En (4% / PES f : | g ) f 12 l'E =) SAR f POISSONS D'EAU DOUCE EE CANADA" A.-N. MONTPETIT La mer doit un jour nourrir la terre. DE LA BLANCHÈRE. | MONTRÉAL C.-0. BEAUCHEMIN & FILS, LIBRAIRES-IMPRIMEURS 256 et 258, rue Saint-Paul 1897 F4 LES 2 POISSONS D'EAU DOUCE A.-N. MONTPETIT La mer doit un jour nourrir la terre. DE LA BLANCHÈRE. MONTRÉAL C.-0. BEAUCHEMIN & FILS, LIBRAIRES-IMPRIMEURS 256 et 258, rue Saint-Paul 1897 Enregistré conformément à l’acte du parlement du Canada, en l’année mil huit cent quatre-vingt-dix-sept, par A.-N. MonrrETIT, au bureau du ministre de l’ Agriculture. PRÉFACE C’est à Beauharnoiïs, dans les eaux d’un ruisseau qui sépare le Buisson des Cascades, que je jetai ma première ligne, formée d’une aiguillée de fil de chanvre, armée d’un hameçon d’épingle, et attachée à une branche de troène. Lorsque je rapportai, au soleil couchant, trois ablettes et un vairon dans ma petite chaudière, le fils du roi n’était pas plus fier que moi. Ce jour-là compte parmi les plus beaux jours de ma vie. Je n’avais que cinq ans, et cependant ma vocation de pêcheur à la ligne date de cet âge-là. Entre Beau- harnoiïs, Saint-Timothée, les Cèdres, le Coteau et Valleyfeld, il y a de fort beaux endroits de pêche. Il ne manque pas de grèves sablées, en pente douce, où l’on seine ; ni de courants où l’anguille périt sous le dard du nigog ; ni d’anses où on l’enlève à la vermée ; encore moins d’eaux profondes où on la pêche à la ligne dormante. Au Buisson, des pêcheurs hardis, à la lueur d’un flambeau de cèdre, une gafte de dix- huit pieds de longueur dans les mains, marchant jusqu’à mi-corps dans des vagues à fond noir, à crète blanche, harponnent cruellement des esturgeons énormes émergeant de l’eau en se tordant et montrant leur ventre, blanc comme une peau d’homme, déchiré par une plaie sanglante ; mais toutes ces manières de capturer le poisson, pour profitables qu’elles puissent être, n’en sont pas moins hideuses. Ce n’est pas de la pêche, c’est de la tuerie. J'aurais pu me laisser aller, comme bien d’autres, à l'entraînement de cet exercice brutal, lorsque jy échappai, grâce à Dieu, par Pexemple de notre vieux voisin, Fanfan Brossoit, qui n’eut jamais son égal comme chasseur et comme pêcheur à la ligne. VI PRÉFACE Ours et renard, Outarde, huard, avaient mauvais jeu contre lui. À l’époque de la débâcle des glaces, s’il apercevait au large, dansles rapides, la tête fauve d’un loup marin, il bourrait sa pipe, au pouce, lallumait, puis décrochant son fusil pendu à la cloison, il filait d’un bon pas vers le Buisson, où le loup marin devait fatalement se diriger. Vingt minutes s'étaient à peine écoulées depuis son départ qu’un coup de fusil annonçait la mort inévitable du malheureux pennipède. Comme pêcheur, le père Fanfan connaissait tous les caillous, toutes les battures, toutes les talles d'herbes, de jones où pouvaient se cacher le doré, l’achigan et le brochet pour y guetter leur proie, et dès qu’il se donnait la peine de les relancer, on était sûr qu’il en faisait des razzias irrémissibles. Un maskinongé s’aventurait-il dans l’anse du Buisson, odeur de melon lui révélant sa présence, il allait droit à lui et le rapportait triomphalement dans son canot. Il n’en fallait pas plus pour gagner mon admiration et mettre les exploits du père Fanfan au-dessus de ceux de Joe Montferrant, qui représentait alors pour moi le plus grand homme du Canada. En somme, je n’eus que de faibles efforts à faire pour entrer dans la carrière de pêcheur à la ligne qui m'était ouverte par une main aussi habile, commandant d'autorité au succès. Au for de ma conscience, peut-être devrais-je avouer que jy étais naturellement poussé. Heureux celui qui naît avec le goût de la pêche! Il a devant lui des jouissances douces, des plaisirs faciles, qui lui coûteront peu, lui profiteront souvent beaucoup, sans lui laisser ni remords ni regrets. Pour peu qu’il soit observateur, il recueillera en s'amusant des leçons puisées aux sources vraies de la Nature. Tout le temps de la pêche, Pesprit cherche, analyse, compare ou médite. Ce monde mystérieux des eaux, tantôt sombre et silencieux, profond et marmoréen, tantôt agité, murmurant et rugissant comme l’ouragan, comme le tonnerre, tantôt limpide et transparent comme le plus pur cristal, offre tour à tour à l’imagination et à l'œil des contrastes PRÉFACE VII saisissants de poésie,des tableaux charmants, des paysages pittoresques, Si vous êtes deux ou trois amis À partager ces heures délicieuses d'étude, d'attention, de soins intéressés, vous n’avez qu’à vous laisser vivre pour être éminemment heureux. Chacune de vos captures, en agitant votre ligne, à communiqué à votre cœur un mouvement de joie : vous ferrez et le coup tient ; dès lors le monde entier, pour vous, est attaché au bout d’un fil. Est-ce une perche, un chevesne, une truite qui va là? On l’ignore. Vos compagnons suivent avec intérêt les évolutions que le captif imprime à la ligne, les ronds, les barres, les zigzags qu’elle trace à la surface. Vous tenez ferme, vous approchez votre proie du bout de votre canne à pèche, en supputant son poids par la résistance qu’elle offre ; la voici dans la couche éclairée de l’eau ; c’est une truite, et une truite de belle taille encore ! — Attention !... Prends garde de la manquer !... disent les compagnons, avec un peu d’amertume jalouse dans l’avis ou l’encou- ragement. Car, il n’est pas de satisfaction moins partagée que celle d’un coup de ligne heureux, comme il n’est pas de condoléances moins sincères que celles que lon donne et prodigue À un coup manqué. La ri- valité est l’un des attraits de la pêche à la ligne, et son principal stimu- lant : la taquinerie, la moquerie, la gouaillerie sont l’assaisonnement, le gros sel indispensable de ce plaisir pris en commun. Il n’y a que le pêcheur solitaire qui en connaisse la jouissance pure, exempte d’envie. Pour être moins éclatants, ses succès n’en sont pas moins méritoires. Après deux ou trois bonds, quelques écarts, plusieurs plongeons, la truite épuisée se rend : la voici près de l’embarcation. Vite l’épui- sette ! Un compagnon avance la pochette en mailles, assez gauchement, et enfin, la truite roule pantelante au fond de lembarcation. L'un d’eux la palpe, l’autre la mesure de l'œil, la compare avec une autre déjà prise, ou rappelle qu'il en a pris une plus grosse À tel ou tel en- droit ; puis, le silence se rétablit jusqu’à la prochaine aubaine. Voilà pour les pièces de haute ligne, les luttes en règle, les grands combats ; mais il va sans dire que le menu fretin ne reçoit pas les mêmes honneurs. Il passe du fond de Peau au fond du panier sans laisser plus de traces dans l'esprit des pêcheurs qu'il en a laissé dans VIII PRÉFACE l'élément auquel il a été pourtant violemment arraché. N’en est-il pas ainsi de la disparition des petits parmi nous? Une plainte, un eri, une prière, un trou, une pelletée de terre, puis une larme peut-être, et tout est fini. Il fut un temps, qui n’est pas encore fort éloigné, où le titre de pêcheur, dans le district de Montréal, était l’équivalent de celui de paresseux. On ne disait pas un pêcheur, mais un poissonnier. La corporation des habitants (1) était alors toute-puissante. Pour avoir du mérite il fallait savoir manier avant tout la hache et la charrue. Les . 7 LE OURS ' "* = CS Vo Pop OnN ; cu pi AE ar EDR : Ê L AV TR œ TETE 72 _ AN 2 ul LES | 'ATTEE LRU. PL1n ; “ER à <- EN _ L L PL d'Er AT TO TA DNS TS a: PL .. oi, | | ; PR VE PRRIC FR nl | | COR | = LT Fs a ur PL: | CNT © LA. : h At L : - E 0] F4) | LEE Uni nm re LE L 2. dl ds L . L : LE : e | = te : > DS" RE 2 “AIRE n P (a Ni : A: De. C RES : 2” PT al _, DE, 16 7 Th A Lie M'A RDA PC RATE nn ri ." 4 rh MN L a er 0 ’ nn di tam PLIS _ A he Te LA n % : PRE RER CES re À RÉNRORRE CT LE CA Fate” 2 1e U 4 er | m Us NUE sy) Le do" [ A ee L Lrr” +. A CL u. > HS 1 RATE TS Fee ERA e LAN : L LE E L L L SALES on cn Re | à Ë = SC AU NE re a. 2er LP | L a” L L 1 L - MR RSR ET 7 LR OLIS L [a AE PL rs | +, ne L LAURE L PO AMIPEUS rs : mio? EL v : + = * L È «u CR me LE : RE Le : £ ri _ L ur LOUE ee” DRE S IT CT . % : . : N L ) ni Le r Le L v : L CAS * È , : . : Tr ae : n< LUE 7 br: L - U h e x 1 LE | = S Là : . e > D. | : M » LU h ee ee 142 LES POISSONS KY ù NS NX QE a IL (ll CPE | > > SL SSSR é] > FX < [ ji Nil (r Anal £ (|| EE White Bass (Roccus chrysops ). BLANC.—1T'he BARS L LE BARS BLANC 143 LEMBARSNBEANC Roceus Chrysops. - The White Bass. Ce poisson, autrefois très nombreux dans nos grands lacs d’Ontario, a perdu toute importance commerciale et finira par disparaître complète- ment, comme le salmo salur est disparu, comme s’en vont l’esturgeon et le doré par suite d’une pêche à tout prendre, tant au filet qu’à la seine. C’est un beau poisson d’eau douce, allié au bars, arrivant au poids de une à trois livres. Si les pêcheurs à la ligne le regrettent pour sa vail- lance, les pêcheurs par état se réjouissent de sa disparition, parce qu'il était un terrible destructeur d'œufs de poisson blanc. Ce serrannidé d’eau douce doit son nom et sa classification à Rati- nesque : et c’est le professeur Gill qui en a donné la description suivante : “Dos argenté, teinté d'or au-dessous de la ligne latérale, avec des rougeurs au-dessus ; flancs assombris longitudinalement par cinq ou six lignes brunes au-dessus de la ligne latérale, dont une d'elles est traversée par cette dernière ligne et par un nombre variable de pareilles ombres au-dessous de la ligne latérale; transposées d’un sujet à un autre et fort capricieusement distribuées. La ligne dorsale fortement recourbée : l'axe du corps au-dessous du milieu de sa hauteur; tête conique, légèrement déprimée aux joues, bouche petite, presque horizontale ; yeux grands, mesurant de bien près, en diamètre, la longueur du museau.” Familier de la région des grands lacs, de la vallée du Mississipi et des territoires du nord, le bars blanc de taille moyenne offre un beau coup de ligne au pêcheur amateur. Il ne donne pas la fortune, mais il procure le plaisir. Sa pêche est très recherchée par les sportsmen qui fréquentent le lac Pepin. Il n'y a aucun doute que le bars blanc est le poisson connu en France où il a été acclimaté et propagé de 1877 à 1879, par M. Cabronnier, sous le nom de bars blanc du Canada. Il nous quitte pour aller vivre là- bas ; puisse-t-il y perdre les défauts que nous lui reprochons et conserver les qualités que nous lui reconnaissons. On n’est pas plus brillant, mais aussi on n'est pas plus brigand. ou LCL TS : Din) US TR hi : he ie: Mai L - | L ll & . LU _ P > + ] l il LI : 1 : Ps 7 | ï Ù t x pa L . 7 | “ à _ " 4 & | 12 | 1 " h W” ?” AA: | % 1 a * : ni ra { M À É N f # | | ù ‘= a l | ES L Î L L x ù # : \ 1 À { ns 1 ; } E Lo L J { l # û L i ñ 1 La x “4 ri | 4 L « î (] * L L 1 j L | A APARCT ET | AAUNEDE NL FETES | \ AC v't uv (l ï à ï : L'APRON 145 PAPE OIN Aspro vulgaris, Apre, Sorcier (France) — Garrocher, Rase- vase (Canada. — Alvordius Aspro (Etats-Unis). C’est un de nos plus petits poissons de rivière, de la famille des percidés, que l’on retrouve dans presque tous les cours d’eau et ruisseaux du bassin du fleuve Saint-Laurent, depuis Montréal jusqu'aux grands lacs. Il se rapproche beaucoup de la perchaude par son aspect général, par le goût de sa chair, par les yeux et la rugosité des écailles, qui lui ont valu son nom d’apron ou d’apre ; il en diffère par la couleur de sa robe moins brillante, d’un gris sale, avec trois marbrures noirâtres Fi. 30. — L’'APRON COMMUN ( Aspro vulgaris.) partant du dos et descendant obliquement sur les flancs pour s'arrêter à la région ventrale, par la forme particulière de sa tête, large, un peu aplatie, écailleuse, à museau lisse et obtus, par sa bouche en retraite et en dessous, par son corps plus allongé, fusiforme par des nageoires d'une forme particulière qui surprend au premier coup d'œil. Les dorsales sont peu élevées et peu étendues ; la première, composée de neuf rayons épineux dont les plus longs occupent le milieu, décrit une courbe assez régulière ; la seconde, supportée par treize rayons, forme 10 146 LES POISSONS une ligne irrégulière dans toute son étendue ; les nageoires pectorales sont ovalaires ; les ventrales, très longues ; enfin, la caudale est taillée en forme de croissant. Chez l’apron, les ovaires sont régulièrement développés et les œufs ont une grosseur supérieure à ceux de la perche, malgré sa petite taille qui atteint rarement huit pouces de longueur. L'apron mord aux vers et aux insectes, en eau trouble aussi bien qu'en eau claire. Enfant, je lai pêché avec succès au moyen d'un fil armé d'une épingle recourbée. Capricieux, il mord à ses heures ; il s’'avance par saccades vers l’esche qui le tente, s’en tient à une certaine distance ; mais si vous faites mine de la retirer, il s’en rapproche d'un mouvement rapide, et quelquefois la saisit et la secoue violemment. Dès qu'il est enferré 1l n'oppose aucune résistance. D’après la description que fait Blanchard de ce petit poisson, l'apron de France et celui du Canada ne diffèrent aucunement entre eux. “L'apron se tient, dit-il, au fond de l’eau et ne nage guère en pleine rivière que par les mauvais temps, lorsque soufflent les vents du nord et de l’ouest, alors que les autres poissons se retirent dans les profondeurs. Cette circonstance a amené les pêcheurs de plusieurs localités à regarder l’apron comme le poisson maudit et ils s’en sont vengés en l'appelant le sorcier.” La raison de la malchance des pêcheurs en ces cas-là était facilement explicable, puisqu'ils ne prennent dans leurs filets que les poissons voyageurs ou en maraude, et qu'en ces jours venteux les gros poissons se retirent dans les bas-fonds comme de bons bourgeois en temps d'orage restent au coin du feu, et que seuls les pauvres aprons, à l'instar de mendiants que la faim presse, ont le courage de se mettre en route. Au-dessus de Montréal, on désigne l’apron sous le nom de garrocher parce qu'il vit dans des endroits caïllouteux. Au-dessous de Québec, on le prend assez souvent pour un brocheton, avee lequel pourtant il n’a pas le moindre point de ressemblance ; d’autres en font un doré: enfin, sur l'Ottawa, on l'appelle rase-vase à cause de son habitude de se tenir au fond de l’eau. LE CHABOT 147 FAMILLE DES COTTIDÉS LE CHABOT Chabot de rivière. — Bull-head, Miller’s Thumb (Angleterre). — Koppe, Koppen, Groppe, Kaulkop Allemagne). — Nessore (Italie). Voici un poisson petit en naissant, ce qui est naturel, petit en gran- dissant, ce qui paraît paradoxal, petit en sa plus forte taille, tant vaillant qu'il soit, sans être pour cela un poisson nain, Car, à quatre pouces de longueur, il passe pour un géant dans son espèce. On le connaît si bien en Europe et en Asie qu'on en a fait des portraits séduisants, qui nous le montrent en chair rose, croquée par des dents de perles. Si vous ne me croyez pas, vous n'avez qu'à lire; c’est de Locard qui parle : “ La chair du chabot est rouge, comme saumonée, d'excellente qualité ; à cause de sa petitesse, on ne peut le manger que frit, après l'avoir débarrassé de sa grosse tête; il vaut alors au moins autant que le meilleur goujon. On s’en sert souvent comme amorce vive pour pêcher le brochet, la perche, la truite qui en sont très friands.” Gessner nous dit: “ Le chabot a la chair saine, bonne et agréable au goût ;. on apprécie ceux qui vivent, dans les eaux courantes.” Brehm vient à son tour: “ Le chabot, dit-il, est peu recherché comme aliment, sans doute à cause de sa faible taille ; sa chair qui, en cuisant, prend une couleur saumonée, n’est cependant pas à dédaigner.” Un autre nous parle dans le même sens, par les lignes qui suivent : “ Le chabot est peu recherché comme aliment, sans doute à cause de sa petite taille ; car la qualité de sa chair, d’après un avis assez général, pourrait lui mériter quelque considération. Cette chair, devenant par la cuisson rouge comme celle du saumon, à un aspect fort appétissant.” 148 LES POISSONS Notre vieil ichtyoloc'iste, t,s'expri s termes au su] “ Not l'ichtyologiste, Rondelet, s'exprime en ces termes au sujet des chabots : “Ils ont la chair molle, assez bonne au goût et qui n’est pas à mépriser.” Dans les Alpes-Maritimes, on est loin de la dédaigner. ce Rissot rapporte que “ce poisson, dont la chair est agréable, fournit un mets délicat aux habitants des montagnes.” On pratique la pêche du chabot en divers endroits (en Europe, bien entendu), mais c’est le plus ordinairement dans le but de se servir de ce poisson pour prendre les anguilles. Les pêcheurs, en effet, assurent que les anguilles donnent la préférence aux chabots, après les goujons, sur tous les autres appâts. “ Le marché de Munich est très souvent approvisionné de chabots, dit M. de Siebold, à la grande satisfaction des pêcheurs d’anguilles.” C’est comme esche et comme appât que je donne ici place à cet infiniment petit poisson qui ne deviendra jamais grand, mais qui peut aider considérablement à nourrir, attirer, surprendre et capturer de forts et grands poissons. Personne n’en à mieux parlé que Emile Blanchard, dans son livre Les Merveilles de la nature, lorsqu'il écrit : “Ce petit poisson, qui, dans ses plus belles proportions, ne dépasse guère la taille de 0", 12 à 0", 14, est commun à peu près dans tous les cours d’eau vive dont le fond est parsemé de pierres et de gravier. Sa forme étrange, due principalement à la grosseur énorme de sa tête; sa peau nue, molle, un peu visqueuse; la couleur grisâtre de son corps, élégamment rehaussée de bandes et de taches irrégulières un brun foncé ; ses nageoires marquées d'annulations de cette dernière nuance, lui donnent un aspect particulier et le signalent à l'attention. “Le volume de la tête étant ici le caractère le plus frappant du poisson, les dénominations vulgaires rappellent pour la plupart ce caractère. Le nom de chapot ou de cabot remet en mémoire notre vieux mot français caboche, mais les altérations manquent rarement de modifier les noms, au point même de masquer leur origine.” Depuis sa forte tête aplatie à la crapaudine, jusqu'à la queue, le corps du chabot s’amincit graduellement, et gracieusement pourrait-on dire, par la régularité de lignes frappées dans le contour de nuances et de couleurs harmonieusement diversifiées et ménagées ; par les nageoïres pectorales, dorsales et caudale tissées à la façon de fines dentelles, ressemblant à des ailes d'oiseau, gazées parfois comme des aïles de libellule. Tout petit qu'il soit, le chabot est pourvu d’une large bouche, et ses mächoires sont tapissées de dents en velours rangées en bandes vers l’'abime d’un gosier insatiable. L'opercule lisse armé d’une pointe plate cachée sous la peau, comme un poignard dans sa gaine, est un faible moyen de défense contre ses puissants ennemis. Aussi a-t-il recours à LE CHABOT 149 ses nageoires plutôt qu'à ses armes pour se protéger, en échappant à la mort par la fuite. Je reviens à Blanchard. “ La peau du chabot, dit-il, est absolument ) 12 = , . - a1% nue. Elle n’a pas d'écailles; elle n’en à aucun vestige. Sur la ligne latérale, et même sur l’opercule, on aperçoit, avec un peu d'attention, de très petits tubercules mous et blanchâtres. En examinant ces tubercules, à l’aide d’un grossissement, on constate sans peine qu'ils sont percés à leur sommet d’un petit trou. C’est par ce trou que s'échappe la mucosité dont se couvre le poisson, dont il englue les doigts lorsqu'on vient à le prendre. “ Plusieurs traits de l’organisation interne du chabot méritent d’être notés. Chez ce poisson, il n’y à point de vessie natatoire ; ce petit appa- Q A Ph 2 l 1e l ŒYOTTz , Q , Q reil eût été probablement sans utilité pour l'animal assez sédentaire, habitant toujours des eaux peu profondes. L'estomac consiste en un sac arrondi, dont la capacité est parfaitement en rapport avec la large bouche : le pylore est accompagné de quatre eœcums ; l’intestin est deux Fic. 31. — CHABOT COMMUN ou DE RIVIÈRE. fois replié sur lui-même, par conséquent, d’une assez grande longueur : le foie, qui est volumineux et d’une teinte rouge foncé, occupe le eûté gauche. Les ovaires, plus ou moins découpés en manière de lobes, suivant leur degré de plénitude, ont leur tunique noirâtre comme celle des laitances ;: leur volume étant énorme lorsque les œufs sont parvenus à maturité, le ventre de l'animal se trouve distendu au point de prendre l'aspect d’une difformité. La colonne vertébrale est composée de trente- deux vertèbres: dix abdominales, vingt-deux caudales. 150 LES POISSONS Dans sa distribution géographique le chabot se trouve en Europe, en Sibérie, au Groënland, aux États-Unis, au Canada. Après un long et minutieux examen de ce poisson dans toute l'étendue de l’Europe, M. Blanchard en est arrivé “à la certitude absolue qu'il n'existe qu’une seule espèce de chabot, qu’il n’y aucune différence plus notable entre les individus des départements les plus éloignés qu'entre les individus nés dans le même ruisseau, pour la France, et il ajoute: “Un zoologiste de l'Allemagne, M. Jeilleles, a fait récemment une étude comparative des espèces de cottus d'Europe et d'Amérique, et il a parfaitement reconnu que les variations dans les proportions des nageoires, dans les divisions de leurs rayons, dans l’écartement des yeux, etc., étaient de simples différences individuelles.” Passons en Amérique : Dans le volume XVI de l’admirable rapport du U. $S. National Museum, je lis la description suivante de la famille des cottidés améri- cains, dont Blanchard paraît soupçonner à peine vaguement l’existencee : “ Corps graduellement amine, fusiforme ou comprimé, de la tête Jusqu'à la queue ; tête généralement large et déprimée; les yeux sont au-dessus de la tête, et le nom du poisson veut dire en grec # regarde le ciel ; dents uniformes rangées en bandes surles mâchoires, et garnissant le vomer et les os palatins; corps nu et parfois recouvert d'écailles et de tubercules ou de plaques osseuses, mais jamais uniformément habillé ; une légère dépression dans la nageoire dorsale ; ligne latérale simple, presque droite ; caudale échancrée à pointes arrondies ; cœcums pylo- riques peu nombreux ; absence de vessie natatoire. On compte en Amérique environ 40 genres et plus de 150 espèces de chabots habitant principalement les eaux riveraines du nord : un grand nombre de ces espèces se trouvent dans les eaux douces. Dans son ensemble, le groupe comprend une variété considérable de formes, fort difficiles à définir, vu qu'elles touchent aux liparidedæ, d’un côté, et aux scorpénidés, de l’autre côté.” Le chabot est peu connu dans la province de Québec. Je n’en ai pêché qu'une seule espèce — dans la rivière Saint-Charles — que je classe parmi les wranidés Richardson (Agassiz) ou Miller’s Thumb, Bloch ; Muffle-janv : bull-head, décrits comme suit par Jordan et Gilbert : “ De couleur olivâtre, plus ou moins moucheté de taches plus sombres ; nageoires barrées ou picotées:; corps rond ou fusiforme s’amincissant graduellement de la tête à la queue ; crâne quelque peu déprimé, l’in- teropercule marqué d’un léger sillon ; le préopercule un peu courbé armé d’uneépine aiguë, recourbée et dressée en biais, presque entièrement cachée dans la peau; le sous-opercule porte une plus forte épine, la pointe en avant. La peau est unie, sauf dans la région en arrière des LE CHABOT 151 pectorales, qui est parfois garnie de très petits aiguillons, mais qu'on ne trouve pas toujours ; ligne latérale bien marquée, continue ou inter- rompue vers la queue ; nageoires pectorales grandes, égalant presque la tête en longueur, s'étendant jasqu'au delà de l'origine de la dorsale adipeuse ; ventrales de moyenne grandeur; habite les États du nord et du centre, très nombreux dans les ruisseaux et les lacs ferrés : prolonge son domaine au sud, le long des Alleghanys jusqu’à l'Alabama.” On voit par là que nos auteurs américains différent sensiblement avec les naturalistes d'Europe, au sujet du nombre d’espèces et de variétés du chabot. Ce poisson, comme tout poisson sédentaire, offre des nuances particulières dans chaque lac et chaque ruisseeu. Le docteur Girard à constaté un grand nombre de formes nouvelles de chabots, qu'il a étiquetées sous des noms divers, et a fini par se lasser à la tâche, en face de trop multiples transformations. Ce qu'il en reste dans le vague d’insaisissables que l’avenir triera, c’est le secret de la Nature. Sur la foi de pêcheurs expérimentés Heckel rapporte ce qui suit: “ A l’époque du frai, en avril et mai, le mâle se rend dans un trou qu'il a creusé entre des pierres et défend cette retraite avec le plus grand courage contre tous ceux qui font mine de vouloir s’en approcher; si un poisson, quand bien même il serait de sa propre espèce, s'approche . du nid, le chabot se précipite sur lui avec une extrême fureur, et le combat peut durer longtemps ; pendant ces luttes on trouve souvent des chabots qui tiennent dans leur vaste gueule la tête de leur adversaire sans pouvoir l’avaler. Lorsqu'il voit une femelle, le mâle l'invite à venir déposer ses œufs dans le trou creusé par lui, après quoi la femelle poursuit son chemin. Alors le mâle se fait le gardien des œufs pendant quatre ou cinq semaines, il ne les quitte que pour prendre sa nourriture. Son ardeur est aussi remarquable que sa persévérance ; il mord le bâton ou la baguette avec laquelle on veut le chasser, et se laisse tuer plutôt que d'abandonner la place.” Il est des gens qui croient que le chabot est trop intelligent pour mordre à l’hameçon. Blanchard lui-même semble partager cette opinion, tout en lui prêtant un appétit vorace, lorsqu'il écrit: “ Les insectes, et particulièrement ceux d’un certain volume, comme les larves de dytiques, d'hydrophiles, de libellules, forment son alimentation habituelle; mais le chabot n’est pas le moins du monde exclusif dans ses goûts. S'il est vrai, ainsi qu'on le répète dans la plupart des ouvrages, qu'il se nourrit d'insectes, de frai de grenouille, etc., il s'empare aussi très bien de poissons dont la taille est peu inférieure à la sienne. J’ai vu plus d’une fois des chabots dont l'estomac était rempli et fort distendu par un assez gros vairon, et même par un goujon.” Je suis plutôt de l'avis de la Blanchère, qui dit : “ Rien n'est plus facile 152 LES POISSONS que de prendre le chabot à la ligne; le moindre petit morceau de ver rouge suflit pour cela; mais dans les ruisseaux des montagnes où il existe parfois en grande quantité, le meilleur mode de pêche consiste à barrer le cours d’eau avec un filet, et à remonter le courant en remuant avec des branchages les pierres du fond; délogé de son embuscade le petit poisson vient se réfugier dans le filet. On le prend encore à la fourchette. “Tous les enfants ont fait cette pêche dans les ruisseaux à eaux vives et peu profondes. Elle consiste à emmancher une vieille four- chette de fer au bout d’un petit bâton, à affiler les dents de la fourchette sur une pierre, puis ce trident improvisé à la main, à entrer dans l’eau jusqu'aux genoux. Les jeunes pêcheurs se mettent en higne en remontant doucement le fil de l’eau, et chacun devant soi retourne les petites pierres. Un chabot jaillit comme une flèche, mais 1l s’est remis sous une pierre voisine; l'enfant voit une large tête, deux gros yeux dépassent la pierre... un coup de fouchette traverse le monstre, qui vient en gigotant tenir compagnie à quelques douzaines d’autres destinés à une friture ou à garnir les lignes de fond que le père des petits pêcheurs veut tendre le soir.” Après être passé inaperçu au Canada, pendant des années, des siècles même, le chabot prendra rang parmi nos poissons utiles, dès que nous pratiquerons la pisciculture en grand, ce qui ne saurait tarder, avec l'énergie qui s’'accuse dans le sens de cette industrie comparativement nouvelle. Pour engraisser des bestiaux, nous avons recours aux grains, aux céréales, aux lévumes, aux plantes fourragères; de même pour nourrir et engraisser des poissons il nous faut de la chair, beaucoup de chair, du sang, des entrailles d'animaux, et du menu fretin, de la blan- chaille, des insectes de tout genre, des fruits, des plantes aquatiques, que sais-Je encore ? Aussi, vous dis-je que du jour peu éloigné où nous ferons l'élevage du poisson en grand dans notre parc national, dans les cantons de l'Est, au Labrador et dans la presqu'île gaspésienne, le chabot prendra une importance assez appréciable pour me faire pardonner alors de l'avoir présenté à des lecteurs qui le jugent peut-être présentement indigne de leur attention. LE MALACHIGAN 153 LE MALACHIGAN The Manashiganny (Jordan) — Pogonias faseiatus (Lacépède). J'ai vu souvent des malachigans morts, sur le marché d'Ottawa, au fond d’embarcations de pêcheurs, j'en ai vu de vingt-cinq à trente livres : mais une seule fois 1l m'est arrivé d’assiter à la capture de l’un de ces poissons, et j'en ai trouvé l'exercice assez mouvementé pour qu'il vaille la peine d'en faire la description. C'était en 1894, à Papineauville, joli village bâti sur une des nombreuses indentures qui frangent le bas de l’'Ottawa, le pied dans des sables mouvants, le corps allongé sur une colline, la tête reposant sur un oreiller de rochers ombragés de pins séculaires. Fic. 32. — LE MALACHIGAN ou Maleshegan. Passant l'été en famille à cet endroit, j'y avais donné rendez-vous de pêche à deux amateurs renforcés, deux vieux amis, le cœur sur la main et plein la main, Joseph Marmette, romancier, et Alphonse Benoît, du ministère de La milice, et pour cela peut-être, le plus pacifique, le plus aimable des hommes. Ils arrivèrent tous deux le 24 mai, le jour de la fête de la reine, sous un soleil fondant du plomb, ce qui ne nous empêcha pas de nous atteler aux rames pour gagner le fond de la baie, un trajet de plus de trois milles en eau morte, un travail de forçat, vrai, vous dis-je ! 154 LES POISSONS Qui connaît le nombre des anses, baies, raccrocs, bouches de ruisseaux, noues, boires, décharges, rigoles aboutissant à l’'Ottawa, de chenaux cer- clant des îlots, compris entre Thurso et Papineauville ? Il est aussi incal- culable qu'indescriptible, dans les grandes eaux du printemps. Presque tous ces rivages, ces indentures sont bordés d'arbres touffus, à basses branches chargées d'insectes aériens, pendant qu'au fond des eaux four- millent les insectes aquatiques, dans les algues, les ajones, les fucus, tapis soyeux des ondines aux yeux de perle, aux épaules de cristal, à cheve- lure d'émeraude. C’est dans ces retraites sereines, remplies d'ombre et de mystère, que le menu fretin, le prolétaire des poissons, va cacher ses amours, reproduire ses espèces, le plus loin possible des grands rava- geurs, le brochet, le doré, l’achigan, l’anguille et tant d’autres non moins dévorants. Les plus soigneux de leurs cachettes sont les poissons blancs, compre- nant les cyprins, les ablettes que nous appelons, comme masse, les minnuces (minnves des Anglais), ou la blanchaille, les poissons tendres, le pain quotidien du poisson franc, l'honneur de nos plats les plus recherchés. À bien y penser, le seul vrai dévorant, dans la création, c'est l’homme. Avec les inondations du printemps, les rives envahies se dessinent en îlots, en presqu'iles, en anses, se découpent en ruisselets improvisés, et le sol voisin désagrégé par capillarité, effrité par un soleil surplombant, laisse choir les nids de lombrics engourdis, des fourmilières endormies, les œufs des sauterelles confiés aux crevasses, en même temps que les torrents, les ruisseaux, les rigoles naturelles ou artificielles charrient les graines des champs, les derniers fruits d’automne, les débris de cha- rognes, grouillants d'asticots soudainement nés ou réveillés. C'est le convoi de l'an dernier qui passe, sur lequel la grenouille entonne le libera, de la même voix qu’elle chantera, ce soir, le retour du printemps. J’allais oublier que nous sommes partis pour la pêche au fond de la “ Petite-Baie,” dans une chaloupe de seize pieds de quille, à bau large, d’assiette sûre, Benoît en avant avec charge de l’ancre dont il est le cabestan naturel — ayant une enfiloire à lui, sous la main — moi, au milieu, préposé aux rames, Marmette, au gouvernail, représenté par un aviron, et. entre lui et moi, une enfiloire enroulée au tôlet, sous ma surveillance spéciale. Et nous pêchons consciencieusement, dans l'espoir, chacun'de nous, d'arriver bon premier, d'emporter le record, d'enlever la timbale. LE MALACHIGAN 155 J'avais des lignes de soie très fortes, toutes neuves, avec des empiles de Florence à double brin, longues au plus de dix pieds, fixées à des bambous de sept ou huit pieds, solides mais manquant d’élasticité. Nos trois lignes étaient, à peu de chose près, exactement les mêmes. Nous pêchions dans sept ou huit pieds d’eau, à cinquante pieds de la rive, au milieu de volets, de nénuphars, et sur le bord d’une prairie sous-marine de queues-de-renards, toujours agitées, même au sein des eaux les plus calmes, attirées qu’elles sont par la lumière et la chaleur des rayons du soleil. L’atmosphère se faisait de plus en plus lourde, et, pour nous rafraichir, nous n'avions que le plaisir d'enlever, à qui plus vite, barbottes, perchaudes, crapets et brochetons que nous enfilions impru- demment dans des cordes communes, tissées sans fil de laiton. À deux ou trois reprises, j'avais dit: “Ces petits jacks-là, avec leur bec de canneton, nous joueront de mauvais tours: d’un coup de dent, ils couperont la corde, et le chapelet s’égrènera au petit bonheur, dans le fouillis des herbes.” On ne m’entendait pas, pas plus qu'on n’entendait les sourds grondements du tonnerre roulant son char sur la crête des Laurentides. L'ambition nous gagnait, nous absorbait tout entiers. Si vous avez Jamais joué une partie de cartes intéressée, une partie de loup, de vingt-et-un, de nain-jaune, de bluff, une partie vive, d’entrain, vous - devez savoir que l'ambition nous pique autant pour un enjeu d’un à cinq sous que pour un enjeu d’une à cinq piastres, une fois que la partie allumée est en pleine incandescence. Il en est ainsi de la pêche. On se prend d'intérêt pour des perchaudes et des barbottes, autant que pour des dorés et des achigans. Viennent des moments où l'on jette les victimes au fond de la chaloupe, pour ne pas perdre de temps à les enfiler : le pauvre poisson a beau se débattre, sauter à sec, taper de la queue, bayer à outrance, implorer pitié de l'œil, rien ne touche le tyran : Ca mord ! I] n’y à que ça. Vers les deux heures de l'après-midi Benoît nous propose de mouiller notre pêche, de prendre une larme et de croquer un sandwich. — C’est une bonne idée, dit Marmette. — J'opine de mon chapeau de paille du pays. — Combien en as-tu dans ton enfiloire ? me demande Benoît. — Je n'en sais rien, mais c’est facile à voir. Sur ce, je tire la corde attachée au tôlet... Plus rien... l’enfiloire est coupée, le poisson est en dérive. — Courons après, dit Marmette, en saisissant l’aviron et me jetant sa ligne encore tendue. Lève l'ancre, Benoît ! — Oui, oui, reprend ce dernier, mais attendez que je rentre ma brochetée ; si nous allions perdre toute notre pêche ce serait moins 156 LES POISSONS qu'amusant... et presque sans respirer, il ajoute tristement, sur un ton navré, qui me résonne dans le dos... “ La mienne aussi !...” — Quoi? qu'y a-t-il ? — Il y a que mon enfiloire est coupée comme la tienne, par ces maudits brochetons, et que nous n'avons qu'à courir après. En un tour de bras, l'ancre est levée, jetée au fond de l’embarcation, et Benoît, debout, inspecte la surface de l’eau, avec âpreté (une si belle pêche !), après m'avoir commandé : “ Rame, Montpetit.” Il n’eût pas été plus solennel, s'il m'eût dit: “ Le pays à les yeux sur toi.” J'allais obéir à cet ordre, lorsqu'une violente secousse fit vibrer ma main droite qui tenait la ligne de Marmette. ‘“ Attendez, ” dis-je, “je sens ici un animal avec lequel il n’y à pas lieu de badiner ; à lui seul il vaut dix fois ceux qui sont en naufrage.” —Passe-moi ma ligne, me dit Marmette. Je la lui passe, et, au premier choc, il sent que la prise mérite tous les soins d’un pêcheur habile. Le poisson prend le large, entrainant la chaloupe et son équipage, sur un fil de soie de dix pieds de longueur dont Marmette, à genoux sur son siège, soulage la tension, à bout de bras, en se penchant jusqu'à plonger le roseau à deux ou trois pieds dans l’eau, pendant que Benoît et moi manœuvrons au meilleur de notre connaissance, pour arriver au COUP. Quel était ce poisson ? À en juger par sa force, qui lui permettait de remorquer une chaloupe chargée de trois hommes, il fallait que ce: fût un poisson monstre, pour les eaux douces, bien entendu. Toujours généreux, Marmette propose : Nous nous éloignons, tout de même, de nos enfiloires. Que diriez-vous de lâcher cet animal inconnu pour aller repêcher nos captures connues ?? —Eh ! va donc, lui répondons-nous, notre honneur est entre tes mains et au fond de l’eau; il s’agit de le tirer de la: tiens ferme, serre de près, en avant! Là-dessus, nous filons sur notre fil de soie, tenu par la main de Marmette, dans une eau calme, sous un ciel de plomb fondu. Quelle espèce de bête peut bien nous mener ainsi ? me disais-je à part moi. Étant enfant, javais vu des maskinongés promener des canots de pêcheur sur le lac Saint-Louis, mais ces poissons vaillants couraient sur l’eau, tournoyaient, bondissaient pour se dégager; tout différent est notre remorqueur mystérieux, qui semble ramper sur le fond, sans vouloir s'en dégager d’une ligne. C’est peut-être un esturgeon de forte taille ? Mais non, un esturgeon aurait donné un ou deux coups de collier, puis impatienté, il eût rompu la ligne d’un coup de queue, et dare ! dare ! du côté de chez nous. Je ne vois vraiment qu'une tortue énorme, colossale, qui puisse nous trainer ainsi sur le fond vaseux de la baie. LE MALACHIGAN 157 J'en étais là de mes hypothèses, lorsque Marmette nous dit à demi-voix : “ Ca cède, ça monte... ça vient... attrape ma ligne, Montpetit. .. bon !? J'avance le bras, je saisis la ligne, et je m'assieds, en tenant toujours la corde raide, et l’attirant à moi: du reste, pas la moindre saccade, pas de secousse, rien que la résistance d’un poids inerte, mais assez lourd pour inspirer des craintes sur la force de la ligne. Je frémis, je tremble, j'ai peur ; l'anxiété de mes deux amis, debout au-dessus de moi, plongeant des yeux avides dans l’eau trouble où l’on n’aperçoit rien, même sous une couche de deux pouces seulement d'épaisseur, me tourmente plus que la mienne propre. Si l'animal allait s'échapper lorsqu'il est pour ainsi dire dans nos mains, après une lutte héroïque, où Marmette a fait preuve de tant de prudence, de patience, de connaissance stratégique, de souplesse, de sang-froid, d'énergie, il ne me resterait plus qu’à me pendre à la place du poisson avec cette ligne de soie, à la façon des étrangleurs indous. Par bonheur, Dieu ne voulut pas pousser l'épreuve jusque-là : je tire la ligne, main sur main, pouce sur pouce ; une tête brune, suivie d'un corps argenté, émerge de l’eau grise; ma main droite est aussi vite rendue dans l'entre-bâillement des ouïes, et, de haute volée, le poisson est enlevé et jeté lourdement au fond de la chaloupe, entre Marmette et moi. Trois soupirs de soulagement s’échappent de nos poitrines angoissées. — Le nom de l'animal ? interroge Marmette. — Son sexe ? poursuit Benoît. — C’est un mâle... Je le crois sans peine, ricane Benoît, après tout le mal qu'il nous a donné. — C'est un malachigan, vous dis-je, un des plus gros poissons de cette rivière, et le plus vigoureux peut-être, comme nous en avons la preuve, Il a lutté jusqu'à la mort pour sa liberté ; il n’a cédé qu'avec son dernier soufle, il est tombé dans la chaloupe comme une masse de plomb, sans un bayement, sans le moindre tressaillement des nageoires. — C’est un vaillant, un brave entre les braves ! s’écrie Marmette, son vainqueur généreux. Je l'ai combattu vivant, je l’admire, mort, sous son armure squamimeuse or et argent; je propose que nous versions une larme sur sa tombe, A l'unanimité ! Revenus de l’éblouissement de cette joûte chevaleresque, nous nous mettons en quête de nos enfiloires, que nous repêchons à cinq ou six arpents de distance, allégées de presque tous les brochetons, de quinze à vingt crapets, d'autant de barbottes, mais en somme, fournissant encore deux grappes d’un aspect aussi respectable qu'appétissant. 158 LES POISSONS Nous essayons de nous remettre à ia pêche, nous n’y prenons que de l'ennui. À l'ombre de notre grand mort, nous ne voyons plus que du menu fretin. Nous ramenons du fond de la Petite-Baïe le corps du Napoléon des poissons des eaux environnantes. Nous avons hâte de jouir de l’ovation qui nous attend de la part des pensionnaires de l’hôtel Chabot. — Allons-nous-en! dit l’un de nous. Le mot est à peine lâché que nous sommes en route : Filez, filez, mon beau navire, Car le bonheur m'attend là-bas. DESCRIPTION DU MALACHIGAN Gris argenté, d’un brun sombre, quelquefois très noir sur le dos, avec des raies obliques sombres biaisant sur les rangées d’écailles latérales. Excessivement adhérentes, les écailles sont plus petites sur le dos que sur les flancs. La seconde épine anale est plus longue que la moitié de la longueur de la tête : le museau un peu bombé se projette en avant de la bouche ; œil très grand. Ce poisson est grouillant de parasites et de trichines qui en rendent la chair malsaine et dangereuse. Entre les grands lacs et le Texas, il arrive au poids de cinquante et soixante livres, sous les dénominations variées de sheepshead, thunder pumper drum, white perch, croaker, gaspergon, jewell's head, à la Louisiane et au Texas ; plus généralement, au nord, sous celles de malashegun ou lake drum, que nous traduisons en canadien-français par malachigan et grondin des lacs, et quelquefois par achigan blanc. Ce poisson est l'unique représentant, en eau douce, de la famille des sciénidées fort répandue et diversifiée en mer, sous les noms de maigres, tambours, lafayettes, roncadores, roncadors, reliés entre eux par des points de ressemblance plus où moins saillants. Ce serait faire une erreur grossière que de confondre le malachigan avec l’achigan mâle (micropterus). Il existe des achigans mâles et des achigans femelles comme il existe des malachigans mâles et des mala- chigans femelles, et ce sont des poissons fort distincts ies uns des autres, par la taille d’abord, par la couleur, la forme, et plus encore par la qualité de la chair, excellente chez les uns, répugnante chez les autres. Chez le malachigan la ligne latérale est parallèle à la ligne supérieure du dos ; toutes les nageoires sont rouges. Par son armure il se rapproche beaucoup du moxostôme doré, et par sa forme, un peu de la brême. Sa LE MALACHIGAN 159 bouche horizontale est dépourvue de dents; inais, en revanche, son pharynx est armé d’un mécanisme redoutable, composé de trois meules garnies de dents mises en opération par des muscles si puissants que leur contraction fait éclater, comme des coquilles d'œuf, les moules les plus fortement retranchées dans leur donjon nacré. Ces os pharyngiens ou meules triangulaires sont disposés, le plus grand en bas ; les deux autres petits, mobiles, s'exhaussent en voûte au-dessus pour livrer passage aux mollusques et se rabattre impitoyablement sur eux en les broyant dès qu'ils y sont engagés. Cet appareil en trois pièces est garni de dents molaires irrégulièrement disposées sur la surface des disques osseux formant corps avec eux, mais s'en dégageant par leur transparence, le châtoiement de l'émail pur, plus encore que par leur saillie. Le malachigan fait mentir le vieux proverbe muet comme un poisson, car il est doué d’une voix qui se fait entendre depuis de grandes profondeurs d'eau; de là, ses noms de thunder pumper ou de lake drum, grondin, tambour des lacs et autres. D’aucuns prétendent qu'il célèbre alors ses amours, d’autres disent qu'il accompagne de ses chants les festins pantagruéliques aux moules auxquels il se livre au fond des eaux. Il se nourrit de mollusques et de crustacés. La meilleure esche pour le pêcher est l’écrevisse : il mord, toutefois, aux vers rouges et au poisson blanc. Ce qui caractérise particulièrement le malachigan, ce sont les os des oreilles ou otholites, d’une grosseur remarquable, se rapprochant beau- coup de l’ivoire par leur texture. Souvent les nègres du Sud les portent en amulettes et ils sont également recherchés par les jeunes amoureux du Wisconsin et autres contrées de l'Ouest, qui les appellent des porte- bonheur, parce qu'ils portent, gravée à leur face, la lettre L (Luck). Le nom de Jewel Head ou Tête-écrin est assurément empruntée à ces os, et, lorsque Jordan proposait de nommer génériquement ÆZutychelitus une espèce de malachigan habitant le lac Huron, il visait à traduire les mots pierres de chance. Il ne manque pas de Canadiens qui attribuent à ces os précieux des vertus curatives dont le nom commence par la lettre gravée sur iceux. Avec un peu de bonne volonté on peut y trouver un $S ou un T, ou telle autre lettre désirée aussi bien qu'une L. De sorte qu'une collection con- sidérable de ces pierres fournirait un arsenal complet contre toutes les maladies connues. De retour de la pêche, le temps de se rafraichir un peu, de prendre une bouchée sur le pouce, de fumer une pipe en épiloguant sur les aven- tures du jour, et l'heure du train pour Ottawa est arrivée. J’accompagne mes deux amis à la gare de Papineauville, à la lueur d’éclairs éblouis- sants, sous les fouets du tonnerre dont le char précipite sa course à 160 LES POISSONS travers les nuages en lambeaux. L'orage qui marchande depuis le matin vient enfin braquer ses batteries au-dessus du village : derrière un nuage sombre dressé comme un mur ecrénelé, le bruit sourd du canon se fait entendre sans interruption. Plus loin, tout un pan du ciel est en feu : c'est l'incendie d’une ville bombardée. Nous arrivons à la gare juste à temps pour nous y abriter contre la pluie. Ce n’est plus un orage, c'est un vrai déluge. Dans une éclaircie, j'allais dire un armistice, arrive le train qui emporte mes amis. Bonsoir ! Au revoir! À bientôt ! LA PETITE-MORUE 161 LA PETIPE-MORUE Le Petit -Poisson de Trois-Rivières (province de Québec). — Tom-Cod, Frost-Fish (États-Unis). —Mierogradus morrhua (Lat.)_—Capelan (en France). — La Loche (Québec). Le petit-poisson appartient à la famille des gades ou des morues, quoique jamais il ne dépasse la longueur d’un pied et le poids d’une livre, Cela se voit au premier aspect par ses trois nageoires dorsales et ses deux anales, communes à cette grande famille des poissons. Cela se voit aussi à la forme de sa tête, de son corps, à sa couleur, à sa ressemblance avec la morue commune, si parfaite que dans le jeune âge de cette dernière il est très difficile de les distinguer les uns des autres. | F1G. 33. — La PETITE-MORUE ou le PETIT-POISSON (province de Québec). — CAPELAN (en France). Ce petit poisson passe presque toute sa vie en eau salée ou saumâtre, côtoyant les rives de l’Atlantique, depuis la Virginie jusqu’au Labrador, d'où il pousse une pointe dans le golfe Saint-Laurent jusqu’au-dessus de la Malbaie, En été, il vit de mollusques, de crabes, d'annélides ; il mord volontiers au ver rouge qu'il dispute aux éperlans, aux plies et aux donzelles. Il sert d’esche pour la capture de la grosse morue, et quel- quefois du bars, quand la surdine fait défaut. Vers la mi-décembre, la 1 » q LL 162 LES POISSONS colonie s’ébranle, prend le large, quitte les eaux saumâtres et remonte processionnellement le fleuve Saint-Laurent. C'est l'heure de la ponte : l'instinct de la reproduction les attire en eau douce, au lieu de leur naïs- sance, pour y déposer leurs œufs. Deçà et delà, ils s’arrêteront quelques jours à l'entrée des cours d’eau, mais le but de leur pèlerinage, leur La Mecque, c'est Trois-Rivières. L'esprit de Benjamin Sulte, toujours en éveil, montant perpétuellement la garde autour de sa ville natale, ne devait pas laisser le petit-poisson dans l'oubli. Dans le Canada du 23 dé- cembre 1890, je trouve l’entrefilet suivant de sa façon, d’une poésie à la fois douce, spirituelle et profonde, avec une apparence captieuse de sans-wêne, de bonhomie, de naturel acquis par la méditation, l’obser- vation qui s'appelle la science. “Il va venir, il vient, il arrive, ponctuel comme toujours, juste cinquante heures avant la messe de minuit. Écoutez la Paix des Trois- Rivières, numéro du 11 de ce mois : “Le petit-poisson vient de passer à Deschambault, en route pour 1 Ï “ Trois-Rivières. Nous attendons son apparition dans le Saint-Maurice “ d’un moment à l’autre.” “Signalé à Deschambault, le 19, notre poisson avait encore soixante milles à parcourir en l’état intéressant où 1l se trouve au milieu de décembre; à ce compte, il n’entrera dans le Saint-Maurice que vers lundi, 22 courant, comme de coutume. “Si l’on ne connaissait aux Trois-Rivières tout ce qui concerne ce petit être tant désiré chaque hiver, j'enverrais le présent article à /« Paix pour la remercier de nous avoir mis l’eau à la bouche. “A Ottawa, la renommée du petit-poisson est assez bien établie, mais son histoire y est à peu près inconnue. Nous choisirons donc le Canada comme voie de publicité. “Cela vous paraît peut-être superflu que j'entre dans des détails, puisque les Canadiens de vieille roche ont depuis longtemps fait l'éloge du petit-poisson. On dit de lui : “ Apprécié de tout le monde. “Venant nous voir au temps des fêtes. “ D'une digestion facile. “ Inoubliable aux estomacs reconnaissants. “ Préfère être cuit à l’étouffée. “ Fréquente de préférence les Trois-Rivières, parce que c’est un pays de gourmets. “Tout cela c’est beaucoup, mais ce n’est pas assez. “Que de fois l'on ma prié d'en parler! Ne me sentant pas à la hauteur du sujet, J'ai reculé Faire une tragédie, des chansons, à la bonne LA PETITE-MORUE 163 heure ! c'est facile rude tâche ! “J’invoque ici, Ô muse ! vos antiques complaisances pour les auteurs mais, décrire le petit-poisson des Trois-Rivières, audacieux. La fortune, dit-on, favorise les braves — regardez-moi d'un œil encourageant, et je tenterai de décrire cette pêche quasi-miraculeuse dont les Trifluviens se donnent le spectacle, entre Noël et les Rois. : Faites, à déesse ! que mon imagination se soumette à la stricte loi de la vérité, afin que personne ne puisse infirmer le téracignage que je vais rendre en faveur des tendres individus que nous accommodons à tant de si bonnes sauces. “Il arrive, ce poisson, avec les réjouissances du jour de l'an. Il à sa place dans l'histoire de nos mœurs et coutumes. Déjà, en 1757, le célèbre Bougainville le mentionnait. S'il ne se fait pas valoir dans la littérature, c'est qu'il est muet comme doit l’être un poisson. À nous de parler de lui ! Que de gens il a régalés qui n'ont jamais songé à faire son éloge, ou même à se demander s'il descendait de noble ou de vulgaire lignée ! Je vous le présente. Tout me porte à croire qu'un aimable commerce s'établira entre vous et lui. “ Suppléons un peu à l’absence de renseignements sur son compte puisque les savants ne l’'étudient pas et que les journaux se contentent d'en annoncer la venue, comme celle de tout nomade intéressant. Une marchandise, disent-ils, et voilà tout....... Les malheureux ! “ L'automne de chaque année, sur les rivages de Rimouski, le petit- poisson arrive de la mer par véritables bancs. Il passe à la Rivière- Ouelle et à la Rivière-du-Loup, comme à la Malbaïe et à la Baïe-Saint- Paul. Dans ces endroits, on le pêche à la ligne. Il s'en égare quelques- uns à travers les barrages construits près de terre pour prendre de plus forts individus. Le groupe principal, l’armée, si vous voulez, continue sa marche en amont du fleuve. “Au mois de décembre, Québec le voit arriver dans ses eaux. Là aussi on le prend à la ligne. Les amateurs ouvrent la couche de glace qui borde le fleuve en cette saison, et y plongent leurs engins. Un par un, le poisson est amené jusqu'à la poêle à frire. “La côte nord du fleuve commence alors à fourmiller de petites bandes, lesquelles se tiennent immédiatement dessous la glace, comme si la fatigue du voyage obligeait ces habiles nageurs à laisser de plus en plus les couches d’en bas, et à flotter sur une eau plus dormante, car il est remarquable que si vous pratiquez un trou dans la glace vous n’y sentez presque pas le courant. “Les riverains du fleuve font une guerre d’extermination à ces visiteurs affriolants, sans se demander quelle contrée les à vus naître, où ils vont, ce qu'ils cherchent. 164 LES POISSONS “A partir de Deschambault, le petit-poisson serre ses rangs, prend le fil de l’eau le plus doux, pousse de l'avant à petites journées, et ne s'écarte pas des “ bordages ” du nord. Les pêcheurs de Batiscan et de Champlain l’attaquent avec des moyens proportionnés à l'abondance de cette récolte. Cependant, il faut aller aux Trois-Rivières pour voir porter les grands coups. “ Une minute de digression, sil vous plait. Je vous demanderai d'où viennent les morues, les harengs, les sardines. “ Chacun sait qu'ils sortent des profondeurs de l'Océan et s’approchent de nos rivages une fois par année. Leurs divers habitats peuvent avoir varié avec les âges géologiques : depuis plusieurs siècles, toutefois, ils n’ont pas changé, et leurs migrations non plus. “Ce qui est certain, c'est le mouvement à longue portée de ces peuplades lointaines, qui, en abordant nos parages, détachent des essaims vers l'embouchure de nos fleuves et de nos rivières lorsqu'arrive le temps du frai. Le développement des œufs dans le corps de l'animal lui fouette le sang. Il se met en devoir de combattre l’apoplexie par l’activité de tout son être. En conséquence, ses œufs seront confiés aux sables d’une plage très éloignée du point de départ. “ Le petit-poisson passe à Terre-Neuve et entre dans le Saint-Laurent, comme Je l'ai dit. Il longe les bords de ce chemin royal. Tant que le flot descend, lui le remonte. Quand la marée repousse le courant, il la suit et se repose, montant toujours. [ra-t-il loin ? Aussi loin qu'il éprou- vera la résistance de la marée contre le courant naturel du fleuve. Ce jeu des forces de l’eau s'arrête au lac Saint-Pierre. Le petit-poisson, gonflé d'œufs, harassé de sa longue traite, entre dans les Trois-Rivières. “Avant que de se nommer le Saint-Maurice, cette rivière portait le nom de “rivière des Trois-Rivières, ?” à cause des îles qui divisent son embou- chure en trois branches. “ Le petit-poisson ne connaît que les deux chenaux les plus proches du Cap de la Madeleine. Il s’y engage avec ardeur. La fin de son ascen- sion approche ; les œufs sont larges et deviennent inquiétants. “ Ici l’homme guette la bête. “Le pêcheur établit un cabanage sur la glace; il y eouche: il y mange. [Il tranche une ouverture qui à la forme d’un carré allongé, mesurant dix pieds dans sa longueur. Par cette bouche, il enfonce en plein courant ce qu'il appelle un “coffre,” sorte de grande boîte formée de rets tendus sur une mince carcasse de bois. L'appareil est ouvert par le bout qui doit recevoir le poisson. Celui-ci, rebroussant le fil de l’eau, en masses très pressées, s'engouffre sans hésitation dans le sac et s'y entasse, faute de trouver passage plus loin. LA PETITE-MORUE 165 “ Lorsque le pêcheur juge que la nasse ou le verveux (car c'est tout cela ensemble) est déchargée, il la lève par le bout ouvert et verse sur la glace un ou deux minots de ces petits vagabonds, qui frétillent, se tortillent, bondissent, font le saut de carpe, tournoient, s’entre-croisent et luttent contre la mort en se jetant de tous côtés. L'air atmosphérique finit par en avoir raison. Le froid les raidit dans la pose qu'ils ont en expirant. Rien de plus pittoresque. Les uns, tordus ou repliés sur eux-mêmes, les autres enlacés et formant des chaînes ou des grappes fantaisistes, 1ls décrivent sur la glace des arabesques imprévues. “On les ramasse à la pelle, et on en charge des voitures, qui sont entourées de planches ; c’est ainsi qu'ils arrivent chez les commerçants. “ Ce que l’on en retire du Saint-Maurice, durant sa courte visite, est incroyable. Au mois de janvier 1853, j'ai vu Théophile Pratte en prendre quatre cents minots en quatre-vingts heures. On estime à quinze mille minots ce qui s’en prend chaque année aux Trois-Rivières. Cette manne dure quinze jours, commençant la veille de Noël et se terminant le 10 janvier, parfois plus tard, jusqu'au 20, même le 25. “ Cependant, il en échappe un grand nombre. “Ceux-là atteignent le rapide des Forges Saint-Maurice, où ils dépo- sent leurs œufs, espoir de la génération future. C’est à trois milles dans le Saint-Maurice. Il paraîtrait que les pêcheurs de loches, devant la ville et un peu plus haut, en prennent quelquefois à la ligne dormante. “ En redescendant — je ne sais à quelle date — le petit-poisson n'est pas visible. C’est donc qu'il descend dans les eaux profondes, après s'être soulagé de son poids, comme j'ai dit On m'assure qu'il reparaît à la Rivière-Ouelle, en février et mars, et à Rimouski, vers le mois de juin, gagnant de nouveau l'Atlantique, et retournant à ces vastes empires sous-marins qui lui servent de patrie. Depuis la Rivière-du-Loup, en suivant la côte sud, on le retrouve durant tout l'été, par petites bandes, jusqu'à l'entrée de la baie des Chaleurs, où les pêcheurs l’appellent poulumon. “Les œufs étant éclos au rapide des Forges, que font les petits ? Je n'en sais rien ; néanmoins, je vous le dirai: ils filent vers la mer, à leur tour, et la preuve en est qu'ils reviennent par la suite frayer comme les anciens aux lieux qui les ont vus naître. “ La destruction qui s'en fait durant le mois le plus important pour leur multiplication n’en diminue pas le nombre. Chaque poisson pris aux Trois-Rivières renferme des milliers d'œufs, mais à l'instar des morues, 1l suffit qu'il en réchappe quelques-uns, et la nation se repeuple en peu de mois. “ Depuis deux cents ans et plus qu'on les pêche par tonneaux, ils se maintiennent au chiffre des vieilles migrations. 166 LES POISSONS “Tels citoyens de Sherbrooke, Sorel, Montréal, Beauharnoiïs et Ottawa, qui savourent le petit-poisson des Trois-Rivières, n’ont aucune idée des choses que je viens de raconter — et par conséquent, leur jouissance n’est pas complète ! “J'ai souvent entendu le nom de Zoche appliqué au petit-poisson, mais ceci est incorrect. La loche abonde autour des Trois-Rivières. C’est un poisson tout autre que celui qui m'occupe en ce moment. Ni la chair ni la forme des deux ne se ressemblent. Sous le rapport de la taille, l'un est triple de l’autre quand il a atteint toute sa croissance. Il ne se pêche pas de la même manière. Pour prendre la loche, on coupe la glace par trous, à une verge de distance les uns des autres, dans le sens du cours d'eau. Une corde, à laquelle sont suspendues de courtes lignes garnies d'hameçons, est enfilée sous l’eau, de la première ouverture à la derniere, et ses deux bouts, réunis par-dessus la glace, forment une chaîne sans fin. Le poisson approche de la lumière du jour qui brille par les trous, voit les appâts, mord et se trouve pris. De deux heures en deux heures, un homme ou un enfant relève la corde en la faisant glisser comme une courroie sur des poulies ; au fur et à mesure que le poisson se présente au bout des lignes, on le décroche, et l’on pose un appât nouveau pour une nouvelle victime. La loche est excellente à manger, surtout si elle est frappée par la gelée en sortant de l’eau. Celle que l’on prend l'été ne vaut guère. “Avez-vous remarqué, lecteur, que je me sers dans cet article du terme petit-poisson, au lieu d'employer un nom reconnu, comme cela se fait pour toutes les espèces de poissons ? “A vrai dire, c’est de la morue naine. “ Les Trifluviens disent petit-poisson, parce qu'il n’y a encore que ce mot d’adopté en français pour le désigner. Il n’a pas été étudié. Les hommes de science ne l'ont pas baptisé. Notre public français en général le nomme petite-morue ; les Anglais disent {om où tommy-cod, soit, morue naine. “IT faudrait d'abord constater que c’est de la morue ordinaire, et je défie les savants de prouver cela! La chair des deux n’a pas tout à fait la même consistance ; le goût en est différent. “Si le petit-poisson était enfant de la morue, il ne viendrait pas frayer chez nous, en eau douce. Puis il ne resterait pas toujours petit : il finirait par se confondre avec ses grands parents, et ne sortirait plus des royaumes de l'Océan, comme on disait autrefois. “ Les petits chevaux des Shetland ne sont pas des grands chevaux. “Petit poisson deviendra grand, si Dieu lui prête vie”, d'après le proverbe. Le petit-poisson des Trois-Rivières n'entend pas de cette LA PETITE-MORUE 167 oreille : quand Dieu lui prête vie, il continue sa promenade, de Terre- Neuve au rapide des Forges Saint-Maurice et vice versa ; il se moque des géants des eaux comme de l'an quarante, et ne demande qu'à rester petit. “C’est une espèce à part. Il faudrait lui composer un nom grec ou latin qui signifierait poisson de Noël, puisqu'il nous visite seulement à cette époque de l’année. “ Mais ne venez plus le traiter comme de la morue, car l’une des deux espèces n'est pas pareille à l’autre !? A la lecture de cet article gracieux et instructif à la fois, l'honorable sénateur Pascal Poirier revendique les droits de ses compatriotes, les Acadiens, de sa plume ardente qui brûle la page que voici : Shédiac, N.-B., 26 déc. 1890. MON CHER SULTE, Vous cherchez un nom grec ou latin pour en baptiser le Petit-poisson de Trois-Rivières, et vous proposez Poisson de Noël. Cela m'étonne de la part d’un homme qui connait toutes les sources de notre histoire. Avez-vous donc oublié que les Acadiens sont de toute éternité les ancêtres des Trifluviens, et que ceux-ci, dans toutes les graves questions qui les agitent, devraient d’abord, quand ils cherchent la lumière, tourner les yeux du côté de l'Orient, c’est-à-dire de l’Acadie. Eh bien, le nom de poisson que vous cherchez est poulamon, vous n’en trouverez pas d'autre. A'vous, PASCAL POIRIER. Il ne faudrait pas entretenir plus qu’il ne faut la vanité nationale, de l'idée que la province de Québec est favorisée entre tous les pays du monde, de la présence de la petite-morue. Elle abonde sur les côtes de la Nouvelle-Angleterre, de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, où elle fourmille à l'embouchure des rivières durant toute l’année. Seulement, elle n’est vraiment bonne à manger qu'à l'automne et en hiver, et nulle part elle n’est aussi affriolante que lorsqu'elle est capturée sous les glaces du fleuve Saint-Laurent. Le Dr Sauvage donne à la petite-morue les noms de capelan — qadus minutus, et Brehm celui de zwergdorfch, et voici ce qu'ils en disent: “Cette espèce de gade de petite taille, car elle n'arrive qu'à 0", 20 à 0", 25, a le corps oblong, comprimé ; la peau est couverte d'écailles peu 168 LES POISSONS adhérentes. La première dorsale, plus courte que les suivantes, est com- posée de 12 à 14 rayons; on compte 19 à 21 et 17 à 20 rayons aux deux autres dorsales. La première anale, composée de 27 à 30 rayons, est complètement séparée de la seconde; celle-ci comprend 17 à 20 rayons. Les ventrales ont les deux rayons externes allongés et très grêles ; le deuxième rayon, qui est le plus développé, arrive à l’origine de la pre- mière anale. “Le corps est brun rougeâtre, piqueté de noir sur le dos et sur les flancs, gris argenté sous le ventre: assez souvent une tache noire se montre à l’aisselle de la pectorale : les nageoires impaires sont brunâtres, les ventrales sont d’un gris rosé. MŒURS — DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE On n'est pas encore complètement éclairé sur la distribution et sur l'habitat du capelan. On le trouve assez généralement sur les côtes d’An- gleterre, de Hollande, de Suède, de Norvège, dans la mer Baltique comme dans la mer du Nord; il est très rare dans la Manche, et Moreau avoue qu'il ne l'a jamais vu sur les côtes de l’ouest de la France; il se montre tantôt 1c1, tantôt là, avec abondance, et fait défaut sur de vastes étendues. “ Le capelan est très commun dans la Méditerranée, où on le prend pendant toute l’année ; il séjourne de préférence dans des profondeurs d'au moins 300 mètres. Parfois, à l’époque du frai, il se rapproche des côtes en nombre immense. “L'an 1543, écrit Rondelet, en nostre mer a eut si grande quantité de ce poisson, que par l’espace de deux mois les pêcheurs ne prindrent autre poisson, non sans grande perte: car ce poisson ne pouvant se garder salé ne desséché, ils étaient contrains le fouir dans terre, craignant la puanteur d’icelui corrompu.” D’après Bloch, les pêcheurs de la Baltique saluent avec joie l’arrivée du capelan, car on le considère comme le précurseur de la morue. Outre les noms qui ont déjà été cités, Walbaum donne à ce poisson le nom de frost-fish ; Storer l'appelle morrhua pruinosa ; Günther, gadus tomcodus ; et Gill, microgadus tomcodus. La description que Jordan fait de la petite-morue se rapproche beau- coup de celle de Sauvage : elle n’en diffère vraiment que par la couleur des ventrales auxquelles le naturaliste français prête une teinte gris rosé, pendant que le savant américain n’y à vu que du gris. À Trois-Rivières, la pêche à la petite morue se fait en grand, à ciel LA PETITE-MORUE 169 ouvert, à travers la glace déchirée en tous sens pour y plonger des filets ou des engins ravisseurs. Le produit de cette pêche est surtout absorbé par Trois-Rivières d’abord, Montréal et Québec ensuite. Quand arrive le petit-poisson, les commerçants sont radicalement dévorés par les gourmets de ces trois villes. De fait, sa chair rôtie ou bouillie est d’une délicatesse incomparable. Ottawa, Saint-Jean, Saint-Hyacinthe, Valleyfield et nos autres vilies sont bien sous l'impression que leurs commerçants les servent à souhait, de petite-morue, et ils n’ont pas tort, mais leurs petites morues sont loin de valoir le petit-poisson de Trois- Rivières qu'on nous apportait aux portes, il y a trente ans, dans toutes nos campagnes, depuis Québec jusqu'à Saint-Zotique, et que nous avons appris à trop bien connaître pour le confondre avec son congénère des provinces maritimes qui envahit la plupart des marchés. La petite- morue des eaux de l'Atlantique est bien le même poisson que le petit- poisson de Québec, de la rivière Saint-Charles et du Saint-Maurice, mais ce dernier à sur l’autre l'avantage d’être passé de l’eau saumâtre en eau douce où il s’est dégorgé, où sa chair s’est débarrassée des impuretés d'un milieu constamment brassé par les marées, pour devenir d’une blancheur laiteuse, pendant que le fom-cod d'en bas montre une chair jaunâtre d’un goût un peu rance. Le petit-poisson a le ventre blanc pendant que l’autre a le ventre jaune. Sachez les distinguer. A Québec, la pêche à la petite-morue commence aux Rois, comme à Trois-Rivières, mais elle ne se fait qu'à la ligne, dans la petite rivière Saint-Charles, depuis son enbouchure jusqu’à l'hôpital de la Marine. Le poisson arrive à heure fixe, avec une exactitude quasi officielle. Vous l’attendez à coup sûr, dans ur: maisonnette chaudement installée sur la glace, au milieu d’un groupe d'amis, ou en famille, distribués dans deux ou trois pièces meublées, qui jouant aux cartes, qui devisant de politique, qui vidant un verre, à côté des pêcheurs de vocation occupant en vis- à-vis deux bancs de dix à douze pieds de longueur, donnant sur une coupe de même longueur et d’une largeur d’un peu plus d’un pied, pratiquée dans la glace. Le pêcheur tient de chaque main une ligne munie de deux hameçons petits plutôt que grands et lestée d’une forte cale. On esche avec des morceaux de foie de porc frais, le plus frais possible. Nous sommes à une heure de montant ; attention ! les amis, visitez les esches, soignez vos lignes, le poisson monte. Nos lignes vibrent sur leur plomb, la cabane craque sous l'épaule du courant, les yeux plongent dans l’eau bouillonnante, fouillant les ténèbres... lorsqu'un poisson — j'allais dire un éclair — en jaillit, un poisson de huit pouces de longueur qui suflit pourtant à exalter les esprits Jusqu'au délire. En voici un, j'en ai un äutre, tiens Paul en à deux, une ramée... et cela dure jusqu'à l’étal. Il est minuit, une heure, je suppose: on prend 170 LES POISSONS un médianoche, puis, lorsque le baissant s'accuse, on reprend la ligne avec un peu moins de zèle et un peu moins de succès aussi. Le baissant, du reste, ne vaut pas le montant, à cette pêche. Résultat, si la pêche à été bonne, une cinquantaine de poissons chacun, beaucoup de fatigue et assez souvent un mal de cheveux plein de gri- maces. On est jeune ou on ne l'est pas !... En pêchant la petite-morue ou La loche — on l'appelle ainsi à Québec — il arrivera que vous prendrez une vraie loche ou queue d'anguille, et par exception un esturgeon. Plus d’une fois, j'ai rapporté à la maison des centaines de ces petites- morues gelées roides, en barre, couvertes de neige, et jetées dans un baquet rempli d’eau froide, en quelques minutes elles revenaient à la vie. La pêche dure jusqu'aux Rois, comme à Trois-Rivières. Si on n'y fait pas usage de filets, c'est que le mouvement de la marée et les courants qu’elle détermine ne permettraient pas de les fixer. Il y a quelque vingt ans, par une forte marée et un grand vent, la glace de l'embou- chure de la rivière Saint-Charles, portant plusieurs cabanes, se dégagea du rivage et descendit en banquise jusqu'à l’église de Beauport, avant qu'on s’en aperçût. Il n’y eut ni perte de vie ni perte de choses. Un peu d'émotion et ce fut tout. J'ai dit que le tom-cod ressemblait d’une manière frappante à la morue franche, et plus particulièrement au merlan noir avec lequel il vit intimement — lorsque ce dernier est en bas âge — mais je veux ajouter que le dos est nuancé de taches plus sombres, les nageoires piquetées d’un nombre infini de points noirs. Je suis bien d’avis que les petites-morues se rendent au Saint-Maurice pour y déposer leurs œufs — qu'elles en repartent dans ia quinzaine, pour retourner à la mer — mais je me demande si ces œufs flottent comme ceux des morues des bancs de Terre-Neuve, ou s'ils sont précipi- tés au fond de l’eau et retenus là par leur poids spécifique, comme les œufs de la truite ? Il y a plus, je demande qui à vu le frai de ce poisson, soit en eau douce soit en eau salée ? J'emprunte ici à La Presse de Montréal, un entrefilet accompagné d'une gravure publié par ce journal, à l’époque de la pêche du petit-poisson, l'hiver dernier (1895-96) : “ La pêche de la petite-morue était très lucrative, il y à une quinzaine d'années, en face de Porneuf. Un seul pêcheur à pu en prendre de 1,000 à 1,200 dans l’espace de cinq heures. Cette pêche ne se faisait qu'à la ligne, dans deux ou trois brasses d'eau, et était une source de revenus considérables pour les habitants du comté. On comptait alors jusqu'à cent cinquante cabanes de pêcheurs, en face du village de Portneuf, et les l'71 LA PETITE-MORUE msn Sert ‘(OGST) MouJIO] op 99v7 uo fououviqu| oureides np ourqr — ‘p£ ‘HI 172 LES POISSONS produits de la pêche pendant quatre semaines donnent pour la paroisse un revenu de $2,500 à $3,000. La pêche à la petite-morue se faisait également en face des paroisses suivantes : Pointe-aux-Trembles, les Écu- reuils, Cap-Santé Grondines et Sainte-Anne-de-la-Pérade. Aujourd'hui, le poisson ayant été dépeuplé par la seine, la pêche ne rapporte plus qu'une centaine de dollars par ou à chacune de ces paroisses. Les pro- “duits de la pêche à la petite-morue ont diminué graduellement, depuis 1882, alors qu'on commença à prendre ce poisson à la seine avant le frayage, dans le bas du golfe. Aux Grondines et à Champlain, on le prend au moyen d’un coffre, instrument de pêche aussi destructif que la seine. La pêche au coffre et à la seine devrait être prohibée, partout, pendant au moins cinq ans, afin de permettre à cet excellent petit poisson de se repeupler. La gravure que nous reproduisons (fig. 34) représente la cabane de pêche du capitaine Labranche telle qu’elle existait en 1890, sur la glace, en face de Porneuf. Elle avait 12 pieds de longueur sur 8 de largeur. Le dernier rapport officiel des pêcheries du Canada (1894) accuse, pour la province de Québec, une production de petite-morue ou poisson gelé, de 106,500 livres, évaluée d'ensemble, à $5,325, pendant que le Nouveau-Brunswick montrait orgueilleusement le chiffre de 1,649,500 livres de ce même poisson, d’une valeur approximative de $82,475. En 1888, nous occupions pourtant le bon côté de la balance contre le Nouveau-Brunswick ; nous récoltions, cette année-là, pas moins de 30,000 minots de petite-morue, céréale des champs de la mer, estimés à $18,000 : le Nouveau-Brunswick n'ayant à son avoir que 214,500 livres de ce poisson, évaluées à $8,580. Les rôles sont intervertis, et rien ne donne lieu d'espérer le retour aux temps passés, hors la défense absolue de pêcher autrement qu'à la ligne, pendant quatre ou cinq ans, cette précieuse denrée de nos eaux, cette manne de Noël qu'apporte l’Enfant- Dieu aux populations de la rive nord du fleuve, entre Québec et Montréal ; mais quel gouvernement oserait jamais exposer ses oreilles aux protestations qui s’élèveraient, non seulement de la rive immé- diatement intéressée, mais encore des campagnes et plus encore de toutes les villes de la province ? Ne touchons pas au petit-poisson de Trois-Rivières, du bout des doigts de la loi, dût-il périr Jusqu'au dernier, sur le gril, à l’instar de son patron saint Laurent, = 7%. L2 LES POISSONS 174 ‘AUNUUO9 97701 ET — -@ A Ce SENTE en | . Le) LA LOTTE COMMUNE I LA LOTTE COMMUNE La Lotte commune, Gadus lota, The Burbot, Ecelpout, Birdbolt (Angleterre). — La Loche (en Canada). De la famille des gadidés, appartenant au genre gade qui s'honore de compter dans ses rangs la morue franche et le merlan, la richesse de nos mers du nord, la lotte, faisant seule exception à tous ceux de son espèce, vit exclusivement dans les eaux douces. La petite-moruc vient pondre à l'entrée de nos rivières et regagne la mer à la suite de l'opération. Le voyage à duré un mois à peine, comme un voyage de noce ordinaire. Mais la lotte naît et vit dans les eaux douces sans jamais visiter la mer non plus que les eaux saumâtres, sauf en hiver et sous les glaces, lorsque ces eaux moins brassées par les marées ont repris une certaine limpidité. Elle habite les eaux de l'Europe centrale où sa chair est très recherchée ; on la trouve en Russie, en Suède, en Angleterre, mais nulle part en Écosse et en Irlande. Au Canada, sa distribution géographique s'étend du Labrador aux montagnes Rocheuses, et du Maine à la baie d'Hudson. Elle se glisse furtivement un peu partout: cette année même (1897) on en à trouvé dans le bassin de l’aquedue de Montréal au cœur de la montagne — qu'on a dû vider pour boucher des voies d’eau. On l'estime ici beaucoup moins qu'en Europe pour ses qualités culinaires ; le foie seul est prisé des gourmets. Ses œufs ayant des propriétés purgatives, ne se mangent pas. Très abondante dans les grands lacs du nord et de l'ouest, elle s'y développe parfois jusqu'au poids de trente et cinquante livres; souvent elle a été une ressource précieuse pour les aborigènes, les trappeurs et les découvreurs de ces régions. La lotte a beaucoup des mœurs de l’anguille : le jour, elle se cache sous des pierres ou des crônes, au milieu de racines enchevêtrées ; la nuit, elle se met en chasse de petits poissons, de grenouilles, d'écrevisses, de vers, d'insectes, de toutes bestioles vivantes ou mortes. Depuis l'ouverture du chemin de fer qui relie le lac Saint-Jean à Québec, il en vient de grandes quantités et de fort belle taille, sur le marché de cette ville, toutes provenant du grand lac. Elle peuple plusieurs lacs et rivières qui se déversent dans le lac Saint-Jean ; mais nulle part elle n'atteint d'aussi fortes proportions que dans ce lac. Sur les battures de la côte du sud, 176 LES POISSONS en aval de Québec, au bas de l’île d'Orléans, en quelques endroits de la côte Beaupré, on la pêche sous la glace, au printemps, à la ligne à main lancée en fronde, eschée de matières résistantes, de lanières de chair de bœuf ou de foie de pore. C’est un poisson vorace qui mord franchement, mais qui se laisse enlever lourdement, à la manière de la morue, sa congénère des mers, sans offrir aucune résistance. Les Canadiens-Francçais de Montréal appellent improprement ce poisson La loche ; à Québec, on lui donne tantôt le nom de queue d'anguille, tantôt celui de barbue, probablement parce qu'il porte, en impériale, un barbillon à l'extrémité de son maxillaire inférieur. Il ne saurait être moins barbu que cela pourtant. Le corps de la lotte est long — mesurant jusqu'à quatre et cinq pieds, arrondi par le milieu, s'amincissant en gagnant la chez les plus grandes queue pour s’y terminer en fer de lance. Écailles fort petites, nuancées de jaune, de brun roux sur un fond blane et formant de gracieux dessins, quelquefois uniformément brunes sur le dos ; les jeunes sont plus vivement colorés que les vieux. On observe que les individus pêchés à de grandes profondeurs sont plus pâles que les autres. “ La ligne latérale, chez la lotte, dit Blanchard, partage pour ainsi dire chaque côté du corps en deux moitiés; elle semble courir dans une dépression qui est souvent assez marquée. Elle est formée d'une suite de petits tuyaux membraneux. “ Le tête de ce poisson est déprimée et fort large en dessus, en grande partie couverte de très petites écailles, avec les mâchoires égales et arrondies, ourlées de grosses lèvres, portant onze dents petites et d’inégale grandeur, les yeux ronds, très saillants, placés au niveau du front. L'iris est d’un vert doré. Lorsqu'on examine cette tête en dessus, il est presque impossible de ne pas lui trouver quelque chose de la physionomie du chat ou de la loutre, ce qui provient de sa forme large, et surtout de l'aspect des yeux. L’unique appendice charnu tombant de la mâchoire inférieure, contribue encore à donner à la tête de la lotte une physionomie étrange. “ Vers le tiers inférieur du corps s'élève la première nageoire dorsale, formée de douze à quatorze rayons ; celle-ci, fort petite, est suivie de la seconde dorsale, qui n'a pas moins de soixante-dix à soixante-quinze rayons. Ces nageoires, d'une hauteur très médiocre et presqu'égale dans toute leur étendue, participent de la teinte générale du corps et présentent également des taches brunes bien marquées. “ La conformation intérieure de la lotte offre beaucoup de particularités. Les vertebres sont très épaisses ; on en compte vingt et une au tronc, por- tant de longues apophyses transverses qui remplacent les côtes,et pourvues de plis longitudinaux. L'intestin forme deux replis,et il y a environ trente- huit rayons à la queue. L'œsophage et l'estomac sont fort larges, et LA LOTTE COMMUNE lg trente appendices pyloriques. La vessie est grande et munie de parois épaisses. Le foie est volumineux et trilobé.” Après le brochet, la lotte est le plus vorace de nos poissons d’eau douce. Peu particulière sur le choix de sa nourriture, elle saisit et avale les petits poissons imprudents qu'attire le leurre de son barbiHon, lorsqu'elle péche. Si elle chasse, elle ramasse tout ce qui se trouve à sa portée, vers, sangsues, insectes, mollusques, jeunes rats musqués, et souvent elle s'attaque à des animaux de grande taille que sa vaste bouche lui permet d'engloutir. La lotte porte de 160,000 à 200,000 œufs, pâles et aussi petits que des graines de pavot; elle fraie dans les graviers, à mince d’eau, près des rivages, en décembre et en janvier. La durée de l’incubation des œufs est d'environ six semaines. Les jeunes poissons croissent lentement, car on assure que la lotte ne commence à frayer qu'à sa quatrième année. Je ne présente pas la lotte comme un poisson sportif, il n’en a ni les allures ni la vivacité, ni la force, ni les mœurs ; ce n’est pas non plus un poisson de commerce, mais il peut être précieux pour les colons, les défricheurs, les chasseurs et les bûcherons. C’est à ce point de vue écono- mique et philanthropique que j'ai cru devoir lui donner place dans ce livre. Ô LES POIS ( M) / V4 0) SONS kg Montréal, à e, turgeon des lacs. — Le Maillé - Es sturio. . — Acipenser 36 Fire, L'ESTURGEON 179 LESMARGE ON The Sturgeon (Angleterre. — Acipenser sturio, Linné — Esturgeon (France et Canada). — Esturion (Espagne). — Paraletto (Italie). Au tableau du Museum National des Etats-Unis, l’esturgeon figure comme suit : SOUS-CLASSE. . .... Chondroster...... Cartilagineux. ORDRES, Glanostomi... ...Bouche de silure. IPAMÉDDEEL EME Se 0 Acipenceridæ.....Pentagonale. L'aspect général de l'esturgeon lui prêtant une grande ressemblance avec le requin, Cuvier le fait figurer à la suite des squales, sous le nom de sturionien et de chondroptérygien à branchies fixes. Cette ressem- blance est assez extraordinaire, dans le galbe des deux animaux, pour justifier le grand naturaliste d’avoir fait un tel rapprochement. Même corps allongé et fusiforme se montre chez les deux, même museau for- tement projeté, mêmes nageoires, même caudale à lobes inégaux, même bouche sournoise, en dessous, à cette différence près, qui mérite consi- dération, que l’une est aspirante ou prolongée en trompe, au besoin, à ressorts, doux, insinuants, presque tendres pour les victimes — c’est la bouche de l’esturgeon, cela va sans dire — pendant que l’autre est une véritable machine à broyer, sous la forme de deux mâchoires énormes, puissamment articulées, armées de multiples rangées de dents projetées en poignards acérés ; sans lèvres ; des dents prenantes et rentrantes, gardant tout ce qu’elles touchent ou ne rendant qu'en lambeaux les corps qu’elles ont pénétrés, Rien de plus inoffensif que le lourd et épais esturgeon. S'il est armé en guerre, s'il porte casque osseux en tête, une armure sur ses épaules, si cinq rangées d’écussons le couvrent d’une cuirasse, depuis la tête jusqu'à la queue, ce n'est pas à dire qu'il est de mœurs violentes. Il est, au contraire, le plus pacifique des poissons. Ceux qui l'ont représenté comme le roi des saumons, à la tête desquels il remonte les fleuves au printemps en prélevant sur ses sujets terrorisés un tribut sanglant, sont d’odieux 180 LES POISSONS calomniateurs. La pauvre grosse bête vit surtout en fouillant les vases de son museau en forme de pic ou de pelle, pour y trouver des annélides, des vers, des crustacés dont il fait sa principale nourriture. Ce n’est pas qu'il dédaigne un hareng, un maquereau, un saumoneau même, mais alors il faut qu'ils aillent s'offrir spontanément à son appétit, car autrement 1l ne saurait les atteindre. Une épinoche lui fait peur, la moindre petite lam- proie le met en fuite ou le fait bondir à quatre on cinq pieds hors de l’eau. “ Ces géants, dit Meunier, malgré leur force, ne sont dangereux que pour ceux qui ne peuvent se défendre, pour les vers dont ils s'emparent en fouillant la vase avec leur museau, pour les harengs, les maquereaux et les gades, pour les canards et les oïes sauvages, pour les saumons aussi, qui remontant le fleuve en même temps que l’esturgeon ordinaire, sont décimés par celui-ei, ce qui a fait croire qu'il en était le chef, et lui a valu le nom de conducteur de saumons. C’est done une espèce non dangereuse pour l’homme; aussi jouit-il parmi nous de la réputation d'un animal paisible; sans doute, les harengs et les oies en pensent différemment.” DES GANOÏDES Pourquoi donc l’esturgeon, si puissant, si massif que de son poids seul il en impose à tous les poissons les plus voraces, se trouve-t-il ainsi con- damné à porter à perpétuité une armure formidable ? C’est une longue histoire à raconter, dont le premier mot est accroché quelque part dans les terrains dévoniens, à la carcasse fossile d’un ganoïde, pendant que ses derniers descendants vaguent encore dans les eaux du fleuve Saint-Laurent. De 700 espèces de ganoïdes relevées dans Îles couches géologiques du globe terrestre, il n’en existe plus que trois, et toutes trois habitent les eaux du Canada. Il n’en reste que deux aux États-Unis, une seule en Europe, une seule au centre de l'Afrique. Que faut-il entendre par ganoïdes ? A cette question, le Dr Sauvage répond : “ Les poissons antérieurs à la formation crétacée ont les écailles comme osseuses, revêtues d’une couche de matière brillante; l’aspect de ces écailles est tout à fait différent de celui des écailles des poissons ordinaires ; tous ces poissons ont été désignés sous le nom de ganoïdes.” L'ESTURGEON 181 Dans son Manuel du géoloque, Dana dit : “ Les premiers des poissons, au lieu d’être du degré le plus inférieur, appartenaient aux espèces les plus parfaites. C’étaient des ganoïdes ou poissons reptiliens, c'est-à-dire intermédiaires entre les poissons et les reptiles ; c'étaient des poissons comprenant dans leur structure quelques caractères reptiliens, et par suite nommés types compréhensifs (voir le lépidosté osseux) Le groupe des Ganoïdes ne repose à proprement parler que sur un seul caractère commun, l'identité osseuse des écailles — retrouvées dans des dépouilles fossiles nécessairement informes — qui sont un témoignage incontestable de l'antiquité de ces espèces portant cuirasse, armées en chevaliers, dix mille, cent mille ans peut-être avant les croisades, et vivant en sybarites dans des eaux étuvées, presque bouillantes. Cette armure qui les protégeait jadis contre des efHluves brülantes ne leur vaut aujourd'hui que la considération prêtée à ce qui dure longtemps. Laissons parler l’histoire, nous y trouverons bientôt profit. J’emprunte ici une page aux Merveilles de la Nature de Brehmn : “En 1833, Louis Agassiz, étudiant les poissons fossiles, s'aperçut rapidement que les caractères à l’aide desquels on classe les poissons actuels ne pouvaient lui être d'aucun secours pour la détermination : les organes mous ont en effet toujours disparu, et le paléontologiste n'a le plus souvent à sa disposition que des débris isolés, que des parties fragmentées, des écailles ou des dents détachées, rarement un animal entier, et encore, dans ce dernier cas de beaucoup le plus favorable, nous n'avons pas la dentition de la voûte palatine qui donne de si bons caractères, et il nous manque encore beaucoup de renseignements. “ Frappé de ce fait, Agassiz chercha s’il ne trouverait pas dans les caractères purement extérieurs les bases d’une classification, et c'est ainsi quil fut amené à diviser les poissons en quatre grands groupes, d’après la nature des écailles.” Pictet à pu dire que la création de l’ordre des ganoïdes “ a été le trait de génie qui domine l’ensemble du bel ouvrage sur les Poissons fossiles, par Agassiz.” Mais c'est aux patientes observations anatomiques de Johannes Muller, que nous devons de voir la famille des ganoïdes aussi simplifiée qu'elle l’est aujourd'hui. C’est Brehm qui va reprendre ici la parole : “ Dans l’état actuel de nos connaissances, 1l est difficile de donner une définition exacte des ganoïdes pris dans leur ensemble, car il n'existe pas 182 LES POISSONS un seul caractère différentiel qui leur soit commun et, d'autre part, nous ignorons absolument quelle était l’organisation des ganoïdes fossiles, “ Malgré leur apparence extérieure et leur ressemblance générale avec les téléostéens, il est évident que les ganoïdes ne peuvent être comparés à ces derniers ; leur anatomie s’y oppose : ils ont, par contre, de grands rapports avec les dipnés et avec les chondroptérygiens. “ Chez les ganoïdes, le cœur à un cône artériel contractile pourvu de plusieurs rangées de valvules ; l'intestin est garni d’une valvule spirale, valvule qui est toutefois rudimentaire chez l’amia et chez le lépidosté ; les nerfs optiques ne se croisent pas en passant l’un au-dessus de l’autre, mais forment un chiasma avec échange partiel de leurs fibres. Ces caractères leur sont communs avec les chondroptérygiens et avec les dipnés. Mais les branchies sont, comme chez les téléostéens, libres dans la chambre branchiale qui est fermée par un battant operculaire, de telle sorte qu'il n'existe, de chaque côté, qu'une seule fente branchiale. La vessie natatoire est pourvue d’un canal aérien et l’on ne trouve jamais de poumons. “ La peau peut être nue comme chez le spatule ou polyodon, couverte de grands écussons osseux disposés suivant des rangées longitudinales espacées, ainsi qu'on le voit chez les esturgeons, ou bien, ce qui est le cas le plus général, être revêtue d’écailles. “ Les écailles, chez le polyptère, le lépidosté, la plupart des ganoïdes anciens, ont une forme rhomboïdale caractéristique, et s'unissent les unes aux autres par de petits appendices articulaires ; elles sont formées par un tissu osseux et recouvertes d’une couche brillante d’émail. Certains ganoïdes cependant, tels que l’amia, ont des écailles arrondies dont l'aspect est tout à fait celui des écailles des poissons malacoptérygiens actuels. “ Un caractère spécial à beaucoup de ganoïdes, c'est la présence de fulcres— petites écailles osseuses en forme de chevrons—situés sur le bord supérieur et le rayon antérieur des nageoires, et principalement sur la caudale. Ces fulcres sont tout à fait caractéristiques ; aussi, Muller accordait-il à leur présence une grande valeur : “Tout poisson, écrit-il, qui possède des fulcres sur le bord antérieur d’une ou de plusieurs nageoires, est un ganoïde.” Nous connaissons d'assez nombreux ganoïdes qui n'ont pas ces écailles particulières: tels sont les amia. “ Le squelette peut être osseux (lépidosté, polyptère, amia), ou cartilagineux (esturgeons, polyodon), chez beaucoup de types anciens, tandis qu'une partie du squelette est bien ossifiée, une autre partie, telle que la colonne vertébrale, est cartilagineuse, la corde dorsale persistant, de telle sorte qu'elle a toujours disparu par la fossilisation. “ Chez les poissons, les vertèbres sont biconcaves : on trouve cepen- L'ESTURGEON 183 dant une exception chez les lépidostés qui ont, comme certains amphibies, les vertèbres convexes en avant, concaves en arrière. “ Chez les ganoïdes osseux, le crâne primordial est plus ou moins complètement refoulé par le crâne osseux. Les autres ganoïdes ont le crâne cartilagineux avec intercalation de parties osseuses, de telle sorte qu'il est fort difficile de dire ce qui appartient au squelette primitif, ce qui fait partie du crâne proprement dit ou ce qui doit être rapporté au squelette dermique. “De même que les poissons osseux, les lépidostés ont des rayons branchiostèges, c’est-à-dire de ces rayons qui soutiennent la membrane des branchies; chez l’amia, ces rayons sont en rapport avec une grande plaque osseuse qui couvre une partie de la gorge: les rayons bran- chiostèges font défaut chez les esturgeons et les spatulaires ou polyodons ; chez le polyptère, par une exception unique chez les poissons actuels, dans la membrane branchiostèse se trouvent de grandes pièces osseuses émaillées, semblables aux os du crâne, pièces qui s'opposent à la mobilité du battant operculaire. ME "\ on a à VE ste Fate ai ‘à LU ee ae NM tu s ni Ve : “ Ü Can VAL . rA PS sou LAN OS : HART A NUE er 00 4 o mA û \ 1f e LRO Li enr We ere na sa 1 Me vu RE : LU ik ta te Pen à VA + DMC SSL . LEUTT à SUN COR am “ PORT. RON D Or Med Rr MEN ES AAUTs sr : Ma we : V2 re 1:70 LOT Pis RARE » ” e | rl 1e | In 1e ie 08 o ui 19 La n ' Li NE US Etre DA Me Er : ", cu \E Re US FABT Lo : a: 4 al ; Ji 7 LR ai AL ne D) L ne . | ES Mere TM Le L = L La iQ 1 nn it C. u Le CT | a PU/T Pr RL ee L D : ° _ Y . v F 7 #1 'Æ) n , be Lu TA M no pr QG te ‘jy ARCS CRANT ER nm AO RL L'ART D. : Pas TAN bi Te: ».:? : : | € L'ESTURGEON SPATULAIRE 221 L'ESTURGEON SPATULAIRE Le Polyodon-Feuille (Lacépède), — Paddle-Fish, Sparularia (Shaw). Platirostra (Le Sueur). — Shoved nosed sturgeon (États-Unis). Bec-de-Rame (Canadien). Polyodon veut dire méächoire bien endentée : les branchies sont multiples, très minces, le bec spatulaire large et bombé : à la caudale, on compte de 12 à 20 fulcres, de moyenne grandeur. Le polyodon drague, à son profit, dans le Mississipi et ses principaux tributaires. On le rencontre dans les grands lacs, dont il doit occuper les bas-fonds dans leur plus grande profondeur. Autant qu'il me souvient, l'exemplaire unique que j'ai jamais vu de cet enfant des ténèbres, qui figure sous sa forme naturelle, au Musée ichtyologique d'Ottawa, provient du lac Huron. Un navire y ayant sombré, des plongeurs essayèrent d'en pratiquer le renflouage. Ils descendirent dans des profondeurs écrasantes pour leur armure scaphandrique, atteignirent l'épave couchée sur un lit de vase d’où ils rapportèrent deux esturgeons spatulaires qui furent expédiés à Ottawa, à cause de leur étrangeté même, dont un seul se survit — mais empaillé — l’autre ayant péri naturellement, rongé pur les vers. C’est à la fois un ganoïde et un chondrostôme, sans qu'il ait de scutelles prononcées comme ganoïde, sans qu'il se rapproche des sturioniens autrement que par la forme de son corps, la couleur et le grain sélacien de sa peau. Si vous visitez le Musée d'Ottawa, arrêtez-vous devant la vitrine n° 199. Le sujet en vaut la peine. Ai-je besoin de répéter qu'il est unique au Canada ? Faut-il vous le décrire? “ Couleur olive un peu pâle ; opercule démesurément allongé en pointe, atteignant presque les ventrales ; spatule large : le prémaxillaire s'étendant bien au delà des yeux minuscules; peau chagrinée ou à peu près, avec des fuleres rhomboïdes sur les côtés de la queue ; ventrales rapprochées du milieu du corps; dorsale un peu en arrière de celles-ci, et plus grande qu'elle, taillées en courbe : les rayons des nageoires sont minces et les nageoires semblent formées d’un tissu de cordes filées ; isthme papillaire chez les Jeunes ; la tête, y compris la spatule et les pointes operculaires, presque plus que la moitié de la longueur du corps ; la tête seule n’est égale qu'à la cinquième partie. 222 LES POISSONS La famille des polyontidés ne comprend que le genre spatulaire avec deux espèces, la spatule (polyodon folium) et le glaive (polyodon gladius). “ L'espèce la plus anciennement connue, dit Brehm, est la spatule, étrange animal au corps allongé, un peu comprimé en arrière, au museau se prolongeant en un long rostre aplati, élargi à son extrémité et ressemblant exactement à l’ustensile d’où la bête à tiré son nom. La bouche placée en dessous est largement fendue, les yeux sont très petits. “ L'autre espece, dont les formes générales sont les mêmes, s’en distingue par le museau, à forme conique, ressemblant à une épée à large base. Les fulcres du bord supérieur de la caudale sont très développés et forment de grandes plaques. En dessus l'animal est d’un gris ardoisé bleuâtre. Les nageoires sont d'un rose de chair. “ Les deux espèces de polyodon ont une curieuse distribution géographique. La spatule est cantonnée dans le Mississipi, dans ses tributaires et dans les grands lacs du plateau central de l'Amérique du Nord. C’est dans le fleuve Bleu ou Yang-tsé-Kiang, ce large fleuve de la Chine, que vit le Gluive; c'est à Woosunpg, ville située sur le confluent du fleuve Bleu et de la rivière qui remonte à Shang-Haï, que Von Martens qui à fait connaître l'espèce, l’a trouvée chez un marchand de poisson, confondue dans une même corbeille avec des cyprins de différentes espèces. “ Le Glaive peut arriver à la taille de 20 pieds ; il est probable que son rostre, qui, sur l'animal en vie, est doué d’une grande flexibilité, lui sert à fouiller dans la vase et à en faire sortir ainsi les animaux dont il se nourrit ; le rôle du bec de la Spatule doit être le même ; car cet organe est merveilleusement disposé pour permettre à l'animal de remuer _ la vase.” Sans être aussi délicate que celle de l’esturgeon, la chair du polyodon est néanmoins fort mangeable, surtout lorsqu'il vit dans des eaux profondes et relativement froides. LE POISSON ARME 223 LE LÉPIDOSTÉ OSSEUX ou POISSON ARMÉE Gar-Pikes.—Poissons armés (canadien-français). SOUS-CLASSE. . . .... FoloStEL- PEER ganoïides holostés....... ORDRES NE"... Ginglymodi...:.dents en charnière... . Ben. .. Lépidostidés.. = .eécailles en 08. 