Leur Origine, leurs Migrations, leur Langage PAR Le jD1 A. 'LBSSON ANCIEN MÉDECIN EN CHEF DES ETABLISSEMENTS FRANÇAIS DE L’OCÉANIE, MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ d’aNTHROPOLOGIE pu VR AGE . RÉDIGÉ D’APRES LE ^MANUSCRIT DK L'AUTEUR Par Ludovic MARTINET MEMBRE DE I.A SOCIÉTÉ D’ANTHROPOLOOIE TOME TROISIEM E PARIS ERNEST LEROUX, ÉDITEUR LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE DE PARIS, DE l’ÉCOLE DES LANGUES ORIENTALES VIVANTES, ETC . 28, RUÉ BONAPARTE, 28 l882 POLYNESIENS CLERMONT' OISE. — IMPRIMERIE A. DAIX, PLACE SAINT-ANDRÉ, 3. | \eV> L&A N/. 3 POLYNESIENS Leur Origine, leurs Migrations, leur Langage PAR y Le D1 A. IjBSSON * 9 * ANCIEN MÉDECIN EN CHEF DES ÉTABLISSEMENTS FRANÇAIS DE L’OCÉANIE, MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ D’ANTHROPOLOGIE PUVRAGE RÉDIGÉ D’APRES LE ^VLaNUSCRIT DE l'^UTEUI^ Par Ludovic MARTINET MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ D’ANTHROPOLOGIE TOME TROISIÈME BUREAU OP AMERICAN ETHNOUECFÏÏ librart PARIS ERNEST LEROUX, ÉDITEUR LIBRAIRE DE LA SOCIETE ASIATIQUE DE PARIS, DE L’ÉCOLE DES LANGUES ORIENTALES VIVANTES, ETC. 28, RUE BONAPARTE, 28 18 8 2 AVANT-PROPOS Depuis la publication de notre dernier volume, a paru en Angleterre une remarquable étude sur les Po- lynésiens (1). L'auteur, M. Abraham Fornander, qui résida 34 ans dans les îles Hawaii, y remplit pendant 19 ans des fonctions gouvernementales. Les documents fournis par M. Fornander auraient du être utilisés dans le texte spécial à chaque localité, par- ticulièrement dans les chapitres relatifs aux archipels Hawaii et Marquises. Son ouvrage contient une masse de témoignages qui rendent notre théorie plus probable que toute autre et sur lesquels nous aurions pu facile- ment nous appuyer, si les deux premiers volumes de (1) An account of the Polynesian Race , its origin and migra- tions, and the ancient history of the Hawaiian people, to the times of Kamehameha 1er. 2 vol. London, Trübner, 1880. II AVANT-PROPOS. notre livre n’avaient pas été composés avant la publica- tion du sien. En effet, à part l’opinion de l’auteur Anglais sur le point de départ des Polynésiens, tous les témoignages qu’il rapporte sont, à son insu, il est vrai, favorables à la thèse que nous soutenons. Plus on lit son livre, plus on constate que nous avons trouvé la clef véritable de ses explications, de ses remarques consciencieuses, mais parfois fort embrouillées. Fornander reconnaît lui-même que les légendes qu’il a recueillies ne viennent que du Sud, entre autres celle de Tahaï, qui indique la marche des émigrants et dési- gne plusieurs îles. Or le Tahaï des îles Hawaii n’est autre que le Tawhaki de la Nouvelle-Zélande. Plusieurs autres traditions des îles Marquises indiquent également toutes les îles où les émigrants du Sud ont fait étape 4 avant d’arriver dans cet archipel. Aussi, malgré sa croyance que les Polynésiens sont partis de la Malaisie et arrivés d’emblée aux îles Fiji, l’auteur Anglais mon- tre, à chaque instant, que l’Hawahiki devait être situé plus à l’Ouest encore que les Fiji et non dans les îles Sandwich. « En comparant les légendes de la Nouvelle-Zélande publiées par sir Grey, je trouve, dit-il (1), que les Néo- Zélandais prétendent descendre de l’île Savaii dans le groupe Samoa : ils prononcent ce mot Hawaïki et parmi les autres noms remarquables cités dans leurs récits* (2) Ouvrage cité, t. Ie*', p. 203, AVANT-PROPOS. III avant leur départ de l’Hawaïki, il en existe quatre pa- raissant appartenir à la ligne hawaiienne Ulu, entre Aïkanaka et Paumakua. Ils figurent, dans ces légendes de la Nouvelle-Zélande, comme chefs ou Ariki d’Hawaïki et ils y sont placés dans le même ordre de succession que dans les généalogies hawaiiennes. Voici leurs noms, avec la prononciation hawaiienne entre deux parenthèses: Hema (Hema), Tawhaki (Kahai), Wahieroa (Wahieloa), Raka (Laka). « Chacun de ces chefs a,, pour ainsi dire, été natura- lisé et localisé sur le groupe Hawaii par les légendes hawaiiennes. Cependant, comme il n'est raisonnable- ment pas probable que les Néo-Zélandais soient partis du groupe Hawaiien au lieu du groupe Samoan, et comme il est positivement évident que ces chefs rési- daient sur Hawaïki qu’ils connaissaient et d’où ils étaient partis pour la Nouvelle-Zélande, je suis forcé de conclure que leur introduction dans les généalogies hawaiiennes était le fait de cette période d’émigrations, à laquelle j’ai si souvent fait allusion ; ce fut une adap- tation locale dans les âges suivants de légendes antérieu- res, quand le souvenir de la mère-patrie fut devenu in- distinct et quand on ne connaissait plus rien d'eux, si- non le fait principal qu’ils étaient sur la liste généalogi- que des chefs hawaiiens de la ligne Ulu. » cc Ainsi, d'après le témoignage des légendes Néo-Zé- landaises, ces chefs, ajoute Fornander, n’étaient pas originaires des îles Hawaii du Pacifique Nord, dont les IV AVANT-PROPOS, Néo-Zélandais n’avaient sans doute aucune idée, mais de la Savaii Samoane de l’Océan Pacifique du Sud, d’où ils prétendaient descendre, de laquelle ils avaient émi- gré, et d’où ils avaient emporté avec eux leurs légendes dans leurs nouvelles demeures, sur Ao-tea-roa ou Nou- velle-Zélande. » La tradition Zélandaise est bien plus claire et notre système donne la clef véritable de tout ce que dit For- nander, qui se perd en vains efforts pour la découvrir. Il suffit, pour comprendre cette tradition, qu’elle ait été portée par des émigrants de l’Hawahiki tel que nous le croyons placé, c’est-à-dire sur l’He-du-Milieu de la Nou- velle-Zélande. Alors tout s’explique de la façon la plus simple et la plus naturelle. Il en est de môme pour toutes les traditions rappor- tées par M. Fornander sur l’origine des îles Hawaii et sur celle de leurs habitants. Toutes viennent confirmer notre manière de voir ; toutes montrent que les Hawaiiens, quoiqu’ils n’aient conservé qu’une idée fort confuse de leur lieu d’origine, se regardent eux-mèmes comme des émigrants et non comme des autochthones des Havaii dont parle la légende. « Mais, ajoute Fornander, il y a trois des groupes Polynésiens, les groupes Hawaii, Sa- moa et Tonga, qui réclament pour chacun d’eux l’hon- neur d’avoir été le premier peuple, le premier nommé dans le Pacifique. Cependant tout concourt à montrer que le lieu d’origine de leurs ancêtres à tous était dans l’Ouest lointain, de même que la demeure de leurs dieux .» AVANT-PROPOS. V Les traditions Hawaiiennes, ajoute Fornander, sont éloquentes sur la beauté et l'excellence de la terre par- ticulière ou lieu de résidence des deux premiers êtres humains créés. Il portait un certain nombre de noms, de significations diverses ; mais celui qui se présentait le plus souvent et qui passait pour être le plus ancien, était Kalana-i-Hau-Ola, « Kalana avec la vie ou rosée donnant la vie ». Ce lieu était situé dans une grande contrée du continent diversement appelé dans les légendes : Kahiki- Honua-Kele, Kahikiku, Kapakapaua-a-Kane, et Molo- lani. Parmi les divers autres noms de cette première de- meure, de ce paradis, conservés dans les chants et tradi- tions, il faut citer: Pali-Uli, « la montagne bleue » ; Aina-i-Ka-Kaupoœ-Kane, « la terre du cœur ou dans le cœur de Kane» ; Aina-Wai-Akua-a-Kane, « la terre de l’eau divine de Kane ». La tradition dit de « Pali-Uli » que c’était une terre sacrée, tapu\ qu’un homme devait être juste pour l’at- teindre; que celui qui voulait l’atteindre devait être ex- cessivement saint; que s’il était coupable ou criminel, il ne pouvait pas y arriver; que s’il regardait derrière, s’il préférait sa famille, il ne pouvait pas entrer dans le Pali-Uli. Le chant le décrit ainsi : O Pali-Uli , aina huna a Kane , O ha aina i Kalana-i-Rau-Loa , VI AVANT -PROPOS. I Kahiki-ku , i Kajpakapa-ua-a-Kane, 0 ha aina i kumu , i Tali, 0 ha aina ai nui a lie Ahua . « 0 Pali-Uli , terre cachée de Kane, « Terre dans Kalana-i-Hau-01a, « Dans Kahiki-ku, dans Kapakapa-ua-a-Kane, « Terre avec des sources d’eau, grasse et humide, « Terre grandement réjouie par le Dieu. » L’Ain a-Wai-Akua-a-Kane, ou, comme elle est plus généralement appelée dans les légendes, Aina-Wai-Ola- a-Kane, « l’eau de vie de Kane, »est fréquemment citée dans les croyances populaires. Suivant les traditions, cette source de vie était une belle fontaine jaillissante, admirablement claire et transparente et entourée d’un lac. Ses bords étaient splendides. Elle . avait trois is- sues: une pour Ku, une pour Kane, une pour Lono. Par ces issues, les poissons pénétraient dans le lac. Si les poissons du lac étaient jetés sur le sol ou sur le feu, ils ne mouraient pas. Si un homme avait été tué et si, après sa mort, il était plongé dans cette eau, il revenait aussitôt à la vie. Dans la légende d’Aukele-Nui-a-Iku, le héros visita Kalana-i-Hau-Ola ; à l’aide de son dieu protecteur, il obtint de l’eau de cette fontaine de vie et, avec elle, il ressuscita ses frères qui avaient été tués longtemps au- paravant. Cette fontaine de vie est certainement la fameuse sour- AVANT-PROPOS VII ce si connue des légendes Néo-Zélandaises; et tout indi- que que les mots Pali-Uli, Kapakapaua, Kahikiku, Ka- lana-i-Hau-Ola, Aina-i-Ka-Kaupo-o-Kane, qui est évi- demment rUpoko-Tane des Maori, désignaient des noms et des localités de la Nouvelle-Zélande, et plutôt de L’Ile- du-Miiieu que de llle-Nord. C’est ce que nous mettrons en évidence quand nous aborderons l’étude de la marche des migrations. LES POLYNÉSIENS TROISIÈME PARTIE LIVRE PREMIER NOUVELLE-ZÉLANDE CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LA NOUVELLE-ZÉLANDE RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES. Comme nous ne cherchons pas à écrire l’histoire de la Nouvelle-Zélande, nous devons évidemment nous abstenir de toutes les considérations qui n’ont pas un rapport direct avec la question qui nous occupe. Il suffira donc de mettre sous les yeux du lecteur les principaux faits géographi- ques, météorologiques, anthropologiques et autres, qu’il lui est indispensable de connaître pour asseoir son opinion sur le système que nous allons développer. Nous ne dirons ici rien des mœurs, des usages et des idées religieuses des Nouveaux-Zélandais ; nous ne parle- rons pas non plus de leurs migrations, ni de leur langage, que nous aurons à examiner, dans les chapitres suivants ; mais nous les étudierons surtout au point de vue an- thropologique ; nous chercherons à démontrer que l’on a admis à tort plusieurs races ou variétés d’hommes h laNou- O LES POLYNÉSIENS, velle-Zélande et que l’on a, également à tort, prétendu que la population primitive forme une race mêlée. Toutefois, en raison de l’intérêt qu’elles nous semblent offrir, nous présenterons incidemment quelques recherches linguistiques : c’est ainsi que nous tâcherons d’expliquer les noms donnés par les indigènes aux îles de la Nouvelle- Zélande et aux diverses tribus qui composent la population, et que nous indiquerons également les divisions établies parmi elles. Nous bornerons, du reste, la description des îles à ce qui sera strictement nécessaire pour qu’on s’en figure bien l’é- tendue et pour qu’on comprenne qu’une population consi- dérable a pu s’y former. De même, nous serons bref au sujet de la température, de la pluie et de l’humidité, toutes choses ayant peu ou point de rapport avec la recherche du lieu d’origine des indigènes et celle de leurs migrations. Mais nous ferons, au contraire, ressortir avec soin la force et la direction des vents ordinairement régnants, parce qu’elles aident à faire comprendre ces migrations. Quant à l’histoire naturelle, comme nous ne pour- rions en parler que superficiellement, même en le faisant longuement, nous nous contenterons de donner quel- ques listes, avec les noms indigènes revus par nous, ainsi que des extraits du savant missionnaire anglais Taylor sur les quadrupèdes, les principaux oiseaux, et quelques autres parties de la faune de la Nouvelle-Zélande. On lira avec intérêt ces études d’un homme si compétent, et auquel on a fait tant d’emprunts, en pays étrangers, sans jamais le citer. C’est à lui également que nous nous adresserons pour dire quelques mots surla géologie, les tremblements de terre et les îles disparues dans le détroit de Cook, d’après les tra- ditions. Pour le surplus, nous renvoyons à la traduction de son ouvrage faite par nous, et encore inédite. Les renseignements sur les devises des Tribus, sur les étymologies des noms qu’elles portent, sur les divisions établies parmi la population, et quelques autres encore, ne sauraient être considérés comme des hors-d’œuvre : tout in- directs que sont ces renseignements, ils n’aident pas moins, LES POLYNÉSIENS. 3 à notre avis, à caractériser la race qui les fournit, et c’est à ce titre que nous avons avons cru devoir en parler inci- demment. En somme, dans ces considérations générales, nous n’in- sisterons, en raison de leur importance pour la question à résoudre, que sur deux choses principales : les vents, et les caractères physiques de la population de la Nouvelle-Zé- lande. CHAPITRE PREMIER GÉOGRAPHIE ET HISTOIRE NATURELLE Aperçu géographique et topographique sur le groupe de la Nouvelle-Zé- lande. — Trois îles principales. — Description de l’Ile-Nord. — Des- cription de l’Ile-du-Milieu. — Examen des noms donnés par les pre- miers navigateurs. — Recherches linguistiques : Pounamu ; Kawaï ; Kaikoura ; Pakeha. — Météorologie. — Vents régnants. — Noms des vents. — Tempêtes. — Température. — Tableaux météorologiques. — Géologie. — Constitution volcanique. — Iles disparues. — Botanique. — Nature et espèces des différentes plantes. — Le groupe de la Nou- velle-Zélande constitue un centre botanique. — Faune. — Mammifères terrestres : Kuri ; Kiore ; Kaurehe. — Oiseaux : Kiwi ; Moa : Remar- ques sur l’extinction des Moa. — Ruru ; Kakapo. — Reptiles ; lézards. — Amphibies. — Poissons. — Coquilles. — La géologie, la faune et la flore prouvent que les îles de la Nouvelle-Zélande ont été un centre de création. Aperçu géographique et topographique. — La Nouvelle- Zélande n’est point une seule terre, comme le croyait son découvreur (1), mais bien un groupe de plusieurs îles si- tuées entre les parallèles de 34° 12’ et 47°20’ de latitude mé- ridionale, et s’étendant du 163°44’ au 176°2r de longitude orientale du méridien de Paris. Tasman, soupçonnant d’a- bord qu’elle était jointe au Staten-Land, contrée signalée par Lemaire et Schouten à l’Est de la Terre de Feu, lui don- (1) La Nouvelle-Zélande fut découverte par Abel Tasman, le 13 ou le 14 décembre 1642. Pour quelques-uns cependant ce fut un navigateur espagnol, pour d'autres le Français Paulmier de Gon- neville, qui aperçut le premier les rivages de la Nouvelle-Zélande. LES POLYNÉSIENS. na le même nom, en l’honneur des États généraux; mais peu après cette terre, presque inconnue alors, reçut, on ne sait de qui, le nom de Nouvelle-Zélande (1). C’est ce nom qui a été adopté par tous les géographes, non pas sans in- convénient pour l’ethnologie polynésienne, comme on le verra ; et c’est lui qu’on trouve indiqué dans la carte de Bellin, qui a été publiée dans le voyage d’Anson, en 1751. La haie où Tasman mouilla le 18 décembre, et qu’il nomma Baie des Meurtriers, est située par 40°49’ Lat. et 169°4r Long. Parmi les îles qui composent ce groupe, il en est surtout deux qui sont fortgrandes. Leur direction générale est du Sud- Ouest au Nord-Est du Monde, et elles sont entourées d’une vingtaine de petites îles, disséminées sur les côtes. Une troisième île, assez grande aussi, sans l’être autant que les premières, a été nommée île Stewart par les Anglais : c’est la plus méridionale du groupe ; elle forme, par sa pointe Sud, le Cap du Sud. Les indigènes l’appellent Ra-ki-ura. Enfin l’île appelée par Cook Entry-Island, porte le nom maori de Kapiti. Ile-Nord. — L’Ile-Nord, la première des deux plus gran- des, ou l’Ika-na-Maui de la plupart des navigateurs, a pres- que la forme d’un triangle rectangle, dont la hase fait suite à la direction générale delà seconde grandeîle : elle s’étend, comme celle-ci, du Sud-Ouest au Nord-Est et elle se termine par une pointe appelée Cap-Est. De ce cap, ou sommet de l’an- gle droit, jusqu’au Cap-Nord, la côte se dirige au N. -O., où le triangle se ferme au cap Maria Van-Lfiemeh. La chaîne de montagnes de cette île semble être la continuation ie celle de l’autre île : comme elle, elle court du Sud-Ouest au Nord-Est du Monde ; elle est formée de montagnes t^ès élc- (l) Il est toutefois à remarquer que c’est vers 1G65, que par un décret des Etats généraux, la partie Ouest de la Terre Australe fut appelée Nouvelle-Hollande. 6 LES POLYNÉSIENS. vées, et dont les sommets sont presque toujours couverts de neige (1). On donne à cette île une longueur de cinq cents milles, (près de 700 kilomètres) (2), et une largeur variable de cinq à trois cents milles ; le développement de ses côtes n’a pas moins de quatre cents lieues, et même plus si l’on en suit exactement les contours : les Anglais le portent à quinze cents milles. Enfin, on évalue sa surface à 3567 lieues car- rées. C’est entre le Cap-Nord et le cap Colleville, sur la côte Est, vis-à-vis la Grande-Barrière, et une foule d’autres îles moins grandes, que se trouvent les magnifiques baies ou havres appelés Maunganui (Baie des Iles), Wangaroa, Hauraki (Auckland), Baie Mercure, Tauranga, etc. 11 n’y a guère, entre le Cap-Est, qui est éloigmé du cap Palliser de 300 milles, que le port Napier, dans la baie Hawke ; mais, sur la côte de cette île qui forme le coté Nord du détroit de Cook, et l’avoisinant, se voient de nombreux ports dont quelques-uns sont occupés aujourd’hui par des éta- blissements anglais, ainsi que des rivières encore plus nombreuses. C'est là que se trouvent le port Nicholson, presque à l’entrée orientale du détroit, puis, en allant vers le N. -O., les îles de l’Entrée, Mana et autres, Taranaki, etc., et, plus particulièrement, les rivières Wanganui, Patea, Kahupokonui, qui sont si souvent citées dans les anciennes traditions, en même temps que les ports de la côte Ouest, qu’il serait trop long d’énumérer. Ile-du-Milieu. — L’autre grande île, celle que d’Urville appelle l’Ile-du-Sud et que les Anglais désignent par le nom d’iie-du-Milieu. Middle-Island, à cause de sa position entre File-Nord et l’île Stewart, n’a pas moins de cent cinquante- cinq lieues marines d’étendue dans la plus grande dimen- sion, (555 milles, d’après Thompson.) Sa largeur moyenne (1) Ruapahu, par exemple, a 10,236 pieds anglais de il auteur ; le Tungd-riïo est un peu moins élevé. 0) Il faut 3 milles anglais pour faire une lieue. LES POLYNÉSIENS. 7 est de trente-trois lieues (110 milles, Th.) On estime sa surface à 5115 lieues carrées, dont la plus grande partie est occupée p’ar la haute chaîne de montagnes qui se pro- longe dans toute son étendue, du S.-O. au N.-E. du Monde. Plusieurs de ces montagnes, qui sont fort élevées, res- tent en tout temps couvertes de neige. (1) Comme elles sont plus rapprochées de la côte occidentale de l’ile, elles lais- sent, entre elles et la côte Est, de vastes terrains, qui des- cendent en pentes douces vers la mer. Leur grande éléva- tion met la partie orientale de l’île à l’ahri des vents d’Ouest régnants : par suite, elle jouit d’un très beau climat, et elle offre de grandes plaines et des terrains bien arrosés, qui expliquent pourquoi ce côté de Fîle était plus habité que l’autre. Du cap Farewell de l’Ile-du-Milieu jusqu’au cap Cam- pbell, on compte directement à peu près 50 milles, C’est sur le côté du détroit de Cook que se trouvent les nom- breux et beaux ports visités et découverts par Cook et par d’Urville. L’île qui porte le nom de ce dernier navigateur n’est séparée que par un étroit canal de FIle-du-Milieu, et c’est tout près de là, dans un lieu vu pour la première fois par Y Astrolabe, qu’a été fondée, en 1842, la ville de Nel- son. Du cap Campbell au cap Bluff, qui se trouve dans la par- tie Sud, on compte cinq cents milles. Les ports principaux que l’on rencontre sur la cote de l’Ile-du-xMilieu, c’est-à- dire sur le côté Est et le côté Sud, sont les ports appelés Hakaroa, Victoria, Otago (Dunedin.) De l’extrémité S.-O. de File, jusqu’au havre Milford, il y a cent vingt milles, C’est dans cet espace que trouvent les canaux, ports et bassins, qui donnent à cette portion do Fîle, une ressemblance si grande avec la côté Ouest de l’extrémité Sud de l’Amérique. (1) La vraie direction est du. N. -N.-E. an S. -S. -O. Cette chaîne a de 4 à 5000 pieds. La ligne de congélation perpétuelle est à 8i>0 ) pieds. Le mont Aspiring, couvert déglaces, à 10,000 pieds de haut. Le mont Cook, le plus haut, à 11,000 pieds : il est à 3 J milles de la côte Ouest, 8 LES POLYNÉSIENS. On ne compte que cinquante milles du havre Milford à la baie Jackson. De la baie Jackson, enfin, jusqu’au cap Farewell, il y a trois cents milles. C’est-à-dire que, en comptant la ligne de côte depuis le cap Farewell, jusqu'au cap Campbell, le développement des côtes de l’ Ile-du -Milieu n’a pas moins de 1020 milles, ou à peu près trois cent quarante lieues. D’Urville l’estimait même davantage. En résumé, l’ Ile-Nord a près de 500 milles de long et une largeur très variable ; L’Ile-du-Milieu a 550 milles de long sur une largeur moyenne de 110 milles ; et l’île Stewart, qui a une forme triangulaire, mesure environ trente milles sur chaque côté. Cette dernière est séparée de l’Ile-du-Milieu par le détroit de Foveaux, qui a environ quinze milles de largeur. D’après d’Urville (1), le détroit de Cook, qui sépare l’Ile-du- Milieu de File-Nord, n’a pas moins de 30 lieues dans sa plus grande largeur, entre les caps Farewell et Borell. Le même marin ne lui donne que dix milles, là où il est le plus étroit, c’est-à-dire entre la pointe Te-Ra-Whiti, près de la baie Palliser et File Arapaoa ; mais il a probablement exagéré. Ce qu’il y a de positif, c’est que Thompson porte cette lar- geur à dix-huit milles, et Dieffenbach dit même trente mil - les. Parkinson donne à ce détroit 30 milles de long et 14 de large (2). Quoiqu’il en soit, ce qu’il importe de remarquer, pour bien comprendre quelques-unes des traditions maori, c’est que le flot arrive dans le détroit de Cook du S.-E, et se di- rige au N.-O. avec une grande vitesse, et que le jusant s’en retourne du N.-O. au S.-E. avec plus de force encore. Nous ajouterons ici que le cap Foulwind gît par 41°46’ L. S. et 169°8’ Long. E. Le cap Farewell est à 14 milles de la baie de Tasman : (1) Voyage de V Astrolabe, p. 352. (2) Voyage sur VEndeavour , trad. par Henry, 2 vol. Paris, an V. p. 212. LES POLYNÉSIENS. 9 cette baie a 40 milles de large, de l’Est à l’Ouest, et 45 du K or d au Sud. La baie de l’Amirauté a 15 milles de large. Du cap Komaru èt Cloudy-Bay, on compte 22 milles, et de Cloudy-Bay au cap Campbell, 12 milles. L’extrémité Ouest du détroit de Cook, entre les caps Fa- rewell et Borell, mesure 20 lieues ; son ouverture à l’Est, en- tre les caps Campbell et Kawa-Kawa, est de 40 milles. Nous dirons encore que, d’après Cook, la Nouvelle-Zé- lande est à 280 lieues environ de Van-Diemen ; et, d’après Thompson, à 1200 milles à peu près de l’Australie. Suivant ce dernier, la ligme de développement des contours de tout le groupe n’aurait pas moins de 3120 milles. On sait que Crozet plaçait la Nouvelle-Zélande à 300 lieues de la Nou- velle-Hollande, et que Cook portait cette distance à 780 milles. Cent lieues plus loin, à l’Est de l’Ile-du-Milieu, sont les îles Chatham ; un peu plus vers le Sud-Est, l’île Antipode. Au Sud de l’île Stewart, au delà du 50e parallèle, se trouvent les îles Auckland ; 3 degrés plus près du Sud, les îles Camp- bell et Macquarie ; et vers le 58e degré, l’île Emerald. Tou- tes ces îles semblent avoir été, à une époque, reliées plus ou moins directement à la Nouvelle-Zélande proprement dite. Noms donnés par Cook et d’Urville. — Dès 1770, Cook donna, comme noms des deux principales îles : Tovaï ou Tovy-Poennamoo, et Eaheinomauwe ; le premier nom fut appliqué par lui à Tile la plus Sud, le second à l’île la plus Nord. 11 ajoutait qu’il n’était pas sûr que l’île Sud fut com- prise tout entière sous le premier nom ; mais il croyait que l’Ile-du-Milieu et l’île Stewart ne faisaient qu’une seule île. (1) Parkinson appelle l’Ile-du-Milieu : Tooai-Panomoo. Ce sont ces noms que d’Urville a rendus, le premier par Tavaï-Pounamou, et l’autre par Ika-na-Maui : c’est ainsi que les missionnaires avaient appris qu’ils devaient l’être. Mais on ne comprend pas qu’il ait dit, dans ses recherches (1) Voir à ce sujet; Vie de Cook, trad. par Castera, p. 92. 10 LES POLYNÉSIENS. sur la Nouvelle-Zélande : (1) « Quant aux noms que doivent porter ces deux grandes îles dans l’idiome du pays, Cook avait déjà annoncé ceux de Tovy-Poenammoo et d’Eaheina- mawe avec une sorte d’incertitude. » La citation faite prou- ve que Cook a nettement donné ce dernier nom à Pile-Nord, et l’autre à une portion au moins de Pile-Sud, quoique d’Ur- ville dise : « U Astrolabe , en 1827, constata, qu’au détroit de Cook au moins, les naturels désignaient par ces noms les terres situées respectivement au Sud-Ouest et au Nord-Ouest du détroit. Sans doute il y eut erreur de transcription sur le manuscrit de Cook pour le dernier de ces noms. » Cela* en effet, ne paraît pas très clair ; il est certain que s’il y a eu une erreur pour l’une des îles, il y a eu erreur également pour l’autre ; mais, on l’a vu, Cook a appliqué nettement à chacune des îles le nom adopté par lui. Du reste, on lit encore dans le Voyage de V Astrolabe (2) : « J’apprends de Tehinoui et Kakiore, à n’en pas douter, que l’île méridionale, du moins la partie qu’ils connaissent, porte indifféremment le nom de Kaï-Koura ou de Tavai- Pounamou, et que celle du Nord s’appelle réellement Ika- na-Maui. » Enfin, d’Urville dit ailleurs : (3) « Pour éviter les in- convénients de l’orthographe anglaise, j’ai adopté définiti- vement Tawai-Pounamou pour l’île australe, et Ika-na- Maui pour l’île septentrionale, » c’est-à-dire ce qui avait été fait par Cook* Et il terminait en disant : « Il est possible néanmoins que ces désignations ne doivent réellement s’ap- pliquer qu’aux districts voisins du détroit de Cook ; mais nous les emploierons, du moins jusqu’à ce que l’on con* naisse positivement ceux qui sont usités parmi les natu- rels. Suivant M. Kendall, le vrai nom de l’ Ile-Nord était Ika-na*Maüi, et celui de l’autre Kaï-Kohura. » Aujourd’hui, comme on va voir, malgré le long séjour des (1) Voyage autour du Monde , t. It, 2° partie, p. 332. (2) P. 10. (3) Voyage de V Astrolabe , t* 11, £e partie, p* 333. LES POLYNÉSIENS. 11 Anglais sur ces îles, on n’est guère plus fixé que d’Urville sur le véritable nom de chacune d’elles, et, à plus forte rai- son, sur la signification de ces mots, sur le compte des- quels ne s’accordent même pas les écrivains les plus auto- risés. C’est ainsi que Shortland dit : (1) « Le nom de Tovy-Poe- nammoo, qui devrait être écrit Tewaï-Pounamu, c’est-à-dire l’eau du Pounamu, et qui est encore regardé par beaucoup de personnes comme le nom de ITle-du- Milieu, est, ainsi que le soupçonnait le capitaine Cook, seulement le nom d’un lieu particulier où les indigènes trouvent le talc ou jade vert, avec lequel ils font des ornements et des bâches, et non le nom général de tout le district Sud. » Et il ajou- te : « Eaheinomawe, qu’on pensait être le nom de l’Ile- Nord de la Nouvelle-Zélande, était l’expression : He ahi no Maui , le feu de Maui. « Il est probable, dit-il, que le vieux chef de Totaranui, qui donnait les renseignements à Cook, n’avait pas com- pris qu’on lui demandait seulement le nom de la terre, au Nord du détroit, mais plutôt ce qu’il y avait de remarqua- ble dans cette direction. Sa réponse : * He ahi no Maui , » doit avoir été faite en pensant à la montagne brûlante, Tongariro, absolument comme il avait répondu, pour l’ile-du- Milieu, à la question faite, en citant la célèbre eau de Pou- namu placée au loin. (2) » Plus récemment, M. Thompson, l’historien de la Nou- velle-Zélande, a cherché, lui aussi, à expliquer l’origine des mots entendus par Cook, et il Ta fait un peu différemment. Suivant lui, ces noms auraient été donnés au grand na* vigateur anglais, pour répondre à la demande qu’il faisait ; mais on lui aurait dit, pour TIle-Nord, au lieu de : « Feu de Mauq » que c’était, a Une chose pêchée de la mer par Maui, » He mea hi no Maui ; et, pour l’Ile-du-Milieu, « que c’était le lieu du jade vert, » Te-vaki Pounamu . De sorte que, pour Thompson, ce n’est plus le Te Ika na (1) The Southern districts of New-Zcaland, p. 155. (2) Southern districts , p. 150. 12 LES POLYNÉSIENS. Maui des voyageurs anciens, mot qui a été écrit par Cook Ealieinomawe, mais seulement la chose, lie mea. Ce qui ne l’a pas empêché, dans la carte qui accompagne son livre, de l’appeler, en changeant encore un peu : Te Ika a Maui, au lieu de He Mea ki no Maui ; et d’y remplacer le mot Wahi, d’abord indiqué par lui pour lTle-du-Milieu, par le mot Te Waï Pounamu, c’est-à-dire l’eau du jade vert, que Shortland regarde comme étant le véritable (1). En somme, c’est avec raison, croyons-nous, que, dans sa préface, Taylor dit que Ika-na-Maui était l’ancien nom de l’Ile-Nord et que c’est ce nom qui fut indiqué à Cook ; mais il aurait dû ajouter : pour l’Ile - Nord seule- ment et non pour tout le groupe. Cook, du reste, l’exprime lui-même en cherchant à rendre le son du nom de l’autre grande île entendu par lui. En ce qui concerne cette dernière, peut-être, au lieu de Tewaï ou Tawaï, fau- drait-il plutôt lire Hawaï, avec le h fortement aspiré. Ce serait une des meilleures preuves que l’He-du-Milieu est bien réellement l’Hawahiki. Quoi qu’il en soit, en présence de ces divergences, nous croyons devoir ajouter ici quelques recherches linguisti- ques sur l’étymologie des noms donnés par les premiers na- vigateurs aux principales îles de la Nouvelle-Zélande. Elles (1) Cette assertion de Thompson nous rappelle ce qui est arrivé si souvent à Cook, et particulièrement dans l’une des îles de la Société, à Eimeo. Il existe dans l’île Eimeo une baie appelée Opunohu ; c’est celle que Cook fît connaître sous le nom de Talou-Harbour, que lui donnent encore beaucoup de cartes. Tout près de l’entrée de cette baie, il y a, à droite, un petit ro- cher appelé par les indigènes Tareu ou mieux Tarehu, mot qui si- gnifie, faire illusion. Il est probable que Cook regardait ce rocher, quand il demanda le nom de la baie dans laquelle il entrait, et qu’on lui répondit en lui donnant le nom du rocher sur lequel il fixait les yeux. Il prit naturellement ce nom pour celui de la baie Opunohu, mais il l’estropia, suivant son habitude. L’erreur de son était facile, et l’erreur d’application la compléta. Cook, d’ailleurs, avait, dans ce moment, bien autre chose à faire qu’à s’occuper de linguistique. 13 LES POLYNÉSIENS. montreront combien ces noms ont été mal entendus et mal écrits, et combien leur véritable signification est restée obscure. Recherches linguistiques. — Remarquons d’abord que Poennamoo ou Pounamou, tel que l’écrit d’Urville, n’est pas un mot maori, et que Cook n’a pas dit Tavaï, comme le fait d’Urville, mais bien Tovy ou Tovaï, en français. Dès lors, ce ne peut être que l’un des mots suivants, réunis et n’en faisant qu’un pour les oreilles européennes : Po, nuit, saison ; lieu ou se réunissent les esprits ; être tard. E , préposition : par ; interject. vocative ; particule em- ployée pour conjuguer le présent et le futur des verbes. Namu, moustiques ou mouches de sable (1). Le mot Tovy , ainsi écrit par Cook, doit être prononcé To- vaï ou Towaï. Or, voyons quel est le mot maori qui a pu être entendu par le navigateur anglais : Towai, est le nom d’une plante, Leptospermum racemosum ; mais le mot Tovaï n’existe pas, et le mot Tavaï, adopté par d’Urville, n’existe pas davantage. Tawai, est au contraire maori ; il a plusieurs significa- tions : subs. : canot ou pirogue, sans bords attachés, synonyme de tiw aï, pirogue ; adj. : tracassé ; verbe : tourmenter, railler. Tawhai est le nom d’un arbre, et il signifie en outre : grandir, imiter, copier, suivre. T envahi signifie : de l’autre côté. Ta, marteau, vent, escope ; couper, abattre, tatouer, res- pirer. Whai , fixe, fixé, qui retourne toujours au même lieu. Wai, eau, rivière. (1) Il est à remarquer que les moustiques et les mouches de sa- ble sont très communs à la Nouvelle-Zélande. Forster se plaint beaucoup des mouches de sable noires qu’il nomme Tipula alis inciimbentibus. Elles étaient fort nombreuses à la baie Dusky, et leurs piqûres causaient des démangeaisons insupportables. 14 LES POLYNESIENS. On a dit que ces mots Tovy-Poenamoo, de Cook, signi- fiaient « poisson ou île produisant la pierre appelée jade vert, » d’après les croyances maori. Mais il est certain que cette pierre a aussi d’autres noms : tel est celui de Kahuran- gi, joyau, chose précieuse, mot-à-mot « robe des deux, vête- ment céleste, » qu’on lui donne quand elle est pure, trans- parente, Chaque qualité de jade a son nom particulier. Il est vrai que, dans son dictionnaire, Diefrenbach a donné au jade vert le nom de pcunamu ; mais on sait qu’il a fort peu de valeur linguistique. D’un autre côté, comme on vient de le voir, d’Urville a transcrit le Poenammoo de Cook par Pounamou. Il est à croire que, suivant son habitude, il n’a pas donné toute sa valeur à chaque lettre de la syllabe pou, qu’il n’a pas voulu dire po-ou, mais seulement pou , que, d’après l’or- thographe adoptée par les missionnaires anglais pour les langues polynésiennes, nous écrivons pu. Or, en Maori : Pu, signifie : subst. tribu ; adject. identique, précis. Po-u, poteau pour une maison, palissade. Nous sommes à peu près certain que , d’Urville a voulu écrire pu, et ce mot signifiant tribu, on peut supposer qu’on aura répondu tout simplement à Cook, qui interrogeait sur l’île : « On est tracassé (sur cette terre), par des tribus ou nuées de moustiques ; » ou encore, « La nuit, par des moustiques. » Tawai, tourmenté, tracassé. Po, nuit, P, par. Namu , mouches de sable ou moustiques. Que cette supposition soit vraie ou fausse , il est certain que les mots Tovai ou Tavai Poenammoo ou Pounamou, ainsi écrits, ne sont pas des mots zélandais ; en outre, Williams et les autres missionnaires anglais, si versés dans la langue maori, n’ont jamais donné ces noms comme étant ceux de l’île à laquelle Cook et d’Urville les ont appliqués. Mais aucun d’eux n’a encore fait! connaître le véritable nom de cette île, et tous les Anglais, navigateurs, missionnaires LES POLYNÉSIENS. 15 on géographes, se sont contentés de l’appeler Middle-Island, Ile-du-Milieu. Le missionnaire Williams parle bien, il est vrai, dans son dictionnaire, du mot pounamu , comme d’un nom mao- ri ; mais il ne lui donne absolument que la signification de bouteille en goémon, ou seulement de bouteille, comme si ce nom n’avait été appliqué que parextension.il ne dési- gne le jade vert par aucun mot. Il n’en est pas de même, il faut le dire, de tous les écri- vains qui l’ont suivi ou précédé. On vient de voir que Dieffenbach avait déj à dit que pounamu était le nom du jade : c’est également ce nom que lui accordent Shortland et Thompson. Seulement Shortland, après avoir cité des vers maori, où se trouve cette désignation, fait la remarque importante que le kahurangi ou pierre verte, pounamu, de première eau, est d’un plus grand prix que Torn eurent qui est fait avec la dent d’un énorme requin, le Maka-o-Ta - niwha. Ce nom de kahurangi serait donc au moins celui du jade fin transformé en ornement (1). Yoici, du reste, les vers maori où se trouve le mot pouna- mu ; ces vers ont probablement été donnés par quelque élève des missions. E hara tena : Cela est sans valeur : He iwi ika tena. C’est un os de poisson. Ka-pu-ano ko te iti pounamu. Mais ce qui en a, c’est le petit pounamu, Ko te kino ruamata , Cette ancienne source (provenance) du diable, E tau te wheoro Dont la renommée Ki tua atu o te rangi. E ! S’étend jusqu’aux limites des cieux. Eh ! Shortland ne souligne que le mot traduit et ne dit rien de plus de sa signification. (1) Nous croyons, avec Taylor, (p. 120), qu'au lieu de kahurangi j il faut lire tuku rangi : tuku descendre ; rangi , ciel. 16 LES FOLYNESIENS. Comme Thompson, le révérend Taylor (1) appelle le jade vert, pounamu ; il dit qu’il est abondant dans l’Ile-du-Mi- lieu qui a tiré son nom de cette roche. En résumé, malgré cet accord des écrivains, nous sommes convaincu qu’il y a eu erreur dans l’application de ce mot. Ce qui semblerait faire croire qu’il a un tout autre sens, c’est le proverbe maori suivant, traduit par Taylor, et où il a, du moins, une signification toute différente : He pounamu ka kano rua (2) a Un lézard de deux couleurs ou changeant de couleur comme le caméléon. » Ce proverbe maori s’appliquerait donc aux gens à dou- ble face, à double apparence ; mais nous croyons que la traduction de Taylor n’est pas exacte. On sait, du reste, que c’est sur le territoire des Ngatima- moe, dans l’Ile-du-Milieu, que se trouvait le jade vert, c’est- à-dire dans l’O. -N. -O. de la péninsule de Banks ou le S.-O. du cap Karaka (Campbell). Il se trouvait de plus dans un ou plusieurs lacs, mais surtout dans celui de Wakatipua, comme nous le dirons quand nous en serons aux localités de rile-du-Milieu. Quoi qu’il en soit, le nom véritable de l’Ile-du-Milieu, Middle-Island, des Anglais, n’a encore jamais été donné par les navigateurs, les missionnaires et les géographes ; mais, pour nous, ce nom n’est autre que celui de Ka- waï, qui, nous en sommes convaincu, est celui que Cook a rendu par Tovy et d’Urville par Tavaï, en se rapprochant beaucoup plus que le navigateur anglais de sa prononcia- tion maori. Kawaï, en Maori, signifie race, lignée, rejetons des plan- tes. Or, il est à remarquer qu’aux Fiji, Kawaï est le nom d’une espèce de petite igname ressemblant à la patate ma- laie, et que là on nomme Kumara, le ConvoLvulus batatas , patate douce de la Nouvelle-Zélande, qui y estaussi appelée Kawai-ni-Papalangi. D’Urville rapporte qu’ayant interrogé, à ce sujet, l’un des (1) Ouvr. cité, p. 120 et 244. (2) Kakano , graine, semence ; rua , double, deux. LES POLYNÉSIENS. 17 chefs de l’Ile-Nord ou Ika-ua-Maui, Tuai lui dit que le véri- table nom des indigènes de la grande île Sud, était Kai- Koura, et non Kai-Kohura comme il a écrit, c’est-à-dire mangeurs d’écrevisses. C’était également l’opinion du mis- sionnaire Kendall, qui tenait ce renseignement du même chef de l’Ile-Nord. Ils n’avaient pas remarqué que ce n’é- tait qu’une épithète de mépris donnée par des ennemis, ab- solument comme cela a lieu aux Marquises, à Tahiti, etc., et que, par conséquent, ce n’était probablement pas le véri- table nom. Par contre, Tuaï appelait les habitants de rile-Nord Kainga-Maori, mot que d’Urville a mal écrit en di- sant Kainga-Maodi. Kainga signifiant lieu de séjour, de- meure, village, et Maori, indigènes, naturels, habitants du pays, on peut traduire Kainga-Maori par autochthones. (1) Pour le chef zélandais Tuai, l’Ile-Nord aurait donc été le point d’origine des Maori de l’He-du-Milieu ; mais, comme (1) A l’occasion du mot Kainga-Maori, qu’on nous permette de préciser la signification du mot pakeha, qui a beaucoup intri- gué d’Urville. Il disait qu’il était employé pour désigner tous les Européens, ou plutôt tous les blancs, tandis qu’il signifie étran- ger. « Je n’ai jamais pu savoir, ajoute-t-il, d’où cette désignation tirait son origine. Ce qui m’a surpris, c’est qu'elle m’a semblé adoptée sur les divers points de la Nouvelle-Zélande, et cela donne lieu de croire que cette dénomination existait même avant les voyages de Cook. Les Nouveaux-Zélandais avaient donc, depuis longtemps, connaissance d’une race d’hommes distincte de celle à laquelle ils appartenaient. » Ce mot pakeha , en effet, ne veut dire qu’étranger, qui n’est pas du pays ; comme le mot maori signifie indigène, qui est du pays. Nous ajouterons seulement que si l’expression Pakeha est aussi générale, cela prouve que la langue de toutes les tribus zélandai- ses est absolument la même ; mais elles ont pourtant d’autres mots signifiant la même chose, tels queTauhou,Putere, Konene(Æ). Il est plus que probable que le mot Pakeha existait avant l’arri- vée de Cook, et même ajouterons-nous, avant l’arrivée de Tasman Evidemment, puisque les Maori avaient le mot, ils possédaient depuislongtempsla connaissance d’étrangers venus de points diffé- rents de leur île; quand ce ne seraient que ceux que Cook rapporte être venus d’Heawise. {a) Ce dernier nom est donné à l’émigré d’in e tribu vJincue. disparue mais aussi à tout émigrnnt étranger. 2 18 LES POLYNÉSIENS. on verra plus loin, ce chef était probablement aveuglé par son patriotisme. Toujours est-il que ce ce sont ces rensei- gnements qui ont fait dire par d’Ur ville, d’abord, et, depuis, par plusieurs autres écrivains,' tels que Shortland, Thomp* son, etc., que T Ile -Nord avait probablement peuplé les autres îles de la Nouvelle-Zélande. Nous démontrerons que cette opinion est complètement détruite par la traduction des légendes maori, publiées par le gouverneur Grey. En définitive, un seul nom, parmi ceux donnés aux deux grandes îles par les premiers navigateurs, est bien certain, c’est celui d’Ika-na-Maui (1), pour l’Ile-Nord. Mais ce nom n’est lui-même qu’un surnom donné en souvenir de Maui, comme celui d’Àotearoa a été donné par Turi, l’un des pre- miers émigrants d’Hawahiki. Avant ces noms, comme nous le montrerons, cette île était appelée, d’après les traditions : Nuku-roa et Uku-rangi ; ou encore Tua-whenua ou Tau- whenua, c’est-à-dire la grande terre et la terre étrangè- re (2). Nous croyons que l’Ile-du-Milieu, dont le nom n’a été donné par personne jusqu’à ce jour, doit être appelée Kawai. Nous ajouterons que, si DiefFenbach a été bien informé, le mot Kaikoura, en outre de la signification q ue lui donnent d’Urville et Kendall, est aussi le nom d’une chaîne de mon- tagnes del’Ile-du-Milieu ou Kawaï, et qu’enfin ce même mot Kaikoura, d’après quelques-uns, ou Kaikora (3), d’après les cartes, était le nom d’une localité qui touche le cap Looker’s- on de Cook, sur la côte Est de FÜe-du-Milieu. Quant à File Stewart, nous avons vu plus haut que les (1) Ika1 poisson ; na, de ; Maui , Maui. (2) Niinu, étendue, distance ; roa, grande, longue. Uku , argile blanche ; rangi, ciel, du ciel. T uawhenua, grande terre. Tauwhenua, terre étrangère . (3) Kdi, manger, mangeur ; Koura , écrevisse de mer et d’eau douce ; kora, feu, bois à brûler ; korora, oiseau, manchot, pin- gouin. LES POLYNÉSIENS. 19 indigènes lui donnent le nom de Raki-ura (1), mot qui sem- ble désigner une terre noire, aride, desséchée. Météorologie. — Nous devons signaler les vents delà Nouvelle-Zélande avec d’autant plus de soin, que ce sont eux qui aideront le plus à faire comprendre la thèse que nous soutenons. «Nulle part, dans le monde, a dit d’Urville (2), les vents ne régnent avec autant de fureur que sur les côtes de la Nouvelle-Zélande, et si elles avaient été connues des anciens* il est bien certain que c’est là qu’ils eussent établi l’empire d’Eole. Le temps en apparence le plus beau, le ciel le plus pur, ne peuvent offrir de garanties contre leur violence. « Tasman, le premier, éprouva la violence des vents qui régnent dans ces parages. Cook, dans sa belle reconnais- sance, manqua plus d’une fois en être la victime. Ils mirent Surville à deux doigts de sa perte et n’épargnèrent point Marion. La Coquille , en juin 1823, vit un rude échantillon de ces tourmentes ; enfin, sur l 'Astrolabe, ces bourrasques ter- ribles nous tourmentèrent cruellement, quoique nous fus- sions alors au milieu de l’été. » Tous les navigateurs ont pu d’ailleurs s’apercevoir de la force avec laquelle soufflent les vents dans ces parages ; et si Cook, particulièrement dans ses deux premiers voya- ges, eut beaucoup à en souffrir, d’Urville, sur V Astrolabe, en janvier 1827, ne fut pas plus épargné, comme il le rap- porte dans son Journal de Voyage (3). On y voit que V As- trolabe, partie du port Jackson le 19 décembre, resta plus de 25 jours pour atteindre la Nouvelle-Zélande, après avoir reçu un coup de vent de S.-E. d’abord, puis deux violents du N. -O., et que, pendant son exploration des deux îles, ces mêmes vents soufflèrent, de manière à compromettre quel- (1) Raki sec, sèche, desséché ; ura, être brun, foncé ; briller, en parlant du lever ou du coucher du soleil. (2) Voyage de V Astrolabe, p. 337. (3) T. II, Ire partie, p. 2. ‘20 LES POLYNÉSIENS. quefois le navire, variant du N.-O. àl’O.-S.-O, S. -O, U. et 0.- N.-O. On peut lire, à la pag*e 49 du journal, le coup de vent de N.-O. reçu au mouillage près de l’entrée du Bassin des Courants, et pages 121, 133, celui du N.-N.-E. et N^-N.-O qui manqua faire périr l'Astrolabe dans la Baie d’ Abondance. Les vents les plus fréquents et les plus furieux de ces îles sont justement les vents de N.-O et de S.-O, variant à l’O.- N.-O. et à l’Ouest. On a remarqué que les vents qui régnent à la Baie des Iles, pendant 1 hiver, c’est-à-dire de février jus- qu’à la fin de septembre, sont les vents du Sud et du Sud- Ouest, et qu’ils continuent même souvent de souffler de cette partie jusqu’à la fin d’octobre. Ces vents de Sud-Ouest et de Sud sont violents durant l’hiver ; ils occasionnent naturellement de très grosses mers surtout sur la côte occidentale qu’ils rendent presque inabordable pendant toute cette saison. Pendant tous les mois d’été, au contraire, les vents d’Est dominent.On a remarqué qu’ils fraîchissent tous les quinze jours ou trois semaines, au point de devenir de petits coups de vent qui durent rarement plus de deux ou trois jours. Ainsi, les vents de la Nouvelle-Zélande permettent, à cer- taine époque, d’aller aussi bien dans le Nord-Est que dans l’Est et, comme on le verra, si le chant traditionnel rap- porté par Kendall est peu exact, il semble faire allusion du moins à quelque départ delà Nouvelle-Zélande pour l’O- céanie, en montrant en même temps qu’un prêtre était à la tête des émigrants. S’il fallait en croire d’Urville fl), les principaux vents de- vraient, d’après les renseignements qui lui furent donnés par le chef Rangi, dans la baie Huraki, être ainsi dési- gnés : Nord Moucli. Nord-Est Marançjaï Est Tonga Sud Hawa-Ourou. Ouest » Tou-Arahi Nord-Ouest Kauraki . (1} Ouvr. cité, t. II, lrn partie, p. 171. LES POLYNÉSIENS. 21 Or Moudi n’est pas Maori ; peut-être faut-il lire Mûri , qui est le nom donné à une brise de vent quelconque. D’Urville dit, avec raison (1), que les noms Tolaga et Tega- dou, sont inconnus des habitants de la Nouvelle-Zélande, et qu’il est avéré depuis longtemps que Cook, si plein de sagacité d’ailleurs, avait très peu dh.ptituda à saisir les noms des peuples qu’il visitait, et surtout à les représenter par l’écriture; maisil nous suffira de donner, d après les mis- sionnaires anglais, les noms véritables desprincipauxvents, pour monter qu’on peut en dire tout autant de lui. Ces noms sont les suivants : Nord, — Kotiu Nord-Est, — Pawha-karua (Williams); Toharau (Taylor.) Nord-Ouest, — Hauatiu ; Tupatiu ; Kotiu ; Tuctraki. Sud-Est, — Putonga-marangaï. (2) Est, — Paeroai (chez les Whakatane). Sud, — Tonga. Sud-Ouest, — Tonga-ko-taratara. Ouest. — Hauauru ; Hauaralii ; Kapekape , (au cap Est). D’après Dieffenbach, ces noms seraient : Nord, — Hauraro. Nord-Est, — Ma-angai-hauraro. Nord-Ouest, — Hauraro-haiwuru. Est, — Marangai. Sud-Est, — Tonga-marangai. Sud, — Tonga Sud-Ouest, — Tonga- hauauru. Nous croyons ces noms moins exacts que les précédents. Nous devons faire remarquer ici qu’on n’est pas encore bien fixé, même aujourd’hui, sur la valeur exacte des mots Tonga et Tokarau. Ainsi, Taylor avancera la page 113 de son ouvrage, que le mot Tonga , signifie vent de Nord-Est, et, à la page 187, que c'est le nom donné par les Maori au vent du Sud. A la page 188, il dit que Tokarau est le vent du Nord-Est ; mais il est évident qu’il se trompe, quand (1) T. II, l^e partie, p. 106. (2) * Marangai ne signifie que grain, vent frais, mauvais temps. LES POLYNÉSIENS. il prétend que ce mot, sous la forme de Tokalau , si- gnifie Nord aux Fiji. Le savant lingmiste Hazlewood, si au- torisé pour ces îles, dit, en effet, dans son dictionnaire, que ce mot signifie seulement vent d’Est (1). Il y a une remarque importante à faire à l’occasion de ce vent d’Est, suffocant, à certaines époques de l’année, pour les îles Fiji, et que, il est vrai, le même Hazlewood dit, ailleurs, souffler du Nord, de novembre à avril : c’est qu’en plusieurs endroits, sur la côte Est et dans l’intérieur de rile-du-Milieu, où existent des chaînes de montagnes s’éle- vant à 3000 pieds environ au-dessus du niveau de la mer, on éprouve parfois, dans l’été, un vent chaud et sec. Ce vent chaud fond la neige des sommets des montagnes, et cette fonte enfle les rivières qui se répandent sur les plaines et les dévastent suivant la configuration des terres. Heureu- sement pour la végétation que ce vent chaud qui la brûle, et qui élève le thermomètre de 20 ou 30 degrés, précède or- dinairement la pluie. En somme, on l’a dit avec raison, il n’y a peut-être pas de contrée en Europe où l’atmosphère soit plus fréquemment agitée par les vents que la Nouvelle-Zélande. C’est surtout en se rapprochant du Sud que les vents se succèdent avec violence. Le détroit de Foveaux est encore plus renommé que celui de Cook par ses grains et ses coups de vent. Mais nous le répéterons, les plus fréquents, en même temps que les plus furieux, sont ceux de la partie de l’Ouest, c’est-à- dire, depuis le Sud-Ouest jusqu’au Nord-Ouest. Nous ajouterons, comme remarque de quelque intérêt pour les linguistes, qu’on appelle, à la Nouvelle-Zélande : Le jour, — Awatea. Le matin, — Ka-mo-ronga-te-ra. (Le soleil se dirige en haut.) Midi, — Ka-poutumaro te ra. (Le soleil se tient droit com- me un poteau.) (1) Aux Fiji, toka est le verbe être \ lau signifie : a au vent »; tan- dis que ra signifie : « sous le vent a. Il est curieux de voir les Fi- jiens exprimer l'Ouest par ra : ce mot ne serait-il pas le diminutif de raro qui, à la Nouvelle-Zélande, signifie : « dessous, en bas ? » LES POLYNÉSIENS. 