anciens 1. Polyen, Sfrategica, lib. IV, cap. 3, 32. 2. Aitchisou, Votes on products, p. 150 et 187. LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION DES IRANIENS 89 habitants de l'Iran, comme ceux d'aujourd'hui, man- geaient aussi les graines de quelques autres légumi- neuses, par exemple celles de l’Astragalus gompholo- bium, qui, avant la maturité, ont le goût des petits pois". Puis venaient les plantes à racines : radis, raves, navets peut-être, carottes et plus ou moins tôt la betterave, la terre-noix, les salsifis et les scorsonères indigènes ?, l'oignon et même les bulbes de la tulipe de montagne ; ensuite les nombreuses plantes potagères, cultivées ou sauvages, dont les feuilles ou les jeunes pousses étaient mangées cuites ou crues: chicorées, laitues, cresson, choux, auroches de diverses espèces”, épinards, fenu- grec, centaurée musquée, jeunes pousses de la rhubarbe commune, même de la férule asa-fœtida, feuilles du Smyrnium cordifolium et de la Zozimia absinthifolia, du Æangar — Gundelia Tournefortii —,composée qui rappelle le cardon et est répandue dans l'Iran presque entier, même celles de la morelle et de l’Eremurus aurantiacus, liliacée de l'Afghanistan, ete. * Les habi- tants de certains districts mangent encore et sans doute depuis un temps immémorial, la tige charnue de certaines orobanches et d’une borraginée — la Caccinia glauca —, commune en particulier dans la vallée de l'Heri-roud”. Dans la région méridionale on mangeait 1. Aitchison, Votes on products, p. 17. 2. Carum bulbocastanum, Tragopogon coloratum, Scorzo- nera mollis et tuberosa. Aïtchison, Votes on products, p. 3%, 185 et 211. 3. Atriplex flabellum et monela, recherchées par les Af- ghans, commele Lepidium draba. Aitchison, Notes, p.19et 2%. 4. Aïtchison, Votes on products, p. 36, 66, 96, 195, 196, 225. Les artichauts et les cardons sont cultivés aujourd’hui en Perse, mais on ignore depuis quelle époque. 5. Aitchison, Votes on products, p. 30 et 146. 90 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS \ également, comme en Babylonie et en Égypte, le cœur du dattier, «le chou palmiste », et même probablement celui du Chamærops de Ritchie’. Il faut ajouter à ces aliments les condiments, qui servaient à assaisonner les divers mets : ail cultivé et, dans quelques provinces, l'ail à pétales aigus, aneth, cumin, anis, coriandre et graines d’autres ombellifères, par exemple du persil et du carvi des Coptes?, ainsi que de la nigelle, du sénevé, du sésame et du carthame, càpres confits dans la saumure, extrait de silphium, c'est-à-dire d’asa-fœtida”, safran, sac de grenades acides“, etc. Plus tard, quand les relations se multiplièrent avec l'Inde, le poivre et le gingembre, le curcuma et la cannelle furent importés dans l'Iran, comme ils devaient l'être dans l'Asie antérieure tout entière, On vit aussi, probablement assez tôt, sur les tables perses, des gourdes, des concombres, des pastèques et des melons; mais nous ignorons à quelle date ils y apparurent. Dès les temps les plus reculés, au contraire, les fruits entrerent dans l'alimentation des Iraniens, les fruits sauvages d’abord, plus tard ceux des arbres cultivés. Leur pays en produisait, nous l’avons vu, de nombreuses espèces ; ici les glands doux du chêne balout, des noix et des amandes, là les fruits des pis- tachiers vrai et mutique ou du chalef, des micocou- liers, du Æhormandu* et des épines-vinettes ; ailleurs 1. « The young white heart of this tree is eaten, like that of the date ». Floyer, Unexplored Balüchistan, p. 24. 2. Carum copticum — ajwain. — Aitchison, Votes, p. 31, 3% et 44. 3. L'asa-foetida passait pour digestive. Strabon, Geographica, lib. XV,-cap: 2, 10. 4. Polyen, Strategelica, lib. IV, cap. 3, 32. 5. Diospyros lotus. « The fruit is much prized by the Afghan LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION DES IRANIENS 91 des mûres, des figues et des grenades, des nefles, des azeroles et des sorbes, des coings, des poires et des pommes ; ailleurs encore des merises, des fruits du ceri- sier rampant, du prunier divariqué dont le goût, paraïit- il’, rappelle celui des mirabelles, ainsi que du prunier épineux, des ronces et de certains églantiers ; puis dans la région orientale ou méridionale les baies des Myrsine africana, Reptonia buxifolia et du jujubier commun, ainsi que les fruits du dattier et du Chamaerops de Ritchie”. Mais quel rôle ces fruits si nombreux et variés jouaient-ils dans l'alimentation des anciens habitants de l'Iran? Quelques anecdotes éparses dans les écrivains de l'antiquité nous font connaître l’usage qu'ils faisaient de plusieurs d’entre eux. Ainsi, dans le récit qu'il a fait de l'expédition d'Artaxerxès contre les Cadusiens, Plutarque rapporte que leur pays àpre et nébuleux ne produisait point de céréales, et qu'il n’offrait à ses farouches et belliqueux habitants que des poires, des pommes et autres fruits semblables. De la bouillie et des fruits, suivant Ctésias, composaient aussi la nour- riture des Dyrbéens *. D’après Strabon, les peuplades de la région montagneuse et inculte de la Médie ne se nourrissaient aussi que des fruits des arbres; ils faisaient dit le géographe grec, des espèces de gâteaux avec des pommes séchées et écrasées et du pain avec tribes, who eat it fresh or dried », Brandis, The Forest Flora, p. 298. Ces tribus lui donnent le nom d’élmlôk, suivant Aïtchi- son, Votes, p. 56. Brandis dit amlok. 1. Capus, Annales des sciences naturelles, vol. XVIII (1884), p. 283. 2. « The fruit is eaten though not much esteemed ». Floyer, The unexplored Balñchistan, p. 23. 3. Artoxerxes, Cap. XXIV, 1. — Persica, lib. VII-XT, 33. 92 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS des amandes rôties . Aujourd’hui encore les habitants des Badghis, par exemple, réduisent en farine les poires sauvages, aussi bien que les mûres et les fruits du micocoulier du Caucase préalablement séchés, et les mêlent à de la farine ordinaire pour en faire du pain”. Nous savons par le témoignage de Strabon* qu’on accoutumait les jeunes Perses à vivre en plein air et à se nourrir de fruits sauvages: noix de térébinthe, glands* et poires agrestes. Et le jour de leur couron- nement à Pasargade, les rois de Perse, en souvenir de la simplicité des mœurs de leurs ancêtres, après avoir revêtu la robe de Cyrus, mangeaient un plat de figues et des noix de térébinthe. Les progrès de l’horticulture chez les Perses ne purent qu'augmenter l'usage qu'ils faisaient des fruits dans leur alimentation. Si avant de cultiver le dattier et la vigne, ils mangeaient déjà des dattes et des rai- sins, ils en consommeérent bien plus encore quand ils eurent anobli les arbres qui les produisaient. Il en fut de même des fruits des autres arbres, cognassiers, pommiers, poiriers, grenadiers, figuiers, müriers, amandiers, pistachiers, noyers, etc. Une partie de ces fruits, en particulier les raisins, les dattes et les figues, 1. Geographica, lib. XI, cap. 3, 18. Les Massagètes des Iles aussi, d’après Strabon, « qui ne semaient pas, avaient pour nourriture des racines et des fruits sauvages ». Lib. XII, cap. CRUE 2. Aitchison, Votes on the products, p. 76. 3. Geographica, lib. XV, cap. 3, 18. 4. Dans les districts les plus sauvages, comme ceux d’Avro- man, etc., les glands doux, aujourd’hui encore, constituent la principale nourriture des habitants. De Morgan, 0p. laud., vol. LÉPRAYE , 5. Plutarque, Arloxerxes, cap. m1, 1. Il s’agit sans doute ici des fruits du pistachier mutique. LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION DES IRANIENS 93 ainsi que les amandes et les noix, se mangeaient soit frais, soit séchés, soit, les premiers, souvent aussi sans doute pétris en gäteaux. Trois talents de raisins noirs secs et trois artabes d'amandes douces également sèches étaient réservés chaque jour pour la table du grand roi’. Les dattes formaient un appoint important de l'alimentation dans la région méridionale; les fruits et le cœur des palmiers, qu'ils rencontrérent dans les déserts de la Gédrosie, sauvèrent de la mort les soldats d'Alexandre exténués de faim”. Les dattes n'étaient guère moins recherchées ou en usage dans la Perside et surtout en Susiane ; Philostrate nous montré l’eu- nuque, qui recoit Apollonius de Tyane, à son entrée dans les états du roi des Parthes”, lui offrant « des dattes couleur d’ambre et d’une grosseur exceptionnelle avec du pain levé et des légumes ». Il faut ranger la manne au nombre des aliments d’o- rigine végétale, dont faisaient usage les anciens Ira- niens ; elle a figuré dans leur cuisine dès les temps les plus reculés. Lorsque le grand roi demeurait en Médie, il recevait chaque jour pour sa table cent paniers de manne du poids de 10 mines chacun‘; ce qui sup- pose une production énorme de cette substance. Nous ignorons quel emploi on en faisait à l’époque des Aché- ménides. D’après Athénée” on s’en servait comme de miel pour sucrer les boissons. C'était donc à la fois un 1. Polyen, Strategetica, Gb. IV, cap. 32. Le talent valait 60 mines ou environ 26 kilogrammes ; l’artabe équivalent du médimne, mesurait à peu près 56 litres. 2. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 2, 5. 3. Vita Apollonii Tyani, lib. I, cap. 21. &. Polyen, Strategiea, lib. IV, cap. 3, 32. 9. Deipnosophistae, Lib. XI, cap. 102, 9% LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS condiment et un assaisonnement. Aujourd’hui on Ja mange comme des confitures avec du pain ; on fait aussi, et on faisait sans doute autrefois, avec les diverses mannes des espèces de flans recherchés". Quelles sont celles que l’on employait et que produit l'Iran ? C’est ce que j'examinerai plus loin. Il est probable qu’un autre produit végétal, ou plu- tôt une plante, longtemps ignorée des naturalistes, la Parmelia esculenta, entra aussi de bonne heure dans l'alimentation des habitants de l'Iran et de la plaine du Touran. Trouvé en abondance par Evermann en 1822, dans son voyage d'Orenbourg à Boukhara”, ce lichen a été rencontré de nouveau, en 1842, par Basi- ner dans la steppe d'Oust-Ourt et décrit avec soin par ce voyayeur”. De la grosseur d’une noix ou plus souvent d’une noisette, de forme arrondie, mais irré- gulière, avec une surface plus ou moins granuleuse, de couleur blanche à l’intérieur et d’un gris plus ou moins foncé, tirant un peu sur le vert à l'extérieur, il est, par un temps sec, dur et comme cartilagineux ; : on dirait une petite pierre siliceuse; mais il se ramol- lit, quand on le met dans l’eau. Imparfaitement fixé au sol, ilen est enlevé par les orages et va retomber, souvent à de grandes distances, sous la forme d’une « pluie de manne », que les vents amoncellent par- fois en tas considérables. Dans certaines parties de la Perse, où cette lichénacée apparaît dans l'intervalle 1. A. Hausknecht, Ueber Manna-Sorten des Orients. (Ar- chiv der Pharmacie, vol. 192, 1 (avril 1870), p. 244). — Polak, Persien, p. 285. 2. Reise von Orenburg nach Bukhara. Berlin, 1823, in-#4, p.15. 3. Reise durch die Kirgisensteppe. (Beiträge zur Kenntniss des Russischen Reichs, vol. XV, p. 65-66). LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION DES IRANIENS 95 d’une nuit, et souvent en énorme quantité, elle sert aujourd’hui d’aliment aux habitants, qui la regardent comme tombée du ciel. Nous sommes aussi incomplètement renseignés sur les boissons que sur les aliments, dont les anciens Ira- niens faisaient usage ; le vin parait avoir été la plus répandue ; ils en consommaient de grandes quantités et en usaient parfois avec excès ‘. Ils en buvaient même, si l’on en croit Strabon?, en traitant des affaires sérieu- ses. L'inscription de Persépolis nous apprend que ein- quante conges de vin doux et cinq mille conges de vin or- dinaire étaient livrées chaque jour à la maison royale”. Malgré l'excellence de quelques-uns des crus de l'Iran, comme ceux de Chiraz et de Kaswin en parti- culier, les Perses ne se contentaient pas des vins qu'on y récoltait ; quand la Syrie eut été réunie à leur empire, le vin célèbre de Khelbon devint la boisson privilégiée du grand roi*. Pressés avant leur maturité, les raisins donnentun breuvage aigrelet— l’abequrre—, qui devait être recherché autrefois, comme il l’est aujourd'hui. Le moût épaissi, qui sert de sirop et de sucre pour la préparation de certaines pâtisseries, n’était pas sans doute, comme le vinaigre, plus inconnu des anciens Iraniens que des Perses actuels”. 1. Hérodote, Æistoriae, lb. I, cap. 133, 3. — Xénophon, Cyri Anabasis, lib. I, cap. 3, 10. 2. Geographica, lib. XV, cap. 3, 20. 3. Polyen, Strategetica, lib. IV, cap. 3, 32, Polyen dit cinq maris et cinq cents maris, mesure perse qui, d’après lui, valait dix 70e ou conges. 4. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 3, 22. 5. Polak, Persien, vol. Il, p. 142, dit que le vinaigre perse est d’une qualité supérieure. Celui de Hérat, aussi, est re- nommé. Aitchison, Votes, p. 219. 96 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS Les Perses ne faisaient pas seulement du vin avec des raisins; ils en fabriquaient encore avec d’autres fruits, en particulier avec les dattes et sans doute aussi avec les grenades. Lorsque que le grand roi ré- sidait à Suse, on ne donnait pour sa maison que la moitié du vin de raisin, fourni dans les autres résiden- ces; l’autre moitié était remplacée par du vin de dat- tes”. L'usage du vin de dattes resta toujours en hon- neur et ne fit même, ce semble, que se généraliser. Pline rapporte” que les Parthes en buvaient, ainsi que tous les habitants de l'Orient, et il nous apprend qu’on le préparait en faisant macérer les dattes dans de l’eau et en pressant ensuite le tout. Les Iraniens fabri- quaient aussi des boissons avec d’autres substances que les fruits; suivant Strabon *, les habitants à demi sauvages de la région montagneuse de la Médie sep- tentrionale faisaient du vin avec certaines racines. Les anciens Perses connaissaient-ils aussi la bière ? Cela est probable, mais les écrivains grecs et latins ne nous renseignent pas à cet égard ; nous savons toute- fois que les Arméniens, voisins occidentaux des Ira- niens et de même race qu'eux, faisaient, ainsi que les Thraces et les Scythes, usage de cette boisson‘. Ils la fabriquaient sans doute en mettant simplement de l’eau à fermenter sur les grains d'orge ; ce qui ne l’empê- chait pas d’être enivrante. 1. Polyen, Strategetica, lib. IV, cap. 3, 32. 2. Historia naturalis, lib. XIV, cap. 19,3. 3. Geographica, bib. XI, cap. 13, 11. &. Xénophon, Anabasis, lib. IV, cap. 5, 26. Cf. Rudolf Kobert, Zur Geschichte des Bieres. (Historische Studien aus dem pharmakologischen Institut der Universität Dorpat, vol. V (1896), p. 135). LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION DES IRANIENS 97 Les [raniens, comme les autres peuples anciens de l'Asie antérieure, se servaient de plusieurs es- pèces d'huiles : l'inscription du palais de Persépolis fait mention de l'huile de sésame, de fruits du térébin- the — probablement du pistachier mutique —, d’a- mandes douces.et de graines d'acanthion'; mais ellene parle ni de l'huile d'olive, ni de celle de navette ou de roquette, ni de l’hwule de ricin. Il semble donc que le rédacteur de l’inscriptionignorait ces dernières. L'huile d'olive ne devait pas cependant être inconnue au moins dans la région de la Caspienne, qui renferme, nous l'avons vu, de véritables forêts d’oliviers ; mais si l’on en croit Strabon *, les fruits en étaient sans valeur. On ne dut pas tarder non plus à connaître l'huile de ro- quette et de navette, ainsi que celle de ricin ; très an- ciennement aussi fut connue l'huile de lin, du moins dans la Perse septentrionale et dans le Turkestan ; on en peut dire autant de l'huile qu’on retire des noix, des fruits du chalef, des graines de cucurbitacées, sinon du pavot; mais on est réduit sur tous ces points à des hypothèses. On n'est pas mieux renseigné au sujet de l'emploi que faisaient les anciens habitants de l'Iran de ces diverses huiles. Il est probable que, comme au- jourd’hui, l'huile de sésame, de noix, des fruits du pistachier et du chalef servait dans la cuisine; l'huile de roquette, de navette et de lin était employée à la fois dans l'alimentation et pour l'éclairage. C’est à 1. Polyen, Strategica, lib. IV, cap. 3, 32. On regarde d'ordi- naire l’Acanthion comme étant l'Onopordon acanthion ; mais il est difficile qu'il s'agisse ici de cette composée: j’inclinerais à y voir le carthame. 2. Geographica, lib. XI, cap. 7. JoRET. — Les Plantes dans l’antiquilé. II. — 7 98 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS l'éclairage surtout que servait l'huile de ricin‘. Dans le Touran, celle de chènevis a dû aussi dès longtemps être employée comme huile à brüler *. Nous ver- rons que la plupart de ces huiles ont également leur emploi dans la médecine; quelques-unes servaient aussi dans l’industrie, par exemple à préparer des ver- nis *, etc. Mais elles ne servaient pas, comme chez nous, à fabri- quer du savon produit inconnu des anciens ; à la place de celui-ci, on se servait sans doute, comme aujour- d'hui, des racines de certaines plantes, par exemple de l’'Acanthophyllum grandiflorum et de la Gypsophila paniculata, caryophyllées, la première du Béloutchis- tan, la seconde de la Perse septentrionale‘. Il me faut encore signaler l'emploi singulier qu’on fait du bulbe charnu, desséché et réduit en poudre, de l'Eremurus Aucherianus, grande asphodèle répandue dans toute la Perse; cette poudre délayée dans de l’eau donne une espèce de colle végétale très tenace, avec laquelle on fabrique des vases résistants, et dont on se sert pour dif- férents autres usages de préférence à la colle animale. x Li . Siles pàturages alpestres de l'Iran et de la plaine du Touran sont bien inférieurs en qualité à ceux de . Ker Porter, Travels, vol. II, p. 138. . Aitchison, Ves on products, p. 33, 125 et 142. . Polak, Perien, vol. If, p. 150-151. . Aitchiso, Votes on products, p 4et97.— On emploie aussi, en guise de savon, les feuilles du konar battues dans de l’eau. Joh. L. Schlimmer, Terminologie médico-pharmaceutique francaise-persane. Téhéran, 1874, in-fol., p. 567. 5. Aitchison, Votes on products, p. 65. © D LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION DES IRANIENS 99 l’Europe ‘, on y trouve cependant un certain nombre de graminées de nos régions : fétuques, flouves, vul- pins, avoines des prés, paturins, bromes, agrostides, etc. *, qui offraient autrefois, comme ils offrent aujour- d'hui, une nourriture de bonne qualité pour le bétail des habitants. Il faut y ajouter quelques espèces des steppes et du bord des eaux, d’une qualité inférieure, mais dont s’arrangent fort bien les moutons, les che- vres et les chameaux : agropyre, éragrostide, aristide plumeuse, kandar, orges sauvages”, panic dichotome, roseaux mêmes ; puis de nombreuses légumineuses, les unes herbacées : trèfles *, trigonelles ”, lotiersf, luzer- nes? et onobrychides*, vesces” et gesses "; les autres : astragales et alhagis, sous-frutescentes ou épineuses ; ensuite des ombellifères, des composées, des oroban- chées et des labiées, des plumbaginées, des polygonées, 1. Ils n’en sont pas moins estimés par les indigènes ; Baber, Mémoires, vol. I. p. 283, dit d’une prairie située aux environs de Caboul que « l'herbe en est d’une excellente qualité et très bonne pour les chevaux ». 2. Basiner, Reise {Beiträge, vol. XV, p. 62). Parmi les gra- minées le Poa bulbosa parait être surtout un excellent four- rage. Aitchison, Votes, p. 160. 3. Agropyrum cristatum, Eragrostis cynosuroïdes, Aeluropus littoralis, Hordeum caput-Medusae et ithaburense. Aïtchison, Notes, p. 6,15, 65, 100-101. 4. Trifolium pratense, repens, fragiferum, agrarium, etc. 5. Trigonella foenum graecum, striata, Persica, Brahuica, grandiflora, Monspeliaca, incisa, Noeana, elliptica, etc. 6. Lotus corniculatus, tenuifolius, Gebelia, Garcini, Stocksii. 7. Medicago falcata, orbicularis, coronata, denticulata, maculata, minima. 8. Onobrychis melanotricha, oxyptera, scrobiculata, num- mularia, dealbata, eubrychidea, Chorassanica, etc. 9, Vaicia truncatula, Pannonica, Hyrcanica, sativa, angus- tifolia, etc. 10. Lathyrus aphaca, amarus, Cicera, amoenus, sativus, etc. 100 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS ainsi que des chénopodées et des salsolacées. L’aristide plumeuse des steppes sablonneuses est recherchée par les moutons ; les chevaux mêmes mangent les tiges desséchées du panic dichotome; on recuille les jeunes pousses des roseaux donax et commun comme four- rages frais. Inutile de faire remarquer que toutes les légumineuses herbacées sont avidemment mangéespar les troupeaux des nomades ; les ânes, les chèvres et sur- tout les chameaux recherchent aussi les légumineuses frutescentes, comme l’ushi — Astragalus hyrcanus — et le £hdr' — Alhagri camelorum —, une des plantes les plus épineuses des steppes, mais qui reste verte, quand toutes les autres sont mortes et desséchées. Les plantes les moins propres en apparence à être des fourrages servent et ont servi de tout temps à l’a- limentation des troupeaux iraniens. C’est le cas pour certaines férules, qui, malgré leur odeur repoussante, ‘sont broutées avec avidité par les moutons et sont même employées pour la nourriture des chevaux. L'auteur de l’{tinéraire d'Alexandre, qui donne aux férules le nom de Siphium, dit * que « les brebis en aiment les fleurs, les fruits et les racines ». Boissier remarque de la Ferula ovina qu'elle est surtout re- cherchée par les moutons * ; elle ne l’est pas moins par les chèvres. Polak affirme la même chose de la Ferula asa fœætida des environs de Persépolis et de Pa- 4. Ou khar-i-buz, ‘'akül des Arabes. Cf. Les plantes dans l'antiquité, vol. I, p. 11, et Aïtchison, Votes, p. 7 et 18. 2. Cap. Lxxv. « Oves floris ejus esu et usu frugis et radi- cium delectatas. » 3. Flora orientalis, vol. IT, p. 987. Boissier donne à cette férule le nom de kumä, que Polak attribue à la F. gummi-gal- banum. Aitchison donne à la première le nom de kema-kohi, à la seconde celui de bädra-kema. Notes on products, p. 73-74. LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION DES IRANIENS 101 sargade, ainsi que d’une autre ombellifère voisine, le Dorema ammontiacum, qui croit en abondance entre Yezd et Ispahan, et il dit que la Ferula qummi-galba- num — kumä —, mangée fraiche, donne du ton aux chevaux '. On considère aussi comme un excellent fourrage pour les chèvres et les moutons une autre ombellifère des pentes Nord des collines du Khoràäsan, le Prangos pabularia *. Certaines composées servent aussi de fourrage aux troupeaux de l'Iran ; les ânes et les chameaux ne dédai- gnent pas l’armoise des champs et l’armoise marine, en dépit de leur amertume, et ils s’en trouvent bien, ainsi même, dit-on, que les chevaux. Les brebis et les chèvres broutent avidement les feuilles d’une autre composée frutescente, le Codonocephalum Peacoc- kianum, répandue en abondance dans le Khorâsan. Certaines orobanchées, celle du tamaris en particulier, sont récoltées par les chameliers pour leurs bêtes. Des labiées, comme le Sfachys trinervis des plaines pier- reuses de l'Héri-roud, sont mangées également par les chèvres et les moutons. Les chameaux aiment aussi à brouter certaines plumbaginées épineuses des steppes, du genre Acantholimon ; chameaux, bre- bis et moutons mangent encore avec avidité diverses polygonées, tel que le Calligonum comosum, sous- arbrisseau répandu surtout dans la Perse méridionale et le Béloutchistan”. Les tiges rigides et salines des chénopodées et des salsolacées n'en sont pas moins recherchées par les moutons et surtout par les cha- 1. Persien, vol. IT, p. 136. La F'erula qummi-galbanum de Polak est la F. galbaniflua de Boissier. 2. Aïtchison, Votes on products, p. 164. 3. Aitchison, Votes on products, p. 4, 16, 43, 145, 198 et 31. 102 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS meaux. Le voyageur anglais A yscoghe Floyer affirme que sans le #dt, espèce de Sa/solacée, les chameaux ne peuvent rester longtemps en santé, ni conserver leur appétit. Ils recherchent aussi, d’après Aïtchison ?, la Salsola arbuscula, plante de la même famille ré- pandue dans les déserts du Béloutchistan et du Tur- kestan, ainsi que le Add — Cornulaca monacantha —, autre salsolacée du désert lybique, commune égale- ment dans les steppes de l’Iran méridional*. Les mou- tons n'aiment pas moins une salsolacée annuelle de la steppe de Kizil-koum, le Gamanthus ovinus *. Outre ces plantes herbacées ou sous-frutescentes, les feuillages et les brindilles des arbres et des arbus- tes forment un appoint considérable de l’alimentation du bétail ; feuilles et jeunes pousses des saules et du jujubier commun, de l’aubépine et du peuplier de l’'Euphrate, du pistachier, des tamaris, du Prosopis Stephaniana, du caprier surtout, dont on fait provi- sion comme fourrage vert’. Les chameaux aiment également à brouter les rameaux du saksaul — Halo- zylon ammodendron — ; on recueille aussi pour eux les bulbes de l'Ungernia trisphaera, amaryllidée com- mune dans certaines provinces, et même, comme four- rage d'hiver, les souches du Crambe cordifola, dont les pousses annuelles et les feuilles servent à l’alimen- tation des brebis et des chèvres *. Â. Unexplored Balüchistan, p. 28. Floyer l'appelle Sadi- cornia, mais sans désigner l'espèce. 2. Notes on products, p. 181. 3. Les plantes dans l'antiquité, vol. I, p. 11. — Boissier, Flora, vol. IV, p. 984. 4. Boissier, Flora, vol. IV, p. 960 et 980. 5. Aitchison, Votes on products, p. 33 et 77. 6. Aitchison, Votes on products, p. 47, 98 et 215. LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION DES IRANIENS 103 Les habitants de l'Iran ne font pas de foin avec les graminées ; mais ils font provision des débris de quel- ques plantes sauvages desséchées; par exemple, des feuilles des ombellifères, des tiges de la Gundelia Tour- neforlü ; mais surtout des fanes des légumineuses culti- vées et de la paille des céréales. L'usage de la paille, qu'on donne aujourd’hui hachée ou brisée au bétail, re- monte à la plus haute antiquité ; dix mille artabes de paille, ainsi que cinq mille voitures de glui, étaient livrées chaque jour pour les bêtes de somme du grand roi’. On leur réservait aussi vingt mille artabes d'orge. Il s’agit sans doute d'orge en grain, employée de temps immémorial en Orient pour l'alimentation des animaux. Aujourd'hui on se sert aussi de l'orge coupée en vert. Si les anciens habitants de l'Iran ne con- naissaient pas cet usage, ils cultivaient, nous l'avons vu, certaines espèces indigènes, destinées à compléter la provision de fourrage dont ils avaient besoin; telle était en particulier la luzerne, employée surtout pour la nourriture des chevaux, usage auquel Aristophane fait déjà allusion* ; elle en composait en Médie, Strabon le dit expressément *, le principal aliment ; on a même voulu tirer son nom aspast de cet usage. * * * Rien à peu près ne nous renseigne sur l'emploi que les anciens habitants de l'Iran faisaient des substances . Polyen, Sfralegetica, lib. IV, cap. 3, 32. . Hoôtoy GE tobs rayoboous autt noias unèwñs. Equites, v. 606. . Geographica, lib. XI, cap. 13. %. Asp cheval et as{, part. de ad, manger. Th. Nôldeke, Zeitschrift der deutschen morgenl. Gesellschaft, vol. XXXII (1878), p. 408. QU D = 104 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS propres au tannage, fournies par la flore indigène ; mais on peut l’affirmer : écorce du chêne, du sumac, du jujubier commun, des fruits du grenadier et peut- être de l'Apocynum venetum, feuilles et brindilles de la Salsola arbuscula et surtout du sumac des corroyeurs, noix de galle du chène, du pistachier ou du tamaris de Gaule, gousses de Prosopis, etc., broyées et ré- duites en poudre, durent servir de temps immémorial, du moins la plupart d’entre elles, pour la préparation des cuirs’. Mais c’est tout ce que nous en pouvons dire. On en sait à peine davantage au sujet de l'usage qu’on faisait dans l’ancien Iran des plantes tinctoriales indigènes. De bonne heure on dutse servir des noix de galle pour la teinture, comme pour le corroyage. Il est probable que dès longtemps on fit également usage des écorces, des racines ou des fleurs de quelques-unes des espèces sauvages dont j'ai donné la liste plus haut:! épine-vinette, érables, ronces, dauphinelle, etc. La ga- rance, non seulement sauvage, mais cultivée, leur fournit sans doute dès l'époque la plus reculée la cou- leur rouge qui en porte le nom. Le carthame, accli- maté dès la plus haute antiquité, — il en est question dans l'inscription de Cyrus — leur fut encore d’une plus grande utilité ; ses fleurs, séchées et dépouillées par un lavage prolongé de la couleur jaune sans va- leur qu'elles renferment, leur donnaient un rouge pourpre, cerise, rose ou couleur chair, suivant le mor- dant employé?. Ils demandaient au safran, lui aussi très anciennement acclimaté, une couleur jaune re- 4. Aitchison, Votes on products, p. 205. 2, H. Drury, The useful Plants of India. Madras, 1873, in-8, p-4117, / LES PLANTES DANS L’INDUSTRIE DES IRANIENS 105 cherchée. Si l’on en croyait Eschyle, les chaussures du grand roi étaient teintes avec du safran. Bien avant de cultiver l'indigotier et même après, les an- ciens Perses durent importer de l'Inde l’indigo, dont ils avaient besoin pour teindre en bleu leurs étoffes. Il n’est point douteux non plus que, comme les Égyp- tiens, ils ne se soient servi de bonne heure du henné pour se colorer les ongles et la peau des mains et des pieds, ainsi peut-être que les cheveux”. Il est à peine besoin de faire remarquer que les Ira- niens, comme tous les peuples anciens, demandaient exclusivement au règne végétal le combustible dont ils avaient besoin *. Parmi les diverses essences arbo- rescentes dont j'ai fait l’'énumération, les chênes dans la région occidentale, les frènes des contrées monta- gneuses, les conifères du Touran oriental et de la chaine du Souleiman, les peupliers et les saules, ainsi que les tamaris du bord des eaux, les micocouliers de l'Iran septentrional, les pistachiers du Paropamise et du Turkestan, les divers amandiers de la région méri- dionale fournissaient le combustible dont les habitants de ces contrées avaient besoin. Cent voitures de bois coupé étaient réservées chaque jour pour le service de la maison du grand roi, quand il résidait à Babylone ou à Suse*. Là où les arbres faisaient défaut, on brûlait les broussailles ; les racines de la réglisse donnent entre 1. Koox0Bartos ebuaots. Persae, v. 661. 2. On importe encore aujourd'hui en Perse la plus grande partie de l’indigo qu'on y emploie. Polak, vol. Il, p. 152. 3. Je fais abstraction des substances d’origine animale qu'ils brülaient parfois. 4, Polyen, Strategetica, lib. IV, cap. 3, 32. 106 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS autres un combustible recherché ; les armoises des lieux arides sont impitoyablement arrachées pour être brülées, laissant les lieux où elles croissent dans un état complet d’aridité. Le saksaul des steppes de l'Est et du centre iraniens et du Turkestan avec son bois dur et résistant fournit un combustible durable ; il donne aussi un excellent charbon ‘. On fait également de très bon charbon avec le bois de quelques-uns des arbres les plus communs de l'Iran, tels que les amandiers ivorin et des Brahouis, le genévrier élevé, les saules, etc. Enfin on fabriquait avec certaines plantes velues ou poreuses l’amadou nécessaire pour allumer le feu. Les feuilles tomenteuses des Cousinia, une fois sèches, en fournissaient naturellement; on prépare aujourd’hui, et on préparait aussi peut-être autrefois, de l’amadou avec les tiges du Fumex, brunies au feu; le liber ainsi des- séché et enlevé s’enflamme sans peine et brûle lente- ment *. Ajoutons encore que l’on trouve dans la région iranienne de nombreuses plantes riches en soude et en potasse, dont la cendre a, dès une époque reculée, dû être utilisée dans la fabrication du verre et le tannage des peaux. Presque toutes les salsolacées: Anabasis, Salicornia, Salsola, Suaeda, etc., en fournissent en abondance, mais la meilleure soude est retirée de l’'Anabasis eriopoda*. La flore indigène de l'Iran et du Touran fournissait 4. Voir plus haut, chap. 1, p. 18. — Aïtchisun, Votes, p. 98. 2. Aitchison, Votes on products, p.38, 46, 108, 165, 178 et 180. 3. Aitchison, Votes on products, p. 22. LES PLANTES DANS L’INDUSTRIE DES IRANIENS 107 à leurs habitants la plupart des bois qui leur étaient nécessaires pour le charpentage, le charronnage et l’ébénisterie, ainsi que les textiles et les matières fi- breuses employées pour le tissage et la vannerie. Si le nombre des espèces arborescentes n’était probablement pas plus considérable dans ces contrées autrefois qu'aujourd'hui, les arbres s'y trouvaient en quantités bien plus grandes ; il y avait là une abondance de matériaux presque inépuisables pour les industries les plus diverses. Chênes du Zagros, pins de l’Afgha- nistan, genévriers élevés du Khoräsan, noyers, éra- bles, micocouliers de la Perse septentrionale et de l'Afghanistan, platanes et zelkovas de la région cas- pienne, frênes des montagnes de l'Iran tout entier, saules et peupliers des vallées, fournissaient d’excel- lents bois de charpente et de charronnage. Des essences plus petites, comme le buis du Mazandéran, les tamaris si communs dans toute la région, les Cotoneaster et Lonicera nummularia * du Khoràsan et de l’Af- ghanistan, les chalefs de l'Iran oriental et du Tur- kestan, le jujubier commun, le mürier, les pistachiers du Nord et les amandiers du Midi, les pruniers, poi- riers et épinés des montagnes de l'Iran occidental pou- vaient servir aux ouvrages d’ébénisterie, à la fabrique des armes, des instruments agricoles, des ustensiles de ménage, etc. Malheureusement nous n'avons que des renseigne- ments bien incomplets sur les espèces de bois employées par les anciens habitants de l'Iran et sur l'usage qu'ils faisaient de chacune d'elles. D'après Polybe”, les co- 1. Aitchison dit que ces chèvrefeuilles arborescents ont jusqu’à 20 pieds de haut et 5 pieds de circonférence. 2. Reliquiae, lib. X, cap. 27, 10. 108 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS lonnes, les poutres et les lambris du palais d'Ecbatane étaient en bois de cèdre et de cyprès. Le bois de cèdre aussi, si nous en croyons Quinte-Curce‘, entrait dans la construction du palais de Persépolis. Si le cyprès est indigène dans les montagnes de l'Iran, le cèdre, au contraire, ne s’y rencontre pas; mais, à l’époque de leur grandeur politique, les Mèdes et les Perses ne se contentaient pas des essences indi- gènes, ils en employaient aussi d’exotiques : le cèdre en était déjà une; le palmier doum en était peut-être une autre. Théophraste dit* que les Perses estimaient beaucoup le bois de cet arbre et qu’ils s’en servaient pour fabriquer les pieds de leurs lits; mais s’il est indigène en Égypte, le doum parait avoir toujours été étranger à l'Iran. Comme les Égyptiens et les habitants de la Syrie et de la Mésopotamie, les Perses faisaient aussi usage du bois d’ébène pour les ouvrages d’ébé- nisterie et comme eux ils le tiraient de l'étranger. Tous les trois ans, les Éthiopiens envoyaient en présent au grand roi deux cents troncs d’ébéniers avec vingt grandes dents d'éléphant”. Les Perses faisaient aussi probablement venir de l'Inde du bois d’'ébène*, mais d’une autre espèce que celui qu'ils recevaient d'Égypte’. 1. « Multa cedro aedificata est regia. » De rebus Alexandri Magni, lib. V, cap. 7, 5. 2. Historia plantarum, lib. IV, cap. 2, 7. 3. Hérodote, Aistoriae, lib. II, cap. 97. — Pline, Æistoria na alis, lib. XIT, cap. 8, 1. CT iplus maris Erythraei, cap. 36. 5. L’ébène d'Égypte, importé dans cette contrée de l’Éthio- pie, estle Dalbergia melanoxylon. Dr.-G. Beauvisage, Recher- ches sur quelques bois pharaoniques. II. Le bois d’ébène. (Recueil de travaux relatifs à la Philologie et à l’'Archéologie égyptiennes et assyriennes, vol. IX (1897), p. 17-23). Quant à l’ébène de l'Inde, c'était probablement un Diospyros, peut-être LES PLANTES DANS L’INDUSTRIE DES IRANIENS 109 Plus tard ils importèrent aussi du bois de tek de l'Inde ; la ville de Siraf sur le golfe Persique, fondée par les Sassanides, fut construite en entier avec cette essence précieuse. On s’en était aussi servi pour faire les boiseries du palais de Khosrou à Ctésiphon. La flore iranienne n’était pas moins riche en textiles et en matières fibreuses qu’en bois de construction ; les branches flexibles des saules si communs le long des cours d’eau, les jeunes pousses des tamaris répan- dus dans l'Iran et le Touran tout entiers, celles de l'arbre de Judée ont servi sans doute de tout temps à fabriquer des corbeilles, des claies et autres ouvrages semblables; l'écorce des racines de plusieurs astragales, comme les jeunes branches de l’Apocynum venetum, fournissent des fibres qui ont dù être aussi très ancien- nement utilisées pour faire des cordages ; les Turko- mans Kazak fabriquent même du drap avec les der- nières *, Les graminées des steppes et des marécages, les diverses laiches, massettes, etc., devaient égale- ment servir à fabriquer des paniers, des nattes, des cordes grossières, etc. Le roseau commun, si abondant au bord des eaux, et le roseau donax, étaient employés à ces divers usages, ainsi qu'à construire des huttes et à les couvrir. L'Erianthus Ravennae, belle et grande graminée, qui atteint deux à trois mètres de haut, ne devait pas être moins employée autrefois qu'aujourd'hui le D. Ebenum, mais les Perses connurent sans doute aussi le Dalbergia Sissoo, qu'on trouve, nous l’avons vu, dans la vallée du Kouram. 1. Chr. Lassen, Zndische Alterthumskunde, vol. I, p. 252. — J.-T. Reinaud, Relations de l'empire romain avec l'Asie orien- tale. Paris, 1863, in-8, p. 171. 2, Aïtchison, Votes on products, p. 13 et 18. 110 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS dans l'Iran et le Touran pour faire toute sorte d’ouvra- ges de vannerie et de sparterie'. Dans le Midi on se ser- vait des feuilles et des fibres du dattier ; les Ichthyo- phages, rapporte Strabon*, fabriquaient leurs filets avec l'écorce ou leliber, c'est-à-dire sans doute avec les fibres de cet arbre, et Arrien remarque* qu'ils les tressaient comme le lin. Dans le Béloutchistan on fait des cordes avec les feuilles du Chamérops de Ritchie, et les feuilles de ce palmier servent aussi à fabriquer des corbeilles et des nattes*. Les anciens Iraniens se servaient du lin pour la con- fection des étoffes, comme leurs voisins de la Mésopo- tamie, Strabon nous apprend que le soir une des occu- pations des jeunes Perses était de tisser le lin‘. Abradate, roi de Susiane et allié de Cyrus, portait une cuirasse tressée avec ce textile ; et Xénophon, qui rap- porte ce fait*, donne aussi pour armement aux Chalybes d'Arménie, voisins et sujets des Perses, une longue cuirasse de lin”. Mais lorsque le coton fut connu, il se substitua peu à peu au lin; aujourd’hui celui-ci n’est plus guère employé dans la fabrication, les étoffes perses sont tissées en coton ou en poils de chameau et de chèvre“. Quant au chanvre, il n'est cultivé qu'exceptionnellement en Perse pour la préparation du haschish ; mais dans le Turkestan on en retire les 1. Aïtchison, Votes on products, p. 67. 2. Geographica, lib. XV, cap. 2, 2. 3. Indica, cap. xxIX, 10. « Instar lini. » 4. Aitchison, Journal of the Linnean Society, vol. XIX, p- 369. 5. Geographica, Hb. XV, cap. 3, 18. 6. Cyropaedia, lib. VI, cap. 4, 2. 7. Anabasis, lib. IV, cap. 7, 15. 8. Polak, Persien, vol. II, p. 152. LES PLANTES DANS L'INDUSTRIE DES IRANIENS 111 fibres qui servent à faire des cordages excellents!, emploi dont Pline parle comme connu de tout le monde”, _et qui de la région caspienne s'était répandu avec la culture du chanvre dans l'Occident. 1. Aïtchison, Votes on products, p. 33. 2. Historia naturalis, lib. XIX, cap. 9 (56). CHAPITRE III LES PLANTES DANS L'ART ET DANS LA POÉSIE DES IRANIENS Les Iraniens qui demandaient en si grande quantité au règne végétal des matériaux pour leurs construc- tions *, ne pouvaient manquer de lui emprunter aussi des formes architecturales et des motifs de décora- tion. Les Égyptiens et les Sémites de la Mésopotamie leur avaient donné l'exemple; s'ils les imitérent, ainsi que les Grecs d'Ionie, ils ne le firent pas cependant sans originalité. Ils semblent même avoir tiré direc- tement de l’observation de la nature végétale la forme de la colonne ; ce n’est pas sans raison qu'on à cru celle-ci sortie de l’imitation d'un tronc d'arbre élancé?, et qu'on l’a comparée aux piliers en bois, qui aujour- d'hui encore supportent letoit en saillie des maisons 1. « L'architecture nationale de la Perse et de la Médie ad- mettait le bois d'une manière à peu près exclusive dans les constructions anciennes ». M. Dieulafoy, L'art antique de la Perse. Paris, in-fol, IVe partie, 1895, p. 60. 2. Perrot et Chipiez, {Histoire de l’art dans l'antiquité, vol. V, p. 496. | LES PLANTES DANS L'ART DES IRANIENS 183 champêtres du Mazandéran’. En bois elle-même sans doute à l'origine, comme le toit -auquel elle servait d'appui, reposant sur un simple bloc de pierre gros- sièrement équarri, et qui, évidé à sa partie supérieure, lui servait de base, sonsommet aminci supportait aussi sans doute directement les poutres du toit. Mais si telle elle était d’abord et telle elle est restée dans sa forme générale, avec le temps, la matière, l'aspect et les proportions en ont changé : le bois a fait place à la pierre ; le fût s’est allongé et rayé de cannelures, la base s’est développée et couverte d'ornements, le cha- piteau a pris naissance et s’est embelli de formes em- pruntées à la nature vivante. L'unique colonne, qui subsiste du monument dési- gné sous le nom de tombeau de Cyrus, nous montre l'antique pilier à son premier degré de transforma- tion”; la pierre a remplacé le bois, dont le füt était /composé; mais celui-ci est resté uni dans toute sa longueur et un disque plat en marbre noir, seul, lui sert de base. Le chapiteau ayant été détruit, on ne peut rien en dire ; mais il était sans doute aussi peu compliqué que la base. Les colonnes d'un autre monu- ment de la même région, le Qabr-i-madèer-i-Suleiman — le tombeau de la mère de Soliman * —, témoignent déjà d’un progrès architectural considérable; le füt en est-encore uni, il est vrai, mais au lieu du simple disque, sur lequel il repose dans la colonne du tombeau 1. Marcel Dieulafoy, L'art antique de la Perse, Ie partie, 1884, p. 47, fig. 35. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 498, tig 319. 2. M. Dieulafoy, op. laud., vol. I, p. 30, fig. 28. — Perrot, op..laud., vol. V, p. 455, fig. 291. 3. Flandin et Coste, Perse ancienne, pl: CLXXVII. — M. Dieulafoy, op. laud., vol. I, p. 43 et 45, fig. 46 et 50. -— Perrot, op. laud., vol. V, p. 488 et 517, fig. 309 et 328. Jorer. — Les Plantes dans l'antiquité. I = 114 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS de Cyrus, la base est formée d’un tore, rayé de canne- lures horizontales, posé sur un socle cubique. L’orne- mentation végétale toutefois fait ici encore défaut ; elle apparaît, au contraire, avec profusion dans le pa- lais de Darius et de Xerxès à Persépolis et surtout dans celui d’Artaxerxès à Suse, palais où la colonne perse a atteint son dernier degré d'élégance et de beauté. Main- tenant, le fût est toujours cannelé, et ce qui est plus important au point de vue de la décoration, le socle campaniforme de la base, que relie au fût un renfle- ment attique, est couvert d'ornements tirés du règne végétal. Ici, dans les propylées de Xerxès”,ce sontdes pétales conventionnels de lotus, la pointe tournée en bas, et, ala partie supérieure, terminés en fer de lance; là, dans le palais du même Xerxès*, une rangée de pé- tales accouplés, la pointe tournée encore vers le sol, sont surmontés d'une autre rangée de fleurs à trois pé- tales, entre chacune desquelles se dresse une palmette; ailleurs, dans le petit palais de Suse*, le socle est orné de fleurs conventionnelles, composées de deux pétales soudées entre eux, et au-dessus desquelles court une rangée d’oves. Enfin, dans la colonne du grand palais de Suse, dont un fragment, rapporté par M. Dieulafoy, existe au musée du Louvre *, le socle est sillonné de 1. Flandin et Coste, op. laud., pl. LXXV. — Dieulafoy, op. laud., vol. Il, p. 84, fig. 64 et pl. XX. — Perrot, 0p. laud., vol. V, p. 493. | 2. Flandin et Coste, 0p. laud., pl. XCIIT. — M. Dieulafoy, op. laud., vol. Il, p. 85, fig. 72. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 491. 3. M. Dieulafoy, op. laud., vol. II, p. 85, fig. 73. — Id., L'acropole de Suse. Paris, 1890, in-fol., p. 328, fig. 205. — Perrot, op. laud., vol. I, p. 456, fig. 292. 4. Perrot, op. laud., vol. V, p. 489, fig. 310. — M. Dieulafoy, L'Acropole de Suse, p. 296 et 327, fig. 170 et 2084. LES PLANTES DANS L’ART DES IRANIENS 115 barres doubles et verticales, réunies par deux demi- cercles, dont le supérieur enveloppe un globe can- tonné d'une palmette renversée, seul ornement végétal de cesocle. Tandis que la flore a fourni des motifs si divers de décoration à la base de la colonne, elle n’en a pres- que pas donné au chapiteau. Ici ce sont des formes ornementales d’une origine toute différente que l’on rencontre presque exclusivement; le chapiteau perse, tel que nous le connaissons, estcomposéde deux demi- taureaux adossés", qui supportent de leur tête puis- sante le poids de l’entablement et reposent, tantôt directement sur le fût, comme dans les colonnes des tombes royales de Nakch-i-Roustem*, ou celles du pa- lais de Xerxès à Persépolis, tantôt «lui sont reliés par tout un système compliqué d’ornements interposés »°, ainsi que cela a lieu dans les colonnes des propylées du même Xerxès ou dans celles du palais d’Artaxerxès à Suse ‘. Dans le premier cas le chapiteau n’a d’autre ornementation végétale que la rosace qui s’étale parfois au milieu du carré destiné à séparer les deux taureaux *. Dans le second cas, outre cette rosace deux 1. Flandin et Coste, op. laud., pl. CLXXVII. — M. Dieula- foy, 6p. laud., vol. IT, p. 83, fig. 63. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 452, fig. 289. Dans le portique du grand palais de Xerxès, les taureaux sont remplacés par des licornes. 2. Flandin et Coste, op..laud., pl. CLXVI et CLXXII. — M. Dieulafoy, op. laud., vol. IT, pl. I. — Perrot, op. laud., vol. V, pl. I, p. 619, fig. 384, p. 623, fig. 386 et p. 629, fig. 392. 3. Perrot, op. laud., vol. V, p. 491, fig. 311. 4. Flandin et Coste, op. laud., pl. LXXV. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 393, fig. 312, et p. 780, 781, fig. 665 et 666. 5. Propylées de Xerxès. Flandin et Coste, op. laud., pl. XCIIL. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 491, 492 et 701, fig. 311, 312, 313 et 430. 116 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS fois répétée, on trouve encore des motifs de décora- tion empruntés au monde végétal dans le prolonge- ment compliqué, dont l'architecte perse à cru devoir couronner la nudité du fut, espèce de chapiteau divisé, dans le sens vertical, en deux parties égales et de formes contraires'. «L'une, celle qui repose sur le füt aminci, est un cylindre dont les génératrices, a l’ex- trémité supérieure, se raccordent avec un quart de rond renversé; sur ce quart de rond repose l’autre moitié du chapiteau, qui affecte ainsi au point de dé- part, la forme cylindrique; la partie supérieure est terminée par un cavet *.» On a proposé d'admettre que l’idée première de ce double chapiteau a été suggérée par la tête du palmier ; la partie inférieure avec ses masses tombantes figure- rait les frondes desséchées, rabattues sur le tronc ; la partie supérieure avec ses divisions ascendantes re- présenterait les feuilles nouvelles, qui s’élancent au- dessus du feuillage flétri, légèrement courbé sous leur poids”. On peut donner de ces formes une explica- tion plus simple et, je crois, plus vraisemblable, et voir dans la partie inférieure du chapiteau une re- production non évasée du socle campaniforme, tel que le présentent les colonnes du grand palais de Suse; dans la partie supérieure une imitation du chapiteau 1. Propylées de Xerxès à Persépolis. Flandin et Coste, op. laud., pl. LXXV. — Perrot, op. laud., vol V, p. 493, fig. 312 et 313, p. 497, fig. 318 et pl. VI. — M. Dieulafoy, L’Acropole de Suse, p. 325, fig. 203. | 2. Ch. Chipiez, Histoire critique de l’origine et de la forma- tion des ordres grecs. Paris, 1876, in-4, p. 101. 3. Flandin, Relation du voyage en (Perse), vol. II, p. 156. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 492. LES PLANTES DANS L'ART DES IRANIENS 117 papyriforme égyptien”, surmonté seulement par un quart de rond orné d’oves, décoration que né connaît pas celui-ci. Quoi qu'ilen soit, l’ornementation végétale, on le voit, se réduit ici à peu de chose. Elle n'apparait véritablement que dans les rosaces des quatre volutes appliquées aux deux côtés du prisme cannelé, qui relie le chapiteau, que je viens de décrire, au groupe des deux demi-taureaux *. Ces rosaces d’ailleurs ne sont pas les seules qui servent d'ornement à la colonne perse; chacun des demi-taureaux, qui en forment le couron- nement, porte un collier, couvert de rosaces sembla- bles, et auquel pend, au milieu du fanon, une espèce de fleur de lotus. Les rosaces ou anthémions, qui occupaient une si grande place dans la décoration des monuments assy- riens n'ont pas joué un moindre rôle dans celle des monuments perses ; de dimensions variables, tantôt à six, d’autres fois à huit ou à douze fleurons, elles ont servi à orner non seulement les détails des chapiteaux, mais les chambranles des portes ou des fenêtres, la main courante des escaliers, les soubassements etles frises, etc. Elles n’y apparaissent pas seules toutefois ; on y rencontre aussi les autres formes empruntées par l’art égyptien ou assyrien au règne végétal, en par- ticulier les palmettes qu'on trouve, soit isolées, soit portées sur des tiges flexibles et parfois alternant avec des lotus. Ces derniers ornements ont surtout été mis en œuvre par les enlumineurs des derniers temps 1. Charles Joret, Les plantes dans l'antiquité, vol. I, p. 223. — Cf. M. Dieulafoy, op. laud.,' vol. II, p. 82. 2. Flandin et Coste, op. laud., pl. LXXV. — Perrot, op. aud., vol. V, p. 493, 494, 497 et 780-781, fig. 312, 313, 318, 465, et 466. Ÿ 118 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS des Achéménides, les rosaces ont été plutôt employées comme motifs de décoration par les sculpteurs. C’est ainsi que la porte d’une des tombes royales de Persé- polis est encadrée d’une triple rangée.d’anthémions *. De même les ressauts du quart de rond godronné, par lequel se termine la main courante des escaliers aux palais de Darius et de Xerxès, sont décorés chacun d’une rosace*. Des rangées de larges rosaces aussi en- cadrent les différentes scènes représentées sur les bas- reliefs des palais persépolitains : défilé des grands du palais, des archers doryphores” et des tributaires’, combat d’un lion et d’un taureau’, etc. Ce dernier comme les taureaux des chapiteaux, porte même un collier orné de rosaces. Les taureaux à figure humaine qui se dressent à l'entrée du portique Viçadahyu de Xerxès, portent aussi un collier décoré de rosaces et leur mitre est également ornée d'une rangée de ces mêmes fleurs°. Sur le bas-relief de la salle hypostyle de Xerxés, 4. M. Dieulafoy, op. laud., vol. IT, p. 31, fig. 18. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 527, fig. 338. 2. Flandin et Coste, op. laud., pl. XCIV. — M. Dieulafoy, op. laud., vol. Il, p. 80, fig. 111. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 531 et 532, fig. 340 et 341. — Flandin et Coste, op. laud., pl. XCV, XCVI, XCVII. 3. Flandin et Coste, op. laud., pl. LXXV, XCVII et XCIX. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 798, 821 et 822, fig. 472, 483 et 484. k, Flandin et Coste, op. laud., pl. CV, CVIII, CIX. — M. Dieulafoy, op. laud., vol. IT, pl. XV. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 800, 804 et 805, fig. 473, 475, 476. 5. Flandin et Coste, op. laud., pl. CIT. — M. Dieulafoy, 0p. laud., vol. IT, pl. XVIII. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 835, fig. 491. 6. Flandin et Coste, op. laud., pl. LXXV. — M. Dieulafoy, op. laud., vol. If, pl. XII. Fe 0 Ra P LES PLANTES DANS L'ART DES IRANIENS 119 on voit aussi se drésser, entre les divers groupes de personnages, des conifères qu'à leur forme pyrami- dale on reconnait, malgré la représentation conven- tionnelle des branches et des fruits, pour des cyprès". À cet arbre s’associe sur le couronnement, encadré d’anthémions, de l'escalier du palais n° 2 de Persépo- lis, la forme conventionnelle du dattier, avec la pal- mette qui le termine à son sommet et sa tige garnie de feuilles courtes et recourbées ou plutôt d’écailles destinées, dans la pensée du sculpteur iranien, à re- présenter les restes du pétiole des frondes tombées”*. Le cyprès et le palmier servent sur ce bas-relief à remplir un espace nu bien plus qu’ils ne sont un motif de décoration. Tel est encore le rôle des rangées de palmiers de grandeur inégale, mais aux mêmes for- mes conventionnelles, qu’on voit sur le couronnement des escaliers aux palais n° 2 et 4 de Persépolis *. Ces motifs de décoration ne sont pas particuliers aux bas-reliefs; à part les cyprès, on les retrouve éga- lement et souvent combinés avec plus d’ingéniosité sur les briques émaillées, qui sontentrées en si grande quantité, dans la construction et l’ornementation du palais d’Artaxerxès à Suse. Des briques émaillées, 1. Flandin et Coste, op. laud., pl. CV, CVI, etc. — Stolze et Andreas, Persepolis, ap. F. Justi, Geschichte des alten Persiens, p. 106. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 800, 804, 805 et 841, fig. 473, 475, 476 et 493. 2. Flandin et Coste, op. laud., pl. XCVIII et XCIX. Charles de Linas a voulu voir dans ce palmier si bien caractérisé une «&graminée ». Les origines de l’orfévrerie cloisonnée. Paris, 1877- 1887, in-&, vol. [, p. 266. 3. Flandin et Coste, op. laud., pl. CX et CXXXV. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 537 et 543, fig. 345 et 349. Trois dattiers semblables se dressent aussi derrière le lion qui dévore un taureau. 120 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS découvertes par M. Dieulafoy et dont un bon nombre se trouvent au musée du Louvre, nous offrent, les unes des rosaces, les autres des palmettes, des feuilles conventionnelles de dattier ou même des fleurs de lo- tus”. L'une d'elles, dessinée par M. Saint-Elme Gau- ter, présente sur sa face supérieure une belle rosace à double rangée de fleurons arrondis, qu'encadre un listel à zigzags”; une autre, ornée sur le plat d’une rosace semblable, en montre trois plus petites sur le côté”. Les débris que nous possédons, ornementation en briques émaillées du palais de Suse, offrent tous ces motifs de décoration combinés souvent de la manière la plus ingénieuse. Sur l’un, qui faisait partie de la main courante du grand escalier de l'Apadäna à Suse, se dressent des colonnes formées de fleurs de lotus, lesquelles, de couleur différente et à deux pétales seuls visibles, sont superposées les unes aux autres ; la der- nière est surmontée par une palmette, tandis que les briques terminales sont décorées de rosaces et qu’une rangée de rosaces court aussi à la base du revêtement‘. Un autre fragment de la main courante d’un escalier de Suse à également pour décoration des rangées de fleurs de lotus, mais à pétales plus recourbés et soudés complètement entre eux”. Il faut rapprocher de ce genre d’ornementation la 1. M. Dieulafoy, L'Acropole de Suse, p. 297-298. 2. Perrot, op. laud., vol. V, p. 537, fig. 344. — M. Dieulafoy, L’Acropole de Suse, pl. X, 1. 3. Perrot, op. laud., vol. V, p. 374, fig. 350. — Dieulafoy, L'Acropole de Suse, p. 301, fig. 176. 4. M. Dieulafoy, L’Acropole de Suse, pl. VIII et p. 299, fig. 173. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 538, fig. 346. 5. Perrot, op. laud., vol. V, p. 763, fig. 458. LES PLANTES DANS L'ART DES IRANJENS 121 décoration d’un merlon de travail archaïque, signalée par M. Dieulafoy ‘; les fleurs de lotus superposées dont elle est composée ont les pétales recourbés et munis d’appendices lenticulaires ou de déchirures de fantaisie. Un fragment de litre décorative, provenant également de Suse et qui occupe sept briques en hauteur, a pour motif décoratif central des disques réunis par des rubans et entre lesquels s'appliquent des palmettes opposées deux à deux par la base*. Les motifs de décoration les plus beaux et les plus élégants sont sortis de la combinaison des palmettes entre elles ou des palmettes et des fleurs de lotus. Telle est la rangée de palmettes qu'on voit sur la frise des archers et sur celle des lions passant à Suse. Au-dessus et au-dessous des archers doryphores”, au-dessus des lions seulement“, règne un listel composé de demi-cer- cles, reliés deux à deux par un nœud surmonté de deux ares recourbés que couronne une palmette. Une rangée parallèle d’anthémions achève la décoration florale de ces frises. Sur un carreau de faïence, provenant aussi de Suse, on voit un listel d’une élégance encore 1. L’Acropole de Suse, p. 302, fig. 178 et pl. XIII, 2. 2. Perrot, op. laud., vol. V, p. 539, fig. 347. — M. Dieulafoy, L’Acropole de Suse, p. 303 et 30%, fig. 180 et pl. XII, 1. Le lotus, employé comme motif décoratif, ne se rencontre, à ma connaissance, dans la sculpture iranienne, que sur le bas- relief de la tombe n° 10 à Persépolis, où l’on en voit une fleur, couronnée d’une palmette, se dresser entre deux lions af- frontés. Flandin et Coste, pl. CLXIV. — Perrot, vol. V, p. 544, fig. 350. 3. J. Dieulafoy, À Suse, p. 295. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 541, fig. 348. — M. Dieulafoy, L’Acropole de Suse, p. 288, fig. 160 et pl. IV. 4. Perrot, op. laud., vol. V, pl. XI, p. 818. 122 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS plus raffinée”; la disposition générale en est “a même que pour celui des frises ; mais ce qui en augmente la grâce, ce sont les fleurs de lotus qui alternent avec les palmettes, genre de décoration où l'on ne peut mécon- naître une influence assyrio-égyptienne. Les deux ran- gées de losanges qui encadrent ce listel sont, eux, bien perses d’origine. Il est probable que, comme les émailleurs, les potiers iraniens emprunterent — parfois au moins — des motifs de décoration au règne végétal; mais les quel- ques spécimens que nous avons de leur art sont lisses ou n’ont d’autres ornements que des dessins géomé- triques ; je ne connais qu’un seul vase, bassin rapporté de Suse”, dans le fond duquel on aperçoive quelques traces de décoration végétale, une espèce de rosace au centre et trois fleurs indéterminées aux trois renflements d’une courbe sinueuse encadrée dans un triangle. Si la glyptique dédaignait les motifs de décoration tirés du règne végétal, elle ne négligeait pas néanmoins de faire, à l’occasion, figurer des arbres ou des plantes dans les scènes qu'elle représentait. C'est ainsi que sur le cachet de Darius, au Musée britannique, qui nous montre ce prince se livrant à la chasse au lion, on voit se dresser deux palmiers, l’un devant, l’autre derrière le char royal”. Sur un cylindre qui représente une scène analogue à celle du bas-relief de Béhistoun, Darius châtiant les chefs révoltés qui ont été faits pri- 1. Perrot, op. laud., vol. V, p. 877, fig. 352. — M. Dieulafoy, L’Acropole de Suse, pl. X. 2. 2. M. Dieulafoy, L'Acropole de Suse, pl. XIT, 13. 3. Justi, Geschichte des alten Persiens, p.112.—M.Dieulafoy, L'art antique de la Perse, vol. I, p. 93. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 848, fig. 496. LES PLANTES DANS L’ART DES IRANIENS 123 sonniers, on voit aussi derrière les quatre prisonniers, qu'on amène enchainés au monarque, se dresser un palmier garni de spadices". Un autre cylindre, le « ca- chet de la femme Khsarsya », représente un person- nage, une couronne à la main, debout devant le symbole de vie”. Regardés comme inutiles par la glyptique, les motifs de décoration végétale furent, au contraire, recherchés par les artistes qui travaillaient les métaux. On en trouve une application curieuse dans le revêtement de la grande porte qui donnait accès à l'enceinte où s’é- levait le palais d’Artaxerxes Mnémon*. Ce revêtement était formé de longues plaques de bronze quadrangu- laires, au centre desquelles s’étalait une double rosace, dont les contours étaient repoussés au marteau. Si la décoration végétale était ainsi en usage dans les tra- vaux métalliques les plus grossiers, elle devait l'être bien plus encore dans la bijouterie et l’orfévrerie ; mal- heureusement toutes les œuvres, dont ces arts avaient enrichi les palais de la Perse et de la Susiane, ont été dispersées et détruites après la chute de l'empire des Achéménides, et nous ne pouvons que nous représenter par la pensée quels gracieux motifs de décoration les embellissaient., Nous savons au moins par le témoi- gnage des anciens que les artistes grecs, auxquels les monarques perses firent souvent appel à l’époque de leur puissance, avaient fabriqué pour eux des bijoux 1. J. Menant, Recherches sur la glyptique orientale, vol. IT, pl. IX, fig. 1. — Perrot, op: laud., vol V, p. 851, fig. 498. 2. J. Menant, Recherches, vol. II, p. 172, fig. 150. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 850, fig. 497. 3. Perrot, op. laud., vol. V, p. 557, fig. 353. — Dieulafoy, L’'Acropole de Suse, p. 238, fig. 129, 124 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS dont les formes étaient empruntées au monde des plantes; telle était la vigne d’or’, dont les grappes étaient faites en pierres cabochons de toute espèce, œuvre, croyait-on *, de Théodore de Samos, qui ombra- geait la couche du grand roi, auquel elle avait été donnée par le lydien Pythios*. Tel encore le platane d'or, présent du même Pythios à Darius, qu'on voyait dans un des palais royaux, peut-être dans la salle du trône, mais dont un ambassadeur grec, rapporte Xé- nophon*, aurait dit par dérision qu’ « 1l ne donnerait pas assez d'ombre pour mettre même une cigale à l'abri du soleil ». Les étoffes, — tapis, robes, tentures, — que les artistes de l’Iran aimaient à embellir de dessins variés, géométriques parfois, mais qui souvent aussi, sinon plus souvent, reproduisaient des fleurs ou d’autres formes végétales, ont, comme les bijoux et les tra- vaux d'orfévrerie, disparu sans laisser d'autre trace qu'un vague souvenir. Les bas-reliefs et les briques émaillées toutefois, en représentant les personnages qui s’en paraient ou les édifices qu’elles ornaient, nous permettent de nous faire une idée du genre de décora- tion végétale qui les embellissait. La rosace s’y rencon- trait le plus souvent. Le bord frangé de la robe du personnage symbolique, qu'on s'accorde à regarder comme l'effigie de Cyrus”, est garnie d’une rangée 1. Himerius, E£clogae, XXXIT, 8. 2. Athénée, Deipnosophistae, lib. XIT, 514f. — Charles de Linas, Les origines de l’orfévrerie cloisonnée, vol. I, p. 213. 3. Hérodote, /Jistoriae, Lib. VII, cap. 27. k. Hellenica, lb. I, cap. 7, 38. 5. M. Dieulafoy, L'art antique de la Perse, vol. I, p. 34, pl. XVII et L’Acropole de Suse, p. 50, fig. 34. — Perrot, op. laud., vol-V, p.787, fig. 467. LES PLANTES DANS L'ART DES IRANIENS 125 d’anthémions. Une dalle émaillée de Suse, qui reproduit un morceau de la robe d’un archer perse, est couverte de fleurons à quatre pétales allongés, qui dépassent un cercle concentrique à l’ovaire et sont inscrits eux- mêmes dans un losange’. Les robes que portent une partie des Immortels et des archers, sur les frises du palais de Suse, sont couvertes de rosaces, tandis que les autres sont ornées de figures géométriques”. Ces longues robes ornées de dessins brillamment colorés frappèrent d'étonnement les Grecs, accoutumés à la simplicité uniforme de leur costume, et leurs artistes n’ont pas manqué d'en reproduire la richesse et l'éclat, mais d’une manière bien souvent conventionnelle ou approximative, quand ils ont eu à représenter les sujets des Achéménides*. La décoration des tapis et des tentures devait natu- rellement être encore plus riche et plus variée que celle des robes et des simples étoffes ; les figures d'animaux réels ou fantastiques y abondaient*, mêlées à des dessins géométriques ou à des ornements empruntés au règne végétal. Si la dalle de revêtement, ornée d’un listel de palmettes, alternant avec des fleurs de lotus, et de deux rangées de losanges, que j'ai décrite plus haut, est bien, comme l’a supposé M. Dieulafoy”, la copie d’un 1. Perrot, op. laud., vol. V, p. 875, fig. 531. 2. J. Dieulafoy, À Suse, p. 295. — M. Dieulafoy, L’Acropole de Suse, pl. V et VI et p. 288, fig. 160. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 541, fig. 348 et pl. XII. 3. Perrot, op. laud., vol. V, p. 882. 4. Athénée parlant des tapis perses, étendus dans la salle des fêtes de Ptolémée Philadelphe, dit que le tissu en figurait « des animaux de toute sorte, très bien représentés ». Deip- nosophistae, lib. V, cap. 26, p. 197. B. 5. L'Acropole de Suse, p. 503. 126 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS tapis, elle peut nous donner une idée de la décoration de ce genre d’étoffes chez les Iraniens. La reproduction du dais royal, ciselé sur une des portes de la salle aux cent colonnes, nous montre ce qu'étaient les ten- tures des palais perses'. On y voit deux rangées, l’une de lions passant, l’autre de taureaux s’avançant de droite à gauche et de gauche à droite vers l’emblême ailé d’Ahura Mazda, placé au milieu d’eux ; au-dessous du défilé des lions règne une rangée simple de rosaces, au-dessus du défilé des taureaux court aussi une double rangée de ces mêmes fleurs. La chute de l'empire des Achéménides entraina la ruine de la civilisation et de l’art perse; celui-ci était déjà en pleine décadence quand Alexandre vainquit Darius Codoman et asservit l'Iran; cette décadence se précipita sous la domination des Séleucides. « Les antiques palais, remarque Strabon?, furent abandonnés pour des demeures plus modestes » et les résidences grandioses, dans lesquelles les monarques perses s’é- taient efforcés de rivaliser entre eux et avec les sou- verains de la Mésopotamie ou les pharaons de l'Égypte, tomberent en ruines et ne devaient jamais être relevés. Les Parthes, qui mirent fin à la puissance des Séleu- cides, n’essayèrent pas de les rebâtir et leurs archi- 1. Flandin.et Coste, op. laud., pl. CLIV. — Dieulafoy, L’art antique de la Perse, vol. III, p. 86, fig. 115. — JZd., L'Acropole de Suse, p. 307, fig. 186. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 716, fig. 436. Le dessin de M. Dieulafoy représente une double pro- cession de taureaux seulement et point de lions. 2. Geographica, lib. XV, cap. 5, 3. _— dE cn dés À dt motte rés d ie do ct ne dd dote at bd cmt its irinttor Siné dd. dé Les, à LES PLANTES DANS L'ART DES IRANIENS 421 tectes, à en juger par les rares monuments contempo- rains de leur domination, n'étaient point en état d'arrêter la décadence de l’art iranien ou de s'inspirer de ses anciennes traditions. Les monuments qu'ils ont élevés ne rappellent que de bien loin ceux de l’époque des Achéménides et témoignent des influences nouvelles auxquelles ils obéissaient. C’est ainsi qu'un édifice religieux, dont les restes sont englobés dans les maisons du village de Kingavar, est « construit dans un style grec abâtardi' ». Ruine d’un temple de Diane, contemporain des premiers Arsacides, les colonnes qui appartiennent à l’ordre dorique méritent de fixer l’attention ; mais comme elles n’ont aucun caractère iranien et qu'on n’y trouve aucun motif de décoration végétale, elles n’offrent rien qui doive nous arrêter. Il en est tout autrement du palais de Hatra, situé sur la rive gauche du Tigre à 140 kilo- mètres environ au Sud-Ouest de Mossoul*. Si la modé- nature en est occidentale, suivant la remarque de M. Dieulafoy*, l'aspect général de la façade composée d’arcs «-portés, à la manière perse, sur des pilastres ou des demi-colonnes liées à la maçonnerie », trahit l'influence asiatique qui a présidé à la construction de ce monument. La décoration surtout est originale. « Tous les arcs sont couronnés par une archivolte ornée d’oves allongées et de feuilles d’acanthe », motif 1. M. Dieulafoy, L'art antique, vol. V, p. 7. 2. Ross, Journal of the royal geographical Society, vol. IX, p.467-470. — Fergusson, History of Architecture, vol. I, p. 423-425. — Ainsworth, Geographical Journal, vol. XI, p. 13. — George Rawlinson, The sixth great oriental Monarchy. London, 1873, in-8, p. 375. 3. L'art antique de la Perse, vol. V, p. 17. 128 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS de décoration emprunté à la Grèce, et « au centre des oves est encastrée une olive de marbre noir° ». Le listel des pilastres est, comme l’archivolte des arcs, décoré d’oves et d'olives de marbre. Une élégante corniche, formant astragale, qui règne au-dessous des chapiteaux des pilastres, est couverte de fleurs légères, qui correspondent à un rang de demi-oves disposées sur un listel inférieur’. Non moins curieux que la décoration des archivoltes et des pilastres est le couronnement de la porte qui conduit du vestibule C à la salle carrée intérieure”. Si on y retrouve, comme le dit M. Dieulafoy, tous les éléments de l’entablement persépolitain, la décoration en est moderne. En haut du linteau un listel avec des fleurs lotiformes ; au-dessous une longue bordure for- mant zoophoron, orné de têtes et d'animaux symbo- liques ; plus bas une rangée d’oves ; enfin des feuilles d'acanthe finement sculptées qui dissimulent l’archi- trave. Les débris d’un monument funéraire, découvert à Warka dans l’ancienne Chaldée par sir William Kennett Loftus*, achève de nous faire connaître l'emploi que l'architecture parthe faisait de la décoration végétale. C’est, par exemple, sur un chapiteau quatre feuilles d'acanthe qui soutiennent les angles de l’abaque; un couronnement de pilastre orné à sa base d’une rangée d’oves et plus bas de rosaces et de feuilles, 1. M. Dieulafoy, L'art antique, vol. V, p. 18, fig. 9. 2. M. Dieulafoy, op. laud., vol. V, p. 19. 3. Rawlinson, op. laud., vol. V, p. 379. — M. Dieulafoy, op. laud., vol. V, p. 20, fig. 10. 4. Travels and researches in Chaldaea and Susiana, p. 202- 214. mn tb et LES PLANTES DANS L’ART DES IRANIENS 129 ou une frise ornée d’un cep chargé de raisins et de feuilles. Ces ornements nouveaux de décoration seretrouvent sur les monuments contemporains des Sassanides ; mais ils n’y sont pas seuls. Les princes de cette dynastie furent, surtout les derniers, de grands con- structeurs ; ils aspirérent à rivaliser avec les Achémé- nides, dont ils se prétendaient les légitimes succes- seurs ; aussi l’art de bâtir fit-il de grands progrès sous leur règne; la décoration, qui doit seule nous occuper ici”, fut entièrement transformée. Deux mo- numents sassanides de nature différente, mais l’un et l’autre contemporains de KhosrouIl, l'arc de triomphe de Tak-i-Bostan et le palais de Machista en Syrie en sont la preuve manifeste. Édifié dans le pays de Moab à 60 kilomètres envi- ron à l'Est de l'embouchure du Jourdain”, le palais de Machista se fait remarquer, plus encore que par son étendue, par la décoration luxueuse de ses façades; un soubassement en assez bon état permet d’en juger. Un 1. Loftus, op. laud., p. 226. — Rawlinson, op. laud., vol. V, p. 383. — M. Dieulafoy, op. laud., vol. V, p. 27, fig. 16, 15 et 14: 2. Pour cette raison je ne dirai rien ni des palais de Sarvistan de Firouz-Abäd et de Ferach-Abäd, monuments voûtés, dont M. Dieulafoy a voulu faire remonter la construction jusqu’à l’époque des Achéménides, ni du Takht-i-Khosrou, élevé par Khosrou I à Ctésiphon, ou du Tak-i-Kesra, palais sassanide bâti sur les bords de la Kerkha, mais dont il ne reste que des voûtes et des arcatures avec quelques créneaux. M. Dieulafoy, op. laud., vol. IV, p. 1-59, et vol. V, p. 63-73. — Justi, Ges- chichte des allen Persien, p. 209. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 561-577. 3. H.-B. Tristam, The land of Moab. Travels and discove- ries on the east side of the dead Sea and the Jordan. London, 1873, in-8, p. 195-215. JORET. — Les Plantes dans l'antiquité. II, — 9 130 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS socle aux profils fort accentués porte une plinthe divisée en triangles équilatéraux par des moulures saillantes. Dans chacun de ces triangles est inscrite une rosace en haut-relief et au contour sinueux ; desrosaces sem- blables ornent l’espace resté vide entre les divers triangles. Deux rinceaux formés de ceps de vigne, chargés de feuilles et de raisins, en remplissent l’inté- rieur; les souches surgissent d'un vase entouré de fauves et des oiseaux se jouent dans les branches". Des pampres courent également entre les triangles. Les listels formés par leurs doubles côtés sont cou- verts de feuilles d’acanthe ; des ornements végétaux peu distincts décorent aussi les moulures de la base. On voit, au contraire, sur les chapiteaux de la porte centrale deux rangées de feuilles " d’acanthe finement sculptées. Si l’on excepte les triangles d’origine bien iranienne, ces divers motifs de décoration nous repor- tent tous à l'art byzantin. Ceux du talar justement vanté de Tak-i-Bostan sont, eux, incontestablement perses. Situé près de Kermanchah, il se compose d'une voûte cintrée, dont l’arc extérieur s'appuie sur deux colonnes dépourvues de base et flanquées de deux lar- ges pilastres*. Sur les tympans de la grande arche d'entrée sont figurés deux génies ailés, une couronne à la main; trois personnages symboliques remplissent l’espace libre du cintre, et dans le registre inférieur entre les deux pilastres un bas-relief représente Khos- 4. Tristram, op. laud., p. 199 et 200, n°s 21 et 22. — M. Dieulafoy, op. laud., vol. V, p. 91 et 92, fig. 66 et 67. 2. Flandin et Coste, Voyage en Perse, pl. 5. — Perrot, op. laud., vol. V, p. 531, fig. 343. — Dieulafoy, op. laud., vol. V, p. 95-100, fig. 69, 70, 71, etc. D 7 } RL LES PLANTES DANS L'ART DES IRANIENS 131 rou, armé de toutes pièces, lalanceen main et le casque en tête. Il est surmonté d’une litre garnie d’un cordon de feuilles de vigne, et les deux pilastres qui le flan- quent de chaque côté sont, ainsi que les chapiteaux des colonnes, couverts de rinceaux et de fleurs, dont il est, au premier abord, difficile de reconnaître la na- ture. Mais si on examine à part chaque fragment des rinceaux, on reconnait bien vite, «sous l'aspect foliacé qui les déguise », les palmettes des frises persépoli- taines ou susiennes ‘, mêlées à des feuilles de vigne ou d’acanthe, à des boutons et à des fleurs de convention, de manière à former un ensemble harmonieux et élé- gant. Les chapiteaux offrent à leur partie supérieure un listel orné de courbes cordiformes, dans lesquelles sont encastrés des espèces de lotus héraldiques; à la base règne une rangée de fausses palmettes; au cen- tre se dresse une tige articulée, qui porte à chaque nœud, en guise de palmettes, une paire d’ailes ou de vols, accompagnés de lotus transformés ou de margue- rites. L'artiste iranien ne s'était pas contenté de repré- senter sur les bas-reliefs de Tak-i-Bostan le portrait équestre de Khosrou et l'image symbolique de son avènement au trône, il avait aussi sculpté des deux côtés du cintre deux grandes chasses *, qui rappellent des scènes analogues que nous avons vues sur les bas- reliefs égyptiens. Une de ces sculptures représente une chasse aux sangliers ; au centre est un étang dans lequel nagent des poissons, tandis que des canards prennent dessus leurs ébats ; à gauche des rabatteurs 1. M. Dieulafoy, op. laud., vol. V, p. 97. 2. Flandin et Coste, Voyage en Perse, vol. I, pl. X et XII. 132 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS montés sur des éléphants ramènent les sangliers qui fuient, les uns vers l’étang, les autres vers la droite du parc, où des filets les arrêteront ; le roi monté sur une barque frappe au hasard les fuyards de ses traits. Le tableau de la chasse est parlant; mais le paysage est négligé ; il est difficile en particulier de reconnai- tre aucune des plantes ou des arbustes du parc; ce sont de simples broussailles ou de grandes herbes, telles qu’on en voitautour des marécages. Sur le second bas-relief apparaissent quatre arbres; mais tout ce qu'on en peut dire, c'est qu'ils appartiennent à déux espèces différentes. La chasse est d’ailleurs traitée d’une manière analogue à celle du premier. Les orfèvres sassanides ont eu recours, dans leurs œuvres, aux mêmes motifs de décoration queles sculp- teurs. C’est ainsi que sur une coupe en argent massif de cetteépoque”, présent de M. le ducdeLuynes à la Biblio- thèque nationale, on voitune scène de chasse analo- gue à celles que représentent les bas-reliefs de Tak-i- Bostan, mais sans aucun ornement d’origine végétale. On voit également des scènes de chasse, qui semblent bien être encore un travail sassanide, sur des coupes du Musée de l’Ermitage, trouvées dans le gouverne- ment de Perm; l'artiste, il est vrai, a négligé de dessi- ner le paysage, au milieu duquel se trouve le chasseur royal et les fauves qu'il poursuit ; mais sur l’une d'elles il a représenté un palmier qui se dresse au mi- 4. À. de Longpérier, Explication d’une coupe sassanide iné- dite. (Annales de l'Institut de correspondance archéologique, vol. XV (1843), p. 100). — M. Chabouillet, Catalogue général et raisonné des camées et pierres gravées de la Bibliothèque impériale. Paris, 1838, in-12, p. 468, n° 2881 (3114 du catalogue actuel). — M. Dieulafoy, op. laud., vol. V, p. 105, fig. 94. LES PLANTES DANS L'ART DES IRANIENS 133 lieu de la scène ; sur une autre, au-dessous de l’une des chasses, on voit un sanglier atteint par un trait et cou- ché au milieu d’arbustes sur le bord d'une pièce d’eau qu'animent de leurs ébats un canard et deux petits pois- sons”. Au fond d’une coupe en argent également sas- sanide, au Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale, est représenté un tigre marchant au milieu d’un fourré de lotus conventionnels”. Un motif ana- logue de décoration nous offre le col d’une œnochoé du musée de l'Ermitage, sur lequelon voit des cigognes chassant au milieu de plantes aquatiques. Au-dessous de ce paysage vivant court une zone de fleurons, et sur la partie la plus renflée du vase est représenté en double un griffon que fait boire un enfant, et sur les petits côtés deux personnages chevauchant un monstre fantastique à tête humaine; deux arbustes ombragent de leurs rameaux ces scènes, qu’encadre une ceinture de palmettes et de feuillage conventionnel. L'origine et la date de cette œnochoé sont incertai- nes ; on a daté du rv° siècle et vu,non sans raison, une œuvre sassanide dans une aiguière en argent massif, qui porte le numéro 3112 dans le Cabinet des médailles à la Bibliothèque nationale ; elle a pour ornement deux groupes semblables de lions « qui se croisent pour s'é- lancer en sens contraire »; entre ces groupes se dresse 1. Charles de Linas, Les origines de l'orfévrerie cloisonnée, vol. IT, p. 45-48. — Compte-rendu de la commission impériale archéologique pour l’année 1867. Saint-Pétersbourg, 1868, in- fol., p. 154-155. — Joseph Hampel, Der Goldfund von Nagy- Szent-Miklôs sogenannter « Schatz des Attila ». Budapesth, 1886, in-4, p. 90-98, fig. 46-49. 2. M. Chabouillet, op. laud., p. 469, n° 2882 (3183 du nou- veau catalogue). 3. J. Hampel, op. laud., p. 22 et 85, fig. 10, 13. 134 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS la tige rameuse du hom sacré". Deux coupés du même Cabinet doivent encore fixer notre attention : la coupe en or dite de Khosrou et la coupe en argent de la déesse Anaïtis. Au fond de la premiere, bien souvent décrite, est représenté Khosrou en costume royal et assis sur un trône supporté par deux chevaux ailés ; autour de cette figure règne une triple rangée circulaire de fleurons décroissants à quatre lobes et à quatre poin- tes, entremêlés de losanges de diverses couleurs *. La coupe de la déesse Anaïtis — Nana-Anat —, œuvre d'art de l’époque sassanide encore, représente cette déesse assise sur un marticoras et entourée par huit personnages affrontés deux par deux ; l’un d’eux tient de la main droite un oiseau — un épervier, dit M. Cha- bouillet —, de la gauche une branche conventionnelle de lotus, «au haut de laquelles’épanouit une fleur vue de face, à côté d'une deuxième fleur, dont le calice est plus maigrement profilé » ; un autre tient dans la main droite une coupeet de la main gauche une espèce de palme” ou de flabellum. Bien qu'on en ait contesté l’origine sassanide et qu'on ait voulu y voir un produit de cet art semi-bar- 1. M. Chabouillet, op. laud., p. 467, n° 2880. — Charles de Linas, op. laud., vol. II, p. 357. — M. Dieulafoy, op. laud., vol. V, p. 1084, fig. 95 et 96. 2. Chabouillet, op. laud., p. 364, n° 2538 (374 du catalogue actuel). — Charles de Linas, op. laud., vol. I, p. 225, pl. V bis. — M. Dieulafoy, op. laud., pl. XXII. 3. M. Chabouillet, op. laud., p. 469, n° 2883 (311% du nou- veau catalogue). — Charles de Linas, op. laud., vol. IT, p. 358. — A. Odobesco, Coupe d'argent de la déesse Nana-Anat. (Gazette archéologique, vol. X (1885), p. 286-296 et vol. XI (1886), p. 5-15 et 70-86). LES PLANTES DANS L'ART DES IRANIENS 135 bare ‘, contemporain de l'invasion, si bien caractérisé par M. Ferdinand de Lasteyrie *, il me faut dire un mot au moins de quatre des pièces du célèbre trésor dé- couvert, en 1837, à Pétrossa en Valachie: une tasse octogone à deux anses, etune autre tasse dodécagone analogue à la précédente, un grand plat et une patère historiée*. Un fleuron central, tel que nous en avons rencontré sur les monuments perses et assyriens *, con- stitue l’ornement principal du plateau et s'étend jusqu'à la bordure ; celle-ci consiste en un chevronné courant, « dont chaque triangle inscrit une sorte de feuille de vigne côtelée qu'épousent des pampres” ». La patère historiée, qui consiste en une écuelle circulaire, mon- tée sur un pied très bas, est faite de deux lames épais- ses en or, appliquées l’une sur l’autre; l’extérieure est upie, l'intérieure est décorée d'une série de figures ou d'ornements disposés en zones concentriques. Au centre se dresse la statuette massive d’une femme 1. A. Odobesco, Le trésor de Pélrossa. Historique. Descrip- tion. Étude sur l'orfévrerie antique. Paris, 1889, in-fol., vol. I (le seul paru malheureusement), p. 83. « Le trésor de Pé- trossa prouve l'existence d'une industrie toute spéciale, prati- quée soit directement par les Goths, soit par des ouvriers étrangers à cette nation, mais travaillant pour l'usage et selon le goût des Barbares. » 2. Ferdinand de Lasteyrie, /Jistoire de l’orfèvrerie depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours. Paris, 1875, in-12, p- 67. 3. Dr. Fr. Bock, Der Schatz des Westgothenkünigs Athana- rich. (Mittheilungen der K. K. Central-Commission zur Er- forschung und Erhaltung der Baudenkmale. Wien, vol. XIII (1868), in-4, p. 105-120). — Charles de Linas, op. laud., vol. I, p. 232 et vol. III, p. 292-293. 4. A. Odobesco, Le trésor de Pétrossa, vol. I, p. 212. ». Dr. Fr. Bock, op. laud., p. 108. — Charles de Linas, op. laud., vol. III, p. 293. 136 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS assise sur un escabeau massif que décore un pampre; sur la première zone qui l'entoure est représenté un berger couché dans l'attitude du sommeil; un chien repose à ses pieds et derrière sa tête on voit une pan- thère que suivent deux ànes, un lion et un àänon. La seconde zone beaucoup plus large, que sépare de la première un double filet et une torsade, montre seize personnages, entre lesquels grimpent çà et lades plan- tes sarmenteuses, lierre et coloquinte. La troisième zone, comprise entre une torsade et un filet de perles, qui borde la coupe, est ornée d’une guirlande de vi- gne conventionnelle, dont les pampres et les grappes mordent par intervalles le champ de la seconde zone”. Tout autre est la décoration des deux tasses; des fleurons cloisonnés en sont l'élément essentiel. Ainsi la tasse octogone se compose d’un double rang de quatre panneaux chacun, qui sont séparés par des traverses gemmées et encadrent des rosaces ajourées, celles d’en bas à huit, celles d'en haut à douze pétales”. La tasse dodécagone est composée de deux rangs, chacun de six panneaux, disposés comme dans la tasse octogone ; mais les rosaces massives à claire-voie n’ont toutes que huit pétales. Un fleuron semblable décore de plus le fond de la tasse”. Si les formes symboliques ou les ornements tirés du 1. Jules Labarte, istoire des arts industriels au moyen âge. Paris, 1872, in-4, vol. [, p. 333. — Charles de Linas, op. laud., vol. IIT, p. 298-301. 2. Dr. Fr. Bock, op. laud., p. 111. — Charles de Linas, op. laud., vol. TI, p. 233-234. — A. Odobesco, Le trésor de Pétrossa. Atlas, pl. XI. 3. Charles de Linas, op. laud., vol. I, p. 234. — A, Odobesco, op. laud. Atlas, pl. XII. LES PLANTES DANS L’ART DES IRANIENS 137 monde végétal sont fréquents sur les monuments et les objets d'art perses ou sassanides, ils sont rares, au contraire, sur les monnaies'. On n’en trouve même guère que sur les monnaies frappées par les gouver- neurs achéménides ou par les dynastes tributaires des provinces occidentales de l'Empire. Ces orne- ments ou ces symboles sont d’ailleurs analogues à ceux dont j'ai signalé la présence sur les monnaies phé- niciennes ou syriennes des derniers siècles*: grappe de raisin, épi, branche verdoyante. Par exemple, au revers de plusieurs monnaies frappées à Soli en Cilicie, les premières de 450 à 400, les deux dernières de 400 à 360 avant notre ère, on voit une grappe de raisin et une branche, qui semble être de laurier ou de chène vert”. Une monnaie, frappée à Tarse de 400 à 360 environ, présente au revers un épi barbulé*. Sur des monnaies de Mazaios, également ciliciennes, mais un peu plus récentes — elles datent de 361 à 333 —, est représenté au droit un buste d’Athéna, au revers le demi-dieu Baaltars, assis et appuyé de la main droite sur un long sceptre, surmonté d'une fleur de lotus, tandis que dans le champ à gauche a été gravé un épi et une grappe de raisin”; sur l’une de ces mon- 1. T.-E. Mionnet, Descriplion des médailles antiques, vol. V, p. 641-648. - 2. Les plantes dans l'antiquité et au moyen âge, vol. I, p. k&k. 3. E. Babelon, Cataloque des monnaies de la Bibliothèque nationale. Les Perses Achéménides, les satrapes et les dynastes tributaires. Paris, 1893, in-4, p. 19-20, nos 147, 148, 149, 150, 151 ; pl. III, 8, 9, 10, 11, 12. La branche de laurier ne se voit que sur les n°s 148 et 149. &. E. Babelon, op. laud., p. 17, n° 143 ; pl. III, 5. 5. E. Babelon, op. laud., p. 34-35, nos 245, 247, 250, 253, 25e DIAVIE 2; 3.14 138 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS naies sont en outre figurées dans le champ à droite la lettre B et une feuille de lierre'; sur une autre, c’est Baaltars lui-même qui tient de la main droite l’épi et la grappe de raisin *. Deux monnaiesde la même région un peu plus anciennes, frappées par Datame de 378 à 372, représentent également Baaltars tenant encore, sur l’une, de la main droite, sur l’autre, de la main gauche, un épi et une grappe de raisin”. Au-dessus de son trône, sur la monnaie qui porte le n° 187, se trouve de plus dessinée une fleur de lotus. Ces ornements symboliques empruntés au règne vé- gétal ne se rencontrent pas plus sur les monnaies des Arsacides que sur celles des rois Achéménides ; car on ne peut considérer comme ornement la couronne * ou la palme * qu'une femme — la Victoire — présente au Souverain parthe de la main droite, tandis que de la gauche elle tient, soit une corne d’abondance*, soit plus rarement une lance”, Sur les monnaies des Sassa- nides, ces emblèmes mêmes ont disparu, pour faire place à l’autel du feu, qui se dresse au milieu du revers en mêmetemps que, dans le champ, sont figurés le soleil ou une étoile et la lune *. Les formes végétales, qui occupèrent une si grande place dans la décoration des vêtements et des tapisse- 1. F. Babelon, p. 35, n° 253; pl. VI, &. 2. F: Babelon, p. 35, n° 256; pl. VI, 5: 3. F. Babelon, p. 25-27, nos 193, 187 ; pl. IV, 18 et 15. 4. T.-E. Mionnet, op. laud., vol. V, n°s 33, 36, 40, 47, 55, 59, 65, 67, 70, etc. ; vol. VIII, nos 32, 57, 58, 59, 60, 62, 63, 65. 5. T.-E. Mionnet, op. laud., vol. V, nos 34,37,38, 46, 48, 49, 56, 57 ; vol. VIII, nos 28, 46, 47, 48, 49, 76. 6. T.-E. Mionnet, op. laud., vol. VIIL, n°s 33, 34, 40, 46, 57, etc. 7. T.-E. Mionnet, op. laud., vol. VIII, nos 38, 47. 8. T.-E. Mionnet, op. laud., vol. V, n°s 80, 33, etc. LES PLANTES DANS LA POÉSIE DES IRANIEXS 139 ries perses, ne durent pas jouer un moindre rôle dans l’ornementation de ces étoffes sous les Arsacides et les Sassanides, mais l'absence de monuments contempo- rains ne nous permet guère d'en parler que par induc- tion. On rapporte que les généraux d'Omar trouverent dans le palais de Ctésiphon une magnifique tapisserie longue de 60 coudées et représentant un parterre, où chaque fleur, formée de pierreries, s’élançait &’une tige en or pur’. IT De même que le monde des plantes avait fourni aux artistes de l'Iran les motifs de décoration les plus va- riés, il dut aussi fournir à ses poètes des légendes et des comparaisons nombreuses ; malheureusement la vieille poésie iranienne est perdue pour nous ; «ilne nous en reste qu'un débris sans grand charme, les fa- meuses Gâthas du Zend-Avesta, sermons rythmés d'une morale irréprochable, remarque M.James Darmesteter”, et qui offrait tout l'intérêt poétique d'un catéchisme ». C’est dire qu'on ne trouve dans ce recueil rien de ce qui fait la vie et la grace de la poésie véritable. Plus didactiques encore, les autres parties de l’Avesta sont, s’il est possible, moins poétiques que les Gâthas. Il ne faut pas, en particulier, y chercher ces images et ces métaphores que les écrivains hébreux ont si souvent empruntées au monde des plantes. Voici cependant une comparaison tirée de la nature végé- tale, qu'on rencontre dans le Vendidad *. 1. Charles de Linas, op. laud., vol. I, p. 222. 2. Les origines de la poésie persane. Paris, 1887, in-12, p. 3. 3. Fargard V, 2%, 6. Le Zend-Avesta traduit par James 140 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS Autant l’arbre le plus haut couvre le frêle arbuste, 6 Cpitama Zarathushtra, dit Ahura-Mazda à son prophète, autant cette loi ennemie des Daëvas, cette loi de Zarathushtra, est plus grande, meilleure et plus belle que toutes les autres paroles. Dansles écrits recueillis ou conservés par les Parses, ces comparaisons sont plus fréquentes, si elles ne sont pas plus poétiques ; je me bornerai aussi à en citer une tirée du Bahman-yasht, et qui est remarquable au moins par son caractère archaïque *. 0 seigneur du ciel et des mondes, dit Zartush — Zarathushtra —— à Ormazd — Ahura Mazda — j'ai vu la racine d’un arbre où il y avait quatre branches. — La racine de l’arbre que tu as vue et ses quatre branches, répond Ormazd, ce sont les quatre âges qui se succéderont : l’âge d’or, l’âge d’argent, l’âge d’airain et l’âge de fer. IMmutile de multiplier les exemples; aucun ne nous offrirait rien qui ressemble aux ingénieuses fictions ou aux figures gracieuses que le spectacle de la nature végétale a inspirées aux poètes de la Judée. Pour ren- contrer quelque chose d’analogue, il faut descendre jus- qu’en plein moyen âge; mais alors images, métapho- res, tirées du règne végétal, abondent dans les œuvres des poètes persans. Roudagui lui demande ses ingé- nieuses comparaisons; Saadi, Hafiz, Djami, ces « rhé- toriciens de génie », trouvent dans son spectacle char- mant des images qui embellissent leurs vers”. En fut- il de même pour les contemporains des Achéménides ? Darmesteter, vol. II, p. 74. (Annales du Musée Guimet, vol. XXII). 1. Fr. Spiegel, Die traditionnelle Literatur der Parsen in ihrem Zusammenhange mit den angrenzenden Lileraturen. Wien, 1860, in-8, p. 129. 2. James Darmesteter, op. laud., p. 6 et 11-28. LES PLANTES DANS LA POÉSIE DES IRANIENS 141 La poésie de ces temps reculés emprunta-t-elle au monde végétal des figures et des fictions analogues à celles que les poètes du x° et du xr° siècle de notre ère en ont tirées? Si nous l’ignorons, nous savons du moins que les plantes ont occupé dans les anciennes légendes iraniennes une place considérable, et qui est allée toujours en grandissant jusqu'aux derniers temps de l'indépendance nationale. CHAPITRE IV LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES, DANS LE CULTE ET DANS LA MÉDECINE A l'origine le dieu souverain — sanscrit Aswra, zend Ahura — des Indo-Iraniens n’était autre que le ciel étoilé, Varana — l'Oïoxvis des Grecs — qui, faisant couple avec Mithra, la lumière, avait pour fils l'éclair et pour épouses les eaux'. Hérodote affirmait encore que les Perses adoraient « le cercle entier du ciel »*. Mais depuis longtemps il n’en était plus ainsi. Tandis que, chez les Hindous, Varuna, équivalent sanscrit de l’indo-européen Varana, s'était effacé de- vant Indra, chez les Iraniens, le mot varena ne servit plus qu’à désigner le ciel matériel —;, le « ciel aux quatre angles » dela mythologie mazdéenne —, et il avait fait place à Ahura — le Seigneur —, tout puis- sant et très sage ou omniscient — mazda —, qui a pour œil le soleil. Ainsi se constitua le dieu suprême 1. James Darmesteter, Ormazd et Ahriman. Leurs origines et leur histoire. Paris, 1876, in-8, p. 68. 2. Historiae, lib. I, cap. 131. 8. « J'invoque le soleil aux chevaux rapides, œil d’Ahura- mazda ». Yasna, Ha I, 34: (35). Le Zend-Avesta, traduction LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 143 des Iraniens — l’Aura mazda des inscriptions cunéi- formes, l’'Ahura mazda du Zend-Avesta, l'Ormazd des textes pehlvis, l’'Opcudodns d’Aristote”—; qui, sous ces différents noms, ainsi que le Zeus des Grecs et le Ju- piter des Latins, est invoqué comme le créateur et l’ar- bitre de l'univers *. Un Dieu puissant est Auramazda, disent les inscriptions de Darius et de Xerxès*, il a créé le ciel, — il a créé la terre, — il a créé l’homme, — il a donné à l’homme le bonheur. Je suis le Gardien, je suis le Créateur et le Conservateur. — Je suis celui qui sait, je suis l'esprit bienfaisant. — Je me nomme le Guérisseur.. Je me nomme le Seigneur (Ahura), je me nomme le sage (Mazda). Ainsi parle le dieu lui-même à Zarathushtra — Zo- roastre — dans le Zend-Avesta‘. Et ailleurs” : C’est par moi que subsiste dans sa nature céleste le firma- ment, aux limites lointaines... par moi la terre, qui porte les êtres matériels... par moi le soleil, la lune, les étoiles pro- mènent dans l’atmosphère leur corps rayonnant... C’est moi qui ai fait les nuages, qui portent l'eau à ce monde et font tomber la pluie où il leur plait; moi qui ai fait l'air qui monte et descend... Toutes ces choses, c’est moi qui les:ai faites. nouvelle avec commentaire historique etphilologique par James Darmesteter, vol. I, p. 14. (Annales du Musée Guimet, vol. XXT). 1. Plutarque, De Jside et Osiride, cap. 46, lui donne le nom d’‘Opouaitne. 2. Fr. Spiegel, Æränische Alterthumskunde, vol. IF, p. 25. — J. Darmesteter, The Zend-Avesta. Sacred books of the East translated, vol. IV. Introduction, p. 58. 3. Fr. Spiegel, Die altpersischen Keilinschrifien. Leipzig, 1862, in-8, p. 45, 49, 55, etc. — Joachim Menant, Les Aché- ménides et les inscriptions de la Perse. Paris, 1872, in-8, p. 44, 47, 53, 81. &. Yasht 1. — Ormazd Yasht, 12, 13, 15. (Le Zend-Avesta, vol. II, p. 337, 339). 5. J. Darmesteter, Ormazd et Ahriman, p. 19. 144% LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS C'était aussi surtout comme Dieu créateur et bienfai- sant qu Ahura Mazda était invoqué par ses adorateurs. Avant de manger le pain consacré — darün —, le zaotar ou prêtre disait en prenant l’eau des libations ‘: Nous sacrifions à Ahura Mazda, qui a créé le bien — l’asha —, qui a créé les bonnes eaux et les bonnes plantes; qui a créé la lumière, qui a créé la terre et tous les biens. S'il a créé le monde, Ahura Mazda toutefois ne le gouverne pas seul ; au-dessous de lui, la mythologie mazdéenne avait placé six génies « immortels et bien- faisants », les Amesha-Cpeñtas — les Amshaspands des textes pehlvis —, omniscients comme Ahura, comme lui habitant la lumière infinie, regardés même parfois comme ayant pris part à l’acte de la création, espèce d'incarnation ou de dédoublement des facultés sou- veraines d'Ahura, et dont chacun veille sur une partie de l'univers et aide le dieu suprême à y main- tenir l’ordre et la paix *. Mais Ahura Mazda ne règne pas sans opposition avec les Amshaspands ; en face de lui, « l’esprit du bien » par excellence — Cpeñta mainyu, — se dresse « l'esprit destructeur » — Añgra mainyu —, l'Ahriman des écrivains pehlvis, l'’Agsruanezs de Plutarque — principe du mal avec le- quel il est en lutte perpétuelle. Les plantes, ainsi que tous les autres êtres, étaient soumises à Ahura Mazda et aux Génies qui gouver- nent le monde avec lui. Comme Jahvé, au troisième 1. Yasna. Hà 5 (Srôsh Darün). 1, et Hà 37, 1. 2. Fr. Spiegel, Erânische Alterthumskunde, vol. IX, p. 28. — J. Darmesteter, Ormazd et Ahriman, p. 39-43. — Ibid., The Zend-Avesta. Introduction, p. 60. — M. Bréal, Le Zend-Avesta. (Journal des savants, janvier 189%, p. 6-7). ve LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 149 jour, créa « les plantes verdoyantes avec leur se- mence » et « les arbres avec des fruits chacun selon son espèce », Ahura Mazda a appelé à la vie le règne végétal. L’Avesta l’invoque comme celui « qui a créé les bonnes eaux et les bonnes plantes »*. C’est moi, dit-il dans le Bundehesh?, qui ai organisé les grains de telle sorte que, semés en terre, ils poussent, gran- dissent et sortent au dehors; c’est moi qui ai tracé leurs veines dans chaque espèce de plantes, moi qui dans les plantes et les autres herbes ai mis un feu qui ne les consume point. Mais si Ahura Mazda les à créées, c’est l’amshas- pand Ameretàt, le génie de l’immortalité, qui conserve et gouverne le monde des plantes *, comme c’est Haurvatât, l’amshaspand de la santé“, qui règne sur les eaux. Le Bundehesh nous montre Amerôdad — Ame- retât —, « le maître de la végétation », broyant en petits morceaux les plantes desséchées, les mêlant avec de l’eau, dont s'empare Tishtar et qu'il répand sur toute la terre. Et la terre se couvre de plantes. À la conception si simple de la création des plantes par Abhura Mazda les traditions postérieures en méêle- rent d’autres obscures ou symboliques. Le Bundehesh rapporte qu'après la mortdu premier taureau cinquante- 1. Hà 37. — Yasna Haptañhäiti 3, 1. 2. J. Darmesteter, Ormazd et Ahriman, p. 19. 3. Fr. Spiegel, Ærânische Alterthumskunde, vol. IT, p. 39. — J. Darmesteter, Haurvatât et Ameretât. Essai sur la mytholo- gie de l’Avesta. Paris, 1875, in-8, p. 15-56. 4. Plutarque, De Iside et Osiride, cap. 46, en fait le « Dieu de la richesse ». 5. The Bundahish, chapt. 1x, 2. (Pahlavi Texts translated by E.-W. West. Oxford, 1880, in-8, vol. I, p. 31). Jorer. — Les Plantes dans l'antiquilé. = AIT 146 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS cinq espèces de plantes alimentaires et douze espèces de plantes médicinales sortirent de chacun de ses membres” ; des cornes naquirent les pois; des na- rines, l’ail; du sang, la vigne ; des poumons, la rue; du milieu du cœur, le thym, et ainsi de suite *. Leur origine surnaturelle, la protection qu'exerçait sur elles un amshaspand, les vertus qu'on leur attribuait, assignaient par avance aux plantes une place dans les légendes mazdéennes. Chaque fleur fut consacrée à ün génie particulier * ; ainsi le jasmin blanc fut dédié à Vohu-Manô, le myrte à Ahura Mazda lui-même, le lis à Haurvatt, la rose anx cent feuilles fut la fleur de Din, l’églantine celle de Rashnu, etc. D’après une tradition *, Ahura plaça l'esprit ou l’âme du prophète dans un arbre qui croissait au plus haut des cieux, et qu'il transplanta ensuite sur le sommet d’une mon- tagne de l’Aderbeïdjan. Le ciel, comme la terre, avait sa flore, type mythique de la flore terrestre. Des dif- férentes régions dont se compose le Paradis, suivant le Dabistan ”, les végétaux appartiennent à la seconde ; deux arbres entre tous s’y font remarquer, le platane et le cyprès. ÿoroastre, raconte-t-on °, avait rapporté deux branches de ce dernier et les avait plantées, l’une devant l’âtash-gàh ou pyrée de Kichmer, l’autre 4. The Bundahish, chapt. x, 1.— Ferdinand Justi, Der Bun- dehesh. Leipzig, 1868, in-4, p. 11. 2. The Bundahish, chapt. xIv, 2. 3. The Bundahish, chapt. xxvn, 24. 4. Fr. Spiegel, £rânische Alterthumskunde, vol. I, p. 688. 5. The Dabistan or School of manners, translated from the original Persian by David Sea and Anthony Troyer. Paris, 1843, in-8, vol. |, p. 150. 6. Le Farhangi-Jihângiri, cité par Hyde, Æistoria reli- gionis veterum Persarum. Oxonii, 1760, in-8, p. 332. FT LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 147 dans un village du Khoràsan, elles y donnèrent bien- tôt naissance à deux arbres puissants. Une autre tra- dition ‘ rapporte que Zoroastre avait aussi planté à Kichmer un cyprès, dont elle n’indique pas d’ailleurs la provenance; mais elle ajoute que, ce cyprès étant devenu grand, on construisit sur ses branches un pa- lais merveilleux de quarante coudées de haut et de large. Gushtap s’y retira pour de là s'élever au ciel quand son heure serait venue. Toutefois ces légendes sont récentes et ne prouvent point, comme l’a cru La- jard ”, que le cyprès eût été, chez les anciens Iraniens, l’objet d’une vénération particulière”. Les plantes prirent place aussi dans l’histoire primi- tive et mythique du genre humain ; le premier couple, Mashya et Mashyàäna, serait né sous la forme d'un pied de rhubarbe — {vds —, garni de quinze feuilles, et n'aurait pris que peu à peu sa forme définitive‘. D'abord adorateurs fidèles d’Ahura Mazda, Mashya et Mashyâna se corrompirent par la suite ; ils dédai- gnèrent la nourriture végétale dont ils s'étaient jus- que-là contentés, se repurent de lait, puis ayant tué une brebis, en mangèrent la chair, après l'avoir fait cuire au feu, qu’un génie leur apprit à faire avec du 1. Tirée du Muntekhab-el-lewarik, cité par Anquetil-Duper- ron. Zend-Avesta. Paris, 1771, in-4, vol. I, 2, p. 46. 2. Recherches sur le culte du cyprès pyramidal, p. 128-151. (Mémoires de l’Académie des inscriptions, vol. XX (1854), 2e partie). 3. Fr. Spiegel l’a nié formellement et a supposé, ce qui paraît peu vraisemblable, que le cyprès de Kichmer était pro- bablement un tout autre arbre, un figuier religieux. £rânische Alterthumskunde, vol. I, p. 258 et 703. 4. The Bundahish, chapter xv, 2. — Windischmann, Zoro- astrische Studien, p. 212. 148 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS bois de konädr — le faux lotus — et de myrte, des feuilles de palmiers et des herbes sèches. Désormais eux et leurs descendants furent en butte aux attaques des démons. Sous le règne de Yima, le fondateur de la civilisation, le premier organisateur del’humanité, il n’y avait eu pendant mille ans, « ni froid, ni chaleur, ni vieillesse, ni mort, père et fils marchaient dans la taille d'un jeune homme de quinze ans ». Mais au bout de ce temps tout changea et l'influence funeste d’Ahriman se fit sentir dans le monde. Ahura Mazda annonça à Yima le châtiment réservé aux hommes, avec le moyen d'y échapper. Beau Yima, lui dit-il?, voici que sur le monde des corps vont fondre des hivers de malheur, apportant le froid dur et destructeur... Des hivers de malheur, qui feront tomber la neige à gros flocons, à l'épaisseur d’une aredvi? sur les mon- tagnes les plus hautes. Fais-toi donc un var, long d’une course de cheval sur chacun des quatre côtés. Tu y appor- teras les germes de toutes les plantes, les plus hautes et les plus parfumées ...Tu y apporteras les germes de tous les fruits, les plus savoureux et les plus parfumés” qui soient sur cette terre. C’est de ce var, demeure mythique de Yima, qui fait songer à la fois à l'arche de Noé et au Paradis terrestre, que sortira l'humanité nouvelle, appelée à 1. The Bundahish, chapter xv, 10-15. — Fr. Spiegel, Erû-. nische Alterthumskunde, vol. T, p. 512, dit un « bélier ». 2. Vendidad. Fargard II, 22 (46), 25 (61), 27 (70) et 28 (74). Le Zend-Avesta, vol. II, p. 24-26. 3. Un pied. &. « Les plus hautes, comme le cyprès et le platane ; les plus parfumées, comme la rose et le jasmin », dit le commen- taire. 5. « Les plus savoureux, comme la datte ; les plus parfumés, comme le citron », dit encore le commentaire. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 119 remplacer l’ancienne humanité détruite par l'hiver et les neiges. Le platane, le cyprès et la rhubarbe n'ont revêtu qu'assez tard un caractère mythique ; il en est tout au- trement d’une plante sacrée, objet, dès l’époque arienne primitive, d’un culte qui ne fit que se développer dans la suite : le haoma des Iraniens et le soma des Hin- dous ’. Cette plante, le chef ou ratu du monde végé- tal, a donné naissance à une longue série de mythes, où elle apparaît tantôt comme l'arbre, qui porte les semences de toutes les espèces végétales, tantôt comme l'arbre qui renferme tous les remèdes *. Les eaux coulent purifiées de la mer Püitika à la mer Vou- ru-kasha vers l'arbre bien arrosé — Hväpa —, dit Ahura dans le Vendidad”*; là croissent toutes mes plantes, de toute espèce, par centaines, par milliers, par dizaines de mille. Et ces plantes je les laisse tomber dans la pluie, moi, Ahura Mazda, aliment pour le fidèle, herbage pour le bœuf bienfaisant. Dans le Rashn Yasht*, il est question de « l’arbre de l'Aigle » — caëna—, qui se dresse, lui aussi, au centre de la mer Vouru-kasha,« l'arbre aux bons remedes, aux hautsremèdes, l'arbre de tous remèdes — Viçcpübish —; l'arbre sur lequel sont déposés les germes de toutes les plantes — Vicpétaok:hma— ». Cette dernière phrase prouve l'identité de l’arbre de tous remèdes et de l’arbre de toutes semences, identité qui se retrouve 1. Adalbert Kuhn, Die Herabkunft des Feuers und des Güt- tertranks. Berlin, 1859, in-8, p. 118. 2. J. Darmesteter, /aurvatäf et Ameretät, p. 55, note #4. 3. Fargard V, 19 et 20 (56-60). (Le Zend-Avesta, vol. II, p. 72-73). 4. Yasht XII. Rashn Yasht, 17. (Le Zend-Avesta, vol. IT, p. 495). 150 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS également dans le Minôkhard, encore qu'il donne au premier le nom de « Chasse-mal » ou « qui repousse la souffrance » — Jad-bésh". — Mais on ne peut guère douter que cet arbre Jad-bésh ne soit le même que l’arbre Hvdpa, représenté comme croissant, avec des centaines, des milliers et des dizaines de mille de plantes, dans la mer Vouru-kasha. Or le vingtième far- gard du Vendidad * nous montre ces plantes, regar- dées comme guérissantes, « poussant autour de l’unique Gaokerena ». C’est là sans doute simplement un autre nom du même arbre mythique, c'est-à-dire, nous le verrons, du haoma blanc ou haoma céleste :. Si on continua d'identifier l’arbre de tous remèdes et l'arbre de toutes semences, on les distingua, au con- traire, de l'arbre gaokerena ou du haoma. Dix mille espèces de plantes médicinales et cent mille es- pèces de plantes ordinaires sont sorties, lit-on dans le Bunde- hesh“, des semences de l’arbre opposé au mal, de l'arbre aux nombreuses semences, qui se dresse dans le vaste océan. Lorsque les semences de toutes ces plantes sont nées sur cet arbre, un oiseau l'en dépouille et mêle toutes ces se- mences dans l’eau; Tishtar les saisit et les répand avec l'eau de pluie sur toutes les régions. A côté de cet arbre, le Hôm blanc, guérissant et pur, croit près de la source Arédvivsür; quiconque en mange devient immortel; on l’ap- pelle l'arbre Gôkard — Gaokerena — parce que le Hôm — Haoma — éloigne la mort... et il est le chef ou maïtre des . plantes. Dans un autre passage du même recueil”, le Gôkard— 1. Ap.J. Darmesteter, Jaurvatât et Ameretât, p. 55, note 1. 2. 4 (15), Le Zend-Avesta, vol. II, p. 278. 3. Voir sur ces deux arbres mythiques Fr. Windischmann, Zoroastrische Studien, p. 165-170. 4. The Bundahish, chapt. xxvn, 2-5. 5. The Bundahish, chapt. IX, 5-6. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 151 Gaokerena — est représenté aussi comme croissant près de l’arbre d’où sont sortis tous les germes des plantes ; mais c'est lui et non ce dernier qui fournit les remèdes contre les maladies, et d’où est issu ce qu'il y a de perfection en ce monde. Quant à la légende de la dispersion des semences, elle est complétée par le récit du Minôkhard. Sur l'arbre qui les porte toutes et qui repousse la souffrance, y lit-on ‘, «est le siège de l'oiseau Cinamrü ; quand il se lève mille branches poussent à l'arbre ; quand il se pose, il brise mille branches et en disperse les graines. Mais dans le voi- sinage de Cinamrû est perché l'oiseau Cañmrôsh », qui recueille les graines dispersées de l’arbre Jad-bêsh et les porte à Tishtar, pour que celui-ci les prenne avec les eaux et les fasse tomber dans le monde. Symbole de vie et d'immortalité, l'arbre Gaokerena ou le Haoma devait faire ombrage à Añgra Mainyu ; il créa, dit-on”, dans la profondeur des eaux, une gre- nouille pour lutter contre lui et le détruire. Mais Ahura Mazda créa à son tour les poissons Kara, qui nagent sans cesse auprès de l’arbre saint, la tête tour- née vers la grenouille. La légende du haoma prit encore une autre forme ; cette plante mythique fut personnifiée. Le dix-septième Yasht” nous la montre sous la forme d’un jeune homme, « plein de vigueur, guérisseur habile, beau souverain 1. Livre LXIT, 37 et 40-42. Ap. J. Darmesteter, Le Zend- Avesta, vol. Il, p. 495, note 26. 2. The Bundahish, chapt. xvin, 2-3. tr. West, dit un lézard et dix poissons Kara. Cf. J. Darmesteter, Le Zend-Avesta, vol. IT, p. 279, note 18. D’après le Yasht XIV, 29, le poissson Kara distingue un repli d’eau de l’épaisseur d’un cheveu. 3. Ashi ou Ard Yasht, VI, 37. (Le Zend-Avesta, vol. II, p. 606). 152 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS aux yeux d’or, sur le sommet le plus élevé du mont Haraiti », sacrifiant aux dieux et implorant leur fa- veur. Puis par un autre avatar, cette plante-homme, nous apprend le deuxième sérdza, « prière des trente jours » ‘, devient une plante-Dieu, à laquelle les croyants adressent leurs hommages et offrent des sa- crifices, comme à Ahura Mazda lui-même et aux Ams- haspands : Nous sacrifions à Ameretât, Amesha Cpeñta.. Nous sacri- fions au Gaokerena puissant, créé par Mazda. Nous sacrifions à la lumière infinie et souveraine... nous sacrifions au blond et grand Haoma; nous sacrifions au vivifiant Haoma, qui fait croître le monde; nous sacrifions à Haoma, qui éloigne la mort. Dans le premier Yasht *, consacré au Haoma, on voit la plante-Dieu apparaître à Zoroastre au moment où celui-ci vénéra le feu : « Qui es-tu, Ô homme », lui demande le réformateur *, « toi qui de tout le monde des corps es la plus belle créature que j'aie jamais vue avec ton air d'immortel ? » Et Haoma répond : « Je suis le saint Haoma, qui éloigne la mort ; prends-moi, à Cpitàma, prépare-moi pour me boire ; chante en mon honneur des chants de louange ». Et comme Zoroastre continue de l’interroger, Haoma lui révèle l’histoire du culte que lui ont rendu les ancêtres. Alors le pro- phète frappé d’étonnement et d’admiration, entonne un hymne en l'honneur du Dieu et implore son appui. 1. Jour 7 et 30. (Le Zend-Avesta, vol. IT, p. 324 et 330). 2. Les Yasht, dit Anquetil-Duperron. (Zend-Avesta, vol. IT, p. 699), sont « des prières accompagnées d’une bénédiction effi- cace, en forme d'éloges, qui présentent les principaux attri- buts des esprits célestes ». 3. Yasna 9. — Hom Yasht, 1,27. Le Zend-Avesta, vol. I, p. 8%, et vol. II, p. 642. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 153 Prière à Haoma 1. Haoma est bon; Haoma est bien créé, il est créé juste; il est créé bon et guérisseur. Il est beau de forme, il veut le bien, il est victorieux. De couleur d’or, de tige flexible, il est excellent à boire et le meilleur des viatiques pour l’âme. O Haoma, je te demande la sagesse, la force et la victoire ; la santé et la guérison, la prospérité et la grandeur; la force de tout le corps et la science universelle. Et poursuivant sa prière, Zoroastre demande tour à tour au dieu ?: « le Paradis des Justes, la santé du corps, longueur de vie », avec la grâce de vivre satis- fait sur cetteterre, « fort et prospère, enfin victorieux de la malfaisance et le premier à voir les voleurs ». Ce culte rendu à Haoma n’était pas un privilège qui lui fût exclusivement réservé, il s’adressait, quoique à un moindre degré, à toutes les plantes; c'est que pour les Iraniens les plantes étaient des êtres doués de vie, conscients, actifs; elles accompagnent Mithra, quand il lance son char contre les infidèles ; elles ont tressailli de joie à la naissance de Zoroastre”, et dans le grand combat, dit M. James Darmesteter ?, que les créatures du bien soutiennent contre les créa- tures du mal, elles luttent avec les eaux contre la ma- ladie et la mort, et sont ainsi les auxiliaires des génies de la santé et de l’immortalité : comment s'étonner dès lors que, comme aux eaux, on leur rendit un culte! « Nous sacrifions à toutes les eaux saintes, créées par Mazda », disent les Yaçnas”; « nous sacrifions à toutes les plantes saintes, créées par Mazda ». 1. Yasna 9. — Hom Yasht, I, 16 (48) et 17 (54). 2. Hom Yasht, 1, 19-21 (63-69). 3. Yasht 13. — Farvardin Yasht, 93. (Le Zend-Avesta, vol. IT, p. 529). 4. Haurvatät et Ameretät, p. 56. 5. Ha VI, 11 (39). Le Zend-Avesta, vol. I, p. 67. 15% LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS Cette vénération dont les plantes étaient l’objet est un des traits les plus frappants de la religion mazdéenne, et il s’en est conservé jusqu’à nos jours un souvenir inconscient dans l'Iran. Hérodote raconte ‘ que Xerxès, ayant apercu sur la route de Sardes un platane d'une beauté remarquable, y suspendit un col- lier d’or en signe de respect, et le confia à la garde d’un « Immortel », c’est-à-dire, à l’un des pupilles de l’'amshaspand Ameretàät”?, que le grand roi vénérait ainsi dans une de ses productions. Et nous savons par le témoignage des voyageurs que les Persans, tout musulmans qu'ils sont devenus, ne manquent point, s'ils rencontrent quelque vieil arbre sur leur chemin, d’attacher à ses branches des chapelets, des amulettes ou même des morceaux de leurs vêtements. Ils vont aussi faire leurs prières à l'ombre de ces « arbres ex- cellents » — dirakht-i-fazil —, comme dans un lieu saint”. C’est pour une raison analogue que certains arbres : micocouliers, peupliers, etc., sont plantés souvent auprès des sanctuaires iraniens #. Si les plantes étaient ainsi chez les Iraniens l’objet 1. /istoriae, lib. VIT, cap. 31. 2. « La légion des immortels était la légion consacrée à l’'amshaspand de l’Immortalité, Ameretât ». J. Darmesteter, Haurvatät et Ameretât, p. 52, note 5. 3. Chardin, Voyage en Perse. Amsterdam, 1735, in-4, vol. IT, p. 200. — W. Ouseley, Travels in various countries of the East, more particularly Persia. London, 1819, in-4, vol. I, p. 313 et 371-376. 4. Aitchison, Votes on products, p. 35, 162, etc. di - L Pa LES PLANTES DANS LE CULTE 155 d’une vénération particulière, elles prenaient place aussi, et une place considérable, dans le culte qu’on rendait aux Dieux et aux Génies. Elles fournissaient le bois qu'on brülaïit en leur honneur, les rameaux liés en faisceau que le zaotar ou prêtre tenait dans sa main en les invoquant ; enfin c'était à la plus vénérée d’entre elles, au hôm ou haoma, qu'on demandait le jus pré- cieux et salutaire, dont la consommation constituait la partie principale du sacrifice. Quelle était cette plante, équivalent iranien du soma indien? M. Darmesteter, qui dit que ce dernier est, de nos jours, extrait de l'Asclepias acida”, n’a indiqué ni le nom, ni le carac- tère de l'espèce végétale d’où l’on extrait le haoma, bien qu’il en ait donné une représentation”. On a sup- posé, mais sans citer aucun texte à l'appui de cette as- sertion, qu’on exprimait le haoma du psoralier à feuilles de coudrier *. On regarde aussi, parait-il, l'Ephedra pachyclada comme ayant été le haoma, et les Parsis de Bombay le brülent, en guise d’encens, dans leurs sanctuaires *. Anquetil-Duperron affirme, d’après le Farhangr Jihängirt, que le hom est un arbuste, qui ressemble à la bruyère, dont les nœuds sont très rap- prochés et les feuilles analogues à celles du jasmin *. Il ajoute qu'il croît dans le Chirvan, le Ghilan, le Mazan- 1. Ormazd et Ahriman, p. 99, note 3. 2. Le Zend-Avesta, vol. I, pl. 2. 3. Psoralea corylifolia. Cette légumineuse, que ne connait pas la /‘lora orientalis, est, dit-on, prescrite contre la lèpre. Dictionnaire de Earousse, s. v. Hom. La Psoralea bituminosa sert à préparer une boisson fermentée, d'après Baillon, Dic- tionnaire de botanique, vol. II, p. 656. 4. Aitchison, Votes on products, p. 65. ». Zend-Avesta, ouvrage de Zoroastre. Paris, 1771, in-4, vol. Il, p. 935. 156 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS déran et les environs d'Yezd. Aujourd'hui, a-t-on dit’, les Parsis de l’Inde font venir du Kirman les rameaux dont ils extraient le haoma. D’après l’Avesta, cette plante vénérée, « au beau corps, aux jaunes couleurs, aux tiges ployantes et excéllente à manger », croit sur les montagnes”; mais c’est tout ce que nous en apprend ce texte sacré. Quoi qu'il en soit de la nature et du nom véritable de la plante qui produisait le haoma, la préparation et la consommation de ce breuvage sacré étaient chez les Perses, et sont encore chez les Parsis, précédées de cérémonies préliminaires — le paragra —, dans lesquelles les plantes jouent un rôle important. Tout d’abord le zof ou zaotar — le prêtre ou officiant — choisit sur un arbre propice les tiges du barsom — ba- resman —*; puis après les avoir dépouillées de leurs feuilles et de leurs nœuds, il les lave trois fois dans l’eau pure ; il en retranche ensuite l'extrémité et les coupe près du tronc ; puisilles dépose sur un support — mährû —, formé d’une tige métallique, terminée par un croissant. Cette première opération terminée, le zot s'approche d’un dattier, planté près d’un puits dans la cour du temple, en lave et coupe une feuille, d'après le même rite que pour les tiges du barsom ; puis il la déchire en 1. Fr. Spiegel, Erânische Alterthumskunde, voi. III, p. 572. 2. « O Haoma, tu pousses sur la montagne. » Yasna. Hà 10, 4. Le Zend-Avesta, vol. I, p. 99. 3. J. Darmesteter, Le Zend-Avesla. Introduction, p. 73. « Descends vers les arbres qui croissent, 6 Cpitama Zara- thrushtra, et devant l’un d’entre eux, beau, de haute crois- sance et puissant, prononce ces paroles : Hommage à toi, bel arbre, créé par Mazda et saint », dit Ahura Mazda dans le Vendidad. Fargard XIX, 18 (60). LES PLANTES DANS LE CULTE 157 six bandes qu’il noue bout à bout, et dépose l'evanghin — aivyäohhanem—ainsi formé dans un vase, placé sur une espèce d’autel ou table de pierre — L'urvis —. Le prêtre s’avance alors vers un grenadier, qui doit lui fournir l’urvardm, en lave diverses tiges, les dé- tache du tronc et les place sur l’urvis; puis, après s'être procuré le lait — 7évdm —, nécessaire à la préparation du liquide sacré, et avoir rempli d’eau pure — zÜhr ou zoathra — les coupes des libations, il lie avec l’evanghin le barsom, le lave, le remet sur le mâhrù et dépose au pied de celui-ci lurvaràäm”. Prenant ensuite les tiges de hôm, le prêtre les lave dans la coupe à zohr, en met trois brins sur le mortier — hävan — et dépose les autres au pied; après quoi il découpe l’urvaräm, et en prononçant les paroles sacra- mentelles : « Nous offrons ce Hôm, pieusement pré- paré” », il introduit dans le mortier le hômet l’urvaräm ; puis il les broie, en faisant tourner trois fois le pilon dans le hävan et en prononçant ces mots*: « Bonheur à celui qui est saint de la sainteté suprême!... Voici les Haomas filtrés, à Mazda, Kshathra, Asha, Ô Maîtres ! » Après quoi il verse au-dessus du filtre, placé sur le hàvan, trois gouttes d’eau et le jiväm, en disant“: Je me déclare adorateur de Mazda, disciple de Zarathrustra, ennemi des Daëvas, sectateur de la loi d’Ahura... offrant sacri- fice, prière, réjouissance et glorification aux génies des veilles, des jours, des mois, des fêtes de saison et des années. Ce n’est pas la seule prière que le zot prononce pen- 1. J. Darmesteter, Le Zend-Avesla. Introduction, p. 75. 2. Yasna. Hà 25. Le Zend-Avesta, vol. I, p. 190. 3. Yasna, Hà 27, 5 et 6. Le Zend-Avesta, vol. I, p. 200. &. Yasna. Hà 27, 11. Le Zend-Avesta, vol. I, p. 202. 158 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS dant la préparation de la liqueur sacrée — le para- haoma — ; le Hà 33 en renferme une autre plus étendue qu'il récite, comme la première, en broyant le hôm et l'urvaräm; je la donne ici à cause de son caractère religieux. J'appelle Craosha à mon secours à l’heure où viendra la grande affaire! : fais-nous atteindre l'empire de Vohu Manô? toute la durée de la longue vie; (fais-nousatteindre) par la vertu les voies pures où demeure Mazda Ahura.— Moi, le zaotar, sain- tement pur, j'appelle (les dieux) du paradis; pour cela Vohu Man viendra m'aider, quand s’accomplira l’œuvre projetée * ; car il est deux choses que je désire de toi, à Ahura Mazda, te voir et t’'entretenir. — Je viens à vous: que votre bouche m'’en- seigne, à Mazda, les choses excellentes; les choses que les très purs proclament par Asha et Vohu Manô, faites apparaître pour nous les dons que demandent nos prières! — Faites-moi connaitre votre loi, afin que je marche en Vohu Manô: le sacri- fice, à Mazda, dù à un dieu tel que vous et les paroles de louanges qui vous sont dues, Ô Asha! Donnez-moi la force d'Ameretàt et les festins de Haurvatât. ...Tous les biens du monde, venus du passé, venant du présent ou à venir, Ô Mazda, qu'il te plaise de nous les donner! Puissé-je aussi gran- dir en bonne pensée, en pouvoir, en sainteté et en bien-être du corps. Après cette prière le zôt jette dans le filtre le hôm et l’urvaràm qu'il vient de piler; il verse ensuite le djiväm et le zôhr dans le hâvan et du hävan dans le filtre ; puis il presse entre les doigts le hôm et l’urva- ram et en fait couler la sève dans la coupe à parahôm*, en prononçant une dernière prière. 1. La résurrection, J. Darmesteter, Le Zend-Avesta, vol. I, p. 245, note 19. Craosha protège l’âme des justes à la mort. 2. Le premier des Amesha-Cpeñtas, « la Bonne Pensée », celui qui veille sur les troupeaux. 3. Encore la résurrection. 4. Yasna. Hà XXVII, 7-9 et XXXIII, 10-12. Le Zend-Avesta, vol. I, p. 201 et 247. rs ct: LES PLANTES DANS LE CULTE 159 Le breuvage sacré, qui, par sa composition, « con- centre en lui les qualités des eaux, des plantes et de la vie animale" », est prêt maintenant à être consommé ; mais le sacrifice n’est pas pour cela terminé : il manque encore, pour qu'il soit complet, les fumigations qui en accompagnent les différents actes, la consommation de l’offrande solide — myazda — et les libations offertes à la divinité des Eaux. C’est le ràäspi, l’auxiliaire du zôt, qui accomplit les fumigations ; à chacune des céré- monies dont l’ensemble compose le sacrifice, il jette de l’encens sur le feu”; celui-ci, entretenu sur un autel particulier, est alimenté par des bois odoriférants”, œuvre pie qu'Atar lui-même — le dieu du feu — recom- mande à ses fidèles“. Chaque fois que le ràspi y répand de l’encens, le zôt prononce une prière appropriée à la cérémonie. Il y en a même une toute particulière et fort longue, l'Âtash nyäyish — « la Prière du feu » —, qu'ils récitent de concert dans la partie du sacrifice consacrée à l’adoration du feu. Les paroles par lesquelles s’ouvrent le hà 10 du Hôm yasht2°, prononcées au mo- ment où le räspi jette de l’encens sur le feu: « Qu'ils s’enfuient d'ici! Que s’enfuient les Daêvas et les ado- 1. Michel Bréal, Le Zend-Avesta, p. 5. (Journal des savants, décembre 1893). 2. Yasna. Hâs VII, IX, XI, LI, LXXII. 3. Les Parsis de l'Inde brülent aujourd’hui du bois de santal sur l'autel du feu. &. « Maitre de la maison, lève-toi, lave tes mains, va prendre du bois, apporte-le-moï, fais flamber en moi du bois bien pur. » Vendidad. Fargard XVIII, 19 (14). « Alors », dit un fragment du Riväyat, « le feu d’Ahura satisfait, bien rassassié, le bénit ». Le Zend-Avesla, vol. IT, p. 11. (Annales du musée Gui- met, vol. XXIV). 5. Yasna, Hà LXITI, Le Zend-Avesta, vol. I, p. 386. 6. Hôm Yasht 2, 1. Le Zend-Avesta, vol. I, p. 98. 160 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS rateurs des Daëvas! » montrent quelle était la signi- fication symbolique des fumigations. L'offrande solide ou myazda est représentée par les darüns, petits pains azymes ronds et aplatis. Le ràspi debout, tourné vers le couchant, met sur le feu de l’en- cens et, debout à la gauche du zôt, il dit: « Mangez ce myazda, Ô hommes, si vous vous en êtes rendus dignes par votre vertu et votre piété” », paroles par lesquelles il invite tous les fidèles à consommer le darün et à participer à cette communion symbolique. Après cette abjuration le zaotar, retirant la main gauche du barsôm sur lequel il la tenait posée, brise avec la main droite un bout du darün, le saisit avec le g6shüda et l'avale”. Il ne lui reste plus pour achever le sacrifice qu’à boire le parahaoma si minutieusement préparé. C’est en l'honneur du Haoma céleste qu'il le boit; offrant ainsi le haoma-plante au haoma-dieu”. La main gauche posée sur le lien du barsôm, les yeux fixés sur le parähôm que lui présente le râspi, il dit*: O saint Haoma, saint de nature, je te donne ce corps qui me semble si beau, à toi, le rapide Haoma, pour que j'aie science, paix de conscience et sainteté. Et toi, donne-moi, saint Haoma, qui éloignes la mort, le Paradis des justes, lumi- neux et bienheureux. Puis, tandis que le räspi jette de l’encens sur le feu, le zaotar boit à trois reprises différentes le parahaoma contenu dans la coupe sacrée. Restent maintenant les 4. Yasna. Hà VIII. Srésh Darüûn, 2. 2. Le Zend-Avesta, vol. I, p. 77. 