LES Leur Origine, leurs Migrations, leur Langage PAR lue Dr .A. LB8SON s & ANCIEN MÉDECIN EN CHEF DES ÉTABLISSEMENTS FRANÇAIS DE l’oCÉANIE, MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ DANTHROPOLOGIE pUVRAGE RÉDIGÉ D’APRÈS LE ^VlANUSCRIT DR l'^UTEUI^ Par Ludovic MARTINET MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ D’ANTHROPOLOGIE TOME PREMIER PARIS • - . ) ERNEST LEROUX, ÉDITEUR . , , . , . £ >ï .7 c >• ' •*; && . •r~ • LIBRAIRE UE LA SOCIETE ASIATIQUE DE PARIS, DE L’ÉCOLE DES LANGUES ORIENTALES VIVANTES, ETC. •p: ”'! £ 9 28, RUÉ BONAPARTE, 28 JL. LES POLYNÉSIENS ( CLERMONT-OISE. — IMPRIMERIE A. DAIX, RUE DE CONDÉ, 27. ILES £4 (d LLX \tfQ ïô* POLYNÉSIENS Leur Origine, leurs Migrations, leur Langage PAR Le 13 r A. LBSSON I v ' ANCIEN MÉDECIN EN CHEF DES ÉTABLISSEMENTS FRANÇAIS DE L’OCÉANIE, MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ D’ANTHROPOLOGIE PUYRAGE RÉDIGÉ D'APRES LE ^VLaNUSCRÎT DK L'^AUTEUF^ Par Ludovic MARTINET MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ D’ANTHROPOLOGIE TOME PREMIER PARIS ERNEST LEROUX, ÉDITEUR LIBRAIRE DE LA SOCIETE ASIATIQUE DE PARIS, DE L’ÉCOLE DES LANGUES ORIENTALES VIVANTES, ETC. 28, RUE BONAPARTE, 28 l8 8 0 PREFACE La thèse soutenue par la généralité des ethnologues est que la Polynésie a été peuplée de l’Ouest à l’Est par des co- lonies asiatiques ou malaises. La thèse que nous nous propo- sons de soutenir dans cet ouvrage est presque diamétrale- ment opposée. Pour établir cette thèse, nous avons non seulement passé en revue tous les écrits antérieurs publiés sur le même sujet par les observateurs tant anciens que modernes, mais nous sommes allé nous-même puiser directement aux sources, interrogeant successivement les caractères anthropologiques extérieurs, le langage, les traditions des populations océa- niennes dont l’origine est restée si obscure. De nos recherches persévérantes et de nos longues études, il est résulté que les Polynésiens ne sont pas, comme on le croit généralement, venus de l’Ouest, ou de la Malaisie et de l’Asie, mais qu’ils se sont au contraire dirigés vers ces contrées après avoir séjourné plus ou moins longtemps en Polynésie ; il en est résulté surtout que leurs ancêtres ont émigré vers les îles polynésiennes en partant d’un point non soupçonné jusqu’ici et situé dans le Nouvelle-Zélande. Ainsi les Polynésiens ne sont que des Maori, dont les ca- II LES POLYNÉSIENS. ractères physiques, (le même que les dialectes, se sont plus ou moins modifiés par leur séjour dans des contrées plus équatoriales. En outre, on peut expliquer par leur présence en Malaisie la formation directe des Malaisiens (Battaks, Dayaks, Alfourous), et la formation indirecte des Malais et des Javanais, de même que Ton peut expliquer par leur ve- nue dans quelques îles mélanésiennes, l’existence des popu- lations intermédiaires aux deux races. Toutes hypothétiques qu’elles soient en apparence, ces conclusions deviendront plus évidentes quand on aura lu la masse de témoignages que nous avons réunis en leur faveur. Ces témoignages ont été fournis aussi bien par les traditions, les caractères anthropologiques, la linguis- tique, que par les auteurs même qui ont soutenu la thèse opposée. C’est qu’ici tous les faits connus ont été scru- puleusement rapprochés et, par conséquent, interprétés mieux qu’ils ne l’avaient été jusqu’alors. Un fait isolé, replacé dans l’ensemble auquel il appartient, revit de sa vie propre et entraîne parfois irrésistiblement à des déductions non encore entrevues. Il n’était donc pas suffisant, afin d’asseoir sur des bases inébranlables la thèse que nous soutenons, de renvoyer le lecteur au texte même des auteurs; nous ne pouvions nous borner à indiquer simplement la source où nous avions puisé nos renseignements; et nous avons dû, pour les faits les plus importants, citer le texte lui-même. Souvent, en effet, le lecteur interprète d’une manière différente le passage sur lequel l’auteurafondé son raisonnement; avec letexte sous les yeux il est mieux à même de discuter, d’apprécier les faits. L'historien, qu’il écrive sur des peuples sauvages ou sur des nations civilisées, doit appuyer ses assertions de pièces pro- bantes. Nous n’avions pas seulement à faire connaître notre opinion personnelle; nous avions surtout à prouver. Il fallait aussi montrer que les assertions d’une foule d’auteurs étaient erronées ou inexactes: de là la nécessité de faire un grand nombre de citations. Nous sommes resté aussi scrupuleux que possible dans l’interprétation de la traduction des textes ; nous avons gardé LES POLYNÉSIENS. III dans nos jugements notre entière liberté d’appréciation ; mais la critique, qui joue un rôle important dans tout le cours de ce travail, a toujours été indépendante et sincère; elle n’a eu qu’un but: la recherche de la vérité. Nous ne formulons notre opinion que d’après des faits certains, avérés, authen- tiques. Nous ne nous sommes pas borné à la seule critique des faits généraux ; nous avons abordé également celle des faits secondaires que l’on néglige trop souvent, La recherche des détails exige beaucoup de patience ; il est certainement plus expéditif et plus commode de les considérer comme hypo- thétiques ou incertains, de ne pas les discuter ou même de les passer sous silence. Mais un grand nombre de faits gé- néraux, que l’on regarde comme ayant seuls une importance réelle, ne reposent le plus souvent que sur une erreur primi- tive acceptée de confiance et répétée successivement par tous. On verra, par exemple, dans le cours de cet ouvrage, que la critique approfondie des traditions relatives à la route sui- vie par les émigrants à' Hawahiki pour se rendre à l’île Nord de la Nouvelle-Zélande, prouvera, mieux que toutes les as- sertions contraires des écrivains, que l’Hawahiki se trouvait situé plus à l’Ouest encore que l’île Nord elle-même. Des détails comme ceux concernant la marche des canots des émigrants, l’absence du jade vert dans l’île Nord, l’analyse de toutes les traditions, l’examen des noms de certaines lo- calités de l’Hawahiki montrant que* dans cette patrie des ancêtres, étaient connus le Phormium tenax , le métrosideros tomeniosa , la neige, le veau marin, etc., prouveront suffisam- ment par eux-mêmes que certaines conclusions générales des auteurs ne reposent que sur des erreurs de faits succes- sivement répétées et prises faussementpour des observations démontrées. Bien mieux, tel auteur, pour lequel les faits généraux ont seuls de l’importance, s’empare souvent d’un fait de détail, d’un simple mot, par exemple, utile à la thèse qu’il soutient et, sans s’assurer si ce mot est bien orthographié, sans s’in- quiéter de sa signification véritable, il conclut d’emblée qué le pays où on le trouve a été peuplé par une autre contrée IV LES POLYNESIENS. où on le rencontre également. C’est ainsi que le mot Tunga du détroit de Cook en Nouvelle-Zélande, a été considéré comme un souvenir de l’île Tunga en Polynésie et que, par suite, on a été amené à faire venir directement de cet archi- pel une des tribus de la Nouvelle-Zélande, les Ngati-Mamoe. Notre but principal, en publiant nos recherches sur l’ori- gine et les migrations des Polynésiens, n’a pas tant été de développer une nouvelle théorie, que de fournir aux éthno- logues des matériaux plus exacts qui leur permettront, si cette théorie leur paraît insuffisante, d’en établir une meil- leure. C’est pour cela que nous avons pesé scrupuleusement chacun des faits invoqués pour asseoir notre opinion, et que nous nous sommes livré parfois à des examens critiques très-détaillés. Ce travail de recherches et d’investigations minutieuses n’avait pas encore été fait. Nous avons cru ren- dre service aux futurs historiens de la Polynésie en leur si- gnalant, pièces en mains, les inexactitudes sur lesquelles on n’a cessé de s’appuyer jusqu’ici. Cet ouvrage est le fruit d’une longue série d’observations consciencieuses et de recherches assidues. Ce fut pour la première fois en 1827, avec Dumont d’Urville, que nous visitâmes l’Océanie sur V Astrolabe. Dès cette époque, nous pûmes comparer les habitants d’un grand nombre d’îles et de contrées différentes, tels que ceux de l’Australie (Ports du Roi Georges, Western, Jervis Bay et Jackson) ; de la Nouvelle-Zélande (Baie du massacre de Tasman et vingt autres) ; des îles Tunga, des Fiji, de Tukopia, de Yanikoro, des Carolines, des Mariannes, de la Nouvelle- Irlande, de la Nouvelle-Guinée, de plusieurs îles malaises et particulière- ment des Moluques (Amboine, Bourou, Célèbes, etc.) Nous retournâmes de nouveau en 1840 en Océanie et nous nous arrêtâmes plus ou moins longtemps dans les îles Man- gareva, Marquises, Sandwich et de la Société. Ce fut à cette époque que nous observâmes pour la première fois les indi- gènes de plusieurs des îles Paumotu. Plus tard enfin, nous fumes désigné par le ministre Duperré, sur la demande de M. Galos et du gouverneur Bruat, pour diriger le service de santé des établissements français de PO- LES POLYNÉSIENS. V céanie : arrivé aux Marquises le 27 octobre 1843, nous ne quittâmes nos possessions océaniennes que le 15 novembre 1849. Cette résidence de plus de six années consécutives dans les Marquises et à Tahiti nous permit de mieux saisir les rapports et les différences des diverses populations polyné- siennes et d’observer notamment les indigènes de Pâques, et des îles australes, Rapa, Rurutu, etc. Dans nos précédents voyages, nous nous étions déjà occu- pé spécialement de recherches ethnologiques, anthropolo- giques et linguistiques sur les Polynésiens; mais ce fut surtout pendant notre dernier séjour aux Marquises et à Tahiti, à mesure que nous nous trouvions de mieux en mieux initié aux différents dialectes polynésiens, qu’il nous fut possible de compléter nos investigations. Malheureusement, à cette époque la Société d’ Anthropolo- gie n’existait pas. Les voyageurs observaient sans but, sans méthode, sans direction. En outre, ce n’était pas sans incon- vénient que Ton pouvait se livrer ouvertement à de sembla- bles recherches; il est triste de l’avouer, mais c’était alors une pauvre recommandation auprès de certains chefs qui n’y voyaient qu’une perte de temps aux dépens du service. On ne se rappelle plus aujourd’hui combien G-audicliaud, Quoy et Lesson, les trois chefs du service de santé de la marine qui ont le plus illustré leur corps, les trois seuls que l’Insti- tut ait alors distingués, ont trouvé sur leur route d’intrigues et de sourdes calomnies, parce qu’ils n’avaient fas borné leurs travaux au simple service des hôpitaux et qu’ils avaient préféré la science à la clientèle civile. De nos jours, ce dé- plorable état de choses n’existe plus, au grand profit des ob- servations anthropologiques. Nous comprenions dès lors tout l’intérêt d’une pareille étude, et nous continuâmes sans relâche les recherches que nous avions commencées dès notre premier voyage. Favorisé par les tours d’embarquement ou par le choix, qui trois fois nous ramenèrent dans les mêmes contrées, nous pûmes visi- ter à peu près toutes les îles occupées par la race polyné- sienne, ainsi qu’un grand nombre d’îles à populations mé- VI LES POLYNÉSIENS. lanésiennes et malaises. Nous ne cessâmes nos observations qu’en quittant définitivement l’Océanie en 1850. Outre ces recherches persévérantes, nous avions adressé chaque trimestre au gouverneur de la colonie et à l’inspec- teur général du service de santé en France, des rapports dé- taillés de statistique, d’hygiène, de médecine légale, d’admi- nistration. Parmi ces rapports, il faut citer, comme intéres- sant spécialement l’anthropologie, ceux que nous rédigeâmes sur l’état sanitaire desEuropéens etdes Polynésiens aux Mar- quises et à Tahiti ; sur les blessures occasionnées par les combats survenus entre les troupes et les Tahitiens; sur l’é- pidémie de typhus qui se déclara en 1847 à Tahiti, et sur une épidémie de coliques végétales, observée dans la même île. Que sont devenus ces travaux? Existent-ils encore aux archives de l’inspection générale ? Pourquoi le directeur des archives de médecine navale ne les cite-t-il pas dans son compte-rendu des rapports rédigés par les chirurgiens de la marine de 1845 à 1864? Aurait-il voulu garder le silence sur des travaux spéciaux faits en dehors de toute coterie? Ce sont donc des documents acquis sur place par une série de recherches longues et méthodiques qui serviront de base à cet ouvrage. Ces documents ont été complétés par les ob- servations de Quiros, Roggeween, Wallis, Byron, Bougain- ville, Cook, etc. ; par celles d’Anderson, des deux Forster, de Banks, Sparman, Dampier, etc.; après eux, parcelles de La- billardière, Péron, Freycinet, Porter, Ellis, Duperré, Lesson, Quoy, Gaimard, d’Urville, Orsmond, Barff, J. Williams, Haie, Dieffenbach, Gaussin, Shortland, Remy, Thompson, et surtout de W. Williams, Th. Williams, sir Grey, Taylor, Pritchard, etc. Nous n’avons cru devoir citer dans ce travail que l’opinion des hommes qui se sont occupés plus ou moins directement et avec compétence des Polynésiens ; il eut été inutile et inexact de mentionner celle des différents chefs militaires, car la plupart étaient aussi peu versés dans la connaissance des faits océaniens, qu’ils en comprenaient peu l’importance. En résumé, les conclusions auxquelles nous avons été conduit forcément dans nos recherches sur les Polvnésiens %/ LES POLYNÉSIENS. YII et leurs migrations, ne sont pas la conséquence de dogmes, de théories, de suppositions, de préjugés ; elles découlent naturellement d’un ensemble de faits divers recueillis un par un par les observateurs de tous les temps et de toutes les nations, et passés au crible de la critique. Si nos conclu- sions ne sont pas admises par la généralité des savants, ces faits resteront toujours, et peut-être que, mieux interprétés par d’autres, ils aideront enfin à la solution de la question si ardue des origines polynésiennes. Ne dussions-nous at- teindre que ce résultat, nous n’aurions certainement pas perdu notre temps. * / . ■ % >• LES POLYNÉSIENS PREMIÈRE 3P.AJRTI E ETHNOLOGIE OCEANIENNE CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES Recherche des origines ethniques plus difficile pour les races Océanien- nes que pour les races Européennes. — Iles hautes et basses des mers du Sud. — Leur inégale distribution. — • Ces îles sont habitées par deux races différentes, la race Polynésienne et la race Mélanésienne. — Différences physiques et morales qui séparent ces deux races. — Signification des mots Polynésie et Polynésiens, Mélanésie et Mélané- siens. — Cantonnement des deux races. — Propositions principales qui seront développées et marche qui sera suivie dans le cours de l’ouvrage. L’humanité, à tous les âg*es de barbarie ou de civilisa- tion, a toujours eu une tendance invincible à rechercher l’origine des premières Sociétés ; elle s’est constamment efforcée de soulever le voile qui cache le passé des peuples d’une manière presque aussi impénétrable que leur avenir. De tout temps, les esprits élevés de toutes les nations ont mis au rang* de leurs principales préoccupations l’examen des origines ethniques. De là sont nées les nombreuses cosmogonies des philo- sophes anciens, cosmogonies qu’il est souvent facile de rapprocher les unes des autres et qui toutes ont eu pour cause première un désir inné de connaître la raison ou les LES POLYNÉSIENS. 2 phases primordiales de la présence de l’homme sur la terre. L’histoire nous montre que le yvwQi afau-rov n’est devenu l’ob- jet d’études sérieuses qu’ après le règne de ces théories et de ceshypothèses. Thalès de Milet et Socrate firent à ce sujet une véritable révolution scientifique en ramenant à l’étude de l’homme lui-même les esprits jusqu’alors entraînés vers la recherche insoluble d’origines mystérieuses. Plus tard, le long’ règne du christianisme parvint à faire passer pendant des siècles les traditions bibliques comme l’expression incontestable de la vérité. Mais le 18° et le 19e siècle ont ravivé de nouveau les discussions éteintes et ont ramené les savants vers des recherches qui ne seront plus aban- données tant que l’on conservera comme une foi l’espoir d’en atteindre la solution. L’époque où nous vivons est éminemment favorable à ce genre d’investigations. Les études anthropologiques, par le nombre toujours croissant et la valeur des hommes qui s’y livrent, permettent d’arriver à des résultats que sans elles il eût été impossible d’espérer atteindre. Si nous sommes moins bien placés peut-être que les auteurs anciens pour élucider et résoudre les desiderata inhérents à ce genre de travaux, nous avons l’avantage d’être plus qu’eux dépouillés de l’amour des fables, du merveilleux, du surnaturel. Nous pouvons en outre exercer notre critique sur une immense quantité de données provenant des observations des voyageurs, des recherches linguistiques, des ouvrages spécialement consacrés à la détermination des races hu- maines. Or il ne faut pas moins que cette abondance de documents pour établir quelque chose de satisfaisant sur des sujets aussi ardus : ardua disquisitio , ainsi que le disait Blumenbach. Nous allons tenter cette exposition pour les races océa- niennes. Cette étude, il faut l’avouer, est plus difficile que celle de toute autre région du globe. Sur les grands continents, la détermination des origines des peuples ou des races ne peut être abordée qu’avec incertitude par suite du mélange successif et profond des nations qui les ont occupés ou parcourus. Mais combien plus considérables LES POLYNÉSIENS. 3 sont les obstacles qui surgissent devant la même entre- prise tentée pour les îles éparses entre l’Asie et l’Amérique. Là, point de ces plaines immenses arrosées par le cours des grands fleuves, où les hommes des premiers âges s’avançaient progressivement par étapes successives ; où les différents groupes, tantôt, retenus par l’amour du re- pos, ralentissaient leur marche, tantôt, au contraire, l’accélé- raient, chassés parles discussions intestines, la guerre, la fa- mine, l’aspiration vers l’inconnu ; où les familles, les mem- bres trop nombreux d’une tribu primitive se dispersaient vers plusieurs directions et formaient plus tard des peuplades ou des nations distinctes. Il suffit de jeter un coup-d’œil sur la carte des mers du Sud pour y remarquer l’existence d’une immense quantité d’îles de toutes dimensions : les unes élevées et plus an- ciennes ; les autres basses et plus récentes, quelques-unes nées d’hier. Les premières, que l’on s’accorde à regarder comme étant d’origine volcanique, s’élèvent parfois à une hauteur considérable au-dessus des eaux ; elles présentent tous les caractères des terres ignées : Basalte, zoolitlie, olivine, spath calcaire, jaspe, etc. Les secondes, dont on attribue la formation au travail des polypiers, le plus souvent, au contraire, dominent de quelques mètres à peine la surface des flots ; elles ne sont généralement composées que de corail, de coquilles diverses et de sable. Suivant M. J. Garnier, les Zoophytes « auraient couvert le Pacifique de trois cents îles, dont la surface totale est de quatre millions d’hectares, pendant que les volcans n’au- raient fourni que trois millions d’hectares. (1) » Cet étonnant archipel, dont le véritable nom devrait être tout simplement Polynésie, 7îo\6vrj■0 CD Bouch Maxil res . « CD CH- CD 0 ►3 fi P* S 1 H P 0 a> e*t* P et» •■s P £ » P» P CD CD CD 1 w • M» ►«< O r-*- Ct> P Ci) • p? * M* • • 1 • • • C fl * P M p CD W • o — P « o. £?. P a TJ ct B tj o a < o O S. 5* Ct» et P e"+ CD B et a *n ct P a r-t- et» a. Ct" P a Ct ct O o] o o o £3 cT p a cr et. CD CD' ►O P -J «i <72 en • CD en Ct - P CD« s-g-g “ = S CD" CD - Cfl P en << P CD PPQ P <—- Ct» a p cr£L P O CD CT «3 3 P en P en cd CD ' en p "3 P P O a’ en O S 05 en Pi CD X P CD P K en O P c CD P î™*“ Pi 3 en CD €“*- CP CD» o" P 05 £T a ns ® £2- CD *~*X. £ 0 • en P CD P »rj 05 ’ O P a CD — < X o Eh p” p g 2 CD P cr* P ^ p,P rn a * a CD P O CD» 3 CD* CP CD P* P I P 0 a* — * P ** 2 0 a O O —, • 3^ a s CD a “ en * CD Cu 03 • P> CD» a- 3 Cp B -, — 1 . 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Confusion résultant du mot Papou mal défini. — Caractères physiques des Papous, d’après les voyageurs et les auteurs anciens : Quoy et Gaimard; R. P. Lesson; Bory-Saint-Vincent ; de Rienzi ; Dumon d’Urville ; Hombron ; Jacquinot. — D’après les voyageurs et les auteurs modernes : A. B. Meyer; Les naturalistes du Challenger ; Topinard. — Les Papous sont des métis de Papua et d’Alfourous. — Existence des Alfourous en Nouvelle-Guinée. — Les caractères crâniens des Papous confirment la conclusion qu’ils sont des métis de Papua et d’Alfourous. Le mot Papou n’est que la traduction française du mot Papua, que l’on prononce Papoua. Quoy et Gaimard ont les premiers désigné sous ce nom les populations noires qu’ils avaient observées sur le littoral de Waigiou et de quelques îles voisines, et particulièrement à Dorey sur la côte Nord de la Nouvelle-Guinée, tandis qu’ils réservaient le mot Papua aux autres nègres de la même île et des îles mélané- siennes. Après eux, la plupart des autres voyageurs fran- çais, Lesson, Garnot, d’Urville, de Rienzi, ont décrit sous le nom de Papous les habitants des mêmes localités afin de les distinguer de la race Papua pure qui paraît occuper pres- que tous les autres points de la Nouvelle-Guinée, de même qu’elle occupe toutes les îles Salomon, les Hébrides, etc. 3 26 LES POLYNÉSIENS. Ce mot, mal défini, a causé la confusion faite si souvent par les écrivains qui n’ont jamais vu ni les Papua, ni les Papous ; ces populations diffèrent considérablement entre elles, aussi bien par les traits extérieurs que par les carac- tères crâniens. Les Papous, en effet, sont des métis de Papua croisés avec une autre race. Peut-être Quoy et Gaimard ont-ils eu tort de désigner ces métis sous le nom de Papous,' car le met Papua est celui qu’emploient ces populations pour se dési* signer elles-mêmes. Un habitant de Dorey, à la Nouvelle- Guinée, auquel on demande le nom qu’il se donne, répond Papua ou Puapua , tandis que le même doréyen désigne nettement sous le nom d’ Alfourous les habitants de certaines localités de l’intérieur. Il suffira, pour éviter toute confusion, de se rappeler une fois pour toutes que le nom de Papous n’a été appliqué qu’aux métis des Papua avec une autre race. Quoy et Gaimard, les premiers, ont décrit les Papous avec soin après les avoir vus dans plusieurs points différents. De même que Forster, ces naturalistes pensaient que les Papous avaient une origine locale : « Tout nous porte à croire, disaient-ils (1), que la souche de cette race se trouve dans la grande île de la Nouvelle-Guinée. » Ils faisaient donc des Papous et des Papua une race à part, autochthone, et ils pensaient que c’était cette race qui peuplait les îles. Voici les caractères qu’ils attribuaient aux Papous de l’île Waigfiou (2): Taille moyenne, assez bien prise; Constitution généralement faible; Peau d’un brun foncé; Cheveux noirs, tant soit peu lanugineux, très-touffus, fri- sant naturellement: quelques-uns avaient des cheveux plats et lisses ; Nez un peu épaté, tantôt plus, tantôt moins; os du nez verticaux, aplatis d’avant en arrière, peu saillants; (1) Zoologie de Y Astrolabe, p. 29, 1er vol. (2) Observations sur la constitution physique des Papous. Zoolo- gie de V Uranie , p. 1 à 11. LES POLYNÉSIENS. Barbe peu abondante, noire, de môme que les sourcils, les moustaches et les yeux ; Lèvres épaisses ; Arcade alvéolaire très-forte ; Pommettes très-larges; os malaires dirigés en avant; apophyses zygomatiques larges, saillantes ; Tête à peu près conforme à celle des Européens ; apla- tissement des parties antérieure et postérieure ; non élargis- sement de la face ; sommet de la tête élevé ; bosses parié- tales proéminentes ; temporaux très-convexes ; coronal bombé. Yoici, d’un autre côté, les caractères qu’ils donnaient aux Papous de Dorey (L) : Taille petite, membres grêles, ventre gros ; Physionomie des jeunes parfois agréable; Couleur de la peau brun foncé, mélangé de jaunâtre ; Diamètres de la face presque égaux; Cheveux crépus, très touffus, mais non laineux; Nez épaté ; Bouche grande ; chez quelques-uns maxillaires avancés, lèvres saillantes et front fuyant en arrière. A part quelques différences, surtout en ce qui concerne les cheveux, différences attribuables à des croisements, les ca- ractères observés à Waigiou et à Dorey sont bien les mêmes et plusieurs de ces caractères sont tout-à-fait ceux de la race Papua pure. Après une pareille description des Papous, on comprend parfaitement le rapprochement que Quoy et Gaimard faisaient entre ceux-ci et les Papua, et la ressem- blance qu’ils voyaient, par exemple, entre les Papous de Dorey et les habitants de la Nouvelle-Irlande (2). Ils ne trouvaient, en effet, d’autres différences entre eux que celles tenant à l’usage de se barbouiller la figure en blanc et en rouge et de se teindre les cheveux de plusieurs couleurs. Toutefois cette confusion est une erreur, car on verra plus tard que les Papua, surtout dans certaines îles, ont des caractères bien autrement accentués. (1) Zoologie de l'Astrolabe , p. 80. (2) Zoologie de V Astrolabe , p. 34. ngSSïFSF AMIKRIO/VN WTWKOILMY* 1899 28 LES POLYNÉSIENS. Pour R. P. Lesson (1), les Papous étaient des hybrides de Papua et de Malais, dont la couleur noire variait d’intensité et dont la chevelure n’était point lisse de sa nature, mais n’était pas non plus laineuse. 11 les appelait négro-malais et il les plaçait dans la portion septentrionale de la Nouvelle- Guinée et sur les rivages des grandes îles Malaisiennes, à l’Est des îles de la Sonde. Il les caractérisait de la manière suivante : Taille le plus ordinairement petite ; Constitution grêle, peu vigoureuse ; abdomen proémi- nent ; Peau couleur bistrée claire ; Traits souvent fins et délicats ; Yeux noirs; lèvres épaisses; cheveux noirs longs et flexueux ; Crâne déprimé latéralement en avant, élargi aux tempo- raux, avec bosses pariétales saillantes ; aplatissement con- sidérable de l’écaille occipitale ; Face très large; ouverture des fosses nasales semblable à celle des Européens. La taille, les formes générales, la couleur de la peau si- gnalées par R. P. Lesson, sont donc les mêmes que celles signalées par Quoy et Gaimard. C’est avec raison qu’il cite la finesse et la délicatesse des traits d’un certain nombre de jeunes gens et il aurait pu dire du plus grand nombre. Mais il ne parle pas de l’épatement du nez, de la grandeur de la bouche, ni de l’épaisseur des lèvres, qui sont des caractères généraux. Quant aux cheveux, il ne les trouve pas plus lai- neux que Quoy et Gaimard. En somme, tout en regardant, lui aussi, les mots Papou et Papua comme synonymes, R. P. Lesson faisait des Papous une race hybride due au croisement des femmes Papua avec les Malais. Il rapportait cette race, ainsi que la race Papua, à son rameau Cafro-Madécasse, tout en conservant le nom (1) Voyage médical^ p. 200-201.— Journal des voyages, t. XNNYI, p. 55. — Mémoire lu à la Société d' Histoire Naturelle de Paris, en juin 1826. LES POLYNÉSIENS. 29 de Papua pour les noirs plus purs de la Nouvelle-Guinée et des autres îles à populations mélanésiennes. Pour Bory-Saint-Vincent (1), les Papous formaient, sous le nom de race Papoue, la troisième race de son espèce nep- tunienne, c’est-à-dire la race malaise des auteurs. Lui aussi en faisait des hybrides issus de l’espèce neptunienne et des nègres de l’Océanique qu’il appelait Mélaniens ou race mé- lanienne, la mélanésienne de d’Ur ville. Il leur donnait pour habitat la côte septentrionale de la Nouvelle-Guinée et les îles voisines : Waigiou, Salvati, etc. Yoici comment il les décrivait, en s’en rapportant aux voyageurs de son temps : Taille moyenne en g*énéral et parfaitement prise ; Complexion souvent faible ; membres un peu grêles ; Peau d’un brun foncé, mais non noire ; Cheveux intermédiaires à ceux de leurs pères, très-noirs, ni lisses ni crépus, mais laineux, assez fins, frisant beaucoup naturellement ; Barbe peu abondante, mais fort noire ; Prunelle des yeux noire ; nez sensiblement épaté ; pom- mettes larges ; lèvres épaisses ; physionomie assez agréa- ble ; Caractère défiant ; usag*e des armes et des flèches, etc. A part la barbe, qui est bien fournie là où les populations n’ont pas l’habitude de s’épiler, tous les caractères indiqués ici sont exactement ceux des Papous que nous avons pu ob- server nous-même : nous n’en avons jamais vu de très grands ni de très petits ; aucun ne possédait de l'embonpoint ; presque tous avaient une taille moyenne et, à part un certain nom- bre solidement constitués en apparence, la plupart n’indi- quaient qu’une complexion médiocre due peut-être plus à leur habitat qu’à leur origine. De Rienzi faisait des Papous, une des variétés remar- quables des hommes noirs qui occupent la Mélanésie. Il les appelait Papous-Malais, et les regardait comme des hybrides provenant du mélange des Malais avec les Papua. Il leur donnait pour lieux d’habitation le littoral de Wai- (1) L'homme , t. I, p. 303. — Paris, 1827. 30 LES POLYNÉSIENS. giou, Salvati, Battanta, etc., et la partie septentrionale de la Nouvelle-Guinée ; il les décrivait de la manière suivante: Petits, trapus, vigoureux; — nez épaté et souventpointu; *— Douche grande ; lèvres épaisses ; — peau d’un jaune noi- râtre mais peu foncée ; — visage osseux, traits anguleux ; cheveux droits. — Coiffure en forme de turban, ce qui déno- tait, disait-il, leur origine malaise par leurs pères et Papua par leurs mères ! Cette description ne saurait être exacte, puisque deRienzi donnait aux Papous des cheveux droits qu’ils n’ont jamais eus et qu’il en faisait des hommes trapus et vigoureux. Il est bien probable aussi qu’il n’avait observé que des Papous remétissés de Malais, quand il indique comme caractères un visage osseux et des traits anguleux. Nous avons nous même souvent remarqué cette forme du visage à Dorey, mais sur des individus qui n’avaient pour ainsi dire plus rien des Pa- pous que la couleur ; ils ressemblaient, à s’y méprendre, à des Malais de Guébé ou de quelque autre île voisine, quoi- qu’ils fussent bien des métis, nés sur les lieux. Cette ressem- blance était augmentée encore par l’usage du turban ou plutôt du morceau de coton dont presque tous avaient la tête enveloppée, ainsi que par l’usage du bétel qui, on le sait, appartient plus particulièrement aux Mélanésiens, quoique les Malais et les Javanais en fassent également usage. Le voyageur Meyer a également observé des Papous qui, « ayant recouvert leur chevelure crépue d’un foulard à la façon des Malais, et s’étant habillés comme eux, étaient incapables d’en être distingués à première vue (1). » En somme, pour de Rienzi comme pour R. P. Lesson, les Papous n’étaient que des métis. D’Urville, au contraire, disait que les Papous n’étaient ni des métis, ni des autochthones de la Nouvelle-Guinée, ainsi que le supposaient Quoy et Gaimard, mais qu’ils étaient probablement étrangers à cette île. Il pensait qu’ils auraient pu venir des régions occiden- dentales (2), peut-être des îles Andaman, de Ceylan ou même (1) Revue d’ Anthropologie, 1874, p. 728. (2) Mémoire sur les îles du grand Océan , p. 18. — Paris, 1831. LES POLYNÉSIENS. 31 cle Madagascar; il les cantonnait sur une très petite partie des côtes de la Nouvelle-Guinée, avec la grande baie de Gelwinck pour extrême limite à l’Est. Plus loin, disait-il, ce sont de véritables Mélanésiens comme ceux qui habitent la Nouvelle-Bretagne, la Nouvelle-Irlande, etc. Il ne parta- geait donc pas l’opinion de Quoy et Gaimard qui ne trou- vaient aucune différence entre les habitants de la Nouvelle- Irlande et les Papous, et pour lui, les Papous propre- ment dits n’étaient guère que des descendants de nègres d’Afrique (1). Un des naturalistes de Dumont- d’Urville, dans son dernier voyage de découvertes au Pôle Sud, le docteur Hombron, regardait aussi comme des métis les habitants des bords de la baie Triton, à la Nouvelle-Guinée. Il les décrivait de la manière suivante: Leur taille est celle des Malais et au-dessus de la taille des Papous; Quelques-uns ont la chevelure crépue; Ils sont bien faits, plus vigoureux que les Papous et les Malais ; Leur peau est noire, à reflets de cuivre; Leurs traits sont moins délicats que ceux des Papous, mais ils ont le même type de physionomie. Il trouvait ces métis bien plus beaux que ceux observés à Waigiou par d’Urville, Quoy et Gaimard, ce qu’il expliquait par l’origine des habitants de la baie Triton, race métisse issue, disait-il, « de Papous et de Malais de Célèbes et de Timor, qui sont infiniment plus beaux que les Malais des Moluques. » Dans le même moment, au contraire, un autre naturaliste de la même expédition, H. Jacquinot, résumait ainsi ses observations sur les mêmes hommes : « Ce ne sont pas des Papous, comme quelques personnes du bord le pensaient, mais bien de véritables nègres, à la peau d’un noir de suie, et aux cheveux crépus et frisés, habitant probablement les montagnes voisines des côtes. » (1) Mémoire , p. 21. 32 LES POLYNÉSIENS. Il est fort probable, d’après ces descriptions mêmes, que les habitants de la baie Triton ne sont que des Papua au lieu d’être des .métis nés de Papous et de Malais, d’autant que, passé la baie Gelwinck, vers l’Est et le Nord-Est, on ne trouve que de purs Mélanésiens ou véritables Papua : c’est ce qu’avait observé d’Ur ville et ce que prouve la description que Dampier, avec son exactitude ordinaire, a faite de toutes les populations dé la Nouvelle-Guinée rencontrées par lui en se rapprochant de la Nouvelle- Bretagne et de la Nou- velle-Irlande. Il est certain, du reste, que les Papous appartiennent à la race noire, comme le dit d’Ur ville ; mais quand il en fait des descendants de nègres d’Afrique, il n’appuie cette assertion d’aucun témoignage, et il ne dit rien qui puisse faire soup- çonner la contrée qui, en Afrique, aurait pu être le berceau des Papous. Ce silence est d’autant plus regrettable qu’on est dans l’ignorance la plus complète relativement au foyer d’origine des noirs de la Mélanésie et de la Malaisie. On s’accorde à dire qu’ils diffèrent des noirs de l’Afrique ; niais néanmoins bien des caractères attribués aux Hottentots, aux Cafres et aux Boschimans conviennent aussi aux nègres océaniens. Les voyageurs modernes qui ont observé les Papous ont ajouté peu de chose à ce qu’avaient dit leurs devanciers. Les travaux contemporains de Meyer, Jules Girard, Earl, Russel- Wallace, etc., n’ont pas beaucoup avancé la question (1). D’a- près le compte-rendu du travail de M. A. B. Meyer, fait par M. Girard de Rialle dans la Revue cV Anthropologie (2), le voyageur allemand trouve chez les Papous une grande variété individuelle de couleur, de taille, de physionomie ; mais il ne paraît pas soupçonner que ces grandes différences ne sont dues qu’à des mélanges ; il nie même ceux-ci et il (1) On remarquera, dans le cours de cet ouvrage, qu’il en est pres- que toujours ainsi et que généralement nous préférons les des- criptions des anciens voyageurs, parce qu’ils sont plus conscien- cieux, sans parti-pris, et qu’ils ont à soutenir moins d’idées préconçues que les modernes. (2) 1874, p. 728. LES POLYNÉSIENS. 33 ne voit partout que des variétés d’une même race, sans dire à quoi il attribue ces variétés. PourM. Meyer, les caractères des Papous sont les suivants : Taille variable, mais moins grande que celle des Européens ; Thorax généralement bien conformé ; Corps ni trop gros, ni trop maigre ; membres bien propor- tionnés ; Seins des femmes peu différents par la forme de ceux des Européennes ; Y entre des enfants souvent ballonné ; etc. Certes une pareille description en 1874 n’avance guère les connaissances acquises jusqu’à ce jour sur la constitution des Papous et il eût été inutile de s’y arrêter sans cette affir- mation que leurs cheveux ne sont point disposés en touffes, mais bien implantés sur le cuir chevelu comme ceux des Européens : les chevelures ébouriffées ou à mèches des Pa- pous ne seraient donc que les produits de l’art (1). En somme M. Meyer, contrairement à son opinion, ne prouve qu’une chose, c’est que les Papous ne sont pas une race exempte de mélange. Ainsi que le fait avec raison ob- server M. Girard de Rialle, « il n’a pas démontré que des Mé- lanésiens brachycéphales puissent être de même race que des dolichocéphales ; il ne suffit pas d’avoir visité et habité la Malaisie et la Nouvelle-Guinée pour réduire à néant d’un mot et d’un trait de plume la grande valeur anthropologique de l’indice céphalique. » Si M. de Quatrefag*es a appelé vrais Papous ou Papua ceux qui sont dolichocéphales, c’est qu’il connaissait les travaux de ses devanciers mieux que ne pa- raît le faire M. Meyer. Contrairement à l’un des objets de sa communication, le savant allemand a réussi à montrer de profonds mélanges chez les naturels de la Nouvelle-Guinée, mais il n’a pas réussi à réfuter l’opinion du professeur français ; il n’a probablement su observer ni exactement ni scientifiquement. Les naturalistes de l’expédition du Challenger visitèrent en 1874 les indigènes de la Nouvelle-Guinée avoisinant la (1) Voyez ci-dessus, p. 14 et 15. 34 LES POLYNÉSIENS. baie de Hmnboldt : les hommes y sont beaux pour des Mélanésiens ; leur taille est en moyenne de 1 m 60 ; ils sont robustes, bien découplés, leur physionomie est douce et agréable, surtout chez les jeunes gens. Ils ont les yeux noirs et doux, la bouche large, les lèvres épaisses, les dents gâtées et les g*encives roupies par l’usage de l’arec et du bétel. A travers les cartilages de leur nez, gros et épaté, ils passent une paire de défenses de sangdier liées ensemble par les racines. Les lobes de leurs oreilles, larges et un peu tournées en dehors, sont démesurément allongés par de gros anneaux en coquillages, en écaille de tortue, ou en défenses de sangdier. Leur chevelure épaisse, crépue, mais non laineuse, forme autour de leur tête une boule de douze à quinze centimètres de diamètre ,• elle est généralement blanchie à la chaux ou teinte en rouge avec un mélange de chaux et d’ocre. Plusieurs portent en outre une sorte de perruque en poils de Casoar. Presque tous se plantent dans les cheveux des plumes noires et blanches et des fleurs de l’effet le plus bizarre. Ils sont à peine tatoués, mais ils se barbouillent de couleurs bariolées qui s’harmonisent assez agréablement avec la coloration de leur peau : celle-ci, d’un beau noir dans l’ombre, prend au soleil d’éclatants reflets d’un brun cuivré. Leur corps, à part quelques rares ornements, est entièrement nu. Les femmes sont laides ; les jeunes filles sont toutes nues et sans ornements ; les femmes mariées portent autour des reins une frange grossière en tissus d’écorce. Leurs armes sont fabriquées avec soin et intelligence ; leurs arcs, en bois noir très-lourd, sont tendus avec du ro- tin ; leurs flèches légères, en canne de 1 m 50 à 1 ni 80 de long, sont terminées par de longues têtes de bois barbelé ; leurs hachettes en pierre sont soigneusement encastrées dans des manches en bois dur ; la pierre dont elles sont faites est verte, d’un grain fin et d’un poli aussi parfait que celui du jade. Leurs canots, très étroits, ont de 4 m 50 à 6 mètres de longueur ; un balancier est adapté à 1 m 50 en dehors, et supporte une plate-forme carrée et élevée ; les pagaies en bois dur sont taillées en forme de feuilles et LES POLYNÉSIENS. 35 parfois finement ciselées ; la proue des canots est sculptée et ornementée d’une façon bizarre et fantastique. Leurs huttes sont construites sur pilotis et communiquent à la terre ferme au moyen d’une planche que l’on retire à vo- lonté. Les Papous de la baie de Humboldt sont toujours crain- tifs et soupçonneux ; ils redoutent beaucoup les Ati- fous, leurs ennemis, qui font chez eux de fréquentes ir- ruptions. Ce mot Atifous est presque certainement synonyme d’Alfourous. Les indigènes de l’île de l’Amirauté, également visités par le Challenger , sont de la même race que ceux de la baie de Humbold, mais ils sont moins craintifs et plus civi- lisés. Leurs pirogues sont trois ou quatre fois plus grandes que celles des Papous de la Nouvelle-Guinée. Ils commer- cent facilement avec les navigateurs. On ne trouve dans leurs îles nulle trace de tombeaux et il semble qu’on y honore la mémoire des parents en les mangeant après leur mort. Pour M. Topinard (1), le type papou est répandu dans la Mélanésie sauf èn Australie. Il est ainsi caractérisé : taille ordinaire, plus élevée que celle des négritos et des malais ; corps athlétique ; extrémités grêles ; Peau couleur noire ou chocolat ; Cheveux noirs, secs, crépus, implantés par touffes dis- tinctes; barbe et système pileux très-développés et insérés de même, mais par touffes plus espacées (2) ; Crâne très-dolichocéphale, aux parois latérales verticales, au front étroit à la base, aux arcades sourcilières saillantes ; Yeux enfoncés, aux sclérotiques ternes ; Nez gros et large à la base, mais saillant et recourbé, du moins dans la Nouvelle-Guinée, avec lobule médian dépas- sant les narines ; (1) Anthropologie, p» 523. (2) Depuis, M. Topinard a modifié ces conclusions, et il n’admet plus Tinsertion capillaire interrompue ou intermittente, formant le groupe lophocome de Hæckel. (Voy. BulL Soc. d'Anthrop., 1878, p. 61 et 94. 36 LES POLYNÉSIENS. Prognathisme sous-nasal considérable ; lèvres épaisses et saillantes ; menton fuyant ; ensemble du visage allongé. M. Topinard semble admettre que le Papou de la Nouvelle- Guinée est très-proche de l’élément négroïde primitif de l’Australie ; mais sous ce nom de Papous il entend parler des Papua vrais et non pas des métis dont nous nous occupons actuellement. Ainsi, pour résumer les diverses opinions que nous venons de rapporter, les Papous ne forment pour Quoy et Gaimard qu’une variété de la race noire Papua ; ils ne sont que des étrangers pour Dumont d’Urville, tandis que pour R. P. Lesson et de Rienzi, ce sont des métis de Malais et de Papua. Pour nous, les Papous ne sont bien également que des métis ; mais nous croyons qu’au lieu d’être des métis de Papua purs et de Malais, ils ne sont et n’ont été, surtout au début, que des métis de Papua etd’Alfourous. Nous avons, du reste, vu aux Fiji les produits du métissage des femmes Papua avec les Polynésiens: or, à part la taille et la force, ces métis ressemblent complètement aux Papous, Les Alfourous, dont nous aurons à parler plus tard, sont cette race à cheveux droits, reconnue partout dans les Molu- ques, à Céram, à Bourou, Célèbes, Waigiou, etc., mais niée jusqu’ici à la Nouvelle-Guinée ; pourtant elle y existe cer- tainement, ainsi que le prouvent les récits de tous les voya- geurs qui ne font que différer sur sa couleur. Pour n’en ci- ter qu’un exemple récent, M. Octavius Stone a trouvé dans l’intérieur de la Nouvelle-Guinée, au pied des terrasses infé- rieures de la chaîne de Stanley, des Papous au teint clair, différant complètement des autres tribus des Montagnes de l’intérieur. Leurs traits sont plus agréables que ceux des Papous au teint foncé; ils sont plus intelligents, plus dociles, plus avides de s’instruire, d’un tempérament plus vif et plus gai; ils ne sont pas anthropophages. M. Stone a trouvé tant de ressemblance entre cette race qui couvre l’extrémité Sud- Est de la Nouvelle-Guinée et les Polynésiens, qu’il la re- garde comme provenant d’une immigration venue de l’Est à LES POLYNÉSIENS. 37 une époque reculée, et refoulant les Papous autochthones (1). Il est évident que ces Papous au teint clair, si semblables à des Polynésiens, ne sauraient être autre chose que des Alfourous. De son côté, M. Mackluko-Maklay, qui a fait de nombreuses observations dans la Nouvelle-Guinée, a constaté que les populations qui habitent les forêts de l’intérieur diffèrent de celles du littoral. Leur couleur est plus claire ; leur taille moyenne ; leur regard vif ; leur chevelure, qui n’est pas laineuse, est ordinairement longue et nouée en forme de chigmon. Ils ne se servent pas de tabac, mais ils mâchent constamment du bétel. Leurs armes sont grossières; leurs flèches ressemblent à celles des Papous. Les femmes portent des vêtements bien travaillés qui descendent de la ceinture au-dessous des genoux. Elles ont les cheveux coupés, et ne laissent croître au-dessus du front qu’une étroite bande allant d’une oreille à l’autre. Leur poitrine et leur ventre sont tatoués d’arabesques variées et régulières artistement dessinées. Elles semblent avoir la suprématie sur les hommes, et elles s’entretiennent libre- ment avec les étrangers. Aujourd’hui la race Alfourous se trouve naturellement fort réduite dans la Nouvelle-Guinée et il est probable qu’une partie de celle qui y existe encore est plus ou moins croisée. Mais cela même explique ce que R. P. Lesson a dit de sa race Alfourous-Endamêne ; nous croyons, en effet, que cette race est probablement produite par le croisement des fem- mes Alfourous avec les hommes Papua, tandis que les Papous sont des métis de femmes Papua et d’hommes Al- fourous. Nécessairement des métissages directs ont dû avoir lieu consécutivement entre les femmes Papua et les Malais dans tous les points où ceux-ci ont fini par se fixer, quoiqu’en dise M. Meyer, qui objecte contre ces croisements la grande chasteté des femmes papoues ! Mais cela ne prouve pas que les Malais, en se croisant avec les Papua, aient seuls contri- (1) Association Britannique pour V avancement des Sciences. — Congrès de Glascow, 1876, section de Géographie. 38 LES POLYNÉSIENS, Tbué à la formation des Papous. Sans doute, les voyageurs ont constaté, particulièrement à Dorey, des caractères qui semblent appartenir davantage aux Malais ; mais ce qu’ils n’ont pas remarqué, c’est que depuis longtemps, et aujour- d’hui surtout, les Malais ne se croisent guère qu’avec les femmes Papoues, c’est-à-dire avec les métis que l’on croit produits par eux et les Papua. Il est évident, du reste, que les métis de Malais et de Papua ne peuvent avoir les mêmes caractères que les métis de Papua et d’Alfourous. Les premiers sont moins beaux et plus noirs que les derniers, parce que les Malais, ainsi que nous le montrerons en parlant de leur origine, ont eux-mêmes plus de sang noir que les Alfourous. Une chose surtout les rapproche des métis Fijiens, c’est la chevelure qui, chez les uns et les autres est lanugineuse, crispée,, assez longue, en un mot crépue, comme si la mère suffisait seule à communi- quer la nature des cheveux. On sait que ce sont les métis ainsi produits qui déroutaient tant d’Urville, ainsi qu’il le fait remarquer lui- même. Il résulte de tout ce qui précède que les Papous ne sont point une race distincte, ou la même race que la race Papua, mais seulement une variété de cette race, ou plutôt le produit de son métissage avec la race Alfourous. Cette conclusion ne s’appuie pas seulement sur les caractères anthropologiques extérieurs et sur la comparaison faite de visu des deux populations : ces moyens d’investigation ne mettent pas toujours à l’abri de l’erreur et ils peuvent permettre d’autant mieux le doute que les observateurs eux- mêmes sont loin de s’accorder sur les caractères de ces populations. Mais les recherches crâniom étriqués les plus récentes semblent elles-mêmes appuyer notre opinion. Les Papous sont sous-dolichocéphales et mésorhiniens ; leur indice céphalique est égal à 75.07 et leur indice nasal à 50.54. Les mêmes indices, chez les races ancestrales ou que l’on regarde comme telles, sont respectivement 71.78 et 54.70 pour les Papous de race pure ou Papua ; 79.02 et 50.29 pour les Malais ; 75.40 et 49.25 pour les Alfourous. Les caractères crâniens des races métisses sont, comme LES POLYNÉSIENS. 39 les autres caractères, la résultante des forces génératrices ; théoriquement, la moyenne des indices crâniométriques de ces races peut donc être regardée comme intermédiaire avec la moyenne des indices crâniométriques des races mères. Mais pratiquement, ainsi que le fait observer M. Broca, « il faut bien se garder de croire qu’une race croisée puisse jamais présenter dans la répartition et le développement de ses caractères, une régularité proportionnelle au degré du mélange. Tel caractère peut être emprunté exclusivement à l’une des souches, tel autre à l’autre (1). » A priori, en ne considérant que l’indice céphalique, les Papua croisés avec les Malais forment une résultante qui se rapproche beaucoup de l’indice constaté chez les Papous. Le chiffre obtenu théoriquement 75.40 semble même donner raison à ceux qui regardent la formation des Papous comme due au mélange des Malais avec les Papua. Mais il n’en est plus de même pour l’indice nasal. Les Papua sont platyrhi- niens comme toutes les races noires ; pour former des métis mésorhiniens, ils ont dû nécessairement se croiser avec une race plus mésorhinienne encore que les Malais dont l’indice nasal est le même que celui des Papous. Les Alfourous, au contraire, avec leur indice nasal inférieur de plus d’une unité à celui des Malais, rendent mieux compte de cette diffé— /• rence ; leur croisement avec les Papua produit un indice qui se rapproche un peu plus de celui des Papous, mais qui néanmoins est encore trop élevé. Dans cette hypothèse, il reste en outre h expliquer l’écart existant entre l’indice céphalique réel et l’indice céphalique calculé théoriquement. Cette explication devient facile si l’on admet, ainsi que nous le faisons, que les Papous ne sont que des métis d’ Alfourous et de Papua recroisés d’ Al- fourous. En effet, un premier croisement entre les Alfourous et les Papua donne pour indices céphalique et nasal 73.59 et 51.97. Ces deux chiffres sont l’un trop faible, l’autre trop fort, puisque les indices réels des Papous sont 75.01 et 50.54. Mais si l’on suppose un second croisement entre ces premiers métis et les Alfourous, on obtient presque exactement, ce (1) Revue d’ Anthropologie, 1873, p. 607. 40 LES POLYNÉSIENS. qui est à remarquer, les indices des Papous actuels. En effet, 73.59 et 51.97 croisés de nouveau avec 75.40 et 49.25 donnent pour résultante 74.50 et 50.61, chiffres qui se rap- prochent autant que possible des indices céphalique et nasa des Papous. Les calculs crâniométriques eux-mêmes viennent donc appuyer l’opinion que les Papous ont été primitivement formés plutôt par le croisement des Alfourous et des Papua que par celui des Papua et des Malais. Ces conclusions, il faut l’avouer, sont purement théoriques ; mais unies à l’ob- servation des faits et des caractères extérieurs, elles ajoutent une preuve de plus en faveur de l’hypothèse que nous émet- tons. C’est cette hypothèse qui explique le mieux la forma- tion des Papous et l’on peut conclure que ceux-ci sont en réalité des métis d’ Alfourous et de Papua recroisés d’ Alfou- rous. Par leurs caractères crâniens, du reste, les Papous sous- dolicliocéphales se rapprochent plus des Polynésiens et des Tasmaniens que des Malais. C’est ce qu’avait déjà fait voir M. Topinard dans son « Mémoire sur les Tasmaniens , » où il suppose que ceux-ci n’étaient eux-mêmes que des métis produits par le croisement d’une race noire, première occu- pante, avec des émigrants polynésiens. Au surplus, il est fort possible que les Malais aient joué, dans la formation des Papous, un rôle plus grand que nous ne le supposons ; mais ce rôle ne pourra être apprécié que quand on sera bien fixé sur les caractères crâniens de la race noire qui a contribué à former les Papous, ainsi que sur ceux des Alfourous eux-mêmes. Les Alfourous, d’après leur origine, n’ont probablement d’autres caractères que ceux des Polynésiens, comme les Papua n’ont que ceux des Néo-Calédoniens ; mais il n’en est pas moins vrai que, jusqu’à présent, ce n’est qu’une pure supposition. Il se pourrait que, par suite de leur croisement avec quelque autre race, les Alfourous, aussi bien que les Papua de la Nouvelle- Guinée, présentassent des caractères un peu différents de ceux sur lesquels nous avons basé notre raisonnement. En résumé, les Papous sont pour nous des métis, sou LES POLYNÉSIENS. 41 dolichocéphales comme les Polynésiens et les Tasmaniens, avec un indice nasal à peine plus élevé que celui des Poly- nésiens. Cette conclusion découle aussi bien des caractères crâniens reconnus par les anthropologistes modernes, que des caractères extérieurs observés par les anciens voyageurs. La race noire qui a contribué à les former devait avoir un indice céphalique semblable à celui des Néo-Calédoniens. Ils n’ont donc pu être le produit de la race négrito avec une autre race. En outre, la taille des Papous démontre que cette race noire était assez grande et telle qu’est la race Papua actuelle dans la Nouvelle-Guinée et les îles environnantes. Nous allons voir en effet, en étudiant les Papua, que s’ils présentent des variations de taille, ces variations ne tiennent bien probablement qu’à des influences locales. 4 II PAPUA VRAIS Signification du mot Papua, — Populations appartenant à la race Papua — Habitat actuel des Papua. — Leurs caractères physiques, en général, d’après Lesson. — Arfaki de la Nouvelle-Guinée. — Description des Papua de la Nouvelle-Irlande; — du Port-Praslin; — de l’île Bouka — de Pile d’York; — des îles Salomon; — des îles Hébrides ; — des îles Hogoleu, Carolines, Pelew; — de la Nouvelle-Calédonie ; — de Vani- koro ; — des îles Fiji ; — du Continent asiatique. — Résumé de la race Papua. — Tableaux linguistiques. Le nom de Papoua ou plus exactement Papua , confor- mément à P orthographe adoptée pour les langues océanien- nes où Vu se prononce ou, est généralement admis aujour- d’hui pour désigner la race noire dolichocéphale et de haute taille appelée d’abord race Mélanésienne* puis Papoue pro- prement dite. Ce nom est celui sous lequel sont connues les populations de la Nouvelle-Guinée depuis les premières dé- couvertes des Espagnols, principalement depuis celles d’Al- varo de Saavedra, en 1527. C’est ce qu’établit d’Argensola, et il ajoute que ce mot Papua signifie noirâtre : llamaronse Papua , que en su lengua significa prietos . Crawfurd pense également que Papua veut dire brun ou noir. D’un autre côté ce mot n’est pas malais moderne, mais il existe dans la langue polynésienne, sous la double forme Puapua , bouclier, et Papua, dur, cassant; il pourrait donc avoir été donné à la race noire par les Malaisiens. Au surplus, quelle que soit son origine, il suffit de savoir que ce n’est qu’un terme généri- i 43 LES POLYNÉSIENS. que et de connaître quelles sont les populations appartenant à la race Papua. R. P. Lesson regardait comme Papua les habitants d’une partie de la Nouvelle-Guinée, des îles Bouka, Bougainville, de la Nouvelle-Bretagne, de la Nouvelle-Irlande, etc., ainsi que ceux des îles Santa-Cruz, des Arsacides, des Hébrides, de la Nouvelle-Calédonie et des Fiji, à en juger d’après les récits des voyageurs. Mais il pensait, à tort probablement, que la variété Papua n’avait pas dépassé le détroit de Torrès, et que c’était la variété Alfourous-Endamène qui avait formé la population de la Nouvelle-Hollande. Quant à la terre de Van-Diemen, il supposait qu’elle avait été peuplée directement par les Hébrides et la Nouvelle-Calédonie. De Rienzi admettait l’existence des Papua,, même à Bornéo. Il leur donnait une aire considérable : il les plaçait sur une partie de Luçon, Mindoro, Mindanao, Timor, Célèbes, Java, Sumatra, quelques cantons de Madagascar et dans l’intérieur deFormose.il les faisait avancer de la presqu’île Malacca vers la Nouvelle-Guinée où ils avaient vaincu les noirs Enda- mènes ; de là ils s’étaient étendus dans la Louisiade, la Nou- velle-Bretagne, la Nouvelle-Irlande, les Salomon, Santa- Cruz, Loyalty, la Nouvelle-Calédonie, Viti, et jusqu’à Van- Diemen, Tahiti, la Nouvelle-Zélande, ainsi qu’à U al an, Hogoleu et Giulîay, dans les Carolines. Seuls, les Australiens et les habitants de Vanikoro étaient exceptés, parce que pour lui ils appartenaient à la race endamène. Il n’avait, du reste, au sujet des Papua que des idées très peu arrêtées et il est même présumable qu’il n’en avait aperçu qu’un petit nombre dans quelques-unes des îles voisines de la Nouvelle- Guinée. De notre côté, après avoir vu, dans plusieurs localités diffé- rentes, les noirs Papua tantôt purs, tantôt plus ou moins mé- langés, mais conservant néanmoins leurs principaux carac- tères de race, nous croyons pouvoir affirmer que les points les plus importants aujourd’hui encore occupés par eux sont les suivants : Une grande partie du littoral de la Nouvelle-Guinée et probablement quelques points de l’intérieur ; presque toutes N 44 LES POLYNÉSIENS. les îles à l’Ouest, à l’Est et au Sud-Est de cette grande terre, ainsi que celles du détroit de Torrès et de la Louisiade ; La Nouvelle-Bretagne et la Nouvelle-Irlande ; Les îles Salomon ; Indenni ou la Santa-Cruz de Mendana ; Les Hébrides, Vanikoro, Tubua, l’île Rossel; La Nouvelle-Calédonie, les Loyalty, l’île Beaupré, etc. ; Les Fiji; Puynipet, quelques points d’Hogoleu ou Doublon et quel- ques autres îles des Carolines. Voici comment R. P. Lesson, qui avait vu les Papua dans trois ou quatre points différents, les décrivait d’une manière générale (1) : Taille communément médiocre, quoiqu’on observe par- fois d’assez beaux hommes ; Membres bien proportionnés, souvent robustes ; Peau de couleur noire mêlée d’un huitième de jaune en- viron, quelquefois plus, quelquefois moins, ce qui lui donne une nuance tantôt très claire, tantôt plus foncée ; Chevelure noire, très épaisse, médiocrement laineuse, por- tée ébouriffée ou en mèches longues, flexueuses et cordonnées ; Visage assez régulier dans son ensemble, quoique le nez soit un peu épaté et que les narines soient élargies transver- salement ; Menton petit, bien fait ; Barbe rare, conservée sous le menton et parfois sur la lèvre supérieure ; Pommettes assez saillantes ; Front élevé ; Sourcils épais et longs. Les femmes, disait-il, sont communément laides ; les filles ont les traits réguliers et doux. Les Papua ont pour habitude de se couvrir la tète de poussière d’ocre ; de rougir ou blan- chir leur visage par bandes; de porter des bracelets; de fa- briquer de la poterie, et de se tatouer par incisions, etc. Nous (1) Voy . médical autour du Monde , p. 200 et suiv. et Journal des voyages, t. XXXVI, p. 55. LES POLYNESIENS. 45 savons que ce genre de tatouage n’appartient qu’à la race noire ou mélanésienne. On remarquera que R. P. Lesson n’avait jamais vu les habitants de File Tanna, et que la chevelure qu’il attribue à la race Papua est la même que celle observée par nous dans cette île des Hébrides. Ce qui est à remarquer aussi, c’est qu’il a vu la barbe en partie conservée, comme elle l’est particulièrement chez les Fijiens et les Néo-Calédoniens, qu’il n’avait pas eu non plus l’occasion d’étudier. Le front indiqué par lui est bien celui que paraît avoir toute la race, aussi bien à la Nouvelle-Guinée que dans Fîle Yanikoro : Ce front est élevé, mais rétréci sur les côtés, d’une manière considérable. On verra mieux, du reste, dans les détails que nous donnons à l’occasion de chaque population observée, quels sont les caractères de chacune d’elles. C’est aux Papua que R. P. Lesson rapportait les Arfaki, tribus montagnardes des environs de Dorey dans la Nou- velle-Guinée. Yoici la description qu’il en faisait : Crâne long, étroit, voûté ; Face verticale, nullement proclive ; visage ovalaire ; Taille médiocre, bien prise, parfois élevée ; Membres robustes, excepté les inférieurs qui sont un peu grêles ; Couleur générale de la peau brun bistre ; Chevelure noire, épaisse et très flexueuse, tombant en mèches tirebouchonnées ; Nez faible et déprimé, à narines transversales ; Menton petit, bien fait ; Pommettes médiocres ; Front élevé ; Barbe rare. Les Arfaki, disait-il, professent un grossier fétichisme, vivent en guerre les uns avec les autres et repoussent géné- ralement toute communication avec les blancs. Ils emploient l’arc et les flèches, construisent des pirogues sans balancier, sont habiles pêcheurs, aiment à se couvrir la chevelure et 46 LES POLYNÉSIENS. le corps de poussière d’ocre, et se passent des bâtonnets dans la cloison du nez et les lobes des oreilles. Cette description des Arfaki se rapproche en effet beau- coup de celle que R. P. Lesson a faite des Papua. Pour d’Ur- ville, au contraire, les Arfaki étaient des noirs aux cheveux ébouriffés, et pour de Rienzi des noirs aux cheveux flottants. Mais les Arfaki que d’Urville avait cru voir, en 1822, dans quel- ques villages de l’intérieur, voisins de Dorey, n’étaient que des Papous pareils à ceux de Dorey (1). De Rienzi s’est borné à décrire les Papua en quelques li- gnes : leur taille était assez élevée; leur peau noire et luisante avec un huitième de jaune ; leurs cheveux noirs, ni lisses, ni crépus, mais laineux, assez fins, et frisant beaucoup ; leur an- gle facial au maximum de 69°, au minimum de 63 à 64° (2). Mais, contrairement à R. P. Lesson, il regardait les Arfaki comme de véritables noirs endamènes aux cheveux flottants et au teint fuligineux. Evidemment, en donnant des cheveux flottants aux Arfaki, il devait les confondre, aussi bien que sa race endamène, avec des métis d’une autre race dont il ne paraissait pas soupçonner l’existence, c’est-à-dire celle des Alfourous ou Malaisiens, qui existe certainement encore à la Nouvelle-Guinée et qui seule, ainsi que nous le montrerons plus tard, peut expliquer la couleur moins foncée de la peau ainsi que les cheveux lisses et flottants observés sur quelques populations par R. P. Lesson et de Rienzi. Il est impossible, dans l’état actuel de la science, de savoir si les Arfaki sont des Papua comme le disait R. P. Lesson, des Papous, comme le croyaient d’Urville, Quoy et Gaimard, ou des noirs endamènes aux cheveux flottants, comme l’af- firmait de Rienzi. On ne pourra être fixé à ce sujet que lors- qu’on aura observé mieux qu’on ne l’a fait jusqu’ici les carac- tères extérieurs et surtout les caractères crâniens des Arfaki. Tout récemment le voyageur allemand Meyer affirmait (3) que les Arfaki ne diffèrent pas constitutionnellement destri- (1) Univers Pittoresque , 3e vol., p. 319. • t (2) Océanie , t. III, p. 3 et 4. Didot, 1836. (3) Revue à' Anthropologie, 1874, p. 728. LES POLYNÉSIENS. 47 bus du bord de la mer ; cela devait être, puisque tous les noirs sans exception de la Nouvelle-Guinée, de la Malaisie, des Philippines, etc., ne forment pour lui que des variétés d’une seule race. Mais, malgré son assertion, il est permis de douter, car on ne visite pas facilement les Arfaki, même à notre époque, et il est probable qu’il n’a jamais eu l’occasion de les voir de près. En attendant, à n’en jug*er que par les caractères extérieurs, et si la description que R. P. Lesson a faite des Arfaki est exacte, ces hommes ne seraient bien pro- bablement que des Papua. Malheureusement, rien n’est moins connu jusqu’à présent que les caractères crâniens des Papua autres que les Néo- Calédoniens, les Yanikoriens et les indigènes des côtes est de la Nouvelle-Guinée. Tout récemment M. Man- tegazza (1) a étudié une série de cent crânes papous (2) (Papua), provenant du groupe des îles Misori dans la baie de Gelwinck. Il a trouvé que la moyenne des in- dices céphaliques s’élevait à 69,84 chez les hommes et 71,91 chez les femmes ; celle des indices nasaux à 52,94 et 55,32 ; celle desindices orbitaires à85,00et 86,84. Ces crânes sont gé- néralement petits ; le trou occipital est plus en arrière que chez les blancs; les arcs sourciliers sont très-forts ; le menton est petit et fuyant ; les molaires ont quatre ou cinq cuspides. Ils offrent de nombreux caractères régressifs, mais le type général est supérieur à celui des Australiens, Tasmaniens et Nègres. Enfin les différences sexuelles sont très-ac- cusées. Pour les autres Papua on est forcé de se borner aux des- criptions faites par les observateurs à une époque où l’anthropologie n’existait pas encore. Les savants ne possèdent aucun crâne de Papua bien authentique, pro- (1) Studii anthropologie i ed etnografici sulla Nova Guinea , Flo- rence 1877. — Yoy. aussi Revue d’ Anthropologie, 1878, p. 352. (2) M. Mantegazza désigne sous le nom de Papous tous les indi- vidus quasi- noirs et à chevelure presque toujours quasi-laineuse, habitant la Nouvelle-Guinée, la Nouvelle-Calédonie, Batanta, l’ar- chipel des Fiji, les Salomon et les Nouvelles-Hébrides. 48 LES POLYNÉSIENS. venant de toute autre contrée que celles mentionnés ci-de sus, et l’on est forcé d’admettre que les indices crâniome triques sont les mêmes pour toutes les îles occupées par la race Papua. Il est probable, du reste, que les Papua de la Nouvelle-Guinée, surtout ceux qui habitent en face du dé- troit de Torrès et dans les îles de ce détroit, possèdent tout ou partie des caractères crâniens des Néo-Calédoniens. En attendant que l’on puisse étudier les indices crâniomé- triques dune façon complète, il n’existe absolument d’autre moyen de distinguer les Papua que les descriptions des an- ciens voyageurs. Nous allons donc examiner successivement les caractères que les observateurs ont assignés aux habitants de la Nouvelle-Irlande, du Port-Praslin, des îles Bouka et d’York, des îles Salomon, Hébrides, Hogoleu, Carolines, Pelew, de la Nouvelle-Calédonie et de Vanikoro. Néo-Irlandais. — Yoici d’abord ce que dit R. P. Lesson des naturels de la Nouvelle-Irlande qui, jusqu’à lui, n’avaient pas été décrits avec une bien grande exactitude (1) : « Les peuples qui vivent sur cette grande île appartien- nent à la grande famille des Papouas. Ils ont la peau noire, mais cette teinte est loin d’être décidée, et par le mélange de jaune uni au brun, affecte la couleur fuligineuse. Leur taille n’a rien de remarquable ; elle varie suivant les individus. Ses proportions les plus ordinaires sont à peu près de cinq pieds un à deux pouces. Les membres, sans être maigres ou minces, sont loin de présenter ces formes régulières et gra- cieuses qui sont propres aux Océaniens. Une épaisse cheve- lure laineuse recouvre leur tête, et tombe sur les épaules par mèches frisées et disposées comme des tire-bouchons. Les vieillards conservent leur barbe dans toute sa longueur, et paraissent en prendre le plus grand soin. Le front est ré- tréci ; ilsont avec cela le nez épaté, et une large bouche, lais- sant entrevoir deux rangées de dents corrodées par le bétel, etc. » Pour lui, en somme, les habitants de la Nouvelle-Irlande n’étaient bien que des Papua, mais d’un type inférieur à ri) Voyage médical p. 205 et texte de la zoologie de la Coquille . LES POLYNÉSIENS. 49 ceux qui habitent plus près de l’équateur, à la Nouvelle- Guinée ou à Waigiou. A ce sujet il se demande si cela n’était pas dû à la grande humidité dans laquelle ils sont plongés une partie de l’année : -cette influence, disait-il, est assez grande pour agir sur la partie osseuse de la tête, suivant les observations faites par le docteur Gall, sur plusieurs crânes rapportés de Waigiou par les naturalistes de la Coquille. Nous avons vu que pour Quoy et Gaimard, au contraire, il n’y avait d’autre différence entre les habitants de la Nou- velle-Irlande et les Papous de Dorey que celles tenant à l’u- sage de se barbouiller la figure de blanc ou de rouge. Mais ils faisaient probablement confusion, puisqu’ils donnaient aux Nouveaux-Irlandais les caractères anthropologiques suivants : Taille médiocre, membres grêles, ventre gros; Face élargie par la saillie des pommettes ; Nez épaté, ailes percées ; Yeux petits et peu obliques ; Cheveux noirs, disposés en tresses. De même que R. P. Lesson, Quoy et Gaimard font remar- quer que les Néo- Irlandais paraissent être influencés d’une manière funeste pour leur développement par l’atmosphère humide dans laquelle ils sont fréquemment plongés (1). On voit donc, par cette description, que les Néo-Irlandais présentent quelques différences avec les Papous de Dorey, surtout par leur face élargie, leur barbe noire et leur nez épaté à ailes percées. Nous avons eu occasion de voir ces hom- mes en même temps que Quoy et Gaimard, et nous avons constaté que les Néo-Irlandais étaient seuls à avoir un ven- tre si généralement gros ; nous avons reconnu en outre qu’ils avaient une taille ordinairement moyenne; qu’ils étaient mal faits et fort laids, avec une bouche démesurée, dégoûtante, des oreilles très-grandes, et que la plupart portaient leur barbe comme la portent les capucins, avec des favoris. Tous les autres caractères étaient ceux indiqués par R. P. Lesson. Personne mieux que Dampier, le flibustier, qui était un (1) Zoologie de l'Astrolabe, p. 34. 50 LES POLYNÉSIENS, observateur si exact et si consciencieux, n’a décrit les popu- lations des côtes Nord de la Nouvelle-Guinée, ainsi que cel- les de la Nouvelle-Bretagne et des îles voisines. Sa descrip- tion ne permet pas de douter que ces populations étaient composées de purs Papua, Papua beaucoup plus purs même que les Néo-Irlandais. Yoici, en effet, ce qu’il dit en parlant des habitants de la baie appelée par lui baie des Frondeurs, parce qu’il y avait été attaqué à coups de frondes, ainsi que de ceux des îles Cave, Saint-Jean et de l’île indiquée par les cartes hollandaises sous le nom de Garret-Dennis : « Ils sont noirs, vigoureux, bien taillés ; ils ont la tête grosse et ronde, les cheveux frisés et courts, affectant des formes diverses, et teints de couleur rouge, jaune ou blan- che. Leur visage est rond et large avec un gros nez plat. Ils se défigurent par des peintures, une espèce de cheville de la grosseur du doigt et longue de quatre pouces, dont ils tra- versent leurs narines. Ils ont de grands trous aux oreilles, et pour armes : l’arc, la lance, la fronde et l’épée. (1) » Il n’est certainement pas de description qui établisse, mieux que celle-ci, les caractères physiques des véritables Papua, comparés à ceux des Papous des auteurs ; mais il faut bien le reconnaître, il y a quelque différence entre ces carac- tères et ceux des Néo-Irlandais surtout sous le rapport de la taille et des formes. Ces différences, d’après l’analogie des au- tres caractères, ne sont bien probablement dues qu’aux cir- constances environnantes. La description de Dampier prouve en outre que Quoy et Gaimard, en trouvant les Papous et les Nouveaux-Irlandais pareils, ne devaient pas être bien fixés sur les caractères véritables des Papua. Ils devaient faire quelque confusion, ce qui tenait sans doute à ce que pour eux les mots Papous et Papua étaient synonymes. Nous croyons donc, malgré les légères différences signa- lées, que les Néo-Irlandais ne sont, comme le pensait R. P. Lesson, que des Papua un peu modifiés par leur séjour dans une contrée humide en même temps que chaude. C’est dans cette contrée que, à la suite de pluies torrentielles, plusieurs (1) Voyage de Guillaume Dampier aux Terres Australes, etc., t.Y, p. 83. — Amsterdam, Marret, 1723. LES POLYNÉSIENS. 51 des hommes de l’équipage de Y Astrolabe, et d’Urville lui- même, contractèrent de sérieuses maladies. Néo-Irlandais du port Praslin. — Yoici la description que faisait de Surville des habitants du port Praslin ou des Arsacides, découverts par lui dans la Nouvelle-Irlande (1) : « Ils sont en général de taille moyenne et de complexion ro- buste ; leur peau est de couleur tantôt basanée, tantôt noire comme celle des Cafres auxquels ils ressembleraient parfois, s’ils avaient les lèvres plus grosses et le nez plus épaté. Leurs oreilles sont largement trouées ; la cloison du nez est perforée pour recevoir un bâtonnet. Ils ont l’usage de la poudre d’ocre et du bétel ; leurs armes sont l’arc, des flè- ches et des haches en jade. » Monneron, le commissaire de de Surville, les représentait comme forts, nerveux, de couleur basanée, avec des yeux médiocrement enfoncés, un front petit, des cheveux crépus et doux au toucher, portés en queues ou en touffes saupou- drées d’ocre et de chaux, et avec la cloison nasale percée. Claret de Fleurieu (2) parlant du voyage de de Surville, disait dans les instructions expédiées le 26 juin 1785 à La Pérouse pour son voyage de découvertes : « Les peuples qui habitent le port Praslin sont en général de l’espèce des nègres ; ils ont les cheveux laineux et noirs, le nez épaté et de grosses lèvres. Ils poudroient leur tête avec de la chaux qui, sans doute, brûle leurs cheveux et les fait paraître roux. » Observation sagace que nous appuierons plus tard de nouveaux témoignages. Enfin il leur donnait tous les autres caractères indiqués par de Surville et Monneron. Quant aux habitants de l’île des Contrariétés, de Surville, qui est l’île Sesarga découverte par Mendana en 1567, il répétait que leurs cheveux étaient laineux. R.-P. Lesson, qui avait vu de près les indigènes de l’île (1) Nouveau voyage à la mer du Sud , de Marion , rédigé d’après la relation de Crozet, par Alexis Rochon, suivi d’un extrait du voyage de de Surville, p. 278. — Paris, Barrois, 1783. (2) Claret de Fleurieu, Découvertes des Français en 1768 et 1769. Imprimerie royale, 1785, p. 95. 52 LES POLYNÉSIENS. Bouka, écrivait dans son journal : « ce sont des Papua de moyenne taille, et dont les membres sont grêles et peu mus- clés. La peau est colorée en brun foncé, uni à une teinte jaunâtre. Leur cbevelure est longue et frisée et portée ébou- riffée. Le nez n’a rien d’épaté. Système pileux prononcé. Usage d’une ceinture serrée, de poussière d’ocre, de fard blanc, du bétel. Tatouage en mamelons, etc. » Ces caractères, bien qu’incomplets, sont, comme on le verra, ceux de quelques îles des archipels Salomon et des Hébrides, et s’ils sont un peu différents parfois dans des îles d’un même archipel, cela ne tient presque sûrement qu’à des circonstances locales. Ile d’York. — R. P. Lesson, décrivant les habitants de l’Ile d’York vus par la Coquille , disait : « La ressemblance la plus complète existe entre eux et les habitants delaNouvelle- Irlande ; seulement nous remarquâmes que la plupart de ceux que nous avions sous les yeux étaient d’une taille mieux prise, et plus robustes que les habitants du port Praslin, dont ils ne différaient d’ailleurs ni par la teinte noire de la peau, ni parla chevelure laineuse, recouverte de chaux, et de poussière d’ocre, etc. » Iles Salomon. — On sait aujourd’hui qu’une même race occupe l’archipel des îles Salomon, quoique les caractères dif- fèrent un peu suivant l’île où on l’a observée. Ainsi d’Urville, qui a vu les habitants de San Christoval et de Bougainville, dit que les premiers sont petits, faibles, mais bien constitués, tandis que ceux de l’île Bougainville sont vigoureux, bien faits, d’un noir mat et plus noirs que les précédents. Il donne à ces derniers une taille moyenne, avec des traits intelligents, des cheveux crépus, serrés, ébouriffés ou par mèches rousses ; il ajoute qu’ils ont l’usage du bétel mais non celui du tatouage. Enfin il décrit les naturels de l’île Isabelle comme chétifs, offrant des teintes diverses et quel- quefois cuivrées (1). On lit en note, dans le même volume (2), une descrip- (1) T. Y, p. 104, Voy. d'Urville. (2) Y. p. 293. LES POLYNÉSIENS. 53 tion des habitants de San-Christoval, plus développée, et faite par l’un des officiers de l’expédition, M. Rauquemo- rel. Aussi croyons-nous devoir la résumer : Taille ordinaire ; Peau généralement couleur de suie ou de chocolat, peu différente de celle des Yitiens, mais parfois plus noire ; Front peu développé ; Cheveux crépus et lai- neux; Pommettes proéminentes; Oreilles largement trouées ; Mâchoire inférieure saillante, mais moins que chez le nègre ; Nez assez aplati ; Lèvres grosses ; Bouche large ; Usage du fard, du bétel, etc. Le Rév. Atkin, qui a visité ces insulaires il n’y a pas long- temps, dit qu’ils sont petits, ordinairement noirs, quelque- fois bruns, robustes, avec des traits assez dissemblables et des cheveux variant du laineux à Fondé (wâvecl) et qui seraient bouclés ( curled ) si on les laissait à eux-mêmes. On connaît la description qui a été faite des habitants de File Santa-Cruz, visitée par Mendana en 1595. Tous ces hommes, disait-il, sont aussi noirs que des nègres d’Afrique; tous ont des cheveux crépus, qui sont teints en blanc, en jaune, en orange, en rouge et en d’autres couleurs. Ils vont nus, font usage du bétel, se servent de l’arc etdes flèches (1). Ils sont noirs, a dit àsontourd’Urville (2), avec les lèvres for- tes, le nez épaté, les cheveux crépus; ils sont vigoureux, assez bien proportionnés, aux jambes près qui sont peu musclées. Dillon qui, dans sa recherche de la Pérouse, a relâché dans la baie Gracieuse, dit également (3) qu’ils ont les cheveux laineux et teints de diverses couleurs : blanc, rouge, pourpre. Ils présentent une grande diversité de couleur et de traits : les uns sont noirs comme du charbon, les autres couleur de chocolat, et plusieurs ont la peau légèrement cuivrée et les cheveux droits ; ce qui atteste qu’un mélange partiel a eu lieu avec des Polynésiens (1) Dalrymple p. 169. Voyages dans la mer du Sud. Trad. par de Fréville, Paris, 4774, in-8’. (2) P. 142, 2° volume, Voyage autour du monde. (3) T. II, p. 219, 230, 241, Voyage aux Iles de la mer du Sud1 par le capitaine Peter Dillon, Paris, 1830, 2 vol. in-8°. 54 LES POLYNÉSIENS. venus bien probablement des îles Maine et autres îles voisi- nes ou de Tukopia, à la suite d’entraînements. Il ajoute qu’ils ont les coutumes de Vanikoro, c’est-à-dire l’usage du bétel, de l’arc et des flèches, etc., qu’ils sont sains, propres, et que leurs femmes ont bonne mine. Comme termes de comparaison, nous citerons encore la description qu’avait faite Labillardière des insulaires de Santa-Cruz, l’Indenni des indigènes (4). « Ces peuples, disait-il, sont en général d’une couleur olivâtre assez foncée, et leurs caractères de physionomie annoncent beaucoup de rapports entre eux et la plupart des habitants des Moluques ; seulement on en remarquait quel- ques-uns qui avaient la peau très noire, les lèvres grosses, le nez large et aplati, et qui paraissaient être d’une race bien différente ; mais dans tous les insulaires, les cheveux étaient crépus et le front très large. Ils sont en général d’une assez grande taille; leurs cuisses et leurs jambes sont peu musclées. La plupart avaient le nez et les oreilles percés de trous dans lesquels ils avaient passé des anneaux d’écaille de tortue. Presque tous étaient tatoués. Ils avaient un goût prononcé pour les chevelures rendues blondes par l’usage de la chaux, et le ventre serré avec une corde ; enfin, l’usage de s’épiler et de porter des bracelets. » Comme on voit, c’est absolument la description de Mem- dana, mais plus complète ; les autres caractères sont en partie, ceux des habitants de San-Cliristoval et de Mal- licolo. Mais Labillardière signale un front très large* lequel n’appartient guère à la race noire Papua, qui l’a très bombé, dénudé, mais étroit latéralement. Aussi croyons-nous qu’il n’a voulu parler que de l’étendue verti- cale du front. Nous ajouterons que ce qu’il prenait pour une race différente était bien probablement, au contraire, la race fondamentale, puisque tous les autres caractères indi- qués par lui, sont ceux de la race Papua. Du reste, on a vu, comme l’a fait remarquer Dillon, que rien ne varie plus que (4) T. II, p. 255. Relation des voyages de la Recherche, etc.— Paris an VIII, 2 vol. in-4°. LES POLYNESIENS. 55 la couleur et les traits des habitants de l’île Santa-Cruz. Cette variation s’explique par le métissage presque certain d une partie de la population, puisqu’on a constaté un grand nombre de cheveux droits, et, sans doute, par les habitudes, l’absence de soins, l’exposition plus ou moins fréquente au soleil, absolument comme cela a lieu en Polynésie, ainsi que nous le ferons voir. En somme, dans les caractères signalés, il est impossible, croyons-nous, de ne pas reconnaître ceux des Papua, et nous allons montrer que ces caractères présentent seulement quelques différences dans les Hébrides, différences qui sont évidemment dues à un métissage plus grand, et peut-être, dans certaines îles, aux influences locales. D’après Barnard Davis, l’indice céphalique des habitants des îles Salomon est de 71.2; celui des Hébridiens est de 72,5, absolument comme celui des Fijiens. Iles Hébrides. On connaît la description qu’a faite Bougain ■ ville des insulaires de son île des Lépreux, vue par lui en 1768. Ils sont noirs, disait-il, et il y en a demulâtres. Leurs lèvres sont épaisses, leurs cheveux cotonnés, quelques-uns même ont la laine jaune. Ils sont petits, vilains, mal faits et la plupart rongés de lèpre. Ils vont nus, excepté les parties naturelles, s’épilent, se percent les narines, portent des bracelets, etc. Avant lui Quiros avait dit, en parlant de la terre de l’ Esprit-Saint, Tierra del Espiritu Santo : « Toute cette partie du monde est extrêmement peuplée ; on y voit des hommes de diverses couleurs : blancs, noirs, olivâtres ou de couleurs mélangées ; il y en a de rougeâtres, peut-être pour avoir été brûlés de l’ardeur du soleil. Les uns ont les cheveux noirs, longs et épars ; d’autres les ont épais et crépus ; d’autres aussi les ont jaunes et luisants, ce qui peut être un indice qu’il y a eu parmi eux du mélange dans les espèces ». Remarque profonde et qui prouve que, dès cette époque (1666), des Polynésiens s’étaient transportés dans les Hébrides, puisque des individus avaient des cheveux longs et épais, c’est-à-dire lisses. Quant aux autres nuances, on sait à quoi elles étaient dues, et nous aurons à y revenir ailleurs. 56 LES POLYNÉSIENS. On connaît également la description des habitants de Mallicolo faite par Cook. « Ils sont petits, disait-il, bronzés, avec la tête longue et le visage plat, les membres sont grêles et disproportionnés. Ils ont les cheveux noirs ou bruns seulement, courts et crépus, sans être laineux, mais point aussi noirs et aussi laineux que ceux d’un nègre ; leur barbe est forte, touffue, ordinairement noire et courte. Ils vont nus, ont la ceinture étranglée,, se peignent en rouge ; les femmes sont laides. » Cook trouvait que les insulaires de la terre du Saint-Esprit étaient plus robustes et mieux faits que ceux de Mallicolo, avec une chevelure tantôt courte et frisée, tantôt longue et lisse et qu’ils parlaient une langue différente, se rappro- chant de l’idiome des Tongans. Enfin tous les savants connaissent la description des ha- bitants de l’île Tanna, faite par le même navigateur et les deux Forster (1): Taille médiocre, en général petite ; Formes peu robustes ; Couleur de la peau des deux sexes très bron- zée, mais non pas noire ; ils n’ont même aucun trait des nègres ; Physionomie agréable ; Cheveux noirs ou bruns, crépus et frisés, séparés en petites mèches ; Barbe courte, forte, touffue ; Femmes assez jolies ; usage des fards, ceinture seulement, etc. On vit aussi dans cette île quelques individus, hommes, femmes et enfants, dont les cheveux ressemblaient à ceux des Anglais ; mais l’on apprit bientôt, qu’ils étaient des étrangers venant de Futuna, l’île Erronan des cartes. Les naturalistes de l’expédition anglaise reconnurent que deux langues différentes étaient parlées à Tanna : l’une, celle d’Erronan, qui avait beaucoup de rapports avec la lan- gue des îles des Amis ; l’autre, l’idiome naturel du pays, et le même que celui d’Erromango etd’Annaton. Cet idiome, pour eux, différait de tous les autres langages qu’ils avaient entendu parler jusque-là. On verra plus tard que le fond du langage à Erronan est lui-même tout mélanésien, mais que des colonies polyné- (1) 209, 2e voyage autour du monde. LES POLYNÉSIENS. 57 siennes y étaient établies depuis longtemps, et s’étaient répandues sur Tanna, la terre du St-Esprit et probable- ment quelques autres ; c’est ce qui explique la rencontre sur ces îles d’individus à cheveux lisses et parlant un dialecte polynésien, celui des îles Tunga, comme le disaient avec tant de sagacité les deux naturalistes de Cook. Les descriptions précédentes établissent que la petitesse de la taille semble être plus commune chez les insulaires des Hébrides que chez ceux des Salomon : cette petitesse, en effet, est signalée aussi bien dans l’île des Lépreux de Bougainville, qu’à Mallicolo et à Tanna par Cook. Mais ce caractère n’est pas général : nous en avons la preuve dans ce que dit Cook lui-même des habitants de la terre du Saint- Esprit de Quiros, et de nos jours le Rev. Atkin a vu, de son côté, dans certaines îles des Hébrides, des individus grands, noirs, aux cheveux bouclés ou laineux. M. Harny (1) se basant sur des chiffres fournis par le commissaire de l’immigration à la Nouvelle-Calédonie sur la taille de 12 insulaires des Nouvelles-Hébrides, pense que la petitesse de la taille est due dans ces îles à un élément nègre très-petit que Pickering a placé dans sa race Ne- grillo. Ainsi, dit-il, s’expliquerait la différence de 6 centi- mètres que l’on constate entre les Néo-Calédoniens et les Réo-Hébridiens. Pourtant on peut remarquer dans ce tableau officiel une femme de 1 m 60, un homme de lm61, un de lm63 et un autre de lm 65. Et si un jeune homme de 19 ans ne mesure que lin 545, nous savons que M. Bourgarel a mesuré des Néo-Calédoniens n’atteignant que lm 56. Il ne semble donc pas nécessaire, pour expliquer ces différences, de recourir à l’influence d’un élément étranger. Ainsi à part la taille, qui, la plupart du temps, ne doit être due qu’à l’insalubrité de ces îles, tous les autres caractères sont bien ceux de la race Papua : cheveux crépus ou laineux, nez épaté, grosses lèvres, couleur bronzée de la peau, tête longue, etc. ; usage du bétel, de l’arc et des flèches, etc. C’est donc à tort que le docteur Pickering a rangé les habi- (1) Bull, Soc. d’Anthrop. 187G, p. 1C8. 58 LES POLYNÉSIENS. tants des Nouvelles-Hébrides, des îles Salomon et du petit groupe Nitendi, — la Santa-Cruz de Mendana, — parmi les négritos. Il est probable qu’il en a parlé sans les bien con- naître et qu’il s’est trompé : c’est ce que prouvent les des- criptions que Dillon et d’Urville ont faites des insulaires des Salomon et de Santa-Cruz, et surtout les 8 crânes de Mal- licolo, les premiers de ces îles qui soient parvenus en Europe et qui ont été étudiés en 1877 par le Dr G. Busk : l’indice céphalique moyen de ces 8 crânes est de 71.0, c’est- à-dire qu’ils sont parmi les plus dolichocéphales du globe (1). Les mêmes observations s’appliquent également aux habitants des îles de l’Amirauté décrits par M. H. N. Mose- lay (2). La taille moyenne des hommes y est de lm 646 ; et celle des femmes de lm 549. Leur peau est brun foncé, plus claire chez les jeunes, leurs bras et leurs jambes sont cou- verts de poils crépus ; leurs cheveux, quand ils sont portés longs, s’élèvent en une massé volumineuse. Ils sont très- maigres et de formes grêles. Mais en somme, les Amirau- tiens sont bien, comme les précédents, des Papua dégénérés par suite de leur habitat dans des îles basses, boisées, chau- des et humides. Il est facile de comprendre que les populations indigènes de certaines îles soient influencées elles-mêmes par l’insa- lubrité du climat; mais s’il est évident que les influences locales ont eu une certaine action sur la taille et les nuances de coloration cutanée, c’est seulement aux croisements avec une autre race qu’il faut attribuer les cheveux lisses observés sur les têtes d’un certain nombre d’insulaires de Santa-Cruz, de la Terre-du-Saint-Esprit, d’Erronan, et qui existent probablement dans quelques îles moins connues des mêmes groupes. C’est évidemment aux accidents de mer que sont dus les quelques vrais Polynésiens rencontrés par les navigateurs à Santa-Cruz et dans quelques autres îles des Salomon ; mais (1) Revue anglaise, in Revue d'anthropologie , 1878, 2e fasc., p.327. (2) Journ . Anthrop. Instit. mai 1877 ; in Revue d' Anthropologie 1877, p. 730, trad. E. Daily. LES POLYNÉSIENS. 59 c’est presque certainement aux voyages volontaires que doi- vent être attribuées les colonies assez fortes signalées à Tanna, Erronan, Mallicolo, etc. Nous montrerons, lorsque nous aborderons la question des migrations, les motifs qui attiraient les Polynésiens si loin de leurs îles ; il nous suf- fira de dire pour le moment que le jade vert, à l’exception de la Nouvelle-Zélande, n’existe que dans les îles Hébrides et la Nouvelle-Calédonie. Les Polynésiens, autrefois, se rendaient en grand nombre dans ces îles lointaines pour y commercer ; c’est ainsi qu’ils ont fini par se glisser à la Nouvelle-Calédonie et par s’emparer pour ainsi dire des Loyalty. Du temps de Cook, ces colonies étaient sans doute encore assez pures pour qu’il fut facile de les reconnaître ; mais depuis lors les voyages des Polynésiens cessèrent ; les popu- lations métisses, produites par leur croisement avec la race noire, perdirent en partie les caractères de leurs pères et cha- que jour elles retournèrent de plus en plus au type maternel, c’est-à-dire au type de la race mélanésienne première occu- pante. Nous ferons remarquer en passant que les îles mélané- siennes qui ont reçu le plus de Polynésiens, sont les Fiji, les Loyalty, la Nouvelle-Calédonie, Erronan, Tanna, etc., c’est-à-dire les plus méridionales. On retrouve bien encore les traces des Polynésiens en avançant vers le Nord-Ouest, mais ces traces vont sans cesse en diminuant ; elles sont rares à Santa-Cruz,San-Christoval, dans les Salomon, plus rares encore à la Nouvelle-Irlande. N’en peut-on pas inférer à priori que les Polynésiens étaient portés, volontairement ou non, de l’Est et du Sud-Est vers l’Ouest et le Nord- Ouest? Il est bien évident, en effet, que s’ils étaient partis de la Malaisie, ainsi qu’on le prétend généralement, ce se- raient les îles mélanésiennes les plus occidentales qui au- raient dû recevoir le plus grand nombre de Polynésiens. Nous ne décrirons pas les naturels des petites îles méla- nésiennes voisines de Santa-Cruz, telles que Tinakoro,Fono- fono, etc., dont les habitants, bien que moins connus, sont cependant de race Papua, ainsi que cela résulte des récits GO LES POLYNÉSIENS. des voyageurs. Toutefois nous dirons quelques mots des habitants de l’île Rossel, l’une des îles de l’archipel de la Louisiade, et la plus élevée en même temps que la plus orientale du groupe. Voici la description qui a été faite de ces insulaires par les missionnaires français: Peau noire, plus foncée que celle des Vitiens et des Néo-Calédoniens ; Chevelure noire, crépue ; Barbe courte, frisée; Nez écrasé; Bouche large; Œil noir, injecté; Pommettes saillantes; Membres peu volumineux ; Stature médiocre ; Usage du bâtonnet ; bétel, sagaie, fronde, etc. Tous ces caractères, quoique incomplets, sont bien ceux de la race noire Papua. Les mêmes caractères semblent se re- trouver également chez les habitants de l’île Moiu, la Wood- lark des cartes anglaises, qui appartient aussi au groupe de la Louisiade. Cette île gît par 9°40 lat. et 151 long. ; elle est aussi malsaine que les îles Rook, San-Christoval, Vani- koro, etc. Iles Carolines. — Si maintenant nous ajoutons aux popula- tions noires que nous venons de passer en revue celles de même couleur qui existent certainement dans quelques-unes des îles du groupe Hogoleu et qu’a signalées le premier l’amé- ricain Morrell; si nous y ajoutons surtout celles qui occupent l’île Ascension ou Puynipet dans les Carolines, ainsi que les habitants de la Nouvelle-Calédonie, des Fiji et de Vanikoro qu'il nous reste à décrire, on aura l’énumération à peu près complète des populations qui nous semblent appartenir à la race noire de grande taille ou race Papua. Il n’y a pas à douter aujourd’hui que des noirs existent sur quelques-unes des îles du groupe Hogoleu, à côté des Carolins ou Polynésiens qui occupent les autres îles et avec lesquels ils sont constamment en guerre. La description que le navigateur russe Lütke a faite des insulaires de Puynipet, et surtout l’étude des crânes rapportés de cette île, en 1841, par des officiers de la Danaïde, établissent que cette popula- tion est bien mélanésienne. On sait d’ailleurs qu’on a éga- lement rencontré des Mélanésiens dans quelques autres îles des Carolines, telles que les Radack ou Marshall, où ils ont LES POLYNESIENS. Cl été observés par de Chamisso et Kotzebüe, et que le P. Canto - va lui-même avait signalé leur présence dès l’occupation de ces îles par les premiers missionnaires espagnols. Mais, con- trairement à l’opinion de quelques ethnologues, tout sem- ble indiquer que les Mélanésiens ne sont point allés jus- qu’aux Mariannes. Iles P de w. — • Peut-être faut-il aussi regarder comme des Mélanésiens les premiers habitants des îles Pelew, aujour- d’hui si modifiés dans leur apparence extérieure, mais si semblables encore par le langage aux populations noires de quelques autres îles mélanésiennes (1). Les habitants des îles Pelew ou Palaos ont, en effet, un langage qui, comparé à ceux de Vanikoro et de la Nouvelle-Calédonie, ne permet pas, malgré de nombreuses différences, de méconnaître les rapports existant entre ces populations. Si l’on s’en rapporte au vocabulaire de Wilson, la langue de ces îles n’aurait que quelques mots d’apparence polynésienne et le fond en serait tout mélanésien, ainsi du reste que la coutume qu’ont les insulaires de mâcher le bétel, de porter des ceintures étroites et très-dures, de se servir de vases en terre, d’arcs, de flèches, etc. Quant à la langue malaise elle était complè- tement inconnue lors de l’arrivée des navigateurs anglais dans ces îles (2). Nouvelle-Calédonie . — Bien que la population de la Nou- velle-Calédonie soit aujourd’hui la mieux connue de toutes les populations noires, grâce aux travaux de la Société d’ Anthropologie de Paris, et aux éléments qui ont été four- nis à celle-ci par les médecins delà marine, nous ne croyons pas pouvoir nous dispenser de commencer par citer les paro- les du découvreur de cette île, tant ces paroles donnaient déjà une idée exacte de cette population. « Les habitants de laNouvelle-Calédonie, disait Cook, sont (1) Relation des îles Pelew , d’après les journaux du cap. H. Wil- son, et de quelques-uns de ses officiers qui, en août 1783, y ont fait naufrage sur YAntelope, paquebot de la compagnie des Indes- Orientales. — Trad. de l’anglais de George Keate. Paris, 1788. (2) Relation , loc. cit., cli. III, p. 37. / 62 LES POLYNÉSIENS. forts, robustes, bien faits, actifs et polis ; leur caractère est rempli de bonté ; leur couleur est à peu près la même que celle des naturels de Tanna ; mais ils ont des traits plus agréables, un meilleur maintien et ils paraissent d’une race supérieure ; on en voit de la taille de six pieds cinq pouces ; leur barbe est de la même nature que leur chevelure ; l’une et l’autre est noire et crépue, et, généralement ils les tien- nent toutes deux coupées fort court ; pour tout vêtement ils portent une ceinture, comme à Tanna et à Mallicolo ; les femmes ont un petit jupon, etc. » Ce peuple disait R. Forster (1), paraît provenir des insu- laires de Tanna et des habitants des îles des Amis, ou de ceux de Tanna et des Nouveaux-Zélandais, si ce n’est de tous les trois, leur langage étant, à quelques égards, un mélange de celui de ces différentes terres. Cette observation est fort remarquable pour l’époque ; aujourd’hui l’on sait que les Néo-Calédoniens sont de la même race que les insulaires de Tanna, et que des colonies polynésiennes se sont introduites parmi eux. D’un autre côté, voici la description que Labillardière, quelques années plus tard, a fait de la même population (2) : « Les habitants de la Nouvelle-Calédonie sont en général d’une taille médiocre ; cependant nous en vîmes qui avaient près de deux mètres de haut, mais ils étaient très mal bâtis; ils sont tout nus, mais enveloppent la verge, les uns d’un morceau d’étoffe grossière faite d’écorce d’arbre, les autres de grandes feuilles ; ils ont les cheveux laineux ; l’usage de s’épiler est assez répandu parmi ce peuple ; cependant on en remarquait quelques-uns qui se laissaient croître la barbe ; la couleur de la peau est presque aussi foncée (noire) que celle des sauvages du cap Diemen, dont le caractère de phy- v sionomie a beaucoup de ressemblance avec le leur ; le lobe de l’oreille était percé d’un grand trou, et descendait jusque sur les épaules. ïls ne paraissent pas connaître l’usage dei’arc, if A (1) Deuxième voyage de Cook , p. 295. (2) P. 186, 244, t, II. LES POLYNÉSIENS. 63 mais ils ont la fronde, des massues de formes variées, etc. » A la suite du deuxième volume on trouve le premier voca- bulaire un peu étendu qui ait été donné sur la langue parlée parles habitants du havre Ballade. Nous ajouterons que la figure du sauvage de la Nouvelle-Calédonie lançant une zagaie, que l’on voit dans l’atlas de Labillardière, donne une idée exacte de la population primitive, mais que le corps est seulement trop fort. Toutefois c’est bien l’aspect de la barbe, de la chevelure , de toute la physionomie en un mot des Néo-Calédoniens ; la figure de la femme est embellie. Dans ces dernières années, de nouvelles descriptions ont été faites de cette population. Yoici d’abord celle qui en a été donnée par M. Vinson (1), médecin de la marine, qui avait séjourné de 1855 à 1856 à la Nouvelle-Calédonie. Deux familles différentes au point de vue anatomique existent, dit-il, dans cette île : l’une, rare, observée dans la baie du sud, parmi les chefs de l’île des Pins et chez quel- ques hommes du nord ; l’autre que l’on trouve partout. La première est grande, lm70 à lm 80. Elle a : La peau noire; Les muqueuses d’un rouge assez vif; Les yeux ou- verts, intelligents, à sclérotique jaunâtre, à iris très-foncé; Les paupières régulièrement arquées, comme les sourcils ; Les cheveux noirs, mais non précisément crépus, rudes et ondulés ; Le crâne assez développé ; Le front peu élevé mais non fuyant; Le nez droit, les narines presque antéro-posté- rieures sans écartement des ailes ; La lèvre supérieure pres- que verticale, sans épaisseur comme l’inférieure ; Le men- ton plutôt saillant, l’angle maxillaire légèrement écarté ; Les pommettes effacées ; La barbe très fournie, ondulée et lisse ; Les membres bien proportionnés ; Le bassin bien dévelop- pé; Le pieds assez larges. La deuxième présente en général les caractères sui- vants : Peau noire, non pas couleur de jais, mais plu- tôt chocolat foncé; Lèvres noires à l’extérieur, viola- cées à l’intérieur; Sclérotique jaunâtre, avec injection des (1) Thèse soutenue pour le doctorat en médecine, à Paris, en 1858, par E. Yinson, cliirurgien-major de la Prévoyante. 04 LES POLYNÉSIENS. vaissaux ; Iris brun marron ; Cheveux crépus, moins cepen- dant que chez les nègres proprement dits, et blanchissant facilement, moins rudes et s’ allongeant davantage ; Poils de la barbe et des moustaches rares, duvet sur le corps ; Odeur de la sécrétion de la peau non celle du nègre, mais de la bête fauve; Visage variant de forme ; Oreilles hautes ; Yeux petits, bridés aux angles ; Paupières supérieures gonflées et tombant en dehors ; Pommettes saillantes ; Nez variable, lé- gèrement épaté, sans rainure médiane sensible; Narines ouvertes transversalement ; Ailes du nez écartées ; Lèvres assez développées ; Menton arrondi ; Angle maxillaire sans écartement et obtus ; Crâne petit, fuyant en arrière, rétréci en travers à la région fronto-temporale, renflé au niveau des bosses pariétales, manifestement reculées. La ligne demi-circulaire du temporal est de 12 millimètres plus rap- prochée de sa correspondante que dans le crâne des Nu- Hiviens ; l’arcade zygomatique, très forte, s’éloigne du crâne, et donne lieu à une fosse considérable. Les hommes sont en général plutôt grands que petits ; lm67 ; Le visage est assez régulier, à expression gaie et in- telligente, les yeux sont rusés, perfides, même méchants ; Les femmes sont mieux que les hommes en ce que, quoi- que laides, elles ont la physionomie douce, animée, franche et gaie ; la peau est huileuse ; la taille moyenne plutôt petite que grande ; les seins plus souvent arrondis que pyriformes, rarement très volumineux. Il est évident que M. Vinson décrit, dans sa première famille, les métis produits par le croisement des Polynésiens avec la race noire première occupante de l’île, et dans la seconde, cette race, noire elle-même. En ce qui concerne cette dernière race, nous ferons remarquer sa manière de voir lors- qu’il parle des yeux petits, bridés aux angles, du gonfle- ment de la paupière supérieure, de la petitesse du crâne et de son rétrécissement, de la profondeur de la fosse zygomati- que, et enfin delà forme plutôt arrondie que pyriforme des seins chez les femmes. Voici d’un autre côté, comment un autre médecin de la LES POLYNÉSIENS. 05 marine, M. de Rochas (1), a décrit les Néo-Calédoniens : « Les Néo-Calédoniens ont la peau d’un noir fuligineux dont la nuance varie depuis l’ocre jaune légèrement teinté de noir jusqu’à la couleur chocolat : Cette dernière est la plus com- mune. Les uns ont les cheveux noirs, épais, laineux et cré- pus, d’autres les ont de même couleur, mais plus fins, flocon- neux, long’s et susceptibles d’être ramenés en une grosse touffe sur le sommet de la tête ; chez tous la chevelure est forte et épaisse, leur barbe est noire, frisée et bien fournie; le nez est larg*e, épaté, déprimé entre les orbites ; ils ont l’œil largement ouvert et suivant la même direction que dans notre race, mais plus enfoncé ; l’iris est d’un brun noir et se confond presque, par la couleur, avec la pupille ; la con- jonctive oculaire est rougeâtre, caractère qui prive l’œil de son éclat, en même temps qu’il lui donne une expression fa- rouche ; les lèvres sont ordinairement grosses et plus ou moins renversées, mais ce n’est pas sans exception ; les mâ- choires sont proéminentes et les incisives proclives ; la bouche est grande, les dents sont bien alignées, et d’une parfaite blancheur ; leurs pommettes sont plus saillantes que les nôtres mais moins que celles du nègre ; ils ont le front étroit et convexe et, quoique haut, un peu fuyant ; la bosse nasale est très-prononcée; la tête est aplatie transversalement, étroite surtout à la région temporale et allongée ; la taille générale est celle des Français ; le développement thoraci- que et des muscles est généralement avantageux ; l’abdo- men est proéminent chez plusieurs, mais jamais d’une façon gênante ou disgracieuse. « La taille moyenne des femmes est inférieure à celle des hommes et il existe, à cet égard, entre les deux sexes, à peu près le même rapport que chez nous. Elles ont généralement les mamelles très développées et pyriformes. « Le prognathisme, l’étroitesse du front, la saillie des pom- mettes sont les trois caractères qui distinguent les crânes néo-calédoniens des crânes européens. » (1) Mém. sur les Néo-Calédoniens. — Bull, delà Soc. d’ Anthropolo- gie de Paris , t, I, 1860. 66 LES POLYNÉSIENS. Enfin, voici la description des Néo-Calédoniens faite par le docteur Bourgarel, médecin de la marine comme les deux précédents (1) : « Les Néo-Calédoniens appartiennent au type mélanésien ou nègre océanien ; ils ont une taille un peu supérieure à celle des Français et un système musculaire médiocrement développé; la couleur de leur peau varie du chocolat au jaune olivâtre foncé ; ils ont les cheveux noirs floconneux et crépus, la barbe noire, le crâne aplati en travers, le front étroit, bombé et fuyant ; les yeux ovales, enfoncés sous des arcades orbitaires proéminentes et dirigés horizontalement ; le nez large, épaté, les pommettes saillantes, les lèvres épais- ses bordant une bouche large de six centimètres, les dents blanches mais proclives, le menton arrondi, un peu proémi- nent. Ce qui frappe le plus, lorsqu’on les examine pour la pre- mière fois, c’est le peu de largeur du crâne, l’aplatissement du nez, dont la racine est comme rentrée au-dessous du fron- tal et le prognathisme, ce qui, joint à la coloration jaune rou- geâtre de la conjonctive leur donne un aspect des moins ave» liants. » Dans un autre mémoire, inséré dans les archives de méde- cine (2), M. Bourgarel décrit un peu différemment les Néo-Calédoniens. Après avoir dit que la variété nègre domine mais qu’elle est mélangée avec la variété pa- poue et que les plus noirs sont de couleur chocolat foncé, il ajoute qu’un assez grand nombre d’entre eux présentent une nuance beaucoup plus claire à reflet jaunâtre, que la barbe est fournie et que les cheveux sont presque toujours noirs ou châtain très- foncé, crépus, ondulés, mais non lai- neux, comme l’avait remarqué F orster ; enfin il dit que les membres supérieurs sont généralement assez grêles ainsi que les membres inférieurs, surtout chez les individus de la variété noire ; que les os des jambes sont convexes en avant, le calcanéum proéminent et le pied long ; que l’œil est petit, (1) Lecture sur les crânes des Néo-Calédoniens et des Polyné- siens. — Bulletins , id., t. I, 1860. (2) 1er n° 1866, p. 5. LES POLYNÉSIENS. 67 ovalaire, le thorax bolnbé et un peu moins ample que celui de l’européen et que les femmes ont les seins très déve- loppés. Ainsi, à l’exception de la grandeur de l’œil et de la cheve- lure, que M. de Rochas regarde comme laineuse, et M. Bour- garel comme non laineuse, mais que tous les deux de même que M. Yinson qualifient de crépue, les deux observateurs s’accordent sur tous les autres caractères présentés par la race noire première occupante de l’île. Ces caractères sont, sinon tous, du moins pour la plupart, ceux qui ont été donnés aux insulaires des îles Salomon et des îles Hébrides ; ce sont en même temps, comme nous le montrerons bientôt, les caractères des habitants de l’île Yanikoro, de même qu’ils sont en partie ceux que présentent les Papous de la Nou- velle-Guinée. Il est en effet à remarquer que les enfants des Papous ont la plus grande ressemblance avec ceux des Néo-Calédoniens, de certaine tribu du moins. Pour s’en convaincre, il suffira d’ouvrir l'atlas du livre de sir Raffies sur Java : on verra que le petit Néo-Calédonien, dont parle M. J. Garnier, a la plus complète analogie avec le petit Papou emmené en Angleterre par sir Raffies, et qui a été examiné par sir Everard Home. M. Bourgarel signale tout particulièrement la gTacilité des membres supérieurs et inférieurs, la convexité des os des jambes et la proéminence du calcanéum chez les Néo- Calédoniens. Ces faits ont été en partie confirmés plus récemment par un observateur qui n’était pas anthropolo- giste, mais qui a étudié avec le plus grand soin les choses de la Nouvelle-Calédonie. M. J. Garnier dit en parlant des habitants de Yengliène : « Le sang est beau; beaucoup sont bien bâtis; jamais ils n’ont un embonpoint extrême ; ils sont tout ossa- ture, tout muscles. Cependant un défaut général des Néo-Calédoniens, c’est d’avoir les jambes un peu grêles, relativement au buste, et les mollets placés plus haut que les nôtres. » C’est-à-dire qu’il leur trouvait les jambes peu musclées des sauvages de l’île Santa-Cruz, d’après Labillar- dière, de ceux de l’île Mallicolo, d’après Cook, des habitants 68 LES POLYNÉSIENS. de Yanikoro, d’après Quoy et Gaimard, ainsi que le calca- néum saillant et les mollets placés comme cirez ces derniers d’a- près les mêmes observateurs. Enfin, ce qui semble n’avoir pas été assez remarqué, c’est que les épaules des Néo-Calédoniens sont élevées comme celles des Malgaches et des Australiens. M. Topinard (1) regarde les Néo-Calédoniens comme for- mant une race mixte composée de trois éléments : l’un poly- nésien, l’autre mélanésien, le troisième intermédiaire ou croisé. L’examen d’une forte série de crânes montre que les métis y sont en majorité, les Mélanésiens assez nombreux et les Polynésiens rares. La race actuelle a une capacité crâ- nienne de 1460 centimètres cubes chez l’homme et de 1428 chez la femme ; elle est donc, sous ce rapport, supérieure à l’Australien et au nègre. Son indice céphalique, 71.78, et son indice orbitaire, 80.6, la rapprochent des Australiens et des races préhistoriques et l’éloignent des races jaunes ; son in- dice nasal, 53.06 la détache de toutes les races noires. Précédemment, dans son mémoire sur les Tasmaniens (2), M. Topinardavait montré que les Néo-Calédoniens, de même que les indigènes des Nouvelles-Hébrides, se rapprochent des Australiens et s’éloignent des Tasmaniens. Ceux-ci, au contraire, se rapprochent des Polynésiens par la forme du crâne et, ainsi que nous l’établirons, des Néo-Calédoniens par la langue. Il faut donc conclure, contrairement à ce que pensait R. P. Lesson, que les Tasmaniens sous-dolichocépha- les n’ont pu, malgré tant d’autres ressemblances, avoir les Néo-Calédoniens pour ancêtres, ou du moins pour uniques ancêtres. Ainsi, il résulte de ce qui précède que les Néo-Calédoniens appartiennent incontestablement à la race noire qui occupe non-seulement les Hébrides, mais aussi les Salomon, les Yiti et Yanikoro. Si, de même qu’aux Yiti, ils sont plus grands que beaucoup des habitants des îles Salomon, des Nouvelles- Hébrides et de Yanikoro, s'ils ont plus de barbe que ces derniers, si leur peau semble être plus foncée, s’ils diffèrent par (1) Anthropologie , p. 524. (2) Mémoires de la Société d’ Anthropologie, t. III. LES POLYNÉSIENS. 69 quelques détails, ces détails ne sont dus, la plupart du temps, qu’aux coutumes, aux influences locales et surtout au croi- sement avec une race différente. Aussi M. Topinard a-t-il pu dire : « Il faut admettre que dans la race néo-calédonienne actuelle il entre plus de mélanésien que de polynésien, si l’on considère la persistance des clieveux plus ou moins cré- pus et la généralité des caractères ; mais que l’influence polynésienne s’y fait sentir surtout par la taille et l’indice nasal. (1) » Mais le Néo-Calédonien pur est réellement un pur Papua. Il en est de même pour les habitants des Loyalty, îles qui ne sont séparées de la Nouvelle-Calédonie que par un canal de 25 lieues environ : ces populations, à part celles qui dans quelques îles se sont croisées avec des Polynésiens, ont tous les caractères de la race papua. Elles occupent surtout les îles Mare et Lifu, tandis que l’île Uvea et les petites îles Muli, Faialiue et Leka qui l’entourent sont plutôt habitées par les métis provenant des deux races. On sait qn’Uvea est l’île appelée Halgan par d’Urville ; que Lifu est l’île Chabrol; Tiga, l’île Boucher, etc. ; que Mare est l’île Britannia, ainsi nommée du navire anglais que l’on suppose l’avoir le premier reconnue ; quant aux îles Beaupré, également vues par V Astrolabe et géographiées par ses offi- ciers, elles ont une population toute pareille à celle d’Uvea dont elles sont distantes d’une dizaine de lieues. Tous les noms des îles Loyalty, moins Lifu, sont Polyné- siens, bien qu’elles aient été primitivement occupées par des Mélanésiens. Il est donc évident qu’elles ont fini par être conquises par les Polynésiens et que ceux-ci y sont fort pro- bablement arrivés bien plus tôt que ne paraît le croire le P. Montrouzier (2). Nous montrerons, en effet, lorsque nous aborderons la marche des migrations et les voyages des Tongans, que les Polynésiens étaient depuis longtemps ve- nus aux Loyalty attirés presque certainement par le désir de se procurer du jade vert. (1) Anthropologie , p. 528. (2) Bull, de la Société d’ Anthropologie , 1870, p. SG. 70 LES POLYNÉSIENS. Ile Vanikoro . — Quoy et Gaimard, les naturalistes zoolo- gistes de Y Astrolabe, ont les premiers décrit la variété de race noire qui peuple Yanikoro où, comme on sait, se sont perdus les navires de La Pérouse ; pour eux cette va- riété se rapproche autant du type nègre proprement dit que des Papous. Voici les caractères qu’ils lui ont donnés (1) : Taille généralement petite ; membres inférieurs, tantôt grêles, tantôt bien nourris ; mollet placé un peu haut ; cal- canéum faisant saillie chez beaucoup ; Crâne à coronal très bombé, fuyant, rétréci; angle facial peu aigu ; compression latérale de la tête naturelle ; Cheveux crépus n’avançant pas sur le front ; il est vrai qu’à la page 47 du même ouvrage ils donnent aux habi- tants de Yanikoro une chevelure tout-à-fait laineuse ; Pommettes saillantes: d’où diamètre transversal de la face plus grand que celui du crâne ; os du nez déprimés ; nez très épaté, élargi encore par l’usage du bâtonnet passé dans la cloison ; ailes souvent percées pour porter des anneaux ; Œil assez grand, ovalaire, enfoncé; globe saillant, res- semblant par sa forme et esa couleur à celui du nègre ; bosses orbitaires très-bombées ; Lèvres grosses ; menton petit. Rien de remarquable dans le maxillaire inférieur et l’o- reille si ce n’est l’ouverture démesurée de cette dernière; Femmes d’une laideur repoussante. La couleur de la peau n’a pas été déterminée. Il est inutile de faire ressortir l’analogie de la plupart de ces caractères avec ceux des Néo-Calédoniens, à part la dif- férence de la taille, et avec ceux des habitants des Hébrides et des Iles Salomon. Pourtant il convient de remarquer l’é- lévation plus grande du mollet, signalée chez les Néo-Calé- doniens par M. Jules Garnier, la forme du front, la nature des cheveux, et la grandeur de l’œil, que M. de Rochas a observée à la Nouvelle-Calédonie, contrairement, il est vrai, (1) Zoologie de V Astrolabe, p. 35. LES POLYNÉSIENS. 