7" BSPEGES 47.00 Le museau long et le museau cowrt....... Corps cylindrique montrant ses écailles osseuses rangées par de nombreux verticelles obliques ; dorsale reculée sur l’anale, et sa caudale bordée par un rayon écailleux qui le fait ressembler au brochet ; tête petite, déprimée, yeux très grands, mâchoires étroites, très allongées, en forme de bec d’échassier, la supérieure un peu avancée. Tel est, d’un coup de plume, le portrait du lépidosté osseux, vulgairement appelé poisson armé. Sans être très répandu, le poisson armé se trouve encore assez fréquemment, dans le bassin du fleuve Saint-Laurent, au pied des rapides, dans des remous, guettant tous les autres poissons, dont il est la terreur et qu’il pourchasse impitoyablement. Sa chair, quoique de bon goût, lorsqu'il a atteint une certaine taille, est généralement dédaignée. Longueur moyenne, de 3 à 4 pieds. Le poisson armé est fort redouté des pêcheurs, car sa présence met tous les autres poissons en fuite. Aussi, est-ce une fête pour eux, une excellente aubaine, lorsqu'ils réussissent à le capturer. Défiant à l'extrême, il ne mord qu’au vif, et encore faut-il que vous le pêchiez dans une eau agitée qui l'empêche d’'apercevoir la corde de votre ligne. Il me revient, qu'un jour, étant enfant, j'essayai de mille moyens pour m'emparer d'un de ces poissons que je prenais pour un brochet. Il était 224 LES POISSONS à quelques pieds de moi seulement. Je lui offris de tous les mets les plus succulents : des perches, des aprons, des gardons, etc. il n’en fit aucur cas. Irrité de ses dédains, et le voyant toujours immobile entre deux eaux, j'enroulai ma ligne autour de son corps, et donnant un coup sec, je le soulevai de plusieurs pieds hors de l’eau. Croyez-vous qu'il fut effrayé de cette tentative d'enlèvement ? Pas le moins du monde. Retombé dans son élément, il reprit sa place et son immobilité. Je renouvelai mon assaut, mais sans plus de succès. Je racontai cette aventure à un vieux pêcheur de nos voisins. —Comment était-il fait ton brochet ? me demanda-t-il. —I]] était fait comme un autre brochet, seulement, il avait une hart d’au moins dix pouces de longueur dans la bouche. D Sn = il y PTT l)} | | | NN NP YE) NE SSS 1j 1) D); D) ) | dL | | SN d > ui f . oi ) | î a D Ne \ / a SE = Ce , EE LR Le 22 FREE =SS BEST es = Fic. 38. — Le Lépisdosté osseux ou Poisson armé. Le brave homime se mit à rire, en me disant : Tu aurais fait un bon coup, si tu avais pu le prendre, car c’est un poisson armé.” Plus tard, j'ai retrouvé le poisson armé dans des musées, Je l'ai vu figurer dans l’antre des sorcières, des magiciens, des alchimistes, suspendu au plafond, à côté de crapauds, de chauves-souris et de sauriens, et l’année dernière, j'en ai vu capturer à la seine, dans l’anse de Papineauville, plus d'une douzaine d’un seul coup. Je me hâte d'ajouter qu'ils mesuraient quatre pouces de longueur au plus. Pas n’est besoin de dire qu'ils n'ont LE POISSON ARME 2925 jamais revu l'élément natal. Volontiers, je les eusse conservés dans un bocal, mais qui s'intéresse à ces curiosités ichtyologiques au Canada ? Le musée d'Ottawa, après avoir visité l'Europe et l'Amérique, git aujourd'hui dans une solitude profonde, sous une couche très respectée de poussière. Si par hasard un visiteur s’y égare, il se hâte d’en déguerpir,.sur le bout du pied, se croyant dans un asile de mort, et craignant d'en réveiller les habitants. Il y à trois ans, je préparai un catalogue élaboré des poissons de ce musée, avec leurs noms scientifiques, usuels et vulgaires, en diverses langues mortes ou vivantes ; Je le soumis au ministre des pêcheries d'alors, en lui proposant de le faire imprimer avee addition de gravures représentant les spécimens empaillés. Le ministre me fit l’honneur de me féliciter de mon travail et s’empressa de me le renvoyer. Il est là, dans mes cartons, dormant dans la poussière, comme le musée lui-même. Quelle est la main généreuse qui leur appliquera une poussée pour les réveiller ? “ Les lépidostidés, dit le Dr Sauvage, qui sont des ganoïdes holostés ou à squelette osseux, comprennent des poissons au corps allongé, subcylindrique, ressemblant à celui du brochet, recouvert d’écailles osseuses, à surface émaillée, disposées en séries régulières ; la dorsale, très reculée, est opposée à l’anale, et composée, ainsi que celle-ci, seulement de rayons articulés ; la queue est hétérocerque ou asymétrique ; toutes les nageoires sont garnies de fulcres, ces petites écailles de forme particulière que nous avons dit être spéciales aux ganoïdes. Les rayons branchiostèges ne sont pas accompagnés de plaques osseuses. Les vertèbres s'articulent entre elles comme chez la plupart des reptiles ; ces os présentent, en effet, en avant, une tête articulaire, et en arrière, une concavité correspondante. Le crâne a la forme d’une massue à base carrée et à manche allongé. La face offre cette particularité que les maxillaires supérieurs sont décomposés en une série de pièces allongées, articulées bout à bout. “ La vessie natatoire, divisée en deux parties latérales, présente des brides charnues entre les alvéoles de sa paroi, et s'ouvre par une fente longitudinale dans la partie supérieure du pharynx Cette vessie a été regardée par plusieurs anatomistes comme un appareil respiratoire, car l'ouverture œsophagienne pourrait livrer passage à l'air extérieur. “ Un lépidosté, dit Poey, placé dans un bassin rempli d’eau, y restait en repos tout le jour ; la respiration branchiale s’effectuait par un mouvement continuel et à peine visible de la mâchoire inférieure, et par un déplacement un peu plus apparent des opercules ; quarante mouvements respiratoires pouvaient être comptés par minute ; huit fois environ ou douze fois par minute il venait à la surface respirer de l'air, et retournait 15 226 LES POISSONS aussitôt au fond du bassin. Une seconde après, une demi-douzaine de bulles d'air, dont quelques-unes assez grandes, s'échappaient par les ouïies. L'air séjourne une seconde et quelquefois une seconde et demie dans la vessie, et.ce temps est probablement suffisant pour l'absorption de l'air, en vue du rôle qu'il est destiné à jouer et pour son rejet.” La disposition de l'appareil respiratoire est, d’une manière générale, celle des poissons ordinaires ; il y à quatre ares branchiaux portant chacun deux rangées de lamelles vasculaires ; il n'existe point d'interopercule. Les lépidostés sont cantonnés dans l'Amérique du Nord. D'après ce Agassiz, et c’est une autorité fort respectable en la matière, “ on le rencontre dans toutes les eaux du sud, à partir de la Floride, jusqu'au Texas, dans le Mississipi et dans tous les grands affiuents de ce fleuve jusqu'à la latitude du lac Supérieur, qui cependant n'en possède point, dans tous les grands lacs moins septentrionaux du Canada et dans le Saint-Laurent.” Il y en à aussi dansles rivières et dans les lacs situés à l’ouest de l'État de New-York, et dont les eaux sont reçues par ce fleuve. Ils habitent également celles de la Pensylvanie occidentale, tributaires de l'Ohio, et celles qui se rendent à l'Atlantique, entre la baie de Chesapeake et la Floride. Dans les Etats de la Nouvelle-Angleterre, à l’est du lac Champlain, les lépidostés manquent, ce qui est d'autant plus étonnant que, en remontant vers le nord, on les retrouve dans le Saint-Laurent, déjà signalé comme étant une de leurs stations ; en descendant vers le sud, on constate leur présence dans le Delaware. Agassiz croyait, en 1850, qu'ils faisaient défaut à l'ouest des montagnes Rocheuses et dans l'Amérique centrale : mais depuis cette époque on en a trouvé une espèce près des côtes du Pacitique. Enfin, pour achever lénumération des régions du nouveau monde où ils vivent, j'ajoute quil y en à à Cuba. “ Fait étrange, reprend Agassiz, les lépidostés, aujourd’hui cantonnés dans le nouveau monde, ont existé en Europe pendant l'époque tertiaire : on en trouve d'assez abondants débris dans le terrain éocène, c’est-à-dire tertiaire inférieur du bassin de Paris, et ces débris indiquent un animal appartenant au genre lépidosté. À la même époque, ce genre et des genres voisins vivaient dans les eaux douces de l'Amérique du Nord : il est curieux de noter que les lépidostés ont continué de vivre dans le nouveau continent, tandis qu'ils ont disparu de l’ancien monde.” “ Le lépidosté osseux ou lépidosté gavial, dit de Brehm, l'espèce la plus anciennement connue, présente au plus haut degré les caractères que nous avons indiqués ci-dessus. C’est un animal de forme allongée, à le LE POISSON ARME 227 tête longue, au museau très étroit et eflilé, ayant une rangée de grandes dents aux mâchoires. La couleur tire sur le verdâtre dans les régions du dos, sur le jaunâtre le long des flancs, sur le rougeâtre sous le ventre : les nageoires ont une coloration rougeâtre. La longueur de l'animal peut atteindre quatre pieds et demi. “ Les zoologistes sont loin de s'entendre sur le nombre des espèces de lépidostés ; tandis que les uns n’admettent que quatre espèces, d’autres cataloguent jusqu'à trente espèces réparties dans trois genres. On comprend, dès lors, qu'il soit difficile de donner la répartition géographique exacte de ces espèces comprises d’une manière aussi différente. “ De tous les poissons osseux, écrit Lacépède, les lépidostés sont ceux qui ont reçu les armes défensives les plus sûres. Les écailles épaisses, dures et osseuses, dont toute leur surface est revêtue forment une cuirasse impénétrable à la dent de presque tous les habitants des eaux, comme l'enveloppe des ostraciens, les boucliers des acipensères, la carapace des tortues et la couverture des caïmans. À l'abri sous leur tégument privilégié, plus confiants dans leurs forces, plus hardis dans leurs attaques que les écoses, les synodes et les sphyrènes, avec lesquels ils ont de très grands rapports, ravageant avec plus de sécurité le séjour qu'ils préfèrent, exerçant sur leurs victimes une tyrannie moins contestée, satisfaisant avec plus de facilité leurs appétits violents, ils sont bientôt devenus plus voraces et porteraient dans les eaux qu'ils habitent une dévastation à laquelle très peu de poissons pourraient se dérober, si ces mêmes écailles défensives qui, par leur épaisseur et leur sûreté ajoutent à leur audace, ne diminuaient pas par leur grandeur et leur inflexibilité, la rapidité de leurs mouvements, la facilité de leurs évolutions, l'impé- tuosité de leurs élans et ne laissaient pas ainsi à leur proie quelque ressource dans l'adresse, l’agilité et la fuite précipitée. “ Mais cette même voracité les livre souvent entre les mains des ennemis qui les poursuivent; elle les force à mordre sans précaution à lhameçon préparé pour leur perte ; et cet effet de leur tendance naturelle à soutenir leur existence leur est d'autant plus funeste par son excès qu'ils sont très recherchés à cause de la bonté de leur chair.” Cette description est certainement brillante, mais elle est loin d’être exacte, Lacépède n'ayant jamais observé les animaux dont il parle. I] n'en est pas de même d’Agassiz, qui nous à laissé de précieux renseigne- ments sur les lépidostés. “ Ces animaux, dit Agassiz, sont des poissons qui nagent avec une extrême rapidité ; ils se lancent comme une flèche à travers les eaux et franchissent les courants les plus rapides, même ceux du Niagara, si violents cependant.” 228 LES POISSONS En observant des jeunes lépidostés, Agassiz à vu que, par leurs mouvements, ces animaux offrent des analogies avec les reptiles, ce que pouvait faire prévoir le mode d’articulation de leurs vertèbres. # Leur épine, dit-il, se montre plus flexible qu’elle ne l’est chez les poissons ordinaires : fréquemment, pendant le repos, ils sont plus ou moins infléchis, principalement vers la queue. L'éminent naturaliste à vu, au Niagara, un lépidosté mouvoir la tête librement sur le cou ; comme celle d’un saurien, elle se penchait à droite, à gauche, en haut, et exécutait ainsi des mouvements qui ne peuvent avoir lieu chez aucun autre poisson. : Agassiz a également observé que les lépidostés prennent leur nourriture à la manière des reptiles et non comme les autres poissons qui, d'ordinaire, tiennent, pour la recevoir, la bouche largement ouverte et l’avalent aussitôt. Les lépidostés, au contraire, s’'approchent de la proie qu'ils convoitent et arrivent près d'elle de côté, la saisissant par une attaque soudaine, puis la retiennent dans leurs mâchoires, la blessent à coups de dents répétés, à la manière des crocodiles, et lui donnent ainsi la position la plus convenable pour qu'ils puissent la déglutir ; on voit la proie avancer dans les organes digestifs par suite des mouvements de déglutition. nn NYSE. EÉCES : LS [FLE 230 LES POISSONS Î ji sms | | \ nt | 39. -- Le Poisson de vase ou Poisson-Castor, Poisson-Chien, Mud-Fish. Fig. LE POISSON-CASTOR 231 LE POISSON:CASTOR (Canadien-français) Vulyo: Poisson de vase, Poisson-Castor, Poisson Chien Mud-Fish DOUS-OLASSE.... :.:.. 80 Holostei (The bony ganoids). ORDRE... :..."..….. PEHalecomorpheKalosites). FAMILLE: 22 nn. Anniadée. Ce poisson est fort répandu dans les tributaires du Mississipi et dans les grands lacs du plateau central : dans la province de Québec il paraît s'être cantonné dans les eaux du lac Saint-Pierre, plus particulièrement sur ses rives sud. C’est un des trois derniers ganoïdes réfugiés dans les eaux du Canada, comme dernier asile après avoir habité les mers septentrionales des deux mondes. La famille des amiadés ne comprend qu'un seul genre, celui des amies. Elle est composée de poissons dont le corps est allongé, un peu comprimé, le museau court, la gueule largement fendue, la tête légèrement voûtée au-dessus, striée, mais non couverte d’écailles. Le bord libre de la mâchoire porte, sur toute son étendue, une rangée de dents coniques, et derrière, une bande de dents en râpe ; on voit des dents sur le vomer, les palatins et les os ptrérygoïdiens. La nageoire dorsale est longue, l’anale courte, la caudale arrondie ; on ne voit pas de fulcres aux nageoires. Les rayons branchiostèges sont nombreux : il existe une large plaque gulaire entre les branches de la mâchoire inférieure. La vessie natatoire est celluleuse. Le squelette est complètement ossitié. Aux eaux vives et courantes les amies semblent préférer les eaux marécageuses où, lorsque les chaleurs de l'été font évaporer l'eau, elles restent dans la vase desséchée, habitude qui leur à fait donner le nom de poisson de vase, mud-fish. À. Danneril décrit un poisson du centre de l'Afrique qui parait se rapprocher assez intimement de l’amie pour qu'il vaille la peine d'en reproduire le portrait ici ; il le nomme le protoptère ou lépidosirène. “ Les organes de la locomotion, écrit-il, sont disposés uniquement pour la vie aquatique et non pour la progression, si ce n’est dans l'eau, quand 232 LES POISSONS l'animal, se soulevant au-dessus du fond, avance par une sorte de marche quadrupédule, à l’aide de ses membres. “ La natation est rapide, grâce à l'énergie des mouvements de la queue ; mais elle peut être comparée à celle d’un triton, plus encore qu'à celle d'un poisson. ‘“ Une partie de la vie, au reste, se passe dans une immobilité presque absolue, car leur instinct les entraîne à se cacher, vers la fin du temps des pluies, avant la saison sèche, en s’enfouissant dans la vase qui se durcit après la disparition de l’eau et sous l'influence des rayons solaires. “ Depuis quelques années, on apporte de la Gambie en Europe des mottes de terre d’une grosseur variable mais qui ne dépassent pas le volume des deux poings: chacune d'elles contient tout un protoptere. Elles proviennent des rizières, des marais, des étangs ou des rivières qui se dessèchent et dont les eaux sont habitées en abondance par ce poisson. De semblables mottes ont été vues à différentes reprises au Muséum d'Histoire naturelle, et plusieurs observateurs ont pu étudier, à l’état de vie, les animaux qu'elles contenaient. “Il m'a été donné d'y assister aux manœuvres qu'ils exécutent pour se creuser leur demeure souterraine. “ À une certaine époque on avait cru que l’ensevelissement se faisait au milieu de feuilles qui constituaient l’étui protecteur. Plus tard on à reconnu l'inexactitude de cette supposition. Senckart à émis l'opinion que l’épiderme, en se détachant du corps, fournit les matériaux de l'enveloppe. Cependant, comme jusqu'au moment de la réception à la ménagerie du Muséum de blocs provenant de la Gambie, on n'avait été témoin que de l'apparition de l'animal quand il quitte sa demeure souterraine où jamais on ne l'avait vu pénétrer, on en était réduit à des conjectures sur la nature et le mode de formation de cette sorte de cocon. “ Deux lépidosirènes (protoptères) revenus à l’état de liberté par suite du ramollissement lentement obtenu des mottes où ils étaient logés, donnèrent, après un mois d'existence active dans un aquarium, la preuve que le moment était venu pour eux de chercher, dans la terre molle que l’eau recouvrait, l'abri qui, dans les conditions ordinaires de leur vie, est indispensable durant la saison sèche : agitation, sécrétion abondante de mucus, efforts pour fuir, tout annonçait un irrésistible besoin de trouver un milieu autre que celui où ils étaient plongés. Je m’efforçai done de les placer dans des conditions analogues à celles qu'ils rencontrent lorsque le sol abandonné par les eaux se dessèche et finit par se durcir. L'eau de l'aquarium fut peu à peu enlevée, dès que les animaux eurent creusé la vase. Trois semaines environ s'étaient à peine écoulées, et LE POISSON-CASTOR 233 déjà, la terre durcie formait une masse fendillée sur plusieurs points par la dessiccation. Ce sont ces ouvertures qui permettent l’arrivée d'une petite quantité d'air pour les besoins de la respiration. “ Au bout de soixante-dix jours j'explorai le sol et je pus constater que les deux animaux avaient trouvé les conditions favorables pour traverser sans danger la saison de sécheresse artificiellement produite, car ils étaient enveloppés dans des cocons et pleins de vie, comme le prouvaient leurs mouvements provoqués par le plus léger attouchement, “ Le cocon est donc un étui protecteur produit par une sécrétion muqueuse. Un des cocons venus de la Gambie et d'apparence absolument identique à ceux qui ont été faits dans l'aquarium, où il n’y avait que de l'eau et de la terre, n’offrait aucune trace de tissu végétal. Mon confrère, le professeur Decaisne, s’en est assuré par l'examen microscopique, et la substance répandait, en brûlant, l'odeur caractéristique des matières animales soumises à la combustion. “ La mucosité abondamment sécrétée, j'en ai eu la preuve, recouvre d’abord et agglutine les parties du sol que le lépidosirène (protoptère) traverse : aussi les parois du canal souterrain qu'il s'était creusé et qui resta béant, étaient-elles après la dessiccation, lisses et comme polies, puis, dans le lieu où il s'arrête, la sécrétion devenant plus active encore, la mucosité se dessèche et acquiert la consistance d’une enveloppe membraneuse remarquable par sa structure. “ D'après Günther, ‘“ les amies peuvent atteindre la longueur de deux pieds. Ce sont des animaux qui se nourrissent de petits poissons, de crustacés, d'insectes aquatiques. “ Wilder à observé la manière dont respirent ces animaux ; ils viennent à la surface de l’eau, et, sans lâcher les bulles d'air, ouvrent largement la gueule et avalent une grande quantité d'air ; cet acte se passe surtout et plus fréquemment lorsque l’eau est impure et ne contient pas beaucoup d’air respirable ; il est certain dès lors que les amies peuvent respirer l'air en nature. Leur chair n’est pas estimée.” Le poisson-castor de la province de Québec est destiné à disparaître bientôt. Du jour où les dragues du gouvernement enlèveront les bancs de la rive sud du lac Saint-Pierre où il a son gîte, c'en sera fait de lui. On l'emportera avec les vases qui lui serviront de tombe. Que je vous offre au moins son portrait comme souvenir de l’un des plus anciens habitants de notre globe : Corps allongé, comprimé en arrière, arrondi de l’avant ; tête subconique, à museau obtus, légèrement comprimée ; les os de la boîte ravinés et très durs, recouverts d’une peau très mince. Museau court et arrondi. 234 LES POISSONS Les rebords de la mâchoire supérieure sont formés par les maxillaires et divisés par une suture longitudinale ; mâchoires à peu près égales à leur extrémité. L'ouverture de la bouche quasi-horizontale s'étendant au delà de l'œil ; mâchoire inférieure large, en forme d'U, avec les sections bien marquées ; une large plaque osseuse ornée de stries rayonnantes sépare les deux mâchoires. Chacune des mâchoires est armée d’une série exté- rieure de dents coniques, en dedans desquelles la mâchoire inférieure porte une bande de dents en râpe. Des bandes de dents petites au vomer et sur les os ptérygiens : les palatins ont une série de dents plus fortes et aiguës. Les prémaxillaires non protractiles. La langue épaisse est à peine mobile au bout. Les narines sont bien distinctes ; celle de l'avant porte un léger barbillon. Les joues sont euirassées comme le sommet de la tête : l'opereule est bordé d’une large bande charnue : les branchies non unies sont dégagées de l’isthme. Les écailles de moyenne grandeur, cycloïdes, solides, à rebord membraneux : ligne latérale bien marquée ; la dorsale longue et basse, presque de hauteur uniforme, s'élevant un peu en avant de la hauteur médiane du corps. Queue hétérocerque, connexe en arrière. Pas de fuleres. Anale courte et basse. Pectorales et ventrales courtes et circulaires ; les ventrales plus rapprochées de l’anale que des pectorales. La vessie natatoire cellulaire, bifide en avant, en forme de poumons réunis par une glotte au pharynx et pouvant aider à la respira- tion. Dos olivâtre ou noir ; moins sombre sont les flancs semés de lignes noires réticulées ; taches noires sur la mâchoire inférieure et la plaque gulaire. Nageoires presque noires, finement mouchetées. Le mâle porte une tache ronde noire à !la base de la caudale, légèrement entourée en dessus d’un cercle jaune orange. (Cette tache n'existe pas chez la femelle. Les yeux mobiles attirent l'attention par l'expression de colère ou de prière qui s'y reflète lorsque l'animal est retiré de l'eau. #2 DES D —— 2 + — —0— 1 © ee y EN Pr J (id dr né \ € Le WE 1e L ‘0 à tal tort à D'qteg fie) ARTISTE LI UPS edf D Abe. temiit { (i tra" du k ce } Vtt j ARE ges plus fe EX ts te 'attrs + on INR { f ll POLE "r | œ, À ‘ f aude qu sul) Lo 1: Pre ie A Le TPE IEEE RIPORCPAUTNT PONTS PT ET 1: a FE À ane nn | y, LEE NE vi \té ii vb M eu L'EUN 2 j e té astro vs CPI ti { ; 1 MUITO EN ia 1 [e LE : PALAU APTE LEAN W Ir “are MEL UACYEORR ET LL OBIEL 3 CE LA DOC TTIER VEUT Lpt SALE LL LE SEC: DS IT CDN LEN dur #6 THE Na LAON DUO lili, du Me CRI | HAE HonDee ele dallrnnm sf Jr vi ones te: 1OV AT) ENT, =; SO EM . je ) Ci ' 4 0 { è TL LE RTE PES OT ls 2-77 Er era) Cite ot TANT! mes jolie N DUT ù RECPA Dre 1 PENT ti CORTE UD LPILELEE DEL VAL A0 QU ? ET tr (HA v T Un ja © 4 LRAFAIENE DILTE. Len an sta rE de dE | {» 11 SE ren bites Part on y ! mté Ai; “y DAC RES A CHLE S PORC 2 DEN CEE Pr ‘J Ah he Sri rt Da pee 0) AE PAPE RIT IN EEE RE = | KR #4 LIVE pa El Mie Lu à: 15 1 PORTES LE Eu SRE UML rs à RNA + “is : 4 HR * RAT FAP AT) QI RANCE HET? 14 ni} CUT it ut] HAE v . vagues Aa ENE A Hg Tre fs #4 er CRT at gr rite ie à d'héft A 1 trie L'ÉUTEL diiqrii: 10 Minsiss DOCTEUR faste, #1: | Ho ds CCC LUS ANT Vtt L\ AIS EE Bip fi Le due. e ‘à : _ | — ñ hs 6e . L . . J . SNA Ù » s ; en D n l Jo AMI “hs TELE, à RELANTELTONLET ER aa res Ti T4 “di cdot LE k radis a Arr (+ i MT Cri è Le | 15 MUC if ARTE A 3 (AU Mio AA PT UF: A1 OR TEL mine ts LE ares dort DEN te au an let: Alaoe, old, ‘fon nl AE) oute fit ET MI TTE a | its at AE, 4 alta : ALL né F4 Le e a [Le ‘4 Fu k " 1 LA . NORER EAN D h ». y EL nû À ue : [ pr ” éT } : Que Lét . x. ‘ ' née 1e Pre 0 Ne à! (l st } i CR LE] L L t F1 , .. 1 L .t "Ten 1 æ " * &., L Û A ur re 11! ; Li ; "ER fa! v e 14 . + L “ HT: 4 tbe o % a. 1e ‘ 2 Û ei Es Es o. Ne ter x. À +R. D - 336 LES POISSONS GB ORPI AIMDSRRS La famille des Clupéidés ou des Clupes est caractérisée par le hareng; dont les espèces et les variétés sont multiples. Il n'est pas de poisson plus répandu que le hareng dans les mers septentrionales. Tous les printemps il garnit les deux continents de l'ancien et du nouveau monde, depuis la hauteur de leur ceinture jusqu'au cercle polaire, d'une large bordure argentée brillant du plus vif éclat. À ce moment il excite l’appétit, la convoitise des nations ; des flottes s'équipent pour recher- cher ses dépouilles ; il en surgit de tous les côtés, de tous les ports ; la mer se couvre de filets dont les mailles traitresses enlacent, étouffent le poisson d'argent, le poisson du pauvre, à un sou la pièce, qui fait la fortune des millionnaires, la richesse des empires. Combien de fois le sort de l'Europe n’a-t-il pas dépendu de la pêche de ce poisson ! Demandez-le plutôt à l’Ecosse, à l'Angleterre, à l'Irlande, à la Suède, à la Norvège, à l'Allemagne, à la Hollande surtout. Qui n’a entendu dire que Amsterdam est bâti sur des arêtes de harengs ? Eh ! ne pourrait-on pas en dire autant de vingt, cinquante et cent villes d'Europe ? Au Canada même, il est l’objet d’une industrie et d’un commerce d’une importance extrême. Après la morue il est notre denrée maritime la plus précieuse ; sa part de contribution annuelle à la richesse publique se compte par des millions de piastres. Le hareng est un poisson de mer qui s'approche des rivages ou remonte les fleuves jusqu'en eau saumâtre pour y frayer. Quelques espèces pénètrent dans les fleuves, au printemps, pour y jeter leurs œufs ; l’alose est de ce nombre ; d’autres, comme le dos bleu du lac Érié, s'aventureront au loin et s’acclimateront dans les eaux douces sans jamais retourner à la mer. En 1894, le bureau des pêcheries de la province d'Ontario fit transporter à grand frais du frai d'alose, dans le lac Ontario, et après l'éclosion des œufs il se trouva que l’alose avait été changée en nourrice pour du gasparot, un ravageur de frayères de poissons blanes. Les pêcheurs jetèrent les hauts cris, mais le mal était fait et presque sans remède, car le gasparot, fort apprécié en mer, n’a plus aucune valeur dans les lacs. Il faut reconnaître toutefois qu'il est particulièrement goûté de la truite des lacs, des brochets, des maskinongés, des dorés mêmes qui en font de franches lippées. Ce qui se perd d’un côté se rattrape ainsi de l’autre. L’'ALOSE 237 ÉEMEOSE L'Alose d'Amérique. -— Clupea sapidissima — American Shad Divers auteurs américains, entre autres Storer et Wilson, ont appelé l’alose d'Amérique très fine (Clupea sapidissima), pour la délicatesse de sa chair, de qualité supérieure à celle de l’alose feinte d'Europe. Aux Etats-Unis elle occupe le premier rang comme poisson de table, salée, fumée, tout comme à l’état frais. Klle est très abondante sur les côtes de l'Atlantique, depuis la Floride jusqu’au cap Cod, ce qui n’a pas empêché la commission des pêcheries de la répandre avec grand succès dans les affluents du Mississipi et en Californie où elle prospère également. Le même moyen ne pourrait-il pas être employé dans la province de Québec pour repeupler nos rivières de ce précieux poisson jadis si abondant dans le bassin inférieur du fleuve Saint-Laurent où il est rare aujourd'hui ? 4 (444 AAA xx) Fi. 40, — Alose d'Amérique. L'alose appartient à l'immense famille des harengs, mais elle y tient le haut du pavé pour sa taille, sa beauté et son luxe. Dès qu'elle atteint l’âge de maturité, elle occupe maison de ville et maison de campagne. Au printemps, vers le commencement de juin, lorsqu'elle est d'âge à se reproduire elle quitte les fonds de la mer pour remonter les cours d’eau : elle’monte déposer ses œufs sur des sables dorés où la chaleur du soleil va les faire éclore. Dès que l’œuvre de la parturition est accomplie, elle se hâte*vers la mer en prenant le grand courant, voyageant de nuit, pour éviter les dangers et les ennemis qui la guettent près des rives. Les 238 LES POISSONS petits une fois au jour cherchent leur nourriture autour de leur berceau et séjournent dans les eaux douces pendant cinq mois, Jusqu'à ce que saisis par les premiers froids, ils vont se blottir dans les mystérieuses profondeurs de la mer où les parents les ont devancés et d'où ils ne reviendront qu'à l’âge de trois ou quatre ans, lorsque l'heure du berger aura sonné pour eux. Pendant longtemps on à cru que les harengs partaient des régions arctiques, tous les printemps, pour émigrer vers le sud, en garnissant les rives de l'hémisphère boréal d'une bordure d'argent plus riche que n’en eut jamais royal manteau: mais il y a quelque vingt-cinq ou trente ans, Milne-Edwards a mis fin à cette théorie fantaisiste en exposant que c’est au nord d’où ii est censé venir que le hareng se trouve en moins granil nombre, en faisant la pêche d'hiver dans des baies à grande profondeur d’eau, en démontrant l'impossibilité physique de pareils voyages, surtout pour le jeune frai de l’année. On attribuait les mêmes migrations à l’alose, la reine des harengs ; seulement, au lieu de descendre du pôle nord, elle y remontait en partant du golfe du Mexique, longeant les rives des Etats-Unis, en semant des colonies dans tous les grands cours d’eau donnant sur sa route, jusqu'aux bancs de Terre-Neuve, où faisant équerre, l’arrière-garde de cette immense procession pénétrait dans le golfe Saint-Laurent pour le remonter jusqu'au-dessus de Montréal. Aujourd’hui cet enseignement n’a plus cours pas plus pour l’alose que pour le hareng. Sa ponte étant finie, elle retourne à la mer réparer ses forces dans les gras paturages qu'elle a quittés pour se reproduire et répondre aux instincts de sa nature. Moins coureuses que nos pères ne la croyaient, peut-être ne s’éloigne-t-elle que d'un jour ou deux de marche de son berceau et du lieu de ses amours. Chaque rivière que fréquente l’alose doit avoir une retraite maritime peu distante de son embouchure où ce poisson trouve le vivre et le couvert, durant toute l'année en dehors de l’époque du frai. Au printemps, la rivière se réchauffe sous les rayons du soleil revenu dans nos parages et l’alose y risque un œil et un coup de nageoire. Ce manège se répétant de rivière en rivière, sur les pas du soleil, on à cru à une procession générale partant de la rivière Saint-Jean, en Floride, et venant jusqu'à Cornwall, jusqu'à la chute Niagara peut-être, au temps jadis, mais jusqu'à Montréal, au moins, de nos jours. C’est une question de température, rien de plus. Pas de procession plus que dans le creux de votre main. C'est si peu une procession générale qu'une rivière plus au nord se trouvera habitée parfois avant une rivière plus au sud. D'où vient cela ? Tout simplement de ce que la rivière la plus au nord se trouve étre d’un cours moins long et d’une moindre altitude, ce qui fait qu'elle se réchauffe plus promptement que sa voisine du midi, plus longue et partant de plus haut. Les neiges L'ALOSE 239 et les glaces des montagnes entretiennent longtemps la fraicheur des rivières qu’elles alimentent. Corps très mince, tête petite, œil grand, noir, remarquablement beau, bouche large garnie de petites dents, mâchoire inférieure plus avancée que la supérieure qui est échancrée à son extrémité, langue blanche marquée de petits points noirs; l'adaptation bizarre des deux mâchoires est un des traits distinetifs de ce poisson. L’alose de l'Amérique du Sud jusqu’à la Delaware à la dorsale tachée de noir comme l’alose d'Europe ; plus au nord cette nageoire est simplement grisâtre : ventrales blanches, carène du ventre dentée et couverte de lames transversales. Les écailles dures et terminées par une pointe aiguë se continuent jusque sur la queue. Dos vert olive pâle, avec des reflets dorés et irisés : flancs, gorge et ventre nacrés à reflets un peu verdâtres et comme dorés. Ce clupe atteint jusqu'au poids de six, huit livres et même plus. La femelle est toujours plus grosse que le mâle. D’après ce portrait n’ai-Je pas raison de dire que c’est un poisson noble, de haute lignée. La troupe est en route vers le lieu natal conduite par les anciens, pilotes d’une longue expérience, suivis du gros de la colonie précédant les jeunes couples qui revoient après trois années d'absence des eaux qui leur sont chères, mais qu'ils ne reconnaissent plus. Les vieux, prudents, avancent d’une nageoïre mesurée, inspectant le ciel et le fond de la rivière, évitant les grands courants, prêtant l'oreille au moindre bruit, inquiets, troublés pour une pierre qui roule, un copeau qui passe, une mouche qui tombe. lorsque tout à coup le tonnerre éclate sur leur tête. Aussi vifs que l'éclair qui vient de déchirer la nue, ils se dispersent et s’élancent au fil de l’eau dans la direction de la mer, allant, fuyant toujours dans une course précipitée, folle, aveugle tant qu'ils entendent gronder le ciel sur eux. Des orages répétés pourront retarder l’époque du frai pendant des jours et des semaines. IIS arrivent enfin sur la plage dorée où ils vont déposer leurs œufs, au nombre de 25, 40, 50 et jusqu'à cent mille. Apres des ébats répétés pendant plusieurs jours, les couples étant à fleur d’eau, ne laissant percer que leur dorsale au-dessus, par un beau soir, entre le soleil couchant et onze heures, se laisseront choir doucement au fond, et le lendemain le mystère de la reproduction sera consommé, Très défiante, l’alose se préoccupe du moindre changement dans le lit de la rivière, d’un caillou déplacé, d’un corps d'arbre échoué, d’une écluse, d’une chaussée. Il lui faut peu de chose pour la détourner de sa course et lui faire renoncer à la patrie. Avant l'ouverture du canal de Beauharnois, en 1843, l’alose abondait tellement sur la rive sud du fleuve, en cet endroit, qu'on l’amoncelait sur les rives où elle pourrissait en 240 LES POISSONS infestant l'air. Le jour où les bateaux à vapeur vinrent couper sa route, l’alose gagna le nord, et jamais une seule n’a été vue, depuis, sur la rive sud. L'alose se nourrit de vers, de petits crustacés, de poissons blancs, mais dans nos rivières elle ne mange pas. On ne lui trouve jamais rien dans l'estomac. Elle mordra parfois à une mouche artificielle très brillante et habilement manœuvrée, mais elle est probablement animée alors par un instinct de protection; car on sait que certaines mouches pondent des larves qui avortent les œufs de poisson. Lorsque les petites aloses du printemps écloses à la chaleur et à la lumière du soleil de juin sentent les premiers frissons d'octobre, elles prennent au hasard le chemin de la mer, mais elles rencontrent sur la route bien des ennemis, bien des accidents, bien des malheurs. Vers la mi-décembre 1884, étant alors à Québec, on est venu me dire, non pas comme à Edmond About, qu'une sardine barrait le port de Marseille, mais que les bordages, à Lévis, étaient radicalement couverts de sardines. — Des sardines à cette saison de l’année ? — Eh oui, monsieur, des sardines vraies, mais mortes, gelées, rigides et fraîches ; il y en a des masses, des rouleaux, des ourlets sur tous nos bordages de Lévis, principalement dans les anses où la marée les tasse et les rassemble. C’est une manne d’un nouveau genre qui se ramasse à pleines mains. Si vous aimez les fritures, vous n'avez qu'à passer chez nous et vous en aurez à bouche que veux-tu. Je ne me fis pas prier. À une heure de là j'étais à Lévis, et je constatai que ces poissons morts jetés au rivage en parfait état de conservation étaient non pas des sardines maïs bel et bien de petites aloses. — Mais quelle est la cause de leur mort ? Peut-on en manger sans danger ? Voilà ce que chacun se demande sans trouver de réponse. Elles ne sauraient être victimes d’une épidémie, car les poissons ont de nombreux ennemis, mais peu de maladies. Ils meurent capturés par l’homme ou dévorés par d’autres poissons et divers amphibies, rongés par des parasites et quelquefois empoisonnés — par la chaux, la noix de salle ou des substances chimiques, par défaut d’une quantité suffisante d'oxygène. — Quant aux maladies dont l'air est le principal véhicule, elles ne les atteignent que rarement. On peut donc manger de ces petits poissons morts, sans aucun danger. J'attribue la mort de ces petites aloses à l'ouragan du 5 novembre — qui à soulevé le fleuve Saint-Laurent de son lit, inondé des villes, effondré des quais, broyé des navires et répandu la stupeur parmi les populations des deux rives. | PAOSLMER 24] Surpris dans leur descente vers la mer où ils vont passer l'hiver dans des eaux profondes à température modérée, refoulés vers les eaux glacées du fleuve, ils y ont péri de froid. Leur mort sera probablement cause d’une diminution dans le rendement de la pêche à l’alose, que nous pourrons constater d'ici à peu d'années. Voilà ce que je disais alors et le temps m'a malheureusement donné raison. Pour remettre nos rivières à aloses dans les mêmes conditions qu'autrefois, il faudra hniter nos voisins, recourir à la reproduction artificielle, en se gardant bien de tomber dans lerreur des pêcheurs d'Ontario, qui croyant semer du frai d'alose dans leurs beaux grands laës, les ont empestés de gasparots bons tout au plus à nourrir le doré et le namayeush ou à faire des engrais. Devenue rare dans le fleuve Saint- Laurent l’alose ne paraît pas diminuer en nombre aux États-Unis, et elle y est en plus grande faveur que jamais, spécialement dans les rivières tributaires de l'Atlantique : les baies du Chesapeake et du Delaware en fourmillent tous les printemps. On la capture avec divers engins de pêche, surtout à la seine et aux filets dérivants. Les prix varient de cinq à cinquante piastres le cent, suivant l'abondance et la taille du poisson, ce qui explique le soin extrême que donnent les Américains à la culture et à la propagation de ce elupéidé et la protection attentive dont ils l'entourent. L'alose est le premier poisson marin qui ait été l’objet de la piscicul- ture aux États-Unis. Dès l’année 1867, Seth Green est parvenu à féconder artificiellement les œufs de ce poisson, et après les avoir fait se développer il a pu en verser des quantités énormes dans le Merrimac, le lac Vinni- pegosis, le Penigewasset, d'où la descente s'est faite à la mer. C. Daniel et C. Hardy ont également réussi de pareilles opérations. On doit à MM. Frédéric Mather et Charles Bell un appareil très simple qui permet d'obtenir l'éclosion des œufs de l’alose en laboratoire. Cet appareil consiste en un entonnoir en métal auquel est soudée une bordure métallique : un large rebora forme, à l'extérieur, une rigole circulaire qui porte un ajustage latéral pour l4 sortie de l’eau. Vers le fond de l’'entonnoir se trouve une cloison horizontalement placée, en toile métallique à mailles fines, sur laquelle on dispose les œufs. L'appareil étant suspendu à une potence, l'eau arrive au moyen d’un tube en caoutchouc fixé au bas de l’entonnoir : le courant pénétrant sous une certaine pression entraine les œufs de bas en haut et dans une direction excentrique : ce courant, perdant peu à peu de sa force en devenant plus large,ne peut plus soutenir les œufs, qui tombent sur la paroi inclinée de l’entonnoir, roulent vers le fond et sont de nouveau repris : cette agitation continuelle est des plus favorables à léclosion. L6 242 LES POISSONS Cet appareil modifié par le major Thomas B. Fergusson commissaire des pêcheries est aujourd'hui généralement adopté aux États-Unis. Les cônes Fergusson sont en cuivre étamé et peuvent se fermer par le bas de manière à servir à la fois d'appareil d’éclosion pour les œufs et de transport pour les alevins ; ces cônes ont 68 centimètres de haut sur 50 centimètres de diamètre. L'entrée et la sortie de l’eau sont réglées de telle sorte qu’en donnant par instants un courant plus fort, tous les ceufs gâtés qui viennent se rassembler à la surface de l’eau sont expulsés et immédiate- ment entraînés. Divers appareils ont été inventés aux Etats-Unis pour transporter soit les œufs d’alose soit les alevins. Nous avons dit plus haut que l'appareil plongeant de Fergusson pouvait être transformé en bac de transport. La caisse de MacDonald consiste en une boîte en bois contenant dix-huit plateaux en toile métallique, recouverts de toile de coton et fixés au moyen de courroies : chaque plateau peut recevoir de 10,000 à 15,000 œufs. La boîte est recouverte d'une grosse toile. Cet appareil fort simple est le premier qui ait été employé pour le transport à sec : il donne de bons résultats lorsque la distance à parcourir n’est pas supérieure à cent milles. Pour le transport des alevins Fergusson emploie des vases en ferblanc entourés d'un man- chon en laiton. Ce récipientest pourvu d'un couverele mobile, dont le centre est percé d’une ouverture tubulaire, permettant l'entrée où la sortie de l’eau, et muni, à sa partie interne, d'un grillage recouvert d'étofte de coton pour empêcher le poisson de s'échapper : un tube entrant à frottement dans le couvercle, amène l’eau dans le récipient. On dispose dans le wagon de transport plusieurs de ces récipients, de telle sorte que l'eau passe facilement de l’un à l’autre. Un semblable récipient, de la capacité de 12 gallons, peut recevoir de 15,000 à 20,000 alevins. S'il existait un établissement ichthogénique entre Québec et Montréal, nous pourrions facilement nniter nos voisins, en y installant des auges pour le frai d’alose, en vue de repeupler le Saint-Laurent de ce poisson : mais tant qu'un pareil laboratoire fera défaut, nous n'aurons qu'a déplorer la diminution graduelle de l’alose dans nos eaux, jusqu'à sa disparition complete. En prenant sans choix quelques-uns de nos rapports officiels des pêcheries, je vois qu'en 1888, l’alose à donné un rendement de 515,000 livres, d’une valeur de $31,000, pour la province de Québec. Le Nouveau-Brunswick à fourni, cette même année, 3,185 barils de ce poisson, au prix de $10, soit une valeur totale de K31,850. L’ALOSE 243 La part de l’île du Cap-Breton n’a été que de 16 barils et celle de la Nouvelle-Écosse de 765 barils, au même prix de #10 le baril. Le rapport de 1892 ne donne pas plus, pour Québec, que 119,000 livres d'alose, valeur, $7,162 ; pour l’île du Prince-Édouard, 3 barils ; mais en revanche, la Nouvelle-Écosse à mis sur le marché 2755 barils, et le Nouveau-Brunswick 6,518 barils, ce qui représente $27,550 pour la Nouvelle-Écosse et K65,180 pour le Nouveau-Brunswick. au ! V : 0 À ci ru FE Le 1 ST Éatidiie AE I n ‘nine ». a ) RTE II LRU LE CLATR er is apl E * art DL i A : Lans (fi, » LE GASPAROT 245 BEMGASEARON The Alewive. — Le Hareng des lacs. -The Branch Herring. - The Glut Herring. Le oasparot appartient à la famille des clupéidés, comme l'alose, à laquelle il ressemble à un tel point, dans son enfance, que des pêcheurs expérimentés les prennent souvent lun pour l’autre. Cela s'est vu dans le cas de son introduction dans le lac Ontario où l'erreur ne saurait être imputée à l'ignorance. C'est un hareng d’eau salée qui s’acclimate mer- veilleusement dans les eaux douces. Il sy installe, s'y met à l'aise, sy D HE op) 14 Fra. 41. Le Gasparot où /Zarençy des lacs. établit, s’y multiplie sans songer au retour vers la mer, quoique les avenues y conduisant lui soient largement ouvertes. I] fraie ordinairement dans les eaux saumâtres des rivières, et si de là il pousse une pointe dans les eaux douces, il se laisse captiver par des sensations nouvelles et 1l oublie la patrie dans les délices des jardins d’Armide, Son domaine maritime s'étend sur les côtes de l'Atlantique, depuis la Floride jusqu'au golfe Saint-Laurent, et dans ce golfe jusqu'à la Rivière-Ouelle. Sur la liste des poissons de commerce du Canada il figure honorablement par une production annuelle d'environ un quart de million de piastres provenant, en l’année 1894, de : Barils Valeur Nouvelle-Hcosse 1... 20,619 S S2,419 Nouveau-Brunswick.................. 41,971 167.884 HerdPnnceBlouard SU 3,320 24( LES POISSONS Il est notoire que les poissons de mer s'améliorent, sous le rapport comestible, par un séjour prolongé dans les eaux douces. Le gasparot parait faire exception à cette règle, si l’on en croit du moins les auteurs américains. Cela dépend peut-être aussi de ce qu’on le confond fréquem- ment avec le bue-back ou le hareng des lacs, son congénère, qui jouit d'une assez piètre réputation dans les lacs Érié et Michigan, où il s’est rendu en gravissant l'échelle des canaux, aussi bien que dans le bassin du Mississipi où il porte le nom de skipjack que lui a valu son habitude de bondir en dehors de l'eau. Le professeur Baird lui marque une utilité spéciale comme matière alimentaire propre à nourrir et engraisser nos poissons les plus précieux d’eau douce, comme la truite, le doré, le maski- nongé et l’achigan, mais en dehors de cela, il ne lui reconnait de valeur appréciable que comme poisson de mer. N’empêche qu'en 1894, mêlé au blue-back où glut-herring (elupea æstivalis), il figurait, sous le nom de branch-herring (clupea vernalis), dans le rapport des pêcheries d'Ontario, par une production de 3,636 barils, d’une valeur de $16,362. Donnons un coup de crayon à son portrait : Corps allongé, fortement comprimé ; tête petite, aplatie entre les yeux ; yeux grands ; arcs bran- chiaux angulaires ; dorsale quadrangulaire ; queue fourchue. Dos bleu verdâtre, flancs argentés avec quatre ou six lignes brunes disposées sur la longueur du poisson ; tête vert foncé en dessus, l'extrémité de la mâchoire de même couleur ; opercules jaunes. Sa longueur varie de huit à dix pouces ; son congénère le clupea œwstivalis, où blue-back, où glut- herring, atteint quelquefois douze pouces. Dans leur enfance, les deux espèces se vendent indistinctement sur les marchés, pour servir d’esches, sous le nom de sprats. Ils ne mordent jamais à l’hamecçon. TN OISE TR DOS JE ET Û ù L : r L è Je PIN OA >, ru, vi : : Le — - L LE DELL. sl PL L tn 'm ht "y: s OU : PASS: Le CT nes L : _ CL LL » L om Le ” rh OU La he ce ent ne — 21049 di; ou De CPE DEL 4 “ Eee ai eo 4 . AR ACTE _ : A OA L FES nr | . x sé _ : AR . | L, NautE r De CSN 2 OCE 1" MS oi CE MP PIC AN" UE | 1h on h nv D NP EOFTRERR, DE L FL Pa ins ET, ve (a _ V2 RU LPC DIR F«+ > A FR SATA En 7 sn ra bb ; . 40 n- CA - A æ L Te ne) dn de n ENT ac _ ne JON és AN TN Re. CE GATE a he [a we à ape eu AS) “t PERS ra D 4” KA à L ee L URSS: ! = DANCE , ne 7 1 4 CUT 7 re n Der |. € LA . L 47 #. wo; L : E nr mue n% FSU. MP ne 4e LP wi » nl ve L: } __ e. on D Dre : D . A mn u ue LE be, L - L 7 | à 2 . LU CNE 5 es 241 Pad Eux LE dr NE CRIE “A CR nn a+ "EE Les HOT R eue É 6 2 LL Le be nu CUS 28 Fm » : EL D ln 0 à ie TS CEA # né PP Le hs "\ D OA J p @ CPL, our | 1e . : A : PA =: ni: ‘et EE : f 0 CR & HE L fi Rond L "Tr . L : Le la fie h . < re RD + LR ne PE DRCEOULS DR 'S ES 7 +1 A ANNEES : AS ve Wa : AUOT LAURE Ou ars EL AN, partons AAA 7 VIP TT 72 . . er N | Let à. L NE D tre a "le, en é 3 ve . ere Cr AN D | : Ur FN 1 2 ROME - Es d . r Te FO LL | — : EN L A) fe” 2 É CL EC RRRA LES NE VS RON ct DER" : _ VA VV L « É "+, ” à ARTE Ne — ET Ki VAR TEE à " = L rh si ne HAN LA “ : CAT EP AT - +. Le 3 CAT 7 e : n. . ne æ L ON 2 . L Rue Ent: LE 2: parues auf Te LE bte ‘Hu Like Lérs : N . | 4: 6 Le ” ne + au MC LARES A ni "JON POSE A A « D 2. es: NT PV FINE L É ist PC | Xegf APRES RE FE sf O2 PRE A Léa 1 = ME TT Mn Or Ai D e | À PA A 4 { be LATE ARS a NP EL U e Et: LalE) L : L er a dt » en Du Le 7, Re: es Ve De UE CR DTA ASTM at CT * Air ER NUE Li dé die Ke AMP EU da Loue ua per à " "ep : Pro 12 L e” : Lol ” Ve lu de. ARS White COR cas ORALE an. TRES re D - à mp) ( L MUST LE LL r. | à, v. : L Le : COTE Eu ei Qi t NS RDS. dd eue D2 L ner : PO … 1e m Re. 2e . #: AN ns 2 EN " Te. ûl he > . | | AE “1 LE: si fie ha D a à Papi ue qu) LR au Tr LE et 6. D ETUE F Nr, Pate F0 L LS sde ne ES : | : > | mador © | sÜs MIT LR Fe: DEN E ae tamis N77 y 2 DE CE NMANI re . +. . = RTE » PAS ù.3 DUT TRIER 2: < e h n | MA AL RAA fa 0 Fes Le RvE D " *. eus do : Des (LORS PA CEA LEA LUS : Tv, Pen 4: A on Le L nus L ed ra D d 12 sie At 2 nés SOUL tp ui FRAC 1h LOUE hé Faust us Te te. . : : ve si > DEAD. A A lo N 120 . Ga #1 ii & FM CURE re hu ae LL hihi Lushu DRE T h À er are) z 2 ) { Le LOT PE 7 D , En NT het : pyrepos: ALES ER | "1 7 A OT Gr. D AR LRU Propre, Re Le Bent TA Pre Ts . Tama AU ARS | J rat rt, 0e ei Lure PE ne » TORRES L : : "1 AT, Le A ACTE 0 FAC pie, = RUSSE TS Vh DUR | Cr 13 QT a+ ne LL: CREER L : : os RCE" Re à É DL FA L Val w Er ed 1 « : Her e27 ANNE = DE E Lee AVR En LE, 27 u ati RE RE - | 7 : = Ds 0. : TRUC . DANCE ne AE OL, | EACOONRECUS on T ... AIT | L ee 4 LÉ MS PAP Ur P eu . . Pt : Ch . L RAT a, A VOS Le. Ce y : LOS 13 : « A SR ‘A N Me +, +3, L OMR. | SL. CN : .. ur ÉÉPRNS Dore OS 0 Le er à «a AND 1, HUE ER eS : 2 réf" L (ol CE . e LOVE v y On 77 2 | : A La b : LS D4S LES Ma | pULe «a ù a i UN îTe (ile a ns DU ji LS UD Ie = ù DL Es PUR S Kn \ 1 LUN SN NUL SE TELL) A EQDAETERRS DE ml TR ALTre AIDE. 5 LL LE qe mes CU AIR QU TUE DD mm < < DS D TE ns AT Eau ES à NE CS NT EST Ï D TE << POISSONS SX PL, NUS Ÿ SININS 7 IP: LA LAQUAICHE 249 LA LAQUAICHE Moon-Eye _ Hyodon tergisus Le nom de laquaiche donné par les Français à ce poisson indigène de l'Amérique du Nord doit avoir été emprunté à quelque idiome sauvage du Canada. C’est un clupéidé d'eau douce, plus grand que ses congé- Læ) nères, car il réalise un poids de plus de deux livres. Son nom de A/001- eye (œil-de-lune) lui vient de ses yeux excessivement grands. Ce n'est pas un poisson de commerce, quoiqu'il ait une chair de bon goût, surtout pour éeux qui aiment le hareng. Il fournit un assez bon coup de ligne, soit qu'il attaque par huit ou dix pieds d’eau, près des glaises, au pied de grandes herbes, mordant au ver, soit qu'il happe la sauterelle ou la mouche à la surface, aux mois de juillet et août, de sept à dix heures du soir. Il diffère du hareng par sa plus forte taille et par les dents nom- breuses dont sa bouche est armée. Très abondant dans les grands lacs. . il se disperse de là beaucoup dans le Nord-Ouest, un peu dans le fleuve Saint-Laurent jusqu'au-dessous du lac Saint-Pierre, et dans l'Ottawu, où, de tous nos poissons il paraît être celui qui souffre le moins de la présence ambiante du bran de scie. Encore aujourd'hui il remonte jusqu'au pied des Chaudières. Corps oblong, comprimé, couvert d'écailles eycloïdes moyennes, d'un brillant éclat argenté. Tête nue, courte, à museau tronqué. Bouche oblique, terminale, mâchoires à pen près égales. Maxillaires petits, minces, dépourvus d'os supplémentaires, articulés à l'extrémité du pré- maxillaire, et formant la marge latérale de la mâchoire supérieure. Dentition complète, toutes les parois de la bouche couvertes de dents de différents genres, et de diverses dimensions. Œil très grand : les narines larges, rapprochées, mais séparées par une membrane ; ligne latérale droite et bien marquée. Pas de nageoire adipeuse ; pas d'ovidue : vessie aérienne grande ; estomac en forme de fer à cheval ; un seul cœcum pylorique; genre unique divisé en trois espèces habitant les eaux de FAmé- rique du Nord. Sa chair est délicate, plus délicate que celle du hareng, ais remplie d'arêtes. Cependant une heure après la prise le poisson n'est plus mangeable. La laquaiche mord aux lombries, au mois de juin: en Juillet, août et septembre, il lui faut des mouches, des sauterelles, des 250 LES POISSONS larves d'insectes. Au passage elle croquera un gardon, une écrevisse, mais elle préfère avant tout le scorpion et la larve du hanneton. C’est surtout le soir qu'elle mord hardiment; elle chasse aussi à la surface par les grands clairs de lune. Le pêre Doudou Couillard était un fameux pêcheur à la laquaiche. Il y a trois ans, il nous donnait une leçon de pêche dans les eaux de Papineauville, à MM. Coursolles, Bance, deux ou trois autres pension- naires de l’hôtel Chabot et à moi, en capturant quatorze pièces, au quai Chabot, contre sept, seulement, à nous tous. Et nous étions à ses côtés, dans un grand bac amarré à quai. Ayant huit arpents de marche à faire pour revenir à la maison, Je tenais compagnie au bon vieillard, qui peinait sur la route, étant atteint d’une maladie grave qui la emporté, à peu de jours de là. Content de sa pêche, il me confia le secret de la chance qu'il avait eue. “J'ai pris quatorze laquaîches contre vous tous sept: “les vieux sont toujours les vieux, ” allez-vous me dire ? Non, mon ami: si je vous ai battus c’est que j'ai des appâts différents des vôtres. Ce matin, J'ai pioché des vers blancs (larves de hanneton) sur le tas de fumier, en arriere de la grange. C’est le meilleur appât qu'on puisse avoir pour la laquaiche. Avee cela j'ai emporté un panier rempli de paillis et de balles d'avoine, que je jetais par poignées dans le courant, du moment que je voyais le bouillon d’une laquaïche à la surface. —_ Un bouillon de laquaîche ? Qu'est-ce que cela veut dire ? — C'est vrai! j'avais oublié de vous dire que le matin, la laquaiche laboure, et le soir, elle danse, ou si vous voulez, elle mord au fond, dans l'argile, tout le long du jour, et au soleil couchant elle prend des ailes, elle saute à la mouche. Or, quand la laquaîche prend des ailes, ce sont des ailes de bécassine ; elle court ou nage toujours en zigs-zags: pour l’'amener en droite ligne, je lui jette de mon paillis, de mes balles d'avoine, qui flottent au courant et l'attirent comme si c'étaient des mouches : il ne ne reste qu'à lancer mon ver blanc au milieu de ce leurre, et la laquaiche atfamée est aussitôt prise.” — Dans quinze jours d'ici, nous irons au canal, ajoutait-il, et je vous ferai faire une pêche qui s'appelle une pêche, dont vous vous souviendrez toute votre vie. Huit jours après, le pauvre vieux était mort. Je l'ai conduit au cimetiére. LA BARBUE 251 SILUROÏDES Ictalarus nigrieans (Rafinesque) — La Barbue (canadien-français). — Channels Cats ianglo-américain). ORDRES PME Nemautoynuthi.... .poissons-chats, cat-fishes. FAMILLE :.......SWuroïides. SOUS-FAMILLE:,.Siliures protéroptères (de Lacépède). ESPÈCE :......./ctulurus nigricans (Lacépède). Le mot barbare Nematognathi désignant cet ordre de poissons communs aux eaux des deux continents, mais spécialement abondant dans les deux centres de l'Afrique et de l'Amérique, tire son étymologie de deux mots grecs qui signitient barbillons aux mächoires. La famille européenne connue sous le nom de siluroïides habite les contrées centrales de l’Autriche, de l'Allemagne, de la Russie et de l’Asie, où certains sujets atteisnent le poids de quatre cents livres et plus. D'après le professeur Gill, la famille des siluroidæ se compose de plus de cent genres, subdivisés en plus de 900 espèces différentes presque toutes vivant en eau douce, les exceptions marines habitant sous Îles tropiques. Le bassin du Mississipi en est surabondamment peuplé, pendant que le bassin du fleuve Saint-Laurent n'en compte que cinq ou six espèces, au nombre desquelles figure la grande espèce principale se rapprochant du silure glanis d'Europe, lictaiarus nigricans qui se développe jusqu'au poids de cent livres et plus. C’est celle que les Canadiens-Français appellent la barbue. Une autre espèce, de bien moindre taille, mais très populaire et fort en demande sur nos marchés, à l'état frais et écorchée, se nomme la barbotte. Il y à la barbotte noire, et la barbotte juune, qui différent si peu entre elles, que cette différence mérite à peine d'être remarquée. L: gronius où burbotte aveugle des sources de Saint-Léon, P. Q., est un objet de curiosité et rien de plus. Voici le portrait du silure glanis d'Europe par de la Blanchère : “ Ce poisson est un véritable inonstre. Tête énorme et aplatie ; gueule large armée d’une infinité de petites dents pointues et garnies de chaque côté de plusieurs barbillons qui peuvent atteindre jusqu'à deux pieds de 252 LES POISSONS long. Le silure vit solitaire, enfoncé dans la vase dont il sort la nuit pour faire la chasse au menu fretin, à tout ce qui lui tombe sous la dent. “ Pond en juin, des œntfs très petits, très nombreux : les poissons qui en sortent se développent rapidement, puisqu'ils pèsent de deux à trois hvres au bout d’une année. La Barbue où Zetalarus higricons. 14. FC, “ Corps dépourvu d'écailles ; ligne latérale formée d'une série de petites ligiies très fines. * Dos brun olivâtre tirant au noir : flancs et ventre plus pâles : lèvre inférieure rouge : anale brune : pectorales et ventrales brunes, portant LA BARBUE 253 à leur base une tache brune entourée d'un cercle plus pâle. Les veux sont très écartés, le sous-opercule manque, et le préopercule est invisible à travers la peau. Anale—90 rayons, va se réunir à la caudale et conserve presque partout la même hauteur, Cuudiule—1T, coupée carrément, P—1716 arrondie. Son premier rayon, d'un tiers plus court, est épineux, très robuste, porte de petites dentelures vers la pointe. Ventrales— 12, arrondies. “ Le silure habite ordinairement le fond de l’eau, et ne monte à la surface que quand il tonne. Il est très vorace, très fort de la queue, saute assez bien, se cache sous les racines, dans les trous ou sous les crônes, “ Le silure n'existe ni en France nos départements de l’Est-—ni en Angleterre, ni en Italie, ni en Espagne. où on cherche à l’introduire dans La Suisse en possède quelques-uns dans les lacs de Morat et de Neuf- châtel. Il commence à être abondant dans le Danube, l'Elbe, et leurs afuents. ‘ On en à mis en hberté, dix individus, dans un bassin du canal du Rhône au Rhin, et l’année suivante, on en à pris dans le Doubs, près de Montbéliard, à Hambourg et à Mulhouse, entre deux vannes. Bloch avait donc tort de dire qu'on ne l’introduirait jamais en France, puisqu'il s'y acchimate si facilement.” Pour compléter ce portrait du silure d'Europe et en accentuer les traits principaux, ajoutons que la peau nue ne porte jamais d’écailles. Le crâne est caractérisé par l'absence totale de certains os tout autant que par le développement extraordinaire que prennent quelques autres. A l'épaule, le scapulaire, le cavacoïdien font défaut, de même que le sous-opercule à l'appareil operculaire. La vessie natatoire existe presque toujours : son conduit communique avec lorgane de l’ouie par les osselets auditifs. Il ny à pas d’appendices pyloriques. Les siluroïdes sont originaires des contrées tropicales. D'après Günther ils se sont rendus au nord de l'Australie par l'Inde, et une espèce a émigré dans les îles Sandwich, probablement par le sud de l'Amérique. Leur progression dans les régions tempérées a été évidemment lente et difficile, quelques espèces seulement ayant pénétré dans la partie tempérée de l’Europe et de l’Asie. Si les espèces de l'Amérique du Nord sont plus nombreuses elles sont peu variées, comme si elles dérivaient toutes d'un seul type. Les siluroïdes habitent volontiers les eaux vaseuses et calmes où leur voracité extrême trouve à s'exercer sur les vers, les crustacés et les myriades de vibrions qui y grouillent. N’empêche qu'ils se complaisent \ également dans les eaux vives, sous des courants rapides, à de grandes 254 LES POISSONS profondeurs où ils acquièrent tout leur développement, en même temps qu'une grande vigueur, dont le sportsman est ravi mais qui surprend et étonne parfois les pêcheurs novices. On à trouvé des siluroïdes dans les montagnes de l'Amérique du Sud, à une altitude de 14,000 pieds ; ceux-là ne vivaient pas assurément dans la vase, pas plus que ceux que vomissent assez fréquemment des volcans de ces mêmes régions, provenant sans doute de lacs souterrains, et qui sont invariablement aveugles. Il en est même qui vivent dans les cours d’eau les plus torrentueux des montagnes, grâce à un disque pectoral pneumatique qui leur permet de se fixer aux pierres et d'y braver la fureur des eaux déchainées. Mu Fic. 43. —Le Nilure de Tibériade ou Poisson de Saint-Pierre. Le silure était parfaitement connu des anciens : Aristote en parle ; Athénée, Juvénal, Ælien en font mention. La mer Caspienne et les rivières qui s’y jettent en produisent tant, qu'il est au plus vil prix. A Astrakhan, la livre n’en vaut pas souvent un centime. Le Térek en produit du poids de plus de trois cents livres ; il est des lacs où l’on en à capturé qui pesaient cinq cents livres; leur voracité est extrême et semble se déve- lopper dans la proportion de leur masse. Gessner rapporte qu'une fois on a trouvé dans l’un d'eux une tête humaine et une main portant deux anneaux d'or ; il dévore tout ce qu'il peut atteindre : oies, canards, n'épargnant pas même le bétail quand il se rend à labreuvoir. Nl faut en croire Valenciennes, il va même jusqu'à s'attaquer à l'espèce humaine. En 1700, le 3 juillet, un paysan en prit une auprès de Thorn qui avait un enfant entier dans l'estomac. On parle, en Hongrie, d'enfants et de jeunes filles dévorés en allant puiser de l’eau, et l’on raconte même, que sur les frontières de la Turquie, un pauvre pêcheur en prit un, un Jour, qui avait dans l'estomac le corps d’une femme, sa bourse pleine d'or, et LA BARBUE 255 ses anneaux aux oreilles. Neckel et Kner rapportent également qu'on trouva dans l’estomac d’un glanis capturé à Presbourg, les restes d’un jeune garçon dans celui d’un troisième une oie que l'animal avait noyée avant de la dévorer. Les habitants du Danube et de ses affluents redoutent le silure et ne se baignent jamais dans les eaux qu'il fréquente. D'après Gamelin, le silure secoue avec sa queue, lors des inondations, les arbustes sur lesquels se sont réfugiés les animaux terrestres, de manière à les faire tomber et à s’en emparer. Tout ceci peut paraître exagéré, mais on s'en accommode quelque peu lorsqu'on songe qu'il est des silures longs de dix pieds et si gros qu'un homme peut à peine les embrasser. Au temps du frai, de mai à juin, les silures s'approchent des rivages par couples, et viennent attacher leurs œufs flottants et gluants à des fucus ou des roseaux. Pendant le temps de lincubation les parents restent à peu de distance du précieux radeau, dans des eaux peu pro- fondes, ce qu'ils ne font jamais en dehors de la saison du frai. La femelle pond de 15 à 20,000 œufs d’où sortent, huit ou dix Jours après, de petits anñnaux qui ressemblent pas mal à des têtards. D'après Valenciennes, ce qu'Aristote rapporte avec détails, et en deux endroits, le soin que le silure mâle prend des œufs de sa femelle tient un peu du merveilleux. Selon lui les grands silures les déposent dans les eaux profondes ; ceux de moindre taille entre les racines des saules, des aulnes, entre les roseaux et même dans la mousse. La femelle, après les avoir pondus, les quitte ; mais le mâle les garde et les défend jusqu'à l’éclosion et plusieurs jours encore après. Voilà pour le silure glanis d'Europe. En le comparant à notre barbue, à l'ictalarus nigricans du bassin du fleuve Saint-Laurent et des grands lacs, nous constatons que ce dernier est de bien moins forte taille, puisqu'il ne dépasse jamais cent livres, lorsque son congénère d'Europe atteint le poids de cinq cents livres; nous constatons aussi que s'ils se ressemblent par la forme de la tête, la couleur et la texture de la peau, par la couleur bleue des yeux, ils différent considérablement par la con- formation et la disposition de leurs nageoires dorsales, anale et ventrale. Quant aux mœurs, nous admettons qu'elles sont à peu près les mêmes : nos grands silures ne viennent jamais près des rives pour y déposer leurs œufs, ils se tiennent constamment au fond d'eaux profondes, sous des courants rapides où pour les capturer on fait usage de lignes dormantes ou de longues et fortes lignes à fronder munies de plombs d’une demi- livre au moins. Rien dans l’histoire de notre barbue ne rappelle les traits de férocité attribués par les auteurs au glanis du Danube, de la mer Caspienne et autres lieux. Les esches dont on se sert pour pêcher la barbue à l'automne, lorsqu'elle se met en chasse, lorsqu'elle sent le 250 LES POISSONS besoin de se mettre du gras sur les côtes pour braver les rigueurs de Fhiver, sont des poissons blancs tout ronds, s'ils sont petits, par inorceaux ou en libèches, s'ils sont gros, des quartiers de passereaux, des vrenouilles, des écrevisses, des losanges de fromage de Gruyères, du foie de pore, des tranches de pommes de terre même, à défaut de mieux : mais l'esche des esches, l’esche par excellence pour la barbue, consiste dans des morceaux de maquereau salé. Il y à quelque cinquante ans, il n'existait pas d'endroits au Canada où cette pêche fût aussi abondante que dans l'Ottawa. Plusieurs semaines avant le temps de la pêche, Le vieux (le père ou le grand-père), se rendait au bois pour y lever de l'écorce d’orme qu'il faisait bouillir pour en faire des câblières, ce qui lui prenait des jours et des jours suivant la longueur de la ligne dormante qu'il voulait tendre. La ficelle étant un article rare alors, on se servait de chanvre pour faire des empiles auxquelles on attachait des hamecons éhanchés, les seuls connus, et qui coûtaient bel et bien un ou deux sous la pièce. Un beau soir, la ligne dormante allait se coucher au fond, longue de dix, de douze, de quinze arpents, armée de cent à deux cents empiles, eschées d’ablettes, de grenouilles et de gardons Le lendemain, dès l'aube, Le vieux faisait la levée et, de retour, son canot étant rempli, il était fier d’éveiller les jeunes en les appelant à son aïde pour transporter son poisson de la grève à la maison. En trois ou quatre nuits chanceuses, la famille s’'approvisionnait pour jJusqu'après le carême : le surplus allait aux pauvres, les plus belles pièces au seigneur et au curé. C'était le bon temps. Aujourd'hui le rendement n'est plus le même, le seigneur est disparu et le curé est oublié !. C'est que la petite graine de brun de scie, Si petite qu'elle soit, si inerte, si dénuée de force en apparence, roulée au gré des flots, débris perdu sans espoir de retour, à fini cependant par détruire ou chasser nos plus gros, nos plus vaillants poissons. Où sont la truite, le saumon, l’esturgeon, le maskinongé, cette armée de barbues montant processionnellement jusqu'au seuil des Chaudières au milieu des eaux limpides des Laurentides, sous les ombrages des plus belles forêts du monde ? Mais où sont plutôt les ormes, les chênes, les pins orgueilleux qui faisaient la richesse et la grandeur de ces forêts ? Tombés, hélas ! sous le orain de blé, le grain de mil, comme nos grands poissons, partis aussb chassés, hélas ! devant {a moulée de scie. On à beau dire que la navigation, les chaussées, un nombre exagéré de tilets, détruisent ou détournent le poisson de la rivière Ottawa, j'aftirme que le bran de scie est le grand coupable de cette dévastation. LA BARBOTTE 257 AMIURUS Pimelode-Chat (LeSueur). — Barbotte (canadieu-français), — Bull- head. - Horned pout. - Mud pout (anglais). Lu La barbotte, l'un des innombrables sous-genres siluroïdes, peuple très abondaminent les eaux du bassin de l'Ottawa. Elle à à peu près la même forme que son aîné le silure d'Amérique, la barbue, sauf qu'elle porte une queue carrée plus épaisse, plus large, au lieu d'une queue fourchue. Sa tête et sa queue le rapprochent plutôt du silure d'Europe, un géant à côté d'elle, puisque rarement elle dépasse le poids d'une livre, même dans les eaux les plus favorables à son développement, comme le lac Bernard, par exemple, où elle est si alerte qu'elle saute à la mouche et vient disputer des poissons vifs au nez même de l’achigan et les lui arracher de la bouche. Les petits cours d’eau et les marais du bassin du Saint-Laurent, tant au nord qu'au sud, en sont radicalement infestés. Tout le monde la connaît, c'est le poisson des enfants, et qui de nous n’a payé sa Connaissance d’une cuisante blessure provenant des pectorales ou de leur dorsale toujours armées en guerre ? Vous n'avez pas oublié, sans doute, l'avoir pêchée à la bouche du ruisseau voisin moiré de vase, en enfonçant votre canne de pêche dans le sol et l’appuyant sur une fourche de houx, pendant que vous suiviez des yeux les manœuvres d’un gars vigoureux qui pêchait au carrelet, Gu haut d’un lourd bachot. Et vous reveniez encore là, le soir, avec le père ou le grand frère, pêcher le même poisson mêlé d'anguilles, à la vermée et au Hambeau. On pêche encore au flambeau, au harpon, mais la vermée est tombée en désuétude, je crois. J'en ai tout de même gardé un délicieux souvenir en ma mémoire. La barbotte pond ses œufs dans les ajoncs, et les fixe à une plante quelconque, vers la fin de mai. Quelquefois, la parturition lui coûte de dures souffrances : si vous en voyez sur le marché, le corps meurtri, déchiré, sanglant, c’est qu’elles ont passé entre des racines ou des cailloux pour se débarrasser de leurs œufs. C’est pour avoir ainsi souffert qu’elles s'attachent à leurs petits. Le mâle pourtant leur porte un intérêt vraiment curieux. Il les suit de jour et de nuit, lorsque dégagé de la tige qui les a vus naître, ils vont au gré des remous ou de la brise, d'une anse à l’autre, 17 255 LES POISSONS masse noire et grouillante, grossissant de jour en jour, ressemblant beaucoup aux nids de grenouilles, comme les petits ressemblent aussi, du A reste, aux têtards du premier âge. Il réussit à les protéger contre les La barbotte, 45. Fi. crapets, les perchaudes, les achiguns mêmes qu'il tient à une respectueuse distance : mais si un brochet passe auprès, d’un coup de dent il disperse pour toujours l’heureuse et innocente nichée. LA BARBOTTE 259 La chair de la barbotte est fort prisée par les uns et dédaignée par les autres ; elle est comme le pâté de foie gras, on en raffole ou elle nous 2 écœure. A ce sujet, je vous raconterai une anecdote. Quelques familles de millionnaires américains passaient des semaines à l'hôtel Russell, à Ottawa, au temps de leur carême, et le galant M. Saint-Jacques, le gérant, faisait de son mieux pour leur procurer de bon, d'excellent poisson, sans pouvoir les satisfaire. Les jolies misses lui montraient des dents blanches aiguisées d’un appétit féroce. Comme feu Vatel, il allait se percer de sa fourchette lorsqu'il songea à Moses Lapointe, le grand fournisseur de marée d'Ottawa. Il lui expose son cas, lui dit son désespoir, et va donc toujours !... Moses souriant, lui répond : “ Avez-vous essayé de la barbotte 77 — Non, c'est le seul poisson que je ne leur ai pas offert. — Essayez-en, et vous m'en direz des nouvelles : puis élevant la voix : — Garçon, douze douzaines de barbottes pour l'hôtel Russell. Pas n’est besoin de dire que les barbottes furent servies à la meilleure sauce. Cependant pas une des jeunes femmes n’y toucha. M. Saint-Jacques retourne se plonger dans le gilet de M. Lapointe, qui lui demande sèchement : — Sous quel nom avez-vous servi le poisson ? — Sous le nom de barbotte, naturellement. — Je comprends ; eh bien, je vais vous envoyer du même poisson, mais cette fois, portez-le sur la carte sous le nom de mountain trout et Je vous attends ici, demain, de bonne heure. — Garçon, douze douzaines de barbottes pour l'hôtel Russell !.. Le lendemain, M. Saint-Jacques téléphonait à M. Lapointe: ‘Je retiens toute votre barbotte.” Qu'était-il arrivé ? Les millionnaires américains avaient avalé les mountain trouts, du museau jusqu'à la queue, les avaient dévorées jusqu’à la dernière ; les jeunes misses avaient les doigts en sang, à force de se les sucer, et elles en demandaient encore. Depuis, le Russell est devenu le meilleur client de M. Lapointe, pour la barbotte ? ... pardon, pour la mountain trout, La barbotte vit par bandes immenses, sans sonei des poissons les plus dangereux, protégée qu'elle est par ses dards aigus ; elle voyage beaucoup, et 1l faut la chercher longtemps quelquefois avant de trouver son gite. Elle aime les fonds vaseux où elle se nourrit de larves, d'insectes mous, de vers. Demandez comment, quand et avec quoi on la pêche, et 260 LES POISSONS le premier enfant venu, n'eût-il que cinq ans, vous en dira là-dessus autant que moi. Dans nos grands hôtels, la truite de montagne est le poisson des millionnaires, mais, sur nos marchés, la barbotte est restée le poisson du prolétaire. Depuis quelques années la barbotte s'est réhabilitée dans l'estime des habitants des villes, qui en font une grande consommation. Elle n'a pas encore sa cote à part, mais proprement écorchée elle représente une masse alléchante dans le tas du menu fretin. = N ENT ee Sy" = \\) RIT - x KE NC) ff = | KE }” Ne 2 Li L’'ANGUILLE 261 LES MURÈNES L’'Anguille commune. — Anguilla vulgaris. Anguilla Murena. — The Ecel (anglais). —AIl (suédois) — Ingola (hongrois). — Anguilia (italien, —Anguia Inguia (portugais). L'anguille brûle !.... Glissant comme une anguille !.... Il y a U Il échappe comme une anguille !.... ! anguille sous roche !.... On entend ces dictons, proverbes ou aphorismes, tous les jours, dans la famille ou les groupes canadiens-français ; ce qui prouve que l’anguille est un poisson universellement connu, car un proverbe ou une compa- raison, pour frapper l'imagination du public, a besoin de prendre un type vulgarisé de longtemps. L'anguille est de tous les pays, ou à peu près, si l’on en excepte toutefois, pour le vieux monde, certaines régions centrales, comme le Danube, la mer Noire et la mer Caspienne, quoiqu'on la rencontre, en abondance parfois sur le pourtour de la Méditerranée; et pour le nouveau monde, sa présence n'a été constatée nulle part dans l'Amérique de Sud, non plus que sur les côtes ouest de l'Amérique du Nord, quoiqu'on la pêche, au dire de Lacépède, dans des contrées très chaudes, à la Jamaique, dans d’autres portions de l'Amérique voisines des tropiques, dans les Indes orientales : elle n’est point étrangère non plus aux régions glacées, à l'Islande, au Groënland même. De toute antiquité historique, il à été question de l’anguille, à des titres divers. Des philosophes, des historiens, des poètes s'en sont occupés ; ces murènes engraissées de cadavres humains, par les empereurs romains et leurs favoris, étaient des anguilles, n'est-ce pas ? On leur trouvait même bon goût, je crois. Nous qui touchons aux Romains par tant de points, convenons d’être plus doux pour les cannibales. Des gens vous diront qu'il existe une quarantaine d'espèces d’anguilles, vivant dans les eaux douces et saumâtres. Le moyen de distinguer ces espèces les unes des autres est un secret dont une science hasardée a perdu la clef. Faut-il se fier à Aristote et à Pline ? Selon eux, il n'existe que deux espèces d’anguilles, les anguilles à tête pointue et les anguilles à tête large. Depuis, les pêcheurs français ont ajouté à ces deux types de provenance antique, l'anguille à bec moyen, dont de Brehm écrit ce qui suit : 262 LES POISSONS “ L'anguille à bec moyen (anguilla imediirostris) à la tête conique, assez large à la hauteur des yeux, diminuant d’une manière insensible jusqu'à l'extrémité du museau, qui est fort étroit. “E. Blanchard à observé des anguilles qui sont intermédiaires, sous le rapport de la tête, entre les anguilles à bec moyen et les anguilles à L'Anguille commune. 46. long bec : leur tête est moins large à la base que chez les premières, moins grêle que chez les dernières, avec le museau plus court et plus obtus. Cette variété peut être désignée sous le nom d’anguille à bec oblong (anguilla oblongirostris). Chez languille à long bec (anguilla acutirostris): le corps est presque toujours proportionnellement plus L'ANGUI LLE 263 eftilé que dans les autres variétés ; la tête est gréle, étroite méme à la hauteur des yeux, qui paraissent se trouver plus rejetés sur les côtés que chez les autres anguilles ; les mâchoires sont plus étroites. “ La variété la plus commune est celle qui à été désignée sous le nom d’anguille à bec moyen (anguilla mediirostris): on peut la regarder comme le type de l'espèce dans nos pays.” Les mêmes espèces se rencontrent dans les eaux du Canada. lie : | Fra. 47. — Tête vue en F1c. 48. —- Tête vue en Fic. 49. — Tête vue en dessus de l’Anguille dessus de l'Anguille dessus de l’Anguille à large bec. moyen bec. à long bec. Arrive M. Arnould Locard, qui, sans viser aux sommets scientifiques, sait arrêter ses lecteurs en route par des observations valant la peine, et qui nous propose : 1° L'anguille commune. — Chez ce type la tête est comprimée et l'œil petit est immédiatement au-dessus des angles de la bouche. Le museau arrondi porte deux petits tentacules de chaque côté. Le maxillaire inférieur dépasse à peine le supérieur, et tous deux sont armés d'une bande de petites dents. La ligne latérale est droite. Les parties supérieures du corps sont d’un gris olivâtre qui s’atténue sur les flancs, tandis que le ventre est blanc ; mais ces couleurs sont d'autant plus chaudes et brillantes que le poisson à été pris dans des eaux plus vives et plus pures. 2° L'anguaille à lurge bec. — Chez cette anguille, la tête est très large, arrondie dans sa partie postérieure et aplatie dans la région nasale. La mâchoire inférieure est moins saillante et les yeux proportionnellement plus grands. 3° L'anguille à bec moyen. — L'anguille à bec moyen a la tête conique assez élargie à la hauteur des yeux, mais diminuant ensuite insensiblement 26 4 LES POISSONS jusqu'à l'extrémité du museau. D'après M. E. Blanchard les narines seraient plus linéaires que chez les formes précédentes ; c'est peut-être la plus commune et la plus répandue. 4 L'anguille à long bec. — Cette anguille a le corps plus étroitement ettilé, la tête petite, étroite, même à la hauteur des yeux etva s’amincissant en pointe eflilée à son extrémité. Les yeux sont plus latéraux et les mâchoires plus grêles. Elle parait moins répandue que les formes précédentes. L'anguille s’accommode à peu près de toutes les eaux quoiqu'elle préfère les fosses profondes à fond vaseux où elle se creuse un gîte à double issue, se ménageant ainsi entrée et sortie à volonté, en cas de danger où pour saisir sa proie. Elle nage à reculons presque aussi bien que dans l'autre sens. Dans les grandes chaleurs de l'été, si les eaux eroupissantes qu'elle habite lui refusent sa ration d'oxygène, elle vient respirer à la surface en se cachant sous les plantes qui bordent le rivage ; parfois elle quittera ces eaux pour aller à de grandes distances en chercher de plus pures. Il n'est pas rare d'en rencontrer la nuit dans les champs qu'elles traversent pour changer d'habitat, selon les uns, pour aller manger des petits pois dont elles sont très friandes, selon d’autres. Un cabaretier de Lubeck, homme intelligent, racontait ce qui suit : “ C'était pendant l'été de 1S44 ; j'étais alors au service d'un cultivateur de Wilmseorf, lorsque j'aliais en compagnie d’un autre domestique pour traire, vers trois heures, les vaches qui paissaient dans un champ. Nous passions auprès d’un champ de pois appartenant à notre maître lorsque nous füûnes attirés par un bruit tout particulier; nous vimes alors plusieurs anguilles dans le champ de pois. Je courus en toute hâte à la demeure et revins avec un domestique menant avec lui une charrue attelée de trois chevaux. En traçant trois sillons dans l’étroite bande de terre qui séparait le champ de pois d'un étang, nous trouvâmes une quantité d'anguilles que nous mimes dans un sac pour aller les vendre au marché de Lubeck. ” Les migrations des anguilles doivent être rares, quoiqu'il soit hors de doute qu'elles soient possibles et qu'elles aient lieu dans certaines circons- tances. Grâce à leur conformation reptilienne, à l’exiguité de l’ouverture de la chambre branchiale qui leur permet de conserver une certaine quantité d’eau pour les besoins de la respiration, elles peuvent parcourir des trajets assez considérables. Il est probable aussi que d’instinct elies protitent de nuits pluvieuses ou «le rosées abondantes pour se mettre en V( )Vage. L’ANGUILLE 265 GÉNÉRATION DE L'ANGUILLE Le 5 juillet 1895, je lisais dans un journal de Paris, l’entrefilet suivant : “ On vient de signaler à la Société d’Acclimatation de France un fait intéressant : c’est celui de la capture en pleine mer d'une anguille femelle portant des œufs à maturité. Ainsi se trouve corroborée une découverte analogue faite en 1892, par un navire anglais, à 15 milles au large d'Eddystone. “ Voici donc un point d'histoire naturelle fixé.” Il est peu de questions qui aient donné lieu à plus de recherches, d'hypothèses plus ou moins absurdes, de controverses fastidieuses que celle de la génération de l’anguille. “ Les savaats, écrivait Gesner au seizième siècle, qui ont écrit sur l'origine de l’anguille rapportent trois opinions. Les uns prétendent que ce poisson prend son origine dans l'humidité du sol: pour d’autres les anguilles se frottant contre le sol détachent de leur corps une matière visqueuse qui se change en poisson, aucune différence sexuelle n’existant entre ces divers animaux ; pour d'autres encore la multiplication se fait au moyen d'œufs ou de petits sortant vivants, car on trouve dans leur corps de nombreux petits animaux de la grosseur d'un fil, et lorsque l’on tue des anguilles âgées on trouve parfois dans elles des petits qui sortent en rampant. Les pêcheurs allemands disent d’ailleurs que les anguilles sont vivipares à toutes les époques de l’année.” Certains naturalistes ont métamorphosé des crins de cheval en anguilles. “Si l’on excise, écrit Helmont, deux morceaux de gazon imprégnés de la rosée de mai, qu'on les place l’un contre l’autre, gazon contre gazon, qu'on expose le tout à l'ardeur du soleil, il se produit en quelques heures un grand nombre de petites anguilles.” Rondelet écrivait en 1558 :“ Les anguilles naissent dans la pourriture, comme les vers de terre, ce que l’on prouve par expérience. Car autrefois un cheval mort estant jesté dans l’estang de Maguelonne, un peu apres on i vit innumérables anguilles, ce qui ne faut entendre qu'elles naissent seulement de la pourriture d’un cheval, muis aussi des autres bestes 6 es 266 LES POISSONS autres pourritures. Aucuns dient que les anguilles s’engendrent de celles qui meurent de sorte de vieillesse, 6 pourries. Aristote écrit que les anguilles ne s’engendrent point par fraier, qu’elles n’ont point d'œufs, et qu'on n'en trouva Jamais une qui eut ou œuf ou semence. Porquoi cette sorte de poisson aiant sang estre engendrée sans œufs et sans fraier, ce que l’on a conçu de ce que aucuns estangs limoneux tout le limon jeté hors, derechef si engendrent des anguilles, s’il 1 tombe de la pluie, car en temps sec elles ne peuvent estre engendrées, parcequ'elles vivent de pluies é s'en nourrissent. Il n’y a point done entre les anguilles de différence de masle ou de femelle. Pour cette différence susdite prise de la teste d'icelles, sera différence d'espèces non pas de sexe. Pline à esté d'autre opinion touchant la naissance des anguilles. Les anguilles, dit-il, se frottent contre les rochers, ceste crasse qui se racle prend vie, éinia autre génération d’icelles. Athénée en écrit ainsi : les anguilles fraient en s'entrebrassant, d’où sort quelque crasse, où humeur gluante, de laquelle tombée au limon lPanguille s'engendre. Oppien n'en escrit ne plus ne moins. Je pense qu'il i à des anguilles qui naissent par le frayer du masle avec la femelle, d’autres qui naissent dans la pourriture.” Les hypothèses portent souvent en elles les germes, les éléments des sciences purement humaines. Deux auteurs anglais des plus éclairés, Yarrell et Young, se déclarent ovrparistes sans avoir pourtant de preuves irréfragables à l'appui de leur théorie. A leur avis, les femelles pondraïent une grande quantité d'œufs, extrêmement petits, dans les mois chauds de l'été, parmi le sable et les bancs de gravier des rivières, et ne descendraient pas à l’eau saumâtre pour y frayer. Le frai éclorait aux mois de septembre ou d'octobre et resterait parmi le gravier, dans le même endroit ou aux environs, jusqu'aux mois d'avril ou de mai, suivant le degré de tempéra- ture de l’eau. A raison de leur extrême petitesse les œufs n'auraient pas besoin de plus de trois semaines pour éclore. Valenciennes prétend écalement que l’anguille est ovipare et qu'elle fraie dans la vase des cours d'eau ou pres de leur entrée dans la mer. Au dire des pêcheurs de Ia basse Seine, ce poisson fraye deux fois l’an, une première fois aux mois de février- mars, et une seconde en septembre : d’autres pêcheurs du département d'Eure-et-Loire (France), affirment avoir trouvé des anguilles au printemps, entortillées en pelotons, Lors de l'eau, entre des toutfes de sazon humide, dans des prairies bourbeuses, la nuit, et surtout par des nuits de rosée et de lune, et que c’est là qu'a lieu la fécondation de ces animaux. “ Le fait du pelotonnement des anguilles pour le cas de l’accouplement nest pas une utopie et peut même précéder le moment où les pêcheurs L’ANGUILLE 267 l'ont observé, car, vers l'automne, il est certain que les anquilles qui ont passé la belle saison dans Les ruisseaux, les rivières et les fleuves se réunissent, s'entrelacent en boule et se laissent dériver au courant. À ce imnoment, vers l'embouchure de ces cours d'eau plus ow moins considérables dans la mer, Les pécheurs au filet prennent ces paquets enroulés de 20 à 30 anguilles nouées ensemble (De la Blanchère). Aussi, la théorie ovonipuriste compte également de nombreux et fort respectables partisans. Des pêcheurs exerçant leur état dans la rivière d'Aigre, près de Châteaudun (France), rivière très limpide roulant au milieu de prairies tourbeuses, ont affirmé avoir, plusieurs fois, pris de très grosses anguilles portant leurs petits dans leur ventre d'où ils sortaient devant eux. Joanni rapporte qu'il tient d'un paysan, qu'une grosse anguille mise entre deux plats, fut trouvée au bout de quelques heures entourée de plus de 200 petites anguilles, blanches et filiformes. Un homme digne de foi, que je connais bien, M. Joseph Leroux, du Coteau-du-Lac, comté de Soulanges, ayant déposé, un soir, plusieurs grosses anguilles vivantes dans une cuvette bien fermée, à trouvé, le lendemain, un grand nombre de petits vers blancs de forme étrange de la longueur d'un pouce au fond du vase : d’autres personnes de lendroit, témoins du fait, attestent de son exactitude. Aux yeux de Valenciennes, ces petits vers blancs sont des ascarides vermiculaires, des vers intestinaux, c'est-à-dire des ennemis rongeurs plutôt que des enfants de la prétendue mère anguille. Il peut en être ainsi, mais n'aurait-on pas lieu de croire, avec non mcins de plausibilité apparente, que ces grosses anguilles, si gioutonnes, si voraces auront avalé à pleine gueule, dans leurs nids, bien connus d'elles, dans l« vase ow les fonds de gravier, quelques pelotes de ces petites anguilles vibryonnaires attendant le développement de leurs forces pour se risquer hors de leur berceau, à l'aventure, et que gorgées outre mesure, elles auront laissé échapper avec leur dernier soupir une partie de leur dernier repas ? On sait que l'heure du diner sonnant dans l'estomac d’un poisson carnivore, il ne regarde pas à l'espèce qui lui tombe sous la dent, que les siens y passent des premiers, s'ils sont plus à sa portée que d'autres. I] ne les épargne que lorsqu'il est à demi rassassié. Quel est le pêcheur au maskinongé, au brochet, au sandre, qui, rendu à la maison et vidant son panier de pêche, n’a pas été surpris d'y trouver des pièces d'assez belle taille, à peine entamées d'un coup de dent et quelquefois intactes, de la même espèce que les plus gros qu'il reconnaissait bien, soit pour le plaisir soit pour la peine qu'ils lui avaient donné en les tirant de l’eau ? Comment ces survenants se trouvaient-ils là à son insu ? Évidemment 268 LES POISSONS ils étaient sortis de l'estomac des poissons de forte taille qui n'avaient pas eu le temps de les digérer. Pourquoi l’anguille dont la boulimie est connue ferait-elle exception à cette règle ? Une grosse anguille doit pouvoir avaler d’une seule bouchée au moins une vingtaine de ses petits embryonnaires, sans les croquer, susceptibles par conséquent de quitter son estomac, à une heure ou deux d'avis, en parfait état de conservation. À nos lecteurs de juger si cette supposition ne vaut pas celle des ascaæricdes de Valenciennes. C’est l'opinion de Chenu et de Desmarets qui m'a le plus frappé. IIS assurent que “l’anguille fraye dans la vase, après une sorte d'accou- plement. Les œufs restent réunis ensemble par une sorte de viscosité analogue à celle qui réunit les œufs des perches d’eau douce et forment des petits pelotons où boules bien arrondies; chaque femelle produit annuellement plusieurs de ces boules. Les petits éclosent bientôt, et restent, pendant les premiers jours après leur naissance, réunis dans ces pelotes ; quand ils ont atteint 0",04 ou 0",05 de longueur, ils se débar- rassent des liens qui les retenaient, et bientôt remontent tous, en bandes serrées et excessivement nombreuses, les fleuves et les affluents pres desquels ils se trouvent.” Nous avons vu que Yarrell et Young, après de consciencieuses recher- ches faites au scalpel et au microscope, n'ont pu trouver ni œufs ni laitance dans le corps de l’anguille ; mais puisque l’anguille est un poisson, qu'elle nait par conséquent d’un œuf comme tous ses congénères, ils ont émis l'idée qu'elle dépose ses œufs dans les sables et les graviers du fond des rivières. Les deux auteurs français que je viens de citer remplacent les graviers et les sables par de la vase. Ni les uns ni les autres n’ont vu la forme de ces œufs, et cependant, les premiers nous les représentent conne étant très petits, et les derniers nous les font voir agglomérés en forme de boules, réunis par une substance gélatineuse quelconque. Ces opinions sont purement gratuites, mais si nous les mettons en doute, on n'a qu'à nous répondre : “ Trouvez mieux et prouvez que nous sommes dans l'erreur.” Chose difficile, il faut l'avouer, puisque les œufs mys- térieux sont enfouis dans des endroits inaccessibles et restent par conséquent invisibles, insaisissables. “ Dès la première partie de ce siècle, dit le Dr Sauvage, on avait constaté, nous devons le faire remarquer, que l’anguille à des œufs, mais on croyait cet animal vivipare, si on s’en rapporte à ce qu’en dit Bau- drillart : “ Les œufs des anguilles, écrit-il, croissant dans leur COTps, ne peuvent être aussi nombreux que ceux de la plupart des autres poissons : mais comme elles en peuvent faire dès leur douzième année et peut-être jusqu'à leur centième, leur multiplication est très considérable : aussi sont-elles extrèémement nombreuses dans quelques eaux.” L’'ANGUILLE 269 “ [l est aujourd'hui bien démontré qu'il y a des anguilles mâles et des anguilles femelles. D'après Émile Moreau, les ovules mâles sont formés d’une enveloppe mince et d’un contenu granuleux ; les ovules femelles, plus gros et mesurant environ deux dixièmes de millimètre, ont une membrane vitelline épaisse, transparente, un vitellus d'aspect granuleux, une vésicule germinative et une tache germinative plus ou moins distinctes ; autour de la vésicule germinative sont réunies les granulations vitellines plus où moins nombreuses. “ Benecke, Syrski, Packard, Hermes et d’autres naturalistes encore ont étudié, dans ces derniers temps, l'anatomie de l’anguille. Les organes femelles ou ovaires se présentent avec l'aspect de deux cordons de couleur jaunâtre ou rosée, fortement plissés, situés à droite et à gauche du canal alimentaire, renfermés dans un repli du péritoine et venant s'ouvrir à l'extérieur par un petit pertuis. Ces organes se développent peu à peu, de telle sorte que chez les animaux jeunes on ne trouve à leur place que deux masses graisseuses ; pareil fait se remarque, du reste, chez beaucoup d’autres poissons, chez le hareng par exemple. Chez l'animal adulte on trouve des ovules bien développés : le nombre des œufs contenus dans les deux ovaires a été estimé à environ cinq millions. “ Chez l’anguille mâle on voit à certains moments de l’année deux organes très allongés et minces également situés de chaque côté du tube divestif et présentant une série de lobules : ces organes se distinguent de ceux de la femelle, non seulement par leur aspect lobé, mais encore par leur apparence luisante, vitreuse et lisse : en plus, le tissu de l’organe est plus ferme, plus résistant. Les lobules de l'organe déversent leur produit dans un canal qui va aboutir à un pore externe semblable à celui que nous avons signalé chez la femelle. Les lobules eux-mêmes se composent d'une série de glandales renfermant des globules granuleux.” Certains observateurs, comme Jacoby, Syrski et autres prétendent que les mâles sont toujours de plus grande taille que les femelles : d’autres prétendent le contraire et affirment que les plus grandes anguilles pêchées à Trieste et à Comacchio sont des femelles. On vous dira aussi que les femelles ont le bec plus pointu, plus effilé : certaines gens trouvent aux ansuilles femelles de Comacchio, une couleur plus claire, généralement une couleur verdâtre sur le dos, une teinte jaunâtre sur les flancs, les males étant d’un vert foncé tournant au noir avec des reflets métal- liques ; chez les femelles la nageoïre dorsale est plus haute que chez les animaux de même taille que l’on suppose être des mâles : presque toujours l'œil est proportionnellement plus grand chez ceux-ci que chez les femelles. La merveilleuse découverte annoncée par le journal de Paris que j'ai cité plus haut perd ainsi tout son éclat, à la lumière de la science. Il ne 270 | LES POISSONS nous reste plus vraiment qu'à constater si l’anguille est ovipare ou bien vivipare. Cela ne saurait tarder longtemps, grâce aux ressources de l'électricité, aux progrès de la mécanique appliquée à l'exploration du fond de la mer. N’avons-nous pas déjà des scaphandres à air comprimé, munis d’un appareil électrique qui permet aux plongeurs d’inspecter les plaines de la mer, pendant douze heures, sans remonter au soleil ? On nous promet pour demain le bicycle de l’abime : nous ferons désormais le plongeon tout comme nous allons courir les champs et les bois aujourd'hui. Quelle délicieuse promenade par les jours de grande chaleur ! Et puis, que de merveilleux paysages ! que de découvertes étranges ! que de trésors enfouis retrouvés ! Ici, des navires chargés d'or : là, des monceaux de perles, des pépites d'or, des pierres précieuses éclairant les ténèbres des profondeurs, de tous côtés des poissons curieux à voir et qui n'ont plus de secret pour nous. Nous irons à l’eau, ma mignonnette, Nous irons à l’eau, tous deux. Qu'apprendrons-nous alors sur le compte de languille ? Si elle est ovipare, je la soupçonne de déposer ses œufs dans les eaux saumâtres sur le seuil même des fleuves où se presse la montée dès le premier printemps. Mais alors, pourquoi laisse-t-elle partir ses petits tout seuls ? Car, si tous les automnes, nous voyons les anguilles descendre en masse à la mer, jamais nous ne voyons d'adultes remonter les cours d’eau au printemps Est-elle vivipare ? alors j'explique sa disparition par sa mort. Les petites anguilles auront déchiré le ventre de leur mère pour en sortir et l’auront tuée. Cela pourrait avoir un certain air de plausibilité en ce qui concerne les femelles, mais les mâles, va-t-on les voir abîmés dans leur deuil au fond de l’abime, expirant de douleur, comme lhirondelle à côté du cadavre de sa bien-aimée ? Nous irons à l’eau, ma mignonnette, Nous irons à l’eau, tous deux. L’ANGUILLE 271 DE LA MONTÉE Différente des poissons anadrômes, comme le saumon, l'esturgeon, l’alose qui remontent les fleuves pour frayer, l’anguille descend à la mer, quand devenue adulte, elle se sent pressée par les besoins de la maternité. Les mères ont roulé pêle-mêle, à l'automne, dans les eaux du fleuve qui les ont charriées à la mer, sans espoir de retour ; mais au printemps, dit de Brehm, des myriades de jeunes anguilles, à peine plus grosses que des fils, remontent les fleuves, se tenant en masses compactes près des rives, et se dispersant bientôt dans tous les cours d’eau secondaires ; c'est ce qu'on appelle les montées d’anguilles. Nous savons que les anguilles adultes abandonnent les rivières et se dirigent en grand nombre vers la mer: ce voyage s’accomplit en automne, de septembre à octobre et de préférence pendant les nuits sombres. L'époque du frai doit tomber en décembre et janvier, car il est plus que probable que ce sont les jeunes nouvellement nées qui remontent les fleuves au printemps. Une question qui n’a pas été élucidée est de savoir si dans certaines circonstances les anguilles fraient en eau douce, comme beaucoup l'admettent, ou si réellement toutes les anguilles descendent à la mer pour se reproduire, si enfin, après avoir pondu, les anguilles meurent dans la mer, de telle sorte que l'on n'aurait jamais dans les cours d’eau que des anguilles ayant remonté une fois. Je crois qu'il est des anguilles qui fraient en eau douce comme en eau salée. Celles qui fraient en eau douce ont une ponte tardive, en maï ou juin, pendant que celles qui vont à la mer, soudainement dégourdies par la température plus élevée des profondeurs, fraient en décembre et Janvier. Celles-là ne remontent plus les fleuves, disent certains naturalistes. Survivent-elles à l'œuvre de la parturition ou en meurent-elles, comme nous l'avons supposé déjà, nous n’en saurions rien dire. Si elles périssent, comment pourrons-nons expliquer cette différence énorme de taille que l'on remarque chez ces animaux ? Toutes les grandes anguilles dépassant quatre pieds de longueur seraient donc des mâles, puisque l'anguille, adulte à douze ans, atteint rarement plus de trois pieds. Qui nous assure également que l’anguille ne remonte pas les rivières après sa partu- rition ? Si l’anguille ne se reproduisait pas en eau douce, le paragraphe suivant que j'emprunte à de Brehan lui-même, serait en contradiction flagrante avec sa théorie : 212 LES POISSONS “ Pendant l'hiver, dit-il, l'anguille s'enfouit dans la vase et s'engourdit pour ne se réveiller qu'au printemps ; d'après Baudrillart on à vu des anguilles vivre des mois, même des années entières renfermées dans la vase des étangs désséchés ou dans les trous des rivières dont on a détourné le cours, privées d’eau et peut-être de nourriture. Cette faculté fait qu'il n'est presque jamais nécessaire de repeupler les étangs qu'on «& péchés. Il se conserve toujours assez d'anguilles cachées pour travailler à leur multiplication lorsqu'on leur à rendu de l'eau.” ; Un de nos bons écrivains canadiens, M. J.