3. J. Darmesteter, Le Zend-Avesta, vol. I, p. 105, note #4. &. Yasna. Hà XI. Hôm Yasht, 10 (25). Le Zend-Avesta, vol. I, p. 113. LES PLANTES DANS LE CULTE DES IRANIENS 161 libations ' — l’éb-z6hr —; quand elles sont terminées, le zôt récite les longues invocations du Visp-Yasht, enseignées par Zoroastre à son disciple Frashaoshtra ? ; puis il délie successivement les nœuds du barsôm, tout en prononçant de nouvelles prières ; après quoi il répand des parfums sur le feu et en récitant l'ashem vohü, — la « prière très sainte », — la face tournée vers l'Orient, il jette dans le puits le reste du zohr et finit par cette dernière bénédiction* : « Bonheur à celui qui est saint de la sainteté suprême! » Le parahaoma et le darün n'étaient pas les seules offrandes que les Iraniens fissent aux Dieux et aux Génies ; ils leur offraient aussi des fruits: grenades, dattes, etc., ainsi que des fleurs et des aromates. Les fêtes qu’on célébrait à la fin de l’année étaient en par- ticulier marquées par des offrandes nombreuses — les afrinagän — composées de fleurs, de fruits, de lait, de vin et de gâteaux”. On faisait des offrandes ana- logues aux morts pendant les quatre jours qui snivaient leur décès. Quand des animaux étaient sacrifiés aux Dieux, les victimes, recouvertes de branches de myrte et de laurier, étaient portées sur le bücher autour duquel on répandait de l'huile et du lait*. On ne peut douter que, sous les Achéménides et à plus forte raison sous les Arsacides et les Sassanides, les fleurs n'aient, comme dans les fêtes religieuses, occupé une grande place dans les fêtes profanes et les Yasna. Hàs Lxni-LxiX. Le Zend-Avesta, vol. I, p. 392-425. Yasna. Hà LxxI. Le Zend-Avesta, vol. I, p. 429-437. Yasna. Hà Lxx11. Le Zend-Avesta, vol. I, p. 438-442. Fr. Spiegel, £ränische Alterthumskunde, vol. IT, p. 572. Fr. Spiegel, op. laud., vol. III, p. 577. Strabon, XV, 3, 14. Fr. Spiegel, op. laud., vol. III, p. 591. JoRET. — Les Plantes dans l'antiquité. IT. — 11 D EF © D 162 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS banquets des Iraniens. Ils empruntèrent, on peut le croire, en particulier aux Grecs, l'usage de se couron- ner alors de fleurs. S'il fallait s’en rapporter à Héro- dote’, quand il immolait la victime, le prêtre avait la tête ceinte de rameaux de myrte. Lorsqu'on enterrait les morts, au lieu de les exposer d’après la loi maz- déenne, des fleurs figuraient aussi aux funérailles ; dans un sarcophage de l'époque des Arsacides, découvert par Loftus à Warka”, on a trouvé des restes d’un bouquet. IT On voit, par ce qui précède, quel rôle considérable les plantes jouaient chez les Iraniens dans tous les actes de la vie et en particulier dans le culte; elles n'en occupaient pas une moins grande dans la méde- cine. D’après le Vendidad il y avait trois espèces de médecins *. On guérit par l’Asha, dit le Zend-Avesta#, on guérit par la loi, on guérit par le couteau, on guérit par les plantes, on guérit par la parole; de toutes les guérissons la plus guéris- sante est celle de la parole divine; c’est elle qui guérit et re- pousse le mal du sein du juste. Les maladies étant considérées par les Iraniens comme l’œuvre d’Añgra Mainyu, on comprend qu'ils 1. Historiae, lib. I, cap. 131. 2. Justi, Geschichle des alten Persiens, p. 89. 3. Vendidad. Fargard VII, 44 (118). « Les uns qui guérissent par le couteau, les autres par les plantes, d’autres par la parole divine. » 4. Yasht IT. Ardibahisht Yasht, 6. Le Zend-Avesta, vol. I, p. 353. Dr \ LES PLANTES DANS LA MÉDECINE DES IRANIENS 163 aient eu recours pour les combattre aux prières et aux incantations aussi bien qu'aux remèdes humains. « Dans la guérison des malades, d'après le Nask Hüspäram , la part céleste revient à un amshaspand — Ashyahist ou Airyaman —, la part mondaine, aux drogues du médecin. » — « Si moi, Ahura Mazda, lit-on ailleurs*, n'avais envoyé Airyaman avec sa vertu de guérison, la peine resterait peine, malgré toutes les drogues que prennent les mortels pour la détruire. » Les drogues, tant s’en faut, n'étaient pas pour cela regardées comme inutiles; « Ahura Mazda a créé, dit le Dinkart*, au moins une plante pour endormir chaque maladie. » Il les créa, nous apprend le Vendidad*, à la demande de Thrita, « le premier parmi les guérisseurs, les sages, les heureux, qui lutta contre la maladie et la mort. » Il demandait une source de remèdes et il l’obtint de Khsha- thra Vairyaÿ pour résister à la Maladie et résister à la Mort: pour résister à la Douleur et résister à la Fièvre... pour ré- sister à la pourriture et à l'impureté qu'Añgra Mainyu a créées contre le corps des mortels. Et moi, Ahura Mazda, j'apportai les plantes guérissantes, qui, par centaines, par milliers, par myriades, poussent autour de l’unique Gaokerenaf. Tout cela nous l’accomplissons, tout cela nous l'ordonnons, toutes ces prières nous les faisons pour le bien du corps des mortels : pour résister à la Maladie et résister à la Mort; pour résister à la Douleur et résister à la Fièvre... pour résister à la pourri-. 1. Dinkart, lib. VIIL, cap. 37, 14-29, ap. J. Darmesteter, Le Zend-Avesta, vol. IT, p. 115. 2. Le Zend-Avesta, vol. I, p. 319. 3. 16. Cité par J. Darmesteter, Le Zend-Avesta, vol. IT, p.115. &. Fargard XX, 2 (11)-4(15). 5. Le génie des métaux qui fournit à Thrita le couteau du médecin-chirurgien. 6. Le Bundehesh fait sortir 55 espèces de plantes médici- nales du corps du taureau primordial. The Bundahish, chapt. X AP 22: 16% LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS ture et à l’impureté qu'Añgra Mainyu a créées contre le corps des mortels. Il y a la comme unrésumé de la médecine iranienne depuis ses premières origines. Khshatra Vairya en- seigna d’abord à Thrita l’art de la chirurgie, mais cet art était insuffisant; Ahura Mazda apporta alors au héros les plantes médicinales ; elles sont un don de sa bonté, comme les plantes vénéneuses sont l’œuvre malfaisante d'Añgra Mainyu. Mais la prière doit par- faire et compléter l’œuvre des simples. On lit dans le vingtième fargard du Vendidad: A la maladie je dis arrière! et arrière! à la Mort. A la dou- leur, je dis arrière ! et arrière ! à la Fièvre!! Et dans un autre fargard du même traité? : Qu’Airyaman, qui comble les vœux, vienne ici pour la joie des hommes et des femmes de Zarathushtra !... Qu’Airyaman, qui comble les vœux, frappe toute maladie et toute mort. Le Barashnüm — le remède suprême —, préparé par l’Amshaspand, avec les formules avestéennes qui l’'accompagnent, brise la force du démon et de la ma- ladie*. Si les livres sacrés de l'Iran regardaient ainsi la prière et les incantations comme les premiers remèdes, auxquels on devait avoir recours contre les maladies, ils n’en accordaient pas moins la place la plus grande aux plantes dans le traitement de ces dernières. Il n’en . Fargard XX, 7 (19) et 8 (21). (Le Zend-Avesta, vol. IL, p. . Fargard XXII, 23-24. (Le Zend-Avesta, xol. II, p. 292). Le 3. J. Darmesteter, Le Zend-Avesta, vol. II, p. 288. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE DES IRANIENS 165 _ pouvait être autrement, étant donnée l’origine divineet l’efficacité toute puissante qui leur étaient attribuées ; en elles Ahura Mazda avait mis une vertu surnaturelle: elles étaient ses auxiliaires dans la lutte que ce dieu soutenait contre Aügra Mainyu et contre les 99 999 maladies, qu’au commencement des choses le génie du mal avait lancées contre lui. Malheureusement, c’est à ces indications générales que se bornent le Zend- Avesta', et il ne nous fait guère connaître explicite- ment d'autre remède végétal que le haoma; mais il le représente comme doué des propriétés les plus mer- veilleuses ; symbole sur terre du haoma céleste, qui éloigne la mort et confère l’immortalité*, comme son prototype, il passait pour procurer la santé et la force. C’est un dieu bon, vaillant et sage, qui l’a formé, un dieu bon qui l’a déposé sur les hauteurs de la Haraïthi, d’où les oiseaux divins l'ont porté sur toutes les mon- tagnes iraniennes. Là, il pousse en espèces multiples, savoureux et couleur d’or. Les paroles qu’on lui adresse, les chants dits à sa louange guérissent. Des vertus de santé se mêlent en sa liqueur précieuse; elle donne une ivresse légère, qui pénètre et illumine *. Le premier aliment qu'on faisait prendre aux nou- veau-nés était du jus de haoma — du parahaoma — avec un peu d’aloës*. Mais le haoma ne guérissait pas 1. I ne faut pas s'étonner, aussi, que l'étude de M. A. Hove- lacque: Les médecins et la médecine dans l'Avesta, ne nous apprenne rien sur l’art de guérir chez les Perses. 2. Yasna IX, Hôm Yashti, 16-20 ; IN, 7. — The Bundahish, chapt. XxXVI, &. 3. Yasna X. — Hôm Yasht Il, 10 (26), 12 (31) et 18 (56), 19 (60). (Le Zend-Avesta, vol. I, p. 101-103 et 107). 4. Shâyast Lä-Shâyast, chapt. x, 16. (Pañlavi Texts, vol. I, p- 282). 166 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS seulement les souffrances du corps, il jouissait aussi de vertus surnaturelles: « La moindre louange du haoma, la moindre gorgée de haoma suffit à tuer mille Daëvas. Tout le mal fait par les démons disparait à l'instant de la maison où l’homme fait le service de Haoma'. » Si le haoma était le remède iranien par excellence, il n’était pas le seul auquel on pût s'adresser; les lé- gendes, nous l’avons vu, admettaient l'existence de beaucoup d’autres, moins efficaces sans doute, mais qui pouvaient aussi, employés à propos, servir à gué- rir les diverses maladies. La flore indigène renferme d’ailleurs un nombre considérable de plantes, dont les fleurs, les fruits, les graines ou les racines sont douées des vertus médicinales les plus variées; telles les fleurs des malvacées?, et de certaines composées”, borraginées * ou labiées, de la dauphinelle zall, etc., les fruits secs de l’épine-vinette, de la morelle, etc. : les graines de la Rœmeria hybrida, du Sisymbrium sophia, du Peganum harmala, de la Prosopis stepha- niana, du lupin, du concombre, de la chicorée, du frêne, de diverses labiées, du plantain, de la Merendera per- sica, etc.; les racines de la Valeriana Wallichiana, du Zygophyllum fabago, de la Glycyrrhiza qlabra, du caprier”, etc; les bulbes de l’£remostachys labiosa, 1. Yasna 10. /Jom Yasht 2, 6-7. Le Zend Avesta, vol. I, p. 100. 2. Althaea Hohenackeri et officinalis, Malva silvestris. 3. Diversesespèces d’Artemisia, d’Achillaea,d’Anthemis, etc. 4. Anchusa italica, Caccinia glauca, Perowskia atriplici- folia, etc. Stocks, Notes on Beloochistan plants. (Hooker's Journal, IV, 176.) 5. Aitchison, Notes on products, p. 57-58. Joh. L. Schlimmer, Terminologie pharmaceutique, p. 73, 108, 309, 350, 477, LES PLANTES DANS LA MÉDECINE DES IRANIENS 167 de plusieurs orchidées, etc.; les tiges ou les feuilles de l’Ephedra pachyclada, des Salvia ceratophylla et Ziziphora tenuior, du Zelkova crenata; etc. Il faut ajouter le pavot et certaines Solanées : stra- moine, jusquiames*, dont les propriétés sédatives ou narcotiques ont dù être connues de bonne heure en Perse, comme dans la Grèce, ainsi que la mandragore, qui à joué un rôle si important dans la médecine popu- laire des anciens”. Mais là se borne ce que nous pouvons dire. Si ces plantes, avec beaucoup d’autres, figurent dans la pharmacopée moderne de la Perse, aucun do- cument ne nous renseigne sur les usages auxquels elles servaient chez les anciens habitants de cette con- trée ou du Turkestan, et nous savons encore moins à quelle époque ils ont commencé à s’en servir. Il est une plante cependant qui fait exception, c'est le chanvre — shadaneh —, dont Hérodote nous a fait connaître l'emploi singulier qu’en faisaient les Scythes. Après être entrés sous des pieux qu'enveloppent leurs man- teaux, les Scythes jettent sur des pierres rougies au feu de la graine de chanvre qu'ils ont apportée ; elle fume aussitôt et répand une vapeur aussi abondante que celle d’une étuve grecque. Cette vapeur excite les Scythes au point qu'ils en poussent des cris de contentement. Il y a là une allusion manifeste aux propriétés eni- vrantes du chanvre touranien; c'est par les Perses 1. Par exemple de l’Eulophia campestris de l'Afghanistan et du Béloutchistan, des Orchis latifolia et laxiflora. Aïtchison, Notes, p. 144-145. 2. Hyoscyamus muticus (Scopolia mutica), niger et pusil- lus. Boissier, vol. IV, p. 293-295. 3. Polak, Persien, vol. II, p. 262. 4. Historiae, lib. JV cap. 75. 168 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS qu'Hérodote en avait entendu parler ; ce peuple avait- il cherché, dès le temps de l'historien grec, à en tirer parti? Nous l'ignorons ; toutefois on peut affirmer que très anciennement les habitants de l'Iran septentrional ont fait usage du chanvre, mais un autre usage que les Scythes. De même qu'aujourd'hui, ils ont dû utiliser, comme stupéfiant', non les graines, mais les feuilles — beng —, et la gomme-résine — cers —, répandue sur toute la plante et en particulier sur les rameaux fructifères. Aux plantes qui précèdent faut-il ajouter les végé- taux auxquels les Perses attribuaient des vertus ma- giques, et dont Démocrite, si l’on en croit Pline”, avait « rapporté les choses les plus étranges »? Telle l'aglaophotis, dont les Mages, dit-il, se servent, quand ils veulent invoquer les Dieux; tel encore le #héo- brotion, que les rois de Perse auraient pris en boisson contre les dérangements de l'esprit, aussi bien que contre les indispositions corporelles, et la ‘héangels, dont une infusion donnait aux Mages la faculté divina- toire ; telles encore, — sans parler de l’arianis, qui en- flammait par son simple contact les bois frottés d'huile, — la gélotophyllis, qui, prise avec de la myrrhe et du vin, faisait voir des figures fantastiques et provo- quait un rire inextinguible, ou l’hesfiateris, qui répan- dait la gaieté dans les repas. « On l'appelle aussi protomedia, ajoute le plus crédule des compilateurs, parce que les courtisans qui en mangent obtiennent le premier rang auprès des rois. » 1. Polak, Persien, vol. II, p. 244. — Flückiger et Hanbury, Histoire des drogues, vol. Il, p. 285-288. Schlimmer, p. 106, 2. Historia naturalis, lib. XXIV, cap. 102. PT LES JLANTES DANS LA MÉDECINE DES IRANIENS 169 Évidemment nous sortons, avec ces plantes fabu- leuses, du domaine de la pharmacopée véritable et même de la réalité. Et cependant on peut retrouver quelque chose d’analogue à leurs propriétés merveil- leuses dans celles qu'on attribue aujourd'hui encore à certaines espèces iraniennes. C’est ainsi que les racines du Trachydium Lehmanni' passent pour conserver la mémoire et fortifier les facultés cérébrales. D’autres plantes servent par leur seule présence à écarter les esprits mauvais. Dans quelques provinces de la Perse, par exemple, on attache au-dessus de la porte des maisons des bouquets de Peganum harmala pour en protéger les habitants contre les attaques des mauvais génies. De même une branche fleurie de férule galba- nifère, fixée à la demeure d’une femme en couches, est un charme tout puissant qui écarte les daèvas. On suspend dans le même but des morceaux de bois de micocoulier au cou des enfants et des femmes. On croit aussi que les baguettes d’amandier et de tamaris peuvent écarter les serpents; aussi fait-on le manche des fouets avec le bois de ces arbres. Le cône du pin est considéré également comme portant bonheur*. Mais il faut revenir à la pharmacopée véritable, dont ces croyances populaires nous ont trop éloignés. Les substances extraites d'un certain nombre de plantes iraniennes : huiles, mannes, gommes et gommes-ré- sines, etc., nous y ramènent. Quelques-unes des huiles qui servaient dans l'alimentation et pour l'éclairage sont et ont été aussi sans doute de temps immémorial employées dans la pharmacopée; telle que l'huile de 1. Aïtchison, Votes on products, p. 210. 2, Aitchison, Votes on products, p. 149, 7%, 35, 164 et 201, 170 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS roquette, de noix, de pistaches, de sésame, de ricin; il faut y ajouter l'huile d'amandes amères et dans le Turkestan l'huile de lin et peut-être de chanvre. La manne était peut-être chez les anciens habitants de l'Iran, plus un aliment ou un condiment qu'un re- mède, il convient néanmoins d'en parler ici. De nom- breuses plantes de l'Iran produisent la manne — le miel aérien, comme l'appelle Athénée'— : tamaris, chênes, astragales, alhagi, Atraphaxis spinosa, saule fragile, Cotoneaster nummularia, poirier à feuilles glabres, d’autres encore. Chaque province presque a sa manne particulière; toutefois malgré les différences qu'elles présentent dans leur composition, ces diverses mannes ont des propriétés et des caractères communs. Elles se forment la nuit, tantôt spontanément, le plus souvent à la suite de la piqûre d’un insecte, et presque toujours à l'époque des grandes chaleurs; le matin on recueille l'exsudation solidifiée sous forme de grains plus ou moins gros ou de larmes; elle a un goût sucré et agréable. Les Perses distinguent quatre espèces principales de manne: le gez-engebin, le ter-engebin, le shur- khisht et le bid-khisht*. Le gez-engebin est exsudé par trois plantes différentes. La meilleure sorte est produite par une astragale des environs d'Ispahan”; la seconde sorte provient de l’exsudation du tamaris à manne— 4ez—, qu'on rencontre à l'Est d'Ispahan, dans la vallée du Zayendeh-roud, et dans l’ancienne Carma- 1. Deipnosophistae, lib. XI, cap. 102 (501). 2. Polak, Persien, vol. II, p. 285. Engebin ou enjebin. 3. Les Astragalus florulentus et adscendens d’après A. Haus- knecht. Ueber Manna-Sorten des Orients. (Archiv der Pharma- cie, vol. 192, 1 (avril 1870), p. 246). said: LES PLANTES DANS LA MÉDECINE DES IRANIENS 171 nie'; la troisième sorte de gez-engebin et la plus commune est fournie par un chêne du Kourdistan — le Quercus ballota d'après Polak, les Quercus vallonea et persica, suivant Hausknecht*. — C'est probablement ces mannes, en particulier la première et la troisième sorte, qui étaient recueillies pour la table du grand roi; c'est elles encore aujourd'hui qui entrent dans la pré- paration des pâtisseries persanes dont j'ai parlé au chapitre de l'alimentation. Le ter-engebin est produit par l’exsudation de l’A/- hagi camelorum, astragale répandue dans tout l'Iran, mais surtout dans le Khoräsan, l'Afghanistan et le Béloutchistan. Il semble qu'il soit question de cette manne dans un passage de Théophraste cité plus haut”, où le naturaliste grec parle du suc exsudé par un arbuste épineux de l'Asie. Toutefois la manne de l’Alhagi n’a pas, comme le dit Théophraste, l'odeur de la myrrhe, mais celle du séné, dont elle a les propriétés purgatives*. Le shir-klusht provient indifféremment de l’A#rapha- xis spinosa, polygonée répandue surtout dans l’Afgha- nistan et le Turkestan, et du Cotonecaster nummularia, arbrisseau de la même région”. Enfin le saule fragile des environs montagneux de Téhéran produit vers la fin de l'automne le &d-khisht, manne blanchâtre re- 1. Hausknecht, Zbid., p. 248, dit qu'entre Ispahan et Téhé- ran les exsudations ne se produisent que dans certaines années. Schlimmer, p. 358, lui donne le nom de gez khuncar. 2. Archiv der Pharmacie, vol. 192, 1, p. 244. C’est le gez éléfi de Schlimmer. 3. Historia plantarum, Ub. IV, cap. 4, 12. Cf. p. 100. Polak et Brandis donnent à cet Alhagi le nom d’A. Maurorum. 4. A. Hausknecht, op. laud. (Archiv der Pharmacie, vol. 192, 1, p. 247). — Polak, vol. II, p. 286. 5. À, Hausknecht, Zbid., p. 249, — Polak, vol. IT, p. 286. 172 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS cueillie en petite quantité et peu employée‘. Le poirier à feuilles glabres, commun dans les montagnes boisées du Louristan, en produit une qui rappelle celle du chêne. La Scrophularia rigida, plante du Farsistan et la Sulsola fœtida, commune dans l'Afghanistan, pro- duisent également des exsudations sacchariformes analogues à la manne*. Les anciens Perses connurent sans doute et em- ployèrent la plupart de ces espèces de manne;'il est probable qu'ils connurent aussi dès longtemps la gomme adragante, substance concrétée qu’exsudent naturellement la tige et les rameaux de diverses astra- gales de la Médie*, mais que Dioscoride*, par une confusion évidente, fait découler d’une incision pra- tiquée dans la racine. A côté de la gomme adragante il faut placer la sarcocolle, gomme produite par un petit arbre du Laristan, dit Polak”, d’après Dioscoride, mais qui, suivant Dymock, provient en réalité de l'Astragalus sarcocollaf. Enfin on peut ajouter ici la gomme exsudée par le pistachier mutique, commun, 1. Polak, Persien, vol. II, p. 287. 2. A. Hausknecht, op laud., p. 249.— Aïtchison, Votes, p.181, dit que la manne de la S. fætida porte le nom de shakar : sucre. 3. Entre autres les Astragalus adscendens, qummifer, pycno- cladus et Kurdicus. A.-F. Flückiger et D. Hanbury, Aistoire des drogues, trad. Lanessan. Paris, 1878, in-8, vol. [, p. 346-347. 4. De materia medica, Nb. III, cap. 20. 5. Persien, vol. Il, p. 285. — De materia medica, Lib. Ill, cap. 90. 6. Pharmacographia indica. London-Bombay, 1890, in-8, vol. I, p. 476. Aitchison, Votes, p. 19, s’est demandé s’il ne faudrait pas rattacher cette espèce à une de celles décrites par Bunge. D'après Schlimmer, p. 425, la sarcocolle serait produite par la Penaea mucronata, plante étrangère à la flore persane. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE DES IRANIENS 173 en particulier, dans le Kourdistan et le Farsistan, d’Is- pahan à Chiraz, ainsi que par le pistachier vrai”. Bien autrement importantes que ces derniers pro- duits, bien plus anciennement connues pour la plupart et d’un plus grand emploi chez les anciens Perses, furent les diverses gommes-résines, fournies par les grandes ombellifères répandues sur le plateau iranien tout entier et dans le Turkestan: asa fœtida, galba- num, sagapenum, opopanax et gomme ammoniaque. L'asa-fœtida— anquza”, hind. hing—, est produite par le Narthex asa fœtida Falc. — Ferula asa fœtida B. — du Farsistan et le Scorodosma fœtidum Bunge du Khoräsan”, plantes pourvues d’une racine épaisse de plusieurs pouces et dont la tige atteint de 2 à 3 mètres’. 1. Polak, Persien, vol. IT, p. 284. — Aitchison, Votes, p. 95. 2. Enguzeh, d'après Schlimmer, Terminologie, p. 56. 3. Kaempfer regardait comme appartenant à la même espèce les ombellifères du Laristan et du Khoräsan qui produisent l’asa fœtida. Boissier, qui n’a pas admis le genre Scorodosma, semble regarder la plante de Bunge comme la Ferula allia- cea, ombellifère très répandue dans l'Iran oriental. H. W. ellew a trouvé en grande quantité une ombellifère qui produit l’asa fœtida sur toutes les collines de l’Afghanistan, ainsi que dans les plaines élevées qui s'étendent de Kandahar à Hérat, région où Bunge l’avait déjà observée. From the Indus Lo the Tigris. London, 187%, p. 101-102, 286, 321, etc., ap. {Histoire des drogues, vol. TI, p. 558 et 561. 4. L’ombellifère à asa fœtida a été découverte par Lehmann, en 18%1, sur les collines du Karatagh au Sud du Zarafshan. Vers 1859, elle a été recueillie entre la mer Caspienne et la mer d’Aral par le botaniste russe Borszcow. ({istoire des dro- ques, vol. I, p. 557-558). Elle a été aussi observée par Wood dans un district situé au Nord du haut Oxus. Journey to the source of the River Oxus. London, 1872, in-8, p. 131. Enfin cette férule a été vue en abondance dans la Steppe de la Faim entre le Sir Daria etle Karatau. Wold. von Lentner, Ueber das Vorkommen von Scorodosma fœtidum im türkestanischen Ge- biete. (Pharim. Zeitschrift für Russland, X (1871), p. 738). 17% LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS On doit à Kaempfer une description détaillée du pro- cédé très compliqué, qui était, de son temps, employé dans le Laristan, pour recueillir l’asa-fætida', et ne demandait pas moins de plusieurs semaines. La ré- colte se fait plus simplement dans l'Afghanistan. D'après Bellew*, aux environs de Kandahar, on se borne, après avoir enlevé les feuilles nouvellement poussées et fait une petite fosse autour de la souche, à pratiquer plusieurs incisions profondes à la partie supérieure de la racine; cela sufit pour déterminer l'écoulement de la gomme-résine, sans faire périr la plante. On répète l'opération tous les trois ou quatre jours, et on la continue tant que le suc continue à cou- ler. Il est douteux que Théophraste ait connu l’asa- fœtida véritable; mais il semble bien que ce soit d'elle que parle Dioscoride sous le nom de silphion’, plante d'une odeur pénétrante, qui croit, dit-il, en Syrie et en Médie. On peut se demander toutefois si la substance qu'il a décrite est bien la même que l’asa- fœtida du Laristan et du Khoräsan. Celle-ci pénétra enfin dans l'empire romain; elle figure au second siècle de notre ère, sous le nom de /aser, au nombre des produits de la Perse et de l'Inde, sur lesquels un droit était perçu par la douane d'Alexandrie”. Le galbanum, gomme-résine exsudée par une plante 1. Amcænitales exoticæ. p. 545-547. Schlimmer, p. 58, a décrit le procédé non moins long qu'on emploie aujourd’hui encore à Hérat pour récolter l’asa-fætida. 2. Journal of a mission to Afghanistan. London, 1862, p. 270, ap. Flückiger et Hanbury, vol. I, p. 561. 3. Le silphion dont il parle, lib. VI, cap. 3, 1, en paraît du moins tout différent. 4. De materia medica, lib. HT, cap. 84. 5. Flückiger et Hanbury, istoire des drogues, vol. I, p. 559. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE DES IRANIENS 175 de la même famille que l’asa-fœtida, dut être, comme celle-ci, connue anciennement des Perses. Théophraste n’en ignorait pas le nom'; mais c’est tout ce qu'il en savait, ainsi que Nicandre*. Dioscoride* et Pline‘ en parlent comme d’une résine, fournie par un narthex, qui croissait en Syrie sur le mont Amamus. Diverses ombellifères méditerranéennes paraissent avoir pro- duit une substance semblable au galbanum, mais la vraie résine de ce nom provient de deux férules de l'Iran — les Ferula qalbaniflua B. et rubricaulis où erubescens —, grandes plantes à tige robuste, à feuilles tomenteuses, qui croissent, la première sur les pentes du Démavend ét dans la région montagneuse située entre Mechhed et Hérat, la seconde dans les gorges de la chaine du Kouh-Daëna, ainsi peut-être que sur les pentes de l’Elwend près de Hamadan”. Le suc, qui dé- coule des parties inférieures de la tige et de la base des feuilles, d’abord d’un blanc laiteux, prend une teinte jaunâtre en se solidifiant à l'air libre; il en- trait dans la composition de l’encens chez les Hébreux”, et servait, d’après Dioscoride, comme excitant et réso- lutif dans la médecine grecque et probablement aussi dans la thérapeutique persane. Suivant Dioscoride encore, le sagapenum, aussi ré- puté chez les Anciens qu'il est dédaigné aujourd’hui, . Historia plantarum, Lib. IX, cap. 1, 2. Theriaka, vers 938. De materia medica, lib. INT, cap. 87. . Historia naturalis, lib. XII, cap. 25, 56. Boissier, Flora, vol. Ip: 988 et 995. D’après Aïtchison, Notes, B429, la Fr qalbaniflua seule produirait le galbanum. 6. Exodus, lib. XXX, vers. 34. W.-H. Groser, The trees and plants mentioned in he Bible, p. 213. CORRE 176 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS provenait également de la Médie, c'est-à-dire de l'Iran. C'était, dit le pharmacopole grec", une résine trans- parente, jaune à l'extérieur, blanche à l’intérieur, d'une saveur piquante et dont l'odeur était intermé- diaire entre celle de l’asa fœtida et du galbanum. Elle était produite, ajoute-t-il, par une plante semblable à une férule; Lenz à supposé que ce pouvait être la Fe- rula persica, ombellifère du Ghilan*; d'après Po- lak ce serait la Ferula sagapenum, inconnue de Bois- sier; Dymock la rapporte en hésitant à la Ferula Szovitsiana, petite plante des terrains pierreux de la vallée de l’Héri-roud*. Aucune incertitude, au contraire, n'existe au sujet de la gomme ammoniaque. Cette dernière est produite par le Dorema ammoniacum, ombellifère à tige dres- sée, haute d'environ deux mêtres et commune surtout dans l'Iran oriental. Une autre espèce du même genre, le Dorema Aucheri, indigène plutôt dans la Perse occidentale, donne aussi naissance à un produit ana- logue‘. À l’époque de la maturité des fruits, de petits coléoptères viennent attaquer les tiges du Dorema ; le suc visqueux et blanchâtre qui coule en abondance des piqûres qu'ils y font, concrété sous forme de grains ou de larmes, constitue ce qu’on appelle gomme am- moniaque. À quelle époque les Perses ont-ils com- mencé à l'employer? Nous ne pouvons le dire. Théo- 1. De materia medica, lib. HT, cap. 85. 2, Botanik der alten Griechen und Rômer, p. 564. — Boissier, Flora, vol. II, p.992. 3. Pharmacographia indica, vol. IT, p. 161. 4. Boissier, Flora, vol. IV, p. 1008. D’après Aïtchison, Votes, p. 57, le Dorema glabrum exsuderait également une gomme- résine rougeñtre et cassante, analogue, elle aussi, à la gomme ammoniaque. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE DES IRANIENS 177 phraste l'ignorait encore; Dioscoride et Pline’ en parlent bien, mais comme d’une résine exsudée par un narthex qui croissait aux environs du temple de Jupiter Ammon ; il s’agit probablement de la Ferula hingitana L., plante indigène dans le Maroc et dans la Palestine” et qui fournit une gomme-résine analogue à celle du Dorema ammoniacum, mais différente aussi à certains égards. La vraie gomme ammoniaque — ushak où kandal — ne parait pas avoir été connue dans l'Occident avant le x° siècle, époque où Isaac Judaeus en à fait mention”. Parmi les nombreuses et belles ombellifères de l'Iran il y en a encore une qu'il faut mentionner ici, c'est l’'Opopanax persicum, qu'on rencontre dans l'EI- bourzet les montagnes du district de Kouh-Kilouyéh*; cette plante fournit une gomme-résine, qui rappelle, sans y ressembler entièrement, l’'opopanax de Diosco- ride et de Pline, extrait du Panaces heracleion, — la Ferula opopanar de Sprengel, l'Opopanax orien- tale de Boissier —, ombellifère de la Boétie et de l’Arcadie, qui croissait aussi dans la Macédoine et la Cyrénaïque*. Nous ne savons rien de l'usage que les anciens Perses ont pu faire de l’opopanax ; nous ne sommes pas mieux renseignés à l'égard de la rhubarbe; mais le rôle mythique de cette plante peut faire croire à 1. De materia medica, lib. II, cap. 88. — ist. naturalis, lib. XII, cap. 49. 2. Boissier, Flora, vol. II, p. 992. 3. Histoire des drogues, vol. I, p. 571-572. 4. Boissier, Flora, vol. Il, p. 1059. 9. De maleria medica, Gb. HT, cap. 48. — Hist. naturalis, Bb. XXV, cap. 12. 6. Boissier, Flora, vol. Il, p. 99. Jorer. — Les Plantes dans l'antiquité. Il. — 12 178 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS l’antiquité de son emploi. Quoi qu'il en soit, elle semble avoir été connue dans l'empire romain au pre- mier siècle de notre ere. Dioscoride”, qui lui donne le nom de A4 ou rhéon et l’a bien décrite, dit qu’elle était importée des contrées situées au delà du Bos- phore, mais sans désigner autrement ces contrées. C'est d'elle aussi sans doute qu’au 1v° siècle parle Ammien Marcellin?, quand il rapporte que « sur les bords du Rha — le Volga —, d’où elle tire son nom, croît une racine, qu'on emploie comme remède dans nombre de maladies ». Il s’agit évidemment ici‘du Rheum caspicum où lataricum, commun dans la Russie mé- ridionale, ainsi que dans la vallée du Héri-roud et le Turkestan, plante dont la racine et les fruits sont employés dans la médecine persane. Quant au Rheum ribes, répandu dans les terrains argileux et élevés de l'Iran, les habitants en mangent les feuilles comme légumes, et la racine est utilisée pour teindre le cuir en rouge Bien que l'Iran renferme, on vient de le voir, un nombre assez considérable de plantes médicinales, qui lui sont propres et dont les autres pays lui doivent la connaissance, ses habitants ne paraissent pas toutefois avoir fait faire de grands progrès à la thérapeutique : etils ont plus emprunté aux nations voisines qu'ils ne leur ont donné. Les premières auxquelles ils demande- rent des recettes médicales furent les Sémites de la 1. De materia medica, hb. HI, cap. 2. Cf. Pline, lib. XXVII, cap. 12. 2. « Ra... in cujus superciliis quaedam uegetabilis eiusdem nominis gignitur radix proficiens ad usus multiplices medela- rum ». Rerum gestarum, lib. XXII, cap. 8, 28. 3. Aitchison, Votes on products, p. 174. Das, à, … : LES PLANTES DANS LA MÉDECINE DES IRANIENS 179 Babylonie et de l’Assyrie, disciples eux-mêmes des Égyptiens. Plus tard quand ils furent entrés en relation avec les Grecs, ils eurent recours aux connaissances thérapeutiques de ces derniers". On vit même des mé- decins grecs, comme Ctésias, établis à la cour des rois de Perse, preuve de la supériorité qu'on reconnaissait à la médecine hellénique sur celle de l'Iran. Maisles Perses devaientaller plusloinencorechercher des remèdes et des enseignements ; ils avaient tiré de l’Hindoustan, quand ils eurent pénétré dans cette con- trée, plusieurs végétaux alimentaires ou industriels ; ils en importèrent aussi des plantes médicinales, et étudièrent les ouvrages des pharmacopoles hindous. A l’époque des Sassanides, sous le règne de Khosroës Anoshirvan, le médecin Barzujeh fut envoyé dans l'Inde pour y recueillir, avec des recettes médicales, quelques-unes des plantes salutaires de cette contrée”. Ces plantes, nous les retrouverons dans la pharma- copée hindoue; inutile dès lors d'en parler maintenant. Il en est une toutefois que je dois mentionner ici, encore qu'aujourd'hui elle soit employée comme condiment et non comme reméde ; c'est le pommier de Médie ou de Perse — cédratier — importé, nous l'avons vu, dans l'Iran occidental sous les Achéménides. Les habitants de cette contrée n’en mangeaient pas les fruits, mais ils en employaient le suc comme mé- dicament. Mêlé à du vin, dit Théophraste*, il dégage 1. J. Berendes, Die Pharmacie bei den allen Cullurvülkern, vol. I, p. 35. 2. Silvestre de Sacy, Le livre de Calila apporté de l'Inde à Nouschirvan. (Notices el extraits des manuscrits, vol. X, p. 147-149). 3. Historia plantarum, lib. IV, cap. 4, 2. — Pline, Historia naturalis, lib. XII, cap. 7. Cf. Virgile, Georg., lib. Il, v. 126-128. 180 LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS la bile et expulse le poison. Et Athénée, renchérissant sur le naturaliste grec, raconte une anecdote”, d’après laquelle les cédrats auraient été l’antidote et le pré- servatif le plus efficace contre la morsure des serpents. Mais ces fruits avaient encore d’autres propriétés et d’autres usages; leur chair, suivant Théophraste et Athénée”, cuite dans le jus de viande ou quelque autre liquide et mâchée ensuite, servait à parfumer l’ha- leine. Cet usage subsista longtemps en Orient ; Pline rapporte” que chez les Parthes les grands, pour com- battre la mauvaise odeur de la bouche, faisaient mettre dans leurs mets des graines de cédrats. À cause de leur odeur pénétrante, les fruits du cédratier — il en était peut-être de même des feuilles non moins par- fumées — passaient pour préserver des teignes les étoffes au milieu desquelles on les plaçait. Le cédratier nous ramène naturellement aux aro- mates, dont les Iraniens, ainsi que tous les peuples de l'Orient, faisaient un si grand usage. Ils n'en avaient pas besoin sans doute, comme les Égyptiens, pour em- baumer les morts qu’ils exposaient au haut de tours particulières ou dakhmas quand ils ne les inhumaient pas tout simplement, ainsi qu'on le fait chez nous, mais ils se servaient de substances aromatiques pour purifier le lieu, considéré comme souillé, où le défunt avait rendu le dernier soupir. 1. Deipnosophistae, lib. III, cap. 28 (8% e). 2. Historia plantarum, lb. IV, cap. 4, 2. — Deipnoso- phistae, lib. IT. cap. 26 (83 e). 3. Hisloria naturalis, Lib. XI, cap. 115 (53) et lib. XII, cap. 7. &. To di pahov.. ebosuoy dE ravu xai œbAXa +09 dsydoov. T'héo- phraste, Jbtd:, lib. IV, cap. &, 2. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE DES IRANIENS 181 Le Vendidad ordonne ‘ de parfumer, aussitôt après sa mort, la demeure du défunt avec l’wrvdsni, — plante à odeur alliacée”, — le voht-quona — probable- ment l’oliban ou encens, — le vohu-kereti — peut-être le bois d’aloès — et le Aadhäanaépata — le grenadier — ou avec toute autre plante odoriférante. Il est probable que parmi les plantes employées dans cette circon- stance figurait le genévrier élevé, dont les feuilles sont aujourd'hui encore brülées en guise d’encens dans cer- taines provinces”, et surtout le Ba/samodendron Mukul, espèce d’encens, indigène dans le Béloutchistan. Ce n’était pas d’ailieurs la seule occasion solennelle où l’on eût besoin d'aromates. Quand, pour une raison quelconque, les vêtements d’un homme avaient été souillés*, on les exposait d'abord aux rayons du soleil, et pendant neuf nuits à la clarté des étoiles; puis au bout de ce temps on allumait un feu de bois sec et dur, sur lequel on jetait du vohi-quona, — de l’en- cens —, afin de parfumer ces vêtements, dont la pu- rification était ainsi achevée. De nos jours, usage qui remonte sans doute très haut, en temps d’épidémie, les habitants du Khoräsan brülent dans les rues des fascines d’une espèce de rutacée odorante, le Peganum harmala”, afin de purifier l'air. 14. Fargard VIIT, 1, 2. Le Zend-Avesta, vol. IT, p. 119. 2. Peut-être une férule, la Ferula galbaniflua Buhse. 3. Aitchison, Votes on products, p. 108. k. Vendidad, Fargard XIX, 28 (76)-24 (80). Le Zend- Avesta, vol. II, p. 267. 5. Aitchison, Votes on products, p. 149. LIVRE SECOND LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS CHAPITRE PREMIER LA FLORE DE L'INDE ET SES HABITANTS La vaste péninsule, que l'Asie projette entre la mer d'Arabie à l'occident et le golfe de Bengale à lorient, est rattachée au continent par l'immense cirque de montagnes, formé de l'Himalaya et de l'Hindou-Kouch au Nord, des monts Souleiman-Dagh et Khirtar à l'Ouest, enfin des monts Patkoï, Bourail et de leurs prolongements méridionaux à l'Est. Mais les divers pays, compris dans ces vastes limites, n’appartiennent point au même système géographique ; en réalité, ils constituent deux régions distinctes, qui, toutes deux de forme triangulaire et ayant une base commune, n'en forment pas moins l’une avec l’autre un contraste complet’: la contrée montueuse du Sud — la pénin- 1. Christian Lassen, /ndische Allerthumskunde. Bonn, 1866, in-8, vol. I, p. 101. — H.-B. Middlecott and W-T. Blanford, 184 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS sule proprement dite — et la plaine indo-gan- gétique. | Le triangle méridional, avec sa partie centrale, le Dekkan — Dakshina-patha, « la région qui se trouve à droite », c’est-à-dire au Sud, — est un plateau d’une altitude moyenne de 300 à 1000 mètres, qui, incliné d’une maniere générale de l'Ouest à l'Est, est borné au Nord par le double bassin de la Narbada et de la Ma- hanadi, et dont la pointe méridoniale porte le nom de cap Comorin. Au Sud-Est s'étend la grande île de Ceylan — Suihala dvipa, — qui en a été sans doute séparée à une époque géologique. Deux chaînes côtières, les monts Sahyadri ou Ghates occidentales et les Ghates orientales forment comme le double rebord du Dekkan*. Les Ghates occidentales, qui, sous divers noms, courent des bouches de la Tapti au cap Comorin, en ne laissant entre elles et la mer qu’une étroite bande de terrain, dressent au-dessus des flots leurs crètes hautes de 1000 mètres et davantage ; une des cimes du massif des Nilghiri — les Montagnes bleues — atteint même 2650 mètres, et est encore dépassée par l'Anamoudi « le Front des Éléphants », sommet le plus élevé de l’Anamalaï, massif isolé, qui continué par la chaine des Cardamomes, limite orientale du Tra- vancore, va expirer en pente douce au cap Comorin. Les Ghates orientales, qui ne commencent qu'au nord de la dépression où serpentent les eaux de la A manual of the Geology of India. Calcutta, 1879, in-8, p. 2. — Elisée Reclus, Vouvelle Géographie universelle, vol. VIII. L'Inde et l'Indo-Chine. Paris, 1883, in-4, p. 25. 1. Chr, Lassen, op. laud., vol. I, p. 179-180. — A.-H. Keane, Southern and western Asia. London, 1896, in-8, p. 55. LA FLORE DE L'INDE 185 Kaveri, vont, en une série de crêtes qui ne dépassent guère 500 mètres, se terminer dans l'Orissa par un groupe appelé Nilghiri, comme la chaine du Dekkan méridional, mais d’une altitude deux fois moindre". Au nord du Dekkan court de l'Ouest à l'Est, entre les bassins de la Tapti et de la Narbada, la chaine des monts Satpoura, regardée parfois comme la limite septentrionale du plateau; d'une hauteur moyenne de 650 mètres, ils rejoignent à l'Est le massif central du Mahadeo, dont une cime le Deogarh mesure 1375 mètres d'altitude ; plus loin se dressent les monts peu élevés du Maïkal, puis l’'Amarkantak, du sommet duquel, haut de 1 356 mètres, découlent les eaux de la Narbada. Pro- longée, à travers le plateau de Tchota-Nagpore, vers la plaine du Gange, cette chaine, après avoir formé la montagne sainte de Parasnath d'une altitude de 1 345 mètres, se termine par les collines basaltiques de Radjmahal?. Formée par les deux bassins du Gange et de l'Indus et par les territoires intermédiaires, la partie septen- trionale de l'Inde est une vaste plaine d’alluvions d'une largeur d'environ 2400 kilomètres, que tra- versent seulement de rares montagnes. Au Sud c'est la chaine des monts Vindhya, qui courent parallèlement aux monts Satpoura, des rivages occidentaux de la péninsule vers la Djoumna ; d’une hauteur qui atteint à peine aux points culminants 650 mètres, ils se conti- nuent par les monts Kaïmour, jusqu'au centre de l’'Hindoustan. À l'Ouest, de l’autre côté de la plaine 1. Élisée Reclus, op. laud., vol. VIII, p. 27. — Silvain Lévy, article /nde dans la Grande Encyclopédie. 2. Elisée Reclus, op. laud., vol. VIII, p. 38. — Art. /Znde dans la Grande Encyclopédie. 186 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS de Malwa, se dresse la chaine des Aravalli, qui borde du Nord au Sud le désert de Thar. Bien que servant de limite septentrionale à la pénin- sule hindoustanique, l'Himalaya n’en forme pas moins un monde à part, indien à sa base, par sa végétation, par son climat, par les fleuves qui s’en épanchent, tibétain, par l'énorme protubérance terrestre dont il forme le rebord méridional'. S'étendant de l'Ouest à l'Est sur une longueur de plus de 2200 kilomètres, ce massif énorme se compose de deux chaînes parallèles, l'Himalaya proprement dit, c’est-à-dire la rangée méridionale, qui se dresse immédiatement au-dessus des plaines de l'Inde, et le Trans-Himalaya, qui borne au Nord la dépression où coule le Tsangbo. C'est ce dernier qui forme véritablement la ligne de faite. Sur une longueur de près de 800 kilomètres, les monts qui le composent se succèdent sans laisser une seule brèche par laquelle puissent s'échapper les eaux de la dépression médiane, située entre les deux chaines. La rangée du Sud, au contraire, avec ses hauteurs colossales est percée de vallées et de gorges profondes, qui livrent passage à de nombreux affluents du Gange. A l'Ouest des sources du grand fleuve, le rempart himalayen est même coupé en entier par le cours du Satledj, qui s'échappe par une succession de cluses pour aller rejoindre l’Indus vers le Sud-Ouest*. La chaine de l'Himalaya n'est point composée de roches très anciennes, et les couches qui se sont dépo- 1. Élisée Reclus, op. laud., vol. VIII, p. 35. — Middlecott, op. laud., p. vin-x. — Chr. Lassen, op. laud., vol. 1, p. 41-81. — Charles Vélain, art. Himalaya dans la Grande Encyclo- pédie. 2, Élisée Reclus, op. laud., vol. VITE p'24#, LA FLORE DE L'INDE 187 sées sur les flancs des monts tournés vers les plaines de l’Hindoustan appartiennent aux dernières périodes des âges tertiaires '. Disposés en chaînes parallèles à l'axe principal, les avant-monts qu’elles forment — le sous-Himalaya des géologues — se composent presque tous de grès massifs, associés à des conglomérats et à des argiles. La plus considérable et la plus régulière de ces chaînes est celle du Siwalik, qui se développe du Sud-Est au Nord-Ouest, sur une longueur de 300 kilomètres, entre la porte du Gange à Haridwar et celle du Bias, l’une des cinq grandes rivières du Pand- Jab. Des deux côtés du renflement du Siwalik se trouvent d’autres zones de terrain, dont la nature du sol et les produits dépendent, non de la différence d'altitude, mais de la disposition des couches super- ficielles et de l'écoulement des eaux*. La plus méri- dionale est celle du Teraï « pays humide », région marécageuse couverte de jungles, de roseaux et de bouquets d'arbres, qui retiennent les brouillards de miasmes entretenus par l'évaporation du sol imprégné d'eau. La zone parallèle, qui s'étend entre les douns — vallées — au nord du Siwalik et la base des roches gréyeuses du sous-Himalaya, est la région forestière du Bhaver, dont la sécheresse contraste avec l'humidité du Teraï. Couverte de montagnes dont quelques-unes comp- tent parmi les plus élevées du globe, la presqu'ile hin- 1. Ed. Suess, La face de la terre. Trad. Paris, 1897, vol. I, p. 565-592. 2. Elisée Reclus, op. laud., vol. VIII, p. 54 et suiv. 3. Grisebach, Die Vegetation der Erde, vol. Il, p. 37. Trad. vol. II, p. 48. — J.-D. Hooker and Thomson, Flora indica : being a systematic account of the Plants of British India. London, 1855, in-8, vol. 1, p. 149, 188 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS doustanique renferme aussi un grand nombre de cours d’eau; mais ils sont inégalement répartis entre les versants des deux grands golfes qui baignent ses flancs. Courant presque sans interruption le long de la côte qu’elles serrent de près, les Ghates occidentales n’en- voient aussi dans la mer d'Arabie que des torrents sans importance ; les eaux qui en découlent, suivant l'incli- naison du plateau, vont gagner, à travers les dépres- sions des Ghates orientales, le golfe du Bengale. C’est ainsi qu'au lieu des torrents sans nom, qui se perdent dans la mer d'Oman, ce golfe recoit des fleuves puis- sants : la Kaveri, les deux Panar, la Krishna etua Godavari, qui drainent toutes les eaux du Dekkan”'. C’est au dela des Ghates occidentales seulement et au Nord du plateau que se forment les seuls affluents considérables de la côte occidentale, la Tapti et la Narbada, dont les bassins parallèles sont séparés par les monts Satpoura; toutes deux se jettent dans le golfe de Cambaye; plus au nord s’y déverse aussi la Sabarmati, sortie de l'extrémité méridionale des monts Aravalli. Quant aux cours d’eau que recoit le golfe de Katch, véritables torrents formés par les pluies pas- sagères et taris aussitôt qu’elles ont cessé, ils ne mé- ritent pas d'être mentionnés”. Mais au dela des lagunes dans lesquelles ils se perdent, se trouve l'embouchure du plus grand fleuve de l’Hindoustan occidental, le Sindh — Sindhu, l'Indos des Grecs et des Latins. Descendu des hauteurs inexplorées du mont Kaiïlas, dans le Tibet, ce fleuve coule d’abord de l'Est à l'Ouest 4. Art. Znde dans la Grande Encyclopédie. 2. Il faut citer cependant la Louni, qui recueille les eaux du versant occidental des Aravailis. LA FLORE DE L'INDE 189 parallèlement au Trans-Himalaya, s'engage ensuite entre cette chaine et le Karakoroum, puis, tournant brusquement vers le sud à la passe de Gilgit, il longe le massif de l'Himalaya occidental et pénètre enfin dans la plaine hindoustanique. Il reçoit alors sur la droite la rivière de Caboul, — la AXubh4 des chants védiques — et plus bas le Kouram ; puis sur l’autre rive, à Mithankot, après un long parcours dans la direction du Sud, les cinq rivières du Pandjab, réunies sous le nom de Pandjnad: le Tchinab — Asihkni ou Candrabhäga,\ Akesines des Grecs, — grossi du Jheham — Vitastà, V'hydaspes — et de la Rävi — Airdvati, l'Hydraotes, — le Bias — Vipdca, l'Hyphasis, — et le Satledj — Catadru, le Zaradros. — 1 continue ensuite sa route vers le Sud, à travers une plaine aride que ses eaux sont impuissantes à féconder; puis à 150 kilo- mètres de la mer, il se partage en un vaste delta, envahi par les sables *. Deux causes contribuent à affaiblir l'Indus dans son cours inférieur, l'éloignement croissant des montagnes dont les eaux l’alimentent et la sécheresse de la con- trée qu'il traverse depuis sa jonction avec le Pandjnad. I! en est tout autrement du Gange qui, coulant au mi- lieu de la région des moussons et parallèlement à l'Himalaya, dont ses aflluents de gauche recueillent les eaux, voit son cours incessamment grossi par les pluies et par la fonte des neiges”. Sorti à 4 200 mètres d'altitude d'une caverne — la « Bouche de la Vache, » située à la base d’un glacier élevé de l'Himalaya cen- 1. Élisée Reclus, op. laud., p. 207-220. — Art. /nde dans la Grande Encyclopédie. — Alexander Cunningham, The ancient Geographyof India. London, 1871, in-8, carte V. — Lassen, I, 55. 2. Art. Gange dans la Grande Encyclopédie. 190 LES PLANTES CIIEZ LES: HINDOUS tral, le Gange — la Gangä — court d’abord, comme simple torrent de montagne, dans la direction du Nord- Ouest; puis, après avoir reçu la Djahnavi, il tourne à l'Ouest et se fraye un passage à travers le massif de Kedarnath ; il continue encore de serpenter au milieu des contreforts de l'Himalaya, jusqu’à sa jonction avec l'Alakananda : arrose les vallées pittoresques de Dehra- Doun, retraite légendaire du héros épique Ràma, et débouche enfin dans la plaine à Haridwar; s'inflé- chissant alors au Sud-Est, il draine par ses affluents, les eaux de l'Himalaya méridional et de la plaine qu'il traverse. C’est déjà un fleuve puissant, quand il reçoit la Djoumna — Famund, — sortie comme lui des retraites intérieures de l'Himalaya, à 3328 mètres d'altitude, et non moins sainte que lui; elle lui apporte, par ses affluents de droite’, les eaux des monts Vindhya et Aravalli. Continuant toujours sa route vers le Sud-Est, le Gange recoit sans cesse de nouveaux affluents, à gauche la Goumti, sortie des marais du bas Himalaya; puis sur la droite, le Karamnas, «aux eaux maudites », venu des collines de Kaïmour; plus loin à gauche, la Goghra, descendue comme son affluent le Sarda, des profondeurs du haut Himalaya; à droite, le Son, né dans le plateau d’Amarkantak et dont le débit est, dans la saison des pluies, plus de mille fois supérieur à son débit ordinaire; puis à gauche, la Ghandak sortie des hauteurs du Népal, et le Kousi, qui recueille en partie les eaux des sommets de l'Himalaya oriental. Entin à 350 kilomètres de la baie du Ben- gale, le Gange, se divise en plusieurs branches, dont l'une va se confondre avec le cours du Brahmapoutre. 1. En particulier le Chambal, grossi de la Sipra et du Banas. SET bc ar, LA FLORE DE L'INDE 191 Sorti comme l'Indus', de l'important massif du Kaïlas, près du lac sacré de Mânasarowar, celui-ci sous le nom de Tsangbo, que lui donnent les Tibétains, coule d’abord dans la direction de l'Est, au fond d’une vallée à peine explorée. Grossi par les nombreux tri- butaires, venus soit de l'Himalaya, soit des montagnes du Tibet méridional, qui en font déja un fleuve consi- dérable, il contourne l'Himalaya, se dirige vers le Sud-Ouest, pénètre dans l'Hindoustan, sous le nom de Brahmapoutre « fils du Créateur », et réuni au Gange, après avoir recueilli les eaux de l’Assam, il forme avec le grand fleuve un vaste delta de 80000 kilomètres carrés, rempli d'iles recouvertes de jungles et d'impé- nétrables fourrés et entrecoupé d'un réseau inextri- cable de canaux. L’Inde présente dans sa constitution géologique et dans son climat les contrastes les plus grands. La Péninsule est, dans son ensemble, formée par des terrains primitifs ; schistes cristallins, gneiss, quartz, avec quelques granits, qu'ont recouverts, dans la partie du Nord-Ouest, des couches horizontales de roches basaltiques, qui ont fait éruption au début de l’époque tertiaire ; les trapps dont ces roches sont surtout composées, se sont décomposés, à la surface, en une sorte d'argile, appelée latérite, qui, d’une épaisseur souvent considérable, s'étend au-dessus des roches primitives du sous-sol; c’est cette latérite qui donne aux terrains du Dekkan, leur couleur rougeàtre carac- téristique *. Dans les vallées seules on rencontre quel- ques terrains d’alluvions. Ce sont les alluvions, au 1. Art. Brahmapoulra dans la Grande Encyclopédie. 2. Middlecott, op. laud., p. v. 192 LES PLANTES CIEZ LES HINDOUS contraire,quicomposentpresque en entierla plaineindo- gangétique; formées de lits de tourbe, alternant avec des dépôts de chaux, de sable et d'argile, elles ont successivement comblé la dépression, que le soulève- ment graduel de l'Himalaya avait laissée entre sa masse énorme et le plateau du Dekkan. Des ilots de terrains plus anciens, grès rouges ou verts, schistes, gneiss et granits, émergent seuls par place, comme des témoins de la constitution géologique primitive de l'immense plaine. Tels au Nord-Ouest les grès rouges, de la chaine salifère — Salt range, — et les couches de terrains primaires qui s’avancent du plateau de Malwa jusqu’à la Djoumna, et forment toute la vallée septentrionale du Son, ainsi que les roches basaltiques du Radjmabhal, qui expirent aux bords du Gange, près de son confluent avec la Kousi”. Non moins grandes que les différences présentées par la constitution des terrains sont celles qu'offre le climat de l'Inde. S'étendant des côtes de Ceylan, dans le voisinage de l'équateur, aux neiges du Karakoroum, qui recouvrent, à 3 900 kilomètres plus près du pôle, des pics élevés de 6 à 8000 mètres, cette immense contrée connait toutes les températures et tous les climats. « Tandis que dans certaines régions l'air est embrasé, il en est d'autres où l’homme ne peut séjourner à cause du froid et de la raréfaction de l’atmosphère”?. » Cependant si l’on considère le rempart des monts qui se dressent au-dessus des plaines du Gange et de l'Indus, comme un domaine géographique à part, on 1. Suess, La face de la terre., vol. I, p. 558, 589-591. — Vidal-Lablache, Atlas, 122, carte géologique de l'Inde. 2. Elisée Reclus, op. laud., p. 65. LA FLORE DE L'INDE 193 trouve que les zones de température moyenne se suc- cèdent assez régulièrement du cap Comorin aux pre- mières vallées himalayennes ; mais dans son ensemble la presqu'ile indo-gangétique est une des contrées les plus chaudes du globe; l’équateur de la plus grande chaleur moyenne passe immédiatement au Sud de la Péninsule, et la ligne isothermique de 24 degrés atteint dans les plaines septentrionales les premiers contreforts de l'Himalaya. La plus grande égalité de température se maintient naturellement dans les régions de l’Inde méridionale ; grace à l'influence modératrice des eaux et des brises marines, elle est presque constante sur les côtes. À mesure qu'on s'éloigne de la mer, les inégalités ther- miques deviennent plus fortes ; les chaleurs de l’été sont beaucoup plus intenses sur les plateaux du Dekkan que sur les côtes de Malabar ou de Coromandel, mais l'air y est plus sec et la chaleur moins accablante. Mais c’est la différence de latitude qui détermine sur- tout l'écart de température entre les diverses saisons ; écart qui va augmentant, quand on s’avance du Sud au Nord; la chaine des Satpoura, diaphragme géologique de l’Inde, peut être regardée comme for- mant aussi, au point de vue météorologique, une limite secondaire entre l'Inde septentrionale et le Dekkan. Dans cette dernière contrée l'écart est à peine de 5 degrés et il est encore moindre dans l’île de Ceylan; dans le Pandjab il est d'environ 26 degrés entre la température du mois le plus froid, janvier (9°), et celle de juillet, mois le plus chaud (35°)'. En été 1. Lassen, op. laud., vol. I, p. 218. — Élisée Reclus, op. laud., vol. VITE, p. 67-69. Jorer. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 13 194 LES PLANTES CIIEZ LES HINDOUS l'équateur thermal se replie vers le Nord de manière à passer sur cette région. Les Aryas, qui s'étaient établis dans les plaines du Nord, avaient divisé l'année en quatre ‘, en cinq* ou même en six saisons, les « six jeunes hommes », qui font tourner la roue de l’année*. Mais cette division est loin de convenir également à toutes les régions de l'Inde. En réalité les divisions nettement tranchées du climat s’y réduisent à trois : ce sont les saisons de la chaleur, de la pluie et du froid, cette dernière même à peu pres inconnue dans le Sud*'. Au point de vue de la végétation, c'est la pluie qui compte surtout, car sa venue ou son absence en détermine les progrès ou l'arrêt. En hiver, les vents du Nord-Est, qui arrivent des déserts arides de l'Asie centrale dans les plaines de l’Hindoustan sont dépouillés de leur humidité et ne déterminent que par des contre-courants des pluies rares et peu abondantes. Mais tout change au prin- temps; l'atmosphère de la Péninsule échauffée par les rayons du soleil, se dilate et s'élève en colonnes dans les régions supérieures ; « l'Inde entière se change en fournaise d'appel; les masses aériennes qui reposent 1. Le printemps, l'été, l’automne et la saison des pluies. Rig-Veda, lib. X, 90,6. 2, Atharva- Veda, lib. VI, 55,2. 3. Lassen, op. laud., vol. I, p. 219. — Heinrich Zimmer, Altindisches Leben. Die Cultur der vedischen Arier nach den Sarnhità dargestellt. Berlin, 1879, in-8, p. 40-42. — Ces six saisons sont l’automne carad, l'hiver hémanta, le printemps vasanta, Vété grishma, la saison des pluies varsha, et celle des brouillards cicira. 4. Le dixième livre de l’Afharva- Véda parle de six mois froids et de six mois chauds, livre VIII, 9, 17, c’est-à-dire six mois de pluie et six mois de sécheresse. LA FLORE DE L'INDE 195 sur l'Océan, saturées de vapeurs, s’ébranlent et se portent vers la Péninsule’. » C’est là ce qui constitue la mousson ; mais celle-ci ne se produit pas à la même époque, ni suivant la même direction, dans la mer d'Arabie et sur le golfe de Bengale. Dans la première elle souffle du Sud-Ouest, dans le second du Nord-Est?. Au commencement de juin s’amassent les premiers nuages de la tempête, ils s’avancent lentement vers la terre ; enfin ils atteignent les Ghates occidentales et aussitôt l'orage éclate ; les éclairs se succèdent sans interruption, la foudre gronde incessammentet la pluie s'abat en torrents. Après ce premier orage commencent les pluies régulières ; elles durent jusqu'au mois de septembre ; mais elles ne tombent pas partout avec la même intensité; c'est sur la côte de Malabar, qu'elles abordent de front, qu'elles sont le plus abondantes ; plus au Sud ou au Nord elles tombent avec moins de force ; il en est de même au-delà de la chaine des Ghates ; quand ils la franchissent, les nuages ont déjà perdu une partie de leur humidité ; ils arrivent presque épuisés sur le plateau central du Dekkan, et quand les vents qui les chassent atteignent la côte orientale, ils y apportent la sécheresse ‘et non la pluie. Mais tous les nuages de la mousson sont loin de franchir les Ghates ; arrêté par elles, le courant qui les apporte s’infléchit vers le Nord, aborde succes- sivement la presqu'ile de Goudjerat, et le delta de l’Indus, qu'il traverse, ainsi que le Sindh, sans ren- contrer d’obstacle, et en n’y répandant que quelques pluies d'orage; puis il atteint le Pandjab, où il ne Élisée Reclus, op. laud., p:'71. J 1: 2. J.-D. Hooker and Thomas Thomson, /"lora indica, p. 79. 196 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS détermine souvent aussi que des précipitations insuffi- santes ou irrégulières, et enfin les premiers contreforts de l'Himalaya, qui le font dévier vers l'Est”; là, les nuages qu’il entraine achèvent de déverser leurs eaux, et ils arrivent épuisés, quand ils atteignent l'Himalaya central. Au delà cependant, les vallées inférieures du Gange et du Brahmapoutre ne sont point privées de pluies même à cette époque de l’année, mais ce sont les vents du Levant qui les y amènent, devançant ainsi la mousson du Nord-Est. Celle-ci, qui commence en octobre, envahit d’abord le littoral du Bengale; vers le milieu du mois elle atteint la côte de Coromandel et arrose de ses eaux fécondes toute la presqu'ile orientale ; les pluies con- tinues cessent en décembre, et il ne tombe plus dans toute cette région que quelques orages ; au mois d'avril ceux-ci disparaissent complètement, et la période de sécheresse commence sur la moitié orien- tale du Dekkan, en même temps que la saison des pluies sur sa moitié occidentale”. Au Nord dans la plaine gangétique les choses se passent autrement; les pluies qui n'ont pas cessé pendant le printemps et l'été redoublent avec la mousson du Nord-Est ; poussés par les vents, les nuages s’engouffrent dans les basses vallées du Brahmapoutre et du Gange inférieur, et vont s'abattre en torrents sur les contreforts de l’Hi- malaya oriental; les pluies qu'ils déversent sur toute cette contrée coïncident avec la fonte des neiges, et « les fleuves grossissent à la fois des eaux que leur apporte le vent et de celles que leur envoie la mon- 1. Lassen, op. laud., vol. I, p. 21 2. Lassen, op. laud., vol. I, p. 21 LA FLORE DE L'INDE 197 tagne'. » La quantité de pluie qui tombe annuellement dans cette région, surtout dans le Sikkim, est énorme ; elle est cependant encore plus considérable sur les hauteurs qui dominent la rive gauche du Brahma- poutre; dans une vallée des monts Khasia elle atteint 16 mètres en moyenne. Elle dépasse à peine 7 mètres, ce qui est encore prodigieux, dans certaines vallées des Ghates occidentales ouvertes du côté de l'Ouest *. Ce sont là les hauteurs d’eau les plus grandes qui tombent dans l’Hindoustan ; elles diminuent singulie- rement, quand on s'avance vers le Sud ou vers le Nord-Ouest; dans les plaines basses du Travancore la moyenne des précipitations n’est plus que de deux mé- tres et d'un mètre seulement au cap Comorin, à l'extré- mité méridionale de la Péninsule ; elle peut descendre aussi de 1,50 à 1 mètre dans le Sindh et le Pandjab, ainsi que dans le haut bassin du Gange. Ces différences dans les quantités d’eau que reçoit le sol de l'Inde, la durée inégale surtout de la période pluvieuse ont une influence considérable sur la végétation de cette con- trée; « la où la chute d’eau moyenne est de 3 mètres à 3,79 ou davantage encore, là se développe dans toute sa fougue l’impénétrable forêt tropicale avec son feuillage toujours vert; dans les endroits où la précipitation varie de 1",50 à 2,50, les pentes des collines n'offrent plus qu'un fourré de bambous parsemé d’arbrisseaux *. » L'inégalité dans les précipitations aqueuses et dans la température de l’Inde a exercé, avec les différences 1. Élisée Reclus, 0p. laud., vol. VIIL, p. 78. 2. Hermann von Schlagentweit-Sakünlünski, Reisen in In- dien und Hochasien. lena, 1869, in-8, vol. [, p. 106. 3. Elisée Reclus, op. laud., vol. VIIT, p. 76-77. 198 LES PLANTES -CHEZ LES HINDOUS d'altitude, l'influence la plus grande, non seulement sur la croissance, mais encore sur la distribution des espèces végétales à la surface du sol hindou, non moins que sur les formes qui les caractérisent. Ce sont elles en particulier qui ont établi une distinction entre la flore tropicale et la flore non tropicale de cette contrée. La plus grande partie du Nord-Ouest, le désert de Thar et le Pandjab presque entier se rat- tachent à la flore des steppes de l'Asie antérieure, dont plusieurs représentants atteignent là leur limite orientale. Au Sud de cette région ont même pénétré de nombreuses espèces de la flore africaine ou déser- tique ‘. Au Nord, au contraire, dans la haute vallée de l'Indus et dans l'Himalaya occidental ce sont surtout des espèces européennes que l'on rencontre”. C’est à l'Est de cette double région que commence le domaine de la flore véritablement hindoustanique; exclusive- ment tropicale dans la presqu'ile proprement dite — plateau du Dekkan, côtes de Malabar et de Coro- mandel, — ainsi que dans l'ile de Ceylan ; flore tropi- cale encore dans la région himalayenne orientale jus- qu'à 900 mètres d'altitude, elle devient sous-tropicale, de 1 000 à 3 600 metres *. Variant avec la quantité plus ou moins grande de pluie, la nature du sol ou l'élévation de la température, la flore de chacune de ces contrées a revêtu un carac- 1. « More than nine-tenths ofthe Sindh vegetation... consists of plants which are indigenous in Africa ». J.-D. Hooker and Thomas Thomson, Flora indica, vol. I, p. 152. 2, Dietrich Prandis, The Forest Flora of North- West and central India. Préface, p. vi. — Oscar Drude, Æandbuch der Pflanzengeographie, p. 478. 3. J.-D. Hooker and Th. Thomson, Flora indica, vol. I, p. 101-114. LA FLORE DE L'INDE 199 tère particulier ; les espèces s’y sont diversement ré- parties et y ont pris un aspect différent et distinct. Sur les terrasses planes et humides du Teraï, le sol de gravier porte des sals et des sissous ‘, qui se dres- sent au-dessus des bambous et des palmiers nains. La dépression marécageuse qui s'étend au-dessous est complètement garnie d'herbes hautes et de roseaux, fourrés habités par le tigre etassez élevés pour cacher les éléphants *. Plus haut dans la montagne s'étend la forêt dont le développement est, surtout dans le Sik- kim et dans la région du Khasia, favorisé par l’abon- dance des précipitations aqueuses et l'humidité pres- que constante de l'atmosphère. « Variée dans ses formes, réunissant les représentants des climats tempéré et tropical, riche en teintes diverses, abondante en pro- duits les plus rares et à configuration la plus délicate, cette magnifique végétation, dit Hooker, ne se déve- loppe point sous l’action de l'haleine réchauffante d’un printemps serein, mais croit mystérieusement au mi- lieu des épais brouillards ; privée du ciel azuré et des rayons radieux du soleil, indifférente aux torrents de pluie qui l’inonaent, elle pousse, sans s’en inquiéter, ses bourgeons, ses fleurs et ses fruits. » = Les pluies abondantes des monts Khasia, en particu- lier, ont donné naissance à la végétation la plus luxu- riante et la plus variée ; toutes les vallées de ce pays privilégié sont couvertes de forêts éternellement vertes, et on y trouve réunies les espèces de la flore hindous- 1. Shorea robusta Gaertn. et Dalbergia Sissoo Roxb. 2. Grisebach, Die Vegetation der Erde, vol. II, p. 37. Trad., vol. IT, p. 48. 3. Mission to India. (Hooker’s Journal of Botany, vol. IF, NAGEDE 200 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS tanique et celles de la flore malaise ou de la Chine”. Dans les contrées plus occidentales de la même région himalayenne, Assam, Bhoutan, Népal, quoique les précipitations soient moins considérables, les pluies sont suffisantes pour entretenir la végétation arbores- cente ; les forêts de jungles s’y étendent surunelongueur d'environ 36°. Mais à l'Ouest du Népal, elles dimi- nuent d'importance et deviennent plus uniformes ; les espèces tropicales y disparaissent successivement, et dans la vallée de l’Indus elles font place aux plantes de la flore iranienne ou même européenne. Ces dernières apparaissent aussi, mêlées, à partir d'une certaine hauteur, aux espèces des tropiques dans les forêts de l'Himalaya; arrosées par les pluies des moussons et par la fonte des neiges, double source d'irrigation qui agit simultanément pour élever la limite des arbres, les pentes de la grande chaine offrent les conditions les plus favorables à la végétation forestière et herbacée. « L’Himalaya indien peut être considéré, dit À. Grisebach *, comme un groupe de cen- tres de végétation, où la nature a produit une énorme variété de formes... Par la richesse en végétaux ligneux qui lui sont propres, il l'emporte sur toutes les hautes montagnes de l’ancien monde. En exceptant les graminées, les genres européens dela plupart des autres familles se retrouvent ici enrichis par de nom- breuses espèces endémiques, et les espèces tropicales sont représentées au moins par quelques formes indigènes. » La prédominance de ces organisations 1. J. D. Hooker and Thomson, }lora indica, vol. I, p. 99. — Grisebach, op. laud., vol. Il, p. 40. Trad. IT, p. 52. 2. Die Vegetation der Erde, vol. IT, p. 56. Trad., Il, p. 72. LA FLORE DE L'INDE 201 particulières permet de caractériser les diverses ré- gions végétales de l'Himalaya. Ce qui distingue spécialement la végétation de la grande chaine hindoustanique, c'est le mélange de formes européennes et même arctiques ou sibériennes avec celles des tropiques, ainsi que des plantes immi- grées avec les plantes endémiques. Dans l'Himalaya occidental, des herbes vivaces tropicales, aussi bien que des plantes annuelles ayant une courte période de végétation, s'élèvent jusqu'aux forêts de la zone tem- pérée, où elles peuvent, durant l'été, parcourir les di- verses phases de leur vie végétative. Avec l’accroisse- ment de l’humidité et la diminution des différences entre les saisons, le même phénomène se reproduit au Sikkim pour d’autres plantes tropicales, insensibles à l’abaissement de la température. Dans les plus hautes régions de l'Himalaya indien, les végétaux de la zone arctique retrouvent par suite de la fonte graduelle de la neige hivernale, la période réduite de végétation qui correspond à leur développement, mais ils y sont mé- langés avec des espèces indigènes tellement analogues à celles de leur propre zone, qu'on peut se demander si celles-ci ne constituent pas autant d'espèces immi- grées ‘. L'Himalaya occidental présente également des formes de steppes, tantôt elles y habitent les régions alpines ; d’autres fois elles s'élèvent de la plaine du Pandjab dans le massif montagneux, qui, par l’inter- médiaire de l'Afghanistan, se rattache aux climats secs de l’Asie et de l'Afrique. La zone qui s'étend du Koumaon à la vallée de l’Indus est caractéristique à cet effet comme domaine de transition : sa flore ne ren- 4. Grisebach, op. laud., vol. IT, p. 57. Trad., Il, 73. 202 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS ferme que peu d'espèces indigènes, la plupart sont originaires des pays voisins. Ainsi la plupart des ar- bres forestiers paraissent fournis par l'Himalaya in- dien ; les plantes de steppe viennent du Tibet, et les plantes de la flore tempérée sont venues de la région du Caucase et de plus loin encore". Le Khasia et le Sikkim possèdent en commun dans leurs parties élevées beaucoup d'espèces de la région tempérée ; on en trouve même un certain nombre dans les Nilghiris, massif le plus considérable des Ghates occidentales, qui n'a de jungles forestières que dans ses vallées abruptes,et dont les hauteurs sont en grande partie déboisées. On y rencontre aussi plusieurs genres européens : gentianées, labiées, rosacées, qui font défaut aux plaines de la Péninsule. Mais c'est en plantes indigènes surtout que la flore de l'Inde tro- picale est riche. À l'exception du Cap, c’est dans la région des moussons que le chiffre de ces plantes est le plus considérable *. On a estimé que la flore indienne pouvait compter 12 à 15000 espèces, dont les trois quarts lui appartiennent en propre; mais ces espèces sont disséminées très inégalement sur tout le terri- toire *. C’est dans l’Assam, où se trouvent réunies les diverses végétations de l'Himalaya, du Khasia et du Bengale, que le nombre des espèces indigènes est le plus grand. Les districts arides sont naturellement bien moins riches que ceux qui sont placés sous un climat humide. Les plaines, ainsi que les collines de l’Hin- doustan, sont pauvres en plantes, et elles le seraient 1. Grisebach, op. laud., vol..If, p. 58. Trad., II, 74. 2. Grisebach, op. laud., vol. II, p. 58-61. Frad., vol. IF, p. 75-80. 3. J,-D. Hooker and Thomas Thomson, Flora indica, p. 91, | - TT AR LA FLORE DE L'INDE 203 encore davantage si pendant la saison pluvieuse on ne voyait pousser une foule d'herbes vivaces : légumi- neuses, scrofulariées, acanthacées, etc., qui n’offrent d’ailleurs que peu de variété, et dont la fleuraison même est de bien courte durée”. Dans la flore de l'Inde presque toutes les familles végétales du globe sont représentées, et elles y sont plus régulièrement réparties que dans la zone tem- pérée, mais le nombre de genres ou d'espèces qu’elles renferment est bien différent. Les légumineuses, les rubiacées et les orchidées sont celles qui en comptent le plus ; les urticées en contiennent aussi un nombre considérable ; les graminées, au contraire, y sont rela- tivement peu nombreuses. Mais les aurantiacées, les diptérocarpées, de même que la plupart des balsami- nées, semblent être originaires de cette région. Pres- que aucune de ses familles, toutefois, ne parait circon- scrite dans une région déterminée. Loin de là, il y a des espèces arborescentes qu’on rencontre également dans les contrées les plus éloignées. Néanmoins des montagnes d'une structure particulière, telles que celle du Khasia et des Nilghiri, semblent posséder plu- sieurs formes qui leur sont propres”. L'’altitude, la sécheresse ou l'humidité sont les facteurs qui agissent le plus énergiquement sur la répartition des espèces prédominantes. Certaines formes végétales, par exem- ple, tout en descendant très bas, sont limitées aux pentes montueuses de la région tropicale de l'Himalaya 1. « La végétation qui les couvre (les montagnes de l’Hima- laya), est monotone comme elles », dit Victor Jacquemont. Voyage dans l'Inde. Paris, 1841, in-fol., vol. II, p. 130. — Grisebach, op. laud.,xol®#1[,/p. 62° rad: "IT, 82: 2, Grisebach, op. laud., vol. If, p. 63. Trad., IT, 83. 204 LES PLANTES CIEZ LES HINDOUS et des Ghates et n’atteignent point la plaine propre- ment dite ; d'autres se rencontrent seulement dans les parties les plus humides de la chaîne himalayenne orientale et disparaissent progressivement à mesure qu'on pénètre dans la région plus aride du bassin de l'Indus !. | Un des traits caractéristiques de la flore tropicale de l'Inde c’est le grand nombre de végétaux ligneux qu'elle renferme et l'abondance des plantes volubiles qui y croissent, ainsi que des épiphytes fixés aux troncs des arbres qu'ombragent les sombres voûtes de la forêt”. Au milieu de cette variété si grande d’espe- ces, Grisebach a distingué certains types végétaux caractéristiques. Un des plus curieux est celui des palmiers, dont le tronc indivis porte à son sommet, non une couronne de rameaux, mais un feuillage lar- gement et subitement épanoui, flabelliforme ou penné, réuni en rosette. Ces arbres monocotylédonés, si nom- breux dans la région hindoustanique des moussons — on en compte plus de 123 espèces, — constituent le trait le plus saillant de la physiognomie du paysage tropical. Ils ne sont pas d'ordinaire de haute taille et quelques-uns mêmes ont des proportions naines; d’'au- tres, les plus nombreux, affectent la forme de lianes; mais plusieurs aussi comptent parmi les espèces végé- tales les plus grandes, tel que le Corypha parasol”, qui, au Malabar et dans l’ile de Ceylan, atteint 22 me- tres de hauteur, tel surtout que le cocotier“ des îles 1. Grisebach, op. laud., vol. IT, p. 67. Trad., II. p. 89. 2. Grisebach, op. laud., vol: 11, p. 8-Trad MP MD J. Costantin, La nature tropicale. Paris, 1899, in-8, p. 27. 3. Corypha umbraculifera L. &. Cocos nucifera L.; Grisebach dit, op. laud., vol. If, p. 10 LA FLORE DE L'INDE 205 Andaman, dont le tronc s’élève parfois jusqu'à 30 mè- tres. En leur qualité d’arbres toujours verts, les palmiers exigent un contingent constant d’eau fourni par les racines ; aussi la variété de leurs espèces augmente avec l’intensité et la durée des précipitations aqueuses, comme avec l'accroissement de la température. Quel- ques-uns réclament les climats arides, tel que le pal- mier à éventail’, qui habite les plateaux desséchés de Mysore, mais ne pousse plus sur le Gange supérieur près de Dehli. Pour cette raison les formes de pal- miers sont moins variées et moins nombreuses dans l'Inde antérieure* que dans le reste de la Péninsule. La plaine supérieure du Gange n’en possède qu'une espèce, le dattier sauvage ; sur la côte peu arrosée du Car- natic, on ne trouve aussi que quatre palmiers de haute taille, dont un seul même indigène. Les forêts hu- mides du littoral d’Orissa elles-mêmes en renferment encore assez peu ; le nombre ne s’en accroît considé- rablement que lorsqu'on entre du Bengale dans le bassin si puissamment arrosé du Brahmapoutre *. Outre l'humidité et la chaleur les palmiers ont besoin de beaucoup de lumière ; aussi croissent-ils dispersés au milieu des forêts à essences feuillues, s’écartant des ombrages épais pour recevoir les rayons du soleil, ou, lorsqu'ils sont assez grands, s’élevant au-dessus de la couronne des arbres dicotylédonés. (13) que le cocotier est originaire de l'Amérique tropicale ; Hooker, Flora of British India. London, 1894, vol. VI, p. 483, l'indique, d’après Kurz, comme indigène dans l’ile d’Andaman. 1. Borassus flabellifer L., flabelliformis Roxb. 2. Elle n’en compte que 19 espèces. 3. Grisebach, op. laud., vol. 11, p. 10-12. Trad., II, 14-13. 206 LES PLANTES CIEZ LES HINDOUS Les différences qu'on remarque dans la végétation des palmiers tiennent à leurs dimensions, à la forme cylindrique ou renflée de leur tronc, à sa flexibilité ou à sa rigidité, aux épines de certaines espèces, ainsi qu'aux racines aériennes destinées à servir d'appui à l'arbre. Tandis qu’en Afrique le palmier nain n’appa- rait qu'au Nord, à la limite septentrionale de l’ancien continent, dans le domaine des moussons on trouve des palmiers nains à feuillage persistant dans les con- trées les plus chaudes de la zone tropicale; tel est le Nipa des côtes des Sanderban et de Ceylan, qui enfonce ses organes souterrains dans le sol limoneux du littoral et élève rarement de quelques pieds au- dessus de ce dernier son tronc que couronne une puis- sante rosette de feuilles pinnatifides de 4 à 8 mètres de longueur, une des formations les plus remarquables de l’océan Indien”. Les palmiers-lianes — les rotangs, ainsi qu'on les appelle du nom d’une espèce du Sud de l'Hindous- tan, — diffèrent des palmiers à haute taille en ce qu’en leur qualité de végétaux volubiles, ils s'appuient sur les arbres des jungles et s'élèvent sur eux à une hau- teur considérable ; leur tige, qui n’a pas besoin de se soutenir par elle-même, n'a souvent que la grosseur du doigt, mais parfois elle prend en grimpant d'un arbre à l’autre, un développement extraordinaire ; on a pu suivre des troncs de rotangs sur une distance de plusieurs centaines de pieds, sans atteindre leur extré- mité. Souvent ils se cramponnent à l’aide de vrilles épineuses produites par le prolongement de leurs pé- 1. Grisebach, op. laud., vol. IT, p. 13. Trad., vol. I, p. 16. — Hooker, op. laud., vol. VI, p. 424. LA FLORE DE L'INDE 207 tioles, et les épines dont les gaines de leurs feuilles se trouvent ordinairement hérissées sont bien plus fortes encore ‘. Ce sont ces rotangs, répandus partout dans les forêts du domaine des moussons, qui, plus que toute autre liane volubile, rendent les jungles indiennes inaccessibles, et offrent aux grands fauves de la ré- gion un refuge assuré. On ne peut y pénétrer qu’en se frayant un passage à coups de hache. Les pandanées, qui prennent place à côté des pal- miers, en différent par une rosette composée de feuilles simples et recourbées, ainsi que par leur tronc divisé en plusieurs branches. J. D. Hooker a représenté * un de ces arbres dans la vallée de la Tista, qui, haut de OÙ pieds, se cramponne aux rochers par ses racines adventices, comme par autant de câbles. Les panda- nées semblent, d'après leur constitution, avoir moins besoin de l'absorption constante de l’eau par leurs racines que de l'humidité atmosphérique qui s'oppose, non moins que leur rigide feuillage, à l'évaporation de la sève”. Aux pandanées on peut joindre les dracénées, qui représentent les liliacées arborescentes dans la région hindoustanique des moussons. On peut aussi en rapprocher le bananier, genre de la famille voisine des scitaminées, caractéristique de la flore des jungles de l’Hindoustan oriental. Son axe très court porte des feuilles alternes, qui, munies d’une gaine large et longue, sont terminées par un limbe très développé, garni en dessous d’une nervure dorsale saillante. En s’emboitant les unes dans les autres, ces gaines simu- lent une tige uniquement composée de parties appen- 1. Grisebach, op. laud., vol. If, p. 14. Trad., IT, 17. 2. Himalayan Journals. London, 1854, in-8, vol. Il, p. 9. 3. Grisebach, op. laud., vol. II, p. 15. Trad., IT, 20. 208 LES PLANTES CUEZ LES HINDOUS diculaires et au sommet de laquelle s’étalent les lim- bes réfléchis des feuilles ; ce qui donné à la plante le port et l'aspect d’un palmier. Un régime spiciforme, allongé et recourbé, qui sort du milieu des feuilles, complète l’analogie ‘. Parmi les végétaux ligneux monocotylédonés, les bambous se distinguent comme les palmiers, par une grande variété de formes et par une extension encore plus étendue. Leur taille ordinaire est de 3 à 16 mèe- tres; mais il est des espèces dont le tronc atteint au delà de 32 mètres de hauteur. L'épaisseur du tronc varie entre 3 décimètres et quelques millimètres. La couleur de leur feuillage varie du vert pur aux teintes jaunes mates. Les bambous épineux sont plus bas; leurs tiges entrelacées entre elles forment des fourrés presque impénétrables. La plus grande longueur est atteinte par les espèces à végétation de lianes, dont les branches, munies de délicates touffes de feuilles, pendent éléganment de la couronne des arbres qu'elles enlacent. Semblables à des roseaux gigantesques, leurs stipes s’élancent du sol, où gazonnent leurs sou- ches entremêlées, et s’inclinent ensuite de tous côtés en décrivant des arcs de verdure”. Si, sous l'influence de précipitations abondantes, ils poussent pour ainsi dire à vue d'œil, ils peuvent aussi supporter un climat sec et les arrêts forcés que le manque d'humidité amène dans leur développement; partant ils sont aussi bien indigènes dans les forêts humides que dans. les savanes arides, et ils peuvent même prospérer à une température relativement basse. 1. H. Baiïllon, Dictionnaire de Botanique, vol. I, p. 359. 2. Grisebach, op. laud., vol. II, p. 14. Trad., II, 18. É ee Dh nn EE LA FLORÉ DE L'INDE 209 Les fougères arborescentes de la région tropicale de l'Himalaya oriental terminent la série des formes végétales à tronc ligneux non ramifié. Peu élevées dans la majorité des cas et n’atteignant guère la. cou- ronne des essences dicotylédonées qui les ombragent, on les rencontre dans les forêts et les montagnes, où s'accumule et se condense la vapeur aqueuse, appor- tée de la surface des mers, et où domine cette tempé- rature uniforme qui rend possible une végétation non interrompue *. Malgré l'abondance des diverses formes de monoco- tylédonées dans les forêts tropicales de l'Hindoustan, ce sont les arbres dicotylédonés néanmoins qui en constituent de beautoup l'élément dominant; mais leur variété est si grande qu'il est difficile de prendre aucune espèce pour type déterminant ; on peut et on doit toutefois signaler certains caractères particuliers que présente la végétation de quelques espèces. Si dans leur ensemble les essences forestières de la ré- gion tropicale n'égalent pas d'ordinaire en hauteur les espèces des pays tempérés, il en est quelques-unes cependant qui s'élèvent fort haut, tel que le rasamala” qui atteint jusqu'à 25 mêtres d'altitude, et surtout le qurjun *, le plus grand des arbres des forêts de l’'Hin- doustan, dont le tronc mesure parfois 60 mètres, mais a ceci de remarquable que, sur une longueur de 16 à 20 mètres, il ne subit au-dessous de la couronne aucun amincissement notable, condition de force re- quise pour supporter le poids énorme des branches. 1. Grisebach, op. laud., vol. IT, p. 16. Trad., IT, 21. . 2. Allingia excelsa Noronha. 3. Dipterocarpus turbinatus Gaertn.— J.-D. Hooker, /ima layan Journals, vol. IT, p. 318. Jorer. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 14 210 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Chez les végétaux, dont la ramification descend très bas, comme dans le type des bombacées, le même but est atteint par le gonflement du corps ligneux. A cet effet. servent bien plus fréquemment les tablettes li- gneuses ou bandes verticales, qui font saillie au bas du tronc des arbres tropicaux. Ces excroissances ou sup- ports, qui ne se forment ou n'entrent en fonction que quand l'arbre a atteint un certain âge et que sa cou- ronne à acquis un certain développement, sont rem- placés dans d’autres cas par des racines aériennes qui se détachent librement du tronc”. L'échafaudage de racines aériennes, qui, dans les végétaux appartenant aux formes de banians et de mangliers, servent d'appui aux couronnes de feuilles et les rattachent énergiquement les unes aux autres, manifeste, de la manière la plus frappante, la tendance naturelle que les arbres semblent avoir de se consoli- der sur le sol. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que ces racines aériennes lignifiées ne viennent point de la surface latérale du tronc, mais croissent sur les bran- ches de haut en bas. « Chez le banian* et chez toute une série d’autres espèces de figuiers tropicaux, le tronc principal reste faible et même assez bas jus- qu'au point de sa ramification ; il germe, à ce qu'il parait, presque toujours à titre de parasite sur d’autres arbres, tels que les palmiers, qu'il embrasse de ses premières racines aériennes et finit par étouffer. Une fois les supports de ses propres branches assurés, le développement de ces dernières en sens horizontal devient illimité. Les supports sont convertis en nou- 1. Grisebach, op. laud., vol. If, p. 18. Trad., II, 23. 2. Ficus indica Roxb. ou bengalensis L., appelé aussi par- fois « figuier des pagodes. » LA FLORE DE L'INDE 211 veaux troncs, et l'on voit alors les couronnes se suc- céder comme pour former autant de dômes d’une seule colonnade”. » [ci les figuiers ont pour appui leurs pro- pres racines aériennes, leur tronc n'étant pas en état de leur en offrir un à lui seul. Dans d’autres cas, comme chez la Wightia*, les racines aériennes s’enla- cent autour des arbres voisins”, ou bien leurs trones mêmes deviennent deslianes, passant ainsi de la forme indépendante à la forme volubile par une transition que nous ont offerte déjà certains palmiers, et qu’on rencontre encore dans d’autres familles. C'est à soutenir le tronc lui-même non moins que l’'échafaudage des branches que servent les racines adventives chez les palétuviers ou mangliers. « Bordant les côtes tropicales, dont le sol uni consiste en limon fortement argileux, les troncs rabougris de ces arbres couronnés de coupoles d’un feuillage luisant, s'élèvent de 3 à 9 mèêtres au-dessus de la surface de la mer, dont les flots pénètrent dans leur enceinte forestière. A l’époque du reflux on voit, mises à nu, les racines qui, surgissant en guise d’ares-boutants ramifiés, plon- gent par leur extrémité inférieure dans le sol limo- neux et supportent par l'autre extrémité le tronc qui se balance librement dans les airs. Sur un sol mou, qui chaque jour se trouve deux fois fortement sub- mergé par la mer, la germination de la semence et la 4. Grisebach, op. laud., vol. IT, p: 20. Trad., IT, 25. 2. Wightia giaantea Wall., plante de la famille des Scro- phulariées, dont les racines adventives enlacent le tronc de l’arbre-support, à côté duquel elle se dresse. J.-D. Hooker, Himalayan Journals, vol. I, p. 16%. 3. Un autre exemple de cette végétation aérienne et parasite nous est offerte par le l'icus parasitica Kœn., F. Ampelos Roxb. — Brandis, The Forest Flora, p. 420. 12 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS fixation de la radicule seraient impossibles ; c’est pour- quoi les fruits, allongés en silique et suspendus verti- calement, ne se détachent des branches-mères que lorsqu'ils ont donné naissance à un nouvel arbre, qui. semblable à un vaisseau reposant sur plusieurs ancres, est assez fortement étayé, pour résister au mouvement des vagues”. » Les feuilles des arbres dicotylédonés de l'Hindous- tan n'offrent pas, dans leur formation, de caractère moins distinctif que leur tronc ; le plus important et le plus général est la solidité et la persistance, consé- quence de la température uniforme et de la durée de la période pluvieuse. La flore de la région des mous- sons est la plus riche en arbres toujours verts. Le type de laurier, qui en est une des formes caractéristiques, est le plus fréquent qu'on rencontre dans les jungles de l'Hindoustan tropical. Les forèts humides de cette vaste contrée sont riches en espèces de certaines fa- milles qui appartiennent à ce type, telles que les ru- biacées, les urticées et anonacées, sapotacées, com- brétacées, guttiferes et myristicées, myrtacées, magnoliacées, hamamélidées et diptérocarpées, etc. Tandis que la persistance des feuilles est un des traits caractériques des arbres de la zone tropicale, quelques essences font exception et perdent, comme cela a lieu pour tant d'espèces soudaniennes, leurs feuilles pen- dant la saison sèche. Tel est le teck, verbenacée à feuilles dont le diametre dépasse un pied, et qui tom- bent dès que la saison sèche commence ?. 1. A. Grisebach, op. laud., vol. IL, p. 20. Trad., II, 26. — A.-F.-W. Schimper, ?flanzen-(Geographie auf physiologischer Grundlage. Jena, 1898, in-8, p. 426. 2. A. Grisebach, op. laud., vol. II, p. 22. Trad., I, 29. LA FLORE DE L'INDE AY Le type le plus fréquent, après la forme de laurier, est celui du tamarin, à feuillage toujours vert aussi, mais composé ; il est représenté par des légumineuses, sapindacées, méliacées et térébinthacées. Par le dé- croissement graduel du nombre des organes, latéraux, la forme de tamarin passe graduellement à un type fohiacé plus simple, comme dans le paläça ”, dont les feuilles n'ont que trois divisions, de dimensions çon- sidérables, il est vrai. Chez les aurantiacées même, la feuille originellement pennée se change en feuille iudivise de laurier, à la suite de la suppression des sections latérales, qui se trouvent cependant encore indiquées par l'articulation et la forme du pétiole. Lorsque des jungles humides de l'Himalaya indien on passe dans les plaines arides du Pandjab, le contraste des climats se manifeste dans les formes végétales, et l’on voit les feuilles simples du laurier faire place au type composé des feuilles propres aux mimosées épimeuses ; on retrouve encore ces dernières, associées au palàca dans la région chaude et presque dénuée de pluie du Dekkan *. La transition de la forme de laurier à la forme d'olivier, et de celle-ci à la forme foliaire grêle des essences résineuses, se trouve représentée dans certains conifères indiens, les podocarpes, qui habitent les monts Khasiaet l'Himalaya tropical; quant aux feuilles aciculaires des autres conifères qui, de persistantes qu'elles sont d'ordinaire, deviennent caduques chez le mélèze® du Népal et du Bhoutan, elles dispa- raissent complètement dans les casuarinées de la côte 1. Butea frondosa Roxb. 2. À, Grisebach, op. laud., vol. IT, p.23. Trad., II, 30. 3. Larix Griffithii Hooker. 214 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS orientale du Bengale, chez lesquelles l’activité du feuillage est remplacée par des branches aphylles”. Les végétaux ligneux à basse tige, qui forment le sous-bois des forêts de l'Asie antérieure, sont bien plus nombreux dans les jungles et les régions fores- tières de l'Hindoustan ; on y trouve des fourrés de menus bois composés particulièrement de buissons appartenant aux formes d'oléandre et de myrte — mé- lastomacées, rubiacées, éricacées, urticées. — Dans les parties arides de Ja Péninsule, les végétaux ligneux, petits bambous, arbustes épineux et autres formes qui rappellent les maquis, forment presque à eux seuls les jungles, au milieu desquelles se dressent quelques arbres rabougris, qui perdent leurs feuilles pendant la saison d'été. Plus le sol devient aride et le climat sec, plus le nombre des arbustes épi- neux augmente ; l'on passe ainsi, dans la plaine du Nord-Ouest, d’une manière insensible de la flore tro- picale à celle des steppes de l'Asie antérieure ou même des déserts de l'Afrique”. Parmi les plantes non ligneuses des forèts tropi- cales, les scitaminées, les aroïdées et les fougères her- bacées offrent les formes les plus caractéristiques par la configuration particulière de leurs feuilles et par leur mode de croissance. Par leurs feuilles, les scitaminées, dont le groupe indien le plus important est celui des zingibéracées, ressemblent au bananier; leurs tiges groupées en faisceaux peuvent atteindre jusqu’à près de einq mètres, mais leur tronc reste tendre et her- bacé, Des épis floraux, resplendissants de belles teintes 4. J.-D. Hooker, The Flora of British India, vol. V, p. 655 et 598. — A. Grisebach, op. laud., vol. IT, p. 24. Trad. II, 31 2, A. Grisebach, op. laud., vol. IT, p. 31. Trad., IF, 40. LA FLORE DE L'INDE 215 rouges ou orangées, s'élèvent soit du bas de la tige, soit de son sommet”. Les aroïdées se font remarquer par une rosette de feuilles longuement pétiolées, souvent sagittées ou cordées à leur base et qui atteint parfois des dimen- sions colossales. Agglomérées le long des cours d’eau, elles animent de leur luxuriante végétation les rives, sur lesquelles on les voit surgir du fond du sol limo- neux. Malgré l'énorme quantité d’eau qu'exige leur développement, elles croissent également au milieu des fourrés des jungles, et parmi les épiphytes des arbres. Le développement des feuilles prédomine éga- lement chez les fougères herbacées ; revêtant le sol ou tapissant les rameaux des arbres de la variété de leurs formes, ces gracieux végétaux, par la diversité que leurs frondes présentent, soit dans leurs dimen- sions, soit dans leur configuration, occupent le pre- mier rang parmi les plantes verdoyantes qui recher- chent l’ombrage des forêts humides. Le nombre de leurs espèces et leur fréquence s’accroit avec la fréquence des précipitations aqueuses ; abondantes dans le Bengale et dans la région orientale de l’Hima- laya exposée aux pluies de la mousson, elles dispa- raissent sur les plateaux arides à l'occident de la Péninsule”. Si quelques plantes vivaces, telles que les acantha- cées, si richement représentées dans la flore hindous- tanique, passent fréquemment, sous les tropiques, aux formes frutescentes, par suite de la lignification des parties inférieures de la tige, d’autres espèces : bégo- 1. A. Grisebach. op. laud., vol. If, p. 32. Trad., IT, 40. 2. A. Grisebach, op. laud., vol. IT, p. 32. Trad., Il, 41. 216 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS niacées des forêts humides, balsaminées des diverses régions de l'Inde antérieure, présentent un phénomène tout différent; leur tissu reste tendre et translucide. La forme la plus singulière est offerte par les népen- thées, sous-arbrisseaux de la région forestière des montagnes équatoriales, qui rampent sur le sol ou sur la surface de la roche, et chez lesquelles les feuilles se convertissent en grosses outres pleines d’eau pota- ble et suseeptibles d’être fermées à l’aide d’un cou- vercle'. L'énumération des formes végétales herbacées de la flore indienne serait incomplète, si je ne rappe- lais en finissant, parmi les plantes aquatiques, les nymphéacées, dont une espèce en particulier, le Ne- lumbium, répandue dans l'Inde entière, a pris, nous le verrons, un caractère symbolique qui la recommande déjà à l'attention. Nous arrivons maintenant aux deux formes caracté- ristiques.de la végétation tropicale, celles du moins qui en forment le tableau le plus riche : les lianes et les épiphytes. On rencontre des plantes volubiles sous tous les climats; mais nulle part ces plantes ne se comptent en aussi grand nombre que dans la région des tropiques *, ni n'’appartiennent à autant de familles différentes; on trouve dans l'Inde des lianes dicotylé- donées à tronc mince et Jigneux parmi les légumi- neuses, les euphorbiacées, les urticées, les ampélidées ; quelques familles, comme les sapindacées, les mélas- tomacées, les olacinées, les gentianées, les pipéracées, les laurinées, renferment des genres caractéristiques à cet égard; d’autres, comme les convolvulacées, les cucur- 1. A. Grisebach, op. laud., vol. I, p. 33. Trad., II, 45. 2. A.-F.-W. Schimper, Pflanzen-Geographie, p. 212. LA FLORE DE L'INDE 217 bitacées et les asclépiadées, ne sont composées que de plantes volubiles ; il en est de même de la famille mo- nocotylédonée des dioscorées et du genre smilax; les bambous, les aroïdées, les fougères mêmes et surtout les palmiers en renferment un nombre considérable ”. Chez ces plantes le grossissement du tronc est sa- crifié au développement des parties constitutives de la tige; mais cette dernière devient incapable de sup- porter le poids des organes latéraux; ce soin est réservé aux arbres ou aux Corps voisins qui servent d'appui. Le poids des parties supérieures, le contact avec les corps étrangers, ainsi que l'influence de la lumière, modifient la tension des tissus et par suite la direction de l'axe ; en même temps, les jeunes pousses se transforment en organes divers propres à servir de crampons. « Adhérant au tronc comme le lierre, l’enlaçant comme le houblon, ou s’y fixant à l’aide de vrilles comme la vigne, les plantes volubiles des tropiques ajoutent à ces caractères des formes connues de la zone tempérée, l’entrelacement réci- proque de leurs axes aphylles dans leurs parties infé- rieures, et vont, tantôt en s’élevant, tantôt en s’enla- çant ou en s’enroulant en spirales, dissimuler dans le dais de la forêt leurs fleurs et leur feuillage. Elles jouissent de la faculté qui leur est propre de passer d'un appui et d'un arbre à un autre, qu’elles enlacent en suivant sa surface verticale ou inclinée, où bien en restant suspendues à sa cime. Elles se cramponnent d’ailleurs tout aussi bien aux pentes abruptes des rochers qu'aux arbres, parce qu'elles empruntent 1. À. Grisebach, op. laud., vol. IT, p. 26. Trad., Il, 33-34. — O. Drude, Handbuch, p. 233. Trad. G. Poirault. Paris, 1897, in-8, p. 215. 218 LES PLANTES CIHIEZ LES HINDOUS leurs substances nutritives au sol et non à leurs supports‘. » On donne le nom d’épiphytes aux plantes fixées non au sol, mais sur d’autres végétaux, sans toutefois qu'ils empruntent leur sève à ces derniers. Ils diffe- rent en cela des parasites, les loranthées par exem- ple, qui, sans former de racines, perforent jusqu'à l’aubier l'écorce des arbres, sur lesquels 1ls sont fixés, vivent du liquide qui monte du sol jusqu'aux feuilles et circule dans les parties externes des cou- ches ligneuses. Pour les épiphytes proprement dits, au contraire, les troncs et les branches des arbres leur servent seulement de support; ils empruntent leur nourriture à un substratum inorganique, qui recoit les précipitations aqueuses de la forèt ou bien aux préci- pitations elles-mêmes dont ils pompent l'eau par l’ex- trémité de leurs racines. « Parfois aussi leurs racines aériennes leur procurent le moyen d’absorber l'humi- dité du sol, lors même qu'ils se trouvent éloignés de ce dernier ; d'autres fois ils trouvent un aliment suffi- sant daus les insignifiantes quantités de substances inorganiques accumulées par les vents sur les saillies du tronc et fécondées par l’humus que fournit la putréfaction de l'écorce, des mousses et des feuilles mortes, maintenues humides par la pluie*. » On com- prend dès lors que, avec la nature du milieu, l'endroit où se fixent les épiphytes peut changer; ainsi le bulbe d’une orchidée peut aussi bien adhérer à un rocher qu'à un tronc ligneux, tandis que les parasites vérita- bles ne peuvent être transplantés de l'arbre qui les 1. A. Grisebach, 0p. laud., N, p. 25. Trad., IL, 32. 2. A. Grisebach, op. laud., vol. I[, p. 27. Trad., Il, 35. - A.-F.-W. Schimper, Pflanzen-Geographie, p. 214. é LA FLORE DE L'INDE 219 porte sur le sol, ou même de cet arbre sur un autre. Les épiphytes croissent en nombre prodigieux dans les forêts humides de l'Inde tropicale, et leur variété dépasse de beaucoup même celle des lianes ; aussi il ne saurait être question de leur assigner de forme déterminée, les plantes les plus diverses pouvant pousser sur tous les supports où l'humidité leur permet de germer, et où il est possible à leurs racines de se fixer. Celles qui se développent le plus souvent dans les forêts de la région des moussons appartiennent, soit à la forme d’oléandre, soit à la famille des érica- cées, des mélastomacées, des solanées, des urticées, des scitaminées, des aroïdées, des fougères surtout et enfin des orchidées qui occupent une place à part parmi ces végétaux aériens, et qui, par la structure si diverse, les dimensions et le coloris de leurs fleurs, semblent rivaliser avec les insectes brillants auxquels leur corolle sert d'appui”. C'est dans les forêts humides de la zone équato- riale que sont répandues surtout les orchidées ; com- munes déjà dans le Sikkim, elles sont encore plus nombreuses dans les monts du Khasia; Hooker en a compté 250 espèces dans cette dernière région ?. Elles s y élèvent souvent à d'assez grandes hauteurs ; le voyageur-botaniste dit avoir trouvé dans un bois de chênes rabougris, non loin de Nurtiung, à l'altitude de 1 000 à 1300 mètres, d'énormes quantités de Vanda caerulea. Exposée à l'air et au soleil, avec une tempé- rature médiocrement élevée, cette gracieuse plante AN Grisebach,.0p. "Vaud. wol. Ip 29 Trad; Il, 37, — Drude, Æandbuch, p. 233-237. 2. Himalayan Journals, vol. Il, p. 321. 220 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS n'en croit pas avec moins de vigueur, et ni le froid de l'hiver, ni la sécheresse de l’automne ne la font périr. Dans ces mêmes conditions, ajoute Hooker, prospe- rent les plus belles orchidées de l'Hindoustan. Il cite des espèces, du genre Cypripedium entre autres, qui habitent des régions froides et élevées de plus de 1500 mètres dans le Khasia et de 2000 à 2300 me- tres dans le Sikkim'. Leurs tubercales permettent à ces plantes de supporter un long temps d’arrèt dans leur croissance et, grace aux matières nutritives qui y sont tenues en réserve, après être demeurées des mois entiers dans un état complet de stagnation végé- tale, elles reprennent la faculté de produire de nou- velles feuilles et de charmants épis de fleurs”. IT La multiplicité des formes végétales que je viens de signaler dans la flore de l’Inde peut déjà donner une idée des ressources qu'elle offrait aux habitants de cette contrée pour leur alimentation et pour tous les usages de la vie. Aucun pays de l’ancien monde n’en présentait autant. Ni l'orge, ni le blé, n’y étaient in- digènes, il est vrai, et les Aryens durent les apporter du dehors avec eux; mais ils y trouvèrent d’autres gra- minées alimentaires, en particulier le riz, qui croît spontanément dans les marais du Radjpoutana, le Sik- kim, le Bengale, les monts Khasia, les provinces cen- 1. Himalayan Journals, vol. IF, p. 32 2, A. Grisebach, op. laud., vol. I, p. 22. 30. Trad., I, 38. LA FLORE DE L'INDE 221 trales et les Circars ‘; le coracan, indigène dans toutes les parties basses de Ja Péninsule*?; divers panies, qu'on rencontre dans les régions chaudes, du Pandjab à la Birmanie et à Ceylan’. L'Inde ne produit à l’état spontané ni petits pois ou pois chiches, ni fèves, ni lentilles; mais elle renferme d'autres légumineuses, non moins utiles, des genres haricot, cajan, Dolichos et Mucuna‘, sans parler des espèces arborescentes dont les graines peu- vent être mangées. On y trouve aussi de nombreuses cucurbitacées, én particulier le concombre, probable- ment le melon, ainsi que la calebasse, des Womordica et des Luffa”. L'Inde produit encore en abondance nombre de plantes herbacées où aquatiques, nym- phéacées, amarantacées, chénopodées, dioscoréacées, aroïdées, cypéracées, etc., dont les feuilles, les tiges ou les racines sont comestibles. Les fleurs mêmes et les feuilles de certains arbres peuvent entrer dans l'alimentation. Enfin cette vaste contrée est la patrie des condiments des plus recherchés ; on n'y rencontre point, sans doute, à l’état sauvage l'ail, l'oignon, le poireau où l’échalotte, pas plus que l'aneth, le cumin et la coriandre; mais on trouve dans le Nord une espèce de moutarde, et la région tropicale produit les 1. Roxburgh, Flora indica, vol. Il, p. 200. — J. D. Hooker, The Flora of India, vol. VII, p. 92. — Fr. Kærnicke, Die Arten und Varietäten des Getreides, p. 227. 20Hooker, The Flora; Nol MIT, p:1293: 3. Roxburgh, Flora indica, vol. I, p. 283, 302, 304, ete. — Hooker, The Flora, vol. VIF, p. 10, 78 et 82. &. Roxburgh, Flora indica, vol. IT, p. 302-322, — G. Watt. Dictionary of the economic products of India. London, 1889- 1893, in-8, vol. VI, 1, p. 364-368. 5. Hooker, Ælora, vol. Il, p. 613-620. 222 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS épices les plus précieuses : le gingembre, le carda- mome, le poivre et la cannelle !, Mais c'est surtout en arbres à fruits que la flore de l'Inde est d’une richesse vraiment prodigieuse. Si l’on fait abstraction de quelques poiriers”, peut-être de deux espèces de pommiers”, de trois cerisiers*, d’un ou deux sorbiers”, qui, ainsi que plusieurs espèces d'épines-vinettes®, de vignes‘ et de groseilliers*, le micocoulier, le noyer et deux coudriers”, croissent spontanément dans la région tempérée ou alpine de l'Himalaya, mais ne viennent que là, l'Inde propre- ment dite ne produit à l’état sauvage, le grenadier excepté, aucun des arbres fruitiers de l'Asie anté- rieure "; mais que d'espèces indigènes aux fruits re- cherchés offre en échange cette immense contrée ! Presque toutes les familles végétales : dilléniacées, tiliacées et rutacées, rhamnées, anacardiacées sur- tout et saxifragées, myrtacées, cornacées, rubiacées et sapotacées, myrsinées, ébénacées, boraginées et ver- 1. Hooker, The Flora, vol. VI, p. 247 et 251; vol. V; p.132 et 90. 2, Pyrus communis L., variolosa (pashia) et vestita Wall. 3. Malus communis Desf. et baccata Des. 4. Cerasus padus Bois., puddum Roxb. et prostrala Labillar- dière. 5. Sorbus lanata Don Prodr.,et ursina Wenz.(foliosa Wall.). 6. Berberis vulgaris L., asiatica Roxb. et nepalensis Spren- gel. 7. Vitis carnosa Wall. indica L., lanala, latifolia et parvi- folia Roxb. 8. lirbes grossularia, nigrum et rubrum L., glaciale Wall. et orientale Poiret. 9. Corylus colurna L. et feroxæ Wall. 10. La plupart des espèces d'arbres qui précèdent, à l’excep- tion des vignes, du grenadier et du pommier, ne sont même pas cultivées dans l'Inde proprement dite. LA FLORE DE L'INDE 223 bénacées, urticées et euphorbiacées, scitaminées et palmiers, etc., en contiennent quelques-unes, incon- nues de l'Asie occidentale et à plus forte raison de l'Europe. Un autre trait qui distingue la flore de l'Inde de celle de l'Occident, c'est le grand nombre de plantes aromatiques que renferme ‘ presque toute la région tropicale ou semi-tropicale : baumiers du Sindh et du Bengale oriental * ; olibans des forêts du bas Hima- laya* et de l'Inde centrale ; santal blanc du Dekkan*; nard de l'Himalaya moyen”; patchouli de Ceylan et de la péninsule occidentale °; bois d'aloès de l'Assam et des collines de Khasia”; Fe des lieux ombragés du Concan et de la côte de Coromandel * ou des pentes élevées du Cachemire”; enfin nombreuses espèces d'andropogon dans les régions les plus diverses de l'Inde ”, etc. L'Inde n'est pas moins riche en plantes propres à l'industrie ou aux usages domestiques les plus divers qu'en plantes alimentaires : plantes tinctoriales ou tan- 1. Watt, Dictionary, vol. VI, 1, p. 134-139. 2. Balsamodendron mukul Hook., Roxrburghii Arn., pubescens Stocks. — Hooker, Flora, vol. I, p. 529 3. Bosiwellia serrata Stackh., thurifera Roxb.—J.-D. Hooker, Himalayan Journals, vol. I. p. 29, dit avoir rencontré sur les collines de Bihar une petite forêt d'olibans, dont les troncs exsudaient en abondance une gomme translucide et odorante. 4. Santalum album L. (Asiatice Researches, vol. IV, p. 257). 5. Valeriana Wallichii DC. ou Jatamansi Jones. (Asialic Researches, vol. IV, p. 451), Nardostachys Jatamansi DC. 6. Pogostemon Patchouli Pel., Origanum indicum Roth. 7. Aquilaria agallocha Roxb. Flora indica, vol. I, p. 422 : Costus speciosus Sm.(Asia/ic Researches, vol. XII, p. 3 Fi 9. Saussurea lappa Clarke, Aucklandia costus Falc. 10. Andropogon citratus DC. nardus L., schænanthus L. (mu- ricatus Retz.), tvaruncusa Jones (laniger Desf.). 22% LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS nifères, textiles, bois de charpente ou de charronnage, combustibles, abondent et abondaient encore plus autrefois dans la Péninsule, aussi bien que dans l'Hindoustan. S'ils n’y sont peut-être pas indigènes, le sésame, le ricin et le carthame, ces plantes oléa- gineuses par excellence de l'Asie antérieure, y sont acclimatés, ainsi que plusieurs sénevés, depuis un temps immémorial. Et les graines ou les fruits des espèces appartenant aux familles les plus diverses: guttifères, menispermacées et méliacées, célastrinées et anacardiacées, légumineuses, rosacées et combré- tacées, sapotacées et euphorbiacées, etc., fournis- sent des huiles comestibles, médicinales ou industriel- les'. Le nombre des plantes indigènes dans l'Inde, dont on peut retirer de la gomme ou de la résine, n’est guëre moindre ; on en trouve dans la plupart des familles que je viens d’énumérer, ainsi que dans celles des rubiacées, des asclépiadées de l'Inde tropicale, et des conifères de la région himalayenne*. Un nom- bre considérable de familles, entre autres les bur- séracées et les anacardiacées, les légumineuses et les rhizophorées, les combrétacées et les Iythrariées, les euphorbiacées * et les cupuliféres, renferment aussi de nombreuses espèces riches en tanin. Les plantes tinctoriales ne sont pas moins communes dans l'Inde que les plantes oléagineuses ou gommi- fères ; si le carthame n’y est que cultivé, sile safran y est exotique, la garance y est indigène; Vindigotier parait bien aussi y croitre spontanément, et les feuilles 1. Watt, Diclionary, vol. V, p. 454. 2. Watt, Dictionary, vol. JV, p. 183 et vol. VI, 1, p. 437-886. 3. Brandis, Flora, p. 62, 118, 158, 217, 222-25, 239, 444- 452, . LA FLORE DE L'INDE 225 et les fleurs, l’écorce ou les racines des végétaux les plus divers: anacardiacées, légumineuses, rubiacées et sapotacées, apocynées et euphorbiacées, scitami- nées, etc., renferment des principes colorants, dont beaucoup ont dû être connus dès l'antiquité la plus reculée. Les textiles sont encore plus répandus dans l'Inde que les plantes tinctoriales, gommifères ou tannifères. Le lin, le textile dont ont fait surtout usage les ancien- nes populations de l’Asie antérieure, le chanvre, si usité depuis bientôt deux mille ans dans l'Occident, ne se rencontrent peut-être à l’état spontané que dans la ré- gion himalayenne du Nord-Ouest", et l’Inde ancienne semble avoir ignoré l'emploi de leurs fibres ; mais les textiles les’ plus précieux — il suffit de citer ici le cotonnier, — et fournis par les familles les plus diffé- rentes : malvacées et tiliacées, légumineuses, asclé- piadées, urticées, etc., abondent dans toutes les pro- vinces de l'Hindoustan et de la Péninsule. Enfin, la flore hindoue renferme nombre de végétaux d'espèce et de nature très diverses — bouleaux de la région . élevée de l'Himalaya, saules de ses vallées et de celles du Pandjab, rotins du Siwalik et du Teraï, palmiers de la Péninsule, cypéracées des régions marécageuses, bambous et autres grandes graminées de l’Inde presque entière *, — qui peuvent être et ont, de temps immé- morial, été utilisés dans la sparterie et la vannerie. 1. Hooker ne les considère même que comme cultivés ou naturalisés dans cette région. Flora, vol. I, 410 et V, 437. 2. En particulier les Calamus, les Borassus et les Corypha, les Typha, les Bambusa et les Arundinaria, les Dendroca- lamus et les Thamnocalamus. — Drury, The useful Plants, p. 83, 96, 159, 435, 6% et 180. — Brandis, p. 559-570. Jorer. — Les Plantes dans l'antiquité. II — 15 226 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Quelque grand que soit le-nombre des plantes in- dustrielles de l'Inde, dont je viens de parler, celui des essences de cette contrée propre aux travaux du charronnage, de la charpente ou de l’ébénisterie est encore plus considérable. Le bois de la plupart, sinon de la totalité, des arbres à fruits, celui également d’une partie des espèces qui fournissent le tanin, la résine et la gomme ou renferment des fibres textiles, peuvent ètre employés à ces travaux; mais combien d’autres essences y conviennent et mieux encore ! Il n’est pres- que point de famille végétale, celles même qui ne sont représentées en Europe que par des plantes herbacées ou à peine frutescentes, qui ne renferme dans l'Inde tropicale quelques espèces arborescentes, propres aux ouvrages de charronnage ou d’ébénisterie. Ces essences varient d’ailleurs quand on passe de la région tempérée ou glacée du bas ou du haut Hima- laya ou du climat aride du Sindh et d’une partie du Pandjab à la plaine largement arrosée du Gange ou au plateau brülant du Dekkan. Dans le Sindh et le Pandjab méridional nous rencontrons les rares repré- sentants de la flore arborescente du désert, ses acacias et ses mimeuses en particulier. Dans la région monta- gneuse et froide du Nord-Ouest et dans les hautes vallées de l'Himalaya nous trouvons une végétation forestière qui rappelle celles des contrées élevées de l’Asie antérieure; les mêmes genres, sinon toujours les mêmes espèces, y croissent: érables', qui s'élèvent parfois aux plus grandes altitudes, mais préfèrent d'ordinaire la région intermédiaire de l'Himalaya ou 1. Acer caesium, caudatum, laeviqatum, oblongum et villo- sum Wall., pictum Thunb., etc. LA FLORE DE L'INDE 9297 même celle du Siwalik ; frênes !, ormes * et charmes * des hauteurs moyennes ; chênes‘ répandus dans le puissant massif de l'Hindoustan septentrional, de l'Indus à l'extrémité Est du Bengale, ainsi que les castanopsis * du Bhoutan, du Népal et du Sikkim; aunes®, bouleaux ’, en particulier le 4hurja, et saules pouvant atteindre aux plus grandes hauteurs; peu- pliers des régions moins élevées”, et dont une espéce, le peuplier de l'Euphrate — bahan —, descend jus- que dans le Sindh; cèdre déodara — devadaru — des montagnes du Nord-Ouest ; ifs et cyprès ”, gené- vriers ”, sapins" et pins * du haut et moyen, et pin à longues feuilles — sarala — du bas Himalaya, mélèze"* et podocarpe"” du Bhoutan et du Népal. Et dans les au- 1. Fraxinus excelsior L., floribunda et zanthoxyloïdes (moorcroftiana) Wall. 2. Ulmus integrifolia Roxb., parvifolia Jacq., wallichiana Planchon. 3. Carpinus faginea Lindley, viminea Wall. &. Quercus semecarpifolia Smith, lex L., lanuginosa Don., incana Roxb., dilatata Lindley, annulata Smith, etc., à l'Ouest ; serrala Thunb., lamellosa et spicala Smith, plus à l'Est, etc. 5. Castanopsis indica et tribuloides DC. 6. Alnus nepalensis D. Don., nitida Endl. 7. Betula acuminata et bhojpattra Wall. 8. Salix tetrasperma Roxb., amorphylla Bois., Wallichiana, elegans, insignis, oxycarpa And., etc., dans l'Himalaya occi- dental; sikkimensis, daltonia, longiflora And., etc., plus à Est et ichnostachys dans le Dekkan. 9. Populus alba L., eiliata Wall., microcarpa Hooker. 10. Cupressus lorulosa Don. 11. Juniperus recurva, excelsa DC., etc. 12. Abies dumosa Lond., excelsa DC., Smithiana Forbes, Webbiana Lindl. 13. Pinus excelsa et Gerardiana Wall., longifolia Roxb. 14. Larix Grifjithii Hooker. 15. Podocarpus neriifolia D. Don. 228 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS tres régions de nombreuses espèces de presque toutes les familles végétales : dilléniacées et magnoliacées, gut- tifères, par exemple le Mesua ferrea — le kiñjal ou itron-wood — du Bengale oriental et de la Péninsule ; tamariscinées et diptérocarpées, entre autres le Sho- rea robusta — çâla — du sous-Himalaya et de l'Inde centrale ; malvacées et sterculiacées, tiliacées, rutacées et méliacées, comme le #imba — Melia azadirachta, — Je rohitaka — Amoora rohituka, — le tunna — Cedrela toona, — le Chloroxylon swietenia — satin- wood — et le Chichkrassia tabularis, des provinces centrales et méridionales ; sapindacées et anacardia- cées, comme le piyäla”; légumineuses surtout, telles . que le paläça, le tinisa, le cicapa et le blackwood ou bois de rose, le bija et le bois de fer”, divers prosopis et acacias, des provinces occidentales, centrales ou méridionales; combrétacées, comme les asana, arjuna, haritaki, tusha*; myrtacées et lythrariées, cornacées, rubiacées et sapotacées, ébénacées, en particulier les Diospyros melanoxzylon — tinduka, — montana et ebe- num ; olémées et apocynées, comme le saptaparna — Alstona scholaris — ; boraginées, bignoniacées et ver- bénacées, tel que le cdka ou teck * du Dekkan, urticacées et euphorbiacées mêmes, répandues de l'Himalaya sous-tropical au cap Comorin”. L'existence de tant d’essences arborescentes dans 1. Buchanania latifolia Roxb. 2. Butea frondosa Roxb., Ougeinia dalbergioides Benth., Dalbergia sissoo et latifolia Roxb., Plerocarpus marsupium Roxb. et Xylia dolabriformis Benth. 3. Terminalia tomentosa W.-\., arjuna Bedd., chebula Ret- zius, et bellerica Roxb. 4. Tectona grandis L. o. Watt, Dictionary, vol. II, p. 1-2; IV, 300-301. st > ie. on LA FLORE DE L'INDE 229 l'Inde, un des caractères de la flore tropicale, montre combien cette contrée était riche en bois de construc- tion, de même qu’en combustibles. Si l’on ajoute que beaucoup de ces arbres et d’autres, que je n'ai pas cités, comme le Æharnikära, les kharvallika et kovi- dära ”, le mandära, les cirisha et julibrissin, le patali*, etc., ainsi que de nombreux arbrisseaux appar- tenant aux familles les plus diverses, magnolias”, camélias, aucubas, fusains, le Phi/adelphus coronaria, des sumacs, la Colutea nepalensis et la Casalpinia pulcherrima, \a Sesbania aegyptiaca, des chèvre- feuilles * et des viornes de l'Himalaya, des gardénias et des rhododendrons”, le lilas de l'Émode, des troènes, jasmins° et lauriers-roses, des clérodendrons ‘et gatti- liers*, se faisaient remarquer par la beauté de leur feuillage, l'éclat ou le parfum de leurs fleurs ; que de non moins nombreuses plantes herbacées ou sous-frutes- centes sont tout aussi recherchées, on reconnaitra que les habitants de l'Inde trouvaient dans la flore indi- gène tout ce qui pouvait les charmer, comme tout ce qui était nécessaire à leurs besoins. 1. Plerospermum acerifolium Willd., Bauhinia purpurea et variegata Roxb. 2. Erythrina indica Vam., Albizzia lebbek et julibrissin Bois. et Siereospermum suaveolens DC. 3. Michelia champaca L. et excelsa Blume, Schizandra grandiflora H. R., etc. 4. Lonicera augustifolia Wall., spinosa Jacq., myrtillus Hf., quinquelocularis Hardw., orientalis Lam., etc. 5. Rhododendrum arboreum Sm., campanulatum et Antho- pogon Don., lepidotum Wall. 6. Jasminum sambac Aiton, arborescens (latifolium) Roxb., hirsutum Willd., grandiflorum L., etc. 7. Clerodendron phlomoïdes L., infortunalum L., inerme Gaertn., serratum Spreng., siphonanthus R. Brown. 8. Vitex negundo et trifolia L. 230 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS IT On voit par ce qui précède quelles ressources im- menses la flore de l'Inde offrait aux habitants de cette vaste région; mais quelles populations les mirent à profit et s’en servirent pour les divers usages de la vie, depuis leur établissement dans la Péninsule jusqu’à l’origine des temps modernes. On ignore comment fut colonisée l'Inde antique ; tout ce que l’on peut dire, c'est qu'au moment où cette contrée entra en rapport avec les nations occidentales, elle était habitée par deux peuples d’origine et de races différentes‘: les « immigrants », tribus au teint blanc et de race cau- casique, au Nord ; les « aborigènes », peuplades dra- vidiennes à la peau noire, divisées en plusieurs groupes * et répandues au sud des monts Vindhya et dans le Bengale; de race caucasique peut-être aussi”, elles se distinguaient par là des tribus inférieures éparses dans la chaine des Vindhya; mais les unes, comme les autres, étaient par la religion, ainsi que par la langue, différentes des populations du Nord de l'Inde”. . Lassen, Zndische Alterthumkunde, vol. T, p. 360. . Vivien de Saint-Martin, £tude sur la géographie et les Me primilives du di Ouest de l'Inde d’après les hymnes védiques. Paris, 1860, in-8, p. 127-138. — Lassen, 0p. laud., vol. 1, p. 362 PRE Altindisches Leben. P. "118. — K. “Horatio Bickerstaie Rowney, The wild tribes of India. London, 1882, in-8, p. Ix. 3. Lassen, 0p. ve x [, p. 409. 4. Lassen, op. laud., vol. I, p. 383. — Zimmer, op. laud., p. 114-115. — S. Lefmann, Geschichte des alten Indiens, p. 27. LES LABLM'ANTS' DE L'INDE Do) D'origine aryenne et étroitement apparentées aux peuples de l'Iran, celles-ci avaient pénétré dans l'Hin- doustan à une époque relativement récente, bien posté- rieure du moins à celle de l'établissement des tribus dravidiennes, qui les avaient précédées dans la Pénin- sule. Après s'être séparées des autres peuples de la famille gdo-européenne, elles avaient, à une époque antéhistorique, occupé, sous le nom commun d’Arÿens, les bassins supérieurs de l'Iaxarte et de lOxus ; mais après un séjour plus au moins prolongé dans cette région de paturages, une scission eut lieu entre les deux peuples frères, et franchissant les défilés de l’'Hindoukouch, les ancêtres des Hindous pénétrèrent, longtemps avant l’époque des Védas, dans la vallée de Caboul, et de là dans le haut bassin de l’'Indus — le Sindhu, — vers 2000 ans avant notre ère. Puis après avoir chassé où exterminé les tribus dravidiennes — les Dasyus des hymnes védiques", — ils s’établirent dans la région des septrivières — les Sapta Sindhavas, — le Pandjab actuel, et dans la vallée moyenne de l'Indus*, après de longs combats”, dont les chants des Rishi ont gardé le souvenir*. Divisés en plusieurs tribus indépendantes et parfois 1. Alfred Ludwig, Die Mantralitteratur und das alle Indien, als Einleitung zur Uebersetzung des Rigveda. Prag, 1878, in-8, p. 208 et suivantes. — G. Oppert, On the original inhabitants of Bharatavarsa or India.(The Madras Journal of Literature and Science, vol. VI, 1887-1888, p. 40). 2. Rig-Veda, lib. Il, 12, #. — Max Duncker. Geschichle des Alterthums, vol. HE, p. 11. 3. H. Zimmer, Altindisches Leben, p. 104%. — S$S. Lefmann, op. laud., p. 31-32. Sri VedasA Indra, bp 6083 M-1550T,3, 55 VT, 147, 2907 ZPNETC: 232 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS hostiles', ils continuerent leur marche vers l'Est, occu- pérent le bassin dela Yamund— la Djoumna, — puis celui de la Gang — le Gange, — chassant-toujours devant eux les populations indigènes, dont les débris furent rejetés dans les vallées de l'Himalaya ou refou- lés vers le Sud-Est, au delà des monts Vindhya*. A la fin de l'époque épique la puissance des Aryeng s’éten- dait sur tout le territoire compris depuis L’Himavant — l'Himalaya — jusqu'à une ligne courbe tracée au Nord des monts Vindhya, de l'embouchure de la Vaitarani, près du cap Palmyra, à l'Est, à la pointe de la pres- qu'ile de Suràäshtra — Goudjarate — à l'Ouest”. Tel fut l’Aryäavarta « demeure des Aryens », com- posé des puissants royaumes des Magadha, des Koçala, des Bharata, des Mathila, des Kaci, etc.*. Au dela de ces frontières ne devaient guère s'étendre les conquêtes ou les établissements militaires des Hindous ; mais leurs colonies religieuses devaient singulièrement les dépasser. Celles-ci pénétrerent, à l'Est, jusqu’au delà des bouches de la Gangà, au Nord dans les contre- forts de l'Himalaya et en particulier dans le Cache- mire, déjà occupé d’ailleurs à l’époque védique par des tribus aryennes”; enfin elles s’avancèrent au Sud, le long des côtes du Dekkan, jusque dans l'ile de Ceylan, dont la conversion au brahmanisme a été 1. H. Zimmer, op. laud., p. 123-133. — $S. Lefmann, op. laud., p. 160-166 et 320-325. 2. G. Oppert, op. laud., p. 51. — H. Zimmer, op. laud., p. 107. 3. S. Lefmann, op. laud., p. 335. 4. Max Duncker, op. laud., vol. I, p. 245. 9. Chr. Lassen, op. laud., vol. I, p. 515. — H. Zimmer, op. laud., p. 102 et 541. > LES HABITANTS DE L'INDE 233 chantée par Välmiki dans le Râämäyana'. La civilisa- tion aryenne avait ainsi conquis l'Inde tout entière; le bouddhisme devait la répandre bien au delà des fron- tières naturelles de la Péninsule et multiplier les rap- ports de cette contrée avec les pays voisins. Depuis longtemps elle était en relations politiques avec l'Iran. Cyrus avait peut-être, dès le vr° siècle, soumis la tribu des Gandariens, voisine de son empire. Darius, du moins, subjugua toutes celles du Nord-Ouest, et il envoya de la ville de Caboul — Kaspyros — des explo- rateurs, qui, sous la conduite de Scylax, descendirent l'Indus, pénétrérent dans la mer Érythrée et débar- quèrent dans le golfe arabique. Les tribus soumises formèrent une satrapie perse, et l’on vit des soldats hindous dans l’armée que Xerxès envoya contre la Grèce”. La conquête iranienne avait mis en rapport l'Inde avec l'Asie antérieure, l'expédition d'Alexandre établit pour quatre siècles des relations suivies entre cette contrée et le monde hellénique. Les pays qu'il avait subjugués furent abandonnés, il est vrai, par Séleucus à Candragupta — Sandracottos; — mais un traité d'alliance fut signé eutre les deux souverains, et une fille du prince macédonien épousa même le roi hindou*. Un siècle après, un successeur de Candra- gupta, Acoka, parle des négociations qu'il avait enga- 1. Max Duncker, op. laud., vol. II, p. 282-284. — $. Lef- mann, 0p. laud., p. 548-552. 2. Hérodote, /istoriae, Lib. VIII, cap. 113. — Chr. Lassen, op. laud., vol. If, p. 112-114 — Max Duncker, op. laud., vol. III, p. 294. 3. Chr. Lassen, op. laud., vol. IT, p. 119-120. — $S. Lefmann, op. laud.; p. 714-760. — Albert Grünwedel, Buddhistische Kunst in Indien. Berlin, 1900, in-12, p. 75. \ 234 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS gées avec les rois des Javanas — les rois grecs de Syrie et d'Égypte. — L'établissement en Bactriane d’une dynastie grecque, dont la domination s’étendit jusque dans le bassin de l’Indus, plus tard la fondation d’une monarchie indo-hellénique dans le Pandjab même, établirent d'une manière victorieuse l'influence de la Grèce dans l'Inde; mais en même temps celle de l'Inde se fit à son tour sentir dans l'Asie antérieure hellé- nisée; ses doctrines religieuses et philosophiques y pénétrèrent avec la connaissance de son climat, de sa faune et de sa flore. Toutefois cette pénétration fut lente et tardive ; la plus grande partie de l'Inde même resta toujours ignorée des Grecs. « Il y a, rapporte Strabon”, bien peu de Grecs qui jusqu'ici aient pu explorer l'Inde, et ceux-là mêmes qui l'ont visitée n’en ont vu que des parties et comme en courant, et ils ont parlé de tout le reste sur de simples ouï-dire. » Lorsque le célèbre géographe faisait cette remarque, il y avait à peine cinq siècles que les premiers Grecs avaient visité l'Inde, et c'est depuis lors seulement qu'on avait commencé à entrevoir, dans l'occident, ce qu'était cette contrée mystérieuse « la plus peuplée du monde”», comme le remarquait Hérodote. Homère en avait ignoré jusqu'à l'existence. Ctésias et Hérodote en connaissaient uniquement ce que les récits inté- ressés ou mensongers des Perses leur en avaient ré- vélé ; aussi leur apparaissait-elle comme un pays demi- fabuleux et aux merveilleux produits. Hérodote parle L. Leopold von Schroeder, Zndiens Literatur und Cultur in historicher Entwickelung. Leipzig, 1887, in-8, p. 307. — S. Lefmann, op: laud., p. 809. 