23 Après-midi. — Ka-titaha-te ra. (Le soleil a passé (baissé par dessus). Le soir, — Ahi-ahi. (Le temps des feux). Le coucher du soleil, — Ka-to-te-ra. (Le soleil se couché). Minuit, — Ka waea te po , Ka waea te ao. (La nuit et le jou sont divisés). Le lever du soleil, — Ka eke te ra. (Le soleil monte). Le point du jour, — Ka whakaataata te ata. (Les apparen- ces (ombres) du jour se montrent.) Le vent, — Matangi ; Eau ; Mûri ; Ko hengihengi ; Kotengi • tengi. La brise, — Mûri. La brise de terre, — Paraki ; Parera . La brise de mer, — Muritaï. Le vent debout, — Hautumu. Le vent frais, — Paroro. Le calme, — Marino. Le vent frais avec mauvais temps, — Marangaï. Le revolin, — Haupongi ; Eaupurohu ; Eauripo ; Eaurutu. Le Nord, point cardinal, — Nota. (1) Le Sud, id. — Tonga. L’Est, id . — Rawhiti ; Whitinga o te ra (lever du soleil) ; Putanga o te ra id* L’Ouest, id. — Ka to te ra (le soleil se couche.) La température de la Nouvelle-Zélande est variable, mais tempérée. Elle varie le même jour de 40 à 70 degrés Farein- heit, (4°5 à 21° cent.) dans l’espace qui sépare le cap Nord de rîle Stewart. (1) D’après Taylor, c’est le nom de l’étoile du Nord: ce serait plu- tôt raro. Il est à remarquer, à propos de ce mot nota , désignant le point cardinal Nord, que les Grecs, dans l’origine, donnaient le nom de voto; à tous les vents qui venaient de l’Equateur, et celui de (3opè a; à tous ceux qui soufflaient de la bande du pôle, entre l’Orient et le Couchant. C’est plus tard seulement qu’ils distinguèrent les vents qui soufflent des 4 points cardinaux en ; Bopeaç Nord ; Eïp&$ ou Amr)XftoT7);, Est ; Noto; Sud ;Zs i ©O f Sz’îzi CM -r-i od oo co co Oi o> n c o oo r r -O GM «<■( M — Qy Nombre de i jours de pluie n 3 a agi-^oo r» i* ■3* o x* in ic -c -3 " 3 3 o O Plus grande quantité en 24 h. » Z CO »0 'f -o -cnctocooo -133 R Cl CM ’ÎM CO C'* «O d -3 — ^ »>« . *o ta d Quantité de pluie en pouces. r « co r- — ' oo^iocooi^-<-< — — <* CO* Tjî CO Tf rr* «4 CM »o c - ® « -n -rt Pression moyenne de l’air. .2 * 12 3 >‘ GO CM Of COI-OX® -3 (MO OiOOO-OO-H— C. JJ c cm o — r- co oo co co R R R • • ....... JJ O CO Ci Ci Ci Ci Ci O O d o CO Oi WWWCONc. CO Z tyà 1ÈTRE | Plus haut. 8g~ or -f o o ^ w w to c cm cm »o *c m oo co r» n io n io o ôc — CM CO — — ’ 00 <-* CO Ci O -I* *C ÎO 1-. C C C L3 lO TiniflOCOC c^oo Plus basse chalîur. rr © . _ VL* tj o 2 co co Ci ci oo r- co >o co ^ r- _ 2 LO LO "f CO CO CO CO "T ^ lO LO *.0 QQ C. - ^Ci Plus grande chaleur. 1? LO LO *© CO d co o lo oo r- o eo d oî oî d a • • 1- (- r- G lO «o d d d o (- g w ~ * o Correspond . aux nôtres . 1841 Août. Septembre. Octobre. Novembre. Décembre. 2 Janvier. Février. Mars . Avril. Mai . Juin. Juillet. noyé n ne dans uie en 10 m Mois 1841 Février. Mars . Avril. Mai. Juin. Juillet. Août. Septembre. Octobre. Novembre. Décembre. Janvier. Température r Quantité de p] 20 LES POLYNESIENS. OÇ Q œ. 3 CC CO g -g ÎP CD CD i_. -•Q CD ^ O p> f *rj CD g CfQ o CD '1 CD CD a eu CD . >3j p ~ eu a Oq CD ' ' c+ co B 3 fcb p . ^ CD CD p p> cd erg «s iNJ CD P-i rb e ° ^ a a p. o sa B 2- CT1 CD CD CD O ÏO c+ P. K) CD CT O ng a n CD h* a § S « £ 2 CD Oi ZD CD » ce TABLEAU MÉTÉOROLOGIQUE COMPRENANT LONDRES ET LES ETABLISSEMENTS LES POLYNESIENS, 27 TABLEAU DE LA TEMPÉRATURE MOYENNE (1) LIEUX. PAR AN HIVER Printemps ÉTÉ AUTOMNE London 50.39 F. 39.12 f. 48.76 F. 62 32 F. 51.35 F. Turquie Hakaroa 52.12 55.94 44.05 50.08 61.26 53.11 Auckland 58.43 50.68 56.82 66.38 59.82 Nice 59.48 47.82 56.28 72.26 61.63 Naples 61.40 48.50 58.50 70.88 64.50 | Madère 64.96 60.60 62.36 69.56 67.50 J Sydney j 62.89 54.63 63.45 70.93 64.03 Nombre de jours de pluie à Wellington en dix mois, 133. Nombre de jours pendant lesquels le vent a soufflé du Nord ou du Nord-Ouest, 202. Nombre de jours pendant lesquels le vent a. soufflé du Sud ou du Sud-Est, 141. (1) Ce tableau est extrait de l’ouvrage du Docteur Shortland. TABLEAU DONNANT QUELQUES-UNS DES ELEMENTS DU CLIMAT DE LA NOUVELLE-ZÉLANDE (1) LIEUX LATITUDE MOYENNE température annuelle Calcul en pouces de la pluie tombée. Nombre de j ours pendant iesqu^ls lapluie a tombé Moyenne annuelle du baromèt. Tempi des mois les plus froids ératurejj des 8 mois | les plus chaud ?l iKaikohe . . . 35.20 s 59 i un AO 1 O ; z: < lAucklaud .. 36 . 50 s. 59./12 45.1/2 J- ± i 160 29 95 U / 51 68 CD i jNew Plimouth. . 39.3 s. 55 59 125 29.86 46 64 J hI [ Wellington 41.16 s. 56 49.1/4 99 29.79 45 65 J ; I Nelson. . 41.15 s. 54 34.1/2 120 29.79 44 64 •§.2 1 < Chrilschurch . 43.35 s. 53 31 61 29.74 40 64 I [si i f Otago 45.46 s. 50 30 130 29.69 42 58 j (1) Ce tableau est extrait dt l’ouvrage de Thompson, t. II, appendice 1. TOHEAXT OF 1S90 UBttAKY 28 LES POLYNÉSIENS. Géologie. — Déjà les premiers navigateurs avaient re- marqué que les îles de la Nouvelle-Zélande présentaient des traces de volcans. Rochon disait, quand il publia le journal de Crozet : (1) « En parcourant la Nouvelle-Zélan- de, on rencontre à chaque pas des traces de volcans, de la la- ve mêlée de scories, du basalte, de la pierre ponce, des blocs de ces verres noirs qu’on sait n’ètre qu’une fusion de matiè- res vitrifiables au feu des volcans, des terres cuites, etc.» Ainsi, on avait signalé de ces traces sur les bords de la Mokoia, dans le canal àeY Astrolabe, sur les îles Rangitoto, à Korea, dans la baie Inutile, sur les bords du canal de la Reine Charlotte, etc. On voit, dans le voyage de d’Urville, que ce qu’il appelle Pouhia-i- Wakidi, c’est-à-dire l’île Waka- ari, dans la baie d’ Abondance, est un petit volcan en activité. Depuis, toutes les observations ont confirmé celles des pre- miers navigateurs, et l’on peut dire que la Nouvelle-Zélande est une contrée volcanique. Cela est particulièrement appuyé par les lignes suivantes, empruntées au révérend Taylor (2), et qui suffiront à le prouver pour l’Ile-Nord. « La Nouvelle-Zélande présente une longue ligne de cratères qui s’étend d’une extrémité à l’autre du pays ; par le fait, presque la moitié des montagnes sont des cratères éteints (3) . Cependant l’action volcanique paraît avoir été plus grande en certaines localités. Dans le Nord, le centre était à O-Taua, près de la Baie des Iles. Un immense cratère s’élève au-dessus du niveau du pays environnant, avec de profonds précipices en rochers, qui s’abaissent vers l’inté • rieur comme pour former un vaste bol de plusieurs milles de diamètre. Cela a été certainement un vaste cratère ; mais, quand il commença à s’épuiser, il s’en forma une série de plus petits, sur les côtés. Ceux-ci sont encore plus ou moins en action ; ils sont surtout pleins d’eau profonde, d’où s’é- chappent de toutes parts des ruisseaux (pleins de gaz. Un (1) Ouvr. cité, p. 367. (2) Ouvr. cité, p. 122. (3) D’après Thompson, il n’y aurait pas de cratères éteints clans rile-du-Milieu. LES POLYNÉSIENS. 29 de ces lacs-cratères contient de la boue blanche, qui bouil- lonne en différents endroits. Dans un autre, le gaz échauffé est émis par une multitiivle de pores, et le plus haut degré de température est 196° Fareinheit. Le sol semble s’abaisser constamment. Il est évident qu’ après son extinction, le grand cratère s’est couvert de la végétation pressée du Kauri, dont les feuilles ont formé, en plusieurs endroits, un lit de tourbe qui a presque douze pieds d’épaisseur. On voit de tous côtés les fortes racines conservées en grand nombre dans le sol, et quelques-unes mêmes des plus peti- tes sont encore enveloppées de soufre pur. Les lacs sont également pleins de bois ; les feuilles et les cônes mêmes des arbres sont aussi frais que s’ils venaient de tomber tout ré- cemment. « Le grand centre de l’action volcanique s’étend de l’île Blanche ou Whakaari à Roto-Rua, et se rend de là à Whanganui, en passant par Taupo et Tongariro, c’est-à- dire en faisant ainsi un trajet de près de 200 milles. Le nombre des gouffres bouillants , des solfatares et des étangs de boue en ébullition, est considérable sur cette ligne, et on en trouve de tous les côtés, aussi bien dans les forêts, dans les plaines, que dans l’eau des lacs. Les lacs d’eau chaude à citer sont surtout ceux appelés Roto-Maha- na et Roto-Aïrea. Ce dernier est près du Tongariro qui a 10,236 pieds d’élévation. » Naturellement les tremblements de terre sont très fré- quents, et parfois très-violents : le détroit de Cook en est le centre, et, après chaque tremblement, on trouve des blocs de bitume sur la côte Ouest de l’Ile-Nord. On a rencontré, au cap Pallisser, à 200 pieds de hauteur, des térébratules ; de même que sur le mont Grey, dans lTle-du-Milieu, à 300 pieds, et à 1180 pieds, près de la baie Hawke, sur l’Ile-Nord. En somme, de toutes ses observations, le studieux mis- sionnaire a pu conclure que lTle-du-Milieu s’est déjà beau- coup élevée et qu’elle continue a le faire. Il pense que c’est à l’abaissement de température, résultant de cette éléva- tion, plutôt qu’à Faction de l’homme, qu’est due l’extinction, à peu près complète dans cette île, des Moa ( Dinornis ), ainsi 30 LES POLYNÉSIENS. que la disparition du Kauri (1), ( Dammara australis ), beau conifère qui ne se trouve pas plus Sud que Kawhia, sur la côte Ouest, et que la baie d’ Abondance, sur la côte Est, mais que l’on rencontre à File des Pins et à l’extrémité Süd de la Nouvelle-Calédonie. Les indigènes ont, du reste, plusieurs traditions qui rap- portent que des terres ou îles ont été englouties à la suite de tremblements de terre. Ainsi l’une de ces traditions dit qu’une île, sur laquelle existait un très grand Pa, près de Taranaki, a été subite- ment submergée et a disparu avec ses habitants dans l’es « pace d’une nuit. Une autre rapporte qu’une autre île a disparu de la même manière à Patea. Enfin, une troisième dit qu’une île, appelée Titapua, a également été engloutie dans le détroit de Cook. Ce qui prouve bien que la Nouvelle-Zélande a été pro- fondément bouleversée, à une époque reculée, c’est que plusieurs des îles qui l’avoisinent, dans l’Est, ne semblent être que des fragments de l’Iie-Nord. Cela résulte, entre au- tres, d’une observation curieuse rapportée par Dieffenbach : le Kiwi se trouve sur la petite île Barrière, île inhabitée, qui est placée à environ neuf milles de la grande Ile-Nord. Or, dit-il, comment un oiseau qui ne peut pas voler, aurait il pu s’y rendre en traversant la mer ? Il n’y a qu’une ma- nière d’expliquer sa présence sur cette île, c’est qu’ autre- fois elle était unie à la grande terre, Tuawhenua ; et il ajoute : « Nous avons une preuve certaine d’une déchirure semblable, dans l’existence, sur une petite île rocheuse de la baie d’ Abondance, d’une iguane qui est presque éteinte sur la grande terre. » Botanique. — - Comme nous reviendrons nécessairement sur la botanique et la faune de la Nouvelle-Zélande, quand nous en serons aux conclusions de cet ouvrage, nous nous bornerons ici à emprunter aux écrivains les plus compétents quelques remarques sur la première. (1) Ouvr. cité, p. 220. LES POLYNÉSIENS. 31 C’est à Taylor surtout que nous demanderons ces re- marques. « La botanique de la Nouvelle-Zélande, dit-il (1), est du plus grand intérêt, non pas tant par la beauté de sa flore, que par ce fait qu’elle a un caractère particulier et distinct, indiquant qu’elle est un centrebotanique. » C’est ce qu’ont signalé les derniers explorateurs, et ce fait tend à appuyer la conjecture, hasardée par lui, que la Nouvelle- Zélande est un débri d’autres terres. Il est bien vrai, ajoute- t-il, qu'on a découvert, à la Nouvelle-Zélande, 89 espèces de l’Amérique du Sud ; que 77 se trouvent en Australie et dans l’Amérique méridionale, sur lesquelles 50 sont com- munes à l’Europe, et que 60 plantes de toute la flore sont européennes ; cependant, le fait qu’il y a 26 genres et 507 espèces, c’est-à-dire plus des deux tiers de la totalité, par- ticulières à la Nouvelle-Zélande, établit son droit à avoir un centre botanique propre. Il porte (2) le nombre des espèces de plantes déjà connues à 632, dont 314 sont dycolytédones ou endogènes, et 318 monocolytédones ou cellulaires. Et il conclut de cette dis- proportion, ainsi que nous l’avons montré un peu plus haut, que cette contrée a été séparée d’une autre terre, dans les temps les plus anciens, et qu’elle a conservé sa flore primi - tive : a Elle est encore, dit-il, à son âge de fougère. » Le grand nombre des arbres, le petit nombre des plantes herbacées, l’absence presque complète des plantes annuelles, et surtout la grande quantité des fougères, sont les ca- ractères les plus remarquables de la flore. Ce sont surtout ces dernières qui la caractérisent* En effet, si en Angleterre (3) il n’y a pas plus de 35 arbres indigènes sur 1400 espèces, à la Nouvelle-Zélande les ar- bres à fleurs, comprenant des arbrisseaux au-dessus de 20 pieds, dépassent le nombre de 113, c’est-à-dire qu’ils for- ment presque le 1/6 de la flore, en outre des 156 arbris- seaux et plantes à tiges ligneuses. On compte i (1) Ouvr. cité, p. 431. (2) Ibid. p. 433. (3) Ibid. p. 424. 32 LES POLYNÉSIENS. 117 espèces de fougères, y compris les lycopodes ; 730 plantes ; 450 mousses et hépatiques. Total 1200 d’après le docteur Hooker. Les algues s’élèvent, d’après le Docteur Harvey, à 300. Les ordres les plus nombreux en espèces sont : Fougères 117 Composées..... 90 Cypéracées 66 Graminées 53 Scrophulariées 40 Orchidées 39 Rubiacées 36 Epacridées 23 Ombellifères 23 En somme, la flore se compose d’environ 2000 espèces connues et décrites, et le Dr Hooker a annoncé qu’on en trouverait encore autant et même plus. Le même botaniste estime que les fungi seront trouvés en nombre de plus de 1000 espèces. Il pense que les conifères, quand tous seront connus, for- meront la famille la plus nombreuse. Jusqu’à présent, ils ont des espèces moins nombreuses que celles connues des au- tres ordres. Sur 117 fougères, 43 seulement sont particulières à la Nouvelle-Zélande; 30 se trouvent dans l’Amérique du Sud ; 61 dans l’Australie et la Tasmanie ; 25 sont communes à l’Australie, à la Nouvelle-Zélande et à l’Amérique du Sud ; 10 seulement se retrouvent en Europe. La couleur caractéristique de la végétation à la Nouvelle • Zélande est un vert foncé ou sombre. Taylor conclut de tout cela que la Nouvelle-Zélande, y compris les îles Aukland, Cliatham, Macquarie et quelques autres, forment un centre botanique, de même que l’Aus- tralie et d’autres continents, car, dit-il, cette flore diffère LES POLYNÉSIENS. 33 autant de celle de la Nouvelle-Hollande, que celle ci diffère de celle de toute autre partie du globe. Thompson signale, lui aussi, la singularité de cette flore, qu’il dit, comme tous les botanistes, être caractérisée rela- tivement par son grand nombre d’arbres et de fougères, par le petit nombre des plantes herbacées, et par le manque absolu desplantes annuelles. En Angleterre, ajoute-t-il, il y a 40 arbres indigènes, et 120 à la Nouvelle-Zélande. 507 espèces de plantes à fleurs, ou plus des 2/3 de cette division du rè- gne végétal, trouvées à la Nouvelle-Zélande, lui sont parti- culières. Sur le tiers restant, il y a : 123 plantes australiennes ; 87 de l’Amérique du Sud ; 77 communes au loin •, 60 Européennes ; 50 antarctiques. 11 indique, comme Taylor, les ordres botaniques offrant le plus d’espèces, mais en faisant remarquer que les indivi- dus de chaque espèce, à l’exception des fougères, sont sou- vent peu nombreux, et que pas un ne présente un caractère particulier dans le paysage. Le paysage de la Nouvelle-Zélande n’est ni doux, ni gai, dit-il avec raison ; mais il est grand et sombre. Presque tous les arbres de la Nouvelle-Zélande sont toujours verts : par conséquent les forêts ne sont jamais sans feuilles, et le changement des saisons modifie peu leur apparence ; elles sont plus vertes l’hiver que l’été ; l’abondance de la végétation, les arbres fougères, le nikau, le dracœna ter- minalis et la fleur vert foncé des fougères cryptogames leur donnent quelque chose d’apparence tropicale. Les plantes à fleurs à la Nouvelle Zélande, répète-t-il ailleurs, sont peu nombreuses. La Grande-Bretagne en a plus de 1400, et la Nouvelle-Zélande en possède à peine 750. Il avait d’abord dit 507 espèces. Nous ne dirons rien de la description enthousiaste et vraie qu’il fait des forêts de la Nouvelle-Zélande : on peut la lire, d’ailleurs, dans l’article publié par le naturaliste 3. ni. 34 LES POLYNÉSIENS, Hoclistetter : elle s’y trouve à peu près textuellement. S ‘ 101 avons tenu à citer ces deux autorités, et surtout la premièr si compétente, c’est que nous pensons, avec ces savant que la Nouvelle-Zélande est un centre de création. Faune. — Comparée à celle d’autres contrées, la faune de la Nouvelle-Zélande est véritablement pauvre, surtout dans l’ordre des mammifères terrestres ; mais, comme le dit Thompson (1), elle est bien digne de fixer l’attention des na- turalistes, parce qu’elle est la preuve la plus convaincante que chaque partie de la terre a ses animaux, comme ses vé- gétaux particuliers. C’était ce qu’avait déjà dit le Uév. Taylor, à l’occasion de la géologie de la Nouvelle-Zélande : « Ces îles, dit-il, (2) se montrent aux yeux du géologue comme les fragments dé- chirés d’une ancienne ligne de continent. Chaque ligne possède de tels traits distinctifs dans sa flore, sa zoologie et son ornithologie, que chacune d’elles indique qu’elle est un centre à part. L’Australie diffère dans ses diverses pro- ductions de toute autre partie du globe. La Nouvelle-Zé* lande aussi en diffère autant que la première fait du reste du monde. « Si ces conjectures avaient quelque valeur, ajoute- t-il, les îles delà Nouvelle-Zélande, comme débris del’une des di- verses lignes continentales citées, auraient une antiquité égale, qui détruirait la croyance ordinaire que leur origine est comparativement récente. » C’était ce qu’il avait répété (3), en disant que « la bota- nique de la Nouvelle-Zélande est extrêmement intéressante, non pas tant par la beauté de sa flore, qu’en raison de ce fait qu’elle a un caractère particulier et distinct, montrant qu’elle est son propre centre botanique. » Et c’est ce que nous soutiendrons nous-même, quand nous (1) The Story ofthe New-Zealand, vol, I, p. 20» (2) Te Ika-a-Maui , p. 220 ; (3) Ouvr. cité, p. 431, LES POLYNÉSIENS. 35 Ci serons à l’examen du lieu d’origine des Nouveaux-Zé- landais. En résumé, on compte seulement : 4 espèces de mammifères terrestres : 2 chauve-souris, 1 chien et 1 rat ; 13 espèces de mammifères marins ; 83 espèces d’oiseaux, tandis qu’il y en a 273 en Angleterre. Plus 14 espèces d’oiseaux, disparues et reconstituées d’après leurs ossements par le savant Owen. On trouve à la Nouvelle-Zélande au moins six lézards, tous inoffensifs ; mais il n’y a point de serpents. Il paraît que les lézards étaient beaucoup plus nombreux autrefois, et qu’il y en avait même de très gros : ils deviennent cha- que jour de plus en plus rares. On compte environ 100 poissons ; plus de 100 espèces d’in- sectes, et de nombreuses coquilles, parmi lesquelles se trou- vent : l’Helyx Busbyi (Gray), le Bulimus Hongi (Lesson), le Trochus Cookii, le Trochus impérialis, etc. Nous nous bornerons à réunir ici quelques renseigne- ment sur les mammifères, les principaux oiseaux, les lézards, et les grenouilles, observés depuis la colonisation. Mammifères terrestres. — Forster, le premier, a vu et dé- crit l’une des chauves-souris, qu’il a appelée Yespertilio Tu- berculatus : C’est le Pekapeka des indigènes. L’autre espèce est admise par les voyageurs Dieffenbach, Thompson et le missionnaire Taylor ; mais sa description n’est donnée nulle part ; ce dernier dit seulement : La plus commune est très petite, de couleur brun jaunâtre, avec de petites oreilles arrondies. Kuri est le nom donné au chien indigène, qui a été vu par Cook ; les habitants de l’Ile-Nord attribuent son intro- duction aux émigrants d’Hawahiki. C’était, dit le mission- naire Taylor, un petit chien à longues oreilles^ d’un brun sale ou de couleur jaunâtre, avec une queue touffue : il est maintenant presque éteint. Le Kuri ne paraît pas ressembler au Dingo australien, ajoute-t-il, mais il est probablement de la même espèce 36 LES POLYNÉSIENS. que celui que l’on trouve clans les îles Polynésiennes. Thompson n’admet pas que les chiens ni les rats fussent indigènes à la Nouvelle-Zélande. Yoici ce qu’il écrit à ce sujet : (1) « On compte, parmi les mammifères indigènes de la Nou- velle-Zélande, les chiens et les rats, mais à tort. Il est vrai que le capitaine Cook a trouvé des chiens et des rats en 1769, mais ces deux animaux avaient été apportés dans le pays par les Nouveaux-Zélandais, et il est à remarquer que tous les deux sont presque éteints aujourd’hui. « Le grand rat de Norway, importé dans la Nouvelle- Zélande par les colons anglo-saxons, a détruit le rat indi- gène ; et les chiens indigènes, qu’on élevait et propageait anciennement pour servir de nourriture, ont tous été man- gés et détruits, parce qu’après l’introduction des cochons, les Nouveaux-Zélandais n’ont pris aucune précaution pour en conserver la race. Des voyageurs attentifs peuvent en- core voir, de temps en temps, sur les bords du lac Taupo , quelques mauvais chiens croisés de chiens maori et anglais, ayant la queue touffue, le poil couleur de renard, les oreil- les droites et un hurlement au lieu d’un aboiement. Ce sont les derniers vestiges de la race des chiens apportés par les naturels de la Nouvelle-Zélande (Ile-Nord.) Ce que les bergers j|‘e l’Ile-du-Milieu appellent chiens indigènes, sont des anim&x anglais libres, non sauvages. « Il est prouvé que le véritable chien indigène a été in- troduit à la Nouvelle-Zélande, et parles traditions, et parle mot maori employé pour désigner le chien, mot qui est tout- à-fait polynésien, et par les os calcinés d’hommes, de moa et de chiens, qui ont été trouvés par M. Mantell sur un banc de sable, près de Taranaki, l’un des points les plus ancien- nement occnpés par les Nouveaux-Zélandais ( 2 ). « Il est également prouvé, par les traditions et par l’exis- tence de rats semblables dans toute la Polynésie, que les rats indigènes de la Nouvelle-Zélande, qui étaient petits et frugivores, y ont été introduits. » (1) Ouvrage cité, vol. L p. 21. (2) Cons. au sujet des Moa, W. B. Mantell, Address on the Moa , in Transact. and Proceed. of New -Zealand, 1869. < LES POLYNÉSIENS. 37 Ce n’est point ici le lieu de prouver quil serait tout aussi logique de conclure, d’après son nom, que le chien a été introduit en Polynésie par la Nouvelle-Zélande, et que, quand les traditions parlent du lieu d’origine des Maori sous le nom d’Hawahiki, elles ne veulent pas du tout par- ler de la Polynésie. Nous aurons d’ailleurs à y revenir lon- guement plus tard ; aussi, nous bornerons-nous à dire ici qu’il s’en faut que la provenance polynésienne du chien et du rat soit démontrée, comme l’avance M, Thompson. Pour soutenir que l’Hawahiki était situé à Savaii, ce sa- vant s’appuie sur John Williams, d’après lequel il existe des chiens sauvages aux îles Samoa, ressemblant aux chiens domestiques vus par Cook, à la Nouvelle-Zélande. Mais, en réalité, il ne s’appuie que sur un fait, au moins insuffisant, et ne permettant pas de dire que les chiens des Samoa et ceux de la Nouvelle-Zélande sont identiques, puis- que John Williams se borne à en donner la description sui- vante : « Une particularité de l’histoire naturelle du groupe Sa- moa, est qu’on trouve un chien sauvage dans les monta- gnes. J’ai vivement regretté de ne pouvoir m’en procurer un. D’après la description qui m’cn a été faite, il semble être un petit animal, de couleur noire, gris sale ou de plomb, avec peu ou pas de poil, et de grandes oreilles droites. » Il n’y a, en résumé, qu’un fait certain, c’est que les tra- ditions disent bien que les chiens et les rats, comme un assez bon nombre de plantes, d’oiseaux et même d’insectes, ont été apportés à l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande par les émigrants venant d’Hawahiki, mais sans spécifier où était situé cet Hawaliiki ou pays d’origine. Kiore est le nom maori du rat, que nous regardons, con- trairement à Thompson, comme indigène, au moins, dans une des deux grandes îles de la Nouvelle-Zélande. Il n’a guère que la moitié du volume du rat de Norway ( mus rat us) ; il était partout très commun autrefois, et alors il était très recherché comme nourriture. Il est à remarquer que les naturels appellent le rat de 38 LES POLYNESIENS. Norway : Pou Hawahiki, Kiore Pakeha, et Kainga Rua, ce qui signifie rat étranger. (1) En outre de ces quatre mammifères terrestres, un autre, comme l’apprend Cook, aurait été vu par quelques-uns de ses matelots, dans les environs du Canal de la Reine-Char- lotte. Cet animal lui fut décrit comme étant couleur de sou- ris, gros à peu près comme un cliat, et ayant quatre jam- bes courtes. Depuis, Mantell a appris, de naturels de l’Ile- du-Milieu, qu’un quadrupède disparu y existait autrefois ; il était appelé, d’après Thompson, Kaurehe. Suivant eux, ce quadrupède ressemblait à un castor, aune loutre ou à un blaireau. Mais Thompson dit (2) qu’il s’est vainement li- vré à de sérieuses recherches à ce sujet, et qu’il n’a jamais pu rencontrer un Maori ayant vu un pareil animal, ou en ayant seulement entendu parler. A cette occasion nous nous contenterons de faire remar- quer que c’est le mot kararehe que Mantell a bien proba- blement cru entendre : d’après W. Williams, ce mot, en Maori, signifie seulement quadrupède et non chien, comme l’ont dit quelques voyageurs. Suivant ce savant, si versé dans la langue maori, le chien est appelé Kirehe, Kuri, Nane et Peropero. Il se pourrait donc que le premier mot eût été entendu et transformé en Kaurehe, qui ne paraît pas être maori. Dans ce cas, les matelots de Cook n’auraient vu bien probablement qu’un chien ; car, si on décompose le mot kaurehe , on trouve que kau signifie nu, seulement, et qu q relie veut dire, ridé. Toujours est-il que, d’après Williams, Kararehe est le nom donné aux quadrupèdes en général. D’un autre côté, un nommé Seymour, demeurant h Otaki, a assuré à M. Taylor qu’il avait vu plusieurs fois, dans l’Ile- du-Milieu, près de la baie Dusky, sur la côte Sud-Ouest, un animal qu’il appelait rat musqué, à cause de l’odeur qu’il (1) Pou signifiant poteau, il estprobable que c’est le mot pu, tribu, véritable, identique, c’est-à-dire véritable rat d’Hawahiki. Quant à Kcangarua , ce serait rat (sous-entendu) de magasin, de village. Nous savons que le mot Pakeha signifie étranger. (2) Ouv. cité, vol. 1, p. 21. LES POLYNÉSIENS. 39 émettait. Il disait que sa queue était grosse et qu’elle res- semblait au Pirori mûr, ou fruit de Kiekie, qui ne diffère pas de la queue d’un castor. Ce récit était appuyé par Ta- rn ilia n a- 1 e - R au p a r ali a , qui disait que le volume de cet ani- mal était double de celui du rat de Norway, et qu’il avait une queue plate. Un autre homme, habitant le pays depuis plus de vingt ans, lui a dit qu’il n’avait pas vu lui-même des castors, mais qu’il avait plusieurs fois rencontré leurs habitations. Il avait été surpris en voyant de petits ruisseaux barrés par des dignes, et de petites maisons, comme des ruches d’a- beilles, élevées sur un côté, et ayant deux ouvertures, l’une en haut et l’autre en bas de la digne. Un autre habitant disait avoir vu ces grands rats, mais il n’avait pu les atteindre, parce qu’il avaient disparu en se jetant à l’eau. Enfin un autre, encore, disait avoir rencontré ce qu’il appelait une espèce de loutre d’eau douce : ce n’était pro- bablement, dit Taylor, que le castor dont il a été parlé. Remarques sur quelques oiseaux. — Kiwi . — L’un des oiseaux les plus remarquables de la Nouvelle-Zélande est le Kiwi ou Aptéryx australis , de la famille des autruches ; il est encore assez abondant dans plusieurs parties des îles. Il est gros comme une poule adulte, et cependant il pond un œuf qui a huit pouces d’épaisseur et douze de hauteur. Voici ce qu’en dit Taylor : Il y a deux variétés de Kiwi : Tune plus grande que l’au- tre et d’une couleur plus foncée ; celle-ci ne pond qu’un œuf ; l’autre, d’un rouge ordinaire,, pond deux œufs qui sont plus petits. Cet oiseau a des ailes rudimentaires, terminées par une petite griffe ; le bec est long et légèrement courbé ; les narines sont à l’extrémité. Ses plumes, qui sont garnies à leur pointe par une espèce de griffe, sont très estimées pour faire des manteaux que les chefs portent seuls. Le Kiwi creuse des terriers et y dépose ses œufs ; le plus généralement il les place à la racine des Rata. Onffit qu’ils 40 LES POLYNÉSIENS. mettent trois ans à éclore, et souvent le trou se bouche tellement par l’accroissement des racines, que le jeune oi- seau ne peut sortir et finit par périr. Le Kiwi-parure est la plus grande espèce, et le Kivi-hoïhoï, la plus petite. La plus grande espèce, plus grosse que le dindon, paraît avoir été trouvée à la baie Dusky, dans l’Ile-du-Milieu ; elle vit surtout dans les montagnes neigeuses. Il en aurait même existé une autre espèce, d’après les naturels, laquelle n’a- vait pas moins de sept pieds de haut ; mais il y a long- temps qu’elle aurait disparu, comme tant d’autres de la mê- me famille et de celle des Moa. Le Kiwi est un oiseau de nuit ; il trouve sa nourriture à l’aide de l'odorat. Il plonge son bec dans la terre avec promptitude pour y chercher les vers, et, dans le même mo- ment, il émet un bruit de ronflement. Il donne un coup de pied avec une grande force, et exprime sa colère par un sifflement ou un grognement. On l’apprivoise facilement. Le cri qu’il pousse est tout-à-fait semblable au nom qu’on lui a donné. Le Kiwi est un oiseau laid à voir, avec ses jambes courtes et minces et ses ongles très forts : il n’a pas de queue. Dans les temps très pluvieux, il est souvent chassé des forêts et forcé d’aller chercher sa pâture dans la plaine. Quand il dort, il s’appuie sur son bec. Les naturels fixent toujours une plume ou deux de cet oiseau à leur Paua ou hameçon à poisson. C’est un bon manger, ayant plutôt la saveur du bœuf que celle d’un oiseau; les meilleurs morceaux sont les côtes et les cuisses. Celui de la grande espèce trouvée dans l’lle-du-Milieu pèse, dit-on, jusqu’à 18 livres ; il est si fort qu’on ne peut pas le prendre d’une seule main, et si le capteur ne fait pas la plus grande attention, il lui échappe en le frappant avec ses ailes. Toko-Eka est le nom de cette espèce de Kiwi. Quelques personnes l’ont décrit comme ayant un plumage rouge brun. On le prend en étendant un vêtement blanc sut* le sol, qu’il croit alors être couvert de neige. Celui auquel les indigènes donnent sept pieds de haut, et qui paraît avoir disparu, est appelé Kiwi-papa-whenua . 11 avait un très long bec, avec lequel il faisait de grands LES POLYNÉSIENS. 41 trous dans la terre pour y chercher des vers. 11 existe en- core des personnes vivantes qui prétendent l’avoir vu. Rau- paraha m’a dit, ajoute Taylor, en avoir mangé alors qu’il était jeune. Quand ce chef mourut, son corps fut orné de quel- ques-unes des plumes de cet oiseau. Moa. — De tous les oiseaux qui ont vécu autrefois à la Nouvelle-Zélande, le plus remarquable, sans contredit, est le Moa, Dinornis d’Owen. C’était peut-être le plus grand oiseau qu’on ait jamais vu. J’ai le premier, dit Taylor (1), découvert ses restes, en 1839, à Tauranga et à Waïapu (Baie d’ Abondance et Cap Est.) Mais en 1844, j’ai rencontré un très grand amas d’os de cet oiseau, mêlés à ceux de pho- ques ; ils étaient réunis dans de petits monticules à l’em- bouchure de la Waingongoro ; chaque tas était composé d’os de plusieurs espèces d’apteryx. Ils abondent dans presque tous les points de l’Ile-Nord, au Sud de Mokau, et partout dans l’Ile-du -Milieu ; mais ils n’ont pas été découverts plus au Nord, probablement parce qu’il n’y avait pas de plaines herbeuses capables de leur fournir une nourriture suffisan- te. Là où Ton trouve les restes des Moa, il y a ordinairement un petit tas de cailloux arrondis, en quartz, à peu près gros comme des noix, qui avaient sans doute été avalés pour fa- ciliter la digestion. Il est probable que ce gigantesque oiseau n’avait pas moins de seize pieds de haut ; ses os ont la moitié de l’épaisseur de ceux de l’éléphant (2). (1) Ouvr. cité, p. 398. (1) Ed. Lartet a fait, dans la séance du 1er août 18G7, de la So- ciété d’anthropologie de Paris, une communication établissant que des silex taillés seraient associés à des ossements fossiles, en Océanie. En 1847, dans la région occidentale de l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande, on trouva à Terangatapu, et à Waingongoro, en creusant un lit de sable, renfermant de l’argile, du fer titani- fère, etc , des ossements de dinornis, de phoque ( Phoca leptonyx ) qui vit encore aujourd’hui dans les parages de la Nouvelle-Zélan- de, et de chien, assez semblable au Canis australis ou Dingo de la Nouvelle-Hollande. Avec ces débris furent recueillis quelques silex noirâtres, ou roches de même apparence taillés en forme de 42 LES FOLYNÉSIENS. Thompson donne la figure du squelette du Dinornis élé- phantopus, reconstruit par Qwen ; et il apprend que, de- puis la découverte de Taylor, des os de Moa ont été trou- vés dans les lits de rivières, les marais, les forets des deux îles et dans des cavernes qui en étaient quelquefois rem- plies ; mais surtout dans TIle-du-Milieu. D’après Taylor, on rencontre rarement les restes des Moa, sans qu’ils soient mêlés à ceux de plusieurs espèces diffé- rentes du même oiseau (1) ; d’où l’on doit inférer, dit-il, qu’autrefois le climat leur était plus favorable, puisqu’on les trouve en abondance et que ce n’est que depuis, une épo- que peu reculée qu’on rencontre leurs os à l’état fossile. On ne peut, suivant lui, attribuer leur extinction, qu’au changement du climat, et il pense que l’homme n’y est pour rien. Qu’ils aient existé à une période éloignée, leurs os le prouvent, les traditions indigènes l’assurent égale- ment, et il y a encore des chants de chasse qui s’appliquent aux Moa. On peut même se demander, ajoute-t-il, s’il n’en existe pas encore dans TIle-du-Milieu. A ce sujet, le savant missionnaire rapporte un récit trop favorable à cette der- nière supposition pour que nous ne le fassions pas connaî- tre (2) : « M. Meurant, interprète du gouvernement, m’a dit avoir vu en 1823, dans le Havre Molyneux, de la chair de Moa ; depuis, il a vu des plumes de Moa dans la chevelure des indigènes. Ces plumes étaient de couleur noire ou brune, à bord pourpre, et ayant des tuyaux aussi gros que ceux de l’albatros pour le volume, mais plus forts et plus épais. Il a vu un os de Moa, qui avait quatre pouces près de la hanche et était aussi gros que son genou ; il était encore recouvert couteau. Il y avait aussi des débris d’obsidienne. Quelques-uns des os portaient des entailles et des traces d’un travail en appa- rence exécuté avec une pierre tranchante ; d’autres avaient visi- blement subi l’action du feu. (1) On en a reconnu 4 espèces ; Dinornis, la plus grande ; Pa- lapteryx, 2e grandeur; Aptornis, 3e grandeur ; et la plus petite, No- terais, qui a été vue vivante en 1850. à la baie Dusky. (2) Ouvr. cité, p. 238, LES POLYNESIENS. 43 de chair et de tendons. La chair ressemblait à du bœuf : Les esclaves qui étaient de l’intérieur, disaient qu’il y avait en- core des Moa dans cette partie de l’île. Les indigènes lui racontèrent que le Moa, dont il avait vu la chair, était mort quand il avait été trouvé par hasard par eux, et qu’ils avaient souvent essayé d’en prendre au piège, mais sans succès. Un homme, nommé George Pauley, vivant aujour- d’hui dans le détroit de Foveaux, lui dit qu’il avait vu le Moa ; il le décrivait comme un monstre énorme, ayant près de 20 pieds de haut. Il l’avait vu près d’un lac de l’inté- rieur ; il s’éloigna de lui en courant, et l’oiseau fit de mê- me. Il avait rencontré ses pas avant d’arriver à la ri- vière Taïri, et dans les montagnes. Thomas Chasseland, l’homme qui servait d’interprète à M. Meurand, et qui était très versé dans la langue maori, avait vu, lui aussi, de la chair de Moa, et il avait d’abord cru que c’était de la chair humaine. » Il se pourrait donc, d’après ces récits, qu’il existât encore quelques Moa dans l’Ile-du-Milieu, mais bien probablement en petit nombre, puisqu’ils sont si rarement aperçus, et qu’on ne rencontre, pour ainsi dire, jamais que leurs traces, com- me cela est arrivé, il n’y a que quelques années, aux fa- meux explorateurs de cette île, les docteurs Haast et Hector. Dans une note, Taylor, pour prouver que l’homme n’est pour rien dans la destruction des Moa, fait remarquer que les plus vieux naturels affirment que, depuis leurs plus an- ciens jours, il y a eu une forte extinction des oiseaux qui étaient considérés comme des moyens de subsistance, tels que le Kiwi, le Weka et le Kakapo. Cela ne doit pas être attribué à la venue des Européens, répéte-t-il, mais plutôt à quelque autre cause, peut-être au changement de climat. Le chat, le chien et le rat européens, récemment introduits, sont de grands destructeurs ; mais les provisions des indi- gènes avaient commencé à décroître avant leur introduc- tion, tellement même, qu’ils pâtissaient de l’absence de nourriture avant l’arrivée des Européens. Aussi, conclut le pieux missionnaire, est-ce à la Providence qu’il faut attri- buer, parmi d’autres bienfaits, celui d’avoir fourni de nou- 44 LES POLYNÉSIENS. veaux moyens de subsistance aux aborigènes de ces îles, alors que les leurs avaient tant diminué ! C’était, en somme, au climat qu’il attribuait surtout la disparition des Moa, c’est-à-dire à l’élévation, chaque jour de plus en plus grande, des montagnes de TIle-du-Milieu, et par conséquent à l’abaissement de la température. Mais nous ferons remarquer que son assertion, relativement aux Moa, semble être démentie par ce seul fait que les docteurs Hector, Haast et autres voyageurs, n’ont trouvé des traces de ces oiseaux, dans ces dernières années, que sur les som- mets des plus hautes montagnes neigeuses, tels que ceux des monts Richards, dans l’Ile-du-Milieu. En voyant, comme l’a fait remarquer lui-même M. Tay- lor, que les Moa semblent ne pas s’être avancés plus Nord que Mokau, dans l’Ile*Nord, ne serait-il pas plus logique de penser qu’ils ne se sont arrêtés là que parce que la tem- pérature n’était plus assez froide pour eux, au lieu d’ad- mettre qu’ils ne l’ont fait que parce qu’il n’y avait pas de nourriture à leur convenance plus au Nord que Mokau ? Il est vrai qu’on explique très bien leur séquestration dans les lieux déserts et impraticables, par l’instinct de con- servation qu’on leur suppose ; mais il nous semble qu’on au- rait dû en voir, du moins de temps en temps : or, à part le fait précédemment cité, il n’y en a guère d’autres exemples, pour les Européens, que les traces signalées. D’après Thompson, la presque extinction des Moa n’au- rait eu lieu que par des causes naturelles. Les arrivants dans le pays se seraient mis à les massacrer pour leur chair, leurs os et leurs plumes : la chair et les œufs étaient man- gés (1) ; les os employés à faire des hameçons ; les crânes à conserver la poudre à tatouer, et les plumes à orner leur tête. Les causes naturelles qui auraient rendu l’extinction des Moa plus rapide, auraient été aussi, d’après lui, les change- ments géologiques survenus avec le temps dans la contrée (1 ) Un œuf trouvé n’avait pas moins de 9 pouces de diamètre et 37 de circonférence. LES POLYNÉSIENS. 45 La Nouvelle-Zélande, ajoute-t-il, était peut être un grand continent, quand les Moa furent d’abord créés, car il est dif- ficile de comprendre que de pareils oiseaux gigantesques aient pu naître, pour vivre et mourir dans la petite portion du globe qui est maintenant connue sous ce nom. Nous ne pouvons émettre ici les idées que font naître une pareille réflexion ; mais la remarque de M. Thompson que toutes les îles, qui ont possédé autrefois de grands oiseaux à ailes rudimentaires, sont situées dans l’hémisphère Sud, est bien digne de la plus sérieuse attention. Tout le monde sait que l’Ile Maurice, où a été vu un oiseau encore vivant de la même famille, en 1658, par Bontius, n’avait pas plus de quadrupèdes que la Nouvelle-Zélande, pas plus de cra- pauds et de serpents qu’elle, et que le Dodo y a complète- ment disparu, peu de temps après l’établissement des Euro- péens : bien longtemps, par conséquent, avant que les Moa en aient fait autant à la Nouvelle-Zélande, puisqu’il paraî- trait y en exister encore quelques rares spécimens. Que ces oiseaux se soient propagés, dans ces deux contrées, par suite de l’absence des quadrupèdes, on peut le sup- poser en voyant le nombre considérable des espèces trou- vées, à la Nouvelle-Zélande du moins ; car on sait que, dès 1859, M. Owen était parvenu à en reconstituer quatorze es- pèces, dont une seule, la plus petite, le Notornis, a été re- trouvée vivante. Mais, à l’île Maurice, il n’y avait, d’après tous les récits, qu’une seule espèce, probablement la même qu'on a vue à File Rodrigue, distante de Maurice de cent soixante lieues environ. C’est à Léguât, gentilhomme bressan, forcé de fuir la France pour ses opinions religieuses, et relégué avec un certain nombre de compatriotes sur cette île déserte, qu’on en doit la connaissance. Il donne à cet oiseau le nom de Solitaire et raconte longuement la fidélité du couple appa- rié. Nous ne pouvons que renvoyer à son livre pour les ren- seignements curieux qu’il en donne. Mais, pour qu’on ne doute pas que cet oiseau était bien de la famille du Dronte, trouvé également à Madagascar, nous citerons la 46 LES POLYNÉSIENS. description qu’il en a faite (1), et qui est accompagnée d’un dessin de F animal : Pieds et bec de coq d’Inde, ce dernier un peu plus cro- chu ; Cou long, droit, plus long que celui du dindon ; Presque pas de queue, mais derrière arrondi comme une croupe de cheval ; Tête sans crête, ni huppe ; Plumage du mâle ordinairement grisâtre et brun, celui de la femelle plus beau, de couleur blonde ou brune, avec deux saillies sur le jabot ; On trouve toujours une pierre dans leur gésier ; Ces oiseaux, dont les ailes sont rudimentaires, ne volent pas : ils s’en servent pour se battre ; Il y en avait beaucoup sur l’île, vivant toujours séparés des autres couples. Ruru. — Si nous ajoutons quelques lignes encore sur l’oiseau appelé Ruru par les indigènes, c’est qu’il a été figu- ré pour la première fois et nommé Noctuci Zelandica par les naturalistes de Y Astrolabe, Quoy et Gaimard» (2) R. P. Lesson Fa décrit dans son traité d’ornithologie (3). Cette chouette, dit-il, a le dessus de la tête, du dos, des ailes, d’un brun marron clair, couvert de taches rousses arrondies. Le bec est petit, très recourbé, pointu, marbré de noir et de blanchâtre. Les soies qui l’entourent ont leur ex- trémité noire, ainsi que le reste de leur tige, dont les bar- bules sont blanches à la base. Les joues et la partie anté- rieure du front près de l’oeil sont blanchâtres ; la poitrine et le ventre sont fauves et ornés de flammes d'un joli brun; les grandes pennes et la queue ont des bandes trans- versales brunes. On en compte environ neuf sur cette der- nière, qui est fort longue et légèrement arrondie. Les ailes, (1) Voyage et aventures de François Léguât et de ses compagnons en deux îles désertes des Indes-Orientales, etc., planch., cartes et figures. Londres 2 vol. in-18, 1720. 1er vol. p. 98. Léguât, parti du Texel en juillet 1690, débarqua à File Rodri- gue en avril 1691. (2) Voyage de l'Astrolabe , pl. 2, fig. lre, t. I, p. 168. (3) Traité d'ornithologie , etc., 1 vol. in-8°, avec atlas* Paris* 1831. Levrault. LES POLYNÉSIENS. 47 assez longues et pointues, arrivent au milieu de la queue. Les couvertures alaires inférieures sont d’un rouge vif, et les grandes pennes ont de larges taches blanches sûr un fond grisâtre. Les plumes des tarses et celles qui soutien- nent la queue sont d’un roux vif. Les pieds sont forts, les ongles grands et noirs. Cette espèce est un peu plus petite que la chevêche Mauge avec laquelle elle a de grands rap * ports, mais elle en diffère par les taches du dos qui sont plus nombreuses et plus régulières. Sa longueur totale est de onze pouces. Elle habite la baie Tasman, dans le détroit de Cook, à la Nouvelle-Zélande. Kakapo. — Plusieurs voyageurs parlent d’un oiseau ap- pelé Kakapo que ne cite pas W. Williams. Suivant Dieffen- bach, c’était un grand et beau coucou ( Centropus ), qui n’a pas été vu depuis longtemps et qui, d’après les indigènes, aurait été détruit par les chats apportés par les Européens. N’est-ce pas plutôt le Kokoka ? Taylor le décrit comme un perroquet ; il dit que c’est l’oiseau le plus remarquable de cette famille, et qu’il est aussi appelé Tarepo. Il en donne une figure sous le nom de Strigops liabroptitus perroquet de nuit. Yoici la description qu’il fait de cet oiseau : « Il est aussi gros qu’une poule, de couleur jaune verdâ- tre, claire, avec des bandes brunes, de grandes moustaches noires ; il fréquente les montagnes et les précipices. Bien qu’il possède des ailes, il ne s’en sert que rarement. Il va par troupes : l’un d’eux est généralement en observation et veille si bien qu’on n’en peut jamais approcher du côté du vent. Par son aspect, il ressemble à la chouette. Les in- digènes disent qu’il en existe deux espèces, dont l’une est aussi grosse que le Kiwi. Il est excessivement rare et il sera bientôt éteint dans l’Ile-Nord. J’en ai vu seulement deux individus pris dans cette île. C’est un manger délicat. Cet oiseau remarquable est plus abondant dans l’Ile-du-Mi- lieu. » Reptiles. — Il n’y a pas de serpents ; et, parmi les lézards* 48 LES POLYNÉSIENS. nous ne citerons que le Ruatara ou igmane, (Tiliqua Zodan- dica ), et le Kakariki ( NauUinus élégans). Le premier a environ 16 pouces de long-, dit Taylor ; sa tête est grosse et son œil doux. Il a une rangée d’épines blanches sur le dos, avec quelques-unes pareilles, mais noi- res sur la queue. Ses dents sont arrondies, et sa langue triangulaire. Ses orteils sont déliés et, quand il se chauffe au soleil, il se met sur le dos. On ne le trouve que sur les petites îles du détroit de Cook ou sur la côte Est de l’ile- Nord. Il est de couleur brun foncé, mélangé de jaune. Les naturels en ont horreur, quoiqu’il soit tout-à-fait inoffen- sif. Le second est un beau lézard vert, luisant, d’environ huit pouces de long. On dit que des lézards noirs, ayant du poil ou du duvet, et longs de quatre pieds, abondent dans le lac du Jade vert sur rile-du-Milieu. Un nommé Hawkins, qui a habité cette partie de l’île pendant plusieurs années, passe pour avoir pris un de ces lézards, qu’il aurait tenu attaché à l’aide d’une chaîne à chien > Ils sont amphibies. Les naturels de Waïkato, de même que les habitants de quelques autres points de la Nouvelle-Zélande, rapportent qu’à l’arrivée de leurs ancêtres (à l’Ile-Nord), il y existait des reptiles amphibies, ressemblant, par la forme et l’as- pect, au Ngarara ou iguane, mais d’un volume si considé- rable qu’ils étaient capables de dévorer un homme avec la plus grande facilité. Une de leurs traditions dit qu’un de ces animaux vivait dans les environs de Pirongia, et qu’il finit par être tué, après avoir dévoré plusieurs personnes de la tribu. Les naturels de Roto-Rua ont également une tradition d’après laquelle leurs ancêtres prirent un pareil monstre à l’aide d’un piège. La même tradition est retrouvée dans le détroit de Cook. Faut-il en conclure, dit Short land (1), qu’un énorme sau- (1) Ouvr. cité, p. 72. l.LS POLYNÉSIENS. 