71 à l’observation faite dans la même île par MM. Vins on et Bourgarel. Cela suffit pour montrer la grande ressemblan- ce des deux populations. Nous avons nous-même observé les habitants de Vani- koro, en même temps que Quoy et Gaimard : voici les notes que nous avons recueillies sur les lieux en 1828. En général, les habitants de Yanikoro sont petits ou tout au plus de taille moyenne ; Leur couleur est très foncée, presque noire, mais non pareille à celle du nègre d’Afrique : elle ressemble à celle de l’Albatros dit fuligineux ; Les cheveux sont crépus, presque laineux ; Le nez est larg*e à la base, parfois convexe par la saillie des os nasaux, ce qui le fait appeler aquilin par quelques-uns de nous, bien qu’il soit toujours épaté ; Dents laides par suite de l’usage immodéré du bétel ; Barbe rare, épilée ; Pommettes un peu saillantes ; Yeux grands, ovalaires ; globes saillants; Bouche grande, lèvres grosses ; Oreilles toujours percées et à ouverture démesurément grandes; Front bombé, fuyant, paraissant considérablement élevé, et rétréci à la hauteur des tempes, ce qui donne un carac- tère tout particulier aux physionomies. Il semble que la manière de se coiffer adoptée, rende la tête plus allongée que dans les autres races. En mesurant plus de vingt tètes, nous avons trouvé que le rétrécissement du front était réel mais moindre cependant qu’il paraissait l’être à l’œil (1). Par suite de cet allongement de la tête, le visage semble plus aplati ; et comme il est presque noir, avec la sclérotique blanche, la physionomie est loin d’être agréable. Peut-être cependant n’est-ce qu’à la couleur foncée de la peau que nous avons dû de trouver, comme chez les Africains, les regards si vifs et si défiants. C’est l’effet que produit même l’Européen (1) Quoy a rapporté ce fait dans le texte de la Zoologie de l'As, tfolabe, et de Rienzi l’a cité en note, p. 394. t. III. 72 LES POLYNÉSIENS. quand il se noircit le visage : tel, par exemple, Ligner dans Othello . il est vrai que nous étions habitué aux physionomies bonnes et aimables des Polynésiens et que le contraste aidait peut-être encore à nous produire cette impression. Nous ferons remarquer la finesse de la taille chez tous: ce qui semble être le résultat de l’usage constant d’une ceinture excessivement forte et serrée, qui fait ressembler la taille des habitants de Vanikoro à celle d’une fourmi ou d’une guêpe. ’ Excepté quelques jeunes femmes, toutes celles que nous avons vues doivent faire croire que cette partie de la popu- lation est encore plus laide que l’autre. Du reste, comme les hommes âgés, les femmes portent leur cheveux courts et l’on se figure sans doute aisément l’aspect que présente une figure à nez épaté, à bouche grande, à lèvres grosses salies par le bétel, et à pommettes qui paraissent d’autant plus saillantes que le front est plus rétréci ; et comme si pareille laideur naturelle n’était pas suffisante, elles ont l’habitude de sangler leur gorge à l’aide d’une corde, peut- être pour maintenir leur vêtement, quand elles en ont, peut- être seulement dans le but d’empêcher leurs seins de les gêner, tant ils sont longs. Jeunes, elles sont d’ailleurs, comme partout, moins laides, et leurs yeux sont plus doux que ceux des hommes : Ajoutons que ceux-ci en sont très jaloux. Tous les hommes portent, en travers du nez, un bâtonnet, relevant nécessairement les ailes ; ils ont, en outre, des bracelets et des pendants d’oreille en nacre ou en écaille au nombre de 15 à 20. Hommes et femmes se fardent, tantôt en noir, tantôt en une couleur différente, mais nous n’avons jamais vu la couleur blanche tant aimée par les Néo- Irlandais. Enfin le tatouage par piqûres leur est connu, et il se confond presque complètement avec la couleur noire du corps. Gomme on voit, cette description ne diffère guère de celle de Quoy etGaimard. Comme eux, nous avons vu parfois les membres inférieurs grêles, mais, le plus souvent, bien pro- LES POLYNÉSIENS. 73 portionnés au reste du corps ; comme eux aussi, nous avons trouvé que l’œil était plutôt grand que petit : ce qui est cer- tainement un indice de croisement, puisque l’on s’accorde gé- néralement à dire que l’œil est petit dans la race autochthone, ainsi qu’on l’a vu par les Néo-Calédoniens purs. Nous avons également remarqué chez beaucoup l’élévation du mollet et, en général, son peu de développement bien que nous ayons constaté un assez grand nombre d’exceptions. De même quant à la saillie du calcanéum, car si nous l’avons remarquée chez plusieurs, la majorité paraissait faire exception. Cette saillie, du reste, se rencontre et même assez fréquemment, dans la race polynésienne, si bien conformée généralement, comme elle se rencontre souvent aussi chez les Européens eux- mêmes. 11 est vrai que, pour s’en apercevoir, il faut être placé comme le sont les médecins de la marine à bord des navires, c’est-à-dire à même de voir tous les jours la moitié de l’équipage lavant le pont, les pieds nus (1). Il semble donc ressortir des descriptions précédentes que les habitants de Vanikoro appartiennent bien à la même race que ceux de la Nouvelle-Calédonie, c’est-à-dire à la race papua, quoiqu’ils soient ou aient été plus ou moins mélangés avec la race polynésienne. Ce qui prouve ce mélange, c’est qu’on trouve dans leur langue, foncièrement mélanésienne, un assez grand nombre de mots polynésiens et que plusieurs des chefs actuels portent des noms qui sont purs polynésiens, tels que Naro, U mu, Lavaki , Okea, etc. Ainsi ils se servent, pour rendre les mots français suivants, de mots d’origine évidemment poly- nésienne. Vanikoro. Polynésie. Chef ... 1 Arii (Tahiti). < Ariki (NUe-Zél.). 1 Alii (Sandwich). Chemin. Ara. Coco . . . Niu Niu. Etoffe, vête- ment . . Kakahu (N. -Z.) Aahu (Tah.). Femme . Vahiné (Tahid)Wahine (Nllc-Zél.) (1) Voir aussi Vanikoro et ses habitants, par A. Lesson, in Revue cl' An- thropologie, 1876, p. 252. 6. 74 LES POLYNÉSIENS. Yanikoro. Polynésie. Hameçon Matau , Matau. Langouti Malu, malo. Maro. Manger Kae (1) Aï (Tah.) Kaï (N^-Zél.). Membre viril. Udje, hidje , Ure. Moustique . . . . Namu , Namu, Ramu. Oiseau Menuka (2) . Manu. Œil Mata, kalemata , Mara, Kanohi. Oreille Tagnaïni . Taria (Tah.) Taringa (Nlle-Zél.). Pagaie Ule . Hoe. Paupière Vanimata , Rewa (N1Ie-Zél.). Verevere (Tah.) . Pigeon Lube . Rupe. Pisser Kimimi, Lamamimi . , . Mimi. Sable. Onele . One (Tah.) Oneone (Nlle-Zél.). Taro Talo . Taro. Terre Fenua . Fenua (Tah.) Whenua (Nlle-Zél.). L ’m, dans tous ces dialectes, se prononce ou et le g est toujours dur devant Ve et l’i. En somme, il ne subsiste plus aujourd’hui d’autres indices des croisements opérés entre les Vanikoriens et les Polyné- siens que le langage et l’ouverture plus grande des yeux; la forme du front, la nature des cheveux, la couleur de la peau, la taille sont restées mélanésiennes. Le croisement a donc dû s’opérer à une époque reculée, puisque depuis longtemps les caractères principaux de la race noire ont repris le dessus. Les habitants de Yanikoro ressemblent plus aux Papua purs qu’à toute autre population ; s’ils ont été en partie croi- sés, tous semblent revenir à leur type primitif qui, proba- blement, était celui des Néo-Calédoniens. Ils ne diffèrent, en effet, de ces derniers, — et ici nous ne parlons que des populations pures des deux îles, — que par une taille moins grande, une couleur parfois un peu moins fuligineuse, par- fois tout aussi noire, l’absence presque générale de la barbe et par quelques autres détails peu importants qui tiennent (1) Kao, à la Nouvelle-Zelande, est le nom de la patate douce, séchée au soleil. (2) Menuka est le nom d un arbre à la Nouvelle-Zélande, le même que le Kahikatoa . LES POLYNÉSIENS. 75 évidemment plus aux influences locales, à l’insalubrité de l’air, aux coutumes, qu’au croisement de la population avec une autre race. Mais par le prognathisme, la saillie des pom- mettes, l’étroitesse du front, l’ allongement 'et le rétrécisse- ment transversal de la tête, les habitants de Vanikoro res- semblent beaucoup aux Néo-Calédoniens. Jusqu’à présent cette ressemblance ne reposait que sur l’observation des caractères extérieurs ; les anthropologistes n’avaient pas encore été à même d’étudier les crânes de cette population. Pourtant il doit exister au Muséum un crâne rapporté par Gaimard, qui se l’était procuré dans la baie Ocili le premier mouillage de Y Astrolabe à Vanikoro (1); mais on ne saurait affirmer que ce crâne est bien réellement vanikorien. Cette population, en effet, de même que toutes celles de race noire, a l’habitude de conserver en guise de trophées les têtes de ses ennemis. On sait que les crânes des compagnons de Lapérouse furent conservés ainsi jusqu’à l’arrivée à Vanikoro du capitaine Dillon et qu’ ensuite ils furent cachés avec soin lorsque les indigènes apprirent la venue prochaine des Français de V Astrolabe. L’étude des caractères crâniens a enfin confirmé les prévisions des ob- servateurs. Huit crânes de Mallicolo et trois de Vanikoro, les premiers crânes de ces îles parvenus en Europe, viennent d’être étu- diés par le Dr G. Busk (2). Deux des crânes de Mallicolo présentent la déformation frontale déjà signalée par les deux Forster; ceux de Vanikoro ne sont pas déformés. Pour ces onze crânes, la moyenne de l’indice céphalique est de 70.94. Cet indice égale 71 pour les crânes de Mallicolo et 70.8 pour ceux de Vanikoro. Les habitants de ces deux îles sont donc parmi les plus dolichocéphales du globe, de même que les vrais Papua, et ils se rapprochent par là des Néo-Calédoniens, des Fijiens, des habitants des îles Salomon, ainsi que des Australiens, tandis qu’ils s’éloignent (1) Voyez à ce sujet, Revue d’ Anthropologie , 1876, p. 261, note 1. é (2) Journ. Anthr. Instit ., janvier 1877. In Revue d’ Anthropologie, 1878, p. 327. 76 LES POLYNÉSIENS. des Tasmaniens et des Polynésiens. Le travail de M, Busk comble donc une lacune de la crâniométrie, mais ses mensu- rations auraient besoin d’être complétées. Il serait certes facile aujourd’hui de se procurer de nouveaux crânes des naturels de Yanikoro ; il suffirait d’envoyer un navire de la station française en Océanie s’assurer si le monument élevé par Y Astrolabe, à la mémoire de Lapérouse, n’a pas été dégradé ou détruit. La planche 16 du Voyage Pittoresque de Dumont d’Ur- ville donne une idée exacte de la physionomie des insulaires de Yanikoro. On y voit les portraits assez ressemblants de deux chefs, bien que le rétrécissement de leur front ne soit pas assez accusé. L’un d’eux, Moembe , était le chef de la religion, aussi portait-il toute sa barbe ; l’ensemble de la population, au contraire, s’épile le visage. Le portrait de ce chef se trouve également dans l’atlas de Y Astrolabe. Quant à la planche 17, elle ne donne que les proportions du corps: le reste ne vaut rien. Il en est de même des figures de l’ouvrage de Dillon qui représentent fidèlement le cos- tume, mais ne donnent pas une idée exacte de la physio- nomie. Iles Fiji. — Pour compléter la liste des populations noires que nous regardons comme Papua, il faudrait faire connaî- tre les caractères anthropologiques de la race noire pure qui occupe les îles Fiji; mais nous exposerons ces caractères en détail, lorsque nous comparerons les Fijiens aux Polyné- siens et que nous chercherons à préciser la part d’influence des uns sur les autres. Nous nous bornerons à dire ici que les Fijiens sont de véritables Papua, du moins ceux qui ha- bitent les grandes îles de l’Ouest et la plupart des petites îles situées dans la même direction, ainsi que la partie Nord de l’Archipel. Bon nombre, au contraire, de ceux qui occu- pent les îles de l’Est ne sont que des métis de Fijiens et de Polynésiens, et encore sont-ils en proportion bien moins considérable qu’on ne l’a supposé. Ils ne sont réellement un peu nombreux que dans quelques-unes des Fiji les plus orientales, c’est-à-dire les plus proches des Polynésiens LES PO/L î'rxxiMc.r^S. 77 Tongans. Leur nombre va sans cesse en diminuant àmesure que l’on se rapproche de l’Ouest et ils finissent par se perdre au milieu de la population pure Papua. Ce fait prouve que les Fijiens ont dû arriver dans les îles qu’ils occupent en venant de l’Ouest, et que leur métissage avec les Polyné- siens ne s’est opéré que de l’Est vers l’Ouest. Le contraire aurait eu nécessairement lieu si les Polynésiens, ainsi qu’on le croit généralement, fussent, eux aussi, venus de l’Ouest. En somme les Fijiens purs sont des Papua, c’est-à-dire es nègres de grande taille et dolichocéphales. B. Davis a trouvé leur indice céphalique égal à 72.05 et le même, par conséquent que celui des Hébridiens. Plus tard nous mon- trerons que ces vrais Papua, en se croisant avec les Poly- nésiens, ont produit une population de métis aussi remar- quables par leur couleur, leur taille et leur chevelure que par leur force corporelle et leur intelligence, mais que ce n’est point cette race mixte qui forme le fond de la popula- tion des îles Fiji. Nous montrerons aussi que peu d’îles à populations noires méritent autant que celles-ci d’être étudiées. Leur langue, foncièrement différente de la langue polynésienne, a une ressemblance frappante avec celle des habitants primitifs de Timor; tellement que l’on peut se demander si les Fijiens ne descendent pas directement des anciens Timoriens et que l’on peut tout au moins conclure à une origine commune. Mais il n’en est pas moins vrai qu’un grand nombre de mots polynésiens se trouvent faire partie aujourd’hui de la lange fijienne, même dans les îles où les populations sont restées pures. Peut-être la race fijienne, pure en apparence, n’est-elle, elle-même, qu’une race croisée et, dans ce cas, ses métis ne seraient plus que des métis au second degré. Asie. — Plusieurs autres populations encore ont été re- gardées par quelques savants comme appartenant à la race Papua: tels sont les Samangs, que l’on range aujourd’hui dans la race Négrito; les nègres de grande taille que de Rienzi appelait Dayers ou Igolotes et qu’il distinguait, à 78 LES POLYNÉSIENS. Bornéo, de sa racé endamène ou aëta; ceux des îles Tati qui, pour Meares, étaient des Papous à tête laineuse, à peau noir de jais, avec des traits semblables à ceux des nègres d’Afrique et ayant pour armes l’arc et les flèches (1). Tels sont encore certains noirs des îles Nicobar que les uns rat- tachent à la race négrito et que d’autres rapprochent des Malais par les formes et par la couleur ; ainsi que les Moi, sur les véritables caractères desquels on n’est pas bien fixé, et les Moundas étudiés lors de l’exploration du Mékong*. Mais nous n’avons pas à nous occuper ici de ces différentes populations qui sont généralement peu connues. Résumé de la race Papua. — Les diverses populations Pa- pua que nous venons de passer en revue se ressemblent tou- tes par les principaux caractères de race et elles ne diffè- rent entre elles, suivant les localités, que par des caractères qui ont beaucoup moins d’importance. Les différences extérieures ne portent guère que sur la taille, la couleur de la peau, la nature des cheveux, la grandeur des yeux, la présence ou l’absence de la barbe, la proéminence de l’abdomen, etc. La taille, et surtout la coloration, la chevelure et les yeux ne diffèrent que par suite du croisement de la race noire avec une autre race ; les autres variations sont insignifiantes. La présence ou l’absence de la barbe est absolument sans valeur. On sait aujourd’hui que si tant de populations ont été indiquées comme n’ayant pas de barbe, c’est qu’elles ont l’habitude de s’épiler. Quant à la proéminence abdominale constatée chez les Papous, chez les Néo-Irlandais, etc., elle est due non-seulement à l’insalubrité de l’air, mais aussi à la gloutonnerie, aux excès d’alimentation succédant à de longues privations. M. Topinard, dans ses cours à l’école d’ Anthropologie ainsi que dans son Manuel , a établi que la taille résulte de deux influences : celle de la race, ou mieux de la prédomi- (1) Meares, Voyages de la Chine à la côte N. -O. d'Amérique , en I <88 et 1789, trad. par de Billecoq, 3 vol. in-8. — Paris, an III de la République. LES POLYNÉSIENS. 79 nance d’action de telle lignée paternelle ou maternelle; celle d’un concours de circonstances hygiéniques. Tout en reconnaissant qu’une taille élevée peut être le résultat du croisement de la race mélanésienne papua avec quelque race différente de grande taille, nous ne pensons pas que l’éléva- tion de la taille doive être toujours due à ce croisement et que sa petitesse soit un caractère de la race qui occupe cer- taines îles. Dans quelques-unes des îles mélanésiennes où la stature est moins élevée en même temps que les corps sont moins robustes, cette médiocrité de la taille et cette faiblesse relative de constitution ne semblent devoir être imputées qu’aux influences locales et surtout à l’insalubrité. Ce n’est donc qu’un état pathologique, une dégénération de la taille qui, chez la race papua, est généralement ordinaire et souvent même élevée. Ainsi, il n’y a réellement de véritables différences que celles présentées par la couleur de la peau, la nature des cheveux et la gTandeur de l’œil. Ces différences attestent une chose, le croisement de la race noire avec la race poly- nésienne. Mais il n’en est pas moins vrai que la part du milieu physique et moral est considérable. Les influences de ce milieu suffisent à communiquer à tout l’être un cachet particulier ; et l’observateur superficiel voit alors dans une race, absolument homogène par l’ensemble de ses princi- paux caractères, une série de populations distinctes. TABLEAU LINGUISTIQUE COMPARATIF N 0 1. VANIKORO . POLYNÉSIEN. FIJI. — (NUe-Zél. et Tahiti) — Chef. . Teligi; taligi ; aligi Anaoko Ariki ; arii.. ...... Turaga. Chemin. . Ara Sala. Coco Niu Niu Niu. Etoffe, vêtement . . . Main. Kakahu ; aahu . . . Sulu ; malo ; gatu (1). Femme Venime ; vanime. Wahine ; vahiné. . Alewa. Flamprnn Matau Matau Siwa. Langouti ; ceinture Malu ; malo Maro Malo. Manger Kae Kai ; ai Kaua. (1) Malo est le nom du. morus papiryfera qui fournil L'étoffe; gain est le nom de l’étoffe quand elle est en grande pièce. 80 LE-; POLYNESIENS. TABLEAU LINGUISTIQUE COMPARATIF N° 1 ( suite ). Membre viril Moustique Oiseau Œil Oreille Pagaie Paupière. Pigeon Pisser Sable Par o Terre . ....... VANIKORO. Udje ; bidje Namu. Meriuka Mata ; kalemata. Tagnaini Uie Vanimata. Lube Kirnimi; lamamimi Onelé Talo. . . Fenua. POLYNÉSIEN (L\T|îe-Zél. et Tahiti) [Jre Namu, waeroa ; ra- mu Manu Mata ; kanohi Taringa ; taria Hoe ELewha ; verevere.. Rupe Mimi One ; oneone ; one- Pu ••• Taro Whenua ; venua ; fenua FIGI , Nana. Manumanu. Ma» a. Daliga. Ai voce. Dakudakunima ta. Drekenimata a). Ruve. Mimi . Nuku. Dalo . Vanua. TABLEAU LINGUISTIQUE COMPARATIF N° 2. Homme Ami Barbe. ....... Cheveux Oreille Ne% Dent Langue Fils Roussette Soleil Sud Ouest Nord Est Montagne . ... Igname Mer ......... Oiseau Canne à sucre. Eau Flèche Arc Pirogue Pagaie NOUVELLE-CALEDONIE (Tribus diverses). N’die ; Dano ; unie Haie; abanga ; abaia... Untanu ; builing Onogun; pumba builing. Hunea ; uanea ; uanene. Honocun ; huomu. . . . . . Hendo ; pemenghe Negandi ; kurume Dea Tu ; pu Ni ; n’dji ; kamea Guianere Guiadhire ; deuke Guiamotero ; krapoere.. Guihiro ; topete Gui ; buagne Kaua, ; ku ; ubi Diangue ; denekoueta . . Moro ; mandi ; mani... Daua ; de. Ndio ; tei ; kue Peta. Ngapata ; bornuda Gneu ; lcua Djoue vanikoho (tribus diverses). Lamoka ; ranaka. Ualero. Ungume ; vingamia. Uenbagnauili. Mambaheuhi ; tagna’ni. N’hele ; noie. Ugne ; kole ; indje. Mea ; mia ; miniàco. Abali ; aluanha. Leguebe . Noie. Gamouli. Lagi. Togobmdu. Tauliaka. Punha. Opie ; upie ; menamauha, Laure ; uni vira. Menuka. Toi o ; rova ; toa. Uire ; nire ero. Àbione ; puri ; punen . Tenhassau. Naue ; goia ; kuere. Uie. (1) Dakudakunimita, la paupière supérieure ; Dreke ni mata, la paupière inférieure. TABLEAU LINGUISTIQUE COMPARATIF N LES POLYNESIENS. M 00 o fl +3 fl O "fl +3 fl O 4-3 4^ fl O) - g fl s S <2 fl "fl S V O f-4 O fld •f-H fl fl > '02 4-3 OJ o> o 02 S-i O 'fl "fl w 02 fl (H 02 fl ^ •f-H d3 • Îh o S ^ !> o CD A fl ^ fl 02 02 02 S '02 fl fl fl « q: ü S 02 r™ H fl .. .2 SB ■S 3 S û a w 02 Ah fl O t-i tD fl fl 43 _ fl ^ .2 43» A. O fl. .fl m 02 O? 02 -43 fl O fl fl. » fl ^ fl O fl «2 o fl o 4-3 02 • f-H fl fl 02 "fl fl 02 fl fl 02 • OT '02 fl K*î I—. O fl 4-3 M 02 fl 02 fl fl -2 fl ^ fl fl fl Eh fl o o fl fl ^ œ fl -02 fl CHAPITRE TROISIÈME TASMANIENS. Description des Tasmaniens d’après Labillardière ; Péron; Quoy et Gai- mard; R. P. Lesson. — Leurs caractères anthropologiques d’après B, Davis, Topinard, de Quatrefages et Hamy. — Les Tasmaniens for- maient une race distincte de toutes les autres races connues, — » Leur extinction. — Le type tasmanien d’après les dessinateurs. — Tableau ■ linguistique comparé. Labillardière» le compagnon de d’Entrecasteanx, a le pre- mier décrit avec soin les naturels de l’île Van-Diemen : leurs cheveux, disait-il, étaient laineux ; ils laissaieut croître leur barbe ; leur peau n’était pas d’un noir très-foncé, mais noircie artificiellement, incisée et ornée, surtout à la poi- trine et aux épaules, de tubercules disposés symétrique- ment ; ils se servaient de la lance, mais non de l’arc. Après lui, Péron décrit ainsi la famille Diéménoise : Taille égale à celle des Européens ; tête volumineuse ; cheveux crépus et laineux» portés courts ; épaules larges, bien dé- veloppées; reins bien dessinés; fesses volumineuses ; extré- mités généralement faibles, allongées, peu musculeuses, ventre gros, saillant, comme ballonné. Les femmes ont la peau noire, dégoûtante; la figure barbouillée de charbon; les cheveux courts, crépus, noirs et sales, rougis avec de la poussière d’ocre ; leurs formes sont généralement maigres et LES POLYNÉSIENS. 83 flétries ; leurs mamelles longues et pendantes. Les jeunes filles ont des formes agréables; leurs contours sont gra- cieux ; leurs seins fermes et bien placés. Quoy et Gaimard, en 1826, ont vu, au port du Roi-Geor- ges, quelques Tasmaniens qui y avaient été amenés par des pêcheurs anglais; mais c’étaient certainement des métis provenant du croisement de femmes tasmaniennes avec des matelots ou des convicts. Ils ne leur donnaient que les ca- ractères incomplets déjà signalés par Pérou et ils en fai- saient une race distincte: telle est encore aujourd’hui, du reste, l’opinion de la plupart des anthropologistes. Plusieurs des caractères assignés aux Tasmaniens par les premiers observateurs les rapprochent presque complète- ment des Négritos et des Papua, et leur langue, bien que comprenant des dialectes assez dissemblables pour que les diverses tribus ne pussent se comprendre entre elles, avait d’assez grandes analogies avec celle des Néo-Calédoniens. La description suivante établit, en effet, que les Tasmaniens avaient bien des points de ressemblance avec les Papous et les Papua. R. P. Lesson, qui faisait de la famille tasmanienne la deuxième variété de son rameau Cafro-Madécasse, lui don- nait pour caractères : Taille ordinairement médiocre ; larges épaules, gros ventre, membres inférieurs grêles : tête volu- mineuse; crâne bombé sur le vertex; front assez élevé et déprimé latéralement; nez aplati, écrasé, à narines trans- versales ; bouche très-fendue et très-avancée ; lèvres épais- ses ; cheveux très-recoquillés, très-laineux et portés courts ; couleur de la peau d’un noir brun peu intense, d’un noir peu foncé, dit-il ailleurs (1). Leur langue gutturale, ajoutait-il, diffère complètement des idiomes des Australiens ; leurs idées religieuses sont inconnues, leurs mœurs barbares ; ils se décorent la peau d’incisions et de tubercules en relief et se colorent les che- veux en rouge avec de l’ocre ; ils couchent sur la terre, près de grands feux allumés, protégés par des auvents (1) Journal des Voyages , t. XXXVJ. p. G.Q. 84 LES POLYNÉSIENS. temporaires; les seules huttes qu’ils construisent, sont éle- vées en guise de tombeaux sur les corps de leurs parents ; ils savent tisser de gracieux paniers, confectionner des oreillers en bois, et faire des colliers de coquillages, dont se parent les femmes, les plus laides créatures de l’espèce humaine. / Il supposait que les Tasmaniens venaient de la Nou- velle-Calédonie et des îles Hébrides, mais non de la Nou- velle-Hollande. Déjà avant lui, Labillardière trouvait que le caractère de physionomie des Tasmaniens avait beau- coup de ressemblance avec celui des Néo-Calédoniens, tan- dis qu’ils se séparaient complètement des habitants de la Nouvelle-Hollande, surtout par la dissemblance du langage. Telle était également l’opinion de Péron. De nos jours, cette opinion que les Tasmaniens venaient de la Nouvelle-Calédonie et des îles Hébrides, s'est trouvée appuyée par MM. Latham et J. Garnier; ces savants ont à leur tour signalé l’analogie existant entre les mots delà Tasmanie et ceux de la langue néo-calédonienne, et M. Gar- nier a constaté que sur trente mots du vocabulaire de La- tham, seize étaient analogues dans les deux langues (1). Cependant cette opinion ne peut plus être soutenue au- jourd’hui depuis les recherches faites sur les Tasmaniens par MM. B. Davis, Topinard, de Quatrefages et Hamy. Pour le premier (2), les Tasmaniens sont d’une toute autre race que les Australiens et ils n’ont jamais eu de communication avec eux, pas plus qu’avec les Papous et les Polynésiens. Ces conclusions sont basées, non-seulement sur les caractères extérieurs, la nature des cheveux, la taille, etc., mais sur- tout sur les caractères crâniométriques en général : l’indice céphalique de dix-sept crânes tasmaniens mesurés par lui s’est élevé à 75.16. De son côté, M. Topinard est arrivé aux mêmes conclu- (1) Voyez le tableau linguistique n° 4, p. 88. (2) On the osteology and Peculiarities of the Tasmanians , etc., Haarlem, 1874, et Revue d'Anthrop. p . 672, 1876. LES POLYNESIENS. 85 sions dans ses reclierclies sur les Tasmaniens (1). Pour lui» « le type tasmanien se détache de la façon la plus inatten- due de tous les types environnants» nègres ou autres. » Il a trouvé l’indice céphalique égal à 76.0» tandis qu’il est de 71.7 chez les Néo-Calédoniens et de 71.9 chez les Austra- liens. Les Tasmaniens» sous ce rapport» se rapprochent donc des Polynésiens 75.6. Ils s’en rapprochent également par la norma verticalis : les crânes tasmaniens ont une disposi- tion en carène» sensible aussi» quoique bien moins accusée» chez plusieurs Polynésiens» mais qui n’existe jamais chez les Australiens et les Néo-Calédoniens. Leur indice orbi- taire microsème» 79.33» les place au contraire à côté des Australiens» 80.45 et des Néo-Calédoniens» 80.59, et les sé- pare nettement des autres populations polynésiennes qui ont toutes un indice mégasème. Enfin leur indice nasal est de 56.92 : ils sont done platyrhiniens comme toutes les races nègres auxquelles ils se rattachent encore par leur teint, leurs cheveux, leur faible capacité crânienne» tandis que, d’un autre côté, ils sont à peine plus prognathes que les Européens et que la direction du plan du trou occipital les groupe dans la série à l’opposé de toutes les races océa- niennes. M, Topinard qui, dans sa première étude sur les Tasma- niens» avait constaté que les crânes du Muséum semblaient le produit d’un croisement du Mélanésien avec le Polyné- sien, pense aujourd’hui que le type tasmanien est absolu- ment sui generis , car il présente des contradictions qui ne peuvent s’expliquer autrement. Il ajoute que» par leurs mœurs et leurs usages» les Tasmaniens avaient quelques points de ressemblance avec les Mincopies des îles Andaman. Plus récemment enfin MM. de Quatrefages et Hamy ont étudié la race tasmanienne (2). Pour eux, les Tasmaniens (1) Mém . Soc. d’Anthr., vol. II» 1869. — Revue d’Anîhrop 1873. — U Anthropologie , 1876» p. 530. (2) Crânia ethnica . Les crânes des races humaines figurés et dé- crits d’après les collections » etc.» 6e livraison» 1878. — Paris, gr. iix-4®. ,1. B. Baillière. 86 LES POLYNÉSIENS. formaient une race distincte des races de l’Océanie et de toute autre race humaine actuellement vivante. Leur che- velure, franchement laineuse, les séparait complètement des Australiens, leurs plus proches voisins. Par leur teint ils s’éloignaient des Papua et se rapprochaient des Négri- tos ; mais ils différaient de ceux-ci par l’écrasement de la région médiane du nez, la largeur des narines et la fuite du menton. Le crâne tasmanien se reconnaît facilement à deux ca- ractères qui lui sont particuliers : la forme de la voûte en carène et le développement des bosses pariétales, fort sail- lantes et coniques pour ainsi dire. Ce crâne ne présente aucun des signes d’infériorité qu’on lui avait si gratuite- ment attribués: le frontal est un peu étroit, un peu oblique, mais il est élevé et régulièrement développé. La face, au contraire, est remarquable par son peu de hauteur, par ses formes heurtées et brutales et par d’autres traits excep- tionnels tels que la dépression des os malaires et le profond enfoncement sous la glabelle de la racine du nez. MM. de Quatrefages et Hamy ont trouvé pour l’indice céphalique moyen des Tasmaniens adultes 76.72, chiffre égal à celui déjà calculé par les précédents anthropologis- tes, mais ils leur donnent pour indice nasal 64.74, et cet indice dépasse de plus de 4 unités celui des Hottentots et des Boschimans, le plus grand de tous ceux qu’avait étu- diés M. Broca. C’est encore une nouvelle preuve que la race tasmanienne était bien une race distincte. Peut-être néanmoins les Tasmaniens n’étaient-ils que des métis produits par le croisement de deux races noires, la race Papua et la race Négrito. On pourrait ainsi expliquer en partie leurs caractères crâniens, leur indice céphalique surtout, ainsi que la couleur de leur peau et la nature de leurs cheveux. Peut-être aussi les Boschimans, qui ont tant de rapports avec les Négritos, ont-ils joué dans la formation des Tasmaniens un rôle plus grand qu’on ne le suppose. L’indice nasal de ceux-ci et des Boschimans, par exemple, est le plus grand de toutes les races jusqu’à ce jour étudiées. En outre, ce qui est à remarquer, Péron a signalé chez LES POLYNÉSIENS. 87 les Tasmaniens des fesses volumineuses qui rappellent la stéatopygie boschimane. L’étude crâniométrique et ostéologique de la race tasma- nienne est d’autant plus importante que cette race est au- jourd’hui complètement éteinte et qu’elle n’a laissé d’autres traces de son existence passée que quelques métis miséra- bles disséminés ça et là dans le détroit de Bass. En 1642, à l’époque de sa découverte par Tasman, la terre de Van- Diemen comptait plus de 7000 âmes. C’est en 1803 que les Anglais commencèrent, sans motifs avouables, à traquer comme des fauves les malheureux indigènes, et qu’ils se livrèrent contre eux à la guerre noire, Black War. En 1835, on n’en comptait plus que 210; en 1842, il en sur- vivait 54 ; en 1859 il restait 5 hommes et 6 femmes : Lanney , le dernier tasmanien, est mort en 1869; Traganina , la dernière tasmanienne, est morte en 1877. Pour avoir une idée du type tasmanien, il ne faut pas s’en rapporter aux portraits de sauvages de V an Diemen donnés par Labillardière : ils ne sauraient être exacts. Les hommes, pour la plupart, sont représentés avec de véritables têtes grecques ; les femmes ont des formes harmonieuses et des figures gracieuses qu’elles n’ont probablement jamais eues. Parmi les portaits de Péron, le meilleur est certaine- ment celui de Grou-Agara; celui de la femme Arra-Maïda doit être aussi très -ressemblant : le front est rétréci à la hau- teur des tempes, les pommettes sont saillantes et la bouche est grande. Ceux de Bara-Ourou , AOuriaga et de Paraberi sont certainement enjolivés. Tous, du reste, sont représentés bien plus noirs qu’ils n’étaient naturellement. Quant aux portraits donnés par Quoy et Gaimard, ils ne rendent peint la physionomie des Tasmaniens qui, à cette époque, exis- taient encore à Van Diemen. L’homme ressemble à un ma- telot européen du Midi, et par le fait, c’était un métis à plu- sieurs degrés qui, par les traits comme par la chevelure, n’avait pour ainsi dire rien de Tasmanien. La femme représen- tée sur la même planche (1) a tout à fait l’aspect des femmes mélanésiennes et particulièrement des Néo-Calédoniennes. (1 ) Atlas de V Astrolabe, pl. XII. LES POLYNÉSIEN- 88 TABLEAU LINGUISTIQUE COMPARATIF N° 4. \ TASMANIEN, d’après NÉO-CALÉDONIEN d’après garmer. LABILLARD1ERE LATHAM. — Aviron . . 9 ..... Pauna Pama ; penna. Oreiller ... Kueguila Kuengiiia... . Koygel Guening; koumnea. Peau. » Kidue } Kone. Jour... . . . » ..... Migre ! Mire {coucher du Soleil ). , Are 0 matin ) . Petit » Bodinevoued . Dane huua. Langue.. . Mene Kawe Kouroume. Faim .... y> Tegate Tagouan. Yena Mouea. . . . F e\< - - - Une Une Ne Fflii . . T . . » ........ Boue-lakade . Koue . Barbe Kongouine. . . . Kongine ..... Poutane; oumberique; ountanou. Cheveux . Peiilogueni Peiilogueni... Onégoun. Frère . .... J > . . Pleragenana . Scarena. Oiseau . . . Mouta-mouta. . Mouta Mandi; moro ; mouere. Epaules... ». Baguv Guina ; guika. CHAPITRE QUATRIÈME L AUSTRALIENS Descriptions des Australiens d’après les observateurs anciens : Dampier ; Cook, Parkinson et Banks ; Pérou» Depuch et Ransonnet ; de :♦ Freycinet» Quoy et Galmard ; R. P. Lesson ; A. Lesson. — Diver- gences d’appréciation chez les anciens observateurs. — Observa- tions modernes. — Australiens à cheveux lisses et à cheveux crépus ; leurs caractères crâniens. — Les Australiens semblent être des métis de Papua et d’Alfourous ; mais antérieurement les Négritos ont dû égale- ment contribuer à leur formation. — Les Australiens n’ont pas une descendance asiatique ; ils ne forment pas une race une et primitive. — Résumé des Australiens. — Résumé général des races mélanésiennes. Dampier, le premier, a décrit les habitants de la Nouvelle- Hollande vus par lui en 1688 sur un point du littoral ouest qu’il ne désigne pas mais qu’il place à 16° 50’. Onze ans plus tard, en 1699, il revint sur la même côte et il trouva, par 17° de latitude, une haie qui fut appelée par lui la haie des Chiens-Marins (1). Dans cesdeux voyages, le navigateur cons- tate une peau très-noire, des cheveux crépus comme ceux des nègres et une taille généralement élevée ; il cite pourtant une taille médiocre, mais observée chez un jeune homme. Il est le premier à signaler la laideur de ces populations, et ce caractère frappe également tous les premiers explorateurs. Après les descriptions de Dampier, les plus anciennes sont celles de Cook et de ses compagnons qui purent observer (1) La haie à laquelle les cartes donnent aujourd’hui ce nom et qui fut visitée, bien des années après Dampier, par de Freycinet* est située entre 25 et 26 degrés de latitude. 7 90 LES POLYNÉSIENS. les indigènes de la côte orientale sur plusieurs points dif- férents, et diamétralement opposés à ceux visités par le na- vigateur précédent. La description de Parkinson ne diffère de celles de Dampier qu’en ce qu’il trouve aux Australiens les cheveux frisés et une barbe touffue. Cook est le premier et le seul qui ne voit chez eux ni nez plat, ni grosses lèvres, tandis que ceux vus par Banks dans le même moment avaient le nez plat. Cet observateur signale en outre la forme des dents, forme qui semble appartenir plus spécialement à la race australienne. Les cheveux, d’après Cook, sont lisses et la peau est couleur de suie ou de chocolat. Enfin, la taille est moyenne chez les indigènes observés pendant la 4e relâ- che par 18° 48’, tandis qu’elle est grande au contraire chez ceux vus pendant le premier voyage, à Botany-Bay, par 34° 6. Péron, dans une description générale, donne le résultat de ses observations à Port-Western d’abord, dans le sud de la Nouvelle-Hollande, puis à la baie des Chiens-MaHns, au havre de Freycinet, entre 25 et 26° lat. Là, sur 14 indi- gènes, un seul avait quatre pieds cinq pouces ; tous les au- tres étaient de taille ordinaire, même petite, et aux formes graciles. Il est le premier à signaler nettement des cheveux longs et lisses. Deux des compagnons de Péron, Depuch et Ransonnet, observèrent de leur côté les naturels, l’un à la Terre de Leu- win, dans la baie du Géographe, l’autre à la Terre de Nuyts, dans une baie voisine du Mont-Gardner, de l’autre côté du port du Roi-Georges. Le premier constata une taille ordi- naire ou médiocre, le second une taille grande. De Freycinet sur le Géographe et sur V Uranie, Quoy et Gaimard sur V Uranie et sur V Astrolabe, visitèrent à diffé- rentes reprises les habitants de la Nouvelle-Hollande. Ces naturalistes constatèrent à peu près tous les caractères si- gnalés par Dampier, à l’exception toutefois de la nature des cheveux : ils donnent à l’ensemble des populations vues par eux une taille au-dessus de la moyenne et des cheveux fri- sés sans être laineux. Comme Dampier, du reste, ils avouent iT avoir rien vu de plus hideux au monde que les indigènes LES POLYNÉSIENS. Ô1 de l’Australie, et ils signalent surtout la maigreur de leurs cuisses et de leurs jambes, maigreur qu’ils attribuaient aux privations de toute nature auxquelles ils étaient exposés. Si le docteur Pickering (1) dit n’avoir rencontré nulle part cette maigreur des extrémités, tant remarquée par les pre- miers observateurs, c’est qu’il n’était probablement jamais allé dans le port du Roi-Georges ou dans les autres lieux cités. Quoi qu’en disent le naturaliste américain et un cer- tain nombre d’écrivains anglais, ce n’est pas en Australie qu’il faut aller chercher les plus beaux modèles des propor- tions humaines. Néanmoins, d’après les descriptions et d’a- près nos propres observations, les indigènes d’une partie sud-est de l’Australie sont bien faits et leur système mus- culaire annonce la force et l’agilité. Après Quoy et Gaimard, R. P. Lesson, en janvier 1824, observa les Australiens à Port-Jakson et dans les environs, pendant son excursion aux Montagnes-Bleues, district de Cow-Pasture (2). Pour lui, non-seulement tous les Australiens n’avaient pas les membres grêles, mais leur chevelure n’é- tait pas laineuse : elle était droite, frisée, touffue et noire; leur barbe participait de la nature des cheveux. Les lèvres, l’inférieure aussi bien que la supérieure, étaient épaisses ; il trouvait la bouche démesurément fendue et les dents un peu proclives. Quant à la couleur de la peau, qui affectait ordi- nairement une teinte noire fuligineuse, variant en intensité, elle ne lui parut jamais très-foncée. Il nous a semblé inutile de donner en détail toutes ces descriptions faites par les premiers observateurs. Elles sont bien connues des savants, et on les trouvera relatées dans la consciencieuse étude deM. Topinard sur« les racesindigè- nes de l’Autralie » (3) ; mais nous croyons devoir les complé- ter en rapportant les observations inédites que nous avons (1) Wilkes, Expédition of the United States in 1838-1842. Phila- delphie, 1848. (2) Voyage médical autour du monde , 1822-1825, p. 112 et 219.— Paris, 1829, Roret. (3) Bulletins de la Société d' Anthropologie de Paris, 1872, p. 211 à 327. 92 LES POLYNÉSIENS. faites en 1826, sur plusieurs points de la Nouvelle -Hol- lande. Les premiers indigènes que nous pûmes observer avec soin, furent ceux du port du Roi-Georges, Terre de Nuyts, situé presque à l’opposé de la baie de Jervis, mais sur la partie sud du continent australien. Une vingtaine de natu- rels s’offrirent à notre vue pendant le court séjour que nous fîmes dans ce lieu ; mais pas une femme de la tribu ne fut aperçue. Celui qui marchait à la tête delà troupe pouvait avoir 40 ans ; sa physionomie était ouverte, mais sa face profondément ridée ; sa peau était de couleur noirâtre ; ses yeux grands et à cornée jaunâtre; ses cheveux assez longs, noirâtres, frisés, nullement laineux. Il portait de longues moustaches et une assez grande barbe terminée en pointe ; ses favoris se bornaient à quelques poils. Tous ses membres étaient grêles, mais surtout les jambes. Le nez était épaté avec une bosse nasale prononcée ; le front arrondi ; les oreilles et la bouche grandes ; la lèvre inférieure grosse ; les pommettes écartées; le maxillaire inférieur peu élargi; les dents très- belles, larges, blanches ; le corps entier couvert de petits poils. D’autres naturels avaient les jambes grêles et la plupart des caractères signalés chez le premier ; mais leurs cheveux étaient presque semblables à ceux des Français, et rougis par la poussière d’ocre qu’ils employaient en guise de cos- métique. Ce qui nous frappa le plus ce fut la grandeur de la bouche. A bord de Y Astrolabe on crut voir deux tribus distinctes dans les indigènes du port du Roi-Georges : celle du bord de la mer, restant constamment en contact avec les marins, et une autre, plus dans l’intérieur, qui paraissait un peu plus forte et généralement mieux constituée que la première. D’après des renseignements donnés par quelques pêcheurs de phoques anglais, ces deux tribus étaient toujours en guerre. Yoici sur ces différents naturels le résumé de nos observations : LES POLYNÉSIENS. 93 Peau fuligineuse, assez claire chez quelques-uns ; Jambes généralement maigres, ainsi que le corps; genoux en dedans, à demi fléchis ; Cheveux frisés ou bouclés, lisses et de couleur sale due à l’usage de la poussière d’ocre ; barbe fournie ; Yisage en apparence triangulaire, c'est-à-dire finissant en pointe ; front arrondi ; yeux grands, écartés ; nez extrê- mement large, épaté ; bouche grande, fort avancée chez quelques-uns; lèvres épaisses ou fortes ; dents larges, épais- ses, blanches ; Tatouage par entailles et brûlures. Nous fûmes donc, nous aussi, frappé de la maigreur des jambes et, comme beaucoup des premiers observateurs, nous trouvâmes les cheveux lisses, bouclés ou frisés, les yeux grands et les dents larges. Ce serait par conséquent à tort que Quoy et Gaimard ont signalé la barbe rare et les yeux petits chez les habitants du port du Roi-Georges. Le 12 novembre 1826, V Astrolabe arriva à Port-Wes- tern et y séjourna jusqu’au 26. Mais il nous fut impossible d’apercevoir un seul naturel. Nous faisions partie de l’ex- cursion entreprise dans ce but par Dumont-d’Urville, sous la conduite d’un ancien pêcheur de phoques, alors em- barqué sur Y Astrolabe et qui avait vécu à Port-Western. Nous ne rencontrâmes qu’un village vide, situé à peu de distance du rivage et composé d’une cinquantaine de huttes. D’après le guide, les habitants s’en éloignaient toujours à une certaine époque et ne revenaient qu’au moment de la chaleur. Ce fut dans cette excursion que nous trouvâmes à la surface du sol sablonneux le crâne et les quelques osse- ments, remis au Muséum par Quoy et Gaimard en même temps que deux autres crânes australiens, un d’adulte et un d’enfant, qui leur avaient été donnés à Sydney par le mis- sionnaire Wilkinson. On sait que Péron a fondu la description des habitants de Port- Western dans la description générale qu’il a faite des Australiens. Peu après lui, en 1802, Tuckey affirmait que ces indigènes étaient bien supérieurs à la 94 LES POLYNÉSIENS. plupart de ceux qu’il avait vus en d’autres points. Cette assertion fut plus tard confirmée par Gellibrands, Stokes et Ch. Meredith qui les regardaient comme robustes, athléti- ques, beaux, bien faits, intelligents. Ce dernier néanmoins ajoute que quelques-uns parmi eux sont d’affreuses créa- tures avec un corps gros, des jambes comme des fuseaux, des têtes plates et arrondies. De son côté, M. Krefft, en 1854, a constaté, en s’éloignant de Melbourne vers le Nord, que les indigènes qui, dès le début de son voyage étaient petits, misérables, maladifs, s’amélioraient peu à peu, jus- qu’à devenir des gaillards solides, grands, bien construits ; plusieurs dépassaient 6 pieds ; l’un même en atteignait pres- que 7. Les femmes avaient une physionomie intelligente et étaient taillées sur le même patron (1). Il semble évident ici que le type a dû être surtout modifié par l’influence des milieux et la salubrité des hauts plateaux. Les naturalistes de V Astrolabe furent plus heureux à Jervis-Bay, au sud de Port-Jackson, qu’à Port-Western. Nous observâmes sur les bords de cette baie un assez grand nombre d’indigènes, remarquables par leur conformation, leur apparence de force et leur quasi-embonpoint ; nous ne pûmes apercevoir aucune femme. C’est là que nous vîmes pour la première fois des pirogues en écorce, froncées aux deux bouts et longues d’une douzaine de pieds. Les habitants étaient de taille moyenne ou à peine au- dessus de la moyenne, comme ceux du port du Roi-Geor- ges ; ils portaient leurs cheveux en petites mèches pen- dantes, comme dans l’île du Saint-Esprit aux Hébrides, et arrêtées à l’extrémité libre par un ongle ou une dent de kangourou : leur tète était entièrement couverte par ces ornements. Les cheveux, légèrement frisés ou ondulés, étaient noirs, lisses et touffus. La barbe était également noire et épaisse, et elle s’étendait sous le menton et sur le cou. Plusieurs vieillards avaient des cheveux blancs. Tous avaient sur le corps d’abondants petits poils ; presque tous étaient tatoués sur le dos, les lombes et la partie antérieure (1) Yoy. Topinard, loc. cit. , p. 230. LES POLYNÉSIENS. 95 du thorax, par incisions et par brûlures formant de grands 8 de chiffres. Leur peau, dont la couleur se rapprochait du noir bleuâtre, était plus foncée que celle des naturels de Georges-Sound ; leur front était saillant ; leur nez épaté et percé de trous destinés à recevoir des ornements; leurs yeux étaient grands, noirs et enfoncés ; leur bouche parais- sait moins large que celle des habitants du port du Roi- Georges. Plusieurs avaient les incisives cassées d’après la mode australienne. Ils étaient bien musclés, mais leurs mollets étaient moins gros que ceux des matelots français. En résumé, ces naturels différaient d’une manière sensi- ble de ceux du port du Roi-Georges, tant par la couleur, semblable à celle des Fijiens et des Calédoniens, et par la manière de porter leurs cheveux qu’on eût dit atteints de plique, que par l'apparence d’une plus grande vigueur et par des proportions plus fortes. Mais ils leur ressemblaient par presque tout le reste. Cette forme de la chevelure des habitants de la baie Jervis, précédemment signalée pas Grant dans son voyage b la Nouvelle-Galles du Sud (1802), mérite particulièrement d’être remarquée, car elle est absolument celle des naturels de plusieurs des îles Hébrides. Cette forme, du reste, ne se trouve pas qu’à Jervis-Bay; on l’a observée sur plu- sieurs autres points de l’Australie, et entre autres dans l’intérieur, près de la baie Roebuck, où elle a été signalée par M. James Martin. On peut donc la regarder comme une coutume propre à la race australienne, ou tout au moins, à l’une des races qui l’ont formée, car la distance séparant les deux baies Jervis et Roebuck est presque toute la largeur du continent australien : l’une se trouve dans le Sud-Est et l’autre dans le Nord-Ouest. Des analogies se rencontrent donc chez les Australiens des points les plus extrêmes aussi fréquemment que des différences chez des tribus voisines. V Astrolabe se trouvait à Port-Jakson en décembre 1826, et nous pûmes y observer deux tribus, alors très rédui- tes, celles de Broken-Bay et de Botany-Bay. Ces tribus étaient commandées par les deux chefs si connus Bongaré 98 LES POLYNÉSIENS. et Benilong, qui portaient au cou leur nom gravé sur une espèce de collier. A première vue, ces hommes ressemblaient à ceux du port de Roi-Georges ; ils étaient seulement plus dégradés par suite de leur contact avec les convicts et des habitudes qu’ils avaient contractées ; mais ils en avaient la taille, la couleur et la physionomie. Quelques-uns parmi eux, le chef Bongaré entre autres, dénotaient même une assez grande puissance musculaire ; mais la plupart étaient arrivés à un tel point de dégradation, qu’il était bien difficile de deviner ce qu’ils avaient pu être antérieurement. (1) Yoici comment nous avons résumé nos observations gé- nérales ; ce résumé rend exactement les caractères que pos- sédaient alors les diverses tribus examinées par nous. Couleur de la peau noir fuligineux ou de suie, et non celle des nègres d’Afrique ; Taille moyenne, avec des individus plus grands ; Membres supérieurs et inférieurs souvent grêles, mais surtout les derniers à Port-du- Roi-Georges et à Port- Jackson; bien musclés au contraire à Jervis-Bay ; Ventre souvent saillant dans le premier lieu, ordinaire dans les deux autres ; Tête grosse, en apparence, par suite sans doute de l’épaisseur de la chevelure ; front arrondi, parfois assez haut, mais peu large ; Face élargie transversalement ; pommettes écartées ; œil grand, à sclérotique jaunâtre dans les trois endroits; arcades sourcilières saillantes ; Nez épaté, large ; parfois bosse nasale prononcée ; narines écartées ; oreilles grandes ; bouche grande, très- fendue ; lèvres grosses surtout l’inférieure ; dents très belles, larges et pour ainsi dire toutes petites molaires par la forme; maxillaire inférieur peu large. Cheveux assez longs, noirs, frisés ou bouclés, mais non laineux ; barbe assez longue, se terminant en pointe ; (1) Yoy. dans le texte du voyage de la Coquille et dans le Jour- nal médical , ce que R. P. Lesson dit de Bongaré. LES POLYNÉSIENS. 97 moustaches longues chez beaucoup ; quelques poils pour favoris. Genoux à demi fléchis et en dedans, comme chez presque tous les sauvages qui se tiennent toujours accroupis. En résumé, on voit que, même parmi les observateurs de cette époque, il existe des différences d’appréciation tenant, dans certains cas, à la seule manière de voir, mais dues, dans d’autres, à la différence réelle des tribus observées. Ainsi Cook a trouvé maigres les naturels qu’ils a vus à l’Est ; à l’Ouest, Dampier les a trouvés menus, de même que Quoy et Gaimard au Sud. Dampier et Ransonnet les ont trouvés grands ; Cook, Banks, Pérou, de Freyci- net, Depuch, R. P. Lesson, les ont trouvés de taille moyenne. Les uns leur ont donné un nez gros (Dampier) ; ou un nez court et épaté (Depuch) ; la plupart un nez plat (Ransonnet, Banks). Péron, Quoy et Gaimard leur ont vu un ventre souvent gros ; suivant Banks, particulièrement, les dents sont larges. Quant aux cheveux, ils étaient crépus pour Dampier, crêpés pour Banks et seulement bouclés pour Ransonnet ; ils étaient lisses, droits et bouclés pour Cook, Péron, Depuch, Lesson ; ni crépus, ni bouclés, mais par flocons pour de Freycinet et Quoy. Dampier, de Freycinet, Quoy et Gai- mard ne leur donnaient pas de barbe ; au contraire Ran- sonnet, Cook, Depuch, Lesson leur en avaient vu une noire, fournie, et Banks une frisée. Quoy et Gaimard, et le dessi- nateur de Y Uranie J. Arago, n’avaient remarqué que des yeux petits ; de Freycinet, Bory-St-Vincent signalent au contraire, ainsi que nous le faisions nous-même, des yeux grands, et ce dernier fait est important quant à la formation des Australiens à cheveux lisses. En somme, les anciens observateurs ne s’accordaient que sur la grandeur de la bouche, encore Banks la trouvait-il moyenne sur la cote orientale. Quant aux différences tran- chées dans l’ensemble des caractères extérieurs, elles por- taient principalement sur la maigreur, la musculature, et surtout sur la nature des cheveux que Dampier seul avait trouvés crépus. 98 LES POLYNÉSIENS. Sans doute de pareilles divergences sur le petit nombre d’individus observés jusque-là, ne permettaient guère d’a- voir une idée bien nette de toutes les tribus répandues dans la Nouvelle-Hollande. Il fallut une cinquantaine d’années d’explorations incessantes pour avoir à ce sujet une opinion un peu plus arrêtée, et aujourd’hui encore il reste bien des points à élucider. Néanmoins les anciens voyageurs avaient déjà signalé les différences fondamentales que l’on s’accorde généralement à reconnaître, et dont les deux principales sont la couleur de la peau et la nature des cheveux. Ils avaient montré qu’on rencontre près d’une tribu chétive une tribu bien musclée ; que les cheveux lisses existent parfois sous forme de tire-bouchons comme chez les Mélanésiens des Hébrides ; que les dents des Australiens méridionaux et orientaux sont généralement larges ; que la teinte jaunâtre delà sclérotique se voit aussi bien chez les Australiens à cheveux lisses, que chez ceux à cheveux crépés ; que les yeux ne sont pas toujours petits, mais au contraire plutôt grands chez les populations méridionales ; enfin que les cheveux sont lisses chez les Australiens du littoral, au moins depuis la rivière des Cygnes dans le Sud-Ouest, jusqu’au 18° degré de latitude sur la côte orientale, en pas- sant par le Sud. Depuis les premières explorations, tant de voyages ont été entrepris, tant de recherches ont été publiées sur les Australiens, que l’on est à peu près fixé sur l’ensemble des tribus de la Nouvelle-Hollande, surtout sur celles occupant le littoral ; on sait aujourd’hui que les tribus à caractères négroïdes plus prononcés sont celles qui avoisinent le plus la Nouvelle-Guinée. D’après les observateurs modernes, c’est dans cette partie de l’Australie que seraient plus par- ticulièrement cantonnées les tribus à cheveux crépus, tan- dis que celles à cheveux lisses existent depuis le Sud-Ouest jusqu’à l’Est-Nord-Est, au moins sur le littoral. M. Topinard, dans son « Mémoire sur les races indigènes de l’Australie », concluait de ces dissemblances que les Australiens se divisent en tribus inférieures et tribus supé- rieures, et il attribuait presque exclusivement à l’immixtion LES POLYNÉSIENS. 99 d’éléments étrangers, les différences existant entre ces deux divisions principales. Aujourd’hui il fait une part plus grande à l’influence des milieux : « L’état de misère extrême des tribus australiennes peut également, dit-il, expliquer les différences physiques qu’elles présentent (1). » C’est à cette conclusion que depuis longtemps nous étions arrivé nous-même par la seule observation. Plus bas, M. Topinard ajoute : « Nous ignorons encore si la race australienne actuelle a pris naissance sur place avec les caractères que nous lui connaissons, si au contraire, elle est venue toute constituée de l’Asie, ou bien si c’est une race croisée, et, dans ce cas, de quels éléments elle se compose. » Si, en effet, on peut rapporter le petit nombre de cheveux laineux existant encore dans la péninsule d’York, à la pointe Nord-Ouest et dans le Sud, à des immigrations papoues de la Nouvelle-Guinée et à l’arrivée sur le continent de quel- ques Tasmaniens traversant le détroit de Bass, les crânes australiens offrent, de leur côté, des différences de types très accentuées, et les indigènes, Hindous par les cheveux, sont, pour tout le reste, Néo-Hébridiens et Néo-Calédoniens. Le type australien est donc un type paradoxal : il réunit des cheveux lisses à des traits négroïdes. La capacité crâ- nienne des Australiens, 1347 centimètres cubes chez les hommes, est une des plus faibles connues. Leur dolichocé- phalie, 71.93 en moyenne, est une des plus fortes; de même pour leur prognatisme, 6S°2. Leur indice nasal, 53.39, les rapproche des Papua, ainsi que leur indice orbitaire, 80.45, qui les place également près des Tasmaniens. Ils s’éloi- gnent au contraire de ces derniers par la direction du plan du trou occipital, ou angle de Daubenton, 6°8, qui les ramge dans la série des nègres. La plupart des navigateurs français et la presque univer- salité des auteurs anglais ont soutenu, et quelques-uns soutiennent encore, que la race indigène est une sur toute l’étendue de l’Australie. Telle était particulièrement l’opb (1) Anthropologie , p. 533. 100 LES POLYNÉSIENS. nion de Freycinet : il fut le premier à dire que la Nouvelle- Hollande, malgré son étendue, s’est trouvée uniquement habitée par une seule race offrant partout les mêmes carac- tères physiques et moraux. Cette opinion était également celle de Haie, dont les travaux sur les Polynésiens sont si connus. Aujourd’hui, en s’appuyant sur la différence des caractè- res extérieurs décrits par les voyageurs, et surtout sur celle des caractères crâniens, on pense, au contraire, qu’il n’y a point d’unité dans la race australienne. On est porté à ad- mettre que les Australiens auraient été produits par le croisement d’une race étrangère aux cheveux lisses et d’une race autochthone réellement nègre : la première, dolichocé- phale, de haute taille, robuste et bien proportionnée, aux cheveux longs, droits et lisses, aux traits vigoureusement dessinés, à la peau couleur de chocolat ou de cuivre foncé ; la deuxième, plus dolichocéphale encore, mal faite, au teint noir-foncé, aux cheveux frisés ou crépus, au! crâne petit, ayant les mâchoires très-prognathes, la sclérotique jaunâ- tre, les pieds plats, les mollets grêles. Il paraît, en effet, impossible de ne pes reconnaître, d’a- près les différents caractères présentés par la face et le crâne des Australiens et qui attestent si bien l’existence de plusieurs types, que des éléments multiples sont intervenus dans la formation de la race australienne. Les variations de taille, de coloration, de cheveux, d’in- dices céphaliques, prouvent que les Australiens sont une race métisse. Les éléments primordiaux de cdtte race semblent se borner à deux principaux, un élément noir et un élément jaune, le premier aux cheveux crépus, le second aux cheveux lisses. En outre nous pensons, et telle est aussi l’opinion de M. de Quatrefages, qu’une autre race noire s’est également montrée à la.Nouvelle-Hollande : cette race était la race négrito. Les études crâniométriques ont, en effet, établi qu'un élément brachycéphale nègre avait dû anciennement exister en Australie et qu’il y avait laissé quelques traces. L’élément noir qui, en dehors des Négritos, a contribué à LES POLYNÉSIENS. 101 la formation des Australiens, était certainement une race dolichocéphale et bien probablement de haute taille, c’est- à-dire pareille à celle de la Nouvelle-Calédonie et, par conséquent, la race Papua. Les indices céphalique, nasal et orbitaire des Néo-Calédoniens sont favorables à cette hypothèse. Il resterait à savoir si les indices des Australiens aux cheveux crépus sont exactement les mêmes que ceux des Australiens aux cheveux lisses. C’est peu probable ; mais la question ne pourra être tranchée que lorsqu’on pos- sédera des crânes authentiques d’Australiens à cheveux crépus. Nous admettons donc que deux races noires distinctes ont pu exister en Australie soit à l’état élémentaire, soit déjà mêlées lors de leur arrivée sur cette terre. La race négrito, qu’elle fût autochthone ou venue d’ailleurs, était une de ces races : c’est elle qui explique la formation des Tasmaniens ; mais elle avait complètement disparu à l’arrivée de la race jaune, car on n’en a rencontré aucun vestige vivant, soit en Tasmanie, soit en Australie, et c’est tout au plus si l’on a trouvé dans cette dernière contrée un ou deux crânes brachycéphales. Il est donc évident qu’elle n’a pas contri- bué directement à la formation des Australiens, mais seu- lement à celle des Tasmaniens. Quant à l’autre race noire elle avait probablement tous les caractères de la race Papua. La race jaune pure, qui a pris part à la formation des Australiens, n’a dû arriver qu’après l’extinction de la race négrito et alors seulement que la grande race noire était déjà en partie revenue à ses caractères primitifs. C’est par son croisement avec cette dernière qu’ont été créées les différentes populations de la Nouvelle-Hollande. Les croi- sements opérés entre ces deux races d’abord, puis entre leurs produits directs, suffisent seuls à expliquer les di- verses nuances de couleur et de caractères qui existent en Australie ; il n’est pas nécessaire, pour comprendre ces différences, de supposer, ainsi que le font la plupart des écrivains, des croisements multiples avec des races diffé- rentes. 102 LES POLYNÉSIENS. Il est évident, en effet, que les premiers produits dus au croisement d’une race noire avec une race jaune, sont des demi-sangs, des métis ou mulâtres. Que ces métis se croisent entre eux, ils ne donnent toujours que des demi- sangs, mais ceux-ci sont eux-mêmes un peu différents extérieurement, suivant que le croisement a eu lieu entre les hommes demi-sang à cheveux lisses et les femmes demi- sang à cheveux crépus, ou qu’il s’est opéré entre les hommes demi-sang à cheveux crépus et les femmes demi-sang à cheveux lisses. Dans le premier cas les cheveux sont plus crépus et la peau est plus foncée, car ce sont les femmes qui fournissent surtout ces caractères ; le contraire a lieu dans le second cas. Si maintenant on suppose le croisement des demi-sangs avec l’une des deux races qui les ont formés, on voit se mo- difier de même la couleur de la peau et la nature des che- veux. La peau devient plus foncée ou plus claire, les che- veux deviennent plus crépus ou plus lisses, suivant la race pure qui prend part au croisement. Les produits ainsi obte- nus sont des quarterons variant suivant que les hommes ou les femmes de l’une des deux nuances ont contribué à leur formation. On comprend aisément, d’après cela, quelles variétés sont encore produites par les quarterons, quand ils se mélangent à des demi-sangs ou quand ils se croisent avec l’une ou l’autre des deux races fondamentales ; de même quand ils sont devenus octavons ou octavonnes, c’est-à-dire qu’ils n’ont plus qu’un huitième de sang jaune ou de sang1 noir. Il est donc facile d’expliquer la variété infinie des caractè- res que doivent nécessairement présenter les Australiens, rien que parleur croisement entre eux, et sans qu’il soit né- cessaire de supposer que d’autres races y ont contribué. Pour M. de Quatrefages, la race jaune qui, par son mé- lange avec la race noire a produit les Australiens, était la race polynésienne entraînée en Australie ou s’y transpor- tant volontairement. Pour la plupart des savants, et parti- culièrement pour MM. Topinard, Hamy, Huxley, etc., cette race n’était probablement qu’une race asiatique déjà mé- LES POLYNÉSIENS. 103 tissée ; ils admettent en outre que les Polynésiens et les Ma- lais ont quelquefois abordé accidentellement sur les côtes. Quant à nous, nous pensons que cette race jaune n’était au- tre que la race alfourous. Nous établirons plus tard que les Alfourous sont les des- cendants des Polynésiens arrivant en grand nombre et à une époque reculée à la Nouvelle-Guinée, dans les îles Ma- laises et dans presque toutes celles de l’ archipel Indien, et se répandant probablement aussi sur le continent asiatique, sur le continent africain et sur le continent américain. Nous nous bornerons à dire ici qu’une preuve de la venue des Polynésiens sur la côte méridionale de la Nouvelle- Guinée est la découverte faite par le missionnaire Wyatt Gill, près de la baie Redscar des cartes anglaises, d’une ri- vière et d’un village portant le nom polynésien demanu ?na- nu. D’après lui, les femmes y sont exquisement tatouées, plus même que les hommes ; les uns et les autres sont très semblables pour le teint aux Samo an s et aux Rarotongans, mais ils leur sont fort inférieurs par la taille et la force phy- sique. 11 apprend également que lesNouveaux-Guinéens du détloit de Torrès appellent l’Australie le grand Daudai (1). Ainsi nous croyons que ce sont les Alfourous plutôt que les Polynésiens, qui en se croisant, soit à la Nouvelle-Gui- née même, soit en Australie, avec une race noire de grande taille pareille à celle de la Nouvelle-Guinée, ont contri- bué à la formation des Australiens. Cette préférence se fonde sur ce que deux mots polynésiens à peine ont été trouvés en Australie. Ces deux mots sont : Haie mai , en polynésien I/aere-mai’, viens-ici, que Banks entendit à Botany-Bay, et aipa , se rapprochant du polynésien aita, terme de néga- tion, entendu par 18°48’, là où échoua UEndeavour . Cette absence de mots polynésiens en Australie serait in- compréhensible si les Polynésiens y étaient venus directe- ment. On trouve en effet un certain nombre de mots de leur langue partout où ils ont passé. Leur absence, au contraire, (1) Nous ferons remarquer, en passant, l’analogie de ce mot avec celui de Dengei qui, aux îles Fiji, est donné au Dieu créateur. 104 LES POLYNÉSIENS, s’explique plus facilement si l’on admet que ce sont les Al- fourous qui se sont portés à la Nouvelle-Hollande, après avoir été, à la Nouvelle-Guinée ou ailleurs, plus ou moins long- temps en contact avec des populations noires, et avoir eu le temps de perdre, totalement ou en grande partie, l’usage de leur langage primitif par l’adoption de celui de la race pré- pondérante. Nous pensons donc que ce sont les descendants des Polynésiens ou Alfourous, plutôt que les Polynésiens vrais, qui se sont présentés à la Nouvelle-Hollande et ont con- tribué à la formation des Australiens, après l’absorption ou la disparition de la race négrito. Quant à la descendance asiatique des Australiens, cette opi- nion soutenue par un grand nombre de savants modernes est peu admissible. Malgré quelques ressemblances individuel- les, les Bengalais et les Australiens diffèrent en général d’une manière frappante ; ainsi chez les premiers les cheveux sont plus lisses, la bouche moins grande, les dents moins fortes que chez les derniers. La couleur de la peau est éga- lement plus foncée chez les Bengalais que chez les Austra- liens à cheveux lisses. Il en est de même pour l’hypothèse, émise plus particu- lièrement par les écrivains anglais, et qui fait des Austra- liens les survivants d’une race locale primitive, entière- ment différente par ses habitudes et sa conformation physi- que de toutes celles qui l’entourent. Les variations indivi- duelles sont trop grandes, l’étude des crânes montre des différences typiques trop accentuées, pour qu’il soit possible d’admettre l’unité et la pureté des Australiens, et de regar- der, avec M. Staniland Wake, les Australiens à cheveux lis- ses comme ayant pris naissance sur le sol même de l’Aus- tralie et représentant une des races mères de l’humanité. Tout prouve que les Australiens ne sont que des métis de race jaune et de race noire, recroisés entre eux et leurs ancêtres, h divers degrés. En somme nous admettons que trois races différentes ont existé en Australie : Deux noires, l’une de petite taille, brachycéphale ou mésaticéphale, l’autre de grande taille LES POLYNÉSIENS. 105 et dolichocéphale, et la troisième race jaune, de taille élevée et sous-dolichocéphale. Les Tasmaniens auraient été le produit des deux premières ; les Australiens celui des deux dernières. La race noire de petite taille était la race Négrito venue probablement de la Nouvelle-Guinée soit pure, soit déjà croisée. Après avoir fourni d’un des éléments des Tasma- niens en Australie, ou en Tasmanie, elle semble avoir com- plètement disparu, absorbée ou exterminée par les dolicho- céphales de taille élevée. La race noire dolichocéphale de grande taille ou de taille moyenne, était probablement la race Papua ou tout au moins une race bien voisine et pareille aux Néo-Calédoniens purs. C’est elle qui, après avoir produit les Tasmaniens en se croisant avec les négritos, absorba ou expulsa cette race, et créa, par son mélange avec une race jaune, les métis qui portent aujourd’hui le nom d’Australiens, aussi bien ceux à cheveux crépus que ceux à cheveux lisses. Quant à la race jaune elle était Polynésienne et non Asiatique ; mais elle appartenait à la branche des Alfourous plutôt qu’à la race polynésienne proprement dite. Cette race n’a dû se présenter que la dernière en Australie où elle avait été précédée par les deux races noires. Deux éléments ont donc suffi pour former les Australiens : un élément noir et un élément jaune, celui-ci étranger et le premier bien probablement autochthone. La race noire Papua devait, en effet, être en partie revenue à son type pri- mitif lors de l’arrivée en Australie de la race jaune poly- nésienne, et elle n’était probablement alors presque plus métissée de Négritos. C’est ce que semble établir la crânio- métrie aussi bien que l’examen des caractères extérieurs. Pourtant il faut avouer que si l’indice céphalique et l’indice nasal sont favorables à cette hypothèse, il n’en est plus de même pour l’indice orbitaire. Cet indice, en effet, est très mégasème chez les Polyséniens en général et probablement aussi chez les Alfourous, tandis qu’il est microsème au plus haut degré, chez les Néo-Calédoniens, les Australiens et les Tasmaniens. Ces trois races sont à une extrémité de la 8 106 LES POLYNÉSIENS. série ; les Hawaïens et les Polynésiens divers en occupent l’autre extrémité. RÉSUMÉ GÉNÉRAL DES RACES MÉLANÉSIENNES. I. Il existe, en apparence, au moins deux races noires : Tune plus petite, appelée Endamène à la Nouvelle-Guinée, et connue sous le nom d’Aëta, Négrito, Nègros, etc., aux Philippines ; elle a vécu ou vit encore dans bon nombre d’îles, telles que Mindanao, Bornéo, les Andaman, etc. ; cette race nommée aujourd’hui Négrito est brachycéphale ; L’autre grande, dolichocéphale, et appelée Papua, se trouve encore à la Nouvelle-Guinée, la Nouvelle-Bretagne, la Nouvelle-Irlande, les îles Hébrides, la Nouvelle-Calédo- nie, les îles Salomon, Vanikoro, etc., ainsi que sur les principales îles Fiji. II. Les noirs que les Européens ont appelés Papous, pour les distingmer des Papua, sont des métis produits par le croisement des femmes papua avec les hommes alfourous, et recroisés d’ Alfourous ; ces métis sont souvent aujourd’hui recroisés de Malais, quoiqu’il y ait également de purs métis papua-malais. III. Les noirs appelés Alfourous-Endamènes par R. P. Lesson sont aussi des métis, mais provenant de femmes alfourous croisées avec les Papua; les Alfourous-Endamènes sont représentés aujourd’hui par les Australiens à che- veux lisses. IV. Les Alfourous, quelque soit le lieu où on les ait rencontrés, ne sont que des descendants des Polynésiens, c’est-à-dire des Malaisiens, comme nous l’établirons plus loin ; ils forment une race distincte partout, à la Nouvelle- Guinée, comme à Ceram, Bourou, Célèbes, etc. ; cette race est seulement un peu plus mélangée aujourd’hui et elle a même perdu dans quelques îles une partie de ses caractères propres pour prendre ceux des Mélanésiens : c’est ce qui la fait mettre à tort par beaucoup d’écrivains au nombre LES POLYNÉSIENS. 107 des races noires. Peut-être les Alfourous ne sont* ils arrivés dans les îles secondaires qu’après un long* séjour dans quelques-unes des grandes îles de la Malaisie, telles que Bornéo, Sumatra, etc. ; peut-être ne sont-ils que des émi- grants, volontaires ou non, des populations Dayaks, Battaks ou Bouguis ; toujours est-il qu’ils ont les mêmes caractères que ces derniers et que, par conséquent, ils sont des Polynésiens. L’existence de cette race dans les îles malaisiennes et dans la Nouvelle-Guinée permet seule de comprendre cer- tains caractères anthropologiques qu’on s’était contenté d’observer sans chercher à les expliquer ; avec elle on saisit plus facilement l’absence à peu près complète de mots polynésiens en Australie, ce qui ne serait évidemment pas arrivé si les émigrants fussent venus directement de la Polynésie, comme on semble disposé à l’admettre aujour- d’hui. En outre ce n’est qu’à l’aide de cette race qu’on peut expliquer et la couleur de la peau et les cheveux lisses d’une partie des Australiens. Y. C’est par le croisement de la race négrito avec la race papua qu’ont été formés bien probablement les Tasmaniens, soit en Australie, soit en Tasmanie même ; à moins que l’on ne préfère admettre avec M. de Quatrefages (1) que les Tasmaniens constituaient à eux seuls une race distincte. VI. C’est le croisement des hommes papua avec les femmes alfourous qui a donné naissance aux Australiens à cheveux lisses, tandis que les Australiens à cheveux crépus semblent dus au mélange des hommes alfourous avec les femmes papua ou, plus probablement peut-être, ils sont les restes des métis produits par les races négrito et papua et recroisés de Papua. VII. Enfin la race papua et la race négrito ont nécessai- rement existé à la Nouvelle-Guinée ou se sont trouvées en contact dans la Nouvelle-Hollande même, avant l’arrivée ou la formation sur place des métis de Papua et d’ Alfourous; (1) Académie des sciences , avril 1878. DIVRE deuxième RACES POLYNÉSIENNES CARACTÈRES EXTÉRIEURS DES POLYNÉSIENS « Traits distinctifs de la race polynésienne, d’après M. de Quatrefages. — La description faite par ce savant est incomplète ; observations à ce sujet. — Il n’existe dans les îles Polynésiennes ni noirs, ni blonds. — Caractères crâniens des Polynésiens. — Leurs caractères physiques ex- térieurs d’après nos observations. M. de Quatrefages (1) ne reconnaît dans la race polyné- sienne qu’une race mixte empruntant à chacun des trois grands types de l’humanité quelques-uns de ses traits les plus caractéristiques ; pour lui, cette race métisse est formée par le mélange des Malaisiens conquérants avec les popu- lations noires de l’Océanie. Le savant professeur trouve la preuve de ces assertions dans l’étude des têtes océaniennes : ainsi il voit sur la tête du Tahitien la fusion des caractères rencontrés chez le blanc, le jaune et le noir; celle de l’indigène des Marquises indique que les caractères du blanc ont pris le dessus ; d’autres têtes (1) Revue des Deux-Mondes , 1er février 1864. 110 LES POLYNÉSIENS. établissent la prééminence du type mélanésien; mais en somme, ajoute-t-il, c’est le caractère blanc qui domine. Dans son ouvrage sur les Polynésiens, il décrit ainsi les principaux traits distinctifs de cette race (2) : La région crânienne est haute, un peu courte d’arrière en avant, aplatie en arrière ; ce dernier caractère, dit-il, n’est pas naturel : on aplatit artificiellement l’occiput des enfants, et il cite à ce sujet l’opinion de Moërenhoüt qui a passé de nombreuses années en Polynésie. Le front, ordinairement un peu bas, est bien développé ; il est souvent très beau et parfois l’angle facial égale celui de l’Européen. Le nez, un peu trop court, est ordinairement épaté par suite de manœuvres exercées sur l’enfant (Moërenhoüt) ; souvent aussi il est droit et bien saillant; dans certaines îles il est presque toujours aquilin, caractère qui appartient essentiellement aux races blanches. Les yeux, un peu petits, et généralement noirs, sont pres- que toujours horizontaux, rarement obliques: on sait que cette obliquité des yeux est caractéristique des races jaunes, mais qu’elle se rencontre exceptionnellement chez les blancs. Les pommettes sont saillantes, mais cette saillie existe plu- tôt en avant comme chez certaines populations blanches, que latéralement comme chez les races jaunes. La bouche est bien dessinée, l’expression en est agréable ; mais les lèvres sont un peu trop épaisses et elles présentent d’ordinaire cet empâtement particulier qui dénote la présence du sang nègre ; parfois aussi elles sont fines et minces comme chez les Européens ; le menton est souvent projeté en avant d’une façon exagérée et il devient alors étroit et pointu. Le teint varie du jaune bistre très-pâle, rappelant celui de certains Européens du Midi, au brun foncé, et il passe quelquefois à la teinte cuivrée. Les cheveux sont noirs ou châtain foncé et châtain clair ; généralement ils ont tendance à se rouler en boucles; ils sont assez souvent crépus, mais (1) Les Polynésiens et leurs Migrations , p. 8. — Paris, 1866. 111 [les polynésiens jamais laineux. Et M. de Quatrefag*es ajoute en note : « Les caractères tirés de la chevelure attestent à eux seuls que l’é- lément jaune entre pour assez peu dans la composition de la race polynésienne, car des cheveux toujours noirs, raides et incapables de friser, sont un des traits les plus généraux des populations mong*oliques, et je n’en connais même pas qui fassent exception. » Or voici ce que nous écrivions sur les caractères extérieurs des Polynésiens, dans un mémoire envoyé à la Société d’an- thropologie de Paris en décembre 1865 et dont M. Gaussin a fait le compte-rendu succinct dans la séance du 18 juillet 1867 (1) : « Nous croyons que les caractères physiques donnés à l’homme vivant par M. de Quatrefages ne sont pas exacte- ment ceux des Polynésiens. Le crâne est bien aplati en ar- rière, mais c’est une erreur de croire que le fait n’est pas naturel : nous avons démontré sur les lieux à M. Moëren- hoüt que son fils, qui n’avait jamais eu ni l’occiput ni le nez aplatis artificiellement, tant le père avait pris de précautions pour empêcher cette manœuvre, n’en avait pas moins l’occi- put aplati d’une manière frappante et le nez bien plus plat que celui d’un Européen. L’aplatissement artificiel n’y était donc pour rien, puisqu’il existait même chez un métis. « Le nez est ordinairement plutôt épaté que droit, et même quand il est droit et saillant, il conserve son aplatissement h la base ; s’il semble être plus souvent aquilin à la Nouvelle- Zélande, cela est dû à la forme de tatouage. Moërenhoüt affirme qu’un nez plat est une grande perfection et une beauté chez les femmes : alors toutes doivent se trouver parfaite- ment belles, car, à l’exception peut-être de quelques-unes, elles ont toutes un nez plat et large à la base. Nous avoue- rons, après avoir passé, nous aussi, plusieurs années à Ta- hiti, n’avoir jamais vu qu’elles tinssent beaucoup à cette perfection qui est tout simplement un caractère de race. « Les yeux sont toujours grands, horizontaux, et nous (1) Bull. Soc , d’Anthrop. 1867, p. 436, 112 LES POLYNÉSIENS. n’en avons pas vu de petits : leur couleur est toujours noire. Les pommettes saillent, comme le dit M. de Quatrefages, plus en avant que sur les côtés, mais cette saillie n’a rien d’exag*éré. La bouche est sensuelle; les lèvres sont toujours grosses, épaisses, généralement bien faites, mais jamais fines et minces. Laprojection en avant du menton se rencontre as- sez souvent, mais elle a été exagérée par les peintres, surtout par ceux de Cook et particulièrement par Hodges pour les portraits des habitants de Pâques : nous pouvons assurer qu’elle n’existe qu’à titre exceptionnel, de même que l’obli- quité de l’œil. « Le teint varie du jaune plus ou moins clair, suivant les rangs et les précautions prises, au brun assez foncé chez le peuple et dans certaines îles. Les cheveux sont naturelle- ment noirs, droits, gros, se roulant parfois en boucles, com- me à la Nouvelle-Zélande ; quelquefois un peu crépus mais jamais laineux. Aujourd’hui on trouve bien dans les îles comme Tahiti et la Nouvelle-Zélande quelques individus à cheveux châtain clair, mais seulement chez les métis de fem- mes indigènes et d’Américains du Nord, ou chez les Albinos. « On ne peut nier, du reste, que la couleur de la peau ne soit à peu près celle qui est donnée par M. de Quatrefages. Car on ne peut la dire ni blanche, ni jaune, ni noire seule- ment. Mais après avoir vécu pendant un bon nombre d’an- nées parmi les Polynésiens, nous avons cru voir que deux couleurs suffisent pour donner à leur peau les différentes nuances qu’elle présente. Ces couleurs sont lejauneet le noir, qui fournissent des nuances plus ou moins claires ou foncées, sans parler de celle qui est due au hâle seulement. Si, nous aussi, nous appelions blancs certains Polynésiens, ce n’était que par comparaison avec la masse de leurs compa- triotes et surtout quand ils étaient comparés aux populations mélanésiennes; mais jamais nous n’en avons vu d’un blanc pur, tandis que nous avons vu souvent, parmi les jeunes gens de famille, se soignant beaucoup, une teinte jaune comparable parfois à celle de l’or ou du nankin, et, plus souvent encore, parmi le peuple, des peaux tellement brunes qu’elles se rapprochaient par la teinte, mais en en restant LES POLYNÉSIENS. 113 pourtant bien loin, de la couleur de la peau du nègre afri- cain. Pour rendre la couleur générale des Polynésiens, nous avions du reste adopté l’expression de couleur de bois de santal , bois qui présente toutes les nuances du jaune, de- puis la plus claire jusqu’à la plus foncée, et cette idée nous était venue en remarquant la variété des nuances qu’offre souvent la population d’une même île. » Répondant aux diverses assertions de M. de Quatrefag*es à ce sujet, nous disions encore : « Nous ne croyons pas que l’explication que donne M. de Quatrefag’es de la beauté relative plus grande des chefs soit la véritable ou du moins la seule, car on ne peut mettre en doute leur supériorité physique généralement. En effet, il est certain que nous avons vu à Tahiti, comme aux Tung-a, aux Marquises, des jeunes gens du peuple d’une beauté bien supérieure à celle de beaucoup de chefs, quoi- que ceux-là, répétons -le, soient généralement remarquables parleurs formes et leur taille. Et, après avoir longtemps observé, nous sommes porté nous aussi à attribuer au g*enre de vie cette supériorité, c’est-à-dire à une nourriture plus abondante, plus variée, à des soins plus grands, etc. Mais nous pouvons assurer que, même dans ces circonstances, tous les membres d’une même famille de chefs ne sont pas toujours plus beaux et plus blancs que le peuple. Nous citerons ailleurs avec des détails, la famille Pomaré, celle d’Hitoti, etc., où l’on voit des membres de couleur jaune clair, et d’autres de teinte très foncée. Les uns paraissent blancs à côté des autres, mais ce n’est absolument que par comparaison.» Ayant remarqué que les dessins des voyageurs diffèrent assez des bustes que possède le muséum, et que les figmres gravées ont, en général, des traits bien plus fins ou plus nobles, plus rapprochés du beau type blanc que les bustes, M. de Quatrefag*es s’est demandé si l’on ne devait pas être tenté de croire que le peintre a aidé aux ressemblances et embelli la nature, tandis que le mouleur, réduit à la repro- duire rigoureusement, est resté, par cela même, plus vrai ; et il explique le fait en disant que cela tient à ce que le 114 LES POLYNESIENS» premier a fait poser l’aristocratie du pays, qui n’a pas voulu se soumettre aux manœuvres du moulage, tandis que le deuxième n’a pu prendre ses modèles que dans la classe inférieure, dont le type, en Océanie, n’est pas plus noble qu’ailleurs. En effet, les différences sont frappantes, mais elles tiennent plus, croyons-nous, à l’inexactitude du pein- tre qu’à la cause indiquée. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’on ne doit pas seulement être tenté de croire, mais qu’on doit admettre sans hésitation que les dessins de la plupart des voyageurs ont été embellis ou mal faits. Nous citerons tout particulièrement, à cette occasion, les portraits de Hodges, le peintre de Cook, dans son deuxième voyage. Il n’en est peut-être pas un qui soit exact par la ressemblance et le costume. Parkinson, le secrétaire de Banks, avait, dans le premier voyage donné une meilleure connaissance des Océaniens ; mais lui-même n’a pas rendu exactement leur attitude, ni même leur costume. Tous les portraits de l’expé- dition de la Coquille , sont encore plus mauvais : ils donnent une idée parfaite de l’apparence des Français à l’époque où ils ont été faits, mais non celle des Polynésiens. Nous croyons que ceux qui sont les plus exacts se trouvent dans l’atlas historique du voyage de V Astrolabe, par M. de Sainson, et dans celui du voyage de Kotzebüe, par Choris. En jetant les yeux sur ces atlas on y retrouve des figures vraies, fidèles, telles que nous les avons vues. Toutes celles de Y Astrolabe sont pourtant loin d’être bonnes, mais les portraits des indigènes de la Nouvelle-Zélande, des Tunga et des Fiji vont parfois jusqu’à une ressemblance exacte. Ce n’est, du reste, pas seulement au genre de vie et à une plus grande abondance de nourriture que M. de Quatrefages attribue la supériorité physique des chefs, supériorité qu’il admet d’après presque tous les voyageurs ; il l’attribue sur- tout à une cause, dont on n’a, dit-il, jamais tenu compte jusqu’à lui, et, cette cause n’est autre « que l’arrivée jusque- là du sang blanc. » Pour preuve, il cite Quiros qui a trouvé à Tahiti, un chef avec des cheveux rouges, et Wallis qui, plus tard, dans la même île, a rencontré des individus à cheveux roux et même blonds. Ces faits sont pour lui de la LES POLYNÉSIENS. 115 plus grande importance parce qu’ils prouvent, dit-il, que les individus rencontréslà à l’époque des premières découvertes, étaient certainement de pur sang* indig*ène, puisqu’ils ne pouvaient provenir d’un croisement récent avec les Euro- péens. Les populations blondes n’appartenant qu’aux ra- meaux les plus caractérisés de la grande race blanche,1 il en concluait que leur présence attestait l’arrivée jusque-là du sang* blanc chez les chefs. Tous ces faits, comme plusieurs autres pareils dus à Quiros encore et à Mendana, prouvaient enfin, suivant lui, l’existence incontestable d’éléments blancs plus ou moins purs, en Polynésie, antérieurement aux dé- couvertes. Il en étaitde même, ajoutait-il, pour le type nègre, qui, plus accusé dans les classes inférieures en g*énéral, ressortait parfois presque à l’état de pureté. C’est à cette occasion que M. de Quatrefag*es cite comme exemple le Néo- Zélandais dont Hamilton Smith a reproduit le portrait dans son Histoire naturelle de V espèce humaine , Ne voulant nous occuper ici que des Polynésiens et ayant d’ailleurs à revenir sur ce dernier fait quand nous nous occuperons particulièrement des populations de la Nouvelle- Zélande, nous le laisserons de côté pour le moment et nous nous bornerons à relever, en passant, quelques-unes des assertions de M. de Quatrefag*es. Certes, si les faits sur lesquels s’appuie le savant profes- seur étaient exacts, ils auraient l’importance qu’il leur donne ; mais ils ne le sont pas. Après avoir visité presque toutes les populations polynésiennes et vécu de nombreuses années parmi celles des Marquises et des îles de la Société, nous pouvons assurer que nous n’avons jamais vu de nègres presque purs même parmi les populations mélanésiennes, pas plus du reste, que nous n’avons vu de blancs parmi les populations polynésiennes, excepté les Albinos qui s’y ren- contrent fréquemment. Dans son premier travail de la Bevue des Deux-Mondes, M. de Quatrefag*es ne parlait pas, et avec raison, de Quiros comme premier découvreur de Tahiti, puisqu’il est à peu près certain que la Sagitaria du navig*ateur espagnol n’était 116 LES POLYNÉSIENS. pas File Tahiti (1). Il se contentait de dire : « Lorsque Wallis découvrit Qtahiti, il y trouva, mais seulement parmi les chefs, des individus à cheveux roux et même blonds, etc. » En soulignant « mais seulement parmi les chefs » il était dans le vrai ; c’est ce qu’il disait aussi (2) lorsqu’il rappor- tait que « Davis (3) et Cook ont trouvé dans l’archipel de Tahiti des hommes blonds, aux yeux bleus, et que c’est seu- lement parmi les chefs ou dans leurs familles qu’ils ont observé ce type, comme si ces hommes blonds dépendaient d’un reste de conquérants. » Il aurait pu ajouter que Forster avait remarqué aux îles des Amis plusieurs insulaires, dont les cheveux couverts de poudre blanche, semblaient avoir été brûlés aux extrémités. Cette poudre, dit Forster, était simplement de la chaux faite de coquillages ou de corail, qui corrodait et brûlait les cheveux. Le même observateur avait vu un homme qui mettait de la poudre bleue, et plu- sieurs personnes des deux sexes qui portaient une poudre couleur d’orange. Nous avons parcouru presque toutes les îles océaniennes, et presque partout nous avons vu, nous aussi, des individus le plus souvent à cheveux roux, quelquefois couleur de filasse, et même blancs ou cendrés, chez les Polynésiens, et particulièrement les Fijiens; mais par- tout nous avons vu ou appris que les couleurs étaient produites à l’aide de moyens artificiels. C’est aux Fiji, où cette coutume est générale, qu’on voit sur la même tête les couleurs les plus tranchées opposées les unes aux autres. Là, chacun dispose sa chevelure à sa guise, en tour, en boule, en casque, en bonnet, en capeline, et, comme elle devient rude comme du fil d’archal par l’usage de la chaux, rien n’est plus facile que de donner une couleur à telle par- tie, et une autre couleur à telle autre. On peut voir dans le (1) Rev. des Deux-Mondes, 1er février 1864, p. 525. (2) Bull, de la Soc. d’ Anthropologie, 1860, p. 193. (3) Sans doute pour Davies, un des premiers missionnaires de Tahiti. LES POLYNÉSIENS. 117 livre de Thomas Williams (1) une suite de ces coiffures curieuses par la forme qu’elles affectent. Il est donc parfai- tement évident que ces chevelures rouges, blondes ou autres n’étaient pas naturelles. Qu’on les ait trouvées presque par- tout en Océanie, c’est un fait non douteux depuis les récits de Mendana, de Quiros et de Crozet surtout : seulement ces navigateurs n’avaient pas appris à quelle cause était due leur couleur. C’est ainsi que monseigneur Rudisendo Salvado a découvert dans l’Australie occidentale des cheveux du blond le plus franc (2) : en effet, l’ocre jaune-pâle communi- que aux cheveux une nuance tendre qui peut être prise par des observateurs superficiels pour la couleur naturelle de la chevelure. On sait aujourd’hui que l’île de Pâques possède, comme du temps de Roggeween, une population toute polynésienne, mais qui est généralement plus brune que celle des îles polynésiennes moins orientales : elle ressemble en cela à celle des îles Sandwich. Si le navigateur hollandais y a vu des hommes entièrement blancs parmi une masse ayant, disait-il, la couleur des Espagnols, il ne s’est presque cer- tainement servi de ces mots que par opposition avec l’en- semble de la couleur des. indigènes. Ce qui semblerait indiquer qu’il n’a employé l’expression « entièrement blancs » que dans ce sens, c’est que, après avoir dit que les habitants des îles Bauman étaient tous blancs, il ajoute qu’ils différaient des Européens en ce que quelques-uns d’entre eux avaient la peau brûlée par l’ardeur du soleil. Ne doit-on pas supposer qu’il prenait la couleur naturelle pour celle du hâle ? Depuis le voyage de Roggeween on s’est d’ailleurs assuré qu’il n’y a pas de blancs parmi les habi- tants des îles Bauman, lesquelles ne sont autres que trois des îles Samoa, contrairement à l’opinion de beaucoup de géographes (3). C’est une population polynésienne pure, qui, comme on le verra, se rapproche des Tongans par le (1) Fiji and Fijians , p. 158. (2) Voy. Revue d' Anthropologie, 1879 p. 149. (3) A. Lesson, Mémoire inédit de critique géographique. 118 LES POLYNÉSIENS. langage, mais qui est plus près des Tahitiens par la couleur. Là, du reste, comme dans les autres archipels, se trouvent toutes les nuances, même, ainsique le ditM. de Quatrefages, < chez certains individus, au milieu des populations présen- tant d’ailleurs le type moyen », c’est-à-dire parmi la masse du peuple. Mais, encore une fois, jamais le type nègre ne se rencontre même dans les classes inférieures ; c’est tout simplement le type polynésien dégradé, sans aucun point de ressemblance avec le type nègre, auquel ressemble à peine, même par la couleur de la peau, le type mélanésien. En somme, la description des Polynésiens faite par M. de Quatrefages est au moins incomplète, sinon inexacte, parce qu’elle résulte de faits souvent mal observés ou mal inter- prétés. D’un autre côté, M. Topinard (&) donne aux Polyné- siens les caractères suivants : \ Nez court pour certains voyageurs, saillant pour d’autres, tantôt droit, tantôt aquilin, et sè rapprochant plus du type américain que du type mongol ; narines élargies ; Os malaires forts, peu écartés ; face ovale, non aplatie ; arcades sourcilières peu saillantes ; échancrure du nez peu profonde, contrairement à ce qui a lieu chez les Mélané- liens ; yeux noirs, bien fendus, plus ou moins ouverts, non obliques ; Teint variable : couleur bois de chêne pour les uns, cuivre terni pour les autres, jaune-olivâtre pour M. Bourgarel, parfois, et notamment à Tahiti, plus clair que celui des Malais, généralement basané-jaunâtre avec mélange de bistre plus ou moins foncé (Jacquinot) ; Cheveux noirs, épais, rudes, parfois bouclés ou frisés ; barbe rare ; Stature élevée ; taille bien prise, svelte, mais avec quelque tendance à l’obésité. La norma verticalis du crâne polynésien présente un ovale renflé au niveau des bosses pariétales ; la voûte offre la disposition dite en carène. L’indice céphalique varie sui- vant les archipels de 75 à 78 et même 80 (Barnard Davis) : (1) Anthropologie , p. 506. LES POLYNESIENS. 119 les Polynésiens sont donc sous-dolichocéphales, à la limite de la mésaticéphalie ; ils sont mésorhiniens : leur indice nasal s’étend de 49.25 à 51.50 (Broca) et 52.80 (B. Davis) ; leur indice orbitaire est très még*asème, 90.27 à 95.40 (Broca) : ils se rapprochent par là des Malais et des Java- nais et se séparent nettement des autres Océaniens. Voici, d’après nos propres observations, quels sont les principaux caractères physiques extérieurs des Polyné- siens : Ils sont généralement grands, bien faits, avec des formes musculaires prononcées ; ils ont une grande tendance à l’em- bonpoint. Leur taille, du reste, varie suivant les îles et même suivant les localités dans les grandes îles; leur tête est belle, avec des traits un peu forts. La couleur de leur peau varie du jaune doré au jaune foncé ou brun ; Leurs yeux sont grands, horizontaux, à longs cils, et abri- tés par des sourcils épais et bien dessinés ; leur nez est gros, aplati et à larges ailes ; Leurs lèvres sont grosses ; leurs oreilles, contrairement à ce qu’a dit Bory-Saint-Vincent et à ce qu’on n’a cesse de ré- péter depuis, sont grandes, écartées, plus grandes que celles de la plupart des autres races, excepté peut-être la race chi- lienne ; Leurs cheveux sont gros, plats et lisses, abondants et noirs ; Leurs pieds sont grands et forts, de même que leurs jam- bes qui, souvent cependant, sont fort belles et en proportion avec le reste du corps ; leurs mains sont bien faites, mais for- tes. C’est donc à tort que M. Topinard, se basant sur des me- sures prises par Wilkes, dit que les Polynésiens sont les plus favorisés par la petitesse de la main, tandis que les Ma- lais ont tout à la fois la main et le pied plus grands (1). C’est précisément le contraire qui a lieu pour les Malais et les Polynésiens et, en ce qui concerne ces derniers, on voit, d’a- (1) Anthropologie } p. 349. 120 LES POLYNÉSIENS. près le tableau qu’il a publié à ce sujet (1), que les Néo-Zélan- dais et les habitants de l’île Stewart mesurés par les natura- listes de la Novara ont proportionnellement les plus grands pieds et les plus grandes mains de toute la série. Ce qui semble devoir être le plus remarqué chez les Poly- nésiens c’est donc la grandeur relative de leurs yeux, de leur bouche, de leurs oreilles, de leurs pieds et de leurs mains ; Bory-Saint- Vincent a même dit qu’ils devaient avoir l’ori- fice anal plus large également que la plupart des autres ra- ces ; or ce fait a été constaté chez les Maori. Les hommes de race polynésienne sont généralement mieux que les femmes; il y a pourtant des îles, les Marqui- ses entre autres., où celles-ci ont les formes les plus belles qu’on puisse rêver. Si en général, dans les autres îles, elles méritent l’épithète d’hommasses qui leur a été appliquée par plusieurs voyageurs, néanmoins rien aussi n’est plus com- mun que de rencontrer parmi elles des formes parfaitement proportionnées. C’est surtout en parlant d’elles que Bory- Saint-Vincent a eu raison de dire : « Non-seulement les for- mes des hanches et des épaules sont parfaites, mais la gorge est exactement hémisphérique, bien placée et des plus fer- mes ; ce qui établit un caractère qu’on retrouve rarement hors des races caucasique, pélagique, adamique et de l’es- pèce hindoue (2). » Il aurait même pu ajouter que ce carac- tère n’existe nulle part aussi prononcé que dans la race po- lynésienne. Les caractères anthropologiques généraux que nous venons de décrire peuvent être considérés comme de la plus grande exactitude ; ce sont ceux que nous avons observés et contrô- lés pendant plus de dix années de voyages et de séjour en Océanie. S'ils diffèrent en quelques points de ceux donnés par M. de Quatrefages, c’est que le savant professeur a né- cessairement dû se contenter de descriptions qui, le plus gé - néralement, ont été faites par des personnes étrangères à l’anthropologie, ou par des médecins qui, après avoir obser- (1) Loc. cit. p. 348. (2) L’Homme , 1er vol., p. 30. LES POLYNÉSIENS. 121 vé peu de temps ou seulement en passant, se sont trop hâ- tés de généraliser leurs observations. Plus tard nous aurons à revenir en détail sur ces caractè- res ; on verra que ces quelques lignes résument exactement ceux que nous attribuons aux Polynésiens et que, à part quelques différences, ils sont d’ailleurs, pour la plupart, ceux que leur ont reconnu presque tous les observateurs. En admettant, pour le moment, que ces caractères soient exacts, ce sont eux qui vont nous servir de critérium pour découvrir la filiation des Polynésiens. A ce point de vue, les caractères anthropologiques priment tous les autres. On comprend parfaitement, en effet, que si quelque peuple pré- sente des caractères pareils à ceux des Polynésiens, il y a déjà beaucoup de probabilités pour que l’un descende de l’autre; cette filiation, au contraire, n’est nullement pro- bable si les caractères sont différents. Nous ne nous arrêterons point aux caractères moraux et in- tellectuels, ni à ceux fournis par les coutumes et les usages des Polynésiens : ces caractères ne sont que secondaires et ils nous entraîneraient trop loin sans grande utilité. Nous renvoyons aux ouvrages qui les ont présentés en détail et particulièrement à celui de M. de Quatrefages qui en a donné un résumé remarquable. Nous allons donc examiner quels sont les caractères phy- siques des peuples auxquels on a attribué l’origine des Po- lynésiens, afin de les comparer et d’en déduire la possibi- lité ou l’impossibilité de leur parenté. Nous commencerons par les Malais, parce que ce sont eux que la plupart des voya- geurs et des ethnologues anciens ont regardés comme les ancêtres des Polynésiens. 9. CHAPITRE PREMIER MALAIS I CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES Opinions contradictoires émises sur les peuples de la Malaisie. — Divergences des auteurs sur les caractères distinctifs et sur le lieu d’ori- gine des Malais. — Opinion de R. P. Lesson ; — de M. de Quatrefages. — Les Malais sont une race hétérogène qui ne saurait être regardée comme typique. Avant de faire L exposition des caractères physiques des Malais, il est indispensable d’entrer dans quelques consi- dérations préliminaires sur la race malaise. Ces considéra- tions aideront elles-mêmes à sortir du chaos des opinions émises sur les peuples de la Malaisie. Il n’est pas de question qui ait soulevé plus d’assertions contradictoires. Pour quelques écrivains, en outre de la race noire qui est admise par tous, il n’existe, en Malaisie, qu’une seule grande race, celle qu’ils appellent tannée en raison de sa couleur ; pour eux, les habitants de Sumatra, de Java, de Célèbes et des Philippines, n’en sont que des va- riétés. D’autres, au contraire, soutiennent que ce ne sont pas de simples variétés, mais bien autant de races différen- tes. Pour ceux-là, les Javanais en sont une, habitant de préférence l’intérieur des terres et s’adonnant à l’agricul- ture ; la deuxième est formée par les insulaires de Sumatra ei par ceux qui peuplent la plupart des côtes de l’Archipel jusqu’aux Moluques, c’est-à-dire par les Malais, qui sont LES POLYNÉSIENS. 123 tous marins et commerçants entreprenants : c’était l’opinion de Blumenbach ; la troisième serait constituée par les Bug*i ou Bouguis, qui ont les mêmes goûts et les mêmes habi- tudes que les Malais proprement dits ; enfin, la quatrième, par des populations qu’on sait aujourd’hui ne pas se borner à celles qu’on regarde comme descendant des Malais, telles que les Tagals et autres des Philippines : nous ne nous en occuperons pas ici, parce qu’elles ne font pas partie des habitants des îles de la Sonde. Suivant le savant orientaliste Dulaurier, il n’y a, en Malaisie, sans parler toujours de la race noire, que deux grandes races à couleur moins foncée : la race javanaise et la race malaise. De même, le docteur Yan Leent (1) ne reconnaît que trois races ; mais, pour lui, ces races sont la Nègre, la Battak et la Malaise, dernière race dans laquelle il place les Javanais au lieu d’en faire une race à part. Enfin pour d’autres écrivains, et on peut dire pour le plus g'rand nombre, il n’y a qu’une race, la race malaise, à laquelle appartiennent, selon eux, non seulement les Malais, mais les Javanais, les Bouguis, les Macassars, les Madurais etc., et même les Dayaks, les Battaks et autres tribus semblables des îles malaisiennes. Mais ici encore, même divergence : car si la plupart regardent les Javanais comme appartenant à cette race, presque tous les écrivains modernes en distinguent les Battaks et Dayaks surtout, dont ils font une race à part. Que les populations diverses des îles de l’archipel Indien soient des variétés ou races, il est du reste bien certain qu’il n’y a pas d’étude plus embrouillée que celle qui les concerne: et cela est dû sans doute à ce que les observateurs ne s’ac- cordent même pas sur la place que doivent occuper les hom- mes dont ils parlent. C’est ainsi que Junghunh, par exemple, donne le nom de Battaks à des populations que le naturaliste Rosenberg, peut-être avec plus de raison, ap- (1) Contributions à la géographie médicale des possessions néerlan- daises des Indes-Orientales . Traduct. française de l’auteur, 1867. 124 LES POLYNESIENS . pelle nègres et place dans la race noire de cette contrée. On ne s’est même pas accordé sur les caractères distinctifs des Malais, quoiqu’on ait pu les étudier de près et depuis bien longtemps : cela tient sans nul doute à ce qu’on ne s’est pas assez rendu compte de la variété de leurs créateurs, qui ont nécessairement donné lieu à des physionomies diverses, ne pouvant fournir un type uniforme, ainsi qu’on l’a pré- tendu. Peut-être l’étude que nous allons en faire jettera-t- elle un peu de lumière dans cette obscurité. Un fait qui, suivant nous, n’a pas été assez remarqué, c’est que, des deux races admises en Malaisie par Dulaurier, la race javanaise et la race malaise, ce fut la dernière qui em- brassa avec plus d’ardeur la nouvelle loi religieuse lors de son importation et qui devint en très peu de temps entière- | ment musulmane ; or, ainsi que le fait observer le même écrivain, ce fut ce qui donna aux Malais une unité qui leur avait manqué jusque-là: l’Alcoran constitua leur natio- nalité. Suivant de Barros (1), c’était de la Perse et du Goudjarate qu’étaient sortis les apôtres venant convertir Malacca à l’Is- lamisme ; puis de la péninsule, cette loi religieuse s’était répandue à Sumatra, à Java et dans les îles environ- nantes. Diégo doCouto (2), de son côté, disait que c’étaient des na- vires partis des ports de l’Arabie qui avaient porté à Malacca les prêtres musulmans allant les premiers prêcher la foi de Mahomet dans ces contrées. D’après lui, ces événements se seraient passés en 1384 ; mais, d’après M. Dulaurier, les annales de Malacca leur donnent une date antérieure, et apprennent que l’islamisme s’établit dans la ville de Malacca en 1276, date qui est fixée par sir Raffles à l’an 1278. De toute façon, quelle que soit l’époque exacte de l’intro- duction de l’islamisme en Malaisie, on a l’âg,e à peu près (1) Ivan de Barros, Très* Decadas , historia général, 3 vol. 1551-1563 continuée par Diégo doCouto. (2) Diego do Couto, Historia da India , 4a década, libro 2°, capit. 1°, in-folio. Lisboa. 1602. LES POLYNÉSIENS. 125 certain des Malais comme nation, c’est-à-dire qu’ils n’ont guère aujourd’hui que cinq à six siècles d’existence, bien qu’il soit parlé d’eux pour la première fois en 1160. C’est ce qui a fait dire, avec tant de raison, par Marsden, qui ne pouvait avancer rien de certain sur l’ancienneté de la langue malaise, que « les Malais, ainsi qu’on les appelle à présent, n’étaient, en comparaison des Sumatranais de l’inté- rieur, qu’un peuple de deux jours. » Et il le répète ailleurs en disant : « Quoiqu’ils aient répandu leur langage et leurs mœurs fort au loin depuis la fondation de Malacca dans le 13e siècle, ils ne sont regardés que comme des intrus parmi les peuples aborigènes des îles Orientales (1). » On comprend parfaitement après cela la remarque faite encore par Marsden que, dans la partie Orientale de l’Inde, les mots malai et maure ont ordinairement une acception qui les rend presque synonymes du mot mahométan. On peut même se demander si cette acception n’est pas la seule qu’ils possèdent, et il y aurait peut-être quelque intérêt à le savoir, car si ce nom n’avait été donné qu’à la formation de la nationalité, il serait lui-même un nouveau térnoi- ge en faveur du peu d’ancienneté des Malais, et il aide- rait à découvrir leur filiation. Jusqu’à présent, il faut bien le dire, on s’est peu accordé sur le lieu de provenance des Malais, pas plus du reste, qu’on ne l’afait, comme nous le montrerons, sur leurs caractères physiques. Quelques auteurs les ont fait venir de Sumatra ; suivant eux, leur principal siège était dans le ci-devant empire de Me- nangkabou,qui, autrefois, avait sous sa dépendance Atj eh (2), Palambang, Jambi, Pédir, etc., états aujourd’hui séparés ; ainsique dans Binting et une grande partie de Bornéo, c’est- à-dire les royaumes de Pontaniak, Bornéo, Benjermassim, . et dans la plupart des îles principales des Archipels des Mo- luques; les îles Snmbava, Timor, etc. (1) Voir Histoire de Sumatra , trad. de Parraud, p. 68. (2) Atj eh est l’orthographe adoptée aujourd’hui par les Hollan- dais pour désigner Atchin . 126 LES" POLYNÉSIENS. Sir Raffles les faisait descendre des Hindous, parce qu’ils avaient certaines empreintes de ces peuples. C’est ce qui faisait dire à Borv-St- Vincent : « Nous ne pensons pas qu’on doive conclure avec sir Raffles de ce que certains Malais possèdent des empreintes de la vache et de l’éléphant, que les Malais sont des Hindous. » Pour R. P. Lessom, leur patrie primitive était la Tartarie et le royaume d’ Ava, opinion qui est celle de la plupart des auteurs. Déjà on a vu que pour ce naturaliste les Malais ne formaient point une race distincte et qu’ils n’étaient qu’un simple rameau de la famille Îndoue-Cau^asique, mé- langé au sang mongol ; il appelait ce rameau Mongolique hybride (1). Il les disait de race évidemment croisée et issus des Indiens bruns et des Indo-Chinois. Il les supposait sortis en dernier lieu, soit de Sumatra, soit de la presqu’île de Malacca. Pour lui les Malais étaient les plus jeunes rejetons des familles de la race jaune ; il faisait remarquer que les Malais, provenant du mélange* de deux races différentes et conservant des caractères de transition, avaient fort embar- rassé les ethnographes et particulièrement G. Cuvier, pour leur placement dans les familles humaines (2). On voit que pour le docteur Buchanan, dans son ouvrage sur « l’Empire des Birmans, » les Malais provenaient d’Asie, et directement des Tartares, opinion que Crawfurd a démon- trée n’être pas admissible. Pour Marchai, l’auteur de la publication abrégée de l’ou- vrage de sir Raffles et de Crawfurd, les Malais et les Java- nais semblaient dériver de Siam et d’Ava. Il ne connaissait du reste que deux races en Malaisie : la race Tannée et la race Papua, cette dernière occupant particulièrement les îles And aman et Nicobar. D’après de Rienzi, les Malais étaient plutôt originaires delà côte occidentale de la grande île Bornéo que de Sumatra, ainsi, disait-il à tort, que le pensait Marsden (3) : ce dernier, (1) Voyage médical autour du inonde, Paris 1829, p. 157 et 158. (2) Tableau des races humaines , Paris, 1847, p. 62*. (3) L'Univers pittoresque. Océanie ou 5e partie du monde, par Do- meny de Rienzi. 3 vol., Didot, 1836. T. 1er, p. 16. LES POLYNÉSIENS, 127 en effet, dit nettement de la presqu’île Malacca. On sait que de Rienzi croyait avoir trouvé dans la race Daya et dans les autres peuples de Bornéo, non-seulement les ancêtres des Malaisiens, mais aussi ceux des Mélanésiens et des Polyné- siens, et, s’il ne plaçait pas lui-même le lieu d’origine des Malais à Sumatra, c’est pourtant à cette île qu’il les faisait se rendre d’abord, avant d’aller s’établir à Malacca. Ailleurs du reste, de Rienzi considère les Bouguis comme la source des Malais et des Javanais, après avoir dit que les Malais sont originaires de Sédang sur Bornéo. Vincent Leblanc (l) rapporte que la presqu’île et le royaume de Malacca appartenaient au roi de Siam, avant qu’un seigneur Javah ne s’en rendît maître et y bâtit la ville de Malacca, et il ajoute que depuis, les Malaccans se firent mabométans. Si ce fait est exact, il aurait une certaine im- portance, ainsi qu’on le verra plus tard : il prouverait que Malacca est moins ancienne que Java, et qu’elle a été fondée par des Javanais ; par conséquent, ce seraient des Javanais qui, en changeant de religion, seraient devenus des Malais. Il est vrai que Linschot ne parle pas du seigneur Javan et qu’il attribue à sept pêcheurs la fondation de Ma- lacca. Pour Thompson, au contraire, les Malais étaient sortis de Sumatra, et le même écrivain n’hésitait pas à reconnaître en eux les ancêtres des Polynésiens. D’un autre côté, Marsden fait remarquer, en parlant de l’origine des habi- tants de l’île Sumatra, que tous les systèmes qu’on peut fournir sur cette origine ne sont fondés que sur des conjec- tures. Le plus probable, dit-il, est celui qui les fait venir de la presqu’île adjacente de Malacca et il ajoute à cette occa- sion : « On assure, en effet, que les émigrants malais ont peuplé l’archipel Indien, mais on n’a d’autre preuve pour établir cette opinion invraisemblable que la proximité de la presqu’île (2). » (1) Voyages fameux du sieur Vincent Leblanc, Marseillais, rédigés par P. Bergeron, fidèlement sur ses mémoires, etc., 1658, p. 112. (2) Histoire de Sumatra , p. 68, 1er vol. 128 LES POLYNÉSIENS. Disons encore que Shortland faisait venir d’Asie, aune époque moins ancienne, la race brune à laquelle appartien- nent les Malais. Pour lui cette race s’était établie par force dans la péninsule malaie, à Sumatra, Java, Bornéo, Célèbes, et dans plusieurs îles voisines-, aussi bien que dans les Philip- pines, en exterminant généralement, ou en absorbant la race Papoue dans les districts conquis. C’est cette opinion que semble partager l’amiral Jurien de la Gravière, car il dit, dans son Voyage en Chine: « A Java comme à Luçon les migrations conquérantes comptaient probablement plus de guerriers que de femmes. Il fallut que les fils de Sem mêlassent leur sang à celui des fils de Chain ; de ce mélange est sorti, suivant moi, la race malaise au teint cuivré, à la face mongole. (l)»Pour M. Jurien, les émigrants étaient des Indo- Chinois. Enfin nous signalerons, mais sans nous y arrêter, parce que nous aurons l’occasion d’y revenir, l’opinion de Moërenhoüt qui ne voyait dans les Malais que des descendants directs de Polynésiens. En somme, on 11e s’accordepas sur le lieu d'origine des Malais, et l’on verra bientôt pourquoi, quand nous essaierons de déterminer ce lieu, après avoir comparé leurs caractères anthropologiques avec ceux des populations tant malaisien- nes que polynésiennes. On ne s’accorde même pas sur le nom des terres occupées par les Malais, puisque tel écrivain voit dans les populations de certaines îles une race toute différente de celle des Ma- lais, tandis que d’autres les trouvent semblables. Comme R. P. Lesson a été l’un des premiers à exprimer à ce sujet quelques idées nettes, qui depuis ont été repro- duites presque textuellement, surtout par de Rienzi, sans qu’on se soit donné la peine d’en indiquer la source, nous demanderons la permission de les faire connaître en pas- sant. Suivant lui, c’est au rameau malais qu’appartiennent les habitants de Sumatra, de Java, Sumbava, Florès, Timor, Ma- (1) 2e volume, p. 4* LES F0LYNÉS1ENS . 