2. Geographica, lib. XV, cap. 1, 2. 3. Historiae, Dib. IF, cap. 94. PT CP PT LA FLORE DE L'INDE D'APRÈS LES GRECS 239 de ces arbres qui ont pour fruits une laine surpassant en beauté et en bonté celle des troupeaux". Suivant Ctésias, sur les bords de l’Indus croissait une espèce de roseau, si gros que deux hommes pouvaient à peine l’'embraser et dont la tige atteignait presque en hau- teur un mât de vaisseau”. Les palmiers de l'Inde, dit- il ailleurs, donnent des fruits, trois fois plus gros que les palmiers de la Babylonie. Il parle aussi d’une plante à fleurs rouges qui croit près des sources du fleuve Hyparque et fournit une pourpre supérieure à celle des Grecs. Il y a dans les montagnes de la même région, raconte-t-il encore, un arbre, le siptakhora, qui distille pendant trente jours de l’ambre, et dont les fruits d’une saveur douce se mangent verts ou séchés. Dans un autre passage conservé par Suidas, il décrit un arbre non moins singulier, le #yro- rhodon, de la taille du cèdre ou du cyprès, mais dont les feuilles sont plus larges que celles du palmier, et qui laisse suinter de ses fleurs stériles une huile rou- geàtre et épaisse d'un parfum exquis”. On voit tout ce qu'il y a de vague et d'incertain dans ces descriptions; l’inexactitude et la fantaisie sont encore poussées plus loin dans celle du parebon, arbre cultivé seulement, dit Ctésias*, dans les jardins royaux. « De la grandeur d’un olivier, cet arbre ne portait ni 1. Historiae, lib. INT, cap. 106, 3. 2. De rebus indicis, frag. 6. Cf. Victor Ball, On the identifi- cation of the Animals and Plants of India, which were known to early Greek authors. (Proceedings of the royal irish Aca- demy, Sér. 2, vol. I (1885), p. 336). — Charles Joret, La Flore de l'Inde d'aprés les écrivains grecs. Paris, 1901, in-8, p. 7. 3. De rebus indicis, frag. 13, 19, 21, 22 et 28. — La Flore de l'Inde, p. 13-18. 1. De rebus indicis, fragm. 18. La Flore de l'Inde, p. 10-13. 236 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS fleurs, ni fruits; mais il avait quinze racines, d’une grosseur considérable et qui s’enfonçaient profondé- ment dans la terre... Un morceau d’une de ces racines, de la longueur d'un ampan, attirait à lui l’or, l'argent, le cuivre, tout, excepté l'ambre; de la longueur d’une coudée il attirait les agneaux et les oiseaux; un grain suffisait pour coaguler l’eau et mème le vin. Nous sortons ici du domaine de la réalité; nous y rentrons avec Néarque, Onésicrite, Aristobule et Mégasthène. Les trois premiers avaient accompagné Alexandre et descendu avec lui le cours de l’Indus ; le quatrième, envoyé par Séleucus en ambassade auprès de Sandracottos, avait parcouru presque toute la val- lée du Gange'; aussi, malgré plus d’une inexactitude et un penchant trop fréquent à l'éxagération, nous ont-ils laissé d'inappréciables renseignements sur les produits de l'Inde. Ce qui les frappa avant tout, c’est la fécondité prodigieuse de cette contrée et le caractère particulier de sa flore si différente de celle de la Grèce. La terre, suivant Mégasthène?, y produit chaque année deux récoltes. Érathostène parle aussi des dou- bles semailles qu'on faisait dans l’Inde en hiver et en été, et il ajoute que cette contrée est riche entre toutes en arbres fruitiers et en plantes à racines, sur- tout en roseaux de haute taille et d’une saveur natu- rellement douce. Arbres, arbustes, herbes, remarque Théophraste”, qui les a suivis, sont dans l'Inde, à un petit nombre d’exceptions, tout autres que dans la Grèce. 1. Strabon, Geographica, lib. XV. cap. 1, 36. 2. Ap. Strabon, Geographica, lib. XV, 1 cap., 20. 3. [Historia plantarum, lib. IV, cap. 4, 5. Théophraste a mis aussi à profit les observations faites par les savants attachés à l'armée d'Alexandre. LA FLORE DE L'INDE D'APRÈS LES GRECS 231 Onésicrite vante la grosseur de certains arbres de la Péninsule, « dont cinq hommes auraient peine à embrasser le tronc », et, dans sa description du royaume de Musican, il parle de grands arbres, dont les branches, après avoir atteint douze coudées, se recourbent jusqu'à ce qu'elles aient atteint le sol, où elles prennent racine pour repousser comme autant de tiges nouvelles. Aristobule raconte également avoir vu sur les bords de l’Akésine de ces arbres aux brauches retombantes et aux dimensions telles que cinquante cavaliers pouvaient se tenir à l'ombre dessous’. On reconnait là le figuier des Banians ou de l'Inde. Théo- phraste, dans son Histoire des Plantes, en a décrit aussi l'immense coupole et les racines adventives, « qui donnent naissance à autant de troncs nouveaux et forment comme un rempart autour de l’arbre, sous la cime ombreuse duquel les hommes viennent s’abriter comme sous une tente »; mais, par une erreur singu- lière, il lui attribue des feuilles de la largeur d’un bouclier *. Aristobule cite encore, parmi les végétaux de l’Inde, un arbre qui porte des gousses de la longueur de dix doigts et toutes pleines de miel, mais mortelles pour ceux qui en mangent’. Théophraste en a parlé égale- ment, ainsi que d'un grand arbre aux fruits gros et savoureux, dont se nourrissaient les gymnosophistes. Il mentionne encore, en le distinguant à tort du précé- dent, un autre arbre aux feuilles oblongues de la lon- 1. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 1, 21. Onésicrite dit quatre cents. 2. Historia plantarum, lib. IV, cap. 4, 4. 3. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 1, 21. — La Flore de l'Inde, p. 28. 238 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS oueur de deux coudées et semblables à des ailes d’au- truches, de même que deux espèces d'ébéniers, et il dit que, dans plusieurs provinces, croissaient de nom- breux palmiers’. Néarque rapporte que la laine de certains arbres — Théophraste en a donné la descrip- tion — servait à faire les tissus les plus fins, et il remarque que, sans le secours des abeilles, certains roseaux produisaient du miel. Il y avait aussi, dit-il, dans l'Inde”, un arbre dont les fruits enivraient. Enfin ces écrivains, Onésicrite en particulier, ont insisté sur le grand nombre de racines salutaires ou nuisibles, de poisons et de plantes tinctoriales, que renfermait cette contrée. Suivant Onésicrite encore, la partie méridionale de la Péninsule, produisait, aussi bien que l'Arabie et l'Éthiopie, le cinnamome, le nard et les autres parfums”. Ainsi peu à peu la connaissance de la flore de l’Inde et de quelques-uns de ses produits les plus recherchés. pénétrait chez les Grecs; voyons quel parti en avaient tiré les habitants de cette contrée, restée si longtemps mystérieuse et ignorée. _— . Historia plantarum, hb. IV, cap. 4, 5, 6, 8. . Strabon, Geographica, b. XV, cap. 1, 20. . Strabon. Geographica, Gb. XV, cap. 1, 22. Le C2 CHAPITRE SECOND LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE ET DANS L HORTICULTURE Alors qu'ils vivaient en commun avec leurs frères de l'Iran, les Aryens connaissaient déjà la culture des céréales ; ils continuérent de s'y livrer après leur entrée dans le bassin de l’Indus, et ils lui donnèrent une extension plus grande, quand ils eurent formé des établissements durables dans la région fertile du Pandjab. D'après un poète védique, c’étaient les Acvins eux-mêmes, ces divinités bienfaisantes, qui avaient été les promoteurs, sinon les inventeurs de l’agriculture. « En semant le grain avec la charrue, à Acçvins’, en donnant la nourriture aux hommes, en sonnant du bakura — cor de guerre — contre les Dasyus, vous avez procuré au peuple des Aryens un grand bonheur. » Suivant l’Atharva-Véda*, le labourage et l'ensemence- ment (des terres), remontaient à Prithi Vainya, fils de Manu Vaivasvata, le père des mortels, et depuis lors «les hommes en vivent ». « Lorsqu'ils eurent réussi, dit le Vishnu Puràäna*, à se mettre à l'abri dans des lieux sürs, entourés de fossés et de palissades, et qu'ils se furent construit des habitations pour se dé- 4. Rig-Vedaä, lib. I, 117, 21. 2.-Lib. VHI, 10, 24. 3. Lib. I, cap. 6. DA 240 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS fendre du chaud et du froid, les hommes se livrèrent au travail qui devait les faire vivre, ils cultiverent les céréales et divers légumes. » Quoi qu'il en soit de ces récits, à l’époque védique déjà l’agriculture occupait une place importante dans la vie des anciens Hindous, la première après l’élève du bétail’. « La charrue, dit un ancien poète”, en labourant donne la nourriture ». Les habitants de l'Inde le savaient bien; aussi dès longtemps tinrent-ils en honneur la culture des terres. La religion boud- dhique promettait le ciel à ceux qui plantent des jar- dins et défrichent des forêts”. Mais il ne suffit pas de labourer le sol ; il faut, pour qu'il produise, que les Dieux protecteurs de l’agri- culture, Pushan et Savitar le bénissent et le protègent, et que les eaux fécondantes du ciel, « joie des champs », les arrosant en temps opportun, fassent germer et pousser les moissons. « La pluie nous vient des Dieux, lit-on dans le Mahäbhàärata*, elle donne les plantes desquelles dépend le bien-être des hommes. » De là les invocations si fréquentes adressées par les anciens Hindous aux Dieux des eaux et de l'orage”. Le pays où ils s'établirent tout d'abord était loin de recevoir une quantité d'humidité toujours suffisante. Sous le climat brûlant de l'Inde la végétation exige des préci- pitations aqueuses considérables ; quand les pluies se 1. H. Zimmer, op. laud., p. 235. 2. Rig-Veda, lib. X, 117, 7. 3. P. Minaïeff, Recherches sur le Bouddhisme, trad. par Assier de Pompignan. Paris, 1894, in-8, p. 166. 4. Adi-Parva, Distique 1721. 5. Rig-Veda. Aux Maruts, lib. If, 34, 1; V, 53, 5-6 ; 57,5; 58, 3. A Mitra-Varuna, lib. V, 63, 1-6; VII, 64,2, À Parjanya, lib, VII, 101, 5. LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 2241 réduisent à de légerés ondées, la famine est inévitable ; dans le Pandjab elle est à craindre même, quand la moyenne en est inférieure à 1",50°. Aussi les mau- vaises récoltes n'y sont et n’y ont jamais été rares?. Pour les prévenir et fournir au sol la quantité d’humi- dité nécessaire, on eut recours de bonne heure à l'irri- gation du sol; les Védas parlent déjà de canaux creusés pour les eaux *. Les procédés de culture des Hindous durent être d’abord d’une grande simplicité; cependantils connurent de bonne heure la charrue ‘ ; garnie à l’origine d’un soc en bois — elle est, dans certaines contrées, restée telle pendant longtemps, — l’Atharva-Véda la décrit déjà pourvue d’un soc en métal. Elle était traînée par une ou plusieurs paires de bœufs”. Le chef de la famille ou du clan — sthapati — revètu de ses habits de fête, après avoir fait une offrande aux Dieux, traçait lui- même le premier sillon‘. Des cudras, loués à cet effet, achevaient de préparer avec le hoyau le sol retourné par la charrue; puis le semeur répandait le grain dans le sein fécond de la terre. Cette opération si impor- tante était accompagnée et suivie de prières destinées à en assurer le succès et à écarter les dangers qui menacent les récoltes ?. 1. Elisée Reclus, op. laud., vol. VIII, p. 79. 2. Rig-Veda, lib. 1, 127, 6. — Roxburgh, Flora, vol. IL, p. 295. 3. Rig-Veda, lib. VIT, 49, 2. — Atharva- Veda, lib. I, 6%; MIND. &. Lib. III, 17, 3. — Zimmer, op. laud., p. 236. 5. « This barley they did plough with yokes of eight and yokes of six ». Atharva-Veda, lib. VI, 91, 1. Trad. Bloomfield. 6. Mânasara ap. Râm Ràz, Essay on the architecture of the Hindüs. London, 183%, in-4, p. 17. 7. Atharva-Veda, lib. VI, 50, 79, 142, etc. Jorer. — Les Plantes dans l'anliquilé. IL, — 16 242 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Lève, crois par ta propre puissance, Ô grain; que l'éclair des cieux ne te détruise pas. — Nous t'invoquons, bon grain, écoute-nous ; élève-toi jusqu'au ciel et sois inépuisable comme la mer. — Innombrables sont ceux qui t'attendent, qu'innom- brables soient tes gerbes, innombrables ceux qui t’offriront en sacrifice, innombrables ceux qui se nourriront de toi. Que la faveur des dieux réponde à notre prière 1, et le grain pourra mürir et s'offrir de lui-même à la faucille. Après la maturité, la moisson était coupée, réunie en gerbes, portée sur l'aire et battue — les textes ne disent pas comment; — puis des femmes vannaient et criblaient le grain, « comme le sage fait passer au crible ses discours *. » Mais quelles céréales étaient cultivées par les anciens Hindous? Les chants du Rig-Véda ne donnent à cet égard que des renseignements bien incomplets. Le grain employé pour faire le pain portait le nom géné- rique de yava, qui, indéterminé à l’origine, ne servit plus à la fin qu'à désigner l'orge. Des grains — dhändà — étaient aussi offerts aux Dieux, mais nous ignorons à quelle céréale ils appartenaient”. Quant au riz, qui a occupé plus tard une si grande place dans l’alimen- tation des Aryens de l'Inde, son nom vf, ne figure pas dans les anciens Védas; mais l'Afharva connait cette céréale, ainsi que l'orge, ces « fils immortels et salutaires du ciel », « nourriture que porte la terre », condition premiere de la respiration de l’homme‘. La Taittiriyasainhità distingue * même trois espèces de riz, le clair, le blanc et le sombre, ce qui prouve une . Rig- Veda, lib. X, 101, 5. …. Rig-Veda, lib. X, 72, 2. . H. Zimmer, op. laud., p. 239. ID ML 7 20 XII M 2 ENT EMIEE D Trad, 2. Qt + © ND = LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 243 culture déjà ancienne. Il est aussi question ailleurs de « riz qui mürit vite, » offert à Savitar, et de « grand riz » pour Indra”, tandis que du « riz sombre » était présenté à Agni. Zimmer fait remarquer avec raison que par le « riz qui mürit vite », il faut entendre pro- bablement une espèce particulière « qui mürit en soi- xante jours” ». On semble aussi avoir donné à cette variété le nom de « riz rouge » ; on le cultivait sur un sol humide ou arrosé ; le riz blanc, au contraire, pous- sait en eau profonde *. Il est fait mention encore d’une autre espèce de riz‘, le n{vdra, qui croissait à l'état sauvage et est le type des nombreuses variétés cul- tivées. Si les contemporains des premiers Védas ne con- nurent pas le riz, cela tient à ce que la culture de cette céréale si précieuse dans les pays où règnent les mous- sons, n'avait pas encore pénétré dans le Pandjab ; mais elle existait probablement depuis longtemps dans la région tropicale de l'Est et du Sud, où elle semble indi- gène. Comment la pratiquait-on ? Aucun texte ne nous renseigne à cet égard. Ératosthène nous apprend seu- lement qu’on semait le riz pendant la saison des pluies”; aujourd'hui l'ensemencement a lieu en juin, au moment où elles commencent; quinze à vingt jours après, on arrache les jeunes pieds et on les repique dans les rizières qu'on submerge jusque vers l’époque de la maturation. La récolte a lieu de septembre à novembre. 1. Acuvrihi,mahâävrihi,krishua vrihi.— Tailtiriyasarhilt, Mp:el29:%10: 1: 2. « Shashtika ». — Allindisches Leben, p. 239. 3. Chr. Lassen, op. laud., vol. I, p. 246. 4. Väjasaneyasahità, lib. XVII, 12. — Vishnu Puräna, Hb?1#cap7; 5. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 1, 18 (692). 244 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Quelques jours avant de la faire, on fait écouler l’eau des rizières ; puis quand les chaumes sont coupés, on laisse sécher les gerbes et au bout de 8 à 15 jours on procède au battage . Dans les provinces où les pluies sont fréquentes, le riz peut se passer d'irrigation ; on le sème alors sur le sol fumé et retourné, tout comme l'orge:et le froment ; les précipitations aqueuses four- nissent l'humidité nécessaire à son développement. C’est ainsi qu'on le cultive en particulier dans cer- taimes vallées de l'Himalaya, jusqu’à une hauteur con- sidérable. L'orge a été connu des tribus aryennes bien plus anciennement que le riz; elles en pratiquaient déjà la culture quand elles pénétrèrent dans cette contrée ; elle portait le nom de « divine » — divya. — Il en existait une variété particulière appelée upaväka ou Indrayava « grain d'Indra* »; mais on ignore ce qu'elle pouvait être. L'orge à six rangs ou escourgeon est la seule espèce qui, d'après Roxburgh*, soit de nos jours cultivée dans l’Hindoustan; on peut croire qu'il en était à plus forte raison de même dans l’anti- quité. Le froment est maintenant bien plus répandu que l'orge dans l'Inde occidentale; il n'en était pas ainsi avant notre ère; il n’est point question de cette céréale dans les Védas, et la Vajasaneyasarñhita est le premier ouvrage qui en fasse mention sous le nom 1. Drury, Useful Plants, p. 322-323. — Watt, Dictionary, vol. V, p. 584, 60% et 609. Quelquefois le riz est semé en jan- vier et la récolte se fait alors en mai. 2. H. Zimmer, op. laud., p. 240. 3. Flora indica, vol. I, p. 358. Toutefois J.-D. Hooker, The Flora, vol. VII, p. 371-372, indique aussi, d’après Stocks, lP'Hordeum distichon et la variété aegiceras comme cultivées, le premier à Quetta, la seconde dans l'Himalaya. r LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 245 de godhüma *. Mais peu à peu le froment à fini par se répandre dans l'Inde, süurtout dans les provinces de l'Ouest, où l'irrigation est difficile ou impossible. Il était à l'origine considéré comme la nourriture des Barbares * — mlécchaca, — ce qui prouve son impor- tation de l'étranger. L'orge et le froment se sèment après la saison des pluies, vers le mois d'octobre, — Ératosthène dit en hiver, — et on les récolte en avril et en mai”. Il est probable que le millet ordinaire * — añu— fut cultivé dans l'Inde aussi anciennement, sinon plus an- ciennement, que le froment ; on le trouve pas toutefois plus que lui mentionné dans les Védas, et il n’en est d'abord question que dans la Väjasaneyasainhita ”. Ce recueil mentionne aussi, de même que la Tarttiriya- sarnhitä*, le millet à grappes ou panice d'Italie? — priyañqu où kanqu — et le millet ou panic fro- mental — çydmäka*. — La culture de ces céréales dut donc exister de bonne heure dans l'Inde. Elle est 1-L1b4 XVIII, 42: 2XIX, 22, 89: XXI, 29- Cf. Zimmer, 6p. laud., p. 241. 2. Chr. Lassen, op. laud., vol. I, p. 247, note 2. Strabon, Geographica, ib. XV, cap. 1, 13. 4. Panicum miliaceum ou miliare, que Hooker, vol. VIF, p. 46, donne comme une seule espèce, tandis que Roxburgh en fait deux espèces différentes, Flora indica, vol. I, p. 309-310. Watt, qui les distingue également, dit que la seconde, à grains plus petits, est surtout cultivée dans les sols pauvres de l’Inde méridionale et centrale, et il attribue au ?. miliaceum le nom hindoui chena, au P. miliare celui de kuñgqu. 5. Lib. XVIIT, 12. Cf. The sacred Laws of the Aryas, translated by Georg Bühler. Oxford, 1879, in-8, p. 263. Le Vishnu Purûna, lib. [, cap. 7, en fait aussi mention. 64 ip: 1172. 7. Panicum italicum L. ou Setaria italica Beaux. 8. Panicum L. ou Paspalum Roxb. frumentaceum. EE 216 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS surtout pratiquée de nos jours dans les contrées dont le sol est riche, tout en étant sec et léger. On a dù aussi, dès une époque reculée, car on ne les trouve plus à l’état sauvage, cultiver, dans les terres médiocres ou légères du Nord-Ouest et du centre, le £orddusha ou kodrava', et, dans presque toutes les provinces de l’Inde ancienne, le panic en épi”. Ces millets, dont il existe plusieurs variétés, se sèment presque tous au moment de la saison des pluies, en juin ou juillet, et se récoltent en septembre ou octobre ; l'añu cependant fait exception ; on le sème en mars et onle récolte dès la fin de mai’. On a probablement aussi cultivé dès longtemps dans l'Inde le coracan * — rdjika. — Il en existe plusieurs variétés ; l’une d'elles que la flore de Hooker identifie avec le type, mais dont Roxburgh faisait une espèce particulière — Eleusine stricta, — est répandue dans l'Inde entière et est remarquable par son extrême fé- condité; une de ses sous-variétés rend jusqu'à cinq cents pour un dans un sol riche et dans les bonnes années. Roxburgh rapporte” que deux pieds de cette dernière, qui avaient poussé par hasard dans son jar- din, lui donnèrent 81 000 grains. Ernst Meyer a sup- posé que le bosmoron, « ce grain plus petit que le fro- 1. Paspalum scrobiculatum L., hind. koda. Le mot kodrava désigne surtout une variété malsaine. 2. Panicum spicatum Roxb., Holeus spicatus L., Penicellaria spicala Willd. ou Pennisetum typhoideum Rich., hind. bayjra. 3. Roxburgh, Flora, vol. I, p. 278, 284 et 302. — Watt, Dictionary, vol. VI, 1, p. 9, 13, 112 et 127; vol. VI;°2, p.547: 4. Eleusine coracana. Gaertner, Cynosurus coracanus Y. 5. Flora indica, vol. I, p. 344. — Drury, Useful Plants, p. 195. LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE y ment », mentionné par Strabon, d’après Ératosthène et Onésicrite', était peut-être le coracan. L'absence de nom sanscrit pour le sorgho commun * ne permet guère de penser que la culture de cette cé- réale dans l'Inde remonte à un passé très reculé. Toutefois si l’on admet, avee Watt, que le sorgho d’Alep* y est indigène, on peut croire aussi que cette céréale a dü y être cultivée plus anciennement qu'on ne l’a dit. De Candolle n’était pas éloigné de penser que le mnilium, dont parle Pline‘, comme intro- duit de son temps de l'Inde en Italie, était une espèce de sorgho. Quoi qu'il en soit de cette hypothèse, il est vraisemblable, comme le croit Watt, que quelques variétés de sorgho ont pris naissance dans l'Inde, et sont, depuis un temps immémorial, cultivées dans les régions froides et élevées où le riz ne peut réussir. Depuis une époque reculée aussi sans doute diverses for- mes de Coir lacryma ont été cultivées dans le district de Khasia, où cette graminée parait indigène ; l’ama- rante fromentale l'était, pour ses graines comestibles, par les tribus indigènes, quand le D° Buchanan l'a découverte dans le Dekkan *. Outre les céréales, les Hindous ont dès longtemps 1. Geographica, lib. XV, cap. 1, 13 (690). — Botanische Erläuterungen, p. 64. 2. Iolcus sorghum L., Andropogon sorghum Roxb., Sorghum vulgare Pers. 3. Sorghum halepense Pers., Holcus halepensis L., Andro- pogon sorghum, var. halepensis Hack. G. Watt, Dictionary, vol: VI, 3, p. 281-292. 4. « Milium intra hos decem annos ex India in Italiam invectum est ». Lib. XVIII, cap. 7. — A. de Candolle, L'ori gine, p. 305. ». Roxburgh, Flora indica, vol. III, p. 568 et 609. — Watt, Dictionary, vol. I, p.24 etIl, 496. 248 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS cultivé un certain nombre de légumineuses indigènes dans leur pays. Il est fait mention dans l'Atharva- Véda et la Taittiriyasamhità du mdsha — Phaseolus radiatus', — haricot aux graines petites et noirâtres, tachetées de gris. Un autre recueil contemporain” parle du mudqa — Phaseolus mungo, — espèce du même genre, à peine différente du màäsha*. On a dû aussi cultiver dès longtemps dans l’Inde, comme on le faitaujourd’hui, lesharicots à feuilles d’aconit, àéperon, multiflore ettrilobé *; mais on ignore à quelle époque en remonte la culture. La mention du cajan * — ädhaki — et du Dolhichos biflorus — kulattha— dans les Purà- nas°, les noms sanscrits qu'ils portent, ainsi que le catiang — siamasha — et le lablab — çembiT, — ne laissent pas de doute sur l'ancienneté de cette cul- ture. Non moins ancienne peut-être est celle de la Ca- navalia ensiformis *. Le cajan, le kulattha, le catiang et le lablab possèdent de nombreuses variétés”, répan- dues dans la plupart des provinces de l’Inde. Il en est de même du markati", autre légumineuse remarquable £ D 1: À. V., lib. XIT, cap. 2,53. = 7:50 2. Väjasaneyasarmhità, 18, 12. 3. Hooker, The Flora, vol. IT, p. 203, considère le Phaseolus radiatus Roxb. comme une simple variété du P. mungo. 4. Phaseolus aconitifolius Jacq., calcaratus Roxb., multiflo- rus Willd. et frilobus Ait. — G. Watt, Dichionary, vol. VI, 1, p. 192-194. ». Cytisus cajan L., Cajanus indicus Sprengel. 6. Vishnu Puräna, translated by Wilson, lib. [, cap. 6. (Wil- son’s Complete Works, vol. V, p. 95), 7. Vigna Endl., Dolichos L. catjang, Dolichos lablab L. 8. Canavalia gladiata De., Dolichos ensiformis L., gladia- tus Willd. — G. Watt, vol. IT, p. 97 et 673. 9. Roxburgh, Flora, vol. III, p. 304, 305, 313 et 326. 10. Mucunaprurita, var.utilis,capitata et monosperma DC. — Carpogon pruriens, capitatum, niveum et monospermum Roxb. s 274 LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE . 949 par ses grandes fleurs pourpres et par ses gousses re- courbées en $S et couvertes de poils rudes et piquants. La plupart de ces plantes sont des cultures d'été; on les sème en même temps que les diverses espèces de millet, et atec elles ou au bord des rizières ; les graines mürissent pendant l'automne, en octobre ou novembre. Les légumineuses dont je viens de parler sont toutes originaires de l'Inde ; il n’en est pas de même du pois chiche — Cicer arietinum, — qui y est également cul- tivé pendant la saison froide. Le nom sanserit canalka de cette plante, ainsi que la mention qui en est faite dans les Purûnas, montrent qu'elle a dû être importée à une époque reculée dans la péninsule hindoustanique. Elle est très répandue dans les provinces septentrio- nales ; il en est de même des lentilles, qu'on n'y trouvait pas du temps d'Alexandre, sil’on en croit Théophraste”, mais qui doivent y être cultivées depuis longtemps, comme le prouvent leur nom sanscrit #astra et la mention qu'en fait le Vrshnu Puraäna*. Il est probable qu'on cultive aussi dans l'Inde septentrionale, depuis une époque reculée, les petits pois — Pisum sativum, dont l’origine est incertaine ; et si l’on admet que les pois des champs sont indigènes dans cette contrée, comme Royle l’a supposé *, on en conclura qu'ils sont aussi sans doute cultivés de temps immémorial ; tou- tefois aucun texte ancien n'en fait mention. 1. Historia plantarum, lib. IV, cap. 4, 9. 2. Hooker, The Flora, vol. II, p. 176, 179 et 181. — Rox- burgh, Flora, vol. III, p. 321, 323 et 324, dit que le pois chiche est cultivé dans l'Inde entière, la lentille dans le Bengale et les provinces voisines, et qu’une variété de fêve à graines noi- râtres est semée dans le Népal. Le type l’est aussi dans le Cachemire et la région du Nord-Ouest. 3. G. Watt, Dictionary, vol. VI, 1, p. 277. 250 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS \ Nous sommes mieux renseignés au sujet des cucur- bitacées. Il est question dans l’Atharva-Véda de l’wr- varü et de son fruit wrvaruka, mot que H. Zimmer a traduit par Aürbiss”. Il s'agit évidemment de la gourde ou calebasse*® — aldbu — cultivée de nos jours comme autrefois dans l'Inde, où elle paraît indigène ; une tra- dition rapportée par Athénée” la faisait venir de ce pays dans l'Occident. Quant aux autres espèces du genre Cucurbita, d'origine probablement américaine“, leur culture dans l'Inde, quelque répandue qu’elle y soit aujourd'hui, y est relativement récente et ne doit pas dés lors nous occuper. Il n’en est pas de même de la plupart des diverses espèces de Cucumis, de Citrullus, de Luffa et de Momordica, qu'on y rencontre. Le genre Cucumis est représenté dans l'Inde par plusieurs espèces comestibles, réunies, dans la flore de Hooker, sous les noms de Cucumis trigonus”, — lequel n'existe qu'à l’état sauvage, — Cucumis melo, le melon, et Cucumais sativus, le concombre. On ne connait ce dernier qu’à l’état cultivé; mais le Cucu- mis Hardiichtu, recueilli par Royle au pied de l'Hi- malaya, du Koumaon au Sikkim”, parait être le type Altindisches Leben, p. 242. Cucurbita lagenaria L., ne ia vulgaris Seringe. Deipnosophistae, lib. IL, Cap. . Wittmack, Berichle der deniiien botanischen Gesell- se haft, vol. IV (1886), p. xxx1v. Il faut dire toutefois que A. de Candolle, Origine, p. 202, a supposé la Cucurbila maxima — le potiron — «originaire de l’ancien monde ». 5. Le Cucumis trigonus de Hooker comprend les Cucumis maderaspanus, ee turbinatus et trigonus de Roxburgh, Flora. vol. II, p. 721-725. — The Flora, vol. IE, p. 619. 6. Zllustr ations of ce botany of Himalayan Plants,:p. 220, pl. XLVITI. J.-D, Hooker, Botanical® Magazine, tab. 6206, dit que les fleurs et les feuilles des deux plantes sont presque O2) D = Là LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 251 d'où il est sorti; on peut donc le regarder comme indi- gène dans l’Hindoustan; c’est dans cette contrée qu'il a dû d’abord être cultivé, et comme le fait supposer son nom sanscrit sukhdca, dès une éqoque reculée. C’est de cette contrée aussi qu’il a pénétré dans l'Asie antérieure et de la dans la Grèce et l'Italie‘. Il était déjà connu de Théophraste *. J.D. Hooker a découvert dans le Sikkim une espèce comestible de concombre à longs et gros fruits, le Cucumis sikhkimensis". Rox- burgh a décrit aussi une espèce voisine", le Cucumis utilissimus — karkatt, — qui, d’après lui, serait indi- gène dans les stations élevées, tout en étant parfois cultivé. La Flore de l'Inde a réuni cette forme au Cucumis melo*. Celui-ci ne se rencontre qu'à l'état cultivé; mais Clarke le regarde comme dérivé du Cucumis trigonus, indigène dans les terres hautes de l’'Hindoustan. C'est dans cette région qu'il a d’abord été cultivé, et c’est de là également qu'il a été importé dans l'Iran et l'Asie occidentale tout entière ; mais on ignore à quelle époque. Trouvée à l’état sauvage dans les sables de la côte de Coromandel, la coloquinte® — içdla, suvarna, identiques, mais les fruits du C. Hardiwichii sont petits, lisses, et amers. 1. C’est de là également qu’il a été importé en Chine au second siècle avant notre ère. Breitschneider, Botanicon sini- cum, vol. I, p. 197. (Journal of China Branch of the Royal Astalie Society, vol. XXV, 1892). 2, Historia plantarum, lb. VIT, cap. 4, 6. . Botanical Magazine, tab. 6206. Flora indica, vol. IT, p. 721. The Flora of British India, vol. IT, 619-620. Clarke rattache aussi au Cucumis melo les C. chala Wall., flexuosus, L., etc. 6. Citrullus ou Cucumis colocynthis. Roxburgh, Flora, vol. III, p. 720. OX # C2 252 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS indravärumikä — a dù être cultivée de bonne heure dans l'Inde; c’est là d’ailleurs tout ce qu’on en peut dire. Originaire de l'Afrique, la pastèque — Citrullus vulgaris — a été aussi d’abord cultivée dans cette ré- gion'; de là elle a pénétré de bonne heure dans les pays sémitiques, puis dans l'Iran tout entier et enfin dans l'Inde ; mais rien n’est venu nous renseigner sur la date de cette importation; peut-être a-t-elle eu lieu à l’époque où une dynastie grecque régna sur le Pandjab. Si les luffa cylindrique et anguleux sont cultivés dans l’Inde presque entière, on les y trouve également, ainsi que plusieurs formes qui s’en rapprochent *, à l’état sauvage; on peut donc les regarder comme in- digènes dans la péninsule gangétique et leur grand nombre de variétés doit faire supposer, bien que de Candolle ait admis le contraire, qu'ils y sont cultivés depuis une époque reculée. La Momordica charantia et muricata, simples formes d’un type com- mun, sont aussi sans doute originaires de l’Inde, bien qu'on ne les y rencontre plus à l’état spontané, ét le nom sanscrit sushavt attribué à l’une d’elles * permet de croire que leur culture y est ancienne. La Flora indica ne mentionne pas non plus à l’état sauvage, les Trichosantes anquina et dioïca; on ne doit pas moins regarder comme indigènes dans l'Inde 1. À. de Candolle, L'origine, p. 209. — Les Plantes dans l'antiquité, vol. I, p.59. 2, Par exemple les Luffa amara, clavata, pentandra, racemosa, ete. Roxburgh, Flora, vol. IT, p. TRES" — Hooker, The Flora, vol. IT, p. 614: 3. À la Momordica muricata Wild. par Roxburgh, III, 708 ; à la M. charantia par le Dictionnaire de Saint-Pétersbourg. LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 253 ces cucurbitacées « au fruit allongé comme une gousse charnue de légumineuse »; le nom sanscrit Æwlaka, donné à la seconde, montre qu'elle y est cultivée et depuis un temps assez long. Il est probable qu'on a aussi dès longtemps cultivé dans l'Inde le bénincasa '; mais y est-il indigène? Il n’y croit pas à l’état sauvage, tandis qu'on à rencontré spontanées au Japon et à Java des cucurbitacées qui ne paraissent pas en diffé- rer”. C’est du Japon aussi que de Candolle inclinerait à faire venir le bénincasa *; dans ce cas sa culture en Hindoustan ne saurait remonter bien loin dans le passé ; mais la question de son origine est loin d’être tranchée. Malgré les différences spécifiques qui la distinguent des cucurbitacées, on peut placer ici l’aubergine — Solanum melongena, — dont la culture, à en juger par le grand nombre de ses noms sanscrits et indi- gènes * a dù être très ancienne dans l'Inde. Cette plante n'y existe plus à l’état sauvage ; mais dans la province de Madras croissent spontanément les Sola- num insanum Roxb. et incanum L., considérés comme le type d'où elle est sortie”. On connait deux variétés d'aubergine cultivée ; dans l’une, la tige, les feuilles et le calice sont armés d’aiguillons ; dans l’au- tre ils en sont dépourvus ou à peu près; les fruits de 1. Benincasu hispida Thunberg, cerifera Savi. 2. Cucurbita hispida Thunberg, Lagenaria dasystemon Miquel, Cucurbita liltoralis Hasskarl et Gymnopelatum sep- temlobum Miquel. 3. L'origine des Plantes cultivées, p. 214. 4. Sanse. bhantâki, vérttâka, vañgana, hind. bangan. 5. A. de Candolle, op. {laud., p. 229. — Hooker, The Flora, vol. IV, p. 235, réunit les trois espèces sous le nom de melon- gena. 254 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS ces variétés sont d’ailleurs plus ou moins ovoïdes ou globulaires et plus ou moins blancs ou lavés de vidlel. 0 Les cucurbitacées et l’aubergine sont cultivées pour leurs fruits ; les légumes proprement dits le sont pour leurs racines, leurs feuilles ou leurs tiges comestibles. Parmi ceux de la première classe, il faut citer avant tout la colocase? — facu, — aroïdée aux feuilles peltées et ovales ; Roxburgh en distingue trois variétés sauvages, outre la colocase à feuille de nymphéa, dont il fait une espèce douteuse — le sar-kacu, — et deux variétés cultivées aux gros tubercules comes- tibles”. Autant que la colocase, sinon plus, sont cul- tivés le gouet de l'Inde et le gouet campanulé*, le pre- mier — #”7an-hkacu — aux feuilles cordiformes et arrondies, aux racines fibreuses, terminées par de petits tubercules ; le second — Æunda ou kulla — acaule, aux feuilles composées, bi ou trifides, aux énormes tubercules vivaces. Comme les aroïdées, on cultive aussi pour ses rhi- zomes comestibles une autre plante aquatique, mais d'une famille toute différente, le nélumbo ou lotus rouge” — padna, — seulement on le reproduit, non à 1. Drury, op. laud.. p. 398. — Watt, VI, 3, p. 359, ainsi que Hooker, disent que, échappée des cultures, l’aubergine devient épineuse. 2, Arum Colocasia Willd., Colocasia antiquorum Schott. 3. Flora, vol. IT, p. 495. Watt, Diclionary, vol. II, p. 510. 4. Arum indicum Roxb., Alocasia indica Schott. — Arum campanulatum Roxb., Amorphophallus campanulatus Blume. Roxburgh, Ælora, vol. IT, p. 498 et 510. — Watt, Dictionary, vol. I, p. 179 et 226. 5. Nelumbium speciosum Willd., Nymphaea Nelumbo L. — Watt, Dictionary, vol. V, p. 344. LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 255 l’aide des tubercules, mais des graines. Après avoir entouré celles-ci de terre glaise, on les laisse tomber au fond de l'eau. Ellés ne tardent pas à germer et s’attachent au sol par leurs racines. Les anciens Égyptiens, nous l'avons vu, avaient recours au même procédé". On ignore à quelle époque remonte la culture des ignames — ang. am, hind. alu, — très répandue de nos jours dans l'Inde, à cause de l'excellente fécule que renferment leurs rhizomes charnus; Roxburgh en indique plusieurs espèces”, qui, preuve vraisem- blable d'une culture déjà ancienne, n'existent plus à l’état sauvage et pourraient bien n'être que des variétés d'un même type, comme il semble l’admettre lui-même; mais il ignorait et on ignore encore quel est ce type. Toutes ces ignames ont leurs racines fibreuses et garnies de tubercules, qui servent à leur reproduction, les tiges herbacées et grimpantes, les feuilles cordiformes et longuement pétiolées, les fleurs dioïques et parfois odorantes. A ces légumes à racines comestibles, il faut ajouter la carotte, indigène dans le Cachemire et l'Himalaya occidental”, et cultivée dès longtemps dans l'Inde entière, ainsi que le radis — Aaphanus sativus — et la rave — Brassica rapa, — qui, importés, il semble, de 1. Drury, The useful Plants, p. 310. — Les Plantes dans l'antiquité, vol. I, p. 169. 2. Dioscorea alala L., fasciculata, qglobosa, purpurea, rubella Roxb. Flora indica, vol. IT, p. 797-799 et 801. — The Flora of India, vol. VI, p. 296. — Drury, op. laud., p. 183. — A. de Candolle, op. laud., p. 64. La variété pourprée porte à Pondichéry le nom de « pomme de terre sucrée ». 3. Hooker, The Flora, vol. IF, p. 718. — Watt, Dictionary, vol. III, p. 44. 256 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS la Perse depuis une époque reculée, — le nom sanscrit muülaka de la rave en est la preuve, — sont cultivés pendant la saison sèche, dans la plupart des provinces de l'Inde”. Bien que la flore indigène leur offrit une grande quantité d'espèces végétales, dont les feuilles ou les tiges sont comestibles, les anciens Hindous en culti- vaient plusieurs dans leurs jardins. De ce nombre ont été, mais probablement assez tard, le cresson alénois — Lepidium sativum — et l'épinard— Spinacra ole- racea, — originaires l’un et l’autre de l’Asie antérieure, ainsi que la bette du Bengale — Beta bengalensis, — plante indigène dans l'Inde, comme l'indique son nom”. Depuis longtemps aussi, a du être cultivée dans l'Inde une chénopodée tropicale, qui y est très répan- due aujourd'hui, la baselle — tel. batsalla, sansc. utpädaka, picchila, etc., — plante vivace et grim- pante, aux feuilles cordiformes et charnues, aux petites fleurs en grappes pourprées, aux baies d’un rouge sombre, indigène dans la Péninsule, en particu- lier sur la côte de Malabar. De nos jours plusieurs variétés, surtout les variétés à tige blanchätre et à feuilles cordiformes”, sont l’objet d’une culture impor- tante. On reproduit cette espèce à l’aide de simples boutures, et on la fait grimper sur des treillages dres- sés d'ordinaire auprès des habitations, auxquelles ses 1. Roxburgh, Flora, vol. III, p. 117 et 126. 2. Roxburgh, Flora, vol. III, p. 116 et 771 et vol. II, p. 59. — Watt, Dictionary, vol. IV, p. 628; VI, 8, p. 330, et [, p. 448. 3. Basella alba, lucida et cordifotia Willd., formes que la flore de Hooker, vol. V, p. 20, réunit, avec les espèces préten- dues ramosa et japonica, sous le nom de Basella rubra L. — Roxburgh, Flora, vol. Il, p. 104-105. — Watt, Dictionary, vol. I, p. 40%. LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 251 longues tiges et ses feuilles épaisses procurent une ombre agréable et bienfaisante. Parmi les plantes potagères cultivées dans l'Inde ancienne figuraient aussi sans doute diverses espèces d'amarante, en particulier l'Amarantus anardana et l’'amarante du Gange' — la brède du Malabar, — aux grandes feuilles rhomboïdales. Il y a de cette dernière espèce plusieurs variétés, qui différent par la hauteur de la tige ou par la couleur des feuilles, et dont quel- ques-unes sont de jolies plantes d'ornement. On a dù cultiver aussi très anciennement dans l'Inde, comme plante potagère, aussi bien que comme textile, le Cor- chorus olitorius, mais rien ne nous renseigne sur l’époque à laquelle remonte la culture de cette tilia- cée”, ainsi que celle des amarantes et des autres plantes potagères dont il vient d’ètre parlé. La flore indigène offrait aux Hindous un grand nombre de condiments ; ils ont emprunté néanmoins, et à une époque reculée, la plupart de ceux de l'Asie antérieure ou centrale, en particulier l'ail, l'oignon, l’échalotte, le poireau, la ciboule ; la mention des trois premiers dans les lois de Manou * est une preuve de l'ancienneté de leur importation. L'ail a dû, ainsi que l'oignon, être dès longtemps l’objet d’une culture étendue, à en 1. Amarantus gangeticus L., oleraceus Roxb. La flore de Hooker, vol. IV, p. 719, réunit ces deux formes et les A. ri- color, tristis, lanceolatus, polygamus, etc. en une seule espèce. — G. Watt, Dictionary, vol. I, p. 210 et 212. 2. Watt, Il, 541-42, qui, tout en admettant que la culture du Corchorus était inconnue des anciens Hindous, suppose que la forme olilorius, a pris naissance dans l'Inde. 3. Les Lois de Manou, trad. G. Strehly, liv. V, 5. (Annales du Musée Guimet, vol. If, p.132). Cf. Gaulama, chap. xvI, 32. (The sacred Laws of the Aryas. Part I, p. 266). 4. Toutefois, au vie siècle de notre ère, ie pélerin chinois Jorer. — Les Plantes dans l'antiquité. 11 258 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS juger par le nombre de leurs noms sanscrits : /açuna, mahaushadhä, qgriñjandrishta, etc., pour l'ail; pa- ländu, sukandaka, etc., pour l'oignon’. Suivant Rox- burgh, on plante beaucoup l’échalotte, à la fin de la saison des pluies et pendant les mois froids et secs de l'hiver” ; mais il est douteux que cette culture remonte à une date reculée. On cultive, au contraire, dans l'Inde entière, et depuis un temps considérable, à en juger par leurs noms sanscrits, l’aneth, la coriandre, le cumin et l’ajouan. Roxburgh mentionne deux espèces d'aneth, cultivées toutes deux pour leurs graines et toutes deux à fleurs jaunes”, le sowa — micreyd, — indigène dans le Bengale, et le panmori — madhurikä, — espèce qui ressemble au fenouil et parait également indigène dans l'Inde. On les sème après les pluies et on récolte les graines au mois de mars. On cultive également pen- dant la saison froide, la coriandre — dhanyäka, — ombellifere exotique, mais introduite depuis longtemps sans doute dans l’Hindoustan. On peut en dire autant du cumin — j{ra, jiraka, — originaire de larégion ira- nienne, d’où ila pénétré dans la presqu'ile gangétique, Hiuen-Tsiang affirmait encore que l'oignon et l'ail étaient peu cultivés dans l'Inde. Si-yu-ki. Buddhist records of the western World, trans. from the chinese of Hiuen-Tsiang (a. D. 629) by Sam. Beal. London, 1884, in-8, vol. I, p. 88. 1. Amarakoca, Liv. IV, chap. 1v, sect. 5, p. 110-111. 2. Allium ascalonicum L. Flora indica, vol. IN, p. 142. Roxburgh mentionne aussi la culture dans le Bengale de l'ail tubéreux, considéré par Regel comme une simple forme de l’'Allium odorum L. 3. Flora indica, vol. IT, p. 95-96. La flore de Hooker, vol. IT, p. 695 et 709, rattache l’Anethum sowa au graveolens et iden- tifie l'A. panmori Roxb. avec le Fæniculum ofjicinale L. LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 239 comme en Égypte, à une époque reculée ‘. L'ajouan — brahmadarbha, yavanika”, ete. — est cultivé dans l'Inde depuis une époque non moins ancienne, sinon plus ancienne. Annuel, sa tige dressée est couverte de feuilles éparses, finement découpées ; les fleurs en om- belles de six à huit rayons sont blanches et les fruits ont une odeur aromatique agréable. On peut placer à côté de ces ombellifères deux au- tres plantes de la famille des labiées, cultivées plu- tôt, ilest vrai, comme plantes aromatiques ou pour leur caractère sacré que comme condiments ; le basi- he et la tulasi. Plante herbacée de l'Iran, le basilic”, qui se rencontre aussi spontané dans le Pandjab, est cultivé dans la péninsule hindoustanique tout entière. Il fleurit à l’époque des pluies et pendant la saison froide. La tulasi — parndsa, — comme sa variété hir- sute — arjaka, — dont Roxburgh a fait une espèce particulière *, est un petit arbrisseau aromatique d'ori- gine inconnue, à rameaux velus, à feuilles ovales, den- tées et tomenteuses, couvert toute l'année de petites fleurs plus ou moins purpurines ; on le trouve planté dans les jardins de tous les temples hindous. Avec le poivrier nous retrouvons un véritable condi- ment et un condiment d’une importance économique , 1. Coriandrum sativum L., Cuminum cyminum Wild. Roxburgh, Flora, vol. Il, p. 92 et 94. 2. Ligusticum ajowan R. et D. C., Bunium aromalicum L., Carum coplicum Benth. — Asiatie Researches, vol. IT, p. 170. — toxburgh, Flora, vol. Il, p. 91, dit qu’il n’a point rencontré l’ajouan à l'état sauvage. 3. Ocimum basilicum L. — Roxburgh, Flora, vol. IT, p. 18. — Hooker, The Flora, vol. IV, p. 608. 4. Ocimum sanctum L., var. hirsula Hooker. Ocimum villo- sum Roxb. — Flora indica, vol. IT, p. 14. 260 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS et commerciale supérieure à celle de tous ceux dont je viens de faire mention. Indigène dans les forêts du Malabar et du Travancore, le poivrier ! — pippali, — dont le nom sanscrit à peine transformé a été adopté par les peuples classiques de l’ancien monde et a passé dans toutes les langues de l'Europe moderne, est une plante grimpante qui ne réussit bien qu'entre le 5° et le 15° degré de latitude”. Il se reproduit par boutures. Avant la saison des pluies, on plante les drageons dans un sol riche et non trop humide, en les disposant au pied d'arbres à l'écorce rugueuse ou couverts d’épines ; les pousses s’enlacent rapidement autour des troncs jusqu'à une hauteur considérable. Dans un sol conve- nable, elles peuvent porter dès la première année ; la production augmente jusqu’à la cinquième et continue pendant quinze à vingt ans. Les fleurs, disposées en grappes pendantes, commencent à paraitre au mois de mai ; chaque grappe peut donner de vingt à trente baies. D'abord vertes, ces baies deviennent rouges avant la maturité complète ; on les cueille à ce moment et on les fait sécher pendant deux ou trois jours sur des claies ; elles prennent alors une couleur brune ou gris noirätre. On fait deux ou trois récoltes par an. Théophraste distinguait deux espèces de poivriers *: 1. Piper nigrum L., Piper trioicum Roxb. La Flora indica, vol. 1, p. 151, lui attribue les noms sanscrits vellaja, marica, colaka, etc., tandis qu’elle réserve pour le Piper longum L., le nom de pippali. 2. Cosmas Indicopleustes, Topographia christiana, lib. XI, s. v., COÏ. 414-415. — J. Mandeville, chap. XVIII. (The buke of S. Maundeville, ed. by. G. F. Warner. Westminster, 1889, in- fol., p. 83). Lassen, Zndische Allerthumkunde, vol. I, p. 277. — H. Drury, The useful plants, p. 314. — F.-A. Flückiger et Daniel Hanbury, {istoire des droques végétales, vol. IT, p. 338. 3. Historia plantarum, hb. IX, cap. 20, 1. FRE LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 261 l’une à fruits ronds et semblable à une baie de laurier ; l’autre à fruits allongés et noirâtres, d’une saveur plus forte. Faut-il y voir les Piper nigrum et lonqum des botanistes? Ce dernier ', abondant aux Moluques et aux Philippines, croit aussi dans l'Inde, des monts Khasia, du Bengale et de l’Assam, jusqu'au Travan- core au Sud et Bombay, à l'Ouest. Les tiges sont an- nuelles, mais les racines vivaces repoussent pendant plusieurs années. Les baies, de petite dimension, sont étroitement serrées autour d'un axe commun et forment un épi long de 4 centimetres environ, qu'on cueille avant la maturité des fruits. Quoique le bétel* ne soit pas un véritable condiment, il faut mentionner ici la culture de cette pipéracée, des feuilles de laquelle les habitants des Indes orientales et de la Malaisie font un si grand usage. Aux tiges ligneuses et grimpantes, avec de nombreuses racines adventives, aux feuilles obovales, aux petites fleurs dioïques, le bétel est peut-être originaire de Java; mais il a dû pénétrer de bonne heure dans la pé- ninsule hindoustanique, comme en témoignent ses noms sanscrits rdgavalli et tämbuüli. On le cultive en grand dans les terres humides et riches du Bengale et de la Péninsule. 11 se reproduit par boutures, qu'on plante dans des endroits ombragés, à l'abri des rayons du soleil *. 1. Chavica Roxburghii Miquel, Piper officinarum C. de Can- dolle, Piper longum Linné. Roxburgh, Flora, vol. [, p. 154, lui attribue les noms sanscrits wpakulyà, üshanû, capalä, kanä, kôla, krishna, mägadhi, etc. — Watt, Dictionary, vol. VI, 1, p- 258. 2. Piper belle L., Chavica betle Miq. 3. Roxburgh, Flora, vol. I, p. 158. — Drury, op. laud., p. 130. — Watt, Dictionary, vol. VI, 1,p 248-254. 262 LES PLANTES CHÈZ LES HINDOUS L'emploi du bétel est resté confiné dans la région des moussons, la cannelle ou cinnamome s’est répan- due, dès l’époque la plus reculée, dans toute l'Asie anté- rieure, et elle était connue bien avant notre ère dans la Grèce. Il en est question dans la Bible’. Hérodote en parle aussi; mais il ignorait quel végétal produisait ce condiment et il en a entouré la récolte des légendes les plus fabuleuses*; Théophraste les a rapportées aussi, maissans y croire, et ilconnaissait déjà quelque chose de l’arbre qui le donne, mais il le fait croître en Arabie”. D’après Dioscoride et Pline le cinnamome aurait été originaire de l'Éthiopie. On voit combien, au 1°" siècle de notre ère, l'ignorance était grande en- core, dans l'Occident, au sujet de cet aromate recher- ché. Originaire de Ceylan, le eannellier * est un arbre de petite taille, toujours vert et très rameux, de la famille des lauracées ; garni de longues feuilles oppo- sées, luisantes en dessus et glauques en dessous, il se couvre, au mois de Janvier ou de février, de pani- cules de fleurs d'un blanc grisätre et d’une odeur dé- sagréable ; il a pour fruits des haies peu charnues et d'un rouge foncé qui mürissent en avril. On cultive en grand le cannellier dans la région Sud- Ouest de Ceylan, dont le sol léger, le climat doux et uniforme et les pluies fréquentes lui conviennent. L'aménagement des plantations qu’on en fait ressemble à celui de nos taillis de chênes. On taille les jeunes arbres pour les empêcher de trop s'élever et leur faire 1. Canticum canticorum, cap. IV, 14. 2. Historiae, lib. II, cap. 110 et 111. 3. Historia plantarum, lib. IX, cap. 5. 4. Laurus Cinnamomum L. ou Cinnamomum zeylanicum Breyn. — Brandis, Forest Flora, p. 375. LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 263 former une souche, de laquelle partent quatre ou cinq rameaux ; quand ils ont deux à trois mêtres de haut et trois à cinq centimètres de diamètre, on coupe ces ra- meaux à l'époque de la sève, en mai et en juin, et de nouveau en novembre et en décembre; on les divise ensuite en fragments longs de 30 centimètres à peu près — Théophraste dit d’une palme, — puis onenlève, opération qui ne présente pas de difficulté, l'écorce à l’aide d’un couteau et on la fend dans le sens dela lon- gueur ; on emboite ensuite les morceaux d’écorce les uns dans les autres, et on les lie en faisceaux, au bout de vingt-quatre heures, on en racle avec soin la couche externe, puis on les met à sécher sur des claies'. Quand la dessiccation est suffisante, on les réunit de nouveau en faisceaux ; c'est la cannelle du commerce. D'autres cinnamomes, en particulier le cinnamome inerte de la côte de Malabar* et le cinnamome tamala, qui croit dans les monts Khasia, au Sikkim, au Népal et au Koumaon *, fournissent aussi une espèce de can- nelle‘; mais ces arbres ou arbustes ne sont pas cul- tivés de nos jours et ont dù l'être moins encore dans l'antiquité. [I n’y a donc pas lieu d’en parler ici. Il en est autrement du cardamome ét du gingembre, scita- 1. Leschenault de la Tour. Notice sur le cannelier de l'ile de Ceylan. Mémoires du Museum d'histoire naturelle, vol. VII (1822), p. 436-46). 2. Cinnamomum iners Reinw. — Drury, op. laud., p. 137. 3. Cinnamomum tamala Fr. Nees. — F.-A. Flückiger et Daniel Hanbury, op. laud. Trad. vol. Il, p. 239. — Hooker, Flora, vol. V, p. 129. 4. Roxburgh, Il, 297, indique un ZLaurus cassia Willd. comme indigène dans les montagnes de l'Hindoustan ; mais Hooker considère cette espèce comme identique avec le Laurus cinnamomum, et il regarde le vrai Laurus où Cinnamomum cassia comme une plante chinoise. 26% LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS minées qui sont, du moins la seconde, l’objet d’une culture importante et qui remonte sans doute à une haute antiquité. Pour le cardamome ‘, qui croit spontanément dans les forêts montagneuses de la côte de Malabar, les indigènes se bornent le plus souvent à en faciliter la végétation. Quand ils ont trouvé quelque endroit où ces plantes poussent en certaine quantité à l’état sau- vage, ils y pratiquent des éclaircies pour qu’elles puis- sent se développer en liberté. Les cardamomes attei- onent pendant la première saison une hauteur de 30 à 60 centimetres. On débarrasse alors le sol des mau- vaises herbes ; on l'entoure d’une cloison et on aban- donne les plants à eux-mêmes. Au bout de deux années ils commencent à produire, et ils continuent à le faire pendant six ou sept ans. Dans le Nord du Canara, le cardamome est l’objet d'une culture véritable ; on le sème sur couche, et quand les jeunes pousses ont atteint une hauteur suffisante, on les transporte dans les plantations d’aréquiers, en les disposant entre ces palmiers et des bananiers, qui leur fournissent l’ombre nécessaire. Les fleurs paraissent apres la saison des pluies et les fruits commencent à mürir en oBIeUEes la récolte dure pendant deux ou trois mois”. Les nombreux noms sanscrits du cardamome — bähula, candravalä, vayastha, etc. — sont une preuve de l'ancienneté de son emploi, sinon de sa culture, 1. Amomum Cardamomum L., Eleltaria Cardamomum Maton, Alpinia cardamomum Roxb. — Flora indica, vol. I, p. 70. 2. Drury, The useful Plants, p.192. — Flückiger et Hanbury, op. laud., vol. Il, p. 444-447. — Watt, Dictionary, vol. HI, D 226 232. LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 269 dans l'Inde ; le gingembre! — drdraka, katul:anda, indrabheshaja, criñngavera, ete. — ne portait pas moins de noms indigènes et sa racine était encore plus employée. Il réussit surtout dans les terres rouges et grasses du distict de Shernaad sur la côte de Malabar. Au commencement de la mousson on établit des plates-bandes de 3 à 4 mètres de long et de un à un et demi de large; on y pratique de 3 en 3 déci- mètres de petits trous qu'on remplit de fumier ; puis on y enfonce des morceaux de racines choisies de gingembre, qu'on recouvre de feuilles sèches. Ils ne tardent pas à se développer en rhizomes hori- zontaux, sur lesquels poussent des tiges feuillées hautes de 9 à 12 décimètres et de tiges florifères moins élevées et enveloppées par des écailles engaiï- nantes et obtuses”. Les fleurs en épis. courts et de cou- leur pourpre s'épanouissent d'août en octobre; la plante est alors arrivée à sa pleine croissance ; il ne reste plus qu'à arracher les rhizomes et à les faire sécher. On peut croire qu'on cultivait dans l'Inde autrefois comme aujourd'hui le curcuma long* — le {urmeric des Anglais, congénères croissent à l’état sauvage dans le Malabar. Ses nombreux noms sanscrits 2aridrd, kañcani, nicd, etc.; témoignent de l'importance qu'avait prise l'emploi autre amomacée, dont plusieurs espèces 1. Amomum zinziber L., Zinziber officinale Roscoe. — H. Dufrené, La Flore sanscrite. Paris, 1887, in-8, p. 30 et 64. — Roxburgh, Flora, vol. I, p. 47 et 71. 2. Drury, op. laud., p. 456. — Flückiger et D. Hanbury, op. laud., vol. IT, p. 430-434. — Watt, Dictionary, vol. VI, ,4, p. 960. x 3. Curcuma longa L., Amomum Curcuma Gmel. Roxburgh, Flora, vol. I, p. 32-53. M" 266 LES PLANTES CIIEZ LES HINDOUS de cette plante, sinon de l'antiquité de sa culture. Celle-ci se pratique d'ailleurs à peu près comme celle du gingembre. Outre les principes colorants et aroma- tiques connus quils renferment, les rhizomes du curcuma contiennent encore, quand ils sont jeunes, une fécule abondante ‘. De ces épices précieuses, cultivées à des titres divers, on peut rapprocher la canne à sucre — Sac- charum officinarum, — dont le suc concrété a été de bonne heure un des condiments les plus recherchés. Originaire de la région Nord-Est de l'Inde, patrie de la plupart des espèces de saccharum”, en particulier du Bengale, le pays du sucre — qauda, — la canne a dû y être plantée depuis une époque reculée. La mul- tiplicité de ses variétés”, et cette circonstance qu'on ne la trouve plus à l'état sauvage témoignent incon- testablement d'une culture ancienne. On peut aussi, avec Lassen, en voir une autre preuve dans le grand nombre des noms sanscrits et indigènes, qui servent à désigner ses propriétés ou ses divers états, ainsi que les produits qu'on en retire‘. La mention que font les 1. Les tubercules d’une autre espèce sauvage de Curcuma, le C. angustifolia Roxb, renferment aussi une fécule recherchée. 2. A. de Candolle, L'origine, p. 122. — Edm. D:von Lippmann, Geschichte des Zuckers. Leipzig, 1890, in-8, p. 32 et 39. — Watt, Dictionary, vol. VI, 2, p. 31. 3. D'après Grierson (Bihär Peasant Life. Calcutta, 1885, in-8, p. 232), il y a dans la seule province de Bihâr plus de vingt variétés de cannes à sucre, ayant des noms particuliers avec d'innombrables sous-variétés. :. Indische Allerthumskunde, vol. I, p. 318. Zkshu, ikshu- kânda, rasâla « plein de suc », la canne; pundra et kântäraka, la variété rougeûtre: cârkara, prak.sakkara , le sucre en grains, d’où le persan shakar, ar. sukkar, grec oaäxyapov, lat. sac- charum. LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 267 anciens textes de la canne à sucre est une preuve encore plus manifeste de l'antiquité de sa culture ou au moins de l'usage qu'on a fait de ce roseau précieux dès les temps les plus reculés. Ilest question de la canne dans un passage du Väjasaneyasainhita; elle joue aussi un rôle dans une formule magique de l’Atharva, Véda”’. Les lois de Manou font à la fois mention de la canne à sucre et du breuvage enivrant — gaudi, — qu'on retire de la mélasse *® — quda. A partir du 1v° siècle avant notre ère, l'existence de la canne fut connue des Grecs; c'est d'elle, en effet, que parlait Néarque”, quand il dit que, sans le secours des abeilles, certains roseaux de l'Inde pro- duisent du miel. Ératosthène y fait sans doute aussi allusion, lorsqu'il mentionne les roseaux « doux par nature » de l'Inde, et Théophraste, quand il affirme _ que « le miel est aussi produit par certains roseaux ‘ ». Mais on le voit, la connaissance que les Grecs anté- rieurs à notre ère avaient de la canne à sucre était bien vague et incertaine ; il faut arriver à Dioscoride pour trouver un écrivain mieux informé. « Il y a, dit-il”, une espèce de miel, appelé sa£kharon, qu'on recueille sur les roseaux de l'Inde et de l'Arabie heureuse ; il a la consistance du sel, et craque comme lui sous les dents ! » DNS LM = 14 VE Nb. DS Zimmer, Alfin- disches Leben, p. 72. 2. Lib. VIII, 341 et XI, 90. 3. Fragmenta, VIII, 61. Mais il ajoute, ce qui prouve qu'il n'avait pas vu de cannes à sucre, qu'on retirait le miel de leur fruit. 4. Strabon, Geographica, lib, XV, cap. 1, 20. — “AXAn di (ro péAITOS YéVEGts) yivetar év toïs zakduots, Fragm. CXC. 5. De materia medica, lib. If, cap. 104. 268 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Il ne s’agit plus ici d’une substance “incertaine et douteuse, mais d'un produit bien déterminé et connu maintenant dans l'Occident, où il avait enfin pénétré, quoiqu'il y füt rare. D’après Pline, qui en parle dans les mêmes termes à peu près que Dioscoride, comme d’après Galien ’, le sucre était à la fois un produit de l'Inde et de l'Arabie. La canne n’est pas indigène dans cette dernière contrée ; elle avait dû par suite y être importée. Ainsi au premier siècle de notre ère la cul- ture de la canne s'était répandue au delà des limites de son pays d’origine ; à plus forte raison existait-elle dans celui-ci. Depuis combien de temps y était-elle pratiquée ? Aucun document ne nous renseigne à cet égard ; mais on peut supposer qu'elle remontait à une haute antiquité. Il est possible toutefois qu'elle y ait été longtemps sans grande importance ; peut-être se borna-t-on d'abord à planter autour des habitations quelques cannes, dont le suc exprimé suffisait aux besoins de la famille ; mais quand la consommation de celui-ci eut augmenté, quand surtout on eut trouvé le moyen de le concréter, la culture en grand de la canne s’imposa ; on s'attacha à l’anoblir, et le nombre considérable des variétés, qui sont sorties du type aujourd'hui perdu, prouve le soin qu'on y apporta. Ces formes ou variétés dépendent de Ia nature du sol et sont distinguées par la couleur de la canne ; mais quelles qu'elles soient, toutes exigent des labours pro- fonds, un arrosage bien réglé, des fumures abondantes, des sarclages répétés. Au mois d'avril ou au commen- cement de mai on retourne le champ où doitse faire la 1. {isloria naturalis, Lib. XII, cap. 17. — De simplicium medicamentorum facultatibus, Lib. VIE, 3. slhhoen. ts ts Le. is » PP DD ST" NT LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 269 plantation‘; puis on l’irrigue abondamment. On coupe alors la partie supérieure des carnes arrivées à leur entière croissance ; on en fait des boutures de la lon- gueur d'un ou deux entrenæuds, et on les plante de 40 à 50 centimètres de distance, en lignes écartées d'environ 12 à 13 décimetres. Au bout de huit jours les boutures commencent à pousser ; on bine alors légèrement le sol, et, tous les 15 ou 20 jours, on le sarcle et on l'irrigue, tant que les pluies ne sont pas suffisantes. En août ou en septembre les cannes ont 1 à 2 mètres de haut, et ne réclament plus de soins ; trois ou quatre mois après, elles ont atteint leur complet développement; on les dépouille alors de leurs feuilles; puis après avoir retranché les cimes inutiles, on coupe les tiges près du collet et on les divise en fragments qu'on porte au moulin. Apres les céréales, les légumes et les condiments, les plantes oléagineuses et tinctoriales occupaient, avec les textiles, une place considérable dans l’agriculture des Hindous. La mention du sésame — #ila — et de l'huile qu'on en retire, dans les lois de Manou et dans l’'Atharva-Véda”, ne permet pas de douter que cette plante n'ait été des longtemps connue dans l'Inde. Mégasthène parle de la culture dont elle y était l'objet, et c'est cette contrée aussi que Pline regar- dait comme son pays d’origine *. Aujourd'hui on cultive 1. Roxburgh, Flora, vol. I, p. 238. AMD TS MON" ete = AND. 1272; XVII, 482: 3. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 1, 13. — /Jistoria naturalis, Hb. XVII, cap. 22. 210 LES PLANTES CIEZ LES HINDOUS le sésame dans toutes les provinces hindoues. Il y en a deux variétés ; l’une à graines blanchâtres, moins commune, l’autre plus riche en huile, à graines noirà- tres !. On sème la première espèce au mois de février après la récolte du riz; la maturité a lieu en mai. La seconde espèce, cultivée dans des stations élevées, est semée vers le mois de juin, au commencement de la saison des pluies, date indiquée par Ératosthène, et la récolte se fait en septembre. Originaire peut-être de l'Afrique tropicale, le ricin a dû pénétrer de bonne heure, néanmoins, de son pays d'origine dans l'Inde ; ses nombreux noms sanscrits : eranda, citraka, gandharvahastaka, vyäghrapuccha”, etc., sont une preuve de l'antiquité et de l'importance de sa culture dans cette contrée ; cependant il n’est question du ricin ni dans les Védas, ni dans les lois de Manou, et rien ne nous renseigne sur l'époque où il a pénétré dans l'Hindoustan, ni sur la manière dont les habitants de cette contrée le cultivaient dans l’anti- quité *. Nous ne sommes pas mieux informés au sujet de l'ancienne culture du lin — afasi — dans l'Inde ; tout ce qu'on en peut dire, c'est que de la région monta- gneuse du Nord-Ouest, où 1l paraît indigène, il a dù se répandre assez tôt dans le Pandjab ; il y était cul- tivé au 1v° siècle avant notre ère; Ératosthène qui 1. Roxburgh. Flora, vol. IT, p. 10, donne à la première le nom de Sesamum orientale Willd, à la seconde celui de S. indicum. L. Hooker, Flora, vol. IV, p. 337, ne les distingue pas, me plus que Watt, Dichonane vol. VI, 2, p. 502-533. Amarakoca, liv. II, chap. 4, 2; vol. É p. 90. 3. Watt, VI. 1, 519, incline à croire néanmoins que le ricin est indigène dans li Inde, aussi bien que dans l'Afrique tropicale, et qu'il y a été cultivé dès une haute antiquité. LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 211 l’y vit, nous apprend qu’on le semait pendant la saison des pluies’; mais il ne nous dit pas si on le cultivait pour ses fibres ou, comme on le fait aujourd'hui, uniquement pour l'huile qu’on retire de ses graines. De nos jours les Hindous sèment le lin, non à l’époque des pluies, mais en automne, du commencement d'octobre à la mi-novembre?, et parfois avec la mou- tarde ou sénevé. Plusieurs crucifères de ce nom ont été de temps immémorial — leurs noms sanscrits en sont la preuve — cultivées dans l'Inde; telles sont en particularité les formes asiatiques du chou des champs : les Brassica dichotoma — sarshapa, — qlauca — sid- dharthaka — ei toria — tuverika”, — ainsi que le Brassica juncea — rajikd, — la moutarde hindoue propreprement dite Bien que la flore indigène leur offrit les matières tinctoriales les plus diverses, les anciens Hindous de- mandaient surtout ces substances à quelques espèces cultivées : l’indigotier, le carthame, la garance, peut- être le chay-root et le morinda, sinon le safran et l'arbre au henné. L'indigotier — nili — sous-arbrisseau aux feuilles soyeuses et pinnées, aux petites fleurs en grappes rosées ”, est planté dans l'Inde, où il est peut- être indigène, depuis un temps immémorial, encore que 1. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. I, 13 (690). 2. Drury, Useful Plants, p. 279-281. 3. Sinapis dicholoma, glauca Roxburgh et glauca Royle (Brassica campestris) L. L'Amarakoca donne encore au s. dichotoma le nom de tantubha. 4. Sinapis ramosa Roxb. — Watt, Diclionary, vol. I, p. 523- 529. 5. Indigofera tincloria L. Outre celui de nili, l'Amara- koça, 1, 99, lui donne les noms les plus divers : kdlä, rañjani, lulthä, etc. 912 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Dioscoride et Pline soient les auteurs les plus anciens qui aient parlé de son produit. De nos jours l’indigotier est cultivé dans le Sud de la péninsule, le Sind, le Pandjab oriental, mais surtout dans le delta du Gange, dont le sol humide Jui con- vient. Les champs, destinés à l’ensemencement, sont soigneusement labourés en octobre et en novembre, aussitôt que les pluies ont cessé. Quatre ou cinq mois après, en mars où au commencement d'avril, se font les semailles, et l’on coupe les plantes en juillet, au milieu de leur pleine floraison, moment où elles renferment le plus de matière colorante ”. Depuis combien de temps le carthame a-t-l été cul- tivé dans l'Inde? On l'ignore ; mais les nombreux noms sanserits qu'il porte — kusumbha, kamalot- tara, pita, raktaka, mahärajana, vahnicikha, ete. — tirés de la couleur ou de la forme de ses fleurs, témoignent de l'importance qu'y a pris de bonne heure sa culture. Celle du safran — kunkuma, — au contraire, n’a jamais pénétré dans l'Inde propre- ment dite ; un de ses surnoms en sanscrit, £demira- janma, «issu du Cachemire », indique le pays d’où il était importé autrefois dans la Péninsule et le seul où il soit encore cultivé. Avant qu'on le tiràt de cette contrée, les Hindous le demandaient peut-être à la 3actriane, d'où son autre surnom vdhlika «du pays de Balk * ». 1. Herm. von Schlagintweit, Xeisen in Indien, vol. I, p. 263. — Drury, op. laud., p. 256. 2. Amarakoca, liv. I, chap. 9 et liv. III, chap. 4, vol. I, p. 227 et 317. — Asiatic Researches, vol. IL, p. 415. 3. Amarakoça, liv. Il, chap. 6, 3; vol. I, p. 155. — Wait, Dictionary, vol. I, p. 592. LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 2173 Le carthame est peut-être exotique dans l'Inde, la garance ‘ est indigène dans les contrées montagneuses situées au Nord-Est de l'Hindoustan, et à en juger par les noms si variés qu'elle porte en sanscrit — yingi, mañpishthä, samañgä, kälaméshikä, mandukaparni, bhandiri, ete. * —elle a dù être cultivée ou du moins employée dès longtemps dans l’Hindoustan ; elle l’est surtout aujourd'hui dans son pays d'origine et dans le gouvernement de Bombay. On cultive également, mais depuis combien de temps? je l’ignore, dans les terrains sablonneux de la côte de Coromandel et des Concans où elle est indigène, une autre rubiacée, le chay-root des Anglais, le saya des Tamouls”, à cause de la couleur rouge fournie par ses racines. C’est aussi pour la cou- leur jaune écarlate, retirée de ses racines, qu'on plante dans l'Inde entière l’acyuta*, petit arbre de la même famille que la garance et le chay-root, aux feuilles opposées, ovales, aux fleurs blanches en capitule. On cultive de nos jours encore dans l'Inde l'arbre au henné — mendhi—; à quelle époque remonte cette culture? Rien ne nous l’apprend ; mais bien que cet arbre soit peut-être indigène dans la Péninsule, on ne 1. Rubia cordifolia L., munjista Roxb. 2. Amarakoca, liv. Il, chap. 4, 2; vol. I, p.98. — Roxburgh, Flora, vol. I, p. 374. 3. Hedyotis Lam., Oldenlandia umbellata L. — Roxburgh, Flora, vol. I, p. 431. — Drury, p. 240. 4. Morinda citrifolia L. var. bracteata et M. tinctoria Roxb., ainsi que les JL. multiflora et exserta Roxb., que Hooker re- garde comme de simples formes ou variétés du . tincloria. — Asiatic Researches, vol. IV, p. 25-27. — Watt, Dictionary, vol. V, p. 274, lui donne le nom d’acchuka. 5. Lawsonia alba Lam., Lawsonia inermis L. — Watt, Dic- tionary, vol. IV, p. 597. Cf. Les plantes dans l'antiquité, vol. I, chap. 2, p. 50-51. Jorer. — Les Plantes dans l’antiquilé. [I — 18 274 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS le plante peut-être que depuis l'occupation musul- mane. Les anciens habitants de l’Inde ne se sont pas plus contentés des plantes fibreuses ou textiles qui crois- saient à l’état sauvage dans leur pays que des plantes tinctoriales indigènes ; ils en ont cultivé un certain nombre, tel que le cotonnier, l’hibiscus chanvrin et d’autres espèces du même genre, la sida rhomboïdale, sinon le jute, tiliacée que nous avons déjà eu occasion de rencontrer, une légumineuse aussi connue qu’utile, la crotalaire, enfin diverses urticées, en particulier les orties hétérophylles et des Nilghirri, peut-être aussi quelques asclépiadées et une liliacée, la San- seviera. Il existe deux espèces de cotonnier — karpäsa, — indigènes dans l'Inde, l’arborescent et l’herbacé ; mais si toutes deux sont et ont été cultivées de tout temps, c’est de la seconde qu’il s’agit surtout, quand on parle du textile de ce nom. La culture et l'usage en remonte à l'époque la plus reculée. Il est question de l'emploi de ses fibres dans les lois de Manou *; Héro- dote dit de « la laine » qu'on recueillait sur les coton- niers de l'Inde, qu’elle surpassait en finesse et en bonté celle des brebis”. Deux siecles plus tard Néarque, en parlant à son tour, remarquait que les habitants s’en servaient pour fabriquer leurs vêtements *. Théo- phraste ne s’est pas borné à mentionner cet emploi des fibres du célèbre textile, il en a donné la description. 1. Gossypium arboreum L. et herbaceum Roxb. ou indicum L. — Watt, Dictionary, vol. IV, p. 5 et 25. 2. Libe Il, 44 et VIIT, 397. 3. Historiae, lib. IT, cap. 106. 4. Arrien, /ndica, lib 1, cap. 16. LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 275 Les arbres qui fournissent le coton ontles feuilles analogues à celles du sycomore !; mais en somme ils ressemblent à des églantiers. On les plante en rangs dans les plaines, où, vus de loin, on les prendrait pour des vignes... Ils ne portent pas de fruits véritables, mais des capsules de la grosseur d’une pomme printanière, dans lesquelles leur laine est renfermée; quand elles sont arrivées à maturité, elles s’ouvrentet l’on enlève cette laine, dont on tisse à volonté des étoffes fines ou communes. Dans le dernier passage que je viens de citer, Théo- phraste nous apprend que le cotonnier était aussi planté dans l’île de Tylos ; ainsi, au 1v° siècle avant notre ère, la culture de ce textile précieux s'était déjà répandue hors des frontières de l’Inde*; on ne peut douter qu’elle n’eût pris dès lors l'importance la plus grande dans cette contrée, et cette importance ne devait que grandir par la suite. Le cotonnier réussit surtout dans un sol léger et sablonneux, mêlé de dé- tritus végétaux et médiocrement humide, sans être aride toutefois. Les semailles se font en avril ou tout au commencement du mois de mai; la fleuraison a lieu à la fin de juillet ou dans les premiers jours d'août; les graines s'ouvrent au bout de six semaines, et la récolte se fait en septembre*. Apres les pluies d’hiver les plantes poussent de nouveaux jets et de nouvelles fleurs, et vers la fin de février une seconde récolte commence et se continue jusqu’en avril. C’est le duvet dont sont entourées les graines, qui 1. Historia plantarum, lib. IV, cap. 4, 8 et 7,7. Au chapitre 7,7,il est dit: «leurs feuilles ressemblent à celles de la vigne, mais sont plus petites ». 2. Tivetar dE rodro xai ëv ’Ivôoïc... xat èv Aoa6la, cap. 7, 8. Comme Théophraste a dit plus haut que l'ile de Tylos est située dans le golfe arabique, on peut se demander s'il ne parle point encore ici de cette ile plutôt que de l'Arabie continentale. 3. Forbes Royle, Zllustrations, vol. I, p. 90-91. 276 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS fait du cotonnier une plante si précieuse; c’est à la fois le duvet soyeux qui enveloppe les graines de l’arka — Calotropis gigantea — et les fibres de sa tige qui constituent la valeur, comme textile, de cette asclé- piadée; mais elle est si commune dans tous les ter- rains incultes des diverses provinces hindoues qu'on la cultive à peine de nos jours et qu'elle a dû être encore moins cultivée autrefois’. Une malvacée indi- gène dans la région située à l'Est des Ghates septen- trionales, l’hibiscus chanvrin * — ndli — est, au con- traire, pour ses fibres excellentes, cultivé dans l'Inde presque entière, le Bengale excepté. On sème d'ordi- naire cette plante dans la saison froide et en rangs épais ; au bout de trois mois elle a acquis tout son développement ; on l’arrache alors ou on la coupe, et on la porte au rouissoir. Bien que les fibres n’en soient peut-être pas inférieures à celles de l’hibiscus chanvrin, la culture d’une autre malvacée, la sida rhom- boïdale — atibalà, — est à peu près inconnue; et celle du jute‘, si importante aujourd’hui ne remonte guère haut dans le passé, bien que ce textile ait été sans doute connu de temps presque immémorial. Si la culture du jute est récente dans l'Inde, celle du soun * — cana —, petite légumineuse indigène aux 1. Watt, Dictionary, vol. If, p. 38-41. 2. Hibiscus cannabinus L. — Drury, p. 243. — Watt, Dic- tionary, vol. IV, p. 231-235. 3. Sida rhomboidea Roxb., rhombifolia Wild. — Watt, Dictionary, vol. VI, 2. 4. Corchorus capsularis L. — kälacäka — etolitorius L. — patta —. Royle, On the fibrous Plants of India. — Watt, Dic- tionary, vol. IT, p. 536-547. 5. Crotalaria juncea L. — Roxburgh, Flora, vol. IT, p. 259- 261. — Drury, Useful Plants, p. 1635. ‘ LES PLANTES DANS L'AGRICULTURE 277 fleurs jaunes, comme le genêt, y existe, au contraire, depuis l’époque la plus reculée, et elle est pratiquée dans la plupart des provinces, mais surtout dans le Dekkan et le Mysore. On sème le soun d'ordinaire au commencement de la saison des pluies ; quelquefois aussi en octobre ou en novembre. Il pousse vite; dès que la fleuraison est terminée, et avant que les graines mû- rissent, en septembre ou au mois de mars, on arrache les pieds avec les racines ; on les laisse à moitié sécher au soleil, puis on les lie en gerbeset onles fait rouir, comme les tiges du chanvre ou de l’Aibiscus cannabinus. On ne doit pas être surpris aussi que les fibres de ces trois plantes aient été souvent confondues et appelées du même nom çana”. Le chanvre — bhañnga, gañja— a été cultivé dès longtemps dans l'Inde, mais moins comme textile toutefois que pour ses propriétés nar- cotiques ou curatives. C’est à cause d'elles qu'il est, sous le nom de 4hañga, invoqué dans l’Atharva Véda*. La ramie*, le China grass des Anglais, arbrisseau indigène dans le Nord-Est de l'Inde, a été, il semble, cultivé dès longtemps par les indigènes de cette ré- gion, mais il n'a pénétré qu’au siècle dernier dans les autres provinces. Quant à l'ortie hétérophylle aux tiges touffues et vivaces, aux feuilles larges et cordiformes, hérissées de longs poils, elle fournit, 1. Watt, Dichonary, vol. II, p. 597. 2. Lib. XI, cap. 6, 15. Dans un autre passage (lib. II, cap. &, ), le poète védique invoque le cana, mot que Bloomfield tra- duit, comme bhañga, par chanvre. Zimmer, A/tindisches Leben, p. 68, pense qu'il s’agit de deux espèces différentes de chanvre, mais sans dire lesquelles. 3. Boehmeria Hook., Urtica L. nivea, tenacissima Roxb. — Hooker, Flora, vol. V, p. 576. — Watt, Dictionary, vol. I, p. 168-472. 278 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS ainsi que ses variétés, des fibres d’une grande finesse; mais bien qu'indigène dans l'Himalaya sous-tropical et les Nilghirri, la culture en paraît assez récente dans l'Inde ; il n’y a donc pas lieu d’en parler plus longue- ment ici, ainsi que de la ramie. Si les anciens habitants de l’Inde se contentèrent longtemps des fruits sauvages que leur offrait la flore indigène, ils finirent cependant par cultiver près de leurs demeures, pour les anoblir ou les avoir plus à leur portée, quelques-unes des espèces qui les pro- duisaient. À quelle époque remonte cette cülture ? Nous l’ignorons ; mais nous la trouvons pratiquée dès les temps les plus reculés, et elle s’appliqua non seu- lement aux arbres indigènes, mais encore à de nom- breuses espèces exotiques. Parmi les arbres fruitiers de l’Asie antérieure, plusieurs qui croissent égale- ment à l’état spontané dans les vallée de l'Himalaya, durent être cultivés très anciennement dans cette région; tel fut le noyer, qu’on trouve planté de temps immémorial, entre 1 000 et 3000 mêtres, dans le Cachemire, les provinces du Nord-Ouest, le Népal, le Sikkim et même dans les monts Khasia; mais il ne réussit plus dans la plaine du Gange. Le noisetier colurna avait à peine besoin d’être cultivé, on ne l’a aussi planté qu'exceptionnellement dans la région occi- 1. Girardinia D.C., Urtica Willd., heterophylla Wedd., pal- mala Forsk. — Watt, Dictionary, vol. I,p . 498, admet encore la variété zeylanica Den., que Hooker, Flora, V, 550, réunit au type. . RÉ LES ARBRES FRUITIERS 219 dentale de l'Himalaya, où il vient à l’état sauvage au-dessus de 1 500 mètres *. Étranger à la flore de l'Inde, l’amandier a été, dès longtemps sans doute, importé dans le Cachemire et jusque dans le Pandjab; mais dans cette dernière contrée ses fruits sont médiocres. Les espèces de ceri- siers indigènes dans la région himalayenne ne méri- taient guère d’être cultivées ; on y a importé, à une époque probablement ancienne, le cerisier proprement dit et le merisier, et ils sont cultivés dans le Nord- Ouest jusqu'à plus de 2500 mètres d’élévation?. On a cru à tort que la variété 2nsitilia du prunier commun était indigène dans l'Inde septentrionale; les noms qu'y portent ses fruits, alt et alu-bukhära, semblent bien, au contraire, indiquer que cet arbre est d'origine étrangère et qu'il a été, à une date reculée sans doute, importé de l'Iran dans le Cachemire et dans quelques stations élevées du Pandjab, où il s’est acclimaté *. Si le poirier commun est peut-être spontané dans le Cachemire, il paraït n'être que naturalisé dans la région du Nord-Ouest, et même les fruits qu'il y donne, ainsi que dans le Pandjab, où 1l est également planté, y sont durs et sans saveur‘. Bien qu'exotique le cognassier donne, au contraire, jusqu'à une hauteur de 2500 mètres, de très bons fruits, dans les provinces du Nord- 1. Brandis, Flora, p. 49% et 498. — Watt, Diclionary, vol. IL, p. 575 et IV, 550. 2. Brandis, Ælora, p. 191 et 193. — Watt, Jiclionary, vol. VI, 1, p. 343 et 346. 3. Watt, Dictionary, vol. VI, 1, p. 347. &. Brandis, Flora, p. 204. — Watt, Dictionary, vol. VI, 1, p. 374 et 377. 280 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Ouest, où il a dû être importé très anciennement *. Le pommier, qui, lui, croit, il semble, à l’état sauvage dans la région occidentale de l'Himalaya jusqu'à 3000 mètres d'altitude, y est aussi cultivé de temps immémorial; on l’a planté également dans le Pandjab, le Sindh et même dans le Dekkan, où il donne des fruits savoureux, bien que petits’. Indigène dans le Souleiman oriental et dans les montagnes du haut Pandjab, le grenadier — dâädima, dälima — s'est de bonne heure répandu de là dans tout l'Hindoustan proprement dit. D’après le pèlerin chinois Hiuen-Tsiang, il aurait, au vi° siècle de notre ère, été cultivé dans l'Inde entière. Il réussit surtout dans les contrées montueuses ; il y fleurit en avril ou mai et ses fruit mürissent de juillet à sep- tembre *. Si l’on a supposé peut-être à tort que la vigne était indigène dans le Nord-Ouest de l'Himalaya, elle n’en a pas moins été cultivée de temps immémorial dans l'Inde ; ses noms sanscrits drakshà4, mridoika, ou plu- tôt ceux de ses fruits, en sont déjà une preuve; nous savons de plus par le témoignage d'Onésicrite, qu'elle croissait au 1v° siècle avant notre ère et produisait du vin dans le royaume de Musican*, c’est-à-dire dans le Sindh actuel; à plus forte raison était-elle cultivée dans les provinces plus septentrionales: Théophraste nous la montre dans toute la région montagneuse, et 1. Brandis, Flora, p. 206. — Watt, Dictionary, vol. I, p. 676. 2. J. Forbes Royle, /llustrations of the Botany of the Hima- layan mountains, vol. I, p. 206. — Brandis, p. 205. 3. Buddhist Records, vol. I, p. 88. — Brandis, Flora, p. 241. Outre le nom de dâdima, Amarasimha donne encore au grena- dier le nom de karaka. &, Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 1, 22. LES ARBRES FRUITIERS 281 une tradition rapportée par Strabon la faisait croître dans le pays de Nysa et des Oxydraques”. Elle a con- tinué d’être cultivée dans le Pandjab et les vallées de l'Himalaya occidental, en particulier dans le Cache- mire, et elle y donne aujourd'hui encore des raisins renommés. On la plante même — j'ignore depuis com- bien de temps, — mais, il est vrai, seulement pour ses fruits, dans les parties élevées des provinces cen- trales”. Bien plus récente dans l'Inde que la culture de la plupart des arbres fruitiers dont je viens de parler, est celle du pêcher et de l’abricotier. Quoique Royle l'ait regardé comme indigène dans plusieurs districts de l'Himalaya”, le pêcher, en réalité, n'y est qu'accli- maté ; il a été apporté de Chine dans l'Inde, comme dans l'Iran, et probablement vers la même époque; mais encore que sa culture ait pris une certaine exten- sion dans le Nord du bassin du Gange, ses fruits y sont médiocres et acides*. Dans quelques vallées du Sikkim même, ils tombent avant la maturité, bien que la fleuraison se fasse dans de bonnes conditions. L’abri- cotier a mieux réussi que le pêcher dans l'Hindoustan septentrional, où 1l a pénétré sans doute en même temps que lui ; aujourd’hui on en voit de véritables bosquets auprès de presque tous les villages de l'Himalaya. Ses 1. Æistoria plantarum, lib. IV, cap. 4, 11. — Geographica, lib.:X; cap. 1, 7 et 8. 2. Herm. von Schlagintweit, Reisen in Indien, vol. Il, p. 386 et 425. — Brandis, p. 98. — Watt, vol. VI, 4, p. 269-276. 3. Illustrations of the Botany, vol. I, p. 204-205. — Le pé- lerin chinois Hiuen Tsiang, Buddhist Records, vol. I, p. 88, dit que la pêche et l’abricot ent été importés du Cachemire dans l’'Hindoustan. V. plus haut, liv. I, chap. 2, p. 42 et 79-80. 4. J.-D. Hooker, Fimalayan Journals, vol. I, p. 159. 282 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS fruits y mürissent jusqu’à l'attitude de 10 000 pieds. Il est aussi cultivé dans les plaines du Pandjab*. Originaires de la région himalayenne ou de contrées plus septentrionales que l'Inde proprement dite, les arbres fruitiers dont il vient d’être question sont presque tous restés cantonnés dans le Nord ou le Nord-Ouest. Il n’en a pas été de même de ceux dont il me faut parler, et qui, indigènes dans la région tropicale ou sous-tropicale, ont été, dès les temps les plus reculés, cultivés pour la plupart dans la plaine du Gange et dans la Péninsule. L'habitat primitif des deux premiers que nous rencontrons dans l’ordre de la clas- sification naturelle, les Averrhoa carambola — karma- rañnga — et bilimbi, est incertain *; mais, quel qu’en soit le pays d’origine, ces généraciacées arbores- centes, aux rameaux touffus, aux feuilles imparipen- nées, sont depuis des siècles cultivées dans l'Inde tropicale à cause de leurs fruits. Ceux du carambola, de couleur jaune, obovales et anguleux, ont jusqu’à neuf centimètres de long et mürissent en décembre ou en janvier. Les fruits du bilimbi sont plus petits et acides. Si l’on excepte le pamplemousier, le mandarinier et peut-être aussi l’oranger à fruits doux *, la plupart des 1. Brandis, Flora, p. 191. — Watt, Dictionary, vol. VI, 1, p. 3495, — Al. Cunningham, Later Indo-Scythians (The numis- matic Chronicle, vol. XIII, 1893, p. 104), a voulu voir dans les fruits du fabuleux siptachora de Ctésias des pêches ou des abricots ; inutile de montrer combien est peu fondée cette sup- position. 2. Drury, Useful Plants, p. 58, dit que l'A. carambola est originaire de Ceylan et l'A. bilimbi du Travancore. — Hooker, Flora, vol. I, p. 439, les considère l’un et l’autre comme d’ori- gine inconnue. 9. Citrus decumana Willd., nobilis Lour. et aurantium Risso. LES ARBRES FRUITIERS 283 espèces du genre Citrus Sont origninaires de l'Inde. C’est de là, nous l’avons vu, que l’une d’elles, le cédra- tier', a pénétré, probablement sous les Achéménides, dans la Perse et dans la Médie; mais les écrivains grecs et romains, qui ont décrit cet arbre, le regar- daient comme appartenant à la flore de l'Iran”, et ont ignoré qu'il venait de l'Inde. Chose qui peut surpren- dre, les anciens textes sanscrits n’en font pas mention. Croissant à l’état sauvage dans les montsKhasia, ainsi que dans le Koumaon, le cédratier — vijapira — s’est répandu dans toute la région chaude et humide de l’Inde. On a attribué le même habitat au citronnier proprement dit ou limonier® — kecarämba; — mais si l’on en croit Watt, son origine véritable serait incer- taine. Quoi qu’il en soit, cet arbre est cultivé aujour- d'hui dans l'Inde entière, et il l’a été dès longtemps ; un poète nous le montre planté en haies dans les jar- dins*. Toutefois il semble n'avoir pénétré dans l'Occi- dent qu'au moyen àge. Non moins anciennement que le limonier, a dû être cultivé, dans l'Inde, le citronnier acide*— jambtira, — qu'on trouve à l’état spontané dans toutes les vallées tropicales de l'Himalaya, ainsi proba- blement que dans les régions montagneuses des pro- vinces centrales et occidentales de la Péninsule. Une 1. Citrus medica L., le citron des Anglais, le cedro des Ita- liens. Brandis, p. 52. 2. Théophraste, Historia, lib. IV, cap. 4, 3. — Pline, lib. XI], cap: 7: 3. Citrus limonum Risso, le lemon des Anglais, le /imone des Italiens. Le mot /emon est dérivé du persan limün. Watt, Dictionary, voi. Il, p. 352. 4. Bhavabhuti, Mälali et Mädhava, acte VI. Trad. L. Fritze, p. 77. Bhavabhuti donne au citronnier le nom de méluluñgà. o. Citrus acida Roxb. — Watt, Dictionary, voi. Il, p. 355. 284 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS autre espèce, le citronnier doux ou limette' — madhu- karkatikü, — qu'on croit indigène dans les Nilghirri, est aussi cultivée dans la plus grande partie de l'Inde ; mais j'ignore depuis quelle époque. Les orangers à fruits doux et à fruits amers sont répandus dans une partie de l'Inde; mais on ignore depuis combien de temps ils y sont cultivés. Indigène, comme le citronnier acide, dans le sous-Himalaya, du Garhwal aux monts Khasia, l’oranger à fruits amers ou bigaradier* — nâgarañnga — a dù être planté de bonne heure dans les jardins hindous, mais c’est tout ce que l'on peut dire. Quant à l'oranger à fruits doux”, il parait étranger ; originaire de l’Indo-Chine et de la Chine méridionale, il n'a été cultivé dans l'Inde qu’assez tard. De Candolle suppose qu’il a pu y être importé vers le commencement de notre ère; au vrr° siècle, d'apres le pèlerin chinois Hiuen Tsiang*, ilétait com- mun dans l’Hindoustan ; on le cultive surtout dans les monts Khasia, dans les provinces centrales et dans quelques-unes des vallées semi-tropicales de l’Hima- laya. Indigène dans les forêts du sous-Himalaya situées à l'Est de la Ravi, et dans les plaines de l'Inde cen- 1. Citrus limetta Risso. — A. de Candolle (Origine des Plantes, p. 142) réunit à cette espèce, comme Risso, le C. lumia, variété à fleurs teintées de rouge. 2. Citrus bigaradia Risso, l’arancio forte des Italiens, la pomeranze des Allemands. — Watt, Dictionary, vol. I, p.345. — Brandis, p. 53. 3. Citrus aurantium L., appelé aussi ndgarañga en sanserit, hind. nérangi, ar. nâranj, pers. nârang, esp. naranjo, port. laranjeira, it. arancio ou melarancio. Watt, vol. II, p. 336. — Roxburgh, Flora, IT,‘p. 392. 4. Buddhist Records, vol. I, p. 88. — A. de Candolle, p: 145. LES ARBRES FRUITIERS 285 tral, le pommier des éléphants — kapittha — à été sans doute cultivé depuis longtemps ; il est planté au bord des routes, dans le voisinage de presque tous les villages. D’une hauteur moyenne, à la cime élégam- ment arrondie, cet arbre fleurit de février à mai, et ses fruits globuleux, pleins d’une pulpe charnue et acide, mûrissent en octobre. Il faut rapprocher du ka- pittha le bel* — bi/va ou mälüra, — arbre de la même famille, spontané de l'Himalaya oriental au Travan- core, et cultivé de temps immémorial dans l'Inde en- tière. Il peut atteindre une hauteur de 35 pieds; son tronc droit et comprimé est garni d’un petit nombre de rameaux, armés d'épines fortes et tranchantes et cou- verts de feuilles trifoliées d’un vert pâle. Les fleurs, d’un blanc grisätre, à odeur mielleuse, sont disposées en panicule ; elles fleurissent vers le mois de mai, et les fruits, recouverts d’une écorce lisse et jaunàtre, mürissent en octobre ou novembre. Tantôt globuleux, tantôt oblongs ou pyriformes, mais toujours d’une gros- seur considérable, ils renferment une pulpe douce et aromatique de couleur orangée. La famille des rhamnées renferme, comme celle des rutacées, plusieurs arbres à fruits cultivés dans l'Inde. Originaire peut-être du Népal, l'Aovenia duleis est, de nos jours et probablement depuis longtemps, planté dans la région moyenne de l'Himalaya et parfois même dans le haut Pandjab* ; son tronc droit et élancé, que surmonte une large couronne de rameaux touffus, 1. Feronia elephantum Corr., Krataeva vallanga Kœn. — Brandis, p. 56. — Watt, vol. III, p. 324. 2. Aegle Corr. (Cralaeva L.), marmelos. — Drury, Useful Plants, p. 17. — Brandis, p. 57. 3. Roxburgh, Flora, vol. I, p. 630. — Brandis, p. 94. 286 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS s'élève à une hauteur de 30 pieds ; en avril ou mai, il se couvre de fleurs blanchâtres, et le fruit, porté sur un pédicelle mince, mais épaissi à sa partie supérieure, mürit en Juillet. Des différents jujubiers, indigènes dans l'Inde, trois surtout, les jujubiers nummulaïre, commun et propre- ment dit', paraissent avoir été de temps immémorial cultivés dans cette contrée. Spontané dans la région du Nord-Ouest et dans les parties arides de l'Inde méridionale, le Zizyplus nummularia est un arbrisseau souvent planté en clôtures autour des jardins et des champs. Les jujubiers commun et jujuba atteignent aux dimensions de petits arbres; le premier, origi- naire du Pandjab, y est aussi cultivé, ainsi que dans les contrées voisines; le second — badart, karkandhu et kôli — est planté dans l'Inde entière, où il est aussi indigène, de l'Himalaya au Sud de la Péninsule. Tous deux fleurissent du mois de mars ou avril au mois de juin, suivant l'altitude, et leurs fruits, comme ceux du jujubier nummulaire, mürissent pendant l'hiver”. Indigène sur les collines de Khasia, dans le Sikkim et les vallées des monts Satpoura et des Ghates occi- dentales, le manguier — dmra* — s’est, à cause de la beauté de son feuillage vert sombre et persistant, le parfum de ses fleurs et surtout la saveur de ses fruits, répandu de là dans l'Inde entière. Il y est cultivé depuis l’époque la plus reculée. Däns une de ses in- scriptions, Açoka se vante d’avoir fait des plantations 1. Zizyphus nummularia Prodr., vulgaris et jujuba Lam. 2. Brandis, Flora, p. 85-88.— Watt, Dictionary, vol. VI, &, p. 368-373. 3. Mangifera indica L. — Amarasirnha lui donne encore les noms de cuti et rasäli, vol. I, p. 86. LES ARBRES FRUITIERS 287 de manguiers'. L'exemple donné par le célèbre mo- narque a été suivi. À l'exception du Pandjab, où ses fruits ne mürissent pas, le manguier est planté dans tous les jardins hindous, du pied de l'Himalaya au cap Comorin ; il réussit surtout sur la côte de Malabar, dans l’Orissa, et au Bengale. On en compte plusieurs centaines de variétés. Cet arbre, de la famille des Ana- cardiacées, atteint parfois des dimensions considé- rables, il s’élève jusqu’à 70 pieds, et Roxburgh parle de vieux manguiers qui n'avaient pas moins de 15 pieds de circonférence*. Les fleurs d’un jaune pâle s'épa- nouissent à la fin de l'hiver, en même temps que les feuilles commencent à pousser, et les fruits, «les meil- leurs de l'Hindoustan * » mürissent du mois de mai au mois de juillet; de la forme et dela couleur à peu près d'un abricot, ils peuvent atteindre la grosseur d’un œuf d’oie. On plante aussi — j'ignore depuis quelle époque — dans les jardins hindous un autre arbre de la même famille que le manguier, mais plus petit que lui, l’ämratakt où kapttana*. Couvert de longues feuilles — elles ont jusqu'à 7 décimètres — pinnatifides et d’un vert brillant, mais caduques, ses larges panicules de fleurs blanches s’épanouissent en avril, et ses fruits ovoïdes et charnus mürissent pendant la saison froide. Les deux arbres fruitiers dont il me faut parler maintenant, le moringa et le tamarin, ne portent point 1. Asiatic Journal of Bombay, vol. VI, p. 595. — Senart, Les inscriptions de Piyadasi. Paris, 1881, in-8, vol. IT, n° 8, p#120: 2. Flora indica, vol. I, p. 642. 3. Mémoires de Baber, traduit par Pavet de Courteille, vol. II, p. 208. 4. Spondias mangifera Pers. — Amarakoca, vol. I, p. 85. — Brandis, Flora, p. 128. 288 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS de drupes ou dé baies, comme ceux que je viens de décrire, mais des gousses. Le premier! — ç6bhäñjana, — indigène dans le sous-Himalaya moyen, est un petit arbre au tronc droit, aux grandes feuilles tripinnées, à fleurs blanches, tàchées de jaune, odorantes et rêu- nies en panicules à l'extrémité des rameaux, aux longues gousses pendantes. IL est cultivé dans la plus grande partie de l'Inde. Le second — Tamarindus indica — peut atteindre à des proportions considéra- bles ; Brandis parle de 80 pieds et davantage”. Sa cime large et ombreuse, ses feuilles pinnées et persistantes, ses fleurs en grappes pendantes, aux pétales jaunes et rayés de rouge, font de cet arbre un des plus beaux de l’Inde. Il fleurit pendant la saison chaude et ses gousses arrivent à maturité au milieu de l’hiver*. Répandu de nos jours dans l'Inde entière, le Nord- Ouest du Pandjab excepté, il y est cultivé depuis l'antiquité la plus reculée, encore qu’on l'ait regardé comme exotique“. [l portait en sanscrit les noms d’amn- lika et de tintidi; celui que nous lui donnons est dérivé de l'arabe famar hindi « palmier de l'Inde ». Malgré la médiocrité de ses fruits, le jambousier ou pomme rose” — jambu, — arbre de la famille des myrtacées, a été très anciennement cultivé, et du Sik- kim, où il semble indigène, il a pénétré dans tous les 1. Moringa plerygosperma Gärtn. — Æyperanthera moringa Roxb. — Asialic Researches, vol. IV, p. 277. 2. The Forest Flora, p. 165. 3. Asialic Researches, vol. IV, p. 247. — Roxburgh, vol. IT, 216: s 4. Hooker, The Flora, vol. Il, p. 273, après Brandis, le dit originaire de l’Afrique tropicale. 5. Eugenia jambos L., Jambosa vulgaris DC. — Asiatic Researches, vol. I, p. 419. — Brandis, Flora, p. 233. : LES ARBRES FRUITIERS 289 jardins de l'Inde, et il est devenu comme le symbole de cette contrée. De petite taille, avec les feuilles entières et coriaces, de 15 à 25 centimètres de long, de grandes fleurs aux pétales blancs, son fruit demi- globuleux, de un à deux pouces de long, mürit de juillet en août. On cultive aussi dans l'Inde un autre arbre du même genre, le 7ambula', indigène du Pandjab à la côte de Coromandel; grand et robuste, il atteint de 70 à 80 pieds et réussit dans tous les ter- rains et à toutes les altitudes ; ses fleurs petites et grisätres apparaissent en mars ou avril et le fruit qui ressemble à un œuf de pigeon, muürit en juillet. Le Æadamba ou nipa”, grand arbre de la famille des rubiacées, s'est, du Canara, où il paraît indigène, répandu et a été cultivé dès longtemps dans toute la région humide de l'Inde septentrionale; ses feuilles opposées, entières et ovales sont lisses et coriaces ; ses fleurs orangées sont petites, mais parfumées ; ses fruits jaunes à la maturité sont charnus et remplis de graines nombreuses *. Dans les descriptions des poètes hindous 1l est sou- vent question du bakula où keçara*, sapotacée, ana- logue au perséa des anciens Égyptiens, mais indigène dans les forèts du Dekkan. Au feuillage toujours vert brillant, avec des bouquets de fleurs blanches et odo- rantes, son ombre épaisse et le parfum de ses fleurs ont fait dès longtemps planter cet arbre dans tous les jar- dins ; on le rencontre dans l'Inde entière à l'exception 1. Eugenia jambolana. — Roxburgh, Flora, vol. Il, p. 484. — Brandis, Flora, p. 234. 2. Anthocephalus Benth., Nauclea Roxb., cadamba. 3. Brandis, Ælora, p. 262. 4. Mimusops elengi L. — Brandis., Flora, p. 293. Jorer. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 19 290 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS de la contrée du Nord-Ouest. Il produit de petites baies qui deviennent jaunes à la maturité et sont rem- plies d’une pulpe douceätre, d’un goût assez agréable. On cultive aussi dans l'Inde une autre espèce de mimusops' — le kshtrimi; —indigène comme le bakula dans les forêts montagneuses de la Péninsule, il rappelle cet arbre par son port, ses fleurs et ses fruits. On le plante aux bords des routes dans le voisinage des villages. On rencontre aussi dans l’Inde centrale, mais plus à l’état spontané que cultivé, une autre sapotacée, le mohwa * — madhuka, — arbre de 12 à 15 mètres de haut, aux feuilles alternes, oblongues et épaisses, aux fleurs blanc-crême et charnues, qui s'épanouissent en mars ou avril ; les baies verdàtres, de la grosseur d’une petite pomme, mürissent en juin et Juillet. Le Carissa carandas — karamarda — arbuste de la famille des apocynées, garni d'épines géminées fortes et tranchantes, qui le rendent propre à faire d’impé- nétrables palissades ; ses fleurs blanches, inodores, en corymbes terminaux, s’épanouissent de janvier en avril ; le fruit mürit en juillet ou août; c'est une baïe ovoïde rouge d’abord noire à la maturité, d'un goût un peu acidulé. Indigène, dit-on, dans le pays d'Oudh, le karamarda est cultivé dans l'Inde presque en- tière*. Nous connaissons déjà le sébestier — Cordia myxa, — cet arbre de la famille des boraginées, cultivé an- ciennement en Égypte, où il avait été probablement 1. Mimusops indica DC., hexandra L. — Brandis, Flora, p. 291: — Watt, Dictionary, vol. V, p. 252. 2. Bassia latifolia Roxb. — Drury, Useful Plants, p. 69. — Brandis, Flora, p. 289. 3. Drury, Useful Plants, p. 116. — Brandis, Flora, p. 320. LES ARBRES FRUITIERS 291 importé‘; indigène dans le sous-Himalaya et dans l'Inde centrale et méridionale, il y est en même temps et depuis l'époque la plus reculée, l’objet d’une culture étendue. Il portait en sanscrit le nom de se/u. S'éle- vant à 10 à 12 mètres, ses branches touffues et étalées forment une cime arrondie et ombreuse ; ses feuilles rudes, ovales, arrondies à la base, mesurant 8 à 15 cen- timètres de long, persistent jusqu’à la fin de l'hiver: les fleurs blanches réunies en corymbe s’épanouissent en mars Ou avril ; le fruit mürit de mai à juillet; c'est une drupe d'environ trois centimètres de long, sup- portée par le calice élargi et persistant, et remplie d’une pulpe visqueuse avec un noyau très dur au centre *. Plusieurs des nombreuses espèces de figuiers hin- doustaniques ont été cultivés de temps immémorial dans la péninsule, mais plus à cause de leur ombre, de leur port majestueux ou de leur caractère religieux, il est vrai, que pour leurs fruits. Les lois de Manou, prescrivaient de planter * comme bornes des champs, entre autres arbres, le nyagrodha, ou figuier de l'Inde, et l’acvatha, ou figuier religieux. Indigène dans la région sous-himalayenne et dans l'Inde centrale, le premier", « l’arbre des Banians », portait encore en sanscrit le 1. Les Plantes dans l'antiquité, vol. I, p. 124. 2. Drury, op. luud., p. 159. — Brandis, Flora, p. 336. 3. Lois de Manou, liv. VIII, 246. On y mettait aussi des kimçukas — Butea frondosa Roxb., — des calmalis — Bom- bax malabaricum DC., — des câlas, des tàlas, des bambous, ‘des camis — Acacia suma Kurz. ou Prosopis spicigera L., — des roseaux et des touffes de kubjakas, enfin des lianes, telles peut-être que la Cæsalpinia sepiaria Roxb., que Haïder Ali faisait planter autour de ses forteresses pour en rendre l’ap- proche inaccessible. Brandis, p. 156. 4. Ficus indica Roxb. ou Ficus bengalensis L. — Brandis, Flora, p. #13. 292 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS nom de vata, et le grand nombre de ses racines adven- tives lui avait fait donner le surnom de bahupada « aux pieds nombreux ». Ses feuilles entières, cordées à la base, ont de 12 à 24 centimètres de long; ses branches étalées répandent une ombre épaisse, qui l'ont fait cultiver de tout temps. « J'ai planté au bord des routes, dit Acoka dans un de ses édits', des nya- grodhas pour qu'ils donnent de l'ombre aux hommes et aux animaux. » Il y avait et il y a encore un figuier des Banians, — le grämadruima « Varbre du village », — dans presque tous les bourgs de l'Inde, à l'endroit où se croisent les rues principales *. A l’époque de la ma- turité, en avril ou mai, les fruits du nyagrodha devien- nent rougeûtres ; ils sont comestibles, mais petits et de médiocre qualité. La grandeur du figuier de l'Inde, ses dimensions vraiment énormes, qui le font ressem- bler à un temple de verdure, ont frappé tous les voya- geurs depuis l'antiquité grecque * jusqu’à nos jours, et l'ont fait célébrer par les poètes comme le plus beau des arbres de la terre. Il atteint parfois à des proportions colossales. Roxburgh dit avoir vu des banyans hauts de 100 pieds et dont les branches couvraient un espace d’au moins 500 toises de circonférence“. Il y en a un dans une île de laNarbada, un peu au-dessus de Barygaza, qui, avant d’être, en 1783, détruit en partie par un ouragan, avait plus de 1300 troncs principaux et plus de 3 000 1. E. Senart, Les inscriptions de Piyadasi, vol. II, n° 8, 06: 2. Râämäyana, lb. IT, cant. 6. 3. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 1, 21 (694). Pline, lib. XIT, 11. — Tavernier, Voyages de Perse, liv. V, chap. 23, p. 736; Voyages des Indes, liv. II, chap. 6, p. 420. Cf. plus haut, p. 237. 4. Lassen, op. laud., vol. I, p. 255. P { LES ARBRES FRUITIERS 293 troncs plus petits; une armée de 6 à 7 000 hommes pouvait camper sous son ombre. On lui donne 500 ans d’existence, mais il en a probablement bien davantage. Quand les graines du nyagrodha, empor- tées par les oiseaux, tombent dans l’axe des feuilles du palmier en éventail, elles y germent et les racines descendent le long du tronc qu’elles enlacent peu à peu, à l'exception de la cime. A la fin on ne voit plus que la tête et les feuilles du palmier émerger du milieu du banyan; c’est là, aux yeux des indigènes, une union sainte, et ils la regardent avec vénération ‘. L'acvattha, ou figuier religieux *, est aussi un arbre de grandes proportions ; il atteint Jusqu'à 90 pieds de haut, et son tronc de forme irrégulière et cannelé peut avoir de 25 à 30 pieds de circonférence. Mais les branches, nombreuses et divergentes, ne se recourbent pas vers le sol et n’y envoient pas de racines adven- tives comme le nyagrodha. Les fruits sessiles, axil- laires ont à la maturité la couleur et la grosseur d’une petite cerise noire. Les oiseaux en sont friands, et la graine, portée par eux sur d’autres arbres, y germent et donnent naissance à de gigantesques épiphytes qui font bientôt périr leur support. Les feuilles de l’acvat- tha pendantes, cordiformes, de 9 à 12 centimètres de large, sont terminées par une longue pointe et portées par un pétiole mince et long, qui les rend excessive- ‘ment mobiles ; cela a fait donner à ce figuier le nom de caladala « aux feuilles tremblantes ». Les Boud- dhistes lui ont attribué celui de büdhidruma « arbre 1. Roxburgh, Flora, vol. IIl, p. 540-541. 2. Ficus religiosa L., Urostigma religiosum Gasp. — Rox- burgh, Flora, vol. IT, p. 548. — Brandis, Flora, p. 415. 29% LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS de l'intelligence ». Ses fruits ont reçu le nom de pip- pala, que portait aussi d’ailleurs l'arbre lui-même’. Indigène, comme le nyagrodha dans la région sous- himalayenne et dans les provinces centrales, l’açvattha a été planté de temps immémorial dans l’Indeentière, et les Bouddhistes l'ont porté bien au-delà des fron- tières de ce pays. Au bout de la grande rue de Pes- hawer, on en voit encore un, remarquable par ses dimensions colossales et son antiquité”. Son nom ap- paraît déjà dans le Rig Véda, qui ne parle pas du nya- grodha; il est d'abord question de celui-ci dans l’Atharva Véda *. Ce dernier recueil et la Taittiriyasamhità font aussi mention du figuier tinctorial*—plaksha, — ainsi que du figuier à fruits agglomérés® — wdumbara, — espèces indigènes, la première dans la chaîne du Souleiman, les monts Salifères et la région du Siwalik, la seconde dans le bas Himalaya et la Péninsule. Aux feuilles coriaces, brillantes et brusquement acuminées, le plaksha porte des fruits globuieux, mais petits et blan- châtres à la maturité. Il croît avec rapidité, ce qui le rend propre à faire des avenues, et atteint jusqu’à 12 à 13 metres de haut; de ses branches se détachent assez souvent des racines adventives, mais elles ne donnent 1. D'où le nom pipul ou pipal, par lequel les Hindous dé- signent aujourd'hui le figuier religieux. Asiatic Researches, vol. IV, p. 309. 2. A. Foucher, Sur la frontière indo-afghane. Paris, s. d. (1901), in-12, p. 212. 3. Rig Veda, lib. I, 135, 8. Atharva Veda, lib. V, cap. 5, 5. 4. Ficus infectoria Willd. Atharva Veda, lib. V, cap. 5, 5. — Taittiriyasamhitä, VII, 4; XII, 1. — Brandis, p. 416. 5. Ficus glomerata Roxb. — Atharva Veda, XIX, 31, 1. — T. S:, 1, 151,6; V, 4:07, 3: CE H Zimmer; 7 L: \ D” N ns ER Etat ax dE vPFrAPT de De. LES ARBRES FRUITIERS 295 pas naissance à de nouveaux arbres. L’udumbara est plus grand que le plaksha; Brandis parle d’udumbaras de la vallée du Satledj, qui mesurent de 27 à 34 mètres de haut’. Cet arbre vit parfois, comme le nyagrodha et l’acvattha, en parasite sur d’autres arbres. Ses feuilles, lancéolées et entières ont de 12 à 18 centi- mètres de long; ses rameaux sont pleins d’un suc ou latex abondant ; ses fruits demi-globuleux, de la gros- seur d’une figue ordinaire, mürissent du mois d'avril au mois de juillet, suivant l'altitude; ils prennent alors une couleur rouge-orange. On plante souvent aussi dans la région sous-hima- layenne et dans les plaines du Nord-Ouest le figuier ordinaire * aux feuilles cordiformes, dentées et plus ou moins profondément lobées; étranger à la flore de l'Inde, il a été importé de l'Iran dans ce pays à une époque inconnue, mais qui n'est peut-être pas bien re- culée ; car ni les Védas, ni les textes sanscrits plus récents n'en font mention. Ea culture du murier à fruits noirs — Morus nigra — si répandue dans l'Asie antérieure, est-elle ancienne dans l'Inde ? Il est impossible de le dire par suite du manque de renseignements; mais on peut supposer que cet arbre avait déjà pénétré à une époque reculée dans le Cachemire, le Nord-Ouest de l'Himalaya et le Pandjab, où il est planté aujourd'hui surtout à cause deses fruits. On cultive également dans l'Hindoustan, de nos jours et sans doute depuis longtemps, une autre 1. The Forest Flora, p. 422. 2. Ficus carica L. — Brandis. Flora, p. 418. — Watt, Dic- tionary, vol. IT, p. 347, lui attribue le nom sanscrit añjira. 3. Brandis, The Flora, p. 408. 296 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS espèce de murier, le {ula', indigène dans la région sous-himalayenne et sur les collines du Pandjab, ainsi que dans les vallées du Sikkim. Arbre de petite taille, à feuilles caduques, ovales, longuement acuminées, dente- lées et souvent profondément lobées, il porte des fruits petits, ovoïdes, noirs à la maturité, mais sans valeur ; aussi ce murier n'est-il cultivé que pour ses feuilles. Avec le jacquier* — panasa, le jack-tree des An- glais — nous retrouvons un arbre à fruit d’une réelle importance. D'une origine incertaine, mais probable- ment indigène dans les Ghates occidentales”, cet arbre est cultivé, et depuis longtemps sans doute, dans le centre et le Sud de la Péninsule, le Bengale, l’'Oudh et la région du Nord-Ouest ; un sol sec est celui qu'il préfère. D'assez grande taille, avec une cime touffue et ombreuse, des feuilles obovales et coriaces, brillantes en dessus et rudes en dessous, il porte attachées au tronc ou aux branches des thyrses de fleurs mâles et femelles ; celles-ci, réunies en grand nombre sur un même réceptacle donnent naissance à un fruit oblong et charnu de3 à 8 décimètres de long sur 15 à 30 centi- mètres de large, et pouvant peser jusqu’à 30 kilogram- mes. Dans la pulpe sont logées les graines, chacune d'environ la grosseur d’une muscade *. La floraison a 1. Morus indica L. — Roxburgh, IT, 596, ne le dit même que cultivé. Brandis, p. 409, indique aussi comme cultivés les Morus laevigata Wall. et serrata Roxb. ; mais ils sont sans importance. 2. Arlocarpus integrifolia L.-Amarasirnha, p. 92, lui donne aussi le nom de kantakaphala. 3. D’après Wight et Beddome, cités par Brandis, p. 426. Cf. A. de Candolle, L'origine, p. 239. 4. Roxburgh, Flora, vol. II, p. 323. — H. Drury, The useful Plants, p. 54. LES ARBRES FRUITIERS 297 lieu en novembre et décembre, etles fruits, les plus gros qu’on connaisse d’un arbre, murissent quatre à cinq mois après. On cultive aussi parfois dans la région du Siwalik une autre espèce de Jacquier, le /akuca”. Indi- gène sur les collines du Koumaon et du Sikkim, ainsi que dans les forêts toujours vertes des Ghates occiden- tales, ce grand arbre, aux larges feuilles, porte un fruit jaune à la maturité, moins gros que celui du pa- nasa et d’une saveur acide. On voit combien nombreux sont les arbres à fruits que la famille des urticées renferme dans l'Inde ; celle des euphorbiacées en contient aussi un, commun dans les forêts de la région tropicale, et qui a sans doute des longtemps été planté dans les jardins, l'amala ou dmalaka*. Couvert de feuilles linéaires, aux bords épais et imbriquées dans leur jeunesse, ce qui les fait paraitre comme pinnatifides, avec des fleurs petites d’un jaune verdâtre, il porte des baies charnues et rougeàtres à la maturité, d'un goût acide et astrin- gent. Pour terminer cette longue énumération des arbres à fruits cultivés dans l'Inde ancienne, il faut men- tionner les palmiers, qui jouent an si grand rôle dans l'économie domestique des régions tropicales et sous- tropicales. L'un des plus utiles, il est vrai, le dattier est exotique et paraît n'avoir été importé dans le Sindh et le Pandjab méridional, à plus forte raison dans la vallée du Gange et sur le plateau du Dekkan, que longtemps après notre ère”, probablement à la suite 1. Artocarpus Lakoocha Roxb. — Brandis, p. 427. 2. Phyllanthus emblica L., Emblica officinalis Gaertn. — Brandis, Flora, p. 854. — Watt, Dictionary, vol. VI, 1, p. 218. 3. Au vire siècle, le pèlerin chinois Hiuen-Tsiang remarquait 298 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS de la conquête musulmane; mais la Péninsule en pos- sède plusieurs autres espèces non moins précieuses. Doit-on compter au nombre de celles-ci l’aréquier' — quodka,— originaire peut-être des iles de la Sonde et non de la Péninsule ? Quelle que soit sa patrie, 1l est cultivé de temps immémorial* sur la côte de Malabar, au Canara et dans le Mysore ; aussi peut-on le mettre au rang des palmiers de l’Inde ; il en est un des plus beaux et le plus élégant. Sa tige élancée et mince atteint jusqu’à 25 à 30 mètres de hauteur, et porte à sa cime des feuilles pinnatifides à divisions linéaires oblongues ; les fleurs mâles et femelles sont renfer- mées dans un même et long spadice ; et les fruits prennent à la maturité une belle couleur orangée. On les cueille au mois de juillet et d'août. Le palmier à éventail” est plus répandu dans l'Inde que l'aréquier; on le cultive dans tout le Sud et le centre de la Péninsule, dans le Bengale, le Sindh infé- rieur et même dans les jardins de la vallée du Gange et du Pandjab. S'il est exotique, comme le dit la flore de Hooker‘, il a été importé dans l’Inde à l'époque la qu'il n’y avait pas de dattiers dans l'Inde. Buddhist Records, vol. I, p. 88. 1. Areca catechu L., le betel-palm des Anglais. Asialtic Researches, vol. IV, p. 312. 2. Ilen est question dans Wälati et Mâdhava, pièce de Bha- vabhuti, qui n'est probablement, il est vrai, que du vue siècle de notre ëère. On le voit aussi représenté sur les fresques d’'Ajantà, dont on ne connait point la date exacte, mais qui remontent peut-être à une époque plus ancienne. John Griffiths, The paintings of Ajanrd. London, 1896, in-fol., vol. I, p. 21, fig. 60 et pl. 17 et 31. 3. Borassus flabellifer X., Borassus flabelliformis Murr., Lantarus domestica Rumph., le palmyra tree des Anglais. 4. Vol. VI, p. 481, elle le prétend originaire de la Malaisie. Brandis, p. 544, ne parle pas de son indigénat. De. * LES ARBRES FRUITIERS 299 plus reculée. Il semble que les écrivains grecs le con- naissaient déjà ; peut-être est-ce de lui que Mégasthène a fait mention sous le nom indigène de #4la'. D'une taille élevée, avec des feuilles longues de 1 à 2 mètres, composées de 60 à 80 folioles brillantes, ses épis mâles penchés, aux fleurs délicates d'un jaune rosé, ses gros fruits brunâtres — ils ont de 15 à 20 centi- metres de diamètre, — le palmier à éventail, par son port imposant, mérite le surnom de #rinaräja « roi des herbes », que lui ont donné les anciens habitants; mais s'ils sont gros, ses fruits sont médiocres, et c'est moins pour eux qu'on le cultive que pour la liqueur qui découle des pédoncules des fleurs mâles et pour ses emplois industriels. C'est à la fois pour ses fruits et pour les usages nombreux auxquels il sert qu'on a de temps immémo- rial cultivé dans l'Inde le cocotier” — ndrikera, ndri- kela, nälikela.— De grandes proportions — son tronc annelé atteint parfois 100 pieds, — avec ses feuilles pinnées, qui n’ont souvent pas moins de 4 meêtres de long, son spadice droit et ramifié, couvert à la base de fleurs femelles, en haut de fleurs mâles, ce bel arbre se fait encore remarquer par la grosseur de ses fruits, ces « noix d’Inde » qui ont frappé les anciens voyageurs”. Aimant les brises salines de la mer, un 1. Fragmenta, 23. — Arrien, /ndica, VII. — W. Hoernle, Epigraphical Note on Palmleaf, p. 42, a voulu voir dans le tâla de Mégasthène la caryote (C. urens L.), encore que ce palmier ne porte ni le nom de /âla ni de nom semblable, et qu'il ne soit pas cultivé dans l’Inde septentrionale, la seule que connaissait l'écrivain grec. 2. Cocos nucifera L. 3. Le plus ancien écrivain qui en fait mention, à ma con- naissance, est Cosmas Indicopleustes, qui vivait au vi: siècle 300 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS climat égal et chaud, exposé aux pluies tropicales, il réussit surtout sur la côte de Malabar et à Ceylan, où il forme de véritables forêts ; on en voit dans cette île une qui compte près de 11000 pieds. Rare sur la côte aride de Coromandel, il se plait, au contraire, dans le Delta humide du Gange; on l’a même planté dans l'intérieur de la péninsule sur le plateau de Mysore ; mais 1l n’y croit jamais aussi bien que dans le voisinage de la mer. Sa culture est d’ailleurs d’une grande sim- plicité"; on se borne à déposer, un peu avant la saison des pluies, dans des trous suffisamment espacés, et remplis aux deux tiers d'engrais, les noix de coco arrivées à leur pleine maturité; au bout de trois à quatre mois elles commencent à pousser. Quand la saison des pluies est passée on a soin d'arroser les jeunes plantes et de tenir les racines couvertes de terre. On continue ces soins jusqu'à la quatrième ou cinquième année, époque où les cocotiers commencent à porter des fruits. Ils sont en plein rapport de 25 à 30 ans; mais ils continuent de croitre et de produire jusqu'à 80 ans, et vivent parfois jusqu’à 100. Ils fleu- rissent tous les mois pendant la bonne saison, et sont couverts en même temps de fleurs nouvelles, de fruits naissants et de fruits mürs. Un arbre peut donner de 80 à 100 noix par an. Ces arbres fruitiers ne sont peut-être pas les seuls de notre ère. Xptstiavtxn roroyoaota, lib. XI,(336), s. v. doyehkla. (Migne, Patrologia graeca, t. LXXXVIII, p. #44-45). — The christian topography, translated by J. W. Mac Crindle. Lon- don, 1897, in-8, p. 362. Hobson-Jobson, À glossary, S. Y. coco- nul. 1. Drury, Useful Plants, p. 148. — Watt, Dictionary, II, p. 417. LES ARBRES FRUITIERS 301 qui aient été cultivés dans l'Inde ancienne”; mais ce sont les plus connus comme tels ; voilà pourquoi je me borne à les citer. Il me faut toutefois mentionner encore une plante toute différente par sa constitution végétale, mais qui s'en rapproche par la nature de ses fruits : le bananier, le plantain des Anglais *. Amara- sirnha met cette scitaminée en tête des plantes utiles, et il lui attribue les noms sanscrits les plus divers”: kadali, varanabushàä, rambhä, käshthild, etc. Il n'est point aussi de végétal plus précieux dans la région des tropiques. Exigeant peu de soins, il croit encore avec une extrême rapidité ; en neuf mois sa tige herbacée atteint son plein développement, elle a alors environ 2 à 4 mètres de haut. Les feuilles, qui la dépas- sent de leurs extrémités réunies en touffes, l'entourent de leurs gaines émbrassantes. Aux fleurs, qui dressent leurs épis composés au-dessus de la plante, succèdent bientôt des fruits charnus, oblongs, légèrement cour- bés et anguleux qui, dès le onzième mois, arrivent à maturité. On coupe alors la tige et de nombreux reje- tons — on en a compté jusqu'à 180 — repoussent vite de la souche, et portent des fruits au bout de six mois. Chaque pied fournit de 30 à 40 livres de substance alimentaire, et sur le même espace un bananier, 130 fois plus que le froment. La culture augmente encore cette 1.- Lassen, op. laud., vol. I, p. 32%, en a mentionné plusieurs autres, qui, originaires de l’Amérique, sont d'importation ré- cente et n'ont évidemment pas à figurer ici. 2. Musa sapientum L. et paridisiaca L. — Hooker, Flora, vol. VI, p. 262, considère la Musa paridisiaca de Linné, comme une simple forme de la M. sapientum. — Watt, Dictio- nary, Vol. V, p. 291. — Le nom musa, ar. muza, semble être une déformation du sanscrit moca « banane ». 3. Livre II, chap. 1v, sect. 4; vol. I, p. 103. 302 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS fertilité et elle a donné naissance aux variétés les plus nombreuses ‘. Indigene, dans certains districts du Nord-Est, le ba- nanier a été, de temps inmémorial, cultivé dans l'Inde entière, la région extrême du Nord-Ouest exceptée; il réussit dans les vallées de l'Himalaya jusqu'à une hau- teur de 4 à 5000 pieds. Les poètes nous le montrent planté dans presque tous les jardins qu'ils décrivent; on en voit des bouquets près. des palais, que re- présentent les fresques d’Ajantà *. Les compagnons d'Alexandre, qui le virent dans le pays des Oxydraques, furent frappés des grandes dimensions de ses feuilles ainsi que de la bonté de ses fruits. C’est sans doute le bananier que Théophraste avait en vue”, quand il parle de ces arbres, dont l'un avait des feuilles longues de deux coudées et qui ressemblaient à des pennes d'’oi- seau ‘, l’autre des fruits d'une grosseur et d’une dou- ceur merveilleuses. Mieux renseigné, Pline n’est pas tombé dans l'erreur du naturaliste grec; pour lui ces deux arbres n’en faisaient qu’un, le bananier, et il en connaissait même un des noms indigènes, pala*. 1. Le botaniste Desvaux en a distingué #4 espèces. A. de Candolle, L'origine, p. 245. 2. Griffiths, The paintings of Ajantä, pl. 6,7, 45, etc... 3. Historia piantarum, lb. IV, cap. 4, 5. Cf. pl. haut, chap. I, p 237. 4. En vieillissant, les feuilles du bananier se déchirent per- pendiculairement à la nervure principale et deviennent pin- natifides. 5. Historia naturalis, lib. XII, cap. 12. On a regardé ce nom comme analogue à celui vala que porterait encore au- jourd’hui le bananier dans la contrée de Malaya. Quant à ce que Pline dit des fruits dont un seul suffit pour nourrir quatre personnes, il faut l’entendre d’un régime entier, non d’une simple banane. _. dès LES JARDINS DANS L'INDE ANCIENNE 303 Le anciens Hindous ne se sont pas bornés à planter autour de leurs habitations des arbres à fruits, ils en cultivaient aussi auxquels ils ne demandaient que l’om- bre si précieuse sous leur climat torride’, des sen- teurs délicieuses, dont, comme tous les orientaux, ils étaient avides, et les ornements naturels, qui servaient à parer les temples des dieux, à rehausser la beauté des femmes, on qui étaient le signe de la dignité et du rang des hommes. Si la flore indigène leur offrit longtemps de quoi satisfaire à leurs goûts, elle finit cependant par ne plus leur suflire; d’ailleurs elle variait avec les saisons et les diverses contrées ; pour avoir toujours près d’eux les arbres qu'ils aimaient ou les fleurs qui les charmaient, ils songèrent à les cul- tiver ; c'est ainsi qu'a côté des jardins, où de temps immémorial se trouvaient les plantes potagères néces- saires à leur alimentation, les Hindous en eurent d’au- tres destinés à leur agrément. Tels étaient les Jardins de plaisance privés ou publics, dont parle Amarasirñha*, et que ministres, grands et rois établissaient près de leurs demeures, pour y venir goûter le repos et le frais. Les écrivains, les poètes surtout postérieurs à notre ère, nous ont laissé de nombreuses descriptions de ces parterres, « où fleurs et fruits abondaient en toute saison‘ ». Grâce à elles nous pouvons en reconstituer les traits 1. « L'ombre d’un arbre est un vrai bonheur pour celui qui est brülé par le soleil », dit le Roi dans Urvaci. 2. Amarakoca, liv. 11, chap. 1v, 1 ; vol. I, p. 79. 3. Le Mahäbhärata. Adi-Parva, 7587 et suivants. 304 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS principaux. Là des arbres aux feuillages épais, aux fleurs brillantes ou parfumées dressaient leur tige élancée', autour de laquelle s’enroulaient, retombant en festons, des lianes grimpantes”; ici des arbustes toujours verts et taillés avec art, formaient de gra- cieux et d’odorants berceaux pavés de mosaïques *. Les héroïnes ne dédaignaient pas: d’arroser et de cul- tiver de leurs propres mains les arbres qui leur étaient chers “. Les allées étaient soigneusement entretenues et ratissées *; des grottes ornées de tableaux, y offraient d’agréables réduits ; des étangs naturels ou des bas- sins creusés de main d'homme, couverts de plantes aquatiques, et garnis de jets d’eau°, y entretenaient la fraicheur et servaient d'asile aux cygnes et aux oiseaux aquatiques’, tandis que des paons et des faisans trouvaient une retraite assurée dans les fourrés et les bosquets, que des perroquets, des kokilas et d’autres oiseaux chanteurs faisaient entendre leurs concerts”, 1. Lalila Vistara, chap. xv. Trad. Foucaux, p. 186. 2. Vasantaséna, acte VII, scène 3. Trad. Kellner, p. 136. — Meghadüta, str. 75. 3. Urvaci, acte II. Trad. L. Fritze, p.23" — Çakuntala, acte VI, scène 4. Trad. Kellner, p. 83. — Nâgânandu, acte UT, trad. Bergaigne, p. 70. 4. Meghadüla, trad. L. Fritze, str. 72. Cakuntala, acte I, scène 4. Trad. Kellner, p. 17. 5. Nâgänanda, acte 1, p. 62. 6. Meghadüta, strophe 73. — Mahäbhärata. Adi-Parva, 7590. — Lalita Vistara, chap. xv. Trad. Foucaux, p. 186. — Mudräräkshasa, acte VI, trad. L. Fritze. — Nâgananda, p. 71. 7. Mahäbhärata. Adi-Parva, 7587 et suivants. — Mälävi- kâgnimitra, acte II. Trad. L. Fritze, p. 27. 8. Mahäbhärata. Adi-Parva, 7587 et suivants. — ZLalita. Vistara, chap. xXv, p. 186. — Meghadüta, str. 76. — Mâlati und Mâdhava, trad. Fritze, p. 38. LES PLANTES D'AGRÉMENT 305 cachés dans les branches touffues des arbres, dont des singes avides mangeaient les fruits’. Si par certains côtés, ces parterres ressemblaient à ceux de l'Égypte, de l’Assyrie et de la Perse, ils en différaient aussi par bien d’autres ; ils n'avaient rien des parcs immenses où les rois achéménides, comme avant eux les monarques assyriens, aimaient à chasser les grands fauves ; tout respirait ici le calme et la paix, tout y était préparé pour le plaisir des-sens, non pour les jeux sanglants de la chasse. La flore de l'Inde, si différente de celle de l'Asie antérieure, don- nait aussi à ces retraites charmantes un caractère tout autre. Point de ces longues rangées de pins, de cyprès ou de vignes des bas-reliefs assyriens, plus de sycomo- res, de dattiers ou de palmiers doums, comme on en voit sur les peintures des tombes pharaoniques. Des arbres tout différents croissaient dans les parterres hindous. C'étaient des campakas *, aux grandes fleurs jaunes d'un parfum si pénétrant que les abeilles, dit- on, craignent d'en approcher”; des açokas aux co- rymbes de fleurs orangées'; des mandàäras, «arbres de corail », aux longs thyrses de fleurs écarlates”; des 1. Mricchakatikà. Trad. Kellner, p. 136. 