4D rien, ressemblant au crocodile, a autrefois été indigène à la Nouvelle-Zélande ? Il pense que cela ne sera admissible que quand on aura rencontré quelques restes fossiles. En attendant, il aime mieux reléguer la tradition parmi les anciennes fables, et supposer que les N o u veaux-Zélandais ont rapporté à la Nouvelle-Zélande des évènements fabu- leux, ou qui pouvaient être arrivés dans la contrée d’où ils venaient. Amphibies. — Jusqu'à ces derniers temps on n’avait pas cru qu’il existât des grenouilles à la Nouvelle-Zélande ; M. Pollack avait bien dit qu’il n’avait pas pu dormir à cause de leurs coassements; mais aucun autre voyageur n’en avait rencontré, quoique le pays eût été traversé en tout sens. La découverte des grenouilles était réservée aux chercheurs d’or du havre Coromandel : ce fut dans ce lieu qu’ils en trouvèrent trois petites en 1852. « Plus tard, dit Taylor, j’ai appris qu’on en avait rencontré par hasard une dans le voisinage d’Auckland. Excepté ces cas, je n’en ai vu aucune, et je n’ai pas appris que d’autres en aient vu : elles doivent être excessivement rares, et si je n’avais pas entendu dire par les indigènes qu’il y a une grosse gre - nouille sur l’île Mana, j’aurais été porté à croire que celles de Coromandel y avaient été apportées accidentellement de Sydney. Les indigènes en décrivent une grosse qu’ils ap- pellent Mokomokai et A-maru-te-ware-aïtu. Ils disent qu’elle a été autrefois très abondante sur cette île, quelle était aussi grosse qu’un poulet et que, dans son état de tê- tard, elle avait plus d’un pied de long. Ils affirment aussi qu’il y en avait une plus petite dans la même localité, mais l’existence du têtard de grenouille ne repose que sur leurs récits. » Nous ne ferons qu’une seule remarque à ce sujet, c’est que les indigènes n’ont pas de noms pour désigner les gre- nouilles. Poissons. — Coquilles. — Nous avons dit que les poissons de la Nouvelle-Zélande sont très nombreux. Nous renvoyons, 4. m. 50 LES POLYNÉSIENS. pour ce qui les concerne, à la longue et savante liste qu’en donne Taylor. Ika est le nom générique de tous les poissons. A part l’anguille, qui atteint quelquefois le poids de 50 livres, il n’y a pas de poissons d’eau douce. En ce qui concerne les coquilles, le nom des univalves est Pupu ; celui des bivalves est Pipi et Anga. Pupu-rangi, coquille du ciel, est le nom de YHelyx Bus - byi. Cette belle coquille se tient au sommet des grands arbres des forêts, d’où elle tombe pendant les grands vents : de là son nom. On ne la trouve pas plus au Sud qu’ Auc- kland, dans riie-Nord. Sir Grey en a trouvé un échantillon dans la baie du Massacre de l’He-du-Milieu. Pupu-harakeke, est le Bulimus Hongi de R. P. Lesson qui, le premier, l’a fait connaître. Ce bulime abonde près du cap Nord, sur les Phormium. Enfin nous nous bornerons à mentionner, en terminant, un curieux animal-plante, particulier à la Nouvelle-Zé- lande, dont Taylor a donné la description et la figure aux pages 422 et 425 de son livre : c’est la Chenille-jonc, Sphœ - via Robert sia des naturalistes, Aweto-hotete des indigènes. En résumé, ainsique nous l’avons déjà dit en discutant l’hypothèse d’un continent submergé (1), l’ossature de la Nouvelle-Zélande, surtout celle de l’Ile-du-Milieu, est for- mée par une puissante formation de roches serpentineuses. Puis viennent des terrains cristallins, au-dessus desquels se sont déposés des couches métamorphiques et des sédiments plus récents, associés à des mélaphyres et à d’autres roches éruptives. Cette constitution géologique montre que la Nouvelle- Zélande a dû, à une époque, faire partie d’un massif conti- nental plus étendu. Les plaines se seront alors affaissées en suivant une direction du Sud-Est au Nord-Ouest. La dou- ble ligne de faîte de la Nouvelle-Zélande, parallèle aux systèmes de soulèvements des Alpes principales et du Ténare, se prolonge, au Nord, jusqu’à la Nouvelle-Calédo- (1) 1er vol., p. 426, note. LES POLYNÉSIENS. 51 nie, en passant par les îles Ring* et Norfolk, et traverse, au Sud, les îles Auckland., Campbell, Macquarie, Balleny, pour aboutir à la terre Victoria, dominée par les monts Melbour- ne, Terror, Erebus, d’une hauteur de 3900 à 4000 mètres. La preuve que la Nouvelle-Zélande a été reliée à des terres australes disparues, c’est qu’elle a une faune et une flore spéciales, qui doivent la faire regarder comme un cen- tre de création. Tout tend à prouver qu’à une époque géolo- gique peu reculée, les îlots épars autour des deux grandes îles formaient avec elles un continent dont ils ne sont plus que des débris. On trouve, en effet, sur quelques-uns de ces îlots, de même que sur les grandes îles, des espèces animales et végétales des plus caractéristiques et spécia- les à cette contrée. La faune et la flore viennent donc cor- roborer la géologie. C’est la région du monde où croissent les Phormiums, qui existent également aux îles Norfolk, Chatham et de l’Anti- pode. C’était le pays des oiseaux gigantesques, aujourd’hui disparus, tels que les Moa ou Dinornis. C’est là seulement, et nulle part ailleurs, que vivent les Aptéryx, oiseaux de la taille d’un dindon, ne volant pas, faciles à prendre dans leurs terriers, et qui seront bientôt presque tous détruits. Les Nestors, type de perroquets particulier au pays, se re- trouvent aux îles Chatham. La perruche de la Nouvelle-Zélande, ( Platycercus Novœ - Zélandiœ), habite les grandes îles et, plus au Sud, les îles Auckland ; à l’Est, les îles Chatham, l’île de l’Antipode, et jusqu’à l’île Macquarie, peu éloignée de la grande banquise. Or les perroquets ne franchissent jamais de grands espaces et ne vivent guère que dans les pays chauds. C'est encore là un indice que toutes ces îles ont été jadis réunies, et qu’elles ne sont séparées que depuis une époque géologi- que fort récente. Bien mieux, il existe à la Nouvelle-Zé- lande un perroquet d’un vert gris, gros comme une poule, qui ne perche pas et qui se loge dans les trous : cest le Strigops, véritable oiseau de nuit, contrairement à ce qui a lieu pour tous les autres perroquets. Or, ce perroquet noc- 52 LES POLYNESIENS. turne, incapable d’exécuter un long* voyage, se retrouve aux îles Chatkam, distantes de 160 lieues environ. Il faut donc admettre que, du 34e au 549 degré de latitu- de australe environ, existait, dans les temps géologiquesmo- dernes, un continent qui n’a laissé, comme témoins de son existence, que deux grandes îles, une île moyenne et un certain nombre d’îlots. Nous venons de voir que Taylor, se basant sur la dispro- portion des plantes mono et dicotylédones, était disposé à regarder les îles de la Nouvelle-Zélande comme ayant été séparées d’autres terres à une époque reculée. « Ce fait, dit- il (1), joint à l’absence totale de quadrupèdes et à l’ancien- ne existence d’un grand nombre d’oiseaux à âiles rudimen- taires, peut être regardé comme la preuve qu’elle a été séparée d’autres parties, dans les plus anciens temps et qu’elle a ainsi conservé sa flore primitive : elle est encore dans son âge de fougère. » Nous avons vu également que Thompson se demande, à propos des Moa, si la Nouvelle-Zélande n'était pas un grand continent, lors de la création de ces oiseaux gigantesques, dont autrement, dit-il, il serait difficile de comprendre l’existence sur une terre aussi restreinte. (1) Ouv. cité, p. 433. CHAPITRE DEUXIEME MAORI. Population de la Nouvelle-Zélande. — Evaluations contradictoires faites par les voyageurs. — Recensements. — Extinction graduelle des indigènes, — Etymologie du mot Maori.-— Division des Maori en nations, tribus et sous-tribus. — Opinions de Shortlandet de Thompson. — Iwi ; Ha- pu. — Devises caractéristiques des tribus. — Signification du mot Ngati. — Unité de race à la Nouvelle-Zélande. — Examen critique des opinions contraires. — Caractères physiques des Néo-Zélandais, d’après les différents observateurs: Crozet; d’Urville ; Moërenhoüt ; Dief- fenbach ,* Shortland ; Taylor; Thompson. — Les Maori ne for- ment qu’une seule race et ne parlent qu’une même langue. - Les variétés signalées parmi eux ne sont que de simples nuances. — • Ca- ractères physiques des Néo-Zélandais, d’après nous-même. — Leurs caractères crâniens. — Portraits de Néo-Zélandais. — Les Maori étaient le plus beau type de la race polynésienne. — Comparaison de leurs caractères physiques et moraux au commencement du siècle et à notre époque : Quoy ; Marsden ; Thompson. Population. — En 1830, d’Ur ville pensait qu’en prenant 50,000 habitants pour l’ile Tavai-Pounamu, et en en don- nant 200,000 à Ika-na-Maui, on ne pouvait pas commettre une grande erreur. Voici ce qu’il dit à cet sujet (1) : & Forster ne porta qu’à cent mille le nombre total des habitants ; mais il est hors de doute que cet observateur, (1; T. II, 2e partie p. 571. 54 LES POLYNÉSIENS. disposé à F exagération pour d’autres archipels et notam- ment pour les îles de la Société, était resté au-dessous de la vérité pour la Nouvelle-Zélande. « M. Kendall m’a souvent dit que Ika-na-Maui pouvait compter un million d’habitants. M. Williams estimait le nombre à 500,000, enfin M. Nicholas le réduisait à 150,000. Pour moi, je pense qu’en prenant pour Ika-na-Maui le chiffre de 200,000, on ne pourra pas commettre une grande erreur. Quant à Tavaï-Pounamou, on ne peut guère lui don- ner plus de 50,000 habitants. L’introduction des armes à feu a été funeste à certaines parties de cette contrée. Les habi- tants de Hurald et des rives de la haie d’ Abondance jusqu’au cap Est, en ont souffert d’une manière cruelle, et des contrées, naguère occupées par une population nombreuse, sont aujourd’hui presque entièrement désertes. » Faisons remarquer que c’est à peu près dans une même période que toutes les estimations ontété faites parles voya- geurs et les missionnaires ; il en est bien probablement de ces estimations comme de celles de Tahiti, c’est-à-dire qu’elles ont été exagérées dans un sens ou dans l’autre. Mais il n’est pourtant pas moins vrai que, jusque dans les derniers temps, la population de la Nouvelle-Zélande a été portée à un chiffre considérable par tous ceux qui en ont parlé. D’Urville, en ne lui donnant que 250,000 âmes ne l’exagérait certainement pas. Nous croyons qu’il était particulièrement au-dessous de la vérité, quand il n’attribuait que 50,000 âmes à la grande île du Milieu, qu’il appelle Ile-Sud (1), et qu’il connaissait à peine, puisqu’il n’avait vu qu’un seul point de cette île, dans le détroit de Cook. Il fondait son opinion sur ce que les intempéries, plus grandes sur la côte Ouest de cette île, empêchaient qu’elle ne fut habitée. Aussi n’a- t-on cessé, depuis lui, de répéter que la côte occidentale était déserte, à cause de la violence des vents qui s’y font sentir. On sait aujourd’hui avec certitude que cette île était non seulement plus peuplée qu’on ne croyait, mais qu’elle (I) D’après Cook qui croyait que l’île Stewart faisait partie de la grande île dite aujourd’hui Ile-du-Milieu, LES POLYNÉSIENS. 55 était habitée même sur sa côte Ouest, qu’on disait si déserte. Elle l’est même encore dans une foule de points, sur cette côte, malgré les émigrations qui ont eu lieu autrefois et dont nous aurons à parler plus tard. Déjà, du reste, M. César Moreau avait cherché à rectifier l’exag*ération de cette opinion, dans un tableau qui a été pu- blié à Londres en 1827. Comme on l’a vu, la Nouvelle-Zélande méridionale ou Tavai-Pounamu est plus grande que la N ouvel- le-Zélande septentrionale, ouIka-na-Maui, puisqu’elle mesu- re 36, OOOmilles carrés contre 26,000. Au lieu d’une population aussi inférieure que celle estimée par d’Urville, M. Moreau lui donnait 90,000 habitants, et il réduisait, au contraire, à 70,000 celle que d’Urville disait être de 200 mille, sur l’Ile- Nord, Nous n’aurions pu dire à cette époque si les données de cet écrivain étaient plus exactes ; mais, avec les faits modernes, avec la connaissance des traditions maori, mises en lumière dans ces derniers temps, nous serions porté à le croire. Ün verra bientôt que, si l’Hawahiki était véritable- ment placé là où nous croyons qu’il l’était, il faut admettre, au contraire, que cette terre était autrefois très peuplée pour avoir pu fournir à l’Ile-Nord autant d’émigrants qu’elle en a fourni, d’après les traditions elles-mêmes. Peut-être même pourrait-on trouver, dans ces émigrations répétées, l’expli- cation du nombre restreint d’habitants rencontrés par les premiers explorateurs sur une île aussi étendue que l’Ile-du- Milieu. Voici, du reste, les estimations successives faites pour tout l’Archipel : En 1769, Cook portait la population à 400,000 habitants; En 1778, Forster 100,000 — En 1815, Nicholas 150,000 — En 1815, Williams 500,000 — En 1815, Kendall 1,000,000 — En 1830, d’Urville * . 250,000 — En 1843, Dieffenbach 114,000 — En 1849, lapopulat. n’était plus que de 109,000 — En 1854, Shortland la portait à 100,000 — En 1855, Taylor 65,000 — 5G LES POLYNÉSIENS. En 1859, Thompson 54,600 habitants. En 1878, dernier recensement 42,819 — Quel qu’ait pu être le chiffre véritable, il faut bien recon - naître, malgré les assertions contraires de Thompson et autres, que le contact européen a été plus nuisible qu’utile aux populations de la Nouvelle-Zélande. On ne peut que gémir sur une diminution aussi rapide, et qui n’a certes pas été entravée, au contraire, par les conflits survenus entre les Maori et leurs protecteurs. Il est même surprenant que les guerres d’extermination des Anglais et surtout l’action des liqueurs fortes et empoisonnées vendues par leurs commerçants, n’aient pas encore complètement détruit les Néo-Zélandais, comme l’ont été les Tasmaniens par les mêmes procédés des mêmes civilisés. D’autres causes encore viennent contribuera cette effrayan- te dépopulation. En outre des guerres, il faut mettre en pre- mière ligne l’intempérance provoquée par les dominateurs étrangers, et le défaut de précautions hygiéniques qui pré- parent le terrain à la tuberculose, à la rougeole, à la coque- luche, h la fièvre typhoïde, à la variole et à d’autres épidé- mies. Mais une des causes les plus saisissantes consiste dans la diminution des femmes : dans certains districts, il ne naît plus de filles. (1) A mesure que la mortalité augmente, la natalité diminue ; en 1859, d’après Colenso, un seul chef, sur onze mariés dans la même tribu, avait des enfants. Le capi- taine Delapelin, sur 80 Sandwichiennes mariées, n’en trou- vait que 39 qui fussent mères. Dans la baie Taio-Hae, des Marquises, le capitaine Jouan n’a constaté, en trois ans, que 3 ou 4 naissances, tandis que le chiffre des habitants descen- dait de 400 à 250. Car la dépopulation atteint tous les archipels polyné- siens : En 1778, les Sandwich avaient 300,000 habitants ; en 1861 elles n’en avaient plus que 67*084; Tahiti, de 240,000, en 1774 (2), est tombé en 1857, à 7,212. 11 en est de même pour (I) Voy . Revue d'Anthrop, 1879, p. 367. (1) Ce chiffre, donne par Cook, est évidemment exagéré. La po- pulation ne semble pas avoir dû jamais dépasser, 30 à 40,000 habi- LES POLYNÉSIENS. 57 les Samoa et les Tunga qui commencent à être fortement atteintes. Dans la lutte entre les envahisseurs et les indigènes, la victoire, pour le règme animal, comme pour le règne végé- tal, s’est surtout déclarée en faveur des envahisseurs ; mais nulle part le fait n’est aussi frappant qu’à la Nouvelle-Zé- lande, où les espèces européennes, loin d’avoir à luiter, sem- blent acquérir d’emblée une vitalité nouvelle. Partout, les flores et les faunes indigènes disparaissent en même temps que l’homme lui-même. Les races européennes prospèrent merveilleusement, là même où s’éteint la race indigène ; et, d’après M. de Quatre fages (1), il en serait de même pour les métis, quoiqu’il ne fasse qu’effleurer légèrement ce sujet : Il est vrai que la plupart des observateurs s’accordent pour reconnaître le contraire. Cette dépopulation graduelle des îles polynésiennes, dépo- pulation que l’on a attribuée surtout aux maladies importées, à la phthisie, à la syphilis, àla petite vérole, ainsi qu’à l’asser- vissement, aux changements de coutumes, etc., a, suivant nous, pour cause dominante, capitale, l’abus des liqueurs al- cooliques, abus auquel on pousse surtout les femmes, et par suite, les débauches, les excès auxquels elles se livrent avec les Européens, sans parler des avortements et des maladies de toute sorte qui résultent de leur dévergondage à ou- trance. Ne savons-nous pas que chez nous aussi les femmes publiques deviennent stériles ? La race polynésienne, quoi- que toujours jeune, ne semble plus être aujourd’hui qu’une race usée, vieillie, au contact malsain des envahisseurs étrangers. Si sa faculté g'énésique s’épuise depuis que nous vivons avec elle, ce n’est pas tant par suite de la lutte pour l’existence, c’est tout simplement, ce qui est bien plus grave, pai* suite d’un empoisonnement conduisant à sa des- truction progressive. Il y a là une des plus vastes questions sociales qui s’imposent aux méditations du moraliste. Les voyages de découvertes ont été plus nuisibles qu’uti- tants. Il faut, du reste, se défier beaucoup des évaluations appro- ximatives faites par les premiers explorateurs. (1) Revue scientifique , 9 juin 1877. 58 LES POLYNÉSIENS. les au bonheur de l’espèce humaine en général, et surtout au bonheur des peuples découverts. Sans contredit, les dé- couvertes ont profité aux peuples qui les ont faites : elles leur ont donné la richesse ; elles leur ont permis de placer et d’utiliser le trop plein de leur population ; mais à quel prix ? En exaltant le fanatisme, en corrompant les mœurs des nations. N’est-ce pas la soif de l’or et du sang, inspirée par la conquête du Nouveau-Monde, qui, dans une large mesure, a contribué à éveiller des appétits inconnus, à as- souvir des passions latentes, à perpétrer des crimes et des forfaits inouis, à légitimer cette conception inique : la force prime le droit ? Quant aux nations conquises, elles n’ont eu qu’à souffrir tandis que les conquérants s’enrichissaient à leurs dé- pens. En Océanie, les naturels n’ont obtenu de notre con- quête d’autres résultats que la spoliation, la démoralisa- tion, la dépopulation graduelle. De Tahiti aux Marquises, de hile de Pâques à la Nouvelle-Zélande, un concert de malé- dictions pourrait s’élever unanime contre l’influence néfaste des envahisseurs étrangers. « Après toutes les observations que j’ai pu faire dans mes voyages, disait Madame Pfeiffer, (1) non seulement dans l’Inde Hollandaise, mais aussi dans toutes les contrées en dehors de l’Europe, je serais presque tentée d’affirmer que les peuples les plus heureux sont ceux qui ne sont pas tom- bés sous la domination des blancs. Ils ont sans doute aussi leurs souffrances et bien des vexations à subir ; mais cer- tainement elles sont moins affreuses que celles que leur font essuyer les cupides Européens. » De son côté, Hamilton, médecin de la Pandora , s’écrie (2) : « Heureux aurait été le peuple de Tahiti s’il n’avait jamais été visité par les Européens. Car, à notre honte, on peut dire que la maladie et la poudre à canon sont les seules choses ou le seul bénéfice qu’ils aient reçu de nous en retour de leur hospitalité et de leur douceur. » (1) Mon premier voyage, p. 305. (2) A Voyage round the World , p. 54. LES POLYNÉSIENS. 59 MAORI est le nom que se donnent les habitants de la Nouvelle-Zélande, quelle que soit Tîle : ce nom signifie « naturel, indigène, du pays. » D’après Taylor, le mot Maori a la signification du mot maure ou nègre ; il lui ressemble, en effet, mais il ressem- ble surtout au mot Mauri, qui était employé anciennement. La racine de ce mot, dit-il, est uri , signifiant noir : d’où mauri , le cœur, le sang noir. Uri est, en outre, la racine de plusieurs autres mots, tels que pouri , nuit ; kokouri , som- bre, nuageux ; wheuri , eau noire, profonde ; tua uriuriy amoncellement de nuages noirs ; kauri , Dammara austra - lis , pin dont la résine brûlée est noire et sert au tatouage. Mais Uri , et c’est sans doute sa véritable signification, veut dire aussi : postérité, descendance ; ou mieux, origine, vestige : Uri Tangata , le commencement de l’homme. Le mot maori, en somme, est le contraire du mot pakeha étranger. Pourtant, il doit signifier plus encore, puisqu’on l’applique à l’eau douce, et que l’on dit : he waï maori Brassac, au contraire, (. Archives de médecine navale , 1876, p. 322), dit que les femmes sont généralement petites, laides, à chevelure noire, épaisse, non laineuse, à peau jaune, à nez épaté, avec des yeux grands et noirs, la bouche large, les lèvres épaisses. LES POLYNÉSIENS, 95 accrues chez ceux-ci par suite de leur mélange avec les Po- lynésiens-Micronésiens et les Mélanésiens, avant leur arrivée à la Nouvelle-Zélande. » Ainsi, comme ses devanciers, M. Thompson admet trois espèces d’hommes, formant la race mélangée qui, suivant lui aussi, occupe la Nouvelle-Zélande. Il suppose seulement que le mélange avec les Mélanésiens a dû s’opérer pendant le trajet des émigrants, parce qu’il n’admet pas que l’Ile -Nord de la Nouvelle-Zélande fût habitée avant leur venue : pour- tant les traditions l’établissent d’une manière irréfu- table. Il fait venir de Sumatra deux races d’ émigrants : la brune, celle des Polynésiens, se subdivisant en vrais Polynésiens et en Micronésiens, et la noire, celle des Mélanésiens. Il sem- ble donc en résulter que, pour lui, l’une des trois variétés ne devait être que le résultat du mélange des deuxautres. C’est, sans doute, celle qu’il appelle rougeâtre. Il est bien remar- quable que Thompson, qui a écrit en 1859, après dix années de séjour à la Nouvelle-Zélande, ne cite pas une seule fois les cheveux laineux que quelques observateurs ont cru voir ; il ne parle que de cheveux' crépus ou frisés, et encore a-t-il le soin de faire observer qu’ils ne poussent pas comme ceux des nègres, c’est-à-dire par touffes, ainsi que Sliortland l’avait avancé. Pour lui, le nez est généralement court et large, et il cite les nez juifs de Rotorua, comme Taylor a cité ceux des Ngatiwhakawa ou Ngatiwhakane, qui semblent être de la même famille. Il fait remarquer, pour la première fois, l’abondance de la barbe, quand elle est conservée par les indigènes. Enfin il cite un fait, à notre avis plus impor- tant que tous les autres, si l’observation est exacte, ce dont nous ne doutons pas, c’est que les os de l’avant-bras sont plus longs et que ceux des jambes sont plus courts, comparés aux os des mêmes parties chez les Européens. La longueur du tronc est également relativement plus grande. Quelle que soit l’importance des observations et des re- marques de M. Thompson, cela suffit-il pour qu’on admette avec lui les trois variétés qu’il reconnaît daus la population de la Nouvelle-Zélande ? Nous ne le pensons pas. Il nous 96 LES POLYNÉSIENS. semble même que les chiffres proportionnels qu’il donne seraient plutôt faits pour faire douter de leur existence : Il est difficile de comprendre que dans une tribu, aussi mé- langée que l’on voudra, il n’y ait seulement que 10 ou 3 per- sonnes sur 100, des deux variétés inférieures. Pour nous, nous l’avons déjà dit, toutes ces variétés, comme toutes celles admises par les prédécesseurs de Thomp- son, sont identiques à celles que l’on rencontre dans la race blanche elle-même. Elle sont dues aux causes que nous avons indiquées, causes qui font qu’en Europe, par exem- ple, telles familles, tels membres d’une famille sont ou plus blancs ou plus noirs, ou bien bâtis ou mal conformés ; que telles populations l’emportent en beauté sur d’autres, etc. Mais elles ne proviennent pas de mélanges, qui étaient impossibles à la Nouvelle-Zélande, avant l’arrivée des Eu- ropéens, par suite de son isolement complet, dû à sa position et aux vents ordinairement régnants. Ces variétés, en un mot, ne sont que des nuances, et Ton s’est évidemment mépris quand on a cru voir autrefois, comme on le dit, une prédominance de sang nègre chez les Maori. S’il y a quelques métis nègres aujourd’hui, cela n’a lieu que depuis une époque assez peu reculée : avant, il ne pouvait pas en naître, toutes les tribus des deux grandes îles appartenant à une même race, parlant absolument la même langue ou ses dialectes, langue qui est pure elle- même de tout mélange. Cette pureté de langage n’existerait certainement pas si plusieurs races se fussent trouvées en contact pendant un temps plus ou moins long. C’est donc avec raison, à notre avis, que Dieffenbach a dit : il serait bien étrange qu’aucune trace des populations qui auraient précédé les Maori, ou seraient venues se join- dre à eux, n’eût été conservée ni par le langage, ni par les traditions. Et il avait peut-être d’autant plus raison de le dire, que les vaincus n'adoptent pas aussi aisément qu’on semble le croire la langue de leurs vainqueurs, surtout quand les deux langues diffèrent autant que le Mélanésien du Polynésien. Si le fait avait eu lieu à la Nouvelle-Zélan- de, il aurait dû en rester quelques traces : or, jamais au- LES POLYNÉSIENS. 97 cun observateur, ni les studieux Williams et Taylor, ni les autres missionnaires anglais, n’ont signalé rien de pareil dans le langage ; ils ont vu des différences locales, mais toutes découlant d’une même langue, la langue Maori, parlée dans tout le groupe, avec des formes qui, comme celles de la race elle-même, dépendaient parfois des localités : ils ont constaté des locutions particulières, mais toujours propres au Maori, et sans la moindre apparence d’une autre langue. Il y aurait à faire sur ce sujet de bien curieuses études ; mais il n’appartient guère qu’à ceux qui ont résidé long- temps à la Nouvelle-Zélande de s y livrer avec fruit. En résumé, de même qu’il n’existe qu’une seule langue à la Nouvelle-Zélande, de même il n’y a, pour nous, qu’une seule race dans tout le groupe des îles qui portent ce nom. Voici les principaux caractères physiques, que nous avons nous-même observés sur les lieux, dans le détroit de Cook, au Cap Est, dans la baie d’Abondance, la baie des Iles, etc., avant que le contact des Maori avec les blancs et les noirs ne les eût altérés, sans parler des nouvelles habitudes con- tractées par un grand nombre de tribus, des vices de toutes sortes qu’elles ont pris aux Européens et de la démoralisa- tion qui s’est emparée de la plupart d’entre elles. Ces caractères sont : Front plus ou moins haut, un peu fuyant, variant de lar- geur ; Cheveux épais, noirs, lisses, bouclés ou frisés, parfois, mais rarement, de couleur rouille sale; d’autres fois, crépus, jamais laineux ; Nez aplati, large à sa base, parfois convexe, ne parais- sant autant aquilin à l’œil que par suite de la forme du tatouage qui le recouvre, et de la saillie plus grande des os nasaux ; Yeux grands, noirs, à cils longs et noirs, surtout chez les femmes, surmontés de forts sourcils, vifs, expressifs ; bouche grande, avec de belles dents ; lèvres fortes et épais- 98 LES POLYNÉSIENS. ses ; barbe fournie noire» devenant blanche, de même que la chevelure, chez les vieillards ; Oreilles plutôt grandes que moyennes ; Mains petites chez les femmes, mais fortes chez les hom- mes, de même que les pieds ; Membres vigoureux ; Taille variable. L’indice céphalique des Néo-Zélandais est de 75, c’est» à-dire sensiblement égal à celui des autres Polynésiens ; mais leur indice nasal, 52.80, est un peu plus élevé que ce- lui des Tahitiens, 51.50, et surtout des Marquésans, 49.25. M. Broca (1) explique cette augmentation de l’indice nasal en disant que les Mélanésiens ont été les premiers habitants de la Nouvelle-Zélande, et qu’il reste encore des noirs dans les montagnes centrales des deux îles principales. Nous ne partageons pas cette manière de voir, surtout la dernière ; mais nous devons néanmoins faire remarquer que si les Néo-Zélandais eussent primitivement possédé l’indice nasal des Tahitiens, par exemple, cette augmentation s’explique- rait parfaitement par leur croisement avec la race noire papua, si elle avait existé sur l’Ile-Nord avant ou après leur arrivée. On voit donc quelle importance il y aurait à sa- voir si, dans l’Ile-du-Milieu, la moyenne de l’indice nasal diffère de celle de l’Ile-Nord. Si, à ces caractères, on ajoute ceux que Dieffenbach donne à la tète, dans les deux races admises par lui, ainsi que ceux que Thompson donne à la longueur ou à la brièveté relative de certains os, on a, à notre avis, les véritables ca- ractères physiques des Néo-Zélandais. 11 importe toutefois de dire quelques mots sur la couleur de leur peau. Bien que les Néo-Zélandais habitent en de- hors des tropiques, cette couleur, en général, est un peu plus foncée que celle de la plupart des chefs des îles inter - tropicales ; elle se rapproche de celle des habitants des Paumotu. Mais cela semble être dû surtout à certains usa- ges, à une plus grande activité, à moins de précautions et (1) Revue d*. Anthropologie , 1872, Recherches sur l'Indice nasal. LES POLYNÉSIENS. 99 aux intempéries plus considérables du pays (1). Ainsi que Crozet l’a remarqué le premier, beaucoup d’hommes et de femmes sont non seulement de la couleur des habitants des îles Tunga et Tahiti, mais même de celle des Européens du Midi. Il n’est pas douteux que si le climat de la Nouvelle- Zélande permettait, aussi bien que celui des îles Océanien- nes, de se baigner fréquemment, si le genre de vie était le même, si au lieu d’ocre on employait le hena avec l’huile, etc., les corps de Maori paraîtraient à l’œil beaucoup moins bruns qu’ils ne le sont. Qui ne sait que les sauvag*es des îles Paumotu, complè- tement polynésiens sous tous les rapports, de même que les habitants de l’Ile de Pâques, sont plus bruns parce que l’eau douce abondante manque sur leurs îles, et parce que, faute d’arbres, ils se garantissent plus difficilement des rayons solaires ? Il leur suffit de vivre pendant quelque temps sur les îles hautes, pour prendre une couleur moins foncée. Qui ignore que les sauvages de Van Diemen, que, du temps de Péron, on regardait comme une espèce de nègres, à cause de leur couleur surtout, ne devaient cette couleur qu’à la couche épaisse de cosmétique ou de malpropreté qui les recouvrait ? Dès que cette couche était enlevée, elle lais- sait voir une teinte infiniment moins forte. Comme en Polynésie d’ailleurs, mais en proportion moin- dre, les chefs, à la Nouvelle-Zélande, sont généralement moins foncés que le peuple, mais, là aussi pourtant, rien n’est plus commun que d’en voir de fort bruns. Nous ferons enfin observer que les chefs Zéla,ndais n’ac- quièrent jamais cet embonpoint auquel arrivent si généra- lement les chefs polynésiens : cela tient à une vie plus ac- tive, à moins de soins et de ménagements, à l’influence du climat et à une alimentation moins facile et moins abon- dante. Nous pouvons dire, à cette occasion, après avoir vu près (1) Nous rappellerons, à cette occasion, qu’à Tahiti, le guerrier Hitoti, mort pendant le Protectorat, était noir comparativement â son frère, l’orateur Upufara, qui sortait moins et prenait plus de précautions que lui. 100 LES POLYNÉSIENS. que tous les portraits de Nouveaux-Zélandais qui ont été publiés, que si l’on veut en avoir une idée à peu près exacte, il faut s’adresser à ceux qui figurent dans l’Atlas de l’As- trolabc. Le peintre de cette expédition, M. de Sainson (1), a rendu si exactement la plupart, que nous croyons, en les regardant, voir les personnages qu’ils représentent. Nous nous bornerons à citer le chef de Uaua et sa femme. C’est ce chef dont parle d’Urville sous le nom de Rau Tangi (2). Mais il faut se garder de chercher le type Zélandais dans l’Atlas de Labillardière, car il y est excessivement mal ren- du : l’homme y est représenté comme le dieu d’un fleuve grec, et la jeune femme semble avoir été dessinée d’après quelque grisette d’atelier. Il résulte évidemment de toutes les observations faites par les voyageurs, que les Maori ont complètement les ca- ractères de la famille polynésienne : en réalité, à part l’in- dice nasal, il n’y a véritablement d’autres différences que celles résultant d’un climat plus rude ; car nous l’avons dit, le langage lui-même est identique. Si beaucoup d’écri- vains ont cru qu’il différait du Polynésien, c’est, nous le montrerons, parce qu’il est plus complet, plus mâle, qu’en un mot il possède, sans qu’on s’en soit aperçu, tous les ca- ractères d’une langue mère. Nous le répéterons donc : si les Nouveaux-Zélandais sont plus robustes et plus endurcis que les Polynésiens, c’est parce qu’ils sont exposés à de plus grandes privations, à de plus nombreuses vicissitudes atmosphériques, et particu- lièrement à un abaissement de température parfois assez considérable, sans parler des guerres incessantee auxquelles ils se livrent, etc. Par suite, leur physionomie a dû prendre nécessairement un caractère plus sévère, et l’espèce de ta- touage adoptée n’a pas peu contribué à augmenter cette sévérité. Mais, sous tous les autres rapports, ce sont abso- lument les mêmes caractères physiques extérieurs que ceux possédés par les Polynésiens. (1) M. de Sainson est mort à Paris en novembre 1874. (2) Voyage de l Astrolabe , t» II, lre partie, p. 104 LES POLYNÉSIENS. 101 Aussi est-ce ce qui a fait dire, avec raison, parBory de Saint- Vincent, que les hommes et les femmes de la Nouvelle- Zélande l’emportentsur les autres Polynésiens (1). O’estmême ce que disait M. de Quatrefages, peu avantageusement peut-être pour la question qu’il soutenait, quand il écri- vait: (2)« La conservation du type dans des îles très éloignées, et sous des latitudes très diverses, se comprend très bien, si l’on songe que le climat des îles varie infiniment moins que celui des continents, lorsque la latitude change. Les conditions du milieu sont donc à peu près les mêmes dans la plupart des archipels de la Polynésie, et, dans ces archi- pels, les hommes se ressemblent beaucoup. Mais, dans le groupe de la Nouvelle-Zélande, où le climat est tout -à-fait différent, les hommes se présentent à nous avec des carac- tères qui les distinguent des autres Polynésiens, et les Néo-Zélandais sont supérieurs aux autres insulaires. » 11 est vrai qu’une quinzaine d’années plus tard, M. de Quatrefages, dans un discours prononcé à une séance gé- nérale de la Société d'acclimatation, se contredit de tout en tout et arrive à des conclusions diamétralement oppo- sées (3). Après avoir dit : « Les Malaisiens de Bouro se sont donc merveilleusement acclimatés en Polynésie, » il ajoute que le changement de climat ne fut pas favorable à toutes les populations et principalement à celles de la Nouvelle- Zélande. « On comprend, dit-il, que les populations façon- nées aux chaleurs des tropiques ont du souffrir sous ce nouveau climat. Peut-être faut-il attribuer à cette cause la diminution de la taille dans les familles des chefs, diminu- tion signalée dans les récits historiques et constatée par les observations comparatives faites à Tahiti et à Samoa. Quoi- qu’il en soit, lors delà découverte de la Nouvelle-Zélande les Maori étaient parfaitement acclimatés. » Cette prétendue diminution de la taille ne vient ici que pour les besoins de la cause. C’est une erreur évidente, car (1) L'homme , Liv. I, p. 299. (2) Bulletins soc. d' Anthrop. 1860, p. 201 et Revue des Deux-Mon- des, 1864. (3) Revue scientifique , 9 juin 1877. 102 LES POLYNÉSIENS. les chefs et les guerriers maori vus par nous en 1827, étaient des plus grands et des plus beaux parmi les Polynésiens ; ils n’auraient certainement pas formé une population aussi vigoureuse, s’ils étaient venus de l'Equateur dans les régions australes. Le chef Rangi, de la baie Huraki, ne mesurait pas moins de 5 pieds 9 pouces, et la plupart de ses guerriers avaient une taille pareille. Quoiqu’il en soit, la Nouvelle-Zélande possède, suivant nous, non -seulement une population identique à celle de la Polynésie, mais une population qui n’est formée que par une seule et même race, dont nous ferons bientôt connaître le lieu d’origine. Cette opinion n’est pas seulement la nô- tre, c’était celle que formulait, dès 1827, le naturaliste Quoy, compagnon de d’Urville (1). Nous croyons devoir citer en entier son appréciation qui résume parfaitement ce qu’était, à cette époque, la Nouvelle-Zélande, ou du moins ses habitants, sous le rapport des caractères physiques : « Après avoir parcouru la moitié des côtes de la Nou- velle-Zélande, et vu un assez grand nombre de ses habi- tants, nous réunissons ici ce que nous avons à en dire. « Cette terre, par sa grandeur, comme par sa nombreuse population, est certainement une des plus importantes de l’Océan Austral, malgré sa position reculée vers le Sud. Sa température, ni trop chaude, ni trop froide, est aussi saine qu’elle est propre à la culture de toutes les productions d’Europe. Sur plusieurs points, sa végétation, dans laquelle on distingue des fougères en arbre et des dracœnas qui fi- gurent des palmiers, ressemble à celle des tropiques par son abondance et sa vigueur ; et, malgré la privation des plantes qui fournissent à l’homme une nourriture abon- dante, les heureuses influences dont nous venons de parler ont contribué au développement d'une des plus belles races de la Polynésie. « En effet, les navigateurs ont remarqué qu’en général les Zélandais étaient grands, robustes, d’un physique agréa- ble, quoiqu’ils se défigurassent, surtout les chefs, par un (1) Voyage de V Astrolabe , T. II, lere partie, p. 282, note. LES POLYNÉSIENS. 103 tatouage en incision, dont la distribution ne contribue pas peu à leur faire paraître à tous le nez aquilin, forme cepen- dant assez commune parmi eux, et qui est jointe à l’écar- tement des narines. « Leurs cheveux sont longs, noirs et lisses, ainsi que la barbe, et leurs dents sont admirables. Le caractère de la physionomie est aussi varié qu’en Europe ; et, pour tout dire en un mot, nous trouvions dans ces insulaires des res- semblances avec celles qu’on nous a transmises de Brutus, de Socrate, etc, « La basse classe a les formes plus petites et moins bel- les ; peu des individus en sont tatoués, privilège qui semble appartenir aux guerriers, et, par conséquent, aux chefs qui sont tous guerriers. Il faut voir cet ornement pour juger combien il doit être douloureux à acquérir. « Les femmes sont loin d’approcher des hommes en beauté. Presque toutes petites (1), elles n’ont rien de ce na- turel gracieux qu’on trouve quelquefois parmi les peupla- des non civilisées, que nous avons souvent rencontrées aux îles Sandwich. Les femmes des chefs seules sont tatouées aux lèvres et sur les épaules d’une manière particu- lière. » Comme on voit, il n’existait, pour ce naturaliste, qu’une seule race à la Nouvelle-Zélande ; et, nous devons le répé- ter, il observait les habitants en même temps que d’Urville et nous-même, sur l’ Astrolabe, en 1827. Nous nous rappe- lons encore les curieuses discussions qui avaient lieu, entre eux, à ce sujet, le chef de l’expédition étant toujours con- vaincu qu’il avait raison. Bien que cela soit inutile pour la question que nous dési- rons résoudre, nous croyons pourtant devoir parler des caractères moraux des Nouveaux-Zélandais ; car c’est sur- tout au moral que, suivant nous, les Maori méritent d’être cités, et nous croyons qu’il n’est pas d’hommes de cette race qui soient plus remarquables sous ce rapport. On a parlé bien diversement des qualités morales des Nouveaux-Zélandais : d’après les uns, ils sont braves, in - (1) Cette observation n’est pas tout-à-fait juste. 104 4 LES POLYNÉSIENS. telligents, mais cruels ; d’après d’autres, ils sont lâches mais bons. Banks, Anderson et Forster ont les premiers rendu justice à leurs bonnes qualités, tout en mentionnant leurs défauts. Ainsi, suivant le premier, les Néo-Zélandais sont d’un ca- ractère doux et affable, pleins de bons procédés à l’égard les uns des autres, quand ils sont amis ou alliés. Forster dit que cette nation est hospitalière et généreuse, qu’elle connaît les sentiments de bienfaisance et d’humanité ; que les guerriers sont intrépides et hardis, et qu’en général les individus ont un jugement sain, du goût et de l’indus- trie. Enfin Anderson fait remarquer la vive affection qu’ils portent à leurs parents et à leurs amis, et les marques de sensibilité qu’ils donnent lorsqu’ils viennent à les perdre. Mais tous ces voyageurs n’avaient vu les Nouveaux-Zé- landais qu’en passant, et c’est au directeur et fondateur des missions anglaises, au Révérend Samuel Marsden, (1) qu’il faut demander son opinion pour en avoir une plus exacte. Or, voici ce qu’on lit dans ses notes de voyage, publiées par la Société, et réunies par d’Urville dans les pièces jus- tificatives qui accompagnent le récit du voyage de Y Astro- labe : « Depuis que j’ai fait connaissance avec ces peuples, je les ai toujours considérés comme la plus belle et la plus noble race de païens connus dans le inonde civilisé. J’ai toujours été persuadé que si l’on pouvait introduire chez eux les arts de la civilisation et la connaissance de la re- ligion chrétienne, on en ferait une grande nation. Je suis encore plus confirmé dans cette opinion depuis que je les ai visités, car je les ai trouvés encore plus civilisés que je ne supposais. » Ailleurs, il dit : « Je ne crois pas que nulle part au mon- de il y ait présentement, ni qu’il ait jamais existé un peu- ple, à l’état de nature, qui l’emporte sur les habitants de la (1) Nous avons eu. l’avantage de le connaître au port Jackson en 1827. C’est lui qui, de 1815 à 1837, introduisit le premier des mis- sionnaires en Nouvelle-Zélande, et, par le fait, conquit cette vaste possession à l’Angleterre. LES POLYNÉSIENS. 105 Nouvelle-Zélande, sous le rapport de la force corporelle et des qualités intellectuelles. » « Les N ouveaux-Zélandais , dit-il encore, sont avides d’instruction ; ils ont un jugement prompt et une bonne mémoire. » C’est encore lui qui écrivait dans le Missionary Register : « Les Néo-Zélandais sont naturellement généreux, doux, affectionnés; par les qualités morales, ils feraient sou- vent rougir bien des gens réputés chrétiens. » Certes, rien de plus flatteur ne peut être dit en faveur d’une race, et pourtant le Rév. Marsden n’était pas un en- thousiaste. C’était seulement un observateur exact et pro- fond, auquel les évènements, survenus depuis quelques années à la Nouvelle-Zélande, semblent donner raison. Ellis, après les avoir vus un instant, dit lui-même :(1) « Les habitants forment une race robuste, forte, active, non-seu- lement capable de grands exercices physiques, mais aussi d’une haute culture morale ; ils ont une grande intelli- gence. » Enfin tous les missionnaires anglais ont vanté leur apti- tude à toutes sortes de métiers, tels que ceux de charpen- tier, scieur-de-long, maçon, forgeron, armurier, etc., et ils ont observé que les enfants, pour apprendre à lire et à écrire, déploient une facilité au moins égale à celle des en- fants anglais. Les renseignements s’accordent d’ailleurs à dire que les Nouveaux-Zélandais sont fiers, orgueilleux, jaloux les uns des autres, très irritables et implacables dans leurs ven- geances ; mais sensibles, généreux, sincères, probes, hos- pitaliers, amis fidèles, dévoués et constants, et surtout pa- rents tendres et affectueux. Le voyageur Nicholas a même été jusqu’à dire que, dans les relations privées, il n’est pas d’homme plus aimant que le Nouveau-Zélandais, et il vantait surtout leur bonne foi entre gens de la même tribu. Telles étaient les qualités et les défauts que possédaient les Nouveaux-Zélandais au début de leurs relations suivies (1) Polynesians Researches , vol. II, p 35. 106 LES POLYNÉSIENS. avec les Européens. Mais il paraît que, depuis, leurs vices et leur défauts n’ont fait qu’ augmenter en raison directe de la durée de ces relations, et qu’ils sont devenus, au dire des Anglais, dissimulés, avares, défiants, exigeants et arrogants. On le comprend aisément quand, comme nous, on a vu les exemples que donnent les grnns qui s’appellent civilisés, et la conduite qu’ils tiennent à l’égard des populations demi-sauvages, quand ils vivent parmi elles. Aussi Thompson, entre autres, est-il sévère sur les facul- tés mentales des Nouveaux-Zéîandais. 11 leur accorde une grande mémoire mais peu d’imagination. Ils ont, suivant lui, peu de raison et de jugement; et il résume leurs facultés en disant qu’ils ont les goûts des enfants et les passions des hommes. Il les trouve sans génie pour découvrir et incapables dé généraliser ; cependant il les reconnaît aptes à apprendre. a Le plaisir et la peine, dit-il (1), naissent chez eux des causes les plus variées. Leur goût pour la nouveauté est une passion ; mais il est presque impossible de les étonner. Ils excellent à imiter, et leurs bouffonneries les amusent. La vanité, l’arrogance et Tindépendance sont générales, mais ils sont plus vains qu’orgueilleux. Dans toutes leur actions, ils ne pensent qu’à leur propre intérêt et ils ne sont point arrêtés par l’équité. Ils ne peuvent supports une injure; ils manquent du courage moral qui fait que les hommes obéissent à la raison et à la conscience et, dans les combats d’armes à feu, ils s’exposent rarement ouvertement, mais ils espèrent éviter le danger par leur agilité et leurs ruses. Ils apprécient la vie, mais meurent avec indifférence, quand le mort est inévitable : ce qui n’est pas une preuve de cou- rage. Ils ont peu de bienveillance les uns pour les autres : des amis absents depuis longtemps sont salués par une pro- fusion de larmes ; mais, pareils à des enfants, leur chagrin est sans durée. Ils sont généralement hospitaliers pour les étrangers et partagent avec le voyageur leur nourriture, en le renvoyant avec des cadeaux. La gratitude leur est (I) The Story of the New-Zeaîand , vol. I, p. 85. LES POLYNÉSIENS. 107 inconnue, et on ne trouve dans leur langage aucun mot qui l’exprime. L’amour du pays est mal compris ; mais ils aiment mourir et être enterrés parmi leurs parents. Le vol est rare parmi eux. La vengeance est leur plus forte pas- sion, et ce sentiment dure pendant plusieurs générations. Ils sont jaloux les uns des autres et aiment inspirer la ter- reur. Leurs conversations sont sensuelles et indécentes. Ils gardent difficilement un secret. Ils sont fanfarons. Ils abor- dent leurs égaux sans légèreté, et leurs supérieurs sans crainte. Ils regardent comme honteux de se laisser aller à la colère. Ils sont plus enjoués que rieurs. Ils sont géné- reux en présents ; mais les présents sont une manière de trafiquer, car ils attendent toujours quelque chose en re- tour. Ils possèdent un grand flux de paroles et sont pas- sionnés pour l’éloquence et les discours. Ils sont sales et indolents. Us sont forts contre le faible, mais faibles contre le fort. Quand ils sont domptés, soit physiquement, soit mentalement, ils deviennent aussi maniables que des en- fants ; mais il faut que ce moyen soit employé avec justice, car ils se soumettent plus aisément à une direction douce et habile qu’à une force mal appliquée. /> Enfin Thompson termine en disant : « En voyant que les têtes des Nouveaux-Zélandais sont plus petites que celles des Anglais, il en résulte que la force êt l’étendue de leurs facultés sont moindres ; et comme l’esprit humain, pareil aux liqueurs fermentées, mûrit suivant sa force, les enfants indigènes sont plus intelligents à dix ans que les enfants anglais ; mais, comme règle, peu de Nouveaux-Zélandais pourraient apprendre de manière à égaler les Anglais dans leurs plus hautes facultés, et pas un dans leurs plus mau- vaises passions. « Ce caractère des Nouveaux-Zélandais est moins avan- tageux que celui qu’on a ordinairement donné. Il est ce- pendant une esquisse tracée d’après l’histoire de ce peuple, et d’après une observation personnelle faite parmi eux pen- dant leurs jours de bonheur et de chagrin, et pendant leurs heures de maladie et de mort. » 108 LES POLYNÉSIENS. Nous n’ajouterons que quelques mots pour dire que M. Thompson, qui n’a vu les Nouveaux-Zélandais qu’entre 1848 et 1858, c’est-à-dire à une époque où ils étaient démo- ralisés. traqués par leurs envahisseurs et déj i saturés des vices Européens, a probablement rendu exactement l'état moral actuel de la population ; mais peut-être aussi r a-t-il jugée trop sévèrement et n’a-t-il pas mis assez en relief les qualités qu’elle a conservées, malgré le contact avec les blancs, qualités qu’il reconnaît lui aussi. Il l’a dit lui-même d’ailleurs : (1) a Les Nouveaux-Zélan- dais de la génération actuelle ont deux caractères : l’un pour les Européens et qui varie suivant que les Européens sont missionnaires ou marchands ; l’autre pour leur pro- pre race. Le premier est acquis, le dernier est naturel ; et il est difficile de décrire ces deux caractères sans renvoyer aux plus hautes facultés de l’esprit humain. » 11 ajoute : « S’il est certain, en pesant la quantité de graines de mil contenues dans des crânes et en mesurant avec des instruments et le compas, que les têtes des Nou- veaux-Zélandais sont plus petites que les têtes des Anglais, les Zélandais sont inférieurs aux Anglais en capacité in- tellectuelle. Ce volume moindre du cerveau est produit par le défaut d’exercice des plus hautes facultés intellec- tuelles ; car, de même que les muscles s’atrophient par défaut de travail, de même il est tout naturel que des générations d’indolence mentale diminuent le volume des cerveaux. A l’appui de celte induction, des voyageurs éclai- rés ont déjà appris que les têtes de la race nègre, aux Etats- Unis, ont commencé à prendre plus de développement de- puis que cette race est entrée dans la carrière intellec- tuelle. (Lyell). » Nous sommes de l’avis de Thompson : Les Nouveaux- Zélandais ne sont pas, par eux-mêmes, ce qu’ils se mon- trent et ce qu’ils sont aux yeux des Européens. Si nous les croyons aujourd’hui ce qu’il les a vus, c’est qu’il n’a pu ob- server qu’une population, la plupart du temps dégénérée, (1) Ouvrage cité, p. 81. LES POLYNÉSIENS. 