-E. Roy, a écrit les lignes suivantes à l'appui de l'opinion que l’anguille adulte remonte de la mer dans nos rivières : “Nos ancêtres, dit-il, qui étaient plus scrutateurs et plus studieux que nous ne le sommes, avaient une vague idée des migrations de l’anguille “ Nous avons remarqué sur une carte du territoire du Saguenay dessinée par Berlin, un chapeilet de lacs en arrière de la Malbaie auxquels il donna le nom de Lacs à l’Anguille. “ Ces lacs sont séparés par d’étroites bandes de terre en travers desquelles courent des lignes pointillées avec la légende: Portages à l’'Anguille. “ Avant voulu contrôler cette indication singulière, nous écrivimes au curé de Saint-Urbain, qui nous apprit qu’en effet il y avait dans sa paroisse deux ou trois mares, éloignées de la rivière du Gouffre de près de cinquante arpents. Ces mares forment un lac de douze à quinze arpents de longueur sur deux à trois de largeur qui communique à la rivière du Goutfre par un ruisseau. Quand vient le printemps, c'est par ce ruisseau que l’anguille monte de la mer dans le lac. Elle en descend vers la fin d'août ou au commenceraent de septembre. Autrefois, on tendait en ces endroits des espèces de masses où coffres à anguilles et on en prenait en assez orande quantité ; quelques-uns faisaient aussi cette pêche à l'hamecçon. “ La rivière aux Perles, qui traverse le village de Kamouraska, est un des sentiers favoris suivis par ce poisson. Les habitants de l’endroit le savent, et lui tendent des embüûches qui sont souvents funestes. Cette pêche à l’anguille est une des curiosités de l'endroit. “A la mi-août, quand les foins sont coupés et que des champs monte la bonne odeur des fenaisons, les fermiers qui habitent les bords heureux de la rivière aux Perles, jettent en travers du courant une digue de œulloux en forme de croissant. Au centre de ce barrage, ils ménagent une ouverture où se dresse l’embûche. C’est la bourrole, espèce de ruche au sommet tronqué, faite de harts de coudriers ou d’aunes fortement entre- lacées, par où coule un mince filet d’eau. L’'ANGUILLE 273 “ La bourrole est reliée par une espèce de col de cornue qu’on appelle l’ansillon, à un coffre oblong. L’anguille glisse à travers ces escarpes et contre-escarpes jusqu'à ce qu'elle arrive au coffre où elle trouve son cercueil. Une fois rentrée elle n’en peut plus sortir. Les pointes de harts qui terminent l’orifice de cette machine ingénieuse forment une barrière hérissée, qu’elle n’ose pas franchir. “ La bourrole et l’ansillon sont des mots du terroir. On dit qu’en France ce genre de pêche est connu sur la Loire, où l’on appelle les engins des & bossels. ‘“ Ansillon est peut-être un dérivé du mot français ansière, filet que l'on tend dans les anses. “ La bourrole doit être ce que l’on appelle là une anguillère, vanne lacée dans une petite rivière, au-dessous de laquelle on pratique un coffre 1 où se prennent les anguilles quand l’eau est trouble. “ Mais les mots importent peu. Quand il faut causer de pêche et de chasse au Canada, et que l’on n’a pas en France d'opérations similaires, q pourquoi répudier les expressions reçues parmi les hôtes 2” L'historien Charlevoix, ayant à parler de notre pays, disait sans scrupule : “ Nous sommes dans un nouveau monde, il ne faut pas exiger que nous y parlions toujours le langage de l’ancien, et l'usage, contre lequel on ne raisonne point, s’y est mis en possession de tous ses droits.” Des malins pourront juger que le bon Charlevoix, dont le style est quelquefois un peu diffus et prolixe, voulait désarmer d'avance les critiques de l'avenir. Mais quand il aurait caché quelque anguille sous roche, ses raisons ne nous paraissent pas moins justes et dignes d’être méditées. Les pêches à l’anguille ont donné à plusieurs habitants du comté de Kamouraska une modeste aisance. L'opération était facile, coûtait peu de temps, point d'argent, et rapportait des bénéfices assurés. DES MŒURS DE L'ANGUILLE L'anguille est un poisson nocturne qui mord rarement le jour, en dépit de son extrême voracité. Il habite ordinairement sur des fonds d'argile où il se creuse des trous ; il se cache également dans l’enchevêtrement des racines, sous des crônes, entre des pierres, près de murs démolis tombés à l’eau, dans les digues, non loin des roches dégradées. D’aucuns pré- 1S 274 LES POISSONS tendent que sa croissance est très lente, pendant que d'autres affirment. qu’elle se développe en très peu de temps. Baudrillart nous dit : “ Des expériences constatent que les anguilles n'augmentent que d'environ huit pouces de longueur pendant dix ans: mais si leur croissance est lente elle à lieu pendant longtemps ; car elles peuvent vivre un siècle, quoique quelques auteurs aient voulu limiter leur existence, d’après des observations isolées, à moins de vingt ans.” De Lacépède est du même avis lorsqu'il écrit : “ La croissance de l’anguille se fait très lentement, et nous avons sur la durée de son déve- loppement quelques expériences qui m'ont été communiquées par un très bon observateur, M. Septfontaines. Au mois de juin 1779, ce naturaliste mit soixante anguilles dans un réservoir ; elles avaient alors environ vingt-neuf centimètres. Au mois de septembre 1753 leur longueur n'était que de quarante à quarante-trois centimètres ; au mois d'octobre 1786 cette même longueur n’était que de cinquante-un centimètres ; et enfin, en juillet 1788, ces anguilles n'étaient longues que de cinquante-cinq centimètres au plus. Elles ne s'étaient donc allongées, en neuf ans, que de vingt-six centimètres.” ‘“ En 1842, Jung fit une expérience dont les résultats contredisent de tous points les énoncés ci-dessus. Il enleva d’une rivière un certain nombre de petites anguilles et les mit dans un étang bien gardé. Elles y prirent un accroissement excessivement rapide, disparurent toutes à l'approche del’hiver, mais reparurent au printemps suivant et continuerent. leur accroissement dans le second été, à un tel point que, le vingt-un octobre 1343, celles qui furent examinées avaient déjà atteint soixante- cinq centimètres (deux pieds) de longueur.” Spalangini arrive à la rescousse pour confirmer l'opinion de Jung : “Sr rapide est la croissance de l’anguille, dit-il, que des alevins à peine P £ perceptibles à l'œil nu, en avril, atteindront à l'automne le poids d’une livre, au moins, et se vendront avantageusement sur les marchés sous le ; ) D nom de civelles.” J'incline en faveur de ces derniers témoignages. N'’eussé-je que l'appétit insatiable, la voracité rageuse de cet animal, pour me former une opinion, que je serais convaineu de la rapidité de sa croissance. Au dire de Lacépède “ les anguilles se nourrissent d'insectes, de vers, d'œufs, de crustacés et de petites espèces de poissons. Elles s'attaquent quelquefois à des animaux un peu plus gros. M. Septfontaines en à vu L’'ANGUILLE 275 une de quatre-vingt-quatre centimètres, présenter un nouveau rapport avec les serpents, en se jetant sur deux jeunes canards éclos de la veille et en les avalant assez facilement pour qu'on püût les retirer presque entiers de ses intestins. Dans certaines circonstances elles se contentent de la chair de presque tous les animaux morts qu'elles rencontrent au milieu des eaux : mais elles causent souvent de grands ravages dans les rivières. M. Noël dit que dans la basse Seine elles détruisent beaucoup d'éperlans, de clupées et de brèmes. ‘“ Ce n’est pas cependant sans danger qu’elles recherchent l'aliment qui leur convient le mieux ; malgré leur souplesse, leur vivacité, la vitesse de leur fuite, elles ont des ennemis auxquels il leur est très difficile d'échapper. Les loutres, les marsouins,piusieurs oiseaux d’eau et les grands oiseaux de rivage, tels que les grues, les hérons et les cigognes, les pêchent avec habileté et les retiennent avec adresse ; les hérons surtout, ont dans la dentelure d'un de leurs ongles, des espèces de crochets qu'ils enfoncent dans le corps de l’anguille et qui rendent inutiles tous les efforts qu’elle fait pour glisser au milieu de leurs doigts. Les poissons qui parviennent à une longueur un peu considérable, et par exemple, le brochet et . l’acipenser esturgeon en font aussi leur proie ; et comme les esturgeons l’avalent tout entière, et souvent sans la blesser, il arrive que, déliée, visqueuse et flexible, elle parcourt toutes les sinuosités de leur canal intestinal, sort par leur anus, et se dérobe, par une prompte natation, à une nouvelle poursuite. Il n’est presque personne qui n’ait vu un lombrie avalé par des canards sortir de même des intestins de cet oiseau, dont il avait suivi tous les replis ; et cependant c'est le fait que nous venons d'exposer qui a donné lieu à un conte absurde accrédité pendant longtemps, à l'opinion de quelques observateurs très peu instruits sur l'organisation intérieure des animaux, et qui ont dit que l’anguille entrait ainsi volontairement dans le corps de l’esturgeon pour aller y chercher des œufs dont elle aimait beaucoup à se nourrir.” En relevant une cordée (ligne dormante), je trouvai un jour une anguille et un brochet de forte taille accrochés à la même empile. L'anguille avait mordu d’abord et était restée prise. Survint le brochet qui voulut la happer, mais elle, glissant sa queue à travers les ouïes de son agresseur, faisant crochet en dehors, le retint prisonnier, et en dépit des nombreuses hachures imprimées sur son corps par les dents du brochet, elle finit par le noyer. Elle était encore pleine de vigueur lorsque je la retirai de l’eau avec son ennemi devenu sa victime. On trouve parfois des anguilles dans le corps de gros animaux noyés qui ont séjourné longtemps dans l’eau. De là cette répugnance de certaines 276 LES POISSONS personnes à manger de l’anguille. Puisqu'elles se repaissent de cadavres d'animaux, rien ne les empêche de traiter les humains de la même manière. Et souvent ces mêmes gens qui ont horreur de l’anguille parce qu’elle à pu goûter à la chair humaine, ne se géneront pas de manger leur prochain à belles dents. LONGÉVITÉ DE L'ANGUILLE L'observation suivante des mœurs de l’anguille est rapportée par le professeur Émile Blanchard : ‘“ Les anguilles ont une vie fort longue. Un exemple en fournira la preuve. J'avais vu, il y a très longtemps, chez M. Desmarest, professeur à l’école vétérinaire d’Alfort, une anguille qui avait été achetée pour être mise à La matelote. On ne se pressa point de la livrer au fourneau; le naturaliste se plut à observer l'animal. Dès ce moment, l'anguille fut considérée comme une amie de la maison. Je savais que ce poisson existait encore chez le fils du professeur d’Alfort ; je l’ai prié de me dire à quelles observations il avait donné lieu. On ne lira pas sans intérêt la uote suivante que m'a transmise à ce sujet M. Eugène Desmarest, l'un des naturalistes du Muséum d'Histoire naturelie : “C’est depuis le 13 décembre 1828, que ma famille possède l’anguille sur laquelle vous me demandez une note. Il y à donc trente-sept ans que nous l’avons en domesticité. “ De 1838 à 1853 (pendant vingt-cinq ans), elle a été conservée dans une grande terrine placée dans l’intérieur d’une chambre. Cette terrine, dont l’eau était changée tous les sept ou huit jours, quoique grande, ne pouvait cependant pas lui permettre de se tenir étendue, et elle devait rester constamment repliée sur elle-même. Depuis 1853, elle à été placée, d’abord à Batignolles, chez ma sœur, et depuis 1863, chez moi, à Montrouge, dans un réservoir en zinc qui peut contenir une vingtaine de seaux d’eau que l’on renouvelle tous les quinze ou vingt jours. C’est là son logement d'été; car dès les premières gelées jusqu’au printemps, elle vient reprendre son logement primitif, sa terrine. “ La longueur totale actuelle de mon anguille est de 1°,30 à 1",40 ; sa grosseur est 0",08 à 0",10. Depuis que nous la conservons, on peut dire, sans rien exagérer, qu'elle a grandi d'environ un tiers. Son alimentation consiste en de petits filets de bœuf, coupés en forme de vers, qu'il faut lui présenter flottants dans l’eau ; elle les saisit avec une grande vitesse L'ANGUILLE 277 et une grande dextérité lorsqu'elle à faim, mais elle ne les mange jamais lorsqu'ils tombent au fond de son réservoir. Elle ne semble pas vouloir une autre nourriture, et encore faut-il que le bœuf soit bien frais. “ Elle refuse les vers de terre et même les petits poissons, qu'elle n'aime toutefois pas voir auprès d'elle; car elle a constamment poursuivi et attaqué ceux que l’on à mis quelquefois dans son réservoir. Elle ne mange guère que pendant l'été, depuis le mois d'avril Jusqu'au mois d'octobre ; elle refuse toute nourriture. “Jamais elle n’a voulu manger de pain ou une alimentation végétale quelconque. Pendant la saison chaude, ce n'est que tous les six à huit jours qu’elle veut bien manger; alors elle le montre d’une manière manifeste : elle s’'agite dans son bassin, sort légèrement la tête hors de l'eau quand on approche de sa demeure, ou lorsqu'on Fappelle. Les personnes qui lui donnent le plus habituellement sa nourriture semblent, en quelque sorte, être connues par elle ; c'est ainsi que jadis elle venait à la voix de ma sœur, et qu'aujourd'hui elle paraît le faire également lorsque ma fille vient l'appeler au bord de son bassin. Jamais, quoiqu'on l’ait souvent maniée, elle n’a mordu personne ; et si cela est arrivé une fois, c’est qu'on avait mis le doigt dans sa gueule. “ Comme il faut la retirer de son bassin toutes les fois qu'on veut le nettoyer, elle est en partie habituée à être maniée, et, tout en essayant de rester dans l’eau, elle ne fait pas de trop grands mouvements pour s'échapper de la main qui la tient. De même quand on cherche à la saisir dans l’eau, elle ne se retire pas trop brusquement, mais elle vous glisse des mains. Elle est souvent stationnaire dans son réservoir, cher- chant constamment à se cacher derrière les pots de plantes aquatiques placés dans son bassin. Souvent, elle reste sans mouvement, étendue au fond du réservoir ; parfois elle se contourne autour des pots, et ce n’est guère que le matin ou le soir qu’elle nage lentement. Quand la tempé- rature est plus élevée qu'à l'ordinaire, ses mouvements sont plus vifs, brusques parfois. De temps à autre, elle vient à la surface de l'eau. Bien lui en prend d’aimer à se trouver au fond du liquide qu’elle habite ; car une fois, un chat affamé la guettait et n'était arrêté dans sa chasse que par l’eau interposée entre lui et le poisson, Un coup de grifte cependant vint blesser l’anguille auprès de l'œil, qui se recouvrit d'une peau blanchâtre, et que pendant plus d'un mois je crus perdu. Mais heu- reusement il n'en fut rien, et aujourd'hui l'organe oculaire près duquel devait être la blessure, est semblable à celui qui était resté intact. “ Vers le mois de mai, notre anguille devint encore moins active qu'en hiver même : deux ou trois fois alors elle rendit des corps mous, blan- châtres, que l'on regardait comme étant des œufs. Un peu après cette époque, elle sembla très agitée, à ce point même qu'elle se jeta plusieurs 278 LES POISSONS fois hors de sa terrine, et que deux fois à Batignolles, et une fois à Mont- rouge, nous la trouvâmes, ma sœur et moi, hors de son réservoir, sur le sable des allées du jardin. Là, elle était sans mouvement, molle, et n'aurait probablement pas tardé à mourir par le dessèchement, si nous ne l’avions pas replacée dans l’eau. Un autre accident lui est une fois arrivé : l'ayant laissée dans une cuisine trop froide, au milieu de l'hiver, je la trouvai, le lendemain matin, toute gelée et prise même dans des glaçons qui couvraient sa terrine ; je réchauffai le liquide glacé en y mettant de l’eau tiède ; bientôt la glace fondit, et petit à petit, le poisson reprit ses mouvements.” TAILLE DE L'ANGUILLE Les anguilles, d'après Lacépède, parviennent à une grandeur très considérable ; il n’est pas très rare d’en trouver, en Angleterre, du poids de quinze à vingt livres. Dans l’Albanie on en a vu dont on à comparé la grosseur à celle de la cuisse d’un homme, et des observateurs très dignes de foi ont assuré que, dans les lacs de la Prusse, on en avait pêché qui étaient longues de dix à douze pieds. On a même écrit que le Gange en avait nourri de plus de trente pieds de longueur ; mais ce ne peut être qu'une erreur, et l'on aura probablement donné le nom d’anguille à un congre ou à quelque serpent devin aperçu de loin nageant au-dessus de la surface du grand fleuve de l'Inde. CŒUR LYMPHATIQUE DE L'ANGUILLE En 1831, le docteur Marshall Hall découvrit dans l’anguille l'existence dun cœur lymphatique situé à l'extrémité de la veine caudale et doué de pulsations très appréciables, analogue à celui qui existe chez la plupart de nos batraciens, nommément le lézard vert (le mouron), le crapaud et la grenouille, ce qui parut anormal chez un poisson. De là vient l'extrême sensibilité de la queue de l’anguille ; de là vient que les pêcheurs frappent sur cette partie de son corps plutôt que sur sa tête quand ils veulent ralentir ses mouvements trop vifs, trop emportés. Nous nous demandons s’il ne faudrait pas chercher dans cet organe, par l'analyse de ses fonctions à des températures diverses, la cause réelle L’'ANGUILLE 279 de l'engourdissement et des batraciens susnommés et de l’anguille, par l'influence de la froidure. Cette expérience a-t-elle été tentée ? Un tel engourdissement existe-t-il chez les mêmes animaux dans les contrées tropicales où les rigueurs de nos hivers sont inconnues ? Aucun des auteurs que nous avons consultés ne donne de solution à ces questions, leurs observations étant limitées à nos régions tempérées, relativement au sujet qui nous occupe, à propos duquel toutefois nous croyons que le cœur lymphatique mérite une attention particulière de la part des savants de tous les pays. Pour cela, je voudrais, pour rendre la chose pratique et essayer de ré- soudre le problème, jusqu'ici apparemment insoluble de la reproduction des anguilles, en prendre un certain nombre à l’état adulte, les mettre en lieu favorable et les faire passer graduellement par les diverses tempéra- tures des saisons, afin de leur faire illusion, par cette nature factice, au point que se croyant chez soi, elles nous livrent, sous globe, le secret que la science a vainement tenté de trouver, dans leur état libre. C’est une suggestion, et rien de plus, mais une suggestion qu'il nous serait facile de réaliser ici, et dont la réalisation nous vaudrait un bon point dans le monde scientifique de l'avenir. Dâût-elle échouer que nous aurions encore un mérite, celui d'avoir ouvert au moins une perspective nouvelle aux observations, en vue de la découverte en perspective. PEAU D'ANGUILLE La peau d’anguille sert à beaucoup d’usages ; dans plusieurs contrées de l'Europe on en fait des liens assez forts dont on se sert pour les attelages ; en Tartarie, dans le voisinage de la Chine, cette même peau remplace, sans trop de désavantage, les vitres des fenêtres. Au bon vieux temps, lorsque la ficelle était rare, et ne s'attendait pas à jouer le rôle politique qu'on lui à fait jouer depuis, au Canada, la peau d’anguille était fort utilisée dans nos campagnes ; on en fabriquait de La babiche, servant à l’empaquetage, à la réparation des harnais, des chaussures ; on l’utilisait pour lier la batte au manche du fléau destiné à battre le grain sur l'aire. Une peau d’anguille servait à natter la couette de nos ancêtres, plus chinois de ça que nous ; nos grand'mères ne dédaignaient pas, non plus, de employer au même usage. Mais auJour- d'hui, le ruban se vend si bon marché que les peaux d’anguille sont décidément discréditées comme article de toilette. Allez donc faire des suivez-moi avec des peaux sentant l'huile rance. On se ruinerait à mener Cupidon en laisse — en gants de Jouvin — avec de pareilles rênes 280 LES POISSONS Livrées désormais aux corroyeurs, au lieu d’orner la tête des cavaliers et des blondes, comme au bon vieux temps, les peaux d’anguille servent de renforts aux souliers, de cordons, de courroies ; au lieu de se mêler aux fleurs, ornements de la coquetterie, elles se rangent franchement dans l’industrie, qui, Dieu merci, bat aujourd’hui la marche dans la voie du progrès. PRÉPARATION DE L'ANGUILLE D’après le docteur Sauvage, “ on fait à Comacchio deux sortes de Le] commerce de poissons : le commerce du poisson frais, le commerce du poisson préparé : “ Les anguilles subissent une première opération. Un ouvrier, à l’aide d'une petite hachette, leur coupe la tête et la queue, et fait du tronc, suivant la grandeur du poisson, un ou deux tronçons égaux : tous ces tronçons sont enfilés dans des broches ; les plus petites anguilles, après avoir subi une ou deux entailles qui en rendent la torsion plus facile, sont repliées en zigzag. Les broches sont placées au-dessus d’un feu que l’on conduit avec le plus grand soin, car il y à un degré de rissolé qu'il ne faut pas dépasser, sous peine de n’obtenir que des produits de qualité inférieure. La graisse qui s'écoule des broches est recueillie et sert en partie à l'entretien des lampes de l'atelier, de sorte que rien ne se perd dans cette exploitation bien entendue. “ D’après les recherches de Coste, cette coutume de faire cuire des anguilles à la broche, soit entières soit coupées par tronçons, remonte aux anciens Romains, comme le prouvent deux peintures trouvées à Pompéi, sur le pilier extérieur d’une hôtellerie découverte près des Thermes ; les figures qui y servaient d’enseigne représentent, l’une une anguille entière repliée sur elle-même et embrochée, l’autre trois tronçons enfilés à la même broche. “ Après avoir retiré les anguilles des broches, on les entasse dans des barils, par couches régulières, et on les arrose d’un mélangede fort vinaigre et de sel gris. Après avoir été marqués, les barils sont prêts à être expédiés.” Au Canada, l’anguille figure sur nos marchés à l’état frais, fumé, mais le plus généralement salé. L’'ANGUILLE 281 La production de l’anguille, pour tout le Canada, en 1895, a été de: Anguilles Valeur 009270ivres re ME eee ceiee $54,556 9,984 barils... ... PR Te ne te ele l ele 96,830 INA ee oo osceboostectnc. 0060 convouce $151,436 Des pêches méthodiquement ordonnées devraient rapporter des centaines de mille piastres. LA PÊCHE A L'ANGUILLE EN AMONT DE QUÉBEC Si vous avez parcouru le trajet de Québec à Montréal, à bord d'un des somptueux vapeurs de la Compagnie du Richelieu, par quelque nuit d'été bien noire, sans lune, sans étoiles, mais calme ; si, entre les neuf et dix heures, vous avez risqué quelques pas sur le pont de l'avant, question de causer, de fumer un cigare, d'écouter le barattage des roues qui endort, ou tout simplement de flâner, vous n'avez pu vous défendre d’apercevoir une longue file de lumières, presque régulièrement espacées vers la rive sud du fleuve. Ce chapelet, dont les ave sont autant d'étoiles, s'étend, se déroule capricieusement au gré des anses et des pointes, depuis Lotbinière jusqu’à Sorel, distance d’à peu près cent milles. Aussi loin que vos regards se portent, vous n’apercevez que des lumières et toujours des lumières ; ce n’est plus un chapelet mais bien le grand rosaire. Pour une lumière qui s'éteint à l'arrière du bateau, il s'en rallume dix à l'avant : le fleuve noue et dénoue une ceinture de diamants à la taille de la nuit noire. Si les étoiles étaient là, bien sûr elles en seraient jalouses. Vous qui êtes du pays, vous connaissez trop bien ce tableau pour qu'il me soit permis d’insister davantage sur sa description. C’est le temps de la manne, et l’heure est déjà passée, qui a vu naître, vivre et mourir ces myriades d’éphémères sorties du fond des eaux pour briller une heure au soleil, se bercer dans un de ses derniers rayons, aimer un instant, au feu du jour, pour s’éteindre au souflle de la nuit. Toute la surface du fleuve est semée de leurs cadavres. Mais ces enfants mort-nés de l'air, de la lumière, qu'ensevelit la nuit, semblent prêter une recrudescence de vie aux habitants des eaux. Pour eux, ces corps putréfiés sentent bon ; les roseaux s’agitent, les herbes s’écartent, la vase grouille, le caillou s’anime, la solitude se peuple, la vie du fond du fleuve remonte à la surface. On n'entend plus que le bruit de ce monde muet s’ébattant sur les eaux. Les premiers à la curée sont les ables, les chondrostômes, 282 LES POISSONS 1 les ides, les chevesnes, suivis bientôt par les silures, que viennent enfin rejoindre les dernières, mais non les moins âpres, les angualles, qui font l’objet principal de cette étude. “ Blottie dans la vase ou sous des crônes, l’anguille à passé la journée immobile, happant au passage des larves, de petits coquillages, plutôt propres à aiguiser qu'à satisfaire un féroce appétit.” Aussi, la nuit venue, se précipite-t-elle avec une sorte de fureur sur la pâture suceulente que lui fournit la manne. Chose étrange ! les anguilles qui redoutent la lumière du soleil, voire même celle de la lune, sont attirées par la lumière des flambeaux ou des lanternes. On les voit s’'ébattre avec un semblant de complaisance, dans l’espace éclairé, s’y dresser debout et vous regarder en passant, les curieuses ! s’y rouler en spirales, décelant, dans ce mou- vement, leur ventre blanc ou jaune pâle à l'œil avide du harponneur : on dirait vraiment qu'elles jouissent de prendre ainsi, sous vos yeux, un bain de lumière. Les imprudentes !.... C’est au sein du plaisir qu'elles viennent chercher la mort. Vous savez donc que chacune de ces lumières aperçues du pont du bateau de la Compagnie du Richelieu, dans la direction de la rive sud, représente un falot, placé à la proue d’une embarcation légère, soit un canot creusé dans un trone d'arbre, soit un bachot, une périssoire montés par une ou deux personnes, des hommes, des jeunes gens, des enfants, et même quelquefois, des femmes. Ces gens-là sont des habitants de la côte, qui, après les rudes travaux du jour, se sentent encore assez dispos pour passer une partie de la nuit à la pêche à l’anguille, les uns armés d'un dard imité du nigog des sauvages, les autres tendant une ligne de fond, parfois pêchant à soutenir, et quelquefois, mais rarement aujourd'hui, pêchant à la vermée. Par des nuits chanceuses, un bateau ou canot de pêche rapportera de cinq à six douzaines d’anguilles et trois ou quatre silures, nommés inproprement, ici, des barbues. Dans le comté de Soulanges, entre le Coteau-du-Lac et les Cèdres, le fleuve, très rapide au large, s’est creusé, par endroits, dans une rive alluviale, de profondes échancrures, des retraites calmes, où ses vagues tourmentées là-bas, au large, viennent, comme des danseuses essoufHées, se reposer nonchalamment — dans la lente promenade d’un remous — des secousses, des girations échevelées du tourbillon des rapides. Par les beaux jours d'été, au soleil couchant, du fond de ces anses, se détachent de petites barques à fond plat, lourdes, dures à la manœuvre, mais, en revanche, sûres et solides, poussées par deux ou quatre rames, suivant qu'elles portent un ou deux pêcheurs. On leur donne le nom de chaloupes, mais celui de canots leur conviendrait mieux. L'ANGUILLE 283 Fra. 50. La pêche à l’anguille au flambeau. 254 LES POISSONS Une ancre tout à fait primitive, formée d’un caillou brut encoché par le milieu, pour y fixer le grelin dont l’autre extrémité est attachée à une traverse de l’embarcation, gît à côté d’un dard de forme particulière mais. bien appropriée, engin de pêche unique employé en cet endroit pour la pêche à l’anguille ; sous le siège de derrière, une bouteille bien bouchée sort indiserètement son col des plis d’un caban. A la pince du canot, sur une étroite plateforme, est fixée à vis ou à clou une lanterne qu'éclairent. deux lampes à pétrole, dont la lumière, masquée en arrière par une boiserie, se projette tout entière de l'avant et de côté, à travers deux grandes vitres angulairement ajustées. ce ele lrbes eee taelloe sifelele)rehe le eee joie ele) ere etre 0 ofe odepeotveie che) hole. envies) es oise vues re La nuit est venue, une nuit sombre, tant mieux! Des nuages bas. présagent de la pluie; le fanal jette un plus vif éclat dans des ténèbres. plus profondes ; les éphémères foisonnent sur les vagues moirées de leurs cadavres agolutinés ; les rapides grondent plus sourdement dans Îles gorges des îlots qui gênent le cours du fleuve au-dessus : tous les signes favorables sont réunis pour promettre une bonne pêche. Serrant des deux mains le manche de son dard retenu à son poignet gauche par une bonne ficelle, le pêcheur, debout à l'avant du canot, en dehors de la nappe lumineuse, fouille les vagues d’un regard avide ; son oreille fine perçoit, de-ci de-là, le bruit sec des queues d'anguilles coupant. la surface de l’eau comme avec un couteau. Tout à coup, il se rejette en arrière et balance son harpon : tout son corps est en mouvement, son œil seul reste fixe. Une anguille s’est montrée debout, au tiers hors de l’eau, se balançant à la façon des reptiles irrités ; mais presque aussitôt, comme affaissé, et la paupière en chute, 1] remet son arme au repos : que voulez-vous ? l’anguille dansante, cette bayadère appétissante a passé hors d'atteinte. L'œil du pêcheur s'en détourne à regret pour chercher une proie plus à la main, pendant qu'il mordille un juron sous sa moustache. Mais presque aussitôt, de s’écrier : — Ah bon ! toi, tu vas payer pour l’autre ! Et le dard, parti en sifant, décrit une courbe, plonge dans l’eaw jusqu’à mi-manche ; la perche s'incline, va s’'enfoncer dans les profondeurs: par bonheur, la ficelle la retient au poignet du pêcheur (qui, souriant, et. se disant à lui-même des mots qui ne signifient rien, sinon qu'il est content), et en deux brassées, il la ramène à lui avec une anguille qui se L'ANGUILLE 285 toril, sanglante, dans la mâchoire du nigog. Son compagnon l'en arrache violemment, et lui frappe la queue sur la lisse du canot, pour l’engourdur, en fredonnant un vieux refrain : J'ai vu une anguille Qu'habillait sa fille Pour la m’ner danser, Laridaine, Pour la m’ner danser, Laridé ! Hardi ! pêcheur, les anguilles accourent en nombre, de tous côtés, attirées par les rayons lumineux de la lanterne. Frappe vite, frappe fort, surtout frappe sûrement ! celle-ci d’abord, qui, debout, te nargue en passant ; puis celle-là, dont le ventre argenté jette un éclair dans la vague sombre, à trois pieds de profondeur ; cette autre qui fait la planche, en se laissant aller paresseusement au fil de l’eau, ne t’échappera pas, j'espère ; frappe à droite, frappe à gauche ; regarde en avant, en arrière, à gauche, à droite, mais frappe ! Ah çà! es-tu donc déjà las ? Eh ! celle-ci ? cette autre qui s’en vient ? Passe-moi le harpon, de grâce !” Une bonne pêche à l’anguille dans ces endroits pourra rapporter, chaque soir, de cinquante à soixante pièces par canot, valant de dix à quinze sous l’une. Des familles peu nombreuses trouvent leur farine et leur lard, quelquefois même des confitures, dans cette industrie supplémentaire de la pêche à l’anguille. Un peu avant les foins le fleuve se couvre dans toute sa largeur, de Saint-Ignace à la Grande-Ile, des Cèdres à Saint-Timothée, de centaines de lumières — par les nuits noires — prenant de loin l’aspect d’une ville flottante sortie inopinément des eaux. Ce n’est plus ni un chapelet niun rosaire, c'est un collier à double et triple branches entrecroisées, enche- vêtrées en forme de macédoine. Vers minuit, le collier commence à s'égrener, et dès les premières lueurs du jour, de toute cette ville si brillante il ne reste même pas l'ombre. Pêche-t-on encore l’anguille à La vermée ? Je ne saurais le dire, car, la dernière fois que je l'ai vu faire me fait remonter à des souvenirs qui datent de près de cinquante ans. Seriez-vous curieux d'en connaître la description ? De la Blanchere nous la donne, à peu près dans les termes suivants, et c'est tout à fait celle que j'ai vu mettre en pratique, dans mon enfance. 286 LES POISSONS “ Vous prenez un fil de chanvre de trois à cinq pieds de longueur, que vous enfilez dans une forte aiguille. Choisissant de gros lombrics ou vers rouges, soigneusement vidés, une quantité suffisante, vous passez l'aiguille suivie du fil, dans le sens de leur longueur, jusqu'à ce que le fil en soit entièrement couvert. Vous lovez ensuite ce saucisson d'un nouveau genre, en anneaux de six à sept pouces, réunis par un lien que vous attachez au bout d’une ligne de trois à quatre pieds de longueur, jointe à une canne tres courte et solide. Il va sans dire que cette pêche se fait toujours au falot ou à des feux allumés sur la grève. “ Du rivage ou du pont du bateau, vous laissez descendre le paquet de vers à quelques pouces dans l’eau, et vous attendez. “ Les anguilles attaquent les vers, que le fil intérieur empêche de se diviser ; le pêcheur sent-il quelques petites secousses, il relève vivement le paquet qu'il jette soit dans le bateau, soit sur le rivage, où il entraine sa proie accrochée par les dents. Telle est la pêche à l« vermée où à la vermette, comme je l'ai vu faire, je le répète, il y a près de cinquante ans.” La pêche à la foëne ou fouane se pratique en hiver, à travers la glace, sciée et coupée de longueur au-dessus d’endroits vaseux. La foëne cst une fourchette à plusieurs dents plus ou moins pointues, mais toujours barbelées, ayant entre elles un espace d’un pouce à un pouce et demi. Le pêcheur expérimenté se rend dans les anses vaseuses où l’anguille engourdie gît enlisée, pendant les mois d’hiver. Dès que la glace est brisée, il enfonce sa fourchette en foëne, fixée à une longue perche, jusqu’à un pied ou plus, das la vase du lit du cours d’eau ; il tâte, 1l sonde patiemment, au hasard, à l’aveugle, à la chance, ne retirant l'instrument que s’il à senti le croquant de la chair vive... ou s'il a piqué une écorce, un copeau ou quelque vieux soulier. Croyez bien que ce mode de pêcher fait naître plus de grinaces que de sourires, provoque plus de jurons que de bénédictions, et laisse plus de déceptions que de succès. Heureux le pêcheur qui, d'heure en heure, peut amener au jour un paquet de huit ou dix anguilles pelotonnées ensemble ; mais hélas! ces bonnes aubaines du temps passé se font de plus en plus rares, d'année en année, dans nos eaux. En somme, au-dessus de Québec, la pêche à l’anguille la plus facile, la \ plus sûre et la plus fructueuse, est la pêche à la ligne de fond. L’'ANGUILLE 287 LA PÊCHE A L'ANGUILLE EN AVAL DE QUÉBEC Au-dessous de Québec jusque dans le golfe Saint-Laurent, la : êche à l’anguille se fait bien différemment. Il est des années où celle rapporte de fort jolis profits. Ici, l’anguille attend les heures de la marée montante, de nuit, pour s'approcher des rivages, où abonde le menu fretin, sous forme de lançons, éperlans, sardines, mulets, petites aloses, fommy cods, dont elle fait ses délices. Une fois repue, elle se laisse aller au gré du baissant et roule plutôt qu’elle ne nage vers la pleine mer. C'est dans ce retour, après la fête du rivage, que le pêcheur, qui n’est certainement pas honnête à son égard, va la surprendre, et l’attirer dans ses verveux à la suite de la blanchaille, dans laquelle elle donne un coup de dent par-ci par-là, par habitude plutôt que par appétit. Les pêches à anguilles sont formées de deux barrières, en treillis serré, d'osier, fortement étayées, de cinq à six pieds de hauteur, ouvrant une gueule d'entonnoir vers la côte, ou si vous aimez mieux, une équerre en pente, de plus ou moins grande proportion, à l’angle de laquelle est. ménagé un étroit goulot conduisant à une, deux ou trois de ces oubliettes. que nous appelons des verveux, des guideaux, des coffres, que sais-je encore ? Car, vous vous doutez bien qu'on ne se gêne pas sur le choix des termes, lorsqu'on est si loin de l’Académie. Or, voilà les coffres pleins d’anguilles, pleins à éclater, et la mer a passé, la mer a fui. C’est alors que le pêcheur, qui a préparé cette trappe à plus ou moins de frais, va cueillir à la main la récolte d'anguilles qu'il a compté faire, chaque jour, durant un mois ou trois semaines au moins, pour sufhire aux besoins de sa famille d’abord, et ensuite — si le poisson donne franchement — pour s’entourer d’un luxe et de jouissances modestes, auxquels une vie rude l’a peu habitué. Les coffres sont ouverts, et la masse grouillante, gluante, écœurante, d'aspect repoussant, va droit au cœur du pêcheur. N’eût-il trouvé que de dix ou vingt anguilles, il les eût rejetées à la mer avec dédain; mais il y en a des centaines et des mille, et volontiers ils les baiserait une à une, parce que cette masse, c'est de l'argent, c’est de l'or, c’est la prospé- rité de la famille. 288 LES POISSONS De premier soin, le pêcheur asperge la masse frétillante, de plusieurs poignées de sel, qui ont pour effet de dégager les mucosités dont le corps des anguilles est couvert. Sous cette douche saline qui les brûle, les anguilles laissent échapper des cris de souris effrayées. Après cette opération, il suffit au pêcheur de se frotter les mains de sable, pour saisir sûrement les prisonnières, une à une, et les jeter à la volée, dans les sacs ou le tombereau destinés à les transporter au lieu de la salaison, si l’on encaque, de l’expédition en ville, si on vend le poisson à l'état frais. Généralement ces barrières, barrages, gords ou bourdigues sont de construction grossière supportée par un cadre en fortes pièces de bois calées dans le lit du fleuve où elles sont assujetties par de lourdes pierres. Les premiers colons auront emprunté ce mode de pêche aux indigènes, comme ils ont fait de la pêche aux marsouins qui se pratique de nos jours, à l’île aux Coudres, à peu près de la même manière qu'au temps de Jacques Cartier. Notre dard à l’anguille est-il autre chose que le nigog des sauvages, un peu amélioré par la substitution du fer aux os et à l’ichory ou noyer dur dont étaient faites la lance et les branches de l'instrument des sauvages ? Dès les premiers temps de la colonie, les Français donnèrent une attention spéciale à la pêche à l’anguille, qui fut, du reste, en plus d’une occasion de disette, une ressource alimentaire excessivement précieuse, pour ne pas dire suprême. Elle nous a radicalement empêchés de mourir de faim. Si les Romains honoraient les oies du Capitole pour les avoir sauvés d’un assaut, c’est bien le moins que nous traitions l’anguille, sinon avec respect, du moins... à la sauce la plus délicate possible. Sur plusieurs points des rives du golfe Saint-Laurent et des îles si nombreuses de son vaste estuaire, des roches creusées par la nature en forme de cirque avec une seule passe ou goulot étroit ouvert vers le large, ménagent des pêches toutes faites qu'il suffit d'obstruer de quelques branchages entrelacés, en y réservant l’entrée d’un verveux ou d’un coffre, pour en retirer des profits considérables et faciles. Ailleurs, vous aurez des étangs d’eau salée que recouvrent les fortes marées du printemps en y apportant {a montée. Ces lagunes recèlent de grandes richesses qui pourraient être exploitées à peu de frais et dont, faute d'expérience, nous ne savons encore tirer parti Mais puisqu'il faut que quelqu'un sème pour que quelqu'un récolte; examinons les résultats obtenus à Comacchio de l’exploitation de lagunes à anguilles absolument identiques à celles qne nous possédons en nombre dix fois plus considérable. L'idée sera là, elle germera, poussera, mûrira à son heure. Puisque nous sommes au temps des semailles, semons. L’'ANGUILLE 289 En 1889, me trouvant à la “ Pointe-aux-Esquimaux,” rasant la “ Côte Nord ” en mission spéciale, j'aliais partir pour Natashquan, lorsque je mis la main sur un “ prospectus, ” un projet d'exploitation à toutes fins quelconques de l’île d’Anticosti. Ce prospectus, daté du 6 avril 1870, disait, entre autres choses : “ À peu de distance de la pointe sud-ouest existe de grands étangs d'eau salée où l’on pourrait établir les pêcheries du golfe Saint-Laurent qui s’'approvisionnent de sel aux Etats-Unis ou en Angleterre ; car il est notoire que le sel des salines maritimes est supérieur au sel gemme pour la salaison des viandes et du poisson. “ Sur d’autres points de la côte sud, se trouvent des tourbières et des marais salins formés par les eaux des grandes marées, qui couvrent une étendue considérable de terrain. C’est dans ces marais que des sauvages de Mingan viennent pécher l’anguille, dont ils vendent des quantités considérables aux navires américains, à des prix élevés, ce poisson étant reconnu d'excellente qualité, dans son espèce. ? Dans l’énumération des richesses latentes de l’île d’Anticosti, l’auteur du prospectus ne mentionnait qu'incidemment, presque à titre gratuit, la pêche à l’anguille dans les marais salins, puisque les Montagnais seuls s’en occupaient ; et pourtant, à mon avis, cette pêche promettait plus que toute autre industrie qui pourrait être exploitée dans l’île, avec ses ressources connues. D'après les renseignements que j'ai pu obtenir de diverses sources accréditées, ces marais salins, peuplés d'anguilles, sont dans des condi- tions absolument identiques à celles des lagunes de Comachio, près de Venise, en Italie, dont les revenus se chiffrent annuellement par des millions de francs. M. Faucher de Saint-Maurice, que la mort vient d'enlever dans la maturité d’un talent choyé par notre publie canadien, à écrit une page sur ce sujet dans Tribord et bäbord : “ Nous devions quitter, dit-il, notre aimable compagnon, M. Gagnier, à la Pointe-aux-Bruyères, dont le phare est confié à sa garde : mais avant de nous dire adieu, il avait tenu à nous faire lui-même les honneurs de son domaine, qui ressemble à une ferme modèle plutôt qu'à l'emplacement d’un phare. Nous sautâmes done ensemble dans la baleinière, et bientôt nos vigoureux rameurs nous débarquaient sur l’étroite lisière de grève qui sépare la mer d’un petit lac d'eau douce. En parcourant cette partie de l’Anticosti, le voyageur rencontre assez fréquemment des lagunes peuplées d'anguilles. Elles sont creusées dans une vaste tourbière qui, d'après M. Richardson, s'étend le long des terres basses de la côte sud de l'île, depuis la Pointe-aux-Bruyères jusqu'à huit ou neuf milles de la 19 290 LES POISSONS pointe sud-ouest. Cette plaine continue de tourbe a plus de quatre-vingts milles d'étendue ; sa largeur moyenne est de deux milles ; elle présente une superficie de plus de cent soixante milles carrés, et les sondages lui ont donné une épaisseur de trois à dix pieds.” À ces témoignages, attestant de l'abondance de l’anguille dans les marais salins du sud de l’île, J'ajouterai celui de M. David Têtu, qui, pendant de longues années, à été gardien de phare à la pointe sud-est, En sa qualité de chasseur, M. Têtu gardait plusieurs chiens. Par un jour de printemps, il vit arriver à la tour (le phare), ses chiens couverts de vase, les pattes et le museau ensanglantés. Curieux de savoir ce qu'il en retourne, il suit leurs pistes imprimées sur la neige amollie et se rend ainsi jusqu'aux marais Voisins, Où, dans un trou ouvert sous une glace creuse, il découvre des masses d’anguilles enfouies dans la vase, enroulées et nouées par paquets de dix à quinze. Naturellement, il en prit sa provision, mais 1l aurait pu en saumurer toute une cargaison, s’il eût eu du sel et des barils. Chacun sait que nos anguilles d’eau douce, qui ne descendent pas à la mer, passent ainsi l’hiver entortillées, engourdies, enlisées dans la boue des anses de nos lacs et de nos rivières. Il n’y à aucun doute que ces lagunes recèlent de prodigieuses quantités d’anguilles, qui restent inexploitées, faute de connaissances, d'examen ou d'esprit d'entreprise de notre part. La principale richesse de lîle est là, dans ces marais négligés jusqu'ici, et d'où l’industrie pourrait tirer annuellement des centaines de mille piastres de profit, tout en créant du travail et livrant à la consommation une masse énorme de matière comestible, délicate et recherchée. Sur ces réflexions, au lieu de me laisser glisser vers Natashquan, j'ordonnai de cingler vers la Pointe-de-l’Est de l’Anticosti ; et dès que nous fûmes en route, par un bon vent, je repris à tête enfoncée dans les deux mains, la lecture du chapitre de V. Meunier que voici : “ La lagune de Comacchio, qui peut avoir 130 milles de circonférence, est divisée en quarante bassins entourés de digues, qui ont une commu- nication constante avec la mer. Elle donne asile à plusieurs espèces de poissons : les anguilles sont les plus nombreuses et leur affHuence est telle que les habitants de Comacchio en font commerce dans toute l'Italie Chaque bassin est surveillé par un chef que l’on nomme facteur, lequel a plusieurs employés sous ses ordres, et quoique la pêche n'ait lieu qu'à certaines époques fixes, la manutention et la garde des bassins exigent qu'ils soient à leur poste toute l’année. “Ils sont très occupés en deux saisons : la première, quand les anguilles nouvellement nées entrent dans les bassins ; la seconde, quand les anguilles devenues adultes cherchent à en sortir. L’ANGUILLE 291 “ Les anguilles une fois entrées dans les bassins ne cherchent plus à en sortir qu’elles ne soient adultes ; sans doute parce qu’elles y trouvent une nourriture qui leur plait. —Une fois (c'était au printemps), le Pô devint à grossir plus qu'à l'ordinaire et à surmonter ies digues des bassins, de manière qu'ils ne formaient plus ensemble qu'un grand lac. On craignait que la plupart des anguilles ne se fussent évadées ; mais l'événement ne justifia pas ces craintes : la pêche de l'automne suivant fut aussi abondante que celle des années précédentes. “ Le même instinct qui détermine les anguilles à se transporter dans les lagunes, aussitôt après leur naissance, et à y rester tant qu’elles sont jeunes, les sollicite d'en sortir, quand elles deviennent adultes. Et, quoique, par cette raison, il n’y ait aucun mois de l’année où quelques- unes d’entre elles ne tentent leur évasion, et où les pêcheurs qui les guettent, ne tentent de les surprendre, cependant, c’est en octobre, novembre et décembre qu’elles entrent pour l'ordinaire dans l’âge adulte, et que la grande pêche a lieu. Alors arrive l’époque des grandes émigra- tions qui ne s'effectuent que pendant la nuit ; encore faut-il que la lune ne soit pas levée sur l'horizon. Si la lune les surprend pendant qu’elles cheminent, elles s'arrêtent aussitôt et attendent la nuit suivante pour continuer leur marche. Muis quand les nuits sont entièrement obscures, orageuses, que le vent du nord souffle avec violence, et qu'il y a reflux de la mer, alors le nombre des anguilles voyageuses s’augmente considé- rablement. “ Les pêcheurs assurent que le feu ordinaire retient également les anguilles, et ils en ont l'expérience. C’est leur usage de pratiquer au fond des bassins de petits chemins bordés de roseaux par où passent les anguilles voyageuses, chemins qui les conduisent dans une espèce de chambre étroite également formée de roseaux dont elles ne peuvent plus sortir. Si les pêcheurs se font accompagner d’une lumière pour les prendre dans cette enceinte, celles qui n’y sont pas encore entrées s’arrêtent subitement ; mais elles continuent leur chemin, et vont s’empri- sonner à leur tour, si les pêcheurs font leur opération dans l'obscurité, Quand un certain nombre d’anguilles s’est engagé dans ces défilés, il peut. arriver que les pêcheurs n’en veulent pas davantage pour le moment ; alors ils se contentent d'allumer des feux à l'entrée, et les anguilles ne passent pas outre. Ce moyen d'arrêter les animaux pendant l'obscurité de la nuit, de les aveugler, et d'aller sur eux sans qu'ils songent à fuir, était connu, et l’on savait Surtout s’en prévaloir pour prendre les oiseaux et les poissons ; mais on n'aurait pas imaginé peut-être que la lumière fût capable de produire les mêmes effets sur les anguilles. “Ce sont donc les nuits totalement obscures qui favorisent leurs migra- | ( | | il | y | e Venise (Italie). il io, près € » à l’anguille aux lagunes de Comacchi Fi. 51. — Pêche L’ANGUILLE 293 tions, et qui, par des routes insidieuses, conduisent à leur perte celles de Comacchio. Si la mer est tempêtueuse, s'il souffle des vents froids accompagnés de pluie, les captures que l’on en fait augmentent outre mesure ; c’est alors un spectacle singulier de voir ces chambres de roseaux où les anguilles arrivent et se pressent, et s'entassent au point de les remplir au-dessus de la surface de l’eau ; ce n’est pas qu'elles ne puissent s’en retourner, en suivant les mêmes chemins par où elles sont venues, mais le désir inné d'abandonner les marais à cette époque et de se trans- porter à la mer les retient dans cette enceinte, où elles s'efforcent toujours inutilement de passer outre. Malgré leur encombrement dans un espace aussi étroit, elles ne souffrent pas, attendu que la marée agite l’eau et la renouvelle sans cesse. C’est là que les pêcheurs les ramassent dans leurs filets, au fur et à mesure qu'ils en ont besoin. Cette pêche dure trois mois. Afin qu'on se fasse une idée de son importance, nons donnons, d’après Spal- lanzini, le relevé de la quantité de poissons capturés en cinq années : en prenant pour mesure le rubio, qui contient en moyenne quarante anguilles : Rubios. Anguilles. 15 TI DÉMOS SU CAR PPS EPA RAR ARE ES 93,441 3,237,640 ED MSP rés... RC REP EC 110,991 4,439,640 DITES PRE PME LL LEE PILE LI D Sue 78,588 3,143,500 Eny1784%2%%22,: Ne OT EU EEE 88,173 3,525,920 ne à 0 vie RE PO CP PE --1067 509 2,682,720 ” La pêche de Comacchio existe toujours, et continue de donner, régu- lièrement, des bénéfices énormes à ses propriétaires. Connaissant sa disposition, son étendue, sa richesse, et quelque peu aussi son mécanisme (d’après Spallanzini), j'avais grand intérêt à visiter les marais salins de l’île d’Anticosti, et à constater de visu les points de ressemblance, entre eux et le grand lavorerio italien. Leurs proportions, la nature de leur formation, leur communication voisine avec la mer, sont à peu près les mêmes. L'anguille étant un des rares poissons qui se trouvent sous presque toutes les latitudes, et dans presque toutes les eaux du globe, douces, saumâtres et salées, il y a lieu de croire que nos espèces du golfe Saint-Laurent ne diffèrent pas de celles d'Italie, ce qui nous per- mettrait de les traiter d’après la même méthode. Quant à la quantité, nous savons que l'anguille, dans nos eaux, est aussi abondante que dans les eaux de la Méditerranée, et ces marais de l’Anticosti, mêlés de tour- bières, fourmillant nécessairement d'insectes, de menus coquillages, doivent y attirer un nombre prodigieux de ces murènes. Au cas où l’on voudrait s'assurer d’une plus riche récolte, il suflirait de recueillir, au 294 LES POISSONS printemps, à l'entrée des rivières, quelques barils de montée, chaque baril contenant plus d’un milliard d’alevins, pour les déverser dans des lagunes, et les peupler ainsi, outre mesure.—Si rapide est la croissance de l’anguille, que ces alevins à peine perceptibles à l'œil nu, atteindront, à deux ans de là, le poids d’une livre, au moins, et se vendront avanta- seusement, sur les marchés, sous le nom de civelles. Encore à propos d’anguille, M. Faucher de Saint-Maurice nous dit : “ Pendant plus d’un siècle et demi, l’anguille fut une des principales ressources de nos habitants, qui en prenaient des quantités prodigieuses, entre Trois-Rivières et Québec, et en 1646, le Journal des Jésuites rapporte que la seule pêcherie de Sillery en donna quarante milliers. Que devient aujourd’hui cette branche si importante d’un commerce jadis si lucratif ? Faute d’avoir été protégée l’anguille va diminuant de jour en jour,” Ilest bien vrai que la pêche à l’anguille, au-dessus de Québec, a orandement diminué depuis les premiers temps de la colonie, mais la cause doit en être attribuée aux défrichements, à la coupe des arbres le long des grèves, qui plongeant leurs racines dans les eaux prêtaient un abri favorable à ces poissons sournoiïis, en même temps que de leurs branches tombaient sous le vent une masse de mannes, de chenilles, d'insectes dont l’anguille fait ses délices. Gourmande et rapace, elle fait bouchée de tout, de grenouilles, d'oisillons, d’écrevisses, de blanchailles, de cadavres, de charognes, qui deviennent de plus en plus rares sur nos rives défrichées et cultivées. Avec cela, la navigation, les manufactures, les écluses n'ont pas peu contribué à les chasser de cette partie du fleuve. Mais pour être disparue ou à peu près du haut du fleuve, elle n’en est que plus nombreuse au-dessous de la ville de Québec. Seulement, passé Rimouski, ou Betsiamites, en descendant, on ne fait que peu de cas de cette pêche. Le saumon, la morue, le maquereau, le hareng et le loup marin absorbent tous les soins et le temps des pêcheurs du golfe Saint- Laurent. En 1888, le rendement de la pêche à l’anguille, dans toute la division du golfe, n’a été que de $930, pendant que le Nouveau-Brunswick, à lui seul, en capturait pour une valeur de S162,000. Et cependant les eaux du golfe produisent et nourrissent autant d’anguilles que celles du Nouveau-Brunswick. Pour s’en convaincre, il suffit de voir la masse grouillante dé montée dont l'embouchure des rivières est épaissie chaque printemps, attendant l’abaissement de l’eau pour remonter le courant et se distribuer dans les lacs, les marais, les étangs, voire même dans les savaues, Où elles trouvent leur pâture. A l'automne, dès les premiers L’ANGUILLE 295 froids, le même courant charriera leurs aînées à la mer, pelotonnées et engourdies, pour obéir à la rotation perpétuelle de la reproduction. Jusqu'ici, nous ne connaissons que les marais nourriciers d'anguilles de l’'Anticosti, mais il n’y a aucun doute qu'il en existe un grand nombre d’autres, dans le territoire du Labrador, qui vaudraient la peine d’être exploités. Autrement, il faudrait nier que cette montée pullulante soit du frai d'anguille. Mais la haute autorité de M. Coste est là pour attester que nombre d'étangs ont été repeuplés au moyen de la montée. M. Le- petite (?), conservateur du bois de Vincennes, confirme le fait par des expériences répétées. “ D'après M. Millet, deux livres de montée, environ 3,500 anguilles filiformes, récoltées à Abbeville, au printemps de 1840; et jetées dans des canaux et des fossés creusés pour l’extraction de la tourbe, ont donné, en cinq ans, plus de cing mille livres de belles anguilles. Cette production, alimentée par la même quantité annuelle de montée, se soutient. Que l’alevin d’anguille serve de nourriture aux poissons, à l’anguille elle-même, aux oiseaux, aux crustacés, je le veux bien ; mais n’en réchappât-il qu'un seul sur cent que nos eaux en seraient déjà surabon- damment peuplées. Si un quart de la montée parvenait à l’âge adulte, on verrait se réaliser la facétie du Gascon. “ Figurez-vous, mon cer, que dans la Garonne, il n’y a pas d’eau, c’est tout poisson.” Peu d'animaux ont autant que l’anguille des moyens de se protéger et d'échapper à leurs ennemis. Un enduit visqueux lui permet de glisser sous la main de l’homme comme sous la dent ou sous la griffe des carnassiers. Mince et allongée de forme, elle trouve facilement un gite sous un Caillou, dans des racines, sous des crônes, des pierres ou dans un lit de vase. Au besoin, elle se réfugiera dans des prés humides, elle quittera des eaux qui ne conviennent pas à son tempérament, pour aller en chercher d’autres à des distances considérables. Quant à la protéger par des lois, l’idée en serait pour le moins bizarre. Car, depuis des siècles et des siècles, savants et pêcheurs se sont appliqués à la recherche du secret de la reproduction de l’anguille, et tous y ont perdu leur temps et leur latin. Or, pour protéger un poisson, il faut avant tout connaître l’époque où il fraie. Mais comment y arriver pour un poisson qui ne contient ni œufs ni laitance, tant et si bien qu'il est impossible d'en distinguer le sexe ? C’est bien là le cas de l’anguille. Sa reproduction est un mystère dont l'explication a échappé jusqu'ici aux longues et patientes investigations de la science et de l'observation. C’est vraiment pire que l’histoire de l'œuf avant la poule ou de la poule avant l'œuf. Donc, pêchez de l’anguille, pêchez-en tant que vous pourrez, sans crainte 296 LES POISSONS d'en diminuer le nombre, pêchez-la, en mer, en rivière, en étangs, à la ligne, au filet, au verveux, dans les hauts parcs, pêchez-la à la vermée, au dard, au nigog, pêchez-la par centaines, par milliers, pêchez-la au lavoriero, par millions, et comptez que la montée suffira toujours pour combler les vides que vous aurez pu faire. C’est durant le trajet de quarante-cinq milles qui sépare la Pointe- aux-Esquimaux de l’île d’Anticosti, du fond de mon cadre, que je faisais cette étude comparative des résultats tangibles obtenus à Comacchio, par une expérience de plus d’un siècle et des résultats probables que l’on à droit d'attendre d’un établissement similaire, dans des conditions à peu près identiques, à l’île d’Anticosti. Puis, passant à un ordre d'idées immédiatement pratiques, je me disais, à part moi : Avec les données que j'ai sur Comacchio et sur les marais salés de l’île d’Anticosti, j'ai grandement raison de me détourner de ma route, de sacrifier deux ou trois jours, pour explorer ces marais, qui peuvent devenir une source importante de richesse nationale, en même temps que de fortune individuelle ; mais en somme, à quoi cet examen nécessairement rapide et superficiel peut-il aboutir ? Je n'aurai pas le temps de parcourir ces marais dans toute leur étendue, de m'assurer s'ils communiquent entre eux, ou des moyens de communication qu'on pourrait y établir, si par endroits ils font défaut, des points où embarque la mer, au temps des grandes marées, de la hauteur de ces marées, de la profondeur relative des lagunes, autant d'informations rigoureusement nécessaires. Quant aux barrages, aux chaussées, aux canaux, aux pares, il me faut forcément laisser cela aux soins d’un ingénieur dont le concours est absolument indispensable, Ce que j'ai à faire consiste à visiter les marais voisins de la Pointe-aux-Bruyères, étudier la nature du sol qui les entoure, les plantes et les arbustes qu’ils nourrissent, les insectes, les coquillages, les petits poissons servant de nourriture à l’anguille, capturer au moins une douzaine de ces poissons, pour juger de leur taille, de leur espèce, de leur âge et de leur poids—et faire ensuite mes déductions, suivant ce que je sais de leurs habitudes, de leurs appétits et de leurs mœurs. Si, d’après mes observations préliminaires, je crois à la possibilité du succés, je soumettrai le projet, par la voie de la presse, aux capitalistes, aux pêcheurs expérimentés, aux hommes entreprenants qui ne craignent ni les idées ni les voies nouvelles. Une compagnie se formera peut-être, qui décidera de continuer ces travaux d'examen, avec le concours d’un ingénieur, et d'envoyer en Europe des hommes compétents pour étudier le mécanisme de la pêche de Comacchio et faire rapport sur la possibilité de l'adapter avec succès aux lagunes de l’Anticosti. D'un autre côté, les chances de réussite me parussent-elles douteuses, je n'’hésiterais pas L’'ANGUILLE 297 davantage à exprimer mon opinion, en l’appuyant de raisons qui me sembleraient plausibles. Mais en réalité, un je ne sais quoi me dit qu'il y à quelque chose là qui doit profiter au pays, et, du fait que par vocation, par goût, je me suis occupé un peu spécialement d'ichtyologie et de piscicul- ture, or ne saurait trouver étrange que je prenne l'initiative d’un tel projet. Quand je m'éveillai, vers cinq heures du matin, nous étions en face du cap Observation, un des points les plus élevés de l’île d'Anticosti. Un vent violent faisait tomber sur nous, du haut des falaises, de véritables coups de battoir, sous lesquels notre petit yacht faisait force révérences et saluts. Des masses de nuages gris, déchirés, en lambeaux, charriaient comme une armée en déroute, devant la face terne du soleil. Victor Hugo eût trouvé là une riche comparaison pour la déroute de Waterloo. — Impossible de tenir plus longtemps, nous dit le capitaine, le vent est fait pour vingt-quatre heures, au moins : allons-nous capeyer pendant ce temps, au risque d’avoir un vent contraire après, lorsque nous pouvons mettre le cap sur Natashquan, et y arriver vent arrière, sans secousse, sans lutte, en moins de douze heures ? Tous mes compagnons opinèrent pour Natashquan : il ne me restait qu'à me taire, à ronger ma déception en silence. Je ne devais pas voir les lagunes, ce jour-là. Un coup de barre, et nous virons lof pour lof, en pointant droit au nord. — Quelle heure est-il ? interroge le capitaine. — Il est cinq heures du matin, répond quelqu'un. — Cinq heures ? eh bien, à cinq heures de l’après-midi, nous jetterons l'ancre à l'entrée de la petite Natashquan. Descendus dans notre carré, Têtu croit me consoler de ma déconvenue, en me promettant de relâcher à l’Anticosti, au retour. Je le laisse dire, en souriant d'un air de doute ; car je pressens que le voyage sera si long que personne d’entre nous ne songera à s’accrocher en route, en revenant. Voguant sur une mer houleuse, nous glissons vite sur les pentes et gravissons lentement les collines, allant tantôt à la course, tantôt au pas. Je prends des notes, j'essaie de lire : le Fond de la mer, de Saurel, puis je passe aux Contes de Marguerite de Navurre, sur lesquels je finis par m'endormir, pendant que mes compagnons font une partie de euchre. À midi je m'éveille pour prendre une tasse de thé, mais les poussées et les heurts de la marche du yacht s'accentuant de plus en plus, je reprends la position horizontale et mon sommeil interrompu. Je rêvais probablement d’anguilles, lorsque j'entends la voix du capitaine qui nous crie : — Allons! sortez de votre trou, venez voir la grande ville de Natashquan. 298 LES POISSONS En un clin d'œil nous sommes sur le pont. Le vent souffle en tempête : devant nous la mer démontée, blanche d’écume, se rue à la côte avec rage, portageant par endroits jusqu'à cinq ou six arpents sur la plage. — La mer défonce sur les battures, dit le capitaine, c’est un rude temps pour prendre la passe. — Où est-elle, cette passe, capitaine ? — Elle est là, à droite de ce groupe de maisons blanches. Large au plus de deux cents pieds, cette passe s’ouvre entre deux rochers coupés à pic, un peu en biais, ce qui fait que nous ne la voyons pas d'ici. Mais les vagues sont de plus en plus brisées, les crêtes plus rapprochées, les fosses plus profondes. Heurté de flanc, de poupe, de proue, notre petit navire frémit dans toute sa membrure ; nous nous retenons des deux mains aux cordages, par crainte d’être emportés par les vagues furieuses montant à l'assaut de tous côtés à la fois. À quelques arpents devant nous se dresse une falaise escarpée sur laquelle nous nous précipitons dans une course vertigineuse ; c'est le naufrage inévitable, notre perte certaine. — Mais, capitaine, où allons-nous ? s’écrie une voix navrée. L'œil fixé sur le roc impitoyable, la main crispée sur la barre du gouvernail, le capitaine se contente de sourire, sans répondre : — Lofez! crie-t-il d’une voix forte et ferme ; et la manœuvre opérée, nous obliquons à gauche et nous voyons devant nous la passe que remplit une vague énorme. “Tenez-vous bien!” crie le capitaine, et nous nous sentons enlevés sur les épaules de cette vague qui nous dépose à deux cents pieds de là, dans les eaux calmes de la petite Natashquan. Dès que l’ancre à mordu le fond, le capitaine nous dit : “ Regardez à vos montres, messieurs.” — Il est cinq heures, capitaine. — C’est l'heure que j'avais fixée pour notre arrivée, n'est-ce pas ? — C’est vrai ! lui répondons-nous en chœur. Hourra pour le capitaine Fortier ! Mais lui, peu sensible à notre enthousiasme, reste les yeux tournés vers une chaloupe, montée par quatre hommes, qui se dirige vers nous à force de rames. D’aussi loin qu'ils ont pu distinguer le capitaine, on entend une voix qui dit: “Je vous le disions bian que c'était lui.” Une autre voix de reprendre : “ Eh oui, c’est bian lui, et j'aimions mieux que ce soit lui que le diable, car il fallait que ce fût l’un ou l’autre pour entreprendre de sauter la passe par un temps pareil.” — Arrivez! mes amis, arrivez ! leur crie le capitaine : pendant que deux grosses larmes coulent sur ses joues bronzées. L’'ANGUILLE 299 IL n'y avait que lui ou le diable pour se risquer dans la passe par un temps pareil” Cet éloge, de la part de vrais marins, nés sur la côte, y ayant toujours vécu, ignorant la peur, remuait le cœur du capitaine Fortier jusque dans ses fibres les plus intimes. Il y avait dix ans qu'il n'avait abordé à Natashquan, où il ne comptait jadis que des amis. “ Il n’est pas changé,” se disaient ces braves gens, en lui pressant les mains. Mais ce dernier exploit, mieux que ses traits, leur prouvait que le capitaine Fortier était toujours le même, l’un des plus hardis marins de la Côte Nord. LA MATELOTE Tout à l'heure nous avons parlé de l/« matelote au sujet de l’anguille apprivoisée de M. Desmarets, professeur d’Alfort, et nous y revenons avec plaisir lorsqu'il s’agit de voir ce même mets fumer sur la nappe blanche du cabaret. “ Qu'elle est appétissante et joyeuse, la matelote du cabaret, au bord de la rivière, sous la tonnelle fleurie où bourdonne l'abeille ! Avec quelle fierté charmante la jeune hôtesse au regard oblique et doux, au sourire entendu et séducteur, la dépose toute fumante sur la nappe blanche, au milieu des blocs ventrus, des sardines argentées et des radis roses ! Avec quel respect affectueux on la sert dans les assiettes massives, historiées ! de papillons bizarres et de perroquets fantastiques ! Avec quelle gaieté franche et rieuse on l’arrose de vin claret dans de lourds gobelets plus faciles à vider qu'à briser ! C’est la matelote des banlieues populaires, à nulle autre pareille, défiant tous les carêmes des restaurants fameux, si chère aux canotiers et aux amoureux. C’est la matelote aimée de l'artiste affamé de grand air et de soleil, de l’'ouvrier en promenade dominicale le long de la Marne ou de la Seine. C’est la matelote qui veut pour vis-à-vis gracieux et coquet une élégante pyramide de goujons dorés, coiffés d’un gros bouquet de persil vert. Nous plaît-il de surprendre les secrets culinaires de ces matelotes campagnardes, aux rustiques et pénétrantes senteurs, inconnues des casseroles savantes et des fourneaux aristocratiques ? Nous voici dans la cuisine où miroitent les cuivres étincelants. Dans le chaudron qui brille chauffe le beurre et murmure l'oignon; le champignon est prêt et l'ail attend ; un bouquet de thym et de persil repose dans une soucoupe blanche. Notre cordon bleu villageois choisit, prépare et coupe en morceaux ses poissons : carpe, anguille, brochet, que sais-je encore ? Au beurre et aux oignons qui mijotent, qui se dorent 300 LES POISSONS dans le chaudron posé sur la flamme légère qui pétille, on ajoute sel, poivre, ail, champignons: puis on verse crânement un bon broc de vin rouge agrémenté de deux verres de cognac. Quand l’ensemble est à point; on ajoute le poisson. Bientôt l’alcool s’échauffe, il s'allume, il flamboie, Changeant la matelote en un grand feu de joie. Alors, quand tout s'éteint, on met pour la finir, Un beurre manié. C’est prêt. Il faut servir. C’est ainsi que, “ cuisinier Achille Ozanne chante sur sa lyre d’or la cuisson de la matelote. L'anguille est peut-être la base de la matelote, la ressource, l'honneur et le délice de ce mets divin. On sait que cet agréable amphibie, gloire dans ses strophes gourmandes ”, le charmant poëte- immortelle de la sauce tartare, a deux existences, deux demeures, deux couverts, deux régimes, déjeunant dans les eaux de petits poissons, soupant dans les près de sauterelles et de grillons. On sait que l’anguille, cette ondine des rivières, si exquise en pâté, est un anneau vivant dans la chaîne des êtres, un trait d'union entre les reptiles et les pois- sons, qu'elle s'élève d'un degré mystérieux dans la création en se glissant d’un monde dans un autre monde. Mais on ignore peut-être la grave communication que des savants italiens viennent de faire aux Æeqgii Lancei de Rome et qui serait un coup formidable porté à la matelote : il paraît que l’anguille possède un venin absolument senblable au poison des vipères. N'est-ce pas à faire reculer d’effroi la fourchette la plus vaillante ? Heureusement pour les gourmets, ce venin terrible ne se trouve pas localisé dans la bouche de l’anguille, qui ne possède ancun organe pour l’inoculer à ses ennemis. Aussi cet excellent poisson n'est-il qu'un empoisonneur pour rire; son venin, bien réel, reste sans effet généralement sur l’homme. Tout d’abord, dans l’anguille consommée comme aliment, le venin se trouve détruit par la température de la cuisson, qui atteint cent degrés ; notons ensuite que le poison de l’anguille, comme du reste celui de la vipère elle-même, est sans action sur les voies digestives. N’empêche qu'il serait prudent peut-être de ne pas accorder aux matelotes trop abondantes une confiance exagérée. Le venin de l’anguille pourrait bien résister à une cuisson légère et l’on n'est jamais sûr de ne pas avoir quelque lésion des muqueuses. Songez que, d'après l’étude approfondie des savants en question, on a calculé qu'une anguille de deux kilogrammes renfermait dans son sang assez de venin pour foudroyer dix honmes ! er ET: = LA V LÉ Le ÈS : L . : À 0 v. . a A ve ù ‘ l Fe ù En En CSC CARO L DEN _— él OR JON WA ! 7 L tr NL 2 : Re ne: L DES, 7 7, | É PR È a Rae. NS Poe, LES SL RE | L Tr RTE : 0 ik : u Æ ». 6 «. A | "- if " à L A De e | L à CPR . ù : | RATE. OS “ 40 en 4 ñ Jotti Pa Le , : er : OL : re no AY L Le _ CT ne AE n DA "e Ho dant su HT) | : RES Cr. De ) E ” Da æ. van : EN ei ne ù “bi NAT ER L A8 N'a ne . 4 Ai à DEA A u Le . hprialt 6 PP nine eV rade €. Ad TO QUELS Lo ne Pont} tags, ET 2 : | ne k a a rs nn} du Sp. | SE. } Fa D 1 LL *-.Ww ds NI sta a stp ‘AS CAT TORRES der rin te 24 sol L nes L . os L X Eur y: a 2 ne . _ " e ea F . EU : : ar A. CE ne. ” L : _ si tr fr ni . à FAT ; ra vn . Lo ” Fa, L EU F2 LR ee L h Pr 0) ” dl D AN “ON Ce 0 : 2 De né ae - | AR d Fr Fe VANLANAUESTENSS LL RO. sn »! Me 2 : Das 2 | 0 : Le Fa ds UE, nl L __ MR vor L F, 2:22 0pvlénft à Da ol ï ” jé s 2 Pn TA “£ Re CS 4e L Mgr “ hs Rigies ee is n ÿ Lu ”- fe Fu | ) s te | Lehail _. … 4 TAN aphsin. QE rn if ras Er CE UE RL. 1e me . : 2 La NT Tv ROLLER d W : LR P ® Tr lé dés 14 MS a : De L a nn. | a. aÙ Lur. YO 4 L A7 Le Je ee 1e 1 Le : CDS DO ARR CES NE De ve tri Fous NMTANVL JU RSS : 2 br L L'ART ER se "HT. PURE. QE en lon £ ur L Re .. " PE pi Pan Las) Sp Der ) D 1 . L L ce à hs PRE ne 224 PORT One 2e DR TA OS L Lo ar gi pue Kad nus A AE Fr, tr fs dns & Nix is F6 . DNS L UN RE Audi à ul - NT. Le LG RÉTEPLERC 20 de 4 À ‘ ML Le “ x # AA 1 Ps pi où L og lits L LE toi à “| Hi ES L SR fer LA ; ï né St Fe " ss E: à " F on PA | À F4 7 L per a te ete ske us k Le a vi « nd tu) EE RE Cr Les LL 4 4” ee: ” Hoi (ji : je LT OR ht 8 N Paie LES RAS \ T MAN TE au A 7) "x V E e > : _ PT “ é vis, # "2 st Fiqes ue ne 4 htwa}s L 4 4 r ii aile 2. "4p L . Man : Ê al | L - 2 La u vert | | : Mrs LE _ Hui- MFE (ue. Métis * ÉTOE ES er Lcd NUS NE + Po | st" : AE : L s1 14 { _ : : . ee pu sas mi nu A: sn Nine tt At pi à Aals Molytiele … . na M 1" ré Mu. PT ee pre NT" n 1 Aa "5 ÈCT A RS Ce L SRE à Res y à RAS RARES Nr AU VÉUN SINS ET ES ere “ pis uw ‘à 4 ani 7 mi pu a v#h LA PYL Apt 7h 0 RO | AE UT : : AL, L né : 1e ET " se Po " 4 et "où , NL 2 k L Ur ph : Pet he te Ds L CAL AL Des DEN | nalser À ET a Not A IRON EN GS ARR Ha DT ee Me a ANA RTC IE EN USE Te EME 27 2 int doit ae Doll a Ro AUDE UE si FE 4 re ni eu 30 2 EL ia MS HE ere | LENS LP qu Ke LS _ ‘Mel Û J Q Z DAS AN GPO AT EL 1 a M sue pig au sa ride. ball PEN # “3 ÉRCR A ” L \ ex LUE. CHU + à TUE ARS : ’ At ! L “# + : | Ft Pare ANA Ads TEEN 16 É Îre M Nc: wr : r Ton ec” L id OR a h On sé Hi N nn “Alt og As ob ana ni A4 te td releve or ner : : Run Le om DV EN. | 12 HA au " HA 1 A ‘saine NY DIT hp AE ITR | ut) L H 2 V E- ET | L po PS Sade ep di et Fes. +4 ni tr mail. + RTE ñ DONS # e CRT : à _ 10 Nr: L : à ul » . mel ” ". AE PRE pa v El FE? 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Plusieurs de ces espèces, entre autres le microstoma, largentina, et l’hyphalonedrus, vivent presque constannnent au fond ‘de la mer; d’autres, désignés sous le nom de poissons anadrômes, quittent pério- diquement l’eau salée pour pénétrer dans les eaux douces, où ils vont passer leur villégiature plus ou moins prolongée, et déposer leurs œufs : le salmo salar et la truite de mer donnent ici l'exemple. D’autres enfin sont sédentaires et ne s’éloignent jamais des lacs et des cours d’eau où ils sont nés; au premier rang de ces derniers figurent les ombres, les huananish, les namaycush et les corrégones. Vous en verrez qui se plon- gent dans des abîmes insondables, à des centaines de pieds de profondeur, pendant que d’autres gravissent des montagnes par sauts et par bonds ; il en est qui jeûneront pendant six mois de l’année ; il en est aussi dont la vie est un festin perpétuel ; une truite de bruyère fera la chasse aux mouches, aux araignées, aux libellules ; un namaycush broiera des moules au fond des plus sombres crevasses ; à côté d’un saumon de quarante livres se montre gaillarde et frétillante la truite de ruisseau, de six pouces de longueur, du poids de quelques onces, et déjà chargée d'œufs ; mais tous sont des salmonidés argentés, dorés, empourprés, satinés mouchetés, ocellés, bleus, verts, roses, piqués de vermillon, nuagés de taches sombres, ou gris marbrés de brun, ou noirs lavés d’argent sur les flancs, tous se distinguant par une nageoire adipeuse rejetée en arrière comme un plumet au-dessus de la caudale et à l'opposé de l’anale. Le même appendice existe chez nos siluroïdes, mais ces derniers sont s faciles à reconnaître que ce trait reste caractéristique quand même des salmonidés. De LaBlanchère en parle comme suit : “ Le genre des salmonidés constitue une famille extrêmement naturelle, d'une organisation parfaitement similaire dans chacune des espèces, et devant, par conséquent, répondre, par son adaptation 304 LES POISSONS naturelle, à toutes les circonstances du milieu dans lequel elle vit. Quoique la nageoïire adipeuse semble le signe distinctif de ces poissons essentiellement chasseurs, la différence des nourritures possibles a cons- titué des différences analogues entre les diverses espèces, et fait que leur organisme à dû être modifié en conséquence. Les saumons et les truites représentent les carnivores purs : leurs dents nombreuses et acérées indiquent assez des instruments faits pour couper la chair. Les corré- gones, au contraire, avec leur bouche sans dents, représentent les insec- tivores et les herbivores. L'ouverture énorme des mâchoires chez les premiers, la petitesse des mêmes organes chez les seconds sont des contrastes qui s'adaptent merveilleusement à la distinction que nous venons de faire.” Les principaux salmonidés, que je décris plus loin, ceux que l’industrie et le commerce exploitent pour le million, sont les saumons, les truites, les poissons-blancs (coregonus albus), les graylings, les éperlans, les capelans et les oulahans. 1 LANVCIVS ONTIMSMAN LE SALMO SALAR ou SAUMON COMMUN 305 LE SALMO SALAR ou SAUMON COMMUN Le Salmo Salar.— The Salmon.- Le Saumon Commun.— Le Saumon de l'Atlantique. Le salmo salur ou saumon commun de l’Atlantique est le plus anciennement et le plus universellement connu de tous les salmonidés, famille royale de poissons à laquelle il a donné son nom. Quoique étranger au bassin de la Méditerranée, dont les eaux trop salées lui répugnent, il était déjà connu à Rome du temps de Pline: plus tard Ausone le célébra devant les gourmets de son temps en vers si enthousiastes que l’eau leur en vint à la bouche. Les noms de parr, _smolt, grilse, kipper, représentant ce poisson à diverses phases de sa vie, sont d'origine saxonne, preuve qu'il était bien connu par les peuples de cette race. Il abondait tellement dans certaines contrées de France, d'Allemagne et en Écosse, au moyen âge, que les serviteurs et les apprentis stipulaient dans leur contrat d'engagement qu'on ne leur donnerait à manger de la chair de poisson rouge qu'une seule fois par semaine. Est-il besoin de dire que le poisson rouge en question était le saumon, en partie disparu, en partie végétant dans ces mêmes provinces, sauf en Écosse où, après une absence prolongée, il a repris ses droits et sa fortune d'antan, grâce à une organisation et à des lois d’une prudence incomparable, grâce surtout au culte que tout bon et loyal Écossais a voué à ce poisson, au respect dont il entoure les eaux qu'il habite. Une rivière à saumon comme la Tay ou la Spey est plus vénérée par un Écossais que ne l’est le fleuve sacré du Gange par un Hindou. Comment le saumon d'Europe disparut-il presque soudainement ? Par un préjugé répandu pendant longtemps, que ce poisson donnait la lèpre à ceux qui en mangeaient. Comment est-il revenu en faveur ? Partie par le bon sens, par l'observation, par la science raisonnée, partie aussi par l'engouement que suscita la découverte de Rémy et Gehin, dans les hautes sphères de la société européenne. M. Coste s'étant constitué l’'ardent propagateur de l'invention de la pisciculture, rénssit à faire partager son enthousiasme. Pendant plus de quinze ans il fut de bon genre de s'occuper de pisciculture — les hommes d’affaires dans leur 20 306 LES POISSONS bureau, les marchands derrière leur comptoir, les épiciers dans leurs vitrines, les femmes du monde dans leur salon, les ministres dans leur cabinet, c’est à qui combinerait le mieux ses augets, ses tubes de verre, disposerait le plus favorablement le lit de gravier, prêterait au courant Ja pente convenable pour assurer à la France des ressources inépuisables. Ces essais coûtèrent des prix étranges, variant, pour ceux qui réussis- saient à produire quelques livres de truite, de vingt-cinq à eimquante francs la livre. La part du feu faite, des esprits judicieux surent tirer parti de ces espérances, comparèrent les essais, réunirent les bons résultats et aboutirent à une méthode fructueuse qui leur permit de repeupler plusieurs rivières de France abandonnées par le saumon depuis des âges. La fièvre passa bientôt dans les autres pays, avec des chances de succès plus ou moins heureuses. DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DU SAUMON Le salmo salar habite l'Atlantique nord et ses eaux tributaires. Personne ne saurait dire jusqu'à quel point il dépasse le cercle arctique, quoique sa présence ait été parfaitement reconnue au nord de la presqu'ile Scandinave, en Islande, et de ce côté-e1 de l'Océan, au Groënland, dans l'Alaska, jusque dans la baie de Kotzebue. Il fréquente toutes les parties du nord-ouest de l’Europe, et il abonde plus particu- lièrement dans les Iles Britanniques ; il est plus ou moins nombreux en France, en Belgique, en Hollande, en Prusse ; il pénètre dans la Baltique jusque dans la Russie septentrionale, en Suède et en Norvege. Vers le sud, le saumon commun ne dépasse pas le 43e degré ou les côtes de la Galicie, en Espagne. De notre côte de l'Atlantique, il descend plus loin vers le Midi. IT fut un temps où il fréquentait les rivières Connecticut, Housatonic et Hudson ; mais où finissent approxima- tivement ses pérégrinations vers le sud? Au 40!° degré parallèle, on peut estimer qu'il est quasi acclimaté — grâce aux efforts de la commission des pêcheries — dans la Delaware et la Susquehanna qui se déversent dans l’Atlantique, au 37e degré de latitude, et quelques individus ont été capturés dans le Potomac et dans la Caroline du Nord. Autrefois, le Merrinac était rempli de ces poissons, et il existe des rivières à saumon dans le Maine, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, à Terre-Neuve, au Canada, au Labrador. Il remonte le fleuve Saint-Laurent, et se distribue par grandes troupes dans la plupart des nombreuses rivières de la côte nord, jusqu'à la rivière Jacques-Cartier; à quelques milles au-dessus de Québec et jusqu'à la LE SALMO SALAR ou SAUMON COMMUN 307 rivière Saint-François, tributaire sud du lac Saint-Pierre. I] n'y à guère plus de vingt ans, il se rendait Jusqu'au pied de la chute Niagara, paraissait se complaire dans les eaux du lac Ontario et des rivières qui s’y jettent. Il disparut, un Jour, soudainement, et depuis, on ne l’a plus revu. Îl aura probablement été chassé par la construction d'usines ou de chaussées élevées sur ces cours d’eau de prédilection, peut-être aussi par la destruction d'ombrages chers à son cœur, doux abris de son berceau et protecteurs de sa race. En remontant vers le pôle, on le rencontre dans les rivières et les vastes échancrures de notre continent, en quantité d'autant plus grande qu'il n’y est que rarement pêché. Le saumon commun est à la fois poisson d’eau douce et poisson d’eau salée, vivant six mois dans l’une et six mois dans l’autre. Il passe la belle saison dans nos rivières, et l'hiver à la mer. Il fait ses amours aux sources les plus vives de nos cours d’eau, il y naît, il y passe sa première enfance, mais il grandit, se développe et s’engraisse à la mer. Sa vie semble être celle d’un sybarite, partagée entre nopces et festins, mais hélas ! tous ces plaisirs sont troublés par d'innombrables ennemis, grands et petits, qui le chassent de la mer, et à peine est-il arrivé dans les eaux douces qu’il y rencontre l’homme armé de mille pièges, de mille engins savamment préparés pour sa ruine. Depuis l’'Esquimau du Labrador jusqu'au gouverneur général du Canada, tout le monde est armé contre lui, tout le monde le convoite, tout le monde veut goûter de la chair du roi des poissons d’eau douce. RIVIÈRES A SAUMON DU CANADA-EST Le Canada compte des rivières à saumon par centaines, parmi lesquelles la Grande-Cascapédia (N.-B.) jouit d’une supériorité indiscutable. Elle prend sa source dans les monts Shickshocks, et après avoir traversé— par une succession ininterrompue de légers rapides formés par l’obstruc- tion d’un nombre infini d’ilots verdoyants, qui donnent à son cours l'aspect d’un immense serpent couvert de marbrures—une partie du comté de Gaspé, tout le comté de Bonaventure dans sa largeur, elle va se Jeter dans la baie des Chaleurs, en face de New-Richmond, par une embouchure d'environ quinze cents pieds de largeur. Le saumon y est de grande taille, allant jusqu'à quarante, cinquante, et même soixante livres. Les truites de mer et de bruyère, du poids de trois à quatre livres, fourmillent dans ces eaux vives et y sont traitées comme menu fretin. C'est que la Cascapédia est une rivière vice-royale, affermée par le 308 LES POISSONS gouverneur général du Canada, qui a vu bien des princes, des princesses, des dues, des lords, des marquis, des ministres et des millionnaires pêcher dans ses eaux avec des hamecçons d’or. Des clubs américains, installés sur ses rives avec un luxe oriental, ont loué des fosses, pour une saison, dans la partie basse de la rivière dont les rives sont concédées et occupées par des propriétaires riverains, à des prix fabuleux. M. Dun, de la maison Dun, Wiman & Co. de New-York, a payé $10.098 pour deux fosses, sur la propriété Woodman, et un club de Boston a payé $4000 pour le loyer du cottage de S. A. R. la princesse Louise d'Angleterre, et des deux fosses contiguës à cette propriété. Un spéculateur, qui a acheté plusieurs fosses, les loue a raison de $50, et parfois de $150 par ligne, et par été. Après la Cascapédia, on ne peut se défendre de mentionner /& Risti- gouche qui, pour être moins aristocratique que sa voisine, n’en est pas moins une des plus belles et des plus riches rivières à saumon du monde entier. Je ne saurais mieux lui rendre justice qu’en empruntant à mon ami N. Levasseur l’excellente description suivante : “ Le nom micmac de cette rivière signifie “la rivière qui se partage comme la main”, et lui vient du fait qu'à la tête de la marée, elle se partage en cinq grands bras variant d’une longueur de cinquante à soixante milles. Elle forme en partie la frontière entre la province de Québec et celle du Nouveau-Brunswick, et débouche dans la baie des Chaleurs, après un cours de 220 milles, à partir de ses sources, près du lac Témiscouata. Elle est pour ainsi dire la clef de la baie des Chaleurs, le grand marché à saumon de Québec et du Nouveau-Brunswick. L’estuaire de la Ristigouche, à la tête de la baïe, a trois milles de largeur et neuf brasses de profondeur. La marée se fait sentir dans la rivière jusqu'à vingt-quatre milles, dent dix-huit sont navigables pour les plus gros navires océaniques. Deux petites villes d'une certaine importance sont bâties sur ses rives, Campbellton et Dalhousie. Rien de plus enchanteur que les bords de la Ristigouche ; la partie la plus remarquable de la rivière est celle où elle franchit la région montagneuse d’où sortent les grandes rivières du Nouveau-Bruswick et celles des États-Unis qui se jettent dans l'Atlantique. Iei on voit l'aigle planer majestueux au-dessus des pics élevés où s'étale son aire, l'ours noir et le chat sauvage dans les grottes et les crevasses des rochers, l'original et le caribou fuir au moindre bruit, et le saumon refléter sur ses écailles les rayons du soleil jusque dans les fosses les plus profondes, tellement limpides et transparentes sont les eaux de la rivière. Elle ésoutte un bassin de 5,000 milles carrés. La majeure partie des terres qui bordent la Ristigouche, dans la province de Québec, est concédée, et les droits de pêche y appartiennent LE SALMO SATAR ou SAUMON COMMUN 309 presque tous à des particuliers ; quelques rares lots en face desquels 1l existe de bonnes places de pêche sont encore disponibles. “ Les rives de la Ristigouche, sur une grande partie de son cours, sont tellement élevées et escarpées qu’il est impossible de les rendre propres à la culture, ce qui ne serait pas désirable ‘du reste, à cause du tort que cela ferait à la pêche. Les terres ont une certaine valeur comme terres à bois ; le bouleau blanc et le peuplier, bois de plus en plus en demande pour la fabrication des bobines, et le cèdre, s’y trouvent en quantité notable. “ En 1873, on à pris dans la Ristigouche 500,000 livres de saumon ; en 1874, on en à pris de très grandes quantités à la mouche. Le poids moyen du saumon de la Ristigouche est de seize livres, mais on en prend souvent qui pèsent depuis trente-cinq jusqu'à soixante livres. “ La Ristisouche est affermée par divisions, au nombre de einq, qui sont louées, chacune $200, $170, $90, $80 et $25. Un club de pêcheurs américains, dit le Ristigouche Salmon Club, est locataire de deux de ces divisions : le même club a aussi loué la rivière Palapédia, un des grands tributaires de la Ristigouche, pour les fins de la pisciculture. Ce club a un magnifique hôtel au confluent de la Métapédia et de la Ristigouche, près de l'endroit où celle-ci est traversée par le chemin de fer intercolo- nial. Un ministre anglican, le Dr Raïineford, de l’église Saint-George, de New-York, est devenu membre du Rustigouche Salmon Club, après avoir payé $4,700 pour son droit d'entrée. “ Le gouvernement fédéral entretient un établissement de pisciculture sur l’un des tributaires de la Ristigouche, à quelques milles plus haut que son confluent avec la Métapédia.” En remontant la rive sud du fleuve Saint-Laurent, entre Gaspé et Lévis, on traverse plusieurs rivières à saumon d’une certaine valeur, comme la Grande-Rivière, la rivière Saint-Jean, les rivières York, Darmouth, Sainte-Anne-des-Monts, Cap-Chatte, Matane et Rimouski, mais pour trouver des rivières comparables à la Grande-Cascapédia et à la Risti- gouche, il faut passer au Saguenay, l'un des plus grands afluents du fleuve Saint-Laurent, qui, depuis le lac Saint-Jean jusqu'à son embouchure recueille le tribut des eaux de plus de trente rivières dont plusieurs sont bien peuplées de saumons. Il suffit de nommerle Petit-Sagnenay,la Suinte- Marguerite, affermés pendant de longues années par feu M. Russell, propriétaire de l'hôtel Saint-Louis, de Québec, au prix annuel de $555 ; la rivière à Mars, la rivière Éternité, si bien connues des touristes, pour donner une idée de la richesse du tronc principal, quand les branches sont aussi bien fournies. Le saumon se rend aujourd'hui jusqu'à Chicou- timi, mais de là il pourrait être poussé à peu de frais, jusqu'au lac Saint- 310 LES POISSONS Jean. Il existe un établissement de pisciculture à Tadoussac d’où sont distribués, chaque année, de grandes quantités d'œufs fécondés et d’alevins dans les rivières des environs. La rivière Laval, à soixante milles au-dessous de Tadoussac, est un bijou de rivière à la truite, remplie de charme et de ravissantes surprises pour le pêcheur intrépide et vigoureux que rien n’émeut, qui se rit des fatioues, qui dort heureux sur un lit de sapin, au bruit des vents, au sgrondement des chutes, au hurlement des fauves. Le célèbre ichtyologiste Walton, accompagné de Barnwell, a visité cette rivière en 1862, et tous deux sont revenus enchantés de leur excursion. Un guide leur avait dit: “ Vous voyez cette eau vaseuse, elle ne dure que jusqu'aux premiers rapides, après lesquels vous tombez dans une véritable eau de roche ; il y à plusieurs portages à faire pour gravir l'escalier des chutes, cela prend un Jour de marche, en enlevant de-ci, de-là, quelques truites sur la route. Arrivés au-dessus de la dernière chute, au lieu de suivre le cours serpentant de la rivière, nous piquons à travers bois dans une direction franc nord, portant canots, armes et bagages sur nos épaules, et après cinq heures d’une marche fatigante, vous voyez s'ouvrir devant vous un lac de deux milles de longueur par un mille de largeur, d’un ovale par- fait, entouré de verdure, une vraie corbeille à fond de cristal. Ce que ce lac contient de beaux poissons, vous ne sauriez le croire. Vous y trouvez, à l'extrémité nord, le poisson-blanc, le chevesne, le touradis, le brochet le doré, pendant que l’attihameg et la truite timides et craintifs restent sur le seuil, à l'entrée de la décharge, prêts à détaler à la moindre manifestation hostile. Pour revenir, nous nous laisserons glisser, de remous en remous, sur un courant de velours, en pêchant sans cesser de prendre, sur un parcours de quinze milles, refaisant ainsi avec plaisir, et comme par enchantement les cinq milles de portage si pénibles de la veille, Je vous promets tout simplement une pêche merveilleuse, En êtes-vous ? Dites.” Les deux amis se laissèrent gagner et ils n’en eurent pas de regret. Le succès dépassa les promesses du guide, et même leurs propres rêves, pour la beauté, la taille et le nombre de poissons, truites, dorés, brochets et chevesnes qu'ils capturèrent dans le lac et au retour. La rivière Betsiamites fait le drainage d’un vaste territoire jadis fort bien boisé, mais qu'une exploitation rudement menée à presque entière- ment dépouillé de ses produits forestiers. La flottaison des bois, les maraudeurs montagnais, les loups marins ont chassé le saumon de cette rivière Où il trouvait une large hospitalité. La truite persiste à y rester, et c'est une truite de rare beauté. À Manicouagan, une chute de plus de cent pieds de hauteur arrête le saumon à une courte distance du fleuve Saint-Laurent, et toutefois, LE SALMO SALAR ou SAUMON COMMUN 311 au-dessus de cette chute dans le lac Manicouagan, se trouvent de magni- fiques salmo-salars. C’est que la rivière Godbout, qui a son embouchure à quinze milles plus bas, sert également de déversoir à ce lac et permet au saumon de s’y rendre par un escalier relativement facile. Me trouvant de passage à Godbout, en 1890, jy recueillis les notes suivantes : M. Gilmour est le propriétaire de cette rivière depuis son embouchure jusqu’à dix milles en profondeur. Il y vient, chaque année, passer la saison de pêche, avec quelques amis, dans un magnifique cottage muni de tout le matériel désirable. La capture moyenne de la pêche au lancer, durant la saison, y est d'environ cinq cents saumons. On ne tient pas compte de la truite, fort belle pourtant, et si abondante, que d’un seul coup de seine, M. Comeau, le garde-pêche de M. Gilmour, en a capturé, le matin même de mon passage, pas moins de 5,000, dont le poids total a été de 2,900 livres. Cette truite a été vendue à l'avance par contrat, à la compagnie Fraser, au prix de 4 sous la livre, et elle est trans- portée dans la glace, à Québec, par un caboteur de cette compagnie. Ce coup de filet rapportait ainsi à M. Gilmour la jolie somme de $116, mais il faut dire que c’est un coup exceptionnel, car autrement l'état de pêcheur vaudrait mieux que celui de ministre à Québec ou à Ottawa. Le produit annuel de la rivière, en truites, saumons et autres poissons pris . en eau saumâtre, ne dépasse guère 12,000 livres. Au delà des dix milles possédés par M. Gilmour la rivière est encore bonne, excellente même pour la pêche au saumon et à la truite, à La mouche. M. Comeau nous dit que sauf Moisie et Natashquan, il n’en voit pas de plus avantageuse sur toute la Côte Nord, et lui-même à déjà songé à l’exploiter à son profit. Il existe un chemin détourné, par les bois, qui conduit en raccourci à la tête des rapides des diæ mailles, où commence une série de très belles fosses à saumon. La distance à parcourir est de seize milles, dont douze par eau, sur trois lacs, et quatre par portages où il serait facile d'ouvrir de bons chemins. La Grande et la Petite Trinité ont baissé depuis une quinzaine d'années ; la Pentecôte est nettoyée, disent les pêcheurs de la Côte. Un peu au nord-ouest des Sept-Îles, débouche la rivière Sainte- Marguerite, d'un accès facile, à marée haute, et offrant un port sûr, à l'abri de tous les vents. Les premiers rapides présentent un tableau grandiose, une masse blanche énorme, déchiquetée, pendant en mèches ou se déroulant en boucles sur le front des rochers. Dans les girations et les bouillonnements du bassin se jouent des troupes de loups marins d'esprit, la terreur de la gent salmonidée. Au-dessus des rapides, et passé une certaine étendue d’eau profonde se trouve la chute mesurant de vingt à vingt-deux pieds, en juillet, couronnée d’une roche en plein front qui force le courant à se tordre des deux côtés de manière à se 312 LES POISSONS présenter de travers au poisson, qui reçoit ainsi une rude tape en arrivant au sommet. Il importe de faire sauter cette roche si l’on veut prêter de la valeur au haut de la rivière, où, sur un espace de quarante milles d’une eau unie quoique courante, se rencontrent de très belles fosses. Nous voici en face de la rivière Moisie, célèbre par ses mines de fer magnétique, exploitées jadis avec perte par une compagnie de Montréal. Sept hauts fourneaux en ruines, une église protestante qui porte son elo- cher sur le coin de l'oreille, un cimetière, voilà tout ce qui reste, à votre droite, là, sur ce fond de sable Jaune souligné par une raie noire de sable magnétique dessinant les courbes du rivage — de plusieurs centaines de mille piastres jetées au vent d'une agitation fébrile, d’un tourment d’ambition désordonné qui déroutait les merlleurs esprits. Espérons que cette semence germera un jour des millions. A gauche, un modeste village, sans rues, sans verdure, des vignaux, un ranc, des bateaux de pêche échoués au rivage, un clocher de chapelle catholique qui dépasse juste les toits; là-bas, une maison plus grande avec des dépendances ; c’est le magasin de la maison Fraser & Co., propriétaire des premiers dix milles du cours de cette rivière qu'elle exploite à son profit, moyennant une rente nominale de mille piastres par année. Au-dessus des dix milles, en pleine forêt, s'élèvent trois ou quatre cottages que viennent habiter, dans la belle saison, des sportsmen des États-Unis, de l'Ontario et de Montréal, Ils y font des pêches magni- fiques de saumons de première qualité sous tous rapports. Le rendement annuel des pêches de la Compagnie Fraser est évalué à environ 100,000 livres. À soixante-dix milles plus bas que Moisie s'ouvre la grande avenue des sauvages montagnais en route pour leurs champs de chasse, la rivière Saint-Jean. La marée s'y fait sentir jusqu'à vingt-trois milles de son embouchure. Bon an, mal an la pêche rapporte environ 15,000 Ibs de saumon, mais c'est un poste important pour la pêche à la morue. Le sol en est profond et propre à la culture. Mingan est une rivière fort accidentée, ce qui n'empêche pas le saumon de la gravir jusqu’à soixante milles dans l’intérieur, pour y frayer. Quoique réputée bonne rivière à saumon, elle doit sa renommée, avant tout, à son excellent port et au poste de la Compagnie de la baie d'Hudson, que sir Donald Smith (lord Glencoe) à dirigé pendant plusieurs années, La rivière Romaine où Mountage, à neuf milles au-dessous de Mingan, quoique petite, est très fréquentée par le saumon. Ce poisson se repose longuement au pied des premiers rapides, en vue du fleuve. Coltages DES Fhpides Re Hg 42 RR D K NUE + = 314 LES POISSONS Un îlot verdoyant, qui sépare ces rapides en deux, offre un charmant endroit de campement, et une grève unie, à large marge, facile au pied du pêcheur à la mouche. La brise de mer en chasse les moustiques et rafraîichit les chaudes journées d'été. Au-dessus des seconds rapides, à cinq milles de son embouchure, la rivière se divise en deux branches, l’une allant à l’est, l’autre à l’ouest ; le saumon ne remonte pas la première, empêché qu'il en est par une chute imposante de près de cent pieds de hauteur qui en intercepte l'entrée ; mais il s’'avance en rangs serrés dans la branche ouest. Renommé pour sa grosseur, le saumon y atteint le poids de soixante livres, et plus. Ceux-là, dit-on, ne sautent pas à la mouche ; ils sont trop rusés pour se laisser prendre à un pareil leurre. Les sauvages se réunissent près de la source de la Romaine ; ils y passent l'automne et une partie de l'hiver dans des cabanes solides et munies de tout le confort que leur paresse leur permet de se donner. Nombreux et variés sont leurs ustensiles de pêche, tous prohibés par la loi, et dont ils se servent pour ruiner les frayères. En descendant vers le golfe, le produit des rivières au saumon se mesure au baril au lieu d’à la pièce, le poisson ne pouvant se conserver à l’état frais, vu l'éloignement des marchés. Rares sont les sportsmen qui vont faire la pêche au lancer à pareille distance. Au lieu de payer licence de pêche, les fermiers des rivières paient la somme de tant par baril au gouvernement, ou ne paient rien du tout. On demandait, un jour, à M. Dufour qui pêchait dans la Corneille, une rivière comprise dans les limites de la seigneurie Mingan, dont personne n'avait les titres, à qui il payait des droits. — À personne, répondit-il ; J'ai consulté de plus savants que moi à ce sujet, leur représentant que, d’un côté, le gouvernement veut avoir le montant de ma licence, que, de l’autre côté, M. Deniston prétend être le propriétaire de la rivière et avoir droit au loyer — et ces savants m'ont avisé de continuer de pêcher en attendant l'issue du procès, sans rien dire ni rien payer. C’est ce que je fais; Je mange l’huitre, et je donne les écailles aux deux plaideurs.” La moyenne du rendement des rivières à saumon, tributaires du golfe Saint-Laurent, entre Mingan et Saint-Paul, s'établit à peu près comme suit, d'après des notes recueillies en 1890. LE SALMO SALAR ou SAUMON COMMUN 315 REMARQUES BARILS. NOTA déco a ans ie Ra MP TES PEL AE Dee die AE Den 25 Piastebay......…. N'a pas été explorée pour la pêche à la mouche... 10 Watchichou ..... A été pêchée par la famille Abbott—Pas 4e rapport. Nabisippi........ Pas'explorée à#lmtérnieur---."."2-.2 "cc AOUARUSS ea r-- Pourrait être améliorée en abaïssant la deuxième chute, haute de 20 pieds, à moins d’un mille du HOUVC N UE Ne ee e le rs ete 30 Pashashibou...... Fond.devase, pas de saumon... "1..." Natashquan...... Jadis l’une des rivières à saumon les plus produc- 75 tives, mille barils, tombée au troisième rang par la maraude. Bons coups de ligne dans les pre- miers rapides et au-dessus.......... La Natashquan est depuis longtemps renommée parmi les sportsmen d'Europe et d'Amérique, pour l'excellence de sa pêche à la ligne. Pour l'abondance et la qualité du poisson elle est déjà la rivale de Moisie qu'elle surpasse de beaucoup par le pittoresque du paysage, la nature violente et sauvage de son cours. Des scènes dramatiques du plus saisis- sant effet se sont passées sur ses rives, au milieu de ses tourbillons. On nous montre ici le gouffre qui engloutit Walter Macfarlane, l’un des princes du commerce de Montréal. Un peu plus loin rugit le maëls- troom, l'entonnoir du diable, où s'abima le jeune héritier des Ashtley, une famille ducale d'Angleterre. Ses guides l'avaient prévenu du danger, l’assurant que nul n'avait jamais impunénient effHeuré les lèvres du goutfre, dont le baiser donnait la mort; il n’en voulut rien croire. Un seul de ses guides corsentit à l’accompgener, pendant que les autres aves ses amis les suivaient de leurs regards navrés. Le canot glisse rapide comme un trait ; il arrive au gouffre qui s’en empare et le fait tournoyer comme une toupie ; il s'enfonce, les deux têtes ne marquant plus qu'une ligne noire au-dessus de l’eau, lorsque soudain, une tête et deux bras levés surgissent du vortex. C'est le œuide sauvage, qui se sépare du jeune duc, en présence de la mort inévitable. Mais un coup de feu retentit aussitôt sur la rive et la tête et les bras se rabattent et disparaissent dans le fleuve. Un des amis du jeune pair, imprudent mais brave, venait de punir le lâche. Il y a six ou sept ans (1890), M. J.-G.-A. Creighton, chez qui l'art de l'écrivain le dispute à l’habileté du pêcheur, faillit périr au même endroit, en capturant un saumon de taille démesurée Son canot ayant chaviré pendant la lutte, il put avec peine regagner le rivage, pendant que son guide était emporté vers le gouffre pour y disparaître à jamais. En dépit de ces scènes dramatiques répétées, la Natashquan ne paraît avoir rien perdu de sa fascination sur l'esprit des sportsmen étrangers. 316 LES POISSONS Pendant des années avant 1890 — le capitaine Deniston recruta en Angleterre des groupes d'amateurs de pêche qui firent des campagnes incomparables dans nos rivières en litige de la seigneurie Mingan, mais particulièrement dans la Natashquan. La capture dut être exceptionnelle en 1890, car, avant le quinze juillet, le capitaine Murphy avait inscrit plus de 300 pièces sur son carnier de pêche. Un jour, le duc de Beaufort, le duc actuel de Sunderland, et feu Ned Sothern se trouvant à bord d’un steamer de la Cie Allan, payerent au capitaine la somme de mille dollars pour qu'il se détournât de quelques milles de sa route et les déposät à l'embouchure de la Natashquan. On se demande combien la livre de saumon pêché au Canada pouvait coûter à ces sporstmen de haute lignée, à leur retour en Angleterre. Pendant longtemps la Natashquan, à son embouchure et Jusqu'au pied de la première grande chute, a fourni une pêche au filet prodigieusement abondante. Une année même, la capture fut tellement nombreuse que le sel et les barils firent défaut et qu'il s'ensuivit une perte de milliers de beaux poissons. Depuis, et d'année en année, la rivière a subi une déchéance sensible qui l’a réduite au rang de rivière de troisième classe après avoir occupé le premier rang. Au seizième mille, le lit de la rivière est coupé à angle droit par une chute d’une vingtaine de pieds de hauteur, au pied de laquelle le saumon vient s’entasser par milliers en rangs si serrés qu'on en voit, à chaque instant, sortir de l’eau, sous la pression commune de la masse. Ils restent là, sous une poussée inconsciente, attendant qu'une forte pluie vienne grossir la rivière et leur permettre de franchir le rocher surplombant dont ils se rapprochent comme s'ils étaient portés par un élévateur. Si nom- breux sont-ils qu'une ligne jetée au hasard ramène à coup sûr une victi- me accrochée par les flancs, les ouies ou autrement. Dès que la pluie commence à tomber, ces pauvres poissons œssoiffés témoignent de leur joie par des sauts, des soubresauts, des coups de queue, une gymastique en règle. Petit à petit le bassin monte, la chute les appelle de sa voix de plus en plus sourde, leur parlant déjà presque de niveau, à l'oreille, et ces pauvres poissons enjambent le goutfre sans effort, comme un trait argenté lancé de bas en haut. Toutefois, si rapides qu'ils soient, il arrive que des tireurs exercés choisissent ce moment pour montrer leur adresse, en les perçant d’une balle au vol, comme des oiseaux, proies inutiles de la vanité jetées au goufire. Quelques coups de dualine ou de dynamite bien appliqués iei dou- bleraient l'importance de la rivière pour la pêche au lancer. LE SALMO SALAR ou SAUMON COMMUN 317 REMARQUES BARILS. Kegashka...... Requiert dynamite aux chutes...............:.... 39 Musquarro....La première chute, à huit milles de la mer, haute de vingt à vingt-cing pieds à eau basse, pourrait être réduite à quinze pieds, à peu de frais, ce qui ferait de la Musquarro une des plus belles rivières pour la pêche à la mouche. Les sauvages, convaincus que cette rivière leur appartient, font un massacre épouvan- table de saumons au pied de la chute, où ils attendent l’élévateur, ondée, orage ou pluie pro- Jonpée: EPA MANS RU EEERS OPEN SE RUE À trente-six milles au-dessous de Natashquan dégorge dans le golfe Saint-Laurent, une rivière qui est peut-être la plus belle frayère naturelle du Canada, la rivière Wachicoutai. Deux messieurs Blais ont pu y capturer dix barils en eau saumâtre, mais cela ne représente pas le dixième de ce que cette rivière devrait produire — soit 100 barils — sans que pour cela on arrive à capturer dans l’ensemble, un saumon sur cent de la famille habituée à ses parages. Les premiers rapides, casca- dant à cinq milles de la mer, sont faciles à franchir. Un kilomètre est vite fait, et c’est toute la distance qui vous sépare d’une succession de petits rapides, ou colliers argentés, enroulés autour de fosses profondes où le saumon prend à loisir ses ébats. Un rétréci d’un demi-mille de longueur conduit à un lac de huit milles, de charge en décharge, suivi bientôt d’un autre lac de douze milles. D'après même mesure, par chapelets, s'épandent d’autres lacs plus grands encore, vers les pro- fondeurs, tous nourrissant de grasses écoles de touradis (grey trouts), de vingt-cinq à quarante livres, de poissons blancs, de dix à douze livres, que les sauvages appellent sœwmons blancs et qui sont peut-être des huananish. Après avoir traversé ces lacs, le salmo salar s'en va frayer dans les nombreux cours d’eau qui les alimentent. Rendu là, 1l n'a plus à redouter que le #igog du Montagnais, qui le transperce, de la pince de son canot, le soir, à la lueur d’un flambeau d'écorce de bouleau. REMARQUES BARILS. Olomolasheeboo. . ... Excellente rivière à la pêche au lancer. .......... 15 Coacotchoo........ Devrait produire cinquarte barils au lieu de dix. 10 Sert de déversoir à de grands lacs très pois- sonneux — (ratée par les loups marins...... TOO TT UT RER ÉD EE 0 SN IR 50 318 LES POISSONS Ici je reviens à mes notes de voyage. L'Étamamu est la propriété de M. Michel Blais, de Berthier (en haut), établi sur la Côte depuis quarante- six ans, qui vient de la quitter pour aller vivre de ses rentes dans sa paroisse natale. Deux de ses fils, de vaillants marins, continueront désormais d'exploiter la rivière. Déjà, cette année, ils ont tendu six pêches, mesurant en tout cent quatre-vingts brasses, mais ils n’ont pas été heureux, n'ayant capturé que dix barils, lorsque leur père en sau- murait au moins cinquante barils chaque année. Une année même, le père en à mariné jusqu'à cent cinquante barils. Les fils Blais attribuent cette défection à l'invasion de myriades de méduses (soleils de mer), poussées dans la rivière par une violente tempête du sud, avec saute au sud-ouest, qui a duré deux jours, à l'époque de la remonte du saumon dans les rivières de cette région, du vingt au vingt-deux juin. Les corps des méduses flottant d’abord sans direction,commedes glaçons: se tassèrent bientôt à la rive, empêchant l'ascension du poisson, et finirent par corrompre les eaux au point de dégoûter et de chasser le saumon. Ils admettent toutefois, avec le capitaine Joncas, de Natashquan, que la tempête de vent d'ouest qui a tenu le saumon au large, à l'entrée de cette dernière rivière, peut avoir eu le même effet à Étamamu. Il est notoire que nos plus vaillants pêcheurs de la côte nord viennent presque tous de la côte sud — depuis Lévis jusqu’à Gaspé. J'ai remonté la rivière Saint-Augustin jusqu'à près de cinquante milles en profondeur, sans y trouver des fosses extraordinaires — je veux parler de la branche est — mais à tout hasard, elle peut fournir, à bien des endroits, de fort bons coups de ligne. Il ne me reste plus qu’à signaler la rivière Saint-Paul ou des Esquimaux, que je n'ai pas visitée, mais au sujet de laquelle on m'a rapporté ce que voici : “ Propriété d’un M. Chevalier, qui, par défaut de diligence, d'intérêt ou d’ambition, ne retire assurément pas un dixième de ce qu’elle pourrait produire, si elle était exploitée avec plus d'énergie. En 1889, ce monsieur a mariné cent barils, lorsque, de l'avis de pêcheurs expérimentés, la rivière pourrait rendre, sans en souffrir, de huit cents à mille barils par année. N'oublions pas que cette rivière des Æsquimaux a donné jadis, en une saison, aux pêcheurs français, un rendement, non pas de 52,000 livres, comme on l’a écrit, mais bien de 42,500 saumons, ce qui est loin d’être la même chose. LE SALMO SALAR ou SAUMON COMMUN 319 ORIGINE DU SAUMON Chaque année, le saumon vaut des millions au Canada. D'où vient ce bienfaiteur millionnaire ? D'un œuf, gros comme rien d’abord, et pas plus gros qu'un pois une fois à maturité... mais je passe ici la plume à d’autres plus savants que mo. A sa naissance, le saumon est plutôt brun pâle que blane ; il porte des taches nombreuses, descendant en festons profonds, du dos sur les flancs. Cette livrée dure au moins un an ; en cet état on le nomme en Angleterre Parr. FrG. 54. — LE PARR. Cependant, le temps approche où le saumon va revêtir un plus brillant habit, et devenir le Sinolt ou saumon du second âge. Il est alors vêtu de bleu, bleu foncé sur le dos, avec huit ou dix taches bleues sur fond d'argent, à tons changeants rougeâtres, et ventre blanc brillant ; l’opereule marqué d’une profonde tache noire, dorsale tachetée de brun, telle est la parure du fringant smolt, qu'il rêve dans sa garde-robe d’eau douce. IT sait que cette robe prétexte d’adolescence le fera valoir auprès des anciens, réunis dans les eaux profondes de la mer, à peu de distance souvent du corridor chéri qui conduit à la chambre nuptiale et au berceau. A cette seconde transformation, si l’opercule n'était pas bossué en arrière, et strié sur le dessus, on prendrait facilement le smolt pour une truite. Cette brillante livrée est La parure de voyage ; aussi, le besoin de locomotion, de migration, devient si impérieux, à cette époque de leur vie, que le docteur Shaw remarqua une sensible diminution, parmi les smolts qu'il conservait dans un bassin, où il les observait, depuis leur état de parr ou de premier âge. Il s’aperçut bientôt qu'ils s’élançaient hors de l’eau, et mouraient, étendus sur le rivage, à quelque distance du bord. Ceci se passait dans la première semaine de mai. C’est alors le moment où les smolts se réunissent en troupes, ce que ne font jamais les parrs. 