2. Michelia champaca L. — Ratnävali. Trad. Fritze, p. 18. 3. W. Jones. ap. Drury, p. 292. Bhavabhüti parle, au con- traire, de campakas, dont les fleurs ont été ouvertes par un essaim d’abeilles. Wälali et Mâdhava, acte II, trad. Fritze. p. 58. 4. Jonesia asoka Roxb. — Cakuntalä, acte I, trad. Ber- _ gaigne, p. 17. — Mälavikà et Agnimilra, actes IIL et V, trad. Fritze, p. 32 et 63. — Urvaci, acte II, trad. Fritze, p. 22, 23, etc. — Meghadüta, Sstr. 75. — Mâlali et Mâdhava, acte Il, p. 37. 9. Erythrina indica Lam. — Cakuntalà, acte VIT, p. 163. — Urvaci, acte I, p. 12. — Meghadüta, str. 72. JoRET. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 20 306 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS candanas rouges, de grands saptaparnas, aux panicu- les de fleurs blanchätres'" et des tamälas au sombre feuillage *, des sinduväras, ces gattiliers de l'Inde’, etc. Puis des arbustes ou des lianes, tels que les bandhü- kas', «flammes des bois », aux fleurs rouge brillant ; des jasmins simples ou doubles ; la màlati aux grandes fleurs”, la mallikà et la navamallikà parfumées*, la cephàli, dont les fleurs odorantes d’un: blanc orangé s’ouvrent le soir et se ferment ou tombent aux pre- miers rayons du soleil”; la mädhavi ou atimukta aux fleurs parfumées”, etc. On y voyait aussi des aré- quiers ”, entourés parfois de lianes de bétel, et d’autres palmiers. À ces arbres ou arbustes d'agrément se mélaient des arbres à fruits; avant tout des manguiers ”, plan- tés dans la plupart des jardins hindous, presque autant pour leur épais feuillage et leurs fleurs odorantes que 1. Alstonia scholaris. R. Brown. — Priyadarcikä, acte I, p- 29, 30. — Nägânanda, acte IT, p. 66. 2. Cinnamomum lamala Nees. F 3. Vitex trifolia L. — Ratnävali, acte I, p. 22. 4. Ixora coccinea L. — Priyadarcikà, p. 29, 30. 5. Jasminum grandiflorum L. — Mricchakatikä, acte IV, trad. Kellner, p. 95. 6. Jasminum sambac L. nâvali, acte [, p. 19, etc. 7. Nyclanthes arbor-tristis L. — Priyadarcikä, p. 29, 30 et 31. 8. Gaerlnera racemosa Roxb. — Asiatie Researches, vol. IV, p. 282. — Urvaci, p. 22 et 28. — Cakuntalà, p.13. — Megha- dûta, str. 73. — Ralnävali, p. 18. — Mâlati et Mâdhava, p. 57. — Mricchakatikä, p. 95. 9. Mâlali et Mäâdhava, p.77. — The paintinys of Ajautà, p. 21, fig. 60 et pl. 3, 55, 58, 66. 10. Mangifera indica L. — Cakuntalà, p. 17. — Mélavikà el Agnimitra, p. 32 et 63. — Urvaci, p. 22 et 23. — Mälati et Mâdhava, p. 39, 42, etc. Cakuntalà, acte I, p. 13. — Rat- LES PLANTES D'AGRÉMENT 307 pour leurs fruits si recherchés ; des citronniers ?, d'ombreux kadambas ou nipas aux fruits d'or *, des kecaras ou bakulas aux fleurs odorantes d’un blanc immaculé*, des panasas ‘, ainsi que d'épais massifs de bananiers”, etc. Le Mahâbhärata renferme une description curieuse d'un de ces jardins d'agrément, celui ou plutôt ceux qui embellissaient Khändavaprastha, capitale du royaume des Pändavas °: Tout autour de la ville s'élevaient des jardins délicieux, plantés de manguiers, d’amrâtakas et de kadambas7, d’acokas et de campakas, de*purnnâgas et de nägapushpas$, de la- kucas° et d'arbres à pain, de càlaset de tâlas 1°, de tamäâlas et de bakulas, de ketakis !! aux fleurs odorantes, de beaux et grands àmalakas ‘? aux branches courbées sous le poids des fruits, de lodhras et d’ankolas ‘* gracieusement fleuris, de jambousiers et de pâtalis !#, de kuñjakas ! et d’atimuktas, de karaviras — 1. Mälavikä et Agnimitra, p. 29. — Mûlati et Mâdhava, p. 17. — Râmäyana, lib. If, cap. C, 27. 2. Nauclea cadamba Roxb. — Nâgänandu, p. 70. \ 3. Mimusops elengi L. — Mâlali et Mâdhava, p. 16 et 26. — Ralnävali, p. 17. — Priyadarcikä, p. 29, ete. 4. Artocarpus integrifolia L. — Mricchakatik, p. 136. * 5. Meghadüta, str. 74. — Ralnävali, p. 26. — The pain- lings of Ajautà, pl. 5, 6, 7, 31, 45, 46, etc. 6. Adi Parva 7582-90. Trad. Protap Chandra Roy, section CCIX, vol. I, p. 578. 7. Spondias mangifera et Nauclea cadamba Roxb. 8. Roltlera tinctoria Roxb.et Mesua ferrea L. 9. Artocarpus lakoocha Roxb. Rämäyana, lb. If, cap. C, 27. 10. Shorea robusta Roxb. et Borassus flabelliformis L. 11. Le Pandanus odoratissimus L., «aux fleurs d'or » les plus parfumées de l'Inde. 12. Phyllanthus emblica L. où Emblica officinalis Gaertn. 13. Symplocos racemosa Roxb. et Alangium Lamarkii Thwaites. 14. Bignonia Roxb. (Stereospermum Cham.) suaveolens DC. 15. Abrus precatorius L. 308 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS lauriers-roses odorants, — de pärijätas! et de maintes autres espèces d'arbres, garnis en toute saison de fleurs et de fruits ; jardins hantés par des troupes d'oiseaux de toutes sortes et qui sans cesse retentissaient du cri des paons, ivres d'amour, et des chants des kokilas. On y voyait des maisons de plaisance aux murs brillants comme des miroirs, de nombreux berceaux de lianes, de ravissants monticules faits de main d'homme, des lacs remplis jusqu'au bord d’une eau limpide, de char- mants viviers, tapissés de lotus et de nélumbos, et où na- geaient des oies rouges, des canards et des cygnes, des étangs couverts de délicates plantes aquatiques. Aucun parterre hindou, en réalité, ne renfermait toutes les espèces végétales que je viens d'énumérer, et dont quelques-unes seulement sont mentionnées dansles descriptions des anciens poètes”? ; mais le goût croissant des fleurs finit aussi par en faire cultiver plusieurs qui semblent avoir été plus ou moins longtemps incon- nues ou dédaignées ; telle, par exemple, la Dif//enia indica* aux grandes fleurs blanches et odorantes ; le calmali, aux larges fleurs d’un beau rouge ; le suvar- naka, aux longues grappes jaunes et parfumées, et le kharvallika, que ses panicules de belles fleurs pourprées ont fait cultiver dès longtemps dans l'Inde entière* ; ainsi que des sesbanies, dont l'espèce à grande fleur est consacrée à Civa; plus tard, l'arbre au henné, que nous avons rencontré en Égypte et dans l'Asie anté- rieure; l'olivier odorant, planté auprès des pagodes; 1. Autre nom de l’ÆErythrina indica L. 2. Välmiki toutefois place encore dans le jardin mythique de Bharadvâja des bilvas, des kapitthas et des jambous. râämäyana, lib. IT, cap. C, 27. 3. Dillenia speciosa Willd. « When in flower one of the most beautiful trees I have ever seen », dit Roxburgh, Flora, vol. IT, p. 650. 4. Cassia fistula L.et Bauhinia purpurea L. Peut-être aussi le kañcanära — Bauhinia variegata L. LES PLANTES D'AGRÉMENT 390 des bignoniacées, aux feuilles et aux fruits démesuré- ment longs, aux larges fleurs odoriférantes ‘; des clé- rodendrons”*, etc.*. Puis, parmi les plantes frutescentes si nombreuses dans l'Inde, divers hibiscus, remarquables par leurs larges fleurs rouges ou jaunes, simples où doubles *; la tabernémontane à couronnes, aux fleurs blanches, odo- rantes la nuit, etc. Enfin des lianes ou plantes grim- pantes, comme la Vallaris dichotoma, apocynée aux fleurs blanches et suaves ; la Perqularia odoratissima, asclépiadée, dont les fleurs jaunâtres, réunies en larges ombelles, exhalent un parfum pénétrant ; des argyréias, convolvulacées ligneuses aux beaux corymbes de fleurs roses, lilas ou parfois blanches, odorantes et exceptionnellement grandes, telle que la bona-nox, le «roi des convolvulus », dont la corolle n’a pas moins de 15 centimètres de large, etc. À côté de ces arbres ou arbustes cultivés pour la beauté ou le parfum de leurs fleurs, on en planta aussi quelques autres que recommandait l'épaisseur de leur feuillage et de leur ombre ou l’élégance de leur port; dans le Cachemire et la région du Nord-Ouest, par exemple, le platane, ainsi que des conifères : déodaras”, 1. Telles la Bignonia suberosa Roxb. (Millingtonia hortensis L.)et la Bignonia (Spathodea DC) amæna Wall. 2. En particulier le Clerodendron siphonanthus R. Brown. 3. Brandis, 2, 137, 160, 164, 238, 309, 348-49, 364. 4. Hibiscus lampas Dalz., populneoides Roxb., Rosa-sinensis Willd., {ortuosus Roxb. (tiliaceus L.). Flora indica, vol. IT, p, 191-195. 5. Argyreia (Letisomia Roxb.) bona-nox Sweet, cuneala DC. — Roxburgh, vol. I, p.494. — Brandis, p. 328, 334 et 344. 6. H. von Schlagintweit, Reisen, vol. Il, p. 371 et 586, parle de déodaras plantés à Simla dans les jardins et en allées, ainsi que de ceux qui sont la parure des hameaux près de Chini. \ 310 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS cyprès, etc. ; dans le centre et le Sud de la Péninsule, des figuiers, des palmiers, en particulier le palmier flabelliforme — /4la —, etc!. En même temps que ces arbres, ces arbustes ou ces lianes, cultivait-on aussi dans les jardins hindous des plantes herbacées d'ornement ? Dans leurs descriptions, les poètes postérieurs à notre ère, parlent souvent des kuravakas, qu'on regarde d'ordinaire comme des ama- rantes cramoisies *, ainsi que des nélumbos et autres nymphéacées, dont les fleurs brillantes émaillaient les étangs”, mais qu'on peut à peine considérer comme des plantes cultivées. En tout cas, il n’estpoint fait mention dans les vers d’aucun poète d’autres plantes herbacées, et il est probable que pendant longtemps on n’en vit guère d’autres dans les parterres de l’Inde. À en juger par le silence des écrivains, ces plantes restèrent indiffé- rentes aux anciens habitants de cette contrée. Ils n'ont point songé à cultiver dans leurs jardins les grandes fougeres des sous-bois, dont nous admirons le feuillage élégant et gracieux ; ils ont encore moins cru y devoir planter — pour ne pas parler du buis — le lierre de l'Himalaya occidental, dont la vue frappa si vivement les compagnons d'Alexandre, maïs qui était pour eux sans signification; ils ont ignoré la rose qui, 1. Brandis, /‘lora, p. 123, 434, 533, 545. — Roxburgh, Flora indica, vol. III, 143. 2. Amarantus alropurpureus Roxb. On y a vu aussi, et peut- être avec plus de raison, la Barleria prionitis L. — Mriccha- katikä, p. 95. — Mälavikä et Agnimitra, p. 31, 3%. 3. Mälati et Mâdhava, p. 42. — Nâgänanda, p.38. — Me- ghadüta, str. 73. — Priyadarcikä, p. 29 et 32, etc. &. Arrien, Anabasis, lib. V, cap. 2, 5-7. LES PLANTES D'AGRÉMENT 311 bien qu'indigène dans la région montagneuse du Nord- Ouest’, n'a pénétré dans les parterres hindous que sous la domination musulmane; ils ont dédaigné les lilia- cées, peu nombreuses sans doute dans l'Inde, mais dont quelques-unes sont si belles”; ils n’ont pas remar- qué davantage, encore moins cherché à cultiver, les orchidées "des forêts hymalayennes ou des Nilghiri, malgré leurs formes parfois si étranges, leurs cou- leurs souvent si vives et le suave parfum qu'exha- lent leurs fleurs. Les arbres et les arbustes d'ornement leur ont suffi; ce sont eux seuls qui, avec quel- ques arbres fruitiers, paraient leurs jardins et dont le feuillage ou les fleurs les charmaient. Eux seuls embellissaient les retraites ombreuses, où les poètes épiques où dramatiques de l'Inde ancienne aiment à nous montrer leurs héros. 1. On y trouve en particulier les Rosa moschata et lutea, Mill., cultivées aujourd'hui dans les jardins. >. Comme la Gloriosa superba Willd., « one of the most ornamental plants any country can boast of », dit Roxburgh, Flora, vol. XI, p. 145. CHAPITRE III LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION ET DANS L'INDUSTRIE Bien que la flore de l’Inde offrit aux tribus aryennes qui s’établirent dans cette contrée les ressources ali- mentaires les plus variées, elles ne se contentérent pas des grains et des fruits qu'un sol fécond leur donnait de lui-même. Des leur arrivée dans le bassin de l’Indus, les nouveaux habitants joignirent aux produits naturels du sol ceux que leur procurait la culture des champs et des jardins. Les céréales — dhdänya — constituèrent dès lors, avec le lait de leurs troupeaux, la base de leur alimentation. C'était avec elles qu’ils triomphaient de la faim, comme chante le poète védique. Ils en man- geaient les grains — dhdäna — tantôt simplement rôtis, tantôt cuits avec du lait”; mais le plus souvent ils les broyaient entre deux pierres” ou les écrasaient dans une espèce de mortier‘, pour les réduire en farine. Ajoutée en petite quantité à du lait, dont elle augmen- tait les qualités nutritives, cette farine formait avec lui 1. Rig- Veda, lib: X, 42, 10. 2. Rig- Veda, lib. VIT, 77, 10. — Afharva- Veda, lib. XII, 2, 80. SRig- Velo lib. 1x5 112,5; 4. Bas-relief de Sänchi. Porte orientale. LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 313 un mélange liquide resté longtemps en usage — Île mantha' —; pétrie, soit seule, soit avec du beurre, elle servait à faire du pain ou des gâteaux ? — puipa —. Une espèce de bouillie — Æarambha — faite avec de la farine d'orge, à laquelle on ajoutait parfois des grains de sésame, constituait un mets particulier, destiné aux Dieux, surtout au Dieu des bergers*. Parmi les céréales, c’est de l'orge que les Aryens paraissent d’abord s'être nourris, comme c’est l'orge qu'ils ont d’abord cultivée ; ils y joignirent le froment dès l’époque de leur établissement dans la vallée de l'Indus ; enfin, quand ils eurent pénétré dans le bassin du Gange et qu'ils connurent le riz, celui-ci prit place à son tour dans leur alimentation. Désormais, l'orge et le riz apparaissent comme la condition première de leur existence; ce sont eux, avant tout, qui les défendent contre la famine. Avec le temps, le rôle du riz dans l’alimentation ne fit que grandir. Il y entrait sous les formes les plus diverses ; on le mangeait grillé ou cuit à l’eau” et faconné en boulettes ; on en servait des « montagnes » dans les banquets"; le plus souvent on en faisait avec du lait une espèce de bouillie”, qu’on assaisonnait parfois avec du beurre et du miel*. Les diverses variétés de riz étaient également employées 1. Grec homérique zvzewv. CF. Zimmer, 0p. laud., p. 268. 2, Rig-Veda, lib. X, 45, 9. — Mahäbhärala, Karna-Parva, 203%et 2035. 3. Väjasaneyasarhilà, 19, 22. — Atharva- Veda, lib. IV, ,7, 3. — Zimmer, 0p. laud., p. 270. 4. Atharva-Veda, lib. I, 28, 7; VIII, 7, 20; XI. 4, 13. 5. Mahäbhärata. Karna-Parva, 2045. 6. Rämäyana, lib. I (Adikàanda), LIV, 3. 7. Mricchakatikä, p. 25 et 181. 8. Buddhist Birth stories, vol. I, p. 88. 314% LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS dans la cuisine hindoue; mais à celles qu'on cultivait on préférait le riz sauvage ; il servait à faire des espèces de ptisseries”. Plus tôt que le riz, sinon que le froment et l'orge, le millet ordinaire — anu — et peut-être les millets ou panics dTtalie — priyañnqu — et fromental — cydmäha — entrerent dans l'alimentation des classes pauvres de l'Inde, de celles en particulier de la région du Nord- Ouest. Il en fut de même du panic en épi, du rayt et du koradüsha”. Les grains en étaient parfois grillés ; d'autrefois ils étaient moulus et servaient à fabriquer du pain ou des gateaux; mais le plus souvent on en faisait une espèce de bouillie. Ils entraient aussi dans la composition de certains mets particuliers que décri- vent les anciens textes. La Vayasaneyasarhitä”, entre autres, parle d’un mets fait avec du riz et du millet bouillis, auxquels on ajoutait de la farine et des grains de froment grillés. Divers sorghos — nous ignorons à quelle époque, mais à une date certainement reculée, — sont entrés aussi dans l'alimentation des Hindous et des peuplades indigènes, dans laquelle ils jouent un si grand rôle aujourd'hui. I en a probablement été de même dans certains districts de la frontière du Nord-Est du Coix lacryma*. Mais les graines de ces espèces cultivées ne sont pas les seules qui servent et qui ont servi, surtout 1. Roxburgh, Flora, vol. Il, p. 201. — Cakuntalä, acte IV, p. 8%, trad. Bergaigne. 2. Panicum spicatum Roxb., Eleusine coracana Gaertn. et Paspalum scrobiculatum L. — Watt, s. v. 3. XIX, 1%. Zimmer, op. laud., p. 269. #. Drury, Useful Plants, p. 400. — Watt, vol. IT, p. 497 et VI1-3: 291. Pr d, - VAR LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 319 en temps de disette, à nourrir les habitants de l'Inde ; celles de nombreuses graminées sauvages sont et ont été aussi autrefois, comme aujourd'hui, employées à cet usage, en particulier les graines de bambous, de panies et de quelques espèces analogues. Les graines des graminées n’entraient pas seules dans l'alimentation des habitants de l'Inde; celles de bien d’autres plantes y servaient également autrefois, comme elles y servent de nos jours: graines crues, bouillies ou rôties du nélumbo, bouillies, des nymphaea blanc, comestible ou lotus et étoilé*; graines surtout de l’amarante fromentale, « l’une des sources les plus importantes de la nourriture des tribus demi-sauvages des contrées montagneuses * » ; on les réduit en farine pour en faire de la bouillie ou du pain, ainsi que celles de quelques sterculiacées de la Péninsule ‘et des cyca- dées de la côte de Malabar”. Enfin, dans la région himalayenne on mange grillées les semences du pin de Gérard, — « un seul arbre peut nourrir un homme durant tout l'hiver » — et même, malgré leur odeur de térébenthine, celles du pin à longues feuilles®. Mais ce sont les graines des légumineuses surtout qui, de tout temps, ont, après les céréales, offert aux 1. Bambusa arundinacea Retz et vulgaris Wendl. ; Dendro- calamus strictus Nees. — Panicum colonum L., crus-galli L. — Cenchrus echinatus Rich. — Chrysopogon montanus Trin., etc. — Watt, Dictionary, vol. I, p. 390 et 394; IT, 246 et 27%; IT, TH ANENTES 2. Roxburgh, Flora, vol. IT, p. 577-79 et 647. 3. Watt, Diclionary, vol. I, p. 211. ns. Sterculia fœtida L. et quitata Roxb. — Watt, vol. VI, 5, p- 363. — Roxburgh, vol. III, p. 156. 5. Cycas circinalis L. et Rumphii Miq. — Watt, vol. II, p. 675. 6, Brandis, Flora, p. 508 et 509. 316 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS habitants de l'Inde les ressources alimentaires les plus variées. Les grains du mâsha, du mungo et du cajan figuraient sans doute au premier rang autrefois, comme aujourd'hui; puis venaient les graines des haricots à feuilles d’aconit, éperonné, multiflore et trilobé, et enfin celles des Dolichos biflorus et lablab, recherchées surtout des classes pauvres. À ces espèces se sont joints plus tard les pois chiches et les lentilles; puis les petits pois, sinon les fèves". Les Hindous consom- maient aussi sans doute autrefois, comme de nos jours, les graines de plusieurs légumineuses arborescentes ou frutescentes sauvages, telles que l'Acacia leucophlaea, la mimeuse grimpante, les Baulinia tomentosa et Vahlii, le tamarin?, ete. Ces graines si diverses étaient mangées tantôt crues, plus souvent grillées ou bouillies, parfois aussi réduites en farine, que l’on mélait à celle du riz ou du froment. Ce n'étaient pas seulement les graines, c'étaient aussi les gousses des légumineuses, cultivées ou sau- vages, que les Hindous mangeaient crues ou cuites autrefois, comme ils le font aujourd'hui; gousses des divers haricots et Dolichos, et même de la markati, dont l'enveloppe extérieure a été enlevée, avec les poils qui la garnissent, ainsi que celles de la Baulu- nia Vahlu, de la sesbanie grandiflore, de l’Acacra leucophlaea et la pulpe farineuse que renferment les gousses du Prosopis spicigera*. Outre les gousses et les graines des légumineuses, on mangeait également les fruits encore verts ou incomplètement formés et 1. Watt, vol. III, 181 et 190 ; VI, 1, 186, 191, 193, 194 et 280. 2. Brandis, p. 161, 163, 168, 184. — Watt, vol. III, p. 313- 320. 3. Brandis, Flora, p. 137, 160, 171 et 184. DE, LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 317 même les boutons de nombre de plantes ; tels que les boutons du Capparis aphylla, des cobhänjana, khar- vallika et kovidära', du Periploca aphylla et de l'Or- tanthera viminea, etc.; ainsi que les fruits non mûrs, cuits ou confits, des Capparis spinosa et horrida, des Moringa concanensis et pleryqgosperma, du selu et de l’'Ehretia Serrata”, etc. Les anciens habitants de l'Inde devaient aussi se nourrir, Comme ceux d'aujourd'hui, des fleurs ou des enveloppes florales de certains arbres ou arbustes, tels que les sépales charnus ou persistants de la Dillenia indica, le calice du çobhäñjana, du çalmali et de l’'Hibiscus sabdariffa ; les fleurs du Xhododendron arboreum, des Vaccinium et du Clerodendron serra- tum, du Calligonum polygonoïdes*, etc. ; mais sur- tout celles d’une sapotacée arborescente bien connue, la Bassia à larges feuilles — madhuüka, hind. mohiwva —. La récolte et la vente des fleurs de cet arbre donnent lieu aujourd’hui à un trafic important, en particulier dans le pays des Bhils. Pendant la saison un seul arbre peut fournir 20 kilogrammes de fleurs et davantage. Elles tombent en grande quantité pendant la nuit et on les ramasse le matin sous les arbres; elles ont alors un goût douceàtre, auquel se mêle une odeur àcre et musquée, ce qui n'empêche pas les indigènes de les manger crues ; les chacals en sont aussi très friands. D'ordinaire cependant on les fait sécher au soleil, puis griller ; elles prennent alors un goût agréable ; aussi 1. Moringa pterygosperma Gaertn., Bauhinia purpurea et variegala L. 2. Brandis, /lora, p. 14 et 15, 130, 160, 330, 335, 337 et 339. 3. Brandis, Flora, p. 1, 31, 130, 281, 372, 426. — Watt, SU Ve 318 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS les met-on dans les sauces et les plats sucrés. Les fleurs de la Bassia à longues feuilles sont également mangées, apres avoir été préalablement séchées et grillées ; souvent aussi on les écrase et on les fait bouillir jusqu’à consistance sirupeuse ; puis on en fait des boulettes qui sont vendues au marché”. D’après Hérodote, les habitants de l'Inde se nour- rissaient surtout d’'herbages*; malgré ce qu'il y a d'exagéré dans cette affirmation de l'historien grec, il n'en est pas moins vrai que les feuilles, les tiges et les jeunes pousses de nombreux végétaux ont joué autre- fois, comme aujourd'hui, un grand rôle dans l’alimen- tation des Hindous. Une fois devenu anachorète, Yayäti ne se nourrit plus que d'herbes et de racines”. Le chantre du Mahäbhärata représente les religieux, auprès desquels Damayanti trouve un refuge, comme ne vivant que d’air et d’eau et n'ayant pour nourriture que des feuilles d'arbres“. Feuilles, jeunes pousses, tiges en- core tendres de nombre de plantes sauvages ou culti- vées servent aujourd’hui à l'alimentation des habitants de l'Inde, surtout des tribus demi-sauvages, et y ont servi autrefois, crues, cuites ou mêlées à d’autres mets. Telles les feuilles du Crambe cordifoha, de la mauve à feuilles rondes, peut-être du jute, de la vigne quadrangulaire, du Sesuvium portulacastrum, que les 1. Asialic Researches, vol. I, p. 300-308.— Roxburgh, Ælora, vol. If, p. 525 et 526. — Brandis, Flora, p. 290. — Drury, Useful Plants, p.70 et 71. — Rousselet, Au pays des Radjahs, Paris, 1875, p. 457, a écrit par inadvertance Cassia au lieu de Bassia, erreur reproduite dans la Mythologie des Plantes, vol. II, p. 50. 2. Historiae, lib. VIT, cap. 181. 3. Mahäbhärata. Adi-Parva, 3536. 4. Nala und Damayanti, übers. von C. Kellner, p. 57. RAR 1 LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 319 habitants du littoral mangent en guise d’épinards, de la mollugine hirsute, du numba et du cobhäñjana', du manddära où parijäta, du pourpier et de la Sa/vadora persica, ainsi que de diverses labiées *?, de la Lysima- chia candida, la seule primulacée comestible, de la Phytolaca acinosa, de plusieurs espèces d’amarantes et de baselles, de chénopodées, telles que l'ansérine blanche, la Sa/sola indica, etc., et de diverses poly- gonées, entre autres du Æumex vesicarius, l'oseille de l'Inde. Il faut ajouter les tiges de la rhubarbe dans la région de l'Himalaya, les feuilles de l'£remurus spec- tabilis, liliacée du Pandjab, les jeunes pousses du figuier des teinturiers, les feuilles encore tendres du Nannorhops de Ritchie, les bractées de la ketaki, les tiges naissantes du täla et des bambous, les pétioles et les feuilles de la colocase et d’autres aroïdées ” ; même la Marsilea quadrifolia et peut-être les champi- gnons, dont un grand nombre d'espèces * entrent au- jourd'hui dans l'alimentation des Hindous et y servaient peut-être aussi autrefois. À côté de ces plantes potagères prennent place les condiments, qui servent à assaisonner les mets et sont parfois eux-mêmes de véritables aliments. Bien que 1. Melia azadirachta L., Moringa pterygosperma Gaertn., Erylhrina indica L. 2. Mentha sylvestris L., viridis L., etc. :; Leucas aspera, cephalotes Spreng. et mollissima Wall. ; Origanum vulgare L. et Perilla ocimoïdes L. 3. Roxburgh, Ælora, vol. Il, p. 104 et 165, 58 et 59, 62, 464 et 469; vol. III, p. 603, 607, 740 et 771. — Brandis, Flora, p: 48, 100, 129, 159 et 160, 371, 414, 416, 545, 548, 567. — Watt, Diclionary, S. \. 4. En particulier les Agaricus campestris L., Morchella esculenta Pers., Helvella crispa Fries. et lHydnum coralloïdes Scop. — Watt, vol. I, p. 131 et IIL, p. 455. 320 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS proscrits par la loi religieuse, l’ail, l'oignon, l’écha- lotte, sinon le poireau, figurerent dès longtemps dans la cuisine des anciens Hindous*, tout exotiques qu'ils sont. L’aneth — sowa —, le Carvi —="syshavie et l’ajouan, la coriandre, le cumin et le fenouil, la mou- tarde et l’asa fœtida, peut-être aussi le fenugrec et le basilic y prirent place dès longtemps, et plus ancien- nement encore le sésame, le poivre et le gingembre, le cardamome, le curcuma et sans doute la cannelle’. Le pelerin chinois Hiuen-Tsiang, que j'ai déjà si sou- vent cité, mentionne au premier rang des plantes co- mestibles de l'Inde, le gingembre et la moutarde*. Et dans le drame de Mricchakatikà, l’un des personnages, Sañsthänaka, attribue la beauté prétendue de sa voix à l'usage qu’il fait, dans ses aliments, de l’asa fœtida”, du cumin, du souchet et du gingembre, et aussi à ce quil mange de la chair de coucou fortement assaisonnée de poivre et préparée avec de l'huile de sésame”. 1. « L’ail, l'oignon, l’échalotte ne doivent pas être mangés par les Dvijas. » Lois de Manou, liv. V, 5. — « Peu de per- sonnes les mangent, disait au vie siècle le pélerin chinois Hiuen- Tsiang; si quelqu'un en use, on le chasse hors des murs de la ville. » Buddhist Records, vol. I, p. 88. 2. L’ail servait de condiment à la tribu méprisée des Vähi- kas. Mahâbhärala. Karna-Parva, 2034 (KLIV, 11). Et l’on voit le héros de Nâgänanda se nourrir d’oignon. Acte I, p. 12. 3. Watt, Dictionary, vol. VI, 5, p. 323-529. 4. Buddhist Records, vol. I, p. 88. 5. Hiñgüjivala. I s'agit probablement de la gomme-résine produite par la Ferula Jaeschkeana Vatke; l'extrait hiigu qu'on en retirait était très usité dans la cuisine hindoue.«Je viens de sentir sur ses lèvres l'odeur de l’hiigu », dit un personnage de l’Æilopadeca, p. 187, trad. Joh. Hertel. 6. Acte VIII, scène 3. Trad. Fritze, p. 137; trad. PauliRe- gnaud., vol. IV, p. 50. LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 321 On se servait peut-être aussi dans l'Inde, comme condiment autrefois, ainsi que de nos jours, des fruits aromatiques du Zanthoxzylum alatum et des feuilles odorantes de diverses rutacées : Murraya Kæniqü, Shimmia laureola et Toddalia aculeata, simon du jus de citron ou de la Limonia acidissima'; mais on y a, de temps immémorial, fait usage du sucre. Dans le Rà- mâyana”, il est question du £risara, riz préparé avec du sésame, et assaisonné de sucre et de cardamome ; et le Mahäbhäshya de Patañjali® parle d’une espèce de boisson fermentée, qui était « épicée avec du sucre doux et du piquant gingembre ». Le sucre, que nous rencontrons là à côté du cardamome ou du gingembre, est, comme ceux-ci, un véritable condiment, qui prit chaque jour une importance plus grande dans la cui- sine des Hindous. Hiuen-Tsiang le mettait au nombre de leurs principaux aliments*. A l’origine, et il en fut peut-être longtemps ainsi, on se bornait à exprimer le suc des tiges de canne”; mais quand par la cuisson on fut arrivé à concréter celui-ci, on employa ce nouvel ingrédient aux usages les plus divers; il servit à con- fire des fruits, à préparer des pâtisseries, des mets doux, des breuvages fermentés, etc. On pourrait iei encore placer la manne qu’on rencontre sur certains arbres, à certaines époques de l’année et en des régions très diverses de l'Inde. Dans le Pandjab et le Sindh, 1. Brandis, Ælora, p. 47-48. — Watt, Dictionary, vol. V, p.290; VE,3,/p. 255; VI, &, p. 67 et 324 2. [ib. II (Ayodhyäkända), cap. LxxIX, 13. 3. Indische Studien, vol. XIII, p. 466. h. Buddhist Records, vol. [, p. 88. — Khadirañngàära-Jätaka. N° 40 des Stories of the Buddha’s former Births. Transl. from the Pâli. Cambridge, 1895, in-8°, vol. I, p. 100. 5. Lalila Vistara, chap. xx1v. Trad. Foucaux, p. 318. Jorer. — Les Plantes dans l'antiquilé. II. — 21 322 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS par exemple, il se forme, par un temps chaud, sur les rameaux du tamaris articulé, d’après Brandis, du ta- maris dioïque, suivant Stocks’, une exsudation sucrée, déterminée par la piqûre d’un insecte, et qui sert à adultérer le sucre ou à faire des pâtisseries. Dans les hautes régions himalayennes, il se dépose, également, durant les grands froids de l'hiver, sur les feuilles et les branches du pin élevé une sécrétion liquide, qui durcit bientôt et se transforme en une espèce de manne blanche et sucrée que mangent les indigènes”. Je suis loin d’avoir terminé l’énumération des sub- stances alimentaires dont faisaient usage les Hindous, puisque je n'ai pas encore parlé des racines et des fruits que les plantes les plus diversés, sauvages ou cultivées, leur fournissaient en abondance. C’est avec des racines et des fruits des bois que Dhaumaya reçoit les fils de Pandou’. Dans le Rämäyana‘, on voit le fils de Vibhändaka en offrir aux nymphes qui viennent le visiter; et le poète nous montre l’anachorète, père du héros, pliant sous le poids des racines et des fruits sauvages qu'il rapporte de la forêt. Les rhizomes* des nénuphars comestible, bleu, rouge et étoilé, du lotus et du nélumbo”, les radis et les carottes, peut-être les raves, sinon les navets; les racines de diverses légu- 1. Watt, Diclionary, vol. VI, 3, p. 411. 2. Brandis, Flora, p. 23 et 512. 3. Mahäbhärata. Adi-Parva, 6919. 4. Lib. T (Adikända), cap. 1x, 28-29. D’après le Canticataka, 11, 19 et le Vairägyacataka, 27, des racines suffisent comme nourriture à l’homme sage. 5. L’Atharva- Veda, lib. IV, 34, 5, leur donne le nom de bisa, mulälin, câluka. Cf. Zimmer, p. 70. 6. Kählara, pushkara, hallaka, kumuda et padma. LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 323 mineuses”', de la Momordica dioïca, de la Codonopsis ovata, et des Ceropegia bulbosa et tuberosa; celles du Coleus barbatus et de l'Urtica tuberosa ; les bulbes de l’'Eulophia campestris, orchidée du Pandjab et de la région himalayenne; les oignons du Crinum de- firum et de la T'ulipa stellata; les tubercules de nom- breuses espèces sauvages ou cultivées d'ignames et de curcumas”*, de la T'acca pinnatifida, d'une maran- tacée, la Cannaindica,et du kakañgr*, espèce de naïadée de la Péninsule; les bulbes de plusieurs aroïdées, telles que la colocase et ses variétés, l’alocase, l’arum cam- panulé; enfin les racines bulbeuses de certaines cypéracées", entrent, depuis un temps immémorial et sous des formes différentes, dans l'alimentation des habitants de l'Inde”. Souvent ils se bornent à faire cuire à l’eau ou griller les racines de ces diverses plantes; d’autres fois ils extraient la matière fécu- lente que renferment certaines d’entre elles, en par- ticulier les racines de divers curcumas. A cet effet, ils les coupent par tranches ou les raclent avec un morceau de bois; tranches ou raclures sont jetés dans un baquet plein d’eau; au bout de quelque temps la fécule se dépose au fond du récipient; on la recueille, et, séchée, elle donne une espèce d’ar- 1. Eriosema chinense Vog., Flemingia veslila Bent., Pa- chyrhizus angulatus Rich., Phaseolus adenanthus Wight, Pu- eraria luberosa DC. (Hedysarum tuberosum Roxb.). 2. Dioscorea aculeata, alata, bulbifera, fasciculata, qlo- bosa, pentaphylla, purpurea, rubella, sativa L., etc. — Cur- cuma angustifolia, amada, caulina et leucorhiza Roxb. 3. Aponogelon monostachyon Willd. 4. Souchet bulbeux (Cyperus jemenicus L. ou bulbosus VahD), Scirpus dubius et kysoor Roxb. 9. Watt, Diclionary, s. v. 324 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS row-root, dont on fait de la bouillie, des gateaux’, etc. Les racines des scitaminées ne sont pas les seules, avec les graines des céréales, dont on retirait une substance féculente ou amylacée nutritive; on en ex- trayait sans doute également, autrefois comme au- jourd’hui, une espèce particulière — le sagou — de la moelle de divers palmiers, en particulier de la caryote brûlante, des Ghates occidentales et du district d'Orissa, du dattier farinifère, du Dekkan et du Travancore, et même de la Corypha umbraculifera, de la côte de Malabar, ainsi que dela Wallichia disticha, du Sikkim*. Pour extraire le sagou du dattier farinifère, les indi- gènes dépouillent de ses feuilles et de son écorce ex- térieure le tronc, qui n’a guère qu'un demi-mèêtre de long, puis ils le fendent en cinq ou six morceaux, qu'ils laissent sécher quelque temps; après quoi ils les pilent dans un mortier pour séparer des fibres la partie farineuse; ils tamisent le tout et recueillent ainsi une espèce de farine, qui, bouillie, donne un gruau épais et nourrissant”. Ils en font aussi du pain. Les fruits n'occupaient pas dans l'alimentation des Hindous une moindre place que les racines ; ils compo- saient avec elles la principale nourriture des anachore- tes'. La flore sauvage en offre un nombre considérable, que les indigènes recherchent encore de nos jours, comme ils le faisaient autrefois, surtout en temps de 1. Drury, Useful Plants, p. 168. 2. On retire également du sagou, des graines séchées des Cycas peclinata Griff., Rumphii Mig. et circinalis Wild. — Drury, Useful Plants, p. 118, 171 et 339. — Watt, vol. I, p. 207 et 576 ; VI, 1, 206. 3. Râämäyana, lib. IT, cap. xxXvVur, 22, XLVII, 2/Pet rIV, 197 — Mahäbhärata, hb. IT, 39 et 15371 ; IX, 2796. 4. Roxburgh, Flora, vol. IT, p. 786. LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 329 disette. Tels par exemple, dans la région tempérée ou élevée de l'Himalaya, les baies de plusieurs épines-vi- nettes’ qu'on mange surtout séchées aujourd'hui, des mures ‘et des cynorrhodons*, quelques cerises et poires médiocres', des pommes, des sorbes, des cormes ÿ et des groseilles, des raisins, ainsi que des fruits de di- verses viornes® et du micocoulier du Midi, des noix et des noisettes ; puis dans le sous-Himalaya, la plaine du Gange et la Péninsule, les fruits des Déllenia indica et pentagyna, de la Flacourtia sapida et de la Garcinia pedunculata, de nombreuses Grewia”, tiliacées répan- dues dans l'Inde presque entière ; ceux du CArysophyl- lum Roxburghi et de l'Aglaïa dulcis, du piydla et de l'amrataka, du Rlus semaialutus, de la Careya arborea et de Ahodomyrtus tomentosa — le myrte des monta- gnes de la Péninsule —., les noix de lacrñgäla, la màcre de l'Inde ; les fruits de l’ankola* et de diversesrubiacées et myrsinées ”, des Bassia latifolia et bulyracea, ainsi que les baies des Zhospyros melanoxylon et kaki, de la Maba burifolia et de la Salvadora oleoïdes, dans 1. Berberis aristata et asiatica Roxb., nepalensis Spreng. et vulgaris L. 2. Rubus biflorus Ham., fruticosus L., lasiocarpus Smith, macilentus Cumb., niveus Wall, rosaefolius Smith, ete. 3. Rosa macrophylla Lindl., gigantea Coll., Webbiana Wall. & Noïriliv. IT, chap. r, p. 222. 5. Cornus capitala et macrophylla Wall. 6. Viburnum cotinifolium, foetens, nervosum Don. et stellu- latum Wall. 7. Grewia asiatica L., opposilifolia et sclerophylla Roxb., tiliaefolia Vahl., vestita Wall, villosa Willd. 8. Alangium Lamarckii Thwaites. 9. Gardenia qummifera L., Randia dumetorum Lam. et uliginosa DC. — Myrsine africana L., capitella et semiserrata Wall. 326 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS le Pandjab et le Sindh, du S#rychnos potatorum, du Melodinus monogynus et de la Wrllughbeia edulis, du Cordia vestita et du ZLycium ruthenicum ; les drupes de quelques verbénacées — Ehretia laevis et Gmelina arborea, — et des Elaeagnus lahifolia et umbellata, ainsi que les fruits de plusieurs euphorbia- cées !, en particulier le myrobalan emblic — 4malaka, — vanté par le pèlerin chinois Hiuen-Tsiang, et ceux du lakuca, les baies du mürier de l'Inde et de divers figuiers *, en particulier celles de l’udumbara, que le même Hiuen-Tsiang mettait au nombre des meilleurs fruits qu'il eût vus dans l'Inde, mais qui, à en croire Roxburgh, seraient d’un goût peu agréable *; puis en-' core les baies du Myrica sapida et de l'Ephedra vul- garis; enfin, malgré leur médiocrité, les fruits de quelques palmiers “entrentet sont entrés de tout temps, comme tous ceux des arbres que je viens d'énumérer et d’autres encore”, dans l’alimentation, surtout des classes pauvres de l'Inde. Les fruits des espèces cultivées offrent, on le com- prend, encore plus de ressources aux habitants de cette contrée. Les cerises et les prunes du Cachemire et de l'Himalaya occidental rappellent celles de l’Asie anté- rieures, d’où elles ont été importées ; si les poires sont de mauvaise qualité, les pommes, les coings et les 1. Briedelia retusa Spreng., Securinega obovata et leuco- pyrus Mull. — Brandis, p. #49 et 456. 2. Ficus bengalensis L. — nyagrodha, — cunia Roxb., glo- merata Roxb., Roxburghii Wallset Rumphii BI. (cordifolia Roxb.). 3. Buddhist Records, vol.I, p. 88. — Floraindica, vol. III, 559. . Borassus flabelliformis L., Chamærops Martiana Wall. — Brandis, p. 545 et 547. 5. Watt, Dictionary, vol. IN, p. 145-451. LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 321 grenades de ces mêmes contrées et du Pandjab sont excellents ; les raisins en sont également délicieux, et les abricots n’y sont pas moins succulents'. Mais ces fruits, à part les grenades, ne se rencontrent guère que dans la région du Nord et du Nord-Ouest; dans la plaine gangétique et dans la Péninsule, ils sont rem- placés par les fruits des espèces indigènes, dont beau- coup nous paraissent médiocres, mais n’en sont pas moins aimés des indigènes. Tels sont d’abord les fruits des Averrhoa hilimbi et carambola, dont le pre- mier n’est guère que confit, tandis que le second, de la grosseur d'une pêche, est mangé cru ou cuit *. À cinq côtes saillantes, jaune à la maturité, il passe pour ra- fraichissant. C’est pour la pulpe juteuse qu'ils renferment que les fruits du bilva et du kapittha*, ainsi que ceux des di- vers Citrus, étaient recherchés ; mais c’est à peu près tout ce que nous en pouvons dire. On peut supposer toutefois qu'on faisait des cédrats, dans leur pays d'origine, le même emploi que dans l'Iran‘. Un poète du vi° siècle” nous montre, preuve du prix qu'on y attachait déjà, des citrons offerts en présent. Si Hiuen- Tsiang a vu réellement dans l'Inde*, et il n’est guère possible de révoquer én doute son témoignage, des oranges douces en abondance, on doit admettre que les habitants les mangeaient alors comme aujour- 4. Brandis, Flora, p. 98, 191, 192, 193, 203, 205. 2. Baber, Mémoires, vol. IT, p. 211. — Watt, vol. I, p. 360. 3. Aegle marmelos et Feronia elephantum Roxb. — Drury, Useful Plants, p. 18 et 212. Voir livre I;chap-1V;,'p. 179: 5. Kälidâsa, Mélavikä et Agnimitra, acte LIT, p. 29. 6, Buddhist Records, vol. I, p. 88, 328 LES PLANTES CIIEZ LES HINDOUS d'hui. Les fruits de l’Hovenia dulcis ont un goût agréable et qui, non sans rapport avec celui de la ber- gamotte, devait les faire rechercher‘; ils n'ont toute- fois joué qu'un rôle sans importance dans l'alimentation des anciens Hindous. Il en fut tout autrement des fruits du manguier — dmra, — considérés comme les meilleurs de l'Inde, et dont on a fait, depuis l’époque la plus reculée, le plus grand usage. Avant la maturité, on les confit et on en fait des conserves ; mürs, ils plaisent par leur saveur aigrelette. Tantôt on les presse pour en exprimer le jus qu'on.avale, ou bien on les pèle et on les mange, comme une pêche ; d’autres fois on en fait une espèce de salade, ou on les met dans les sauces pour en relever le goût *. Les fruits des divers Jujubiers ont été recherchés de tout temps; ceux des jujubiers commun et nummulaire, également parfu- més, sont, les premiers, acides, les seconds, sucrés ; les fruits du badari sont farineux, mais doux et plai- sants au goût …. C'est la pulpe abondante qu'ils contiennent qui fait la valeur des fruits du tamarin ; de tout temps on l'a recueillie avec soin ; la grande quantité d'acide citri- que et malique qu'elle contient la rend éminemment rafraichissante et stomachique'. En dépit de leur sécheresse, les fruits du jambu, de la grosseur d’une petite pomme et dont l'odeur rappelle la rose, sont re- cherchés par les indigènes. [ls n'aiment guère moins ceux du yambula, malgré leur saveur douceàtre et quel- 1. Brandis, Flora, p. 94. 2. Baber, Mémotres, vol. II, p. 208. — Watt, vol. V, 155. 3. Brandis, p. 84-86. — Watt, vol. VI, 4, p. 668-673. 4. Drury, Useful Plants, p. 412. LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 329 que peu astringente'. Jaunes à la maturité, de la gros- seur d’une orange moyenne etcharnus, les fruits du £a- damba sont également comestibles ; le pélerin chinois Hiuen-Tsiang les mettait au rang des plus savoureux de l’Inde*. Les baies des Mimusops indica et elengi sont petites et n’ont que peu de valeur alimentaire, mais elles sont « très mangeables * ». Bien préférable toutefois est l'avigna,— tel est le nom du fruit du £aramarda—; avant la maturité, on le confit ; mür, on en fait une gelée excellente; cru, il plait aussi beaucoup aux indigènes. Ils n'aiment pas moins la pulpe visqueuse qué renfer- ment les drupes des diverses espèces de sébestiers ; les lois de Manou défendaient de se nourrir de celles du selu°; on les mange aujourd'hui, non seulement müres, mais encore, comme légumes, quand elles ne sont encore qu'a moitié formées. Avec celui du jacquier, — panasa — nous retrouvons un fruit essentiellement alimentaire; les indigènes trouvent délicieuse la pulpe jaunätre qui entoure les graines, et celles-ci grillées ont le gout des meilleures chätaignes. Dans le Sud de l'Inde, où le jacquier atteint une taille considérable, ses fruits forment un appoint considérable de la nourriture des habitants". Bien plus important et plus général toutefois est 9929 1. Brandis, Flora, p. 233. 2. Buddhist Records, vol. I, p. 88. Les noms bhadra « bon » et priyaka « agréable », qu'on donne aux fruits du kadamba, témoignent de leur qualité. 3. Brandis, }lora, p. 291-293. 4. Carissa carandas L. — Brandis, llora, p. 321. ». Cordia myxa L. — Lois de Manou, lib. V, 6. — Brandis, Flora, p. 336-339. 6. Roxburgh, Flora, vol. IT, p. 523. — Brandis, Flora, p. 426. — Watt, vol. I, p. 332. 330 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS le rôle joué dans l'alimentation par les bananes — moca, bhänuphala « fruits lumineux », suphala « bon fruit » ; — ce qui en fait la valeur nutritive, c’est la fécule qu’elles contiennent en aussi grande quantité que la pomme de terre. On les mange fraiches ou séchées par tranches au soleil. On en retire aussi, par la dessiccation et en les écrasant, une farine légère, com- parable à celle du riz’. Pour terminer cette énumération des fruits comes- tibles, il me faut encore mentionner les noix de coco — naärikela, — qui entrent, sous des formes diverses, dans l'alimentation des indigènes. Cueillies avant la matu- rité, elles renferment un liquide sucré, le lait de coco, et une pulpe molle et crémeuse d'un goût agréable. Après la maturité, le liquide sucré diminue ou se soli- difie et la couche albumineuse, qui constitue l’intérieur du fruit, devient plus épaissé et plus ferme; on la mange avec du riz; on s'en sert aussi pour assaisonner les sauces ou faire des plats doux *. Aux fruits proprements dits, se rattachent l’auber- gine — vértla —, le concombre, les melons, etc., qui tiennent la plupart autant et plus des légumes que des fruits. Les Hindous mangent les aubergines, coutume probablement très ancienne, en ragoût, cuites sous la cendre et farcies, ou coupées en tranches et grillées, ou encore confites avec divers ingrédients”. Les con- combres, arrivés à moitié de leur croissance, sont con- fits ; une fois mûrs les indigènes les mangent crus ou 1. Drury, Useful Plants, p. 301. 1 2, Watt, vol. IT, p. 448. Hiuen-Tsiang met les fruits du jac- quier, du bananier et du cocotier au nombre des meilleurs de l'Inde. Buddhist Records, vol. I, p. 88. ‘3. Watt, Dictionary, vol. VI, 3, p. 262. LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 331 - ils les mettent, coupés en tranches, dans les ragoûts. Les fruits des Luffa, Momordica et Trichosanthes ser- vent, eux aussi, avant d'être mürs à faire des ragoüts et relever les sauces!. Quant aux melons et aux pastèques, leur rôle dans l'alimentation était le même chez les anciens Hindous que chez les autres peuples de l’anti- quité et chez les modernes. Pour en finir avec ce que j'ai à dire du rôle des plantes dans l'alimentation, il faut ajouter que, surtout en temps dedisette, on devait manger autrefois, comme de nos jours, les noyaux d’un certain nombre de fruits, ceux, par exemple, du manguier, du prydla, du bahe- ruka*, du selu, etc. Les noyaux du dernier ont le goût de noix de filbert ; ceux du piyala rappellent les pista- ches”. L'écorce de plusieurs arbres entrait aussi dans l'alimentation des Hindous *; c’est ainsi qu'en temps de famine on mêle à la farine des céréales l’écorce moulue de l’Acacia leucophlaea, du Prosopis spicigera, de l’Ehretia laevis”, etc. Les Lahüpas du Manipour coupent en tranches, avant l'apparition des feuilles, l'écorce du bouleau acuminé et en mangent la couche intérieure préalablement séchée, ou bien encore ils la réduisent en farine et en font une espece de bouillie *. Le règne végétal ne fournissait pas seulement aux habitants de l'Inde des aliments agréables et nourris- sants, il leur donnait aussi la plupart des- boissons Roxburgh, Flora, vol. III, p. 701, 707, 714. Buchanania latifolia et Terminalia bellerica Roxb. Brandis, Flora, p. 127, 128, 222, 337. Arrien, Zndica, cap. VII, 3. Brandis, p. 184, 340. — Watt, vol. VI, 1, p. 341. Watt, Dictionary, vol. [, p. 451. wo to — BD Où + 332 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS dont ils faisaient usage. L'eau et le lait de leurs trou- peaux avaient été d’abord la seule boisson des Aryens ; mais ils ne s’en contenterent pas longtemps. En quel- ue haute estime qu'ils eurent toujours l’eau, bien 1 J > qu'elle renfermât à leurs yeux tous les remèdes, qu’elle donnât au corps la santé, et procurät une longue vie, à la fin, ils la regardèrent comme un breuvage plus fait pour leurs génisses que pour eux'. Le lait lui- même, s'ils en ont toujours fait largement usage”, finit aussi par ne plus leur suflire ; il leur fallait des boissons fermentées. Dés les premiers temps de leur histoire, le soma, ce breuvage divin, préparé avec une plante sacrée des montagnes, en fut une réservée pour les fêtes et les occasions solennelles ; la swrd”, dont l'origine n’est guère moins ancienne, fut la boisson des jours ordinaires ; «le premier étaitla meilleure nourri- ture des dieux, la seconde celle des hommes ». L'usage de la surà devint si général que sa fabrica- tion donna naissance à une industrie particulière exer- cée par la classe des Suradkara*. X est question dans l’Atharva-Véda, d’une boisson appelée {t/ala”: quelle était-elle? Nous l’ignorons ; mais c'était, il semble, une liqueur analogue à la sur. Quant au parisrut, breuvage fermenté « ni soma, ni surà », dont parlent 1. Rig-Veda,-lib. I, 16, 23 et 23, 18. 2. « Le lait, lit-on dans le Mahäbhärala, est la première des nourritures pour les classes moyennes ». Udyoga-Parva, 1143. « Sur le lait, dit le Catapatha-Brâähmana, XIV, 4, 3, 4, repose tout ce qui respire ». Il est à chaque instant question dans le Rämäyana de lait doux ou caïlé. Lib. IF, cap. C, 49 et 67. Taittiriya-Brähmana, 1,3, 3, 2. Zimmer, p. 280. . Zimmer, Altindisches Leben, p. 281. AT. ANS 26 bret 27, 52 NI690 4 O1 > © LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 3933 d'anciens textes, on a supposé qu'il était fait avec des herbes”; P. von Bohlen y a vu à tort une liqueur obtenue par la distillation” ; Eggeling”* la regarde comme une boisson qui ne différait de la surà que parce qu'elle était préparée avec des végétaux non encore arrivés à leur complet développement. Pour la surà, tout ce qu'on en peut dire, c'est que c'était un breuvage fer- menté et enivrant'. Les anciens Hindous possédaient un grand nombre de boissons de ce genre, d’origine et de composition les plus diverses. Tel était par exemple le dhänyarasa de l'Atharva-Véda”, espèce de bière préparée avec des grains écrasés d'orge, de raji ou de froment, plus tard de riz ou de sorgho. Les écri- vains grecs semblent avoir connu ce breuvage — ce « vin », — fait avec du riz, d’après Strabon, avec du riz ou des cannes à sucre, suivant Élien°. Le jus de certains fruits durent aussi, dès l’épo- que la plus reculée, servir de boisson rafraichissante aux habitants de l'Inde. Tel est en particulier le liquide sucré, encore « plus délicat que n’importe quel breuvage », renfermé à l'intérieur des noix de coco non encore müres. Le jus exprimé de nombre d’autres fruits furent et sont encore employés au même usage. 1. Catapatha-Brâhmana, Gb. V, 1,2, 14. — V.S., 2, 34. — Mahidhara, ap. Zimmer, p. 281. 2. Das alte Indien. Künigsberg, 1830, in-8, vol. IT, p. 164. 3. Catapatha-Brâhmaua,vol. TI, p. 9, note 1. 4. « Potus fervidus, potus inebrians in universum », dit Bopp. Le Catapatha-Brähmana, V, 1, 2, 13, semble en faire le (suc) d’une plante. 5. Lib. IT, 26, 5. « The sap of the grain », trad. Bloomfield. 6. Oivov... nivew Ô” ax’ Opütns. Geographica, lib. XV, Cap. 153. — Tov péy (oïvoy) € OpUfns yetooupyodst, Tov OO êz “akauov. Elien, De naturû animalium, lib. XIIL, cap. 8. 334 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Mais les Hindous fabriquèrent aussi de bonne heure avec eux du vin ou du cidre’, et, pour le parfumer, ils y ajoutaient souvent les fleurs de certains arbres. On donnait parfois à ce mélange un nom tiré de la fleur qui lui donnait son bouquet. C’est ainsi que le vin aro- matisé avec des fleurs de kadamba prenait celui de kädambara”. Quand la vigne eut pénétré et eut été cultivée dans l'Hindoustan, on fit aussi du vin avec des raisins. Si l'on en croyait Ctésias”, ce vin aurait même été excellent. La sève ou le suc de certaines plantes, comme le suc de la canne à sucre, la sève qui découle de divers pal- miers ‘et autres arbres, offraient encore aux Hindous des boissons dont ils firent très anciennement usage. Ils se bornèrent d’abord pendant longtemps à mâcher les cannes, comme le font encore aujourd’hui les habi- tants demi-sauvages des iles de l'Océanie; plus tard ils en recueillirent le suc exprimé. Au nombre des mets servis sur la table de Cuddhôdana figurait du jus de canne et du sucre *. On peut croire que l’usage du suc de canne, qui était plutôt un condiment qu'un vrai breuvage, diminua, s’il ne disparut pas complètement, après la découverte de la fabrication du sucre ; si l'on 1. Bohlen, Das alte Indien, vol. Il, p. 164. 2. Lois de Manou, lib. IT, 95. On aromatisait encore le vin avec des fleurs de dhâtri — Phyllanthus emblica — et de dha- taki — Grislea tomentosa. 3. Indica, 29. Ilest aussi question de vin rouge de l’Inde dans Arrien. Aisloria indica, cap. xIv, 9. 4. Phœnix sylvestris Roxb., Borassus flabelliformis L., Ca- ryota urens L.et Cocos nucifera L.—A ces palmiers, on pour- rait ajouter le Vipa fruticans Wurmb.; mais il est douteux que les anciens Hindous aient connu cette plante des Sunder- bands, ou ils ne l’ont connue qu’assez tard. 5. Lalita Vistara, cap. 5, p. 42. ad à à LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 33 en croit Hiuen-Tsiang toutefois”, on faisait de son temps avec ce suc et du jus de raisin un sirop non fermenté, qui servait de boisson aux Brahmanes. Mais cet usage du suc de canne a fini par tomber en désuétude ; on n’a point cessé, au contraire, de recueillir et d’em- ployer comme boisson la sève des palmiers et ses divers produits. Pour obtenir celle du kharjüra — le dattier sau- vage, — au commencement du mois d'octobre, on pratique au-dessous de la couronne des feuilles une entaille profonde par où cette sève s'écoule ; elle s'arrête au bout de trois jours ; le sixième, quand la blessure est cicatrisée, on fait une nouvelle entaille et on con- tinue ainsi jusqu’à la fin de la saison. L'année suivante on laisse reposer le palmier, mais on recommence l'opération la troisième année, et on peut la répéter pendant près de dix ans *. Pour le tàla, la caryote et le nàrikela, on procède d’une manière différente ; on ne pratique pas d'entaille dans leur tronc, on coupe, avant que les fleurs s’épanouissent, le haut des pédoncules et on recueille, dans un vase attaché à leur partie infé- rieure, la sève qui en découle en abondance”. Cette sève sucrée et d’un goût agréable — celle du kharjüra toutefois est légèrement amère — donne par la fer- mentation une boisson capiteuse et enivrante, le {éri — ang. {oddy — ou vin de palmier. Du tronc du nimba ou de ses racines incisées au printemps coule aussi 1. Buddhist Records, vol. I, p. 89. 2. Drury, Useful Plants, p. 340-341. 3. Brandis, p. 545, 550, 558. — Roxburgh dit que la Caryota urens peut fournir jusqu'à 100 litres de sève en 24 heures. Flora, vol. IT, p. 626. Une spathe de cocotier en peut donner pendant un mois. Watt, vol. IT, p. 450. 336 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS une sève employée comme boisson rafraichissante et susceptible de fermenter'. Cosmas, par une confusion manifeste, donne au lait de coco le nom de rhonkho- soura — räkshäsurä d'après Bohlen? —. Ce nom était probablement attribué aux différents /dri. Si le tàri reste quelque temps exposé à l’air, la fer- mentation acide se produit etil se change en vinaigre. Si, au lieu de la laisser fermenter, on fait bouillir la sève du tàla, de la caryote ou du cocotier, elle prend une consistance sirupeuse appelée jaggery, espèce de mélasse, avec laquelle, par le raffinage, on obtient le sucre de palme”. On sait que l’arak et le rhum — äcava* — sont le produit de la distillation, le pre- mier du tàri, le second du suc de la canne ; depuis quelle époque ces liqueurs spiritueuses sont-elles con- nues dans l'Inde ? Nous ne pouvons le dire ; mais dans un livre du Mahäbhärata *, dont par malheur on ignore l’âge, les Vähikas, peuplade méprisée des Brahmanes, sont représentés, eux et leurs femmes, comme des buveurs d’àçava et de surà. Outre les boissons dont je viens de parler, les Hin- dous en possédaient un grand nombre d’autres, com- posées d'ingrédients très divers. Une des plus renom- mées était une espèce d’eau-de-vie — maireya, — faite avec de l'écorce bouillie d’'Odina pinnata, à laquelle on ajoutait de la mélasse, une quantité convenable de poivre long et de Sérychnos polatorum, ainsi, plus 1. Brandis, p. 67. Le nimba est le Melia indica Brandis, M. azadirachta L. . Das alte Indien, vol. If, p. 164. . H. von Schlagintweit, Reisen in Indien, vol. I, p. 72. . Ou ésava; on lui donne aussi le nom de gaudi. . Karna-Parva, 2054 et 2050. O1 + © 19 LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 331 tard du moins, que des noix de muscade et d’aréca et des clous de girofle. Des feuilles de Feronia elephan- tum et du miel servaient aussi, de même que l'écorce de Cassia et du riz, avec une addition de mélasse, à _ faire des liqueurs — surds — estimées". On en fabri- quait également une très capiteuse, le dhänäqaudä- sava”, avec du suc fermenté de canne et du riz. Des longtemps sans doute on a fait encore avec les fleurs distillées de madhuüka une boisson enivrante, très re- cherchée aujourd'hui des indigènes, malgré ses pro- priétés nocives. Quand a-t-on aussi commencé à tirer parti des fleurs de la Bassia butyracea, pour en fabri- quer une espèce de mélasse ou de sucre, comme avec la sève bouillie de palmier *? Rien ne nous l'apprend, mais il n'est pas impossible que cette préparation n'ait été anciennement connue. Bien que l’usage des boissons fermentées fût séve- rement défendu ‘, les Hindous, nous venons de le voir, en possédaient up nombre considérable, et ils en bu- vaient abondamment et parfois avec excès”. Aux noces de la fille de Viràta, la surà et le maireya coulent à flots. Et on voit une Nishädi s’enivrer de liqueurs spiritueuses avec ses cinq fils”. Le poète du Rämäyana nous montre l’armée de Bharata telle- ment ivre à la suite d’un festin qui lui avait été donné 1. Das Kämasütram des Välsyäyana, übersetzt von Richard Schmidt, Leipzig, 1897. in-40, p. 69. 2. Bohlen, Das alle Indien, vol. IE, p. 165. 3. Drury, Useful Plants, p. 69-70. — Watt, vol. I, p. 406. 4. Lois de Manou, liv. IT, 91. 5. « Cujus (vini) omnibus Indis largus est usus. » Quintus Curtius, Æistoria, lib. VIIT, cap. 9. 6. Mahäbhärala. Adi-Parva, 5826 et Viräta-Parva, 2564. JoreT. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 22 338 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS par Bharadväja, que les cavaliers « oublient leurs chevaux, les cornacs leurs éléphants" ». Parmiles nombreuses plantes oléagineuses que ren- ferme l'Inde, les anciens habitants mirent sans doute à profit dès l’époque la plus reculée un nombre consi- dérable d’entre elles; mais l'absence de renseigne- ments contemporains ne nous permet guère de dire, à part quelques-unes, quelles furent les espèces aux- quelles ils demanderent les huiles dont ils avaient besoin pour leur alimentation ou pour s’éclairer. L'huile de sésame — faila — dont il est question dans l'Atharva-Veda, dut être une des premières dont ils se servirent. Ils la fabriquaient de la même manière que les Égyptiens et les Sémites de J'Asie Mineure, et la conservaient dans des vases clos”. Ils s’en servaient pour préparer leurs mets et faire des gâteaux. Elle constituait, d’après le Mahäbhärata”, le principal ali- ment des classes pauvres. C'était aussi, avec les graines qui la fournissent, un assaisonnement recherché. « Dans le grain de sésame et l'huile de sésame, dit un poète’, réside le charme du manger ». La propriété qu'elle a de se garder pendant des années, sans pren- dre de goût ni d’odeur, la rendait précieuse et permet- tait de la transporter au loin. Au premier siècle de notre ère, et sans doute déja bien avant, elle était un des principaux produits qu'on exportait de l’Inde en Egypte *. Râmäyana, lb. IT (Ayodhyäkända), cap. C, 53. Atharva Veda, lib. 1, 7, 2. — Amarakoca, lib. HF, cap. Udyoga-Parva, 1143. Boehtlingk, /ndische Sprüche, n° 2563. 5. Periplus maris Erythraei, 14, 32 et #1. Ed. B. Fabricius. Leipzig, 1883, in-8, p. 52 et 83. 1. 2. 6, 5. 3. 4. LES PLANTES DANS L'ALIMENTATION 339 Après l’huile de sésame, celle de sénevé parait avoir été une des plus employées; le pèlerin chinois Hiuen- Tsiang en constatait, au vi‘ siècle, l'usage général dans l'Inde. Il est probable que dès longtemps aussi l'huile de carthame, ainsi que celle de ricin furent connues et employées par les Hindous. Le grand nombre de noms sancrits de ces deux plantes est une preuve à la fois de l’ancienneté de leur culture et de l’usage qu’on faisait de leurs produits”. Il est question dans Cakun- talà de l'huile d’ingudi*, dont s'oignent les ermites. Ils s’en servaient aussi sans doute pour s'éclairer, et elle est également bonne à manger. On en faisait des gateaux funèbres‘. On l'extrait des noyaux des fruits de cet arbre, qu'on écrase après les avoir préala- blement fait sécher au soleil pendant quelques jours *. L'exemple que je viens de citer montre que l'huile ‘ d'iñngudi était connue au vi‘ siècle de notre ère; on a dû non moins anciennement sans doute faire usage de l'huile retirée des noix de coco et des nombreuses graines qui en fournissent de nos Jours, telles que les graines du Balanites Roxburghi et du nimba‘, de la Schleichera trijuga, des piyäla et des karañjaka, des Bassia à larges et à longues feuilles, du kecara, du Drospyros embryopteris, du Salvadora oleoides, si commun dans le Sindh, etc., huiles dont les habitants se servent, et sans doute depuis longtemps, pour l’éclai- . Buddhist Records, vol. 1, p. 88. . Watt, Dictionary, vol. Il, p. 194; VI, 1, 508. . Terminalia catappa L. — Acte II, scène 3, p. 35. . Rämâyana, Yuddhakäânda, XCVI, 16. . Drury, Useful Plants, p. #18. Il est question de l'huile de nimba dans Mälati et M- dhava, acte V, p. 56. DIET ICO IS Es II. — 22. 340 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS rage et parfois aussi pour la cuisine, ainsi que dans la médecine '. Connaissaient-ils aussi depuis une époque reculée le beurre qu'on retire des graines de la Bassia butyracea? Je l'ignore; mais ils ont, on peut l’affr- mer, très anciennement fait usage des gommes et gommes-résines que fournissent tant d'essences indi- gènes : Cochlospermum gossypium, cäla et autres diptérocarpées, Odina wodier, paläça, ptérocarpes et acacias, Anogeissus latifolia, etc”; mais ces substances sont plutôt employées dans la pharmacopée ou l'in- dustrie que dans l'alimentation ; c’est ailleurs aussi qu'il conviendra d'en parler. À côté des plantes si nombreuses qui entrent dans l'alimentation des habitants de l’Inde prennent place les plantes encore plus nombreuses qui servent à la nourriture des animaux domestiques. L'Inde n’est pasun pays de päturages ; mais elle n’en renferme pas moins dans les vallées alpestres, tempérées ou semi-tropi- cales de ses montagnes, dans ses plaines plus ou moins arrosées, au bord de ses cours d’eau, au milieu de ses marécages et jusque dans ses déserts, nombre de gra- minées propres à l'alimentation du gros et du petit bétail. Dans les vallées élevées et tempérées de l'Hi- malaya on rencontre une partie des graminées de l'Asie antérieure et même de l’Europe : agropyres, agrostides et andropogons, avoines, brachiopodes, bri- 1. Brandis, p. 59, 67, 105, 127, 154, 293, 298, 316, etc. Watt, vol. V, p. 447-48. Le karañjaka est la Pongamia glabra Vent. 2. Watt, vol. IV, p. 188 et VI, 437. LES FOURRAGES 311 zes et bromes, dactyles, élymes et éragrostides, fétu- ques, fléoles et flouves, glycères, ivraies et kéléries, méliques, orges et panics, paturins, roseau commun, rottbolies et vulpins, ainsi que d’autres espèces", parti- culières à la flore indigène, des genres Arundinaria, Hierochlea, Ischaemum, Muehlenberqia, Oplismenus, Pennisetum, Pollinia, Shipa, Tripogon, Trisetum, etc. Et dans la région tropicale de la grande chaine, de même que dans les plaines de l’'Hindoustan ou de la Pé- ninsule, des Aeluropus, des aristides, des Cenchros et des Elionurus, propres aux lieux arides ou sablonneux du Pandjab; des Andropogon, des Chloris et des Coir, le Cynodon dactylon — dérva — répandu de l'Himalaya au cap Comorin, des Eleusine et des Eriochloa, V Im- perata arundinacea, de nombreux /schaemon et pa- nics, des Paspalum et des Pennisetum, des Sporobo- lus, de hauts Saccharum, des bambous ‘arbores- cents”, etc. Ces graminées si nombreuses, — je suis loin de les avoir toutes énumérées — offraient, quelques-unes surtout, pendant une partie de l'année, une nourriture abondante et variée aux bêtes de somme et aux trou- peaux des Hindous. La dérvi, « la meilleure pour l'engraissement etla production du lait », et, malgré sa petitesse, « la plus nourrissante » des graminées de l'Inde, convient à tous les bestiaux et en particu- lier aux chevaux *. Le Pennisetum cenchroïdes passait 1. « At 4-5 000 feet elevation in the Khasia we have collected upwards of fifty species of Gramineae alone, in an eight mile’s walk. » J.-D. Hooker and Th. Thomson, Flora indica, vol. I, pe 90 2. Watt, vol. IIT, p. 420-427, 433-434 et 434-437, 3. Duthie, ap. Watt, vol. III, p. 680. 342 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS aussi pour faire donner du lait aux vaches; l’Eleusine flagellifera était recherché des moutons; l'Eragrostis cynosuroïdes, par les buffles; les bambous, l'E/o- nurus hirsutus et le Saccharum spontaneurt sont man- gés avidement par les éléphants, ainsi que la massette à feuilles étroites *. Nombre de plantes herbacées, autres que les grami- nées, entraient encore dans l'alimentation du gros et du petit bétail des Hindous : crucifères — Brassica, Eruca, Lepidium — légumineuses — caraganas, cro- talaires, Desmodium et gesses, indigotiers, luzernes, mélilots et psoralées, tréfles, trigonelles et vesces, etc. — composées — armoises et chardons — ; convolvu- lacées, labiées même, amarantes et chénopodées, po- lygonées et urticées, etc., servent, les légumineuses surtout, de fourrage dans les diverses provinces de l'Inde”. Les chameaux recherchent les chardons, les Kochia indica et Salicornia brachiata, es Suaeda fru- ficosa et Salsola foetida et kali du Pandjab et du Sindh, ainsi que l'Æalorylon multiflorum, Y Alhagi maurorum, arbustes des mêmes contrées *. Les mou- tons et les chèvres aiment à brouter, outre les plantes herbacées qui y sont répandues, — trèfles, vesces, potentilles, armoiïises, renouées, etc., — les arbustes — épines, cotoneaster, chévrefeuilles, cornouillers, éphédras, — des vallées de l'Himalaya. Le feuillage et les jeunes pousses des arbres forment surtout pendant la saison sèche une partie importante. de la nourriture des animaux domestiques; il n’est Typha angustifolia XL. ou elephantina Roxb. . Watt, Dictionary. vol. IT, p. 407-120. . Watt, Dictionary, vol. Il, p. 58-61. . Watt, Dictionary, vol. III, p. 427-432. 9 1 pre LES FOURRAGES 343 point de famille végétale de la région des plaines ou de celle des montagnes, dont quelques représentants ne servent à cet usage. Seulement le feuillage de toutes les espèces ne parait pas plaire également aux diffé- rents animaux. Les éléphants sont surtout avides des feuilles de la Capparis horrida, du bilra et de l'Odina wodier, des acacias, du cdla et du paläca, du ricin, du tamarin, des figuiers et du jacquier', etc. Les cha- meaux recherchent le feuillage des tamaris, du nimba, des jujubiers et des pistachiers, du sissou et de la Prosopis spicigera, des Salvadora persica et oleoides, du Pandjab et du Sindh, du chêne vert”-etc. Les buf- fles et les vaches aiment en particulier les feuilles des Dillenia, du varana et du kapittha”, ainsi que des Eugenias, de la Gardenia latifolia et de la marsdénie tenace, du Mimusops herandra, des Cordia, mème des Liütsea, Mallotus et Phyllanthus, euphorbiacées de la région tropicale et semi-tropicale, mais surtout des Bauhinia racemosa, Dalberqia oojeinensis, Xylia dolabriformis et autres légumineuses. De tout temps les Hindous ont dépouillé les arbres de leurs feuilles pour les donner à leurs bestiaux ; elles leur servent de fourrage vert et les dispensent d'en cultiver, ou leur permettent de n’en cultiver qu’excep- tionnellement. Roxburgh a dit que dans l'Inde on ne sème ni légumineuses ni aucune autre plante, destinée exclusivement à l'alimentation du bétail. Il y a la une exagération manifeste, puisqu'il mentionne lui-même la culture de l’ers velu dans les provinces centrales, 1. Watt, Dictionary, vol. IT, p. 225. 2. Watt, Dictionary, vol. Il, p. 60-61. 3. Crataeva religiosa Forst. et Feronia elephantum Roxb. 4. Watt, Dictionary, vol. III, p. 407-420 et 427-432. 344 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS du Dolichos biflorus dans le Pandjab, et de la crota- laire joncée dans les Circars ‘; on sème aussi, parait- il”, dans la région du Nord-Ouest, une autre légumi- neuse, la Cyamopsis psoralioides. In’en est pas moins vrai toutefois que les habitants comptent surtout sur le feuillage des arbres, pour nourrir leurs bestiaux pendant la saison sèche. Mais ils n’emploient pas seu- lement les feuilles vertes comme fourrage frais ; ils font aussi sécher et conservent pour l'hiver les feuilles de nombreuses tiliacées, sterculiacées, sapindacées et légumineuses”, d’une euphorbiacée même, la Putran- Jiva, de l'orme, de divers saules et chênes et même, dans l'Himalaya, du sapin de Webb“. Les Hindous font aussi du foin avec quelques plantes cultivées ou sauvages, telles que la crotalaire joncée, avec les tiges de l'Oxybaphus hymalaicus*, etc. Is se servent également comme fourrage sec des fanes des haricots à feuilles d’aconit et radié, des pois, du lab- lab, du Æulattha*, etc., ainsi que de la paille des cé- réales, en particulier de celle du riz, qui, dans cer- taines provinces, constitue presque en hiver la seule nourriture du bétail. Ils emploient aussi, en guise de fourrage,les gousses encore fraiches de diverses plantes, par exemple des Acacia arabica et Prosopis spicigera, 1 Flora indica, vol. II, p. 261, 29%, 314 et 323. 2. Watt, Diclhionary, vol. IT, p. 673. 3. Grewia laevigata Vahl et oppositifolia Roxb.:; Sterculia colorata Roxb.: Aesculus indieus Colebr.: Schleichera trijuga Willd.: Bauhinia purpurea L.; Albizzia odoratissima Benth. ; Acacia modesta Wall. 4. Forbes Royle, The fibrous Plants of India. London, 1855. in-8, p. 235. — Brandis, p. 38, 185, 452, 464, 480, 529. 5. Watt, Dictionary, vol. V. p. 674. 6, Roxburgh, /lora, vol. II, p. 297, 300, 305, 306. LES PLANTES DANS L’INDUSTRIE 349 etc., ainsi, surtout pour la nourriture des chevaux, que les graines de quelques légumineuses, par exemple, des haricots radié, trilobé et mungo, de la crotalaire’, etc., et les grains de diverses céréales: riz, froment, orge. Il n’est pas douteux qu'une partie considérable des espèces végétales de l'Inde, propres à l’industrie n'ait, dès l'époque la plus reculée, été employée par les habitants: mais les anciens textes ne nous font connaitre qu'un bien petit nombre de celles dont ils se sont servis autrefois, et nous ne pouvons guère parler de l'usage qui en a été fait dans le passé que par comparaison avec celui qu'on en fait de nos jours. Les Hindous ont de temps immémorial demandé au règne végétal les couleurs les plus diverses”; mais celles dont ils se sont le plus servis et, que leur offrait aussi le plus communément la flore indigène sont le bleu, le jaune et le rouge. Le bleu était fourni surtout par l'in- digotier, et on le retirait sans doute aussi autrefois comme aujourd'hui des feuilles et des tiges de cette légumineuse, opération d'une: grande simplicité *. Quand la plante est en fleurs, on la coupe, et l’on met les tiges à macérer dans des cuves remplies d’eau froide, 1. Roxburgh, Flora, vol. IT, p. 251, 297, 306. 2. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 1, 22. D'après Acva- lâyana (Grihya Sütra, 1, 19, 11) la robe des représentants des trois premières classes devait être teinte, celle des Brähmanes et des Vaicyas, en jaune, celle des Kshatriyas, en rouge clair. 3. Schlagintweit, Rerisen in Indien, vol. 1, p. 263. — Drury, ‘ Useful Plants, p. 255. 346 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS où elles se désagrègent peu à peu ; on déverse alors le liquide dans une autre cuve; on l’agite pour amener la séparation complète de la matière colorante en sus- pension dans l’eau ; on filtre ensuite et on fait sécher à l'ombre le résidu dans des moules en bois. La cou- leur d'un bleu foncé — néli ou kalà — qu'on obtient ainsi fut connue de bonne heure au delà des frontières de l'Inde; au premier siècle de notre ère elle avait pénétré dans l'empire romain; c'était alors, et sans doute depuis longtemps, un des produits qu'on exportait des ports hindous en Égypte’. Mais les écrivains grecs et latins en ignoraient la véritable origine; Pline, qui en admire la belle nuance, « mélange de pourpre et de bleu », la regardait, ainsi que Dioscoride*, comme pro- venant de l’écume d’un roseau. On retire aussi une belle couleur bleue des feuilles d’une apocynée, la Wrighlia tinctoria, et d’un asclé- piadée grimpante, la marsdénie des teinturiers *; mais ilest peu probable que l'usage en ait été connu dans l'antiquité. Quoique le Sérobilanthes flaccaidhfohus, acanthacée de l’Assam, soit cultivée par les indigènes de cette province, je ne crois pas non plus qu'on ait utilisé, dès une époque reculée, la matière bleue que renferment ses feuilles. Il est encore plus douteux qu'on retire depuis très longtemps cette même couleur des feuilles de la Tephrosia tinctoria, légumineuse originaire du Mysore *. Un nombre considérable de plantes de l'Inde peuvent 1. Periplus maris Erythraeï, cap. 39. 2. Historia naluralis, Gb. XXXIV, cap. 5, 27. — De materia medica, Hb. V, cap. 107. | 3. Watt, Dictionary, vol. V, p. 191 et VI, 4, p. 316. 4. Watt, Dictionary, vol. VI, 3, p. 15 et 375. LES PLANTES DANS L’INDUSTRIE 347 fournir une couleur jaune, depuis l’épine-vinette aristée, la Garcinia morella, la Morinda umbellata ou la Bu- Lea frondosa, jusqu'au lodhra, au kaméla” où au cur- cuma; mais on ignore à quelle époque remonte l'em- ploi dela plupart de ces matières tinctoriales. L'extrait jaunâtre qu’on retire de la racine et des Jeunes tiges de l’épine-vinette n'est probablement pas d'un usage très ancien, et il sert plutôt pour la préparation du cuir que pour teindre les étoffes. La Butea frondosa fournit un jaune brillant, mais fugitif, qu'on obtient, soit en exprimant le suc des fleurs encore fraiches, soit en plongeant les fleurs sèches dans le double de leur poids d’eau bouillante ; mais on ignore depuis quelle époque on en fait usage *. Tout ce qu'il y a lieu de dire ici de la Morinda umbellata, c'est que sa racine fournit une couleur jaune ; mais l'emploi n’en parait pas ancien et n’en est même pas aujourd'hui bien répandu. Plus général est celui de la racine de la Morinda anqustifo- lia ; mais on ne sait pas davantage à quelle époque il remonte La gomme-résine, exsudée par la Garcimia umbel- lata à, dès longtemps, au contraire, dû être employée pour teindre les robes des prêtres bouddhistes. D'un grand et ancien usage aussi est la couleur jaune que renferment l'écorce et les feuilles des Symplocos cra- taeqoides et racemosa — le vrai lodhra ; — on emploie ces substances moins seules toutefois que comme mor- dant, les premières avec la garance, les secondes avec la Symplocos racemosa Roxb. et Mallotus philippinensis Müll. 2 Brandis, p. 142. — Watt. vol. Ep" ee 450. . Watt, Dichionary, vol. V, p. 260 et 348 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Morinda citrifolia ‘. Plus important comme matière co- loranteest la poudre jaune qui recouvreles fruits du Mal- lotus philippinensis ; mais les propriétés thérapeutiques de cette substance semblent avoir été connues et uti- lisées avant qu'on l’employàt dansla teinture”. La cou- leur jaune retirée de la racine du curcuma a été, elle, tres anciennement connue et employée, et son bon marché, non moins que son caractère demi-sacré, ont contribué à en répandre et à en populariser l'usage. Autrefois les vêtements portés le jour du mariage étaient teints en curcuma et l’on frottait le corps des nouveaux époux avec une pate composée de cette sub- stance. D’après une croyance populaire, ceux qui por- tent des vêtements teints avec le curcuma sont à l'abri des atteintes de la fièvre. De nombreuses plantes de l'Inde renferment une couleur rouge ; des légumineuses, comme les Caesal- pinia sappan et Pterocarpus santalinus ; des rubiacées surtout, telles que les Worinda citrifoha et tinctoria, l'Oldenlandia umbellata et la Rubia tinctoria; enfin le carthame, que nous avons déjà rencontré en Égypteet dans l’Asie antérieure. Le bois de santal, employé depuis longtemps pour la belle teinte rouge qu'on en retire, était, pour cette propriété, connu en Europe des le moyen âge *. On s’en sert et on s’en servait surtout dans l'Inde comme pigment pour teindre les idoles ou marquer au front les officiants dans les cérémonies religieuses. Il suffit de mettre des copeaux de bois de Watt, Dictionary, vol. III, 493; VI, 3, 397-98. Brandis, Flora, p. 443. — Watt, vol. V, p. 116. Watt, Dictionary, vol. Il, p. 664-66. Flückiger et Hanbury, Histoire des drogues, vol. I, p. 364. Œ D > LES PLANTES DANS L'INDUSTRIE 319 sappan dans l’eau pour colorer celle-ci en rouge, et d'y ajouter un alcali pour fixer la teinte. Mais d'ordinaire on écrase préalablement le bois et on le fait bouillir jusqu’à ce que l’eau soit réduite aux deux cinquièmes. Si l’on ajoute à la solution du curcuma, elle prend une nuance lie de vin: y met-on de l'indigo, elle devient pourpre ‘. L'écorce et les racines des Morinda citrifohia et tinctoria donnent une couleur rouge, belle, mais fugi- tive: on s’en sert en faisant bouillir dans l’eau, avec l'étoffe qu'on veut teindre, des noix de galle en poudre de Terminalia chebula et un peu d’alun. Avec l'écorce des racines de l’'Ol/denlandia umbellata — le chay- root — on obtient par le même procédé une couleur semblable, mais plus fixe, très employée autrefois dans la régence de Madras pour teindre les cotonnades. La racine de la garance à feuilles cordées — #7anñjrshtha — est très employée par les indigènes du Népal et de l’Assam, surtout pour teindre en rouge leurs grossières étoffes de coton; ils se bornent pour cela à faire infuser les racines et à plonger l’étoffe dans la décoction ainsi préparée”. J'ai eu occasion de parler du carthame et des différentes nuances qu'on peut obtenir, suivant les mordants, avec les fleurs de cette composée. Le car- thame a été des longtemps en usage dans l'Inde. C’est avec lui qu'était teint le bord écarlate de la tunique des grands, ainsi que l’étoffe — duhriila — qui ceignait la taille des femmes coquettes *. Si le bleu, le rouge et le jaune, avec leurs différentes 1. Watt, Dictionary, vol. Il, p. 10, 11 ; VI, 1, p. 360. 2. Watt, Dictionary, vol. V, p. 262-274 et 481 ; VI, 1, p. 572. 3. Ratnävali, acte I. Trad. Fritze, p. 21. — Ritusarñhära, chant VI, 5. 390 LES, PLANTES CHEZ LES HINDOUS nuances, étaient les couleurs que les anciens Hindous paraissent avoir le plus recherchées et celles que le règne végétal leur offrait en plus grande abondance, ils lui demandaient aussi, à l’occasion, d’autres couleurs, comme le brun et le noir. Les semences de la Strychnos nux-vomica, l'écorce des racines du Terminaha arjuna donnent par l’ébullition une couleur brune ou #hahi assez employée. Avec l'écorce des racines de la Ventlago madraspatana, on prépare une couleur nuance chocolat qui devient noire par l'addition d'un sel de fer. Une décoction de l'écorce du Quercus fenestrata change en noir le bleu produit par le Strobilanthes flaccidifo- lus". Enfin on fabrique, probablement de temps immé- morial, de l'encre avec les fruits calcinés du Z2zyphus zylocarpa et du Terminalia bellerica, ainsi qu'avec les feuilles carbonifiées du Pinus longifolia*. faut encore rappeler ici, quoiqu'il ne s’agisse pas d’un produit d'ori- gine végétale, qu'on recueille sur l'écorce de certains arbres, par exemple sur celle du jujubier, de l’Acacia arabica*, ete., la laque, dont on a fait, dans l'Inde et l'extrême Orient, depuis l’époque la plus reculée, un si grand emploi. On ne peut douter que les anciens Hindous n'aient connu une grande partie des plantes qui fournissent le tanin ; mais aucun document ne nous apprend à quelles espèces ils ont demandé celui dont ils avaient besoin ; on peut supposer toutefois qu'ils ont employé la plupart de- celles qui, aujourd’hui encore, sont le plus en usage : par exemple l'écorce et les noix: de galle des 1. Watt, Dictionary, vol. VI, 1, p. 380; 3, p. 275 et 380; &, p. 16 et 227. 2, Brandis, Flora, p. 90, 223, 508. 3. Brandis, Flora, p. 88, 181. — Watt, vol. IV, p. 570. LES PLANTES DANS L'INDUSTRIE 301 tamaris articulé, dioïque et de Gaule, l'écorce du Rhus cotinus, du jujubier et du pistachier du Pandjab, des palétuviers des estuaires fluviaux "; ils ont dû aussi employer les gousses de la Cassia, l'écorce de diverses mimosées et myrtacées?, celle du grenadier et d’autres lythrariées*, si riches en tanin et encore les fruits et l'écorce des myrobalans belleric et chebula, du syonaka et de diverses euphorbiacées*, ainsi que du noyer ptéro- coque, des chênes de l'Himalaya, de l’aune et du pin à longues feuilles”, etc. La flore de l'Inde offrait aussi en abondance aux habitants de cette contrée des plantes dont les fruits, les racines ou les feuilles, les cendres, la farine même, servaient à blanchir les étoffes ; tels en particulier les fruits des Sapindus Mukorossi et trifoliatus, du Bala- nites Roxburghii, ete.; les gousses de l'Acacia con- cinna, les racines de la WMa/va parviflora et du Poly- gonatum mulhflorum, les racines et les feuilles du Lychinis indica et du Silene Griffithui, les cendres des Avicennia lomentosa, Casuarinti equisehifolia, ete., la farine du haricot mungo'. D’autres plantes étaient employées pour coaguler les liquides. Telles les tiges de Pedaliun murex, qui, agitées dans l’eau, lui don- 1. Rhisophora mucronata Lam., Bruguiera gymnorhiza Lam. 2. Acacia arabica et catechu WNilld., Albizsia lebbek et lo- phanta Benth. — Æugenia jambolana Lam. et Barringtonia acutangula Gaertn. 3. Lagerstroemia parviflora Roxb. 4. Bignonia (Calosanthes) indica L. — Briedelia retusa Spr., Phyllanthus nepalensis Müll. et emblica L. 5. Brandis, p. 28, 118, 121, 128, 164, 180, 217, 219, 222-925, 234, 240, 241, 347, 349, 452, 460, 500, 506, etc. 6. Watt, Dictionary, vol. II, p. 86-87 et s. v. 352 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS nent un aspect mucilagineux ; le suc des feuilles du Cocculus villosus, les fleurs des Prerospermum aceri- folium et suberifolium, ainsi que les graines du Streblus asper, jouissent de la même propriété. Le suc de cette dernière plante, de même que les fruits de Ja Rhazya stricla et des Withania coagulans et somnifera servent aussi à Cailler le lait. Les graines du S/rychnos, pota- Lorum — lataka — ont été, au contraire, de temps immémorial employées pour clarifier l’eau”. *k + *# Parmi les nombreuses plantes textiles propres à l'industrie, que possède la flore indigène, les Hindous ont dû, des les temps les plus reculés, en mettre un grand nombre à contribution. Les anciens anachorètes étaient vêtus d’écorces d'arbres et de peaux *, et ce costume est aujourd’hui encore celui de diverses tri- bus sauvages. Ainsi, pour se vêtir, les indigènes du Dekkan découpent de larges bandes d’écorce d’une artocarpée de la région, l'Antiaris saccidora; après les avoir fait tremper dans l’eau, ils les battent jusqu'à ce qu'elles deviennent souples et moelleuses et ils s’en taillent des morceaux qui, cousus ensemble, leur ser- vent de vêtement ”. Cet emploi de l'écorce des arbres toutefois était une exception ; les Hindous, nous le savons par le témoi- 4. Watt, Dictionary, s. v. — Drury, p. 335 et 408. 2. Mahäbhärata. Adi-Parva, 4086, 8081, etc.— Râämäyana, lib 11 edpxxvur, 23; XXxVH,7, 8/11/etes 3. Il paraît que certaines tribus de l’Assam emploient l’au- bier du micocoulier oriental au même usage. On fait aussi des espèces de sacs avec l'écorce de l'Antiaris. Drury, Useful Plants, p. 45 et 280. LES PLANTES DANS L’INDUSTRIE 393 gnage d'Hérodote et de Néarque ', étaient vêtus d'étoffes faites avec la « laine de certains arbres ». Quelle était la nature de cette laine et sur quels arbres la trouvait-on? On pourrait croire qu'il s’agit du Bombax malabaricum — calmali — ou de l'Erioden- dron anfractuosum, malvacées, dont les graines sont entourées d’un épais duvet ; mais Arrien nous apprend que leur soie était si courte que les Macédoniens s’en servaient uniquement pour faire des coussins ou pour rembourrer les selles de leurs chevaux”. Si donc les Hindous l'employaient parfois dans la fabrication de leurs étoffes, ils devaient, aussi et surtout, se servir pour les faire, du duvet — karpäsa —, produit par une plante de la même famille, le cotonnier, décrit par Théophraste. C’est avec ce duvet « plus blanc que le lin », qu'était fait le costume national *, la longue tuni- que — vdsas ou vastra, — serrée autour du corps par une espèce de ceinture ou tablier — niv" — et qui descendait jusqu’à mi-jambe, chez les grands même jusqu'aux chevilles. C’étaiten coton aussi qu'était faite l'espèce de toge ou de manteau — adhiväsa”, — qui, 1. /istoriae, lib. II, cap. 106. — « Quibusdam (arboribus) Janam innasci, ex quà Nearchus ait sindones subtilis et reticu- lati operis texi. » Fragm. 8. 2. Indica, cap. XVI, 2. On s’en sert aujourd’hui encore comme de bourre. Watt, vol. I, p. 489 et III, p. 262. 3. « Corpora usque pedes carbaso velant. » Curtius, Vita Alexandri, lib. VIII, cap. 9. A l’époque védique, cette tunique était tissée avec de la laine filée — wrnâsülra. — Zimmer, p. 261. 4. Souvent aussi, comme aujourd'hui encore, les Hindous ne portaient que cette ceinture. 9. Souvent toutefois le manteau couvrait les deux épaules. Rig-Veda, lib. 1, 40, 9; 162, 16; X, 5, 4. — Atharva-Veda, lib. VIIT, 2, 16. — Arrien, /ndica, cap. XVI, "2. JORET. — Les Plantes dans l'antiquité. 11. — 23 39% LES PLANTES CIHEZ LES HINDOUS rejetée sur l'épaule gauche et attachée sous l'épaule droite, recouvrait la tunique. Les étoffes de coton — sindones, — teintes parfois de couleurs vives et brillantes’, furent bientôt connues au delà des fron- tières de l'Inde ; les Iraniens en faisaient usage dès le temps de Xerxès ?, et le Périple de la mer Érythrée nous apprend qu'elles étaient un des produits importés le plus souvent de la Péninsule en Égypte”. Mais les Hindous ne se bornèrent pas à tisser le duvet qui entoure les graines du cotonnier et des autres malvacées dont j'ai parlé, ils se servaient aussi pour fabriquer les étoffes qui leur étaient nécessaires, des fibres convenablement préparées de quelques-unes des plantes textiles indigènes. Parmi les plus anciennement employées furent la crotalaire joncée — çana — et l'Hibiseus chanvrin, ce succédané du chanvre‘, dont les fibres servaient, ainsi que celles du çana, à faire le cordon du sacrifice des Kshatriyas, tandis que celui des Brahmanes était tissé en coton”. Néarque parle” des étoffes d’une grande finesse qu'on tissait avec cer- taines écorces ; Ernst Meyer a supposé” que l'écrivain grec avait eu peut-être en vue la Calotropis gigantea, asclépiadée avec les fibres soyeuses de laquelle on fabri- quait autrefois les tissus dont se vêtaient les princes et les grands *. 4. Dans le Mahäbhärata (Adi-Parva, 7719), Tilauttamä est couverte d’une tunique écarlate. — Strabon, XV, 1, 30 et 5%. 2. Hérodote, Æistoriae, lib. VIT, cap. 181. 3. Cap. 14, 31, 32, 39, 41, 49, 51. 4. Royle, Zlustrations of the Botany of the Himalayan mountains, p. 84. 5. Lois de Manou, livre Il, 44. 6. Fragment 8. — Strabon, lib. XV, cap. 1, 20. Botanische Erläulerungen, p. 69. Brandis, /‘lora, p. 331. dQ 1 LES PLANTES DANS L’INDUSTRIE 399 Les Hindous ont fait aussi très anciennement sans doute des étoffes avec le jute et peut-être certaines orties, comme celle des Nilghiri; mais rien ne permet de croire qu'ils aient fait usage des fibres du chanvre ou même du lin: ils ont, au contraire, probablement de temps immémorial, mis à contribution les fibres d’un grand nombre d’autres espèces, pour fabriquer des cordages et des liens : malvacées, comme les À bu- lon Avicennae, graveolens et indicum, la Kydia caly- cina, les Sida cordifolia et rhomhfolha; tiacées, telles que les gréwies d'Asie, à feuilles opposées ou de tilleul ; nombre de légumineuses—Bauhinia racemosa, Vahlü, etce., Butea frondosa, Entada scandens, Ses- bania aculeata, grandiflora, etc. ; — des sterculiacées, — Abroma augqusta, Helicteres isora, Sterculia colo- rata, fœtida où quitata, etc., — des asclépiadées, entre autres, outre la Calotropis procera, les Marsde- nia tenacissima, Ortanthera viminea, etc.; une bora- ginée enfin, la Cordia Rothu”, ete. Les feuilles d’un certain nombre de plantes indigènes fournissent aussi des textiles précieux; telles sont celles de la métro”, longues de 10 à 13 décimètres et garnies de fibres résistantes ; après les avoir séparées de la matière pulpeuse qui les entoure, les indigènes des Circars en tressent les cordes de leurs arcs. Le nom sanscrit de la Sanseviera témoigne dejà de l'usage an- cien dont on a fait aussi des fibres de cette liliacée. C'était une des matières avec lesquelles les lois de 4. Brandis, p. 29, 34, 37-41, 137-141, 159, 161, 167, 332, 33%, 338. — Watt, Dictionary, vol. Il, p. 566-67. — Royle, The fibrous Plants of India, p. 251-311. 2. Sanseviera zeylanica Wild. — Asiatic Researches, vol. INA pe271: 306 LES PLANTES CITEZ LES HINDOUS Manou recommandaient de tresser la ceinture d'un kshatriya”. Dès longtemps aussi on s’est servi des fibres solides que renferment en quantité les feuilles du bananier et celles du vaquois — etaki — ; on en fait des cordes, des filets, des nattes”. On fabrique, avec les feuilles battues et tressées des Saccharum sara et nuñja, des liens, qu’on emploie, à cause de leur solidité, pour attacher le bétail, amarrer les bateaux, etc. Les feuilles d'une autre espèce de Saccharum le S. spontaneum, servent à tresser des nattes°; il en est de même, dans la région du Nord-Ouest, de celles des massettes convenablement préparées“. Les indigènes emploient aussi ces dernières, ainsi que les feuilles de bananier et du Saccharum spontaneum, pour couvrir leurs huttes. Avec celles d'Hedychum spicatum, scitaminée de l'Himalaya, les habitants de Simla fabriquent des nattes excellentes”. Les feuilles du bananier, de la Canna indica, etc., sont également employées en guise de toile d'emballage. Les tiges de nombreuses cypéracées, typhacées et graminées, servent et, l’on peut l’affirmer, ont, de temps immémorial, servi aux Hindous à faire les ouvrages les plus divers de vannerie et même des cordages. Celles du 4kadra, patt ou vala ‘en particulier sont d’un 1. Livre IT, chap. 42, trad. Strehly, p. 27. 2. Royle, The fibrous Plants of India, p. 79 et 326. On em- ploie les racines de vaquois aux mêmes usages. 3. Drury, Useful Plants, p. 371 et 376. 4. Typha angustifolia L., elephantina Roxb. et latifolia Willd. — Royle, The fibrous Plants, p. 35. 5, Watt, Dictionary, vol. IV, p. 207; M,.p. 302; ML,.2; DT NE pe207. 6. Phrynium dichotomum Roxb., Maranta dichotoma Wall. — Roxburgh, Flora, vol. I, p. 2 LES PLANTES DANS L’INDUSTRIE 397 grand usage. Fendues dans le sens de la longueur — elles ont de un à deux mêtres — en bandes aussi minces que du papier et d'un millimètre environ de largeur, on en fait des nattes souples et recherchées pour leur fraicheur. Les montagnards de l'Himalaya emploient des tiges de l'Eriophorum cannabinum pour faire des cordes". On fabrique des nattes d’une grande finesse avec les chaumes du madurkati”. On les divise, vertes encore, en trois ou quatre et on les tresse une fois qu'elles sont sèches. Les tiges fendues del’Arundo karka — nala où nada — sont également employées pour faire des nattes et des coussins ?. Battues, elles donnent aussi des fibres, avec lesquelles on tresse des cordages. Les longues tiges de l'Arundinaria falcata servent dans la région himalayenne à faire des nattes et des corbeilles. On fait encore des nattes et des cordages avec les chaumes de l’Zschaemon angqustifolium*. Cet emploi des graminées et des cypéracées remonte à l’époque la plus reculée. C'était sans doute avec l'une d'elles que les habitants de l'Inde, d’après Héro- dote”, fabriquaient ces espèces de nattes, dont ils se revêtaient en guise de cuirasse. Dans un hymne du Rig -Véda, cent nattes de balbaja* sont données, avec d’autres présents, à un chantre, en récompense de son habileté. La ceinture des Vaicyas était tressée parfois 1. Royle, The fibrous Plants, p. 5%. 2. Cyperus legetum Roxb., corymbosus Rottb., Papyrus Pan- gorei Nees. — Roxburgh, Flora, vol. I, p. 208. Watt, Diclio- nary, vol. IT, p. 683. 3. Atharva-Veda, lb. VI, 158, 5. — Roxburgh, Flora, vol. I, p- 347. 4. Brandis, p. 563. — Watt, vol. IV, p. 527. 5. Historiae, lib. II, cap. 98. 6. Eleusine indica L. — Rig- Veda, lib. VIN, 55,3. 39 LES: PLANTES CHEZ LES HINDOUS avec des chaumes de la même graminée. Celle des Brahmanes était faite avec un triple fil de mwñya ; mais à défaut de celui-ci, on la tressait avec du kuça, à défaut de kuca, avec l'açmantaka, ou encore avec le balbaja'. Ajoutons pour terminer que les tiges de Sac- charum sara étaient employées pour faire des flèches”, et que les charmeurs de serpents font leurs pipeaux avec celles de l'Arundo karka”. Parmi les graminées, les bambous surtout — varñça * — ont de tout temps servi aux habitants de l'Inde aux usages les plus divers. Tenant le milieu entre les plantes textiles proprement dites et les bois de construction, ayant la souplesse des premières et la force de résis- tance des seconds, ils peuvent également les rempla- cer. Avec leurs tiges on fait indifféremmentdes cannes à pêche ou des manches de lance, des flèches, des ares et des carquois, des mâts, des Jambages de porte, des échelles ou des chaises”, des échafaudages et des théâtres portatifs, des ponts rustiques et des plan- chers, etc. Les chevrons du toit, qui reposaient sur les poutres de la maison védique, étaient faits avec des tiges de bambou°. Découpées en tranches minces, ces tiges servent encore à fabriquer des nattes, des cor- 1. L'acmantaka est inconnu. — Lois de Manou, lib. II, 42 et 43. D’après Acvalâyana (Grihya-Suütra, 1, 19, 12), elle était en laine. 2. Atharva-Veda, lib. I, 2, 1; 3, 1. — Zimmer, p. 73: 3. Roxburgh, Flora, I. 348. 4. En particulier les Bambusa arundinacea Retz, tulda et balcoa Roxb., vulgaris Wendl., etc.; Dendrocalamus strictus et Hamillonii Nees: Thamnocalamus spathiflorus Munro ; Arundinaria falcata Nees, racemosa Munro. 5. Mudräräkshasa, acte I, trad. L. Fritze, p. 15. 6. Atharva-Veda, lib. IX, 3, 4. — Zimmer, Altindisches Leben, p. 153. LES PLANTES DANS L’INDUSTRIE 399 beilles, des stores, même des voiles de bateaux. Gar- dant, quand elles sont vertes, leur humidité, on en fait de petites caisses qui conservent frais les objets qu'on y renferme. Un morceau de tige compris entre deux nœuds forme une boite naturelle ; c’est, dit-on, dans une caisse de ce genre qu'étaient renfermés les œufs de vers à soie qui furent apportés de Chine à Constan- tinople, sous le règne de Justinien. Avec les tiges de bambou on fait encore des conduits pour les eaux ; on les emploie même pour transporter et mesurer les li- quides; enfin elles servent à fabriquer des chalu- meaux ‘. Les palmiers ne sont pas moins utiles que les bam- bous. Lesrotins *— vetasa — du Siwalik etdes Ghates occidentales fournissent des cannes renommées ; leurs tiges flexibles sont employées pour canner les chaises, faire des lits, des paniers, etc. Fendues dans le sens de la longueur et tressées, ces tiges servent encore à fabriquer des nattes, des cordages, même des câbles, dont les voyageurs vantent la force de résistance, et des ponts flexibles, mais solides *. J'ai eu l’occasion de par- ler des usages variés du Nannorhops de Ritchie; l'utilité du Borassus flabelliformis, des Corypha umbraculi- [era et taliera, ainsi que des Lavistona Jenkinsiana et Caryota urens, n’est pas moindre, si elleest autre. Les fibres des pétioles servent à faire des cordes tres ré- sistantes ; les feuilles à couvrir les maisons et à construire des tentes rustiques ; on en tresse des nattes, des corbeilles, des chapeaux ; on en fait aussi . Drury, Useful Plants, p. 65. . Calamus rolang WNilld., fasiculatus Roxb., etc. . Drury, Useful Plants, p. 96. — Watt, vol. IT, p. 99. CS 19 — 360 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS des ombrelles légères et des éventails. Découpées en bandes, séchées et polies, après que les fibres en ont été enlevées, celles du tàla et du Corypha taliera donnent une espèce de papier presque indestructible, connu de temps immémorial *. Le cocotier, qui joue un si grand rôle dans l’alimen- tation, n'est pas moins employé dans l'industrie indi- gene. Ses feuilles, aux nervures finement entrela- cées, servent à couvrir les toits; découpées en lanières, elles sont employées dans la vannerie ; on en fabrique des nattes, des écrans, même des voiles. Il n’est pas jusqu'aux fibres — cotr — qui entourent les noix, dont on ne tire parti ; après une immersion plus où moins longue dans l'eau, on en fait de la bourre, des cor- dages, etc. Les câbles des bateaux qui naviguaient au- trefois dans la mer des Indes étaient presque exclusi- vement faits avec des fibres de noix de coco *. Les tiges de cotonnier, les jeunes pousses de saules, de bouleau, d'orme, de Bauhinia, de vignes sauvages *, d'autres espèces encore, servaient aux mêmes usages que les fibres des palmiers. On fabriquait avec elles autrefois, comme aujourd’hui, des ouvrages de vannerie 1. Royle, The fibrous Plants, p. 197. — Drury, Useful Plants, p. 8% et 160. — Brandis, p. 545, 549, 550. Il existe des manuscrits en feuilles de palmier qui remontent au vie siècle de notre ère. G. Bühler, Buddhist Texts from Japan, p. 8 et Researches on the Hôriuzi Palm-leaf Mss., p. 66: (Anecdota Orontensia. Aryan Series, vol. I, part 1 and 3). 2. Royle, The fibrous Plants, p. 110-115. — Drury, Useful Plants, p. 150. 3. Salix acmophylla Boiss., daphnoides Vill., Belula bhoj- pattra Wall., Ulmus 1oallichiana Planch., Bauhinia angquina Roxb., macrostachya Wall., Vahlii W. et A. — Watt, Dictio- nary, Vol. IT, p. 419, 424, 452; IV, 39: Vi; 2;, p. 387et 390; VI, 4, p. 56, 209, 251. LES PLANTES DANS L’INDUSTRIE 361 de toute sorte. On construisait même des ponts sus- pendus avec des branches d'arbres entrelacées. Les rameaux résistants et flexibles de la Parrotia Jacque- montiana servent de préférence à tous les autres pour cet usage dans la région himalayenne. Quelquefois ces ponts ont jusqu’à cent mètres de long; ils se composent d'une étroite passerelle en rameaux tressés de Parrotia, avec deux cordes de chaque côté servant de garde-fous et reliées entre elles par des cordes plus petites. On remplace parfois les branches de Parrotia par celles de saules". On employait l’écorce de sapin de Webb pour couvrir les toits et faire des auges * ; avec celle de micocoulier on faisait des sandales ; l’écorce de bou- leau servait, dans la région himalayenne, de papier à écrire” ; on l'employait également pour faire des om- brelles et emballer des objets grossiers. Les essences arborescentes, si variées et si nom- reuses dans l'Inde, offrent aux habitants et leur offraient encore plus autrefois des ressources inépuisables en bois de construction. Malheureusement l'absence ou la pénurie des documents ne nous permet qu'exception- nellement de dire quelles espèces furent mises autrefois à contribution. On peut affirmer néanmoins que la plu- part de celles dont on fait encore usage aujourd’hui ont été employées de temps immémorial par les Hin- 1. Brandis, Flora, p. 216 et 469. 2. Watt, Dictionary, vol. I, p. 6. 3. Indische Sprüche, éd. L. Fritze, n° 200. — Urvagi, acte IE, p. 27. — Bübhler a découvert dans le Cachemire d’anciens textes Sanscrits, écrits en entier sur des écorces de bouleau. On fait aussi, mais peut-être seulement depuis cinq ou six siècles, du papier avec l’aubier bouilli et battu du Daphne papyracea. Brandis, p. 386, 429 et 458. — J. R. A. S. an. 1891, p. 689. : 362 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS dous, soit dans l'industrie du bâtiment, soit pour la construction des bateaux, les travaux de charronnage, l'ébénisterie ou la tabletterie. Si leshuttes des peuplades demi-sauvages de l'Inde étaient —ellesle sont encore de nos jours dans plus d’une province —faites avec des roseaux et des bambous, ces habitations primitives ne pouvaient convenir aux tri- bus aryennes qui s’établirent dans le Pandjab; des les temps les plus reculés ils se construisirent des maisons avec du bois — aujourd’hui encore une partie des habitants de l'Himalaya n'en connaissent point d’autres '— et ils s'en contentèrent pendant de longs siècles. Arrien parle, d'après les historiens d'Alexandre, des maisons en bois qu’on voyait sur le littoral de l'Océan indien et près des cours d’eau ?. Nous savons par le témoignage de Mégasthène*, que l'enceinte for- tifiée de Pâtaliputra — la Palibothra des Grecs — était faite en planches percées de meurtrières. La flore indigène fournissait des matériaux pour ces rustiques constructions, comme elle fournit ceux que réclamèrent la charpente et l’ameublement des édifices en pierre qu'on éleva dans la suite. Cèdres, pins, sapins et mélèzes, cyprèsetautres conifères, bouleaux, ormes et aunes, chênes et frènes, platanes et micocouliers du haut et du moyen Himalaya, le sal, « le bois de charpente le plus important de l'Inde septentrionale », le /inisa, le dhaura et l'haritaki, le selu et le püna", 1. J.-A. Hogdson, Journal of a survey to the Heads of the Rivers Ganga and Jumna.(Asialic Researches, vol. XIV, p. 6%). 2:, Indica-Kcap.. x, 2- 3. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 1, 36. 1. Ougeina dalbergioides Benth., Anogeissus latifolia Wall. et Terminalia chebula Retzius, Cordia myxa L. et Ehrelia laevis Roxb. cm d'à M LES PLANTES DANS L'INDUSTRIE 263 etc., de la même contrée ; la cncapa et le £här', les acacias et albizzias, etc., du Nord-Ouest; le {unna et le btja, les asana et tusha”, les ébéniers”, ete. de l'Inde centrale ; le #dgakeçara, le chikrassi, le jarul et le saptaparna*, le teck, etc. de la Péninsule, et bien d’autres encore servirent à la construction des habi- tations en bois des anciens Hindous et à la charpente des maisons en pierre qu'ils édifiérent plus tard”. Quelques-unes de ces essences étaient également employées dans la construction des barques dont ils se servirent, dès les temps les plus reculés°, pour les transports fluviaux, et des navires, avec lesquels ils firent le commerce sur la mer Erythrée, quand ils en eurent atteint les bords. À l’origine leurs embarca- tions étaient de simples troncs d'arbres, creusés de main d'homme, des radeaux ou des canots, formés de tiges assemblées de roseaux ou de bambous, tels que ceux dont parle Hérodote”; mais ils ne durent pas tar- der à construire de véritables bateaux, et ils dé- ployèrent, il semble, une grande habileté dans ce genre de travail”. Ce fut grâce à leur concours que 1. Dalbergia sissoo Roxb. et Prosopis spicigera L. 2. Cedrela toona et Plerocarpus marsupium Roxb., Termi- nalia tomentosa et bellerica Roxb. 3. Diospyros embryopteris Pers., melanoxzylon et montana Roxb. 4. Mesua ferrea L., Chikrassia labularis À. Jus., Lager- stræmia flos-reginae Roxb. et Alstonia scholaris R. Brown. 5. Watt, Dictionary, vol. IV, p. 300-301. 6. Rig- Veda, lib. V, 4, 9: IX, 70, 10: X, 155, 3. 7. Historiae, hb.IIT, cap.98.— Râimäyana, lib.]IT, cap. LV, 12 8. Dans un hymne de Rig Veda (1, 156) il est question d’un navire à cent rames que les Acvins ramènent au port à tra- vers les flots, et le deuxième livre du Rämäyana (XCVIT, 17) parle de grands vaisseaux bien joints et armés de longues rames, destinés à la traversée du Gange. 304 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Scylax put réunir les vaisseaux, avec lesquels il visita les côtes de l'Océan indien, et que plus tard Alexandre construisit la flotte, sur laquelle Néarque descendit l'Indus et gagna l'embouchure de l'Euphrate. Le conquérant macédonien trouva dans les montagnes du haut Pandjab les bois nécessaires à son entreprise : pins, sapins, cèdres etautres arbres, dit Strabon', qu'il n'eut qu'à faire couper et amener près des lieux où campait son armée sur les bords de l’Indus. Et la rapidité avec laquelle sa flotte fut achevée est la meil- leure preuve de l’aide utile que lui prêtèrent, en cette circonstance, les tribus alliées ou qui lui étaient sou- mises. Mais des espèces arborescentes autres que celles dont parle Strabon devaient être anciennement em- ployées dans les constructions navales des anciens Hindous; outre quelques-unes de celles dont il se sérvaient dans la construction des maisons, ils em- ployaient sans doute aussi, sinon toutes, du moins un grand nombre des bois dont on fait usage de nos jours, comme ceux des chènes, des conifères de l'Himalaya. du peuplier de l'Euphrate, du prrnnäqga et du nimba, du rohituka et du nicula?, de bien d’autres encore qu'offre et qu'offrait encore plus autrefois la flore indigène. Elle ne fournissait pas moins d’essences excellentes pour la construction des ponts, des chars, des instru- ments aratoires ou des ustensiles de ménage, etc. Les bois d’aune, de saule et de chêne, de cèdre ou de pin, de 1. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 1, 29. Cf. Diodore. Bibliotheca, Vib. XVII, 89, 4. 2. Calophyllum inophyllum L., Melia asadirachta L., Amoora rohituka W. et À., Barringtonia acutanqula Gaertn. — Watt, Diclionary, vol. Il, p. 126. LES PLANTES DANS L’INDUSTRIE 365 sal, de gurär et de madhüka”, de toun ou de teck, ete., servaient, suivant les régions, à faire des ponts. Avec des troncs du pin élevé creusés, on fabriquait des con- duits ; on faisait des auges avec le bois du mürier de l'Inde et du peuplier cilié, etc.*. À l’époque védique le char de la mariée était construit en bois léger de çal- mali”. Des bois plus résistants et plus solides, comme ceux du s#sdl ou rosewood et de la çrrçapa, du bija et du boja ou tronwood, du jarël et du dhaura*; le bois des asana, haritakt, tusha et kinjal”, du jujubier xylopyre, du bhirra ou satiniwood”, etc., servaient à fabriquer les lourdes voitures de transport et les usten- siles aratoires. Mänasära recommande de faire le corps de la charrue en bois de /hadira ou de nimbar. On faisait les socs autrefois sans doute, comme aujourd'hui, avec le bois du tamaris articulé ou de Gaule, de Xydia calycina, A'Albizzia amara et de Soymida febrifuga, etc. Les bois de kapittha, et de bilva, de beli peut-être, de fénisa*, et d'aratu”, etc., 1. Shorea robusla Gaertn., Albizzia procera Benth., Bassia latifolia Roxb. — Watt, Dictionary, vol. I, p. 535. 2. Brandis, /lora, p. 410, 476 et 511. 3. Bombax malabaricum L. — Rig-Veda, lib. X, 85. 4. Dalbergia lalifolia et sissoo Roxb., Pterocarpus marsu- pium Roxb. et Xylia dolabriformis Benth., Lagerstræmia flos- reginae Retz. et parvifolia Roxb. : 5. Terminalia lomentosa Prodr., chebula Retz., bellerica Roxb. et paniculata Roth. — Brandis, Flora, p. 222-227. 6. Chloroxylon swieteniu DC. — Watt, Dictionary, vol. IT. p. 183. 7. Acacia catechu Willd. et Melia azadirachta L. — Râm Râz, Essay on the architecture of the Hindus, p. 17. 8. leronia elephantum Roxb., Aegle. marmelos Roxb., Limo- nia acidissima L., Ougeina dalbergioides Benth. 9. Calosanthes (Bignontia) indica Blume. — Æig-Veda, lib. VIII, 46, 27. Watt, Diclionary, s. v. Oroxylon indicum. 366 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS étaient employés pour fabriquer les essieux et les moyeux des roues; avec le bois de /tkar' on faisait des maillets, des jougs avec celui de jhanghan, de piyäla et de £hdja”, etc., des bôches en bois de pin élevé, des pieux en pishor; les bois de divers acacias et albiz- zias”, du bilva, etc., étaient employés pour faire des pilons ; avec le bois d'if de l'Himalaya on fabriquait des arcs, ainsi qu'avec celui de diverses gréwies, du pishor, etc.*. Ce dernier servait aussi à faire des hampes de lance, des manches d'outil, etc. Les bois qui se travaillent facilement étaient employés pour faire des coupes, des cuillères et autres objets analogues. La plus grande des trois cuillères du sacri- fice, la dhruva, était en bois de wkañnkata”; la petite cuillère — sruva — qui servait à verser l'huile, était en bois de khadira®. On faisait en bois de parna' la cuillère — juhit — avec laquelle on répandait sur le feu le beurre clarifié — ghrita —, comme le couverele du chaudron et des vases sacrés. Le bois d’acvattha était employé pour fabriquer les vases où l'on recueil- lait le soma, de même que la cassette du médecin et de 1. Nom hindoui de l’Acacia arabica L., qui s'appelle aussi babul dans l'Inde centrale et les provinces du Nord-Ouest. 2. Odina wodier Roxb., Buchanania lalifolia Roxb. et Briedelia retusa Spreng. — Watt, Dictionary, vol. I, p. 145. 3. Acacia arabica et catechu Willd.. Albiszia lebbek Benth. &. Watt, Dictionary, vol. I, p. 518. Le pishor est la Parrolia Jacquemontiana Decaisne. 5. Flacourtia sapida Roxb. ou Ramontchi Hook. On faisait. aussi avec ce bois la coupe à soma — manthipâtra. — T.S8.,3, TS et b 10.5: 6. Tailtiriyasañhilä, 3, 5, 7, 1. 7. Bulea frondosa, 1. — T. S.,3,5, 7, 2. — Atharva Veda, lib. XVIII, 4, 53. LES PLANTES DANS L’INDUSTRIE 367 l’herboriste ". Avec le bois de nyagrodha on faisait les coupes —— camasa® — et, parfois, avec celui d'udum- bara, les cuillères du sacrifice. Le bois de ce dernier, comme celui de bilva, servait aussi à faire les poteaux sacrés. L'ébénisterie et la tabletterie trouvaient dans les bois durs, aux teintes variées et susceptibles d’un beau poli, si communs dans l'Inde, les matériaux les plus pré- cieux ‘. Outre la plupart de ceux qui étaient employés dans le charronnage, il faut citer les bois de cèdre, du cyprès toruleux et d’autres conifères, ainsi que ceux des érables, du buis, des noyers, des cerisiers et pol- riers de l'Himalaya ; les bois des acacias, en particu- lier la Cami, du nimba et du sissou, du Nord-Ouest; ceux des ébéniers”, de l’ayugma, de l'haritaki® et du campaka, de lAdina cordifolia et des Cordia Macleodii et Gmelina arborea de la région sous- himalayenne et des provinces centrales ; les santals rouge et blanc, le bhirra, le tunna et le sitsilT— bois de rose ou bois noir, — enfin les ébéniers* de l'Inde méridionale, ete. Avec ces bois on fabriquait des meu- bles de prix, des coffrets, des statuettes, etc. Avec celui de nimba, par exemple, on sculptait les idoles. Les bois de la Crataeva religiosa, de divers gardé- nias, de l'olivier ferrugineux, de la Schrebera siwie- Ag Vedd; lb T1352% 8 XX 9705: DONS 92 19 TS 7) 449 HORS RE A TS TU AHGretté 2e NAT PUEXTX.-31 74 4. Watt, Diclionary, vol. Il, p. 1-2. 5. Diospyros montana et melanoxylon Roxb. 6. Alstonia scholaris R. Brown, Terminalia chebula Retz. 7. Chloroxylon swielenia DC., Cedrela toona Roxb. et Dal- bergia latifolia Roxb. | 8. Diospyros ebenum Kœn. et chloroxylon Roxb. 368 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS tenioides, etc., étaient employés pour fabriquer des peignes”'. On faisait des cure-dents avec des jeunes tiges de bétel”, des brosses à dents avec des brindilles d'Acacia modesta, des Streblus asper et Tephrosia tenus, etc. *. Quelques-uns des bois ouvrables de l’Inde furent, à une date reculée, connus bien au delà des frontières de cette contrée. Théophraste, nous l’avons vu, parle de deux espèces d’ébène qui croissaient dans l'Inde, l’une, de bonne, l’autre, de mauvaise qualité“; mais on ignore en quoi elles différaient au point de vue botanique; on ne sait pas davantage quels ébéniers Mégasthène pouvait avoir vus au delà de l’'Hypanis”. Quoiqu'il en soit, le véritable ébène finit par être connu dans l’Oc- cident; Virgile et Pline le regardaient comme un produit de l'Inde'; de leur temps, on l’apportait des ports de la Péninsule en Égypte, d'où il était ensuite amené en Italie’. Mais, bien avant notre ère, l’ébène de l'Inde avait aussi sans doute pénétré dans l’Asie antérieure, que nous trouvons en relations commerciales avec cette 1. Watt, Diclionary, vol. IT, p. 515 et s. v. — Brandis, Flora, p. 28, 272, 308, 448. 2. Khadirañngàära-Jâtaka. Stories of the Buddha’s former Births, vol. I, p. 103, n° 40. 3. Watt, Dictionary, vol. I, p. 54; VI, 3, p. 374 et 4, p. 15. 4. Historia plantarum, lib. IV, 4. Comme Théophraste com- pare les ébéniers dont il parle au cytise, il semble qu'il ait en vue un Dalbergia, non un Diospyros. 5. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 1, 37. 6. Georgica, lib. If, v. 117.— JJist. naturalis, lib. XIT, cap. 9. 7. Periplus maris Erythraei, cap. xxxv. L'ébène, importé en Egypte, venant de l’Inde méridionale, devait être le Dios- pyros ebenum. LES PLANTES DANS L’INDUSTRIE 369 contrée depuis l’époque la plus reculée”. Il ne fut pas le seul bois de la Péninsule qui y fut importé; j'ai eu occasion de rappeler que la ville de Siraf sur le golfe persique avait été construite en bois deteck”; il semble qu’on l’apportait aussi de Barygaza dans les ports de la mer Rouge; peut-être dans les 93A2;yuv sasapivoy du Périple faut-il voir, non des blocs ou des poutres de sycomore — sua, — comme l'a prétendu Fabricius”, mais des poutres de teck — :z43- uw, de céka (säka), nom sanscrit de cet arbre. Il peut paraître oiseux de mentionner de quels bois les habitants de l'Inde faisaient leurs bâtons ; il faut en dire un mot cependant, puisque les législateurs de ce pays n’ont pas dédaigné de prescrire les essences auxquelles il fallait les demander. D'après les lois de Manou‘un brahmane devait de préférence porter un bâton de bilva ou de palñca; un kshatriya en devait avoir un de vata ou de khadira ; le bâton d'un vaicya devait être, au contraire, en bois de pilu” ou d’udum- bara. Une fois sorti de noviciat cependant un brah- mane pouvait se contenter d’un bâton de bambou. Dans Cakuntalà, le chambellan paraît sur la scène un bambou à la main. Dans le Mahäbhârata, un bâton de bambou est donné à Vasu par le vainqueur de Vritra, « comme 4. Bühler, Zndian Antiquary, vol, x1 (1882), p. 270. — Tiele, Babylonisch-Assyrische Geschichte. Gotha 1886, 89, p. 605. — Jos. Dahlmann, Das Mahäbhärata als Epos, Berlin. 1895, 80, p. 189-192. 20Woiplivre, Lxchap.2,p:109. 3. Der Periplus, p. 75. — Cf. La Flore de l'Inde, p. 40. &. Livre II, 45. trad. Strehly, p. 28. 5. Salvadora persica L. D’après Acvaläyana, 1, 19, 13, le bâton d’un brahmane devait être en bois de paläca, celui d'un kshatriya, en udumbara, enfin celui d’un vaicya en bois de JorET. — Les Plantes dans l’anliquilé. II. — 24 370 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS | insigne que la fonction des rois est de punir et de défendre ! ». Les arbres ne fournissent pas seulement les maté- riaux employés dans la charpente, le charronnage, l’ébénisterie et les autres métiers, ils donnent encore le bois de chauffage nécessaire aux usages domestiques etaux cérémonies religieuses. À l’occasion on demande, et on demandait sans doute autrefois, comme aujour- d’hui, à tous les arbres ou arbustes le combustible dont on avait besoin ; mais en temps ordinaire on brülait de préférence, on le comprend, les bois impropres aux travaux industriels ?. D’autres, tout en y pouvant ser- vir, étaient employés, à cause de la grande quantité de chaleur qu'ils donnent ou de la qualité supérieure du charbon qu'ils fournissent. Des raisons d’un autre ordre, qu’on entrevoit à peine, avaient présidé au choix des bois destinés au feu des sacrifices ; c'était à l’époque védique l’acvattha, le nyagrodha, ludumbara bilva. Päräskara, IT, 5, 26-27, lui, attribue au râjanya — ksha- triya — un bâton de bilva, au vaicya, un bâton d’udumbara.— Bhavabhüti, Uttararämacarila, acte IV, donne au jeune guer- rier Lava un bâton de pippala — F'icus religiosa. 1. Acte V, scène 3. — Adi-Parva, 2350. 2. Par exemple les Xylosma longifolium Clos, Balanites Roxburghii Planch., Bosiwellia thurifera Col., Grislea tomen- tosa Roxb., Sonneratia acida L., Rhododendron arboreum Sm., Ardisia humilis Vahl., Myrsine africana L., Periploca aphylla Dec., Premna mucronata Roxb., etc. Brandis, p. 19, 59, 61, 238, 242, 281, 286, 287, 330, 366. etc. — Watt, Dictionary, vol. III, p. 452-53. 3. Comme le 7havüka — Tamarix gallica L. ou indica Roxb. — le kikar — Acacia arabica Willd., — le kandi — Prosopis spicigera L. — Brandis, p. 21, 170, 181. Il est question de charbon d’acacia dans le Khadirañga-Jâtaka, Stories of the Buddhas former Births, vol. T, p. 104, n° 40. CR + LES PLANTES DANS LA PARURE 371 et le plaksha, ainsi que le wikanñkata, le vibhidaka_ et l'incertain {érshtägha. On se servait aussi du bois de certains arbres pour s’éclairer ; tels, par exemple, le jujubier pyrocarpe et le pin élevé”, etc., dont les branches ou le bois font d'excellentes torches. Les tiges velues de la Cerbera lanuginosa étaient employées en guise d’amadou *. III Les plantes n'ont pas seulement leur place — et nous avons vu combien elle est grande — marquée dans l’alimentation; elles ne sont pas seulement les agents les plus actifs de l’industrie ; elles sont encore — elles l'étaient surtout chez les anciens Hindous — associées à tous les actes de la vie; il n’en est pres- que aucune qui ny ait eu part. C’est ainsi que les graines de quelques espèces servaient de poids, surtout dans le commerce de l’orfévrerie ; le plus petit poids végétal était la graine de moutarde noire, puis venait celle de la moutarde blanche, considérée comme trois fois plus lourde; six graines de celle-ci avaient pour équivalent un grain d'orge moyen; trois grains d'orge moyens pesaient un Ar2shnala — graine de quñia* —et cinq graines de quñja, un mäsha”; quatre graines 1. Flacourtia sapida ou Ratmontchi L'Hér., Terminalia bellerica Roxb. — Zimmer, Altindisches Leben, p. 60-63. 2. Brandis, Flora, p. 90 et 512. 3. Watt, Dictionary, vol. HT, p. 490. 4. Abrus precatorius L. Une graine d’Abrus s'appelait aussi raktikà, hindoui retti, elle est aujourd'hui considérée comme l'unité de poids. Drury, Useful Plants, p. 358. 9. Lois de Manou, livre VIII, 133 et 134. 372 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS de guñja équivalent encore aujourd’hui à une graine de kucandana". : Les graines brillantes de diverses plantes, servaient aussi d'ornement et de parure; ainsi avec les graines de guñja, de kucandana et de Canna indica entre autres, on fabriquait des bracelets ou des colliers ; avec les noyaux polis et percés de Reptonia buxifohia, de rudräksha, de guväka*, de Nannorhops de Ritchie, etc., on fabrique eton fabriquait autrefois des rosaires *. Les feuilles aussi trouvaient leur emploi; sèches ou même fraiches, elles servaient de couche aux anachorètes‘; avec les feuilles larges et rigides de divers arbres ou arbustes on faisait des ombrelles et des éventails” ; on en employait d’autres, — celles par exemple d’arush- kära, de piyäla, de paläca ou parna, de marwdr, etc., — en guise d'assiettes. Les feuilles rudes et ru- gueuses des Ficus asperrima, cunia et gibbosa', et du Streblus asper servaient à polir. Mais c'était des fleurs surtout que les Hindous fai- saient usage dans la vie ordinaire. Elles étaient l’ac- 1. Adenanthera pavonina L. — Brandis, p. 168. — Drury, Useful Plants, p.16. Le mâsha est le Phaseolus Roxburghii ou radialus L. 2. Eleocarpus ganitrus L., Areca catechu L. 3. Brandis, Forest Flora, p. 43, 139, 148, 237, 549, 551. — Watt, Dictionary, vol. I, 430-433. &. Râämäyana, lib. I, cap. xxvI, 1 ; IT, cap. XLIW, 14. 5. Par exemple avec les feuilles de marwûâr (Bauhinia Vahlii W.-A.), de täli (Corypha umbraculifera L.), de Nan- norhops de Ritchie. Avec celles de marwär et de Cochlosper- num gossypium on faisait aussi des chapeaux et même des soufflets. 6. Semecarpus anacardium L., Buchanania latifolia Roxb., Butea frondosa Roxb. 7. Watt, Dictionary, vol. II, 350 ; VI, 3, 374. LES PLANTES DANS LA PARURE 313 compagnement obligé de toutes les fêtes et de toutes les réjouissances. Dans les circonstances solennelles, les rues, après avoir été arrosées, étaient jonchées de fleurs ; les palais étaient ornés de guirlandes de fleurs. Des festons en décoraient les plafonds; des fleurs en diapraient le sol". Dans les sacrifices on en parait même la victime”. Elles jouaient surtout un rôle con- sidérable dans les fètes du mariage. Le char de la mariée était orné de fleurs écarlates de kimcuka*. Des fleurs variées embellissaient aussi sa toilette, c’est ainsi que des pousses de dürvàs, entremélées de jeunes sinapis, relèvent l'éclat de la tunique d'Umà, et qu'une guirlande de madhükas, dont Jes fleurs blanches se mariaient aux dürvâs, ceignent ses che- veux‘. Le paranymphe avait une couronne de fleurs sur la tête. Les amis chargés par le prétendant de demander la main de la fiancée, en portaient aussi”. Des couronnes de fleurs étaient la récompense des anciens aèdes. Dix couronnes sont données à l’un d'eux par le chef des Rucama°. Dans le premier Jàtaka, un farfadet se présente au marchand qu'il veut tromper, les cheveux ornés de fleurs de lotus, ainsi 4. Rämäyana, lb. I, cap. LxxvIN, 16, 17 ; lib. IT, cap. v, 17. — Nâla et Damayanti, chant 25. — Lalita Vistara, chap. xv. — Mahäbbärata. Adi-Parva, 7996, ete. — The Pain tings of Ajantä. Cave I, pl. 13, 19, etc. 2. Râmäyana, Lib. I, cap. x, 32. 3. Bulea frondosa Roxb. — R. V., lib. X, 85, 20. 4. Kumära-Sambhava, lib. VII 7. Des fleurs blanches d’Aolarrhena dysenterica ont dû aussi dès longtemps servir de parure aux fiancées. Brandis, p.336. 5. Rig-Veda, lib. IV, 38, 6. 6. Atharva-Veda, lib. X, 127, A. 3. 314 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS que les gens de sa suite’. D’après les lois de Manou, une couronne de mürvà” était l’insigne des guerriers. Le chef de famille avait la tête ceinte d'une guirlande de fleurs, quand il traçait le premier sillon de son champ”. On en ornait même les animaux. Dans le Nandi-Visäla-Jätaka, le brähmane fait mettre au cou de son taureau une guirlande de fleurs. Tous les héros et les héroïnes de l'épopée et des drames hindous se parent de fleurs ou en portent des couronnes. Le poète du Mahäbhärata représente les princes convoqués à la cour de Bhima, ainsi que les guerriers qui les accompagnent, le front ceint de cou- ronnes brillantes et parfumées. Et Damayanti choisit Nala pour époux en lui mettant une merveilleuse guir- lande de fleurs sur les épaules”. Dans Cakuntalà, les guerrières de la garde du roi s’avancent la tête cou- ronnée de fleurs des champs”. Les cheveux de Pärvati, qu'on pare pour ses noces, sont entrelacés de fleurs’. «J'ai, dit un des personnages de Nägänanda*, une cou- ronnne sur la tête, comme une suivante qui ne me quitte jamais.» Des fleurs parfumées de keçara, en- 1. Apannaka-Jätaka. Stories of the Buddha’s former Births, vol. I, p. 5. 2. Sanseviera zeylanica L. — Manou, lib. IT, 42 et 44. 3. Mänasàra, ap. Räm Râz, Essay, p. 57. 4. Stories of the Buddha’s former Births, vol. I, p. 71. No :28. 5. Nala et Damayanlti, chant Il. Draupadi choisit de même Arjuna pour époux. Adi-Parva, 7059. 6. Acte I, scène 1. Dans la version bengalie, suivie par Ber- gaigne, c'est le roi qui porte une couronne de fleurs cham- pêtres. 7. Pärvatis Hochzeit. Ein indisches Schauspiel, übersetzt von K. Glaser. Triest, 1886, in-8°, p. 32. 8. Acte III, trad. Bergaigne, p. 59. LES PLANTES DANS LA PARURE FA) trelacées à celles d’atimukta, embellissent le sein de Mälati'. Cakuntalà porte autour du cou une guirlande de fibres de lotus, qui brille sur sa poitrine, dit le roi Dushyanta, comme les rayons de la lune d’automne?. Kàlidäsa représente Urvaçi parée d'une guirlande de fleurs, dont le soulèvement incessant trahit l'agitation de son cœur. Et Purüravas reconnait sa trace aux pétales de kadamba tombés de sa chevelure; il parle des fleurs de jasmin tressées dans ses cheveux, de celles de mandära qui les parfument, et il loue la reine repentante de n'avoir d'autre parure que les tiges sacrées de dürva mises dans sa chevelure *. Les anciens poètes de l'Inde aiment à rappeler cet emploi que les femmes faisaient des fleurs, comme d’un élément indispensable de leur toilette. Ils nous les montrent, suivantles saisons, mettant dans leurs cheveux, des fleurs d'acoka, de mandàra ou de jasmin ; se parant de couronnes de kadambas, de keçaras ou de campakas fraichement éclos, de ketakis entrela- cés avec des mälatis aux fleurs nouvellement épanouies ou avec des yuthikas au calice à peine entr'ouvert ; ou encore s’attachant aux oreilles des fleurs d’acoka, de bäkhuba, de kadamba, de cirisha, de lotus bleu ou de karnikàra‘, parfois même des épis d'orge”. Qui hé- siterait, par crainte des abeilles, dit un personnage de Mâlavikà et Agnimitraf, à mettre à son oreille une branche fleurie de manguier ? Et nous voyons l'héroïne 1. Mûlali el Mädhava, acte V, trad. L. Fritze, p. 57. 2. Cakuntalä, acte VE, scène 5, trad. H. C. Kellner, p. 88. 3. Urvaci, acte IIT et IV, trad. L. Fritze, p. 12, 43, 60, 64,65. :. Rilu-Samñhära, chant IT, 21 et 25; IT, 13: VL. 6. 5. Kumära-Sarñbhava, VIT, 17. — Raghu- Vamnca, IX, 22. 6. Acte IIT, trad. L. Fritze, p. 39. 216 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS de la pièce se faire un pendant d'oreille d’un rameau d’açoka, qu'elle a cueiïlli dans le jardin royal. Dans le drame de Mricchakatika', Vasantasenà paraît aussi sur la scène, une fleur de kadamba à l'oreille. Les femmes aimaient à cueillir elles-mêmes les fleurs dont elles se paraient et elles savaient les arranger avec goût; elles s’y exerçaient dès leur jeu- nesse. Parmi les soixante-quatre arts que devaient, d'après le Kämasütra*, apprendre les jeunes filles, figure celui de faire les différentes espèces de cou- ronnes, ainsi que l’art de disposer d’une manière agréable des fleurs de couleurs diverses et de dessiner avec elles et des grains de riz des figures sur le sol. Il y avait d’ailleurs aussi, chez les Hindous, des fleu- ristes — méläkäras”, — « bouquetières » ou « guir- landières », dont le métier ordinaire était de tresser des couronnes et de faire des bouquets. On voit sur des fresques d'Ajantà des suivantes, qui portent des fleurs de nymphéa et de lotus dans une espèce de bassin oblong*. Dans Cakuntalâ, l’amie de l'héroïne, Ana- sûyà, attache à une branche de manguier des fleurs de kecara renfermées dans une noix de coco”. Les élégants ne recherchaient pas les fleurs avec moins de passion que les femmes; des guirlandes d’amarante jaune étaient suspendues dans leurs cham- bres ; des fleurs recouvraient les bancs en terre de 1- Acte V, scène 5, trad. H. C. Kellner, p.109: 2. Das Kâämasütram des Vâtsyäyana, übersetét u. hergg. von Richard Schmidt. Leipzig, 1897, in-8°, p. 43, 45 et 46. 3. Cullaka-Setthi-Jâtaka. Stories of the Buddhas former Births, vol: E p.19. No 4. 4. J. Griffiths, The paintings of Ajautà, p. 18, fig. 53 Cave I, pl. 14 et 16. Cave II, pl. 31. Un nain même en porte, pl. 34. 