109 avilie, troublée, démoralisée, toujours sur le qui-vive et en lutte avec ses protecteurs officiels. Nous ne savons si, par les moyens qu’emploient les Anglais, le cerveau des Néo-Zélandais acquerra plus de développement un jour. Mais, quoiqu’il devienne, notre conviction, après avoir vu tous les descendants de cette race en Polynésie, et quoique nous ayons, avec Marsden surtout, une opinion très-favo- rable de son aptitude intellectuelle, est qu’elle ne dépassera jamais certain niveau, pas plus du reste que la race noire. LIVRE DEUXIÈME NOUVELLE -ZÉLANDE à - ' LIEU D’ORIGINE DES POLYNÉSIENS. REMARQUES PRELIMINAIRES. Analogies du Tahitien et du Maori. — Usage de Tare et des flèches. — Premiers partisans de l’origine Néo-Zélandaise des Polynésiens : Banks ; Crozet; Bory-de-Saint- Vincent. C’est de la Nouvelle-Zélande, avons-nous dit, que sont parties les colonies qui ont peuplé les îles Tunga. Nous allons maintenant exposer les témoignages appuyant le plus cette opinion, si contraire à celle qui est générale- ment admise. Ces témoignages, il est vrai, sont plutôt des déductions et des raisonnements que des preuves péremp- toires et démonstratives ; mais, nous en sommes certain, ils soutiennent notre hypothèse beaucoup mieux que ceux que l’on a invoqués jusqu’ici en faveur de l’hypothèse op- posée. Pour cette dernière, en effet, on se borne le plus souvent h des assertions que l’on ne songe même pas à justifier. Ceux qui veulent que la Nouvelle-Zélande ait été peuplée par la Polynésie, gardent le plus profond silence sur les obstacles de toute sorte, tels que vents contraires, îles jetées sur la route, etc., qui se seraient opposés à ce peuplement. Us s’évertuent, au contraire, à trouver, dans LES POLYNÉSIENS. 111 des faits et des circonstances qui ne résistent pas au' moin- dre examen, des obstacles insurmontables à un départ de la Nouvelle-Zélande vers la Polynésie. Lorsque nous en serons à la réfutation des objections que l’on a opposées à une provenance Maori des Polynésiens, nous démontre- rons que ces prétendus obstacles prouvent plutôt le con- traire de ce qu’on en a déduit. Le 1er voyage de Cook en 1769 et celui de Marion en 1772 ayant permis de reconnaître l’affinité du langage des habi- tants de la Nouvelle-Zélande avec celui des Tahitiens, les navigateurs en conclurent avec raison que l’un des deux .pays avait été peuplé par l’autre, bien qu’ils soient séparés par une distance de plus de 800 lieues (1). C’est à Banks et à Crozet, compagnons de Cook et de Marion, que l’on doit la première remarque de cette analogie, confirmée succes- sivement par tous les visiteurs de ces deux archipels. Mais si, grâce au Tahitien Tupaia, Cook, Banks, Solander, Parkinson et Monkhouse, lors du voyage de YEndeavour , avaient pu remarquer cette analogie, en voyant Tupaia converser avec les Nouveaux-Zélandais, ils n’avaient fait pour ainsi dire que la soupçonner. Il était réservé à Crozet, le second de Marion sur le Mascarin, de la prouver d’une manière positive, en causant lui-même avec les habitants du Port-Marion ou de la Trahison, dans la Baie des lies, à l’aide du vocabulaire que Bougainville avait rapporté de Tahiti, et dont une copie avait été remise à Marion, par l’intendant Poivre. Voici, en effet, ce que dit Crozet (2) : « A peine fûmes-nous mouillés dans le port des lies (de Cook), qu’il nous vint à bord une quantité de pirogues qui nous apportèrent du poisson en abondance. Nous ne sa- vions quel langage parler à ces sauvages. J’imaginai par hasard de prendre un vocabulaire de l’île de Taïty, que nous avait remis l’intendant de l’Ile de France. Je lus quelques mots de ce vocabulaire, et je vis, avec la plus (1) Crozet disait 600 lieues ; Carli 2580 milles, ou près de 1000 lieues ; d’autres 43 degrés ou 880 lieues, (2) îtochon, Nouveau voyage à la mer du Sud , etc., p. 48. 112 LES POLYNÉSIENS. grande surprise, que les sauvages m’entendaient parfaite- ment. Je reconnus bientôt que la langue du pays ou nous étions, était absolument la même que celle de Taity, éloignée de plus de 600 lieues de la Nouvelle-Zélande. » Ce fait prouve combien ce vocabulaire devait être mieux fait que ceux des officiers de Cook, qui ne pouvaient pas se faire entendre avec le leur aux îles Marquises, ainsi que l’a fait remarquer Cook lui-même. Malgré cette analogie, bien reconnue de tous, on douta longtemps que les uns ou les autres eussent pu faire avec leurs pirogues le trajet qui les sépare, et l’on verra que ce doute existe encore aujourd’hui pour quelques-uns. Cependant, comme il fallait pour ainsi dire opter, puisque, malgré la difficulté de se rendre compte de cette naviga- tion, elle seule pouvait expliquer comment des nations si éloignées avaient pu appeler les mêmes choses par les mê- mes noms, adopter les mêmes usages, les mêmes ustensiles, avoir les mêmes croyances religieuses, etc., on aima mieux voir le point de départ des émigrants en Polynésie qu’à la Nouvelle-Zélande. Alors les uns le placèrent dans une île, les autres dans une autre, ceux-ci à Tahiti, ceux-là aux Sandwich ou aux Samoa. Dès le début pourtant, ce qui nous semble digne de re- marque, Banks avait été d’un avis différent : il disait que non seulement cette analogie de langage prouvait néces- sairement une émigration, mais que très probablement cette émigration avait eu lieu de la Nouvelle-Zélande vers Tahiti. Et il ajoutait : L’usage de l’arc et des flèches étant inconnu à la Nouvelle-Zélande, tandis qu’il existe à Tahiti, il faut admettre que les Tahitiens ont découvert cet usage, ou ne l’ont reçu qu’après la séparation ; il n’est pas admis- sible que les habitants de la Nouvelle-Zélande aient pu le perdre après l’avoir eu. Nous allons revenir tout à l’heure sur cet usage ; mais ici, pour ne pas laisser de doute sur cette opinion de Banks, nous croyons devoir citer la paraphrase qu’en a donnée Parkinson qui, comme on sait, s’appropria et donna l’occa- sion à son frère de publier les découvertes botaniques de LES POLYNÉSIENS. 113 Banks et de Solander, ainsi que les calculs des compagnons de Cook sur le passage de Vénus, qu’un secrétaire infidèle lui avait permis de copier. Voici les paroles de Parkinson qui, naturellement, avait la même manière de voir que sir Banks, aux gages duquel il était comme dessinateur (l). « J'ai déjà dit quelque chose du langage des habitants de la Nouvelle-Zélande, et de son affinité avec celui d’O-Taïti. Le vocabulaire suivant démontrera évidemment cet accord. Cette circonstance extraordinaire porte à conclure que l’un des deux pays a été peuplé par l’autre, quoique à une dis- tance de plus de neuf cents milles, et qu’ils ne soient sépa- rés, du moins, à notre connaissance, que par l’Océan. Nous ne pouvons croire qu’une telle navigation soit praticable avec les petits canots de ces peuples, qui paraissent n’avoir jamais eu d’autres vaisseaux. Il serait cependant difficile de rendre autrement raison du motif qui aurait porté des na- tions, si éloignées, et sans aucune communication entre elles, à fixer les mêmes sons pour les mêmes choses. Cette opinion acquiert encore plus de force, lorsque l’on compare les usages et les manières de ces deux différents peuples, de même que leurs instruments de guerre et leurs ustensiles de ménage qui se ressemblent en beaucoup de points. L’émigration que nous croyons la cause de cette ressem- blance, fut, sans doute, de la Nouvelle-Zélandeà O-Taïti ; car les habitants de la première ne connaissaient point l’usage des arcs et des flèches, au lieu que le peuple d’O-Taiti s’en sert avec une grande dextérité, en ayant, sans doute, découvert accidentellement l’usage, après leur séparation ; et l’on ne peut supposer que les habitants de la Nouvelle- Zélande eussent perdu une découverte si précieuse, s’ils l’a- vaient jamais connue. » Ainsi, comme on voit, dès la découverte, Banks admettait, comme nous le soutenons aujourd liui, que c’est par la Nouvelle-Zélande que la Polynésie avait été peuplée. Seu- lement, il s’appuyait sur un fait qui ne pouvait avoir la valeur qu’il lui donnait. C) Sydney Parkinson, Voyage autour du monde , 1er vol. p. 225, m. 8. 114 LES POLYNÉSIENS. D’après Banks et Parkinson, l’usage de l’arc et des flèches existait d’une manière certaine à Tahiti, en 1769, quoiqu’en aient dit quelques écrivains. Ils ne sont pas, d’ailleurs, les seuls à en parler, car c’est ce qu’a dit aussi Cook, de même que Fèche, chevalier de Suzannet, qui accompagnait Bou- gainville dans son voyag’e de découvertes (1). Entre autres faits, Cook rapporte, dans son voyage, qu’il fut forcé, le 12 juin 1769, d’exercer la rigueur de la discipline, parce que quelques Indiens étaient venus se plaindre que deux mate- lots leur avaient pris de force leurs arcs et leurs flèches. 11 est donc bien certain que les arcs et les flèches étaient con- nus à Tahiti, et que, par conséquent, c’est à tort que les voya- geurs ont répété le contraire. Seulement il y a une distinc- tion importante à faire à ce sujet. Si l’usage de l’arc existait à Tahiti, il était, pour ainsi dire, réservé aux chefs, et n’était, pour eux et leur affidés, qu’un moyen d’amusement, mais jamais une arme de guerre. L’arc, à ce titre, était non-seulement très employé dans les Iles de la Société, mais il l’était peut-être plus en- core aux Marquises, ainsi que dans les îles Tunga et Sa- moa, d’après Roggeween. On connaît ce que Mariner racon- te des parties de chasse de Finau, à l’aide de cette arme, dans les îles Hapaï, et l’on peut voir, dans le petit livre de G. Hamilton, médecin de la Pandora , envoyée à la recher- ches des mutins de la Bounty , et dont la fin fut si malheu- reuse, que cet usage fut remarqué également par lui, en 1791, à Tahiti, « Ils connaissaient, dit-il, l’arc et les flèches, mais ne s’en servaient que dans leurs amusements. » Fait bien curieux, depuis cette époque les navigateurs n’ont jamais parlé de l’arc, soit comme arme de guerre, soit comme moyen d’amusement ; mais on pense avec raison que l’arc et les flèches n’ont jamais été employés comme armes de guerre par les populations polynésiennes. C’est, en effet, ce qui nous a toujours été répondu par les indigè- nes des Marquises et des Iles de la Société ou autres, que nous avons fait questionner ou que nous avons questionnés (1) Voir manuscrit de la bibliothèque du Muséum d’Histoire na- turelle de Paris. LES POLYNÉSIENS. 115 nous-même à ce sujet. En eût-il été autrement dans les îles Tunga et Samoa, à une certaine époque, que cela ne servirait pas à prouver que cet usage, comme arme de guerre, a pu être employé également par tous les autres archipels ; là, en effet, le voisinage des populations méla- nésiennes, qui se servent constamment de Tare et des flè- ches comme armes de guerre, expliquerait facilement leur usage accidentel, dans le même "but, par les Polynésiens qui les touchaient. C’est aux Fijiens, en effet, qu’est dû bien probablement cet usage parmi les Tongans et les Samoans, au moins comme moyen d’amusement. On s’explique donc parfaitement que la connaissance en ait été portée non- seulement à Tahiti, mais jusque dans les îles plus au Sud- Est et au Nord-Est, puisque ces îles ont été peuplées, directement ou indirectement, par les Tunga et les Samoa. Mais comment s’expliquer la présence des mêmes armes autrefois à la Nouvelle-Zélande ? Car c’est un fait certain: l’arc et les flèches y étaient connus, et ils n’y servaient éga- lement que comme amusement. L’arc y était appelé Ko- Pere, et les flèches, Pere. Déjà, à l’arrivée des successeurs de Cook, cet usage paraissait ne plus exister, car pas un navigateur n’en parle. Dira-t-on que les Maori l’avaient reçu des Polynésiens ? Maisles noms polynésiens ne sont plus les mêmes : aux Tunga, on appelle l’arc Fana et les flèches Ngahau, Kapo (1); à Tahiti, l’arc se nomme F ana, et les flèches Tea, Au , ou mieux Ohe. Pourquoi, s’ils étaient venus de la Polynésie, les Maori auraient-ils changé ces noms ? N’auraient-ils donc pas pu inventer l’arc eux-mêmes ? Ils ont bien inventé les cerfs-volants, les toupies, etc., comme l’attestent les plus vieilles traditions et les missionnaires anglais. En résumé, que la connaissance de l’arc et des flèches ait été portée par les Mélanésiens, ou qu’ils aient été in- ventés par la race polynésienne même, en Polynésie comme à la Nouvelle-Zélande, et uniquement utilisés comme moyen d’amusement, il est bien évident que cet usage ne (1) Ngahau est le mot fijien Ngassau. Yoy. Ellis, Recherches , p. 821 et Hazelewood. Diction. Fijien. 116 LES POLYNÉSIENS. prouve pas plus l’origine polynésienne des Nouveaux-Zé- landais que l’origine zélandaise des Polynésiens. Lorsqu’il concluait, d’après l’absence de l’arc et des flè- ches à la Nouvelle-Zélande, que la Polynésie avait été peuplée probablement par cette île, Banks oubliait que Tahiti ou les Samoa auraient pu expédier des colonies avant la découverte de l’arc. En outre, il s’appuyait sur un fait d’observation qui semble inexact. Quoiqu’il en soit, il croyait pouvoir attribuer le peuplement de Tahiti à la Nouvelle-Zélande. Après Banks, Crozet, cet observateur remarquable, qui publia sur la Nouvelle-Zélande des documents si importants qu’on en appelle encore tous les jours à eux, Crozet, lui aussi, semble pouvoir être considéré comme un partisan de l’origine néo-zélandaise des Polynésiens. Yoici ce qu’il dit à ce sujet (1) : ». Il a peut-être été un temps où la Nouvelle-Zélande communiquait avec cette île Taïty, qui en est séparée au- jourd’hui par une mer sans fond, de plus de six cents lieues d’étendue. Nous avons trouvé à la Nouvelle-Zélande la langue de Taïty, avec quelques différences seulement dans un petit nombre de mots, et il y a beaucoup de conformité entre ces deux peuples aujourd’hui très séparés. * Je ne serais même pas éloigné de croire que c’est par la Nouvelle-Zélande, par les Terres Australes et parles îles de la mer du Sud, que l’Amérique a été peuplée. » Sans nous arrêter à montrer ici que les analogies citées par lui sont encore plus grandes qu’il ne croyait entre les habitants de Tahiti et de la Nouvelle-Zélande, tandis qu’il n’y en a aucune entre eux et ceux d’Amérique, nous ferons seulement remarquer qu’il admettait que les migrations s’étaient opérées du Sud-Ouest vers le Nord-Est, et que la Nouvelle-Zélande, au lieu de recevoir des colonies de la Polynésie, lui avait plutôt envoyé ses émigrants. Il ne se fondait, il est vrai, que sur l’analogie du langage, ce qui pouvait aussi bien prouver le contraire ; mais sa croyance (1 ) Nouveau voyage à la mer du Sud, etc., p. 140. LES POLYNÉSIENS. 117 au peuplement de l’Amérique par la Nouvelle-Zélande ne peut laisser aucun doute sur sa pensée. Enfin, longtemps après Banks et Crozet, Bory de Saint- Vincent exprima nettement l’opinion que la Polynésie avait été peuplée par la Nouvelle-Zélande. Voici ce qu’il dit(i), en parlant de la race qu’il appelle océanique, c’est-à-dire la race polynésienne actuelle. « La Nouvelle-Zélande, où l’on voit des monts fort éle- vés, et qui dut saillir au-dessus de la mer quand la Nou- velle-Hollande était encore inondée, nous semblerait être le lieu dont elle sortit pour s’étendre vers le Nord et dans tous les archipels de l’Océan Pacifique que n’occupent pas des Mélanésiens, des Papous ou même des Siniques et des Hindous, qui ont aussi pénétré dans quelques parties de l’Océanique. Le méridien de la Nouvelle-Zélande, qui passe à peu près entre les îles Fidji et celles dont Tong*atabou est la plus grande, formerait la limite occidentale, etc. (2) » Et quelques pag’es plus loin, il ajoute : « En attendant qu’on nous prouve la possibilité d’une origine américaine, nous continuerons à reconnaître le point d’où s’irradia la race océanique dans la Nouvelle-Zélande. » Enfin, il dit encore à la page 177 du 2e volume : « Ce n’est que sur la race océanique de l’espèce neptunienne qu’on peut hasarder des conjectures probables. Nous avons cru apercevoir son point de départ dans la Nouvelle-Zé- lande. » Nous nous bornerons à constater ici ces assertions qui, nécessairement, à l’époque de leur publicati on, ne pouvaient pas être appuyées par des témoignages bien importants ou bien nombreux. Bientôt nous espérons pouvoir démontrer que cette opi- nion est celle qui approche le plus de la vérité : cependant, (1) L'Homme , lor volume, 2* édition, p. 299 et 314. (2) Il dit en note « L’opinion qui admet que la Nouvelle-Hollan- de est sortie plus récemment du sein des eaux est généralement reçue ; et quoique l’intérieur du pays soit pour nous couvert d’un voile mystérieux, ce qu’on connaît du littoral donne le plus grand poids à notre façon de voir. (Lesson, Voyage de la Coquille autour du monde , section Zoologique). » 118 LES POLYNÉSIENS. tout en la partageant, nous sommes forcé de reconnaître qu’à l’exception de Bory de Saint-Vincent, et peut-être de Banks et de Crozet, tous les ethnologues ont une opinion diamétralement opposée : tous soutiennent que la Nou- velle-Zélande, au lieu d’envoyer ses enfants peupler la Polynésie, a été peuplée elle-même par des émigrants ve- nant de cette dernière contrée. Nous allons donc commencer par réfuter les arguments sur lesquels ils s’appuient, avant d’exposer ceux qui nous portent à avoir une opinion contraire à la leur. CHAPITRE PREMIER i EXPOSÉ, ET RÉFUTATION DES OBJECTIONS. Objections faites contre le peuplement de la Polynésie par la Nouvelle- Zélande : — Pirogues Néo-Zélandaises ; — Existence, à la Nouvelle Zélande, de canots doubles et de pirogues à balancier. — Absence des Maori à la Nouvelle-Hollande. — Uwhi. — Kawa. — Cochons et pou- les. — Direction des vents. L’écrivain qui a fait le plus d’objections à la possibilité du peuplement de la Polynésie par la Nouvelle-Zélande , celui qui certainement a présenté les arguments les plus forts, nous l’avons déjà dit précédemment, c’est Dumont d’Urville. Il nous suffira donc de les examiner pour répondre en même temps aux objections de tous les autres écrivains. Pourtant, avant d’entamer cet examen, qu’il nous soit permis défaire remarquer que d’Urville semble avoir hésité à se prononcer. Voici, en effet, ce qu’il dit (1) : « Maintenant, examinons quelle sera l’hypothèse la plus vraisemblable touchant les terres que l’espèce humaine a dû occuper les premières dans la Polynésie et touchant la direction qu’elle a dû suivre dans ses migrations. « La vaste étendue des terres de la Nouvelle-Zélande, leur situation sous un climat tempéré, la force et la vigueur de la race qui les habite, pourraient d’abord donner lieu de penser que ce fut là le berceau ou du moins la première (1) Voyage de l'Astrolabe , Philologie , p. 277. 120 LES POLYNÉSIENS. station de la race polynésienne ; mais des considérations puissantes obligent de repousser cette hypothèse. » Certainement d’Urville était alors plus près de la vérité qu’il ne s’en doutait ; mais les puissantes considérations qui l’entraînaient n’avaient pas l’importance qu’il leur accordait. On va en juger : lre Objection. — 11 objecte d’abord que, sous le rapport de la navigation, les Nouveaux-Zélandais sont loin d’avoir atteint au même degré de perfection que les peuples de la zone équatoriale : « Il n’est guère probable, dit-il, que leurs longues pirogues non pontées, étroites et incapables de manœuvrer à la voile, aient pu les transporter à de grandes distances de leurs côtes. » Examinons donc cette première objection qui a été faite également par tous ceux qui se sont occupés de cette ques- tion. Ce fut l’observation de ces pirogues, « longues, étroites et non pontées » qui porta, en effet, Cook et les premiers navigateurs dans ces mers, à douter de la possibilité de voyager d’un archipel à l’autre, et même quelques navi- gateurs plus récents à nier formellement la possibilité du départ de colonies zélandaises pour l’Océanie. Pour d’Ur- ville c’était l’objection capitale. Nous ferons l’aveu que nous avions d’abord douté nous-même qu’un voyage un peu long pût être accompli au moyen de ces pirogues. Mais, en observant davantage, nous avons fini par être convaincu que les raisons données n’ont pas l’importance qu’on leur a attribuée et qu’elles sont même inexactes et spécieuses. En effet, s’il peut paraître impossible qu’avec de petites piro- gues longues et étroites, les Zélandais aient osé s’aventurer à de grandes distances et aient pu arriver sains et saufs, il est évident que ce n’est que dans l’intérêt de la thèse soutenue qu’on a prétendu qu'elles ne pouvaient manœuvrer à la voile, et qu’elles manquaient absolument de cordages. Il est bien certain, au contraire, que les pirogues zélandaises, loin d’être toujours étroites, sont, parfois et souvent même, aussi profondes et larges en même temps qu’elles sont Ion- LES POLYNÉSIENS, 121 gués (1) : Quelques-unes ne portent pas moins de 60, 80 ou 100 rameurs, bien assis sur des bancs ; elles vont à de très grandes distances de leur point de départ, à plusieurs cen- taines de lieues, de la Baie des Iles, par exemple, jusqu’à Otokou, dans le Sud de l’Ile-du-Milieu, et en grand nombre à la fois, pour y porter la guerre. Il n’est pas moins certain qu’elles ont des voiles dont elles se servent, et que la Nou- velle-Zélande produit les meilleurs cordages et notamment le Phormium tenax qui sert à les faire. Ces pirogues enfin sont si peu étroites, que d’ U rville lui-même, après avoir dit, il est vrai, le contraire (2), nous apprend (3) « qu’elles ont quelquefois quatre pieds de profondeur, cinq à six de lar- geur, et quatre-vingts pieds de longueur. » Il dit même qu’elles manœuvrent très bien, en portant 80 à 100 hommes, et qu’elles peuvent filer sept nœuds avec une belle mer (4). Sans nous arrêter à faire remarquer ce qu’il y a de con- tradictoire dans les assertions de d’Urville, on comprend que de pareilles pirogues auraient certainement pu at- teindre les premières îles Polynésiennes, qui ne sont pas éloignées de plus de trois cents lieues ; du moins, quel- ques-unes auraient pu être entraînées jusque-là par des coups de vent du S. -O au N. -O. Mais, que de pareils voyages aient pu être faits ou non par ces pirogues, il est certain, comme on va voir, qu’ils auraient pu être opérés aussi fa« cilement par des pirogues doubles que ceux qu’on croit avoir été faits de la Polynésie vers la Nouvelle-Zélande. 2e Objection. La seconde objection faite par d’Urville, comme par presque tous les ethnologues, est que les piro- gues de la Nouvelle-Zélande manquent de balancier, et qu’elles diffèrent de forme de celles de la Polynésie. En effet, la forme des pirogues actuelles de la’Nouvelle- (1) Cook vit, dans la baie de Talaga, un bateau de 20 mètres de longueur sur plus d’un mètre et demi de largeur, avec la carène formée de trois troncs d’arbres évidés. La proue était ornée de sculp- tures et les parois extérieures garnies de bas-reliefs. (2) Philologie de V Astrolabe, p. 277. (3) Ouvr. cité, t. II, 2e partie, p. 492. (4) Ibid., p. 493. 122 LES POLYNÉSIENS. Zélande diffère complètement aujourd’hui ; de plus, tou- tes les pirogues de cette forme sont sans balancier. Mais, malgré qu’il paraisse à priori plus difficile de réfuter cette objection que la précédente, ce n’est évidemment encore qu’une objection spécieuse. Il nous semble d’ailleurs que d’Urville, en s’appuyant sur ce fait pour nier la possibilité du peuplement de la Polynésie par la Nouvelle-Zélande, n’a pas fait attention que la même objection pouvait lui être faite, quand il donne aux Zélandais une origine polyné- sienne. Car si les Zélandais sont, comme il le pense, des colonies tahitiennes, il restait à dire comment il se fait qu’une fois à la Nouvelle-Zélande ces colonies aient perdu leur primitive architecture navale, c’est-à-dire la forme et la construction des pirogues qui les y avaient transportés. La difficulté, comme on voit, est la même dans les deux cas. Pour soutenir son opinion, d’Urville, il est vrai, dit (1) qu’il regarde comme naturel de supposer que les premiers indi- vidus qui allèrent à la Nouvelle-Zélande se trouvèrent pri- vés, sur cette terre, des ressource^ de tout genre que le règne végétal leur offrait sur leurs terres fécondes des tropiques, et qu’ils oublièrent leur industrie primitive. « Pour eux, dit-il, plus de cocotiers, de bananiers, d’hibiscus, dont les fibres et les feuilles leur étaient si utiles ; par conséquent, plus de moyens faciles de fabriquer des voiles et des corda- ges en abondance. » Mais nous l’avons déjà dit, il s’est trompé ; car il faudrait évidemment, pour que cette as- sertion fut exacte, qu’on ne trouvât pas, à la Nouvelle- Zélande, les arbres les plus convenables pour faire des pi- rogues et les plantes textiles les plus capables de . servir à la fabrication des étoffes et des cordages : or, on les y ren- contre au contraire en grand nombre. Quand il ajoute (2) que la violence des vents et l’inclé- mence de la mer durent amortir le penchant naturel des Zélandais, ce n’est encore qu’une supposition, utile à l’opi- (1) Philologie du Voyage de Y Astrolabe, p. 277. (2) Ouvr, cité, p. 278 » LES POLYNÉSIENS. 123 nion qu’il veut faire adopter. Il eût été certainement plus naturel d’admettre que c’était plutôt, pour eux, un motif de chercîier des mers et des vents moins tempétueux ; car on sait que les émigrations ont généralement lieu des terres ingrates et à intempéries vers les contrées tempérées et fertiles, et l’on verra plus loin qu’elles ne se sont pas faites autrement pour le peuplement de l’Ile-Nord de la Nouvelle- Zélande, quoiqu’elles aient été pour ainsi dire forcées. Sans doute, jusqu’à présent, aucune bonne raison n’a été donnée du changement réel survenu dans l’architecture des pirogues de la Nouvelle-Zélande ; il reste toujours à en découvrir la cause. Mais si l’on admet que la Polynésie a été peuplée par la Nouvelle-Zélande, il nous semble que cela permet d’expliquer plus aisément cette transformation, contrairement à ce qu’a avancé d’Urville. En effet, c’est là où manquait le bois assez fort pour être creusé profondé- ment et pour garder son équilibre sur l’eau, sans contre- poids, qu’il aurait nécessairement fallu recourir au balan- cier. Mais, on va le voir, il n’est même pas nécessaire d’avoir besoin d’une pareille explication. Si l’on dit généralement que les Nouveaux-Zélandais ne se servent que des pirogues sans balancier, il est pourtant un fait certain, c’est que les premiers navigateurs, ceux-là mêmes qui s’appuient sur l’absence de ce balancier pour nier l’origine zélandaise des Polynésiens, établissent par leurs écrits qu’il y avait, de leur temps, à la Nouvelle-Zélande, des pirogues à balancier et même des doubles pirogues : fait, dirons-nous en passant, qui prouve avec quelle partialité certains navigateurs écrivent leurs voyages. Comme on en pourrait douter, nous allons faire ici quel- ques citations, tirées non-seulement des plus anciens voya- geurs, mais même du voyage de celui qui s’est le plus appuyé, de nos jours, sur l’absence du balancier pour nier la possibilité des migrations zélandaises vers l’Océanie. Ainsi, on en lit divers exemples dans les voyages de Cook ; nous n’en citerons qu’un seul, renvoyant pour les autres à son texte» 124 LES POLYNÉSIENS. dériver, chasser. jRama, gros, grosse. Nei, ne pas, pendant que, avec, à. Tata, proche, près de. Vbhiunga, action de fouetter, ou whionga , siffler, au lieu de wiounga . « Brani, ô mon bien aimé, j’ai gravi le mont escarpé pour suivre des yeux ton départ. Les vents fougueux d’Outara (le Nord), père des tempêtes, font une profonde impression sur mon âme. Elle est tourmentée parce que j’ignore ta destinée. La vague mugissante arrivant de la grande terre, mère de Kalamatan (Bornéo), vient chaque jour rouler sur le rivage ; et toi, exilé de ta patrie, tu vogues au gré des vents, tu cours trafiquer à Tanna- Papoua (la Nouvelle-Guinée), près des monts d’où s’élance le soleil. Sur mes épaules flotte le Sabok (écharpe) que tu portais : Tu me Tas donné pour gage de ton amour. Doux souvenir ! Sur quelque rivage que tu portes tes pas, sois-moi fidèle : partout mon amour te suivra constamment. Ii4 LES POLYNÉSIENS. Kawiwa doit être remplacé par Ka-iohiu-ua, été, aller, fouetter. Tonga , signifie Est d’après Kendall, mais Williams dit qu’il signifie Sud. Nau, toi, doit remplacer Tiaw, qui veut dire être grand, illustre. Kahu , vêtement. Turiki. couvrir, doit être remplacé par turuki. Takowe , doit être remplacé par tako ue ; tako , écrasé, fatigué ; we, gouverner. Mo , pour. Tokou , mon, ma, mes, doit être remplacé par toku. Ri reira , là, y. Aku, mon, ma, mes. A uraki , se hâter, se presser. Comme on voit, d’après la traduction, le mot kotiu, quoi- qu’il soit mal écrit, comme tant d’autres, dit bien coup de vent du Nord ou du Nord-Ouest et rend par conséquent exactement le texte. Mais en est-il de même pour le mot tonga ? D’Urville, dans le vocabulaire maori qu’il a publié, n’hésite pas : il dit qu’il signifie vent d’Est, d’après Ken- dall. Mais un missionnaire ordinairement plus exact, W. Williams, avance au contraire qu’il signifie vent du Sud. Lequel croire ? Nous avouerons que nous croyons à plus d’exactitude chez ce dernier ; mais, comme il se pourrait que Kendall eût été plus près de la vérité cette fois, il est au moins nécessaire d’avoir d’autres témoignages pour prononcer. Cependant Dieffenbach dit également que Tonga signifie vent du Sud. Quoiqu’il en soit, d’après Kendall, c’est bien « vers les régions où le soleil se lève, » c’est-à-dire vers l’Est, qu’é- tait entraîné le canot monté par Taua (1). Toutefois, nous conviendrons qu’une pareille tradition n’est guère explicite ; et, si elle ne renferme pas d’erreur d’interpré - tation, il se pourrait également fort bien que cet entraî- nement vers l’Est n’eût été qu’accidentel. (I) Taua signifie pleureur, porteur de deuil ; armée, nous deux; nager ; etc. LES POLYNÉSIENS . 145 Mais Taylor (1) cite un autre exemple d’entraînement vers l’Est, tiré d’un chant de deuil ou de regrets : le chef Rangi-Whakau-rua. parlant de ses ancêtres à sa fille, lui dit : ils vivaient et demeuraient avec moi à Tahoraparoa (2) sur un point nommé Haumapu ; mais un jour «ils sont en» traînés vers Paerau. « C’est ainsi du moins que le mis- sionnaire traduit ces mots : K a rida raton ki raro ki Pae- rau ; et il explique que Paerau était une région des ténèbres une des demeures des âmes. Mais Paerau (3) ne semble pas être Maori, en un seul mot du moins ; Williams particulièrement ne le cite pas dans son dictionnaire. Ce mot doit être écrit paeroa , qui signifie horizon grand, lointain. C’est donc bien probablement ce mot qui, rapporté par la légnnde, a été mal entendu, et par suite mal écrit ; et alors cette phrase : ka ruia raton ki raro ki Paeroa , doit être ainsi traduite : « Ils sont entraînés sous l’horizon lointain. » Nous ajouterons que Paeroa est le nom que les Whakatane, habitants de la Baie d’ Abondance, donnent à l’Est du Monde. Dès lors, comme on le voit, les ancêtres de Rangi- Whakau rua auraient, eux aussi, été entraînés vers le côté où le soleil se lève, c’est-à-dire vers la Polynésie. Sous la réserve de ces observations, voici, tel qu’il a été donné par Taylor, le texte maori des « Lamentations de Rangù-Whakaurua, » que nous faisons suivre du mot-à-mot et d’un essai de traduction française. TE TANGI A TE RANGI WHAKAURUA. Nei ka noho i te po roa o matiti. Mokowhiti noa te tau o taku aie . Nukumai , e hine , kia piri mai koe ; (1) Te Ika a Maui, p. 143. (2) Tahoraparoa est le nom générique de la terre : tahora , plai- ne ; pa , village fortifié ; roa, grand. (3) Pae , horizon ; rau, feuille, cent. Ce mot ainsi écrit n’a pas de sens. A Tahiti, pae signifie pousser, chasser, aller sous le vent, mais sans désignation de rumb ; paeau , côté, division ; rau, feuille, cent, beaucoup, indéfiniment. JC 146 LES POLYNÉSIENS. Wakarukeruke noa i rungai aku ringa . Kia rnarama au, ine titiro ki uta. Ki te waka tuku mai , ki te ao rere mai ; Paneke ake ana te tara ki Haumapu . Ko o tipuna i or a, i hoki mai ki au ; Ka ruia rat ou ki raro ki Paerau. E Toko ma, e ! nau mai ki ko nei. Ka puhangarua au, nga toro a tawhiti, He makawhiu hau , kia turakina atu. Nga uru rakau ki Tahora paroa Kia mauri ake ai te aroha. I au, ki taku vhenua. MOT-A-MOT. Nei, ici. Ka, particule pour former le présent, le futur et parfois le passé. Noho, demeurer, s’asseoir, passer, 1 te po roa, dans les nuits longues. Oma, courir. Titi, briller, brillantes. Mokowhiti , sauter. Noa, inutilement, en vain. Te tau, l’assaut, le chant. O taku aie, de mon foie. Nuku, venir, Mai, vers. E hine, ma fille, Kia, particule pour former l’impératif. Piri mai koe, approcher vers toi. Waka , pirogue. Buke, renverser, jeter. Noa , commun, sans importance. I, particule pour former l’accusatif. Runga , en haut, J, par, à, de. Aku , mon, ma, mes Ringaringa, main. Kia, particule pour former l’impératif. LES POLYNÉSIENS. 147 Marama , clair, clarté. Au, je, moi, Me, particule : il faut, "préfixe. Titiro, voir, regarder. Ki uta , à, vers, rivage, terre, intérieur. Ki te waka , à, vers la pirogue. Tuliu mai . descendre. Ki te ao , vers le jour, lumière. Rere mai, courir, voler, venir vers. Paneke, glisser, avancer, Ake , en avant. Ana tara , son courage, ardeur. Ki Haumapu, vers Haumapu, nom de lieu : hau , coin, illustre ; mapu , soupir, palpitations. Ko, préfixe, ici, là. 0 tipuna, le grand-père, ancêtres (au Cap-Est.) 1 ora, à vie, vivre, santé, être en santé, I hoki, à revenir, aussi, à cause de. Mai ki au, vers moi. Ka, particule. Ruia , participe passé de rui , dispersé, écart, Ratou , eux, ils, elles. Ki raro, à vers dessous, sous. Ki, vers, à. Paerau , n’est pas Maori : il faut lire paeroa : pae, hori- zon ; roa grand, lointain. Ce mot, chez les Wha- katane, signifie Est, vent d’Est. E Tokoma e. Mon cher Toko. N au, de toi. Mai, vers. Ki, à. Ko, ici, là, vers Nei, ici, en vue. Ka, particule pour former le présent, le futur et quelque* fois le passé^des verbes. Puhanga, blesser, percer, vider, tirer, lancer, jeter. Rua, fosse, magasin, deux. Au, je, moi. 148 LES POLYNÉSIENS. Nga, particule pour former le pluriel des substantifs, respirer. Toro, s’étendre, se répandre, déployer, regarder. A, à, de, et, comme. Taiohiti , fuir, s’enfuir, distance, éloignement He, erreur, méprise, être dans l’erreur ; un, une. Maka, réservé, craintif, être craintif, lancer, jeter, mettre. Whiu pour Wiu, fouet, fouetter, aller, placer, jeter. Hau , vent. Kia, particule pour former l’impératif. Turaki-na , coup en poussant, action de pousser, renverser. Atu , d’ici, de là. Nga, les. Uru , partie supérieure d’une couche de plantation. Rakau , arbres, bois. Ki Tahoraparoa , de Tahoraparoa : tahora , plaine ; pa forteresse ; roa , grand, grande. Kia) particule pour former l’impératif. Mauri , cœur. Ake, en haut, en avant. Ai , qui, lequel, marque du futur. Te aroha, l’affection, l’amour. I au, pour moi. Ki taku whenua , et ma terre. LAMENTATIONS DE RANGI WHAKAURUA. (i) Je m’assieds ici pendant les longues nuits étoilées ; En vain j’y exhale ma tristesse. Viens, ma fille, approche-toi de moi : Si la pirogue chavirait, tu serais à portée de ma main. Ne masque pas ma vue : il faut que je voie le rivage, Car la pirogue approche et le jour vient vite ; Elle glisse rapidement vers Kaumapu. Là vivaient tes ancêtres, ils revenaient vers moi ; (1) Rangi , ciel, deux; Whakau , accomplir une cérémonie reli- gieuse ; rua , deux, fosse, magasin. Peut-être faut-il lire roa , grand. Ce mot signifierait alors Grand -Prêtre des Cieux. LES POLYNÉSIENS. 149 Mais ils ont été dispersés sons l’horizon lointain. O mon cher Toko ! tu es venu jusque-là à ma vue ; Mon cœur fut transpercé en ies voyant s’éloigner. Entraînés par un coup de vent qui renversa, çà et là, La cime élevée des arbres de Tahoraparoa. Que dans ton cœur grandisse l’amour, Pour moi et pour ma terre ! En résumé, si ces traditions ne précisent pas plus la route suivie qu’elles ne déterminent le but et le motif du départ, elles indiquent du moins que cette route était presque con- traire à celle qu’auraient faite les émigrants, pour atteindre la Nouvelle-Zélande en venant de Savaii ; elles montrent la possibilité de ce voyage ; elles ouvrent une série de proba- bilités que vont nous fournir certains mots communs aux deux contrées, et elles préparent pour ainsi dire aux preuves formelles, que nous donneront la linguistique ainsi que la critique de quelques autres traditions. 2° Maori. — Nous nous sommes suffisamment étendu sur ce mot dans le chapitre précédent ; nous avons montré qu’il se retrouve partout, avec la même signification, dans toute la Polynésie et qu’il a seulement subi quelques chan- gements nécessités par l’euphonie adoptée dans les diffé- rents archipels. Nous avons également dit que l’ancien mot employé, avant qu’on n’adoptât maori , était mauri, dont la racine uri signifie postérité, lignée : telle est du moins l’o- pinion de Taylor. Nous nous bornerons à ajouter ici que tous les mots tels que maohi , maoi, maoli , usités dans les différents archipels polynésiens, dérivent nécessairement du maori Néo-Zélandais, qui est le mot le plus complet et qui, par conséquent, les a fournis. Maui. — Nous savons déjà que, d’après l’une des tradi- tions tahitiennes, les îles de la Société ont dû être produites lorsque Maui, le Josué des Tahitiens, était occupé à traîner, de l’Ouest à l’Est, à travers l’Océan, une grande terre que les indigènes supposent située dans l’Est de leurs îles ; nous 150 LES POLYNÉSIENS. savons également que les îles Tunga ont une tradition tout- à-fait semblable, rapportée par Pritchard. Il en est de même pour les îles Hawaï où, d’après For- nander (1), la légende montre Maui-Tikitiki pêchant les diverses îles de l’archipel avec son hameçon, tachant de les hâler à terre à Hilo et de les joindre à Hawaii. Près de Pu- nepa, district Nord de Kohala, sur Hawaii, on montre en- core l’empreinte de son hameçon appelé Manaia Kalana. Il est inutile de faire remarquer ici combien cette croyan- ce a dû porter quelques écrivains à admettre l’existence d’un continent submergé dans l’Est de la Polynésie : il est évident, en effet, que cette légende et la direction des vents alisés d’Est et de- Sud-Est, ont dû le plus contribuer à cette opinion. Mais nous signalerons du moins la direction suivie, d’après les traditions, et le nom de l’être divin qui passe pour avoir opéré le prodige. Maui est encore plus connu à la Nouvelle-Zélande qu’en Polynésie ; mais là, il n’est point un dieu créateur, comme quelques voyageurs l’ont dit. C’était un héros divinisé à la suite de ses exploits merveilleux. Il vivait en Hawahiki du temps des Tinirau, des Kae, etc. Un jour, il pêcha à la ligne, en s’éloignant un peu d’Hawahiki, l’Ile-Nord de la Nou- velle-Zélande, qui fut surnommée depuis « le poisson de Maui : » il alla s’y fixer et mourir, et il y devint pour ainsi dire prophète et demi-dieu. Déjà, dès |1814, Marsden (2) avait rapporté, comme le tenant d’un prêtre de l’Ilé-Nord, que Maui était le premier homme venu d’Hawahiki sur cette île, qu’il avait quitté sa patrie avec ses compagnons, à la suite de troubles publics, et qu’enfin, conduit par le tonnerre, il était venu débarquer à Hauraki, la rivière Thames de Cook. Marsden ajoutait que son nom était en grande vénération et qu’il était honoré comme divinité. Depuis on a pu se procurer les traditions les plus complètes sur ce héros. Il résulte particulièrement de celles publiées par Sir Grey, Shortland et Taylor, que, (1) An account of the Polynesian Race , etc. t. I, p. 108. (2) Voyage de V Astrolabe, pièces justificatives, p. 352. LES POLYNÉSIENS. 151 dans son pays, C3 n’était guère qu’un vaurien courageux et entreprenant, tuant son beau-frère parce qu’il avait été plus heureux que lui à la pêche, allant arracher le feu à Mauika, et finissant par succomber en voulant tuer sa grand’mère, la déesse de la nuit, ou, comme le dit une autre tradition, en voulant, pour se rendre immortel, se tremper, comme le soleil et la lune, dans la fameuse fontaine de vie d’Hawahi- ki. Ainsi s’explique comment il n'est pas devenu prophète en son pays. Son mythe n’est absolument connu qu’à l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande, et c’est à peine si son nom l’est dans l'Ile-du-Milieu. De nos recherches, il résulte qu’avant de s’enfuir à TIle-Nord, il habitait près de la presqu’île de Banks, où l’on retrouve encore des souvenirs de sa famille et particulièrement de son beau frère ; c’est avec le temps qu’on lui a attribué, dans sa nouvelle patrie, les hauts faits de Tawhaki, le plus grand héros de l’Ile-du-Milieu, et même ceux de son frère aîné, surnommé Rupe ou le Pigeon. Quoique ce nom de Maui soit plus connu dans l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande qu’il ne semble l’être dans les îles polynésiennes, néanmoins, là aussi, on retrouve son sou- venir soit comme héros fabuleux, soit comme demi-dieu, soit comme prophète. Dans toutes, il y a plusieurs Maui, de même qu’à la Nouvelle Zélande, où le célèbre Maui Potiki avait quatre ou cinq frères; dans toutes existe une tradition, identique par le fond, mais de moins en moins complète et nette à mesure qu’on avance vers l’Est et le Nord de la Polynésie. C’est ainsi que nous avons trouvé nous-même trois Maui aux îles Marquises, sans parler de celui qu’on y y appelle Maui-Ke ou dieu du feu ; (1) c’est ainsi qu’aux îles Sandwich, des légendes de Maui, de ses quatre frères, de leur mère A-Kalana, Karana ou Taranga, de leur grand’ mère Hina-Mahuia, ont été trouvées sur tous les groupes avec de légères variantes. Une île de l’archipel porte même le nom de Maui. On a vu qu’à Tahiti, Maui était le nom (l) Le même que Mahui ou mieux Maui-ka de la Nouvelle-Zé- lande, Mafuie des Samoa. Mahuie de Tahiti, et Mahuia des îles Hawaii. 152 LES POLYNÉSIENS. d’un prophète ou d’un sage, dont les traditions font un prêtre, et auquel elles font jouer le rôle de Josué ; on a vu aussi qu’une autre tradition attribuait à un Maui le trans- port d’un continent vers l’Est, en venant de l’Ouest. Partout donc existait la même tradition, plus ou moins modifiée par les détails, quoique complètement identique par le fond, mais devenant de plus en plus fabuleuse, de plus en plus incomplète à mesure qu’on s’éloignait de lTle-Nord de la Nouvelle-Zélande, où elle est au contraire explicite et aussi complète qu’un mythe peut l’être. N’en faut-il pas conclure que c’est la contrée ayant conservé la tradition la plus pure qui a dû la fournir à celles qui n’en ont plus qu’un souvenir confus ? Pour nous, nous n’hésitons pas à l’admettre : c’est l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande qui a fourni cette tradi- tion à la Polynésie ; sans cela, il serait impossible d’expli- quer l’absence du mythe de Maui dans l’Ile-du -Milieu qui la touche, et qu’on croit si généralement avoir été peuplée par elle. Il est bien évident que si les habitants de l’ile-du- Milieu avaient été fournis par l’Ile-Nord, ils auraient eu la même tradition à cet égard, et ils auraient appelé du même nom leur dieu de la guerre ; on sait, au contraire, depuis les recherches du savant missionnaire angolais Taylor, qu’ils ont un mythe tout autre que celui de Maui, et qu’ils don- nent à leur dieu de la guerre un nom tout différent de celui qui est donné au même dieu dans l’He-Nord. D’un autre côté, quand on remarque que la Polynésie entière possède justement le mythe de l’Ile-Nord de la Nou- velle-Zélande, et qu’elle donne à son dieu de la guerre le nom que lTle-Nord lui attribue, n’est-ce pas un témoignage en faveur du peuplement delà Polynésie par lTle-Nord de la Nouvelle-Zélande ? Tout ceci, il faut l’avouer, est fort hypothétique ; mais en rapprochant les faits, en remarquant la direction que la tradition fait suivre à Maui quand A traîna une terre de l’Ouest à l’Est, en tenant compte surtout de l’absence cer- taine du mythe de Maui dans l’Ile-du-Milieu delà Nouvelle- Zélande, où il est remplacé par celui de Tawhaki qui vivat LES POLYNÉSIENS. 153 avant lui, il nous semble que ces conjectures ne sont pas tout-à-fait sans fondement. S’il peut sembler difficile d’expliquer pourquoi les croyan- ces mythologiques, rapprochées par le fond dans les deux grandes îles de la Nouvelle-Zélande, diffèrent dans chacune d’elles par les détails et surtout par le nom des héros, c’est, à notre avis, qu’on oublie que Maui, en s’expa- triant à la tête d’une bande d’hommes aussi mal famés que lui dans son pays, dut bien vite devenir la terreur de toutes les populations d’Aotearoa ou Ile-Nord de la Nou- velle-Zélande. Naturellement, après sa mort, sinon de son vivant, on lui attribua presque tous les faits mythologiques de la patrie première, conservés dans la mémoire, et son nom remplaça celui de Tawhaki. Le mythe de Maui, brodé, augmenté avec lé temps, fut bientôt seul connu à l’Ile- Nord, d’où il fut porté par les émigrants de cette île, dans toute la Polynésie et jusqu’aux Sandwich, où les premiers Européens trouvèrent des hommes qui s'instituaient prêtres de Maui. Maui, en un mot, accapara si bien tous les hauts faits de ses devanciers, ou de ses contemporains qu’on voit des traditions lui attribuer ceux de son frère aîné Ilupe, qui, comme Tawhaki, aurait fait une ascension au ciel (1). O-tu. — Le mot o-tu vient également appuyer notre con- jecture. Tous les voyageurs l’ont écrit Otou. D’après Mar- chand c’était, de son temps (1797), le nom du chef de Vaitahu (i)« Les exploits de Maui pour découvrir le feu appartiennent à tous les groupes avec des variantes. L’ancêtre déifiée et grand’ mère de Maui, à la Nouvelle-Zélande, appelée Mahuika par les légendes, est évidemment la même que sa grand’mère Hina-Ma- huia dans les îles Hawaii (Généalogie d’Ulu) ; et la Mafuie des Samoa trahit un souvenir confus des mêmes légendes. Ces légendes étaient incontestablement plus vieilles que l’exode des Polynésiens dans la Pacifique. Il est juste de conclure, à cause de cela, que la famille de Maui et ces légendes n’étaient pas, non seulement in- digènes aux îles Hawaii ou contemporaines de quelques-uns des chefs de la ligne Nanaulu, mais qu’il faut même se demander si leur origine ne date pas de la période pré-pacifique de la race polynésienne. » Fornander, An account of the Polynesian race , t. I, p. 108. 154 LES POLYNÉSIENS. sur Tîle Christine, où la France fit un instant un établisse- ment si funeste au commandant Hallet et à plusieurs au- tres. Cook écrivit ce nom Honou. Mariner, qui l’entendit aux îles Tunga, l’estropia comme presque tous les autres et le rendit par How. A Tahiti, c’était, à l’arrivée de Cook, le nom de celui qui devint peu après Pômare 1er. Partout enfin ce nom était appliqué au premier chef de l’endroit. Or, dans l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande, il était avant tout le nom du dieu de la guerre, ainsi que le prouve le fameux pihe ou chant de mort zélandais rapporté par Ken- dall. Ce nom y était aussi la désignation d’un cap près du cap Nord (1). Dans lTle-du-Milieu, au contraire, le dieu de la guerre était Maru (2) et non O-tu. A Tahiti, d’après le dictionnaire publié par les mission- naires anglais, le mot tu ou o-tu (3) signifie un dieu. C’était l’ancien nom du dieu de la guerre parmi les ancêtres des Ta- hitiens ; ce n’est que plus tard qu’il a été changé en celui d’Oro, à la suite de quelque conquête faite par leurs grands ancêtres, les habitants de Raiatea qui, eux-mêmes, possé- daient d’abord le mot O-Tu avant d’adopter le mot Oro. Aux Manaia ce mot est Koro. Avec M. de Quatrefages, nous croyons que Oro (4) n’était qu’un chef déifié, comme Hiro, Tangaloa ou Taaroa. De même qu’on a donné, par flatterie, le nom de Maui à l’ancien (1) Non loin du cap O-tu est le cap Reinga des indigènes, où, de tous les points de l’Ile-Nord, les âmes ( Wairua et non waidoua comme on a dit) accourent pour retourner au pays d’origine. (2) Il est à remarquer que Maru était également le nom du dieu de la guerre aux îles Sandwich (Voy. Taylor, p. 35.) (3) Il est inutile de dire que O doit être séparé d qTu : O est la préfixe placée devant les noms au nominatif. Tu est à Tahiti, comme à la Nouvelle-Zélande, aux Marquises etc., le nom d’un dieu (à). Ce mot d’ailleurs a plusieurs autres significations. (4) Oro, en Tahitien, signifie ratisser, racler le taro ; en Maori, moudre, aiguiser. (à) Au Japon, koo ou ku (pron. koü) est le titre qui répond à celui de Seigneur : on ne le donne qu’aux personues de la plus haute distinction, (Yoy, Thunberg, t. III), LES POLYNÉSIENS. 