320 LES POISSONS TRANSFORMATION DU SAUMON Le temps ordinaire pour que les parrs se changent en smolts, est de deux ans pleins, au moins ; cependant, on en voit qui opèrent ce changement dès la première année ; mais ceci n’est qu’une exception, produite vraisemblablement par une abondance extraordinaire de nourriture, ou des circonstances que nous ne connaissons pas encore. La plus grande partie des parrs restent parrs, à la fin de la première année, et passent encore la seconde dans les eaux douces qui les ont vus naître, sans changer de lieu, conservant toujours les bandes qu'on pourrait appeler les langes caractéristiques de l'enfance. Quelques-uns mettent même trois ans à rompre leurs lisières. Fi1G. 55. — LE SMOLT. Les smolts descendent à la mer, les uns en juin, les autres plus tard, par petites troupes de quarante à soixante individus ; ceux qui n’ont pas la force de les suivre les regardent partir, sans doute, avec envie : Les grands courants, les endroits rapides qu'ils entendent mugir, de leur dixième ou quinzième étage, leur font d'autant plus peur, qu'ils se sentent moins de force pour les remonter. Aussi, ceux qui partent, tout hardis qu'ils sont à la descente, dès qu'ils se voient emportés par le courant, rien n’est plus curieux que de les voir exécuter un leste demi- tour à droite ou à gauche, pour faire tête au courant etse laisser choir à propos dans un remous. Arrivés à la partie du cours d’eau natal où le mélange des eaux. devient saumâtre, les simolts passent quelques jours à s’acclimater ; puis, d’un coup de queue, ils disparaissent, en prenant le chemin de la grande eau. Deux mois après, on les retrouve, curieux de revoir le lieu de leur LE SALMO SALAR ou SAUMON COMMUN 321 naissance, — dont ils ont double fois douce souvéenance, pour son eau douce, d’abord, pour ses douces affections, après. Les smolts, alors, sont passés grilses, où saumons de premier retour. Ici la métamorphose est telle, que si des observateurs n'avaient pas —_— Fi@. 56. — LE GRILSE après cinq ans. pris la peine de marquer des smolts avant leur départ, personne ne les eût reconnus à leur retour. MARQUES DES POISSONS Disons, en passant, le moyen de marque qu’on a. On les saisit au filet d'abord, puis à la main—et ensuite, au moyen de l’emporte-pièce, à deux ou trois coups—on perce, de deux ou trois trous, une de leurs nageoires, l’anale de préférence, qui ne sert à rien, paraît-il. On les lâche là-dessus, aux hasards de la vie aventureuse. Quand ïls reviennent et qu'on les reprend, avec un pareil visa, légèrement bourrelé peut-être —pas n'est besoin d’être tant physionomiste pour les reconnaître au premier aspect. Savez-vous, par exemple, que pour peu que l’on soit pêcheur, ou peut-être simplement poète, ceux-là, on les caresse, on les embrasse même ; puis on les glisse tout doucement à l’eau, en leur disant : Que Dieu vous bénisse !? On n'a peut-être jamais plus de foi bonne, qu'en ces moments-là ! Ces smolts étaient partis, la queue fourchue, comme des jeunes gens afHrontant leur premier bal ; ils reparaissent avec une caudale carrée : on dirait des notaires, tant ils ont l'air respectable. Et puis, ils avaient des bandes marquées sur le corps ; plus rien n’y parait que la robe argentée du saumon adulte : ils sont partis avec une grosse tête, ils reviennent avec la tête effilée, le corps mince et élancé. Mais, ce qu'il y à de plus extraordinaire, et qui permet de trouver au plus profond des mers le point d'appui de la thèse, à savoir, que ces 21 322 LES POISSONS profondeurs sont les plaines où le poisson va s'engraisser pour venir ensuite figurer honorablement sur les tables du gourmet le plus riche comme sur la table du pauvre, c’est la rapidité de croissance de ce poisson, qui, en deux mois, à la mer, du poids d’un quart de livre au plus, parvient à celui de trois et quatre livres. Ceci n’est rien encore. L'année s'écoule : les grilses ont fait leur fraï. (On ne doit pas s’en étonner puisqu'on prétend que les purrs mâles, à un an d'âge, ont déjà de la laitance.) Ils ont remonté les cours d’eau, puis les ont redescendus, accablés de fatigue, cela va sans dire : ils retournent passer deux mois au plus à la mer, reparaissent. . . et pèsent alors huit, dix et douze livres ! MUSÉE D'OTTAWA Cet accroissement prodigieux dure pendant les deux ou trois premiers retours à la mer ; au bout de ce temps, le saumon, complètement adulte, a pris toute sa croissance ; il pèse de vingt à quarante livres et ne fait plus que s’entretenir et grossir lentement. Au musée d'Ottawa il en figure un, parmi les spécimens de la Colombie, qu'on à dit avoir pesé quatre-vingt-dix-neuf livres. On a dit, et c’est avec raison que j'en parle ainsi, Car dans son état présent, bourré d'étoupe ou de sciure de bois, il est possible qu'il ait perdu de son poids, sinon de sa valeur, quil nous à considérablement fait honneur — je m'affirme en Canadien, en patriote —à la grande exposition de Londres. Je faisais cette réflexion, tout haut, croyant faire rire les gens, qui sattroupaient autour de moi, assez intéressés de voir que je paraissais savoir quelque chose du monde sournois des poissons, lorsqu'un brave homme me met la main au bouton et me dit : — Vous ne savez pas pourquoi ce saumon n'a pas pesé cent livres ! — Oh ! bien, dam ? —C'est qu'il était un navigateur ; et que, de mon temps, les navigateurs, qui mettaient cent voiles au vent, sur mer, étaient saisis de par le roi. Cela est arrivé à Jacques Cœur, et à plusieurs autres depuis ce hardi marin. Ce poisson que voici a été prudent et je l’'admire. Il est resté à quatre- vingt-dix-neuf livres au lieu de se porter à cent. C’est fort bien à lui ! Au lieu de devenir morceau du roi, il est mort républicain. Je ne saurais vous nommer l’homme qui m'a donné cette leçon de droit, car il s'est sauvé vite au milieu de la cohue, qui me trouvant fort inter- loqué, riait du meilleur cœur de moi plutôt que de la facétie du bonhomme, qui se faisait, peut-être sans le savoir, l'écho d’une erreur populaire dont mon oreille à été frappée plus d’une fois dans mon enfance. LE SALMO SALAR OÙ SAUMON COMMUN 323 OÙ VA LE SAUMON Où va le saumon après la ponte, entrainé inconscient, à demi-mort, charrié, emporté, précipité vers la mer par le même courant qu'il bravait et surmontait quelques mois auparavant ? Va-t-il bien loin de la rivière animée, ou s’enfouit-1l tout auprès ? Je l’ignore, mais sans aucun doute, il va droit au buffet toujours si bien garni de la Nature, puisque à quel- ques mois de là, à six mois au plus, il revient aux mêmes lieux, si grand, si gros, si dodu, qu'on à peine à le reconnaître. C’est un peu vers la fin de maï que les saumons surgissent des bas-fonds amers pour s’aventurer dans les eaux douces, mais c'est en juin et août qu'a lieu la grande remonte. Chaque marée en amène un convoi jusqu'aux pieds des premières chutes, où ils se reposent quelque peu avant d’en tenter l'escalade. L'alose remonte les rivières vers la même époque que le saumon, mais elle n'y reste que quelques jours, le temps d’y déposer ses œufs, puis elle retourne grand train à la mer, pendant que le saumon prolonge son séjour en eau douce jusqu'aux mois de novembre et décembre. Il en est même qui y passent l'hiver. Le saumon n’est pourtant pas pressé de faire son nid, puisqu'il ne fraie que sous les glaces. D'où vient cette différence ? Pourquoi le saumon est-il si pressé de quitter la mer, au petit prin- temps, la mer où il nage dans l’abondance, pour arriver dans nos rivières où il ne vit que d'amour et d’eau froide ? Répondant à ces questions, certaines gens vous diront que le saumon fuit les phoques, les requins, les marsouins, les esturgeons, les pourceils et d’autres grands voraces : d'autres prétendront qu'ils sont chassés par des insectes parasites dont ils ne peuvent se débarrasser qu’en eau douce. J'avoue ne pouvoir apprécier la valeur de ces réponses, mais à ceux qui veulent qu'il profite des grandes eaux du printemps pour remonter des rivières dont les sécheresses de l'été leur interdiraient l’accès, jusqu’à leur berceau ou leur lit nuptial, je n’ai qu'à leur montrer ces masses de saumons stati- onnant pendant l'été au pied de chutes élevées, se baladant dans les remous, se berçant dans les rapides ou s’ébattant joyeusement dans les fosses, en attendant qu'un orage bienfaisant vienne gonfler les eaux et leur permettre de poursuivre leur course vers le but désiré, ce qu'ils font lentement, par étapes, sans se presser. Du reste, nombre de saumons adultes attendent les mois d'été pour attaquer l’ascension des rivières, seuls, où en compagnie des grilses. 324 LES POISSONS Faut-il eroire que le saumon va passer le temps des fêtes en mer pour s'y goberger, s’y empiffrer jusqu'à tire-larigot, et que le printemps venu il sent le besoin de réduire, de rafraîchir son estomac enfiévré par les excès ? Simolt, il est descendu une première fois à la mer, mais il n’y est resté que peu de semaines: encore faible, la tête lui a tourné de bonne heure, et c’est à la lueur de trente-six chandelles qu'il a réintégré le domicile paternel ; il y est retourné grilse ; plus vigoureux, il a pu tenir tête aux anciens, et depuis, à chaque hiver, un peu avant Noël, il n’a pas manqué de renouveler la même orgie; qui à bu bovra. Voilà ce qu’on dit du saumon.... en Angleterre, comme ici, du reste. MIGRATION DU SAUMON Par bonheur pour lui — ce noble poisson — d’autres mobiles d'action dignes et généreux lui sont prêtés ailleurs. Des observateurs conscien- cieux sont d'avis que les vieux se hâtent de revenir, au printemps pour protéger leurs petits qui viennent de naître et qui sont distribués déjà un peu partout dans le cours d’eau qui les à vus naître — contre la dent de la truite, de l'anguille qui va bientôt se dégourdir, de la grenouille et de centaines d’autres ennemis. En route, les vieux enseignent aux grilses les endroits des chutes favorables à l'escalade, les lieux de repos, les dangers à éviter. Où le père a passé passera bien l'enfant, tel est le premier principe de l'éducation du saumon. À défaut de lisières ou d’une main à tendre, ces pauvres bêtes n’ont que l’exemple à donner à leurs petits. Croyez bien qu'elles ne la leur ménagent pas! Il faut les voir bondir, au milieu des chutes, commes des flèches d'argent lancées dans un tourbillon vert ou roussâtre, faire parfois une halte dans une fosse ménagée à point au milieu de la chute, puis rebondir de là et arriver à la surface unie quoique rapide qui voile le souffre vu d’en haut ! Il faut les voir ! Ceux-là, qui s’élancent ainsi, sont les mâles, les pères, qui vont de l'avant connaitre l’état du cours d’eau, savoir s'il y a des changements causés par des barrages, des rochers charriés on renversés, des arbres entassés, des chaussées, crevées,afin que des mesures soient prises en consé- quence. On à vu des masses de saumons tourner bride et abandonner à jamais une rivière aimée, sur une simple inspection des éclaireurs, des Pères de la Patrie ! C’est une leçon que la nature donne aux hommes. Aux mères, aux femmes, aux enfants, la protection entière des chefs de famille est due. Pour peu qu’ils aient du cœur, ils en sont indemnisés au centuple, aux LE SALMO SALAR OÙ SAUMON COMMUN 325 heures enivrantes du calme, au foyer, dans le tête-à-tête et par l'éducation des enfants. A quels dangers, à quels travaux ne s’expose-t-on pas volontiers, lorsqu'on attend pour récompense l'amour pur de la famille ? Un auteur américain doué d’une plume élégante s'étonne de ce qu'à certains endroits de pêche à saumon, dans la Betsiamites, où il a jeté sa ligne, toujours durant le mois de juin, il n’a capturé que des mâles. Je lui en donne ici l'explication, en homme marié et père de dix-sept enfants, s’il vous plaît ? Peut-être M. Barnwell était-il vieux garçon ? Tant pis pour lui, ! Alors, le malheureux ne nous comprendra pas ! comme auteur d'un livre ichthyologique charmant, puisqu'il devrait avoir d’autres produits de su valeur non moins charmants ! Mais les pères, les chefs, les guerriers — appelez-les comme bon vous semble — sont rendus là-haut et tout va bien ! Là-haut : c’est souvent fort loin, à quelque vingt, cinquante et cent milles de l’eau salée. T1 faut du temps pour s’y rendre, car les obstacles sont souvent en nombre. Des messagers sont alors expédiés en grande tenue — en costume de noces — aux retardataires, anxieux du sort de leurs bien-aimés, partis pour établir le foyer en eau douce. Il faut vous dire que la robe du saumon est différente, suivant qu'il monte de la mer ou qu'il redescend des fleuves. Son dos est toujours bleu d'acier, ses flancs argentés avec des taches noires, irrégulières disséminées comme au hasard sur la tête et les opercules. La surface du corps est quelquefois, même presque toujours, nuancée de nuages bleuâtres, obscurs, plus ou moins visibles et fugaces après la mort. Mais en parure de noces, le ventre s'empourpre, ainsi que la base et la pointe de toutes les nageoires, excepté la dorsale et les pectorales. Porteurs de bonnes nouvelles, nos émissaires circulent et sont applaudis dans tous les rangs des’ stationnaires. Sans se reposer un seul instant, ils ordonnent les préparatifs de l'ascension générale. Les premiers ils donnent l'exemple, pendant que les mères au dernier rang ou sur les - flancs protègent les petits contre les dangers extérieurs. Un chef s’élance à la vue des grilses étonnés ; un second chef suit le premier, puis un troisième. Les mères, fières de tels exploits acrobatiques, poussent leur progéniture à les tenter et devant leur hésitation elles font elles-mêmes le saut qu'elles réussissent aussi bien que les mâles. Vous vous êtes peut-être apitoyé en voyant un saumon manquer son coup et retomber dans la fosse. Pitié perdue ! C'était de l'admiration qu'il vous fallait donner à ce poisson. C'était une mère qui apprenait à son petit à faire le sommersalt et qui ne voulait pas le lâcher avant qu'il l’eût appris. Les petits ne tardent pas à réussir, et à trois semaines de là, vers la fin du mois d'août, toute la colonie est rendue au poste, ou pour mieux 326 LES POISSONS dire, à la maison. Car, tous sont nés là, et ils y reviennent invaria- blement. Ce morceau ou cette pièce d’eau bien gravelée pour le lit maternel, avec une fosse tranquille ménagée à côté pour le berceau et la voix de la chute pour endormir les enfants, c'est la vraie patrie du saumon, qu'il aime de tout son cœur. Ai-je tort? Ai-je raison ? Pour le savoir, il faudra attendre le jugement d’autres observateurs ; mais je crois que les saumons, aussi attachés qu'ils le sont aux eaux paternelles, doivent se composer de familles diverses qui se reconnaissent au sang, aux mœurs, aux habitudes, et que les mères suivent ceux qu’elles ont adoptés parmi les petits, et surtout le père de leurs enfants. Puisque la colonie a une patrie, les familles, les membres de la colonie n’ont-ils pas un foyer dans cette patrie ? Nous hasardons cette idée, pour avoir constaté chez les outardes, l’oie du Canada, qu'il existait dans les bandes des familles distinctes avec des enfants adoptés, protégés tout particulièrement par un seul mâle et une seule femelle, On allait, on volait de conserve, d’un lieu à un autre, mais arrivés et posés sur un terrain, chacun faisait marmite à part et souvent des disputes, des batailles sanglantes même avaient lieu d’une famille à une autre. Les oies du Canada sont des oiseaux migrateurs. Nous pouvons mieux observer leurs mœurs, parce qu'ils sont dans l'air limpide, sous un ciel éclairé. Mais voyant les saumons aussi fidèles à revenir dans leurs eaux que les oies le sont à revenir dans l’air et sur la terre qu'elles affectionnent, ne pourrait-on pas induire de là, que s’il est des mères saumons qui se montrent d'ici, delà, au milieu des smolts novices, c'est que leurs entrailles sont sensibles à certains groupes plutôt qu'à d'autres, dans la colonie ? Les lignes suivantes, que j'emprunte à M. Mowat, garde-pêche à Campbellton pendant plus de quarante ans, viennent à l'appui de mon opinion. DE LA GÉNÉRATION DU SAUMON “ En ce qui à trait aux rivières Ristigouche et Métapédia et au saumon qui les fréquente, ma longue expérience de quarante années me met en position d'affirmer —ce qui est généralement admis d'ailleurs — que chaque rivière à saumon a sa population propre, les saumons se distinguant facilement par leur grosseur, leur couleur, et le goût de leur chair différant dans chacune d'elles. Et ce qui est propre à confirmer cette opinion, c’est que, s’il en était autrement, le saumon, qui recherche l'eau douce pour frayer, se serait installé dans l’une ou l’autre des deux rivières LE SALMO SALAR ou SAUMON COMMUN 327 indistinctement, tandis que nos pêcheurs et nos commerçants qui sont juges en la matière, s'accordent à dire que tout le saumon qui a été pris durant ces deux ou trois dernières années, était de l'espèce dite de la Ristigouche, ceux qui sont connus sous la désignation de saumons de la Métupédia où de l'Upsalquitch ayant disparu. “ Depuis huit ans que je suis chargé de diriger ici l'établissement de pisciculture, j'ai fait mettre dans les tributaires les deux tiers au moins de tous les œufs à ma disposition. La Métapédia a eu la part du lion Fr&. 57.— (Œufs et alevin du saumon, avec vésicule ombilicale. et j'avais lieu de n'attendre qu'elle devint la rivière par excellence ; bien loin de là, sa population à toujours été en diminuant, tandis que celle de la branche où est établie la pisciculture, a, durant ces quatre dernières années, à tel point augmenté, qu'après en avoir enlevé environ un Hemi million de livres à la seine, et 45,000 livres à la pêche à la ligne, les saumons y existent encore en si grand nombre que leur énorme quantité est nuisible à la reproduction, à cause de la destruction réciproque qu'ils font de leurs œufs. La seule explication possible à déduire de ee qui prècède, c’est que tous les œufs soumis à l’incubation y ont été pris dans la branche principale (Ristisouche); les jeunes saumons, bien que placés dans les tributaires, sont retournés dans les eaux d’où ils originaient, “Je ne suis pas prêt à affirmer que des jeunes saumons provenant d'œufs déposés dans des rivières qui se déchargent directement dans la mer reviendraient, à l’âge adulte, dans les rivières où ces œufs aurwent été ainsi déposés, mais Je n’en persiste pas moins à soutenir que toutes les rivières à saumon devraient être repeuplées avec des œufs prove- nant de poissons appartenant à chacune d'elles respectivement. C’est aussi l'opinion à moi exprimée, en ISS1,par M. Buckland, d'Angleterre, opinion basée sur l'exptrience acquise par plusieurs années d'obser- vation sous ce rapport. 328 LES POISSONS “J'ai conseillé à sir Geo. Stephen, s’il a jamais l'intention de rendre à la Métapédia sa valeur d'autrefois, de la repeupler d’après le principe ci-dessus énoncé ; et je crois qu'il est presque déterminé à le faire.” Conclusion logique, c'est que, pour repeupler artificiellement une rivière à saumon, il faut prendre du frai de ses propres poissons. Autrement, elle jouera le rôle de la poule et des canards : les petits qu'elle aura crus siens s’en iront ailleurs. L'hiver est venu, le saumon est enfoui dans un ruisseau de la montagne sous un palais de cristal, dominé par un gigantesque pin parasol, où il protège ses compagnes occupées au creusage de leurs nids. Anguilles: canards, batraciens, martins-pêcheurs, ses ennemis les plus acharnés, sont disparus, il est tranquille ; il en profite pour préparer le berceau de ses petits. Ici, je laisse parler la Revue des Deux Mondes, dans un article signé par J. Cluvé, l'un de ses distingués collaborateurs : “Habitant la mer, à l'embouchure des fleuves où 11 se nourrit et se déve- loppe le saumon ne pénètre dans des eaux douces que pour y frayer. Lorsque la femelle à trouvé un endroit propice, elle creuse dans le lit du ruisseau un nid de un à deux mètres de longueur sur 0.30 à 0.40 de profondeur, dans lequel elle se couche et pond ses œufs, pendant que le mâle, placé à côté, répand la laite qui les féconde. Elle les recouvre alors de gravier pour les mettre à l'abri de leurs ennemis, et les abandonne à eux-mêmes.” Empruntons maintenant la plume d'auteurs américains décrivant les mêmes circonstances : ‘À l'approche de la saison de l’accouplement, leurs formes gracieuses et leurs couleurs brillantes disparaissent. Ils deviennent maigres et difformes, leurs nageoires s’épaississent, et la peau est visqueuse et tachetée de brun, de vert ou de bleu, de vermillon ou d’écarlate. Ces changements sont plus prononcés chez le mâle, dont les mâchoires recourbées ne se touchent plus que par les extrémités, la mâchoire inférieure se développant en un fort crochet qui devient une arme puissante dans les combats sauvages qu'il lui faut soutenir contre ses rivaux, durant cette saison. Dans cette condition, et lorsqu'ils descendent à la mer, ils sont connus sous le nom de Æelts.” Les plus pressés arrivent aux sources des rivières deux ou trois mois avant le temps du frai. Dès que l’eau est à la température convenable, de 40 à 50 degrés, ils déposent leurs œufs dans de profonds sillons qu'ils creusent dans le gravier du cours d’eau, ordinairement près d’un rapide, HS OCT nes png PATATE, LE SALMO SALAR ou SAUMON COMMUN 329 Des observateurs européens disent que les sillons sont creusés par le museau des époux, chaque sillon étant rempli d'œufs avant qu'un autre soit creusé, et le premier est recouvert du gravier et du sable retirés du second, et qui se trouve brassé par le courant. M. Atkins à observé un saumon d’eau douce, une femelle qui creusait son nid en s'étendant sur le flanc et battant le sol de sa queue pendant que le mâle montait la garde pour éloigner des rivaux ou des déprédateurs. La ponte ne s'opère pas d’un seul coup, maïs les œufs sont d‘h5sés par portions durant une période de cinq à douze jours. Lors, : le sillon est creusé, les deux conjoints se retirent à une faible distance, de chaque côté ; ils s'étendent alors sur le flanc, puis ils reviennent ensemble et, se frottant l’un contre l’autre, répandent en même temps leurs œufs et leur semence dans le sillon. Des observations analogues ont été faites par de savants ichtyo- logistes sur le saumon d'Europe et par M. Whitcher sur le saumon canadien. Dans les tributaires du fleuve Saint Laurent la ponte commence vers la mi-octobre ; dans le Maine, une ou deux semaines plus tard, et il y a lieu de croire que dans le Connecticut elle a bien lieu en décembre. En Angleterre, et dans le Rhin, le temps du frai commence en octobre et novembre et se continue, dans certaines rivières, Jusqu'en février. Les œufs du saumon mesurent environ un quart de pouce de diamètre, et sont d'un rouge clair ou d’un jaune orangé. Un saumon de cinq à huit ans pourra porter de 1000 à 2000 œufs, et un saumon de vingt à quarante ans en portera de 10,000 à 15,000. Dans les rivières d'Écosse les œufs viennent à maturité dans une période de cent à cent quarante jours, mais dans nos eaux plus froides, à une température moyenne de trente-trois degrés, l’incubation doit durer environ six mois, les petits ne se montrant qu'en mai. Dans les piscicultures, la période varie beaucoup : des œufs sont éclos dans cinquante-quatre jours, à une température de cinquante-cinq degrés, et d’autres dans cent quatorze jours, à trente-six degrés. Si la femelle montre tant d'empressement à recouvrir ses œufs de gravier, c'est qu'elle redoute le mâle autant que les autres saumons, tous étant extrêmement friands de ces œufs. Tout de même il réussit à en happer quelques bouchées pour prix de ses peines. On prétend que l'absorption de ces œufs donne la couleur rouge à sa chair, ce qui me paraît ridicule. Non moins ridicule est la prétention de ceux qui attri- buent cette coloration à wn petit corps rouge semblable à une grappe de groseilles qu'on trouve dans l’estomac du saumon. Je crois plutôt que certains crustacés, certains poissons, des plantes peut-être du fond de la mer dont il fait sa nourriture, communiquent cette teinte rouge ou rose à sa chair. Cela paraît d'autant plus croyable que la chair du saumon pâlit sensiblement après un séjour prolongé en eau douce. 330 LES POISSONS En brisant sa coquille, le petit ne se dégage pas entièrement de l'œuf, il l'emporte avec lui, comme un barillet qu'il dépasse de la tête et de la queue, dans la fosse voisine où il va chercher un premier refuge ; il y puise encore la vie pendant plusieurs semaines. Lorsqu'il se sépare enfin de cette vésicule ombilicale, il n’a pas encore atteint la longueur d’un pouce. Rien, dans cet être chétif, timide, blotti dans les interstices des pierres, ne fait présager les brillantes destinées du grilse et du saumon. Le saumon est-il polysame ? On serait porté à le croire par Île nombre de mâles dépassant de beaucoup celui des femelles. En toute saison les femelles recherchent la société des mâles, ce en quoi le saumon diffère des autres poissons, ce qui tend aussi à corroborer l'avis émis déjà qu'il existe parmi eux un certain esprit de famille. Des pêcheurs du Rhin abusant de cet attachement, attirent les femelles dans des pièges qu'ils nomment pinces-d-sauwmon, placés autour d’un mâle muselé et attaché à une càblière. Le saumon passant une moitié de sa vie dans nos rivières, et depuis la pratique de la pisciculture, naissant et vivant sous nos yeux, il semble que ses mœurs devraient nous être parfaitement connues. Cependant, il nous reste beaucoup de choses à apprendre sur sa croissance, ses pérégri- nations, son séjour en mer, sa nourriture, son jeûne, la couleur de sa chair; les raisons qui le retiennent parfois dans les eaux douces durant l'hiver, la promptitude du voyage des smolts, son changement de costume de parr à smolt, de smolt à grilse, de grilse à saumon fait, autant de mystères que nous ne pourrons nous expliquer qu’en réalisant la suggestion humo- ristique de M. Russell : | “Je ne vois, écrivait-il, qu'un seul moyen de connaître à fond les mystères de l'existence de ces poissons : ce serait de réunir une députation de savants et de témoins consciencieux, de les engager à siéger sous l’eau pendant une couple de mois ; ils ouvriraient leurs sessions en novembre; en s'établissant près d'une frayère, au temps où les femelles œuvées vont déposer leurs œufs, dont ils suivraient, jour par jour, heure par heure, le développement, jusqu'à l’éclosion, pendant qu'un comité suivrait les saumons adultes, les grilses et les smolts dans leur descente à la mer, en surveillant leurs mouvements, et tenant note de leurs habitudes, de leur ordinaire, des dangers à courir, du caractère de leurs ennemis, des raisons qui déterminent leur retour. Les travaux d'observation terminés, cette députation pourrait nous présenter une solution raisonnée de tous nos doutes, de toutes nos objections, de toutes nos difficultés. Jusque-là, la science cheminera péniblement sur un fond d’hypothèses qui s'effondre presque à chaque pas sous ses pieds.” DE LA TRUITE EN GENERAL 331 DELLA TRUITE. en général Dans la famille des salmonidés, la truite commune est remarquable par un grand nombre de variétés dont la classification fait le désespoir des savants. Il est des truites qui ressemblent d’une façon étonnante au parr, au saumoneau, à ce point que pour les distinguer il faut un œil exercé, une connaissance exacte de leurs traits caractéristiques. Même couleur, mêmes formes,même allure, mêmes habitudes, même habitat. A cet âge, le jeune saumon a des dents au vomer comme la plupart des truites, il les perdra plus tard, sans retour, tandis qu'elles persisteront chez ses congénères. [l importe pourtant que leurs traits distinctifs soient bien connus du pêcheur et des gardiens de pêche ; car, pris à la seine ou à la ligne, le parr doit être rendu à son élément, pendant que la truite est admise. en franchise au carnier du pêcheur. L'examen presse, le poisson souffre, dans une minute il sera trop tard: vous n'avez même pas le temps de compter les rayons de ses nageoires, encore moins celui de le disséquer. Regardez tout simplement à l'œil et à l’opercule. S'il y a des stries autour de l’œil, si l’opercule légèrement bossué s’allonge en arrière, c’est sûrement un saumon. Déposez le alors doucement dans l’eau où il est appelé à devenir roi. Fussiez-vous le plus ardent des républicains, vous le respecterez en votre qualité de pêcheur honnête. Dans le fleuve Saint-Laurent, la truite de mer ne remonte guère au- dessus du Saguenay ; mais elle abonde dans les eaux du golfe, surtout à l'embouchure des rivières tributaires. À partir du Saguenay jusqu’au lac Ontario, ce poisson n'existe pas. De nombreuses variétés de truites, quelques-unes de très forte taille, peuplent les grands lacs de l'Ouest. Oh! par exemple, des deux côtés du fleuve Saint-Laurent, dans les ramifications des Allechanys, au sud, sur la corniche des Laurentides, au nord, se trouvent d'innombrables lacs et cours d’eau où fourmillent la truite de bruyère, la truite d'Amérique, la truite argentée, la truite troire, etc, ete.; sur lesquelles la truite des lacs ou touladi des Montagnais prélève un sanglant tribut. La plus grande partie de ces lacs et cours d’eau n’ont jamais été pêchés. Ils gardent en réserve d'abondantes provisions pour l'avenir. Dans ces lues et rivières élevés, parfois isolés, que le saumon n'atteint jamais, la truite, quelle qu'en soit 392 LES POISSONS la variété, est facile à reconnaître, comme espèce, entre tous les autres poissons. Toutes ont un nombre égal de nageoires, avec une légère différence dans leur disposition et dans leurs teintes, suivant les variétés, Le nombre des rayons est à peu près le même chez chacune d'elles. Seulement, la caudale, échancrée chez les jeunes, devient droite chez les adultes, et enfin convexe, au lieu de concave, chez les vieilles. La nature augmente leurs moyens de propulsion en proportion de leur âge et de leur poids. Le mâle a la tête lourde, massive, presque difforme ; la mâchoire inférieure, plus avancée que la supérieure, porte chez les vieux et gros individus un crochet obtus, blanc et corné qui arme d'extrémité antérieure et se loge dans une cavité correspondante creusée dans la mâchoire supérieure ; plus fine est la tête de la femelle, son bec est aussi plus pincé, par coquetterie sans doute. Toutefois, après la ponte, lorsque son corps est amaigri par un long jeûne et la souffrance, sa tête ne diffère en rien de celle du mâle. Aplati dans le jeune âge comme celui du gardon, le corps de la truite commune prend la forme cylindracée dans l’âge adulte. La couleur de la peau varie suivant les lieux, la nature des eaux, la nourriture et les époques de la vie de ce poisson. Cette peau, dépourvue d’écailles apparentes, ressemble à une toile vernissée sur laquelle un artiste aurait laissé courir son pinceau capricieux en y mêlant tour à tour les tons les plus vifs et les plus sombres, les plus chauds et les plus pâles, le carmin au vert bouteille, le bleu foncé au brun, l'or à l'argent. “On ne peut s'empêcher de remarquer la physionomie brutale et sans expression de la truite ; l'air est féroce, l'œil mauvais,” dit le Dichionnaire des Péches. Rien d'étonnant à ce que la truite prise à la ligne n'ait pas un air souriant, où, si vous l’aimez mieux, doux et résigné, car elle sort d'un rude combat dont elle est à la fois la victime et le prix. Nul poisson ne lutte avec autant de valeur et de vigueur, peu sont aussi fertiles en ruses : c’est pourquoi l’on se vante de sa pêche comine d'une conquête. Elle se défend jusqu'au dernier souffle, jusqu'à épuisement, profitant de tout, des herbes, des cailloux, des racines, tantôt plongeant jusqu'au fond, tantôt s'élançant dans l'air et battant de sa queue le fil qui la retient prisonnière ; quand elle se rend enfin, c’est que tout espoir est perdu, et si elle à l'œil mauvais, c’est qu’elle en veut au sort de sa défaite, après avoir montré tant de courage. D’autres poissons sans cœur, comme la morue, se livrent à l'ennemi sans résistance, d’autres, comme la donzelle et le poisson-castor (mud fish), semblent lui demander grâce. Autre chose est de la truite, altière: si elle pouvait parler, elle aurait un blasphème à la bouche, ou peut-être le mot de Cambronne. Cela se voit dans ses yeux. LA TRUITE COMMUNE 333 LA TRUITE COMMUNE Ce poisson que nous appelons simplement fruite commune, est tour à tour désigné sous les noms de truite mouchetée, truite de ruisseau, brook-trout, salmo fontinalis, truite de bruyère et truite américaine. Il n’en reste pas moins toujours le même, soit qu'il pèse une once ou de trois à quatre livres, soit qu'il porte une robe vert bronzé, brun sombre, jaune violet, bleu d'acier, pointillée de rouge, de bleu, de vert ou de toute autre nuance qui dépend de sa nourriture et quelquefois de son habitat. Quant à la forme, ce que nous avons dit des salmonidés en général s'applique également à la truite commune. Elle n’est belle que par ses couleurs vives et sa peau vernissée. Sa hardiesse, sa vaillance la font rechercher par les pêcheurs à la ligne, de préférence à des proies autrement profitables. À Québec, lorsqu'on vous propose une partie de pêche, il est entendu qu'il s’agit d’une pêche à la truite dans les lacs des comtés de Québec, Portneuf ou Montmorency. L'achigan dulac Saint-Joseph, quoi- que assez abondant, ne compte pas ; du bars de Montmagny, il n'en est pas question. Dans les districts de Montréal et d'Ottawa nous avons le brochet, le doré, le maskinongé, l’achigan, la laquaîche : Québec n’a que la truite, et il s’en contente ; mais aussi il faut dire qu'elle abonde dans presque tous les lacs des Laurentides distribués dans un rayon de quinze à vingt-cinq milles. La pêche à la truite est le rêve de l’écolier, le joyeux passe-temps du rentier, une suprême jouissance, un dernier rayon de soleil pour le vieillard, qui retrouve pour un instant son coup d'œil, sa vigueur, sa souplesse, quand ce papillon des eaux bondit hors de son élément, s'accroche à son hameçon. Un frisson magnétique, réminiscence de ses vingt ans, passe alors dans toutes ses veines. L’œil au bout de la ligne qui plonge ou remonte, les mains crispées sur sa perche, le cœur lui bat plus vite, saisi qu'il est d’une indicible émotion. Avec la résistance, il retrouve une recrudescence d'énergie ; des forces inconnues se réveillent en lui : le sang afHue à ses joues, son regard s'allume ; le voilà debout dans son canot, 394 LES POISSONS raidissant ses bras, se penchant, se relevant, tantôt donnant du fil, tantôt en reprenant, guettant, suivant les mouvements du poisson, de gauche à droite, de haut en bas, absorbé jusqu’au fond de l’âme par ses évolutions. Et la truite apparaît à la surface, montrant ss flancs dorés, mouchetés de vermillon et d'azur : oh ! le beau poisson ! il l'amène amoureusernent à lui, se penche, l’enlève : il est dans le canot. Ouf ! le pauvre vieux s’af- faisse sur son siège, essoufHé, épuisé, rendu ; mais 1l en mourrait qu'il ne se plaindrait pas, car les soubresauts de la truite agonisante font retentir à ses oreilles la plus délicieuse harmonie. (1) C'est la même truite que les enfants pêchent dans les ruisseaux : la mignonne, la gentille, la folâtre petite truite, longue de quatre à cinq pouces : la gourmande qui happe tout ce qui tombe à sa portée : il suffit de voir comment elle est peinte et fleurie pour être convaincu que c’est bien la même. Ne disions-nous pas tout à l'heure, qu'il en est de toutes grosseurs, comme de toutes couleurs dans cette espèce ? Dans un mince filet d’eau elle est petite, dans un remous de profondeur elle est plus grosse, dans les lacs seuls elle atteindra tout le développement dont elle est susceptible, de trois ou quatre livres au plus. Nous avons fait tant et plus la pêche à la truite commune dans des ruisseaux, des fosses, des lacs ; et toujours et partout avec un égal plaisir. Que de souvenirs ! Tenez, qu'on me laisse parler d’une pêche au lac Tintureh, en arrière de Valcartier que J'ai faite avec Paul Picard, le fs du grand chef des Hurons de Lorette, Tuhourenché, 11 y a quelque vingt ans, et je vous ferai grâce de toutes les autres. Ne se rendait pas qui voulait au lac Tintareh : 1 était situé là-bas, à vingt-cinq milles de Québec, dans le flanc des Laurentides, derrière des rochers à pic, hauts de cinq à six cents pieds, qu'il faut gravir à bras, en s’'aidant des racines et des branches d'arbres, autant qu'à pied. Passé la rivière Jacques-Cartier, l'ascension commençait tout de suite, pour durer de deux à trois heures, et je vous prie de croire qu’elle s'exécutait au prix de plus de grimaces que de sourires, de plus de hans ! que de chansons. Toutefois, avec un peu de nerfs et de courage on finissait par toucher la crête du contrefort, d’où l’on n'avait plus qu'à se laisser aller sur des pentes douces, de vallons en vallons, jusqu'au lac. Le lac n'a sans doute pas changé de site, mais 1l doit y avoir des chemins carrossables pour y parvenir. Les truites et les perdrix n’y auront pas gagné, (1) Extrémement vigilante et défiante, la truite est en même temps courageuse et active. Un brochet et une truite renfermés dans un vivier se livrèrent de nombreuses batailles pour prendre la suprématie et la première place, mais la truite finit par demeurer maîtresse. (Dictionnaire des pêches.) LA TRUITE COMMUNE 339 Oneques ne vis-je autant de perdrix qu'en cet endroit: nous en tuâmes plus d’une douzaine perchées sur les branches des arbres aux abords du sentier que nous suivions : nous aurions pu tout aussi bien les prendre à la main que les tirer, les cueillir pour ainsi dire comme des fruits, tant elles étaient peu farouches. Rares étaient les pêcheurs des villes qui tentaient l'escalade du lac, par ce côté : ils préféraient de beaucoup s’y rendre en voiture, en faisant un détour de plus de deux milles. Toutefois, nous avions eu des devanciers, et cette année même, comme l’indiquait une inscription ayant tout l'air d’un défi marqué à la sanguine sur l'écorce d'un bouleau bien en vue, nous lisions : John Patton and R. Trodden cœught 21 dozens of trout on take Tintareh, in two days, fishing “ July 24th, 1877.7 — Crois-tu cela ? demandai-je à Paul. — Je le crois, me répondit-il, les sportsmen anglais parlent peu, mais quand ils parlent ils disent la vérité. Du reste, j'accepte leur défi. Ou je me trompe fort ou tu verras que dans deux jours, en repassant par ici, nous pourrons rabattre l'arrogance de ces messieurs par un chiffre plus élevé et non moins vrai que celui qu'ils ont affiché. Arrivés au lac, nous trouvâmes nombre de radeaux solides et bien faits, échoués à la rive. Nous en choisimes chacun un, le père Lenègre, notre guide, Paul et moi, parmi les plus légers, les moins trempés, et nous entreprimes la traversée pour aller camper à la pointe. Il faut dire que le lac Tintareh se compose de trois nappes d’eau quasi cireulaires, reliées entre elles par des rétrécis, l’image d'un trèfle sans pédoncule. Une fois campés, ayant encore du jour devant nous, pendant que le père Lenègre faisait du bois pour le bûcher de nuit, Paul et moi partimes, chacun de notre côté, à la recherche des endroits de pêche Étant né et ayant presque toujours vécu jusque-là dans le district de Montréal, je n'avais qu'une très mince expérience de cette pêche. Aussi quelques heures plus tard, je revenais au camp bredouille ou à peu près Le soleil disparu derrière un pâté de montagnes ne donnait plus de lumière que par réfraction. Où est Paul ? dis-je au père Lenègre. —J’sais pas, j'sais pas; il est allé par là, et je ne le vois plus: le boingre d'enfant va se laisser prendre par la nuit, et il va faire noir comme sur le four : pas de lune, voyez-vous, ce soir. La nuit vint, en effet, sans nouvelles de Paul, une nuit noire, sans lune, sans étoiles, écrasée de ténèbres entassées : pas un souffle, pas un bruissement dans l'air; la nature oppressée ne respirait plus ; seul, notre brasier, nourri d'épinette sèche, pétillait, ronronnait et crevait de sa clarté le linceul funèbre qui nous couvrait de toutes parts. Le père Lenègre m'avait passé une perdrix lardée, cuite à point, et je n'y touchais pas; j'avais l’oreille ouverte vers Ie lac, et l'appétit refoulé 336 | LES POISSONS dans les talons. Paul devait apercevoir notre immense flambeau où se tordaient deux grands arbres représentant au moins une corde de bois ; pourquoi ne s’annonce-t-il pas ? — A-t-l pris le fusil ? demandai-je au père Lenègre. — Eh non ! me répondit-il. s'il l'avait pris, je comprendrais son silence ; c'est qu'il guetterait un ours, un gibier quelconque, mais il n’a que sa ligne, et... quelle heure est-il à peu près ? — Passé dix heures, je crois. — C'est un lac traître, reprit le père Lenègre, plusieurs chasseurs s’y sont perdus. c'est l’eau que je redoute. Juste à ce moment un eri sinistre, un cri d'appel au secours, un cri de mort, comme on dit vulgairement, se fit entendre par l’autre côté du lac, à une distance de près d’un mille. —Dieu soit béni ! dit le père Lenègre avec des larmes dans la voix ; on est toujours sûr qu'il n'est pas noyé. —Il n'est pas noyé, c'est vrai, mais 1l a crié comme une âmeen peine ; il faut lui répondre, Pierre. Le vieux trappeur poussa un how! hou! prolongé aux échos des montagnes ; puis il aviva les flammes du brasier de cinq ou six longerines d'épinette sèche. De n'importe quel point du lac, Paul devait apercevoir ce vigantesque flambeau et se diriger facilement sur sa lumière. Cependant, il y avait bien une demi-heure que nous étions là, Pierre assis près du feu, harassé, le front dans sa main, cognant des clous : moi debout dans la coupole lumineuse du foyer, l'œil ouvert vers la nuit épaisse, impénétrable, qui couvrait le lac, lorsque je perçus, venant de loin, un clapotis, un léger bruit de pagaie dans l’eau. C'était Paul qui ne tarda pas à émerger, avec son radeau, du fond de la bouteille à l’encre, où nous le croyions perdu sans retour. En touchant le rivage, il s’élance du radeau sur la grève, cravit le talus en deux bonds, et sans proférer une parole, il va se jeter de son long sur le lit de branches de sapin qu'éclaire et réchauffe notre brasier. J'allai m'asseoir près de lui, et le touchant à l'épaule, je lui dis : “ Paul, qu'as-tu donc ? veux tu une goutte de brandy, une tasse de thé, manger une bouchée ? Les perdrix sont excellentes.” Pas de réponse, pas un mot : seulement, il se pelotonna les bras plus fermes autour de la tête, nous tourna le dos, de manière à nous faire comprendre qu'il ne voulait rien voir, rien dire, ni rien entendre. Pierre se contenta de dire : “Il à vu quelque chose, une chasse-valerie peut-être, où bien 11 est malade, On ferait bien de le veiller. —C'est bien, lui répondis-je, tu es plus fatigué que moi, couche-toi pendant que je ferai le quart.” Le pauvre vieux, qui tombait de fatigue, LA TRUITE COMMUNE 337 se roula en rond de chien près du feu, et moins d’une minute après il ronflait à rendre jaloux les huahuarons les plus sonores du Tintareh. Paul passa la première partie de la nuit tourmenté par le cauchemar. Vers deux heures du matin, j'éveillai le père Lenègre pour lui faire attiser le feu et pour qu'il veillât à son tour. L'atmosphère humide, étouffante, présageait un orage prochain. Je m'endormis tout de même sans inquiétude sous la garde de notre guide, tout à fait remis de sa fatigue. Combien de temps notre somme dura-t-il ? Je ne saurais le dire, mais je m'éveillai aux éclats de rire de Paul qui retirait le père Lenègre d’une flaque d’eau noire comme l'encre, remplaçant le brasier si ardent quelques heures auparavant. Sauf un hoquet prononcé attestant chez lui la vie, le pauvre vieux n'avait rien dans la couleur qui permit de le distinguer des bûches carbonisées qui l’entouraient. Du reste, pas un brin de mal, en apparence. Qu'était-il arrivé ? Le père Lenègre, nous voyant endormis, aura entamé un bout de conversation avec de Xuyper où Molson, deux intimes de vieille date qu'il avait sous la main. L'orage l'aura surpris, pendant qu'il était sous le charme de leur éloquence, et croyant s’abriter sous la campe, il se sera roulé dans le brasier.... déjà éteint, heureusement. La face et les mains couvertes de charbon, le père Lenègre n'avait Jamais si bien porté son nom. — Mais dis-moi donc, demandai-je à Paul, qu'avais-tu hier soir ? Le père Lenègre prétendait que tu avais vu le diable ou que tu avais entendu passer une chasse-galerie. —Le père Lenègre ne s’est pas trompé : si je n’ai pas vu le diable, je l'ai du moins senti remuer sous mes pieds ; quant à la chasse-galarie, je J'ai si bien entendue qu’elle me tinte encore dans les oreilles. Mais as-tu vu ma pêche ? Viens au radeau que je te la montre. Nous descendimes au radeau échoué à la rive, et dans un grand baril d'écorce de bouleau servant de siège, je vis une quarantaine de truites de quatorze à quinze pouces de longueur : le baril en était presque rempli. —Où as-tu pris cela ? dis-je, émerveillé. —Je te montrerai l'endroit, ce soir, et tu comprendras pourquoi je suis arrivé hier, ici, presque sans connaissance et agissant comme un fou : d'ici là, nous irons par le rétréci pêcher dans les deux élargissements du nord et de l’ouest. Paul avait de l'expérience comme pêcheur à la truite ; il devinait les bons endroits : ce jour-là, le temps étant trop calme pour pêcher à la mouche, force nous fut de nous rabattre sur les vers, à notre grande humiliation. Car, autant il est galant, de bon genre, sportsmanlike, de pêcher la truite à la mouche, autant sa pêche amortie, au fond, est vulgaire et justement dépréciée. 29 339 LES POISSONS Barnwell dit, de bonne plume : “ Il n’y à qu'une manière de prendre la truite, c’est en la pêchant à la mouche ; quoique j'aie entendu dire que des braconniers ou des pêcheurs au baquet fassent usage de vers, minusses, et même du frai de ce poisson pour le capturer, je n'ai jamais voulu y croire. Ces infamies ne sont pas punies de mort ni même d’emprisonne- ment pour la vie, mais la législature étudie sérieusement la question, et ces pénalités seront sans doute introduites prochainement dans nos statuts.” Il y à d'innombrables règles applicables à la pêche à la truite, et d'innombrables exceptions à chacune d'elles ; ni le pêcheur ni le poisson ne sont infaillibles. “ La truite est un gobe-mouche, dit de la Blanchère, d’une adresse et d'une voracité qui déconcerte la raison. Tout ce qui se laisse aller à toucher les ondes est bon à prendre, aussi ne s’en fait-elle pas faute : elle bondit, elle glisse, elle retourne, elle évolutionne, en un mot, sans relâche : à chaque fois, ses longues dents s'entr'ouvrent pour happer une proie qu'elle ne manque jamais, et qui, sous la forme d’une mouche, semble indigne d'aussi formidables crochets. Mais tout fait ventre, dit le proverbe, et la truite le pratique à merveille. Il ne faut pas croire cependant que la truite passe sa vie à gober : non. Quand elle est repue, elle se repose, et passe dans un doux far niente le temps chaud du milieu de la journée. Elle fait ses deux repas comme un bon bourgeois, un le matin, un le soir. Elle ne se lève pas matin ; il faut que le soleil soit levé lui-même, qu'il ait permis aux insectes de sécher leurs ailes humides de la rosée matinale ; alors, les imprudents s’élancent... et la truite est là, comme la Parque fatale, ne manquant jamais son coup... Mais le pêcheur y est aussi, et qui crut prendre est pris. Elle fera ainsi la chasse jusqu'à dix ou onze heures, suivant que le soleil sera plus ou moins chaud, puis elle ira se reposer, et recommencera le soir, deux heures avant le coucher de son ami le soleil bienfaisant. A la nuit elle ira dormir ou bien faire encore quelquefois un petit tour à tâtons, au fond de l’eau, quand elle n’a pas assez dévoré ; ce que le pêcheur met à profit en lui tendant des lignes de fond qui rapportent les plus belles pièces. En hiver, dans nos climats rigoureux, sous le toit de glace qui la sépare du soleil, la truite conserve les mêmes habitudes régulières. Le matin et le soir on la pêche au ver ou à la chair rouge, de quelque pro- venance qu'elle soit, pourvu qu’elle soit d’un rouge appétissant. De nuit, il faut escher la ligne de fond d'un poisson vif, soit d’une petite truite soit d’un minusse quelconque. LA TRUITE COMMUNE 339 Après une journée de forte chaleur, surtout si le temps est couvert, la truite, qui s’est tenue tout le long du jour au fond des fosses, s’approchera des rives pour venir se désaltérer aux eaux fraiches et battues des ruisseaux de la montagne. Nous verrons tout à l'heure que c'est dans un pareil endroit que Paul avait fait sa pêche merveilleuse. FiG. 58. — La pêche à la Truite. La température a un effet extraordinaire sur ce poisson, et par-dessus tout sur sa disposition à manger. Avec le vent d'est et de nord-est la truite ne se prend pas facilement : elle a horreur des orages accompagnés de tonnerre ; les vents violents sont défavorables au pêcheur, de quelque 340 LES POISSONS côté qu'ils viennent. Pendant ‘et après des pluies douces, sans trop de vent, voilà le moment par excellence pour prendre la truite. Il faut éviter un ciel très clair, à moins qu'il n'y ait assez de vent pour soulever de fortes rides, et même alors, par un jour limpide, on prendra peu de truites. Au contraire, un temps sombre succédant à une nuit lumineuse est de bon augure pour remplir le panier, car les truites sont presque aussi timides dans une nuit éclairée par la lune que dans le jour : aussi, pendant ces nuits-là, elles ne chassent pas ; si done le lendemain le temps est couvert, la truite aura faim, se croira en sûreté et mordra âprement. Lors de la saison froide (hors l’hiver), pêchez seulement au milieu du jour ; dans la saison chaude, le matin et le soir. La soirée, en général, vaut mieux que la matinée, sans doute parce que les truites ne mangeant pas du tout pendant la chaleur, elles ont faim le soir ; au con- traire, si elles ont chassé librement pendant la nuit, elles sont moins fri- andes de l’amorce, le matin. L'heure qui précède la disparition du ceré- puscule, et celle qui la suit, si la nuit est très sombre, sont les plus favo- rables ; c'est le moment, d’ailleurs, où les plus gros poissons commencent leur tournée. Ayant avant tout pour principe la patience, la persévérance, ne vous découragez jamais : car il n’est pas de jour qui n’ait son heure favorable, son heure où la truite donnera ; d’ailleurs, un travail persistant dompte l'esprit et renforce les muscles. Le vent du sud, et spécialement du sud- est, à l'étrange effet d'assombrir la surface de l’onde et rend ainsi fructueuse la pêche dans les eaux claires ; le vent du sud-ouest est le plus favorable ensuite. En somme, nous pouvons dire que, sauf les vents du nord-est et de l’est, tout vent promet des chances de réussite. Faute de vent, nous dûmes nous résigner, Paul et moi, à pêcher au fond, avec un plomb et deux hameçons: nous eûmes un succès: nos esches ne plongeaient pas à deux pieds de profondeur qu’elles étaient déjà saisies et tiraillées en tous sens, et le plus souvent nous retirions deux truites à la fois, ce qu'on appelle une ramée. Encore novice à cette pêche, j'y prenais le plus grand plaisir, pendant que mon compagnon la traitait avec dédain. Je comptais les pièces : je soupesais les plus belles : à dix heures, j'annonçais déjà cinq douzaines. — Tu comptes cela ? me dit Paul, mais tu n’en emporteras pas une seule. — Et pourquoi pas ? — Parce que, ce soir, nous en prendrons de plus belles, de deux à trois livres, en plus grand nombre qu'il ne nous en faudra pour nous charger tous les trois. Revenus vers quatre heures à la campe, nous y prenons une bouchée et repartons tout de suite vers le théâtre des émotions de Paul, où nous arrivons un peu avant six heures. LA TRUITE COMMUNE 341 Après avoir échoué nos radeaux sur une grève de sable, nous nous acheminons à travers un bois touffu vers un bruit sourd venant de la montagne. Nous ne tardons pas à constater que ce bruit est causé par un ruisseau d’eau claire et froide courant vers le lac: “ Arrive ici!” me dit Paul. M’étant approché en tapinois, j'aperçus dans un bassin ovale d'environ quinze. pieds sur dix une masse grouillante de truites, de beaucoup plus belles que celles que nous avions capturées dans la matinée. Combien y en avait-il ? De vingt-cinq à trente mille peut-être, mais à coup sûr, pas moins de dix mille. Je leur allongeai ma mouche à travers les branches: aucune d’elles ne parut en faire de cas. “C’est inutile d'essayer de les pêcher,” me dit Paul, “elles ne mordront pas, car elles sont rassasiées d'insectes. Retournons au lac, voici l’heure où les grosses vont surgir du fond pour prendre leur bain d’eau fraiche. Celles-là sont en appétit, et tu vas voir si elles mordent: on dirait vraiment qu'elles font des provisions pour le temps d’un jeûne qui approche.” A peine le soleil avait-il disparu derrière les montagnes de l’ouest, que Paul, debout sur son radeau, fouettait déjà les eaux assombries du lac, en y faisant danser une mouche blanche et jaune. Au troisième ou quatrième coup de ligne, il avait déjà piqué une truite. “Je la tiens,” me dit-il, “et c’est une rôdeuse, je t’en réponds.” La ligne sifait en coupant l'eau en zigzags; l’eau bouillonnait par moments, quand le poisson venait se tordre à la surface. Paul tenait toujours bon; pendant que jadmirais son sang-froid et son adresse, lui, l'œil à l’autre bout de sa ligne, le bras en mouvement comme un ressort, tour à tour tordu ou relâché, était absorbé tout entier par cette lutte où le vainqueur n'est pas toujours du côté de la force et de l'intelligence : enfin, il amène sa proie, elle ne se défend plus que par instinct; enlevée, la voilà dans le panier : ouf ! saperlote ! quel coup de ligne ! On n'appelle plus ça une truite, c’est un vrai saumon. Celle-là devait être un chef de file, car à partir de ce moment la procession s'avança sur nous sans discontinuer,—ne se dérangeant qu'au bruit, au fracas que faisaient celles que nous teuions enferrées. Nous les entendions grouiller sous nos radeaux qu'elles frôlaient en se rendant à la décharge du ruisseau. Nos mouches n'avaient pas encore touché la surface de l’eau que trois ou quatre truites s’élançaient pour les saisir. On sentait qu'elles se battaient ensuite en dessous, pour les avoir. J’en perdis un grand nombre par préci- pitation ; la main exercée de Paul n’en manquait aucune. En deux heures J'usai quatre mouches, et Paul autant. A la fin, lassé à la tâche, j'aban- donnai la partie : j'avais les bras rompus, et les jambes me flageolaient : “ C’est assez, dis-je à Paul, allons-nous-en. —Soit, me répondit-il, mais comprends-tu maintenant, comment, étant seul, hier soir, et entendant les truites bruire sous moi par légions, 342 LES POISSONS pendant que des douzaines se disputaient ma mouche ou qu'une d'elles se tordait dans les dernières convulsions sous le fer de mon hamecon, comment, dis-je, je fus pris d’une panique soudaine, et comment, enfin, saisi, troublé, navré, je poussai un cri de détresse ? Je comprends parfaitemet, et n’en suis pas surpris. —Maintenant, ajouta-t-il, veux-tu entendre la chasse-galerie ? la nuit est noire : elle ne sera pas intimidée : le temps est calme, ses voix en seront plus nettes, plus retentissantes. — Va pour la chasse-galerie, répondis-je en riant. Paul fit entendre un cri d'appel puissant. Dix échos le répétèrent avec un crescendo réellement terrifiant, et le dernier, courant vers le sud sur la crête des montagnes, se perdit en des sons de centaines de clochettes au timbre argentin. De ma vie je n'avais entendu pareils échos. Paul répéta son cri avec les mêmes effets. Il me fallut reconnaître qu’un homme seul et non prévenu pouvait être effrayé de tes voix mystérieuses que se renvoyaient les montagnes, au sein d’une nuit profonde, calme et partant pleine de mystères. Nous retournâmes à la campe en nous dirigeant sur le brasier que le père Lenègre venait d’attiser en entendant nos cris. Une fois rendus nous comptâmes nos truites : nous en avions cent trente-six du poids de deux à trois livres. — Avec les deux cents que vous avez prises ce matin, dit le père Le- nègre, cela fait trois cent trente-six — une belle pêche, ma frine, ah oui, une pêche rare. — Quand je te disais, ajouta Paul, que nous battrions nos deux Anglais à plate couture ? Ils en ont pris vingt et une douzaines, mais nous, nous en avons vingt-cinq douzaines. | Le lendemain, nous en choisimes une trentaine des plus belles, dont nous fimes trois charges : avec nos ustensiles et nos fusils, nous en avions tout notre raide à les porter. Le père Lenègre fit une cache du reste, qu'il se promettait de venir chercher un jour ou l’autre en tendant des trappes aux castors, à l’autre bout du lac. (1) Il va sans dire que le produit de ces pêches, assez important en somme, ne figure Jamais dans les statistiques des inspecteurs de pêche. Non plus (1) Ceux de nos lecteurs qui seraient tentés de croire à une exagération n’ont qu'à lire l’entrefilet suivant emprunté à la Justice du 18 juin ISS7 — pour se convaincre qu'on peut renouveler de pareils exploits. MM. Gaspard Germain, George Delille, corroyeurs, et J.-E. Asselin, épicier, sont arrivés hier soir d’une excursion de pêche au lac à Philippe, près de Saint-Tite des Caps, et ils ont remporté la jolie quantité de cinq cent neuf truites, pesant en tout cent quarante-six livres. Quelques-unes des pièces mesurent quinze ponces de longueur. Ces messieurs n'ont été que deux jours dans leur voyage et n'ont pêché qu'à peu près neuf heures.” LA TRUITE COMMUNE 343 tiennent-ils compte des quantités consommées en certains endroits par les sauvages, qui en font un massacre déplorable en les gaffant sur les frayères dans l'opération de la ponte. Ce poisson vaut la peine d'être protégé entre tous contre le braconnage, et un jour viendra qui n’est pas loin où on déplorera sa destruction à laquelle nous assistons froidement. On nous dira que les sauvages n’ont, par certain temps, aucun autre moyen de subsistance. Eh ! c'est bien à cause de cela qu'il importe de leur apprendre à le ménager, surtout en leur faisant respecter les femelles sur les frayères et en leur donnant l'exemple. Le journal /« Presse, de Montréal, publiait le 23 mars 1895, l’article que voici : “ Nous avons déjà, en maintes occasions, parlé des dégâts qui se com- mettent dans les lacs au nord de Saint-Jérôme. Un de nos confrères, ie Nord, a lui aussi jeté le cri d'alarme, prédisant aux colons de cette ré- gion qu'ils détruisaient follement, pour un vil gain, ce qui pourrait, dans la suite, devenir pour eux une source inépuisable de richesses. La loi ac- tuelle, qui est très sage, défend de pêcher la truite, du ler octobre au ler mai. Pendant les mois d'octobre, novembre et décembre, ce poisson est occupé à frayer, et il est évident qu'on ne devrait pas le prendre à cette époque, si l’on veut en conserver et augmenter l'espèce. Une truite d’une demi-livre à ordinairement 500 œufs ; celles d’une à deux livres, environ 1,000 et 2,500 œufs. Il est donc de toute nécessité de ne pas troubler ce poisson quand il fraie et dépose ses œufs. “ Après la période de la fraie, la truite reste comme épuisée par les efforts qu’elle a faits pour propager l'espèce. Sa chair devient flasque et inférieure en goût. Quelle différence avec la truite que vous prenez en mai, juin et juillet ! Après qu'elle à jeté ses œufs son appétit est vorace ; la nature demande qu’elle répare le temps perdu ; elle mord à tout appât et c’est alors que les colons la pêchent à travers la glace, pêche qui, entre parenthèse, est sagement défendue par la loi des pêcheries. “ Des commerçants peu scrupuleux, déguisés en “ habitants ?, font le tour des concessions, voyageant la nuit, afin d'éviter d’être découverts, et achètent tout le poisson qu'ils peuvent trouver. Ils encouragent les sens à pêcher, les assurant que la marchandise est d'un débit facile, et que toute la truite qu'ils pourront prendre leur sera payée comptant. Avec un pareil système, il n’est pas surprenant que les plaintes pleuvent de tous côtés. On nous informe que chaque hiver il se prend ainsi des mili- ers de livres de ce délicieux poisson, et que depuis le commencement du carême surtout, certains hôteliers, à Montréal, se sont approvisionnés de truite prise pendant le temps défendu. Ajoutons-y la quantité énorme 344 LES POISSONS qui doit s'expédier clandestinement aux États-Unis, où ce poisson se vend de cinquante centins à une piastre la livre, et on aura une idée des dégâts qui se commettent. “ Les lacs où se fait cette pêche illégale sont situés dans les cantons d'Abercrombie, Morin, Howard, Beresford, Wolfe, de Salaberry, Clyde, Grandison, Joly, Marchand, Labelle, La Minerve et Loranger. Dans tous ces cantons, il y a un nombre immense de grands et de petits lacs où foisonne la truite. Mais, si personne n'arrête le dégat qui se commet actuellement, il est fort à craindre qu'avant peu d'années il n’y ait plus de poisson à protéger. “ L'état actuel des choses est encore aggravé par le fait qu'il y a conflit de juridiction entre le gouvernement fédéral et celui de la province de Québec. Pendant que le premier réclame le droit de faire des règlements pour la protection du poisson et nomme des gardes-pêche qui sont censés les mettre en force, le second s’arroge le contrôle des eaux, se basant sur un jugement de la cour suprême — “Queen vs Robertson” — qui, prétend-il, lui donne ce droit. Jusque-là le mal ne serait pas grand, s'il y avait entente entre les deux gouvernements, et si l’on voulait bien voir à ce que la loi fût appliquée d’une manière efficace, afin que le poisson soit protégé. Mais 1! est loin d’en être ainsi. Le gouvernement fédéral a bien deux gardes-pêche résidant, l’un à Saint-Sauveur et l’autre à Sainte- Adèle; mais il est notoire que ces deux officiers sont impuissants à prévenir ou empêcher le mal. “ Dun autre côté, le gouvernement provincial laisse faire, se contentant de dire que puisque le gouvernement fédéral juge à propos de faire des lois pour la protection du poisson, c'est à lui de les faire observer. Æ4 nunc erudimini, gentes ! a “ Tout cela pourrait prêter à rire, si la chose n'était pas aussi sérieuse. Il fut un temps où le poisson fourmillait dans les lacs, en arrière de la Baie-Saint-Paul, de la Malbaie, de Kamouraska, Cacouna, Rimouski, etc. On partait le matin, au petit jour, pour revenir le soir “avec sa charge,” comine disent nos gens. Allez-y voir maintenant! A l'heure qu'il est, quand ces endroits sont fréquentés chaque saison par un grand nombre de touristes, quelle plus grande attraction pourrait-on leur offrir que celle de la pêche à la mouche ? “Malheureusement, le poisson y a été tellement détruit que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Sur tont le parcours du chemin de fer, au nord de Saint-Jérôme, il y à de charmants endroits où les citoyens de Montréal bâtiront sous peu des résidences, afin d'y aller passer deux ou trois mois pendant la belle saison. Pourquoi ne pas protéger le poisson de ces lacs et augmenter la source de jouissances que nos citadins en retireront ? LA TRUITE COMMUNE 345 “Maintenant, se demandera-t-on, quel est le remède au mal ? Il est bien simple. La loi actuelle est sage et opportune : elle sauvegarde les intérêts du colon aussi bien que ceux des sportsmen. Qu'on prenne les moyens de la faire observer. Qu'on nomme des gardes-pêche intelligents, honnêtes et industrieux dans les localités où il en faut: qu'on fasse surveiller les lacs, les stations de chemins de fer et les endroits d’où la truite s'expédie ordinairement ; qu'on confisque le poisson pris en temps défendu ; qu'on impose de fortes amendes, et quand les commerçants s’apercevront que le trafic devient dangereux, ils ne tarderont pas à l’'abandonner. Nous sommes bien certain que si quelques-uns de ces individus tombaient sous l’action du juge Dugas, qui est un “grand pêcheur” devant Dieu et devant les hommes, ils ne s’en tireraient pas les mains nettes. Les colons ne trouvant plus d'acheteurs à leur porte cesseraient de pêcher pendant le temps défendu, et tout rentrerait dans l’ordre. “ D'un autre côté, le gouvernement local a son devoir à remplir. Il im- porte qu'il encourage la formation de clubs de chasse et de pêche. Ces clubs sont d'un grand avantage pour la protection du gibier et du poisson, tout en favorisant les pauvres colons à qui ils donnent un emploi rémunératif et qu'ils paient comptant par les provisions qu'ils achètent. Ces clubs sont aussi des gardiens spéciaux qui ont pour mission de voir à ce que les poissons des lacs soient protégés. Il existe plusieurs de ces clubs en divers endroits de la province ; le nombre pourrait en être quintuplé avec avan- tage. On a peu d'idée du bien que de telles associations ont fait dans les comtés d'Ottawa et de Pontiac. Les lacs de cette région étaient presque complètement ruinés par la pêche d'hiver, quand le Bureau des terres se mit à les louer à différents clubs. À l'heure qu'il est, il n’y a pas moins de quinze à dix-huit associations de ce genre sur le parcours des chemins de fer de Pontiac et de la Gatineau, et le nombre en augmentera quand la ligne sera ouverte jusqu'au Désert. Il ne se voit plus de truite prise en temps défendu sur les marchés d'Ottawa, ni dans les hôtels. Les colons comprennent que leurs meilleurs amis sont les sportsmen qui les paient généreusement pour tout ce dont ils ont besoin. Il en sera de même pour le Grand Nord si l'on veut bien adopter les moyens que nous venons de suggérer.” Pour la truite libre ou sauvage de nos lacs, l'été s’est écoulé dans une noce perpétuelle, dans des jouissances sans cesse renouvelées, toujours vives autant que variées. Gourmande, elle trouve à sa portée, dans le cristal des eaux, des mets abondants et savoureux, sous forme de blanchaille ou d'ablette de toute description, des insectes à foison, des buissons d’écrevisses, à demande, tout cela apprêté à la Vatel ou à la Brillat-Savarin. Le dessert se prend sur la nappe des eaux, comme à la 346 LES POISSONS voltige, affaire d'attraper une mouche, une manne, une libellule, une araignée, un papillon ou une chenille peut-être. Oh : c'est un vrai festin de reine ! Puis, elles vont faire la sieste, au fond, sous ces longues herbes enlacées en parasol, en dôme, tendues contre les rayons du soleil, et la vague murmurante les endort sur un lit de sable doré. Vous les voyez en troupes de même taille, des compagnes, des amies d'enfance, passer d’un taillis à un bocage sous-marins, s’arrêtant par endroits pour prendre langue, s’enquérir des lieux, jouir de la vue d’un paysage pittoresque, ou se mettre sous la dent quelques gardons appé- tissants. Et le soir, on se rend au casino, pour avaler force sorbets que leur verse la chute voisine, gracieuse naïade qui descend de la montagne, au-devant d'elles, son urne à la main, en robe blanche, et couronnée de fleurs et de fruits. Ce dolce farniente se prolonge, par une succession ininterrompue de piques-niques, de courses à l'aventure, de bonds hardis hors de l’eau, à la happe, à la gobe des mouches, se terminant parfois, hélas! par un enlèvement violent qui rejette meurtris au fond d'une srossière embarcation, ces sybarites habitués aux molles caresses des flots. Cela n'empêche pas les compagnons de continuer leurs joyeux ébats, comme si de rien n’était. Ils ont l'instinct de la conservation, mais ils ne sauraient comprendre la mort nien manifester de regrets. Pourtant, ils sont susceptibles d'apprendre ; dans les cours d’eau fréquentés par de nombreux pêcheurs les poissons deviennent défiants, éventent les amorces dangereuses, contournent filets et verveux comme en narguant les pêcheurs, et vont jusqu'à flanquer un coup dé queue aux esches les plus appétissantes. La plupart des poissons aiment vivre en société, mais sans esprit de corps : au lieu de s'entr'aimer, de se protéger, ils sont plutôt portés à s'entre-dévorer. Voici venir les froids d'automne ; la chaleur de l'été, emmagasinée dans les lacs et les cours d’eau s'échappe en vapeurs épaisses qui dessinent au matin, leurs contours dans le ciel, comme sur une vaste carte géographique. Les longues vacances de la truite commune sont terminées, et l'heure de l'amour — qui pour elle est l’heure du devoir et du travail — va sonner. Vers le douze ou le quinze septembre, on les voit remonter les ruis- seaux, gravir des chutes assez élevées, pour se rendre au lit de gravier où elles ont vu le jour, où leurs petits sont nés, où de nombreuses générations se multiplient, parfois, autour d'eux ; car la truite, comme le saumon, revient toujours, soit à son berceau, soit à son nid, si aucun obstacle infranchissable ne s'y oppose. Arrivée à l'endroit propice, ayant une profondeur d’eau de deux à trois pieds, avec un courant modéré passant sur un lit de gravier fin, la truite femelle chargée d'œufs commence par nettoyer la place des cailloux trop gros qui la gênent et pourraient rouler sur son nid en écrasant ses œufs: elle les pousse du museau ou les LA TRUITE COMMUNE 347 transporte dans sa bouche. Après cette première opération commence le creusage du sillon qui se fait aussi au museau, à deux ou trois pouces de profondeur, et sur une longueur variant suivant les lieux ou la quantité d'œufs à déposer. Le sillon étant creusé et en bon état, la femelle fait sa ponte en quelques instants, et dès que le mâle l'a honorée, ils se hâtent tous deux à qui mieux mieux, du museau, de la caudale et de l’anale, de couvrir les œufs d’un gravier fin, sans le tasser, afin de permettre à l’eau et à la lumière, leurs seuls incubateurs, d'y pénétrer à l'aise. Le plus habituellement, les femelles sont suivies de plusieurs mâles, petits en général, dont plusieurs accourent pour féconder et parfois pour dévorer les œufs qui vont être pondus. Si un sillon ne suffit pas, on en creusera un, et même deux autres à côté, suivant le besoin. Car, la quantité d'œufs varie selon le poids de la femelle. Une femelle de deux livres portera de huit cents à un millier d'œufs, une femelle de quatre livres, de quinze cents à deux miile œufs, pendant que l'humble truite de bruyère, blottie dans une ornière, dans une rigole, ne pesant qu'une demi-once, produira de cinquante à soixante œufs, aussi fière toutefois d’être mère que la grande dame des lacs, sa congénère, habitant les limpides réservoirs de la montagne. Au Canada, le temps du frai commence à la mi-octobre, et dure jusqu’à la fin de janvier, un espace de temps d'environ trois mois, durant lequel la loi couvre ce poisson d’une protection beaucoup plus qu’effective. Le temps de l’éclosion dépend absolument de la tempétature de l’eau. D'après M. Aimsworth, les œufs écloront dans cent soixante-cinq jours, à une tem- pérature de 37° ; dans cent trois Jours, à 41° : dans quatre-vingt-un jours à 44° ; dans cinquante-six jours, à 48° ; dans quarante-sept jours, à 50% : dans trente-deux jours, à 54° ; etc. D’après Seth Green, les œufs éclosent en 50 jours, à 50° ; tout degré plus élevé ou plus bas faisant une diffé- rence de cinq jours en plus ou en moins. La truite frayant dans des eaux claires et peu profondes, soit dans nos lacs ou nos étangs bien clos, soit dans les cours d'eau des montagnes, des observateurs ont pu pénétrer dans sa vie intime et surprendre les secrets de ses amours. Cela nous a valu la splendide découverte de la repro- duction artificielle par Gehen et Remy, deux pauvres pêcheurs français sans instruction qui n’en figurent pas moins au rang des grands natura- listes et qui seront à jamais bénis pour le bienfait dont ils ont doté l'hu- manité. Ce sujet à mérité l'attention de plus d’un poète, qui en ont tiré de délicieux tableaux, entre autres celui-ci, que je traduis de M. James W. Miles, un savant américain : “ Pour faire sa cour, le mâle prodigue les attentions les plus galantes et les soins les plus délicats. On le voit aller et venir au-devant de sa 348 LES POISSONS maîtresse, déployant ses grâces, étalant son brillant costume de noces, pendant que, tranquille et comme rêveuse, elle tient tête au courant en n’agitant ses nageoires que juste ce qu'il faut pour ne pas se laisser entraîner. À Waterville (Wisconsin) j'ai eu l’occasion d'observer leurs agissements. Un couple de belles truites avait choisi, pour y faire son nid, un endroit près de la rive du ruisseau où il y avait environ dix pouces d’eau. Au moyen de sa queue et de l’anale, la femelle avait nettoyé le gravier du limon qui le couvrait, et 1l brillait au soleil de tout l'éclat de la propreté ; elle avait déjà tracé un sillon, lorsque mon arrivée soudaine sur la rive la fit abandonner ses travaux et s'éloigner précipi- tamment, suivie du mâle. Je me cachai alors derrière une touffe d’arbousiers d’où je pouvais les observer à souhait sans les effrayer. Le mâle revint le premier pour s'assurer de l’état des choses, et après avoir constaté qu'il n'y avait plus personne sur la rive, qu'il n'y avait rien à Fi. 59. — (Eufs et alevin de la truite, avec vésicule ombilicale. craindre, il retourna vers sa belle pour l’engager à revenir au nid ; mais il fallut la solliciter pendant plus d’une demi-heure avant qu'elle se décidât. À demi cachée sous les herbes marines, à quelque distance de son brillant chevalier, elle hésite, elle doute que le danger soit disparu : et lui, sous sa parure de noces, ne cesse d'aller et venir, du nid à sa maitresse, et de sa maîtresse au nid, en se frôlant contre elle, pour aller ensuite faire un circuit qui l'amène jusqu'auprès de la rive, comme pour lui montrer qu'elle n’a rien à redouter en s'en rapprochant. Tant d'empressement et de zèle eurent leur récompense: la belle finit par revenir au nid.” On à vu que les œufs de la truite sont comparativement peu nombreux. Il ne manque pas de poissons de plus petite taille qui portent dix fois autant d'œufs ; mais il faut tenir compte de l'extrême grosseur de ces LA TRUITE COMMUNE 349 œufs. Il faut bien qu'ils soient ainsi, puisque l’alevin, sorti de l'œuf, le conserve encore attaché au nombril, comme sac de provisions, pendant trente, quarante, et parfois jusqu'à quatre-vingts jours. Tant que cette vésicule ombilicale n’est pas résorbée, l’alevin ne prend aucune nourriture. Il est discracieux à voir à cette époque de sa vie; on dirait qu'il est infirme d'une monstrueuse hernie, ou bien que, craignant de se noyer, il s’est muni d’un appareil de sauvetage. C’est simplement un enfant que sa mère prudente à chargé d’un lourd sac de provisions, à son départ pour un long voyage à travers des pays inconnus. L'entendez-vous sangloter, cette pauvre mère : Ici, commence ton voyage, Si tu n’allais pas revenir ? DE LA PÉCHE A LA TRUITE COMMUNE Il n'existe qu'une seule manière de faire la pêche à la truite commune, c’est de la pêcher à la mouche. Tendre une ligne au fond, chargée d’un plomb, eschée d’un lombrie, de chair rouge, d’un insecte, c’est de la tuerie plutôt que de la pêche, c'est surprendre un ennemi sans défense, lâchement, par derrière. Vous donnez à manger à la pauvre bête dévorée d’appétit, et dans la bouchée qui doit la nourrir se trouve le poignard qui la tue. Ne me parlez pas de ces lignes traîtresses et Tâches. Autant vaut la câblière, autant vaut le verveux ou la seine. Voyez cette mouche prisonnière, aux ailes éclatantes À laquelle le pêcheur imprime une courbe savante qui semble la faire glisser des hauteurs du ciel ! L'attaque a réussi, la truite est trompée, elle bondit, s’élance franchement sur le coup. Elle n’a pas saisi l’insecte, mais elle l'attend, elle le guette, et du second bond la malheureuse s’enferre et se trouve forcée de lutter pour la vie. C’est là que s'engage le vrai combat entre le petit poisson et l’homme, que l’un déploie toute sa vigueur, ses ruses, ses détours, soit en cherchant sa liberté dans l'air, soit en enroulant la ligne autour d'un caillou pour la scier à ses angles, soit en se blottissant derrière une racine, où elle s'appuie pour déchirer ses lèvres, pendant que l’autre, l’homme, s'inspire de tous ses sens, de toutes ses passions, pour dérouter la pauvre petite, pour amortir ses élans, déjouer ses ruses, user ses forces et l’amener à ses pieds agonisante dans les mailles de l'épuisette. C’est de la pêche cela. Eh oui, parlez-moi de cette pêche, avec la mouche du jour, la pêche qui commence à la fleur du prunier et finit quand rougit la joue de la pomme. 390 LES POISSONS Les aborigènes du Canada pêchaient à la nasse fabriquée en osier mais le plus souvent ils avaient recours à des loutres apprivoisées pour s’'approvisionner de truites. Après avoir muselé leur loutre dressée de longue main à cette pêche, ils la lâchaient dans le lac voisin, d’où elle ne tardait pas à rapporter une première proie, suivie bientôt d’une seconde, puis d’une troisième ou plus, Jusqu'à ce que le sauvage jugeât à propos de récompenser le travail de la hardie pêcheresse, en lui abandonnant un poisson pour sa réfection. Encore aujourd'hui, la pêche à la truite ne se pratique pas autrement au Japon, à cette différence près que la loutre y est remplacée par le cormoran. Connaissez-vous Gifu ? Gifu est une préfecture et une station de chemin de fer, à une heure de Nagoya, la capitale de la province d'Owari. On y fabrique des crêpes, des lanternes et des parasols ; on y trouve des spécimens de ces petits chiens japonais, “chiens” si recherchés en Europe : mais, avant tout, on y élève des cormorans et on y utilise le talent de ces oiseaux en faisant de la capture de la truite un sport et un objet de commerce pendant tout le mois de juillet. C’est l’époque où le “haï ”, petite truite blanche, à la chair exquise, se montre et remplit les nombreux cours d'eau qui arrosent le pays du soleil levant. On le trouve partout, ce haï, à Kioto comme à Kobé, dans les hôtels comme sur la table des riches Japonais ; mais, quoi qu'on ait essayé, il n’y a qu'une école de dressage des cormorans, et c’est à Gifu seulement, dans le Nagara Kawa, que les amateurs peuvent s'offrir le luxe d’une pêche fantastique. Pas de préparatifs, d’ailleurs, pour le touriste. Le décor ne change pas et, quel que soit le jour auquel on se présente, on peut être sûr de la représentation. Peu à peu la nuit se fait, les barques s’illuminent avec des lanternes de couleur ; un à un viennent s'échouer les pêcheurs à côté de vous, et, à la lueur d’un grand bivouac allumé à terre, dans chaque bateau de pêche, deux hommes procèdent à la toilette des oiseaux. Il y en à vingt-quatre par bateau dans un grand coffre. Un des hommes extrait le cormoran par le cou et, pendant qu'il le tient ainsi suspendu, il le caresse ou plutôt le chatouille de façon que, sans aucune résistance ni mouvement, l'oiseau se laisse attacher à la patte la corde qui, le tenant sous le ventre, vient se terminer par un anneau destiné à arrêter le passage du poisson de la gorge à l'estomac. L'opération totale dure une vingtaine de minutes. Pendant ce temps, sur une potence mobile, à l'avant de chaque bateau, s'allume un brasier de bois et de paille qui jette sur la rivière des lueurs intenses mais inégales. Les hommes sont à leurs postes, les cormo- rans à l’eau courant de-ci de-là, agités, nerveux, au milieu des flammèches qui tombent du brasier. Quatre pêcheurs seulement par bateau. Celui de LA TRUITE COMMUNE , 31 l'arrière godille et gouverne ; par le travers, le second, armé d’un aviron, pousse sur le fond, sur les banques ou sur les roches, de façon à assurer la direction convenable. Aux deux extrémités, debout, bien en vue, celui de l'avant presque dans la flamme, les deux maîtres-pêcheurs, chacun conduisant ses douze cormorans, tenant la corde mère qui aboutit aux douze cordelets. Une sorte de murmure mélodieux excite les cormorans ou les rappelle au devoir. Ceux-ci, cependant, sont tous de vieux limiers connaissant leur affaire. Le conducteur les suit de l'œil et débrouille admirablement ses cordes de façon à les tenir claires en dépit des évolutions multiples des oiseaux. On dirait une meute aquatique, mais docile, dressée. Les oiseaux sont faits au bruit, à la flamme ; ils nagent, plongent, reparaissent la tête haute, l’œil brillant, et chaque fois avec un poisson en travers du bec, qu'ils se hâtent de faire disparaître pour plonger de nouveau, en reprendre un autre ou peut-être pour jouir plus longtemps d’une capture qu'ils savent n'être que provisoire. Le maître est là, en effet, qui ne les perd pas de vue, se rend compte de la grosseur inusitée que prend le cou de l'animal et, sans se départir un instant de sa surveillance, il tire viverent à lui celui qu'il croit le plus riche en butin, le prend par le cou, lui baisse la tête et, par une simple tape, lui fait dégorger instantanément sa part de prise au fond du bateau. Cinq secondes à peine et le cormoran est rejeté sans égard à l'eau, furieux, humilié, plongeant aussitôt pour se venger sur quelque nouveau poisson de la déception dont il vient d'être victime. Vite, un nouvel oiseau est tiré à bord. Et la pêche continue, les bateaux toujours emportés par le courant au milieu des cormorans agités, fiévreux, qui plongent, à la lueur fantastique des lanternes et des brasiers, pendant que les guitares font entendre leur musique, que les pêcheurs susurent leurs cris d'encouragement, sans qu'il y ait d'arrêt, d’obstacle, d'incident. C’est un agencement parfait de la part des oiseaux, des pêcheurs et des bateliers. Puis, brusquement, en face d’une île ou d’une maison, les barques des visiteurs s'arrêtent toutes à la fois, virent de bord, et, pendant que les brasiers disparaissent dans le lointain, les coquettes embarcations, qui laissent encore échapper leurs chants de plaisir, remontent lentement vers leur point de départ, le grand point dont on aperçoit bientôt les lumières. Le spectacle à duré trois quarts d'heure, un rêve de quarante- cinq minutes, dont on se réveille avec peine. Et, le lendemain matin, quand vous quittez l'hôtel de Gifu, et que le propriétaire, après une dernière génuflexion, dans le compliment d'adieu, vous tend le petit cadeau traditionnel, au lieu du tunnel et du train de chemin de fer que l’aubergiste de Nagoya à fait peindre sur l'éventail 352 LES POISSONS de rigueur, vous trouvez, sur le souvenir symbolique de Gifu, le pêcheur de cormorans, debout, éclairé par la lueur du brasier, tenant en laisse onze oiseaux qui nagent et faisant rendre gorge au douzième des “haï” que le gourmand avait eu la prétention de s'approprier. Quant au poisson lui-même, si vous croyez ne pas l'avoir suffisamment apprécié sur la table de lhôtel, vous n'étonnerez pas les Japonais en demandant à apporter votre part de pêche sous la forme de quelque bourriche. Enfin, si vous voulez un souvenir plus durable, entrez chez le grand fabricant de lanternes, l'eshigawara Favjiro, qui vous tendra malheu- reusement, comme un homme au courant des choses modernes, un véritable prospectus rédigé en anglais, dans lequel sont relatés les inventions et les perfectionnements dont il se déclare l’auteur avec aussi peu de modestie qu'un Mangin européen. Ne vous arrêtez pas à ce boniment, et, tout en rejetant cette attache trop civilisée, achetez-lui pour votre antichambre quelques-unes de ces charmantes, véritables œuvres d'art, à double enveloppe de papier, sur lesquelles des peintures très finement détaillées vous rappelleront chaque soir la pêche des cormorans de Gifu. PORTRAIT DE LA TRUITE COMMUNE Après avoir étudié consciencieusement les auteurs en renom qui ont parlé de la fruite, je me suis arrêté au portrait suivant qui me paraît rendre aussi exactement que possible les traits de la truite commune, dû à la plume de Brehm. “ La truite commune, très connue de tous les pêcheurs, a le corps généralement comprimé, médiocrement allongé, couvert de petites écailles. En dessus, la tête est large ; elle est forte, le museau est gros, obtus, plus ou moins arrondi, la bouche largement ouverte, la mâchoire supérieure étant ordinairement plus avancée que l'inférieure ; les deux mâchoires sont garnies de dents crochues. La dorsale se compose de trois ou quatre rayons simples et de neuf à onze rayons branchus, l’anale de trois rayons simples et de sept à neuf rayons divisés ; chez les individus jeunes, la caudale est fourchue, tandis qu’elle est coupée à peu près carrément chez les individus adultes. Rien n’est variable comme le système de coloration ; la nature des eaux, le fond, l'alimentation, la température exercent une influence des plus marquées sur cette coloration et sur la taille. “ On est embarrassé, écrit Ischudi, lorsque l’on veut indiquer la coloration de la truite de LA TRUITE COMMUNE 393 rivière. Souvent le dos est tacheté de noir sur un fond olivâtre, les flancs étant jaune verdâtre ponctués de rouge avec des reflets dorés, le ventre étant d’un gris blanchâtre, les nageoires abdominales d’un jaune clair, Parfois la couleur sombre domine, sans que l'animal soit pour cela tout à fait noir. La plupart des truites des Alpes sont ornées de taches noires, rouges ou blanches ; souvent c'est la couleur jaune qui domine, d'autres fois c’est la couleur rougeñtre. Les variations sont telles que les pêcheurs des Alpes désignent les variétés sous le nom de truites argentées, dorées, blanches, noires, truites de pierres, truites de forêts, sans qu'on puisse tracer une limite entre toutes ces variétés qui passent les unes aux autres. Les pêcheurs croient généralement que la couleur dépend de la nature de l’eau dans laquelle vivent les truites ; cette coloration est assez constante dans ces mêmes cours d’eau, c’est ainsi que dans l’Aa d’'Engelberg les truites sont géné- ralement tachetées de bleu, tandis que dans l’Erlenbach presque toutes sont tachetées de rouge. En général, plus l’eau est limpide plus la couleur est claire. Il en est de même de la couleur de la chair qui, chez les truites dorées, ponctuées de jaune et de rouge, est rougeâtre. Les truites du lac Blanc sur la Bernina, dont les eaux offrent une truite presque laiteuse à cause du sable et des eaux des glaciers qui y sont apportés, sont toutes de teinte plus claire que les truites qui habitent près de là dans le lac Noir, dont le fond est vaseux. Les truites pêchées dans ces deux lacs ont la chair blanche, tandis que les truites du lac de Paschiano ont la chair d’un jaune rougeâtre. Saussure rapporte que les petites truites pâles du lac de Genève ont des points rouges lorsqu'elles remontent dans certains ruisseaux du Rhône, tandis que, dans d’autres ruisseaux, elles deviennent d’un vert noir, tandis que dans d’autres encore elles restent blanches. On a vu des truites conservées dans des rivières devenir brunâtres ou prendre des bandes sombres transversalement disposées sur le dos, cette coloration disparaissant rapidement lorsque Fanimal est placé dans une eau vive et courante. Dans le lac de Sentis, qui communique vraisemblablement avec un lac souterrain, on voit un grand nombre de truites d’un gris blanchâtre. Il faut bien distinguer entre les légères nuances de coloration et la distribution des diverses couleurs sous forme de bandes ou de raies; celles-là changent souvent suivant les diverses conditions dans lesquelles se trouve l'animal, tandis que celles-ci restent constantes. Non seulement la nature de l’eau, mais encore la saison, la lumière, l’âge du poisson ont une grande influence sur sa coloration. On remarque chez les truites de rivière une parure de noces spéciale, qui apparaît surtout lorsque l'animal est excité.” 23 354 LES POISSONS La taille à laquelle arrive la truite ne varie pas moins que sa colo- ration. Dans les petits ruisseaux à courant rapide où la truite est obligée de se contenter d’une faible quantité d'eau elle atteint tout au plus un poids de un kilogramme : dans les eaux profondes, au contraire, et lorsqu'elle trouve une nourriture abondante, elle peut arriver à une taille de Om, 60, et peser jusqu'à sept et huit kilogrammes. On prend accidentellement des animaux d’une grande taille ; c’est ainsi que Yarrell mentionne la capture d’un mâle pesant quinze kilogrammes et mesurant Om, 88. Blanchard mentionne la capture d’une truite de douze kilogram- mes dans l'Eure ; Meckel rapporte que l’on pêcha, en 1851, dans le Fischa, à Wiener Neustadt, un individu long de Om, 92, haut de Om, 24; Valen- ciennes parle d’une truite qui atteignit Lim, O4. On peut affirmer que des géants de cette taille doivent être bien âgés. Beaucoup de pêcheurs pensent que la truite vit une vingtaine d'années ; plusieurs observations montrent que cet animal peut vivre plus longtemps. Oliver rapporte qu'une truite put être conservée pendant vingt-huit ans dans le fossé d’un château, et qu’elle était devenue tout à fait familière, Mossop cite une truite qui vécut dans de semblables conditions pendant cinquante-trois ans. MŒURS - DISTRIBUTION GEOGRAPHIQUE La truite commune se trouve dans toute l’Europe, depuis le cap Nord jusqu’au cap Tarifa; elle existe également dans l'Asie Mineure et sans doute dans d’autres parties du continent asiatique. La truite aime une eau claire, froide, venant des lieux élevés, coulant avec rapidité sur un fond pierreux ; aussi la trouve-t-on dans toutes les eaux de montagne, dans les rivières et les ruisseaux; aussi bien que dans les lacs, pourvu que ceux-e1 soient alimentés par des sources abondantes ; la truite se prend rarement dans les eaux stagnantes dont le fond est boueux ; il lui faut une eau très aérée. Dans les Pyrénées, d’après Ramond, la truite s'élève jusqu'à lalti- tude de 2,270 mètres ; dans les Alpes, d’après Iscundi, jusqu'à celle de 2.000 mètres au-dessus de la mer, à une altitude plus élevée la surface des lacs étant couverte par la glace pendant presque toute l’année. La truite se trouve cependant dans le beau lac de Lucendro, au Saint-Gothard où le Reuss prend sa source à trente mètres plus bas; elle vit dans la plupart des lacs de la Suisse et de la Savoie, dans le lac de Mure, à la frontière du Tannen, dans le lac alpestre situé près de Stockholm. Fait LA TRUITE COMMUNE 309 à remarquer, la truite habite presque toujours les lacs qui ont un écou- lement visible et rarement ceux qui s’'écoulent sous terre. On ne sait vraiment comment sont venues les truites qui habitent certains lacs séparés de la plaine par des chutes d’eau absolument infranchissables. Pour les lacs d'Obersee et d’Olegisee situés à 1,400 mètres d'altitude, pour celui d'Engstlensee situé à 1,800 mètres et pour quelques autres encore, nous savons que la truite a été introduite par l’homme. La truite est à la vérité un poisson robuste, qui peut remonter de rapides courants et sauter à une grande hauteur ; mais il existe cependant quantité de lacs où il est de toute impossibilité que, dans les conditions actuelles, les truites aient pu remonter de la plaine. Les grandes chaleurs peuvent incommoder la truite : aussi la voit-on souvent en été quitter les eaux échauffées pour remonter vers des eaux plus froides. Cela est tel que, dans la péninsule ibérique, la truite se trouve dans la Sierra-Nevada, à 3,000 mètres au-dessus de la mer. “ Malgré de nombreuses observations, écrit Techudi, le genre de vie des truites n'est pas encore complètement connu; on ne sait pas d’une manière certaine pourquoi et jusqu'où elles vont des lacs dans les cours d’eau. Les truites semblent redouter les eaux troubles des glaciers, tandis qu'elles recherchent l’eau froide des sources. En Suisse, sitôt que la neige - et la glace commencent à fondre et que les torrents deviennent troubles, elles abandonnent ces eaux et nagent en troupes vers d’autres eaux, descendant un cours d’eau dans certains points,le remontant en d’autres. Elles se trouvent, par exemple, dans le lac de Genève, arrivant des rivières collatérales du Rhône, y passent l'été, remontent le Rhône en automne et fraient dans les cours d’eau qui se déversent dans le fleuve. D’autres observations contredisent absolument celles que nous venons de rapporter ; de nombreuses truites vivent dans les lacs alpestres alimentés seulement par des eaux venues des glaciers, et on en trouve dans des torrents qui sont presque exclusivement alimentés par de l’eau prove- nant de la fonte des neiges et des glaces.” Jurine à remarqué que les truites du lac Léman descendent le Rhône à Genève et le remontent au Bouveret. La truite, douée d’une grande puissance musculaire, peut nager contre la direction des eaux les plus rapides avec une étonnante vitesse : c’est surtout la nuit que ce poisson se déplace, ou tout au moins à la tombée du Jour ;ilse cache volontiers sous les pierres et les rochers qui surplombent le long de la berge ou dans des trous de fosses plus ou moins profondes, Lorsque tout est tranquille autour d'elle, la truite quitte sa retraite, se tient la tête au courant, à la même place parfois longtemps, agitant dou- + 356 LES POISSONS cement ses nageoires, puis tout à coup elle fond comme une flèche, soit qu’elle aperçoive une proie, soit qu'elle veuille se dérober ; lorsqu'elle a choisi une retraite, adopté une place, il est rare qu'elle n’y retourne pas ; la truite est, en effet, un animal d'humeur farouche et d’une prudence extrême. Ce poisson chemine en aval du courant de deux manières différentes, en se laissant lentement entrainer, la tête dirigée contre le courant, ou bien il fond à travers l’eau avec une telle rapidité que la vitesse de sa course dépasse de beaucoup celle du courant. Tant qu'elle est calme, la truite est toujours aux aguets, surveillant avec la plus grande attention tout ce qui se passe autour d'elle; si un insecte, gros ou petit, s'approche de l'endroit où elle se tient, elle reste immobile jusqu'à ce que sa proie soit à portée; par plusieurs coups vigoureux de sa nageoire caudale, elle se jette alors sur sa proie et la déglutit. Lorsqu'elle est jeune, la truite fait la chasse aux vers, aux insectes et à leurs larves ; plus âgée, elle s'attaque aux poissons, à leurs œufs, car elle est très vorace ; la truite se nourrit également d’éphémères et de phryganes qu’elle saisit avec adresse lorsqu'elles voltigent auprès de la surface de l’eau. Pour la truite de nos lacs, l'été s’est écoulé dans une noce perpétuelle, dans des jouissances sans cesse renouvelées, toujours vives autant que variées. Gourmande, elle trouve à sa portée, dans le cristal des eaux, des mets abondants et savoureux sous toute forme. SE RTE AXES PS +2 se CRU . LA TRUITE DE MER 357 LA TRUITE DE MER La Truite de Mer, — Trutta argentea. — La Truite saumonée. — The Sea Trout of Europe. —- The Canadian Trout (Perley). — La Truite à tête d’acier de la Colombie Anglaise. Après le salmo salar, la truite de mer à occupé le premier rang parmi les salmonés jusqu’à l'exploitation des saumons de l’océan Pacifique. On la nomme truite saumonée, parce qu'elle vit alternativement, comme le saumon, dans les eaux douces et les eaux salées. “ La truite saumonée, dit Blanchard, à le corps long, arrondi sur les côtés, rappelant la forme du saumon plutôt que celle de la truite com- mune, surtout dans un âge avancé. Un des caractères de cette espèce, c'est d’avoir la tête petite proportionnellement à la longueur du corps. Quelques autres particularités faciles à saisir per- mettent encore de la distinguer de ses congénères ; ainsi l’opercule, dont le bord postérieur est coupé bien droit a moins de largeur que chez Ïa truite com- mune, les écailles sont plus grandes et les nageoires sont moins longues. On remarque surtout la brièveté de la dorsale. Cependant, lorsque la truite de mer est jeune, il serait parfois aisé de la confondre avec la truite commune, si l’on ne portait attention à l’arran- gement des dents du vomer; sur la pièce antérieure il y à ordinairement quatre dents ; trois seulement dans quelques cas; sur la pièce principale on observe, Fc. 60. en avant, les dents sur une rangée, en arrière sur Dents vomériennes / ee :\ ‘ le la Truite de mer. deux rangées souvent assez irrégulières, et pouvant °°" Lu se confondre plus ou moins en une seule.” Le Dr Sauvage complète la description de Blanchard en y ajoutant les traits suivants : “ Le museau de la truite de mer est arrondi, la bouche très largement ouverte, la mâchoire supérieure est un peu plus avancée que l’inférieure, les deux mâchoires étant armées de dents assez fortes, coniques eb un peu crochues. 