129 dura, Bouka, Guébé, Oby, Gilolo, Lombok, etc.; ceux des envi- rons de Padang dans le Sud et le Sud-Ouest de Sumatra ; les Retjangs et autres populations àl’Quest de Palambang ; ceux d’Atjeh, de Pédir, dans la partie septentrionale delà même île, ceux qui occupent la presqu’île deMalacca, une partie des Moluques, les Nicobar, Pénang, Nias, Binting, Formose, etc., et enfin ceux qui sont disséminés dans différents points de l’archipel Indien, aux Philippines, à Bornéo, etc., etc. R. P. Lesson ajoutait : « C’est à tort qu’on croit les Malais répandus sur toutes les îles du Grand-Océan ; ils sont limités entre le 92e degré et le 132e méridien ; le point le plus éloigmé où ils se sont avancés vers l’Ouest est Madagascar. Ce sont eux qui ont formé les populations riveraines de toutes les îles de la Sonde et des Moluques, et ils se sont propages sur une ou plusieurs des îles Philippines. Enfin quelques es- saims se sont avancés jusque sur les îles des Papous, et au nord de la Nouvelle-Guinée, où ils ont fondé quelques établissements. On trouve, en effet, des Malais à Wai- ghiou, aux îles d’Àrou et jusque dans le détroit de Torrès ; mais ils n’ont pas dépassé le 132e méridien , ou s’ils l’ont fait, ce n’a été qu’accidentellement et sans projets. C’est du reste en s’avançant sur les terres les plus orientales et en se croisant avec les nègres indigènes, que les Malais ont donné nais- sance, à la Nouvelle-Guinée particulièrement, à une variété hybride, les Papous. » Comme on voit, R. P. Lesson détermine nettement les li- mites de l’occupation des Malais, limites qui se trouvent de la sorte fort éloignées de celles imposées aux Polynésiens, ainsi que nous le ferons voir ailleurs. D’après lui ils n’au- raient, en effet, pas dépassé la Nouvelle-Guinée dans l’Est; mais, de plus, il admet, comme tous ses devanciers, qu’ils sont allés dans l’Ouest jusqu’à Madagascar, ce qui est loin d’être démontré, comme on le verra également plus tard. Quant aux îles qu’il leur fait occuper, il est bien évident qu’il ne veut parler que des populations malaises qui s’y trouvent, sans préjudice des autres races jauneet noire qui y existent en même temps. L’opinion émise par lui que les Malais, au lieu de former 130 LES POLYNÉSIENS. une race primitive, distincte, n’appartiennent qu’à une race croisée, est du reste celle qui est généralement adoptée au- jourd’hui : Il semble même que c’est celle de M. de Quatre- fages, quoi qu’il l’appelle race mixte. Voici en effet ses pa- roles (1): « Parmi lesmonogénistes* plusieurs voient dans la race malaie une grande race égale en importance aux trois divisions primaires de l’humanité (Blumenhach.) Un petit nombre seulement ont compris que la race malaise n’était, en réalité, qu'une race mixte ; mais ils semblent lui attribuer une homogénéité, qui certainement n’existe pas. Le caractère général de ces populations est, au contraire, une hétérogénéité extrême. » Depuis ses travaux sur les Polynésiens, l’autorité de M. de Quatrefages sur un pareil sujet est telle que, malgré que son opinion soit purement théorique, nous demandons la per- mission de nous y arrêter un instant. D’après lui (2), deux types se partagent la suprématie eu Ma- laisie, le type jaune et le type blanc; d’où résultent deux grou- pes auxquels on peut donner le nom de familles : le premier de ces groupes constitue la famille malaisienne, le second, la famille polynésienne. Il partage la famille malaisienne en deux groupes aussi, dont l’un comprend les Ho vas et quel- ques autres tribus de Madagascar, et dont l’autre domine dans tous les grands archipels de l’Inde, en y comprenant les Philippines, ainsi que dans la presqu’île de Malacca. C’est ce dernier qu’il regarde comme le véritable noyau de la race dont les Hovas et leurs dérivés ne sont qu’une colonie ; mais, ajoute-t-il : « Ce groupe est lui-même loin d’être homo- gène, et, pour se reconnaître au milieu du fouillis des popu- lations qui le composent, il est nécessaire de prendre un type qui résume en quelque sorte l’ensemble des caractères. Or, ce type est celui des Malais proprement dits, et une analyse détaillée des caractères conduit à voir dans la population Malaise un fond de race jaune adouci par une certaine quan- tité de sang blanc, avec des traces de sang nègre, qui repa- (1) Revue des Deux-Mondes , Février 1864. (2) Les Polynésiens, loc-cit., p. 13. LES POLYNÉSIENS. 131 Laissent parfois avec une ténacité remarquable, même à tra- vers de nouveaux croisements. » En somme, pour lui, la race malaise n’est, comme la race polynésienne, qu’une race mixte, c’est-à-dire une race ne se rattachant directement à aucun des trois grands types fon- damentaux : Le type blanc, le type noir et le type jaune ; ce qui en ferait, dès lors, une sorte de race à part, différant seulement de la race polynésienne en ce qu’elle aurait plus emprunté à l’élément jaune qu’à l’élément blanc, mais for- mées l’une et l’autre par ces trois éléments. «Lalinguisti que, l’histoire, dit M. de Quatrefag*es, confirment ce résultat et montrent, dans les Malais proprement dits, les derniers venus de cette famille de peuples. » Enfin, il termine en disant : « Parce qu’ils avaient la pré- pondérance partout, quand les Européens arrivèrent dans les mers de l’Inde, on crut trouver en eux la population fondamentale des grands archipels où ils dominaient ; il n’en est rien pourtant. » Cette dernière opinion n’est, comme a vu, que celle émise par Marsden, et adoptée par tous les ethnologues, mais elle n’aide guère, il faut le re- connaître, à déterminer la part prise par les Malais au peu- plement de la Polynésie. Ailleurs, M. de Quatrefages disait en parlant des Malais : « Les Malais proprement dits sont moins une race, qu’une po- pulation de même souche que d’autres populations très-voi- sines, mais qui, sous l’impulsion de l’islamisme, ont joué dans toutes ces contrées un rôle fort analogue à celui des Arabes en Occident. (1) » Pour l’amiral Jurien de la Gravière, les populations de la Malaisie seraient dues au mélange de la race noire et de la race mongole. La première de ces races se présenterait en- core dans toute sa pureté au sud de l’Equateur, de la Terre des Papous, jusqu’aux Nouvelles-Hébrides. Les peuples de la Polynésie proprement dite, ne seraient au contraire que des colonies mongoles (2). (1) Etudes sur la race Negrito. — Revue d\ Anthropologie, 1872. (2) Voyage en Chine , etc., t. II, p. 333. 132 LES POLYNÉSIENS. Plus récemment enfin, le professeur Henri H. Giglioli (1) a divisé la race Malaise ou Malaie en quatre brandies prin- cipales et en plusieurs secondaires : 1° Les Malais propre- ment dits, habitant Sumatra, Malacca et Bornéo ; 2° les Javanais avec les Sundas, habitant Java, Madura, Palem- bang*, B ali, Lomboc ; 3° Les Bughis ou Wugis, avec les Macassars ou Mangkasara, les Mandars, les Mânado et les Gorongtalu de Célèbes et d’une partie de Bornéo ; 4° Les Tagala ou Tagalog des Philippines. Il est du reste bien certain, ainsi que le dit M. de Quatre- fages, qu’il n’est pas de populations plus hétérogènes que celles qu’on appelle Malaises ; si elles se rapprochent par un certain nombre de caractères, toutes se distinguent aussi par d’autres caractères bien tranchés. Les Malais appelés cosmopolites par Jungdiunh, et que M. de Quatrefages a pris comme type de race, manquent eux-mêmes de l’homo- généité qu’il leur attribue. Ce type moyen, ainsi qu’il rappelle, n’est en effet, lui aussi, qu’un fouillis, suivant l’ex- pression si juste employée par le savant professeur, en par- lant de ce qu’il nomme la famille malaisienne. Cela est dû à la variété des mélanges qui ont donné naissance à ces Ma- lais, variété expliquée par la vie errante qu’ils mènent. Quand nous dirons d’où descendent, suivant nous, les Ma- lais, on comprendra qu’il ne pouvait guère en être autrement, et qu’il eût été plus surprenant de les voir présenter quelque homogénéité, puisqu’ils ne sont que des métis, dûs aux croi- sements les plus variés, de leurs ancêtres, d’abord, et des descendants de ceux-ci entre eux et avec toutes sortes de populations. Sans doute des hommes qui parlent la même langue, vivent dans le même milieu, et sont soumis aux mêmes lois, aux mêmes coutumes, aux mêmes usages, doi- vent offrir, au premier coup d’œil, une sorte de physiono- mie commune ; mais si on analyse, on voit bien vite que celle de chaque individu diffère plus ou moins par quelque (1) Viaggio intorno al globo délia R. pirocorvetta Magenta, negli anni 1865-68, sotto il comando del capitano di fregata Y. S. Arminjon. Lielazione descrittiva e scientifica etc. in-4°. Milano. Maisner e Ce 1875. LES POLYNÉSIENS. 133 détail : que l’un, par exemple, a les cheveux plus crépus, un autre la chevelure plus lisse, un troisième les yeux plus chi- nois, qu’un quatrième est plus brun ou moins foncé, sans qu’on puisse, par l’ensemble des autres caractères, en soup- çonner laraison. Cette hétérogénéité n’est due, comme nous venons de le dire, et comme nous aurons l’occasion de le ré- péter, qu’à la variété des croisements. Ceci posé, nous allons examiner les caractères anthropo- logiques attribués aux Malais par les naturalistes, et sur- tout par les voyageurs qui ont pu les observer dans les di- verses îles qu’ils habitent. Les descriptions nombreuses et détaillées que nous allons passer en revue, ont une impor- tance capitale pour la solution d’une question qui, jusqu’àce jour, est restée si obscure. Ce sont, en effet, ces descriptions qui, quelle que soit la justesse de notre manière de voir, per- mettront aux ethnologues de reconnaître le résultat réel de leur comparaison avec les caractères anthropologiques des Polynésiens, et par conséquent la possibilité ou non de la filiation des deux peuples. II CARACTÈRES PHYSIQUES. Caractères des Malais d’après R. P. Lesson ; de Rienzi ; Bory-St- Vincent ; VanLeent; Ida Pfeiffer; Topinard. — Résumé des des- criptions précédentes. — Les caractères anthropologiques et crânio- métriques des Malais les différencient complètement des Polynésiens. Voici, d’après R. P. Lesson (1), quels sont les caractères an- thropologiques des Malais : . Taille moyenne mesurant 5 pieds 4 ou 5 pouces ; Membres souples avec des proportions gracieuses, surtout chez les femmes, qui sont petites et ont des formes arron- dies; Tête très développée sur les côtés ; Chevelure rude, touffue et très noire; Peau colorée en jaune, en jaune brun, en jaune orange; Face s’éloignant par sa forme de la coupe ovalaire; Pommettes légèrement saillantes ; Yeux très bridés aux angles, avec de longs cils, caractère des yeux chinois ; Sourcils noirs ; épais; Nez gros ; Bouche très ouverte ; Dents très belles avant l’usage du bétel; Lèvres, notamment la supérieure, épaisses. Il fait remarquer que ces caractères de transition ont fort embarrassé les ethnologues et particulièrement G. Cuvier (1) Voyage Médical , p. 163, et texte du Voyage de la Coquille . LES POLYNÉSIENS. 135 pour le classement des Malais dans les familles humaines. Voici ceux que leur donne de Rienzi (1): Taille bien faite ; Stature moyenne et carrée, pas de tendance à l’embon- point ; Peau rouge çle brique foncé des Illinois et des Caraïbes, quelquefois avec du blanc et du noir par suite des mé- langes : il répète ce que dit Bory-Saint-Vincent, qu’à Timor on en voit de couleur rouge foncé et d’autres de couleur tannée et que là ils sont très basanés et tirant sur le bistre ; Tête moindre que le 7e de la hauteur ; angle facial 80 à 85° ; Nez court, gros et quelquefois épaté ; Bouche très large, même chez les femmes; Yeux noirs; et il ajoute avec raison: comme les Chinois se marient avec les Malaises, beaucoup ont les yeux bridés et obliques ; Pieds très petits. Femmes jolies : les plus belles sont celles de Nias, de Zamboanga, Holo, Java, Amboine, etc. Bory-Saint-Vincent (2) leur donne les caractères sui- vants : Corps assez bien pris, jamais chargé d’embonpoint ; Membres bien faits, quoiqu’un peu trop déliés; Cheveux lisses, noirs, luisants; Peau couleur marron ou plutôt de rhubarbe tirant sur le rouge brique, le jaunâtre, le brun, le cuivre de rosette et même se rapprochant du blanc, du cendré et du noir, selon les mélanges ou le voisinage de la Ligne et autres localités. A Timor, ily en a de tout rouges, et d’autres fort bruns; àTer- nate, ils sont plus foncés, tirant sur le bistre. Les plus beaux sont les habitants de Nicobar quant aux formes et aux traits, mais ils sont presque des nègres par la teinte. Ceux de Ma- cassar sont les pluslaids ayant les pommettes fort saillantes, le menton carré. Aux environs de Manille et surtoutà Formose, il en est de presque blancs. (1) P. 17, .t. h (2) L'homme , p. 282. 136 LES POLYNÉSIENS. Yeux noirs, un peu relevés vers les tempes, comme chez les Siniques, ouverts en long*, et un peu écartés; Pommettes un peu saillantes ; Nez distingué du front par un enfoncement, fort peu dif- férent du nôtre et même communément assez bien fait; Bouche moyenne : la muqueuse couleur violet pro- noncé; Dents verticales ; Lèvres un peu plus épaisses que celles des Européens ; Barbe rigide et assez fournie dans quelques-uns, tandisque les plus orientaux semblent en manquer complètement. Bory-Saint-Vincent signale particulièrement la petitesse du pied et dit que les femmes sont généralement belles et ont les seins agréablement hémisphériques, élevés, fermes. On sait que Bory-Saint-V incent place les Malais dans ce qu’il appelle l’espèce neptunienne formée de trois races, la Malaie, l’Océanique orientale et la Papoue; ils sont pour lui le type de l’espèce. Suivant le Di Yan Leent (1), la race Malaise est formée par les Malais des hauteurs de Padang, par ceux de la partie Sud- Ouest de Palembang, parles Atch émois, les Pedinais de la par- tie septentrionale de Sumatra, par les Javanais, les Sundanais et les Madurais de Java et de Madura, par les natifs de Banka etc., et finalement par les Malais disséminés dans l’archipel Indien, et que Junghunh a baptisés du nom de Malais cosmopolites. Il caractérise ainsi cette race : Taille à peu près la même que celle de la race battak ; en général un peu plus petite, moins musculeuse et plus frêle ; Peau couleur brun-clair ou cuivrée ; Nez court, aplati et large, narines très dilatées ; Mâchoires excessivement proéminentes ; Visage presque aussi large que long ; Bouche grande, aux lèvres épaisses ; Mâchoire inférieure très larg’e ; Os jugulaires très accentués ; (1) Contributions à la géographie médicale des Possessions Néer- landaises des Indes-Orientales , 1867. LES POLYNÉSIENS. 137 Occiput aplati et carré ; Barbe rare ; Seins des femmes petits et coniques ; Chevelure très-noire, épaisse et assez dure, toujours abondante, rarement bouclée. Sans nous arrêter ici à faire remarquer que le Dr Van Leent regarde les Javanais, et quelques autres populations qu’on attribue généralement à une autre race, comme ap- partenant à la race Malaie, nous devons dire au moins que cela prouve qu’il trouvait les plus grandes analogies entre les Malais et les Javanais, analogies que nous montrerons bientôt être beaucoup plus grandes qu’on ne l’a cru jusqu’à ce jour. Madame I. Pfeiffer décrit les Malais de la manière sui- vante (1) : « La race malaise ne se distingue pas par sa beauté. Elle est encore mieux par le corps que par la figure. Celle-ci est déformée au dernier point par une large mâchoire très-sail- lante, par une grande bouche, des dents noires, limées et une lèvre inférieure très fiasque et très saillante. « Le corps des Malais est généralement de grandeur moyenne ; les hommes ont la taille un peu plus élancée que les femmes. La couleur de leur teint est d’un brun foncé ; leurs cheveux et leurs yeux sont noirs ; ils ont le nez plat avec de larges narines ; leurs mains et leurs pieds sont petits, mais trop maigres et trop osseux. » Enfin voici les caractères que M. Topinard (2) donne au type Malais : Peau brun clair, quelquefois cuivrée ; Cheveux droits ou ondulés, dressés si on les coupe à 5 cen tim êtres de la tête, longs, abondants, d’un noir de jais ; barbe rare ; Nez court, large et aplati, mince à l’extrémité ; narines dilatées ; Pommettes saillantes et écartées ; visage presque aussi (1) 2e Voyage, p. 48. (2) Anthropologie , p. 503. 10. 138 LES POLYNÉSIENS. large que long ; intervalle orbitaire large et aplati ; arca- des sourcilières unies et presque nulles ; Front élevé et ramené en avant, à l’inverse de celui des Mongols ; Occiput aplati, vertical, et ne dépassant pas la ligne du cou; Bouche grande ; lèvres fortes; dents colorées en noir bleuâtre et rongées par le bétel ; Taille petite ; membres grêles, médiocrement musclés. D’après M. Hamy, la moyenne des tailles attribuées par les voyageurs aux Malais, est de lm 597 pour les hommes et de lm 506 pour les femmes. Les Malais sont mésaticéphales, bien que M. Topinard les range parmi les brachycéphales. Cela tient à ce qu’il les confond avec les Javanais. M. Broca, en effet, a trouvé l’in- dice céphalique moyen de ceux-ci égal à 81 61, tandis que celui des Malais ne lui a donné que 79,02. Ils sont mésorhi- niens avec un indice nasal de 50,29 ; celui des Javanais étant de 51,47. Quant h leur indice orbitaire il est très-mégasème, 91,97, etil serapproche decelui des Polynésiens. M. Topinard signale chez les Malais une disposition caractéristique du bord inférieur de l’ouverture nasale et du vomer. Leur prognathisme, 69°5, est le plus considérable qu’il ait rencon- tré dans les races jaunes. En somme, toutes ces descriptions peuvent être résumées, croyons-nous, de la manière suivante : Taille moyenne, naturellement plus petite chez la femme ; Membres bien pris, assez robustes, pas de tendance à l’embonpoint ; Peau de couleur tannée, variant d’ailleurs d’une popula- tion à une autre : tantôt se rapprochant du rouge brique foncé des Caraïbes, quelquefois du brun foncé, d’autres fois d’un brun plus clair, sans que le climat y soit en apparence pour quelque chose, d’autres fois, enfin, couleur de cuivre jaune mélangé d’orangé. On sait que, pour qu’une jeune fille soit parfaitementbelle,il faut qu’elle ait le teint couleur jaune d’or.Onvoit àTimor des Malais couleur rouge foncé; d’autres LES POLYNÉSIENS. 139 couleur tannée seulement ; à Ternate le teint tire sur le bistre. Tète moindre en volume que le 7e du corps, d’après Rienzi et angde facial de 80 à 85° ; Occiput aplati et carré ; Cheveux noirs, épais, rudes ; Oreilles grandes; Nez court, camard, pas très-large, le plus souvent épaté, quelquefois gros en apparence ; narines dilatées, larges ; Pommettes modérément saillantes ; Visag'e presque aussi large que long ; Yeux petits, toujours noirs, vifs ; Bouche grande ; Lèvres épaisses ; Dents belles avant l’usage du bétel, ou avant qu’elles aient été noircies par l’art. Bory- St- Vincent signale avec raison la couleur fortement violette de la muqueuse buccale. Menton large, carré, saillant ; Barbe manquant, excepté chez les prêtres, parce que les hommes s’épilent de bonne heure ; Mains et pieds petits : les uns et les autres sont beaucoup moins développés que chez d’autres nations. Femmes généralement belles, à formes arrondies ; Seins petits et coniques. Maintenant, que conclure de pareils caractères s’ils sont exacts, et nous croyons qu’il n’est guère permis d’en douter, puisque ce sont ceux que leur donnent les écrivains les plus compétents? Qu’il y a évidemment une différence anthropolo- logique considérable entre les Polynésiens et les Malais, dif- férence qui est surtout établie par la petitesse du nez, des yeux, des pieds et des mains chez les Malais, et par la forme des seins de leurs femmes. Nous en ferons l’aveu, n’y aurait-il que cette dernière différence que ce serait déjà, à notre avis^ une raison suffisante de séparer ces deux populations. On a pu remarquer, en effet, que R. P. Lesson seul, donne aux femmes malaises des mamelles volumineuses et que Bory- St-Vincent les dit agréablement hémisphériques. Par pu-* 140 LES POLYNÉSIENS. deur, sans doute, de Rienzi et madame Pfeiffer se sont abs- tenus d’en parler. Après avoir vu, nous avens préféré la for- me qu’indique Van Leent, convaincu que la description de Bory-St-Vincent ne convient qu’aux Dayaks et aux Polyné- siens. Mais il y a tant d’autres différences, comme on verra dans le cours de ce travail, que nous croyons inutile de nous arrêter ici à faire ressortir des différences ou des ressem- blances que le lecteur saisira d’ailleurs aussi bien que nous, s’il admet l’exactitude des caractères donnés h chacune de ces populations. Il nous suffira donc de dire que tout ce que l’on indique comme petit chez les Malais, est au contraire toujours grand chez les Polynésiens, comme on peut s’en convaincre par la description que nous avons faite de ces derniers. On ne peut certainement nier qu’il n’y ait des points de ressemblance entre ces deux peuples, quand ce ne seraient que la couleur de la peau parfois, la grandeur de la bouche toujours, et peut- être la forme de l’occiput, etc. Mais ces caractères communs ont si peu d’importance, en regard des différences fonda- mentales signalées, que nous ne croyons pas devoir nous y arrêter plus longtemps. On sait du reste aujourd’hui que, parmi les observateurs modernes, il n’y en a peut-être pas un seul qui croie à cette ressemblance si longtemps admise des Malais et des Polynésiens ; et nous citerons particulière- ment le révérend Taylor, qui dit lui-même, en parlant de la Nouvelle-Zélande (1) : « On a généralement supposé que les Malais sontles ancêtres des Nouveaux-Zélan dais ; mais je ne puis voir sur quels fondements, si ce n’est la similitude de quelques mots. » Il est vrai que le même écrivain trouve plus d’affinité entre le Sanscrit et le Maori qu’entre le Maoii et le Malais, mais cette affinité ne repose, comme nous le ferons voir, que sur un très petit nombre de mots, peut-être moins nombreux encore et moins ressemblants qu’on n’a dit. Une des principales différences existant entre les Malais et les Polynésiens, est celle qui résulte des mensurations (1) Histoire de la Nouvelle-Zélande, p. 184. LES POLYNÉSIENS. 141 crâniométriques ; elle confirme en effet les observations faites sur le vivant. Les crânes Malais et Polynésiens sont dissemblables entre eux. Les premiers sont mésaticéphales, sur la limite de la sous-brachycéphalie ; les seconds sont sous-dolichocéphales, et M. Barnard Davis a même trouvé l’indice céphalique des Néo-Zélandais égal à 75, ce qui les rangerait parmi les dolichocéphales vrais. Les différences ne sont pas aussi accusées pour l’indice nasal: les uns et les autres sont mésorhiniens. Il en est de même pour l’indice orbitaire qui est très mégasème dans les deux races, mais plus encore chez les Polynésiens que chez les Malais. Enfin, tandis que ceux-ci sont les plus prognathes de toutes les races jaunes, les premiers, au contraire, se placent sous ce rapport sur les limites du type blanc. Le Polynésien primitif n’est pas prognathe ; les oscillations que l’on constate dans quelques archipels ne proviennent que de croisements. Mais, ainsi que le fait observer avec juste raison M. Topinard, a attendu que tous ces croisements ne pourraient qu’accroître son pro- gnathisme et qu’ autour de lui on ne découvre aucune race capable de le faire diminuer, nous concluons que c’est en lui-même qu’il puise le principe de cette diminu- tion (1). V En somme, la première différence fondamentale entre les Malais et les Polynésiens, est celle qui est fournie par les caractères anthropologiques et crâniométriques. Ces carac- tères sont encore plus divergents entre les Polynésiens et les Javanais. Plus tard, quand nous chercherons à établir quels ont été les ancêtres des Malais, on verra pourquoi ceux-ci ressemblent plus aux Polynésiens que les Javanais. (1) Anthropologie , p. 505. ni CARACTÈRES LINGUISTIQUES, Langue Malaie: Son origine, ses règles fondamentales, ses principaux dialectes. — Langue Polynésienne : ses caractères principaux. — - Diffé- rences et analogies entre le Malayou et le Polynésien. — La langue Malaie ne peut pas avoir été la mère de la langue Polynésienne. — Les Polynésiens ne proviennent donc pas des Malais. — Tableaux linguistiques. Les caractères tirés de l’examen extérieur des individus et des mensurations de leurs crânes, ne sont pas les seuls qui différencient les populations qui nous occupent ; il y a une différence tout aussi grande dans les langues qu’elles parlent, bien qu’on ait cru longtemps et qu’un certain nombre de savants, M. de Quatrefages entre autres, croient encore le contraire. La preuve de cette assertion résultera de l’ensemble des remarques linguistiques que nous aurons à faire successi- vement dans le cours de ce travail, surtout lorsque nous chercherons à démontrer quel a été le véritable lieu d’origine des Polynésiens. Nous nous bornerons pour le moment à exposer les connaissances acquises sur les langues malaise et polynésienne, et à en faire ressortir, d’après les écri- vains qui s’en sont occupés, les analogies et les différences principales. On verra, par ces seules données, que la langue malaie ou Malayou ne pouvait pas être la mère de la lan- gue polynésienne, puisque celle-ci n’a conservé qu’un très petit nombre de mots regardés comme malais et que tous les autres diffèrent foncièrement du Malayou. Il faut pourtant reconnaître qu’il y a une grande ressem- blance dans plusieurs parties des deux grammaires ; ce n’est qu’en s’appuyant sur ces ressemblances grammaticales que les auteurs ont pu soutenir et soutiennent encore l’i- LES POLYNÉSIENS. 143 dentité des deux langues. Il est probable que cette ressem- blance est due à quelque cause originelle, et il y aurait alors un certain degré de parenté entre les deux langues, comme entre les deux peuples, bien que nous n’admettions pas leur filiation directe. Nous allons tâcher d’expliquer comment a pu se produire une si grande analogie dans la grammaire des deux langues et où s’est opéré ce résultat. 1° Langue Malaie. — Ce que nous devons dire tout d’a- bord, c’est que les linguistes les plus compétents ne s’ac- cordent pas plus sur le lieu d’origine de la langue malaie et de ses divers dialectes, que sur celui des Malais eux-mêmes. Aussi les W. Jones, les Wilkins, les Raffl.es et beaucoup d’autres, n’ont jamais pu déterminer sa source, tandis qu’ils se sont accordés à dire que la langue parlée par les Papous, les Négritos des Philippines, etc., diffère complètement duMalai. Le savant orientaliste Langlès (1) regardait la langue malaise comme originaire de Malacca. D’autres la disaient provenir, au contraire, deMenangka- bou, c’est-à-dire de Sumatra, d’où elle s’était répandue dans la presqu’île Malacca et, de là, sur les côtes de Bornéo, puis dans quelques parties de Sumatra, sur les côtes de Java, de Célèbes, et dans les îles les plus orientales. Mais, d’un autre côté, il a été constaté que, s’il y a une uniformité surprenante dans le langage écrit et parlé de toutes les tribus malaises, le Malai de Menangkabou est celui qui présente le plus de différences, et ces différences consistent en ce que les mots qui, dans le dialecte de Sumatra, finissent en o, ont, dans le diatecte de Malacca le son a . Ainsi les Malais de Sumatra prononcent Lado , poivre, au lieu de Lada. Pour Forster (2) la langue malaise n’était certainement pas un dialecte de l’arabe, mais bien une langue mère aussi étendue qu’abondante. Et il ajoutait, — à tort, comme nous espérons le démontrer, — que ce sont les Malais de Malacca qui ont transporté leur langue dans toutes les îles orien- (1) Voyage de Thunberg , t. II. (2) Voyage de Forster autour du monde. Extrait cité par Langlès dans le vocabulaire donné par Thunberg, t. II. 144 LES POLYNÉSIENS. taies, aux Philippines, aux Carolines, aux Mariannes, aux îles Pelew, à celles des Larrons, et dans une grande par- tie des îles de la mer du Sud. Nous l’avons déjà dit, et nous l’établirons bien mieux tout à l’heure, la langue des îles de la mer du Sud n’est pas la langue malaise. Thunberg, au contraire, soutenait que le Malai n’est qu’un dialecte arabe(l),ce qui a donné à Langlès l’occasion défaire observer que le Malai contient, en effet, un assez grand nom- bre de mots arabes, mais que ces mots ne sont dus qu’à l’in- troduction des caractères arabes et de la religion musulmane. Pour Marsden (2) la langue malaie était originaire de Malacca, et non de Sumatra, comme le lui fait dire deRienzi. Il indique, dans l’introduction à sa grammaire Malaie, que les grandes îles de l’archipel ont leur propre langue, parlée partout par les habitants de l’intérieur, tandis que la langue malaie est celle des districts avoisinant les bords de la mer et des rivières navigables. Mais il ajoute qu’il ne peut rien avancer de certain sur son ancienneté, et il dé- montre seulement sa persistance relative en s’appuyant sur les mots de Tidor, Zébu, etc., cités par Pigafetta, dans son voyage avec Magellan. En effet, les mots entendus et recueillis par cet observateur, en 1521, diffèrent à peine de ceux d’aujourd’hui, comme le prouve le tableau suivant de la numération des îles désignées. Zébu et Matan Pigafetta} Moluques (Pigafetta,) Malai moderne. 1 Batta. Rejang. Lam- pong. Maori . 1. uso. sarus. sa; satu. sadah. do. sahi. labi 2. dua. dua. dua. duo. dui. rua. rua. 3. tolo. tiga tiga. iola. telu. tulu. toru. 4. upat. anepat. ampat upat. mpa. amp a h. ua. 5. lima. lima. lima. limah. limo. limah. rima. 6. onoin. anam. anam. anam. num. anam. ono. 7. pitto. tugu. tudju. païiu. lujua. pi tu. uitu. 1 8. gualu. dualapan delapann. ualu. delapun. ualu. uaru. 9. ciam. sambelau sambilann. siah. sembilan. siwah. iua. 10. polo i sapolo. sapu'ti. sapulu. depulu. pulu. ugahuru. (1) Voyage de Thunberg , t. II, p. 252, annotations de Langlès. (2) Histoire de Sumatra . 1er vol. p. 298. LES POLYNÉSIENS. 145 Nous avons cm devoir placer en regard la numération de la Nouvelle-Zélande, pour montrer, en passant, quelles sont celles qui s’en rapprochent le plus ; et quand nous au- rons dit à quelle race appartiennent les Rejangs et les Lampongs, on comprendra mieux pourquoi leur numération surtout, se rapproche plus de celle des Maori que la numé- ration malaise. Il n’y a, du reste, pour Marsden, qu’une seule langue malaie, mais avec des styles différents (1). Le premier est le B alias a (2) ou Bhasa-Dalam c’est-à-dire la langue de cour ; Le deuxième, le Bhasa-orang-tawan , ou langage des classes policées ; Le troisième, le Bhasa-Degang ou langage des commerçants; Le quatrième, le Bhasa-Kachukan , langage le plus cor- rompu, sorte de langue franque, usitée dans les bazars, etc. C’est à Malacca, dit-il, que l’on parle le malais le plus pur ou du moins le plus estimé, et Crawfurd présume que c’est dans le pays appelé Raddak. On reconnaît d’ailleurs plusieurs dialectes tels que ceux de Sumatra, de Palambang% de Bornéo, etc. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, le dialecte de Malacca diffère principalement du dialecte de Sumatra, en ce que les mots, qui, dans cette île, finissent en o, ont dans la presqu’île le son a. En outre les Sumatranais adoucissent ou suppriment le k à la fin des mots, et disent, par exemple, Tabe bania , au lieu de !Faàe baniak , beaucoup de saluts. En somme Marsden soutenait, comme l’a fait plus tard Sir Raffles, que la langue parlée à Sumatra, ne diffère pas matériellement de celle parlée dans la presqu’île Malacca. Jawi est le nom donné à la langue malaise écrite, et, pour nous, ce nom seul est déjà un indice du lieu d’origine des Malais. On lui donne 25 consonnes, 5 voyelles et deux diphthongues ; d’autres lui donnent, outre les 28 lettres arabes, 6 lettres de plus. Son alphabet se compose de carac- (1) A grammar , of the malayan Language with an introduction and praxis , by W. Marsden, in 4°, London, 1812. (2) Bahasa , idiome, langage. Bahasa-Malayo , langue malaise. 146 LES POLYNÉSIENS. tères arabes ; il a été pris par les Malais dans le temps qu’ils faisaient un commerce très étendu sur les côtes d’Arabie. La prononciation en est très douce, et les lettres rudes en arabe sont modifiées ou même omises. Aussi dit-on qu’elle n’emploie que 20 lettres (1). Cette languie est très simple dans ses règles grammatica- les. Il n y a point d’inflexions pour exprimer le genre, le nombre et le cas des noms ; on y supplée par des mots par- ticuliers. Les adjectifs sont les mêmes dans le positif, le comparatif, et le superlatif. Les pronoms, quoique distin- gués en lre, 2e et 3e personnes, n’ont pas de différence de cas ni de genre, et sont indéfinis à l’égard du nombre. Les verbes ne possèdent ni temps ni modes : c’est par le seul moyen des auxiliaires qu’on forme les temps. Les substantifs sont formés en plaçant devant l’adjectif la particule ka, et en y ajoutant la particule ann. Ainsi de bessar , grand, vient Ka-bessar-ann, grandeur ; de Pouti , blanc, ka-pouti-ann, blancheur, etc. D’autres se forment avec les particules pem, ping , per, etc. Ainsi de harctp , espérer : Peng-harap-ann , espérance. En résumé, les particules qu’on met au devant des mots sont au nombre de 17 : Cinq : peu, peng , pem , pa et ka servent à former les noms dérivés ; cinq autres : men, meng, mm, ma et bal servent pour les verbes ; trois : per , pal et di , pour les noms et les verbes ; deux : ber et ter s’appliquent à différen- tes parties du discours, et les deux autres ba et ta ne sont que des abréviations de ber et ter. On peut former les pronoms possessifs, dit Boze, au- quel nous empruntons cette note, en ajoutant aux subs- tantifs les particules kou , mou, nia et kami : sourat , lettre ; sourat-kou , ma lettre ; sourat-mou, ta lettre ; sourat-nia, sa lettre ; sourat-kami , notre lettre, etc. Le comparatif se forme en mettant devant le positif le mot lébé , plus. Ainsi bagous, joli ; lébé-bagous, plus joli. Le superlatif est formé en ajoutant au positif sékali. Ainsi bagous joli, lébé-bagous plus joli ; bagous-sékali, le plus (1) M. Alfred Tugault donne à l’alphabet malais 33 caractères. ( Eléments de la langue malaise . — Paris, Imprim. Impér. 1863). LES POLYNÉSIENS. 147 joli. On forme aussi le superlatif en répétant l’adjectif : baïk-baïk, très-bon. Les adjectifs sont presque universellement placés après le nom : mima baru , maison nouvelle. Le comparatif, en outre du mot lébé, se forme par l’addi- tion du mot lagi, plus. Bessar , grand : lagi bessar , plus grand. Le superlatif est formé par la particule ter : Ter - muliya , le plus glorieux ; par les adverbes loin , fermement ; amat, grandement, vraiment, en outre de sekali , excessive- ment: Exemple Terlalu baïk , le très bon, etc. La langue malaie n’a pas, à proprement parler, de verbes auxiliaires, mais les mots ada, être ou avoir et jadi , sont ainsi nommés et en tiennent lieu. Les différences des temps et des modes sont plus spécialement désignées par des par- ticules placées devant les dérivés. Les Malais ne reconnaissent les genres que dans les êtres en qui la nature a distingué les sexes. Ils n’ont pas de mots pour exprimer le genre neutre. Pour distinguer les pre- miers ils mettent les mots : betina , femelle, et djantan , mâle, toujours après le substantif : kouda , un cheval, kou- da-bétina, une jument ; ayam-djantan , un coq, ayam-heti - na, une poule (1). Des mots particuliers distinguent le singulier et le pluriel; mais il y a une autre manière de former le pluriel, c’est de répéter le mot : kouda , cheval, houda-kouda , des che- vaux; batu, pierre, batu-batu, des pierres, raja-raja, des princes ; kata-kata, des mots. La langue malaie s’écrit de droite à gauche comme l’arabe, dont elle a conservé plusieurs mots en même temps qu’elle en a pris quelques-uns à d’autres nations. D’après Orawfurd, elle est composée, sur 100 mots : de 50 appartenant à ce qu’il appelle Grand-Polynésien et qui n’est pour lui que le Javanais ancien ; de 27 appartenant à ce qu’il appelle Malai primitif ou indigène ; de 16 au Sanscrit, et de 5 à l’Arabe. Deux centièmes seulement ont été empruntés, dit-il, au Kalinga ou Telinga, au Persan, au Portugais, et un nombre encore moindre au Hollandais et à (1) Pour les êtres raisonnables ces mots sont laki-laki et perampuan. 148 LES POLYNÉSIENS. r Anglais. On voit par là que loin d’être, comme on l’a cru si long-temps, la souche de tous les idiomes dits malais, et c’était l’opinion de Balbi, elle n’est presque certainement que le produit de lang-ues différentes ; elle semble surtout dériver du Javanais ancien qui, pour Crawfurd, était, au lieu du Malai, la souche de tous les idiomes de la Malaisie (1). Comme l’a dit Balbi, tous les mots sanscri ts indiquent ce que les Malais ont pris aux Hindous sous le rapport de la civilisation, de même que ceux pris aux Arabes démontrent l’influence qu’eurent ces derniers sur la relig-ion, la littéra- ture et la lég-islation de ces peuples ; enfin les mots teling-a décèlent les anciennes relations commerciales qui ont eu lieu et qui subsistent encore entre ces deux nations. Quant à la préférence que donne Crawfurd au Javanais sur le Malai dans la formation des différents idiomes de cette famille de lang-ues, elle repose sur des particularités impor- tantes. Ainsi, dans les mots communs aux deux lang-ues, il arrive souvent qu’on ne rencontre le sens fig*uré d’une pa- role que dans le Malai ; souvent aussi le mot malais qui paraît, au premier abord, un mot simple, se trouve être, en Javanais, un mot composé, dont chaque élément n’existe pas dans l’autre idiome ; on rencontre parfois dans le Malai des mots composés de racines javanaises et sanscrites, ce qui prouve que ces mots sont passés du Javanais au Malai. Mais nous ne pousserons pas plus loin ici ces citations parce que nous aurons à y revenir quand nous ferons connaître les caractères anthropologiques etling-uistiques des Javanais. Seulement nous ferons remarquer encore que la lang*ue malaie a été trouvée par tous les ling-uistes inférieure à la lang-ue javanaise, plus verbeuse que riche, plus pauvre enfin en expressions fig-urées que les autres lang-ues orien- tales, et que les mêmes ling-uistes ont fait l’observation que rien en elle ne dénote une antique origine. Il n’y a, du reste, peut-être pas de lang*ue plus agréable et plus douce ; et telle était certainement l’avis du vieux voyag-eur Linschot qui, après avoir dit que l’origine de Malacca est due à sept pêcheurs de Siam, Pég-u et Beng-ale, (1) Y. aussi de Quatrefages, Y Espèce humaine , p. 321. LES POLYNÉSIENS. 149 « tant l’air du pays était plein de malignité, 3) ajoute qu’ils établirent un langage particulier trié des plus élégantes façons de parler des autres nations : « comme de fait, dit-il, la langue malaie à présent est la plus exquise, nette et célèbre de toutes les orientales. (1) » Pourtant les Lampongs font un peu exception ; cirez eux le dialecte est guttural ; ils emploient en outre fréquemment des sons que nous exprimons par la lettre p, et ils donnent ces sons même aux mots malais ; de plus ils retranchent la consonne r, et ils disent, par exemple, Co-ghi pour Croï, Biass pour B ras s, riz. Enfin on a dit que la plupart des mots malais primitifs sont dissyllabiques (2) ; tels sont les mots orang , homme, tanah , terre, aku , je, moi, makann , manger, etc., et quelques écrivains en ont conclu que ces mots n’avaient pu provenir de l’Asie, où ils sont généralement monosyllabi- ques. Or, en terminant ce rapide aperçu sur la langue malaie, nous nous bornerons à faire remarquer que la langue polynésienne a été regardée par quelques écrivains comme ayant été primitivement une langue monosyllabique. Nous allons examiner succinctement la langue polyné- sienne afin de pouvoir la comparer en connaissance de cause avec la langue malaie et déduire de cette comparaison leur identité ou leur différence. En voyant ces deux langues placées, pour ainsi dire, en regard, le lecteur appréciera avec plus de facilité et de certitude. Comme le précédent, cet aperçu ne sera que fort superficiel et il se bornera aux remarques les plus indispensables. Un pareil sujet ne sau- rait être traité ici avec tous les développements qu’il exige ; on le trouvera d’ailleurs exposé dans la traduction que nous avons faite des grammaires et dictionnaires Maori et Tahitien publiés par les missionnaires anglais. 2° Langue Polynésienne. — Il n’y a en Polynésie qu’une seule langue appelée par de Rienzi, Daya-Polynésienne ; elle donne lieu, par suite de quelques légères altérations, à ce que l’on a appelé des dialectes différents. (1) Histoire de la Navigation de Jean Hugues de Linschot, etc., p.33. (2) Alf. Tugault, ouvr. cité, p. 2. 150 LES POLYNÉSIENS. Le nombre de ses lettres est pins considérable qu’on ne l’a dit, mais il est vrai que quelques-unes ne sont pas employées par tous les habitants d’une même île, et que plusieurs archi- pels délaissent certaines lettres qu’ils remplacent par d’au- tres. Il est des lettres comme le b, le d , le j, le tchi, tcha, dji , dja , employées par la langue malaie, dont ne se sert pas la languie polynésienne ; le s n’est employé que dans quelques archipels. Les syllabes se composent ou d’une seule voyelle ou d’une consonne suivie d’une voyelle ; mais jamais un mot n’est terminé par une consonne : première différence avec le Malai, dont les mots se terminent aussi souvent par une consonne que par une voyelle. Tous les mots sont invariables, et le même sert de nom, d’adjectif, de verbe et de particule; en un mot, la racine est une sorte d’infinitif inflexible, contenant à la fois le nom, l’adjectif, l’adverbe, le participe et le verbe, La langue polynésienne se conjugue et se décline à l’aide de mots particules. Elle a deux articles : un indéfini he, l’autre défini te , avec un pluriel commun : nga à la Nouvelle-Zélande ; E-te et maw, à Tahiti (1). Les substantifs ont deux nombres, le singulier et le plu- riel. On a vu qu’en Malai les substantifs dérivés sont for- més à l’aide des particules ka et ann. Ainsi de ada , être : Ka-ada-ann , existence ; de Bessar , grand : Ka-bessar-ann , grandeur. Or, à la Nouvelle-Zélande, par exemple, c’est en ajoutant le mot ng a que se forment les substantifs dérivés. Ainsi, en ajoutant nga aux mots suivants, Nui, grand, on a : Nuinga , grandeur. Raha , fort, Kahanga , force. Kahu , pousser, Kahunga , croissance. (1) Eel polynésien toutes les lettres se prononcent ; il n’y a pas d’e muet ; Vu se prononce ou et le g est toujours dur devant e et i. — Ex : he, pron. hé ; mau, pron. maôu ; nuinga, prou, nouiriga ; rangi , ciel* pron : ra ri gui. ! LES POLYNÉSIENS. 151 Kai, manger, Kaïnga , repas, demeure, village à la Nouvelle-Zélande. Momi , sucer, Mominga, action de sucer» Le genre des substantifs est établi par l’addition d’un mot signifiant mâle ou femelle ; et, comme les Malais, les Poly- siens ne le reconnaissent que dans les êtres distingués par les sexes. Les adjectifs n’ont ni cas ni nombre, et se placent im- médiatement après le nom : he rakau roa , un grand arbre. Le comparatif et le superlatif sont généralement formés par des particules ou d’autres mots ajoutés, (affixes) : he waka nui , un grand canot. Il y a plus de ressemblance, ainsi que le montre le tableau suivant, entre les nombres cardinaux des Polynésiens et ceux de Madagascar, qu’entre les premiers et ceux de la Malaisie (1). Mal ai Polynésien. Madagascar. Batta. Menado. moderne. 1. tahi. rek ; irai lui. sadah . essa. sa ; satu. dua. 2. rua. rua ; rue. duo. rua. 3. toru . telu ; telo. tolu. talu. tiga. 4. ua. efat ; efats. opat. apat. ampat. j 5. rima . ; dimi ; limi ; liha ; lia. limah. lima. lima. 6. ono. enem ; henn. onam. anam. anam. 7. ni tu. fi tu. païtu. pitu. tudju . 8. uaru. valu. ualu. walu. delapann. 9. iua. sivi. siah. sio. sambilann. 10. ngahuru. ! ' polu; fui; Mo. sapulu. pulu. sapulu. Les pronoms ont trois nombres : le singulier, le duel, et le pluriel. lre personne du duel : nous deux, singulier, taua et maua ; pl. tatou et matou. 2e personne : vous deux, sing. korua ; pl. koutou. 3e personne : eux deux sing. raua ; pl. ratou. (1) Si les Polynésiens ressemblent plus aux Madécasses qu’aux Malais par la numération, ils en diffèrent entièrement par le lan- gage, les caractères physiques, etc. 152 LES POLYNÉSIENS. Taua et Tatou , comprennent la ou les personnes auxquel- les on parle ; maua et matou les excluent. Les verbes ont quatre modes : l’indicatif, l’impératif, le subjonctif et l’infinitif, exprimés par des particules, de même que les temps. On a remarqué leur analogie singulière avec les verbes grecs, c’est-à-dire qu’ils possèdent le duel et que ce duel a quatre expressions différentes. Le passif est formé par l’addition de certaines syllabes à la racine. Inutile, croyons-nous, de parler des adverbes, prépositions conjonctions et interjections. Nous renverrons d’ailleurs pour cela, comme pour toutes les autres données, à l’intro- duction qui précède la traduction que nous avons faite des dic- tionnaires tabitien et néo-zélandais, et surtout aux ouvrages de MM. Dieffenbach et Gaussin sur la langue polyné- sienne. Seulement nous devons dire encore, que les mots poly- syllabiques sont souvent formés comme les enfants forment les mots, c’est à dire parle redoublement de la racine: la ré- pétition renforce donc la racine comme on le fait dans l’Ita- lien et le Malai pour former le superlatif : ainsi hikohiko , choisir. En outre d’autres mots ne sont souvent qu’une imitation du son naturel de la voix, et, plus particulièrement, les noms des objets animés : exemple : ruru, chouette. Nous ajouterons aussi que, comme le font les Lampongs de la Malaisie, les Polynésiens de certaines îles, telles que les Marquises, retranchent la consonne r, et disent : aoe pour aore non ; w, pour riri ; imu pour rimu , et que d’autres, comme les habitants des îles Sandwich, Samoa et Tunga, se contentent de la remplacer par la lettre /, etc. Enfin, comme dans la langue malaise, les différents rapports des parties du discours que nous exprimons par la déclinaison, la comparaison et les prépositions, se rendent par des mots qui, dans ce cas, pourraient, suivant Dulaurier, être appelés particules, bien qu’ils soient de véri- rables mots qui, dans tous les autres cas, sont substantifs, adjectifs et verbes. Il n’est peut-être pas de langue qui ait plus de préfixes et d’affixes que la langue polynésienne ; on pense que ce ne LES POLYNÉSIENS. 153 sont guère que des mots corrompus, dont le sens a été per- du : point de contact du reste avec l’hébreu. Cette manière de former les mots en Polynésie rend ce langage très flexible et permet d’exprimer les significations les plus diverses. C’est le même procédé qui fait la richesse du grec et de l’allemand. En somme , la langue polynésienne est susceptible d’être très-développée et, telle qu’elle est, on peut la croire une langue riche, contrairement à l’opinion de quelques écrivains et particulièrement de Chamisso. «C’est vainement, a dit Marsden (1), qu’on a tenté de trouver l’origine des dialectes polynésiens dans des continents voi- sins ; leurs mots, presque tous dissyllabiques, sont entière- ment sans rapport avec les monosyllabes de l’Asie orientale bien qu’on puisse reconnaître quelque ressemblance dans le système grammatical. » Mais ces mots sont-ils donc vraiment presque tous dissyl- labiques en Polynésie, comme il le dit ? Tel n’est pas l’avis du voyageur Dieffenbach pourlequel ils sont monosyllabiques (2) : ce qui, suivant sa remarque, est le principe des langues Indo- Européennes. Fait non moins remarquable, cette opinion est également celle du savant missionnaire anglais Taylor (3) : « 11 paraît très-probable, dit-il, que la lan- gue maori était originairement monosyllabique, car beaucoup de mots laissent découvrir leurs racines et bon nombre d’entre eux seront reconnus comme racines dans d’autres » ; et il cite comme exemple les mots suivants : fea, brûler; ka-pura , semences de feu brûlant; ka-kci- no, semence ou graine ; ka-hct , force, haleine du feu ; ku , étroitesse; ku-iti , étroit; kuku , grande moule, pi- geon; pci, défense; pci-tu , frapper, briser; pci-ia , tour- ner, renverser ; pci-re , filet, bandage de tète ; pa-re - (1) Miscellaneous Works , p. 5. Nous devons faire remarquer que Marsden donnait le nom de Polynésie à cette partie du globe et en même temps à la Malaisie. (2) Part. II, chap. 1er, p. 209. (3) Te ika a Maui or New-Zealand and ils inhabitants by Ricli. Taylor. London, 1855. Ch. 14, p. 201. 11 154 LES POLYNÉSIENS. pa-re , fortification, barrière ;po, nuit, saison ; po-uri , ténè- bres; mata-po , aveugle ; po-ka , un creux, un trou ; rz, ra- cine de : ri-nga ri-nga, main ; rz~e, les 2 bras ; rz-rz, colère ; tu-ri , genou ; rwia, cinq ; £zz, être, Dieu de la guerre ; tu pu- na , ancêtres ; tu-tu , quereller ; tu-a-ka-na , frère aîné ; tu-a- /zme, sœur ; ma-tu-a, parents ; fzz-a, rester devant ou der- rière ; tu-a-whenuci , grande terre ; tu-ara , le dos ; tzz- a-roa , le mur de derrière d’une maison ; a-tu-a , au-dessus ; zzra, rouge ; ko-ura , écrevisse ; ura-ura , rivage ; ura-nga-o-te- ra , rougeur du ciel; rangi urct , ciel rouge; whaka.-ura, rou- gir; ma, porter ; wa-ha, bouche ; mae, nettoyer un sentier avec le pied ; mae, le membre inférieur en entier ; wae-wae , le pied, impliquant mouvement; wae-renga, clairière de forêt; et plusieurs autres encore tel que tu-a-tara pour tuât ara, lézard. Mais ici encore nous laisserons aux savants compétents à se prononcer sur ce sujet ; nous avouerons ne pas plus pou- voir le faire pour la langue polynésienne, que pour la lan- gue malaise. En somme, comme on voit, la langue polynésienne ressem- ble à la langue malaise, par la formation de ses substantifs dérivés, par l’invariabilité de tous ses mots et par sa manière d’établir les genres, puisqu’elle les distingue, comme la lan- gue malaise, par des mots particuliers, variant suivant qu’on veut parler d’un mâle ou d’une femelle et qu’on les applique à l’homme ou aux animaux. C’est ainsi que les Polyné- siens se servent des mots tane et vahiné, quand il s’agit de l’espèce humaine, et disent metua-tane, un père ; metua-va- Ifiine , une mère : père ou parent, homme ou femme. Ils em- ploient les mots oui et ufa pour distinguer le mâle ou la femelle des animaux (1); ainsi la poule est appelée moa ufa , le coq moa oui, et l’on a vu que les Malais disent ayam-he- tina pour une poule, et ayam-djantan pour un coq. Ce sont évidemment ces ressemblances qui ont porté les auteurs à considérer le Malais comme la langue mère du (1) A la Nouvelle-Zélande, mâle se rend par le mot tourawlii et femelle par uwha. % LES POLYNÉSIENS. 155 Polynésien, et qui ont fait dire par M. Thompson (1) et quel- ques autres: « l’identité des mots du dialecte polynésien et la construction grammaticale prouvent l’origine malaie de la languie polynésienne, bien que plusieurs écrivains, qui regar- dent plus aux mots qu’à leur structure, le nient et oublient, en raisonnant à ce sujet, que le langage des Malais moder- nes est très-différent du Malai qui était parlé par les émi- grants qui ont colonisé Singapoura et la Polynésie. » Déjà de Chamisso (2) avait dit, en s’appuyant sur la grammaire Tunga, de Martin: « Nous reconnaissons dans la langue des Polynésiens orientaux, les règles de la langue malaise dans sa plus grande simplicité et, à notre opinion, dans un état d’enfance non-développé. C’est un grasseyement enfantin et plaisant qu’on peut àpeine appeler une langue. » Ce sont, du reste, ces mêmes ressemblances qui ont plus récemment fait répéter par M. de Quatrefages que a les langues malayo-po- lynésiennes ne forment qu’une famille linguistique. (3) » Evidemment, il résulte de tout ce qui précède que la cons- truction grammaticale des deux langues se rapproche beaucoup, et l’on verra pourquoi au fur et à mesure que nous avancerons. Mais ce que l’on n’a peut-être pas assez remarqué, c’est qu’il y a de non moins grandes différences dont une des principales est l’absence, en Malaisie, du duel, des pronoms et des verbes polynésiens. Moërenhoüt a lui- même signalé cette différence (4) ; et il dit, en parlant des Philippines, de Macassar, de Célèbes et des îles Indiennes : « Les nombreux dialectes, d’ailleurs totalement étrangers les uns aux autres, mais offrant de temps en temps quelques mots de la langue polynésienne, diffèrent néanmoins tous essentiellement par le génie, sous tout autre rapport, et surtout manquent du duel, l’un des caractères distinctifs les plus remarquables de l’idiome de la Polynésie, stricte* (1) Histoire de la Nouvelle-Zélande, p. 79. (2) Mémoires : Voyage de Kotqebiie. (3) Les Polynésiens, p. 18. (4) T. II, p. 239. ]56 LES POLYNÉSIENS. ment reconnu et rigoureusement employé dans toutes les îles, même par les classes les plus ignorantes et par les tribus les plus sauvages. » Les langues de Macassar et autres points de Célèbes et des îles Indiennes paraissent en effet manquer du duel, comme le Malais. Mais Moërenhoüt se trompe sous ce rapport en parlant des Philippines, car il est certain que dans ces îles le duel existe comme en Polynésie. Parmi les autres principales différences existant entre les deux langues, il faut mentionner surtout : le nombre plus restreint des lettres de l’alphabet polynésien ; l’usage général et constant en Polynésie de lettres qui ne sont pas employées dans certaines îles malaisiennes, telles que les consonnes f et p ; le manque général, au contraire, dans les îles polynésiennes, de lettres qui sont parfois usitées dans la Malaisie, telles que le ô, le d, le j, etc. ; la manière différente dans les deux langues de former les dérivés ; la terminaison constante par une voyelle des mots polyné- siens, tandis que les mots malais se terminent aussi souvent par une consonne que par une voyelle ; la différence qui semble exister dans la manière de former le comparatif et le superlatif ; enfin l’analogie plus grande de la numéra- tion polynésienne avec celle de Madagascar et des popula- tions malaisiennes, qu’avec celle des Malais proprement dits. En vain Thompson cherche à expliquer la grande diffé- rence existant entre les langages malai et polynésien, en disant que le Malai moderne, diffère du Malai ancien : cette assertion, est commode pour son système, mais elle est inexacte, car on connaît parfaitement le nombre de mots arabes ou autres introduits dans le Malai. 11 est bien évi- dent, comme il le dit lui-même, que si les Polynésiens eussent connu l’alphabet arabe, ils ne l’auraient pas oublié, et d’un autre côté, on sait aujourd’hui que l’alphabet poly- nésien, nécessaire pour rendre les mots de la langue polynésienne, est différent de celui des Malais ; il se sert, par exemple, de certaines consonnes que n’ont pas les Malais en général. Thompson, en voulant prouver l’origine malaie de la lan~ LES POLYNÉSIENS. 157 grie polynésienne par œ la construction grammaticale et l’identité des mots du dialecte polynésien (1) », oublie qu’il n’y a pas plus de 65 à 75 mots d’apparence malaise en Polynésie, parmi tous ceux qui forment le fond de la langue polynésienne ; s’il y a en Malaisie un plus grand nombre de mots vraiment polynésiens, cela tient à ce qu’ils y ont été portés par les Polynésiens eux-mêmes ; c’est, du reste, ce que démontre l’analyse de certains mots : ainsi le mot malais Lima , cinq, qu’on a tant cité pour prouver que le polynésien Lima ou Rima venait de la Malaisie, indique tout le contraire. Ce dernier, qui en polynésien signifie cinq, est aussi le nom de la main : c’est une preuve que ce mot a dû être introduit en Malaisie par les Polynésiens. In- versement, des mots trouvés en Polynésie sont dus presque certainement à des Malais ou à des Javanais entraînés jusque là, puisqu’on paraît y avoir rencontré quelques mots sanscrits, qui autrement, ce qui n’est guère admissible, n’auraient pu venir que de l’Asie directement. Les mots que l’on regarde comme sanscrits sont : Ka , brûler ; pu pour bhu, pousser ; ghena et hina , fille ; bornai , donner ; tri , trois ; rajah, chef; aghin, feu; gatira , race; et quelques autres. Il faut y mettre un peu de bonne volonté ; du reste Buschmann soutient qu’il n’y en a qu’un seul. L’un de ceux qui, avec Forster, Marsden et G. de Hum- boldt, ont le plus contribué à répandre la croyance qu’il n’y a qu’une seule langue depuis Madagascar jusqu’à Pâques, le professeur Buschmann, était forcé de convenir lui-même que les analogies entre le Malai et le Polynésien ne se trou- vaient pas toujours et que les deux langues, qu’il regardait avec G. de Humboldt comme étant les rameaux de la souche malaie, se refusaient souvent à tous les efforts faits pour trouver ces analogies : * Quelles que soient, disait-il, les analogies qui existent entre les idiomes occidentaux et orientaux des Malais, il n’est pas moins de fait qu’un grand vide les sépare (2). » (1) Loc. cit., p. 79. (2) Buschmann, Mémoire sur les Marquises , p. 32. 158 LES POLYNESIENS. De son côté, M. Abel Hovelacque continue également à admettre les langues maléo -polynésiennes (1) ; il donne la classification établie par Frédéric Muller dans le « Voyage de la No ü ara » et « V Ethnographie générale » ; comme lui, il place dans le groupe malai, non-seulement la langue des Philippines (Tagala, Bisaya, etc.), mais la langue des Mariannes et celle de Formose, et dans la branche maléo- javanaise le malai, le javanais, le madurais, le makassar l’alfourous, le battak et le dayak. Pour M. Hovelacque deux faits sont aujourd’hui avérés : les langues maléo-polynésiennes ont toutes une origine commune ; elles sont indépendantes de toute autre famille linguistique. Leur système phonétique est distinct et bien distinct de tous les autres ; leurs racines sont parfaitement originales et ne se prêtent à aucun rapprochement avec les racines du système Indo-Européen, du système ouralo- altaïque ou de toute autre famille de langues. Il divise la langue maléo-polynésienne en trois groupes : le groupe malai, présentant les formes les plus pleines, les mieux déve- loppées ; la branche Tagala se distinguant particulièrement ; le groupe mélanésien déjà moins riche, comme si ce groupe appartenait à la même langue ! Pour lui, le groupe poly- nésien aurait considérablement à envier sous ce rapport à la langue des Philippines, à celle de Formose, au malgache de Madagascar. En résumé, il pense que le groupe polynésien s’est déta- ché de sa famille à une époque où la langue n’était pas encore fort développée et que sa civilisation ne lui a pas permis de se développer davantage. Quant à la grammaire maléo-polynésienne elle est pour lui celle de toutes les langues agglutinantes, et il en dit ce qu’en a dit M. Gaus- sin. Il reconnaît en somme que les langues qu’il appelle maléo-polynésiennes sont indépendantes de toute autre famille linguistique. M. Thompson, partisan de l’origine malaise des Polyné- siens, reconnaissait lui-même la grande différence existant (1) La Linguistique, p. 64, Reimvald, Paris, 1876. LES POLYNÉSIENS. 159 entre le langage malai et le langage polynésien. Cette différence lui faisait supposer que la migration malaise vers la Polynésie avait eu lieu dix à douze siècles aupara- vant. Si l’on acceptait cette interprétation, il faudrait ad- mettre que les émigrants auraient complètement changé de langage, puisqu’il ne reste qu’un très-petit nombre de mots dits malais parmi ceux usités chez les Polynésiens actuels. Cette supposition est peu probable, à en juger du moins par le peu de changement survenu dans la langue polynésienne depuis qu’on la connaît. M. J. Garnier (1) a fait, à propos de la langue polyné- sienne, une objection qui, à elle seule, suffirait à établir qu’elle n’a pu provenir de la Malaisie. Si, dit-il, toutes les langues malaises, tagales, mariannaises, javanaises, etc., ont une commune origine, comme le pensent les partisans des migrations de l’Ouest à l’Est, comment se fait-il que la loi qui régit le Polynésien depuis un si grand nombre de siècles, de- puis sa dispersion sur toutes les îles du Grand-Pacifique, c’est-à-dire la conservation constante de tous les éléments des mots, cesse d’exister aussitôt que l’on compare le Polynésien à son frère putatif de l’archipel Indien ? Ce fait, à lui seul, fait surgir un obstacle insurmontable contre les migrations de l’Ouest à l’Est. Et il réfute M. Gaussin qui reporte cette altération inusitée à une époque antérieure à la période dans laquelle il se trouve aujourd’hui, période caractérisée par la conservation de tous les éléments constituant les mots. Est-il admissible, dit-il, qu’une langue originale comme le Polyné- sienquin’ajamaisdéchuàlaloi de conservation des éléments, ait agi d’une façon toute opposée à une époque antérieure ? « Le Polynésien, dit M. Gaussin (2), n’est qu’une langue jeune, non pas relativement au temps écoulé, mais au pro- grès accompli ; cette langue est semblable aux premiers bégayements de l’enfant ; elle est peu développée, pleine d’onomatopées, surtout remplie de voyelles, et musicale (1) Mémoire sur les migrations polynésiennes, p. 93. (2) Du dialecte de Tahiti , de celui des îles Marquises et en général de la langue polynésienne, in-8°. — Paris, 1853. 160 LES POLYNÉSIENS. comme toutes les langues primitives. » Mais, répond avec raison M. J. Garnier, si les Polynésiens étaient venus de l’Asie, comment leur langue pourrait-elle avoir le cachet de la jeunesse ? Ne se serait-elle pas plutôt enrichie en traversant les continents et les vastes archipels rencontrés sur la route (1) ? M. de Quatrefages, qui lui aussi croit à l’identité d’une seule et même langue parlée depuis Madagascar jusqu’à l’île de Pâques, s’appuie surtout sur la grammaire pour établir des rapports ethnologiques entre les Malais et les Polynésiens. Mais la grammaire ne devient fondamentale dans les langues qu’à la condition de la comparer en même temps avec le vocabulaire : une comparaison isolée conduit à des résultats erronés. Il est plus juste d’admettre avec Klaproth, Crawfurd, Balbi, etc., que les mots sont une par- tie encore plus essentielle des langues et qu’ils sont préfé- rables à la grammaire pour en déduire l’identité ou la dissemblance de deux langues comparées. Or les mots identiques s’élèvent à une soixantaine environ ; ils sont véritablement trop peu nombreux pour que l’on puisse les regarder comme les restes d’une langue primitivement parlée par tous les émigrants ; et ils deviennent, au con- traire, un argument puissant contre le rapprochement fait par la plupart des ethnologues et particulièrement par M. de Quatrefages. Nous avons déjà dit, et nous établirons plus évidemment encore, que les assertions du savant pro- fesseur ne sont pas parfaitement exactes, lorsqu’il prétend, avec Ritter, que sur 100 mots, le vocabulaire Malais « com- prend 50 mots polynésiens répondant tous à un état très- inférieur, ne désignant que des arts ou des objets nommés dans toutes les langues : ciel, terre, lune, montagne, main, œil, etc. » (2). Il y a loin de la langue polynésienne que nous étudions ici au Grand-Polynésien de Crawfurd (3). Il est vrai pourtant que le nombre des mots identiques » (1) V. J. Garnier, loc. cit., ch. XII. (2) L’espèce humaine , p. 321 . (3) Voyez ci-dessus, p. 147. LES POLYNÉSIENS, 161 est pins considérable chez certaines populations ] de la Malaisie, puisque, pour l’une d’elles, il s’élève jusqu’au quart. Mais cela même, ainsi que nous le montrerons bien- tôt, est une raison de croire que ces tribus, qui ne sont pas Malaises d’orig-ine, auraient plutôt reçu cette langue de la Polynésie, que transporté la leur dans des îles où l’on ne trouve que 65 à 75 mots analogues. En outre, les expres- sions polynésiennes trouvées en Malaisie sont des expres- sions étrangères au fond de la langue mal aie actuelle ; elles y ont été portées aussi bien que les mots anglais et autres qu’on y rencontre. Telle était l’opinion de Crawfurd, de Bory-Saint- Vincent (1), de Moërenhoüt (2), de d’Urville, lui-même (3), bien qu’il ait aussi soutenu une opinion con- traire. Il n’y a guère que ce moyen, du reste, d’expliquer la présence dans les deux contrées de mots identiques, dès qu’on n’admet pas la filiation de leurs langues. Les Malais ont été le premier peuple de l’arcbipel indien converti à l’islamisme ; ils ont répandu cette religion dans la plupart des îles de cet archipel à l’époque où ils étaient la première nation maritime et marchande de l’Océanie. Ces circonstan- ces, ainsi que le fait remarquer Balbi, suffisent à expliquer l’existence, dans la plupart des idiomes du monde maritime occidental, d’un certain nombre de mots malais qui presque tous se rapportent au commerce, à la religion, et à la légis- lation. Mais il n’en est plus de même pour les mots malais et polynésiens trouvés réciproquement dans chacune des deux contrées ; il faut nécessairement admettre qu’ils y ont été portés inégalement et sans doute par accident, et nous montrerons plus tard, quand nous chercherons à expliquer la formation des Malais, pourquoi deux langues si différentes par le fond se servent néanmoins de mots analogues pour désigner certaines choses usuelles. Nous nous bornerons à (1) L'homme , p. 313, note. (2) Loc. cit ., t. II, p. 227. (3) Loc. cit., Philologie. 162 LES POLYNÉSIENS. dire ici, ce que l’on n’a pas assez remarqué, que les mots polynésiens retrouvés dans la langue malaie sont justement ceux désignant des parties du corps humain, des insectes, des animaux, des racines, etc. Ainsi, en Malai, on retrouve les mots suivants d’origine polynésienne : poil, bulu ; front, dahi ; œil, mata ; oreille, telinga ; nez, idong ; ongles, knku ; mamelle, susu ; nombril prout ; cuisse, pahah ; peau, kulit ; cœur, hati ; mort, mati ; père, bapa ; tante, matua ; sourd, tuli ; pou, kutu ; igname, ubi ; pois- son, ikann , ciel, langit ; etc. Cela seul peut faire supposer que ce sont plutôt les Malais qui ont adopté ces mots que les Polynésiens qui les ont empruntés aux Malais (1). Quelle que soit l’exactitude de cette explication, tout ce que nous venons de dire montre qu’il n’y a entre les deux langues que l’analogie de certaines parties de leurs gram- maires et non de toutes; on reconnaîtra donc facilement que l’identité de langage, si généralement admise, n’existe pas ou que, du moins, elle n’existe qu’entre les parties des gram- maires indiquées et entre un certain nombre de mots ; mais ceux-ci, vu la différence fondamentale de tous les autres mots malais et polynésiens, ne sont évidemment que le résultat d’une cohabitation plus ou moins étendue et prolongée entre les deux peuples. C’était, du reste, l’avis de Crawfurd, Balbi, de Rienzi et R. P. Lesson. Crawfurd regardait l’ancien Javanais comme se rapprochant davantage du Polynésien que le Malai. Balbi qui, en parlant de la langue malaie, l’appelait « cette prétendue langue (2) » écrivait de son côté : « La croyance que tous les peuples, depuis Madagascar jusqu’à l’île de Pâques, parlent des dialectes d’une seule et même langue, n’est qu’une opinion banale, qui a été vainement combattue d’abord par l’infatigable Hervaz et le savant Adelung, mais qui a été détruite par les savants Leyden, Baffles et Craw- furd. (3) » Après Balbi, et paraphrasant ses paroles, de (1) Voy. Tableaux , p. 167 et 168. (2) Loc. cit ., Introduction , p. 52. (3) Loc . cit., Langues , etc., p. 231. i LES POLYNÉSIENS. 163 Rienzi a redit que cette erreur tant de fois répétée, n’était pas moins une erreur. Enfin, R. P. Lesson a lui-même nettement exprimé l’opinion que la languie polynésienne diffère du Malai pur, dont le génie, ajoutait-il, est op- posé (1). Nous pourrions à ces noms en adjoindre plusieurs autres encore. Mais nous nous bornerons à ceux des observateurs les plus autorisés pour la Nouvelle-Zélande, le missionnaire Taylor et le docteur Dieffenbacb. Le premier, qui a long-temps résidé à la Nouvelle-Zé- lande qu’il a si bien fait connaître (2), n’admet que la similitude de quelques mots ; il ne comprend pas qu’on puisse, d’après eux, attribuer l’orig-ine des Néo-Zélandais aux Malais. Il était plus disposé à ne voir en eux que des Juifs ; mais il était plus conséquent que d’Urville qui, tout en niant la descendance malaise des Polynésiens, trouvait que la lang-ue de ces derniers offrait de grands traits de ressemblance avec celle des Malais et des habitants de Madag-ascar. Mais c’est Dieffenbacb surtout qui proteste contre l’iden- tité des deux languies, car il dit (3) : a On a regardé la langue malaise comme la langue mère du Polynésien ; mais quoique la langue malaise soit la plus répandue, nous ne croyons pas pouvoir la considérer comme la source des autres langues. Peut-être seulement le Malai pourrait-il être regardé comme une langue sœur des autres dialectes polynésiens. » Et il termine en faisant remarquer que le langag-e polynésien, dans sa construction, est beaucoup plus primitif que le Malai et les langues javano-tagales ; il appartient, dit-il, par tout son air, à un état primitif de la société. Nous partageons complètement, sous ce rapport, l’avis des savants que nous venons de citer ; mais nous ajouterons dès à présent que, pour nous, la langue polynésienne est en outre une langue spéciale. Il y a bien des années, du reste, (1) Voyage médical , p. 183. (2) Histoire de la Nouvelle-Zélande , 1855 (3) Loc. cit 2e vol., p. 297 et 299. 104 LES POLYNÉSIENS. que telle était déjà l’opinion des missionnaires américains fixés en Polynésie, ainsi que le prouve le passage suivant cité par R. P. Lesson (1) : « It lias been a theory in what çmographers and philologists hâve imiversally conceived that the malayan and polynesian languages were from the same stock, or rather that the latter ivas only a brandi of the former : The investigations of the missionaries hâve shoivn this theory to hâve no foun dation in fact , and that few languages are more diverse in their radical princi - pies. (2) » Ces observateurs terminaient en disant que la langue polynésienne leur paraissait neuve, curieuse et spéciale. Plus tard, au fur et à mesure que nous avancerons, nous fournirons de nombreux témoignages en faveur de cette assertion. Dès à présent nous dirons que, pour nous, cliaque dialecte de la langue polynésienne n’est que la représenta- tion plus ou moins complète d’une langue primitive qui n’est autre que la langue maori, langue qui est encore parlée intégralement dans la Nouvelle-Zélande, excepté peut-être dans quelques districts où elle semble avoir subi les mêmes altérations que celles observées en Polynésie. Ainsi il existe : d’une part, différence dans les caractères anthropologiques des deux peuples, bien qu’il y ait aussi des ressemblances dont nous montrerons la cause en parlant de l’origine probable des Malais; d’autre part, absence d’identité dans certains caractères linguistiques; d’où il faut conclure que, loin de servir à prouver que les Polynésiens descendent des Malais, ces caractères prouvent plutôt le contraire. Ce serait donc à tort que l’on aurait jusqu’ici trouvé des rapports là où il n’y a pour ainsi dire que des (1) Voyage médical , p. 184. (2) D’après la théorie universellement admise par les géographes et les philologues, les langues malaise et polynésienne seraient issues d’un même tronc, ou plutôt la dernière ne serait qu’une branche de la première : les investigations des missionnaires ont montré que cette théorie n’a par le fait aucun fondement, et que peu de langues sont plus dissemblables dans leurs principes fon- damentaux. LES POLYNESIENS. 165 différences. Bien plus, la mythologue et les idées des Ma- lais et des Polynésiens diffèrent elles-mêmes complètement, et il en est de même des mœurs, des usages, des croyances, etc. Nous ne faisons, du reste, qu’indiquer ces dernières différences secondaires sans nous y arrêter. En résumé, il résulte de tout ce qui précède que les Polynésiens n’ont pu provenir des Malais et qu’ils ne pou- vaient le faire pour les raisons suivantes : 1° Parce qu’ils n’ont pas les caractères physiques exté- rieurs des Malais, ou que, du moins, les principaux diffèrent chez les deux peuples; que, de plus, les uns sont sous-doli- chocéphales et les autres brachycéphales ou mésaticépliales ; 2° Parce que leurs mœurs, leurs usagés, leurs institutions politiques et religieuses diffèrent complètement, et que les Polynésiens n’auraient pu apporter de la Malaisie leur loi religieuse, puisqu’elle ne s’y trouve pas sans forcer l’ana- logie ; 3° Parce que les traditions populaires des deux peuples sont différentes ; 4° Parce que la comparaison et l’analyse des deux lan- gues, faites avec soin, d’après des matériaux plus exacts que ceux possédés par les premiers écrivains, ainsi que l’absence de l’alphabet malai en Polynésie, prouvent la différence existant entre le Malai et le Polynésien ; 5° Parce que les noms des animaux communs aux deux contrées diffèrent dans chacune d’elles : les Malais appellent la roussette la la hua ou bonrong-tikous, le cochon babi , le requin ikan ecljok ; les mêmes animaux, en Polynésie, sont désignés par peka peka à la Nouvelle-Zélande et beka aux Fiji, par puaa ou puaka et par mao ou mako ; les tra- ditions, en outre, montrent que les Polynésiens n’avaient aucune connaissance des grands quadrupèdes de la Ma- laisie ; 6° Parce que les noms des plantes communes aux deux pays sont eux-mêmes tout différents : ainsi la canne à sucre, appelée tebou par les Malais, se nomme to en Polynésie ; 166 LES POLYNÉSIENS. ces plantes d’ailleurs sont beaucoup moins nombreuses qu’on ne le croit, etc., etc. On le voit donc : comparaison des langues, des mœurs, des caractères physiques, sans parler des difficultés de toute sorte que nous f avons signalées ou que nous signa- lerons en passant ; différences des usages et des croyances religieuses ; silence des traditions touchant la marche d’é- migrants malais vers la Polynésie; etc., tout, en un mot, semble établir que les Polynésiens n’ont pu avoir les Malais pour ancêtres et que les deux peuples, bien qu’ayant quel- ques ressemblances par suite de causes que nous exposerons bientôt, forment deux races différentes ou du moins bien distinctes par leurs caractères principaux. Certes, il a certainement existé, à une époque difficile à préciser, des relations entre ces deux peuples : les analogies de mots dans les langages polynésien et malai en sont la preuve ; mais vu la disproportion dans chaque contrée de mots analogies, c’est le peuple polynésien qui a dû se ren- dre en plus grand nombre en Malaisie. D’un autre côté, il est bien certain que les Malais ne sont que des métis, une race mixte, comme la qualifie M. de Quatrefages ; cette race manque de l’homogénéité que lui avaient attribuée la plupart des écrivains, et ce fait ne sau- rait être mis en doute que par ceux qui n’ont jamais vu les Malais. Or, nous montrerons plus tard que les Malais sont probablement eux-mêmes les descendants des Polynésiens, ainsi que l’a dit le premier Moërenhoüt ; seulement ils ne se- raient pas, comme il le croyait, leurs descendants directs, mais leurs descendants indirects par suite du croisement de leurs ancêtres polynésiens avec d’autres races» TABLEAU ANALOGIQUE DE SEPT DIALECTES POLYNESIENS LES POLYNESIENS 167 «1 P < co 'W PS <5 CU § O U *4 P <5 t n W OQ P a « -*ï3 S < O K P E-i I O PS < A < O 6 O H W >4 i4 W P» P O K H P « < P •H N p ir ci C4 P T3 P -3 CP J2 es «3 P 6o P p u O P ."te! es a 6o p •■p p R R 2 p . 46 -p s-4 44 o H? • i p P p p •p O CS P P 4P ’P P P P I .P P rP 2L «5 P- £>v * P 44 44 p p R- 5 rep H æ tS «iP44 P r p p .p p ■w p p‘p ® 5 P p 4P P p 4P »N cS G R Lu ■*-> .a ««*- • O p p cS Co p •*-4» p p §44 A P 4P o eS p p a p 4P P P P 44 P S ®' cS cS cS a.R.P p p p 4P p 4 p^ p a O 60 P O o tua cS cS * o *x cS Ep’Sb * § . p pa a p pi eS 60 p P p p -4~> eS iS aaa -sa a a p pp p p p > p o o P es « 44 cS « s 1 Co • „ 44 «S 5 a P cS m ! 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Sunda. Pamegat, Lalaki. Lampong. Bakas. Bugi. Tawu. Lombok. Kelepe. Bima. Dho. Sangir. Taumata. Saparua. Tamatawha . Mindanao. Tu. Papou. Senonn. Oualan. Mokoul. Pelew. Arracat. Carolines. Mal, marr, merer. Fiji. Tamata. Rotuma. Tangata. Tunga. Tangata. Nlle Zélande. Tangata. Tahiti. Taata. Sandwich. Kanaka. Marquises. Enata, Enana. Hervey. Tangata. Tukopia. Tangata. FEMME. Maiai. Param-pouann (femlle) Javanais. Wadon, vanotcha. Basakrama. Istri_, Estri. Sunda. Awewek . Madura. Bini. Bima . Lah, Tstri . Lampong. Baibai. Bugi. Makourai. Makassar. Bahini. Lombok. Nina. Ende. Anadau. Grunungtalu. Tabua. Manado. Wewoné. Ceram. Mapuinara. Saparua. Pipinawu. Mindanao. Babae. Papou. Bihenne. Oualan. Mataen . Pelew. Artheil. Carolines. Rabout, faïfié. Fiji. Alewa. Rotuma. Fafine. Tunga. Fafine. Nlle Zélande. Wahine. FEMME ( Sllite J. Sandwich. Yahine. Tahiti. Valiine . Marquises. Vehine. Samoa. Fafine. Hervey. Vaine. Tukopia Feflne. Iles australes. Vaine , COCHON. Maiai . Babi. Javanais. Gayik. Sunda. Bedul, anak bedul. Madura. Babi. Bali. Pianakelielen. Lampong. Babui. Manado. Wawai. Ternata. Soho . Ceram . Boira. Saparua. Haliuo . Batta. Babi. Mindanao. Bahuey . Atchenois. Touy . Papou. Beienn. Nlle Zélande. Poaka. Samoa. Puaa, Pua. Rotuma. Puaka. Futuma. Poaka. Tahiti. Puaa Tunga. Buaka. Fa te. Puaka. Lifu. Puaka. Nlle Calédonie .Puaka. Fiji. Vuaka. Tana. Puaka. CHIEN. Maiai . Andjing. Javanais . Asu. Basakrama. Segawon, Sranggala Hasu, Chiching. Madura . Lampong. Kachi. Mindanao. Assu. Chinois. Kiun. Cocliinchinois Ku. Papou. Naf. Sandwich. Ilio. Tunga. Kuli. Marquises. Nuhe. Nlle Zélande. » Kuri, nane. j Kirelie, Peropero. Tahiti. Uri. Fiji. Koli, Kuli. LES POLYNÉSIENS. 169 Maintenant que nous avons établi les différences qui sépa- rent les Polynésiens des Malais, et que par conséquent nous avons démontré que les premiers ne peuvent descendre des derniers, nous allons examiner si les Polynésiens nô pro- viendraient pas plutôt des Javanais, ainsi que Font soutenu Crawfurd, Balbi, Maltebrun et un petit nombre d’autres au- teurs. Ici encore, nous l’espérons, l’étude que nous allons faire mettra en évidence, à son tour, les différences fondamentales qui séparent les Polynésiens dès Javanais; mais, par contre, elle établira d’une manière complète, la ressemblance consi- dérable qui existe entre les Malais et les Javanais : ce fait, à notre avis, est de la plus grande importance, parce qu’il aidera lui-même à faire découvrir le lieu d’origine probable des uns et des autres ou tout au moins des Malais. Après cette étude, il n’y aura, en effet, que deux conclu- sions possibles : la première que les Javanais, pas plus que les Malais, ne pouvaient être les ancêtres des Polynésiens ; la seconde, que si les Javanais ne sont pas seulement les frères originels des Malais, ils seraient plutôt leurs ancêtres que leurs descendants, ainsi qu’on l’a cru si longtemps et que le croient encore beaucoup d’écrivains. « 12 CHAPITRE DEUXIÈME JAVANAIS I CONSIDERATIONS GÉNÉRALES. L’origine des Javanais est fort obscure. — Opinions contradictoires des auteurs à ce sujet. — Peuple inconnu de Crawfurd. Pas plus que pour les Malais, les savants ne sont bien fixés ni sur les caractères physiques, ni sur le lieu d’origine des Javanais. En effet, des auteurs les disent de petite taille, d’autres de taille moyenne ; quelques-uns leur donnent une couleur foncée, d’autres une couleur plus jaune ; pour quel- ques-uns leur nez est seulement épaté ; pour d’autres, il est écrasé et même camus. Pour tous les cheveux sont noirs, de même que les yeux, mais les uns disent ces derniers peu enfoncés, d’autres, les disent petits et dirigés comme ceux des Chinois, etc. Il en est de même pour tous les autres carac- tères. Quant au lieu d’origine, même différence: les uns les font venir de l’Hindoustan, les autres de la Chine et il n’y a guère que Crawfurd et deux ou trois autres écrivains qui les supposent descendre d’un a peuple inconnu » allant s’établir à Java, à une époque très reculée. Comme un pareil résumé n’apprendrait rien, nous allons faire connaître les idées principales des auteurs à ce sujet, et nous signalerons tout particulièrement les caractères an- LES POLYNÉSIENS. 171 thropologiques qu’ils donnent aux Javanais. De la sorte on pourra plus facilement contrôler la description que nous essaierons d’en donner, après avoir vu des Javans à Java même et dans quelques autres îles de la Malaisie, notam- ment à Amboine. S’il faut en croire Odoardo Barbosa (1), l’île de Java que Vincent Le Blanc appelle lave, regorgeait d’habitants dans le 14e et le 15e siècles, et on y construisait beaucoup de navires qui parcouraient les mers voisines, tantôt en com- merçants, tantôt en pirates. Ce fait, à notre avis, ne saurait être trop remarqué, puisqu’il prouve qu’à cette époque du moins les Javanais n’étaient pas sédentaires comme ils le sont aujourd’hui, et qu’ils étaient à même d’envoyer des colonies au loin. L’histoire apprend en effet que, dès 1304, des colo- nies de Javans allèrent s’établir dans les Moluques. D’après Valentyn, l’on reconnaissait encore, de son temps, les villa- ges fondés par elles, les animaux qu’elles avaient introduits et les termes dont elles avaient enrichi les idiomes de ces îles (2). Suivant Dulaurier, orientaliste si compétent, Tarrivée des colonies allant imposer leurs institutions et leur langue à Java, aurait eu lieu dans le deuxième et le troisième siècle de notre ère. Elles seraient venues de la côte nord-ouest du Dekkan, apportant avec elles le culte de Brahma et ses insti- tutions, mais elles n’auraient modifié ni les mots de la lan- gue, ni les usages de la nation primitive. Ce ne serait que vers la fin du 13e siècle de notre ère que les Javanais auraient changé leurs idées religieuses, prove- nant de l’Inde et jusque-là dominantes, et qu’ils les auraient combinées avec le culte primitif des indigènes. Cette époque serait celle de la décadence des arts graphiques ainsi que le prouvent les ruines des anciens monuments de Java. Dulaurier ajoute que l’influence de cette civilisation in- dienne cessa lors que l’islamisme fut apporté à Java vers (1) Odoardo Barbosa cité par Ramusio : Recueil des navigations et voyages , 1550, t. I, p. 353. (2) Valentyn, Sur Amboine , p. 63, 122, etc. Collection de voyages aux Indes. — Amsterdam, 1724, in-f®. 172 LES POLYNÉSIENS. 1400, et que, suivant les relations javanaises, la nouvelle re- ligionne fut prêchée dans l’île de Javaqu’en 1406, par S cheik Ibn-Mewlana, qui avait visité auparavant Atcheh et Pasay, dans File de Sumatra et Dj oh or dans la presqu’île de Malacca (1) . Raffles, d’après les mêmes sources, dit que l’établissement de l’islamisme à Java eut lieu au commencement du 15® siècle. Comme Crawfurd d’ailleurs, Dulaurier fait de Java le foyer de la civilisation océanienne, puis après l’arrivée des colonies hindoues, celui d’une nouvelle civilisation, qui ne cesse qu’à la venue de l’islamisme. Il admet, en somme, trois civilisations dominantes à des époques successives. La pre- mière se développa parmi les indigènes, avant la venue des colonies hindoues, dans les premiers siècles de l’ère chré- tienne et se continua parmi les tribus demeurées pures de tout contact avec l’ étranger. Le seul monument écrit qui reste, dit-il, de cet état primitif, ce sont les Addat ou coutumes. La deuxième fut apportée plus tard de l’Inde et dura pen- dant 13 à 14 siècles. D’après les écrivains javanais, elle se- rait arrivée dans les premières années de l’ère dont le com- mencement correspond à l’an 75 de J.-C. et elle s’est étendue jusqu’au moment de la destruction de Madjapahit, en 1400. Après ces deux civilisations vint le Bouddhisme sur lequel on a des renseignements plus précis, ce qui nous dispense de nous y arrêter. Quant à l’origine des Javanais, si l’on consulte les annales des rois de Java, on voit que, d’après elles, les Javanais descen- dent de Yichnou (2) et les ethnologues ont cru en trouver la preuve dans l’abstinence de nourriture animale que gardent encore les habitants des montagnes, dans leur croyance à la transmigration des âmes humaines dans le corps des brutes (3), et enfin, dans l’ensemble de la physionomie et du carac- \ (1) Dulaurier, Chronique du royaume d'Acth . — Paris, 1839. (2) 1” vol. des Transactions de Batavia. (3) De Womb, p. 134. LES POLYNESIENS. 173 tère. Aussi se sont-ils accordés généralement à regarder l’Hindoustan comme leur patrie originaire, en s’appuyant surtout sur l’ancien idiome parlé, qui était aux trois-quarts composé de mots sanskrits, c’est-à-dire hindous. C’était par- ticulièrement l’opinion de Valentyn, l’un de ceux qui ont le A plus contribué à la faire accepter. Cependant, comme Balbi l’a remarqué le premier, cette opinion n’est pas confirmée par le vocabulaire que Langdès a publié dans le deuxième volume du voyage de Thunberg(l). De Rienzi faisait aussi descen- cendre les Javanais et les Balinais des Bornéens et des Hindous. D’un autre côté, s’il faut en croire Joan de Barros(2), les Ja- vanais seraient originaires de la Chine. « Ils rapportent, dit-il en parlant d’eux, que leurs ancêtres, fatigués de l’escla- vage dans lequel les tenaient les Chinois, vinrent se réfugier à Java. » Et en effet, les Javanais offrent depuis longtemps avec les Chinois des traits de ressemblance, bien moins grands qu’on n’a, dit, mais qui ne peuvent pas être mis en doute, et qui donnent quelque poids à cette assertion. Ce qu’il impor- terait surtout de savoir, c’est si ces ressemblances ne se trouvent pas seulement dans les générations qui ont suivi les premières émigrations chinoises, car il est à peu près cer- tain qu’à une époque très-ancienne, l’île de Java a reçu une ou plusieurs colonies venant de la Chine ; mais cela ne prouve nullement que cette île était inhabitée à l’époque de leur ar* rivée. Aujourd’hui ces ressemblances sont assez prononcées et elles ne font qu’augmenter chaque jour davantage au contact permanent des Chinois; mais il n’est pas moins vrai, comme on va voir, que les caractères propres aux Javanais ne sont pas plus chinois que leur langue. C’est probablement d’après de Barros que Vincent Le Blanc, dont l’ouvrage a été publié en 1649, a dit (3) que les Javans se prétendent issus de Chinois qui vinrent se fixer dans leur île. Ils sont idolâtres, ajoutait-il, fort grossiers et bru- (1) P. 293. (2) Décade 2e, Liv. 9, chap. 4, 16e siècle. (3) Ou. y . cité, cliap. 24, p. 105. 174 LES POLYNÉSIENS. taux et quelques-uns anthropophages. Ils ont été quelque temps tributaires du grand Khan de Tartarie. Japara, où est aujourd’hui Batavia, était une de leurs villes maritimes ; les habitants adoraient le soleil. Tous, d’après Le Blanc, étaient corsaires, larrons et enchanteurs ; ils s’occupaient d’astrolo- gie ; leur grand magicien, nommé Maguire , était très res- pecté et obéi. Or, T amure était l’un des enchanteurs les plus renommés del’île du milieu à la Nouvelle-Zélande. Suivant sir RaffLes (1), l’origine des Javanais est tartare ; elle est commune aux Chinois, aux Japonais et à tous les peuples qui habitent la péninsule orientale de l’Asie, c’est-à- dire l’empire Birman, Siam, Pegu, la Cochinchine, la pres- qu’île Malaie et les îles de l’Est. A travers quelques diffé- rences, ou plutôt quelques nuances, on reconnaît dans tous les peuples de ces contrées des traits communs dénotant une même origine. Telle est également l’opinion adoptée par l’amiral Jurien de la Gravière. Sir Raffles, du reste, croit qu’il ne faut pas confondre les Javanais avec les Chinois et leurs autres voisins, bien qu’il leur assigne une origine com- mune. De son côté, de Chamisso (2) pensait que les Javanais déri- vaient d’une race aborigène qu’il faisait venir de la Haute- Asie . Crawfurd(3), au contraire, faisait peupler Java par un a peu- ple inconnu » venant, à une époque immémoriale, des îles occidentales de l’Océan Pacifique. On verra, lorsque nous exposerons l’opinion de Raffles et de Crawfurd, comment ce peuple inconnu se serait successivement modifié au contact des Hindous, puis à celui des Chinois et des Persans, et pro- bablement d’abord à celui d’une autre race. Il parlait la lan- gue que Crawfurd a appelée le« Grand Polynésien » ou le Ja- vanais ancien. Cette langue, du reste, ne ressemblait guère au Polynésien moderne; elle n’était en apparence qu’un dia- lecte du sanskrit connu sous le nom de Kawi. Nous en par- (1) Ouv. cité. (2) Mem. du Grand-Océan et de ses îles. — Extrait du t il du Voyage de Kotqebue, 3 vol. — - London, 18,21. (3) History of the Indian Archipelago. LES POLYNÉSIENS. 175 lerons assez longuement en temps et lieu pour qu’il soit inu- tile de nous arrêter encore sur cette question obscure. Enfin nous mentionnerons encore une tradition d’après la- quelle les Javanais descendraient d’une espèce de singe ap- pelée wouwow (1). Ce gibbon était autrefois très-commun ; il est encore aujourd’hui l’hote des maisons riches. Presque tous les voyageurs en ont parlé à cause de sa douceur et de son intelligence ; voici ce qu’en dit le spirituel M. de Beauvoir à l’occasion des singes vus par lui dans le jardin botanique de Buitenzorg (2). « Une bande de singes très-aimables vient nous troubler dans notre examen des Phyllia. Habitués sans doute à com- plimenter les visiteurs, ils nous honorent de quelques poi- gnées de mains et se tiennent debout bien campés sur leurs jambes de derrière. Est-ce une illusion méchante ou la pure vérité ? Est-ce la honte fictive d’une consanguinité imagi- naire ou le remords réel des distractions de nos premiers an- cêtres ? Mais certains portiers de collège me revinrent en mémoire, et je ne pus me séparer de ce groupe étrange et presque humain sans m’empêcher de me dire : * il me semble que j’ai déjà vu ces gens-là quelque part. » Et plus bas, il ajoute : » «Le héros ' de notre soirée (à Batou-Toulis-Coca-Batou, bois sacré, lieu vénéré des naturels) fut un singe gris wa- wou. Il descendit du fourré de lianes qui dominait notre fraîche piscine, et vint jouer avec nous sur la véranda. En- fant espiègle, amusant et mimique au possible, il ne posa pas une seule fois à terre ses mains de devant. Il marchait avec désinvolture, ne détestant pas de nous donner le bras, comme s’il était un être raisonnable. Mais au bout d’une heure et demie de jeu, nous reçûmes une grêle de dattes jetées du haut des arbres environnants : ses camarades le rappelaient, et il grimpa en gambadant jusqu’à eux » (1) Orthographe anglaise. (2) P. 36 et 37, Voyage an lotir du Monde. Java, Siam. Canton, — Plon, Paris, 1874. 176 LES POLYNÉSIENS. Comme on voit, le nom de cette espèce de gibbon dans le récit de M. de Beauvoir est le même que celui de la tradi- tion,et vraiment, envoyant tant d’intelligence dans ces ani- maux, on comprend que les Javanais aient songé à leur at-' tribuer leur origine. On sait d’ailleurs qu’ils ne sont pas les seuls à se regarder comme descendants de singes, et que les indigènes de Ceylan ont la même croyance ; on sait aussi que les nègres de Guinée et les indigènes de Sumatra con- sidèrent le chimpanzé et l’orang comme des hommes qui pourraient parler mais qui simulent la mutité par paresse : ce qui prouve, dirons-nous en passant avec Buchner, que < les peuples sauvages, plus voisins de l’état originel, con- fessent mieux que nous, civilisés, leur fraternité avec le singe. » Mais tout cela sans doute n’aide guère aux raisons scientifiques qu’on donne aujourd’hui de cette parenté, et, comme ce n’est point ici que nous pourrions nous occuper de ces dernières, nous nous contenterons de citer les lignes sui- vantes du même auteur à ce sujet : (1) « C’est dans l’Asie méri- dionale, ou bien en Afrique, ou encore dans lesîles de l’archipel Malais, qu’on doit trouver un jour l’homme-singe, le singe- homme, la forme intermédiaire à l’homme et à l’animal, in- connu jusqu’ici, mais dont tant d’indices probants révèlent l’antique existence. » Le singe wouwow serait-il donc, non pas l’ancêtre, le pro- géniteur des Javanais, comme le dit la tradition, mais leur parent assez proche, leur cousin ? Au transformisme de ré- pondre. Sans nous arrêter plus longtemps à ces diverses opinions sur le lieu de provenance des Javanais, nous pensons qu’il n’y en aguère qu’une seule acceptable. Il est certain, en effet, qu’ après ce que l’histoire de Java a appris, la première n’est pas fondée ; la deuxième l’est encore moins, et nous ne supposons pas que la dernière soit préférée, malgré son originalité. Il n’y a donc que celle de Crawfurd qui pour- rait offrir quelque probabilité ; mais envoyant la différence (1) L'homme selon la science, trad. Letourneau. — * Paris, Rein- wald, 1872, p. 21L LES POLYNÉSIENS. 177 des langues actuels des Javanais et des Polynésiens» il faut convenir qu’il semble bien difficile d’admettre que le lan- gage parlé sous le nom de Grand-Polynésien par le peuple inconnu qui» le premier» alla se fixer à Java, n’était autre que le Polynésien d’ aujourd'hui. On ne peut nier» du moins» qu’il aurait lui aussi bien changé sur la route, puisqu’il ne ressemble pour ainsi dire en rien au Javanais» comme le mon- trent les tableaux publiés à la fin de ce chapitre. Et cepen- dant, tant de détails, de mots même, tant de rapprochements rationnels, de témoignages indirects» viennent, à notre avis, si bien étayer la venue des Polynésiens dans la Malaisie, que nous n’hésitons pas à regarder le peuple inconnu de Crawfurd comme celui qui a apporté dans presque toutes les îles et à Java même» les mots de la langue polynésienne, que parfois encore on trouve en grand nombre dans quelques- unes. C’est ce que nous espérons démontrer quand nous examinerons les diverses populations, autres que les Malais et les Javanais, existant en Malaisie. Pour aider à éclairer cette question» nous allons aborder la description des caractères physiques des Javanais et, comme nous avons fait pour les Malais, nous les demande- rons à ceux qui les ont observés sur place. II CARACTÈRES PHYSIQUES. Caractères des Javanais d’après Thunberg ; Linschot ; Leblanc ; Raffles • Stavorinus ; Barrow ; Mad. Pfeiffer. — Leurs caractères crâniens. — Ces caractères rapprochent les Javanais des Malais, mais ils les diffé- rencient des Polynésiens. — Types Javanais. Voici quels étaient, pour Thunberg*, les caractères anthro- pologiques extérieurs des Javans (1) : Peau couleur jaune; Yeux noirs peu enfoncés ; Nez petit, écrasé, et même camus ; Cheveux longs et noirs ; Bouche moyenne ; lèvre supérieure un peu arquée, avancée et assez épaisse; Taille généralement au-dessus de la médiocre ; Front large; Joues grosses; Yeux petits comme les Chinois. Déjà Linschot (2) avait dit : « Les habitants de Java sont de couleur quelque peu noire comme ceux de Malacca, non dissemblables aux Brésiliens, puissants et robustes de mem- bres ; le visage est plat ; les mâchoires sont hautes et éten- dues ; les paupières grandes ; les yeux petits ; la barbe rare, (1) T. Il, p. 324, Voyage de Thunberg au Japon , trad. par Lan- glès et Lamark. — Paris, an IV, 4 vol. in-8°. (2) Histoire de la navigation de Jean Hugues de Linschot aux In- des Orientales, p. 36, 2e édition. — Amsterdam, 1619. LES POLYNÉSIENS. 179 n’ayant que 3 à 4 poils en la moustache et au menton ; les cheveux aussi, rares et courts, et noirs comme poix. » De même Vincent Le Blanc, dans ses curieux voyages de 1649 à 1658, avait décrit les Javanais de la manière sui- vante : « Ils sont tous camus, le nez applaty,les yeux grands, peu de poil à la barbe comme les Chinois ; le teint plutôt blanc que noir, et particulièrement les femmes. Les Javanais ne portent rien sur la tête que leurs cheveux, et tiennent une grande injure de la couvrir, et qui voudrait leur mettre quelque chose dessus, il serait en hasard d’être assommé. » On sait qu’en cela les Polynésiens leur ressemblent. D’après Raffles (lj, les caractères sont les suivants : Fond de la couleur de la peau plutôt jaune que rouge ; Yeux noirs, un peu chinois ou tartares, c’est-à-dire que les coins en sont relevés ; Nez petit et un peu aplati ; Cheveux noirs et plats, quelquefois légèrement bouclés et d’un brun rougeâtre ; Bouche bien formée ; lèvres épaisses ; Pommettes saillantes ; Front élevé ; Sourcils bien marqués et éloignés des yeux ; Barbe rare ; Expression de la physionomie douce, calme, pensive, mais mobile ; Taille petite ; cependant, dit-il, les Javanais sont plus grands que les Bouguis, et s’ils ne sont pas aussi bien faits que les Malais, on voit rarement parmi eux des gens diffor- mes; Os minces ; Femmes moins bien que les hommes. Ainsi pour la couleur de la peau, pour les yeux, les che- veux, même appréciation que Thunberg. Mais il est pour- tant généralement admis que les Javanais, par 6° lat., sont (1) Annales Maritimes y 1818, p. 336-337, 2e partie. I 180 LES POLYNÉSIENS. plus basanés que les Malais, bien qu’un grand nombre de ceux-ci le soient pour le moins autant que les premiers. Raffles ajoute que les montagnards sont plus robustes que ceux de la plaine. Il y a, dit-il, une grande différence en- tre les individus des premières classes et ceux des autres. Les premiers ont plus d’analogies que les autres avec les ha- bitants de la presqu’île de l’Inde proprement dite. On re- trouve les traits des Chinois fortement marqués dans quel- ques familles de chefs, et ceux des Arabes parmi les prêtres. Nous ferons remarquer également qu’un écrivain anglais a dit que « les Javanais ont la figure et la couleur des Ha- waiiens. » Or, on verra que les Hawaiiens ont, comme les habitants de Pâques, une couleur plus foncée que celle des autres Polynésiens ; ce fait a été remarqué par tous ceux qui ont pu comparer les populations des îles polynésiennes ; mais à part cela, tout diffère : taille, visage, grandeur des yeux, des pieds, etc. Les caractères signalés par le consciencieux chef d’escadre hollandais Stavorinus (1), méritent d’être remarqués tout particulièrement. Tous les Javans, dit-il, sont bien faits; Ils ont le teint d’un brun clair; Les cheveux sont noirs ainsi que les yeux, qui sont plus enfoncés dans leurs orbites que chez d’autres peuples habi- tant en deçà de la Ligne ; Leur nez est un peu épaté, et leur bouche fort grande ; Ils sont généralement sveltes, quoique d’ailleurs robustes ; néanmoins on trouve çà et là quelques hommes replets, mais c’est là une exception à la règle. Les traits du visage des femmes, quand elles sont jeunes, sont beaucoup plus doux que ceux des hommes ; mais il est impossible de trouver de plus laides figures au monde que celles des femmes d’un certain âge ; Les cheveux sont portés retroussés par les deux sexes. Pour le voyageur Barrow, qui avait visité Java longtemps (1) Stavorinus, Voyage à Batavia , Samarang , etc. de 1774 à 1778, t. II, p. 276. — Paris, Pan YII de la République française* LES POLYNÉSIENS. 181 avant que sir Raffles ne s’y rendît comme gouverneur géné- ral, tels étaient les caractères physiques les plus saillants des Javanais (1)]: Taille moyenne, assez bien prise ; Front large ; Nez écrasé et un peu recourbé par le bout ; Cheveux noirs et longs ; Teint d*un brun clair; Les femmes, disait-il, avaient une figure plus agréable que celle des hommes. Yoici, enfin, ceux que leur donne Madame Ida Pfeiffer ; nous croyons devoir d’autant plus les citer qu’elle met en relief des particularités qui nous semblent n’avoir pas été assez remar- quées par les partisans d’une origine malaisienne des Poly^ nésiens. « On fait, dit-elle (2), une différence entre les Malais et les Javanais : on prétend que ces derniers sont plus beaux que les Malais. Après en avoir vu un grand nombre, je dois avouer franchement que le peuple me paraît aussi laid qu’à Batavia. On vante leurs petites mains et leurs petits pieds : il est vrai, les Malais et les Javanais ont les mains et les pieds petits, mais la petitesse ne constitue pas à elle seule la beau- té (3). Les mains sont si maigres que l’on voit paraître toutes les articulations. Les bouts des doigts sont un peu tournés en dehors. Les pieds ne sont pas moins laids ; ils sont très- plats, et les doigts sont très écartés les uns des autres. » Ayant vu nous-même des Javanais et beaucoup de Malais, nous croyons pouvoir apprécier les descriptions précédentes en disant que celle de Stavorinus nous paraît devoir être (Il Voyage à la Cochinchine , Java , etc., par John Barrow, trad. par Maltebrun. — Paris, 1807. (2) Loc. cit ., p, 248. (3) L’auteur a connu Mmê Pfeiffer; il a remarqué qu’elle ne se chaussait, à Tahiti, que de souliers de soldat, et qu’elle n’était pas sans prétentions ; la réflexion de la célèbre voyageuse s’ex plique donc naturellement. L’important est quelle ait reconnu cette petitesse des pieds et des mains. 182 LES POLYNÉSIENS. préférée ; il faut toutefois y ajouter quelques observations et faire en même temps remarquer qu’il est chaque jour plus difficile aux Européens, par suite des mélanges considéra- bles qui se sont opérés, de retrouver les caractères du Java- nais pur sang. Nous adoptons donc la taille moyenne que leur attribue Stavorinus, ainsi que la couleur qu’il a appelée brun-clair ; celle-ci est tantôt moins, tantôt plus foncée que la couleur de certains Malais, et nous partageons la manière de voir de Thunberg sur la forme du nez qui est aplati et petit : de là probablement la cause de l’épithète de camus qu’on lui a appliquée. Pour nous aussi les lèvres sont assez épaisses et la lèvre supérieure un peu arquée ; la bouche est grande ; enfin le front est assez large, et les joues assez grosses. Quant aux yeux, nous les avons vus noirs, mais en l’absence de notes sur ce sujet, nous ne pouvons dire s’ils étaient peu ou plus enfoncés, ainsi que l’ont observé Thunberg et Stavo- rinus. Il est évident, du reste, que les yeux petits et en forme d’yeux chinois ne sont dus qu’à des croisements. En résumé, si Ton prend la moyenne des descriptions pré- cédentes et si Ton défalque les observations par trop contra- dictoires, et par cela même, probablement inexactes, voici quel est le résultat obtenu. Nous mettons en regard des Ma- lais et des Javanais les caractères anthropologiques des Poly- nésiens, afin que Ton puisse d’un coup d’œil juger de la dif- férence. LES POLYNESIENS 183 184 LES POLYNÉSIENS. On a vu plus haut que les Javanais ont les sourcils éloi- gnés des yeux et bien marqués et que l’expression de leur physionomie est douce, calme, pensive, mais mobile ; qu’en outre les femmes sont plus mal que les hommes, ce qui peut être dit aussi des femmes malaises. Enfin on a également vu que Mme Pfeifîer a trouvé les Malais et les Javanais aussi laids les uns que les autres, et qu’elle a insisté sur le peu de volume des pieds et des mains, mais surtout de celles-ci, tout en les trouvant trop maigres. Que prouve un pareil rapprochement, s’il est exact ? Deux choses importantes : d’abord — ce qui nous semble n’avoir pas été assez remarqué, — que l’ensemble des caractères phy- siques extérieurs des Malais et des Javanais est le même, avec cette seule différence, expliquée par la facilité des croi- sements chez les premiers, que ceux-ci présentent les nuances les plus diverses, mais en conservant tous les autres caractères originels. Ensuite qu’il y a, entre les Javanais et les Polynésiens, une différence radicale, puisque ces der- niers sont remarquables par la grandeur de leurs yeux, de leur taille, etc. D’où, si l’on tient compte de la petitesse des pieds et des mains des Malais et des Javanais, surtout de celle des mains qui ne se déforment point comme les pieds ; si, plus particulièrement encore, on tient compte des carac- tères crâniens, il faut absolument conclure que, actuellement du moins, les deux peuples diffèrent l’un de l'autre par leurs caractères physiques et que, par suite, il est impossible d’ad- mettre que l’un ait pu descendre directement de l’autre. Il n’y a pas, en effet, que les caractères extérieurs que nous venons dégrouper qui séparent les Polynésiens des Javanais ; les caractères crâniens eux-mêmes sont différents, surtout l’indice céphalique, qui range les premiers parmi les races dolichocéphales, tandis que les seconds appartiennent au type brachycéphale. Un fait toutefois qui semblerait contraster avec la ressem- blance extérieure que nous avons signalée entre les Malais et les Javanais, c’est que les crânes des uns et des autres of- frent quelques différences, les indices céphalique et nasal des Malais étant 79,02 et 50,29, tandis que ceux des Javanais LES POLYNÉSIENS. 185 atteignent 81,01 et 51,47. Mais cette différence n’a pas l’im- portance qu’on pourrait être disposé à lui accorder tout d’a- bord et, si notre opinion est fondée, elle ne serait due, chez les Malais, qu’à leur séparation des Javanais, avant que ceux-ci n’eussent pris les caractères crâniens qui les distinguent aujourd’hui. Pour nous, en effet, les Malais et les Javanais n’ont d’abord fait qu’un seul et même peuple, produit, à la fois, par le croisement du « peuple inconnu » de Crawfurd, ou autrement dit des Polynésiens, avec la race première occu- pante de l’île de Java et des autres îles de la Malaisie. Cette opi- nion est appuyée non-seulement par les caractères physiques mais aussi, comme on va le voir, par la linguistique. Il suffit, d’ailleurs, pour comprendre l’altération plus grande des in- dices céphalique et nasal chez les Javanais, de se rappeler qu’ils sont restés constamment en contact avec la race pri- mordiale de l’île, jusqu’à son extinction: ceci, d’un autre côté,, explique parfaitement ce fait, constaté par tous les ob- servateurs, que les Javanais sont plus bruns ou plus foncés que les Malais. On verra, du reste, plus loin, pourquoi nous admettons que les Malais descendent des Javanais, ou n’ont d’abord fait avec eux qu’un seul et même peuple. Après cela nous dirons que si l’on veut avoir une idée exacte d’un faciès javanais, c’est moins peut-être aux descriptions qu’il faut s’adresser qu’aux portraits qui en ont été faits, surtout dans ces dernières années et qu’on trouve particulièrement dans le bel ouvrage de Sir Raffles et Crawfurd sur Java. Cependant, comme les por- traits de cet ouvrage lui-même, sont loin de rendre toujours parfaitement les traits Javanais, nous signalerons ici ceux qui nous semblent vraiment dignes de quelque con- fiance. En première ligne, nous placerons le chef Javanais dans son costume ordinaire, et le Javanais de labasseclasse. Le portrait de la Rougg’eng est impossible par la figure, et il n’y a certainement pas de nez pareil parmi les purs Java- nais. 11 en est de même pour le Javanais en costume de cour, et pour le Javanais en costume de guerre : de même encore pour le fiancé et la femme javanaise de la basse classe. Il y a, croyons-nous, plus de ressemblance dans la fiancée 13. 186 LES POLYNÉSIENS. et l’habitant de Madura. On peut voir aussi, dans le livre de M. de Beauvoir sur Java (1), quelques portraits qui nous semblent fort exacts et qui rendent deux âges différents, tels que nous les avons aperçus nous-même il y a plus de qua- rante ans. Ces portraits sont ceux du sultan de Djokjokarta, du fils aîné du sultan de Sourakarta, et celui d’un lieutenant delà garde. Pas plus que nous ne l’avons fait pour les Polynésiens et les Malais, il n’est nécessaire de nous arrêter ici au ca- ractère inoral des Javanais. On les a dits paresseux et timides, fiers et insolents avec leurs inférieurs, rampants avec leurs supérieurs et avec ceux dont ils espèrent obtenir quelque fa- veur. Il faut bien reconnaître que, sous ce rapport, ils ressem- blent aux Polynésiens de certains archipels; maison sait que les peuples soumis à un long* despotisme se ressemblent tous sous ce rapport. Les observateurs modernes se montrent d’ailleurs plus équitables pour les Javanais : ils les repré- sentent comme actifs, laborieux, intelligents, mais avec l’es- prit rusé et vindicatif; ils ajoutent qu’ils sont polis, courti- sans, respectueux et de manières gracieuses, c’est-à-dire qu’ils ont tous les caractères moraux de la famille malai- sienne. Mais on en conviendra, cela n’aide.guère à découvrir à quelle famille ils appartiennent. Quoi qu’il en soit, il résulte de tout ce qui précède une différence fondamentale entre les Javanais et les Polynésiens. Nous allons examiner maintenant si la langue javanaise, que Crawfurd regarde comme la souche de tous les idiomes de la Malaisie et de la Polynésie, vient détruire ou corrobo- rer cette différence. (1) Ouv. cité, p. 102, 107, ]34. III CARACTÈRES LINGUISTIQUES. Langue Javanaise : Javan ancien ; Basa-Krama ; Javan vulgaire. — Les langages Javanais se rapprochent du Malai mais s’éloignent du Polynésien. — Le Javanais est une langue mélangée renfermant des racines polynésiennes. D’après Langlès» les Javanais ont une langue particulière, qui n’a pas la moindre [analogie avec le Malai vulgaire, ni même avec les idiomes des îles voisines, tandis, qu’il y a la plus grande affinité entre laplupart de ceux-ci et le Malai (1). Quoique très-simple, la langue javanaise est la plus arti- ficielle de toutes les langues des archipels indiens, le Taga- log excepté ; mais elle passe pour être la plus riche et la plus perfectionnée. Cependant, comme la langue malaie, elle a une grande abondance de mots pour les choses frivo- les et elle est très-pauvre, au contraire, en termes de science et de raisonnement. On reconnaît au moins deux sortes de langages javanais : L’un est parlé dans les états de Sourakarta et de Djokjokarta à Java même, et dans l’état de Palembang à Sumatra ; il est appelé Bhasa ou Basa-Krama, c’est-à-dire langage de cour, parce qu’il semble réservé à ceux qui en font partie ; l’autre est le Javan vulgaire ou moderne, parlé par la masse des populations des mêmes lieux et par un certain nombre de celles des îles voisines, telles que Bornéo, par exemple, où des colonies de Javans sont allées se fixer. Mais avant ce langage, il y en avait un autre qui, depuis longtemps, esttombé en désuétude, quoiqu’il soit encore par- lé à Bali, tout près de Java, où il est la langue de la religion et des lois. C’est ce langage qui était appelé Kawi ou Javan (1) Voyage de Thunherg , t. II, p, 292, et Mém. sur Batavia, t. III, p. 115, 138 ; Description de Bornéo , t, III, p. 366 à 460, etc. 188 ‘ LES POLYNÉSIENS. ancien efc dont quelques mots sont même encore usités au- jourd’hui à Java. Cette langue kawi était, avant l’introduction de l’islamisme, la langue de la littérature et de la religion dans une grande partie de Java et de Madura; elle n’y est plus aujourd’hui que celle de lapoésie et des mythes les plus anciens. On trouve qu’elle diffère du Javanais moderne, mais qu’elle lui ressemble cependant parla simplicité de sa construction. Elle a une plus grande quantité de sons et d’articulations et elle possède un plus grand nombre de mots sanskrits que les autres langues de l’archipel Indien. Y alentyn trouvait que le langage ancien du J avanais se com- posait aux trois-quarts de mots sanskrits, c’est-à-dire hindous et à cette occasion, il ajoutait (1) : « Il n’y a pas de doute que les Javanais aient visité les côtes de Malabar et de Co- romandel, carie langag’e de la cour est en grande partie dé- rivé du Sanskrit ou Brahmanique ; plusieurs mots malabars entrent dans sa composition, particulièrement les mots du Dekan, qui est l’ancienne langue vulgaire de l’Inde, de la même manière que le Sanskrit en est la langue sacrée. » Le Dr Leyden a trouvé, lui aussi, que le pur Javanais a les plus grands rapports avec le Sanskrit (2). Four sir Raffles, le Kawi n’était qu’un dialecte du Sanskrit dont les 9/10es des mots étaient dérivés de cette langue et s’y étaient conservés moins corrompus que dans le Pâli ; mais Crawfurd n’admettait pas qu’une langue étrangère se fût introduite dans l’île de Java avec un culte étranger; il ad- mettait seulement que le langage écrit et la religion avaient emprunté beaucoup de mots étrangers et que c’était là un des motifs de la différence existant entre le Kawi et le J avanais. On sait que Balbi, après avoir placé provisoirement le Kawi parmi les dialectes pâli, a fini par le classer, avec Burnouf fils, comme une langue sœur du Pâli, au lieu d’en (1) Valentyn, sur Amboine, collection de voyages aux Indes orientales. — 8 vol. in-f°. Amsterdam, 1724-172G. (2) Dr Leyden. Asiaîic researches , et notice sur Bornéo (Transac- tions bataves). LES POLYNÉSIENS. 189 faire un de ses dialectes ; c’est-à-dire que l’une et l’autre sont filles du Sanskrit, quoiqu’on ait regardé cette dernière langue comme sœur du Pâli. Le même écrivain dit que le Pâli (Maghadi), langue morte de- puis des siècles, diffère moins du Sanskrit que l’Italien du Latin et qu’elle est restée cependant la langue liturgique et littéraire à File de Ceylan et dans une grande partie de l’Indo-Chine. Cette langue pâli a la force, la richesse et l’harmonie du Sanskrit ; elle admet dans la conjugaison quelques verbes auxiliaires : ce qui aide à prouver qu’elle est plus moderne que le Sanskrit, qui n’en fait qu’un usage très-borné. Le Sanskrit, quoique langue morte elle-même, serait, di- sent les orientalistes, parlé en Chine sous le nom de Fan, par les prêtres bouddhistes. La comparaison des vocabulaires kawi, sanskrit et pâli démontre, du reste, de la manière la plus évidente, la grande affinité de ces trois langues entre elles. Le Kawi, plus que tout autre idiome, entre dans la formation du Basa-Krama, et l’on a trouvé que la plupart des anciennes inscriptions en pierre et en cuivre recueillies à Java, sont écrites dans cette langue. Son alphabet, formé d’après le Sanskrit, est composé de 20 consonnes qui s’accordent pour la prononciation avec les lettres malaises. 11 y a 6 voyelles qui ne sont que des signes orthographiques comme dans l’Arabe. Chaque voyelle se prononce avec une consonne et lui est tellement adhérente qu’elle paraît ne former qu’une seule lettre avec elle. Ajoutons, d’après Langlès encore, que l’écriture des Ja- vans se lit, comme celle des Européens et des Chingalais, de gauche à droite et que les Javanais modernes emploient aussi les lettres malaises, c’est-à-dire l’alphabet arabe, aug- menté de quelques points diacritiques pour exprimer des sons inconnus aux Arabes. Ainsi deux sortes de langages, au moins, existent à Java : le Basa-Krama ou Javan de cour, et le Javan vulgaire ou Javanais moderne. Les autres langages qu’on y rencontre, suivant les localités, ne sont regardés que comme des dialec- tes des deux précédents. 190 LES POLYNÉSIENS. § 1er Basa-Krama. — Le Basa-Krama est, dit-on, parlé dans toute sa pureté aux cours de Sourakarta et de Djokjo- karta dans File de Java, et à celle de Palembang dans l’île de Sumatra ; mais là il est mêlé de beaucoup de mots étran- gers. Ce langage se trouve formé par un grand nombre de mots empruntés au Sanskrit, par plusieurs pris au Kawi et au Malai, et par un quart environ dû au Javan vulgaire; mais ces derniers mots sont altérés par des terminaisons et par une prononciation différentes. Suivant quelques écrivains, le Basa-Krama est la langue qu’on emploie toutes les fois que l’on parle à son supérieur, lequel ne répond qu’en Javanais vulgaire. Tous les Javans savent cet idiome, disent-ils, parce qu’ils sont habitués à le parler dès 1 enfance quand ils adressent la parole à leur père, à leur mère et à leurs parents âgés : ce ne serait d’après cela qu’une langue de respect. Mais la plupart, au contraire, disent qu’elle est réservée à la cour, que c’est une langue qui semble n’avoir été faite que pour pouvoir parler sans être compris du vulgaire. On pourrait le croire, en effet, s’il est vrai que, quand un mot basa-krama est devenu usuel dans le Javan vulgaire, les Javanais remplacent ce mot par un nou- veau, tout différent. Ils disent encore que le désir de rendre la langue de cour différente du Javan vulgaire a été poussé si loin, qu’on est allé jusqu’à changer entièrement les noms propres des villes et des contrées. Ainsi l’ancien nom Solo a été remplacé par Sourakarta, etc. Quoi qu’il en soit, le Basa-Krama emploie un plus grand nombre de mots sanscrits et kawi que le Javanais vulgaire, et d’après Balbi, le Sunda, le Bali et le Madura cérémoniels ou de cour ne sont que trois dialectes du Basa-Krama, dont ils ne diffèrent que fort peu. Le Basa-Krama, conservé dans toute sa pureté par les grands, serait, suivant Crawfurd, la langue perdue qu’il a appelée le « Grand-Polynésien « ; mais beaucoup de raisons paraissent contraires à cette opinion. Il est certain, en effet, que si l’on se donne la peine de passer en revue les mots LES POLYNÉSIENS. 