155 mythe de i’Ile-du-Milieu, modifié et embelli par les habi- tants de TIle-Nord de la Nouvelle-Zélande, de même, pen- sons-nous, on a donné, pour un motif semblable, le nom d’Oro àl’ancien dieu appelé jusque -là O-tu. Tous lespeuplesprocè- dent de la même manière. Il est certain que ce mot Oro ne reparaît pas dans les traditions des autres archipels ; il ne se trouve même pas parmi les noms des dieux des îles Sa- moa donnés par Pritchard. Celui qui portait ce nom était presque certainement aussi un chef important, le premier, si Ton veut, arrivé à Raiatea avec ses compagnons ; mais c’était un étranger qui, avec un nom ainsi orthographié, ne pouvait être un Samoan, comme on le croit : Il faudrait admettre alors qu’il avait quitté les Samoa avant que ces îles, qui parlaient évidemment la langue du pays d’origine à l’arrivée de leurs premiers habitants, n’eussent transfor- mé leur langue en un dialecte où le r se trouvait remplacé par le l comme aux Tunga. Ainsi écrit, du reste, ce mot était lui-même maori ; peut- être n’était-il que le mot 0*rongo élidé, comme nous l’avons déjà dit. Tina. — Ce mot que, seul, Bligh a dit être le nom de O -Tu, plus tard Pômare 1er à Tahiti, vaut également la peine qu’on s’y arrête un instant. Si ce mot a été exactement enten- du par Bligh, son équivalent en Maori est tina qui signifie rester calme à travers lapeur, être sans peur. Mais ne serait- ce pas plutôt le mot tana, qui est le nom de la deuxième caste à la NQuvelle-Zélande (1) et qui équivaut à prince, (I) D’après les écrivains modernes, et particulièrement d’après Thompson (p. 94), il existerait six castes à la Nouvelle-Zé- lande : 1° Ariki — 2° Tana — 3° Rangatira — 4° Tutua — 5° Ware — 6° Taurakaraka Premier chef, roi. Prince, appartenant à la famille suprême. Chef, noble. Classe moyenne. Basse classe. Esclave. Ces six rangs, ajoute Thompson, ne sont pas très bien définis et ne peuvent être distingués que par ceux qui ont fait une étude 156 LES POLYNÉSIENS. membre de la famille du chef suprême ? Ce mot tana a plu- sieurs significations à Tahiti : c’est le nom d’un poisson rouge ; c’est aussi, de même qu’à la Nouvelle-Zélande, le pronom possessif son, sa, ses. Peut-être aussi Bligh a-t-il entendu tinai qui, en Tahitien, signifie éteindre une lu- mière, un feu, faire cesser quelque chose, diviser de l’eau ; et auquel! correspondrait le maori tinei éteindre, détruire, abattre. Quoiqu’il en soit, tina n’est pas tahitien, et nous croyons. qu’il s’agit plutôt du mot tana. Rama et Tiare. — A la Nouvelle-Zélande, Rama signifie torche, et tiare , odeur. Aux Marquises, le motama, qui est le même que rama , est donné à VAleurites triloba , et le mot tiae, qui est le même que tiare , a été appliqué à une plante, le Gardénia fiorida. A Tahiti, tiare est donné aussi au Gardénia , comme aux Marquises. Mais il n’en est plus de même pour l’arbre à noix de Bancoul, qui s’appelle Tiaïri au lieu de Rama. Là, rama est le nom donné, comme à la Nouvelle-Zélande, à la torche employée par les pêcheurs. Aux Sandwich, lama , pour rama, signifie également lumière, torche et une espèce de bois ; mais le Bancoulier y est appelé Kuikui, de même qu’aux Samoa où il se nom- me Tuitui. En supposant les migrations opérées de la Nouvelle-Zé- lande, ne peut-on pas croire que les premiers émigrants, en voyant brûler si bien les noix de l’Aleurites ou Bancou- lier, leur auront appliqué le nom rama , torche ; de même qu’en sentant l’odeur suave du Gardénia, plante qui leur était également inconnue, ils lui ont appliqué le mot tiarey odeur ? Il est vrai qu’on peut objecter que les nouveaux arrivés, fussent-ils allés de Tahiti ou des Samoa à la Nouvelle- Zélande, auraient pu procéder de la même manière, et attentive de ce sujet. Nous croyons que la division n’est pas exacte : il est certain que tutua signifie pauvre homme, personne basse. LES POLYNÉSIENS. 157 donner le nom de Tiare à la plante inconnue qui leur rap- pelait la leur parson odeur. Mais ce mot n’étant, à Tahiti, d’où l’on fait surtout provenir les habitants de Plie-Nord de la Nouvelle-Zélande, que le nom d’une plante, il semble moins naturel qu’il soit devenu un nom abstrait à la Nou- velle-Zélande. C’est pourquoi nous croyons pouvoir le con- sidérer comme ayant plutôt été donné par des émigrants maori à la plante d’odeur si agréable, rencontrée par eux en Polynésie. La même observation peut se faire également au sujet du mot rama . Il nous semble donc plus facile de com- prendre le changement qui se serait fait dans l’application et la signification de ces mots en admettant leur origine zélandaise, qu’en faisant le contraire. Motu et Fatu. — Les deux mots motu et fatu nous sem- blent aussi pouvoir être interprétés de la même manière. M. Gaussin cherche à mettre en relief la différence exis- tant entre ces mots, dans le but de prouver que les habitants de la Nouvelle-Zélande et des îles Marquises tirent leur origine d’un lieu où doit se trouver des motu de corail : il soutient donc tout simplement l’opinion de Haie sur le lieu du départ des émigrants de la Polynésie pour la Nouvelle- Zélande. D’après lui, à Tahiti, le mot fatu est employé pour dési- gner un îlot élevé, un rocher, et le mot motu , un îlot plat, formé par le corail, ou plutôt le récif élevé à fleur d’eau. Aux Marquises, motu et fatu sont employés indifféremment pour désigner un îlot, un rocher, car, dans cet archipel, il n’existe pas de motu de corail. M. Gaussin conclut, de la synonymie des deux mots à la Nouvelle-Zélande et aux Marquises, que les habitants de ces deux archipels tirent leur origine d’un lieu où il doit se trouver des motu de co- rail. Mais il est probable qu’il y a là erreur : il est certain qu’à la Nouvelle-Zélande motu ne signifie que : île plate, basse, de même que ce mot signifie, à Tahiti (1), île, île basse, par (1) Dictionnaire Tahitien , p. 147. 158 LES POLYNÉSIENS. opposition, à fenua , terre élevée, île où il y a une terre élevée. Quant au mot fatu il veut dire (1) : maître, posses- seur, tisser, tresser, partie cartilagineuse de l’huître, mais non pas île, rocher. Aux îles Marquises, il signifie, d’après le P. Mathias : père ou mère nourricier, mamelle, lier, atta- cher, sustenter, espèce d’écrevisse. L’explication de M. Gaussin tombe donc d’elle-même, et rien ne s’oppose à ce que la Nouvelle-Zélande ait fourni a la fois les émigrants et le mot avec sa signification. Ariki. — Un mot qui, plus que tous les autres, doit appe- ler l’attention, est celui d’Ariki ; car si notre hypothèse est la plus voisine de la vérité, commenous espérons le prouver, ce mot, à lui seul, fait comprendre que la Polynésie ait pu être peuplée par la Nouvelle-Zélande. Voici ce que dit M. Gaussin à ce sujet : (2) « Il y a eu, à la Nouvelle-Zélande, dans la signification du mot ariki , un changement qui peut nous éclairer sur l’histoire des peuples de cette île. Ariki, qui ailleurs représente le pouvoir royal appuyé sur la théocratie, ne signifie que pontife et les chefs suprêmes sont appelés Rang-atiras, titre qui, dans la Poly- nésie, désigne les petits chefs, les nobles, les propriétaires. N’est-ce point là un trait évident du développement naturel des Sociétés ? N’y devons-nous pas voir une preuve de la révolution faite au profit des chefs militaires contre les rois théocrates ? N’est-ce pas la même révolution qui a eu lieu à Rome à la chute de la royauté ? Nous pouvons même faire ressortir davantage l'analogie. En effet, les mots rex et ariki ont été conservés pour désigner les pontifes, l’un à Rome, l’autre à la Nouvelle-Zélande. On comprend qu’un pareil changement dans les institutions sociales ait pu s’effectuer là où la population s’est élevée jusqu’à un million d’âmes, plutôt que sur les petites îles de la Polynésie, où il est rare de trouver vingt mille habitants sous la même autorité. » (1) Id., p. 83. (2) Ouvr. cité, p. 124. LES POLYNÉSIENS. 159 Puis il ajoute : .« Aux Marquises, le mot hakaiki ( ariki ), est au contraire d’un usage général. j\ous devons attribuer ce résultat à la nature du pays qui a produit le fractionne- ment de la population. Les seuls endroits habitables sont quelques vallées encaissées, séparées les unes des autres par des crêtes de montagnes presque infranchissables ; cha- cune de ces vallées a dû nécessairement devenir une unité politique. Les Rangatiras, par suite de la faiblesse du pou- voir, ont pu se constituer Ariki, non par une révolution so- ciale, comme à la Nouvelle-Zélande, mais par une simple usurpation individuelle de l’autorité et sans altérer l’insti- tution même. Cependant, le titre Rangatira se trouve quel- quefois employé avec le sens de possesseur de terre ou con- quérant. En un mot, on peut dire qu’aux Marquises la classe des Rangatira s’est fondue dans celle des Ariki, mais sans la remplacer, comme à la Nouvelle-Zélande. » Nous sommes de l’avis de M. Gaussin quand il dit qu’une révolution s’est faite, à la Nouvelle-Zélande, au profit des chefs militaires contre les chefs religieux : ceux-ci, avec le temps, avaient su acquérir tous les pouvoirs, ou, du moins, ils agissaient comme s’ils les avaient possédés légalement. Mais ce qu’il importe de remarquer, c’est que la séparation des pouvoirs, à la Nouvelle-Zélande, semblait remonter à une époque fort reculée, qu’il est impossible de déterminer, car il existait à la fois des chefs militaires et des Ariki dans les traditions les plus anciennes, telles que celles de Tinirau, de Whakatau, de Poporokewa (l), du temps de Maui, de Kae et de Uenuku. Ces traditions montrent que les Ariki ou pontifes n’avaient là, comme ailleurs, autant de pouvoirs, que grâce aux moyens dont ils disposaient et à leur habileté. Mais, dès lors, ils étaient ou ils devaient être hiérarchiquement infé- rieurs aux chefs militaires des tribus. Il est impossible de dire à quelle époque ce résultat avait été obtenu : ce n’était bien probablement que longtemps après sacréation qu’on avait dû donner au mot ariki, unepa- (1) Poporokewa était le chef des Ati-Hapai, dont Kae, qui eut pour successeur Uenuku, était le pontife. 160 LES POLYNÉSIENS. reille extension. Si l’on s’en rapporteà Shortland(l), écrivain si versé dans les choses de la Nouvelle-Zélande, ariki ne si- gnifie littéralement que « héritier mâle ou femelle » et c’est à tort, d’après lui, qu’on le traduit par les termes « seigneur, maître, roi. « Pour Taylor, ariki signifierait pontife et non prêtre qui se rend par Tohunga : tino ariki signifierait chef des prêtres ou très ariki. Toujours est-il, comme le dit M. Gaussin, que ce titre est celui que les premiers voyageurs, ainsi que leurs successeurs, ont trouvé réservé aux pontifes dans la Nouvelle-Zélande, tandis que les chefs des' tribus y portaient le nom de Rangatira (2). De nos jours encore, un même chef peut porter les deux titres à la fois. Il suffit pour cela qu’il soit chef de tribu et char- gé de fonction sacerdotale. Ainsi le révérend Marsden, dans son 3° voyage à la Nouvelle-Zélande, en 1820, fait remarquer que le titre Ariki était donné à Te Puhi le premier chef d’une tribu, qui était en même temps chef de la religion ; et d’Urville apprend que le Zélandais Te ïïinui que nous avons pris en 1827 à Te-Ra-Whiti, dans le détroit de Cook, et conduit jusqu’à la baie Tolaga ou Uaua, était en même temps Rangatira-nui et Ariki, c’est-à-dire premier chef et grand-prêtre de son canton. Il faut en conclure, croyons- nous, que si les titres sont séparés aujourd’hui, comme ils paraissent l’avoir été de tout temps, d’après les plus vieilles traditions, les chefs civils et militaires n’avaient certaine- ment pas besoin, en arrêtant le clergé dans ses empiète- ments, de song'er à lui prendre en même temps le titre qu’il s’était donné, et qui semblait bien lui appartenir par son origine d’apparence toute cléricale. En effet, riki signifie (1) Traditions and Superstitions , .p. 104. (2) Maori : ranga , compagnie de personnes, avancer, pousser en avant \ tira ; compagnie de travailleurs, nageoire de poisson; tiratu , mât d’un canot. Tahiti : raatira , chef inférieur ; raa consacré, sacré, nom de l’un des principaux dieux ; tira , mât d’un navire à voile ; pièce ou bâton élevé, droit dans un maraë. Marquises : tia mât. Les Marquésans n’ayant ni le r ni le ng , la mot ranga ou raa ne pourrait être que aa qui n’est pasMarquésan. LES POLYNÉSIENS. 161 littéralement « petit» et a, « entraîner, diriger, conduire. » D’après cela il n’y aurait donc pas eu, comme on le dit , changement dans la signification du mot ariki , mais seule- ment reprise de la puissance usurpée par les Ariki. Cette puissance, au moment de la lutte, devait être considérable, à en juger par les traditions qui font connaître les guerres survenues dans la patrie première, ainsi que les migrations vers l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande, qui en furent le résultat. Ces traditions donnent, en effet, les noms de tous les chefs prêtres ou chefs qui, une fois vaincus, durent chercher leur salut dans la fuite (1). On voit figurer parmi eux les pontifes les plus renommés ou leur enfants, tels que Ngatoro-i-Rangi, Rata, Raumati, etc. En somme, les Ariki auraient tout simplement conservé leur ancien titre, momentanément bien déchu, et les Rang’a- tira ou chefs militaires et civils auraient eux-mêmes gardé le leur. C’est, du moins, ce qui résulte de tous les documents qui sont venus à la connaissance des Européens depuis quelques années. Si la révolution paraît avoir été, cette fois, aussi profonde, c’est, comme on verra plus tard, que la guerre civile s’était étendue à presque toutes les tribus de la patrie première ou Hawahiki, et qu’elle devait recommencer pres- que aussitôt dans la nouvelle patrie, Aotearoa ou Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande. Si la cause principale des émigra- tions n’eut pas été la lutte des chefs militaires contre les théocrates, on ne comprendrait pas l’arrivée à la fois dans l’Ile-Nord des partis qui étaient opposés en Hawahiki : Tels que les enfants du grand prêtre Uenuku qui avait été si longtemps vainqueur d’Hou, et ceux d’Hou eux-mêmes qui cependant, avant de partir, avaient tué Uenuku. Pour s’ex- pliquer un pareil fait, il faut absolument admettre qu’il y avait eu un troisième parti et que c’est ce troisième parti (1) Voir à ce sujet les légendes de Tinirau, Rata, Whakatau, Kae, etc., dans Sir Grey, Shortland et Taylor, et l’appendice in- séré à la fin de ce volume. iii. 11. 102 LES POLYNESIENS, qui était resté le maître et avait expulsé les vainqueurs et les vaincus demeurés fidèles à leur cause. Il est fort probable que les Rangatira, parvenus à maî- triser les Ariki et leurs adhérents, se sont mis en leur lieu et place pour toutes les choses temporelles ; c’est peut-être alors que les premiers chefs de chaque nation ou tribu, pour se distinguer davantage, se firent appeler Rangatira- nui, comme nous avons entendu Tehinui se désigner sur Y Astrolabe. Mais il n’est pas moins vrai que ce titre, avant l’émigration de la plupart des partisans du pouvoir théo- cratique c’est-à-dire de la grande émigration racontée par les légendes de SirGrey, était déjà celui des premiers chefs des tribus en Hawahiki. Depuis quand ? Il serait oiseux de le rechercher. Ce serait donc à tort, en définitive, qu’on le supposerait, à la Nouvelle-Zélande, inférieur à celui d’ Ari- ki, qui semble n’avoir été, de tout temps, que le titre réservé aux chefs du clergé. D'un autre côté, il est certain, ainsi que le fait remarquer M. Gaussin, qu’il n’en était pas de même en Polynésie, quand les premiers explorateurs s’y présentèrent. Là, en effet, le titre Raatira (Rang’atira) (1), à Tahiti du moins, dé- signe les petits chefs, les nobles, les propriétaires ; et il paraissait aussi parfois y signifier « conquérants». Ceci s’ex- plique parfaitement, quand on sait que la forme du gouver- nement, à l’arrivée des Européens dans cette île, était une sorte de monarchie aristocratique. Mais là ce titre était inférieur à celui d’ Ariki, contrairement à ce que nous ve-^ nons devoir pour la Nouvelle-Zélande, et celui d’ Ariki, dans toutes les autres îles polynésiennes, était également le titre du pouvoir le plus élevé. Ici donc plus de doute : tous les voyageurs ont fait la même observation, et il suffit de se rappeler que c’est le titre que prenait la reine Pômare, pour être convaincu de son exactitude. Seulement l’ortho- graphe de ce mot varie suivant les dialectes : aux Tunga, (1) Ce titre ne se trouve ni aux Tunga, ni aux Marquises, ni aux Samoa, sous un nom approchant. LES POLYNÉSIENS. 163 c’est eiki ; à Tahiti, arii ; aux Mangareva, aux Manaia, etc., ariki ; aux Marquises, hakahiki , et aux Sandwich, alii. A l’occasion du mot hakaiki(l) des Marquises, M. Gaussin pense que son usage n’est du qu’à la nature du pays qui a produit le fractionnement de la population. Nous ne som- mes pas de son avis : il est certain, d’abord, que ce mot est le même dans toutes les îles polynésiennes, et que, si les Marquises ont des vallées étroites et isolées qui l’expli- quent, les îles Sandwich, par exemple, qui l’emploient com- me Tahiti, présentent en outre de fort grands espaces qui auraient certainement permis à de grandes agglomérations de devenir une unité politique. Sans doute certains petits chefs, par suite de la. faiblesse du pouvoir, ont pu, à certai- nes époques, se constituer Ariki, par une simple usurpation individuelle ; nous en avons nous-même observé un exem- ple à Nuku-Hiva (2) et nous savons que d’autres ont été vus aux îles Tunga et à Tahiti. Bien probablement aussi, comme l’avance M. Gaussin, la classe des Rangatira, aux Marquises, s’est fondue dans celle des Ariki (Hakaiki), car il n’y a même pas, en apparence, de mot équivalent à ranga- tira, à moins que ce ne soit celui de tuhuka , maître, habile. Mais cela n’explique pas pourquoi ce titre Ariki est devenu dans toutes les îles polynésiennes celui du pouvoir suprême, contrairement à ce qui avait lieu à la Nouvelle-Zélande ; cela n’explique pas non plus pourquoi les Rangatira (Raa- tira) ne sont à Tahiti que des nobles, des chefs inférieurs. L’adoption du mot Ariki dans toute la Polynésie, comme titre des premiers chefs, nous paraissant due à une toute autre cause que celle indiquée, nous allons essayer de faire connaître cette cause, qui vient elle-même appuyer l’opinion que la Nouvelle-Zélande a peuplé la Polynésie. (1) Haka, faire; hiki, élever, nourrir; iki petit. (2) O-Tetui, devenu Ariki sous le nom de Umatoto, et père de notre ami Tuhuka, était d’origine populaire. (Y. Notes manuscri- tes sur les Marquises , p. 867.) 164 LES POLYNÉSIENS. Nous avons dit précédemment que toutes les traditions maori établissent que les luttes, en Hawahiki, avaient sou- vent lieu entre les tribus d’une même nation ; comme les luttes devinrent générales, il est presque certain, même en admettant que d’autres causes aient contribué au départ d’un certain nombre de canots, que la cause principale a dû être le soulèvement d’une partie de la population contre l’autre, en un mot, ainsi que le dit M. Gaussin, celui des Rangatira et de leurs partisans, contre le pouvoir théocrati- que. Il suffit de parcourir les traditions rapportées par Sir Grey pour en être convaincu. Par cela même, il est bien évident aussi que les émigrants, allant se fixer sur l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande, ne pouvaient guère être que les partisans de ce pouvoir, ce que semble attester d’ailleurs la présence à la fois, sur cette terre, des noms des chefs et des Ariki les plus renommés et les plus nobles en Hawahiki. Imbus des idées qui venaient de leur être si funestes, ils ne pouvaient pas manquer d’es- sayer de les faire revivre. C’est ce qu’ils firent, comme le prouve, entre autres, l’exemple du grand-prêtre Ngatoro-i- Rangi, dans la baie d’ Abondance. Mais, presque aussitôt, de nouvelles luttes survenant (1), et les guerres se succé- dant, force fut au parti vaincu de chercher de nouveau son salut dans une nouvelle émigration. Cette fois, n’ayant, comme on verra, pour ainsi dire pas de choix, il dut se di- riger vers la Polynésie. En arrivant dans les îles polynésiennes, après tant d’é- preuves déjà supportées pour ce que les émigrants de- vaient, eux aussi, appeler la bonne cause, ils ne pouvaient qu’y implanter le régime théocratique, malgré qu’il les eût forcés à émigrer, et cela dut même leur être d’autant plus facile, qu’il n’y avait probablement, quoiqu’on ait cru le contraire, personne sur les premières îles abordées qui (l) Fait curieux à noter, c’est Raumati, l’un des fils de Uenuku, le grand-prêtre d’Hawahiki, tué par Tama-te-Kapua, fils d’Hou,qui commence en incendiant le canot de ce dernier. LES POLYNÉSIENS, 165 put les en empêcher. Jamais circonstances plus favorables ne s’étaient présentées pour eux : la longueur de la traversée et ses dangers avaient dû augmenter le sentiment religieux et la confiance dans les chefs, et telles étaient ces circonstan- ces, qu’il suffisait devouloir, pour établir en entier le régime qu’on avait si vainement rêvé pour la Nouvelle-Zélande. On n’y manqua pas, à en juger par les plus anciens docu- ments obtenus sur ces îles : ces documents démontrent que le gouvernement y fut tout d’abord théoratiquepur, avant d’ar- river aux changements qui en avaient fait, à Tahiti, par exemple, une espèce de self -g over riment (l). Le titre Ariki, qui était celui des chefs émigrants, y fut naturellement adopté comme celui du pouvoir le plus élevé, et comme ce sont les premières îles occupées, c’est-à-dire les Tunga, les Samoa, les îles de la Société et Manaia, qui envoyèrent leurs colonies peupler les îles plus orientales, cela seul ex- plique, à notre avis, que ce titre soit devenu partout celui des premiers chefs. Mais, parce qu’il était devenu partout le titre du pouvoir suprême à l’arrivée des Européens, il ne faut pas croire qu’il n’y avait pas eu, là aussi, des efforts faits pour renver- ser ou diminuer le pouvoir que le parti théocratique s’était arrogé. L’histoire de la Polynésie apprend, au contraire, que ce titre n’était qu’une usurpation des hommes, princes ou Raatira, qui l’avaient pris en même temps que le pouvoir, soit aux Tunga, comme Finaul", soit àTaliiti, comme Pôma- re Ier, ou même aux Marquises, comme O-te-Tui. Pour en arriver là, il avait dû évidemment se passer plus d’une révo- lution qui, en définitive, avait eu pour résultat, comme à la Nouvelle-Zélande, de ramener à de justes limites le pouvoir théocratique, resté tout puissant pendant une période qu’il est impossible de fixer. Cela semble prouver que la distinc- tion devait exister dès le principe entre les pouvoirs. On sait qu’à l’arrivée de Mariner aux îles Tunga, toute l’influence du fameux Tuitonga, comme autorité civile et (1) Voir nos recherches sur cette île, p. 547 et suiv» ' 166 LES POLYNÉSIENS. militaire, avait disparu, enlevée par l’usurpateur Finau Ier, et que celui-ci, à la mort du Tuitonga, abolit même jusqu’à la fonction. Cependant ce qui semble prouver encore que le pouvoir avait dû être tout tbéocratique d’abord, ou sous la dépendance du Tuitonga, c’est que ce nom ne signifie que roi ou mieux premier chef de Tonga, signification qu’il avait aux îles Samoa, et qu’il avait aussi aux îles Fiji, aux- quelles il avait été emprunté pour remplacer le titre Ariki, probablement à l’époque où quelque usurpateur avait pris ce dernier titre en même temps que le pouvoir. A l’arrivée des premiers Européens aux îles de la So- ciété, le titre Ariki, sous la forme Arii, était non-seule- ment celui du premier chef des principales tribus, mais aussi celui des chefs de districts. A cette époque, le clergé n’était plus, pour les Arii, qu’un moyen pour gouver- ner, tant on avait réduit son influence. Toutefois l’histoire apprend encore qu’à cette même époque, il n’était pas plus facile à manier que le clergé de beaucoup d’autres contrées, où les rois emploient une partie de leur règne à se défendre contre l’empiètement de l’église et l’autre à venger les in- térêts de cette même église, à laquelle leur prestige est attaché. On connaît le fait du grand-prêtre Tupaia, partant avec Cook pour échapper à la vengeance de Pômare Ier, contre lequel il n’avait cessé de conspirer en faveur de la reine légitime O-Puria, l’Obereade Wallis ; on connaît également celui du grandprêtre Haamenemene, du temps de Pômare II, qui fut assassiné par ordre de la femme de Pômare 1er, parce qu’il ne cessait de conspirer contre ce chef usurpateur. Le même fait s’est passé aux îles Sandwich, ainsi que le prouve l’usurpation de Tamehameha Ier. Nous avons vu nous-même un fait analogue aux îles Marquises, où probablement, comme dans toutes les autres, il avait dû se présenter plus d’une fois avant l’arrivée des Européens. Quoi qu’il en soit, à l’époque de la venue de ceux-ci en Polynésie, le titre des premiers chefs n’était bien, comme LES POLYNÉSIENS. 167 on l’a dit, et comme il l’est encore, que celui d’Ariki, qu’ils fussent légitimes ou usurpateurs. Partout, dans ces îles comme à la Nouvelle-Zélande, la séparation des pouvoirs était opérée ; seulement elle était plus ou moins complète suivant les îles. Dans quelques-unes, le clergé avait encore une puissance assez grande. Mais à peine quelques années se furent-elles écoulées, qu’il ne restait pour ainsi dire plus rien de cette puissance, là meme où les missionnaires euro- péens n’avaient pas eu l’occasion d’agir. C'est ainsi que nous avons pu observer, lors de la prise de possession des îles Marquises, qu’il n’y avait guère de croyants aux anciens dieux, et de respectueux pour les prêtres, que les plus su- perstitieux de la nation : tous les chefs, grands ou petits, et même les cheffesses, se montraient incrédules (1). Aussi là, déjà, tous les temples étaient-ils presque abandonnés et en ruine. Mais, par contre, il y avait, comme nous avons dit, presque autant d’Hakaïki que de personnes nobles dans la population. En voyant que, pour se distinguer, le premier chef des Teii, protégé par la France, se faisait appeler Ha- kaiki-nui, « le grand chef, » il est au moins probable que ce mot, dans ces îles, avait ce sens, comme celui d’Haatepeiu pour les femmes titrées ; mais, peut-être, dans l’origine, il n’avait signifié, comme à la Nouvelle -Zélande, que l’aîné, le chef d’une famille. Après cela, que le mot hakaïki n’ait dû sa conservation dans ces îles, comme le pense M. Gaussin, qu’aux séparations naturelles existant entre les tribus, ou qu’il soit dû, comme nous le pensons, à quelque colonie partie d’une île où régnait le pouvoir théocratique ; que sa conservation ne soit que le résultat d’une pareille origine, aussi bien pour les familles légitimes que pour celles qui se sont mises à leur place, il est bien certain qu’il semble y remplacer le titre Rangatira de la Nouvelle-Zélande etRaa- tira des Iles de la Société, titre qui ne pouvait s’y trouver (1) Voyez Journal de notre séjour aux Marquises, où nous rela- tons le récit de nos rapports avec le grand-prêtre des Teii et avec diverses cheffesses ou mieux grandes prêtresses de l’ile. ( 168 LES POYNÉSIENS. puisque les Marquésans n’ont l’usage du r ni du ng (1). Cette absence du dernier mot peut même expliquer l’abon- dance du mot ariki ( hakaiki ), quoiqu’elle puisse être due, soit à ce qu’on lui a conservé, aux Marquises, la signi- fication primitive qu’il paraît avoir eue, c’est-à-dire « hé- ritier, chef de famille», en un mot « aîné, mâle ou fe- melle » ; soit encore, comme nous l’avons dit, à ce qu’il signifie « noble », nom qui, du temps de Mariner (2), était, aux îles Tunga, donné à tous les chefs et à ceux qui des- cendaient plus ou moins directement de la famille du Tui- tonga et de celle du Yea-iti. En somme, quelle que soit la raison qui ait fait adopter en Polynésie le mot Ariki, qui paraît n’avoir été, en tout temps, à la Nouvelle-Zélande, que le titre des chefs du cler- gé, il est bien certain que c’est le titre que prenaient les chefs polynésiens à l’arrivée des Européens, et que c’est encore celui qu’ils prennent. Ce choix seul fait comprendre comment il se fait qu’aux îles de la Société, les Raatira aient été trouvés une classe inférieure. Pour arriver là il a fallu une longue durée d’un gouvernement théocratique pendant lequel, presque certainement, ont dû s’éloigner les colonies qui sont allées peupler d’autres îles. Un pareil état de choses n existait évidemment pas aux Iles de la Société depuis un temps aussi long que dans les îles Tunga et Samoa, puisque les Raatira y possédaient encore une assez grande influence comme corps, tandis qu’ils n’étaient pour ainsi dire plus que des espèces de majordomes dans les autres archipels, sous les noms, aux Samoa de Matabole, et aux Tunga de Tulafale. Fait bien curieux, du reste, mais que nous ne pouvons qu’indiquer ici, les récits des voyageurs ne signalent la classe des Rangatira en Polynésie, et sous ce nom même, que dans les îles les plus Sad de l’Océan Pacifique, c’est-à- (1) Voir ce que nous venons de dire à ce sujet, p. 162, note. (2) Mariner écrit Egi pour Eiki. LES POLYNESIENS. 169 dire dans celles qui s’étendent depuis la Nouvelle-Zélande de l’Ouest jusqu’à Pâques dans l’Est, et particulièrement dans l’ile Rarotonga du groupe Hervey (1). Mais il est à peu près certain qu’il y avait partout ailleurs, aux Sand- wich comme aux Marquises, une classe analogue, et que cette classe était celle des guerriers, des nobles, menant leurs vassaux à la guerre à l’appel de l’Arii, comme cela s’est pratiqué ailleurs. A Tahiti, elle avait conservé son nom, comme on vient de le voir, mais elle n’était pour ainsi plus que la classe de propriétaires fonciers, et après avoir été enrichie, elle semblait avoir déjà perdu une partie du souvenir de son origine, lors de la venue des Européens. Il suffira de lire ce que disent Ellis et Moërenhoüt du rôle des Raatira dans la société tahitienne, pour en être con- vaincu. De tout ce qui précède, il semble résulter, en définitive, que les révolutions qui ont amené plus d’une fois, dans les îles polynésiennes, des usurpateurs à la place des chefs lé- gitimes, sembleraient n’avoir eu pour cause que la néces- sité, comme à la Nouvelle-Zélande, de restreindre la puis- sance des chefs du clergé et de les contraindre à se borner au pouvoir spirituel. Mais là, la révolution a été plus gran- de qu’à la Nouvelle-Zélande, puisque les chefs militaires ne se sont pas bornés à réduire la puissance des Ariki, en leur enlevant les pouvoirs usurpés par eux et en rendant le clergé un simple moyen de gouvernement, mais qu’ils ont pris jusqu’à leur titre. Il nous semble enfin que les considérations que nous ve- nons de présenter expliquent mieux la suprématie spiri- tuelle du Tuitonga et du Yeachi, que l’hypothèse de MM. Haie et de Quatrefages, pour lesquels cette suprématie pro- vient d’une colonie arrivée directement de Bouro-la-Sainte. Nous venons d’écrire le mot Veachi : ce mot n’est ni po- lynésien, ni maori ; comme tant d’autres, il n’est que de (1) Voir J. Williams, A Narrative , etc. p. 214. 170 LES POLYNÉSIENS. l’invention de Mariner. On peut voir aux mots chi , chichi . chino-chi , etc., des dictionnaires de cet historien des îles Tunga, que la syllabe chi n’est évidemment que le mot iti ; par conséquent, il faut lire Yea-iti, au lieu de Yea-chi, comme le répète Dumont d’Urville lui-même. Or, vea signifie « porteur de paroles, messager de chef ou de roi » ; c’était, pour ainsi dire, le lieutenant du Tui- Tonga; c’est le Yea-iti qu’on voyait partout, sans doute pour laisser au Tui-Tonga un caractère plus sacré, absolument comme cela se passe dans d’autres contrées. Quant au mot iti , il signifie petit, et est mis ici probablement par anti- thèse. Le Yea-iti était toujours le descendant de Famé de la famille sacerdotale la plus sacrée ; à Tongatapu, c’était celle des Fatafaï qui donnait le Tuitonga, et ce dernier, quoique grand pontife, était assujetti au baisement des pieds du Yea (1). Le Yea était, en un mot, une sorte de Tuitonga futur, et c’est pour cela sans doute que, d’après la coutume d’honorer le prétendant à un titre, plus que son père, le Tuitonga lui-même était tenu de lui rendre hommage. En attendant sa nomination, c’était une espèce de lieutenant du Tuiton- ga, un porteur de paroles. Puisqu’il faut écrire Yea-iti au lieu de Yeacbi, il n’est pas étonnant que Mariner, ainsi que le dit Martin, n’ait ja- mais pu parvenir à découvrir la signification de ce mot, qui n’existait pas. Nous sommes seulement surpris qu’il ne l’ait pas forgée, comme il en a tant forgé d’autres. Le mot vea n’existe pas plus h la Nouvelle-Zélande que le mot voea ; on n’y trouve, s’en rapprochant un peu, que zoera , chaud, être chaud, brûlé, etc. Existait-il, dans cette (1) Le Tuitonga et le Yeaiti étaient les personnes les plus sa- crées. Nous avons vu les chefs éviter le descendant des Fatafaï, pour ne pas avoir à se prosterner devant lui. On a comparé avec raison le Tuitonga au Daïri du Japon, au Lama du Tliibet et au Pape de Home, puisque ses fonctions étaient toutes spirituelles. ) LES POLYNÉSIENS. 171 contrée, quelque fonction pareille ? Il est certain qu’il y avait dés messagers ; mais on connaît trop peu les usages sacrés des Maori pour en parler avec quelque exactitude. Messager, à la Nouvelle-Zélande, se rend par kaikaiwaiu et korere. Tout ce que nous pouvons dire c’est que, quand on avance que les Arii étaient plus sacrés en Polynésie qu’à la Nouvelle-Zélande, on oublie probablement qu’ils l’étaient eux-mêmes considérablement. Ainsi, d’après Taylor, non- seulement ils étaient sacrés, mais on supposait qu’ils avaient le pouvoir de converser à volonté avec leurs an- cêtres les dieux, et de fait, ajoute-t-il, ils étaient eux-mê- mes des dieux sur la terre. De tout ce qui précède, on peut supposer que c’est plutôt la Nouvelle-Zélande qui a peuplé la Polynésie que la Po- lynésie la Nouvelle-Zélande. Il est bien évident, en effet, que si cette dernière eut été peuplée par la Polynésie, com- me on le croit, ce serait le mot Ariki, que les émigrants, une fois à la Nouvelle-Zélande, auraient continué d’em- ployer pour désigner leurs chefs, au lieu de le donner aux prêtres ou aux chefs seulement du clergé. On comprend au contraire parfaitement que les Ariki, chassés de l’Hawahiki, se soient contentés de ce titre, en reprenant leur influence dans la Polynésie* 3° Jacle vert. — La présence du jade vert, jade oriental, néphrite, ou jade néphritique, dans la plupart des îles Po- lynésiennes, sous la forme de haches surtout, peut être encore considérée comme un témoignage favorable au peuplement de la Polynésie par la Nouvelle-Zélande. 11 paraît certain aujourd’hui que le jade vert ne se trouve sur aucune des îles Polynésiennes proprement dites. Cepen- dant tous les anciens navigateurs ont signalé son existence, sous des formes différentes, dans les diverses îles qu’ils ont visitées ; tous ont fait remarquer le prix qu’y attachaient les indigènes, preuve convaincante de sa rareté. On y te- 172 LES POLYNÉSIENS. nait tant, lors des premiers voyages, qu’il était presque impossible d’en obtenir par échange. Ce ne fut qu’ après l’introduction des haches européennes, que les habitants des îles polynésiennes commencèrent à se dessaisir des leurs. Mais, bientôt, à mesure qu’ils apprécièrent davantage le fer, leur engouement pour lui devint tel, qu’ils livrèrent pour ainsi tout ce qu’ils possédaient en jade : aussi aujour- d’hui est-il presque impossible d’en rencontrer dans les îles Polynésiennes qui ont été fréquemment visitées. D’un autre côté, on sait qu’une seule des îles de la Nou- velle-Zélande produit du jade, et nous avons nous-même entendu dire à d’Urville, par le chef Tehinui, pris par nous dans le détroit de Cook et déposé plus tard à la baie Hua- Hua, que l’Ue-Nord produisait des cochons, mais pas de jade, et que l’Ile-du-Milieu produisait au contraire du jade mais pas de cochons (1). Or, c’est dans l’Ile-du-Milieu que Forster a rencontré des veines de cette pierre, sur les bords du détroit de Cook, et c’est dans cette même île que, d’a- près Shortland(2),on trouve des échantillons de jade en blocs détachés dans plusieurs des torrents qui descendent des montagnes sur la côte Ouest. Mais les endroits près des- quels on en trouve le plus, dit-il, sont Arehura et Ohonu, sur la côte Nord-Ouest ; Wakatipua, lac renommé de l’in- térieur et l’une des sources de la rivière Matau ; enfin Piopiotalii, torrent sur la côte Sud-Ouest de la même île. On sait aussi qu’on attribuait au jade une origine sacrée, et que le plus estimé était justement celui du lac Wakatipua, à plusieurs journées de marche dans le Sud-Ouest du détroit de Cook (3). Nous ne rapporterons pas ici toutes les fables débitées à son sujet ; mais si nous avions à choisir parmi les légendes maori, nous préférerions celle qui attribue son (1) D’Urville cite ce fait, t. U, p. 81, des Voyages, (2) Traditions and superstitions, p. 34. (3) Voir à ce sujet les traditions publiées par Sir Grey , Short- land, Taylor, etc. LES POLYNÉSIENS. 173 origine à Hine-te-IIiwa-Hiwa, la dernière femme de Tini- rau, sœur de Rupe : sur le point d’être tuée par les deux autres épouses plus anciennes, elle se défendit eu leur jetant des pierres qui, en pénétrant dans leur corps en colère, se changèrent en pierres vertes. Le jade était si bien borné, pour le groupe de la Nouvelle- Zélande du moins, à l’Ile-du Milieu, qu’on voit, dans les lé- gendes maori, et particulièrement dans Shortland (1), que le désir de posséder le Pounamu, * qui se trouve seule- ment sur l’Ile-du-Milieu », a poussé les habitants de l’Ile- Nord, les plus voisins, à envahir plusieurs points de l’Ile- du-Milieu : ils espéraient s’emparer des lieux produisant cette pierre précieuse. C’est ce que répète Thompson (2), qu. dit aussi que le lac « où il se trouvait, avait ses bords ro- cheux tout en jade. » Enfin Dieffenbach et Taylor disent eux-mêmes que le jade était produit seulement par l’ile- du-Milieu. Il n’y a donc pas à en douter, pour la Nouvelle-Zélande : c’était bien dans llle-du-Milieu seulement qu’il existait (3). Mais, s’il n’était pas fourni par quelqu’une des îles Po- lynésiennes, que faudrait-il conclure de sa présence si commune, sous forme de haches ou d’ornements, dans toutes ces îles ? Evidemment qu’il y aurait été porté par ceux qui le possédaient, c’est-à-dire par les Nouveaux-Zélandais de (1) Southern districts , p. 99. (2) The Story of the New-Zealand , t. I, p. 7 et 14. (3) On verra plus tard que, d’après les traditions, le jade se trou- vait possédé par quelques chefs, en Hawahiki. L’un d’eux, Nga- hue, fut forcé de s’expatrier avec son bloc de jade, afin de pouvoir le conserver; ilallale cachera Arehura, dont le nom rappelle jus- tement un des lieux qui en produisent le plus abondamment sur la côte Ouest de l’Ile-du-Milieu. On verra également que Ngahue, qui possédait du jade en Hawahiki, était d’un endroit voisin de ceux qui le produisaient, et que l’Hawahiki lui-même se trouvait sur nie-du-Milieu, de même que les rivières et les lacs produi- sant le jade vert : en effet, ce n’est absolument que sur cette île qu’ont été rencontrés les noms signalés par les légendes. 174 LES POLYNÉSIENS, l’Ile-dü-Milieu, s’arrêtant d’abord sur l’ Ile-Nord, comme nous le démontrerons, et émigrant ensuite, immédiatement ou plus tard, directement vers les îles polynésiennes. Cela expliquerait parfaitement l’importance que les indigènes attachaient à sa possession lors des premières visites européennes, importance qui devait être d’autant plus grande, qu’il n’y avait pas eu de nouvelles émigrations de- puis bien des siècles. D’un autre côté, si le jade n’avait pu être fourni par quelqu’une des îles Polynésiennes, il est évident qu’il fau- drait aussi conclure que l’ïïawahiki ne pouvait pas être, comme Ta dit Haie, l’île Savaii, dans les Samoa. On ne comprendrait pas que son possesseur eût déjà fait un voya- ge si lointain pour se le procurer et que la légende qui donne tant de détails sur le voyage de Ngahue, allant cacher son jade à Arehura, garde sur celui-ci le plus profond silence. Plus tard, nous aurons à revenir longuement sur un pareil sujet ; nous nous bornerons à répéter ici que pas un voyageur n’a signalé l’existence du jade dans les îles po- lynésiennes proprement dites : ni Forster, ni les mission- naires longtemps résidents dans ces îles, ni les voyageurs modernes, n’en ont parlé. Nous-même, pendant une rési- dence de dix années aux Marquises et dans les îles de la Société, ou pendant nos voyages aux Sandwich, aux Tunga et autres îles polynésiennes, nous n’avons jamais entendu dire que le jade y eût été rencontré à l’état naturel. On pourrait donc, d’après cela, inférer que le jade a pu être porté en Polynésie par les émigrants qui sont allés s’y établir, quelque fût leur point de départ. Mais, si aucune île polynésienne proprement dite ne paraît en posséder, on sait aujourd’hui que plusieurs des îles mélanésiennes en contiennent : ce sont la Louisiade, les Hébrides et la Nou- velle-Calédonie. Dans celle-ci, la présence du jade a été constatée par tous les navigateurs, et particulièrement, dans ces dernières années, par M. J. Garnier, ingénieur des mines. Les Nouveaux-Calédoniens, comme les Néo-Zélan- LES POLYNÉSIENS. 175 dais, dit -il (1), ont su utiliser les rares gisements de jade que possèdent leur île à la confection de haches. Mais au- ourd’hui ils ont perdu de vue cette industrie, et ils se con- tentent d’habitude d’attacher à ces instruments des idées superstitieuses. Ils ignorent d’où elles proviennent et dési- gnent toujours, lorsqu’on les interroge à cet égard, un point éloigné de leurs tribus. J’ai cependant été assez heureux pour découvrir le banc d’où l’on extrayait ce jade à la Nouvelle-Calédonie, et reconnaître les points où il avait été fouillé. » C’est sur l’île Ouen, à peu de distance de la Nouvelle- Calédonie, auprès du sommet du Nogougneto, que M. Gar- nier rencontra un gisement de jade (2). Le banc de cette roche y affleure le sol sur une longueur considérable. Le chef Zacliario lui apprit que cette pierre, avant l’arrivée des Européens, servait à faire les haches et qu’on venait la chercher autrefois des îles Loyalty. Mais des combats achar- nés avaient alors lieu entre les étrangers et les habitants de l’île. La pierre, éclatée par le choc en écailles minces et de grande dimension, était polie à l’aide de sables rudes et fins, et l’on perçait, avec des cailloux très durs et effilés, les trous destinés à fixer le manche. La vie d’un homme, dit M. Garnier (3), ne suffisait pas toujours à accomplir ce travail. Cependant chaque chef possédait sa hache et c’était sa plus grande richesse. Pour l’une d’elles, on achetait la paix, on se procurait de grandes pirogues, etc* Avec les petits fragments* on faisait des colliers. Toutefois la description que M. J. Garnier fait de ce jade ne convient pas complètement à celui de la Nouvelle-Zé- lande. Ces roches, dit-il, (4) « étaient légèrement translu- cides, d’un blanc très-pur, au milieu duquel couraient des veines d’un beau vert tendre. » Or le jade de la Nouvelle- (1) Mémoire sur les migrations humaines en Océanie , p. 58. (2) Océanie, les îles des Pins , Loyaity et Tahiti , p. 82. (3) Ibid. p. 84. (4) Ibid. p. 82. 176 LES POLYNÉSIENS. Zélande, et les haches rencontrées dans les îles Polyné- siennes, sont généralement de couleur vert sombre et opa- que. Il en est de même des haches de la Nouvelle-Calédo- nie que nous avons vues. Peut-être existe-t-il dans cette île d’autres gisements restés inconnus à l’habile observa- teur (1). Déjà, avant M. Garnier, M. de Rochas, chirurgien de la marine, avait constaté que la serpentine verte est très com- mune en Nouvelle-Calédonie (2) ; on petit être convain- cu de la vérité de cette assertion, quand on a vu les divers instruments faits avec cette pierre et rapportés en si grand nombre de cette île, depuis son occupation par la France. Mais cette serpentine est -elle bien le jade qui a fourni les instruments et les ornements rencontrés en Po- lynésie par les premiers navigateurs ? Nous avons pu nous- même comparer sur les lieux ces diverses substances, et il nous a semblé que la serpentine de la Nouvelle-Calédonie diffère du jade delà Nouvelle-Zélande, qui est générale- ment plus fin et plus beau, et duquel se rapprochent da- vantage les instruments trouvés dans les îles Polynésien- nes (3). (1) M. de Mortillet, en présentant à la Société d’anthropologie, dans la séance du 3 juillet 1879, la hache de Sinerani, chef de Mare, l’une des Loyal ty. dit : « la hache est en jade vert marbré de vert blanchâtre, roche qui a servi à faire toutes les haches Néo-Calédoniennes. » (2) Bull. Soc. d’Anth . vol. I. (3) On sait que lé jade vert, décrit par le minéralogiste Philip sous le nom de néphrite, existe dans le Hartz, la Corse, la Chine, l'Egypte, et on vient de le voir, dans l’Ile-du-Milieu de la Nou- velle-Zélande, la Louisiade, les Hébrides et la Nouvelle-Calédo- nie, s’il est le même que la serpentine. M. Schlagiutweit en trouvé des carrières dans les chaînes de la Haute-Asie. « Ce mi- néral, dans l’état de pureté où il se présente, est si rare et si estimé, dit il, que, malgré les longueurs et les périls du voyage, on vient l’exploiter chaque année, dès que la saison permet de séjourner dans ces déserts élevés. » Les carrières les plus riches visitées par lui dans le Künlün, sont celles de Goulbagashen, par LES POLYNÉSIENS. 177 Shortland a vu travailler le jade pendant son long sé- jour dans la Nouvelle-Zélande. Voici ce qu’il écrit à ce su- 36°9’ Lat. N. et 77°45’ Long. E. Green., et à une élévation de 12252 pieds anglais. Les Tourkezas donnent à cette pierre le nom de Yashem. ( Comptes-rendus du Congrès international d'anthropolo- gie et d'archéologie préhistoriques, tenu à Paris en 1867.) M. Blondel, dans son Elude historique , archéologique et litté- raire (Paris, Leroux, 1875), apprend que le jade est appelé Yu par les Chinois et que ses principaux gisements en Chine sont Taï-Thong et les environs de Kliotan dans la Tartarie Chinoise* Khotan est même nommé lru-Thien, c’est-à-dire, « pays du jade. » Il rappelle que le jade est commun en Russie, dans le Groenland, la Turquie, la Pologne et la Suisse. D’après l’auteur, la différence serait grande entre les jades de la Chine, du Japon et de l’Inde, et ceux de l’Océanie. « Quant aux prétendus jades d’Europe, d’Amérique et d’Océanie, qui portaient autrefois le nom de jade de Saussure, et prennent en- core aujourd’hui celui de jadéite ou néphrite, ce sont des varié- tés très -inférieures de feldspath compacte. » ( Ouvr . cite , p. 17.) De tout temps le jade a été pour les Chinois la matière des amulettes les plus précieuses. On y attachait des idées supers- titieuses qui ont conservé leur caractère jusqu’à notre époque. Le précieux Lui-Koung-Chi , Pierre du Dieu du Tonnerre, que le prêtre bouddhiste Ni-tching-jou donna à l’Empereur Son-Troung au 8* siècle de notre ère, était formé par deux morceaux de né- phrite verte ayant la forme d’une hache polie. MM. Dainour et Fischer ont publié, dans la Revue archéologique de juillet 1878, une « notice sur la distribution géographique des haches et autres objets en jade néphrite et en jadéite. » Les gisements de ces deux substances minérales sont très rares. On n’en connaît de bien constatés que sur un petit nombre de points du Continent asiatique et de quelques îles de l’Océanie. D’après La Condamine, il en existe probablement aussi en Amé- rique, dans les alluvions du fleuve des Amazones. On n’en cite aucun en Europe ni en Afrique. C’est ce qui a porté plusieurs archéologues à émettre l'opinion que les haches et autres objets préhistoriques en jade néphrite et en jadéite, recueillis journel- lement dans nos contrées, ont été importés par des peuplades qui ont émigré du continent asiatique vers les diverses régions de l’Europe, D’autres archéologues, au contraire, pensent que si I’oq ne retrouve plus actuellement ces gisements dans nos régions, c’est parce qu’ils ont été épuisés par les hommes des premiers âges du monde, ou qu’ils ont disparu ensevelis sous des éboulis ou des alluvions modernes. Peut-être alors, pourrait-on, par des ni. 12 178 LES POLYNÉSIENS. jet (1) : « Pour rechercher cette pierre, les indigènes des autres lieux avaient à faire de longs voyages et à traverser les montagnes de l’Est à l’Ouest. Quand ils s’en étaient pro- curé, ils la façonnaient et la polissaient en la frottant sur des blocs plats de pierre de sable. Cela n’est pas un mince travail, et il faut souvent deux générations pour finir une pareille arme : d’où sa grande valeur, qui est aussi due à l’extrême dureté de cette pierre, ce qui permet de lui don- ner un bord très tranchant. « Quelques-uns ont répandu l'étrange croyance, que les naturels trouvaient cette pierre dans un état de mollesse ; on ne savait pas qu’ils avaient pu trouver l’art de la façonner d’une autre manière. M. Banks et le capitaine Cook avaient exprimé aussi leur surprise, en se demandant comment ils y parvenaient avec une pierre, si dure, qu’elle était capable de résister au fer. Mais la pierre de sable la coupe aussi facilement que ferait le fer ; on y pratique des trous à l’aide d’un peu de sable fin dur et d’eau et d’un bâton - net pointu, par un procédé simple, etc. » (2). « Un fait surprenant, dit M. Schlagintweit, (3) c’est que le jade est si tendre, en sortant de la carrière, qu’on le raye avec la pointe d’un couteau et qu’on peut le façonner el le polir avec un autre morceau de jade déjà exposé à l’air de- puis quelque temps. Mais il durcit rapidement : quelques semaines suffisent à le changer presque complètement. » M. Blondel, de son côté (4), après avoir cité le jade vert sombre qui vient de Sumatra, de l’Amérique du Sud et de recherches persévérantes, retrouver ces gisements sur les terrains qui les récèlent encore. (Voy. Comptes-rendus de V Académie des sciences , t. LXI, 21 et 28 août 1865 ; Matériaux pour l'histoire de l'homme , 1866 et 1878.) (1) The Southern districts oj New-Zealand , p. 36. (2) Shortland décrit et figure ce procédé à la page 118 de son ouvrage. (3) Congrès international d' Anthropologie et d\ Archéologie préhis- toriques, Comptes-rendus, Paris, 1867. (4) Etude historique , archéologique et littéraire, Paris, 1875. LES POLYNÉSIENS. 