358 LES POISSONS “ La truite de mer est argentée sur les côtés, avec de petites taches noires éparses et en nombre plus ou moins grand au-dessus de la ligne latérale :; le dos est gris bleuâtre, le ventre d’un blanc d'argent éclatant, Souvent les opercules sont marqués de taches noires arrondies, taches qui paraissent d'ailleurs être plus nombreuses chez les individus jeunes que chez les individus âgés. La dorsale et la caudale sont d'un gris brunâtre, l’anale et les ventrales sont d’un gris pâle : les pectorales sont grisâtres, le plus ordinairement on voit des taches brunes sur les nageoires impaires.” Comme les autres saumons, la truite de mer subit des changements dans sa coloration. Vers l’époque du frai le dos devient plus bleu. Suivant E. Blanchard, avant d'avoir été à la mer, la truite que nous décrivons présente des taches orangées sur les flancs, de sorte que sa coloration se rapproche beaucoup de celle de la truite commune, excepté dans les parties inférieures. Le dos présente des reflets éclatants d’un bleu d'acier ; une ponctuation noire s'étend sur le ventre ; des taches d’un noir intense s’accusent sur la teinte foncée des parties latérales et supérieures.” “ Il existe des individus stériles et on considère comme tels les individus qui ont une couleur argentée claire, la nageoire caudale plus échancrée et les écailles très caduques. “La truite de mer peut atteindre la taille de trente-trois pouces ; on voit assez souvent sur les marchés des individus qui arrivent au poids de vingt-cinq à trente livres.” La truite de mer ressemble au saumon, non seulement par ses formes, mais encore par ses mœurs et ses habitudes. Comme lui, elle naît et grandit dans les eaux douces, puis arrivée à un certain degré de déve- loppement, elle descend à la mer pour y puiser les forces propres à l’âge adulte. En réalité, elle passe par les trois phases du parr, du smolt et du grilse. “Le cercle de distribution de la truite de mer, en Europe, est assez étendu, au dire de Brehm ; cette espèce habitant la Baltique, la mer du Nord et l’océan Glacial jusqu’à la mer Blanche ; elle n’est pas rare sur les côtes de la péninsule scandinave, de la Grande-Bretagne, de l'Écosse, de l'Irlande, de l'Allemagne, de la Laponie, de la partie nord-ouest de la Russie ; en France, on la trouve dans la Meuse, dans la Seine, dans la Loire et dans les tributaires de ces fleuves. “Sa nourriture, en mer comme en eau douce, est celle du saumon. L'époque du frai tombe en novembre et décembre. La remonte dans les rivières à lieu habituellement en mai, juin et juillet.” Par le fait que la truite à la même alimentation que le saumon, on explique le développement rapide de ce poisson durant son séjour en LA TRUITE DE MER 399 mer, la coloration de sa chair en rouge qui passe promptement au rose et au blanc à son arrivée dans les eaux fluviales. Entre la truite et le saumon, il existe cette différence que la truite mord tandis que le saumon jeûne dans les eaux saumâtres. En eau douce comme en eau salée et en eau saumâtre, la truite maintient sa réputation de voracité extrême, incomparable. Au fond des mers, elle se nourrit de chair vive, en eau saumâtre elle mange tout aliment que lui fournissent l'air et l’eau. Plus d’un auteur sont d'avis que le saumon s’abstient de toute nourriture en quittant la mer. Il à l'air de happer des mouches, des libellules, des papillons surtout ; mais ceux qui ont ouvert son estomac l’ont trouvé absolument vide. S'il fait la guerre aux insectes, c’est qu'il voit en eux des ennemis qui s'attaquent à ses œufs, qui menacent sa progéniture. F1G. 61. — La TRUITE DE MER D'EUROPE (Sea Trout from Europe). La truite de mer fraie aux mois de novembre, décembre et janvier, et prolonge souvent son séjour en eau douce durant plus d'une année. On prétend qu’elle dévore les œufs du saumon, sans qu’il y ait de preuve à l’ppui de pareille accusation. Leur accouplement avec la truite commune est accepté comme un fait avéré et donnant des hybrides féconds entre eux ou avec leurs parents. “Dans le pays de Galles, dit de Brehm, on trouve de nombreux hybrides entre la truite de rivière et le saumon cambrien ; on connaît également des hybrides entre la truite de rivière et la truite de mer, entre la truite de rivière et les ombres, entre le saumon et l’ombre chevalier.” La truite de mer de forte taille accompagne le saumon dans la remonte des fleuves, au grand désagrément des pêcheurs à la ligne dont elle happe les mouches avec autant d’agilité que de voracité. Le sportsman a cru sentir l'attaque d’un maître saumon et n’a enferré qu'une truite de mer 360 LES POISSONS qui, pour être vaillante, n’en est pas moins inférieure au roi des poissons convoité par le pêcheur au lancer. Arrivez-vous au mois d'août en eau saumâtre, 1l faudra vous contenter de truites de trois à quatre livres, les grosses pièces faisant alors l'ascension des rapides et gagnant les ruisseaux des montagnes pour y faire leur ponte. Il a été dit que la truite de mer dans son ascension des rivirèes ne dépasse jamais la ligne de haute marée. C'est une erreur grossière détruite par une expérience et des faits répétés dans l’ancien et le nouveau monde. Où irait-elle frayer, lorsqu'il est reconnu que le contact de l’eau de mer est funeste à ses œufs ? Comment expliquerait-on son hybridation avec les truites communes et les saumons cambriens qui fraient dans les eaux pures des sources jaillissant du flanc des montagnes ? De la Blanchère nous dit que “ce poisson quitte la mer au milieu du printemps, et remonte les fleuves jusqu’à leur source ; il fraie dans les lacs et ruisseaux à eaux vives des montagnes” Barnwell, qui a pêché dans nos rivières, vient à l'appui en ces termes : “J'ai pris des truites de mer, en rivière, bien au-dessus de la ligne de haute marée, et j'affirme avec connaissance de cause, que, généralement, sinon invariablement, les plus grosses truites remontent jusqu'aux sources des cours d’eau des montagnes pour y frayer.” On sait qu'il est dans les habitudes de la truite de rechercher les eaux fraiches, durant les grandes chaleurs de l'été, et nos truites communes s’entassent alors à l'entrée des ruisseaux qui alimentent les lacs qu'ils habitent ou qui se dégorgent dans la passe où elles ont fait halte dans leurs migrations. DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DE LA TRUITE DE MER AU CANADA En parlant du saumon, nous avons vu qu'il remontait le lenve Saint- Laurent jusqu’à la rivière Saint-François, affluent du lac Saint-Pierre. Quoique la truite de mer accompagne généralement le saumon de l’Atlanti- que, cette fois elle l’abandonne dans les eaux du majestueux Saguenay, mais jusque-là, depuis l'Océan, de rivière en rivière, comme de salon en sa- lon, elle reçoit, de concertavec lui, la visite etles assiduités des pêcheurs et des sportsmen des deux continents. Sur la grande avenue du Saint-Lau- rent, cent portes leur sont ouvertes, au nord et au sud, pour la plus large hospitalité. Faut-il répéter ici ce que nous avons dit déjà du Saguenay, du Saut-au-Cochon, de la rivière Saint-Jean, de Moisie, de Mingan, de Natashquan, de Métapédia, Cascapédia, Nipissiguit, Ristigouche, Casups- LA TRUITE DE MER 361 kull, Miramichi,et Boiestou où abondent également la truite et le saumon ? C’est plutôt dans les baies de l’île du Prince-Édouard, que le pêcheur amateur ira trouver la truite de mer, en la pêchant à la trolling ou turlotte. A l’entrée des rivières du Nouveau-Bruswick, de la Nouvelle- Écosse et de Terre-Neuve, il y a encore de bonnes chances, mais n'étaient les épais brouillards du golfe Saint-Laurent rien n'égalerait la pêche qu’on y pourrait faire à la truite saumonée. À une centaine de milles en aval de Québec, depuis le Saguenay, en descendant, les eaux du fleuve Saint-Laurent offrent l'alimentation la plus nourrissante à la truite de mer. On l’y voit arriver à de grandes proportions, jusqu’au poids de plus de douze livres. On à même prétendu qu’elle habite certains lacs sans jamais retourner à la mer, ce qui lui permet de se développer dans des proportions énormes. Il ne faut rien en croire. Le fleuve Saint-Laurent voit sur ses bords voltiger des nuages d’éphé- mères qui fournissent à la truite une nourriture délicieuse : le menu fretin y roule en bordure argentée sur ses rivages ; le capelan, la petite morue, les sardines, les mulets, les encornets y remplissent les baies ; le lançon et les coques y grouillent dans les sables des grèves, pendant que les mouches y foisonnent sur les eaux, en été, et que la fraicheur des ruisseaux offre un vrai paradis à tout salmonidé qui les fréquente. C’est ainsi que ces animaux parviennent à une taille vraiment merveil- leuse ; c’est ainsi que plus d’un pêcheur préfère la pêche de la truite à celle du saumon, pourtant si entraiînante. Il faut avouer aussi que la truite de mer est plus facile à surprendre et que sa capture est plus abondante. Barnwell ‘se laisse aller à l'enthousiasme jusqu'à s’écrier “ Quel que soit le nom de ce poisson, c’est un poisson charmant, le plus beau des enfants de la mer. D’autres ont de plus vives couleurs, ont des formes plus élégantes, mais la truite est la plus belle de tous. Elle est la favorite du vrai pêcheur, soit qu'il la capture sous le nom de salino trutta, dans les eaux du Canada, pesant un poids de quinze livres, soit qu'elle porte le nom de salimo fontinatis dans les ruisseaux des montagnes du Vermont, sous le poids d’un quart d'autant d’onces. Au Canada, les sportsmen — et personne autre ne paraît s’y livrer à cette pêche — ne prennent la truite de mer qu’à la mouche. En juin et plus tôt, on la trouve dans les hautes marées, et alors elle préfère les mouches de couleur vive. L'ibis écarlate, préparé de la manière ordinaire, où varié d'un fil brillant enroulé autour du corps, ou de fait, l’hameçon entier entouré de clinquant, est préféré par un grand nombre à toute autre mouche : mais le filoselle rouge, le faisan doré, le professeur, le canard gris, et en vérité toute mouche de couleur vive méritera d’être choisie. Une mouche faite d’un corps rouge et d’ailes jaunes rencontrera de nombreux suffrages ; mais ce n'est pas une raison d'oublier ou de négliger les couleurs plus sombres : 362 LES POISSONS souvent elles réussissent mieux que leurs rivales brillantes. À mesure que la saison avance et que le poisson remonte les eaux fraîches et claires, spécialement si les eaux sont basses et le temps sec, les mouches sombres sont préférables. Alors, la cow-dung, la alderfly, la turkey-brown, la awinged black hackle, et de fait, toutes les mouches ordinaires sont en demande ; une mouche que j'ai inventée moi-même faite d’une aile de merle et d’un corps avec des pattes couleur claret, et nommée la mouche hâtive—the early fly—a eu de fréquents succès réellement étonnants ; et de fait toutes les mouches généralement employées dans d’autres eaux conviennent à la pêche de la truite de mer en Canada. ” Il importe peu que les dimensions de l'hameçon diffèrent des dimen- sions ordinaires pour la capture d’un gros poisson ; il sera d’une moyenne n° 9, avec une légère augmentation dans des eaux agitées. Rare- ment on emploiera plus d’un hameçon à la fois pour la capture de ces grosses pièces, et généralement, elles trancheront la difficulté, en en réduisant elles-mêmes le nombre ; mais en certains temps, lorsque le poisson est farouche, il semble être attiré par un plus grand nombre de mouches. Pour arriver à capturer le plus grand nombre de pièces possible, sans égard à l’art, on pourra recourir à une perche de ligne plus solide, quoique plus lourde, afin d'éviter la perte de temps que cause l'usage d’une canne délicate, dans l'enlèvement du poisson. Le domaine de la truite de mer, en Amérique, s'étend sur une région infiniment plus vaste qu'en Europe. Jusqu'ici, nous l'avons prise au Maine, puis côtoyant l'Atlantique, en gagnant le pôle nord, nous l'avons suivie le long des rivages du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’île du Prince-Édouard, pour de là remonter avec elle le fleuve Saint-Laurent jusqu'au Saguenay, et ensuite redescendre jusqu'à Terre- Neuve où nous la retrouvons en marche devant nousle long des côtes du Labrador. De ce point, quittant les frères Moraves en voie de convertir les Esquimaux, nous la retrouvons dans la baie d'Ungava et la baie James, traquée par le nigog du Naskapis. Un peu plus loin, elle trouvera asile dans les nombreuses découpures de la baie d'Hudson et les embouchures des rivières qui s’y jettent, à l’est. Mais les cours d’eau qui arrosent les Barren Grounds ou terres désolées de la Xeewatin ont refusé l'hospi- talité à la truite de mer. En revanche, combien de fois les rivières du Gros-Poisson, du Cuivre, du Mackenzie, ne lui ont-elles pas donné le vivre et le couvert, ne l’ont-elles pas abritée contre les coups de terribles ennemis ? Ce n'est pas à dire que cette trutla canadensis soit la véritable truite de mer si bien caractérisée en Écosse et en France. Tout au contraire, nous croyons que cet animal à été subtilisé au profit de notre ichtyologie, par M. Perley, sous le couvert de Frank Forrester. S'il existe une truite de mer, de notre côté de l'Atlantique, il faut aller LA TRUITE DE MER 363 la chercher dans les mers arctiques plutôt que dans le fleuve Saint- Laurent. C'est du moins l'avis de M. Norris, après examen de plusieurs échantillons apportés d'Upernavik par le Dr Hayes, échantillons déposés à l’Académie des sciences naturelles, et dont la description répond exactement à celle du salmo trutta par Yarrell. Du côté du Pacifique, au bas des rivières Fraser, Colombie et Skeena, si nous reconnaissons encore la truite de mer, sous les noms de salmon trout, bull trout, the savern, the gwyniad and the peal, ce sera avec les réserves précitées. Le saumon gairdneri de Richardson est généralement désigné sous le nom de steel head, hard-heud, par les Russes sous celui de scourgu, et par celui demykiss, au Kamtchatka. Les sauvages le nomment kumaana, dans la Haute-Colombie. Il atteint le poids de vingt-deux livres, mais le poids moyen est d'environ seize livres. On le trouve toujours entre le Sacra- mento et l'Alaska. Il abonde à l'entrée des rivières Colombie et Fraser, à l’époque de la saison du frai. On en à pris parfois du poids de vingt-cinq livres. Jamais il n’en à été pris à l’est des Cascades, et selon toute apparence, il habite permanemment l'embouchure des rivières. I] est probable que la femelle fraie tard en automne et en hiver, vu qu'un grand nombre de celles qui ont été capturées, à la première apparition du saumon, sont des poissons épuisés, de chair blanche et sans valeur. Le même poisson se rencontre dans les cours d’eau, à l’ouest le la Sierra Nevada, entre la ligne mexicaine et l'Orégon, et cela arrive, dit-on, dans la partie nord de la Basse-Californie, sous les noms de “#ruite-arc- en-ciel truite de montagne, truite dorée, et autres noms divers. La “ truite noire mouchetée, ? le salmo purpuratus de Pallas, est très répandu dans la région des montagnes Rocheuses. On l’y trouve dans tous les lacs du Nouveau-Mexique, de l'Utah, du Colorado Ouest, Wyoming, Montana, dans l’'Idaho, l’Orégon, et dans Washington. Ce poisson est connu sous les noms de truite, truite de montagne, truite tachetée, truite noire, et truite argentée, dans les montagnes, mais en mer, et à maturité, on l'appelle truite s&umonée ou téte d'acier. La truite brune d'Europe, salmo furio, introduite aux États-Unis en 1883, y a parfaitement réussi. C’est un excellent poisson de table qui peut atteindre un poids de dix à vingt livres, ce qui dépasse considéra- blement le poids réalisé jusqu'à aujourd'hui, tant en Europe qu’en Amérique. ’ De Lite di UN A re … Û nn Ÿ ur 7. puni Da i sin ne EP SO ER Ge : 4 a L. nn wa ES "A Fos APE + | , L/ » ANA WT f di au 1h 4 CIC Fat É De pen LUN : fi, él à a | L L Le a 7e ul 1 L | FER ! 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À ER DES ENGINS DE PÊCHE 365 DES ENGINS DE PÊCHE En écrivant mes dernières pages sur la truite de mer, poisson favori du ciel, il m'est arrivé, chose inévitable, de parler d’hameçons, en les désignant par leurs numéros, ce qui doit être incompréhensible pour les . profanes, autant que l’est une langue pour ceux qui ne l'ont jamais apprise. Si J'ai pris occasion de la truite pour parler d'engins de pêche, c'est parce qu’elle représente les salmonidés, c'est-à-dire le plus beau genre de poissons qui habite nos eaux septentrionales, et parce que dans nos régions elle est à la fois la reine des eaux douces et des eaux salées. Je sais bien que le doré, le bars et l’achigan sont des poissons sportifs remarquables à plus d’un titre, mais sont-ils comparables au saumon et -à la truite? Par les espèces et les variétés 1ls sont déjà inférieurs, puisque nous comptons plus de cent varietés de truites et de saumons, pendant que le doré et l’achigan ne comptent chacun que deux variétés. Les Américains se vantent à pleine bouche de leur bars, de leur achigan, de leur blue-fish, de leur tarpan, mais ils ont beau se vanter des exploits que leur valent ces poissons valeureux, n'empêche que leurs pêcheurs ardents, piqués de l’hameçon sacré, ne se laissent surprendre, comme Barnwell, par la truite saumonée de la rivière Laval, qui, comme Charles Hallock, par le saumon de la Godbout, qui, comme Eugène IcCarthy, par le huananiche du lac Saint-Jean, tous des salmonidés, des rois et des reines de nos lacs et de nos fleuves à qui ces pêcheurs endurcis s'empressent de rendre hommage. Ce sont ceux-là mêmes qui ont inspiré les premiers la fabrication des engins en question, pour leur malheur et pour nos triomphes, pendant que nous leur en faisons une gloire. C’est à cause de leur beauté que nous les avons autant recher- chés, que nous avons inventé ces instruments de ruine et de destruction. C’est ainsi que nous couvrons d’ornements, de bijoux, de dentelles les femmes dont les charmes nous ont fait inventer ces terribles articles de séduction. Si la truite est vraiment responsable des funestes progrès qu'ont pro- duits les vingt dernières années dans la gradation du perfectionnement 366 LES POISSONS des engins de pêche, tous les autres poissons sportifs devraient susciter une révolution contre sa royauté et la griller sans miséricorde. Autrefois, les progrès dans les engins de pêche se faisaient graduel- lement. Il à fallu des années pour passer de la ligne de fond à la pêche à la turlotte ou trolling, d'après les Anglais : ensuite est venu le moulinet, suivi lentement de la pêche au lancer, qui ne tarda pas à devenir la pêche à la mouche naturelle. C’est en 1724 qu'il est fait mention pour la première fois du fil de soie de Florence ; mais presque aussitôt, c'est-à-dire deux ans après, la pêche au saumon prit naissance en Angleterre. La mouche artificielle y fut introduite en 1746. C'était le retour d’un art disparu. L'ichtyologie primitive ne comprenait guère plus que la connaissance superficielle des mœurs et des habitudes de quelques poissons, ainsi que leurs caractéristiques générales. Le saumon et la truite occupaient un rang remarquable parmi ceux qui attirèrent d’abord l'attention, car la famille des salmonidés compte parmi les plus anciennes des poissons d’eau douce post tertiaires, remontant de longue date avant l’époque glaciaire ; et parmi ses cent variétés, le saumon a conservé de tout temps sa supre- matie comme chef. Les évolutions opérées par le temps ne paraissent pas l'avoir rendu plus brave où plus beau ou plus mangeable qu'il n'était aux jours de Pline ou d'Oppien, qui tous deux ont apprécié ses qualités et fait son éloge, au deuxième siècle, aussi bien que d’autres dans les âges qui les avaient précédés. Sa distribution géographique est encore plus considérable que sa renommée. L'ancien salmo salar de l'Atlantique à rencontré un rival dangereux dans l’oncorynchus de l'océan Pacifique ; les appétits de l’homme ont augmenté, et les engins de pêche se sont multipliés. La pêche, qui n’était qu’un métier souvent ingrat, est devenue un art offert à l'avidité, à la convoitise, qui finit par enfanter le nullion. Pour le moment nous ne parlerons que des engins destinés aux pois- sons sportifs et carnassiers, nous réservant de préparer bientôt les instruments de torture et la pâture destinés aux cyprins et à la gent goujonnière. DES ENGINS DE PÊCHE 367 HAMEÇONS Toute la péche est dans l'hameçon. versel du pêcheur sauvage aussi bien que du pêcheur civilisé. L'hameçon est l'instrument uni- Il est aussi naturel à l’homme que la lance ou la flèche, laquelle n’a pas deux manières d'être, et se retrouve partout la même, une tige armée d’une pointe à l’une de ses extrémités. L'homme à importé avec lui, sur la terre, un certain nombre d’instru- ments qui semblent nés avec ses premières idées, qui répondent à ses pre- miers besoins et qui, de leur nature, sont si simples et si complets que le perfectionnement n'existe pas pour eux. L'hameçon est de ce nombre : on en a perfectionné la matière — qua- lité non essentielle de son être — mais non la forme qui en est consti- tutive : l’hamecçon est ou n’est pas, rien à perfectionner là dedans. Il a été inventé chez le sauvage, 1l se compose, encore aujourd’hui chez lui, d’épines, d’arêtes, d'os, de pierres même: chez les nations plus civilisées, FIG. 62.— Premier hamecon de l’âge de bronze; pas encore de dard barbelé, c'est un simple crochet de métal. Provient des habitations lacustres du lac de Zurich. il est en métal fondu plus où moins F1G. 63.—Hameçon de l’âge de bronze ; deuxième forme. Apparition du dard et de l'anneau pour attacher à la ligne. Provient des habita- tions lacustres du lac de Zu- rich. grossier, F1G. 64.— 3° forme. Perfec- tionnement. Non seulement le dard #xiste, mais la palette se montre pour l'empilage De plus, elle porte des crans afin que l’adhérence de la ligature soit plus complète. Entre cet hameçon et ceux de nos jours il n’y a de difré- rence que làä perfection de l'outillage producteur et la bronze (fig. 62 à 64), cuivre ou fer : enfin les pro- matiere. Provient également des habitations lacustres de l'âge de bronze, sur le lac de grès de la fabrication l’ont amené à être aujour- s Zurich, d'hui une tige d'acier trempé (fig. 70 à 86), plus ou moins fine, arrondie en crochet; le bout le plus court se termine par une pointe barbelée, la tige principale ou Lampe est légèrement aplatie à son extrémité (fig. 64), pour empêcher que la ligature qui réunit l’hameçon à l’empile, ne glisse et ne laisse échapper ainsi l’hame- çon et la proie qui y est attachée. 368 LES POISSONS L'hamecon, comme la lance, étant inventé de toute antiquité, les modi- fications les plus profondes qu’il ait éprouvées ont porté sur sa grosseur surtout: il fallait déjà beaucoup d'adresse pour tailler un morceau de coquillage en hameçon de la grosseur de notre 00009 actuel; or, il y a bien de la distance entre ce numéro et le 20 ou 22 des hamecçons fins que nous fabriquons aujourd’hui. Mais il ne faut pas oublier que le nombre des poissons, et surtout leur taille, a diminué en même temps que la taille des hamecons, tandis que la difficulté de les prendre a suivi une marche encore plus rapide. La civilisation, partout où elle touche, rend défiants les animaux autochtones. Ainsi les premiers navigateurs qni abor- dèrent à certaines côtes privilégiées, y tuèrent à coups de bâton des oiseaux ahuris et ne sachant pas quel était ce nouvel agresseur ; ils y prirent à F1G. 65. — Hamecçons allégés par des F1G. 66.— Emploi, sur les côtes de Norwége, du bois pour bouchons de liége. soulever les empiles. panerées, pendant la marée basse, les poissons les plus délicieux. De nos jours, les oiseaux ont fui, ou sont devenus défiants ; on ne les tue plus qu'au fusil, et encore : les poissons ont appris la lutte et la méfiance, et si l'on en prend encore là-bas un plus grand nombre avec plus de facilité que sur nos côtes dévastées, il faut l’attribuer à la prodigieuse fécondité de certaines espèces, quand elles sont aidées par la température admi- rable des climats chauds. Sans remonter aux temps bibliques et sans nous occuper des animaux aquatiques que les Hébreux tenaient en petite estime, ne connaissaient que très peu dans leur pays sec et désolé — et qu'ils n’ont pu faire entrer dans l'arche de Noé — il faut constater, comme nous l'avons fait, que l'invention de l’hameçon ne peut avoir de date certaine ni même approxi- mative, pas plus que celle de la flèche, de la lance, du bouclier, ete. Ce sont des créations pour ainsi dire instinctives, spontanées, chez tous les peuples répandus à la surface du globe, et tellement inhérentes au déve- loppement de leurs facultés, que le premier instrument que fait l'enfant DES ENGINS DE PÊCHE sauvage ou l'enfant le plus civilisé est le méme : flèche. 309 c'est un arc et sa L'enfant devenu jeune homme tourne sa flèche devenue plus grande contre les animaux de la forêt: il la tourne de même contre ceux du rivage. La tentation de manger les poissons que l'eau du fleuve grossi aura laissés sur les bords ou dans des dépressions à portée de la main, est naturelle, et l'homme a aimé le poisson dès qu'il a pu en prendre. Mais le fleuve ne grossit pas sou- vent, les réservoirs naturels sont vite épuisés, et cependant ils virent dans les ondes mille poissons KR / F1G. 67.—Bricole primi- tive de l’âge de bronze, trouvée dans les habita- tions lacustres du lac de Neufchâtel. Cette pre- mière forme est excessi- vement remarquable. se poursuivre, se dévorer, se jeter avidement sur les portions de matières assimilabies qui tombaient à l’eau, sur une graine, sur un insecte jouet du vent ou du hasard. . destruction de l’homme — en tant qu'espèce — était devenue impossible, car la mer lui fournirait seule sa nourriture, si la terre pouvait la lui refuser. Cacher sous un insecte ou sous une graine, dans un fruit, le crochet qui ramènera le poisson, alors que celui-ci aura englouti le tout, voilà l’hameçon trouvé... y faire un trou, dans lequel on passe un brin d’aloès, de chanvre, de tout autre filament vé- gétal, une tige de liane parasite des tropiques, un crin ... et voilà la ligne complète, et telle qu’elle sert depuis la création du monde !... En étudiant attentivement les curieux vestiges La pêche était inventée, et, du même coup, la F1G. 68.—Deuxième for- me de bricole provenant également des habita- tions lacustres, mais du lac de Zurich. La fabrica- tion est moins simple, il y a progrès; on s'est aperçn que la hampe de la première (FIG. 67) rend l’entrure du fer plus diffi- cile, et que l'engin bas- cule dans la bouche du poisson. des instruments de pêche des peuplades qui ont habité notre pays et les pays d'Europe, dans des temps antéhistoriques, nous avons en quelque sorte acquis la certitude morale que l’hameçon, tel que nous le connais- sons maintenant, n’est assurément pas le premier qui à dû servir. En effet, on a trouvé en même temps que les formes des figures 62, 63, 64, la forme 67 et 68 qui est une véritable bricole, mais si simple, si facile à faire et en même temps si efhicace, qu'il est impossible qu'elle F1G, 69 —Pierres perforées pour charger les filets. n'ait pas été préferée, dès l’abord, par des peuples grossiers. Cette forme, en effet, rend l’attache de l’hamecçon à la ligne incompa- rablement plus facile et plus solide. A cette période où le dard n'était pas encore inventé comme dans la forme 63 et 64, celle-ci offrait en même temps une beaucoup plus grande sécurité que le poisson piqué ne se débarrasserait point. 370 LES POISSONS Aïnsi, fait remarquable ! la bricole que nos pêcheurs ont presque aban- donnée, la bricole que, nous, nous recommandons comme un des perfec- tionnements de la pêche à venir, la bricole était probablement l’hameçon préféré et le plus employé par nos pères ! Tout nous prouve d’ailleurs que l’art de la pêche était en grand hon- neur parmi ces populations, et poussé aussi loin que leur mode d'outillage le leur permettait, mais certainement plus loin que beaucoup d'auteurs ne le soupçonnent. Ainsi l’emploi de la flotte leur était parfaitement familier, et nous n'avons pas eu de peine à en reconnaître un grand nombre, de formes et de grosseurs différentes, rangées parmi les objets curieux que les fouilles ont ramenés au jour. Ces flottes étaient en bois léger, tilleul, saule ou tremble — la décomposition à demi charbonneuse du bois rend la détermination de son espèce difficile — et de la forme d'une olive ou de deux troncs de cône opposés par la base, que les pêcheurs campagnards donnent encore à un bouchon lorsqu'ils le taillent pour le convertir en flotte grossière. Ces flottes sont assez grosses, la plupart approchent du volume d’un œuf de poule; ce fait nous amène à déduire deux conséquences : la première, que la ligne devait être lourde, ce dont nous ne doutons pas un moment en pensant qu'elle était faite de tiges végétales grossières, perméables à l’eau, et réunies d’une manière très superficielle ; la seconde, que la pêche se faisait 4 fond, par conséquent avec une ligne longue et destinée à aller chercher dans leurs retraites les poissons les plus forts. La grosseur de l’hameçon indiquait d’ailleurs le choix de ces proies et rendait la pêche à la ligne propre seulement aux grosses espèces. Il est probable que certaines autres flottes de bois plus considérables, rapprochées, de frène, rondes, oblongues et perforées (fig. 69), indiquent l'emploi de filets qui servaient à capturer les espèces littorales de moindre dimension. Nous avons fait remarquer que les hameçons actuels étaient simples de forme et qu'ils se décomposaient en plusieurs parties dont chacune a son nom : la Lampe ou la plus grande branche, le coude ou la partie courbée, là pointe ou la plus petite branche, celle qui est acérée et munie d’une barbe relevée en sens inverse, laquelle retient l'instrument dans les chairs resserrées sur elles, après le passage de la pointe principale. La maniere dont sont construits les hameçons soignés, des plus petits numéros, est très importante comme emploi, et remarquable comme difficulté vaincue : certains de ces engins sont de véritables chefs-d'œuvre de précision. En énumérant les diverses parties constitutives de l’hameçon, il n’est pas besoin de faire remarquer que la valeur finale de l'instrument dépend autant de la relation, de la proportion la meilleure entre ces parties prin- cipales, que de la matière même qui sert à composer l'instrument. Nous avons examiné à chacun des mots palette, hampe, dard, courte-queue, les DES ENGINS DE PÊCHE 371 différentes formes que ces parties comportent et les qualités variables qu'elles ajoutent à l’hameçon. De nos jours, les hameçons se fabriquent principalement en Allemagne, en Angleterre et en France ; les allemands et les suisses (fig. 70) sont à très bon marché, mais très grossiers et de médiocre qualité. Les français sont aussi bons que les anglais (fig. 71) dans les sortes ordinaires et les fines de formes anciennes, mais les Anglais seuls cherchent et perfection- F1G. 73.— Ha- Se 75.—Ha- ë meçon Com- ODA SALE F1G. 71.—Ha- SR Pointe don (anglaisi, meçon fran défectueuse, mince, courte çais ordinaire. dard bombé. queue et sans avantage: dit Short - shank Roach Hook. ONU =) FiG., 70.—Hameçon carré (suisse), à poin- te droite ; forme très recherchée pour la pêche aux lignes de fond sur le lac de Constance. Ces ha- meçons ne reçoivent gune trempe très aible qui leur per- met de s'ouvrir faci- 5 lement sous la trac- tion du poisson. Les pêcheurs prétendent que c’est un avanta- ge pour les pêches où le poisson se prend seul. Fi 72.—Ha- mecçcon à bou- cle commun (français). Fi1G. 74.—Ha- meçon lime- rick (anglais) sans palette n° 1. F Fi1G. 76,—Ha- mecçcon de mer, ordinaire, en fer étamé,avec avantage, nent chaque jour la forme et la matière de leurs hameçons. Aussi, mettant tout amour-propre national de côté, devons-nous dire que les Français font tout aussi bien que les Anglais, que les premiers seront à la hauteur des derniers quand ils Le voudront, mais qu’ils ne le veulent pas, soit parce que la consommation des hameçons fins, en France, est peu consi- dérable et réservée seulement à quelques amateurs zélés, soit parce que la masse des pêcheurs de la campagne et des pêcheurs qui vivent de cet état sur les fleuves et les rivières, en sont encore à croire qu'il y à de l’économie à se servir d’hameçons au meilleur marché possible (fig. 72 et 73). En Angleterre, au contraire, où tout le monde pêche, tout le monde achète des hameçons fins et des meilleures sortes (fig. 74 et 75); les pêcheurs de profession surtout. Par conséquent, les fabricants ont intérêt A 372 LES POISSONS à progresser, ce qu'ils font, et à produire très bien, ce qu'ils essaient toujours. Ils vendent cher, c'est vrai ; mais leurs instruments sont très bons : c’est un bon marché relatif, mais certain. Il faut attribuer ces différences à ce que l’art de la pêche, —malgré les immenses progrès qu'il a faits en France dans ces dernières années — } ( hu Se l LE lit Fi& 77.—Bricole ordinaire F1G. 78.—Bricole limerick F1G. 79.—Bricole sans à pointes du même côté. à pointes contrariées. avantage. est encore chez nous, bien en arrière sur les habitudes des Anglais. Notre fabrication se perfectionnera avec notre savoir-faire en fait de pêche, On doit remarquer que nous n'avons parlé jusqu'à ce moment qu'au point de vue des hamecçons fins, et noirs où bleus, servant à la pêche en eau douce: si maintenant nous passons aux hameçons étamés (fig. 76) qui s'emploient pour la pêche en mer, notre amour-propre national peut _ x FiG. 80.—Émérillon simple, FrG. 81.—Émérillon à porte-mousqueton. relever la tête, car iei ce sont les Anglais qui sont nos tributaires. Nos hamecons de mer sont de beaucoup préférables aux leurs comme tour- nure, comme forme surtout, et 1l paraît qu'ils ne peuvent parvenir à les imiter facilement, puisque leurs pêcheurs, sur les côtes de la Manche, viennent s’approvisionner chez nous. BRICOLES OÙ HAMEÇONS DOUBLES La fabrication des hameçons comprend non seulement les hamecçons simples de tous les numéros, mais encore les bricoles ou hkameçons doubles ; parmi ceux-ci, les uns sont tournés du même côté (fig. 77), les autres à pointes contrariées (fig. 78) ou sans avantage (fig. 79); 29 les grappins où hameçons triples ; 3° les émérillons (ea D de deux formes, les uns ayant une extrémité à boucle ,;fi6. 82. — £mé élastique formant porte-mousqueton (fig. S1 et 82); les FOR dASTUE autres ayant leurs deux branches fermées (fig. 80). Les Y°lume. émérillons se font comme les hameçons, en suivant une série de numéros. Le malheur est que les séries de numéros des hameçons, des bricoles, des grappins, des émérillons sont toutes différentes et n'offrent DES ENGINS DE PÊCHE 373 aucun rapport; de même, entre deux fabriques d’hameçons, aucune des séries ne se rapporte. L'une commence à 0000, l’autre à 000 ; l’une finit à n° 18, l’autre à n° 20 ou n° 22; c’est un chaos auquel on devrait bien remédier par le choix d’un étalon à peu près immuable. Les pêcheurs y agneraient de s'entendre, chose impossible dans ce moment, où 1l faut aire choix des hamecçons à l'œil, et jamais sur le numéro de leur enve- loppe. Quand on emploie de petits hameçons, il est toujours bon de les prendre à palette (fig. 71): il en est de même des gros pour la pêche de fond ; on prend quelquefois ces derniers à boucles (fig. 72), mais nous sommes décidément ennemis de cette forme d’hameçons. Nous recom- mandons de choisir des hameçons à palette, parce que les petits offrent une certaine difficulté pour bien serrer l’empilure, et que la palette aide beaucoup, quelque petite qu’elle soit, à retenir la ligature. Quant aux gros, nous les préférons renforcés, à cause de leur pointe qui est grosse, forte, et résiste mieux sur les cailloux. Mais pour toute pêche au coup, c’est-à-dire avec la plume ou le bouchon flottant sur l’eau, les hameçons touchant à peine au fond ou n’y touchant pas du tout, il faut du n° 1 au 9, ne prendre que des hamecçons sans palette, et, parmi eux, ceux dits limericks (fig. 74 et 75). Ils sont d'un maniement facile pour l’empi- lage et possèdent une pointe supérieure, mais ils ont en même temps le défaut de leurs qualités : ils cassent facilement. Quant aux lignes employées en cordées pour la pêche de nuit ou de fond, il faut y employer des hameçons renforcés. Il serait impossible de donner une nomenclature de toutes les formes d’hameçons usitées, cependant on peut classer aïnsi les plus employés ; ce sont : LES HAMECONS A PALETTE ORDINAIRE : minces, Moyens OÙ renforcés. Ia. A PALETTE ORDINAIRES, COURTE QUEUE: minces, renforcés. Id. LIMERICKS DROITS : à palette, sans palette (fig. T4). Id. LIMERICKS COURBES : à palette. Id. LIMERICKS A COURTE QUEUE, COURBES, RONDS, dits hameçons à gurdon, en Angleterre (fig. 75): à palette, sans palette. Id. A PALETTE, COMMUNS, renforcés. Id. ÉTAMÉS : simples, renforcés, carrés, «, b (fig. 83) ou ronds (fig. 84). Id. ÉTAMÉS ; longue queue où à maquereau (fig. S+). BRICOLES : minces, renforcées, contournées (fig. 77 et TS). GRAPPINS : acier blanc, acier bleu. 374 LES POISSONS Les hamecçons les plus petits, pour la pêche de mer, ont environ 16 à 18 millimètres de longueur (fig. 76): ils augmentent graduellement de longueur et de grosseur de fil d'acier jusqu’à la dimension moyenne de 20 à 22 millimètres, sur la grosseur d’une forte plume d’oie (fig. 83 et 84). FIG. 81.—Hamecon de mer en fer étamé. F1G. 83.—Hamecçon de mer, en fer étamé Forme dite marseillaise, employée en Bre- Bonne fabrication, usité au Pollet Pas tagne Très mauvaise fabrication, dard d'avantage. Bon pour la pêche du { ongre, bo-su au-dessous de la barbe ; fort avanta- de la Raïe ; faible pour celle de la Mo: ue, ge à droite, du bon côté pour la facilité pour laquelle on prend un numéro dou- d’escher Cet hameçon est employé pour ble, comme grosseur — &. Palette non le Congre. la Raïe, le Germon, le Maigre, coupante, bien émoussée. — b. Empilage ete Ilserait un peu faible pour la grande sur ficelle de l'empile. Nœud simple ordi- pêche de la Morue sur les bancs — a. Pa- naire. lette vue de surface. — b Vue de profil. Si la pêche, comme celle de la morue, par exemple, se fait sur un fond de roches, on se sert d’hameçons en fer étamé: au retour de la pêche, quand ils sont tordus, on les rabat sur l’enclume et le dommage est réparé. Si l’on employait des hameçons d’acier, on n’en rapporterait pas la moitié. La forme des hameçons de mer est, avons-nous dit, toute différente de celle des hameçons d’eau douce : est-ce une nécessité ? Nous ne le pen- DES ENGINS DE PÊCHE 375 sons pas, et les hameçons d’eau douce nous ont toujours donné, quand nous les avons employés, une supériorité marquée sur ceux de mer, dont la pointe est beaucoup moins eftilée et l’entrure bien plus difficile. Si mainte- nant nous parlons des lignes qui, en mer, peuvent trainer au fond sous l’im- pulsion d'un bateau à la voile, il est évident que les gros hameçons en fer étamé peuvent seuls résister ; mais, pour la pêche entre deux eaux, les pe- I tits et solides hameçons anglais dits \ limericks valent mieux que les hame- çons à deux courbures que l’on emploie A Vis ; Fic. 86.—Hame- pour la pêche des petits poissons, tels Se ment à | li ; l COR PAM SATA très longuehampe que : merlans, l1mancdes, vives, rougets FIG. 83.— Hame- aue les pécheurs : Le çon en fer étamé de maquereau de- et autres. sans avantage; usi mandent et préfè- SROTEUE c RC: B té en Norwège pour rent en Rretagne. On fait depuis quelques années des la pêche en mer. Forme défectueu- à à = Tongue hampe et se. dard baombé; hameçons à hampe, forme de la figure forme particulière mais les pécheurs EN T2 è £ : du dard et de la les veulent ainsi. 86; ils sont très commodes à boitter, pointe. et les pêcheurs les recherchent beaucoup pour la pêche du maquereau, par exemple, où il ne faut pas perdre un moment tandis que le poisson donne. HAMEÇON A CHAS Cette innovation présente, entre autres avantages, celui de s’empiler d'une manière très simple, très rapide et très solide, et celui que l'empi- lage, ne formant pas grosseur sur la hampe, ne gêne en aucune façon pour faire remonter autant qu'on le désire, les esches même les plus molles. L'inventeur à pris soin de combiner la grandeur des chas suivant la hauteur des hamecçons, de sorte que les forts numéros permettent d'employer de la florence double ou triple. Chaque chose, en ce monde, ayant ses désavantages, nous sommes obligé de signaler le prix trop élevé encore de ces hamecçons, inconvénient qui disparaîtra proba- blement un jour, par suite de la concurrence et de la plus grande fabri- cation. En second lieu, nous remarquerons que cet hameçon n'est com- mode que pour la florence ou le crin simple. Dès qu'on emploie une cordelette de lin filé ou un margottin, le nœud devient trop gros, rugueux et peu solide. De plus, les bouts du crin qui dépassent en petit balai, gênent pour le passage du ver. Il est préférable, dans ce cas, de 376 LES POISSONS se servir du mode ordinaire d’empilage à la soie bien poissée et bien vernie. Nous en dirons autant pour la corde filée, si précieuse en mer et quand on pêche le gros poisson. Malgré cela, ces hameçons seront d’une grande commodité dans beaucoup de cas, ne fût-ce que pour garnir rapidement une ligne lorsqu'on est démonté au bord de l’eau. Aussi conseillerons-nous F1G. 90. — Empilage de l’'hamecçon à chas. 2e temps. La florer ce #st serrée, et lempi- F1G. 89. — Empilage lage terminé par le de l’hameçon à rhas. nœud que le yxetit FIG. 87.—Hamecçon- FIG. 88.— Hameçon lertemps. Passage de bout fait autour du Warner à chas, forme Warner à chas forme la florence et croise- grand au-dessus de Limerick. americaine, ment du brin. l'hamecon. à tout pêcheur soigneux d’en avoir constamment quelques-uns dans son portefeuille. On pourrait craindre, au premier abord, que l'ouverture du chas ne fit casser la hampe en l’affaiblissant à cet endroit ; il n’en est rien, et probablement le nœud de l’empilage est pour quelque chose dans cette solidité. Ces hameçons sont très commodes pour monter des mouches artificielles. Pour la pêche de mer, où l’on emploie beaucoup la florence, ils seront excellents, parce que l’eau de mer attaque et détruit assez vite les empilages à la soie même vernie. L'expérience seule dira si, par l'usage, la florence n’est pas coupée en passant sur le bord, même adouci, du chas à sa partie supérieure. HAMEÇON A CONTREPOIDS L'idée des hameçons à contrepoids et à pince est des plus ingénieuses, mais, en raison de la grosseur de l'appareil, ne peut être appliquée qu’à la capture de poissons de mer voraces et peu défiants. D'un autre côté, comme ce sont justement ceux-là qui se montrent les plus vigoureux et se défendent à cause de leur poids et de leur force, de manière à se décrocher DES ENGINS DE PÊCHE 377 souvent, il s'ensuit que l'invention porte précisément sur le point pour lequel elle est faite. En A (fig. 91), est le point d'attache de la ligne, L'hameçon E est esché comme d'habitude; B est un petit contrepoids lenticulaire en plomb, D une pointe recourbée aiguë, C une articulation de la hampe de F1G, 91.— Hameçon-Flamm à contrepoids et à pince, pour la pêche de mer. l’hamecçon sur le fléau coudé DAB. Tant que l'appareil est flottant dans l'eau, il conserve la position que montre la figure 91 ; mais dès qu'un poisson à mordu à l’hameçon, ses premiers efforts font basculer la pièce DB en A, la pointe D forme pince et vient s’enfoncer dans le museau de l'animal, et cela d'autant plus fortement que ses efforts sont plus puissants, Une fois l’animal dégagé, l'instrument reprend de lui-même sa position normale. HAMEÇON-AIGUILLE Pour les poissons de surface, qui ont une bouche très petite, comme l'ablette, le dard, le petit chevesne, le saumonet, l'ombre, ete, il faut se construire soi-même des hameçons particuliers, lesquels, à une grande longueur de hampe joignent un crochet fin, acéré, et de petite dimension comme courbure ; on n’en trouve pas de semblables dans le commerce. On détrempe, en les faisant rougir au feu, des aiguilles à coudre de très bonne qualité et aussi fines que l’on pourra trouver pour l'usage. Pendant qu'elles sont chau- des, on fait, au moyen d’une lame aiguë de ciseaux ou de canif, deux ou trois petites arêtes relevées en crochet vers leur pointe. Alors, au moyen d’un bec-corbin où Fi, 92.—Hame- pince plate, on courbe cette pointe en forme d’hameçon, dE en l’inclinant un peu de droite à gauche, pour lui donner de l'entrage ; enfin, on fait rougir au feu vif les hamecçons ainsi faits, et on les trempe dans l’eau froide. 378 LES POISSONS Bien entendu, les aiguilles restent blanches : on pourrait si l’on était habile les recuire au bleu. Il vaudrait peut-être mieux les tremper au suif ou à l'huile, pour les rendre moins cassantes ; mais à l’eau on réussit bien ; c'est tout ce qu'il faut. On monte des moucherons artificiels très petits sur ces hamecons, dont on peut se servir également avec des insectes naturels. On empile les hameçons-aiguilles de la même manière que les limericks sans palette ou comme des hamecons à chus, en conservant celui de l'aiguille. HAMEÇON A RESSORT L'emploi des hamecons à ressort est fort ancien; quelques-uns ont été même proposés pour la capture des loups et autres animaux carnas- siers. Mais tous ces engins avaient pour point de départ une bricole (fig. 95), ou un grappin dont les branches mobiles s’écartaient sous l’action d’un ressort intérieur, et offraient alors d'autant plus d'effet que la résistance était plus grande. C'était surtout contre les brochets de grande taille que ces engins avaient été imaginés, et il faut convenir que ces poissons, surtout il y à trente ans, devaient y mettre une grande bonne velonté pour se placer une semblable poire d'angoisse dans la gueule. Les hameçons à ressort d'aujourd'hui même présentent toujours une importance beaucoup trop grande et qui rend très difficile leur dissimulation dans une esche. La figure 95 représente un hameçon de ce genre. Les branches formant ressort s’écartent dès que l’on tire sur le coulant qui les maintient fermées. L'hameçon à ressort de la figure 93 est basé sur un tout autre système. Il agit en dehors de F1G. 93. — Hameçon Flamm, à ressort et à pince, pour la pêche de mer. l'animal. Cet engin, assez volumineux, n’est des- tiné qu'à la pêche de mer, où la voracité des gros poissons est plus que suffisante pour qu'ils ne se préoccupent pas beau- coup de ce à quoi est attaché le morceau qui excite leur convoitise. L'hameçon I porte l’esche, et l'appareil est tendu dans la position de la figure 93, la ligne étant attachée en A. Au moment où le poisson tire en [, parce qu'il est piqué, il fait basculer autour du point B le petit fléau EC, lequel est recourbé à angle droit à une extrémité C, de façon à DES ENGINS DE PÉCHE 379 eneliqueter dans un cran du dos de la pointe DG et à la maintenir élevée, malgré l'effort du ressort F, bandé alors, et qui tend à la faire retomber sur L Cette pointe I est articulée sur un are qui la joint à la hampe F de l’hameçon T, et la petite tige GH permet tout le mouvement néces- saire pour le jeu facile du ressort F. F1, 94.—Hamecon à ressort fermé. F1G. 95,—Hamecon à ressort ouvert. Il résulte du décliquetage de D que cette pointe vient s’enfoncer dans le museau du poisson avec toute la force que lui communique le ressort F, qui s'oppose à ce qu’elle se relève, ce qui prévient la fuite par décro- chement du poisson. HAMEÇON CARRÉ L'hameçon carré sert à prendre la lotte, le brochet, les truites et d’autres poissons à grande bouche et de forte taille. Il a l'avantage d’être très bon marché et de pouvoir être retiré du ventre des poissons sans les détériorer, parce qu'étant en fer doux, il se redresse facilement dans le ventre même des poissons qui l'ont avalé. En outre, sa forme carrée empêche les poissons à grande bouche de le dégorger. Il ne sert qu’en automne, et à cette époque le brochet est paresseux : il prend l’amorce et se pose tout de suite pour l’avaler ; ce qui fait que le crochet de l’hameçon parvient dans les intestins et ne prend jamais le brochet au coin de la bouche. L'hameçon carré n’a donc pas besoin d’être bien ardent, et sa forme à une raison d’être, puisqu'elle est adoptée - L À N : F1G. 95. — Hameçon spécialement pour les pêches où le poisson se prend carré. tout seul. 380 LES POISSONS CUILLER (Pêche à la) En Angleterre, en Irlande et surtout en Écosse, les rivières se livrent à une série de cascades et de rapides au milieu desquels se réjouit une population de truites magnifiques. C’est là qu'on trouve la truite sau- monée (fario argenteus), que les Irlandais nomment la truite de mer, et les Ecossais la queue noire. Les spécimens de ces poissons pèsent, l’un vingt-quatre livres et demie, et l’autre vingt et une livres, et ainsi de suite. C’est au milieu de ces eaux bouillonnantes qu’on va attaquer la truite du Loch-Leven (salino cwcifer, Parn.), au pied de la prison de la belle reine Marie. La truite commune ne s’y fait pas remarquer non plus par son absence, mais bien par ses dimensions colossales Quatre étant prises, on les met dans la balance ... La plus grosse pèse dix-sept livres, les trois autres chacune quinze ! . . Vivent les Ecossais ! Nous allions oublier la grande truite des lacs (salmo ferox) ; une amie des eanx profondes, pour laquelle on amorce sa ligne au moyen d’une petite truite montée en tue-diable, au milieu de 6 à S hameçons forts, dit Yarrell. On leur offre aussi en holocauste de jeunes brochets qu'elles acceptent avec reconnaissance. Il est vrai que l’une d'elles pesait trente- quatre livres ! c'était la plus grosse. Celle qui venait après ne pseait que trente-deux livres, et la dernière, une plume. .. un duvet! ... seu- lement vingt-sept livres. — Comment aller attaquer de semblables monstres ? — À la cuiller. — Oh! — Pas tout à fait avec la cuiller qui sert à une belle dame pour prendre une glace, mais avec quelque chose d’analogue, et. . . disons-le hautement, cette cuiller-là, convenablement assaisonnée, ferait parfai- tement notre affaire. On n'en est pas arrivé là du premier coup. Les pêcheurs habiles — et ils sont nombreux dans ce pays-là — ont commencé par mettre à leur hameçon un poisson vif. Celui-ci n’a pas plus tôt touché les ondes bouillonnantes, que, déchiréen mille pièces, emporté, il a disparu. D’expérience en expérience, les pêcheurs se sont assurés qu'un poisson vif ne présentait pas assez de résistance pour une traction semblable à celle que lui infligent ces bouillons d'eau tombant sur lui. De plus, ils se sont aperçus que la truite, toujours en chasse DES ENGINS DE PÊCHE 381 dans ce milieu infernal, et toujours aux aguets, déployait une force et une rapidité formidables pour atteindre sa proie qu'elle voit tourbillonner au milieu de l’écume. Elle s'élance la gueule ouverte, les dents prêtes, et coupe d’un coup la moitié du poisson, par où elle l’attrape, laissant le reste à l’'hameçon du pêcheur désappointé. De toutes ces déductions, et de nombreux essais, est né le {ue-diable. Mais quelque pêcheur malheureux ayant vu sans doute son tue-diable emporté ou mis en pièces par les rochers ou les racines de la rive, aura inventé la cuiller (fig. 97). Figurez-vous la partie creuse d’une cuiller à dessert, coupée près du manche. Percez un trou en haut pour y passer une corde filée et une grappe d’hameçons, pendante sur la cuiller même. Percez un second trou à la pointe de la cuiller, et mettez-y une seconde grappe d’hame- çons, pendante cette fois dans le vide. Attachez à Om, 20 au-dessus de la cuiller, deux bons et solides émérillons. Faites que la cuiller soit bril- lante comme de l'argent ou de l’or, et lancez dans la cascade. F1G. 97.—Cuiller. A l'instant même l’eau, frappant irrégulièrement dans la cavité de la cuiller, lui imprime un mouvement de rotation extrêmement rapide, quoique irrégulier. Les hameçons disparaissent, emportés par ce tour- billon, et le tout roulant sur lui-même figure un joli poisson d'argent emporté vertigineusement par les bouillons de l’eau furieuse. La truite n'y regarde pas de si près. . . d’ailleurs, elle n'en a pas le temps. L'eau la presse, la presse. . . il faut se hâter! Elle s'élance d’un bond énorme, englobe la machine brillante, et la lutte commence entre le pêcheur et le pêché, deux animaux auxquels, en courant, le cœur bat aussi vite à l’un qu'à l’autre. C’est une bataille de 30, 40, 50 minutes, lutte à toutes jambes, emportée, à travers les ravins, les pierres, les taillis, par l'autre qui fuit à tire-d'’aile et que le flegmatique cuillerier ne lâche point !.... Enfin la paix se conclut, et tous deux, harassés de fatigue, s'arrêtent... Le plus petit entre dans le panier du plus gros en attendant mieux, et la toile baisse sur cette tragédie, toute prête à se relever pour une autre scène, sur le même théâtre. 382 LES POISSONS Du petit au grand, nous ne manquons pas, au Canada, d'eaux bouil- lonnantes, tant dans nos montagnes que vers les déversoirs de nos usines. Cette méthode devrait donc être essayée: la truite, chez nous, mord aussi vivement que là-bas, et quand, au lieu d’une cuiller à potage qu’on emploie pour le férox, nous ne nous servirions que d’une cuiller à café— même que de la cuiller d'un ménage de poupée — nous prendrions de belles et bonnes truites que personne n'ose aborder dans ces en- droits-là. C'est la grâce que je vous souhaite, ô lecteur mon ami ! TUE-DIABLE N'oublions pas de dire que le tue-diable n’a pas besoin d’être gros, au contraire. Le double des dimensions de la gravure 98 suffit : son emploi est restreint aux eaux bouillonnantes des torrents et des chutes, à la pêche des truites et du saumon en eau douce, tandis que, en mer, on pourra l'adapter merveilleusement à toutes les pêches & trainer, pour le maque- reau, la dorade, la dorée, la pélamide; etc., etc. Mais alors il est bon qu'il soit plus gros et, comme l’eau salée le détruit en fort peu de temps, on ne se donnera pas la peine de confec- tionner un si joli modèle: on prendra de petits poissons de plomb dont nous avons expliqué l'usage au mot poissons artificiels. Passons à la confection du fue-diable (fig. 98). On prend un morceau de plomb en forme d'olive très allongée ou mieux de crayon aminei légè- rement des deux bouts. A l’une des deux extrémités, on attache, au moyen d'une solide ligature entrant dans de petites encoches faites au plomb, un morceau de clinquant d'argent, ou tout bonnement de ferblanc mince figurant une queue fourchue de poisson. On recouvre alors le corps de plomb, de soie de couleurs les plus disparates possible, on y mêle quelques tours de fil d'or et d'argent, et l’on obtient une chose qui n’a point d’analogue dans la nature, mais qui brille beaucoup. Ceci fait, il s'agit d'armer notre engin. On prend une belle florence ronde, blanche et solide que l’on plie en deux moitiés inégales ; l’une, la plus grande, doit être un peu plus longue que le corps du tue-diable à faire, l’autre moitié plus courte environ. A chaque extrémité de cette florence, on empile soigneusement une bricole formée de deux limericks n° 8 à 12, suivant la grosseur du tue-diable. A moitié chemin du grand F1G. 98.—Tue-diable. DES ENGINS DE PÉCHE 383 bout, on en empile deux autres, en bricole ou successivement, mais à l'envers, c’est-à-dire la pointe tournée vers la pointe des premiers. Cette première branche armée, on passe à la seconde, la plus courte. A son extrémité on empile, soit une bricole, soit un grappin des mêmes numéros ou un peu plus petit. Si l’on met une bricole seu- lement, on termine par un hameçon seul près de l'endroit où sera la tête (fig. 99). On empile alors vers le bout opposé à la queue de ferblanc, cette florence ployée en ayant soin de former une boucle dans laquelle on pourra passer une des extrémités d’un émérillon. Si ce dernier n'a qu'un porte-mousqueton (fig. 100), on passera dans sa bouche fixe avant de monter les bameçons dont nous avons parlé. Il sera bon de mettre à l’émé- rillon une longueur de une verge environ F16.100.—Émérillonà porte- portant encore un autre émérillon à son extré- HT mité opposée, afin que le mouvement de rotation dans l’eau soit facile et continu. Tout ceci fait, il ne restera plus qu’à courber légèrement entre les doigts le corps flexible du tue-diable, pour que l'engin soit complet et prêt à servir. Cette courbure a pour but de permettre à l’eau de frapper obli- quement sur le leurre et de le faire ainsi pirouetter sur lui-même. F1G. 9.— Autre forme de Tue-diable artificiel. LIGNE Tout le monde sait ce qu'est une ligne à pêcher ; et cependant, le nom est étendu, tantôt à l'appareil tout entier qui se compose de la canne et de la ligne proprement dite, tantôt 1l est employé pour désigner des cordées, ou autre engin de fond en mer et en rivière. La ligne, dans l’acception à laquelle nous devons restreindre ce mot, est un fil plus ou moins fin auquel on attache l’hameçon ou les hameçons. Qu'elle soit fixée par une extrémité à une canne, un grelot, une bouée, qu'elle soit tenue à la main, ou abandonnée dans l’eau, elle a toujours la même signification. Quant à la confection des lignes diverses, nous devons renvoyer aux articles spéciaux qui traitent la manière de les faire, de les approprier à chaque pêche, et d’en reconnaître les défauts et les qualités. (Voy. CANNE A PÊCHE, Confection et choix, CANNE FIXE, CANNE POUR LA PÊCHE EN MER, etc.) 384 LES POISSONS LIGNE A BROCHET Si la voracité du brochet le rend facile à prendre à la ligne, d’un autre côté, l’armure de ses mâchoires et la dimension souvent respectable de sa personne exigent des engins d’une forme et d’une nature particulières. Tous les poissons ont la faculté de rejeter un aliment qu'ils viennent de prendre, et cette faculté semble chez eux être en proportion de leur voragité : il devait en être ainsi puisque les plus gloutons sont exposés le plus souvent à se tromper, et à ingérer dans leur estomac une foule de substances tout à fait inassimilables. Fi. 101. Fic. 102, Bricoles diverses. FIG. 103.— Avancée et ligne à brochet. Le brochet, le chevesne rejettent ce qu'ils viennent d'avaler à la moindre tension suspecte ; au contact de la ligne, tout est dehors, hamecçon et appât, et comme leur gueule, leur œsophage sont très larges, il y a beaucoup de chances que l’hameçon ressorte sans avoir rien attrapé de sa pointe. Aussi double-t-on et triple-t-on les chances en doublant et triplant les pointes, c’est-à-dire en emplo- yant les bricoles (fig. 101, 102) et les grappins. Aïnsi RME donc, toute ligne à brochet (fig. 103) sera terminée ee par un grappin ou une bricole au moins, À, solidement GE empilée, par une ligature de soie poissée, sur une empile de corde filée B d'au moins OM,15 de longueur. Car, quand le brochet a englouti le poisson vif dans son large estomac, sa bouche est garnie d'un tel luxe de dents, qu'en refermant ses mâchoires, il couperait d’un seul coup la florence la plus forte et la mieux choisie. Plus elle sera grosse mieux il la coupera : deux ou trois très fines et non cordées lui résisteraient mieux, parce qu’elles peuvent passer entre ses dents ; inais ce qui lui résiste bien, quand on n’a pas de corde filée ou de fil d’ar- chal, c’est tout simplement une empile de chanvre comme pour l’an- guille (fig. 104), DES ENGINS DE PÊCHE 385 Quand on n’a pas de corde filée on se sert de la méthode que nous avons indiquée au mot bricole. L'autre extrémité de l’empile sera montée par une bonne boucle garnie de soie poissée, à l'anneau mobile d'un émérillon C (fig. 103) ; on fixera l'anneau qui ne s'ouvre pas à l'extrémité de la ligne elle-même, et de cette manière l'empile sera libre quand on aura besoin de la faire passer, au moyen de l'aiguille à enferrer (fig. 106), dans le corps du poisson vif. Quant au corps de ligne proprement dit (fig. 105), on comprend qu'il doit être solide ; aussi le fait-on en fort cordonnet de soie bien dévrillée, peint et verni comme nous l’avons indiqué. En général, on prend ce cordonnet plus fort que moins, et de la grosseur d’une petite paille de blé (fig. 105), car il n’est pas besoin de dissimuler bien adroitement le F1G. 105.—Corps de ligne en cordonnet de soie verni. F1G. 106.— Aiguille à enferrer. piège à un poisson plus gourmand que fin, et qui, confiant dans sa force brutale, ne s'occupe pas de savoir si, & de certains cordons, la bête qu'il convoite se tient par la patte. On peut faire la ligne en cordonnet de lin ou de chanvre, mais celui-ci est moins fort, à grosseur égale, comme nous le savons, et dure moins longtemps, parce qu'il pourrit très aisément. Dans tous les cas, ce n’est point un mal de terminer la ligne, avant l’émérillon, par une avancée d'un mètre, au moins, de forte florence tordue en deux ou trois brins. Excès de précaution, à la pêche, ne nuit pas souvent. Il est utile encore d’avoir à sa canne un bon mouli- net P (fig. 546), car s’il ne se défend pas longtemps, le brochet a un premier mouvement de rage qui n’est pas sans mérite. On n'oubliera pas non plus une forte épuisette. Quelque solidement monté qu'il soit, = rien n’assure le pêcheur qu’il accrochera le brochet 36 bi hort mou- par l'estomac ; mais dans tous les cas, plus il se servira #15 à Brochet. de bricoles minces, plus il aura de chances de prise, plus il y aura néces- sité d'intervention de l’épuisette. Nous arrivons à la flotte. Le brochet se tient à mi-hauteur de l’eau ; il veut pouvoir surveiller le dessus et le dessous, et tenir le tout à sa portée ; la flotte sera donc placée de manière à assurer au poisson vif une position intermédiaire. Or, cette flotte a beaucoup de choses à porter, et devra nécessairement être forte, car elle soutiendra le grappin et sa monture métallique, l'émérillon, assez de plomb pour que le poisson vif ne puisse remonter à la surface de l’eau. Il faut done ne pas craindre 25 3806 LES POISSONS de la choisir solide, et celles qu'on emploie sont de la grosseur d’une poire moyenne (fig. 108), afin qu'elles résistent bien aux mouvements de trac- tion du poisson-appât. Nous avons vu, à l’article Canne, que la demeure du brochet était loin du bord, et qu'il fallait y envoyer facilement l’amorce : une assez grande longueur de la ligne trempera donc dans l’eau, et, faisant bannière renversée entre la flotte et le scion, elle forcera, par son poids, celui-ci à se rapprocher peu à peu de celui-là : enfin, en s’enfonçant de plus en plus dans l'eau, elle s'arrêtera aux herbes, aux racines, et pourra com- promettre le succès de la pêche; il faut remédier à cela, et soutenir toute cette bannière hors de l'eau. On y parvient en chargeant la ligne de deux ou trois petites flottes supplémentaires, grosses comme des olives (fig. 109), et qu'on appelle postillons ; on les place en arrière de la flotte principale et on les distance de manière à partager approximativement, en parties égales, l’espace que l’on suppose devoir exister entre la Hotte et la rive. Quand on tend plusieurs lignes à brochet—ce qui est la meilleure manière de faire une bonne pêche, car ce poisson est relativement plus FIG. 119. — Le pliant — du pêcheur à la ligne FIG. 108 — ' dermante. Flotte à Bro- Fi1G. 109 —Postillons sur la chet. ligne. rare que les autres dans les rivières où 1l habite—il arrive que ne pou- vant les surveiller sans relâche, le poisson vif qui nage sans cesse et sent ce que sa position à de hasardé, cherche à s'introduire entre les herbes et les jones : il n'aime pas à rester en vue. Il réussit presque toujours à se cacher, et en même temps, à emméêler la ligne de façon que souvent le pêcheur perd tout à la fois. Pour éviter cela, on peut disposer sa ligne de la manière suivante: il faut se munir de baguettes très légères d'osier, de coudrier où de tremble dont on fendra le petit bout; ces baguettes auront 2 où 3 metres de long et serviront tout simplement à éloigner la flotte du rivage. La ligne, maintenue ainsi par la fente de la baguette, n'aura plus qu'un mouvement très restreint de rotation à DES ENGINS DE PÊCHE 387 laisser faire au poisson vif, et l’autre extrémité, celle qui vient à terre, pourra être attachée à une branche flexible, à un grelot ou à une bobine qui amortira les bonds du poisson pris, et empêchera que le tout ne puisse être brisé. Malheureusement, les baguettes piquées dans la rive sont bien courtes pour la majeure partie des rivières, où la pêche au brochet se fait par- dessus des masses énormes de joncs et de roseaux :il faudrait les allonger jusqu'à en faire de véritables cannes à pêche, et c’est le moyen le plus sûr dans la majeure partie des endroits. On se construit trois ou quatre bonnes et solides cannes en roseau que l’on tend l’une à côté de l’autre et que l’on peut surveiller d’un coup d'œil; on a un pliant (fig. 110), et l’on attend que la chance soit favorable. GROSSEUR DES APPATS VIFS C’est ici le lieu de dire un mot de la grosseur des poissons qui servent d’appât au brochet; dans quelque lieu que l’on pêche ce poisson, il faut bien se souvenir que si un petit brochet n’attaque pas un gros poisson- appât, en revanche, un gros brochet ramasse tout ce qu'il rencontre, et ne dédaigne pas du tout une proie assurée qui semble de trop petite taille pour son appétit. Par conséquent, on doit pêcher, en général, au brochet de grosseur moyenne, et choisir le poisson vif en proportion : un appât de 0,10 à 0,12 de longueur est déjà capable de servir de pâture à un brochet d'une belle corpulence. Quoique giouton on peut être gourmet; le brochet en est un exemple : il aime à varier son ordinaire, mais sans cependant faire de trop grands écarts de régime. Dans les étangs où il vit avec des carpes, on peut lui en donner : il en sait la valeur, et elles ont pour le pêcheur l'avantage de vivre longtemps, mais il ne dédaignera pas le goujon ni même le gardon. Dans les rivières à cours lent et profond, à bords herbeux, eaux où il pullule et se plaît, il mangera volontiers le gardon, mais toujours et surtout le goujon, aussi le petit chevesne, le dard, et toujours le pauvre véron qui lui semble une friandise, un entremets sans conséquence, mais dont il goûte toute la délicatesse. L'ablette sert, à défaut de mets plus délicat ; la grenouille qu'on laisse aller à la fleur d’eau, sans plomb, un petit oiseau nouvellement éclos... tout lui est bon: les petites lamproiïes, les sangsues.… le simple ver rouge, qu'il attaque quelquefois ! La perchette sert encore, mais il faut 388 LES POISSONS lui couper les aiguillons du dos, et il paraît que maître brochet y voit assez clair pour s'assurer que ce hérisson a fait dos de velours..—ce qui me semble bien difficile, vu la rapidité avec laquelle il s’élance.—Mais enfin, c’est un article de foi chez le pêcheur, je le donne pour ce qu'il vaut ! LIGNE A GRELOTS La ligne à mettre aux grelots est la même que celle à soutenir à la main ; elle se fait en fouet de lin ( fig. 111) ou en cordonnet de soie (fig. 112); sa grosseur et sa longueur sont proportionnées à la grosseur du poisson qu'on espère prendre, et à la largeur du cours d’eau où l’on veut pêcher. Le cordonnet de soie étant plus fin pour une égale force est préférable, parce que la ligne, étant fine, offre moins de résistance au courant, s’il y en à où l’on pêche, ce qui aurait pour action de la ramener au bord. F1G. 111.—Fouet de lin. Grosseur à choisir. A A a ed F1G. 112.—Cordonnet de soie, FIG. 113.— Avancée de la ligne à soutenir, passant dans l'olive de plomb, Il fant que le plomb se maintienne au courant et que la ligne en reçoive la plus petite action possible obliquement. | Enfin, la ligne de soie, quoique plus chère, dure beaucoup moins longtemps que la ligne de lin. De plus, il faudra toujours faire subir à ces lignes de soie l'opération du vernissage au gras qui leur don- ne, en même temps que l’inalté- rabilité à l’eau, une certaine raï- Fi1G. 114.—Bouchon carré et ligne pour la pêche deur très avantageuse pour le dans les pelotes, , D glissement du plomb, ete. Souvent, au lieu d'employer au grelot une ligne à soutenir ( #g. 113), on remplace l’olive de plomb par le bouchon carré long (fig. 114), mobile LA \ A ! ? A, \ - Es » qui sert à la pêche dans les pelotes et qui s'arrête à 0,,,05 de l'hamecon sur un petit plomb à demeure. On pêche alors avec des pelotes de terre glaise, et c’est la pêche la plus fructueuse pour le grelot. DES ENGINS DE PÊCHE 389 CONFECTION DES GRELOTS Le nom du grelot à été étendu à l'appareil lui-même auquel cet instrument est attaché, de sorte qu'on entend par ce mot, en langage de pêcheur, non seulement le petit instrument qui avertit, mais l'espèce d’engin qui le porte, et même souvent la ligne et le système de pêche qui en dérivent. Dans cet article nous ne nous occuperons que de la confection de l'engin lui-même, car cette pêche n'offrant d'avantage qu'à la condition d'employer simultanément le plus de grelots possible, le pêcheur éloigné des villes sera content de pouvoir, à peu de frais, construire ses grelots lui-même. Le premier système est trés simple. Il se compose d’un manche B (fig. 115), de 0",12 à 0", 15 de longueur, sur un diamètre moyen de 0,03. Ces manches, qui ressemblent à de grandes bobines, et pourraient très bien être rempla- cés par elles, dans les villes où l’on peut s’en procurer, seront faits par un tourneur quien exécutera une douzaine dans une branche de hêtre, de frêne ou de houx. A l’un et l’autre bout on fait mettre, sur le tour, une virole en cuivre ou en fer, suivant ce qu'on trouve, puis, dans l’un des trous, on enfonce un morceau de gros fil de fer non recuit, de 0",004 de diamètre, que l’on aplatit à la lime en B, en lui laissant, au dehors, une longueur moyenne de 8 0,15, ce qui suppose qu'on l'aurait coupé à 0,20, AN CPE A l’autre extrémité de la poignée, on perce un trou sur "?*Pobine. J is on y introduit un bo e baleine de ,20 de longueur letour, puis o troduit un bout de balei le 0,20 de longueu bien effilé et flexible ; vers l'extrémité, on fixe un petit grelot, par une ligature qui retient un petit anneau de métal passant dans le trou de la queue, et la confection du grelot est terminée. I] ne reste plus qu'à peindre à l'huile et bien vernir le manche et le grelot. Avec une douzaine de ces engins on peut espérer une bonne pêche. faut, avec un tel pied de grelot, monter et démonter la ligne pour Il faut tel 1 de grelot ter et d iter la lig u a serrer et la plier à chaque fois que l'on s'en sert. On a cherché à la serrer et la pl haque f que 1 remédier à cette perte de temps en construisant le grand grelot C (fig. 116). 390 LES POISSONS Il peut être fabriqué à aussi peu de frais que le premier B (fig. 115). Le pied est le même, le manche est pareil : seulement, au lieu d’une baleine de 0,20 à 0®,25, on en monte sur da bobine une plus forte, de 07,60 à 0,80. On effile parfaitement l'extrémité seule, car il faut que le corps de la baleine conserve une certaine rigidité. On attache alors, à la base de la baleine, une petite pièce de bois formant un cran saillant, et retenue par deux ligatures solides. A l'extrémité de la baleine, on fixe le grelot d’une manière solide, et quand on a fini de pêcher on plie la ligne en la passant par la queue du grelot et par le cran de bois attaché près de la bobine. Il est bon de tordre le dernier tiers de la ligne autour du faisceau formé par les tours de la ligne, car si l’un d’eux s'échappe du paquet il faut démêler le tout, ce qui produit un travail long et fastidieux. FiG. 117. — Petit grelot à manche rond. FIG. 118.—Grelot horizontal. F16.119.— Srelot vertical. FIG. 116. — Grand grelot pour ployer la ligne. On peut encore (fig. 117) construire les grelots A en leur faisant un manche rond, garni de ses viroles, et ne lui donnant pas cette forme de bobine ou de poignée qui ne sert à rien qu'à empêcher de lier facilement ensemble le faisceau de ces instruments, et n’aide ni la pêche ni l'effort nécessaire pour enfoncer le picot dans la terre. Le manche peut être en noyer, ou mieux, en hêtre verni et peint ; il est monté sur le tour de ses deux viroles en cuivre. Le picot peut avoir seulement Om,12, s'il est fait en fer de lance, ce qui lui donne beaucoup plus d'assiette duns la terre. DES ENGINS DE PÊCHE 391 Le grelot est attaché à une baleine de 0°,25, un peu raide, et la ligne se fixe au bas de la poignée, sur le fer, puis elle est pelotonnée sur la poignée, à l'extrémité de laquelle on forme une demi-clef qui l’arrête. Enfin, le meilleur des grelots est représenté par les figures 118 et 119 ; malheureusement, il est embarrassant à transporter, et plus difficile à construire que les autres, sans cependant que la plus petite ville ne puisse offrir tout ce qu'il faut pour le faire parfaitement. Un pivot de fer est enfermé dans un manche en bois muni de sa virole en bas : ce manche est une sorte de piquet qui porte à sa partie supérieure une fichesen fil de fer de Om,004 de diamètre, traversant la poulie horizontale et lui servant d’axe. Le piquet est terminé en haut par une surface bien plane, sur laquelle tourne la poulie, laquelle porte en dessous un petit clou qui butte sur un ressort fixé par deux vis, au piquet, lequel ressort porte le grelot à son extrémité. La ligne est enroulée dans la gorge de la poulie, et quand, par l'attaque d’un poisson, elle se dévide, elle ne peut pas faire exécuter un tour à la poulie sans frapper du clou le ressort et faire tinter le grelot. On pourrait simplifier le transport de cet engin en plaçant une tête à vis sur l’axe de fer, tête qui, en se dévissant, permettrait de détacher du piquet, la poulie garnie de la ligne roulée, et ainsi très facilement ployée. La fisure 185 montre la disposition verticale de la poulie d’un grelot confectionné d’après le même système. Nous préférons cette dernière disposition au moyen de laquelle la ligne court beaucoup moins le risque de s'échapper de la gorge de la poulie et de tomber sur le ressort à grelot où elle se mélerait infailliblement. LIGNES DE FOND La ligne de fond varie dans sa forme et sa longueur depuis plusieurs kilomètres en mer, jusqu’à quelques mètres en rivière. On donne même, par extension, le nom de ligne de fond à la ligne à soutenir à la balle, parce qu'elle sert à pêcher seulement les poissons de fond. Nous avons expliqué, à l’article céblières, grandes et petites, comment ces lignes s'établissaient et se mettaient à l’eau ; nous ne consignerons ici que des observations générales. Les lignes, en mer, sont destinées à reposer sur des fonds qui contiennent souvent de véritables prairies sous-marines d’une assez grande épaisseur. Si les empiles des hameçons étaient courtes, la ligne et les empiles seraient cachées par les algues et les fucus au milieu desquels peu de poissons pourraient les rencontrer. 392 LES POISSONS Aussi, les pêcheurs ont-ils soin de mettre à chaque hameçon des empiles qui ont jusqu'à 3 mètres de long. Il s’agit d'empêcher ces empiles d’être cachées dans les herbes ; on emploie un moyen des plus simples (fig. 120), mais en même temps des plus ingénieux. A 0"30 de l’hameçon, on met un petit morceau de liège de forme à peu près cubique, d'environ 0,02 de côté. Ce morceau de liège, tendant à remonter, soulève l’empile et ne laisse pendre que l’hameçon, soit au-dessus du lit des herbes soit parmi leurs cimes les plus élevées, où le poisson chasse et se nourrit. douce. F1G. 120. —-Empiles à corcerons, sur F1G. 123.—Plombs de difrérentes câblières. grosseurs pour lignes de fond. Cette disposition pourra être imitée quand on voudra tendre des cordées ou lignes de fond dans Îles rivières profondes, herbeuses ou vaseuses et à courant faible ; elle rendra ainsi d'excellents services. Les lignes de fond se composent done d'une corde où cordeau dont la grosseur varie mais devra toujours être proportionnée à la longueur totale de la ligne, aux obstacles qu'on peut rencontrer en la retirant, et au genre de poisson que lon espère prendre. On choisit (fig. 121), pour les cordées ou traiînées ordinaires à tendre en eau douce, un fil de fouet gros comme une bonne plume d'oie ; on le dévrille avec soin dans l’eau, et on en débite des morceaux de 50 mètres, environ. Quand on se sert d’un bateau pour tendre ses lignes, on attache, au fur et à mesure, ces morceaux les uns aux autres, et, de cette manière, on compose une ligne de fond aussi longue qu'on la veut. On a, dans son bateau, les hameçons tout eschés ; il ne reste qu’à les attacher sur la ligne, au moyen d'un tour, et d’une demi-clef, à mesure que la ligne est débitée et mise à l’eau. On a soin également qu'il y ait entre les points d'attache de deux empiles consécutives, un peu plus de distance que la longueur des deux empiles réunies, afin que les hameçons ne puissent se prendre et se mêler l’un à l’autre. On espace des pierres (fig. 1S8S) en suffisante quantité pour faire caler la ligne ; quand on veut un peu plus de luxe— luxe non inutile, car la ligne se prend beaucoup moins entre les pierres et les herbes— on y DES ENGINS DE PÉCHE 393 enfile, de place en place, des balles de plomb oblongues, analogues à celles qui garnissent les filets (fig. 123). Dans tous les cas, les cordes doi vent être tendues dans le sens du courant À, mais un peu oblique- ment (DB), à sa direction (fig. 124) On jette souvent des lignes de fond de la rive; elles se nomment fré- quemment Jeux d'anguille, parce qu'elles servent surtout à prendre F1G. 124. —Ligne de fond oblique au courant ces poissons. Nous renvoyons au Ge EERS: mot Jeux, pour en avoir la confection ; elle est absolument la même, et ces cordes se jettent en avant de soi, en travers du cours de la rivière. JEUX D'ANGUILLE Tous les hamecçons des lignes de fond sont ordinairement empilés sur fil de fouet très fin (fig. 125) ; il vaudrait mieux qu'ils le fussent sur cordelette de crin tordue en six, huit ou douze brins au plus (fig. 126) ; les empiles ne se tourmentent pas comme celles en ficelle, qui se nouent, se mêlent, et finissent par se prendre dans les herbes et entre les pierres. On évitera également les & hameçons à boucles, trop gros- siers pour ne pas être rejetés F1G, 125.—Fil LEO LME CEE M les hameçons par les poissons. Il faut lais- ser cela aux pêcheurs de la . campagne, qui n'en ont jamais 2 vu d'autres, et qui ne peuvent F1G@. 126.—Ligne en 6 brins de crin pour empilage . - \ : es hamecçons de fond. nous servir ni de modèles ni de guides. Quand on à mis sa traînée à l’eau, au moyen du bateau, on fait une marque au moyen d'une balise ou d’une bouée pour retrouver sa premiere pierre, que l’on cherche au moyen d'une gaffe à crochet ou d’un grappin, et l’on relève doucement le tout de grand matin. Il existe encore une ligne de fond très simple et que nous ne devons pas passer sous silence, car elle produit de bonnes récoltes quand on sait la placer à propos, près des berges creuses, des crônes ou des endroits marécageux. 394 LES POISSONS Cette ligne se compose d’une corde de 4 à 10 mètres de longueur, portant à son extrémité une pierre ou un plomb capable de la faire caler, puis, un peu au-dessus, un hameçon plus ou moins fort, empilé, suivant l'espèce de poisson que l’on veut prendre, sur une florence forte, du crin tordu, de la corde filée ou du fil de laiton recuit, ete. On esche au moyen d'un gros ver rouge ou d’un petit poisson, véron ou autre. On attache la seconde extrémité de la ligne à un piquet que l’on enfonce, le soir, au bord de l’eau, ou même dans l’eau : on jette la pierre en face, et on va lever de grand matin. Ces lignes de fond diffèrent des jeux, lesquels ont plusieurs hamecons, et le plomb placé d’une autre manière. Comme on prend souvent des anguilles, de grosses truites, des brochets, des carpes, ete, quand un gros poisson est accroché et se débat toute la nuit, il entortillerait les autres hameçons— si l’on en mettait plusieurs — autour des herbes, des racines ou des pierres ; et le lendemain, le pêcheur serait incapable de rien retirer de la rivière : heureux encore si, après ce beau chef-d'œuvre FIG. 127.— Ligne de fond, d'hiver. achevé, le poisson n'aurait pas fini par:se décrocher à l’aide de cette résistance, ne laissant à l’homme que la perte de sa ligne et le regret d'une belle capture manquée. Quoique nous ne décrivions ordinairement que les pêches et les engins usités en notre pays, nous ne pouvons résister au désir d'apprendre à nos compatriotes que l’on emploie, chez nos voisins, des modes de pêche à la ligne de fond dont ils pourraient et devraient tirer parti. Ce système, que nous avons vu mettre en usage aux États-Unis, peut rendre les meilleurs services dans les grands étangs d’eau douce ou saumâtre que nous possédons sur notre sol, et serait certainement employé avec succès sur de nombreux points du littoral du golfe Saint-Laurent, où la marée se fait fermement sentir, soit en mettant ces engins tels quels dans les endroits dormants et tranquilles, soit en en modifiant les dispositions ou la direction, suivant les exigences de l'endroit, DES ENGINS DE PÉCHE 395 Première manière. —£En automne : août, septembre, octobre. La ligne de fond se tend de la manière indiquée par la figure 127. A l'extrémité de la ligne se met une forte pierre qui la retient au fond de l’eau, par 3 à 4 brasses de profondeur, car les poissons se prennent, en moyenne, à 3 brasses sous l’eau. Cette grosse pierre où câblière maintient une ligne qu'amène un flotteur à cinq pieds sous l’eau. Cette précaution estnécessitée pour que les bateaux circulant n'entraînent pas la ligne. Ils voient parfaitement les lièges ou bouées supérieures, qui sont espacés de 50 mètres à peu près. Les empiles sont espacées entre elles de 6 en 6 mètres, et l’on en met 10 entre deux flotteurs. Les hameçons que l’on emploie sont des bricoles (fig. Fi. 128.—Brico- ; le ordinaire. 128), et on les passe sous la dorsale des petits poissons vifs, ou en plein quartier d’une forte esche avec lesquels on amorce exclusivement,car la principale capture cherchée est celle du gros poisson. Ce sont des pêches de grand fond. Deuxième manière. Printemps: mars, avril «t mai. Ici, la ligne de fond, ou ligne dormante, comme ils l’appellent, est tendue droite, de ma- nière que les hameçons se trouvent sur une seule ligne ; mais les fils qui Le : F1G. 129 —Ligne de fond, de printemps. soutiennent la ligne en- tre deux eaux n'ont que cinq à six pieds. Deux grosses câblières frappées à chaque extrémité de la ligne la retiennent en place. A cette époque de l’année on n'emploie plus les bricoles, mais des hameçons simples que l’on entile, de même, suivant la nature des esches. Troisième manière, —Eté : mai,juin, juillet. La ligne de fond prend le nom de ligne dormante : elle n’est plus tendue entre deux eaux, elle porte F1G. 130.—Ligne de fond pour la pêche d'été (ligne dormante). 396 LES POISSONS au fond par ses câblières, mais est soutenue à une hauteur suffisante par elles, pour que les amorces seules touchent le fond et que les empiles n'y traînent point. À cette époque de l’année, on n’emploie plus que des hameçons simples et toujours le poisson vif ou des quartiers d'oiseau ou des grenouilles comme amorce. Les empiles sont espacées de 6 en 6 pieds et l’on prend ainsi les plus fortes pièces. LIGNE À LA MAIN—LIGNE À SOUTENIR Le corps de la ligne pour la pêche à soutenir doit être en solide fil de soie ou de lin (fig. 131) soigneusement dévrillé, peint et verni ; à l’ex- trémité sera placée une avancée de 1,50 de très forte florence ou de plusieurs margotins de deux florences moyennes bien tordues. On munit la ligne d’un limerick renforcé à palette, n° 1, au printemps, pour le ver rouge; 2 ou 3 en été, pour le fromage de Gruyère; et 0 à l'automne, pour la viande crue ou cuite, et la cervelle. FiG. 131.—Ligne à soutenir. FiG. 132.—Petite plombée en cloche. Cette pêche étant une péche de fond, nécessite l'emploi d’une plombée à la ligne, afin de retenir sur le sol de la rivière l’hameçon et l’appât qu'il porte. On peut employer pour plomber la ligne plusieurs manières qui toutes ont leurs avantages. et leurs inconvénients. Quand on se sert d’une ligne de soie sans avancée, on plie la ligne surelle- même, et l’on y pratique par un nœud ordinaire une boucle de 30 à 40 millimètres de distance de l’hameçon. La plombée est d’une forme quel- conque et porte une petite anse de fil de fer. La meilleure forme est celle dite en cloche (fig. 132), dont l'assiette est la plus ferme dans l’eau. On passe la boucle dela ligne dans l’anse du fil de fer, on ouvre la boucle quand elle est assez engagée, et l’on y fait passer le corps même de la plombée, on tire, et l’anse de la plombée se trouve prise dans un nœud coulant que l’on défait à volonté. En refaisant cette manœuvre en sens inverse, on a ainsi fixé d'une manière indissoluble le plomb à la ligne, ce qui est une très mauvaise manière, car on détruit ainsi toute la sensibilité de la ligne, eb pour ferrer il faut que le coup porte sur la plombée avant d'arriver au poisson. On à ainsi un choc terrible qui peut briser la ligne ou déchirer DES ENGINS DE PÉCHE 397 la gueule du poisson, ce qu'il me semble à peu près impossible d'éviter. Joignez à cela que la plombée est très saïllante et peut tomber ou s’en- gager entre deux pierres d’où il n’est plus possible de ferrer le poisson ni de la retirer. On a proposé un autre système: la plombée porte une anse de florence (fig. 133) ou de laiton dans laquelle passe une S de fil de cuivre recuit (fig. 134). On met à demeure un grain de plomb fendu sur la ligne, à 50 millimètres de l’hameçon, et l'S en cuivre s'arrête sur ce plomb qu'elle ne peut dépasser. Quand on lance la ligne, la plombée l’entraîne, mais quand tout est descendu au fond de l’eau, en rendant un peu la main, le fil ou la florence passe dans le coulant D (fig. 134), et la ligne libre, quoique retenue au fond de l’eau, conserve ainsi une grande sensi- D ( FIG 133.—Plombée id +4 à anse de florence et FIG. 134.—S en lai à coulant. ton (gr. nat.). FIG. 135.— Balles oblongues percées. bilité, puisque l'attaque du poisson se fait sentir sans interruption tout le long du fil; de plus, quand on ferre, il n'y à pas de choc à craindre, puisqu'il existe assez d'espace, entre le plomb à demeure et le coulant de la plombée, pour qu'il n’y ait pas choc de l’un ni de l’autre. On peut encore perfectionner ce système en ne se servant pas d'une plombée à coulant, dont l'S peut s'ouvrir toute seule, en tirant avec la ligne quand celle-ci est arrêtée entre les pierres. Il suffit d’enfiler sur la ligne une balle oblongue percée comme celles qui servent à lester les filets (fig. 135). On fixe également à demeure sur la ligne un petit plomb fendu, afin d'arrêter la balle, et l’on agit de même que tout à l'heure — avec la plombée à coulant (fig. 133), en rendant un peu la main quand la balle est au fond, de manière que la ligne soit libre dans son mouve- ment, quoique retenue au fonds par le poids du plomb. 398 LES POISSONS LIGNES DE FOND — GRANDES CABLIÈRES La pêche aux grandes câblières, pêche qui prend aussi le nom de pêche aux bauffes, dormante ou sédentaire, se fait de différentes manières, sui- vant le fond et la rigueur de la mer. L'engin principal est une vraie et pure ligne de plomb (fig. 136), com- posée : 1° D'une bauffe ou maîtresse corde, AMB, d’une longueur indéter- minée, et d’une force suffisante pour résister aux coups de mer, et à la traction des poissons qui agissent, sans intermédiaire sur cette corde attachée à deux points fixes. Ordinairement, elle se fait en corde de chanvre bien dévrillée et tannée avec soin, de la gros- seur de la figure 137: F1G. 137.— Corde de fond. 2° De deux fortes pierres A B, ou câblières, servant à faire caler la ligne (fig. 136) ; —— = 0 ; 3° D'hamecçons empilés $, o FIG. 136.—Grande Câblière, tendue. T , q, r, et attachés par l’empile sur la bauffe avec un écartement de 1 m. 50 à 2 mètres; 4° De petites pierres ou câblières #7, #,«, pour bien équilibrer la ligne sur le sable ; 5° Quelquefois de corcerons C, D, destinés, au contraire, à l’allécer pour qu'elle ne se perde pas dans la vase ou les herbes, suivant la ma- nière de la tendre. Cette manière est différente, suivant les cas : ou bien l’on creuse à la bêche, dans le sable, un sillon dans lequel on couche la bauffe tout du long, ou bien on la recouvre de sable et les hameçons amarrés sortent seuls avec une partie de l’empile ; ou bien, on laisse la bauffe à demeure sur le sable, comptant sur le poids des câblières pour que 1 mer n'emporte pas le tout, DES ENGINS DE PÊCHE 399 L'inclinaison de la grève fait surtout varier le mode de tendre sur ou sous le sable ; le nombre et la grosseur des galets aide encore à déter- miner quel mode doit être adopté. Dans le golfe Saint-Laurent comme dans l'Océan, on tend également ces lignes à une certaine distance des côtes, mais alors en pleine eau. Ordinai- rement, ces bauffes-là ont de 50 à 60 mètres de longueur, et la corde est de la grosseur de la figure 138. La figure 136 donne une idée très exacte de cette ligne de fond. Les pêcheurs emportent leurs engins dans une barque et s’éloignent du rivage, en se portant au-dessus du fond ou du bane où ils veulent pêcher. Ils commencent par laisser couler douce- ment la grosse câblière B, et, à mesure, les empiles qui sont espacées ve 4 mètres sur la bauffe, celle-ci étant lovée dans un panier ; les empiles restent en dehors, les hamecçons sur les bords. On dévide doucement, en nageant, et les hameçons tout amorcés œagnent le fond de l’eau. FIG 138.—Bauffe de fond. FIG. 139.—Bouée. De temps en temps, sur la bauffe MN, on attache de petites câblières mn, n, w ; enfin, quand toute la corde est à l’eau, on attache à la câblière A un orin muni de sa bouée (fig. 139), on laisse couler, et la corde du fond se trouve tendue. Quand on veut relever cette ligne, on saisit la bouée, et, au moyen de l’orin, on retire la câblière À, puis, successivement, toute la corde que l’on roule à mesure dans son panier, laissant les hameçons empilés au dehors, afin que tout ne s’emmêle pas. On décroche le poisson, au fur et à mesure qu'il se présente. On arrive à la seconde grosse câblière B ; on la remet à l’eau ; on réamorce les hameçons dépouillés, et l’on recommence la pêche de la même manière. Il est bon de calculer le nombre de lignes semblables que l’on met à la mer, à une petite distance les unes des autres, afin que, pendant qu'on les relève, il y ait assez de temps pour laisser arriver le poisson, et que la pêche soit fructueuse. [1 faut que la ligne séjourne au fond de l'eau durant 2 à 3 heures. Si le pêcheur se décide pour ce dernier chiffre, et qu'il faille une demi-heure pour relever et remettre chaque ligne à l'eau, avec 6 de ces engins, ses hommes seront constamment occupés, et en relevant ces lignes à tour de rôle, et dans leur ordre d'immersion, elles auront toutes passé le même temps nécessaire à la mer. 400 LES POISSONS Dans le nord, la maîtresse corde ou bauffe des lignes de fond à envi- ron 1 centimètre de diamètre (fig. 138) : elle est tordue avec soin et tannée fortement, ainsi que les empiles. On lui donne en moyenne 500 mètres de long, et elle porte 100 hamecçons. Les empiles ont 2 mètres de long ; et sont faites en cordelettes de la grosseur d’une forte paille de froment, elles sont munies d’hamecçons en fer forgé de 8 centimètres de long et gros à proportion. C’est avec cela que l’on prend les congres, les lingues, les turbots, les morues, les raies, cte. Les pêcheurs de profession préfèrent ces hamecçons de fer étainés, très grossiers et très peu aigus, parce qu'ils plient et ne rompent pas sur les rochers et les autres obstacles. S'ils sont tordus, on les remet en forme, on leur donne un coup de lime sur la pointe, et ils sont comme neufs. Il nous semble hors de doute cependant que s'ils se servaient d’ha- meçons plus petits et plus solides comme acier et mieux faits, quoique cassants, ils prendraient assez de poissons de plus pour être indemnisés de cette petite dépense ; mais la routine est là, et personne ne veut essayer. Que de progrès à faire, en tout ce qui est pêche de mer comme pro- fession ! et quelle fortune à réaliser pour celui qui osera une révolution en harmonie avec les progrès de la fabrication actuelle ! Les lignes de fond sont lovées ou roulées en cercle, deux par deux, dans un panier fait exprès, et quelques bateaux pêcheurs emportent jusqu’à quarante de ces paniers, les empiles sont ployées en deux et les hameçons attachés par une espèce de nœud coulant à environ 10 millimètres de la bauffe afin que les empiles ainsi ployées en deux ne se mêlent pas. Quand elles sont amorcés on les place en rond sur le bord du panier, et on les jette successivement à la mer pendant que le bateau marche bon vent et assez vite pour bien tendre la corde. L'expression ligne de fond doit s'entendre de trois sortes de pêches, qui sont: la péche à soutenir, la péche aux jeux et la péche aux cordées en mer et en rivières. Chacune de ces pêches à été traitée à part avec tous les développements qu'elle comporte. (Voy.Confection des lignes de fond.) LIGNE DORMANTE Nous référons le lecteur au chapitre qui traite de la Canne five. DES ENGINS DE PÈCHE 401 LIGNE FERME (Pêche à la) On appelle pêcher à ligne ferme, quand on a, sur sa canne, un mou- linet dont la bobine est arrêtée par un cliquet ou un mécanisme glissant de côté qui fixe la ligne de façon qu'on ferre avec une ligne fire, ferme, non extensible, et qu'on rend libre seule- ment quand l'animal est fatigué et qu'il faut | le noyer. Le mécanisme du déclic à bascule .FiG.140.—Mou- Fi. 141. — linet simple àdé- Moulinet (fig. 140) est préférable, parce qu'il est bien clic à bascule. simple, à D 2 verrou. plus facile et plus prompt de presser sur un ressort que d'ouvrir un verrou (fig. 141). Il est, en général, plus favorable de pêcher à La ligne flottante. LIGNE FILANTE (Pêche à la) On pêche à la ligne filante quand on se sert d'un moulinet ouvert, libre, et sans entrave ni déclic; le plus simple système est le meilleur dans ce cas, et une simple bobine montée sur du fer-blane, comme nous l'avons indiqué au mot Moulinet, suffit amplement à cette affaire. Rien ne doit s'opposer à la liberté du moulinet et au passage de la ligne dans les anneaux de la canne. En effet, l'attaque du poisson est tellement ins- tantanée, la force qu'il déploie pour fuir est si intense que pour peu qu'il offre un certain poids qui décuple la puissance de ses mouvements, tout sera brisé avant que le pêcheur ait pu rendre la liberté à sa mécanique. Cependant il faut un léger arrêt sur le fil pour que le poisson, heurtant à un obstacle, fasse entrer l’hame- çon assez fortement; ce petit obstacle c'est le pouce de la main gauche ou de la droite mis sur le fil du moulinet ouvert. Au moment de ferrer, la résistance minime qui se F1G. 142. — Mouli- net libre et à déclic. produit suffit pour assurer l'efficacité du mouvement si le poisson est fort, et en soulevant si peu qu'on veut le doigt de dessus la ligne, on rend à celle-e1 la Hberté entière ou limitée dont elle a besoin. Tous les avantages de la ligne filante sont au reste condensés par l'usage du moulinet libre et à déclic (fig. 141). 26 402 LES POISSONS LIGNE POUR LA PÉCHE AU LANCER L'observation la plus superficielle a permis à tous les pêcheurs de cons- tater que la truite et les autres poissons de surface s'emparent avidement de tous les insectes qui approchent de la superticie des eaux. De là est venue l’idée de garnir son hameçon d’un insecte et de le laisser tomber sur l’eau. . . d’où est venue la pêche à la mouche naturelle volante, à la sur- prise. . . mais on s’est très vite aperçu que si ces pêches réussissaient, c’est que la première se faisait du haut d’un pont ou d’un obstacle, la seconde de derrière les plantes du rivage... dans l’un et l’autre cas, parce que la ligne tombant perpendiculairement à l’eau ou à peu près, le poisson ne pouvait soupçonner la couverture de l’hameçon par un appât. Or rien n'est subtil comme la vue et agile comme la défiance du poisson de surface. S'il aperçoit le fil qui va de l'appât au pêcheur, il restera sour.i à l'appel de la meilleure esche et gobera, à côté, le premier insecte tombé, des qu'il sera sûr qu'il ne cache aucun piège ! Remarquons que les plus gros poissons habitent le plus loin possible du rivage. Si vous Jetez vers ce point votre ligne amorcée d’un hanneton, d’une sauterelle, tout d’abord le fil se verra dans l’eau, puis l’insecte se détachera bientôt et, sautant au loin, sera happé prestement par le pre- mier rôdeur de ces parages. Il faut donc s'arranger pour que l’hameçon tombe perpendiculairement au plan de l’eau ou, du moins, sous un angle assez grand pour que la flo- rence sur laquelle 1l est monté ne soit pas vue trop facilement du poissor. Mais, dans la pratique, une autre et non moins grave difficulté se pré- sente. Pour maintenir l’esche dans la position voulue, il faudrait que le bout du scion fût très élevé, de manière que la canne fit avec la ligne un angle de 40 à 50 degrés, au lieu de 90 qui est l’angle moyen de la pêche à la ligne. Par conséquent, la base du triangle, c’est-à-dire la distance entre le pêcheur et le poisson, se raccourcirait, et l’on se heurterait à deux inconvénients : pêcher trop près du bord pour ramener de belles pièces, et découvrir trop le pêcheur, ce qui ferait fuir les pêchés aussi vite et aussi loin que le fameux chien que tout le monde sait. Le remède est facile, allonger la canne jusqu'à 5, 6 et même 7 mètres, lui attacher une ligne plus longue de 10 mètres, et, avec cet engin, le pêcheur enverra dans de bonnes conditions son insecte naturel à 9 ou 10 mètres de lui. Autre inconvénient : la canne de 6 à 7 mètres faite, DES ENGINS DE PÊCHE 403 comment la lancer ? Une semblable canne, quand on s’en sert pour la pêche de fond, est déjà une solive peu commode à manier; aussi, les paysans qui se servent de pareilles cannes pour la pêche du brochet, les laissent-ils à vau-l’eau appuyées sur le bord. Pour la pêche aux insectes, il faut tenir et toujours tenir la canne : peu de bras et de poignets y au contraire, résisteraient, et les pêcheurs doués de ces avantages d'Hercule se compteraient comme le phénix et ses descendants. Nous devons donc nous trouver mille fois heureux que la Nabure ait pensé aux pêcheurs en faisant pousser le roseau, pour eux et leurs plaisirs. Le pêcheur se procurera done une bonne canne en roseau, en quatre brins, de 1 mètre 50 centimètres à 1 mètre 75 centimètres, ou en cinq brins de S0 centimètres à 1 mètre 40 centimètres. La seconde division, celle en cinq morceaux, est plus portative, ployée mais plus lourde et moins solide que la première en quatre, parce qu'elle a plus de viroles. On renforcera chaque entre-nœuds d'une ligature soignée et bien vernie ; l’on montera à la base de la canne, un bon picot d'acier, et l’on munira son extrémité d’un scion d’orme, d’épine ou de cornouiller, bien flexible et ligaturé également dans sa longueur. L'engin ainsi fait se trouvera parfaitement dans les conditions de flexibilité et de solidité nécessaires. Muni de son moulinet libre, sur lequel un fin et solide cordonnet de soie bien verni et peint est enroulé, le pêcheur tient en main l'instrument qu'il à construit et qui doit répondre à tous les cas imprévus. Le choix du cordonnet n’est pas sans importance : il faut que, par la nature de ses éléments, il soit capable de fournir sous le plus petit volume possible la plus grande résistance et puisse supporter, sans se détériorer, les alter- natives de chaleur, de sécheresse et d'humidité auxquelles il serait cent fois par jour exposé. C’est pourquoi nous recommandons de peindre la ligne et de la vernir avec beaucoup de soin. Cette ligne aura 50 mètres de longueur sans nœuds, et il sera bon qu'elle puisse supporter, en l’essayant, un poids mort de 5 à 6 kilogrammes, afin d’être certain qu'elle résistera aux secousses d’un poids vivant de 2 à 3 kilogrammes au moins. A l'extrémité de la ligne, on fera une boucle de 4 à 5 millimètres de long, soigneusement maintenue par une ligature en soie fine. Quelques pêcheurs se contentent d'y faire un simple nœud, et joignent la ligne à Ce système offre bien assez de solidité ; il l'avancée par une demi-clef. s'attache et se détache surtout en un clin d'œil, tandis que, avec la boucle, il faut passer dedans toute l'avancée pour que les deux soient liés ; ce qui, quand la ligne est mouillée, est souvent assez long. La question de l'avancée est des plus importantes, car c’est la partie de la ligne que le poisson ne doit pas voir. La florence est la plus com- matière pour cet objet; on en fera mode — mais non la meilleure donc une avancée de la longueur de la canne. Cette avancée sera soi- 404 LES POISSONS gneusement composée de brins choisis et attachés bout à bout, la gros- seur de l’ensemble décroissant de haut en bas, et chaque extrémité sera terminée par une boucle de 3 millimètres de longueur, ligaturée finement de soie blanche, cirée et vernie ensuite au vernis blanc. Quelques pêcheurs remarquant les qualités si précieuses du crin, et sa facilité à s'étendre lors de la projection de la ligne, remplacent avec raison l'avancée de florence par une avancée de crin faite en queue de rat et finissant en bas par six brins: cette avancée peut avoir au moins la longueur de la canne, car elle n'est pas destinée à passer dans les anneaux. On verra la manière de la ployer sur la canne, à l’article Péche à la mouche naturelle, ligne volante. L'empilage des hameçons se fait sur crin simple, si l’on est très habile, sur florence si on l’est moins; on réussit en proportion de la difficulté vaincue. On peut faire l’empile un peu longue pour éloigner davantage de l’esche l’ensemble assez visible des deux boucles et des deux ligatures passées l’une dans l’autre. Tout ceci étant prêt, les pêcheurs ont bien reconnu qu'envoyer au loin, avec succès, des insectes naturels, étant impossible, il fallait inventer quelque chose, et ils ont créé les mouches artificielles, dont nous suppo- serons notre bonne ligne munie. LIGNES FLOTTANTES (Variété de) La ligne flottante est tenue à la main par la canne ; elle suit le cours de l’eau, et force le pêcheur à rester attentif au moment où mord le poisson. Cette pêche peut se faire par les méthodes suivantes : ù au Coup. Ligne courte : | . à | au vif (Voyez DROITS.) { à fouetter. Ligne flottante ; canne | Ligne longue à rouler. tenue à la main ...... { à la mouche arti cielle. { au fil de l’eau. à la surprise. Ligne à la volée | à l’insecte naturel. DES ENGINS DE PÉCHE 405 LIGNE A GOUJONS Cette dénomination indique plutôt une forme et une grosseur de ligne qu'un instrument spécial destiné à la pêche d’un seul poisson. On adopte cette désignation faute d’une meilleure qui ne soit pas une longue périphrase. En un mot, la ligne à goujon sert à prendre tous les poissons de fond de petite et de moyenne dimension. Ce qui la caractérise, c’est qu’elle supporte au moins deux hameçons placés en général comme dans la figure 143. F1G. 144.— Ligne de soie fine pour ligne à goujon. Fi1G. 145.—Corps de ligne en 6 brins de crin. Fi&. 143.—Ligne agoujon. On prend, pour composer cet instrument de pêche, une canne de dimension ordinaire, on la garnit d’une soie fine (fig. 144) et on y met une avancée la plus mince possible. Le meilleur moyen pour pêcher le goujon étant lorsque les grandes crues, les orages, la fonte des neiges amènent des crues ou des eaux troubles, il n’est pas nécessaire de se monter aussi finement que pour les eaux limpides où se tient généra- lement le gardon, d'autant plus que presque toujours là où se tient le goujon se trouve le barbillon. Ce dernier n’est pas toujours de petite taille, et je ne parle que pour mémoire, des plies, toutes les rivières n’en contenant pas. Aussi, beaucoup de pêcheurs croient devoir pêcher le goujon, montés très solidement sur florence, avec deux hameçons, il est vrai, dont le premier sera un peu plus fort que l’autre, un n° 10 pendant que le second sera n° 12. Si ces pêcheurs n’ont pas de moulinet ni 406 LES POISSONS d'épuisette, ils ont tort, on ne sait pas à cette pêche en eau trouble, ce qui peut arriver ; nous avons pris, un jour, une brême de 2 kilos, en pêchant au goujon dans 50 millimètres d’eau par une crue, et certes, monté sur un crin, nous ne l’eussions pas eue sans le moulinet et l’épuisette secourable ! Cependant, nous dirons aux pêcheurs sérieusement amis du progrès : montez votre moulinet, mettez une avancée fine, un bon limerick à palette n° 12, D (fig. 143), monté sur un fort crin AB, un n° 14plus haut © sur un petit pater noster, et pêchez hardiment. La florence a toujours une certaine raideur que le crin ne garde jamais dans l’eau ; le poisson qui cherche un peu à tâtons concentre toute son attention sur le sens tactile de ses lèvres ; si ce qu’il essaie d’engamer résiste, il le laisse ; s'il ne sent aucune embûche, il mord : il est pris. Nous ajouterons cependant ceci plutôt dans la prévision des heureux accidents qui amènent à la ligne à goujon une pièce plus difficile à prendre—brême, gardon, carpe — que pour le gou- jon qui est un goulu, lequel quand il a senti le ver, il ne le F1G. 146.— Ligne en patei-noster. laisse plus. Il en est de même du barbillon, de la lotte et de l’anguille ; car vous pourrez prendre tout cela dans les brouillards des crues et des eaux troubles. Sans épuisette, faites le corps de ligne en six brins de crin (fig. 145) finissant à quatre. La ligne à goujon offre une difficulté sérieuse, c’est celle de toutes les lignes qui portent plusieurs hameçons ; comment les empêcher de retomber sur le corps de ligne, de s’y emmêler et d'y devenir inutiles ? On a pro- N posé beaucoup de solutions, celle B de la figure 143 en est une, mais le pater-noster QR (fig. 146) est, à notre | avis, la seule complète, tant que la ligne peut porter les 4 [ deux petits plombs nécessaires pour arrêter la perle. S'il en était autrement, il faudrait faire des nœuds qui seraient un peu moins solides. On monte sur la perle R une soie de sanglier courte, de facon que, pliéeet la boucle ) faite, le tout ait 6 millimètres ; dans cette boucle on passe Fig. 147.