191 javanais cités par Langiès (1), on voit qu’il n’existe, que de fort rares analogies entre le Polynésien moderne et le Grand Polynésien de Crawfurd, autrement dit le Javanais ancien. Ainsi sur deux cents mots, on ne trouve guère que les sui- vants ayant quelques rapports lointains : Javanais. Maori. Tanguis Tang-i (2) . Pleurer, crier. Lourou Rua Deux . Lelou Toru Trois. Papat Wka Quatre. Lemo Rima Cinq. Minam .... Ono Six . Pety Wliitu Sept. Yolo Waru Huit. Sapoulo Ngaliuru . Dix Certes, un si petit nombre de mots, surtout quand on remarque qu’il n’y a pour ainsi dire de rapprochement qu’entre les noms de nombre, ne saurait permettre de conclure à la filiation des deux peuples ; ce serait même plutôt un témoignage contraire. Après l’examen des mêmes mots cités par Langiès, Balbi, de son côté, avait déjà conclu qu’ils étaient défavorables à la croyance que le Javanais venait de l’Inde. § 2. Javan vulgaire. — Le Javan vulgaire ou Java- nais moderne, est parlé dans les deux tiers de l’île, parti- culièrement à Sourakarta et à Djokjokarta, ainsi que par toutes les personnes bien élevées du Sunda et de Madura. Il a plusieurs dialectes : les principaux sont ceux de Sou- rakarta et de Djokjokarta, regardés comme les plus purs et dont la prononciation est brève, grave et accentuée ; puis le Tagal, parlé dans la province de ce nom, et remarquable par l’allongement extraordinaire de la prononciation de tous les mots ; le Samarang, dont la prononciation est (1) Voyage de Thunberg , 2e vol., p. 293. (2) Prononcez Tan’ gui, Roua, Torou, etc» 192 LES POLYNÉSIENS. brève, mais grave ; le Sourabaya, qui est mêlé de beaucoup de mots madurais ; etc. Comme le Basa-Kraina, le Javan vulgaire a une ortho- graphe fixe et des règles déterminées ; mais ces deux lan- gues, bien qu’elles aient une même grammaire, une même construction et plus d’un quart de la masse de leurs mots en commun, sont regardées, particulièrement par Balbi (1), comme deux langues tellement différentes, que ceux qui n’ont appris que l’une d’elles ne peuvent, paraît-il, com prendre l’autre. Elles s’éloignent l’une de l’autre par l’or- thographe, par les terminaisons des mots pommuns à tou- tes les deux, par les affirmations et les négations, par les pronoms, les prépositions, les particules, et par les verbes auxiliaires. Quant au Sunda, il est parlé dans la partie occi- dentale de Java, à Bantam, Batavia, Buitenzorg, Cheribon ; il n’a que 18 consonnes; le t et le d lui manquent. En outre, ce qui n’a jamais lieu en Javanais, plusieurs mots commencent par une voyelle, mais deux voyelles ne se sui- vent jamais. Nous ferons remarquer en passant que l’île de Madura, bien qu’elle ne soit qu’à deux milles de Java, a un langage qui, dit-on, diffère considérablement du Javanais ; ce langa- geest plus poli que le Sunda et on lui reconnaît deux dialec- tes principaux. On connaît à peine le Balinais que l’on dit être également parlé dans l’île de Lombok. Il en est de même, du reste, des langues de Sumbava, Florès, etc. Mais on peut pourtant en avoir une idée en consultant le tableau comparatif de toutes les langues malaisiennes dressé par Balbi dans son immense travail, ainsi que quelques-uns des tableaux que l’on trouvera dans ce chapitre . Comme terme de comparaison entre le Basa-Krama et le Javan vulgaire nous mettons en regard, à la fin du chapi- tre, la traduction en ces deux langues de la lettre citée par Langlès dans le voyage de Thunberg (2) ; nous y ajoutons la traduction de la même lettre en langage sunda, ainsi que (1) Ouvrage cité, Introd ., p. 49. 2) T. II, p. 308. LES POLYNÉSIENS. 193 l’analyse en langue malaie des différents mots qui la com- posent. En comparant le Basa-Krama, le Javanais ancien et le Sunda, on voit la différence qui les sépare et qui repose autant sur la dissemblance des sons que sur celle des mots employés. Mais cette différence n’est pas aussi grande qu’on l’a dit et qu’on l’a cru. Ces trois langues, en effet, emploient souvent des mots qui sont à peine modifiés : tels sont sirrat et sourat , lettre ; tabe, salut ; sontchi , pur, etc. ; et ces mots sont également ceux qu’emploient les Malais. L’analyse de ces langages montre que c’est avec la lan- gue malaie qu’ils ont le plus d’analogie, tandis que, au contraire, ils s’éloignent beaucoup du Polynésien, surtout par la terminaison des mots et par leur différence apparen- te. Déjà Buscbmann avait dit (1) : « La langue malaie et la langue javanaise offrent de grandes ressemblances entre elles et on pourrait, sauf quelques restrictions qui s’enten- dent d’elles-mêmes, les regarder comme une seule langue. » De son côté, Leyden pense (2) que le Tagal, le Malai, le Bugi et le Javanais sont des langues sœurs. On ne peut mettre en doute la ressemblance entre eux de beaucoup de mots Malais et Javanais ; cette ressemblance est même telle qu’il est permis de supposer non-seulement que le langage malai est bien moins éloigné du Javanais qu’on ne l’a dit, mais qu’il faisait même partie intégrante de ce der- nier avant de s’en séparer. Il n’aurait alors été lui-même qu’une portion de l’ancien Javan ou Grand-Polynésien, parlé autrefois à Java, d’après Crawfurd, et qui entre pour 50 pour 100 dans la langue malaie actuelle. Cela établirait que les rapports linguistiques entre les Malais et les Javanais ne sont pas moindres que les rapports anthropologiques. Il est donc, par cela seul, à peu près certain que Lun des deux peuples descend de l’autre ou qu’ils ont une origine com- mune. (1) Aperçu de la langue des Iles Marquises et de la langue Tahi- tienne, Berlin, 1843, p. 39. (2) Loc. cit ., p. 207. 194 LES POLYNÉSIENS. Si les trois langages javanais que nous venons de faire connaître diffèrent surtout du langagepolynésien actuel, il ne faut pas pourtant croire qu’il soit impossible d’y reconnaître des mots de la Polynésie ; les mots de cette contrée y sont au contraire assez nombreux, bien qu’avec une toute autre signification ; et, ce qui est à remarquer, c’e.st que ces mots appartiennent plus spécialement à la langue maori, la plu- part des archipels polynésiens ayant supprimé ou remplacé le k. Il serait même facile d’en découvrir un plus grand- nombre si l’on prenait la peine de dégager la racine de beaucoup d’autres de ce qu’on pourrait appeler leurs suffixes et leurs affixes. Nous avons vu dans un tableau précédent que le maori tangi et le javanais languis signifiaient l’un et l’autre pleu- rer, crier; et ce mot a été certainement déformé par les Malais qui disent nangue s, menangues. Rien qu’en nous bornant au texte de la lettre citée par Langlès (1), nous découvrons en outre un certain nombre de mots identiques en Maori et en Javanais, mais dont la signification n’est plus la même dans les deux langues : tels sont les mots ake , kata , puni , hiki, etc. Certes il est tout au moins re- marquable de rencontrer dans la langue javanaise des mots qui, presque certainement sont Polynésiens. Le mot javct , lui-même, si souvent écrit jawci , Icaoa , ne pourrait-il pas dériver du Maori la-wa , « ce pays s ? De même que les caractères anthropologiques montrent que les Javanais ne sont que des mécis, de même les carac- tères linguistiques viennent appuyer l’opinion que la lan- gue javanaise n’est elle-même qu’une langue mélangée et qu’elle renferme des racines polynésiennes qui peut-être en ont formé la base primitive. On pourrait même en inférer que c’est la langue maori qui a été la première introduite à Java et que c’est elle que parlait le «Peuple inconnu » de Crawfurd. Dans ce cas, il faut le reconnaître, le nom de Grand-Polynésien aurait été on ne peut plus heureusement appliqué au Javanais ancien. Mais tout ceci est purement (lj Tabl. p. 212, 213. LES POLYNÉSIENS. 195 conjectural et ne saurait porter la conviction clans l’esprit du lecteur. Quoi qu’il en soit, il est évident, d’après toutes les diffé- rences signalées entré le Polynésien et les langues malayo- javanaises, que Crawfurd a regardé à tort la langue java- naise comme la langue-mère à la fois du Polynésien et de tous les idiomes malais, Tout prouve bien certainement, ainsi qu’il l’a dit le premier, que les idiomes de la Malaisie et particulièrement le Malai ne sont que des dérivés du Javanais; mais tout prouve en même temps que la langue polynésienne ne peut pas plus dériver du Javanais que du Malai et qu’elle en aurait été plutôt la souche ; les mots, en effet, à part un nombre relativement petit, sont tout diffé- rents dans les deux langues et il n’y a vraiment quelque ressemblance que dans certaines parties de la gram- maire. Non-seulement le Malai dérive du Javanais, mais, à notre avis, il faisait même partie intégrante de cette lan- gue, ainsi que le prouve cette remarque de Crawfurd que le Malai moderne se compose de 50 parties sur 100 du Grand- Polynésien ou Javanais ancien. Nous pourrions même dire aujourd’hui que le Malai et le Javanais dérivent absolument de la même source, et que le premier est plus proche de la source, moins modifié que le second. Quant au Polynésien, c’est au contraire une langue toute spéciale qui, au lieu d’être portée de la Malaisie dans les îles polynésiennes, a bien probablement été apportée des îles polynésiennes en Malaisie ; elle semble même y être parlée encore dans cer- taines proportions par des populations différant sous tous les rapports des Malais et des Javanais. Bientôt nous parlerons de ces populations qui sont pres- que certainement cause de la confusion qui n’a cessé de ré- gner pendant longtemps dans tous les écrits concernant les habitants de la Malaisie. C’est à elles aujourd’hui qu’on attri- bue spécialement le peuplement de la Polynésie, tant on a trouvé difficile de l’expliquer par des migrations malaises et javanaises. Nous tâcherons de réfuter plus loin cette opi- nion ; nous nous bornerons à dire ici que ces populations 196 LES POLYNÉSIENS. sont considérées par les Javanais et les Malais comme bien plus anciennes qu’eux-mêmes en Malaisie. En résumé, d’après tout ce qui précède, pas plus que les Malais, les Javanais n’ont pu être les ancêtres des Polyné- siens. IV ORIGINE DES MALAIS. Les Malais ont formé, dès le principe, un seul peuple avec les Javanais : — Raisons militant en faveur de cette opinion. — Les Malais ne sont que des Javans expatriés. Nous allons maintenant rechercher quelle est l’origine des Malais. Nous ne pouvions aborder la solution de cette question avant de connaître les caractères distinctifs des Javanais. Comme on vient de le voir, les caractères extérieurs sont presque les mêmes : aussi en avons-nous conclu tout d’abordà unecommunauté d’origine des deuxpeuples ou toutau moins à la descendance presque certaine de l’un d’eux, de l’autre. En pesant toutes les données, nous avons acquis la convic- tion que c’est le peuple malai, contrairement à l’opinion gé- nérale, qui serait descendu des Javanais, si l’on ne voulait pas admettre qu’ils n’ont d’abord fait qu’un seul peuple. R. P. Lesson avait déjà dit, sans s’y arrêter, que les Javanais lui paraissaient être la souche malaise la plus ancienne. Nous ne rappellerons pas ici toutes les raisons historiques, anthropologiques ou autres que nous avons présentées depuis le commencement de cette étude, et qui nous ont conduit à cette conclusion ; mais nous croyons qu’on aura été frappé, comme nous, de leur signification, de même qu’on le serapro- bablement de celle des raisons qu’il nous reste à donner. Pour nous donc, au lieu de venir de l’Inde, de Sumatra ou d’ailleurs, ainsi qu’on l’a dit, les Malais ne sont que des Java- nais, Javanais probablement habitants des côtes et déjà plus ou moins habitués à la navigation. 198 LES POLYNÉSIENS. Yoici les principales raisons qui militent en faveur de cette opinion : 1° Les caractères physiques des Malais, excepté ceux du crâne, ne diffèrent pas tellement de ceux des Javanais qu’on ne puisse y reconnaître au contraire les plus grands rap- ports ; 2° Il est certain que c’est aux anciens Javanais que les Ma- lais ont emprunté leurs oudang-oudang ou lois et coutumes, et presque certainement leurs codes maritimes, puisque l’ac- tion des doctrines de l’Inde est à peine marquée dans les pre- mières, et nulle dans les seconds ; 3° C’est en outre à la littérature javanaise qu’ils ont em- prunté, soit comme imitation ou traduction, soit comme fond, le sujet de leurs poèmes et de leurs romans, ainsi que l’a prouvé Dulaurier ; 4° S’ils ont emprunté à trois sources différentes au moins : le Javanais, le Tamoul et l’Arabe, comme on le reconnaît, c’est la première qui est la plus pure et la plus abondante. 5° Crawfurd a démontré cette abondance en trouvant, comme on a vu, dans la langue malaie, 50 mots sur 100 pro- venant du Javanais ancien ou Grand Polynésien, tandis qu’il n’y en a que 27, de ce qu’il appelle langue malaie primitive, 16 du Sanskrit, 5 de l’Arabe, et qu’il n’y a que deux centiè- mes seulement du Télinga, et des langues portugaise, hol- landaise et anglaise ; 6° Ce qui montre que le Javanais doit plutôt être considéré comme la souche du Malai, que le Malai comme la souche du Javanais, — ainsi qu’on le croit encore généralement, mal- gré les immenses recherches du savant anglais, — c’est que souvent, dans les mots communs aux deux langues, on ne rencontre le sens figuré d’une parole que dans le Malai; sou- vent aussi le mot malai, qui paraît au premier abord un mot simple, se trouve être en Javanais un mot composé dont chaque élément n’existe pas dans l’autre idiome. Enfin, on rencon- tre parfois dans le Malai, des mots composés de racines ja- vanaises et sanskrites : ce qui prouve que les mots sont pas- sés du Javanais au Malai ; 7° Tous les philologues, excepté pourtant de Rienzi qui LES POLYNÉSIENS. 199 ne connaissait pas pins le Malai que le Javanais et le Poly- nésien, ont reconnu que la langue rnalaie est inférieure à la langue javanaise, qui est, au contraire, la plus riche et la plus perfectionnée. On a vu, en effet, que la langue ma- laie n’est pas aussi riche que les autres langues orientales en expressions figurées et que rien ne dénote en elle une an- tique culture ; 8° Quand on dit que la langue malaie paraît provenir du langage primitif des peuples malais, hase du Polynésien et du Sanskrit, c’est, comme l’a montré Crawfurd, ne faire al- lusion qu’au Javanais ancien ; 9° Les vingt consonnes de l’alphabet malais s’accordent, pour la prononciation, avec les lettres de l’alphabet javanais ancien ou kawi ; 10° Quand on dit que le Basa-Krama est formé d’un grand nombre de mots empruntés au Sanskrit, d’un quart environ au Javanais vulgaire, et de plusieurs pris au Malai, on mon- tre que ce dernier devait être bien proche de la langue pri- mitive et devait en faire pour ainsi dire partie, puis qu’on l’a conservé dans la langue qui semble n’avoir été inventée que dans le but de n’être pas compris du peuple, ou de témoigner son respect aux supérieurs ; 11° Il est démontré que le Malayou n’est pas un dialecte arabe, comme le croyait Thunberg, et pas davantage une langue mère, aussi étendue qu’abondante, comme le disait Forster, qui croyait à tort que les Malais avaient porté leur langue jusque dans les îles Carolines, les Mariannes et les Pelew, où, nous le ferons voir, cette langue était inconnue ; 12° Il est certain aussi que la langue malaie ne doit ses changements qu’à l’adoption faite par elle des caractères arabes : ce qui l’a fait différer du Javanais dans la manière d’écrire. On sait en effet que seule, avec celle de Soulou dans les îles malaises, elle s’écrit de droite à gauche, comme le font les Arabes ; tous les autres peuples de l’archipel écri- vent la leur de g’auche à droite comme les Européens ; 13° Le nom Jawi est, comme on l’a vu, celui que les Ma- lais donnent à leur langue écrite : ce nom est pour ainsi dire l’estampille de son lieu d’origine ; 200 LES POLYNÉSIENS. 14e Ce qui nous fait croire* enfin, que les Malais n’étaient que des Javanais mécontents, s’éloignant de leur pays d’o- rigine pour être plus libres, c’est que ce furent eux qui, les premiers, embrassèrent le mahométisme avec le plus d’ar- deur et en un temps très court. La nouvelle loi religieuse, ainsi que Fa fait observer Dulaurier, leur donna ce qui leur avait manqué jusque-là, l’unité nationale comme Malais. Sans doute une différence indéniable est trouvée aujour- d’hui entre les caractères crâniens des deux peuples ; mais, comme on a vu, cette différence n’est d’abord pas énorme, et elle s’explique facilement, soit qu’on l’attribue, avec M. Broca, à ce que les Javanais ont été plus longtemps que les Malais en contact avec la race noire inférieure, pre- mière occupante de Java, soit qu’on admette, après la sépa- ration des Malais, que les Javanais ont subi le métissage de populations Mongoles ou seulement Indo-Chinoises. Les Malais ne sont, en un mot, suivant nous, que des Javans fuyant leur pays, à cause du despotisme de leurs chefs et afin d’éviter de perdre par la violence le fruit de leur travail. Stavorinus, en effet, apprend (1) que les Javans n’a- vaient même pas la jouissance de ce qui leur restait, après avoir fourni la quotité que leurs avides maîtres les forçaient de livrer, et qu’ils étaient contraints de leur céder le reste à vil prix. Ils étaient donc bien probablement des Javans vulgai- res, et plus particulièrement ceux qui occupaient le littoral ; par conséquent ils étaient déjà habitués à la navigation et ils devaient avoir des idées tout antres que celles des Javans de l’intérieur, par suite de leur contact avec les divers peu- ples qui venaient trafiquer chez eux, ou chez lesquels ils allaient eux-mêmes : les Javans passent, en effet, pour avoir les premiers colonisé les Moluques ; ils ont envoyé des co- lonies à Bornéo et, parait-il, à Malacca. Inutile après cela de dire que, depuis leur séparation, les Malais se sont croisés avec diverses populations, et qu’ils ont pris à chacune d’elles quelques caractères particuliers exté- rieurs, tout en conservant cependant leurs caractères dis- (1) Loc, cît t. II, p. 272. LES POLYNÉSIENS. 201 tinctifs principaux. C’est ce qui explique si bien le peu d’homogénéité qu’on a fini par reconnaître dans cette pré- tendue race malaise ainsi que l’appelle Balbi. En somme, tout ce que nous avons dit semble indiquer que les Malais ne sont bien que des métis, comme on s’ac- corde généralement à le dire aujourd’hui ou une race mixte comme l’appelle M. de Quatrefages. C’est donc avec raison, à notre avis, que le savant auteur de « V Année Géographique regarde lui-même la race malaise comme une race mixte, une race hybride ; seulement nous différons de manière de voir quand il place dans les îles de l’Asie orientale le ber- ceau des populations jaunes qui ont contribué à la forma- tion des Malais : ces populations ne sont pour nous, comme nous le ferons voir bientôt, que les descendants des Polyné- siens au lieu d’en être les ancêtres, ainsi que le croit M. Vi- vien de St-Martin. Ce n’est pas avec moins de raison non plus que M. Broca disait, dans ses « Recherches sur l’indice nasal (1) » : « Depuis qu’on connaît l’histoire des migrations polynésiennes, il est devenu fort probable qu’il existe une certaine parenté, au moins indirecte, entre les Polynésiens et les Malais. » Mais, tout en admettant avec lui et avec M. Vivien de St-Martin que les deux races datent d’un temps fort ancien, nous ne croyons pas avec eux que les Malaisiens aient quitté la Malaisie pour aller s’établir sur les îles dé- sertes de la Polynésie ; nous croyons, au contraire, que ce sont les Polynésiens qui sont allés en Malaisie. Quoi qu’il en soit, nous ne terminerons pas sans faire re- marquer que déjà Virey (2) s’était demandé si les Malais ne seraient pas « une lignée bâtarde de mulâtres indiens, pro- pagée, multipliée par le temps, enfin perpétuée aujourd’hui d’elle-même. » C’est certainement une lignée bâtarde d’après tout ce que nous venons de dire ; mais peut-être Virey n’é- tait-il pas si éloigné de la vérité qu’on pourrait le croire, quand il regardait les mulâtres indiens comme ayant con- tribué à leur formation, car on va voir que les Indiens bruns ont pu et dû fournir quelque chose aux caractères javanais. (1) Revue d' Anthropologie, 1872, p. 23. (2) Dict. des Sciences Médicales , art. Homme, p. 252. 14 Y. ORIGINE DES JAVANAIS. Les Javanais sont des métis formés par le croisement des émigrants Po- lynésiens avec une race noire autochthone et d’autres races jaunes asiatiques. — Existence d’une race noire première occupante de Java- — Peuple inconnu. — Races asiatiques. — Siamois. — Tableaux lin- guistiques. Les Javanais, de même que les Malais, sont, suivant nous, des métis dus au croisement des Malaisiens, ou émigrants polynésiens, d’abord avec quelque race noire première occupante de Java, puis avec des Indiens, des Indo-Chinois, et peut-être des Chinois. Il est bien probable, en effet, que Java n’a pas seule fait exception et que, comme les autres îles de la Malaisie, elle a dû avoir une population noire primitive. On sait que Log*an (1) s’est appuyé sur l’existence de haches en pierres trouvées à Java et sur des ressemblances de lang*ag*a pour défendre son opinion que les plus anciens habitants de cette île étaient d’origine afri- caine ou indo-africaine. De son côté M. de Quatrefag-es, dans son étude sur les Négritos (2), dit qu’il ne voit guère que Java où l’on n’ait pas encore signalé des restes de po- pulation négrito ; mais qu’on y a trouvé de nombreux ins- truments en pierre attribués par les savants hollandais aux premiers habitants ; et plus loin il ajoute: « En tenant compte de la distribution actuelle de ce qui reste des popu- lations négritos, il est difficile de ne pas penser que cette (1) Journal of the Indian archipelago and easlern Asia. Sing*a- pore, 2 vol. in-18, 1847-1848. (2) Rev. d'anthropologie, 1872, p. 238«243. LES POLYNÉSIENS. 203 race a occupé autrefois jusqu’aux îles, où l’on n’en retrouve plus les traces, comme Java. En voyant les Samangs à Malacca et les Négritos malais depuis Florès jusqu’à la Nouvelle-Guinée, on comprendrait bien difficilement com- ment les terres qui forment les premiers anneaux de cette chaîne, n’auraient pas eu, elles aussi, leurs habitants né- gritos. » Nous avons vu, en parlant des Négritos en générai, que le professeur Siglolo constatait que ces populations négroïdes avaient laissé des traces à Java. Le mémoire qu’il a consa- cré à ce sujet est accompagné de photographies représen- tant de face et de profil un Kalang de Java. En outre, à la suite de ces photographies, une note du commandeur Musschenbroeck confirme l’opinion que les Kalangs seraient les autochthones de Java. Suivant une tradition, ils avaient autrefois une queue ; dans le passé, ils étaient relégués en Campong (villages) à part, et le plus grand nombre d’entre eux étaient des ouvriers (1). Nous ajouterons en outre que Java, à une époque fort reculée, était appelée Tâna ; ce nom, tout mélanésien, est celui d’une des îles Hébrides. Il signifie encore aujourd’hui, en Malai comme en Javan vulgaire, « contrée, terre cultivée ou non. » L’existence de ce mot est certainement l’indice de la présence, dès le principe, d’une race noire à Java. Il est évident, en effet, qu’il n’a pu être fourni que par un peuple premier occupant, et probablement par celui-là même qui a contribué à former les Javanais et les Malais, puisque ces derniers l’ont conservé dans leur langue. Tous les auteurs qui ont signalé l’existence d’une race noire primordiale, aussi bien dans les petites que dans les grandes îles de la Malaisie, ne disent absolument rien de cette race comme première occupante de Java. De Rienzi, qui parle si longuement de la race noire de Bornéo, de Sumatra, de Mindanao, l’indique pourtant à Java, mais sans s’y arrêter, dans l’énumération qu’il fait des îles habitées par elle. On dirait vraiment que, pour eux, les Javanais ont tou- (1) Rev. d'anthropologie , 1878, p, 132. 204 LES POLYNÉSIENS. jours été ce qu’ils sont aujourd’hui, qu’ils sont pour ainsi di- re autochthones ou seulement les descendants directs des Indiens, et que la race noire n’a jamais occupé Java. Excepté Balbi, qui ne l’a mentionnée qu’au point de vue linguisti- que, pas un de ces auteurs n’a tenu compte de la remarque de Crawfurd d’après lequel le « peuple inconnu », arrivé le premier à Java, en venant d’une direction opposée à celle dans laquelle est l’Asie relativement à cette île, y trouva une population primitive. Un croisement avec une race noire brachycéphale pre- mière occupante explique mieux que tout autre certains caractères anthropologiques, particuliers aux Malais et aux Javanais, tels que la petitesse de leurs pieds et de leurs mains, la couleur de leur peau, et surtout la forme de leur tête. Mais il faut reconnaître qu’ après ce premier croise- ment, d’autres ont dû nécessairement avoir lieu, durant un long espace de temps, pour créer les Javanais tels qu’ils sont aujourd’hui et pour absorber non-seulement une grande partie des caractères polynésiens, mais surtout la chevelure crépue ou laineuse propre à la race noire et qui ne se trouve plus chez les Javanais. Nulle autre origine n’explique mieux que celle-là l’exis- tence, chez les Javanais, de caractères aussi distincts de ceux des Polynésiens, malgré la part que nous croyons avoir été prise par ces derniers à leur formation ; nulle ne fait mieux comprendre les différences qui, jusqu’à ce jour, semblaient avoir empêché de classer exactement les Malais et les Java- nais, et il est même difficile de se rendre compte des carac- tères de ceux-ci sans une pareille origine première. Avec cette origine, au contraire, on s’explique non-seulement la couleur plus foncée de la peau, la petitesse des pieds et des mains, celle des yeux relativement, parfois l’étroitesse du front, la taille généralement plus petite que grande des Javanais et des Malais, mais surtout la brachycéphalie de leurs crânes, ainsi que le prognathisme considérable, 69°5, que leur ont reconnu les anthropologistes, particulièrement Messieurs Pruner-bey, Broca et Topinard. Quelques écrivains ont émis l’opinion que les Javanais LES POLYNÉSIENS. 205 sont le produit du métissage des Hindous avec une autre race qu’ils ne désignent pas, et ils reconnaissent par là qu’ils n’auraient pu être produits avec le temps par les seuls Indiens. Plus récemment, Shortland a attribué la formation des Javanais et des Malais au croisement des premiers occu- pants de Java avec des colonies de Siam et d’Ava (1). Certes, on ne peut nier que certaines analogies ne soient grandes entre ces différents peuples: ainsi, d’après Mouhot (2), les Siamois ont presque tous le nez un peu camard, les pom- mettes saillantes, l’œil terne et sans intelligence, les narines élargies, la bouche très-fendue, les cheveux noirs, rudes, plus fins chez les femmes, etc. Mais ce croisement n’est guère admissible, puisqu’il se serait passé à une époque peu reculée. îUn pareil métissage d’ailleurs, est lui-même insuffisant pour expliquer certains caractères anthropolo- giques des Javanais et il faut nécessairement en supposer d’autres. Il est bien certain qu’après avoir dominé pendant tant de siècles sur Java, les Indiens ont dû modifier consi- dérablement la population et la rapprocher de leur type tant physique que moral. On sait, du reste, qu’ils ont laissé dans cette île plus de traces qu’aucun des autres peuples qui sont allés s’y fixer également, tels que les Arabes, les Chi- nois et les Indo-Chinois. Mais ce ne sont pas les Indiens qui auraient pu donner aux Javanais leur petit nez, leur front généralement large, leur visage équarri et la séche- resse générale de leur constitution ; ce n’est pas eux non plus qui auraient pu leur donner leurs caractères crâniens : ce à quoi ils ont pu contribuer, c’est à la nature de leurs che- veux et à la couleur de leur peau. Dès lors il faut admettre, pour expliquer les différences qui séparent les Javanais aussi bien des Polynésiens que des Indiens eux-mêmes, que d’autres croisements ont été nécessaires. Si donc nous avons supposé qu’un premier croisement a eu (1) Traditions, p. 49. (2) Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge , de Laos , p. 11. 208 LES POLYNÉSIENS. lieu entre une race noire, première occupante de Java, et le « peuple inconnu, » pour nous d’origine polynésienne, que Crawfurd a prouvé, à l’aide de la linguistique et de la tradi- tion, avoir précédé l’arrivée des émigrants de l’Inde à Java, c’est que plusieurs des caractères javanais, tels que la couleur de la peau, la petitesse des yeux, des mains et des pieds, et surtout la forme de la tête, ne s’expliquent que par un pareil croisement. Mais évidemment l’influence indienne aurait suffi plus tard pour ramener la chevelure des métis, sortis de la race noire et des Polynésiens, à la nature de celle de ces derniers qui l’ont toujours droite et lisse de même que les Javanais et les Malais actuels. Peut-être enfin pourrait-on attribuer la forme et la petitesse du nez à quel- que croisement avec la race sinique, de même que l’on peut, sans crainte de se tromper, attribuer aux Chinois l’obliquité des yeux que quelques écrivains ont regardée à tort comme un des caractères javanais : on ne rencontre, en effet, cette obliquité qu’isolément et non chez tous les Javanais. Après cela, il n’est pas douteux que des croisements plus ou moins nombreux se sont opérés avant que les Javanais eussent acquis les caractères qu’on leur connaît aujourd’hui ; et nous ajouterons que si les Javanais paraissent plus homo- gènes que les Malais actuels, beaucoup ne diffèrent pas moins entre eux par certains caractères prédominants de race. Pour en donner une idée, nous citerons particulière- ment le fils aîné du sultan de Sourakarta représenté dans l’ouvrage de M. de Beauvoir (1) : il montre, à notre avis, la prédominance de la race indienne par l’expression du visage et des yeux et par la forme du front, mais celle de races différentes, au contraire, par le nez, les lèvres, les oreil- les, etc. En somme, plusieurs races et, suivant nous, au moins trois, auraient été nécessaires pour former la famille java- no-malaise type. Les bases de cette famille auraient été : d’une part, la race noire première occupante de Java ; et, de l’autre, le a peuple inconnu » de Crawfurd, ou autre- (1) Java, p. 107. LES POLYNÉSIENS. 207 ment dit, un groupe d’émigrants polynésiens plutôt que mélanésiens, ainsi que nous le démontrerons lorsque nous ferons l’exposé de l’opinion du savant an gdais. Mais il faut le reconnaître, ces bases auraient elles-mêmes bien peu résisté aux croisements qui seraient devenus nécessaires pour créer les Javanais et les Malais, et elles auraient été en grande partie absorbées par les autres races, car jusqu’à la langue du « peuple inconnu » semblerait avoir disparu de Java. Néanmoins, les diverses traces que nous en avons signalées sont suffisantes pour qu’on la devine et, chose à remarquer, pour qu’on y reconnaisse les mots de l’une des plus grandes îles de l’Océan Pacifique, de la Nouvelle-Zélande. A cette occasion, nous ajouterons que nous ne croyons pas, avec Crawfurd, que le langage primitif de son « peu- ple inconnu » fût ce qu’il appelle l’ancien Javan. Pour nous, l’ancien Javan a été formé sur les lieux mêmes par les pre- miers envahisseurs venant de l’Inde ; il a été modifié plus tard, mais il n’était que l’ente faite par eux sur la langue du peuple inconnu. Celle-ci, au contraire, était la langue polynésienne, probablement mêlée à celle de la race noire primitive, ainsi que l’attestent les mots polynésiens trouvés dans la langue malaie et qui, sans doute, avaient été adop- tés alors que cette langue malaie n’était qu’une partie de la langue javanaise, de même que les Malais, eux aussi, n’é- taient, dans le principe, que des Javanais. Il en résulte que la langue malaie devait être celle qui était parlée par le peuple javano-malais au début de sa formation. Plus tard quand les Javano-Malais du centre se transformèrent au contact des Hindous et prirent leurs habitudes despotiques, le peuple du littoral, forcé de s’éloigner de Java et de consti- tuer la nationalité malaise, conserva son langage primitif et l’emporta avec lui. C’est ce qui explique parfaitement pourquoi un plus grand nombre de mots polynésiens ses trouve dans le Malai plutôt que dans le Javanais. Nous préférons cette origine hypothétique à toutes celles qui ont été proposées jusqu’à ce jour, parce que seule elle est appuyée sur un fait traditionnel que viennent corro- borer toutes les autres données, aussi bien celles que nous 208 LES POLYNÉSIENS. fournirons par la suite que celles dues aux savantes recher- ches de Crawfurd et de plusieurs autres écrivains qui, le plus souvent il est vrai, les fournissent à leur insu. Les Siamois sont la seule race qui, à la rigueur, aurait pu pro- duire les Javanais sans croisement: il est certain que. la ressemblance est grande entre ces deux peuples, si l’on en juge d’après les descriptions qui ont été données des pre- miers par Mouhot et par M. de Rosny, entre autres. Mais cette supposition nous semble avoir été faite sans fonde- ment, puisque les Siamois ne sont qu’un peuple moderne comparativement aux anciens Javans (1), et qu’ils sont arrivés dans la presqu’île trangangétique sous la forme d’un courant de barbares venus soit du Nord ou de l’Ouest, soit du Sud. Il serait même plus rationnel, ainsi que nous essaierons de l’établir à la fin de cet ouvrage, de regarder les Siamois plutôt comme les descendants que comme les ancêtres des Javanais, et d’en faire des colonies Javano- Malaises émigrant, à des époques dont le souvenir n’est peut-être pas encore perdu, vers le Cambodge et vers Siam pour se croiser ensuite soit avec des émigrants de l’Inde, soit avec les peuples habitant déjà les presqu’îles de l’Indo- Chine et de Malacca. (1) Cons. les ouvrages.de monseigneur Pallegoix, et de M. A. Grehan, consul de Siam à Paris. TABLEAU LINGUISTIQUE COMPARATIF LES POLYNESIENS 209 © Z P5 o < *3 g H ►s fe < S < fl i œ ■< n w fl *— i << O A E3 > œ i— » < S3 -< > »-9 * < VA O <1 fl H d fl O S fl 5JD a p fl P! fl P £ fl fl P P fl d g c3 f-i fl > fl t-i fl > a fl +3 fl CO fl É fl m fl £ fl fl fl fl î> » fH fl fl fl o P fl fl fl a a a a s a a A w CD +3 fl fl &JD £ .21 PQ œ 73 f-i <1 02 co A4 fl P fl a &c fl o S fl fl .S fl "fl œ O P fl 73 A4 fl fl fl fl 73 CD Çk fl fl ï> fl P &o «S fl Éï m fl "fl rfl © H fl ■§ E-t « 0*k kQ fl Eh fl œ A4 fl CL 72 SS O CD M V. eu r*-* I a .o CD a <3 CD .<-0 O, o Nota. — Remarquer l’analogie du mot oiseau eu Javan vulgaire» eu Maori et en Fijiea. 210 LES POLYNESIENS TABLEAU LINGUISTIQUE COMPARATIF LES POLYNESIENS 211 212 LES POLYNÉSIENS. COMPARAISON DU BASA-KRAMA, DU J AV AN, DU SUNDA ET DU MALAI. LETTRE DU SULTAN DE SOURAKARTA A VAN RIEMLDYK. Texte Français. « Cette lettre part d’un cœur pur et sincère, et est écrite « avec de nombreux saluts par Sousouhounang Pacouboua- « na, Senapatty Ingalaga, Ab’doul Rbabman, Sandjidin, « Panata gama (1), qui tient sa cour à Souracarta hadi- « mingrat, à son grand-père le sieur Jeremias Van Riemldyk « gournadour général, et à messieurs les conseillers de « l’Inde hollandaise, résidents à Batavia, qui possèdent hau- te torité sur tous les domaines de la compagnie, sur terre, a dessus et dessous le vent, sur l’eau et sur la terre, et à « qui l’on souhaite santé, longue vie et toute espèce de « bonheur et de prospérité dans le monde. Langage cle la Cour ou Basa-Krama. Pounika hingkang sirrat mios saking manakh kang soutchi hining serta hing-kang tabé ha kattah kattah saking kandjing Sousouhounang Pacoubouana Senapatty Ingalaga Abdoul Rahhman Sandjidin Panatagamahinkang' (1) Sousouhounang signifie monarque qui règne seul. Pacoubouana , clou du monde. Senapatty ingalaga , commandant en chef de toutes les armées. Abdul Rhhaman , esclave du Dieu de miséricorde. Sandjidin , roi souverain. Panatagama , prince des vrais croyants. Extrait du 2e volume, p. 303, des Voyages de Thunberg au Japon, traduits et rédigés par L. Langlès, 1796, Paris. LES POLYNÉSIENS. 213 lia kadatou hing nag*ari Souracarta liadiningrat kahatoura doumatang hing* kang heyang kandjing Touvan Jeremias Yan Riemsdyk gournadour Djindraal, serta datang para Touvan-Touvan Raad van India sadaya hing- king* hapalanga hing* nagari Batavia hing* kang* ka parentali sakattah hing* vadya bala compania hing* nagari attas an- guing hin g-lahoutan mivali hing- davatan hing* kang* mougui pinakosna hinkang djoussra salamattour kasarasan hing'dalam dounia pouniki. Langage Javan vulgaire . Hiki kang* sourat mittou saking* liiklas ati kang* soutchi lianing* lan kang* tabe aké-aké saking* kang*djing* Sousou- liounang* Pacoubouana Senapatty Ing-alag-a Abdoul Rahh- man Sadjidin Panata g*ama kang* aling*ui hing* nagaraSoura- karta hidiningrat marin g* kandjing* Jeremias Yan Riemsdyk g*ournadour Djindraal, lan para Raad van India kabekli kang*along*ob hingnagara Batavia kang* aparentah sakabeh vong* compania hing*nag*ara attas anguin laning* bavah an- guin,hing lahoutang lan liing darattan lan mougni pinand- jang nakang houmour salamat tour kavarassang hingyoro hing dounia iki. Langage de Sunda ou des Montagnes . Hiyoul kang sourat bidjil tina liiklas ate kang soutchi herang reh jing kang tabé redjah redjah tiang yang Sou- souhounang Pacoubouana Senapatty Hingalaga A’bdoul Rahhman Sadjidin Panatagania noud jiok dinagara Soura- carta datang ka kaudjing touvan Jeremias Yan Riemsdyk gournadour Djindraal rehjing para Raad van India kakabé kang, noudyouk dinagara Batavia nouma rentah sarya hing djalma compania dinagara Loukhour anguin rehdjing di na- gara handap anguin dinalahout redhguing di darat nou- pinaudjang koun gnia houmour rehdjing slamat rehd- jing tchagour di dougnia hyoukh. 214 LES POLYNESIENS. LANGUE Ce, cet Ini, itou. Lettre Sourat. Partir Pergui, berlayar. Cœur Hati. Pur Soutchi. Sincère Soutchi, betoul. Etre Ada, soudah. Ecrire Touliss. Beaucoup .... JBaniak. Avec Sama. Salut Tabe, sambah. Par » Dengann, oleh. Prince Poutra, pangueran. A. . . * Ka, kapada, puda. Cour Padjelarann. Monsieur Touann . Gouverneur. . . Gournador. Hollandais . . . Ollanda. Résider Tin gai. MAL AIE. Posséder Mempouniaï, beroleh. Qui Yang, siapa, sapa. Autorité ..... Paprenta. Sur Atas. Tout Samoïnia, saïnona. Terre Dounia. Dessus Atas. Dessous Di-Bavoua. . Vent Anguinn. Eau Ayer-aer. Souhaiter .... Hendak. INiaman. Senangam. Salamàt. Vie Idopann. Bonheur Ber-Outong. Dans Dalam . Monde ....... Douma . TABLEAU LINGUISTIQUE COMPARATIF N° 4. Agile, prompt A nneau (petit) Forêt | Augmenter, ajouter . . . Descendre Changer Voir clairement Bannière; pavillon. . . . Expression d’étonnem. Marque du génitif . . . . Grand Gain Compagnon ; camarade Limite Os Beau , bienfait Bon Boisson ; nourriture ; pension alimentaire . Champ , vallon Masser Feu Hameçon Demain Sésame Non . Sage-femme Fustiger ; frapper Javan (Thunberg). Akas. Aliali. Alas . Imb ah. Anouron . Ouzop. Avar. Aoulor aoulor, Ayou. Ing. Agong. Bâti. Bator. Batas. Balong. Bagos. Bydjig. Balator. Binting. Bourot. Brama. Bourang. Bendjing. Bidjan. Bottin. Biang. Taboq. Malai (Boze). Radjin. Founda. Houtan, rimba remeb. Tamba. Tourounn. Ganti-toucar, alé. Liât. Paudjipaudji ; Chinois. Taugkil ; Chrétiens . Beçar ; Tingui. Outong’ann. Taman ; Kout : Kahouann Pringan; hinga. Toutang. Kamiii ; Bagous; Elok. Baïk . Minomann . Beudang. Pidiet. Api. Pantching. Bessok ; Essok. Lang. Boucann ; Trada; Tida. Bidan . Poukoul. LES POLYNESIENS. 215 TABLEAU LINGUISTIQUE COMPARATIF N° 4 {Suite). Eau Pleurer . . « Le col. . Chasser ; repousser . . . Marcher Parceque . Ecrire ; peindre ...... Monter à cheval. Tache aux habits . .... Un homme. . . . . Jaune Orge ................. Som ; inquiétude . ..... Menton Médecin Maison . Glaive ; épée Village ; hameau La nuit Crapaud . . Doucement Marais ; étang ....... Petit ruisseau ........ Venir Terrain sablonneux ... Le jour Cheveux, crin. ... Pierre ................ Le vent Chien Sommeil A nnée La mer .............. Je ne venx pas La mort . . .......... . Ceinture d’hommes.... Tout Le cernée ............. A llaiter un enfant .... Rassasié ............. Dormir « ...... Corps humain Fils Mois Se rappeler Vieux Cri violent Modeste Agréable, charmant... Bain , , Fort , courageux Javan (Thunberg). Tepahanga, Vari tirta. Tanguis. Tinguek, Djanga. Toudong. Toumaris, tindang. TagaL Toulis. Tonggang. Tolouto. Djallar. Djinnie. Djava . Djanang. Djangout. Doukon. Dalem ; Vilfama. Douhong ; Douvoung. Disa ; Dousoun . Dalou. Douggang. Dipounares. Rava. Rasoukan . Raough ; Raoung. Ravan . Rentem siam. Rima ; Rambout. Sela. Samiranan ; Satiran. Sigavon ; Tchamira. Sari ; Nendra ; Kilim. Savarsa. Sagantin. Samoudra. Sida, peddah. Sabaq. Saban. Sikout. Sapy. Sampong touvouug. Satourou. Secta. Sarira. Sourya. Sasi ; Tchandia. Samang. Sippoul Yiddrab. Samanggop. Sandou. Soudi. Siram. Soura. Malai (Boze). Ayer-aer. Nang’es ; Menang’ès. Léher ; 1er. Oussir. Badjalan ; djalankann. Sebab ; dari apa. Touiiss. » Tauda. Orang. Kouning ; Koung. Djaoua. Machehoul . Djengot. Doukoun ; Gourou. Roumah. Kris ; pedang. Doussounn ; Dessa. Semalamann. Kodoe. Per-lahan. Ravah ; Ravong ; raliua Anak-kali. Datang. Alam. Siang; Tchaya. Rambout. Batou. Ang’inn. Andjing. Linah ; Tidorann. Tahourm. Laot ; Laout. » Ka-mati-ann. Sabok. Samoinia ; S aï noua. Sikot. Miniousouii ; Minioussou Keniang ; Djemou. Qyd ; Tidor. Tambaco. Badang. Anak. Boulan. Ingniet. Toua. Guemourou» Soupan ; Malounia. Enak. Mandi. Brani-ann ; Berbrani. 216 LES POLYNESIENS. TABLEAU LINGUISTIQUE COMPARATIF N° 4 (Suite). tw nwi iiiii il— immiii ■■niiiiiuin bjijwjisi ii rni— ■■ll■nn,lJlll■ —g— aa FeuilîedeSiri(Poivrier) La mer Les yeux Toi La tête Seigneur, maître Scorpion Faire ; Opérer Travail Coagulé; Gelé Testicules Bât crochets pour por- ter les fardeaux .... Hameau; Village .... Femme Mur ; pignon de pierre Homme efféminé Ongles Arc-en-ciel . . Sud Sommeil Petit S'asseoir . Courir La bouche Les lèvres Porte, ouverture Homme ; Personne . . . Promptement ; Agile- ment Les nobles Marcher ; aller Vingt Buffle Je, moi, mon, ma, mes. Embouchure d'un fleuve Tigre Oui Place , cour Les dents Poisson La pluie Sain et sauf Le sang Jeune De la chaux Javan (Thunberg). Siddah. Sagara. Sotcha, Manpat ; Netra. Sira. Sirali ; Mataska. Sina. Kaladingking. Kerte. Pakarti. Kental. Koutal. Ivendar. Ivampong. Kestrie ; Vanodja. Kata. Kouvadonnan. Kinnaka. Koukouvong. Kidal. Kilim; Sari; Nendra. Katchik. Lingah ; Pinarak. Houmatching. Lasaa. Latié. Lanang. Lodra. Lakas. Loura. Loumampah ; Louman- pak; Toumaris tindak Likor. Mahesa. Manyra. Monara. Maon ; Matchau. Nouhoun ; Hinguing. Natar. Vatcha ; Vahos. Voulan ; Minna. Varsa ; Tchavah. Yaras. Hirrah. Hanem. Hapou. Malai (Boze). 53 Savot ; Laot ; Laout. Mata. Angkou. Kapala. Ampounia. Kala-djeuking. Kardja ; Bouat, etc. Pakardjo’ann. Kalappar ; kontol. » Dessa ; doussoun ; Kam- poung. Parampouann. Dinding; Tembo. » Omba; Koukou. Kouvang ; Palanguy; Ou- lar-Danou, etc. J) Hinah : Tidorann. Katchal : Ketchil. Doudouk. Lari. Moulout. Bibir. Pintou. Orang. Lakass. Bang'saouan ; Berbangsa. DjalanKann; Badjalan. Douapoulouh ; Doupou- lah ; likor. Karbau ; Karbaou . Goi; ako ; saya; beta. Kouala. Herimou ; matchau ; ari- maou. la. Padjelarann. Guiguit. lkann. Oudjan. T> Darah. Mouda. Kapour. LES POLYNESIENS 217 TABLEAU LINGUISTIQUE COMPARATIF N° 4 (Suite). Montagne Haut Large Vert • La langue Salive Nain Familles . Parler en dormant Donner. . Les ailes Père ; personne plus âgée Bêche Célibataire Rivage , campes basses. Près Toi , vous Oiseau Ventre. Bec Bois Long Blanc Errer Boiter Sucre. Le ne% Javan (Thunberg). Hardi ; Haldaka ; Voukir Hingkil. Handap. Hitchim. Hilat. Hedou. Tchabal. Tchatchar. Ngamfelou. Ngoukan. Ngari. Paman . Patchol. Partchaka. Pasisir. Parak . Pokanera. Pousir. Padhaharan. Poupon. Paksi. Pahar. Pittah. Paudji. Dintchang. Gouia. Grana. Malai (Boze). Gounoung. Tingui. Lébar. Hidjou. Lidah. Louda. Orang-katé. Tchatcha. Nguikou. Bri ; kassi. Pa ; bapa ; ayenda. Tcheugkal. Boudjang. Tepi. Dekat; hampir ; Koe ; touann. Bourong. Prout. Tchoutok; parob, etc. Kayou. Pandjang. Pouti. » Pintchankann. Gouia. Idong. NOMS DES NOMBRES. Siguy. Louron. Lelon. Papat. Lemo . Minam. Pety. Yolo. Songh. Sapoulo. Satou; Sa. Doua. Tiga. Ampat. Lima. A nam. Toudjou. Delapan ; Doulapanu. Sambilan. Sapoulou ; Sepoulou. 15. CHAPITRE TROISIÈME ^fWWWWWWI MALAISIENS Populations que l’on doit considérer comme Malaisiennes. Le nom de Malaisiens a été donné depuis quelques années, en France, à des populations qu’on a fini par reconnaître comme distinctes, après les avoir longtemps confondues, tantôt avec les Malais, tantôt avec les Javanais et leurs mé- tis divers. Tout inexact ou mal choisi que soit ce nom, puisqu’il est donné à des populations qui habitent la Malaisie, comme les Malais et les Javanais, et dont les caractères physiques ne sont pas encore parfaitement déterminés, c’est celui dont nous nous servirons, parce qu’il est généralement accepté et qu’il simplifie le discours. L’important du reste est de savoir quelles sont les popu- lations qu’on a ainsi groupées sous ce nom. Or, on s’ac- corde à le donner, d’abord aux Battaks, qui habitent l’île de Sumatra et qui, pour quelques auteurs* sont le type de la race à laquelle ils rapportent toutes les autres ; puis aux Dayaks, qui habitent l’île de Bornéo, et qui, pour d’autres* sont plutôt les ancêtres des Battaks que leurs descendants ; enfin, aux Alfourous qui, comme les premiers, sont plus an- ciens que les Malais et les Javanais dans toutes les terres où on les trouve. LES POLYNÉSIENS. 219 Aux Malaisiens appartiennent encore, d’après presque tous les observateurs, les Bouguis de l’île de Célèbes, et d’après quelques-uns, les Macassars ; de même que les Orang- Benoa de l’intérieur de la presqu’île de Malacca, ainsi que d’autres populations de l’intérieur des grandes îles, tant Mélanésiennes que Malaises. Enfin, il est même probable aujourd’hui, — ce qu’on avait ignoré jusqu’ici, — que c’est h cette même race de Malaisiens qu’appartiennent des popu- lations découvertes plus récemment dans l’intérieur de la presqu’île de l’Indo-Chine, au nord de la Malaisie. Nous allons examiner chacune de ces populations en par- ticulier, afin qu’on puisse mieux apprécier la part qu’elles ont pu prendre au peuplement de la Polynésie, et nous com- mencerons par les Battaks, parce que dernièrement encore ce peuple a été pris pour type de race par le Dr hollandais Yan Leent. Nous parlerons ensuite des Dayaks, puis des Bouguis et enfin des Alfourous. I BATTAKS. Lieu d’habitat des Battaks. •— Leurs caractères physiques d’après Mars- den ; I. Pfeiffer; Van Leent; Le Rév. Favre. — Les Battaks, les Redjangs et les Lampongs ont une origine commune avec les Dayaks. — Langage battak. La race Battak, ainsi que l’a appelée le docteur Van Leent (1), se compose, d’après lui et plusieurs autres écrivains : 1° Des indigènes qui portent spécialement ce nom ; 2° Des Passamali et des habitants de diverses provinces, appelés Lampong, Redjang, etc., dans l’île de Sumatra; 3° Des habitants des îles Battak, Poggi ou de Nassau, des îles Nias, Bali, etc. Les mêmes écrivains considèrent, comme appartenant à cette race, les habitants primitifs de l’île Sumbava, la Sandal- Wood des Anglais et la Djindana des Malais, située à 12 milles au Sud de Florès ; les indigènes de Timor et des peti- tes îles voisines; les tribus Alfourous de Célèbes, de Céram, de Bourou, de Ternate, de l’intérieur de Gilolo et des îles qui la touchent. A elle encore les habitants des îles dites du Sud-Est et du Sud-Ouest, de Sanguir, des îles Key, Fé- nimbre. C’est à cette même race qu’appartiennent, d’a- près eux, les Macassars, les Bouguis de la partie septen- trionale de l’île de Célèbes, les Dayaks de Bornéo, les habi- tants de Bali, de Lombok, et quelques tribus encore de Su- matra. Enfin les Gayos, tribu de l’intérieur d’Atjeh (Atchin), (1) Contributions à la géographie médicale des possessions néer- landaises des Indes orientales , trad. française de Fauteur, 1867 ; et Notes sur l’îlc de Sumatra , in Archives de médecine navale , 1874. LES POLYNÉSIENS. 221 sont vraisemblablement apparentés auxBattaks. M. L. Wal- lon (1) les place entre les Battaks, les Malais et les Atchi- nois. Ils sont Atchinois par les mœurs et le caractère, Malais par le langage, Battaks par leur origine. Faisons remarquer toutefois que les observateurs ne s’en- tendent pas quant à la place que doivent occuper plusieurs des peuples désignés. C’est ainsi que le naturaliste Rosein- berg et le docteur Yan Leent regardent ceux de l’île Engane comme appartenant à ce qu’ils appellent la race nègre, tan- dis que Junghunh en fait de véritables Battaks. Pour nous, nous pensons que les premiers habitants de Timor ap- partenaient plutôt à la race noire qu’à toute autre (2). Mais ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans une discussion à ce sujet ; nous voulons seulement faire connaître les populations qu’on a cru pouvoir ranger parmi les Malaisiens, à tort ou à raison, et que Yan Leent réunit sous le nom de race Battak. A part quelques exceptions, tous les observateurs recon- naissent la plupart des peuples cités, et surtout ceux dont nous parlerons et que nous avons précédemment désignés, comme formant une race particulière, se distinguant par tous les caractères, aussi bien des Malais et des Javanais que de la race Papua. C’est à cette opinion d’une race particulière, d’abord rapprochée des Polynésiens par Lesson, d’après Leyden, que tous les écrivains semblent se rallier aujour- d’hui, et c’est ce qu’a fait, entre autres, M. Yivien de Saint- Martin (3): « Cette race nouvelle, dit-il, va réclamer désor- mais sa place dans la science ; je n’ai voulu qu’en signaler l’existence et en montrer les rapports ; elle doit appeler dé- sormais l’attention sérieuse des explorateurs et les études des ethnologues. « Pour lui Battaks, Dayaks, etc., en sont les représentants ; et il ajoute que cette race primordiale a formé la race Malaise par croisements continus avec des (1) Annales de V Extrême-Orient, 1878, p. 179. — Voy. aussi P. J. Veth : Tydschrift v. h. Aardrykskundig Genoostchap. — Amsterdam, vol. II, n° 1. (2) Yoy. Les races noires de Timor et leur langage Fijien , in Revue d’anthropologie , 1877, p. 256. (3) Année géographique , 1870, p. 93. 222 LES POLYNÉSIENS. essaims de populations jaunes sorties de l’Asie Orientale. Tout ce que nous allons dire de cette race montrera que ses caractères la séparent complètement des Javans, des Ma- lais et de la race noire, et qu’au contraire ils la rapprochent intimement des Polynésiens. Yoici, d’après Marsden (1), quels sont les caractères physi- ques des Battaks : Ils sont moins grands que les Malais ; Leur teint, comme chez les Dayaks de Bornéo, est moins basané, plus beau que celui des Malais et des Javanais ; ce qui, dit-il, vient peut-être de leur éloignement de la mer, qu’ils ne fréquentent jamais ; Ils portent des colliers enfilés et un grand nombre d’an- neaux pendus aux oreilles ; Ils sont anthropophages et ignorent complètement la navigation ; Leur languie est particulière (2), mais cette langue, ajoute-t-il (3), diffère moins des autres dialectes dans les mots que dans les caractères spéciaux quelle emploie. Leur alphabet particulier date de temps immémorial ; il se com- pose de 10 consonnes et de 6 voyelles ; leur littérature est originale. Il fait remarquer un fait curieux : c’est que ceux qui, par- mi eux, savent lire et écrire sont beaucoup plus nombreux que ceux qui ne le savent point. Marsden, ayant pris la tribu des Redjang pour type des in- digènes de Sumatra, les décrit de la manière suivante (4) : Taille au-dessus de la moyenne ; généralement assez bien faits, trapus; membres petits, mais bien proportionnés ; grêles vers les poignets et les chevilles ; Yeux uniformément noirs et vifs ; nez aplati par suite de cette habitude des femmes de comprimer le nez et la tête des enfants ; (1) Voyage à Sumatra , t. Il, p. 187. (2) Id., p. 187. (3) Id 1er vol., p. 306. (4) P. 67 et suiv. LES POLYNÉSIENS. 223 Oreilles allongées et écartées delà tête, par suite de cette autre habitude de les tirer en les écartant ; Cheveux épais, noirs, brillants, portés longs chez les femmes, courts chez les hommes ; barbe, poils, épilés com- plètement à l’aide du hunan ; ongles portés longs ; Teint jaune approchant du rouge, c’est-à-dire couleur ba- sanée ou de cuivre ; ceux qui s’oignent, mais surtout les femmes, sont plus blancs ; Langue et alphabet particuliers. Enfin il dit des Lampongs, qui habitent l’intérieur de l’île et les montagnes, et qui prétendent venir des bords d’un lac central : « Ils ressemblent plus aux Chinois que les précédents, surtout dans la rondeur du visage et la forme des yeux. Ils sont les mieux faits de tous les habitants de nie ; leurs femmes sont plus grandes et passent pour les plus belles. Leur langue diffère, comme leur alphabet, de la langue et de l’alphabet Rejang (1). La religion mahométane a fait de grands progrès parmi eux. » De son côté, la célèbre voyageuse, Mme Ida Pfeiffer, qui a observé les Battaks dans leur pays même, en donne les ca- ractères suivants (2) : « Les hommes sont en général très-grands et très-forts ; leur teint est brun clairon brun jaunâtre; ils portent les cheveux ou longs et flottants ou en brosse. » « Dans la foule, ajoute-t-elle, je vis beaucoup d’hommes forts et de six pieds de haut ; les femmes aussi étaient plus fortes que toutes celles que j’avais vues jusqu’alors à Suma- tra. Mais c’était toujours un type de physionomie laid comme partout ailleurs, les mâchoires larges et horriblement sail- lantes, le teint pas très foncé. » Elle remarqua chez les Bat- taks les mêmes bracelets de coquillages blancs, les mêmes sortes de tambours, les mêmes étoffes d’écorce que chez les Dayaks. Suivant elle, un résident, M. Willer, aurait écrit un ouvrage sur les Battaks et les Alfourous de Céram. (1) Marsden, Voyage à Sumatra , p. 52. Alphabet Rejang , Lam- pun et Batta, (2) Mme Pfeiffer, 2* voyage, p. 193 et 211. 224 LES POLYNÉSIENS. Ainsi d’abordpour Marsden, lesBattaks sont moins grands, et pour madame Pfeiffer, ils sont plus grands que les Malais. Les deux observateurs s’accordent quant à la couleur, aux coutumes, etc., qui différencient lesBattaks des Malais. Mais s’il est vrai, comme le dit Mme Pfeiffer, qu’ils ont les mâchoires fort larges et saillantes, ils se trouveraient avoir la même mâchoire distincte que possèdent les Malais. Laquelle de ces deux autorités a raison? 11 est d’autant plus difficile de le dire qu’une autorité plus compétente encore ne s’accor- de pas avec elles (1). Cette autorité est le docteur Van Leent, qui admet trois races à Sumatra, la battak, la malaise et la nègre et qui leur donne les caractères physiques suivants : BATTAKS. Taille nrmvcnne, muscles prononcés, ensemble fort. Couleur brun clair. Occiput arrondi. Nez mince, droit et moins aplati. Figure oblongue, traits réguliers, souvent beaux. Bouche plu* petite. Lèvres bien proportion- nées. Pommettes moins proé- minentes, joues quel- quefois rosées. Mâchoire inférieure moins large. Barbe assez épaisse. Chevelure noire et fine. Forme du crâne tenant le milieu entre les for- mes de crânes Caucasi- ques et Malais. Seins des femmes plus vo- lumineux et hémisphé- riques. MALAIS. Taille moyenne, muscles médiocrement pronon- cés,ensemble plus faible. Couleur claire, cuivrée ou brun foncé. Occiput aplati, carré. Nez court, aplati, large, narines dilatées. Figure presqu’aussi large que longue. Bouche grande. Lèvres épaisses. Pommettes très-accen - tuées. Mâchoire inférieure proé- minente, très-large. Barbe rare. Chevelure noire et épais- se, assez dure. Crâne rarement bombé. Seins coniques et petits. RACE NÈGRE. Taille petite, système musculaire assez pro- noncé, ensemble frêle. Couleur noir-roussatre. » Nez camus, retroussé au bout. Front plus découvert que dans la race nègre africaine. Bouche proéminente. Lèvres é paisses. La su- )érieure élevée et al- ongée. Mâchoire inférieure très étroite. » Chevelure crépue. » (1) Voir Année géographique de 18ti7, p. 275. LES POLYNÉSIENS. 225 Sans nous arrêter à faire remarquer ce qu’il y a d’incom- plet dans cette comparaison, il en résulte en effet que les Battaks ne sont ni plus grands, ni pluspetits queles Malais, dont ils auraient par conséquent la taille, si leurs caractères ont été exactement observés. Mais, de l’ensemble, il ré- sulte surtout qu’ils diffèrent des Malais, et à plus forte raison de la race noire, tandis qu’ils se rapprochent au contraire considérablement de la race polynésienne. Cependant, il faut bienledire,plusieursde ces caractères, s’ils étaient exacts, ne permettraient pas de confondre les Battaks avec les Polyné- siens : Ce sont la forme du nez, la petitesse relative de la bouche, la belle proportion des lèvres, la finesse de la chevelure, que Yan Leent attribue aux Battaks; ces carac- tères, en Polynésie, sont toujours remplacés par des ca- ractères tout différents. Pourtant ils ne semblent pas être ceux des véri- tables Battaks ; ils ont été bien certainement observés par le docteur Yan Leent, mais probablement sur des indi- vidus provenant du mélange de Battaks purs avec d’autres races et particulièrement avec certaines tribus de l’Inde ; encore, dans ce cas, serait-il difficile de s'expliquer la finesse de la chevelure que nous avons toujours vue en Malaisie aussi forte qu’en Polynésie. Ailleurs, du reste (1), M. Yan Leent, en parlant des races indigènes de Sumatra et des îles voi- sines, représente les Battaks ou Orang-Kœbœ de Palembang comme étant de forte taille, tandis que précédemment il leur donnait une taille moyenne. Ils vont, dit-il, presque nus, avec le corps enduit de boue pour se protéger des insectes ; ils sont nomades et ne possèdent que des chiens. Il ajoute queles Passumah sont des Battaks mêlés aux Javanais et les Redjangs des Malais mélangés de Javanais. LeRév. Favre, missionnaire apostolique, divise les tribus sauvages de la péninsule Malaie en trois classes princi- pales (2) : La première renferme les Battaks habitant l’in- (1) Rotes sur l’île de Sumatra. Géographie médicale, in Ar- . chives de Médecine navale , 1874. (2) Notice sur les Tribus sauvages de la péninsule Malaie . — ■ Paris, 1865, Impr. imp. 226 LES POLYNÉSIENS. térieur de Sumatra et quelques îles voisines ; la deuxième est celle des Semangs qu’on trouve dans les forêts de Kedah, Tringanu, Pérak et Salangor ; dans la troisième entrent plusieurs tribus connues sous l’appellation commune de Jakuns : elles habitent depuis à peu près Solangor sur la côte ouest et Kemaman sur la côte est et s’étendent non loin de Singapore. Toutes ces tribus sauvages sont ordinaire- ment classées sous le nom général d’Orang-Binua, signifiant hommes du sol. De ces trois divisions de Binua,M. Favre n’a vu que les Jakuns, qu’il divise également en trois classes dont les caractères physiques présentent des différences re- marquables. Ces trois sortes de Jakuns habitent Malacca, Joliore et les Etats de Menangkabou. Ces derniers sont plus petits que les précédents, dont la constitution est générale- ment vigoureuse, et ils semblent appartenir à une race dégé- nérée. La description que le missionnaire français a faite de ces populations est fort incomplète ; elle ne présente rien de précis, rien de distinct et elle ressemble à celles des anciens voyageurs. Si ces Jakuns appartiennent bien à la même race que les Battaks, ainsi que le dit M. Favre, ils ne semblent être aujourd’hui que des Malaisiens ou Alfourous plus ou moins dégénérés suivant les localités ou les croisements ; en un mot des descendants des Polynésiens se transportant jusque là à une époque reculée et se croisant d’abord avec une race noire puis avec d’autres races pour produire les Malayo-Javanais. Nous ferons remarquer ici que l’habillement primitif des habitants de Sumatra et particulièrement des Redjangs est le même que celui des indigènes de la mer du Sud, c’est-à- dire qu’il est fait avec le liber d’un arbre battu de manière à former une étoffe. En outre les Redjangs rendent les derniers devoirs aux morts avec de grands gémissements et des cris lamentables, ainsique cela a lieu en Polynésie. On s’accorde généralement à faire descendre les Battaks des Biadjous, tribu que beaucoup d’écrivains disent descen- dre elle-même des Dayaks, habitants de Bornéo, que nous allons décrire. S’il fallait en croire Forrest, ce capi- LES POLYNÉSIENS. 227 taine qui a publié un si bon livre sur les habitants de la Malaisie (1), les Battaks de Sumatra et les Idaans ouMorouts de Bornéo, auraient les mêmes usagées que les habitants de Dorey, à la Nouvelle-Guinée. Cette opinion ne serait guère favorable, il faut bien le dire, à une origine Dayak, puisque les Papous de Dorey ont des usages bien différents de ceux des Dayaks qui, au contraire, ressemblent sous ce rapport aux Polynésiens. Ici encore, nous croyons que ce rapproche- ment ne repose que sur une observation inexacte ; d’après l’ensemble des données on doit plutôt considérer les Battaks comme de véritables Dayaks ou du moins comme ayant une origine commune avec eux. Ces deux peuples donnent le nom à' Ut a à leurs villages : c’est le mot dont se servent les Polynésiens pour désigner le rivage ou l’intérieur de leurs îles. Il en est de même des Redjangs et des Lampongs : s’il ré- sulte des caractères donnés par Marsden qu’ils se rappro- chent plus, surtout ies premiers, des Malais et des Javanais que des véritables Battaks, cela tient probablement à leur long croisement ; de même que la persistance des mélanges avec les Chinois explique assez, chez les seconds, l’existence de quelques-uns des caractères de ces derniers. En un mot ces tribus ne seraient guère aujourd’hui que des métis, croi- sés à toutes sortes de degrés et avec toutes sortes de peuples, mais plus particulièrement avec les Malais, dont ils ont, par suite, pris la plupart des coutumes en même temps que la religion. Ce qui semble appuyer cette opinion, c’est que Marsden, après avoir donné à ces deux espèces d’hommes, qu’il paraît regarder comme des autochthones de Sumatra, les caractères précédemment indiqués, dit lui-même un peu plus loin que les indigènes ont sur les Malais une supériorité visible, quant à la taille et à la force, quoiqu’il eût avancé que leur taille est au-dessous de la moyenne et inférieure à celle des fMalais ; il ajoute qu’ils ont le teint plus beau, ce qu’ils doivent probablement, dit-il, à la situa- tion des lieux qu’ils occupent. Cela prouve évidemment que (1) Forrest, p. 110. Voyage aux Moluques et à la Nouvelle-Gui- née. — Paris, 1780, in-4°. 228 LES POLYNÉSIENS. s’il n’osait en faire de véritables Battaks, il les distinguait du moins des Malais. En somme le docteur Yan Leent ayant placé les Lam- pongs dans la race Battak, nous croyons, qu’ après une pa- reille autorité, on ne doit pas douter que les Redjangs et les Lampongs ne soient bien plus près de cette race que de celle des Malais, qu’ils ne soient, en un mot, des Malaisiens, comme les Battaks eux-mêmes, mais tellement croisés, que plusieurs de leurs caractères primitifs ont fait place à ceux de leurs créateurs. On regarde généralement le langage battak comme ayant une grande affinité avec le Bougui ; mais si l’on jette les yeux sur le tableau suivant, on voit au contraire qu’il en a davantage avec le Malai, car tous les mots cités sont identiquement les mêmes quoique orthographiés différem- ment. Nous ajouterons ici qu’en outre du Battak et du Malai parlés à Sumatra, les principales langues de cette île sont le Redjang, le Lampong et le Chinois, qui diffèrent moins parles mots que par les caractères particuliers employés par cha- cun d’eux. TABLEAU LINGUISTIQUE COMPARATIF (1). LES POLYNESIENS 229 230 LES POLYNÉSIENS. En résumé, on peut conclure des considérations précé- dentes que les Battaks se rapprochent aujourd’hui des Ma- lais et des Javanais par plusieurs caractères, tandis qu’ils en diffèrent par d’autres bien distincts qui, au contraire, semblent appartenir spécialement à la race polynésienne. Cette différence et cette similitude s’expliquent par les mé- langes qui se sont nécessairement produits avec le temps. Nous savons, d’après plusieurs auteurs, d’après Marsden entre autres, que les Battaks étaient anthropophages ; dans certaines circonstances, ils mangeaient l’homme convaincu d'adultère, ainsi que leurs parents quand ils étaient deve- nus vieux. Mais, contrairement à ce qui se pratiquait chez les autres nations anthropophages, ils les dépeçaient en quelque sorte vivants. Les vieillards, lorsque leur heure était venue, se suspendaient par les mains à une branche d’arbre, tandis que les assistants dansaient autour d’eux en chantant : « Quand le fruit est mûr, il faut qu’il tombe. » Puis, lorsque les victimes fatiguées se laissaient glisser à terre, leurs enfants, leurs voisins se précipitaient sur elles et les dévoraient (1). Bien que les caractères des Battaks soient aussi peu dis- tincts, nous avons vu que c’est à eux que plusieurs écrivains ont attribué l’origine des Dayaks et des autres Malaisiens, tandis que d’autres, au contraire, et peut-être avec plus de raison apparente, ont regardé les Dayaks comme les ancê- tres des uns et des autres. Pour aider à la solution de cette question, nous allons faire connaître les caractères physi- ques de ces derniers. (1) Voy. Raffles, de Rienzi et Faliès, Etudes sur les civilisations $ t. II, p. 526. — Paris, 1876. IL DAYAKS. Caractères des Dayaks de Bornéo d’après R. P. Lesson ; I. Pfeiffer ; Van Leent; Forrest. — Origine des Dayaks. — Langue daya. — ■ Les Dayaks sont des émigrants polynésiens. — Populations appartenant à la race dayaque. — Tableau linguistique. On trouve l’indication d’une partie des caractères physi- ques des Dayas ou Dayaks dans les Transactions bataves (1) où ils ont été tracés par le savant Dr Leyden ; mais R. P. Lesson en ayant donné un résumé exact dans son « tableau des races humaines » (2), c’est à lui que nous en emprunte- rons la description. Les Dayaks, nommés aussi Idaans et Tidongs, dans quel- ques districts de Bornéo, ont, dit-il, une haute stature, des membres souples et bien proportionnés, un physique agréa- ble et des traits délicats. Leur teint est blanc-jaunâtre. Le nez et le front sont plus élevés que ceux des Malais; leurs cheveux sont droits, raides, toujours noirs, et portés longs. Les femmes sont jolies et gracieuses. Les Dayaks sont sanguinaires, anthropophages et font des sacrifices d’esclaves à la mort de leurs chefs. Ils savent momifier les têtes de leurs ennemis tués dans les combats. Ils connaissent le Tapu, se couvrent le corps de tatouage, vont nus, à l’exception d’un étroit maro entourant les reins. On les dit patients, intelligents, hospitaliers, mais cruels (1) Notice sur Bornéo , t. VI, et dans divers mémoires sur les peu- ples de l’Inde, des Recueils de la Soc. asiatique de Calcutta. (2) Tableau des races humaines , p. 66. 232 LES POLYNÉSIENS. quand leur vengeance est excitée, enfin superstitieux. Ils sont très adroits dans la construction de leurs pirogues et la fabrication d’une foule d’ustensiles. Leurs maisons sont assez grandes pour qu’une centaine de personnes puissent les habiter à la fois. Enfin ils adorent le créateur du monde ou Dewata (1). D’après le Dr Yan Leent, ils n’ont pas de prêtres, mais pour intermédiaires auprès de la divinité de belles jeunes filles, à la fois prophètes, sorcières, médecins, chanteuses, femmes publiques, et des magiciens enchanteurs, absolument comme à la Nouvelle-Zélande. Pour compléter cette description, nous emprunterons à Madame Pfeiffer les observations faites par elle-même ; elles diffèrent un peu de celles de ses prédécesseurs, mais elles les corroborent par l’ensemble. « Les Dayahs , dit-elle, ne sont guère plus beaux que les Malais. Ils ont l’os du nez aplati, les narines très larges, une grosse bouche ; leurs lèvres sont pâles et bouffies, et leurs mâchoires saillantes. Ils liment leurs dents comme les Malais et les teignent en noir. Leur figure exprime géné- ralement la patience et la bonhomie, et parfois même la bêtise. La couleur de leur teint est brun-clair ; ils ont les cheveux courts ; les femmes les ont longs, raides et les lais» sent tomber sans les nouer en tresses. Il n’y a rien de gra- cieux dans l’allure et la tenue des femmes ; elles marchent les jambes écartées et le ventre en avant. Ce manque de grâce dans le port des femmes dayaques est aussi en grande partie commun aux femmes malaises (2). » « Il y a, ajoute-elle plus loin, des voyageurs qui préten- dent que les Dayaks libres sont de beaux hommes. Moi, je dirai tout au plus qu’ils sont un peu moins laids que les Malais. Généralement de grandeur moyenne, ils ont les jambes et les bras très maigres et peu ou presque pas de barbe, car ils s’épilent la figure. Ce qui les distingue en bien des Malais, c’est qu’ils ont l’os du nez un peu plus (1) Dieu, en sanskrit, se dit Dewa. (2) Mon deuxième voyage , p. 54. LES POLYNÉSIENS. 233 élevé. 11 se peut qu’en vivant des années entières parmi ces peuples, on finisse par trouver beau ce qui paraît laid au premier abord (1). » Enfin elle dit ailleurs (2) que les traits des tribus libres ont le caractère ouvert, calme et riant ; Que les Dayaks ont des cabanes communes où se réu- nissent les jeunes gens, les passants et où se font les fes- tins, etc. ; Qu’ils se mettent en embuscade pour se procurer les têtes de leurs ennemis ; Que les femmes portent de nombreux bracelets au bras gaucbe, avec des ornements de coquilles ; Qu’elles ne se tatouent pas, mais qu’elles teignent quel- quefois leurs pieds, leurs ongles et le bout de leurs doigts , d’un beau rouge ; Que leurs oreilles sont percées de trous si larges qu’on y passerait un morceau de bois de plus d’un pouce, et qu’on y pend jusqu’à quinze anneaux fort grands ; Que les Dayaks ne se mélangent pas avec les autres peuples et que, quand les filles épousent des Chinois, elles ne sont pas considérées comme faisant partie de la tribu ; Qu’ils ont enfin des idoles en bois, qu’ils reconnaissent les dieux Djath et Sangjang , et diverses autres divinités ter- restres et célestes ; Qu’ils attribuent toutes les maladies aux mauvais gé- nies ; Qu’ils placent leurs morts dans des lieux inaccessi- bles ; Qu’ils n’ont pas d’écriture et ne sont pas mahomé- tans. Nous citerons également la description qu’a faite plus récemment de ces populations, le Dr Yan Leent (3). Les Dayaks, dit-il, sont de taille moyenne mais plus grands que les Malais, bien bâtis, très-bien musclés. La cou- (1) Loc. cit ., p. 82. (2) Loc. cit.. p. 105 et 52. (3) Ouvrage cité. 16. I» 234 LES POLYNÉSIENS. leur de la peau est moins foncée que chez la race malaie ; dans l’intérieur on trouve même des peaux d’un brun clair ou jaune. La chevelure est noire ou d’un brun foncé, presque toujours plate, quelquefois bouclée, portée courte ou longue. La forme de la figure et du crâne ressemble à celle de la race caucasienne. Les traits sont plus réguliers, plus beaux que chez les individus de race malaise. Le tatouage existe chez les deux sexes. Ils sont indépendants, fiers, farouches, mais hospitaliers et probes. Déjà, avant ces autorités, le capitaine Forrest avait dit (1) : « Les Idaans, qui occupent le Nord de l’île, sont sauvages ; ils engraissent des cochons et mangent du porc. Ils ont le plus grand respect pour les mahométans. Ils croient que la divinité aime le sacrifice des victimes humaines. Un Idaan ou Morout doit, au moins une fois dans sa vie, avoir trempé ses mains dans le sang de ses frères. On assure que les gens riches le font souvent et ornent leurs maisons de crânes et de dents, etc. » Et, parlant des Tidongs, qui vivent dans la partie orien- tale de Bornéo, il dit qu’ils sont un peuple sauvage de pira- tes, se fixantsurle bord des rivières dans l’intérieur, soumis aux habitants de Soulou, anthropophages dans certaines circonstances, et méprisés à cause de leur barbarie par ceux de Mindanao. Ainsi donc les Dayaks n’ont point adopté la religion ma- hométane. Comme l’a fait remarquer R. P. Lesson, loin de ressembler aux Malais, ils en diffèrent par tous les carac- tères qu’il leur attribue d’après Leyden ; ils ont au con- traire tous ceux des Polynésiens et particulièrement l’habi- tude, comme à la Nouvelle-Zélande, de momifier les têtes des chefs ennemis. Comme les Polynésiens encore, ils con- naissent l’interdit appelé Tapu> le tatouage par piqûres, et ils élèvent de grandes maisons communes. Ils ont même l’habitude polynésienne de nourrir des chiens pour les festins des chefs, et d’après le Dr Bromme, au service de la Hollande, ces chiens sont petits, élancés, ils ont la tête (1) Loc. cit.7 p, 418. LES POLYNÉSIENS. 235 pointue, le poil roux, fauve et très long* surtout sous le ventre. On sait de plus aujourd’hui qu’un certain nombre de mots polynésiens font partie de la langue daya ; il n’y a guère que le nom de la divinité et celui de leurs prêtres qui soient différents, et il est facile de reconnaître leur ori- gine. Si quelques-uns des caractères que leur donne Madame Pfeiffer, tels qu’une mâchoire saillante, leur peu de beauté, l’usage de se limer les dents, la maigreur des jambes et des bras, l’habitude des femmes de porter de nombreux brace- lets et de se percer d’un grand trou le lobe de l’oreille, sem- blent les rapprocher en cela des Malais et de la race noire, tous les autres, au contraire, viennent corroborer la descrip- tion du docteur Leyden, et établissent la ressemblance frappante qui existe entre les Dayaks et les Polynésiens. Il est certain encore ici que le temps et les croisements suf- fisent à expliquer les quelques différences signalées ; mais il n’est pas moins vrai que les caractères anthropologiques et autres des Dayaks diffèrent de ceux des Malais par tout le reste, et que ceux dont ils se rapprochent le plus, sont les caractères polynésiens. C’est ce qui explique l’idée émise, d’abord par d’Urville, Lesson et de Rienzi, et qui semble généralement acceptée aujourd’hui, que les Malaisiens ont dû être les ancêtres des Polynésiens. Lesson va même jus- qu’à attribuer Torigine des Polynésiens aux Dayaks (1). De Rienzi croyait, lui aussi, quoiqu’il n’eût jamais vu ni les Dayaks ni les Polynésiens vrais (2), qu’il y avait entre eux identité complète ; il ne faisait en cela, comme en tant d’au- tres choses, que partager l’opinion des deux premiers, , et il attribuait l’origine des Polynésiens aux Dayaks qu’il regardait comme autochthones de Bornéo. Cette île, du reste, était pour lui le berceau de tous les peuples malai- siens et mélanésiens. (1) Mammalogie , p. 27. (2) On nous a assuré qu’il n’a jamais mis les pieds à Bornéo ; et il est certain qu’il n’a jamais vu les îles polynésiennes, malgré les nombreux et souvent très-intéressants documents qu’il a réunis sur ces divers lieux. LES POLYNÉSIENS. Pour Lesson, les Dayaks n’étaient autre chose que les débris vivants des premières populations des îles de la Son- de et des Moluques, c’est-à-dire des Alfourous qui auraient été refoulés dans l’intérieur des terres par les Malais. C’est à cette opinion d’une rade particulière, autochtlione, que tous les écrivains semblent se rallier aujourd’hui ; M. Vivien de Saint-Martin, entre autres, a fait remarquer (1) que la barbe et les poils abondants qui caractérisent cette race l’é- loignent des Mantchoux, des Chinois et des autres Mongo- liques, et la rapprochent au contraire des Polynésiens. C’est cette race et non la race malaise qui, suivant lui, aurait peuplé, par ses migrations, toutes les îles polynésiennes. Il est bien certain que les populations Dayaks étaient fort anciennes, plus anciennes que les Malais et les Javanais ; de Rienzi lui-même est venu confirmer cette ancienneté en ap- prenant (2) que les Malais et les Javanais des côtes de Bor- néo reconnaissent les Dayaks comme les aborigènes ou orang-henoa du pays. Or ce mot Benoa , que nous avons vu être appliqué également à certaines tribus de l’intérieur de la presqu’île de Malacca, signifie en Malai « pays, contrée d’origine;» et il n’est évidemment que le mot polynésien henua , fenua , qui possède la même signification. Mais ni Lesson, ni Rienzi, tout en reconnaissant la grande ressem- blance des Alfourous et des Dayaks avec les Polynésiens, ne songèrent à attribuer aux derniers l’origine des premiers ; ainsi qu’on n’a cessé de le faire depuis eux, ils se bornèrent à supposer : l’un que l’origine dayaque des Polynésiens était possible, l’autre qu’elle était certaine. D’Urville lui-même, frappé de la ressemblance des Polynésiens avec les Alfou- rous de Célèbes, était disposé, comme on le verra bientôt, à admettre que ces derniers étaient la souche des Polyné- siens, à la condition toutefois que l’on retrouve dans leur langue plus de mots polynésiens que malais. Or, fait curieux, bien que la langue daya ait plus de mots (1) Année géographique, ‘ 1870-1871, p. 93. (2} Loc cit ., t. 1er, p. 17. LES POLYNÉSIENS. 237 malais que de mots polynésiens, on y a retrouvé une cer- taine quantité de ces derniers et de Rienzi en élève même le nombre aune centaine. Que ce chiffre soit exagéré ou non, il est bien connu aujourd’hui qu’il y en a, quand ce ne se- raient que le mot benoa que nous venons de citer, et le mot ubi, igname qui, bien certainement, est le même que le mot ufi, appliqué en Polynésie à cette plante. C’est ce fait, plus encore que l’ensemble des caractères physiques, qui a porté de Rienzi à conclure que la langue daya est la mère de la langue polynésienne. Toutefois, ce raisonnement n’est pas juste, car comme la langue daya contient aussi des mots javanais, malais, etc., il faudrait dire également que ces di- vers peuples viennent des Dayaks. Pour nous, nous aimerions mieux croire, avec Bory-St-Vincent (1), que ces in- dices polynésiens chez les Dayaks prouvent plutôt l’émigra- tion de quelque famille océanique ou polynésienne vers Bornéo, que l’émigration des Dayaks vers la Polynésie. En effet, en voyant que la plupart des mots de la langue daya diffèrent du Polynésien et ne sont que Malayou, il est cer- tainement plus rationnel de supposer que les quelques mots de la langue polynésienne trouvés à Bornéo ont été fournis par ceux qui parlent encore intégralement cette dernière langue. On a déjà vu que c’est àpeu près l’opinion de Craw- furd, qui appelle « grand polynésien » la langue apportée par le « peuple inconnu » qui primitivement alla se fixer à Java. Il serait même possible que, dès le principe, la langue des Dayaks ait été en tout ou en grande partie polynésienne ; toutefois on sera forcé de convenir que, si elle a été apportée par des Polynésiens, il faut admettre leur venue en assez grand nombre, puisqu’on ne trouve pas seulement des mots de la Polynésie chez les Battaks, les Dayaks et les Malais proprement dits, mais aussi chez les Bouguis et dans presque • toutes les îles malaises à populations alfoures. L’existence d’un bon nombre de mots polynésiens chez les Dayaks ne pouvant pas être niée, il est sans doute inutile (1) Loc. ciî ., p. 313, note. 238 LES POLYNÉSIENS. de répéter que dernièrement M. Earl, qui a longtemps résidé en Malaisie, est venu soutenir l’opinion que les Dayaks parlent un dialecte polynésien, et qu’ils sont le fond de la population de l’île entière, par conséquent la race bornéenne par excellence, à part quelques tribus nègres Aétas vivant dans l’intérieur (1). Malheureusement ce n’est de sa part qu’une assertion sans aucune preuve à l’appui ; et nous disons malheureusement, parce qu’ayant résidé long- temps h Bornéo, il aurait pu, mieux qu’un autre, enlever tout doute à cet égard en donnant un vocabulaire de la lan- gue des Dayaks. S’il fallait s’en rapporter à Balbi, avons-nous dit, la langue daya ne serait qu’un dialecte malais, et c’est par la numération qu’elle se rapprocherait le plus du Polyné- sien. Mais ici, on peut se demander, en présence de ce fait, et de tous les autres mots vraiment polynésiens qu’elle possède, si ce ne serait pas seulement par suite du contact de la langue malaise, que cette langue se trouve- rait si réduite aujourd’hui. On ne peut certainement rien affirmer à ce sujet; cependant, quand on réfléchit que les Dayaks ne pouvaient parler dans le principe que le Polyné- sien ou le Malai ; quand on se rappelle que les Malais ne sont arrivés à Bornéo qu’après les Dayaks ; quand enfin on remarque que la langue polynésienne est celle qui a four- ni le plus de mots à la numération, alors que la langue ma- laie forme aujourd’hui le fond de la langue dayaque actuelle, il est permis d’inférer, croyons-nous, que la langue primitive- ment parlée n’était que le polynésien, en grande partie ab- sorbé plus tard et remplacé avec le temps par le Malai ou langue des conquérants, qui n’auraient eux-mêmes conservé dans leur propre langue qu’un petit nombre de mots poly- nésiens. On a vu, en effet, qu’un certain nombre de mots ma- lais et polynésiens sont identiques, puisque c’est même sur cette identité qu’on s’est si longtemps appuyé pour soutenir que les Malais étaient les ancêtres des Polynésiens ; et Moë- renhotit était convaincu qu’en cherchant bien, ondécouvri- (1) Earl, Natives races of the Indian archipelago , London, 1853. LES POLYNÉSIENS* 239 rait dans les îles Malaises presque tous les mots de la lang'ue polynésienne (1). Quoi qu’il en soit, il est démontré par cette étude que des mots d’origine toute polynésienne, en apparence, existent dans la lang*ue daya, et que les Dayaks ressemblent surtout aux Polynésiens par les caractères physiques et moraux : c’est ce qui explique l’opinion, émise dans ces dernières an- nées, que les uns sont les ancêtres des autres. Nous parta- geons complètement cette opinion, mais en en renversant les termes, ce qui sera appuyé par tout ce que nous dirons dans le cours de notre ouvrage. Nous ajouterons que, d’après quelques voyageurs, aucune tribu de Bornéo ne possédait la connaissance d’un alphabet ou de signes idéographiques quelconques, ce qui serait d’autant plus à remarquer que les habitants de toutes les autres grandes îles en ont un et même plusieurs. On a vu que plusieurs écrivains ont cru pouvoir rapporter aux Battaks l’origine des Dayaks, mais que d’autres, au con- raire, considèrent les Dayaks comme les ancêtres directs, ou indirects par les Biadjous, des Battaks. Après ce que nous avons dit, nous ne croyons pas qu’il soit nécessaire de cher- cher à résoudre cette difficulté. Il importe assez peu à la ques- tion qui nous intéresse le plus, celle de l’origine des Poly- nésiens, de savoir si ce sont les uns ou les autres qui sont arrivés les premiers dans les îles qu’ils occupent. Il est bien probable, cependant, dirons-nous en passant, que ce sont plutôt les Battaks qui dérivent des Dayaks que les Dayaks des Battaks, car il semble difficile d’admettre que les deux grandes îles Sumatra et Bornéo auraient reçu dans le même moment des émigrants de cette race, si elle venait d’où nous la supposons partie. Pourtant, quoique les caractères des Dayaks soient les mieux conservés, nous ne voudrions pas l’assurer, parce que la même question serait à renouveler pour toutes les îles de la Malaisie où l’on a trouvé des hom- mes de cette race. A moins de supposer qu’elle a été la pre- mière occupante de toute la Malaisie, contrairement à tou- (1) Loc. cit.y t. II, p. 229. 240 LES POLYNÉSIENS. tes les opinions reçues, puisqu’on s’accorde à considérer la race noire comme telle, il est bien évident, en effet, que les uns doivent dériver des autres, mais c’est à peu près tout ce qu’on en peut dire ; autrement il faudrait admettre qu’il est arrivé un nombre d’ émigrants tellement grand, qu’il a pu envahir à la fois toutes ces îles, et s’étendre même à cette époque jusqu’au continent. On va voir, du reste, que, pour quelques écrivains, les Bouguis auraient eux-mêmes, peut- être, autant de droits que les Dayaks et les Battaks à être considérés comme la souche des habitants de la Polyné- sie. Nous ajouterons . ici, qu’il existe à Bornéo d’autres tribus Dayas que celles qui viennent de nous occuper, et que, sui- vant les lieux qu’elles habitent, elles sont appelées Kayans, Pounams, Dousoum, Marouts, Illanos, Taagals, Bissayas, Redjangs, etc., dernière tribu que de Rienzi a regardée na- turellement comme la souche de celle du même nom trou- vée à Sumatra. Mais comme ces tribus sont encore plus sau- vages, elles sont à peine connues. En outre des langages dayak, malai et javanais parlés à Bornéo, il faut remarquer particulièrement ceux des Tidongs et des Biadjous en raison des différences qu’ils présentent. Balbi pensait qu’on devait les regarder comme des langues sœurs plutôt que comme des dialectes d’un même idiome (l). Déjà Sonnerat avait dit, au commencement de ce siècle, que les Biadjos étaient les naturels de Bornéo, et qu’ils s’é- taient retirés dans l’intérieur en cédant la place à un mé- lange impur de Macassarais, de Javanais, de Malais, d’A- rabes, et de quelques Biadjos (2). Bornéo est appelée Varouni par les indigènes, d’après le voyageur anglais Hamilton ; Kalematan , d’après de Rienzi ; Brunaï , d’après les autres écrivains. Les uns lui donnent 3 millions d’habitants, d’autres réduisent sa population à 200,000 seulement. Selon la dernière estimation de Van Leent, cette population serait de 875,000 à 900,000 âmes. (1) Voy . Tableau linguistique, p. 245. (2) Sonnerat, Voy. aux Indes Orientales et à la Chine , 3e vol., ch. 5. LES POLYNÉSIENS. 241 Elle est composée de Dayaks, de Malais, de Javanais, de Chinois, de Papua et de quelques autres étrangers : Euro- péens, Arabes, Bouguis, etc. ; elle compterait plus de 20,000 Malais et environ 54,000 Chinois. Il faut bien reconnaître que le grand nombre de Dayaks formant cette population serait plus favorable aux partisans de l’autochthonie de cette race qu’à ceux de migrations venues de loin. Mais tant de raisons plaident en faveur de celles-ci que nous ne croyons pas né- cessaire de nous arrêter plus longtemps à réfuter la première opinion. N’y aurait-il que le petit nombre de mots d’origine polynésienne qui ont été retrouvés dans la langue daya, aujourd’hui si différente par l’ensemble, que cela seul suffit, à notre avis, pour démontrer que des émigrants sont arri- vés jusque-là et que ces émigrants, d’après les caractères physiques et moraux des Dayaks, n’étaient presque certai- nement que des Polynésiens. Ajoutons enfin que c’est aux Dayaks que de Rienzi, comme ses devanciers, disait appartenir les Balinais, les habitants de Nias, des îles Pogghi, Ternati, Gilolo, ainsi que ceux d’une partie des Moluques, de l’archipel Holo ou Soulou, des îles Philippines et même des îles Palaos. Mais cette dernière assertion est une erreur pure, les habitants de ces îles n’ayant ni les caractères physiques, ni le langage des Dayaks, comme nous le ferons voir ailleurs. Il est certain que la langue de Ternati diffère beaucoup du Malai; mais on sait que les habitants sont plus foncés que les Dayaks et nous serions porté, à cause de cela, à douter de leur origine dayaque. Il en est de même, à n’en juger que par le lan- gage, des habitants de Soulou ; leur langue est une sorte d'olla-podrida ; on y trouve beaucoup de mots de la langue des Bissayas ou des Philippines, des mots du dialecte de Mindanao et des mots malais. Elle s’écrit en caractères ara- bes comme le Malai, c’est-à-dire de droite à gauche ; ce fait est d’autant plus à remarquer que toutes les autres lan- gues de la Malaisie s’écrivent, comme les nôtres, de gauche à droite : ce fait pourrait bien indiquer que les habitants de Soulou sont, aujourd’hui du moins, beaucoup plus malais que dayaks. 242 LES POLYNÉSIENS. Quelque soit, du reste, le nom particulier porté par les Dayaks: celui de Dayas seulement au Sud et à l’Ouest de l’île ; d’Idaans au Nord ; de Tidongs à l’Est; de Biadjous au Nord-Ouest, etc., toutes ces populations diverses appartien- nent à la même race, race, avons-nous dit, qui a été regardée par de Rienzi comme la souche des Touradjas, des Bou- guis de Célèbes et des Polynésiens. Plusieurs écrivains ont trouvé que les habitants de l’île Ombay, dans les Moluques, ont quelque analogie avec les Dayaks ; mais si nous en jugeons d’après les descriptions qu’en ont faites, après les avoir vus dans leur île même, Jacques Arago et Gaimard, les compagnons de Freycinet dans son voyage autour du monde, il existait déjà, à cette époque, entre eux et les Dayaks, de très-grandes différences. Yoici la description qu’en donne Arago : (1)« Ils ont le front développé, les yeux vifs, pénétrants ; le nez un peu aplati, quoique plusieurs l’aient aquilin ; le teint ocre rouge, les lèvres grosses, la bouche grande, accentuée, et dans aucun je n’ai trouvé la détestable habitude du bétel et de la chaux si fort en usage chez leurs voisins. Leur abdomen a le volu- me voulu, sans être prononcé comme celui de presque tous les insulaires de ces contrées, et la vigueur de leurs bras se dessine par des muscles en saillie admirablement articulés. » De son côté, Gaimard a tracé un portrait des Ombayens tout différent de celui de son fantaisiste compagnon de voyage : « En général, dit-il (2), les habitants sont ici d’une taille moyenne; plusieurs sont bien faits et fortement cons- titués ; d’autres ont les membres grêles et paraissent d’une complexion faible. Leur teint noir olivâtre offre différentes nuances. L’angle facial, chez le plus grand nombre d’entre eux, est moins ouvert que celui des habitants de Coupang. Ils ont le nez épaté, quelques-uns cependant Font assez bien fait; les lèvres grosses, les dents noircies et en partie dé- truites par l’usage du bétel, la membrane buccale d’un (1) Souvenirs d'un aveugle , tome 1er, p. 255. — Paris, Lebrun. (2) Voyage de l'Uranie autour du Monde , Historique, t. 1er, p. 514. — Paris, 1827. LES POLYNÉSIENS. 243 rouge vif, les cheveux noirs, longs, plats ou crépus, ordi- nairement réunis en touffe, à la partie postérieure du som- met de la tête, à l’aide d’un large ruban d’écorce de figuier. On en voit aussi qui ont les cheveux coupés et qui sont cou- ronnés d’une espèce de cercle qu’ils nomment preki. » D’a- près les deux observateurs ils connaissent la poterie, se ser- vent avec habileté de l’arc et des flèches, sont armés du kriss et portent un bouclier et une cuirasse en peau de buf- fle, ornés de débris de chevelures et de coquillages. Ils ai- ment beaucoup les ornements de toute sorte et se couvrent les bras et les jambes de bracelets d’os et de feuilles de vacois. « Il est impossible de ne pas reconnaître dans la plupart de ces caractères ceux de la race mélanésienne ; et si quelques- uns semblent appartenir aux Dayaks, il faut conclure qu’il y a eu au moins de forts croisements dans la population. On sait, du reste, que c’est à la race battak ou dayak que les écrivains modernes rapportent aujourd’hui la plupart des populations indigènes des îles de la Malaisie ; telle est par- ticulièrement l’opinion du docteur hollandais Yan Leent, qui ne voit que des Battaks dans les habitants de Célèbes, appelés Macassars et Bouguis, dans ceux de Timor, dans ceux de Sumbava et de Lombok, d’après Zollinger, etc. Le même écrivain nous apprend que chaque tribu Dayak a un idiome particulier ou à peu près et que ces idiomes diffèrent tellement les uns des autres que les tribus voisines ne se comprennent pas. « Dans l’Ouest, dit-il, l’idiome dayak est très-mélangé de Malais ; ailleurs, de Javanais ou de Bou- guinais ; cet idiome est encore trop peu connu pour que nous puissions dire, avec quelque fondement, à quelle langue l’idio- me dayak est apparenté, ou quelle en est l’origine. Nous pos- sédons une grammaire et un dictionnaire de l’idiome du dis- trict de Pulo-Petak. Ils ont été composés parle missionnaire Hardeland, qui a traduit une partie de la bible en Dayak. Le savant Yon Gabelentz a également écrit une grammaire de l’i- diome de Pulo-Petak. La connaissance de la langue des Dayaks est rendue singulièrement difficile par le manque ab- solu d’écriture. » 244 LES POLYNÉSIENS. Il nous apprend enfin que quelques tribus : Kay an, Mang- ketan, Poenan et Ot, offrent des différences remarquables comparées aux autres. La première habite les montagnes centrales de Bornéo ; elle a un roi et elle est de taille plus élevée que les autres tribus les plus anciennes de Bornéo. Nous ne terminerons pas sans signaler cette assertion de Rienzi(l), que les Dayaks prétendent qu’ils ont été soumis jadis àl’empire chinois, mais qu’à leur tour à une époque très reculée, ils ont vaincu et colonisé Sumatra, Java, Bali,Holo, Mindanao, Luçon et plusieurs autres îles de l’archipel des Philippines. (1) Loc. cit., t. 1er, p. 260. ♦ TABLEAU LINGUISTIQUE COMPARATIF LES POLYNESIENS t 245 H H «H H J S Ci t fs rfl 53 ri r— ’ c3 PU «3 • ci • 53 rfl ri 'ri rfl ri Eh M D b> D 53 "ri S c3 'S a 53 -M -t-i c3 S rfl ri -M ri S c3 ri S J S ►4 • • r- 1 c3 ! • • rH rH C3 ' rH ri r—H e f*H rO • (H ri ri rH o ri -fl ri O 53 c3 ri ri ri m -M ~4“) -♦— * +-> c3 ri ri ri ri g S Pi 53 M 5 ^ bQ O ^ Q « 3 « ü g *p> ïk ts s v» «' <3 Qj <3 Or Cq <3 Cq Q G) m • r- $ ,5 Td n Ci o rfl Cm C3 U bo O fl (2) Orthographe hollandaise. (3) Ce mot seul se rapproche de celui qui rend « tête » aux îles Pelew. III BOUGUIS. Caractères des Bouguis de Célèbes, d’après Stavorinus ; de Rienzi ; I. Pfeiffer ; Dumont d’Urville, Quoy et Gaimard ; Jurien de la Gravière. — Opinions contradictoires sur les Bouguis ; — Ce sont des métis d’Alfourous ou Dayaks et de Javanais ou Malais. — Ressemblan- ces entre le Bougui et le Polynésien ; — Caractères linguistiques du Bougui et du Mangkasara. — Ces ressemblances prouvent que la civi- lisation polynésienne s’est étendue jusqu’à l’Inde. L’ancienne langue bouguise était une langue polynésienne. On donne le nom de Bouguis (1) à l’une des populations de Célèbes, formant, sous le nom de Wadjou , l’un des nombreux petits états de cette île. Célèbes g*ît entre 1° 46’ N. et 5° 42’ lat. S. et 118° 45’ et 125° 15’ long-. E. La population totale del’île, d’après Yan Leent, est de 1,407,000 âmes ; les indigènes sont représentés par des Alfourous, des Bouguis et des Makassa- rais. Les Alfourous occupentles presqu’îles Nord-Est et Sud- Est et l’intérieur du pays. Ils ont été chassés des côtes par les Bouguis, ou ils se sont mêlés à leurs vainqueurs. Ces trois peuples, dit le savant hollandais, appartiennent àlarace battak. Il ajoute que le Minahassa ou confédération de Me- nado comprend environ 99,300 âmes, dont 621 Européens, 1200 Chinois, 11 Arabes et 97,000 indigènes. Les Bouguis passent pour très anciens et paraissent avoir (1) Nous écrivons Bouguis , parce que ce nom est le plus connu et qu’il se rapproche le plus de la prononciation qu’on doit lui donner; cependant nous croyons que Houguis serait préférable. Ce nom, du reste, est encore écrit Boughi , Wougui, Bugi , Hugi ; dans ces deux dernières orthographes Vu est prononcé ou et le g com- me s’il était suivi d’un w, ainsi que cela se fait toujours pour la langue polynésienne. LES POLYNÉSIENS. 247 joué autrefois un rôle important. Grands navigateurs et en- treprenants, ils ont fondé diverses colonies au loin. On les dit très braves, fidèles, et, semblables à quelques peuples de l’Europe, ils louent aujourd’hui leurs services aux peuples voisins, et particulièrement à ceux du Cambodge, de Siam et de l’Annam. Ce qui prouve que les Bouguis datent de loin, c’est que leurs contes constatent des dates hindoues remontant au moins jusqu’au 3e siècle. Ce fait indique, d’un au- tre côté, contrairement à ce que l’on croit généralement, qu’ils ont reçu la civilisation hindoue presque en* même temps que les Malais et les Javanais. Ce qui le prouve en- core, c’est que la plupart de leurs dieux portent des noms hindous et qu’il en est de même des, mois de leur calendrier; c’est aussi parce qu’ils ont adopté la classification particu- lière et technique de l’alphabet sanskrit, etc. Mais ils n’ont pas moins des caractères anthropologiques qui les différen- cient des Javanais et des Malais, et, plus qu’eux encore, ils ont un langage qui renferme de nombreux mots polynésiens. Ce sont ces caractères et ce langage qui ont fait croire tout d’abord à d’Urville qu’ils avaient pu être les ancêtres des Polynésiens, et à d’autres auteurs qu’ils n’étaient que de vé- ritables Dayaks. Yoici les caractères que leur donnait le chef d’escadre hol- landais Stavorinus, pour lequel Boniens et Bouguinais n’é- taient que le même peuple (1) : Taille moyenne ; muscles prononcés ; Couleur brun-clair, quelquefois très claire ; Traits réguliers. Il ajoutait : Les femmes sont jolies, mais elles ont le ne2 un peu épaté. Une pareille description ne pouvant suffire, nous ajoute- rons celle de Rienzi, qui les avait vus. Or, voici celle qu’il en fait (2) : Grands, forts, bien faits. (1) Loc. cil ., 1er vol., p, 131, 132, (2) Loc. cit., 1er vol., p. 230. 248 LES POLYNÉSIENS. Nez aplati, par suite, dit il, de l’usage de le comprimer. Couleur moins cuivrée que celle de la plupart des Malais dont ils n’ont pas la face équarrie et osseuse. De Rienzi trouvait aussi qu’ils ressemblaient plus aux Dayaks et aux Polynésiens, et surtout aux Carolins et aux Tongans qu’aux Malais ; il se contentait, du reste, suivant son habitude, de paraphraser le texte de Dumont d’Urville, qui avait dit (1) : « Au premier abord, j’ai été frappé d’étonnement en voyant combien le caractère défiguré, la tournure et l’extérieur des habitants de Célèbes, près Manado, rapprochaient bien plus ces hommes des Polynésiens que des Malais. Leur teint est plus clair, leur visage plus arrondi et leur corpulence plus marquée que dans la famille malaise proprement dite. En un mot, il me semblait retrouver parmi eux plusieurs de ces figures que j’avais observées à Taïti, à Tongatabou ou à la Nouvelle-Zélande, tandis que je ne retrouvais aucun rapport ni avec les Papous de Doreï, ni avec les faces équar- ries et osseuses des Malais. » La description de Rienzi n’est autre, comme on voit, que celle donnée par d’Urville; mais, ce que ni l’un ni l’autre n’ont remarqué, c’est que ce n’est pas l’exposé exact des caractères des Bouguis et qu’une pareille description n’est que celle des Alfourous de Célèbes, comme nous allons le montrer. De même que de Rienzi, Madame Pfeiffer trouvait, elle aussi, que les Bouguis sont : grands, forts, avec une physio- nomie mieux formée, moins laide que celle des Javanais, et avec un teint plus clair. L’un et l’autre différaient donc seulement d’opinion avec Stavorinus quant à la taille, tout en s’accordant pour le reste. Nous croyons que cette diffé- rence d’observation vient de ce que Tun a voulu par- ler plus particulièrement des hommes de l’intérieur, et les autres de ceux des côtes, c’est-à-dire des Touradjas purs ou fortement mêlés aujourd’hui, soit avec les Malais, soit avec les descendants croisés des Dayaks. On sait que les Touradjas, (1) T. Y, 2e part., p. 435. LES POLYNÉSIENS. 249 sont les habitants d’une grande contrée montagneuse de Célèbes portant le même nom. Cette contrée est justement celle dans laquelle se trouve le lac de Tondano visité par d’Urville et ses compagnons en 1828. On a décrit les Tou- radjas comme ayant tous les caractères dé la race daya ou polynésienne, comme livrés tous au paganisme et comme se montrant d’autant plus purs qu’ils ont moins de relations avec les côtes de l’île fréquentées par les Malais, les Biad- jous et autres populations, et où, nécessairement, ils ont pris quelque chose des habitudes et de la physionomie de ces étrangers. En un mot, on les a dépeints absolument comme les Alfourous que nous avons pu voir en même temps que d’Urville ; et c’est pourquoi nous sommes con- vaincu qu’ils ne sont eux-mêmes que des Alfourous. Pour donner une idée exacte de ces Alfourous et montrer en même temps que ce sont ces hommes que d’Urville a pris pour type des Bouguis, nous allons donner la description qu’en ont faite Quoy et Gaimard, après les avoir vus comme nous sur les lieux mêmes. Ils sont petits, bien faits; La couleur de leur peau est plus blanche que celle des Ma- lais, et d’autant plus claire qu’ils habitent des lieux plus éle- vés ; ceux des plaines et des bords de la mer sont bien plus foncés ; Us ont le visage arrondi, la barbe épilée ; Leur yeux sont ovalaires, bien faits, n’ayant rien des yeux chinois ; Leurs cheveux sont noirs, lisses et très longs surtout chez les femmes. Ils vont presque entièrement nus et ne se couvrent qu’a- vec un maro ; Leurs habitations sont élevées sur des pieux au-dessus de l’eau ou du sol ; Leurs mœurs sont douces ; Leur religion est peu connue : ils ne sont pas mahométans et ne pratiquent pas de culte extérieur. Cette race, disaient-ils enfin, estloin d’être partout la même 17, 250 LES POLYNÉSIENS. et pourrait bien être autochthone. Elle diffère sensiblement des Papous ou des Malais du littoral. Le P. Vincent, de son côté, dit que les habitants de Célèbes sont grands et robustes, moins basanés que les Sia- mois, et qu’ils ont le nez plus écrasé, par suite de l’habitude des nourrices de l’aplatir, pour donner plus de beauté (1). On verra bientôt, en effet, que cette race n’est pas partout aussi distincte, mais qu’elle conserve cependant ses caractères principaux. C’est même probablement parce qu’elle varie de taille et surtout de couleur, suivant les lieux, que les voyageurs ne se sont accordés pas plus dans la description qu’ils en ont faite que sur la place qu’elle devait occuper. Pour nous, les différences observées ne tiennent presque certai- nement qu’aux milieux dans lesquels elle vit et aux mé- langes qui se sont opérés, dans les proportions les plus variées, avec les populations voisines. Nous venons de le voir, Quoy et Gaimard étaient portés à la considérer comme pouvant être la race primitive, sans se demander, il est vrai, si elle avait précédé ou suivi la race noire, que pres- que tous les auteurs regardent aujourd’hui comme la véri- table race première occupante. Nous ne pensons pas que les Bouguis soient autochthones ; mais leur habitat dans l’inté- rieur et sur les montagnes suffit à montrer qu’ils occupent Célèbes depuis un temps fort éloigné et bien antérieur à l’ar- rivée des Javanais et des Malais, ou tout au moins datant de cette époque. Il est bien certain, en effet, que les différences indiquées parles deux naturalistes de V Uranie entre les Alfourous de Tondano et les Papous, sont complètes et caractéristiques, et qu’elles sont fort grandes entre ces mêmes Alfourous et les Malais du littoral, comme on peut s’en convaincre en se reportant à la description que nous avons précédemment faite de ces derniers. Voici ce qu’a écrit à ce sujet l’amiral Jurien de la Gravière (2) : « Les habitants de la résidence de Menado se rapproche- (1) Journal des voyages s t. XXX. (2) Voyage dans les Mers de la Chine , t. II, p. 139. LES POLYNÉSIENS. 251 raient plutôt des naturels de la Polynésie, des Harfours de Bourou et des Dayaks de Bornéo, que des Malais de Suma- tra ou des pirates cuivrés de Soulou. Il suffit d’un coup d’œil pour reconnaître qu’ils n’appartiennent pas à la dernière invasion qui, vers le milieu du 15e siècle, vint occuper les côtes de l’archipel de l’Asie. J’hésiterais à croire cependant qu’il fallût chercher aux Harfours de Menado et à la race Malaise une origine distincte. Ces tribus dispersées ont subi l’influence de climats divers et de dogmes différents, mais elles ont fait partie de la même famille humaine. » M. Jurién avait déjà dit précédemment (1): « Des invasions postérieures ont pu modifier les caractères physiques et les instincts des peuples qui habitent les divers groupes de l’ar- chipel d’Asie. Sur ce point l’élément noir a pu dominer, sur cet autre, l’élément indo -chinois ; mais je ne saurais croire que le nom de Tagals à Manille, d’Illanos à Min- danao, de Javanais dans les provinces orientales de Java, de Sondanais dans la partie occidentale de la même île, de Bouguis et de Macassars dans la mer de Célèbes, suffise à révéler l’existence de races distinctes. Du détroit de la Sonde aux rivages de Formose, je n’ai trouvé que les empreintes plus ou moins altérées d’un type primitif, que les rejetons d’une même souche, que les variétés d’un même peuple. » Cela dit, les Bouguis diffèrent-ils donc des Alfourous de Célèbes autant que les populations précédentes ? Evidem- ment non. On peut en juger d’après l’indigène de Menado en costume, représenté dansle« Voyage pittoresque» ded’Ur- ville : la ressemblance de figure n’existe pas, mais c’est bien son aspect général, ses proportions, sa tournure. Les Bou- guis, comme les Alfourous, ont les traits réguliers, la peau plus claire, les yeux généralement ovalaires, sans avoir la face équarrie et osseuse des Malais, sans avoir, en un mot, leur espèce de laideur tant signalée par Madame Pfeiffer. En outre, on s’accorde à trouver qu’ils se rapprochent davantage, par la physionomie et par les mœurs, des Dayaks, des Bat- taks et des Polynésiens généralement décrits comme grands, (1) Loc. cit ., t. II, p. 4. /- î 252 LES POLYNÉSIENS. forts, bien faits. Ils sont en général plus grands que les Al- fourous de Tondano ; néanmoins nous avons constaté per- sonnellement que ceux-ci ont souvent une taille au-dessus de la moyenne, et que les Bouguis, s’ils peuvent être regar- dés comme généralement grands, sont presque aussi sou- vent, sinon plus souvent* de taille ordinaire. Il en est de même, du reste, d’une foule de populations polynésiennes, présentées tantôt comme toujours grandes, tantôt comme toujours de taille moyenne. Nous avons vu presque toutes ces populations et nous avons reconnu que, si la race polynésienne est, en général, d’une stature éle- vée, rien n’est cependant plus commun que de rencontrer des tailles moyennes dans les mêmes îles, aussi bien parmi les chefs que parmi le peuple. Nous avons pu faire cette remarque à la Nouvelle-Zélande, aux Tunga, à Tahiti, aux Mangareva, aux Paumotu, aux Marquises, etc. Dans la Nouvelle-Zélande, par exemple, qui est peuplée par une seule et même race, la stature générale est plus élevée dans telle localité que dans telle autre. Cela tient évidem- ment au milieu dans lequel vit la population, à des circons- tances soit d’ordre physique, soit d’ordre moral. Outre l’in- fluence des croisements, il faut nécessairement reconnaître celle des milieux sur certains caractères, et particulièrement sur la petitesse ou l’élévation de la taille, quelle que soit la race. Les Bouguis présentent pourtant plusieurs caractères qui les rapprochent surtout des Malais et des Javanais, dont ils ont pris les usages, le costume, la religion et même la langue, bien qu’on y trouve plus de mots polynésiens que dans celles des Battaks et des Dayaks. Si donc les Bouguis ont conservé les principaux caractères des Alfourous, ils en diffèrent au contraire par d’autres. D’Urville eût été cer- tainement plus près de la vérité s’il en eût fait des Dayaks ou des Alfourous, plus ou moins modifiés par leur long contact avec les autres populations malaises. A notre avis, les Bouguis ne sont guère que des Touradjas. Or comme les Touradjas, d’après la description qu’on en donne, et conformément à l’opinion de Rienzi qui* au contraire, dis- LES POLYNÉSIENS. 253 tingue les Alfourous de Bornéo des Dajaks (1), ne sont que des Alfourous appartenant à la même famille que les Dayaks, il s'en suit que les Bouguis sont eux-mêmes des membres de cette famille, en un mot des Touradjas, Dayaks ou Alfourous, mais croisés presque certainement avec les Malais ou les Javanais. Pour R. P. Lesson, les Touradjas étaient de véritables Dayaks ; et il avait trouvé tant de points de contact entre ceux-ci et les Bouguis, qu’il s’était demandé s’il ne fallait pas regarder les Bouguis eux-mêmes comme des Dayaks. « Peut-être, dit-il (2), faut-il placer parmi les Dayaks les Bouguis de Célèbes, les Battas ouBiadjous anthropophages de Sumatra, les Orangs-Matawis des îles Pogghi, les Arafou- ras ou Orangs-Benoa à peau jaune et idolâtres de la presqu’île Malacca, les Samangs des plateaux intérieurs, les Arafouras de Bourou et de Ceram. Quant aux Alfourous de Célèbes, ils sont bien de véritables Dayas d’un jaune clair et sem- blables aux Océaniens. » Non-seulement nous sommes de son avis, mais nous croyons que ces diverses populations appartiennent certainement toutes à une même race restée plus ou moins pure suivant les lieux et les circonstances. Toutefois de Rienzi était d’opinion différente ; il admet- tait bien que les Bouguis n’étaient que des Dayaks, mais, contrairement à la plupart des auteurs, il faisait une race distincte des Alfourous qui, d’après lui, existent aussi b Bornéo, qu’il regardait comme L'officina de tous les peuples malais, javanais et polynésiens. On trouve à Bornéo des lieux, des tribus portant absolument le même nom que des tribus et des lieux de Sumatra, par exemple : tels sont Taagals, Bissayas, Rejang, etc. Ce dernier nom est celui d’une tribu et d’une rivière ; c’est à cette tribu que de Rienzi attribue celle du même nom à Sumatra. Or c’était d’un lieu appelé Bouguis et peuplé par des Dayaks, sur la côte sud-est de Bornéo, qu’était partie, disait-il, la colonie qui alla se fixer à Célèbes. Mais il n’apportait pas le moin- (1) Loc. cit p. 220. (2) Tableau des races humaines , p. 65. 254 LES POLYNÉSIENS. dre témoignage à l’appni de cette assertion, et sa conclusion était seulement basée sur l’analogie du nom, qui, certaine- ment, pouvait tout aussi bien prouver le contraire. Ceci, il est vrai, n’a pas empêché de Rienzi, dans un autre passage de ses livres, de dire (1) que la langue Bouguise ancienne était la mère des langues Kawi, Pâli et Malaie, et, en un mot, que le foyer de la civilisation des peuples malais et polynésiens devait être placé dans le pays des Bouguis, quoi qu’il soutienne, dans tout son travail, que Bornéo est le lieu d’origine des uns et des autres, c’est-à-dire aussi bien des Touradjas, des Alfourous et des Bouguis que des Malais, des Javanais et des Polynésiens. On a pu voir précé- demment qu’il fait descendre les Javanais et les Balinais des Bornéens et des Hindous ; les Malais de Sedang sur Bornéo, etc. Nous allons montrer également que, de même que la langue kawi, la langue oouguise n’appuie nullement les assertions si contradictoires de Rienzi. Nous ajouterons àcette occasion que nous ne pouvions guè- re nous dispenser de citer ces contradictions, carde Rienzi est l’auteur auquel les ethnologues de France ne cessent, de- puis quelques années, d’accorder une autorité qu’il n’a cer- tainement pas. Le dire sans le prouver eût, sans doute, été peine perdue ; voilà pourquoi nous avons cru devoir insis- ter ici, comme nous le ferons ailleurs, sur les opinions si contradictoires d’un voyageur aussi connu. En somme, les Bouguis ne sont guère pour nous que des métis d’ Alfourous ou Dayaks et de Javanais ou Malais. Déjà R. P. Lesson avait dit (2) : « Les habitants des Célèbes et des Moluques diffèrent peu des Javanais. » Voilà pour- quoi, sans ressembler à ces derniers, ils en ont cependant quelque chose, tout en conservant seulement moins purs les caractères des Alfourous. Certes, de pareils caractères suffisaient pour qu’on les rapprochât des Polynésiens et pour qu’on songeât, ainsi qu’on l’a fait depuis d’Urville, à les regarder comme appartenant à la même race ; c’est (1) Ouvr. cité, l£r vol., p. 234. (2) Tableau des races humaines , p. 63. LES POLYNÉSIENS. 