179 la Nouvelle-Zélande, parle aussi de la croyance des indi- gènes de cette dernière contrée, qui prétendent que le jade est retiré d’un lac, à l’état de vase malléable comme de l’argile, et qu’il ne prend sa dureté qu’à l’air extérieur. Mais, pas plus que Shortland, il ne croit à cette asser- tion, et il rapporte le procédé employé en Chine pour le travailler. Ce procédé est le même que celui des Néo-Zé- landais, mais il est moins grossier. Nous sommes également de cet avis, car nous avons vu travailler aux Marquises des pierres presque aussi dures que le jade, telles que des trachytes, des basaltes, etc. On sait du reste, que les haches ou Mere, à la Nouvelle-Zé- lande, ne sont pas faites uniquement avec le jade, et que d’autres roches, évidemment déjà dures quand on les fa- çonne, sont employées à cet usage. Il nous reste encore un Mere de l’une de ces roches. Quoiqu’il en soit, si la serpentine de la Nouvelle-Calédo- nie ét des Hébrides était la même pierre qui porte le nom de jade à la Nouvelle-Zélande, il faudrait bien reconnaître que les îles polynésiennes auraient pu se la procurer sans avoir recours à l’Ile-du-Milieu de la Nuuvelle-Zélande. Mais alors cela indiquerait que des rapports avaient né- cessairement lieu, à une époque assez éloignée, entre les îles polynésiennes, puisque celles-ci possédaient tant d’objets en jade à l’arrivée des premiers navigateurs Euro- péens. On sait que Tune des îles Hébrides porte le nom polyné- sien de Futuna, ce qui, de même que sa population et son langage, atteste que 1 île a dû probablement être occupée de bonne heure et longtemps par des Polynésiens. Dans quel ‘but ? Nous n’oserions dire que c’était pour être à même de se procurer plus facilement du jade et l’échanger avec les Polynésiens des îles plus à l’Est et plus au Sud ; mais il est certain que les Polynésiens de ces îles connaissaient par- faitement Futuna et que les légendes conservées citent fréquemment le nom polynésien de cette île, qui est l’île Erronan des cartes. C’est dans cette île que Ko-moala a été porté par un coup de vent depuis les Fiji ; or comme son 180 LES POLYNÉSIENS. canot y a été saisi avec son chargement de bois de santal , on doit inférer que l’île, à cette époque assez rappro- chée de nous, n’avait, comme Lakemba, dans les Fiji, qu’une colonie de Polynésiens, et que la majorité de sa po- pulation était de race mélanésienne. On voit figurer, au n° 58 de la carte de Tnpaia,une île dé- signée parle nom de O-Reeva-Ya ou O-Reeva-Vai. Forster, d’après Tupaia, fait remarquer que c’était de là que Raia- tea tirait ses belles haches. (1) « On ne sait pas, ajoute-t-il, s’il parlait de haches en fer, ou de haches en pierres. Si c’étaient des haches en fer, elles devaient avoir été por- tées par Tasman, qui était dans ces parages en 1642, ou par Schouten et Lemaire, en 1616. » 11 n’y a pas à en douter, il ne s’agissait que de haches en pierre. Comme l’île Manaia est encore renommée par la confection de ses haches, ou du moins par la solidité et l’ornementation des manches qu’on leur applique, nous avions été porté d’abord à ne voir dans l’île O-Reeva-Vaï de la carte de Tupaia, que l’île Manaia des îles Hervey. Mais, en réfléchissant que Futuna était si bien connue des Polynésiens, et qu’elle est si voisine de la Nouvelle-Calédonie, où se trouvent des mines de serpenti- ne ou jade, nous nous demandons aujourd’hui, si cette île O-Reeva-Vaï, ne serait pas laNouvelle-Calédonie elle-même. On la voit figurer sur la carte de Tupaia, sous le n° 59, au Nord d’une île Taïnuna ; mais comme la carte est renversée, elle devrait être plus Sud, et si Taïnuna était, comme nous le croyons, l’île Futuna, ce serait une probabi- lité de plus, car l’une et l’autre occupent bien la limite Ouest sur la carte, et jamais les navigateurs n’ont rencontré ni signalé d’île appelée Taïnuna. D’un autre côté, c’est en vain que les voyageurs ont cher- ché à se procurer le nom indigène de la Nouvelle-Calédo- (1) Cette île gît par 19°31’ et 167°46\ Forster le premier a si- gnalé ses habitants comme étant de race polynésienne. Il a re- connu au contraire le langage mélanésien dans l’île voisine ap- pelée Annaton ; mais il est presque certain que la majorité des habitants de Futuna étaient mélanésiens et parlaient le mé- lanésien. On a déjà vu que deux autres îles du même nom exis- tent eu Tolvnésie. LES POLYNÉSIENS. 18i nie : jamais on ne leur a donné que des noms de localités Nous-même, malgré nos instances, nous n’avons pu parve- nir à obtenir le nom générique de cette île. Vainement, depuis que nous sommes de retour en France, nous avons prié plusieurs de nos amis et connaissances de nous ren- seigner à ce sujet : pas un, jusqu’à ce jour, n’a pu obtenir de réponse satisfaisante. Pourtant ce nom a dû exister, autrement ce serait la seule exception de ce g'enre. Or l’étymolog-ie des mots O-Reeva-Va ou Q-Reeva-Vaï s’appli- que parfaitement à la Nouvelle-Calédonie, terre élevée, hacbée, coupée sur les bords, à nier profonde, et où les pins paraissent se dresser comme des mats de navire (1). Que cette supposition soit exacte ou non, il est certain que si la serpentine de la Nouvelle-Calédonie et des îles Hébrides est la même que le jade de la Nouvelle-Zélande, les Polynésiens auraient pu se procurer cette pierre sans avoir besoin de la recevoir de la Nouvelle-Zélande. Mais il reste à savoir si la pierre désignée sous ces noms par les voyageurs est bien la même. Ce qui pourrait peut-être le faire croire, c’est qu’il existe à la Nouvelle-Zélande des jades de qualités différentes, se distinguant par leurs nuan- ces et leur transparence, ayant des noms particuliers et une valeur relative (2). La grande quantité d’instruments et d’ornements en jade qui a été vue en Polynésie par les pre- miers navigateurs, serait elle-même favorable à cette opi- nion. Mais, quoiqu’il en soit, si nous parvenons à démon- trer que la Polynésie a été peuplée par la Nouvelle-Zélan- de, il faudra bien admettre au moins que les émigrants y (1) En Tahitien, o, c’est, il y a ; reva> abîme, profondeur in- connue ; vaï, eau; va , grain, chute de pluie subite. Rivarira, beau- coup, abondant ; rivarivaitau, abondant. En Maori, rewa , mat de navire, être élevé ; riwha , crevasses fentes, être haché, coupé, rompu ; j va, pays, contrée ; wai, eau. (2) Le plus estimé y est appelé kahu rangi, vêtement du ciel. M. Shortland, (p. 34. South, districts ) décrit celui du chef Te Heuheu, à Taupo : il était de couleur vert pâle, mélangé d’opale, présentant une apparence ondée, comme celle d’un maquereau azuré, et transparent sur les bprds. 182 LES POLYNÉSIENS. arrivaient avec leurs propres instruments et ornements de jade ; car les Néo-Zélandais marchent encore moins que les autres Polynésiens sans leurs armes. En résumé, que le jade trouvé en Polynésie ait été appor- té de la Nouvelle-Zélande, ou qu'il soit venu de quelque île Mélanésienne plus voisine des îles Polynésiennes, il est certain qu’à l’arrivée des Européens, il était très répandu dans ces dernières îles, quoiqu’elles n’en produisent pas. On peut donc en inférer que des relations avaient néces- sairement dû exister, et existaient peut-être encore à ce sujet, entre les îles Polynésiennes et les îles Mélanésiennes» 4° Coutume d'avaler l'œil de la victime. — La coutume d’avaler l’œil de la victime, lors des sacrifices humains, ou d’en faire le simulacre, nous semble pouvoir être également invoquée en faveur de l’opinion que nous soutenons. Tous les voyageurs anciens ont signalé cet usage aux Sandwich, à Tahiti, et dans plusieurs autres îles de la Po- lynésie. Or, à la Nouvelle-Zélande, c’est dans l’œil, et particuliè- rement dans l'œil gauche, qu’on place le siège de l’âme : en avalant l’œil, on croit mieux anéantir le Waïrua, souffle, esprit, âme de son ennemi. C’est donc une même coutume dans toutes les îles, et elle provient évidemment de la même source. S’il est vrai qu’un chef de la Nouvelle-Zélande, au mo- ment même où il vient d’abattre son ennemi, lui arrache l’œil gauche et l’avale dans le but que nous venons d’indi- quer, ne doit-on pas supposer que cette coutume provient de la Nouvelle-Zélande plutôt que d’un archipel de la Po- lynésie ? Il est, en effet, plus naturel d’admettre qu’elle a pris naissance parmi des hommes plus guerriers, quoique de la même race, et restés anthropophages jusqu’à une époque très voisine de la nôtre, que de l’attribuer à des populations à mœurs plus douces, telles que celles de Tahi- ti, des Samoa et des Tunga. Lors de la découverte des îles de la Société, il y avait longtemps déjà que les Tahitiens LES POLYNÉSIENS. 183 avaient cessé d’être anthropophages ; mais ils avaient con- servé l’usage des sacrifices humains dont ils étaient même prodigues, comme aux Marquises et aux Sandwich ; ils avaient conservé particulièrement celui de faire le simula- cre d’avaler l’œil, afin d’attester le droit du vainqueur. 5° Absence des Polynésiens à la Nouvelle-Hollande et des Australiens à la Nouvelle-Zélande. — L’absence apparente de toute colonie polynésienne ou néo-zélandaise en Aus- tralie prouve, en faveur du peuplement de la Polynésie par la Nouvelle-Zélande, beaucoup mieux que tous les autres faits. Cette absence de colonies polynésiennes sur les rivages, le plus souvent déserts, de l’Australie, serait inexplicable si le peuplement de la Nouvelle-Zélande s’était opéré, comme le dit M. Haie, par des émigrants venant de Savaii, ou, comme le dit M. de Quatrefages, par des émigrants partis, en der- nier lieu, des îles du groupe Hervey de Cook. On sait que les vents d’Est, de Nord-Est, et même de Sud-Est d’a- près d’Urville, qui sont nécessaires pour atteindre la* Nouvelle-Zélande, en partant des Samoa, sont si violent# parfois, qu’ils entraînent malgré elles les pirogues, et qu’ils les poussent tantôt aux Tunga, tantôt aux Fiji, tantôt aux Hébrides, comme le prouve la grande majorité des faits d’entraînement. Il est donc probable que, si telle avait été la provenance des émigrants, ils auraient presque néces- sairement, en aussi petit nombre que l’on voudra, été en- traînés, jetés sur les côtes de la Nouvelle-Hollande, par suite de sa position et de son étendue. Or, aucun naviga- teur n’en a jamais cité un seul exemple ; les renseignements obtenus depuis les premiers voyages, n’en disent absolu- ment rien non plus, et il est à remarquer que les traditions de tous les archipels polynésiens, aussi bien que celles de la Nouvelle-Zélande, se taisent également à ce sujet. Enfin il n’y a que deux mots à peu près analogues à deux mots polynésiens (1). C’est, sur cette terre, le seul vestige delà (1) Voy. Parkinson, 1er Voyage de Cook, p. 233. On sait que ces deux mots sont Haie mai et Aita. Voyez ci-dessus, vol. I, p. 103. 184 LES POLYNÉSIENS. langue polynésienne : d’où l’on peut inférer, à priori, que les migrations n’ont pas pu se faire avec des vents de la partie de l’Est. Mais ce ne sont pas les Polynésiens seuls qui font dé- faut, sur les côtes Estet Sud-Est de l’Australie. On n’y apas plus trouvé de colonies zélandaises que de colonies polyné- siennes ; d’Urville s’appuyait même sur ce fait pour nier le peuplement de la Polynésie par les Maori. Evidemment, pour que pareils faits aient pu se présenter, il a fallu qu’il existât une impossibilité matérielle : cette impossibilité n’a été que la direction et la force des vents qui ont servi aux migrations. Qu’on jette les yeux sur la carte, et l’on verra qu’en par- tant de la Nouvelle-Zélande avec des vents soufflant entre le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, vents qui sont les plus forts et les plus fréquents, il était impossible aux émigrants de toucher à la Nouvelle-Hollande, tout en faisant route à l’Est, ou même au Nord-Est et au Nord : à peine partis, les canots se trouvaient avoir doublé le point de la Nou- velle-Hollande qui se trouve plus à l’Ouest que la Nouvelle- Zélande. Cela explique suffisamment comment il se fait que pas un Maori n’ait été trouvé sur les côtes de la Nouvelle- Hollande. Mais, de plus, cela explique, ce qui ne nous semble pas avoir encore été remarqué, que la dispersion des Polynésiens ne s’est opérée, pour ainsi dire, que d’un seul côté de l'Océan Pacifique, et ce fait montre lui-même qu’il n’a pu être produit que par des vents de la partie de l’Ouest. En somme, l’absence des Polynésiens et des Nouveaux - Zélandais sur les bords du grand continent australien, vient donc, à notre avis, prouver plus en faveur des migra- tions maori vers la Polynésie qu’en faveur des migrations polynésiennes vers la Nouvelle-Zélande. Elle s’explique par- faitement, en admettant la Nouvelle-Zélande comme point de départ des migrations, tandis, au contraire, qu’elle est inexplicable si l’on admet, avec Haie, que les migrations qui ont peuplé la Nouvelle-Zélande sont venues des Samoa, avec Dieffenbach des Sandwich, avec d’Urville de Tahiti, LES POLYNÉSIENS. 185 et même des îles Hervey avec M. de Quatrefages. Dans le premier cas, les vents qui ont emporté les émigrants suffi- sent seuls à expliquer les faits ; dans le second, il serait impossible de comprendre que quelques pirogues au moins n’eussent pas été jetées sur quelque point de la côte orien- tale de l’Australie. (1) Quant à l’absence d’indigènes de la Nouvelle-Hollande à la Nouvelle-Zélande, absence qui pournousest un fait presque certain, quoiqu’en aient dit quelques écrivains, elle est encore plus facile à expliquer. En effet, quand il n’y aurait pas eu manque complet de moyens de transport, les vents d’Ouest et de Nord-Ouest, qui auraient pu les conduire à la Nou- velle-Zélande, soufflent avec trop de violence, et ceux du Nord sont trop dangereux, pour que les indigènes aient jamais pu oser s’aventurer sur la mer pendant leur durée. Nous avons déjà dit, d’ailleurs, que les Australiens ne sont pas navigateurs. Peut-être peut-on voir, dans les lignes suivantes de Sbort- land, un témoignage en faveur de la possibilité des mi- grations maori vers la Polynésie. Après avoir parlé de l’émigration qui s’est probablement faite d’Hawahild cinq ou six cents ans auparavant, il ajoute (2) : <* On dit que plusieurs canots partirent à la même époque pour aller à la recherche de nouvelles terres. Une partie seulement de ces canots toucha à la Nouvelle-Zélande (Ile-Nord), et chaque endroit où les canots étaient halés à terre devenait la pro- priété des équipages qui, de ce centre, irradiaient sur les districts les plus fertiles, jusqu’au moment où ils deve- naient des tribus nombreuses. » Shortland ne dit pas ce que devinrent les autres canots qui n’atteignirent pas l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande; (1) Comme on l’a vu dan? le premier volume, nous admettons pourtant que les Polynésiens ont contribué à la formation des Australiens, en arrivant dans l’Australie, soit par la Nouvelle- Guinée, et les îles de la Malaisie, d’abord peuplées par eux, soit par des colonies directes, bientôt absorbées par la race noire pré- existante. (2) Ouvr. cité, p. 304. 186 LES POLYNÉSIENS. on peut en conclure qu’ils allèrent ailleurs chercher une nouvelle patrie. Dès lors, n’est-il pas supposable que quel- ques-uns de ces canots, entraînés par les vents, auraient pu être portés dès cette époque jusqu’en Polynésie ? Si l’Hawahiki était bien placé là où nous le croyons, ce serait évidemment une probabilité de plus. Aucune tradition ne faisant allusion à ce fait, il est bien à regretter que Shoriland n’ait pas précisé la source de ses renseignements à ce sujet; mais il nous semble que la con- jecture que nous faisons n’est pas sans vraisemblance, si on rapproche son assertion de cet autre fait, rapporté par les traditions, que quelques canots, venant d’Hawahiki, lors de la grande émigration, n’ont pu aborder à l’Ile-Nord parce que les populations primitives s’y sont opposées : tel, par exemple, le Pangatoru , commandé par le chef Raki- Wananga-Ora, sans qu’il soit dit où il alla ensuite, pas plus que le canot de Ruaeo, le Pukea-te-awanui , etc» Dans ce cas, les émigrations pour la Polynésie seraient contemporaines de celles d’Hawahiki à File-Nord de la Nouvelle-Zélande. Mais, comme on verra, il est possible qu’il y en ait eu de bien antérieures, en outre de celles qui ont été postérieures. CHAPITRE TROISIÈME. EXAMEN LINGUISTIQUE. Comparaison du Maori et des dialectes polynésiens. — La langue maori est la langue polynésienne la moins altérée. — Opinion de M. Gaussin. — Opinion de M. John Williams. — Tradition relative au peuplement deRarotonga. — Chant d’Oromea. -—Le Maori était la langue primitive des Polynésiens. — Alphabets des principaux archipels polynésiens: Nouvelle-Zélande; Tunga; Samoa ; Rarotonga ; Tahiti ; Mangare- va ; Paumotu ; Marquises; Sandwich. — Ces alphabets dérivent tous de celui de la Nouvelle-Zélande. — Le Maori est la langue-mère des dialectes polynésiens. — Les noms de lieux en Polynésie ont une origine Néo-Zélandaise. — Conclusions. — Fables Néo-Zélandaises, Ainsi donc, de toutes les inductions tirées jusqu’ici du rapprochement de certains faits et de certains mots, il résulte déjà, suivant nous, quelques probabilités en faveur de notre hypothèse. Mais ce ne sont pas les seuls témoigna- ges. Nous allons maintenant en demander de plus précis encore à la linguistique qui, si elle n’est pas, comme on l’a cru longtemps, le plus sûr moyen d’arriver à la solution de l’origine des peuples, est du moins, chez les populations sans annales, celui qui aide le plus à suivre leurs migra- tions. Or tous les mots polynésiens, malgré leur changement d’orthographe avec le temps, ont non-seulement la plus grande analogie avec ceux de la Nouvelle Zélande, ce qui prouve leur origine commune, mais ils ont jusqu’à la même signification : ces derniers ont donc dû être lés seuls parlés à l’époque des migrations, ce qui prouve qu’ils étaient la langue primitive. 188 LES POLYNÉSIENS. Nous ne pouvons entrer ici dans les développements que nécessiterait un pareil sujet, pour qu’il fut accepté sans conteste ; nous nous bornerons à dire quelques mots sur la langue de la Nouvelle-Zélande, que nous comparerons ra- pidement avec les dialectes des archipels polynésiens. Ce- la suffira, nous l’espérons, pour démontrer que le Maori était bien la langue mère. Nous renverrons d’ailleurs, pour tout ce qui appartient à la grammaire, au savant travail de M. Gaussin sur les dialectes polynésiens et à nos introduc- tions aux vocabulaires Tahitien et Zélandais, que nous avons traduits. M. Gaussin (l) regarde le dialecte de la Nouvelle-Zélande comme étant un des dialectes polynésiens qui a subi le moins d’altération. Il attribue ce résultat à la. nature du cli- mat, à l’activité des habitants et à l’étendue de la popula- tion. « Cette conservation des sons, ajoute-t-il, concorde d’ailleurs avec celle des formes grammaticales. Par une étude plus approfondie, on établirait peut-être que ce dia- lecte se trouve en progrès sur les autres. » Déjà il avait dit, en parlant de la préposition kei : (2) « Ce n’est pas le seul cas où ce dialecte présente plus de res- sources, pour répondre aux besoins de la pensée ; la popu- lation, plus nombreuse à la Nouvelle-Zélande qu’ailleurs, a dû, en effet, conserver, plus facilement que celle des autres îles, les richesses du langage primitif. » Ainsi il reconnaît non-seulement la grande analogie de la langue maori avec ce qu’il appelle la langue primitive parlée par les Polynésiens, avant leur dispersion sur les îles qu’ils occupent maintenant, mais aussi sa supériorité même sur les autres dialectes polynésiens, quoique cette languie ne suit pour lui que l’un des dialectes, l’un des débris de celle qu’il appelait « langue polynésienne. » « On peut dès maintenant, dit-il à ce sujet (3), se rendre compte, en considérant chaque dialecte comme étant com- posé des débris dune langue plus vaste, qui serait encore (1) Du dialecte de Tahiti, etc., p. 267. (2) Id. p. 196. (3) Ouvrage cité, p. 7. LES POLYNÉSIENS. 189 parlée aujourd’hui intégralement, avec quelques altérations dans sa pureté, non plus en un seul lieu et par un seul peuple, mais dans les différentes îles et par l’ensemble des peuples de la Polynésie. C’est cette langue que nous appe- lons la languie polynésienne. Les diverses variations des différents dialectes, ajoute-t-il (1), concourent à nous dé- montrer la vérité de l’hypothèse que nous venons de faire, savoir, celle d’une langue primitive parlée par les Polyné- siens avant leur dispersion. Nous n’entendons rien préjuger sur le point de départ qui a pu être soit l’une de ces îles mêmes, soit une autre île située plus à l’Ouest. » Enfin, M. Gaussin montre clairement plus loin (2) qu’il est possible de reconstruire, « avec certitude », la langue mère des Polynésiens, le langage primitivement parlé par leurs ancêtres. Mais, qu’est-ce qui permet cette reconstruction ? Tout simplement la langue, ou ce qu’il appelle le dialecte maori . 11 n’est pas supposable que M. Gaussin ne l’ait pas vu. S’il s’en est aperçu, comme semblent l’attester les citations que nous avons faites, pourquoi, dans tout son livre, s’est-il abstenu de l’indiquer ? Pourquoi n’a-t- il pas distingué le dialecte maori, comme il a distingué, dans tous ses exem- ples, les dialectes tahitien, marquésan et autres ? Car c’est un fait bien à remarquer : excepté dans des cas assez rares, ce dialecte n’a pas été mis en regard des autres comme terme de comparaison. Mais pourquoi surtout n’a-t-il donné, pour mots de la langue reconstituée et appelée par lui primitive ou polyné- sienne, que des mots maori? Car ce qui n’est pas moins remarquable, tous les mots intitulés par lui « polynésiens », ne sont que des mots maori : tels sont kumara , punga , ra/cau, ariki , etc. Serait ce qu’en reconnaissant le rapport plus grand de ces mots avec ce qu’il appelle la langue primitive, M. Gaus- sin n’aurait pas trouvé que ce rapprochement fût assez (1) Ibid. p. 9. (2) Ibid. p. 23, 24. 190 LES POLYNÉSIENS. grand pour faire du Maori une langue? (I) Mais alors pourquoi ne pas traiter ce qu’il croit être le dialecte poly- nésien le moins altéré, c’est-à-dire le dialecte maori, comme les dialectes tahitien et autres ? Pourquoi ne pas les mettre en regard comme exemples comparatifs ? Pourquoi surtout, en s’abstenant, ne prendre justement, pour type de la lan- gue polynésienne, ancienne ou primitive, admise par lui, que les mots de ce dialecte maori ? En définitive, du choix fait par M. Gaussin, et même de son silence, il n’y a guère, croyons-nous, qu’une conclu- sion possible : c’est qu’il a bien reconnu que la langue, ou comme il l’appelle, le dialecte maori, était le plus proche de sa langue primitive, mais qu’il lui a été impossible, après avoir admis l’hypothèse de Haie sur le peuplement de la Nouvelle-Zélande par la Polynésie, de faire de cette langue autre chose qu’un simple dialecte polynésien. Et cependant il se sert de cette langue pour reconstituer celle qu’il croit avoir été la langue mère ; et il ne paraît pas éloigné de regarder cette dernière comme ayant existé et pris naissance en Malaisie, de même que ceux qui l’au- raient portée dans la Polynésie. Mais, on en conviendra, du moment que cette langue primitive pouvait être reconsti- tuée avec le dialecte maori, il semble qu’il eût été plus simple de regarder le Maori comme la langue mère. Pour nous, c’est aujourd’hui un fait certain. Le dialecte maori n’est que la fameuse langue primitive tant cherchée par les ethnologues et surtout par Crawfurd. Avec elle, tous les dialectes polynésiens sont expliqués. Ainsi, si comme le dit M. Gaussin, les mots tahitien toï et marquésans taki , tahi, « pleurer, » ne rappellent plus que le son ngi , de tangi, quelle est la langue, ou pour nous servir de l’ex- pression consacrée à son sujet, quel est le dialecte qui pos- (1) Faisons remarquer eu passant que le R. Taylor dit (p. 7) que « l’abondance, la richesse du langage maori, sa grande affi- nité, non-seulement par les mots, mais aussi par la grammaire avec le Sanskrit, font remonter à une époque où la littérature ne devait pas être inconnue. ® LES POLYNÉSIENS. 191 sède le mot tangi ? Toujours le langage de la Nouvelle- Zélande. M. de Bovis, dans son mémoire sur l’état de la société de Tahiti, avait déjà dit, à propos du peuplement des îles : « Ce- pendant les habitants parlent bien la même langue et appar- tiennent bien à la même race. Vous trouverez dans l’un des idiomes quelques aspirations, quelques contractions de plus ou de moins, mais si vous restituez la lettre omise ou l’aspi- ration tombée en désuétude, ce sera tout-à- fait la même lan- gue. Il y a si peu à s’y méprendre, qu’une grammaire polyné- sienne, dans laquelle on prendrait, par exemple, le Tahitien pour base, parce que c’est la langue où il y a le moins de lettres, et où on placerait au-dessus des mots certaines lettres en caractères rouges, noirs ou verts, selon qu’elles appartiendraient aux Sandwich, à la Nouvelle-Zélande ou à Tahiti, pourrait servir de grammaire générale pour les trois pays, en y comprenant les Paumotu. » Personne ne doute plus aujourd’hui de l’analogie des dia- lectes polynésiens entr’eux ; mais ce qui n’avait pas été remarqué jusqu ici, croyons-nous, c’est que, sans recourir aux divers archipels pour former une grammaire comme l’indique M. de Bovis, il suffit, comme l’a prouvé M. Gaussin par les mots qu il a cités, de s’adresser à la langue maori qui, suivant les localités où elle est parlée sur les deux grandes îles de la Nouvelle-Zélande, emploie ou supprime l’une ou plusieurs des lettres que suppriment ou emploient plus particulièrement certains dialectes de la Polynésie : telles sont les lettres Z, n, ng, u, etc. C’est ainsi que, sui- vant les localités, le mot « homme », à la Nouvelle-Zélande, se rend par tangata , tanata , kakata . Aussi M. W. Williams, l’auteur du dictionnaire maori, reconnaît-il un grand nom- bre de dialectes à la Nouvelle-Zélande : le Waikato, le Ra- rewa, le Tauranga, le Cap-Est, le Ngatitoa, le Ngapuhi, etc. L’erreur de M. Gaussin nous ayant paru manifeste, nous avons voulu la signaler ici, afin d’appeler l’attention des linguistes sur ce sujet si important. Mais, en attendant qu’elle soit démontrée, nous croyons pouvoir conclure, de Ll£S POLYNÉSIENS. 392 toutes les recherches et observations que nous avons faites, que le Maori, ainsi que les indig’ènes de la Nouvelle-Zé- lande appellent leur lang-ue, est non pas, comme on l’a dit, l’un des dialectes polynésiens, mais bien la languie mère de tous les dialectes de la Polynésie ; autrement, en paraphrasant la conclusion de M. Gaussin, nous croyons que chaque dialecte polynésien se trouve composé des dé- bris d’une langue principale, encore parlée aujourd’hui, intégralement et sans altération, par un peuple qui n’est autre que celui de la Nouvelle-Zélande. On verra, du reste, au fur et à mesure que nous avance- rons, quelles sont les bases principales de cette conclusion. Nous allons maintenant faire connaître ici l’opinion de John Williams sur l’analogie du langage des îles Hervey avec celui de la Nouvelle-Zélande, et sur son analogie plus grande avec le langage maori, qu’avec tous les autres dia- lectes polynésiens. M. J. Williams avait longtemps résidé dans le groupe des îles Hervey ; il avait visité à peu près tous les archipels de la Polynésie, ainsi que la Nouvelle-Zélande ; il avait même pu comparer les Mélanésiens aux Polynésiens en allant se fixer dans l’une des îles Hébrides, où, comme on sait, il fut tué par les indig’ènes : pour toutes ces raisons, son opinion est de la plus haute importance. Or voici ce qu’il dit : « Le dialecte des îles Hervey est non -seulement parlé dans ce groupe, mais aussi dans celui de Maniki (1), dans les îlesPaumotu, et même dans l’archi- pel des Gambier. » Et il ajoute : « Ce dialecte diffère très peu de celui de la Nouvelle-Zélande. » Il trouve même qu’il est plus original, et qu’il a une affinité plus grande avec les dialectes de la Polynésie qu’avec celui de Tahiti. Il fait en outre la remarque que le dialecte des îles Hervey et de Rarotonga se distingue du Tahitien par deux particulari- tés : par le rejet des lettres fet h , et par l’usage du k et du ng. Enfin, il termine en disant : (2) « Le dialecte des Nou- (1) Le groupe Maniki n’est autre que le groupe d'îles appelées Humphrey sur les cartes. (2) Ibid . p. 534. LES POLYNÉSIENS. 193 veaux-Zélandais est, dans sa principale particularité, sem- blable à celui de Rarotonga ; la seule différence étant que les Nouveaux-Zélandais se servent du /i, qui n’est pas em- ployé par les habitants de Rarotonga. » Il cite, comme exemples, quelques mots, à côté desquels nous placerons les mots pareils usités à la Nouvelle-Zélan- de, afin 'de montrer quel est le degré d’analogie entre ces dialectes : Tahiti Iles Hervey Nouvelle-Zélande. Pirogue Yaa Vaka Maison Fare Are Nourriture Maa Manga Affection Aroha Aroa Waka Whare Oranga Aroha Après cela, M. Williams n’hésite pas à voir le pays d’ori- gine des habitants des îles Hervey, dans Tahiti et les îles Samoa. Une tradition, obtenue par lui à Rarotonga même, ne laisse, dit-il, aucun doute à cet égard. Naturellement, depuis, tous les ethnologues et plus ré- cemment encore M. de Quatrefages, ont adopté cette opi- nion : on peut, pour ainsi dire, la regarder comme la seule admise aujourd’hui, et l’on s’est même appuyé sur elle pour aider à démontrer le peuplement de la Nouvelle-Zé- lande par la Polynésie. Mais ici encore, malgré l’autorité imposante de J. Wil- liams, malgré l’adoption [faite par tous les savants de cette opinion, nous croyons qu’il n’est pas permis de la partager complètement. Nous croyons que la tradition qui lui sert de base prouve plutôt en faveur du peuplement de la Poly- nésie par la Nouvelle-Zélande, qu’en faveur du peuplement de la Nouvelle-Zélande par la Polynésie, ou qu’elle montre, tout au moins, que le langage de ces trois peuples, à l’é- poque du peuplement de Rarotonga, était absolument le même, c’est-à-dire qu’il n’était autre que le Maori. Ce fait seul est déjà un témoignage favorable à la thèse que nous soutenons. C’est ce que nous allons essayer de démon- trer. m. 13 194 LES FOLYNÉSIENS. Nous commencerons par l’exposé de la tradition : elle est fort étendue, mais nous croyons devoir la présenter in extenso, parce que toutes les versions données par Haie, d’Urville et autres sont incomplètes et tronquées, pour ainsi dire, suivant le besoin de l’opinion soutenue. Nous le répéterons : par les phrases et les mots cités du langage d’alors, cette tradition semble prouver, d’une ma- nière incontestable, que ce n’étaient que des phrases et des mots maori ; car le Maori est la seule langue à laquelle ils appartiennent, et aucun des archipels des Iles de la Société, des Amis et des Marquises n’en emploie de pareils. J. Wil- liams, en rapportant cette tradition, ne paraît pas en avoir fait la remarque. Il semble enfin résulter, de certains passages de ^cette légende, que les habitants de Rarotonga seraient plutôt originaires dés îles Tunga que des îles Samoa et Tahiti, et que, par conséquent, ils dépendraient indirectement des Maori, si leurs ancêtres n’étaient pas venus directement de la Nouvelle-Zélande. Yoici le texte de cette tradition, telle qu’elle est rappor- tée par J. Williams (lj. « La légende rapporte que Karika, l’un des ancêtres de Makea, le roi de Rarotonga lors des premières visites des missionnaires anglais, venait d’une île située à l’Ouest et nommée Manuka. « Karika était un grand guerrier et un grand naviga-* teur ; c’est dans un de ses voyages sur mer qu’il avait dé- couvert l’ile de Rarotonga, alors inhabitée. a Après y être demeuré quelque temps, il venait de re- prendre la mer, quand il rencontra en route Tangiia. « Ce dernier était un chef du district de Faaa, à Tahiti : ayant abattu un arbre à pain favori, et offensé ainsi son rère Tutabu-aru-roa, « le poursuivant infatigable, » il s’é- tait, pour éviter sa colère, enfui avec toute sa famille, parmi laquelle se trouvaient deux jolies filles. « Il s’était d’abord dirigé vers Huahine, à environ cent (1) A narrative of missionary interprises in the South sea /s3 lands, p. 192. LES POLYNÉSIENS. 195 milles à l’Ouest de Tahiti» et il y était arrivé sain et sauf ; mais à peine s’y trouvait-il depuis quelques jours» que Tutabu s’y présenta avec ses mille (Uni) (1), bien décidé à tuer son frère. « Afin de lui échapper, Tangiia partit immédiatement pour Raiatea, où il fut suivi de près par Tutabu. S’étant enfui de nouveau pour Porapora, Tutabu y arriva presque aussitôt que lui. « Il prit alors le parti de se diriger vers Maupiti, la der- nière des Iles de la Société, mais Tutabu ne tarda pas à y arriver : si bien que, voyant qu’il lui était impossible d’é- chapper à son implacable ennemi, Tangiia n’eut d’autre ressource que de se lancer sur l’Océan à la recherche de quelque refuge. « Il était déjà en mer depuis longtemps quand il rencon- tra Karika, qui venait de l’île Rarotonga et qui était d’abord parti de Manuka. « Celui-ci, après avoir amarré son canot à celui de Tangiia, allait l’attaquer, quand il vit Tangiia faire acte de sou- mission et lui offrir l’emblème de la suprématie à la fois civile et religieuse, en lui disant : tena mai te vaevaeroa , « tu as les jambes longues » ou « l’homme t’appartient. » A quoi Karika répondit : « tu as les jambes courtes », ou « la tortue t’appartient. » Celle-ci étant sacrée, était consi- dérée comme l’emblème de la suprématie dans les affaires religieuses. « En toi est le Butunga-apinga-katoatoa, la source de tout trésor, » ajouta-t-il, et il se réserva seule- ment pour lui son Takaï-kete, ou la nourriture que le peu- ple de son district doit lui fournir. « En entendant ces paroles, Karika fut satisfait ; il accueillit amicalement Tangiia, et accepta de lui l’une de ses jolies filles pour femme. « Ce fut après cela que le brave guerrier apprit à son ami qu’il avait découvert une île charmante, et qu’il lui dit dans quelle direction elle se trouvait, promettant de re» (1) M. Williams traduit ainsi le mot tini, qui signifie multitude* grand nombre. 196 LES POLYNESIENS» Tenir pour s’y établir, quand il aurait rempli le but de son voyage du moment. « Tangiia, prenant alors congé de son formidable allié, se dirigea vers Rarotonga. Dès qu’il y fut arrivé, il se fixa sur la côte Est. a Peu de temps après, Karika revint à cette lie, et il alla s’établir avec sa « Uni » sur la côte Nord. « Ils n’y étaient que depuis peu de temps, se félicitant de leur tranquillité, quand, à la grande surprise et consterna- tion de Tangiia, parut, à l’entrée de la baie, la flotte de son ennemi déterminé Tutabu. « L’infatigable poursuivant s’était décidé à parcourir l’Océan pour y trouver son adversaire ; maintenant qu’il l’avait découvert, il pensait bien pouvoir le détruire. « Tangiia expédia aussitôtun messager à son ami Karika, pour le prévenir de l’arrivée de Tutabu et lui demander son appui dans le combat qui ne pouvait manquer d’avoir lieu. Il espérait qu’en réunissant leurs forces la victoire serait pour eux. « Karika s’empressa de réunir sa Uni et l’envoya aussitôt au secours de son ami. Un engagement désespéré avec Tutabu s’en suivit, et ce dernier fut battu et tué. « La première pensée des vainqueurs fut de le faire cuire au four ; mais ils trouvèrent bientôt que c’était plus diffi- cile que de le tuer. En effet, quoiqu’ils eussent chauffé à fond un grand lour et placé dans son intérieur un grand nom * bre de pierres chaudes, ils constatèrent, en le découvrant, que le four était froid, et que Tutabu n’était pas cuit. « Cela les décida à porter le corps dans le district le plus voisin, après y avoir préparé un autre four. Mais ce fut aussi vainement qu’ils le chauffèrent avec un autre bois : \e corps de Tutabu ne se trouva pas plus cuit. « Ils eurent beau répéter cette tentative dans chaque dis- trict de l’île, jusqu’à leur arrivée au premier point de dé- part, le résultat fut toujours le même. C’est pour cela qu’ils donnèrent au district le nom de Taa-na, qui signifie « cuit au four plusieurs fois. » « Dans cette tradition, dit Williams, il y a beaucoup plus LES POLYNÉSIENS. 197 de fable que j’en ai mentionné. Ainsi le canot qui aurait conduit Tangiia jusqu’à Rarotonga, aurait été construit dans le monde invisible ; il aurait été apporté par des oi- seaux sur le sommet d’une montagne, pendant une nuit, et il y aurait été transformé en un grand canot-maison pour recevoir Tangiia. Ce navire célèbre avait neuf à dix noms remarquables, tirés des circonstances de sa cons- truction, de son origine et autres accidents ; mais son principal nom était Taraï-po , ou « construit dans le monde invisible. » J. Williams ajoute : « Cet aperçu, dépouillé de ce qu’il a de fabuleux, est certainement acceptable d’après diverses circonstances, car les Tahitiens et les insulaires des autres îles de la Société possèdent, concernant Tang-iia et Tutabu, d’autres traditions qui établissent que c’étaient deux grands voyag-eurs, qu’ils avaient eu une grande dispute d’intérêt, et qu’ils habitaient le district de Faaa à Tahiti. Cette opi- nion est appuyée également par le fait que les îles d’où proviennent leur ancêtres, au dire des habitants de Raro- tonga, sont à peu près à égale distance de Raratonga, Tahiti étant à l’Est, et Manuka à l’Ouest d’elle. De plus , le langage des habitants actuels est pur tahitien, avec prononciation dure des consonnes, et avec le son nasal qui caractérise les dialectes de l’Ouest. Enfin nous pouvons encore y ajouter une preuve évidente, tirée des divisions politiques toujours existantes dans l’île : La population y est divisée en deux tribus, désignées par les noms de Ngati- Karika ou les descendants de Karika et de Ngati- Tangiia, ou les descendants de Tangiia ; les premiers occu- pent le côté Nord et les derniers le côté Est. » Comme on le voit, pour mieux soutenir son opinion, M. Williams dit d’abord que Tahiti est à l’Est de Rarotonga, ce qui n’est pas tout-à-fait exact, puisqu’elle se trouve dans le Nord-Est. D’un autre côté si Manuka, ou l’île qu’il appelle ainsi, se. trouvait véritablement à l’Ouest, comme il le dit, ce ne pouvait et ce ne peut être que Namuka des lies des Amis, visitée par La Pérouse ; car si c’était l’île Manua des Samoa, 198 LES POLYNÉSIENS. il faudrait la placer dans le Nord-Ouest, qui est sa position relative. Cette île serait à la même distance à peu près de Tahiti, comme il le dit ; mais il est évident que ce n’est pas elle, puisque celle dont parle la légende était à l’Ouest. Or, à l’Ouest, il n’y a que Namuka, qui est beaucoup plus voi- sine de Rarotonga. Puis, si le langage est pur tahitien, comme il l’avance, il faut bien reconnaître qu’on ne le voit guère dans les mots qu’il cite, tels que Karika, Tutabu, Tangiia, Ngati, etc. (1) Williams avoue d’ailleurs que la prononciation dans cette île est dure, gutturale, et que le son nasal y est con- servé ; ce n’était donc pas sûrement le Tahitien actuel. Williams a certainement raison d’orthographier ngati, en un seul mot, quoiqu’il soit probablement composé de deux, nga et ati élidés ; mais il a tort de le considérer comme un mot tahitien, car il n’est absolument que maori. Ainsi que nous l’avons vu plus haut, nga, particule inconnue aux Tahitiens, est le signe du pluriel dans la langue maori ; le ng manque de même dans les îles Samoa et Sandwich, tandis qu’il se trouve dans les îles Tunga, Man- gareva, Pâques et aussi, comme on le voit par cette citation de Williams, dans l’île Rarotonga. Pour ce seul motif, cette dernière île n’aurait donc pu le recevoir de Tahiti ou des Samoa, mais seulement de la Nouvelle-Zélande ou des Tunga. On sait qu’à Tahiti, du reste, la dernière syllabe de ce mot ngati est la seule employée, c’est-à-dire que le ng est fl) Le mot karika ainsi écrit n’est, il est vrai, ni Tahitien, ni Tonga, ni Maori ; mais en en faisant deux mots, il ne se retrou- ve que dans cette dernière langue : kari, bois ; ka, brûlé. Il en est de même du mot tangiia , qu’il faut aussi écrire en deux mots : tangi n'est pas Tahitien, mais Maori ; il signifie crier, beugler ; ia, il, c’est. En Maori, tu , être, rester, etc. ; tapu sacré, rite sacré, sainteté. Le mot rarotonga est également tout maori : raro , sous, des- sous ; tonga , vent du Sud. C’est en même temps le nom d’une île du détroit de Foveaux, appelée par les Anglais, Ile-du-Centre. C’est donc la Nouvelle-Zélande qui a imposé ce nom à l’une des îles Hervey. LES POLYNÉSIENS. 199 supprimé ; là, ati signifie : s’attacher à une personne, être adhérent, s’associer, s’unir, et probablement lui appartenir. Mais il n’est arrivé là sans doute que par extension, car il est avant tout la préfixe patronymique qu’on met devant les noms des ancêtres, pour désigner les descendants. C’est donc bien le même mot que ngati pour la signification, mais réduit à sa dernière syllabe seulement. Par conséquent, lorsque M. Williams dit que Ngati Kari- ka et Ngati Tangiia signifient les descendants de Karika et de Tangiia, il rend exactement le sens de ces mots, mais il a tort de les considérer comme des mots tahitiens ou samoans, car ces mots, ainsi prononcés, ne peuvent prove- nir de ces archipels. Nous venons de dire que les mots karika et tangiia ne sont pas plus tahitiens que ngati , et que le mot karika ne peut même être maori qu’à condition d’être écrit ainsi : kari-ka ; il ne se trouve de la sorte qu’à la Nouvelle-Zé- lande. Tangi , au contraire, existe en un seul mot à la Nou- velle-Zélande, où il signifie, crier, beugler, etc. Mais là encore, il faudrait écrire tangi-ia, en deux mots, ce dernier n’étant que le pronom. Or, puisque les mots entiers ou sé- parés ne se trouvent qu’à la Nouvelle-Zélande, il faut bien reconnaître qu’ils sont plus maori que tahitiens. Le mot tutabu lui-même n’est probablement qu’un mot maori, mal' écrit et mal entendu par les premiers mission- naires, qui ont fini, on le sait, par supprimer le b qu’ils avaient d’abord adopté pour rendre le son p : celui-ci est le seul, à notre avis, qui soit prononcé par les Polynésiens. Les auteurs du dictionnaire taliitien ont même fini par écrire : tu-tapu , mot que nous avons entendu nous-mème à Tahiti, et qui signifie « la divinité sacrée. » D’un autre côté, en rendant aru roa par « le poursuivant infatigable », M. Williams a parfaitement rendu, croyons- nous, la véritable signification de ces mots ; mais c’est justement pour cela que nous y voyons une nouvelle preuve en faveur de l’opinion que nous soutenons. En effet, ces mots n’ont cette signification qu’en Maori : là, aru signifie « poursuite, poursuivre, suivre » et roa signifie « grand. » 200 LES POLYNÉSIENS. A Tahiti, au contraire, aru roa veut dire seulement: « grand filet, grande vague, grande joie », et il ne désigne rien de plus. On le voit, toutes ces expressions sont maori ; et si l’on admettait, comme le dit M. Williams, que Karika etTangiia étaient de Tahiti ou des Samoa, il faudrait du moins recon- naître qu’à cette époque la langue n’avait pas encore subi de changements, et qu’elle était absolument la même à Tahiti, aux Samoa et à la Nouvelle-Zélande. Puisque la langue Maori est la plus complète, comme Font remarqué tous les linguistes, puisqu’elle est la moins émasculée, comme l’a dit M. Pruner-bey, puisqu’elle était la langue parlée alors par les découvreurs, il faut en con- clure que c’est la Nouvelle-Zélande, plutôt que Tahiti ou les Samoa, qui a envoyé, directement ou indirectement, ses colonies à Rarotonga et dans le reste du groupe. Dans ces îles, ces colonies n’ont fait subir, avec les années, que très peu de changements à leur langue, tandis que certains archipels l’ont transformée en dialectes plus distincts, quoi- qu’elle fût nécessairement la même au début. Cette tradition est regardée, depuis Haie, comme ce qu’il y a de plus favorable à l’opinion de cet écrivain : c’est au contraire, à notre avis, l’un des exemples qui appuient le plus l’origine zélandaise des Polynésiens. Des légendes maori établissent que le nom de Karika était très commun à la Nouvelle-Zélande : un Karika était frère des émigrants d’Hawahiki, nommés Hatupatu, Hanui, et Haroa, qui étaient allés se fixer près des lacs Taupo et Rotorua. C’était un guerrier célèbre, très entreprenant, et l’on pourrait supposer, sans trop conjecturer, que c’est le même qui joue un si grand rôle dans la tradition rapportée par J. Williams. Dans ce cas, plus de doute: c’était un Maori, qui serait arrivé indirectement à Rarotonga, en com- mençant par s’arrêter aux Tunga ou à Namuka, c’est-à- dire, bien probablement à l’île appelée Manuka par la légende. Alors le Tutabu de Williams n’aurait évidemment été que le Hatu-Patu de la légende maori rapportée par Sir LES POLYNÉSIENS. 201 Grey. Ce nom, d’après cela, serait mieux écrit Ha-tu-patu, s’il ne doi pas plutôt être écrit Ha-tu-tapu. Nous serions assez disposé, en effet, à croire que Sir Grey n’a pas bien entendu et que Williams était plus près de la vérité que ui quand il écrivait Tutabu, qui n’est que le mot Ha-tu- tapu, moins la première syllabe. Quoiqu’il en soit, c’est toujours, à n’en pas douter, une même légende, et une légende de la Nouvelle-Zélande. Si Karika et Tangi-ia sont les ancêtres des habitants de Rarotonga, comme le dit M. Williams, on pourrait con- clure de ce rapprochement même que cette île a été dé- couverte et peuplée plutôt par des Zélandais que par des Tahitiens et des Tongans. Car, si la Nouvelle-Zé- lande n’est pas directement à l'Ouest, elle gît du moins au Sud-Ouest de Rarotonga, et, par conséquent, toujours plus à l’Ouest qu’elle, tandis que Tahiti se trouve dans le Nord-Est. Il est vrai que les îles Tunga sont direc- tement à l’Ouest et que, dès lors, elles auraient bien pu être les premières à découvrir et à peupler Rarotonga (1). Seulement, dans ce cas, il faudrait reconnaître que 1 île Manuka de M. Williams était l’île Namuka, l’une des napaï, qui est bien directement à l’Ouest de Rarotonga, et à la distance de cinq à six cents milles. Cette île Na-Muka est la même que les premiers navigateurs, et entre autres La Pérouse, qui y a relâché, ont appelée Anamoeka, Ana- mooka, etc. Il est certain qu’il n’existe pas d’ile Manuka, ni dans le groupe des îles des Amis, ni dans celui des Samoa. Celle que Williams a prise pour elle, dans ces dernières îles, s’appelle Manua. Dans l’origine, c’était peut-être le nom que lui avaient donné les colonies parlant alors le Maori, car Ma- nuka est encore un mot maori qui est donné à un arbre, le même que le Kahikatoa. Mais enfin, tel n’est pas son nom depuis les visites des premiers Européens et d’après J. Williams lui-même, qui, dans son livre, se contente de lui (1) On sait que dans une autre île du groupe Hervey, Aitutaki, les insulaires disent que leurs ancêtres sont venus d’une région sous le vent appelée par eux Avaïki. 202 LES POLYNÉSIENS. donner le nom de Manua. Nous croyons donc, d’après sa position surtout, qu’il n’a dû s’agir que de l’île Namuka. Ce nom seul vient lui-même à l’appui de la thèse que nous soutenons : en Maori, na sigmifie, voici, voilà, il y a, etc. et muka , lin ou phormium tenax. Des Maori seuls pouvaient penser au phormium, et se figmrer en voir dans la contrée polynésienne abordée par eux. Il n’est pas jusqu’aux mots tini et makea , qui ne prou» vent en faveur de cette thèse. Tini est un mot tout spécialement maori ; il sigmifie multitude, grand nombre, comme si l’on disait troupe ar- mée, phalange, etc. On a vu que Williams l’a traduit par 1000, ce qui revient à peu près au même, mais ne serait exact que si une armée était nécessairement composée d’un millier de combattants. Quant au mot makea , il ne saurait être tahitien, puisque le k n’est pas employé à Tahiti. En Maori, on le trouve en deux mots : ma, pur, blanc, net, propre ; kea , mucus nasal, ou keha, puce. Mais ce qui prouve bien mieux encore que ce mot est essen- tiellement maori, c’est qu’il était justement, comme l’ap- prend Sir Grey (1), l’un des noms du père de Maui le Zélan- dais. Une autre tradition, citée ég-alement par J. Williams, nous paraît être tout aussi probante que la précédente. Elle a été donnée comme un exemple du langue de Raro- tong*a ; à ce titre, elle offre le plus gTand intérêt aux lingmistes. C’est un chant fait par le guerrier Oromea, que Karavai croyait avoir tué, et qui, n’étant qu’étourdi, était parvenu h s’échapper. Voici les paroles et la traduction de M. J. Williams (2). Tari rau kuru ua ite Atua Karavai . E î Kua ki a Vairota. E ! (1) Polynesian mythology , p. 32. L’autre nom du père de Maui était Tara-Hunga. (2) Ouvr. cité, p. 212. 