5. Çakuntalä, acte IV, scène 3, trad. L. Fritze, p. 54. dk ©. ll LES PLANTES DANS LA PARURE 311 leurs pares ; le matin, au moment de sortir, 1ls se met- taient une couronne sur la tête ; ils en portaient même une pendant la nuit". Une fresque d’Ajantà nous mon- tré un dandy qui s’avance, tenant une fleur de lotus à la main. D'autres personnages en portent aussi?. L'emploi des parfums, si général de nos jours, n'était pas moins répandu dans l'Inde ancienne. On brülaïit, dans les fêtes, de l’encens et des parfums exquis dans les rues et sur les places publiques *; on répandait dans les maisons des eaux de senteur et de la poudre de bois de sappan ou des racines aromatiques de cur- cuma, de kachür et peut-être aussi, comme aujour- d'hui, de souchet odorant*. Les femmes hindoues fai- saient un usage constant des parfums; elles s’oignaient les cheveux avec de l'huile de nard, d'ucira ou vétiver et de rüsà ghàz”, qui passent pour les faire pousser. Elles les lavaient peut-être également, comme de nos Jours, avec une décoction de feuilles de sésame ou d’'Albizzia amara*. Elles s'oignaient aussi le corps avec de l'huile aromatisée de sésame” et les seins avec du santal*, puis elles les frottaient avec de la poudre 1. Das Kâmasütram, p.58 et 61. 2. The paintings of Ajantà, p. 39. Cave XVII, pl. 88. Cave I, pl. 13, 16, 19. 3. Râmäyana, lib. IT, chap. v, 17; C, 31. — Mahäbhärata. Adi-Parva, 7996. 4. Le kachür est l'Hedychium spicatum L., le souchet odorant, le Cyperus rotundus L. — Roxburgh, Flora, vol. I, p. 198. — Watt, vol. IV, no 207. 5. Andropogon muricatus Retz. et schænanthus L. 6. Watt, Dictionary, vol. II], p. 86. 7. Pârvatis Hochzeit, acte IV, p. 30. _ 8. Ritu-Samhära, 1, 4 et6: III, 20. — Amaru, Anthologie érodique. Trad. Apudy. Paris, 1831, in-8°, XXIII, p. 42. — Mahäbhärata, Vana-Parva, 1824. 378 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS de lodhra ‘ ou d’aguru*. Un des signes caractéristiques de leur condition”, les femmes mariées se coloraient les bras, et parfois aussi la poitrine, avec du safran * Elles se fardaient aussi le visage avec le pollen rou- geatre des fleurs de lodhra, mêlé à la poudre d’un jaune brillant de la gorocanà*. Enfin, elles se teignaient les doigts et les ongles des pieds, que leurs chaussures laissaient à découvert, avec de la laque°. On voit dans Milavikà et Agnimitra une des suivantes de la reine or- ner le pied de Mälavikà de dessins à la laque artistement tracés’. Les anciens textes ne parlent pas du henné; mais on a dû sans doute assez anciennement faire usage de ses feuilles broyées pour colorer la peau des mains et des pieds. Pétries avec du cachou, elles forment une pâte que l’on applique toute fraiche le soir, avant de se coucher, et qu'on enlève en se levant ; la couleur reste jusqu'à ce que la peau se renouvelle * Les hommes faisaient aussi usage des parfums. Les Védas nous montrent les Maruts s’oignant d’onguents brillants”. Le Gita-Govinda représente Hari tout oint 1. Ritu-Sarñhära, Lib. I, 22 2, Bois d’aloès — Aquilaria agallocha Roxb. 3. D’après Shakar Pandit. Urvaci, trad. L. Fritze, p. 45 note. Les autres signes étaient un bandeau rouge et un collier de perles. a. Pârvalis Hochzeil, acte V, p. 31. — Gila-Govinda, lib. I, 2, 8.; XI, 11 et 12. — Bhagivala-Puräna, Wb. K, cap. 411, 32. 9 Meghadäta, strophe 65. -— Mudrärâkshasa, acte V, p.110, — x umûära-Sambhava, VIT, 1 6. Pärvalis Hochseit, acte V, p. 31. — Ritu-Sarñnhära, lib. 1, 5. — Gita-Govinda, lib. X, 7 7. Acte III, trad. L. Fritze, p. 35. 8. Roxburgh, Flora, vol. IT, p. 259. 9. "Rig: Veda lib. 1, 64, 4; X,07800 LES PLANTES DANS LA PARURE 319 de santal!. On parfumait les hôtes auxquels on voulait faire honneur ?. Ceux qui se piquaient de galanterie surtout faisaient usage de parfums. A la tête du lit des élégants, une place était réservée pour les onguents et les couronnes de la nuit; là. se trouvait aussi un vase rempli de parfums, de l'écorce de citron et du bétel tout préparé. Le matin, ils s'oignaient d'huile de senteur, après avoir brülé dans leur chambre du bois d’aloès ou une autre substance odoriférante ; et avant de sortir, ils croquaient, pour se parfumer la bouche, une pastille aromatique et y mettaient une boulette de bétel*. Depuis une époque reculée l'usage de ce stimulant était devenu général et sa composition était un art. Pour le préparer, on enveloppait dans une feuille de cette pipéracée une noix d’aréquier coupée en tranches minces, avec quelques grains de carda- mome ; plus tard on y a ajouté un peu de camphre. On laissait le tout macérer avec de la chaux, avant de le mâcher. Le bétel colore en rouge les lèvres et les dents ; mais quand on eñ cesse l'usage pendant quelque temps, celles-ci prennent une couleur livide*. Il n’en était pas moins avidement recherché et on lui attri- buait les vertus les plus grandes. « Le bétel est pi- quant, dit un poète *, amer, chaud, doux, salé et astrin- gent; il éloigne la mauvaise odeur de la bouche et en est la parure. » 1. Gila-Govinda, T, 38. Le roi, dans Urvaci, acte III, p. 41, parle aussi du santal dont son corps est oïint. 2. E. Burnouf, /ntroduction à l'Histoire du Buddhisme p. 249. Pitha-Jâtaka, Stories, vol. III, p. 79, ne 337. . Das Kâämasütram, p. 58. . Das Kämasütram, p. 61. . Bohlen, Das alle Indien, vol. IT, p. 173. . Bôhtlingk, Zndische Sprüche, n° 2356. (Se) Æ> D C1 380 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Les hommes ne prenaient pas moins de soin de leur barbe que les femmes de leur chevelure"; ils loignaïient de parfums et se la teignaient avec diverses substances destinées à lui donner plus de lustre. Ils se teignaient sans doute aussi les cheveux en noir, comme on le fait aujourd'hui *; ils les vignaient d'huiles parfumées. Une coutume singulière était celle qu'avaient les anachorètes de s’oindre les cheveux d’une substance visqueuse, du jus de nyagrodha par exemple, et de les tresser ensuite en une seule natte’. Les élégants se fardaient comme les femmes, et comme les femmes aussi, ils se coloraient les lèvres et jusqu'aux pieds avec de la laque *. Dans le Raghu-Varñça, poème attri- bué à Kälidàsa, on voit Le roi fainéant Agnivarna offrir à la vénération de ses sujets son pied brillant du fard qui en teignait les ongles”. . Strabon, lib. XV, cap. 1.5 Arrien, /ndica, cap. xvI. Dans le ‘Pandjab on se ont à oi effet des noix de Poe du chêne. Brandis, Flora, p. #81. 3. Une jatà. — Râmäyana, Gb. I, Cap. Lil, 2-3. 4. Das Kâmasütram, p. 61. 5. Chant XIX, strophe 8. CHAPITRE IV LES PLANTES DANS L'ART ET DANS LA POÉSIE Les plantes n’occupaient pas une moindre place dans l’art que dans l’industrie des anciens Hindous. C’est au monde végétal qu’ils ont demandé d’abord — on le fait encore aujourd'hui dans certaines régions" — les matériaux nécessaires à la construction de leurs de- meures ; c’est le monde végétal aussi qui leur a fourni quelques-unes des formes architecturales de leurs édi- fices et une partie des motifs de décoration dont ils les ont embellis. | La maison des anciens Hindous était d’une grande simplicité ; quatre piliers, dressés aux quatre angles et reliés à leur partie supérieure par des poutres, sur lesquelles reposait le toit, composaient, avec des so- lives, qui les soutenaient en s’arc-boutant contre eux, la carcasse des murs, dont les vides étaient remplis avec des roseaux, de la paille ou de la terre. Au milieu de l’une des faces, des piliers moins élevés, surmontés 1. Par exemple dans la région de l'Himalaya. William Simp- son, Some suggestions of origin in Indian Architecture. (The Journal of the Asiatic Society. London, 1888. New Series, vol. XX, p. 49). 382 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS d’un linteau, formaient l'encadrement de la porte‘. Telle était l'habitation des temps védiques et telle elle resta pendant de longs siècles dans les pays de plaine et surtout de montagne ; plus tard elle prit des formes architecturales plus complexes ; on lui donna plusieurs étages; dans les villes, les demeures des grands s’embellirent de colonnades, d’arcades, de portiques et s’ornérent de sculptures ; malheureusement nous ne pouvons dire quelle était la nature de ces décorations, puisque toutes les constructions de cette époque primi- tive ont disparu sans laisser de trace, et les descrip- tions que les épopées nous donnent des palais royaux sont peut-être trop récentes, pour que nous puissions rien conclure de leurétat véritable. Quant aux édifices du culte, ils ont été inconnus de l'Inde des Védas; la religion naturaliste, ainsi que les conceptions philo- sophiques des rishis, n'étaient pas favorables aux arts”; aucun monument religieux ne parait avoir été élevé à l'époque où elles dominèrent. Il en fut autrement à l’époque du brahmanisme ; il en fut autrement surtout à celle du jainisme et du bouddhisme. Le culte dont le fondateur de cette der- nière religion fut bientôt l’objet rendit nécessaire la construction d’édifices qui lui fussent appropriés. Peu nombreux à l’origine toutefois et vivant dispersés, les sectateurs de Càkyamuni durent se contenter d’abord de simples édifices en bois pour leurs réunions ; de simples tumulus en terre aussi conservèrent seuls, dans les premiers temps, le souvenir des lieux sanc- 4. Zimmer. Altindisches Leben, p. 153. — Wallis, The cos- mology of the Rig-Veda. London, 1887, in-8°, p. 17. 2. Albert Grünwedel, Buddhistische Kunst in Indien. Berlin, 2e Aufl., 1900, in-12, p. 5 et 11. LES PLANTES DANS L'ART 383 tifiés par la présence du Réformateur. Tout changea le jour où Acoka eut reconnu officiellement la religion nouvelle. Non seulement les monuments du culte se multiplièrent de toutes parts sur le sol de l'Inde ; mais les fragiles constructions en bois du passé firent place à de solides monuments en pierre; les grossiers tu- mulus en terre furent remplacés par d’élégants édi- fices ; avec ceux-ci prit véritablement naissance l’archi- tecture hindoue, civile, comme religieuse"; mais toute nationale qu’elle est par ses origines et son inspiration, elle n’en porte pas moins des traces d'imitation étran- gère. L'époque de la fondation du bouddhisme est celle même où l'Inde sortit de l'isolement, dans lequel elle avait vécu depuis l'occupation du Pandjab et de la vallée du Gange par les tribus aryennes. Càkyamuni vivait encore, quand Darius pénétra dans le bassin de l’Indus et réunit à ses états le pays des Gandhariens — la vallée inférieure du Kophès — et celui des Hin- dhu, c’est-à-dire la contrée voisine du Sindh moyen *. En 326, Alexandre, à son tour, s'empara du Pandjab occidental; ce fut une conquête éphémère, il est vrai; mais si les rois de Syrie, qui héritèrent des provinces orientales de son empire, ne purent les conserver, ils n’en restèrent pas moins en rapport avec les souverains du Magadha. Acoka, dans ses inscriptions, parle des 1. Cette manière de voir a été combattue par le P. Jos. Dahlmann : « Quand le bouddhisme, dit-il, prit l’architecture à son service, celle-ci était déjà arrivée à un haut degré de développement. » (Buddha, Ein Culturbild des Ostens, Berlin, 1898, in-8, p. 167). Malheureusement cette affirmation suppose que toutes les descriptions du Mahäbhärata et du Râmäyana sont également anciennes, ce qui est précisément en question: 2. Voir plus haut, livre II, chap, 1, p. 233. 384 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS traités qu'il fit avec l’un d’entre eux etles autres princes grecs'. L'établissement, vers 180, dans la Bactriane d'une dynastie hellénique, dont la domination finit par s'étendre jusqu'à la presqu’ile de Goudjarat, loin de les interrompre, ne fit que rendre plus étroites encore les relations de l’Inde avec l'Asie antérieure, et de celle-ci avec l'Inde. Le plus célèbre des roisde cette dynastie, Ménandros, — le Milinda des auteurs hin- dous — paraît avoir embrassé le bouddhisme”. L’as- servissement de la Bactriane, plus tard du Pandjab, par les Touraniens Yue-chi ne mit pas fin aux rapports de l'Inde avec l'Occident”. Les envahisseurs subirent l'influence des peuples qu’ils avaient subjugués; Ka- nishka, l’un de leurs rois, fut un protecteur fervent du bouddhisme, et les arts de la Grèce furent, comme la science hindoue, en bonneur à sa cour et à celle de ses successeurs. C’est au milieu de ces relations avec l’Asie occiden- tale que l'architecture et la statuaire de l’Inde se sont développées et ont pris leur forme définitive. Après la période archaïque‘, qui en précéda l'épanouissement et dont il ne reste aucun monument, mais dont on peut affirmer qu’elle connut et pratiqua l’art de sculpter le bois”, parut une première école, l’école indo-arienne, qui emprunta à l'architecture de Ja Perse quelques-uns 1. E. Senart, Les inscriplions de Piyadasi, vol. I, p. 310, xue édit. ‘ 2. Plutarque, Praecepta gerendae reipublicae, XXNIIT, 8. — A. Grünwedel, Buddhistische Kunst, p. 75. 3. James Fergusson, History of Indian and Eastern Archi- lecture. London, 1899, in-8°, p. 27 et 74. 4. À. Cunningham, Archaeological Survey, vol. HT (1875). London, in-8°, p. 2. 5. A. Grünwedel, Zuddhistische Kunst, p. 28. LES PLANTES DANS L'ART 389 de ses procédés et de ses formes caractéristiques; ce sont les artistes de cette école qui ont élevé les stam- bhas contemporains d'Acoka et construit les stüpas de Barâhat — Bharhut—, de Sânci — Sàänchi—, de Bud- dha ou Bodh-Gayà et en partie d’'Amarävati. Plus tard, à l’époque des Yue-chi, prit naissance une école nou- velle, l’école gréco-bouddhique où du Gandhàra', qui emprunta à l’art classique quelques-unes de ses formes architecturales et dont les premiers artistes, venus de l'Asie occidentale ou même de la Grèce”, fournirent aux statuaires de l'Inde des types jusque-là inconnus ”. Née sous l'influence du bouddhisme, l’ancienne ar- chitecture hindoue est essentiellement religieuse, et nous n'en connaissons, à part les stambhas d’Acoka, que des monuments d'un caractère religieux. Ce n'est pas sans doute qu’elle n'ait élevé aussi des édifices profanes, mais aucun d’eux n’est resté. À en juger par les dessins qu’on voit de quelques-uns d’entre eux sur 1. M. E. Senart, Votes d'épigraphie indienne, WI (1890), p. 42, place au milieu du ne siècle de notre ère l’époque où fleurit l’école de Gandhàra, et il croit que les premiers monu- ments n’en remontent pas plus haut que le 1er. C’est aussi l'opinion de M. A. Foucher, L'art bouddhique d'après un livre récent. Paris, 1895, in-8°, p. 11. 2. A. Grünwedel, Buddhistische Kunst, p. 79 et suiv. — M. V. A. Schmidt a prétendu que c'était de l’art romain, non de l’art grec, que relevait l’école de Gandhära, assertion qui a été acceptée, mais sans être appuyée d'arguments nou- veaux, par M. William Simpson. — Schmidt, Greco-Roman influence on the Civilisation of ancient India (Journal of the Asiatic Sociely of Bengal, vol. LVIIT (1889), 1, p. 107-197). — Simpson, The classical influence in the architecture of the Indus region (Journal of the royal Institute of British Archi- tecls, vol. I (1893), p. 93-112). 3. A. Foucher, L'art bouddhique, p. 47. — Id., Sur la fron- tière indo-afghane, p. 48. Jorer. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 25 386 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS le stûpa de Bharhut, ils n’offraient rien de particulier ; le palais des Devas — Vrjayanta Präsäda —, par exemple, avec ses trois étages”, ses fenêtres cintrées et garnies de balustrades, ne diffère guère d’un caitya que par ses moindres dimensions. Dans son Histoire de l'art, Kergusson a cru inutile d’en parler et moins que lui encore j'ai à m'en occuper. On à distingué cinq espèces de monuments dans l'Inde ancienne: 1° les s/ambhas, hind. /äts, piliers ou colonnes de hauteur variable et surmontés d’ordi- naire d’un emblème religieux ; 2° les s{#pas, ang. topes, qui sont tantôt des espèces de tumulus en pierre, érigés en commémoration de quelque épisode de la vie du Buddha, tantôt des dagobas — dhätugarbhas, — cel- lules destinées à renfermer des reliques du Réforma- teur ou de quelque saint de sa religion ; 3° les balus- trades, ang. railings, qui environnent les topes, les arbres sacrés, etc. ; 4° les caityas, ang. chaîtyas, lieux d’assemblée des fidèles, analogues à nos églises; 5° enfin les vihdras où monastères, creusés souvent, de même que les caityas, dans le roc et formant ainsi des demeures souterraines, dont l'entrée ou la facade sont seules visibles au dehors”. Parmi ces monuments les stambhas, comme les colonnes des édifices égyptiens ou persépolitains, rap- - pellent par leur forme élancée les troncs d’arbres, élément principal des constructions en bois. Les stam- bhas les plus anciens sont ceux sur lesquels Açoka fit, la 31° année de son règne, graver ses édits. L'un 1. Al. Cunningham, The Stüpa of Bharhut. London. 1879, in-fol., p. 118, pl. XVI, 1. 2. J. Fergusson, Æistory, p. 50. “ LES PLANTES DANS L’ART 387 des plus remarquables est celui qu'on a trouvé, en 1837, renversé sur le sol à Allahabäd. A part un listel, le chapiteau a été détruit; il en a été de même de la base, si tant est qu'il y ait eu une base; le füt seul est resté intact. De 11 mètres de haut, cylindrique et uni dans toute sa longueur, il n'offre d'autre particularité que d'aller en s’amincissant de la base, où il a un mètre de diamètre, au sommet, large de 72 centi- mètres ‘. On dirait le tronc d’un jeune sal. A peine moins important est le stambha de Lauriya*. On peut rapprocher de ces lâts les piliers monolithes en granit dressés autour du tope de Thuparamaya dans l'ile de Ceylan; mais ces piliers semblent avoir été quadran- gulaires à l’origine; ils le sont restés jusqu’à la hau- teur de 3 mètres; au-delà, les angles en ont été coupés, de manière à leur donner la forme octogonale *. Un autre dagoba de Ceylan, mais beaucoup plus moderne*, celui de Lañkaramaya, est aussi entouré de piliers analogues à ceux de Thuparamaya. Les stambhas que l’on trouve soitisolés, soit rangés autour des stüpas ou des dagobas, sont en général d’une grande simplicité de formes ; il n’en est pas de _ même des colonnes élevées de chaque côté des portes _des balustrades ou à l’entrée des caityas et des vihà- ras, ainsi que des pilastres dressés le long des murs 1. Journal of the Asialic Sociely of Bengal, vol. II (1834), pe 105, pl. II. 2. Archaeological Survey of India. Simla, in-8, vol. I (1871), p. 73, pl. XXV. Le stambha de Lauriya a 32 pieds 9 pouces de haut, 39 pouces de diamètre à la base et 26 pouces au sommet. 3. J. Fergusson, /Zistory, p. 192 et 194, fig. 101 et 102. 4. Il a été bâti l'an 221 après notre ère, le stambha de Thu- paramaya, 250 avant. 388 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS de ces derniers monuments pour en cacher la nudité. Ils présentent la plus grande diversité dans leurs formes et leur ornementation; mais les diverses par- ties : base, füt et chapiteau, dont ils se composent, ne les offrent pas également. De ces trois parties la base est celle que les architectes hindous ont le plus né- gligée ; parfois elle n'existe pas et le fût repose direc- tement sur le sol”, ou bien elle est simplement carrée et à faces unies”. Plus tard toutefois on donna à la base une forme plus compliquée ; elle se composa d’un soc, d’un nombre variable de filets ou moulures et d'un tore plus ou moins renflé, soit uni”, soit, mais rare- ment, décoré d’une double rangée de pétales de né- lumbos *, soit parfois encore accompagné d'un listel orné d'oves et de dessins géométriques *. Parfois simplement carré, plus souvent octogonal, à pans unis * ou encore cannelé”, le fût est souvent aussi couvert d’ornements ; tantôt ce sont des dessins géo- 1. Par exemple dans les piliers de la grotte de Bajà, des grottes n°s 10, 17 et 26 d'Ajantà et de celle de Vicvakarma à Elura. Fergusson, History, p. 123 et 55, fig. 57 et 85. Jas. Burgess, Report on the Buddhist Cave Temples. London, 1883, in-f0l-, p.7; 1187 et p5910 209; 2. Piliers des vihäras nos 16 et 17 et des grottes "let 26 d’Ajantà. Fergusson, History, p. 154 et 156, fig. 84 et 86. Jas. Burgess. Report, pl. Il et IIT, et p. 49, fig. 14. 3. Piliers des grottes de Karli, Nâsik, etc. Fergusson, Ais- tory, p. 120, 150, fig. 56, 79. 4. Piliers d’un dagoba à Amarâvati. Fergusson, AÆistory, p. 102, fig. 39. 5. J. Fergusson, Z{lustrations of the Rock-cut Temples of India. London, 1845, in-fol., pl. XI, 2. | 6. Piliers des grottes de Karli et de’ Nâsik. Fergusson, History, p.120 et 150, fig. 56 et 79. 7. Stambha de Bharhut et de Karli. Fergusson, History, p. 88 et 118, fig. 27 et 55. s LES PLANTES DANS L'ART 389 métriques que surmonte une rangée de demi-fleurons*, tantôt les dessins s’étalent entre deux bandes, com- posées, l’inférieure de palmettes, la plus haute de losanges séparés par des fleurons *. Aïlleurs des can- nelures obliques, séparées par une rangée de fleurons, viennent s'appuyer en bas sur une ligne de palmettes, en haut sur un cordon de guirlandes que couronnent des fleurons*. D’autres fois le füt est orné dans sa partie moyenne de cannelures, entre lesquelles courent des arabesques, que bordent une double rangée de fleu- rons *. Ailleurs encore des sujets de fantaisie, entourés ici. d'arabesques, là de fleurs délicates, occupent la plus grande partie du fût qu'ornent en outre des fleu- rons, des arabesques ou des tiges feuillées et fleuries”. Les chapiteaux ne présentent pas une moins grande variété de formes et d’ornementation que les fûts ; mais, sous leur diversité, ces formes se rapportent à deux types différents, qui correspondent aux deux écoles architecturales de l'Inde. Dans les monuments de l’école indo-bouddhique ou indo-iranienne, le cha- piteau est en général campaniforme ou papiriforme renversé ; tels sont les chapiteaux des stambhas de Sankissa — la Sankäcya du Râmäyana® —, de Lauriya 1. Piliers du vihâra n° 16 d'’Ajantà. Fergusson, /istory, p. 154, fig. 84. 2, Véranda du vihära n° 2 d’Ajantà. Fergusson, /{lustra- tions, pl. IX. 3. Piliers de la grotte nos 1 et 2 d’Ajantà.Jas. Burgess, Report on the Buddhist Cave Temples, p. 49, fig. 1% et pl. XVIIL, 2 et XIE, À: 4.Vihàra n° 17 d’Ajantà. Fergusson, History, p. 156, fig. 86. 5. Pilastre de la véranda de droite d’Ajantà. Jas. Burgess, Report, pl. XVII, 5. 6. Archaeological Survey of India vol. T (1871), p. 72, 390 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS et de Tirhut, qui, avec leurs cannelures arrondies et relevées à l'extrémité, rappellent le chapiteau persé- politain. Tels sont encore les chapiteaux des stambhas élevés, l’un près de la porte orientale de Bharhut, l'autre à l'entrée du caitya de Bedsà et de celui de Karli, ainsi que les chapiteaux des quinze piliers, qui se dressent de chaque côté à l’intérieur de ce dernier, et ceux des colonnes de Nàsik'. Parfois comme dans les piliers du caitya de Kanheri, par exemple, la cam- pane du chapiteau est remplacée par un tore analogue à celui de la base? ; d’autres fois enfin les chapiteaux ont la forme octogonale ou même carrée comme le füt *. Dans les chapiteaux des stambhas d'Açoka, au-dessous de la campane court un double filet garni d’oves ou de lignes obliques ; au dessus un filet encore la sépare de l’abaque, qui, parfois uni, plus souvent couvert de divers ornements, supporte un éléphant ou un lion‘. Ces formes si simples ne tardèrent pas à se compli- quer ; onéleva au-dessus de l’abaque comme un second chapiteau, composé tantôt d’une canmipane en sens inverse de la première, tantôt d’une espèce de dé, orné de diverses sculptures et de filets superposés, qui, en nombre variable, font saillie les uns sur les autres *. pl. XXV et p. 271, pl. XLVI. — Fergusson, History, p.54, fig. 5 et 6. 1. J. Fergusson, {istory, p. 113, 114, 118, 120 et 150, fig. 50, 52, 55, 56 et 79. 2. Jas. Burgess, Xeport on the Buddhist Cave Temples, p. 62, fig. 21. | 3. Piliers des vihâras 16 et 17 d’Ajantä. Fergusson, History, p. 154 et 156, fig. 84 et 86. 4. J. Fergusson, History, p. 54, fig. 5 et 6. 5. Piliers de la nef de Karli et des grottes de Nahapana et de Gautamiputra près de Nâsik. Fergusson, History, p. 120 et 150, fig. 56, 79 et 80. LES PLANTES DANS L'ART 391 Si les chapiteaux campaniformes ou persépolitains ont été parfois remplacés par d’autres formes archi- tectoniques dans les monuments de l'Inde septentrio- nale et centrale, ils n’en ont pas moins été les plus employés dans toute cette région jusqu’à la fin de l’époque bouddhique. Ils ont même pénétré dans le Gandhära; les chapiteaux des pilastres qui encadrent certains bas-reliefs trouvés dans cette contrée sont _persépolitains'; mais c'est là une exception; les co- lonnes des vihàäras si communs autrefois dans le Gan- dhära sont grecques; quelquefois ioniques *, elles sont corinthiennes d'ordinaire ; elles ont la base simple, le fütnu, qui caractérise cet ordre, avec le chapiteau orné de larges feuilles d'acanthe, sous la retombée des- quelles, trait particulier à l’architecture gréco-boud- dhique, se dressent souvent des statuettes du Réfor- mateur *. L'état de ruines dans lequel se trouvent les stüpas encore existants rend difficile de dire quelle en était la décoration; si l’on s’en rapportait au dessin d’un stüpa qu'on voit sur la balustrade d'Amaràvati‘, l’or- nementation de ces monuments eût offert la variété la 1. Relief de Jamäâlgärhi. A. Grünwedel, Buddhistische Kunst, p. 121. — Relief de Mohammed Nàri. H. Cole, Preservation of national Monuments of India. S. 1. (1885), in-fol. Graeco-Bud- dhist sculptures from Yuzufzai, pl. I. 2. Fergusson, istory, p. 176, fig. 97. 3. Fergusson, /istory, p. 173, fig. 94 et 95.— Cole, Graeco- Buddhist sculptures from Yusufzai, pl. X, XIIT, XV. 4. Fergusson, Æistory, p. 72, fig. 17. On peut en rapprocher le stüpa sculpté sur une muraille en marbre du monument bouddhiste de Bauddha Vanam près Ghantacäla dans l'Inde méridionale. Alex. Rea., South Indian Budhist Antiquities, pl. XXVIT (Archaeological Survey of India. New Series, vol. XV (1894), Madras, in-4). 392 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS plus grande; des épisodes de la vie du Buddha, des scènes d’adoration, etc., y auraient été sculptés en bas-reliefs ; des chapelles, encadrées de piliers, se seraient élevées sur le pourtour; des lions accroupis se dressaient sur les entablements et des guirlandes en auraient décoré le dôme, surmonté d’une élégante ba- lustrade non moins ornée. Mais peut-être n'est-ce là que le dessin embelli du stüpa même d’Amarâvati et du railing qui l'entourait. A l'origine la surface des stüpas parait avoir été nue ou à peu près; la plupart des dagobas sculptés sur la balustrade de Sänchi” n’ont d'autre décoration qu'une guirlande qui les en- toure à mi-hauteur. Toutefois, les stüpas proprement dits furent de bonne heure aussi couverts d’ornements géométriques ; il s’en trouvait sur les topes de Jara- sanda-ka-Baithak et de Bimarän dans le Gandhära”, on ajouta bientôt aussi à ces dessins des ornements d'origine végétale : lotus stylisés, fleurons, feuillage conventionnel, comme on le voit sur un panneau heu- reusement conservé de Sarnath *. Mais si nous ne pouvons parler que par induction de l’ornementation des stüpas, il n’en est pas de même de celle des balustrades qui les entouraient ; les tra- vaux qui ont été consacrés à quelques-uns de ces mo- numents nous ont fait connaitre’ quelle en était la richesse et la diversité ; les artistes qui ont sculpté, en 1. J. Fergusson, The tree Worship. London, 1868, in-fol., pl. XXVIIL 1 et 3. 2, Cunningham, Archaeological Survey of India, vol. I (1871), pl. XV. — H. H. Wilson, Ariana anliqua, p. 70 et 72; pl. III, 2vet 3: ï 3. Fergusson, History, p. 68, fig. 15. — E. Schlagintweit, Indien in Wort und Bild, vol. I, p. 55 et 57. LES PLANTES DANS L'ART 393 particulier, les balustrades de Bharhut, de Sänchi et d'Amarävati', pour ne rien dire de celle de Bodh- Gayà”, ont déployé dans la décoration toutes les ressources du talent le plus libre d'entraves et de l'esprit le plus inventif. Ils ont entassé sur les cloisons, mais surtout sur les larges piliers et la triple archi- trave des portes monumentales, qui conduisent au tope central, les motifs d’ornementation les plus divers ; médaillons curieusement ciselés, dessins géométriques, fleurs naturelles ou conventionnelles, épisodes de la vie du Buddha, légendes se rapportant à ses nais- sances antérieures — Jdlakas, — représentations du culte des arbres et du serpent, des dagobas et de la roue, personnages debout ou montés à cheval ou sur des éléphants, animaux seuls ou en groupe sur les piliers ou sur les architraves, etc., font de ces balus- trades des merveilles de l’art. Les facades de plusieurs caityas * ou vihàras n’offraient pas une décoration moins riche où moins originale. C’est'an monde végétal que les artistes hindous en ont emprunté les plus beaux motifs, et presque tous 1. La balustrade de Bharhut est de la fin du n1° ou des pre- mières années du re siècle avant Jésus-Christ; celle de Sanchi, commencée vers le milieu du 1° siècle, n’a été terminée qu'au commencement de notre ère. La balustrade d’\marävati est beaucoup plus récente ; la partie extérieure, la plus ancienne aussi, parait avoir été commencée seulement l’an 319 de notre ère; la partie intérieure plus moderne ne semble l'avoir été que vers 400. Fergusson, /istory, p. 85. — A. Cunningham, The Sipa of Bharhut, p. 14. — Grünwedel, Buddhistische Kunst, p. 26. 2. Cunningham, Archaeological Survey of India, vol. I (1871), p. 1-11, pl. VIII-XI. 3. La facade, par exemple, du caitya souterrain n° 19 d’Ajantà. Fergusson, History, p. 125, fig. 60. 39% LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS lui ont fait une large place dans les scènes dont ils ont embelli les monuments. Parmi les bas-reliefs les plus anciens de ces monuments, il en est peu où n'aient été sculptés quelque arbre ou quelque plante. Sur les bas- reliefs où est représenté le culte des arbres, c’est, on le comprend, un arbre, quelle qu’en soit la nature, qui forme le centre de la représentation. Ailleurs les arbres apparaissent comme l’emblème ou la demeure des divi- nités dont on raconte l’histoire, ou bien ils forment l'encadrement de la scène sculptée par l'artiste. Aussi les retrouve-t-on à profusion sur la balustrade de Bharhut, plus encore sur celle de Sàänchi, parfois aussi à Bodh-Gayà et à Amarävati. On voit, par exemple, sur deux bas-reliefs de Bharhut, se dresser, ici un pätali, là un ämalaka ou un nimba, le premier à côté de la devatà Culakokà, ie second près de la yakshini Candà, et une branche fleurie de ces arbres ombrage la tête des deux divinités gardiennes, l’une de la porte Sud, l’autre de la porte Nord du stüpa. Sur l’archi- trave du même monument est sculpté un arbre du tronc duquel sortent deux mains, qui donnent, l’une le boire, l’autre le manger à un homme assis *. Les arbres sont un élément indispensable dans la représentation des scènes sculptées sur ces deux bas- reliefs; non moins indispensable est la présence sur deux sculptures de l’architrave, ici des tiges de bambous que mangent avidement des éléphants, là du riz — Cunningham dit à tort, je crois, du froment, — que coupe une femme, nécessaires à l'intelligence de 1. Al. Cunningham, The Stüpa of Bharhut, pl. XXII, 3 et XXIII, 3. ‘ 2. The Stüpa of Bharhut, pl. XLVIII, 11. 3. The Stüpa of Bhariut, pl. XL, 2 et XLNE, 6. x LES PLANTES DANS L'ART 395 la scène représentée par l'artiste du stûpa. Peut-être aussi le bananier, si c’est un bananier, que Cunningham a cru reconnaitre près d'un arbre à l'arrière-plan d’un petit tableau d'intérieur, sculpté sur la même partie du même monument, contribue-t-il aussi à en indiquer la signification; mais je ne vois guère qu'un accessoire dans les kharjüras, placés sur un pilier de chaque côté d'une scène d’adoration, sinon dans les deux tàâlas — ce sont peut-être des arbres sacrés, — qui se dres- sent devant un palais sur un autre bas-relief”. C’est plus qu'un accessoire, c'est un élément de vérité dans les scènes représentées, que les deux arbres du bas-relief, où l’on voit un rishi, assis près d’un cours d’eau,avec un panierde provisions, en compagnie de deux chats et de deux chiens, ou les arbres placés à l'arrière-plan de deux autres bas-reliefs représentant, le premier un rishi accroupi, qui parait s’entrétenir avec un nâga; le second, un Mere sur le point d'égor- ger une antilope*. Plus grand encore est le rôle que jouent les arbres sur deux bas-reliefs, qui représentent, l'un, un jardinier et des singes qu'ila chargés d’arro- ser le parc confié à ses soins”; l’autre, un combat humo- ristique livré par des singes à des passants. Sur un troisième bas-relief, où l’on voit deux hommes, des moines peut-être, et deux singes, dont l’un, grimpé sur un arbre, parait les regarder, un autre arbre a été ajouté par l'artiste pour donner plus de pittoresque au tableau * 1. The Stüupa of Bharhut, pl. XIV, 6; XIIT, 2 et XXX, 2. The Stüpa of Bharhut, pl. XLVI, 2; XLII, 1, et XIII, 8 3. Arâmadüsa-Jätaka. Slories of the Buddha’s former rths, vol. I, p. 118, et-IT, 237. Nos 46 et 268. The De of Bharhut, pl. XUV, 5 ; XXXIII, # et XLV I, 8; o et 76 Birth 4. 7 P: ! 396 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Les arbres, onle comprend, ne sont pas moins néces- saires pour l'intelligence des scènes suivantes sculptées sur deux médaillons du même Bharhut'. Surle premier, qui représente le Nigrodhamiqa-Jâtaka, légende qui se rapporte à une incarnation du Buddha en cerf, les trois arbres qu’on aperçoit au haut du bas-relief sont desti- nés à figurer la forêt, qui sert d’abri au cerf et aux cinq biches dont il est accompagné. Au-dessous, pour com- pléter le tableau du légendaire récit, on voit, traver- sant une rivière, un autre cerf; plus loin, un chasseur qui le menace de ses flèches, tandis que trois person- nages les mains jointes semblent intercéder en sa faveur. Sur le second, où est sculpté un épisode ana- logue — le Kuruñqga-miga-Jätaka — de la vie du Buddha, celui où ce dernier, qui, sous la figure d’un cerf encore, vit retiré dans la solitude, en compagnie d’un pivert et d’une tortue, est menacé par un chasseur et arraché à la mort par ses deux compagnons, des arbres figurent la forêt qui sert de refuge au cerf et d'abri au pivert et à sa couvée; plus bas est l'étang, asile de la tortue, et sur ses bords le piège dont elle ronge la courroie, afin de délivrer le cerf et de rendre vaine la poursuite du chasseur. Il n’y à point d'arbre sur un troisième bas-relief*, que Cunningham regarde comme le tableau d'un jätaka inconnu; mais seulement des nélumbos, emblème et signe caractéristique d’un marais peu profond ; un bufile qu’on voit au milieu et deux loups, qui sont sur les bords, l’un accroupi, l'autre 1. The Stüpa of Bharhut, p. 51, pl. XXV, 4 .et XEINI, 2; p. 67, pl. XXVII, 9. — Stories of the Buddha’'s former Births, vol. I, p.-39 et II, 106. Nos 12 et 206. 2. The Stüpa of Bharhut, p. 69, pl. XXVIT, 10. LES PLANTES DANS L'ART 397 qui semble pris à un piège, complètent ce tableau sym- bolique. Sur le médaillon d’un des piliers de la balustrade du Sud-Est, qui représente un épisode célèbre de la vie du Buddha, la fondation du monastère de Jeta- vana par Anapidu — Anàâtha-pindika — iles arbres reparaissent et y jouent un rôle indispensable”. Au premier plan, on en voit trois, qui figurent sans doute le jardin du prince Jeta ; plus loin se dressent deux temples et au-dessous du premier et à droite du second un arbre sacré, entouré d’un balustrade; à gauche des deux temples, six personnages, peut-être le prince Jeta et ses amis ; sur le devant un chariot, dont les bœufs dételés se reposent ; en face, deux hommes, que Cun- ningham croit être Anepidu lui-même et son trésorier ; plus haut deux autres personnages assis, occupés, 1l semble, à couvrir la surface du jardin des pièces d'or qui doivent servir à en payer l'acquisition ; enfin au milieu du tableau un autre personnage tenant des deux mains le vase — Æalaca — qui contient l’eau de la donation *. On voit à quel point les arbres des divers bas-reliefs que je viens d'étudier servent à l'intelligence des scènes qui y sont représentées. Il en est de même de ceux qui se dressent sur quatre sculptures dont il me reste à parler”; les manguiers du médaillon, intitulé Asadisa- 1. The Stüpa of Bharhut, p. 84, pl. XXVIII, 3 et pl. LVIN. — Spense Hardy, Manual of Buddhism, p. 218-219. 2. A. Foucher, Scènes fiqurées de la légende du Bouddha. (Etudes de critique et d'histoire, 2e série, 1896, p. 113). 3. The Stüpa of Bharhut, pl. XXVI, 1: XXVIL 13: XLVII, 5 et 9; p. 58, 70, 77. Asadisa, Latukika et Kukkuta-Jâtaka. Stories, Il, 60 ; III, 115 et 168. 398 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Jâtaka, qui représente le fils du roi de Bénarès abat- tant avec sa fléche un fruit de l’un d’eux, ainsi que l'arbre, sur lequel on voit perchés, ici une caille mé- ditant la vengeance qu'elle tirera d’un éléphant, qui a écrasé sa couvée; là un coq, qu'un chat essaie en vain de faire descendre de ce lieu de sûreté; ou l’arbre dans lequel nous voyons se réfugier une femme, que deux chacals semblent poursuivre. Les artistes du stüpa de Sàanchi n'ont pas moins que ceux de Bharbut fait au monde des plantes une large place dans les scènes qu’ils y ont sculptées ; ils n'ont mème pas hésité, dans leur goût pour la nature végé- tale, à mettre des plantes et des arbres dans destableaux, où leur présence était sans utilité ou sans rapport avec le sujet. Ainsi sur un bas-relief qui représente le culte du serpent’, on voit à l'arrière-plan des arbres, dans l’un desquels, un figuier peut-être, un singe se régale de fruits ; au centre parait le dieu entouré de ses ado- rateurs, et au premier plan se déroule une scène cham- pêtre, aux bords d’un étang couvert de nélambos et sur lequel nagent des oies de Brahmä. Sur un autre bas-relief?, où est représentée la roue sacrée, à la- quelle viennent rendre hommage ses adorateurs, ac- compagnés d’une troupe de cerfs, des arbres de diverses espèces, dont l’un pourrait bien être un bilva, rem- plissent tout le fond du tableau. De même on voit au coin d’un bas-relief *, où est sculptée une scène d’ado- 1. J. Fergusson, Tree and Serpent Worship. Sänchi, pl. XXIV, 1. Face intérieure de la porte orientale. — F. C. Maisey, Sûn- chi and its remains. London, 1892, in-fol., pl. XIIF, 2. 2. Tree Worship, pl. XXIX, 2. — Maisey, Sénchi, pl. XXVI. 3. Tree worship, pl. XXVII, 2. Porte occidentale. Le sculp- teur de la porte méridionale n’a pas oublié non plus de cou- 774 LES PLANTES DANS L'ART 399 ration, un petitétang couvert de lotus, avec des plantes aquatiques et deux arbres ombreux sur les bords. Deux grands arbres se dressent aussi, à côté de l'arbre sacré, dans un bas-relief de la porte septentrionale’, de manière à remplir tout l'arrière-plan. Tout en sculp- tant trois brähmanes, qui préparent du feu devant un dagoba, tandis que deux disciples apportent du bois de la forêt prochaine, l'artiste du pilier de la porte orientale a eu soin de représenter au fond du tableau des arbres chargés de fleurs et de fruits”. Celui de la porte septentrionale, qui a voulu représenter un vil- lage, dans lequel pénètrent deux ràjas, pendant que les habitants se livrent à leurs occupations habituelles *, n’a eu garde également d'oublier les arbres qui om- bragent leurs maisons ou bordent la route, ainsi que la pièce d’eau voisine avec ses lotus et ses roseaux. Même soin du décor emprunté au monde végétal, dans la représentation des scènes empruntées à la vie de Câkyamuni. On ne voit qu'un arbre, il est vrai, sur un bas-relief*, qui nous montre le jeune prince sortant vrir des lotus traditionnels une pièce d’eau où l'on voit des baigneurs s'exercer à nager, et sur laquelle vogue une barque chargée d’une espèce de chässe. PI. XXXI, 1. 1. Tree worship, pl. XXVI, 2. — Maisey, Sänchi, pl. IX, 1. 2. Tree worship, pl. XXXII, 1. — F. C. Maisey, Sénchi and its Remains, pl. XIIF, 1. — Grünwedel, Buddhistische Kunst in Indien, p. 65, fig. 24. 3. Tree worship, pl. XXXII, 2. Une pièce d’eau avee ses lotus se voit aussi au premier plan d’un bas-relief du pilier de gauche de la porte orientale, où est représentée une vaste villa, près de laquelle des femmes se livrent aux occupations préliminaires de la fabrication du pain (PI. XXXV, 2). On voit aussi un étang avec des roseaux et un arbre dans un autre bas-relief qui représente une espèce de village (PI. XXX VI, 1). &. Tree worship. pl. XXXIV, 2. 400 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS monté sur son cheval, hors des murs de Kapilavastu ; mais les arbres sont nombreux dans le vaste tableau, où l'artiste a sculpté les principaux événements de la vie du Réformateur’: sa descente dans le sein de Mäyà, endormie sur la terrasse du palais, sa sortie triom- phante de la capitale, monté sur son char et accom- pagné d’une suite nombreuse, puis son arrivée au pied de l'arbre de l'Intelligence, où il se dépouille de ses vêtements royaux, en présence de ses cinq disciples. Derrière ceux-ci sont sculptés deux arbres et un ar- brisseau; au-dessus de l’arbre de Bodhi se dressent trois autres arbres: un täla, peut-être un manguier et un saptaparna ou un àmalaka. Sur un autre bas-relief”, six arbres encadrent la scène de l’inondation, provo- quée par le Buddha, pour amener la conversion de Kàäçyapa; un arbre de Bodhi, symbole du Réfor- mateur, que l'artiste n’a pas cru devoir représenter lui- même, puis cinq arbres d'espèce différente — des singes mangent les fruits de l’un d'eux — surgissent du milieu des flots agités ; une barque d’une simplicité primitive, dans laquelle est monté Kàçyapa avec deux brâähmanes, vogue sur les eaux débordées, au milieu des lotus qui les couvrent et des oiseaux aquatiques qui y prennent leurs ébats. Il faut encore mentionner deux bas-reliefs bien dif- férents, mais sur lesquels le sculpteur hindou, et c’est pour cela que j'en parle, a donné aux arbres une place considérable. Sur le premier malheureusement en partie effacé, qui représente une campagne traversée par une 4. Tree worship, pl. XXXIIT. Pilier droit de la porte orien- tale. 2. Tree worship, pl. XXXI, 2. Facade de la porte orientale. — Grünwedel, Buddhistische Kunst in Indien, p. 64, fig. 23. LES PLANTES DANS L'ART 401 rivière ‘, on aperçoit vers le bas, à gauche, un guerrier tirant une flèche, en présence d’un ràja et au son de la musique, tandis qu’au delà du ruisseau des biches se reposent à l'ombre des arbres, dans lesquels des singes se jouent. Sur le second bas-relief * est représenté une espèce de jardin de plaisance, avec ses kiosques, ses plantes verdoyantes et ses fleurs ; une vaste pièce d’eau couverte de lotus en occupe toute la partie basse ; près d'elle et sous les kiosques quatre couples joyeux s'en- tretiennent et se désaltèrent *. Malgré le nombre et la variété des bas-reliefs d’'Amarävati, malgré l'intérêt qu’ils peuvent présenter au point de vue historique, ils n’offrent presque rien qui doive nous arrêter ; c’est que, dans les scènes qui y sont sculptées, les artistes n'ont donné qu'une place insignifiante au monde végétal. On pourrait croire qu'ils ont été moins sensibles que ceux de Sänchi aux beautés de la nature. Sur le bas-relief d’un disque de la balustrade extérieure, où un ràja, monté sur un élé- phant avec deux de ses femmes, nous est montré tra- versant, lui et sa suite, une rivière dans un bac, on ne voit à l'arrière-plan que deux arbres sans caractère 1. Tree worship, pl. XXXVI, 2. Pilier de la porte occiden- tale. Fergusson, p. 137, a cru voir dans ce bas-relief la repré- sentation d’un épisode qui précéda le mariage de Cakyamuni. Au-dessus de cette scène s’en trouve une autre — le Sàma- Jâtaka, d’après M. A. Foucher, Scènes fiqurées, p. 105, — qui offre un paysage semblable. 2. Tree worship, pl. XXXVII, 2. — F.-C. Maiïsey, pl. XXII, 1. Une scène analogue est représentée sur un autre bas- relief (pl. XXXVII, 1). 3. S. Beal, Some remarks on the Great Tope at Sänchi. (Journal of the Royal Asiatic Society. New Series, vol. V, p. 119) a voulu voir, assez plaisamment, dans ces scènes réa- listes, un tableau des « Joies du ciel ». Jorer. — Les Plantes dans l'antiquité. I = 126 102 LES PLANTES CHEZ.LES HINDOUS précis. Sur un autre bas-relief de même provenance, qui représente à la fois le culte du trident et un roi des Nâgas, assis sur un trône avec deux de ses femmes et entouré de sa cour, rien ne rappelle le règne végétal : que des nélumbos d’une pièce d'eau sur laquelle nagent des oies, et de chaque côté un arbre indéterminé, auquel une Nàgi semble attachée par un bras. Le sculp- teur des bas-reliefs de la frise, qui a représenté à gauche une espèce de litière * portée par des hommes, avec des cavaliers en marche et à droite deux trou- peaux de buffles n’a mis qu'un arbre au centre de la composition et deux autres d'espèce différente à l’ar- rière-plan. Il y en a trois de forme et d'aspect sem- blables *, qui se dressent au milieu des scènes diverses représentées sur un bas-relief du même monument ; mais ce sont, il semble, des arbres sacrés. Dans les scènes sculptées sur le stûpa d’Amàravati le monde des plantes, on le voit, figure à peine ; il est inutile aussi de nous y arrêter plus longtemps. Les autres monuments bouddhiques de la région gangétique etde l'Inde centrale n'ayant aucun bas-relief, analogue à ceux dont il vient d'être question, il est encore moins besoin d'en parler*. Il me faut dire un mot, au contraire, des bas-reliefs du Gandhàära, sur lesquels des épisodes de la vie du Buddha ont été représentés. Les artistes qui les ont sculptés ont eu soin, comme ceux d'Amâravati, 14 1. Tree worshlp, pl. LXXII, 1 et 2. 2. Tree worship, pl. LXXXIV, 1. 3. Tree worship, pl. LXXXVI. &. Tout au plus y aurait-il lieu de mentionner l’arbre de Bodhi qui ombrage la niche dans laquelle on voit, sur une poterie de Bodh-Gayà, un Buddha assis au milieu de petits stüpas. Musée de Berlin, ap. Grünwedel, p. 156, fig. 87. Ve LES PLANTES DANS L'ART 403 de Sänchi et de Bharhut, d’y placer quelque plante ou quelque arbre pour figurer le paysage au milieu duquel se passe la scène. Ainsi sur un bas-relief qui nous montre le Réformateur accompagné de Vajrapäni, s’entretenant avec un näga, on voit un arbre se dresser derrière ces personnages". Un arbre, sur un bas-relief du Musée de Lahore, figure le bois de Lumbini, où naquit le prince Siddhàärtha. Sur un autre bas-relief du même Musée on voit des lotus, que le Buddha a fait miraculeusement surgir, en versant de l’eau sur lesol, et des arbres fleuris qui ornent le fond du tableau”. Deux arbres, sur des bas-reliefs de Nathu — Nuttu —, qui représentent la scène du Nirväna, figurent les câlas sous lesquels Cäkyamuni expira”. Insoucieux de la vérité historique, le sculpteur qui les a faits a donné à ces cälas l'aspect de palmiers ; on pourrait croire que les artistes du Gandhära et du pays des Yüù- sufzai aimaient à représenter de préférence ces derniers arbres; ils les ont prodigués ; ainsi sur un bas-relief qui nous montre le Buddha rendant visite à l'ermite Käcyapa dans son bois de bilvas, c’est un palmier qui a été substitué à ceux-ci. Ce sont encore des palmiers, probablement des kharjüras, qui se dressent de chaque côté d’une niche où le Buddha apparait entouré d’ado- rateurs *. Si on ne voit pas sur tous les monuments de l'Inde 1. Grünwedel, Buddhistische Kunst, p. 102, fig. 47. 2. Grünwedel, p. 125, fig. 65 et p. 119, fig. 60. 3. H.-H. Cole, Graeco-Buddhist Sculptures from Yüsufzai, > pl. XVI et XXII. — Grünwedel, p. 111, 112 et 113, fig. 54, 55 et 58. _ 4. H.-H. Cole, Graeco-Buddhist Sculptures, pl. IX et XII. — . Au-dessus de la tête du Buddha se courbent des branches de _ jacquier, arbre inconnu dans le Gandhära. 40% LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS des scènes où figurent des arbres et des plantes ; sur tous, les motifs de décoration, tirés du règne végétal, se rencontrent à profusion et dans une étonnante va- riété ; mais ils peuvent se ramener à trois formes prin- cipales : la palmette, le lotus — fleur, bouton et fruit — et le fleuron, avec le médaillon qui en est sorti. La palmette, que les artistes de l'Inde semblent avoir em- pruntée à l'architecture iranienne, apparait sur les plus anciens monuments; un listel du stambha d’Allahabäd et l’abaque de celui de Sankissa ont pour ornement des palmettes", qui, flanquées de chaque côté de fleurons, se dressent entre des lotus conventionnels, motif de décoration qui rappelle ceux des monuments de Persé- polis. Une palmette aussi se dresse derrière les lions sur le chapiteau des piliers de la porte orientale à Bharhut, et des palmes sont sculptées au-dessous de la tête de chacun de ces animaux”. Des palmettes, flanquées de fleurons séparent les lions aïlés, qui cou- rent sur l’abaque d’un pilier de Sàänchi*. Une rangée de palmettes conventionnelles encore, accompagnées ici de boutons, la de fruits de nélumbos, décorent le milieu des piliers de droite et de gauche de la porte septentrionale du même Sänchi, ainsi que la partie cen- trale d'un pilier d’Amaràävati'. Quelque élégante qu’elle soit, la palmette n’a été cependant qu’assez peu employée dans l’ornementation 1. Fergusson, History, p. 53 et 5%, fig. 4 et 5. 2. The Stüpa of Bharhut, pl. X, XI et XII. 3. Fergusson, Tree Worship, pl. XXXIX, 2. Une palmette, que flanquent deux boutons de lotus, est aussi sculptée entre les têtes des deux lions qui se dressent sur l’abaque de ce même pilier. 4. Fergusson, Tree Worship, pl. X, XI et LXXXIX. — Id., … History, p. 97, fig. 34 et 35. CN CT LES PLANTES DANS L'ART 405 des monuments de l'Inde; il en est tout autrement du lotus ou nélumbo et du fleuron, que les artistes de cette contrée ont empruntés, comme elle, à ceux de l'Asie antérieure, mais dont ils ont fait l’usage le plus heu- reux et le plus original. J’ai parlé plus haut des rangées de pétales de lotus pointus ou arrondis qui, motif de décoration ordinaire des monuments de la Perse et de l'Égypte, ornent le triple chapiteau de la porte orien- tale de Bharhut ; des fleurs de lotus à moitié ouvertes, autre motif de décoration iranien et égyptien, se dres- sent entre des lignes géométriques, sur le rebordde l’ar- chitrave. Des fleurs et des fruits de lotus servent aussi d'encadrement aux médaillons de la porte orientale et à certains bas-reliefs du même stüpa, par exemple à celui qui représente le jardin de Jeta'. Des fleurs de lotus accompagnent aussi les médaillons, qui décorent un pilastre de la grotte de Nâsik, ainsi que les piliers de la balustrade extérieure d’Amaràvati”. On voit un gros bouton de lotus de chaque côté de l'abaque du chapiteau des piliers, couronnés de chakras, des petits topes de Sänchi, tandis que de chaque côté de l’un d'eux sont sculptées des fleurs épanouies, entre les- quelles des boutons entr'ouverts sont opposés deux à deux *. Les pétales qui décorent les chapiteaux de Bharhut appartiennent, comme les fleurs de l’architrave, à une espèce incertaine de lotus; ce sont des fleurs de né- lumbos, au contraire, qui pendent, à ce qu'il semble bien, du pilier de la porte orientale de Sänchi, et qu'on 4. The Stüpa of Bharhut, pL XL-LXVII, XXVIIT et LVIL. 2. Fergusson, History, p. 150, fig. 80. — Tree Worship, p. 168, fig. 19. 3. Tree Worship, pl. XLII, 1 et 2. LA 406 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS voit aussi de face sur les pilastres des petits topes de cette localité. Ce sont encore des fleurs et des boutons de nélumbos, que tient à la main le Nâga qui se dresse sur un chapiteau de Bhilsa, tandis que, sur l’abaque, on voit des oies accroupies au milieu de touffes de cette nymphée'. Des rangées de bouquets de nélumbos en fleurs, séparés ici par des lions courants, là par des animaux fantastiques ou des feuillages conventionnels, encadrent les bas-reliefs de la frise ou les médaillons des deux piliers extérieurs d'Amaràävati”. D’autres fois c'est une tige, couverte de boutons et de fleurs, de cette même plante, qui serpente gracieusement autour des médaillons ou se dresse sur des piliers, dont elle couvre la surface de ses méandres, ici soutenue par la main d’un enfant, là surgissant d’une espèce d'am- phore*. Plus tard les nélumbos prirent des formes conventionnelles; leurs boutons s’étalèrent en pal- mettes, leurs feuilles s'allongerent en feuilles d'acanthe. C’est ainsi qu'ils apparaissent au pourtour de plusieurs médaillons, sur des piliers évidemment de date plus récente et au-dessous d'un fragment de frise d’Amarà- vati. On leur a même parfois substitué des tiges à feuilles palmées*. Des nélumbos, qu'on voit ainsi serpenter autour des \ 1. Tree Worship, pl. XLV, 1. 2. Tree Worship, pl. LVI-LVII, 2; LXV, 3: —"Al"Rea, South Indian antiquities, pl. XXXVII-XLI. 3. Tree Worship, pl. XI, XIII, LXXXIX, 1,3, 4, XCVL 4 — H.-H. Cole, Great Buddhist tope at Sanchi, pl. VIT. — Ce der- nier motif de décoration se retrouve sur un panneau en marbre de Bauddha Vanam. Al. Rea, South Indian Buddhist anti- quities, pl. XVIII. 4. Tree Worship, pl. LXVIIT, LXIX, EXX, EXXXIV et LXVIT. — AI. Rea, pl. XXXIX, 1,2, 3: XI 402: LES PLANTES DANS L'ART 107 médaillons ou des bas-reliefs du stüpa d’Amaravati, on peut rapprocher les tiges qui courent, sur l’architrave de la balustrade de Bharhut, autour des bas-reliefs ou même des gros Aeurons qui y sont sculptés, tiges portant des fruits, ici de jacquier, là de manguier, ailleurs des fleurs ou des objets divers”. Les artistes du Gandhära ont également sculpté, sur les bas-reliefs des vihäras de cette région, des guirlandes chargées de fruits de jacquier ou, motif de décoration grecque, des branches de vignes, portées par des enfants, qui tiennent parfois aussi à la main des grappes de raisin *. Sur un bas-relief de Sänchi, on voit déjà un person- nage, monté sur un lion cornu, une grappe de raisin à la main, tandis qu'un autre tient des boutons de né- lumbos *. Les fleurons, avec les médaillons, ne jouent pas un rôle moins grand que le lotus dans la décoration des monuments de l'Inde. Les sculpteurs de cette contrée les avaient peut-être empruntés à leurs devanciers de l'Asie antérieure ; les fleurons à quatre ou à huit pétales qu'on voit sur des piliers de Bharhut, sur le tope de Sàarnâth ou les chapiteaux de Sänchi, etc.*, ressemblent singulièrement à ceux des édifices iraniens ou assy- riens. Mais les sculpteurs de l'Inde modifierent bientôt les formes qu'ils avaient adoptées; sous leur ciseau, le fleuron assyrien tendit à devenir une fleur de lotus le plus souvent double. Tels apparaissent déja les fleu- 1. The Slüpa of Barhut, pl. XL-XLVIII. On voit aussi des tiges feuillées sur une plinthe d’Amarävati, pl. LVIT. 2. H.-H. Cole, Preservalion, pl. 7, 14, 16. 3. À. Grünwedel, Buddhistische Kunst, p. 3%, fig. 7. &. The Stüpa de Bharhut, pl. X. — Fergusson, History, p- 68, fig. 15 et Tree Worship, pl. XL, 1; XEI, 2 et XLIL, 1. 108 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS rons qui décorent la première et la seconde architrave de la porte orientale de Bharhut, les bas-reliefs su- périeurs du pilier de Prasenajit et les balustrades de certains arbres sacrés; on peut ajouter les fleurons dont la rangée orne l’architrave extérieure de la porte orientale‘, et ceux qu'on voit sur quelques parties de la chape. Tels sont encore les gros fleurons à fleurs doubles semés à profusion au milieu des bas-reliefs des frises d'Amaràvati et sur les dagobas qui décorent les piliers de ce stüpa?. Agrandis, les fleurons sont, genre de décoration propre à l’architecture hindoue, devenus des rosaces, des médaillons ou des espèces de disques, formés, non plus d’une seule rangée de pétales, mais, comme on en voit sur les piliers d'Amaràvati, de trois, quatre ou même cinq rangées de fleurs de lotus, que sépa- rent parfois des filets et qu'entourent parfois aussi des palmettes ou des dessins géométriques, mais le plus souvent des bouquets de composition variable *. Les sculpteurs des parties plus récentes du stüpa d’Amaràävati ont remplacé les rangées de fleurs par des rangées de pétales aux formes conventionnelles et parfois même par des lignes géométriques“. Les rosaces ou médaillons de Bharhut sont aussi formés par des rangs de pétales plus ou moins conventionnels, en- tourés, ici d'une rangée de fleurons ou de palmettes, là d’une tige fleurie de nélumbos ou de feuilles de fan- 1. The Stüpa of Bharhut, pl. VIL, IX, XI, XI, XVII, XL, XLVIIT. 2. Tree Worship, pl. LXXVI, LXXVII, EXXVIH, 14,3; LXXIX, 4,2,3; LXXX, 14,2, 8 et LXXXE 3. Tree Worship, pl. L-LXI. ‘2 3. Tree Worship, pl. LXVI-LXX. 7 LES PLANTES DANS L'ART 409 taisie, de dessins géométriques ou encore d'animaux passants et même de têtes de nàgas'. D’autres fois, les pétales de lotus ont disparu et ont fait place à des compositions diverses : éléphants posés sur des fruits de nélumbos et arrosant avec leur trompe la déesse Cri, assise sur cette fleur sacrée; éléphant marin que che- vauche un dieu; palmette accompagnée de fleurs, de feuilles et de boutons de nélumbos; feuilles pinnées, entre la courbure desquelles s'élancent des animaux ailés et se dressent en haut une palmette convention- nelle et des boutons de lotus; bouquet de nélumbos enfin surgissant d’un vase ciselé et sur les fleurs duquel sont posées des oies de Brahmä”, etc. Des médaillons composés de trois rangées de pétales conventionnels de lotus se voient aussi sur les piliers de la balustrade bien plus récente de Bodh-Gayà; mais le plus sou- vent la rangée du milieu a été supprimée et au centre du médaillon ont été sculptés, ici une divinité tenant une fleur, là un oiseau picorant, ailleurs un animal fantastique : antilope ailée, centaure*, etc. *k *X *% Comme la sculpture, la peinture hindoue a emprunté au monde végétal les motifs de décoration les plus beaux et lui a fait, dans ses compositions, une place considérable. Nous ignorons à quelle époque cet art 4. The Stüpa of Bharhut, pl. XXXVI, 5, 6,7 et 8; XXXVII, 2, 6, 7, 8, 10; XXX VII, &, 6, 7, 8, 9,11. 2. The Stüpa of Bharhut, pl. XXXVI, 1, 2; XXXVII, 1,3; XXX VIII, 14, 5. 3. Räjandraläla Mitra, Buddha Gay, the hermitage of Cäkya Muni. Calcutta, 1878, in-4°, pl. XXXVIIFE, 2, 3, 52, 5b; REIN; 1-:<ÈV 9, 10;12 410 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS prit naissance ; mais on peut dire qu’il fut exercé dès les temps les plus reculés. Une légende, preuve de son ancienneté, en attribuait l’origine aux dieux. Il fleurit d'abord dans le Magadha, puis dans les provinces de l'Ouest et dans le Bengale, plus tard dans le Népal”. À l'époque de la rédaction du Mahäbhärata, à plus forte raison du Rämäyana, la pratique en était géné- rale. Le poète du Mahäbhärata parle d’une ville que des peintres avaient décorée; ailleurs, il fait mention de salles garnies de tableaux. D’après l’auteur du Rä- mäyana, il y avait dans le palais de Râvana des salles ornées de peintures ?. Une partie du premier acte de l'Uftararämacarita, pièce de Bhavabhüti, se passe dans une galerie de tableaux, qui représentent l'his- toire même de Räma*. Dans les drames de Çakuntalà, de Négänanda, de Ratnävali et de Mälati et Médhava, un portrait, dessiné par le héros ou l'héroïne, prépare le dénouement de la pièce‘. Dans Cakuntalà, il s’agit même de plus que d’un portrait. La critique, que Dushyanta, qui avait tracé celui de l'héroïne absente, fait de son œuvre inachevée, montre que le royal artiste aspirait à peindre un véritable tableau. « Il serait bon, dit-il, d'y représenter encore Je cours de la Mälini avec un couple de flamands, posés sur un banc de sable; et au delà 1. John Griffiths, The paintings of Ajantä, vol. I, p. 22. — Il est question des tableaux du roi Pasenadi au 1ve siècle avant notre ère. H. Oldenberg, Aus Indien, p. 113. 2. Adi-Parva, 5006 et 7898. — Sundarakandà, cap. XIV, 65. 3. F. Nève, Le dénouement de l'histoire de Râäma. Bruxelles, 1880, in-8, p. 142-157. 4. Cakuntalä, acte VI, scène 5. — Néâgänanda, acte If, p. 43. — Ralnävali, acte IT, p. 46. — Mälati et Mâdhava, acte I, p. 28. Il est aussi question d’un portrait dans Mallikâ-Maruta, mitation de Mälati et Mädhava. LES PLANTES DANS L’ART 411 les majestueux contreforts de l'Himalaya, sur lesquels on mettrait quelques antilopes. Enfin je voudrais, sous l'arbre où sont suspendues les tuniques d’écorce (des ermites), voir une gazelle qui vint se frotter aux cornes de son compagnon. » Je ne sais si, en faisant cette description, Kälidäsa songeait à quelque tableau connu ; mais les fresques qu'on a découvertes sur les murs des grottes d’Ajantà offrent des compositions, sinon semblables, du moins analogues ‘; sous leur diversité, toutes ont d’ailleurs un caractère commun; les artistes qui les ont peintes n'ont jamais omis d'y représenter avec quelques-uns des animaux indigènes : éléphants, singes, antilopes où daims, paons, etc., les plantes ou les arbres d'agrément les plus répandus : banians et pipals, aréquiers ou kétakis, açokas et paläças, bananiers, lotus, etc. Ainsi la partie gauche d’une fresque de la grotte 1° est occu- pée par un grand arbre à longues feuilles aiguës et comme verticillées et réfléchies, sous lequel croissent divers arbustes, entre autres un bananier. Sur des fresques, qui représentent la salle d’un palais donnant sur un jardin, on voit, parmi divers autres arbres, un bananier et un aréquier. Sur une autre fresque, le peintre a placé ses personnages encore au milieu de bananiers, d’aréquiers et d’açokas *. Les. représenta- tions de scènes empruntées à la vie du Buddha’, celles des Jâtakas, que les décorateurs d’Ajantà, comme les sculpteurs de Bharhut, ont affectionnées, leur ont per- 1. Jas. Burgess, The Ajantà Caves. (The Indian Antiquary, vol. III (1874), p. 25-28 et 271). . John Griffiths, The paintings of Ajantä, vol. I, pl. 17. The paintings of Ajantà, caves IT et XVII, pl. 31, 55 et 59. . Parexemple sa naissance, ses jeux, la tentation de Mara, etc. 12 > QD 412 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS mis, en particulier, de se livrer à leur penchant pour lanature champêtre. Le peintre du Chhadantiya-Jata- ka”, par exemple, nous montre le roi des éléphants retiré, avec ses deux reines, sous un immense banian ; tout près d’autres éléphants se jouent au milieu de marécages, couverts de nélumbos, et sur les bords des- quels se dressent des arbres tropicaux, entre autres des kétakis et un paläca en fleurs, dont les corolles écarlates et les calices d’un vert sombre sont rendus avec une scrupuleuse exactitude. Sur une autre fresque ?, qu'on a cru à tort représenter le Guna-Jâtaka, on voit un daim, sa femelle et une troupe de biches qui prennent leurs ébats au milieu de buissons, tandis qu'un lion les épie du haut d’un rocher. Une autre encore nous montre la jungle dans laquelle se trouvent cinq élé- phants, dont deux sont aux prises *. Les artistes des vihäras d’Ajantà n’ont pas seule- ment couvert les murs de scènes empruntées à l’his- toire ou aux légendes indigènes, ils se sont aussi complus à y représenter les figures des Buddhas, motif d'édification religieuse aussi bien que de décoration. Comme les sculpteurs de Bodh-Gayà, ils nous mon- trent ces saints accroupis ou debout sur une fleur de lotus, quelquefois aussi assis à la manière ordinaire, 1! The paintings of Ajantä, caves I, XVII et XIX, pl. 15, 61 et 91. Les enluminures des anciens manuscrits hindous représentent non seulement des Buddhas, mais encore des Boddhisattvas: elles nous les montrent ici debout, entourés des fidèles qu'ils instruisent, là assis à l’indienne et plongés dans la méditation sous la chàsse où ils reposent. A. Foucher, Etude sur l’iconographie bouddhique. Paris. 1900, in-8°, pl. IF, 2, 3; IE, 4325 & 5620 IV, 1,2, 3,5; V,:1, 2 SON 6, etc. 2. The paintings of Ajantà, p. 32 et 36 ; cave X, pl. #1 et 63. 3. The paintings of Ajantä, p. 39, cave XVII, pl. 87. LES PLANTES DANS L'ART 413 ici entourés de bouquets formés de nélumbos, de lotus blancs ou étoilés et d’autres fleurs, là accompagnés de l'arbre symbolique qui leur servait d’attribut‘. Les scènes représentées sur les murs des cryptes d’Ajantà ne sont pas la seule ornementation de ces constructions souterraines ; les artistes qui les ont peintes n'ont pas décoré avec moins de soin, s'ils l'ont fait autrement, les plafonds et les piliers de ces édi- fices sacrés, et ils y ont déployé un art et une richesse de palette qu'on ne saurait trop admirer. C’est d’ail- leurs à la nature végétale que sont empruntés la plupart des motifs ornementaux qu'ils ont employés. Tantôt ce sont de simples fleurons à quatre ou à huit pétales, inscrits dans un carré, au-dessus et au-dessous duquel se dressent trois ou cinq pétales, formant une sorte de palmette* ; tantôt ce sont des espèces de rosaces, composées soit de longs pétales arrondis ou triangu- laires, rangés autour d'un cercle coloré figurant l'ovaire, soit de courts pétales placés vers l’extérieur ou au milieu du fleuron général *. Parfois aussi on voit des rangs de palmettes servir d'encadrement à d’autres sujets d’ornementation *, mais les motifs les plus ordi- naires sont des bouquets formés de fleurs seules ou de fleurs et de fruits, au milieu desquels l'artiste a capri- cieusement placé tantôt un enfant ou un éléphant, 1. The paintings of Ajantä, p. #4, cave XIX, pl. 153. On pourrait y joindre la fresque de la planche 114, qui représente le combat de deux taureaux. 2. The paintings of Ajantä, vol. Il, cave I, pl. 98, fig. 95; pl. 101, fig. 95 et 952. 3. The paintings of Ajantà, vol. IT, cave I, pl. 100, fig. 94; cave IX, pl. 137. 4. Cave XVII, pl. 144, #; 141, c. d. Cave XIX, pl. 152. 41% LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS d'autres fois des buffles ou des chevaux marins, des singes ou des zébus, ou encore et plus ordinairement des oiseaux : oies, perroquets, etc. ?. Les fleurs qui entrent dans la composition de ces bouquets sont le plus souvent des nélumbos?, puis des lotus blancs ou étoilés *, seuls ou mêlés à des fleurs à quatre pétales, blanches ou jaunätres * ; — j'ignore ce qu'elles sont. — Les espèces de fruits sont plus nom- breuses: ce sont, autant qu'on en peut juger par leurs formes un peu convenñtionnelles, tantôt des mangues”, tantôt des fruits du bilva*, souvent d’autres fruits, dans lesquels M. Griffiths’ a voulu voir ceux de l’Anona squammosa”, encore que cet arbre soit originaire de l'Amérique, ainsi même que des grenades”; puis, il semble bien, des concombres ouune autre cucurbitacée, représentée avec des feuilles en godet, ainsi que les fruits ronds d’un arbre à feuilles entières, peut-être le 1. Cave I, pl. 96, 3, 12; pl. 97, 71, 91, 92b: pl. 98, J4c, 66: pl. 99, 96, 222; pl. 100, 44, 5; pl. 102, 24, 2020 moe 8h, 6h; pl. 105, 112, 11d, etc. 2. Cave I, pl. 102, 14; 103, 3b, 31; 105, 104, 132; 407, 24, 25; 108, 30°, 31b: 109, 404, 45d:; 110, 57a, 57e; 111, 602, 632; 142, - 54, 86, etc. 3. Cave I, pl. 102, 1, 1f: 104, 8b; 105, 10b ; 106, 15, 17, 17i, ete. &. Cave I, pl. 100, 5; 101, 27: 102, 1f: 107,25: 109, 45; 110, by etc 5. Cave I, pl. 103, 3f; 105, 10h, 11b: 106, 474: 107, 7; 108, 35b: 109, 45°: 110, 57h,r 111, 60; 112, 86, 64. 6. The paintigs of Ajantä, vol. I, p. 17. 7. Cave I, pl. 102, 1°, 24; 103, 3: 104, 8c: 105, 10f; 107, 7h; 108, 314, 35e, etc. 8. Cave I, pl. 102, 2; 103, 3h; 104, 6i; 105, 102, 13b: 106, 172, 176; 108, 30b, 34a. 9. Cave I, pl. 102, 14; 106, 152: 123, 2, 3, 4; 122, 9; 124, 6. Au lieude grenades ce sont peut-être simplement des fruits du lotus. 10. Cave I, pl. 102, 28; 103, 3n; 104, 8e: 105, 11b; 106, 174, LES PLANTES DANS L'ART 415 jàmbira’, tandis que le bilva a les feuilles composées de trois ou parfois de cinq folioles. Comme les simples fleurons, les bouquets, dont je viens d'indiquer la composition, sont inscrits dans des carrés ; mais les artistes d’Ajantà en avaient peint d’autres, qui tantôt occupaient des panneaux entiers, tantôt ornaient les bandes du plafond ou en décoraient les quatre coins. Tels sont les gracieux bouquets, com- posés d’un nélumbo stylisé, autour duquel rayonnent des lotus étoilés et des fleurettes à cinq pétales, qui s’étalent aux angles du plafond de la grotte I°. Telle la bande fleurie qui forme l’ornement principal du plafond de la véranda et du sanctuaire de la même grotte”; composé de bouquets successifs formés chacun d’une gerbe de fleurettes à quatre ou cinq pétales, de lotus étoilés ou bleus et d’un nélumbo double, elle est, par l’heureux accord des couleurs et la grâce délicate des formes, du plus heureux effet. Telles encore ces tiges de nélumbos, accompagnés aussi de lotus étoilés ou bleus, de fleurettes diverses, au milieu desquelles se glissent des oies ou des perroquets, et qui serpentent le long des panneaux ‘. Parfois ces tiges se replient de ma- nière à renfermer dans leurs ondulations des motifs divers de décoration : fleurs conventionnelles, enfants qui gambadent, animaux courant, oiseaux qui pico- rent”. Ailleurs, l’ornementation consiste en une rangée de fleurs de nélumbos, inscrites entre des lotus héraldiques opposés entre eux et qui se dressent, en . Citronnier. Cave I, pl. 105, 115. Cave Il,"pl. 119/2%4et 121. . Cave II, pl. 117, 118, 20 et 36; 119, 24 et 25, et 120. . Cave IT, pl. 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129 et 130. Cave XVII, pl. 141, c. d. — Cave XIX, pl. 152. a. b. c. OT CO DO 416 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS les encadrant, de chaque côté de ces fleurs *. Ou bien encore les fleurs de nélumbos sont disposées en une bande circulaire qui enveloppe un médaillon central, tandis qu’au-delàa on voit des dessins géométriques, puis une bande de palmettes conventionnelles ?. Les monnaies hindoues reçurent aussi parfois des emblèmes tirés du monde végétal. Les princes gréco-, bactriens, dont l'influence se fit sentir bien vite dans la Péninsule, avaient donné l'exemple. Au revers de leurs monnaies, on voit tantôt les Dioscures * ou une Niké * tenant à la main une palme, ainsi parfois qu'une guirlande”, tantôt un pileus entre deux palmes”, ou bien une couronne ou une palme ‘, ou encore une femme tenant une fleur de la main droite‘. Deux monnaies d'Agathoclès présentent un symbole tout différent ; sur l’une, c’est une panthère, qui tient dans une deses 1. The paintings of Ajantà, p. 43, fig. 85. 2. Cave II, pl. 117, 118, 20.et 36; et 119, 24 et 25: 3. Mionnet, Description des médailles antiques, vol. VII, p. 468, 470, 471; nos 23, 24, 26, 27, 29. — H.-H. Wilson, Ariana antiqua. À descriptive account of the antiquities and coins of India. London, 1841, in-4°, p. 238-240, pl. IIT, 1, 2, 3, 9 et 10, etc. — Percy Gardner, The coins of Greek and Scythic Kings of Bactria and India. London, 1886, in-8°, p. 13, 14, 16, pl. V, &,7et8; VI, 1, 2, 3, 4,etc. Les Dioscures sont parfois rem- placés par Poseidon, Zeus ou Héraclès. 4. Mionnet, p. 476, 477, 482, 494, nos 44, 45, 64, 67, 109. — Wilson, p. 241, 274, 285, etc., pl. IIT, 11, 10, 15; IV, &, 5et6: — Gardner, p. 18, 43, 48, 57, 61, pl. VI, 6 et-7;, XI, 4, 13; VIT 9 XIV EL 0E 5. Wilson, p. 242 pl. suppl., fig. 6 et VIII, 10. 6. Mionnet, p. 468, 483, nos 24, 67, 68. — Wilson, p. 241, 278; pl. I, 12; IL, 13. — Gardner, p. 16, 27, pl. VI,5; VIT, 9. 7. Wilson, p. 279, 287 ; pl. suppl., fig. 11, IV, 11. — Gardner, p. 28, 48, 55; pl. VIII, 4; XII, 2; XIII, #4. 8.1Cardner-4pr9, "pl. 1,9: LES PLANTES DANS L'ART 417 pattes de devant une grappe de raisin ; sur une autre, c’est encore une panthère, mais cette fois devant une vigne, dont elle semble vouloir manger les fruits”. Les monnaies des rois sakes offrent souvent les mêmes emblèmes que celles des princes gréco-bac- triens ; on*y voit fréquemment en particulier une Nike tenant une palme à la main*; mais elles en offrent d’autres aussi ; tels ces deux arbustes — Percy Gard- ner dit deux vignes —, entre lesquels est représentée debout une femme qui s'appuie de la main droite sur l’un d'eux et tient de la main gauche la branche supé- rieure de l’autre”. En même temps que ces emblèmes gréco-bactriens les monnaies des Sakes en montrent d’autres tout différents, en particulier divers animaux indigènes dans la région du Nord-Ouest, comme le bœuf indien à bosse ou zébu, le lion et l'éléphant, ainsi que le dromadaire, qui y avait été importé du bassin de l’'Oxus par ces conquérants. Outre ces images symboliques, les monnaies des Yue-Chi et surtout des Kucanas, leur principale tribu, en présentent d’autres empruntées aux croyances ou aux produits de leur nouvelle patrie, tels par exemple Civa, Mitra, le dieu de la Lune, le 1. Wilson, p. 299, pl. VI, 5 et 6. 2. Mionnet, p. 49%, no 109. — Wilson, p. 320, 324, 325, etc., pl. VI, 12, 18, VIII, 5; etc. — Gardner, p. 69, 83, 104, 107, LOU DE XVI, 22 KV 12, XXIT, 41 SX XTLE °15-8 x 9: 3. Mionnet, p. 490, n° 91. — Wilson, p. 314, pl. VII, 5. — Gardner, p. 70, pl. XVII, 1, 2. Gardner mentionne encore, p. 89, pl. XIX, 10, une monnaie sur le revers de laquelle, dit-il, est représentée une femme tenant dans chaque main une longue branche de vigne ; mais cette monnaie n’est autre que le n° 91 de Mionnetet VII, 5 de Wilson. &. E.-J. Rapson, Zndian Coins. Strassburg, 1897, in-8o, p. 18. (Grundriss der Indo-arischen Philologie und Altertumskunde, vol II, fasc. 3.) JORET. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 27 418 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Buddha surtout', et — car c’est bien il semble à l’époque de cette dynastie, comme l’a pensé Wilson *, qu'il faut rapporter les monnaies qui ont cet emblème — l'arbre sacré des Bouddhistes, entouré d’une balus- trade. L’Ariana antiqua avait déjà signalé une de ces monnaies *; James Prinsep en a fait connaître plusieurs autres, découvertes à Behat“. Comme sur la monnaie de l’Ariana antiqua, ces emblèmes se composent d’un tronc avec deux ou trois paires de branches horizon- tales recourbées à l'extrémité, ce qui les fait ressem- bler à l’arbre sacré des Babyloniens ; mais parfois aussi les branches sont plus ou moins droites et feuillées, forme qui diffère complètement des arbres sacrés de la Chaldée et de l’Assyrie. Le monde des plantes n’occupait pas moins de place sans doute dans la décoration des produits des arts industriels que dans celle des monuments de la seulp- ture et de la peinture ; mais la disparition de la plu- part de ces produits: bijoux, poteries, meubles, étoffes, etc., ne permet pas d’en connaitre toute la riche orne- mentation. Toutefois, la découverte de quelques rares objets échappés à la destruction, la représentation d’un certain nombre d’autres sur les stüpas de Bharhut, 1. Gardner, p. 124, 125, 126, 130, 131, 132, 133, 439;‘etc:, pl! XXV,/6,41, 12, etc.; XXVI, 8, 40, 18 etc PREMIERE 15:19 20%eic. 2. Ariana antiqua, p. 41%. 3. P. 415, pl. XV, 23. Les monnaies des nos 24 et 25, dont Wilson neditrien, semblent bien aussi, entre autres emblèmes, avoir un arbre sacré, mais sans balustrade. J'’incline encore à en voir un sur la monnaie du n° 32. 4. Essays on Indian antiquities. London, 1858, in-8°, vol. I, pl. IV, 1, 4-22, 8, &, 5,22: VII, 4: XIX, 5,8, 13, 45,46, 18; 23: XX, 28, 38, 41, 44, 88. 1 ÉD ARSs LES PLANTES DANS L'ART 419 de Säanchi et d’Amarävati, ainsi que sur les murs d'Ajantà, nous ont révélé quelques-uns des motifs de décoration les plus usités dans la joaillerie, la poterie, l’ébénisterie et la fabrication des étoffes. Sur un sceau métallique trouvé à Bighram est gravé un arbre, devant lequel un personnage ou un animal semblent en ado- ration, tandis que des oiseaux volent vers les bran- ches. Sur une cornaline provenant de Hidda est aussi gravé un arbre, que vénère un homme appuyé sur une espèce d’autel'. Une urne en bronze, trouvée à Dje- làlpour dans le Pandjab et conservée au Musée de Lahore *, est ornée de gravures représentant des scènes tirées du Rämäyana — enlèvement de Sità, siège de Lañükà —, ainsi que les incarnations de Vishnu ou de Civa. Mais autant que nous pouvons en juger, les fleurons surtout servaient à la décoration des joyaux et des bijoux. Un fleuron à six pétales, par exemple, entouré d’une ligne de points, se voit sur un bijou en or trouvé dans le stüpa de Kotpour*. On a trouvé dans les fouilles de Bhattiprolou des fleurons en or à 6 ou 8 pétales *. On en voit aussi parfois un au milieu du bandeau qui retient les cheveux des femmes, sur les fresques d'Ajantà”. Des fleurons à huit pétales arrondis ou à deux fois quatre pétales aigus et entre-croisés ornent des boucles d'oreilles dessinées par Cunningham. Deux fleurons à huit pétales, parfois aussi deux feuilles, 1. Wilson, Ariana antiqua, p. 54, pl. IV, 8 et 10. 2. Indian Antiquary, vol. III (1874), p. 158. 3. Wilson, Ariana antiqua, p. 54, pl. IV, 14. &. AL. Rea, South Indian Buddhist Antiquities. Madras, 1894, in-fol., pl. IV et VI. Fr 9. The paintings of Ajantä, vol. I, p. 10, fig. 12. 420 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS servent d'ornement à des colliers de Bharhut ; Cunnin- gham en a reproduit un autre formé d’une rangée de demi-fleurons avec un fleuron entier au milieu’. D'autres ont pour ornement un cordon de palmettes opposées deux à deux. Sur une fresque d’Ajantà on voit une mère et sa fille porter un collier, d’où pend un large médaillon”. Des fleurons servent encore le plus souvent à décorer les bracelets que portent les femmes sur les sculptures de Bharhut ou les fresques d'Ajantà. Il y en avait aussi sur les brassards*. Des rangées de fleurons, métalliques sans doute, entraient également dans la composition du système souvent si compliqué des ceintures des femmes hindoues. On en voit aussi un gros au centre (le l'espèce d’écharpe que porte le personnage d’une fresque d’Ajantà *. On ne doit pas être surpris que des fleurons aient orné la poignée des épées, ni que les boutons de la bride des chevaux sur les bas-reliefs de Säanchi et les fresques d’Ajantà en affectent la forme. Une rangée de fleurons à huit pétales décore aussi le frontal d’un éléphant sur un chapiteau du stüpa de Sàänchi”. Des fleurons servaient également, toutefois avec d’autres ornements, à la décoration des vases en métal ou en pierre tendre. Ainsi un fleuron à huit 1. The Stüpa of Bharhul, pl. XLIV, 1, 4,7, 8'et 11, 13,44, 281027 2. Tree Worship. Sanchi, pl. XLIV, 1. — The paintings of Ajautà, vol. I, p. 40, fig. 76. 3. The Stüpa of Bharhut, pl. XLIX, 16 et 17. — The pain- tings of Ajantä, vol. I, p. 9, fig. 9: p. 11 et 40, fig. 15 et 76 et pl. 14. &. The Stüpa of Bharhut, pl. LI, 2, 3. — The paintings of. Ajantà, vol. I, p. 7, fig. 5; p. 19, fig. 54. 5. The paintings of Ajantà, vol. I, p. 15, fig. 35: p. 13, fig. 23. — Tree Worship, pl. II, 7; XL; 4° LES PLANTES DANS L’ART 421 pétales orne le couvercle d'un vase métallique trouvé à Manikidjala ‘. Un fleuron à huit pétales stylisés, entre lesquels sont enchässés des lotus héraldiques, décore le fond d’une coupe en métal d’origine relativement récente. On voit aussi un fleuron à huit et un autre à douze pétales sur le couvercle de deux vases en stéa- tite découverts, le premier à Darunta, le second dans le tope de Kotpour. Enfin, outre des dessins géomé- triques, une ligne de fleurons ou de fleurs de lotus grossièrement dessinées, décore la panse d’un vase également en stéatite, qui provient du stüpa de Deh Bimaran *. Si les poteries hindoues étaient souvent d'une grande élégance de formes”, elles étaient aussi le plus sou- vent unies ou simplement ornées de dessins géomé- triques; parfois cependant des ornements d'origine végétale : fleurons ou palmettes, en relevaient l’unifor- mité. Le vase à col étroit, par exemple, d’où surgissent des lotus sur un pilier d'Amaràävati, est décoré, dans sa partie renflée, de filets sur lesquels sont disposés des fleurons, tandis qu'au-dessous court un rang de pal- mettes, alternant avec des demi-fleurons. Sur une fresque d'Ajantà, on voit des ghords ou vases à par- fums ornés d'un cordon de fleurons, qui serpente entre un double filet séparé par une ligne de points ; une rangée de pétales palmiformes, au sommet et à la base du vase, en complète la décoration *. 1. Prinsep, Essays, vol. I, p. 98, pl. V, 1. 2. Wilson, A4riana antiqua, p. 54, pl. IV, 3; p. 51, pl. I, 1; pros DldIP2; p: 52, pliILt1. 3. The paintings of Ajantà, voi. I, p. 20, fig. 56 et 57. k. Tree Worship, pl. LXXXIX, 3 et XCVI, 4. — The pain- tings of Ajantà, vol. I, p. 20, fig. 56 et 57; cave I, pl. 57. 422 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Des ornements d’origine végétale étaient aussi em- : ployés dans l’ébénisterie ; sur un bas-relief peut-être récent d'Amarâvati, des fleurons aux formes variées ornent le rebord et le dossier du trône et l’escabeau du roi, ainsi que le devant sculpté du fauteuil où est assise la reine. Le Bodhimanda, où l’on voit, sur un autre bas-relief, trôner le Réformateur, est également décoré de fleurons à quatre pétales. Un rang de fleu- rons forme aussi l'encadrement du dossier des trônes, sur lesquels sont assis certains Buddhas d’Ajantà *. Les tapis et les tentures étaient ornés des fleurs Les plus diverses; tantôt ce sont des corolles à quatre, cinq ou huit pétales ; d’autres fois des panicules ou des branches fleuries, des feuilles palmées, etc., qui ont été tissés dessus”. Si à l’origine les étoffes, dont était fait le léger vêtement des anciens Hindous, étaient d’une couleur uniforme, on les teignit aussi plus tard de nuances diverses ; la tunique de certains personnages, représentés sur des fresques d’Ajantà, est rayée de bleu, de rouge ou d’une autre couleur. On en voit même un, dont la robe est ornée de dessins géométriques, d’arabesques, de médaillons et de fleurons à quatre pétales *. Il La flore indigène, qui a fourni de si nombreux motifs 1. Tree Worship, pl. LXXXVI et LXXXIV, 3. — The pain- tings of Ajantâ, cave IX, pl. 89. 2. The paintings of Ajautà, p. 9, fig. 9 et cave I, pl. 5, 13; cave X, pl. 42, 43; cave XVII, pl. 82, 85, 86; cave IX, pl. 89. Il est difficile parfois de dire si ce sont des fleurs tissées dans l’étoffe ou des fleurs naturelles répandues sur le sol. 3. Cave I, pl. 6et7; VI, pl. 134 et 135; XVII, pl. 55. LES PLANTES DANS LA POÉSIE 123 de décoration aux artistes de l’Inde ancienne, et qui leur a servi si heureusement à embellir et à animer les scènes qu'ils ont sculptées sur les monuments, n'a pas été moins largement mise à contribution par les écrivains de cette vaste contrée. Les poètes ont tiré du monde charmant des plantes et des fleurs d’ingé- nieuses fictions ; ils lui ont emprunté les comparaisons les plus gracieuses et y ont trouvé matière aux des- criptions les plus variées et les plus pittoresques. C'est dans les forêts, à l'ombre des grands arbres, que se déroulent quelques-uns des épisodes les plus célèbres des deux épopées nationales; c’est dans les jardins ou les parcs que les poètes de la Renaissance ont placé les plus belles scènes de leurs drames. La Mahäbhärata s'ouvre au milieu de la forêt Naï- misha ; comme Yayäti, son aïeul, s'était fait anacho- rète, Pandu, le père des plus grands héros du poème, se retire au milieu des bois de l’'Himavat ; c'est là que naissent ses cinq fils et qu'ils passent leurs premières années ‘. C’est dans une forêt qu'il meurt, et que plus tard, exilés volontaires, ses fils vivent pendant douze années. Dushyanta rencontre Cakuntalà en chassant dans les bois?. C’est dans une forèt déserte que Nala fugitif abandonne sa chère Damayanti. C’est là aussi que se retire Dyutmatsina, aveugle et dépouillé de ses états, et que grandit son fils, le vertueux Satyavat:. Dhritaräshtra, le frère et le rival de Pandu, passe les dernières années de sa vie dans un ermitage au fond d’un bois, comme l'avait fait Acvatthaman après la . Adi-Parva, 3, 3535-36, 4630-48 et 4767-1851. . Adi-Parva, 4877, 5877-6924 et 2839-66. . Vana-Parva, 2851, 16666-67. D] = © 424 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS mort de Duryodhana'. Aïnsi, partout, excepté dans les livres consacrés aux combats que se livrent les Pàn- davas et les Kauravas, les événements du Mahäbhà- rata se déroulent au milieu des forêts et des paysages grandioses de l'Inde. Les scènes les plus belles du Rämäyana se passent aussi dans les forêts, et le monde des plantes joue dans ce poème un rôle encore plus considérable que dans la Mahäbhärata*. C’est dans les bois que Ràma vit les longues années de l'exil qui lui est imposé. Nous le voyons, après avoir franchi la Gañgà, entrer dans la forêt de Prayàäja aux « arbres chargés de fruits pour tous les désirs », et visiter l’ermitage de Bha- radvàja ; traverser le bois de Nila, « rempli de palà- ças, de badaris, de bambous, de manguiers et de madhükas », et atteindre la forêt encore plus belle, qui couvre les flancs du Citrakûta*. Ensuite le poète nous le montre, résolu à chercher une retraite plus solitaire, se mettant en route avec Lakhsmana, visitant le bois, « charmant comme le Nandana », dans lequel est caché l’ermitage de l’anachorète Agastya, puis se rendant dans la forèt de Pañcavati, et y construisant, près des bords enchanteurs de la Godävari, la chau- mière qui lui servira de demeure *. L’enlévement de Sità et la poursuite de son ravis- 1. Sauptika-Parva et Âcrama-Parva. — Holtzmann, Die neun- zehn Bücher des Mahäbhärata. Kiel, 1893, in-8, p. 203 et 265. — P.E. Pavolini, Mahäbhärata. Milano, 1902, in-12, p. 219 et 255. 2, H. Fauche, Rémäyana, poème sanscrit. Paris, 1854, in-12. — G. Gorresio, Zl Rämäyana di Valmici. Milano, 1869, in-12. 3. Ayodhyäkânda, LII, 13 et 32; LIV, 29-42; LV, 19; LVI 18-32. &. Aranyakända, XVII, 6-18; XXI, 2-21. LES PLANTES DANS LA POÉSIE 425 seur, qui forcent le héros à reprendre sa vie errante, donnent occasion au poète de nous décrire les paysages de l’Inde méridionale et de Ceylan : bois des bords enchanteurs de la Pampà, que domine le mont Rishya- müka « aux arbres fleuris », étangs couverts de né- lumbos et de nymphées, forêts aux essences parfumées du Gandhamädana et du Vindhya*, rivages de la mer bruyante avec leurs cocotiers, leurs tàlas et leurs kétakis, jardins et bois de Lañnkà, bosquets d’acokas du palais de Râvana*, etc. Non seulement les jardins et les forêts occupent une place considérable dans les deux grandes épopées de l'Inde, des arbres isolés y jouent aussi un rôle impor- tant. Damayanti abandonnée adresse une prière tou- chante à un acoka qu'elle aperçoit au milieu de la forêt’. Dans leur fuite, loin de la ville de Vàäranävata, Bhîma dépose sa mère et ses jeunes frères au pied d’un immense nyagrodha, et quand, après leur exil, ils quittent la forêt où ils s'étaient réfugiés, les cinq frères cachent leurs armes dans un acacia*. C'est aussi campés sous un nyagrodha aux larges rameaux que les trois derniers héros de l’armée de Duriyodhana vaincu, Açvatthäman, Kripa et Kritavarman, con- çcoivent le projet de surprendre l’armée endormie des Pändavas°. Arrivé près de la Gangà, Ràâma fait halte sous une 4. Aranyakända, LXXVI, 26-27. 2. Kishkindhyakända, XLIV, 54; L, 30. 3. Sundarakânda, VIII, 26; IX, 4-9; XVI, 2-4; XX, 8-9. — Yuddhakända, XV, 3-6. 4. Nala et Damayanti, chant XII, 102. 5. Adi-Parva, 5896-97. — Viräta-Parva, 1306. 6. Holtzmann, Die neunzehn Bücher des Mahäbhärata, P+ 199. — Pavolini, Mahäbhärata, p: 207. 426 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS ingudi couverte de fleurs ; et après avoir traversé le fleuve sacré, il s'arrête, la nuit, avec Sità et Lakshmana, sous les branches ombreuses d’un nyagrodha ‘. Et afin d’épier en sûreté ce qui se passe dans le bois d’acokas de Lañkà, lé singe Hanumat grimpe sur une cirçapà, que l’infortunée Sità, « comme une liane en fleurs », étreignait de ses bras *. Chose qui peut surprendre au premier abord, mais qui s'explique de la part d’un peuple vivant, comme le faisaient les Hindous, en communion constante avec la nature, et tient aussi à la forme de leur drame national, où tout se passe en plein air, les scènes les plus importantes de leurs pièces se déroulent au milieu du calme des jardins ou des « riants paysages » des forêts tropicales”. C’est dans un parterre que le poète de Mälavik& et Agnimitra, Kàlidàsa, nous montre le roi révélant son amour à son confident, et que Màla- vikà, en venant préparer l’éclosion des fleurs de l’acoka, achève de l’enflammer‘. Cakuntalä nous transporte au milieu des bois dans le voisinage du riant ermitage de Kanva; c’est là que le roi Dushyanta rencontre l’hé- roïne du drame, occupée à arroser les arbres favoris de son père supposé, et qu'il s’en éprend *. Dans Urvact, dernière pièce de Kälidäsa, le roi Purüravas vient dans le parc de Pratishthäna chercher un délassement au chagrin que lui cause le départ de la divine Apsaras ; celle-ci y est ramenée par l'amour qu’elle-même éprouve 1. Ayodhyäkâända, XLVII, 5 et XCV, 26, LIT, 3% et LIT, 4. 2. Sundarakâända, XVI, 46; XVII, 36. 3. André Lefèvre, Les parcs et les jardins. Paris, 1882, in-12, 3e édit., p. 23. 4. Mâlavikà el Agnimitra, acte III. Trad. L. Fritze, p. 32-36. 5. Cakuntalä, acte I, scènes 2-4. LES PLANTES DANS LA POÉSIE 4271 pour le héros ; et quand elle a été changée en liane, pour avoir pénétré dans le bocage sacré du dieu Ku- mära, nous voyons le roi parcourir les bois, à la re- cherche de sa bien-aimée, interrogeant sur son sort leurs sauvages habitants !. C’est dans le parc de Makaranda que se déroulent encore les principales scènes du drame de ARatndval, attribué au roi Cri-Harsha*. Il y a également, dans Néügänanda, pièce du même poète royal, un parterre, dont la jardinière Pallavikà est chargée de ratisser les allées de tamalas”, et où, leurs noces achevées, se promènent le héros et l'héroïne. Dans Pryadarçikä, autre drame de Cri-Harsha, nous trouvons aussi un parterre, dans lequel le roi Vatsa rencontre l'héroïne et s’en éprend, comme dans Ratnavali *. Le Pérvatiparinaya « les Noces de Pàr- vati », pièce attribuée à Bâna, a été découpé dans le Kumdrasarñbhava et, comme l'original, il nous trans- porte au milieu des paysages divins de l'Inde mythique. Cüdraka, l’auteur royal, croit-on, de la Mricchakatika, nous montre, au début du cinquième acte, Càrudatta, un des personnages du drame, assis dans un parc ombreux; au septième acte, il nous conduit encore dans un parterre, vraie « corbeille de fleurs » — push- pakarandaka —, aux arbres enlacés de lianes impé- nétrables, et c’est la qu'arrive la catastrophe finale *. . Urvact, actes IT et-IV. Trad. Fritze, p. 22-34et 52-68. . Actes I, IT, III. Trad. Fritze, p. 17, 28, 60 et suiv. - Acte Il. Trad. A. Bergaigne, p. 62. . Acte IL. Cf. S. Lévi, Le théâtre indien. Paris, 1890, in-8, p. 188. 5. Acte V, scène 1; acte VII, scène 1; acte VIII, scène 1. Cf. 98, 127 et 133. Lo LD = > 4 428 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Dans Mälati et Mädhava, drame de Bhavabhüti, Màdhava, plongé dans la rêverie, se rend, au premier acte, dans le jardin de Kâma; là assis sous un kâñca- nära, dont les fleurs épanouies remplissent le pare de leur parfum, il raconte à son confident Makaranda comment il s’est épris de Màlati, et le troisième acte nous conduit dans un autre jardin, «le parterre fleuri », qui entoure le temple de Civa, où Kämandaki a ménagé une entrevue entre les deux amants’. Imitation de Mälati et Mädhava, le drame d'Uddandi, Malhkà et Mdruta, se passe aussi en partie dans un jardin, le parterre du temple de Kàtyäyani?. Dans l’'Uffara- rämacarila, Bhavabhüti, nous promène à travers les forèts où Ràama avait erré pendant son long exil’. Il va sans dire que le Mahäviracarita nous offre les mêmes paysages que le Rämäyana, dont cette pièce, de Bhavabhüûti n’est qu'un résumé fait pour la scène *. Quant aux pièces postérieures au milieu du vi siècle, époque de la littérature hindoue où j'ai résolu de m'ar- rêter, leur examen ne saurait trouver place ici. Je ferai exception toutefois pour le Mudräräkshasa, pièce ori- ginale d’un disciple de Cüdraka, Viçàakhadatta, ainsi que pour la « Colère de Kaucika » — Candakaucika — drame de Kshemicvara, d'une date incertaine, mais dont la mise en scène est digne de l’âge classique. Le sixième acte de Mudrärakshasa se passe en entier dans un parc”; le Candakauçika nous conduit au milieu 1 Trad. L'Fritze, p. 15,16 et 37. 2. Actes III, IV et V.S. Lévi, Le théâtre indien, p. 217-218. 3. Félix Nève, Le dénouement de l'histoire de Râma, Outtara- Râma-Charita. Paris, 1880, in-8. 4. S. Lévi, Le théâtre indien, p. 269-272. brad: LFritze, p.111: LES PLANTES DANS LA POÉSIE 429 des bois qui entourent l’ermitage de l’anachorète Kau- çika’. Les poètes hindous ne se sont pas contentés de donner place dans leurs œuvres au monde des plantes : ils se sont complus à en faire connaître les divers re- présentants, à décrire les lieux où ils croissent et au milieu desquels vivent et agissent leurs héros. L’au- teur du Mahäbhärata n’y a pas manqué. Dans l'épisode célèbre des amours du roi Dushyanta et de Cakuntalà, il ne nous transporte pas seulement au milieu des bois, où s'élève l’ermitage de Kanva et où vient chasser Dushyanta, il nous les dépeint. Telle était la charmante et magnifique forêt? où entra ce grand chasseur. Revêtus de leur parure aux mille couleurs et résonnant du doux ramage des oiseaux, les arbres s’élevaient en rangs pressés jusqu'aux cieux. Leurs rameaux, embellis de grappes fleuries, s’agitaient doucement au doux souffle des vents, en répandant leurs fleurs sur la tête du monarque. Autour de leurs branches, courbées sous le poids des fleurs, bourdonnaient les essaims d’abeilles, avides d’en sucer le miel. Ces rangées d'arbres aux rameaux fleuris, entrelacés les uns dans les autres, et ressemblant à autant d’arcs-en-ciel par l'éclat et la variété des couleurs, donnaient à la forêt une inex- primable beauté. Et le roi à la grande énergie, en contemplant ces lieux couverts de berceaux de lianes, ornées d’épais bou- quets de fleurs, éprouvait une joie et un charme infinis. Là et plus loin, où il décrit les ermitages répandus sur les bords enchanteurs de la Màlini, le poète nous peint encore un paysage hindou ; dans l'épisode de Nala et Damayanti, il semble, au contraire, s'être plu uni- quement à énumérer les arbres de la forêt où l’héroïne erre abandonnée. Et quand elle interroge sur Nala la 4. Acte IT. Trad. L. Fritze, p. 27-42. 2. Adi-Parva, 2852-2857. The Mahäbhärata, translated by Protap Chandra Roy. Calcutta, 1884, in-8, vol. I. p. 209. 430 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS haute montagne aux pics nombreux qu’elle rencontre sur son chemin’, Damayanti n'oublie pas encore de nommer, avec les fauves auxquelles elle sert de retraite, les arbres — kirnçukas, açcokas et bakulas, purnnagas, dhavas, plakshas et karnikäras aux belles fleurs —, qui la couvrent et l’embellissent. Toutes les fois que le poète parle d’une forêt, qu’il s'agisse de celle où Pandu finit sa vie, des solitudes boisées des bords du Dvai- tavana, où les fils du héros vont établir leur de- meure?, etc., il montre le même souci de faire con- naitre les essences diverses qui croissent dans ces lieux fortunés. Cependant quelque nombreuses qu’elles soient dans le Mahäbhàrata, les descriptions de forêts et de pay- sages le sont encore bien plus dans le Rämâäyana ; on peut reprocher à Välmiki, l’auteur de ce beau poème, de les avoir parfois faites trop longues, de s’être attardé à d’interminables énumérations d'arbres et de plantes, mais quel coloris aussi, quel art il a le plus souvent mis dans ses tableaux ! Il est impossible, par exemple, de décrire avec plus de charme que ne le fait Ràma la forêt de Citraküta, où il va se retirer avec Sità et son frère Lakshmana *. Sità aux grands yeux, vois près de la Mâlini, ces kiracukas, revêtus de fleurs couleur de feu à la fin de la saison froide ; vois le long de la Mandäkini cette forêt de karnikäras, toute illuminée de fleurs splendides et flamboyantes. Vois ces bhallâtakas, ces bilvas, ces panasas, ces plaquemiers et tous ces autres arbres dont les branches sont courbées sous le poids de leurs fruits. 1. Vana-Parva, 2437-2440. 2, Adi-Parva, 4868. — Vana-Parva, 934-935. 3. Râmäyana. Ayodhyäkända, LVI, 7-10 et 14-17. Fauche, vol. II, 321. — Gorresio, vol. 1, p. 269. Le bhallâtaka est le Semecarpus anacardium. s ‘ LES PLANTES DANS LA POÉSIE 431 Oh! bonheur! Nous voici donc arrivés au mont Citraküta, ce séjour délicieux et semblable au Paradis. Ici, femme à la taille svelte, nous pourrons vivre de simples fruits... Vois, belle amie, comme, sur les bords de la Mandäkini, ces grappes fleuries qui couvrent les arbres semblent nous offrir des lits moelleux !.. Sur cette montagne, couverte de délicieux bocages, égayée par le ramage des oiseaux, nous vivrons heureux, ma bien aimée Vidéhaine. Ici, tu goùûteras avec moi les joies les plus douces. L'idylle se continue dans cette solitude enchantée, où chaque jour Ràma découvre de nouvelles beautés et goûte, divin exilé, des joies nouvelles : Quand je contemple cette délicieuse montagne, Sita !, ni ja perte de la couronne tombée de ma tête, ni l’exil même loin de mes amis ne tourmente plus mon âme. Vois quelle variété d'oiseaux peuple cette montagne, parée de hautes crètes, qui s'élèvent presque jusqu’au ciel. Elle renferme en elle une source de prospérité, riche comme elle l’est en manguiers et en jambous, en lodhras, kakubhas, piyälas et dhavas, en añnkolas, panasas, bilvas et tindukas, en bambous et en gambhäris, en arishtas, varunas et madhükas, en amäläkas, kadambas et roseaux, en santals, déodaras et autres arbres, revêtus de fleurs, couverts de fruits, opulents d'ombrage et agréables à la vue. Välmiki aime ces descriptions, où il peut faire éta- lage de son érudition; la recherche du lieu où Râma se fixera définitivement, la vue des saints ermitages réunis dans le Dandaka, lui ont permis de les accu- muler dans la suite de son poème. Un premier exemple est offert par la description du paysage où l’ascète Sutikshna conseille à Räma de s'arrêter *; « solitude 1. Ayodhyäkända, CIIT, 3-4 et 8-10. — Gorresio, vol. I, p. 360. Le kakubha est la Terminalia arjuna, le piyâla, la Buchanania latifolia, le dhava, la Grislea tomentosa, la gambhäri, la Gmelina arborea, l'arishta, le Melia azadirachta et le varuna ou varana, la Crataeva religiosa. 2. Aranyakända, XI, 14-16. — Gorresio, vol. II, p. 20. 432 . LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS heureuse, où abondent les fleurs et les eaux, pleine d'arbres à fruits et de succulentes racines, riche en odeurs suaves, en fruits nourrissants, embellie de lacs émaillés par des pépinières de lotus, et ornée de char- mants bosquets. » Mais le héros ne peut y rester, et il continue sa route avec Sità et son frère Lakshmana, contemplant « les bocages et les bois délicieux, les montagnes et les ri- vières, les étangs parsemés de lotus », qu’il rencontre sur son chemin, tout en cherchant « le site heureux et charmant, abondant en herbes, riche en fleurs, en ra- cines et en fruits », où réside l’auguste Agastya”. « De grands arbres aux branches courbées sous les fleurs et les fruits et résonnant du chant des oiseaux, avec les senteurs pénétrantes des poivriers mûrs », lui signalent l’ermitage du saint. Enfin, il y arrive et il s'empresse aussitôt d'en décrire à son frère la riche et brillante végétation *. Et plus tard, lorsque, dans sa course errante, Ràma a découvert, au milieu de la Pañcavati, un site propre à se fixer, avec quel ravissement, mais aussi avec quelle prolixité, il le dépeint à son frère *. Voici un lieu délicieux et beau, entouré de jeunes arbres tout en fleurs : veuille bien nous bâtir ici, bel ami, un asile qui nous convienne. Non loin se découvre la belle et pure rivière de Godâvari, pleine de lotus aux senteurs les plus douces et brillants comme le soleil... Vois combien est ravissante cette haute montagne, couverte de plantes grimpantes disposées en bosquets, ombragée d’arbres en fleurs ; dattiers, tamâlas, câlas, tâlas en font la parure. Elle est ornée par des roseaux, des syandanas, palâcas, dhavas, arjunas, etc. 1. Aranyakâända, XV, 2-3 et 41. — Gorresio, vol. IT, p. 26. 2. Aranyakända, XVI, 5-7; XVII, 5-17. 3. Aranyakända, XXI, 10-16. — Gorresio, vol. Il, p. 39. Le syandana est la Dalbergia oogeiniensis. LES PLANTES DANS LA POÉSIE 433 Et passant en revue, après ceux de la montagne, les arbres de la plaine, il continue, comme séduit au spectacle de cette végétation variée et luxuriante, sa longue énumération, sans craindre de se répéter ou de fatiguer. On retrouve partout, dans le Râmäyana, ce procédé un peu primitif et conventionnel. S'agit-il par exemple d'indiquer la route suivie par Ràvana, le ravisseur de Sità, le poète dira « qu'il s'en est allé par le chemin, où l’on voit ces arbres fleuris et charmants : gréwies, bilvas, paläças, figuiers aux feuilles ondulées, nyagrodhas, kendus et açvatthas, karaviras, madhükas, beaux santals et dhavas ». Le grave défaut de ces descriptions, c'est de se ressem- bler toutes et de ne tenir point compte des différences essentielles que présente la flore indigène ; ainsi le singe Hanumat, en se rendant à Ceylan, aperçoit dans sa route les mêmes arbres que Râma avait admirés sur les bords de la Godàävari, ou même aux environs d'Ayodhyà*. Ce sont encore les arbres de l’Inde cen- trale ou même septentrionale que découvrent les singes, auxiliaires de Râma, à leur arrivée devant Lankà, capitale de la grande ile”. Toute remplie de campakas, d’acokas, de cälas, de bakulas, de kharjüras, ombragée par les bois de xanthocymes et cou- verte de karañjakas, Lañnkà resplendissait de tous côtés, comme l’'Amarävati d’Indra, par les gazons verdoyants (qui l’entou- 1. Aranyakända, LXXVI, 2-3. — Gorresio, vol. II, p. 160 : « Egle, buchananie e butee, hibischi, mimose et diospyri, sacre ficaie, pterospermi, bassie, grislee e sirii. » 2. Sundarakända, VIII, 5-9. Le kendu est le Diospyros tomentosa et le karavira, le laurier-rose odorant. 3. Yuddhakâända, XV, 2-6. — Gorresio, vol. III, p. 179. Le karañjaka est la Pongamia glabra, et le tilaka, le Cleroden- dron phlomoïdes. Jorer. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 28 LR" .- PARA ARTS 434 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS raient), les arjunas, les saptaparnas, les tilakas, les karnikâras et les pâtalis; arbres sylvestres parés de fleurs variées, arbres aux tendres bourgeons rouges, aux boutons épanouis, aux cimes fleuries et aux tiges embrassées par des lianes. Et Välmiki poursuit la description du paysage qui s'offre aux regards de l’armée simienne, presque sans y ajouter un trait qui le distingue de ceux qu'il nous a déjà peints. Inutile aussi de s’y arrêter. Le monde des plantes ne joue pas un rôle moins considérable dans les poèmes de la Renaissance hin- doue que dans le Mahäbhàrata et le Rämäyana. Qu'on lise, par exemple, dans le Meghadüta de Kälidäsa, la description de la demeure enchantée où le « Nuage messager » trouvera l’amie du poète, qu’il doit saluer de sa part, et l’on verra quelle place l’auteur de ce poème gracieux se plait à donner aux plantes dans ses vers ‘. k Là est notre maison... On la distingue de loin au portique qui s'élève semblable à l'arc d’Indra. Dans son jardin est un jeune mandära, que ma bien-aimée cultive comme un enfant adoptif et dont les gerbes de fleurs se penchent à la portée de sa main. Un étang s’y trouve, rempli de lotus aux brillants pétales, aux tiges d'émeraudes... Sur ses bords s'élève un mon- ticule artificiel, à la cime formée d'étincelants saphirs ; une haie de bananiers l’environne et l’embellit. Il a pour mon amie un charme particulier... Près d’un berceau qu’entourent des kuravakas et qu’une madhavi enlace de ses tiges grimpantes, se dresse, à côté d’un élégant kecara, un rouge açoka aux rameaux tremblants. Malgré son caractère particulier, le Raghuvarñca, poème dans lequel Kälidäsa a chanté l’histoire de la 1. Œuvres complètes de Kälidäsa, trad. Fauche. Paris, 1859, in-8, vol. [, p. 469-70, str. 73-76. — Meghadüta, übers. von L. Fritze, p. 31-32, str. 72-75. LES PLANTES DANS LA POÉSIE 425 famille royale de Raghu, abonde en descriptions em- pruntées à la flore de l'Inde. Elle lui a fourni quelques- uns des traits de ses plus gracieuses peintures. Telle, par exemple, la plainte inspirée à Aja par la mort sou- daine de son épouse‘. N'est-ce point là ce manguier et ce priyañgu que tu voulais marier? Ce n’est pas bien à toi de partir, sans avoir célébré leur hymen. La fleur que va produire cet acoka, provoqué par toi, parure destinée à tes cheveux bouclés, comment la chan- gerai-je en une guirlande offerte à tes mânes? Ta mort, femme charmante, est déplorée par cet acoka, qui verse des fleurs en guise de larmes, se rappelant qu’il fut touché par ton pied au son gracieux de tes nüpuras. Les principaux traits de la description que, dans le même poème, ainsi que dans le Xumdrasañbhava, Kàälidäsa a donnée du printemps, sont, cela ne saurait surprendre, également tirés du monde des plantes? ; mais il ne s’est pas borné à lui emprunter quelques images isolées; généralisant et développant ce qu'il avait fait dans ces deux poèmes, il a, dans une autre œuvre, le ÆRitusaihära, demandé au règne végétal presque seul tous les traits qui lui ont servi à carac- tériser la succession des diverses saisons et à peindre les scènes de la vie sociale propres à chacune d'elles. La saison des pluies, qui commence vers le mois de 4. Chant VII, 60-63. Raghuvansa edidit Ad. Fr. Stenzler. London, 1832, in-4°, p. 59. — H. Fauche, Xdlidäâsa, vol. I, p. 263. 2. Raghu- Varñca, chant IX, 27-29. — Kumdra-Sarbhava, Kâlidäsae carmen edidit Ad. Fr. Stenzler. Berlin, 1838, in-4, Cap. Il, 25-29. — Fauche, Xälidâsa, vol. 1, p. 277-78 et II, 290. 3. Ritusanhära, id est Tempestatum cyclus, carmen sanscri- tum.. edidit P. Bohlen. Lipsiae, 1840, in-8. — H. Fauche, Kâlidâsa, vol. Il, p. 3-48. 436 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS juin, inaugure pour la nature tropicale de l’Hindoustan une vie nouvelle ; pendant la chaleur torride des mois précédents, la végétation avait paru s'arrêter, et Kà- lidäsa ne cite pas une seule fleur dans la partie de son poème consacré à cette époque de l’année. Mais les pluies ont bien vite ranimé la nature alanguie; la terre fécondée par elles se couvre des pousses des kadalis et des herbes nouvelles ; les lacs etles étangs s’embellissent de lotus ; les fleurs des kadambas, des sarjas, des arjunas, des nipas et des ketakis, embau- ment les airs et portent le trouble du désir dans les âmes, et avec les fleurs fraîchement épanouies des keçaras, des mâlatis et des yûthikàs, elles servent à orner les cheveux et les oreilles des femmes aimées *. L'automne amène le complet épanouissement de la flore tropicale. Alors les champs s'émaillent de käcas fleuris; les étangs, des nymphées épanouies ; les bois, des saptacchadas, qui plient sous le poids de leurs fleurs, et la neige des mâlatis fait res- plendir les jardins. La terre se rougit du pollen que répandent les fleurs du bandhüka: les tiges mürissantes des moissons tapissent les champs. Est-il un cœur que ne trouble pas la vue du kovidära aux larges rameaux, agités par le zéphyr et cou- verts de milliers de fleurs, d'où découle un miel que viennent recueillir les abeilles? Quand il secoue les champs du riz incliné sous le poids de ses graines ; quand il fait danser les grands arbres chargés de fleurs et qu'il agite les lacs émaillés des padmas, des kumudas et des kahlâras entr'ouverts, le vent remue avec force l’âme des jeunes gens. Délaissant le kadamba, le kutaja, l’arjuna, le sarja et le nipa, Cri visite à leur tour les saptacchadas, qu’elle couvre de fleurs. Le parfum des fleurs de la cephâlikà ravit l’âme... L’éclat de la lune pâlit devant les 1. I. Tempestas Grishma. 2. II. Tempestas Varshâ, 5, 14, 17, 21, 25. Le sarja est la Shorea robusta, la kadali, le bananier, le nipa, l'Anthoce- phalus cadamba et la yüthikä, Ve Jasminum auriculatum. LES PLANTES DANS LA POÉSIE 43 1 nélumbos épanouis; la vivacité des yeux que le plaisir fait trembler le cède aux lotus bleus. Les sombres lianes, aux rameaux inclinés sous le poids des fleurs, éclipsent la beauté des bras que les femmes ont chargés de parures, et le jasmin frais éclos, uni aux fleurs de l’acoka, surpasse la blancheur éblouissante des dents dans une bouche qui sourit... Que belle par sa bouche de nélumbo épanoui, par ses yeux de lotus bleu en fleur, par sa robe blanche de kâcas aux fleurs nouvelles, par son radieux sourire de lotus blanc, (cette saison de) l'au- tomne vous donne la suprême joie des âmes! !. L'hiver même ne met pas fin à cette fête de la na- ture. Les lodhras continuent de fleurir; les lotus bleus, d'embellir les étangs, dont les caivalas envahissent les ondes transparentes ?. Mais c'est le temps de la mois- son, bien plus que celui des fleurs. Celles-ci com- mencent à reparaitre avec la saison de la rosée ; la verdure nouvelle les précède et les annonce ; la canne a sucre et le doux riz, d’autres céréales encore, en- chantent les veux de leurs chaumes grandissants *. Le printemps rend enfin à la nature embellie toute sa parure : Les étangs se tapissent de lotus, les manguiers, qui plient sous le poids de leurs grappes fleuries, remplissent de vagues désirs l'ame des femmes. Portant une multitude de fleurs entre- mêlées de bourgeons, les acokas, rouges jusqu’à la racine comme la couleur du corail, rendent soucieux le cœur des jeunes filles. Les fleurs entr'ouvertes de l’atimukta, que les abeilles enivrées effleurent de leurs baisers, et les gracieux tr Téempestas Sarad, 2,5, 6,,40,,13::4%,15, 17,158, 27 et 28. Fauche, vol. If, p. 19-26. Le käca est le Saccharum spon- taneum, le saptacchada, V'Alstonia scholaris, le bandhüka, l’Zxora grandiflora, le kovidära, la Bauhinia variegata, le kahlära, la Nymphæa esculenta on cyanea et le kutaja, la Wrightia antidysenterica. 2. IV. Tempestas Hemanta, 1, 9. 3. V. Tempestas Cicira, 16. 438 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS et tendres rameaux agités par le zéphyr, allument d’inquiets désirs dans l’âme des amants {. Et après avoir rappelé « la beauté supérieure des kuravakas, aux grappes nouvelles écloses, qui effacent le brillant éclat dont rayonne le visage d'une amante », Kâlidäsa ajoute : Aujourd’hui que la saison du printemps est arrivée, les pàri- jâtas, semblables eux-mêmes à un feu ardent, et les forêts de kirncukas, couvertes de fleurs, brillent, sous leur manteau de pourpre, comme une nouvelle épouse... Les bosquets enchan- teurs embellis par les jasmins, dont la blancheur est comme le sourire d’une belle fiancée, dérobent à l’anachorète lui-même son âme libre des passions... A l’aspect des montagnes, dont les sommets sont couverts d'arbres en fleurs, tout le monde s’enivre de plaisir. Les manguiers fleuris et les aimables karnikâras sont comme des traits acérés, dont l’âme des amantes est blessée par le Dieu à l’arc de fleurs... Formant avec les sombres acokas le nectar de ses lèvres, étalant avec ses bou- quets de jasmins comme une blanche guirlande de dents, la face belle comme un nélumbo épanoui... que la saison des fleurs, chère à Kâäma, vous procure une félicité durable jusqu’à la fin de ce kalpa *. | Il était impossible d'attribuer aux plantes un rôle plus considérable dans une œuvre littéraire ; le sujet le comportait sans doute; mais il faut y voir encore plus un effet du penchant des poètes hindous de la Renaissance à peindre la nature végétale. Kàlidàsa trouva aussi des émules et des imitateurs. Dans la première partie de ses sentences *, Bhartrihari a essayé 1. VI. Tempestas Vasanta, 2, 3, 15, 17. L’atimukla est la Gaertnera racemosa. 2. Tempestas Vasanta, 18, 19, 23, 25, 27, 34. Le kirçuka est est un autre nom de la Zulea frondosa, le paläca. 3. Criñgäracatakam. Ediditet latine vertit Petrus a Bohlen. Berolini, 1833, in-4, p. 87-90. Trad. Fauche. Paris, 1852, in-12, p. 85-94. | Me. + (a [Li LES PLANTES DANS LA POÉSIE 439 de rivaliser avec lui et, à son exemple, il a emprunté au monde changeant des plantes les principaux traits du tableau qu'il a retracé de la succession des saisons. L'auteur du Gitagovinda, Jayadeva, à également imité le poëète du Ritusarnhàra et, comme lui, il a emprunté à la flore indigène les traits charmants avec lesquels il a peint le printemps *. Ce goût des écrivains hindous pour les descriptions de la nature se manifeste dans tous les poèmes de cette époque, de quelque espèce qu'ils soient. On le retrouve dans les œuvres dramatiques, comme dans les épopées et les poésies didactiques ou lyriques. Les descriptions du monde des plantes, la peinture des paysages de l’Inde « sous leurs aspects les plus divers » ne se rencontrent pas moins souvent dans les premiers que dans les seconds. « Elles ont, comme l’a remarqué Félix Nève*, été dictées aux poètes par un senti- ment profond de la nature ; » et ils ont — quelques- uns du moins — « su en choisir les traits les plus purs et les plus expressifs *. » Ces derniers mots, qui s'appliquent à Kàlidâsa, ca- ractérisent finement le talent et la manière de l’auteur de Cakuntald, cet « artisan de style », dans lequel se personnifie la Renaissance hindoue. Quelles images gracieuses il à empruntées aux plantes! Quels pay- sages ravissants il à peints dans ses drames, où on s'attendait si peu à les rencontrer! Telest, par exemple, le tableau des frais ombrages, au milieu desquels, comme dans le Mahäbharata, Dushyanta rencontre 1. I, 29-30. Trad. Fauche. Paris, 1850, in-8°, p. 10. 2, Le dénouement de l'histoire de Râma, Outtara-Räma- Charita. Paris, 1880, in-8, p. 82. 3. A. Bergaigne, Kälidàsa. Sacountala. Préface, p. vi. 440 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Cakuntalä”. Quels souhaits doux et touchants aussi adressent à l'héroïne, au moment où elle quitte l’er- mitage paternel, les Divinités des arbres *. Qu'il lui soit donné de goûter le repos près des étangs ver- doyants sous leurs lotus bleus ! Que le toit ombreux des arbres la défende contre les feux brülants du jour! Puisse la pous- sière du chemin se changer pour elle en pollen parfumé ! Que pour elle le souffle du zéphyr agite doucement le feuillage de la forêt ! Dans Urvaci, Kàlidäsa n'a pas peint avec moins de grace les bosquets du palais royal où se déroule l’ac- tion. Le Vidüshaka*. — Considère la magnificence dont le prin- temps redescendu parmi nous a embelli ce parc ! Le Roi. — Je contemple ces arbres pressés les uns contre les autres ! Voici la fleur du kuravaka, à la pointe rouge comme l’ongle d’une jeune fille et blanche de chaque côté ; là la jeune fleur de l’acoka sort à demi de son enveloppe, et déjà apparaît sa pourpre délicate ; le manguier se pare de grappes nouvelles, brunies par le pollen qui a commencé à s’y déposer. Le prin- temps éclatant a acquis la moitié de ses forces ; ce n’est plus un enfant: mais ce n’est pas encore un jeune homme. Et quand, dans Mälavikägnimitra, Gautama, pour l'engager à venir contempler les beautés du jardin royal, dit à Agnimitra que la « nymphe de ce parc a pris le costume des fleurs printanières, qui fait honte a la toilette des jeunes femmes les plus belles », le roi reprend, non sans afféterie, mais avec une singulière connaissance du monde des fleurs * : Oui, je le vois avec surprise. Comme le fard des lèvres em- pourprées pâlit devant le rouge acoka! Combien le cède aux 1. Acte T, scène 3. Bergaigne, p. 14. — Fritze, p. 15. 2. Acte IV, scène 6. Bergaigne, p. 89. — Fritze, p. 57. 3. Le « bouffon », acte II. Trad. Fritze, p. 22. 4. Acte IIT. Trad. V. Henry, p. 40. — Trad. Fritze, p. 32. LES PLANTES DANS LA POÉSIE 441 fleurs à la couleur sombre, nuancées de blanc et de rose, du kuravaka, le tilaka, qui sert à parer les fronts. Comme le signe de beauté, empreint entre les sourcils, est inférieur aux tilakas en fleur avec leurs abeilles en guise de fard ! Cri-Harsha a rivalisé avec Kälidäsa dans la des- cription qu'il a faite du beau parc de Makaranda où se noue l'intrigue de Ratnavali”. O magnifiéence de ce jardin! Les arbres qui, dans leur pourpre majestueuse, brillent, parés de jeunes pousses, belles comme le corail, ces arbres, qui chancellent, agités par le vent qui souffle du Malaya, apparaissent commeivres en cette belle saison du printemps. Les bakulas répandent autour d’eux une pluie de fleurs, comme si une vierge avait arrosé leurs racines de la douce salive de sa bouche. Les campakas embellissent le visage des jeunes filles, que le vin a légèrement rougi. A leurs chevilles résonnent les nüpuras, tandis que du pied elles tou- chent les acokas qu'elles veulent faire fleurir. On retrouve des traits analogues à ceux que nous offre Ratnâävali dans un autre drame de Harsha, Nd- gänanda. « la Joie des Serpents »; le poète en a décrit avec le même soin le parterre, où se passe la pièce presque entière *. O merveilleuse richesse de ce parterre! Ici, on voit des ber- ceaux de lianes pavés de mosaïques et rafraichis par les sucs qui découlent des arbres de santal; le paon danse au bruit clair des douches de pluie: les jets d’eau lancent des gerbes rapides qui retombent dans les rigoles creusées au pied des arbres, colorées par le pollen des fleurs que, sous leur léger poids ells entrainent dans leur chute. Faisant résonner de leur chant les berceaux de lianes, qui portent sur elles, comme des parfums, le pollen des fleurs, les abeilles semblent jouir de tous les plaisirs d’un festin. Même luxe de descriptions et d'images empruntées 1.-Acte I. Trad. Fritze, p. 17. 2. Acte III. Trad. A. Bergaigne, p. 70. 442 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS au monde des fleurs dans Priyadarcikä, troisième pièce attribuée à Harsha; le roi et le vidüshaka — le bouffon — y semblent rivaliser dans la peinture du «Jardin des Jets d’eau », où le premier s'est retiré pour dissiper le chagrin que lui cause l'éloignement de la Reine”. Le Vidüshaka.— Ami, regarde ! Comme il est beau ce jardin aux fontaines jaillissantes. Les fleurs variées quitombent per- pétuellement sur le banc de pierre en rendent la surface moel- leuse ; le réseau de lianes, de jasmins et de bakulas plie sous le poids des abeilles avides de leurs parfuns ; un vent vif, chargé des senteurs du lotus, entr'ouvreles fleurs du bandhüka, et les tamälas touffus forment un abri contre la chaleur du soleil. Le Roi. — Les cephâlikäs cachent le sol sous leurs tendres rameaux, l’odeur des saptacchadas touffus fait penser au par- fum de la liqueur que distille l'éléphant?; ces abeilles dont le corps est jauni par l’épais pollen qui s'échappe des lotus épa- nouis, font entendre, ivres de la liqueur qu’elles boivent, je ne sais quel chant confus. Si l’auteur du Mrrcchakatika « le Chariot de terre cuite », Cüdraka n’a pas cru devoir donner une des- cription complète du jardin de Vasantasenà, l'héroïne de la pièce, il en a, cédant au goût de son époque, fait célébrer par deux de ses personnages les fleurs et les fruits. Le Vita. — Considère la magnificence de ce jardin. Vois briller, sous leur riche parure de fleurs et de fruits, ces arbres qu’enlacent d'impénétrables et solides lianes… Sarsthänaka. — Oui, la terre est toute diaprée de milliers de boutons fleuris ; les arbres se courbent sous le poids de leurs fleurs : les lianes semblent nous saluer de la cime des arbres, et les singes se régalent des fruits de l’arbre à pain. 1. Acte II. Trad. G. Strehly, p. 28. La cephälikà est le Nyclanthes arbor-tristis. 2. Liqueur qui découle des tempes des éléphants en rut. 3. Le confident. Acte VIII, scène 3. Trad. L. Fritze, p. 136. — Trad. P. Regnaud, vol. II, p. 48. LES PLANTES DANS LA POÉSIE 443 Bhavabhüti a donné, dans ses descriptions, une place encore plus grande au monde des plantes que les poètes dramatiques qui l'avaient précédé; la peinture que fait, par exemple, dans Mélati et Mädhava, la magicienne Saudämini des environs pittoresques de la ville de Padmävati, située au confluent du Sindhu et de la Pärà, en est une première preuve”. Ces régions montueuses et forestières, embaumées par les fruits odorants du bilva, me rappellent avec leurs épais taillis de candanas et d’acvakarnas, de kecaras et de pâtalis, les mon- tagnes couronnées de forèts du Dekhan, dontles vastes pentes résonnent délicieusement des murmures de la Godàävari, ré- pétés par les grottes profondes des fourrés obscurs de kadam- bas, de tarunas et de jambus qui la dominent. 4 Et dans une autre scène, Makaranda, l'ami du héros, l'invitant à contempler le beau paysage, qui se déroule sous leurs yeux, avec ses lotus, « dont l'aile des cygnes agite et fait trembler les longues tiges » : Regarde done, lui dit-il?, ces fourrés de jeunes rotins dont le parfum a pénétré les eaux des torrents ; tout près la mâlati entr’ouvre ses fleurs ; semblables à des tentes, se dressent les nuages accrochés aux angles de la montagne, dont ils dépassent les cimes, souriantes sous leur parure de kutajas en fleurs. Les collines sont couvertes de kadambas, dont les milliers de corymbes brillent comme autant de fleurs isolées. Les rives humides des fleuves sont parées de touffus et gracieux kétakis; tous les bois semblent sourire, et les lodhras et les cilimdhras * sont en fleurs. Dans sa réponse, Màdhava, tout en se reprochant de ne pouvoir, loin de sa chère Màlati, contempler les 1. Acte IX. Prologue. Trad. L: Fritze, p. 100. — Trad. G. Strehly, p. 219. L’açvakarna est la Shorea robusta, le taruna, peut-être le ricin. 2. Acte IX. Trad. Fritze, p. 103. — Trad. G. Strehly, p. 225. 3. Un des noms du bananier. 444 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS beautés de la nature, ne décrit pas avec moins d'amour le spectacle qu'elles offrent à ses regards ravis, en ces jours de la saison des pluies, où « les troupes de nuages épais fuient devant le vent d'Est, imprégné du parfum des sarjas et des arjunas entr'ouverts ». Bhavabhüti ne s’est pas moins complu, dans l’Ut{a- rardämacarita et le Mahaviracarita, que dans Mâlati et Mädhava, aux descriptions de la nature. Il avait pour lui servir de modèle celles du Ràämäyana, et il s'en estinspiré dans une partie de ses deux drames ; c'est ainsi que dans le premier, rivalisant avec Väl- miki, il nous peint tour à tour les ravissants bocages de la forêt de Dandaka, les bords enchanteurs de la Pampà ou de la Godävari, couverts d'arbres en fleurs, lieux dont l'aspect rappelle au héros ses années d’exil. Voici ces mêmes montagnes !, qui retentissent des cris des paons; voici ces massifs boisés remplis de gazelles ivres d’amour ; voici les bords de la même rivière, garnis des lianes du gracieux vañjula et sur lesquels les bleus niculas crois- sent en buissons serrés! Et ce mont que l’on aperçoit de loin semblable à une couronne de nuages, c’est le Prasravana, au pied duquel est la rivière Godâvari. Sur le plus haut sommet était la demeure du roi des vautours Jatäyu. Tout auprès nous nous sommes plus dans les huttes de feuillage. là où la déli- cieuse lisière de la forêt retentit sans cesse du chant des oiseaux. et où s'étale la beauté de ses arbres de couleur sombre projetant leurs branches jusque dans les eaux du fleuve. Les plantes n’ont pas seulement fourni aux poètes hindous les traits les plus gracieux de leurs descrip- tions champêtres ; leurs qualités bonnes ou mauvaises 1. Acte II, 2e tableau. Trad. F. Nève, p. 189. Le vañjula est le Calamus rotang, le nicula, la Barringtonia acutangula. LES PLANTES DANS LA POÉSIE 445 leur ont suggéré aussi d'ingénieuses fictions, des allé- gories ou des apologues instructifs, et ils en ont tiré des comparaisons et des métaphores charmantes. Cet arbre ! — un cocotier — est grand et gros en est le fruit, (dit) en l’apercevant un perroquet tout réjoui; il quitta aus- sitôt le champ de riz mür (où il se trouvait), et dans sa sottise vela vers le cocotier; puis grimpant dessus, il en attaqua, pour apaiser sa faim, les noix à coup de bec : qu’en résulta-t-il ? Son espoir fut décu et son bec se couvrit de barbes. Une abeille, qui avait passé sa vie parmi de jeunes lotus et en avait sucé le miel à cœur joie, qui avait toujours pris libre- ment ses ébats au milieu des fleurs de jasmin, alla, attirée par son mielleux parfum, visiter un buisson de guñja?. O fatalité ! Quel ne fut pas le sort de cette abeille ? Une abeille vole dans le bec d’un perroquet, s’imaginant que c'est un bouton de palâca : et de son côté le perroquet veut retenir l'abeille, pensant que c’est un fruit de jambu *. Telle est encore cette gracieuse allégorie* : Dans le jardin céleste de Cittalatà croit la liane Âsâvati. Une fois en mille ans, et pas plus, elle porte un fruit; les fils des dieux l’attendent avec patience. Espérez, à Roi: le fruit de l’espérance est doux. Qui espère, ne connait pas la défaite, ses souhaits, à la fin, sont satisfaits... Doux est le fruit de l'espérance. La beauté des nymphéacées, le miel qu'elles four- nissent aux abeilles, la propriété mystérieuse qu'ont les fleurs du nélumbo ou lotus rouge — padma ou aravinda — de se fermer et de se cacher sous l’eau au 1. Otto Bôühtlingk, /ndische Sprüche. St-Petersburg, 1870, in-8, n° 1161. 2. Abrus precatorius L., légumineuse à fleurs inodores. 3. Bôhtlingk, nos 3798 et 3998. 4. Âsañka Jâtaka. Stories of the Budha’s former Births, n° 380, vol. IIT, p. 162. 446 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS coucher du soleil, pour se montrer de nouveau et se rouvrir à son lever, tandis que celles du lotus blanc — kumuda où kairava — s'ouvrent au contact des rayons de la lane et se ferment à l'aurore, avaient vivement frappé les poètes hindous de la Renaissance ; ils re- viennent à chaque instant sur cette propriété singu- lière, et ils ont emprunté à ces fleurs aimées les plus gracieuses comparaisons. Je n’appelle point eau!, celle qui n’est pas couverte de bril-, lants lotus ; je n’appelle point lotus la fleur dans laquelle ne se cachent pas d’abeilles. Les premières lueurs du jour font-elles pâlir le disque de la lune?, le lotus blanc — fumuda — cache alors soigneuse- ment sa corolle odorante. Le lotus blanc — kaïrava — ne s’ouvre qu'aux rayons de la lune et non à ceux du soleil ?. Un rayon de la reine des nuits ne peut ouvrir le sein d’un lotus rouge — aravinda —, dont le calice reste fermé jusqu’à l'heure où il revoit l’astre du jour. Les rayons de la lune ne pénètrent pas dans un lotus rouge, ni ceux du soleil dans un lotus blanc — kumuda 1. Son visage tour à tour joyeux et troublé est l’image du né- lumbo, tel qu'il s'ouvre le matin au lever du soleil et se ferme à son coucher Chacun a son ami et son confident ; le soleil fait ouvrir la fleur du nélumbo — padma — et se fermer celle du lotus blanc. O lotus de jour, inutile a été ta vie: tu n’as pu contempler . Bühtlingk, n° 3250. . Kâlidâsa, Cakuntalä, acte IIT, scène 2, p. 44. . Kâlidâsa, Urvact, acte III. Trad. Fritze, p. 46. h. Kâlidâsa, Raghu-Varmça, chant VI, 66 et 75. 