255 même à l’occasion de cette ressemblance avec les Polyné- siens que le grand navig*ateur français avait engagé le gouverneur Merkus à faire des recherches sur le langage des Bouguis. Mais il n’est pas moins vrai que les caractères des Alfourous purs ou Dayaks offrent encore plus d’analo- gies avec ceux des habitants de la Polynésie et que ce se- rait par conséquent plutôt à ceux-là que les partisans d’une origine célébienne auraient dû attribuer celle des Polyné- siens. En effet, la crâniométrie établit avec quelque probabilité que les populations célébésiennes sont formées, outre l’élé- ment jaune, d’un élément mélanésien, d’un élément bra- chycéphale probablement noir, et enfin d’un élément plus ou moins voisin du type blanc, se rapprochant parfois du Polynésien et s’en éloignant dans d’autres cas : c’est ce type que M. Hamy a caractérisé par la désignation d’indonésien (1). Nous ne parlerons pas ici des Macassarais qui, de tous les peuples de Célèbes, sont cependant ceux qui se rapprochent le plus des Bouguis dont ils sont voisins. « Leur figure, dit Stavorinus (2), est moins belle mais plus mâle que celle des Bouguis. Leur vêtement consiste en une pièce d’étoffe qui entoure les reins et passe entre les cuisses. Leurs che- veux sont noirs, portés longs et leur tête est couverte d’un morceau d’étoffe ; ils s’épilent toutes les autres parties du corps, et comme les Javanais, ils ont le haut du corps com- plètement nu. » Il ajoute qu’ils sont grands., forts, plus cou- rageux que les Bouguis et que, contrairement à ceux-ci, ils ont une profonde aversion pour la trahison. Ce qui a le plus contribué à faire naître l’opinion de la parenté entre les Bouguis et les Polynésiens, c’est qu’on a trouvé dans la langue des premiers un assez grand nombre de mots polynésiens ; ce nombre même a été porté par Crawfurd au quart de tous les mots bouguis. Nous ne pou- vons ni infirmer ni confirmer cette assertion, mais nous (1) Etudes sur les crânes Boughis et Dayaks du Muséum d'histoire naturelle , parle I> Montano. — Masson, in *8°, 1878. (2) Loc. cit ., p. 132s 258 LES POLYNÉSIENS. pouvons l’étayer de quelques exemples, en nous bornant toutefois au tableau suivant : EOUGUI. MAORI. Action de couper. Avancer, glisser en avant. Premier, parents. Lieu précis, marque du superlatif. Nous poumons encore citer tout particulièrement le mot femme, qui se dit bahini à Macassar, wewone à Manado, et qui est rendu à Tahiti par vahiné , à la Nouvelle-Zélande par wahine, à Rotuma par fa fine, etc. Nous pourrions citer éga- lement le mot aggui , nom que Ton donne aux prêtres Bouguis, et qui rappelle si bien les mots egui, eîki , aïki des îles Tunga et arii , ariki des autres îles à populations polynésiennes. Chef, à Célèbes, se rend au contraire par le mot arong. Yraiment, en voyant de pareils mots chez un peuple qui se rapproche tant déjà des Polynésiens par plusieurs carac- tères physiques, on ne peut qu’être frappé de cette nouvelle identité. Cela prouve, au moins, qu’il y a eu autrefois des rapports entre les deux populations, si elles n’ont pas eu certainement une même origine. Ces rapports sont égale- ment établis par la grammaire, car les Bonguis, comme les Polynésiens et les Malais, n’ont ni genres, ni nombres, ni cas pour les noms ; ni modes, ni temps, ni personnes pour les verbes : eux aussi se servent de particules pour les exprimer. Mais il ne faut pas croire cependant que la langue houguise se rapproche, par cela même, plus du Polynésien que de toute autre. C’est, aujourd’hui du moins, avec les langues malayo-javanaises qu’elle a le plus de rapport, comme le prouvent et l’ensemble de la langue, et l’alphabet kawi ou sanskrit qu’elle a adopté. Cet alphabet lui-même prouve que la langue bouguise est très-vieille en civilisa- tion et confirme l’opinion de Rienzi qui regardait les Oudang- Kotenga . . . Principal. Paneke ..... Principauté . Mattoua .... Chef, gouverneur. Tino Rivière. etc. Kotinga Paneke . Ma tu a . Tino . . . etc. LES POLYNÉSIENS. 25? Oudang ou codes de Java comme étant bien moins anciens que les lois et les annales des Bouguis. Yoici, du reste, ce que les auteurs disent de cette langue et de celle des Macassars. Excepté les dialectes de quelques tribus, il n’y a guère que deux langages principaux pariés à Célèbes, celui des Bouguis et celui des Macassars appelés dans le pays ^fyugi et Mangkasara . Le langage des Ma- cassars diffère de celui des Bouguis, mais il lui ressemble par beaucoup de mots communs. Le Bougui ou Wugi passe pour être plus riche et plus cultivé que le Mangkasara. Tous les deux ont la simplicité de structure de tous les lan- gages de l’archipel Indien, et ils se distinguent même du Malai par. la douceur de leur prononciation, surtout le Macassarais qui a moins de mots étrangers. Après le Wugi, le Mangkasara est le langage le plus répandu. Aucun mot, dans ces langages, ne se termine par une consonne, excepté par la nasale ng, et, comme dans le Polynésien, et même le Fijien, jamais deux consonnes ne se rencontrent. La langue bouguise est très ancienne ; c’était la langue savante et religieuse de Célèbes. L’importance, la richesse et l’antiquité de la littérature bouguise, l’ont fait placer à la tête des langues célébiennes. On a même dit que les Bouguis possédaient un ancien langage équivalent au Kawi de Java et au Pâli des nations bouddhistes ; mais, ainsi que le fait observer Crawfurd, la connaissance de ce langage est peu répandue et, comme on n’a pu se procurer un vocabulaire bougui, on ignore jusqu’à quel point cet idiome se rapproche ou s’éloigne du Sanskrit, du Pâli et du Kawi. De Rienzi était-il parvenu à s’en procurer un ? Il est certain qu’il trouvait que le Bougui se rapprochait du Malai, du Pâli et du Kawi ; c’est même ce qui lui a fait dire, comme on a vu, que le Bougui était la langue mère de ces trois langues. Cette assertion est évidemment une erreur, car on sait parfaitement d’où vient le Kawi et à quelle épo- que il est arrivé de l’Inde pour se répandre dans la Malaisie et presque en même temps à Célèbes qu’à Java : des dates montrent qu’il existait à Célèbes vers le 3e siècle. 258 LES POLYNÉSIENS. Ce qui prouve bien que les Boug-uis ont été civilisés par les Hindous, c’est qu’ils ont adopté la classification parti- culière et technique de l’alphabet sanskrit, qui au contraire a été rejetée à Java. Cette adoption de l’alphabet sanskrit ne doit pas laisser douter en effet que ce fut alors que com- mença la civilisation des Boug-uis. Mais, fait curieux, la lang-ue de ces mêmes Boug-uis qui adoptèrent l’alphabet sanskrit, contrairement aux Javanais, a non-seulement moins de mots sanskrits que le Javan vulg-aire, mais même moins que le Malayou. Il y a même des auteurs qui sou- tiennent qu’on ne trouve pas un seul mot. sanskrit dans le Boug*ui et le Macassarais, ce qu’ils expliquent en disant que les peuples de Célèbes ont été les derniers à recevoir les idées de l’Inde et qu’ils se sont trouvés convertis à l’isla- misme presque en même temps que les autres peuples de l’archipel Indien. Nous croyons, comme ces derniers, que les Boug-uis n’ont reçu les idées de l’Inde qu’ après les autres et qu’ils ont été convertis, pour les raisons que nous avons données, presque en même temps que les Javanais et les Malais, mais nous ne partag-eons pas leur manière de voir quant à l’absence complète de mots sanskrits. Qu’il y en ait moins que dans le Javan vulg-aire et le Malayou, c’est pos- sible, mais il y en a certainement, quand ce ne serait que le mot touradja. L’alphabet boug-ui consiste, du reste, en 18 consonnes et 5 voyelles, auxquelles on ajoute 4 consonnes supplémen- taires, qui ne sont g-uère que des aspirations, et une voyelle additionnelle. La lang-ue et l’alphabet boug*ui offrent, dit -on, peu de différence avec l’alphabet et la lang-ue battak de Sumatra ; mais nous avons déjà montré que le battak se rapproche beaucoup plus du Malai que du Boug-ui (1). Au surplus, d’après le Dr Van Leent, les Boug-uis et les Macas- sarais se servent de deux dialectes différents, mais homo- g-ènes et appartenant tous les deux à l’idiome malai ; et il ajoute (2) que ces deux lang-ues contiennent des mots (1) Voy. Tableau linguistique, p. 229. (2) Célèbes , Archives de médecine navale , t. XV, 1871, p. 241- 257. LES POLYNÉSIENS. 259 javanais, malais, sanscrits et arabes ; qu’elles s’écrivent avec les caractères arabes depuis l’invasion de l’islamisme, quoique toutes les deux possèdent des caractères propres ; et en note il dit que c’est au savant polyglotte, leDrMatthis, que l’on doit la connaissance des différents idiomes des peuples de Célèbes : il avait sans doute oublié Crawfurd. En somme, que la langue bouguise ait plus ou moins de mots sanscrits, on voit qu’elle possède beaucoup de mots polynésiens et même, s’il faut en croire Crawfurd, jusqu’à un quart du nombre total. Mais elle se rapproche plus aujourd’hui du Malai que de toute autre langue, de même que la population se rapproche du peuple malai par les usages, le costume, et surtout la religion. Tous les Bouguis et les Macassarais sont mahométans, tandis que les Alfourous sont restés païens malgré les tentatives faites pour les convertir ; tous sont commerçants, grands navi- gateurs, et l’on cite, entre autres, parmi les colonies qu’ils ont fondées, celles de Banca, de Poulo-Laout, de l’île Sumbava, etc. Ce n’était donc pas tout-à-fait à tort que d’Urvillese disait disposé à regarder Célèbes comme le berceau de la race polynésienne ou du moins comme l’une de ses stations principales, si la langue des Alfourous, qu’il confondait avec les Bouguis, présentait plus de rapports avec le Polynésien que le Malai. Ce qui prouve bien, du reste, qu’il n’avait point reconnu le Polynésien dans la langue des Alfourous de Manado parlée devant lui, c’est le regret qu’il exprime quand il s’écrie (1) : « Combien j’aurais désiré connaître leur langue, afin de pouvoir les questionner et obtenir d’eux une foule de renseignements ! » Il était loin de se douter que c’était la langue bouguise elle-même qui avait tant de mots polynésiens noyés, pour ainsi dire, dans un fond de langue tout différent, et il était plus entraîné par la ressemblance extérieure des Alfourous ou Touradjas avec les Polynésiens, que par leur langage. C’est que cette ressemblance n’existe pas seulement dans (1) Texte du Voyage , t. Y, 2e partie, p. 438. 260 LES POLYNÉSIENS. les caractères physiques, elle s’étend même aux croyances, aux usages, etc. Comme les Polynésiens, les Alfourous de Célèbes croient aux esprits malfaisants ; ils ont une espèce de tapu ; leurs femmes prennent part aux affaires, de même qu’en Polynésie. Comme les Polynésiens encore, ils préten- dent que l’un de leurs premiers rois, avant l’arrivée des Javanais et des Malais, a été une femme descendue du ciel, et nommée, à cause de cela, Tu-manu-rong : la légende de Tawhaki nous montrera que la même croyance existait en Hawahiki , c’est-à-dire dans l’île du Milieu de la Nouvelle- Zélande. Or tu et manu sont des mots polynésiens, ou qui, du moins, se retrouvent en Polynésie ; quant à rong , il semble n’être que le mot rangi « ciel » modifié, et alors tu-manu-rong , traduit mot-à-mot en Maori, signifie : « oiseau venant du ciel, » Quoi qu’il en soit, en retrouvant dans la langue bouguise tant de mots polynésiens, on dut naturellement rechercher comment ils avaient pu en faire partie. Nous allons exposer rapidement les explications auxquelles on s’est arrêté aussi bien pour la langue de cette île que pour celle des autres îles à populations malaisiennes. Les partisans de l’autochthonie des habitants de Célèbes, de même que ceux qui plaçaient leur berceau à Bornéo et parmi les populations dayaques, en donnaient une explica- tion fort simple ; mais les derniers étaient forcés d’admettre que les Bouguis, bien que descendants directs des Dayaks, étaient des émigrants arrivés postérieurement. On a vu que telle était l’opinion de Rienzi qui, il est vrai, en avait en même temps une toute opposée. Toutes ces populations parlant la langue dite aujourd’hui polynésienne, ils avaient, disaient-ils, emporté tout naturellement cette langue avec eux dans leur émigration vers les îles polynésiennes. Ainsi s’expliquaient non-seulement le peuplement de l’Océanie, mais l’existence de mots polynésiens en si grand nombre à Célèbes, en nombre plus restreint dans les autres îles de la Malaisie, et l’on supposait que le fond même du langage avait pu être dénaturé ou remplacé par la [langue des Javanais et des Malais. LES POLYNESIENS. 261 Mais on ne remarquait pas que le Polynésien ne contient qu’une très minime proportion de mots malais ou sanscrits, et que, pour expliquer cette grande pureté de la langue polynésienne, il était nécessaire de faire partir les émigrants avant l’arrivée de leurs vainqueurs à Célèbes, ou tout au moins fort peu de temps après. En outre, comment croire à l’autochthonie d’une race qui, non-seulement à Célèbes et à Bornéo, mais pour ainsi dire dans toutes les îles grandes ou petites, et même plus loin, a été trouvée en même -temps qu’une autre race, la race noire, que tous les ethnologues s’accordent à regarder comme autochthone et première occupante? Comment admettre que cette race, si elle avait été aussi nombreuse autrefois qu’elle a paru l’être à Bornéo, et à Sumatra, par exemple, aurait pu être refou- lée par les envahisseurs malais ou javanais, comme elle paraît avoir refoulé elle-même, dans l’intérieur de quelques îles, la race noire qui s’y trouvait ? Quels témoignages, d’ailleurs, a-t-on de sa migration vers la Polynésie, de son passage dans les îles intermédiaires ? Aucun, pas plus qu’on n’en a trouvé en faveur du passage des Malais. Comment surtout des noms de localités malaisiennes ou malaises, se- raient-ils si rares enPolynésie, quoi qu’en aient dit Thompson et ses partisans, si telle avait bien été l’origine des habitants des îles polynésiennes ? etc. Nous n’en finirions pas, s’il fallait seulement indiquer les objections qu’il est possible de faire à cette opinion, opinion qui, en définitive, est in- soutenable. Dans tout ceci on ne saurait admettre qu’une seule chose : c’est qu’une partie des mots polynésiens trouvés en Malaisie a probablement été absorbée, avec le temps, par la langue des envahisseurs, c’est-à-dire trans- formée ou bien remplacée volontairement, par suite de cette habitude polynésienne, si prononcée encore aujourd’hui, qui, ainsi que nous le ferons voir ailleurs, consiste à s’ap- proprier les mots étrangers. On sait en outre que, dans des circonstances particulières, certains mots finissent, avec le temps, par tomber en désuétude. D’autres écrivains, et c’est le plus grand nombre, afin d’expliquer la présence de mots polynésiens à Célèbes ainsi 262 LES POLYNÉSIENS. que dans le reste de la Malaisie, ont supposé que ces mots, eux aussi, faisaient partie de la langue parlée par les pre- miers émigrants à peau jaune ; mais pour eux ces émigrants sortaient de l’Asie qu’ils regardaient comme la patrie com- mune de tous les peuples, et c’était surtout de l’Inde qu’ils les faisaient généralement venir. Pas un cependant n’a pu désigner quel est, parmi les nombreux peuples de cette partie de l’Asie, celui qui, dans un temps ancien, aurait parlé une langue analogue à celle des véritables Polynésiens. Guillaume de Humboldt, l’auteur de l’immense ouvrage sur la « grammaire Kawi » (1), a le premier annoncé qu’il avait trouvé dans le Sanscrit quelques éléments poly- nésiens ; mais, plus tard, nous ferons voir que ces éléments sont bien moins nombreux qu’il ne le supposait : cela vient de ce que, comme Bopp, il confondait à tort le langage des vrais Polynésiens avec celui des diverses populations ma- laises. Toutefois, en découvrant ces éléments, il a conclu qu’ils n’étaient que « les traces d’une civilisation polyné = sienne en contact avec le Sanscrit sur le sol même de l’Inde, » c’est-à-dire qu’il croyait, avec Bory-Saint-Y incent ' et quelques autres écrivains, que les Polynésiens s’étaient rendus jusque-là. Ce témoignage, il est inutile de le dire, est de la plus haute importance pour la thèse que nous sou- tenons. Quand même on aurait trouvé, dans les divers lan- gages de l’Inde, bien plus de mots polynésiens qu’on ne paraît l’avoir fait, cela ne saurait donc guère prouver autre chose que l’arrivée dans l’Inde de quelques colonies poly- nésiennes, ainsi que le croyait G. de Humboldt lui-même, Telle n’était pas pourtant l’opinion de Bopp qui, en présence du petit nombre de mots sanscrits trouvés dans ce qu’il appelait les langues malaies-polynésiennes, affirmait que ces langues n’étaient qu’un rejeton du Sanscrit ; cette opi- nion n’est plus soutenable, bien qu’elle soit celle de Buschmann et de plusieurs autres linguistes. D’un autre coté, on sait aujourd’hui, grâce ajLix remarqua- (1) 3 vol. in-4° ; t. I, 1836; t. II, 1838 ; t. III, 1840; Berlin. — La grammaire comparative en 4 dialectes Polynésiens : Tunga, Néo- Zélandais, Tahitien, Sandwichien, a été achevée par Buschmann. LES POLYNÉSIENS. 263 blés explorations de courageux voyageurs français, qu’il existe des témoignages de l’arrivée bien probable, à une époque reculée, des Polynésiens dans le Cambodge et le Laos. Le regretté Mouhot, entre autres, nous a appris qu’un Kampong ou village du Cambodge porte le nom caractéristique de Savaï, et que, dans le Laos, ou plus exactement entre les royaumes de Siam, de Cambodge et d’Annam, il existe des populations qui, si elles ne sont plus nettement polynésiennes, semblent du moins s’en rapprocher beaucoup. Nous parlerons plus en détail des Stiengs et des autres populations du bassin du Mékong' lorsque nous exposerons jusqu’où se sont étendues les migrations polynésiennes. Nous nous bornerons à dire ici que Mouhot, avec la plupart des écrivains, donnait à ces diverses populations une origine asiatique et qu’il plaçait leur berceau plus particulièrement dans le Laos, ce qui, croyons-nous, n’avait point encore été fait ; mais ici encore manquent les preuves linguistiques. Aussi, croyons-nous que les analogies indéniables, qu’il a fait connaître, indiquent seulement la venue jusque-là de colonies polynésiennes ou malaisiennes, dans des temps très-anciens et bien antérieurs à l’arrivée des colonies ma- laises dont la présence paraît être attestée par les quelques mots malais retrouvés dans cette partie de l’Asie . En résumé, nous ne pensons pas qu’on puisse considérer les Bouguis, pas plus, du reste, que les autres habitants de la Malaisie, comme sortis plutôt de la presqu’île Indo-Chi- noise que de l’Inde elle-même; du moins il sera permis d’en douter tant qu’il n’y aura pas plus de témoignages en fa- veur de cette assertion, surtout de ceux qui sont fournis par la linguistique. R. P. Lesson lui-même, lorsqu’il disait (1) que les Polynésiens avaient dû, selon toute probabi- lité, partir du golfe de Siam et du Cambodge, soulevait eu même temps contre cette provenance l’une des plus fortes objections qu’on pût lui faire : l’absence de toutes traces dans les îles intermédiaires. On verra du reste plus tard que (1) Voyage médical , p. 166. 264 LES POLYNÉSIENS. des mots nombreux et identiquement les mêmes que ceux des vrais Polynésiens, ont été retrouvés non-seulement à Mada- gascar, mais encore dans l’intérieur de l’Afrique, près des sources du Nil et jusqu’en Egypte, ainsi qu’en Amérique, surtout chez les Caraïbes. Ce fait est bien loin d’être favo- rable à une origine asiatique des Malaisiens et des Polyné- siens. Crawfurd, nous l’avons vu, a attribué l’introduction des nombreux mots polynésiens retrouvés dans toutes les îles Malaises, à un « peuple inconnu » parlant le « Grand-Poly- nésien », et venu par voie de migration d’une direction con- traire à celles indiquées jusqu’à présent, c’est-à-dire du côté où se trouve la Polynésie. 11 semble de plus en plus évident, à mesure qu’on approfondit la question, que ce « peuple inconnu » était Polynésien et qu’il venait d’un point quelconque de la Polynésie. Balbi, lui aussi, pensait de même, car il disait (1) : « Nous croyons pouvoir dire que l’existence du peuple qui parlait ce que Crawfurd a appelé le Grand-Polynésien, nous paraît pour le moins aussi bien prouvée que celle du peuple de l’Asie qui parlait le Sans- krit. » Mieux que toute autre, cette hypothèse explique l’existence des mots polynésiens dans tant d’îles différentes de la Malaisie et pour ainsi dire dans toutes, puisqu’ils ont été trouvés aussi bien dans la languie javanaise que dans la langue malaise, aussi bien chez les Battaks, Dayaks et autres Alfourous, que chez les Bouguis. En somme, au lieu d’expliquer la présence, en Malaisie, des mots polynésiens qui s’y trouvent, par l’origine asiati- que ou par l’autochthonie des populations, qui auraient porté leur langue jusqu’en Polynésie, il est bien plus ration» nel d’admettre que les populations des îles Malaises, et sur- tout certaines d’entre elles, ont reçu ces mots de colonies venant de la Polynésie volontairement ou non. Tout ce que nous avons dit jusqu’à présent semble l’indiquer, et tout ce que nous dirons dans la suite le prouvera bien davantage. Pour nous, l’ancienne langue bouguise n’aurait donc été (1) Introduction à l'Atlas , p. 237. LES POLYNÉSIENS. 265 que la langue polynésienne qui, avec le temps, aurait en partie disparu, par suite du métissage de ceux qui la par- laient avec les Javanais, les Malais, les Indiens et autres peuples de race différente. Aujourd’hui, en effet, la langue bouguise actuelle est plus javano-malaise que polynésienne. On ne saurait dire pourquoi c’est la langue bouguise qui, de toutes celles des îles Malaisiennes, a conservé le plus de mots polynésiens, ainsi que cela résulte de l’assertion de Crawfurd ; on ne possède pas encore assez de documents sur les langues de Célèbes et notamment sur celle des Bouguis. Il est fâcheux que l’invitation faite au gouver- neur Merkus par d’Urville, qui en comprenait si bien l’im- portance, n’ait pas pu être mise à exécution. On croit gé- néralement que la langue bouguise, en raison de sa richesse et de son ancienneté, s’est répandue dans les autres îles de l’archipel Indien et particulièrement à Sumbava, Florès, Timor, Boutong, Salayer, Bimi, etc. ; mais on ne saurait dire jusqu’à quel point cette assertion est exacte. Il faut espérer que l’on arrivera quelque jour à préciser le rôle joué par la langue bouguise, aussi bien que la part prise par les Bouguis eux-mêmes à la colonisation et à la civilisation des îles qui environnent Célèbes. i ALFOUROUS. Lieu d’habitat des Alfourous. — Contradictions des observateurs: de Rienzi ; Dumont d’Urville. — Haraforas de Mindanao, d’après Forrest. — Alfourous des Moluques, d’après Rumphius ; Stavorinus ; Forrest; Ligtvoet ; Ida Pfeiffer; Rosenberg; Van Leent ; Raffray ; Teysman. — Alfourous des Philippines. — Alfourousde la Nou* velle-Guinée, d’après les voyageurs anciens et modernes. — - Les Al- fourous purs sont des Polynésiens. Ce que nous venons de dire sur les Battaks, les Dayaks, les Bouguis et les Alfourous de Sumatra, de Bornéo et de Célèbes suffit sans doute pour établir que ces peuples ap- partiennent à une race distincte, différant complètement des Malais, des Javanais, et de toutes les autres popula- tions croisées qui, en même temps qu’eux, habitent les grandes îles de la Malaisie, Mais jusqu’ici nous n’avons en quelque sorte parlé des Alfourous qu’incidemment : comme il y a à leur sujet de nombreuses données tout aussi intéressantes pour la question qui nous occupe, nous ne pouvons nous dispenser d’en faire connaître les princi- pales. Les Alfourous ont été rencontrés dans presque toutes les îles de la Malaisie. Suivant Leyden (1.) ils sont les plus sau- vages et les plus anciens habitants de ces îles et ils forment une race particulière à cheveux longs et à coloration sou- vent plus claire que celle des Malais. On les a aussi ren- contrés, d’après quelques auteurs, dans les Philippines, ainsi que dans la Nouvelle-Guinée. Les noms qu’ils portent ne diffèrent guère entre eux que par leur orthographe et il (1) I> Leyden, Notice sur Bornéo (Transactions bataves, t. VII). LES POLYNÉSIENS. 267 est impossible de ne pas reconnaître que ce sont les mêmes mots : on les appelle, en effet, Al for as, Alfouras , Alforis , Al four s , Alforeses , H araforas, Harafours , etc. Ces mots, qui ont une même origine et une même signification, veulent dire en Dayak : a hommes sauvages de l’intérieur des terres. » Pour nous, et beaucoup d’ethnologues partagent cette manière de voir, les Al four ou s appartiennent presque cer- tainement à la même race que les Dayaks et les Battaks, quoiqu’on ne s’accorde pas bien sur leurs véritables carac- tères physiques et, particulièrement, sur leur couleur. Ainsi, suivant de Rienzi (1), les Alfourous appartiennent, h peu d’exceptions près, à la race noire ; c’est évidemment une erreur, car on sait aujourd’hui qu’ils sont plus blancs que les populations malaises, non-seulement à Sumatra, Bornéo et Célèbes, mais encore à Céram, Bourou et Amboine, ainsi que l’ont appris Rumphius et Stavorinus. D’ailleurs, de Rienzi le reconnaît lui-même quelques lignes plus loin, puisqu’il dit que « les naturels de la Malaisie ont appliqué le nom d’ Alfourous, non aux hommes d’une seule couleur, car ils ne sont pas tous noirs, mais aux différentes tribus vivant dans l’état sauvage. » Nous ne signalerions pas cette contradiction, s’il n’en était pas de même pour tout ce qu’il a écrit sur la Malaisie et la Polynésie : ces con- tradictions sont la conséquence du procédé employé par lui pour faire ses livres, la compilation pure et simple aux dépens de ses prédécesseurs (2). De Rienzi ajoute même que les Alfourous de Bourou sont couleur de cuivre ; les Battaks de Sumatra* couleur jaune foncé, ainsi que lesTou- radjas ou Alfourous de Célèbes; les Alfourous de Mindanao et de Mindoro, d’un noir foncé ; ceux de Luçon, de deux nuances noires, par suite de leur mélange d’Endamène et dePapua, etc. De même que de Rienzi, d’Urville, lui aussi, était disposé (1) Océanie , t. 1, p. 19. (2) Yoir ce que dit à ce sujet R. P. Lesson dans sa Notice sur dé U r ville, p. 91, et dans maints endroits de ses ouvrages. 268 LES POLYNÉSIENS. h regarder les Àlfourous comme des noirs. « Enfin, dit il (1), il est aujourd’hui presque avéré que les Alfourous de Timor,, de Céramet Bourou, les Négritos del monte ouAëtas de Mindanao, les Indios des Philippines (2), les Ygolotes de Luçon, les Négrillos de Bornéo, les noirs de Formose, des Andaman, de Sumatra, de Malacca et ceux de la Cochinchine, nommés Mois ou Kemoys, appartiennent à cette même race primitive de Mélanésiens, qui durent être les premiers occupants de l’Océanie. » Or, d’Urville, lors- qu’il écrivait cela, n’avait jamais eu l’occasion de voir aucun de ces hommes. Du reste, comme toujours, à l’instar d’Ellis et de Rienzi, il montrait, quelques lignes plus loin, que son assertion n’était qu’une assertion erronée : « Les hommes, dit-il (3), qui m’ont paru avoir le plus de rapports avec la race polynésienne ont été, dans la Malaisie, les habitants de l’intérieur de Célèbes, nommés Alfourous. Ce dernier mot avait à l’instant réveillé dans mon imagi- nation l’idée d’hommes au teint noir, aux cheveux crépus, au nez épaté, en un mot de véritables Mélanésiens. Qu’on juge donc de mon étonnement, en voyant des individus dont le teint, les formes et les traits de la physionomie, me rappelèrent involontairement les figures que j’avais obser- vées à Taïti, à Tonga et à la Nouvelle-Zélande. Ces rapports me parurent si frappants, si complets, que j’engageai vi- vement le gouverneur Merkus, qui m’accompagnait, à faire des recherches suivies sur les coutumes, les idées reli- gieuses et la langue de ces peuples, car ils parlaient un idiome tout différent du Malai (4) » . (1) Mémoire sur les îles du grand Océan , p. 16. (2) D’Urville n’avait sans doute pas lu Zuniga, car il aurait vu que le nom d’Indios, aux Philippines, est donné à la race plus blan- che, celle des Tagals, Bissayas, etc., et celui de Negros à l’autre. (3) Loc. cit ., p. 17. (ï) Nous dirons ici, pour rendre hommage à la vérité, que le gouverneur Merkus avait engagé le commandant d’Urville à l’ac- compagner à Célèbes ou il avait besoin de s’arrêter avant de re- joindre Batavia, et qu’il lui avait promis de lui procurer, ainsi LES POLYNÉSIENS. 269 D’après Forrest, les Haraforas de Mindanao (1) différaient de ceux de la plupart des autres îles, et s’il fallait s’en rap- porter à sa description, ils ne seraient guère que des Papua. En effet, plusieurs des caractères indiqués par lui n’appar- tiennent absolument qu’à la race Papua. Mais, comme plu- sieurs aussi sont propres à la race jaune, peut-être est-il permis de croire qu’ils n’ont pas été observés avec toute l’exactitude désirable, ou que, tout au moins, on n’a observé que des Haraforas presque transformés au contact de l’autre race. Voici quels sont ces caractères d’après le capitaine anglais (2) : « Le vêtement des Haraforas consiste en une forte toile ressemblant beaucoup à l’étoffe que porte le peuple Battak. Ils portent des anneaux de cuivre autour du poignet et sous le g*enou ; cinq ou six à chaque bras et à "chaque jambe. Ils aiment encore à avoir des grains autour du col et des an- neaux de métal ou des grains pendus aux oreilles qui, dans les deux sexes, sont fort grandes et descendent presque sur les épaules. Ils mettent tous dans le trou de leurs oreilles une feuille roulée en spirale comme le ressort d’une montre, afin de l’étendre davantage. « Les hommes retroussent leurs cheveux d’une manière singulière en les attachant tout autour ou en les couvrant avec un morceau de bois rond de cinq ou six pouces de diamètre et d’un demi-pouce d’épaisseur. Cette calotte, qu’il l’a fait, de riches collections d’histoire naturelle. D’Urville refusait péremptoirement de retarder de deux jours encore l’épo- que fixée pour le départ d’Amboine, et d’attendre un de ses offi- ciers atteint d’une grave dysenterie, bien que cette prolongation lui fût demandée par M. Merkus lui-même, sur le rapport du mé- decin en chef de la colonie, le Dr Lengacker. Alors le gouverneur refusa à son tour de partir et, comme le commandant français tenait à ce qui lui avait été promis, il dut se résigner à l’attendre. (1) Mindanao est appelé par Forrest Mingidano ou Magindano. Ce nom dérive de mag , parents, alliés ; in pays ; dam lac ; c’est-à-dire parents ou alliés établis dans le pays qui est autour du lac. (2) Forrest, Voyage aux Moluques et à la Nouvelle-Guinée, p. 318. 270 LES POLYNÉSIENS. ainsi couverte, se trouve plate sur leur tête, et fait un assez bon effet, leurs cheveux étant noués par dessus et par-des- sous. Les femmes attachent leurs cheveux derrière et les tressent à la manière des danseuses Gentous à Madras ; elles portent une espèce de jupe. Outre l’espèce de jaquette qui est commune aux deux sexes, les hommes ont autour du corps un morceau de toile qui leur tombe entre les cuis- ses. Leurs armes sont l’arc et la flèche, et ils imitent, au- tant qu’il leur est possible, les Mahométans en se servant du sabre, de la lance et du bouclier. » L’habitude de porter des anneaux autour des bras et des poignets, celle de pratiquer une ouverture aussi grande que possible au lobule de l’oreille, enfin l’usag*e de l’arc et des flèches, appartiennent, en effet, tout particulièrement, à la race mélanésienne et ne se voient que dans les îles à populations noires, telles que les Salomon, les Hébrides, les Fiji, etc. Mais il n’en est pas de même du vêtement en étoffe pareille à celle des îles de la mer du Sud, pareille également à celle que les Redjangs de Sumatra portaient tous autrefois : ce g*enre d’étoffe, du moins, semble appar- tenir de préférence à la race polynésienne, quoique l’autre s’en serve aussi. Il n’en est pas de même, surtout, quant à la manière de se coiffer chez les deux sexes, manière qui est plus celle des populations polynésiennes que des popula- tions mélanésiennes. C’est ainsi, par exemple, que les femmes se coiffent à Tahiti, et Ton verra qu’à la Nouvelle-Zélande, les hommes portent leurs cheveux liés au sommet de la tête, com- me le font du reste tous les Polynésiens en temps de guerre. Néanmoins, il faut bien le reconnaître, les caractè- res attribués par Forrest aux Haraforas de Mindanao sont plus mélanésiens que polynésiens ; et si ces hom- mes sont bien des Alfourous, il est impossible de nier qu’ils ont éprouvé une modification telle, qu’ils ressemblent moins aujourd’hui à ces derniers qu’à la race nègre ou mélanésienne Mais, nous le répéterons, nous croyons qu’il y a là plutôt une observation inexacte, et qu'on a seule- ment pris des métis pour types. Ce qui nous le fait sup- poser, c’est ce que le même capitaine dit des Haraforas ou LES POLYNÉSIENS. 271 Arfaki de la Nouvelle-Guinée, d’après le pilote Touan-Hadji qui l'accompagnait dans son voyage : (1) « La plupart des Ha- raforas de la Nouvelle- Guinée étaient noirs comme les Pa- pous, et plusieurs avaient de longs cheveux. » En effet, s’il y en avait ayant les cheveux longs, ceux-là ne pouvaient pas être des Papous, puisque les Papous ont toujours les cheveux crépus. D’un autre côté, si les Papous sont toujours plus bruns que les autres tribus de la Malaisie, ils ne sont cependant pas noirs comme on pourrait être porté à le croire d’après l’expression de Touan-Hadji qui, en sa qualité de Malais, parlait avec mépris de tout ce qui n’appartenait pas aux Malais. Pour lui, Arfaki et Harafouras, à la Nou- velle-Guinée, ne faisaient qu’un. Or nous savons que les Arfaki sont bien probablement des métis de Papua et d’Al- fourous (2). (!) P. 26, (2) D’après le baron H. Von Rosenberg’, ( Voyages à la baie du Geclvink , Annales de l'Extrême-Orient , 1873, p. 13 et 193), les Arfaki occupant le versant et les environs du mont Arfak, ainsi que Masiema, Manseman et probablement d’autres points de l’in- térieur, diffèrent peu physiquement des indigènes de Mefoor et autres habitants des côtes de la baie du Geelvink ; mais ils en diffèrent énormément sous le rapport des langues, des mœurs et des coutumes : les Arfaki de cette contrée ont même plusieurs accents ou dialectes. La taille moyenne des adultes est de 1 m 64 ; rarement elle atteint 1 m 72. Les femmes ont ordinairement quel- ques centimètres de moins. Ils sont laids, d’une constitution faible; leur tête est grosse en proportion du cou, des bras et des jambes qui sont extrêmement maigres ; leur poitrine est bien développée mais leur ventre est ballonné. Leur teint est d’un brun foncé tirant sur le gris ; leurs cheveux noirs, souvent à pointes rousses. Leur angle facial est de 67 h 70 degrés. Les femmes ont les yeux assez grands et brillants ; le regard franc et ouvert ; les sourcils épais ; le nez épaté ; la bouche grande et proéminente, quoique moins prononcée que chez les nègres ; les lèvres grosses ; les dents blanches ; les oreilles ordinaires ; le menton petit et fuyant. Leurs cheveux sont relevés en spirale formant un gros chignon au som- met de la tête. Avec l’âge elles deviennent hideuses et repoussan- tes : leurs mamelles sont flasques et pendantes ; leurs cheveux ébouriffés, et leur peau sale, souvent couverte d’éruptions blan- châtres. 273 LES POLYNÉSIENS* En somme, nous croyons que les renseignements fournis par le capitaine Forrest sont insuffisants pour qu’on soit fixé sur les véritables caractères des Haraforas de Mindanao, et ils ne sauraient détruire l’opinion la plus générale que les Alfourous sont plus blancs non-seulement que les Papua, mais que les Malais et les Javanais eux-mêmes. Dampier, l’observateur si exact, dit (1), en effet, que les Alfourous de Mindanao sont les mêmes que les Mindanayais. Or voici comment il décrit ces derniers : « Les Mandanayais sont de taille médiocre ; ils ont les membres petits ; le corps droit et la tête menue ; le visage ovale ; le front plat ; les yeux noirs et peu fendus ; le nez court ; la bouche assez grande ; les lèvres petites ; les dents noires ; la chevelure noire et lisse ; le teint tanné, mais tirant plus vers le jaune clair que certains autres indiens, et surtout les femmes. Ils parlent indifféremment deux langues, la leur et celle des Malais. » D’après Forrest, la langue de Mindanao était abondante et énergique, et le sultan l’assura qu’elle res- semblait beaucoup aux idiomes de la Chine. Elle comptait, disait-il, 14 dialectes différant parfois beaucoup entre eux. Nous allons montrer que les Alfourous des Moluques, au dire de leur premier observateur européen, avaient, eux aussi, une couleur moins foncée que les Javanais et les Ma- lais. Rumphius, l’ancien intendant des Moluques, est celui qui a fourni sur les Alfourous de ces îles, comme sur les autres populations, les premiers renseignements exacts, mais malheureusement assez peu complets (2). Il reconnaissait trois espèces d’hommes à Amboine : les Amboinais, les Alfourous, et des sauvages appartenant pro- bablement à la race noire. Les premiers formaient, disait-il, la plus grande partie de (lj Voyage aux Terres Australes , t. II, p. 3. (2) Manuscrit trouvé à Amboine, où Rumphius est mort en 1706. La description qui suit en a été extraite par Stavorinus. Voir ce que R. P. Lesson, dit de Rumphius dans |son Voyage médical, page 93, et dans le texte du Voyage de la Coquille , 2e vol. p. 281. LES POLYNÉSIENS. 273 la population ; ils étaient de taille moyenne, plutôt sveltes que gros et leur teint tirait plus sur le noir que sur le brun. Suivant lui, leur figure et leur couleur annonçaient qu’ils descendaient de quelque autre peuple, et il trouvait, qu’ils n’avaient point ces grosses lèvres et ces nez écrasés qui, selon la manière de voir des Européens, défigurent les peuples de quelques autres climats. Les deux sexes avaient, d’après lui, les traits réguliers et l’on rencontrait parfois de belles femmes. Il ajoutait enfin qu’ils étaient d’un caractère paresseux, efféminé, et qu’ils n’y avait que la force ou le besoin qui pussent les déterminer au travail. De son côté, Stavorinus fait remarquer que les femmes ne sont pas d’un caractère aussi paresseux que les hommes, mais qu’elles ont un penchant[invincible pour l’amour. Rien de favorable à dire sur les mœurs des Amboinais ; d’après lui, les hommes sont, comme les femmes, adonnés à une insatiable lascivité. Le vol est un de leurs vices dominants. Enfin il les dit haineux, pusillanimes, jaloux et supersti- tieux (1). Avec une description aussi incomplète, il est certes diffi- cile de dire à quelle race appartenaient ces hommes. On pourrait peut-être, d’après quelques caractères, les ranger parmi les Javanais ; mais d’après les autres, au contraire, il faudrait plutôt en faire des Dayaks et des Polynésiens. Ces derniers particulièrement, ont, en effet, le même carac- tère paresseux, les mêmes penchants, les mêmes vices, les mêmes traits réguliers, et nous croyons que ce n’est que par défaut d’attention si Rumphius n’a pas trouvé, dans la population observée par lui, les grosses lèvres et le nez écrasé ou aplati des Javanais aussi bien que des Dayaks et des Polynésiens. De Rienzi regardait cette population comme descendant des Tidongs qui, on l’a vu, ne sont que des Dayaks. Si la description de Rumphius était exacte, il faudrait conclure que les Amboinais auraient pu être d’origine hindoue, ce qui n’est guère probable, attendu que la plu- (1) Extrait du manuscrit de Rumphius. 274 LES POLYNÉSIENS. part des caractères des Hindous ont disparu là même où ceux-ci se sont transportés en plus grand nombre, comme à Malacca et à Java. En outre, l’histoire nous apprend que ce sont les Javanais qui, les premiers, allèrent s’établir dans les Moluques. Pour nous, nous aimerions mieux supposer que les popu- lations ainsi décrites par Rumphius n’étaient déjà plus, de son temps, que le mélange des races diverses fixées dans les Moluques, c’est-à-dire des Javanais, des Daya’ks, des Alfourous et des Papua, sans parler des Malais, des Chinois et autres qui s’y étaient également portés plus tard. Cela expliquerait peut-être la couleur presque noire que Rum- phius signale chez les Amboinais, en même temps que la conservation de certains caractères, appartenant spéciale- ment à la race jaune, autrement dit à la race dayaque, polynésienne ou alfourouse. Rumphius, en effet, en outre de la population précédente qu’il appelle Amboinaise, en avait trouvé deux autres, toutes différentes : l’une, portant le nom d’Alfourous, et ayant, comme on va le voir, la plupart des caractères de la race dayaque ou polynésienne ; l’autre, plus sauvage, vivant dans l’intérieur de l’île et habitant sur les arbres. On peut supposer que cette dernière était plus noire, mais il n’indique pas sa couleur, parce qu’il ne l’avait jamais vue et qu’il n’en parlait que par tradition. Ainsi, dès 1700, la race noire n’était déjà plus connue à Amboine que par tradition. Yoici les caractères particuliers que Rumphius donnait aux Alfourous d* Amboine : Ils sont grands, robustes, plus grands généralement que les habitants des côtes ; Ils vont le plus ordinairement tout nus à l’exception d’une grosse ceinture, appelée sciaaca, qu’ils portent autour des reins : cette ceinture est faite avec l’écorce du sacka (ficus m or us cdhus) ; Ils attachent leurs cheveux sur le sommet de la tête, au-dessus d’une écaille de coco; leur cou est entouré de LES POLYNÉSIENS. 275 colliers ; ils ont pour armes une espèce de sabre fait en bambou, un arc et clés flèches ; Leurs femmes sont assez blanches et d’une figure qui n’est pas désagréable. Excepté les armes, tous ces caractères étaient évidemment ceux des Polynésiens et des Dayaks ; et encore les Marian- nais, qui ne sont eux-mêmes que des Polynésiens, comme nous espérons le démontrer, avaient-ils également l’usage du sabre. Mais c’est surtout aux Carolins et aux Nouveaux- Zélandais que les Alfourous d’Amboine ressemblaient par la manière d’attacher leurs cheveux, et l’on peut dire qu’ils n’en différaient absolument que par l’usage de l’arc et des flèches comme armes offensives, usage qu’ils avaient pres- que certainement emprunté à la race noire. Stavorinus, qui se trouvait à Amboine dans l’intervalle de 1774 à 1778, paraît avoir vu un petit nombre de ces Alfou- rous et, ce qui est à remarquer, ils étaient, pour lui, moins noirs, mieux faits et plus robustes que les Amboinais. Il leur donnait le nom d’Alphouréens et il les regardait comme les plus anciens habitants d’Amboine, probablement à tort, car il parlait aussi, d’après Rumphius, d’un autre peuple sauvage vivant parmi eux. Les Alphouréens, disait- il, ne se confondent pas même aujourd’hui avec les autres ; ils se tiennent renfermés dans les montagnes de Bouro et de Céram, deux îles dépendantes d’Amboine, où ils continuent de pratiquer les anciens usages. Ils ne communiquent avec les habitants des côtes que lorsqu’ils ont besoin de fer et de sel qu’ils prennent en échange du produit de leurs monta- gnes. Ils vivent du gibier que leur fournit la chasse et quel- quefois même de serpents. D’après un antique usage, ils ne peuvent épouser une femme ou bâtir une nouvelle salle de conseil sans apporter auparavant la tête d’un ennemi do- mestique ou étranger. Celui qui abat le plus de têtes tient le premier rang parmi eux (1). On le voit, la ressemblance avec les Dayaks est frappante. (1) Voyage à Batavia, Samarang , etc., p. 262. Extrait de Rum- phius. 276 LES POLYNÉSIENS. Nous avons également entendu parler des Alfourous pen- dant notre séjour à Amboine avec V Astrolabe, mais on sem- blait s’accorder à dire qu’il n’en existait plus. Combien il esta regretter qu’on n’ait pas recueilli quelques mots de la langue de ces hommes ! Il paraît, du reste, que Forrest, qui voyageait dans les Mo- luques à la même époque (1774) que Stavorinus, n’en avait pas eu connaissance, car il ne signale que deux sortes d’ha- bitants (1) : ceux qu’il appelle Maures, à longs cheveux, de couleur de cuivre, ressemblant à tous égards, disait-il, aux Malais, et ceux qu’il désigne sous le nom de Papous à tête moutonnée. Mais on voit qu’il devait confondre les Al- fourous avec ces derniers, puis qu’il ajoute : Non-seulement ces Papous habitent la Nouvelle-Guinée mais encore l’inté- rieur des terres de la plupart desMoluques.Son expression de « tête moutonnée » pour désigner les Papous, tout en lais- sant voir qu’il supposait cette chevelure à tous les habitants de l’intérieur, établit d’ailleurs parfaitement la confusion qu’il faisait, puisque les Alfourous n’ont pas les cheveux crépus. Il est sans doute inutile de dire que Forrest, pour désigneras Amboinais, ne se servait du mot Maure que dans le sens qu’on lui donne en Malaisie, c’est à-dire converti au maho - métisme ; mais ce qui nous semble mériter d’être noté, c’est la ressemblance qu’il trouvait entre l’ Amboinais et le Malai : cette ressemblance s’explique facilement, soit par la venue des Javanais que l’histoire dit avoir colonisé les Moluques, soit par celle des Malais eux-mêmes, que nous avons montré avoir tant de caractères communs avec ces derniers. D’après M. Ligtvoet (2), la population de l’archipel de Bouton (. Bolijo , Boutoun , Boutoung), au sud-est de Célèbes, ne forme qu’une seule race parlant plusieurs dialectes diffé- ✓ rents. Cette race se rapproche plus des Alfourous de la presqu’île sud-est de Célèbes que des Macassarais et des Bou- (1) Ouy. cité, p. 80. (2) A. Ligtvoet, Y Empire de Bouton. Bydragen tôt de taalAand en Volkenkunde van Ned-Indïè. Annales de l’Extrême-Orient , 1878, p. 112. LES POLYNÉSIENS. 277 guis. A Polyang et à Roumbya, on trouve encore de vrais Alfourous connus sous le nom de Nenebour. Les habitants de Bouton ont la taille et la structure des Macassarais et des Bouguis, mais leur teint semble plus foncé. On trouve chez eux une proportion d’albinos bien plus considérable que dans n’importe quelle autre population au sud de Célèbes. M. Ligtvoet a donné de la langue de Bouton un vocabulaire qui, bien qu’encore incomplet, montre que cette langue renferme beaucoup de mots n’existant pas dans le Malai, le Javanais, le Mangkasara ou le Bougui. Nous allons maintenant dire quelques mots sur les Alfou- rous de l’île Bourou, l’une des grandes îles de l’archipel des Moluques, appartenant, comme on sait, aux Hollandais (1). On ne donne à cette île que sept h huit mille habitants, parmi lesquels on compte environ 2,000 Harfours ou Alfourous, tous les autres étant des Malais plus ou moins purs. Nous croyons même que le chiffre de cette population a été exagéré car, si l’île est assez grande, il nous a semblé, quand nous l’avons visitée en 1828, qu’elle était déserte dans une grande étendue autour de la bourgade de Caïeli. On s’accorde d’ailleurs à croire que les Harfours vivent dans l’intérieur, à peu prés indépendants ; et, ce qu'il y a de remarquable, c’est que si tous les voyageurs parlent de leur existence, pas un peut-être n’en donne une des- cription qui puisse fixer sur leurs caractères anthro- pologiques. On est réduit, pour ainsi dire, à les suppo- ser plus semblables aux Dayaks et aux Polynésiens qu’aux Papous ; mais ce n’est qu’une conjecture, et c’est cependant sur cette conjecture, comme on le verra plus tard, que s’est appuyé le naturaliste américain Horatio Haie pour soutenir que Bourou a été le berceau des Polynésiens. Ce que nous devons dire seulement dès à présent c’est que les Harfours, fussent-ils de véritables Dayaks, n’au- raient, pas plus que les Malais, les Javanais et les Bou- (1) Stavorinus écrit Bouro et les Hollandais Boero, c’est-à-dire de même, puisque l’oe hollandais se prononce ou. Voir la description de cette île par R. P. Lesson, dans son Voyage Médical autour du Monde , p. 82, et suiv. 278 LES POLYNÉSIENS. guis, pu être les ancêtres des Polynésiens, pour les rai- sons que nous avons données et pour toutes celles que nous donnerons par la suite. Cette opinion, du reste, est aussi celle de M. de Quatrefages ; mais nous ferons voir, quand nous nous occuperons spécialement des voies suivies par les émi- grants allant peupler la Polynésie, que Bourou ne pouvait pas être le lieu d’origine ou le point de départ de ces émi- grants. Nous croyons toutefois avoir découvert la raison qui a pu porter M. Haie à regarder Bourou, plutôt que toute autre île de la Malaisie, comme le berceau des Polynésiens. Cette raison ne serait que l’assertion de Quiros qu’une île Bouro ou Pourro paraissait être connue des insulaires de Taumako, île où ce renseignement lui avait été donné par le chef Tumaï. Que ce soit exact ou non, nous n’en parlerons pas plus longuement ici, ayant à y revenir plus tard. Qu’il nous soit seulement encore permis de dire, à cette occasion, combien il est à regretter que la langue des Harfours ne soit pas plus connue : il nous eût peut-être été possible, avec son aide, de dire sur eux quelque chose d’un peu moins conjectural que tout ce qui précède. Il est du reste bien probable que cette population ressemblait à celle qui exis- tait autrefois et qui existe toujours à Céram. On trouve, en effet, des Alfourous dans cette île. Voici ce qu’en a rapporté la célèbre voyageuse Ida Pfeiffer, qui pa- raît les avoir vus, mais qui surtout a vu leurs villages (1) : « Ils sont moins laids que les Malais. Quelques-uns ont une physionomie régulière ; leur corps est svelte et bien proportionné ; il y a parmi les jeunes filles des figures extrêmement jolies. Ils ont le teint d’un brun clair prononcé, de beaux yeux noirs, des dents blanches et des cheveux noirs fort épais, qu’ils ne coupent pas. Les hommes nouent leurs cheveux par devant en forme de disque, qu’ils agran- dissent en mettant de la paille de riz ; beaucoup les laissent (1) Mon deuxième Voyage , p. 276-277. — Le récit de sa promenade montre que, si elle a visité plusieurs villages, elle en a bien moins facilement observé les habitants. LES POLYNÉSIENS. 279 flotter librement. Il ne paraît pas qu’ils s’arrachent les poils de la barbe, comme font les Malais, mais ils ont très peu de barbe. Les femmes portent les cheveux noués et attachés par derrière. Les deux sexes vont presque dans l’état de na- ture. Les hommes portent une ceinture d’écorce, et les femmes mariées ne se couvrent presque pas» Les filles seules se couvrent légèrement. » Madame Pfeiffer cite enfin, parmi leurs coutumes, celles de couper les têtes des ennemis qu’ils peuvent surprendre, de se tatouer, d’avoir des baleo ou mai- sons communes, où l’on conserve les têtes et les nombreux dieux ou esprits de la tribu, d’user de la polygamie, de por- ter les morts sur les lieux élevés, etc. Après ce que nous avons dit des caractères physiques des Polynésiens et des Dayaks, il est sans doute inutile de nous arrêter à faire remarquer que c’est à ces deux populations que les Alfourous de Céram ressemblent le plus. C’était d’ailleurs l’avis de Mme Pfeiffer, car avant de les décrire elle avait commencé par dire : « M. Kern me fit à peu près la description des Alfourous comme je vais la donner, et je la trouvai tellement en har- monie avec les observations que j’avais faites moi-même sur les caractères des Dayaks, que je serais tentée de prendre les Alfours de Céram pour les descendants des Dayaks, ou du moins de croire qu’ils appartiennent à la même race (1). » Nous dirons seulement en passant que la manière de por- ter leurs cheveux est à peu près celle qui est encore usitée par les Marquésans, quand ils s’ornent de leur grand pana- che ou Tavaha , et que ce se sont surtout les femmes des îles Sandwich qui se rapprochent le plus des Alfourous par leur manière de disposer leur chevelure. Nous ferons remarquer également combien le mot baleo , donné à la maison com- mune et des esprits, se rapproche de celui de balay donné' aux grandes maisons communes aux Philippines et dans quelques autres lieux. Enfin nous signalerons l’habitude de porter les morts dans les précipices des hautes montagnes (1) Ouv. cité, p. 272. 280 LES POLYNÉSIENS. habitude qui est encore celle des habitants des îles Marquises, etc. La population de la baie de Celouti, île de Céram, est, d’après M. de Rosenberg* (1), composée de Mahométans sur la côte et d’Alfourous dans l’intérieur. Ceux-ci habitent les montagnes et forment de petits hameaux n’ayant souvent qu’une seule cabane. Ils diffèrent complètement des habi- tants de l’ouest de Céram, aussi bien au point de vue physique que sous le rapport du caractère, des mœurs, des coutumes et du langage. Ils sojit doux, superstitieux, connaissent l’institution du pamali et du passa. Ils s’enve- loppent la tête et ont pour unique vêtement, autour du bas des reins, une ceinture nommée tjidako. En somme, les Alfourous de Céram, d’après les descriptions précédentes, sont de couleur moins foncée que les Malais, et ils se rapprochent évidemment plus des Dayaks et des Po- lynésiens que toute autre espèce d’hommes. Un seul écrivain a avancé qu’ils sont presque noirs, mais, comme cet écrivain, de Rienzi, ne’ les avait pas vus et qu’il est coutumier d’asser- tions erronées et contradictoires, il est plus que permis de douter de son exactitude. Quant à d’Urville, il se borne, dans son voyage au Pôle Sud, à donner un extrait du rapport de M. Dubouzet, dans lequel on lit : « J’eus l’occasion, pendant mon séjour dans le village de Warrere, de voir un de ces Alfouras que l’on dé- peint comme les habitants primitifs de toutes les grandes îles. Je m’attendais à voir une espèce de nègre et je fus fort surpris de le trouver bien supérieur, par la taille et par les traits, aux habitants du littoral (2). » C’est tout ce qu’il en dit d’important. Quelques renseignements empruntés à Yan Leent feront voir combien sont grandes les analogies de toute sorte exis- tant entre les Alfourous et les Polynésiens (3). Les Alfou- (1) H. Von Rosenberg, Annales de V Extrême-Orient, 1878, p. 129. (2) Voyage au Pôle Sud) t. VI, p. 154. — Faisons remarquer qu’en Maori wa signifie pays, saison, et rere cascade. (3) Arch. de Médecine navale , t. XIV. LES POLYNÉSIENS. 281 rous païens adorent un être suprême, habitant de l’air, qu’ils nomment Empong Kuvoa , le grand esprit, ainsi que plusieurs autres esprits inférieurs nommés seulement Em~ pong, et qui habitent les arbres, les rochers, les oiseaux, etc, Ils croient à la métempsychose ; l’âme, selon leurs idées gé- nérales, émigre au dernier souffle dans le corps d’un cochon. Ils sont superstitieux et croient aux augures ; ils aiment beaucoup les fêtes, la vie en commun. Leurs habitations sont spacieuses, généralement bâties sur pilotis en bois de fer ; le sol en est couvert de nattes colorées ; ordinairement plusieurs familles sont logées sous le même toit. Ils aiment la danse ; leurs fêtes, appelées Kabesavctn , consistent en danses guerrières qu’ils exécutent lors de la visite de chefs ou d’Européens distingués. Leur chronologie est réglée sur les périodes des travaux agricoles ; la hauteur du soleil indi- que l’heure du jour, etc. D’après Van Leent, l’idiome alfour est une branche de la grande langue polynésienne. C’est aux missionnaires que nous devons la connaissance, bien que encore imparfaite, de cet idiome qui comprend plusieurs dialectes souvent assez différents. La langue n’a pas de caractères propres, elle est écrite en caractères romains enseignés dans les écoles de la résidence. A défaut de littérature, l’histoire, les rites, les coutumes des Alfour ous se transmettent par tradition d’une génération à l’autre. Quelques noms donnés par Mme Pfeiffer ont une grande analogie avec ceux de la Polynésie. Elle cite, entre autres, Makariki (1) et Pare - pare (2), noms de deux villages ; Ruata (3), nom d’une rivière ; Hurali{ 4), nom d’une montagne, etc. Ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’ici, de même qu’à Java, ces mots ont une ressemblance bien plus frappante avec ceux de la Nouvelle-Zélande qu’avec ceux du reste de (1) En Néo-Zélandais : Maka, effrayé, sauvage ; riki, petit. (2) Pare , bandeau de tête, ornement, guirlande ; Parepare, parapet d’une fortification. (3) Rua , deux, fosse ; Ta> escope, marteau. (4) Plura, découvert, découvrir, couler, etc. 19 282 LES POLYNÉSIENS. la Polynésie. Pourtant hurali serait plus polynésien, parce que les trois principaux archipels de la Polynésie, Tunga, Samoa et Sandwich, se servent du l. Il en serait de même aussi pour Savai , nom d’un endroit qui se retrouve à Céram et où existait autrefois un temple rempli d’ossements d’en- nemis tués. Si nous insistons sur cette ressemblance plus grande avec le dialecte de la Nouvelle-Zélande, c’est parce que ce fait vient lui-même, jusqu’à un certain point, corro- borer le système rationnel auquel conduit l’étude des migra- tions polynésiennes faite sans parti-pris. On verra plus tard la raison de cette analogie plus grande avec des mots de la Nouvelle-Zélande. Nous allons également donner ici quelques détails sur les Alfourous vus et photographiés à Gilolo par M. Achille Raffray, dans son voyage vers la Nouvelle-Guinée, où il avait été envoyé en exploration par le gouvernement fran- çais. a Ces hommes, dit-il (1), qui habitent l’intérieur de Gilolo, sont en tous points différents des Malais : autre lan- gue, autre religion, autre origine, sans doute. » D’après lui, ils sont grands, bien musclés ; leur nez est aquilîn, leur visage ovale, leur menton saillant ; leur corps et leurs jambes surtout sont couverts de poils ; ils ont un peu de barbe, de longs cheveux noirs et généralement frisés ; leur peau, couleur de cannelle claire, est d’un jaune brun variant entre les nos 29 et 30 du tableau de M. Broca. Leurs armes sont des flèches en bambou et des lames barbelées en bois et fer ; leurs flèches ne sont pas empoisonnées. On voit d’après cela que leurs caractères physiques sont polynésiens mais que les armes ont été empruntées à la race mélanésienne. À l’occasion de cette communication, M.Hamy (2) distingue deux races différentes connues sous le nom d’ Alfourous. La première, qui se rattache aux Papua, a été étudiée par M. Russell Wallace : par la nature de leurs cheveux rudes et crépus, la longueur de leur nez, la couleur de leurs cheveux et de leur visage, et d’autres caractères anthropologiques, (1) Journal l'Exploration , 18 mars 1877. (2) Société de géographie) avril 1877. LES POLYNÉSIENS. 283 ce sont évidemment des demi-Papua. La deuxième race est celle étudiée par M. Raffray sur l’île de Gilolo : ces indi- gènes ont été rapprochés de ceux de Célèbes et de Bornéo rejetés dans l’ intérieur par les Malais; ils sont très-voisins du type polynésien. D’après M. Teysman (1), les Alfourous des divers districts de Halmaliera ou Gilolo, de même que les habitants de la Nouvelle-Guinée, de Céram, de Célèbes, de Bourou et de Bornéo, parlent des langues et des dialectes différents. Le voyageur hollandais a donné d’intéressants renseignements sur les mœurs, coutumes, religion, des Alfourous d'Halma- hera. Ils portent les cheveux courts comme les Mahomé- tans, mais leurs femmes ont de beaux et longs cheveux noirs. Ils ressemblent plutôt aux aborigènes du Nord de Célèbes qu’aux Papous de la Nouvelle-Guinée. On dit avoir retrouvé aussi des Alfourous dans les îles Philippines, mais nous ne croyons pas devoir en parler ici, d’abord parce que le fait n’est peut-être pas bien démontré, et ensuite parce que nous aurons bientôt à parler des popu- lations de ces îles, quand nous ferons connaître le texte de Zuniga à leur sujet. Seulement, nous dirons dès à présent que cet écrivain ne reconnaissait que deux espèces d’hommes aux Philippines : les Nègres, et ceux qu’il appelait les In- diens, c’est-à-dire, ce que d’autres écrivains appellent d’une part Aëtas, Négritos, Négros, Papua, et de l’autre Biadjous, Tagals, Bissayas, etc. Les premiers petits, ayant une cou- leur plus ou moins noire et des cheveux légèrement laineux, mous et frisés ; les seconds de taille moyenne, avec des cheveux longs, de grands yeux, le nez plat et une couleur olive. Il trouvait que les uns et les autres parlaient des dia- lectes d’une même languie. D'après Hervas (2), le jésuite espa- gnol Bernardo dé la Fuente dit, de son côté, que les Alfou- rous de Luçon se partagent en deux races dont l’une ressem- ble plus aux nègres que l’autre. De la Gironnière n’en parle (1) J. E. Teysman, Annales de V Extrême-Orient, janvier 1879, p. 204 et suiv. (2) Hervas, Idea deW universo , in-4°, 1778-1787, p. 99. 284 LES POLYNÉSIENS. pas, mais il attribue l'origine des populations jaunes des Philippines au mélange des Malais avec les Aëtas, les Japo- nais et même avec des Polynésiens. Enfin des Alfourous paraissent exister également à la Nouvelle-Guinée, ainsi que nous l’avons déjà dit en parlant des Papua ; il n’est pour ainsi dire pas un seul voyageur qui n’en ait parlé depuis Bougainville (1). Toutefois, il faut bien l’avouer, ce qu’on en connaît est encore fort obscur, malgré les explorations modernes , puisqu’on ne sait même pas s’ils forment une race moins ou plus brune que la population appelée Arfaki par les Papous de Dorey. On a vu que R. P. Lesson les regardait comme les habitants de l’intérieur de la Nouvelle-Guinée, et qu’il les appelait Alfourous-Endamènes ; il les considérait comme les plus an- ciens dans l’île, et il leur donnait des cheveux presque lisses, tout en leur trouvant les autres caractères des races noires : pommettes saillantes, yeux gros, nez aplati avec bâtonnet, barbe très-épaisse, etc. C’est ce qui les lui avait fait classer dans sa deuxième famille des peuples noirs océaniens. Il pensait qu’ils avaient été chassés des rivages et repoussés dans l’intérieur par les Malais ; mais c’était du mélange des Papua avec les Malais qu’étaient sortis, suivant lui, les hybrides appelés Papous. Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons déjà dit relativement aux Alfourous-Endamènes, en parlant des races noires. Cette race, évidemment, ne pouvait être qu’une race noire d’après l’ensemble des caractères qui lui étaient attri- bués, ou, tout au plus, -une race métisse de noirs et d’ Alfou- rous, si elle avait les cheveux lisses. D’Urville, pour lequel les Arfaki n’étaient que dés noirs aux cheveux ébouriffés, partageait, sous ce rapport, l’opinion de Quoy et Gaimard. Ces naturalistes, après avoir vu quelques familles d’ Arfaki esclaves des habitants de Dorey, se contentaient de les ap- peler Papous de l’intérieur. Ils n’avaient trouvé, en effet, entre ces Arfaki et les Papous de Dorey que de légères dif- (1) Bougainville, Voyage autour du Monde sur la Boudeuse et r Etoile , 1766-1769, 2« édit. — Paris, 1772, p. 312. LES POLYNÉSIENS. 285 férences se bornant à des variétés de physionomie, telles qu’on en observe en France entre des provinces éloi- gnées (1). De Rienzi (2), contrairement à R. P. Lesson, faisait des Arfakide véritables noirs Endamènes, aux cheveux flottants, au teint fuligineux ; « ce sont de véritables Endamènes, » répète-t-il ailleurs. Evidemment, en donnant des cheveux flottants aux Arfaki, il devait les confondre avec une autre race dont il ne paraissait pas se douter et qui avait dû né- cessairement contribuer à leur formation, si leurs cheveux étaient vraiment flottants comme il le disait. Cette race, à la Nouvelle-Guinée, ne pouvait être que celle des Alfourous ou Malaisiens. Ce n’est évidemment qu’à elle seule qu’il est possible d’attribuer, s’ils ont été véritablement observés, les cheveux flottants de Rienzi et presque lisses de R. P. Les- son. M. Moresby (3) parle d’une race inconnue, nommée Ar- fakes, existant dans les parties montagneuses du Nord- Ouest de la Nouvelle-Guinée, et il décrit une race conqué- rante, réellement malaise d’après lui, mais différant des vrais Malais par la taille plus petite, mieux proportionnée, le vi- sage plus plein, les lèvres plus grosses, la barbe moins four- nie, et les cheveux plus crépus. Leurs pommettes, ajoute- t-il, sont saillantes, leur nez aquilin et régulièrement con- formé, leurs yeux noirs et beaux, leurs sourcils bien mar- qués. Les cheveux, chez quelques-uns, sont de couleur claire. La taille varie de lm 63 à 1“ 73 (5 pieds 4 pouces à 5 pieds 8 pouces anglais). Ils sont nerveux, peu musclés, agiles, bien proportionnés, d’une remarquable souplesse. Sur plusieurs points, aux environs du cap Possession, entre autres, ils sont mélangés avec les Papous noirs. Quelques-uns mâchent le bétel, d’autres l’ont en horreur. Plusieurs s’ornent la che- velure de plumes d’oiseaux comme les Papous ; mais aucun (1) Zoologie de V Astrolabe , p. 32. (2) Ouv. cité, t. III, p. 3 et 4. (3) Journal de la Société de géographie de Londres , 1875, in Revue d’ Anthropologie, 1878, p. 335. 280 LES POLYNÉSIENS. d’eux ne porte, comme les Malais, de parures faites avec des ossements humains, tandis qu’ils se parent de fleurs, ce que ne font jamais les Papous. M. Moresby les regarde comme Malais ; mais il est évident que ce sont des Polynésiens ainsi que, dès 1874, M. Hamy l’avait reconnu d’après les pre- mières communications du capitaine anglais. Cette race qui, du reste, offre quelques variations, paraît habiter toute la partie Est de la Péninsule de la Nouvelle- Guinée, les côtes Nord et Sud depuis le 148e degré de longi- tude, le cap Est ainsi que l’archipel Moresby et les îles voi- sines. Elle est bien supérieure aux Papous : elle connaît; la poterie que les femmes fabriquent dans chaque village ; elle sait tresser avec art de grands filets, construire des embar- cations solides, etc. Les Papous, au contraire, ne connaissent pas l’art de façonner et défaire cuire l’argile ; ils ne pêchent qu’avec le hameçon, la ligne et le harpon barbelé, et leurs seuls canots sont des troncs d’arbres creusés. Ces tribus ont pour armes offensives des tomahawks, des massues, des haches, des lances, de lourdes épées en bois et des frondes. Leurs habitations, comme celles des Papous, sont élevées sur pilotis. Ils labourent la terre avec des hoyaux en pierre et cultivent le taro et l’igname. Leur nourriture con- siste en outre en fruits, en porcs, en crabes. Ils possèdent des oiseaux et des animaux apprivoisés tels que perroquets, lories, casoars et marsupiaux. Les hommes sont peu tatoués ; ils se teignent avec de l’ocre. Les femmes se tatouent par tout le corps. Excepté quand elles sont jeunes, elles sont défigm- rées par l’usage du bétel. Elles portent les cheveux courts ; les hommes les ont longs et frisés. Ils sont vêtus d’un pagne; les femmes, pour fout vêtements ont le court jupon ou titi des mers du Sud. Dans ces dernières années également, M. Octavius C. Sfcone a étudié (1) les tribus qui habitent les environs du port Mo- (1 ) Description of ihe country and natives of port Moresby and Neighbourhood , N ew-Guinea , in Journal de la Société de géographie de Londres , 187G. —Voy. aussi Revue d' Anthropologie, 1877, p. 375, et 18~8, p. 55G et suiv. LES POLYNÉSIENS, 287 resby sur la péninsule Est de la Nouvelle-Guinée (1). Ces races diffèrent complètement de celles qui peuplent les îles de l’Ouest ; leur couleur est beaucoup moins foncée et elle varie du café brûlé au jaune brun clair. Les habitants dé la Péninsule ne sont certainement pas aborigènes ; ils se dis- tinguent des Malais proprement dits par leurs caractères physiques et moraux ; mais ils se rapprochent beaucoup, au contraire, des Polynésiens de l’Est ; leur langue même a beaucoup de rapports avec celle de ces derniers : un gTand nombre de mots sont communs aux deux peuples ; d’autres sont dérivés de mots polynésiens. Ces peuplades ont dû venir des îles du Pacifique dans la partie Sud-Est de la Nou- velle-Guinée, à une époque fort reculée ; elles ont dû en re- fouler les aborigènes dans l’intérieur, et elles ont fini par peupler toute la péninsule Est. De l’union de ces Polynésiens avec les habitants primitifs sont issus des métis qui ont em- prunté aux deux races quelques-uns de leurs caractères phy- siques et moraux. Les principales de ces tribus sont les Ilema , les Maivay les Motu , les Koitcipu, les Kirctpuno et les Koiari ou Kumi . Chacune, par suite de l’isolement plus ou moins prolongé, parle un dialecte différent et se distingue des autres tribus par l’aspect extérieur, par quelque coutume spéciale, par la manière de se vêtir, par le système particulier de tatouage, etc. Les Ilema sont assez grands, solidement bâtis ; ils font usage de l’arc et des flèches comme les indigènes de race noire, mais leurs arcs, au lieu d’être en bois de cocotier, sont fabriqués en bambou. La polygamie est fréquente chez eux, tandis qu’elle est exceptionnelle chez les tribus de l’Est. Les Motu sont plus petits, moins vigoureux, moins foncés que les Ilema ; ils sont intelligents et industrieux. Les Koiari, dont la peau est uniformément foncée, offrent deux types : l’un h (I) M. Hamy a montré, dans la séance de la Société de géographie du 7 novembre 1877, d’après des cartes trouvées dans la bibliothè- que nationale de Madrid, que l’archipel Moresby, découvert en 1874 par le Basilic , Pavait déjà été une première fois en 1606 lors de l’ex- pédition de Torrès. 288 LES POLYNÉSIENS. nez aquilin, l’autre à nez plat et à narines distendues. Les Kirapuno sont la tribu la plus remarquable, non-seulement de la péninsule, mais encore de toute la Nouvelle-Guinée. Les cheveux sont de couleur dorée chez les enfants ; blond cendré chez les jeunes gens, et chez les hommes mûrs châ- tain foncé ou noir avec, un reflet rougeâtre. M. Stone n’a jamais vu chez les Kirapuno de mélange servant à teindre la chevelure comme chez les Polynésiens. Leurs armes sont la lance, la massue de pierre, et le paru ou épieu de 4 pieds de long. Toutes ces tribus, par leurs caractères généraux, offrent de grandes ressemblances avec les Polynésiens ; chez tou- tes, le peuple est gai, franc, causeur, prompt, irascible, confiant envers les Européens ; hommes et femmes aiment beaucoup la parure et celles-ci ne sont pas avilies comme chez les populations noires ; mais elles sont considérées et elles participent aux occupations des hommes. Elles sont généralement tatouées, tandis que le plus souvent les hom- mes ne le sont pas. Leur vêtement est une ceinture en fibres de pandanus, nommée rami, qui entoure les reins ; celui des hommes est ordinairement une bande d’étofle de tappa ou tsi roulée autour du corps. Les deux sexes se parent de bijoux, de bracelets en fibres de pandanus, de colliers en coquilles, d’ornements pour les oreilles qui, parfois, sont artificielle- ment allongées. Ils aiment beaucoup le chant, la danse, les courses de canots. D’un autre côté, enfin, MM. de Quatrefages et Hamy(l), regardent les crânes des Alfourous habitant le centre de la Nouvelle- Guinée comme appartenant en grande majorité à la race papua presque pure. On comprend facilement que des métis nombreux aient existé au contact des Alfourous et des Papua d’abord, puis par suite du croisement de ces métis entre eux ou avec l’un de leurs ancêtres, et enfin par leur mélange consécutif avec 1 es Malais. Après un certain nombre de croisements de ces métis, il doit donc apparaître des chevelures qui se rappro- (1) Crânia Ethnica , 7e fasc. et Bull. soc. d’Anthr ., 1878, p. 504. LES POLYNÉSIENS. 289 client chaque jour davantage de celle de leurs pères Malais ou Alfourous. Ce sont ces métissages à des degrés si divers qui expliquent la variété considérable des teintes de la peau ■ et de la nature des cheveux, signalée par les observateurs, en Malaisie surtout, où les races noires et jaunes paraissent avoir été en contact de temps immémorial. Parviendra-t-on jamais à déterminer exactement les caractères particuliers de ces divers degrés de métissage ? C’est douteux, à en ju- ger du moins d’après le peu que l’on a pu apprendre jus- qu’ici, alors que les types de race étaient certainement moins modifiés qu’ aujourd’hui. Il en sera des races noires comme des races jaunes polynésiennes: tant de croisements se seront opérés qu’on ne les reconnaîtra plus là où le con- tact avec une autre race aura eu lieu, et qu’il n’y aura guère d’un peu plus pures que celles de l’intérieur. C’est ce qui est arrivé à la Nouvelle-Zélande et aux Sandwich, par exem- ple. En voyant les descriptions modernes, on dirait vrai- ment que ce ne sont plus les mêmes populations décrites par les premiers voyageurs, quoiqu’une bonne partie sans doute ait échappé au métissage. Quoi qu’il en soit, les Alfourous existent réellement à la Nouvelle-Guinée, ainsi que cela nous a été dit à nous-même ainsi qu’à tous les compagnons de Dumont d’Urville, pen- dant notre séjour dans le havre Dorey en 1827; ils sont bien distincts des Arfaki, ces ennemis nés des Papous qui, il est vrai, le leur rendent bien. Nous en avons acquis la certitude dans une circonstance trop significative pour qu’on puisse douter de leur existence à cette époque. Vers la fin de la relâche de Y Astrolabe, alors qu’on s’occupait de faire le plein d’eau de la corvette, justement du côté de la baie qui est habité par les Arfaki, l’un des hommes chargés de ce travail fut tout à coup atteint d’une flèche, qui lui pénétra assez profondément dans la poitrine. Dès qu’il eut été ramené à bord, tous les Papous qui se trouvaient sur le pont regagnè- rent immédiatement leurs villages, et la paniqué fut en un instant générale. La population entière abandonna sa de- meure et s’enfuit vers les forêts en emportant ce qu’elle avait de plus précieux. Déjà si maltraitée, dans une autre 290 LES POLYNÉSIENS. occasion, par les Arfaki, elle s’attendait sans doute à les voir paraître, et elle craignait peut-être davantage les repré- sailles que nous pouvions exercer contre elle, si nous ve- nions à lui attribuer cet accident : comme beaucoup d’offi- ciers se trouvaient dans le même moment à terre, on put bientôt s’entendre. Le chef vint abord et n’eut pas de peine à se défendre de ce dont il n’était pas soupçonné, mais il assura que les Arfaki seuls avaient pu commettre cette ac- tion. C’était d’autant plus probable que la distance entre les deux populations est assez grande et séparée par toute la largeur de la baie. Le soir on n’y pensait pour ainsi dire plus, car le pont du navire était couvert de nouveau d’une partie de la population de Dorey. Le lendemain de cette alerte, les Papous nous voyant continuer les préparatifs de notre départ et désirant répon- dre aux demandes qui leur étaient faites d’oiseaux de Para- dis, qu’on ne trouvait plus à acheter depuis quelques jours, nous dirent que si nous voulions attendre un peu, des ca- nots allaient partir afin de s’en procurer chez les Alfou- rous, habitant plus vers l’Ouest. Ces canots revinrent en effet quelques jours après, ayant une bonne cargaison d’oiseaux de Paradis et de Massoï (1), et tous nous furent cédés alors que nous étions déjà sous voiles. Il est bien évident que les Papous n’étaient point allés chercher ces oiseaux chez les Arfaki, leurs ennemis, mais bien du côté opposé, chez ceux qu’ils appelaient les Alfourous, avec lesquels ils étaient dans de bons termes, quoique n’ayant que des relations de commerce assez peu fréquentes. Ce fut malheureusement en vain que nous cherchâmes à sa- voir s’ils différaient complètement et des Papous et des Arfaki ; s’ils étaient moins noirs et à cheveux lisses, et s’ils habitaient les côtes ou seulement A quelque distance dans l’intérieur ; mais, à cet égard, on peut conclure, du peu de temps employé pour faire le voyage, que leur demeure n’était pas très éloignée du rivage. (1) Pour ce mot, voir Mérat et Delens, Dictionnaire universel de matière médicale , Paris, 1834. LES POLYNESIENS. 291 Toujours est-il que, quand les auteurs n’auraient pas parlé des Alfourous comme habitants de la Nouvelle-Guinée, un pareil fait suffirait certainement pour qu’on admette leur existence dans cette île, comme elle a été admise dans la plupart, sinon dans toutes les îles de la Malaisie. On a déjà vu qu’ils ont dû avoir joué un grand rôle dans la formation d’une partie de la population de la Nouvelle- Hollande, si cette grande terre elle -même n’en a pas reçu directement de la contrée originaire. Quant à la Nouvelle- Guinée, leur rôle semblait, jusqu’à ces dernières années, n’y avoir pas été aussi grand ; on n’y avait guère signalé de popu- lations à cheveux lisses ; les seuls individus qu’on pouvait leur attribuer, et qui étaient le résultat de leur croisement avec une race noire, étaient les Papous de Doreyet de quelques autres points, mais tellement croisés depuis, avec les Malais de Guébé et des îles voisines, qu’ils en avaient pris plusieurs des caractères, sans perdre pourtant leur chevelure crépue ; aussi les voyageurs avaient-ils cru pouvoir les regarder comme le produit direct du croisement des Malais et des Papua : on sait que cette dernière opinion était celle de R. P. Lesson, de Rienzi, etc. Les découvertes modernes nous montrent aujourd’hui l’existence, dans la Nouvelle-Guinée, de véri- tables Alfourous, c’est- à-dire d’individus tatoués, à peau claire et à cheveux lisses, se rapprochant beaucoup de la race polynésienne. On comprend du reste parfaitement que, si l’on est resté long- temps si peu fixé sur les caractères des Alfourous, de même que sur ceux des Arfaki et de la race Endamène admise par pres- que tous les auteurs, depuis que R. P. Lesson en a parlé, c’est que le séjour des Européens dans les seuls ports bien connus, n’avait permis de voir qu’un petit nombre d’Endamènes et d’ Arfaki prisonniers de guerre, mais pas un seul Alfourous, à moins qu’on ne regarde comme tels les individus observés et décrits par Lesson, comme ayant des cheveux presque lisses, avec d’autres caractères tout mélanésiens. En tout cas, en admettant l’exactitude de la description qui en a été faite, ces individus n’auraient pu être que des métis d’ Alfourous et de race noire. On comprend enfin encore que l’habitude qu’ont 202 LES POLYNÉSIENS. les Papous de tuer leurs ennemis pour faire des trophées de leurs têtes, explique elle-même le peu d’occasions que l’on a pu avoir d’observer ces diverses espèces d’hommes et, par conséquent, l’igmorance dans laquelle on est resté à leur sujet jusqu’à ces derniers temps. Mais l’élan est donné et bientôt, parles crânes rapportés aussi bien que par les obser- vations des voyageurs, on ne manquera pas sans nul doute d’être complètement fixé à cet égard. En somme, il semblerait résulter de tout ce qui précède que le nom d’Alfourous a été donné aussi bien à des popula- tions à peau noire qu’à des populations à peau plus claire ; mais comme on accorde aux deux, le plus souvent, une che- velure lisse, et que quelquefois on ne connaît certaines d’en- tre elles que par le récit de ceux qui ne les ont même pas vues, nous croyons qu’il faudrait commencer par vérifier ces récits avant de leur accorder quelque confiance. On comprend du reste parfaitement que les Alfourous puissent être beaucoup plus noirs et même tout noirs, dans certaines îles, dans celles par exemple où leur petit nombre, relativement à celui des populations mélanésiennes, a rendu le métissage uniquement favorable à ces dernières. Avec le temps, en effet, s’ils n’ont pas complètement disparu, ils ont dû devenir presque des Mélanésiens; mais, à part ces cas qui expliqueraient la réalité des caractères donnés par les écrivains aux Alfourous de certaines îles, telles que Min- danao et la Nouvelle-Guinée, il n’est pas moins vrai que la plupart ou du moins les plus importants par le nombre, ont été décrits comme plus blancs et plus beaux : tels sont ceux de Célèbes, d’Amboine et de Céram, qui tous ont les che- veux lisses, et les caractères anthropologiques des Dayaks. Peut-être aussi peut-on y ajouter aujourd’hui les popula- tions que Mouhot a observées dans la presqu’île de l’Indo- Chine. Il est évident qu’aucun ethnologue n’a pu avoir l’idée d’at- tribuer l’origine des Polynésiens aux Alfourous noirs, s’il en existe, mais seulement aux Alfourous à cheveux longs, c’est-à-dire à ceux qui ont tous les caractères des Dayaks ; et c’est parce que M. Haie Ta attribuée à ceux, si peu connus, LES POLYNÉSIENS. 293 de l’île Bourou, que nous avons cru devoir parler si long- temps de ces hommes afin de permettre au lecteur de juger lui-même. Mais s’il est peu probable que les Alfourous de Bourou, pas plus que ceux des autres îles, aient pu être les ancêtres des Polynésiens, il n’est pas moins vrai, d’après les carac- tères anthropologiques de la plupart, qu’ils appartiennent à la même race que les Battaks et les Dayaks qui, nous l’a- vons dit, ne sont que des Polynésiens purs, ou à peine mo- difiés par le temps, les croisements, et n’ayant guère perdu qu’une partie de leur langage au contact des Javanais et des Malais. Non seulement ils en ont les caractères physiques, mais aussi les caractères moraux et intellectuels. Ils ne sont, en un mot, pour nous, que des Malaisiens, Malaisiens con- traints seulement par leur petit nombre relatif, dans la plu- part des îles où on les a trouvés, de se retirer devant les en- vahisseurs, Malais, Javanais ou autres, jusque dans l’inté- rieur des terres, et même au milieu des montagnes, afin d’échapper à l’extermination ou à l’esclavage. Naturelle- ment, ces Malaisiens sont plus ou moins croisés aujourd’hui, tellement même dans quelques îles, qu’ils ont, comme on a vu, la plupart des caractères de la race noire ou mélanésienne, mais en conservant presque toujours, du moins d’après les descriptions, des cheveux longs et lisses, qui dénotent leur origine première, et qui permettent même de mettre en doute l’exactitude de plusieurs observations à ce sujet. Si nous sommes parvenu à démontrer l’identité des Ma- laisiens et des Polynésiens, les Alfourous ne sont eux- mêmes que des Polynésiens ; mais au lieu d’être venus direc- tement de la Polynésie, ce qui, cependant pourrait avoir eu lieu pour quelques-unes des îles de la Malaisie où on les a trouvés, ils sont bien probablement issus, le plus souvent, sinon toujours, soit des Battaks ou des Dayaks, soit des Tou- radjas de Célèbes. Quant aux Alfourous noirs et à cheveux crépus, ils ne sau- raient être, s’ils existent, que le produit du croisement di- rect des Alfourous malaisiens avec les femmes de la race noire ou mélanésienne ; et, dans ce cas, ils ne seraient que 294 LES POLYNESIENS. de véritables Papous, de même que ceux de Dorey à la Nou- velle-Guinée, de même que lesFijiens des îles Fiji les plus orientales, ainsi que nous le montrerons quand nous nous occuperons de ces îles. Tous les voyageurs, en effet, ont été frappés de l’analogie de couleur et de chevelure de ces deux derniers peuples. Y. RÉSUMÉ DES MALAISIENS. Les Malaisiens proviennent de colonies polynésiennes. — Raisons mili- tant en faveur de l’opinion qu’ils sont les descendants et non les ancê- tres des Polynésiens. Ainsi donc, les hommes qui, de notre temps, ont reçu le nom de Malaisiens, pour les distinguer, avec raison, des Javanais, des Malais, et des métis divers de [ceux-ci, sont : d’une part, les Battaks, les Dayaks, les Bouguis et les Alfourous, et de l’autre, peut-être les peuplades récemment découvertes en Asie, au centre des royaumes de Cambodge, d’ Armani, du Laos et de Siam. Comme on vient de le voir, un seul écrivain a cru pouvoir attribuer l’origine des Poly- nésiens aux Alfourous de Bourou ; mais c’est surtout aux Bouguis que la plupart des auteurs l’ont fait, quoique les Bouguis aient moins d’analogies avec les Polynésiens que les Dayaks et les autres Malaisiens. Nous ne répéterons point ce que nous avons déjà dit, à l’occasion de chacune de ces populations, contre la possi- bilité d’une provenance directe des Polynésiens, soit des Bouguis, soit des Dayaks ou même des Stiengs ; mais nous redirons qu’au lieu d’être les ancêtres des Polynésiens, ces peuples ne sont bien probablement, au contraire, que leurs descendants, et qu’ils proviennent de colonies, émigrant volontairement ou non, à une époque reculée, vers les grands continents, et surtout vers la Malaisie. D’après ce qui précède, on ne peut nier, en effet, que de nombreuses et fortes raisons ne soient favorables à cette opinion. Si, d’un côté, les analogies des caractères physiques, des mœurs, des coutumes et du langage, établissent nettement que ces diverses populations appartiennent à une même race, de l’autre, l’impossibilité de découvrir, tant en Malaisie, qu’en Asie, un centre dans lequel une langue analogue à la po- lynésienne, ait été ou soit généralement parlée ; la facilité 296 LES POLYNÉSIENS. plus grande, au contraire, d’expliquer la rareté apparente des mots polynésiens chez plusieurs populations de la Malaisie ; lapureté de la langue polynésienne et son usage général dans toutes les îles de la Polynésie, etc., sans parler des autres raisons que nous avons données, ou que nous donnerons par la suite, tout doit porter à admettre que ces peuples ne sont presque certainement que les descendants d’ émigrants venant de la Polynésie. Il est mêm© à croire que ces émigrants, à en juger par certains faits, ont dû arriver en fort grand nombre et occuper la plus grande partie des îles de la Malaisie. On a vu, en effet, qu’en outre des populations que nous avons examinées en détail, une foule d’autres îles sont occupées encore aujourd’hui par des populations ma- laisiennes. Telles sont, pour n’en citer que quelques- unes, les îles Engane, Pogghi, Nias, etc. Tous les obser- vateurs s’accordent à dire que les habitants de l’île Engane,, l’île la plus Sud près de Sumatra, sont plus grands et plus blancs que les Malais, qu’ils vont presque nus, qu’ils ont les oreilles percées, qu’ils n’usent pas du bétel et qu’ils parlent une langue différente du Malai ; que les habitants des îles Pogghi ou de Nassau ont la même religion que les Battaks, la même manière de rendre les derniers devoirs aux morts, et de placer les cadavres sur une estrade, comme les Polynésiens ; qu’à Nias, ils sont également plus blancs, et qu’ils ont Phabitude polynésienne du suicide. Un fait qui ne mérite pas moins d’être signalé, c’est qu’on trouve dans le langage foncièrement malai de l’île Savu (1), île que Cook a visitée lors de son premier voyage sur YEn- cleavour yun grand nombre de mots polynésiens, parfaitement reconnaissables, comme on peut s’en convaincre en jetant un coup d’œil sur le tableau ci-dessous. Les mots provenant de l’île Savu sont extraits du voyage de Parkinson, le des- sinateur de Banks. Nous y avons joint, comme terme de comparaison, les mêmes mots exprimés en Maori, en Tahi- tien, en Marquésan et en Malai. On remarquera l’analogie de presque tous ces mots avec le Polynésien. (1) Ce mot Savu se retrouve aux Fiji sur l’île Vanna Levu. (Voy. W. Williams, Fiji and Fijians , t. 1er.) TABLEAU LINGUISTIQUE COMPARATIF. LES POLYNESIENS 2Ü7 < s 44 ci 44 ri bC a .5 ri ri a a S h fl “ «J «J 6044 ri ta g . . g ° «J? g.f a o o. ri Cl £3 ci O 5 O « C3 o . <-> ' — 1 -ri .-> Si . 2 a rP eS C3 p— « a o 00 s ^ S S i o Lcj o cj S a ci a •es a ri fcô,S 60§.bD'i a -*-> a tï fiOSÏÏ o- a, a S X. -4 in 'W P O" « -4 ri -M ri a » c3 * a ci a a a ■ a "S a a , a • ■ 44 ri ri a a ri a o g es • . .-(PS ci ci • t5 a a s‘r5 a‘-5.~ a.” a a^is a I O <~4 C3 uq K <* H c3 •+-> c3 a g ri a ri V4-T a .4=1 .a • * ^ ° i'i'S a a o C3 a • ri «s a ç3 e3 JRS O ro ^ -+-> £q C3 ^ CS *.,-4 *3 .». C3 a 5‘a-a a .a a.s.a a aS a •“'a a a ri ri O 45 a ® 45 o a : J ri £ S a o ri 43 o a ri 44 ri 3 2 a ri 44 a â ri 4a £ a o ri bo, O &D- 44 1T . « ri • ^a a £ a : ro ri ri s % a^ ri ri p— C r-,-1 fi 3 •2 • S ri-a •-2 ôora ^ C • g. «S C.S a • * d .4 2 3 0' a ad o a 44 a "—i 4a ■ q „ , a 4a o y -1 o a ri 44 S -P 44 3b 3 a ri ri a p r' < m a o ri ri a ri a a ri a "a w ri ri 60 ri 3 a a -7-j • ri a o ri a 44 aa a a 44 3 £ ri a Si > a . a .n o.p S-^o c5 . ^ c3 c3 a riis pî!s t? 5 fcc 2 • ri • ri • .1 ri a n t; -4-J Cj a ri ri a w Si o T 2 a a p g "s p O E§ cr, , »-•• HH " i. « p- © H o -t ©- p s; O a p © p a P *n o •a CD P! 3 a^1 ci p - 3 £fe CD CD - N w • tb CD *-i P 3 P O* P Pp^ •-b P & a a ^a a as p^o a p ta OP” c+ p T 2 o g g ?org§ rr- c*s.- o # ta a CD P v-. p ta a * • a a en a' CfQ n K CH > H > * > a TABLEAU LINGUISTIQUE COMPARATIF. (Suite). LES POLYNÉSIENS. 3] 5 NUMÉRATION DE IÉILE SATAWAL, D’APRÈS GAIMARD. 1. lot, liiot. 2. Ru. 3. Iel, iol, ieli, hiel. 4. Fan, fel, fan g*. 5. Limme, nimme, lim. 6. Hol. 7. Fiz, fuz, fis. 8. Uane, ouab. 9. Tihu, lihu. 10. Sek, seg, leeke. 15. Segmalimu. 5000. Limanresse. Lieu d'origine des Carolins. — Les ethnologues ne s’ac- cordent pas plus sur le lieu d’origine des Carolins qu’ils ne le font sur leur langue. Les uns les font venir de la Malai- sie, d’autres de l’Inde, d’autres encore du Japon, la plupart des îles Philippines ; mais pas un n’a songé à les faire des- cendre des Polynésiens, quoique plusieurs aient reconnu, comme nous, de grandes ressemblances entre eux. Yu l’importance de ces opinions contradictoires, nous croyons ne pouvoir nous dispenser d’exposer séparément chacune d’elles. On verra mieux, d’ailleurs, de la sorte, quelle est celle qui semble devoir être préférée. Ce ne sera qu’a- près cela, et après avoir également fait connaître celle des écrivains sur les caractères physiques et l’origine des Ma- riannais, que nous réunirons les divers témoignages qui, à notre avis, démontrent presque leur provenance polyné- sienne. Nous suivrons, comme toujours, à peu près, l’ordre chro- nologique des observateurs, en nous bornant toutefois à ceux de quelque autorité, c’est-à-dire à Chamisso, d’Urville, Les- son et Lütke, auxquels on peut ajouter de Rienzi pour l’île de Yap, l’une des CarolineSi De Chamisso (1), le compagnon de Kotzebüe en 1816, re- gardait les Carolins comme appartenant à la race qui peuple la Polynésie orientale, race qui, pour lui, de même que pour Balbi, était la Malaise. Il leur trouvait surtout de la ressem- blance avec les Tungans et il fondait son opinion sur ce qu’on retrouvait dans ces îles : la Trinité tahitienne ; la (1) Remarks and opinions of the naturalist of the expédition , in a voyage of discovery by Kotzebüe in to the south sea and Behring Strait , t. II et III. 316 LES POLYNÉSIENS. société des arioï sous le nom à'aritoï ; le tatouage ; le ta- pu sous divers noms ; et, en outre, plus de 20 mots tout-à- fait les mêmes ou ayant une grande ressemblance avec des mots de la langue des îles Tunga. C’est ainsi, disait-il, que des dix principaux noms de nombre des Tunga, il n’y en avait pas moins de sept tout-à-fait semblables dans les dia- lectes des Carolines, tandis qu’il n’avait rencontré, au con- traire, que deux mots ayant quelque ressemblance avec des mots japonais. 11 concluait, de ces considérations, que les dialectes caro- lins dérivent évidemment de la même racine que la langue des îles des Amis, Sandwich, et autres îles Polynésiennes, c’est-à-dire de la racine malaise. On le voit, il partagé, lui aussi, cette croyance en une ori- gine malaise, que tous les ethnologues ont admise depuis For s ter, bien qu’il eût commencé par dire qu’ils ressem- blaient davantage aux Tungans, comme si les Tungans res- semblaient aux Malais ! Forster, en effet, pensait que les anciens Malais de la pres- qu’île de Malacca s’étaient probablement répandus d’abord à Bornéo, puis aux Philippines, aux Mariannes et aux Caroli- nes, et de là dans toutes les îles Polynésiennes jusqu’à Pâ- ques et à la Nouvelle-Zélande; et telle était, pour lui, l’a- nalogie des Polynésiens orientaux et des Carolins, qu’il n’a pas hésité à dire que ces derniers étaient les ancêtres des premiers. L’opinion de Cliamisso n’est autre, en résumé, que celle du compagnon de Cook ; comme lui, et c’est ce que nous voulons le plus faire remarquer, il trouvait les plus grandes analogies physiques entre les deux populations, tout en reconnaissant que les dialectes des Carolins étaient moins simples que ceux de la Polynésie orientale et qu’ils par- laient plusieurs langues. Il disait, en un mot, que la race des insulaires des îles Carolines était la même que celle qui peuple toutes les îles du grand Océan. Cette opinion est en opposition directe avec celle que R. P. Lesson a cherché à faire prévaloir. LES POLYNÉSIENS. 317 On verra, du reste, que de Chamisso (1), comme Forster, admettait que les migrations s’étaient opérées des contrées situées entre l’Asie et la Nouvelle-Hollande, en remontant contre les vents qui régnent habituellement de l’Est vers l’Ouest, jusqu’à l’île de Pâques, et qu’il croyait que les ani- maux et les plantes, qui avaient partout suivi les pas de l’homme, appartenaient au vieux monde ; c’était une erreur de préoccupation sans doute, comme nous le montrerons ail- leurs. Les idées de d’Urville ne semblaient pas être bien arrêtées sur les Carolins ; car s’il trouvait qu’ils différaient des Poly- nésiens, il ne fournissait pas moins, comme d’habitude quelques témoignages favorables à l’opinion contraire. C’est ainsi qu'on lit dans son Mémoire (2) : « La deuxième di- vision de la race cuivrée a rapport aux hommes répandus sur cette longue chaîne de petites îles, qui ont reçu des navigateurs les noms de groupe de King’s Mill, îles Gilbert, Marshall, Ca- rolines, Mariannes, jusqu’aux îles Pelew, inclusivement. Ces insulaires diffèrent principalement des Océaniens de l’Ouest par une couleur un peu plus foncée, par un visage plus effilé, des yeux moins fendus et des formes plus sveltes. Ils paraissent aussi être étrangers au tapu. La langue varie d’un archipel à l’autre, et diffère complètement de celle qui est commune aux Polynésiens. Les seuls traits de con- formité entre les deux divisions sont la distribution de la société en castes, l’absence de l’arc et des flèches pour ar- mes offensives et l’usage du kava sur quelques îles; mais dans celles de l’Occident, le kava est remplacé par le bétel et l’arec (3). » En somme, c’était surtout aux Tagals que d’Urville attri- (1) Mémoire du Grand-Océan , de ses îles et de ses côtes, Ann. ma - rit., 1825; 2e partie. (2) Mémoire sur les îles du Grand-Océan , p. 5, 1831. (3) Voir sur le bétel, Particle publié par M. Delioux de Savignac, ancien médecin en chef de la marine, dans le Dict. Encyclopédique des sciences médicales. 318 LES POLYNÉSIENS. huait le peuplement des îles Carolines, car il dit (1) : « Il y a tout lieu de croire que les Micronésiens ont dû principale- ment leur origine aux îles de Luçon et de Mindanao ; des co- lonies chinoises ou japonaises ont pu accidentellement arri- ver sur quelques-unes de ces îles, et leur postérité se sera confondue avec celle des Tagals. » Comme lui, nous croyons àl’arrivée de colonies japonaises ou chinoises dans les Carolines, mais non à leur fusion avec des Tagals, ceux-ci n’y étant probablement arrivés eux- mêmes qu’incidemment, et s’y étant mêlés à la race polyné- sienne qui y était déjà établie. On verra du reste bientôt que les ressemblances entre les Carolins et les Polynésiens ne se bornent pas, comme le dit d’Ur ville, aux seuls traits qu’il cite, et que le Tapu particulièrement, n’est pas si étranger aux Carolins qu’il le croyait. Il est parfaitement exact, ainsi qu’on a pu le voir déjà, que la langue varie d’un archipel à l’autre, mais, ce qui ne l’est pas moins, c’est que les quelques mots précédemment cités par nous et ceux de Mertens, que nous citerons plus loin, établissent parfaitement que les Ca- rolins se servaient d’un grand nombre de mots d’origine polynésienne, à peine modifiés par la prononciation. Quant à la couleur un peu plus foncée de la peau, aux for- mes sveltes des Carolins, tous les ethnologues savent qu’elles sont dues, dans les îles basses, à une existence plus précaire et à une exposition plus grande, que dans les îles hautes, au rayonnement solaire. Ces différences n’ont par conséquent aucune importance. Mais cette remarque que les yeux des Carolins sont moins fendus, est d’autant plus digne d’attention, qu’elle corrobore jusqu’à un certain point ce qu’avance R. P. Lesson de leur peu de grandeur et de leur forme bridée, et qu’elle pourrait être regardée, elle aussi, comme indiquant qu’il y a eu des mélanges avec d’autres races, et particulièrement avec des Chinois ou des Japonais. Ainsi de l’examen des deux premières opinions il résulte déj à que l’auteur de la première, de Chamisso, trouvait de grandes (1) Mémoire cité, p. 18. LES POLYNÉSIENS. 319 ressemblances entre les Carolins et les Polynésiens et que les uns et les autres venaient, suivant lui, des îles asiatiques, ou malaises : tandis que d’Urville ne leur accordait que quel- ques traits de conformité, et qu’il les croyait provenir sur- tout des îles Philippines et de Mindanao. Nous dirons de suite que c’était l’opinion du premier que partageait Domeny de Rienzi, dans son immense compila- tion sur l’Océanie. Cet écrivain, avons-nous dit, ne connais- sait dans les Carolines que l’île Yap, vue par d’Urville et ses compagnons de Y Astrolabe, et la Polynésie lui était com- plètement inconnue ; mais comme il s’était trouvé dans la nécessité d’étudier tout ce qui avait été publié sur ces par- ties du monde, on ne sera peut-être pas fâché, malgré son peu d’autorité, de connaître son opinion à ce sujet. Pour lui (1) la ressemblance entre les Carolins et les Polynésiens était complète ; elle était incontestable, disait- il, et il fondait son opinion sur les analogies suivantes com- munes aux Carolins et aux Polynésiens : Même tatouage ; même manière de bâtir ; de se procurer du feu ; de saluer ; de danser ; même mode de faire la guerre et la paix ; même division des classes ; même culte des esprits ; mêmes ustensileset mêmes armes ; même ab- sence de l’arc et des flèches ; même bouillie alimentaire ; même usage de la boisson ava , sous un autre nom ; même anthropophagie ; même prohibition du tapu, qui, dans les Carolines, porte différents noms que nous exposerons plus loin. Nous ne nous arrêterons pas à ces analogies, parce que nous montrerons bientôt qu’il y en a un bien plus grand nombre. Seulement nous ajouterons qu'il répète ailleurs : « Il nous est démontré que la ressemblance est complète, avec cette différence que les Carolins sont moins supersti- tieux, moins cruels et moins luxurieux que la plupart des Polynésiens. » Assertions que nous allons voir en partie - détruites par les renseignements de Mertens, le botaniste de l’expédition du Seniamne et du Môller . Il finit, du reste, (1) Art. Carolines, Univers pittoresque , t. II. 320 LES POLYNÉSIENS. comme toujours, par conclure que les Carolins « provien- nent des Dayacks de Bornéo, qui doivent leurs coutumes primitives aux Bouguis, qui les ont portées dans le reste de la Polynésie. » En somme, comme on voit, c’était des îles asiatiques qu’il les faisait venir et pour lui, leur origine était purement malaise, contrairement à l’opinion de Mertens, qu’il aimait tant citer; voici ce qu’il fait dire lui-même à ce dernier (1) : « On a ordinairement compris ces peuples sous le nom général de la race malaise ; mais il ne faut qu’un, coup- d’œil pour les distinguer des véritables Malais qui habitent les îles de la Sonde, Timor, etc., et même des Tagals et Bis- sayas des Philippines (2).» Nous n’indiquerons que pour mémoire, l’opinion de Bory-Saint- Vincent à ce sujet (3) : « Ce sont, dit-il, les Lndiens et surtout les Siniques qui, par leur mélange avec des Papous, des Océaniens et même des Mélanésiens égarés sur l'es îles des vastes archipels des Mariannes et des Caroli- nes, produisirent cette \ variété d’Hybrides que M. Lesson appelle Carolins, et parmi lesquels on trouve empreintes tant de nuances des caractères de types primitifs, que nous ne croyons pas la devoir élever au degré de race. » Comme ce n’est que sur les renseignements communi- qués par R. P. Lesson que le savant naturaliste a établi (son appréciation, nous ne nous arrêterons pas à la commen- ter et à faire ressortir son analogue avec celle émise par l’homme qui, après Forster, est, suivant nous, celui qui a dit les meilleurs choses sur l’Océanie. Les commentaires résulteront d’ailleurs de l’exposé des opinions contradic- toires. Comme d’Urville, R. P. Lesson (4) trouvait que les Caro- (1) Univers pittoresque, t. II, p. 176. (2) Yoy. Mémoires de Mertens sur les Carolines , Bibliothè- que universelle , 1S34-1835. (3) P. 315, n° 5, L'Homme. (4) Tableau des races humaines, Voyage Médical , p. 61, et Texte du voyage de la Coquille , partie zoologique. LES POLYNÉSIENS. 321 lins ou Mongol-Pélagiens, ainsi qu’il les appelait, diffé- raient des autres Océaniens. Il était surpris qu’on les eût confondus avec eux, beaucoup de caractères les en éloi- gnant, disait-il, et particulièrement la langue. A en juger par les figures et les descriptions des voyageurs, il pensait que le rameau Mongol-Pelagien avait habité primitivement les îles Philippines, Mindanao et les Mariannes. Pour lui, en un mot, les Carolins étaient évidemment le résultat d’un croisement de Japonais avec des Indo-Chi- nois de la presqu’île, et il croyait que c’était le Japon qui, dans les temps les plus reculés, avait peuplé les îles Océaniennes et particulièrement l’île Ualan, dans les Caro- lines. Le capitaine Lütke qui visita les Carolines quelques an- nées après le passage de la Coquille (1), ne partageait point la manière de voir de R. P. Lesson sur l’origine des Carolins, car, en résumant ses données sur les peuples non- seulement des Carolines proprement dites, mais aussi des îles Radack et des îles Mariannes, voici ce qu’il dit (2) : «Comme l’indique la comparaison de leurs langues, ces peu- ples sont les rejetons d’une seule et même race. Tous les voyageurs et les ethnographes sont, autant que je sache, d’accord à ce sujet ; mais les opinions ne sont pas aussi con- cordantes relativement à la souche de laquelle ils sont sor- tis. Le docteur Chamisso les regarde comme étant de la même race malaise que toutes les tribus qui peuplent la Polynésie orientale, opinion partagée également par le célèbre Balbi. Un voyageur généralement considéré, M. Lesson, les rapporte, au contraire, à la race mongole, en faisant d’éux un rameau particulier qu’il appelle Mongol-Péla- gien. » Il reconnaît que les remarques de ce dernier sont, en effet, applicables en partie aux Ualanais ; il trouve que plusieurs caractères présentent un contraste frappant avec la physio- (1) 11 arriva à Ualan le 4 décembre 1827, et La Coquille en était partie le 15 juin 1824. (2) Univers pittoresque , Océanie, L II, p. 216. 322 LES POLYNÉSIENS. nomie des Japonais et des Chinois et une grande conformi- té, au contraire, avec les physionomies des habitants des îles Tunga et Sandwich ; puis il conclut, d’une manière assez inattendue, à notre avis, et tant il était loin de soupçonner le lieu d’origine des Tungans, qu’ils descendent d’un peuple chez lequel la civilisation avait déjà fait de grands progrès, d’un peuple commerçant et navigateur ; et ici, ajoute-t-il, « la ressemblance indique de nouveau la race hindoue, pas- sionnée pour les voyages, plutôt que les Chinois et les Ja- ponais, qui ne quittent point leurs foyers. » A cette assertion, de Rienzi répond avec beaucoup de raison : « L’honorable M, Lütke commet ici une double er- reur. Les lois de Manou défendent aux Hindous de quitter leur pays. Les Chinois, au contraire, voyagent dans toute l’Asie, et surtout dans la Malaisie où ils se sont établis mal- gré les lois prohibitives de l’empire. Les Japonais ont eu jadis des relations fréquentes avec les Philippines, la Polynésie et une partie de la Micronésie, qu’ils ont peut- être colonisées, et dont les habitants seront retournés au Japon, à l’époque delà persécution des chrétiens par le gouvernement de ce pays (1). » C’est après avoir dit que les Carolins n’ont point une origine mongole, et qu’ils diffèrent par « leurs grands yeux saillants, leurs lèvres épaisses, leurs nez retroussés, » des Japonais et des Chinois, tandis qu’il y a une grande confor- mité au contraire avec les physionomies des habitants des îles Tunga et Sandwich, que Lütke ajoute à propos d’Ualan: « Je ne puis me ranger à l’opinion de M. Lesson que les U al an ai s sont d’origine mongole. Quoique les habitants de cette île appartiennent à la même race que les habitants de tout l’archipel des Carolines, il existe, en effet, des traces qui paraissent indiquer qu’ils ont eu des communications avec les Japonais, et qu’ils ont emprunté d’eux quelques cérémonies de la croyance de Sin-to la plus ancienne du Japon, etc. » Si, continue-t-il, après avoir longuement décrit cette cérémonie, « nous ajoutons à ce que T en- Si ou Si-Ten (l) P. 216, t. II. LES POLYNÉSIENS. 323 serait énoncé par les Ualanais comme Si-tel plutôt que de toute autre manière, la ressemblance entre Sake et Seka, et les consonnes tout-à-fait japonaises de quelques noms men- tionnés dans leur prière, comme par exemple : Kajoua-Sin- liaga , Kajoua-Sin-inoufou, nous serons involontairement amenés à conjecturer qu’à une époque quelconque un bâ- timent japonais aborda les rivages d’Ualan, et que les hom- mes qui le montaient communiquèrent aux insulaires la connaissance de leurs traditions et de leurs cérémonies, qui, naturellement avec le temps, devaient éprouver de grands changements. » Ce qui semble prouver que des voyageurs japonais ont dû aller dans les Carolines et même jusqu’aux Tunga et aux Fiji, c’est la coutume retrouvée dans ces îles de porter le roi et les princes, de les empêcher de toucher le sol, etc. On sait qu’au Japon jamais les pieds du Mikado ne touchaient le sol, que sa tête n’était jamais exposée au grand air en plein jour, que jamais, en un mot, le Mikado ne subissait le contact ou l’atteinte ni des éléments, ni du soleil, ni de la lune, ni de la terre, ni des hommes, ni de lui-même, car chaque jour on l’habillait d’un costume neuf, on le servait dans une vaisselle neuve, etc. On doit donc croire avec Lütke que l’arrivée fortuite de navires japonais suffit pour expliquer les quelques carac- tères propres à cette nation ou à celle des Chinois rencontrés à Ualan : tels sont les yeux étroits et obliques, qu’il y a lui-même remarqués ; la manière de préparer les tissus ; le lustre que les Carolins savent donner à leurs pirogues ; la forme de leurs chapeaux ressemblant à ceux des Chi- nois ; l’absence de toutes traces de la langue japonaise, moins une couple de mots, etc ; et, par conséquent, il est permis de douter de l’origine japonaise que R. P. Lesson était porté à leur reconnaître. Mais on conviendra que ce que le navigateur russe dit lui-même de l’arrivée probable à Ualan de quelque jonque japonaise ou chinoise, explique parfaitement les ressemblances qu’on a signalées et qui appuyaient si bien une pareille conjecture. Ces ressemblan- ces sont telles que tous les observai eurs, et d’Urville parti- 324 LES POLYNÉSIENS. culièrement, en ont été frappés, et les ont attribuées à la venue de quelques colonies chinoises ou japonaises. Telle est aussi notre opinion, sans qu’il soit nécessaire, croyons- nous, de recourir pour cela à l’origine que leur donnait R. P. Lesson. Rien de plus facile à comprendre, du reste, quand on sait que, de notre temps, divers naufrages de jonques japonaises ont eu lieu dans diverses autres îles qu’Ualan, telles que les Mariannes, les Sandwich, et même en Amérique (1). En résumé, pour le capitaine Lütke, comme pour de Cha- misso, les Oarolins n’étaient que de véritables Polynésiens, dont les habitudes et les dialectes dérivaient, disait-il, de la même racine que la langue des îles des Amis et des îles Sandwich. Et il est de fait que les choses suivantes sont les mêmes : Mêmes pirogues ; mêmes instruments, tels que haches en pierre, en coquille, hameçons ; mêmes danses et pantomimes; mêmes moyens de se procurer du feu, de cuire les fruits, le poisson ; même boisson appelée ava en Océanie, seka à U al an ; mêmes coutumes et cérémonies ; même céré- monie pour boire la seka ; même ceinture des reins ; enfin même apparence extérieure. C’était, suivant lui, aux Tongans que les Oarolins res- semblaient le plus, parce que là, disait-il, avec Chamisso, dans les maisons consacrées aux divinités, il n’y avait pas de sculpture, d’idoles difformes ; parce que les prêtres ne formaient point une classe distincte, mais se confondaient avec les autres ; parce que la mémoire des chefs décédés était conservée par les descendants ; parce que les tom- beaux étaient regardés comme sacrés ; que les hommes se conduisaient avec égard envers les femmes et ne les sur- chargeaient pas de travaux ; parce que les femmes se dis- tinguaient par leur chasteté et leur attachement à leur mari, et les deux sexes par une pureté de mœurs qui n’est pas dans les îles de la Société, des Sandwich et autres : parce que enfin, ils observaient dans leurs entretiens une décence et une politesse extraordinaires. Ces assertions, (1) V. Ellis et Jarves, Histoire des Sandwich. LES POLYNÉSIENS. 325 on le sait aujourd’hui, sont presque toutes inexactes ; mais elles n’empêchent pas les nombreuses analogies qui existent réellement, et que nous ferons bientôt connaître. Ce qui ressort, en définitive, des observations de Lütke, et sur quoi nous voulons appeler l’attention, c’est la res- semblance qu’il trouve entre les Carolins et les Polyné- siens, ressemblance qui est niée, comme on a vu, par quel- ques-uns de ses prédécesseurs, mais que nous croyons nous-même exister beaucoup plus qu’on n’a dit (1). Ainsi il (1) Ici qu’il nous soit permis de donner quelques renseigne- ments sur une plaisante méprise de Lütke à Ualan. On sait que c’est là qu’il a retrouvé le cochon, laissé trois ans auparavant, par le capitaine Duperrey, de la Coquille, et que les indigènes, qui en étaient complètement dépourvus, avaient adopté son nom, qu’ils rendaient par Cocho, en même temps que la chose. « Les Ualanais, dit-il, en apercevant la boussole, s’écrièrent tout d’une voix : Sacré comment ! et se mirent ensuite à parler de Yoaka (vaisseau) (a) qui était venu ici, il y avait très-longtemps (b). En entendant les coups de fusil de nos chasseurs, ils s’écriè- rent de nouveau : Sacré comment ! Sipe avait déjà employé plu- sieurs fois cette exclamation en voyant des objets qui l’étonnaient. Tout cela nous convainquit qu’ils avaient retenu ces mots du temps de la Coquille . Mais n’est-il pas étrange que de mille mots français qu’ils eurent occasion d’entendre, ils n’aient conservé dans leur mémoire que ce seul nom ?» De Rienzi a cherché à ex- pliquer cette citation en disant que les indigènes ont appliqué au hasard ces mots, après avoir entendu des matelots grossiers se dire entre eux : Sacré gamin , à tout propos. C’est, en effet, après les avoir entendus de Français, et plutôt de d’Urville que de tout autre, car c’était le juron favori du second de la Coquille , comme plus tard, c’était, sur Y Astrolabe, l’expression de Lascar , que les indigènes ont appliqué, comme lui, les mots sacré gamin à tout propos. L’entendant répéter à chaque instant sur le pont de la Coquille , il dut leur être facile de le retenir. Le capitaine Lütke fait, du reste, la remarque que quelques-uns de ses officiers croient avoir entendu les mots si voulpe , pour « s’il vous plaît » : et il cite encore un fragment de chanson française qui {a) Voir Univers Pittoresque, Océanie, t. II, p. 168. Waha, ou Yaka, on le sait, est le nom polynésien. ( b ) Noter que c’était trois à quatre ans auparavant. 326 LES POLYNÉSIENS. semble bien résulter, de tontes les données précédentes, que si les observateurs ne s’accordent pas sur le lieu d’origine des populations qui, les premières, ont occupé lesCarolines, tous, du moins, s’accordent à reconnaître que ces popula- tions, qu’elles fussent Tagales ou Polynésiennes, ont eu des rapports avec d’autres peuples, et particulièrement avec les Japonais ou les Chinois, ce qui explique les chan- gements survenus dans leurs traits et leur langage. Mais nous ajouterons, d’après les renseignements de ces mêmes observateurs et de plusieurs autres, qu’en outre de l’arrivée de colonies ou de naufragés de races siniques, des colonies de race mélanésienne se sont également présentées dans les Carolines, et se sont établies dans plusieurs îles. Le premier qui ait fait cette remarque est le père Cantova, qui disait que, de son temps (1), des hommes de diverses races, mais surtout des nègres, existaient parmi les Caro- lins. Après lui, Kotzebüe et Chamisso remarquèrent que les îles Ndirik et Tagaï, c’est-à-dire celles appelées par eux Koutousoff et Souvaroff et qui appartiennent au groupe dès Radack ou Marshall, étaient habitées par des noirs, tandis que les autres l’étaient par de vrais Carolins : ce qui fit même penser à Chamisso que des Papous des contrées plus au Sud avaient abordé sur ces îles et s’y étaient mélangés avec la race occupante. témoigne d’une méprise de sa part non moins grande que la pre- mière, car cette chanson, comme le dit de Rienzi, ne pouvait être que celle des matelots. En voici les paroles : Sonde ougna , Catarani , combien , non, non. La sacryca , la sacryca , nin, nin , couluna. {bis.) Qu’on demande en effet, au premier matelot de Provence venu, et il donnera la traduction littérale de ces mots. Si les petites filles d’Ualan affectionnaient cette chanson plus que d’autres, c’est qu’elles la tenaient d’Européens et qu’elles pensaient sans doute faire plus de plaisir aux Russes. (1) Le P. Cantova était dans les Carolines en 1731. Voir ses Lettres édifiantes, et Y Histoire des navigations du Président Debrosses. LES POLYNÉSIENS. 