203 LES POLYNÉSIENS. Kare i Tutuki tika ia Oromea. E ! Te koto ua va i te tuporo i te Manga. E ! a Quelle charge de feuilles, de fruits à pain, Karavaï porte à ses dieux. Oh ! « Il a rempli Yairota (nom d’un marae). Oh! « Mais il n’a pas tué complètement Oromea. Oh ! « Car il est occupé à battre du tambour et à danser gaie- ment à Te Manga (nom d’un district). Oh ! » Or on ne peut nier que tous ces mots n’appartiennent plutôt au Maori, qu’au Tahitien et au Samoan, Nous pourrions citer encore les adieux faits par la popu- lation d’Aïtutaki (1) à M. Williams quittant l’île avec son navire (2) : Kia or a e tama ma, 1 te aerenga i te moana. — E 1 « Soyez heureux, chers amis, « Soyez heureux dans votre voyage sur la mer. » Ces mots sont pur maori : par conséquent, c’est toujours un témoignage plus favorable que contraire à notre thèse. Le k, avons-nous dit, n’est pas usité à Tahiti, pas plus qu’il ne l’est aux Samoa. Donc ce sont bien des mots zélan- dais puisque, de plus, quelques-uns ont le ng qui manque complètement à Tahiti et à peu près complètement aux îles Samoa. Au surplus, nous rejetons à la fin de ce chapitre quel- ques fables Néo-Zélandaises, dont le texte, emprunté à l’ouvrage de Taylor, donnera une idée exacte du Maori. Il résulte évidemment, des considérations linguistiques précédentes, que le Maori était la langue primitive. Les (1) Il est curieux de voir que, à Aitutaki, le dieu appelé Oro à Raiatea et à Tahiti, était appelé Koro, mot tout maori, mais qui, il est vrai, est également fijien. (Voy. Th. Williams, Fiji and Fi~ jians , p. 51.) (2) A narrative , etc., p. 164. \ 204 LES POLYNÉSIENS. Polynésiens, dans l'origine, c’est-à-dire à leur arrivée dans les îles qu’ils occupent, avaient non-seulement la même langue, mais aussi la même prononciation générale ou primitive, aussi bien à Tahiti que dans les autres archipels. Aux Marquises, par exemple, s’il y a des districts où elle ne s’est pas conservée, il y en a d’autres où elle existe en- core. A Tahiti même, nous avons souvent remarqué que, contrairement à la majorité, des indigènes prononçaient comme l’auraient fait des Maori, et comme tous devaient le faire, à leur arrivée dans les îles de la Société et avant les modifications subies depuis par le langage. On sait, du reste, et Moërenhoüt a montré, qu’il existait anciennement à Tahiti une languie uniquement comprise par les chefs et les prêtres, de même qu’aux Tunga et ailleurs. Quand on étudie le Tahitien on ne saurait douter que cette languie était le Maori. C’est ce que prouve aussi la facilité avec la- quelle Tupaia, le grand-prêtre tahitien compagnon de Cook, put immédiatement converser avec les Néo-Zélandais. On a objecté, il est vrai, que le Maori n’aurait pu être la source des divers dialectes de la Polynésie qui, comme aux Sandwich, aux Samoa, aux Tunga, emploient des lettres, telles que le l, le u, etc. : ces lettres, disait-on, sont incon- nues aux Néo-Zélandais. Mais c’est une erreur, car la lan- gue maori possède également ces lettres. Il est vrai qu’elles ne sont utilisées que par des populations de certaines loca- lités de la Nouvelle-Zélande ; mais toutes y existent réelle- ment, de même que, parfois, le ng fondamental, national pour ainsi dire, s’y trouve lui-même délaissé par cer- taines populations qui le remplacent par le k ou le n : Ex : Moeraki pour Moerangi. Il existe, en réalité, une seule langue à la Nouvelle-Zé- lande, et les modifications de lettres usitées dans certains districts ne sont pas des dialectes, comme le disent les mis- sionnaires, mais de simples jargons. Un pareil état de choses explique donc suffisamment les différences obser- vées dans les îles polynésiennes. Ces différences ont dû naturellement, après la séparation, se prononcer de plus en plus avec le temps ; mais elles ne sauraient être considé- LES POLYNÉSIENS. 205 réès comme un obstacle au peuplement de la Polynésie par la Nouvelle-Zélande. Depuis Pigafetta, tous les voyageurs qui ont donné à l’étude de l’homme l’importance qu’elle mérité, ont recueil- li, dans les différents pays qu’ils ont visités, des vocabu- aires plus ou moins complets. Quoiqu’il n’ait touché que dans les îles Mariannes, Philippines, Moluques et quelques autres voisines de ces dernières, Pigafetta, le premier, signale dans ces îles la présence d’un grand nombre de mots polynésiens. C’est sans doute cette conformité qui a donné l’idée de la ressemblance des idiomes polynésiens avec les Malayou. Après Pigafet ta, Forster dressa un tableau de 47 mots pris dans onze des dialectes de l’Océanie, et il mit en re- gard les mêmes mots en Malayou, en Mexicain, en Péruvien et en Chilien. Ce tableau montrait que les dialectes océa- niens offraient des analogies avec le Malayou, mais nulle- ment avec les langues américaines. Dans le même temps, Anderson, le chirurgien de Cook, mettait en évidence, dans un tableau comparatif de 42 dialectes différents, l’analogie des idiomes océaniens avec le Malayou et le Madekass, à l’égard des noms de nombre. Pins tard, le docteur Martin, à la fin de son ouvrage sur les îles Tunga, d’après les documents de Mariner, cita 55 mots malais qui se trouvaient, plus ou moins altérés, dans l’idiome tongan. Il est vrai que si l’analogie de la plupart de ces mots est indubitable, elle a été forcée pour quelques uns. On sait, du reste, qu’aucune confiance ne peut être accordée au vocabulaire fourni par Mariner et qu’il four- mille d’erreurs. Le tableau de 15 mots publié par J. Williams vint prou- ver, ce qui n’a plus besoin d’être démontré aujourd’hui, l’analogie de tous les dialectes polynésiens entre eux et leur différence d’avec la langue des Fiji. L’ouvrage le plus considérable sur ce sujet est celui que Dumont d’Urville inséra à la suite du Voyage de V Astro- labe : ce travail se compose de tous les vocabulaires rédi- gés par Gaimard dans le cours de l’expédition, de ceux de 206 LES POLYNÉSIENS. Mariner et de celui de Madagascar recueilli et donné à d’Urville par le Dr Chapelier. Malheureusement ce recueil immense est plein d’erreurs. Comme ses prédécesseurs, d’Urville a essayé un tableau comparatif en six langues : Madekasse, Malaie, Mawi, (1) Tongane, Tahitienne et Ha- waiienne ; mais ce tableau, quoique fort étendu, n’a rien appris de plus qu’on ne savait, et peut-être moins que ceux de J. Williams et d’Anderson sur les rapports com- paratifs des dialectes polynésiens. Seulement d’Urville con- cluait, de la comparaison de ces six langues, que les dia- lectes polynésiens offraient des traits de ressemblance avec la langue des Malais et celle des habitants de Madagascar. Le Rév. Whitmee dit, en parlant de la parenté des lan- gages hawaiien, maori, tahitien, rarotongan, tongan et marquésan avec le Malai : « Ces langages ont verbalement beaucoup de ressemblance, de même que dans leurs formes grammaticales. Ils ressemblent aux langages parlés par les habitants les plus clairs de l’archipel indien. Mon étude actuelle sur eux me confirme dans l’opinion qu’ils sont tous, en même temps que le langage de Madagascar, plus ou moins apparentés. Mais je doute que les langues malayo- polynésiennes, ainsi que les appelle le baron Guill. de Humboldt, puissent être regardées, dans certain sens, com- me des branches du Malai. Je regarderai plutôt tous ces langages, ainsi que ceux de l’archipel Indien et Madekasse, comme étant plus ou moins des branches variées sorties d’un tronc originel, qui maintenant ne se trouve plus dans aucun langage parlé. Le Malai lui-même, loin d’être la souche, est probablement la branche, la plus développée et la plus changée, sortie du tronc originel. Car il a sans doute été plus changé que les autres par les influences étrangères qui sont venues de l’Inde, et par son contact avec les Arabes. On ne peut douter que les Malayo-Polyné- siens n’aient été séparés de leurs congénères, dans l’archi- (1) Mawi est le nom donné par d’Urville à la langue des Néo~ Zélandais ; il l’a tiré du mot Ika-na-Maui, nom que porte l’île la plus septentrionale du groupe de la Nouvelle-Zélande. C’était inutile, puisque les indigènes appellent leur langue le Maori. [ LES POLYNÉSIENS, 207 pel indien, avant que ces influences aient affecté le langage malai. Je ne veux pas théoriser sur une date insuffisante ; mais, d’après le fait de la ressemblance qui existe, entre toutes les variétés des langues malayo-polynésiennes et d’a- près leur isolement, jugeant leur simplicité comparative, je pense qu’il est probable qu’une étude comparée de ces lan- gages nous rendra capables de reconstruire le langage originel, duquel tous, y compris , le Malai et le Madékasse, ont divergé » (1). Pour nous, ce langage originel n’est autre que le Maori ; et nous allons jeter ici un rapide coup d’œil sur les divers alphabets des principaux archipels polynésiens, afin de bien établir qu’ils dérivent de celui de la Nouvelle-Zélande. LETTRES COMPOSANT LES DIVERS ALPHABETS DES PRINCIPAUX ARCHIPELS POLYNÉSIENS. 'Nouv. Zélande Tanga. Samoa. Rarotonga. Tahiti. a > » 30 3» 33 b C » » 7) » 03 33 » » » 03 33 c D 33 33 00 j) » * » * 30 0> 3) d E e e e e e e e e e e e e F f f f s f » » f » » f 33 G » » g 33 » 00 » 00 y> 00 g g H h h » 00 h h h h h h 00 h 1 i i i i i i i i i i i i K k k » k » » k k k k k k L 1 i 1 » » k y) 1 » 00 1 1 M m m m m m m m m m m m m N n n n n n n n n n n n n O 0 o 0 0 0 o 0 0 o o 0 0 P /-i P P P P P P P P P P P 33 Q » » » » » » » » 3* » 33 q R r » » r r r r » 3» r 33 r S » » s » » » » » 00 30 S s T t t t t t t t t 30 t t t U u u u u u u u u U U U u W V V V V V V V V 7) V V V V w 00 33 )) 7) » » 33 W » 33 w Y 00 33 30 33 » f 30 » « 30 03 33 y NG ng ng ng ng » 11 g i ng ng ng » ng 33 (1) Pratt Dictionnaire Samoan- Anglais, édité par le Rev. Wiiitmee, Londres 1878, — Transactions ofthe Philolo&ical So- ciety, 1877-1879, p. 426. & 208 LES POLYNÉSIENS. A la Nouvelle-Zélande, le h est prononcé avec une forte expiration ; ex : heoï , assez ; hiahia , désir ; hine , fille. Le r n’est pas guttural ; il tient à la fois du l et du d ; aussi cette lettre a souvent été prise pour un d par les voyageurs, par- ticulièrement par d’Urville. Le ng existe dans toute sa pu- reté, mais pas partout ; ex ; tangata, homme, rangatira , chef, que l’on doit prononcer ta-nga-ta ,, ra-nga-tira. Cette nasale tient le milieu entre le gn et le ng français. Dans la Baie d’ Abondance, plusieurs tribus remplacent le ng par le n. Un fait qui n’avait pas été remarqué jusqu’ici, c’est que certaines tribus de la Nouvelle-Zélande emploient des let- tres qu’on ne retrouve qu’aux Tunga, aux Samoa ou aux Sandwich. Ainsi, dans le détroit de Cook, le l remplace le r des autres localités. Près de la Baie des Iles, les Ngapuhi prononcent le h comme un sh, c’est-à-dire avec une forte expiration ; les habitants de Taranaki le prononcent avec explosion. Le v semble remplacer le w dans d’autres lieux. Enfin le f même est employé par quelques Maori : le mot terre, par exemple, est rendu, suivant les localités, par henua , whenua , venua et fenua. Aux îles Tunga, le f, d’après Mariner, tiendrait souvent lieu du v : Ex. facca , faire (préfixe), pour vkaka à la Nou- velle-Zélande, Inaa à Tahiti. Le g est douteux, quoique Ma- riner écrive Lefuga , nom d’île (1) pour Rehunga (Nouvelle- Zélande). Le h est très accentué ; cependant, d’après Mariner, le ht dans beaucoup de mots, serait remplacé par le f : ainsi les mots zélandais huahua , bouton, pustule, hiainu , qui a beaucoup bu, ivre, tohunga , prêtre, se pro- nonceraient fuafua , fia-inu . tofunga. Le l remplace le r de quelques autres archipels (2) et parfois le h : ainsi lae pour rae, front ; laa pour raa, soleil ; luulu pour huruhu- ru , chevelure. (1) Haché, laid, mauvais. (2 j Pruner-Bey a fait remarquer que la différence minime exis- tant entre les lettres r et l est toute physiologique. C’est, dit-il, la pointe de la langue mise en vibration par le courant phonétique qui donne la consonne r ; lorsqu’elle arrête plus complètement le courant, elle donne la consonne /. Telle est toute la différence. (Bull. Soc. d’Anthr., juin 1862, p. 368.) [.ES POLYNÉSIENS. 209 Mariner prétend que le p est remplacé par le b ; mais c’est une erreur. Le 6, il est vrai, est quelquefois employé à la place dup>, mais seulement dans les mots empruntés au Fijien qui ne se sert que du b. Mariner donne aussi aux Tongans l’usage du j que n’emploie aucun autre dialecte polynésien. Mais les mots qu’il cite pour le démontrer ont tous été forgés, mal entendus ou mal rendus: ainsi jia, faire des filets, n’est certainement que le mot polynésien kia tomber, ( hinga à la Nouvelle-Zélande) ; jiawta, miroir, est pour whakaata, glace, miroir ; jienna , personne, est pour iana , pronom lui ; jio, regard, est pour hio , voir, re- garder, en Tahitien. C’est également à tort que d’Urville croyait que les Tongans admettaient les sons d, tch et s. Dans les îles Samoa, le f remplace le h : Ex- fuia , oiseau, pour huia ; ma fuie, divinité, pour mahuie. Le h est égale- ment remplacé par le s ; ex. Orosenga, Savaii , pour Oro- henga , Havaii. Le k n’est pas usité : on prononce manuao , oiseau, pour manukao ; matuu, héron, pour matuku. Ce- pendant Pritchard a cité le mot kupanct, roter et le Rév. Whitmee les mots puke , prendre, attraper (1) et puketa, exclamation de triomphe. Le ng n’est généralement pas employé ; les Samoans disent manutagi , oiseau pour manutangi ; tagaloa, divinité, pour tangaloa ; talaga , parent, pour taranga ; papalagi , étranger, pour papalangi. Pritchard cite pourtant quelques mots qui prouvent que le ng est au moins quelquefois usi- té ; et l’on peut inférer de l’accent adopté par les mission- naires pour représenter la prononciation de ces mots, que le ng a dû être autrefois plus généralement employé. L’u sage fréquent des lettres f , l et s rend particulièrement doux le dialecte des îles Samoa. Dans le dialecte de Rarotonga, le f et le h sont inconnus (1) Whitmee a traduit le mot samoan puke par l’expression an- glaise catch y ou, attrapez-vous. Ce missionnaire fait en outre remarquer que, depuis un certain nombre d’années, la plupart des naturels prennent l’habitude, dans la conversation, de remplacer le t par le k. iii. 14. 210 LES POLYNÉSIENS. et ne sont pas suppléés par d’autres lettres ; le ng existe dans toute sa pureté, ainsi que le k. Ce dialecte se rappro- che beaucoup du Maori. Il en est de même dans les lies Australes, comprenant Rurutu, Raïvavaï, Tupuai, Rima- tara, etc. A Tahiti, le f est usité comme aux Tunga, aux Samoa, aux Marquises. Le h est toujours prononcé avec une forte expiration ; le k n’est plus employé, la gutturale étant sup- plée et remplacée par h . Le r existe comme à la Nouvelle- Zélande, excepté dans quelques mots tels que vau , huit pour varu ; vea brûlé, échaudé pour ver a, être brûlé, échau- dé; ainsi l’on dit : rehu , cendres ; taratane , femme mariée. Les Tahitiens n’ont donc pas plus le k que les Samoans, mais ils ont le r que les Samoans n’ont plus, après l’avoir possédé. On avait cru qu’à Tahiti, comme à la Nouvelle- Zélande, le r était quelquefois prononcé d ; mais c’était une erreur d’audition, de même qu’on y croyait, par erreur aussi, le p remplacé par le h. C’est donc à tort que les missionnaires anglais ont fait figurer dans leur diction» naire des mots où entrent le b et le d. Orsmond était égale- ment tombé dans cette erreur ; mais nous avons pu nous convaincre nous-même sur les -lieux que la lettre b n’existe pas dans le dialecte tahitien. Le g seul, que paraissent avoir les Samoans, n’est pas plus usité à Tahiti que le k et le ng. Ce dialecte change souvent une consonne pour une autre : f pour à et à pour /. Le Tahitien diffère donc du dialecte de Tungatapu en ce que ce dernier rejette 1er et se sert du l et du k . Il diffère du dialecte samoan, qui change le r en l et le h en s, qui adopte le son nasal et qui rejette généralement le à, quoiqu’il le conserve encore dans quelques mots. Il diffère enfin du dialecte des îles Hervey, en ce que celui-ci rejette le f et se sert du k et du ng. Le dialecte des îles Mangareva et Paumotu se rapproche beaucoup de celui des îles Hervey ou Manaia, et diffère très peu de celui de la Nouvelle-Zélande. Le h s’y prononce avec une expiration oblitérée. Le g est douteux, puisque le ng y existe dans toute sa pureté. 11 en est de même aux LES POLYNESIENS. 211 Paumotu. Moërenhoüt a remarqué, le premier, que le dia- lecte des Mangareva se rapproche plus des dialectes de Rapa, de Raïvavaï, de Tupuaï que de tous les autres dia- lectes plus occidentaux. « Sans cesser d’être très analogue à celui de Tahiti, dit-il, il diffère cependant assez pour qu’il fut difficile au chef de l’île de s’entendre d’ abord facilement avec moi. » Nous pensons que cette difficulté ne venait que de l’observateur ; car pour nous, qui avons pu comparer sur les lieux mêmes, nous avons constaté pour ainsi dire le même langage, à l’exception de l’usage du k, et avec le f en moins. Aux îles Marquises, la lettre f est employée dans le groupe Sud-Est, mais, dans le groupe Nord-Ouest, elle est généralement supprimée et remplacée par h. Là on dit ha pour fa, quatre ; fiae pour fae , maison. Le r existe, mais il varie suivant les groupes et il est ordinairement à peine prononcé. Tantôt cette lettre est remplacée par n ou par h ; tantôt elle est supprimée et on lui substitue une forte accen- tuation : Ex : aanui, route, pootu, beau, belle femme, pour aranui , purotu. Cependant elle se prononce nettement dans tororo, jurement Le ng n’existe aux Marquises que dans la tribu des Taipii. Dans le g’roupe Nord-Ouest, il est chan - gé en 7c, et dans le groupe Sud-Est en n. Le dialecte mar- quésan diffère donc de celui de Tahiti en ce qu'il emploie le k et qu’il rejette le r sans rien mettre à sa place. Le dialecte des îles Sandwich diffère du Tahitien par le fréquent emploi du k et. du Z et par le rejet du fqui est rem- placé par le h. Dans ce dialecte, h se prononce en aspirant ou mieux en expirant fortement ; le 7c remplace générale- ment le t ; le Z remplace le r, co mue aux Tunga et aux Samoa il remplace également le li : ex. lei, couronne, pour hei, ornement du cou à la Nouvelle-Zélande, à Tahiti, etc. Le ng et le / y sont inusités ; la première lettre est changée en ?i. Le t, que l’on trouve dans presque tous les mots des voyageurs, probablement par erreur, est remplacé par le 7c. Il est certain, en effet, que les vocabulaires ne parlent point du t. On prononce et on doit écrire plutôt kanai que tanai. Le mot a tua, dieu, des autres îles polynésiennes, y 212 LItS POLYNÉSIENS. est rendu pai akua. Cependant le t a dû certainement exis- ter aux Sandwich. En somme, cinq archipels polynésiens emploient le f comme à la Nouvelle-Zélande ; ce sont : les Tunga, les Samoa, les îles de la Société, les Marquises et Futuna. Deux, les Samoa et Futuna, semblent employer le g seul. Le h est usité partout, excepté dans les Samoa et l’archi- pel des Manaia. Les îles Samoa et de la Société n’emploient pas le k dont se servent tous les autres archipels. Pourtant quelques mots des Samoa l’ont conservé, et d’après le révérend Withmee, il paraît être chaque jour plus usité. Quatre archipels, les Tung-a, les Samoa, les Hawaii et Futuna remplacent le r par le l. Tahiti, qui supprime le 7c, conserve le r . On trouve pourtant quelquefois le r aux Samoa, et aussi, mais plus rarement encore, dans quelques mots des Marquises. Le s n’est usité que dans les Samoa et à Futuna où il a toujours le son dur et où il a évidemment été emprunté aux Fijiens. Lef, aux Sandwich, est généralement changé en /c, mais pas toujours. Le v simple est employé dans beaucoup d’archipels où il semble remplacer le w adopté par les Anglais. Le ng enfin manque dans les îles de la Société, aux Sandwich et généralement aux Samoa, quoiqu’on le trouve dans quelques mots : aux Marquises, il n’existe que dans la tribu des Taipii. Mais on rencontre cette nasale dans tous les autres archipels : Tunga, Manaia, Mangareva, Paumo- tu, Futuna et Pâques, où elle est prononcée de même qu’à la Nouvelle-Zélande. Nous ajouterons enfin que ce n’est pas seulement dans les archipels Tunga, Samoa delà Société et des Marquises, que la lettre f remplace la lettre /i, mais que certaines tribus de la Nouvelle-Zélande emploient elles mêmes clairement le f pour le h : ce qui tend toujours à démontrer 1 existence d’une langue primitive commune à tous les Polynésiens. LES POLYNÉSIENS. 213 Les Polynésiens, partis d’un même point, devaient avoir au début le même nombre de consonnes ; leur langage de- vait être absolument le même lors des premières migra- tions. Or, il résulte des remarques linguistiques précéden- tes, que ce langage n’était autre que le Maori. O’est, en effet, l’idiome le plus complet, et il est impossible de ne pas voir que tous les autres ne sont que les dialectes d’une même langue. Si, par exemple, on intercale entre les lettres conservées par l’idiome de Tahiti, qui est le plus émasculé, celles qui font partie des mots de même signification à la Nouvelle-Zélande, on obtient identiquement le dialecte maori. Si l'on remplace les quelques lettres usitées dans les dialectes tongan, samoan et hawaiien, par celles qu’em- ploie le Maori, on obtient également le même résultat, la même identité des mots dans leur orthographe et dans leur signification. Il en est de même pour tous les autres dia- lectes qui ne diffèrent du Maori qu’en expirations, aspira- tions ou contractions plus ou moins fortes et générales. Ces conclusions sont surtout confirmées par l’existence, dans quelques districts de la Nouvelle Zélande, de plusieurs lettres que l’on croyait faire défaut au langage maori. Ce fait important et trop peu remarqué explique à lui seul la variation des alphabets suivant les lieux. On retrouve, en effet, à la Nouvelle-Zélande, toutes les lettres employées parles habitants delà Polynésie proprement dite, bien que ces lettres ne soient pas employées généralement par toutes les tribus, mais seulement par un certain nombre qui semblent s’en être réservé l’usage. On rencontre la lettre l dans le détroit de Cook ; ailleurs, des tribus em- ploient la lettre f ; certaines autres prononcent le h comme si cette lettre était précédée d’un s ; d’autres enfin rempla- cent le ng par le n, ainsi que le font les Marquésans (1). N’en pourrait-on pas conclure que si la Nouvelle-Zélande (1) Nous avons cru reconnaître la même variation dans l’emploi des lettres en Mélanésie. A Yanikoro, par exemple, nous avons en- tendu prononcer presque aussi souvent le / que 1er, Vanikolo que Vanikoro. 214 LES POLYNÉSIENS. est bien, comme nous l’admettons, le pays d’origine des Polynésiens, chacun des archipels de la Polynésie aurait reçu des émigrants venant justement des points de la Nou- velle-Zélande où les lettres indiquées sont employées plus particulièrement? G’est ainsi, par exemple, que le langage des îles Tunga est surtout formé de mots employés par les tribus du Cap-Est, de la Baie d’ Abondance, du détroit de Cook et des Waikato, c’est-à-dire par des tribus se ser- vant des lettres?!, Z, ainsi que des lettres k et ng . De même les îles Hapai ont été probablement peuplées par les tribus maori qui portaient autrefois ce nom dans l’Hawahiki, et qui habitaient près de la célèbre Whare-Kura ou maison rouge, dont nous aurons à parler plus loin. En résumé, quelle que soit la véritable explication de la suppression de certaines lettres dans quelques archipels, ailleurs de leur remplacement par d’autres, en un mot, de la ditîérence de prononciation suivant les îles, il est dé- montré pour nous que le Maori est la langue-mère, et que les dialectes polynésiens n’en sont que des dérivés. Les noms de lieux, en Polynésie, viennent, de leur côté, corroborer cette opinion. Les noms de lieux, on le sait, sont autant de monuments qui maintiennent le souvenir de la population primitive d’un pays. Or les noms des îles de la Polynésie éclairent et complètent les indications que nous venons de développer. On n’a pas assez remarqué, jusqu’à ce jour, que presque tous les noms servant à désigner les îles et les localités de la Polynésie, paraissent avoir une origine Néo-Zélandaise, et n’être que des noms maori, un peu mo- difiés avec le temps, mais composés toujours des mêmes racines. Ce fait ne peut guère s’expliquer qu’en admettant que ces noms ont été apportés et donnés par des émigrants venant de la Nouvelle-Zélande. On ne trouve, à la Nouvelle-Zélande, comme noms de localités^ qu’un très petit nombre de mots des îles polyné- siennes ; mais les noms qui ont servi à dénommer ces îles sont surtout des mots abstraits, quand ils ne rappellent pas le souvenir de la patrie commune, de l’Hawahiki. Or on ne rencontre en Polynésie que très peu des nonas donnés aux. LES POLYNÉSIENS. 215 localités de l’Hawahiki, tandis que tous, au contraire, existent dans l’une des îles de la Nouvelle-Zélande. C’est une preuve, comme nous le ferons voir, que l’Ile-du-Milieu de la Nouvelle-Zélande n’était autre que l’Hawahiki lui- même. En outre, ce fait permet d’inférer à priori que le dé- part des émigrants de File -Nord n’a dû s’opérer qu’après un séjour assez long-, puisqu'ils avaient déjà perdu en par- tie le souvenir de ces localités du pays d’origine. Quoiqu’il en soit, il est impossible en examinant, le dic- tionnaire à la main, les dénominations des îles polynésien- nes, de ne pas reconnaître que ces noms ont conservé un cachet maori tout particulier, alors même qu’ils ont déjà subi d’assez grandes modifications. Nous ne pouvons entrer ici dans les détails beaucoup trop étendus que comporterait un pareil sujet : il faudrait examiner, les uns après les au- tres, les noms de toutes les îles composant les différents ar- chipels polynésiens. Mais le lecteur qui voudra se livrer à ce travail, comme nous l’avons fait nous-même, verra faci- lement que tous ces noms se retrouvent sans exception dans le langage maori et que, par conséquent, ils ont dû être donnés par des émigrants venus directement de la Nouvelle- Zélande. Voici, en quelques mots, les conclusions qui découlent de cette Ion g*ue étude : C’est l’lle-Nord de la Nouvelle-Zélande qui a envoyé ses colonies peupler la Polynésie, au lieu d’en recevoir de cette contrée, comme on le croit généralement. Ces colonies, parties de la Nouvelle-Zélande, n’ont dû se rendre en Polynésie que poussées par des vents d’Ouest ou de Sud-Ouest, puisque, comme nous l’avons montré, on n’a pas plus rencontré de Polynésiens que de Maori sur les côtes voisines de la Nouvelle-Hollande. Enfin quand on remarque que, malgré les modifications apportées par le temps et l’isolement, la Polynésie présente tous les usages, toutes les croyances, etc., quelle a lesxpè^ 216 LES POLYNÉSIENS. mes mœurs, qu’elle parle la même langue que la Nouvelle • Zélande, que ses habitants sont de la même race que les Maori, dont ils ont tous les caractères physiques extérieurs, on ne peut guère hésiter à regarder l’Ile-Nord de la Nou- velle-Zélande comme le point de départ des ancêtres des Polynésiens actuels . On va voir maintenant que, si l’on a eu tant de peine à comprendre le peuplement de File-Nord de la Nouvelle- Zélande, c’est parce que, jusqu’à ce jour, on a placé l’Ha- wahiki en Polynésie. LES POLYNÉSIENS. 217 FABLES NÉO-ZÉLANDAISES, (i) Tuna Wapuku L’Anguille et le Merlus. Wapuku. — Tehea tau wahi momona ? Quelle est la meilleure partie de ton corps? Tuna. — Momona ake i tahu Je suis bonne depuis Hiku, a tahu tongahau ; Ma queue, jusqu’au milieu du corps ; A ka eke ki runga ki Et si tu vas jusqu’au sommet A Tumatua, ka noho De Tumatua, vous pourrez vous asseoir Tau tokorua. Tehea tau ? Deux ensemble. Et toi, quelle est ta meilleure partie ? Wapuku. — Momona a iku, Je suis bon dans ma queue, Momona a tara ; ka kake Et bon dans mes nageoires ; si tu vas I te kakenga i a Tumatua , Au sommet du Tumatua, Ka noho tau tokorua. Vous pourrez vous asseoir deux ensemble. Le wapuku demande encore à l’anguille quelle est sa partie la plus grasse. L’anguille regarde sa queue d’une façon significative. Elle adresse la même question au wa- puku qui, ouvrant, à son tour, ses grands yeux, exprime ainsi que sa tête est la partie la plus grasse de son corps (2) (1) Taylor, te Ika a Mauiy p. 135. (2) Partout où le texte maori est supprimé, c’est qu’il n’existe pas dans l’ouvrage de Taylor. 218 LES POLYNÉSIENS. Tuât ara Kumukumu L’Ig-uane et le Merlus de Roche. Tuatara. — E te Kumukumu , Kumukumu, Ka haere taua ki ut a. Allons tous deux dans l’intérieur. Kumukumu. — Kahore ; haere koe ki uta. Non pas ; vas-y toi-même. T u at ara. — E, haere mai , Allons, viens, Ka pau koe i te Tangata. Pour que tu sois détruit par l’homme. Kumukumu. — Kahore ; ekore au e pau : Non pas ; je ne serai pas détruit : Ko koe anake e paiu C'est toi seul que l’homme détruira. Tuatara. • — Ekore au e pau : Je ne serai point détruit : Tutu aku tara , rarau aku peke ; Je n’aurai qu’à dresser mes piquants, et à sortir mes griffes ; Mataku te Tangata , orna ki tawhiti. L’homme sera effrayé, et il s’enfuira. L’Aute et le Whau. (1) Whau. — Hei kona koe , Ah ! voilà que tu sers, Tu ai hei parepare. A orner la tète des femmes. Aute. — Haere koe ki te Et toi tu vas à la mer (1) U ante est une variété du Broussonetia papynfera, — Le liber sert à faire des rubans. Le whau est YEnhelia arborescens ( Hoheria ïpopulnea) ; le bois de cet arbre est léger ; on l’emploie, en guise de liège, pour faire flotter les filets. LES POLYNÉSIENS. 219 Moana hei whau kupenga , Pour faire flotter les filets, Ka mutu hei pouio kupenga. Et quand la pêche est finie, tu y restes attaché. Morale , — Un emploi est aussi bon qu’un autre. Kauri Tohora Le Dammara australis et la Baleine. Tohora. — E te Kauri , haere Oh ! Kauri, viens Mai taua ki tai nei , Avec moi à la mer. Kauri. — Teka va ko konei ra ; Non. Je préfère Au ko taku wahi , Mon propre élément. Tohora. — Taua ra ka hoko kiri : Alors changeons tous deux de peau : Meake koe tuakina e te Tangatay Car tu es en danger d’être abattu par l’homme, A ka haua koe hei waka. Et transformé en canot. Ils tombèrent d’accord pour échanger leur peau : c’est ce qui fait que l’écorce du kauri, si mince, est pleine de résine, comme la peau de la baleine l’est d’huile. Kiore Pouwhaitere Le Rat et le Perroquet vert. Pouwhaitere. — O Kiore , ka piki taua ki runga. O rat, montons tous deux là-haut (dans les arbres. ) Kiore. — Ki te aha taua i runga ? Et que ferons-nous tous les deux là-haut ? Pouwhaitere. — Ki te kai pua rakau, Nous mangerons le fruit des arbres, 220 LES POLYNÉSIENS. Kiore. — E aha te pua rakau ? Quelle espèce de fruit des arbres ? P ouwhaitere. — He Miro , lie Kahikatea. Ceux du Miro, ceux du Kahikatea. (l) Kiore. — E tama ra e , ko te voaka rua rua i a taua ; Mon ami, nos deux tribus vont en diminuant ; E tama ra e, e haere mai nei te Tangata ; Mon ami, voici que l’homme arrive ici ; E rona rona nei i te kaki torete te wai , (2) Bientôt il te tordra le cou, Au , ti mau rawa . Moi, je serai pris dans ses pièges. Morale. — On n’échappe pas à la puissance de Thomme. N GE RI NATIONAL DES TRIBUS NGATI - RAUKAWA ET NGATI-TOA. Awhea tou ure ka riri, Quand vous voulez que votre valeur s’emporte, Awhea tou ure ka tora} Quand vous voulez que votre valeur soit forte, E ! kei te tai ka wiwit Quand le flot murmure, E ! kei te tai ka wawa, Quand le flot gronde, Tukua te ihu Dites adieu (approchez votre nez) Ki te tamaiti . A vos enfants. Me pehea ? Que pouvez-vous faire de plus ? Ka kite koe , Vous voyez comment le brave, (1) Le miro est le nom du Podocarpus -ferruginea, le kahikatea celui du Podocarpus excelsus . (2) Torete te wai> imitât on du cri de douleur de l’oiseau. LES POLYNÉSIENS. 221 I nga puke waka manamana, De même que les hauts pics des montagnes, A te toa hciere ana. Marche en avant. Ka riro , e rongomaihiii ! Ils cèdent, ô renommée ! Cette traduction est de M. Shortland (p. 175), mais elle est parfois inexacte et elle ne donne qu’une idée incomplète de l’énergie du texte. Awhea est ici pour ahea. Les mots wiwi et wawa sont une onomatopée qui représente le bruit du dot sur la plage. Le mot ure, qui est rendu par valeur, courage, signifie littéralement pénis et est employé ici au figuré. Peu de mots, du reste, jouent un aussi grand rôle que le mot ure dans les chants et les traditions des Maori, de même que dans ceux des autres Polynésiens. CHANT FORT ANCIEN APPORTÉ D’HAWAHIKI. Ui mai te waero , ha ! Cherche (demande) la queue, quoi ! Ui mai te waero , ha ! Cherche (demande) la queue, quoi ! Ko roto ko tahu puta. Elle est dedans, elle brûle dans le trou. E puta aha te puta ! Quel drôle de trou est ce trou ! Erua nei ko te pula , ha ! Ils sont deux là et ne font qu’un, quoi ! Au lieu de ui , peut-être faut-il lire hui , tressaillir, sauter, trembler. Shortland a traduit te waero par manteau, parce que le manteau Ihupuni était fait avec la queue d’un chien. Il a pu ainsi masquer l’indécence des paroles ; mais les der- nières phrases ne permettent guère le doute. 999 LÈS POLYNESIENS. CHANSON MAORI. Ekcrc e pai ta te wahine * Ka puta ki te mirai. Ka kuikui , Ka koakoa , iCa korerorero. Mataku cina te whenua , Orna an a te kiore. Teneki . MOT-A-MOT . E kore , ne pas; E pai, être bon ; Ta, aspersion, arrosement Te wahine , de la femme ; iia, partie. ; puta , ouverture, trou ; jfCi fe mirai, au pisser. iCa kui-kui , si vieille femme ; iCa koakoa, elle est contente ; iCa korerorero , elle bavarde ; Mataku , épouvantée, terrifiée ; ^4na, ce, cet, il, elle ; Te whenua , la terre ; Orna, fuir en courant ; Te kiore , le rat ; Teneki , tout de même, jugement. HR PE R U PE RU * (1) Haere atu ki mangareporepo, I aha ka haere te tiare , (1) Shortland, qui rapporte le texte de cette chanson maori* ainsi que celui de la précédente, n’en donne pas la traduction ;il se contente de dire en note : ( Traditions , p. 176). « Ce chant est très répandu, mais il n’est pas assez décent pour qu’on le tra- duise. » LES POLYNESIENS. *223 I aha ka hciere te tiare. Hei whiu ahct, He aha kei rotu atu ? Ahe nihinihi. He aha kei waho mai ! Ahe kiri tapa . He aha kei o tapa 'i Ahe kea. Al LIVRE TROISIÈME ORIGINE DES NÉO-ZÉLANDAIS. Distinction à établir entre les îles composant le groupe de la Nouvelle- Zélande. — Traditions relatives à l’origine des Néo-Zélandais rappor- tées par Cook : Ulimaroa ; — Arrivée d’étrangers à l’Ile-Nord ; — Heawise. — Opinion de Bory de St-Vincent ; de R. P. Lesson. — Principales hypothèses émises sur l’origine des Néo-Zélandais. i° Origine tahitienne; Dumont d’Urville ; son opinion sur les langues polynésiennes ; son explication du peuplement de la Nouvelle-Zélande; réfutation de cette hypothèse. 2» Origine hawaiienne : Dieffenbach ; les Hawaiiens sont venus à la Nou- velle-Zélande en passant par l’île de Pâques : arrivée de trois canots ; introduction des Kumara à Pile-Nord ; réfutation de cette hypothèse. 3° Origine samoane : H. Haie ; Savaii, première étape des émigrants malais et point de départ des colonies polynésiennes ; recherches lin- guistiques ; Savaii dérive d’Hawahiki ; réfutation de cette hypothèse. 40 Origine samoane indirecte : Gaussin ; exposé et réfutation de cette hypothèse. 5° Origine hawaiienne et samoane : Shortland ; exposé et réfutation de cette hypothèse. Erreurs d’interprétation : Wangaparaoa. 6° Origine samoane indirecte par Rarotonga : Thompson ; raisons sur lesquelles repose cette hypothèse ; réfutation des preuves invoquées en sa faveur : Différences existant entre les Malais et les Néo-Zélandais ; croyance en un Hawahiki dans les îles Samoa ; un seul Hawahiki ; localités voisines de l’Hawahiki ; direction de l’Hawahiki ; route de l’Hawahiki ; chiens sauvages aux Samoa; époque des migrations. — Erreurs et inexactitudes de l’ouvrage de Thompson. 7» Origine samoane indirecte: de Quatrefages; sa première opinion ; sa deuxième opinion ; raisons sur lesquelles elle est appuyée ; Rarotonga n’a pu peupler la Nouvelle-Zélande; considérations linguistiques ; ré- futation de cette hypothèse. Nécessité d’une hypothèse rationnelle. On a proposé plusieurs théories pour expliquer la pro- venance des Néo-Zélandais : aucune de ces théories n’est LES POLYNÉSIENS. 225 justifiable. C’est ce que l’on comprendra lorsque nous au- rons exposé exactement chacune d’elles. Avant tout, il faut établir une distinction indispensable, mais qui n’a encore jamais été faite : elle résulte des tra- ditions elles-mêmes, et elle explique, à elle seule, l’erreur dans laquelle on est resté, jusqu’à ce jour, touchant le vé- ritable lieu de départ des premiers habitants de File -Nord de la Nouvelle-Zélande. Tous les écrivains, quand ils par- lent de la Nouvelle-Zélande, confondent, en effet, sous ce nom, les diverses îles qui composent le groupe. Cette ma- nière de voir est assez exacte au point de vue des géogra- phes européens ; elle ne l’est pas pour les Nouveaux - Zélandais eux-mêmes. Ceux-ci distinguent, au contrai» re, parfaitement les îles les unes des autres, et particu- lièrement les trois plus grandes : c’est ce que démon- trent les travaux de Sir Grey, Taylor, Shortland et, pour ainsi dire, de tous ceux qui ont parlé de la Nouvelle-Zé- lande depuis Cook. Les traditions rapportées par les deux premiers surtout, établissent nettement qu’il ne s’agit que de File-Nord de la Nouvelle-Zélande, quand elles parlent de File ou abordèrent les émigrants, en venant d'Hawahiki. Par le sileuce complet qu’elles gardent sur les deux autres grandes îles, tandis qu’elles' désignent plusieurs des petites îles avoisinant File-Nord, telles que l’Ile Blanche, File May or, les Iles de la Barrière, etc., toutes démontrent qu’il ne faut pas confondre la partie Nord du groupe avec sa partie Sud. C’est parce que cette confusion a toujours été faite, que Fon n’a pu comprendre jusqu’à présent le texte des traditions et, par suite, la véritable situation de l’Ha- wahiki ou lieu de provenance des premiers émigrants : les développements dans lesquels nous allons entrer le dé- montreront surabondamment. Après avoir rappelé les traditions incomplètes obtenues par Cook, dans ses différents voyages, et cherché à en mon- trer le peu de valeur, afin de répondre aux écrivains qui y ont encore recours ; après avoir indiqué en quelques mots l’opinion de Crozet, de Bory de St-Vincent, de R.. P. Les- son, et rappelé les versions d’auteurs modernes qui ont tn 15. 226 LES POLYNÉSIENS. parlé du fait rapporté à Cook, nous aborderons les nom- breuses hypothèses, les plus généralement acceptées, qu’on a émises pour expliquer le peuplement de File-Nord de la Nouvelle-Zélande . Ici encore nous suivrons l’ordre chronologique : on com- prendra mieux ainsi les progrès faits peu à peu vers la solution de la question qui nous occupe, et l’on apprendra en même temps à connaître à qui revient le mérite de cer- taines opinions. Nous commencerons par l’hypothèse de d’Urville (1832) ; puis, successivement, nous examinerons celles de Dieffen- bach (1843) ; Horatio Haie (1846) ; Gaussin (1853) ; Short- land (1854) ; Thompson (1859) ; de Quatrefages (1864 et 1866.) Ce ne sera qu’ après avoir réfuté chacune d'elles que nous exposerons notre opinion, en l’appuyant sur les nombreu- ses traditions publiées par MM. Taylor et Grey surtout, ainsi que sur celles du Dr Dieffenbach, quoique ce dernier en ait tiré une conclusion toute différente. Voici quelles sont les traditions relatives à l’origine des Néo-Zélandais, venues à la connaissance de Cook : Pendant que le navigateur anglais se trouvait dans la Baie Douteuse, (1) endécembre 1769, il apprit, à l’aidede Tu- paia, qu’à trois journées de navigation de pirogues, il y avait une pointe appelée Moore-Whenua (2), où la terre se prolongeait au Sud et cessait de s’étendre à l’Ouest ; il en conclut que c’était l’endroit découvert par Tasman. Voyant les Indiens si bien instruits, il leur fit demander s’il n’y avait pas plus loin quelque autre pays différent du leur. Ils lui répondirent « qu’ils n’en avaient jamais visité d’autres, mais que leurs ancêtres leur avaient dit qu’il y avait au N. -O. 1/4 N. ou au N .-N. -O une contrée étendue, appelée (1) Vie de Cook , par Ivippis, p. 75. La Baie Douteuse (Utu-utu) se trouve entre le Cap-Nord de la Nouvelle-Zélande et la Baie des Iles. (2' Le mot maori est Muri-Whenua. LES POLYNESIENS. 227 Ulimaroa, où quelques-uns de leurs compatriotes étaient allés sur une grande pirogue. Il n’en revint qu’une par- tie, et ils rapportèrent qu’après un passage d’un mois, ils avaient vu un pays où les habitants mangeaient des co- chons. Tupaia s’informa alors si ces navigateurs avaient ramené quelques cochons avec eux ; ils répondirent que non. Il faut remarquer que, quand ils faisaient mention des cochons, ils n’en décrivaient pas la figure, mais qu’ils les désignaient seulement par le mot booah (1), nom qu’on leur donne dans la mer du Sud. » Le 5 février 1770, Cook se trouvant dans le canal de la Reine Charlotte, Tupaia obtenait presque la même version, avec cette seule différence qu’il n’était plus parlé d’un départ de l’île. « Un vieillard, auquel Tupaia venait de demander s’il avait jamais entendu raconter qu’un vais- seau, pareil à celui des Anglais, fût venu dans son pays, répondit que non, mais qu’on lui avait dit qu’autrefois un petit bâtiment, portant quatre hommes seulement, et qui était parti d’une terre éloignée nommée Ulimaroa, était venu sur leur côte ; et qu’à leur arrivée les quatre hommes avaient été tués. On lui demanda alors où était située la terre d’Ulimaroa, et il montra le Nord. (2) » Cook ajoute, à cette occasion, qu’il avait appris déjà quel- que chose concernant Ulimaroa ; que les habitants de la Baie des Iles lui avaient rapporté que leurs ancêtres y étaient allés, et que Tupaia en avait aussi quelques notions confuses ; mais qu’on ne pouvait rien conclure de certain d’apres les traditions de Tupaia, ni d’après celles du vieil- lard zélandais. En effet, ces versions se contredisent. La dernière ne dit pas que ce bâtiment fût d’abord parti d’un point de l’île ; ce n était évidemment qu'une petite pirogue puisqu'il n’y avait que quatre hommes ; et de leur massacre, on peut seulement conclure qu’ils étaient étrangers au point abor- (1) Ce mot booah prouve que Castera, dans sa traduction de la vie de Cook, a parlé à tort de chiens au lieu de cochons» (2) Ouvr. cité, p. 84. LES POLYNÊSjENS. 1J2S dé. Or l’on n’a pas remarqué que ce point se trouvait de l’autre côté du détroit de Cook, sur l’Ile du-Milieu, c’est-à- dire sur une autre île que T Ile Nord. La terre d’où venait cette pirogue étant indiquée au Nord, c’est sans doute d’après ce fait, tant répété depuis, qu’on a dit que les Néo- Zélandais étaient venus du Nord. Mais, comme nous le montrons, ce fait prouverait plutôt que ce n’était qu’une pirogue de l’Ile-Nord elle-même, allant aborder, volontaire- ment ou non, sur l’île voisine, ou Ile-du-Milieu ; car c’est justement au Nord du canal dit de la Reine-Cliarlotte, que gît l’ Ile-Nord de îa Nouvelle-Zélande. Quant au premier texte, il ne prouve absolument rien, ou plutôt il prouve que la pirogue dont il est parlé était d’abord partie de l’Ile-Nord et que, par conséquent, l’île était déjà peuplée. Pourtant, ce sont ces deux récits, probablement d’un même fait, récits sans aucune valeur, qui ont donné nais- sance à l’opinion, et qui ont fait soutenir par beaucoup d’écrivains, que la Nouvelle-Zélande a été peuplée par des émigrants venant du Nord. Personne n’a pu dire quelle pouvait être la contrée appe- lée Ulimaroa : en la voyant ainsi désignée par Cook, qui n’a jamais pu rendre exactement un seul nom océanien, il était tout naturel de trouver quelque rapport entre ce mot et le mot Ulietea, de Cook, la Raiatea des indigènes des Iles de la Société ; mais ce n’était qu’un rapport apparent. En effet, cette île Ulimaroa, d’après Cook, se trouvait placée dans le N. -O. 1/4 N. ou le N.-N.-O de la Nouvelle- Zélande : or, ce n’est point dans cette direction que gît l’ile Raiatea par rapport au groupe de la Nouvelle-Zélan- de. Dans la direction indiquée il n’y a, jusqu’à une fort grande distance, que des îles à populations mélanésiennes, telles que la Nouvelle-Calédonie, les Nouvelles-Hébrides, Yanikoro, les îles Salomon, etc. 11 est vrai, ce qui n’avait pas été remarqué, croyons nous, qu’en poursuivant cette direction, on rencontre, dans les Carolines, une île nommée Olimarao, nom qui se rapproche beaucoup de l’Ulimaroa de LES POLYNÉSIENS. 229 Cook. Freycinet parle de cette île dans la relation de son voyage autour du monde et, quelques années après lui, en 1828, le navigateur russe Lutke, qui s’en croyait le décou- vreur, en fit la géographie. Elle forme, d’après lui, un petit groupe de huit à neuf milles de circuit, composé seulement de deux îlots bas et boisés, situés par 7°45’ de Lat, et 142° 37’ de Long. Est. Il est donc certain que cette île gît à peu près comme il a été dit h Cook pour son île Ulimaroa, c’est-à-dire dans le N.-N.-O de la Nouvelle-Zélande, et il eût été certainement possible que la pirogme, arrivée à la Nouvelle-Zélande avec ses quatre hommes, fût partie de ce point, entraînée peut- être par quelque fort coup de vent, comme Kadu, par exemple. Mais la distance parcourue aurait été tellement grande ; tant d’autres îles se seraient rencontrées sur le chemin, qu’il nous semble bien difficile de pouvoir admettre une pareille provenance, surtout en présence du premier texte qui faisait partir la pirogue de l’Ile -Nord môme, avant qu’elle ne revînt d’Ulimar n. Quant au mot booah, que Cook a employé dans son récit, nous devons faire remarquer qu’il prouverait plutôt en fa- veur des lies delà Société, puisqu’il est le nom du cochon dans ces îles. Mais comme ce nom a été donné à Cook par Tu- paia, il est évident que le navigateur anglais n’a fait que reproduire le mot tahitien porté par l’animal décrit par les Nouveaux-Zélandais et prononcé par Tupaia. Ce qui d’ail- leurs ne permet pas de douter de l’erreur de ceux qui croient qu’ Ulimaroa aurait pu être l’île Raiatea (Ulietea de Cook), c’est que Cook ajoute : « Du reste Tupaia avait quelques idées vagues sur l’existence de la contrée appelée Ulima- roa. » Comment, en effet, si l’on eût voulu parler de Raiatea, Tupaia, qui était de cette île, n’aurait-il eu que des idées vagues sur elle ? Il est vrai que, depuis Cook, les observateurs modernes les plus compétents, Haie, Taylor et Thompson, ont, a l’aide de quelques détails, donné plus d’importance à ces mêmes traditions qui, à notre avis, en ont si peu telles qu’elles ont 230 LES POLYNÉSIENS. été fournies à Cook : d’après eux, ce ne serait plus une sim- ple pirogue, mais un véritable navire. Voici ce que dit Taylor à ce sujet : (1) « Les indigènes du détroit de Cook ont conservé le sou- venir traditionnel d’un bâtiment qui serait arrivé à Arapa™ wa, (Queen’s Charlotte Sound), avant le premier voyage de Cook. Ils nomment le capitaine Rongotute. L’équipage ayant commis des excès, les habitants furieux saisirent le navire, tuèrent tous les gens de l’équipage, les mangèrent, et, après avoir pillé le navire, ils en abandonnèrent la coque sur le rivage. « Dans le butin se trouvaient de nombreuses assiettes qu'ils appelèrent, en raison de leur forme, « la tête de Re- warewa. « Ce nom est celui de la maladie qui, il y a plu- sieurs années, a sévi sur eux et en a fait périr un grand nombre. Il doit avoir été donné parce qu’elle ressemblait à quelque chose de ponctué, la maladie laissant en effet des marques sur tout le corps, comme le fait la petite vérole. « Ils brisèrent ces assiettes et, après avoir fait des trous dans les morceaux, ils les portèrent aux oreilles comme or- nement. Il y avait, dit-on, un objet très ressemblant à un Mere et qui, à cause de cela, était fort estimé , Il est encore dans la possession de quelque personne de la tribu Ngati- Hiru. Les indigènes disent que ce fut alors pour la première fois qu’ils virent du fer, et qu’ils firent des haches avec les clous. » Taylor ne dit point vers quelle époque ce fait serait arri- vé ; mais, d’après Thompson, ce serait vers 1740. V oici comment il le rapporte (2) : « Une tradition établit qu’un vaisseau européen, com- mandé par un homme appelé Rongotute, arriva à la partie Sud de l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande, vers 1740, et que, pour un motif quelconque, les naturels tuèrent l’équi- page et pillèrent le navire. » C’est évidemment le même fait emprunté à Taylor, avec (1) Te Jka a Maui , p. 207. (2) The • S tory of the New-Zealartd, t I, p. 229 LES POLYNÉSIENS. 231 moins de détails et la date en plus. Des dernières lignes du Révérend Taylor, il faut absolument reconnaître que c’était un navire venant d’un pays civilisé, et non plus une piro- gue. A ce titre, quoique le fait se soit passé lui aussi juste- ment dans le canal de la Reine-Charlotte, à Arapawa, on pourrait douter que c’est le même dont il a été parlé par le vieillard de Cook ; mais, quand on sait combien facilement une tradition se modifie avec le temps et s’enrichit ou s’ap- pauvrit suivant le narrateur, il est permis de croire que ce ne sont que des traditions différentes fondues en une seu- le. Il est certain que si la date donnée est exacte, ce n’au- rait pu être Juan Fernandez, que quelques géographes croient être allé jusqu’à la Nouvelle-Zélande, parce qu’il disait s’être éloigné des côtes du Pérou jusqu’à environ 40 degrés en longitude avant de trouver la terre que nous croyons avoir démontré être le groupe Mangareva. Juan Fernandez en serait revenu d’ailleurs, puisqu’il n’est mort qu’au moment de réaliser le projet qu’il avait formé d’aller coloniser cette terre. L’on sait en outre qu’il n’a fait sa découverte qu’en 1770. Un seul navigateur, Lozier Bouvet, s’est approché de la Nouvelle-Zélande en 1739, mais il ne paraît pas avoir vu d'autre île que celle qu’il découvrit et qu’il appela cap de la Circoncision. Enfin Anson fit également son voyage si connu, vers cette époque, 1741 ; mais on sait qu’il n’alla pas de ce côté. Il est un fait toutefois, rapporté par d’Urville, qui pour- rait faire croire à la venue de quelque grand navire. Un vieillard fort âgé, des ,1 bords de Shouraki-Anga, dit-il (1), raconta en 1820 aux marins du Dromadery , qu’il tenait de son père, qu’à une époque fort ancienne, un canot monté par des hommes blancs et armés de mousquets sans res- sorts, était entré dans la rivière. « Longtemps après cet évènement, ajoute d’Urville, un navire s’était perdu sur la côte ; l’équipage d’un canot étant venu à terre pour prendre des provisions, fut massacré par les naturels. Personne ne (1) Yol. II, 2e partie, p. 294, Essai sur la Nouvelle- Z él qnJe . 