5. Kâlidâsa, Wélavikä et Agnimitra, acte IV. Fritze, p. 52. O2 D = LES PLANTES DANS LA POÉSIE 441 le disque de la lune. Ta naissance aussi a été stérile, à lune, puisque tu n’as pas vu fleurir le lotus de jour !. N'est-il pas étonnant que ces nélumbos ne se soient pas su- bitement fermés, comme au contact des rayons de la lune aimée, en touchant les mains de cette belle ? dit le roi dans Priyadarcikà ?, en voyant l'héroïne cueillir des fleurs au bord d’un étang. Semblable au nélumbo qui se ferme le soir, quand le soleil a disparu, chante le poète des Voces de Pärvali*, elle ne sup- porte pas la lourde douleur de la séparation et renonce nb, rement aux pensées amoureuses. L’ami cher qui nous fit tant de bien, que nous ne le voyons pas, ce dieu du soleil, s’abimer dans les flots, privé de ses rayons! Ainsi se disaient entre elles ses épouses — des nym- phées de jour — et elles fermèrent les yeux — leurs fleurs. Lorsqu’au printemps le kokila, qui craint le froid, fait en- tendre son chant dans la forêt, les nélumbos montent à la sur- face de l’eau comme pour l’écouter. La nuit passera ; une belle aurore lui succédera; le soleil se lèvera et les nélumbos s’ouvriront. Tandis qu'une abeille, enfermée dans une fleur de padma, s’abandonnait à ces pensées, arrive un éléphant, qui arrache,-hélas! la touffe de nélumbos. L’acoka, ce bel arbre aux fleurs orangées , n'occupe pas moins de place dans les légendes poétiques de l'Inde que le lotus. Ses fleurs, croyait-on, ne s’en- tr'ouvraient que quand le pied, convenablement orné, d’une femme jeune et belle, l'avait touché. Dans Rat- nävali®, le roi Udayana, le jour de la fête de Käma et Bühtlingk, nos 3568 et 3743. Acte II. Trad. G. Strehly, p. 34. Pârvatis Hochzeit, acte IT, p. 21. Bôhtlingk, nes 1877, 5999 et 5777. 5. Orangées au moment de leur épanouissement, elles pas- sent peu à peu au rouge écarlate: d’où le surnom de « rouge » donné si souvent à l’acoka. 6. Acte I. Trad. Fritze, p. 18. Fo D = 448 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS du printemps, entendant dans le parc de Makaranda le cliquetis des anneaux que portent aux chevilles les suivantes de la reine, s’écrie qu’elles viennent toucher l'acoka du parterre pour le faire fleurir. Et dans Méla- vikâägnimitra, Vaçoka doré du jardin royal de Vidicà attend, pour prendre sa parure de fleurs, l'approche de la reine Dhàrini'; comme celle-ci, empêchée par une blessure, ne peut se rendre auprès de l'arbre divin, elle envoie Mâlavikà pour la remplacer, et l’hé- roïne, après avoir cueilli sur l’açoka un rameau qui lui sert de pendant d'oreille, le touche délicatement de son pied, enduit de laque et orné de l'anneau même de la reine : acte symbolique, qui achève d’ nr le cœur du roi. O arbre intelligent, dit Hàla?, c’est à bon droit que tu t'appelles acoka — exempt de souci —, toi qui, heurté par le pied de lotus d’une belle, ouvre avec joie tes fleurs. 0 rouge acoka, s’écrie un autre poëte*, où est allée ma belle au corps élancé, après m'avoir quitté, moi l'ami si dévoué ? Pour- quoi secouer ta tête agitée par le vent, comme si tu ne l'avais pas vue? Si le pied de ma bien-aimée ne t'avait pas touché, comment tes fleurs auraient-elles paru, ces fleurs autour des- quelles bourdonnent les abeilles impatientes ? Une intervention étrangère devait aussi amener l'épanouissement des fleurs du bakula ou keçara ; pour 1. Acte III, p. 34-35. Trad. L. Fritze. 2. A. Weber, Ueber das Saplacatakam des Hüla, n° 405. (Abhandlungen für die Kunde des Morgenlandes, vol. Val, p. 161.) 3. Kävyaprakäca, 105. « Comme à toi, dit un autre poète, le contact du pied d’une belle fait ma joie. Tout est égal entre nous ; seulement, à Acoka, tu es exempt de souci, tandis que le créateur m'en a accablé. » Kuvalayänanda, 74 b, 75 a, c. Bühtlingk, n°s 5691 et 5693. L. von Schrœæder, /ndiens Lile- ralur, p. 975. LES PLANTES DANS LA POÉSIE 449 qu'elles s'ouvrent, il faut qu'une jeune vierge arrose cet arbre aimé de sa douce salive *. Près d’un berceau de mädhavis, qu'embrasse à l’entour une haie de kuravakas, se dresse, associé à un aimable kecara, un rouge acoka aux rameaux tremblants ?. L’un désire avec moi toucher le pied charmant de mon amie, l’autre aspire à sa’ vourer le breuvage enivrant de sa jolie bouche. Le manguier et le kadamba avaient pris aussi dans la poésie de l'Inde ancienne une signification symbo- lique ; l'apparition des boutons du manguier était le signe de l'approche du printemps; la vue des fleurs du kadamba rappelait à l’amie le souvenir de son ami absent”. Si tous les arbres n’ont point donné naissance à d'aussi gracieuses légendes; la plupart néanmoins ont fourni aux poètes de l'Inde d'instructifs et ingé- nieux apologues. Les grands arbres donnent de l'ombre aux autres, tandis qu'ils restent, eux, exposés à l'ardeur du soleil ; ils portent des fruits pour les autres, non pour eux. I ne faut louer que l’arbre dont toutes les parties procurent de la joie à une foule d'êtres ; à l'ombre duquel se reposent les gazelles, dont les volées d’oiseaux déchiquètent les feuilles, dont les trous sont remplis d'insectes. sur les fleurs duquel butinent joyeusement les abeilles : tout autre arbre est un fardeau pour la terre. J’estime heureux à cause de leurs feuilles, de leurs fleurs et de leurs fruits, à cause de l'ombre qu'ils donnent, ainsi que de leurs racines, de leur écorce et de leur bois, les arbres dont les besoigneux ne s'éloignent pas sans espoir #. 1. Ratnävali, acte I. Trad. Fritze, p. 17. 2. Meghadüta, strophe 75 (76). 3. Abhandlungen für die Kunde des Morgenlandes, V, 132 ; VII, 253. d 4. Bôhtlingk, nos 2307, 2309 et 3896. Jorer. — Les Plantes dans l'antiquité. IT. — 29 450 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Le tronc d’un arbre même grand et fort et aux puissantes racines peut, quand il est isolé, être brisé en un instant par la tempête; mais les arbres fortement enracinés bravent, réunis en nombre, grâce à leur mutuel appui, les efforts des vents les plus impétueux !. Un grand arbre pousse et croît, et nombre de créatures se réunissent sous son ombre : cet arbre est-il abattu et brülé, ses protégés restent sans abri. À quoi sert un arbre, que courbe l’abondance des fruits, si au milieu de ses racines habite un serpent, dont la gueule vomit le poison ? Si un arbre, une fois défleuri, ne donne pas de fruits, l’homme qui en a eu soin ne goûtera pas de joie ?. Choisis un grand arbre qui ne manque ni d'ombre, ni de fruits en abondance ; si le sort veut que les fruits fassent défaut, personne ne te privera de son ombre ÿ. Cueille les fleurs les unes après les autres, mais ne coupe pas l'arbre par la racine ; agis comme un jardinier dans son parterre, non comme un charbonnier. Rien ne naît sans semence: sans semence il n’y a pas de fruit; de la semence sort la semence; de la semence seule aussi, nous enseigne-t-on, vient le fruit. La semence germe sans en avoir conscience, quand le temps est venu ; elle fleurit aussi avec le temps et porte des fruits. La semence répandue sur un champ cultivé à son heure y germe, et on la reconnait à ses qualités #. Qui abattra avec la hache un manguier et prendra soin d’un nimba ? Car à celui qui l’arrose, ce dernier ne donnera pas de doux fruits. Celui qui abat un bois de manguiers et arrose une forêt de palâcas aura la tristesse de voir des fleurs en automne, alors qu’il désirerait des fruits. 1. Mahäbhärata. Udyoga-Parva, 1321-1322. 2. Bôhtlingk, nos 4768, 4884 et 5110. 3. Hitopadeca, livre II, 2° récit, 10. Trad. J. Hertel, p. 109. 4. Bôühtlingk, nos 4152, 3597, 3421 et 5455. LES PLANTES DANS LA POÉSIE 451 Qu'on taille le nimba avec la serpe, qu'on l’arrose avec du miel et du beurre fondu, qu'on l’orne de guirlandes parfumées, son fruit conserve toujours le même goût acide!. Un homme qui, désirant des fruits, quitte un bois de man- guiers et se rend, séduit par la beauté de leurs fleurs, dans une forêt de palâcas, se voit, une fois venue la saison des fruits, trompé dans son attente ?. Le pollen des manguiers et des campakas, que les vents font tournoyer dans un jardin de plaisance, remplissent de larmes les yeux des passants, même quand ils ne les touchent pas. Nombre d’arbres s’inclinent vers fa terre sous le poids des fleurs odorantes et des fruits savoureux qui les couvrent, mais ne communiquent pas pour cela leur parfum à un autre arbre ; cette gloire, à candana, n’appartient qu'à toi *. Au contact des santals tous les arbres du Malaya sont devenus d’autres santals ; mais le bambou ne devient jamais un santal, parce qu'il a le cœur trop vide. Si le ricin ne portait pas de fruit en temps voulu, quelle différence existerait-il entre lui et les autres arbres de la forêt ? Encore que le fruit du kataka rende claire l’eau trouble, celle-ci ne devient pas claire cependant au seul nom de ce fruit 5. Celui qui cueille sur un arbre des fruits non encore mûrs n'en retire aucun jus et la graine même est perdue pour lui. 1. Bôhtlingk, nos 980, 1591 et 5325. 2. Rämäyana. Ayodhyäkaända, LXV, 7. 3. Bôhtlingk, n°s 1251 et 1509. 4. Bühtlingk, n° 5441. Cette sentence se retrouve, n°s 349 et 350, sous une forme un peu autre. « Pour ceux qui man- quent de fonds, il n'y a pas d'instruction possible ; le bambou au contact du Malaya ne devient pas un santal. » — « À quoi peut servir un bon compagnon pour ceux qui manquent de fonds ? Pour croitre sur le Malaya, le bambou reste bambou et ne devient jamais santal. » 5. Bôhtlingk, nos 1580 et 4369. Le kataka est le Strychnos potalorum. 152 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Celui, au contraire, qui cueille un fruit mür et pris au bon moment, en retire du jus et sa graine lui donnera un autre fruit. Une tige tordue de padma, qu'il avait brisée pour la manger, il n’en peut jouir, parce qu’il y croit voir la lune; les gouttes d’eau qui sont sur les feuilles, quoique tourmenté par la soif, il ne les ose pas boire, parce qu’elles ont l’aspect d'étoiles ; apercoit-il la couleur, assombrie par un essaim d’abeilles, du lotus blanc, il prend ce qui n’est pas crépuscule pour le cré- puscule: ainsi un cakravâka, qui redoute d’être séparé de son amie, regarde le jour même comme la nuit!. Quelquefois ces apologues, au lieu de la forme apho- ristique ou allégorique, ont pris celle plus piquante du dialogue. Qui es-tu, ami 2? — Écoute, je vais te le dire : un câkhotaka, que le sort a frappé. — Tu parles, comme si le dégoût de la vie te tourmentait. — Tout juste. — Et pourquoi, dis-le moi. — À ma gauche se dresse un figuier, que les voyageurs visitent avec empressement; mais moi, bien que je sois au bord du chemin, je n'ai point d'ombre pour rendre service aux autres. A quoi bon tant de paroles? Tes fruits sont inutiles, d nimba ; aussitot qu'ils sont mürs, les corneilles viennent les dévorer ‘jusqu’au dernier. Tu résides loin du chemin, Ô calmali ; tu es, de plus, couvert d'épines ; tu ne donnes point d'ombre et les singes mêmes ne veulent pas de tes fruits; étant sans parfum, tu es évité par les abeilles et dépourvu de toute chose bonne. La visite que nous te ferions serait sans utilité pour nous; reste où tu es; pour nous, en soupirant, nous continuerons notre chemin. Les abeilles, qui, dès l’instant où se sont épanouis tes bou- tons, sont venues chaque jour se poser sur toi, bourdonnent sans cesse maintenant autour de tes fruits. Tu les vois et tu ne les salue pas. Les vers, au contraire, que tu n’avais pu voir 1. Bôhtlingk, nos 5925, 5926 et 4529. 2. Bôhtlingk, n° 1603. — Fritze, Indische Sprüche, n° 233, p. 52. Le cékhotaka est la Trophis aspera (Streblus asper). 3. Bôhtlingk, n°s 3733 et 2919. LES PLANTES DANS LA POÉSIE 493 jusqu'ici, sont installés au cœur de tes fruits. Fi done, 6 man- guier, que tu ne saches pas distinguer le meilleur du piret. Sur l'oranger et la ketaki, les épines sont à leur place: mais pourquoi, Ô kantakärikà, toi qui es sans saveur n1 odeur, as-tu des épines ?? Tes feuilles sont garnies de milliers d'aiguillons; on na jamais entendu parler de ton miel; tu assombris l'air de ton pollen ; mais tes défauts, Ô ketaki, ne sont pas remarqués par l'abeille, qui n’a de sens que pour les parfums ! Bien, à ketaki, que tu serves de demeure aux serpents, que tu ne portes pas de fruits, que tu sois garnie d'épines et toute tordue, que tu croisses sur un sol marécageux et sois de diffi- cile accès, par ton parfum tu es pour tout le monde un agréable voisin. Une seule qualité fait oublier bien des défauts *. Le Buddha aimait à emprunter au monde végétal des exemples et des comparaisons. Dans le Lotus de la Bonne Loi‘, il compare les hommes, d’après leurs qualités, les uns à des plantes à basse ou haute tige, -les autres à des arbres. C’est aussi à l'aide d’une allégorie tirée du règne végétal qu'il montre l’inanité des castes, fondées sur l’origine prétendue diverse de ceux qui les composaient ?. L’udumbara et le panasa produisent des fruits qui naissent des branches, de la tige, des articulations et des racines, et cependant ces fruits ne sont pas distincts les uns des autres, et l’on ne peut pas dire: ceci est le fruit brähmnane; cela, le fruit kshatriya; celui-ci, le vaicya ; celui-là, le cüdra ; car tous 1. Bôhtlingk, n° 5553. 2. Bôhtlingk, n° 1159. La kautakärikä est le Solanum Jac- quini ; la ketuki, le Pandanus odoratissimus. 3. Bôhtlingk, nos 3897 et 6331. 4. The Saddharma-Pundarika, translated by Kern. chapt. v, 28-32 (The sacred Books of the East, vol. XXD). 5. E. Burnouf, /n/roduction à l'histoire du Buddhisme, p. 193. 454 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS sont nés du même arbre. De même il n’y a pas quatre classes, il n’y en a qu'une. Les divers recueils des enseignements du Réfor- mateur sont remplis d'apologues tirés de la nature des plantes. Telle une fleur aux couleurs brillantes mais sans parfum, tel est le langage élégant, mais sans profit pour personne, de l’homme qui n’agit pas (comme il parle). Telle une fleur aux couleurs brillantes et parfumées, tel est le langage élégant et profitable à tous de celui qui agit (comme il parle). Autant on peut faire de couronnes diverses avec un amas de fleurs ; autant, une fois né, un mortel doit faire du bien !. Le parfum de la fleur vassiki ne va point contre le vent, ni celui du santal, ni celui du tagara ou de la mallikà ; mais il va contre le vent le parfum de la vertu; la bonne odeur de l'homme de bien pénètre en tous lieux?. Quel que soit le parfum du santal ou du tagara, celui du lotus ou de la vassiki, le parfum de la vertu les surpasse tous. Peu de chose est le parfum qu'exhalent le sandal et le ta- gara ; délicieux, au contraire, est le parfum de ceux qu'ex- halent les hommes de bien ; il s'élève jusqu'aux dieux *. Coupez par le pied la forêt entière (des désirs) et non un 1. The Dhammapada, compiled by Dharmaträta, translated by M. Müller. Oxford. 1881, in-8, p. 18. Flowers, 51-53. — Le Dhammapada, traduit par Fernand Hü. Paris, 1878, in-18, p. 14. La Fleur, 51-53. 2. « Le parfum des fleurs ne peut aller contre le souffle du vent; mais la vertu des hommes exhale un parfum qui se répand de tous côtés. » Rämäyana. Ayodhyäkända, LXI, 19-20. 3. Dhammapada, IV. Flowers, 54-56. M. Müller, p. 18. F. Hù, p.14. — Udänavarga, VI. Morality, 16-18, p. 31-32. — Texts from the Buddhist Canon, etc. Translated from the Chi- nese by Samuel Beal. London, 1878, in-8, XII, The Flower, p. 76.— La vassiki semble être le bois d’aloès, le tagara, l’encens ou la Tabernaemontana coronaria. LES PLANTES DANS LA POÉSIE 455 arbre seulement. Le danger vient de la forêt (les désirs). Quand vous aurez coupé à la fois la forêt et les broussailles, alors, Bhikshus, vous serez débarrassés de la forêt et serez libres. Bien qu'il ait été coupé, tant que sa racine est intacte, un arbre continue de vivre et repousse de nouveau; de même tant que les racines de la passion ne sont point coupées, cette cause de souffrance renaitra toujours à nouveau ?. J'appelle brahmane — sage — l’homme qui ne s'attache pas plus aux plaisirs que l’eau n’adhère à la feuille de lotus, la graine de moutarae à la pointe d’une aiguille ?. Les allégories tirées du monde végétal abondent dans la littérature didactique et religieuse des Hin- dous. Dans la Bhagavadgitä, par exemple, le cours de la vie humaine est comparé à un acvattha, qui a les racines en haut, les branches en bas, et dont les feuilles sont les Védas. Et l’Anugita represente, sous l'emblème d’une forêt remplie d’arbres couverts de fleurs magnifiques et de fruits de différentes couleurs, les diverses opérations des sens et de l’esprit*. 1. Dhammapada, XX. The way, 283. M. Müller, p. 68. — La voie, 283. F. Hû, p. 70. 2. Dhammapada. XXIV. Thirst, 338. M. Müller, p. 80. La convoitise, 338. F. Hù, p. 82. — Udänavarga, II. Lust, 18, p. 16. — Texts from the Buddhist Canon. Lecture XXXII, Lust, p. 148. 3. Dhammapada, XXVI, The Brähmana, 401. M. Müller, p. 91. F. Hù, p. 93. — The Sulla-Nipâta: A Collection of Discourses being one of the Canonical Books of the Buddhist. Translated from the Päli by V. Fausbüll. Oxford, 1881, in-8. HI Mahâvagga, 9. Vâsetthasutta, 32, p. 113. Cf. IV. Attaka- vagga, 6. Jaräsutta, 9, p. 155. « Comme une goutte d’eau n’adhère pas à un lotus, de même un mouni nes’attache àrien de ce qu'on voit, entend ou pense. » 4. Bhagavadgitä, chap. xv, 1. — Anugilä, chap. xI1, 8. — Trans]. by Käshinâth Trimbak Telang, p. 111 et 285. (The sacred Books of the East, vol. VII). 456) 1 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Le méchant découvre chez les autres des défauts de la gros- seur d’un grain de sénevé ; les siens, au contraire, fussent-ils aussi gros que les fruits du bilva, il ne veut pas les voir, même quand ils lui sautent aux yeux t. Un chauve à qui les rayons de l’astre du jour brülaient la tète, chercha un lieu, qui ne fût point exposé au soleil, alla, poussé par le destin, s'étendre au pied d’un bilva. Mais un énorme fruit étant venu à tomber, lui fracassa le crâne. En quelque lieu qu'aille l’homme que la fortune a abandonné, le malheur le suit?. Malheureux celui qui en ce monde, où les bonnes œuvres déterminent le sort futur, n’exerce pas la pénitence ; il res- semble à un homme qui ferait bouillir du sésame, dans une chaudière de lapis-lazuli, avec du bois de santal pour com- bustible, ou à celui qui retournerait une terre, avec un soc d’or, pour y semer une herbe stérile, et abat une forêt de cam- phriers pour enclore un champ de kodravas *. Le cœur des femmes est insaisissable, comme l'image sur le miroir... Leur pensée, au dire des sages, est mobile comme la goutte de rosée sur la feuille de lotus. La femme grandit avec ses défauts, comme les lianes avec le poison qu'élaborent leurs tiges *. Les esprits éveillés et non lourds se montrent dignes d’in- struction ; le sésame porte des fleurs odorantes, l'orge jamais. l Des graines de sésame, mises en contact avec des fleurs de campaka, se parfument; mais leur huile, en prenant l'odeur des fleurs, cesse d’être mangeable ; toutes les bonnes qualités peuvent se changer en leur contraire. Bôhtlingk, n° 2045. — Fritze, n° 203. Bhartrihari. Viticataka, VIII, 86. Trad P. a Bohlen, p. 107. — Trad. Fauche, p. 148. — Trad. Regnaud, p. 63: 3. Bhartrihari, Niticataka, IX, 98. Trad. Fauche, p. 153. — P. Regnaud, Zes stances éroliques, morales et religieuses de Bhartrihari. Paris, 1875, in-18. II. La morale, p. 67. Le ko- dr UE est le Paspalum scrobiculatum L. P. Regnaud, Etudes sur les poètes sanscrils de l'époque nou Bhartrihari, Les Centuries. Paris, 1871, in-8, p. 42, — Id. Les stances, etc. Supplément, 15, p. 113. LES PLANTES. DANS LA POÉSIE 457 Le majestueux kimcuka, si richement paré de fleurs, n’a aucun parfum ; le candana odorant, mais entoüré de serpents, n’a point de fleur ; la canne à sucre ne porte pas de fruits, et la ketaki est garnie d’aiguillons ; en ces trois mondes on ne trouve pas facilement sur une seule et même chose réuni tout ce qui est bon. L'homme sans considération, emblème des êtres faibles, est comme un brin d'herbe ; à l'approche du moindre vent, il se courbe de lui-même. Une couronne qu'on a tressée, du santal qu'on a frotté de ses propres mains et un éloge qu'on a écrit soi-même, feraient perdre à Indra lui-même sa haute dignité !. Un homme méchant ne devient jamais bon, n'importe de quelque manière qu’on le traite ; les fruits du nimba ne de- viendraient pas doux, quand on l’arroserait avec du lait et du beurre fondu. La tempête ne déracine pas les chaumes qui s’inclinent devant elle; elle ne fait du mal qu'aux arbres élevés. Les grands n'exercent leur force que contre les grands. Près des candanas habitent des serpents; dans l’eau sont des lotus, mais aussi des crocodiles ; à côté de chaque jouis- sance sont des jaloux, qui nous la gâtent : il n’est point de joie sans trouble. Le feu brûle, füt-il produit même par du bois de santal; un méchant reste méchant, descendit-il d’une race noble ?. Un santal ne perd pas son parfum, même quand on l'abat ; où qu'on la porte, la canne à sucre garde sa douceur; un homme généreux ne dégénère pas, même dans la détresse. Le santal conserve son agréable parfum, encore qu'on le frotte: une canne à sucre qu’on coupe reste douce, comme auparavant, et l'or garde sa belle couleur, quand on le fonà ; les qualités innées des grands ne changent pas même dans la mort. L'homme noble pratique la vertu même contre ses ennemis, 1. Bôhtlingk, nos 4336, 2562, 7311, 7607 et 7333. 2. Bôhtlingk, nos 3295, 2588, 2241 et 2315. 3. Bôhtlingk, nos 2313 et 2219. — L. Fritze, n° 235. 198 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS comme la canne à sucre offre de la nourriture avec son doux suc à celui-là même qui l’arrache!. Tendre dans le bonheur, dur dans l'infortune, tel est le cœur de l’homme bon; la feuille de l'arbre, tendre au printemps, se durcit sous les feux de l'été. En souvenir du peu d’eau qu’ils ont bue, dans leur première jeunesse, alors qu’un lourd fardeau pesait sur leur tête, les cocotiers donnent aux hommes, pendant toute leur vie, leur liqueur ambroisienne ; les cœurs nobles n’oublient jamais le service qu'on leur a rendu?. Pour le bien des autres, le bouleau souffre qu'on le dé- pouille de son écorce ; le cana, au contraire, sert à enchaïiner d’autres êtres : voyez quelle différence ? ! L'homme habile renverse son adversaire, en s’attachant doucement à lui; un grand arbre même succombe, on le sait, quand une liane s’enlace autour de son tronc. Un homme bien élevé ne fait pas entendre un langage rude, même quand on l’insulte ; un suc rebutant ne sort pas du can- dana que la hache abat sur le mont Malaya*. Les méchants seuls jouissent des richesses mal acquises ; les corneilles et nul autre oiseau dévorent le concombre kim- pàka. Un seul arbre couvert de fleurs parfumées embaume toute la forêt; un fils bien élevé est la parure de toute sa famille. Comme le rameau du figuier, déposé dans un sol riche, y pousse avec vigueur, ainsi fructifient les dons qui tombent dans les mains de qui en est digne. Où personne n’est habile, un esprit faible lui-même est 1. Mâdhuva et Sulocana. À, Fr. von Schack, Slimmen vom Ganges. Stuttgart, 1877, in-8, p. 161. 2. Bôühtlingk, nos 6871 (Fritze, n° 61) et 4249. 3. Bôhtlingk, n° 4618. Il faut rapprocher de cette sentence celle du n° 2990, où il est dit que si le créateur n’a pas donné de fruits au bouleau, son écorce n'en comble pas moins les vœux de milliers de malheureux. 4. Bühtlingk, n° 432 et 401. — Fritze, n°s 320 et 321. LES PLANTES DANS LA POÉSIE 459 estimé ; dans une contrée dont les arbres ont été arrachés, le ricin passe pour un arbre. C’est dans l’homme âgé qu'apparait la maturité de l’intelli- gence , c’est dans le vieux santal que s’engendre le parfum. Ceux qui, isolés, ne peuvent rien, deviennent forts quand ils sont amis ; on tresse avec du gazon des cordes qui servent à attacher même des éléphants. La tige de bambou, qui n’a point été séparée de la souche, ne peut être détruite ; il en est de même de celui qui reste uni avec ses frères ?. Comme l'orge à corneille et le sésame sauvage ne sont pas en réalité, mais seulement de nom, de l'orge et du sésame, ainsi les gens sans argent ne sont hommes que de nom. De même qu'une abeille, qui, dans sa soif, suce la fleur du kâça, mais n’y trouve pas de miel ; ainsi l'amitié est vaine avec ceux qui n'en sont pas dignes. Voyez, quoiqu'elles en soient déjà tout proches, ces abeilles s'éloignent de ce magnifique karnikâra, parce qu'il n’a pas de parfum ; les honnêtes gens en font précisément ainsi avec un homme riche, quand il est de basse origine. Une bonne, comme une mauvaise action, attend le temps des fruits ; c'est en automne que mürit le riz, jamais au prin- temps. La fleur parfumée de la ketaki est garnie d’aiguillons ; à cette fleur ressemble un prince entouré de gens de rien ?. Un syandana, quoique petit, est capable de porter un far- deau, ce que ne peuvent faire d’autres arbres; ainsi les hommes de bonne race sont propres à faire des choses diffi- ciles, non les hommes ordinaires. Comme les épines empêchent de cueillir les fruits de l'arbre qui en est couvert; ainsi la société des méchants rend impos- sible la société des bons. . Bôhtlingk, n°s 75%, 1418, 3841 et 5074. Bôhtlingk, nos 4262, 4425 et 6678. . Bôühtlingk, n°s 5091, 5126, 4015, 6489 et 7073 © D => 460 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Une tige de padma donne la mesure de la profondeur de l’eau (où il croit) ; le bon caractère d’un homme, la mesure de la noblesse de sa race. Comme les lotus sont conservés par une eau profonde ; de même la puissance d’un prince l’est par l'intelligence !. Fugitive au delà de toute mesure est la vie et tout aussi mo- bile que l’eau sur la feuille d’un nélumbo. Le parfum précieux des bois de santal et d’aloès ne dure pas aussi longtemps que celui de la gloire des hommes. Les gens de basse naissance se sentent désagréablement touchés, quand les autres dépensent de l'argent; est-ce que l'arbre à manne ne se dessèche pas, quand le nuage répand ses eaux * ? On verra plutôt une fleur sur un figuier que ce qui est caché dans le cœur d’une femme. Le soleil fait s'épanouir le lotus de jour — le nélumbo —, la lune fait fleurir le lotus de nuit, le nuage répand la pluie sans en être prié: les hommes généreux emploient leur activité pour le bien des autres. La fleur est la cause du fruit et le fruit détruit la fleur ; les bonnes œuvres sont la cause de la loi et la loi anéantit les bonnes œuvres. Quelquefois les sentences et les allégories prennent un caractère symbolique ou deviennent même de véri- tables devinettes. Dans ce jardin — le corps de sa bien aimée — j'ai vu une liane — un bras — avec cinq rameaux — les cinq doigts — et sur chacun des rameaux de cette plante un bouton de fleur rouge sombre — un ongle. Dans la forêt de la vie les saralas — les hommes droits — sont rares ; les kalis, — amis de la dispute — au contraire, sont . Bôhtlingk, nos 7158, 7491, 2355 et 3408. Bôhtlingk, nos 3407, # et 3936. Bôhtlingk, nos 7490, 3909 et 4373 O2 ONE LES PLANTES DANS LA POÉSIE 461 pressés les uns contre les autres; mais il ne s'y trouve pas de camis — d'hommes intérieurement tranquilles — et point de purnnâägas — d'hommes distingués !. Notre monde est un arbre chargé de fruits vénéneux ; mais il fait aussi mürir deux nobles fruits ; l’un est le commerce agréable des gens de bien: l’autre, fruit semblable au nectar, est la poésie. Un conseil secret est une semence; garde-le aussi soigneu- sement qu’une graine semée : lui cause-t-on le moindre pré- judice, une plante n’en peut plus naître ?. Là se dresse l'arbre honoré de la vertu ; la foi est sa semence ; l’eau avec laquelle les Brahmes l’arrosèrent est le Véda; ses rameaux sont les quatorze sciences, ses fleurs sont les avan- tages (qu’elle procure), ses deux fruits, les agréments de la vie et la rédemption finale, l'un plus grossier, l’autre plus délicat. La lune est-elle la fleur d’un arbre du ciel? Et comment s'appellent, à mère, les plantes qui portent des perles en guise de baies * ? Plusieurs des apologues et des allégories que je viens de citer ne sont guère que des comparaisons ou de gracieuses métaphores. De bonne heure le monde des plantes en a fourni aux poètes. On en rencontre déjà, quoiqu'elles y soient rares", dans les plus anciens monuments de la langue. Le Rig-Véda dit de l'hymne d'actions de grâce à Indra que c’est un «rameau mür pour l'homme pieux »; il compare les ennemis vaincus à des « chaumes fauchés pour le lieu du sa- Bühtlingk, nos 185 et 6895. Le sarala est le Pinus longi- ne le £ali, la Terminalia bellerica, la cami, V'Acacia suma, le pumnäga, la Rottleria tinctoria. 2. Hilopadeca, lib. I, 118 et Il, 132. Hertel, p. 46 et 95. 3. Bôhtlingk, n°s 6547 et 7498. 4. Arnold Hirzel, dans son étude sur les comparaisons et les métaphores du Rig-Véda (Gleichnisse und Metaphern in Pq- veda in culturhistorischer Hinsicht. Leipzig, 1890, in-8), n’en mentionne aucune. 462 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS crifice », et il nous montre le démon Vala « se lamentant sur le rapt des vaches, comme les arbres sur le feuillage dont l'hiver les a dépouillés »*. De même qu’on rompt une tige de lotus, elle brisa la crète des rochers, renversa avec l’impétueuse force de ses flots les fondements des monts. Par sa lumière il chassa les ténébres de l'atmosphère, de même que le vent, le cipala de la surface de l’eau. Comme les gouttes de sueur coulent tout autour de son corps, que les traits tombent inutiles de tous côtés! Que le mauvais vouloir s'éloigne de nous, comme se dispersent les semences des épis mûrs de la dürvà !? De même dans l’Atharva-Véda: Je coupe ces liens, comme la racine d’une gourde. — Je te délie, comme le fruit d’une gourde de son pédoncule. Dans les traités religieux ou didactiques postérieurs, ces comparaisons allégoriques sont encore plus fré- quentes. 1. Tel un arbre, roi des forêts, tel esten vérité un homme. Ses poils, ce sont les feuilles ; sa peau, c'est l'écorce. — 2. Le la peau de l’homme blessé coule le sang, comme la sève de l'arbre qu'on frappe. — 4. Mais tandis qu’un arbre, qui a été coupé, repousse, plus jeune, de sa racine, de quelle racine, dites-moi, un homme repousse-t-il, quand la mort l’a abattu ? — 6. Si un arbre a été arraché avec sa racine, il ne repoussera plus : de quelle racine, dites-moi, l’homme abattu par la mort pourrait-il renaître “? 1. Rig-Veda, lb. I, 8, 8: X, 33, & et 68, 10: 2. Lib. VI, 61,2; X, 68, 5 et X, 134, 5. Cf. Zimmer, Ann disches Leben, p. 70. 3 Lab NME 02 et XIV-1,/17; 4. Brihadäranyaka-Upanishad, HT Adh., 9 Brähm. 28. (The Upanishads, transl. by Max Müller. Part II, Oxford, 1884, p. 149). LES PLANTES DANS LA POÉSIE 463 Comme le parfum dans la fleur, l'huile dans le grain de sésame, le feu dans le bois, le beurre dans le lait et le sucre dans la canne, percois au moyen de ton intelligence l’âme dans le corps !. Mais c'est surtout pour peindre la beauté, et plus particulièrement la beauté féminine, que les écrivains hindous ont demandé au monde des plantes les méta- phores et les images dont ils se sont servis. L'auteur du Lalita Vistara dit de Mäyà, la mère du Buddha?, que ses yeux ressemblent aux pétales d'une fleur de lotus grand ouverte. Ils sont aussi purs, remarque-t-il ailleurs, que la fleur de lotus à cent pétales, épanouie sous les rayons du soleil de la sagesse et de la science; ses lèvres sont rouges comme les fruits du bimba et ses dents blanches comme la fleur de la sumanà et du värshika*. Pour lui, le Buddha est un grand arbre de vertu; c’est un lotus immaculé, une fleur qui a le par- fum de la bonne conduite. Il a les lèvres rouges comme le bimba, dit de lui son épouse, et des yeux de lotus“. Il est même dit dans un jàtaka” de la bouche d'un cerf, incarnation, il est vrai, du Buddha, qu'elle est rouge comme un bouquet de fleurs de kamala. Vàälmiki parle des yeux de Sità « beaux comme une fleur de lotus » et de sa « taille de liane »: il dit de même des yeux de Ràäma qu'ils « ressemblent aux — L'Upanishad du grand Aranyaka, trad. par A. Ferd. Hérold. Paris, 1894, in-12, 3° lecture 30-34, p. 88. 1. Bühtlingk, n° 4154 (4561). 2. Trad. Foucaux, chap. 11, p. 12. — Chap. xv, p. 189. 3. Chap. 11, p. 10. — Chap. ui, p. 27. ÆOChap:,xv, p. 195, 196 et 202. — ‘Chap. xxr, 279: La sumanû est le Jasminum grandiflorum ou le Datura metel, le bimba le fruit de la Momordica monadelpha; mais j'ignore ce qu'est le vérshika. 5. Buddhist Birth Stories, n° 12, p. 205. 46% LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS pétales charmants du lotus’ ». Kälidàäsa célèbre la taille flexible d'Umà, «qui la fait ressembler à une liane inclinée sous l'abondance de ses fleurs », et il vante ses « lèvres de bimba, autour desquelles viennent bour- donner les abeilles, qu'attire son haleine parfumée ? ». Avec quel art, dans un autre passage, il à su encore tirer du monde charmant des fleurs les traits qui doi- vent peindre la beauté de la « fille du roi des monts Comme un lotus qui vient de s'ouvrir sous les rayons du soleil, son corps d'une irréprochablesplendeur se distinguait par la plus fraiche jeunesse. Ses deux pieds imitaient la beauté .changeante de l’hibiscus par le brillant éclat dont les ongles en étaient colorés. Ses bras avaient une délicatesse; qui surpas- sait la fleur du cirisha. Ses deux mains aux ongles charmants faisaient honte aux pétales de l’acoka.… Quand elle fut revêtue de sa robe, Umà brilla telle que la terre couverte de kâcas en fleurs. (Et) à mesure qu'on la parait de ses atours, elle res- plendissait comme une liane chargée de fleurs. Kälidäsa ne peint pas avec moins de grâce Cakun- tal, dont « la ravissante jeunesse pare les membres d'une fleur de beauté » ; « délicate comme la fleur du jasmin à peine éclose », « sa bouche qui sourit semble un bouton qui s'ouvre, ses bras, deux tendres lianes », et quand elle languit, en proie aux tourments de l'amour, « on dirait la liane mädhavi que le souffle brülant d’un vent desséchant a touchée * ». Mêmes comparaisons charmantes dans Urvact”. En contemplant cette liane, qui n’a pas encore poussé de 1. Rämäyana. Ayodhyàäkända, LIX, 25; LXII, 9. 2. Kumära-Samñbhava, chant II, 54 et 56. Ed. Stan zlee. p. 38-39. — Fauche, II, 295. 3. Kumära-Sarbhava, chant I, 32-33 et 41-42; VIT, 11 et 21. Acte I, scène 4 et acte III, scène 2. 5. Acte V. Trad. Fritze, p. 54 et 56. Lakadali estle bananier. LES PLANTES DANS LA POÉSIE 165 fleurs, mon cœur se réjouit avec raison : cette plante délicate ne ressemble-t-elle pas à ma bien-aimée ? Ses rameaux, que la pluie a mouillés, me font penser à ses lèvres humides de larmes. Si elle n’a pas encore de fleurs, parce que leur temps n’est pas venu, je crois voir mon amie qui s'est dépouillée de sa parure. Avec ses fleurs dont le bord est rouge et qui cachent des gouttes d’eau dans leur intérieur, cette jeune kadali me rap- pelle les yeux d’Urvaci, gonflés de larmes par la colère. Dans la même pièce, le roi parle aussi des « mains de lotus » d'Urvaci et il dit de la reine qu’elle a le corps aussi délicat que la racine du nélumbo'. Dans Mülavikägnimitra, le roi compare « la main de l’hé- roïne, qui pend nonchalemment, à un rameau de cyämà, et son visage souriant, « auquel ses dents ser- vent de parure », lui paraît « un nymphéa qui s’en- trouve et ne montre qu'à demi ses étamines * ». Et plus loin° Mälavikà me parait toute différente qu'autre fois, ses joues sont pâles comme des chaumes de sara, et elle ressemble au kunda — jasmin, — dont le printemps a déjà développé les feuilles, mais n’a fait pousser que peu de fleurs. Elle pâlit à vue d'œil, comme se fane une guirlande de jasmins quand le froid l’a touchée. Sagarikà, ma bien-aimée, dit le roi dans Rafnävali*, ton visage brille comme la lune ; tes yeux sont des lotus bleus ; tes mains, des fleurs : tes bras, des racines de nymphée. Bhavabhüti a accumulé dans Màlati et Mädhava les images les plus gracieuses pour peindre le charme 4. Acte III. Trad. Fritze, p. 44. 2. Acte IT. Trad. V. Henry, p. 28 et 30. — Trad. Fritze, -p. 24 et 26. La cyâmä est, comme le priyañqu, probablement ici le poivrier long. 3. Acte III, p. 34 et 37. . H. &. Acte III. Trad. Fritze, p. 65. Jorer. — Les Plantes dans l’antiquilé. IL. — 30 466 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS langoureux de son héroïne au sein « pâle comme une tige müre de lotus‘ ». Elle languit comme un rameau brisé d’acoka, et est sans force comme une fleur fanée de jasmin... Elle m’apparaït comme un jeune lotus, qui ne jouit qu'un instant du lever de la pleine lune et puis se fane. — Avec ses membres, sembla- bles à des fleurs fanées de campaka, et qu’elle meut avec lenteur, Mâlati enflamme avec plus de force mon ardeur amou- reuse, elle enivre mon cœur et charme mes yeux... En enten- dant sa voix à l'instant pour la première fois, j'ai éprouvé un frisson de plaisir, et je ressemble au kadamba, qui se couvre de boutons quand une pluie nouvelle, versée par les nuages, vient l’arroser. Ailleurs *, il parle du visage « semblable au lotus » de Mädhava et il nous le montre saisissant de sa main la « main de lotus » de Mälati, (lotus) « dont son bras est la tige et ses doigts humides, les pétales », et dans l’ardeur de son amour, il croit voir partout le « visage semblable à un lotus d'or entr'ouvert » de sa bien- aimée, etc. Dans l'Uftarardmacarita*, Bhavabhüti compare aussi à un doux et charmant lotus « la liane du corps » de l'héroïne. Tous les poètes érotiques de l’Inde ont à l’envi emprunté au monde des fleurs quelque image pour peindre la beauté de leurs bien-aimées. Après avoir fait tes yeux avec un lotus bleu, ton visage d’un brillant nélumbo, tes dents avec le jasmin, tes lèvres avec de jeunes boutons, tes flancs des feuilles du campaka, comment le créateur a-t-il pu, mon amie, tailler ton cœur dans la pierre “ ? 1. Actes IT et III. Fritze, p. 45, 29, 42 et 39/Strehly, "p.76 et 80. 2. Acte VI et VII. Trad. Fritze, p. 78 et 84. 3. F. Nève, Le dénouement de l'histoire de Râma, p. 217. 4. Criigäratilakam. Kälidâsa, trad. Fauche, vol. II, p. 130. — Bôntlingk, n° 423, PTE Maté LES PLANTES DANS LA POÉSIE 467 Qu’'une fleur croisse sur une fleur, on ne l’a encore ni en- tendu dire, ni vu: d’où viennent donc, à jeune fille, ces deux lotus bleus — ses deux yeux — sur le lotus blanc de ton visage? Ton visage et le lotus sont tous deux grands ouverts et par- fumés ; le lotus est entouré d’abeilles bourdonnantes, ton visage est embelli d’yeux mobiles. Un lotus blanc est comme ton visage, et ton visage est comme un lotus : comment pourrions-nous découvrir situ n'es pas cachée au milieu des lotus ! ? Le jour où, pour te baigner, tu descendis dans cet étang, le lotus blanc te ravit la grâce de ton sourire, le lotus bleu, le charme de tes yeux, le nélumbo, qui se ferme le soir, la grâce de ton visage ?. Vaincu par la beauté de ton visage, Ô mon amie, le disque de la lune se cache dans le nuage et le lotus blanc dans l'étang. Ce visage n’est pas un lotus blanc, ces yeux ne sont pas des lotus bleus : à abeille, ne vole pas ainsi en vain dans le voisinage de cette belle aux beaux yeux *. Tes sourcils sont des lianes charmantes, tes lèvres roses sont des boutons; ton visage est le jardin des Dieux... Touché par les rayons du soleil, il s’épanouit en une fleur rose... Mais puisque il est, à belle, en tout semblable au lotus, pourquoi ne voit-on pas d’abeilles en sucer le mielf. Cette lèvre est la sœur en éclat du bandhüka, dit Hari à Râdhà ; ta joue lisse a le brillant d’une fleur de madhüka ; tes yeux... resplendissent comme des lotus bleu foncé : ton nez semble un épi de tila en fleur ; toi, de qui les dents sont comme les pétales du jasmin, l'univers est vaincu par le dieu, qui a pour flèches des fleurs, parce que ton visage, où elles sont toutes réunies en abondance, lui sert pour armer ses dards 5. Ce n’est pas seulement pour peindre la beauté que Bôhtlingk, nos 1846, 2660 et 9598. Kâvyädarça, I, 274. Bühtlingk, n° 4269. Bôhtlingk, nos 4918 et 5917. : &. Nâgânanda, acte III. Trad. Bergaigne, p. 73 et 75. Gila-Govinda, X, 14. Trad. Lassen, p. 135. — Trad. Fauche, p.82.Le bandhüka est V Ixora grandiflor & où coccinea. QU) D = CA 468 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS 9 les poètes hindous ont emprunté ces comparaisons imagées au règne végétal, ils lui en ont aussi demandé pour représenter plus vivement aux yeux les choses et les hommes dont ils parlent. C’est ainsi que le poète du Mahâbhàrata, dit des Pändavas, qu'ils « ressemblent à des arbres sans fruits et à des sésames stériles ‘ », et que Välmiki, pour donner la plus haute idée de la bonté de Räma, le compare à « un arbre, sous les branches duquel habitent les hommes de bien ». L’anachorète, dit-il également ailleurs, vit là devant ses yeux la grande vie de Râma, comme une fleur d’âämalaka qu'il aurait tenue dans ses mains ?. Le chantre du divin héros affectionne ces manières de parler; on en rencontre des exemples à chaque instant dans son poème. Que ta promesse, comme une liane en fleurs, ne tarde pas à nous donner son fruit ! On le verra s’en aller se consumant peu à peu comme un lac aux lotus flétris, dont le vent et le soleil ont tari les eaux *. La grande armée des singes ressemblait à un lac de lotus, dont les fleurs entr'ouvent leurs calices. Le palais du roi, plein d'hommes et de femmes dans la joie, brillait comme un lac éinaillé de lotus épanouis. au milieu desquels se joue une volée d'oiseaux “. Kàlidäsa, cela ne saurait surprendre, a imité ce procédé de ses devanciers et renchéri sur eux. On eût dit que les fenêtres étaient ornées de lotus, à voir, dans les embrasures, s'épanouir, pleines d’une vive curiosité, 1. Vana-Parva, 2526. 2. Râmäyana. Adikända, II, 36. — Kishkindhyakânda, XIV A7 ee 3. Kishkindhyakända, XIII, 31 et XV, 54%.: 4. Kishkindhyakända, XXX VIII, 40.— Ayodhyäkända, IV, 14. LES PLANTES DANS LA POÉSIE 469 ces tètes de femmes aux yeux qui semblaient voltiger comme des abeilles t. . La maison de Raghu était semblable à un lac où végète un lotus unique et non: encore éclos. Tu portes l'apparence d’un être accablé de tristesse, comme un champ de lotus qu’une gelée blanche aurait fané ?. Les poètes épiques ont eu recours aux comparai- sons de ce genre pour peindre en particulier l'éclat du sang qui coule des blessures. Les membres couverts de flèches, ils brillaient tels qu’au printemps deux kirncukas couverts de leurs fleurs bigarrées 5. A voir le sang dont il était souillé, on eût dit un immense arbre kirnçuka en fleurs au milieu d’une forêt. Par le sang caillé de ses blessures, il ressemblait à l'arbre qui porte l’encens, quand il exsude sa racine odorante“. Bâli, que le fils de Danu labourait avec la pointe de ses cornes, parut bientôt comme un acoka tout en fleurs *. Et encore : Sous le coup des flèches décochéès la face rouge du singe 4. Raghu-Varcça, chant VIT, 11. Bhavabhüti a dit de même dans Mâlati et Mädhava : « De quelque côté qu’on porte ses regards, toutes les fenêtres de la ville paraissent garnies de lotus. » Acte IT, p. 35. 2. Raghu- Varñça, chant XVII, 36 et XVI, 7. On trouve déjà dans le Rämäyana, Sundarakända, LVIIT, 12 : « Les membres sans couleur comme un étang de lotus à l’arrivée des neiges. » 3. Mahäbhärata. Bhisma-Parva, 16682. 4. Rämäyana. Yuddhakända, LXXX VII, 7. — Aranyakända, XXVI, 28. 5. Kishkindhyakända, IX, 76. Ft plus loin : « L’Indra blessé des Rakshasas paraissait alors comme un acoka en fleurs, planté au milieu des armées. » Yuddhakända, LXXVII, 29. 6. Sundarakända, XXXIX, 22. — Yuddhakända, XIX, 68. Aïlleurs, il est aussi question de « gouttes de sang larges comme des fleurs de bandhujiva ». Et XX, 10: « On eut dit à les voir deux paläcas en fleurs. » Le bandhujiva est l'xora coccinea«. 470 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS brilla telle qu'en automne un nélumbo épanoui, frappé des rayons du soleil. Blessés par les traits empennés d’or, ces guerriers magna- nimes ressemblaient à des bouquets de bandhujiva. Les comparaisons tirées du règne végétal sont fré- quemment aussi employées par les poètes épiques pour peindre l’accablement causé par une grande douleur ou la chute des guerriers frappés dans le combat. Ainsi dans le Mahàäbhârata : Gandhari, épuisée par la douleur, tomba aussitôt sur la terre, comme une kadali coupée dans la forêt. Kunti effrayée se laissa tomber sur sa couche irréprochable comme une liane qu'on a brisée. Mordu par ce vil serpent, le père du roi Janamejaya tomba dans la mort, comme un arbre frappé par la foudre ?. Karna vit son frère tomber du char, comme un arbre en fleurs que le vent précipite de la cime d’une montagne ÿ. De même dans le Rämäyana * : Le Ràâkshasa, comme un arbre que le tonnerre a frappé, tomba sur la terre. Bharata s’affaissa tout à coup sur la terre, tel un arbre, sapé par la racine, tombe dans la forêt. Kàlidâsa a eu recours à la même figure” : Les fils de Daçaratha virentleurs deux mères tombées dans une 1. Éd. Foucaux, Le Mahäbhärata. Onze épisodes tirés dece poème épique. Paris, 1862, in-8, p. 253. 2, Vana-Parva, 17124. — Adi-Parva. 838. 3. Drona-Parva, 1717-18. Pavolini, p. 177. Et encore: « Dhri- tarâshtra tombe à terre comme un arbre superbe abattu par le vent ». &. Kishkindhyakända, XLVIIT, 22. — Yuddhakända, LXX VII, 115. 5. Raghu-Varñsca, chant XIV, 1. LES PLANTES DANS LA POÉSIE 471 condition lamentable depuis la mort de leurs époux, comme deux lianes, une fois sapé l'arbre qu'elles tenaient embrassé. Les poètes du Mahäbhärata et du Rämäyana com- parent encore le tremblement des membres émus à celui des feuilles. Le roi tremblait comme une feuille d’acvattha agitée par le vent!. Sità frissonnait, tremblante comme les feuilles du bananier au souffle du vent. — Vivement émue, Sità tremblait comme un bananier superbe qu’un éléphant a brisé?. 1. Adi-Parva, 7297. 2. Aranyakânda, VII, 2% et LIIT, 61. Plus haut, II, 17, le poète parle aussi d’Anasüyà « aux membres tremblants comme les feuilles d’un bananier au souffle du vent ». CHAPITRE V LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES ET DANS LE CULTE D'après les Rishis, l'univers se compose du ciel — le monde supérieur et lumineux — et de la terre — le monde inférieur —; entre lesquels s'étend le monde des nuages — ajas — ou l'atmosphère‘. La voûte du ciel — le firmament —, sur laquelle sont fixés les astres, sépare le monde invisible de la lumière du monde visible de l'atmosphère”. La région la plus élevée de cette dernière, celle des orages et de la pluie, était d’ailleurs souvent confondue avec la région infé- rieure du ciel*. Quant à la terre, un hymne védique‘ 4. Rig-Veda, lib. VIIT, 10, 6. — Roth, Die hôchsten Gôtter der arischen Vülker. (Zeitschrift der deutschen morgenlän- dischen Gesellschaft, vol. VI (1852), p. 675. — A.-A. Macdonell, Vedic Mythology, p. 8. (Grundriss der indo-arischen Philo- logie, vol. III, 1, A.). 2. Le ciel est représenté comme comprenant trois régions : une inférieure, une moyenne et une supérieure. Rig-Veda, Lib: 1 32, 6retwWEL, 37,15: 3. Rig-Veda, lib. I, 108, 9, 10 et VII, 87, 5. &. Rig-Veda, lib. I, 35, 8. Un autre hymne (X, 19, 8) divise LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES AT3 lui attribue trois continents, huit montagnes et sept fleuves. Cette cosmologie des Védas, toute primitive qu'elle est, subsista, dans ses traits principaux, durant les siècles suivants *. Toutefois, si la conception védique du ciel et de l'atmosphère resta à peu près la même, celle que les poètes des Puränas ou des épopées nationales et plus encore les écrivains bouddhistes se faisaient de la terre, bien que non moins mythique, est autrement compliquée. Pour eux la terre a la forme d'un disque aplati, terminé par une muraille circulaire de rochers. Quatre continents — dvipas —, suivantles écrivains bouddhistes de la Chine”, sept continents d’après le Vishnu et le Bhâgavata Purâna*, couvrent sa surface. Ils sont entourés par autant de grandes mers : la mer d'eau salée, celle de jus de canne et de vin, la mer de beurre clarifié, celle de caillé, enfin les mers de lait et d’eau douce‘. Les quatre continents des Bouddhistes étaient le Jambudvipa au Sud, le Videha à l'Est, l'Utta- rakuru au Nord et le Gadhänya à l'Ouest. Le plus vaste de tous, le Jambudvipa renferme neuf varshas la terre en quatre vastes continents. Cf. H.-W. Wallis, The cosmogony of the Rigveda. London, 1887, in-8, p. 112. 1. « Le ciel est la demeure des Dieux; l'atmosphère, le séjour des Bhütas ; la terre, le monde des hommes. » Bhâga- vala Purâna, b. XI, cap. 25, 12. 2. Samuel Beal, À catena of Buddhist Scriptures from the Chinese. London, 1871, in-8, p. 35. 3. Vishuu Puräna, Bb. I, cap. 2. Trad. H.-H. Wilson, vol. IT, p. 109. — Bhägavata Puräxa, lib. V, p. 16,7. Les Jaïinas, d’après M. de Milloué (Muséon, vol. III (1884), p. 197), pla- caient à l'Est le Bhärata, à l'Ouest le Videha et au Nord l'Ai- ravati. &, Vishnu Puräna, lib.\IT, cap. 2, vol. II, p. 109. 474 LES PLANTES CIIEZ LES HINDOUS ou territoires séparés les uns des autres par des mon- tagnes élevées. Celui du milieu est l'Ilävrita; tout autour sont rangés huit autres varshas, trois au Nord, entre autres le Kuru — l’'Uttarakuru des écrivains bouddhistes —, trois au Sud, dont le plus important, le Bhàrata, est l’Inde proprement dite, enfin l’un à l'Est et un autre à l'Ouest”. Au centre de l'Ilvrita se dresse le Meru « le roides Monts »; entièrement formé d’or, il a la forme d’un tronc de cône renversé, mesurant 32000 yojanas de diamètre au sommet et 16000 seulement à la base *. Le Vishnu et le Bhâgavata Puràna le comparent au fruit du lotus, dont les huit varshas, qui entourent l'Iävrita, sont comme les pétales. D’après le Padma Puräna, le Meru ressemble à la fleur du datura. Quatre monts, le Mandara, le Merumandara, le Supärçva et le Kumuda lui servent de contreforts”. Le Bhâgavata Puràna place un lac sur chacun de ces monts: un de lait, un autre de miel, un lac de suc de canne, enfin un lac d’eau pure“. L'un de ces lacs, d’après le Vishnu Puräna, était le Manäsa — l’Anotatta du Séryodqa- mana-suûtra” —, lac célèbre dans les légendes et la poésie hindoues ; il était entouré de tous côtés par des montagnes. Des montagnes, restées célèbres aussi, for- maient également la limite des divers varshas ; telles l'Himavat au Sud de l’'Ilävrita et le Gandhamädana à 4. Bhâgavata Puräna, lib. V, cap. 16, 6-9. 2. Vishau Puräna, lib. Il, cap. 2. — Bhâgavata Puräna, lb N;1cape16;7. 3. Le Vishnu Puräna substitue le Gandhamädana au Meru- mandara et le Vipula au Kumuda. Lib. I], cap. 2, p. 115. 4. Bhâägavata Puräna, lib. V, cap. 16, 12 et 1%. 5. Spence Hardy, À manual of Buddhism. London, 1886, in-8, p. 15-16. 1] LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 475 l'Est; il faut mentionner encore le Citraküta et le Kailâsa, qui a conservé son nom jusqu’à aujourd’hui. Des forêts immenses couvraient ces montagnes. Tel était, d’après les croyances des anciens Hindous, le séjour des hommes et de tous les êtres animés ; tel était aussi celui des Dieux, dont leur fertile imagination avait peuplé l'univers. Les divinités du Panthéon hindou étaient de simples personnifications des forces ou des phénomènes de la nature ‘; mais elles étaient loin d’avoir toutes la même puissance ; parmi elles s'en trouvait une — non tou- jours la même et qui varia suivant les temps —, supé- rieure aux autres et regardée comme le dieu suprême, père et maitre de l'univers et créateur de tous les êtres qu'il renferme. A l’origine ce Dieu fut, comme chez les autres nations indo-européennes, le ciel lumineux — Dyaus pitar, Zebs rare, Ju-piter * —, qui, uni à la Terre — Prithivi « la large » —, a fait et conserve tous les êtres. Mais Dyaus ne garda pas longtemps ce rang élevé ; il finit par le céder à Varuna* — l'Obsaves des Grecs — de même origine que lui, puisqu'il person- nifiait la voûte céleste. « Roi des Dieux, des hommes et de tout ce qui existe », « maitre du ciel et de la terre », « souverain arbitre » — asura — de l'univers", Varuna a été parfois identifié à Ahura Mazda”. Ainsi 1. Macdonell, Vedice Mythology, p. 2. 2. Leopold von Schroeder, /ndiens Literatur und Kultur, p. 22. — Macdonell, Vedie Mythology, p. 21. 3. Rig-Veda, lib. I, 159, 2 et 160, 2 et 4. — J. Muir, Original Sanscrit Texts, vol. V, p. 21 et suiv. — Lefmann, Das alle Indien, p. 44. &. Rig-Veda, lib. I, 25, 20: II, 27, 10; V, 85,1; VII, 87, 6. 5. J. Darmesteter, Le dieu suprême dans la Mythologie aryenne. (Essais orientaux. Paris, 1883, vol. Il, p. 105). — 476 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS que lui, il ne régnait pas seul; il partageait le gouver- nement du monde avec les Âdityas, « ses espions », qui rappellent les Amshapands de la mythologie ira- nienne, abstractions personnifiées presque toutes sans importance, mais dont l’une, Mitra — le Mithra des Perses — apparait comme son auxiliaire inséparable *. Gardien comme lui et souverain du monde, Mitra semble avoir plutôt présidé au jour, tandis que Varuna régnait sur lanuit?. Tous deux d’ailleurs, ainsi qu'Arya- man et les autres Âdityas *, n'étaient point regardés comme éternels ; ils étaient fils d’Aditi, « l'immen- sité » ‘. En même temps que l’un des Âdityas, Mitra était aussi Dieu solaire ; mais il ne représentait pas à lui. seul le soleil; cet astre était surtout personnifié en Sürya, Savitri et Vishnu : Sürya, le fils de Dyaus”, qui éclaire de ses rayons le firmament et connait tout; Savitri, l’asura « aux yeux d’or », qui éclaire par sa présence le ciel et la terre et vivifie toutes les créa- Ph. Collinet, Divinité personnelle dans l'Inde ancienne. (Mu- séon, Vol. IT (188%), p. 141.) C’est au contraire à Dyaus que P. von Bradke (Dyaus Asura, Ahura Mazda- und die Asuras. Halle, 1885, in-8, p. 80), semble identifier le dieu suprême des Jraniens. 4. Rig: Veda, lib. V; 62, 3; 69, Acette NA GIEES 2. Rig-Veda, lib. VIIF, 25, 1. — A. Hillebrandt, Varuna und Mitra. Breslau, 1877, in-8, p. 44-53. — Muir, Sanscrit Texts, vol. V, p.58. — A. Bergaigne, Les Dieux souverains de la Religion védique. Paris, 1877, in-8, p. 116. 3. Bhaga, Daksha et Arnça. A. Barth, The Religions of India. London, 1882, in-8, p. 19. 4. Rig-Veda, Üb. VII, 25, 3; 47, 9. — Muir, V, 37-38. 5. Rig-Veda, lib. X, 27, 1: 1, 50, 1 et 4. — A:-Barth, The Religions, p. 20. — Edmund Hardy, Die vedish-brahmanische Periode der Religion des alten Indiens. Münster i. W., 1898, in-8, p. 29. — Macdonell, Vedic Mythology, p. 30. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 417 tures'; Vishnu, «l’agile », l'ami d’Indra, qui parcourt le monde en trois pas”. Enfin le dieu pasteur et bien- faisant Pushan, « protecteur du monde * », était encore une personnification du soleil, tel qu'un peuple d'agri- culteurs avait pu aimer à se figurer Je dieu de la lu- mière*. Parmi les autres divinités célestes, il faut encore citer Vivasvat, le Ciel ou le Soleil personnifié, organisateur du culte et l'ancètre du genre humain ; Ushas, l’Aurore, fille brillante du Ciel et épouse du Soleil®, si souvent chantée par les Rishis, et les Acvins divinités secourables et propices aux mortels’, qui annoncent la venue de l’Aurore. Les divinités de l'air n'étaient pas moins nombreuses que celles du ciel; au premier rang figurait Indra, personnification des éclairs et de la foudre, qui, après avoir été l’auxiliaire de Varuna, finit par lui enlever son antique suprématie, et devint le dieu national des Hindous*. Vainqueur de Vrita et défenseur des Dieux, il fait trembler les deux mondes, soutient et gouverne la terre et le ciel”. Créateur du soleil et de l'aurore‘, 4. Rig- Veda, lib. I, 35, 7 et 8; II, 38, 1. 2. Rig-Veda, lib. 1, 22, 17. — H. Oldenberg, La Religion du Véda. trad. V. Henry. Paris, 1903, in-8, p. 191. 3. Rig-Veda, lib. X, 17, 3. 4. L. v. Schroeder, op. laud., p. 58. ®, J. Ehni, Der vedische Mythus des Yama. Strassburg, 1890, in-8, p. 19-26. 6. Rig-Veda, lb. VIT, 75,6. — Macdonell, Vedic Mythology, p- 46° 7. Rig-Veda, lib. I, 112, 116, 118. — L. v. Schroeder, op. laud., p. 54. 8. Muir, op. laud., p. 72 et 139. — A. Barth, The religions, p. 12. — L. v. Schroeder, op. laud., p. 59. — Macdonell, Vedic Mythology, p. 54. 9., Rig-Veda, lib. IV,19,1-3; VIII, 86, 14 ; IT, 12, 1-2; VI, 80, 5. 10. Rig-Veda, lib. V, 37, 4-5. 478 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS . c'est lui qu'invoquent les armées en marchant au combat, et invincible lui-même, il rend invincibles ses adorateurs. A côté d'Indra, le dieu de l'orage, prenaient place Vâäyu et Vâta, les dieux salutaires du vent’, puis Rudra, le dieu rapide et terrible, mais bienfaisant aussi, de la tempête”, ainsi que les Maruts, ses fils, personni- fications des ouragans et des éclairs, associés d'Indra dans sa lutte contre Vrita”; enfin Parjanya, dieu antique de la pluie et du tonnerre, créateur des plantes, qui fait penser au Perkunas lithuanien*. La terre avait aussi ses divinités non moins puis- santes que celles de l'air et du ciel; les deux princi- pales étaient Agni et Soma. Agni est le feu que recèle les plantes, celui qui brûle au foyer et sur les autels ; mais il est aussi engendré par l'éclair dans la nue, et, personnification du soleil, il brille au matin dans le firmament. Ainsi comme à la terre, il appartient à l'atmosphère et au ciel. Regardé parfois comme fils de Dyaus et de Prithivi, son rôle dans le sacrifice l’a élevé au rang des Dieux les plus grands de l’âge vé- dique; il est invoqué comme l'organisateur du monde et la source de toute vie’. Soma, le jus enivrant qui, 1. Muir, op. laud., vol. V, p. 143-146. — Macdonell, op. aud., 822 2. Rig-Veda, lib. X, 103, 8; IT, 33, 7. 3. Rig-Veda, lib. VII, 65, 2-3. — Macdonell, op. laud., p. 77-81. 4. Barth, op. laud., p, 14. — Schroeder, op. laud., p. 66. — Macdonell, op. laud., p. 83-85. — G. Bühler, Orient und Occi- dent, vol. I (1882), p. 226. 5:.Rig-Veda; lib. Il,,2,2;.25, 4,/ete! 6. Rig-Veda, lib. IN, 6, 5; X, 88, 4. — Muir, op. laud., vol. V, p.214. — Macdonell, op. laud., p. 89-100. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 479 exprimé de la plante de ce nom, est offert aux Dieux, a été non seulement personnifié, il est comme le haoma iranien, devenu lui-même un dieu immortel et même le plus puissant des Dieux védiques, leur père et leur créateur ‘. En même temps que ces dieux souverains, prirent naissance une foule de divinités secondaires plus ou moins puissantes ou connues. Tels Tvashtri, le Vulcain bindou, divin artisan, qui, habile dans tous les arts, connait aussi tous les êtres, dans leur diversité infinie, les a tous créés et les nourrit et conserve tous? ; Bri- haspati ou Brahmanaspati, le maïtre et l'inspirateur de la prière, qui, du haut du ciel, maintient l’ordre dans l'univers® et partage les principaux attributs d'Agni, de Soma et d’Indra. Tels encore Trita et Mâta- ricvan, d'origine incertaine; le premier, peut-être divinité atmosphérique, fut l’auxiliaire d'Indra dans sa lutte contre Vritra, et devint aussi de bonne heure le compagnon d'Agni et des Maruts; le second fit jaillir Agni du sein du bois qui le récèle et, Prométhée hindou, apporta le feu du ciel sur la terre‘. La mythologie hindoue n'éleva pas seulement au rang des Dieux les forces personnifiées de la nature ; vers la fin des temps védiques, elle déifia encore de simples abstractions. Prajäpati, épithète personnifiée de Savitri et de Soma, devint le dieu de la fécondité”, et fut plus tard regardé comme le principe et le sou- 1. Rig-Veda, lib. I, 43, 9; IX, 73, 1 et 42, 4. — Muir, op. laud., vol. V, p. 266-67. Rig- Veda, lib. II, 55, 19; IV, 42, 35 X,53, 9. . Rig-Veda, lib. II, 23, 1-4; I, 40, 5 et 90, 1-4; IV, 50, 4. “hag-Vèda; lib. VIIL, "7, 24; ÎlF, 2,249; X, 128,2. . Rig- Veda, lib. X, 169, 4 et 18%, 1. bo O1 + © 480 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS tien de l'univers‘. L'épithète d'Indra et du soleil dans deux hymnes du Rig-Veda?, Viçvakarman « produi- sant tout », est devenue, en se personnifiant, le créa- teur et l'organisateur des mondes, l'architecte de l'univers, le père des hommes. Dans l’Atharva-Véda ”, Rohita « le rouge », qualificatif du feu ou du soleil, est le créateur du ciel et de la terre. Ucchishta, les restes du sacrifice, sont représentés, dans un hymne du même recueil’, comme ayant donné naissance à tout ce qui respire, ainsi qu'à tous les Dieux du ciel etaux hommes. Cette tendance ne fit que se généraliser; la colère, surtout la colère redoutable d'Indra — Manyu —, la la faveur des Dieux — Anumati —, la piété — Ara- mati—,etc., furent tour à tour personnifiées. Un hymne védique est consacré à la louange de la bonne foi — Craddhà — ; on l’invoquait le matin, à midi et le soir”. Le Désir — Kâma —, le premier mouvement, dit un rishi®, qui naquit dans le cœur de l’Étre appelé à la vie, apparait dans l’Atharva-Véda comme le premier né et le plus grand des Dieux; il abat sous ses coups les ennemis de celui qui l'implore; mais ses flèches servent aussi à un dessein moins cruel; si elles per- cent les cœurs, c’est pour lesrendre sensibles à l'amour, et c’est aussi comme Dieu de l'amour seulement qu'il est chanté par les poètes de l’âge suivant, Ainsi que le . Calapatha Brâähmana, lib. 11,2, 4, 1; VI, 8, 10, 14. bib to 2;:/82, 2 ets. . Lib. XIII, 1, 6. — Muir, op. laud., vol. V, p. 395. 2 HD Re 27° Rig-Veda, lib. X, 83 et 84; 59, 6 et 167, 3; 151. Rig-Veda, lib. X, 129, &. Atharva- Veda, lib. IX, 2, 10-11 et 19 ; IT, 25, 1-2. IA D = LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 481 Désir, le Temps a été personnifié; un poète de l’Atharva- Véda le représente comme un coursier infatigable et aux mille yeux, le promoteur et l'arbitre de l’univers!. Bien d’autres abstractions sont personnifiées dans l’Atharva-Véda, ou l'ont été plus tard ; c’est ainsi que Skambha, le support de l'univers, créé par Prajàäpati, est devenu pour un poète du recueil sacré le Dieu tout puissant *. Le Panthéon védique renfermait des déesses non moins nombreuses que les Dieux; les unes indépen- dantes ou isolées dans leur rôle particulier ; les autres épouses des Dieux, dont elles partageaient la grandeur et les attributs. Telles, parmi les premières, Ushas, l’Aurore, que nous connaissons déjà, et, parmi les escondes, Indranïi, l'épouse obscure d’Indra; Prishni, la mère des Maruts ; Sûryà, la fille du soleil et l'épouse des Acvins *; Sarasvati, déesse de la rivière de ce nom et épouse du dieu Sarasvat, transportée au ciel, d'où elle descend pour le sacrifice à la prière de ses adorateurs*; Lakshmi, qui, inconnue des Védas, en tant que divinité, apparait, dans l’âge suivant, comme l'épouse de Vishnu. Outre les innombrables divinités dont je viens de parler, des génies ou êtres mythiques non moins nom- breux avaient pris place dans le Panthéon védique. Tels sont les Ribhus, fils de Manu. élevés au rang suprème pour leur merveilleuse habileté et en récom- pense des services qu’ils avaient rendus aux immortels”. Lib. XIX, 53, 1, 8 et.9. . Lib. X, 8, 2. Cf. Macdonell, op. laud., p. 120. . Rig- Veda, lib. I, 119, 5; IV, 48, 6; X, 39, 11. . Rig-Veda, lib. V, 43, 11; VIII, 145, 3-4. - Rig-Veda, lib. INT, 60,1 et 4; IV, 35,13: Jorer. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 31 Où F © D —= 482 LES PLANTES CIIEZ LES HINDOUS Les Gandharvas aux formes demi-animales — on les a assimilés aux Centaures — ont été également transportés au ciel, où ils détiennent le Soma; mais on les à regardés aussi comme habitant au milieu des eaux ', et les poètes épiques en ont fait les musiciens célestes ; comme tels nous les rencontrerons à la cour d'Indra, en compagnie des Apsaras. Divinités des eaux, au milieu desquelles elles aiment à se jouer, celles-ci errent parfois aussi dans la région des nuages et des éclairs *. Le Catapatha-Brähmana les représente comme se transformant à leur gré en oiseaux aquatiques et en fait les compagnes des Gandharvas”. Toutefois elles accordent aussi à l’occasion leur amour à des mortels. L'union d'Urvaçi et de Purüravas, connue déjà dans les derniers temps védiques, est restée célèbre dans la poésie hindoue *. Au-dessous de ces génies ou demi-dieux, la mytho- logie hindoue connaissait encore d’autres êtres my- thiques, héros ou prêtres, que la reconnaissance popu- laire avait immortalisés. Tels furent les Bhrigus, qui, après avoir reçu le feu des mains de Matariçvan, le déposèrent au sein du bois, et le placèrent, comme un trésor, dans la demeure des hommes”; Atharvan, ancien prêtre, qui, lui aussi, fit jaillir Agni du bois qui le recélait, et, le premier, établit l’ordre sur les 1. Tailliriya-Samhitä, lib. VI, 1, 16. — Rig-Veda, lib. X, 10, 4. 2. Atharva-Veda, lib. II, 2, 3-4. 3. Lib-eXI,:5, 1, 4: XIIT, 4, 3, 7-81 4. Rig-Veda, lib. X, 95. — Vishau-Puräna, lib. I, cap. 6. — K. Geldner, Purüravas und Urvari. (Vedische Studien. Stutt- gart, 1888, in-8, vol. [, p. 243). 5. Rig-Veda, lib. I, 58, 6; VI, 15, 2: X, 92,40. + LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 483 sacrifices ; les Arigiras, musiciens consommés, à qui leur piété fit obtenir l’immortalité et l'amitié d’Indra’. Les hommes, d’après la tradition védique, avaient une origine divine ; Manu, le père de la race, était fils de Vivasvat. Instituteur du sacrifice, le premier il pré- senta une offrande aux Dieux et, grâce à sa piété, _échappa au déluge”. Yama — l’Yima des légendes iraniennes — était, lui aussi, fils de Vivasvat et par- tant frère de Manu; mais tandis que celui-ci est le père des vivants, Yama, le premier qui ait « parcouru la route d’où il n’y a pas de retour », est le roi qui règne sur les Morts ; élevé au rang suprême, il réside au ciel au milieu des Dieux, où les Rishis nous le mon- trent accueillant les ancêtres et Jeur préparant leur dernière demeure *. Pour terminer cet exposé de la religion védique, il me faut dire un mot des génies ou êtres malfaisants qu'elle opposait aux Dieux et aux génies bienfaisants, dont je viens de parler. Ce sont d’abord les Asuras, dieux déchus de leur grandeur première et relégués, comme démons, du ciel dans les régions souterraines, ils règnent dans la nuit; d'égaux aux Immortels deve- nus leurs ennemis, ils sont éternellement en lutte avec eux‘. Puis viennent les Panis, démons puissants de l'air, dont le plus célèbre est Vritra, l'adversaire prin- cipal d'Indra, serpent immense qui repose au milieu des Eaux célestes; on peut y joindre, parmi bien 1. Rig- Veda, lib. VI, 16, 13; X, 62, 1 ; 92, 10. 2. Rig-Veda, lib. X, 63, 7. — Catapatha-Brâähmana, lb. I, 8, 1. — Macdonell, op. laud., p. 14. 3. Rig-Veda, lib. IX, 113, 8; X, 14; 135, 1. — A. Barth, The Religions, p. 22. 4. Catapatha-Brâhmana, lib. II, 4, 2, 5. — Tailtiriya-Sam- hutg hb. h°5,9, 2: \ , 48% LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS d’autres, Namuci, autre génie malfaisant, qui, comme Vritra, tomba sous les coups d’Indra'. Enfin les démons terrestres si célèbres dans les légendes et la poésie sous le nom de Räkshasas, monstres aux formes hideuses, ennemis des mortels, comme les Asuras et les Panis le sont des Dieux ?; puis les Yâätus, génies apparentés aux Räkshasas, et les Piçcäcas, démons non moins malfaisants et redoutables que les der- niers *. Telle était la théogonie des Védas ; elle subsista, en se modifiant, pendant les siècles qui suivirent. De nou- velles divinités secondaires prirent place autour des grands dieux ; quelques-uns de ceux-ci changèrent d’attributs ; d’autres s’unirent entre eux. Ainsi dés l’époque des derniers Védas, Varuna, l'antique dieu du ciel, devint le souverain des eaux et des mers ‘ ; Soma, le breuvage divin, apparait dans l’Atharva comme la personnification de la lune”; Agni, Vâyuet Sûürya — le feu, l'air ou le vent et le soleil — forment une première triade sous la suprématie de Prajäpati*. Malgré ces changements, les Dieux des Védas conti- nuérent toutefois d'être adorés dans l’Inde ancienne ; mais ils durent partager l'empire du monde avec des Dieux inconnus jusque-là ou négligés, qui finirent par les rejeter dans l'ombre. 1--Rig-Veda, lib. T 12451450 41040) 2. Rig- Veda, lib. V, 30, 7; VII, 19, 5; VIN, 10% 2122; 3. Oldenberg, La Religion du Véda, p. 222, note 1. — Mac- donell, op. laud., p. 163-164. &. Rig-Veda, lib. VII, 64, 2. — Hillebrandt, Varura und Mitra, p. 40 et 83. — Oldenberg, La Religion du Véda, p.169. 5. Atharva-Veda, lib. XI, 6, 7. — Catapatha-Brâhmana, ip. LÉ XL 1, 3,2. 6. A. Barth, op. laud., p. 41. — E. Hardy, op. laud., p. 85. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 485 L'idée abstraite de prière, Brahman, élargie et con- sidérée comme l'équivalent de la sainteté, du divin, de l’absolu en soi, devint, sous le nom de Brahmà, la personnification de l'âme universelle, le dieu créateur et conservateur du monde”. Mais ce dieu suprême ne régna pas longtemps seul dans les hauteurs inacces- sibles du ciel; à côté de lui prirent place deux anciens Dieux, d’un rang secondaire à l’origine, mais qui, gràce en partie à la révolution religieuse suscitée par Càkya- muni, arrivèrent au premier : Civa et Vishnu. Parmi les divinités védiques, Rudra, le père des Maruts, avait été un des plus souvent invoqués par les Rishis ; il ne cessa pas de l'être dans l’âge suivant, sous les noms les plus divers, et, loin de diminuer, son crédit alla augmentant; dans la Maitrâäyänisarnhità, il est devenu le « grand Dieu » — Mahàdeva — et aussi le « dieu bon » ou « gracieux » — Çiva * —. C’est sous ce dernier nom, qui fit oublier celui de Rudra, qu’il atteignit au rang suprême. Le Mahàäbhà- rata le célèbre comme la cause innée des mondes, le principe de tous les êtres, le créateur de l'univers *. Son culte était surtout répandu dans la région monta- gneuse du Nord-Ouest; il portait lui-même le surnom de Girica, « seigneur de la montagne », et avait pour épouse Umà — Durgà ou Pàrvati — fille d'Himavat ; on le regardait comme trônant sur le Kaïläsa, entouré de divinités nouvelles : Skanda, son fils adoptif et le dieu de la guerre; Ganeça, le «chef de ses trou- pes », l’inspirateur des bons conseils, plus tard le 1. A. Barth, op. laud., p. 92. — L. v. Schrœder, op. laud., &, 2. L. v. Schroeder, op. laud., p. 344-346. Drona Parva, v. 2838 et suiv. 486 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS protecteur des arts et des lettres ; Kubera ou Kuvera, le dieu de la Richesse, d’autres encore auxquels il faut ajouter de nombreux génies: Yakshas, Bhütas, etc., ennemis des hommes”. Vishnu n’était qu'un dieu secondaire pour les Rishis, et il resta tel pour les auteurs du Yajur-Véda et des Brähmanas; ces recueils cependant lui donnent un titre qui prépara sa grandeur; ils l'identifient avec le sacrifice. Il semble qu’en même temps il se confondit avec plusieurs divinités indigènes dont il usurpa les attributs?. C’est ainsi que peu à peu il fut élevé au rang suprème. Dans le Mahäbhärata, 1l est en pleine possession de cet honneur, et le Puräna, qui porte son nom, nous le montre comme le protecteur des Dieux vaincus par les Asuras, l’âme de l'univers, la cause des causes, le principe de toutes choses, le centre, le con- servateur du monde”. Dépouillant son caractere so- laire, il se retire dans un mystérieux éloignement ; là, suivant qu'il veille ou s’abandonne à un sommeil mys- tique, il donne la vie à de nouveaux êtres ou les rap- pelle à lui. On le faisait trôner à Vaikuntha, en Com- pagnie de son épouse Cri ou Lakshmi, déesse de la beauté *. Brahmà, Vishnu et Civa sont les trois grands dieux de l'Hindouisme; tous trois également puissants et égaux entre eux, ils se confondirent en un seul être, et formèrent une triade — frimuwrti —, qui domine le Panthéon de l’Inde moderne. Les dieux védiques, pro- scrits par le Bouddhisme, subsistèrent néanmoins, 1. A. Barth, op. laud., p. 163-165. 2. L. v. Schroeder, op. laud., p. 325-327. 3. Vishau-Puräna, lib. INT, cap. 17 et lib. V, cap. 1. 4. A. Barth, op. laud., p. 168-169. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 487 quoique à un rang inférieur; ils veillent sur l'univers, dont Brahmà, Vishnu et Civa sont les créateurs. Les gardiens des huit régions du monde, les Lokapälas, sont Indra, qui règne sur l'Orient; Yama, sur le Midi ; Varuna, sur l'Occident; Kubera, dieu nouveau, qui veille sur le Septentrion, puis Agni, Sürya, Väyu et Soma, qui président aux contrées intermédiaires Si Vishnu à pris rang, comme Brahmà, parmi les grands Dieux de l'Inde, c'est en s’incarnant en Krishna qu'il est devenu, ce que ne fut jamais Brahmà, une divinité populaire et nationale. Par son caractère hé- roïque à la fois et humain, par ses exploits, comme par ses faiblesses, le fils de Vasudeva et de Devaki était bien fait pour séduire l'imagination hindoue ; aussi ne tarda-t-il pas à détrôner le dieu, dont il n’était que l’incarnation et il en usurpa tous les titres ; comme lui, « il est la beauté suprème, le premier principe, l'âme universelle, le maitre et le protecteur du monde; immuable, éternel et incréé, dont le nom est inconnu, la nature insondable et l’univers, la forme visible *. » Des bords de la Yamunà, où il avait pris naissance, son culte se répandit rapidement dans presque toute la Péninsule; Mégasthène, qui le trouva établi dans la plaine gangétique, a fait de Krishna un Hercule indien, comme il a cru reconnaître dans Civa le Dio- nysos grec. La légende de Râma, en qui Vishnu s’est incarné pour affranchir le monde de la tyrannie des Räkshasas, L L. von Schroeder, op. laud., p. 559 et 368. Bhägavata-Puräua, Gb. X, 1, cap. 10, 29-31. — Vishnu- En. hbe(Weap. 18: 3. Fr agmenta, cap. 9, éd. C. Müller. — Düncker, Geschichte des Allerthums, vol. IL, p. 325 et 329. 488 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS comme il est descendu en Krishna, afin de délivrer les Dieux de la crainte des Asuras, est loin d’avoir la même importance mythique et religieuse que celle du prince des Yâdavas ; le fils de Daçaratha n'est guère qu'un personnage épique ; les Hindous le regardent comme un ami et un personnage bienfaisant', non comme un dieu, et ils ne lui rendent pas de culte. Les forces de la nature, les phénomènes et les corps célestes n'avaient pas seuls été personnifiés par les Hindous; tous les êtres, les objets les plus ordinaires eux-mêmes : armes, ustensiles et vases du sacrifice, etc., avaient pris à leurs yeux quelque chose de surnaturel*. Nous avons vu la terre — Prithivi — déifiée à l’égal du ciel ; les montagnes furent considérées comme ani- mées par un génie particulier *; les eaux — dpas — et les rivières mêmes étaient l’objet d’un culte qu'expli- quent leurs propriétés et leur indispensable utilité. Les vertus salutaires, possédées par un si grand nombre de plantes — oshadi —, leur emploi dans l’alimenta- tion, leurs nombreux usages, leur firent attribuer éga- lement un caractère divin; les grands arbres surtout, 1. Wilkins, Zindoo Mythology, s. v. Il faut dire toutefois que dans le Bhâgavala-Puräna, Räma est regardé comme le frère et l’égal de Krishna : « Vous êtes l’un et l’autre la cause su- prême de l'Univers... l’âme du monde », leur dit le fleuriste Sudâäman. Lib X, cap. 41, 46-47. | 2. Dans le Vishzu-Purâna, lib. V, cap. 6, on voit Yacodà honorer avec des fleurs, des fruits, du lait frais et du caillé, des débris de pots et une voiture renversée. 3. Le Vishuu-Puräna, lib. V, cap. 10, recommande d’ho- norer les montagnes « dont les esprits errent dans les bois sous la forme qui leur plait ». LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 489 « les seigneurs de la forêt » — vanaspati, — étaient un objet de vénération spéciale”. On croyait qu'un génie ou une divinité particulière résidait en eux, et qu'il en faisait sa demeure habituelle, et veillait sur eux et leur entourage”. Le Bodhisattva, dans ses nom- breuses incarnations, avait été 43 fois l'esprit d’un arbre ; tantôt d’un ämalaka, d’un arjuna ou d’un asana, tantôt d’un campaka, d’un kuravaka ou d’un karni- kàra ; ou bien d’un bambou, d’un nâga ou d’un pari- jàta, d’autres fois d’un pâtali ou d'un pundarika, d’un priyañgu ou d’un çàla, d’un cirisha ou d'un ricin, ou bien encore d’un nimba, d'un paläca ou d'un calmali; enfin d’un udumbara, d'un nyagrodha et d’un acçvatha et même d’une toufle de kucça*. Il est question à chaque instant, dans la légende du Buddha, des génies des arbres. Une fois le démon Pàpiyàäna, poussé par l'envie, afin d'empêcher le Buddha de sortir d'un étang où il était entré, en suréleva à l'excès les bords ; mais la divinité d’un grand kakubha, qui croissait sur la rive, abaissa une branche de cet arbre ; le Buddha s’y appuya et sortit de l’eau‘. Non moins touchante est l'histoire de la divinité de l'arbre du bois de Véluvana, qui se changea un jour en écu- reuil pour réveiller le roi de Räjagaha, qu'un nàga était sur le point de mordre”. Pendant que Gautama, en attendant l'illumination suprême, était assis sous 1R19-Veda, Ub:1,:90,,8; VIL, 34, 22: X 68,8: 2. W. Crooke, The popular Religion and Folklore of nor- thern India. Westminster, 1896, in-8, vol. II, p. 8%. 3. Buddhist Birth Stories, p. ci, 40-51, 212, 228, 230, 317. — The Jâtaka, vol. I, p. 187, 253, 307, 311 ; III, 240 ; IV, 97, etc. h. Le Lalita Vistara, traduit par Ph.-Ed. Foucaux. Paris 1880, in-4, vol. I, chap. xvur, p. 229. 5. Spence Hardy, À manual of Buddhism, p. 198. 490 LESVPLANTES CHEZ LES HINDOUS l'arbre de l’Intelligence, les quatre divinités de l'arbre’ vinrent lui rendre hommage. Et lorsque Açoka, visi- tant les lieux que le Buddha avait sanctifiés de sa pré- sence, pénétra dans le bois de Lumbini, la divinité du plaksha, à l'ombre duquel le Réformateur était né, apparut au roi « sous sa propre figure », pour rendre hommage au Maître, dont la premiere elle avait con- templé la splendeur et entendu les premières paroles ?. Les esprits des arbres interviennent souvent dans les Jàätakas*:; tel celui d'un nimba, qui favorise la fuite d'un voleur, pour qu’on ne le pende pas aux branches de cet arbre, ou l'esprit d’un càala, qui empêcha les architectes du roi Brahmadatta de faire couper l'arbre dans lequel il habitait. Dans un autre jàtaka, c'est le 3odhisattva, qui, changé en caméléon, préserve de la destruction l'arbre que, au désespoir de l'esprit qui y résidait, le charpentier du roi voulait abattre pour refaire la poutre centrale du palais. On trouve aussi dansle Pañcatantra* l'histoire d’un sissou, qu'un tisse- rand se proposait de couper, mais que le génie, qui en fai- sait sa demeure, parvint à sauver de la destruction. Dans un conte du Aathä Sarit Säqara deux femmes à l’ex- térieur céleste, qui habitaient un banian, offrent au roi Cridarçana des racines et des fruits ”. Sans en être les esprits, les génies de la terre et de 1. Venu, Valgu, Sumanas et Ojopati, Lalita Vistara, vol. I, Cap. XIX, p. 239. 9. E. Burnouf, /ntroduction à l'histoire du Buddhisme, p. 341, 2e édition. 3. Jâtakas 311, 465 et 121. Stories of the Buddha’s Births, vol tp 267E01Lt231et1V,197; &. Lib. V, 5. Trad. Lancereau, p. 333. 5. The Kathà Sarit Sâgara or Ocean of the Streams of Story, transl. by C.-H. Tawney. Calcutta, 1884, in-8, vol. IF, p. 218. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 191 l'air recherchaient le séjour des arbres ; ils affection- nent surtout celui des figuiers à l’épais feuillage. D’après lAtharva-Véda', les Apsaras se plaisent dans les acvatthas et les nyagrodhas, et l’on entend leurs cymbales et leurs luths résonner au milieu des bran- ches ; elles aiment également, ainsi que les Gandhar- vas, à résider dans les udumbaras et les plakshas *. Les Ràkshasas se cachaïient parfois aussi dans les arbres pour guetter les passants*. Non seulement les arbres isolés, mais les forêts avaient leur divinité tuté- laire spéciale, qui en personnifiait en quelque sorte la solitude ; c'était Aranyäni, « mère des bêtes sauvages, comme chante un rishi‘, productrice d'aliments variés, encore qu'elle ne laboure pas ». Comme tous les êtres, les plantes avaient une ori- gine surnaturelle; elles devaient leur naissance aux Dieux, et les Dieux veillaient sur leur croissance et leur conservation. D'après un hymne védique”, les plantes seraient descendues du ciel, et c’est Brihas- pati qui les a produites. Quand, au commencement des Temps, raconte un des Purènas, Brahmà tira des différentes parties de son corps les animaux, des poils qui le couvraient sortirent les herbes, les racines et les fruits. Une autre légende du même Puràna rapporte que Prithu, ayant recueilli dans ses mains le lait de la Terre, créa toutes les espèces de grains et de légumes 1. Lib. IV, 37, 4-5. 2. Tailtiriya-Sarñhità, lib. HI, cap. 4, 8, 4. Cf. Macdonell, op. laud., p. 134. 3. W. Crooke, The popular Religion of northern India, vol. I, p. 348. 4. Rig- Veda, lib. X, 146, 6. — Macdonell, op. laud., p. 154. 5. Rig- Veda, lib. X, 97, 17 et 19. 492 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS dont vivent les hommes”. Suivant une autre tradition, lorsque parut le quatorzième Manu, la pluie tomba sur la terre et toutes les espèces végétales utiles pous- sèrent alors : le blé pour nourrir les hommes, le coton pour les vêtir, les fleurs avec leur parfum *. Les divi- nités des Eaux passaient pour avoir, sinon créé les plantes, du moins pour présider à leur croissance. « Parjanya, chante un rishi”, en versant des torrents de pluie sur la terre, a produit les plantes pour l’uti- lité générale ; il en a formé le germe et il les fait croi- tre. » Mitra et Varuna, qui envoient la pluie ici-bas, font également pousser les plantes. Rudra, qui règne sur les Eaux, fut aussi regardé comme le seigneur des champs et des arbres * Le caractère divin attribué aux plantes dans l’Inde ancienne explique le rôle mythique qu’elles jouent dans les traditions nationales, ainsi que la place considérable qu’elles occupent dans les légendes des dieux, surtout des dieux de l’époque postvédique : Vishnu et Krishna. Le lotus et la tulasi sont étroitement unis à la légende de ces divinités. Tandis qu’il méditait sur la mission qu’il avait à remplir, racontent les Puränas”, Vishnu tomba dans un sommeil mystérieux; et alors de son nombril sortit un lotus, qui avait l'éclat de mille soleils, et au milieu duquel apparut Brahmà. La légende singulière du barattement de l'Océan est > 1. Vishnu-Puräna, lib. I, cap. 5 et 13. 2. A. de Gubernatis, La Mythologie des Plantes, vol. I ).11959% 3. Rig- Veda, lib. V, 83, 10; lib. VIT, 101, 1-2 et 102, 2. k. Rig-Veda, lb. V, 62, 3. — Oldenberg, op. laud., p. 169 et 186. ». Bhäguvata-Puräxza, lib. II, 20, 16. ) LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 493 aussi liée étroitement à celle de Vishnu et aux légendes végétales. Le grand saint Durvâsas, ayant un jour rencontré une nymphe de l'air parée d’une couronne de fleurs, la lui demanda; elle s’empressa de la lui donner. Et Durväsas, après l'avoir mise sur son front, continua son chemin. Peu après il aperçut Indra, qui s'avançait monté sur son éléphant Airâvana. En signe d'hommage, il offrit sa couronne au Dieu. Indra l’ac- cepta et la plaça sur la tête de l'éléphant. Excité par l'odeur des fleurs, celui-ci saisit la couronne avec sa trompe et la jeta à terre. Le saint, irrité de voir son présent ainsi méprisé, maudit Indra dans sa colère, et lui prédit la ruine de son empire. À partir de ce moment la puissance d’Indra commença à déchoir ; la désolation se répandit dans les trois mondes, et les Dieux, attaqués par les Dänavas, furent vaincus. Dans leur détresse, ils cherchèrent un refuge auprès de Brahmà. Il leur conseilla de s'adresser à Vishnu et avec eux il se rendit auprès du maitre de l'Univers. Touché de leur prière, Vishnu leur dit’: Après avoir fait la paix avec vos ennemis, recueillez les diverses espèces de plantes médicinales ; jetez-les dans la mer de lait; puis avec la montagne de Mandara, en guise de battoir, barattez l'Océan, afin de produire le breu- vage, source d'immortalité. J'aurai soin que vos enne- mis, bien qu’associés à vos efforts, n'aient point part à votre récompense, et ne puissent boire de l’immortel breuvage. Ainsi conseillés par Vishnu, les dieux font alliance avec les Asuras ; ils recueillent ensuite toutes les herbes salutaires, les jettent dans la mer de lait, et 1. Vishau-Puräna, lib. I, cap. 9. 494 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS avec le mont Mandara se mettent à battre les flots. D'abord sortent, du milieu des eaux agitées, la vache divine Surabhi' et Vàäruni, la déesse du vin; après, l'arbre Pàrijäta, délices des vierges célestes, qui em- baume le monde de ses fleurs parfumées; ensuite la troupe divine des Apsaras et la lune aux froids rayons, puis Dhanvantari, revêtu d’une robe blanche et por- tant dans ses mains la coupe d’ambroisie, dont la vue réjouit les fils de Diti ; enfin, assise sur une fleur épa- nouie de lotus et en tenant une autre à la main, la déesse Cri s‘éleva, rayonnante de beauté, du sein des flots, et tous les Dieux et les nymphes du ciel s’em- pressèrent de la saluer”. Cependant les Daityas s'étaient saisis de la coupe d’ambroisie ; mais Visbnu, prenant une forme féminine, détourna leur attention, et s'emparant de la coupe, il la remit aux Dieux, qui burent aussitôt le nectar qu'elle contenait. Les Asuras irrités les attaquérent avec leurs armes ; mais, fortifiés par le céleste breuvage, les Dieux les repoussèrent et les mirent en fuite. Étroitement associées déjà à la légende de Vishnu, les plantes le sont bien plus encore à celles de ses avatars Râma et Krishna. Héros épique encore plus que Dieu, — il n'apparaît comme tel qu'a la fin de sa vie, — Râma a sa place marquée plutôt dans l’histoire de la poésie que dans celle de la religion. En parlant des légendes poétiques de l'Inde, j'ai eu ample occasion de montrer le rôle que les descriptions de plantes et 1. Après la vache, le Bhägavata-Puräna fait sortir de la mer barattée un cheval et l'éléphant d’Indra, Airâvata, lib. VII, cap. 8, 3-4. 2. Le Bhâgavata-Puräna donne à la déesse, qui sort de la mer, le nom de Ramä. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 495 de paysages jouent dans l'épopée consacrée au fils de Daçaratha'; on a vu quel accord intime les quatorze années d’exil qu'il avait passées dans les forêts avaient établi entre le monde des plantes et l'époux de Sità, fille de la Terre, et à quel point elles lui en avaient fait sentir le charme intime. Mais si les descriptions abon- dent dans le Râmäyana, les légendes végétales en sont absentes ; aussi n’ai-je rien à ajouter ici à ce que j'ai dit plus haut de cette épopée. Je ne m'étendrai que davantage sur la vie mythique de Krishna, telle que la racontent les Puränas”, vie étrange, qui tient de l'épopée et de l’idylle et où les plantes, surtout dans la première partie, occupent une place et jouent un rôle exceptionnels. Proscrit avant sa naissance, échappé à la mort comme par miracle, Krishna passe ses premières années au milieu des bergers ; et dès son enfance il révèle par sa force prodigieuse sa divine nature. Il triomphe, comme en se jouant, des monstres envoyés, sous les formes les plus diverses, pour le faire périr *. En même temps, avec son frère Balarâäma, dieu comme lui, et les enfants des bergers, il se livre aux jeux de son âge. La grâce qui le distingue ne fait que croître, à mesure qu'il grandit ; on dirait que la nature champêtre qui l’entoure lui prête ses charmes et sa beauté ; comme il sent aussi tout ce qu'elle a de ravissant ! Quel éloge touchant il fait des arbres qui donnent si généreuse- ment aux mortels leur ombre, leurs fleurs et leurs 1. Livre Il, chap. 4, p. 430-434. 2. Vishuu-Purdna, lib. IV, cap. 15; lib. V, cap. 1-37. — Bhâgavata-Purâna, lib. X, cap. 1-89. 3. Vishuu-Puräna, lib. V, cap. 8 et 14. — Bhägavala-Pu- râna, lib. X, cap. 3-11. A 496 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS fruits !! Comme les guirlandes, sa parure habituelle?, lui siéent bien ! On comprend l’enivrement où sa vue plonge les Gopis — bergères, — enfants de la nature, qui selivrent sans résistance au penchant de leurs cœurs épris, et prennent les objets qui les entourent pour confidents des doux sentiments qu'elles éprouvent”. O Acvattha, Plaksha, Nyagrodha, avez-vous vu le fils du berger Nanda, qui nous a pris nos cœurs par son sourire et ses regards affectueux ? — Est-il passé par ici, 6 Kuruvaka, Acôka Nâga, Purnnäga, Campaka, le frère cadet de Râma, dont le sou- rire abat l’orgueil des femmes superbes? — Et toi, propice Tulasi, qui chéris les pieds de Govinda, l’as-tu vu ton bien- aimé Acyuta, dont vous faites la parure, toi et tes essaims d'abeilles ? — L’avez-vous vu, d Mâlati, Jâti, Mallikâ, Yüthika ? Est-il passé ici le héros, descendant de Madhu, qui nous rem- plit de joie au contact de sa main? — Dites, à Cüta, Priyäla, Panasa, Asana, Kovidära, Jambu, Arka, Bilva, Bakula, Amra, Kadamba, Nipa° et vous tous qui ne vivez que pour le bien des autres, Ô arbres voisins de la Yamunà, dites-nous le chemin qu'a suivi Krishna, alors qu'il nous a soudain délaissées. — Le bras appuyé sur sa bien-aimée, un lotus à la main, et par- tout suivi d’essaims d’abeilles qu'enivrent les parfums de la tulasi, le frère cadet de Râma, alors qu'il passe ici et que vous vous inclinez devant lui, Ô arbres, répond-il à votre salut par des regards affectueux ? L’idylle se poursuit dans la forêt de Vrindävana au milieu des jeux variés, auxquels les Dieux eux-mêmes 1. Bhâgavata-Puräna, b. X, cap. 22, 33-35. 2. Bhâgavata-Puräna, lib. X, 15, 10; 23. 22; 32, 2; 44, 3: 01e: 3. Bhâägavata-Puräna, b. X, cap. 30, 5-12. 4. Les Jasminum grandiflorum L., Sambac Roxb. et awricu- latum. Le purmäga est le Mallotus philippinensis ou Rottleria tinclorta. 5. Cüta et âmra désignent le manguier: kadamba et nipa, le Nauclea cadamba : priyäla est le nom de la Buchanania latifolia, asana, celui de la Terminalia tomentosa DC. et kovi- dära, le nom de la Bauhinia variegata L: LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 491 applaudissent; idylle que le Bhägavata-Puräna s’est plu à prolonger, en lui donnant un caractère volup- tueux, que le Vishnu-Puräna a eu hâte de terminer pour montrer Krishna dans sa vie héroïque. Rappelé à Mathurà, le fils de Vasudeva quitte pour toujours la société des Gopis et rentre dans sa ville natale ; 1l met à mort Kaïhsa, son persécuteur, place Ugrasena sur le trône, triomphe des princes voisins qui l’attaquent, bâtit entre temps la ville de Dvärakà au bord de l'Océan, l’embellit de jardins et de réservoirs et y transporte les habitants de Mathurà ; enfin, il enlève et épouse Rukmini, malgré la résistance de son père et des chefs alliés. Sa renommée se répand jusqu’au ciel et Indra vient lui-même à Dvàärakà implorer son aide contre le fils de la Terre, Naraka, « qui insulte toutes les créatures” ». Monté sur Garuda, Krishna attaque l'ennemi des Dieux, met ses troupes en fuite et le tue. Il se rend alors, avec les dépouilles de Na- raka, dans le Svarga, et visite, en compagnie de Satya- bhämà, son épouse, le Nandana et les autres parcs des Dieux. La, le parijäta, qui, né dans le barattement de l'Océan, avait été transporté dans le ciel, avec son écorce d’or et ses grappes de fruits parfumés, frappe d'admiration Satyabhämà ; elle souhaite de voir dans le jardin de son palais cet arbre, cher entre tous à Caci. Pour plaire à son épouse, Krishna l’arrache, malgré les protestations des gardiens du parc divin, et le place sur Garuda. Irrité de cette audace, Indra marche avec les autres Dieux contre le ravisseur. Mais Krishna triomphe des Immortels et, après avoir fait la . 14. Vishuu-Puräna, lib. V, cap. 18-26. — Bhägavata-Purûna, lib. X. 37, 44, 50, 51, 53, 65, etc. Jorer. — Les Plantes dans l’antiquilé. II. — 32 498 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS paix avec Indra, il emporte le pàrijàta et le plante dans les jardins de Dvàärakà". Cet exploit ne met pas fin aux hauts faits de Krishna ; mais ceux que lui prêtent les Puränas n'ont rien de commun avec les légendes végétales ; d’ailleurs le terme de son séjour sur terre approche; les Yà- davas eux-mêmes vont disparaitre ; dans une lutte fratricide, ils tombent sous les coups les uns des autres. Krishna, qui ne peut arrêter leur fureur, les frappe lui-même avec une poignée d'herbe, en guise de massue. Puis quand son frère Balaràma a expiré, il se laisse, dans sa douleur, tomber au pied d’un figuier sacré. La, tandis que, revêtu de ses insignes divins, brillant de clarté, il s’abime dans la méditation, un chasseur, par méprise, le frappe au talon. Il pardonne à son meurtrier, et après avoir prédit la destruction par les flots de Dvärakà, « 11 ferme ses yeux de lotus » et se réunit aux Dieux, dont il était la manifestation sur terre *. Le rôle des plantes dans la légende de Krishna, telle que la raconte surtout le Bhigavata-Puràna, n'est pas, pour grand qu'il soit, comparable à celui qu'elles jouent dans la légende du Buddha; sans elles, on ne comprendrait pas cette dernière ; elles en sont l’élé- ment indispensable. « L'arbre, dans la légende boud- dhique, a pu dire M. Senart”, a pris une telle impor- tance qu'il ne le cède guëre au Buddha lui-même. » Depuis sa naissance jusqu’à sa mort les plantes sont 1. Vishau-Purâna, lib. V, cap. 29-31. 2. Vishau-Puräna, Lib. V, cap. 37. — Bhâgavala Purâna, lib. XI, cap. 30, 12-47 et cap. 31, 5. 3. Essai sur la légende du Buddha. Paris, 2e édit., 1882, in-8, p. 209. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 499 associées à tous les actes de la vie du Réformateur. C'est sous un arbre et au milieu des fleurs qu'il vient au monde ; c'est encore sous un arbre qu'il atteint à J'Illumination suprême ; c’est entre deux arbres et sous une pluie de fleurs qu’il expire et entre dans le Nirvana. La légende de Cäkyamuni semble tissue avec des fleurs et elle est embaumée des plus suaves parfums. Le Bodhisattva, ayant, à la prière des Dieux, con- senti à sauver les hommes, résolut de s’incarner dans le sein de Mäyà, l'épouse de Cuddhodana, roi de Kapi- lavastu. Un songe annonça à la reine l'événement qui se préparait. Le soir du septième jour de Ja fète d'été et du premier jour de la pleine lune du mois d’aesala (juillet-août), après être remontée dans ses appar- tements, elle s’endormit, tandis que les Apsaras ré- pandaient sur elle des parfums et des fleurs, et elle eut un rêve. Il lui sembla que les gardiens du monde la portaient sur l'Himavat et la déposaient à l'ombre d'un immense cäla. Là, les déesses leurs épouses, ayant apporté de l’eau du lac d’Anotatta, la baignèrent, l'oi- gnirent d’essences parfumées et la revêtirent des vêtements les plus beaux ; puis ils la conduisirent dans le palais d’or bâti sur la colline d'argent, et la dépo- sèrent sur une couche divine, la tête tournée vers l'Orient. Alors le Bodhisattva, qui avait pris la figure d'un éléphant blane, descendit sur la colline, tenant un lotus avec sa trompe, et, entrant dans le palais, il frappa doucement sa mère sur le côté droit’. À ce 1. Buddhist Birth Stories, p. 63. D'après une autre légende, rapportée par Spence Hardy, p. 142, le Bodhisattva apparait « semblable à un nuage éclairé par la lune » et tenant un lotus à la main. Aesala est l'équivalentcinghalais du sanse. äshâdha. 500 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS moment une lumière surnaturelle pénètre tous les mondes et éclaire les cieux. Toutes les plantes aqua- tiques et terrestres, les branches et les troncs mêmes des arbres se couvrent de fleurs; des lotus à mille feuilles surgissent par groupes de sept sur les étangs et aux flancs mêmes des rochers, tandis que d’autres lotus pendent des voûtes du firmament. Les essences les plus exquises embaument l'atmosphère, et les dix mille mondes, roulant les uns vers les autres, se rap- prochent en un faisceau de fleurs divines, guirlande tressée avec les sphères célestes, aussi odorante et aussi brillante que celles dont on pare les autels ‘. Dix mois après de nombreux prodiges annoncent que le moment de la naissance du Bodhisattva ap- proche. Toutes les fleurs du parc royal, les lotus blancs, rouges et bleus des étangs s’entr'ouvrent, mais ne s'épanouissent pas; de jeunes arbres surgissent du sol, tout couverts de boutons, qui restent fermés ; des eaux fraiches et imprégnées de suaves parfums se met- tent à couler *. Alors la reine, sentant que sa délivrance était proche, résolut de se rendre à Koli auprès de ses parents”. Elle quitta Kapilavastu, accompagnée d'une nombreuse suite. Mais arrivée au bois de Lumbini, situé entre les deux villes, à la vue des arbres couverts de fleurs, et dont les doux parfums semblaient l’in- viter, elle descendit de sa litière et entra dans le parc; 1. The legend of Gaudama of the Burmese, translated by P. Bigandet. London, 1880, in-8, vol. I, p. 31. — Buddhist Birth Stories, p. 64-65. — Le Lalila Vistara, xol.“L“chap'", p. 42-47. 2. Lalita Vistara, vol. I, chap. vir, p. 73. 3. Spence Hardy, À Manual of Budhism, p. 144. — Le Lalila Vistara, chap. vi, p. 74, dit, seulement que la reine eut le désir de visiter le bois de Lumbini. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 01 là tout en marchant, elle arriva auprès d’un plaksha, « le plus précieux des arbres », chargé deïleurs divines exhalant les plus suaves parfums. À son approche l'arbre inclina ses rameaux devant elle en signe de respect; et au moment où, étendant le bras, elle en saisissait un rameau, l'enfant qu’elle portait dans son sein sortit de son flanc droit’. Au même instant la terre s’agita « comme un vaisseau battu par les vents »; une pluie de lotus et de nymphées avec du santal tomba du ciel sans nuage *. Cependant les quatre gar- diens du monde s’empressent de recevoir le divin enfant; mais lui, se dégageant de leurs mains, s’élance à terre et aussitôt un immense lotus surgit à la place même qu'avait touchée son pied. Tandis que les fils des Dieux baignent son corps avec des eaux de sen- teur et le couvrent de fleurs fraiches et parfumées, debout sur le lotus, il regarde les quatre régions de l’espace ; puis il fait dix pas successivement vers le Midi, l'Ouest, le Nord, l'Est et vers les quatre points intermédiaires ; et partout où il posait le pied, partout aussi naissaient des lotus *. Le même jour, dans la forêt d'Uruvilvà surgit l'arbre de Bodhi, l'açvatha, souslequel il devait atteindre à l'Ilumination suprême. Les fleurs et les plantes qui saluent ainsi le futur Buddha à son entrée dans la vie, ne cessent pas de l'y accompagner. Lorsqu'on le porte à Kapilavastu, la 1. Buddhist Birth Stories, p. 66-67. — The Legend of Gau- dama, p. 35-37. 2. Le Buddhacarita d'Acvaghosha, traduit par S. Lévi, p. 41- 44. (Journal asiatique, an. 1892, no 3). 3. Le Lalita Vitara, chap. vu, p. 86. 4. Spence Hardy, À manual, p. 149. — Buddhist Birth Stories, p.68. — The Legend of Gaudama, p. 39. 502 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS route qui y conduit est toute jonchée de fleurs, et les jeunes filles de la ville le reçoivent portant des pal- mes de tàla dans les mains’. C’est au milieu de la fumée des parfums qu'on le mène au temple, où il doit recevoir un nom, et qu'il entre dans le parc de Vima- lavyüha, salué par la divinité du lieu, qui le couvre de fleurs *. Un épisode plus important de l’enfance de Siddhärtha — c'est le nom qu'il avait reçu —, celui de sa première méditation, montre encore mieux l’étroite intimité qui existait entre lui et le monde des plantes. Cinq mois après sa naissance, fut célébrée la fête de l’agriculture, dans laquelle le roi devait tracer lui- même un sillon. Toute la cour s’y rendit, et le jeune Siddhàärtha y fut aussi porté par ses nourrices, qui lui dressèrent une couche à l'ombre d’un jambu*. Mais elles ne tardèrent pas à le quitter, afin de mieux jouir du spectacle; se voyant seul, il se leva, s'assit les jambes croisées et se livra au premier degré de la mé- ditation ‘. Et pendant que l'ombre des autres arbres avait tourné, celle du jambu, sous lequel il se trou- vait, était restée immobile, protégeant ainsi le jeune prince contre les rayons du soleil”. Plus tard, quand on le conduisit, entouré d'innombrables enfants, à la salle d'écriture, il s’y rendit au milieu des fleurs que lui jetaient les filles des Dieux ; et un déva, à la vue de 1. Le Lalita Vistara, chap. vir, p. 89. 2. Le Lalita-Vistara, chap. vur et 1x, p. 107 et 11: 3. Spence Hardy, À manual, p.153. — The Legend of Gau- dama, p. 51. 4. D’après une autre légende, Siddärtha se serait élevé dans l'air et y serait resté suspendu, sans aucun appui. Spence Hardy, À manual, p. 153. 5. The Legend of Gaudama, p. 51. Cf. H. Kern, Manual of Indian Buddhism, p. 15. 1 LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 203 la splendeur qui l’environnait et de sa merveilleuse habileté, l’honora, lui aussi, avec des fleurs divines *. Son entrée dans la vie mondaine semble avoir pour un temps mis un terme à ces hommages des plantes et des fleurs. Bien qu'il fût « né pour la contemplation », à seize ans, cédant aux sollicitations de son père, Siddhärtha épousa la princesse Yacodharà, conquise par sa valeur, et, pendant quelque temps, il ne vécut que pour les plaisirs *. Enfin, frappé de la fragilité des choses humaines, il renonce aux honneurs de son rang, quitte secrètement la cour et se retire dans la solitude pour se préparer à sa haute mission. C’est au milieu du monde enchanteur des plantes qu'il va la remplir ; plus que jamais elles sont associées à sa vie; elles marquent toutes les étapes de sa nouvelle existence. C'est dans le bois de manguiers d'Anupiya qu’elle s’ouvre ; elle se continue pendant six années, passées dans la forêt d'Uruvilvà, au milieu des austérités les plus grandes ; mais elles ne suffisent pas pour le con- duire à la perfection, à laquelle il aspire. Le moment approche cependant où il va l’atteindre, et un quin- tuple rêve la lui annonce *. Un matin, il était revenu dans la forèt d'Uruvilvà, après une de ses courses quotidiennes ; il s’asseoit, la face tournée vers l'Orient, au pied d’un nyagrodha — l'arbre Ajapala — ; il y reçoit le riz parfumé que Sujätà, la fille du chef d’un village voisin, offrait à la divinité de l'arbre ; puis il se rend aux bords de la Naiï- ranjarà, s'y baigne, revêt le costume d’un arhat — saint — et mange le mets apporté par Sujàtà. Il passe 1. Le Lalita Vistara, chap. x, p. 113. 2. Spence Hardy, À manual, p. 152-153. 3. Spence Hardy, À manual, p. 159-166. 204 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS ensuite, au pied d'un càla, dans la méditation, les heures brülantes du jour. Enfin, le soir, il se dirige vers le figuier sacré — le Bodhadruma —, en suivant le sentier arrosé d'eaux de senteur et semé de fleurs que les Dieux avaient préparé pour lui’. À son appro- che, tous les arbres des bords du chemin inclinent leurs cimes devant lui et se couvrent de fruits ; le sol s’émaille de fleurs sous ses pieds ; les quatre divinités du Bodhidruma l'entourent d’une septuple rangée de talas et l'ornent à l’envi de guirlandes et de cou- ronnes ; des essences embaument le lieu où il se dresse ; une clarté incomparable environne Siddhärtha lui- même *; toute la nature est dans l'attente du grand événement qui se prépare. En se rendant auprès de l’arbre sacré, il avait ren- contré le faucheur Svastika, qui lui avait donné huit bottes de kuça ; il les répand sur le sol à l'Orient du Bodhidruma, et d’elles-mêmes elles y forment un trône de quatorze coudées de haut; il s’y asseoit rempli de joie, et c’est là que, plongé dans la méditation sur l’enchainement des causes et de leurs effets, il recevra l’Illumination suprème. En vain Màra, le chef des démons, vient l’attaquer à la tête de ses troupes in- nombrables ; ses armes sont sans effet contre la sain- teté du grand ascète ; les traits qu'il lui décoche, les rochers qu'il lui lance tombent à ses pieds, changés en fleurs parfumées. En vain il cherche à le persuader par la parole et ses filles à le séduire; tout est inu- tile. Vaincu par la constance inébranlable de Sid- dhàrtha, il prend la fuite, tandis que les Cakras, les 1. Spence Hardy, À manual, p. 168-170. 2. Le Lalita Vistara, chap. xIx, p. 255-240. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 205 Brahmàs et les Nâgas célébrent la victoire du Saint et lui offrent des guirlandes de fleurs et des parfums”. Le triomphe est complet, et à la dixième heure Siddhärtha atteint à l’Intelligence parfaite, à la Bodhi, et revêt la qualité de Buddha. Maintenant, couronnement de sa divine mission, commence la prédication de sa doctrine ; les plantes, témoins des actes merveilleux qui l'avaient préparée ou annoncée, ne jouent pas dans cette seconde partie de sa vie un moindre rôle que dans la premiere ; plus que jamais il en vit entouré. C’est à l'ombre des arbres que, dans la belle saison, il répand ses enseignements, ou qu'il se livre à la méditation; c’est au milieu des bois ou dans les vihâras qui y sont construits, qu'en- vironné de ses disciples, il passe le temps des pluies. Après être arrivé à la dignité de Buddha, il reste deux semaines entières sous le Bodhidruma, occupé à réflé- chir à la sagesse du dharma— la loi suprême —, et il ne le quitte que pour aller poursuivre ses méditations sous lenyagrodha Ajapàla — «l'arbre du chevrier » —, puis sous l'arbre Midella et dans une forêt de kiripa- lus?. Après huit semaines, consacrées ainsi à la con- templation, il se retire dans le Parc des Gazelles, près de Bénarès, où il expose devant ses cinq premiers disciples le « Lotus de la Bonne Loi », résumé de sa doctrine. C’est là aussi qu'il passa la première saison des pluies depuis son élévation à la dignité de Buddha. L'année suivante, il séjourne trois mois dans la forêt 1. Spence Hardy, À manual, p. 171-180. — Buddhist Birth Stories, p. 96-101. 2. Spence Hardy, À manual, p. 186. — The Mahävagga, 1, 2-1. (Vinaya Texts, translated by Rhys Davids and H. Oldenberg, vol. I, p. 74-84). L'arbre Midella se trouvait près d’un lac habité par le nàga Mucilinda. 206 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS d'Uruvilvà, où de nouveaux disciples se joignirent à lui. C’est encore assis au pied d’un arbre dans la forêt de Yashti, qu'il recoit la visite du roi Bimbisära. Et quand, dans la suite, il se rendit aupres de ses parents, le roi son père fit préparer, pour le recevoir, le jardin du Nyagrodha près de Kapilavastu *. Les parcs et les bois d’un accès facile pour la foule qui venait l'écouter, pas trop animés le jour, silencieux la nuit, éloignés du tumulte et partout favorables à la méditation”, étaient son séjour favori. Aussi était-il impossible de mieux l’honorer ou de lui être plus agréable qu’en lui faisant présent d'une de ces retraites calmes et paisibles. C’est pour cela que Bimbisära lui abandonna le Veluvana — le bois des bambous ou des Écureuils —, célèbre par les fréquents séjours qu'il y fit dans la suite ; c'est pour cela encore que le riche Cittra lui donna le jardin d’Ambätaka, que l'un des plus ardents zélateurs de sa doctrine, le marchand Anâthapindika, acheta à prix d’or pour la communauté uaissante le parc de Jeta qui devint une des retraites de prédilection du Maïtre*. Les arbres et les plantes ne prêtaient pas seulement au Buddha leur ombre rafraichissante, leurs fleurs ou leurs fruits, ils lui servaient aussi à manifester sa puis- sance. Le jardinier du roi de Kosala, Gandamba, lui ayant fait présent d'une magnifique grappe de man- gues, le « Parfait », après avoir mangé un des fruits, lui en donna le noyau et lui dit de le mettre en terre, en même temps il recommanda à son disciple Ananda 1. Spence Hardy, A manual, p. 188, 191 et 200. < 2. Oldenberg, Le Buddha, traduit par A. Foucher. Paris, 1894, in-8, p. 146. 3. Spence Hardy, À manual, p. 198, 199 et 224. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 207 de se laver la bouche et d'en rejeter l’eau à la place où le noyau avait été déposé; la terre s’entr'ouvrit sur-le- champ, une jeune pousse en sortit, et bientôt parut, chargé de fleurs et de fruits, un arbre avec cinq grosses branches principales et une infinité derameaux plus petits, qui ombragèrent toute la ville”. Une autre fois, ayant planté en terre une branchette de saule, avec laquelle il s'était nettoyé les dents, elle prit aus- sitôt racine et devint un épais buisson”. Le rôle des arbres et des plantes, si grand dans la jeunesse et dans l’âge mûr du Buddha, sembla encore croître dans les derniers temps de sa vie; ils en devaient être les témoins fidèles, comme ils l'avaient été de ses premiers pas. On le voit se reposer tour à tour dans le jardin de la courtisane Ambapäli à Vaiçäli, dans le verger du forgeron Cunda, dont il avait reçu l'hospi- talité, puis dans un bois de manguiers, voisin de Kuci- nagara *. Enfin, quand il sent sa mort prochaine, c'est: encore dans un bois — le bois de çàlas d'Upavarttana — qu'il se retire. Là son disciple fidèle Ânanda lui pré- pare une couche entre deux de ces arbres ; «avec l’iné- branlable intrépidité d’un lion », il s’y étend sur le côté droit et la tête tournée vers le septentrion “.- Aussitôt les deux càlas se couvrent de fleurs ; il en est de même de tous les arbres de la forêt et de ceux des dix mille mondes ; les arbres fruitiers se chargent aussi de fruits d'une beauté et d’une saveur inconnues, « encore que ce ne fut pas leur saison »; les cinq espèces de lotus sortent de terre en tous lieux, offrant aux regards Spence Hardy, À manual, p. 295-296. Samuel Beal, Buddhist Records, vol. I, p. 63. Spence Hardy, À manual, p. 343 et 457. . P. Bigandet, The Legend of Gaudama, vol. IT, p. #4-47. © D = 508 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS étonnés le spectacle le plus ravissant. L'Himavat tout entier s'illumine, tandis que les génies des deux càlas ne cessent d'en répandre sur le Bienheureux les fleurs parfumées. C’est au milieu de cette fête de la nature que le Buddha entre dans le Nirvâna, pendant que arbres, arbustes, herbes, plantes médicinales, s’incli- nent avec respect vers lui Les légendes divines dont je viens de parler ne sont pas les seules où figurent les plantes; non seulement elles jouent un rôle dans la plupart des mythes hin- dous, elles ont elles-mêmes été l’objet de légendes particulières, destinées à expliquer leur apparition ou a mettre en lumière quelqu'une de leurs propriétés. Lorsque la Gâyatri, l'aigle mythique, apporta le soma du ciel, des gouttes de la liqueur divine tombèérent sur des tiges de kuça; les serpents, auxquels on lavait dérobée, s'empressèrent de venir les lécher; mais les feuilles aiguës de la plante leur fendirent la langue, qui depuis lors est restée fourchue *. Mais pour avoir touché l’ambroisie, le kuça reçut, lui, la vertu de pu- rifier. Dés les temps les plus reculés, cette plante aussi revêtit un caractère sacré, et prit place dans toutes les cérémonies religieuses. On raconte que la déesse Pärvati s'étant, agitée par une violente passion, assise sur un tronc de çami, dans le cœur de l'arbre se développa une forte chaleur qui éclate en flammes au moindre frottement *. Les Hindous se sont plu — les Grecs etles Romains 1. L. Feer, Entretien du Buddha et de Brahmû sur l’Origine des choses. (Congrès international des Orientalistes de 1873, p. 475). 2. Mahäbhärata, lib. I. Adi-Parva, 1543-44. 3. H. C. Kellner, Sakuntala, p. 53, note. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 509 l'ont fait également — à attribuer à un certain nombre de végétaux une origine mythique. Suivant une légende qui semble récente’, Arjuna, lors de son voyage au ciel, aurait rapporté un rameau de bétel, lequel, planté en terre, donna naissance à cette plante précieuse. L’ail, d’après une tradition, aurait surgi des gouttes d’amrita que Vainetaya — Garuda —, fatigué, aurait laissé tomber du ciel sur un sol souillé d’ordures. Suivant une autre légende, ce condiment recherché devrait sa naissance aux gouttes du nectar, bu par le chef des Asuras, et qui seraient tombées à terre quand Janàärdana — Vishnu — lui coupa la tête. Le myro- balan chebulic aussi serait né d’une goutte d’am- broisie qu'en buvant Cakra — Indra — aurait laissé tomber”. D’après la Taittiriya-Sarnhità, le khadira” aurait pris naissance du 7asa — émanation — de la Gâàyatri, quand elle apporta le soma du ciel sur la terre. Et une plume — parna —, tombée alors d’une des ailes du divin oiseau, se serait changée en palàca ou parna. Un rameau détaché de la plante cé- leste aurait aussi donné naissance au cyenahrita*. Le cyàmäka, lui, devrait son origine au soma, dont Indra, qui en avait bu avec excès chez Tvashtri, aurait rejeté une partie. D’après une autre légende, cette espèce de millet serait née de « l’acuité » — fejas — 1. Vincenzo Maria da Santa Caterina, ap. A. de Gubernatis, La Mythologie des Plantes, vol. Il, p. 39. 2. Hârita-Samhità, V, 407.— The Boiwer Manuscript, edited by A. Rudolf Hoernle. Calcutta, 1893, in-fol., part [, p. 11, 10-11, et note 5, part II, fase. 2, p. 164, 922. 3. Acacia catechu L. — Taittiriya-Sarhilà, lib. TT, cap. 5, 7, Let 2. Le mot rasa signifie proprement suc. :. Espèce de plante parasite. Catapatha-Brâähmana, Üb. V, cap. 5, 10, 13. 510 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS du fabuleux Makha, qui s’échappa de lui avec un sou- rire’. Le Catapatha Brähmana conte qu'Indra ayant bu du soma magique préparé par Tvashtri, toute force vitale abandonna ses membres ; alors ce qui s’écoula de ses cils devint le froment ; le soma exsudé de sa moelle donna le riz; de ses larmes naquit le jujubier; de sa salive écumeuse, l'orge ; la pensée émanée de sa cheve- lure produisit le millet ; l'honneur écoulé de sa peau, l'acvattha ; la liqueur sortie de ses os, le nyagrodha; la force de sa chair, l'udumbara. Dans ce dernier, qui leur était resté fidèle pendant leur lutte avec les Asu- ras, les Dieux, suivant un autre récit, ont mis la puis- sance de tous les autres arbres”. L’apaämärga serait, à ce qu'on raconte aussi, sorti de la tête de Namuci, frappé à mort avec de l’écume par Indra ; et il aurait servi aux Dieux à chasser les Asuras”. Le rudräksha, lui, serait né des larmes que Civa aurait versées par repentir d'avoir brûlé trois villes dans la guerre des Dieux contre les Asuras *. Une tradition attribue la naissance de la tulasi à la métamorphose d'une favorite de Vishnu, qui, descendue au rang de mor- telle par la malédiction d’une rivale, aurait ensuite été changée en plante. On l'a fait aussi, comme le pàrijäta, sortir du barattement de l'Océan”. On a 1. Taittirya Sarñhità, Lib. I, cap. 3, 2, 6. — H. Oldenberg, La Religion du Véda, p. 411. Le AC est le Panicum frumentaceum L. 2 LAD 2, 7541,02-9' NT 6, 3 28 3. Achyranthes aspera L. — Atharva- Veda. lib. IV, 19, 4. — ne II, 95, ap. A. de GuRernae vol. If, p. 12. . Elaeocarpus ganitrus Roxb. J. Garrett, À classical rein of India. Madras, 1871, in-8, p. 520. 5. Ward, Account of the writings, religion and manners of the Hindous. Serampore, 1822, in-8, vol. III, p. 340, appelle cette rivale Lakshmi. Monier-Williams lui donne le nom de LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 511 également attribué la même origine mythique au chanvre *. Parmi les légendes végétales les plus curieuses comptent celles qui se rapportent aux arbres ou aux plantes, dont la cosmogonie hindoue s’est servie pour symboliser ou désigner les divers continents et les mon- tagnes qu'on y rencontrait. Des sept continents que connaissent les Purànas, six * ont respectivement pour emblème un jambu, un plaksha, un çalmali, l'herbe kuça, un çàka et le pushkara ou lotus bleu *. Les quatre continents des légendes bouddhiques étaient aussi distingués chacun par un arbre symbolique particulier ; le continent de l'Est par un kadamba, celui du Sud par un Jambu ; les deux autres, par les arbres ghanta et ambala *. Le Vishnu-Puräna et le Bhägavata-Purâna placent également sur les contreforts du Meru quatre arbres, « qui en sont comme les étendards ». D'après le Vishnu Puräna”, c'étaient un kadamba sur le mont de l'Est, un jambu sur celui du Sud, sur le contrefort de l'Ouest un pippala et un vata sur celui du Nord. Le Bhàga- vata-Puräna° a remplacé le pippala par un manguier, Sità ; suivant d’autres, dit-il, elle portait celui de Rukmini, Reli- gious Thought and Life in India. London, 1883, in-8. p. 333. 1. Udoy Chand Dutt, The materia medica of the Hindus. Calcutta, 1900, in-8, p. 337. 2. Le septième est désigné par une montagne. 3. Vishuu-Purâna, Vib. Il, cap. 1. — Bhâgavata-Purûna, lib. V, cap. 1, 32. Le septième est le Xrauñca. 4. S. Beal, À catena, p. 35-37. Le ghanta est la Schrebera swietenioides et l’'ambala — ämala — le Phillanthus emblica. 5. Lib. II, cap. 2. Pippala, hind. pipal, est un autre nom de l’'acvaltha (Ficus religiosa), vata un des noms du »yagrodha (Ficus indica). 6. Lib. V, cap. 16, 3. D'après le récit des Buddhistes chinois, 512 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS qui porte des fruits gros comme le sommet d’une mon- tagne et dont le goût rappelle l’ambroisie ; de ces fruits s’ échappe en abondance un suc doux et d'un parfum délicieux, d’où nait le fleuve qui va arroser l'Orient de l'Ilävrita. Le kadamba laisse couler de ses branches cinq rivières, dont les eaux délicieuses rem- plissent de joie l'Ilvrita occidental. Les fruits du jambu, qui en volume égalent le corps d’un éléphant, en se brisant dans leur chute, forment de leur sue ré- pandu lefleuve de la région méridionale du varsha. En- fin du figuier Catavalca — le vata du Vishnu-Puräna—, qui s'élève sur le mont Kumuda, découlent du lait, du caillé, du beurre, du miel, de la mélasse, du riz cuit, et à ses branches sont suspendus des étoffes, des lits, des sièges et des parures. Tous ces objets descendent, à travers la partie septentrionale du même varsha, en un fleuve qui offre ainsi tout ce que peuvent désirer les habitants”. Le Vishnu-Puräna attribue aussi au jambu des fruits d’une grosseur prodigieuse, qui tombent au moment où ils viennent à pourrir, et dont le jus en s’écoulant forme une rivière *; les habitants qui en boivent les eaux passent leurs jours dans le contentement et l’opu- lence et sont exempts d’infirmités. D'après une autre source *, c'était dans la forêt himalayenne que se trou- vait le jambu mythique, haut de 100 yojanas, il avait un autre arbre mythique, le kütaçalmali, croissait au Nord du grand Océan, près du palais des dragons et des Gandharvas. S. Beal, A Catena, p. 50. 1. Bhâgavata-Purâna, lib. V, cap. 16, 17-26. 2. Vishau-Purâna, lib. IT, cap. 2: vol. II, p. 116. 3. Spence Hardy, À manual, p. 19. Un yojana équivaut à environ 14 kilomètres et demi. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES o13 300 yojanas de tour, et était garni de quatre branches maîtresses; de ces branches et du tronc coulaient autant de puissantes rivières. Depuis le commencement du Æalpa — âge — actuel, il porte un fruit d’or im- mortel, aussi large que la cuve la plus large‘; quand ce fruit tombe dans les rivières qui découlent de l'arbre, ses graines se changent en pépites d'or, qui sont entrainées jusqu'au rivage de l'Océan. La forêt himalayenne renfermait un autre arbre non moins merveilleux, le Mañjüshaka, qui se dressait près de l'entrée de la grotte des Gemmes”; il produisait toutes les fleurs qui croissent sur la terre et dans l’eau, rappelant par là l’arbre Gaokérana de la mythologie iranienne. Dans l'Uttarakuru — le continent ou varsha du Nord — croissait un arbre encore plus étonnant, le Kalpavriksha ou Kalpadruma *; d’une hauteur pro- digieuse, il produisait aussi bien des vêtements, des parures, que des mets ; dès que quelqu'un désirait une chose dont il avait besoin, il n'avait qu'à étendre la main et les branches s’abaissaient d'elles-mêmes pour la lui présenter. Suivant un autre récit“, les feuilles de cet arbre, dans lequel il faut reconnaître le figuier Catavalça du Bhägavata-Puräna, distillaient sans cesse une rosée céleste et son fruit parfumé, arrivé à matu- rité, s’ouvrait de lui-même pour fournir aux habitants toute espèce d'aliments. L'auteur des Noces de Pär- vatt”, Bäna, place cet « Arbre de tous les souhaits » 1. Le texte dit mahäkala, cuve 17 fois plus grande que les kalas ordinaires qui contiennent à peu près 4 gallons (18 litres). 2. Spence Hardy, À manual, p. 16. 3. Spence Hardy, À manual, p. 14. :. Le Dirghâägama-Sûtra, ap. S. Beal, À Catena, p. 37-38. 5. Acte Il. Pérvatlts Hochzeit, übersetzt von Glaser, p. 7. Jorer. — Les Plantes dans l'antiquité. IT — 53 D14 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS dans le Nandana ; c'estsur lui que, par l’ordre de Civa, la déesse des Bois, Väsantikà, va cueillir les fleurs, « qui remplissent de leur parfum toutes les régions du monde ». D’après un conte de l’'Hitopadeca’, l'arbre de tous les souhaits croit, au contraire, au milieu de l'Océan; il émerge du sein des flots tous les quinze jours, et à son ombre vient s'asseoir, sur un divan étincelant d’or et de pierres précieuses, une vierge richement parée et belle comme Lakshmi. Tandis que l'imagination inventive des Hindousaattri- bué aux régions inaccessibles de l'Himalaya une flore mythique aussi merveilleuse, leur anthropomorphisme a, par contre, placé dans le ciel les plantes indigènes de l’Inde. C’est surtout dans les légendes postérieures à l’époque des Védas que se manifeste cette concep- tion naturaliste ; mais on en trouve déjà la trace dans plusieurs hymnes du recueil sacré. Toutefois elle ne se manifeste d'abord que d’une manière symbolique ou métaphysique. Lorsqu'un rishinous parle” del’arbre que Varuna a dressé au milieu de l’abîme, il n’y a là peut-être, en effet, qu'une image symbolique destinée à représenter un simple phénomène atmosphérique. C’est encore un symbole, mais peut-être d’un autre genre, que représente « l'arbre antique » du Katha- Upanishad”, arbre dont les racines poussent en haut 1. Livre IT, 5e récit. Trad. Hertel, p.84. Trad. Lancereau, p. 128. La légende de l’Arbre de tous les Souhaits est restée longtemps vivante dans l'Inde; c’estévidemment le colparaquin de Vincenzo Maria da Santa Caterina, arbre céleste de dimen- sions telles qu'aucun homme ne peut le mesurer, et qui donne à chacun tout ce qu'il peut désirer en vivres et choses déli- cieuses. A. de Gubernatis, vol. II, p. 196. 2 MR eda D. 4,26 17; 3. Adhyàäya II, 6, 1. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 519 et les branches en bas, comme celles du nyagrodha ou vata, et qui est appelé le « Lumineux Brahmà, le seul Immortel ». L'açvattha, « qui pleut du soma », dans le monde ou ciel de Brahmà”, a encore une significa- tion toute symbolique, et il en est de même probable- ment de l'arbre Ilya que rencontrent les défunts, après avoir traversé « en esprit » le lac Ara et la rivière Vijarà *. Quoi qu'il en soit de leur signification, ces symboles nous montrent comment les Hindous ont été amenés, dès les temps les plus reculés, à admettre l'existence des arbres dans le ciel; aussi il ne faut pas être sur- pris d’en trouver déjà la mention dans les derniers hymnes védiques. C'est évidemment un arbre véritable qu'avait en vue le rishi qui représente, dans une scène réaliste”, Yama buvant avec les Dieux l’ambroisie sous un arbre au beau feuillage. C’est aussi un açvat- tha réel sous lequel, d’après l'Atharva-Véda“, les Dieux siègent dans le troisième ciel; c'est encore sous un véritable çàlmali, on n’en peut douter, que le poète du Mahñbhàrata fait se reposer Pitämaha — Brahmà — après la création”. Et l'immense figuier, à l’ombre duquel les Dieux, dans le Bhâgavata-Puràäna°, aper- çoivent, sur le Kaïläsa, Civa, plongé dans la médita- tion, est aussi réel que l’acvattha de la légende du Buddha. Les plantes terrestres ont, en effet, fini par pénétrer . Chândogya-Upanishad, VIT, 5, 3. . Kaushitaki-Brâhmana-Upanishad, 1, 3, 4 et 5. Rig-Veda, lib. X, 135, 1. Dib:tV; 7453: XIX 3906: . Lib. XII (Cânti-Parva), 5847. . Lib. IV, cap. 9; 31-33. DUR 516 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS dans les demeures des Dieux. Ceux-ci d’ailleurs n’ha- bitent plus « le monde d’inépuisable splendeur où siège le soleil », le « triple ciel inondé de lumière‘ »; les poètes des Puränas et du Mahäbhärata les ont fait descendre des hauteurs inaccessibles du firmament sur les cimes mystérieuses de l'Himavat, le Kaïläsa, le Vaikuntha, le Triküta, le mythique Meru*. C’est la maintenant que résident les Immortels; là s'élèvent leurs cités et se dressent leurs palais, avec les parcs fleuris et les étangs couverts de lotus, qui les avoi- sinent ou les entourent. On dirait la demeure d’un ràja contemporain. Qu'on compare, par exemple, Ayo- dhyà, résidence de Daçaratha, père de Räma, avec Amarävati, capitale d’Indra ; les jardins de Dvärakà, cité de Krishna, avec les parcs de Vishnu, de Civa, de Kuvera ou de Varuna”, on verra qu'il n'existe au- cune différence entre les premiers et les seconds. La description du séjour de Yama dans les Védas et dans le Mahäbhärata ‘ montre à quel point la concep- tion que les Hindous se faisaient de la demeure des Dieux avait changé de l'époque des Védas à celle des épo- pées ; dans l’hymne que j'ai cité plus haut, Yama réside sous un açvattha; dans le Mahäbhärata, il habite un palais magnifique où sont réunies toutes les espèces de mets agréables, et où se trouvent en abondance des parfums exquis, de belles guirlandes, de frais bos- quets avec des arbres couverts en toute saison des 4. Rig-Veda, lib. IX, 113, 7 et suiv. 2. A. Barth, The Religions, p. 16 et 17. 3. Bhâägavala-Purâna, Mb. I, cap. 11, 13; IV, 6, 12-29 ; ,V, 2, 4; VII, 2, 9-18: 15, 12-19. — Beal, À Catena, p. 75-78. — Râämäyana, lb. I. 4. Lib. IT, Vana-Parva, x. 311-350. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 917 « fruits que l'on désire ». On a là le type d’une rési- dence divine, telle que la concoivent maintenant les poètes et les écrivains sacrés : un palais orné de por- tiques et embelli de pierres précieuses, environné de parterres et de jardins dont les arbres plient sous le poids des fleurs et des fruits, où bourdonnent les abeilles et où retentissent les concerts ou les cris des oiseaux, que des fauves animent de leur présence, et que des étangs, couverts de lotus, rafraichissent de leurs eaux vives et pures *. Quant à la flore des parcs ou des jardins célestes, elle n’est autre que celle des jardins ou des parcs ter- restres ; on trouve les mêmes arbres d'agrément dans les premiers que dans les seconds. Qu'on lise, entre autres, ce que l’auteur du Bhägavata”, après avoir décrit le Triküta, sa configuration, ses rivières et ses lacs, énuméré les animaux qu'on y trouve, dit du jardin de Varuna : Dans une de ces vallées était le jardin du magnanime Va- runa.. Des arbres divins toujours couverts de fleurs et de fruits l’'embellissent de toutes parts. — C’étaient le mandära, le pàri- jâta, le pâtala, l’acoka, le campaka. le manguier, le priyala, le 1. Bhägavata-Purâna, b. VIT, cap. #, 8-11. 