—Ligne celle de l’empile $ courte, 5 millimètres, des hameçons sur forte florence. : . o : dont on a besoin. De cette manière, la soie de sanglier ne ployant pas dans l’eau, l’'empile de l’hameçon sera toujours isolée et ne pourra se mêler au corps de ligne que l’hameçon ne touchera Jamais. DES ENGINS DE PÈCHE 407 On adopte souvent la disposition de la figure 146, qui n'est pas mau- vaise quand on monte la ligne et les deux hameçons sur de forte florence ; sur du crin tout se mêlerait. On peut également adopter la balance à goujons, très bonne dans les rivières à courant doux et à fond uni. La flotte sera, suivant la rivière, forte s'il y a beaucoup de courant faible, une simple plume, si c’est possible, afin de lui laisser toute sensi- bilité. CANNES A PÊCHE (Choix des) Les premiers hommes ont pêché avec leurs bras étendus pour première canne à pêche, puis ils ont bien vite remarqué que l’hameçon d’épine dont ils se servaient tombait trop près du bord. Peut-être, ils auront voulu le faire passer de l’autre côté d’un banc de roseaux qui poussaient près du rivage, et, pour cela, ils ont attaché la ligne à l'extrémité d'une branche d'arbre tenue à la main, ce qui allongeait ainsi leur bras ; car l'intention de l'hamecon à dû naître la première, celle de la ligne venir ensuite, et enfin, celle de la canne à pêche compléter le tout, en appa- raissant la troisième. De la branche d'arbre primitive à la canne à pêche actuelle la forme n’a pas changé, la matière seule a subi des améliorations successives ; et en effet, comme forme, le but aurait été atteint du premier coup en choi- sissant une jeune pousse de saule, de coudrier ou de roseau qui eroissent auprès des eaux. Nulle canne n’est mieux eflilée, plus également décroissante qu'une gaule naturelle, et cette vérité est palpable, que c’est à la nature que nous allons demander nos scions, la partie la plus délicate et la seule que nous ne puissions pas filer comme elle, d'un seul morceau concentrique, décroissant insensiblement, et conservant force, souplesse et élasticité. Nous venons de nommer les trois qualités que doit posséder une bonne canne ; elles dépendent, en majeure partie, de la nature même des matériaux qui la forment, mais aussi de la manière dont il sont assem- blés entre eux. Dans un article spécial, nous donnerons toutes les explications utiles pour la confection de cette arme du pêcheur. Dans celui-ci, nous allons nous occuper de la classification des cannes diverses et de leur appro- priation à chaque genre de pêche en eau douce et en eau de mer. 408 LES POISSONS I.—EAU DOUCE Longueur moyenne de la canne à pêche. A) Pêche à la mouche : Atla volée autlancer, la SUTDTISe Re CR eree Ce | 6 mètres au moins. B) Pêche sédentaire: 1° Au brochet, à la truite, à la perche, au vif. Cette gaule n'étant pas tenue à la main, mais posée à) SH Obnotres . . Le Le D De terre, elle se fait pleine, avec une grande gaule de Sapinouidemtrembhle etc rer cRCECCCEE CEE 29 Pêche à soutenir dans les pelotes ; pêche de fond, à la | Û - > mètres. CANNENILER EEE CC CET eee cet ee ] 3° Gaule à gardonner,à pêcher les perches, les chevesnes, | MES x À | 4 mètres. avec le sang, à Jouetter et à rouler................... | 3 mètres. 4° Pêche au goujon, à l’ablette, au véron et autres petits POISSONS PPPEETEEEr MCE MUR oo Jooosoboonse IL — EAU DE MER A) Pêche à la mouche : Se: à l’emt hure des fleuv C>NÉOT a bam- ; aumon à É embouchure de es, etc.; forte, en bam É Mobres ones dead oasoedabbnot dobdoondeo bu 006 26 Doradestentbateau FRAPPE PPE EC EEE ere ADN TE Pa PRIE | 3 mètres. B) Pêche sédentaire : Surles rochers, à latcannenfxe ME Re ere | 8 à 9 mètres. C) Pêche en bateau : Canne pour les maquereaux et autres poissons de surface | 2 mètres 50. Le tableau de composition de ces longueurs, au moyen des différents compartiments des cannes, permet de se rendre très facilement compte de ce que l’on doit acheter ou construire soi-même, en vue de la pêche à laquelle on veut se livrer. Quel que soit le genre de pêche choisi, même fût-ce pour prendre des ablettes ; quelle que soit la canne employée, jamais un pêcheur sérieux ne s’en servira sans moulinet; c’est au moment où 1l sy attend le moins que cet instrument le sauvera et lui fournira une capture aus-1 belle qu'inattendue. Le chasseur qui aurait le pouvoir de toujours posséder une balle dans un des canons de son fusil, serait un fou de ne pas en DES ENGINS DE PÊCHE 109 profiter ; car il n’est pas de vie de chasseur, où telle pièce magnifique a été renvoyée par lui, avec une charge de petit plomb dans le gras des parties charnues. Le moulinet du pêcheur, c'est la balle secourable du chasseur, à cette différence près, en sa faveur, qu’elle n’empêche pas son. coup d'être chargé de petit plomb; c'est mieux qu'une balle, c’est la charge de cendrée qui fait balle sur un animal, gardant une force suffisante pour amener celui-ci à vos pieds. CANNES A PÊCHE (Confection des) Les premières cannes à pêche que les hommes ont inventées étaient tout simplement une gaule empruntée à la cépée la plus voisine, et cet instrument, si simple et à la portée de tous, est encore le plus usité dans les campagnes et dans les petits centres de population écartés. Cette construction primitive, qui consistait à dégrossir une simple baguette en la privant de ses nœuds et de ses branches, fournissait une canne lourde, si elle était un peu longue, et peu élastique si elle était courte. Or, ayant tout aussi bien, alors qu'aujourd'hui, besoin très souvent d'éloigner son hameçon du bord où le poisson voit trop bien et se méfie, le pêcheur s’ingénia de toutes les façons à augmenter les deux qualités qui manquaient à sa gaule, la légèreté et la souplesse. L'esprit humain procédant du simple au composé, le pêcheur pensa à modifier l'instrument qu'il avait en main avant de songer à en créer un autre. Il s’aperçut que, sèche, cette gaule était plus légère et plus élas- tique, il fit sécher les gaules au four après le pain retiré; c’est encore ainsi que se font les cannes à pêche dans les campagnes. La différence du poids vert au poids desséché n'étant pas très considérable pour une gaule d’une certaine longueur, le pêcheur dut chercher si, en ajustant les unes au bout des autres, plusieurs gaulettes plus fines, il n’arriverait pas à un résultat plus satisfaisant. Ce fut la création du scion, qui constata ce pas fait dans le progrès. On peut dire qu'à ce moment la canne à pêche civilisée était inventée; car, en modifiant seulement le choix des matières, on arrive à la canne la plus compliquée et la mieux finie que l’on fasse de nos jours. La question des ligatures à dû avoir sa période d'apprentissage, de progrès et de perfection, jusqu'à ce qu'enfin cette ligature, toujours fragile et difficile à faire, fût remplacée par les douilles simples et doubles qui permirent l'invention des cannes à compartiment. Restait la question de matière ; on à essayé tous les bois possibles et 410 LES POISSONS l’on s’est vite aperçu que, parmi eux, un très petit nombre répondaient aux qualités que réclame la vraie et bonne canne à pêche. On peut diviser tous les bois employés en deux catégories : les lourds et les légers. Les lourds sont : le hicory ou noyer blanc d'Amérique, le noyer, l’orme, le coudrier, le frêne. Parmi les légers nous placerons : le sapin creusé, le bambou. et, tout à côté, son diminutif chez tous, la canne qui croît dans le midi de la France et en Italie avec une grande facilité. Tout en renvoyant le lecteur aux articles spéciaux sur l'étude de chacun de ces bois, nous devons ici constater quelques-unes de leurs qualités et de leurs défauts avant de passer en revue la confection des cannes en chaque matière. Le hicory est très élastique, mais très lourd :il peut servir à faire toute la canne moins le scion ; mais son véritable emploi consiste dans la première moitié de la longueur, la plus grosse, celle que le pêcheur tient à la main. Ilest en effet très important qu'une canne soit bien équilibrée, car elle se trouve entre les mains du pêcheur à l'état d'équilibre instable. On peut la comparer au fléau d’une balance dont la main du pêcheur est le support, fléau à deux bras de longueurs inégales et par conséquent dont les poids doivent être inégaux pour que l'équilibre s’établisse. La partie en avant doit être très légère, son centre de gravité sera toujours assez loin de la main du pêcheur, mais si celui-ci rend lourde la partie la plus grosse qui est au delà de son poignet, vers le coude, il rapprochera le centre de gravité du système entier, et pourra arriver à le faire venir dans sa main, position dans laquelle la canne sera en équilibre, comme le fléau de la balance dont nous parlions tout à l'heure. Aïnsi équilibrée la canne demande Le moins d'effort possible, puisqu'il ne faut que celui nécessaire et indis- pensable pour vaincre su pesanteur. Si, au lieu de cela, le pêcheur tient en main un instrument dont le poids est en avant, 1l Tui faut un effort constant, non seulement pour porter la canne, c’est-à-dire vaincre l'effet de la pesanteur, mais un efort plus pénible pour en soutenir élevée la partie antérieure sans cesse sollicitée vers le sol. Cet effort, si petit qu'il paraisse, pendant un instant, devient une vraie fatigue, alors qu'il se renouvelle sans relâche pendant un assez long temps. Si le pêcheur est sédentaire, ce n'est encore qu'un demi-mal, parce qu'il peut faire porter sa canne par une fourchette et son piquet, ou simplement il peut la poser à terre, si la berge est un peu élevée : mais, qu'il s'agisse de pêcher à la mouche, et alors la question de l'équilibre de la canne prend une importance capitale, en raison de la fatigue que cette DES ENGINS DE PÊCHE 411 pêche un peu prolongée procure, si lon est armé d’un instrument défectueux. Ainsi donc tous les bois durs et compacts, tout en étant élastiques — le hicory, le frêne, le noyer— peuvent servir pour la plus grosse moitié de la canne. L'orme peut être employé de même aux usages ci-dessus, mais il offre l'avantage que ses jeunes pousses fournissent d'excellents scions, quand il est coupé en temps opportun. Le coudrier n’est pas dans le même cas : les scions fournis par ses jeunes pousses sont mauvais, mais comme il donne, d'un seul jet, des gaules très longues et très droites, sans être par trop lourdes quand elles sont sèches, il a le privilège presque exclusif de former des cannes toutes faites pour les gens de la campagne. Dans quelques pays, la rapide vésétation des saules de différentes espèces permet d'y choisir de très belles gaules qui ne manquent pas de qualité. Le sapin s'emploie comme nous le verrons plus loin, mais artificielle- ment, pour faire d'excellentes cannes réunissant beaucoup d'avantages. Le bambou, s’il était moins lourd, quand il est gros, serait le roi des bois propres aux cannes à pêche. Excellent cependant parce qu'il ne fend pas, il sert à faire la canne tout entière, y compris le scion, que l’on produit au moyen de bûchettes de bambou refendues, polies et ajustées l'une au bout de l'autre. Il nous reste à dire un mot de la canne du Midi, qui, sans contredit, serait parfaite, sans la trop grande facilité avec laquelle elle fend, et sans sa fragilité capricieuse, souvent inexplicable : car le morceau de ce chaume énorme le mieux choisi, le mieux arrangé, cassera tantôt dans un nœud, tantôt dans une partie vide. Aussi, est-ce la matière qui à fait naître le plus de systèmes différents, tous destinés à remédier à son peu de solidité, sans diminuer sa flexibilité et sa légereté si précieuses. Constatons enfin que, depuis dix ans, la confection des cannes s'est énormément améliorée au Canada, et que leur forme tend à devenir chaque jour plus svelte et plus fine. L'emploi des moulinets, qui se généralise chaque jour, mène au perfectionnement de la canne, qui doit demander plus à l'élasticité qu’à la force, plus à l'adresse qu'à la brutalité, plus enfin à la patience et au sang-froid qu'au bouillant emportement. Autrefois — si l’on en juge par les méthodes qui nons en sont restées, — on enlevait le poisson d'autorité, qu'il fût gros, qu'il fût petit : il est vrai qu'on ne prenait pas ce dernier ; la manière dont les lignes étaient montées devait s’y opposer absolument. , Aujourd'hui, l'usage des montures très fines tend à prévaloir chaque jour, et le succès couronne ces expériences. Une vérité méconnue devient de plus en plus démontrée, 412 LES POISSONS c’est qu'on prend trés bien un gros poisson — et beaucoup plus sûrement — avec un très petit hameçon qu'avec un gros, pourvu qu'on emploie les moyens d'action nécessaires et fournis par le perfectionnement des instruments de pêche. En résumé, une canne à pêche doit se composer de trois morceaux, qui sont, en commençant par l'extrémité la plus fine : le scion, la seconde, nommée aussi branlette, dans certains endroits, et le pied de gaule. CANNE DE CAMPAGNE, PLEINE Cette canne, toujours un peu lourde, doit avoir pour qualités d’être raide, droite et élastique ; si elle décrit un grand C quand on la projette en avant en fouettant, c'est qu'elle plie au pied et ne vaut rien ; elle ne doit ployer que de la seconde et du scion, faire sifHer l'air lorsqu'elle le frappe, et reprendre aussitôt la ligne droite. Le pied de cette gaule sera fait avec l’un des bois suivants, en com- mençant par les premiers et choisissant celui que l’on trouvera à sa disposition à défaut des autres : Coudrier, saule, marceau, sapin sans nœuds, noyer, érable, chène. On choisira une pousse bien droite d’un de ces arbres, ayant 5 mètres à 5,50 de longueur, que l’on rognera par le petit bout, de façon à lui laisser une longueur de 4 mètres ou au moins de 3",50. On la dressera avec soin et on la diminuera, au rabot s'il est besoin, de manière que Je plus gros bout, en bas, ait un diamètre de 0”,040, au plus. Ce bois doit être coupé avant la fin de Janvier ou, au plus tard, dans les premiers jours de février, avant que la sève commence à monter, opération quise fait de bonne heure, surtout pour le coudrier. Cette recommandation s'applique également au choix de tous les bois propres aux secondes et aux scions. On laissera, à la plus petite extrémité de ce pied de gaule, un long bec oblique parfaitement dressé, forme que l’on appelle bec de flûte. La seconde sera faite en coucrier : elle aura la même longueur (4 mètres) que le pied, et sera choisie plus mince que lui et bien filée ; on la trouvera parmi les pousses grises de la lisière du bois ou au bord des ruisseaux. Celles qui sont lisses et rougeâtres sont les meilleures. Elle sera taillée en biseau par ses deux bouts, et le biseau du bas sera aussi allongé que celui du pied, de façon à s’ajuster parfaitement sur lui. Le scion, long et menu, peut être fait d'un brin de coudrier, d'orme, de troène, de cornouiller, d'épine more, de lilas ; 11 aura 1",50 de lon- DES ENGINS DE PÊCHE 413 gueur au moins ; le bas ou plus gros bout, taillé en biseau, sera adapté parfaitement au biseau supérieur de la seconde, et choisi de façon que cette yartie soit un peu moins grosse que la plus petite extrémité de cette seconde. La même précaution aura dû être prise pour la seconde, vis-à-vis du pied de gaule. La seconde s'attache au pied avec du petit fil de fouet ciré et forte- ment serré tout le long de la jointure, ce qui forme une ligature solide à bouts perdus. Le scion sente sur la seconde au moyen de fil fort, éga- lement ciré et attaché de la même manière. Dans les endroits où l’on peut se procurer du vernis copal, il est extrêmement avantageux d’'enduire de vernis les deux biseaux, avant de les joindre et de les attacher, de même qu'on vernit toute la ligature, une fois faite, à une ou deux couches, en laissant bien sécher chaque fois. Le vernis noir du commerce est aussi extrêmement propre à ce travail, parce que l’eau à moins d'action encore sur lui, mais il est beau- coup plus long à sécher. A défaut de vernis, on peut enduire chacune des surfaces, de poix de cordonnier, en couche mince ; cette substance produit une grande adhérence, et empêche tout glissement. Elle n’est pas attaquable à l’eau, mais, à la longue, elle se réduit en poussière, et perd ses propriétés happantes, surtout quand elle est souvent mouillée. Après avoir lié sa gaule, le pêcheur doit l’agiter fortement en l'air: si elle est bien faite, elle ne doit produire aucun craquement et ne laisser éprouver aucun tremblement ; il sera bon alors de la polir, de la vernir et de la bien laisser sécher. 2e GAULE DE CAMPAGNE, CREUSÉE Il faut choisir une gaule de coudrier, de marceau, de peuplier, de tremble, de sapin, ou de cornouiller, à laquelle on donnera une longueur de 4 mètres au moins pour former un pied de ligne convenable. Cette gaule aura, au gros bout, 0",08 à 0",10 de circonférence, et au petit bout, 0",02 à 0",03 ; on la rendra parfaitement unie en relevant les aspérités des branches et bourgeons, puis on la fera sécher dans un four encore chaud, après qu'on en aura tiré le pain, ou en la laissant une couple de mois dans un lieu sec et aéré : il est prudent, dans ce cas, de la lier sur une forte pièce de bois déjà sec, de manière qu'elle ne puisse se tour. menter et se gauchir. Cette gaule perdra ainsi environ la moitié du poids qu'elle avait étant verte. 414 LES POISSONS L'opération du perçage se fait au m yen d’un gros fil de fer qu'on appointit et qu'on fait rougir au feu. On attache la canne dans un établi de menuisier, ou, si l’on n'en a pas, sur une table, sur une forte planche ou pièce de bois, et l’on commence le forage. C’est une opération qui demande du temps, de l'adresse et de la patience. Quand un premier trou parcourt la canne dans toute sa longueur, on prend un fil de fer plus gros, et toujours par le même moyen, on agrandit le trou du côté de la poignée, de façon que le creux aille, comme la canne, en diminuant d’un bout à l’autre. Lorsque le perçage est terminé, on met la canne pendant deux ou trois jours à tremper dans l’eau, puis on l’expose à la fumée dans une che- minée jusqu'a ce qu'elle soit parfaitement sèche. À la campagne cette opération est très facile. Pendant ce temps on à fait subir les mêmes préparations, sauf le perçage, à des scions choisis de différents bois: coudrier, orme, épine noire, troène, lilas, etc.; on en choisit un bien droit, de la longueur que l'on désire, et on le diminue par le gros bout, de maniere qu'il entre dans le trou creusé à l'extrémité fine du pied de gaule. En général, ce scion à 1",50 à 2 mètres, et il est d’une grosseur telle que, quand on veut démonter sa canne, il peut, en commençant par la pointe, entrer dans le trou creusé au bas de la gaule et s’y renfermer parfaitement, ce qui rend l'instrument plus portatif et garantit en même temps le scion des accidents qu'il pourrait encourir au milieu des arbres, des branches et des herbes, etc. 3e CANNE EN SAPIN, PLEINE On coupe dans une planche de sapin neuf, à fil serré, droit, et inter- rompu par aucun nœud, une laize égale à l'épaisseur de la planche. On obtient ainsi une tringle de 4 mètres de long, ayant 0",035 de côté, que l’on dresse à la varlope, et que l’on met à huit pans en abattant les angles. On diminue alors sa grosseur au moyen du même instrument et avec précaution, à partir de 1",30, du bas, jusqu’à la plus petite extré- mité qui conserve un diamètre de 0",010 à 0",015. A partir de 2",60, on arrondit tout à fait la tringle en abattant les angles ; on la polit au verre, au grattoir et à la peau de chien marin. On pratique alors au bout, soit une entaille longue, à la scie, pour recevoir le scion, soit un biseau, comme plus haut, et on y fixe un scion de 2 mètres au moyen d’une solide ligature de fouet poissé et verni comme nous l’avons indiqué. DES ENGINS LE PÊCHE 415 Si l’on a un ouvrier à proximité, une virole en fer-blane, ou mieux encore en cuivre, sera préférable pour garnir l'extrémité du pied de gaule et recevoir le scion auquel, dans ce cas, il faut pratiquer l’opé- ration du double épaulement que nous décrirons ailleurs. 4e CANNE EN SAPIN CREUSÉ Toutes les fois que le pêcheur ne craint pas de se servir d’une canne qui ne se démonte pas, et qu'il peut, en rentrant chez lui, remiser sans inconvénient cette longue gaule sur le mur d’un corridor, rien ne vaudra jamais, pour lui, la canne que nous allons décrire : elle est facile à faire, peu coûteuse, légère, solide eë élastique. On choisit, comme pour celle ci-dessus (3°), une planche de sapin du Nord à grain fin et sans aucun nœud, d'une longueur de 4 mètres au moins : on y scie une tringle de l'épaisseur de la planche qui doit avoir 0",055. Ceci fait, on marque au trusquin ou à la règle, une ligne qui partage cette tringle pour la moitié de son épaisseur, sur deux faces opposées, puis, au moyen d'un rabot rond ou d’un bouvet, on creuse un sillon au milieu de chaque face non divisée. Ce sillon doit être augmenté de plus en plus en prenant des fers d’un numéro plus fort, de façon que à l’une des extrémités il n'ait pas plus de 0",01 de diamètre, à l’autre bout 0",01. Ceci fait, on scie la tringle suivant les lignes marquées ; on retourne les deux moitiés creusées l’une vers l’autre, et l’on colle fortement à la colle forte. On rabote en rond, de manière à suivre la décroissance du creux en laissant au gros bout : 0",006 à 0",007 de bois, et au petit : 0",004 à 0,005. On polit au verre ou au grattoir, on unit au papier de verre, puis on fait, à 0",50 l’une de l’autre, de fortes ligatures en fil de fouet bien ciré : on peint alors toute la canne à l'huile, et on laisse bien sécher ; on vernit ensuite. Il ne reste plus qu'à garnir le gros bout ou le pied, d’une lance, et l'extrémité fine, d’une virole ou d’une ligature. La première vaut mieux pour recevoir un bon scion d’orme ou de coudrier de 2",50 à 3 mètres. 416 LES POISSONS CANNE EN 8 MORCEAUX (Système Lambert) Le pied de gaule se fait en deux morceaux de planches creusées, collées et ligaturées par un procédé semblable au n° 4 ci-dessus : on peut le faire en chéne, en noyer, en acajou, ete. Si l’on ne veut pas creuser et coller on peut se servir d’un gros morceau de bambou. Ce pied de gaule aura 0"65 de long, et sera creusé de 0",025 de diamètre de vide au petit bout, pour recevoir le deuxième morceau. Cette extrémité sera, de même que la plus grosse, garnie d’une forte virole en cuivre ; au gros bout l’on ajustera une lance ou picot. Pied de gaule. Bois divers. Longueur, 0",65 2e morceau, roseau, _ 1 mètre. 3e — —- — 0".25 4e — —- —- il 5e — — — OS 6e — — —- 0 65 ce [ _ épine noire, — O0 80 LSe — orme ou bambou fendu — 0 50 Longueur totale 5",00 Chacun de ces morceaux est garni de sa virole et doit être calculé, comme grosseur, de manière à entrer dans la cavité naturelle du roseau qui le précède. Chaque entre-nœud reçoit une ligature. Le moindre inconvénient de cette canne est d'être lourde, parce que les huit viroles pèsent, les ligatures pèsent, le pied de la gaule plombée pèse ; enfin elle semble d'autant plus pesante que les petits morceaux placés au milieu y accumulent les viroles, et ne ployant pas, parce qu'ils sont trop courts, maintiennent une raideur qui rend la canne moins maniable, De plus, si l’on s’en sert pour le jet de la mouche, il est presque impossible d'empêcher les morceaux de sortir les uns des autres ; ce qui tient à ce que les uns plient tandis que les autres ne plient pas. Quant à l'idée d’intercaler les petits morceaux pour maintenir la raideur, elle est excellente ; malheureusement, à la pratique, elle offre de sérieux désavantages comme solidité. Pour que ce genre de canne soit solide, il est indispensable d'établir chaque morceau à épaulement, et DES ENGINS DE PÊCHE 417 alors le poids de chaque goujon de bois s'ajoute encore à celui de la canne, et celle-ci devient insoutenable, à moins que l’on ne s’en serve que pour la pêche sédentaire. Mais, dans ce cas, une canne aussi compliquée est parfaitement inutile, une simple gaule n° IV est bien supérieure. CANNE RUBANÉE (Système de Massas) L'idée de préserver le roseau de la propension qu'il offre à se fendre au soleil où à l'air, surtout après qu'il à été mouillé, a été parfaitement réalisée par l'application d’un ruban de fil, de soie ou de coton, roulé en spirale, aussi serré que possible, autour de chaque morceau de roseau. Ce ruban est imbibé, lors de sa pose, de bonne colle forte, puis, quand il est sec, recouvert d'un enduit imperméable et enfin d'un vernis. Ces cannes sont excellentes, mais présentent également le défaut d’un poids plus lourd que celui qu'elles devraient avoir. Elles sont à peu près aussi lourdes que les cannes en bambou, et n’en ont ni la solidité ni l'élégance. Elles compensent cela par un prix moitié moindre— ce qui est bien quelque chose— et par l'avantage que l’on peut soi-même faire subir cet apprêt, soit à une canne de roseau que l’on fabrique pour soi- même, soit à une canne de roseau ordinaire que l’on achète toute fabriquée, et dont le prix, en définitive, est minime. Malgré la légere critique que l'usage de ces cannes nous a permis de faire, nous regardons l'application des rubans comme une idée neuve et un progrès réel. L'inventeur fait remarquer en outre que l’on peut ainsi rassembler des matériaux de toute couleur, et de toute provenance, en ne s'occupant que de leurs qualités de souplesse et d'élasticité : que ceux-ci, bien combinés, peuvent fournir une canne parfaite, sans offrir à l'œil un ensemble de morceaux disparates et choquants : on peut aussi alléger par le forage les pièces les plus grosses, etc. LR) | 418 | LES POISSONS CANNES DE ROSEAU (4, 5 bouts) De toutes les cannes, la meilleure —sans aller chercher si loin, dès l'abord — est celle faite en morceaux de roseau bien égaux, bien choisis, et que l’on trouve dans le commerce à peu de frais, toute fabriquée, munie de ses viroles, etc. Ces objets se faisant en grandes quantités, il est toujours facile, en s'adressant à des marchands consciencieux — et l'on doit supposer qu’il s'en trouve parmi ceux d’ustensiles de la pêche — il est toujours facile, dis-je, de se rendre possesseur d’une très bonne canne. Seulement, elle est incomplète, si on l’a payée bon marché, parce qu'en fait de cannes à pêche, ce n’est pas la matière qui en augmente le prix, mais le temps que demandent les arrangements accessoires ; c’est là ce que l'amateur peut parfaitement faire lui même, à temps perdu, et ce que nous allons décrire ici. Choisissons donc, suivant la largeur moyenne du cours d’eau où nous voulons pêcher, une canne en 4 ou 5 bouts. Chacun de ces bouts varie de 1 mètre à 1",70, ce qui produit les combinaisons et longueurs suivantes : A 4 BOUTS A 4 BOUTS. Chacun ayant 1m,00, longueur totale 4m,00. | Chacun ayant 1m,00, longueur totale 5m,00, — 10; — 4 40. — 11, à JD) — Gi Hi) e 100 ma 4 S0. Le 1 20 2e 6 00. — 150; — DRE U! — ln — 6 50. 22, 1 40, 5 60. Le 1 40 Se 711 60: je 1 50, Es 6 00. = 1 50 _ 7 50. — 1200; — 6 40. - 1 60 — 8 O0. 70 = 6 SO. = 1070 = 8 50, Remarquons d'abord que toute canne choisie doit être à gouJons de bois et épaulements. C’est le seul moyen qu'elle s'enmanche solidement. Or, il y a perte, à chaque morceau, de la longueur qui entre dans celui qui le précède, soit environ 0",65 par virole, soit 0",20 pour la canne à 4 bouts, et 0",25 pour celle à 5 compartiments. Si donc, dans la première rangée, on veut une canne de 6 mètres nets ou effectifs, il faudi a choisir des morceaux qui, employés, aient en moyenne 1",55 et ainsi de suite. En comparant les colonnes du tabieau ci-dessus, on reconnait tout de suite qu'on peut arriver des deux manières à,des cannes de même longueur. Il faudra donc calculer les avantages et les désavantages de chacune DES ENGINS DE PÊCHE 419 d'elles. 6 mètres en 4 bouts de 1",5 sont plus embarrassants, dans cer- tains cas de transport par voiture, que 5 bouts de 1",20, etc. D'un autre côté, quand la longueur de la canne ployée n’est pas un obstacle, il faut remarquer que la meilleure de toutes est celle en 4 bouts de 1",70. C’est celle que nous préférons, et voiei pourquoi : elle est assez longue, et, quoique légère, assez lourde pour occuper les bras du pêcheur à la mouche ; diminuée d’un bout, celui du bas, elle donne encore une longueur de 5",10, formant une excellente canne pour la pêche au coup, etc., et qui devient alors très portative. Pour la pêche à la mouche, on se sert de 4 morceaux, dans un fleuve ou dans un étang, de 3 dans une rivière, et de 2 dans un ruisseau : souvent de 4 dans celui-ci, pour la pêche à la surprise, où l’on se tient alors si loin du cours d’eau, que l’on a l'air de pêcher dans le pré, mais où l’on fait ainsi des captures magnifiques. Ces petits ruisseaux renfer- ment souvent de belles pièces, qui ne peuvent, à la distance de 5 à 6 mètres, entendre les pas ni voir les pêcheurs, deux causes de succès gagnées par ce système. Nous avons dit, en commençant cette VIle division, que les cannes marchandes avaient besoin d’être complétées ; nous allons maintenant expliquer en quoi consiste ce travail. Le roseau plie et ne rompt pas, dit le bon Fabuliste ; c’est vrai du roseau vert qui se balance dans le marais, mais ce n’est plus vrai du roseau sec qui arme la main du pêcheur. Chaque nœud est un endroit faible, qui, quelquefois, se détache tout à coup; chaque entre-nœud peut se fendre ou se ployer comme un rouleau de papier, une moitié dans l’autre. Il faut éviter cela au moyen d’une bonne ligature faite entre chaque nœud ; c'est long, mais c’est sûr. Il ne faut cependant pas employer de la corde trop grosse : la meilleure est un fin cordonnet de soie avec lequel on fait les lignes fines, et qui est à peu près de la grosseur du cordonnet qui sert à faire les ouvrages au crochet ; il est beaucoup plus tordu que celui-ci, mais, à son défaut, l’autre peut le suppléer, la couleur n’y fait rien. | Quand la ligature est bien faite, elle est plus facile à faire en cirant seulement le cordonnet ; on l'imbibe de vernis au moyen d’un petit pinceau, et on laisse sécher. En recommençant deux ou trois fois cette opération, on finit par recouvrir chaque ligature d’un anneau de substance imperméable et solide, qui rend le tout inattaquable à l’eau. Si la canne se brise à un nœud, il n’y a qu'un remède, c’est de remplacer le morceau entier, la forme du roseau en lui-même s’opposant absolu- ment à ce qu'on puisse mettre une virole solide entre deux parties contiguës. En regardant en effet chaque nœud on s'aperçoit d’abord qu'il est saillant comme une bague, puis, qu'il est suivi, de chaque côté, 420 LES POISSONS d’une dépression, laquelle est suivie d’un renflement : aucune virole ne peut prendre cette forme en entonnoir, et être solide ; il faut done limer le roseau pour le rendre cylindrique, et alors, il s'enmanche de travers. Il vaut mieux refaire ou acheter un autre morceau, c’est plus simple. Toutes les deux ou trois ligatures on passéra dessous un anneau, et; quand on arrivera au scion, on le fera comme nous l'indiquerens à son article. Il est bon également de munir sa canne d’une lance. On y monte un moulinet, et l’on est possesseur d’un excellent instru- ment de pêche, dont on peut réparer au besoin toutes les parties, car il n'est presque pas de village où l’on ne trouve des cannes en roseau. Les ligatures peuvent se faire également en fouet de lin, en fil de chanvre bien retors, et même en petit fil de cuivre ou de fer, maïs, dans ce cas, le mode d'arrêt est différent. Les quatre où cinq compartiments qui forment la canne doivent être toujours serrés dans un étui de toile ou de coutil ; on peut y faire entrer également un ou deux scions de rechange, le manche de l’épuisette et celui du filet à papillons. Moyennant cette précaution on échappe au risque de perdre en route une ou plusieurs parties de cet instrument indispensable. 8e CANNE EN BAMBOU (4 ou 5 bouts) Ces cannes, auxquelles on donne moins de longueur en général qu'à celles faites en roseau, sont plus lourdes, parce que le bambou est plus compact. Comme élégance, comme force, ce sont les meilleures, et rien ne saurait lutter contre le vernis naturel des roseaux d’Asie et d’Améri- que. Îl ne faut pas croire cependant que l’action de l’eau, de l’air et du soleil, n'ait pas de prise sur eux : ils y résistent victorieusement, tant qu'ils ne sont pas allégés par l'intérieur, mais quand cette opération est faite, ils fendent aussi. Quoi qu'il en soit, pour les cannes destinées à la pêche à la mouche, c'est la matière par excellence, et c'est en effet celle des cannes de luxe qui vaut le mieux. Ceci tient à ce qu'en choisissant bien le bambou, on peut faire une canne longue et relativement très mince à la main vers le bas, quoique d’une grande force. Il faut surtout ne pas se servir de la nointe des bambous qui est cassante souvent comme le verre. Cette cassure à toujours lieu auprès de la virole du haut, si le vernis du bambou a été entamé pour le percer, et souvent au même endroit, quand même on aurait évité cet accident. DES ENGINS DE PÊCHE 421 9e CANNE À PÉCHE (en forme de Canne de promenade) Ce genre de cannes n’est pas seulement l'arme des pêcheurs honteux, elle est quelquefois utile quand on veut faire entrer, dans un bagage restreint, une canne à pêche qui puisse fonctionner à l’occasion ; et cependant, pour peu qu’elle ait une certaine longueur totale — et alors, le nombre des bouts supplée à la longueur de chaque — elle devient aussi volumineuse qu’une des cannes des n°% 7 ou 8 dans son étui. Comme les cannes sont composées d’une suite de morceaux creusés, rentrant les uns dans les autres, elles doivent être établies au moyen d'outils et d'ouvriers spéciaux. Elles le sont du reste à très bon marché ; le commerce en fournit de : 2 bouts qui ont, déployés, la longueur de 1,95 3 — —— 2 55 4 — — 3 40 5 — -— 4 25 A voir ces dernières cannes fermées, on les croirait d'une longueur énorme ; tant s’en faut, et elles ne sont pas portatives comme cannes de promenade car elles ressemblent à un parapluie fermé. Une pomme vissée à un bout et une virole de métal à l'autre comple- tent l'appareil qui permet au pêcheur timide de satisfaire sa passion, sans dénoncer aux passants ses projets hostiles aux poissons. Il à l'air de sortir pour une promenade : sa canne est bête au possible, c'est vrai ; elle ne ressemble pas plus à une canne qu'à une baguette, c'est vrai — car personne n'imagine qu'on puisse s'appuyer sur un roseau à pêche —mais enfin il est heureux, il cache son jeu ! Aussi, qu'il se présente un endroit bien seul, entre les saules, notre homme fera comme le limaçon qui sort ses cornes, il allongera furtivement sa canne, et... en fera une mauvaise machine à pêche ! Qu'elle lui apporte tous les désagréments qu'elle ne t Tant mieux ! ménage pas à ceux qui s’en servent, il n'aura que ce qu'il mérite. Ce pêcheur me représente un chasseur qui ferait enfermer son fusil dans une canne, et se munirait seulement de pistolets, dans ses poches ; 1] rentrerait bredouille et n'aurait que ce qu'il mériterait, Chacun doit avoir la responsabilité de ses goûts et de ses actes ! Eh bien, si le pêcheur 422 LES POISSONS a peur, qu'il soit puni, et il le sera par où il a péché (sans calembour, je vous prie). En effet, pour n'avoir pas su mépriser les fades moqueries des passants, qui, sur la foi d’épigrammes surannées, raillent un goût dont ils ne soupçonnent ni le charme ni les jouissances, il emploie une canne sans force, sans ligatures, qui réparent la perte de la substance intérieure, sans anneaux possibles, à laquelle il ne peut attacher de moulinet, et dont il ne peut se servir en cachette que pour enlever quelques maigres ablettes ou quelques goujons imprudents à venir si près du bord ! Les succès de la pêche sont, comme ceux de la chasse, imprévus comme toute chance, et aléatoires comme le hasard : c’est au moment où il tendra une amorce au goujon qu'une grosse carpe, en train de s'amuser, iui emportera la ligne et une partie de la canne, en ayant soin de lui montrer coquettement son dos pour qu'il n'ignore pas à qui il a eu affaire, et quelle aubaïine lui échappe. En résumé, c'est la plus mauvaise de toutes les cannes ; elle n'est pas même bonne pour les enfants qu'elle rapproche trop du danger. Vous tous qui pêchez ou voulez pêcher, confessez hardiment la foi du pêcheur, et, en fussiez-vous martyrs un moment, étudiez, e& vous réduirez bientôt, par vos succès, vos détracteurs au silence. Alors, vous les dédai- onerez, en savourant deux jouissances exquises : la pêche et la vengeance. (Voy. PERCHE OU CANNE A PÊCHE.) CANNE FIXE (Pêche à la) La pêche à ia canne fixe ou à ligne dormante, car elle porte ces deux noms, s'emploie aussi bien en mer qu'en eau douce ; elle demande un attirail un peu encombrant, mais elle rapporte sénéralement du poisson de forte taille, car elle s'adresse à la classe des poissons de fond. Les meilleurs endroits, en eau douce, sont les grands fonds d'eau tranquille ; en mer, ce sont les passages d’étangs salés, les entre-deux de rochers et autres endroits où l’eau est pro- fonde, près du rivage. Il est bon de se munir d’un panier ( fig. 148) ou d’un sac de pêcheur (fig. 149), pour mettre non seulement les engins, mais encore des pro- visions pour la journée, car, une fois qu’on à choisi une place, il faut Ja garder, l’amorcer, et la rendre la meilleure possible, en y faisant-arriver DES ENGINS DE PÊCHE 423 un remontage de poissons. Le pêcheur fait bien de se munir d'un trépied ( fig. 150), ou d’un pliant (fig. 151), pour ne pas demeurer debout, le piétinement étant toujours mauvais, parce que cest le bruit qui s'entend le plus loin, dans l’eau ébranlée par la terre. S'asseoir sur l'herbe humide n’est pas tentant ; il faut done, quand on veut pêcher à la canne fixe, prendre toutes ses précautions, et apporter un peu sa maison avec soi, parce qu'on ne quittera plus la place choisie. Trois ou quatre lignes et cannes suflisent parfaitement à cette pêche, et forment déjà un bagage assez volumineux, jointes à l’épuisette et aux provisions. Les cannes sont à moulinet, d’une longueur appropriée an cours d’eau où l’on pêche. Comme c’est surtout à des poissons solides qu'on s'adresse, on les choisira en conséquence. F1G.15°.— Trépied. | | F1G. 151.—Pliant,. F1G. 152. FIG. 153 Four- Crochet. F1G. 149.—Le sac du pêcheur. chette. S'il fallait tenir une seule canne à la main toute la journée, dans une eau dormante, sans mouvement, ce serait une bien fastidieuse besogne, d'autant plus que les poissons qui habitent ces eaux n'ont pas une attaque soudaine, mais entraînent brièvement et sans hésitation l’esche, qu'ils ont été longtemps à attaquer. Si l’on ne tient pas sa canne il faut la poser à terre; or, ceci constitue une pratique présentant de graves inconvénients, parce que, si une carpe où un barbillon s'est enferré lui-même, il ne vous attendra pas, il entraînera ligne et canne au milieu de la rivière, ce qui n'offre pas l'agrément d’une promenade en bateau, quand souvent ce secourable véhicule n'existe pas à plusieurs kilomètres à l’entour. En second lieu, une partie de la canne trempe dans l’eau, et, à moins que cette canne ne soit d’un seul morceau, et non susceptible d’être montée, cett- opération, le soir, ne sera plus possible, parce que le bois se sera gonflé. 424 LES POISSONS Pour remédier à ces inconvénients on se munit des deux petits instruments ei-joints (Ag. 152 et 153). que l’on peut faire en fil de fer, et emporter (encore un poids de plus, maïs c'est sûr) — où couper dans un arbre voisin —et s'il n’y en a pas ? — on enfonce en terre la fourchette (fig. 152) en avant du moulinet (fig. 154), sur le bord de l’eau, vers le premier tiers de la canne, à partir du bas, et le crochet (fig. 153) sur la lance. La canne ainsi établie, se tient élevée au-dessus de l’eau, ce qui empêche le scion d’être mouillé. Le poisson ne peut plus l’entrainer, et le pêcheur a la plus grande facilité en dépassant, par un petit mouve- ment, la lame de dessous le crochet, de saisir la canne au moment opportun. Mais le plus grand avantage de cette pêche— et celui qui en fait vraiment une spécialité — c’est la possibilité de mettre à l'eau un certain nombre de lignes et de les surveiller toutes sans fatigue. Trois ou quatre cannes sont suffisantes pour ne pas faire de cette pêche une fatigue, si la rivière est un peu poissonneuse ; beaucoup de pêcheurs vont à six, à dix même, mais dans ce cas, ils remplacent les cannes par des lignes à grelots, ce qui rentre dans la pêche décrite à cet article. (Voy. GRELOTS). Dans ce genre de pé- che,il faut choisir des lignes fortes (fig. 155, crin en 12 brins, fig. 156, soie), des hameçons ren- forcés, des flottes bien voyantes et de couleur éclatante, et enfin, des cannes solides et à moulinet; une bonne épuisette AR (fig. 157) est F1G. 151.— Position de la canne fixe, péchant. indispensable, et, si l'on ne voit pas mordre souvent, au moins quand cela arrive, c’est pour tout de bon,et la qualité dédommage de Ja quantité. On peut encore, pour simplifier son bagage, n'emporter qu'une four- chette, et implanter obliquement la canne dans la terre, ou bien, mettre une pierre sur la lance, mais cet usage a l'inconvénient de ne pas offrir de facilités pour dégager la ligne: il faut faire un mouvement brusque qui, souvent, suffit pour dégager où perdre la capture. La ligne que l’on monte à la canne fixe est en soie, semblable à celle de la figure 156: au bas, se fixe une avancée en florence double cordée, ou au moins en crin en 12 brins. A 0",50 de l’hameçon, on met un petit grain de plomb (Jig. 158), placé à demeure sur l'avancée, et au-dessus de lui, une olive de plomb, dont la grosseur varie avec le poids de la ligne, la force de l’eau, ete., et qui, glissant sur l'avancée, ne peut dépasser le DES ENGINS DE PÊCHE 495 petit plomb d'arrêt fixé à demeure. Le plomb en olive n'est pas destiné à équilibrer la flotte ni la ligne : il descend au fond, y maintient la ligne, et lui permet cependant d'être libre, comme si elle n'était pas retenue. En effet, le mouvement imprimé à l’hameçon se communique à travers ne || [( — —— F1G. 155.— Crin en 12 brins. Le D LL LL LL LL LS LL LL mr ne FIG. 155.— Soie forte. F1G. 157.— Forte épuisette pour poisson de fond l'olive à la flotte aussi aisément que quand on pêche à la ligne flot- tante. Toutes les esches de fond sont bonnes pour ce moyen de pêche ; on les assortit au poisson qui habite le lieu, ce qu'on peut souvent préjuger par l'étude de la rivière. CANNES FOUR PÊCHER EN MER Les cannes qui servent pour la pêche à la ligne en mer doivent être plus grosses et plus longues que celles que l’on emploie pour la pêche en eau douce. En effet, les poissons que l’on se propose de prendre sont généralement plus gros, toujours plus voraces, et par conséquent, se défendent avec plus de succès et plus longtemps. L'inconvénient du plus grand poids de ces perches est compensé parce que, si le pêcheur est en bateau, il appuie sa canne +et l'arc-boute de manière à n'en pas porter le poids : l'attaque du poisson est si franche et si rapide, qu'en tenant seulement la main sur la canne le pêcheur est immédiate- : x ‘16. 158.— Ligne de ment averti du succès de son entre- HS emenederondppEr le une prise. S'il pêche sur les rochers il pose sa canne à terre (fig. 125), la sou- tenant sur une fourchette (fig. 123), et maintenant la grosse extrémité par une pierre ou un crochet de bois ou de fer. (Voy. CANNE FIXE.) 426 LES POISSONS PERCHES OÙ CANNES A PÊCHE, etc. (Choix et confection des) La perche ou canne à pêche est à proprement parler un morceau de bois auquel on attache la ligne. Nous avons indiqué, dans des articles spéciaux, tout ce qui à rapport à l’histoire, à la confection et au choix de cet instrument si utile au pêcheur. Ici nous ne donnons que quelques extraits et quelques rensei- gnements secondaires, mais non dénués d'intérêt. Isaac Walton, le père des pêcheurs à la ligne anglais, indique les précautions suivantes pour se procurer de bonnes perches : “Entre la Saint-Michel et la Chandeleur, dit-il, on coupe une belle branche de saule, de coudrier, de tremble, etc., de 3 mètres de longueur et de 0",10 à 0",12 de circonférence. On la met à plat dans un four chaud, “ Jusqu'à ce qu'il soit refroidi; on la conserve ensuite dans un lieu sec, “ pendant un mois, puis on la lie fortement à une règle de bois carrée. “ Puis, pour la percer dans toute sa longueur, on prend un morceau de “ fil de fer de chaudronnier que lon fait rougir à blanc, et on perce la “ gaule en l’enfonçant dans l'axe, tantôt par un bout, tantôt par l’autre, jusqu'à ce que les deux trous se rencontrent ; on élargit alors ce trou “au moyen de mèches de plus en plus grosses, en observant de propor- “ tionner le diamètre de ce trou à la grosseur de la perche. “Cette perche est ensuite bien unie à l'extérieur, on la fait tremper “ dans l’eau pendant deux jours, puis on la met dans un lieu couvert où “ on l’expose à la fumée, jusqu’à ce qu'elle soit très sèche. Le trou qui a été ‘ fait sert à recevoir deux baguettes, car la perche est en tout formée de trois morceaux qui s'ajustent les uns aux autres. “ Pour faire la baguette qui doit être ajustée au bout de la perche “ creuse, on cueille, dans la même saison, une baguette de coudrier que ‘ l’on fait sécher de même ; on la réduit à une grosseur suffisante pour qu'elle entre dans le trou dont nous avons parlé, et où elle doit péné- trer jusqu'à la moitié de sa longueur. “ Afin de rendre cette perche complète, on coupe des jeunes pousses droites et minces d'épine noire, de pommier sauvage, de néflier ou de ‘ genévrier, que l’on dépouille de leur écorce. On les fait sécher en fais- ceaux quon lie avec des ficelles, et on les awincit assez pour qu'elles ‘ puissent entrer dans le trou de la canne, du côté le moins gros. Ces DES ENGINS DE PÊCHE 427 Fr . EN : FR je = 2 y : trois,pièces sont placées les unes au bout des autres au moyen d'écrous ‘ ou de vis, de manière que les trois morceaux ne fassent qu'un. De cette a“ " = manière, lorsqu'on ne pêche pas, les trois morceaux peuvent être enfer- " més dans la canne.” Au lieu de coudrier on peut employer le roseau des Indes: on fixe alors chaque partie à celle qui la porte, au moyen de goupilles, pour qu'elles ne se séparent pas en pêche, quand un gros poisson résiste vigou- reusement. Il est facultatif encore de faire la pêche avec quatre, cinq ou six mor- ceaux de bois, taillés en biseau, aux bouts qui doivent se rejoindre. Il est nécessaire que ces parties taillées se couvrent exactement sur un espace de 0",10 à 0",15 ; on les enduit de cire grasse et on les lie-par un fil dont on entoure toute la partie ajustée. Ou bien, au lieu de fil, on se sert de soie verte frottée de cire blanche. On peut faire encore ces perches avec des bois des îles. IT n’est pas nécessaire que la partie que l’on tient à la main soit légère ; les autres parties peuvent être faites avec du bambou, du cèdre, du cyprès ou d’autres bois légers et pliants qu'on colore, si on le juge à propos, en les frottant avec de l’eau-forte (acide nitrique) allongée d’eau, dans laquelle on à fait dissoudre un peu de limaille de fer. On polit ensuite avec de la prêle (Æquisetum vulgare, Lin.). On met plusieurs couches de la solution ci-dessus, en polissant à chaque fois. Lorsqu'on veut pêcher avec des lignes amorcées d'insectes artificiels ou naturels les perches doivent être légères et sont faites avec des roseaux de Provence. MOULINET Nous avons réuni dans une seule figure plusieurs systèmes de mou- linets, afin que le lecteur puisse parfaitement se rendre compte des avan- tages et des inconvénients spéciaux des uns et des autres. Occupons-nous d'abord du moulinet en lui-même ; nous dirons ensuite quelques mots de la manière dont on le fixe à la canne. Avant tout, répétons une fois de plus ce que nous avons déjà dit à plusieurs reprises, c’est que le moulinet est indispensable au pêcheur à la ligne, quels que soient la grandeur ou le genre du poisson auquel il s'adresse. C’est au moment où l'on cherche modestement de petits pois- sons de friture que l’on est mordu par une pièce de résistance : sans mou- linet, tout est perdu. Il en est de même de l'épuisette — la croix du 428 LES POISSONS pêcheur — dont on ne sent Jamais mieux l'utilité que quand vous manquant, un beau poisson retombe lourdement à l’eau devant vos pieds. Le moulinet, fie. 159 et 160, est un moulinet simple, c'est-à-dire non multiplicateur. On a, en effet, imaginé d'augmenter, au moyen d’un engrenage, la vitesse de rotation de la bobine centrale du moulinet sur laquelle s’enroule la ligne, ce qui permet de repelotonner celle-ci beaucoup plus rapidement que quand la bobine ne fait qu'un tour à chaque tour de manivelle : E est une sorte de verrou à coulisse qui fait saillir une petite tige hors de la platine opposée à celle F que nous voyons. Cette petite tige entre dans un trou percé dans la branche de la manivelle, et, par conséquent, empêche celle-ci de tourner, et par suite, la bobine de dérouler la soie. Il est très important, dans BREL LAPEE LE REA toute espéce de moulinet, pour qu'il soit bien fait, que les deux extrémités de la bobine joignent très exactement contre chaque platine, de peur que la soie de : o c La val la ligne ne s'engage entre elles et ne soit coupée ou n'arrête brusquement le moulinet, ce qui aurait pour résultat, s'il était en action, de briser la gueule du poisson et de le faire perdre im- To Gi, | FrG. 163. médiatement. Pour éviter cet accident on encastre dans les platines les extrémités de la poulie, et, de cette manière, le fil ne peut s’y introduire. De quelque cause qu'il vienne, le plus fâcheux accident qui puisse arriver en se servant d’un moulinet, c’est un arrêt subit dans sa marche. Le moulinet (fig. 159) est un appareil simple également, mais à déclic à ressort, que nous avons imaginé et fait construire, Car, nous ne le tairons pas plus longtemps, nous sommes partisans des moulinets simples, qui nous ont toujours semblé marcher assez vite pour repelo- tonner la ligne tout aussi rapidement que les multiplicateurs et bien plus délicatement qu'eux, quand un poisson entraîne le fil. Le mécanisme de ce petit moulinet est d’une extrême simplicité et bien préférable au verrou — impossible à manœuvrer — du premier. Avec celui-ci, on pêche, le moulinet toujours à l'arrêt, et il suffit, au moment où a l’on à ferré, d’une simple question de pouce pour lui rendre la liberté. A DES ENGINS DE PÊCHE 429 est un déclic que le pouce chasse un peu en avant,au moment voulu : ce déclie presse légèrement par son biseau sur le ressort B qu'il soulève. Une soupille, entrant dans un trou d'une des extrémités de la bobine mobile, maintient celle-ci en position, et, lorsque la goupille est retirée, elle lui rend à l'instant même toute sa liberté. Les moulinets multiplicateurs ont un inconvénient inhérent à toute mécanique, celui d’être compliqués, et par conséquent sujets à l'usure. Qu'une des deux roues se déforme ou s’ébrèche, et le moulinet est hors de service ; qu'un grain de sable s’introduise — on ne sait comment — dans son intérieur, et la mécanique ne tourne plus. On a cependant construit un moulinet multiplicateur libre que nous représentons monté (fig. 161), et démonté (fig. 162 et 163), qui est un véri- table perfectionnement et nous a rendu de grands services, surtout au lancer ; car il est assez lourd pour être mieux placé sur une forte canne que sur une légère. La platine, du côté de la manivelle, est double ; M (fig. 162) est le recouvrement qui tient à la platine fixe (fig. 163), par trois vis, 2, 3, 4 (fig. 162). La manivelle N s'emmanche sur le milieu de la roue J engrenant avec le pignon 4, qui a le même axe que la bobine, par derrière, la platine fixe et qu'une roue K en avant, laquelle roue porte des dents de scie trian- œulaires et régulières. Un cliquet maintenu par le ressort circulaire K engrène dans les dents de cette roue, laquelle peut cependant tourner dans tous les sens, puisque le ressort et le cliquet sont libres. Il résulte de cette disposition, un arrêt léger, très faible, mais suffisant pour que la soie ne se dévide pas au moindre obstacle. Le cliquet présente en même temps un second avantage, c'est que, dès qu'il fonctionne, un tic tac avertit le pêcheur que le moulinet tourne. Si donc la soie est accrochée, au premier pas le moulinet parle, le pêcheur s'arrête et regarde. Il n’est plus exposé, comme je l’ai vu vingt fois avec un moulinet simple, à dévider sa ligne le long d’un chemin ou d’une haïe, et à ne s’en aper- cevoir que quand, arrivé au bout du fil, la secousse lui fait entrer l’hameçon dans les doigts entre lesquels il le tient à l'abri. 430 LES POISSONS FIXATION DU MOULINET Arrivons au mode de fixation du moulinet à la canne. Je dois dire que bien des moyens ont été proposés et préconisés sans qu'aucun d'eux ait encore été imaginé sans reproche. Celui que nous indiquons (fig. 164), eb qui à été construit par le fameux Montaignac, serait parfait sil n'était un peu coûteux et n'augmentait en même temps le poids de la canne, Cette dernière considération perd de son importance, parce que le poids portant sur le pied de la canne est plutôt un avantage qu'un incon- vénient. Ce mode de fixation offrait d'ailleurs deux modifications, à la première desquelles je me suis tout à fait arrêté pour toutes celles qui composent ma collection et mon arsenal. L'une des barres reliant les platines (tig.159) porte, en son milieu, un goujon carré en cuivre O entrant libre- ment dans une pièce D, également en cuivre, et qui est fixé à la canne par une bonne ligature, à chaque extrémité. On pourrait remplacer les ligatures par de fortes bagues en caoutchouc, mais leur flexibilité offre beaucoup de dangers, en cas d’accroc à un obstacle quelconque. Nos liga- tures ne bougent pas. Sur le côté de la pièce D, une vis de pression entre, par la joue, dans la cavité carrée où elle serre le goujon O et retient très solidement le moulinet en place. Un tour de vis en arrière, et le mouliriet rentre dans le carnier; un tour en avant, tout est en place. Inconvénient : obligation d’avoir autant de pièces D que de cannes. Montaignae, lui, avait inaginé l'appareil figure 164, composé d’une glis- sière en cuivre fixée à vis sur la canne, et portant deux coulants en demi- bagues G, H. On introduisait sous l’un, H, la pièce D (fig.159) tenant au moulinet, on ramenait G vers H, et tout était fixé. Revenons un instant à des méthodes plus simples et moins modernes. Quelques moulinets portent un goujon qui traverse la canne dans son épaisseur, et qui de l’autre côté, est serré et retenu par une vis à tête de différentes formes. Cela est bon, mais le trou pour le passage du goujon affaiblit beaucoup la canne dans cet endroit, surtout quand elle n’est pas de très forte dimension. Quelques pêcheurs montent leur moulinet sur un ou deux cercles de cuivre à ressort et à vis serrantes comme ceux qui servent aux becs de DES ENGINS DE PÊCHE 431 clarinettes. D’autres se contentent de lier la patte du moulinet sur la canne, au moyen de quelques tours d’un large ruban de fil; cet expédient, à notre expérience, a paru peu solide. C’est dommage, il est simple. De tout ceci, il résulte que tout moyen sera bon pour fixer le moulinet sur la canne, pourvu que ce moyen permette de les séparer facilement et à volonté. MOUCHES NATURELLES (Musce, Lin.) Genre d'insectes diptères de la famille des Athérinées, type de la tribu des Muscides. Corps oblong, à peu près cylindrique; tête globuleuse, un peu plus large que longue, portant deux yeux très grands et à réseaux, et trois petits yeux lisses distincts, front aplati, et présentant un espace arrondi, en haut duquel sont insérées des antennes à trois articles ; trompe membraneuse, cou- dée, rétractile et terminée par deux lèvres. Corselet cylindrique et abdomen ovalaire. Aïles grandes et horizontales. Pattes longues, grêles, terminées par Ta 185 "Mouche deux crochets et deux pelotes couvertes de poils EN NU rudes. Les larves sont les asticots. Les mouches sont communes pendant les mois d'été ; quelques-unes sucent le miel des fleurs, mais la plupart des espèces s’attaquent aux matières animales ou végétales en décomposition. Il existe un grand nombre d'espèces de ces insectes. L'espèce type est la mouche domestique (musca domestica, fig. 165), commune partout dans les appartements ou les cuisines, où elle est très importune. Elle est longue de 5 millimètres, à le corselet cendré, l'abdomen cendré et jaunâtre en dessous, les ailes transparentes. La mouche à viande où mouche bleue, ou mouche pourrisseuse (muscu calliphoru, fig. 166), long. 1 centimètre, thorax noir, abdomen bleu métallique, tout le corps couvert de longs poils noirs et raides, Variété : la mouche vivipare qui pond ses larves déjà éeloses sur les matières animales qu'elle rencontre dans les habitations. La mouche des bœufs (museau bovina) se distingue de la musca domes- tic par les côtés de la face et du front qui sont blancs; elle porte une bande dorsale noire, Très commune dans les fermes. 432 LES POISSONS La mouche césur ou des cadavres (musca cœsar, fig. 167) a le ventre vert doré, la tête et le corselet bleus ; la mouche bourreau, qui s'attaque aux bestiaux ; la mouche aplatie, etc., etc. Les araignées : les hirondelles, et la plupart des oiseaux font aux mouches une guerre continuelle, Les poissons en sont également très friands, et en dévorent le plus qu'ils peuvent, sans que la race de ces incommodes animaux semble diminuer. Les espèces principales que nous rencontrons facilement dans nos cuisines sont les mêmes qui nous ont fourni les asticots ; elles sont aussi bonnes pour la pêche à la mouche qu'elles l’étaient à l’état de larves pour la pêche de fond. Ces mouches se prennent au moyen d'un filet V (fig. 168), et sont mises dans une boîte spéciale ABC (fig. 169), de laquelle on les extrait une à une, suivant le besoin. F1G. 169.—Boîte à mouches. vue en des- sus, du côté du tuile. oc Fi1G. 166.— Mouche à F1G. 167. — Mouche H ) viande (Musca vomi- César ou dorée (Mus- — , loria). ca cæsar, Lin.). K \ (ue dite Ni \ (S) QD FIG. 168. — Filet à pren- F1G. 170. — Boîte à dre les mou- mou hes vueendes- ches. sou-,du côté de l'ou- verture. Les plus communes autour de nous, sont: La mouche à viande (musca vomitoria, Lin. fig. 166), une des plus grosses de notre pays: elle a le front fauve, le thorax noir, l'abdomen demi-bleu luisant, avec des raies noires. “ Doué d’un odorat tres délicat elle est attirée de très loin par la viande et les matières animales, sur lesquelles elle vient déposer ses œufs. Son bourdonnement assez fort est connu de tout le monde. Les larves, au moment de passer à l’état de chrysalides, s’enfoncent en terre, ou se retirent dans un endroit écarté et sec, comme derrière des placards, armoires, boiseries, tentures où l’on retrouve les débris de lymphes en orand nombre. La mouche dorée (nusca cœæsar, Lin. fig. 167) à le corps d’un beau vert doré, luisant, avec les pieds noirs. Elle est très commune dans les champs et au bord des eaux, pendant les chaleurs de l'été. Elle pond sur DES ENGINS DE PÉÈCHE 433 les matières d’origine animale, quelles qu'elles soient, et elle a une telle subtilité d'odorat qu'un simple petit poisson mis au soleil, pendant quelques minutes, suffit pour en attirer des quantités que l’on prend facilement au filet (fig. 168) et qui servent immédiatement à mettre à l’hameçon. La voracité de ces insectes est telle, en été, qu'il faut absolument laisser dans l'eau, au moyen d’un sac EFS (fig. 171) ou d’un filet à cercle FBP (fig. 172), le poisson que l’on prend à la mouche, si l'on veut que les pontes des mouches, volant de toutes parts, ne le décomposent pas en très peu de temps. Comme toutes les mouches craignent l'humidité, il faudra, si l'on se sert d'un panier (fig.173), le garnir, au fond, d’une couche épaisse d'herbes mouillées ; encore ce moyen n'est-il pas toujours efficace. F1G. 173.—Panier de pé- ; = che. CAE TON Fi1c. 172.—Filet à cer- É : cles. FiG. 171-—Sac à pois- sons. La mouche domestigne (musca domestica, Lin. fig. 165). — Thorax gris cendré à quatre raies noires; abdomen brun noirâtre tacheté de noir, en dessous brun rougeâtre. La larve ou asticot vit dans le fumier chaud et humide. La raouche vivipare (muscu carnaria, Lin.) qui à les yeux notablement écartés l’un de l’autre, un peu plus grande et plus allongée que la mouche de la viande; elle a le corps cendré, les yeux rouges, des raies sur le thorax, et sur l’abdomen des taches noires carrées. La femelle est vivipare et dépose les larves qui remplissent la capacité de son abdomen sur la viande, les cadavres, les plaies de l’homme et des animaux. Il faut remarquer, en terminant, que toute espèce de mouches vives sont bonnes pour la pêche des poissons de surface ; on les prend, au même moment on les enferre et l’on pêche. Comine la pêche à la surprise réussit surtout durant la grande chaleur, c'est aussi l'instant où les mouches et tous les insectes sont le plus nombreux. Cependant, si l'on a le temps de faire une provision avant de partir, on perdra moins de temps, et la pêche sera plus fructueuse. . 434 LES POISSONS MOUCHE DE HAIES C’est un petit insecte appelé moine, que l’on trouve au printemps sur les haïes, et que l’on emploie pour la pêche des chevesnes. Il a le corps rouge et écailleux, la tête noire, et porte de longues pattes sous l'abdomen. MOUCHE DE MAI (MAY-FLY) Ce mot signifie proprement Lannelon, mais il semble qu'on l’emploie également, par confusion, pour désigner l’éphémère à ses trois états, comme larve, nymphe et insecte parfait. On imite très bien ces animaux en insectes artificiels. Nous avons porté ici cette dénomination afin que les amateurs puissent se reconnaître dans la désignation des mouches artificielles anglaises. MOUCHES ADDITIONNELLES On donne ce nom aux mouches artificielles que les pêcheurs mettent sur leur ligne volante, en plus de la mouche qui termine cet engin. Selon nous, cette méthode est mauvaise, à moins que l’on ne veuille prendre que de très petits poissons blancs. En général, qui trop embrasse mal étreint ; ee proverbe est bon à méditer, à la pêche à la mouche. Je ne pêche jamais avec plus d’une mouche, mais quelques pêcheurs en emploient deux et même trois, outre celle qui termine la ligne. A mon avis, une mouche suffit : un plus grand nombre présente des inconvénients, est plus difficile à manier, et n'offre pas assez de compensation. Il est certain qu'avec les mouches additionnelles on peut quelquefois prendre deux poissons d’un ecup, mais ils sont généralement très petits. La chance de prendre deux gros se présente bien rarement, et si elle arrive, le pêcheur perd, ou très probablement l’une de ses victimes, ou toutes deux, et en même temps une partie de son attirail. Et, cependant, comme 1l en faut pour tous les goûts, si le pêcheur veut se servir de’deux mouches ou plus, la première ajustée devra l'être à une verge au- DES ENGINS DE PÊCHE 435 dessus de celle qui termine la ligne, et la seconde, à une verge et demie encore au-dessus. Un plus grand nombre devient ridicule et tout à fait préjudiciable. La mouche additionnelle s'attache en formant une anse avec le bas de ligne et engageant dans cette anse celle qui porte la mouche sup- plémentaire, ainsi qu'on le fait pour celle à l'extrémité de la ligne. On peut encore couper la ligne au point où l’on veut mettre une mouche additionnelle, puis, à cet endroit, pratiquer un nœud anglais BD (fig. 174) non serré, entre les brins DE et FiG 174.— Nœud anglais non > RE serré, entre les nœuds D et E du- NN,auquel on insère la monture de la mouche GE LS l'extrémité de artificielle, terminée, cette fois, par un nœud. On ne lui laisse que 0", 10 de longueur de florence. Cette méthode est la meilleure pour attacher la mouche additionnelle, parce que celle-ci se soutient mieux 6% dehors de la ligne principale, qu’elle est moins sujette à s’enrouler sur elle, et parce que les nœuds composant le nœud anglais sur la ligne principale, peuvent être séparés en les repoussant, comme dans la figure 174, et la mouche être enlevée facilement. Tout ce que nous venons de décrire ne s'applique évidem- ment qu'à un bas de ligne construit en florence simple. MOUCHES ARTIFICIELLES (Confection des) La truite, le saumon, l’ombre, le dard, le chevesne, le gardon, l’ablette, sont pour le Canada les poissons de surface les plus communs. Tous s'emparent avee avidité des insectes que le vent ou un accident quel- conque précipite à la surface des eaux. C’est leur métier de faire inces- samment cette chasse, et ils s’en acquittent consciencieusement. Or, de ce fait très connu, et depuis longtemps observé, car il est patent, est dérivée la pêche à la mouche artificielle et tous les engins dont elle exige l'usage. Or, la pêche à la mouche artificielle est sans contredit la plus active et la plus aristocratique de toutes les pêches; celui qui sy livre n'est pas forcé de rester immobile comme le pêcheur de fond ou au coup. Toujours en marche le long de la rive, 1l n'a de limites à sa promenade que la valeur de ses jambes. C’est une chasse véritable au poisson, laquelle demande, non seulement de très bons jarrets, mais exige des bras solides et vigoureux. Autre avantage, plus d’appâts n1 d’esches répugnants et sentant souvent moins bon que la rose mais moins fort, plus d’amorces qu'il faut pétrir avee soin pour les jeter à l’eau, plus de cuisine pour cuire 436 LES POISSONS les graines ; le pêcheur peut se munir de gants et de gants aussi fins et aussi délicats qu'il le jugera convenable. Il n'a plus à manier que des imitations de la nature qu'on pourrait appeler de véritables objets d'art plastique. La pêche à la mouche artificielle est, en Angleterre, la pêche des gens comme il faut, des gentlemen, qui tous en font une affaire sérieuse, et, en général, y sont passés maitres, non qu'ils dédaignent la pêche sédentaire, loin de là, mais ils montrent une prédilection évidente pour l'exercice qui nous occupe et qui permet, en s’y livrant, de garder cette tenue soignée et lissée si chère à la gentry. Or, dans notre Canada, cette pêche est peu employée: elle attire cependant pas mal d'étrangers, qui viennent en jouir sur notre so}, et nous, nous ne la pratiquons pas ou presque pas. On ne peut pas dire que la truite soit plus commune chez les Anglais que chez nous ; elle est autochtone dans les deux pays: si elle est un peu moins rare dans cer- taines rivières du Royaume-Uni, en revanche, il n'existe que le thalweg du Saint-Laurent, entre le Saguenay et la chute Niagara, où les truites ne se pêchent pas, et encore peut-on y pêcher le poisson blanc de surfaee dans des conditions de grosseur extrêmement respectable. Il est certain que cette différence de goût tient à la différence de génie des deux peuples ; au peuple froïd et passif, l'exercice extréme de cette pêche ; au peuple gai et actif, le repos de la pêche sédentaire. Rien de plus naturel, c'est la loi éternelle des contrastes. Quoi qu'il en soit, nous pouvons sortir de cette apathie, tout Français que nous sommes, et nous bien figurer que, contrairement à ce qu'on dit, la pêche à la mouche artificielie n’a pas de mystères insondables, et se fait très facilement — comme les autres pêches — quand on peut y mettre le soin nécessaire. On à longtemps cru, dans notre pays, que cette pêche exigeait l’achat d'engins très coûteux ; c’est encore une erreur ; en suivant les conseils que nous donnons dans ce livre, nous aimons à croire que le lecteur en aura acquis la certitude ; il est tout aussi facile de se faire une canne pour cette pêche que pour une autre. Reste done le moulinet ; même celui-ei, on peut le faire; mais quand on devrait l'acheter, il dure autant que le pêcheur ; ce n’est donc pas une grande dépense. A l’article p'che au lancer nous décrivons la manière dont il faut monter sa canne, sa ligne, et apprendre à lancer la mouche sur la surface des eaux, de manière qu'elle y tombe comme un insecte naturel poussé par le vent. Car c’est surtout la truite qu'il faut chasser avec la mouche artificielle ; elle est la reine des poissons d’eau douce: aussi devons-nous examiner ensemble ses mœurs carnassières, DES ENGINS DE PÊCHE 437 Faisons-nous petits, très petits, cachons-nous derrière un buisson, un arbre, un obstacle quelconque, et observons: on dit que c'est une bonne manière d'apprendre. Que voyons-nous ? À chaque insecte qui tombe, ou qui seulement rase la surface de l’eau, la truite s’élance, et de sa dent impitoyable en fait une proie assurée. Ses mouvements sont tellement soudains, si rapides, que vous croiriez qu’elle n’a pas le temps d'examiner la proie qu'elle avale. Erreur ; essayez d’attacher un insecte par la patte et de le jeter à l’eau, vous verrez combien il sera respecté, et comme autour de lui les autres seront gobés. Il aura beau se débattre d'une facon engageante, la rusée commère ne s’y laissera prendre que bien rare- ment ...et encore ! Il semble tout simple que le pêcheur, en voyant ce manège, se fasse ce raisonnement : puisque la truit: aime les insectes, je vais lui en offrir ; puisqu'elle voit clair, je monterai mon hameçon sur une florence très fine. C’est parfaitement raisonné. Mais la truite se tient le plus loin qu'elle peut des rives découvertes ; il faut done faire arriver sa mouche ou son insecte, là où est la truite : il faut donc le lancer, et à est la difficulté. On a réussi une fois à mettre l’insecte au milieu de l’eau. très bien ! La truite n’était pas là où n’a pas mordu, le courant à peu à peu ramené la ligne au bord ; il faut la lancer de nouveau ; mais le mouvement brusque nécessaire pour y réussir déchire l’esche ou la fait vaciller sur la pointe de l’hameçon. Au troisième coup l’insecte s'échappe ou se brise . .. c'est à recommencer. Telle est la cause de l’invention des mouches artificielles. Celles-ci sont solides, elles ne se débattent pas aussi bien sur l’eau qu'un insecte vivant, mais le pêcheur y supplée par son habileté et son coup de poignet, et surtout. . . elles réussissent. Cest le principal. Mais il faut noter, en passant, que — semblable en cela à beaucoup d'animaux à poil et à plume —le poisson est avide de ce qui lui semble nouveau. Qu'un objet un peu éclatant tombe à l’eau ou voltige à sa surface, poisson de surface il obéit à son instinct, il y vient, et le plas souvent il se jette avidement dessus. C’est le secret de la réussite de la cuiller, du tue-diuble. Il faut done se procurer des insectes artificiels. On peut en acheter, mais le plus simple est d’en faire, et c’est si simple, que tout le monde peut et doit y réussir, car l’insecte artificiel est une imitation frès libre de la nature, et les meilleurs sont presque toujours ceux qui ne ressem- blent à rien, et que les Anglais nomment fancy (fantaisie). [ls sont de couleur bien vive: quelle qu'elle soit, la truite les aime. (Cest bien! Comme elle les sobe, elle est gobée, et tout va pour le mieux dans le meil- leur des mondes possibles ! Ce serait tout un art à apprendre, s’il fallait faire des insectes Vrais : l'expérience a prouvé que les poissons n'étaient pas si forts en histoire 438 LES POISSONS naturelle qu'ils ne se trompassent un peu sur les espèces et ne prissent jamais, pour leur repas, que tel papillon, pour leur dessert, que telle phry- gane ou tel cousin délicat. Un petit faisceau de plumes, de soie et d’or qui voltige à la surface de l’onde est nouveau et brillant, donc appétis- sant, cela lui suffit : il n’a pas besoin de savoir s’il est semblable à l’insecte qui vole en majorité, ce jour-là même ; et la prétention des pêcheurs de choisir dans leur portefeuille linsecte qui ressemble le plus à celui qui tombe, pour s’en servir, nous semble une prétention outrée et inutile contre laquelle l'expérience et le raisonnement protestent à qui mieux inieux. Cinq ou six mouches bien faites (fig. 175), de grosseur et de couleurs variées, suivant la grosseur du poisson que l’on désire prendre, et suivant la pureté ou l'obscurité de l'atmosphère, sont suffisantes pour le pêcheur sage et expérimenté. Il en choisira une de nuance claire par un jour Fi1G. 176. F1G. 177. FrG 178. Mouches artificielles variées de grosseur, de forme et de couleur. lumineux et serein, une plus foncée par un jour couvert ou une eau moins limpide. C’est tout ce qu'il faut. Et maintenant, il suffit de savoir les construire pour en posséder au besoin une provision inépuisable, car elle se renouvelle sans cesse ; pour savoir il faut apprendre, et nous allons essayer de montrer. La soie, la laine et la plume de différents oiseaux, les fils métalliques, telles sont les matières premières des insectes artificiels. Avec la soie, la laine et le coton, on confectionne le corps des gros insectes: leurs pattes, les ailes, les antennes se font avec de la plume noire, grise, jaune ou rouge. Mais il est un principe qui doit dominer toute cette fabri- cation : c'est que, quel que soit le talent avec lequel est faite une mouche artificielle, elle paraît au poisson beaucoup plus grosse qu'elle n'est. Quelle est l'explication de ce mystère ? Nous ne le savons point, mais le fait est patent : prenez un insecte naturel —plus gros qu'une mouche DES ENGINS DE PÉCHE 439 artificielle ordinaire — les petits chevesnes, les dards, les petites truites l’attaqueront hardiment : mettez l’insecte artificiel de méme grosseur à sa place, la grosse truite et les gros chevesnes l’attaqueront seuls. Or, le gros poisson attaque surtout la grosse esche ; donc, pour le petit pois- son, cette petite mouche artificielle est grosse. Donc, pour bien pêcher, le moyen de réussir c’est de se servir d'insectes artificiels extrémement petits. Z Z f/A # FiG. 179. FiG 180. F1G. 181. Moucherons et cousins en plumes tournées autour de la hampe de l’hamecon. Les petites mouches, les moucherons, les cousins (fig. 179 à 181) se font avec de la plume seulement — que l’on prend sur le coq, le chapon, la perdrix, la bécasse, la pintade, le canard mâle — les meilleures sont celles qui se mouillent le plus difficilement. Chez le coq et le chapon, les meilleures plumes sont celles de la collerette ; on en trouve de toutes les couleurs. La barbe de la plume du paon ou celle de la plume d’autruche forment les meilleures matières pour construire les corps des insectes, et sont bien préférables aux chenilles en soie de différentes couleurs qui se mouillent et se déforment sous l’eau (fig. 182 et 183). On arrache le pennon des grosses plumes—du haut en bas—pour avoir un ruban barbelé ; quant aux petites plumes du coq on les emploie telles qu'elles sont. On choisit de la soie de la même couleur; l’on place l’ha- F1G. 182. Corps en chenille de soie de deux couleurs, Fi. 184.—Limerick sans palette pour mouche artificielle, meçon entre ses doigts, le dard en dehors de la main, c'est-à-dire en avant des doigts et en dessus ; cet hameçon porte la florence empilée soigneu- sement. Alors on fait deux ou trois tours avec la plume au bout de l'hameçon, vers le coude, et deux tours par-dessus, avec la soie, en ayant soin de passer celle-ci entre les barbes ouvertes, sans les ployer. On 440 LES POISSONS remonte ainsi le long de la hampe, en passant quelques tours de soie, tous les trois ou quatre tours de plume. On se sert ordinairement, pour monter ces mouches, d’'hameçons limerick sans palette (fig. 184) : ils ont la hampe plus longue et plus mince. Arrivé donc à l'extrémité de la hampe, il faut arrêter tout cela. On prend alors un petit morceau de soie fine, d'environ 10 centimètres, que l'on double et aue l’on place, la boucle tournée vers la palette, sur la plume et la première soie. On continue à faire passer sur les deux bouts de la boucle, la première soie qui retient la plume, et quand on a fait un certain nombre de tours — le moins possible — on passe l'extrémité de la soie dans la boucle,entre l’un des deux petits bouts de la boucle : celle-ci se serre, et le tout est arrêté. Rien de plus simple, comme on le voit, que cette manière de faire ce que l’on appelle, en terme de pêche, les chenilles et les cousins. Il faut maintenant apprendre à confectionner les mouches à corps ; cela n'est pas plus difficile. On empile un hamecon de grosseur appropriée, sur une florence bien choisie, ayant soin que la soie poissée qui à servi, reste libre aux deux extrémités de la ligature arrêtée, sur une longueur de Om,20 à 0m,25. On pose alors sur le haut de la hampe, et les pointes fines tournées à l'opposé du dard de l’'hamecon, une barde de plume de paon ou d’autruche, et une plume de la collerette du coq, longue, mince et bien velue. Après avoir attaché solidement ces deux plumes avec l'extrémité supérieure libre de la soie poissée, on tourne, en spirale pressée sur la ligature, la barbe de paon ou d’autruche, jusqu’en face de la pointe de l'hamecçon, et là on l’arrête avec le second bout de soie poissée. On à fait ainsi le corps de la mouche, et l’on peut le rendre plus brillant en lentortillant d'un fil d'or ou d'argent placé en même temps que les deux plumes ; mais cet enjolivement n’est pas une nécessité, et rien ne prouve même qu'il soit un perfectionnement, quoique le poisson soit attiré — comme nous l'avons vu — par les brillants ou une couleur éclatante. Pour revêtir ce corps des soies ou poils qui doivent l’entourer, on prend la plume de coq qui reste libre, par sa pointe, et on la tourne aussi en spirale sur le corps de la mouche. Arrivé en bas, on la lie aussi avec la soie libre, et on coupe les bouts de soie et de plume: la mouche ou chenille est terminée par le bas. Pour couvrir mieux le dard de l’hamecon, on fait dessus avec le bout de soie supérieur, près de la palette, deux ou trois tours sur les barbules de la plume, de manière à les coucher un peu sur celles qui sont plus bas, et à leur donner en même temps une plus grande solidité. Arrêtez la soie et coupez-la, la mouche est prête à servir. Pour faire une mouche artificielle à ailes, il faut agir absolument de même, seulement choisir DES ENGINS DE PÊCHE 441 une plume de collerette de coq, à barbe la plus courte possible, car elle sera arrêtée à la moitié supérieure du corps de la mouche. On choisira alors deux petites plumes égales, minces et souples, de la couleur appropriée, on les attachera au haut de l’hameçon, les pointes des barbes tournées vers le dard de lhameçon, mais en dessus de la courbure, et après avoir terminé le corps, on les fixera par quelques tours de la soie poissée qui reste à la partie supérieure de l’hamecçon. On terminera par quelques tours en dessus du tout, pour que les ailes et les barbes ne puissent pas se relever, et la mouche à ailes sera terminée et prête à servir (fig. 185, 186, 187, 188). FIG. 187.—Mouche à ailes. FIG. 188.—Mouche a ailes. Il est facile de voir, en lisant ce qui précède, combien toute cette fabri- cation est simple, puisque le pêcheur reste libre de la couleur et de l’arrangement de ses mouches: toutes sont bonnes, quelles qu'elles soient ; le temps seul de les appliquer à la pêche varie, et assortir ies unes aux autres constitue la plus grande partie du talent à acquérir pour bien pêcher à la mouche artificielle. Nous empruntons au traité de Grey Drake (London, 1862), quelques passages intéressants sur les mouches artificielles usitées en Angleterre : ces passages compléteront aux yeux du lecteur ce que les articles Choix des insectes artificiels, suivant les lieux et suivant le temps, pourraient avoir d’obscur. “ La grande quantité de mouches artificielles diverses est parfaitement inutile, et je suis convaincu que si le poisson est disposé à mordre sur la mouche, peu importe laquelle on emploie comme forme et comme couleur, pourvu qu'elle ait la grosseur convenable. Lorsque les truites ne sont point disposées à prendre la mouche, vous pouvez essayer sans succès 442 LES POISSONS toutes celles que vous avez en portefeuille. J'ai pêché par expérience, pendant une saison entière, avec deux mouches seulement, le coachman et le governor, et j'ai parfaitement réussi, même pendant le mois de mai, alors que l’eau est couverte de phryganes et que les poissons les saisis- sent avidement. “ Les mouches de mai, n° 4 et 5 ci-après, sont certainement très recherchées par la truite, et je ne conseille pas de pêcher avec d'autres, pendant le temps des phryganes, quoique la truite les prenne aussi bien avant qu'après ce moment-là. Ces insectes durent de la fin de mai à la fin de juin. “ Les mouches désignées dans la liste suivante suffisent amplement pour toutes les époques de l'année, et pour la majorité des pays : NOR MO Ch OTOURe ERP Se représente par une mouche à corps brun, avec des ailes brunes et la queue longue. DIR CI QOLETNON EEE RP Mouche à corps brun, ayant un point rouge à lextrémité du corps, avec les ailes brunes. 3.— The coachman.................. Mouche à corps noir, avec les ailes blanches. 4. —The green drake, 1 Mouche verte... \ 5.—The grey drake...….) May-Flies j Phryganes ou mouches de mai. J Mouche grise. 6 Teredhactier ME PRET Mouche rouge sans ailes. Ten CID IA CRI ERA EEACEEREN Mouche noire sans ailes. 8.—T'he blue dun......…. ........ .. Mouche couleur de fumée, sans ailes. NON IEP one toocdacscoe Mouche à corps noir, avec les ailes rouges. ID ET LE bla cLiqmate eee Petit cousin noir. “ Le coachman, ou mouche n° 3, doit son nom, dit-on, à cette circons- tance qu'il a été inventé et recommandé par un cocher, célèbre pêcheur. C’est une mouche fort utile, que la truite saisit promptement dans toutes les eaux et pendant toute la saison, bien qu’elle ne ressemble à aucune mouche naturelle : elle est préférable même à la phalène blanche, pour la pêche du soir. “ Choisissez les mouches de mai avec des ailes grandes et relevées, le corps plein et de longues queues; n’employez pas de mouches qui ne soient pas montées sur des limericks ; moitié petites, moitié grosses ; de chaque espèce, c'est tout ce qu'il en faut. “ Pêchez n'importe avec quelle mouche, sur monture fine, si le temps est brillant, l’eau claire et le vent faible ; grosses, avec une florence forte, si le temps est nuageux, s’il vente ou s’il pleut, et quand l’eau est trouble. La plupart des pêcheurs de premier ordre et les plus chanceux — Les vieilles mains, comme disent les Anglais—n’emploient jamais d’autres mouches que le red et black hackles, le blue dun (n° 6,7 et 8), et le black gnat (n° 10) de la ligne ci-dessus. DES ENGINS DE PÉCHE 443 COULEURS DES MOUCHES ARTIFICIELLES La couleur des mouches articielles, en soi, n'importe point à la pêche : le rapport de cette couleur au temps qu'il fait est seul de la plus haute importance, quoique de nombreuses exceptions prouvent à chaque instant au pêcheur, qu'il y à des moments où le poisson n’est pas difficile, et où il prend tout ce qui lui tombe sous la dent. En effet, lorsque pieuvent, des arbres et de l'air, des insectes pendant l'été, le printemps ou l’automne, il en tombe de toutes sortes et de toutes couleurs. Quand même la rivière serait couverte d'éphémeres blanches qui semblent une manne envoyée aux poissons, on peut pêcher avec une mouche artiticielle brune, rouge ou noire ; le poisson la prendra, soit nou- veauté soit habitude. Il n'est pas si peu important de faire attention à la grosseur des mouches. Sur les eaux parfaitement limpides, sous un ciel clair et lumineux, on emploiera des mouches de couleurs claires, grises, jaunes ou blanches, et même à une grande profondeur, le poisson les verra au travers du cristal dans lequel il se promène. Si, au contraire, le temps s’assombrit et tourne à l’orage, si les eaux ont un peu de louche, on prendra des insectes de couleur brune, rouge, noire ou marron foncé. En effet, il est important, avant toute chose, que la couleur de la mouche tranche sur celle de l’eau, afin que le poisson puisse voir de loin le leurre, et y venir. D'après Isaac Walton—le père des pêcheurs à la mouche artificielle les principaux insectes employés avantageusement à l’état d'imitation, sont : les araignées, les papillons, les demoiselles, les sauterelles, les teignes aquatiques, et les insectes ailés des bords de l’eau. Parmi eux, voici ce qu’il recommande comme choix, suivant le temps : L'araignée rouge et le papillon jaspé conviennent pendant qu'il fait soleil ; Le bibet, lorsque le temps est à l'orage. Le charançon, lorsque le ciel est obcurci par les nuages. Les chenilles jaunes et vertes s’'emploient le matin, ainsi que le papillon des genéts et la suuterelle ; La mouche fantaisiste (fancy), vers la fin du jour ; #4 LES POISSONS La nymphe, au point du jour : La papette et le petit paon se mettent en usage toute la journée. On emploie de préférence : Araignées, Ces désignations doivent être Chenilles, 2e entendues dans un sens très élas- Rue Pour les Truites. 4 . ne ) Fourmis ailées, tique : par exemple, voiei ce que Demoiselles, l’on pourra prendre : Araignées : FiG. 189. FiG. 190. Chenilles : Fic. 192. Fic 193 FiG. 194. FiG 195. F1G. 198. F1G. 199. Le petit Paon, pour le saumon : F1G. 200 et 201 —Mouche3 à Saumon. LA TRUITE DES LACS 445 PAR OERE DES EACS The Namayeush. — Le Togue. - Le Touladi. — The Grey Trout. — The Mackinaw. La truite namaycush, de Mackinaw, la truite grise, généralement dénommée la truite des lacs, habite principalement les lacs Michigan, Supérieur, Huron et Érié ; elle se répand jusqu’au lac Nipigon où elle prend le nom de namayeush au lieu de truite des lacs. Entre les lacs Érié et Ontario s'élève la haute barrière du Niagara qui l'empêche de passer ; mais elle se rattrape sur les lacs Champlain, Témiscouata, Moosehead et des Adirondacks, auxquels le président Cleveland a valu une grande célébrité depuis quelques années. F1G. 202 —LA TRUITE BRUNE. “ D’après Bean, la truite des lacs est une espèce de salmonide remar- quable par sa grande taille, qui atteint trois pieds de longueur, et un poids de cinquante livres, d’une couleur excessivement variée, dont les extrêmes se font remarquer dans les eaux du Maine et celles de l'Alaska. Elle paraît n'avoir aucun parallèle en Europe, et elle se distingue parfai- tement des espèces américaines par son vomer particulier, en forme de coque de navire, et par ses 160 cœcas.” « Tous les lacs situés au nord de l’État de New-York et de la Nou- velle-Angleterre, dit Goode, ont leur variété de truite particulière que le pêcheur local prétend être d’une espèce différente de celle qui se trouve dans le canton voisin. Il en est d'aussi noires qu'un tautog, d’autres brunes tachetées de rouge, d’autres grises avec des raies finement tracées, comme celles du doré. Le type le plus répandu que l’on rencontre dans les grands lacs est brun ou gris moucheté de nuances plus vives des 446 LES POISSONS mêmes teintes. Ces modifications protéennes ont induit les naturalistes en erreur. Il est hors de doute que le namaycush du nord, le {oque ou tuladi du Maine, des sauvages et des bûcherons du Nouveau-Brunswick, du nord de la province de Québec, le siscowet ou siskawitz du lac Supérieur, la truite du lac Winnipiseogee, et celle des lacs Adirondacks, ont été, chacun d'eux, honorés d’un binôme particulier.” Si l’on songe que le Canada se compose de neuf provinces distinctes, que plusieurs de ces provinces comptent plus d’un millier de lacs reliés entre eux par d'innombrables cours d’eau; en plus, des territoires con- tenant plus de lacs et de rivières que toutes les provinces réunies en- semble, on doit avoir lieu de s’effrayer d’une pareille richesse ichtyo- logique. Et cependant, depuis les lacs servant de sources au fleuve Hamilton, dans le Labrador, jusqu'à ceux où la rivière Colombie trouve son urne, et depuis les cours d’eau du Nouveau-Brunswick jusqu’à ceux de l’Alaska, il n’en est peut-être pas un seul qui n’alimente — petite ou grande—quelque truite des lacs à laquelle nous consacrons cette page. Ce poisson offre plus d'intérêt dans l'ichtyologie du Canada que n'importe quel poisson de notre histoire. Il n’est aucun peuple qu'elle n'ait nourri, dans ses jours d’abondance, où qu'elle n'ait soulagé dans sa détresse. I est connu des pauvres comine des riches : il figure sur la table des festins comme au repas du souffreteux ; il entend les gais refrains des noces et les plaintes de la misère : c’est la chair secourable, le compagnon du pain, que Dieu répand dans l’eau comme il sème le blé dans la terre. Béni soit à jamais ce poisson universel tombé de la main divine, et traçons en passant quelques notes sur son existence. ORIGINE DE LA TRUITE DES LACS Lesautorités ichtyologiques, dit Goode, refusent nettement d'admettre que la truite des lacs soit identique à la truite de Mackinaw ou au namayeush, en appuyant leurs prétentions sur leur différence d’habi- tudes. Toutefois, une étude attentive du poisson mort est suffisante pour convaincre un observateur consciencieux qu'il n'existe aucun carac- tère constitutionnel par lequel ces différentes formes peuvent être séparées en espèces. Il n’y à aucun doute que les variations locales doivent être prises en considération, et du moment que nous saurons mieux nous entendre sur ce point, il est probable que les zoologistes et les amateurs de pêche finiront par accepter comme races distinctes les types les plus vulgairement accentués, comme cela est admis parmi les chiens, les pigeons et autres animaux domestiques. LA TRUITE DES LACS 447 LE NAMAYCUSH Le namayceush atteint son plus grand perfectionnement dans les parties nord des lacs Huron, Michigan et Supérieur, où il est très géné- ralement connu sous le nom de truite de Mackinarw. Dans les lacs du nord de New-York la même espéce de poisson est désignée sous les noms de saumon des lacs, truite des lacs et truite saumonée. Cette forme, qui est considérablement plus petite que celle des lacs du nord, a été décrite par de Kay sous le nom de salmo confinis, et sa présence à été signalée par cet auteur aussi loin vers le sud qu’au Silver Lake, dans le nord de la Pensylvanie. Une autre forme est également reconnue par les sports- men , laquelle, tout en étant spécifiquement identique à celle des grands lacs, à été présentée sous différents noms, tels que salmo toma et salmo nictrica. “ Ce poisson, écrit Lanman, se trouve dans tous les grands lacs du Nouveau-Brunswick et dans un très grand nombre de ceux du Maine : , mais on croit qu'il n'existe pas dans ceux de la Nouvelle-Écosse (1). Les bûcherons l'appellent le Togue ; les sauvages l’appellent d’un nom équi- valant à celui de morue de rivière. On le trouve en grand nombre et de forte taille à la tête de la rivière du Poisson, dans les lacs Saint-Fran- çois, d’où il descend la rivière de ce nom, et dans le lae Métapédia, qui se décharge dans le Ristigouche et dans le Miramichi, à la source de la rivière du même nom. Un poisson de cette espèce, du poids de vingt et une livres, à été pris dans le lac Témiscouata. On l’y appelle généra- lement le tuladi. Souvent il s'en prend du poids de douze livres et plus, dans les lacs Cheputnecticook, aux sources de la branche est de la rivière Sainte-Croix. On a constaté récemment que cette espèce de poisson existe en nombre considérable à Loch-Lomond, à douze milles de la ville de Saint-Jean.” La meilleure étude des mœurs du namaycush, en sa qualité d’habitant des grands lacs, a été faite par Milner, en 1871. Milner a observé que dans le lac Michigan, à l'exception de la saison du frai, ce poisson est resté dans les parties les plus profondes du lac. Dans ses migrations d’au- (1) Lanman fait erreur ici, le namaycush existe à la Nouvelle-Écosse. # 448 LES POISSONS tomne, il ne remonte pas les rivières, et quoiqu'il soit reconnu qu'il habite quelques petits lacs de l’intérieur en connexion avec les princi- paux lacs par des rapides, on n'a Jamais remarqué qu'il en ait été vu ou qu'il en ait été pris dans les décharges. Dans les parties nord du lac Michigan on les prend à des profondeurs de quinze brasses, en petit nombre, dans des filets à mailles, et en plus grand nombre, en hiver, à travers la giace, principalement à une pro- fondeur de plus de trente brasses. Ce n’est pas chose rare pour une truite des lacs d’avaler un poisson presque aussi grand qu'elle-même. Il en fut capturé une, un jour, à Deux-Rivières, Wis., de la bouche de laquelle sortait quelque chose comme trois pouces de la queue d'un poisson (/ota muculosa) avalé par elle. Le poisson avalé ayant été retiré de la bouche de la truite, mesura environ dix-sept pouces. “ Leur excessive voracité, écrit M. Milner, les induit à se remplir la bouche d’une nourriture étrange. Ils s’attachent parfois à la marche d’un steamer et dévorent les restes de la cuisine qui leur sont jetés: et Jai moi-même enlevé de l'estomac d'un de ces poissons, une pomme de terre crue, des intestins de volaille, et même des morceaux d’épi de maïs encore verts.” Ni la truite de Mackinaw, ni le siscowet ne sont des poissons sportifs d’un grand mérite, quoique le dernier morde au trolling, pourvu que la mouche soit de couleur vive ou que la ligne soit eschée d’un minnow ou munie d’une cuiller bien ornée. Elle ne saute pas comme la truite de bruyère, et elle lutte avec peine et lourdement. On la capture également à la ligne de fond dans des endroits préalablement appâtés. Les sau- vages du Sault-Sainte-Marie sont très habiles à harponner les truites de Mackinaw à travers la glace, en les attirant au moyen de leurres figu- rant des poissons de bois et de plomb. Mais le plus grand nombre de ceux qui sont capturés en septembre, octobre et novembre sont pris dans des rets à mailles et des mandragues. Le professeur Adams fait une peinture curieuse des mœurs du togue, habitant du lac Supérieur et du lac Michigan. “Il fréquente, dit-il, les hauts-fonds, pour se nourrir de truites, d'éperlans et d'autre menu fretin. De fait, c'est l'éperlan qui fait sa principale nourriture, en hiver. Il con- somme aussi beaucoup d’anguilles et de cyprins ; et en réalité, c’est un tyran d’un appétit si vorace que l’on trouve constamment dans son estomac des quantités de branches, de feuilles, et des fragments de bois. Ce monstre énorme s’attaquera parfois à un engin de pêche, mais d'une manière si lente, si lourde, que le pêcheur peut croire qu'il à FAR LA TRUITE DES LACS 449 enferré une pièce de buis ou une pierre. Me trouvant à pêcher dans le lac Schoodic, ma ligne fut prise de cette manière, mais en la manœuvrant avec soin je compris que je venais de manquer un {ogue énorme dont les dents tranchantes avaient fait une série de sillons profonds dans le mulet qui servait d'esche à mon hamecçon. Fi1G. 2 3.