327 L’américain Morrell, de 1829 à 1830, vit que les îles Ho- goleu ou Doublon étaient occupées à la fois par des Méla- nésiens et par des Carolins purs ; et il est à remarquer que, suivant lui, les deux principales îles de l’Ouest et les peti- tes îles voisines sont occupées par la race couleur de cuivre, tandis que les deux principales orientales et leurs dépen- dances le sont par une race voisine des nègres. Enfin le capitaine Lütke trouva sur l’île de Puynipet, l’une des Seniavine ou Gilbert, des hommes qui, dit-il, diffé- raient d’une manière frappante des Carolins et des Ualanais. Ces hommes, d’après lui, avaient les caractères suivants : Yisag*e large et plat ; nez large et écrasé ; lèvres épais- ses ; cheveux crépus ; quelques-uns avaient de grands yeux saillants exprimant la défiance et la férocité. La couleur de leur peau était entre le châtain et l’olive ; ils avaient la taille moyenne et bien faite. Tous paraissaient forts, ag*iles, résolus ; leur vêtement était un court tablier, tissu d’écorce de mû- rier ou d’arbre à pain, et une sorte de manteau, jeté sur les épaules, et quelquefois percé d’un trou comme le Poncho . D’après ces caractères, le capitaine Lütke croyait pouvoir les regarder comme issus des Papous de la Nouvelle^Guinée, tandis que pourRienzi, ils n’étaient que des Endamènes, ori- ginaires de la Nouvelle-Irlande, qui n’en est éloignée que d’environ 230 lieues. Il est bien certain que la description de Lütke ne laisse pas de doute et qu’il est impossible d’y reconnaître des Mélanésiens des Salomon et de Vanikoro. Nous dirons seu- lement qu’au vêtement, on pourrait peut-être y voir des Australiens, tandis que, pour tout le reste, ce seraient plu- tôt des Endamènes de la Nouvelle-Irlande comme le disait de Rienzi : mais il faudrait en conclure alors que les Enda- mènes n’étaient certainement pas de race Négrito, mais bien Papua. D’un autre côté, faisons remarquer qu’un français qui a séjourné à Puynipet, trouvait la description de Lütke inexacte. Pour lui, ce n’était qu’une population de race polynésienne fort analogue à celle de Tahiti. Ce fran- 328 LES POLYNÉSIENS. çais est M. Dudoit, ancien agent consulaire de la France aux îles Sandwich. Mais il faudrait d’autres témoignages que cette assertion pour détruire celle du capitaine Lütke et, dans le doute, on doit plutôt admettre que cette popula- tion était mélanésienne. Ce qu’en a dit d’Urville, qui n’a fait que voir cette île sans communiquer avec elle, n’étant que la répétition des obser- vations de Lütke, il n’y a point à s’y arrêter. Son assertion, du reste, a été confirmée plus récemment par l’étude des crânes rapportés de Puynipet par les compagnons du doc- teur Gontaud, MM. Garnault et Jaurès, alors officiers de la Danaïde , commandée par M. Joseph de Rosamel, qui visita l’île en 1840. Ces crânes, déposés au Muséum, ont été recon- nus comme appartenant à une race mélanésienne ; mais peut-être n’étaient-ils que ceux d’ennemis d’une autre race venant attaquer la population indigène. Durant la relâche de la Danaïde à Puynipet, deux officiers de ce bâtiment relevèrent le plan de l’île, et l’un d’eux, M. Garnault (1), recueillit sur les traditions et les mœurs de cette population des renseignements qu’il communiqua à M. Jurien de la Gravière. Parmi ces traditions, l’une semblerait faire de Puynipet le tombeau des derniers débris de l’expé- dition de la Pérouse (2). Le récit qu’en a fait l’amiral vient corroborer celui qui nous avait été fait à Honolulu parle consul Dudoit, avant le passage de la Danaïde h Oahu ; il est, à part l’existence d’une fleur de lys sur le pierrier, ab- solument celui qui nous a été donné. Nous nous trouvions à Honolulu du 6 au 24 juin 1840 et on y attendait chaque jour la Danaïde : ce ne serait qu’ après sa relâche que cette corvette se serait rendue à Puynipet. "Voici, d’un autre côté, ce que dit M. Jurien de la Gravière au sujet des traditions del’île Puynipet (3) : « C’est à cent lieues d’Oualan, sur un autre point de Par- (1) Aujourd’hui vice-amiral. (2) Voir ce que dit à ce sujet l’amiral Jurien de la Gravière dans son Voyage en Chine , t. II, p. 296, note 1. (3) Ouvr. cité, t. II, p. 314. LES POLYNÉSIENS. 329 chipel des Carolines dans l’îlePounipet, qu'on retrouve quel- ques souvenirs d’une histoire primitive, qui a dû être com- mune aux peuples des deux îles, dont l'origine est évidem- ment la même. Les traditions de Pounipet remontent jusqu’aux jours fabuleux, où une race de géants habitait les îles de la Polynésie. C’était une race active, une infatigable famille de travailleurs. Les uns s’occupaient à tailler les montagnes, les autres creusaient des canaux sinueux et des ports, entouraient Pounipet d’une large ceinture de corail, ou remuaient, en se jouant, les gros blocs de basalte. C’est de cette époque que datent les monuments, dont une végéta- tion fougueuse finira peut-être un jour par effacer les ruines, mais qui rappellent encore aux navigateurs étonnés les travaux des Aztèques et ceux des Egyptiens. Toute une ville bâtie, sans ciment, de prismes pentagones, couvre de ses débris le sol où la génération présente a placé des tom- beaux. Ces ruines sont l’œuvre indestructible des géants. Les Indiens de Pounipet n’en approchent jamais sans fré- mir. Ils racontent que les architectes qui construisirent ces solides murailles, quand ils n’eurent pas de pierres à entasser l’une sur l’autre, se livrèrent bataille et ne songè- rent plus qu’à s’entre-tuer. Trois seulement survécurent, un père et ses deux fils. Les enfants entreprirent d’élever un pic aigu, qui devait monter jusqu’au ciel. Le père em- ploya ses loisirs à couper l’île en deux. Il ouvrit d’abord le canal qui forme aujourd’hui le port de Métalelim : les deux roches qui divisent la passe lui servaient à poser, au- dessus de l’eau, ses larges pieds. Quand il eut poussé ses travaux jusqu’au fond de la baie, il voulut faire passer son canal à travers la montagne qu’édifiaient péniblement ses fils. Chacun d’eux s’obstinant à défendre son œuvre, une lutte dénaturée s’en suivit et la race des géants disparut. En ce moment débarquaient, sur la plage de Métalélim, cinquante hommes qu’une pirogue amenait de lointains rivages. Ils contemplèrent avec effroi les travaux gigantes- ques de leurs devanciers, et bâtirent leurs huttes de paille sur le bord de la mer. Ce fut d’eux que sortirent les cinq tribus de Pounipet. 22 330 LES POLYNÉSIENS. « Ainsi se conservent, à quelques lieues d’Oualan, les tra- ditions de deux migrations distinctes. La première a érigé les monuments que Cook et La Pérouse ont observés dans l’île de Pâques, qu’Anson et les officiers de Y Uranie ont admirés aux Mariannes, que l’on retrouve à Pounipet, sur les points les plus étrangers l’un à l’autre de l’Océanie, et presque dans l’île oublieuse (Qualan) que nous étions venus visiter. A cette race industrieuse, ont succédé des colonies nouvelles : ces derniers émigrants semblent n’avoir connu que les premiers rudiments de la civilisation. Leurs prédécesseurs, si on les jugeait à leurs œuvres, auraient apporté avec eux les arts et les besoins d’une vie sociale beaucoup plus avancée. » En supposant la population de Puynipet ou île de l’Ascen- sion toute mélanésienne, un fait, rapporté par l’ethnologue Horatio Haie (1), fera parfaitement comprendre comment les mélanges se seraient opérés dans ces îles. Ce fait est l’his- toire du peuplement du groupe des King’s Mill, composé de 17 îles, auxquelles le naturaliste américain donne une population de 85,000 habitants, et qui, comme on sait, fait partie du grand archipel Gilbert , les Sieniavine de Lütke. Un de ces déserteurs de baleiniers, qui infestent les îles de l’Océanie et qui ont si souvent fourni des renseigne- ments inexacts aux navigateurs, lui assura que l’île Tarawa, Tune des King’s Mill, avait reçu ses premiers habitants de Puynipet, qui se trouve à environ 1500 kilomètres dans le Nord-Ouest de Tarawa. Ils y seraient arrivés dans deux canots, à la suite d’une guerre qui les avait mis dans la nécessité de fuir, et à peine s’y trouvaient-ils, que deux autres canots s’y étaient présentés, venant d’une île située au S.-E. et nommée Amoï. M. Haie regarde, avec quelque raison, ce nom comme signifiant Samoa* bien qu’il y ait sur l’île Savaii particulièrement un lieu appelé Amoa. Les derniers venus étaient, disait le déserteur, d’un teint plus clair ; ils (1) Horatio Haie, Migrations in the Pacijic\Océan , etc., in~8°. — London, 1846. LES POLYNÉSIENS. 331 étaient plus beaux, et ils parlaient une autre langue (l). Pendant quelque temps, les deux races vécurent en bonne intelligence ; mais les naturels de Puynipet, séduits par les charmes des femmes d’Amoï, cherchèrent à les enlever ; il s’en suivit une guerre qui se termina par le massacre de tous les hommes de race Amoï. Seules les femmes furent épargnées avec soin, et ce serait de leur union avec les vainqueurs que serait sortie toute la population des îles. Cette population se serait étendue peu à peu dans tout l’ar- chipel et la paix y aurait régné aussi longtemps que le nombre des habitants n’avait pas été trop considérable. Aujourd’hui l’accroissement de cette population, la crainte de manquer d’aliments, l’ambition des chefs, ont fait des habitants de chaque île une nation à part, en guerre avec toutes les autres. Peut-être même faut-il regarder comme des Mélanésiens les premiers habitants des îles Pelew (2), aujourd’hui si modifiés dans leur apparence extérieure, mais si semblables encore par le langage aux populations noires de quelques autres îles mélanésiennes. Les habitants des îles Pelew ou Palaos ont, en effet, un langage qui, comparé à ceux de Yanikoro et de la Nou- velle-Calédonie, ne permet pas, malgré de nombreuses différences, de méconnaître les rapports existant entre ces populations; et, pour que le lecteur puisse en juger, nous allons mettre en regard quelques mots, tirés d’un voca- bulaire fait par nous, il y a déjà bien des années, puisque c’était après avoir visité l’île Yanikoro. (1) Nous ferons remarquer que, sur 18 mots des îles King’s Mill que nous avons pu nous procurer aux Sandwich d’un naturel de ces îles, la plupart sont polynésiens et surtout ceux de la numéra- tion. Ainsi : bon, lile ; mauvais, kino ; chef, aliki ; feu, ahi, etc. (2) Relation des îles Pelew, d’après les journaux du capitaine H. Wilson et de quelques-uns de ses officiers qui , en août 1783, y ont fait naufrage sur ï Antelope, paquebot de la compagnie des Indes-Orientales . Traduit de l’anglais de George Keate, in-4°. — Paris, 1788. 332 LES POLYNÉSIENS. PELEW. VA NI KO RO. N,le-CALÉDONIE. Homme . . arracat. lamoka, ranouka. abanguia, tchiau. Chef rupack. teligui, taligui. aliki. Dent ungetell. ougnè, indje. paon mangue. j Femme .. . artheil. vanime, venime. kaouann-ha, navau-ha. tamomo, tama. Manger . . munga. houyou, abou. Mer isoup. laouré, virou. dene. Non deak. taie, tae. nda . I Oreille . . . manbat. manbaleuhi. guéning. Pirogue . . malaeye. iiaoué, goia, kouéré. wa, oaka. Sein tout. uran-ha, norae. tingué. Soleil coyal. ouoie, a, aeve. inanghat. bangué. T été boteluth. batcha, ouan-batcha. Viens ici . . morama'i, amuno. koume tchalo, goloma- goloma. ame. Certainement les ressemblances ne sont pas nombreuses, mais elles suffisent, croyons-nous, pour qu’on puisse rap- procher le langage des Pelew de celui de Yanikoro surtout, et pour montrer que des mots polynésiens n’y existent pas aussi nombreux qu’à Yanikoro et à la Nouvelle-Calédonie. Quelle analogie peut être plus grande en effet, que celle présentée par les mots employés à Yanikoro et aux Pelew, pour rendre le mot oreille ? De même, celui qui signifie homme ne démontre-t-il pas une grande analogie de pro- nonciation dans les deux contrées ? Evidemment, il y a beaucoup moins d’analogies entre le Pelew et le Néo-Calé- donien, car celles qui rapprochent ce dernier du langage de Yanikoro ne sont absolument dues qu’aux mots polyné- siens adoptés dans les deux îles. Toujours est-il que les analogies signalées suffisent, à notre avis, pour faire supposer que les premiers habitants des îles Pelew étaient Mélanésiens. A cette occasion, nous ferons remarquer que, d’après le chevalier Keate, hauteur du voyage de Wilson sur YAnte- lope , ces îles n’avaient point été visitées avant le capitaine anglais : or, il fournit lui-même la preuve du contraire en nous apprenant qu’il y existait des choux et des chats à l’arrivée de Wilson. En effet, les noms que les naturels donnaient aux uns et aux autres n’étaient que des noms 333 LES POLYNÉSIENS. européens, preuve que quelques-uns de ceux-ci étaient venus avant Wilson : l’histoire des navigations espagnoles ne permet pas d’ailleurs d’en douter. On sait que les Espagnols connaissaient ces îles sous le nom d’îles Palos ou Palaos longtemps avant le naufrage de YAntelope en 1783. Le mot G ut ou } donné par les indigènes comme nom des chats, est, à n’en pas douter, le mot espa- gnol gato , comme celui de cabou n’est que le mot anglais signifiant chou ; il est plus difficile seulement de pouvoir dire d’où venait ce dernier, si ce n’était pas des matelots mêmes de Wilson. On sait enfin que certaines îles Carolines voisines avaient tant été fréquentées par les Espagnols, qu’on n’y parlait d’autre langue que celle de ces derniers, au dire du capitaine Covel, de Y Alliance^ qui donna plus tard à ces îles le nom de son navire. Qu’il nous soit encore permis de faire remarquer, en pas- sant, cette habitude des sauvages de répondre par des mots qui ne peuvent qu’induire en erreur, si on n’a pas le soin de les peser, et si on ne peut lés comparer à un autre langage connu. Nous en citerons particulièrement un pris parmi ceux rapportés parle capitaine Wilson. On voit, dans le voca- bulaire qui est à la fin de son voyage, que le mot Aree (1) est rendu par Bouaka , dans un des districts. Un philolo- gue, en lisant une pareille dénomination, s’apercevra bien- tôt que ce ne peut être qu’une erreur ou une fausse appli- cation d’un mot bien entendu, mais appliqué ordinairement à toute autre chose. O’est en effet une erreur, car le mot Bouaka a probablement, sinon certainement été répondu à la question faite. Cent fois ailleurs nous avons vu répondre ainsi, par le premier mot venu, mais capable en même temps de faire naître l’hilarité des assistants. Ce mot Bouaka signifie « cochon » : l’indigène n’avait sans doute pas la malice de le choisir plus qu’un autre, mais il le don- nait comme il eut donné celui de ure9 par exemple, pour montrer sa lassitude d’abord et faire rire ensuite tous ceux qui l’entouraient. (1) Prononcez, Arii. chef. 334 LES POLYNÉSIENS. Nous ne laisserons pas ce sujet, sans faire remarquer également le mot weel donné pour « bon » par Wilson. Certes, ce navigateur n’a pas dû avoir beaucoup de peine à le trouver. Il était naufragé depuis quelque temps, et les sauvages avaient dû entendre ce mot si souvent qu’ils l’a- vaient retenu ; ils le prononçaient à leur manière, et ils le donnèrent plus tard, par suite de cette habitude qu’ont les sauvages de retenir les mots étrangers et de les employer. Les mots Pederay , ceinture d’homme, motar, colère, etc., cités par Wilson, doivent lui avoir été donnés comme le premier; ce ne sont presque certainement que des mots espagnols de même que gatou et le mot colocol donné à un banc de sable aux Pelew. Jusqu’au mot malaeye , employé d’après Wilson pour pirogue, est un mot étranger et pro- bablement le mot malayou. Ce fait semblerait prouver que des Malais ont été entraînés jusque-là, mais en petit nom- bre, puisque, ainsi qu’on le verra, s’ily avait un Malais dans ces îles à l’arrivée du navigateur anglais, la languie malaie y était complètement inconnue (1). Il est sans doute inutile de dire après cela que le capi- taine H. Wilson avait écrit les mots Pelew d’une manière si différente de leur prononciation que, lorsque le comman- dant du Duff , J. Wilson, qui conduisit en Polynésie les pre- miers missionnaires anglais, se présenta dans les Palaos, il lui fut impossible de se faire comprendre en se servant du vocabulaire de son prédécesseur. Il rapporte que, à l’ex- ception de quelques noms propres, les naturels ne reconnu- rent aucun des mots cités. En somme, si on pouvait s’en rapporter au vocabulaire de H. Wilson, il n’y aurait, dans la langue des îles Pelew, que quelques mots d’apparence polynésienne ; le fond en serait tout mélanésien, de même que la coutume des habi- tants de mâcher le bétel, de porter des ceintures étroites et très-dures, de se servir de vases en terre, d’avoir pour armes l’arc et les flèches, etc. Les seuls mots d’origine polyné- sienne que l’on trouve dans cette langue ne sont guère, en (1) Ouvr. cité, ch. III, p. 37. LES POLYNÉSIENS. 335 effet, que mate ou mati « tué, mort », mora mai « viens ici », aaa « oui », hou « toi », arree ( arrii ) « presser les ra- meurs, exciter », aïni « cinq », orou « deux », etc. Mais, pour être convaincu que ces îles ont reçu des co- lonies polynésiennes, il suffit, croyons-nous, de jeter les yeux sur le portrait du jeune prince Li-bou , amené en An- gleterre par le capitaine Wilson (1). Un autre portrait du même livre (2), celui de Lucli, l’une des femmes du roi Abba-Thulle , ne permet pas non plus d’en douter: les traits, les yeux, toute la physionomie, les formes du corps et surtout de la gorge, sont absolument ceux des Polynésiennes des Tung*a et de Tahiti ; le tatouage lui-même est polynésien. Enfin, le portrait à' Abba-Thulle lui-même n’a rien de Papua, si ce n’est peut-être la bouche, car les yeux, le nez, les oreilles, le front et la chevelure sont ceux de la race polynésienne. On dirait qu’il s’est passé, aux îles Pelew, le même fait que nous avons observé à Vanikoro, c’est-à-dire, à en juger aux Pelew par les por- traits précédents, et à Vanikoro par les noms de plusieurs chefs, que les Polynésiens ont fini par s’emparer du pou- voir ou par être préférés aux chefs indigènes. Espérons qu’avec le temps on parviendra à savoir quelle est exacte- ment la langue des îles Palaos, et quelle part ont prise les Polynésiens d’abord, et probablement des habitants de Gilolo et de Mindanao, les îles malaisiennes les plus voi- sines, dans la formation des habitants des îles Pelew. Quoi qu’il en soit, il semble prouvé que des colonies de race mélanésienne sont allées s’établir dans quelques-unes des îles Carolines et se sont, par suite, plus ou moins mê- lées aux populations qui les habitaient avant leur arrivée. Pourtant ce ne sont encore que des exceptions, puisque, presque partout, les Carolins sont restés purs et présentent les caractères physiques que nous avons fait connaître. C’est en somme avec les Polynésiens que les écrivains les plus compétents, Chamisso, Lütke, Kotzebüe, etc., leur (1) Ouvr. cité, p. 344. (2) Ouvr. cité, p. 198. 336 LES POLYNÉSIENS. trouvent le plus de ressemblances, en les regardant comme sortis de la même souche ; et c’est à la même conclusion que nous avons été conduit nous-même par l’observation et la comparaison de toutes les populations océaniennes. Forster (1) était si frappé des ressemblances des indigènes des îles les plus orientales du Pacifique avec ceux des îles Carolines, qu’il n’hésitait pas adiré que ces dernières étaient presque sûrement le berceau des premières. Seulement pour lui, comme pour la plupart des éthnologues, la souche se trouvait en Asie, tandis que nous espérons démontrer qu’elle existait dans un tout autre point. (1) Deuxième Voyage de Cook , p. 306. II ILES MARIANNES. Aperçu géographique. — Caractères physiques des anciens Mariannais, d’après Le Gobien ; Gemelli Carreri ; Dampier ; Pigafetta. — Lieu d’origine des Mariannais. — - Langage Mariannais ; — Ses ressem- blances avec le Malai, le Tagal et surtout le Polynésien. — Ghants Mariannais. Ces îles, nommées îles Gani par les anciens habitants, sont situées dans la partie septentrionale du grand Océan Equi- noxial, à l’Est et à 400 lieues environ des îles Philip- pines. Elles s’étendent du Nord au Sud depuis 13° 10’ jusqu’à 20° 30’ de latitude, mais elles n’occupent pas plus de 1° 17 en longitude. Dix-sept îles, îlots ou groupes d’îlots, composent cet archi- pel : les plus considérables sont Guam, puis Saypan, Rota et Tinian, qui sont des îles élevées. On y trouve des rivières d’eau douce et des eaux minérales ferrugineuses à Guam. Les moussons de l’Est et de l’Ouest s’y font sentir. Les vents de la première soufflent pendant les mois de décembre janvier, février, mars, avril et mai, pendant lesquels il fait beau et sec ; les vents de la deuxième soufflent en juin, juil- let, août, septembre, octobre, novembre, et ils sont accom- pagnés non-seulement de grandes pluies, mais encore d© vents tempétueux et d’ouragans. Les vents de beau temps sont plus particulièrement les vents d’Est et de Nord-Est; ils régnent surtout depuis mars jusqu’en juin. Les vents les plus orageux sont ceux du Sud- Ouest et du Nord-Ouest ; c’est en novembre qu’ont lieu le plus souvent les ouragans. Ces îles, découvertes par Magellan le 6 mars 1521, furent d’abord appelées par lui îles des Larrons ; en 1563. D. Miguel 338 LES POLYNÉSIENS. Lopez de Legaspe, qui en prit possession pour le roi d’Espa- gne, les nomma : islas de las vêlas , îles des Voiles, à cause de la quantité de pirogues à voiles latines que les insulaires avaient en mer. Le nom d’îles Mariannes, ne leur fut donné qu’en 1668, par le P. Sanvitores, en l’honneur de la reine d’Espagne, Marie- Anne d’Autriche, femme de Philippe IV. Caractères physiques des Mariannais. — Nous dirons d’a- bord qu’il ne faut pas juger des anciens habitants par ceux d’aujourd’hui, qui ne sont que des métis d’européens, philip- pinois ou autres, plus ou moins mêlés. Ce n’est donc qu’aux anciens voyageurs qu’il est possible de demander quels étaient les caractères physiques de la nation qui occupait ces îles avant l’arrivée des Européens. Or voici ce qu’en dit le P. Le Gobien (1) : « Ces insulaires étaient basanés, mais leur teint était d’un brun plus clair que celui des habitants des Philippines (2). Ils étaient plus forts et plus robustes que les Européens ; leur taille était haute et leur corps bien proportionné. Quoiqu’ils ne vécus- sent que de racines, de fruits et de poissons, ils avaient tant d’embonpoint qu’ils en paraissaient enflés ; mais cet embon- point ne les empêchait pas d’être souples et agiles. Ce n’é- tait pas une chose extraordinaire parmi ces peuples de vivre cent ans. » Gemelli Carreri, qui voyagea de 1673 à 1697, dit, de son côté (3) : « Les habitants de ces îles sont tous d’une figure gi- (1) Histoire des Mariannes , 2e édit, 1*701, liv. II, p. 46. (2) Pour montrer les analogies physiques existant entre les Ma- riannais et les Tagals, nous citerons la description que M.' de la Gironière donne de ces derniers à la page 261 de ses Aventures d’un gentilhomme breton : «Le Tagalest bien fait, plutôt grand que petit ; cheveux longs; peu ou point de barbe ; couleur cuivrée ; œil grand, vif, parfois un peu bridé ; nez un peu gros ; pommettes saillantes; gai, enjoué, aimant la danse, la musique; ardent en amour ; cruel avec ses ennemis ; vindicatif ; jaloux de l’honneur de sa femme, indifférent pour celui de ses filles. » Il pense que les Tagals sont probablement un mélange de Malais, d’Aëtas, de Japonais, de Chinois et d’habitants des îles de la Polynésie. (3) Voyage autour du Monde , 1728, t. Y, ch. 5, p. 281. LES POLYNÉSIENS. 339 gantesque,de grosse corpulence, et d’une grande force. Ils sont si bons nageurs et habiles plongeurs qu’ils attrapent même les poissons. Avant que les Espagnols missent pied à terre dans ces îles, ces peuples y vivaient sous un chef, errant tout nus dans les montagnes. » Il répète qu’ils ne connaissaient pas le feu ni l’usage du fer, qu’ils n’avaient aucune trace de re- ligion, mais qu’ils avaient une grande vénération pour leurs ancêtres dont ils conservaient les crânes. Leur langue, ajou- te-t-il, diffère de celle des Philippines. Leurs armes sont la javeline dont la pointe est faite de l’os d’une jambe humaine ou d’une pierre aiguë. Dampier écrit également (1) que les gens de Guam sont robustes et qu’ils ont les membres gros et bien formés. Ils sont noirâtres comme les autres Indiens ; ils ont la chevelure noire et longue; les yeux mal proportionnés ; le nez grand; les lèvres grosses et les dents passablement blanches ; ils ont le visage long et l’air féroce. Depuis le P. Le Gobien, il n’est pas un auteur qui n’ait répété sa description. Ainsi de Freycinet a écrit (2) : « Autrefois la classe noble était généralement d’une taille gigantesque, d’une grosse corpulence et d’une force bien supérieure à celle des Européens. Les hommes de la basse classe avaient des formes moins athlétiques. L’embonpoint souvent excessif des individus ne nuisait ni à l’élégance de leurs formes ni à la souplesse de leurs mouvements. Nageurs infatigables et plongeurs habiles ils conservent encore (1817) ces qualités, comme celle de faire à terre rapidement de lon- gues courses avec un lourd fardeau sur les épaules. » Absolu- ment, dirons-nous, comme les Hawaiiens d’aujourd’hui. « Leur couleur, ajoute-t-il, est basanée, tirant un peu sur le sombre, sans être foncée ; leurs cheveux sont noirs et lisses. » Après de Freycinet, d’Urville dit à son tour (3): « Quoi qu’il en soit du nom des habitants, la race mariannaise était au- (1) Ouv. cité, 1er vol., p. 314. (2) Voyage de V Uranie, lre partie, t. II, p. 276. (3) Voyage pittoresque , p. 492. 340 LES POLYNÉSIENS. trefois magnifique. Les chefs avaient des formes athlétiques, une corpulence énorme, et une force bien supérieure à celle des Européens. D’un embonpoint souvent excessif, les hom- mes n’ont pas moins de souplesse ni moins de grâce. Ils plon- gent et nagent avec une habileté que rien n’égale et, dans leurs marches à terre, portent, sans se fatiguer, les plus lourds fardeaux. » De Chamisso apprend, d’un autre côté, que, suivant le frère Juan de la Conception, le peuple des Mariannes res- semblait autrefois aux Bissayas, aussi bien par la physiono- mie que par le langage, et qu’il n’en différait que par des nuances diverses. Mais, bien avant eux, voici ce qu’avait dit Pigafetta,le com- pagnon de Magellan, et cette observation, faite en 1521, mé- rite, à cause de cela même, d’être particulièrement remar- quée (1) : « Ils sont grands, bien faits, de couleur olivâtre, mais ils passent pour naître blancs et ne devenir bruns qu’avec l’âge. Les femmes sont jolies, d’une belle taille et moins brunes que les hommes. Les uns et les autres ont les che- veux noirs, plats, longs, qui chez les femmes tombent jus- qu’à terre, etc. (2). Il avait le premier aussi signalé, parmi les coutumes des Mariannais, l’usage d’aller tout nu, si ce n’est, dit-il, «que les femmes couvrent leurs parties sexuelles avec un tablier étroit de toile ou plutôt d’une écorce, mince comme du papier, qu’on tire de l’aubier du palmier. » Il avait également signalé l’usage du bétel, des chapeaux de palmier, et des onctions sur le corps et les cheveux. (1) Premier voyage autour du monde , par le chevalier Pigafetta , p. 60. — Paris, an IX. (2) Disons, en passant, quïl résulte de son récit, quoiqu’il ne l’ex- prime pas nettement, que Magellan avait dû se procurer des co- chons dans Pile des Mariannes où il avait relâché, et qu’on suppose être l’île Guam, puisqu’il ordonne, en dressant les tentes, d’en tuer un pour les malades, à son arrivée à Humunu, petite île déserte à côté de Samar et non loin de celle où il fut tué. En effet, pendant la traversée, on avait été contraint de consommer, pour vivre, jus- qu’à l’enveloppe en peau des cordages, et il n’est pas supposable qu’on eût conservé quelques cochons abord. LES POLYNÉSIENS. 341 Excepté l’usage du bétel et des chapeaux, il n’est pas de description, à notre avis, qui puisse rapprocher davantage les Mariannais anciens des Polynésiens de tous les temps ; en y ajoutant l’embonpoint, dont il ne parle pas, et les formes athlétiques qu’indiquent Le Gobien et Carreri, tous les ca- ractères réunis dans ces quelques lignes sont, en effet, ceux des Polynésiens. Car, s’il dit que la couleur des Ma- riannais est olivâtre, il a soin de faire remarquer qu’on les disait naître plus blancs, et l’on a vu que chez beaucoup de Polynésiens la couleur plus foncée ne dépend que de cer- taines circonstances physiques. Il est évident que l’usage du bétel et des chapeaux était une différence ; mais cette dif- férence n’était due, bien probablement, qu’à la venue de quelques étrangers ayant cet usage, puisque, par une foule d’autres caractères, les Mariannais se rapprochaient encore plus des Polynésiens qu’on ne l’a cru jusqu’à présent. Nous nous figurons donc les anciens Mariannais tels que les Ha- waiiens se sont montrés ànous, nageurs extraordinaires, por- teurs et marcheurs infatigables, énormes parfois, grands, forts, etc. Serait-ce d’Hawaii que seraient venus les Ma- riannais ? Lieu d'origine des Mariannais. — La première opinion à citer est celle du P. Le Gobien qui s’exprime de la manière suivante dans son Histoire des îles Mariannes (1) : « On ne sait en quel temps ces îles ont été habitées ni de quels pays ces peuples tirent leur origine. Comme ils ont à peu près les mêmes inclinations que les Japonais et les mêmes idées de la noblesse, qui y est aussi fière et aussi hautaine qu’au Japon, quelques-uns ont cru que ces insulaires venaient du Japon, qui n’est éloigné de ces îles dans le Nord-Ouest que de six à sept journées. Les autres se persuadent qu’ils sont sortis des Philippines et des îles voisines, parce que la couleur de leurs visages, leur langue, leurs coutumes et leur ma- nière de gouvernement a beaucoup de rapport avec celui des Tagals, qui étaient les habitants des Philippines, avant que les Espagnols s’en fussent rendus les maîtres. Il y a bien (1) Liv. II, p.'45. 342 LES POLYNÉSIENS. de l’apparence qu’ils tirent leur origine et des uns et des autres et que ces îles se sont peuplées par quelques naufra- ges des Japonais et des Tagals, qui y auront été jetés par la tempête. » Cette opinion a, depuis, été adoptée par presque tous les écrivains et particulièrement par le président Debrosses qui, paraphrasant ce qu’a dit Le Gobien, pense que Japonais et Tagals peuvent, les uns et les autres, avoir été jetés sur ces îles par quelques naufrages. Voici en effet, ce qu’il dit dans son Histoire des navigations aux Terres Australes (1) : « Il * y a apparence que les Mariannais tirent leur origine de ces deux peuples et que ces îles se sont peuplées par quelques naufrages deTag’als et de Japonais, qui y auront été jetés par la tempête ». On pouvait le supposer d’autant mieux, di- rons-nous, que l’on sait aujourd’hui que, dans maintes occa- sions, des jonques japonaises ont été entraînées non-seule- ment jusqu’à ces îles, mais jusque dans les Carolines, jus- qu’aux îles Sandwich et même jusqu’en Amérique. En outre, un fait curieux à remarquer et qui semble prou- ver que les Mariannais avaient eu des rapports, volontaires ou non, avec les Japonais, c’est qu’aux Mariannes on donne le nom d eKatana à une espèce d’épée ou coutelas servant d’ar- me offensive. Or le même nom, dans la relation du voyage de Rodriguez de Viero y Velasco, est, au Japon, donné à une épée. On conviendra que c’est du moins une forte présomp- tion en faveur de rapports entre les deux contrées. Ce sont probablement ces diverses circonstances qui ont porté le naturaliste R. P. Lesson à dire (2) que « les habi- tants des îles Mariannes devaient, avant la conquête des Espagnols, ne différer en rien des Carolins orientaux, et sans nul doute des Tagals ou habitants primitifs des îles Philippines. Le P. Le Gobien, ajoute-t-il, qui a longtemps vécu au sein de ces populations insulaires, a émis à ce sujet des idées qui me paraissent d’autant plus justes qu’elles ne se rattachent à aucune opinion systématique. » Et c’est aussi (1) T. II, p. 495. (2) Tableau des races humaines , p. 62. LES POLYNÉSIENS. 343 sans doute ce qui l’a aidé à attribuer aux Mariannais et aux Carolins une origine mongole. Quant au savant capitaine de Freycinet, il ne paraissait pas être bien fixé sur le véritable lieu d’origine des Marian- nais, malgré ses longues et consciencieuses études à ce sujet, car il se contente de dire (1) : « Nous ne chercherons pas à déterminer ici quel est le pays d’où la population des Ma- riannes a tiré sa première origine ; cette question a besoin encore d’être plus approfondie. 11 importe, avant tout, de cons- tater si, comme certains écrivains l’ont avancé, (Le Gobien et Murillo Yelarde : Histoire des Mariannes et Histoire de la province des Philippines ), il existe dans les traits de la figure, la couleur de la peau et le langage même des Ma- riannais, une analogie remarquable avec ce qu’on voit chez les Tagals et les Bissayas, peuples des Philippines ; s’il est probable qu’à une époque reculée, les Japonais aient fréquenté les Mariannes et si la ressemblance qu’on dit avoir observée entre la noblesse des deux pays, également fière et hautaine, est due à des communications passagères. » Or, on vient de voir que, d’après le P. Le Gobien, le teint des Mariannais était d’un brun plus clair que celui des ha- bitants des Philippines, et que tous les autres caractères cités par lui les rapprochaient plus des Polynésiens que de tout autre peuple. Le P. Le Gobien, trouvait, en outre, que la langue des habitants des Mariannes était douce et aisée et que l’un de ses agréments était de transposer les mots et quelquefois même les syllabes d’un même mot, ce qui cau- sait, dit-il, des équivoques que le peuple aimait beaucoup (2). Absolument, ajouterons-nous, comme le faisaient encore les habitants des îles Marquises quand nous nous trouvions dans ces îles en 1843. Evidemment, de pareilles paroles rappro- chaient cette langue encore plus de la langue polynésienne que de la langue tagale, à laquelle on la dit généralement ressembler. Le F. Juan de la Conception, qui avait constaté cette ressemblance entre le Mariannais et le Tagal, ajoutait : (1) Freycinet, p. 276, t. IL (2) Ouv. cité, p. 48. 344 LES POLYNÉSIENS. cependant le langage mariannais diffère par diverses choses. Fait bien remarquable, de Freycinet, qui avait commencé un immense travail sur cette langue, travail que la mort l’a empêché d’achever, n’a pas même fait connaître complètement sa manière de voir à ce sujet, car il se contente de dire (1) : « sans être dépourvu de ressemblance avec le Malais et le Tagal, l’idiome des Mariannais, d’une prononciation douce et aisée, a cependant un caractère qui lui est propre. Il existait toutefois jadis des différences assez fortes entre le langage des îles du Nord et celui des îles plus voisines de Guam ; différences qui se manifestaient même sensiblement d’une localité à l’autre de l’île principale. Aujourd’hui même la prononciation n’est pas identique partout. Lors de la réunion des diverses peuplades à Guam, en 1699, tout a été mêlé, hommes et langages. » Ce sont nécessairement ces lignes qui ont fait dire à d’Urville (2) : « malgré quelques affinités avec le Malais et le Tagal (3), la langue mariannais e avait un caractère propre ; elle était douce, d’une prononciation aisée et nette, concise et elliptique. » De même que ce sont elles qui ont fait dire par le compilateur de Rienzi (4) que « sans être dépourvu de ressemblance avec le Malai, répandu dans toute la Malaisie, et le Tagal que l’on parle aux Philippines, l’idiome des Mariannais, d’une prononciation douce et aisée, a cependant un caractère qui lui est propre. » Tout cela, il faut bien le reconnaître, n’aide guère à préci- ser le caractère véritable de cette langue, et il est vrai- ment remarquable qu’on ne soit pas plus fixé sur son compte, après un séjour aussi prolongé que l’a été celui des missionnaires espagnols dans ces îles. Il est évident que si le langage mariannais se rapproche (1) T. II, p. 365. (2) Voyage pittoresque , p. 494, t. II. (3) Pour lui, on le sait, les Tagals étaient évidemment d’origine Malaise, et parlaient une langue harmonieuse et arrêtée, v. p. 256. (4) T. II, p. 5. LES POLYNÉSIENS. 345 du Tagalog et du Bissaya, il en diffère néanmoins beau- coup, ainsi qu’on peut s’en convaincre en comparant, avec les discours Mariannais rapportés par Freycinet, l’oraison dominicale des Philippines, que nous transcrivons, d’après Mallat, à la fin de ce chapitre. Suivant cet auteur (1), « les idiomes parlés dans les îles Phi- lippines par les naturels soumis au gouvernement espa- gnol, peuvent se réduire aux suivants : Tagalog, Pampan- go, Zambales, Pangasiman, Iloco, Cagagan ou Ibanag, Camarines ou Vicol, Batanes et Chamorro. Deux langues, ajoute-t-il, peuvent être considérées comme les langues- mères : ce sont la Tagale et la Bissaya. On parle la langue tagale, qui est la plus répandue, dans les provinces de Ton- do, Bulacan, Batanga, Butangas, Samboanga, et même aux îles Mariannes où les déportés la répandirent. » Quant à la langue Chamorro, il n’en dit absolument rien dans ses deux volumes. Au surplus Mallat, dont l’ouvrage aurait pu être si riche et si intéressant, n’ajoute rien de nouveau à ce qu’on savait avant lui sur les Philippines et les Mariannes ; il s’est pro- bablement borné à puiser ses informations dans Zuniga et les auteurs qui l’ont précédé. Il pense (2) que les Indiens des Philippines sont d’origine inalaie. Pour lui, la race négrito est la première occupante, et il n’est pas éloigné de croire que les Indiens ne sont que des Négritos mêlés à du sang Malais et Malabar (3). Il admet que des insulaires de la mer du Sud (Micronésiens) ont été amenés par les vents (4), et il ajoute (5) qu’on voit encore assez fréquemment des habitants de la Polynésie (il veut dire Micronésie), portés par les vents alisés sur les côtes Est et Sud-Est de l’ile de Lucon. (1) J. Mallat, Les Philippines, etc., t. II, p 1(39. (2) Ouvrage cité, t. I, p. 47. (3) Ouvrage cité, p. 15. (4) Ouvrage cité, p. 44. (5) Ouvrage cité, p. 46. 23 .346 LES POLYNÉSIENS. Un seul écrivain, jusqu’à présent, a établi la séparation du Malais et du Tagal, et cet écrivain est le célèbre ethnographe Balbi,qui, dans V Introduction de son Atlas des langues dit(l): « Ce que nous avons dit antérieurement et la comparai- son des vocabulaires Chamorres avec ceux du Malayou et du Tag*al, nous dispensent de réfuter l’opinion de Lampur- lanes qui regarde cette langue comme un dialecte des Ma- lais, et celle de Le Gobien, qui la classe parmi les dialectes tagals. » 11 ajoute que le vocabulaire des Mariannes, comme ceux des Carolines et des Mulgraves, avec lesquels il a d’assez grandes ressemblances, s’éloigne beaucoup du grand Océa- nien ( Grand-Polynésien ) et du Malayou. Enfin il dit, avec raison, que c’est une langue encore vi- vante, malgré l’opinion contraire émise parle savant de Cha- misso, et il s’appuie sur l’assertion de Gaimard, que nous partageons complètement nous-même : mais nous trouvons, à cause de cela, encore plus surprenant qu’on ne soit pas plus nettement fixé sur la place qu’elle doit occuper. De Chamisso a vuàAgagna un vocabulaire delà langue marian- naise ; mais il se contente de dire que le manuscrit tombait en vétusté sans avoir servi, car l’Espagnol était depuis long*- temps compris par les indigènes. En résumé, comme on le voit, la langue mariannaise, pour presque tous les écrivains, a un caractère propre et quelque ressemblance avec le Malai et le Tagal; seul, Balbi dit qu’elle n’est ni un dialecte malai, ni un dialecte tagal. Nous en faisons l’aveu, nous serions assez disposé à par- tager cette dernière opinion ; mais il y a pourtant quelques remarques à faire à ce sujet, car si nous ne croyons pas que le Mariannais dérive directement des deux langues citées, il est néanmoins impossible de ne pas reconnaître qu’il présente un certain nombre de mots qui, bien que défigurés, annoncent leur provenance. Nous citerons, comme exemple, les mots : polan, lune, (1) Ouv. cité, p. 252. LES POLYNÉSIENS. 347 mois, qui dérive bien probablement du Malais boulan ; manok , poule, qui provient du Tagal manouc ; aniti, esprit mauvais, qui paraît dériver du Philippinois anito ; gouma olitaos ou aritoï (1), maison de célibataires, qui pourrait provenir du Malai roumah , maison ; goaïladji , nécessaire, du Malai ouadjib ; makano , manger, de makann ; etc. Mais il est d’autres mots qui annonceraient plutôt un em- prunt fait à une troisième langue, celle des Polynésiens. Ainsi les nobles, aux Mariannes, étaient appelés matoas , mot qui se rapproche de matuct , personnage et motua , père, aux îles Marquises, matua , père, à la Nouvelle-Zélan- de, matua , vigoureux, fort, à Tahiti, etc. Les sorciers étaient nommés makanas ; or, aux Marquises, makaka si- gnifie méchant, mauvais plaisant, tendre des embûches. Mais ces ressemblances ressortiront bien mieux par l’exa- men des tableaux comparatifs placés à la fin de ce chapitre. Les mots d’origine étrangère sont donc plus nom- breux qu’on ne l’a cru, et ils prouvent tout au moins que les Mariannais ont eu des rapports avec les peuples divers qui les emploient. Pourtant leur langage est, comme on l’a dit, parfaitement spécial dans son ensemble ; il n’est ni Malai, ni Tagal, ni Polynésien ; c’est, pour ainsi dire, une langue à part formée de tout cela. Ainsi, par exemple, on ne retrouve nulle part ailleurs, rendus par des mots semblables, les mots mariannais sui- vants : anù’, âme ; sakkan , année ; haani, jour ; mangat - chang , homme du peuple ; atchaot, demi-noble ; eamtis guérisseur ; etc* Ainsi, dans nulle autre langue, à l’excep- tion toutefois du Polynésien, on ne constate des formules de politesse approchant de ces formules mariann aises : ati cZjo, me voici ; atti hau, veux-tu que je te lave les pieds; adjan , ici; manohau , où vas-tu; gomi manohau , d’où viens-tu ; etc. Il est curieux de remarquer que ce sont les mots polyné- siens qui se présentent en plus grand nombre dans la lan- (1) Aritoï , célibataires, libertins, est le même mot que arioï à Tahiti, kaioï aux Marquises. 348 LES POLYNÉSIENS. . gue des îles Mariannes ; seulement beaucoup y ont une signification différente de celle qu’ils ont en Polynésie. II n’est guère admissible que ce soit un simple effet du hasard, et c’est une preuve qu’il a dû exister, au moins à une époque reculée, des rapports assez intimes entre les Mariannais et les Polynésiens. C’est aussi, croyons-nous, une raison de plus pour admettre que les Mariannais, dans l’origine, n’ont été que des Polynésiens entraînés jusque-là. Ce qui le prouve surtout, c’est la similitude des coutumes et des usages, le tatouage et le bétel exceptés, similitude que nous exposerons plus loin en détail. On a, en effet, retrouvé aux Mariannes comme en Polynésie, le même four chauffé avec des pierres ; les mêmes ornements en écaille de tortue; le même mobilier des maisons ; les mêmes habitudes de propreté ; le même nombre de classes ; la même liberté chez les filles ; les mêmes maisons de libertinage ; la même cou- tume d’appeler le peuple pour construire rapidement ; la même manière qu’ont les Néo-Zélandais de s’embrasser par le frottement du nez; les mêmes connaissances astronomi- ques ; le même goût des voyages ; la même crainte supers- titieuse ; le même paradis ou lieu de délices placé sous la terre ; la même flûte traversière jouée avec le nez ; etc. Pour que le lecteur puisse mieux se rendre compte des rapports existant entre les deux langues, nous citerons le discours fait en Mariannais par un chef, pour engager les insulaires à secouer le joug des Espagnols. M. de Frey- cinet, qui l’a fait connaître, l’a traduit en français et nous croyons devoir signaler quelques-uns des mots mariannais analogues à des mots polynésiens. Voici le texte de ce dis- cours (1) : Pago nai hayan sa manmatchagua i ghilago. Manaïgui guini nga tano i manmaulig nga tautau adju ha magnaga dja  gagna i manaïladji gnégneting djan i manmalango. Ti mapad ngu ta sossu djan ta funas ; guin ta na haluman pago , ti o ta hulat larmuna , djan o ha tchigliit hit djan hokok naï. Ta, fanmalulug gui pinto-ta djan haani-ta sa (1) Ouyr. cité, livr. III, p. 199. LES POLYNÉSIENS. 349 guin ha hoto humulat i pelo nga tanoan gui Timik hokok ninanga-ta ; mano tafalagui ! Delag djo djan ta fanmatuna gui tai hinikok sa ta na malulug i tano-ta. M. de Freycinet en a donné la traduction suivante : v. « A présent (il est temps) donner le coup mortel, parce que sont séparés les étrangers ; sont absents de ce pays les (qui) se portent bien hommes; là, seulement sont demeu- rés à Agagna les inutiles, infirmes et les souffrants. Pas difficile pour nous attaquer (rennemi) et nous délivrer. Si nous faire mauvais profit (du) présent, pas nous devoir vaincre plus tard, et eux devoir étroitement serrer nous (ils nous resserreront) dans un lieu étroit et caché, et (nous serons obligés) tout donner. Nous vivons à notre gré selon volonté notre et vie notre (nos habitudes) parce que si eux achever d’avoir conquis les autres terres habitables au Nord, finir espérances nôtres ; où nous enfuir (alors) ! Suivez-moi et nous être loués à n’avoir pas (de) fin, parce que nous être cause vivre en liberté le pays nôtre. » Yoici plusieurs des mots qu’on retrouve dans le Polyné- sien et particulièrement le Maori. Nga , particule usitée pour former le pluriel à la Nouvelle- Zélande. En Mariannais, c’est, dit M. de Freycinet, la par- ticule conjonctive, inconnue en français et servant à lier le pronom démonstratif avec le nom, le sujet avec l’attribut, etc. ; Mana, mamae , ma mao, ha, ngu, ta, ha, pako, ü , en Maori : Pouvoir, influence, autorité ; — peine, mal ; — distant, éloigné ; — expression d’indignation ; — animalcules marins ; — abattre ; — voici, voilà, là, y, par ; — - arracher les restes des patates, la récolte ; ~ arbre ; après 350 LES POLYNÉSIENS, o, en Maori : de, oli ! nourriture, entrer : c’est d’après M. de Freycinet, le signe du futur aux Mariannes. hoto , — épée de bois, commencer ; manOy — mille ; etc. Tous ces mots, il est vrai, paraissent avoir une autre si- gnification ; mais leur existence dans la langue mariannaise n’est pas moins curieuse. Il est évident que ces mots sont trop nombreux pour avoir été introduits accidentellement, et il est bien plus probable qu’ils faisaient partie intégrante de la langue des premiers émigrants qui se sont établis dans ces îles. Quant aux changements considérables qui sont survenus, ils attestent, croyons-nous, l’arrivée d’autres peuples de race différente, qui ont probablement conquis les Mariannes et qui ont fini par se fondre avec la popula- tion première. Celle-ci, tout en conservant ses principales habitudes ethniques, en modifia plusieurs et adopta des usages, qui, jusque-là, lui étaient restés inconnus, tels que celui du bétel. Du langage de ces différents peuples il s’en forma, pour ainsi dire, un nouveau, parlé seulement dans les îles Mariannes. C’est ce que semblent indiquer, suivant nous, les quelques mots Malais, Tagals et Polynésiens que nous avons cités. Mais nous sommes aussi convaincu que la plupart des mots de l’ancienne langue mariannaise qui ont été conservés ont été très-souvent mal entendus et, par suite, mal écrits. De là provient certainement la principale cause de difficulté dans la comparaison du langage mariannais avec ceux de la Malaisie, des Carolines et de la Polynésie. Entre autres erreurs, M. de Freycinet en a relevé une que nous croyons devoir rappeler. « Le P. Le Gobien, dit-il, (1) assure qu’ils se saluent par ces mots : Ati-arinmo , qu’il traduit par « permettez-moi de vous baiser les pieds. » Il y a ici erreur manifeste; l’expression citée, qu’il faut écrire atti-ading-mo , au moins dans le dialecte d’Agagna, signi- fie mot à mot « jeter de l’eau (sur) pieds tiens », et doit se (1) Livre III, partie Ire, 2° vol., p. 377. Cette observation a été rapporté© par de Eienzi comme si elle était de lui. LES POLYNÉSIENS. 351 traduire par « voulez-vous que je vous verse » ou « qu’on verse de l’eau sur vos pieds ? » Or, cette phrase se rapporte fort bien à l’usage d’offrir de l’eau pour laver les pieds au visiteur qui entre dans une maison, et elle serait tout-à-fait déplacée si on la prononçait dans la rue ou toute autre part que chez soi, ainsi qu’on l’a dit. » Nous pourrions nous-même en relever bien d’autres, mais nous préférons citer encore ici un chant mariannais qui aura l’avantage de montrer quelle était la langue de ce peuple à l’arrivée des Européens. Il est rapporté, comme tout ce qui a été dit depuis 1819, par de Freycinet, tant pillé par de Rienzi, et il montre tout particulièrement quelles étaient les mœurs de ce peuple, mœurs absolument analogues à celle des Tahitiens, des Marquésans, etc. : c’est le conseil donné par une mère à sa fille. La traduction et les vers sont également de M. de Frey- cinet. (1) Hodjong akaga makanno ! Sors, ma chère fille (pour) être mangée [pourqu’on profite de toi] î Sa pago naï um (2) Parceque maintent(si) donner(toi) [situtelivres,maintenl] (tu seras rnannahi savoureuse [goûtée avec plaisir]. Sa gain la-muna um daghi Parceque lorsque (il sera) plus tard, tu seras frustrée dans ton attente Dja um hago pulan sapit. Et toi garder [et tu auras] (du) chagrin Voici les vers, que nous avons vu attribuer à tort à de Rienzi, et rendant à peu près le sens des paroles marian- naises : (1) Ouvr. cité, livr. III, lre partie, 2° vol., p. 369. Les mots placés entre parenthèses indiquent, dit-il, les idées qu’il faut sous-enten- dre pour se rapprocher de la syntaxe française ; ce qu’on a mis entre crochets développe la phrase ou une portion de phrase. (2) Um est le signe de la seconde personne du futur, au singulier. 352 LES POLYNÉSIENS. « Sors pendant tes beaux jours, sors, ma fille chérie ! « Ya maintenant chercher et donner le bonheur ; « Plus tard, avec dédain, tu serais accueillie, « Et ce triste abandon ferait gémir ton cœur. À la morale près, comme le dit M. de Freycinet, cette traduction est plus dans le génie de notre langue ; mais, pour rendre plus exactement le sens du texte, nous préfé- rons encore les vers suivants du vieux poète Ronsard, qui ne les a pas faits à l’intention des Mariannaises. « Donc, si vous m’en croyez, mignonne, « Tandis que votre âge fleuronne « En sa plus verte nouveauté, c Cueillez, cueillez votre jeunesse : a Comme à cette fleur, la vieillesse œ Fera ternir votre beauté. Quoi qu’il en soit, s’il y a des mots malais introduits dans les Mariannes, ces mots n’ont dû l’être qu’au début, tout-à- fait, du peuplement de ces îles, ou peut-être un peu plus tard, mais, dans tous les cas, incidemment, car, ainsi qu’on le verra, le Malayou n’y était pas compris lors du passage de Magellan ; si ces mots n’ont pas moins été adoptés, c’est que, sans doute, en outre de toutes les autres coutumes polynésiennes que nous avons indiquées ou que nous indi- querons, les Mariannais avaient celle d’adopter avec em- pressement les mots étrangers qu’ils entendaient. Quant aux mots tagals (1), ils paraissent être assez peu nombreux et, nous le répéterons, ce sont les mots polyné- siens qui le sont davantage et qui le seraient encore plus, nous n’en doutons pas, si la langue eût été mieux ortho- graphiée parles Européens. Cependant, en parcourant le titre de l’ouvrage du P. (!) M. delà Gironière, qui a si longtemps habité les Philippi- nes et qui parlait le tagal, se contente de dire sur cette langue qu’elle est vraisemblablement d’origine malaise, et il cite entre autres les mots suivants : langue, en Malai, lina , en Tagal, dila ; cochon, en Malai, babi,e n Tagal, babui. LES POLYNÉSIENS. 353 Thomas de Villacastin (1), traduit en Tagal par le P. Aquino de Belen, nous avons cru reconnaître que la langue tagale a quelque analogie avec le Mariannais. Ces analo- gies sont indéniables, mais elles sont insuffisantes pour prouver autre chose que la venue de Tagals aux Mariannes, ou l’émigration d’un certain nombre de Mariannais aux îles Philippines. Voici le titre de cet ouvrage : Mangci panalanging pag- tatagobilin sa calolova nang tavong (nag hihmgàlo). Ang may catha sa vican castilla ang P. Thomas de Villacastin sa mahal nacompania ni Jésus. At ysinalin sa vican Taga - log ni D. Gaspar Aquino de Belen , Manila, 1760, in-8°. Edi- tion originale, Saragosa, 1613, in-16. On lit également sur le titre d’un ouvrage du P. Ripalda : Catecismo libro bagang pinag papalamnan nang dilan pan Gadyi , at maiclit , biglang casaysayan nang aval Chris- tian o. Ang may cat ha nito sa vican , etc . On reconnaît, en relisant le discours cité plus haut par de Freycinet, que quelques mots sont complètement les mê- mes, et quelques autres à peine modifiés. Il suffirait, il nous semble, pour s’assurer de la réalité de ces analogies, de comparer la langue mariannaise avec les ouvrages de Vil- lacastin et de Ripalda, ainsi qu’avec ceux de Buzeta y Bravo, Bergano, Ezguerra, etc., sur les langues des Philip- pines. Telles sont donc, en résumé, les opinions diverses émises par les écrivains et les commentaires auxquels nous avons cru devoir nous livrer, touchant les caractères physiques, le langage et le lieu d’origine des Carolins et des Marian- nais. Certes, tout cela est bien suffisant pour établir que de nombreuses et importantes analogies existent entre les Po- lynésiens proprement dits et que, par suite, leur descendance est bien probablement la même. Mais, pour qu’on juge mieux de l’importance de ces analogies, nous allons main- (1) Le P. de Villacastin, né en 1570, est mort à Valladolid en 1649. 354 LES POLYNÉSIENS. tenant les grouper, et faire voir qu’elles sont encore plus grandes et plus nombreuses qu’on ne semble l’avoir cru jusqu’à ce jour. Après cela, il sera facile de conclure. Toutefois, comme il serait le plus souvent aussi long* qu’inutile de donner quelque développement à ces ressem- blances, nous nous bornerons, dans la plupart des cas, à indiquer le titre de chacune d’elles ; exceptionnellement pourtant nous en ferons suivre quelques-unes de détails plus étendus. Ces détails seront, au contraire, assez circonstanciés dans les examens que nous ferons, ensuite, des différences que tous les observateurs ont signalées entre ces populations. Comme nous ne partageons pas leur manière de voir, il fallait nécessairement dire sur quoi s’appuie la nôtre, et pourquoi nous n’acceptons pas la leur. III. RESSEMBLANCES DES CAROLINS ET DES MARIANNAIS AVEC LES POLYNÉSIENS. Ressemblances de religion, de superstitions, de croyances, de préjugés ; — Ressemblances d’industrie ; — Ressemblances de mœurs, coutumes, usages, état social ; — Ressemblances de maladies, de cérémonies fu- nèbres ; — Autres analogies. — Différences existant entre les Carolins et Mariannais et les Polynésiens : Ces différences sont bien moins impor- tantes que les ressemblances. — Les Polynésiens sont les ancêtres des Carolins et des Mariannais. — Tableaux linguistiques. Les ressemblances existant entre les Carolins et les Ma- riannais, d’une part, et les Polynésiens, de l’autre, portent : 1° sur la religion, les superstitions, croyances, préjugés, etc. ; 2° sur l’industrie ; 3° sur les mœurs, coutumes, état social, etc. ; 4° sur les maladies, cérémonies funèbres, etc. Nous allons passer chacune d’elles successivement en revue. 1° Ressemblances de religion, de superstitions , croyances , préjugés , etc. — Mêmes habitudes religieuses qu’aux Tunga, dans plusieurs îles Carolines, telles que Mogmog, Yap, Ngati, etc., c’est-à-dire culte public et grand nombre de divinités. Les îles Mulgraves, Radack et Ualan semble- raient faire exception, mais rien n’est moins positif. Même opinion sur la vie future et l’immortalité de l’âme, et même, croyance en un lien de délices, et un lieu de peines. Même croyance aux maléfices, aux influences des astres, aux jours heureux ou malheureux, aux bons et aux mau- vais esprits. Même habitude de consulter le destin avant de partir ; 356 LES POLYNÉSIENS. même croyance que leur navigation ne saurait être heu- reuse s’il se trouvait des bananes dans leur canot. Même sentiment de crainte superstitieuse à la vue de l’oiseau nommé TJtag aux Carolines et Otatare à Tahiti (1). Même croyance aux sorciers, nommés makanas aux Mariannes, où ils exerçaient une sorte de sacerdoce. Mêmes prétentions des prêtres mariannais qui décla- rent avoir commerce avec les âmes des morts et qui, de leur propre autorité, désignent ceux qui vont au ciel ou ceux dont l’enfer est le partage. Même usage du tapu , mais sous les noms de pen - nant , emo , matmat , farach , etc . D’Urville , pour établir sa famille micronésienne, s’est surtout appuyé sur l’absence du tapu dans les îles Carolines ; c’est à tort, puisque Lütke l’a trouvé à Lougounor sous le nom de pennant , ainsi que cela résulte des lignes suivantes extraites de Mertens, le naturaliste de Lütke pen- dant le voyage du Môller et du Seniavine en 1826 (2) : « Si l’on se sert d’expressions inconvenantes, les indigènes s’écrient pennant , défendu. Ce mot exprime indifféremment toutes choses contraires à la loi ; par exemple, il y a des arbres qui sont pennant , c’est-à-dire auxquels il n’est pas permis de toucher ; un terrain pennant est celui duquel on ne peut pas pas approcher, etc. » Cette expression de pen- nant, ajoute-t-il, a absolument la même signification que tabou employé par d’autres habitants de l’Océanie. D’après de Chamisso, le tapu existait aux îles Radack, sous le nom de emo , comme il existe, d’après de Rienzi, chez quelques peuples malais de Bornéo et des Célèbes, ainsi qu’à Ombay, sous celui de pamali. Le même écrivain pensait que cette terrible institution dérivait de l’arabe littéral taoubou ou taouboum , expiation, pénitence : on le trouve dans le chapitre IX du Coran. De Rienzi dit avoir (1) La Sittelle Otatare de Lesson. (2) Mémoire sur l'archipel des Iles Carolines , Bibliothèque uni- verselle, 1834-35. LES POLYNÉSIENS. 357 remarqué cette coutume à Yap ou Gouap (1) sous le nom de mat mat. A Ulea, le mot tapu est absolument le même qu’en Polynésie et il se retrouve aussi à l’îlô Rouk suivant Kotze- büe et Choris. Enfin, d’après Dubouzet (2), le mot farack serait l’équivalent du mot tapu à Tsis, petite île volcanique près de laquelle Y Astrolabe alla mouiller dans le groupe Rouk ou Hogoleu. Nous ferons remarquer en passant que R. P. Lesson et Lütke, les deux seuls qui aient dit quelque chose d’intéres- sant sur IJalan, n’ont parlé ni l’un ni l’autre du tapu ; on doit néanmoins supposer qu’il y existe, quand on sait que l’urosse tone ou roi de l’île garda la boîte à herborisation du naturaliste de la Coquille parce qu’il l’avait touchée. 2° Ressemblances d'industrie. — Même manière d’allumer du feu en frottant deux morceaux de bois, hibiscus popul - neus , aussi bien aux Mariannes qu’aux Garolines et dans toute la Polynésie. Il est vrai que le P. Le Gobien a dit qu’à l’époque de la découverte des îles Mariannes par les Espa- gnols, leurs habitants n’avaient jamais vu de feu ; mais on pense généralement que c’est une erreur, puisque les Ma- riannais avaient dans leur langue des mots pour exprimer les idées de : feu, gnafi ; brûler, sonog ; allumer du bois, tutung ; charbon , dungdung ; braise , pinagan ; griller, tono ; bouillir, luglug ; et une foule d’autres. Même usage du four chauffé par des pierres rougies, et même manière de préparer les aliments. Le four des Ma- riannais, appelé tchanon , était semblable à celui des îles Tunga. Même usage du kava en boisson à U alan, où il était connu sous le nom de seka ou schiaka ; il y était fabriqué avec le piper siriboa et aux îles Pelew avec le Piper betel. Il est vrai que beaucoup d’îles n’ont pas l’usage du kava et (1) Cette île est celle que nous avons vue étant sur Y Astrolabe . De Rienzi pense que la syllabe go, du nom de Gouap, donné par d’Urville, n’est que l’article démonstratif ko des Néo-Zélandais ; d’après lui, le véritable nom serait Uap. (2) Note dans le Voyage au Pôle Sud de d’Urville. 358 LES POLYNÉSIENS. que le Piper methysticum, si commun à Ualan, est inconnu aux Pelew. Il en est cle même à Olla et à Rouk, d’après le matelot Floyd, trouvé par Lütke à Mourileu et qui donna à ce navigateur la plus grande partie des renseignements qu’il a publiés. Même usage du vêtement connu à Tahiti sous le nom de iiputa o 3° Ressemblances des mœurs , coutumes , usages , état social , etc. — Même division en trois castes, aux Carolines,, suivant Lütke, de même qu’à Tahiti, d’après Forster père, et aux Mariannes, d’après Le Gobien. Dans ces dernières îles, les castes, avant la conquête, comprenaient les matuas, nobles ; les atchaots , demi-nobles et les mangatchangs ou le peuple. D’après de Freycinet, le nom donné autrefois au premier chef était Maga-lalii qui, disait-il, signifiait ancien, homme supérieur, chef de famille, patriarche. Ne serait-ce pas plutôt makci-ralii signifiant en Maori: moka jeté, naufragé; rahi grand et lalii à Tikopia ? Au surplus les chefs, aux Carolines, au lieu d’être appelés ariki , arn, sont, d’après Lütke, qui a visité 26 groupes d’îles, généralement désignés sous les noms de tamor ; tamore ; tamour ; tamol à Lougoumor ; tamouel à Ulutaï, l’Elévi de d’Urville : tamon aux Radack (de Chamisso) ; rupack aux Pelew (Lütke) ; urosse à Ualan, (Lesson et d’Urville). Or il faut remarquer qu’à Hawaii et dans les Tunga on donne aux chefs le nom de tamalao. Même respect pour les chefs aux Carolines et aux Tunga. Ainsi Cook avait déjà appris, dans son troisième voyage, que les chefs eux-mêmes n’abordaient pas le monarque de ces îles sans les marques du plus profond respect et qu’ils touchaient ses pieds de leur fête et de leurs mains ; mais on sait depuis longtemps que les respects n’étaient dûs qu’aux descendants du Tuitunga ou chef religieux. (1) Le père Cantova rapporte qu’on n’aborde les Tamols des îles Carolines qu’avec une vénération extrême. Lorsque (1) Voir la description qu’en donnent d’Urville, de Sainson; etc. Historique du voyage de /’ Astrolabe, p. 219. LES POLYNÉSIENS. 359 l’un d’eux donne audience, il paraît assis sur une table élevée. Le peuple s’incline devant lui jusqu’à terre, et du plus loin qu’il arrive, il marche le corps tout courbé et la tête presque entre les genoux jusqu’à ce qu’il soit auprès de sa personne. Alors il s’assied à terre et, les yeux baissés, il reçoit les ordres du chef avec le plus profond respect. Les paroles de celui-ci sont révérées comme des oracles ; ses ordres sont exécutés avec une obéissance aveugle; enfin on lui baise les mains et les pieds quand on lui demande quelque grâce. Les habitants desîles Felew, Carolines et Manaia, séparés par 1500 lieues, saluent de la même manière® Ils prennent le pied ou la main de celui à qui ils veulent faire honneur, et s’en frottent le visage. Nous avons dit qu’on ne fait pas autrement aux Tunga, dans certains cas, et avec certaines personnes. Même usage de faire des présents aux chefs et d’en appeler à eux dans les débats (1). Même habitude qu’aux Samoa des maisons séparées pour les assemblées générales, pour les célibataires, pour l’éducation. Dans chaque village, dit Cantova, il y a des maisons d’éducation ; l’enseignement est conservé dans des chants qui se transmettent et tiennent lieu d’annales. Mêmes sociétés que celles des Arioï , Kaioï , Karioï des îles Tahiti, Marquises et Mangareva ; aux îles Mariannes, ces sociétés portaient le nom d 'Aritoï ou Oulitaos , d’après Freycinet. On a longtemps cru que Tahiti seulement avait cette sin- gulière société d’hommes et de femmes, qui avait érigé la débauche et l’infanticide en lois fondamentales. C’était la croyance de Cook (2), et, depuis, presque tous les écrivains l’ont adoptée ; mais il est certain que cette coutume exis- tait, tout-à-fait la même, aux Mariannes, aux Sandwich, (1) Voir dans nos « Documents sur Tahiti » la coutume de don- ner ses propriétés à un chef pour ne pas laisser son adversaire gagner son procès. (2) Voici les paroles de Cook, (1er voyage, t. II, collect. Hawkes- wood) : * Un nombre très-considérable de Tahitiens des deux sexes 360 LES POLYNÉSIENS. aux Mangareva, aux Marquises, où nous l’avons retrouvée et étudiée (1), et probablement dans plusieurs autres îles. Le père Le Gobien a, le premier, signalé l’existence de cette société aux Mariannes, sous le nom d 'Arytoys. Elle se composait, dit-il, de jeunes gens vivant avec des maîtresses, sans vouloir se marier. Il y avait des maisons particulières pour les associés, comme il y en a aux Marquises, mais ce n’étaient pas seulement, dit le P. Le Gobien, des jeunes gens et des jeunes filles qui s’y rendaient ; la plupart des femmes non mariées en faisaient autant, quelque fût leur âge. Absolument, dirons-nous encore, comme aux Marquises, où les pokoehu , filles ou femmes séparées de leurs maris, se réunissent dans des maisons spéciales. Nous ferons remarquer à ce sujet que la société des Arioï n’a jamais été signalée ni aux îles Tunga, ni à la Nouvelle- Zélande, par les missionnaires et les voyageurs. Si cette secte n’y a pas existé, c’est une nouvelle présomption que la Nouvelle-Zélande et les Tunga ne tirent pas leurs habi- tants des îles océaniennes Tahiti, Marquises, Mariannes, etc. Même goût des causeries, des discours, des histoires ; même attrait pour le plaisir, la danse et la musique, la nuit au clair de la lune. Même amour des voyages sur mer, et même habileté à conduire leurs pirogues que les habitants des îles Paumotu, Tahiti, Samoa, Tunga, etc. Les pirogues sont faites en bois de l’arbre à pain et toutes sont à balancier. Il y en a forment des sociétés singulières où toutes les femmes sont com- munes à tous les hommes. Cet arrangement met dans leurs plaisirs une variété perpétuelle, dont ils ont tellement besoin, que le même homme et la même femme n'habitent guère plus de deux ou trois jours ensemble. Ces sociétés sont distinguées sous le nom d 'Arreoy ; ceux qui en font partie ont des assemblées auxquelles les autres insulaires n’assistent point. Les hommes s’y divertis- sent par des combats de lutte ; les femmes y dansent en liberté la timor odee, afin d’exciter en elles des désirs qu’elles satisfont souvent stir-le-champ. » (1) Voir 1er volume de Séjour aux Marquises et documents sur ces îles, p. 821. LES polynésiens. 361 de toutes les grandeurs, mais les plus grandes n’ont guère que 30 à 40 pieds de long*. Même goût des parures : les femmes se parent de guir- landes de fleurs odoriférantes absolument comme à Tahiti ou aux Marquises. De plus, comme dans ces dernières îles, encore aujourd’hui, elles portent des pendants d’oreilles faits d’un bois très léger, élégamment peints et ornés de fleurs de pandanus. Les hommes, en outre de tous les autres points de res- semblance avec ceux de Tahiti, portent, les jours de fête, une couronne faite de fibres de bananier qu’ils teignent en jaune, et y ajoutent des touffes de duvet, comme à Tahiti encore aujourd’hui, ou des plumes de phaéton, comme aux Marquises. Même coutume de se faire un ami, en changeant de nom : il en est ainsi à Lougounor. Même disposition au vol, comme le prouve, pour les Ma- riannes, la désignation d’îles des Larrons, qui leur a été donnée par Magellan. On s’accorde à dire, il est vrai, qu’il n’en est pas de même pour les Carolines ; mais n’a-t-on pas dit aussi que les femmes y sont plus chastes que les Polynésiennes ? Or Mertens a montré que c’est une erreur. D’Urville, de son côté, dans un fragment de son journal de la Coquille , cité par Rienzi (1), dit : « Pour le bon ton et la dignité, les Tamoles d’Hogoleu ne valent nullement les Uross et les Tônes de Ualan, bien qu’ils aient les mêmes dispositions au vol. » Ajoutons que si les femmes des Carolines s’abstiennent d’aller abord des navires, ce n’est que par suite des défenses des hommes, mais non par plus de retenue ; car voici ce que dit Mertens, lui-même, en parlant des îles Ulea, Uletai, et de l’île Feis : « Les habitants furent moins sévères à notre égard quant à ce qui concernait les femmes. Ils leur per- mettaient de se trouver dans notre société, et il ne fallait que peu de temps pour qu’une liaison intime s’établit entre nous. » (1) Ouvrage cité, p. 124. 362 LES POLYNÉSIENS. Même goût pour la sculpture ; si les sculptures des îles Pelew et autres Carolines sont des chefs-d’œuvre d’élégance, on sait que celles des anciens Tahitiens, Zélandais, etc., ne leur cédaient nullement. Même coutume qu’avaient autrefois les Tahitiens de sa- crifier les enfants nés après les trois premiers. A Radack, au dire de Chamisso, on enterrait tout ce qui dépassait ce nombre. Les familles des chefs étaient seules exemptes de cette coutume, dont Kadu a donné l’explication. Même manière de faire appel aux voisins pour les travaux et les constructions. Même coutume de l’anthropophagie, si générale en Océanie. C’est ainsi qu’on l’a trouvée à Malilegor, dans le groupe oriental des Carolines, dans ceux d’Urur, des Pal- liser et des Palaos ou Pelew. Choris dit même à ce propos : « On cherche surtout à s’emparer du corps d’un chef ennemi; si l’on y parvient, on le coupe en petits morceaux que l’ar- mée mange sur place ». Même manière de faire des présents à la famille à laquelle on veut s’allier. Même absence de cérémonies pour le mariage aux Caro- lines et en Polynésie. Le mari peut répudier sa femme lorsqu’elle a violé la foi conjugale, mais la femme ale même pouvoir lorsque son mari cesse de lui plaire. A Giuliay, dit Kotzebüe, quand un ami réclame l’hospita- lité de son ami, celui-ci doit lui céder sa femme : il en est de même aux îles Marquises. La monogamie est générale, mais la polygamie est permise et elle est une marque d’honneur. Suivant Kadu, un homme, aux Carolines, peut épouser plusieurs femmes, mais il se contente ordinairement d’une seule. Les chefs en ont deux. Même facilité aux époux de se quitter. Même crainte des mésalliances. Même défense aux femmes de manger avec leurs maris, à Ualan, d’après Lütke. Même indifférence sur la pudeur et la chasteté, d’après LES POLYNÉSIENS. 363 Choris, qui dit (1) qu’un homme peut offrir sans déshon- neur à un autre les faveurs de sa femme ; un père livrer sans rougir sa fille aux embrassements d’un étranger. Même liberté des filles, tant qu’elles ne sont pas mariées. Même manière de dénommer les enfants, comme : « adroit pêcheur, » « intrépide, » « paresseux, » etc. Même habitude des femmes d’aller se baigner à l’eau douce après l’accouchement. Même usagée des bains plusieurs fois par jour. Même habitude du tatouag*e. Même manière de questionner le passant : aux Mariannes on dit mano hau ? où vas-tu ? correspondant à l’interroga- tion licier e oe ? de Tahiti. Même manière de danser aux îles Pelew, Carolines et Ma- riannes, que dans l’île Uatiu, l’une des Manaia. Mêmes amusements, fêtes, jeux, musique : on se sert aux Mariannes de deux flûtes en roseau, l’une jouée comme un flageolet, l’autre avec le nez. Même manière de se saluer par l’attouchement du nez, c’est-à-dire en se flairant mutuellement. Aux Mariannes l’acte de flairer, pour saluer, se rendait par gnhingnhi ou plu- tôt nghinghi, mot qui est l’analogue du mot hongi des Nou- veaux-Zélandais. Même usage de la conque pour rassembler les combat- tants. Même ignorance de l’usage de l’arc et des flèches, comme armes de guerre. Même usage probablement des quipos , car en allant aux îles Aléoutiennes, Choris rapporte (2) que Kadu marquait le temps par des nœuds sur un cordon qu’il portait à son cou. Or, cet usage existait aussi en Polynésie et nous l’avons plus particulièrement retrouvé aux Marquises. 4° Ressemblances de maladies , cérémonies funèbres . — Mêmes maladies : ainsi Mertens a vu, dans les Carolines* (1) Ouvr. cité, p. 19. (2) Ouvi cité, p. 4. :i (M LES POLYNÉSIENS. l’éléphantiasis, la cécité, le fongus hématode de l’œil, l’ic tîiiose ( episa ), etc. Il y a trouvé, sous le nom de Roup, une sorte de petite vé- role, puis une maladie tout-à-fait semblable h celle qui est. si commune aux Tunga et à la Nouvelle-Calédonie sous le nom de Tona^X qui, d’après le traitement employé avec suc- cès, pourrait être considérée comme une grosse vérole. Voici ce que Mertens dit à ce sujet (1) : « Ils donnent aussi le nom de Roup à une maladie qui cause de grands ravages ; elle attaque d’abord la paume de la main et la plante du pied. Dans le principe les malades sont atteints d’un genre d’exco- riation sèclie ; une quantité de chairs mortes se détachent et doivent être cautérisées au plus vite, pour prévenir les suites qui en résulteraient si on négligeait de prendre cette précaution. On parvient sûrement à guérir cette affreuse maladie, si l’on a recours à temps à ce remède violent. » Et Mertens ajoute : « Floyd, qui souffrait de cette maladie, lors- qu’il vint sur le Seniavine , en fut complètement guéri par de petites doses de mercure sublimé. » Enfin, d’après le même écrivain, le nom de roup serait encore donné à ce qu’il appelle herpes exedens , et qui n’est probablement que le lupus exedens , si commun aux Marquises et en Poly- nésie (2). Mêmes cérémonies pour les morts. Ainsi le P. Le Go- bien dit que les naturels des Mariannes font quelques repas autour du tombeau ; ils le chargent de fleurs et de tout ce quils ont de plus précieux. Aux Mariannes, comme à Tahiti et aux Marquises, existait la même habitude de conserver h part le crâne des morts, et ceux des chefs, mis dans une corbeille, devenaient les aniti , esprits, auxquels, dit le P. Le Gobien, les prêtres adressaient leurs prières. Même coutume de jeter le corps privé de vie le plus loin possible du ns la mer; mais cependant, si c’était une personne chère ou distinguée par le rang, les obsèques avaient lieu (J) Üuv. cite, p. 67. (2; A'uir notre journal du voyage de Y Astrolabe, nos documents sur Tahiti. Marquises et recherches médicales. LES POLYNÉSIENS. 365 aVec pompe et étaient accompagnées de grandes démons- rations de douleur, de lamentations, de gémissements. On vantait les qualités du mort ; le cadavre était frotté de curcuma ; on se tailladait le corps ; en un mot, on faisait et l’on fait encore dans la plupart des Carolines,ce qui se faisait en Polynésie et se fait toujours, comme nous l’avons vu, aux Marquises et dans d’autres îles. Ajoutons que dans une île on fait parfois d’une manière, et, dans une autre, d’une manière différente ; à Radack, par exemple, on se contente d’enterrer le mort. Enfin, nous signalerons: la même couleur de la peau ; La même élévation de la taille ; La même fierté de la noblesse ; La même manière de faire la guerre ; Le même caractère dissimulé ; Le même amour pour les fêtes et le plaisir ; pour la rail- lerie; pour les histoires merveilleuses; pour les' vers de leurs poètes ; La même horreur de l’homicide et du vol entre eux ; La même pénurie de mammifères, car ceux-ci se bornent au chien, au rat et à la roussette. On a cru pendant long- temps que les îles Carolines n’avaient pas de chiens ; mais c’était une erreur que Lütke a démontrée . Ce navigateur, en effet, en a rencontré sur l’île de l’Ascension ou Puyni- pet. La même abondance des rats et des moustiques ; etc. Nous pourrions citer d’autres analogies ; mais comme nous n’en finirions pas si nous essayions de leur donner quelque développement, nous nous bornerons, pour ter- miner, à faire ressortir celles que Mertens fournit, sans s’en douter: à cause de cela même, elles n’en ont que plus de valeur. Cet écrivain cite, en effet, dans son mémoire, plusieurs noms de plantes ou de substances alimentaires, qui ne per- mettent pas de douter que ces noms ont la même origine que ceux donnés par les Polynésiens aux mêmes plantes et aux mêmes substances. Il est impossible de ne pas les recon- 366 LES POLYNÉSIENS. naître, quoi qu’ils aient été certainement mal écrits ou mal entendus. Ainsi, il dit que mai est le nom générique, aux Carolines, de toutes les espèces d’arbres à pain. Or, on sait que cet ar- bre est appelé maiore en Polynésie, et particulièrement à Tahiti (1), et que là, mahi est le nom du fruit préparé et conservé dans les silos. Il dit que le principal objet des recherches des Carolins, pendant leurs voyages dans les autres îles, est le ?nar, es- pèce de pâte fermentée et préparée avec le fruit à pain, qui sert presque uniquement de nourriture pendant l’hiver. Ce mar n’est évidemment que le ma des Polynésiens, obtenu du fruit à pain et qui, dans leurs îles aussi, est toujours la base de leur alimentation : c’est le mahi de Tahiti. Les Carolins ont également le poï, car Mertens dit: « au départ des canots pour leur île, leurs hôtes les chargent de koie , mets préparé avec des noix de jaquier d’une qualité inférieure. Ce koie est très nourrissant et d’une grande ressource pendant les disettes qui sont très-fréquentes en hiver dans'les îles basses. » C’est le poï des îles Sandwich, la popoï des Marquises, etc. Dans les îles hautes, dit-il encore, « on trouve des gam, espèce de racine qui ressemble à la pomme de terre. » Il est évident qu’il veut parler de l’igname appelée yam. par les Anglais, et le nom qu’il donne provient très-probable- ment de ces derniers. On T admettra plus aisément, si l’on veut se rappeler que Lütke et Mertens n’ont eu leurs ren- seignements que d’un Anglais déserteur de baleinier, le nommé Floyd, trouvé par eux sur l’une des Carolines. • Merféns appelle far deux vaquois qui se trouvent sur ces îles ; or, en Polynésie, ces deux pandanus sont appelés far a. Il donne le nom d’aouen au ficus indica , appelé oa, aoa aux Marquises, etc. Enfin, il donne le nom de nen au morinda citrifolia , qui (I) En outre d’urii ; maiore n’est qu’un nom moderne ; uru est l’ancien nom* LES POLYNÉSIENS. 367 est appelé nono en Polynésie ; et celui de liouro à la pro- vision de fruit à pain qu’on enfouit sous terre, à Ualan, pour la faire fermenter. Ce mot n’est bien probablement que celui à'urn, nom de l’arbre et du fruit à Tahiti, etc. De pareilles ressemblances sont, certes, significatives. Sans doute il y a des différences entre les Carolins actuels et les Polynésiens, et nous allons passer en revue les princi- pales ; mais ces différences ne prouvent guère que la venue d’étrangers après le peuplement des Carolines : parmi celles indiquées par les écrivains, nous n’en voyons pas une seule, si ce n’est le langage, qui ait quelque impor- tance. Ainsi, on a dit, par exemple, que les Carolins, au lieu de se vêtir avec des étoffes battues, comme en Polynésie, por- taient des tissus faits au métier et à l’aide des fils du bana- nier et de Y hibiscus populneus ; c’est un fait, mais qui n’est pas aussi général qu’on l’a cru, car on y a trouvé des étoffes faites avec le liber de l’arbre à pain, comme en Polynésie ; ce fait n’indique guère qu’une chose, à côté des analogies si nombreuses, c’est que l’usage du tissag'e y a probable- ment été porté par les Japonais ou les Chinois, ou, si l’on aime mieux, par quelques canots des Philippines où tant de plantes textiles servent à cet usage (1). Il faut remarquer d’ailleurs que le broussonetia papyriferci est assez rare et n’existe même que sur quelques îles. D’un autre côté, on a vu qu’aux Mariannes la manière de se vêtir était la même qu’en Polynésie. Quant à la prépara- tion, c’était, disait Pigafetta, avec l’aubier d’un palmier qu’était fait le vêtement employé par les femmes en de- vantier. Il paraît seulement que là, le costume était beau- ' coup plus simple que dans la plupart des îles Polynésiennes ; mais ce qu’on en a dit était-il exact ? Nous en doutons, après avoir vu presque tous les sauvages de l’Océanie: nulle part nous n’en avons vus de complètement nus. Tantôt, c’est (1) Ce sont : Vabaca, bananier qui donne une sorte de soie végé- tale ; — ïagoioi , figuier ; — Valas-as , pandanus ; — Vanobring , artocarpus ; — Vasimao , palmier ; — Vas-is^ figuier; — le bulac , gossypium ou cotonnier, etc8 368 LES POLYNÉSIENS. le dos qui est couvert comme en Australie ; ailleurs, c’est le derrière ; dans les îles Salomon, c’est le pénis seulement. Ce n’est que par instant, surtout dans les canots, que l’on reste absolument nu. Les Andamanais et quelques autres populations semblent faire exception (1). Nous ajouterons que Pig-afettaa également trouvé aux Mo - luques la même manière de fabriquer les étoffes qu’en Poly- nésie. « Ils prennent, dit-il (2), un morceau d’écorce et le lais- sent dans l’eau jusqu’à ce qu’il s’amollisse. Ils le battent en- suite avec des gourdins pour l’étendre en long* et en largue autant qu’ils le jug*ent convenable; de façon qu’il devient semblable à une étoffe de soie écrue, avec des fils entrelacés intérieurement comme s’il était tissé. » On a dit que les Carolins et les Mariannais portent des chapeaux en forme d’entonnoir, faits avec les longmes feuilles du fara ou pandanus. Cet usag-e n’existe pas g*éné- ralement chez les Polynésiens, mais (seulement chez ceux qui sont le plus au Nord et particulièrement chez les Sa- moans. Il est probable qu’il ne vient lui-même que de Japo- nais, Chinois ou Philippinois, portés jusque dans ces îles. Le nom de akon , donné à ces chapeaux, pourrait aider à faire retrouver leur lieu d’origine. On a dit que les Mariannais avaient anciennement l’habi- tude de laisser un flocon de cheveux à la japonaise, sur le haut de leur tête, habituellement tondue ras chez les hom- mes, tandis que les femmes portaient de long's cheveux tom- bant jusqu’à terre: c’est toujours un indice delà venue de quelques Japonais ou Chinois. Il est vrai que les Polynésiens laissaient g*énéralement croître les leurs et qu’ils les por- taient le plus souvent, surtout en gmerre et au travail, noués sur le sommet de la tête ; mais les Carolins faisaient de (1) Pourtant, d’après John Forrest, (, Journal of the Anthropologi- cal Institut , janvier 1870), les sauvages de l’intérieur de l’Australie vont complètement nus ; ni les hommes ni les femmes n’ont jamais songé à porter un vêtement quelconque, malgré la facilité qu’ils auraient à se préserver du froid et des moustiques avec des peaux de kanguroos. (Voy. Revue d’ Anthropologie, 1877, p. 328). (2) Ile de Gilolo1 p. 185, trad. Amoretti. LES POLYNÉSIENS. 369 même, et nous avons vu partout, à ce sujet, les modes les plus diverses, même dans une seule île. De même encore les Mariannais avaient, dit-on, un calen- drier à la manière des Chinois : ce qui serait en faveur de la venue de quelque jonque de cette contrée, mais rien de plus. ' Quant aux dents noircies par le bétel, il n’y avait, dans les Carolines, que les îles Palaos ou Pelew, qui eussent cet usag*e; toutes celles du Sud et de l’Est n’en usaient pas plus que les îles Polynésiennes. Mais les habitants des Marian- nes se servaient aussi de ce masticatoire qui semble réservé plus particulièrement aux Malais. On a vu que certains mots feraient supposer que quelques canots, où se trouvaient au moins un petit nombre de Malais, auraient pu les y porter. Il est inutile d’ajouter que les îles Mariannes et Pelew sont les plus proches des grandes terres où existe l’usag*e du bétel, et qu’un Malai a été rencontré par Wilson dans ces dernières îles. L’emploi du bétel était général dans la Malaisie et les Moluques ; on sait qu’il existe depuis les bords du Gang*e jusqu’à la mer Noire. Outre la race malaise, toutes les popu- lations mélanésiennes de l’océan Pacifique ont cet usag-e. Nous croyons que si les Polynésiens, en général, se conten- tent de leur boisson faite avec le piper methysticum , c’est qu’ils n’ont pas dans leurs îles Yareca qui produit le bétel et le piper de ce nom. A Vanikoro, on ne se sert de Yareca ca- tecku absolument qu’en masticatoire avec de la chaux et la feuille d’une variété du piper methysticum. On a dit aussi que ce qui les différenciait était l’absence de la boisson appelée ara ou kava dans les îles Polynésiennes; mais c’est à tort, puisque l’usag*e de cette liqueur a été re- trouvé par Lesson et Lütke au moins dans l’une des Caro- lines, à Ualan, où on la boit avec les mêmes cérémonies qu’en Polynésie. Le silence g-ardé par les voyageurs sur cet usag*e aux Mariannes semble montrer qu’il y était inconnu à leur arrivée et qu’il était remplacé par celui du bétel. Pour- tant on peut se demander s’il en avait toujours été de même, 370 LES POLYNÉSIENS. et il est permis d’en douter, lorsqu’on remarque toutes les analogies polynésiennes, qui existaient dans ces îles. La différence qu’on a trouvée dans l’absence du tatouage aux Mariannes n’en est pas une non plus, car on sait qu’il manque également dans plusieurs îles Polynésiennes, telles que Rapa et quelques autres, et qu’il existe au contraire fort beau dans les Carolines. Cette absence du tatouage ne résulte en somme que du manque de tatoueurs habiles et connus : nous l’avons vu manquer momentanément aux Marquises mêmes. Enfin on a cru qu’il y avait une différence dans la for- mule du salut aux Mariannes où l’on dit : ati arinmo , « per- mettez-moi de vous baiser les pieds. » Nous ne pouvons assurer que cette formule n’a pas été bien traduite, ainsi que le pense de Freycinet; mais nous ferons remarquer du moins que le premier mot ati signifie en Polynésie « ami », « por- tant secours », et qu’il y sert aussi de préfixe patronymi- que. Quant au second, sa première partie peut être le mot polynésien arii élidé, et sa dernière le mot Polynésien amo ég-alement élidé ou dénaturé, et signifiant, à Tahiti, par exemple, « être porté sur le dos. » Ce serait, dans ce cas, une sorte d’invocation pouvant se traduire par « ô descen- dant cVarii porté ! » En effet, c’était à Tahiti, ainsi que dans plusieurs autres îles Polynésiennes, la manière de voyag-er des arii ou chefs suprêmes. Quoi qu’il en soit de cette conjecture, une pareille manière de saluer ne serait certes pas une différence de bien grande valeur, et elle en a d’autant moins, croyons-nous, que les au- tres formules, bien qu’autrement exprimées, sont absolument les mêmes. Ainsi, quand aux Marquises, à Tahiti, quelqu’un vient à passer, on lui dit: liaere oe ? a Tu vas, toi ? » à quoi il répond sans s’arrêter : haere au, « je vais, moi. » Ou en- core : « Où vas-tu? d’où viens-tu? » Or il en était absolument de même aux Mariannes, puisque les formules citées par les écrivains sont, entre autres: manohau ? « où vas-tu? » et gomi mano hau ? « D'où viens-tu ? » Nous ne serions même pas surpris que ces mots eussent été mal entendus ou tout au moins mal orthographiés par ceux qui les ont fait con- LES POLYNÉSIENS. 371 naître. Le mot hau des Mariannais rappelle trop le mot au des Polynésiens pour que ce ne soit pas le même. Mano est également polynésien, mais là il signifie : « beaucoup. » Quant au mot gomi , que l’on a traduit par « d’où », il n’est pas polynésien ; il n’est pas non plus malais, puisque « d’où » se rend par dari mana en Malayou. Serait-il tagal? Nous l’ignorons. Il n’y a donc, en somme, de grande différence que celle du langage, dont le fond est complètement dissemblable, mal- gré le grand nombre de mots polynésiens. Nous ne revien- drons pas sur ce que nous avons déjà dit à ce sujet, quand nous avons conjecturé que cette langue pourrait bien n’être que le mélange, en proportions fort diverses, des langages, - dénaturés avec le temps par l’isolement et les habitudes, des différents peuples entraînés jusqu’aux Carolines et aux Mariannes. C’est ce qui explique la diversité existant dans cha- que archipel, et, pour ainsi dire, dans chaque île. Mais nous répéterons que les mots polynésiens paraissent être les plus nombreux, et que, par conséquent, la langue polynésienne est celle qui a dû être la langue des premiers occupants. Cette différence de langage, nous l’avons montré, est la seule importante ; mais en présence des caractères physiques que nous avons fait connaître, et des analogies de toutes sortes que nous avons énumérées, elle est insuffisante elle- même à faire établir une séparation bien nette, et elle n’a, par conséquent, guère plus de valeur que les autres. En outre, ne peut-on pas se demander si cette différence de langage est bien aussi réelle que les ethnologues semblent le croire ? Il est certes permis d’en douter, en voyant le fait rap- porté par Choris, dessinateur de Kotzebüe. D’après lui, Kadu, qui avait accompagné Kotzebüe à la côte Nord-Ouest d’Amérique, seplaisait beaucoup dans les îles Sandwich où le Rurick était allé relâcher, et il faisait souvent observer la ressemblance de l’idiome de cet archipel avec le langage de celui où il avait pris naissance. Un pareil, fait, nous semble- t-il, n’a pas besoin de commentaires. Enfin les analogies que nous avons trouvées entre les Po- lynésiens, les Mariannais et les Carolins, ne sont pas les 372 LES POLYNÉSIENS. seules, et nous pouvons en citer quelques-unes encore qui rapprochent plus particulièrement les premiers des derniers. On sait que les Polynésiens orientaux passent pour être de grands guerriers et des voyageurs fort entreprenants. Or, les Carolins ne sont pas moins entreprenants et voyageurs, et ils sont comme eux, plus qu’eux peut-être, d’excellents navigateurs. Nous ne savons s’ils sont guerriers, mais ils sont essentiellement commerçants. Il est probable, avons- nous déjà dit, que les idées de commerce qu’ils possèdent, de même que l’art de tisser, qui est inconnu aux Mélané- siens et aux Polynésiens, leur ont été communiqués par les Chinois ouïes Japonais qui, en séjournant parmi eux, leur ont donné ce cachet tout particulier qui a tant frappé les observateurs Lesson, Lütke et autres. Si l’on ajoute que les Carolins ont l’acupuncture, qu’ils savent saigner, que le moxa leur est connu, de même que la cautérisation et qu’enfin, au rapport du botaniste Mertens, les Carolins savent également donner des lavements (1), il est impossible de douter que ces connaissances ne soient dues au contact de peuples plus civilisés, arrivés et fixés an- ciennement parmi eux. Ces peuples n’étaient toujours que des Chinois ou des Japonais, mais cela ne diminue en rien les nombreuses ressemblances avec les Polynésiens que pré- sentent les Carolins et les Mariannais. En somme, malgré les différences signalées, il est impos- sible, croyons-nous, vu les nombreuses analogies existantes, de ne pas reconnaître que les habitants des Carolines et des Mariannes sont de véritables Polynésiens, mais qui, avec le temps, ont été considérablement modifiés au contact des Chinois ou des Japonais d’une part, des indigènes des Phi- lippines ou de quelque île malaisienne de l’autre, et enfin à (1) Il faut avouer cependant que le moyen de donner des lave- ments, aux Carolines, était dans l’enfance de l’art. « Leur serin- gue, dit Mertens, est la hampe du tacca pinnatiftda qui est creuse. Les lavements se composent d’eau tiède et d’huile de coco, dont on remplit la hampe. La manière de l’administrer est d’y souffler avec force jusqu’à ce que le malade ait recule lavement en entier. » (Mertens, p, 116, copie, Bibliothèque universelle.) 373 LES POLYNÉSIENS. celui des Mélanésiens. Ce n’est évidemment qu’à ces divers contacts que sont dues les différences qu’ils présentent aux observateurs, car ces différences eussent été bien plus mar- quées s’il y avait eu la moindre descendance directe de l’un de ces peuples. Quant aux Malais, ils n’y ont contribué pour rien ou du moins pour fort peu, quoiqu’ils aient, eux aussi, été entraînés jusque-là. Le capitaine Wilson (1), après son naufrage, en 1783, ren- contra dans les îles Pelew un Malais qui s’y était perdu un an auparavant sur un pros des îles Philippines. Lui-même avait à son bord un autre Malais que les indigènes ne pou- vaient comprendre quandil leur parlait Malayou, etilne put se faire entendre des habitants qu’à l’aide du premier Malais qui avait eu le temps d’apprendre la langue du pays. N’est- ce pas une preuve évidente que la grands analogie de lan- gage tant citée par les ethnologues n’existe nullement ? Balbi (2), du reste, d’après l’examen d’un petit vocabu- laire Pelew, avait déclaré que cette langue n’a presque au- cun rapport avec les idiomes des peuples malais, « auxquels, cependant, ajoute-t-il, appartiennent les tribus qui la par- lent. » Déjà, avant lui, Adelung avait signalé le Pelew comme une langue particulière, tout-à-fait différente des autres idiomes malais, et il avait relevé l’erreur dans la- quelle Hervaz était tombé à cet égard. Pas plus que les habitants des îles Pelew, ceux des îles Mariannes, quoi qu’on en ait dit, n’entendaient eux-mêmes la langue malaise. D’après Pigafetta, l’esclave Henry, natif de Sumatra, qui accompagnait Carvajo sur le navire de Ma- gellan, n’était pas compris des Mariannais lorsqu’il leur parlait en Malais : « Cette langue, ajoute Pigafetta, n’était comprise qu’aux îles Philippines. » C’est donc avec raison, dirons-nous en terminant, que M. Broca, en réponse aux objections faites par d’Omalius d’Halloy, aux partisans de l’unité de race des Polynésiens, Carolins et Mariannais, prononçait les paroles suivantes : (1) Relation des îles Pelew , 2e vol., in-8*. — Paris, 1793. (2) Guy. cité. \\ 27 2. 374 LES POLYNÉSIENS. «Dumont d’Urville, dominé par la linguistique, éprouva le besoin de séparer de la Polynésie les archipels où l’on parle des langues absolument différentes de celle qu’il a appelée depuis le Grand-Polynésien. Il annexa donc à la Microné- sie toute la Polynésie occidentale. C’était un moyen fort simple de trancher la difficulté ; mais celle-ci, pour être dé- guisée sous un mot, n’en persiste pas moins toute entière. Les insulaires de la Polynésie occidentale sont de véritables Polynésiens. Ils ont bien quelques traits particuliers qui varient d’ailleurs d’île en île, comme cela a lieu dans le reste de la Polynésie ; mais les différences qui les séparent les uns des autres et celles qui les distinguent des Tahitiens et des Néo-Zélandais ne sont pas plus grandes que celles qui exis- tent entre ceux-ci et les Hawaiiens. En somme tous ces peu- ples, malgré leur diversité, forment la famille très-naturelle des races polynésiennes. » Et, après avoir fait ressortir une partie des usages com- muns entre les peuples que Dumont d’Urville a distingués sous le nom de Micronésiens et de Polynésiens, et que nous venons d’indiquer si longuement, il termine, en disant : « Ces analogies peuvent bien contre-balancer le caractère différentiel tiré de la linguistique, et il me semble dès lors fort arbitraire de dire que les archipels des Carolines et des Mariannes n’appartiennent pas à la Polynésie. C’est comme si l’on disait que le pays des Basques ne fait pas partie de l’Europe. (1) » De son côté, l’amiral Jurien de la Gravière écrivait cette phase significative : (2) « Quand nous débarquâmes à Hono- lulu, je crus me trouver au milieu des Carolins de l’île Qua- lan. » Si les Carolins, les Mariannais et les Polynésiens sont de même race, n’est-il donc pas plus probable, comme nous l’avons dit, que ce sont les Polynésiens qui sont les ancêtres des deux premiers, plutôt que d’en être les descendants ? (1) Bulletin de la Société d' anthropologie, séance du 22 mars 1869* (2) Voyage dans les mers de Chine , t. II, ch. 18, p. 333. LES POLYNÉSIENS. 375 TABLEAU LINGUISTIQUE COMPARATIF N° 1. Tête Cheveux Front Œil Poil Ne% Bouche Dent Oreille Cou Feu Allumer du bois . . Griller Bouillir Pierre Mer . Eau Rat ; Pluvier Père Mère Corps de l'homme. Femme Ulu (2). Grapim-ulu, Haï. Mata. Pain (3). Qui-ine (4). Paslioud,' ewaï. Nifine. Talan-ha, taringa. Agaga. Goifi, gnafî. Entung (5). Tono. Luglug. Achu. Tassi. Hanum . Chiaca. Dulili . Tata. Nana. Tatautau (7). Palawan (8), aga# Upoko. Uru. Rae. Mata, kanolii. Huruhuru. Ihu. Waha, mangaï. Niho. Taringa. Kaki. Ahi. Tutu, tahu, hika (6). Tunu. Koropupu, huliu. Koliatu. T aï. Honu, waï. Kiore. Turi. Pa, papa. Whaea, matua-waliine, Tino. Wahine. (1) Les mots Mariannais ont été donnés par Gaimard; mais, comme tous les mots fournis par ce naturaliste, ils sont le plus souvent mal écrits, mai rendus, et l’on ne saurait compter sur eux. (2) Ce mot reparaît souvent avec le même sens dans diverses îles Malaisiennes. (3) En Malais, poil se dit bulu. (4) Mot douteux et probablement mal orthographié. (5) Ce mot n’est pas d’origine Polynésienne ; il serait plutôt d’origine Malaise ou Javanaise. (6) Tutu, mettre au feu; tahu , allumer du feu ; hika, frotter deux morceaux de bois l’un contre l’autre. (7) Il y a évidemment erreur ; ce mot est complètement tahitien, mais il signifie : faire usage du tatouage, et pêcher. (8) En Malais, femme se dit parampouann ; palawan se rapproche donc davantage du Malais. 376 LES POLYNÉSIENS. TABLEAU LINGUISTIQUE COMPARATIF N° 2. CARO- LINE S . TAHITI ET NUe-ZÉ LANDE. MALAIS. TAGA- LOG. BISSAYA. 1 acha. tahi, t. n-z. sa, satu. isa. isa, usa. 2 ugua. rua, t. n-z. dua. dalava. duha. 3 tulu . toru, T. N-Z. tiga. tatlo. tolo. j 4 fadfad. acha, t. wha, n-z. ampat. apat. upat. 5 lima. rima, t. n-z. lima. lima. lima. 6 gunum. ono, T. N-Z. anam. anim. unum. 1 fiti. hitu, t. whitu, n-z. tudju. pito. pito. 8 gualu. varu, t. waru, n-z. delapann. valo. valo. 9 sigua. iva, t. iwa n-z. sambilann. siam. siam . 10 manud (1). ahuru, t. ngahuru, n-z. sapulu. sampo napulo, pulo ORAISON DOMINICALE EN TAGAL MODERNE. Ama nanim sungma sa langit ca , sambahin ang Père notre es dans ciel toi, adoré soit le gnalan mo; mupa sa amin ang caharian mo ; sundin nom tien ; vienne à nous le royaume tien ; soit faite ang loob mo , dito sa lupa , para na sa langit ; la volonté tienne, ici sur terre, ainsi comme dans ciel ; bigian-mo camin ngai-on nang amin canin sa soit donné à nous à présent le notre riz de aran-aran; at patauarin-mo camis nang amin g jour en jour; et pardonnées soient à nous les nôtres manga-otang , para nang pagpasawat namin sa fautes, ainsi comme sont pardonnés de nous ceux nangag-cacaoton sa amin ; at hunag-mo camin g ont commis des fautes contre nous ; et ne laisse pas nous ipahintolot sa tocso ; at yadia-mo cami sa dilan tomber dans tentation; et délivre nous de tout mas ama. mal. (1)11 est à remarquer que le nombre 10, dans la Polynésie, la Malaisie et Madagascar, se rend par ahuru, n g ahurit, angahuru, angafulu, onohuu, sapulu, fulu, pulu, fulo, etc., Les Carolines font donc exception. LES POLYNESIENS. ORAISON DOMINICALE EN BISSAYA. Amahan namu nga itôtat ca sa langit , i-papagdayet Père notre qui es toi dans ciel, loué soit an imong ngalan ; moanlii canamun an imong le tien nom ; . , vienne à nous le tien pageahadi ; tumanun an imong buol, dinlii si y ata royaume ; soit accomplie la tienne volonté, ici sur terre main g un sa langit; ihatag-mo damsin an canton comme dans ciel ; donné soit à nous le riz namun sa matagarlao ; ug pauadin-mo cami s an notre dans chaque jour; et pardonnés soient nous les mga-sala namu , maingun ginuara namun san péchés nôtres, comme pardonnés sont de nous ceux mganacasala damun ; ngan diri imo tugotan cami pèchent contre nous; et pas par toi soit permis nous maholog sa manga-panulai sa amun mcmga-caauai ; tomber dans tentations de nos ennemis ; apan baricun-mo cami sa manga-maraut ngatanan. aussi délivrés soient nous de maux tous. DEUXIÈME PARTIE ivwwwwvvvwvwv» ORIGINE DES POLYNÉSIENS. wwvwww< IDENTITÉ DES POLYNÉSIENS ENTRE EUX. Les Polynésiens sont les tribus dispersées d’une même nation. — Leurs îles ont été peuplées par voie de migrations. Point de départ de ces migrations. — Divergences dessavantsà ce sujet. — Trois théories prin- cipales : Provenance d’un continent submergé ; provenance améri- caine; provenance asiatique. On sait aujourdTiui que les Polynésiens ne parlent que des dialectes dérivés d’une même langue, ou mieux encore qu’ils parlent une même langue ne présentant que des diffé- rences locales. On sait que tous ont, pour loi civile et reli- gieuse, la même interdiction ; que leurs institutions, leurs cérémonies sont semblables ; que leurs croyances sont fon- cièrement identiques ; qu’ils ont le même culte, les mêmes coutumes, les mêmes usages principaux ; qu’ils ont enfin les mêmes mœurs et les mêmes traditions. Tout semble donc, à priori , annoncer que, quelque soit leur éloignement les uns des autres, les Polynésiens ont tiré d’une même source cette communauté d’idées et de langage ; qu’ils né sont, par conséquent, que les tribus dispersées d’une même nation, et que ces tribus 11e se sont séparées qu’à une époque où la lan- gue et les idées politiques et religieuses de cette nation étaient déjà fixées. O’est ce que viendra, nous l’espérons^ démontrer notre travail. LES POLYNÉSIENS. 379 Mais d’où sont venus ces hommes ? Cette question a été posée bien des fois déjà, sans que les observateurs savants et consciencieux qui l’ont abordée, soient parvenus à la ré- soudre dans le même sens. Il est bien évident d’abord que cette question d’origine ne peut soulever de discussion générale que chez ceux-là seuls qui admettent la théorie du couple humain primitif et uni- que ; pour les polygénistes, il ne saurait y avoir de débat que sur le point de départ relatif de telles ou telles peuplades d’une circonscription limitée. Il est certainement plus facile de trancher ainsi d’un seul couple nœud gordien le plus mys- térieux de l’éthnologie ; mais il n’est pas aussi aisé d’appor- ter, à l’appui de l’une ou de l’autre opinion, des preuves irré- futables. Nous espérons néanmoins y parvenir grâce aux recherches que nous avons longtemps poursuivies en vue du but déterminé des origines des peuples océaniens. Nos lon- gues études dans les divers archipels des mers du Sud, nos lectures, nos investigations particulières, nous ont fait ras- sembler assez de données pour la solution de ce problème. C’est donc pièces en mains et en toute connaissance de cause que le lecteur pourra conclure. Nous continuerons à suivre l’ordre chronologique dans l’exposé des opinions diverses des écrivains, malgré les in- convénients que présente cette méthode. Il est impossible, en effet, d’arriver à une conviction quelconque en consul- tant chronologiquement les opinions, les théories, les hypo- thèses ou les simples récits des auteurs ou des voyageurs qui ont cherché à élucider quelques-uns des termes de la distinction ou de la filiation des peuples océaniens. A cha- que pas on rencontre des contradictions flagrantes, des ap- préciations diamétralement opposées, non-seulement entre les observateurs qui, successivement ou à des intervalles plus ou moins rapprochés, ont parcouru les îles polynésien- nes, mais aussi entre les écrivains des mêmes époques, des mêmes voyages, et jusqu’entre les diverses pages du même auteur ou du même ouvrage. Ces contradictions, dans bien des cas, tiennent aux dispositions du moment, à l’extrême diversité de l’esprit humain, à la manière différente dont 380 LES POLYNÉSIENS. chacun envisage et comprend les tableaux simultanés d’un spectacle identique ; mais le plus souvent elles sont un effet des difficultés sans nombre que fournit, à chaque pas, l’exa- men attentif, sérieux, critique d’un sujet où les données sont, par elles-mêmes, aussi multiples qu’obscures. A côté de ces inconvénients inévitables, l’ordre chronolo- gique offre de nombreux avantages. Si cette méthode expose à de longs développements, parfois même à des répétitions, elle met le lecteur mieux à même d’apprécier les faits et les conclusions qui en sont déduites ; elle apprend à qui revient le mérite réel d’une opinion, comment et pourquoi cette opi- nion a été modifiée ; on la suit pas à pas dans ses change- ments, dans ses transformations successives ; on la voit tan- tôt s’étayant des témoignages nouveaux qui lui sont appor- tés, tantôt, au contraire, tombant devant les objections qui lui sont faites. Ce dernier avantage surtout a pour nous une valeur de premier ordre : il nous dispensera de revenir sur les réfutations qui auront été présentées chemin faisant par les auteurs les plus compétents et les plus intéressés à les faire. Le lecteur y trouvera lui-même une garantie, puisque ces objections ne seront pas de nous, mais qu’elles provien- dront de source originelle. Tous les écrivains s’accordent, pour ainsi dire, à faire peupler les îles Polynésiennes par voie de migrations ; mais tous, au contraire, sont en complet désaccord sur le point de départ de ces migrations. Quiros, par exemple, et après lui Forster, d’Urville, Moërenhoüt, font venir les Polynésiens d’un continent submergé qui, suivant les uns, occupait le Sud-Est de l’océan Pacifique ; suivant les autres était à la place même des îles Polynésiennes actuelles. Pour de Guignes, les Polynésiens n’étaient que des colonies chi- noises ; pour Court de Gebelin, des colonies phéniciennes ; tandis que pour Zuniga, ils étaient des émigrants de P Amé- rique du Sud. R. P. Lesson et Lütke les faisaient venir de l’Inde et le premier même du Japon; Bougainville, Chamisso, Marsden, ainsi que John Williams, Raie, etc., les regar- daient comme sortis de l’Asie ou seulement des îles de l’ar- cliipel Indien ; de Rienzi les disait partis de la grande île 381 LES POLYNÉSIENS. de Bornéo ; Crawfurd et Balbi leur donnaient pour point de départ la grande Java. Il y avait, en un mot, presque autant d’opinions que d’au- teurs. Quelquefois même, il faut bien le dire, un même au- teur en avait plus d’une. C’est ainsi que le missionnaire Ellis qui, avec les documents recueillis par ses confrères Barff, Darling* et Orsmond, a publié, sous le nom de Recher- ches Polynésiennes , l’ouvrage le plus riche en faits qui ait jamais paru sur l’Océanie, les avait à peu près toutes ; que Dumont d’Urville et Dieffenbach, d’un éclectisme plus restreint, se contentaient, chacun, d’avoir deux opinions différentes. Nous venons d’avancer qu’Ellis avait presque toutes les opinions relatives au point de départ des migrations poly- nésiennes : en voici la preuve. Après avoir dit que l’origine des Polynésiens, d’après les traditions indigènes, est due à Taaroa , le Dieu créateur des îles et des hommes (1), ïl en cite une qui établit que les Po- lynésiens se croyaient venus, par voie de migrations, d’une contrée située plus à l’Occident que leurs îles, c’est-à-dire du côté où le soleil se couche. Cette contrée, dit-il, avait diffé- rents noms, qui n’ont pas été conservés par la mémoire des indig*ènes : mais nous montrerons que c’est une erreur, ce nom, au contraire, étant le même pour tous. Après cela il en cite une autre qui pouvait faire supposer que les Polyné- siens avaient une origine hébraïque ; puis encore une autre qui, par ses faits mythologiques, semblait montrer qu’ils avaient beaucoup de ressemblance avec les Hindous moder- nes (2). Plus loin, il dit que les points de ressemblances en- tre les Polynésiens et les Malais, les habitants de Java, de Sumatra, de Bornéo, des Ladrones, des Carolines et des Phi- lippines sont encore plus grands (3). Plus loin encore on lit (4) : « Par la forme des canots, les manières, les coutumes et (1) Polynésian Resecirches , p. 40. (2) Id'., p. 42. (31 Id., p. 44. (4) Id., p. 46. 382 LES POLYNÉSIENS. par le langage, on trouve des ressemblances entre les ha- bitants des îles de la mer du Sud et ceux de Madagascar dans l’Ouest, ceux des îles Aléoutiennes et Kouriles dans le Nord, et ceux du Mexique et de quelques autres points de l’Amérique du Sud ; on en trouve même entre les Polyné- siens et les Incas et les Araucans. » Disons toutefois, qu’El- lis ne trouvait pas que les points de ressemblance fussent là aussi nombreux que dans le continent et les îles asiatiques ; mais comme il penchait vers l’origine américaine, il expli- quait ce défaut de ressemblance en disant que cela n’était probablement dû qu’à ce que les souvenirs avaient été plus facilement conservés par les Hindous, tandis qu’ils man* quaient complètement dans l’Amérique du Sud. 11 ajoutait : « Quand on sera plus initié à l’histoire et aux institutions des premiers habitants du Nouveau Monde, on découvrira pro- bablement de plus nombreux points de ressemblance (1). » Ceci pourtant n’empêche pas Ellis de dire encore un peu plus loin (2) : « L’origine des habitants du Pacifique est envelop- pée d’un grand mystère, et les preuves les plus fortes sont certainement en faveur de leur descendance des tribus ma- laises habitant les îles asiatiques. » Il est vrai qu’il ajoute aussitôt : « Mais les moyens employés par les Polynésiens pour arriver dans les lieux éloignés et isolés qu’ils occupent, n’ont point encore été expliqués. Si les îles de la mer du Sud avaient été peuplées par les îles Malaises, elles auraient dû posséder de meilleurs canots et une plus grande connais- sance de la navigation qu’elles n’ont aujourd’hui, pour avoir pu s’avancer contre les vents alisés qui régnent entre les tropiques et qui soufflent régulièrement, avec de rares inter- ruptions, de l’Est à l’Ouest. » Enfin, il n’était peut-être même pas éloigné de croire que les îles Polynésiennes pouvaient être les restes d’un conti- nent, car il dit (3) : « Nous ne pourrions pas démontrer que (1) Voir à ce sujet notre chapitre II : Origine américaine des Poly- nésiens. (2) Ouv. cité, p. 49. (3) Quvr. cité, p. 60. LES POLYNÉSIENS. 383 les différentes îles maintenant existantes, n’aient pas ap- partenu anciennement à quelque grande terre, ni prouver qu’elles ne sont pas les restes d’un continent qui se serait étendu, dans l'origine, à traverslamer Pacifique, enunissant l’Asie à l’Amérique, et qui aurait disparu, submergé par les eaux du déluge. » Certes, en voyant Ellis admettre tant d’opinions diffé- rentes, on ne peut qu’être embarrassé sur le choix à faire ; car s’il penche davantage, et peut-être même tout- à-fait, comme nous le ferons voir plus tard, vers l’origine américaine, il n’est pas moins vrai qu’il trouve que les Polynésiens offrent des ressemblances avec presque tous les peuples. Une pareille collection d’opinions prouve, sans contredit, les savantes recherches de Pautenr, mais elle nuit certainement plus à la solution de la question qu’elle ne lui vient en aide ; si nous avons cependant tenu à la faire connaître dès à présent, c’est qu’elle montre, mieux que toute autre chose, de quel poids peuvent être les opi- nions d’Ellis à ce sujet. Nous aurons d’ailleurs plus tard, surtout en nous occupant de l'origine américaine des Polynésiens, à revenir sur ces opinions. Personne n’était plus partisan des migrations qu’Ellis ; mais d’Urville, Dieffenbach, avons-nous déjà dit, et quel- ques autres auteurs ne l’étaient guère moins, car ils n’é- taient pas plus embarrassés que le missionnaire angiais pour faire venir les Polynésiens des points les plus opposés du giobe. C’est ainsi que d’Urville (1) les faisait arriver de l’Occident et même de l’Asie poussés par les vents d’Ouest. 11 admettait alors les migrations de l’Ouest vers l’Est, tandis que, quelques années après (2), il n’admettait plus, comme Moërenhoüt, que celles de l’Est vers l’Ouest, et qu’il les faisait sortir d’un continent submergé plus à l’Est que les îles Po- lynésiennes. C’est ainsi que Dieffenbach fait, d’après les tradi- tions, descendre les Néo-Zélandais de l’Est, puis, comme la plupart de ses devanciers, de l’Asie, ainsi que tous les (1) Mémoire sur les îles du grand Océan , 1832, p. 16. (2) Texte du voyage de V Astrolabe, Philologie, t. T, p. 277. LES POLYNESIENS. autres Polynésiens. Enfin, c’est ainsi que Shortland les fait voyager avec non moins de facilité, puisqu’il les fait partir des îles asiatiques, Sumatra, Java, Célèbes, passer d’abord aux Philippines, de là, aux Carolines, aux Mariannes, puis de ces dernières îles aux Sandwich, des îles Sandwich aux Marquises, et, de celles-ci, aux îles de la Société, aux îles Samoa et jusqu’à la Nouvelle-Zélande. Il y a donc, en somme, presque autant d’opinions que d'auteurs : l’on ne s’accorde guère que sur la nécessité des migrations. Cependant, au milieu de ces divergences extrêmes sur l’origine des Polynésiens, on peut distinguer trois théories principalés, abstraction faite, ainsi que nous l’avons déjà dit, de toute hypothèse préjudicielle. La première les fait venir d’un grand continent dont les îles actuelles ne seraient que les débris persistant après une submersion presque totale. D’après la seconde, qui n’a qu’un petit nombre de parti- sans, ils seraient venus de l’Est, c’est-à-dire de l’Améri- que. Enfin la troisième, qui est la plus généralement admise, les fait venir de l’Ouest, c’est-à-dire des îles Malaises ou même de l’Asie. Nous allons essayer de montrer sur quelles bases repo- sent ces théories si directement opposées et, loin d’atténuer les arguments invoqués par leurs auteurs, nous aurons plus d’une fois l’occasion de compléter, de corroborer même leurs assertions particulières, quoiquenous ayons été amené nous-mêmé à ne point admettre les conclusions qu’ils se sont crus autorisés à en tirer. Il est bien entendu que, dans l’étude de ces théories, nous ne mettons pas en question le fait primordial de toute ethno- logie océanienne, celui des migrations des habitants des mers du Sud, d’une île, d’un archipel ou même d’un conti- nent, aux îles ou archipels voisins ; car, ainsi qu’on va le voir, la théorie d’un continent submergé implique, aussi bien que les deux autres, la nécessité des migrations. Plus tard nous aurons, chemin faisant, à accumuler, en les em- LES POLYNÉSIENS. 385 pruntant aux traditions comme à l’histoire ancienne et mo- derne, les preuves sans réplique de ces voyages ; pour le moment, prenant la science telle qu’elle est faite sur ce point dans plusieurs ouvrages, nous nous bornerons : d’une part, à exposer les raisons qui ont conduit ou qui peuvent conduire l’esprit à admettre que les Polynésiens sont venus vers les îles qu’ils occupent, soit d’un continent submergé, soit de l’Amérique, soit de l’Asie ; d’autre part, à aborder la critique de ces arguments. / CHAPITRE PREMIER PREMIÈRE THÉORIE. PROVENANCE D’UN ANCIEN CONTINENT SUBMERGÉ. Faits principaux motivant cette hypothèse. — Examen de l'opinion des savants qui Font soutenue: Quiros ; Buache ; de Brosses; Cook; Dalrymple; Vancouver; les deux Forster; Carli ; Dumont d’Urville Moërenhoüt ; Ellis ; Guillemin ; Beaudichon; de Bovis. — Discussion entre MM. Périer, Broca et de Quatrcfages ; — Brulfert ; Dana; d’Omalius d’PIalloy ; Jules Garnier. — Objections qui rendent inad- missible l’hypothèse d’un ancien continent submergé. On sait qu’on a retrouvé des monuments et des statues plus particulièrement sur les îles qui occupent, vers le Sud, la limite extrême de l’Océanie, c’est-à-dire sur la plupart des îles qui, par leur longue traînée, forment comme la limite méridionale de la Polynésie. Telles sont : l’île de Pâques, par 27°9’ Lat. S. et 111°45’ Long. O ; Pitcairn, 25° et 135°45’ ; Laïvavaï ou Raïvavaï, 23°50’ et 149°55’ ; Lybuaï ou l’île Brougliton, 23°43’ et 151°42’ ; Tubuaï, 23°24’ et 151e 4P, etc. Mais on en a également retrouvé de pareils sur d’autres points de la Polynésie : à Puynipet ou Ascension, qui gît par 7° 7’ Lat. N. et 153° Long. E. ; àTinian, 14°59’ Lat. N. et 143°28’ Long. E., ainsi qu’à Rota, île voisine dans le même groupe des Mariannes ; dans le groupe Hawaii , 19° à 23° Lat. N. et 157° à 159° Long. O. ; à Malden, 4° Lat. S. et 155° Long. O, ; etc. LES POLYNÉSIENS. 