2. Bhâägavata-Purâna, lib. IV, cap. 6, 12 et 20; VIII, 15, 12-22. Le Paradis des Bouddhistes du Nord n'était pas autre ; on nous le représente comme rempli de beaux arbres, d’ar- bustes parfumés et de fleurs brillantes : peuplé d'oiseaux et de bêtes des forêts, et résonnant sans cesse d’une divine musique. A short note on the Paradise of the Northern Buddhists by Bâbü Sarat Chandra Düûs. (Proceedings of the Asiatic Society of Bengal, 1891, p. 71). 3. Bhâgavata-Puräna, Gb. VIIT, cap. 2, 9-14 et 16-18. Le picumanda est le Melia azidarachta, V'aksha, la Terminalia bellerica, l'abhayà, la Terminalia chebula, le kunda, le Jasmi- num hirsulum et le jâlaka, le bananier. D18 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS panasa, l’âmra et l’ämrâtaka. — L'arbre qui produit la noix d’arec, le cocotier, le dattier', le citronnier, le madhuka, le câla, le palmier, le tamäla, l’asana et l’arjuna. — L’arishta, le figuier, le plaksha, le vata, le kirnçuka, le santal, le picumanda, le kovidära, le sarala, le devadäru. — La vigne, la canne à sucre, le bambou, le jambu, le jujubier, l’aksha, l’abhayà, le myrobalan, le bilva, le kapittha, le jambira, le bhallâtaka et d’autres encore. — Là se trouvait un lac étendu sur lequel se balancaient des lotus d'or, qu'embellissaient des lotus rouges, bleus, blancs et le nélumbo aux cent feuilles, au-dessus duquel bourdonnaient des abeilles enivrées et chantaient des oiseaux à la voix harmonieuse 2... $es rives étaient bordées de kadam- bas, de rotins, de roseaux, de nipas, de cannes — de kundas, de kuravakas, d’acokas, de cirishas, de kutajas, d'ingudis, de kubjakas, de svarnayüthis, de diverses espèces de nâgas et de purinâgas, — de jasmins, de mâdhavis, de jàlakas et d’autres arbres ornés de leurs parures dans toutes les saisons. Le poète sacré s’est donné libre carrière et n’a pu résister au penchant à la prolixité si chère aux écri- vains hindous, et il n’a pas craint de réunir dans un même lieu des végétaux qui appartiennent aux régions les plus diverses, tel que le devadäru des contreforts de l'Himalaya et le cocotier ou le santal de Ceylan‘. On ne retrouve point ces exagérations, ni ces accumu- lations de végétaux étrangers la plupart les uns aux autres dans les descriptions du jardin de Kuvera et du paradis de Vishnu,; il n'y a qu'une douzaine d'arbres 1. Le dattier n'ayant été importé dans l’Inde que longtemps après notre ère, sa présence dans cette description montre qu’elle ne saurait remonter très haut ou qu’elle a été remaniée à une époque relativement récente. 2. « Les cygnes, les kärandavas, les cakraväkas et les grues en couvraient la surface ; des troupes de poules d’eau, de van- neaux, de dâtyühas y faisaient entendre leurs cris. » 3. De même le bouleau des hautes vallées de l'Himalaya et l’aréquier des côtes de Malabar, placés également sur le Kai- làsa. Bhâgavala-Purâna, lib. IV, 6, 17. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 519 ou de plantes dans ce dernier": mandàâras, jasmins, campakas, arnas, purnnägas et nâgas, bakulas et pâri- jâtas, amarantes, lotus de nuit et lotus de jour avec la tulasi. Le poète du Mahäbhärata ne nomme même aucun des « arbres saints » qui embellissent les bos- quets d'Amarâvati, capitale d’Indra ; il se borne à dire qu'ils « se parent de fleurs en toutes les saisons ? ». Les fleurs des jardins célestesservaient d’ailleurs aux mêmes usages que les fleurs des parterres terrestres ; les Dieux aimaient à en respirer les parfums et à en contempler l'éclat ; leurs palais en étaient ornés ; ils en portaient des guirlandes qui, par un privilège par- ticulier, ne se fanaient jamais. Les Acçvins, dans les Védas”, ont le front ceint d'une couronne de lotus bleu — pushkara —. Le Puräna, qui porte son nom, nous montre Bhagavat paré d’une guirlande des fleurs des bois *. Purusha, lui aussi, en porte une faite de fleurs sauvages. Il en est de même de Vasudeva”. Lorsque, pour séduire les Daityas, Vishnu prend une figure fé- minine, «sur sa chevelure repose une guirlande de jas- mins en fleurs». Au moment où Bali, le chef des Asuras, va marcher contre Indra et les Dieux, son grand-père Prahràda lui donne une guirlande de fleurs 1. Bhâgavata-Puräna, lib. HI, cap. 15, 19. 2. Vana-Parva, 1756. Il dit aussi seulement du Nandana que « les arbres semblent se disputer à qui produira le plus de fleurs divines. » 3. Rig-Veda, lib. V, 53, 4 et X, 18%, 2. — Atharva-Veda, lib: IIL, 22. &. Lib. [IT, cap. 28, 15; IV, 7, 21 ; XII, 42. Deux Devas, placés à la porte de la septième enceinte du Paradis de Vishnu, por- tent sur la poitrine une guirlande de fleurs couverte d’abeilles enivrées. Lib. III, 15, 28. 5. Bhâägavata-Puräna, Gb. IV, cap. 30, 7, X, 44, 13. 6. Bhâgavata-Purâna, lb. VIII, cap. 8, 44 et 15, 16. 220 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS toujours fraiches. Dans ses courses à travers les bois, Krishna se montre sans cesse avec des guirlandes fleuries. Les Gopis, au milieu desquelles il vit, sont, elles aussi, parées de couronnes ; leurs vaches elles- mêmes en portent. « Les yeux aussi beaux qu'une fleur de lotus, une couronne de fléurs variées sur la tête, et sur la poitrine une guirlande de célestes kar- nikaras, » tel est le portrait que fait du héros divin le Vishnu-Puräna*. Une couronne de fleurs est égale- ment un des insignes auxquels on reconnait le guerrier Paundraka, roi de Kàci et l’adversaire de Krishna. Lakshmi donne à Balaräma, qui va combattre le démon Naraka, une fraiche guirlande de lotus envoyée par Varuna*. Et quand après avoir entendu la lecture des douze livres du Bhägavata, le héros Dhundhukàrin renaît à une vie nouvelle, il apparait comme un dieu orné de guirlandes de tulasi*. De même dans le Rämäyana, lorsque, secouant la cendre du bücher, qui vient de consumer son corps immense et difforme, Danu — Kabandha — s'envole vers les cieux, une guirlande de fleurs célestes pare ses habits *. Les fleurs du ciel servaient surtout aux Dieux à marquer leur présence ou leur intervention dans les affaires humaines ; ils ne manquent jamais d’en faire pleuvoir sur les héros ou les héroïnes qu’ils protègent ou qu'ils favorisent. Rares dans le Vishnu-Puräna, les 1. Bhägavata-Puräna, lib. X, cap. 7, 16; 15, 10; 18, 9 ; 23, 22-EX ILE 7 2. Lib. V, Cap. 17. Cf. B. PJ UE, cap-45/ 06m 3. Vishuu-Purâna, lib. V, cap. 25; vol. V, p. 68. 4. Bhâgavata-Purâna, Vib. X, cap. 66,13; XIII, 5, 51. Cf. Vishnu-Purâna, Db. V, cap. 34. 5. Aranyakända, lib. II, cap. 75, 53-54. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 521 pluies de fleurs célestes apparaissent à chaque instant dans le Bhâgavata. Au moment où Bhishma se réunit à Brahmà, retentissent les timbales frappées par les Devas et une pluie de fleurs tombe des cieux”. Une pluie de fleurs aussi tombe du haut des airs, lorsque Dhruva va monter au ciel, et il atteint le séjour de Vishnu, couvert des fleurs que lui jetaient les Suras, qui, du haut de leurs chars, chantaient ses louanges, a mesure qu'il avançait ”. Après que Cri eut choisi pour époux Mukunda — Vishnu —, en lui plaçant sur les épaules une ravissante guirlande de frais lotus, tous les Dieux, créateurs de l’univers, répandirent sur l’au- guste couple une pluie de fleurs. Lorsque Bhagavat fut engendré dans le sein de Devahüti, on vit tomber des fleurs divines, répandues par les habitants de l'air. Et quand Prithu vint au monde, les chefs des Gan- dharvas entonnèrent leurs chants, tandis que les Sid- dhas jetaient des fleurs sur le divin enfant'. De même à la naissance d’Ajana — Krishna —., les Munis et les Dieux, remplis d’allégresse, répandent sur la terre une pluie de fleurs”. Plus tard, en apercevant le jeune héros, qui soutenait en l’air le mont Govardhana, les troupes des Dieux, les Siddhas, les Gandharvas, les Càranas, dans leur joie, répandent sur lui des fleurs à profusion. Brahmà, Civa et les autres puissances cé- lestes, témoins de sa victoire sur Karnsa et ses frères, l’acclament en le couvrant également d’une pluie de . Bhâgavata-Puräna, hb. I, cap. 9, 45. . Bhägavata-Purâna, Gb. IV, cap. 12, 30 et 33. . Bhägavata-Puräna, lib. VIT, cap. 8. 24 et 27. . Bhâägavata-Puräna, lib. II, cap. 24, 8; IV, 15, 7. . Vishnu-Purûâna, lib. V, cap. 3. — B. P., lib. X, cap. 8, 7. Qt & CU D = 522 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS fleurs . Quand le roi des Singes tombe frappé par Bala, les mots « Victoire, Bien, tres Bien » reten- tissent dans le ciel, prononcés par les Suras et les Siddhas, qui jettent des fleurs au héros. Les Dieux voyant Krishna percer d’une de ses flèches le poisson mythique, répandent-en signe de contentement des fleurs sur la terre. Et lorsque, frappé par Civa, l’asura Vrika s’affaisse, privé de la tête, les Rishis applau- dissent en versant des pluies de fleurs *. Les pluies de fleurs sont tout aussi fréquentes dans la légende du Buddha que dans celles de Vishnu et de Krishna. Au moment de la naissance du Réformateur une pluie de lotus et de nymphées tombe, avec du santal, du ciel sans nuage * ; une pluie de fleurs divines tombe encore sur son cortège, quand on conduit le noble enfant au temple, où il recevra un nom; et un jour qu'on l'avait porté au jardin de Vimalavyüha, la déesse du lieu, Vimalà, le couvre de fleurs. Plus tard c'est au milieu des fleurs répandues par les filles des Dieux qu'il est conduit chez son maitre d'écriture, et pendant les jeux qui précèdent son mariage, les divi- nités du ciel, témoins de son habileté à tirer de l'arc, jettent aussi sur le jeune héros des fleurs à profusion". Lorsqu'il quitte le palais paternel pour embrasser la vie d’ascète, les Dieux répandent encore sur lui une pluie de fleurs, et les quatre gardiens du monde accou- rent avec leur suite innombrable de Gandharvas, de Nâgas, etc., tous portant dans les mains des fleurs 1. Bhägavata-Puräna, lib. X, cap. 25, 31 et #4, 42. 2. Bhâägavala-Puräna, lib. X, cap. 67, 26; 83, 27; 88, 27. 3. Acvaghosha, Buddhacarita, p. #1. k. Lalila Vistara, cap. VIIL, p. 108; IX, p. 142;,X, p.114; XII, p. 141. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES p23 divines. De même lorsque sa mère, qui l’a aperçu sur les bords de la Naïrañjanà, plongé dans ses austères méditations, cherche en vain à le ramener à la vie commune, pleine d'admiration pour sa constance sur- humaine, elle se retire dans sa céleste demeure au son des instruments divins, après l'avoir couvert. de fleurs de mandàära'. C’est par un sentier couvert de fleurs aussi que le Réformateur se rend vers le Bodhimanda ; une pluie de fleurs l’accueille au moment qu'il s’en approche et aussi longtemps qu’il reste sous l’arbre de l’Intelligence, les génies du ciel et de l'atmosphère jettent sur lui des guirlandes et des bouquets de fleurs”. De même quand il à triomphé de Mira, les Dieux, les Asuras et les Garudas, pour célébrer sa victoire, font pleuvoir des fleurs et de la poudre d’aguru, de tagara et de santal sur le Bienheureux”. Et le septième jour après sa mort, lorsqu'il est porté sur le bûcher, du haut des espaces lumineux du ciel, les Dieux répandent sur son corps des lotus de toutes couleurs et des pou- dres parfumées de santal *. Comme dans les légendes de Vishnu et du Buddha, les pluies de fleurs servent aux Dieux dans le Mahi- bhârata à manifester leur sympathie pour les héros du poème. C’est une pluie de fleurs célestes qui proclame la naissance légitime des fils de Pandu *. Comme mar- que de son admiration pour les hauts faits d’Arjuna, Indra verse une pluie de fleurs sur la tête du héros, 1. Lalita Vislara, cap. xv, p. 191 et 195; cap. xvn, p. 219. 2. Lalita Vistara, cap. xIX, p. 236; cap. XX, 244 et 254. 3. Lalita Vistara, cap. xx1, p. 286 et xx11, 299. — Spence Hardy, À manual, p. 182. 4. Lalita Vistara, appendice, vol. I, p. 385. 5. Sabha-Parva. Cf. A. Holtzmann, Die 19 Bücher des Mahä- bhärata, p. 32. 224 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS en même temps que de tous côtés des fleurs tombent du ciel. Quand Devavrata promet de renoncer au royaume de son pere et à toute postérité, pour témoi- gner de leur assentiment, les chœurs des Rishis et les Dieux font pleuvoir des fleurs du haut des airs’. Au moment où le fils de Kunti — Arjuna — pénètre dans le bois épineux, qu'il devait traverser pour atteindre les eimes de l'Himavat, une grande pluie de fleurs couvre la surface de la terre, tandis qu’un bruit de conques éclate dans le ciel?. De même lorsque le Vent, invoqué par Damayanti, proclame son innocence et ordonne à Nala de se réunir à son épouse digne de lui, comme il était digne d'elle, une pluie de fleurs tombe du ciel, tandis que retentissent les cymbales divines *. Non moins que dans le Mahäbhârata les pluies de fleurs sont fréquentes dans le Ràämâyana. Quand Râma, rejeton bien-aimé de Raghu, part pour remplir son auguste mission, en compagnie de Vicvämitra, une pluie de fleurs tombe sur lui, et l’on entend dans les airs des concerts de voix suaves, les fanfares des con- ques et le roulement des cymbales célestes. Pendant le mariage de Râma et de son frère Lakshmana avec les filles de Janaka, roi du Videha, une pluie de fleurs, où se trouvaient mêlés en abondance des grains frits, tomba sur la tête de tous ceux qui avaient pris part à la cérémonie sacrée ‘. Lorsque Sità sortit du sillon, tracé par son père autour du lieu du sacrifice, et que 1. Adi-Parva, 7054-7055, 1531 et 4062. 2. Vana-Parva, 1531. — A. Holtzmann, Arjuna. Strassburg, 1879, in-8, p. 12. 3. Nala et Damayanti, chant XXIV. — Félix Nève, Histoire littéraire de l'Inde, p. 142. &. Adikända, lib. XXV, 5; LXXV, 26. LES PLANTES DANS LES LÉGENDES RELIGIEUSES 525 le roi, la prenant dans ses bras, s’écria qu'elle était sa fille, la voix d’un être invisible répondit Oui! en même temps que tombait une pluie de fleurs, accompagnée par les sons harmonieux des tambours célestes. De même quand Ràma abat le démon Kharu d'une de ses flèches, les tambours célestes résonnent dans les airs et une pluie de fleurs: tombe au milieu du champ de bataille sur le front même de Râma'. Plus tard, lors- que Sità retrouvée, mais accusée injustement, subit triomphalement l'épreuve du feu, en signe d’approba- tion, une pluie de fleurs encore tombe du ciel, tandis que retentissent les cymbales divines *. Les poètes de la Renaissance n’ont pas manqué, à limitation des auteurs du Rämäyana et du Mahäbhà- rata, de donner place dans leurs récits aux fleurs cé- lestes ; Kàlidäsa en particulier en fait usage à chaque instant dans le Raghu-Varñça, poème où il célèbre la gloire et les ancètres de Râma. Ainsi, quand le roi Dilipa offre, comme un mets funèbre, son corps à un lion affamé, une pluie de fleurs, répandue par la main des Vidyädharas, tombe du ciel sur le généreux mo- narque. Lorsque Priyarnvada, changé en éléphant, reprend, frappé au front par la flèche d’Aja, fils de Raghu, sa forme première, il couvre le jeune prince de fleurs, cueillies sur l'arbre Kalpa*. A la naissance de Râma, une pluie de fleurs tombe du ciel sur le palais royal, en signe dé réjouissance pour cet heureux évé- nement. Et quand le héros à abattu les têtes mena- çantes de Ravana, les Dieux surpris répandent du haut 1. Aranyakända, lib. IV, 12-15 ; XXXV, 96. 2. Adikânda, lib. I, 88. 3. Chant Il, 60 et V, 52. 226 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS du firmament sur le front du vainqueur une pluie de fleurs, que suivent des essaims d’abeilles célestes. Des fieurs divines viennent encore lui inonder le front pour honorer sa victoire sur un autre démon, Lavana. Enfin lorsque le héros Kuça reçoit la main de Kumud- vati, les sons d’une musique divine se font, signe d’heureux augure, entendre jusqu'aux plages célestes et des nuages merveilleux déversent sur la tête des deux époux une pluie de fleurs parfumées”. Dans le poème de Kumdrasañbhava, Kàlidäsa raconte encore que le jour de la naissance d’Umà, fille d'Himavat, on vit une pluie de fleurs accompagner les fanfares de conques, qui retentissaient du haut du ciel”. De même que le ciel, l’enfer des poèmes épiques et des Purânas avait sa flore, empruntée, elle aussi, à la flore terrestre, mais dont les rares représentants aux tiges et aux fruits épineux, aux feuilles aiguës, comme le calmali, le Scirpus kysoor, le duhsparca — Hedy- sarum alhagi — la tikshnakuhà — Datura metel —, étaient tels qu'il convenait dans ce lieu « pour le sup- plice des méchants » — ydtand pâpakarmänäm —. Dans le Mahäbhärata*, lorsque Yudhishthira va dans l'Enfer à la recherche de ses frères, il aperçoit une forêt dont les arbres avaient pour feuilles des épées tranchantes, et des plaines d’un sable blanc et brülant couverts de kutaçälmalikas aux épines acérées et dou- loureuses à toucher. Parmi les différents enfers dont parle le Märkandeya-Puràäna, il y en a un, appelé Asi- pattravana, au milieu duquel se trouvait une forêt 4. Chant X, 78 et XII, 102 ; XV, 25 et XVI, 87. 2. 1Chantie 2e: 3. XVIII. Svargârohana-Parva, 23-25. LES PLANTES DANS LE CULTE 527 dont les arbres agréables à la vue avaient des feuilles semblables à des lames d'épée’. D'après le Bhâgavata, cet enfer était destiné à ceux qui se livrent à l'hérésie, et la forêt était composée de palmiers, dont les feuilles, épées à deux tranchants, déchiraient le corps des condamnés *. Il On voit par ce qui précède quelle place considérable les plantes avaient prise dans les légendes des Dieux, surtout des Dieux de la Trinité brahmanique; elles n’en occupaient pas une moindre dans le culte qu'on leur rendait; elles leur servaient d’attributs; elles ont fourni les premières offrandes qu'on leur ait faites. Brahmà est représenté un lotus à la main et trônant sur un lotus’. Vishnu, lui aussi, tient une tige de lotus dans une de ses quatre mains‘. Le lotus était égale- ment un des attributs de Krishna ; il portait sous cha- cun de ses pieds la marque de cette fleur; il aimait à s’en parer; le Bhâgavata-Puräna le montre agitant un nélumbo ou lotus rouge d’une main et ayant un lotus bleu fixé à son oreille”. Sarasvati est représentée au milieu d’une guirlande de ces fleurs divines°. Quand Lakshmi — Cri — sortit du sein des flots, lors du barattement de l'Océan, elle s’élanca à terre, Léon Feer, L'enfer indien. Paris, 1892, in-8, p. 52. Éibe Vi cap. 26,45: Vishnu-Puräna, lib. IV, cap. 1. . W.J. Wilkins, Æindu Mythology. Calcutta, 1882, in-8, p- 102. 5. Bhägavata-Puräna, lib. X, 23, 22; 30, 25 ; 32, 2; 35, 16. 6. Wilkins, Zindu Mythology, p. 92. + © D = D28 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS un lotus à la main; le lotus est resté un de ses attri- buts, comme du dieu son époux ; elle est figurée assise sur une fleur de padma et entourée des rameaux de cette plante sacrée”. Toutes les fleurs étaient d’ailleurs chères à cette déesse ; le poète du Mahäbhàrata dit* qu’elle est l’amie fidèle de ceux qui en possèdent. Les fleurs n'étaient pas moins aimées du dieu de l'Amour, Käma; mais celles du manguier surtout lui étaient chères. D’après une légende, cinq espèces de fleurs lui servaient de flèches ; les fleurs d’aravinda — lotus de jour —, d’açcoka, de cirisha, de cûta — man- guier — et d’utpala — lotus bleu —. Mais quoique d’une nature si délicate, ses traits, remarque Kälidäsa*, étaient néanmoins aussi durs que le diamant. « Ses flèches, dit également Hàla”, sont très dures; bien qu'elles ne touchent pas directement, elles causent une brûlure intolérable et cuisante ét qui pourtant fait du plaisir. » Comme le lotus, la tulasi était consacrée à Vishnu et à Krishna. Krishna est représenté portant une cou- ronne de tulasi. En voyant le culte que le dieu, qui se pare de ses rameaux, rend à la tulasi, tous les arbres et toutes les plantes du paradis de Vishnu témoignent, dit le Bhâgavata, un profond respect à 1. Vishuu-Puräna, Nb. I, cap. 9. — Rämäyana. Ayodhyà- kända, lib. XIE, 8. — Wilkins, p. 108. 2. Sabha-Parva, 850. 3. Weber, Abhandlungen für die Kunde des Morgenlandes, vol. V, p. 132, dit que les flèches de Kâma pouvaient aussi être composées de fleurs de campaka, cüta, nâgakecara, ke- taki et bilva. 4. Cakuntalä, Acte IT, scène 1. 5. Saptacataka. n° 329. Abhandlungen, vol. V, p. 186. LES PLANTES DANS LE CULTE b29 ce petit arbrisseau”. Des arbres aussi étaient consacrés aux Dieux; l’acvattha l'était au soleil — Sürya —, ainsi qu'a Vishnu, le plaksha à Yama ; le nyagrodha était regardé comme l’arbre de Varuna, l’udumbara, celui de Prajàpati, le bilva était l'arbre de Civa *. Le nyagrodha encore servait d'emblème à Käla — le Temps — et l’arka à Sürya *. Une herbe aussi, la dürvà, était l'emblème de Ganeca. Les plantes, qui jouent un si grand rôle dans la lé- gende de Cäkyamuni, occupent également une place considérable dans la religion dont il fut le fondateur ; un arbre, celui même près duquel il était, croyait-on, arrivé à l'Ilumination suprême, était consacré à chaque Buddha : l’acvattha à Gautama ou Càkyamuni, le nya- grodha à Kàcyapa, son prédécesseur, l’udumbara à Kanakamuni, le cirisha à Krakucchanda, le câla à Viçcvabhu, le pundarika ou nymphéa blane à Cikhin, le pâtali à Vipacyin, l’amanda à Pushya, l’asana à Tishya et le karnikära à Siddhàärtha, pour ne citer que les dix derniers Buddhas *. Mais le nélumbo ou padma était l'emblème le plus ordinaire des Buddhas et même des Bodhisattvas ; ils sont presque toujours figurés, soit debout, soit assis, sur une fleur double de padma , image du bodhi- 1. Bhâägavata-Puräna, Lib. X, 35, 10 ; IT, 15, 19. 2. Gobhila, Grihya-Sütra, lib. IV, cap. 7, 24. Wilkins, p. 391. 3. Monier-Williams, Religious Thought in India, p. 337-338. 4. Cunningham, The Stüpa of Bharhut, p. 45-46, pl. XXIX, 1,2,3, 4; XXX, 1,2. — Griffiths, The paintings of Ajantä, vol. [, p. 36. — Spence Hardy, À manual, p. 95. L’'asana est la Terminalia tomentosa; l'amanda, le Ricinus communis. 5. Räjendralàla Mitra, Buddha-Gayä, pl. XX, 2 et 3; XXI, 1. — H. H. Cole, Buddhist sculptures of Gandhara, pl. I. — JorET. — Les Plantes dans l'antiquité. IT. — 34 230 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS manda. Une fleur de nélumbo est parfois même figurée sous chacun de leurs pieds”. Dans une des niches du temple de Bodh-Gayà, on voit le Buddha enseignant, assis sur une fleur double de nélumbo, une tige fleurie de cette plante passée sous chaque bras. Dans une autre niche, il apparaît encore tenant à la main une fleur de padma”. Dipañkara, le 24° prédécesseur de Gautama, est représenté sur des miniatures d'anciens manuscrits, étudiées par M. A. Foucher, au milieu du « grand Océan », une fleur de lotus dans la main gauche ; sur une autre miniature, où il est accompagné du bodhisattva Vajrapäni, celui-ci tient également à la main un lotus, tandis que de l’autre côté de Dipañ- kara se dresse une tige de nélumbo surmontée de trois fleurs épanouies”. Les statues des bodhisattvas des grottes d'Elurà ont aussi des nélumbos dans la main gauche“. On voit au Musée de Calcutta une sculpture qui représente le bodhisattva Avalokitecvara une fleur de lotus rouge à la main; il en porte une aussi sur diverses miniatures. Au lieu d’un nélumbo ou lotus rouge, c’est un lotus bleu que tiennent, de la main gauche, les bodhisattvas Mañjucri et Vajrapäni, tandis qu'un autre bodbhisattva, Maitreya, a, sur une statue du Maghada, pour attribut une fleur blanche à cœur d'or — campa —, passée sous le bras gauche. Une Grünwedel, Buddhistische Kunst, fig. 78, 85, 87, etc. — A. Foucher, L’Iconographie bouddhique, pl. HI, 3, 4, 5,6; VI, 4, 5, 6 et fig. 14. 1. Bas-reliefs de Sänchi et d’Amarävati. Fergusson, History of Indian Architecture, p. 97 et 184. 2. Buddha-Gayä, pl. XX, 2: XXII, 1 ; XXVI, 1 et XXXII, 1. 3. A. Foucher, L’Iconographie bouddhique, pl. Il, 2, 3 et 4. 4. Archaeological Survey of Western India, vol. V, pl. 19, 6 et 20. LES-PLANTES DANS LE CULTE 231 espèce de fleur d’or de forme lancéolée est aussi portée de la même manière par le bodhisattva Samanta- bhadra. Une statue du Musée de Calcutta, provenant encore du Maghada, et qui représente Jambhala, nous montre ce bodhisattva tenant dans le creux de la main droite un citron — jambhara —., fruit dont il tire pro- bablement son nom. Quelques déesses inférieures ont également recu des fleurs comme attributs. À Bodh-Gayà, Padmapäni est représentée ayant, ici une fleur de lotus dans chaque main, là une tige fleurie à la main gauche. On y voit aussi Mäyädevi, tenant une tige terminée par une fleur *. À côté d'une statue de Tàrà, au Musée de Cal- cutta, se dresse un lotus bleu et, sur plusieurs minia- tures, cette déesse en porte un à la main gauche, tandis que la déesse Cundà, dans une de ses seize mains, à un lotus d’or. Kurukulà, qui semble être le nom d’une Tärà à quatre mains, tient de l’une d'elles une fleur d'açoka. C'est également cette dernière fleur que Mà- rici, sur diverses miniatures, porte de la main gauche*. Le culte des Dieux chez les Hindous — il en était de même chez les autres peuples indo-européens — 1. A. Foucher, L’Iconographie bouddhique, p. 103, fig. 12 CMS EDEN 4092" 49 pl VE, Sp 112% fe 1%; p.115, he M5et17; p.120'et:121,:pl° Il, 3; pl VI,2;, 3,5%, 5; p. 123- 124, fig. 20: pl. IT, 1 et IX, 2. À 2. Räjendraläla Mitra, Buddha-Gayä, pl. XXII, 1: XXVIIT, 1; XXVI, 3; XXIX, 1; XXXII, 3. 3. A. Foucher, L’Zconographie bouddhique, p. 131-356, fig. 23, pl. VII, 1, 2, 3, 4, 5,6; p. 142 et 145, fig. 24 et 25: pl. VIII, 3, pre; pi VHI,22; 5: 532 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS consistait essentiellement, à l’origine, dans l’oblation — havis ou 1shti — de mets, de breuvages enivrants ou rafraichissants. De l’eau, du lait et du beurre fondu, des grains d'orge ou de froment — dhäénd ou pari- väpa —, préalablement grillés, des gâteaux pétris avec de l’eau — purodäçca — ou préparés avec du beurre — apüpa —, de la bouillie faite avec de la farine d'orge — karambha —, ainsi que du riz au lait — sthälipika —, telles étaient les offrandes que faisaient à leurs Dieux les contemporains des premiers Védas ’. Les produits du règne végétal, on le voit, y occupaient une large part ; ils en occupèrent une plus grande encore par la suite. Le Vishnu-Puräna compte quatorze espèces de grains qui pouvaient servir d'of- frandes. C'étaient, outre l'orge et le froment des temps védiques, le millet, le riz cultivé et le riz sau- vage, le sésame sauvage ou cultivé, le priyañgu, le cyämäka et le markataka, la gavedhukà et le venuyava, enfin le mâsha et le kulatthaka *. Il faut y ajouter les fruits et les racines, et, surtout, depuis l'établissement du bouddhisme et du brahmanisme, les fleurs et les parfums. Les offrir aux Dieux, n’était-ce pas leur rendre hommage comme à des hôtes qu’on voulait honorer ? Cratadeva, dans le Bhägavata-Purâna, en recevant Krishna dans sa demeure, se concilie la bienveillance du dieu avec une offrande de fruits, de racines d’uçira, 4. Rig-Veda, lib. IT, 35, 3 et X, 45, 9. — Véjasaneya-Sar- hitä, lib. XIX, 22. — W. Caland, Altindisches Zauberritual. Probe einer Ueberselzung der wichtigten Theile des Kaucika- Sütra. Amsterdam, 1900, in-4, p. 52. 2. Lib. 1, cap. 6. La gavedhukä est la Coix barbata, le venuyava, la graine de bambou. LES PLANTES DANS LE CULTE 533 de fleurs de tulasi, d'herbe kucça et de tiges de lotus, « présents dus à la simple nature. » Dans le même poème sacré, les fidèles offrent à Vishnu, tantôt des gâteaux d'orge et de riz ou des grains de riz grillés, tantôt des fruits avec des racines des bois, des guir- landes ou des couronnes de fleurs, avec la plante tulasi, du gazon sacré et même des feuilles d'arbre’. « Quand, après m'être baigné dans la Gangâ, dit un poète’, et t'avoir honoré, Ô Civa, avec des fleurs et des fruits purs. secouerai-je la souffrance que me cause le ser- vice des hommes. » Dans le Mahäbhärata, on voit Virâta ordonner de rendre hommage aux Dieux avec des offrandes de fleurs, et Sambarana honorer dévo- tement le soleil avec des parfums et des bouquets de fleurs ?. Les offrandes de fleurs et de parfums constituaient presque tout le culte des bouddhistes. Rien que de jeter des fleurs en l'honneur du Buddha était aux yeux de ses sectateurs une œuvre pie‘. On en parait les vihäras où ils se rassemblaient; on en répandait devant ses reliques et ses images ou celles des autres Buddhas ou Bodhisattvas, en même temps qu'on y allumait des lampes”. Les jours de fêtes on sortait du vihàra de Kanyäkubja la chässe où était rénfermée la dent du Buddha; on l’exposait sur un trône en public, et la foule y brülait de l’encens et répandait des fleurs 1. Bhâgavata-Puräna, lib. X, 86, 41; XI, 3, 53. 2, Bhartribari, Les slances érotiques morales et religieuses, trad. par P. Regnaud, IIT, 88. 3. Virâta-Parva, 2184. — Adi-Parva, 6529. 4. Lalita-Vistara, cap. 27, p. 373. 5. Fà-Hien, À Record of Buddhistice Kingdoms, etc., trans- lated by James Legge. Oxford, 1886, in-8, p.45 et 83. — Hiuen- Tsiang, Buddhist Records, vol. IT, p. 174 et 184. 534 | LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS devant elle *. On honorait de même les bodhidrumas et les stüpas. Les bas-reliefs nous font assister au : culte dont ces monuments étaient l’objet et auquel des animaux eux-mêmes prenaient part. Les pelerins chi- nois Fà-Hien et Hiuen-Tsiang racontent la légende des éléphants, qui apporterent, les uns des branchages, les autres des fleurs, pour rendre hommage au stüpa de Râämagrama, tandis que d’autres, avec leur trompe, en arrosaient le pourtour :. Avec le temps, les offrandes de fleurs et de parfums prirent dans le culte hindou une place toujours plus grande ; on en faisait à tous les Dieux. D’après Hiuen- Tsiang, les femmes du Moultan allumaient des torches dans un temple du Soleil, qui se trouvait pres Müla- sthänapoura, capitale de la contrée, et elles y offraient en l'honneur du Dieu des fleurs et des parfums”. La reine, dans Urvaci', salue, avec une offrande de fleurs, les rayons de la lune, et dans Cakuntalà ”, l’une des jardinières du palais, offre à Käma un rameau de fleurs de manguier. « Honore le Dieu d'Amour, dit un personnage de Ratnàävali”, en parant de tes propres mains cet arbre de fleurs, de safran, de santal et de parfums ». On n'offrait pas seulement des fleurs aux Dieux, on en ornait les victimes et on en répandait avec des eaux de senteur sur le sol; on parait aussi de festons et de guirlandes les piliers et les portiques des édifices sacrés, tandis qu'on brülait dans l'enceinte de Hiuen-Tsiang, Buddhist Records, vol. I, p. 122. A Record, p. 69. — Buddhist Records, vol. II, p. 28. . Buddhist Records, vol. Il, p. 2784. Acte IIT. Trad. L. Fritze, p. 44. Acte VI, scène 2. Trad. L. Fritze, p. 80. - Acte: Trad: L. Fritze;vp. 21. O2 D D Où + LES PLANTES DANS LE CULTE 539 l’encens et des parfums’. Cet usage a persisté. Les fleurs de kadamba, du rhododendron arborescent, de la Bignonia chelonoïdes, du Clerodendron siphonanthes, du daphné papyracé, etc., en particulier, sont encore aujourd'hui, et sans doute depuis longtemps, offertes dans les temples hindous. On plante aussi dans leur voisinage des arbres à fleurs éclatantes ou parfumées, tels que le campaka, l’açoka, l'olivier odorant *, etc. Les plantes et les fleurs ne figuraient pas unique- ment dans les oblations qu'on faisait aux Dieux ; elles avaient leur place marquée dans les cérémonies ou rites, qui accompagnaient les principaux actes de la vie privée et publique de l'hindou * et devaient assurer son bonheur et son bien-être pendant son existence et après sa mort: collation du nom, premiére coupe des cheveux ou de la barbe, entrée à l’école, mariage, construction d’une maison, funérailles, etc. Ces rites commençaient dès avant sa naissance. Aïnsi le qua- trième ou sixième mois de la grossesse, à l’époque du croissant de la lune, après avoir fait une offrande d’un plat de riz, cuit avec des haricots mungo, le père se plaçait derrière la jeune épouse, assise à l'Ouest du foyer et la face tournée vers l'Orient, sur une poignée de darbha ou de kuça: puis successivement avec un chaume de darbha, une tige de viratara ou ucira et un piquant de porc-épic, il lui faisait une raie dans les cheveux ; après quoi il lui attachait autour du cou un 1. Rämaäyana. Adikanda, lib. XIII, 33. — Wudräräkshasa, acte IT, scène 3, p. 58. 2. Brandis, Flora, p. 167, 262, 281, 309, 352, 386, etc. — J. D. Hooker, /imalayan Journals, vol. I, p. 387. 3. A. Hillebrandt, Ritual-Lilteratur, p. 4. (Grundriss der indo-arischen Philologie, vol. TT, fase. 2). 236 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS collier de fruits d’udumbara non mürs et en nombre impairs ‘. Dès que l'enfant paraissait, le père répan- dait des tiges de darbha autour du foyer et y faisait deux oblations de beurre clarifié — djya — ; puis avant que personne le touchàt, il lui faisait prendre, à l’aide d’une cuillère d’or, à laquelle était fixée une tige de dharba, — ou simplement à l’aide du pouce et du quatrième doigt —, un peu de farine de riz et d'orge, ou, suivant d'autres, un mélange de miel et de beurre, cérémonie symbolique — medhäjanana —, destinée à ouvrir l'intelligence du nouveau-né. En même temps, il lui donnait un nom secret, connu de lui seul et de la mère, et, dix jours après, le nom qu'il devait porter en public”. Cette dernière cérémonie est sans importance au point de vue qui nous occupe; des libations, accom- pagnées d’une invocation aux Dieux, marquaient sim- plement aussi celle dans laquelle, le sixième mois, le père donnait pour la premiére fois des aliments solides à l'enfant”. La cérémonie de la première coupe de cheveux — cädäkarman —, qui avait lieu la troi- sième année, revêtait, au contraire, un Caractère so- 1. Grihya-Sütras. Câñnkhâyana, 1, 22. Âcvalâäyana, I, 414. Päraskara, I, 15. Gobhila, Il, 7. Hiranyakecin, II, 1. Âpastamba, VI, 14. (Sacred Books of the East, vol. XXIX et XXX). Le mois varie suivant les auteurs, ainsi que les détails de la cérémonie. Gobhila, entre autres, ne connaît pas le collier de fruits d'udumbara ; il ne parle pas non plus d’oblation préliminaire, mais d’un plat de riz — sthâlipäka —, cuit avec des grains de sésame, recouverts de beurre fondu, emblème de fécondité, sur lequel, après la cérémonie, l'épouse devait jeter les yeux. 2. Cankhâyana, I, 24, 3-4. Pâraskara, I, 16, 4. Khâdira, I, 2, 32-33. Hiranyakecin, Il, 1, 3, 9. Âpastamba, VI, 15, 4. Gobhila, IT, 7, 14 et 18-19. | 3. Cânkhâyana, I, 27. Âcvaläyana, I, 16. Pâraskara, I, 19, etc. LES PLANTES DANS LE CULTE 931 lennel et les plantes y jouaient un rôle considérable *. Avant d'y procéder, on plaçait d’abord au Sud d'un feu allumé à l'Est de la maison, sur un emplacement enduit de bouse de vache, vingt et une tiges de kuca, un vase en airain rempli d’eau chaude, un rasoir en bois d’udumbara et un miroir; puis, au Nord, de la bouse de la vache, recouverte de tiges de kuça”, un plat de riz bouilli et des vases respectivement pleins de riz et d'orge, de sésame et de haricots. Ensuite la mère, après être allée s'asseoir sur un coussin d'herbe kuca, à l'Ouest du feu et la face tournée vers l'Est, prenait l'enfant sur ses genoux. Le père se plaçait alors à l'Occident de la mère, et après une invocation à Savitri et à Vàäyu, avec de l’eau tiède et du beurre frais ou du lait caillé, il frottait par trois fois la tête de l'enfant, en allant de gauche à droite, puis réunis- sant en touffe les cheveux du côté droit, il y intro- duisait trois tiges de kuça, la pointe tournée vers la peau, en disant : « O herbe, protège-le; » il prenait ensuite le rasoir en bois d'udumbara et l’approchait des cheveux, en prononçant les mots : « Hache, ne le blesse pas *. » Il procédait de la même manière pour le derrière et le côté gauche de la tête. Après ce simu- lacre, le barbier, avec un rasoir de métal, procédait à la véritable opération, en déposant chaque fois les che- veux coupés sur la bouse de vache, qu'on enterrait, 1. Câäñkhâyana, I, 28. Âcvalâyana, I, 17. Gobhila, II, 9, etc. Il est inutile de relever les différences qui se rencontrent dans les divers sûtras. Cf. Kirste, /ndogermaniche Gebräuche beim Haarschneiden. Analecta Graeciensia. Wien, 1893, in-4. 2. Âcvalâyana dit de feuilles de cami — Prosopis spicigera. 3. Gobhila seul parle du rasoir en bois d’udumbara et de ce simulacre de coupe. Cf. A. Hillebrandt, Ritual-Litteratur, p. 49. d38 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS quand tout était fini, dans un endroit herbeux et près d'un cours d’eau. La cérémonie de la première coupe de barbe à seize ans — kecdnta — se passait de la même manière. Quelque importantes qu'elles fussent, l'admission à l'école et l'initiation — wpandyana — à l'étude du Véda ne doivent guëre nous arrêter, parce que les plantes y jouent un rôle tout à fait secondaire ‘. C'était a huit, onze ou douze ans, suivant la caste à laquelle il appartenait, que, la tête rasée, le futur étudiant était conduit chez le maitre qui devait l’instruire. Celui-ci, qui l’attendait, assis sur un siège de kuca, à l'Ouest du feu allumé pour l’occasion, faisait d’abord une oblation d'àjya, puis il remettait au novice un costume neuf et le ceignait d’un triple cordon de muñja. Le disciple prenait alors un léger repas ; ensuite le maitre lui énumérait les devoirs qu'il aurait à remplir. Quand il avait fini, il donnait à son élève le bâton propre à sa condition. Celui-ci inaugurait sa nouvelle existence en mettant au feu, qu'il était désormais chargé d'entretenir, sept bûches de palàäça. Son noviciat était commencé ; il pouvait durer douze ans et davantage”. Quand ses études étaient terminées, après avoir pris un bain, s'être oint, avoir mis une dernière büche au feu et posé une couronne sur sa tète, le disciple disait adieu à son maitre, et prenant, dés que les étoiles avaient paru, un bäton de bambou à la main, il regagnait la maison paternelle *. 1. Cäñkhäyana, Il, 1-12. Gobhila, Il, 10. Hiranyakecin, I, 1. A. Hillebrandt, Ritual-Litteratur, p. 51-55. 2. A. Hillebrandt, Rütual-Lilleratur, p. 51. 3. Câäñnkhäyana, IT, 1. Pâraskara, II, 6. Gobhila, III, 4. Hiranyakecin, [, 3, 9-10. Apastamba, V, 12. LES PLANTES DANS LE CULTE 539 Désormais il pouvait prétendre aux honneurs aux- quels un homme de sa caste avait droit ; ceux de l’'argha — réception hospitalière —, en particulier lui étaient rendus par l'hôte chez lequel il s’arrêtait au retour. À son arrivée il recevait une botte de gazon, - sur laquelle il s'asseyait, pendant qu'on lui lavait les pieds ; puis l’eau d'honneur — arghya —, dont il buvait quelques gorgées ; ensuite on lui offrait, dans un vase d’airain, posé sur deux touffes d'herbe, le madhuparka, mélange de lait caillé, de miel et de beurre clarifié, aux- quels on ajoutait parfois aussi de l’eau et de la farine". Il le déposait sur le sol, « nombril de la terre », remuait le tout trois fois et le mangeait. Même dans cet acte si simple, les plantes, on le voit, intervenaient par leurs produits; elles jouaient un rôle bien autre- ment important dans les rites si divers du mariage*?. Quand la demande du prétendant, faite par ses amis, était agréée, les assistants, en signe d'accord, posaient la main sur un vase rempli de fruits, de fleurs et de grains d'orge frits; puis l'un d'eux le plaçait sur la tête de la future. Le jour fixé pour la cérémonie, on allumait un feu près duquel on posait une cruche d'eau, une corbeille remplie de grains frits et de feuilles de çami, ainsi qu'une pierre meulière. C’est la qu'après s'être baignée et ointe de parfums, la fiancée, revêtue d’une robe neuve attendait son fiancé. Celui-ci arrivait, couvert de ses plus beaux habits, et prenait place à côté d'elle sur une natte de jonc. Alors tenant de la main gauche des tiges de kuça, il faisait de la droite 1. Hiranyakecin, I, 4, 12 et 13. Âpastamba, V, 13. 2. Zimmer, Altindisches Leben, p. 311. — M. Winternitz. Das altindische Hochzeitsritual. (Denkschriften der kün. Aca- demie der Wissenschaften zu Berlin, vol. XL, 1892.) 540 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS avec le sruva et en invoquant les dieux, trois offrandes d'éjya; pendant ce temps, la fiancée tenait la main droite sur son épaule gauche. Puis tous deux se levaient, et il la conduisait, en allant de droite à gauche, trois fois autour du feu’, et chaque fois il lui faisait poser le bout du pied sur la pierre. Après cela le frère de la fiancée ou, suivant d’autres, le flancé lui-même, plaçait dans ses mains des grains frits, arrosés d’àjya ; elle les répandait sur le feu en disant : « Puissé-je apporter bénédiction aux miens! puisse mon mari vivre long- temps! » Alors il lui faisait faire sept pas dans la direction du Nord-Est; puis, d’après Gobhila, on les aspergeait d’eau tous les deux. Enfin la prenant par la main droite, le fiancé prononçait ces paroles sacra- mentelles : « Je prends ta main, gage de bonheur. C'est moi, c’est toi. Je suis le Ciel, tu es la Terre. Sois-moi dévouée*. » Maintenant commençaient les diverses réjouissan- ces : concerts d'instruments, chants et danse, accom- pagnement ordinaire de la fête; quand elles étaient terminées, la jeune épouse, montait, avec son mari, sur le char nuptial, qui, primitivement en bois de çalmali et orné de fleurs de kirnçuka”, devait la conduire à sa nouvelle demeure“. À peine arrivés, leur premier soin était d'allumer le foyer avec le feu apporté de la mai- son paternelle ; puis après avoir fait asseoir sa jeune 1. Dans le Mahäbhärata, c'est l’archibrame qui conduit Krishnà et Yudhishthira auteur du feu sacré. Adi-Parva, 7340. 2. Cânkhâyana, I, 12-14. Âcvalâäyana, I, 7, 3-19. Pâraskara, [, 4-8. Gobhila, IT, 1, 18 : 2, 11. Khâdira, I, 3, 6-26. Hiranya- kecin, I, 6, 19-22. Apastamba, II, 4, 1-16. 3. Râmäyana. Adikända, LXXV, 28. 4. Rig-Veda, lib. X, 85, 7-8 et 10. — Gobhila, IT, &, 1. LES PLANTES DANS LE CULTE 541 femme sur une peau de taureau, le mari sacrifiait aux dieux. Cependant la nuit était venue ; il sortait alors avec elle et lui faisait voir l'étoile polaire; quand ils étaient rentrés, elle préparait, avec leur premier repas, une bouillie de riz qu’elle offrait à Agni ‘. Lorsque, n'ayant pas de maison à lui, l’hindou vou- lait en édifier une, les plantes intervenaient encore dans ce nouvel acte de sa vie. Il choisissait pour l’élever un terrain incliné vers l'Est, à l'abri des inondations et sur lequel croissaient du kuca et du virina ou une autre espèce d'herbe tendre, mais point de plantes épineuses ou à suc laiteux *; puis après en avoir délimité l'emplacement, il l’aspergeait avec un rameau de cami ou d’udumbara trempé dans l'eau, en en faisant trois fois le tour. Il creusait ensuite les trous destinés à recevoir les piliers de la maison, et y jetait des touffes d’avakà ou cipäla, plante aquatique qui devait empêcher qu’un incendie ne détruisit la nouvelle construction. Il étendait en outre dans la fosse du pilier central des chaumes de kuca, les pointes tournées vers l'Est et vers le Nord, et versait dessus de l’eau avec des grains de riz et d'orge. Puis il dres- sait les divers piliers et plaçait dessus la poutre-mai- tresse du toit avec des paroles de bon augure”. Il disposait le foyer ensuite à l'angle Nord-Est de la mai- son et creusait au Sud une fosse, destinée à recevoir le baril à eau, et dans laquelle il répandait des tiges 1. Câñkhâyana, [, 15-17. Hiranyakecin, I, 7, 22-23. 2. D’après Gobhila, IV, 7, 22, il ne devait point y avoir non plus d’acvattha à l'Est de la maison, de plaksha du côté du Sud, de nyagrodha au couchant ou d’udumbara au Nord. 3. Gobhila, IV, 7, 1-20. — Hiranyakecin, I, 8, 27. — Âpas- tamba, 7, 17, 1-6. — Âcvalâyana, Il, 7-8. 542 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS de kuça, puis des grains d'orge et de riz. Enfin, le soir venu, il allumait le nouveau foyer avec du feu apporté d’un foyer étranger, où brûlait du bois de palâca ou de cami, et il y faisait une offrande expia- toire ‘: Tous les actes de la vie de l’hindou, même les plus ordinaires, étaient ainsi marqués par quelque pratique religieuse, et à chacune d'elles étaient associées les plantes ou leurs produits. Chaque jour, matin et soir, il offrait à Agni et à Prajäpati une poignée de grains d'orge et de riz*, et répandait sur le foyer domestique une oblation de lait — l’agnihotra —, mêlé parfois de grains frits d'orge ou de riz. il prélevait à chaque repas les prémices des mets, qu’il déposait en divers lieux de son habitation, en l’honneur des divinités de laterre, de l'air et des eaux. Les travaux agricoles, en particulier, qui occupaient une si grande place dans la vie des anciens Hindous, étaient accompagnés de rites pieux. Ainsi avant de labourer, le père de famille, à l'extrémité orientale du champ, offrait, en les invo- quant, un bali — oblation de mets — au Ciel et à la Terre*. Quand les bœufs étaient attelés, il fixait le soc à la charrue en prononçant des paroles de bon augure“; après quoi, il ouvrait le premier sillon. Et à chaque sillon tracé, il offrait à Indra un puroâdça et un sthà- 1. Päraskara. III, 5, 2. — Âpastamba, VII, 17, 7-18. 2. Hiranyakecin, [, 6, 23, 8. 3. Cânkhâyana, IV, 13, 2. Suivant Pâraskara, I, 13, 1-2, il faisait aussi alors à Indra, à Parjanya, aux Acvins, aux Maruts, à Sità, etc., une offrande de lait caillé, de grains de riz et de parfums. 4. D’après le Catapatha-Brähmana. VII, 2, 3-5, la charrue devait être en bois d'udumbara et on y fixait le soc à l'aide d'un triple cordon en muñüja. LES PLANTES DANS LE CULTE ; 543 lipâka aux Acçvins. On sacrifiait à ces mêmes divinités, ainsi qu'aux Maruts, à Sità, à Parjanya, etc., au moment des semailles, dela moisson et de l’engrangement dela récolte‘. Quand elle était terminée, on en offrait les prémices — dgrayana — à Indra et à Agni, en leur faisant une oblation de grains de riz bouiili avec du lait et de quatre àjya *. Chaque jour aussi, à la sortie et à la rentrée des vaches à l’étable, on faisait une offrande d’une bouillie de riz au lait à Agni, à Pushan, à Indra et à Içvara, parfois encore à Yamaet à Varuna, et on aspergeait le taureau etles vaches avec une touffe de dürvà, trempée dans de l’eau parfumée. Pen- dant l’offrande à Agni, on les plaçait également autour du feu, afin qu’elles respirassent la fumée salutaire du sacrifice”. En honneur des divinités connues et incon- nues des champs, on déposait aussi, en différents endroits, des feuilles de palàca, sur lesquelles on avait mis un peu de bouillie de riz. Pour se défendre contre les maléfices de Rudra et de sa troupe, on façconnait également avec des feuilles une petite corbeille, dans laquelle on plaçait entre deux couches de beurre fondu une boulette de riz cuit; et on allait au delà de la limite du pâturage, la suspendre à un arbre, en disant : « Porteurs de carquois, touchez-le ! Salut aux por- teurs de carquois. » Et le sacrifiant ajoutait : « Ado- ration au porteur de carquois ! Adoration au maître des voleurs. » On avait coutume encore pour se conci- 1. Kaucika-Sütra, X, 1-14. — Pàäraskara, II, 13. — Gobhila, IV. 4, 30. 2, Câñkhäyana, III, 8, 1. — Âcvalâäyana, II, 2, 4. — Pâras- kara, III, 1, 3-6. — Gobhila, IE, 8, 9-10. 3. Gobhila, II, 6, 9-15. — Hiranyakecin, IT, 3, 8, 6-10 et 9, 7. — Âpastamba, VII, 20, a remplacé Icvara par Isäna. D LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS lier Kshetrapati, le « Seigneur des champs », de mettre de la bouillie de riz sur quatre ou sept feuilles, que l’on plaçait au milieu du sentier suivi d'ordinaire par les vaches”. Les plantes ne figuraient pas seulement dans les rites de la vie privée des Hindous, elles occupaient une place encore plus considérable dans les actes de leur vie publique, en particulier dans les sacrifices du feu et du soma, condition ou accompagnement de presque tous les autres. Apportés du ciel sur la terre pour le bien-être et la consolation des hommes, élevés au rang de divinités, le feu et le soma devinrent chez les Hindous, comme chez les Iraniens, l’objet d’une vénération particulière, sans arriver toutefois à revêtir une existence personnelle indépendante, qui les sépa- rat nettement, comme cela a eu lieu chez les Grecs et les Romains pour Hephaistos-Vulcain ou pour Dionysos-Bacchus, de leur nature primitive ?. Ils subsistérent toujours sous leur forme primordiale, et le premier acte des sacrifices où ils figuraient était de les faire sortir du bois ou de la plante qui les recélait. Auxiliaire indispensable de toutes les cérémonies religieuses, l’'agnyddhäna, qui consistait à allumer le feu, les précédait toutes et en était comme le prélude. On pouvait emprunter le feu à un foyer étranger”, mais dans les circonstances solennelles, on l’allumait en frottant deux morceaux de bois — aranti — l’un contre 1. Hiranyakecin, II, 3, 9, 2-6 et 8. — Âpastamba, VII, 20, 5-7 et 13. 2. S. Lefmann, Geschichte des allen Indiens, p. 78. 3. Cäñnkhâäyana, I, 1, 8-9. — Gobhila, I, 1, 15-16. — Alfred Hillebrandt, Vedische Mythologie, vol. 11, Ushas, Agni, Rudra. Breslau, 1899, in-8, p. 76. — Id., Ritual-Lilleralur, p. 69. LES PLANTES DANS LE CULTE D4ù l’autre ‘. L'un de ces morceaux, l'inférieur, était une planche cubique taillée dans une branche qu'on avait coupée, « sans se retourner », Sur un acvattha ; autant que possible, celui-ci devait avoir poussé sur le tronc d’une çami? ; l’autre morceau était un bâton, qu'on faisait tourner avec les mains, en appuyant l'extrémité dans une entaille pratiquée dans la planche”. Ce pro- cédé primitif, le seul que parait avoir connu l'âge védique, et qu'on employait parfois encore à l’époque des Brähmanas“, fut dans la suite remplacé par un appareil construit sur le même principe, mais plus compliqué. Il se composait d'une planche quadrangu- laire en acvattha, — l’arani proprement dit — et de l’agitateur — pramantha —, bàton également en acvattha, aminci à l’une des extrémités, carré à l’autre, dans laquelle s’engageait un fuseau en khadira, garni de fer aux deux bouts et pourvu d’une rainure trans- versale, afin que la corde qui devait le mettre en mou- vement ne glissät pas *. Pour se servir de cet appareil, on enfonçait la pointe inférieure du pramantha dans un trou pratiqué au milieu de larani, tandis qu'on maintenait fixe la partie supérieure au moyen d'une pièce de bois carrée, l’ovli; puis après avoir placé Vishinu-Purâna, lib. IV, cap. 6. Taittiriya Brâähmana, lib. I, 1, 9, 1. Rig- Veda, lib. III, 29, 1-2 et 5-7; VII, 1, 1. Catapatha Brâhmana, lib. III, 4, 20-23. . R. Roth, Zndischer Feuerzeug. (Zeitschrift der deutschen morgenländischen Gesellschaft, vol. XLIIT (1889), p. 590 et suiv.). Il y avait deux planches en acvattha ; je laisse de côté la seconde pour ne pas compliquer la description. Aujourd’hui encore certaines tribus hindoues contemporaines se servent pour allumer le feu sacré de bois de santal ou de palâca, et, pour le produire, d’un arani en cami. W. Crooke, The Tribes and Castes of the North- Western Provinces, vol. I, p. 31. JoRET. — Les Plantes dans l'antiquilé. II. — 35 UE Re D46 LES PLANTES CUEZ LES HINDOUS sur l’arani deux brins de kuca et de la bouse de vache séchée, on faisait tourner le fuseau à l’aide de la corde. Des étincelles ne tardaient pas à se dégager de l’arani; elles mettaient le feu à la bouse de vache. Quand cette substance était suffisamment embrasée, on s’en servait, en y mettant des broutilles — oshadi — ou des copeaux — bilma —, pour allumer le feu du foyer domestique — gérhapatya —, feu, qui devait brûler sans interruption dans toute maison hindoue, et était entretenu avec des büches d’essences déterminées : açvattha, udumbara, parna, çami, vikañkata, ou encore d’un arbre frappé par la foudre, tué par le froid ou brisé par le vent". C'était avec ce feu qu'on cuisait les aliments ; c'était sur lui aussi que le père de famille accomplissait tous les rites domestiques, qu'il versait, dans les cérémonies dont j'ai parlé, l'offrande de l’äiya et que, matin et soir, il faisait, en l'honneur d'Agni, l’oblation de l’agnihotra. Mais si le feu du foyer domestique suffisait seul pour les rites de la vie privée et à un simple père de famille, les brahmanes, les chefs de districts, etc., étaient tenus d’en entretenir plusieurs, et trois feux au moins étaient nécessaires pour la célébration des fêtes et des sacrifices publics. Ces feux disposés autour de la vedi, espèce de fosse quadrangulaire creusée dans la direction du Nord au Sud et recouverte de gazon sacré, étaient le gdrhapatya de forme circulaire, placé à l'Ouest, l’éliavaniya de forme carrée du côté de l'Est, entin au Sud l'autel demi-circulaire du dak- slunägni*, On allumait d’abord le gàrhapatya, puis avec 1. Âpastamba, V, 2, 4. — Taitlirtya-Brähmana, I, 1, 3, 9. 2, L. von Schroeder, Zadiens Literatur und Cultur, p. 97. LES PLANTES DANS LE CULTE D47 une bûche d’acvattha, enflammée à celui-ci, l'ähavaniya, en dernier lieu le dakshinägni. Chacun de ces feux avait d’ailleurs son emploi et sa signification particu- lière. Le gârhapatya était le feu de la terre; l'àäha- vaniya, considéré comme l'emblème du soleil, était le feu du ciel et de ses divinités ; le dakshinâgni était consacré à l'air eten particulier à Vâyu ; c'était sur lui qu'étaient faites les offrandes aux Mânes”. Parmi les sacrifices qui exigeaient l'emploi des trois feux sacrés figuraient au premier rang ceux qu’on célébrait à l’époque de la nouvelle et de la pleine lune. D'ordinaire ils duraient deux jours et peuvent être regardés comme le modèle ou le type des 2shfis ou offrandes solennelles faites par les anciens Hindous. Le premier jour, qui était un jour de jeûne, était rem- pli par les rites préliminaires du sacrifice. Après avoir balayé avec des chaumes de dharba ou kuça l’empla- cement — v2h4ra — où il devait se faire, l’adhvariyu l’enduisait de bouse de vache et y traçait trois lignes avec une espèce de latte en bois — le sphya — ; puis a l’aide d’une bûche empruntée au gàrhapatya, il allumait successivement les feux de l’âähavaniya et du dakshinägni. Ensuite il coupait une branche de cami ou de palàçca, qui devait servir à écarter les veaux, au moment de la traite des vaches. Celle-ci avait lieu le soir et était suivie de l’agnihotra, oblation de lait qu'on répétait le lendemain matin, jour du véritable sacrifice *. Avant d'y procéder, on disposait d’abord autour du 1. A. Hillebrandt, Vedische Mythologie, vol. IT, p. 90-91. 2. A. Hillebrandt, Das altindische Neu- und Vollmondsopfer in seiner einfachsten Form. lena, 1880, in-8, p. 1-15, 16-38. 548 LES PLANTES CITEZ LES HINDOUS vihàra les sièges destinés aux prêtres ou officiants et on les recouvrait de kuça; puis l’adhvaryu répandait une couche de ce gazon — le barhis — autour des trois feux, en commençant par l’âähavaniya, et en donnant aux pointes des herbes une direction déterminée ; il rangeait ensuite les vases et les objets nécessaires au sacrifice au Nord du gàrhapatya ou de l’ähavaniya. Diverses oblations avaient alors lieu ; elles étaient suivies par le décorticage des grains sacrés, qui étaient ensuite écrasés entre deux pierres, tandis qu'un des officiants, l’agnidhra, chauffait à l’aide de charbons ardents les tablettes en pierre — Æapälas —, sur les- quelles devaient cuire les gâteaux. Après cela, un autre officiant, le yajamâna, façonnait avec une poi- gnée de kuça le veda, ou balai sacré, pendant que l’adhvariyu versait dans un plat la farine des grains écrasés. Alors l’agnidhra, tenant à la main deux tiges de kuça, — les purificateurs — répandait dessus l’eau chaude nécessaire pour pétrir la pâte ; l’adhvariyu en faisait deux boules qu’il étalait sur les kapälas, dont il avait auparavant enlevé les charbons ardents. A ce moment, suivant certains sütras, avait lieu l'établissement de la vedi; quand la surface en avait été mesurée, creusée et balayée, on y étalait, la pointe tournée vers Le Nord, des tiges de kuca ou, à son défaut, d'une autre herbe tendre, mais non fragile’. Après avoir nettoyé les cuillères du sacrifice, purifié le beurre au moyen du. pavitra, aspergé les büûches à brûler et la jonchée de la vedi, l’adhvaryu y déposait les diverses oblations. Ensuite il plaçait auprès un siège en bois de varana, recouvert de kuça, pour le 1. A. Hillebrandt, Das Neu- und Vollmondsopfer, p. 44-60. LES PLANTES DANS LE CULTE 519 hotar ou sacrificateur. Alors se faisaient d’abord les oblations de beurre fondu, puis les offrandes de gâteaux au milieu de prières et de rites divers ', mais où les plantes n’intervenaient pas. Quand ces rites étaient terminés, l’adhvariyu remettait le veda à l'épouse du sacrifiant, et lui-même, après avoir rassemblé le barhis dans la juhwë ou grande cuillère du sacrifice, il le jetait au feu. Enfin quand il avait répandu les eaux lustrales — pranltas — sur la vedi, le sacrifiant y faisait les trois pas de Vishnu”, rite qui terminait cette céré- monie compliquée. On faisait aussi au commencement des trois saisons principales des sacrifices; ainsi le jour de la pleine lune du mois de crävana, le premier de la saison des pluies, on offrait aux serpents, dans une coupe ou ca- masa en bois, un bali de farine provenant de grains préalablement grillés, décortiqués et moulus, et le soir on offrait à Vishnu, Agni, Pràäjapati et aux Vicve- Devàs une bouillie de riz au lait”. Les plantes, on le voit, n'avaient ici d'autre rôle que de fournir la matière des offrandes. Elles en jouaient un grand, au contraire, dans le rite du sacre des rois, de toutes la cérémonie la plus solennelle de la liturgie hindoue. Elle ne durait pas moins d’une année entière, pendant laquelle était offert chaque mois, en l'honneur du nouveau souve- rain, le sacrifice de la nouvelle et de la pleine lune et étaient multipliés les havis et les offrandes les plus diverses. Il y en avait pour lui concilier la bienveil- 1. A. Hillebrandt, Das Neu- und Vollmondsopfer, p. 73-161. 2. À. Hillebrandt, Das Neu- und Vollmondsopfer, p. 169-175. 3. Gobhila, Grihya-Sütra, KI, 7. 4. À. Weber, Ueber die Künigsweihe, den Räjasüya.(Abhand- lungender kün. Akademie der Wissenschaften zu Berlin,an.1893). 290 LES PLANTES CIIEZ LES HINDOUS lance des cinq divinités tutélaires du monde, d’autres pour lui gagner la faveur d'Agni, de Varuna, de Rudra et d'Indra; d’autres encore étaient faites en l'honneur d'Agni ou d'Indra et de Vishnu, d'Agni et de Püshan, d’Indra et de Soma, etc. Toutes ces offrandes n'étaient encore que les rites préparatoires de la cérémonie du sacre proprement dit’. Des havis faits dans la maison de chaque courtisan l’inauguraient véritablement. Puis venait une double cérémonie expiatoire, comprenant un caru” offert à Soma et Rudra, un autre à Mitra et Brihaspati. Elle était suivie d’une première lustration et de l’onction du roi. De nouvelles oblations avaient alors lieu ; puis l’officiant coupait solennellement les cheveux du monarque et offrait pour lui le sacrifice du soma et trois victimes animales”. Après cette cérémo- nie, il l'aspergeait de nouveau d’eau lustrale ; ensuite on apportait le trône en bois d’udumbara*, sur lequel il devait s'asseoir, une peau de tigre pour le recouvrir, des cordons en muñja pour en fixer les pieds, une cuillère également en bois d’udumbara, remplie de lait caillé, de miel, de beurre clarifié et d’eau de pluie, recueillie pendant que le soleil luisait, puis de jeunes pousses de gazon, de la liqueur — soma — et des tiges de dürvà, enfin ün rameau d’udumbara, emblème de force et de vie. Après avoir adressé une prière aux dieux, le roi montait sur le trône, puis invoquait les 1. A. Weber, Ueber den Râjasüya, p. 19. 2, Oblation de grains bouillis dans du lait. 3. A. Weber, Ueber den Râjasäüya, p. 33 et suiv. 4. Das Sûämavidhänabrähmana. Ein altindisches Handbuch der Zauberei, übers. von Sten Konow. Halle, 1893, in-8, V, 1, p. 73, D'après A. Weber, p. 62, le trône aurait été en bois de khadira. . LES PLANTES DANS LE CULTE »o1 Eaux ; l'officiant, placant alors sur sa tête le rameau d’udumbara, y versait le contenu de la cuillère sacrée, en prononçant les paroles sacramentelles. Le roi buvait ensuite un peu de soma, puis il descendait du trône en faisant face au rameau d’udumbara qu'on avait posé sur le sol; après avoir adoré Brahmà, il mettait un bâton au feu àhavaniya, et faisait successivement trois pas dans la direction de l'Orient et de l'Occident, symbole de la possession qu’il prenait de ces contrées". Les prescriptions liturgiques que je viens de résumer assignent déjà aux plantes un rôle considérable dans les rites du sacre; les descriptions du Bhâgavata- Puräna et du Raghuvarnça leur attribuent une place encore plus importante dans cette auguste cérémonie. Le Bhägavata, par exemple *, nous montre les Vrishnis de la race de Krishna entrant dans la salle _ de la consécration parés de fraiches guirlandes de lotus, les membres oints de parfums et les mains. chargées d’offrandes ; puis, tandis que les instruments de musique retentissent, que les Gandharvas font entendre leurs chants, les prètres oignent Vasudeva aux yeux et sur tous les membres, puis versent sur lui et sur ses épouses l’eau lustrale. De même, dans le Raghuvarhça”, quand Atithi va être mis sur le trône, les conseillers de l'empire, au son des instru- ments de musique, versent l'onde apportée des étangs sacrés, sur la tête du héros ; puis lorsque les vieillards ont célébré la cérémonie de la nirdjand avec l'écorce du figuier sacré, des épis d'orge et des feuilles de 1. Aitareya-Brähmana, lib. VIT, 2, 9. 2. Lib. X, cap. 84, 44. 3. Lib. XVII, 10-12 et 22-284. ) 22 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS dûrvà, des serviteurs habiles tressent dans la cheve- lure du jeune roi des guirlandes de fleurs et oignent ses membres d'huile de santal. ; A l’époque védique les Hindous enterraient ou brü- laient presque indifféremment le corps des défunts ‘ ; mais dans les deux cas les plantes jouaient un rôle considérable, quoique différent, dans les funérailles. Quand on enterrait les morts, on cherchait, en les entourant d’aromates, à assurer la conservation de leur dépouille. C’est ainsi que le corps de Nimi”, « embaumé avec des huiles parfumées et des résines, reste entier, comme s’il était immortel ». Lorsqu'on brülait les corps, genre de funérailles qui finit par être presque seul usité, les obsèques se compliquaient de la construction d’un bûcher ; on le formait avec les bois les plus variés, çamis, pippalas, palàças, udumbaras et autres, mais surtout avec les bois odoriférants d’aloës et de santal, mêlés à des substances aromatiques, gui- mauves changeantes, fibres de lotus, cardamomes, racines parfumées de virina”. On commençait la cérémonie par creuser dans la direction du Sud-Est ou du Sud-Ouest, une fosse — la vedi — en pente vers le Midi, longue d’une toise, large d’une brasse et profonde d’un empan*. Près de. là on déposait du beurre fondu et des bottes de gazon, du feu et les ustensiles du sacrifice. Ensuite, après l'avoir baigné, lui avoir coupé les cheveux, la barbe et 1. Rig-Veda, lib. X, 16 et 18. 2. Vishnu-Puräâna, lib. IV, cap. 5. 3. Râämäyana. Ayodhyâäkända, lib. LXXXIII, 29-30. Yuddha- kânda, lib. XCVI, 7-9. 4. Âcvalâyana, Grihya-Sütra, IV, 1, 9-10, dit de la longueur d’un homme ies bras levés. LES PLANTES DANS LE CULTE SE] les ongles, on apportait le corps du mort, oint avec du nard et la tète ornée d’une couronne de cette plante aromatique. Puis le chef des brahmanes faisait trois fois le tour de la vedi en l’aspergeantavecune branche de çami, trempée dans de l’eau, et il disposait aux angles, les trois feux du sacrifice, tandis que, au mi- lieu, un des aides dressait le bûcher ; un autre assistant y répandait le gazon sacré qu'il recouvrait de la peau d'une chèvre noire’. On étendait dessus le corps du défunt, la tête tournée vers le Sud-Est, c’est-à-dire vers le feu ähavaniya*. Puis l’ordonnateur de la céré- monie plaçait les vases et les nombreux ustensiles du sacrifice sur les diverses parties du corps, en y répan- dant des grains de sésame. Il faisait aussi creuser au Nord-Est de l’âhavaniya un trou et y jetait des tiges de la plante aquatique civala. Enfin après avoir fait une quadruple oblation d'àjya sur le dakshinàägni et une sur la poitrine du mort, il donnait l’ordre d’al- lumer les trois feux *. Dans le Rämävana, Bharata met le feu au bücher lui-même, qu'il a d’abord arrosé de beurre clarifié et d'huile de sésame‘. Parfois on plaçait des guirlandes sur le corps qu’on inondait de parfums et de grains frits, en même temps qu'on répandait tout à l’entour du bûcher des « fleurs aux douces sen- 1. Âcvaläyana, Grihya-Sütra, IV, 2, 10-15. — M. Müller, Die Todilenbestattung bei den Brahmanen. (Zeilschrift der deutschen morgenländischen Gesellschaft, vol. IX (1855), 1-5). 2. D’autres fois le corps était déposé dans la fosse et le bûcher dressé dessus. Râmäyara, Aranyakända, LXXV, 49-56. 3. Âcvalâäyana, IV, 3, 1-27 et 4, 1. D’après Âcvaläyana, on placait aussi sur le corps du défunt les membres dépecés de la victime. 4. Râmäâyana. Ayodhyäkända, LXXXIIT, 58. D94 LES PLANTES CIEZ LES NHINDOUS teurs » ‘. Après la cérémonie, les parents du défunt se plongeaient dans une eau voisine ; puis ils regagnaient leurs demeures sans se retourner ; enfin arrivés à leur porte, ils mâchaient des feuilles de picumanda, buvaient une gorgée d'eau, posaient la main sur de la bouse de vache, des graines de moutarde blanche et de l'huile, mettaient le pied sur une pierre et entraient alors chez eux*°. La cérémonie des funérailles, quelque solennelle qu'elle fût, n'épuisait pas les hommages que les Hin- dous rendaient aux morts ; ils les entouraient d’une vénération telle qu'aucune autre nation indo-euro- péenne n'en connut de semblable. Chaque jour, le fils ainé faisait en l'honneur de son père et de ses an- cêtres une oblation d’eau lustrale et de mets funéraires, ettous les mois ou au moins trois fois par an, il leur offrait un sacrifice solennel. C'était là un devoir sacré auquel nul ne se pouvait soustraire. Dès qu’il apprend Ja mort de son père”, Râma se rend avec son frère Lakshmana à un gué de la Mandäkini, et y puisant une onde pure, il la répand en l’honneur du héros; puis sur la rive il lui fait, sur une jonchée de kuça, une offrande avec un gâteau à l'huile d'ingudi — pinda —, garni de jujubes. D’après la croyance hindoue, l’âme du défunt n’en- trait pas aussitôt après la mort dans le séjour des Mânes ; pendant un certain laps de temps, elle errait comme esprit — prela — dans le voisinage-des vi- 1. Mahâbharata. Adi-Parva, 4937-50. — Rämâyana. Yud- dhakända, XCVI, 16. 2. Pâraskara, Grihya-Suülra, VIT. 10, 16 et 23-24. Le picu- manda où nimba est la Melia indica ou azadirachta. 3. Rämäyana. Ayodhyäkända, XXI, 30-31 et 34-35. LES PLANTES DANS LE CUITE HD) vants'. Pour l’arracher à cet état transitoire, le jour du premier anniversaire de sa mort — ou plus tôt, si un événement le permettait —, une oblation particulière était faite pour amener la réunion du défunt avec ses ancêtres — pitaras. — Quatre vases pleins d’une eau, dans laquelle on avait mis des grains de sésame et des parfums étaient offerts, un pour lui, les trois autres pour les Mänes?. À partir de ce moment il avait droit au culte que tous les mois, à l'époque de la nouvelle lune, on rendait à ceux-ci. Ce jour-là le « deux fois né », c'est-à-dire celui qui avait achevé la longue étude du Véda, était tenu, pendant trente ans, de sacrifier aux Mûnes de ses ancêtres. Il pouvait le faire devant le foyer domestique ; mais si sa fortune le lui permettait, il offrait son sacrifice sur les trois feux allumés pour la fête de la nouvelle lune, fête à laquelle les rites funé- raires se rattachaient étroitement. Cette cérémonie pouvait prendre les formes les plus diverses *, mais quelle qu'elle fût, les plantes y jouaient un rôle con- sidérable. | La veille du jour où la lune était nouvelle, le sacrifiant, après avoir purifié sa maison, allait inviter des brah- manes versés dans les Védas, deux comme représentants 1. W. Crooke, The popular Religion and Folklore of Nor- thern India. Westminster, 1896, in-8, vol. I, p. 9%. 2. W. Caland, Ueber die Totenverehrung bei einigen der indogermanischen Vülker, p. 22, 27, 31 et 3%. (Verhandelingen der kon. Akademie van Welenschappen. Amsterdam, 1888 (XVID. 3. M. Oldenberg a décrit, dans sa Religion védique, p. 469, les rites funéraires d’après le Grihya-Sülra de Gobhila, je suis, en les abrégeant, les Cräddhas des Bhâäradväjins, des Baudhä- yaniyas et surtout des Apastambiyas, tels que les a donnés M. W. Caland, dans son Aindischer Ahnencult. Leiden, 1893, i n-8. 996 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS des Viçve-Devàs, trois pour représenter ses ancêtres. Le lendemain après avoir préparé le repas funèbre, il disposait deux emplacements, l’un carré dans la direc- tion du Nord, l’autre circulaire au Sud du premier ; il recouvrait le premier de fleurs, de grains d’orge et y plaçait deux tiges de kuça tournées vers l'Est; sur le second, il répandait, outre des fleurs, des grains de sésame et y mettait trois chaumes de kuca dans la direction du Sud. Il faisait asseoir les brahmanes qui représentaient les Vicve-Devàs sur des sièges placés dans la première enceinte, les représentants des Pères, dans la seconde ; il leur versait tour à tour de l’eau sur les pieds ; ensuite il les menait au bain et en pre- nait un lui-même’. Après les cérémonies de midi commençait le cräddha, le véritable rite funéraire. Le sacrifiant préparait d’abord l'emplacement où il devait se faire, y disposait du côté du Nord-Est le feu domestique, et au Sud la place destinée au riz sacré ; à l'Ouest de celle-ci il mettait les sièges des deux représentants des Vicve-Devàs, au Midi ceux des trois brahmanes qui représentaient les Pères. Là il les fai- sait asseoir, les deux premiers, le visage tourné vers l'Orient, les trois autres, le visage tourné vers le Sep- tentrion. Après avoir placé près des premiers brah- manes deux vases, surmontés chacun de deux chaumes de kuça — les purificateurs —, dirigés vers l'Est, il y versait de l’eau, puis des grains d'orge. Il mettait de même auprès des trois autres brahmanes trois vases, sur chacun desquels il posait, la pointe dans la direction du Sud, trois tiges de kucça, pliées en deux, et il versait dans ces vases, comme dans les premiers, 1. W. Caland, Altindischer Ahnencult, p. 23, 41 et 52. LES PLANTES DANS LE CULTE 591 de l’eau, puis des grains de sésame, en disant: « Tu es le sésame, consacré à Soma et créé par les dieux, va chezles Pères, pour nous source de bénédiction, et rends-nous ces mondes favorables. » Il terminait en répandant des fleurs et des parfums sur les différents vases". Ensuite il évoquait successivement les Vicve-Devàs et les Pères, tout en couvrant, des pieds à la tête, les brahmanes des premiers de grains d'orge, les brah- manes des seconds de grains de sésame; puis, après avoir remis à chacun des brahmanes un purificateur, il leur répandait sur les mains l’eau lustrale, en pro- nonçant ces paroles : « Dieux, Père, Grand-Père, Aïeul, voici l’eau d'honneur. » Il versait ce qui restait dans le vase du Père, le couvrait avec le purificateur et le déposait sur la jonchée de kuça, en disant : « Tu seras le siège des Pères. » Puis il faisait cadeau à tous les brahmanes de parfums, de fleurs, de lampes et de vêtements ?. Alors avait lieu dans les formes prescrites une offrande à Agni, à Soma et à Yama; puis après avoir répandu une poignée de gazon sacré au Sud du feu, le sacrifiant versait dessus de l’eau, en invitant chacun des ancêtres à venir s’y purifier. Ensuite il faisait, du riz qu'il avait préparé, trois boulettes qu'il déposait sur la jonchée, et conviait les Pères à s’en rassasier. Il engageait aussi les Brahmanes à manger, et pendant leur repas il répandait devant eux des grains de 1. W. Caland, A/tindischer Ahnencult, p. 23, 53-54. 2. W. Caland, A{indischer Ahinencult, p. 26-27, 42-43, 54- 55. D’après Gobhila, le sacrifiant creusait trois fosses, qu'il recouvrait de kuca, et c’est près d’elles que, après les avoir arrosées d’eau, il évoquait les Pères. Grihya-Sûtra, IV, 2, 16; 3, 4-6. 558 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS sésame. Quand ils avaient fini, et qu'ils s'étaient lavé la bouche, il les accompagnait jusqu’à la limite de son domaine. Revenu au lieu du sacrifice, il y faisait une nouvelle jonchée de kuça, l’arrosait d’eau, invitait une fois encore les Pères à s’y purifier, et à manger les boules de riz qui restaient ; puis 1l les congédiait, mais en les conviant à revenir le mois suivant”. On voit par ce qui précède quelle place considérable les plantes, occupaient dans les rites de l'Inde; c'était une plante même qui était la matière du sacrifice le plus auguste de la religion védique, celui du soma. Quelle était cette plante? J'ai déjà examiné cette ques- tion à propos du haoma, mais il faut y revenir ici à cause des difficultés qu’elle soulève. L'’obscurité qui l'entoure tient à ce. que ni les Védas, ni les Écrits liturgiques postérieurs n’ont donné une description suffisamment claire et complète du soma ; cependant ils indiquent un certain nombre des caractères qu'on attribuait à cette plante, ce qui permet au moins de s’en faire une idée. D'après les Védas, le soma, comme le haoma 1ira- nien, croit dans la région des montagnes. « Varuna, chante un rishi*, dans le cœur a créé la volonté, dans les nuages l'éclair, au ciel le soleil, le soma sur les montagnes. » D’après l’Atharva-Véda, des montagnes « portent le soma sur leur dos * ». « La, dit le Cata- patha-Brähmana *, croit une plante appelée Ucänà.… On l'y va chercher et on la presse. » Cette plante est 1. W. Caland, Altindischer Ahnencult, p. 29-33, 44-47, 56-59. 2. Rig- Veda, lib. V, 85, 2. « Un aïgle, dit un autre, l'a apporté des montagnes. » I, 93, 6. 3. Lib.'TII, 21, 10. &. Lib. III, cap. 4, 3, 13. . LES PLANTES DANS LE CULTE 559 ailleurs décrite comme ayant des rameaux bas’, de couleur rouge clair ou dorée, probablement anguleux et regorgeant de sève. Les commentateurs en ont fait de plus une plante grimpante, dépourvue de feuilles, charnue, à suc laiteux et aigrelet *. On a ainsi été amené à considérer le soma comme une espece de l’ancien genre Asclepias, le Sarcostemma viminale où acidum, regardé aussi comme représentant du haoma *. Était-ce là le soma des Védas? Il est impossible de le dire; ce que nous savons, c’est que la plante qui servait à préparer le breuvage sacré était rare ou du moins difficile à se procurer ; qu’elle était apportée de loin, et vendue fort cher par ceux qui étaient assez heureux pour la découvrir ; une génisse d’un ou deux ans, de couleur brune et aux yeux rouges”, en était le prix. Le Müjavant était renommé pour le soma qu'il produisait. Mais on n'avait pas toujours, au moment du sacrifice, le vrai soma à sa disposition ; on le rem- plaçait alors par une autre plante. Quand on ne trouve pas le soma, dit le Catapatha-Brähmana”, 1URig=-Veda b:u1l13; 1:/111%58, 18% VIT98; 4; VIE ©, 19: IX, 92, 1. — A. Hillebrandt (Vedische Mythologie, vol. I, Séma und veriwandle Gülter, Breslau, 1891, in-8, p. 18), dit des rameaux pendants. 2. Sàäyana (Taittiriya-Sarmhitä, 1, 8, 3), cité par Eggeling (Catapatha-Brahmana, vol. I, p. 394, note 2), le compare au kartra — Capparis aphylla. 3. Voir à ce sujet l’article: The original Home of the Soma dans M. Müller, Biographies of Words and the Home of the Aryas. London, 1888, in-8, p. 222-242. 4. Catapatha-Brähmana, lib. HI, 3, 1, 14. 5. Lib. IV, 5, 10, 1-6. Le phälquna est la Terminalia arjuna, l'âdära, appelé aussi pütika et à qui le C.-Br. attribue une origine surnaturelle, est la Caesalpinia bonducella; l'incertain cyenahrita n’est guère qu'une épithète du soma. 560 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS il y a à cela un remède. Il existe deux espèces de phâlguna, l’une à fleurs rouges, l’autre à fleurs brunes. Qu'on écrase des phälgunas à fleurs brunes, car ils ressemblent au soma ; qu’on écrase donc des phâlgunas à fleurs brunes. — Si on ne peut se procurer des phälgunas à fleurs brunes, qu’on écrase le cyenah- rita. Car lorsque la Gâyatri alla chercher lesoma, en l’apportant, elle en laissa tomber un rameau, qui donna naissance au cyenahrita ; qu'on écrase donc le cyenahrita. — Si on ne peut se procurer le cyenahrita qu’on écrase l’âdära. Car lorsque la tête de la victime fut coupée, des âdäras naquirent du sang qui en jaillit; pour cela qu'on presse des âdäras. — Si on ne peut se procurer des ädàras, qu’on écrase des dûürvàs, car les sombres dürväs ressemblent au soma ; qu’on écrase donc des dürvâs. — Si on ne peut se procurer des dürväs, qu’on écrase une espèce de kuca de couleur jaunûtre. On voit combien étaient nombreuses les plantes qu'on pouvait substituer au soma, et encore le passage du Çatapatha que je viens de citer ne les énumère pas toutes; le Kàätyäyana-Crauta-Sûtra en cite plusieurs autres ‘; il semble qu'il faille encore y ajouter le paläça ou parna, sans doute à cause de son origine surnatu- relle*. Enfin il paraît que dans certains cas, on devait substituer au soma le jus d’une autre plante. Ainsi le Kâtyâyana-Crauta-Sûtra prescrit aux prêtres’, même quand ils ont du vrai soma, de n’en point donner à un ràjanya ni à un vaiçya, mais de le remplacer par le jus du fruit de nyagrodha exprimé dans du lait. Quoi qu'il en soit de la nature véritable du soma et des succédanés que parfois on lui substituait, le suc — indu — de cette plante, fut de temps immémorial l'offrande et le breuvage préférés des dieux et en par- 1. H. Zimmer, Alfindisches Leben, p. 276. 2, Catapatha-Brâhmana, lib. VI, 5, 1, 1; shitaki-Brâähmana, lib. IF, 2. 3. Lib. X, 9, 30. Ap. A. Kuhn, Die Herabkunft des Feuers, p. 173. Cf. Aüareya-Brâhmana, lib. VIII, 30. 6, 3,7. — Kau- LES PLANTES DANS LE CULTE | 21 ticulier d’Indra. Sa préparationétait un des actes les plus importants de la liturgie hindoue. C'était des rameaux — arnçu —, les textes sont unanimes à cet égard, et non des fruits ou d’une autre partie de la plante, qu’on l’extrayait'. « La tige rameuse laisse couler le jus doux et limpide, né sur les monts” ». « Ce qu'ils ont brisé en toi avec la pierre, à roi Soma*, tes membres bien-aimés, guéris-les et que ce beurre les fasse croître ». Ce dernier passage du Taittiriya-Brähmana nous indi- que, ainsi que la matière employée, le mode de pré- paration du soma. Si parfois, en effet, on écrasait dans un mortier — wlükhala —, comme le font les Parsis pour le haoma, les rameaux du soma, lé plus souvent on les broyait avec des pierres, procédé auquel les hymnes védiques font de fréquentes allusions‘, et qui est décrit tout au long dans'les Brähmanas ”. Après avoir disposé l'emplacement du sacrifice et s'être préparé par le jeûne et la prière à l’accomplir, la veille du jour où il devait se faire, on creusait quatre fosses circulaires profondes d’une coudée et reliées entre elles par des canaux ; on les aspergeait avec de l’eau, et on répandait dessus des chaumes de kuca; puis on posait sur ces trous deux planches, 1. A. Hillebrandt, Soma, p. 32. Ceci montre l’inanité de l’hy- pothèse de Thiselton Dyer, d’après laquelle l’indu aurait été le vin et les tiges de soma, les grains allongés du raisin de l'Afghanistan. IL est non moins évident que le breuvage sacré des Védas n’a pu davantage être préparé avec le houblon. Cf. M. Müller, Biographies of the Words, p. 231 et 235. 2. Rig-Veda, lib. V, 43, 4. 3. Taittirtya-Brâhmana, lib. II, 7, 13. Ap. A. Hillebrandt, Soma, p. 30. 4. Rig-Veda, lib. VIIL 2, 2: IX, 66, 29; X, 100, 8. 5. Cf. A. Weber, Die Kenntniss des vedischen Opferrituals. (Indische Studien, vol. X, p. 352 et suiv.). JoreT. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 36 e 262 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS qu'on assujettissait avec de la terre, et on recouvrait kuça et trous avec la peau d’une génisse de couleur rouge, sur laquelle on mettait les cinq pierres qui devaient servir à écraser le soma. On placait ensuite sur un petit monticule recouvert de sable les vases du sacrifice et, six pas plus loin, on dressait une grosse branche d’udumbara, puis on déposait sous un hangar l'eau nécessaire, ainsi que le lait des libations. Le lendemain ', à la première heure du jour, après une prière du hotar à Agni, à Ushas et aux Acvins, on fai- sait cuire les gâteaux et la bouillie et griller les grains d'orge destinés aux offrandes ; puis quand tout était disposé, l’adhvaryu faisait une quadruple libation à Agni et aux autres dieux ; il allait ensuite, avec ses trois compagnons et celui qui offrait le sacrifice, s'asseoir près de la table à presser. Alors prenant une des cinq pierres et, invoquant les dieux, il étalait, à cinq re- prises différentes, sur la peau les rameaux de soma qu'il écrasait, tout en versant de l’eau dessus. Il répé- tait trois fois l'opération, et chaque fois un des aides, tenant six tiges de kuça entre les doigts de la main gauche, recevait dessus le jus du soma, qui passait à travers ses doigts et les six tiges et s’écoulait de là dans une espèce de cuve amatra —, tenue par le hotar”. Le liquide ainsi obtenu servait à une première libation. Quand l’adhvaryu l'avait faite, il retournait avec ses aides s’asseoir autour de la table du pressoir, et, cette fois, tous, avec les cinq pierres, procédaient, d’ail- 1. A. Weber, Opferritual (I.-S., vol. X, p. 369 et suiv.). 2. Rig-Veda, lib. V, 51, 4. — KXâtyâyana-Crauta-Sûtra, lib: IXSSA UE LES PLANTES DANS LE CULTE 563 leurs de la même façon qu'auparavant, au broyage du soma qui restait. L'opération terminée, on versait avec une cuillère — sruva — le liquide écoulé sur un filtre en laine de brebis — pavitra —, qu'un des prêtres tenait au-dessus du vase en bois de vikankata — le dronakalaça' —. Pendant que celui-ci se rem- plissait, le soleil se levait, et aussitôt après son appa- rition commencçaient les offrandes aux dieux, précédées d’une invocation que leur adressait un des prêtres. Diverses libations terminaient la cérémonie; on la faisait dans des conditions analogues à midi et le soir. Le soma, qui y jouait le principal rôle, débarrassé par le filtrage des impuretés dont il était souillé, était alors limpide et d’une couleur jaune doré ou bru- nàtre, comme celle de la plante dont il était ex- primé. Mais si parfois on l’offrait pur, — c'était le cas pour certaines libations —, on le mêlait le plus sou- vent à d’autres substances : lait frais, aigre ou caillé, miel, farine d'orge où de froment. C'était comme une parure qu’on lui donnait, en même temps qu’on en adoucissait l’âcreté*. « Comme les rois sont glorifiés par le chant, ainsi le soma est embelli par le lait (qu'on y mêle) », dit un hymne. Et dans un autre hymne qui rappelle sa préparation: « Belle est la plante (du soma) ; les dieux la désirent ; la tige en est lavée dans les eaux ; des prêtres la pressent, et le laït des vaches en rend le jus plus savoureux. » Pur ou mé- langé, le soma était versé, en l’honneur des dieux, sur 1oRig-Veda; lib: 7 14356 VII 0272: 2IX, 101, 322 Kâtyäyana-Crauta-Sütra, lib. IX, #, 17. — Weber, p. 371-72. 2. Rig-Veda, lib. VIIL, 2, 3; IX, 10, 3, et 62, 5. 56% LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS le feu de l’autel ; mais tous n’y avaient pas une part égale; c'était surtout aux dieux du ciel et de l’air, Indra et Väyu, Mitra et Varuna, aux Acçvins et aux Maruts qu’on l’offrait', ainsi parfois qu’à Püshan et à Aryaman, à Vishnu et à Bhaga. Mais Indra surtout en était avide. Roi du Soma, chante un rishi?, Indra, bois ce soma, cette belle libation de midi... dételle tes deux coursiers et viens ici t’eni- vrer. — Bois, Indra, ce blanc breuvage, mélangé/de lait: du soma que nous te versons, avec la troupe amie des Maruts, avec les Rudras, abreuve-toi jusqu'à satiété, jusqu'à l'ivresse. C’est pour toi ce soma, à Indra; descends et bois-en à longs traits ; repose-toi sur ce gazon sacré ; emplis-toi, Indra, de ce breuvage. — Pour toi a été épandu ce kuca, pressé ce soma. Pour nourrir tes deux coursiers, ces grains ont été grillés ; c’est à toi, suivant la coutume... à foi, qu'accompagnent les Maruts, que sont faites ces offrandes. — Hommes, monts, eaux, t’ont préparé, Ô Indra, avec le lait, ce breuvage doux comme le miel ; joyeux, bois-en... Les Maruts, à Indra, auxquels tu as donné part au soma, eux qui ont fait ta force, qui furent tes compagnons, avec eux et d’un même esprit, bois, Indra, ce soma avec la langue de feu d’Agni. Aux libations du soma se joignaient des offrandes, 1: Rig-Veda, lib. IX, 33, 3; 34, 2; 108, 14*et 16: 109,1: L'oblation du soir était faite aux Adytyas, à Savitar, à Agni et même aux Ribhus. 2. Rig-Veda, lib. INT, 32, 1-2. | 3. Indra est représenté parfoiscomme buvanten réalité jusqu’à l'ivresse, et les Rishis se sont plus à peindre le délire dans lequel elle le jetait. R.-V., X, 119, 2-3, 4, 7-8, 11-12. «Comme des vents impétueux, les breuvages m'ont transporté... Ils m'ont emporté comme des chevaux rapides entraînent un - char... Les chants s'offrent à moi, comme une vache à son petit bien-aimé... Les deux mondes n’égalent pas une moitié de mon être... J'ai surpassé en grandeur le ciel et cette terre immense... Une de mes ailes touche au ciel, l’autre frôle la terre. Dans ma grandeur démesurée, je me suis élevé - jusqu'aux nuages : ai-je donc bu du soma ? 4. Rig-Veda, lib. III, 35, 6-9. LES PLANTES DANS LE CULTE 565 variables suivant l'heure du jour et le dieu auquel elles s’adressaient, mais preque toujours d’origine végétale : gâteaux, bouillie, grains rôtis, lait caillé, etc. Accepte, Ô Indra !, avec ces grains frits, avec ce karambha et cet apüpa, notre soma... Mange, Ô glorieux, avec la libation du matin, ce purodàca.. Agrée, Indra, ces grains rôtis et ce purodäca, offrande de midi... Fais honneur au purodäca que nous t’offrons, puissant associé des Ribhus, avec cette troisième libation.. Comme allié de Püshan, nous t’'avons préparé un karambha, nous avons fait griller des grains d'orge pour toi et tes coursiers ; mange cet apüpa en compagnie des Maruts, et bois ce soma, héros vainqueur de Vrita. . Mais le soma n'était pas seulement offert en liba- tions aux dieux ; on le buvait aussi; aux prêtres était réservé celui qui restait, quand étaient terminées les oblations, et ils paraissent avoir singulièrement aimé ce breuvage sacré ; les Rishis se sont complus à décrire ses merveilleux effets, l'enthousiasme poétique qu'il leur inspirait et la force surnaturelle dont il les rem- plissait*. Nous avons bu le soma, nous sommes devenus immortels ; nous sommes arrivés à la lumière; nous avons atteint les dieux ; que pourrait sur nous désormais la malveillance ? Que pourrait sur nous, Ô immortel, la perfidie d’un mortel ? — Sois propice à notre cœur, à soma, quand noust’avons bu; sois-nous ‘propice, comme un père à son fils ; sois pour nous comme un ami à son ami, Ô toi dont le pouvoir s'étend au loin; toi qui es sage, Ô soma, prolonge notre vie. — Somas glorieux et secou- rables, vous avez, quand je vous ai bus, attaché solidement mes articulations, comme les courroies attachent le char; que les somas empêchent mon pied de glisser, qu’ils me gardent des entorses ! 4. Rig- Veda, lib. II, 52, 1, 4. » 2. Rig-Veda, lib. VITE, 48, 3-5. Cf. A. Bergaigne, La religion védique, vol. I, p. 152 et 192. — A. Hillebrandt, Soma, p. 263. 266 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Si ce breuvage, préparé par la main des hommes, jouissait de vertus si merveilleuses, c’est qu'ilétait le symbole ou plutôt une émanation du soma céleste: quelle était donc cette liqueur mystérieuse ? Dans un hymne”, où il célèbre les noces de Suryà — le soleil — et de Soma — la lune —, un rishi en fait entrevoir la nature : « Lorsque les dieux te boivent, tu te remplis de nouveau, dit-il, en s'adressant évidemment à la lune, dont il remarque dans une autre strophe: « Elle renaît sans cesse et précurseur du jour (qui va venir), devance l'aurore. Chemin faisant, elle assigne aux dieux la part (qui leur revient). La lune allonge la durée de la vie”. » Aïnsi le soma céleste, l’amrita, est ren- fermé dans la lune, ou plutôt il est la substance même de l’astre, ou mieux encore la lune elle-même *, « dont les phases ont été expliquées par les repas que les dieux font à ses dépens * ». Ces conceptions mythiques des Védas sur la nature du soma céleste se retrouvent dans les Brahmanas et les écrits postérieurs. « Les dieux dirent : rien que le soma ne rassasiera Indra”. Préparons-lui du soma. Et ils lui préparèrent du soma. Or ce soma, la nourriture des dieux, n’est autre que la Lune. La nuit où on ne la voit ni à l'Orient ni à l'Occident, elle visite notre 1. Rig-Veda,; lib. X, 85, 5,et 19. 2. « Après que la lune, bue par les dieux, a décru, le soleil, d’un seul de ses rayons, la remplit ». Vishzu-Puräna, lib. IT, 12. D’après une tradition, à l’époque de la nouvelle lune, cet astre se réunissait au soleil. Urvaci, acte III. 3. «E la luna stessa ». À. de Gubernatis, Letture sopra la mitologia vedica. Firenze, 1874, in-8, p. 107. — A. Hillebrandt, Soma, p. 272-273. 4. À. Bergaigne, La religion védique, vol. I, p. 154. 5. Catapatha-Brâhmana, lib. I, 6, 4, 5 et 15. LES PLANTES DANS LE CULTE 267 monde et pénètre dans les eaux et dans les plantes. » Plus loin, revenant sur la même fiction, l'écrivain sacré ajoute” : « Après avoir recueilli (le soma) dans les eaux et dans les plantes, le prêtre, à l’aide des libations, le fait se reproduire, et une fois reproduit, il (le soma- lune) devient visible dans le ciel d'Occident. » Et ail- leurs? : « La lune est le roi Soma, la nourriture des dieux. Lorsqu'ils veulent s’en nourrir, ils la pressent le jour précédent. Quand elle décroit, c’est qu'ils en mangent. » On lit encore dans le Vishnu-Puràna* : « L'amrita, qui $e trouve dans la lune, rassemblé pen- dant un demi-mois, est bu par les dieux, mangeurs de nectar; c’est pour cela qu'ils sont immortels. » Et dans le Väyu-Puräna‘: « À partir du second jour (de la pleine lune) les dieux, pendant toute la durée de son décours, boivent sa douce et délicieuse substance composée d'eau et de nectar. » C'est cette substance mystérieuse, donnée tantôt comme plante”, tantôt comme breuvage*, que la Gâya- tri, changée en oiseau, a apportée du ciel sur terre: « L’aigle, oiseau rapide, dit un hymne védique’, alla au loin chercher {le divin) rameau — «eu —, le doux breuvage — mada — ; le saisissant fortement, il apporta le soma, protégé par les dieux ;"il l’avait pris au plus haut du ciel. » Depuis lors le breuvage des dieux fut, bien qu’un rishi ait dit qu'il leur était . Catapatha-Brâhmana, lib. IT. 4, 2, 7. . Catapatha-Brähmana, Gb. IT, 4, 4, 15. . Lib. IH, cap. 12. Wilson’s Works, vol. IL, p. 300. . Ap. A. Hillebrandt, Soma, p. 293. Rig-Veda, NV, #5, 951X, 68, 6:retcC.-Br., \l, 4; 3,43. Æhig-Veda,)1,:60 2541098 7 NUS VIN 717-920 36, 24. Jon Veda,-libIV, 26, 6-/CF C-Pr, M, )7,2, 8! DR OR À D = 568 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS inconnu ‘, accessible aux mortels : « Le soma, qui se trouve dans la cuve, était contenu dans la lune », est-il dit dans un hymne des Védas. Et dans un autre: « La liqueur mystérieuse, née là haut dans le ciel, a trouvé sur la terre une forte et auguste demeure”. » Ainsi, le breuvage que le sacrificateur presse et verse sur le filtre”, pour l’offrir aux immortels, n’est autre que le soma céleste, l’ambroisie, que la lune donne aux dieux“; il n'en est pas seulement l’image, il se confond avec elle ; c'est une portion de l’amrita, de la substance divine de la lune que le sacrifice fait descen- dre du ciel sur la terre. De là il n’y avait qu'un pas pour voir dans le soma un dieu ; dès l’époque védique, il fut regardé et invo- qué comme tel: « O roi Soma, fais durer notre vie. Sois nous propice; nous te sommes liés par un vœu; ne l’oublie pas. » On alla encore plus loin ; on fit du soma le plus grand des dieux, le créateur de toutes choses *: « Soma, coule, père des prières, créateur du ciel, créateur de la terre, créateur d’Agni et créateur du soleil, créateur d'Indra et de Vishnu. » Mais quoi- que Dieu, Soma n’en reste pas moins un breuvage, et une plante. Comme breuvage, nous l’avons vu, il con- fère à ceux qui le prennent une force et une intelli- gence surnaturelles. Comme plante, il règne sur le monde végétal: « Honore le roi Soma qui est le maitre 1. « On croit boire le soma, quand on écrase la plante ; mais personne ne goûte de ce que les prêtres regardent comme soma. » Rig-Veda, lib. X, 85, 3. 2. Rig- Veda, lib. IX, 12, 5; 61, 10. 3. Rig-Veda, lib. IX, 3, 9. « Dieu exprimé pour les dieux, il coule jaune d’or à travers le filtre. » 4. Rig-Veda, lib. VIII, 48, 7-8. 5. Rig-Veda, lib. IX, 96 5. B. 1. CULTE DES PLANTES 369 des plantes », chante un rishi. « Soma, dit à son tour le Catapatha-Brähmana, est le seigneur des plantes". » Ce rôle assigné au soma était la conséquence natu- relle de l’étroit rapport qui existait entre lui et la lune. De tout temps et chez tous les peuples cet astre a été regardé comme exerçant une influence sur la végéta- tion. « Brahma, dit le Vishnu-Purâna”, à établi la lune pour présider aux étoiles, aux planètes et aux plantes. » Le soma qui descend, avec les rayons de la lune, sur la terre et pénètre dans les eaux et dans les plantes, a été, ainsi que l’astre qui y préside, regardé comme le roi des végétaux — oshadipati —. Le haoma, nous l'avons vu, a été élevé au même rang. Les plantes ne figuraient pas seulement comme offrandes ou comme accessoires dans les cérémonies religieuses des Hindous, elles étaient aussi pour eux, comme pour tous les peuples anciens”, l’objet d'un véritable culte. Divinisées, comme tous les autres êtres de la nature, on leur adressait, comme à eux, des prières et on invoquait leur secours‘. « Nous implo- rons les Eaux, les Arbres, les Montagnes, dit un poète védique, de venir en aide à Agni. » Et dans un autre hymne : « Que les Montagnes, les Eaux, les Plantes et 1: Rig-Veda, lib. IX, 114. 5. Cf. IX, 12, 7. — ÇC.-Br., lib. MIT, 4, 3, 17. 2. Lib. I, 22, 2. D’après Kälidàäsa, la lune est la déesse des plantes salutaires. Cakuntala, IV, 1, p. 45. 3. OÙrot y: dptéposay xoù ris vis Bhaoriuara zxi Deobs évoutouv, Aa! TPOGEXÜVOUY Tara... zat you ai értÜVoerx énoiouv, dit Sancho- niaton en parlant des Phéniciens. Ed. C. Orelli, p. 12. ». Rig-Veda, lib. X, 64, 8; VII, 34, 23 et 25; I, 90, 8. »70 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Dyaus, Prithivi unie aux Arbres, que les deux moitiés du Monde nous protègent... Qu’'Indra, Varuna, Mitra, Agni, les Eaux, les Herbes et les Arbres acceptent favorablement notre offrande. » Et ailleurs encore : « Que l’arbre de la forêt nous soit riche en douceur. » Les grands arbres surtout étaient l’objet d’une véné- ration particulière. Le Mahäbhärata et le Rämâyana nous offrent des exemples frappants du respect que les Hindous avaient pour ces rois du règne végétal. Dans le second chant du premier’, il est question d'un arbre antique — un açvattha — « à la cime aérienne », honoré de tous les habitants du Magadha, comme un caitya, et sans cesse comblé par eux d’encens et de guirlandes, que les fils de Pandu font tomber sous Jeurs coups, comme pour priver la ville de son voisi- nage protecteur. Dans un autre chant du même poème, l'héroïne de l'épisode célèbre de Nala et Damayanti, rencontrant au milieu des forêts, où elle cherche en vain Nala qui l’a quittée, un acoka tout couvert de sa parure de fleurs, demande à cet arbre béni et au nom pré- destiné? d’éloigner d’elle le chagrin qui la consume et de lui apprendre si le fugitif a pénétré dans cette solitude. Et tout en l'implorant elle fait respectueuse- ment le tour du divin acoka. Lorsque, dans le Râmäyana, le héros du poème, son frère Lakshmana et Sità son épouse, après avoir traversé la Yamunà, arrivent auprès du figuier Cyàma, situé sur l’autre rive, Sità rend hommage à cet arbre immense et au frais ombrage, en joignant les deux 1. Sabha-Parva, 816-817. 2. Acoka, en sanscrit, signifie « exempt de chagrin ». Vana- Parva, 2501-2507. — F. Nève, Les époques litéraires de l’Inde, p. 130. x CULTE DES PLANTES 571 mains et elle lui adresse une prière. Puis tous les trois s'approchent de l'arbre saint, le saluent et en font religieusement le tour. De même, lorsque ayant franchi le Saradanda, ils rencontrent plus tard un figuier, « consacré comme un caltya et renommé pour ne jamais tromper les vœux que la dévotion lui adresse », ils s’empressent encore de le saluer en s'inclinant profondément ". Le Rämäyana nous montre ailleurs encore les chœurs des Apsaras elles-mêmes honorant d’un culte perpétuel le jambu divin du Gandhamädana et chantant sans cesse des hymnes à sa gloire?. L'établissement du bouddhisme ne fit qu'entretenir et favoriser le. culte qu’on rendait aux arbres: les honorer, n’était-ce pas honorer aussi le Réformateur, qui, dans tous les actes de sa vie, les avait eus pour témoins ou pour auxiliaires ? L'acvattha de Gayà surtout, sous lequel le Buddha était arrivé à l'Illumi- nation suprême, devint l’objet d’une vénération parti- culière. Acoka fit construire devant la terrasse où il se dressait un vihàra, qui était en ruine depuis longtemps déjà, quand Hiuen-Tsiang en visita l'emplacement, mais dont le pieux pèlerin put voir encore les fonda- tions. Lorsque le fils aîné de ce grand prince, Mahendra, eut établi le bouddhisme dans l'ile de Ceylan, ilenvoya chercher un rameau de l’acvattha de Gayà; Acoka consentit à le donner; ce rameau fut reçu par le roi même du pays, porté dans la capitale et solennelle- ment planté dans le jardin de Mahämegha, qui lui était destiné. Des miracles en attestèrent la sainteté, et le . Ayodhyäkända, LV, 15-18 et LXX ; 14-15. . Kishkindhyakânda, XLIV, 37. . Buddhist Records of western countries, vol. II, p. 95. 2 D = 272 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS roi fut le premier à offrir des guirlandes de fleurs et | de l’encens au rameau sacré. Celui-ci prit racine, et | les rejetons qu’il produisit furent envoyés en diverses Y localités, et des arbres de Bodhi se répandirent ainsi | peu à peu dans l'ile entière”. $ | On n’y faisait que suivre en cela l'exemple donné sur | le continent. Partout où avait été prêchée la doctrine | de Cäkyamuni des arbres de Bodhi avaient été plantés; : ils étaient comme le symbole de chaque communauté nouvelle, l'emblème même du Buddba, et, comme tels, un objet de respect et de vénération pour les fidèles ?. | Les sculptures des monuments bouddhiques nous mon- trent quel culte leur était rendu. Entourés d’une balustrade ou d’une espèce d’autel —, le bodhimanda, | « trône de la connaissance » —, se dressent, parfois sur- montés d’un chatta ou parasol, ces arbres: açvatthas, | nyagrodhas, udumbaras ou çälas, pâtalis, jambus ou | manguiers, Cirishas, etc., suivant le Buddha dont ils rappellent le souvenir ou auquel ils sont consacrés ; des _ fidèles viennent les adorer, les uns debout et les mains jointes, d’autres dévotement agenouillés, tandis que d’autres offrent des présents ou attachent des guirlandes aux branches, et que des dévas apportent des offrandes à travers les airs°. 1. The Mahäwanso with the Translation by George Tur- nour. Ceylon, 1837, in-4, chapt. 18. and 19. 2. K. Fr. Koeppen, Die Religion des Buddha und thre Entstehung. Berlin. 1857, in-8, p. 529. 3. The Stüpa of Bharkhut, pl. XIII, 12; XIV, 3; XVI, 2; XVIL,.1, 2, 3; XXIX, 1, 2, 3,4; XXX, 1, 2,8, MAX The Tree Worship. Sänchi, pl. V, VI, VIE VHIE, IX, XW, XXV, 1, 2,3: XXWI, 1, 25 XXVIL, 1, 2/3 NI XXX, 2; XXXIV, 2 — Amarävati, pl. XLIX, LVIIT, 4,25" LXXVII, 2 — Buddha-Gayä, pl. XXXV, 4; XXXVIL,& CULTE DES PLANTES 573 Les animaux eux-mêmes prennent part à ces hom- mages, ainsi que les Nàgas. Le panneau d’un pilier de Barhut nous montre le roi Erapätra, entouré de nägas et de nàgis, adorant un arbre sacré, emblème du Buddha — un cçirisha d’après Cunningham —; au milieu un serpent qui paraît sortir de terre, en dres- sant ses cinq têtes, achève de caractériser le tableau. Un bas-relief curieux de la partie inférieure du même pilier, représente une troupe d’éléphants qui adorent un nyagrodha, les plus jeunes humblement agenouillés devant l'arbre sacré, les plus âgés lui apportant des guirlandes. Des daims, sur une sculpture de l’archi- trave, rendent hommage à un autre arbre sacré, un jambu?. Les sculptures de Sänchi nous offrent des scènes analogues. Faut-il voir, sur un bas-relief du pilier de gauche de la porte occidentale, un hommage rendu par le roi des Nâägas, environné de ses femmes et de musiciennes ou de suivantes, à l’arbre sacré, au pied duquel il est assis ? Je ne saurais le dire au juste; mais un bas-relief du second architrave de la porte orientale représente tous les animaux de la création: lions, daims, éléphants, buffles, béliers et brebis, cha- meaux et même un garuda et un näga, venant rendre hommage à un arbre sacré. Sur le bas-relief d'un pilier de la porte occidentale on voit aussi, outre ses adorateurs ordinaires, une espèce de géant au milieu d'une troupe d'animaux : cheval, buffle, éléphants, sanglier, Hon, qui viennent honorer le bodhidruma. Et l'artiste du pilier de la porte septentrionale a éga- 1. Erapalo Nâga Râja Bhagavato vamdate. « Erapätra, roi des Nâgas, vénère Bhagavat », dit l'inscription pälie. Cun- ningham, The Stüpa of Bharhut, p. 27, pl. XIV, 3. 2. The Stüpa of Bharhut, pl. XV. 3, XXX, 2 et XLIV, 3. 074 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS lement représenté deux singes, qui, mêlés aux fidèles, vénèrent un açvattha, l’un lui apportant un vase d’of- frandes, l’autre en s’inclinant dévotement devant lui‘. Les Jainas n'avaient pas moins de respect pour les arbres que les Bouddhistes *, et comme les disciples de Càkyamuni, ils regardaient surtout l’açvattha comme sacré. Lesadorateurs de Brahmà, de Civa et de Vishnu, honoraient aussi cet arbre d’un culte particulier ; pour eux il était le symbole de la divinité et de la vie*. Les sectateurs du Brahmanisme aussi — les épisodes du Rämäyana que j'ai rappelés plus haut en font foi — n'ont pas eu une moindre vénération pour le nyagro- dha, et ils l'ont planté partout où ils ont établi des communautés *. Le culte que les Hindous rendaient aux arbres avait frappé les Anciens: « Ils honorent, dit Quinte-Curce”, les arbres comme des dieux et c’est à leurs yeux un crime capital que de les mutiler. » Cette vénération des Hindous pour les arbres, dont parle l'écrivain latin, ne devait point disparaitre dans l’âge suivant ; les récits du Kathä-Sarit-Sägara, recueil du xr° siècle, nous montrent qu’elle était aussi vivace au moyen âge qu'à l’époque d'Alexandre ou de Quinte-Curce ou à celle du Mahäbhärata et du Rämäyana. Dans un conte de cette précieuse compilation nous voyons l’exilé 1. Fergusson. Tree Worship, pl. XXIV, 2: IX; :XXVI,2; XX VII, 2. 2. A. Barth, The Religions of India, p. 263. 3. « Je suis l’acvattha parmi les arbres. » Bhagavadgitä, x, 20. Cf. Xv, 1. — « Le grand arbre de Brahman est éternel. » Anugità, cap. xxx11, 12. Cf. cap. xII, 8. 4. K. Fr. Koeppen, Die Religion des Buddha, p. 529. l 5. Historia Alexandri, b. VIII, cap. 9, 34. CULTE DES PLANTES EYE Somadatta faire respectueusement le tour d'un açvat- tha en restant à sa droite, puis s’incliner respectueuse- ment devant lui et lui offrir une oblation, avant de labourer le champ voisin. Dans un autre récit du même recueil, le brahmane Crutadhi adresse une prière à l'arbre de Ganeca ; ailleurs encore on voit le roi Naravähanadatta adorer le santal de Mandaradeva, qui lui adresse la parole et lui promet la victoire’. Loin de diminuer, le culte rendu aux arbres par les Hindous a, comme la plupart de leurs anciennes croyances, persisté jusqu’à nos jours, au milieu de toutes les révolutions sociales et politiques de leur pays. Le pipal — pippala ou acvattha — est tout aussi honoré aujourd'hui qu’au temps où florissait le boud- dhisme. A l'ombre de cet arbre sont placées souvent les pierres frustes qui servent d’autel à la divinité protectrice du village. Le quinzième jour de chaque mois, quand ce jour tombe un lundi, les femmes des premières castes vénerent le pipal de la localité ; elles en arrosent les racines, couvrent son tronc de poudre de santal, et en font dévotement 8 fois le tour, en dé- posant, à chaque tour, une offrande au pied. Chaque dimanche aussi, après s'être baignés, tous les habi- tants apportent une cruche d'eau au pied de cet arbre sacré et en font quatre fois le tour *. Le nyagrodha n'est pas moins vénéré que le pipal, des brahmanes surtout. De temps immémorial ils ont aimé construire des pagodes à l’ombre de ses rameaux’, 1. C.-H. Tawney, Æathä-Sarit-Sägara or Ocean of the Streams of Story. Calcutta, 1880, in-8, vol. I, p. 153; IL, 387 et 460. 2. W. Crooke, The popular Religion, vol. II, p. 99-100. 3. Pietro della Valle, Viaggi descritli da lui medesimo. 976 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS et c’est du nom d’une de leurs sectes que cet arbre a pris le nom de banian ou de figuier des Banians. Dans le Radjpoutana, le 29° jour du mois de bairàäkh (avril- mai), les femmes rendent hommage au nyagrodha et elles croient par là être préservées du veuvage'. L’udumbara, dont le bois est d’un si grand usage dans le culte, ne pouvait, lui aussi, manquer de revêtir un caractère sacré; depuis longtemps il est de la part des nouveaux mariés, l'objet d'une vénération particu- lière*. Le 5° jour après les noces, les deux époux sor- tent du village, et quand le mari a trouvé un udum- bara, il en balaie soigneusement le dessous et y répand des parfums en disant: « De même, 6 arbre, que tu _dresses dans les airs tes centrameaux, puissions-nous croître aussi cent fois en postérité et en biens. » Et en y répandant des fleurs, il ajoute : « De même que tu es riche en fruits, puissions-nous avoir en abon- dance enfants et bétail! » Puis ils prennent sous cet arbre béni leur repas. Une légende veut que, dans la nuit de la Divali, les dieux se rassemblent pour re- cueillir toutes les fleurs de l’udumbara ; aussi n’en a-t-on jamais vu sur cet arbre”. Parmi les arbres sacrés des Hindous, il faut men- tionner encore l’aonla — dmalaka —, que les Brah- manes considèrent comme un arbre de bon augure. Le onze du mois de phälguna (février) lui est spécialement consacré ; en ce jour on verse au pied des libations, et oma, 1663, in-fol., vol. II, p. 28. — J.-B. Tavernier, Voyages de Perse, iv. V, ch. 23. 1. W. Crooke, The popular Religion, vol. II, p. 98-99. 2. Bhaudhäyanäya-Grihya-Süûtra, ap. M. Winternitz, Das altindische Hochzeitsrituell, p. 101. 3. W. Crooke, The popular Religion, vol. I, p. 99. CULTE DES PLANTES 571 on lui adresse des prières pour la fécondité des femmes et du bétail et pour la réussite des moissons ; on termine la cérémonie en s’inclinant dévotement devant lui. Le jand — Prosopis spicigera — est aussi l’objet d’une grande vénération dans le Pandjab ; c’est une coutume de revêtir sous son ombre les enfants de leur première robe, après avoir fait une offrande de riz et de sucre. Quant au nimba, il est regardé comme en relation étroite avec les divinités des maladies ; elles sont réputées — Sitalà, en particulier, et ses six sœurs — résider au milieu de ses branches; aussi à l’époque des épidémies, les femmes lui font des offrandes de riz, de bois de santal et de fleurs ; parfois aussi elles brûlent de l’encens devant lui. Le cocotier, cela ne saurait surprendre, à aussi revêtu un caractère religieux ; son fruit, considéré comme sacré entre tous, est appelé criphala « fruit de Cri » ; il est devenu un emblème de fécondité dans l'Inde supérieure”. Des tribus dravidiennes ne le cèdent pas aux Hin- dous aryens dans leur respect pour les arbres ; celles qui habitent dans les monts Vindhya et Kaïmour, par exemple, rendent au aram — Nauclea parvifolia — un véritable culte à l'occasion des travaux agri- coles du mois de bhâdon (août-septembre). Les ha- bitants des jungles ont également en grande véné- ration le sàl, qu'ils regardent comme hanté par les esprits. Les Bauris du Bengale se marient sous une hutte faite de rameaux entrelacés de cet arbre. Le tamarin est aussi vénéré par une autre tribu de cette contrée qui enterre ses morts sous son ombre. Le 4. W. Crooke, The popular Religion, vol. Il, p. 101, 102, 10% et 106. JorET. — Les Plantes dans l’anliquité. II. — 37 518 LES PLANTES CIIEZ LES HINDOUS malwa n'est pas moins honoré par les habitants indi- gènes de l'Inde centrale ; le fiancé et la fiancée en portent des branches à la main le jour de leur ma- riage ‘. Les cérémonies qui accompagnaient l’abatage des arbres sont une preuve manifeste de la vénération que de temps immémorial les Hindous ont eue pour eux. Dans le Bhadda-Säla-Jätaka?, les bûcherons, chargés d’abattre le plus beau sàl du parc royal, se rendent au pied de ce roi de la forêt les mains pleines de guir- landes parfumées ; ils y attachent une couronne, l’en- tourent d'un cordon, auquel ils fixent un bouquet de fleurs et une lampe allumée, etils le vénèrent. L’abat- tage des arbres destinés à faire les poteaux du sacri- fice était en particulier entouré de longues pratiques religieuses *. On commençait par oindre avec du beurre clarifié le pied de l'arbre que l’on devait abattre ; puis on appliquait, la tête en haut, des tiges de darbha à la place où l’on voulait le couper, en disant: « O herbe, protège-le. » Ensuite le bücheron, tenant sa hache perpendiculairement au darbha, frappait l'arbre, en prononçant ces mots : « O hache, ne le blesse pas. » Quand il était abattu, un prêtre versait le reste du beurre clarifié sur la souche, restée en terre, et lui adressait cette prière, d’après la Taittiriya-Sarhità : « Seigneur de la forêt, grandis et pousse cent ra- meaux. » Puis se touchant le cœur, il ajoutait: « Puis- sions-nous aussi grandir et pousser cent rameaux. » 1. W. Crooke, The popular Religion, vol. II, p. 94,100, 103. 2. Stories ofthe Buddha’s former Births, n° 465. 3. Taittiriya-Sarnhità, lib. 1, 3, 5. — J. Schwab, Das allin- dische Thieropfer. Erlangen, 1886, in-8, p. 4-7. — H. Olden- berg, La Religion du Véda, p. 216. dns. , CULTE DES PLANTES d19 Après cela, on enlevait les branches du tronc et on l’équarrissait en continuant de l'invoquer, puis on l'oignait, on l’entourait d'une guirlande de gazon, et on lui adressait cette dernière et longue prière: Des hommes pieux, en ce jour de fête, t'oignent, seigneur de la forêt, du doux mets des dieux ; accorde-nous tes bienfaits, quand on t’aura dressé et que tu reposeras sur le sein de ta mère... EÉlève-toi, à seigneur de la forêt, sur la surface de cette terre, toi qu’on a habilement mesuré ; prête ton éclat au sacrificateur.… Puissent ceux qui t'ont abattu, dressé et pourvu de breuvage être une source de bénédiction pour nos champs et porter nos dons jusqu'aux dieux... Seigneur de la forêt, crois avec mille rameaux ; avec mille rameaux fais-nous croître aussi, toi que cette hache tranchante a préparé pour un grand bonheur et comme une source de bénédiction. Parfois c'était non à l'arbre lui-même, mais au génie qui l'avait pris pour résidence que les dévots adressaient leurs hommages. L'histoire de Sujätà, fille du Senäni, d’un chef village voisin de la forêt d'Uru- vilvà, en est un exemple curieux *. Un jour qu’elle était venue faire hommage à la divinité d'un #4ga, elle lui promit, s'il lui procurait un mari de noble condition et que son premier-né füt un fils, de lui offrir chaque année du riz au lait et un lack d'argent. Son vœu ayant été exaucé, Sujàtà se mit en devoir de préparer, avec du lait exquis, du santal et des parfums, le riz qu’elle voulait offrir. En attendant, elle envoya sa ser- vante balayer soigneusement le dessous de l’arbre. Elle s'y rendit ensuite; mais en arrivant, elle aperçut, plongé dans la méditation, le Buddha, qu’elle prit pour le génie du näga et auquel elle offrit le riz. 1." Rig-Veda; lib.IlT, 8, 1,3, 7,14 2. Spence Hardy, À manual of Buddhism, p. 170. Le nâga est la Mesua Roxburghii. 580 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Comme les génies particuliers des arbres, on invo- quait aussi les Gandharvas etles Apsaras, qui aimaient à y faire leur demeure’. Quand une noce passait auprès de quelque açvattha ou nyagrodha, elle ne manquait pas d'adresser ses hommages à ces divinités, et leur demandait de ne pas nuire à la fiancée et à ceux qui l’accompagnaient. « Que les Gandharvas et les divines Apsaras, qui résident dans ces arbres, rois de la forêt, se montrent gracieux à cette jeune femme, qu'ils ne fassent pas de mal à la noce qui passe ici près. » Ce n'est pas seulement aux grands arbres que les Hindous ont rendu et rendent encore hommage; de simples arbrisseaux ou même des plantes semi-herba- cées étaient et sont aussi pour eux un objet de véné- ration. Telle est la tulasi ; consacrée à Vishnu, elle a participé au culte rendu à ce dieu : « J'adore, dit une prière *, la tulasi, dont les racines sont le but de tout pélerinage, dont la tige est le séjour des dieux, et sur les branches supérieures de laquelle sont tous les Védas. » On trouve la tulasi chez presque tous les Hin- dous; parfois cultivée en pot, elle est le plus souvent plantée dans la cour des maisons, avec un espace libre qui permet d’en faire le tour. Cette plante est surtout vénérée par les femmes au mois de kärttik (dé- cembre), à l’époque de la pleine lune. Les gens pieux aiment aussi à célébrer son mariage avec le jeune Krishna. Je suis loin d’en avoir fini avec toutes les plantes 1. Atharva-Veda, lib. XIV,2, 9. — Taittiriya-Samhità, lib. IT, 4, 8, 4. Cf. Oldenberg, La Religion du Véda, p. 212. 2. Monier-Williams, Religious Thought, p. 333.— W. Crooke, The popular Religion, vol. IT, p. 110-111. CULTE DES PLANTES 581 qui ont revêtu un caractère sacré dans l'Inde ; les propriétés merveilleuses, que de toute antiquité les habitants ont attribuées à nombre d’entre elles, les firent entourer d’un véritable culte, en même temps qu’elles leur ont fait prendre place dans la magie et la médecine. CHAPITRE VI LES PLANTES DANS LA MAGIE ET DANS LA MÉDECINE Au-dessous des Dieux du Panthéon védique, tous, Rudra excepté, bons et bienveillants, les Hindous, nous l'avons vu, admettaient l'existence de génies in- férieurs, Piçcäcas, Ràâkshasas, Yâtudhânas, etc., hos- tiles pour la plupart aux mortels’. Ce sont ces génies qui sont la cause de presque tous les maux dont souf- frent les hommes. Ils se glissent dans le corps de ceux qu'ils poursuivent ; ils dévorent leur chair, sucent la moelle de leurs os, boivent leur sang et por-- tent le désordre dans tout leur être. Tantôt ils troublent leur raison, d’autres fois ils leur enlèvent l'usage de la parole*. Leur action se fait sentir surtout dans les grands événements de la vie: mariage, grossesse, ac- couchement, funérailles, etc. Malfaisants aux hommes, ils ne le sont pas moins au bétail ; ils tettent le lait des vaches, rongent la chair des chevaux. Il n’est pas jus- 1. H. Oldenberg, La Religion du Véda, p. 225-227. Dans les Védas les seconds portent le nom de Rakshäs, forme mascu- line du neutre räkshas « injure »; à l’époque bouddhique, à Rakshäs s’est substitué son dérivé Râkshasa. 2. Atharva- Veda, lib. VIII, 60,20 ; V, 29, 5; VI, 33. — Hi- ranyakecin, Grihya-Süûtra, I, 4, 15, 5. LES PLANTES DANS LA MAGIE D83 qu'aux habitations qui n’aient à redouter leurs atteintes ; une maitresse poutre vient-elle à se rompre, c’est qu'un messager de la mort s’est assis dessus". Aussi la liturgie des Védas est-elle remplie de formules d’exorcisme contre ces génies du mal, témoignage manifeste de la lutte qu'à chaque instant l'Hindou se croyait obligé d'engager contre eux. Mais ce n’est pas contre eux seuls qu'il avait à com- battre et à se défendre. Il lui fallait se préserver des funestes atteintes des âmes des morts condamnées à errer jusqu’au jour de leur réunion aux Mànes ; enfin il lui fallait repousser les maléfices des hommes per- vers, qui le menaçaient de leurs sortilèges. Comme tous les peuples primitifs, les anciens Hindous croyaient que l'homme peut atteindre à une puissance surnatu- relle, que, grâce à certaines pratiques, il peut com- mander aux éléments, et soit seul, soit avec l’aide des esprits du mal, troubler l’ordre de la nature ou en asservir les forces à sa volonté *. Telle est la magie, à laquelle tous peuvent se livrer, mais dont le sorcier de profession connaît seul tous les secrets. À l’origine elle se confondait avec le culte, et si, dans l'Inde, elle s’en sépara peu à peu, elle ne lui fut, à l'époque védique etmème plus tard, jamais complètement étran- gère; la plupart des cérémonies religieuses étaient imprégnées de symbolisme mystique ou mêlées de pra- 1. H. Oldenberg, La Religion du Véda, p: 227-230. 2. Dieterici Tiedemann, Dispulalio de quaestione quae fuerit artèum magicarum origo. Marburgi, 1787, in-4, p. 5. A. Maury, La Magie et l'Astrologie dans l'antiquité et au moyen âge. Paris, 1860, in-8, p. 2. — F.-G. Frazer, The golden Bough. A study in comparative Religion. London, 1890, in-8, vol. I, p- 32. / 084 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS tiques magiques’, et quelques-unes de celles-ci ont pénétré jusque dans le rituel brahmanique. Mais l’enchanteur n'avait pas uniquement recours aux génies malfaisants, il mettait en œuvre aussi « certaines entités, substances ou vertus plus ou moins impersonnelles, tantôt douées d'une existence indé- pendante, tantôt inhérentes à d’autres objets » ; mais qui, comme un fluide, peuvent passer de l'être qui les recèle à un autre. Souvent nocives et funestes, ces entités mystérieuses sont aussi parfois bonnes et pro- pices ; mais quelle qu’en soit la nature, leurs propriétés peuvent se communiquer par le contact; elles pénètrent aussi dans le corps par onction, par aspersion ou par friction ; elles s’y introduisent avec le boire et le manger, par les narines et avec l’haleine; le regard même peut leur servir de véhicule et les envoyer dans un autre sujet”. C’est ainsi que certains mets donnent à celui qui en mange quelque chose de la vertu qu'ils sont supposés renfermer; que la fermeté de la pierre, sur laquelle le marié lui fait poser le pied, se commu- nique à la jeune épouse. Pour écarter les mauvais génies, détruire l'effet des substances nocives ou rendre efficaces celles qui étaient bonnes, le sorcier avait recours à des pratiques di- verses : exorcismes, Conjurations, incantations, — « formules récitées à un certain moment de l’opération 1. H. Oldenberg, La Religion du Véda, p. 407-408. 2. H. Oldenberg, La Religion du Véda, p. 409-411. RS à LES PLANTES DANS LA MAGIE d85 magique »' et d'ordinaire versifiées —, où tantôt il mêlait le charme à la prière, le commandement à la menace, tantôt annonçait comme arrivé ce qu'il avait en vue, afin d’en amener l’événement”, etc. Ces pratiques variaient suivant les circonstances ; l’enchanteur en connaissait pour tous les cas, et ne se faisait pas faute d'y avoir recours. De même, nous l'avons vu, que tous les événements de la vie étaient accompagnés de céré- monies religieuses particulières, de même et encore plus ils Le furent à l’origine, etils continuèrent presque toujours de l'être, par des opérations magiques ; point d'acte, quelque insignifiant qu'il püt être, pour lequel l'intervention du sorcier — le plus souvent il n'était autre que le prêtre — ne füt jugée nécessaire. Des charmes préservaient la grossesse de la mère et assuraient la naissance de l'enfant ; des charmes donnaient à l'étudiant l'intelligence des Védas* et dirigeaient le jeune homme après son entrée dans la vie ; des charmes permettaient de connaître l'avenir, l'issue des affaires qu’on entreprenait et la femme qu'on devait choisir, ou faisaient retrouver ce qu'on avait perdu et percevoir même ce qui est invisible“. Il y avait des charmes pour gagner l'affection d'une personne aimée et en assurer la constance, pour écarter une rivale ou en triompher”. Il y en avait pour 1. Fossey, La magie assyrienne. Paris, 1902, in-8, p. 17. 2. H. Oldenberg, La Religion du Véda, p. #39-440. 3. Altindisches Zauberritual. Probe einer Uebersetzung der wichtigsten Theile des Kaugçika Sûtra von W. Caland. Amster- dam, 1900, in-4, cap. X, 1-24 XXXIV, 3-11; XXXV, 1-4, 8-10, 16-19. &. K.-S., cap. XXXVII, 1-3, 4-6, 7-12; LIT, 12-14. 5: K.-S., cap. XXXV, 25-28 ; XXXVI, 5-9, 12, 13-14, 15-17, 18, 19, etc. Sämavidhânabrähmana, cap. IT, #4, 1-2. 286 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS maintenir ou ramener la concorde dans les familles ou parmi les habitants d’un même village‘, pour gagner un procès, rendre certain le succès d’une entreprise ou d’un voyage, être heureux au jeu et dans tout ce que l'on faisait *, ainsi que pour préserver le bétail, bénir les travaux du labourage et les semailles*. Il y avait des charmes pour rétablir un prince exilé sur son trône, porter le désordre dans les rangs d’une armée ennemie, en mettre en fuite les éléphants et remporter la victoire“. Il y en avait également pour conjurer une tempête ou la foudre, faire cesser une pluie excessive, détourner un cours d’eau”, etc. Des incantations aussi servaient à détourner les présages funestes, à détruire les mauvaises herbes qui étouffaient les récoltes, à chasser la vermine des champs°. Enfin il y avait des imprécations magiqués contre les démons et les sor- ciers, pour se venger de ses ennemis etrenvoyer contre eux leurs maléfices ”, etc. Les vertus merveilleuses, dont la croyance popu- laire revétit, de temps immémorial, nombre de plantes dans l'Inde, leur fit prendre place de bonne heure dans la magie; on les invoqua comme des génies tout puissants et bienfaisants. C’est ainsi qu’un hymne de l’Atharva-Véda nous montre une femme délaissée im- 1. K.-S., cap. XXX VI, 10-11 ; XL, 6-4. 2. KS. cap. XXIV, 3-10, KA 46; XXXVIII, 17-21, 27-31; XLI, 8-9, 10-13, 15-17 ; XLII, 1-5, etc. 3. -S., cap. XXIII, 12-16, 17; XXIV, 1-2, 35-36. RUE. SE cap. XIV; 17 7e 17, 2, 24, 27-29 XNA ANIME D] 5. K:-S., cap. XXXVIII, 1-6, 7, 8-11; XL, 1-10. 6. X.-S., cap. XLVI, 53-55 ; LI, 15- 16, 17-22. 7: AV. HAT, 7et 8; IT 1: TI 9E V: 18 et3t; X, 4, vetc: — K.-S.; cap. XVIIT, 1-18 ; XXXIX, 8-31. LES PLANTES DANS LA MAGIE d87 plorant l’assistance d’une plante, qui malheureusement n’est pas nommée, pour écarter sa rivale et regagner le cœur de son époux’. Je déracine cette plante riche en vertus, avec laquelle on chasse sa rivale et on reconquiert son époux. — O toi, dont les feuilles sont larges, plante heureuse, envoyée des Dieux, fais fuir, toute-puissante, loin de moi cette rivale ; fais que mon époux soit exclusivement à moi. Dans un autre hymne du même recueil, une espèce de réglisse, le madhuka, est invoqué pour gagner l'affection d’une personne aimée. Ailleurs le poëte- magicien prie le dharba d’apaiser la colère de ses proches, comme des étrangers, et l’arundhati de pro- téger son bétail. Ailleurs encore il demande à l’acvat- O = tha, à l’âhva, au bàdhaka, d’abattre, de déchirer, d’exterminer ses ennemis”. Une autre plante non moins puissante, la pàtà, est implorée pour obtenir le gain d’un proces *. Que mon ennemi ne l’emporte pas dans ce débat! Tu es forte et toute-puissante. Triomphe des arguments de ceux qui luttent contre moi; prive-les de leur force, à plante. — Un aigle t'a trouvée, de son museau un sanglier t'a déterrée. Triomphe, etc. — Indra te placa sur son bras, afin de vaincre les Asuras. Triomphe, ete. — Avec ton aide je l’emporterai sur mon ennemi, comme [ndra sur les Sälävrikas. Triomphe, etc. Au premier rang des plantes magiques était l’acvat- 1. Atharva-Veda, lib. TITI, 18. Bloomfield, p. 167. 2. Atharva-Veda, lib. I, 34; VI, 39 et 43; VIII, 8, 3. L’arun- dhati est une liane incertaine ; l’éhva est inconnu, le bädhaka a été identifié avec l’/olarrhena antidysenterica. 3. Ou bânaparnt(Clypea hernandifolia). A.-V., lib. IT, 27, 1-5. Une feuille de cette plante convenablement disposée est employée dans le Kaucika-Sûtra, cap. III, 36, 19-21, pour triompher d'une rivale. 288 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS tha ; ses dimensions considérables, sa tendance à s’im- planter sur les autres arbres, qu’il étouffait de sa croissance, son caractère sacré, lui avaient fait attri- buer une puissance destructive irrésistible , aussi lui demandait-on de faire périr les ennemis qu’on redou- tait: Comme tu pénètres, à acvattha, au milieu des vagues de l'atmosphère, renverse tous ceux que je hais et qui me haïs- sent. — Toi qui t’'avances en conquérant, comme un taureau vainqueur, puissé-je avec toi vaincre mes rivaux! Que la Nirriti enchaine dans les entraves de la mort, qu’on ne peut dénouer, les ennemis que je hais et qui me haïssent! — Toi qui grimpes sur les arbres, à acvattha, et les domines, fends en deux la tète de mes ennemis et dompte-les.. Je les chasse à l’aide de ma volonté, de mon intention, avec cette incantation. Nous les chassons avec une branche d’acvattha. Comme on ne pouvait toujours avoir à sa disposition la plante magique que l’on devait invoquer, on en por- tait sur soi”, on en donnait au sujet qu’il fallait protéger, des fragments en guise de talisman. Un hymne de l’Atharva nous montre un prince invoquant l'assistance d'une amulette, faite en bois de parna”, contre ses ennemis, et lui demandant de fortifier son pouvoir et de le faire régner longtemps. Un autre hymne exalte longuement les vertus d’une amulette du « divin » varana, « taureau qui détruit les rivaux », et préserve de tous les dangers‘. Avec elle tombe sur tes ennemis et écrase ceux qui veulent te nuire. — Brise-les, écrase-les, tombe sur eux; que cette amulette te guide et te précède ! Avec ce varana les Dieux ont 1. Atharva-Veda, lib. IIT, 6, 3-6 et 8. 2. « Cette amulette de varana se trouve sur ma poitrine ». Atharva- Veda, X, 3, 12. 3. Ou palâça (Butea frondosa). A.-V., b. IIF, 5. /, 4. Crataeva Roxburghii. Atharva-Veda, lib. X, 3, 1-3. LES PLANTES DANS LA MAGIE D89 triomphé de l'assaut des Asuras. — Cette amulette de varana jettera à tes pieds tes ennemis ; attaque le premier ceux qui te haïssent. Aïlleurs un talisman en bois de sraktya' est célébré comme doué des vertus les plus hautes. C'était avec lui qu'Indra avait tué Vritra, vaincu les Asuras et conquis le ciel et la terre. Plein de force, il tue les rivaux, fait d’un homme un héros, le protège de toutes parts, lui est d’un bon augure... Victo- rieux, conquérant, triomphant, redoutable, il marche à l’en- contre des maléfices et les détruit. — Il est un tigre, un lion, un taureau, il déchire ses ennemis, celui qui porte ce talisman. — Niles Apsaras ne le tuent, ni les Gandharvas, ni les hommes; il règne au loin sur toutes les régions, celui qui porte ce talisman. Non moins puissante était une amulette en bois de khadira”, symbole de force à cause de sa dureté, à laquelle on avait donné, sans doute pour en augmenter l'efficacité, la forme d'un soc de charrue ; « créée par Prajäpati, donnée aux Dieux par Brihaspati dans leur lutte contre les Asuras », elle conférait puissance, bien-être, postérité et richesse à ceux qui la por- talent. Les plantes magiques et les amulettes étaient sur- tout invoquées contre les pratiques des sorciers et les menaces incessantes des génies malfaisants. Dans un hymne connu de l'Atharva, un rishi implore une plante qu'ilne nomme pas, mais à laquelle il demande de le défendre contre les maléfices des sorciers *: Un aigle t’a trouvée, de son museau un sanglier t'a déterrée 1 le] ? 