—LA PÊCHE A LA TRUITE. En baguenaudant le long des rives d’un des ilôts, composés plus ou moins, de blocs grauitiques, notre attention fut attirée par le guide, vers un objet noir, se dessinant au fond parmi une masse de pierres. Il nous 29 450 LES POISSONS affrma que c'était un foque monstre, qui—si tel était le cas—devait dépasser trois pieds de longueur : de plus, il nous montra deux coches sur son canot, représentant les dimensions d’un énorme individu qu'un sau- vage avait capturé dans les mêmes eaux, durant la saison du frai. La mesure n'etait pas de moins de quatre pieds six pouces de longueur. LE SISCOWET Goode admet n'avoir jamais vu de siscowet vivant, mais il prétend que c’est un poisson distinct du fogue et du namaycush, qui n'habite que le lac Supérieur. Ce poisson, d’après lui, fut décrit pour la première fois, en 1850, par Agassiz, dans son livre : Lake Superior, sous le nom de salmo siscowet ; Herbert, dans son Fish and Fishing, p. 10, donne la description suivante de ses particularités : “ Ce poisson, ainsi que l'espèce précédente, est venu fréquemment sous mes yeux, lors de ma dernière excursion dans le nord : je m'en suis même procuré un baril mariné, et je suis heureux de le recommander à tous les amateurs de bon poisson. Il est tellement gras et riche, que si on le mange frais il est excessivement huileux, mais lorsqu'il est salé et grillé, après avoir séjourné dans l’eau froide pendant quarante-huit heures, je ne connais aucun poisson qui puisse le surpasser ou l’égaler. “ Ses mœurs ressemblent beaucoup à celles du namayceush : et je ne sache pas qu'il morde à la mouche ou à la turlotte. Toutefois, je ne crois pas qu'on ait souvent recours à ces méthodes pour le surprendre, quoiqu'il ne manque pas de pêcheurs à la mouche dans les endroits où on le poursuit, et c’est à la mouche d’une couleur vive que l’on capture la truite commune qui l'accompagne, au Sault-Sainte-Marie. Le poids moyen du siscowet ne dépasse pas quatre ou six livres, quoiqu'on en capture de dix-sept livres. Sa valeur est tellement connue et appréciée, dans le région des lacs, qu'il obtient le double du prix de son grossier congénère, le namaycush, et il est tellement recherché dans ces endroits, qu'il est dfficile de se le procurer au Détroit, et presque impossible, de trouver à l'acheter, à Buffalo.” “ Milner dit que le siscowet vit à une profondeur de plus de quarante brasses, et qu'il se nourrit principalement du scorpion d'eau douce. Il fraie en septembre, dans des eaux profondes.” M. George Barnston, de Montréal, Canada, appartenant jadis à la Compagnie de la Baie d'Hudson, prétend qu'il existe une troisième LA TRUITE DES LACS 451 espèce de truite des lacs, différente du siscowet, sur la rive sud du lac Supérieur, appelée “lu Mucqua” ou “ la truite de l'ours. M. Robert Ormsby Sweeny, président de la Commission piscicole du Minnesota, par une lettre datée de Saint-Paul, du 19 octobre 18S0, donne les informations suivantes sur le siscowet, qui sont plus précises et plus complètes que tout ce qui a été publié jusqu'ici. “ Non seulement je me suis contenté d'examiner moi-même, avec soin, le siscowet, et de comparer ses attributions avec les formules d’Agassiz, mais de plus j'ai consulté des commerçants, des voyageurs, des sauvages, et des sang-mêlés, et des pêcheurs, au sujet de ses mœurs, de sa taille, de sa coloration, de son poids, ete, et tous en sont venus à la même conclusion. Le siscowet ne saurait être un namaycush ni être con- sidéré comme tel. Le mot siscowet vient de la langue ojibewa, et signifie littéralement 4 se cuit lui-méme. À l’état frais, ce poisson est délicieusement riche, ayant le goût du ventre du maquereau. Le namay- cush est sec et manque de saveur, et ne peut même pas être rôti, sans lard ou sans saindonx. “ L'amateur peut être porté à confondre le namaycush avec le sis- cowet, mais du moment que la différence entre eux est signalée, il n’y à plus à se méprendre sur les deux. Le pêcheur les distingue avant de les tirer de l’eau, lorsqu'ils s’agitent dans les rets; le jeune sauvage les reconnait à première vue. La tête est différente de poids et de forme : il en est de même de la coloration et de toute la conformation osseuse. Le namaycush ne fraie qu’à l’automne et ne commence à frayer qu'en octobre. Il ne donne qu'un demi-million d'œufs, pendant quele siscowet fraie constamment, ou du moins, au dire des pêcheurs et des sauvages, on trouve en tout temps de l’année des femelles de siscowet œuvées. J'ai cru d’abord que cela était exagéré, mais j'en aï eu le témoignage de la part de tant de personnes de bonne foi qu'il m'a fallu m'y rendre. On en trouve rarement dans la partie basse du lac. Ils deviennent plus communs, en se rapprochant de La Pointe, et c’est près de l’île Royale et de la rive nord qu'il s'en trouve le plus ; cependant, c'est un poisson comparativement rare. Ils sont fort estimés et acquièrent un prix élevé, et nous ne pou- vons guère nous en procurer qu'en hiver et à l'état frais et gelé. Il arrive rarement qu'un siscowet pèse plus de trente livres et mesure plus de trente-six pouces de longueur, d'après ce que disent ceux qui connaissent bien les poissons du lac. Je tiens des mêmes autorités qu'un namaycush peut atteindre ce poids. Au dire de Thaddeus Norris, la truite namaycush fraie le long des rives des lacs, au mois de novembre : mais il ne s’est jamais rendu compte 452 LES POISSONS des raisons qui attiraient ce poisson dans les eaux aérées de l'embouchure des ruisseaux, si ce n’est en vue d'y déposer ses œufs. Considérant qu'il atteint, à son avis, le poids de cent livres et plus, il y a lieu de croire qu'il est d’une croissance rapide, quoique nous n’ayons aucun moyen raison- nable d'établir quel développement il acquiert dans un temps donné. “ En revenant du Sault-Ste-Marie, en juillet 1844, dans un bateau de Mackinaw, en usage à cette époque, l'auteur tendit deux lignes munies de deux forts hameçons Kirby 00 et amorcés, l’un, d’un chiffon blanc. et l'autre d'un morceau de ma chemise de flanelle rouge, et il piqua diverses truites de la taille susmentionnée qui crochirent ces hame- çons ou rompirent les lignes; il y eut une seule exception, ce fut celle d’une petite truite de huit livres, qui était jeune, à en juger par la blan- cheur de sa chair, telle qu’elle nous apparut après qu'elle fut rôtie. LE TOULADI, ou TULADI, ou TOURADI En parcourant le rapport de l'arpenteur A. P. Low, que le gouver- nement d'Ottawa vient de publier sur l'exploration de l’intérieur du Labrador canadien, opérée durant les quatre années 1892-93-94-95, nous constatons dans les sources lacustres des grandes rivières tributaires de la baie James, de la baie d'Ungava, et du golfe Saint-Laurent, l'existence de la truite grise ou de la truite des lacs, sur une série de hauteurs non interrompue, depuis les rameaux du Hamilton Inlet jusqu'aux sources de la Peribonca, tributaire du lac Saint-Jean. Du lac Saint-Jean jusqu'à Québec, et de Québec jusqu'au lac Témiscamingue, le touladi suit une équerre brillante de vasques couronnant les Laurentides ou suspendues à leurs flanes. Vous voyez là-bas le lac Népigon, formant avec nos six autres lacs géants, la Méditerranée du nouveau monde, Aucune autre pièce d’eau ne lui est comparable en beauté, et surtout pour la quantité et la taille de ses truites grises. Passé le lac la Pluie, dans la seule province du Manitoba, vous ne comptez pas moins de sept cents lacs, dont une moitié au moins est peuplée de poissons blancs et de truites grises. Peut-être n’y en a-t-il pas autant dans les provinces d’Assiniboia, d'Alberta, de Saskatchewan et de Keewatin; mais encore méritent-elles un intérêt plus qu'ordinaire, lorsqu'on songe que ces provinces improvi- sées ont une contenance de près de deux millions de milles carrés (1) et qu'elles sont arrosées, et partout peuplées de poissons, dans une propor- tion équivalant d'assez près à la condition de la province du Manitoba. (1) Soit quatre fois la superficie de la France. LES SALMONIDÉS DE LA COLOMBIE 453 LES SALMONIDÉS DE LA COLOMBIE La faune américaine est, comme sa flore, d'une très grande variété, qui répond à l'infinie diversité des conditions du sol et du climat ; oiseaux, poissons, amphibies, reptiles, insectes de tout genre sont repré- sentés en multitudes. La proportion des mammifères est aussi très considérable, mais les grandes espèces que possèdent l'Afrique et l'Asie n'ont point leurs pareilles en Amérique; les naturalistes du dix- huitième siècle avaient déjà remarqué que dans le monde le plus étroit les animaux ont de moindres dimensions. L'Amérique eut le mastodonte, à une époque géologique récente; aux âges tertiaires, les monts Rocheux eurent aussi leurs prodigieux dinocérates ; mais actuellement, le nouveau monde n’a point de quadrupède que l’on puisse comparer à l'éléphant, au rhinocéros, à la girafe ; pourtant, il a parmi ses fauves, des bêtes de forte taille, telles que l'ours blanc polaire et l'ours gris des montagnes Rocheuses, l’orignal et le caribou du Canada, le jaguar de l’'Amériqne tropicale, désigné ordinairement par les indigènes, de même que la panthère, sons le nom de “tigre.” C'est que, en effet, des espèces distinctes représentent le même type en deux milieux différents ; on à pu dire aussi de la vigogne, qu’elle est le chameau de l'Amérique, et du nandou, qu'il en est l’autruche. Le continent du sud contraste avec celui du nord comme centre de création ; il possède un très grand nombre de femelles animales qui ne se trouvent point dans l'Amérique du Nord. Il n’a pas moins de 2300 espèces d'oiseaux, pendant que l'Amérique septentrionale en a 700, trois fois moins ; pour les poissons, le contraste est encore plus frappant: les eaux américaines du nord ressemblent à celles de l'Afrique et de l'Asie, pour leur faune ichthologiqne. Les espèces particulières à l'Amérique méridiodale se comptent par milliers. Apgas-iz en à recueilli deux mille dans le seul bassin de Amazone : un seul lac en possède autant que l'Europe. Il faut bien convenir qu'entre tous les pays, et même entre tontes les provinces du Canada, la Colombie est loin de briller par le nombre d'espèces de ses poissons. En revanche, ses lacs et ses rivières, tant vastes qu'ils soient, débordent des espèces qui les habitent. Et ces espèces 454 LES POISSONS sont des plus précieuses pour le commerce et la nourriture de l’homme. Il suffit de nommer ses quinze ou vingt variétés de saumons, ses truites innombrables, de plus de cinquante variétés, ses houlicans, tour à tour lampadaires, etthérapentes suivant qu'ils servent de flambeaux ou de remèdes contre la consomption ; ses esturgeons, du poids énorme de plus de cinq cents livres, pour rejeter dans l'ombre l’énumération inépuisable de la faune ichtyologique de l'Amérique du Sud. En 1887, le Révd. L. Brown disait : “Il n’est pas de côtes ou de rivières qui soient plus riches en poissons que celles de la Colombie anglaise. “Au mois d'avril apparaît le célèbre houlican. Des milliers de ce poisson se pressent à l'embouchure de la rivière Fraser, où son arrivée est annoncée par des volées de goélands que l’on aperçoit au-dessus des bancs, guettant l’occasion de saisir leur proie et faisant retentir de leurs cris aigus les régions d'ordinaire si tranquilles du Fraser. “ Le houlican ressemble à l’éperlan, mais il est un peu plus gros et a un goût délicieux. Il est si huileux que l’on assure que celui que l'on prend au nord peut brûler comme une chandelle. “Il est hors de doute que ce poisson ferait d'excellente sardine que l'on pourrait conserver dans sa propre huile. Mais revenons à la truite grise dont nous avons entamé le sujet, depuis le lac Supérieur, en continuant de le traiter par les pro- vinces maritimes, le Labrador et le Manitoba. La connaissance de l'histoire naturelle des poissons se rattache rigoureusement à la géo- graphie des pays, et surtout à la description des rivières, des lacs et des mers, s’il est question des poissons en général, des lacs et des cours d’eau, s'il ne s'agit, comme ici, que des poissons d'eau douce. La Colombie anglaise est un pays des plus pittoresques, comprenant une grande partie des montagnes Rocheuses que domine le pic élevé du mont Saint-Élie, qui secoue son panache de feu au-dessus des sombres hor- reurs du Pacifique, pendant que des serpents immenses ayant noms le Mackenzie, la Skeena, le Yukon, la Stikeen, le Fraser, les rivières la Paix, Pelly et vingt autres, se tordent à ses pieds, cachés sous sa robe de neige. Ces rivières, sorties de centaines de lacs, se roulent, s'enroulent, se brisent, se précipitent du haut de rochers de deux à trois cents pieds d'élévation, souvrant des abimes aux flancs des montagnes, se chan- geant, à leur tour, en lacs, en glaciers, en escaliers tournants par où remontent en troupes immenses, des esturgeons, des saumons, des truites de toutes couleurs et de toutes grandeurs. LES SALMONIDÉS DE LA COLOMBIE 455 Mais ces saumons rapides, ces esturgeons superbes, ces ‘truites aux flancs argentés, cet inconnu pâle et efHanqué qui peine à la remonte du courant, mais qui passe tout de même, poussé, pressé, bousculé par des flots de chair vivante, eh oui! ces esturgeons, ces saumons, ces truites importés ne les reconnaissez-vous plus ? Ce sont pourtant les mêmes que vous avez vus, il y à quinze jours à peine, à l'entrée de la Skeena, marchant à l'assaut des montagnes qui s'effaçaient devant eux. Je nomme ici la Skeena, parce que nous nous rencontrons sur le lac Babine, une de ses sources les plus considérables, où la Compagnie de la Baie d'Hudson s’approvisionne de saumons pour des millions ; je pourrais en dire autant et davantage de tous les fleuves qui se déchargent dans le Pacifique. C’est dans le lac Stewart que se rencontre le fameux esturgeon Richardsonii qui n’a de supérieur par la taille que dans la mer Cas- pienne. Combien de degrés remonte le Fraser avant d'atteindre le lac Tatla ? Ces degrés sont autant de lacs que la rivière attache comme autant de paliers aux flancs des montagnes Rocheuses. Lorsque ces montagnes mesurent dix mille pieds d’élévation, rien de surprenant qu'il faille trente degrés ou trente lacs espacés pour les gravir. Qui s’'étonnerait de la hardiesse de l'ascension après avoir vu se précipiter ces écoles de sau- mons à la porte de la rivière Fraser ? J’ai conservé précieusement une pho- tographie représentant des pêcheurs surpris sur des cailloux au milieu du courant, les hommes envahis par la vague saumonière soudainement refoulée dans le fleuve par l'Océan ; je vois là plusieurs saumons le ventre en l'air, étouftés et emportés par le courant, en déroute : Quia Jordanis conversus est retrorsum. En vérité, il est peu de chose d'aussi terrifiant, sinon admirable, je ne dirai pas que l'édification, mais bien plutôt que le bouleversement qui a fait sur notre globe cette grossière couture qui s'appelle les montagnes Rocheuses, et dont les points les plus rustiques sont marqués par l'Alaska et la Colombie anglaise. C’est une terre de colère sans cesse attisée par des volcans et des secousses souterraines. Vous avez ici, sur les roches déchiquetées par la mer, une image parfaite des côtes de la Norvège. Un jour, le mont Saint-Élie, pris de fureur, se déchire les flancs pour verser à deux océans plus de dix fleuves. Les îles Charlotte se séparent du continent, fendues comme par un énorme coup de hache : et les glaciers pendent à la barbe de ce nouvel Etna qui les crache en rivières, en lacs. Ils sont profonds, allez, ces lacs ! aussi profonds qu'ils sont grands, et ils sont faits pour imiter les lacs d'Ontario et les lacs de la Suisse, où sem- plaît la truite grise et le namayeush. De plus beaux, de plus vastes glaciers vous en trouverez peut-être dans le Groënland ? Allez-y voir ! Eh oui, la truite des lacs, étonnée, taciturne, sous ses centaines de pieds d’eau, se demande où vont courir ses frères aînés, les saumons du Pacitique 456 LES POISSONS et ses sœurs folles des lacs, de la bruyère et de la mer ? De mœurs douces et paisibles, la truite grise ne sait se déranger dans ses amours que pour aller se rafraîchir, en compagnie, à l’embouchure du ruisseau voisin. Respectueuse du domicile avant tout, pour elle, l’émigration est une faute grave dont elle se tient responsable envers des générations entières. LES SAUMONS DU PACIFIQUE On dit généralement qu'il existe cinq espèces de saumons sur les côtes nord-ouest de l'Amérique ou dans les eaux de locéan Pacifique qui baignent notre continent. Cinq espèces de saumons, la chose se prononce vite, mais quand il s’agit d’en faire la description l'embarras se présente. Pour cinq espèces annoncées il s'en trouve aisément sept ou dix ou douze. Vous en avez des gros, des petits, des longs, des courts, des noirs, des argentés, des timides, des audacieux, des émigrants, des sédentaires ; on vous montre tel saumon qui n’a pas visité la rivière depuis quatre ans, mais i] est vrai qu'il la remplit consciencieusement cette fois, de son espèce. Il n’est plus besoin de le pêcher, vraiment ! on voit les gens, de pauvres diables de sauvages, entrer dans la rivière Fraser et ses tributaires, par exemple, et prendre à la main le poisson qu'ils rejettent sur les rives, où les femmes s’en emparent pour le tuer ou le dépecer. Le Puget Sound est, en plusieurs saisons, fréquenté par une telle quantité de saumons qu'il est impossible de jeter une pierre dans l’eau sans qu’elle ne touche plusieurs poissons, de telle sorte que cette pierre ne peut rencontrer le fond: la capture de trente saumons, dans une journée, ne serait pas une prise excessive pour deux Indiens adroits. “Ces saumons, dit le Dr Sauvage, appartiennent à de nombreuses espèces, à Vancouver et dans la Colombie anglaise, du moins. À Victoria, en juin ou en juillet, arrive une grande quantité de saumons quinnat, que, dans ces derniers temps, on à cherché à acclimater en Europe ; avec lui se trouve une autre espèce, le saumon de Gardner. Ces deux poissons sont les saumons d'été, mais l'automne voit arriver aussi ses espèces particulières : peu après le saumon de Gardner vient le saumon aux petites dents ; en octobre, le saumon Iycaodon ; enfin, et en dernier lieu, le saumon protée. Le saumon pourpré fréquente également les côtes nord-est de l’Asie et nord-ouest de l'Amérique, tandis qu'au Kamtchatka, nous trouvons les saumons leucoménés, le lyeaodon, le sanguinolent, l’oriental et le callaris, ce dernier d’une belle couleur rouge, LES SALMONIDÉS DE LA COLOMBIE 457 relevée de taches brunes. La plupart de ces poissons peuvent atteindre une grande taille, et peser plus de cent livres.” Il en est ainsi surtout du saumon quinnat qui salue son maître en passant aux portes des rivières Colombie, Fraser et Skeena, en disant : Ave, Cesar morituri te salutant. Ils s'en vont en effet, là-haut, sur les montagnes, pour y déposer leurs œufs dans le fond d’un ruisseau ; si ces œufs tombent en deça des Cascades, tant mieux pour eux, car ils reverront la mer; mais s'ils sont poussés au delà, ils périront sur les flancs orientaux des montagnes Rocheuses ou dans un lac de truites grises. C’est par millions que la Compagnie de la baie d'Hudson les achète, au lac Babine, aux sources de la Skeenu, pour elle et pour ses chiens. Tout le long de la côte, jusqu'à la baie Kotzebue, les rivières de l’Amérique laissent couler de l'huile et du sang de saumon, un beau sang rouge s’il en est. Les commis d’un comptoir américain de l’Alaska expédièrent un jour à New-Vork, aux membres de leur compagnie, quelques barils de saumon de la baie de Kotzebue, par un steamer de la ligne de San- Francisco. Si gras était ce poisson qu'il n’en resta que de la chair à pâté fondue dans l'huile, une fois rendue au port. Un peu de vent sur mer avait sufhi à changer la chair en sauce. Les Chinois, qui ont du flair en ces matières, étaient déjà rendus à l'Alaska dès le lendemain de l'installation des Américains à Juneau-City, la principale place d’affaires des nou- veaux acquéreurs. De là ils ne tardèrent pas à envahir New-Westminster, où nous avons eu malle à partir avec eux. Oh! les misérables coyotes qu'ils sont, appliqués partout à dévorer les charognes du monde entier ! C’est M. Norris, un auteur américain, qui réduit les saumons du Pacifique, du genre Onchorynchus, qui veut dire nez en crochet, à cinq espèces distinctes, savoir : le Quinnat ou Tyee; le KXysutch ou Blue-back ; le Nerka où Suw-qui ; le Kela où Cultus, et le Quillayute ou Houlahan. Le saumon Quinnat où Tyee est le plus beau saumon du Pacifique, et souvent il atteint le poids de cent livres. Il é£ait jadis très abondant dans les rivières Sacramento et de la Colombie, mais on en a tant pêché et tant emboîté que la quantité de ces poissons en est réduite au dixième de ce qu'elle était. Toutefois, ils sont encore assez abondants dans la rivière Fraser et les rivières plus septentrionales. On en capture aussi dans le détroit de Puget, mais le nombre en a diminué. C’est un beau poisson sportif. Il donne à la cuiller, en eau salée, et il mord aux œufs de poisson, en eau douce. Le kisutch ou blue-back salmon est le plus gracieux de tous les sau- mons, et le plus précieux après le Tyee. Iln’a pas la chair riche et ferme du Tyee, mais c'est un poisson délicieux, et sa chair est d’une vraie 458 LES POISSONS ll Vi }l | NUE | STAR | DEC MAN PAIN an con | We MAIL er LEE LAN LE JUL | F' il (y D LL SRE LE A (ne LL li FiG. 204, — Pêche au Saumon. LES SALMONIDÉS DE LA COLOMBIE 459 couleur saumonée. C’est également un poisson sportif, et les pêcheurs amateurs le préfèrent au Tyee, vu qu'il mord à la cuiller et qu'il combat en désespéré. Il porte également le nom de Coho. Il atteint le poids de plus de vingt livres, et il est très recherché par les commerçants, de poissons et les fabricants de conserves. Le Nerka. Le Nerka n’est qu'un rare visiteur du détroit de Puget. Dans la rivière Fraser, au contraire, il est un des principaux poissons du printemps ; il vient même quelquefois avec la dernière ascension du Tyee. Une moitié du saumon exporté jadis de la rivière Fraser en Angleterre était peut-être du Saw-qui, lorsque fut exploité ce cours d’eau boueux. Ce poisson ne dépasse jamais douze ou quatorze livres de poids, et il est dédaigné par les amateurs de pêche. Une fois piqué il ne présente qu'une faible résistance et se rend lâchement. Le keta ou cultus (ce qui signifie mauvais, ou bon à rien), autrement connu sous le nom de saumon-chien, habite tout le long de la côte nord du Pacifique. On le trouve dans toutes les rivières, tous les lacs, tous les ruisseaux et ruisselets, fossés et fondrières en rapport avec les rivières fournissant assez d'eau pour lui permettre d'y nager: et on prétend même lavoir vu sur terre en quête d’eau. Sa chair est blanche et sans valeur, sauf pour les sauvages. (Ils se régalent même de corneilles). La seule chose que l’on puisse admirer dans ce poisson c'est sa détermi- nation. Il à orandement développé le mot “en avant © et s'il rencontre dans le courant un obstacle qu'il ne puisse surmonter, il essaiera de grimper par-dessus. S'il ne peut y réussir, il attaquera l'obstacle de son museau jusqu'à ce qu'il périsse à la peine. En ouvrant une boîte de saumons de la rivière Colombie, si vous trouvez une chair blanche, insipide et sans goût, vous pouvez conclure en toute assurance que quelque vieux martyr de cette espèce a fourni le contenu de telle boîte. Il atteint le poids de douze livres, mord à la cuiller et lutte vaillamment. Le quillayute est le plus petit des saumons. On ne le trouve que dans la rivière Quillayute, comté de Challam, Washington. C’est un poisson court et épais, pesant environ six livres, que les raturalistes n’ont jamais classifié. Sa chair est ferme et de bon goût. Mordant vigoureusement à la cuiller il fournit une pêche agréable. En lui donnant le nom de Hou- lahan, ou poisson-chandelle, les sauvages lui font un compliment, car, à leur avis, le poisson-chandelle est le plus fin morceau de chair qui puisse nager. Vous n'aurez pas manqué de lire que l'océan Atlantique ne nourrit qu'une seule espèce de saumon, le saumon salar ; c’est bien peu, n'est-ce 460 LES POISSONS pas, pour une mer qui baigne les pays les plus avancés de l’Europe et de l'Amérique ? Pour nous, en ce qui concerne le Canada, nous nous rattra- pons, grâce à Dieu, par le saumon du Pacifique; mais pourquoi souffrir cette injustice, lorsque le Danube produit le saumon heusch, et qu’en Norvège vit le saumon mistops, au corps argenté, orné de taches en forme d’'X, remarquable pour la petitesse de son œil, et le saumon cam- brien ? Celui-ci fréquente également les cours d’eau du Danemark, d'Angleterre et d'Irlande; il à le dos verdâtre, avec quelques petites taches noires disséminées sur la tête et sur les flancs : le ventre est argenté; d'après certains naturalistes, il donnerait des métis avec la truite. “ La pêche du saumon, dit le Dr Sauvage, est très active en Norvège : aussi, le prix de ce poisson a-t-il considérablement augmenté depuis une vingtaine d'années. “ Cette pêche commence dès les premiers jours d'avril et dure jusqu'à la fin de septembre. On se sert de filets placés d'une manière perma- nente à l'embouchure des fleuves: ces filets décrivent des lignes sinueuses dans lesquelles s'engage le poisson, et l’on prend souvent ainsi jusqu’à trois cents saumons dans une seule marée.” C’est exactement le mode de pêche quise pratique à l'embouchure des grands cours d’eau de la Colombie, à cette différence près que la pêche de chaque jour rapporte à peu près neuf cents pièces, et celle d’une sai- son environ 12,000 poissons. Deux hommes dans un bac avec un certain nombre de filets à mailles de 44 à 5 pouces suffisent à la tâche du bar- rage à l'entrée des rivières. Cette opération se pratique depuis l'entrée Jusqu'à quatre ou cinq milles au-dessus, suivant que le pêcheur y voit son profit Quelquefois le filet fait place à la seine, si l'on voit du bon en cela. “ D'après de la Blanchère, le saumon de Norvège est très recherché pour sa chair succulente, etil s’en exporte, chaque année, une grande quantité, surtout en Angleterre, à l’état frais, et conservé dans la glace. Dans le but de conserver ce poisson pendant un temps assez prolongé pour permettre son expédition dans des contrées éloignées, on à eu l’idée de construire des glacières parfaitement aménagées, dans lesquelles le poisson séjourne sur la glace jusqu'au moment de lexpédition, c'est-à- dire quelquefois sept ou huit jours. Pour le faire voyager, on l'arrime avec de la glace, dans des cuisses de bois, de telle sorte qu'il y ait au fond une couche de glace concassée, puis un lit de poissons placés côte à côte, le ventre en l'air ; on remplit les interstices avec de la glace con- LES SALMONIDES DE LA COLOMBIE 461 cassée, on fait une nouvelle couche de glace à laquelle on superpose un second lit de poissons, recouverts eux-mêmes par de la glace, puis on ferme la caisse pour l'expédition.” Depuis le Labrador jusqu'à l'extrémité ouest du Canada, le transport du saumon ou de la truite, qu'il ait été fait par la compagnie Fraser ou par d'autres, n'a jamais été fait autrement, durant ces quarante der- nières années. Et le commerce doit sans doute suivre ces mêmes mé- thodes entre l'Alaska et les États-Unis. N’a-t-on pas adopté à New- Westminster les procédés de congélation en guise de la fabrication des conserves ? On y trouve une sérieuse économie de temps et de main- d'œuvre. On sait que le salmo salar où saumon commun de l'Atlantique remonte nos rivières en été pour faire sa ponte en automne et en hiver. En Islande, en Russie et en Colombie il y a du saumon d'été et du saumon d'automne, pour lesquels l'économie varie nécessairement. On remarque en Islande qu'au mois de juin, époque de la pêche, il entre plus de saumons dans les rivières, par certains vents, par le vent soufflant de mer, par exemple. Cette remarque est commune entre les fleuves affluents du golfe Saint-Laurent et ceux de l'Islande. C’est presque toujours d’après le vent que les pêcheurs de la côte nord du Labrador augurent les chances de la pêche au saumon. A cela peut- être ont-ils raison, car si le vent pousse les glaces à l’entrée des rivières, il yopère un barrage fatal qui empêche le saumon de monter. D'un autre côté, si le vent porte au large, le poisson voyant le passage libre devant lui, monte en si grande abondance qu'on peut le prendre à la main en fouillant sous les grosses pierres, ou en le harponnant au moyen de longues piques. Parfois, après avoir choisi un endroit où les eaux sont basses, les pêcheurs construisent, à l'embouchure des ruisseaux qui se déchargent dans la mer, une digue en pierres, disposée de manière à ce que l’eau puisse passer. A la marée montante, le poisson franchit faci- lement la digue ; l'eau baissant, il se trouve bientôt prisonnier, et on le cepture alors facilement. D'après le récit d’un voyage en Islande, publié en 1802, et traduit du danois par Gauthier de Lapeyronie, on y pêcherait le saumon d’une ma- nière tres curieuse : après que la digue dont nous venons de parler a été établie, on barre la rivière au moyen de filets dont les extrémités sont tenues par des hommes à cheval; d’autres cavaliers laissent aller leurs chevaux à la nage, ce qui épouvante tellement le poisson, que, dans sa frayeur, il n'ose ni franchir les filets en sautant, ni chercher à se glisser en dessous ; d’un autre côté, le rivage est garni de gens qui jettent des pierres 462 LES POISSONS dans l’eau, ce qui effarouche encore davantage les saumons, qui fatalement vont se faire prendre dans les filets tendus au-devant de leur route. “ En Russie, dit Sauvage, le saumon automnal s'engage par petites troupes, au mois d'octobre, dans la Néva, tandis que dans d’autres parties de l'empire se trouve le saumon commun; celui-ci remonte la Var- zouka, l'Oséga, la Dwina du nord, la Mezen, la Petchora, mais n’est plus signalé, à partir de la Chornaya. Dans la Baltique, la mer Blanche et dans les rivières qui Sy déversent, ainsi que dans les lacs communiquant avee ces rivières, les Russes emploient fréquemment, pour s'emparer du saumon, des barrages faits en branches de saule : de distance en distance sont des filets ou des sortes de cages en osier dans lesquelles le poisson pénètre facilement, mais d’où il ne peut sortir.” “ Dans la Petchora, au dire de M. Soubeyran, on prend le saumon au moyen de filets flottants, dans lesquels le poisson vient s’enmailler, ou à la ligne. Dans ce cas, une perche est organisée, de façon à pouvoir bas- culer, dès qu'elle est libre, sur une sorte de trépied ; elle porte à l’une de ses extrémités une ligne armée d'un hameçon qui plonge dans l’eau : elle est maintenue dans cette position par un système de morceaux de bois que le poisson dérange par la secousse qu'il donne en frappant l’amorce ; comme l’autre extrémité est chargée de pierres qui lui donnent une pesanteur beaucoup plus grande, la perche se redresse, et le poisson est ainsi tiré hors de l’eau. Cette disposition permet à un seul homme de surveiller en même temps un grand nombre de lignes.” Le système de barrage est surtout employé sur le fleuve Amour où les Manègres, après avoir intercepté le lit de la rivière au moyen de branches de = » saule, pratiquent en certains endroits, au moyen de trous dans la glace, le harponnage du saumon qui y vient respirer. C’est le saumon lagocéphale qu'ils capturent ainsi, de même que le saumon fluviatile; le saumon sanguinolent est surtout pêché dans la baie d'Ochotsk, tandis que le saumon corégonoide abonde dans les rivières et les torrents de l’Altaiï, de l’Obi, de l’Irtis et dans le Ténissé. La lettre suivante complète le témoignage d’un homme renseigné en la matière et dont la parole mérite crédit : LES SALMONIDES DE LA COLOMBIE 463 New-Westminster, 16 novembre 1891. M. Jonx McNAB, Inspecteur des pêcheries de la Colombie Britannique. CHER MONSIEUR, En réponse à votre demande du 3 du courant je me fais un plaisir de vous transmettre les renseignements que j'ai recus concernant le saumon durant ma dernière visite à Lilloet et au lac Seton. Le lac se décharge dans un cours d’eau appelé rivière Seton, qui peut avoir un mille de long, de là dans le creek Cayouse, sur un parcours de deux milles, jusqu’à la rivière Fraser. A l’époque de ma visite, ces cours d’eau étaient à leur hauteur normale. Quelques sau- vages étaient alors occupés à capturer du saumon avec des pares en rets, pour leur approvi- sionnement d'hiver, et j’ai examiné ce poisson très attentivement. C'était du saumon soc- heye, presque tout composé de femelles ne portant pas d'œufs ; ce poisson était très maigre et décoloré, et quoique très abondant, semblait faire des efforts pour atteindre le lac. Il y avait une masse de saumon & bosse en état de décomposition, et j'ai appris de M. H. Keary qu2 ce poisson avait commencé à monter vers le 15 septembre, et qw'il cessa vers le ler octobre. Il y à eu une grande migration de ce poisson, plus qu'ordinaire cette année. Comme vous savez, c'est le 6 ou 7 septembre qu'on à remarqué ce poisson en abondance dans le bas de la rivière Fraser, et sa merveilleuse rapidité à remonter à travers les canons, les rapides de la rivière Fraser est ainsi bien clairement établie, Le quinnat où saumon de printemps se dirige vers le lac, en quantité indifférente, depuis mai jusqu’à juillet, alors que le sockeye fait son apparition, et continue à monter jusque vers la fin d'août. La seconde migration d'automne du sockeye, ainsi que j'en ai fait l'observation, n'a lieu que tous les quatre ans, et après que le saumon à bosse à disparu ; cette année-là est finie. Ce poisson est inférieur en qualité et en apparence à celui de la migration régulière d’été du sockeye. La décharge du lac Seton dans la rivière Seton est étroite, peu profonde et assez rapide. Les sauvages s’y rassemblent et en tirent d'immenses quantités d’alevins de sockeye dans le mois de mai, alors que ce poisson quitte le lac, probablement pour s’en retourner à l’eau salée. Ils font sécher ces alevins au soleil, et les emmagasinent pour l'hiver. L'agent des sauvages de ce district, le capitaine Mason, à bien voulu m'en procurer quelques-uns. Ce poisson mesure environ quatre pouces et demi de long, en moyenne, sur une grosseur en pro- portion. On m'a dit que l’agent essayait de convaincre les sauvages des conséquences désastreuses de la destruction en gros de ce poisson, et les à avertis d’avoir à abandonner cette pratique, dans leur propre intérêt ; il espère que ce sera fait. Je me suis informé de plusieurs personnes du voisinage, de la quantité d’alevins qui quittaient le lac, ce qui arrive, dit-on, lorsque la crue des eaux du printemps est bien diminuée ; tous s'accordent à dire 464 LES POISSONS que les alevins descendent en plus où moins grande quantité, suivant le nombre de saumons sockeye qui sont entrés dans le lac l’année précédente. Ceci indiquerait que le saumon peut avoir environ sept mois lorsqu'il part pour l’eau salée. Ici, la truite ne mord pas aux amorces des pêcheurs à la ligne, durant les mois de septembre, octobre et novembre, ou pendant que les œufs de saumon sont en abondance. | Les deux fortes migrations consécutives, et les deux faibles migrations du saumon sockeye ont étérégulières, à une exception près —1888—depuis 1858,et en remontant même en arrière, jusqu'aux années de disette parmi les indigènes. On affirme, parmi les observateurs intelligents, que la migration du saumon aurait augmenté durant ces années dernières. Je dois ajouter que cette partie du pays offre une occasion des plus favorables pour étu- dier les habitudes du saumon qui fréquente ces eaux, et pour recueillir des données utiles, à un point de vue scientifique. Le doute, par exemple, qui existait sur la question de savoir si le saumon retourne à l’eau salée après avoir fait ample provision contre l'extinction de son espèce en déposant ses œufs, pourrait être élucidé d’une manière certaine sur la rivière Keton, et cette phase intéressante de son existence être établie d’une manière concluante. Les observations ajou- teraient aussi puissamment aux connaissances que nons avons déjà concernant les alevins, en comparant leur culture artificielle avec ceux produits dans des conditions naturelles, et beaucoup d’autres sujets de renseignements essentiels à la bonne condition d’approvision- nement pourraient être facilement obtenus, ce qui donnerait du goût pour d’autres recher- ches intéressantes. D. J. Munx. = La même espèce de poisson — le saumon onchorynchus — existant en Chine et au Japon, il n’est pas étonnant de voir les Chinois, par âpreté au gain, suivre dans l'Alaska, les Américains reconnus pour leur habileté eb leur largesse en affaires, dès le lendemain de leur prise de possession de ce territoire aux eaux poissonneuses d'une rare renommée, et se rabattre ensuite sur la Colombie, après une première déconvenue. Ren- voyés de l’Alaska, ils ne tardent pas à être chassés de New-Westminster et de Victoria, où ils partagent avec les Japonais et les Peaux-Rouges nos travaux dans les fabriques de conserves. La similitude des travaux, la ressemblance des traits et de la couleur ont valu aux Japonais une injure non méritée contre laquelle un de leurs hommes éminents, l’hono- rable Massana Mayeda, est venu protester (auprès du gouvernement du Canada, le 22 de ce mois (juillet 1897), dans les termes nobles et x réservés que l'on trouvera plus bas : “L'hon. Massana Mayeda, de Tokio, homme d'État remarquable du Japon, est depuis quelques jours à Montréal, en mission spéciale. M. Mayeda est l’un des membres de la haute diète impériale japonaise les plus influents et les plus distingués. Il à été activement mêlé à TES SALMONIDÉS DE LA COLOMBIE 465 toutes les grandes entreprises financières où commerciales du Japon depuis près de trente ans, et c’est un peu grâce à sa longue expérience des coutumes occidentales, en politique ou en affaires, qu'il à atteint la haute réputation dont il jouit à si Juste titre dans son pays. Cette ex- périence qu'il est allé puiser en France, en Angleterre et en Allemagne, il l’a mise tout entière au service de sa patrie, dont il est fier et dont il vante avec tant d'enthousiasme les progrès merveilleux dans toutes les branches de l’industrie humaine. M. Mayeda parle très bien le français, et il s'exprime assez correcte- ment en anglais. Il x occupé, avec beaucoup de distinction, le poste de ministre du commerce et des finances. Il se retire actuellement chez M. Takahashi ; depuis un mois qu'il est arrivé à Montréal il a visité une partie du Canada, y compris la Colombie anglaise, où se trouvent établis un grand nombre de Japonais, puis les États Unis. “ Ce qui m'a ramené au Canada, déclare-t-il, c'est la nouvelle que mes compatriotes étaient menacés de se voir traités sur le même pied que les Chinois. Cependant, je suis convaincu, et toutes les personnes intelli- gentes, comme celles qui ne sont pas prévenues contre nous en ont elles- mêmes la conviction, que les deux peuples japonais et chinois n'ont ni les mêmes caractères, ni les mêmes soûts, ni les mêmes aptitudes. “ Le Chinois immigre en ce pays pour y faire de l'argent et en écono- miser le plus possible pour retourner en son pays et y vivre du fruit de ses épargnes. “ Le Japonais, en certains cas, amasse une grande fortune et dépense d’une manière extravagante. [Il arrive alors, la plupart du temps, que ce Japonais retourne au Japon plus pauvre qu'il n’en était parti. Il est faux de dire que les Japonais travaillent à un salaire inférieur, dans la Co- lombie anglaise, ce que condamneraient fortement et avec raison les associations ouvrières canadiennes. Mes compatriotes reçoivent les mêmes rémunérations pour leur travail que leurs compagnons de travail qui émigrent d'Europe où des États-Unis. Le défaut du Japonais est de dépenser à peu près tout ce qu'il gagne. “ L'ouvrier japonais serait en mesure de rendre de précieux services au Canada. Il est respectueux de la loi, paisible, et s'assimile très bien et rapidement à la civilisation occidentale, quand il est sagement guidé. La majorité des Japonais établis dans la Colombie anglaise se livrent à la pêche du saumon, durant les mois d'été ; Je ne vois pas pourquoi l'on 30 466 LES POISSONS ne les induirait pas à se livrer à d’autres occupations, à l’agriculture, par exemple. On en ferait des citoyens utiles à leur pays d'adoption.” (1) L'ouvrier canadien de la Colombie se plaint de ce que le Japonais, tout comme le Chinois, envahit son travail des pêcheries, des mines, du sciage et coupage des bois, avec sacrifice de prix de main-d'œuvre. Étant presque tous célibataires, ils peuvent travailler et vivre à meilleur marché que les citoyens du sol qui sont pères de famille. C’est pourquoi ces derniers demandent que les hommes de race mongole n’obtiennent leurs droits de naturalisation qu'après cinq années de séjour au Canada, et que de nouvelles conditions leur soient imposées pour l'octroi de permis de pêche au saumon, et l’accès à la pratique des diverses indus- tries du pays. (1) La Presse, journal quotidien de Montréal. LE HOULICAN 467 PESGIOUEICAN C’est un petit poisson de la famille des salmonidés, guère plus gros que l’éperlan. Il fréquente les rivières de la Colombie anglaise et certains estuaires de la côte ouest de l’Amérique, vers la fin d'avril, dans la saison du frai. Il y séjourne pendant environ trois semaines, durant lesquelles on peut le prendre par millions. Frais, c'est un excellent poisson, et il est délicieux, salé ou fumé. Ce poisson produit en abondance de l’huile pure et d'excellente qualité, qui, de l'avis d’un grand nombre, devra éventuelle- ment remplacer l'huile de foie de morue. Le houlican se prend au moyen d'une perche d'environ dix pieds de long ; à l'extrémité de cette perche, sur un espace de cinq pieds, et à une distance d'environ un pouce et demi, sont disposés des clous comme les dents d’un peigne. Le peigne est prestement lancé à l’eau, retourné vivement avec la main, et, à chaque coup, il rapporte trois ou quatre poissons empalés sur les dents de l'engin. J'ai vu remplir un canot de ce poisson, dans l’espace de deux heures, par une couple de pêcheurs. L'arrivée du houlican est annoncée par une volée de goélands qu'on aperçoit au-dessus des bancs, guettant l’occasion de saisir leur proie, et faisant retentir de leurs cris aigus les régions d'ordinaire si tranquilles du Fraser. Les sauvages de l’intérieur échangent leurs pelleteries contre de la graisse de houlican, que les sauvages du littoral inettent en boîtes de cèdre jaune, en quantité de 100 à 200 Ibs. Ce poisson délicieux se pêche, nuit et jour, à travers la glace, pendant son passage. L'huile se vend plus cher que le poisson, quoiqu'il y ait des blancs qui en fassent des conserves. Les sauvages mangent la graisse du houlican, et il s’en expédie aujourd'hui à New-York pour servir aux mêmes usages que ceux aux- quels s'emploie l'huile de foie de morue. Les sauvages mangent cette graisse avec le flétan coupé par tranches, et desséché ; ils étendent sur ces rouelles de poisson sec, de la graisse de houlican, comme nous recouvrons de beurre une tranche de pain. Pour ne pas surprendre la bonne foi de mes lecteurs, je dois dire que tout en ayant confiance dans les auteurs sur lesquels je m'appuie 465 LES POISSONS jusqu'iei, je crois devoir déférer à l'opinion du Père Petitot et le citer lui-même en cette matière. “ Les eaux du Voukon, dit-il, sont troubles et jaunâtres, comme toutes celles qui descendent des montagnes Rocheuses. Elles nourrissent les mêmes espèces de poissons que celles du WNukolchpoondjig, et possèdent, de plus que leur rival, le salmo scoulerii, qui atteint Jusqu'à 4 pieds de long, et pèse de 30 à 60 livres anglaises, et le dhikki ou poisson-chan- delle, qui n’a que six pouces de long, mais qui est tellement huileux que, séché au soleil ou boucané comme le hareng, il peut brûler comme une torche,.et sert même de flambeau aux Danie-Ingolit. Je suppose seule- ment que ce luminaire économique ne doit pas être plus aromatique que le lard de baleine que les Esquimaux emploient pour la même fin, et que, comme lui, il requiert des nerfs olfactifs à l'épreuve des odeurs abominables. “C’est évidemment le minogu ou lamproiïe dont les Cosaques du Volga se servent en guise de chandelle.” (Mine Carlu Serenu.) 0 D = . ï Pa “ . Û Ê . h n . > ’ à . = = r R : Ÿ Va + « pe 4‘ CA , - = _ a? ; » + ; * : AANWVHNHILV.T SANT tannins Ron UE, L'ATIKKAMEK 469 L'ATIKKAMEK Le Poisson blane.-The White Fish. Coregonus albus. J n'y à pas moins de treize espèces distinctes de sorégones décrites par les ichtyologistes. Dans sa Fauna Borealis Americana, le Dr Richardson en mentionne sept :. C. albus, the atikkamek : C tullibee, the tullibee coregonus ; C. artide, le Suenr's Herring salmon ; C: quadrilu- teralis, the round fish ; ©. labradoricus, the Musqua river coregonus : C. Lucidus, the Bear lake salmon herring : C! hurongus, the lake Huron salmon herring. De Kay en décrit trois espèces : C. albus, le grand Poisson-Blanc qui nous vient des lacs, durant les mois d'automne, identique à l’atikkamek du Dr Richardson ; (. otsego, le Poisson-Blanc otsego des lacs (maintenant presque entièrement détruit) : et C: clupei- forms, le hareng des lacs. D'après Norris, la distribution géographique du poisson blanc, dans les États-Unis, s'étend depuis les chutes Niagara, à travers les grands lacs, jusqu'à la tête du lac Supérieur. Leur taille est plus considérable dans leur habitat nord; leur taille moyenne, au Sault-Ste-Marie (la décharge du lac) étant de quatre où cinq livres, pendant que ceux qui sont apportés sur nos marchés, venant de lacs plus méridionaux, ne pèsent pas deux livres. Le plus grand poisson blanc dont j'aie entendu parler, qui à été pris dans le lac Supérieur, pesait quinze livres ; mais ces cas-là sont rares. Dans un temps, il s'en exportait de grandes quantités salés et embarillés comme on fait aujourd'hui de lalose. On les prend généralement au moyen de rets à mailles que l'on descend dans les endroits profonds des lacs : mais, à l'automne, ils s'approchent des rivages en troupes nombreuses pour y frayer, et alors on en capture de grandes quantités, avec des seines ordinaires. Des tribus entières de sauvages des régions arctiques n'ont pas d’autres moyens de subsistance. De nombreuses familles de Chippewas campées au Sault-Sainte-Marie, il y a plus de vingt ans, n'avaient pour nourriture que ce poisson. La chair du poisson blanc est d’un blanc de neige, et quoique délicate, elle est pourvue d’une richesse gélatineuse qui lui donne droit à tous les 470 LES POISSONS éloges que lui prodiguent les épicuriens. Le Dr Richardson dit qu'elle ne rassasie Jamais, mais qu'elle excite au contraire l'appétit de ceux qui la mangent, et ceux-là ne sentent jamais le besoin de l'accompagnement du pain. On dit que rarement on trouve de la nourriture dans l'estomac de ce F1G. 25 —PÊCHE À LA SAINE. poisson, et que si on en trouve ce sont simplement des crustacés. Toutefois, sa conformation démontre que c’est un poisson d’un développement rapide, et naturellement an rude mangeur. Quelle est la nourriture qui fournit un pareil embonpoint, où bien, en quel endroit se trouve-t elle ? Personne L'ATIKKAMEK 471 n'a pu s’en assurer. À l'automne, avant la saison du frai, il perd toute proportion raisonnable, et devient comme difforme. La tête, œuère plus forte que celle d'un hareng (attachée à un corps aussi élevé et épais que celui d’une alose), paraît s’enfoncer entre ses épaules, et il devient si gras, à cette saison, qu'une grande portion de sa graisse se perd en rôtis- sant, ou si vous le faites griller, il est difficile de l'empêcher de s’enflam- mer sur le gril, quoique, au commencement de l'été, comme je l'ai vu moi-même au Sault-Sainte-Marie, il soit de formes symétriques ; mais même alors la petitesse de sa tête est déjà remarquable. D'après son apparence extérieure, il serait difficile de prendre le poisson blanc pour un des membres de la famille royale des salmonidés, son adipose dorsale étant le seul signe caractéristique qu'il ait de commun avec le saumon. Sa petite tête et sa petite bouche édentée, si différentes de la puissante mâchoire et de la formidable dentition appar- tenant au genre saumon, démontrent qu'il est un habitant des grandes profondeurs, gagnant paisiblement sa vie, et autrement que la truite dévastatrice vivant dans les mêmes eaux. De fait, je n'ai jamais entendu dire que ce poisson ait mordu à l’'hameçon, ou ait été capturé à la ligne de fond, si on ne tient compte de ses sauts à la mouche artificielle, et je ne crois pas que, ni “Frank Forester,” ni “M. Brown,” ni “Barnwell” puissent apporter aucune autorité valable à l’appui d'une pareille idée, quoiqu'ils en aient pu dire. L'atikkamek ? Pourquoi ai-je nommé d’abord ainsi ce poisson ? Pour- quoi ce nom sauvage avant un nom français ou avant un nom anglais, lorsque ces deux dernières langues sont celles de mon cœur et de mon pays ? C’est que ce mot sauvage qui vient d’un Poisson blanc rappelle un dernier héritage, un souvenir navrant que représentent les grands lacs du Canada. A ces riches! Algonquins qui avaient ici de quoi vivre en princes nous avons enlevé leurs terres, d’abord, leurs troupeaux ensuite, et aujourd’hui nous tirons impitoyablement du fond de leurs grands lacs leurs derniers-poissons, leur dernière bouchée. Demain, ils seront morts peut-être, mais qu'au moins ils s’étouffent avec une bou- chée que leur langue aura connue. Eh ! le saumon, le poisson royal des eaux douces du Canada, nous prête lui-même une histoire presque dramatique. Il habitait depuis des âges le merveilleux édifice de cristal du lac Ontario, lorsque l’indus- trie vint en gâter la face. Il y a plus de vingt ans de cela, mais il n’a pas pardonné l’injure, et on ne l’a jamais revu. Si le saumon n’a pas été 472 LES POISSONS pleuré, je veux au moins que le poisson blanc le soit sous le nom d’atik- kamek. Il n’est que trop vrai de dire que les derniers Peaux-Rouges qui nous ont faits leurs héritiers sont en voie de mourir. On achève de creuser leur tombe sur les bords de la rivière de la Paix et du lac des Esclaves entourés de poissons blancs, de truites et de saumons argentés. Si nous avons gardé l’héritage, au moins avons-nous su en payer le tribut. & TULLIBES Ce petit salmonidé, dont M. Goode et d’autres auteurs américains signalent la présence, en passant, dans les grands lacs internationaux, existe en nombre immense dans le Manitoba, l’Assiniboia, la Saskatche- wan, l'Alberta, et surtout le Grand Nord. Nous nous bornerons, pour l'heure, à en faire la description succincte, d'après Jordan et Gilbert, qui immortalisent leurs noms en les attachant aux plus humbles produits de la mer. Corsegone Tullibee, Rich. — Tullibee, Mongrel White-Fish ; Poisson- Blanc Métis. Corps court, haut, comprimé, ressemblant à lalose ; courbes dorsale et ventrale semblables. Pédoncule de la caudale court et haut. Tête co- nique, cComprimée, bouche grande ; le maxillaire s'étendant jusqu’à l’œil, dépassant le devant de la pupille, son os supplémentaire s’amincissant d'une manière ovarienne, avec des pointes prolongées ; les mâchoires restent égales lorsqu'elles sont fermées. L'œil est grand, aussi long que le museau, 4 dans la tête. Le préorbitale est étroit ; le superorbital allongé, rectangulaire. Les écailles antérieures sont considérablement larges, leur diamètre étant de moitié plus large que le diamètre des écailles du pédoncule de la caudale. Couleur bleue en dessus, côtés blanes ponctués de fines taches noires ; chaque écaille portant une ligne ar- sentée formant une série de bandes longitudinales distinctes. LE COREGONUS ARTEDI ou LE SCISCO 473 LE COREGONUS ARTEDI OÙ LE SCISCO Le scisco appartient au groupe des coregones, tout en différant du coregonus albus, l'atikkamek des Peaux-Rouges et le Poisson-Blanc des Canadiens. Il est une originaïité dans l'espèce, comme dans son nom, dont on ne peut retracer l'étymologie. Le scisco a le corps moins comprimé et moins large que le Poisson- blanc: dents plus fines tournant au velours ; dans les arc-branchiaux sont fixées quelques dents, longues et bien serties quoique peu résis- tantes ; bouche plus petite que celle du poisson-blanc ; ouverte, elle est parfaitement carrée. Les écailles du seisco sont les mêmes que celles de l’atikkamek, mais sa queue est d’un tissu si délicat qu’il est presque 1m- possible d'en compter les rayons: le bout de la langue est induré. Dos verdâtre, flancs argentés, premier rayon des nageoires pectorales, ventrales et anale noirâtre. La première dorsale compte quatre rayons mous, la seconde est adi- peuse : pectorales, quatorze rayons mous ; ventrales, onze : anale, douze, et caudale, autant qu'il est possible de s'en assurer, quatorze. Pour prendre le scisco on emploie la mouche naturelle, dite mouche à anguille, fixée à la pointe d’un très petit hameçon. S'il dédaigne la mouche artificielle, c’est qu'il ne prend pas la mouche au vol comme le saumon et la truite, mais que, au contraire, il vient flairer l’appât avant de le happer. Le poisson désigné comme Le hareng des lacs, connu dans lichtyo- logie sous la dénomination de salmo clupeiformis, quoique ressemblant d'aspect au scisco, en diffère toutefois par des signes caractéristiques, entre autres par la présence de dents sur la langue et par une quote fort éloignée, dans les rayons des nageoires, de celle établie pour le scisco, comme on peut facilement le constater. Rayons des nageoires du hareng des lacs : LE 22 2 CG Bd LP 6: VA 1 BEEN he Chez le hareng des lacs, le premier ravon de la dorsale est le plus o ? y long : la queue est profondément échancrée: la dorsale se termine Oo ? , 474 LES POISSONS presque à l'opposé des ventrales, et la seconde dorsale est à l'opposé du centre de l’anale. Le scisco habite le lac Ontario, et de préférence les eaux que domine le cap Vincent, à l'embouchure de l’entonnoir par où le lac s'échappe dans le fleuve Saint-Laurent. Comme substance alimentaire, le cisco est inférieur à l’atikkamek. Lorsque ce dernier se vend $10.00 le baril, le premier n’est coté qu'à &4.00 ou 85.00 sur le marché. Aussi, la pêche en est-elle très peu soignée, depuis quelques années. OTSEGO BASS Otsego bass ne se traduit pas en français, pour la bonne raison qu'il y a anomalie entre la dénomination du poisson et l’espèce à laquelle :1l appartient. L’otsego bass est un salmonidé, et par sa désignation il devrait être classé parmi les percoïdes ou les centrarchidés. L'otseso bass à des affinités très grandes avec le poisson-blanc. Struc- ture absolument la même, il n’en diffère vraiment que par des lignes noirâtres disposées longitudinalement sur les flancs: du reste, mêmes dents sur les ares branchiaux, à peu près même taille: écailles un peu plus petites, peut-être ; mais, pour les deux également, ligne latérale presque droite, et la queue fort échanerée. L'otsewo bass à le dos d’un bleu foncé, passant au vert, en descendant sur les côtés ; flancs d’un blane brillant avec teintes de perle; ventre rendant les reflets de l'argent en fusion. Rayons des nageoires de l’otsego bass. BrR0 AD TS EN PTE NUE RATE C2 2; Comme chez toutes les familles des salmonidés la deuxième dorsale est adipeuse et sans rayons. L'otsego bass n'existe pas ailleurs, dans l'Amérique du Nord, que dans le lac Otsego, auquel il a donné son nom. Chaque année, il diminue sensiblement en nombre et même de taille. L’otseso bass ne mord à aucun appât, ce qui donne lieu de croire qu'il se nourrit, comme le poisson-blanc, de coquillages et de plantes aqua- tiques. De bonne heure, au printemps, l’otsego bass se rapproche par troupes, des rivages et des hauts-fonds. Durant quelques jours, il s'en fait des LE COREGONUS ARTEDI ou LE SCISCO 475 pêches abondantes, au moyen de seines et de rets. Il passe tout l’été en eau profonde, d'où il surgit à l'automne, pour venir frayer près des rivages. Souvent, des braconniers le pêchent à la seine et aux rets, à cette saison, détruisant ainsi le frai avec le poisson, la semence et la récolte à la fois, ce qui explique la disparition précipitée de l'espèce. L'otsego bass atteint le poids de quatre livres, mais généralement, il ne pèse que deux livres. Les amateurs de sport n’en font aucun cas, pour la bonne raison qu’ils ne peuvent l’allécher d'aucune manière. C’est comme curiosité, comme sujet d'étude pour l’Europe, que nous l'avons décrit. N'existe-t-il pas une certaine analogie dans les mœurs, une certaine ressemblance dans la couleur, la structure et la taille, entre l’otsego bass et la féra des lacs de Genève et de Léman ? QUESTION. 2 EEE | ‘a L "6 L 7. : | , Li CNE HS FATF PIE 0 | CA NÉ ture * eu ml JP es u M : a L Nr ï de l Mure RTAUE En ie 4 7 DL 1" [on nr] ; Ua où a 4 A Var | PNA > an vi j: L | Re LE g | Lou Ares Pt ci a Mini on CET 1 L TA) NP Lo i 2) 2 e PAR LL RE" red son te L ee om FE pr np à ni #h Le: he EUTS LU ñ put “opfha ds wi # à E done Tin QUE um” fa à nl à LL Ur NS PTT Ë k oo Qr sv 7 HR nes \ ra Mo de AUS RAR 1 Tease or: Le ] t . CII if 16 à myL Te her #4 i D PAIE peut si | ’ Mt f À sh d'f PSS OS el | L'ORAEUUR . A 2 DU Ke L Eee L Er L'ÉPERLAN 477 CIÉREIRIEAN The American smelt -Osmerus viridisceens. Ce petit poisson de six à douze pouces de longueur, un peu carré de corps, aux écailles quadrillées, dont la beauté le dispute à l'excellence de la chair, abonde sur les côtes du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle- Écosse, de la baie des Chaleurs et dans tout le golfe Saint-Laurent. On le pêche du haut des quais de la douane, à Québec ; il remonte même jusqu'aux Trois-Rivières. A l’époque de leur villégiature, les dames des États-Unis et d'Ontario le pêchent à la Malbaie, à la Rivière-du-Loup, entre deux mots de galanterie. Elles en rapportent moins de profit, cela va sans dire, que certaine maison de commerce de Boston, qui en débite pour une valeur de plus de vingt mille dollars, durant la saison de pêche, Fi1G. 206.—L'HPERLAN. commençant en octobre et finissant en mars. Ce poisson se capture au- dessus de Boston en remontant vers le nord jusqu'au golfe Saint-Laurent. Le long des rivières de la baie des Chaleurs il s'en prend de telles quantités, qu'un homme aidé d’un jeune garçon en capturera jusqu'à cent quarts dans une semaine, à l'embouchure de certaines rivières. On les emploie pour faire de l’engrais, et ils se vendent sur plate, à raison de cinquante à soixante centins le baril, à Bathurst. Sur le marché de New-York, le prix courant de l’éperlan est de dix à quinze centins la livre. 478 LES POISSONS Cependant, depuis plusieurs années, on fait beaucoup plus de cas de la chair savoureuse de l’éperlan, surtout en hiver, où elle a acquis un prix si élevé sur les marchés des provinces maritimes, que les rapports officiels de 1895 accusaient les chiffres suivants : ÉPERLANS. Barils. $ cts. Canada PRE NN PTE AUS Te Re Er 9,022,157 451,108 00 Nouvelle HCOSSe EEE EE CCC 473,035 23,652 00 Nouveau-BrunSsWICkK ere ere rer 7,641,300 382,065 00 Colombietanglaiser tre PET ee Te 58.000 2,900 00 QUÉDE CRAN ENT CT NE RE RE EEn 282,002 14,100 00 lle Prinee-Hdouardi. 0.0. 567,820 28,391 00 Norris nous informe que des éperlans enfermés dans des étangs d’eau douce, en Angleterre, y ont prospéré, et s'y sont reproduit d’une façon merveilleuse. Ils y ont même prospéré au point d'y acquérir les qualités de taille et le bon goût que les poissons de mer, pour la plupart, acquièrent par leur acclimatation en eau douce. Ce fait s’est renouvelé subséquemment dans un étang de même nature, à Long- Island. Et là-dessus, l’auteur américain ne dissimule pas son enthou- siasme ! N’y a-t-il pas lieu de se réjouir du fait qu’on pourrait ajouter aux plaisirs ichtyologiques de nos compatriotes celui de la capture prolongée, de l’automne jusqu'en hiver, d’un poisson aussi beau, aussi savoureux que l’éperlan ? Plus d’une fois, M. Norris à remarqué des écrevisses et des crevettes dans le corps des éperlans qui lui sont venus des marchés de Boston. Des lors, il connaît l’esche convenable pour ce magnifique poisson qui sent le concombre comme le maskinongé sent le melon. Mais que va dire M. Norris lorsque je lui ferai part du fait assez curieux, mais d’une exactitude incontestable, qu’il existe dans le lac Kino- gami, un peu en deçà du lac Saint-Jean, des éperlans autochtones, de la plus forte taille, du goût le plus délicat ? Ceux-là ont dû rester à une respectueuse distance du huananiche lorsqu'il se retira au lac Saint-Jean. Tous deux étaient de l’armée des salmonidés, le huananiche, comme général, l’éperlan comme colonel. Tous deux sont restés en braves sur les contreforts des Laurentides, sous leur armure d’or et d'argent. Mon ami M. Gregory me causait récemment encore de l'excellent goûter qu'offre la chair de l’éperlan du lac Kinogami, et je fais part de sa satisfaction au brillant auteur américain, avec d'autant plus de plaisir que son article sur l’éperlan respire l’arôme d’un plat digne de Brillat-Savarin. LES POISSONS 480 “oUPL9SUT OL 27— ONLIAVAN AT—'L08 OM NE ACER ERA ER REA on = A RE Re #CC re a (X LES GRAYLINGS 481 PÉSCIRAPEINGS Il en existe de deux espèces, dans l'Amérique du Nord, toutes deux particulières au Canada, mais jusqu'ici étrangères à la province de Québec. C’est pourquoi nous n'avons pas de nom français pour désigner ce poisson d’une beauté si rare. L'une de ces espèces porte le nom de Grayling Thymallus Signifer, et l'autre, celui de Grayling T. tricolor. Signifer veut dire “ Porte-enseigne, ” et la gravure Gi-jointe vous dit, par sa dorsale, mesurant plus d'une fois et demie la largeur du corps de l'animal, qu'il appartient décidément à cette espèce. Comment le désignerons-nous en français ? Poisson enseigne, poisson porte-drapeau, poisson voilier, cela irait-il ? Commençons par dire qu'il appartient à la famille des Salmonidés, et qu'il fait grandement honneur à cette espèce de poissons, dans les eaux glaciales de l'Amérique du Nord. N'est-ce pas John Franklin, qui, lors de son expédition vers le pôle, en 1819, en fit la découverte et lui donna le nom de Signifer ! Tel serait le cas s'il faut en croire, au moins, sir John Richardson qui en parle à peu près comme suit : “ Ce poisson, d’une beauté merveilleuse, abonde dans les cours d’eau rocailleux qui arrosent le sol primitif, au nord du soixante-deuxième parallèle, entre le fleuve McKenzie et la rivière Welcome. Les Esqui- maux l’appellent le voilier, faisant allusion à sa dorsale immense. A mon avis, ce nom lui convient d'autant mieux que le premier de ces poissons révélé au monde civilisé, à été capturé, à la mouche, par un de mes jeunes compagnons de voyage, le capitaine Back, alors simple porte-enseigne à bord de notre vaisseau. Ce poisson abonde surtout dans l'Amérique anglaise, dans l'Alaska et jusqu'aux extrêmes limites nord du continent d'Amérique.” La seconde variété, dite Thymallus tricolor, appartient aux eaux de la presqu'île de Michivan ; elle abonde aux sources de la rivière au Sable, et du Missouri. Au nord de l'Europe, il existe, dit-on, diverses variétés de “Graylings,” en Suède, Norvège, dans les Orcades, en Laponie, en Russie et en 31 482 LES POISSONS Sibérie. C’est chose possible, mais la science n'a pas encore vérifié leur identité, par une étude comparative consciencieuse. “ Ombre” et “ l'Ombre Chevalier ” des grands lacs de Suisse, transportés en France, en Allemagne et en Angleterre. signalés en Russie et en Sibérie, appar- tiennent peut-être à cette famille des Thymimalés, mais revient-il à un humble Canadien-Français, casanier et loin des grands musées, de se prononcer sur un sujet scientifique de pareille importance ? Le Porte-enseigne américain fraie au mois d'avril, et ce même poisson, sur le vieux continent, fraie en mars et avril, et quelquefois en mai. Rarement atteint-il une longueur de plus de quinze pouces, un poids de plus de deux livres. Il se nourrit d'insectes et de mollusques. Poisson sportif du nord avant tout. LE POISSON-BLEU Appelé comme témoin devant le comité du sénat, à Ottawa, le 25 avril 1888, Monsieur George U. Dawson déclare : “ Le poisson-bleu ressemble à la truite, de forme et de taille, seulement il a une fort grande nageoire dorsale. C’est un poisson sportif, presque autant que la truite, qui peut se pêcher à la mouche, et qui est très bon à manger. Il se trouve dans les affluents du Mackenzie, et jusqu'aux sources mêmes de la rivière de la Paix et de la rivière aux Liards ; on le rencontre pareillement dans les eaux supérieures du Youkon, lequel, comme on le sait, se jette dans la mer de Behring.” Et le 27 du même mois, devant le même comité, Monsieur Joseph A Graham disait : “ Le poisson-bleu est un des plus beaux poissons que je connaisse. Il est plus beau même que le maquereau. C’est tout à la fois un poisson des régions arctiques et des montagnes Rocheuses. On le trouve dans les barren grounds, et nous en avons pris quantité de pièces dans les eaux courantes de la passe de la Paix, 56° de latitude. Quand ce poisson avait mordu à l’hamecçon, il faisait des sauts de deux pieds, ou à peu près, hors de l’eau, et l'éclair de ses couleurs, au soleil, nous donnait alors les plus vives émotions.” LE GRAND - NORD 483 LE GRAND-NORD D'après Élisée Reclus, les limites officielles des territoires du nord n'ont, à l'intérieur, aucun rapport avec le relief de la contrée, et d’ail- leurs, elles ne sont tracées que provisoirement, dans l'attente de chan- gements ultérieurs. Un seul district administrativement constitué, l’'Athabaska, a été taillé dans cet espace immense, et, comme il est d'usage en Amérique, il a reçu pour frontières des lignes géométriques tracées suivant les degrés de longitude et de latitude, si ce n’est à l’est, où le cours de l’Athabaska, puis celui de la Grande-Rivière des Esclaves en forment la limite. Mais en dehors de ce district, le territoire du Grand-Nord comprend encore officiellement toute la partie des mon- tagnes Rocheuses comprise entre l'Alaska et la Colombie anglaise, puis au nord et à l’est tous les espaces que contournent l'océan Glacial et la mer d'Hudson; au sud-est, il confine, sans ligne officielle de partage, au territoire non encore organisé de Keewatin. L'immense domaine, auquel on ajoute des archipels polaires, comprend plus de la moitié des espaces appartenant à la Puissance. Mais si l’on prend la contrée dans ses Jimites naturelles, c'est-à-dire en laissant à l'Alaska le bassin du Youkon et au Manitoba le versant de la mer d'Hudson, l’en- semble des terres canadiennes qui épanchent leurs eaux dans l'océan Glacial, présente une surface d'environ 2,500,000 kilomètres carrés, soit cinq fois la superficie de la France. Quinze mille habitants au plus, blancs, indiens et esquimaux, telle est la population : c'est-à-dire que le pays est désert, dans presque toute son étendue. “Quoique bien rarement visitées, les côtes de l'Amérique du Nord, tournées vers les mers glaciales, ont, comme les iles polaires, raconté aux explorateurs qu'un changement s’est accompli, depuis les temps anciens, dans la position relative des rivages. Ceux-ci se sont exhaussés, à moins que la mer n'ait reculé vers le nord. A l’ouest de l'estuaire de la Cop- permine River, Franklin a recueilli des bois de dérive apportés par les eaux marines, et se trouvant bien au-dessus de la limite actuelle du flux de marée. A l’est de la Coppermine, Richardson observa le même phé- 484 LES POISSONS nomène. En outre, on remarque, des deux côtés, d'anciens golfes séparés maintenant de la mer libre par des plages basses et d’étroites flèches de sable. Le lac des Eskimos, situé près du delta que forme le Mackenzie, serait un de ces estuaires séparés peu à peu de l'Océan; les pluies et les rivières venues de l'intérieur ne l’auraient pas encore complètement purifié du flot salin qui l'emplissait, et l’eau en serait toujours d'un goût saumâtre: toutefois le lac des Eskimos ou de KSitidji ne serait, d'après M. Petitot, que l'expansion d'une rivière peu considérable, le Natowdja, qui se jette dans la mer, à l’est du Mackenzie. Il n'a pas les énormes dimen- sions que lui attribuait Richardson, d'après le dire des indigènes. ? La source la plus méridionale de l’Athabaska, bouche principale du fleuve qui prend dans son cours inférieur le nom de Mackenzie, et qui fait l’objet principal de l'étude de cette partie de notre ivre, est un petit lac situé sur le flanc oriental du mont Brown, dans la chaîne des Ro- cheuses : des voyageurs officiels l'ont appelé Conmittees Punch Bowl. De l’autre côté d’un col les eaux descendent à l’ouest vers la Colombie, tandis que au nord-ouest les neiges de la Tête-Jaune alimentent le cou- rant du Fraser. Le torrent d’Athabaska, dit aussi le # Whirlpool River,” échappe rapidement à la région des montagnes, en s'enfuyant vers le nord-est, et se gonfle de plusieurs autres rivières, la Miette, le Baptiste, le McLeod, la Pembina; du reste, la nomenclature hydrographique de ces contrées est fort confuse, chaque cours d’eau étant connu sous des noms différents, par les Indiens de diverses tribus et les Métis français et anglais. L’Athabaska lui-même est rarement désigné par cette appel- lation : les Canadiens ne connaissent que la rivière la Biche, terme qu'ils appliquent d’ailleurs à nombre d’autres cours d'eau. C’est à tort, dit M. Petitot, que l’Athabaska est appelé EIK River sur quelques cartes anglaises, car l'animal appelé autrefois * biche” par les voyageurs Boïis- brûlés, n’est pas l’elk des Anglais, mais le wapiti ou “renne des rochers.” Un des lacs considérables de la contrée, le Petit lac des Esclaves, décharge ses eaux dans lAthabaska, et d’autres lacs lui envoient le surplus de leurs réservoirs. Le fleuve s’est creusé un défilé profond de cent mètres entre des rochers de grès : de distance en distance la vallée s'élargit et l’on voit des arbres recourber leur branchage au-dessus de l’eau claire. Au détour d’un méandre, des fontaines sulfureuses et salines jaillissent au milieu des prairies. En maints endroits se succèdent de ces “ boucanes ” ou évents volcaniques, éteints ou encore brûlants, que l’on rencontre surtout dans le bassin du Mackenzie. C’est au milieu de ces terres en fermentation que lAthabaska vient se heurter contre un barrage de Barkmountain ou de “ Montagne de l'Écorce,” et que l’eau commence à s'enfuir sur un plan incliné d'environ cent kilomètres en longueur : c’est la dalle du Grand-Rapide. LE GRAND - NORD 485 À 900 kilomètres environ de sa source, l'Athabaska entre dans le lac du même nom, mais l’ancienne bouche fluviale est à une distance considérable du déversoir actuel. Cette distance d'environ 50 milles est traversée par diverses rivières qui par de grandes crues se transforment en un golfe comprenant toute la surface d’un vaste delta. “C’est à l'extrémité occidentale du ïac qu'entrent les eaux de l’Atha- baska, et c’est du même côté que se fait la sortie ; la région du delta est commune à l'afuent et à l’effluent. La branche principale de l’émissaire qui prend ici le nom de Great Slave River serpente entre des terres basses, alternativement noyées ou émergées, mais elle grossit rapidement en recevant le tribut des bayous, dans lesquels la Peace River se ramifie à son embouchure. “ La grande rivière des Esclaves roule une forte quantité d’eau, puis- qu'elle réunit dans son courant l’Athabaska et la rivière de la Paix Entre les deux petites rivières «u Chien et «u Sel se trouve un rapide d'environ trente milles, entrecoupé de sept portages. En aval de ce rapide commence le vrai MacKenzie qui s’'unit bientôt au Grand Lac des Esclaves. Ce fleuve est navigable d'ici à la mer polaire, distance de 2,400 kilomètres. Autour du Grand Lac des Esclaves se ramifient des golfes alimentés d’affluents sortis eux-mêmes d’autres lacs : la longue branche du nord reçoit les eaux issues des lacs du Brochet, de la Martre et Grandin; la baie Christie ou le “ Fond du Lac” au sud-est, a des tributaires moins considérables, tandis qu’au nord-est la baie MeLeod, autre “ Fond du Lac,” est le réservoir où se déverse par la “ Queue de l’eau” tout un vaste chapelet de lacs étendus, Aylmer, Clinton-Colden, Artillery d'autres encore. A une vingtaine de kilomètres en avant de son em- bouchure, la Queue de l'Eau plonge d'une grande hauteur en une puis- sante cascade à laquelle Back attribue de 120 à 150 mètres de chute, et dont le courant est tellement resserré que l’on croirait presque pouvoir le franchir d'un bond: les vapeurs s'élèvent en nuages à des centaines de mètres au-dessus de l’abîime. La beauté de la cascade provient surtout, pendant huit mois de l’année, des pendentifs de glace qui frangent les corniches et qui s'épanchent de la caverne et des anfractuosités de la paroi; des mousses et des rouilles leur donnent une variété infinie de couleurs: de là le merveilleux effet du spectacle “ auquel on ne saurait comparer celui même du Niagara.” La chute de la Queue reçut de Back le nom de Parry Falls. Un autre affluent du Grand Lac des Esclaves, Hay River ou la “ Rivière aux Foins,” qui se déverse dans le lac, près de son extrémité occidentale, est aussi l'un des cours d’eau où de rares voya- geurs ont admiré des cascades “plus belles que le Niagara.” Heureu- sement, le Grand-Nord devient d'année en année plus accessible, et 486 LES POISSONS bientôt des photographies et des mesures comparées permettront de Juger en connaissance de cause. Dans la partie inférieure du Mackenzie lui vient un affluent des- cendant des montagnes du sud: c’est la rivière aux Liards, ainsi nommée des “ liards” ou peupliers qui en ombragent les bords. Née comme la rivière de la Paix sur le versant occidental des montagnes Rocheuses, la rivière aux Liards recueille les eaux du lac Dease et d'autres bassins alimentés par les neiges, et s'échappe par une brèche des montagnes suivant une pente très inclinée: les Indiens lappellent “le Courant Fort.” En aval du confluent, la rivière est presque partout large de deux kilomètres, au moins, mais en beaucoup d’endroits, surtout en avant des passages de montagnes, elle écarte ses rives jusqu'à 7 et S kilomètres. “ Les trois grands lacs du bassin du Mackenzie sont situés à l’est du fleuve. Le premier n'est guère qu'effleuré par le courant fluvial: le deuxième est franchement traversé dans sa partie occidentale, tandis que le troisième, le Grand Lac des Ours, reste séparé du Mackenzie par un isthme d’une centaine de kilomètres : l'afluent qui le traverse, le Télini-Dié, n’est qu'un long rapide. Le Grand Lac des Ours, moins long, mais beaucoup plus large que le Grand Lac des Esclaves, paraît avoir une superficie plus considérable ; sa contenance doit être aussi plus forte, à en juger par les sondages qu'y fit Franklin, et qui ne lui donnèrent pas de fond, avec une ligne de quarante-cinq brasses. Dans son ensemble, il est composé de cinq golfes ; chacun de ces golfes reçoit des affluents, à l'exception de celui du Nord-Ouest qu'un portage de quelques centaines de mètres seulement sépare d’une rivière qui se dirige vers le bas Mackenzie ; c’est la rivière des Peaux-de-Lièvre, qui semble avoir été jadis un effluent de la mer intérieure. D'autre part, le bassin des Boïs- Flottants qui emplit une vasque séparée, au nord du Grand Lace, en est probablement le tributaire, par un courant souterrain. A l'extrémité de sa baie méridionale, on voit l’eau disparaitre en tournoyant, et de l’autre côté d’un chaînon rocheux jaillit une source abondante dont l'eau descend au Grand Lac: ce serait d'apres M. Petitot, l'issue du lac aux Bois-Flottants.” “ Le vaste delta du Mackenzie s'accroît rapidement, aux dépens de la mer ; d’après la carte dressée par M. Petitot, il aurait 142 kilomètres du nord au sud, et une superficie d'environ 10,000 kilomètres carrés. D'ail- leurs, il n'est pas traversé par les seules branches du Mackenzie ; un autre fleuve, le Peel ou la rivière Plumée, S'y déverse du côté de locci- dent, et mêle ses bayous à ceux de son principal cours d’eau, dont la plus grande bouche coule à l’ouest du delta. Des navigateurs, entre autres Franklin ont pris l'entrée du Peel pour une des ramifications du LE GRAND - NORD 4ST Mackenzie. Issu des montagnes Rocheuses, le Peel serpente entre ces monts en un chainon calcaire latéral, dans une vallée triste et nue, d’où ce nom de “ Plumée” donné par dérision, de la part des Canadiens, comme synonyme de “ déplumée, déboisée, déserte, aride :” d'apres le voyageur Mac-Isbiter, un canal bifurque ses deux branches navigables, d’un côté dans la rivière Plumée, de l’autre dans la rivière du Rat, afHuent du Youkon alaskien. Les deux fleuves Peel et Mackenzie, unis dans un dédale d'îles basses, changent de lit à chaque nouvelle crue; les berges s’éboulent avec fracas, et les sables d’érosion vont agrandir les bancs de l'embouchure qui s'exhaussent en ilôts, puis en berges rive- raines. Ainsi se termine le puissant cours d’eau qui n’a pas moins de 4400 kilomètres, depuis ses sources dans les montagnes Rocheuses, et formant une superficie d'au moins 1,150,000 kilomètres carrés. “ A l’est du Mackenzie, dit encore Reclus, les autres affluents de l'océan Glacial n'ont qu'un faible cours, et roulent une quantité d’eau beaucoup moindre. L'émissaire du lac des Esquimaux, l’Anderson, le MacFarlane, et d'autres fleuves parallèles n'ont qu'une petite ramure de tributaires traversant tous des régions sans arbres, parsemées d’en- tonnoirs où se perdent les eaux. D'innombrables lacs emplissent les cavités des rochers, et versent leur excédant liquide, soit par des seuils extérieurs, soit par des conduits souterrains : la Coppermine ou “rivière du Cuivre,” ainsi nommée du métal natif que l’on recueille dans sa valiée, est un fleuve plus important : la longueur de son cours est évaluée à 600 kilomètres, et sa vallée est autrement longue, car elle continue au nord celle du Couteau-Jaune, tributaire septentrional du Grand Lac des ce Esclaves, qui coule dans le prolongement de la Slave River et de l'Atha- baska. La Coppermine était depuis longtemps fameuse parmi les indigènes et les Métis, à cause de ses trésors ; aussi, fut-elle choisie pour but de la première expédition scientifique tentée dans le Nord-Ouest, sous la direction de Samuel Hearne, en 1770. Dans la partie inférieure de son cours, la Coppermine a de nombreuses chutes et des rapides qui en rendent la navigation nnpossible : la dernière cascade dite “ Bloody- Fall” ou “saut sanglant,” en mémoire d’un massacre d'Esquimaux qu'y firent les Indiens, est à 18 kilomètres du golfe “Coronation” ou du “Cou- ronnement.” Ce bassin dans lequel se jette la Coppermine est un en- semble de baies, de détroits et de fiords, que les masses insulaires de Wollaston Land, Prince-Albert Land, Bank’s Land séparent de la haute mer. Le golfe, avec ses bras projetés dans l’intérieur du continent, res- semble d’une manière remarquable aux lacs du Grand-Nord, d'Atha- baska, des Esclaves, des Ours. Un léger exhaussement du sol en ferait aussi une mer intérieure, de même qu'un abaissement transformerait les 488 LES POISSONS lacs en golfes maritimes. L’embouchure de ce fleuve est remplie de petits saumons de trois à cinq livres, d’une chair très rouge, que l’on prend généralement pour des truites. Après le Mackenzie, la rivière la plus considérable est le Great-Fish River, évaluée par Back, le compagnon de Franklin, à 980 kilomètres de longueur. Dans la partie moyenne de son cours, ce fleuve emplit de vastes bassins lacustres, aux mille baies et détroits. Le golfe dans lequel se déverse le fleuve est comme le Coronation Gulf, qui ressemble à un lac plutôt qu'à un golfe maritime, qui fourmille de poissons d’eau douce autant que de poissons de mer, de gros saumons dont nombre de gens récusent l'authenticité sous la calotte glacée du pôle. “ La limite naturelle du Grand-Nord continental est l’isthme de Rae, marquée par un double cordon de lacs et de mares, entre l’océan polaire et les détroits septentrionaux de la mer d'Hudson Dans la partie méridionale du bassin, notamment dans la vallée de Peace River, où la température moyenne coïncide à peu près avec le point de glace, les vents d'ouest ont une influence analogue, mais relati- vement à l’homime, ce phénomène est de la plus haute importance, car ces régions sont habitables, et tout porte à croire qu'elles auront, dans un avenir prochain, une population considérable. Ses courants atmos- phériques, attirés de l'Océan par-dessus les plateaux de la Colombie et les montignes Rocheuses, ressemblent aux vents d'est da Groënland, au fôhn de la Suisse et à l’autan des Pyrénées, par la chaleur qui s’y déve- loppe en vertu de la condensation de l'air, après le passage des mon- ce tagnes : on les désigne sous le nom de “vents chinouques” (chinook winds), parce qu'ils viennent de ces contrées äe l’ouest où vivent les Chinooks et où se parle leur jargon commercial. Le sol peut germer le blé sur le terrain arrosé par la partie moyenne des rivières “ La Paix, “ Liard” et leurs ramifications : et dès lors l’homine à raison de s'établir avec confiance là où le sol donne le pain Eucore plus aura-t-1l raison de s'établir là où les eaux produisent les poissons en abondance, sans cesser pour cela d'arroser les céréales, les plantes et les fruits qui contribuent à la nourriture de l’homme et des animaux. Et nous sommes en face de cette position. M, ve A De D | Ro LENCORCGONUS ALBUS (GREAT SLAVE LAKE) LES EAUX DU GRAND - NORD 489 LES EAUX DU GRAND-NORD La principale richesse du Grand-Nord ne vient pas de la terre mais des eaux. La rivière de la Paix a bien sa vallée ouverte au soleil, aux cou- rants d'air de l’océan Pacifique, la généreuse vallée qu'elle arrose pro- duira des blés et d’autres céréales ; quand le dernier buffalo aura disparu de la forêt, elle substituera le bœuf domestique au bœuf sauvage, mais elle ne pourra nourrir, en fin de compte, qu'une mince population, pendant que les poissons des rivières, des lacs et des mers du Grand-Nord pourront suflire à l'entretien de peuples nombreux, les nourrir et même les enri- chir. Ce n’est pas en vain que l’Athabaska, né d’une mare purgitante, au pied du mont Brown, sur les confins de la Colombie, fait le tour de lacs innombrables, qu'il les descend, les pousse, les entraîne depuis le petit lac de l'Esclave jusqu’au grand lac l'Athabaska, depuis le grand lac Athabaska jusqu’au grand lac l’Esclave, depuis le grand lac l’Esclave jusqu'à l'océan Arctique, sous les noms tour à tour, d'Athabaska, de la rivière de l’Esclave, qu'il devient, sous le nom de Mackenzie, le fleuve-roi qui reçoit les tributs de la Méditerranée arctique, de la rivière de la Paix, de la rivière aux Liards, après avoir trinqué sur le plateau des montagnes Rocheuses, avec le Fraser, la Colombie, la Skeena et le Youkon dans les coupes d’or de l'Ominica et de la Kolondyke. Qui nous dira où sont les eaux du monde plus riches en poissons que celles du bassin du Mackenzie et du Grand-Nord ? N'avez-vous pas là le poisson-blanc, l’atikkamek, cher au Peau-Rouge, qui le mange en cor- beau. Tendez vos filets dans les lacs de l'Athabaska, de lOurs et le grand lac de l’Esclave, et vous y prendrez des Poissons-Blanes de quinze livres, et des truites grises de plus de cinquante livres. — Vous n'avez pas de saumons, me direz-vous ? _— Pas de saumons, j'en conviens, mais que dites-vous du poisson bleu et de l'inconnu ? — Le poisson-bleu n'a pas son égal comme poisson sportif et comme mets succulent ; l'inconnu arrive à vingt-cinq et trente livres ; il fait l'honneur du Mackenzie et de ses tributaires, mais ce n’est pas un saumon 490 LES POISSONS Nous irons plus loin encore; de magnifiques poissons nagent dans l'océan Arctique, à l'embouchure des fleuves Back, du Cuivre et du Chur- chill, et ce ne sont pas encore des saumons quoi qu'on en dise. — Pas encore des saumons, me dites-vous, et peut-être avez-vous raison, Imais ils n’en restent pas moins des salmonidés, étant de la famille et du sang le plus pur du saumon. La truite du Grand-Nord, depuis le Mackenzie jusqu'au Churchill, à la mer comme dans les rivières et les lacs, ne se pêche que dans des eaux glacées. Il en est de même de l’atik- kamek, du poisson-bleu, de l'inconnu. Dans le reste du monde on à besoin de se construire des glacières pour conserver le poisson, ici on pêche dans des glacières toutes faites, durables à l’année. Mais voulez-vous des saumons quand même à tout prix? Nous n'avons qu'à enlever une barrière de quelques pieds et vous en aurez à bouche que veux-tu ? En 1888, un comité du Sénat ayant été chargé de faire une enquête sur les resssources du grand bassin du Mackenzia, l'honorable Ædgar Dewdney, eutenant-pouverneur des territoires du Nord-Ouest, est appelé à donner son témoignage, le 18 avril de ladite année, et aux questions qui lui sont posées, 1] répond comme suit : Interrogé par l'hon. M. Turner : Q. — On remonte la rivière Skeena en canot: quel portage a-t-on à faire Jusqu'à la rivière Ominica ? R. — La distance d'Hazleton à la rivière Babine est d'environ qua- rante-huit milles. Q. — Il n'y à pas d'autre portage ? R. — Pardon, il y en a un autre. On traverse la rivière Babine à un endroit nommé la Pêcherie, où il se prend d'énormes quantités de pois- sons. C’est là que la Compagnie de la baie d'Hudson achète des sau- vages toute sa provision de saumon. Q. — Saumon d'eau douce, je suppose. R. — D'eau salée. Ce poisson y vient par la Skeena, dans laquelle se décharge la rivière Babine. On remonte cette dernière jusqu’à trente ou quarante milles au-dessus d'Hazleton. Q. — Hazleton est la tete de la rivière Skeena ? R. — C’est la tête du chemin des canots : on pourrait cependant aller encore un peu plus avant. Là commence le portage par la vallée d’Ag- yilgate, qu'il faut traverser pour atteindre l'entrée de la rivière Babine sur le lac Babine. Lac très long: soixante-dix à quatre-vingts milles de longueur : lac magnifique. LES EAUX DU GRAND - NORD 491 Par le président : Q. — Les saumons pénètrent en grand nombre, dites-vous, jusqu'aux sources occidentales ; n'est-ce pas pour y frayer ? R. — Oui. Q. — A quelle distance ces sources sont-elles des eaux qui ont leur cours vers l’est ? R. — Le saumon que l’on capture dans le lac Babine vient de la mer par les rivières Skeena et Babine. Plus à l’est encore, les lacs Stewart, Tremblay et Tatla forment une autre chaine, sur une étendue de cent vingt milles environ, en communication avec les eaux du Fraser. Le saumon y pénètre par ce fleuve. Q. — La distance est-elle trop grande pour qu'on puisse essayer de mettre dans les eaux qui courent vers l’est du frai de saumon recueilli dans les sources des rivières occidentales ? R. —- Du tout. La chose serait facile. Q. — Je vous le demande, parce que nous avons eu des témoignages contradictoires sur la question de savoir s’il y à du saumon dans le Mac- kenzie. Deux personnes ont dit oui: deux autres personnes ont dit non. R. — On pourrait, certainemnt, prendre du frai de saumon au lac Stewart et le mettre dans les eaux qui ont leur courant vers l’est. | Le lieutenant-vouverneur Dewdney continue sa déposition, le len- demain, en ces termes : « Hier main, lorsqu'il m'a fallu interrompre ma déposition, M. le séna- teur me questionnait sur le faite qui sépare les sources des cours d’eau tributaires de l'océan Arctique de celles des cours d’eau affluant dans le Pacifique. Il désirait beaucoup savoir s'il était possible de transporter du frai de saumon des eaux occidentales dans les eaux ayant leur courant vers le nord-est, parce que l’on disait que la rivière de la Paix ne contenait pas de saumons. Je me suis rappelé, depuis, qu’il existe un point plus accessible que celui dont je parlais — près du grand coude du Fraser, au petit portage appelé Giscom-. C’est par lui qu’on amenait, dans les com- mencements, les provisions destinées pour la rivière d'Ominica. En fait, des embarcations construites à Victoria ont remonté le Fraser et, rendues à cet endroit, ont été portées par terre aux eaux afHluentes de la rivière de la Paix. Il n’y a pas d'élévation notable. Je crois qu’on a construit, sur le portage, une glissoire pour y traîner plus facilement les canots. Pour les essais de transportation du saumon, voilà le point le plus avan- tageux, d'autant plus que ce poisson abonde dans le Fraser et ses tributaires. 492 4 CR NES Au K\ A A HN NS N NS B WA NAN WW. vi l Xl! LES POISSONS 2E.— Salvelinus fontinalis. F1G. 208.—LA TRUITE DES RUISSEAUX ou TACHET LES EAUX DU GRAND - NORD 493 Par le président : Q. — Vous mettriez le frai dans le lac de la Nation ? R. — Non, dans le lac McLeod. Autrefois on l’appelait le lac aux Truites. C’est sur ses bords que fut établi le premier poste que la Com- pagnie de la baie d'Hudson ait eu à l’ouest des montagnes. Q. — N'est-ce pas le fort McLeod ? R. — Oui, qui date de 1805, je crois. Q. — Les cours d’eau nourris par ce lac conduisent à la rivière aux Panais, branche de la rivière de la Paix ? R. — Ils s’y jettent. Q. — Où conseilleriez-vous de mettre le frai ? R. — Je crois que ce lieu serait bien favorable, et plus accessible que celui dont nous parlions hier et qui est placé à une altitude de trois mille pieds. Le 4 janvier 1895, l’hon. John Schultz, lieutenant-vouverneur du Manitoba, confirmait l'opinion précitée, dans les termes concluants que voici : “ Un mot au sujet des poissons alimentaires d’eau douce qui se ren- contrent dans la région arctique. Il est difficile d'établir d'avance la valeur que les pêcheries de cette région atteindront plus tard, mais une chose est certaine, c'est que nous possédons au nord de la ligne isotherme, dans cette partie du globe, une plus grande étendue de rivières et de lacs poissonneux que n'importe quel autre pays du monde, sans même excepter la Russie. “ L'immense région comprise entre la ligne isotherme et notre littoral arctique n'est pas surpassée sous le rapport de la quantité et de la qua- lité du poisson alimentaire d'eau douce, et à mesure que l’on approche de la côte arctique, les pêcheries sont de plus en plus peuplées. Bien que près de notre littoral arctique la glace de quelques-uns de nos grands lacs, tel que le lac Grand-Ours, ne disparaisse Jamais complètement, le poisson y abonde tout de inême. Vous vous rappelez que sir John Franklin, au moment où il naviguait sur un des bras du lac que je viens de mentionner, en route pour ses quartiers d'hiver, manqua de poisson, et que, comme dernière ressource, il tendit quelques petits rets à mailler aumoyen desquels il prit une quantité énorme de poissons-blanes. “ Dans les cours d’eau de cette région se rencontrent des poissons de valeur : le poisson-blanc, la truite de lac, ainsi que d’autres espèces de 494 LES POISSONS truites, et, à mesure que l’on approche de la côte, une magnifique variété d'ombre. “ La plupart des rivières qui se jettent dans l'océan Arctique, et au moins cinq de celles qui se déchargent dans la baie d'Hudson, du côté ouest, fourmillent d’une variété de saumon connu sous le nom de saumon arctique. Il y à quelques années, le professeur Robert Bell m'a donné un spécimen de ce saumon, ainsi qu'un spécimen d'ombre, que j'ai conservés, depuis, dans l'alcool : je me ferai un plaisir de vous en faire cadeau, car je sais qu’ils sont intéressants. Je ne parlerai pas de ce poisson parti- eulier du fleuve Mackenzie, qui a plusieurs des mœurs du saumon,et que les voyageurs arctiques appelaient, comme on lappelle encore, “ l’in- connu.” Je n'en ai jamais vu de spécimen, mais il est certain qu'en amont des chutes de la rivière du Grand-Esclave, près du fort Smith, le saumon proprement dit ne se rencontre pas, et c'est une chose étrange, étant donné que les têtes d’au moins deux des affluents occidentaux du fleuve McKenzie ainsi que les rivières Liard et de la Paix se confondent presque avec celles des rivières de la côte occidentale, qui toutes con- tiennent du saumon. “Ii y a quelques années, je discutais cette question avec lhonorable Edeur Dewdney, lieutenant-ouverneur de la Colombie Britannique, et ce dernier s'accorde à dire avec moi que l’on pourrait facilement et à peu de frais prendre des saumons dans les lacs de la Colombie Britannique, juste avant le temps du frai, et les déposer dans quelques-uns des lacs formant les eaux de tête de l’Athabasca. L'on devrait, je crois, tenter l'expérience, car ce serait le moyen de rendre plus poissonneuses les rivières Athabasca et Grand-Esclave, ainsi que leurs affluents.” VOYAGE DE MacKENZIE “ Le premier voyageur savant qui traversa les chaînes de montagnes entre les plaines du Nord-Ouest et la mer, fut Mackenzie, en 1792 ; il descendit le cours moyen du Fraser, qu'il croyait être la Columbia et qui fut dénommé plus tard, en 1806, d’après le traitant écossais Simon Fraser. Les voyageurs, pour la plupart employés de la compagnie d'Hudson, qui firent connaître cette partie du versant océanique, étaient presque tous Ecossais : en leur honneur la contrée reçut le nom longtemps en usage de New-Caledonia. LES EAUX DU GRAND - NORD 495 “ Les diverses chaînes des Rocheuses comprises entre l'Alaska, le bassin du fleuve Mackenzie et les hauts affluents de la rivière de la Paix, sous le 56e degré de latitude, ne sont connues que d’une manière générale par les indications des traitants et des mineurs, mais elles sont encore ionorées au point de vue géologique et restent en blane sur les cartes. La saillie maîtresse, que l’on peut considérer comme l’arête initiale des montagnes Rocheuses, se reploie parallèlement à la côte alaskienne, à l'est du bassin de la rivière Lewes, où Youkon supérieur. Elle ne paraît pas très élevée et ne forme qu'une ligne de partage secondaire, car elle est traversée par des rivières appartenant, les unes au versant du Paci- fique, les autres à celui de l’océan Glacial. Ainsi, les hauts affluents du Stickeen et ceux de la Skeena naissent dans les mêmes régions que les tributaires de la rivière des Liards et que ceux de Peace River, qui des- cendent vers le fleuve Mackenzie. Les plus hautes montagnes de ces régions ne dépassent probablement pas 3000 mètres et se dressent vers le 55° 30 degré de latitude, dans un massif central où se réunissent les diverses chaînes parallèles venues du nord et d’où s'épanchent en des vallées divergentes les gaves supérieurs du Stickeen, de la Skeena, de Peace River et du Fraser : sur d'anciennes cartes, ce massif est désigné sous le nom de Peak Mountains. Immédiatement au sud, l’ensemble du système montagneux s'abaisse, et des bords de l'océan Pacifique jusqu'aux plaines que parcourent les eaux de Peace River, on peut tra- verser le territoire de la Colombie Britannique sans passer nulle part à plus de 1000 mètres en altitude : la brèche de. Peace River est à la hauteur d'environ 600 mètres. Le grand coude septentrional du Fraser indique à peu près le milieu de cette dépression médiane, caractérisée par la présence de dépôts gris ou blanchâtres formés d’argiles arénacées, qui se sont stratifiées régulièrement sur une épaisseur considérable : en certains endroits ces dépôts ont une puissance de 30 et même de 60 mètres. [ls reposent partout sur des couches d’argiles glaciaires plus ou moins moditiées et parsemées de graviers et de blocs. « C’est évidemment à l’action d'une vaste mer intérieure que sont dues ces strates blanchâtres qui s'étendent au loin entre les montagnes. Les lacs actuels et les grandes plaines de Chilcotin ne sont que les restes de cette ancienne mer, qui se rattacha peut-être à l'Océan, et qui s'avança en détroit, de l’ouest à l’est à travers le système entier des montagnes Rocheuses. “ L'arête proprement dite de la chaîne maîtresse, nettement orientée dans le sens du nord-ouest au sud-est, commence au sud de Ia Peace River par des sommets qui n'ont pas même un millier de mètres en hauteur, mais elle s'élève rapidement au-dessus des plaines que pareou- rent les affluents de l’Athabaska et cette rivière elle-même. Le col de 496 LES POISSONS la Tête-Jaune, où l'on projeta d'abord de construire le chemin de fer transcontinental, est à 1168 mètres. Plus au sud, le grand portail du col d'Athabaska serait même dominé par deux montagnes ayant à peu près cinq kilomètres en hauteur : au nord,ie mont Brown (4875 mètres), au sud, le mont Hooker (5180, mètres) : toutefois, ces mesures n’ont pas été faites avec précision, et les géodésiens qui ont commencé le levé tri- gonométrique des Rocheuses dans la région voisine de la frontière croient ces estimations de beaucoup supérieures à la vérité : vu de loin, à l'extrême horizon, le massif de PAthabaska ne paraît pas être plus élevé que les groupes du sud, et ceux-ci n'atteignent pas 4000 mètres. D'ailleurs, les passages que l’on franchit de l’un à l'autre versant dans cette partie de la chaîne sont d’une telle facilité que les voyageurs en parlent avec étonnement. Milton et Cheadle cherchaient encore devant eux le col de la Tête-Jaune, et déjà il était caché par un promontoire : ils avaient passé la ligne de séparation des eaux sans la remarquer. “ Des montagnes, généralement désignées d’après des savants anglais, le Lyell, le Sullivan's Peak (2395 mètres), le Forbes (2575 imètres), le Murchison, le Balfour, le Sefroy (3535 mètres), se succèdent dans la direction du sud-est du groupe de l'Athabaska. Ce sont les monts qu'on aperçoit en venant des plaines de la Saskatchewan et que l’on appelle plus spécialement du nom de Rockies. Vues des pâturages onduleux du territoire d'Alberta, les parois grisätres des Rocheuses, nues, de forme presque pyramidale, striées de quelques neiges sur leurs escarpements septentrionaux, présentent un aspect grandiose. À leur base, des talus d’éboulis portent quelques forêts de pins, mais au-dessus on ne voit que rochers empilés sur rochers. Quelques-unes des montagnes montrent à vif leurs assises horizontales, déposées pendant les âges dévonien, carbo- nifère et crétacé : les autres sont formées de stratifications diversement plissées et tordues, mais pour la plupart inclinées du côté de l'est. Il en est qui ressemblent à d'immenses dalles d’ardoise, d'autres à des pyra- mides coupées de degrés réguliers. A l'est de la chaîne masseuse des avant-monts, alignés dans le même sens, s'élèvent en massifs au milieu de la plaine : tel, à l’est du col de la Tête-Jaune, le groupe au centre du- quel le mont Dalhousie dresse son fort crénelé aux parois verticales, telle, plus au sud, la rangée aux rochers uniformes à laquelle on à donné le nom de Palliser Range, en l'honneur de l’un des premiers explorateurs. La chaine du Porc-Épic (Porcupine Hills) qui s'élève près de la frontière, au sud de Calgary, appartient aussi à ce mur des “ Petites Rocheuses,” que de larges brèches interrompent de distance en distance. HHOINVNVOH AI É PT Een ENS AR res Pre LE HUANANICHE 497 LE HUANANICHE The Ouananiche. _Winnonish. -_ Land locked Salmon. The Dwarf Salmon. - The Sebago. - The Schoodie Salmon. Le Petit Saumon. Le Saumon blanc. Le Saumon d’eau douce, etc., ete. Le premier homme de race blanche qui s’aventura jusqu'au lac Saint- Jean fut le Père de Quen, missionnaire français. Au cours d’une des- cription fidèle qu'il fait de ce lac, le bon Père mentionne, entre autres poissons qui y habitent, le saumon, qui n’est autre que le huananiche appelé de nos jours à une célébrité retentissante. C'était en 1647. Pendant un siècle et demi on crut que le huananiche était un poisson particulier au lac Saint-Jean, et de nombreuses et curieuses légendes entourèrent son berceau et son existente, lorsque un beau jour, des pêcheurs en capturèrent divers échantillons dans l'État du Maine auxquels 1ls donnèrent les noms de Sebago Salmon et de Schoodic Salmon, ? d’après les eaux où ils avaient été pris. Ces saumons sont plus lourds et moins agiles que ceux du lac Saint-Jean. IIS ne sautent à la mouche que dans les eaux dégourdies du printemps. Le reste de l’année, ils se tiennent et s'engraissent au fond d'eaux profondes et stagnantes : mais s'ils sont transportés en eau vive, dans des courants rapides, ils acquiè- rent une plus grande agilité et perdent de leur poids. Il y à une trentaine d'années à peine la présence du même poisson fut signalée au Nouveau-Brunswick, sous le nom générique de land- locked salmon (saumon captif), dénomination injustifiable dans ce cas comme dans tous les autres du reste. Un peu plus tard, au lac des Roches, dans ja province d'Ontario, Hallock à cru trouver un enfant perdu de la familie du huananiche, mais un examen plus attentif fit reconnaître en ce poisson une variété de namaycush. Tout récemment, une truite de la Colombie anglaise, après avoir eu les mêmes prétentions, eut également le même sort. Il reste acquis que le huananiche ou saumon d’eau douce, de même que son frère de mer, le salmo salwr, n'existent pas dans les eaux du bassin de l'océan Pacitique. De tout temps, les Canadiens-Français ont appelé indistinctement le huananiche, de son nom indigène, ou petit saumon. Huan où unan est DE 32 498 LES POISSONS une simple indication qui se traduit par : Voyez ! ou ZLest là!” En y ajoutant iche, qui veut dire petit, nous avons : Voyez le petit! IL est là le petit ! expression d’admiration spontanée Jjaillissant du cœur aux lèvres du sauvage, à la vue de son poisson favori escaladant les chutes, promenant sa dorsale comme une bannière au-dessus des mousses cré- meuses des remous, sillonnant d’un éclair les sombres profondeurs des eaux où happant au vol l’imprudente libellule venue pour l’agacer. Aujourd'hui, l'appellation indigène de ce poisson tend à se généraliser aux États-Unis comme au Canada, dans les clubs comme sous la cabane du sauvage, dans la littérature comme dans le patois du coureur des bois. Bientôt, il absorbera le sebago et le schoodic de l'État du Maine. Quant à la légende du land-locked salmon et du diwarf salmon de la Suède et du Nouveau-Brunswick, elle s’efface devant l'étude et l’obser- vation ; elle se glisse au coin du feu, parmi les contes de Noël, pour amuser les enfants. Du temps où l’on croyait que le huananiche était un poisson particulier au lac Saint-Jean, voici ce qu'on en racontait, en fumant la pipe. A une époque reculée des époques géologiques le Saguenay communiquait de plain-pied avec le lac Saint-Jean, lorsqu'un bouleversement souterrain isola tout à coup le lac de son avenue naturelle, interceptant par un bar- rage de rochers infranchissables toute comimunication avec la mer. Le saumon qui s'y trouvait au moment du cataclysme y resta prisonnier. De là ce nom de land-locked salmon que les Anglo-Saxons ont donné au huananiche, d’après des préjugés dont une foi robuste d’esprits plus forts, mieux nourris, fait maintenant litière. Des explorations contemporaines multipliées dans la région du Labrador ont agrandi considérablement le domaine de ce salmonidé et ont démontré que dans presque tous les lacs qu'il habite, au Canada, aux États-Unis, sauf en Suède peut-être, partout il a libre accès à la mer, que s’il reste dans les eaux douces des montagnes, c’est qu'il y est retenu par ses mœurs, ses goûts, ses appétits ou ses instincts. Le land-locked salmon est une expression injustifiable, qu'on laisse aller à vau-l’eau, avec l’oua- naniche, le schoodic, le sebago et le divurf salmon. Cette dernière appel- lation supposerait un être difforme ou dégénéré, pendant que le huana- niche est un animal complet, d'une admirable perfection de forme, d’une force et d’une beauté supérieures même à celle du salmo salar. Les portraits qu'en ont tracés des artistes et des écrivains habiles, comme MM. J. G. Aylwin Creighton, d'Ottawa ; Chambers, Goode, Hallock, Haggard, Garman et autres amateurs, sont là pour le prouver, et au delà. Ici, nous passons le crayon à M. Chambers, l’auteur du livre si riche- ment documenté que je me plais à citer. Si nous différons, lui et moi, sur LE HUANANICHE 499 la manière d'écrire le nom du saumon labradorien, ce n’est pas une raison pour lui refuser la part d'estime que nous lui portons comme écrivain élégant et ichtyologiste renseigné. Nous ne voulons pas la mort du pêcheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive. “ Les élégantes proportions et la condition splendide du huananiche adulte que l'on trouve dans les aux courantes, au printemps, ne sont pas plus remarquables que la richesse de sa couleur. De fait, vêtu de pourpre et d'argent brillant, il étale un luxe somptueux, tous les jours. Sa tunique versicolore réfléchit toutes les nuances de son entourage natu- rel, depus le sombre indigo du nuage jusqu'aux teintes rares du crépus- cule, depuis la brume empourprée des collines, à l’horizon, jusqu’à la robe vert pâle du:bourgeon qui va s'ouvrir, depuis les noires profondeurs des fosses insondables qu'il fréquente — le vert olive et bronzé des fucus flottants et le gris des rochers environnants —jusqu'à l'éclat argenté des rayons de la lune, les crêtes blanches des rapides et l’écume floconneuse des remous.” (1) Dès que le chemin de fer de Québec au lac Saint-Jean fut construit, on vit les amateurs de pêche américains aflluer dans ces rudes régions fréquentées jusqu'alors par les Peaux-Rouges, les bûcherons, les arpen- teurs eb quelques rares missionnaires seulement. Et c'étaient des gens en moyen, ayant des rentes et des loisirs, qui venaient là, tout à coup, sur- prendre le han du colon abattant des pins, et flanquer des hamecons d’or dans la gorge des chutes éplorées. Où voulez-vous donc pêcher le huananiche si ce n’est dans l’écume de la Grande-Décharge, de la Chute-du-Diable, de l’'Ashouap, et de la Méta- betchouan ? Chambers vous dira que la dalle la plus rapide, la plus em- portée, la plus gonflée est celle qui convient le mieux à l'appétit de ce poisson ocellé aux couleurs du paon. Un autre vous conseille de crever a mousse, de déchirer de votre hameçon comme d’un éperon de chevalier la robe traînante de la vierge des flots. Mais n'allez pas croire pour cela que les chances vous soient toujours favorables ! Un huananiche est plus capricieux que l’onde ; à quelle mouche va-t-il mordre aujourd'hui ? Je vous le demande. En voici une dizaine de variétés que Eugène McCarthy nous avise d'essayer sur l’hamecon n° 4, savoir : The Jack Scott, Silver Doctor, Brown Hackle, Cow Dung, Seth Green, Lord Baltimore, Parmacherne Belle et Scarlet Ibis. C'était fort bien pour hier ; pas un seul huananiche n’était épargné par la piqûre de ces mouches ; mais aujourd’hui, c’est une autre affaire. Les (1) The Ouananish, ete., by Chambers. 