387 Sur cette dernière île, basse, coralligène, aujourd’hui in- habitée, existent de nombreuses traces d’anciens habitants. Malgré son peu de hauteur au-dessus de la mer, trente pieds à peine, elle présente sept berges distinctes ou lignes d’eau indiquant des élévations successives depuis sa première émersion de l’Océan. Le capitaine Goddard, qui la visita en 1861, y trouva plus de cent plates-formes figurant une croix et entourées de corail ; il y remarqua aussi d’autres constructions consistant en trois blocs de corail plantés de- bout avec un quatrième placé au sommet, le tout ressem- blant à un de nos dolmens. Il examina également une trentaine de puits creusés dans, le corail à une profondeur de 6 à 9 pieds ; ils étaient a sec ou ne contenaient qu’un peu d’eau salée. Enfin il vit un grand nombre de fosses profon- des renfermant des os humains. Comment une population un peu forte a-t-elle pu se trouver réduite à vivre sur une île aussi petite ? On rencontre aussi a Hawaii des monuments semblables formés de trois pierres debout recouvertes d’une quatrième et atteignant une hauteur de 3 à 4 pieds. Ils sont placés à côté d’une ancienne route en lave parfaitement conservée, bordée de chaque côté par une rangée de pierres, et attribuée à U mi qui régnait, dit-on, il y a 500 ans environ. Quoi qu’il en soit, quand on remarque que c’est surtout dans les îles les plus Sud de l’Océan Pacifique que l’on a rencontré les curieux monuments dont ont parlé les anciens navigateurs ; quand on observe que ces îles sont presque toutes placées sur une même ligne Est-Ouest et que leur base est appuyée sur une longue chaîne sous marine, s’é- tendant jusqu’au continent américain, ainsi que le prouve la coïncidence des secousses de tremblements de terre res- senties simultanément dans ces îles et en Amérique (1) ; quand on voit, par la comparaison des divers dialectes de (1) Cette coïncidence est attestée par les relations des voyageurs et des missionnaires ; les grands tremblements de terre de 1828, 1835, 1868 et 1877, qui ébranlèrent les côtes du Chili et du Pérou, eurent leur contre-coupjusqu’en Calédonie, aux Sandwich et au Japon. 388 LES POLYNÉSIENS. là Polynésie, que ceux des îles appartenant à cette grande chaîne sous-marine sont les plus purs et que les popula- tions elles-mêmes sont les moins mélangées ; quand on tient compte de l’éloignement des continents asiatique et américain et surtout de la direction habituelle des vents, etc., on comprend parfaitement que l’idée soit venue à beau- coup d’écrivains de supposer l’ancienne existence, à la place même ou à peu de distance des îles polynésiennes, d’un vaste continent, englouti à la suite d’une catastrophe quel- conque. Ce fut l’hypothèse soutenue par Buache, Forster, Carli, Moërenhoüt et autres ; ce fut même la première hypothèse soutenue, tant il parut d’abord difficile d’admettre que les îles Polynésiennes avaient pu recevoir leurs habitants de contrées aussi éloignées que l’Amérique et l’Asie. D’Urville lui-même finit par l’adopter. Quelques savants modernes la défendirent également ; mais elle fut combattue par d’au- tres avec tant de succès qu’on ne peut plus guère aujour- d’hui la considérer que comme une hypothèse ingénieuse, mais insuffisante. Queiros (1) doit être considéré comme le premier qui ait cru pouvoir affirmer l’existence d’un continent méridional dans le S-E., le S. S. O. et même l’Q. des Marquises. * Qui- ros, dit Dalrymple (2), était persuadé, avant son expédition de 1606, de l’existence d’un continent méridional : les mé- moires qu’il présenta à D. Luis de Yelasco ne permettent pas d’en douter. Ce continent fut le grand objet de son voyage. » C’est dans les mémoires* adressés par lui à Don Luis de Yelasco, gouverneur du Pérou, et au roi Philippe III, à son retour du voyage de Mendana, que l’on trouve, pour la pre- mière fois, une discussion savante sur l’existence de ce con- (1) On écrit ordinairement Quiros, mais l’orthographe véritable du nom de cet explorateur est Queiros. Voir à ce sujet les recher- ches de M. Ferdinand Denis. (Mémoire particulier , extrait du Musée Pittoresque). (2) Trad, de Fréville, p. 395. I LES POLYNÉSIENS. 389 tinent. Voici ce qu’on lit dans un de ses rapports (1) : « Le général Alvarez de Mendanà, faisant voile en 1595 vers les îles Salomon, découvrit un groupe de quatre petites îles où le peuple était d’un si bon caractère qu’on n’en avait jamais rencontré de semblable. Ces îles sont les Marquises de Mendoce, par la latitude de 9 à 10 degrés. Elles sont iso- lées de toute autre terre. a Dans ces îles, les vents soufflent toujours de l’Est, et, par cette raison, pour aller des Marquises au Pérou et à la Nouvelle -Espagne, il est nécessaire de courir au Nord et au Sud, jusqu’au delà du tropique, pour trouver des vents favorables. « Ces raisons, outre celles qu’on pourrait ajouter, m’enga- gent à dire que ces îles n’ont jamais pu avoir de communi- cation avec le Pérou et le Mexique, encore moins avec la Nouvelle-Guinée ou les Philippines, les vents étant con- traires pour aller de ces deux contrées jusqu’ici. « Mais si les embarcations de ces peuples ne sont propres qu’à de petits voyages, de quelle façon ont-ils donc pu s’y rendre pour aller dans des lieux si ignorés ? La plus vrai- semblable c’est que, lorsqu’ils sortent d’un endroit d’où ils ne voient pas la terre, ils côtoient celle d’où ils partent jus- qu’à ce qu’ils aperçoivent celle où ils veulent aller, etc. » Et il répète qu’ils sont incapables de faire des voyages de long cours. Il ajoute plus loin : « On peut encore faire attention que ces quatre îles sont petites et que les grandes peuvent à peine contenir leurs habitants. De sorte qu’il s’en détache de temps à autres qui vont chercher d’autres îles où ils puissent vivre avec plus de commodité, sans parler de ce que souvent ils se séparent à cause de leurs divisions intestines. » Ainsi qu’on peut le remarquer, ce qui précède signalait déjà parfaitement les principales causes des mi- grations. (1) Histoire des navigations aux terres Australes , par le prési- dent de Brosses. 1756, 1er vol. p. 306 et suiv. — Voyez aussi Dalrymple, trad. abrégée de Fréville, p. 208, et Rochon, Voyage aux Indes , Paris, 1807, p. 273. 390 LES POLYNÉSIENS. « Cependant, dit Queiros dans son rapport, on voit, parmi les insulaires, des blancs, des noirs et quelques mulâtres. Cette diversité de couleurs indique qu’ils ont eu des com- munications avec d’autres pays. Aussi faut-il conjecturer qu’au Sud-Est, au Sud, au Sud-Ouest et même jusqu’à l’Ouest, il y a d’autres îles qui se suivent de proche en proche, ou une terre ferme, qui s’étend jusqu’à la Nou- velle-Guinée, peut-être jusqu’au voisinage des Philip- pines, ou au contraire jusqu’à celui de la terre au Sud du détroit de Magellan, puisqu’il n’y a pas d’autres lieux con- nus d’où les peuples qui habitent ces îles puissent être venus, à moins qu’on ne veuille soutenir qu’ils ont été par- ticulièrement créés; » et, dit-il ailleurs, « puisqu’on ne con- naît aucun endroit par où ces îles aient pu se peupler sans miracle. De quelque côté qu’on les suppose partis, il fau- dra nécessairement admettre une chaîne d’îles ou un conti- nent. » Si la logique du navigateur espagnol n’est pas très sa- tisfaisante, ainsi que le fait remarquer le savant Rochon (1), il n’est pourtant pas moins vrai qu’elle est on ne peut plus remarquable pour l’époque où le hardi et habile marin a traité un sujet qui a si longtemps égaré les physiciens, et sur lequel, peut-être, tout le monde ne s’accorde pas aujourd’hui. On sait que Quiros croyait avoir retrouvé une partie du « continent inconnu » dans la Tierra ciel E'spiritu Santo , découverte par lui, puis appelée plus tard Grandes Cyclades et Nouvelles-Hébrides par Bougainville et Cook, qui démontrèrent que ce n’était qu’une réunion d’îles. Il était convaincu que cette terre, qu’il dénomma également, pour la première fois, Terre Australe, et qui gît par 14°40’ à 15°42’ L.S. et par 164°7 à loi°55’ Long\ E., occupait un espace aussi étendu que celui qui sépare l’Espagne de la Grande- Tartarie (2). Il est évident toutefois que ce n’était, de sa part, qu’une supposition, puisque son itinéraire ne lui avait pas fourni l’occasion de s’en assurer. S’il insistait tant sur l’éten- (1) Voyage aux Indes-Orientales , p. 274. (2) Mémoire au roi d'Espagne , de Brosses, 1. 1, p. 308 et 335, LES POLYNÉSIENS. 391 due de ses découvertes, c’était bien probablement pour por- ter Philippe III à lui accorder la faveur, si longtemps et vai- nement sollicitée, d’aller coloniser son île du St-Esprit qui, d’après lui, était le plus beau pays du monde (1). Ainsi Queiros admettait, au moins vers le Sud, Inexistence d’un Continent ; et cette croyance 'devait être assez répan- due, puisque c’était aussi, au rapport d’Arias, celle des compagnons du navigateur espagnol, pendant son dernier voyage avec Torrès, en 1606. Comme les paroles d’Arias montrent deux choses impor- tantes : la première combien déjà les connaissances théori- ques de Queiros et de Torrès étaient avancées ; la seconde que le chef de l’expédition était bien Queiros, contrairement à ce que beaucoup d’auteurs ont dit, nous croyons utile de les citer ici : « Les compagnons de Queiros et particulière- ment Luis Yaez de Torrès, le pressèrent de faire voile vers le 40e parallèle austral (é) où il était probable qu’on trouverait le continent qu’on cherchait. Queiros crut avoir des raisons de se refuser à ces instances ; il craignait surtout les gros temps et d’être obligé de lutter continuellement contre les vents forcés, car le soleil déclinait déjà vers l’équateur. Mais, en cela, il reconnut qu’il avait fait une faute » (3). Ce fut en vain que, pendant longtemps, on chercha à dé- couvrir le continent admis par Queiros, la « Terre Australe inconnue» des écrivains ; il faut arriver jusqu’en 1753, pour voir un célèbre géographe français soutenir scientifique- ment l’existence de ce continent. Convaincu de sa nécessité* Buache émit même alors l’opinion que le continent « non encore trouvé », devait avoir occupé l’emplacement des îles actuelles de la Polynésie. Pour le prouver, il présenta, (1) Deux siècles plus tard, Forster, après avoir visité cette île, déclara, lui aussi, qu’elle est l’un des plus beaux pays du globe* Il n’avait toutefois pas vu les Samoa. (2) On sait que c’est sur ce parallèle que se trouve la grande terre qui devait être découverte par Tasman, en 1642, et appelée par lui Staten Land , et plus tard Nouvelle-Zélande, on ne sait par qui le premier. (3) Mémorial d’ Arias , trad. de Dalrymple, in-40.— Edimburg. 1773; LES POLYNESIENS. en 1744, à l’Académie des sciences, une carte sur laquelle était tracée la suite des montagnes subaquées indiquant le vaste continent qu’il supposait avoir été absorbé par la mer de cette partie du monde. Sur cette carte il indiquait la prolongation des monts se dirigeant vers Tahiti (1). Buache, d’après cela, doit donc être considéré comme ayant, le premier, émis l’opinion qui, reprise plus tard par Forster et d’Urville entre autres, a été à tort attribuée à ces derniers. Ainsi que tant d’autres géographes l’ont fait de- puis lui, il croyait à une grande catastrophe produite par la grande mer. Après Buache, le président de Brosses partagea cette ma- nière de voir, car on lit, à la suite d’un mémoire de Queiros cité par lui, les quelques lignes suivantes qui ne permettent pas d’en douter (2) : « Remarquons combien il est surprenant qu’au centre même d’une si vaste mer, il se trouve un si grand nombre d’iles, et presque toutes petites. A peine y en a-t-il quel- ques-unes d’une étendue considérable. La plupart n’ont que depuis quatre à six ou huit lieues de tour, et le nombre de celles qui sont moindres est infini. De plus, on en voit une quantité qui sont noyées dans le milieu et qui ne sortent de 1a. mer que par leurs bords élevés en circuit comme autant de chaussées. On saura par expérience un jour si la mer em- piète sur les terres en ces parages, ou si elle commence à s’en retirer, car on ne peut guère s’empêcher de regarder cette longue chaîne d’îles, rangées à la file, comme un mon- de perdu dont on n’aperçoit plus que les sommités, le sur- plus se trouvant enseveli sous les eaux, depuis la dernière révolution arrivée à notre planète ; et cela est d’autant plus vraisemblable que les galions de Manille allant à la foire d’Acapulco trouvent souvent le fond avec la sonde en plein Océan, loin de la vue de toute terre. » (1) Considérations géographiques et physiques sur ce que la carte des nouvelles découvertes, au Nord de la mer du Sud , offre de plus particulier , par Philippe Buache. — Paris, in-4°, 1753. (2) De Brosses, ouvrage cité, t. II, p. 353. • LES POLYNÉSIENS. 393 On sait, du reste, qu’à l’époque de Cook, cette croyance en l’existence d’un continent était généralement adoptée par les géographes ; ils la fondaient sur la nécessité de conserver l’équilibre entre les deux hémisphères ; ils s’appuyaient en outre sur la nature des vents qui régnent dans la mer Paci- fique, et sur les signes peu équivoques du voisinage des terres, aperçus par les différents navigateurs qui avaient traversé la mer du Sud. On y croyait si bien, en effet, que de Kerguelen n’entre- prit son voyage en 1770 que pour aller à la recherche de ce continent, que les géographes et les savants soutenaient exister. Mais à cette époque on ignorait encore que la Nou- velle-Zélande n’était qu’une terre composée de deux îles principales ; on croyait qu’elle n’était qu’une partie du continent austral, et ce ne fut même que cette année-là, que Cook put reconnaître qu’elle se composait au moins de deux grandes îles séparées par un canal navigable. La Nouvelle-Zélande, en effet, fut vue par lui, pour la première fois, le 6 octobre 1769 ; il contourna l’île Sud et s’assura, en février 1770, qu’elle est séparée de l’île Nord par un détroit. Ses officiers crurent découvrir la Terra aus - tralis incognito, . Le voyage de Marion lui-même, comme l’apprend Crozet (1), avait pour but principal de s’avancer assez dans le Sud pour tenter de découvrir les îles ou le continent qui devaient se trouver dans cette partie australe de notre globe. Voici quelles étaient les idées de Crozet à ce sujet (2) : « Il a peut-être été un temps, disait-il, où la Nouvelle- Zélande communiquait à l’île Taïty, qui est aujourd'hui séparée par une mer sans fond de plus de 600 lieues d’éten- (1) Rochon, Voyage aux Indes-Orientales, p. 3, 1807. Marion fut massacré par les indigènes le 12 juin 1772. Crozet était son second sur le Mascarin ; à la mort de Marion-Dufrène, le chevalier du Clesmeur, capitaine du Castries , prit le commandement des navires, et Crozet devint capitaine du Mascarin au retour. (2) Nouveau voyage à la mer du Sud , d’après les plans et journaux de Crozet, par le citoyen Rochon, 1783, p. 140. 20. 394 LES POLYNÉSIENS. due. Nous avons trouvé à la Nouvelle-Zélande la langue de Taïty, avec quelque différence seulement dans un petit nom- bre de mots, et il y a beaucoup de conformité entre ces deux peuples aujourd’hui séparés. Je ne serais même pas éloigné de croire que c’est par la Nouvelle-Zélande, par les terres australes et par les îles de la mer du Sud, que l’Amérique a été peuplée ; je trouve une conformité frappante entre les mœurs et les coutumes des sauvages de ces différentes par- ties du globe : mêmes hommes, presque imberbes, anthro- pophages, mêmes armes, mêmes outils, même forme d’ha- billement, de logements, de canots, même indifférence pour les femmes, même usage de les asservir à tous les travaux les plus pénibles. Qui connaîtrait bien les langues des uns et des autres, y trouverait peut-être beaucoup d’analogies. » Et comme on pourrait croire qu’il n’entendait parler que de communications par mer, nous ajouterons les quelques lignes suivantes qui ne permettent pas de conserver le moin- dre doute (1): « Ce n’est pas sans raison que les insulaires de Taïty et les sauvages de la Nouvelle-Zélande s’accordent à nommer la divinité « Celui qui secoue la terre.» Des peuples aussi éloignés et sans navigation ne parlent le même langage, que parce qu’ils étaient autrefois un même peuple et habi- taient peut-être un même continent, dont les secousses des volcans n’ont épargné que les montagnes et leurs sauvages habitants, qui, par la communication autrefois très facile entre eux, se sont trouvés mêlés de blancs et de nègres. » Enfin il ajoutait (2) : « Je ne serais pas étonné que les navi- gateurs, qui sont actuellement occupés à la découverte d’un continent austral, n’y trouvassent, jusqu’au pôle antarcti- que, que des îles, des sommets de montagnes, échappés aux secousses des volcans et séparés par leurs explosions des plaines qui les environnaient peut-être autrefois : ils y trouveront sûrement des peuples absolument semblables à ceux délia Nouvelle-Zélande. » Dernière assertion vraiment prophétique, comme on le verra par tout ce que nous dirons. (1) Ouvr. cité, p. 158. (2) Ouvr. citdj p. 155. LES POLYNÉSIENS. 395 Cook lui-même, dans son second voyage de 1772, avait «• pour but principal de faire cesser l’incertitude où l’on était sur l’existence d’un continent Sud. Il entreprit ce voyage sur la Résolution et U Aventure, avec les deux Forster et Spar- man pour naturalistes. La plus haute latitude atteinte fut 71° 10’ L. S. et 116° 54’ Long. O. Sa première tentative fut faite en février et sa deuxième en novembre 1773. Cook prouva que les terres vues par Tasman, Juan Fernandez, Quiros et Roggeween, n’étaient que des îles, et il vérifia que ni la Nouvelle-Zélande ni la Nouvelle-Hollande ne font partie du continent austral. On peut néanmoins supposer que, jusqu’à ce voyage, il n* avait eu d’autre opinion que celle qui était à peu près gé- nérale. Yoici, en effet, ce qu’on lit dans la relation de son premier voyage, à l’occasion de Tahiti (1) : « Il nous paraît évident que les rochers d'Otaheite comme ceux de Madère avaient été brûlés... On aperçoit aussi les traces du feu dans l’argile qui est sur les collines, et l’on peut supposer avec raison qu’Otaheite et les îles voisines sont les débris d’un continent que quelques naturalistes ont cru nécessaire dans cette partie du globe, pour y conserver l’équilibre de ses parties, après qu’il eût été englouti sous la mer par l’explo- sion d’un feu souterrain. » Avec raison ! disait-il alors ; mais après ses tentatives in- complètes et infructueuses, il n’hésitapas à nier la possibi- lité d’un grand continent austral, tandis que cette opinion était, au contraire, soutenue par Dalrymple qui, pour n’avoir pas voulu partir sans avoir une commission d’officier de ma- rine, s’était vu remplacé par Cook dans le commandement de Y Endeavour. C’est alors que Cook écrivit que l’existence d’un continent austral n’était qu’une conjecture sans fonde- ment de Dalrymple et que sa navigation ruinait toutes les raisons alléguées en faveur de ce continent pour conserver l’équilibre entre les deux hémisphères. Cette opinion devint bientôt générale et fut partagée, en- (1) Premier Voyage (1768), rédigé par Hawkesworth. — Londres.) 1773, trad. par Smith, p. 107. 396 LES POLYNÉSIENS. tre autres, par de Fréville, le traducteur de Dalrymple, par Castera, le traducteur de la vie de Cook, par Vancouver, compagnon de Cook dans son second voyage, etc. Voici la sortie que fit ce dernier, à propos de ce continent (1) : « Cependant l’enthousiasme de la moderne philosophie de cabinet, avide de se venger de la réfutation de son système erroné, ne craignit pas d’accuser le capitaine Cook de l’a- voir rejeté sans examen; et, le rangeant parmi les coureurs de pelleteries, elle osa le citer lui-même à l’appui des con- jectures insensées quelle avait hasardées. Mais les travaux de ce navigateur forment un monument qui atteste son zèle passionné pour les découvertes, non moins que sa grande habileté, et qui subsistera aussi longtemps que la science obtiendra les hommages des humains. » Castéra écrivit, de son côté (2) : * Cook a détruit les espé- rances que l’on s’était formées à l’égard d’un continent et prouvé que les terres vues par Tasinan, Juan Fernandez, l’Hennitte, Quiros, Roggeween, ne font pas partie de ce con- tinent. Il a également détruit les raisonnements de ces théo- riciens qui prétendaient qu’un continent Sud était nécessaire au maintien de l’équilibre entre les deux hémisphères. » « Il a prouvé de la manière la plus certaine, dit-il plus haut (3), que, dans l’immensité de l’Océan Pacifique, il n’existe point, ce continent austral que plusieurs savants croyaient nécessaire à l’équilibre du globe, ou que du moins, s’il existe, il est caché sous les glaces du pôle Sud et sans doute inac- cessible à jamais. » Castera disait vrai, il était caché sous les glaces du pôle, mais il existait et on i’a atteint. Cook se trompait donc évidemment en tranchant ainsi si hâtivement la question, puisque l’expérience devait si tôt donner raison à son antagoniste Dalrymple. Ce n’était pas, en effet, à l’immortel Cook qu’était, ainsi qu’on n’a cessé de le dire depuis Rochon (4), réservé de (1) Voyage de Découvertes , 1793, trad. p. 7. (2) Vie de Cook , p. 96. (3) Ouv. cité, Préface, p. 5. (4) Voyage aux Indes , 1807, p. 275. LES POLYNÉSIENS. 397 résoudre la question du continent austral, mais bien à Dumont d’Urville d’abord et, presque en même temps ou peu de temps après, à Wilkes, Ross et quelques autres. Nous ferons remarquer ici que cette question n’est pas encore par- faitement résolue et que, depuis l’expédition du Challenger , on croit que cette partie du globe ne doit pas être occupée par un continent unique, mais plus probablement par des îles. « Toutes les recherches faites jusqu’à présent concourent à nous faire penser, dit sir G. Wyville Thomson, que la zone d’environ 12 millions de kilomètres carrés, encore inexplorée autour du pôle Sud, n’est pas un continent antarctique con- tinu, mais se compose bien plus probablement d’une par- tie continentale relativement peu élevée et ensuite d’un amas d’îles continentales reliées ensemble et couvertes par une calotte de glace d’environ 400 mètres d’épaisseur (1). » Loin départager l’opinion de Cook après sa recherche vai- ne d'un continent austral, les deux Forster, ses compagnons de voyage, persistèrent, comme Buache et Dalrymple, dans leur croyance en l’existence de ce continent, et l’on put lire bientôt dans le livre publié par Reynold Forster père, que les îles hautes de la Polynésie, n’étaient que les restes de ce continent submergé, qui anciennement avait communiqué avec l’Asie et en avait tiré sa population (2). Ce continent d’après le savant naturaliste philosophe, aurait disparu en s’affaissant, et les plus hautes montagnes seraient seules restées au-dessus des eaux pour y constituer les îles actuel- les qui, à l’époque du cataclysme, auraient servi de refuge à une portion des habitants primitifs. Ce seraient enfin ces mêmes habitants qui, restant retenus chacun dans leurs points de refuge, auraient été la souche des populations po- lynésiennes. On voit que, comme Buache, R. Forster admettait que l’O- céanie avait éprouvé une catastrophe pareille à celle qui a été décrite par Sénèque, à l’occasion de la séparation de l’Eu- (1) Association Britannique pour V avancement des sciences. Con- grès de Dublin, in Revue Scientifique,! novembre 1878, p. 429. (2) Reynold Forster s observations , etc., in-4°, 1778» 398 LES POLYNESIENS, rope et de l’Afrique (1), pareille également à celle du déluge universel, si l’on s’en rapporte seulement au fameux tableau de Guérin, la Malédiction de Caïn : car, à part les troupeaux poussés en avant, c’est, en effet, bien probablement de la sorte que se seraient passés les faits en Océanie, comme ail- leurs, à la suite d’un déluge. On remarquera aussi qu’il admettait d’anciennes commu- nications avec l’Asie, afin d’expliquer le peuplement de ce continent, avant qu’il ne fut submergé ; à ce titre, R. Fors- ter n’était en somme qu’un partisan de l’origine asiatique ou biblique, de même que son fils dont nous ferons connaître les idées, quand nous aborderons l’étude de cette théorie. Il résulte donc, de ce que nous avons dit précédemment, que l’hypothèse d’un continent submergé n’appartient pas en propre à Reynold Forster, ainsi qu’on ne cesse de le répéter, puisque telle était l’opinion de Buache une ving- taine d’années auparavant. Mais s’il passe à tort pour avoir été le premier à l’émettre, il est néanmoins l’un de ceux qui ont le plus contribué à la répandre. C’est depuis les F orsteiq que la plupart des ethnologues ont admis que les îles Polynésiennes ne sont que les cimes de montagnes submergées. Cette opinion a été partagée par les plus compétents, et elle était dernièrement encore celle de M. Cuzent, pharmacien de la marine (2). « Tout indique, dit-il, que la majeure partie des îles de l’Océanie sont les vestiges d’un vaste continent, et on doit les consi- dérer comme les sommets d’anciens volcans ou des plus (1) « Les hommes, dit-il, se sauvèrent avec leurs femmes et leurs enfants sur les lieux les plus hauts, chassant devant eux leurs troupeaux. Tout commerce, tout passage fut interrompu entre les infortunes qui restèrent, les uns d’un côté, les autres de l’autre. L’onde couvrit tous les lieux inclinés et les malheureux restes du genre humain s’attachaient aux cimes les plus élevées pour s’arra- cher à la mort... Voilà l’époque de ces îles, quf ne sont que la pointe des monts qui augmentent le nombre des Cyclades. » Quest. Natur . liv. 3, p. 27. - ' * (2) Tahiti , etc., Rochefort 1830, p. 15, et Bulletins de la Société d'anthropologie , 1830, p. 458, LES POLYNÉSIENS. 399 hautes montagnes de cette époque. » Telle semblait être également l’opinion des Polynésiens eux-mêmes, car il existe, dans les îles de la Société, une tradition d’après la- quelle ces îles ont été produites lorsque Maui traînait, de l’Ouest à l’Est, à travers l’Océan, une grande terre, dont elles ne sont que des morceaux détachés pendant la route et laissés au milieu des flots. Ce fut même cette tradition qui porta Forster à conclure « que les insulaires conservaient l’idée d’une grande révolution, et que leur pays faisait peut- être partie jadis de ce continent, détruit par des tremble- ments de terre et une inondation violente. » O11 verra plus tard, en effet, que les Tahitiens croyaient en un déluge auquel aurait échappé seulement une famille choisie ; mais on verra aussi qu’on ne sait même pas aujourd’hui si cette tradition a voulu parler de l’eau de la mer,, recouvrant le continent, affaissé ou non, ou seulement de grandes pluies diluviennes ; car plusieurs autres traditions semblent indiquer qu’on n’a conservé que le souvenir de ces der- nières (1). Après Forster, et peut-être plus encore que lui, le comte J. R. Carli, dans ses Lettres américaines publiées en 1788, a contribué à répandre cette hypothèse en l’étayant de son immense érudition. L’auteur, après avoir montré l’analogie du langage, qui prouve que les Tahitiens et les Néo-Zélandais n’ont fait qu’un même peuple, et après avoir établi que les uns n’ont pu communiquer par mer avec les autres, ne voyait pas de meilleur moyen, pour expliquer leur identité, que de sup- poser l’existence, entre la Nouvelle-Zélande et Tahiti, d’un ancien continent non interrompu qui avait permis les rap- ports directs avant la submersion. Yoici ce qu’il dit à ce sujet (2) : « Depuis quand ces terres ont-elles été séparées ? Par quelle révolution ? Sans doute elle fut générale dans les * (t) Voir Ellis, p. 58, 62, et particulièrement ce que nous dirons à ce sujet à la Théorie de l'origine américaine , ch. II. (2) Lettres américaines , etc., 2 vol. in-80, Boston, 1788, traduit par Lefèvre de Yillebrune, Paris, Buisson, p. 248, t. II, 400 LES POLYNÉSIENS. espaces immenses du Sud. Il n’en est pas moins certain que les habitants formaient un même peuple à leur origine, et qu’ils devaient occuper une grande étendue de pays, en y comprenant les îles dernièrement découvertes. La Nou- velle-Hollande, au contraire, qui, selon les mesures exactes de Cook, n’est qu’à 780 milles environ de la Nouvelle- Zélande, a un langage bien différent ; ce qui prouve que ces peuples ne sont pas de la même origine que ceux dont nous venons de parler. « On voit donc, par ce parallèle, qu’il y a eu probablement un continent non interrompu entre la Nouvelle-Zélande et Tahiti (1), et qu’au contraire la Nouvelle-Zélande et la Nou- velle-Hollande ont été séparées, avant la submersion, par un bras de mer ou un golfe qui empêchait toute communi- cation entre elles. En effet, on ne trouve aucune île entre ces deux dernières terres et l’on navigue continuellement sur une mer très-profonde. Mais les voyageurs ont trouvé plusieurs îles au-dessus de la Nouvelle-Zélande, qui parais- sent à différents intervalles en continuant jusqu’à Tahiti : telles sont Rotterdam, Amsterdam, Middelbourg, etc. Ceci semble donc montrer qu’il y avait, avant la submersion, une chaîne de monts et de terrains moyennant lesquels les peu- ples de Tahiti et ceux de la Nouvelle-Zélande avaient une liaison directe. « Cette idée, ajoute-t-il plus loin, paraîtra encore mieux fondée si l’on réfléchit que les Tahitiens et les Zélandais n’ont jamais pu communiquer entre eux par mer, ni fournir par cette voie aucune preuve d’affinité (2 j, et qu’il est aussi démontré, tant par les observations physiques de Buache (1) On verra un peu plus loin M. de Bovis s’emparer de cette idée d’un continent ou d’îles jointes ensemble. (2; Il avait dit précédemment, p. 246 : « Les peuples de ces deux pays n’ont que des canots ou de petites barques qu’on ne peut comparer à nos vaisseaux. Ainsi l’on ne me persuadera jamais qu’ils aient usé de ce moyen pour franchir sur les flots cet espace immense, 43«, et qu’ils aient eu, par cette voie, quelques commu- nications entre eux* Ils n’ont donc jamais passé d’un pays à l’autre par la mer. LES POLYNÉSIENS. 401 que par celles de Cook, de Banks et Solander, que ce vaste trajet se trouvait auparavant à sec, comme le bassin de la mer Atlantique et de la Méditerranée. « Ainsi nous présumerons avec raison que les peuples de Tahiti, de la Nouvelle-Zélande, de même que les Tar tares, les Chinois, d’une part, et de l’autre, les Mexicains et les peuples du Midi, ont pu passer les uns chez les autres par la voie des pays intermédiaires, et se répandre ainsi, en plus ou moins grand nombre, dans différentes parties de l’Asie, de l’Europe, de l’Afrique et de l’Amérique. » Enfin, frappé de l’analog'ie des statues de l’île de Pâques qui, selon lui, représentaient les anciens princes ou Ariki , avec celles des Péruviens, de même que de l’analogie de la langue de cette île avec celle de Tahiti, il supposait que ces statues avaient été érigées par des peuples plus cultivés que les habitants actuels, et qui avaient été submergés en même temps que le continent dont, sans doute, pour lui, cette île elle-même n’était qu’un reste. La raison qu’il donnait de l’impossibilité d’arriver à cette île par mer, parce que les habitants n’avaient que des canots à peine capables de con- tenir quatre hommes, n’était guère légitime, mais elle était néanmoins remarquable pour l’époque, puisque Carli n’avait guère alors, pour asseoir son opinion, que les quelques ana- logies de langue et de religion, reconnues par Tupaia, et les renseignements de Bougainville sur Tahiti. Certes, avec de pareilles données, il était difficile de mieux dire. Nous ne chercherons pas ici à réfuter les assertions de Carli touchant les rapports qu’il admettait entre les Nou- veaux-Zélandais, les Tartares, etc. Il était partisan de l’ori- gine asiatique des Océaniens, de même qu’il croyait que l’Asie avait peuplé l’Amérique. Nous reviendrons ailleurs sur cette théorie. Mais il cite, à l’appui de son système, un fait qui serait digne d’être remarqué, s’il n’était peut-être pas tout simplement l’une de ces croyances que l’on re- trouve chez presque tous les peuples. Il rapporte que « les Chinois savaient, par une très ancienne et constante tradition, que la mer avait englouti, il y a longtemps, un pays im - mense dans cette partie du monde. # ( 402 LES POLYNÉSIENS. Suivant le comte Carli, cet effondrement de l’Océanie ou du continent austral aurait eu lieu lors de la grande sub- mersion qui partagea presque complètement la surface du gdobe en quatre continents, c’est-à-dire du temps de l’Her- cule Egyptien, « qui n’est, dit-il, que le déluge d’Ogygès, déluge postérieur au déluge universel et qui peut être fixé avec assez de probabilité à l’an 4000 avant notre ère. » Il pense que cette submersion aurait précédé celle de la Mé- diterranée et de l’Adriatique parce que, ajoute-t-il, « les coraux sont petits dans ces deux bassins et fort avant sous les eaux, au lieu que, dans les mers du Sud, toutes les îles sont environnées d’écueils immenses formés par les coraux qui s’élèvent jusqu’à la surface de la mer et les surpassent même de quinze pieds et davantage, malgré son extrême profondeur.» Cette dernière observation, pour n’être pas exacte, est au moins fort originale. A l’époque où elle a été faite elle devait être d’un grand poids en faveur de l’hypo- thèse soutenue par le savant érudit ; c’est même pour cela que nous avons cru devoir la citer. Pour le comte Carli, c’est la mer qui, en se soulevant, aurait noyé toutes les terres basses etn’ aurait laissé émerger au-dessus d’elle que les sommets les plus élevés. Cette hypothèse a longtemps été la seule admise ; elle l’est même encore par quelques savants ; mais elle est généralement remplacée aujourd’hui par la croyance en un affaissement partiel du sol et en la formation par soulèvement des îles polynésiennes élevées. Cette hypothèse, du reste, est la seule qui permette d’expliquer d’une manière satisfaisante et la formation des îles de corail, et l’existence presque certaine du corail à des hauteurs très grandes et jusqu’au sommet des plus hautes montagnes. Enfin Carli ne croyait qu’à une submersion partielle ; il supposait que l’Océan submergea autrefois notre hémisphère par suite de la variation de l’axe de la terre, et que, corréla- tivement, l’hémisphère austral était à sec et se trouvait être alors le séjour de la nature animée sur la surface du globe. En somme, les idées du comte Carli, sur l’existence d’un ancien continent non interrompu entre la Nouvelle-Zélande LES POLYNESIENS. 403 et Tahiti, diffèrent quelque peu, tout en les complétant, de celles de Forster. Carli, n’admettant pas la possibilité des communications par mer depuis la submersion, n’avait, en effet, que ce moyen d’expliquer l’identité des deux peuples. Mais ce qui, à notre avis, est surtout h remarquer, c’est ce qu’il dit de la séparation de la Nouvelle-Zélande et de la Nouvelle -Hollande, avant la submersion admise par lui. Il ne fallait rien moins que son immense savoir pour deviner, à son époque, la distinction que la faune et la flore sont venues établir depuis entre ces deux contrées. Quant à la supposition du passage des différents peuples les uns chez les autres, on sait quelle n’est pas soutenable, et nous ferons voir bientôt que celle relative aux statues trouvées sur l’île de Pâques, n’était probablement pas plus fondée. Néanmoins, il appuyait cette conjecture de raisons telles, qu’on s’explique parfaitement la croyance, un instant générale, que les monuments et les statues de l’île de Pâques avaient été érigés par un peuple plus cultivé que celui rencontré par les premiers navigateurs européens. Ce fut cette hypothèse d’un continent submergé que dTJrville soutint, à son tour, après avoir d’abord admis, dans son Mémoire sur les îles du Grand-Océan, que les Polynésiens étaient arrivés de l’Occident, et même de l’Asie, mais sans croire pour cela qu’ils fussent des Ma- lais (lj. On sait qu’il émit cette hypothèse en 1834 (2) et que, tout en persistant à considérer les Polynésiens et les Malais comme bien distincts, il se rallia complètement alors à l’opinion (1) Mémoire , etc. 1831, p. 16. « Il en est de même, dit-il, des conséquences que divers voyageurs ont tirées des rapports observés entre les Polynésiens et les Malais. Sans aucun doute, ces deux nations ont eu jadis des relations ensemble. De longues recher- ches nous ont fait découvrir environ 6o mots, qui sont évidemment communs entre les deux langues, et c’est assez pour attester d’anciennes communications. Mais il y a trop de différence dans les rapports physiques pour qu’on puisse supposer que les Polyné- siens ne soient qu’une colonie malaise. » Philologie du voyage de Y Astrolabe. 404 LES POLYNÉSIENS. de Reynold Forster, et fixa le point de départ des premiers dans un continent disparu. Voici, en effet, ses paroles (1) : « Maintenant examinons quelle sera l'hypothèse la plus vraisemblable touchant les terres que l’espèce humaine a dû occuper la première dans la Polynésie, et touchant la direction qu’elle a dû suivre dans les migrations. « La vaste étendue des terres de la Nouvelle-Zélande, leur situation sous un climat tempéré, la force et la vigueur de la race qui les habite, pourraient d'abord donner lieu de pen- ser que ce fut là le berceau, ou du moins la première station delà race polynésienne ; mais, des considérations puissantes obligent de repousser cette hypothèse, etc. (2). « Tons ces motifs nous portent donc à considérer la Nou- velle-Zélande comme la dernière des terres de l’Océanie occupée par la race polynésienne. » Et il ajoute, quelques pages plus loin (3) : « Ne serait-il pas plus simple de supposer qu’un continent ou grande île comme l’Australie dut jadis occuper une portion de l’Océanie, habitée par un peuple dont les tribus polyné- siennes ne sont que des débris échappés à quelque gTande convulsion du globe ? « La langue malaise elle-même n’aurait dû les mots po- lynésiens qu’on y rencontre, qu’aux colonies que les îles malaises auraient pu, sans peine, recevoir du continent polynésien avec le cours habituel des vents alisés. » Comme on le voit, c’était bien l’hypothèse de R. Forster qu’adoptait alors d’Urville, puisque, pour Forster, la Poly- nésie était le reste d’un ancien continent, qui avait commu- niqué jadis avec l’Asie et en avait tiré sa population. Et ce qui montre que c’était absolument la même manière de voir, c’est qu’il avait déjà écrit dans le texte de son voyage, qui (1) Philologie, t. I, p. 277. (2) Nous montrerons, quand nous en serons àla Nouvelle-Zélande, que ces considérations n’avaient pas toute l’importance que d’Ur- ville leur attribuait, et qu’il était, sans s’en douter, bien près de la vérité. (3) Philologie , t. I, p. 304* ■ • r / H ^Hl i hhki ■ ■ . ■ ■ ■ LES POLYNÉSIENS. 405 parut de 1830 à 1832 (1) : « Nous n’hésitons pas à croire que les Polynésiens sont arrivés de l'Occident et même de l’Asie ; mais nous ne croyons point qu’ils soient descendus des Hindous actuels. Ils ont eu probablement une origine commune avec eux ; mais les deux nations étaient déjà séparées depuis longtemps, quand une d’elles alla peupler l’Océanie. » L’hypothèse de d’Urville, ainsi qu’on va le voir, ne diffé- rait, en somme, de celle de Moërenhoüt, qu’en ce qu’il sup- posait les Polynésiens arrivés d’Asie, dans son continent, avant que celui-ci ne fût submergé, tandis que Moërenhoüt rattachait la sienne à l’idée d’une race autochthone et in- dépendante des autres populations humaines (2). D’Urville ajoutait, du reste, pour aller au-devant des ob- jections : « Si on n’a pas trouvé de nombreux et grands quadrupèdes dans les îles océaniennes provenant du conti- nent disparu, c’est que la nation intelligente des Polyné- siens aura fait une chasse active à ceux dont la chair était bonne, pour s’en nourrir, et à ceux qui étaient inutiles ou dangereux, pour s’én débarrasser : ce qui dut leur être très facile dans leurs îles bornées, sans parler de la catastrophe qui, en abimant le continent océanien, a dû détruire pres- que tous les animaux. » Autrement dit, il admettait qu’il y avait eu autrefois d’au- tres espèces de quadrupèdes que celles qui y ont été ren- contrées par tous les navigateurs. Cette supposition est tout-à-fait invraisemblable, d’après les faits connus, car s’il est démontré que de temps en temps les cochons ont disparu dans certaines îles Polynésiennes, telles que les Mangareva, les Marquises, etc., à la suite de grandes disettes, il y a loin de ce fait à l’absence complète, en tout temps, de grands quadrupèdes dans ces îles, ainsi que le prouvent toutes les observations et toutes les traditions elles-mêmes. Si donc on n’en a jamais vu d’autres que ceux qui y ont été portés (1) Historique, t. II. (2) C’est ce que M. de Quatrefages fait remarquer à la page 82, de son ouvrage sur les Polynésiens. 406 LES POLYNÉSIENS. parles Européens, c’est presque sûrement parce qu’il n’y a jamais existé, avant l’arrivée de ceux-ci, que les mammifè- res qu’on sait leur être propres, et qui se bornent au cochon, au rat et à la chauve-souris ou roussette. Quoiqu’il en soit, pour d’Urville, comme pour Buache, Forster et Carli, les îles Polynésiennes étaient les restes d’un continent disparu qui avait été peuplé par l’Asie, tan- dis que pour Moërenhoüt, ainsi que nous allons le montrer, ce continent n’avait reçu ses habitants pas plus de l’Asie que de l’Amérique. Enfin les opinions de d’Urville, sous ce rapport, s’étaient modifiées d’une façon diamétralement opposée à celles de Cook. On a vu, en effet, que celui-ci commence par admettre l’existence d’un continent submer- gé, au moins pour Tahiti, et qu’il finit par nier l’existence de ce continent et par regarder les Polynésiens comme des Asiatiques. D’Urville, au contraire, admet d’abord l’origine asiatique de ces mêmes Polynésiens et finit par s’arrêter à l’hypothèse d’un continent disparu. Nous ferons remarquer en passant que le mémoire de d’Urville sur les lies du Grand Océan , daté du 27 décembre 1831, n’a, d’après de Rienzi, été lu à la Société de Géogra- phie que le 5 janvier 1832, c’est-à-dire plus de 15 jours après la lecture faite, sur le même sujet, le 16 décembre 1831, par de Rienzi lui-même. C'est, du reste, ce que d’Urville établit, quand il dit que, sans la publication du mémoire de M. de Rienzi, il eût encore attendu pour faire connaître ses idées. Il faut en conclure que, cette fois, du moins, et c’est peut- être la seule, de Rienzi n’a pas été plagiaire. D’un autre coté, la préface de Moërenhoüt est datée de 1835, tandis que l’ouvrage ne l’est que de 1837 ; d’où il faut conclure égale- ment que cette opinion d’un continent submergé appartient bien à d’Urville, si elle n’est pas seulement celle de Forster, et que ce serait plutôt à eux que Moërenhoüt l’aurait em- pruntée à son tour, puisque la Philologie du voyage de Y Astrolabe, où se trouvent consignées les nouvelles idées de d’Urville, a paru en 1834 .et que le récit du voyage est daté de 1830 à 1833. Les raisons qui avaient porté Moërenhoüt à admettre, lui H K . LES POLYNÉSIENS. 407 aussi, la supposition d’un ancien continent submergé étaient : 1° Que les peuplades habitant à l’Est de la Polynésie sont plus belles et moins mélangées que celles de l’Ouest ; 2° Que la mythologie et les traditions de ces peuplades ne font aucune allusion aux grands animaux qui existent dans les îles voisines du continent asiatique et particulièrement en Malaisie ; 3° Que les mots dérivés du Sanskrit manquent dans les dialectes des îles orientales ; 4° Et que surtout les migrations n’avaient pu s’opérer de l’Ouest vers l’Est, mais seulement de l’Est vers l’Ouest, parce que les. vents d’Est et de Sud-Est sont les vents do- minants dans l’Océan Pacifique, qu’ils poussent les canots vers l’O. et le N. O. et s’opposent à ce qu’on s’avance vers l’Est. Moërenhoüt s’en était, disait-il, convaincu par ses propres observations (1) ; et ce qui le prouvait, ajoutait-il, c’est que les voyages des Polynésiens n’avaient lieu journellement que d’Est en Ouest, ainsi qu’Ellis l’avait déjà avancé, mais à tort, comme nous le montrerons surabondamment en temps opportun. Toujours est-il que les observations précédentes avaient naturellement et presque nécessairement conduit Moëren- hoüt, avec plus de raison encore que ses prédécesseurs, à trouver que le foyer primitif des Polynésiens avait dû être un continent placé à l’Est de la mer Pacifique. Du moment, en effet, qu’il n’admettait que des migrations opérées à l’aide des vents d’E. et de S. E., et qu’il regardait celles venant d’Amérique ou de l’Asie comme impossibles, il fallait abso- lument qu’il adoptât cette hypothèse. On connaît trop, pour qu’il soit nécessaire de les rappeler ici, les témoignages et les raisonnements apportés par Moë- renhoüt à l’appui de l’hypothèse qu’il soutenait : ces témoi- gnagessontbasés sur les différences de manières, de mœurs, (l) Voyage aux îles du Grand -Océan, 1837, 2 yoL in-8, Artlius Bertrand, t. II, p. 259. 408 LES POLYNÉSIENS. de langage, toujours plus marquées en allant de l’Est vers l’Ouest; sur l’unité de traits , etc. (1). Mais ce qu’il faut rappeler, c’est qu’en revenant plusieurs fois dans son livre sur la sup- position d’un continent submergé, il s’efforce d’établir, par la différence des langages, des caractères physiques, des ani- maux et des plantes de la Polynésie, que ce continent n’avait pu s’étendre jusqu’à l’Amérique dans l’Est, et jusqu’à l’Asie dans l’Ouest, et que, par conséquent, les Polynésiens n’a- vaient pu venir ni de l’une ni de l’autre terre (2). C’était faire supposer qu’il les considérait comme autochthones de la Polynésie. Il avouait cependant qu’il ne pouvait dire au juste d’où ils étaient sortis, et comment ils étaient arrivés dans les îles qu’ils occupent aujourd’hui. Seulement, tout en leur donnant une origine commune, il soutenait qu’au lieu d’être des Malais des îles asiatiques, les Polynésiens étaient plutôt les ancêtres des Malais, qu’ils appartenaient à la même race et qu’enfin, pour lui, contrairement aux opinions reçues jusque-là, les Malais n’étaient que les des- cendants des Polynésiens (3). Nous ne reviendrons pas ici sur cette question, que nous avons suffisamment traitée dans le livre deuxième de la première partie de notre ouvrage. Voici du reste comment Moërénhoüt résumait son opi- nion, en même temps qu’il détruisait si bien, à notre avis, la possibilité de rapports intimes de ce continent avec l’Asie et l’Amérique (4). « Cela m’amène naturellement, disait-il, à conclure que la belle race polynésienne a eu son foyer primitif sur un continent situé à l’Est de la mer Pacifique, et que les Malais de la mer des Indes sont leurs descendants et non leurs pères, comme on l’a cru jusqu’à ce jour. « Peut-être m’objectera-t-on que si le continent, dont je suppose l’existence, a existé véritablement, il a pu s’étendre, soit jusqu’à l’Amérique dans l’Est, soit jusqu’à l’Asie dans (1) Ouvr. cité, t. II, p. 230, 254, 261 . (2) Id., p. 261. (3) Id., t. II, page 230 surtout. (4) Id. p. 260. LES POLYNÉSIENS. 409 Ouest, et recevoir ainsi ses habitants indifféremment de un ou dé l’autre de ces deux points du globe (1). Mais je répondrai que c’est également peu probable, en raison de la différence des langages, de la couleur, des traits, etc. De plus, si ce continent eût été peuplé par l’un ou l’autre côté, pourquoi les animaux des îles Polynésiennes sont-ils si différents ? Pourquoi ne trouve-t-on pas dans ces îles, ni ceux de l’Amérique, ni ceux des îles malaies ? Pourquoi les insulaires n’en ont-ils pas la moindre idée ? » Certes, de pareilles objections sont difficiles à combattre, et l'on doit même être convaincu qu’il est impossible de le faire, d’où la nécessité de conclure, comme le disait Moë- renhoüt, que les Polynésiens n’avaient pu provenir ni de l’une ni de l’autre contrée. Mais ce qui n’est pas aussi dé- montré, comme on verra plus tard, c’est l'opinion de d’Ur- ville, partagée par lui, que les îles polynésiennes étaient occupées par une race noire h l’arrivée des Polynésiens . Cette race aurait été soumise, expulsée ou exterminée parles envahisseurs, et c’est au mélange des uns et des autres que serait due la diversité des langages ou dialectes. Ces asser- tions, en effet, ne sont pas exactes ; seulement elles étaient nécessaires pour expliquer l’existence d’un continent disparu et le passage, par toutes les îles intermédiaires, des Polyné- siens se rendant en Asie. Moërenhoüt terminait l’exposition de ses idées, sur l’ori- gine des Polynésiens, en disant (2) : « Tout semble donc an- noncer une race d’hommes et même quelques animaux (1) C’était, en particulier, l’opinion du missionnaire anglais Taylor qui, à la page 431 de son ouvrage, si plein de faits sur la Nouvelle-Zélande, dit : «Il y a véritablement de nombreuses raisons de supposer que les îles innombrables de l’Océan Pacifique ne sont que les sommets d’un continent submergé, qui doit avoir été voisin de l’Amérique d’un côté, et de l’Australie de l’autre. Une circons- tance remarquable, ajoute-t-il, à l’article Botanique , c’est que les plantes des îles antarctiques, qui se trouvent également à la Nou- velle-Zélande, dans la Tasmanie et l’Australie, ne se rencontrent jamais ailleurs que sur les hautes montagnes de ces contrées. » (2) Ouvr. cité, p. 262. 27. 410 LES POLYNÉSIENS. nouveaux originaires d’une terre également nouvelle ; et ce fait me paraîtra prouvé, tant que d’autres voyageurs ou d’autres écrivains, combattant ces probabilités si fortes, par des raisons plus fortes encore, n’auront pas démontré com- ment ils sont venus dans leurs îles, ou qu’ils tirent, avec les blancs et les noirs des autres parties du globe, leur ori- gine d’un seul homme. « Quant à moi, sans vouloir audacieusement m’élever contre l’autorité de la Genèse, j’admettrais la disparition des faits intermédiaires, l’infidélité des traductions, la corrup- tion même des originaux, plutôt que de faire parcourir, contre vents et courants, des mers inconnues à de faibles piro- gues, ou d’obliger ces peuples à traverser, soit l’Amérique, soit l’Asie, pour franchir, après, un Océan presque égal en étendue, avant d’arriver dans leurs îles, où ils conservent un langage unique, dont on ne trouve nulle part aucune trace, pas même chez les peuples dont on les suppose issus. Expliquer leur existence, n’est pas d’ailleurs l’objet de mon ouvrage, et, dans l’impossibilité de dire au juste d’où ils sont venus, et de remonter à leur origine, j’ai dû me bor- ner à dire d’où je ne les crois pas originaires, et ce qui me paraît ne pas être. Ils ne viennent, dans mon opinion, ni du continent de l’Amérique, ni du continent de l’Asie; et j’ai déduit avec franchise tous les motifs sur lesquels me semble se fonder naturellement cette conclusion toute négative ; mais, dire comment ils sont venus dans les lieux qu’ils occupent aujourd’hui, serait tout aussi difficile ou plus dif- ficile encore, peut-être, qu’expliquer comment le Noir a pris sa couleur et diffère si fort du Blanc, tant au physique qu’au moral. » Sans doute, comme le dit Moerenhotit, il n’est pas facile d’expliquer comment les Polynésiens sont parvenus dans leurs îles ; pourtant tel est, avons-nous déjà dit, le but de tout notre livre ; peut-être parviendrons-nous à donner l’explication de leurs migrations, plus facilement certaine- ment que nous ne pourrions donner celle de la couleur des races. Nous croyons inutile de réfuter ici quelques-unes des LES POLYNÉSIENS, 411 dernières assertions de Moërenhoüt, telles, entre autres, que celle-ci : « On ne trouve nulle part aucune trace du langage polynésien, pas même chez les peuples dont on les suppose issus. » On a déjà vu précédemmen4 que cette assertion, comme plusieurs autres, n'est pas complètement exacte : c’est, en effet, dans la Malaisie même, qu’on trouve jusqu’à un quart de mots polynésiens dans le lang’ag’e de certaines populations. En résumé, comme tous ses prédécesseurs, Moërenhoüt n’avait pas remarqué que l’anthropologie et la linguistique, étaient contraires à son hypothèse. Il aurait pu d’autant mieux le reconnaître cependant, qu’il signalait lui-même les différences existantes entre les deux peuples. Dès lors, croyons-nous, une pareille considération, malgré les raisons incontestablement importantes, données par Moërenhoüt pour soutenir l’hypothèse d’un continent submergé, suffit pour faire rejeter cette hypothèse qui, trop souvent d’ail- leurs, du moins dans ce qu’elle a de général et d’exclusif, n’est appuyée que sur des données théoriques contraires aux faits. Après le long’ exposé que nous venons de faire de l’opi- nion des hommes les plus compétents, touchant l’hypothèse d’un continent submergé en Polynésie, nous pourrions bor- ner ici cet examen et faire connaître, dès à présent, la con* clusion à laquelle on s’est généralement arrêté; mais, autant pour compléter cet exposé, que parce que plusieurs écrivains, partisans de cette hypothèse, ont présenté quelques argu- ments nouveaux en sa faveur, nous ne croyons pas pouvoir nous dispenser de les passer en revue. Nous ne dirons que quelques mots, en commençant, de l’opinion d’Ellis à ce sujet : il semble vraiment qu’il ne l’a émise que pour faire nombre, parmi les témoignages les plus contradictoires présentés par lui sur le lieu d’origine des Polynésiens. Il se borne, d’ailleurs, à quelques lignes qu’on peut lire dans ses Recherches Polynésiennes (1), et qu’on pourrait ainsi traduire : « Nous ne pourrions pas dé- fi) T. II, p. 60. 412 LES POLYNÉSIENS. montrer que ce ne sont pas les restes d’un continent qui s’étendait dans l’origine à travers la mer Pacifique et unis- sait l’Asie et l’Amérique, et qui aurait disparu, submergé par les eaux du déluge. » Après lui et Moërenhoüt, le premier qui ait dit quelque chose sur cette hypothèse est le botaniste Guillemin, ainsi qu’on peut le voir dans la préface de la Flore tahitienne qu’il a rédigée d’après les matériaux fournis par MM. Moërenhoüt et Bertero (1). Ayant remarqué que toutes les îles océanien- nes ont une direction et une forme à peu près semblables, c’est-à-dire qu’elles sont, pour la plupart, des terres allongées, courant dans le même sens, obliquement dirigées par rap- port à l’équateur, ayant par conséquent les deux côtés de leur littoral homologues quant à l’exposition, et réunissant les plus grandes analogies de climat, M. Guillemin s’est de- mandé si, par suite de ces observations géographiques, il ne serait pas possible de conjecturer que l’immense étendue de l’océan Pacifique était occupée primitivement par un vaste continent qui réunissait l’Asie et l’Amérique, et qui se serait affaissé par l’effet de l’un de ces cataclysmes, dont le globe actuel nous présente tant de preuves irrécusables. C’était une simple question, sans preuves à l’appui, et M. Guillemin résolvait lui-même la question de contact, en démontrant que les plantes de ces divers lieux ne sont géné- ralement pas les mêmes. Pendant notre séjour dans les îles Marquises, en 1844, cette hypothèse d’un continent submergé était celle que soutenait, tout naturellement, l’évêque de Basilinopolis, Monseigneur Beaudichon, en religion, R. P. François-de-Paule. Il nous disait à nous-même qu’il regardait les Océaniens comme provenant d’un grand continent qui avait d’abord été peuplé par des émigrants d’Asie, et descendant, par con- séquent de l’arche de Noë. Mille preuves de cette origine asiatique existaient, disait-il, dans les coutumes, les mœurs, etc. Tout naturellement encore, Sa Grandeur blâmait (1) Annales des sciences naturelles , Zephyritis Taitensis , t. VI et VII. LES POLYNÉSIENS. 413 sévèrement M. Moërenlioüt qui semblait croire que les ha- bitants de ce continent étaient autochthones. Nous conviendrons facilement qu’on trouve, parmi les Océaniens, bon nombre de ressemblances entre certains traits de mœurs, certains g*oûts et certaines coutumes des Hé- breux et c’est même, ajouterons-nous, à cause de cette grande parité de g-oûts, de besoins et d’idées, que les Océaniens ont si aisément adopté les récits bibliques. Mais il est évident qu’il ne suffit pas de retrouver quelques habitudes générales communes et, entre autres, la soumission à la recommanda- tion du 28e verset du chapitre 1er de la Genèse, qui- est si bien mise en pratique par les Polynésiens, pour qu’on puisse as- surer qu’ils ont la même origine que les Juifs. Il faudrait appliquer cette conclusion à trop de peuples. Aux écrivains partageant la croyance en un continent dis- paru, nous devons ajouter M. de Bovis, l’auteur des Recher- ches sur la société tahitienne (1). Après avoir émis l’avis que les migrations se sont opérées de l’Ouest vers l’Est, de Raiatea vers Tahiti, et de Tahiti vers les Paumotu,à l’aide des vents d’Ouest, il dit qu’il ne croit pas, à cause de leur éloigne- ment, que des îles comme la Nouvelle-Zélande, les Sandwich et Tahiti aient pu être peuplées parla même race, « sans avoir été jadis attachées l’une à l’autre par des chaînes non inter- rompues, ou sans qu’elles soient les débris d’un continent. » C’était, comme on voit, l’hypothèse du comte Carli, mais sans le moindre témoignage nouveau à l’appui, et laissant subsister la difficulté de comprendre comment, dans le der- nier cas, des îles aussi distantes qu’elles le sont parfois, au- raient pu se peupler sans migrations par mer. Car il est im- possible, comme va le démontrer M. de Quatrefages, qu’un continent, assez vaste pour occuper tout l’espace qui sépare ces divers archipels, ait existé. C’est en outre laisser de côté, après les avoir d’abord acceptées, les traditions qui établis- sent les rapports des Polynésiens entre eux, par voie de na- vigation. Disons, du reste, que les faits observés par cet officier, et (1) Annuaire de Tahiti , année 1863. 414 LES POLYNÉSIENS. les récits qu’on lui avait faits, l’avaient convaincu, comme nous le sommes, que c’est avec des vents de la partie de l’Ouest, c’est-à-dire Nord-Ouest et surtout Sud-Ouest, que, d’une manière générale, les migrations se sont avancées vers l’Est. Ajoutons qu’il croyait, avecForster et d’Urville, que les Océaniens étaient des Asiatiques et qu’ils avaient pu suivre les étapes encore existantes pour arriver à un continent qui plus tard se serait affaissé. Son opinion est donc à peu près celle de ses devanciers. Pendant notre séjour à Tahiti, 1844-1846, nous avons sou- vent eu l’occasion de causer avecM. deBovis des Polynésiens et de leur provenance, et nous nous rappelons encore que nous n’étions pas toujours du même avis ; mais nous étions à peu près les seuls, à cette époque, à partager l’opinion émise nettement pour la première fois par Beechey, et qui, aujourd’hui, est généralement acceptée. Plus récemment enfin, quelques membres de la Société d’ Anthropologie de Paris, M. Périer, entre autres, et, un instant, M. Broca, ont également adopté l’opinion que les îles Polynésiennes ne sont que les restes d’un continent presque entièrement englouti sous les eaux. Ayant trouvé que les raisons données contre l’origine asia- tique ou américaine étaient suffisantes, ils pensèrent que les habitants étaient auto chthones, et c’est parce qu’ils remar- quaient, entre les habitants des diverses îles, une affinité de race et de langue, qu’ils admirent l’hypothèse d’un grand continent, seul moyen, selon eux, d’expliquer ces analogies, puisqu’ils pensaient, avec Ellis, Moërenhoüt et d’Urville, que la dispersion n’avait pu avoir lieu qu’avec les vents alisés; C’est ainsique M. Broca disait, dans la séance du 1er mars 1860 (1) : « J’arrive aux Polynésiens et j’avoue que je suis dis- posé, avec M. Périer, à considérer l’hypothèse du continent polynésien comme très-sérieuse. » oc Sans sortir de la Polynésie, ajoutait-il (2), on trouve plusieurs races qu’il est impossible de confondre en une (1) Bulletins de la Société d' Anthropologie, 1860, p. 214. (2) Id., p. 216. LES POLYNÉSIENS. 415 seule et l’on ne comprend leur diversité que si l’on suppose qu’il a existé autrefois, dans cette région, un vaste continent peuplé, comme les autres, d’un grand nombre de nations de races différentes, qüi, ayant communiqué longtemps les unes avec les autres, sans communiquer avec les peuples des autres continents, ayant échangé leurs connaissances, mêlé leurs langues et leurs croyances, comme cela existait dans une grandepartie de l’Amérique avant le seizième siècle, et comme cela existe encore en Europe, auraient été tout-à- coup séparées les unes des autres par une immense submer- sion. » M. de Quatrefages, au contraire, après avoir cité tous les témoignages fournis par Lapérouse et les autres navigateurs, qui prouvent que les vents ne portent pas constamment de l’Est vers l’Ouest, comme le croyaient d’Urville, Moërenhoüt et leurs partisans ; après avoir fait remarquer que l’hypo- thèse d’un continent ne rend nullement compte de l’état des populations de la Polynésie, faisait les objections sui- vantes (1) : a Le continent polynésien, occupant presque toute l’éten- due actuelle de l’océan Pacifique, aurait été cinq ou six fois plus grand que l’Europe, et aurait dû présenter, par consé- quent, des climats très divers et des peuples très divers aussi. Supposez l’Europe submergée, à l’exception des montagnes et des plateaux élevés, il en résultera une nouvelle Océanie, dont les habitants seront les débris des nations actuelles. Je le demande maintenant, les populations insulaires échappées à ce déluge présenteraient-elles l’homogénéité si remarquable des insulaires delà Polynésie? Non ; elles appartiendraient à des races qui différeraient à la fois parles caractères physiques et par les caractères moraux. Les variétés ethnologiques de- vraient être bien plus grandes encore dans la véritable Océanie, si celle-ci était le reste d’un continent submergé. L’hypothèse du continent polynésien serait en contradiction avec le fait que les peuples disséminés dans les îles de cette immense ré- gion appartiennent à la même race et sont en communauté (1) Bulletins , id., p. 200. 416 LES POLYNÉSIENS. de mœurs de languie et de religion. Les migrations, au con- traire, expliquent parfaitement l’état des choses. La conser- vation du type, dans des îles très-éloignées et sous des lati- tudes très diverses, se comprend très bien si l’on songe que le climat des îles varie infiniment moins que celui des conti- nents, lorsque la latitude changœ. Les conditions du milieu sont donc à peu près les mêmes dans la plupart des archi- pels de la Polynésie, et dans ces archipels les hommes se ressemblent beaucoup ;mais, dans le groupe de la Nouvelle- Zélande, où le climat est tout-à-fait différent, les hommes se présentent à nous avec des caractères qui les distinguent des autres Polynésiens, et les Néo-Zélandais sont supérieurs aux autres insulaires. » M. de Quatrefages, précisant avec plus de force encore cette objection contre l’hypothèse d’un continent submergé, disait, quelques années plus tard (1) : « En nombres ronds, l’aire polynésienne est environ trois fois grande comme l’Europe, plus grande, que l’Asie. Or, si l’une ou l’autre de ces deux parties du monde devenait le théâtre d’un cataclys- me analogue à celui qu’a supposé Forster, qui ne voit quel en serait le résultat ? A peu près chaque chaîne de montagne, transformée en archipel, aurait sa race et surtout sa langue spéciale. En France seulement, les Alpes, les Pyrénées, les Yosges, les Cévennes nourriraient des populations dont les langages seraient des plus différents, tandis que la Polynésie ne présente que des dialectes d’une seule et même langue. Cette considération doit faire rejeter, comme inadmissibles, les idées que M, d’ U r ville a empruntées à Forster et qui, du reste, ne comptent plus guère de partisans. » On ne pouvait, à notre avis, faire une objection plus forte à l’hypothèse d’un continent polynésien submergé, et nous ne croyons pas que M. Broca soit parvenu à la détruire quand il répondait (2) : « M. de Quatrefages nous disait tout à- l’heure, si l’Europe était submergée et transformée en ar- chipels, le navigateur étranger qui parcourrait cette nou- (1 ) Revue des Deux-Mondes, 15 février 1864, p. 860. (2) Bull, cité, p. 217. LES POLYNÉSIENS. ' 417 velle Océanie ne trouverait pas cette unité de mœurs, de langue, de culte et de race, qui existe dans la Polynésie, et qui est l’indice d’une provenance commune. Je pense, au contraire, que cette Polynésie hypothétique présenterait, sous tous les rapports, beaucoup moins de contrastes que la Polynésie réelle. 'La plupart des peuples de l’Europe n’appartiennent-ils pas à la famille des peuples Indo- Germaniques ? Tous n’ont-ils pas à peu près les mêmes con- naissances, les mêmes arts, le même système d’écriture et la même religion ? Les uns sont catholiques, les autres sont protestants, ou juifs, ou musulmans ; mais toutes ces reli- gions sont des débris de la religion de Moïse. A l’origine de chacune d’elles, on trouve la tradition juive, et elles se ressemblent autant que les diverses religions de la Polynésie. Enfin, pour ce qui concerne le langage, on sait que presque toutes les langues’ de l’Europe sont dé- rivées du Sanscrit. La submersion de cette partie du monde donnerait donc un résultat assez semblable à celui qu’on cherche à expliquer par l’hypothèse de la submersion d’un continent polynésien, et cette hypothèse me paraît beaucoup plus probable que les autres. » Sans nous arrêter ici à montrer, ce que tout notre livre fera successivement voir, que les faits sur lesquels M. Broca s’appuyait pour défendre son opinion étaient inexacts, nous nous bornerons à répéter que nous ne croyons pas qu’il ait réussi à détruire l’objection de M. de Quatrefages. Il est certain que l’analogie des langues et des religions est, en Polynésie, plus grande encore qu’on ne l’a dit, et que les ca- ractères physiques, moraux et intellectuels, sont absolument les mêmes, quand on ne compare entre eux que des indigènes de race polynésienne. C’est même faute d’avoir fait cette distinction si importante, qu’on a admis tant de variétés du genre humain en Océanie, où il n’y a guère que deux races bien distinctes occupant d’ordinaire des îles différentes. M. Broca, du reste, a lui-même reconnu toute la valeur de l’objection de M. de Quatrefages, puisque, quelques années plus tard, on le voit revenir aux idées de migrations qu’il avait d’abord si fortement combattues. Dans la séance du 5 418 LES POLYNÉSIENS. juin 1862, il adopte le résultat des recherches de M.Hale, et, ...•/il.'*' jj'.Vr. à cette occasion, il cite avec raison les dialectes des princi- paux archipels de la Polynésie, pour montrer avec quelle lenteur les langues se modifient par la seule action du temps, lorsqu’elles sont à l’abri des influences étrangères (1). Néan- moins, s’il semble abandonner complètement l’hypothèse d’un continent polynésien submergé, il continue pourtant à voir, lui aussi, deux races superposées dans la Nouvelle- Zélande, races qui, nous le démontrerons ailleurs, n’exis- tent pas plus là que dans les autres îles Polynésiennes, bien que les derniers écrivains anglais, Dieffenbach, Shortland, Taylor et Thompson se soient montrés disposés à partager cette opinion pour ^Nouvelle-Zélande. Si M. Rroca n’est pas parvenu à détruire les objections de M. de Quatrefages, cela du moins l’a conduit à en faire quel- ques-unes, d’une importance telle pour le système que nous allons développer, que nous croyons utile de citer ici ses propres paroles, afin de mettre le lecteur à même de les ap- précier. Ces paroles, il est vrai, n’ont été dites que dans le but de soutenir la possibilité de la submersion d’un conti- nent polynésien ; mais, à notre avis, elles mettent si bien sur la voie, pour arriver à la découverte du véritable lieu d’origine des Polynésiens, qu’elles nous semblent faites, elles- mêmes, pour témoigner parfaitement en faveur des migra- tions. Ce qu’il y a de certain, c'est que ce sont elles qui nous ont décidé à coordonner nos notes de voyages, au sujet de l’origine des Polynésiens. « Si la Polynésie, disait M. Broca, répondant à M. de Quatre- fages (2), avait été peuplée par des colonies de navigateurs, il faudrait nécessairement que toutes ces colonies fussent venues de la même région ; sans cela, comment expliquer l’analogie des langues, des mœurs, des religions, des armes, des indus- tries? Et ici, je trouve deux difficultés, sans parler de la ques- tion des vents, des courants et des navigations aulong cours. Cette région, d’où l’on suppose que seraient parties les migra- (1) Bull, de la Soc. d’Anthr., t. III, p. 304. (2) Bull, de la Soc. d'Anthr ., t. I, 1860, p. 215. LES POLYNÉSIENS. 419 lions des Polynésiens, aurait dû être retrouvée quelque part, car il n’est pas croyable que la race toute entière ait émigré par mer, sans laisser, dans sa première résidence sur ce conti- nent, aucune trace de son type, de sa languie et de sa re- ligion. La seconde difficulté est plus grande encore. Si les analogies de languie et de religion, qui existent entre les Polynésiens, dépendaient de leur commune origine, tous les insulaires appartiendraient à la même race, et il n’en est rien, quoi qu’on en ait dit, « Les variétés du genre humain dans la Polynésie sont con- sidérables. Il y a même dans quelques-unes de ces îles des hommes tout-à-fait blancs, avec les yeux clairs et les che- veux blonds. Dans la Nouvelle-Zélande, ainsi que M. Qua- trefages nous le disait tout-à-l’heure, il y a une race pro- gnathe au teint noir, qui se rapproche beaucoup des nègres, etc. » Nous avons déjà démontré, et nous y reviendrons encore en temps opportun, que non-seulement l’origine est com- mune, mais que, de plus, tous les Polynésiens appartiennent à la même race et qu’ils ne présentent pas de variétés consi- dérables. Nous démontrerons aussi qu’il n’y a d’hommes blancs parmi eux que des Albinos, de même qu’il n’y a, à la Nouvelle-Zélande, qu’une race unique, bien qu’on ait soutenu le contraire (1). Nous nous bornerons seulement à annoncer, dès à présent, que la région d’où sont parties les migrations \ n’était point, comme on l’a cru, ni en Asie, ni en Amérique, ni dans un ancien continent submergé plus tard. Bientôt on verra, par tout ce qui va suivre, que cette région se trouvait sur un point de la Nouvelle-Zélande. Plus récemment, un médecin de la marine, M. Brulfert, a soutenu, dans sa thèse inaugurale, que les Polynésiens ne (1)M. Hamy, entre autres, pense qu’il y a des Papous dans la f Nouvelle-Zélande, et il cite pour preuve le crâne mélanésien étudié 1 par Huxley, et que Sedgewick regardait comme Néo-Zélandais. Mais M. Topinard répond que ce crâne, type de l’extrême dolicliocéphalie, est originaire des Nouvelles-Hébrides et non delà Nouvelle-Zélande. (. Association pour /’ avancement des sciences , session de Paris, 1878.) 420 LES POLYNÉSIENS. viennent point de la Malaisie et qu’ils ne sont point des émi- grants de l’Amérique, mais que la Polynésie formait autre- fois un continent habité par une race qui a disparu ou qui, du moins, s’est fondue avec les envahisseurs (1). Voici les principales propositions qu’il a développées dans sa thèse : 1° Les Polynésiens ne sont pas des émigrants de l’Amé- rique, parce que l’éloignement de l’île de Pâques, qui aurait été leur première étape, ne permet pas de l’admettre ; 2° Ils ne viennent pas de la Malaisie, par voie de migra- tions par mer, mais d’un ancien continent disparu ; 3° La présence du sang noir, à la Nouvelle-Zélande, prouve encore l’existence de ce continent, par l’impossibilité d’ex- pliquer son apparition sur ce point isolé ; 4° Les constructions de l’île de Pâques attestent le passage d’une autre population ; 5° La Polynésie a formé autrefois un continent habité par une race disparue et fondue au moins avec les envahis- seurs. Enfin il regarde les traditions sur les migrations malayo- polynésiennes comme peu ou point fondées au fond, et comme mal interprétées. M. de Quatrefages, qui a adopté l’origine malaisienne, après avoir objecté (2) que M. Brulfert semble réduire les traditions à celles venant de Tahiti, qu’il oublie que leur ensemble a été puisé partout et que celles de la Nouvelle- Zélande sont les plus détaillées, fait ressortir les connais- sances géographiques des Polynésiens et deTupaia, mises en doute par M. Brulfert ; il montre que la carte de Tupaia n’a pas, ainsi qu’il le prétend, été dressée ni dessinée par Horatio Haie (3), puis il conclut en disant : (1) Sur l'origine et la dispersion de la race polynésienne . Voy. aussi Bull. Soc. d’Anth. 1872, p. 817. (2) Bulletins de la Société d' Anthropologie, 1872, p. 822. (3) M. de Quatrefages se trompe quand il avance que c’est Tu- paia qui a dicté la légende à Forster : il ne l’a dictée qu’à Cook et à Banks. LES POLYNÉSIENS. 421 Que M. Brulfert n’a apporté aucun document nouveau relatif à l’origine des Polynésiens ; Qu’il a adopté sur ce point une opinion aujourd’hui aban- donnée par tous les hommes qui ont tenu compte des don- nées géologiques, anthropologiques et linguistiques ; Qu’enfin, dans la courte discussion consacrée par lui à cette grave question, il a passé sous silence un grand nom- bre de faits et quelques-uns des éléments les plus indispen- sables à une solution scientifique. Nous pourrions nous borner à cette appréciation de l’é- minent anthropologiste ; nous croyons néanmoins devoir, à notre tour, relever ici quelques inconséquences de l’auteur et le peu de sérieux de plusieurs de ses arguments. Ainsi M. Brulfert, dans le but de prouver que les Tahitiens ne possèdent pas de connaissances géographiques, donne pour raison qu’en voyageant avec des Tahitiens et d’autres Polynésiens il n’a jamais rien vu de semblable parmi eux. C’est facile à comprendre quand on sait que tous les indigènes d’aujourd’hui ne sont plus que de pauvres matelots océa- niens, ayant tous les vices et l’ignorance géographique de la plupart de ceux d’Europe. Mais que ne demandait-il la preuve de ces connaissances à l’histoire de la Polynésie ou seulement aux traditions ? Il est vrai qu’il avoue ne pas croire à ces dernières : il a certainement raison, s’il fait allusion à celles qu’il appelle malayo-polynésiennes, qui, ainsi que nous le ferons voir, n’existent pas et ne pouvaient même pas exister ; mais il a tort lorsqu’il s’agit des tradi- tions de la Polynésie, et surtout de celles de la Nouvelle- Zélande, qui sont nombreuses, complètes et d’une netteté surprenante. La raison que M. Brulfert donne, pour réfuter l’opinion de MM. Haie et de Quatrefages, qui admettent que les Polyné- siens sont venus de Bourou, n’a pas plus de valeur : il ne la fonde, en effet, que sur ce qu’ après avoir interrogé beaucoup de Tahitiens, de Mangaréviens, de Marquésans et de mis- sionnaires catholiques et protestants indigènes, tous lui ont répondu que cela n’était pas. Leur négation ne saurait 422 LES POLYNÉSIENS. avoir plus de poids que n’en aurait eu leur affirmation, car il ne reste plus rien aujourd’hui des anciennes traditions. Il est, par le même motif, très-facile d’expliquer pourquoi tous sont restés muets quand M. Brulfert leur a demandé depuis combien d’années étaient arrivés leurs ancêtres : une réponse catégorique eût été plus surprenante encore que leur silence. Nous relèverons encore la fausse traduction que M. Brul- fert donne du mot lîawaiki , qui doit être orthographié Hawahiki , et l’erreur dans laquelle il tombe quand il dit que Raioai veut dire feu ; te auahi , le feu. Tous ceux qui con- naissent un peu de Polynésien, savent que feu se rend par ahi ; le feu par te cihi. Cette erreur prouve l’inconséquence de l’auteur et elle méritait d’autant mieux d’être relevée, qu’après avoir cherché à montrer « l’inutilité de la fatigue qu’on se donne à trouver des analogies de noms, » il a re- cours lui-même à cette analogie, qu’il traduit si inexacte- ment. En somme, l’appréciation que M. Brulfert fait des travaux et des opinions de ses devanciers, n’est pas assez motivée pour pouvoir faire admettre qu’un continent submergé a été le lieu d’origine des Polynésiens. Il passe sous silence un grand nombre de faits importants et, comme le dit M. de Quatrefages, il ne tient pas compte de beaucoup de don- nées indispensables pour la solution d’une question si diffi- cile à résoudre ; il n’apporte enfin aucun document nouveau relatif à l’origine des Polynésiens. Ainsi que le fait encore observer avec raison M. de Quatrefages, ce n’est pas d’une façon aussi simple qu’il est possible de résoudre les pro- blèmes si complexes présentés par l’ethnologie des archipels océaniens. Cependant, si le travail de M. Brulfert a été un peu hâtif, il n’en est pas moins vrai qu’il est remarquable et plein d’intérêt sous tous les autres rapports. Il est bien à regret- ter, que tous ses collègues dé la marine qui sont allés en Océanie, n’aient pas cherché à l’imiter : on serait proba- blement plus avancé à ce sujet qu’on ne peut l’être par les travaux des savants qui n’ont jamais vu les populations LES POLYNÉSIENS. 423 dont ils parlent et qui sont forcés, le plus souvent, de s’en rap- porter aux données plus ou moins exactes des voyageurs. Il résulte de tout ce qui précède que l’hypothèse d’un continent submergé a contre elle une foule de faits de diverse nature. Le premier, bien qu’à peu près négatif, est qu’elle semble ne pas concorder avec les faits géologiques, suivant Dana qui, dans son ouvrage surlesîleset les récifs de corail (1), affirme que « la géologie ne possède aucun fait qui milite en faveur de sa probabilité. » Le savant américain va même plus loin, puisqu’il dit que l’existence d’un continent dans, le Pacifique n’est qu’une affaire d’imagination et de fantaisie. Cela peut être vrai, mais une pareille assertion ne suffit certainement pas pour le démontrer suffisamment. Pourtant, d’un autre côté, d’Omalius d’Halloy dit, au contraire, que la géologie n’est pas opposée à l’hypothèse du continent polynésien (2). « Cette hypothèse, dit-il, est ingénieuse, mais il n’y a en géologie que bien peu de données qui s’y rattachent. J’ajoute qu’elle n’est pas non plus en contradiction absolue avec cette science, quoique la plupart des îles de la Polynésie soient volcaniques ; cela semblerait indiquer qu’elles sont sorties des flots par soulè- vement. Mais, somme toute, on peut dire que la géologie ne dépose ni pour ni contre l’hypothèse qui a été acceptée par MM. Périer et Broca. » Un ingénieur des mines, M. Jules Garnier, qui a résidé en Nouvelle-Calédonie, est plus affirmatif : il soutient que la géologie est favorable à cette hypothèse. « En effet, dit- il (3), la géologie, cette science indispensable à l’étude de l’homme antéhistorique, nous a démontré depuis peu qu’un continent tertiaire ou quaternaire s’était effondré sous les eaux en Océanie, laissant la vaste surface de la mer se mon- trer seule sur un immense espace. L’équilibre était rompu, (1) Dana(Jamcs Dwigth), Oncoral Reefs and Islands .— New-York, 1853, in-8° (2) Bulletins de la Société d’ Anthropologie, t. I, 1860, p. 218; (3) Les Loyalty et Tahiti , ch. 16, p. 339. — Paris, 1871. 424 LES POLYNÉSIENS'. les feux souterrains et les travaux des zoophytes se char- gèrent de le rétablir. La nature employait ici deux moyens tout-à-fait opposés pour arriver à son but : le volcan bru- tal. qui déchire la croûte terrestre et répand à sa surface des amas de roches nouvelles, et l’humble zoophyte, qui élève du fond des mers jusqu’à leur surface d’immenses murailles, mais avec tant de calme et de lenteur, que ce n’est qu’avec les siècles qu’on s’aperçoit des résultats. Qui le croirait ? dans cette lutte entre la brutalité violente des feux intérieurs et la patiente manœuvre des coraux, ces derniers eurent la victoire ; ils couvrirent le Pacifique de trois cents îles, dont la surface totale est de 4 millions d’hectares, pen- dant que les volcans n’ont fourni que 3 millions d’hectares : Patience et longueur de temps, Font plus que force ni que rage. « L’homme existait donc alors que l’Océanie se formait, et, je le répète, l’examen de l’écorce terrestre, autour de la Polynésie proprement dite, fait ressortir jusqu’à l’évidence que, pendant l’époque tertiaire et jusqu’au quaternaire, un continent plus ou moins vaste se montrait en Océanie. En s’affaissant au commencement de la période géologique que nous traversons, il a dû laisser le relief de cette partie du monde à peu près comme nous le voyons aujourd’hui, si toutefois nous en sortons les îles volcaniques. Le Pacifique formait donc alors un désert d’eau, plus immense encore que de nos jours. Avant sa disparition, le continent océa- nien pouvait être habité par l’homme, puisque la science, fixée aujourd’hui par un grand nombre de faits, ne met plus en doute l’homme quaternaire et même tertiaire. » Et, après avoir cité les flores et les faunes, riches et spéciales, des terres qu’il appelle Australasie, c’est-à-dire la Nouvelle- Hollande, la Nouvelle-Zélande, la Nouvelle-Calédonie, etc., lesquelles indiquent leur ancienneté comparativement à celle des terres polynésiennes, M. J. Garnier conclut en disant : « Ainsi les faits géologiques nous démontrent qu’un 425 LES POLYNÉSIENS. continent tertiaire ou quaternaire s'est effondré sous les flots du Pacifique (1). » Les causes qui ont pu contribuer à cet effondrement, sé- parément ou simultanément, sont, d’après M. Garnier : 1° Un affaissement graduel ; 2° Une série de secousses volcani- ques, baissant le niveau des terres; 3° L’usure à la lon- gue par la pluie, les vents et les courants. Il admet, d’ail- leurs, que l’équilibre, détruit alors, a été rétabli par les feux souterrains et le travail des zoophytes, qui est incessant, mais extrêmement lent dans la formation d’un nouveau continent ; enfin, en ne jugeant que par l’épaisseur de la cou- che de combustible qu’on trouve à la Nouvelle-Zélande, dans une des îles Fiji, et même à Rapa, il admet aussi que ces terres ont une antiquité considérable. Toutefois, faisons-le remarquer, tout en croyant à l'exis- tence d’un ancien continent qui se serait effondré, M. Jules Garnier ne croit pas que les îles polynésiennes aient été peuplées par les habitants de ce continent, et c’est, comme on verra plus tard, à l’Amérique qu’il attribue ce peuplement. Mais, ainsi que l’a fait observer M. de Quatrefages, c’est moins de pareils faits que de l’homme lui-même, de ses ca- ractères physiques et de son langue, que se tirent les argu- ments les plus décisifs à opposer à cette hypothèse. Or, il est bien certain que les caractères physiques sont absolument les mêmes dans toutes les îles et que le langage est partout identique. Cette identité avait été démontrée en partie déjà par Crozet, se faisant comprendre à la Nouvelle-Zélande, à l’aide du vocabulaire recueilli à Tahiti par Bougainville (2). C’est du reste un fait sur lequel tous les ethnologues s’ac- cordent aujourd’hui, d’où il faut conclure, croyons-nous, que cette hypothèse n’est pas admissible. (1) Voy. aussi du même auteur : Mémoire sur les migrations hu- maines en Océanie dans les Bulletins de la Société de Géographie , 1870. (2) Nous nous bornerons ici à citer le mot montagne qui se rend par Maunga à la Nouvelle-Zelande, Mongha aux Tanga, Mauga aux Samoa, Moua à Tahiti, Moua et Mua aux Marquises, Mauna aux Sandwich, etc. 28. 426 LES POLYNÉSIENS. Ainsi que l’a dit de Rienzi, en s’emparant, suivant son habitude, des paroles du savant géographe Balbi: « Admettre l’existence autrefois d’un continent qui a disparu, c’est ex- pliquer une difficulté en en suscitant cent autres. Comment expliquer, par exemple, les migrations de cet ancien peuple et sa dispersion de l’Est à l’Ouest, sans qu’il se soit répan- du dans les îles Salomon, dans la Papouasie, dans la vaste Australie, et dans le reste de la Mélanésie, où l’on n’a trouvé que des peuplades de race noire ? » Après l’objection de M. de Quatrefages, il n’en est certainement pas déplus puis- sante que celle-là, et nous croyons même pouvoir dire que, quand il n’y en aurait pas d’autres, elle serait suffisante pour faire douter de l’existence préalable d’un continent dans l’Est ou le Sud de l’Océanie. Mais il y en a d’autres, et l’une des plus fortes encore, suivant nous, est que les tradi- tions ne se rapportent absolument qu’à une grande île, où existait ce qu’elles nomment YHaicahiki, dans laquelle on retrouve toutes les localités qu’elles désignent et tout ce qui peut expliquer les circonstances si particulières qu’elles si- gnalent* Cette île, nous espérons le démontrer, était le pays d’origine des Polynésiens. Cependant, si nous persistons à croire qu’un vaste conti- nent submergé n’a pas existé, pour toutes les raisons don- nées par les écrivains et surtout parce qu’il serait impossi- ble, en l’admettant, de faire concorder avec les faits les traditions des habitants de la Nouvelle-Zélande, qui sont si nettes et si précises, nous avouons que l’assertion de M. J. Garnier, juge si compétent, ainsi que celles du savant mis- sionnaire Taylor et du D* Thompson qui croient, eux aussi, que la Nouvelle-Zélande faisait anciennement partie d’un continent, pourraient soulever quelque doute dans notre esprit, si les faits géologiques cités par eux étaients exacts. Mais le sont-ils ? Nous ne saurions le dire. C’est aux géolo- gues seuls qu’il appartient de l’apprendre (1). (1) L’ossature de la Nouvelle-Zélande, celle de l’île Sud, surtout, paraît être une puissante formation de roches serpentineuses ; puis viennent' des terrains cristallins et des terrains anciens, au-dessus desquels se sont déposés des couches métamorphiques LES POLYNÉSIENS. 427 En résumé, nous croyons, avec M. de Quatrefages, qu’il n’est pas possible d’admettre l’existence d’un continent submergé et nous pensons en outre qu’il est même plus facile d’expliquer l’origine de la race polynésienne et sa dissémination en ne la supposant partie que de l’une des îles à populations polynésiennes, telles qu’elles ont été trouvées par les premiers navigateurs, et telles que les re- présentent les traditions. Nous partageons donc l’opi- nion du savant professeur (1) lorsqu’il dit que « l’hypo- et des sédiments plus récents, associés à des mélapliyres et autres roches éruptives. Cette constitution géologique semblerait indiquer que la Nouvelle-Zélande est le débris d’un ancien continent austral, dont la double ligne de faîte, parallèle aux systèmes de soulèvement des Alpes principales et du Ténare, se prolongerait jusqu’à la Nouvelle-Calédonie au Nord, et passerait au Sud par les îles Aukland, Campbell, Macquarie, Balleny, pour aboutir à la terre Victoria dominée par les- monts Melbourne, Terror, Erebus, d’une hauteur de 3,900 à 4,000 mètres. Ainsi, la Nouvelle-Zélande, qui appartient à une formation géologique fort ancienne, aurait pu faire partie d’un continent plus ou moins étendu vers les régions australes et aujourd’hui en partie submergé, tandis que la plupart des îles de la Polynésie seraient de formation récente. La Nouvelle-Zélande ne dépendrait donc pas réellement de la Polynésie, quoiqu’on l’y rattache généralement à cause du langage. D’un autre côté, les animaux terrestres de la Nouvelle-Zé- lande sont presque tous différents de ceux observés ailleurs. Il est probable que les trois principales îles de ce groupe commu- niquaient entre elles à une époque peu éloignée de la pé- riode actuelle, et étaient reliées par d’autres terres, aujourd’hui disparues sous les eaux, plus ou moins directement à quelques îles de la Polynésie. Aucune communication ne semble, au contrai- re, avoir existé, .depuis l’apparition des mammifères, entre la Nouvelle-Zélande et l’Australie, l’Amérique et l’ancien continent. Enfin la flore de la Nouvelle-Zélande est tout aussi spéciale que sa faune et elle concourt, elle aussi, à faire regarder cette terre comme un centre de création. — (Voy., entre autres auteurs, Alph. Mil ne-E dwar ds , Étude sur la faune des régions Australes . Voy. aussi Revue scientifique des 2 octobre 1869, 1er et 29 juin 1878^ | 31 mai 1879, ainsi que tout ce que nous disons à ce sujet)» (1) BulL de la Soc . d'Anthrop. 1860, p. 201. 428 LES POLYNÉSIENS. thèse du continent polynésien serait en contradiction avec ce fait que les peuples, disséminés dans les îles de cette immense région, appartiennent à la même race et sont en communauté de mœurs, de langue et de religion, et que les migrations, au contraire, expliquent parfaitement l’état des choses. » Mais nous ne croyons pas, avec lui, que « l’an- thropologiste qui se refuse à voir dans les Polynésiens un simple produit du sol ne peut plus que les faire venir d’Asie par voie de migration (1). » Bien certainement, tout indi- que que les Polynésiens sont arrivés par voie de migra- tions dans les îles qu’ils occupent; mais ces migrations, ainsi que nous essaierons de le démontrer, sont parties, d’après les traditions elles-mêmes, d’une toute autre contrée que de l’Asie, des îles asiatiques, de l’Amérique ou de quel- que continent en partie submergé, et nous déterminerons plus tard, en développant les preuves à l’appui, quelle était cette contrée. i (1) Les Polynésiens et leurs migrations , in-4°, p. 93. CHAPITRE DEUXIÈME DEUXIÈME THÉORIE. ORIGINE AMÉRICAINE DES POLYNÉSIENS. Bases sur lesquelles repose cette hypothèse. — Elle est formulée pour la première fois par Zuniga. — Opinions d’Ellis. — Exposé et réfutation des arguments présentés en faveur de l’origine américaine des Polyné- siens : Ressemblances de religion ; d’industrie; de mœurs; autres ana- logies ; langage ; caractères physiques. — Communications entre l’Amé- rique et les îles delà mer du Sud : — Opinions de Crozet ; Molina ; Dun» more-Lang ; J. Garnier ; de Bovis. — Les Polynésiens n’ont pu prove- nir de l’Amérique. On a vu que Quiros, se préoccupant le premier de l'origi- ne des Polynésiens, crut pouvoir avancer que les vents soufflant d’ordinaire sur l’océan Pacifique opposaient un obstacle aux rapports de l’Océanie avec le Pérou et le Mexique, d’une part ; d’autre part, avec la Nouvelle-Guinée et les Philippines. Il lui semblait impossible que l’Océanie eut pu recevoir ses habitants de l’Amérique, située dans l’Est, ou des terres qui sont placées plus à l’Ouest, et il avait été naturellement conduit à supposer l’existence d’un con- tinent, soit dans le Sud-Est, le Sud et le Sud-Ouest, soit même dans l'Ouest. A cette hypothèse succéda, ainsi que nous le montre- rons, la croyance en une origine asiatique et malaisienne, adoptée aujourd’hui par la plupart des ethnologues. Le 430 LES POLYNÉSIENS. premier écrivain qui ose placer clans l’Amérique le lieu d’origine des Polynésiens, ne date que du commencement de ce siècle. Cette dernière opinion paraît même rester assez longtemps inconnue, puisque Bory-Saint-Vincent écrivait encore en 1827 : « Il est assez remarquable qu’en cherchant l’origine des habitants de ce qu’on appelait naguère encore les îles de la mer du Sud, tantôt chez les Indiens, tantôt chez les Chinois, tantôt ailleurs, personne ne l’ait supposée américaine. L’habitude où l’on était de peupler le Nouveau- Monde avec des enfants du patriarche Seth ne l’a sans doute pas permis. Une telle opinion pourrait cependant se soute- nir tout comme une autre. (1) » Cette opinion finit enfin par se répandre. Depuis quelques années surtout, elle est citée fréquemment par une foule d’é- crivains qui, toutefois, semblent en parler sans la bien connaître et qui paraissent lui accorder une importance qu’elle n’a certainement pas. Elle est basée : 1° Sur l’existence d’une grande terre ; 2° Sur la facilité des communications avec l’Asie par le Nord : d’où concordance possible avec la Bible, cette préoc- cupation constante des premiers ethnologues, et plus par- ticulièrement des missionnaires qui se sont occupés de ce sujet ; 3° Sur de grandes analogies que l’on a cru trouver dans les usages, les coutumes, les traditions, le langage et les caractères physiques eux-mêmes ; 4° Mais principalement, et c’est la base légitimant le plus la conception de cette théorie, sur la direction des vents, qu’on a, pendant si longtemps, cru ne souffler que d’un seul et même point, dans la vaste étendue de nier séparant le continent américain des îles Polynésiennes. Il est certain que, sans la persistance des brises alisées de l’Est, on n’eût point songé à soutenir que les Polynésiens avaient pu fran- chir avec leurs canots une si grande distance pour arriver jusqu’aux îles qu’ils habitent. Sans doute, comme on va le voir, bien des raisons s’oppo- (1) L'Homme , vol. II, p. 314, note 6. — Paris, 1826-1827. LES POLYNÉSIENS. 431 sent à l’admission d’une pareille opinion; mais il n’est pour- tant pas moins vrai que la durée et la régularité de certains vents, leur intensité presque toujours uniforme, et, par suite, le calme, dans cette région du globe, 4e la mer, si bien nommée Mer Pacifique, étaient, pour les ethnologues d’autrefois, des arguments d’üne grande valeur et qui ex- pliquent parfaitement pourquoi quelques écrivains ont cru devoir préférer cette théorie aux deux autres, impuissantes à les satisfaire. Il est certain qu’à l’époque où cette opinion a été soutenue pour la première fois, ces arguments devaient paraître d’autant plus sérieux, qu’on n’avait alors que l’as- sertion de La Pérouse, assertion généralement à peu près ignorée, et qu’on était loin de se douter des progrès qui de- vaient être accomplis dans cette branche des connaissances humaines. A cette époque, en effet, tous les savants croyaient à une direction unique des vents et des courants ; si beaucoup d’écrivains, tels que Marsden, Forster, et plus tard Crawfurd, R. P. Lesson, etc., n’en tenaient aucun comp- te, d’autres, au contraire, tels que Claret de Fleurieu, de Olia- misso, etc., tout en admettant les migrations malaisiennes, convenaient qu’ils ne pouvaient s’expliquer comment elles avaient pu se rendre en Polynésie à l’encontre des vents alisés : ce qui n’était dû, comme on le verra, qu’à une con- naissance incomplète des faits, aussi bien qu’à une appré- ciation inexacte des connaissances et des ressources des populations océaniennes. C’est le P. Joaquim Martinez de Zuniga, l’un des historiens des îles Philippines, qui, le premier, en 1803, a nettement avancé que les migrations polynésiennes se sont opérées d’A- mérique, c’est-à-dire de l’Est vers l’Ouest (1) : et si plusieurs autres écrivains l’ont imité depuis, ils l’ont fait, le plus sou- vent, d’une manière moins affirmative. Mais, après nous être • (1) Historia de las Islas Philip in as compuesta por el R. P. lector fr. Joaquim Martine f de Zuniga , del orden de san Agustin , ex- définidor de su provincia , calificador del santo oficio y cura regular del pueblo de Baranaque , con las licencias nécessarias : Impresso en Sampaloe por fr. Pedro Arguelles de la Ooncepcion, religioso francisco, ano de 1803, 432 LES POLYNÉSIENS. procuré, non sans peine, la traduction de l’ouvrage de ce religieux Augustin (1), nous avons pu reconnaître que son opinion de l’origine des habitants des Philippines ne repose pas sur des bases aussi solides que quelques auteurs l’ont avancé, en généralisant l’hypothèse d’un historien qu’ils n’avaient bien sûrement pas lu. Zuniga ne faisait d’ailleurs qu’une supposition dont il était loin de surfaire lui-même la valeur, comme on le verra par ses propres réflexions, et cette supposition ne repose que sur l’analogie qu’il croyait exister entre les langages des Philippines, de la Nouvelle-Guinée et des îles polyné- siennes qui, en réalité, n’ont entre eux aucune ressemblan- ce ; elle repose également sur les rapprochements passable- ment tourmentés d’un très petit nombre de mots recueillis par les Espagnols sur les côtes de Patagonie ou cherchés dans le célèbre poème d’Ercilla sur YAraucanie; et, enfin, sur l’obstacle que les vents d’Est, régnant généralement, opposaient, disait-il, aux voyages de la Malaisie vers les Philippines. Mais il n’est pas moins vrai qu’en appuyant surtout sa manière de voir sur l’identité de certains mots, il en con- cluait que la langue tagale et les populations de toutes les îles à l’Ouest de la côte de l’Amérique du Sud, dérivent du continent américain et notamment de l’Araucanie et de l’in- térieur du Chili. Yoici du reste son texte. Nous le donnons en entier, mal- gré sa longueur, afin que les ethnologues en puissent mieux juger (2) : « Nos historiens, toujours amis du merveilleux, partagent en différentes classes les habitants trouvés aux Philippines par les premiers Espagmols. Ils les appellent satyres, hommes à queue, monstres de mer, ou de tout autre nom fait pour étonner l’esprit. En réalité, cependant, iis n’ont trouvé que (1) An hislorical view of the Philippines islands , etc., par Mavcr, 2 vol. in-8°. — Londres 1814. (2) Ouvrage cité, chap. II: Des habitants trouvés par les Espa- gnols dans les îles Philippines ; leurs langages , coutumes et religion . LES POLYNÉSIENS. 433 deux classes : celle que nous connaissons sous le nom de Nègres et celle des. Indiens. « Les nègres sont de très petite taille, et plus cou- leur de cuivre que ceux de Guinée, avec une chevelure molle et le nez aplati. Ils vivaient dans les monta- gnes, presque dans l’état de nature, se couvrant à peine le devant du corps avec un morceau d’écorce d’arbre, et ils se nourrissaient de racines et des bêtes sauvages qu’ils pouvaient prendre ou tuer à l’aide d’arc et de flèches, exer- cices dans lesquels ils excellaient. Ils dormaient où la nuit les trouvait et n’avaient aucune idée de religion. Les Espa- gnols ont, à la fin, réussi à en apprivoiser un certain nom- bre et à les convertir au christianisme, auquel ils se sont soumis tant qu’on s’est contenté de les nourrir ; mais ils sont retournés dans leurs montagnes dès qu’on a voulu les obliger à travailler pour soutenir leur famille. « Les nègres, sans aucun doute, ont été les habitants primitifs de ces îles, et ils se retirèrent dans les montagnes à l’arrivée des Indiens. Ces derniers, en s’établissant sur les côtes, eurent à combattre les nègres, mais ils ne purent jamais assez les vaincre pour être en sûreté et pouvoir même aller couper du bois dans les montagnes sans leur payer un tribut. Aujourd’hui l’influence des nègres est fort limitée, mais leur antipathie pour leurs envahisseurs dure encore ; car si un nègre est tué ou meurt subitement, il est d’usage qu’un autre se lie par un serment devant ses com- patriotes, et dise qu’il va sortir de la tribu, et n’y revien- dra que quand il aura vengé la mort de son ami par la mort de trois ou quatre Indiens. Dans ce but, il guette leurs villages et les sentiers de la montagne, et si malheureuse- ment quelques-uns de ces derniers s'éloignent de leurs compagnons, il les tue. « Quelques personnes pensent que ces nègres sont origi- naires d’Angola, quoiqu’ils ne soient pas si noirs que leurs ancêtres, ce qu’on croit pouvoir attribuer à ce que la tem- pérature de ces îles est plus douce et moins brûlante que celle d’Afrique. Ce qui pourrait bien être, en effet, car il est bien connu qu’en quittant un climat brûlant pour un 434 LES POLYNÉSIENS. climat tempéré, la noirceur du nègre peut être diminuée dans le cours de long* ues séries de générations. Cependant le nez aplati, l’usage d’un dialecte du même langage que celui parlé par les Indiens, semblent prouver suffisamment que l'origine de l’un et de l’autre est presque la même. La raison qu’on peut assigner, car il n’y en a qu’une, est Fin- fluence de la pluie, du vent, du soleil et de toutes les inclé- mences propres au climat, influences â laquelle ils sont exposés par suite des erreurs du gouvernement qui les a presque réduits à la condition de bêtes sauvages dans la- quelle nous les voyons maintenant. Il est bien certain que si quelques caractères rapprochent les Ta- galsdes Malais, ils en diffèrent au contraire par le plus grand nom- bre, et notamment par la langue, car il ne faut pas les confondre avec les colonies malaises qui, plus tard, allèrent se fixer aux Philippines. Dans son Histoire de Sumatra , (t. II, p. 109), Marsden signale lui-même cette différence, quand il dit : « Les mœurs des naturels des Philippines, correspondent en plusieurs points d’une manière si frappante avec celles des Sumatranais de l’intérieur, et spécia- lement dans les points où ceux-ci diffèrent le plus des Malais, qu’il n’y a pas de doute que, s’ils n’ont pas une origine commune, il a au moins existé anciennement entre eux un commerce et des relations qui n’ont plus lieu aujourd’hui. » Or, que sont les Sumatranais de l’intérieur ? Nous avons vu que ce sont des Malaisiens : Lampongs, Redjangs, etc. (1) Balbi nous apprend que l’alphabet tagal, usité par tous les Ta- gals qui connaissent l’écriture, sans avoir embrassé le christia- nisme, paraît leur avoir été apporté par les Malais. Cet alphabet a quelque ressemblance avec le Batta et, de même que ce dernier et le Javanais, il ne suit pas l’ordre du Devanagari. Il a 14 con- sonnes et 3 voyelles et, sous' le rapport de ces dernières, c’est l’alphabet le plus incomplet que l’on connaisse. La langue des Philippines, dit- il, est, du reste, une langue riche, harmonieuse, qui possède trois passifs, un duel pour les trois personnes et, comme le Quichua, outre le pluriel ordinaire, un autre pluriel de la L'e personne, qui exclue celle à laquelle on parle. LES POLYNÉSIENS. 437 de Otaheite et dans presque toutes les îles de la mer du Sud. « Dans, une collection % de voyages, on a donné divers vocabulaires, avec des termes qui se correspondent si bien, que chaque voyageur a pu les reconnaître dans ces îles. 11 est remarquable que presque tous les pronoms, dans les vocabulaires, sont les mêmes que ceux de la nation tagale. Les nombres sont également pareils dans tous ; les dialec- tes de ces îles et la plupart des mots sont semblables et ont la même signification que les mots tagals ; mais, ce qui me porte le plus à croire à l’identité de ces dialectes, c’est une conversation que j’ai eue avec Don Juan Hovel, anglais, qui parlait celui des Sandwich, et qui avait un esclave, né dans l’une de ces îles. La structure de ce langage paraissait être la même que celle des langages parlés dans les Philippi- nes, et, surtout, je m’assurai qu’ils n’étaient que des dia- lectes du même langage, répandu sur une aussi grande portion de la terre. Il est certain que ce langage est d’un usage commun pendant des milliers de lieues, depuis Ma- # dagascar jusqu’aux îles Sandwich, Otaheite et Pâques, dernière île qui n’est qu’à six cents lieues de la côte de l’Amérique du Sud. « Cependant, les Indiens des Philippines ne compren- nent pas les peuples des dernières îles mentionnées, quand ils ont l’occasion d’avoir quelque rapport avec eux et mê- me dans les îles, les habitants d’une province ne peuvent comprendre ceux d’une autre: ainsi l’Espagnol ne comprend pas le Français, ni le Français l’ Italien. « Dans la même collection de voyages, nous trouvons un vocabulaire de cinq mots seulement, recueillis par les Espagnols en Patagonie, et que nous avons pu rapprocher du langage des Philippines. L’un de ces mots est celui de Balay qui, dans cette contrée, signifie une maison. Le même mot sert à désigner une maison chez les Pampangos et les habitants des Bisayas, en général (1). Il est vrai que cela (1) N’ayant pu nous procurer que la traduction anglaise de Ma- ver, nous devons les quelques lignes suivantes du texte de Zuni- • 1 / 438 LES POLYNÉSIENS. pourrait plutôt être le résultat d’un accident que la preuve de l’identité des langages ; mais, en outre, on voit que les noms propres de lieu, vers le milieu du continent de l’Amé- rique du Sud, sont très ressemblants à ceux des Philippines ; aussi ai-je cherché à me procurer un vocabulaire de cette contrée, et, après avoir examiné avec attention les quelques motsqu’Ercillamentionne dans son Araucania^ je les ai trou- vés parfaitement semblables au langage tagal. « Le nom Chili dérive de ce langage; le cormoran est appelé Cachile , et c’est le nom que les Malais donnent aux fils de leurs rois. Chilian , qui est une ville du Chili, est un composé du langage tagal dans lequel la terminaison an, donne la signification ville. Ainsi de Cachile , nous dédui- sons Cachilian , signifiant une ville où il y a des cormo- rans. Map oc ho, qui est le lieu où la ville de Santiago a été bâtie, est un autre mot de composition tagale, signifiant une ville, et Pocquiot étant une espèce d’herbe, nous for- mons le mot Mapocquiot qui signifie une ville où cette herbe abonde. « Dans le Chili on double fréquemment les syllabes pour former un mot comme ytayia , hiohio, lemolemo , colocolo , etc. Et cela a lieu dans la langue tagale. Ainsi, nous disons ataata , bilohilo , lebomlebon , colocolo. Beaucoup d’autres mots sont ou des dérivés tagals, ou très voisins de cette langue. En examinant la construction de ces deux langues, nous avons été porté à conclure qu’elles dérivent d’une meme source et j’ose affirmer que les Indiens des Philippines des- cendent des aborigènes du Chili et du Pérou, et que le lan- ga, à l’extrême obligeance de notre ami, le savant administrateur de la bibliothèque Ste-Geneviève, Ferdinand Denis, qui abien voulu les copier dans un exemplaire rare, ayant appartenu à Charles Nodier : « En la misnu collection de viages, halle un diccionario de solo cinco terminos que los Espanoles pudieron prender en la costa patagonica, y cl uno de ellos era Balaya que en aquella tierra significa Casa ; y con esto mismo vocablo numbran à la casa los Pamoantos y Visagas. « Examine con cuidado los pocos terminos delà lengua de Chile que Ev- eilla habe en su Araucaria , y los hallo battante conformes à los de la leit- gua Tagale. » LES POLYNÉSIENS. 439 gage de ces îles dérive immédiatement de la source mère, celui des îles environnantes n’en étant que des dialectes. Beaucoup de personnes feront remarquer l’absurdité de cette supposition, en raison du voisinage des Philippines et de Malacca, que la plupart des historiens regardent comme ayant colonisé les Philippines (1). « Je ne puis nier que ces îles auraient pu être peuplées fa- cilement par les Malais, mais comment auraient-ils pu colo- niser les îles Palaos et les îles Mariannes qui sont éloignées de plus de 300 lieues ? Il est encore moins probable qu’ils aient colonisé les îles Sandwich et Otaheite, qui sont à la distance de 2,000 lieues des Philippines. Cependant toutes ces populations ont le même langage, les mêmes manières et coutumes, et, par conséquent, la même origine que les Indiens des Philippines. Il y a, à mon avis, une autre raison de supposer que ces dernières îles n’ont pu être peuplées par l’Ouest, c’est que dans toute la zone torride, le vent d’Est est celui qui règne généralement et s’oppose directement au voyage de Malacca à ces îles : d’où il faut conclure que les habitants de toutes les îles de la mer du Sud viennent de l’Est, en marchant devant le vent, et nous avons souvent vu les Indiens des Palaos arriver aux Philippines, justement dans ces circonstances. Par contre, nous n’avons jamais en- tendu dire que des indigènes des Philippines aient été, mê- me accidentellement, entraînés par les vents jusqu’aux îles de l’Est ; et nous savons que c’est le contraire qui est vrai, depuis que les pilotes les plus expérimentés, en tentant cette navigation, se sont trouvés contraints de retourner, sans avoir pu tomber sur les îles à la recherche desquelles on les avaient envoyés : d’où la nécessité d’avoir de bons instru- ments quand on entreprend ces voyages. (1) La traduction de Maver différant un peu du texte, nous cite- rons exactement celni-ci : « Si, cotejando los artes y dicciones de estas dos idiomas, se hallaria que derivan de una misma lengua, me atreveria decir que los Indios de Philippinas trahen su otigen de los Indios de la America Méridional, y que las lenguas de estas islas son diale et os. Muchos tendran esto por un paradoxo, porque estando tan cerca los Aïalayos, parece que deven descender de ellos los Philippines^ como generalmente han creydo nuestros autores-. a 440 LES POLYNÉSIENS. « Nous croyons donc avoir trouvé la solution la plus pro- bable de toutes les difficultés, c’est-à-dire que les premiers occupants vinrent de l’Est, et, présumons -nous, de l’Améri- que du Sud et, favorisés par les vents, ils avancèrent gra- duellement vers l’Ouest, à travers l’océan Pacifique qui est rempli d’îles et d’amas d’îles peu distantes les unes des au- tres, d’où il suit qu’à quelque point que ce soit, dans une di- rection Est, où l’on retrouve la langue tagale, on peut con- clure que c’est là que l’émigration doit avoir commencé. « Quelques personnes, cependant, sont d’avis différents à ce sujet, parce que la manière d’écrire, en usage parmi les Malais, est la même que celle des habitants des Philippines. Cette manière d’écrire consiste à tracer des caractères de droite à gauche, comme les Arabes, les Persans, etc., et non comme les Chinois, les Tartares et les Japonais, c’est-à-dire de haut en bas. Les caractères des habitants des Philippines diffèrent complètement des nôtres ; ils ont seulement trois voyelles a, e, u, et en plaçant un point, soit au-dessus, soit au-dessous de la consonne, ou en la laissant sans point, la voyelle est aussi facile à reconnaître que si toutes étaient ex- primées. » Zuniga termine ce chapitre par de longues considérations sur les lois, Injustice civile et criminelle, les mœurs, coutu- mes, superstitions des habitants des Philippines ; mais ces considérations ne rentrent pas dans notre sujet. Tel est donc le texte de ce chapitre dont on a tant parlé, sans probablement bien le connaître, ainsi que nous l’avons déjà dit. Ce texte, il nous semble, est loin de porter la con- viction dans l’esprit du lecteur. Toutefois, nous ne le juge- rons point aussi sévèrement que Balbi, qui disait: (1) « Nous croyons inutile de réfuter l’opinion absurde du père Zunig*a qui voyait une grande parenté entre le Tagalog et les idio- mes des Araucans et des Patagons : ces idiomes en diffèrent entièrement, non-seulement dans les noms de nombre et dans les racines qu’on en connaît, mais encore ils ont des pronoms et des formes de conjugaisons tout-à-fait différents. « Car (1) O il y . cité, Introduction , p. 248. LES POLYNÉSIENS. 441 si le rapprochement fait- par lui est véritablement forcé pour les quelques mots cités du Chili, et pour l’analogie qu’il voyait entre les langages des Mariannes, des Sandwich, des Palaos et même de la Nouvelle-Guinée, analogie qui n’est pas le moindrement fondée, il ne signale pas moins, avec quelque raison, l’obstacle que des migrations, partant de Malacca, auraient rencontré dans les vents d’Est, en cherchant à se rendre dans les îles Polynésiennes ; et il indique en même temps que les mêmes vents auraient, à plus forte raison, empêché des migrations des îles Philip- pines d’aller coloniser, du moins d’une manière générale et facile, les îles Sandwich et de la Société, qui en sont éloi- gnées de 2,000 lieues ; en outre, il donne les renseignements les plus intéressants sur les mœurs, les usages et les croyances religieuses des habitants des Philippines et il fournit aux ethnologues, les plus curieux termes de compa- raison entre eux et les habitants des îles Polynésiennes (l). Mais, en quoi il se trompe évidemment, c’est quand il dit que toutes les populations des îles Polynésiennes, en outre des mêmes manières et coutumes, ont le même langage que les Indiens des Philippines (2), et il le prouve d’ailleurs lui- même quand, après avoir répété, « qu’une seule et même langue est parlée depuis Madagascar jusqu’aux Philippines, de même qu’à la Nouvelle-Guinée et dans presques toutes (1) Faisons remarquer, en passant, que c’est à lui que de Rienzi, suivant son habitude, a pris, sans en indiquer la source, les des- criptions qu’il donne des habitants des Philippines. (2) Les mots donnés comme Tagals par le P. Zuniga sont les sui- vants : Patianac , esprit empêchant la délivrance des femmes ; Tigbalang , fantôme prenant toutes sortes de formes étranges et monstrueuses ; Catalonas et Babaïnas, prêtresses ; Bigay-suso et Bigay-caya, dots payées par le mari. Or il n’y a point la moin Ire analogie avec les dialectes polyné- siens. Certains de ces mots, au contraire, présentent quelque ana- logie avec des mots fijiens, mais ayant une signification diffé- rente. 