1. Ou {ilaka (Clerodendron phlomoïdes). A.-V., lib. VITE, 5, 1236112139; CI K:=S) cap XIV 22207 2. Acacia calechu. Atharva- Veda, lib. X, 6, 4, 19, 23 et 35. 3. Atharva-Veda, lib. V, 14, 1-2, 4 et 9. 590 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS efforce-toi, à plante, de nuire à celui qui cherche à nous nuire. .… Extermine les magiciens, extermine celui qui prépare un charme (contre nous). Tue, à plante, celui qui cherche à nous nuire... Saisis et renvoie ce charme contre celui qui l’a pré- paré. Prends tes armes et frappe, tue celui qui prépare des charmes (contre nous). Dans une autre incantation du même recueil”, nous voyons le prêtre-sorcier implorer contre les Rakshäs et les Piçàäcas — après Agni, Rudra et Varuna — une plante innomée encore, mais dont « l’universel pou- voir doit les unir à Yama » — la mort —. Ailleurs c’est à une plante connue et « à l’antique renommée », l’ajacringi?, qu’il demande assistance contre les génies des airs et des eaux. Avec toi, à herbe, les Atharvans d’abord, avec toi Kacyapa, avec toi Kanva et Agastya tuërent les Rakshäs. — Avec toi nous disperserons les Apsaras et les Gandharvas. O ajacriñgi, perce de tes aiguillons les Rakshäs, que ton odeur les chasse! O herbe, poursuis et écrase les Picâcas qui dévorent les avâkàs et illuminent les eaux de leurs petites flammes scintillantes ! Une amarantacée, que rien d’ailleurs ne recom- mande à l'attention, l’apämârga”, est invoquée à chaque instant contre les démons, et comme détruisant par sa puissance victorieuse toutes les incantations. } Toi qui as mille séjours, jette ta malédiction sur les démons Vicikha et Vigriva, retourne cette incantation contre celui qui l’a faite. Avec cette plante je mets à néant tous les charmes, ceux qui ont été jetés sur tes champs, sur ton bétail, sur tes serviteurs. L’apämärga effacera toutes les malédictions, elle dispersera tous les enchanteurs, tous les démons envieux.…. O plante, tu marches, semblable à une forte armée; où tu 1. Atharva-Veda, lib. IV, 32. 2. Odina pinnata. A.-V., lib. IV, 37, 1-3 et 10. 3. Achyranthes aspera. A.-V., lib. IV, 17; 18, 4, 5, 7; 49, DHTES LES PLANTES DANS LA MAGIE 591 arrives, il n’y a plus rien à craindre... Tu es à la fois la pro- tectrice des faibles et la destructrice des Rakshäs. — Quand, à l'origine des choses, avec toi les Dieux chassèrent les Asuras, tu fus engendrée comme apâmârga. — Toi dont les fruits sont recourbés, écarte de moi toute malédiction, les armes destruc- tives. — Protége-moi, que ta centuple force me garde ! Le dieu fort Indra a mis la force en toi, à Souveraine des Plantes ! Les prêtres-sorciers, dans leurs enchantements se contentaient rarement de simples formules conjura- toires, ils y joignaient le plus souvent des pratiques diverses, destinées à donner plus d'importance ou d'efficacité à leurs incantations ; les plantes eurent place dans ces opérations magiques, comme dans les simples charmes ; elles y apparaissent tantôt comme ingrédients indispensables, tantôt à titre d'auxiliaires ou même comme emblèmes symboliques de l’action qu'il s'agissait de produire. C’est ainsi que dans un charme de l’Atharva, fait en vue de découvrir les sor- ciers et les Picäcas que le magicien veut combattre, il tient à la main un rameau de sadañpushpà', « l'œil de Kaçyapa ». La plante brähmi*, mangée après un jeûne de huit jours, avec accompagnement d’une cer- taine mélopée, mettait en état de répéter tout ce qu’on avait entendu. Un bâton de karavira, convenablement consacré, portait bonheur à qui le portait à la main”. L'incertaine varshâpà était employée dans un charme pour amener la pluie. Des tiges du balbaja, qui avait 1. Calotropis procera. A.-V., lib. IV, 20, 6-9. 2. Herpeslis monniera d’après Hoernle. Bower Mss., p. 16, n° 52. 3. Le karavira est le Nerium odorum. Das Sâämavidhâna- brâhmana, cap. I, 7, #; 4, 1. Un cure-dent d'apämärga, con- sacré suivant le rite, et employé pendant un an sans cracher et en récitant chaque fois une stance appropriée, faisait aimer de qui l’on voulait. Cap. IT, 6, 1-2. 592 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS poussé à l’endroit où une vache pleine avait uriné, liées aux bûches du sacrifice offert avant la bataille, fortifiaient le courage de l’armée’. Voulait-on con- naître le sexe d’un enfant à naître, on déterrait, sui- vant le rite prescrit, une plante sraja, inconnue d’ail- leurs ; si la racine était simple et non rongée des vers, c'était un garcon”. Afin d'assurer à une femme enceinte une heureuse délivrance, on lui remettait le troisième mois de la grossesse, une triple amulette faite de bourgeons de nyagrodha et de racines de bambou et solennellement consacrée ; elle la portait dans sa cein- ture et était sûre d’accoucher sans peine et même d’avoir un garcon”. Un pâtre, qui menait son troupeau au pâturage, avait soin de brandir derrière lui un épieu de khadira, oint avec le résidu de la graisse du sacri- fice : simulacre de combat qui préservait le troupeau ‘ de l'attaque des fauves et des voleurs. Pour amener le retour dans ses états d’un prince exilé, le purohita mettait à cuire sur un feu de branches de kämpila, repoussées de la souche, une bouillie faite avec du riz de la seconde récolte et du lait d’une vache, qui avait un veau de même couleur qu’elle; puis après avoir versé dessus les restes du beurre qui avait servi au sacrifice, et l’avoir bénie, il la donnait à manger au 1. Tailtiriya-Samhitä, 1 et 2, 4, 10, 3. A. Hillebrandt, Ve- dische Opfer und Zauber, p. 173. 2. Kuucikä-Sütra, cap. XXXIII, 9-12. 3. Sâämavidhânabrähmana, lib. 11, 2, 1. Cf. Æ.-S., XXXIIT, 1-3, un moyen de savoir si une femme enceinte aura ou non une délivrance heureuse. Ces procédés magiques des médecins Hindous frappèrent les Grecs. « Posse eos et fecundas facere mulieres, et marium et feminarum procreationem medica- mentis praestare », dit Strabon, XV, 1, 60. ns, cs: LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 593 prince. Le quatrième jour ses anciens sujets le rappe- laient”. On devine facilement la signification de ces diverses pratiques ; on s'explique sans peine aussi l'emploi des lacets en bois d’açvattha et des filets en Çana, munis de manches en bois de bâädhaka, qui, après avoir été enduits des résidus de l’offrande, étaient déposés sur le chemin que devait suivre l’armée ennemie : emblème de la captivité dans laquelle elle devait fatalement tomber. Non moins clair est l'usage symbolique des plantes dans le charme destiné à mettre en déroute les ennemis. En face de l’armée, sur un feu de bois de bädhaka, le purohita faisait une libation d'huile d'iñgida, en prononçant les paroles sacramentelles ; puis au Nord du feu il plantait en terre une branche d’acvattha, teinte en rouge”, et après l'avoir entourée de deux cordons, l’un bleu foncé, l’autre rouge, il la lançait dans la direction du Sud, la région des Mânes, en prononçant les mots : « Victoire à ceux-ci, défaite pour ceux-là; de noir et rouge, je les enveloppe. » Il Les charmes et les amulettes n'étaient pas moins employés dans la thérapeutique que dans la magie 4. Æ.-S., cap. LE, 1; XVI, 27-33. D'après Bloomfield, Zymns of the Atharva-Veda, p. 240, et W. Caland, Xaucika-Sütra, p- 15, le kämpila serait le Crinum amaryllacee — il faudrait au moins amaryllaceum —; mais le Crinum amaryllaceum n'existe pas; de plus, les Crinum sont des plantes herbacées et n'ont point de branches; j'ineline à voir dans le kâmpila le Mallotus philippinensis. 2. Kaucika-Sütra, cap. XVI, 16-17 et 19-20. Jorer. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 38 D9# LES PLANTES CIIEZ LES HINDOUS ordinaire ; ils servaient à guérir les maladies, aussi bien qu’à écarter les dangers et les maléfices dont on était menacé ; le médecin à l’origine ne se distinguait pas du sorcier ; comme lui il était prêtre ; parfois même il n’était que prêtre ou sacrificateur. Si, de même que tous les autres maux, les maladies ont été regardées longtemps comme produites par une influence mauvaise, à l’origine elles furent plutôt considérées comme une manifestation de la colère des Dieux, la punition d’une offense envers leur majesté *. Le repentir et l’expiation de ses fautes ou de celles de ses proches, des sacrifices, des prières adressées aux Dieux, qui président à la santé: Varuna, Rudra, les Maruts, Soma, etc., pouvaient seuls, en les apaisant, éloigner les maux qui menaçaient le coupable ou guérir ceux dont il était déja atteint *. Pardonne-nous les péchés commis par nos pères; pardonne- nous ceux que nous avons commis nous-mêmes; comme la génisse débarrassée du lien (qui la retenait), laisse en liberté Vasishtha “. Tu as des remèdes par centaines, par milliers, Ô Roi, dit 1. Charles Daremberg, Recherches sur l’état de la médecine durant la période primitive de l'histoire des Indous, p. 6. (Union médicale, an. 1869.) — W. Crooke, The popular Reli- gion of northern India, vol. T, p. 123. 2. « Je cherche avidement quel est mon péché et je le demande aux sages, dit aussi Vasishtha atteint d’hydropisie ; les voyants me donnent pour toute réponse, c’est Varuna qui est irrité contre toi. » Rig- Veda, lib. VIT, 86, 3. 3. Grohmann, Medicinisches aus dem Atharva- Veda. (In- dische Studien, vol. IX (1865), p. 408 et suivantes). k. À Varupa. Atharva-Veda, lib. VIT, 86, 5. Et ailleurs, H, 28, 9: « Remets-nous nos propres méfaits, implore Gritsamada, que je n'aie pas à expier le mal commis par autrui. Bien des aurores se lèveront encore, accorde-moi de les voir en pleine vie. » LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 595 Cunahcepa! ; large et profonde aussi est ta bonté ; repousse loin de nous la ruine, délivre-nous du péché commis... Je l'implore en t’honorant de mes prières; sacrificateur, je te le demande avec cette libation ; à Varuna, toi qui règnes au loin, ne t'irrites pas contre nous, ne nous ravis pas la vie. — La voix de mon cœur me le dit le jour, elle me l’annonce la nuit ; le roi Varuna, que Cunahcepa, jadis prisonnier, a imploré, nous délivrera.. O Varuna, que nos sacrifices et nos prières, que ces libations, détournent ta colère ! Toi qui es la force, roi sage, remets-nous les péchés que nous avons commis. Quelquefois, comme s'il n'eût eu la conscience d'aucune faute, le malade se bornait à adresser une simple prière aux Dieux, protecteurs de la santé?. Que ta faveur soit sur nous, à Père des Maruts: ne nous retiens pas loin de la vue du soleil! Sois favorable, héros, à nos rapides coursiers ! Donne-nous, Rudra, de continuer de vivre dans nos enfants... Chasse loin de nous la maladie et la souffrance, et écarte de nous toutes les attaques du mal... Tu te laisses fléchir par la prière et par le sacrifice ; je te veux apaiser par mes chants. Comme on le voit dans cet hymne, parfois c'était le malade lui-même qui demandait aux Dieux la guérison de ses souffrances ; mais le plus souvent c'étaient des prètres-médecins, qui avaient pour mission de les apaiser par leurs supplications et par leurs offrandes et d’en obtenir la guérison du patient. 1. À Varuna. Rig- Veda, lib. I, 24, 9, 11-12 et 14. Et encore, VI, 74, 2-3. « O Soma et Rudra, chassez la maladie, qui a pénétré dans notre demeure : repoussez loin de nous la ruine et qu'une heureuse renommée soit notre partage ! — O0 Soma et Rudra, procurez à nos corps tous les remèdes connus de vous; déliez, détachez de nous ce qui reste inhérent à nos corps des péchés que nous avons commis ! » 2. Rig-Veda, lib. IT, 33, 1-2, 3 et 5. Et ailleurs. X, 59, 4: « Ne nous livre pas, à Soma, en proie à la mort; puissions- nous voir souvent encore le soleil se lever ; puisse notre vieil- lesse durer de longs jours ; puisse la Nirriti fuir loin de nous! » 596 LES PLANTES CHEZ LES IINDOUS Par cette oblation je le rends à la vie!, affranchi de son mal inconnu et grave; et si la maladie le saisit de nouveau, qu’In- dra et Agni le délivrent! — Quand il serait demi-mort, qu'il toucherait à sa fin ou serait déjà trépassé, j'irai le chercher au sein de la destruction, je le sauverai, afin qu'il vive cent prin- temps. — Avec cette oblation aux cent yeux, qui recèle cent automnes et une centuple vie, je l’ai délivré, afin qu’Indra le conduise pour cent hivers au rivage éloigné de tout mal. — Qu'il vive dans le bien-être cent automnes, cent hivers et cent printemps joyeux ! L'Atharva-Véda* renferme, comme le Rig-Véda et encore plus, de nombreuses prières adressées aux Dieux par le patient ou le prêtre-médecin pour obte- nir la guérison des maladies, ainsi qu'une longue vie et la santé. Toutefois il arrivait aussi que, dédaignant d'invoquer les Dieux, le prêtre-médecin commandait lui-même à la souffrance, et c'étaient ses paroles libé- ratrices qui la chassaient et rappelaient le malade à la vie. Reste ici, à homme’, ne suis pas les messagers de Yama; reviens au séjour des vivants. — Ne crains rien; tu ne mourras pas; je te ferai vivre jusqu'à la vieillesse. J’ai banni de tes membres la maladie qui les ravageait. — La maladie qui tor* turait et ravageait tes membres, la détresse de ton cœur, ont fui au loin comme l'aigle, vaincus par mon charme. Cependant à côté de la conception qui voyait dans les maladies un effet de la colère des Dieux ou la 4. Rig-Veda, lib. X, 161, 1-%. 2. Bb. Il, 28; INT, 11 et 28; VI, 113, 115,120 ete IP Telle celle-ci, lib. V, 23, 1-2. « J’ai invoqué le Ciel et la Terre ; j'ai invoqué la déesse Sarasvati; j'ai invoqué Indra et Agni. Qu'ils écrasent ces vers! Tue, Indra, les vers de cet enfant, ô toi, maître des trésors! Toutes les puissances ont été tuées par mon imprécation. » 3. Atharva-Veda, lib. V, 30, 6, 8 et 9. Cf. II, 28 ; III, 11 et 318 VII, 59: VII etc. nt ne mé id LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 597 punition de fautes commises, s’en rencontra de bonne heure une autre toute différente, qui les attribuait, comme tous les autres maux dont les hommes sont atteints, à l'influence nocive des démons de la nuit ou des esprits de l'air, surtout de Nirriti « la Perdition », personnifiée et devenue la plus redoutable des puis- sances ennemies des mortels; il faut ajouter aux prati- ques des sorciers. C’est contre ces puissances invisibles et funestes qu'on invoque maintenant la protection des Dieux. Anéantis avec tes feux les Yätudhânas, que ta chaleur dévo- rante, Ô Agni?, détruise les Rakshäs ; que ta flamme chasse, disperse les Müradevas, ces démons qui s’attaquent à notre vie. au Yâtudhâna, qui se repait de chair humaine, de la chair des coursiers et du bétail, qui tarit le lait des vaches, que tes traits brülants, à Agni, fendent la tête ! Au lieu de s'adresser aux Dieux, on cherchait par- fois à apaiser le démon, cause de la maladie, par d'humbles soumissions ou par des prières”. Que tu sois flamme, que tu sois chaleur... toi qu'on appelle Hrüdu *, ô dieu de la jaunisse, aie pitié de nous, épargne-nous, Ô Takman. — Que tu brûles, que tu écorches, que tu sois fils du roi Varuna, toi qu'on appelle Hrûüdu, aie pitié de nous, épargne-nous, à Takman. 1. Outre Nirriti, on trouve aussi comme divinités du mal, Arâti, « l’impiété », Grähi, «la rapacité », etc. Nirriti a été identifiée par M. Speyer avec Nerthus, la déesse chthonienne des Germains, Æene Indische Verwante de Germansche Godin Nerthus.(Verhandelingen vande Maatschappij der nederl. Let- terkunde te Leiden, 1901-1902). 2. Atharva-Veda, lib. X, 87, 14°et 16. Et ailleurs, V, 22: « Qu’Agni chasse loin d'ici le takman —la fièvre personnifiée— ! Que Soma et Varuna à l’habileté éprouvée le chassent au loin! » 3. H. Zimmer, op. laùd., p. 396. L'hymne V, 7 est un hom- mage d’adoration et d’obéissance rendu à Arûti et à Nirriti « aux cheveux d’or ». 4. Atharva- Veda, lib. I, 25, 2, 3, 4. 598 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Au froid Takman !, au Takman qui brûle et donne le délire, je rends hommage. Au Takman qui revient le matin, à celui qui revient tous les deux jours, au Takman qui revient le troi- sième jour, je rends hommage. Le plus souvent toutefois on combattait la maladie ou les esprits mauvais à l’aide d’une conjuration ; on cherchait, par un contre-charme plus puissant, à ren- voyer le sort malfaisant sur celui qui l'avait jeté *. Le mal de tête, la douleur de tête, les élancements d'oreilles, la décomposition du sang, toute maladie de la tête, nous les bannissons par ce charme. L'envoûtement, qui a été préparé par un cüdra ou par un ràja, préparé par une femme ou par les Brahmanes, comme une matrone rejetée par son mari, qu'il se retourne contre celui qui l’a fabriqué et contre ses parents. Ce moyen de combattre, par une incantation, les maux dont on souffrait ou qu’on redoutait était le plus ordinairement employé dans les derniers temps védi- ques. L’Atharva-Véda est rempli d’incantations contre toutes les maladies, dont on pouvait être atteint ; le takman”, espèce de fièvre paludéenne particulièrement redoutée, et certaines affections qui s’y rapportent: le balâäsa, son « frère », et sa « sœur » la kàäsikà — la toux —, ainsi que son « neveu » le päman — une espèce d'éruption* — ; les différentes formes de yak- shma”— la phtisie —, le visalyaka et le vidradha, ses symptomes incertains ; les douteux apvà, vätikàra et 4. Atharva-Veda, lib. X, 1. Cf. lib. I, 25; VI, 20; VII, 116; etc. 2. A.-V., lib. IX, 8, 1 ; X, 1, 3. Etencore V, 8: « O'Agni,toï qui gagne les batailles, par un contre-charme rejette cette con- juration sur celui qui l’a faite. » DID UE 25 ENS 2202 0 VI A6? &. Lib. V. 22, 11-12 ; VI, 14 et 105. — Grohmann, Medicini- sches. (Indische Studien, vol. IX, p. 381-407). 5. Lib. IX, 8 ; XIX, 44, 2. Zimmer, op. laud., p. 375-379. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 599 vishkandha", le kiläsa ou lèpre?, le kshetriya, espèce de maladie héréditaire *, etc.; puis la jaunisse, le dérangement et les douleurs d’entrailles ‘, la constipa- tion et la rétention d'urine, l'hydropisie”, l’apacit — scrofules ® —, les hémorragies et l’ophtalmie’, les arças * — hémorrhoïdes —, les vers intestinaux”, les poisons, le venin des serpents et les piqûres d'insectes", la folie enfin, regardée comme une possession du démon”. Il y avait également des charmes pour faire pousser les cheveux et faciliter les accouchements ‘, s'assurer une santé parfaite et l'immunité contre toute espèce de maladie, obtenir une longue vie et même l’exemption de la mort *. Comme les autres charmes magiques, les charmes curatifs étaient souvent accompagnés d'une prière ou d’une incantation, adressée à une plante dont on im- plorait le secours comme celui d’une divinité toute- puissante: c'est ainsi qu'un rishi invoque la plante 1. Lib: VI, 127,4 et3: IX,.8: 20: I, 16, 3: III, 2, 5 et 9, 6: Pour A. Weber, l’apvà était une espèce de diarrhée. Zndische Studien, vol. IX, p. 482. 2. Lib.[, 23 et24.T.A. Wise, Commentary on the Hindu system of medicine. Calcutta, 1845, in-8, p. 258. 3. Lib. If, 8et 10 ; III, 7. — Zimmer, op. laud., p. 391. RaDibel,225 121,35 VI, &ket,90: Hsbibales, L'10:; VL:2E6-"VH; 83: 6. Lib. VI, 83, 1-3: VII, 74, 1-2 et 76, 1-2. 2. Lib. 1, 147; VI, 16. — Wise, op. laud.,p. 272 et 291. 8. Väjasaneya-Sarhità, XI, 98. — Wise, op. laud., p. 209 et 384. — Zimmer, op. laud., p. 393. 9. Lib. Il, 31 et 32 ; V, 23. — Zimmer, op. laud., p. 39%. 108Eb- IV; 6ret7, NAS ENT 12 NI 456: 11. Lib. VI, 45 et 111; II, 9. — Zimmer, op. laud., p. 393. 42, Lib..VI, 21, 136et137: I, 11: VI, :17. 1 RD, 52: IX, 8511, 20 II M0 98%31, 535" V, SOS MIE 09; -VIIT, Let 2. 600 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS prieniparni *, contre le démon Kanva, personnification d'une maladie indéterminée. La déesse pricniparni a préparé pour nous le bonheur, le malheur pour Nirriti. C’est une fière destructrice des Kanvas ; j'ai eu recours à sa vertu. — La déesse pricniparni a été en- gendrée toute-puissante; avec elle j’abats les têtes de cette engeance mauvaise, comme celle d’un oiseau. O pricniparni, détruis, dompte le démon qui suce le sang et qui tente de nous ravir la santé, le Kanva, qui dévore notre postérité. Repousse au milieu des montagnes ces Kanvas destructeurs de nos vies ; poursuis-les, brûlante comme le feu, à déesse Pricniparni. — Chasse ces Kanvas destructeurs de nos vies ; qu'ils s’enfuient ces mangeurs de chair dans la région des ténèbres ! Plus puissant encore étàit le jañgida*®; « créé à trois reprises par les Dieux sur terre », 1l était doué de vertus sans limites ; il mettait en fuite toutes les maladies, protégeait surtout contre le vishkandha et le sarnskandha, le balâsa et le takman, les convulsions et les douleurs musculaires ; enfin il détruisait les Rakshäs et les malintentionnés ; mais c'était surtout contre les charmes, qu’ils fussent ourdis par les hommes ou les Dieux, qu'on l’invoquait. Que le jañngida nous protège *, comme le trésorier fait de ses trésors, lui dont les Dieux et les Brâähmanes ont fait un refuge qui met à néant les puissances du mal. Par ta vigilance, détruis, Ô plante aux cent yeux, des malintentionnés le mauvais œil, le criminel qui m'approche ! Que le jañgida me protège contre tout ce qui me menace, (qu'il vienne) du ciel, de la terre ou de l'atmosphère, du passé ou de l’avenir; qu'il nous protège dans toutes les directions ! Que le jañngida, remède universel, 1. Hemionitis cordifolia. A.-V., Db. IT, 25, 1-5. 2. Le jañgida parait être la Terminalia arjuna. H. Zimmer, op. laud., p. 69. — M. Bloomfield, Æymns of the Atharva- Veda, p. 280. Le sarnskandha ne semble pas différent du vish- kanda. 8. Atharva- Veda, lib. XIX, 35, 2-5. Cf. IT, 4 et XIX, 3%: LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 601 rende impuissants les charmes préparés par les Dieux, comme ceux des mortels ! L'apàmärga, cette amarantacée qui, par une espèce de jeu de mot, avait été douée de vertus si merveil- leuses, jouait un rôle considérable dans la médecine magique ; elle écartait les maladies, comme elle met- tait en fuite les esprits malfaisants et effaçait les souillures du péché; on s'explique par là l'enthousiasme avec lequel en parle le prêtre-médecin qui s'en sert”. Nous te saisissons, d maitresse victorieuse des remèdes. J'ai fait de toi, à plante, un remède d’une force centuple bon pour tous. — Infaillible et victorieuse, protectrice puissante, toi qui détournes la malédiction, je t'ai recueillie, avec toutes les plantes, afin que tu nous délivres de notre trouble... — La mort par la faim, la mort par la soif, la pauvreté en bétail, le manque de postérité, tout cela, à apàämarga, nous l'évitons par toi. — La mort par la soif, la mort par la faim, la malechance au jeu, tout cela, à apâämärga, nous l’évitons par toi. — L’apà- mârga estle souverain maitre des plantes, avec lui nous écar- tons de toi le malheur : vis désormais exempt de maladie. Au lieu de la plante, c'en était souvent un simple fragment, une amulette, dont on se servait dans les incantations ; telle une amulette en bois de varana, « qui renfermait mille remèdes et gardait contre tout mal ». Il arrivait même parfois qu'on réunissait en- semble plusieurs morceaux de plantes différentes, afin sans doute de donner plus de force au talisman; tel est celui composé de dix espèces de bois — daça- vriksha —, auquel un atharvan — prêtre-médecin — demande la guérison d’un malade*. O (amulette) de dix espèces de bois, délivre cet homme du 4. A.-V., lib. IV, 17, 1-2, 6-8 et 18. Cf. VII, 65. 8. 2. Atharva- Veda, lib. X, 3, 3-4; IL, 9, 1, #ets. 602 LES PLANTES CIIEZ LES HINDOUS démon et du mal qui a saisi ses membres. Ramène-le, 6 plante, au monde des vivants. — Il est revenu à lui, il a regagné la société des vivants. Il est devenu le père de fils (nombreux) et le plus heureux des hommes... car il a cent médecins et mille herbes bienfaisantes. — Les Dieux t'ont inventée; les Bràh- manes ont trouvé les plantes (qui te composent)... Le (dieu) qui a envoyé le mal, le guérira; il est lui-même le meilleur des médecins. C’est contre le yakshma, que l'arundhati, cette liane magique non identifiée, dont le poète de l’Atharva exalte les vertus et qu'il nous montre s’enlaçant autour des arbres comme une « courtisane amoureuse », était d'ordinaire invoquée; mais on la regardait également comme souveraine pour la réduction des fractures”. La nuit est ta mère, le nuage ton père, Aryaman ton grand- père, Silâci ton nom ; tu es la sœur des Dieux. — Qui te boit, vit: protège cet homme, toi qui es le recours de toutes les générations, le refuge de tous les hommes... Tu es la guérison des blessures faites par le bâton, la flèche ou le feu; guéris donc cet homme. — Tu grimpes et crois sur l’ombreux plak- sha, l’acvattha, le khadira, le dhava, ainsi que sur le noble nyagrodha et le parna : viens à nous, Ô arundhati. — De cou- leur d'or, bienfaisante, brillante comme un rayon de soleil, 6 belle (plante), attache-toi à cette fracture: guérison est ton nom. — De couleur d’or, bienfaisante, parfumée, aux tiges velues, tu es lasœur des eaux, à làäkshà; le ventest ton souffle. — Tombée de la bouche du brun coursier de Yama, tu t'es, ruisseau ailé, élancée sur les arbres; viens à nous, Ô arun- dhati. C’est cette plante encore qui est invoquée à la fin de l’incantation suivante, d’un caractère si archaïque et vraiment indo-européen *. 1. A.-V., lib. V, 5, 1-2, 4-7 et 9; VI, 59, 1-3. M/Caland’a voulu, à cause de son surnom läkshä, voir dans l’arundhati, la laque; mais alors pourquoi serait-elle décrite comme une liane ? Cf. M. Bloomfield, Æymns, p. 387. 2. Atharva- Veda, lib. IV, 12, 2-6. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 603 Les os de tes membres froissés et brisés, que Dhâtar les re- joigne doucement, qu'il en unisse les parties séparées ? — Que la moelle s’unisse à la moelle, que ta chair disparue, que tes os croissent de nouveau ! — Que la moelle se joigne à la moelle, la peau à la peau. Que ton sang, tes os croissent, que ta chair croisse unie à ta chair! O plante, rejoins ce qui est séparé! Mais dans cette conjuration, l’arundhati n'agit guère que par sa présence ; ce sont les paroles, pro- noncées par le prêtre-médecin, comme dans les for- mules germaniques connues ‘, qui produisent la guéri- son des membres brisés. Dès longtemps, à en juger par le nombre des incantations qui s’y rapportent, on attacha une impor- tance particulière à la croissance des cheveux; une plante indéterminée, la nitatni, était invoquée pour la favoriser. Tu es née. ô plante ?, comme une déesse sur la terre divine ; nous t’'arrachons, Ô nitatni, afin que tu fortifies la croissance de ses cheveux. — Fortifie ceux qui sont déjà vieux, fais-en pousser de nouveaux. Rends plus vigoureux ceux qui sont venus. — Sur ceux de tes cheveux qui tombent et dont la racine est détruite, sur tous je secoue cette herbe salutaire. C'était aussi sans doute la nitatni que Jamadagni avait déterrée pour faire pousser les cheveux dessa fille, et qui, apportée par Vitahavya de la demeure d'Asita, dit un hyrne*, les fit croître de la longueur d’une toise. Bien d’autres plantes, aujourd’hui connues ou incon- nues, étaient employées dans les incantations médi- 1. Kuhn, /ndische und germanische Segensprüche. (Zeit- schrift für vergleichende Sprachforschung, vol. XIII (186%), p. 51-57). — J. Grimm, Deutsche Mythologie, p. 1030 (1182). 2. Atharva- Veda, lib. VI, 156, 1-3. 3. Atharva-Veda, lib. VI, 137, 1-3. 60% LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS cales; telle l’âsuri, la moutarde de l'Inde‘, dont le goût piquant avait peut-être fait une plante magique ; telle aussi la pippali, grain de poivre, qu'on trouve dans une incantation destinée à guérir les blessures faites par les armes de trait et par les instruments contondants; l'orge « fille du ciel », remède universel ; l'indéterminé cipudru, imploré contre les abcès, le flux de sang et le balàsa?; le çana, qu'on invoquait avec le jañgida, contre le vishkandha ; la vishänakä, plante inconnue, à laquelle on demandait la guérison des dérangements d’entrailles ; l’incertain äbayu, « au jus fort », qui était invoqué contre l’ophtalmie; le guggulu, dont la douce odeur faisait fuir les maladies *. Bien autrement important que toutes ces plantes était le kushtha, « le bon ami de soma », plante semi- mythique, qui apparait dans les plus anciennes lé- gendes ; renommée entre toutes par sa « puissance divine », elle était surtout employée pour combattre le takman, ce mal si redouté et si redoutable *. Que le divin protecteur kushtha vienne ici de l’'Himavant, ‘détruire tous les takmans et tous les charmes féminins. — Tu portes trois noms : « kushtha », « point de mort », « point de demmage ». Qu'il ne souffre aucun dommage celui pour lequel je timplore matin et soir et tout le jour. — Le nom de ta mère est jivahà « vivifiante », le nom de ton père jivanta « vivant ». Qu'il ne souffre, etc. — Tu es la plus excellente des plantes, comme le taureau au milieu du troupeau, le tigre au milieu des bêtes de proie. Qu'il ne souffre, ete. — Trois fois procréé par le Càämbu Añgiras, trois fois par les Âdityas et trois fois par tous les Dieux, ce kushtha, remède universel, combat avec le 1. Sinapis dichotoma. Magoun, The Asuri-kalpa. (The ame- rican Journal of Philology, vol. X (1889), 1. p. 172). 2. A.-V., lib. VI, 91, 1: 109, 1-2 et 427, 1. 3. A.-V.., lib. IL, 4, 5: VI, 44, 2; 16, 1; XIX, 38, 1. 4. A.-V., lib. XIX, 39, 1-5 et 10. Cf., V, 4. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 605 soma. Détruis tous les takmans, tous les charmes féminins... — Le takman qui revient tous les trois jours, celui qui se con- tinue sans interruption, celui qui revient chaque année, à plante à la force irrésistible, chasse-les loin d’icit. Outre les plantes magiques que je viens de citer il y en avait, nous en avons déja vu des exemples, beau- coup d’autres dont l’Atharva ne donne pas les noms, mais dont il célèbre complaisamment les vertus mer- veilleuses. Il y est question entre autres d’une plante « de couleur sombre », invoquée pour guérir la lèpre ; une autre « par son éclat » servait à écarter le kshe- triya, espèce de maladie héréditaire ; d'autres plantes également anonymes figurent dans des conjurations contre les poisons, ainsi que contre le venin des ser- pents et les piqüres d'insectes. Il y avait une plante qui fortifiait la virilité *. , À ces panacées de la médecine védique, il faut joindre la plus célèbre, le soma. L'hymne, que j'ai cité dans le chapitre précédent, représente les maladies, effrayées à l'approche du divin breuvage, « s’enfuyant impuissantes au milieu des ténèbres, » et il se termine par ces vers, qui nous montrent que cette liqueur sacrée n'était pas moins une boisson médicinale qu'une offrande aux Dieux”. « Le puissant soma est descendu en nous, nous sommes arrivés au point où la vie se prolonge. Tues, Ô soma, un restaurateur de nos forces ; pénètre en nous de toutes parts. » Si les maladies s’enfuient de- vant le soma, s’il est invoqué ici comme un protecteur, 4. Outre le takman, le kushtha guérissait les maux de tête et d'yeux, ainsi que les douleurs d’entrailles. 4.-V., lib. V, 4, 10. Cf. Zimmer, p. 64. DRAM De PES TI 2 IV 7, AMIE "56, 2: [VE 3. Rig-Veda, lib. VIII, 48, 11 et 15. 606 LES PLANTES CHEZ LES IINDOUS c'est qu'il avait la vertu de rendre et d'entretenir la santé. « J'ai pris du soma au lever du soleil, c'est le remède du malade », dit un rishi”, résumant par ces mots toutes les vertus salutaires qu'on attribuait à ce breuvage sacré. Parfois ce n'était pas une plante particulière, mais les plantes en général que l’on invoquait. C’est ainsi qu'un rishi demande aux « nombreuses plantes au cen- tuple aspect » ou aux « cinq royaumes des plantes et à soma leur roi » la délivrance des maux qui le mena- cent; que pour obtenir un fils, un autre rishi implore « les plantes dont Dyaus est le père, dont Prithivi est la mère et l'Océan la racine * ». C’est à toutes les plantes indistinctement, considérées comme remede universel, que s’adresse encore l’auteur de l'hymne suivant *. Les brunes et les blanches, les rouges et les mouchetées, les plantes à la sombre couleur, les noires, toutes nous (les) invo- quons. — Qu’elles sauvent l'homme que voici de la maladie envoyée par les Dieux... Les plantes que je connais et celles que mon œil contemple, les inconnues et celles que nous con- naissons, que toutes les plantes écoutent ma parole, afin que nous arrachions cet homme à l’infortune et le mettions en sûreté... Celles que connaissent les serpents et les Gandharvas, je les appelle à son secours. — Celles qui relèvent des Añgiras, et que connaissent les aigles et les faucons célestes, celles que connaissent les oiseaux, les flamants et tous les volatiles, celles que connaissent les bêtes sauvages, je les appelle à son secours. — Toutes celles que paissent les bœufs et les vaches, les chèvres et les brebis, que toutes ces plantes, appliquées sur toi, te donnent protection. Si à l’origine les prières aux Dieux et les incanta- 1. Rig-Veda, lib. VIII, 61, 17. » ! 2.148 V:/LbVT, 96, 4: XI,16,455 12/6 3. A.-V., lib. VIII, 7, 1-2, 18-19, 23-25. Ludwig, Der Rig- Veda, vol. III, p. 505. — Bloomfield, Æymns, p. 41-44. — V. Henry, Les livres VIIT et IX de l'Atharva- Veda, p. 20-22. RCA. ci LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 607 tions étaient considérées comme pouvant à elles seules amener la guérison des maladies, les sorciers-médecins y joignirent bientôt diverses pratiques, dont l'Atharva a omis ou dédaigné de faire mention, mais que le Kaucika-Sûtra nous fait connaître en détail’; ces pratiques constituaient la partie matérielle du traite- ment, dont les conjurations n'étaient que l’accompa- gnement religieux et traditionnel. Les causes tout extérieures que les anciens Hindous attribuaient aux maladies devaient en rendre singulièrement uniforme la thérapeutique ; le même traitement servait souvent pour plusieurs maladies différentes et quelquefois même pour n'importe quelle maladie”. Quant aux pra- tiques qui se joignaient aux incantations, elles étaient d'une grande simplicité : avec les amulettes, elles comprenaient presque exclusivement des ablutions et des lotions d’eau ordinaire, des frictions ou des onc- tions, des boissons d’une composition souvent bizarre, des mets ordinaires et parfois aussi des inhalations. Mais les prières prononcées en les faisant ou en les pré- parant, les substances consacrées qu’on y ajoutait, les incantations qui en accompagnaient l'emploi leur don- naient un caractère religieux et magique particulier. D'après le Kaucika-Sûtra *, par exemple, avant d'employer une amulette, le prêtre-médecin la faisait tremper trois jours dans un mélange de lait caillé et de miel ; puis, après avoir sacrifié, 1l versait dessus, 1. Cap. XXV-XXXVII, W. Caland, p. 67-125. 2. K.-S., cap. XXV, 4-5, 20-22; XX VI, 40° XXVII, 3; XXVIII, 8, 17-20 ; XXX, 1-18. 3. Cap. XIX, 22. Cf. Oldenberg, La Religion du Véda, p. 437. — V. Henry, La Magie dans l'Inde antique. Paris, 1904, in-12, p. 40. 608 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS avant de s’en servir, les restes du beurre clarifié — sampätla —, qui avait servi à l’oblation; par là seulement l’amulette acquérait toute sa vertu. De même l’eau, qui servait aux ablutions d’un malade devait être préalablement consacrée et mêlée de sampâta ; on en versait aussi sur la bouillie qu'il mangeait, dans les potions qu'on lui faisait prendre, etc. Tous ces remèdes avaient ainsi quelque chose de sacré; quant à leur composition, elle dépendait bien plus de considérations magiques que de l'efficacité réelle des ingrédients qui y entraient, et un assez petit nombre de plantes ser- vaient à les préparer. On comprendra dès lors que je ne m'y arrête guere. Je me bornerai, pour donner une idée de cette médecine magique, à faire connaitre le traitement de quelques-unes des maladies pour la gué- rison desquelles étaient employés surtout des remèdes d'origine végétale. Commençons par la fièvre paludéenne, — le takman, de l’Atharva, le jvara des écrivains postérieurs". Pour combattre cette affection si redoutable dans les pays tropicaux, on suspendait au cou du malade, à l’aide d’un cordon en münja, un épi de cette plante, enduit de sampäta et consacré par une incantation de cir- constance, puis on lui faisait boire une potion d’eau, mêlée de sampâta et « bénie » suivant le rite, dans laquelle on avait mis du gazon et de la terre de four- millière pilés. D’autres fois on lui donnait une décoc- tion de grains de riz grillés?. S'agissait-il d’un malade atteint de consomption — yakshma —, on lui atta- 1. Julius Jolly, Medicin, p. 17 et 70. (Grundriss der indo- arischen Philologie, II, 10). 2. K.-S., cap. XXV, 6-8; XXIX, 18. Voir plus haut, p. 598. Tr Eur. { LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 609 chait, en récitant l'incantation appropriée, une amulette en bois de varana *. Pour guérir une rétention d'urine, le traitement était plus compliqué. Après avoir fixé au cou du malade, en guise d’amulette, un fruit d'haritaki, on lui donnait à manger le lait et le miel dans lesquels il avait trempé ; puis on lui faisait prendre un mélange composé de terre de fourmillère, d'herbe püûtika, de branchettes repoussées d’une souche, le tout réduit en poudre, mis dans du lait caillé et délayé dans de l’eau. D'autres fois il buvait une infusion plus agréable d’ala, de bisa et d'ula. Enfin le prètre-médecin lançait une flèche dans sa direction, ou ce qui était évidemment plus efficace, il le sondait avec un roseau consacré”?. Une incantation prononcée, tandis qu'on versait sur la tête du malade de l’eau dans laquelle on avait mis 21 poignées de darbha ou 21 chaumes d'une couverture en paille, tel était le traitement de l'hydropisie. Par- fois on y ajoutait une friction faite de haut en bas, pendant que le malade buvait quelques gorgées d'eau”. Cette eau et celle qu'on versait sur lui agissait par sympathie. On combattait aussi la jaunisse par un procédé sympathique. On faisait manger à celui qui en était atteint une bouillie de riz cuite avec du cur- cuma, puis on le frottait de la tête aux pieds avec ce qui restait. Ensuite avec un fil jaune, on attachait, par la patte gauche, des oiseaux jaunes de couleur au pied du lit du patient ; on l'y faisait étendre et on l'arrosait alors avec de l’eau; les oiseaux la recevaient et en 1. Æ.-S., cap. XXVI, 37. Voir plus haut, p. 588. 2. K.-S., cap. XXV, 1-10, 14-15 et 18. L’ala et l'ula sont inconnus; le pütika est la Cæsalpinia bonducella ; le mot bisa désigne une tige de lotus et l’harîtaki est le myrobalan chebulic. 3. K.-S., cap. XXV, 37; XXXII, 14. Jorer. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 39 610 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS s’envolant emportaient le mal dont elle était impré- gnée *. Pour guérir une blessure ou une fracture, au point du jour, « quand les étoiles disparaissent », on les lavait avec une décoction de làkshà, et l’on donnait à boire au malade un mélange de lait et de beurre fondu. D'autres fois on se bornait à lui faire boire, tandis qu'on récitait une incantation de circonstance, une infusion de lâkskà dans du lait?. Quand il y avait hémorragie, on touchait la plaie saignante avec un roseau garni de cinq nœuds ; on la saupoudrait de sable et de gravier ; puis on remettait au malade, en guise d’amulette, un tesson ramassé dans des décombres, et on lui faisait boire un mélange de lait caillé et d’eau, dans lesquels on avait mis des graines écrasées de sésame avec quatre brins de dürvà pilés’. Si la bles- sure était faite avec une flèche empoisonnée, le brahme- médecin commencait par faire hommage au roi des serpents Takshaka, puis il faisait boire au malade un peu d’eau, soit pure, soit dans laquelle il avait mis un morceau de krimuka réduit en poudre ; il en aspergeait aussi la plaie, et il arrosait le corps entier du malade avec de l’eau, bénite d’après le rite et qu'il avait fait tiédir, en y jetant des objets de rebut chauffés ; en- suite dans une bouillie, mêlée d’eau et de sampâta, et qu’il remuait avec deux flèches enduites de poison, la pointe tournée en l'air, il mettait, en récitant à chaque 1. K.-S., cap. XXVI, 18. 2. K.-S., cap. XXVIII, 5-6 et 14. — Bloomfield, Æymns, p. 385. Läkshä, nous l'avons vu, est-un autre nom de l’arun- dhati, ainsi que celui de la laque. 3. K.-S., cap. XXVI, 10-13. On broyait aussi un fragment de tesson et on le faisait boire, délayé dans de l’eau, au patient. be S RAGE, » se : LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 611 fois une incantation, des fruits de madana et il la don- nait à manger au blessé, qu'il faisait ainsi vomir”. Les serpents venimeux ont été de tout temps re- doutés dans l'Inde, où ils font tant de victimes. Aujourd'hui pour s’en préserver, on porte à la main des baguettes flexibles et tachetées de citra”, ou de Bauhinia anquina. Le Kaucika-Sûtra recommandait, comme moyen de s’en garantir, d'envelopper dans un coin de sa tunique une espèce d’insecte, le paidva, sur lequel on murmure une incantation. Avait-on été mordu, le brahme-sorcier frictionnait le malade de la tête aux pieds, en récitant un charme de circonstance, et, à la dernière strophe, il brülait la blessure avec un tison, qu’il jetait ensuite dans la direction du serpent”. S'il s'agissait d'une piqüre d'insecte, on mettait au cou du blessé, une amulette en bois doux, consacrée d’après le rite, et on lui faisait boire un mélange d’eau et de miel, du beurre fondu et de l’eau, ou encore une in- fusion de réglisse*. Pour guérir les maladies d’yeux on attachait au cou du patient une amulette de sénevé bénite, et on lui donnait à manger des feuilles de cette plante, bouillies dans de l'huile, ou quatre fruits de çàäka, dont le jus servait à lui oindre les yeux”. Le brahme-médecin 1. Æ.-S., cap. XXVIII, 1-4. Les fruits de madana sont peut- être des graines d’un datura; le krimuka n’a point été identifié. 2. Staphylea Emodi. — Brandis, p. 114. — Roxburgh, IT, 328. 3. K.-S., cap. XXXII, 22 et 23-24. Au chapitre XXIX, 1-14, est indiqué un traitement bien plus compliqué, mais où les plantes né jouent aucun rôle. 4. K.-8S., cap. XXXII, 5-7. Le X.-S., Zbid., 6, parle aussi d’une amulette composée de gazon et de terre de fourimnilière pilés et enveloppés dans une peau d'animal non mort de maladie ou de vieillesse. 5. K.-S., cap. XXX, 1-5. Le cäka est la Teclona grandis. 612 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS suspendait, en récitant une incantation, au cou de l’épileptique ou du possédé, une amulette en sadarñ- pushpà, et il lui faisait manger le miel et le lait caillé, dans lesquels elle avait trempé. D’autres fois il mettait dans ses mets des feuilles pulvérisées de çami, et il répandait tout autour de sa maison une poudre ma- gique ‘. Le traitement des vers intestinaux, auxquels on attribuait sans doute plus d’un mal dont ils n’étaient pas cause, était singulièrement compliqué?. Il com- mençait par une offrande de pois chiches, d’algandus et de hananas, mêlés de beurre fondu; après quoi le prêtre-médecin enveloppait de gauche à droite, avec les crins d’une queue de vache, un bambou tacheté de noir ou une racine de karira ; il l’écrasait avec une pierre, en mettait les morceaux au feu et en faisait respirer la fumée au malade. Il répandait aussi sur lui du sable qu'ilavait broyé fin dans sa main gauche en se tenant tourné vers le Sud. S'agissait-il d’un enfant, on l'asseyait à l'Ouest du feu sur les genoux de sa mère, et à trois reprises, avec le bout, enduit de beurre frais, d’un pilon, qu'on ramenait chaque fois d'arrière en avant, on lui touchait le palais. On endui- sait aussi la partie endolorie de graines (écrasées) de cigru, délayées dans du beurre. On écrasait de même 21 racines d’ucira et on les administrait a l’enfant; enfin on l'aspergeait avec de l’eau bénite, dans laquelle on avait mis des racines pulvérisées d’ucira et du sampâta. 1.5.5. cap. XXNIIT, 47, 9 ett11e 2. K.-S., cap. XX VII, 14-18 et 20 ; XXIX, 20, 22-16 008 ignore ce que sont l’algandu et l’hanana ; le karira, est la Cap- paris aphylla, Vucitra, \ Andropogon muricatus et le cigru, le Moringa plerygosperma. Led Me dr GE it 2 das ét, LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 613 Les maladies cutanées et les tumeurs étaient l’objet de traitements variés ; je me bornerai à mentionner celui de la lèpre. Le sorcier-médecin frottait d’abord, avec de la bouse de vache desséchée et jusqu'à ce que le sang parüût, la partie atteinte ; puis il étendait dessus du curcuma, du bhriñngaräja, de la coloquinte et de l’indigo, réduits en poudre et bénits, substances dont la co'leur foncée faisait disparaitre la blancheur livide de la lèpre’. Pour rendre l'opération plus efñ- cace, il oignait ensuite le malade de la tête aux pieds d’une pommade faite avec du beurre frais et de la racine pulvérisée de kushtha*, tout en récitant une incantation appropriée à la circonstance. Pour combattre le kshetriya, maladie héréditaire ou invétérée de caractère incertain, la médecine ma- gique avait multiplié les remèdes ; je ne parlerai que d’un seul des divers traitements qu’elle employait*. En dehors de la maison, le sorcier faisait sur le malade une aspersion d'eau mêlée de sampâta ; puis il lui sus- pendait au cou une amulette faite de copeaux de jan- gida, de bales d'orge et d’épis de sésame. Il lui remet- tait aussi, en guise d’amulette, du gazon et de la terre de fourmillière réduits en poudre et cousus dans la peau d'un animal, qui n'était mort ni de maladie, ni de vieillesse. Puis il lui répandait sur le corps une écuelle d’eau consacrée, en tenant au-dessus de la tête un joug de charrue. Enfin après une oblation faite suivant le rite, 1l versait une partie du sampata dans 1. K.-$., cap. XXVI, 22-24. — A.-V., lib. I, 23 et 24. Le même traitement était employé contre les cheveux gris. Le bhrii- garäja est l'Eclipla prostrata. 2. K.-S., cap. XXVIITI, 13. —:A.-V., lib. V, 4, 3 et 4. 3. K.-S., cap. XXVI, 41-43; XX VII, 1-4. 614 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS une maison abandonnée, l’autre dans une vieille fosse, où il avait déposé quelques chaumes du toit de la maison ; puis il faisait boire au malade, qui était descendu dans la fosse, un peu d’eau et il le lavait. Les recettes qui précèdent suffisent pour donner une idée de ce qu'était la médecine magique des Hindous; les pratiques auxquelles elle avait recours étaient-elles d'un emploi général, et constituaient-elles, même à l'époque des Védas, tout l’art de guérir? Il est permis d'en douter ; les incantations de l’Atharva et les for- mules du Kauçika-Sûtra nous reportent à un état de choses antérieur à la civilisation védique, aux pratiques d’un chamanisme primitif”, qui avaient persisté à côté des moyens de guérir plus rationnels, et que les peu- plades indigènes conservèrent fidèlement, alors que les tribus aryennes demandaient depuis longtemps aux plantes des remèdes véritables. Pour ces tribus, les végétaux n'étaient pas doués seulement de vertus magiques, en quelque sorte tout extérieures, ils possé- daient par nature des propriétés médicinales, propres à combattre les maladies et à les guérir. On trouve déjà comme un écho de cette croyance dans l'hymne « Aux Plantes » de l’Atharva, que j'ai cité plus haut; on la retrouve plus nettement affirmée encore dans un des der- niers hymnes du Rig-Véda. S'il faut faire dans ce chant la part de la rhétorique propre aux compositions de ce genre et de cette époque, il ne nous fournit pas moins la 1. W. Caland, A/tindisches Zauberritual, p. 1x. — V. Henry, La Magie dans l'Inde antique, p. 20. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 615 preuve manifeste que les plantes étaient, au temps des Védas, déjà employées dans le traitement des maladies à cause des vertus curatives qui leur étaient inhérentes, et leur connaissance était le premier mérite et le pre- mier devoir du médecin”. Des plantes issues des Dieux avant les trois âges des hommes je veux rappeler les cent sept vertus. — Oui, centuples sont vos furmes, multiple, votre aspect, à vous douées de cent ver- tus, guérissez-moi ce malade. — Joyeuses venez à son aide avec vos fleurs, avec vos fruits ; semblables à la cavale, qui Celui chez qui l’essaim des plantes se trouve réuni, comme le prince et ses dignitaires dans le conseil, on l’appelle méde- cin habile, dompteur des monstres et des maladies. — Aqueuses, laiteuses, nourrissantes, fortifiantes, toutes je les ai rassemblées pour guérir son mal... Votre mère s'appelle santé et vous aussi donnez la santé; pareilles à des torrents rapides, vous écrasez tout ce qui rend malade. — Aucun obstacle ne les arrête ; elles sont comme le voleur qui se fraie un chemin à travers les haies ; elles entrainent tout ce qu'il y a de malsain dans le corps. — Quand, à simples, je vous tiens dans mes mains, en menacant la maladie, languissante elle s'enfuit, comme tremblante devant la main de l’archer. — O plantes, vous glissant de membre en membre, de jointure en jointure, vous chassez devant vous le Yakshma, comme par la sentence d’un juge sévère. — Envole-toi, Yakshma, avec les pies et avec les geais ; va-t-en sur l’aile des vents, disparais dans l'ouragan. Si les derniers vers de cet hymne rappellent encore les incantations d'autrefois, c’est là une concession faite à la phraséologie traditionnelle et qui n'infirme en rien la croyance sincère en l'efficacité guérissante des Plantes ; cette croyance générale chez tous les peuples apparait chez les Hindous avec je ne sais quoi de mystique ; quelques strophes ajoutées, à une 1. Rig-Veda, hb. X, 97. A « Le Chant du Médecin », 1-3, 6.710213. 616 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS époque postérieure, au « Chant du médecin » qui pré- cède, en fournissent une preuve éclatante”. Unissez-vous, aidez-vous les unes les autres, toutes dans un même sentiment obéissez à ma parole. — Que celles qui por- tent des fruits et celles qui n’en ont pas, que celles qui sont couvertes de fleurs et celles qui en sont dépourvues, suscitées par Brihaspati, nous délivrent de l’adversité! — Qu’elles nous délivrent des maux envoyés par la malédiction de Varuna, des entraves de Yama, de toute souillure et de toute faute envers les Dieux. — En volant du haut du ciel, les plantes ont dit: L'homme que nous trouverons encore en vie, aucun mal ne lui arrivera. — De toutes les plantes dont Soma est le roi, de ces plantes nombreuses et intelligentes, tu es la meilleure, toujours prête au désir, salutaire au cœur. — De toutes les plantes dont Soma est le roi, qui sont répandues sur la terre, que Brihaspati a produites, la vertu (de guérir) a été donnée à celle-ci. — Qu'il n'arrive pas malheur à celui qui vous déterre, ni à celui pour qui il vous déterre; que chez nous bipèdes et quadrupèdes soient exempts de maladie. — Vous qui entendez ma parole et vous qui êtes au loin, rassemblez-vous, plantes, et réunissez toutes vos forces en cette herbe! — Les plantes se concertent ainsi avec Soma leur roi; nous sauvons, Ô roi, celui pour qui un brahmane remplit le service sacré. — Tu es, ô Soma, ce qu'il y a de meilleur ; les arbres sont tes vassaux ; qu'il nous soit soumis celui qui nous attaque en ennemi. I était impossible d’exalter en termes plus enthou- siastes les vertus curatives des plantes ; le caractère divin que les Hindous leur attribuaient ne pouvait qu'entretenir cette ferme croyance en leur efficacité; pour eux — il en était de même, nous l’avons vu pour les Iraniens —, les plantes, comme les eaux *, étaient réputées un remède infaillible et tout-puissant ; c’est 1. Lib. X, 97. B. « Aux Plantes », 14-23. H. Grassmann, Rig- Veda, vol. IT, p. 380. 2. « Que les Eaux nous apportent le bien-être, que les Plantes nous soient propices !» — « Les Eaux vraiment sont des guérisseuses; les eaux chassent et guérissent toutes les maladies. » A.-V., lib. II, 3, 6; VI, 91, 8. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 617 pour le salut des hommes qu’elles ont été créées ; elles sont avant tout les secourables et les guérisseuses, et le nom oshadi (aushadi) qu'elles portaient en sanscrit, devint dans cette langue celui même de remède en général. Mais quelques vertus qu'on attribuat aux plantes, leur emploi ne supplanta pas de longtemps celui des procédés magiques ; on eut encore recours à ceux-ci bien après l’époque védique, de même toutefois qu'aux plantes. Dans le Mahäbhàärata’, si Parikshit, redoutant la mort, s'entoure de brahmanes experts dans les incantations, il fait en même temps provision de simples. L'emploi des plantes médicinales et des remèdes qu'elles procurent, remontait, le témoignage des Védas est formel sur ce point, à l’époque la plus reculée. Les Dieux eux-mêmes en avaient donné l'exemple. S'il envoyait des maladies, Varuna dispensait aussi les remèdes qui les guérissent. Un autre dieu, Rudra, « le meilleur des médecins », est représenté comme offrant aux hommes, de sa main secourable, les remèdes qui calment leurs maux et les font vivre de longs hivers. Les Maruts, ses fils, possédaient également des remèdes salutaires et bienfaisants *, Les Acvins surtout étaient maitres dans l'art de guérir. Divinités secou- rables aux mortels *, ils viennent en aide à tous ceux qui sont dans la détresse et leur procurent les remèdes infaillibles que renferment les eaux et les plantes ; ils éloignent d'eux les maladies et prolongent leur vie *. Ils 1. Adi-Parva, 1754. 2. Rig-Veda, lib. I, 24; II, 33, 2, #&, 7, 3. Rig-Veda, lib. I, 47, 5 ; 112, 4-7, etc. k Rig=Veda, lib-T, 34,6; 157, & et 6 III, 58,6; VIII, 9,5 et 15. 618 © LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS guérissent les aveugles et les infirmes, rajeunissent le voyant Kali et le vieux Cyavana, et donnent par sur- croît une jeune femme à ce dernier'. Ils mettent une jambe d’airain à Vicpalà pour remplacer celle qu'elle avait perdue dans une bataille ; ils rendent la vue à Rijräcva frappé de cécité par son père, ainsi qu'a Kanva, qui les avait invoqués ?. Ces fictions nous laissent entrevoir ce qu'était la médecine dans l'Inde des Védas; la pratique devait déja en être portée fort loin; on faisait déjà, on le voit, des opérations chirurgicales ; quelques hommes privilégiés avaient une grande habileté dans le traite- ment des blessures, et des simples nombreux, et non pas seulement des plantes magiques, étaient employés pour guérir les malades. Il en fut de même à plus forte raison à l’époque des épopées. « Que l'on guérisse les maux du corps par les simples, dit Vyädha dans le Mahäbhärata ; c’est la le pouvoir de la science ». C’est à eux aussi que, dans un autre chant, on con- seille au fils de Prithà d'avoir recours*. Pour le poëte de la Bharatide les plantes sont des « remèdes divins », efficaces entre tous et salutaires, « de la plus haute vertu » et « qui repoussent la mort »*. Et il les a en si haute estime qu'il les place au premier rang des choses rares que renferme le palais de Cakra. L'auteur du Rämäyana n’accorde pas aux plantes moins de puissance que celui du Mahäbhärata; mais pour les deux poètes les simples qui croissent sur les 1. Rig-Veda, lib. 1, 112, 8 et 15; 116, 10; 117, 13 et 19; VII, 68, 6: 71,5; X, 39, 4 et 8, 2: Rig:Veda; lib.'I, 116, 16, 18: 1417/17/49 029 60 3. Vana-Parva, 14079. — Sabhà-Parva, 223. 4. Sabhä-Parva, 300 et 1862. — Vana-Parva, 13857. SR =, LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 619 montagnes possèdent les vertus les plus grandes. C'est sur le Meru ', aux herbes d’une puissance merveilleuse, et dans l’'Himavat, aux lieux où les monts Drona et Candra plongent leurs pieds dans la Mer de lait, sur les flancs du Gandhamädana et le versant septentrional du Kaïläsa qu'on les rencontre ; voisin de ce dernier et de la montagne d’or de Rishabha, le mont Oshadi ou des Simples, « que la réunion de toutes les herbes médicinales revêtait d'une flamboyante splendeur », en produisait quatre en particulier, douées, d’après le chantre de Räma, des propriétés les plus merveil- leuses*. Sur le faite végètent quatre plantes à la splendeur enflam- mée, dont elles illuminent les dix points de l'espace. Une d'elles, herbe précieuse, ressuscite de la mort, une autre fait sortir les flèches des blessures; la troisième cicatrise les plaies ; une autre, enfin, ranime (sur les membres) la couleur native. A peine Râma et Lakshmana ont-ils respiré l'odeur exhalée par les célestes panacées que les flèches sortent des plaies, et leur corps est guéri même de toutes ses blessures... Alors aussi tous les singes, privés de vie, sortirent de la mort, comme on sort du sommeil à la fin de la nuit. La seconde de ces panacées, qui fait penser au dic- tame de Virgile, est employée par Sushena, le mé- decin de Sugriva, roi des Singes, pour guérir le frère de Ràma, qu'une flèche avait transpercé *. Cette plante divine est de la famille des lianes ; elle ressemble au santal rouge ; ses feuilles ont la teinte de l’'orpiment jaune, ses fleurs ont la couleur du cuivre et ses fruits sont verts. Arrivé sur la cime (du Gandhamädana), Hanumat apercut l'herbe brillante et salutaire. Aussitôt il l’arracha et descen- 1. Mahäbhärata, Vana-Parva, 11890. 2. Râmäyana, Yuddhakända, 26, 6; 53, 35-39. 3. Râmäyana, Yuddhakända, 82, 60-61 et 83, 54-57. 620 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS dant dans la plaine, il l’écrasa avec une pierre. Alors Sushena, médecin habile, la prit et la fit respirer au héros blessé. A peine Lakshmana en eût-il senti l'odeur qu'il se leva, délivré de ses flèches et guéri de ses blessures. J'ignore quelle est l’origine de la légende des quatre panacées du Râämäyana ; mais elle n’est point particu- lière au poème de Välmiki; on la rencontre aussi dans le Lotus de la bonne Loi” ; seulement les quatre simples du recueil bouddhique ne croissent pas sur l’Oshadi, mais dans l'Himavat ; elles n'ont pas non plus les mêmes propriétés que les plantes célébrées par le chantre de Räma, mais leurs vertus ne sont pas moins grandes. La première possède toutes les saveurs et toutes les couleurs ; la seconde délivre de toutes les maladies ; la troisième neutralise tous les poisons ; la quatrième procure le bien-être dans quelque situation que ce soit. Les quatre panacées du Rämäyana et du Lotus de la Bonne Loi symbolisent bien plutôt les propriétés curatives que l’on attribuait à la plupart des plantes qu'elles n’ont une existence réelle ; le Mahäbhärata ne les connait pas; mais, nous l’avons vu, il ne se lasse pas de célébrer les vertus des simples; quoique sous ce nom il paraisse confondre les plantes magiques et les plantes plus particulièrement médicinales; c'est à peine s'il distingue quelques-unes de ces dernières, comme la viçalyà, connue aussi du Rämäyana, employée pour guérir les blessures”, Cependant depuis long- temps l'expérience avait fait découvrir les vertus cu- 1. Le Lotus de la bonne Loi, traduit par E. Burnouf. Paris, 1852, in-fol., p. 83, chap. v. 2. Vana-Parva, 16470. Trad. P. Chandra Räy, Il, 851. La vicalyà est le Menispermum cordifolium. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 621 ratives d’un grand nombre de plantes ; parmi celles mêmes que cite l’Atharva-Véda et le Kaucika-Sûtra, plusieurs en possédaient de véritables, et ont pris place pour toujours dans la pharmacopée hindoue. Une lé- gende représente les anciens Rishis errant de compa- gnie dans les bocages de l'Himalaya, en quête des goûts, des propriétés, de l'aspect et des noms des plantes médicinales". Leur demandant les remèdes contre les maladies, il était naturel qu'ils s’attachas- sent à les connaître, à savoir à quel moment conve- nable il fallait les recueillir, quelles parties : fleurs, fruits ou racines, en étaient plus particulièrement sa- lutaires. C'était là ce qui constituait d'abord la science du médecin, car, à cette époque reculée et longtemps après encore, il ne se distingua pas de l'herboriste. Après être allé lui-même cueillir les simples, il les conservait soigneusement dans une boîte d’açvattha ou de paläça”, en attendant le moment de s’en servir. Son habileté consistait à en bien régler l'emploi. C’est ainsi que, chez les Hindous, la médecine se forma et se constitua peu à peu; mais ce développe- ment si naturel était trop simple pour leurs esprits épris du merveilleux; loin de l’admettre, ils préfé- rérent attribuer à cet art une origine surnaturelle : c'étaient les Dieux eux-mêmes qui l'avaient inventé. Suivant une tradition universellement adoptée, Brah- man, avant de créer les hommes, avait rédigé « la science de la vie » — l’Ayurveda — en 1000 chapitres et 100000 clokas. Plus tard, prenant en considération 1. The Bower Manuscript, n° 8, p. 11. 2. « Votre couche est en bois d’acvattha, votre résidence en palâca. » R. V., lib. X, 97, 5. 622 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS, la brièveté de la vie et l’étroitesse de l'intelligence humaine, il le résuma en huit livres. Prajàpati le recut sous cette forme abrégée et le donna aux Acçvins, qui à leur tour le transmirent à Cakra — Indra —. C'est ce Dieu qui enseigna aux mortels la médecine; mais ici les renseignements ne concordent plus. Suivant une légende, Indra aurait révélé les préceptes de l'Âyur- veda à Dhanvantari, « le chirurgien des Dieux! », nom sous lequel se cache Divodäsa, roi de Käci ; Dhan- vantari, à son tour, aurait communiqué ces enseigne- ments salutaires à ses six disciples, dont l’un Sucruta les rédigea en 120 chapitres, répartis en cinq livres. D’après une autre légende”, ce serait à Bharadväja qu'Indra aurait d’abord révélé l'art de guérir. L'un des 50 rishis qui l’accompagnaient, le sage Punarvasu, fils d'Atri — Âtreya — en aurait fait connaître les, préceptes à ses disciples Agniveça, Bheda ou Bhela, Hârita, etc. ; ceux-ci les auraient soigneusement rédi- gés, et leur travail, approuvé par Âtreya et revu en- suite par Caraka, aurait donné naissance au recueil qui porte le nom de ce dernier. Ces récits légendaires confirment, ce que nous savions 4. The Sucruta-Sañhità or the Hindu system of Medicine according to Sucruta, translated by A. F. R. Hœrnle. Calcutta, 1897, in-8. nos 8 et 8. 2. Charaka-Sarñhitä, published by Avinash Chandra Kawvi- ratna. Calcutta, 1890, in-8, p. 2. — Suivant l'Ashtäñgasañgraha de Vâägbhata, Âtreya serait allé lui-même avec les sages Dhan- vantari, Bharadväja, Kacyapa, etc., demander à Indra le moyen de guérir les maux qui affligeaient les mortels ; le dieu leur aurait alors enseigné l’ÂAyurveda, et redescendus sur terre, ils l’auraient communiqué à leurs disciples, dont chacun en aurait rédigé une partie. [wan Bloch, Zndische Medisin, dans Th. Puschmann, Æandbuch der Geschichte der Medizin. Iena, 1902, in-8, vol. I, p. 123. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 623 d’autre part, que dès les temps les plus reculés il y eut des médecins dans l'Inde, et les noms qu'ils nous ont conservés sont ceux des praticiens et des maîtres des siècles passés ; mais à quelle époque véritable ont- ils vécu ? Âtreya, que l’une des légendes dont je viens de parler donne comme le père de la médecine, est cité dans le Mahäbhàrata‘, ainsi que dans le Buddha- carita d'Acvaghosha*; on a cru aussi pouvoir l'identifier avec le maître de Jivaka”; mais les traités mis sous son nom et sous celui de Härita sont apocryphes et d'une époque relativement récente. D’après des documents chinois, un médecin du nom de Caraka fut attaché au roi Kanishka, au 1°" siècle de notre ère ‘ : faut-il le regarder comme l’auteur de la Caraka-Sarñhitä que nous possédons ? On ne le saurait dire, mais une tradition nationale, que connaissait encore Albiruni, regardait Caraka comme le plus ancien des écrivains médicaux de l'Inde, en tout cas comme antérieur à Sucruta”. Bhartrihari, écrivain du vu siècle, fait trois fois mention de lui‘. Quant au traité, qui porte son nom, après avoir été traduit en persan, il le fut au vin siècle, de cette langue en arabe”. Cet ouvrage était donc connu depuis assez longtemps; mais s'il est possible d’en reculer la date 1. Cânti-Parva, 210, 21. Trad. P. Chandra Räy, p.134. 2. Buddha-Carita, cap. 1, 48. 3. Woodville Rockhill, Zhe Life of the Buddha, p. 65. 4. S. Lévi, Notes sur les Indo-Scythes. (Journal asiatique, vol. VIII (1896), p. 447). 5. Udoy Chänd Dutt, The Materia medica of the Hindus. Calcutta, 1900, in-8, p. var. 6. F. Kielhorn, On the grammarian Bhartrihari. (Indian an- liquary, vol. XII (1883), p. 227, 2). 7. Julius Jolly, Medicin, p. 11. 624 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS d’un siècle ou deux, il est douteux qu’on doive le faire remonter beaucoup plus haut. Sucruta figure au nom- bre des Munis fabuleux que, au 1v° siècle, le Bower’s Manuscrit nous montre allant à la recherche des sim- ples dans l'Himalaya, et c’est à lui, en particulier, que le sage Kâciräja fait connaître les propriétés mer- veilleuses de l'ail. Il est aussi fait mention de lui dans la Mahàäbhàrata !, comme fils de Viçvämitra. Quant à la Sarnhità qu’on lui attribue, elle fut, au 1x° siècle, traduite en arabe sur l’ordre du barmécide Yahyà ibn Khälid?, ce qui la reporte au moins au siècle précé- dent. D'un autre côté, l'absence de l’opium dans la liste des remèdes, de la variole parmi les maladies, l'ignorance où Sucruta parait avoir été de l’usage de tâter le pouls comme moyen de diagnostique, assi- gnent à son traité une date relativement reculée ; il ne saurait donc être aussi moderne que l’a prétendu Haas, qui le considérait comme ayant été composé entre le x et le xv° siècle”; mais il ne saurait davantage re- monter à 1000 ans avant Jésus-Christ, ainsi que l’a affirmé si aventureusement son premier traducteur Hessler*; ni même être des premiers temps de notre ère. Il lui est vraisemblablement, comme la Sarnhità de Caraka, postérieur de plusieurs siècles. Mais si nous n'avons pas de traité authentique de médecine qui remonte jusqu’au commencement de l'ère 1. Anucasana-Parva, 4, 55. Trad. P. Chandra Rây, p. 19. 2. G. Flügel, Zur Frage über die ältesten Uebersetzungen indischer und persischer medicinischer Werke ins Arabische. (Z. D. M. G., vol. XI (1857), p. 326). 3. Ueber die Ursprünge der indischen Medizin.(Z. D. M. G., vol. XXX (1896), p. 667). 4. Su’srulas. Ayurvedas. Id est Medicinae systema.…. vertit Fr. Hessler. Erlangae, 1844, in-4, p. v. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 625 chrétienne’, cet art n’en était pas moins, nous l’avons vu, dès longtemps pratiqué dans l'Inde. En faisant du soin des malades et des infirmes un des premiers devoirs des fidèles, le bouddhisme en favorisa les pro- grès. Dans un des récits qui racontent l'histoire du Buddha, il est question de l’école médicale de Taksha- Gilà; là, au cœur du pays de Gandhära, vécut un maitre à la renommée universelle, Âtreya, dont la science attirait des points les plus reculés une foule d'étudiants”. Parmi eux vint prendre place le fils na- turel, plus tard le médecin, du roi Bimbisàra, Jivaka, si célèbre dans les légendes des bouddhistes. Elles lui attribuent l'honneur d’avoir, par un traitement qui mérite d'être rapporté, guéri le Réformateur d'une grave indisposition. Ayant découvert quil y avait trois causes à sa maladie, il prépara, pour les éloigner, trois fleurs de lotus, dans chacune desquelles il mit une certaine quantité de médecine. Ces fleurs furent données au malade à trois intervalles différents, et chacune d'elles, quand il vint à la flairer, émut dix fois ses entrailles, La première écarta la première cause de la maladie, la seconde et la troisième firent cesser les deux autres, et le Buddha fut guéri’. Les fleurs de lotus, encore que leur parfum semble 1. Faut-il faire exception pour les Bheda Sarïhitä et À gniveca- Saïñnhilä, comme a paru le croire M. P. Cordier, Origines, Évolution et Décadence de la Médecine indienne (Annales d’'hy- giène coloniale, vol. IV (1901), p. 81)? Cela est peu probable ; M. J. Jolly, Medizin, p. 12, regarde la première comme une autre rédaction de Caraka. 2. Rockhill, The Life of the Buddha, p. 65. — P. Cordier, L'enseignement médical dans l'Inde ancienne. (La France mé- dicale, an. 1902, p. 179 et suiv.) 3. Spence Hardy, À Manual of Buddhism, p. 238 et 246. Jorer. — Les Plantes dans l'antiquité. II. — 40 626 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS avoir agi, dans ce cas, au moins par sympathie, ne servent guère ici que d'enveloppe au remède véritable que Jivaka avait déposé dans leur corolle. C’est ce remède qui, grâce à une préparation spéciale, amène la guérison. Avant d’être donnés au malade, les sim- ples maintenant étaient soumis à certaines manipu- lations ‘. « Tantôt le médecin les mächait préalablement avec les dents, tantôt il les pilait et les réduisait en poudre; d’autres fois il les faisait bouillir, après les avoir mêlés à quelque autre substance, ou bien il les mélangeait sans les faire cuire; d’autres fois encore, il en introduisait le suc dans une veine avec une lan- cette ; enfin, il les combinait avec les aliments et avec les boissons. » Ces préparations variées nous montrent qu'à l’époque où nous reporte le Lotus de la Bonne Loi la médecine était devenue un art véritable. Chaque jour le goût et la pratique s’en développaient. Le Buddha lui-même avait des connaissances en thérapeu- tique; d’après une tradition”, il aurait prèché un Sûtra sur l’art de guérir. Le Mahävagga” nous le montre conseillant aux Bhikshus — religieux —, ma- lades, l’usage de racines, de feuilles et de fruits salu- taires, ainsi que de décoctions, de poudres, de gommes, d'huiles et de collyres, etc., dont l'usage bienfaisant devait les rendre à la santé: recettes qui témoignent de connaissances pharmaceutiques aussi positives qu'é- tendues *. Un roi de Ceylan du 1v° siècle, Buddhadäsa, 1. The Suddharma-Pundarika (Le Lotus de la Bonne Loi), translated by Kern. Oxford, 1884, in-8, p. 130. 2. [-tsing, À Record of the Buddhist Religion. Translated by J. Takakusu, p. 131. 3. Khandhaka VI, 3-7 et 11. 4. Les recettes du Mahävagga renferment une vingtaine de LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 627 composa même, dit-on’, un traité complet de matière médicale et ordonna qu'il y eût un médecin par dix villages. Les Grecs furent frappés de l'habileté des pra-' ticiens hindous et de la simplicité du traitement qu'ils prescrivaient parfois à leurs malades?. En présence de cet exercice général de la médecine, on ne peut douter qu’il n'ait existé de bonne heure dans l'Inde des recueils de recettes, des formulaires plus ou moins étendus. Les Bouddhistes en portèrent dans les pays où ils répandirent leur doctrine, en par- ticulier dans le Tibet et l'Asie centrale. Tels sont, par exemple, les traités médicaux manuscrits découverts en 1890 par le lieutenant Bower, à Mingai, près Kuchar, dans la Kachgarie. Probablement du v° siècle’, d’une langue plus archaïque que les Sarñhitàs de Caraka et de Sucruta, ils sont jusqu'à présent le recueil mé- dical le plus ancien, ayant quelque importance, que nous possédions sur la thérapeutique hindoue *. plantes, comme l’ucira, le cureuma, le poivre, le gingembre, les trois myrobolans, le nimba, le kutaja, le nattamäla — Pon- gamia glabra, — l’hingu, le sésame, la moutarde, ete., qui sont restées dans la pharmacopée hindoue. 1. G. Turnour, The Mahävarñsa. Colombo, 1889, in-8, p. 156. 2. D’après Strabon, XV, 1, 60, ils avaient plus de confiance en un bon régime de nourriture que dans les remèdes, et les lini- ments et les cataplasmes étaient les médicaments, dont ils se servaient de préférence, ce qui est loin, nous l’avons vu, d’être entièrement exact. 3. Rudolf Hoernle, On the date of the Bower Mss. (Journal of the Royal Asiatic Society, vol. 60 (1891), p. 92). — Id.. Proceedings of the Asiatic Society of Bengal, an. 1891, p. 62 et an. 1895, p. 84. — G. Bühler, The new sanscrit Ms. from Mingai et À further note, etc. (Wiener Zeitschrift für die Kunde der Morgenlandes, vol. V, p. 103-110 et 303-310). — R. Hoernle, À note on the date of the Bower manuscripl (The Indian Antiquary, vol. XXI, jan. 1892). &. [Il y a dans le Tanjur tibétain toute une série de textes 628 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Malgré sa nature composite et irrégulière, — il ren- ferme plusieurs traités de nature et de longueur très différentes, — le Bower Manuscrit n’en a pas moins une grande importance, non seulement à cause de son ancienneté, mais parce qu'il nous laisse entrevoir ce qu'était la médecine hindoue à l’époque où 1l a été ré- digé. Le chapitre sur l'ail — laçuna —, par lequel s’ouvre la première partie, la doctrine du myrobalan chebulic et du plumbago, dans la seconde, nous mon- trent quelles vertus merveilleuses on attribuait encore à certaines plantes ; la divination par les dés, exposée dans les parties IV et V, et les charmes, que renfer- ment les deux parties suivantes et dernières — il y en a un donné comme enseigné par le Buddha à Ânanda pour guérir la morsure des serpents —, témoignent aussi de la croyance toujours vivante en la puissance des incantations. Mais les derniers paragraphes de la première partie et toute la troisième renferment de précieux renseignements sur la pharmacopée, et la seconde, le Névanitaka, est, l'auteur le dit expressé- ment, un traité complet de matière médicale”. Dans les seize chapitres dont elle se compose, on trouve lon- guement indiquée la composition des principales pré- parations pharmaceutiques : poudres et pilules, gruaux, beurre clarifié et huiles médicamentées, énémas, toni- sur la médecine, attribués à Nâgârjuna, ie 14e patriarche, mais ils sont certainement plus récents que le Power Manus, cril. — A. Barth, Le pélerin chinois L-tsing.(Journaldes Savants, an. 1898, p. 536). 1. « Whatever is beneficial to men and women afflicted with various diseases, whatever is also beneficial to children, that will be declared in this book. » P. 77. Le mot VNävanitaka, qui signifie « crème, quintessence », indique que ce traité est comme un extrait des divers ouvrages médicaux. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 629 ques et aphrodisiaques, collyres et liniments', etc., ainsi que l'indication des remèdes propres à guérir les maladies les plus ordinaires dans l'Inde : lèpre et ma- ladies cutanées, diarrhée et dysenterie, hémorragie, toux et fièvre, maladies du cœur et des yeux, maux de tête, de dents ou d'oreilles, inflammations, strangurie et vomissements, érysipèle et jaunisse, enfin les maladies des enfants”. Pour rehausser le mérite de quelques- unes de ces formules, l’auteur du Bower Manuscrit leur attribue une origine divine ; c’est ainsi qu'une poudre, des pilules, un tonique, etc., sont donnés comme ayant été inventés par les Acvins. Ce sont eux qui avaient, entre autres, donné la formule de l'huile d’amrita, com- posée de quatre-vingt trois ingrédients, et qui « aussi bonne que l’ambroisie, guérit tous les maux » *. Comme Kàciràja fit connaitre à Sucruta les propriétés salutaires de l’ail, c’est Brahman aussi qui révèle à ces Dieux bien- faisants les vertus du myrobalan chebulie, et Dhanvan- tari, à Kecava, celles du plumbago, ces plantes aux- quelles nulle maladie ne saurait résister. Le résumé qui précède montre l'intérêt présenté, en dépit de ses lacunes , par le Bower Manuscrit; mais il ne donne qu'une idée incomplète des renseignements précieux qu’on y trouve sur l’ancienne pharmacopée hindoue ; la flore médicinale de l'Inde y figure déjà presque entière ; en le parcourant, on est frappé de voir quel nombre considérable de plantes avaient dès lors pris place dans 4. Chap. 1, n, 111, 11-403; V, VI, Vin, Vin, IX, 618-890. Cf. Part I, 53-59 ; Part IIT, 1-72. 2. Chap. x1, 927-949 ; x1v, 968-974. Cf. Part I, 9-43. 3. Part IT, chap. 1, xxvinr, 80-84, xxIx, 85-86, xxxI, 96-101; chap. 11, xxi11, 216-222, xxIV, 223-225, xxXVII, 241-244, etc. ; chap. 11, 287 et suiv. 630 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS les préparations pharmaceutiques ; j'en ai compté plus de deux cent vingt, toutes indigènes, à l'exception de quelques condiments importés de l'Iran et de deux ou trois épices des Moluques. On à là une preuve que la pharmacopée hindoue s’était formée sur place ét à l'abri — du moins à l'origine — de toute influence étrangère‘. Dans le Bower Manuscrit la thérapeutique apparaît déjà constituée dans l'Inde”; il ne restait plus qu’à en compléter les données et à coordonner le tout en un corps de doctrine ; c’est ce qui ne tarda pas à être fait. D'après le pelerin chinois I-tsing”, qui visita la Pé- ninsule gangétique au vir° siècle de notre ere, la méde- cine yétait en grand honneur; elle était «une des cinq sciences de l'Inde » ; elle se composait de huit parties, qu'on venait, dit-il, de résumer et de réunir en un seul livre ; quel était l’auteur de ce manuel? Nous l’ignorons ; mais les huit parties dont le pieux voyageur donne les titres rappellent, malgré quelques différences, celles qui sont énumérées au début de la Sarnhitä mise sous le nom de Sucruta. I-tsing avait étudié la médecine, mais 1l n’avait pas poussé cette étude fort loin et y avait bientôt renoncé; ses connaissances en pharmacopée aussi ne sont ni très étendues, ni très précises ; le Cor- chorus capsularis, qu'il indique comme une plante de la 1. Dans quelle mesure put-elle subir plustard cette influence ? Je n'ai pas à l'examiner ici; je me bornerai à dire que dans Caraka, 1, 26, 2, il est question de Känkâyana, le plus grand des médecins de la contrée de Vâlhika — Bactres. 2. Nombre de recettes qu’il contient se retrouvent sans changement dans les traités postérieurs. 3. À Record of the Buddhist Religion, cap. 27, p. 127-128. — J. Jolly, Z-tsing. (Z. D. M. G., vol. LVI (1902), p. 570). — Dr. Liétard, Le pélerin chinois I-tsing. (France médicale, an. 1902, p-. 463). à 0 dix LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 631 « Terre divine » — la Chine —, croit également dans l'Inde ‘; il en est de même des cardamones, qu'il donne comme originaires de la Dvaravati — le Siam — ; on ne comprend guere non plus que l’haritaki soit à peu près la seule plante dont il fasse mention, comme usitée en médecine dans la Péninsule?, avec le « crocus du Nord » et « l’asa fœtida de la frontière occidentale », ainsi peut-être que le « camphre de la mer du Sud » et les deux espèces de clous de girofle de Poulo Condor. On a supposé que le manuel de médecine récemment rédigé, dont parle I-tsing, pouvait être la Sucruta- Sarnhità ; cela me parait peu vraisemblable ; ne serait- ce pas plutôt un des deux traités attribués à Vagbhata, l'Ashtañgahridaya et V'Ashtañgasamgraha? M. Julius Jolly” admet que le second, dont le premier ne sem- ble qu’un résumé, ne saurait être postérieur au vin” siècle; l'hypothèse n'est donc pas invraisemblable ; mais ce n'est qu'une hypothèse. Quant aux traités eux- mêmes, comme Vâägbhata s’y montre disciple ou imi- tateur de Sucruta *, nous n'avons point à nous en occu- 1. Les autres plantes chinoises mentionnées par [-tsing sont les Aralia quinquefolia et cordata, les Aconitum Fischerti et variegatum, l'Asarum Sieboldii, le Polygala sibirica et le Pa- chyma cocos. L’Aralia quinquefolia — ginseng — est le récon- fortant par excellence des Chinois. 2. Chap. 28, p. 134, il donne toutefois la formule d’une pilule composée d’écorce d’haritaki, de gingembre et de sucre. 3. Zur Quellenkunude der indischen Medizin.Vägbhata.(Z. D. M. G., vol. LIV (1900), p. 273.) 4. « C’est une compilation méthodique, ne contenant rien ou peu de chose d’original... Sucruta et Caraka en sont les prin- cipaux inspirateurs », dit du second M. P. Cordier (Vägbhata et l’Astañgahridayasamñhità, Besancon, 1896, in-8, p. 5), qui place Vâgbhata au x1I° siècle, ce qui serait une raison de plus pour ne pas m y arréter. 632 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS per. Mais il nous faut nous arrêter longuement sur la Sarnhità de ce dernier et sur celle de Caraka, dont les rédactions actuelles ne remontent pas au delà du x1° siècle, mais qui existaient déjà dans leurs grandes divisions au moins quatre siècles auparavant. La Caraka-Sarnhità, la plus ancienne des deux, se compose de huit livres ou s{hänas, comprenant en tout 120 lecons — adhyäyas'; — les deux derniers qui traitent de la thérapeutique générale et la fin du cin- quième, consacré au diagnostique, ne sont pas l'œuvre de Caraka ; ils ont été extraits « de nombreux ou- vrages » antérieurs par un médecin du Panjab, Dri- dhabala. Le quatrième livre, qui traite de l’anatomie et de l’'embryologie, n'a, comme le cinquième, rien ou à peu près qui doive nous retenir ; il y a peu à pren- dre aussi dans le troisième, où est exposée la théorie de l’alimentation, ainsi que la pathologie générale; mais les trois autres livres, le sixième, consacré à la thérapeutique particulière, le second, qui traite des huit maladies principales, et le premier, qui com- prend, outre un essai de pharmacopée, un traité de l'hygièneet une énumération des divers aliments, ren- ferment les renseignements les plus étendus sur la matière médicale et sur l'emploi des ingrédients que fournit la flore indigène. On trouve par exemple, au début du premier livre, quelques recettes aussi cu- rieuses que compliquées, suivies d’une description des poudres et des emplâtres, d’une longue énumération des purgatifs, des astringents, des divers collyres, 1. Julius Jolly, Medicin, p. 12. Au livre I, chap. 30, p. 422, Caraka donne une division toute différente, mais qu'il n’a pas suivie. sas st té à à nn à SE D de it PP OT VS de LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 633 avec l'exposé détaillé des soins qu'on doit prendre des dents, de la tête et du corps tout entier ‘ ; enfin, après des conseils d'hygiène générale et des notions sur le goût et les propriétés froides ou chaudes, douces ou acides, piquantes ou salées, amères ou astringentes des plantes, vient l'indication des racines, légumes verts, fruits, feuilles et fleurs, ainsi que des huiles et des vins, du suc de canne, qui, tout en pouvant servir la plupart à l'alimentation, fournissent des remèdes appropriés, suivant les saisons et les tempéraments, aux diverses indispositions ?. De même que la Sarnhità de Caraka, celle de Sucruta se compose de 120 chapitres ou adhyäyas, répartis toutefois, non en huit, mais en cinq sthänas*. Plus tard a été ajouté un sixième sthäna, qui, en 26 chapitres, traite des maladies des yeux et de quelques points oubliés de la thérapeutique, etc. Quant aux cinq sthà- nas primitifs, le deuxième et le troisième renferment la pathologie et l'anatomie, et ne doivent des lors pas plus nous occuper que les sthänas analogues de Caraka ; le quatrième, qui a trait à la thérapeutique, et le cinquième, consacré à la toxicologie, au con- traire, doivent nous retenir quelque temps. Il en est de même encore plus du premier, où, comme dans le sthâna correspondant de Caraka, sont étudiées les questions 1. Adhyàäyas, 1-3, 4 et 5. 2. Adhyâyas, 13, 27 et 28. Parmi les fruits, il faut mention- ner l’orange, nârañga; le citron est mis au rang des légumes. 3. The Sus’ruta-Samhitä. The hindu system of Medicine according to Sus’ruta, translated... by Udoy Chänd Dutt. Cal- cutta. 1883, in-8... by A. F. R. Hoernle. Calcutta, 1897, in-8. Il n’a paru que deux fascicules entiers de la première de ces traductions et un de la seconde. 4. Sucruta-Sarñhità. lib. I, cap. 1, 30 et 51. 634 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS médicales les plus diverses, en particulier la classifi- cation et la composition des remèdes, ainsi que l’énu- mération des divers aliments et boissons”. Les remèdes de l’ancienne médecine hindoue étaient surtout d'origine végétale; les différentes parties des plantes, racines, écorce, feuilles, fleurs et fruits, la gomme ou la résine, qu'elles exsudent, les sucs qu'on en extrait, ou les vins qu’on en retire, servaient éga- lement, suivant les cas, à les préparer. Caraka divise d'abord les plantes en arbres qui portent des fruits sans fleurs (apparentes), arbres qui portent des fleurs et des fruits, plantes annuelles et plantes grimpantes”; mais il abandonne bien vite cette division assez inu- tile, pour répartir, au chapitre 1v°, d'apres les effets qu'elles produisent, les plantes en 50 groupes de remèdes, dont chacun se compose de dix simples. Cela . fait un total de près de 500 plantes médicinales. Les 50 remèdes, dans la composition desquels elles entrent, sont qualifiés d’astringents par Caraka, qui les divise en doux, acides, piquants, amers et astringents pro- prement dits. Il compte aussi 133 espèces de purga- tifs, mais ne nomme que 15 des plantes qui entrent dans leur composition. Au chapitre xxxvirr du premier livre de son recueil*, Sucruta divise les plantes médicinales en 37 ganas, distingués d’après les maladies qu’elles peuvent servir à guérir, et qui portent en général le nom de la pre- mière des plantes de chaque liste. Mais ce n’est pas là la seule classification qu'il ait suivie. Au chapitre xt, Sucrula-Samhilä, lib. I, cap. 3, 28, 29 et 43-46, p. 616. Saïhitä, Part I, adhyäya 1, 71. . Part I, adhyäâya 4, 5-56, p. 28-47. . Sañhitä. Trad. Udoy Chând Dutt, p. 157-194. + YO D tn tnt tel à. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 633 il avait donné deux listes de plantes dont la cendre servait à fabriquer des caustiques ; au xvr°, sont énu- mérées les poudres propres à arrêter le sang ; enfin, dans le chapitre xxxix, Sucruta indique sept classes de piantes laxatives ou altératives. Cela forme un en- semble vraiment considérable de plantes médicinales — il y en a plus de 700 —, nombre qui n'avait pas encore été atteint. Mais si Suçruta connaissait plus de plantes médicinales que les Rishis qui l'avaient précédé, il n'avait, comme eux, qu'une connaissance empirique de leurs prétendues vertus curatives, et il attribuait ces vertus bien moins à leur nature propre qu à celle du sol dans lequel elles poussaient”, à l’état de développement et à la saison où on les recueillait, au soin enfin qu'on apportait à les ramasser, comme à les conserver. Le sol, suivant qu'il était rocailleux, ferme ou friable, lourd ou léger, frais ou sec, noir ou bleu foncé ou encore de couleur blanche ou cendrée, cou- vert d'arbres épais ou aux branches clairsemées, avait des propriétés tres différentes, auxquelles correspon- daient celles des plantes qui y croissaient. Celles-ci d’ailleurs, selon qu’on leur demandait d’être chaudes ou froides, devaient aussi être recueillies dans la sai- son chaude ou froide. Il importait également qu'elles fussent arrivées à leur pleine croissance, qu'elles eussent des racines longues et épaisses. Les unes devaient être employées fraiches ; les autres pouvaient l'être indifféremment fraiches ou sèches. Quelques- unes, comme les graines d'Embelia ribes, du poivre long, gagnaient en vieillissant. Enfin elles devaient 1. Sucruta-Sarhitä, hb. I, cap. 37. 636 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS être recueillies avec des précautions particulières, qui en assuraient l'efficacité. Voici, par exemple, comment on se procurait le bois de mushkaka — Sfereosper- mum suaveolens —, dont la cendre servait à préparer un caustique très employé”. Un jour d'automne, après s'être purifié et avoir jeüné, le médecin-herboriste ayant choisi un mushkaka de grande taille, d’un âge moyen, que rien n'avait endommagé, aux fleurs som- bres, et qui croissait en un lieu propice sur une montagne isolée, accomplissait l’'adhiväsana ou « cérémonie prélimi- naire », en prononcant l’incantation suivante : « O! arbre à l’ardente, à la grande vertu, que ta vertu ne soit pas perdue. Arbre propice, reste ici et accomplis mon œuvre! Quand mon œuvre sera achevée, qu’alors tu ailles au ciel!» Après quoi, il lui faisait une offrande de mille fleurs. Le lendemain, au lever du jour, s’il n’observait aucun changement, ni rien de parti- culier, il procédait de la manière suivante. Il coupait des mor- ceaux convenables (de l’arbre), et après les avoir, pour les brüler, empilés en un lieu abrité du vent, il y mettait le feu avec des chaumes de sésame. Quand le feu avait cessé de brûler, il recueillait à part les cendres du bois et les nodules formées dans les cendres. On brülait de la même manière, avec leurs bran- ches, leurs feuilles, leurs fruits et leurs racines, les arbres kutaja, paläça, açvakarna et dix-neuf autres arbres ou plantes, ainsi que quatre espèces de luffa ; leurs cendres, lessivées avec une quantité déterminée d’eau et d'urine de vache, étaient ensuite filtrées, et le liquide ainsi obtenu était bouilli et soumis à diverses manipulations, qui en augmentaient l'efficacité. Quelque compliqué déjà que soit ce procédé, il ne donne tou- tefois qu'une faible idée des soins minutieux qu’on apportait dans la préparation de certains remèdes et des nombreux ingrédients qui y entraient. Qu'on en 1. Sucruta-Sarñhità, Lib. I, cap. 11, 5. Trad. Hoernle. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 637 juge par la manière dont se faisait un des vomitifs les plus usités ?. Après avoir pris des fruits de Vangueria spinosa bien for- més, et ni trop verts, ni trop jaunes, le praticien les mélait avec du kuca, de la terre et de la bouse de vache délayée dans de l’eau; il faisait cuire le tout pendant huit (jours et huit) nuits avec une certaine quantité d'orge, de Terminalia belle- rica, de Phaseolus mungo et radiatus, de riz et d’autres cé- réales ; il les mouillait, les écrasait, y ajoutait de l’'Æchites antidysenterica et du poivre long, puis il faisait sécher le tout au soleil. Une poignée de cette substance mêlée avec du lait caillé, du miel et des grains de sésame écrasés, mise dans un vase, en même temps qu’une infusion chaude de Siphonanthus indica et de Bauhinia variegata était broyée pendant toute une nuit, puis cuite de nouveau ; on y ajoutait alors du miel et du sel gemme, en prononcant la formule consacrée ; ensuite, le visage tourné vers le Nord, le médecin présentait le breuvage au malade, qui, lui, regardait vers l'Orient, et il prononcait cette incantation : « Que Brahmà, Daksha, les Acvins, Rudra, la Terre, la Lune, le Soleil, le Feu, l’Air, les Rishis, la multitude des Plantes annuelles et la troupe des Bhüûtas te conservent ! Que ce médicament soit pour toi un élixir de vie, semblable à l’ambroi- sie des Rishis et des Dieux, au nectar des excellents Nägas ! » Dans le chapitre consacré au traitement d’une ma- ladie qu'on a considérée comme le diabète?, on trouve une recette toute empreinte encore du caractère reli- gieux qu'avait revêtu la médecine hindoue. Après avoir recommandé de prendre les «fruits des arbres astrin- gents, qui croissent sur les rivages de la mer occi- dentale, et dont les branches sont constamment secouées par les vents nés de l'agitation des flots », 1. Sucruta-Samhità, lb. [, cap. 43. Trad. Dutt. Le Siphonan- thus indica — Clerodendron siphonanthus — est la brähmikà. 2. Sucruta-Samhilä, Lib. IV, cap. 13. Caraka, I, 23, 16, prescrit pour tout traitement dans ce cas des myrobalans che- bulics, réduits en poudre et mélés à du lait de beurre, ou une infusion des trois myrobalans. 638 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Sucruta ordonne d'extraire la pulpe de ces fruits, de la faire sécher, de l’écraser et d’en exprimer l'huile ; puis après avoir fait bouillir celle-ci jusqu’à ce qu’elle fût suffisamment réduite, on devait la laisser reposer pendant deux semaines, mêlée à de la bouse de vache. Alors oint, purgé, tout mouillé de sueur, n'ayant pris, pendant quinze jours d'exercice, que le quart de sa nourriture ordinaire, le malade devait, le premier jour du croissant de la lune — jour propice —, boire en abondance de cette huile, après qu'on avait prononcé ces paroles sacrées qui achevaient de la rendre efficace. Essence de la moelle, douée d'une grande force, purge tous les éléments de ce corps! Le dieu Acyuta — Vishnu —, qui tient à la main une conque, un disque et une massue, te le commande. Les exemples qui précèdent montrent quel était le caractère à la fois minutieux et sacré de la thérapeu- tique hindoue. Un autre caractère qui la distinguait, c’est la complication des recettes médicales qu’elle em- ployait ; le vomitif à base de Vanqueria spinosa, dont il a été question plus haut, nous en a donné un exem- ple; et les purgatifs, si nombreux dans les recueils de Caraka et de Sucruta, nous en fourniraient d’autres ; non moins compliqués étaient les remèdes employés contre la fièvre et la dysenterie, ainsi que les anti- dotes, si nécessaires dans un pays comme l'Inde, où abondent les animaux venimeux. L'un des antidotes décrit par Suçruta ‘ ne contenait pas moins de soixante- dix-sept ingrédients végétaux ettrois ingrédients d’ori- gine animale : fiel de taureau, miel et beurre clarifié. 1. Lib. V, cap. 7. Les recettes du Borver Mss., on l’a vu, ne sont pas moins compliquées. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE -639 Il passait pour doué d’une grande vertu: « Le roi qui en est oint, dit l’'Ayurvéda, devient cher à tous ses sujets, et il se revêt d’une splendeur plus grande, en entrant dans le ciel de Cakra. » Ce qui surprend, c’est que ces remèdes bizarres étaient, paraît-il, vraiment efficaces ; Alexandre, nous apprend Arrien ’, avait tant de confiance dans l’habileté des médecins hindous à guérir la morsure des serpents qu’il leur confia ceux de ses soldats qui avaient été atteints. La médecine hindoue n'avait pas seulement pour but de guérir les maladies, elle se proposait aussi de sup- primer la douleur, ainsi que de prolonger la vie, ou même d'assurer l’immortalité, et elle prétendait avoir trouvé des remèdes qui lui permettaient d'atteindre ce double but et rendaient ainsi l’homme presque l’égal des Dieux”. Sucruta compte vingt-deux plantes, qui, « aussi efficaces que le soma », faisaient disparaitre la douleur. De ces plantes, l'A/oe perfohata, ie Con- voloulus paniculatus, la Calotropis gigantea, le Doli- chos pruriens, le Solanum melongena et la Webera corymbosa seuls sont connus ;'les autres n’ont pu être identifiées, ce qui pourrait faire penser quelles avaient la plupart une existence toute mythique. Les plantes qui passaient pour prolonger la vie wétaient pas moins recherchées que celles qui sup- primaient la douleur; comme les panacées du Râimà- yana elles étaient supposées croître dans la région hymalayenne. I-tsing parle d'un de ses compatriotes, 1. Historia indica, cap. xv, 11. 2. « Comme les Dieux vivent au Ciel exempts de douleur et dans la joie, ainsi vivent dans la joie sur terre les hommes qui ont-trouvé les plantes salutaires. » Sucruta-Sarñhitä, Bb. IV, cap. 30, 1. 640 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS qu’on y avait envoyé cueillir la plante qui rend im- mortel". C'est là aussi qu'avait été découvert l’ail, cette autre panacée, dont l'emploi, suivant le Bower Manuscrit *, « fait vivre cent ans, sain de corps et d’esprit, plein de vigueur et exempt de rides ». Mais bien d’autres plantes que l'ail passaient pour prolonger la vie autant et mieux que lui. D’après Sucruta, elles étaient plus nombreuses que celles qui étaient réputées supprimer Ja douleur ; il y en avait pour tous les âges ; un médecin prudent en donnait au jeune homme, comme à l’homme avancé en àge, pourvu qu'il fût sain et bien fait de corps; dans ces conditions, on comprend que ces plantes pouvaient produire un effet salutaire, sinon tout celui que promettait Sucruta ; leur emploi était d’ailleurs accompagné de précautions particulières et de pratiques religieuses, destinées à en assurer l'efficacité, ou du moins à en garantir la renommée, en cas de non réussite; mais en les em- ployant, on n'avait rien à craindre de l'atteinte des ans. « La vie de celui qui mange des fruits de la Pen- taptera tomentosa, préparés avec du lait, ne sera pas détruite, » lit-on dans le dernier cloka du vingt-sep- tième chapitre du Càrirasthäna de Sucruta. L'écorce d'Aegle marmelos n'était pas moins riche en vertus. Quiconque, après s'être purifié avec soin et avoir sa- crifié, en buvait chaque jour une infusion dans du lait, avec une décoction de racines d’Arum campanulatum, pouvait vivre dix mille ans, sans perdre la mémoire. Une décoction de fibres du nélumbo, mêlée avec du 1. Les Religieux éminents qui allèrent chercher la loi dans les pays d'Occident. Mémoire composé par I-tsing, traduit par Ed. Chavannes. Paris, 1894, in-8, p. 23. 2, Part: 1,92, p:°15. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 641 miel et des grains de froment, jouissait des mêmes vertus, et ces préparations conservaient indéfiniment la santé ; il y en avait d’autres, comme celles de santal, de Datura metel, de réglisse, de miel et d’or, qui, bues dans de l’eau, donnaient la beauté. D’autres encore assuraient le bonheur ou procuraient à qui en usait la force des Nâgas et le rendaient semblable aux Im- mortels ‘. Si les anciens Hindous portèrent ainsi l'arbitraire et la fantaisie dans l'emploi qu'ils firent des plantes en thérapeutique, il n’en est pas moins vrai qu’ils possé- dèrent une connaissance étendue des remèdes d'origine végétale, et beaucoup de ceux-ci sont, preuve de leur incontestable utilité, encore en usage de nos jours *. Telles sont entre autres les racines des Aconitum he- terophyllum, Nymphaca cœrulea — pushkara —., etc. Pavonia odorata — bàlà, hrivera —, Sida cordifolia, Cardiospermum halicacabum, Saussurea auriculata — kushtha —, Plumbago zeylanica — citraka —, Ipo- maea turpethum—trivrit—, Convoloulus paniculatus — vidàri —, Argyreia speciosa, Solanum Jacquinii et indicum, Withania (Physalis) somnifera, Picrorrhiza kurroa — katukà —, Gmelina arborea, Clerodendron Siphonanthus, Premna serratifolia, Boerhavia diffusa, Hypozis (Curculigo) orchioides, Amorphallus campa- nulatus, Zinziber officinale, serrumbet, ete., Curcuma longa, aromatica, etc., Vanda Roxburghii, Asparaqus racemosus, Gloriosasuperba,ete.; l'écorce des Crataeva 1. Sucrula-Sarhità, lib. IV, cap. 28. 2. Udoy Chând Dutt, The materia medica of the Hindus, S. v. — W. Dymock, The vegetable materia medica of western India. Bombay, s. d., in-8. — Kanny-Lall Dey, The indigenous Drugs of India. Calcutta, 1896, in-8, s. v. — Watt, Dictio- nary, S. Y. JoreT. — Les Plantes dans l'antiquité. IL. — 41 642 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS DA religiosa, Melia azadirachta ou indica — nimba —, : Terminalia arjuna, Punica granatum, Alstonia scho- laris, Holarrhena antidysenterica — kutaja —, Calo- santhes indica — cyonàka —, Stereospermum sua- veolens — pâtali —, Myrica sapida, Ficus religiosa, bengalensis, glomerata, infectoria”, etc. ; les feuilles des lotus”, Oxalis corniculata, Cassia alata, sophora, tora, Eugenia jambolana, Trichosanthes dioica, Wede- la calendulacea, Justicia adhotada, Ocymum sanctum — tulasi —, etc.; les fibres de nélumbo; les fleurs des Moringa ptlerygosperma, Mesua ferrea, Ptereo- spermum suberifolium, Woodfordia floribunda, etc. ; les étamines du padma; les graines des Vigella sativa, Sinapis ramosa, Tribulus terrestris, Abrus preca- torius, Pongamia qlabra, Serratula anthelmintica, Embelia ribes, Hyoscyamus niger, Sesamum indicum, Croton tiglium, Baliospermum montanum, Ricinus commums, Piper nigrum et longum, etc. ; enfin les fruits des Citrus acida*, Aegle marmelos, Feronia ele- phantum, Semecarpus anacardium, Mucuna pruriens, Buitea frondosa, Cassia fistula, Tamarindus indica, Benincasa cerifera, Citrullus colocynthis, Randia dumetorum, Mimusops indica, les raisins et les gre- nades, les trois myrobalans — #riphald —, si renom- més dans la pharmacopée hindoue ‘: Terminalia che- 1. Avec la Thespesia populnea, ces figuiers sont les cinq arbres à suc laiteux du Bower Mss., I, 89 et 94. — Sucruta, lib. 1, cap. 38, 24. — L’écorce de ces figuiers est encore em- ployée en poudre ou en décoctions. T. A. Wise, Commentary, p. 154. 2. Un onguent d’ucira et des feuilles de lotus servent à cal- mer la fièvre de Cakuntala. Acte III, prologue. 3. Sucruta, lib. I, cap. 39. Il est surprenant qu'aucun citrus ne figure dans les 37 classes de remèdes du chap. 38. 4. D'après une légende, pour guérir le Buddha malade, LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 643 bula — harîitaki —, T. bellerica — vibhitaka —, Phyllanthus emblica — àmalaki —", etc. Il faut ajouter à cette liste les produits retirés d’un certain nombre de plantes; telles les huiles extraites des graines de sénevé, de sésame, de lin, de Bucha- mania latifolia — piyàla —, de carthame et de ricin ; les résines des çàla, sarala — Pinus longifolia —, devadàru, etc.; la gomme de càälmali, de paläca et de divers acacias, en particulier de l'A. catechu, etc.; le suc laiteux du Ficus qglomerata, de l'Euphorbia ne- rüufolia, etc.; ainsi que le bois d’un certain nombre d'arbres, par exemple des santals rouge et blanc, du déodara, du sarala, etc., etles cendres des plantes les plus diverses, en particulier de l’apämärga, du pa- làça, etc. L'huile de sésame — faila — n'était pas moins employée dans la thérapeutique que dans l’ali- mentation ; elle passait pour tonique, chaude et astrin- gente, et mêlée à d’autres substances, elle était capa- ble, croyait-on, de guérir toutes les maladies. L'huile de ricin était tout aussi usitée ; elle servait à combattre les fièvres chroniques, les tumeurs abdominales, même la lèpre; elle était en même temps le meilleur des purgatifs*. La résine de câla était utilisée surtout en fumigations, ainsi que dans la préparation de certains emplâtres ou onguents ; la gomme de palàça servait à la fois à l'usage externe et à l’intérieur contre la diar- rhée chronique. La concrétion cristalline — /abu- Cakra lui-mème aurait apporté un fruit de myrobalan au Ré- formateur. Rockhill, The Life of the Buddha, p. 3%. 1. Caraka-Sarhitä, lib. |, cap. 27. — Sucruta-Samhitä, lib. I, cap. 38 et 39. 2. Caraka-Sarñhità, lib. I, cap. 13 et 27, p. 139 et 380. 3. Udoy Chänd Dutt, Materia medica, p. 120 et 149. 64% LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS shir hind.' —, qui se forme dans les entrenœuds des q tiges des bambous, en particulier du Bambusa arundi- nacea, était très employée et a été, hors de l’Inde, connue dès une époque reculée. Saumaise, suivi par Fée et Sprengel, a prétendu que c'était elle, et non le sucre véritable, que Dioscoride et Pline avaient dési- gnée sous le nom de céxyapoy, saccharon ; mais si les descriptions de Dioscoride et de Pline sont incomplètes ou peu exactes, ce n’est pas à dire qu’elles se rapportent au tabäshir, qui n’est point doux, plus qu’au sucre?, que Théophraste, après Néarque, comparait déjà au miel. Les poisons avaient leur place marquée dans l’an- P P | cienne pharmacopée hindoue*; on en distinguait neuf particulièrement virulents, qui paraissent être tous des préparations différentes de la racine d'Aconitum ferox, et sept moindres, entre autres les graines d’Abrus precatorius, les racines de Nerium odorum et de Glo- riosa superba, le suc laiteux des Calotropis gigantea“ et Euphorbia nerufolia. À côté des poisons prennent place les narcotiques si recherchés par les peuples civi- lisés, comme par les peuples sauvages. Le tabac était ignoré des anciens Hindous ; l’opium ne paraît avoir été connu dans leur pays qu'après l'invasion musul- mane ; le nom sanscrit ahiphena, pour aphena, hind. afim, de ce narcotique, est une simple déformation de 1. Ou « manne de bambou ». C’est la tugäkshirt de Sucruta, lib. 1, cap. 38, 17. On lui donne aussi le nom de vamñca rocana. 2. Watt, Dictionary, vol. I, p. 383. Henry Yule, À glossary of anglo-indian colloquial terms and phrases. London, 1886, in-8, p. 654. — Théophraste, Fragm. 140. — Strabon, XV, 1, 20. 3. Udoy Chänd Dutt, Materia medica, p. 7 et 97-98. 4. Le suc de la Calotropis passait pour rendre aveugle: Mahäbhärata, Y, 176. 1 LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 645 l'arabe afjun, qui vient lui-même du grec £r1ov'. Ni le Bower Manuscrit, ni Caraka ou Sucruta, ne connaissent cette substance, ni même, il semble, les vertus sopori- fiques du pavot. L'ignorance où étaient les anciens ha- bitants de l’Inde de l’opium et du tabac a dù leur faire adopter d'autant plus facilement l'usage du haschish et du bétel. Depuis quelle époque les propriétés narcotiques du chanvre ont-elles été connues dans l'Inde? On l’ignore. La plante cana que Bloomfield, après Zimmer et Weber, regarde comme le chanvre, encore que ce soit bien plutôt la crotalaire, est invoquée, dans l’Atharva- Véda”, à côté du jañgida. Ailleurs * le poète védique réclame la protection du bhañqga — le vrai chanvre —, en même temps que du dharba, de l'orge et de l'in- certain saha ; mais rien ne nous permet de dire quelles vertus sont, dans ces incantations, attribuées au bhañga pas plus qu’au çana; en tout cas le bhañga n’apparait pas dans ces formules comme narcotique ou excitant. Comme tel, cette plante a dû être employée d’abord dans la région himalayenne, où, nous l'avons vu, elle est indigène, hypothèse que justifie le surnom de kdc- mira, qui lui a parfois été donné; mais on ignore à quelle époque en remonte l'usage, ou la culture. Au- jourd'hui les feuilles des pieds sauvages servent 1. Watt, Dictionary, vol. VI, 1, p. 17-24. — J. Jolly, Medi- cin, p. 30. — W. Dymock, The Materia medica, p. 30. 2. Lib. Il, 4, 5. M. Bloomfield, Æymns of the A. V., p. 284, ce qu'avait déjà paru admettre Weber, veut que le caza figure ici comme textile; le contexte n'autorise aucune supposition de ce genre. A. Weber, Zndische Studien, vol. XII, p. 142. Zimmer, Altindisches Leben, p. 68. 3. Lib. XI, 6, 15. V. Henry, Atharva-Véda, liv. X-XII, bp: 149. 616 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS encore sous le nom de bhañg; mais elles sont moins énergiques que les divers produits du chanvre cultivé : le caras, résine exsudée par les feuilles et les jeunes pousses des pieds femelles, et la gdñjd, nom donné aux cimes fleuries et visqueuses des mêmes pieds”. Réduit en poudre, le bhañg, mêlé d'ordinaire avec du poivre noir et délayé dans de l’eau, produit une ivresse gaie, qui dure deux à trois heures. La gàñjà est fumée, ainsi que le caras, dont la meilleure sorte est importée d'Yarkand et de Kachgar; mais cet usage ne remonte pas très haut dans le passé. Si l'emploi du bhang, comme narcotique et exhilarant, était inconnu des anciens Hindous?, ils ont, au contraire, fait de temps immémorial usage des feuilles de bétel comme stimu- lant, en même temps qu'elles servaient de remède populaire contre une foule d’indispositions *. Les condiments et les aromates occupaient une place plus grande que les narcotiques et les poisons dans la pharmacopée hindoue; la moutarde, la coriandre, l'ajouan, le cumin et le sowa, l’asa fœtida, les deux basilics, les poivres noir et long et le gingembre, — «les trois épices » trikatu —, les poivres orangé et chaba, les curcuma long et zédoaire, le cardamome, le crocus — kuñkuma —, entraient dans la compo- sition de nombre des remèdes prescrits par le Bower 1. Flückiger et Hanbury, Aistoire des drogues, vol. IT, p. 285-288. — W.C. Dutt, Materia medica, p. 237-238. — Watt, Dictionary, vol. Il, p. 105. Cf. plus haut, p. 168. 2. W. Dymock, The Materia medica, p. 60%, attribue toute- fois, mais sans en donner de preuves, une haute antiquité à cet emploi du chanvre, d’où les surnoms qu’il porterait de vi- jâyä qui procure le succès, ânanda qui provoque le rire, etc. 3. Cf. chap. 1v, p. 267. William Dymock, Pharmacogra- phia indica. London, 1892, in-8, vol. III, p. 184, qui croit encore que le malabathron des Grecs n’était autre que le bétel. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 647 manuscrit, Caraka et Sucruta, comme dans ceux de nos jours ‘. Il en était de même des aromates, tels que le souchet odorant — musta — l'Acorus calamus — vacà —, l'écorce — foac —et les feuilles — pattra — du cinnamome, ainsi que le cassia, l'encens, le kushtha, le nard, divers andropogons, le bois de santal et le bois d'aloës”. Il n’y a rien à ajouter à ce qui a été dit pré- cédemment du souchet odorant et de l’acorus, plantes de l'Asie antérieure, comme de la Péninsule gangé- tique, mais les autres aromates appelent quelques re- marques. Des divers andropogons odoriférants, le citratus parait avoir été inconnu de l’ancienne pharmacopée hindoue ; mais elle faisait un grand usage des Andro- pogon aciculatus, espèce dédaignée aujourd'hui, mu- ricalus, schænanthus, noarancusa et laniger; ces derniers figurent dans de nombreuses préparations du Bower manuscrit, ainsi que des Samhitàs de Caraka et de Suçruta”. L’A. muricatus Retz., squarrosus L. — uçira, virana, virina* —, connu surtout aujour- d'hui sous le nom malais de vettiver, est commun dans les plaines et sur les collines peu élevées du Concan et du Pandjab; il servait à parfumer les huiles et était employé comme réfrigérant. On employait aux LBower Mss: T1, 9119971407 M265;retc.; Il, 14,4% 25,227, 29, 30, 41, 45, 56, 63, 267, 353, 888, etc. — Sucruta, lib. I, cap. 38, 7, 8, 10, 11, 25, 27, 29, 30. 20Bower 0Mss:,: 1; 90! 919% 96:97 406;107,#08; 11986, 56, 63, 64, 80, 96, 130, 144, 145, 266, 299, 353, 354, 386, 888, 1049, 1052, 1115, etc. — Sucruta, lib. I, cap. 38, 10, 11, 402002024092 097 3. Bower Mss., I, 90, 9%, 299, etc. — Sucruta, lib. I, cap. 38, 8, 11, 19. 4. Ou encore viratara, hind. khus-khus ou cuscus. W. Jones, Asiatic Researches, vol. IV (1799), p. 306. 618 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS mêmes usages l'A. schœnanthus L. — bhüstrina ou dhyämaka, hind. rüsà qhàz —, espèce commune dans les provinces centrales, ainsi que les À. #varancusa et laniger. L'A. noarancusa Roxb. — lémajjaka — est considéré par Hooker! comme la forme type d'une espèce dont l'A. laniger Desf.. commutatus Stocks, ne serait qu'une forme secondaire; mais ces deux plantes ont une aire tres différente ; indi- gènes l’un et l’autre dans le Nord de l'Hindoustan, en particulier dans la région sous-himalayenne, l’v4- rancusa y est cantonné, tandis que le /aniger est ré- pandu d'un côté jusqu'au Tibet, de l’autre, à travers les déserts de l’Afohanistan, du Béloutchistan et de la Mésopotamie, jusque dans l’Afrique septentrionale. C'est, je crois, cet andropogon que les soldats d'Alexandre trouvérent en abondance dans la Gédrosie, et dont les Phéniciens, qui accompagnaient l’armée, le prenant pour le nard, firent une ample récolte”. C'est à cette graminée aussi, il semble bien, que Strabon donne le nom de nard et dont il dit que les soldats s’en faisaient des lits. Quant au vrai nard, la madnst des écrivains sanscrits, c’est une espèce de valérianée des parties élevées du Népal et du Bhoutan, 1. The Flora of the British India, vol. VIT, p. 203. — Bois- sier, Flora orientalis, vol. V, p. 465-466, en fait, au contraire, deux espèces distinctes. 2. Arrien, Anabasis, lib. VI, cap. 22, 5. — Lassen, /ndische Alterthumskunde, vol. I, p. 288, a pris aussi le prétendu nard de Gédrosie pour le nard véritable, erreur qu’on retrouve encore dans Reinhold Sigismond, Die Aromala in ihrer Be- deutung. Leipzig, 1884, in-8, p. 32, note 1. Cf. Watt, Dictionary, I, 244. L’A. laniger est le Zyoivos de Dioscoride, I, 16, le Juncus aromaticus de Pline, XXI, 72. 3. Strabon, Geographica, lib. XV, cap. 2, 3. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 649 le Nardostachys jatamansi”', dont la vraie nature est restée presque inconnue jusqu'à la fin du xvrr° siècle. Celle du costus — Æushtha — de Sucruta et des autres pharmacologues sanserits a été aussi longtemps igno- rée. On l'a confondu avec le Costus speciosus, belle scitaminée des jungles tropicales, qui porte en sanscrit le nom de k£emwka, tandis que le kushtha est une composée du Cachemire, la Saussurea où Aplotaris lappa”*. Deux espèces d'encens, la sallaki et le guggulu, figurent dans les recettes médicales sanscrites, la pre- mière est fournie par la Boswellia serrata*® — kundu- ruki —, burséracée répandue dans la plus grande partie de l'Inde tropicale, du bas Himalaya au Dekkan, ainsi que dans les Ghates occidentales et la chaine du Satpoura ; la seconde espèce est la résine exsudée par un baumier commun sur les rochers du Sindh et du Cathiawar, le Balsamodendron mukul'. Cet arbre vient aussi, nous l’avons vu, dans le Béloutchistan, où Stocks l’a découvert. Les soldats d'Alexandre l'y avaient déjà rencontré ; « les arbres à myrrbe, plus orands que les arbustes à myrrhe ordinaires », qui croissaient, d’après Aristobule*, dans les déserts de la Gédrosie, et dont les marchands phéniciens de 1. Asiatic Researches, vol. IV (1799), p. 433 et suiv. 2. On lui attribue aussi le nom de Saussurea auriculata Hook. et d’Aucklandia costus Falc. — Watt, vol. II, p. 481. 3. Ou thurifera. Brandis, The Flora, p. 62. — Watt, vol. I, p. 366. 4. Asiatic Researches, vol. IX (1809), p. 37 et XI (1812), p. 158. Cf. livre I, chap. 1, p. 48. 5.Arrien, Anabasis, lib. VI, cap. 22, 4. — Brandis, The Flora, p. 65 et Boissier, Flora orientalis, vol. Il, p. 3, signa- lent aussi dans le Béloutchistan le Balsamodendron pubescens, mais il fournit une très petite quantité de résine. 650 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS l’armée recueillirent en grande quantité les larmes, n'étaient autres sans doute que des Balsamodendron mukul. Le candana — Santalum album —, dont on a, de temps immémorial, brûlé le bois comme parfum et qui fournit une poudre ou une päte aromatique employée dans la toilette, était aussi d'un fréquent usage en médecine, comme amer et comme rafraichissant ; ilen était de même du raktacandana — Pterocarpus san- talinus '—. Non moins employé comme parfum, l’aguru avait pris place aussi très anciennement dans la phar- macopée hindoue ; cependant la nature en est restée longtemps peu connue, au moins en Occident. Lou- reiro prétendit que c'était le produit d'une caryophyllée de la Cochinchine, à laquelle il donna le nom d’A/oe agallochum ; mais l'existence même de cette plante a été mise en doute ; l’on s’accorde aujourd’hui à voir dans l’aguru le bois d'une thymélacée des montagnes du Silhet, l'Aguilaria agallocha*. Quelque riche qu’elle fût en condiments, en aro- mates et en plantes médicinales, l'Inde en importa dès longtemps quelques autres d’origine étrangère ; tels que le basilic, la coriandre, le cumin, l’asa fœtida, originaires de l’Asie antérieure *; on peut ajouter le crocus, venu aussi de cette contrée, mais acclimaté depuis une époque reculée dans le Cachemire‘. Quand des relations suivies furent établies entre l'Inde, l’Indo- 1. Ou Aucandana. Sucruta-Samñhilä, lib. [, cap. 38, 5, 16, 19, 22, 25. 2. Roxburgh, Flora indica, vol. II, p. 422. — Watt, Dictio- nary, vol. I, p. 279. 3. Voir livre I, chap. 2 et livre II, chap. 2, p. 90, 173 et 258. #. G. Maw, À monography of the genus Crocus. London, 1886, in-4, p. 59-60. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 651 Chine et l'archipel de la Sonde et des Moluques, elle reçut, mais assez tard’, de cesiles les clous de girofle, sansc. lavañqga — Eugenia caryophyllata —, ainsi que le benjoin — Sfyrar benzoin —, et de la région indo-chinoise le camphre — £arpüra — produit d’une laurinée, le Cinnamomum camphora. D'un autre côté y pénétra la réglisse — madhuka —, originaire de la Haute-Asie, qui figure dans plusieurs recettes de Su- cruta?. Le nom furushka du storax liquide, dont le dernier fait aussi mention, pourrait faire croire que cette substance ne fut importée dans l'Inde qu'assez tard, si le styrax n’y avait été connu des le premier siècle de notre ère. Mais si la pharmacopée hindoue à emprunté quel- ques plantes ou produits végétaux aux contrées étran- geres, l'Asie antérieure et tout le monde connu des Anciens lui en ont demandé un bien plus grand nom- bre‘, tels que le lycion ”, les poivres noir et long, le cardamome, le gingembre et le sucre, le malabathron, le cinnamome et le cassia, parmi les condiments ; le gugoeulu, le nard, le bois d’aloës et de santal parmi les parfums. Dès la fin du 1v° siècle avant notre ère, 1. L'auteur hindou le plus ancien qui, à ma connaissance, ait parlé des clous de girofle, du benjoin et du camphre est Amarasirnha, IT, 6, 3. Il est fait aussi mention des premiers dans Paul d’Egine, lib. VII et au livre XI de la « Topographie chrétienne » de Cosmas Indicopleustes. 2. Samhit4, lib. I, cap. 38, 17, 19, 23, 26. 3. Lib. I, cap. 38, 11. — Charles Joret, Les plantes dans l'antiquité, vol. I, p. 334. -— Periplus maris Erythraei, cap. 39 et 49. &. J.-F. Royle, An essay of the antiquity of Hindoo medicine. London, 1837, in-8, p. 76-91. Cf. Charles Joret, La Flore de l'Inde d’après les écrivains grecs, p. 21-53. Je rappelle ici pour mémoire que le coton, l’indigo et la laque furent aussi exportés. 5. Dioscoride, lib. [, cap. 82. 652 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS Théophraste a décrit le poivre; il ne dut pas tarder à être importé, en Grèce, s’il n’y avait déjà pénétré ; il en est fait mention dans les écrits hippocratiques '; au premier siècle il était aussi connu en Italie, ainsi que le gingembre et le sucre”. Bien avant ces derniers, il semble, l’amome et le cardamome avaient été importés dans l’Asie antérieure, d’où on les regarda comme ori- ginaires, ainsi qu'en Grèce ; Théophraste en fait men- tion, mais il en ignorait la patrie véritable. Il parle aussi du cinnamome et du cassia qu'il faisait venir d'Arabie’. Ces aromates, dont il est déjà question dans la Bible‘, sont produits aujourd’hui par deux espèces de laurinées, le Cinnamomum zeylanicum, originaire de Ceylan, et le C. cassia, arbuste de la Chine ; mais 1l est douteux que ce soit leur écorce qui jadis ait été exportée dans l’Asie antérieure et les pays gréco-romains ; le £iddah de l’'Exode — cassia des auteurs grecs et latins —, le kinnamon de l’Apoca- lypse — cinnamomum des écrivains classiques —, étaient produits vraisemblablement par les Cinna- momum obtusifoliunm du Bengale oriental, #ners de l'Inde méridionale ou {amala de la région sous-hima- layenne”. Les feuilles de ce dernier — tamälapat- tra —, séchées, furent aussi exportées dès le pre- mier siècle de notre ère, comme épice, sous le nom de malabathron, dans l’Asie antérieure et jusqu'en 1. Il yest prescrit sous les formes les plus diverses.-Trad. Littré, vol. II, 465; V, 183, 40: 245, 67; 329, 13 ; 429, 64, etc. 2. Pline, livre XII, 14 et 17. Cf. pl. haut, p. 260-265. 3. Historia plantarum, lib. IX, cap. 7, 2. 4. Exodus, XXxX, 24. — Proverbia, VIT, 17. — Apocalysis, XVII, 13. 5. Voir livre II, chap. 2, p. 263. — Flückiger et Hanbury, Histoire des drogues, vol. II, p. 239. LES PLANTES DANS LA MÉDECINE 653 Italie ; mais on enignorait la vraie nature et l’origine ‘. Nous savons par le Périple de la mer Érythrée qu'à cette époque on exportait aussi de l'Inde le curcuma et le costus”; mais je ne saurais dire au juste quel était ce dernier produit ; si c'était le kemüka — Costus speciosus — ou le kushtha — Saussurea lappa — ; mais peut-être les deux étaient-ils exportés de la Péninsule, et alors il faudrait voir dans l’un, le « costus d'Arabie », dans l’autre, le « costus de l’Inde », de Dioscoride. Il semble bien que le Périple parle aussi de l'importation en Égypte du bois de santal; nous savons du moins, par le témoignage de Cosmas Indi- copleustes, qu'il était au vi° siècle un des objets de trafic entre l'Inde et l'Occident‘. L'’aloès aussi en était un autre d’après lui ; il est impossible de douter qu'il s'agisse ici de l’aguru, l'agallochon de Diosco- ride, cet aromate connu déja de la Bible sous le nom d'ahaloth, ahalim, dérivé probable du tamoul agila*. Exportait-on aussi de l’encens de la presqu'île gan- gétique? La plus grande partie de celui dont on se servait dans l'Occident provenait du pays des Somalis, où depuis un temps immémorial on est allé le chercher ; mais on peut voir dans « l’encens indien brunûtre et arrondi en petits cylindres », dont parle Dioscoride”, 1. Dioscoride, lib. I, cap. 11. — Pline, lib. XII, cap. 59. 2. Cap. 39. — Dioscoride, I, 15. — Pline, XIT, 25 (12) et NX I70,"2. 3. Periplus, cap. 36. — Xpiottavn Tonoypas'a, lib. XI. &. C’est le EbAov ivèxoy de Paul Éginète, VII, 3, l’&loôn de l'Evangile de saint Jean, XIX, 39. — De materia medica, lib. [, cap. 21. — Numeri, XXIV,6; Proverbia, VII, 17; Psalmi, XEV,9: Canticum, IN, 1%. 5. De materia medica, b. 1, cap. 81. L’encens — Afavos — figure au nombre des produits exportés de l'Inde, d’après le Périple, cap. 28. 654 LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS un produit de la Boswellia serrata si commune dans la Péninsule. Quant au bdellium des auteurs grecs et latins”, il ne peut y avoir de doute sur son identité : il s’agit bien du guggulu, cette résine exsudée par le Balsamodendron mukul, dont il est fait déjà mention dans la Bible? sous le nom de bedollach. Elle avait, on le voit, pénétré de bonne heure dans l'Asie anté- rieure ; c'était, au premier siècle de notre ère, un des principaux aromates importés de l’Inde dans lOcci- dent ; Dioscoride et Pline en parlent longuement; mais ils en ignoraient encore l’origine véritable. A côté du bdellium et du costus, le Périple fait aussi mention du nard, cet aromate non moins célèbre dans l’anti- quité *. Il semble avoir été déjà connu de Théophraste ; Pline en faisait « le principal ingrédient dans les par- fums », mais il en ignorait comme Dioscoride la vraie nature. Quant au Calamus aromaticus, que Dioscoride fait croître dans l'Inde‘, comme il se trouvait aussi dans l'Asie antérieure, c'est de là, aussi bien que de la Péninsule gangétique, que les Grecs et les Romains le recevaient. Mais on a vu par ce qui précède combien cette dernière contrée leur fournissait, dès le commen- cement de notre ère, de produits rares et précieux. 1. Dioscoride, lib. I, 80. — Pline, lib. XIT, 19. — Periplus, 37, 39. ; 2. Genesis, cap. 11, 12. — VMumeri, cap. XI, 7. 3. Periplus, cap. 48. — Historia plantarum, lb. IX, cap. 7, 3. — De materia medica, 1, 6. — Historia naturalis, XII, 26. &. De materia medica, lib. 1, cap. 17. — Pline, XII, 48, vante surtout le roseau odorant de Syrie. Le calamus aroma- ticus de Dioscoride, calamus odoratus de Pline, le kaneh de la Bible, est probablement l’Acorus calamus, un des médica- ments favoris des Hindous. Watt, Dictionary, vol. I, p. 99. — Dutt, Materia medica, p. 251. Sands «dt | | | TABLE PRÉFACE. ADDITIONS ET CORRECTIONS. LIVRE PREMIER LES PLANTES CHEZ LES IRANIENS CHAPITRE PREMIER. — La flore et les habitants de l'Iran et de la région transcaspienne.. 1. La flore de l'Iran. a. Configuration du sol et climat. b. Caractères et types a de la flore iranienne. . à c. La flore de l'Iran d’ après les Grecs. . d. Les plantes alimentaires et industrielles du plateau iranien. 2. Habitants de l'Iran. CHapiTRE Il. — L'agriculture et lhoetieuliure 1e niens. Les plantes dans l'alimentation et dans l'industrie. ; à . L'agriculture et l° horticulture iraniennes. a. Culture des céréales et des plantes alimen- taires et fourragères. : b. Culture des plantes textiles, tinctoriales et oléagineuses.. À ce. Les arbres fruitiers. : d. Les jardins dans la Perse ancienne. ; 2: Les a dans l'alimentation et dans l industrie. . Les plantes alimentaires. é Les plantes fourragères. : c. Les plantes tanifères, tinctoriales et oléagi- neuses. d. Bois de construction et textiles. De CHAPITRE II. — Les ee dans l’art et dans la poésie iraniennes. . Les Le dans l’art. Les plantes dans la poésie... Pages. VII XIII 139 656 TABLE CuapiTRE IV. — Les plantes dans les légendes reli- gieuses, dans le culte et dans la médecine des Iraniens. 1. Les plantes dans les légendes religieuses. 2. Les plantes dans le culte. Le haoma. 3. Les plantes dans la médecine. LIVRE SECOND LES PLANTES CHEZ LES HINDOUS CHAPITRE PREMIER. — La flore et les habitants de l’Inde ancienne. < 1. La flore de l’Inde. a. Configuration du sol et climat. b. Caractères et types principaux de la flore hindoue. £ c. Plantes alimentaires ét industrielles . Habitants de l’Inde. s a. Les populations dravidiennes et aryennes. b. Conquêtes dans l’Inde de Dariusetd’Alexandre,, c. La flore de l’Inde d’après les écrivains grecs. CHapiTRE Il. — Les plantes dans l’agriculture et l’hor- ticulture des Hindous.. 1. L'agriculture hindoue. x a. Culture des céréales, des plantes potagères et des condiments... à b. Culture des plantes oléagineusesettinctoriales. e. Culture des textiles. è Les arbres fruitiers. . Les plantes d'agrément et les jardins. CuaapiTRE HE. — Les plantes dans l'alimentation et dans l'industrie des Hindous. 4: + PTE dans l'alimentation. k Aliments végétaux, coidients et ASE : . Vins et boissons rene ce. Huiles alimentaires. . d. Plantes fourragères. Fe plantes industrielles. : . Plantes tinctoriales et janifêres. F Textiles et plantes de vannerie. . c. Bois de construction. 2 d. Plantes dans la toilette et parfums. 12 142 154 162 183 183 183 197 2926 230 230 233 23% 239 239 232 269 274 278 303 312 312. 312 331 338 340 349 345 392 363 371 _S émil TABLE CHAPITRE IV. — Les plantes dans l’art et dans la poésie. 1. Les plantes dans l'art. APN D: SAS a. L'architecture. . b. La sculpture et l'ornementation. ï c. La peinture, les monnaies, l’orfèvrerie et la poterie. 2-s05es Mer dans la poésie... : ; . Les plantes dans les descriptions poétiques. À Allégories et métaphores empruntées au monde végétal. . CHapiTRE V. — Les plantes dans les légendes religieuses et dans le culte.. 1. Les plantes dans les légendes religieuses. a. La cosmogonie et la théogonie hindoue. b. Légendes divines des plantes. 2. Les plantes dans le culte. a. Les plantes et le culte privé et public. b. Le soma. Ne a Ve LR EE US 3. Culte des plantes. CHa RE VI. — Les rs dans la magie et dans la médecine. . Les plantes dans la magie. : Les plantes dans la médécine. a La médecine magique. | ?: Origine de la médecine proprement dite. Les traités médicaux. À Remèdes végétaux empruntés à la flore de l'Inde par les Perses, les Grecs et les Romains. . JORET. — Les Plantes dans l'antiquité. IT. — 42 O1 O1 ON ON HE HR D Ut © D © NI SI SJ] © © = J © D ND Qt ee) [ LES ae (74 < ! Te 1 RAGE: AT SAN LiTUU ji 0000 4