500 LES POISSONS mouches sont en grève pendant que les poissons les narguent du fond de l'eau. Et quelle mouche va oser s'attaquer à ces canaïlles de huana- niches dans les dispositions où ils sont ? J'en vois un qui s'enlève à six pieds en air, risquant ses lèvres aux déchirures du fer: j'en vois un autre qui scie l’eau comme avec une faulx,un troisième culbute au-dessus d’une chute pour rompre la ligne dans le chaos. Et même, serait-il pris, ferré et enferré par la langue et la mâchoire, que je ne m'y fierais pas encore. Brebis comptées le loup les mange, dit le vieux canadien. La lutte contre un huananiche est un duel à mort. On ne connaît le vain- queur que lorsque le vaincu est couché sur le pré, par blessure, par lassi- tude ou épuisement. On rapporte que des captures fréquentes de hua- naniches se font dans le Saguenay, surtout au pied de la grande chute de Chicoutimi. Cela ne doit étonner personne: tous les animaux ont des maladies et tous ont aussi des hôpitaux. Un huananiche blessé ou malade x pu descendre à la mer par la Grande-Décharge, puis, une fois rétabli, revenir d'instinct vers la patrie, et se laisser pincer sur la pre- mière marche qui y conduit. Avant l'ouverture du chemin de fer du lac Saint-Jean, les colons pêchaient un peu au printemps, durant les semailles, bien contents de faire une provision de fine chère pour tous les Jeûnes de l'année, mais durant l'été, la belle saison de pêche, il n'y avait plus personne sur l'eau, sauf peut-être par-ci par-là, le vaillant colonel Rhodes, ou mon ami Gre- gory, ou le bon curé Auclair. C’est aupres de la Grande-Décharge que M. Gregory venait entendre le rossignol du Canada dans la voix de la grenouille; M. le curé Auclair se plaisait, lui, à pêcher le magnifique éperlan du lac Kinogami tout en courtisant le huananiche du lac Saint- Jean ; et le colonel Rhodes, en sa qualité d’officier anglais et de beau pêcheur ne pouvait s'empêcher de donner la préférene au saumon contre le huananiche. Toutefois, alors comme aujourd'hui, le huananiche, imitant les mœurs du saumon, se retirait en septembre ou octobre, sur les petites grèves cailloutées des hauts-fonds, à mince filet d'eau, attendant pour cela, dans l'intérêt de la couvée, que ses plus terribles ennemis, comme le brochet et la lotte, saisis par le froid, eussent gagné les profondeurs : alors comme aujourd'hui, on pêchait, au printemps, dans la débâele et derrière le train des glaces ; ensuite, durant l'été, aussi longtemps que le poisson mordait, les lois gardant le silence sur les méfaits des maraudeurs. Les œufs une fois déposés, les parents se retiraient au fond du lac, où souvent ils étaient dévorés par la lotte ou le brochet. Les entrailles de ces monstres ont enfoui maintes fois les carcasses des beaux bateleurs, qui, la veille, s'enlevaient, d'un coup de queue, au-dessus d’une chute de douze pieds. LE HUANANICHE 501 De belles grèves à nids ont été détournées, mais on vante toujours celles de l’île Ronde, de la Grande-Décharge, de quelques rapides de la Mistassini, et de la chute du Diable, dans la Péribonca. Quant à faire une bonne pêche, on est toujours sûr de faire une bonne pêche, dans la Grande-Décharge ; aussi, en croisant la cinquième chute de la Mistassini, après un long portage, ou en remontant la Péribonca jusqu’au lac Tshotigama, à cinquante milles de Roberval. Mais, du reste, il y a, toujours, ici et là, quelque bon coup de ligne à faire dans les dix-huit tributaires du lac Saint-Jean. La moyenne du poids d'un huananiche est de trois livres à trois livres et demie : un huananiche de sept livres mérite révérence et chapeau bas. Ce préjugé comportant qu'au Labrador il n'existe de huananiches que dans les eaux du lac Saint Jean est complètement déchu. Les amateurs américains se sont aventurés fort avant dans le pays, sur les pas des arpenteurs et des explorateurs officiels du gouvernement ; de nombreux lacs peuplés de huananiches ont été découverts aux sources des grandes rivières de l’est et du sud, de manière à établir le fait que le Labrador est la vraie patrie de ce vaillant poisson, pendant que le Maine, le Nou- veau-Brunswick, la Suède même n’en possèdent que des colonies. Le saumon arrive par l'Atlantique, par le golfe Saint-Laurent, re- monte dans des rivières familières jusqu’à quelques centaines de milles de hauteur, puis il retourne invariablement à la mer. Le huananiche, lui, reste dans ses lacs, sur le grand plateau qui se déverse par cent dalles diluviennes dans les abîmes de la mer et dans la coupe à la fois gracieuse et tumultueuse du lac Saint-Jean. Rien de plus facile pour le huananiche que la descente à la mer par la pente si douce des fleuves ; mais il n'a pas même l'air d’y songer. Au contraire, il se renfonce dans les profondeurs cristallisées du faite des eaux, parce qu'il s’y sent chez lui, qu'il y trouve son domicile. Je laisse à de plus savants que moi le soin de discuter la question de savoir lequel du saumon d’eau douce où du saumon de mer est primor- dial, est l'aîné des deux. Je me borne à dire que celui-là doit être le premier qui reste toujours chez lui et n’a pas besoin de deux domiciles pour trouver le bonheur. Quoi qu'il en soit, par leur forme, leur couleur, leur constitution, leurs mœurs, ils sont assurément deux frères ; tous deux sont décorés également, à cette différence près que le salmo salar ne porte qu'une croix sur sa poitrine, et que le huananiche en porte deux. M. Chambers et ses amis pêcheurs, écrivains et chroniqueurs des États-Unis et du Canada, ont été excessivement valants à lendroit des Canadiens-Français, en les gratifiant de leur orthographe dans l’épella- tion du nom ‘“ouananiche ”, et je les en remercie infiniment ; mais est-1l à 502 LES POISSONS croire que le Père de Quen ou le Père Masse se sont servis d’une pareille épellation ? Sans vouloir pédantiser, je me permettrai de faire observer qu'à l’époque où vivaient ces missionnaires on ignorait le w, dans la langue française, et pour ce, le comité américain qui a décidé la question à eu toute raison de faire disparaître pareille lettre de l’ortho- graphe de ce mot. Du même appoint. en parcourant les Relations des Jésuites, on constatera que souvent le diphtongue ou la lettre w sont remplacés par le chiffre 8, qui se prononce avec aspiration, comme les deux premières lettres du chiffre, c’est-à-dire “uw,” ainsi que je crois devoir l'écrire. À la page 55 de son beau livre The Ouananiche, M. Chambers semble me justifier, par ces mots : “The Indians usually pronounce the word with a kind of an aspirate at the commencement, which it is difficult to represent on paper, the nearest approach that I can devise to the sound in written characters being whou-na-nishe, ce whan-na-nishe, and sometimes “ when-na-nishe.” Il importe avant tout de respecter “/’4 ” aspirée du commencement du mot, “car ce serait durement choquer l'oreille française que de dire des. ouananiches. Autant vaudrait écrire tout de suite, des otes naniches, ce qui répugnerait sans doute à plus d'un académicien français. Tant que nous n'écrirons pas des zéros pour des héros, conservons le “ huana- niche,” par respect pour la grammaire et l’Académie. ‘NO ANOLSOXON 471 LES CYPRINS 503 BESLOYERINS Carpes. — Tanches. — Mulets.- Chevesnes. — Ables. — Ablettes. — Moxostômes. - Chondrostomes. -— Vandoise. — Ide. _- Véron. — Goujon. - Mélanote. —- Poissons Rouges. — Etc. etc. Le groupe des cyprins forme la grande majorité des poissons d'eau douce de l'Amérique du Nord ; ilsse tiennent presque tous par des carac- tères si étroits qu'ils forment réellement une famille des plus naturelles, “ Le caractère le plus important, dit le Dr Sauvage, c'est que ces pois- sons ont toutes les parties de la bouche privées de dents, tandis que les os pharyngiens en sont constamment pourvus. “ Les caractères tirés de l’organisation ne sont pas moins constants. La vessie natatoire est grande, enfermée dans une capsule résistante, divisée par un étranglement en deux parties, une antérieure et une postérieure, ou une droite et une gauche, et reliée à l'oreille par une chaîne de petits osselets. Cependant, chez un certain nombre d'espèces de l'Inde, la vessie natatoire fait défaut, de telle sorte que ces poissons manquent de ce caractère important de la famille. DISTRIBUTION GÉOLOGIQUE Les cyprinidés semblent avoir apparu vers le milieu des temps ter- tiaires. Presque tous les cyprins trouvés à l’état fossile appartiennent à des genres faciles à reconnaître, vu qu'ils vivent tous aujourd'hui dans la contrée. DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE Les cyprins se trouvent dans tout l’ancien monde et dans l'Amérique du Nord ; ils manquent absolument dans l'Océanie et dans l'Amérique du Sud, non parce qu'ils ne peuvent y vivre, mais parce que ces poissons ont apparu à la surface du globe à une époque où l'Océanie n'était plus en 504 LES POISSONS communication (et sans doute depuis longtemps) avec l'Asie. Cela est si vrai que certains cyprins d'Europe, la carpe, la tanche, introduits artifi- ciellement dans le sud de l'Australie, ÿ prospèrent, et qu'on les pêche couramment dans certaines rivières, Les espèces de cyprins sont nombreuses. Sur les 3,900 poissons du globe nous comptons 1,600 eyprins et 1,000 silures. Or, dans cette grande famille, il existe, non seulement des séries d’es- pèces voisines au dernier point, mais encore des types indécis et variables qui semblent flotter entre deux autres déjà très semblables, et n’en être que des métis. On dirait que suivant les fonds, les âges, des causes encore absolument inconnues, ces espèces se modulent les unes dans les autres, comme une cire molle que l’on pétrirait, sans sortir cependant d’un type à peu près commun. Pour distinguer ces poissons on a essayé de se baser sur la proportion du corps, puisque les criteriwms ordinaires faisaient défaut, les organes se trouvant presque en même nombre chez tous: on à dû y renoncer, parce que ces proportions sont très variables. La différence de consti- tution des dents pharyngiennes paraît, jusqu'à présent, le meilleur signe de distinction, mais il n’est pas à la portée de tout le monde. I] faut une dissection préalable simple, il est vrai, mais enfin une opération que le pêcheur ne fera pas, et c’est pourquoi j'omets avec intention de publier ici des figures anatomiques qui passeront sous le nez sans se fixer au cerveau. J’ajouterai que l’âge fait varier cette denture, et annule ainsi souvent la certitude que les naturalistes avaient cru trouver dans ce caractère. Il est certain qu'au premier coup d'œil, on peut déjà séparer les cyprinoïdes, les loches ou gobites, à tête petite, aux ouïes peu profondes, à dents pharyngiennes aiguës et nombreuses. Mais restent tous les cyprins proprement dits à classer, ceux dont le corps est couvert de grandes écailles. Là-dessus, de la Blanchère fait observer : € On à cru rendre plus simple et moins confuse la classification des cyprins, en élevant d’un degré la division que nos grands naturalistes y avaient introduite ; du rang d'espèces on en a fait des genres ; par con- séquent, ce que l’on considérait primitivement comme de simples variétés sont devenues bel et bien des espèces,” ce qui à eu pour effet de déso- rienter l'intelligence de la classification des cyprins en évolutions dont nul ne sait et ne peut connaître le nombre, LES CYPRINS 505 De la Blanchère a pu résumer judicieusement les auteurs de son temps, et cependant, il avoue qu'il perd son latin dans l'analyse et la classifi- cation de la famille cyprinoïde. Jordan et Gilbert ont progressé un peu, mais sans avoir droit de se vanter d'avoir débrouillé cette genèse, bien loin de là Les cyprins restent quand même de la blanchaille, des poñs- sons blancs. Encore ont-ils leur valeur propre, comme nourriture, pour les hommes, d’abord, pour celle des gros poissons, ensuite. Tous les cyprins sont bons à manger, sont poissons de table, mais tous ne sont pas également utilisés à cette fin. Quoique la carpe ne soit pas originaire d'Amérique, quoiqu'elle n'existe pas encore dans les eaux de la province de Québec, n'empêche que nous la tenons au premier rang dans la famille des cyprins, en hâtant le jour de son apparition sur nos marchés, en compagnie de la fanche, sa cou- sine, dont la culture si facile aurait dû être tentée par nous depuis long- temps. Carpes et tanches, allez, vous avezles honneurs de la dent de l’homme — après avoir échappé à la dent des forbans de rivière — mais à votre suite, viennent de plein droit : le chevesne, l'ide, la dobule, la vandoise, naviguant dans le district de Québec sous le nom de gardons, et dans le district de Montréal, sous le nom de mulets. Toujours dans l'étiquette canadienne, viennent ensuite le moxostôme — notre prétendue carpe de France — qui n'existe pas plus en France que la carpe n'existe chez nous — le meunier (morostoma macrolepidotwm.), le red horse des Anglais, la carpe commune ou carpe à cochon, très bonne à manger, en dépit ou à cause de son nom peut-être, dans les eaux froides du printemps, et quelques autres de forte taille que les pêcheurs mettent dans le paquet, avec les crupets, les perchaudes et les burbottes, sur le marché. Pour les petits, les ables, ablettes, vérons, brémes-rosses, rotengles, qui se comptent par milliers d'espèces sous le nom de goujons, lorsque le goujon n'existe pas au Canada, non plus qu'aux États-Unis, nous ne leur faisons pas même l’honneur de les croquer en friture. Ils servent de pâture absolue, sans conteste, à nos poissons carnivores d'eau douce, le brochet, le doré, Yachigan, le maskinongé, le crapet, la perche, et tufti quanti. Ces mi- nuces représentent comme nourriture, pour les poissons voraces, ce que sont les baies, les fruits sauvages sont pour les oiseaux. C’est le pain de tous les jours. On dit aux enfants: Ne gaspillez pas le pain du bon Dieu ; on n'aurait pas moins raison de leur dire: We détruisez pas les cyprins du bon Dieu ; car ils engraissent les beaux poissons qui vont figurer sur la table de l’homme, à côté de la table du bon Dieu. En Europe, on cultive les eyprins pour eu faire de la provende aux murènes : il sera sage d'en faire autant bientôt au Canada. 506 LES POISSONS Ces petits-là — vivant dans les limbes, sans baptême — nous les trouvons bien en février, dans les sources d’eau chaude, en maints endroits, s'il s’agit de tendre une ligne au doré. Ayez un bon guide qui vous conduise à la source, que ni la glace, ni la neige ne peuvent étouffer, où nagent en liberté des masses grouillantes d’ablettes ; en y arrivant, brassez le fond sous vos pieds, et de la vase il sortira sous la glace voisine, des douzaines de ce menu fretin que des compagnons ramasseront et tien- dront vivants dans une chaudière-vivier. Nous pouvons nous procurer de ces petits poissons, en ville, mais ils ne valent pas les indigènes pour le doré. Ailleurs, vous trouverez de ces petits poissons, entre deux glaces, presque à la surface. Un coup de bâton dans le miroir et ils restent étendus, s’offrant à la ceuillette à la main. Morts ou vifs, les dorés les croquent sans sel ni poivre. LA CARPE 507 PASCALE Moxostoma aureolus. _ Moxostôme doré Nous allons étonner plus d'un de nos lecteurs en disant que la carpe n'habite pas et n’a Jamais habité les eaux de la province de Québec, non plus que celles du Canada. Et cependant, nous ne disons que la vérité. . Quoi ! cette belle carpe de France, aux reflets dorés, aux nageoires de pourpre, que le soleil de mai fait étinceler sous la vague tourmentée des rapides, comme un poisson de feu, n'est pas une carpe ? F1G 209 —LA CARPE DE FRANCE. À notre grand regret, nous vous afirmons que la carpe de France (du Canada), si abondante au printemps, dans les eaux du fleuve Saint-Lau- rent et de ses tributaires, au-dessus de la ville de Québec, est le mozxostôme doré, cousin germain de la carpe, mais pas du tout la carpe de France. La vraie carpe à un facies tout particulier ; trapue, vigoureuse, écailles grandes, bronzées où vert foncé sur le des, sur les flancs, argentées sur le ventre ; dos arqué ; ligne latérale marquée de 48 points noirs, dor-ale unique de 21, 22 ou 24 rayons: quatre barbillons à la mâchoire supé- rieure. Les parties osseuses du squelette de ce poisson sont en nombre considérable, car on en compte 4,386. Tête forte, grosse et obtuse, yeux petits. 208 LES POISSONS Originaire de l'Asie, la carpe commune peuple la plupart des rivières, des lacs de l’ancien continent: elle vit dans les eaux tranquilles où elle atteint jusqu’à 3 pieds et 8 pouces de long ; elle s'élève facilement dans les rivières et les étangs, et sa chair est généralement de bon goût. Il existe en France d’autres variétés de carpes — comme la carpe à cuir — qui est entièrement privée d’écailles, la carpe & miroir, remarquable par deux rangées de grandes écailles, distribuées régulie- rement sur les côtés et sur le dos: ces écailles très grandes sont striées et comme rayonnées, couleur jaune bordée de brun: la carpe carussin a été importée en Ainérique depuis une trentaine d'années, avec plusieurs autres espèces, comme la c. acumaiatus, la c. hungaricus, la ce. regina, la c. nord- manni, lac. qubilio, la «. bucephacus, qui toutes ont admirablement prospéré dans les eaux des États-Unis de l'Amérique du Nord. Nous devrions suivre l'exemple de nos voisins. La carpe se trouverait on ne peut mieux dans les eaux pures et pro- fondes du Saint-Laurent et de ses tributaires. Que de lacs stériles ou peuplés de poisson de rebut pourraient être fertilisés avec profit, en y apportant du frai ou des alevins de carpe ! Ce poisson robuste se fait à toutes les eaux, aux eaux vaseuses, marécageuses même. Oh! par exemple, il va sans dire que la chair se ressent du milieu où a vécu l’ani- mal, mais pour qu'il perde le goût de vase, il suffit de le faire dégorger, pendant huit jours, dans une eau vive, et il sort de ce bain généreux avec chair blanche et de bon goût. Les fermiers d'Ontario un peu à l'aise cultivent, é“hacun d'eux, sur leur propriété, dans des lacs, des étangs formés par le barrage d'un ruis- seau, et même dans des bassins de dix à douze pieds carrés, de cinq à six pieds de profondeur, une carpe dite carpe allemande, d'une croissance très rapide. Elle atteint en deux ans le poids de deux à quatre livres, et figure pour une valeur importante dans l'alimentation de la famille. Nos habitants québecquois, les catholiques surtout, qui comptent dans l’année plus de cent Jours maigres d'obligation, auraient tout à gagner par l'élevage de ce poisson, qu'on dit fort bon à manger et qui ne coûte rien ou presque rien à produire. L'élan devrait partir de nos établissements de pisciculture. Le moxostôme doré du Canada n'a pas de barbillons, il à le dos moins arqué que Ja carpe, la bouche plus petite, en suçoir, et fortement caron- culée ; mais il atteint la même taille que sa cousine d'Europe. Nous en avons fréquemment capturé, du poids de huit à dix livres, et de plus de trois pieds de longueur. Nous ne saurions dire sil arrive à une égale longévité, ni s'il est susceptible de s’apprivoiser comme les carpes de France. LA CARPE 509 A Fontainebleau, il y à des carpes familières, qui viennent manger dans la main d'enfants qui ont su gagner leur affection. A dire vrai, celles-là ont eu le temps d'acquérir des connaissances, s'il est vrai qu’elles ont plus de trois cents ans d'existence. À en croire mere-srand', elles sont nées vers l'époque de la découverte du Canada. Mais en voiei une autre qui va rejeter dans l'ombre les vieilles cypri- noïdes de Gabrielle d’'Estrées, avec leurs lèvres moussues, puisqu'elle date des premiers jours de l’ère chrétienne : “ Le Journal de Bourbonne à publié une note stupéfiante, annonçant qu'on venait de découvrir une énorme carpe vivante dans l'un des tuyaux de la grande canalisation des thermes civils. | “ Ce poisson de l'espèce cyprinus major, mesure, de l'extrémité de la tête à celle de la queue, 29 pouces, et pèse un peu plus de neuf livres et demie. Il est très gras, de belle couleur, et fort vigoureux. FiG.210.—LA CARPE MIROIR.—THE Mirror Carpe (Cyprinus Carpio). “ Mais le plus extraordinaire, c'est qu’à la lèvre supérieure de l'animal est passé un anneau, bague ou cachet assez informe, fait de bronze, autant qu'on a pu en juger dans ce court examen, et sur lequel sont gravés, en caractères assez lisibles, les mots suivants : CES. AVC I LINGON ANN, V DM “ Il est évident que cette inscription remonte à l'époque gallo-romaine, et il en résulte que le poisson qui la porte serait âgé d'environ dix-huit cents ans. Et cependant n’a-t-on pas le droit de dire que ce n’est là qu'une légende ? 510 LES POISSONS “ Quel est celui qui visitant Fontainebleau ne s’est arrêté sur le cours de la Fontaine pour assister aux ébats des énormes carpes qui se dis- putent à l’envi les morceaux de pain que leur jettent les touristes anglais, petit tableau fantaisiste si bien représenté par notre oravure ? Eh bien, si l’on en croit la renommée, ces mêmes carpes, alors plus sveltes et plus jeunes, auraient reçu leur premier petit pain de seigle des mains de he au SUN ii je if ï ET sut FIG. 211.-CARPES DE FONTAINEBLEAU. François Ter, des seigneurs et des belles dames de sa cour; cela revient à dire qu'elles auraient l’âge respectable de 370 ans environ. “ On parle aussi des carpes de Gentilly, dont l’origine remonterait aux 4 x] 1 » carpes du grand Condé. On en à tant et plus de ces poissons anoblis, rassasiés d'âge. Pour nous contenter de la pièce du château de Fontainebleau qui à fait pièce LA CARPE 511 au monde entier, disons qu'elle à éte mise à sec en 1814, lors de l'occupation par les puissances étrangères ; les poissons furent tous mangés par les Cosaques. “ D’après le Dr Sauvage elle a été mise de nouveau à sec, à la fin de 1866, et 20,000 carpes, mesurant de 18 à 30 centimètres, ont été vendues : 1,250 des plus grosses, et beaucoup des petites qu’on voulait conserver, ont été transportées dans le bassin du milieu du parterre jusqu’à ce que le bassin fût rempli d’eau ? “IT faut donc perdre une illusion, nous n'avons pas de carpes sécu- laires.” Dès que la débâcle des glaces est faite, que le soleil de mai pénètre les eaux de ses rayons, le moxostôme quitte les profondeurs vaseuses où il 2 C } » 2 2 s’est blotti durant l'hiver, et se rapproche des rivages pour y trouver un endroit favorable où déposer ses œufs et les féconder. Il recherche à cet effet les petites rivières, les cours d’eau paisibles et bien ombragés. Dans sa route, 1l franchira des chutes de cinq à six pieds avec autant d'adresse et de souplesse que la truite. Il s'avance en bataillons serrés, mêlé aux catastômes blancs plus nom- breux, côtoyant les rives. Nous en avons vu des processions de plusieurs milles de longueur, sur une largueur de trente à quarante pieds, à triples ct quadruples rangs d'épaisseur, suivre les rives des Cascades et du Buisson, au-dessus du lac Saint-Louis, et cette migration durait sans interruption, dix, quinze jours, et quelquefois davantage. On en prend alors de grandes quantités à la seine, à la nasse et au verveux. Les brochets en font un carnage effrayant. Le moxostôme doré mord à la ligne appâtée d’un ver rouge. C’est au soleil couchant, par un temps calme, et après une journée tiède qu'on réussit le mieux. S'il y à apparence de pluie, et qu'il en tombe même quelques grains, son appétit augmente, et l’on en fait alors des pêches merveilleuses. 512 LES POISSONS La Carpe de Boston. — The White Sucker. _ Catastoma-Bostoniensis Exactement la même forme que le moxostôme doré, dit carpe de France ; longueur, de douze à quinze pouces ; très abondant dans le fleuve Saint- Laurent et ses tributaires. “ Dos d’un brun clair, côtes rougeñtres avec reflets métalliques ; oper- cules dorés. Tête brun olive en dessus, blanc en dessous; pupilles noires, iris doré. Les pectorales, ventrales et anale, d’un jaune rou- geñtre ; dorsale et caudale brunes ; cette dernière plus foncée. La dorsale est quadrangulaire et s'élève vers le milieu du corps ; elle à treize rayons, les premiers simples : pectorales en arrière de l'angle de l’opercule : ven- trales au-dessous du milieu de la dorsale, aussi hautes que les pecto- rales : anale arrondie, lorsqu'elle est étendue : ses deux premiers rayons simples. La caudale est échancrée en lune avec les rayons articulés. Ce poisson a les mêmes mœurs que le moxostôme doré dont il partage l'habitat. On emploie les mêmes esches pour le prendre à la ligne. Cependant, il est plus nombreux et plus répandu. On le trouve jusque dans les eaux saumâtres de Montmagny et du cap Saint-[onace, au- dessous de Québec. Dans les Territoires du Nord-Ouest il dispute la possession des eaux vaseuses au lourd et massif meunier (red horse), dont les sauvages croquent les yeux avec un plaisir indicible. Brême Commune (Cyprinus ou Abramus Brama) et Brême Rosse (Abramis Abramo rutilus) ce En aval de Québec, on vous répondra : Certes! vous ne sauriez mettre son existence en doute ; les rivières et les ruisseaux de la côte du sud en pullulent ! Nous les avons vues, leurs brêmes: elles ne sont autres que le crapet vert ou le crapet mondoux (the bluck eared pond fish), un acanthoptéry- gien, s'il vous plait, tandis que la brême est un cyprin, tout ce qu'il y # de plus malacoptérygien. "ASvVN AWOLSOHANOHO 47 rez ER Fe LA CARPE 513 Je demandais, l’autre jour, à l’un de nos marchands de poisson de Montréal : “ Croyez-vous que la brême existe dans les eaux du fleuve Saint-Laurent ?” — Si j'y crois ? mais sans doute ; à preuve, je puis vous en montrer dans mon étal des spécimens d’assez belle taille. ? Et je vis là un poisson d’un pied et demi de long, le dos en taillant de hache, et le ventre aplati sur une ligne droite, de la queue à la tête: du reste, mêmes écailles, même couleur que le moxostôme doré, avec lequel il vit dans une confra- ternilé touchante. Il faut dire toutefois que sa bouche est de beaucoup plus petite, et moins fortement caronculée. Voici comment les auteurs français font le portrait de la brême de leur pays : “ Corps très large et très plat, dos arqué, caréné en avant, noirâtre ou vert bleuâtre ; côtés et ventre d’un blanc jaunâtre. La ligne du dos et celle du ventre forment un cran auprès de la dorsale et de l’anale. “ La tête est petite, pointue et comme tronquée, l'œil petit, la bouche petite, sans barbillons ; on aperçoit dans son intérieur une langue rouge, molle et épaisse, adhérente au palais. La nageoiïire anale est grande (27 rayons), plus large à la vue que la caudale qu’elle rejoint presque. La caudale est fourchue. Dorsale (11 rayons) ; caudale et anale blanches bordées de brun fondu. Un appendice auprès de chaque ventrale . 32 vertèbres et 15 côtes de chaque côté. La brême est souvent mise au nombre des carpes, mais elle se rap- proche beaucoup plus du gardon (la bouche exceptée), et surtout de la rosse, quoique plus grasse, plus large et moins épaisse. Les brêmes des rivières ne sont jamais aussi grosses que celles des lacs. Celle qu'on m'a fait voir venait du lac Saint-Pierre ; eile mesurait bien dix-huit pouces de longueur. ‘“ La brême est le poisson des eaux tranquilles ; elle vit où vit la carpe, mais celle-ci occupe le rez-de-chaussée — et la brême le premier étage. Elle croît assez rapidement; sa chair est blanche, ferme et de bon goût, surtout quand le poisson est un peu gros. Extrêmement timide, souvent elle n'ose pas aller dans les herbes du bord déposer son frai, et les œufs se décomposant dans son corps la font périr au bout de quelque temps. .“ La brême dépose ses œufs dans les herbiers, et se retire dans les eaux profondes où elle vit d'insectes, d'herbes et de limon. A l'époque du frai, le corps du mâle, comme celui de la sarpe, se couvre de verrues ou de proéminences disséminées sur sa peau. À chaque époque, chaque femelle est souvent suivie de trois ou quatre mâles, 14 LE POISSONS : PE & < VAT (D DRE « A! D ES PRE x DU LZ Fi1G. 212.—LE CHONDROSTOME.- Le Meunier. LA CARPE 515 “ Les œufs sont vénéneux, dit-on ; mais ce fait demande confir- mation. : ‘“ La brême se pêche aux mêmes lieux que la carpe, dont elle partage les goûts et les habitudes. ‘“ Ce poisson se réunit en troupes, commandées par un chef auquel on donne le nom de roi des brémes. Rien de plus gracieux que de voir les évolutions de ce bataillon d’un nouveau genre, entre deux eaux, dans un endroit profond et tranquille, par un beau soleil d'été. La lumière joue sur leurs écailles, et les brêmes se promenant lentement autour des touffes d'herbes, ne daignent pas toucher à l’appât que leur tend le pêcheur. “ Eiles se nourrissent de vers et d’animalcules à corps mous, en même temps que de substances végétales.” Isaac Walton prétend qu'en France la brême est plus estimée qu’en Angleterre et il cite le proverbe: Qui & une bréme en son étang peut festoyer un ami. Rien de surprenant, puisqu'on parle de brêmes prises dans les lacs d'Écosse qui auraient pesé plus de trente et même qua- rante livres chaque. Les îles de Sorel sont le rendez-vous principal de la brême, au Canada, et 1ci, je soumets à M. Riendeau le portrait qui en à été tracé à la plume, en France, sous le nom de Carpeau de la Saône : “ Poisson conformé comme la carpe, quant aux écailles, à la bouche, aux appendices, aux nageoires, à la forme de la queue, ete., il en diffère par un aplatissement remarquable, à l'abdomen.” C’est bien le poisson qui m'a été montré ! “ On présume que le carpeau n’est qu'une carpe mâle, sujette à une espèce d’avortement naturel de ses organes caractéristiques, provoqué par la nature des eaux où il vit. La cause de ce phénomène est encore inexpliquée, mais jamais les carpeaux ne présentent ni lait ni œufs. Les organes qui doivent renfermer ces matières manquent complètement ; 1l en est de même du canal afférant leurs produits au dehors. ‘“ Ce poisson serait donc une variété accidentelle du genre carpe spé- ciale au Rhône et surtout à la Saône où elle semble prendre naissance.” Mais comment, de si loin, retrouverait-on ce poisson disparate, (en France) dans les eaux du lac Saint-Pierre (au Canada) ? Qui nous dit que ces mulets de la famille des carpes (en France), ne peuvent pas être produits également par la famille des catastômes du Canada ? C’est une étude à faire ! Une de plus, une de moins n’v fait pas grand’- chose. En fait d'histoire naturelle notre ignorance à de la marge ! 516 LES POISSONS Ce dont on ne doute pas, c'est que la brême-rosse existe dans nos rivières et ruisseaux. J'en ai pris tant et plus, dans la rivière Saint- Charles, le Bras-Saint-Nicolas, les lacs du canton de Montminy, dans la charge du lac Mégantic ; vous en aurez pris vous-même, sans savoir quel nom leur donner. Dites ! ne connaissez-vous pas un petit poisson, de quatre à six pouces de longueur, le dos vert olive, les flancs un peu jaunâtres, l'œil grand, les nageoires rouges et blanches, que vous aurez pris au ver rouge, avec et en même temps que le gardon? C’est la brême-rosse. Elle fait de délicieuses fritures. LA TANCHE 517 LA XTANCELE Tench (ang.). — Cyprinus Tinca Importée aux Etats-Unis, peu de temps après la carpe, elle est passée de là dans Ontario où on en dit beaucoup de bien. Un de ces quatre matins, à la longue, elle nous arrivera ici, par la grâce de Dieu, avec l’aide de nos gouvernements, et c’est pourquoi je crois qu'il est à propos d'en parler. La tanche se reconnaît tout de suite à la grande épaisseur de la partie du corps qui soutient la caudale, ce qui donne au poisson un aspect lourd et courtaud. L’œil paraît petit pour l'animal, il est rouge carmin ; la tête est un peu en grouin ; les lèvres épaisses, le front large. La couleur du poisson varie d’un brun jaunâtre à un beau ton vert bronzé, suivant les eaux, l’âge, et peut-être le sexe. Les nageoires, géné- ralement violettes, varient également ; le ventre est blanchâtre. On leur a compté jusqu'à 30,000 écailles. Ce poisson fraie de bonne heure, au printemps ; les œufs éclosent en peu de jours ; à l’heure de la ponte deux müles conduisent une femelle vers une feuille de potamogeton natans sur laquelle les œufs sont déposés, au nombre de deux à trois mille. La tanche est douée d’une vitalité extraordinaire, et J. Franklin pré- terd, de plus, que ni le brochet, ni la perche, ni l’anguille ne mordent au frai de tanche mis en esche. Voici son témoignage, qui vaut la peine d'être cité : “J'ai vu tendre, pendant la nuit, plusieurs lignes amorcées avec des poissons vivants : sardons, vandoises, ablettes et tanches. “Or, quand le matin on venait relever ces lignes, on trouvait des anguilles et de jeunes brochets pris aux hameçons garnis avec les autres poissons, mais non à ceux qui avaient des tanches pour appât ; ces der- nières étaient au contraire aussi vives qu'au moment où on les avait plongées dans la rivière, la nuit précédente; tout annonçait qu'elles n'avaient même pas été attaquées. Je cite le fait après en avoir souvent renouvelé l'expérience, et je n’ai trouvé cette règle démentie par aucune exception. 518 LES POISSONS “J'ai consulté mes confrères en l’art de la pêche, et tous m'ont répondu avoir observé comme moi, à quel point la tanche jouissait du droit d’im- munité vis-à-vis des attaques que les voraces habitants de l’eau dirigent continnellement contre les autres poissons.” Deux préjugés contraires existent en Italie, au sujet de ce poisson, l’un qu'il est tellement imprégné de la maluria des marais Pontins que son contact suffit à engendrer la fièvre, l’autre qu'il est doué de propriétés curatives de toutes les maladies des poissons. “ Piscator dit à son disciple Venator : “ La tanche est le docteur des poissons, et elle préfère les étangs aux cours d’eau. “ Dans la tête d’une tanche vous trouverez deux petites pierres dont les médecins étrangers font un fréquent usage par application sur les parties souffrantes. Elle est avant tout le médecin du brochet, et celui-ci, par reconnaissance, se laisserait mourir plutôt que d’avaler une tanche.” Le malachigan va se trouver bientôt — espérons-le — menacé d'une sérieuse concurrence comme médecin, rebouteur, guérisseur en un mot. Hs LE MULET CANADIEN 519 LE MULET (canadien) Semotilis bullaris.— The Fall-Fish (anieri) Le chevesne, non plus que la chevesne, l'ide ou la dobule ne sont des poissons connus au Canada. Le chevesne n’est pas le poisson que les Anglais appellent chub ; c'est au contraire le poisson qu'ils appellent mullet, qui ne va jamais au delà des eaux vaseuses en remontant de la mer, qui a le bec en suçoir, joliment comme notre moxostôme, dont la chair est bonne à s'en rassasier, pourvu qu'on en ait où qu'on sache en prendre. J'ai pris souvent de ce poisson autour des quais de la ville de Québec, au milieu de bars de l’année précédente, suspendus à des rosaires, avec des vers de mer pendus au bec. Pardon, Messieurs! venez plutôt à mon aide : secondez-moi, lorsque j'ai le désir sincère de faire valoir nos poissons, la richesse de nos eaux. N'oubliez pas que la mer est faite pour nourrir l’homme, tout autant que la terre, que nous devons nous appliquer à la culture de l’une et de l’autre avec une égale intelligence. Un arpent de mer, ou si l'on veut, de lac ou de rivière, vaut autant sinon plus qu'un arpent de terre. Tout dépend de la culture. Nous perdons nos forêts ; nous nous rabtra- perons sur nos lacs, avec profit, espérons-le. “ Les pêcheries du bassin du fleuve Saint-Laurent valent mieux que les mines du Pérou,” disait Bacon, il y à plus de trois cents ans. Le grand homme, alors, ne parlait que des pêches de Terre-Neuve et du Labrador. Que ne dirait-il pas de ce que nous voyons en plus, et que lui, en savant qu'il était, pourrait si justement apprécier ? Le chevesne ? Eh oui! le chevesne existe, ici, un peu partout, dans nos eaux vives et abondantes. C’est un gros poisson blane, de chair très délicate, qu'on devrait élever avec soin, dans un but d'économie domestique, pour qui a lac où étang, et qu'on devrait protéger par nos lois, dans un but d’inté- rêt public. Ce chevesne, nom barbare au Canada, se nomme gardon, dans le district de Québec, et mulet dans le distriet de Montréal. Ni l’une ni l’autre de ces désignations ne lui conviennent. Chevesne il est, et chevesne il doit rester. 520 LES POISSONS Cependant, nous n'avons pas lieu de taxer d’ignares ceux d’entre nous qui ne savent pas reconnaître le chevesne au premier aspect. (Car, en France, pays dans les eaux duquel il à été baptisé chevesne, on lui donne presque autant de noms qu'il s’y trouve de départements. Ici ou FIG. 213.—-PÊCHE AUX CHEVESNES. là, il devient tour à tour, chevesne, meunier, ide, jesse, gardon, barbot- tea, botteau, chaboisseau, chevasne, garbottin, gurbotteau, vilain, tétard, vandoise, bréme, que savons-nous encore ? Avec notre mulet et notre gurdon, nous faisons du moins une écono- LE MULET CANADIEN 521 mie de termes. Il ne nous reste plus qu’à faire rentrer le chevesne dans les termes de notre économie. C’est surtout dans l'étude des cyprins que l’on sent le besoin de gravures représentant chacun des sujets traités. Mieux vaudrait sans doute avoir un musée bien ordonné ; mais faut-il y songer, lorsque dans l'effort louable fait par le gouvernement d'Ottawa on n’est parvenu qu'à réunir à peine une cinquantaine de familles de nos poissons précieux ? Sur une vingtaine d'espèces de poissons blancs que nourrissent les eaux du Canada, une seule figure dans le musée d'Ottawa. Et encore, si ce spécimen se montrait sous son vrai nom; mais, d'un îde, le classificateur a fait un gardon. Un trait de plume à suffi à la métamorphose, un trait d'esprit l’eût empêchée. Tous nos cyprins de forte taille fraient en même temps que le moxos- tôme. Les glaces une fois rompues et charriées, le soleil leur apporte avec ses premiers rayons le sentiment de la reproduction, la chaleur qui multiplie la vie. L’/de pond de 60,000 à 70,000 œufs, le chevesne est de beaucoup plus prolifique. S'il fait ses amours en eau trouble, au prin- temps, il passe les beaux jours de l'été, et jusque tard à l'automne, dans les eaux vives et profondes, dans des haïs, des remous battus ou tour- mentés par des courants rapides. On le prend à toutes profondeurs, souvent même à la surface ; mais, novembre venu, dès les premiers bordages, vers la Sainte-Catherine, il se réfugie dans des fosses pro- fondes, sur un fond uni et bien sablé — où 1l vit de coquillages et de petits crustacés. Il ne quitte le fond que de quelques pouces, il devient lourd, et se traîne lentement vers l’esche que lui tend le pêcheur. . C’est pourtant le temps des grandes pêches, des pêches quasi miracu- leuses, par le nombre et la grosseur de ces beaux poissons. Ils sont là serrés, tassés par mille et par mille. Dès que le plomb a touché le fond et que les hameçons sont relevés à hauteur de bouche, la ligne s’agite, et d'un coup sec, vous faites capture—de un ou deux ides, chevesnes ou dobules, du poids de plusieurs livres. Vigoureux à l'extrême, ces poissons tiennent ferme et ce n'est que lentement, et, par coupes successives, graduelles, comme s'ils gravissaient un escalier tournant, qu'on réussit à les enlever hors de l’eau. A la vue de la lumière, ils bondissent avec fureur, puis cherchent à gagner le fond. Le premier choc est rude, mais vous résistez sans crainte, car leurs lèvres sont fortes et charnues. Du moment qu'un chevesne est bien enferré rarement il nous échappe. À cette saison de l’année — les vers rouges et les écrevisses étant rares, les cerises étant disparues — les sauterelles ?— on esche avec une 522 LES POISSONS sans la faire cuire. On durcit la pâte, le plus possible, en y mélant des brins de laine, qui permettent à l'hameçon de retenir fermement l’esche. La laine teinte en rouge est préférable. galette de farine de blé commun Avec ces esches, et deux bonnes lignes munies chacune de deux hameçons Limerick, à palette, n° 1, nous avons fait, dans une seule après-midi — et cela à maintes reprises — des pêches de cent à cent cinquante livres de ce beau poisson. Il est vrai que nous pêchions dans un vrai refuge, l’anse du Buisson formée par un évasement du fleuve Saint-Laurent, sur sa rive droite — entre les rapides du Buisson et des Cascades. J'ai fait également de belles pêches au chevesne dans les lacs et les rivières du sud de Québec et des cantons de l'Est. Les chevesnes de la Mantawa sont les plus beaux que j'aie jamais vus. Ne seraient-ils pas le wwvatasseh des Tétes-de-Boule, qu'on apporte, m'a-t-on dit, des hau- teurs du Saint-Maurice, gelé raide et brillant comme une barre d'argent ? Le chevesne, préparé frais et rôti, est excellent ; mais on peut aussi le faire mariner dans une caque ou tinette de bois neuf ; après l'avoir fait cuire, à gros bouillons, on l'y place par lits et se touchant, ventre en bas, dos en dessus, comme s’il était à l’eau. La saumure doit le recouvrir ; un épicier en fera la préparation : Poivre ten rainSs se nn meer A SR ED CT TOROT: ÉiMERTEE SE RER RIRE RER ERA NN TA 15 Ju Clou'de ginode te Mise DAS PO NUE DIE DEl raser it a cn EN de Poe Ve OL ES CN CE BUTS VADROTOs ME Met en NC RE EU CCE Én aNe à discrétion. Laurier et thym........... PO OUI 7e De OR MORE EE à volonté. Citron :2:25 RE ee ET TE TL ec RS Un : à gr. LE MULET CANADIEN 523 LE HUITOUCHE J'accepte la visite du sujet sans disputer sur l'orthographe de sa carte écrite par un Algonquin plutôt que par un académicien. Ce que je viens de raconter du mulet qui se rapporte au club américain, tenez-le pour dit à l'adresse du huitouche, moins le mal qu'il n’a pas mérité et qu'il tient des mauvaises langues. Ce sont les pêcheurs à la truite qui mé- disent ainsi de lui, parce qu'il enlève au bec de ces salmonidés la mouche qui leur est lancée. Comme s'ils ne savaient pas que ces mêmes truites jouaient tout à l'heure le n.ême tour au saumon, à leur remonte des rivières. Le huitouche a pour domaine le contrefort sud des Laurentides, depuis le Saint-Maurice jusqu'au delà du lac Saint-Jean, jusqu'aux pieds agités de la Péribonca. Le huitouche mord parfois à la mouche, mais il procède lentement à cette opération. Pour peu qu'un pêcheur soit vif, il esquive facilement son coup de dent. Dans certains lacs tributaires de la Batiscan et dans le lac Saint-Jean, il parvient à la taille de cinq à six livres, ce qui nous donne raison de le classer au rang des chevesnes, qui fournissent de si beaux coups de ligne dans le midi de la France. à : » v W : CLONE sr a" LPS 0 | | 10! DUPTIS CRONNONCT PTO TE CTI EPA Aoulréo CITES 3 SQL FOUR DESTINE il b Né 47, 1 ue 4 Ris of sartatér EURE T7 + “dites 1h RICO PMANTOURE À PAR TE + LA FIM tite dtsite su up DL HE DETTE: HE SERA: éMeitais Ab | } b k, + Reg i pyrie: HCT dayiet mb mil OT à LAS fine huile t auf me dou trip dl safe agi 26h HOitiergeity sl ot \ tré dur ut ft TNURES PT RIT Feel Ra Er LEUR sb heul 3 lu £ Lines 'ulhoe Fab el kr MS paf MST CAN 47 di: ANofr, A | RU ; Ho prés Sudan f ji k LP AE A Ci Dr uen dE LORS NE A DAS LT UNTT van \ IFR TT ti k& aut fetes À A 3h es) | PA PE RO TNT Put 0 ire ds past his Pure ai ANT Fra A Re Re a nr mat todo MoMF ir eh LAID M} PRO NM MST MEL ENTER ittite M) li Lui tente Mers. 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Avec un art merveilleux et la patience qui les caractérise, les Chinois sont parvenus à modifier la forme du corps et à changer la disposition des nageoires chez le cyprin doré. “De Lacépède parle de ces poissons, et à la suite de l’article sur le poisson doré, il cite comme des espèces distinctes cette variété à gros yeux qu'il nomme cyprin télescope.” Cette année même (1897), à l'hôtel Vendôme de la rue Saint-Laurent, nous avons pu voir de ces poissons d’or à trois queues qui ont été pour tous un objet de grande curiosité. Presque tous “ les poissons d’or et d’ar- gent ” apportés au siècle dernier en Europe, étaient des individus mons- trueux ; c’est ainsi que l’exemplaire conservé dans l’esprit-de-vin que l'ambassadeur de Suède remit à Linnée, en 1746, et que celui-ci présenta, au mois de septembre de la même année, à l’Académie des sciences de Suède, offrait une double nageoire anale et un dédoublement presque complet de la nageoiïire caudale. Cette variété est encore aujourd'hui une des plus communes ; on la voit très fréquemment figurer dans les manuscrits et les peintures chinoises et japonaises. La queue n’est plus placée dans le plan vertical ; elle est à trois lobes, et comme double, comme si l'animal avait deux queues réunies seulement par leurs bords supérieurs et s’écartant à angle aigu comme les côtés d’un toit. Les animaux monstrueux n'ont ordi- nairement pas de dorsale, et cette nageoiïre est remplacée par un tuber- cule. On sait que dans nos appartements on tient le cyprin doré en captivité dans des bocaux hémisphériques où dans de petits aquariums que l’on orne de diverses plantes aquatiques. Le poisson vit de subs- tances végétales aussi bien que de vers et d'insectes ; on peut lui jeter quelques larves de fourmi, de la mie de pain ou des fragments de pain à cacheter ; lorsque le vase dans lequel il se trouve est petit, ce qui est le cas le plus ordinaire, il est préférable de ne donner que très peu de 526 LES POISSONS nourriture à la fois. Il est, en tous cas, nécessaire de changer l’eau, de temps en temps; une excellente précaution pour garder ces animaux pendant longtemps serait d’insuffer de l'air au moyen d'un soufflet muni d’une fine pointe ; cette manœuvre n’est pas indispensable lorsque les cyprins sont gardés dans un aquarium pourvu de plantes aqua- tiques. On doit se garder de prendre les cyprins à la main: ce sont des animaux essentiellement sociables ; aussi, doit-on en mettre plusieurs ensemble ; on à remarqué que, habituellement, ils ne survivent pas long- temps à la perte d'un compagnon de captivité auquel ils étaient habitués. Avec quelques soins, les cyprins s’apprivoisent parfaitement ; ils viennent prendre alors leur nourriture au bout des doigts, et lorsqu'ils sont parqués dans de grands aquariums, de petits étangs, ils accourent en foule au son d’une cloche. “ En liberté, dit de Brehm, dans les cours d’eau de France, le cyprin doré vit parfaitement et se propage, pourvu que leau ne soit pas trop froide ; le poisson rouge est, en effet, frileux. À Roubaix, dans l’ancien canal, le cyprin formait de véritables bandes, qui se tenaient toujours dans le voisinage immédiat de la sortie de l’eau chaude prove- nant des machines à vapeur; en certains points où prospéraient les dorades, l’eau du canal ne gelait jamais, et était toujours à une tem- pérature sensiblement égale. LE BARBEAU Après le cyprin doré qu'on dit avoir été importé en France par ‘a Pompadour, il faut être un peu amateur de contrastes pour parler du barbeau, car Athénée rapporte que ce poisson était consacré à la chaste Diane. L'histoire vaut-elle mieux que la légende ? Le doute est peut- être permis dans le cas actuel. On prétend, dit Coulon, que l’abbaye du Barbeau, fondée par Louis VIT, fut ainsi nommée parce que ce prince, pêchant dans la Seine, prit un de ces poissons qui avait une pierre pré- cieuse dans l'estomac. Le barbeau fut souvent placé dans les armes de l’'abbesse. A diverses époques, il fut pris des mesures pour la conser- ration de l'espèce comme pour celle de la carpe. On ne compte pas moins de 250 variétés de barbeaux dans le vieux monde, et c’est pourquoi je le préconise autant. Je me hâte de l’entourer d’ablettes, de vérons, de goujons, de bouvières, de gardons, de rotangles, pour engraisser nos achigans, nos dorés, nos maskinongés, nos huana- niches, nos gloires du Saint-Laurent et du Labrador. ENGINS DE PÊCHE POUR CYPRINS 527 ENGINS DE PÊCHE POUR CYPRINS LIGNES FLOTTANTES COURTES PÊCHE AU COUP C’est la classique pêche ordinaire avec une ligne portant une flotte quelconque qui s'enfonce au moment de l'attaque du poisson et qui indique l'instant où le pêcheur doit ferrer son poisson. Prend-on des tanches, des barbeaux, c’est le coup ordinaire ; se contente-t-on de petits poissons, chabots, vérons, c’est la pêche au petit coup. Pour faire une ligne, nous nous servons principalement de fil, de soie et de crin. Sous le nom de florence, crin de florence, boyau de ver à soie, on vend dans le commerce un fil transparent, d’une extrême résistance, obtenu du vers à soie de la manière suivante: On prend un gros ver au moment où il va faire son cocon et on le plonge dans du vinaigre blanc très fort, pendant vingt-quatre heures; tenant alors le ver par son extrémité, on étire le fil soyeux conservé dans le corps de l'animal : plus ce brin est régulier, transparent, arrondi, meilleur il est. On garde ces fils avec leur couleur naturelle ou bien on les teint en vert pâle. L'avancée ou partie voisine des hameçons doit toujours être fine et solide ; le crin ou la florence sont surtout les fils avec lesquels on fait les avan- cées, soit qu'il s'agisse d’une ligne à canne, soit que l’on ait à faire à une cäblière servant de ligne de fond. Parmi les accessoires de la ligne simple, trop bien connus pour être décrits, nous nommerons les plioirs, les émerillons, les flottes, les plombs et sondes, l’épuisette, la boîte à amorces, le carnier. “ Il y a des jours néfastes, dit Locard, des jours où le poisson refuse de mordre ; est-il repu, est-il malade? Ce qu'il y a de certain, c’est qne vous aurez beau faire, nul démon tentateur n'aura le moindre succès 528 LES POISSONS dans son paradis aquatique. Certains jours d'été, trop beaux, trop clairs, trop proches de la saison des amours, sont absolument temps perdu pour le pêcheur : il ne lui reste alors qu'à plier bagage et à attendre patiem- ment une heure plus propice.” RECETTES DE VIEUX PECHEURS Voici quelques recettes toutes reconnues bonnes : A) — Broyez dans un mortier avec de l'huile de noix ou d'olive, 100 grammes de fromage vieux de Hollande ou de Gruyère ; ajoutez-y un peu de vin dans lequel vous aurez fait infuser au préalable quelques plantes odoriférantes, thym, menthe, etc. ; faites avec cette pâte des bou- lettes de la grosseur d’un pois, que vous jetterez quelques heures avant la pêche; vous pouvez amorcer votre ligne avec une de ces boulettes en guise d'esche; c'est une amorce bonne pour tous les poissons d’eau douce. B)— Pour la carpe, la brême, le chevesne, faites bouillir ensemble un litre de blé ou d'orge avec un quart de fèves ; ajoutez-y trois ou quatre pommes de terre ; lorsque le tout est cuit, mêlez à cet ensemble un demi- kilogramme de pain de chènevis, au préalable trempé dans de l’eau, et un litre de recoupe ou de gros son déjà mouillé ; faites-en de petites pelotes de la grosseur d’une orange, que vous arroserez d'huile de chènevis. Cette amorce peut être jetée douze heures au préalable. C) — Pour les poissons de fond, pilez de l’ortie (urtica urens), de la quintefeuille (potentilla reptans), ajoutez-y du suc de joubarbe (semper- virum tectorum), où à défaut, de la serpentaire (arum dracuneulus) ; frottez-vous les mains avec le jus pour manier l’hameçon et les esches, et jetez le marc à l'eau quelques heures avant de pêcher. (D — Prenez une touffe de gazon vert et court, large comme une assiette. Au sommet de cette herbe, du côté vert, attachez avec une aiguille et du fil vert, autant de petits vers rouges que vous pourrez, pour recouvrir le gazon ; disposez votre buisson sur un rond de bois, de la grandeur du gazon, et descendez l’ensemble dans l'endroit où vous voulez amorcer le fond. Cette recette, donnée par de la Blanchère, est très bonne pour attirer les carpes, les brêmes, les gardons, etc. (CE — Le même auteur donne également les recettes suivantes, bonnes pour tous les poissons herbivores : Faites cuire ensemble : fromage, 500 ENGINS DE PÊCHE POUR CYPRINS 529 orammes: orge, 500 orammes : chènevis, 125 grammes ; ajoutez-y une O 2 Ce Det. =) D . V pincée de sel de cuisine et jetez-en des poignées le soir pour le matin, ou pendant la pêche, toutes les demi-heures avant le coup. F') — On prépare également une amorce analogue en faisant bouillir du blé pour l’attendrir, et en le fricassant ensuite avec du miel et un peu de safran délayé dans du lait. Le blé peut être remplacé par de la fève cuite. Quelques personnes y ajoutent: miel, 100 grammes, pour 1 à 2 décigrammes de sucre. “ On croit, dit notre auteur, qu'il peut être bon de donner la veille aux carpes, une amorce de fèves purgatives, environ la valeur de deux fèves d’aloès socotrin en poudre sur deux litres de fèves, et de faire cuire ensemble. Le poisson mord mieux, le lendemain, aux fèves musquées…… G) —Donnons encore le fameux secret de Cerisier, dit Garbot de Ne- vers, pour la pêche de la perche et du barbillon. Faites cuire ensemble, dans un grand vase, avec une quantité d'eau suffisante : pain de chènevis, orge ou froment nouveau avec une forte poignée de serpolet, lavande, citronnelle, romarin et son: composez avec le tout des pelotes mélangées de terre glaise et de fiente de bœuf. En eau stagnante, les jeter, de deux à trois heures à l’avance, pour la perche, et pêcher avec de gros vers à tête noire, des goujons et des ablettes. En eau courante, jeter les pelotes dans les haïs.” LES VERS On désigne d'une manière générale sous les noms de vers ou d'achées, différentes sortes de lombrics utilisés par les pêcheurs comme esches ou comme amorces, et même certaines larves appartenant à une toute autre famille zoologique. Les vrais vers ou lombrics vivent dans certains mi- lieux humides, riches en matière en décomposition ; nous distinguerons les espèces suivantes : VER ROUGE Ce ver n’est jamais très gros: il dépasse rarement 10 centimètres de longueur : sa tête est toujours plus foncée, et c'est le plus coloré de tous nos vers ; on le trouve dans le terreau, dans la terre fortement imprégnée de purin, dans le fumier, ete. : il a le grand avantage de rester longtemps en vie dans l’eau ; on s’en sert pour tous les poissons de fond. 34 530 LES POISSONS VER ROSE Le ver rose ou achée de terre est un grand ver qui sort de terre dans les champs et les jardins après les longues pluies d'été et d'automne ; il sert surtout pour le gros poisson, mais il meurt plus rapidement dans l'eau que le ver rouge. VER ANNELÉ On donne ce nom à un ver dont le corps est formé d’anneaux alter- nativement rouges et jaunâtres, et qui n'a jamais plus de 6 à 8 centi- mètres de longueur ; lorsqu'on le coupe, il rend une humeur jaune d’une odeur particulière qui n’est pas appréciée par certains poissons; la perche, le gardon, la brême y mordent difficilement ; on le trouve dans le fumier de cheval et au milieu des détritus végétaux, toujours moins pro- fondément enfoncé que le ver rouge. VER JAUNE Ce petit vers n’a que de 5 à 7 centimètres de longueur; il est court, dur, et d’une teinte jaune verdâtre ; on ie rencontre dans les terres fortes qui n’ont point été remuées depuis longtemps. Quoique vivant dans l’eau, il est de moins bonne qualité que les vers roses ; il est bon pour la carpe, le gardon de fond, l’anguille, etc. LES POISSONS Puisque les poissons ne craignent point de se manger entre eux, il est done tout naturel d'offrir aux gros, aux carnivores, quelques-uns de leurs congénères, en guise d’esche. Déjà, en traitant l’histoire des poissons, nous avons montré l'utilité de certaines espèces trop petites pour être mangées par l’homme, mais avantageusement utilisées comme amorces. Le chabot, le chevesne, le goujon, les petites lamproiïes, la bouvière, le vairon, et, d’une manière générale, tous les petits poissons ser viront pour ENGINS DE PÉCHE POUR CYPRINS 531 la pêche au vif. Avec eux, on prendra des anguilles, des perches, des truites, des brochets, etc. Bien entendu, il importe que l’amorce soit aussi vivante que possible ; de là différentes manières de l’enferrer, suivant qu'il à la vie plus ou moins dure. Nous emprunterons'encore à M. de la Blanchère les renseignements suivants : ‘“ Un principe basé sur l'observation doit dominer toutes ces méthodes pourvu qu’elles soient rationnelles ; c’est que tout poisson chasseur atta- que sa proie par la tête. Ceci est sans exception, et la nature à été con- séquente avec elle-même ; le mangeur a les dents en crochet, la plupart du temps ; par conséquent ces dents, en s’accrochant dans les écailles du mangé, le retiennent nécessairement et presque sans effort ; en second lieu, si la proie est grosse, quand le mangeur a pu embrasser la tête du mangé tout à fait, la partie la plus forte du corps suivra, car elle est rarement plus grosse que la tête des poissons-proie, et d’ailleurs la forme F1G. 214.— Manière d’escher au F1G. 215.— Manière d’escher au vifavec l'hameçon à boucle,d’après vif avec la bricole, d'après de la de la Blanchère. Blanchère. en fuseau aide à la déglutition ; dernière raison : comme le chevesne, le mangeur, n’a pas de dents proprement dites ; il possède au fond du palais des espèces de crochets entre lesquels il broie, en passant, la tête du mangé et le rend inerte. Tout cela n'arriverait pas, si le mangeur attaquait le mangé par la queue. On prend un hameçon simple à boucle ; c’est ici le cas de se servir de ces hameçons. On fait entrer les pattes dans la bouche du poisson qui doit servir d’appât, et on le fait sortir au-dessous des ouïes. On attache ensuite l’hamecçon à la ligne, sur laquelle on lie la queue du poisson. On prétend que de cette manière le poisson vit plus longtemps ; puis on coupe une de ses nageoires pectorales afin de le faire pirouetter dans l’eau et d’attirer fortement les poissons carnassiers, lesquels, pensant rencontrer un poisson blessé qui ne pourra les éviter, se jettent avidement sur lui. On peut modifier avantageusement cette méthode en se servant d'un hamecçon fin limeriek, courbé ou droit, empilé soigneusement d'avance sur florence forte ou sur corde filée d’une longueur de 20 centimètres environ, cette empile portant une boucle à son extrémité : on passe déli- catement cette boucle par la bouche du poisson, en la faisant sortir par 532 LES POISSONS une ouie, et l’on attache la queue du petit poisson sur l’empile au moyen d'un fil délié ; il ne reste plus qu’à monter la boucle de l’empile dans le crochet à ressort d’un émérillon qui doit terminer l'avancée. Quand-on se sert de l’hameçon double, nommé bricole, qui est bien préférable pour tous les poissons chasseurs à gueule dure et warnie de dents, on enferre le poisson de la manière suivante : on fend légèrement avec la pointe d’un canif et en travers le dos du poisson, à la naissance de la nageoire dorsale : on fait une autre entaille pareille, en avant, à la distance de 1 centimètre, plus ou moins, suivant la grandeur de la bricole dont on veut se servir, suivant la grandeur du poisson et suivant encore que la nageoire dorsale est plus où moins rapprochée de la queue ; on fait passer le bout de la chaiînette ou de la boucle de l'empile de corde filée, en commençant par l’incision de la nageoiïre dorsale, et on le fait ressortir par l’incision qui avoisine la tête. Lorsque la boucle est sortie et dégagée de dessous la peau, on fait passer dans cette boucle une des branches de la bricole, puis on retire le tout en arrière, Jusqu'à ce que la boucle elle-même, ayant passé sous la peau, soit sortie par l'in- cision postérieure ; le poisson se trouve ainsi suspendu en équilibre ; il n’est pas blessé mortellement et se promène longtemps.” Quand on pêche à la volée avec un gros poisson vif on se contente de passer l’hamecon dans la chair de la queue ou de l’accrocher par le plein du dos. LES ESCHES D'ESSENCE VÉGÉTALE Nous avons vu qu'un certain nombre de poissons s’attaquent volon- tiers aux végétaux : bon nombre, en effet, sont omnivores et, suivant le temps, l'heure, la saison, ils se laisseront prendre à l’hameçon esché avec des graines ou avec des vers. La plupart des esches d'essence végétale sont des graines ou des fruits ; il faut savoir les préparer convenable- ment, car s'il en est qui peuvent être employées directement, d’autres ont besoin de subir une petite préparation. Si l'on se sert de graines pour amorcer, souvent on les fait rissoler à la poêle ; mais pour en faire des esches, il convient de les faire bouillir de façon à ce qu'elles soient non seulement ramollies, mais même cuites. Cette cuisson se fait dans l’eau salée, de façon à ralentir la fermentation qui ne manquerait pas de se produire rapidement pendant les chaudes journées de l'été ; la durée de la cuisson varie avec la nature et la grosseur de la graine employée ; il faut compter près de six heures pour le blé, et un peu moins pour les fèves ; l'enveloppe de la graine se fend, mais il faut arrêter la cuisson avant que l’intérieur passe à l'état de bouillie. ENGINS DE PÉCHE POUR CYPRINS 533 BLÉ CUIT La pêche au blé cuit est incontestablement une des plus productives ; tous les poissons non carnivores de la grande famille des cyprinoïdes mordent avec une extrême facilité à cette esche. Le plus gros blé est le meilleur ; on donne souvent la préférence au blé poulurd, dont les grains sont gros et arrondis ; bien entendu, le blé doit être au préalable euit à l’eau, de façon à être suffisamment ramolli; si le grain est crevé la fente ne devra exister que d’un seul côté. On enfonce la graine par la pointe, vers l’hamecon, de façon à ce que la pointe dépasse un peu, sans quoi le poisson, fort habile à déglutir les substances qui ne lui conviennent point, serait plus difhcilement ferré. Suivant le genre de pêche adopté, on peut se servir du blé cuit pour les grands fonds, ou bien le laisser à mi-hauteur, comme s'il flottait entre deux eaux. On prend également les mêmes poissons avec la mie de pain pétrie entre les doigts sous forme de petite boulette de la grosseur d’un pois. On enfonce l’hameçon de manière à ce que le coude soit caché et que la pointe saillisse, sans quoi la petite boulette rendue glissante par sa ma- cération dans l’eau pourrait glisser dans la bouche du poisson ; il faut armer sa ligne d’une flotte très légère et ferrer rapidement; la carpe, le gardon, la brême, le barbillon se prennent très bien à la mie de pain. Enfin, pour en finir avec le blé, disons que le son, quelles que soient sa grosseur et sa qualité, est une très bonne amorce pour les petits poissons ; dans bien des cas, il peut remplacer le blé cuit: mélangé à un peu de pomme de terre cuite il constitue un très bon appât pour la plupart des poissons omnivores. AVOINE L'avoine cuite s'emploie souvent comme appât libre, soit en nature, soit associée à d’autres substances ; plus économique que le blé, on en fait usage dans les mêmes conditions, mais on n’amorce pas les lignes avec cette graine. 534 LES POISSONS FÈVE CUITE La fève cuite (Fuva vulguris), plus connue sous le nom de fève de marais, est un des bons appâts pour les gros poissons omnivores, et par- ticulièrement pour la carpe. Pour des poissons plus petits, on peut la concasser. Avec la fève, on peut masquer entièrement l’hameçon, On enferre cette graine en passant l’hameçon sous la peau, sans la crever : la fève cuite, si elle est déjà fendue, ne doit l’être que d’un seul côté. Broyée et mélangée avec du son et de la pomme de terre on en fait une bonne amorce libre, surtout si le mélange est arrosé d’une essence odori- férante. MAIS CUIT Le mais cuit et d’autres farineux, comme l'orge, le haricot d'Espagne, et même le soisson, peuvent dans bien des cas remplacer le blé cuit. Ces différentes graines sont proportionnées à la grosseur des hameçons ; le maïs cuit est enferré sur des hameçons de grosseur moyenne, tandis que la fève, au contraire, sera réservée pour les hameçons beaucoup plus gros. CHÈNEVIS La petite graine du chènevis ou chanvre cultivé (Cunubis sativa) ren- ferme une huile essentielle qui donne aux appâts libres un goût fort apprécié, paraît-il, de la plupart de nos poissons. Nous recommanderons donc, lorsque l’on fabriquera des amorces avec le blé, le son, la fève, le sang, etc, d'y ajouter une certaine quantité de graines de chènevis cuites ; la graine de lin peut également prendre part au mélange, mais elle agit plutôt comme mucilagineux. Ces appâts libres au chènevis doivent toujours être jetés quelques heures à l'avance. On vend dans certains pays des pains de chènevis pour la pêche: en pétrissant quantité égale de ce pain avec du pain ordinaire, auquel on ajoute des jaunes d'œufs, on obtient une excellente amorce pour la carpe et la plupart des cyprinoïdes : il est bon d'ajouter comme aromate un peu d'essence d’anis ou de coriandre. Nous avons évalement vu mélanger le pain de chènevis avec du pain de seigle,et le tout arrosé avec un mélange de miel et d'ussa fœlida. ENGINS DE PÊCHE POUR CYPRINS 535 FRUITS DIVERS Parmi les fruits frais employés comme esches nous citerons surtout la cerise, le raisin, la groseille et le concombre. La cerise réussit très bien pour prendre le chevesne ; est-ce sa belle couleur qui l’attire, ou bien le poisson a-t-il un goût particulier pour ce fruit ? c’est ce qu'on ignore. La cerise anglaise, la griotte, la cerise de Montmorency, avec leur petit noyau abrité sous une peau fine et souple, sont préférables. Pour enferrer on introduit le dard d’un haneçon n° 1 ou n° 2, ou bien un hameçon limerick sans palette, par la partie où le fruit adhérait à sa queue ; tournant alors adroïitement autour du noyau, on arrive à masquer le fer tout entier dans le fruit, sans le déchirer, en faisant à peine saillir la fine pointe de l’hameçon. Le fruit semble alors accompagné de sa queue naturelle. Le raisin noir, en automne, remplacera la cerise du printemps pour la pêche des gros chevesnes. On ancréra le grain du raisin de la même manière que la cerise. En hiver et au commencement du printemps, lorsque le raisin frais a disparu et que la cerise n’est pas encore mûre, on peut se servir du raisin sec ; il est bon de le laisser au préalable tremper quelques heures dans l’eau pour lui rendre sa souplesse et un peu de sa forme primitive. Le raisin blanc peut aussi réussir, mais sa couleur se confond par trop avec celle de l’eau. Un panier de mauvais raisin jeté la veille au soir à une bonne place constitue souvent une bonne amorce. La groseille ordinaire rouge, la groseille à maquereauw également rouge, et même le fruit noir du cassis sont aussi utilisés par les pêcheurs pour prendre des poissons plus petits. Il va sans dire qu'on enferre de la même manière. Le jus du cassis est aussi quelquefois employé pour arroser les appâts libres ; son odeur pénétrante se fait sentir de loin, mais persiste peu dans l’eau ; on ne peut l'utiliser que pour les amorces que l’on jette au moment de la pêche. Le résidu des groseilles rouges ou blanches qui ont servi pour la confection des confitures fait une très bonne amorce de fond. Le concombre, le fruit bien connu du Cucumis, et qui, confit lorsqu'il est encore jeune, donne les cornichons, est parfois employé comme saccé- dané du raisin ou de la cerise dans le même genre de pêche. La chair de ce fruit coupée en petits morceaux parallélipipédiques est enferrée de la même manière, et permet de prendre des chevesnes ou des vandoises de toutes tailles. . 536 LES POISSONS APPATS DIVERS GRENOUILLES Toutes les grenouilles, aussi bien la grenouille commune que la gre- nouille verte, la rainette ou la grenouille muette peuvent être employées comme esches, à la condition qu’elles soient petites. On s’en sert très avantageusement pour la pêche des gros poissons carnassiers, truites, brochets, perches, anguilles, ete. Cependant la grenouille commune est plus longtemps dans l’eau que les autres ; on doit donc lui donner la préférence ; on l’enferre en traversant avec l’hameçon la peau du dos, de manière à ce que le dard ressorte entièrement ; il faut avoir soin de prendre ni trop, ni trop peu de peau à la fois, car, dans le premier cas, on blesse inutilement l’animal, et dans le second, il s'échappe de l'hameçon après quelques bonds. Si l’on veut pêcher à la surface, l’hameçon doit être petit, et la grenouille doit pouvoir sauter facilement comme si elle était libre ; pour la pêche de fond, notamment pour les anguilles, on amorce avec des hamecçons plus forts, et plus profondément. MOLLUSQUES Nous désignerons d’une manière générale, sous ce nom, tous les ani- maux terrestres ou des eaux douces qui vivent abrités sous une coquille. Presque tous les poissons en sont très friands et c'est pour le pêcheur une esche toujours facile, à sa portée, aussi bonne qu'économique. Les mollusques terrestres, vulgairement désignés sous le nom d’escargots, sont aussi bons que les limnées, ies vivipares ou les planorbes qui vivent dans l’eau. Il faut avoir soin d’en briser la coquille et d’enferrer solide- ment dans ja partie la plus résistante de la chair de l'animal, c'est-à-dire dans le pied. La chair que renferment les coquilles bivalves, unies où anodontes, peut être utilisée comme esche, à la place de la grenouille, ou de toute autre substance animale ; pour cela on la coupe en tranches un peu allongées ; c’est une bonne esche pour les lignes de fond. Mais tous ces mollusques crus où même cuits, découpés en morceaux, font d'excelientes amorces libres pour la pêche des gros poissons carnassiers. ENGINS DE PÊCHE POUR CYPRINS 537 LIMACES Les limaces ou les arions, les premiers avec une petite coquille rudi- mentaire interne, les seconds sans coquille, n1 interne ni externe, donnent les meilleurs résultats comme esche pour la carpe, le brochet, l'anguille, la truite, etc. Comme il en est de gros et de petits, on n’a que l’embar- ras du choix, et le pêcheur qui s’en servira rendra en même temps de grands services aux agriculteurs, en les débarrassant de ces hôtes qui font tant de mal aux plantes de nos jardins. C’est surtout après les pluies que l’on voit ces animaux sortir de leur cachette et venir manger les feuilles des salades ou les fruits à leur portée. On peut également s’en procurer en déposant dans le coin d’un jardin quelques fagots en tas ou des tuiles que l’on arrose une fois pour toutes ; les limaces, toujours en quête des milieux frais et humides, ne tardent pas à venir se réfugier sous ces abris factices. On les enferre comme les vers. SANGSUES Voilà encore un appât facile à se procurer en maints endroits. La sangsue se prend parfois en abondance dans les fontaines, les fossés ou les ruisseaux aux eaux ni trop fraîches, ni trop vives ; trochètes, aulos- tomes, hæmopsis, et même la vulgaire sangsue médicinale, semblent fort goûtées de tous les poissons carnassiers ; elles ont ce grand avantage qu'elles peuvent vivre dans l’eau très longtemps lorsqu'elles sont conve- nablement enferrées ; c'est une bonne esche pour la grosse truite de fond, le barbeau, l’anguille, le saumon, la perche, etc. On peut en conserver de bonnes provisions dans un bocal dont on change l’eau de temps en temps. Pour les enferrer, ou bien on se contente d'introduire l'hameçon en pinçant la peau du dos sur une certaine largeur et en laissant saillir le dard, (c'est ce que l’on fait pour la pêche de fond des gros poissons carnassiers) : ou bien on entre l’hameçon par l'extrémité postérieure, exactement comme pour les vers. 538 LES POISSONS ÉCREVISSES Quelques personnes recommandent l'emploi des écrevisses comme appât ; malheureusement c'est souvent un animal assez difficile à se procurer, et nous estimons qu'il peut être plus avantageusement utilisé ! « L'écrevisse, dit M. de la Blanchère, fournit aux pêcheurs deux esches excellentes, la queue que l’on emploie, fraîche ou conservée dans le sel, pour prendre le barbeau en été, et même en automne le chevesne, quel- quefois le gros dard, au printemps. On en enlève la carapace et l’on esche avec la petite virgule de chair giuante qui remplit la queue. On se sert également de la viande des pattes pour prendre la perche, qui en est très friande. La truite elle-même doit y donner de toutes manières, car dans certaines rivières, elle se nourrit d'écrevisses qu'elle prend vivantes, et dont il faut qu’elle brise la carapace pour manger la chair. Dans certaines petites rivières où la perche, la truite et l’écrevisse sont les seuls habitants de l’eau, avec le brochet, il faut bien que les deux carnassiers vivent du crustacé.” VIANDES On peut employer pour la pêche différentes sortes de viandes, soit crues soit cuites. La viande de boucherie, crue ou cuite, cheval, bœuf ou veau, découpée en minces lanières, est utilisée pour escher les hameçons dans la pêche des poissons carnassiers ; pour les lignes de fond on se con- tente de la découper en petits cubes que l’on attache avec un fil fin et aussi peu apparent que possible. La rate de bœuf est particulièrement uti- lisée ; elle présente surtout l'avantage de bien tenir à l’'hameçon:; on la met crue ou cuite, et l’on peut s’en servir en toutes saisons. La viande de poisson rend les mêmes services ; on utilise à cet effet la chair des poissons morts, que l’on enlève sur les côtés de l'animal, et que l’on découpe en filets allongés ou en cubes, suivant le genre de pêche. Cette qualité de viande est encore préférable à la viande de boucherie. Mais ces deux natures de viandes coupées ou hachées en menus morceaux, mélangées à du son et à de la glaise pétries ensemble, constituent des amorces libres d'excellente qualité, lorsque l’on veut prendre du gros poisson. ENGINS DE PÊCHE POUR CYPRINS 539 SANG CAILLÉ Le sang caillé des animaux est fort employé ; à la campagne le sang de volaille est avantageusement utilisé à cet effet: au voisinage d’un abattoir on lui préférera le sang de bœuf ou de veau, mais il faut pré- parer ce sang ; on l’expose à la chaleur pour le faire coaguler et on le laisse refroidir ; le caillot de fibrine est alors placé dans de l’eau froide et coupé en morceaux que l’on place dans une boîte spéciale, uniquement réservée à cet office. Pour le sang recueilli dans les abattoirs, on le reçoit dans un vase au fond duquel on x mis du sel ordinaire pilé; le lende- main il est suffisamment coagulé. Pour escher avec le sang, on coupe sur le fond de la boîte ou sur une pierre recouverte d’une feuille, des morceaux de sang en forme de dés: un couteau de bois suffit à cet effet. Ces petits dés s’embrochent parfaitement au bout de l’hameçon. Avec le sang on fait également d'excellentes amorces, soit en coupant menu du sang caillé pour le mélanger à d’autres substances, soit en le jetant direc- tement à la main, soit encore en l’enfermant dans un filet ou sac que l’on jette dans le courant quelques heures au préalable. CERVELLE La cervelle crue ou cuite peut remplacer le sang ; elle est moins désa- gréable à manipuler. On fait surtout usage de la cervelle de veau. Mais la cervelle de cheval, aujourd’hui assez commune dans nombre de villes, peut avantageusement être utilisée. La cervelle, une fois découpée et mise sur l’hamecçon, est entourée d’un fil fin croisé dans plusieurs sens, de manière à constituer une petite pelote. On pêche alors le chevesne et le barbillon avec une ligne légère, munie d’une flotte très sensible. La cervelle rend peu de services dans les amorces libres. TRIPES Les tripes ou entrailles de la volaille servent à prendre la plupart des gros poissons carnassiers, que l'odeur peu agréable de ces appâts attire parfois de fort loin. On les amorce soit en piquant un my au préala- blement coupé de la longueur du doigt et pincé sur le même côté, de 540 LES POISSONS manière à simuler un gros ver, soit en faisant une petite boule de la grosseur d’une noisette, que l’on embroche par les deux bouts. Les tripes coupées en menus morceaux constituent une excellente amorce libre ; on les mélange avec de la glaise, comme les menus vers. FROMAGE C’est surtout du fromage de Gruyère dont on fait usage comme esche ou comme amorce ; tantôt on s’en sert lorqu'il est bien frais, tantôt on le laisse rancir en le gardant pendant un certain temps sous un linge humide. Les barbillons, les chevesnes, les gardons, etc., mordent bien à cet appât. On le taille en petits cubes que l’on entile sur l’hameçon en laissant franchement dépasser la pointe du dard. Certains pêcheurs, avant de s’en servir, le font tremper dans du lait chaud. Avec cette esche de nature un peu molle, il faut ferrer rapidement le poisson. On se sert également du fromage de Gruyère pour les jeux et les cordées. Enfin, broyé avec du son, de la mie de pain et de la terre glaise, 1l constitue une des bonnes amorces libres pour les poissons omnivores:; dans ce cas, le fromage déjà un peu fait, est préférable au fromage frais. JAUNE D'ŒUF Dans la pêche au barbeau, on fait une bonne esche pour les hameçons de fond en pétrissant avec un peu d’eau et de la farine des jaunes d'œufs durcis ; on forme avec cette pâte de petites boulettes de la grosseur d’une noisette. On fait encore avec les œufs des poissons une bonne esche pour la blanchaille ; ces œufs sont durcis au soleil ou encore mieux cuits au four ; on les conserve dans des pots de terre bien au sec en les isolant avec de la paille bien sèche et un peu de sel : on coupe ces paquets d'œufs en lanières ou en petits cubes que l’on embroche ensuite sur les hamecons. COCONS Dans les pays où l’on s'occupe de l'élevage des vers à soie, on utilise très souvent les cocons qui ont servi, c'est-à-dire ceux dont on a retiré la soie par le dévidage et qui renferment encore la chrysalide. On les en- ferre directemet, de façon à cacher l’hameçon tout entier, ou bien on les fend pour en retirer la chrysalide, qui seule alors est logée sur l’ha- meçon. ENGINS DE PÊCHE POUR CYPRINS 541 PAIN DE CRETONS On vend sous ce nom des pains peu volumineux faits avec les résidus provenant de l’affinage des suifs : ils renferment des débris de fibres mus- culaires et de membranes que l’on a recueillis sur les tamis et dans les fonds de chaudières, et qui ont passé sous la presse. Ces pains, coupés en morceaux et bouillis dans l’eau, reprennent en partie leur élasticité primitive et constituent une excellente amorce pour certains poissons, tels que le chevesne et le barbeau. A défaut de pain de cretons, on fabrique soi-même une pâte avec de la mie de pain pétrie avec du suif ou du gras de lard. ESSENCES, HUILES Souvent, comme nous l'avons déjà expliqué, les pêcheurs enduisent leurs appâts fixes ou libres, d'essences ou d'huiles aromatiques destinées à attirer le poisson par l'odeur qu’elles répandent :; nous citerons l'huile d’aspie, liqueur volatile, d'une saveur très âcre, obtenue par la distillation de la fleur de lavande aspic : l'huile composée: c'est un mélange de 30 grammes d'huile d'amandes douces, 10 gouttes d'extrait d’absinthe, 10 gouttes d'extrait de camomille, 2 grammes de poudre de cumin, 10 cen- tigrades de civette. Cette huile reste près d’un quart d'heure dans l’eau avant de disparaitre. Voici un autre mélange analogue : miel blanc, 2 cuillerées ; anis pulvé- risé, 10 grammes: coriandre en poudre, 10 grammes: huile essentielle d’anis, 2 grammes ; huiles d'amandes douces, 10 grammes ; ce mélange est particulièrement bon pour la carpe. On peut encore faire la préparation suivante : huile essentielle d’anis, 6 grammes ; huile de coriandre, 2 gram- mes ; essence de rose, 10 gouttes: coriandre en poudre, 35 grammes : anis pulvérisé, 35 grammes : huile d'amandes douces, 35 grammes : alcool, 500 grammes. Après avoir laissé macérer on ajoute: manne, 50 gram- mes, et miel blanc, 60 grammes. On peut ainsi varier les recettes à l'infini. 542 LES POISSONS Pour terminer ce qui est relatif aux esches, nous croyons intéressant de résumer dans un tableau d'ensemble les différentes espèces d’esches ou appâts que l’on pourra utiliser suivant les saisons et pour chaque sorte de poisson. Nous suivrons l’ordre alphabétique des principaux poissons : ABLETTE. — Petites esches animales : aux premiers beaux jours, vers de vase, vers cannelés, petites larves d'insectes. En été, mouches, asticots, larves de fourmis. Dans l’arrière-saison, vers rouges et vers de vase en IMmOrCeaux. ALOSE. — $e prend très rarement à la ligne: Petits poissons, ablettes, vairons, viande crue ou cuite, tripes de volaille. ANGUILLE. — Au printemps et en été, tous les petits poissons vivants, mais principalement le vairon et les petites lamproies ou lam- prillons, loches, ammocètes, chatouilles, ete, les gros vers rouges et les sangsues, les grenouilles, les limaces et tous les mollusques, les tripes de volaille, le sang caillé. En automne, les vers rouges, la viand eet le sang caillé. APRON. — Vers de fumier, vers rouges à tête noire, vers de vase, larves d'insectes, cherfaix, sauterelles, plus rarement l’asticot et la viande crue. BARBEAU. — Au printemps : vers rouges, viande crue, larves de hannetons. En été: vers de vase, cherfaix, larves diverses, gruyère, asticots dans les pelotes, jaune d’œuf dur, mie de pain aromatisée, queues d'écrevisses, ete. En automne: vers rouges, viande cuite, sangsues, grillons, criquets. BLAGEON. — Mouches naturelles, blé bouilli, larves de fourmis, petites sauterelles, et en général, les petits insectes parfaits ou leurs larves. BOUVIÈRE. — Se prend très rarement à la ligne avec de petits vers. BRÊME. — Au printemps: Blé cuit, vers rouges, vers à queue, pain de cretons : En été asticots dans les pelotes, fèves, pois, blé cuit et en général tous les farineux, mollusques divers, vers à queue, vers de pâte, vers rouges bien dégorgés. En automne : vers rouges et vers de vase. BROCHET. — Tous les appâts de nature animale ; au printemps : vers rouges, rate crue et cuite, viandes de toutes sortes, grenouilles, tripes de volaille. En été: de préférence les petits poissons, goujons, loches, ENGINS DE PÊCHE POUR CYPRINS 543 vairons, épinoches, etc., limaces, sangsues. En automne: vairons, mol- lusques divers, tripes de volaille, viandes, etc. CARPE. — De préférence les végétaux ; au printemps : mie de pain, blé et fèves cuites, vers rouges. En été: fèves, pois, chènevis, mie de pain, boulettes de son, mollusques aquatiques, etc. En automne : tous les farineux, les vers rouges, les limaces, etc. CHABOT. — Toute l’année : vers rouges, vers de vase, larves aqua- tiques, chenilles, pâte au fromage aromatisée au safran ou à la téré- benthine. CHEVESNE. — En hiver et au printemps : cervelle crue, tripes de volaille, sang, pain de cretons. Le reste de l’année: vers rouges, che- nilles, hannetons et leurs larves, papillons, grillons, sauterelles, cocons de vers à soie, grenouilles, cerises, groseilles, concombres, mollusques di- vers, blé cuit, vers de farine, asticots, cervelle de veau crue, etc. ; c’est le poisson omnivore par excellence. CHONDROSTOME. — Mêmes amorces que pour les chevesnes. CYPRINOPSIS. — Comme la carpe. ÉPINOCHE. — $e prend rarement à la ligne : petits vers rouges et de vase, asticots, mouches et petits insectes. ÉPERLAN. — Se prend fort bien à la ligne; on peut escher avec des mouches ordinaires et des vers rouges. ESTURGEON. — $e prend accidentellement avec les lignes amorcées d’un petit poisson, tel que vairon, goujon, ou d’une grenouille, ete. On en a pris également avec de la viande crue. GARDON. — Au printemps et à l'automne ; vers rouges et vers de vase. En été: vers rouges, cherfaix, larves diverses, blé cuit, mie de pain, vers de farine, asticots. GOUJON. — En toutes saisons avec le ver rouge. En été: ver rouge et ver de farine, ver de vase et larves d'insectes, asticots, plus rarement avec de petits filets de viande crue. HUANANICHE.-Mouches naturelles ; mouches artificielles, blan- chaille, ouitouche ; le tue-diable ; la cuiller. IDE. — Au printemps : vers rouges, asticots, cervelle de veau crue. En été et en automne: sauterelles, mouches, pain de cretons, cerises, gro- seilles, asticots, vers de vase et vers de farine, tripes de volaille, etc., etc. 544 LES POISSONS LOCHE. — Se prend rarement à la ligne: asticots, ver rouge, mou- ches naturelles. LOTTE. — Au printemps: vers rouges, lamprillons, vairons, loches, etc. En été et en automne: tous les petits poissons, sangsues, gre- nouilles, limaces et tous les mollusques, viande crue ou cuite, tripes de volaille, sang caillé, chenilles, papillons, etc. PERCHE. — En toutes saisons : ver rouge, vers de vase, asticots, écre- visse crue, goujon, loche et en général tous les petits poissons vifs, petite grenouille, mollusques divers. ROTENGLE. — Au printemps : vers rouges. En été et en automne : ver cannelé, ver de vase, ver de farine, ver rouge, cherfaix, larves d’in- sectes, blé cuit. SAUMON. — Les gros insectes, hanneton. criquet, grillon, cocons de ver à soie, ver de terre, ver rouge, sangsue, limace, vairon, loche, gouJon, etc. TANCHE. — Au printemps : ver rouge, ver à queue, blé cuit. En été : asticot, ver de pâte, mollusques aquatiques, blé cuit, fève, pois, chè- nevis et en général la plupart des farineux, mie de pain. En automne: ver de vase, ver rouge, asticots. TRUITE, — Au printemps: ver rouge, mouche artificielle. En été: mouches naturelles, papillons divers, chenilles, sauterelles, criquets, han- netons, vairon, loche, lamprillon et tous les petits poissons. En automne : mouches artificielles, gros ver rouge, tripes de volaille, petits poissons divers, pain de cretons, etc. VANDOISE. — Blé cuit, chènevis cuit, asticots, mollusques divers, mie de pain aromatisée. VAIRON. — Toute l’année : ver rouge de petite taille, ver de vase, larves d'insectes, asticots, filets de viande crué. TABLE DES A AU EUUS RSR RE TREEEETTE 542 Acanthoptérygiens............ 15237 Achigan (ponte de l’)}.....,.... 5 ONCE TR NRE EE 91 fn (habitatide l)...... I LIS FE NON CR ER ON EN 92 ‘(Vaillant et Bocourt)... 96 (catalogue chronologi- QUE = ele au ee 97 ‘(tableau morphologique, GC) AT. 100 ‘ (portrait de l’)..... 100, 101 “AMgrande bouche, 21... 105 ‘ petite-bouche.......... 106 HN(ÉETTINS di frai): 5: 2. 107 d (monrs del)... 111 HR DÉChE A): 0. 115 RE QMTTE UN ET RSREMERNREEE 118 “(avenir de l’) au Canada. 120 “(produit annuel de }) dans Québec et Ontario. 124 MÉSCIDENSEL SEUTION à... = 1... 179 Affections des poissons......... 34 Agassiz (couleurs des poissons) 25 Aeuanus (rivière)... .......... 919 Aiguille à enferrer.... ........ 385 PEMIONSe STAR 2: LL 5, 4 Alose d'Amérique. ...:.... 237, 542 ‘_ (transport d’alevins d’).... 242 RUN ER RE le. LL, 207 Amour (fleuve). FA TS SR PRE 462 SNTOULES Se SES PEER RS 25 Anguille Te 1 D 261 Anguilles (liverses espèces d’)... 263 Anguille (génération de l’)...... 271 Ec.-.(mœurs de l’).......... 273 ‘ (longévité de l’)........ 278 ‘ (taille de l’).. 278 ‘ (cœur lympathique de l’ ). 275 MATIÈRES AnEne (peau de l’).. te le (préparation de l ji ds RER 280 “(pêche à |) en amont de Québec 247.28 281, 294 ‘(pêche al) en aval de Qué- bec . 287 + (pêche à ar ) à Anticosti PE ‘(pêche à l’) à Comacchio. : ov. (jetrt dti Tr 393 AURAS. 42 vel de EE 32 Apophyses….. D Eee A LC Appareil olfactit + Ie 12 A DUALS ALVETS-.. MN. CURE 536 ADP VIS ee EE 387 ADTO RIT IE AE CNRS ARE 145 A PAIMRÉEB AE AGREE 444 Ares brancmaux SCT 11 ATÉCÉRE de ta Ne UN ETNENRE 9 \sphyxie 56 us SE Tr 19 ATEN". TE ET Te 526 ARIEKRAMERMAS. TA AMEL Æ 466 Avoine|(amorces).f NN Res D33 B Barbeau ss Here Es 526, 542 Barberousse, Frédéric.......... 28 Barbotte aveugle............. 251 BatBOUbEA EC CRE HONTE 257 Barbotte (à la cuisine)........ 259 Bathuei 0 ae RER a 251 Bars Re CRE MERE 127 ‘“ (distribution géographique 19 ER ET VE SR RE 127 ‘ (chez les Romains). ....... 129 ‘ (aux Etats-Unis).......... 131 AMC OUNE) EE uen 133 ‘ (d'après Francis Endicott). 134 ‘ (au Nouveau - Brunswick). NPRR-CET 135, 137, 138, 139 39 546 Bars (dans la province de Québec) RO RES PNR 132, 135197 6 blanc du Canada... ..... 143 & blanc du Canada propagé en France, par Cabronnier.... 143 Bartlett (découverte par)....... 14 Bary de Saint-Victor........... 28 Babiscan en 2 Mec 523 Paufietdestond. 1" #62-0R7. 399 Bec-de rame CAR PRE 221 Belette. 26 Benoît (pêche au malachigan).…. 156 PErSChIC RE PER Re CPE 57 Betsiamites (rivière) .......... 310 NEO Ro TC ES CE 533 Bonaparte (classification). ...... 36 Book of the Black Bass (Hen- Cha) Re nel ER CRE 94 Bouche des POISSONS EE RE 11 Pouces ra 2 Re de Ce 399 BrAnCHIeS ee ouh ec RE L Branchies libres rer 18 Branchiostèges (rayons)... es lAl Brême commune.......... 512, 516 TOR EEE ST AE EE ER 512 Bracoles diverses CT 3834 Brochet de Durham........... 34 Brochettes 63 FRIGAPOURÉ ee EC 63 6 < dans Québec... 63 Le É ‘6 Ontario.. 63 “(habitat d'Europe et d'A RE ee 64 ‘(habitat d’Amérique).... 64 DE LS MAPS ET FAR 64 re TUISSeAU. 1: 0 AU UOE ÉDITER ENS 64 (croissance. du)... 66 1HNéculles du) eee Le 69 CO dE RENE AN AI 71 HUE) RER CNNE 384 PN(HotteRa) PER ee 386 Buccale (cavité) ee PARC 11 BaroO MERE EE Sa ee Le 175 C Câblière (grande) ............. 398 Cabot ME Re tenue 9 Canalmcdulaire. 7. cr 200 45 Canard noir et perchaude. .... 45 Cannes à pêche... ; . 407 dt (confection des). . 404 TABLE DES MATIÈRES Canne de campagne, pleine... Fr de creusée .... ‘en Sapin, .pleine:-.--°## CGT ss CTEUSCO EE TE ren huit Morceaux... Shyubance. Lis AA LEURS ‘de roseau (4 ou 5 bouts).. Cannes en bambou (4 ou 5 bouts). ‘a pêche (forme de cannes de promenade)..........421 Canne fixe se Se 424 ‘ pour pêcher en mer..... 425 Cap-Chatte (rivière). .....:..... 314 Carpe. rusent RARES 4 Carpeau de la Saône........... 515 Carpes ..….. SERRES 507 ‘6. ! de. France... :S#2 49e 507 . allemande: RSR RATE 508 FAR IDITOIP: RS CE CAE CEE 509 ‘de Fontainebleau........ 510 ie de: Boston: 17e RP 512 Cascapédia (grande). . 307 Castration. ne SRE SEE 28 Cauchone 7. MORE 80 Caviar (préparation du)........ 149 Centrarchidési. Re 81 Cervélle 717 AL EME ASE 539 Chabot : 5.4.2 CR 147 ‘(distribution géographique du) ee UE 150 ‘ (portraitidu) 2562 150 ‘6,/ (mœurs du) A4. 0 151 Chantilly (carpes de)..." #2 28 Chapot.2 Lee RARE 148 Charlottenberg. "RER UEEReE 1.788 Charpente osseuse............. 10 Chènevis: 2724200008 SE 0RRRIS 534 Ghenilles ::2:.: 44 RERO 444 Chevesne ses. es ENS 519 Chinois 7 464 Chondrostôme (écailles de)... 15 Circulation du sang (chez les rep tiles). . à 20 “ (chez les poissons). 20 Classification des poissons ...... 36 Clupéidés: su. 0 LORIE ES 23 Coacotchoo (rivière)...... 317 Côocons. ter HAN ER RER EEE 540 Colombie (salmonidés de la)..... 453 Gondé :3::54 6 0er. AN RRES 28 Cangre:,s re ttes PRET RAR 28 Coresonus'albus Pre ee 469 ï ANGedT, LR SALUE LE . 473 TABLE DES MATIÈRES Corneille: (rivière). : ............ 314 DOPHIÉR en en Re Les à 142 Couleurs (mutations de)......... 22 “ (adaptation de)........ 24 CRAN A eee «cie eee a ct halre dl Grapaudide-mer 1... 2,01, 26 Crdpotieahcots 01. 4.2.1... 81 LITE NET à 0 NEA CRE Crapet calicot (canal Rideau). 83, 84 ‘(par Kirtland)... 85 F “(époque du frai).… 1066 AROTUO RANCE RE AE 82 On OUx- Pee 87 RIT 35 ARRET A QUE 89 OR SR male ent, 82 Cretons (pain de ARR tre 541 Caillér (pêche à la)......,..... 380 Ni 29 Cuvier (classification de)....... 36 MIO UUE ee ce OUR à NA. 30 PMPLIRN AOC. 2 MDI LE LUN 525 CAE SAME PNPRRERRRRE CRUE 503 D Dartmouth (rivière)............ 309 Deus eNpDisSOons MARRANT. 11 BHAVElOUTS RAT rent 12 MR CilIÉES 0. 1e. 12 ‘_ setiformes ou en brosse 12 Men, carde.it espre.). N : 12 ED ADO. LE 2.0 cette. 12 MHATAQUIOr MES... Mn AU LT 12 Description générale........... 1 PAéholeshiunr a... 4,000 59 Docteur des poissons........... DIS Dinrellest na. 0.dut 30 nd eue de 20 51 A (POULE )ers 0 ALU Le 53, 57, 58 ha bitat-du)k: eue à 5... 54, 55 OU (rHne;du):.... 55 A larand}) ee Ru)... . 57 ‘Se (croissance du) ....:::,.. 59 (poche Ædu).e 241... 59, 60 Dorée conmmune (ou poisson de Saint- | rte) Re RU... 36 E Hier Es AR NEREReR + REe 15 M (EOTMEr des): 37... 4 ‘© (couleur des)...., 16 83 | 547 Écailles (nature des)........... 16 ‘é) L'{productiôn! des)... 16 ÉCIpOUt LE PMR PE LEAEE 175 FICROVIRSeS NE Per cc: be 538 ne lonre ee Eee tue 527 Empoissonnement des lacs...... ) Emploi des nageoires.......... 15 Engins de pêche PRE ROBE Le 365 927 Engourdissement des poissons... 26 Biperlan st. 2e re er 477 PIPUIÉELTER RAPPEL AE M PER 425 ÉquiHbre en An PO CRRE 15 Esches en général. :........7. 2 542 Esches d’essences végétales. .... 532 ESoxrestor-c A eee 63 ÉNAGCIUS PARC RENE LEE 63 A DODIIOE ete 77 Esquimaux (rivière des) PA LE 318 Essences végétales... ,..... 532 541 ESturgeon. Ce IS 28; 179 Ge (portrait de l’)....... 184 É (distribution géogra phique de l”)......... 184 (Ada cuisine) Emme 189 ; (appréciation de l)... 197 Ge (pêche au Canada).... 200 Ce (culture de l) au One nada care. 4.2. : 204 ée (enquête sur l rech 212 LL spatulaire. 0005 221 Étamanu MEME PER E 317 F Fall-Fish . 519 Bécondation au en 3 Fèves cuites ee 2534 LIGtLESE MR RER PE 527 Fontainebleau (carpes de)...... 28 Forme des poissons............ 8 EN TSTOMOE 2. Pen 8 “ allongée, cylindrique, et AUVEESE AR RE CN 9 Fourmis allées, .......... 444 1 Er PPT NE a TRS REP 2 se (TOMPS du) se { (tableau général du temps) (À SON AR A A Are PACE 6,7, 8 François ler. Je DS ete A ARS Franklin, J. récits de). 22, 23 517 Fromage A Ph DNS IRL PAM TRE 540 Brosse Nr pen nt 161 Fruits divers... 0.3. 00080 \ 54S TABLE DES MATIERES G Hyodon tergisus:. Ame 249 Hyoïdien (appareil) .......... 11 CAAUSNIOEAN EME UE ES 175 | "Hypérires NET ENTRER ARNPEES 25 GARROS RE eee 180 GAGTOCher A RAT RL EURE 145 I GASPArOM AR ee. eee qu 245 & (produit du) 7202270 Ichtyocole . .… k 196 Gill (classification). ........ 36 | [ctalarus NiTICATS AP EPPENENRSS 251 Glaive (le) "00 0 222 | Incisives (dents). ESP PE PRE 11 Glanis (silure d'Europe)..... 251 Intelligence des poissons. ... 31, 32 CLS EVER TE Er etes D2 & 6 abeilles >." 20% 31 Godbout (rivière).......... 311 ce castors........ 31 Grande Rivière"... 00020009 (Es 6 oiseaux... ..... 31 Grande-Trinité (rivière) . Re Lo ce “ éléphants ...... 31 GHANTEN OP EU PEN PA 483 «c “ singes, lions, é NlERUX du). 489 tigres, etc 4221 RIRES 31 Gray NES PES CRC ET ORE ÆSI En vertébrés NME 1 Green ABass TEEN ER 93 Grelots (ligne à)......... OBS “ (confection des)..... 289 J SPAIMANCRE ORNE TE 390 Grelot horizontal... ....... SI RUE - CO ILE NE aval 390 | Jaune d'œuf (amorces) je v RES 540 Crenouilles LC MMINE FORCE 536 | Jeux d’anguille............... 393 (EH REN EU D 401 OR NN IE 445 CASE) Er A NURE 32] K Érondin. 01002270 30 Gronias., 52 UP A en 951 | Kegashka (rivière)... "2Ft0R 317 H L Laäbrax lineatus 0/0 RACE 127 Habitat de la perchaude........ 40 | Lacépède............2 12, 95, 154 PARC “5 en Europe ‘(couleurs des poissons). 24 étien Asie... 41! | Daforce; N1:: Ie A eue 70 “de la perchaude dans Lagopode "TER RLER APMRIRTEERTE 26 l'Amérique: du ,Nord:...41 | Laïitance: 71441 FRERES 2 Hamecons nc ee 207 |"EAaibES:. ar OO RER 3 ÉHamecon à chas "Et" "te. 315: |! Loche WI) ERA ER 161, 166 se ‘ contrepoids..... 317 | Lancer (ligne pour) 4110: 2 1402 ke “aigullle,.csset tram Ti) Lenbue Te ChISN NPA RS 30 é SUTESSONDELEL AAELIE 318! |" Lanières (dents): 0 CRE 11 ie Fe CALE de ct Se 219, | Laquaiche (la) PRES ER 249 Eareno des lacs nee 245 ée (pêche àla).........: 250 Élelminthes "C2 cree PteR re 35 | Laurentides (lacs des).......... 5 FOI GS ÉRLE RE RS eRe 31" Laval (riviere) 2574 2440909 5 Ko) 0 ER PRE PT TEE 80 | Lépidosté osseux.............. 223 Houlican .…. Ar 467 | Lepomis gibbosus......... niGIa FE Huananiche .:......40"1:. 2106990) Lernéident 440. CCR NI 30 Huiles (amorces). .......... 541, |'‘Le’Sueur. 2" 100 INMMONNAUS Huitouche ...... MS) LE EE 523 | Lézard. 19 À 5 MD m0 LC PANNE AA ARS es Le 11 | Lièvre 26 Huro nipicans/.., 24.444101) Bigne latérale, 17 TABLE DES MATIÈRES 549 Higne à brochet..:.4..: 04e. 20 904 à fond. tie. 391, 394, 395 v: ‘ (plomb, empile, ete.) 392 M ODNMANTOR. —= 2... 0 395, 400 SAN IA NAS PU nec sc duels 395 PR ANEQUEONET een 396 RARTÉEMON NT Sn. LUI Le 401 RIANTE SE: . dcr 401 HO RNÉE: Le dun ot à 404, 527 HR DOUJONS::5,. 14e 405 Bimaces ee. :.............. 537 Linné (classification)........... 36 Livrée des jeunes poissons. ..... 24 Loche d’étang ou siffleur....... 29 Longévité des poissons. 28 509, 511 Lotte commune. .............. 175 Lucioperca Americana......... 51 IA, PR PR ER E 25 M Mächoire. OPA TEE Mackenkie (voyage de). CEE 494 A LT RENNES. 445 LUS RTE 29 LLENNENISPARNE : CORRE 185 Maïs cuit (amorces)............ 534 Malachigan. 0 31, 153 É (pêche. au)....:.... 153 je (portrait du)........ 158 Malacoptérygiens.............. 37 Manheim (brochet de)........ 28, 70 Manicouagan (rivière)......... 310 MAUR LARMES Je is iéteretee «0 30 Marque des poissons.......... 321 Marmette (pêche au malachigan). 156 DRASEIMONDÉ "2. 2e cou 65, 77 sé (chasse au). :....: 65 fe (formule ptyrigiale). 77 sf (rendement depêche). 78 F: (lacs des Laurenti- des) cs 78, 19 À (M. Houde et M. Canéhon}.:...... 80 Matane (rivière). ............. 309 MRateioei (la). 20... dE ex sa 299 Mayeda (homme d'État japonais). 464 MÉloDante. : 24 Masai blues otrirte 14 Ménobranche.. 1? se el Micropterus dolomieu. . .-91,09699 Micropterus salmoïdes....... 91, 94 Micropterus(Vaillantet Bocourt). 103 Mill'of/Galloway.…...:.,:..1.., 33 Mill of Galloway morues....... 39 Minranr(niyiére) 2... 312 Moisie.(riviére) en. Nr 312 Molures (dents)... 22% 11 Mollusques""#0n227 10022 .. 036 Mouches naturelles...... 431, 432 Mouche de haïes...%.....1.:.... 434 “ ‘ mai. Pere 434 Mouches additionnelles. . 434 “artificielles (confection dB}. NC re 435 Mouche a ailes”. 22 0 70e 441 Mouches artificeilles (couleurs des) it rs Em Er 445 SN A SAUMON ES .: as eie 444 Moucherons et cousins......... 439 Moulinet pour ligne à brochet... 385 PMbreret déeC HE 401 ER Re NN 2 EME 427 D(fxation du); 430 Moreau, A. (récits de)......... 30 Moxostôme doré.......... 507, 508 Mulet ner Re 915, 518 Munn, D. J. (lettre de)...:-. 464 Murènes (les)... 227. 261 Musée d'Ottawa 27 Re 322 Musquarro (rivière)............ 317 Mutations de couleurs.......... 22 N Nabisippi (rivière). 7°. ..01 315 Nagéoires AMI COM PENSER 14 J pectoräles 1.21 "414 se vonbraless re Mr 14 Nageoire caudale............. 14 Nageoires impaires............ 14 “ PATES +. 420 70 I 14 Namaycush PE: TR PERERE 449 Natashquan (rivière).......... 315 Natation (mécanisme de la)..... 15 Noces (parure de) 20" CR 24 Nomenclature des poissons. ..... 37 Norvège (saumons de). ....... 460 O 0 GC RER CRE E CAS 11,22 0 CR A A PSN à LES DATE 52 ORNE SR Mau sa 52 Olomolasheeboo (rivière)....... 317 DIDOHIALE. SUR NE LS 11 550 TABLE DES OPÉTCUIES CREER ECC EEE ik Opercules fixes.......... FUME Orbite.. CRE: Li | Oreille (description de le sr Organes sécréteurs. ............ 17 ‘s e (brochet)..... 17 OTPANONEE con eee rer 30 Gntolan re RU Pa 26 Os ‘interépineux......-....... 10 AU CAPE A ete Lee Li 6 coracoidiens .....:.-""....° 11 de lavant-bras.. Ci." R" 11 ‘ pharyngiens............... nl Osweso-Bass "+." 93 Otsego-Bass FC NL 474 Ouananiche Rte ie ee el 497 QUES MORE PART fl OVAITES RS LCD NE 2 P Pacifique (saumons du)......... 456 Pallas (récits de).............. 57 Paniers de pêche.......... 427, 433 Papineauville (pêche à)......... 154 Parasites des poissons ......... 39 Ban le)e eee NRC TER 319 Pashashibou (rivière)... 215 Pater-noster. 2"... 48, 49, 406 Pécnhoa lammouche" tt" tree 408 RP AUDICOUDE ET eee 527 M SCTENVtAIEG.- eee ce - 408 Pectorale (nageoire)............ 11 Pepe) PP CCE 55, 60 Perchaude eee rein PROS gs (identité de la)...... 42 œ (temps du frai de la).. 43 Perchaudes (mœurs des)........ 46 Perchaude (valeur de la)..... 47, 48 fe (pêche à la)..." 48 L (canne à pêche)...... 48 a (esches pour)...... 48, 49 Perche Jaunes eee 39 RLCOMMUIE ere 39 Perches à pêche (choix et confec. HION ES) EURO EN ER PC ES 426 Péribonca (rivière). ............ D23 Pocchonm (LA) MERE eme eee 462 Petit-poisson des Trois-Rivières.. 161 PONLTCMOMUE em -miuetrece 161 LE ‘(habitat de la). 167, 168 Trinité (rivière). "02,74 315 \ MATIERES Peste de la perche, du doré, et AUULERR cu DE CE EEE 36 Physostomi ...........-...... 27 Piastebay (rivière)........:.-. 319 Pickerél Ne SOS RECRÉER 52 Pièces osseuses... 0 0-0 CRU Pimelode-chat Fe SREE 251 PISCINE ENERAERE 36 Plant du pêcheur ."""" 386, 423 Pline l'Ancien (récit de)....... 32 Piombée (petite).......... 396, 527 fe (A tanse) CREPPREPENE 397 Poirier, l hon. (Petite Morue).… 167 HossonE APPAIS CPE RSCEECEE 931 VA FRS CIE NES SN ES 521 (EP TOULOS 7 NO OU 28 Si Chantants rene 30 ss ÉTANCS ect ee Le ce “ MOUS: : PNR NE ER 37 Poisson de Saint-Pierre ........ 13 I Te NOIR TR TERRES 167 4 1 MSIE AE à 0 223 EC MÉCASTOT ec ee 231 (2 de vases. MAROC CRE 231 (2e Chien. SNS 231 “ _castor (portrait du) 233 % blanc. 27e Er 469 & 1 bleu: 6 RTL CEMEREEE 482 Polyodon-feuille............... 221 Pompadour (la).........--... 3 Pontchartrain 2°" CRETE 28 Potamogeton natans........... 517 Poulamon ou petit-poisson des Trois-Rivières ....... 167 Postillons sur la ligne.......... 386 Propulsion FREE ONE 15 Pumpkin-seed ....:. .-:.° 89 Q Queue-d'ancuille: SAEREMERTe 176 R Rafinesque”....121" "re nERenE 95 Ra$e: vase: tra NO Rene net 145 Rayons) épineux-..2. "2002 10, 15 _ MOUS AN PAT. CURE 10, 15 Recettes de vieux pêcheurs..... 528 Reproduction des poissons. ..... 2 respiration (organes de la)... 11, 18 Riendeau, Jos....... CERN ot TABLE DES MATIÈRES Jmonski (riviere). ce ut 308 Ristisouche (rivière)... 19.1 2010 RARE CMOS PARA ERRERRE 65 DR MAS Tee al: 00: 309 RAS EIeTRITO ve ae ee er 309 des Hsquimaux, 1... :; 318 Rolrdes sardines. :. 2. 1... "AOÛ Russie) (saumons. de). ::...1::.. 462 S DAC UMPDÉCREUR...... 1... . 423 SR DOISSONS Li Le ame à 435 Saolenayi(riviere) (4. sr. 309 Saint-Jean (rivière). ..:.......: 309 ‘(rivière du Labrador) 318 Saint-Augustin (rivière)......... 318 Saint Paul (ivre) . 318 Saïnte-Anne-des Monts (rivière). 309 te- LLEVETOUE (rivière) 202. 309 -des-Sept-Iles (rivière)ae 3 PL n0Re EE OO IAE ENCRES 309 DANCE EUEOPE..:.. 2.27... 20 EE MOPIQUE MM. ee due CDI SE TAG EEE 539 Sang (circulation du).......... IS) STE AREA PERRET 532 SET RON RENE 52 SALON, COMMUN .- 1... 0 305 rde lAtlantique.::.... 305 “(distribution géographi- GE) SN ATTIRENT 306 se (rivières à) du Canada LE RE ES RUES 307 Se (origine du)... 22. 319 ° (tranformation du) .... 320 DOME TATIONIAUL. +. 323, 324 É (de la génération du)... 326 Saumons du Pacifique.......... 456 SES ER ARE EE 29 SArdineta Québec #22... 240 STE TERME ERREUR 13 SC STONE En 473 Seine/(pêche à la)...........,. 470 Semotilis bullaris . . :.:.:.. 319 SÉMAQUS AnthIAS. 2.7.0 1 32 \OSR she d RS A Ar EE à Le Ve 31 Silure de Tibériade............ 254 DA A(DÉCRE AU) PES UE 256 ( SH NAOI © CORNE RENE LEE rEre 251 ti Siluroïdes (distribution ge | taique des) es Na. SSCOMEU EE nn. narerateee 4x Smolbi (le) LR Een 320 Spatule, (la), En EErILCEC Ce 222 Squelette cartilagineux . CRAN 1:39 ". DSSEUXRS Re Ne UE FE des poissons ......... 9 Stark (découverte de).......... 22 Station berrestres ef ter de 15 ue hquide ARR 15 Sbenlet rie ne) RE Ds 195 Sel Er re 9 Stizostedion Vitreum.......... 51 Stony-Lake (requêre de)........ 68 Strawberry-Bassi. "210000. sl Sériped BASS: EUR OP Re 127 Sulte, Benjamin (petit poisson des Mrots-Rivières).. 20% -"2-" M0? SUNS RAS NE PMR NE 81, 84 T Taille desipoissons ARE LERRRSS Lanchets "er 52e ee RNA 517 Téléostenne Price PA ae 36 MÉRIAR Re MR case dal ae cu 30 létedes/poissons LR 0e 00e 11 ARS TEE PR CRT M MR ir 445 Dom Cod, de Meent£ 161 Road ap Re er 445, 452 ILransportations- 227" en 15 Priple: ess AT ANRT 30 IRPDOR ES SNL Re ee 539 Trépied . . 422 Trois- Rivières (petit: poisson des). 162 Truites (couleurs des).......... 24 loniterenoénéral: EC EE 331 RACOMEUDE UE EEE EI 399 ie sé (pêche à la)... 349 de Ge (portrait de la). 352 de Éd (distribution géographique de ENTER MT EE 354 AM ER NT ERA NE RIDER CPORRE 397 ST EAUMONEÉC taie she 397 KA téte d'action nie: der 457 ‘“ de mer au Canada...... 360 COS CAD EVE CLONES 445, 446 SD DUO ee scene ann sito dites 445 PEROU ES OS CRE PS APE 382 Ruben es peter use 472 ABLE DES MATIÈRES V Vivacité des poissons ......... 2 Moixides poissons 271000 27 galenciennes 27 ei en MN 29 |: NVomér si RIT ARNO NNEERE qu Vendôme: (hôtel) "#2. 0400 529" |.Worticellæ "Ne TENTE 36 À ACTE EP RSE ST RP ONIRE- P 529 Ver rainnelén) cor ee eee 529 W RIAUNLE EN en en state 529 LOS. et ere eme DOUNIA Eyes. UE IR PEER RE 56 SAROUGE NS Le Me PI PV ER 529 | Warwick (récits de).......... 32, 34 Morte Dress AE RL EE ee PAR 1 Watchichou "(nvière) ere 315 Verte brest ati Le RUE 9 Vésicule ombilicale............ 5 Y Messiehnalatolre PM at 21 de ‘6% (fonctions de là). A1 /MVeUx PR ERP RARE ER PRIE Viandes (amorces) 26/2002 538 1LVOrTK (rivière) 5 ER CREER 309 FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES ERRATA 2 age 7 SANDRE, temps du frai — Mettre avril au lieu de février. Page 28 — LONGÉVITÉ DES CARPES EXAGÉRÉE — Voir rectification à page 510. Page 131 — LIGNE 31° — Remplacer 200,000,000 par 20,000,000 de livres. Page 184 — LIGNE 2° Au lieu de famille lire sous-classe.