29 442 LES POLYNÉSIENS. les îles 'le la mer du Sud, » il termine en disant : « Cepen- dant les Indiens des Philippines ne comprennent pas les peuples des dernièresîles mentionnées, quand l’occasion leur fait avoir quelque rapport avec eux. » Après pareille remarque, inutile, croyons-nous, de nous arrêter plus longtemps à cette hypothèse qui ne repose, en somme, que sur quelques faits exceptionnels ou inexacts, mais qui, nous le répétons, a fourni l’occasion à l’auteur d’exposer les données les plus intéressantes sur les usages et les superstitions des habitants de ces îles. Un mot pourtant encore touchant la paternité du livre du père Zuniga. Ce livre, s’il fallait s’en rapporter à son traduc- teur, ne serait pas de lui, car voici ce qu’en dit Maver (1) : « D’après un renseignement auquel on peut se fier, il pa- raît que Zuniga doit plutôt être regardé comme éditeur que comme auteur ; alors qu’il était à Manille, en 1803, et y sur- veillait sa publication, il y passait pour avoir seulement ar- rangé, pour l’impression, les papiers d’un receveur décédé : conclusion justifiée par cette circonstance que l’ouvrage se termine à la paix de 1763, car il n’aurait eu aucune bonne raison à donner pour s’excuser de ne pas faire la relation des quarante années écoulées entre cet événement et le moment de la publication, s’il en eût été lui-même l’auteur. » Disons enfin, que si nous avons tenu à reproduire in ex- tenso le texte de Zuniga, pour mettre le lecteur à même d’en juger, nous avons eu aussi un autre but, celui d’empêcher qu’on ne continue à mettre cette hypothèse sur le compte d’un observateur qui n’y est pour rien, et qui la lui a plutôt empruntée. Cet observateur est le missionnaire anglais Ellis, l’auteur des Recherches si intéressantes sur les Polynésiens. Le compilateur de Rienzi lui a nettement attribué cette opinion, dans son Océanie pittoresque (2), et c’est en effet (1) Guy. cité, Introduction, p. 9. (2) Le savant missionnaire Ellis, dit-il à la page 335, suppose que les Polynésiens sont sortis de l’Amérique Méridionale ; mais ces peuples diffèrent totalement de langage, de lois et de constitu- tion* LES POLYNÉSIENS. 413 celle qu’Ellis préférait, comme nous allons le montrer. Mais il faut pourtant reconnaître, en même temps, que le savant anglais était loin d’en avoir une aussi tranchée et qu’il était plutôt éclectique relativement à l’origine réelle des Polyné- siens, ainsi que le prouvent les opinions les plus contradic- toires soutenues par lui et que nous avons déjà fait connaître en partie. C’est ainsi, avons-nous dit, qu’il trouvait des ressemblances entre les Polynésiens et les Hébreux ; qu’il en trouvait beaucoup entre les Polynésiens etles Hindous modernes (1) ; qu’il disait, quelques pages plus loin (2), que les points de ressemblance étaient encore plus nombreux entre les Polynésiens, d’une part, et entre les Malais, les habitants de Java, de Sumatra, de Bornéo, des Ladrones, des Carolines et des Philippines, de l’autre; que plus loin encore (3) il trouvait que les Polynésiens offraient des ressemblances, par le langage et la forme des canots, avec les habitants de Ma- dagascar, des îles Aléoutiennes et Kouriles, du Mexique, et qu’il y en avait même entre eux et les Incas et les Araucans. Il est vrai que, dans ces derniers lieux, les points de ressem- blance n’étaient pas, pour lui, aussi nombreux que dans le continent et les îles asiatiques, mais cela, disait-il, ne résul- tait probablement que de ce que les souvenirs avaient été plus facilement conservés par les Hindous, pendant qu’ils manquaient complètement dans l’Amérique du Sud (4). Comme on voit par ces paroles, il penchait bien, du moins dans le moment, pour l’origine américaine, et les quelques lignes qu’il ajoute ne permettent pas d’en douter. Aussi les citerons-nous textuellement : « When we better acquinted with the history and institutions of the first inhabitants of the New- World, more numerous points of ressemblance would probably be discovered . » Il en est de même des suivan- (1) Polynésien i researches , 2 vol. in-80, — London 1829, t. II, p. 42.- (2) ici., p. 44. (3) id., p. 4ô. (4) id. p. 46. 444 LES POLYNÉSIENS. tes qui les corroborent (1) : « Mais un certain nombre de faits relatifs aux conditions passées et présentes des indigènes de ces contrées autorise cette conclusion : qu’une partie des ha- bitants actuels de la mer du Sud sont originellement venus d’Amérique, ou que des tribus de la Polynésie, d’abord ve- nues d’Asie, ont, à une époque reculée, trouvé le chemin du continent américain. » Il n’y a plus à en douter, El lis préférait bien l’origine américaine à toute autre, ce qui ne l’empêche pas cependant de dire un peu plus loin (2) : « L’origine des habitants du Pacifique est enveloppée d’un grand mystère, et les preuves les plus fortes sont certainement en faveur de leur descen- dance des tribus malaises habitant les îles asiatiques. » Il est vrai qu’il ajoute aussitôt : « Les moyens employés par les Polynésiens pour arriver dans les lieux qu’ils occupent, sont restés inexpliqués jusqu’à présent. Il semble que si les îles de la mer du Sud avaient été peuplées par les îles Malaises, elles auraient dû posséder de meilleurs canots et une con- naissance plus grande de la navigation que celle qu’elles ont, pour pouvoir s’avancer contre les vents régnants entre les tropiques et qui soufflent régulièrement avec de rares interruptions de l’Est vers l’Ouest. » Ainsi Ellis admettait donc l’origine américaine, et c’était surtout l’existence des vents alisés, s’interrompant rare- ment, suivant lui, qui le portait à partager l’opinion de Zu- niga, en outre qu’il trouvait, entre les Américains et les Asia- tiques, diverses analogies de mots, de coutumes et de tra- ditions (3). 11 accumule alors les faits qui lui semblaient prouver que les migrations s’étaient toujours opérées avec des vents d’Est, tels que les entraînements rapportés par Cook, Williams et quelques autres (4), et il en concluait que « si l’on admet que le peuplement de la Polynésie s’est fait par l’Amérique, c’est-à-dire de l’Est à l’Ouest, ces circonstances (1) Polynésian researches , t. II, p. 49. (2) Id. p. 49. (3) Id. p. 48. (4) Id. p. 50. LES POLYNÉSIENS. 445 montrent par quel moyen il se serait opéré. Car, dit-il en terminant : « C’est un fait que les voyages, dont ont parlé les navigateurs, ou dont le souvenir a été conservé par les tra- ditions, se sont opérés invariablement de l’Est vers l’Ouest, c’est-à-dire directement à l’opposé de ce qui aurait eu lieu si la population fût venue de l’archipel Malais » (1). Sans nous arrêter longuement ici à l’examen critique de cette dernière assertion d’Ellis , aujourd’hui reconnue comme inexacte, qui sera d’ailleurs mieux placé lorsque nous étudierons la marche des migrations, nous devons du moins faire remarquer, en passant, qu’Ellis garde le silence sur des faits qui contrariaient cette assertion, et qu’il ne devait cependant pas ignorer, puisque, bien longtemps avant ses recherches, ces faits avaient été rapportés par deux naviga- teurs bien connus, Kotzebüe et Wilson (2). On sait particulièrement que ce dernier, dans son nau- frage aux îles Pelew, avait avec lui un Malais, et que ce fut vainement qu’il essaya de s’en servir pour se faire compren- dre des indigènes. Il ne put y parvenir que grâce à un autre Malais, naufragé quatorze mois auparavant sur les mêmes îles, et qui avait eu le temps d’apprendre quelques mots du pays. Ce qui prouve, ferons-nous remarquer, que la langue des Pelew n’est pas un dialecte de la langue ma- laie, comme on l’a dit. Le Malais trouvé aux Pelew, par le capitaine Wilson, était un capitaine marchand de Ter- nate qui, en se rendant de cette dernière île à Amboine, avait été entraîné par un coup de vent jusqu’aux îles Pelew. C'était donc nécessairement avec d’autres vents que ceux de l’Est et du Sud-Est qu’il y avait été porté, puisque Ternate et Amboine sont plus à l’Ouest que les Pelew. Quant à l’odyssée de Kadu, racontée par Kotzebüe et Clioris, tous les ethnologues la connaissent aussi, et elle prouve elle-même qu’il y avait des entraînements de l’Ouest vers l’Est. (11 Polynésien* researches , t. IT, p. 5i et 52. (2) Wilson a publié son livre en 1783; Kotzebüe en 1820 ou 22; Eliis en 1829. Yoy. p. 35 de l’ouvrage de Wilson, 446 LES POLYNÉSIENS. Voici, du reste, comment Ellis faisait voyager les émi- grants allant peupler la Polynésie : admettant que leur premier point de départ était l’Asie, il les faisait longer les îles Kouriles, d’abord, puis traverser le détroit de Behring, pour atteindre l’Amérique. De là, il les faisait s’avancer vers l’Est ou vers le Sud, et c’est alors qu’il se demande si quel- que tribu ne s’est pas détachée du corps principal pour aller former la souche de la race polynésienne actuelle. « Cette tribu, dit-il, en essayant de suivre le gros des émi- grants vers l’Est, ou bien en se portant au Sud, aura pu être poussée par les vents alisés du N.-E. vers les îles Sandwich, d’où elle se sera avancée vers les groupes du Sud ; ou bien encore, ceux qui avaient traversé jusqu’à la côte N. -O. d’Amérique, auront pu faire voile, soit de la Ca- lifornie, soit du Mexique, à travers l’océan Pacifique, sous l’influence favorable des vents réguliers de l’Est, pour aller peupler Pâques ; et, de là, s’avancer ensuite, avec les mê- mes vents alisés, de l’Est vers l’Ouest, jusqu’à la rencontre du courant d'émigration sorti des plus grandes îles ou groupes, où les Malais forment la majorité de la popula- tion (1). 2) (1) Nous croyons devoir placer ici sous les yeux du lecteur les objections faites par Moërenhôüt, et qui répondent si nettement à l’itinéraire des migrations tracé par Ellis. Moërenhoüt n’avait adopté ni l’hypothèse de Zuniga et d’Ellis, ni la théorie d’une ori- gine asiatique ou malaisienne, et en défendant celle d’un conti lient submergé, il se contentait de signaler les immenses difficultés qui contrarient également les deux autres. « Enfin, dit-il ( a ), et cette objection n’a pas moins de force contre les Américains que contre les Malais, il paraît de toute impossi- bilité que des embarcations semblables à celles qu’on a trouvées chez les nations du Nouveau-Monde, aient pu franchir la prodi- gieuse distance qui les sépare de l’île de Pâques, la plus orientale des îles océaniennes connues, du moins jusqu’à ce jour, puisque, de quelque point quelles fussent parties, elles auraient toujours eu à franchir de 12 à 15 mille milles pour atteindre cetteîle, qui n’est qu’un point imperceptible dans cette immensité, et elles auraient infailliblement péri de faim et de soif avant d’y arriver (b). Quant (a) Ouvr. cité, t. II. p. 219. \b) On verra que c’est l’opinion qu’a adoptés, plus tard^ M< de BovB. LES POLYNESIENS. 447 En un mot, c’était de la côte d’Amérique, après être venus de l’Asie, que, suivant Ellis, les émigrants s’étaient portés, d’une part aux îles Sandwich, et, de l’autre, en par- tant plus particulièrement de la Californie et du Mexique, à l’île de Pâques,, pour aller, de là, les premiers au S. -O, à l’aide des vents de N.-E., et les seconds à l’Ouest, à l’aide des vents alisés de TEst. Seulement, ce que l’on ne com- prend pas bien, c’est ce qu’a voulu dire Ellis, quand il parle du courant formé par les Malais, au devant duquel se ren- daient les émigrants en allant de l’Est à l’Ouest ; car on pourrait supposer, d’après son texte, qu’il regardait le cou- rant de la Malaisie comme en dehors des autres et comme se dirigeant, malgré les vents, directement vers la Poly- nésie. Ajoutons enfin que, quelques pages plus loin, il dit (1) : à ees auteurs qui, d’un trait de plume, les font venir du Mexique, de la Californie, du détroit de Behring même, aux îles Sandwich, et de là, parcourir les quatre quartiers de l’océan Pacifique, on ne peut s’empêcher de sourire au simple exposé d’un pareil sys- tème, car il suffit de jeter un coup d’œil sur les moyens de navi- gation des Indiens de l’Amérique, pour se convaincre que de tels navigateurs n’ont jamais pu faire autant de milles qu’on leur fait franchir de degrés.... Les difficultés sont donc égales sur tous les points. S’il n’est pas possible que les habitants de la Polynésie soient venus de l’Ouest, il est également peu probable qu’ils soient partis du continent d’Amérique. » C’était certainement aussi aux opinions précédentes que Beechey faisait allusion, quand il disait ( a ) : ec L’objection des frêles canots partant des îles Malaises et au- tres grandes îles situées à l’Ouest de la Polynésie, a si fortement influencé l’esprit de quelques auteurs, qu’ils ont eu recours à la route détournée à travers la Tartarie, le détroit de Behring, et sur le continent américain, pour faire arriver les émigrants à une po- sition qui leur permît d’être poussés par le cours ordinaire des vents, aux terres en question. Mais, concluait-il avec raison, si cela avait eu lieu, on aurait trouvé une ressemblance plus grande entre les Indiens d’Amérique et les naturels de la Polynésie. » Ce qui prouve que le savant navigateur ne croyait pas à une origine commune. (a) Narrative of a voyage round tke World , etc , vol< I, p. 258 . (1) Qttfîi dtê) p< 60 1 448 LES POLYNÉSIENS. « Nous ne pourrions pas démontrer que les îles polynésien- nes, ne sont pas les restes d’un continent unissant, dans l’origine, l’Asie à l’Amérique, et qui aurait disparu sub- mergé par les eaux du délug*e. » Comme on le voit, Ellis adopte à peu près toutes les opi- nions possibles, même celle des communications de l’Océa- nie avec l’Amérique, contre la direction des vents régulants. Mais dans tous les cas, il reste partisan de l’origine asiati- que première, aussi bien des Américains que des Polyné- siens. Nous l’avons déjà dit, des opinions si variées prouvent sans contredit les consciencieuses recherches de l’auteur, mais elles sont certainement plus nuisibles à la solution de la question, qu’elles ne lui sont utiles. Si cependant nous avons tenu à les faire connaître, c’est que nous avons voulu montrer que le savant missionnaire n’avait pas d’o- pinion aussi arrêtée qu’on l’a cru à ce sujet. Inutile, après cela, de chercher ici à faire l’examen critique de chacune de ces opinions, examen que nous avons déjà abordé dans la première théorie relative à l’existence d’un continent submergé, et qui va être complété par tout ce qu’il nous reste encore à dire touchant l’origine américaine et l’origine asiatique. Telles avaient donc été, en somme, les raisons données pour soutenir la théorie de l’origine américaine, d’abord par Zuniga, son auteur, puis par Ellis, qui n’a guère fait que le copier, en s’appuyant surtout sur la direction des vents ; car, s’il affirme aussi que différentes langmes amé- ricaines contiennent un certain nombre de mots communs à la languie de Tahiti, il n’est pas moins vrai qu’il oublie d’ap- porter la moindre preuve à l’appui de cette assertion. Depuis ces écrivains, beaucoup de voyageurs ont adopté cette théorie ; mais, il faut bien le dire, tous se sont bornés à rappeler, à l’appui de la migration des Américains en Océanie, les deux seuls grands arguments invoqués avant eux, et qu’Ellis avait résumés en disant (1) : « 11 est aisé (I) Ouv. cité, pi 5o . LES POLYNÉSIENS. 449 d’imaginer comment les Polynésiens ont pu venir de l’Est. Les vents devaient favoriser leur voyage, et l’état peu avancé de civilisation dans lequel ils furent trouvés, ressem- blait certainement plus à la condition des aborigènes de l’Amérique qu’à celle des Asiatiques. » Peut-être ici, y aurait -il lieu à deux remarques : La pre- mière, que les habitants des îles de la Malaisie ne sont pro- bablement jamais arrivés au même degré de civilisation que les Asiatiques purs ; la seconde, que les Américains, de leur côté, ont laissé des témoignages irrécusables d’un état de société fort remarquable. Mais, nous l’avons déjà dit, loin de diminuer la force des arguments présentés en faveur des provenances américaines, nous allons exposer avec quelque détail tout ce qui peut servir à la défense de cette théorie. Nous ne craignons pas d’avancer qu’aucun auteur n’a réuni autant de données que nous, sur ce point de contro- verse anthropologique. Nous grouperons toutes les données en trois catégories, selon qu’elles se rapportent aux ressemblances de Religion, d’industrie ou de Mœurs, des habitants de l’Amérique et des Océaniens ; car, indépendamment des conditions de climat, ou de facilité des émigrations terrestres ou maritimes, c’est sûrement à ces trois sources qu’il faut toujours puiser quand on veut tenter d’arriver à la connaissance des analogies réelles des peuples. L’homme est plus attaché qu’il ne le croit souvent lui-même aux idées religieuses du passé, et s’il fait des progrès plus sensibles dans les arts que son génie crée, il modifie bien moins ses habitudes personnelles sociales ou politiques. Les considérations dans lesquelles nous allons entrer serviront à le prouver, alors même qu’on ne serait pas convaincu d’avance que nous venons de formuler une loi générale de l’humanité. 1° Religion. — Nous n’entreprendrons point d’énumérer les analogies puisées dans les cosmogonies pures de l’Amérique et de l’Océanie, parce qu’elles ne présentent pas de particu- larités bien saillantes, c’est-à-dire sortant du cadre ordi--- 450 LES POLYNÉSIENS. naire des idées que les peuples de tous les pays se sont faites sur leur origine primitive, toujours rapportée à des êtres supérieurs, à un Dieu. Cependant nous devons dire qu’on retrouve chez les Poly- nésiens, comme chez les Américains, la croyance à un déluge universel auquel aurait échappé un petit nombre d’hommes, souche naturelle des habitants actuels de la terre (1). Mais (1) Ainsi, on sait que les Péruviens avaient ouï parler d’un an- cien deluge universel, duquel fort peu de gens étaient échappés en se cachant dans les trous des hautes montagnes, après s’être pourvus de vivres. La tradition rapporte que, s’étant aperçus de la diminution des eaux, ils commencèrent par envoyer deux chiens dehors, lesquels étant revenus mouillés, leur firent conjecturer que les eaux n’étaient pas encore tout écoulées ; aussi trouvèrent-ils qu’il n’était pas encore expédient de sortir. Quelque temps après, ayant envoyé encore deux chiens, et les voyant revenir fangeux, ils conclurent que les eaux étaient écoulées, et ils se décidèrent à sortir. Les Araucans ont conservé la tradition d’un déluge universel, ouvrage de Wancubu, et celle d'un patriarche juste entre les justes, conservé par la protection de Meulen. Les sauvages du Brésil, dit Thevet la), affirment l’existence d’un déluge. Ce fut après que l’eau se fut retirée que vint le grand Caraïbe , qui amena avec lui un peuple lointain, tout nu. On lit dans Y Histoire générale des voyages, t. XII, p. 570 : « Les habitants du Méclioacan disaient que le dieu Tucapacha avait créé de terre un homme et une femme, qui étant allés se baigner, avaient perdu leur forme ; mais leur Dieu la leur rendit avec un mélange de certains métaux. Le monde ou le genre humain descendit de ces deux personnages ; mais les hommes étant tom- bés dans l’oubli de leurs devoirs et de leur origine, ils furent pu- nis par un déluge universel, à l’exception d’un prêtre indien nommé Te^pi, qui se retira avec sa femme et ses enfants dans un grand coffre de bois où il avait rassemblé quantité d’animaux et d’excellentes semences ; qu’après la retraite des eaux il avait lâché un oiseau nommé Aura, qui n’était pas revenu, et, successivement, plusieurs autres qui ne reparurent pas non plus; mais que le plus petit, celui que les Indiens estiment le plus pour la variété de ses couleurs, avait bientôt reparu avec une branche d’arbre dans le bec. » (a) Thevet (André), le3 Singularités de la France Antarctique, autrement nommée Amérique , petit in«4°,« LES POLYNÉSIENS. 451 évidemment ce ne peut être là un caractère bien précieux et surtout bien spécial à la thèse que nous exposons, car le fait des submersions générales ou locales emporte avec lui un cachet de généralité qui le rend propre à la défense de toutes les causes anthropologiques. Cette colombe ne paraît pas avoir été inconnue au Mexique, à l’époque d’un déluge universel, arrivé du temps de Coxcox , qui y échappa avec sa femme et ses enfants, lesquels cessèrent d’être muets à l’apparition d’une colombe qui vint se percher sur un grand arbre ; mais les enfants de Coxcox ne s’entendirent plus : à l’exception de quinze qui restèrent ensemble, tous les autres se dispersèrent {Ibid. p. 523). La tradition d’un déluge universel existait également chez les Tlascalans, lors de la conquête du Mexique. Rapprochement curieux, on lit dans Thomas Williams (a) qu’aux îles Fiji, le point le plus élevé de l’île Koro joue un rôle dans l’histoire du déluge. Son nom est N gingi-Tangiti-Koro , qui entraîne l’idée d’un petit oiseau s’y reposant et s’y lamentant sur la perte de l’-île noyée. Dans cet oiseau, les chrétiens reconnaissent, dit-il, la colombe de l’arche à la seconde sortie. « J’ai entendu, ajoute-t- il, un naturel, après avoir écouté la narration de l’incident rapporté comme de Moïse, chanter : na Gigi sa tagi e'i Koro ni y ali , le Gigi se lamente sur Koro , parce qu’il est perdu. » Dans la tradition du déluge, conservée par les Hawaiiens, il tomba de la pluie et les eaux s’élevèrent jusqu’à ce que toute la terre fût couverte, excepté le sommet de Mauna-Kea. Quelques-uns des habitants se sauvèrent dans un Laau , vaisseau dont la hau- teur, la longueur et la largeur étaient égales ; il était rempli d’hommes, d’animaux et de leur nourriture et, après avoir flotté pendant quelque temps, il s’arrêta enfin sur la montagne Mau - na-Kea (b). Est-il nécessaire de dire que, malgré leur grande ressemblance avec les écritures, ces divers mythes ne peuvent pas être regardés comme provenant certainement des sources juives. Il est plus que probable qu’ils ont pris naissance de quelques rapports euro- péens, et il est sans doute inutile de faire remarquer que, pour la société hawaiienne particulièrement, comme dans celle de l’âge héroïque des Grecs, il a suffi d’un temps très court pour donner un air d’antiquité aux légendes récemment importées. (a) Fiji etFijiens, p. 552, Pour la tradition du déluge à Tahiti, v. Ellis, t. II, p. 59. (è) Jarves, Histoire des îles Sandwich, Boston, 1843, Voy. aussi Ellis,«iej 4.“ 2 LES POLYNÉSIENS. Laissant de côté les faits -du même genre, invoqués trop souvent pour servir à légitimer des rapprochements ethno- logiques, nous ne ferons qu’indiquer aussi que les Polyné- siens, comme les Araucans, les Péruviens et, en général, toutes les nations de l’Amérique, avaient une foule de su- perstitions communes, telles que la croyance aux présages, à l’influence du vol des oiseaux, à celle des song*es (1). L’espèce d’oiseau, la direction choisie par lui, étaient favo- rables ou défavorables, d’une manière à peu près identique pour les peuples des deux contrées : les uns comme les au- tres tremblaient au seul aspect du hibou. Cette crainte commune des présages a du naturellement conduire à la consultation ou à l’invocation des esprits supé- rieurs, à la recherche d’un moyen de communication avec eux : de là sont nées des traditions analogues, dont la source était un oracle. On connaît les prédictions péruviennes relatives à la ve- nue d’hommes extraordinaires qui envahiraient le royaume et détruiraient la religion. On connaît la vision du fils aîné du 7e Inca, dont le nom Jahuar-Huaca (2), « pleurs de sang*, » annonçait si bien la fatalité de son époque : un spectre à la barbe longue, à la robe tombante, et tenant en laisse un ani- mal inconnu, lui était apparu et lui avait dit qu’il s’appelait Viracocha(3), qu’il était fils du soleil etpère de Manco-Capac. (1) On pourrait dire que ces superstitions ont existé ou existent encore sur tous les points du globe. Elles sont trop connues des lecteurs instruits, pour que nous essayions de rapporter celles même que nous avons pu observer, relatives surtout au vol ou à l’apparition de certains oiseaux, soit en Amérique, soit aux îles Marquises. Nous nous bornerons à renvoyer, pour ces dernières îles, au journal de notre Voyage en Océanie sur le Pjrlade, en 1840 ; pour Tahiti, aux légendes concernant les oiseaux otaîare , otaha, etc. ; et pour les Fiji, au livre de Pritchard, Polynésian rémi- niscences, 1866. Voir aussi le curieux journal d’ Arias, pour l’oiseau ytimini annonçant le retour d’un chef qu’on n’attendait pas. (2) D’après Acosta, c’est Yaguar-Guagua , le 3e Inca, père de Viracoclia. (3) Le 4e Lie a, d’après Acosta ; le 8‘\ d’après Linschot et Fre- LES POLYNÉSIENS. 453 Cette fable s’était conservée au Pérou, et dès que les Indiens virent les Espagnols avec de grandes barbes, les jambes couvertes de vêtements et montés sur un animal qu’ils ne connaissaient point, ils crurent voir en eux les fils de ce Vi- racocha, descendant et héritier de leurs rois. Solis (1) a rapporté que des traditions identiques existaient au Mexique lors de sa conquête. Or les Tahitiens, comme la plupart des Polynésiens, et en particulier les Mangaréviens (2), croyaient, de leur côté, à l’apparition future de pirogues sans balancier, c’est-à-dire fort distinctes des leurs, et d'une grandeur tout-à-fait incon- - nue pour eux : plus tard, l’arrivée des navires européens réalisa à leurs yeux cette croyance. Un autre oracle leur avait même prédit la venue de grandes pirogues s’avançant sans voiles vers leurs îles : les bateaux à vapeur ont donné raison à ces espérances, dont l’origine exacte ne pourrait être déter- minée d’une manière précise. On ne peut, en effet, s’empêcher de concevoir quelques doutes sur la véracité et surtout sur la haute antiquité de pareilles traditions, trop propres à démontrer et à favoriser la légitimité de la conquête, pour que les écrivains de tous lespays, et spécialement les Espagnols, n’aient pas mis quel- que complaisance à les compléter, à les embellir, à les créer même. Mais ce qui est constant, c’est que l’histoire de bien des peuples témoigne de pareils oracles, souvenirs modifiés de communications accidentelles avec des races étrangères, ou simples pressentiments de l’esprit occupé à se rendre compte du passé et de l’avenir. Une analogie du même ordre que la précédente est celle que l’on peut tirer de la similitude des sacrifices offerts par les Océaniens et par les Américains à leurs dieux. (1) Histoire de la conquête du Mexique ou de la Nouvelle-Espagne, traduite de l’espagnol de D. Antonio de Solis, par Cytry de la Guette, in-4°. — Paris, 1691. (2) A. Lesson, Voyage aux îles Mangareva. — llocliefort, 1844. 454 LES POLYNÉSIENS. Molina (1) raconte des derniers que leurs prêtres réci- taient habituellement des prières et que, au commencement d’une guerre, ils se couchaient dans les temples, pour don- ner le lendemain, comme des présages de succès, leurs rêves de la nuit. Or le même usage existait chez tous les insulai- res de la Polynésie. Il y a même cela de particulier aujour- d’hui, que les Océaniens d’un grand nombre d’îles conser- vent encore cette habitude, et que le souvenir en existe tout au moins dans les archipels où l’usage en est actuelle- ment aboli, tandis que les Indiens du Chili, par exemple, ne paraissent plus avoir gardé la mémoire que les sacrifices aient fait partie de leurs cérémonies religieuses (2). C’est encore sous l’influence d’idées de culte, que les In- diens de plusieurs régions de l’Amérique regardent la mort accidentelle comme la seule naturelle, tandis que celle qui suit les maladies, est toujours attribuée par eux h l’inimitié de personnes qui, par des prières et des sortilèges, obtiennent des esprits malins ou démons le pouvoir d’occasionner les maux dont ils sont frappés. Les Océaniens ont identiquement les mêmes préjugés, et, comme les Américains, ils s’empressent, dans les circonstan- ces de ce genre, d’aller consulter les devins: ceux-ci, s’enfer- mant dans la maison du défunt, y accomplissent, en présence de sa famille, diverses cérémonies ou incantations, à la suite desquelles les dieux leur font généralement connaître le (1) Molina (Jean-Ignace), Essai sur l’Histoire naturelle du Chili , — Paris, 1789, in-8°, trad. par Grnvel. (2) On sait que les sacrifices humains, pratiqués si largement au Mexique, ont existé à Tahiti, aux îles Sandwich, Marquises, etc* Yoir dans VHistoire du Chili , de l’abbé Eyzaguire, in-8°, Paris, 1855, t. I, p. 401, ce que dit l’auteur des rites horribles du Procu- lon, sacrifices correspondant à ceux que les Mexicains offraient à Yiztciliputli. Il décrit la scène observée en 1629 par Bascunan, qui avait même été destiné d’abord à servir de victime. Yoir Ellis, t. II, p.221, et Moërenhoüt, pour Tahiti, Marquises, Pau- motu ; voir aussi nos observations aux Marquises, etc. ; pour la Nouvelle-Zélande, tous les voyages, et particulièrement les tradi- tions Néo-Zélandaises qui ont été publiées par sir Grey, Shortland, etc. LES POLYNÉSIENS. 455 coupable. De là, des vengeances sauvages contre le malheu- reux accusé, d’autant plus aisément victime des poursuites dirigées contre lui, qu’il ignore jusqu’au fait même de l’ac- cusation dont il est l’objet (1). On pourrait encore trouver des points de ressemblance entre les peuples de l’Amérique et de l’Océanie dans une même croyance à une vie nouvelle après la mort : car l’i- dée du transport des âmes dans une région qui deviendra leur demeure éternelle, est générale dans les deux contrées. En Araucanie, c’est une vieille femme qui s’empare de l’âme aussitôt que les parents ont pleuré sur le cadavre, et qui lui fait traverser les mers dans la direction de l’Ouest, où la terre promise paraît être placée (2). Dans le même ordre d’idées, se retrouve encore aux Sand- wich, comme à Porto-Rico, et en plusieurs autres points du continent américain ou des archipels de la mer Pacifique, la foi en l’existence d’une fontaine de Jouvence (3). Mais nous le (1) Voyez : pour Tahiti, Ellis ; pour les Marquises, Desgraz, P. Ma- thias; pour les Tunga, Mariner, d’Urville ; pour la Nouvelle- Zélande, Dieffenbach, Shortland, Grey, Taylor et les traditions Maori, qui rapportent les paroles employées dans les incantations ; voir particulièrement celles prononcées par Ngatoro i Rangi pour empêcher YArawa de sombrer. (2) Voir, à ce sujet, ce que dit Dumont d'Urville, dans son Essai sur la Nouvelle-Zélande t. II, 2e partie, p. 524, où il appelle Waidoua ce qui n’est que le wairua , esprit, ombre des indigènes ; et ce que Taylor, p. 42, 103, 106, etc., dit du Reinga, lieu de départ des âmes, des esprits, pour le séjour des ténèbres, Po. Yoir Pritchard’s Polynésian réminiscences pour les croyances des Samoans à cet égard; Mariner, pour celles des Tongans ; Ellis, de Bovis, Mémoire sur la Soc. Tahitienne , et particulièrement Moërenhoüt, p. 431, pour les Tahitiens, etc'. (3) On connaît la recherche faite par Pous, pour vérifier la tradi- tion de Porto-Rico, relativement à une fontaine existant à Bimini, l’une des Lucayes. Yoy. Histoire de la conquête de la Floride , par Ferdinand de Soto, composée par l’Inca Garcilaso delà Yega, 2 vol* 1731. Une tradition semblable existait dans le Yucatan sur le qmits d’Itzin. On sait ce que Mandeville rapporte d’une fontaine de la Jeunesse 450 LES POLYNÉSIENS. répétons à dessein, tontes ces analogies, autrefois fort pri- sées, nous semblent appartenir à une sorte de fond commun ethnologique qui, bon à consulter, ne peut être admis à fig*u- rer comme preuve sérieuse dans la détermination des origi- nes anthropologiques. 2° industrie. — Quelques auteurs ont attaché plus d’impor- tance aux données puisées dans la comparaison de l’indus- trie des peuples qu’ils voulaient rattacher à une source com- mune. Nous allons en rapporter quelques-unes empruntées aux industries qui ont pour but la protection du corps con- tre les intempéries de l’air, l’entretien de la vie ou la dé- fense contre les ennemis. 11 est un argument souvent invoqué en faveur de l’origine américaine des Océaniens, c’est l’emploi, par ces derniers, d’un vêtement qu’on a cru particulier aux peuples du Nou- veau-Monde, et qui porte chez les Araucans, au Chili, au Pérou et à Quito, le nom de poncho , celui de manga au Mexique, et à Tahiti celui de tiputa. Ce vêtement, ren- près de l’Indus, Grandes aventures des pays étranges , tant par mer que par terre , par Jehan Mandeville, chevalier natif d’Angleterre. — Lyon 1480, Florence 1492. On sait aussi ce que les insulaires des Sandwich disent de leur vai-ola ou fontaine, eau de vie. Nous avons trouvé la même croyance à la Nouvelle-Zélande, ou mieux dans l’Hawahiki, où elle était appelée waï or a. On lit dans Taylor (art. Mythologie), que le dernier grand ou- vrage du dieu Tane, fut de créer la fontaine de vie pour perpétuer l’existence du soleil et delà lune. On pense, dit-il, que la dernière, quand elle décline, s’y rend, et qu’elle en sort, après s’y être bai- gnée, avec une existence nouvelle : d’où le dicton populaire : « L’homme meurt et on ne le voit plus ; mais la lune meurt, et, en se plongeant dans la fontaine de vie, elle renaît. » Le même écrivain rapporte que le dernier grand ouvrage de Maui fut de chercher à se baigner dans la fontaine de vie, ce qui causa sa mort; c’est alors que celle-ci entra dans le monde pour la pre- mière fois. Disons de suite que le lac appelé Ellsmère par les Anglais, le- quel existe sur la presqu’île de Banks, est justement celui que les habitants de la Nouvelle-Zélande, île du Milieu, désignent par le nom de wdi-ora. LES POLYNÉSIENS. 457 contré par les premiers navigateurs, n’a pas cessé de- puis d’être en usage, mais le rapprochement qu’on en tire a beaucoup perdu de son intérêt, depuis qu’il a été prouvé qu’on rencontrait le même costume dans un grand nombre de pays. Lütke l’a retrouvé en 1826 dans le groupe de Lou- gounor, aux Carolines ; d’Urville et Maurelle, à Hogoleu. D’ailleurs il serait moins difficile que ne l’ont cru sans doute les premiers observateurs de reconnaître le poncho dans certains vêtements antiques de l’Asie et de l’Europe. Plu- sieurs d’entre eux, conservés en général par les rites reli- gieux, plus stationnaires que les usages civils/présentent, en effet, une ouverture centrale destinée à passer la tête, tandis que le reste de l’étoffe, reposant sur les épaules, tombe plus ou moins bas le long’ du corps. Les chasubles des prêtres catholiques, les dalmatiques des diacres, n’ont pas d’autre disposition, et on ne se tromperait guère, du reste, en faisant d'une disposition aussi simple, un des premiers usages inventés par l’homme, pour se protéger contre les intempéries de l’atmosphère ou voiler sa nudité. Ajoutons également que c’est à tort que Moërenhoüt a avancé (1) que le tiputa était en usage chez presque tous les habitants des îles de l’Océan Pacifique ; car il ne se trouve guère en Océanie que dans les îles que nous venons de désigner. On a signalé, comme analogie sérieuse, l’industrie des po- teries, qui semble appartenir d’une manière plus particu- lière à la race océanienne, dite noire, mais qu’on retrouve pourtant à l’île de Pâques, peuplée par la race polynésienne pure. Cependant, comme elle pourrait être invoquée pour toute autre théorie que celle que nous analysons, elle ne peut peser d’un grand poids en sa faveur (2). Il y a lieu d’entrer dans plus de détails au sujet de quatre autres industries américaines et océaniennes, relatives : (1) Ouv. cité, p. 198. (2) Lorsque nous parlerons de l’île de Pâques, nous chercherons à expliquer l’existence de cette industrie mélanésienne. 30. 458 LES POLYNÉSIENS. l’une à un mode de pêche fort singulier ; la seconde à la préparation de certaines liqueurs fermentées ; la troisième à l’emploi de certaines armes de guerre ; et la quatrième à la manière de faire cuire le poisson. A. — On a plusieurs fois décrit, en effet, les moyens em- ployés par les Océaniens pour arriver à se procurer des pêches, sinon très abondantes, du moins faciles, à l’aide de sucs de plantes destinés à frapper le poisson d’une sorte de stupeur passagère ou définitive. Le même procédé était usité en Bolivie, où les Indiens allaient rechercher dans les forêts les racines d’un arbre, connu plus tard sous le nom de Barbasco , racines qu’ils écrasaient et dont ils répandaient le produit en divers points de l’étendue d’eau qu’ils voulaient, pour ainsi dire, empoi- sonner. Peu de temps après cette immersion, les poissons, à demi enivrés, venaient surnager à la surface, de manière à permettre aux pêcheurs de choisir le plus gros. Nous avons vu pratiquer bien des fois une pêche ana- logue aux îles Marquises, à l’aide des tiges contuses du kohuhu , le Tephrosia piscatoria. A Tahiti, l’une des plantes employées au même usage est appelée hutu. C’est la Betonica splendida de Banks et Solander, le Barringtonia des naturalistes. Mais le même usage existait, sous le nom d Qtabaîba, à Ténériffe, où les habitants avaient et ont en- core recours au suc de Y Euphorbici piscatoris. On l’a cons- taté à la Guinée anglaise, où le poison choisi est fourni par une plante narcotique nommée Quanam et porte le nom à'Haï-cirry (1) . Il est connu à Sumatra, où les naturels se servent de la racine d’une autre plante narcotique appelée Toubo ; ainsi qu’à la Nouvelle-Guinée et à Soulou, où la plante est dénommée Tubli. A Amboine, on se sert de l’écor- ce de Y Ichthy otonos montana de Rumphius. Tous les peu- ples malais y ont enfin recours, et cette similitude d’indus- (1) Le hdi-arry est une sorte de vigne, à bouquets de petites fleurs bleuâtres, qui produisent une cosse de 2 pouces de long, où sont contenues de petites graines grises. Les Indiens emploient de préférence la racine, qui agit plus énergiquement encore que la LES POLYNÉSIENS. 459 trie, en tant de pays, ne peut donner une grande importance aune particularité certainement curieuse, mais non distinc- tive et précise pour l’analogie que nous étudions. On retrou- verait sans peine les mêmes coutumes sur une plus petite échelle en étudiant avec soin les pratiques des pêcheurs de plusieurs contrées de l’Europe. B. — Quelques auteurs ont cru trouver une raison plus puissante dans le mode de préparation, à peu près identique, de certaines liqueurs enivrantes que les Américains, comme les Océaniens, et l’on pourrait dire presque tous les peuples, sont parvenus à composer, poussés sans doute par un invincible besoin de varier leur alimentation ou d’exciter leurs fonctions digestives. Ce procédé est celui de la mas- tication préalable de matières, que la fermentation doit rendre définitivement aptes à répondre à ce besoin. Seule- ment les Araucans employaient, pour former la base de leur boisson alcoolique, des pommes cueillies longtemps avant leur maturité ; tandis qu’au Pérou, et bien antérieurement à la conquête des Espagnols, le maïs était exclusivement réservé pour fabriquer la chicha ; on trouve encore dans des lieux de sépulture ou huacas , datant de plus de trois siècles, des jarres pleines de ce breuvage enivrant (1). r En Océanie, on se sert par contre du Piper methysticum pour produire le hava ou mieux ava ; et si la mastication préalable y est observée, comme en Amérique, au moins les Polynésiens ont-ils le bon goût de choisir, pour cette partie importante de la préparation, les filles les plus jeunes et les plus saines, tandis que leurs ancêtres supposés ne confiaient ces fonctions qu’à leurs vieillards des deux sexes (2). (1) Ce qui prouve que le maïs existait au Pérou et qu’il n’y a pas été porté par les Espagnols, comme quelques auteurs l’ont soutenu. (2) En efïet, les Araucans faisaient mâcher les pommes par de vieil- les femmes, et les Péruviens confiaient la même opération à des vieil- . lards des deux sexes pour le grain de maïs qu’ils appelaient iora. Les premiers déposaient le suc de la pomme, mêlé à la salive, dans un pot de terre où il entrait pomptement en fermentation et deve- nait une liqueur semblable à du lait légèrement acidulé et de sa- veur agréable; Les seconds, après avoir mâché une quantité suffi- 460 LES POLYNÉSIENS. Il n’est pas inutile de faire remarquer, à ce propos, qu’un assez grand nombre de substances ont été mises à contribu- tion en Amérique pour la fabrication de ces boissons fer- mentées. Si les habitants du continent Sud, et spécialement les Chiliens, se servaient communément de pommes et de maïs, ils employaient aussi, pour faire une chicha plus forte et plus estimée, la graine d’un arbre assez semblable au génévrier et nommé omnian. Les Caraïbes des Antilles avaient recours au maïs, aux patates, au manioc, et les boissons, dans ces deux derniers cas, portaient les noms de maby et de ouicou. Thévet, compagnon de Villegagnon au Brésil, avait observé des faits analogmes et, ainsi que Jean de Léry, il nommait cahouin la boisson que les indigènes de ce pays retiraient du maïs. « L’un de leurs grands morbicha ouassoub, c’est-à-dire roy, dit cet auteur, nous festoya d’une farine faite de racines et de leur cahouin, qui est un breuvage composé de mil nommé anaty et est gros comme un pois (1). Il y en a de noir et de blanc.... Faisant bouillir ce mil avec autres racines, lequel, après avoir bouilli, est de semblable couleur que le santé de grains, réduisaient la masse en petites boules qu’ils met- taient dans une calebassse, pour s'en servir suivant les besoins, en mêlant ces boules avec un peu de chicha nouvellement faite. Pour fabriquer leur liqueur de cassave, les Caraïbes faisaient d’a- bord bouillir la plante ; puis, quand elle avait été bien rissolée sur une plaque, elle était mâchée par des femmes et versée dans des vases pleins d’eau. Le liquide, après avoir infusé et fermenté en- viron deux jours, était passé dans un tamis; deux jours plus tard il pouvait être bu. Il ressemblait à notre bière pour la couleur et la force, et il enivrait facilement (a). A cette occasion, Rochefort dit [b) : « S’il est vrai que cette coutu- me de mâcher la cassave, avant de la jeter dans le vaisseau, est dégoû- tante au possible , toujours est-il constant que ce breuvage, ainsi préparé, est incomparablement meilleur que celui qui est fait au- trement. » Un chimiste ou pharmacien aurait pu lui dire pourquoi. (1) C’est évidemment le maïs. (a) Voir Frézier, et surtout Garcilaso de la Vega. {b) Rochefort, Histoire naturelle et morale des îles Antilles de l'Améri- que, l vol. in-40.-— Rotterdam, 1658, p. 446. LES POLYNÉSIENS. 401 vin clairet. Les sauvages le trouvent si bon qu’ils s’en enivrent comme l’on fait du vin par de là. Vrai est qu’il est épais comme moût de vin, mais écoutez une superstition à faire ce breuvage, la plus étrange qu’il est possible ; après qu’il a bouilli en grands vases faits ingénieusement de terre grasse, capables d’un muids, viendront quelques filles vier- ges mailler le mil ainsi bouilli, puis le mettront en un autre vaisseau à ce propre. Ou, si une femme y est appelée, il faut qu’eile s’abstienne par certains jours de son mari, autrement ce breuvage ne pourrait jamais acquérir perfec- tion. Cela ainsi fait, le font bouillir de reclief jusqu’à ce qu’il soit purgé, puis en usent quelques jours après (1). » Les Indiens du Brésil avaient du reste un très grand nom- bre de ces breuvages. Quelques auteurs en ont compté de 32 sortes, et Simon de Vasconcellos en a même décrit plu- sieurs sous les noms de cauy caraçu , cauy machacheva , et abatiny, selon que la matière première était l’acaya ou l’aypi, le maïs, l’ananas et le manioc. On ne trouve pas en Océanie une aussi grande variété de substances employées pour la préparation des boissons de ce genre, et, comme nous l’avons fait remarquer, on n’em- ployait dans ce but que le piper methysticiirn , qui est encore la seule plante usitée dans les îles Polynésiennes, où le fruit de l’oranger n’a pas été introduit par les Européens ; car là où il se trouve, et surtout àTahiti aujourd’hui, c’est celui qui remplace l’ancien Ava, quand les indigènes ne peuvent pas se procurer les liqueurs fortes des Européens. C. — On a encore invoqué, pour défendre l’origine améri- caine des Océaniens, l’absence de l’arc et des flèches comme armes de guerre chez les deux peuples (2) ; mais cet argu- ment ne présente en réalité rien qui puisse le faire admettre à titre de caractère spécial à cette thèse. Un grand nombre de peuples pourraient être facilement rapprochés des Poly- (1) André Thevet : Singularités de la France antarctique. In-4°, Paris 1558. Voir aussi Jean de Léry, Histoire d'un usage en la terre ferme du Brésil , autrement dit Amérique , 1518. (2) Voy. Bull. Soc . d’Anthr, 1878, p. 47L 462 LES POLYNÉSIENS. nésiens sous ce rapport (1). Les Guanches des Canaries, par exemple, ignoraient également l’usage de l’arc et des flè- ches (2). D. — On a invoqué enfin la manière commune aux deux contrées de faire cuire le poisson, et il est bien connu, en ef- fet, qu’à Quito, comme aux îles Carolines, c’est absolument le même procédé, lequel est celui de toute la Polynésie; mais on sait que cette manière de préparer le poisson existe également en Australie et dans d’autres contrées. Elle n’est donc pas plus significative que les usages précédents (3). (1) A part les Chiliens, la plupart des Américains employaient, au contraire, l’arc et les flèches pour attaquer et se défendre. ( 2) Estudios de las Islas Canarias , por D. Gregorio Chil y Naran- jo,t. I, liv. 1er, p. 5. — Paris, Leroux, 1876. (3) A Quito, après avoir nettoyé et assaisonné le poisson avec un peu de sel et de capsicum vert, on le roule dans une feuille de ba- nanier ou de visao et on le place sur la braise, ou on l’enterre sous des cendres chaudes. Quand il est suffisamment cuit, on le mange sur la feuille même. C’est un morceau très-délicat, l’enveloppe ayant conservé au poisson tout son suc et toute sa saveur. Ainsi cuit, on l’appelle pandao. Aux Carolines, les insulaires commencent par creuser en terre un trou dans lequel ils font du feu. Dès que le feu est bien allumé, ils mettent dessus des pierres de corail, sur lesquelles, une fois bien chauffées, et le feu éteint, on étend une couche de feuilles ; en- suite on y place le poisson qu’on recouvre d’une couche semblable à la première, et on remet au-dessus des pierres de corail égale- ment chauffées. Après quoi, on bouche complètement le trou et le poisson y reste déposé, plus ou moins longtemps, c’est-à-dire jus- qu’à ce qu’il soit cuit. Ainsi préparé, le poisson se conserve une se- maine et plus. En Australie cette méthode est appelée Yudarn doukoun ou cuisson en papillote. On prend un morceau d’écorce d’arbre épaisse et tendre, auquel on donne une forme oblongue ; on y place le poisson et on l’enveloppe avec l’écorce, comme on enveloppe une côtelette dans du papier. Le poisson et l’écorce sont ensuite for- tement liés au moyen de brins d’herbe et cachés dans un sable chaud, recouvert de cendres bridantes. Quand la cuisson est ache- vée, on ouvre l’écorce qui sert de plat : elle est pleine d’un jus, dont pas une goutte ne s’est perdue. Les poissons cuits ainsi sont délicieux, comme nous avons pu nous en assurer en goûtant I LES POLYNESIENS. 463 On a voulu tirer d’autres données de la comparaison des mœurs individuelles, sociales ou politiques des mêmes races, et cette recherche a conduit h quelques résultats intéres- sants. On a compris sous le premier point de vue la simplicicité extrême des costumes. L’état de nudité presque absolu, en Océanie, dans un grand nombre d’archipels, paraît avoir existé également au Pérou d’une manière générale, s’il faut en croire Linschot. « Les femmes, dit cet auteur, ne por- tent aucun poil n’y accoutrement, hormis qu’elles ont la ver- goigne couverte de quelque devantier. Les hommes toute- fois portent des chemises sans manches, qui ne passent point le nombril. Aucuns vont entièrement nus et se noircissent tout le corps, portent les cheveux coupés devant et derrière, mais non ès côtés (1). » Comme conséquence de cette simplicité extrême de cos- tume, on rencontre aussi chez les Américains et les Polyné- siens une très-grande habitude des soins de propreté, sur- tout chez les femmes qui, en Araucanie, comme à Tahiti, se baignent presque régulièrement trois ou quatre fois par jour. Au Pérou, les Indiens de la partie haute portaientles che- veux longs et flottants, comme le faisaient et le font encore beaucoup de Polynésiens. Une autre particularité commune, est l’emploi du ta- touage et des peintures à la surface du corps. Les Indiens du continent américain se peignaient le corps de rouge et de noir, comme le font, pour ainsi dire, tous les Océaniens, en temps de guerre, et particulièrement ceux des îles Sa- moa, de Pâques, de la Nouvelle-Zélande, mais surtout tous ceux de race mélanésienne, tels que les Fijiens. souvent à ceux préparés absolument de la même manière ; seule- ment à Tahiti, aux Marquises, etc., on se sert de feuilles au lieu d’écorce. (1) Histoire de la navigation de Jean Hugues de Linschot , Hol- landais, aux Indes-Orientales . 2e édit. Amsterdam, 1619. — Des- cription de V Amérique, p. 58. 464 LES POLYNESIENS. Le tatouage proprement dit existait aussi en Amérique, mais sur une bien moins grande échelle que dans les archi- pels peuplés par la race supérieure océanienne. Il serait, d’ailleurs, difficile d’arriver à quelque conclusion rigoureuse sur l’adoption commune de cette bizarre coutu- me, car elle était connue, dès les temps les plus anciens, en Europe. La Bible elle-même en a parlé. Il est également probable que nos ancêtres de l’âge de la pierre se tatouaient et se peignaient le corps, si l’on en juge d’après quelques débris ocreux retrouvés dans leurs sépultures (1). (1) Hérodote, liv. 5, dit que les Tliraces tiennent pour nobles ceux qui se font de pareilles marques sur le front, et méprisent ceux qui n’en ont pas. Sextus avait trouvé cet usage chez les Egyptiens, les Ethiopiens et les Sarmates ; Strabon, chez les Celtes Japides, voisins de l’Is- trie. Nous ne finirions pas s’il fallait seulement énumérer les peu- ples qui ont eu, ou qui ont encore recours à cet usage, sans par- ler des anciens Poitevins. Presque tous les voyageurs assurent avoir remarqué cette cou- tume dans le Nouveau-Monde. D’après eux, c’était toujours une marque particulière aux guerriers, un signe de bravoure, ou seu- lement de vanité, comme chez les anciens Thraces. Ulloa dit (a): « Les Indiens courageux de laLouisiade, et considé- rés, se distinguent des autres en ce qu’ils se peignent des figures sur le corps. Ils y introduisent la couleur en se picotant la peau, et cet ornement est d’autant plus étendu qu’ils ont fait de plus grands exploits. Les uns ne se peignent que les bras, les autres les bras et les jambes ; ceux-ci les cuisses, ceux-là depuis la ceinture jus- qu’au haut du corps ; et ce sont les plus valeureux guerriers. Ain- si les peintures ou figures vont toujours en augmentant avec les exploits et la renommée. » A ce titre, les chefs des îles Marquises, tatoués de la tête aux pieds, devaient être bien courageux ; mais nous pouvons assurer que tous ne jouissaient pas d’une bien grande renommée ^guerrière. Nous avons cru voir que c’était seulement un privilège de la noblesse, attirant d’ailleurs la considération, plus que ce n’était un signe de courage. Là, du reste, de notre temps encore, quoi que le tatouage ne fût plus aussi considéré, et qu’il fût usurpé, surtout par les femmes qui n’y avaient aucun droit, celle qui n’avait pas la main (a) Don Jorge et Juan d’UHoa, Relation historique de V Amérique Méri- dionale, 3vol. in-4°. Madrid, 1740. Trad. parde Mauvillon, Amsterdam, 1752, t» II, p. 8. LES POLYNÉSIENS. 465 Nous ne ferons qu’indiquer aussi certains détails de toilette retrouvés dans les deux contrées, tels que l’usag-e de largues trous dans le lobe inférieur des oreilles, destinés à soutenir des ornements de métal, d’or ou de nacre, et l’emploi de dia- dèmes en plumes, ceigmant le front aux îles Sandwich et à l’île de Pâques, comme au Mexique et au Pérou. Ces analogues nous paraissent devoir rentrer dans la clas- se de celles que l’on a tenté de mettre en lumière, en compa- rant les habitudes d’hospitalité qui ressortent des récits de tous les écrivains espagnols, comme de ceux de Wallis et de Bougainville (1). Elles sont trop générales chez les peuples recouverte de ce beau gant dont nous avons tant parlé clans nos journaux de voyages, ne pouvait pas manger la popoi au vase commun. A la Nouvelle-Zélande, le tatouage était également l’équivalent de ces armoiries, dont tant de familles étaient et sont encore si vaines en Europe, comme le prouvent les faits rapportés par JVlars- den, Dumont d’Urville, etc. Sans lui, tout chef ou descendant de chef que l’on fût, il était impossible de prétendre à une grande in- fluence sur la tribu, qui ne manquait pas de considérer comme pusillanime celui qui n’était pas tatoué (a). On sait que, dans quelques contrées autrefois, c’était sur les esclaves que ces marques de tatouage étaient imprimées : ce qui a été cause, sans doute, que la loi des Hébreux a défendu de se faire des stigmates sur le corps selon l’usage des idolâtres, etc. (1) On sait que les statues trouvées à l’île de Pâques, possédaient des oreilles dont les lobes étaient percés de larges ouvertures, et que les Péruviens, sous les Incas, avaient aussi la coutume de se faire aux oreilles un trou d’une grandeur incroyable qui soutenait un pendant d’or d’une largeur démesurée. Les habitants de Pâques étaient eux-mêmes remarquables par la grandeur du trou pratiqué dans le lobulé de l’oreille et différaient même en cela des autres Polynésiens, qui se faisaient des trous beaucoup moins grands, tandis qu’ils se rapprochaient, au contraire, par cette coutume, .des Mélanésiens, ainsi que nous le ferons voir bientôt. (a) Voir à ce sujet : Forster, Krüsenstern, Marchand, Cook, Savage, Mars- den, d’Urville ( Voyage de l’Astrolabe , t. II, 2e partie) ; Taylor (p. 150, 154, 194); Scherer (p. 69) ; de Meunier, (p. 207 à 211); et particulièrement Th. Williams, pour les Fiji ; W. Williams, pour la Nouvelle-Zélande; Pritchard pour les îles Samoa , Mariner, pour les îles Tunga ; pour les Marquises, un article de M. Berchon qui, pendant plusieurs années, a eu nos manuscrits à sa disposition. (Bull, Soc. d'Anthrop, t. I, p. 99, 117), etc. 466 LES POLYNÉSIENS. primitifs pour qu’elles puissent être regardées comme spécia- les aux deux races dont on veut chercher la filiation par des rapprochements du même genre. On pourrait en dire autant d’une coutume très en vigueur en Océanie, et tout spécialement aux Marquises et à Tahiti, celle de l’érection en commun de toute construction un peu considérable, du travail simultané de tous les habitants d’une baie, et souvent même d’une île ou d’un archipel, quand l’œuvre offre de grandes dimensions, ou exige de longs jours. Gage (1) avait constaté le même communisme en Améri- que, de 1625 à 1635 ; Bougainville et Cook firent, bien plus tard, la même remarque aux îles de la Société. Mais les habi- tants de la grande île de Madagascar se réunissent égale- ment par groupes pour la construction de leurs cases, et l’on a reconnu qu’un mode identique de réunion existait aussi près du Caucase, chez les Tschetschanze. Lorsqu’on veut, en effet, construire une maison, on invite une grande quantité d’hôtes qui prennent tous part au travail jusqu’à ce que l’édi- fice soit élevé. Largeau a constaté la même coutume en Afrique, lors de son voyagea Ghadamès: comme en Océanie, la maison doit être faite en un jour. Ces faits, observés en des climats si distincts et chez des races d’hommes si différentes, ne sont, en réalité, qu’une preuve des premières tendances à l’association chez les peu- ples primitifs de toutes les contrées de notre globe, tendan- ces bien anciennes, et dont la plus éclatante manifesta- Quant aux habitudes d’hospitalité trouvées dans les deux con- trées, nous nous bornerons à rappeler ici l’histoire d’Oberea, si connue depuis Wallis et Cook, celles que citent Kotzebiie,VancoU' ver et tant d’autres voyageurs en Polynésie, et il en est encore de même, pouvons-nous assurer, en Amérique, et particulièrement à Chiloé. On sait que c’était l’habitude au Brésil, car Thevet dit : « Incontinent qu’ils voient arriver quelqu’un de loin de leur pays, ils lui présentent vivres, logis et une fille pour son service. » (1) Relation contenant les voyages de Thomas Gage dans la Non - v elle -Espagne, etc., 4e édit. — Amsterdam, 1720. LES POLYNÉSIENS. 467 tion est certainement le récit biblique de la tour de Babel (1). 3° Mœurs. — On doit accorder peut-être plus de valeur à certaines particularités empruntées aux relations sociales directes des peuples américains et polynésiens, surtout à certains modes singuliers d’indiquer l’assentiment. On donnait un morceau de bois au chef chez quelques-uns des peuples de l’Amérique du Sud, comme signe d’assentiment à le suivre à la guerre; aux îles de la Société, le même moyen était employé pour prévenir les indigènes de se rendre aux convocations générales du peuple et aux lieux de sépulture, ou Maraë. Dans quelques-unes des îles des Amis, comme dans l’Ar- chipel des Navigateurs et dans les îles Fiji, on remettait un petit morceau de bois en signe d’assentiment et pour toute réponse à des demandes de quelque importance. Enfin, dans toute l’Amérique du Nord, on ne faisait pas autrement que dans l’Océanie. Nous nous arrêterons peu au sujet des analogies que l’on a cru reconnaître dans la coutume de trancher|souvent des querelles de tribu à tribu, ou de district à district, par des défis et combats particuliers. En Océanie, comme en Améri- que, et l’on pourrait dire dans tout le monde, il n’est pas rare, en effet, de retrouver des traditions qui rappellent avec la plus grande précision les récits de combats singuliers qu’Homère, un des premiers, a célébrés dans des vers héroï- ques. L’humanité est presque la même au début des civilisa- tions ; le courage personnel, l’instinct du dévouement, ont été de tous les âges et ne peuvent figurer, par suite, dans une énumération de caractères distinctifs de races humaines. (1) A Tahiti, quelqu’un avait-il à bâtir ou à couvrir une maison, il en donnait avis au chef, qui avertissait tous les habitants du vil- lage de se rendre au jour donné, pour contribuer à cet ouvrage. Chacun, si c’était une maison à construire, était obligé d’apporter l’un une chose, l’autre une autre, de sorte que dans un jour elle pouvait être achevée. Ce jour-là les porcs, le maiore , fruit de l’ar- bre à pain, etc., n’étaient pas épargnés. Les danses n’étaient pas oubliées non plus. Les choses ne se passaient pas autrement aux Marquises, aux Samoa, Tunga, etc. 468 LES POLYNESIENS. Nous ferons remarquer cependant, en passant, que les Arau- caniens, que quelques auteurs ont dit taciturnes, sont au contraire très portés à discourir dans leurs réceptions habi- tuelles ou pendant leurs guerres. Chez eux, comme chez les Océaniens, l’éloquence était et est encore réputée un talent précieux à acquérir, et très nécessaire surtout chez les Mapu ou chefs. N’était-ce pas ainsi dans les. républiques anciennes de la Grèce? On a voulu comprendre, parmi les analogues que nous pas- sons en revue, l’usag-e du rapt des fiancées avant le mariag-e. Mais le même fait, commun en Amérique, aux îles Samoa, aux îles Marquises, en Australie, etc. (1), n’était point par- ticulier aux peuples de ces divers lieux, puisqu’il a été retrouvé également sur presque tous les points du g-lobe. Sir John Lubbock a montré que « le mariag*e par capture, soit comme triste réalité, soit comme cérémonial important, prévaut en Australie et chez les Malais, dans l’Hindoustan, dans l’Asie centrale, en Sibérie et au Kamstchatka ; chez les Esquimaux, les Peaux-Roug*es de l’Amérique septentrionale, les aborigènes du Brésil, au Chili et à la Terre de Feu, dans les îles du Pacifique, chez les Polynésiens et chez les Yitiens, aux Philippines, chez les Arabes et les Nègres, enCircassie, et j usque tout récemment dans une grande partie de l’Europe » (2) . (1) On verra, dans une notice inédite sur les Samoa, que c’était une des trois manières de se marier dans ces îles. Il y avait le mariage par amour : Tauci avagha (déserter tous deux) ; le mariage par force ou nofo malo (mariage vainqueur ou par conquête) et celui par échange ou achat : nofo faatau . On peut voir dans le Voyage aux Terres Australes de Péron, dans celui de d’Ur ville sur Y Astrolabe, etc., quelle est la manière de faire des Australiens: la surprise et les coups de casse-tête sur la malheureuse femme qu’ils veulent entraîner ; puis le viol, loin de ses défenseurs, et le mariage esc conclu; elle est aussitôt ad- mise dans la tribu duinari, car c’est toujours dans une tribu étran- gère et même ennemie, dit-on, que les amoureux vont chercher leurs fiancées, % Cette manière de prendre femme est également usitée par beau- coup de tribus des grandes îles Fiji. (T. Williams, ch. 6, p. 174). (2) Les origines de la famille, in Revue scientifique , 1872, p. 11. LES POLYNÉSIENS. 469 Une observation plus remarquable a été faite au sujet d’un singulier moyen de dénommer les enfants. Chez les Péruviens, ils ne portaient point de noms qui leur fussent propres avant Page d’un an. Il y avait alors une fête nom- mée naca et cette cérémonie, que rappelle notre baptême, était également marquée par la première coupe de la che- velure. Le nom donné au jeune enfant était en général approprié à quelque circonstance du jour même de la fête, à quelque événement récent. C’est ainsi que le 7e Inca fut appelé Yahuar huaca , pleureur de sang, parce que on avait vu des gouttes de sang couler de ses yeux lors de la céré- monie. Le 14e Inca, Huascar , devait son nom à la remise que lui avaient faite les principaux seigneurs du Pérou d’une chaîne d’or ou huasca. Or cet usage fait encore partie des habitudes océanien- nes, et nous citerons le nom de Pohe-ite-aore , donné à Ta- hiti, lors de sa naissance, à une femme bien connue des Européens, compagnons de l’amiral Bruat ; ces paroles avaient été dites par le père, pendant l’accouchement de sa femme, en apprenant la mort d’une personne dont il avait ignoré la maladie : Pohe , malade, ite savoir, aore , pas. Il en est de même à la Nouvelle-Zélande, et, dans ce dernier lieu, il y avait un baptême réel dont nous donnons en note la description d’après Taylor (1). (1) « Les naturels de la Nouvelle-Zélande, dit-il, (ouvr. cité, p. 74) avaient une espèce de baptême pour les enfants : ils l’appe- laient lie tohi. « Quand le cordon ombilical tombait, l’enfant était porté au prêtre. On commençait la cérémonie par bmler le cordon, te iho , dans un lieu sacré, sur lequel on plantait un jeune arbre, soit un ngaro ( Myoporum lætum ), soit un Karaka ( Corinocarpus lœvigata ), soit un Kahikatea, etc. ; cet arbre, en poussant, était un signe de vie pour l’enfant. L’extrémité amincie de l’arbre était placée dans l’oreille de l’enfant pour que la vertu du Dieu pût lui être transmise et on répétait alors le karakia suivant ( a ) : Taria kia ahualia to Ingoa ; Attendez jusqu’à ce que j’aie prononcé votre nom; (a) Ou entend par karakia un sortilège, un charme, une incantation chez les Maori : les missionnaires ont rendu ce mot par prière. 470 LES POLYNÉSIENS. Une antre analogie a été trouvée dans cette coutume, aussi répandue en Amérique qu’en Polynésie, de se couper une ou Kawai to Ingoa ; Quel est votre nom ; Ko rongo to Ingoa , Ecoutez votre nom ; Tenei to Ingoa ; Voici votre nom ; Wai kui maneaneaÇaj. « Le prêtre disait alors une longue suite de noms, et, quand l’enfant éternuait, le nom prononcé était celui auquel on s’arrêtait. Les noms cités étaient ceux des ancêtres. En même temps qu’il prononçait le nom destiné à l’enfant, le prêtre l’aspergeait avec une petite brandie de Kokomuka , sorte de véronique ou de Ka- ramu. Cet acte était appelé : he Tohinga ki te wai (b), et c’est leur baptême ; celui de nommer l’enfant était appelé : Te Tuatanga ou Pana pananga (c). . (2) Polynesian Researches , vol. I, p. 122. Et Tour through Hawaï p. 443. 498 LES POLYNÉSIENS. plique, contrairement à toutes les données admises, une race océanienne antérieure et anthropophage ; et silatroisième laisse quelque doute, il est pourtant vrai de dire qu’on ne connaît pas d’exemples de canots de ces contrées entraînés jusqu’en Océanie, ce qui relève un peu l’importance que Dumnore-Lang accorde àcet argument. Quant à la quatrième raison, il estcertain que rien ne constate,’ de notre temps, que des voyages de découvertes aient été entrepris de l’Amérique vers la Polynésie, mais il serait certainement difficile d’éta- blir, quoique cela soit probable, qu’il en a été de même dans les temps anciens. Du reste le R. docteur Lang ne se bornait pas à ces argu- ments, il s’appuyait encore sur la ressemblance frappante qui existe, dit-il, entre les langues chilienne et polynésienne, et sur les analogies d’usages, de goûts, d’industries, etc., qu’il trouvait chez les Américains et les Polynésiens. Or on a vu que, d’après les linguistes les plus compétents, il n’y a, à part quelques mots, pour ainsi dire aucune analo- gie entre les langages du Chili et de la Polynésie, et l’on verra tout à l’heure que la plupart des analogies de mœurs, d’usages ou autres reconnues par le R. Lang, ne “sont que cel- les que nous avons si longuement examinées, et qui nous ont aidé à conclure à l’impossibilité d’une provenance américaine des Polynésiens. Dès à présent, nous croyons donc pouvoir dire que cette opinion ne repose sur aucun fait ou raisonnement de quel- que valeur, malgré l’appui que J. Williams lui a donné quel- ques années plus tard en disant : (1) « J’aimerais plutôt dire, vu leur conformité physique, la structure de leur langage et les autres circonstances établissant l’idèititité des Polynésiens et des aborigènes de l’Amérique, que ces derniers g*agmèrent le continent à travers les îles du Pacifique. » Car J. Williams se borne à cette assertion, qui n’est que la paraphrase de l’i- dée du R. Lang, et il n’apporte aucun témoignage en sa faveur. Il ajoute aussitôt : « Mais ceci, bien que fort intéres- (1) John Williams, Narrative of missionary cntcrprises in îhe South nea isiands London, 1837, p* 50L LES POLYNÉSIENS. 499 sant, est un sujet que je ne puis traiter.» Or, on sait assez au- jourd’hui qu’il n’y a ni conformité physique, ni conformité de langage, de croyances, de mœurs, etc., entre les Polynésiens etles Américains; du moins, nous croyons l’avoir démontré, et dès lors nous n’aurions pas à nous occuper plus longtemps d’une pareille hypothèse si, plus récemment, elle n’avait été défendue, avec autant de force que de talent, par deux écri- vains compétents, un officier de marine, M. de Bovis, et un savant ingénieur, M. J. Garnier. Nous examinerons d’abord les arguments invoqués par ce dernier, bien que son travail soit d’une date postérieure à celui de M. de Bovis. Le mémoire de M. Jules Garnier a été lu en 1870 à la Société de géographie (1). Ainsi que nous l’avons déjà dit plus haut, l’auteur cherche à établir que l’examen de l’écorce terrestre prouve, jusqu’à l’évidence, l’affaissement d’un con- tinent océanien au commencement de la période géologi- que actuelle. 11 donne le nom d’Australasie aux terres géologiquement anciennes qui bornent la Polynésie à l’Ouest, et dont la Nouvelle-Hollande est le noyau ; il appelle Aus- traliens les habitants qui peuplaient ces contrées, alors que la Polynésie, exclusivement formée de roches nouvelles, volcaniques ou coralligènes, était en voie de formation. Ce qui prouve, dit-il, l’ancienneté du vaste archipel Australa* sien, c’est la richesse et la spécialité de la flore et de la faune des terres qui le composent, et qu’il regarde comme les débris , ou comme faisant partie du continent ef- fondré. M. Garnier admet donc l’effondrement, sous les eaux de l’Océan, d’un continent tertiaire ou quaternaire, dont les habitants se réfugièrent sur les sommets des pics, îles au- jourd’hui, ou sur les terres voisines. L’Australien mal bâti, aux bras longs et grêles, etc., lui semble être le type de ce peuple primitif, remplacé plus tard par le Polynésien qui s’est peu à peu répandu sur les îles madréporiques noim (1) Les migrations polynésiennes , leur origine, leur itinéraire , leur étendue , leur influence sur les Australasiens de la Nouvelle - Calédonie^ — Paris, 1.870 j 500 LES POLYNÉSIENS. velles, courant humain d’Est en Ouest, que l’on suit jus- qu’à Madagascar (1). Ainsi, ce n’est point aux habitants du continent austra- Jasien que M. Garnier attribue le peuplement de la Poly- nésie, c’est « à des navigateurs américains, chassés par les vents ou des circonstances particulières, et, plus particu- lièrement, à des Américains d’une même tribu (2). » Il en trouve des preuves naturelles : lent. Dans la végétation qui est, dit-il, identique à Tahiti et à Panama, et qui, à Tahiti, est absolument celle de la côte de l’Amérique. D’autre part, le peu de va- riété de la flore taliitienne annonce bien, suivant lui, la jeunesse de cette terre. M. Garnier explique d’ailleurs on ne peut plus facilement l'introduction de certains végétaux dans les îles polynésiennes; il regarde « comme probable que, des pirogues venant parfois s’échouer sur ces rivages, leur équipage était mort le plus souvent, mais qu’il restait des graines que les hommes intelligents plantaient et propageaient dans les îles. » Et, ne craignant pas plus que nous de se servir des traditions, qui ont, en effet, leur raison d’être , il ajoute : « A Tahiti, les cocotiers et l’arbre à pain particu- lièrement, ont été apportés : ce qui est confirmé par la tra- dition qui rapporte qu’après une grande disette, un vieil- lard conduisit sa tribu sur une montagne, s’enterra jusqu’à la ceinture dans le sol, et le lendemain son corps était deve- nu un arbre à pain recouvert de fruits. « Comme nous nous sommes tout spécialement occupé de rechercher les tradi- tions des îles polynésiennes, ainsi qu’on le verra dans le cours de notre travail, nous ferons seulement remarquer, en passant, qu’il existe une tradition particulière pour cet arbre, de même que pour le cocotier, à peu près dans cha- que île delà Polynésie, et qu’ aujourd’hui les traditions de cette espèce ne sont considérées que comme des fables par les indigènes eux-mêmes. M. Garnier, du reste, ne dit pas nettement d’où pouvaient (1) Voy, Océanie, p. 339 et suiv. (2) Les migrations polynésiennes , p. 13 LES POLYNÉSIENS. 501 provenir les plantes introduites dans les îles polynésiennes ; mais il résulte implicitement de ses paroles que c’était de la côte d’Amérique, comme leur population, ou de la Nouvelle- Calédonie, en un mot de son Australasie, puisque, pour lui, celle-ci « ne faisait qu’un corps, où le Nord de la Nouvelle- Zélande venait se souder au Sud de la Nouvelle-Calédonie, par l’intermédiaire de l’île Norfolk, où l’on trouve une flore moyenne entre les deux terres et des roches de la Nouvelle- Zélande (1). » C’est un fait bien curieux, en effet, qu’on trou- ve, sur l’île Norfolk, un certain nombre de plantes communes aux deux contrées et surtout le Phormium tenax de la Nouvelle-Zélande, qui 11e se rencontre nulle part ailleurs (2). Mais plus tard nous ferons voir pourquoi il se trouve sur cette île, qui est d’ailleurs intermédiaire. N’ayant fait que voir Norfolk, sans y descendre,- nous nepouvons dire si ce sont les mêmes roches, ou celles de la Nouvelle-Hollande. Mais quand ce serait, il faut bien convenir que cela n’expliquerait guère la nature si différente des habitants des trois gran- des contrées principales qui, d’après M. Garnier, auraient fait partie autrefois d’un même continent. 2ent. M. Garnier, comme tous ses prédécesseurs, voit ensuite des preuves de son hypothèse dans l’existence des vents alisés ; il reconnaît pourtant qu’ils sont moins réguliers sur la côte américaine où, on le sait, règne pres- que constamment, du 5e au 30e degré de lat., dans l’hémis- phère Sud, et seulement du 15e au 30e, dans l’hémisphère Nord, une brise de Sud due à la direction des terres. Mais pour gagner les alisés on avait, ajoute-t-il, non- seulement les coups de vent, mais encore les courants, qui, dans ces ré- gions, chassent vers l’Ouest. Car il admet, avec Moërenhoüt et Maury,et contrairement à l’avis de M. de Kerhallet qu’in- (1) Ouvr. cité, p. 62. (2) En outre du Phormium, on y a trouvé l’arbre fougère, un groseillier et un pin, Y Araucaria excelsa, bien semblable à un arbre de la Nouvelle-Zélande, ainsi que le bananier sauvage, et un poi- vrier. Il y existe enfin des récifs de corail, et on y a même trouvé sur le rivage des débris de canots zélandais. 502 LES POLYNÉSIENS. voque M. de Quatrefages dans son ouvrage sur les migra- tions polynésiennes, que partout sous les Tropiques, dans le Pacifique, les courants portent à l’Ouest ; et, pour aller au devant des objections, il cite particulièrement Moëren- lioüt et les faits qu’il a fait connaître (1). C’est, en somme, à l’aide des vents alisés et des coups de vent, que M. Garnier fait occuper, par les colonies améri- caines, d’abord les îles polynésiennes les plus orientales, qui ne sont guère éloignées que d’environ 500 lieues. De là il fait sortir des essaims se dirigeant rapidement vers l’Ouest, avec les vents et les courants, tandis qu’un autre courant, venant de l’Ouest ou du Nord-Ouest, s’avance lentement au- devant d’eux. Cette idée, il est inutile de le dire, est celle d’Ellis, sur lequel s’appuie avec tant de confiance M. Gar- nier, sans paraître s’apercevoir qu’on trouve dans les Poly- nésieni researches , de même que dans la Bible, les faits les plus contradictoires. 3ent. M. Garnier trouve encore des preuves dans le lan- gage, les mœurs et les coutumes générales : toutefois ici ce ne sont plus que des probabilités. Pour lui, les relations linguistiques entre les Américains et les Polynésiens ne sont pas très nombreuses ; mais ce- pendant, dit-il, elles existent et sont incontestables. A l’ap- pui de son assertion, il cite successivement Zuniga, Dun- more-Lang, Ellis, Guillaume de Humboldt et d’Eichthal, en un mot, tout ceux qui ont soutenu la même thèse en ne s’ap- puyant, pour la plupart, ainsi qu’on l’a vu, que sur des don- nées insuffisantes et inexactes. Nous ne reviendrons donc pas sur la réfutation que nous avons faite plus haut de leurs opinions. Toutefois M. Garnier fait, à cette occasion, une remarque fort intéressante, s’il est vrai, comme l’avance le Dr Lang, que les noms américains, désignant des criques ou des ruis- seaux, commencent généralement par le préfixe oua : ce mot, dit à tort M. Garnier, sigmifie eau en Polynésien; or (1) Moërenhoüt. Voyages aux îles du grand Océan-, — Paris, 1837, p. 231. LES POLYNÉSIENS. 503 on sait qn’en Polynésien eau se rend par vaï , waï et que ua ou wci n’est que le nom donné à la pluie. Toujours est» il que M. Garnier a constaté que, dans la plupart des dialectes de la Nouvelle-Calédonie, presque tous les noms de courants d’eau commencent par les mots oue , oua (1) : telles sont les rivières oua-ka , oue-tio , oue-marou , oua-badji , oua-ia , oua-mene etc. Il cite particulièrement le mot payta , nom d’une grande tribu, comme aidant à prouver même l’ori- gine américaine de certains mots néo-calédoniens, et enfin le mot mou , montagne de la Nouvelle-Calédonie, comme indiquant au moins une infiltration polynésienne (2). Il rappelle, du reste, que Moërenhoüt, Marsden, d’Urville, et il aurait pu en citer beaucoup d’autres, sont d’un avis contraire ; à cet égard, nous ne pouvons que renvoyer aux deux Forster, au P. Febrès, en un mot, à tous les lingmistes compétents, qui se trouvent être justement, comme nous l’avons montré, de l’avis de ces derniers, c’est-à-dire d’opi- nion contraire à celle de Humboldt, Zunig*a, Ellis et d’Eicli- tlial, pour ne citer que les plus célèbres. Abordant ensuite l’examen des mœurs et coutumes géné- rales :« Ici, dit M. Garnier, nous sommes sur un terrain très-facile, et pas un seul auteur n’a touché la question sans trouver entre l’Américain et le Polynésien une ressemblance des plus frappantes. Je dis plus, tout observateur, parcou- rant le Nouveau-Monde et l’Océanie, a du être frappé de la similitude de la plupart des usages de ces peuples ; aussi serait-il trop long d’établir ici en détail cette liste com- parative, et je me contenterai de donner la nomenclature des traits les plus saillants qui se retrouvent chez les deux peuples, en commençant ce résumé par le chapitre que le R; Lang y consacre. (1) Il est à remarquer que ce mot oua est, avec va et ba , une des particules initiales qui, dans l’Afrique australe, depuis la frontière des Hottentots jusqu’à l’Equateur et au-delà, servent à former les noms de peuples ou tribus. Dans l’Afrique septentrionale, oued in- dique les cours d’eau. (2) On sait que le mot montagne se rend en Polynésien par mua moua , maunga , etc. Yoy, ci-dessus, p. 425. 504 LES POLYNÉSIENS. « Or, d’après Lang-, tels sont les traits qui rapprochent les Polynésiens et les aborigènes civilisés d’Amérique, les Mexicains, les Péruviens. » Nous nous bornerons à faire suivre l’énoncé de quelques- uns de ces traits par une courte remarque mise entre deux parenthèses. 1° Division bien tranchée des castes : (ce qui est géné- ralement vrai pour la Polynésie). 2° Réunion du pouvoir temporel et spirituel : (ce qui a lieu accidentellement, mais non pas ordinairement). 3° Langage vulgaire et langage de cérémonie : (en Po- lynésie, c’est plutôt un langage secret, exceptionnel, pour que le peuple ne puisse comprendre, ou mieux c’était, car il est rare qu’on s’en serve aujourd’hui.) 4° Méthode identique pour la division des propriétés : (ce qui aurait besoin d’être prouvé) ; greniers a vivres nom- més tabou a la Nouvelle-Zélande et tambo au Mexique. (11 y a en effet des greniers à la Nouvelle-Zélande ; ils ne s’appellent pas tabou , mais bien toa et rua. Il est vrai qu’on cherche à les rendre tabou ou mieux tapu , ce qui n’empêche pas les voleurs d’y pénétrer (1). Silos dans le reste de la Polynésie). 5° Taxes prélevées par les chefs : (comme partout peut- on dire). 6° Industries identiques en Polynésie et au Mexique. 7° Même amour des ornements en plumes, et similitude de ces ornements au Mexique et en Polynésie. 8° Etoffe végétale des Polynésiens, analogue au pa- pier mexicain. 9° Culture de la terre au moyen d’un pieu. 10° Monuments religieux et sacrifices humains. 11° Cases mexicaines et polynésiennes sans fenêtre et à une seule ouverture étroite : (les cases avaient une fenêtre à la Nouvelle-Zélande.) 12° Ruines de temples, d’architecture massive, aussi (1) Voir dans sir Grey l’iiistoire curieuse du père de Maru Tuahu. LES POLYNÉSIENS. 505 bien en Amérique qu’en Polynésie. M. Lang* s’étend lon- guement sur ce sujet ; il cite un tombeau à Tonga, formé de pierres très grosses ne pouvant provenir de l’île qui, dit-il, est exclusivement coralligène et ne contient pas une .pierre grosse comme un œuf. (Ces ruines n’ont pas la moin- dre ressemblance : en Polynésie, ce ne sont que des sortes de constructions cyclopéennes, comme aux Marquises en- core aujourd’hui, faites avec des blocs de pierres ramassées sur le rivage, ou amenées d’une autre île, ce qui aurait pu avoir lieu pour le tombeau de Tongatabou. Il est certain que, pendant notre assez long séjour sur cette île, en 1827, nous n’avons pas vu ces grands monuments, retrouvés à Tahiti, aux Sandwich, etc.). 13°. Ecriture parlante chez les deux peuples : (en effet, on ornait de dessins une foule de choses, flûtes, calebas- ses, gourdes, armes, etc. ; mais il y a peut-être loin de cela à une écriture quelconque). 14°. Anthropophagie chez les deux peuples. 15°. Réunion en conseil avant de prendre une décision ; grande éloquence naturelle. Après ces ressemblances, M. Lang cite celles qui existent entre les Polynésiens et les peuplades du Nouveau-Monde : 1°. Croyance que les souffrances du corps viennent d’un mauvais esprit. 2°. Suspension des cadavres. 3°. Vengeance honorée. 4°. Impureté des femmes qui allaitent. 5°. Boisson fermentée. C°. Pèche du poisson en empoisonnant les eaux. 7°. Tatouage (Ellis). 8°. Poncho (Ellis). 9°. Modes de sépulture (d’Eichthal, Ellis.) 10°. Nom de Dieu, Tiou en Amérique, Tu en Polynésie ; (Rapprochement inexact puisque Dieu se dit Atua en Polyné- sie, et que le mot Tu n’est que le nom particulier d’une divi- nité. Nous n’assurerions même pas que ce nom, en Amérique, fût réellement rendu par Tiou , comme le dît Ellis.) 506 LES POLYNÉSIENS. Tontes ces analogies, ajoute M. Garnier, confirment que le Polynésien est arrivé de la côte américaine. Mais vraiment, après ce que nous venons de dire précé- demment, aucun de ces faits n’a l’importance qu’on leur accorde. Ce ne sont, pour la plupart, que des analogies si générales, qu’on peut les trouver chez les peuples les plus divers. Aussi nous contenterons-nous de renvoyer à l’exa- men critique que nous en avons déjà donné. 4eut. Enfin, M. Garnier trouve même des preuves de l’ori- gine américaine des Polynésiens 'dans leurs caractères anthropologiques, car voici ce qu’il dit nettement (l) : a Pour quelques auteurs, Moërenhoüt particulièrement, l’Américain et le Polynésien présentent des différences considérables ; mais, malgré le respect que je professe pour l’auteur des Voyages aux îles du Grand Océan , je dois reconnaître qu’il avait peu vu ou mal étudié les Américains. J’ai été à même d’en voir quelques-uns, j’ai surtout pu com- parer bon nombre de photographies d’Araucaniens surtout et de Polynésiens, et je suis resté convaincu que ce sont, à très peu près, les mêmes hommes. Pour le lecteur, il suffira encore de lire les pages 130 et 131 que Vail, dans sa note sur les Indiens de l’Amérique du Nord, consacre à la ques- tion, où l’on voit que la couleur de la peau des Indiens de l’Amérique du Nord a été trouvée chez les Malais, à Timor, sur les îles Gambier (Polynésie), aux îles Carolines, et dans la Nouvelle-Hollande ; et que des voyageurs familiers avec la vue des Indiens de l’Amérique du Nord, tels que Dam- pier, Byron, Meares et le commodore Porter, ont trouvé une ressemblance frappante entre les Indiens du Mexique et ceux de l’océan Pacifique et Indien. » Il cite même Hum- boldt qui, dans sa comparaison des races américaines et celles du Mongol, « a trouvé analogues la couleur de la peau et des cheveux, le peu de barbe et la grande élévation de l’osjugal, et la direction des yeux évidente. » Et, à cette occasion, il dit avoir été frappé lui-même de l’inclinaison que présentait l’œil de certains habitants des îles de la So- (1) Ouv. cité, p « 17. LES POLYNÉSIENS. 507 ciété et surpris qu’on ne l’ait pas mentionnée plus sou- vent. Du reste, tout en reconnaissant de légères différences entre l’Américain et le Polynésien, M. Garnier les explique en disant qu’elles ont pu provenir, chez le premier, d’une transformation du type initial, sous l’influence des mélan- ges constants s’opérant sur l’immense continent qu’il habite ; chez le second, du changement du milieu. C’était, comme on verra, l’opinion de La Pérouse, qui attribuait la beauté, la force et la haute taille des Polynésiens, non pas aux Ma- lais, qu’il regardait comme leurs ancêtres, mais à l’abondance des substances, à la douceur du climat et à l’influence de dif- férentes causes physiques, agissant pendant une longue sui- te de générations (1), « Qui s’étonnera, dit à son tour M. Garnier, que le type se soit ainsi amélioré dans ces îles gé- néreuses de la Polynésie, où la vie s’écoulait sans alarme, sans crainte de l’avenir, au milieu des jeux et d’exercices sa- lutaires ? » Nous devons croire comme lui que le type américain s’y serait modifié avec le temps, comme nous croyons que les Malais, que la Pérouse disait avoir été peupler l’Océanie, au- raient éprouvé également un changement, dans les memes circonstances. Mais il est certainement inadmissible que les petits pieds, les petits nez, les longs torses tout d’une venue des uns ou des autres auraient pu être remplacés, à la lon- ' gue, par des caractères tout contraires. Il ne faut pas croire d’ailleurs que la vie s’écoulait sans crainte dans les îles po- lynésiennes. Moërenhoüt, qui a si bien fait connaître les (1) M. Topinard ( Rev . d'Anthrop ., t. VI, p. 4S9) objecte avec raison contre la théorie des migrations Polynésiennes de l’Ouest à l’Est, que les Polynésiens purs sont, avec un des deux types Américains, de la taille la plus élevée connue, tandis que les Malais sont, les plus petits après les Hottentots, les Négritos, les Orotchys et les Lapons. Il en conclut que la civilisation, la langue, les mœurs polynésien- nes ont pu être apportées de l’île Bourou par de petits groupes con- quérants, mais que le type physique, c’est-à-dire la population elle- même, est venue d’Amérique, et plus vraisemblablement de l’Amé- rique du Nord. N’eût-il pas été plus rationnel d’en faire un type spé- cial venant d’un centre de création Polynésien? 508 LES POLYNÉSIENS. jeux et les exercices de leurs habitants, n’a pas moins bien mis en relief leurs guerres, leurs alarmes, leurs supersti- tions, etc. ; d’où l’on peut inférer, suivant nous, que si, mal- gré cela, les Polynésiens forment une des plus belles races par leurs caractères physiques, c’est, comme nous l’avons dit ailleurs, qu’ils appartiennent à une race particulière typique. Nous aussi, dirons-nous, nous avons vu des Américains et même un grand nombre, soit en Araucanie (Yaldivia), au Pérou, en Bolivie, au Chili ; soit au Centre Amérique, au Mexique ; soit à Terre-Neuve, à la côte du Labrador, etc. ; nous connaissons presque tous les Polynésiens : mais nous n’avons jamais vu entre les uns et les autres le moin- dre rapprochement, et nous sommes de l’avis de Moëren- hoüt et de tant d’autres plus compétents que lui, que les différences entre ces peuples sont considérables. Ce que dit Yail de la couleur de la peau chez les Américains, les Timoriens, les Mangaréviens, etc., ne prouve rien, et est même inexact ; car si les Mangaré- viens sont un peu plus foncés que les Tahitiens, les Tungans et les Néo-Zélandais, les Hawaiiens ne le sont pas moins qu’eux. Nous avons dit ou nous dirons pourquoi ^ailleurs; et nous avons fait voir que les Carolins n’ont pas la couleur des indigènes de la Nouvelle-Hollande, pas plus, du reste, que ne l’ont les Mangaréviens, les Tungans, etc. Que Dampier, malgré son exactitude ordinaire, Byron avec son inexactitude, que les capitaines Meares et Porter, aient trouvé une grande ressemblance entre les Polynésiens et les habitants de l’océan Pacifique et Indien, il n’y a là rien d’extraordinaire ; car c’est la manière de voir de la plupart des marins qui ne reconnaissent guère que deux espèces d’hommes en Polynésie, les Blancs et ceux qu’ils désignent sous le nom de Mauricauds, pour les distinguer des vérita- bles nègres. Mais nous croyons qu’on fait bien de ne pas s’appuyer sur de pareils témoignages. Sans doute il n’en serait pas de même pour l’observation de G. de Humboldt, si la comparaison faite s’appliquait aux Polynésiens ; mais on remarquera qu’elle se borne aux Américains comparés aux Mongols. Si M. Garnier a Kété frappé lui-même de LES POLYNÉSIENS. 509 l’inclinaison de l'œil de certains habitants de Tahiti, nous pouvons l’assurer que ces cas devaient être excep- tionnels, et qu’ils résultaient probablement des croisements avec les Chinois, croisements qui avaient eu le temps de s’opérer, depuis vingt ou trente ans que des navires char- gés de ces hommes relâchent dans les îles de la Société et plus particulièrement à Tahiti. Il est du moins certain que, pendant notre longue résidence dans cette île, nous n’avons jamais rencontré cette obliquité et surtout cette forme par- ticulière de l’œil chinois, si commune, au contraire, dans la Malaisie ; et l’on sait que presque tous les observateurs donnent, comme nous, aux Polynésiens, de grands et beaux yeux horizontaux. Les cas observés par M. Garnier doivent si bien dépendre de la venue des Chinois dans les îles de la Société, que déjà, en 1840, nous avions pu constater des cas pareils à Honolulu, dans les îles Sandwich, c’est-à-dire dans le seul point alors visité assez fréquemment par eux, et où, depuis, un certain nombre s’est établi. Nous ne doutons pas que le nombre de ces cas augmentera chaque jour davantage dans les îles de la Société ; mais il est bien certain que l’oeil typique des Polynésiens n’a rien de bridé. Bref, c’est en s’appuyant sur les diverses circonstances signalées, et, particulièrement, sur le rapprochement des mœurs des deux peuples, fait par Moërenhoüt et Lang ; sur les ressemblances qu’Ellis disait exister entre eux sous le rapport du visage, de la couleur de la peau, du tatouage, du poncho, des sépultures, du nom donné à Dieu, en un mot, sur toutes celles que nous avons examinées et réfutées longuement déjà; sur les analogies aperçues par d’Eichthal, et que nous examinerons à notre tour plus tard ; enfin sur la direction ordinaire des vents et des courants, etc., que M. Garnier établit sa <*. loi des migrations humaines d’Est en Ouest. » Il n’hésite pas à affirmer que, malgré les énormes difficultés de la marche des migrations de l’Est vers l’Ouest, l’opinion d’Ellis, qu’il partage, est encore une des opinions les moins improbables ; car « elle s’accorde, dit-il, avec ce grand principe, c’est que les hommes, dans leurs migrations ont dû, tout d’abord, suivre, comme les épaves, le gré des 510 LES POLYNÉSIENS. vents et des courants; forces dont ils savaient déjà se servir, mais contre lesquelles ils ne parvenaient point à lutter. » Pour lui, enfin ^ la difficulté même que les Américains avaient pour se rendre en Polynésie explique l’homogénéité polynésienne, car, dit-il encore, de nouvelles migrations ne venaient pas à chaque instant apporter de nouveaux éléments . En somme, pour M. Garnier, c’était d’Amérique que ve- naient les Polynésiens, et il les regarde comme « une colo- nie s’effaçant du mouvement général, mais gardant purs ses caractères en s’avançant vers l’Ouest, où elle trouve des peu- ples venus de l’Australasie et des îles asiatiques et où le mélange s’opère en formant d’abord trois races (1) qui, par leurs chassés croisés, multiplient les mélanges, en donnant naissance aux traces des trois types caractéristiques, jusqu’à une assez grande distance dans l’Est. » Admettant l’antiquité relativement reculée des îles polynésiennes, M. Garnier ne doute point que ces hommes ne soient venus les peupler de- puis un temps aussi fort éloigné « et, dit-il (2), je n’en vou- drais déjà pour preuve que le changement que 3e type des immigrants primitifs a subi. » Cependant il paraît recon- naître que toutes les îles orientales et médianes de la Polynésie étaient désertes à l’arrivée des émigrants. Enfin il explique l’identité des idiomes, du type et des mœurs, malgré cette antique expansion, par l’entraînement de frac- tions de tribus, qui, pour une cause ou une autre, allaient aborder dans les îles déjà habitées, et pour ainsi dire y entretenir le type, la langue et les mœurs. Mais comme nous, il ne croit pas qu'il soit possible de fixer la date pre- mière des migrations polynésiennes et il croit encore moins à l’itinéraire particulier de chacune d’elles : ce qui prouve qu’il n’admet guère que des entraînements involontaires, comme causes du peuplement des îles de la Polynésie. Nous ne savons si les ethnologues trouveront suffisantes (1) ua race jaune venue d’Asie, la race noire de l’Australasie et la race polynésienne venue d’Amérique et transformée. (2) Ouvr. cité, p. 31. LES POLYNÉSIENS. 511 es raisons que donne M. Garnier à l’appui de son opinion : mais nous avouerons que, pour nous, elles ne nous satisfont pas sur plusieurs points. C’est ainsi que nous ne comprenons pas qu’en se mélangeant, soit avec le type jaune asiatique, soit avec le type noir australasien, le type américain soit devenu ce beau type polynésien spécial, que nous avons dé- montré être si distinct des autres par tous ses caractères physiques. Est-ce que ce ne serait pas une pure supposition, nécessitée par l’hypothèse admise ? Evidemment des mélan- ges répétés auraient fini par absorber le type américain, si des mélanges s’étaient opérés comme il le dit. Mais où sont les preuves ? Il est bien vrai que, pour établir la réalité de ces allées et venues des races mélangées, M. Garnier s’appuie sur l’asso- ciation des langues et des usages, qui, dit-il, est si évidente aux Fiji, aux Nouvelles-Hébrides, à la Nouvelle-Calédonie, et dans l’Australie. C’est un fait certain, partout où des colonies polynésiennes se sont établies, volontairement ou non, existent des métis qui conservent presque purs le lan- gage et les habitudes de leurs pères, ou qui parfois pren- nent en même temps ceux du peuple qui les a accueillis. C’est ce que nous expliquerons lorsque nous nous occupe- rons particulièrement des Fiji où ce fait est surtout remar- quable. Cette association des langues et des usages se ren- contre donc aux Nouvelles-Hébrides, à la Nouvelle-Calé- donie et peut-être à la Nouvelle-Hollande. Pourtant M. Garnier reconnaît lui-même qu’il n’y a en Australie que fort peu de mots malais, et encore dans les régions septen- trionales, et que les mots polynésiens sont si rares sur les côtes orientales que Forster, partisan de l’origine asiatique, supposait que le courant des migrations n’avait pas tra- versé, mais seulement contourné la grande terre. Il est facile d’expliquer l’existence, sur ces divers points, de l’association invoquée par M. Garnier ; elle résulte de l’arrivée de colonies, d’abord entraînées jusque-là, ou s’y rendant ensuite volontairement, comme cela avait et a en- core lieu dans les Fiji les plus orientales. Il était tout natu- rel qu’avec le temps des mots polynésiens se trouvassent 512 LES POLYNÉSIENS. utilisés, adoptés par les populations primitives ; mais il y a loin de là à une fusion, à une association complète des lan- gues. Car c’est à peine si quelques mots de la langue d’une autre race se rencontrent dans le langage des colonies po- lynésiennes, même après un long séjour, comme aux Fiji, par exemple, et c’est exceptionnellement que, dans le lan- gage de cette race, on trouve des mots polynésiens, toujours restreints aux populations de la localité et des îles environnantes. Ainsi les Fiji et les Hébrides, Tanna excepté, conservent presque pur leur langage indigène. En vain M. Garnier, prétend (1) que « le Polynésien entre pour unegrande partie dans lalanguedes Néo-Calédoniens; nous croyons que ce fait ne se présente, en Nouvelle-Calé- donie, que là où se sont établies les colonies polynésiennes, et peut-être dans quelques tribus voisines, mais en laissant intacts les dialectes de la plupart des tribus. En effet, si sur les 450 mots néo-calédoniens qu’il donne (2), il trouve que 10 pour 100 environ ont une origine évidemment tahitienne, nous pensons que les analogies admises par lui sont parfois peu complètes. M. Garnier, du reste, reconnaît lui-même que l'envahisse- ment polynésien, qu’il a constaté à la Nouvelle-Calédonie, se fait « avec tant de lenteur, qu’il faudrait peut-être encore plus de dix siècles pour que l’Australasien fût totalement remplacé par le Polynésien, ainsi, ajoute-t-il, que cela a eu lieu à la Nouvelle-Zélande. » Nous ferons voir, quand lions nous occuperons particulièrement de la Nou- velle-Zélande, que la race première occupante de l’île Nord, à l’arrivée de la dernière grande émigration ve- nant de l’Hawahiki, était bien probablement de la même race que les envahisseurs, et non de la race australasienne comme le suppose M. Garnier (3). (1) Ouv. cité, p. 64. (2) Voir le tableau de la page 68. (3) C’est à tort que M. Garnier avance, à ce sujet, que l’habitude de pousser des cris, lors de la mort de quelque parent, à la Nou- velle-Zélande et à la Nouvelle-Calédonie, ne se retrouve pas che LES POLYNÉSIENS. 513 En somme, l'envahissement, même aux Fiji, où depuis si longtemps il y a eu tant de contacts entre les deux races, n’a guère laissé de traces profondes que dans les îles les plus voisines des deux peuples, et seulement chez l’un d’eux. Nous terminerons cet exposé de la théorie de l’origine américaine des Polynésiens, en citant l’opinion d’un écri- vain qui, s’il considère les longs voyages des Polynésiens vers l’Ouest, et ceux des Américains vers la Polynésie, comme impossibles par suite de la difficulté d’emporter as- sez de vivres dans leurs canots, laisse pourtant supposer qu'il n’était pas éloigné d’admettre des communications en- tre l’Amérique et la Polynésie. M. de Bovis (1), après avoir soutenu que les Polynésiens sont venus de l’Occident, ajoute : « L’île de Pâques donnerait peut-être par la langue des moyens de reconnaître quel degré de parenté réel existe entre la Polynésie et l’Amérique, et ferait peut-être voir que les Peaux-Rouges de ce dernier pays ne sont pas autre chose que l’avant-garde de la migration aborigène de la Polynésie, dans laquelle aucun mélange malais n’a altéré les traits caractéristiques primitifs. » Nous ferons remarquer que cette conjecture ne repo- se sur aucune base solide et qu’en outre on était déjà fixé sur la langue de l’île de Pâques par les écrits de Lapérouse, Cook, Forster, etc. Mais, puisqu’elle a été faite, il faut reconnaître que les canots auraient tout aussi bien pu venir de l’Amérique en Polynésie que se rendre de la Polynésie en Amérique, et qu’ils n’au- raient probablement pas eu plus de vivres dans un cas que dans l’autre, à moins de supposer, contrairement aux paroles de M. de Bovis lui-même (2), qu’ils en réunissaient les autres Polynésiens : cette coutume, au contraire, est générale, ou du moins elle l’a été dans toute la Polynésie. (1) Mémoire sur la Société Tahitienne. (2) Voici ses propres paroles : « Comment auraient-ils pu réunir assez de vivres dans leurs pirogues pour passer simplement quinze jours à la mer? Et, à supposer que la force du vent les ait poussés au large et les ait à jamais éloignés de la côte, comment peut-on 514 LES POLYNÉSIENS. parfois assez pour passer un temps assez long* à la mer. Il n’est d’ailleurs pas besoin de pareille supposition pour com- prendre que des canots ou pirogues de la Polynésie auraient pu être entraînés jusqu’en Amérique, et vice versa : il suffit de connaître quelques-uns des entraînements rappor- tés par les navigateurs pour savoir quelles ressources les sauvag*es trouvent dans leur industrie, lorsqu’ils ont besoin de se procurer en pleine mer des aliments ou de l’eau douce. Les Européens eux-mêmes, n’en ont pas toujours manqué en pareilles occasions, comme l’ont prouvé Bligdi, Ed. Edwards, et tant d’autres, abandonnés dans leurs canots avec peu de vivres. C’est sans doute la connaissance de ces faits qui fit dire par le savant g*éog*rapbe Dalrymple, quoiqu’il trouvât les pirogues polynésiennes peu propres à faire de longues navigations, que vraisemblablement, les indig*ènes avaient été portés autrefois jusque sur les côtes d’Amérique (1). Dalrymple appuyait particulièrement sa conjecture sur une ancienne tradition rapportée par Tupaia, à l’occasion de l’île désignée sur sa carte par le nom de O-Beeva-tow tow- waï. Cette tradition disait que les habitants de cette terre étaient anthropophages et que les vaisseaux dont ils se ser- vaient étaient incomparablement plus grands que celui de Cook. Tout en relevant le go ut qu’avaient les voyageurs tahi- tiens pour le merveilleux, il croyait donc, en somme, que cette île, la plus orientale de toutes celles de la carte du grand- prêtre tahitien, n’était que l’Amérique, et que des pirogues avaient pu se rendre jusque-là, volontairement ou involon- tairement. Que cette conjecture fût fondée ou non, elle ve- nait, il faut bien le reconnaître, à l’appui de celles que nous avons indiquées, ou mieux elle en était l’origine, puisque croire qu’une telle évantualité les ait surpris justement munis d’une quantité de vivres et d’eau suffisante pour entreprendre un pareil voyage ? » (1) Dalrymple, Voyages des Espagnols et des Hollandais dans la mer du Sud , trad. de Fréville, 1774. — Voir aussi : Lettre du doc- teur Hawkesworth, rédacteur du voyage de Cook, p. 495 ; et carte de Tupaia. LES POLYNÉSIENS. 515 Dalrymple, écrivait longtemps avant Dnnmore Lang, J. Wil- liams et M. de Bovis. Fait bien curieux, et dont la connaissance est également due à Dalrymple (1), s’il fallait s’en rapporter à ce que dit Péralta, dans son poème sur la Fondation de Lima (2), les Espagnols du Pérou auraient même cru, pendant quelque temps, à des relations régulières entre cette contrée et cer- taines îles de l’océan Pacifique, appelées Fontacias. On lit, en effet, dans une note de Péralta (3) : « Les îles Fontacias furent ainsi nommées du temps du marquis de Canète (4) ; elles s’étendent depuis le 12e jusqu’au 30e degré de latitude méridionale, à l’Ouest de la côte du Pérou. Leurs habitants viennent dans des pirogues faire le commerce avec les villes de Chincha, de Pisco et d’Acari. On conserve encore les dé- pêches originales du vice-roi mentionné, dans lesquelles il nomme D. Juan Roidan Davila, général de la flotte des- tinée à la conquête de ces îles, en date du 15 juillet 1592. Deux vaisseaux furent équipés dans ce but; mais l’un ayant été envoyé contre Richard Hawkins, qui fut pris par les Espagnols en 1593, l’expédition manqua ». On n’enten- dit plus parler de ces îles, qui ne parurent jamais sur les cartes sous ce nom, et dont l’époque de la découverte, com- me le nom du découvreur, sont depuis toujours restés in- connus: Dalrymple, à cause de cela, était disposé à croire que le rapport qui avait donné lieu à cette opinion était sans fondement. Il est certain qu’entre le 12e et le 30e degré de latitude mé- ridionale se trouvent, en s’éloignant du Pérou, d’abord les îles Paumotu, Mangareva et Pâques ; puis les îles de la So- ciété, Tunga, Samoa, les Fiji, les Nouvelles-Hébrides et la Nouvelle-Calédonie, enfin l’Australie, pour ne citer que les (1) Trad. de Fréville, p. 129. (2) Lima fundada , poëme du docteur Pedro de Péralta Barnuevo Rocha y Benavides. — Lima, 1732, 2 vol. in-4°. (3) Péralta, vol. I, p. 195* (4) Don Garcia Hurtado de Mendoce, marquis de Canete, fils du 6* gouverneur du Pérou, arrivé en 1590. 516 LES POLYNÉSIENS. principales terres. Si l’on pouvait admettre que des relations commerciales ou autres ont vraiment pu exister entre quel- ques-unes de ces terres et l’Amérique, il faudrait plutôt sup- poser qu’elles ont eu lieu par la race polynésienne que par la race noire, parce que, comme on le verra, des fragments de traditions polynésiennes, qu’on n’a pas rencontrées dans l’au- tre race, font allusion à l’existence de quelque grande terre dans l’Est. Mais, il est inutile de le dire, rien n’est plus hy- pothétique, et nous croyons avoir assez montré le peu de rapprochements possibles entre les Américains et les Poly- nésiens, pour qu’il répugne d’admettre que ces derniers sont allés en Amérique, autrement qu’entraînés jusque-là par accidents. D’autre part, si l’on tient compte de toutes les données précédentes, il. n’y a également qu’une conclusion possible, c’est que les Polynésiens n’ont pu provenir de l’Amérique. C’est à cette opinion que se sont ralliés les écrivains les plus autorisés et particulièrement M. de Quatrefages, qui, à cause de cela, a pu dire que « l’hypothèse de l’origine américaine ne compte aucun adhérent dont le nom ait quelque valeur dans la science (1). » (1) Les Polynésiens , etc., p. 81. FIN DU PREMIER VOLUME. Table des ^Matières DU PREMIER VOLUME Préface PREMIÈRE PARTIE ETHNOLOGIE OCÉANIENNE CONSIDÉRATIONS GENERALES. Recherche des origines ethniques plus difficile pour les races Océaniennes que pour les races Européennes. — Iles hautes et basses des mers du Sud. — Leur inégale distribution. — Ces îles sont habitées par deux races différentes, la race Polynésienne et la race Mélanésienne. — Différences physiques et morales qui séparent ces deux races. — Signification des mots Polynésie et Polynésiens, Mélanésie et Mélanésiens. — Cantonnement des deux races. — Propositions principales qui seront développées et marche qui sera suivie dans le cours de Pouvrage LIVRE PREMIER RACES MÉLANÉSIENNES. Divergences des voyageurs et des auteurs sur les caractères phy- siques et le lieu d’origine des races Mélanésiennes. — Deux races admises par les Anthropologistes modernes: la race Négrito et la race Papua CHAPITRE 1er RACE NÉGRITO. Extension géographique des Négritos, une des races primitives de l’humanité. — Leur habitat actuel. — Leurs caractères physi- ques. — Tableau récapitulatif de ces caractères m ( \ '■ 518 TABLE DES MATIERES CHAPITRE II RACE PA PUA. I PAPOUS. Confusion résultant du mot Papou mal défini. — Caractères phy- siques des Papous, d’après les voyageurs et les auteurs anciens: Quoy et Gaimard ; R. P. Lesson ; Bory Saint-Vincent ; de Rienzi ; Dumont d’Urville ; Hombron ; Jacquinot. D’après les voyageurs et les auteurs modernes : A. B. Meyer ; les Naturalistes du Challenger ; Topinard. — Les Papous sont des métis de Papua et d’Alfourous. — Existence des Alfourous en Nouvelle-Guinée. — Les caractères crâniens des Papous con- firment la conclusion qu’ils sont des métis de Papua et d’Alfou- rous 25 II PAPUA VRAIS. Signification du mot Papua. — Populations appartenant à la race Papua. — Habitat actuel des Papua.— Leurs caractères physiques, en général, d’après Lesson. — Arfaki de la Nouvelle-Guinée. — Description des Papua de la Nouvelle-Irlande; du Port-Praslin ; de l’île Bouka ; de l’île d’York ; des îles Salomon; des îles Hébrides ; des îles Hogoleu, Carolines, Pelew ; de la Nouvelle- Calédonie ; de Vanikoro ; des îles Fiji; du Continent Asiati- que. — Résumé de la race Papua. — Tableaux linguistiques. , , 42 CHAPITRE III TASMANIENS . Description des Tasmaniens d’après Labillardière ; Péron; Quoy et Gaimard; R. P. Lesson. — ■ Leurs caractères anthropologiques d’après B. Davis ; Topinard ; de Quatrefages etHamy. — Les Tasmaniens formaient une race distincte de toutes les autres connues. — Leur extinction. — Le type tasmanien d’après les dessinateurs. — Tableau linguistique comparé 83 CHAPITRE IV AUSTRALIENS. Description des Australiens d’après les observateurs anciens: Dampier ; Cook, Parkinson et Banks; Péron, Depuch et Ransonnet; de Freycinet, Quoy et Gaimard; R. P. Les- son; A. Lesson. — Divergences d’appréciation chez les an- ciens observateurs. — - Observations modernes. — Australiens à i neveux lisses et à cheveux crépus; Leurs caractères crâniens. — Les Australiens semblent être des métis de Papua et d’Alfou- TABLE DES MATIERES 519 rous. — Antérieurement, les Négritos ont dû également contri- buer à leur formation. — Les Australiens n’ont pas une descen- dance asiatique ; ils ne forment pas une race une et primi- tive. — Résumé des Australiens Résumé général des races Mélanésiennes, ^9 106 LIVRE DEUXIEME RACES POLYNESIENNES. CARACTERES EXTERIEURS DES POLYNESIENS. Traits distinctifs de la race Polynésienne, d’après M. de Quatre- fages. — La description faite' par ce savant est incomplète; observations à ce sujet. — Il n’existe dans les îles Polynésiennes ni noirs, ni blonds. — Caractère crâniens des Polynésiens. — Leurs caractères physiques extérieurs d’après nos observations. 109 CHAPITRE Rr MALAIS. I CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. Opinions contradictoires émises sur les peuples de la Malaisie. — * Divergences des auteurs sur les caractères distinctifs et sur le lieu d’origine des Malais. — Opinion de R. P. Lesson. — Opi- nion de M. de Quatrefages. — Les Malais sont une race hété- rogène qui ne saurait être regardée comme typique 122 II CARACTÈRES PHYSIQUES. Caractères des Malais d’après R. P. Lesson; de Rienzi; Bory Saint- Vincent ; Van Leent ; Ida Pfeiffer; Topinard. — Résumé des descriptions précédentes. — Les caractères anthropologiques et crâniométriques des Malais les différencient complètement des Polynésiens i3q III CARACTÈRES LINGUISTIQUES. Langue malaie: son origine, ses règles fondamentales, ses prin- cipaux dialectes. — Langue polynésienne: ses caractères prin- cipaux. — Différences et analogies entre le Malayou et le Poly- nésien. — La langue malaie ne peut pas avoir été la mère de la langue polynésienne, qui est une langue primitive. — Les Po- lynésiens ne proviennent donc pas des Malais. — Tableaux lin- guistiques. 142 (Y. S < r y V u r ' ^ "U- s l 520 TABLE DES MATIÈRES. CHAPITRE II. JAVANAIS. m I CONSIDÉRATIONS GENERALES. L’origine des Javanais est fort obscure. — Opinions contradictoi- res des auteurs à ce sujet. — Peuple inconnu de Crawfurd 170 II CARACTÈRES PHYSIQUES. Caractères de Javanais d’après Thunberg ; Linschot; Leblanc ; Raffles; Stavorinus ; Barrow ; Ida Pfeiffer. — Leurs caractères crâniens. — Ces caractères rapprochent les Javanais des Malais, mais ils les différencient des Polynésiens. — Types Javanais.. . 178 III CARACTÈRES LINGUISTIQUES. Langue javanaise: Javan ancien; Basc-Krama; Javan vul- gaire. — Les langages javanais se rapprochent du Malai, mais s’éloignent du Polynésien. — Le Javanais est une langue mélan- gée renfermant des racines polynésiennes. 187 IV ORIGINE DES MALAIS. Les Malais ont formé, dès le principe, un seul peuple avec les Ja- vanais; Raisons militant en faveur de cette opinion. — Les Malais ne sont que des Javans expatriés 197 V ORIGINE DES JAVANAIS. Les Javanais sont des métis formés par le croisement des émi- grants Polynésiens avec une race noire autochthone et d’autres races jaunes asiatiques. — Existence d’une race noire première occupante de Java. — Peuple inconnu. — Races asiatiques. — Siamois. — Tableaux linguistiques. 202 CHAPITRE III. MALAISIENS. Populations que l’on doit considérer comme malaisiennes 218 I BATTAKS. Lieu d’habitat des Battaks. — Leurs caractères physiques, d’après Marsden ; Ida Pfeiffer; Van Leent ; le Rév. Favre. — Les Bat- taks, les Redjang-s et les Lampongs ont une origine commune avec les Dayaks. — Langage battak. — Tableau linguistique... 220 TABLE DES MATIERES. 521 II DAYAKS. Caractères des Dayaks de Bornéo, d’après* R. P. Lesson ; Ida Pfeiffer; Van Leent ; Forrest. — Origine des Dayaks. — Langue daya. — Les Dayaks sont des émigrants polynésiens. — Populations appartenant à la race dayaque. — Tableau linguisti- que.. a, III BOUGU1S. Caractères des Bouguis de Célèbes, d’après Stavorinus ; de Rienzi ; Ida Pfeiffer ; Dumont d’Urville, Quoy et Gai- mard ; Jurien de la Gravière. — Opinions contradictoires sur lesBouguis. — Ce sont des métis d’Alfourous ou Dayaks et de Javanais ou Malais. — Ressemblances entre le Bougui et le Polynésien. — Caractères linguistiques du Bougui et du Mang- kasara. — Ces ressemblances prouvent que la civilisation poly- nésienne s’est étendue jusqu’à l’Inde. — L’ancienne langue bouguise était une langue polynésienne 2 IV ALFOUROUS. Lieu d’habitat des Alfourous. — Contradictions des observa- teurs : de Rienzi ; Dumont d’Urville. — Haraforas de Min- danao, d’après Forrest. — Alfourous des Moluques, d’après Rumphius ; Stavorinus ; Forrest; Ligtvoet ; Ida Pfeiffer ; de Ro- senberg; Van Leent; Raffray ; Teysman. — Alfourous des Phi- lippines. — Alfourous de la Nouvelle-Guinée, d’après les voya- geurs anciens et modernes. — Les Alfourous purs sont des Poly- nésiens 266 V RÉSUMÉ DES MALAISIENS. Les Malaisiens proviennent de colonies polynésiennes. — Raisons militant en faveur de l’opinion qu’ils sont les descendants et non les ancêtres des Polynésiens 295 CHAPITRE IV CAROLINS ET MARIANNAIS. Exposé général de la question 3oi I ILES CAROLINES. Description de l’Archipel des Carolines. — Caractères physiques des Carolins. — Leurs connaissances nautiques. — Langue des 522 TABLE LES MATIERES, îles Carolines ; ses nombreux dialectes; ses analogies avec le Polynésien ; Tableaux linguistiques. — Lieu d’origine des Garolins: Opinions de de Chamisso ; Dumont d’Urville ; de Rienzi ; Lesson ; Lütke. — Mélanésiens des îles Puynipet et Pelew. — La généralité des Garolins offre le type polynésien II ILES MARIÂNNES, 7-erçu géographique. — Caractères physiques des anciens Ma- riannais, d’après Le Gobien ; Gemelli Carreri ; Dampier ; igaffetta. — Lieu d’origine des Mariannais. — Langage Ma- G.i rainais.; ses ressemblances avec le Malai, le Tagal et surtout Rai dynésien. — Chants mariannais ... crâ ma* III v DISSEMBLANCES DES GAROLINS ET DES MARIANNAIS AVEC LES POLYNÉSIENS. , - ^ssemblances de religion, de superstitions, de croyances, de pré- jugés.— Ressemblances d’industrie.— Ressemblances de mœurs, outumes, usages, état social. — Ressemblances de maladies, de .érémonies funèbres. — Autres analogies. — Différences existant entre les Garolins et Mariannais et les Polynésiens. — Ces diffé- rences sont bien moins importantes que les ressemblances. — Les Polynésiens sont les ancêtres des Garolins et des Marian- nais» — Tableaux linguistiques DEUXIÈME PARTIE LIVRE PREMIER ORIGINE DES POLYNÉSIENS. F IDENTITÉ DES POLYNÉSIENS ENTRE EUX. ..es Polynésiens sont les tribus dispersées d’une même nation. — Leurs îles ont étépeuplées parvoie de migrations. — Point de dé- part de ces migrations. — Divergences des savants à ce sujet. — Trois théories principales: Provenance d’un continent submer- gé; Provenance américaine; Provenance asiatique............. CHAPITRE I« PREMIÈRE THÉORIE. PROVENANCE d’üN ANCIEN CONTINENT SUBMERGÉ. Faits principaux motivant cette hypothèse. — Examen de l’opi- nion des savants qui Pont soutenue: Quiros ; Buache; de Brosses; Cook; Dalrymple; Vancouver; les deux Forster : Carli; Dumont d’Urville ; Moërenhoüt; Ellis ; Guillemin ; Beau- TABLE DES MATIERES. 523 dichon; de Bovis. — Discussion entre MM. Périer, Broca et de Quatrefag-es ; — Brulfert ; Dana; d’Omalius d’Halloy ; Jules Garnier. — Objections qui rendent inadmissible l’hypothèse d’un ancien continent submergé 386 CHAPITRÉ II DEUXIÈME THÉORIE • iX ORIGINE AMÉRICAINE DES POLYNÉSIENS. Bases sur lesquelles repose cette hypothèse. — Elle est formulée pour la première fois par Zuniga. — Opinions d’Ellis. — Ex- posé et réfutation des arguments présentés en faveur de l’origine américaine des Polynésiens : Ressemblances de religion, d’in- dustrie, de mœurs ; autres analogies ; langage ; caractères phy- siques. — Communications entre l’Amérique et les îles de la mer du Sud ; opinions de Crozet ; Molina; Dunrnore-Lang ; Jules Garnier; de Bovis. — Les Polynésiens n’ont pu provenir de l’Amérique A - ~ . -V S 4 \ CLERMONT (OISE). — IMPRIMERIE DS A. DAIX, RUE DE CONDÉ, 2".