232 LES POLYNÉSIENS. vit les débris de ce naufrage. » (Extrait de Cruize, p. 87.) Et il se demande si ces traditions auraient quelque fonde- ment ou bien si elles ne seraient qu’un souvenir, confus et altéré par le temps, du passage de Tasman sur les côtes de ces îles. Shourald-Anga gît sur la côte Est de File-Nord ; il est par conséquent douteux qu’on ait voulu parler des navires de Tasman qui n’a pas passé sur cette côte. Pourquoi ne serait-ce pas quelque navire espagnol, ou plutôt le souve- nir confus de la fin tragique de Marion, et surtout de sa chaloupe ? De ces derniers récits, pas plus que de ceux faits à Cook lui-même, on ne peut donc conclure avec quelque probabi- lité d’où venaient les habitants de la Nouvelle-Zélande. Ces récits ne se rapportent qu’à des faits sans importance pour la question qui nous occupe : ce ne sont que des acci- dents arrivés à quelques pirogues et peut-être à un navire de pays civilisé. Mais si le dernier doit paraître douteux, à cause du lieu même où on Fa observé, les premiers sont absolument sans valeur. Un fait de même nature, cité par M. Haie, serait peut- être plus digne d’attention, s’il était exact : il indiquerait, dans ce cas, que des émigrations d’Hawahiki à la Nouvelle- Zélande se sont opérées justement dans l’année qui, d’après Thompson, a vu arriver sur la côte Sud de File-Nord le na- vire commandé par Rongotute, M. Haie dit, en effet : « ce fut dans l'année 1740, qu’arriva à la Baie des Iles une co- lonie de Polynésiens venant d’Hawahiki. » D’après cela, cette colonie serait venue faire terre du côté opposé au point où le navire de Rongotute avait abordé. En outre, M. Haie se contente de son assertion, sans cher- cher à l’appuyer de quelque preuve. C'est d’autant plus à regretter qu’il a cité -ce fait uniquement pour étayer son hypothèse d’une provenance polynésienne. Mais, de son côté, M. Thompson s’est empressé de combattre cette asser- tion du savant américain, en disant (l) que des recherches (1) The Stoi'y, etc. t. 1, page 66. LES POLYNÉSIENS. 233 attentives, faites par lui en 1850, sur les lieux mêmes où M. Haie avait puisé ses renseignements, Font mis à même d’assurer qu’il avait été mal informé, et qu’il ne s’est point fait d’émigrations modernes de la Polynésie à la Nouvelle- Zélande. Telles sont, en résumé, les traditions qui ont été premiè- rement obtenues par Cook ; elles devaient être relatées ici, afin que le lecteur pût les apprécier : mais, comme on voit, elle n’aident en rien à retrouver le lieu d’origine des Nou- veaux-Zélandais. Toutefois le grand navigateur avait entendu parler d’une autre tradition, qui plaçait le lieu d’origine des Nouveaux- Zélandais dans un pays appelé Heawise (1) ; et cette tradition était, sans qu’il s’en doutât, la seule véritable : c’est ce que démontrera tout ce que nous allons dire maintenant. Mais nous ne pouvons passer sous silence la bien curieuse éty mo- logie que d’Urville a donnée à ce mot rendu, comme toujours, si incorrectement par Cook : « Cook, dit-il, (2) au lieu de Heawise ou Heaveeje, n’au- rait-il pas entendu plutôt Iwi, mot qui, en Maori, signifie à la fois os et tribu ? Et . nous signalerons la ressemblance avec le nom Eve, mère du genre humain, selon la Ge- nèse. » Cette ressemblance, il faut en convenir, est plus grande que celle d’Equus et d’Alfana, entre le mot qu’il suppose avoir été entendu et celui d’Eve ; mais elle n’existe pas, puisque le mot dit à Cook n’était autre que Hawahiki, ainsi qu’Horatio Haie, le premier, Ta remarqué. Avant d’aborder l’examen critique des hypothèses qui sont le plus généralement admises, nous citerons encore, mais seulement pour mémoire, en raison de l’importance qu’on accorde d’ordinaire à l’opinion de ceux qui ont vu ou se sont occupés spécialement d’un sujet, la manière de voir, (1) Cook, 1er voyage, t. III, p. 293. (2) T. II, 2e partie, p. 290. 234 LES POLYNÉSIENS, sur cette question, de Bory de Saint -Vincent, de R, P. Lesson et de Crozet. Le silence que ce dernier a gardé sur la provenance des Blancs, qui, avec les Basanés et les Noirs, forment, d’après lui, le fond de la population de la Baie des Iles, point de rile-Nord où son navire était allé relâcher, est, en effet, remarquable ; on pourrait peut-être conjecturer qu’il regar- dait les Blancs comme autoclithones. Il semble du moins que c’est ce qui résulte de ce silence, alors qu’il explique l’existence des Basanés et des Noirs par le voisinage de la Nouvelle- Hollande, sans parler en aucune façon de l’ori- gine des Blancs ; cependant rien dans son texte ne le dit, et il faut convenir que cela d’ailleurs importe assez peu. Comme on a vu précédemment, Crozet, Banks et Bory de Saint-Vincent étaient les seuls qui, avant nous, eussent admis que le peuplement de la Polynésie s’était, ou avait pu s’opérer par des colonies venant de la Nouvelle-Zélande. Mais Bory de Saint- Vincent lui-même n’avait rien dit d’explicite à cet égard ; c’est seulement par induction qu’on peut inférer qu’il était partisan de l’autochthonie des Non- veaux-Zélandais. Voici ce qu’il dit à ce sujet (1) : « La race océanique paraît s’être séparée de la race ma- laise avant sa connaissance des métaux, si toutefois elle n’eut pas un berceau différent. La Nouvelle Zélande, où l’on voit des monts fort élevés, et qui dut saillir au-dessus de la mer quand la Nouvelle-Hollande était encore inondée, nous semblerait être le lieu dont elle sortit pour s’étendre vers le Nord et dans tous les archipels de l’Océan Pacifique que n’occupent pas des Mélanésiens, des Papous ou même des Siniques et des Hindous, qui ont aussi pénétré dans quelques parties de l’Océanique. » «En attendant qu’on nous prouve la possibilité d’un peuple- ment par l’Amérique, nous continuerons, dit-il plus loin (2), (1) L'homme , vol. I, p. 298. (2) Ibid. p. 314. LES POLYNESIENS. 235 à reconnaître le point d’où s’irradia la race océanique dans la Nouvelle-Zélande . » Enfin il répète ailleurs : (1). « Nous avons cru apercevoir le point de départ de la race océanique, la seule sur laquelle on peut hasarder des conjectures probables, dans la Nou- velle-Zélande. » On conviendra que si ces paroles ne disent pas nettement que Bory de Saint-Vincent regardait les Maori comme au- tochthones, elles le font du moins implicitement. Nous verrons plus tard qu’il ne se trompait qu’à demi en cela et que, par conséquent, il était, dès lors, avec les don- nées importantes qui lui manquaient, plus près de la vérité que ne le sont tous les ethnologues actuels. On sait que l’ouvrage de Bory de Saint-Vincent, publié en partie en 1825, dans le Dictionnaire classique d’Histoire Naturelle, a paru complet et corrigé en 1827, avec une dé- dicace à Georges Cuvier. L’auteur, dans sa classification des races humaines, s’est particulièrement appuyé, pour celles de l’Océanie, sur les renseignements fournis par le naturaliste R. P. Lesson, compagnon de Duperrey, pen- dant son voyage autour du monde. Il renvoie à la relation de ce voyage, dans une note (2) qui montre parfaitement, du reste, que si il y aurait exagération ridicule à supposer que tous les Océaniens sont autochthones sur les moindres îles où on les rencontre, il ne serait guère plus philosophique de les faire venir «toujours » des Hindous qui ne leur ressem- blent pas plus, dit-il avec raison, que les Caraïbes ne res- semblent aux Allemands. Cette note était une réponse à l’opinion du naturaliste de la Coquille , qui venait de donner l’Inde comme le point de départ des divers rameaux de la race océanienne. On a vu, qu’en parlant des Carolines, nous avons émis nous- même une manière de voir semblable à celle de Bory de Saint-Vincent, de même que nous avons pensé, après lui, (1) Ouvr. cité, vol. II, p. 176. (2) Ouvr. cité, vol, I, p. 312 236 LES POLYNÉSIENS. que c’est par la Nouvelle-Zélande que la Polynésie a été peuplée. Néanmoins ce que Bory de Saint-Vincent dit de la sé- paration de la race océanique delà race malaie, n’est pas exact, puisque les caractères des deux races ne sont pas du tout les mêmes, sous aucun rapport, ainsi que nous avons déjà eu tant d’occasions de le faire remarquer. Il est bien certain, en effet, que les caractères physiques, par exem- ple, diffèrent complètement dans les deux races, et que ceux qu’il donne à la race océanique sont très incomplets, parfois même inexacts, comme lorsqu’il dit que cette race a une oreille petite et des cheveux fins. Tous ceux qui l’ont vue savent, au contraire, que l’oreille est toujours grande et que les cheveux sont toujours gros. Seulement, et c’est ce que nous voulions surtout faire remarquer, cette filiation de la race océanique de larace ma- laie n’était pas pour lui fort probable, puisque, par une sorte d'intuition, il semblait admettre que la race océanique pou- vait provenir d’une autre source, et qu’il disait : « si tou- tefois elle n’eut pas un berceau différent. » Comme c’était de la Nouvelle-Zélande qu’il faisait partir les colonies allant peupler la Polynésie, sans rien dire, lui non plus, du lieu d’origdne des premiers habitants, il est au moins permis de croire, que s’il ne le disait pas formelle- ment, il pensait que le peuple zélandais pouvait être l’un de ceux qu’il admettait comme autochthone. Quoiqu’il en soit, vers la même époque, le naturaliste de la Coquille , après avoir également observé les Nouveaux- Zélandais à la Baie des Iles, croyait qu’il pouvait placer dans l’Inde leur berceau, de même que celui des autres Po- lynésiens. Il était alors embarqué sur le navire où se trou- vait Dumont d’Urville comme second, et il observait par conséquent en même temps que ce marin, devenu si cé- lèbre depuis. En outre de la relation officielle, il publia, à ce sujet, plusieurs articles dans divers recueils et particuliè- rement dans le Journal des Voyages de Ferussac. Nous em- LES POLYNÉSIENS. 237 pruntons le résumé de son opinion au grand travail qu’il publia plus tard (1). « LesZélandais ont une vieille tradition par laquelle ils ont appris que leurs pères partirent d’une très grande île, pour venir habiter la Nouvelle-Zélande ; mais le voile qui couvre leur origine ne pourrait être déchiré que par les recherches ardues d’un homme instruit, établi dans les îles, et peut-être que le missionnaire Kendall aurait pu rendre de grands services, sous ce rapport, s’il n’avait pas été absorbé par une pensée dominante, et s’il ne rapportait pas exclusivement la croyance des Nouveaux - Zélandais au système de Pythagore, en les regardant comme une colonie d’Egyptiens. » C’est après cela qu’il ajoutait : « Nous avons déjà émis l’opinion que les divers rameaux de la race océanienne sont nés sur les rivages de l’Inde, dans les premiers temps de leur civilisation. Ce qui corrobore notre manière de voir, c’est la figure de jade que les Nouveaux-Zélandais portent suspendue au cou ; les cercles conservés dans leurs sculptures, et qui rappellent le serpent Calingam ; le Lin- gam qui paraît jouer un grand rôle dans leur mythologie ; enfin une grande partie de leurs idées appartiennent au Gabéisme et découlent des anciennes traditions mystiques des Brahmanes. » Nous venons de le dire, nous ne croyons pas à la possibi- lité d’une pareille provenance, les Hindous ne ressemblant nullement aux Nouveaux-Zélandais ; mais il n’est pas moins vrai que les témoignages qu’il trouve dans les faits qu’il cite, semblent dignes de la plus sérieuse attention, malgré la difficulté de les expliquer. Nous allons maintenant examiner les hypothèses aux- quelles on accorde le plus de créance. (1) Voyage autour du Monde , entrepris par ordre du gouverne- ment sur la coivette la Coquille , par R. P. Lesson, membre convs- pondant de l’Institut. Pourrat frères, Paris, 1839, t. II, p. 368. 238 LES POLYNÉSIENS. lre hypothèse : Origine tahitünne des Nouvéaux-Z clan- dais. — Dumont D’Urville est l’auteur de cette hypothèse. Après avoir d’abord dit (1) que les Polynésiens sont arri- vés d’Occident ou même de l’Asie ; après avoir avancé plus tard (2) qu’ils sont venus d’un continent disparu situé dans le Sud-Est de l’Océan Pacifique, il finit par admettre que la Nouvelle-Zélande a été peuplée, aussi bien que les Samoa et les Sandwich, par la Polynésie ; mais il ne le fait pas sans hésitation, comme le prouvent les lignes sui- vantes : (3) ce La vaste étendue des terres de la Nouvelle- Zélande, leur situation sous un climat tempéré, la force et la vigueur de la race qui les habite, pourraient d’abord donner lieu de penser que ce fut là le berceau ou du moins la pre- mière station de la race polynésienne ; mais des considéra- tions puissantes obligent de repousser cette hypothèse. » On a vu quelles sont ces considérations que nous avons longuement refutées, quand nous avons essayé de démon- trer que le peuplement de la Polynésie a été fait par la Nouvelle-Zélande : nous n’y reviendrons donc pas ici. D’Urville terminait en disant :« Tous ces motifs réunis nous, portent donc à considérer la Nouvelle-Zélande comme la dernière des terres de l’Océanie occupées par la race po- lynésienne. » C’était, en somme, le contre-pied de la croyan- ce de Bory de Saint-Vincent que la Nouvelle-Zélande avait été la première terre exondée et que cette terre avait fourni leurs habitants aux îles Polynésiennes. Pour Dumont d’Urville, c’était l’île Tahiti qui avait été la première occupée par la race polynésienne et qui avait fourni des colonies non-seulement aux Sandwich et à toutes les îles de la Polynésie, mais aussi à la Nouvelle-Zélande : « Dans notre opinion, dit-il, (4) les îles Tahiti ont donc reçu, avant Hawaii et la Nouvelle-Zélande, la race qui habite aujourd’hui les trois groupes. » (1) Mémoire sur les Iles du Grand-Océan , décembre 1831, p. 16. (2) ^Philologie, 2e partie, p. 304. (3) Philologie, p. 277. (4) Philologie , p. 280. LES POLYNÉSIENS, 230 Pour appuyer cette opinion, d’Urville avait recours à quelques assertions qui, à notre avis, ne lui étaient galère favorables : S’il admettait, avec le plus grand nombre des ethnologues, que les îles Hawaii ont reçu leurs habitants de Tahiti, il disait encore, ce qui est plus difficile à com- prendre, que la langue de Tahiti, toute altérée qu’elle était, se rapprochait plus souvent du type primitif que celle d’Hawaii, dans laquelle s’étaient introduites, avec les siècles, des corruptions plus profondes. Mais, ce qu’il ne disait pas, et ce qui eût été cependant plus exact, c’est que la langue de la Nouvelle-Zélande se rapproche davantage de ce type, car elle possède, comme celle de quelques autres îles polynésiennes, la naso -gutturale ng. Il est évident qu’il ne songeait, dans le moment, qu’à établir que Tahiti avait été la première contrée peuplée, puisqu’ après cela il ajoutait (1) : « En admettant que les îles Hawaii ont été peuplées par Tahiti, il faut admettre en même temps que Tahiti peupla aussi la Nouvelle-Zélande aune époque où la langue était encore peu altérée, puisque les idiomes des Hawaii et de la Nouvelle-Zélande, situées dans des climats plus tempérés, conservent plus d’énergie que celui de Tahiti. » Du moment que d’Urville regardait Tahiti comme le ber- ceau des deux autres archipels, cette explication devenait évidemment nécessaire ; mais il reconnaissait lui-même que la langue de Tahiti était comparativement celle d’un peuple d’enfant (2). Une pareille conclusion doit d’autant plus surprendre, que les recherches de d’Urville sur les dia- lectes océaniens auraient dû le conduire à une conclusion toute opposée ; car il avait remarqué lui-même que le Mawi, comme il l’appelle, est resté plus près de la langue primi- tive que le Tahitien. Que Tahiti ait été peuplée, comme il le dit, avant les Sandwich, ce n’est plus, croyons-nous, une question : aucune contrée dans le Nord n’ayant pu fournir les habitants des îles Sandwich, il fallait nécessairement (1) Philologie , p. 279. (2) Philologie , p. 240. 240 LES POLYNÉSIENS. qu’ils vinssent du Sud ou du Sud-Ouest. C’est, en effet, comme on a vu, ce que disent les traditions hawaiiennes, qui semblent les faire provenir plus particulièrement des Iles de la Société. Mais que Tahiti ait peuplé aussi la Nouvelle-Zélande, comme le soutient d’Urville, c’est ce qui est contredit, com- me nous l’avons déjà montré, par toutes les données précé- demment examinées. Pour que cela eût pu avoir lieu, il faudrait admettre que la Nouvelle-Zélande a été peuplée par des émigrants, suivant une route inverse à celle que l’on reconnaît avoir été faite pour le peuplement des îles plus orientales que Tahiti, et s’éloignant avec des vents con- traires ; il faudrait supposer enfin que la langue la plus enfantine aurait donné naissance à celle que ceux-là même, qui lui refusent la qualité de langue-mère, considèrent au- jourd’hui comme la plus voisine du type qu’ils appellent primitif, et qui n’est sans doute, dans leur pensée, que le Grand-Polynésien de Crawfurd. Il nous semble qu’il serait plus logique, d’après toutes ces observations, de penser le contraire. Ajoutons du reste que d’Urville, à ce sujet, se contentait de l’opinion de Crawfurd (1), sans trop la com- prendre, comme il le prouve en appelant, avecBalbi, Grand- Océanien, ce que le savant angiais appelait Grand-Poly- nésien. Après avoir dit que les langues polynésiennes ne doivent pas au Malayou leur analogie avec le Madekass, et que des mots communs au Madekass et au Polynésien ne se retrou- vent pas dans le Malayou, il ajoute : « Ces considérations ne semblent-elles pas confirmer l’hypothèse que tous ces langages dériveraient d une langue très ancienne, aujour- d’hui perdue, et dont lés traces sont restées plus ou moins pures et nombreuses dans les divers idiomes de l’Océanie ? Nous rappellerons que c’était là l’opinion de Forster, cet observateur dont les aperçus généraux sur l’Océanie furent empreints d’un esprit de sagacité et de lucidité si étonnant. » (1) Philologie , p. 275. 241 LES POLYNÉSIENS, On verra plus tard que cette manière de voir est adoptée presque textuellement par quelques écrivains modernes. En attendant, voici comment d’Urville expliquait le peuple- ment de la Nouvelle-Zélande par les Tahitiens (1) : « Favorisés par les vents de Sud-Est, ils purent facile- ment atteindre les îles Nouka-Hiva et, de là, nul doute que, malgré la distancé, des pirogues égarées sur la surface des flots n’aient pu aborder aux îles Hawaii, qui se peuplèrent successivement de la même race. D’autre part, à l’aide des mêmes vents de Sud-Est, les Polynésiens poussèrent sans peine leurs aventureuses navigations vers le Sud Ouest, et c’est ainsi que les îles Chatham et de la Nouvelle-Zélande durent recevoir leurs colonies. » Nous l’avouerons, cette assertion, quoique venant d’un marin célèbre, ne semble pas pouvoir être prise à la lettre. Il est difficile de comprendre qu’en partant de Tahiti, les pirogues aient pu atteindre, aussi facilement qu’il le suppose, et les Marquises dans le Nord-Est et les Chatham, dans le Sud-Ouest. Il est certain que les vents de Sud-Est sont à peu près traversiez ; mais, d’un autre côté, la distance est véritablement si grande, et telle est parfois la force de ces vents, qu'il semble impossible d’admettre que les émigrants de Tahiti auraient pu atteindre d’emblée les îles Chatham surtout, qui gisent dans le Sud-Est de la Nouvelle-Zélan- de. On comprendrait mieux qu’ils fussent allés, avec ces vents là, jusqu’en Malaisie, comme quelques écrivains l’ont dit ; mais alors il faudrait se demander comment les îles plus Sud et plus Sud-Est que Tahiti auraient été peu- plées. 11 est vrai que d’Urville va au-devant de cette question, en disant : (2) « Les Tahitiens s’élancèrent dans toutes les directions, allant à la recherche de nouvelles terres. » Ce qui, il faut le remarquer, fait du moins supposer que, pour ces voyages-là, ils avaient recourt nécessairement à d’autres vents que ceux du Sud-Est, c’est-à-dire, comme on le sou- (1) Philologie , p. 280. (2) P. 280, ouvr. cit. m 16. 242 LES POLYNÉSIENS. tient généralement aujourd’hui, aux vents de la partie de i’Oîiest. Qu’on nous permette, à cette occasion, de citer les lignes suivantes de d’Urville ; elles prouveront que cette question n’était guère plus claire pour lui que celle de la position de hile Taumaco de Queiros : (1) « Les Polynésiens, dit-il, (2) n’eurent aucune peine à se répandre sur les îles situées sous le vent, dans toute l’étendue de la zone équatoriale, si déjà elles n’étaient pas occupées par cette race. »Mais alors, d’où d’Urville supposait-il donc sortis les premiers habi- tants de cette race trouvés dans ces îles, lui qui regardait Tahiti comme le foyer principal, sinon comme l’unique centre de départ ? Puis il ajoute : « Parvenus aux îles Yiti, la race mélané- sienne, plus nombreuse et plus vigoureuse, leur opposa probablement une résistance qu’ils n’avaient point rencon- trée ailleurs, et là fut le terme de leurs progrès vers l’Ouest, à cela près de quelques îles isolées, comme Rotuma, Tuko- pia, Anouta, et les îles basses voisines de Niténdi, où ils réussirent encore à s’établir. » Nous avons tenu à citer tout ce passage, parce qu’il est curieux de voir d’Urville indiquer les Viti comme l’obstacle probable aux migrations polynésiennes vers l’Ouest, à l’ins- tant même où il cherche à faire adopter l’opinion que la Nouvelle-Zélande a probablement reçu ses habitants des îles de la Société. Il est vrai que l’obstacle n’est plus le même pour la Nouvelle-Zélande qui est, elle aussi, plus Ouest, ou mieux Sud-Ouest, et qu’on aurait pu y arriver directement sans rencontrer aucune agglomération de peu- ples. Mais la distance qui sépare les deux contrées est tellement grande, qu’elle doit être bien suffisante à elle seule pour empêcher de croire à un pareil voyage. On a même de la peine à l’admettre quand, avec les partisans (1) Voir à ce sujet le texte du voyage de Y Astrolabe, et notre examen critique de la route faite par nous, Recherches sur l'O - céanie. (2) Philologie , p. 281 LES POLYNÉSIENS, 243 de l’origine polynésienne des Maori, on se borne à faire partir les émigrants des îles Samoa, Tunga ou Hervey . On l’a vu précédemment, nous pensons que les Fiji ont non-seulement pu être un obstacle au passage des Po- lynésiens, dans le sens de l’Est à l’Ouest, comme le dit d’Urville, mais elles en auraient également été un si ces émigrants s’étaient dirig’és de l’Ouest vers l’Est, comme on le croit généralement. On ne comprend pas, en effet, com- ment ce qui aurait été un empêchement dans un sens n’aurait pas pu l’être dans le sens opposé. Mais, nous l’avons dit aussi, cet empêchement n’a dû exister que pour les migra- tions secondaires, s’opérant avec d’autres vents, les mi- grations principales ayant pu et dû atteindre les îles qu’elles habitent, sans même soupçonner l’existence des îles voisines qui étaient peuplées par une autre race, poussées qu’elles étaient par des vents qui les en éloignaient. Cette dernière assertion de d’Urville ne prouve, à notre avis, qu'une chose, c'est que, dans le moment, il ne son- geait qu’à appuyer son hypothèse d’un continent submergé, et de migrations opérées de l’Est vers l'Ouest. Mais pour lui, en résumé, c’était bien à Tahiti qu’était d’abord arrivée la race polynésienne, quelle que fût son lieu d’origine, et c’étaient Tahiti et les autres îles de la Société qui avaient peuplé les Sandwich et la Nouvelle-Zélande, « en commen- ce çant par subjuguer et en finissant par détruire la race « mélanésienne qui les occupait primitivement, d’après tou- « tes les apparences (1). » Nous avons précédemment fait connaître notre opinion à ce sujet nous n’y reviendrons donc pas et nous aborderons de suite l’examen de la seconde hypothèse par ordre de date, quoiqu’elle ait été émise assez longtemps après la sienne. 2e hypothèse: Origine hawaiienne des Nouveaux-Zêlan - dais. — C’est à Dieffenbach qu’est due cette hypothèse $ (1) Philologie , p. 280. 244 LES POLYNÉSIENS. adoptée par v quelques écrivains français et fondue dans celle de d’Urville. Dieffenbach était à la Nouvelle-Zélande dans l’intervalle de 1839 1841. 11 y avait été envoyé par les directeurs de la Compagnie de la Nouvelle-Zélande, en qualité de médecin- naturaliste ; ce fut sans doute à ses fonctions assujettissan- tes qu’il dut de ne pouvoir visiter que le détroit de Cook, File-Nord, et exceptionnellement les îles Chatham. De retour à Londres, après des recherches qui avaient duré dix-huit mois, il publia, en 1843, les deux volumes qui font connaître ses observations et résument la plus grande par- tie des connaissances acquises sur la Nouvelle-Zélande jusqu’à cette époque. (1) Pour qu’une pareille masse de matériaux ait pu être rassemblée en si peu de temps, il faut supposer que Dief- fenbach a dû être aidé par quelques résidents ; car c’est seulement par l’intermédiaire de ceux-ci que tout ce qui concerne particulièrement l’histoire et les traditions a pu lui parvenir. Il est évident que ce n’est point aux mission- naires anglais qu’il doit généralement ses renseignements ; peut-être même peut-on conclure, de l’inexactitude de quelques-uns, qu’ils proviennent de toute autre source. Mais il n’est pas moins vrai que Dieffenbach a été le pre- mier à faire connaître des traditions ignorées jusque là, à en déduire une nouvelle explication des migrations poly- nésiennes, et à aider, par la quantité des matériaux recueil- lis, à résoudre la question si difficile de l’origine des Maori. S'appuyant surtout sur l’une de ces traditions, il a cru voir que le peuplement de l’île Ika-na-Maui avait été opéré par trois canots venant de l’Est, au lieu de venir de l’Ouest, comme on le croit généralement. Puis, trouvant, avant que M. Haie n’émît la même opinion, que les mots Tawai et Hawahiki, de la Nouvelle-Zélande, étaient les mots Tau aï et Havaii des Sandwich, et que les mots Hawahiki et Havaii n’étaient eux-mêmes que le nom de l’île d’où étaient partis les canots, il n’hésita pas de conclure que certaine- (1) Travels in New»Zcaland, by Ernest Dieffenbach, two vol. London, 1843, LES POLYNÉSIENS. 245 ment la Nouvelle-Zélande a reçu des habitants des îles Sandwich, non pas, il est vrai, directement, mais indirecte- ment par nie de Pâques. « Nous ne pouvons manquer, dit-il, (1) de reconnaître dans les noms Hawaïki et Tawai, les îles Sandwich et Tauai (2); mais il y a encore une preuve plus convaincante que les Sandwich sont la dernière source d’où les Zélandais sont sortis, c est qu’ils ont des traditions qui les font remonter à des temps plus anciens encore, lorsque Maui et ses frè- res pêchèrent la Nouvelle-Zélande. » (3). Dieffenbach rapporte ainsi ce que les traditions lui ont appris (4) : « 11 n’y avait pas d’habitants sur la terre (5) avant l’arri- vée de ceux qui l’occupent aujourd’hui, et cette terre était couverte de forêts. Trois canots arrivèrent alors d’une terre éloignée située à l’Est : ils s’appelaient Arawci, Kota - hinid et Matatua. Ils portaient les te tupuna ou te kau matua (6). Dans Y Arawa étaient les ancêtres des Nga-Pui (?) et des Rarewa, qui se tenaient devant ; les Nga-te-Wakaua (1) Ouvr. cité, t. II, ch. VI, p. 88. (2) Il ajoute ici: « L’une des différences entre le dialecte de 1^ Nouvelle- Zélande et celui des îles Sandwich, c’est que, dans ce dernier, comme dans le dialecte de Tahiti, remploi des consonnes est moins fréquent. Arii ( a ) des îles Sandwich devient Ariki h la Nouvelle-Zélande ; Ranalura, ( a ) devient Rangatira ; Tamata de- vient Tangata et, delà meme manière, Hawaii est devenu Hawaï- ki. L 'u et le w ont la meme valeur dans tous les dialectes polyné- siens, la prononciation étant un son intermédiaire entre les deux , c’est pourquoi il n’y a aucune différence de son entre Tauai et Tawai. » (3; Ce n’est pas la Nouvelle-Zelan le que ces traditions font pê- cher par Maui, mais seulement Ika-na-Maui ou l’Ile-Nord. (4) T. Il, ch. VI, p. 85. (5) Il n’est ici question que de l’Ile-Nord. (6) Te, les ; tupuna, aieux. ; kau, nus ; matua , parents. (7) On doit écrire Nga-Puhi : Puhi personne estimée, sorte d’anguille . (a) Ce mot ne peut être d’Hawaii, puisque le r n’existe [3* dans cette taugue. LES POLYNÉSIENS. 246 étaient derrière eux, et les Nga-te-Roïnangi, à la poupe. Au milieu du canot se trouvaient les femmes, et un liomme appelé Tama-te-Kapua. Ce dernier fut coupable d’adultère avec la femme d’un Nga-Puh « Le canot s’arrêta et ne reprit sa course qu’après qu’on eut apaisé la colère divine par un charme et par la pu- nition du coupable. Cette invocation ou charme est en- core conservée. Les paroles, no te uru o te Arctwa kae si- gnifient : m Tu es de YAraioa » c’est-à-dire, tu es un fourbe et un menteur, et elles sont devenues prover- biales. « Ils arrivèrent à la Nouvelle-Zélande. Les Nga-Pui, débarquèrent dans la Baie des Iles, les Karewa, à Oruru, dans la baie Lauriston ; les Ngata-te-Wakaua, et les Nga** te-Roïnangi, à Maketu, dans la baie d’ Abondance, d’où les premiers allèrent s’établir à Roto-Rua, et les derniers au lac de Taupo, dans l’intérieur : ceux-là furent les ancêtres de leurs tribus respectives. a Le second canot Kotahi nui aborda sur la côte Ouest, à Kauwhia, et les gens de son équipage furent les ancêtres des nombreuses tribus des Waïkato. On assure qu’une por- tion de ce canot est encore conservée, c’est-à-dire qu’elle devint un rocher qui se voit près du cap Nord du havre Kauwhia. C’est un gros bloc de pierre de chaux, qui sort des dunes de sable qui l’entourent. « Il est parfaitement établi que le Kotahi nui , qui était allé à la côte Ouest, avait doublé le cap Nord. « Le troisième canot Matatua , apporta les Nga-te-Awa, qui débarquèrent à Whakatane sur la côte Est, et dont une branche alla s’établir plus tard à Taranald. » Dieffenbach répète un peu plus loin (1) que, d’après la tradition, les canots venaient de l’Est, de l’Hawahiki. Et quelques pages plus bas, il ajoute encore : (2) « La tradition que j’ai trouvée universelle à la Nouvelle-Zélande est que les canots venaient de TÊst et non de l’Ouest, comme on l’a (1) Tbid. p. 87. (2) Ibid, p. $8, LES POLYNÉSIENS. 247 dit pour appuyer la théorie des migrations opérées direc- tement de l’Asie. » Il termine enfin en disant : « Le taro et les chiens fu- rent les seules choses apportées parles émigrants et elles n’existaient pas dans File. (1) » Mais, remarquons-le, en même temps qu’il fait connaître la tradition qui, suivant lui, donne aux canots une provenance orientale, il relate justement une autre tradition, d’après laquelle les patates douces, ou kumara, auraient été apportées dans File- Nord de la Nouvelle-Zélande par une femme nommée Pani, venant de l’ile Tawai. Et, ce qui est plus à remarquer en- core, il dit que son mari, Tiki, parlait la même langme que les Nouveaux-Zélandais et leur ressemblait par la couleur de la peau. Il est vrai qu’il ajoute aussitôt : cette île Tawai n’était pas celle d’où, suivant la tradition, étaient venus les ancêtres des Nouveaux-Zélandais. Voici du reste les paroles de Dieffenbach à ce sujet (2) : « Si l’on demande aux indigènes à quelle époque ils ont reçu le cadeau de cette saine nourriture (les kumara ou patates douces), et quel a été leur bienfaiteur, ils répondent ne rien savoir quant au premier point : leur souvenir se rapporte seulement au fait, mais non au temps. Cependant leur mémoire a conservé le nom du donateur. C’est E-Pani ou Ko-Pani, la femme de E-Tiki (3) , qui apporta les pre- mières semences de File de Tawai, qui n’est pas celle d’où, suivant la tradition, sont venus les ancêtres des Nouveaux- Zélandais. Tiki arriva à la Nouvelle-Zélande avec sa fa- mille (4) : Etait-ce à l’aide de canots moins frêles que ceux d’aujourd’hui, et à dessein, ou entraîné par accident ? C’est ce que la tradition ne dit pas. Bien accueilli, il ne tarda pas à s’apercevoir que la nourriture y était plus rare que dans Fîle heureuse d’où il venait, et il eut la pensée de (I) Ibid. p. 37. (?) Ouvr. cité, t. II, p. 47. (3) Ef un, une ; e-tiki, e-pani, un tiki, une pani: Ce n’est en un mot que l’article indéfini. (4) Nouvelle-Zélande est un nom employé à tort, la tradition pe parlant que d’une île, File-Nord , 248 LES POLYNÉSIENS. l’augmenter, mais sans savoir comment il y parviendrait. Par bonheur sa femme s’offrit de retourner prendre des ku- mara, pour que ceux qui les avaient accueillis n’en fussent pas plus longtemps privés. Elle fit le voyage et revint bien- tôt saine et sauve à la Nouvelle-Zélande. E-Tiki, son mari, était étranger aux Nouveaux-Zélandais, quoiqu’il eût la même couleur et parlât le même langage qu’eux. » Dieffenbach se demande, à ce sujet, si ce fait doit être attribué à la race polynésienne, ou s’il ne faut pas plutôt y voir la venue, à la Nouvelle-Zélande, d’anciens navires es- pagnols qui auraient apporté cette importante production de l’île de Tauaï, l’une des Sandwich, où le kurnara est encore cultivé. Car, ajoute-t-il, (1) a il n’est presque pas douteux que la Nouvelle-Zélande a été visitée par quelque peuple avant Tasman. Kaïpuke est le nom donné à un na- vire à la Nouvelle-Zélande : Buque est un mot espagnol; kaï signifie manger, vivre, homme. Aucune autre nation polynésienne n’a ce mot pour désigner un navire. Pero chien et poaca , cochon, sont aussi des mots espagnols. Tawaï, d’où Pani apporta les kurnara, est située à l’Est de la Nouvelle-Zélande, d’après les traditions ; et les premiers découvreurs dans le Grand Océan, Alvaro de Mendana (1595), Queiros (1606), Lemaire et autres venaient de l’Est, ainsi qu’ils firent à Tahiti, suivant la tradition. » Puis il continue en disant (2) : « Si nous cherchons main- tenant à savoir quelle confiance peut être accordée à la tradition, quand elle dit que les Nouveaux-Zélandais sont venus en dernier lieu des îles Sandwich, et s’il y a vérita- blement possibilité ou probabilité qu’un pareil voyage ait pu s’effectuer, nous rencontrons des difficultés, qui seront probablement toujours insurmontables. Tout ce que nous pouvons faire, dans l’histoire obscure des premières migra- tions de ces races, c’est de grouper les différentes îles d’a- près les analogies qui existent entre leurs habitants, sous le rapport du langage et des coutumes, et de voir dans les (1) Ouvr. cité, 1. 1, p. 48. (2) Ibid. p. 91. LES POLYNÉSIENS. 249 traditions si l’on trouve quelque chose qui vienne confirmer ces indices de rapprochement. Il y a une grande affinité entre les dialectes des habitants des Sandwich et ceux de la Nouvelle-Zélande, et cette affinité est beaucoup plus grande que celle qui unit les Polynésiens entre eux. Les arbrisseaux et les arbres d’un même genre, quoique d’espèces différentes, portent les mêmes noms à la Nouvelle-Zélande et aux îles Sandwich. Le Kawafait avec le piper methysti - ciim, n'est pas pris en boisson à la Nouvelle-Zélande ; mais, dans cette même contrée, le piper exce ts um porte le même nom. Le Rata et l’Aki, sont des espèces de metmsideros dans la Nouvelle-Zélande, comme dans les îles Sandwich ; le Ti est un Dracena ou plutôt une cordyline dans les deux. Les traits des indigènes sont semblables, de même que leurs sculptures, leurs industries, etc. « Suivant les traditions qui ont cours à la Nouvelle-Zé- lande, leurs ancêtres avaient fait un long* voyag*e,' en par- tant de l’Est, avant d’arriver à cette île ? Ne pouvons- nous pas reconnaître dans les indigènes de l’île de Pâques, qui, d'après les navigateurs qui les ont visités, ressemblent plus aux Nouveaux-Zélandais qu’à tous les autres Polynésiens, le chaînon qui unit le groupe d’Hawaii et de Ahi-na-Maui, ou Nouvelle-Zélande ? (I) L’ile de Pâques est aux limites des vents alisés du Sud-Est, et les émigrants d’Hawaii pou- vaient y arriver sans peine ; les habitants actuels de cette île, point perdu dans l’immensité de l’Océan, paraissent avoir rétrogradé en civilisation. Du moins, les hautes statues, tirées de pierres volcaniques tendres, qu’y virent Cook et La Pérouse, ne furent point attribuées à la g’énération du mo- ment, mais à leurs ancêtres ; et l’étrange forme de ces sta- tues nous rappelle, plus que tout autre chose, les grotesques sculptures en bois des indigènes de la Nouvelle-Zélande. 11 n’est pas probable que les ancêtres des deux peuples, maintenant si éloignés l’un de l’autre, aient été les mêmes. (1) C’est pour la première fois que le mot ahi , feu, est employé au lieu de ika , poisson. Nous le verrons bientôt répété par Taylor , 250 LES POLYNÉSIENS. Malheureusement nous n’ayons aucun moyen de comparer le dialecte de l'Ile de Pâques avec celui de la Nouvelle-Zé- lande, et les outrages commis dans ces derniers temps par ceux qui s’intitulent eux-mêmes chrétiens, sur les naturels de ce point intéressant, ne nous laissent pas beaucoup l’es- poir que les relations deviennent bientôt plus intimes. Le nom indigène de l’île de Pâques est Waihu, et l'on retrouve le même nom à la Nouvelle-Zélande, où il est donné au hâvre Coromandel sur la côte Est de l’Ile-Nord. « Il est vrai que les îles Sandwich sont, de toutes les îles Polynésiennes, les plus éloignées delà Nouvelle-Zélande, puisqu’elles sont situées au 24° de Lat. Nord et 161° 45’ de Long. Ouest, tandis que le point le plus Nord de la Nou- velle-Zélande ne se trouve que par 34°27’ Lat. Sud et 173°4’ Long. Est ; ce qui embrasse presque les limites extrêmes de l’Océan polynésien, ou de cette partie qui est occupée par la vraie race océanienne. Le lecteur, qui sait combien l'espace intermédiaire à ces îles est plein de terres, souvent inhabitées, mais produisant des fruits en assez grande quantité pour nourrir l’homme, dira peut-être : n’est-il pas plus vraisemblable que les insulaires des îles Hawaii, en quittant leur première résidence, soit à dessein, soit par hasard, auraient rencontré quelqu’une de ces îles et se se- raient établis là où le climat était doux et agréable, plutôt que d’aller là où il est toujours variable et souvent rigou- reux ? Je n’ai pas de réponse à cette objection et c’est en vain qu’on essaierait d’expliquer cette séparation et le mé- lange infini, non seulement des différentes races, mais encore des différentes divisions d’une seule et même race, qu’on trouve dans les îles du Grand Océan. La proximité réelle des îles et même les vents régnants n'expliquent rien. Dans les îles Cliatham, par exemple, qui sont à envi- ron 300 milles au Sud-Est de la Nouvelle-Zélande, vivent les restes d’une race aborigène, qui aura bientôt disparu, avant d’être mêlée aux Zélandais et qui, bien que polyné- sienne, (1) n’a rien de commun avec ces derniers. Les Nou- (1) Cette assertion est à remarquer, venant ch un observateur LES POLYNÉSIENS. 251 veaux -Zélandais ne savaient rien de cette île avant que les navires Européens les eussent conduits. « La migration de l’homme dans un grand océan n’est pas plus mystérieuse que celle des plantes ou des animaux; le sujet est abstrait, mais c;est une raison pour n’en pas fuir l’étude. Si un oiseau de terre, qui n’a pas le pouvoir de voler, se trouve dans ces deux groupes d’îles, les Chatliam et la Nouvelle Zélande, ou si Y Aptéryx australis , qui est dépourvu complètement d’ailes se rencontre dans la petite île Barrière, près de la côte de la Nouvelle-Zélande, et dans la Nouvelle-Zélande elle-même, n’avons-nous pas raison de trouver dans la structure géologique les indices d’une an- cienne réunion de ces îles avec la Nouvelle-Zélande, qui est certainement le centre de certaines plantes et de certains animaux particuliers ? Car ce serait trop accorder à la théorie que de considérer chacune des îles environnantes comme un centre pareil, ou d’attribuer à un accident mi- raculeux la distribution d’animaux qui, par leur confor- mation, sont dans l’impossibilité d’émigrer par mer. « N’est-il pas possible, même très probable, qu’une ré- volution physique ait séparé ce qui était d’abord uni, et que cet accident ait détruit le chemin par lequel une pa- reille émigration était possible ? Je n’ai trouvé aucune objection, soit dans la structure géologique, soit dans les plantes et les animaux, à la théorie qu’une chaîne d’îles était jointe anciennement à la Nouvelle-Zélande, et il est même très probable que la terre de la Nouvelle-Zélande, l’île Chatham et l’ile Norfolk sont les restes et les frag- ments de la masse qui occupait autrefois un très grand espace. « Suivant les rapports des baleiniers, il y a maintenant peu dé profondeur d’eau entre l’île Chatham et la Nouvelle-Zé- lande ou entre la dernière localité et l’île Norfolk ; c’est pour cela qu’ils font de ces endroits leurs lieux de pêche, bien que je ne sois pas certain que des sondages aient eu lieu par- sur place ; elle est çontraire à celle de presque tous les autres écrivait* s. 252 LES POLYNÉSIENS. tout. Ne peut-on pas croire, d’après cela, qu’un vaste con- tinent a été englouti dans les abîmes de l’Océan ? Et puis- que nous nous aventurons à raisonner sur les migrations des races humaines, ne pouvons «nous pas dire que la grande route a été interrompue après que celui qui est un insulaire aujourd’hui eût atteint sa résidence actuelle ? Il est toutefois infiniment plus croyable pour moi que l’habi- tant de l’ile Chatham a atteint par hasard cet endroit à l’aide d’un frêle canot, quoique à travers une mer toujours tempétueuse. Ici encore nous serions appuyé par la tradi- tion. Les indigènes de la Nouvelle-Zélande ont des souve- nirs obscurs d’évènements géologiques importants. Ils disent que l’Ile-du-Milieu était unie anciennement à celle du Nord. Le géologue et le philosophe ne méprisent jamais de pareilles traditions, parce quelles servent à les conduire à de nouvelles vérités. « De tous les langages existants, celui des Polynésiens me paraît le plus primitif et le plus ancien par sa structure. Nous trouvons, dans beaucoup d’îles, que l’indigène est un heureux enfant, aussi simple qu’innocent, vivant des dons de la nature. Il croit à l’existence d'un Grand-Esprit, mais il le craint et il n’a cependant pas spéculé sur lui : c’est pour ainsi dire une pure croyance abstraite, résultat de l’instinct, et que nous regardons comme implantée dans l’homme au commencement de son existence. Ces diverses circonstances nous portent à penser que les îles du Grand Océan ont été peuplées à une époque très reculée. D’un autre côté, nous sommes conduit à supposer que la souche primitive, d’où sont sortis tous les insulaires, possédait un certain degré de civilisation, dont on ne voit maintenant que les. restes. « Mais quel était le véritable berceau, quelle était la résidence originelle de cet ancien peuple ? Etait-ce J ava ou le continent d’Asie lui- même, cette fertile source des na- tions ? Devons-nous la voir à l’Est, direction dans laquelle la placent véritablement lès traditions ? Est-ce en Amé- rique, lieu qui possédait autrefois une grande civilisation, qui a été brisée par une cause ou par une autre, pendant LES POLYNÉSIENS. 253 que son peuple se répandait au loin ? Il ne reste rien pour résoudre ce problème. « Sur tous ces points, le champ est ouvert aux investiga- tions et aux travaux de toutes sortes, surtout linguistiques. Les nations se transforment rapidement, et là où n’existe pas l’art d’écrire, l’histoire des ancêtres et l’origine tom- bent promptement dans l’oubli ; bientôt on n’a plus d’autre guide que le langage qui seul persiste chez les nations qui se sont séparées les unes des autres. Il est à remarquer que, même dans la courte période de soixan- te ans, pendant laquelle les Européens ont été en con- tact avec les Nouveaux-Zélandais, la connaissance de ces derniers en navigation a diminué, et avec elle cet es- prit aventureux qui leur faisait braver les dangers des longs voyages côtiers. C’est ainsi que le capitaine Cook a trouvé qu’ils possédaient des doubles canots qu’ils n’em- ploient jamais aujourd’hui. » Nous avons tenu à transcrire cette longue citation de Dieffenbach : elle était indispensable pour faire bien com- prendre la réfutation de son opinion. Elle établira en outre combien nombreux sont les emprunts faits à cet écrivain par ses successeurs, sans que ceux-ci aient pris la peine de le citer. Enfin elle montrera pourquoi ces derniers ont émis tant d’assertions inexactes. D’après quelques auteurs, Dieffenbach aurait avancé que les trois canots venant de l’Est se sont dirigés sur les Taches Magellaniques pour atteindre la Nouvelle-Zélande : rien dans son ouvrage n’y fait allusion. Mais il est certain qu’en venant des îles Sandwich, comme des Tunga et des Samoa, il aurait fallu, en effet, que les émigrants se diri- geassent sur ces Taches pour arriver à la Nouvelle-Zélande, puisque cette terre se trouve dans le S. -S .-O. des pre- mières. L’hypothèse émise par Dieffenbach, venant d’un homme si autorisé, explique parfaitement l’adoption qui en a été faite par quelques ethnologues. Nous allons néanmoins, malgré les preuves dont il cherche à l’appuyer, essayer d’établir qu’elle ne repose que sur des faits n ayant pas la 2o4 LES POLYNÉSIENS. signification qu’il leur donne, et qui même tendent plutôt à la détruire : tel est surtout celui de l’introduction des pa- tates douces à la Nouvelle-Zélande. Nous ferons remarquer d'abord que Dieffenbach, comme tous les écrivains qui l’ont suivi, désigne à tort, d’après son propre texte et celui des légendes qu’il cite, l’île Ika- Na-Maui sous le nom générique de Nouvelle-Zélande. Tou- tes les légendes ne parlent, en effet, que d’une île, celle qui est connue sous le nom d’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande. Ce fait est de la plus haute importance, comme on le verra bientôt. Le naturaliste anglais est en outre le seul jusque-là qui, d’après les traditions, ait trouvé pour « opinion universel- le » à la Nouvelle-Zélande, que les ancêtres provenaient de l’Est. Cook, on l’a vu, a bien parlé de la venue de quel- ques canots du Nord ; mais ces faits ne prouvaient absolu- ment rien, et la tradition d’un lieu appelé Heawise était trop vague pour qu’on put songer à en déduire la situation . Banks, Forster, Anderson, les compagnons de Cook, n’en ont eux-mêmes rien dit non plus. Et, avant Dieffenbach, il n’y avait guère que d’Urville, Moërenhoüt, ïïilis et J. Wil- liams qui eussent attribué, à peu près sans preuves, les pre- miers habitants de la Nouvelle-Zélande à une provenance orientale. Mais pas un des missionnaires fixés à la Nou- velle-Zélande depuis si longtemps, et si versés dans la langue du pays, n’avait jusque-là exprimé cette opinion ; l’un d’eux même, Kendall, avait rapporté, comme on a vu, un chant qui laissait supposer que les Néo-Zélandais sé dirigeaient vers l’Est plutôt que d’en venir. Depuis, il est vrai, cette opinion a été adoptée pour ainsi dire par tous les successeurs de Dieffenbach, comme si elle n’en était que l’écho, mais sans plus de fondement, ainsi que nous le démontrerons. C'est donc bien à lui qu’elle- appartient, de même que l’idée de considérer l’Ile de Pâques comme première et facile étape aux émigrants des Sand- wich, sans doute parce que Beechey avait trouvé que les habitants de cette île ressemblaient plus aux Maori, par le tatouage surtout, qu’à tous les autres Polynésiens. LES POLYNESIENS. Il est évident, d’abord, que les trois canots désignés par Dieffenbach portent le même nom que trois des sept, dont parlent les légendes que Sir Grey a fait connaître quel- ques années plus tard. Ces canots sont : UAraiüci'le Taïnui et le Matatua. C’était dans YArawa, en effet, que se trouvait Tama-te-Kapua, qui même en était le chef, d’après la légende publiée par Sir Grey ; la femme souillée était celle de N ga-Tor o-i- Rangi , grand* prêtre re- nommé de la tribu des Nga-Puhi, d’après la légende de Dieffenbacb. Le second canot, quoique désigné par les mots Kotahinui , était le Taïnui , la syllabe ko étant la préfixe que les Maori placent devant les noms de personnes et de choses. Comme un le verra plus loin, c’était sur ce canot que se trouvait Nga-Toro, avant que Tama-te-Kapua, ne l’attirât par ruse avec sa femme, dans l’Araioa. Après son enlèvement ce fut Hotunui qui en prit le commandement. Quant au troisième canot, les légendes ne disent pas quel en était le chef (1) ; mais celle citée par Dieffenbach apprend que les gens qui le montaient étaient de la tribu des JNga-te-Awa (2), fait important, quand on saura qu’une tribu de ce nom occupait un point de la côte Sud-Ouest de ITle-du-Milieu, la Tavaï-Pounamu de d’Urville. Mais si c’étaient les mêmes canots et les mêmes légendes, qu’en conclure? Que la tradition qui fournit le plus de détails, qui indique le plus nettement la route faite par les canots, et précise la route qu'il fallait faire en partant d’Hawaliiki, pour atteindre Ahi ou Ika-na-Maui, doit approcher de la vérité plus que l’autre. Or ce sont les légendes rapportées par Sir Grey qui donnent, en général, et dans ce cas parti- culier, les détails les plus nombreux, les plus circonstan- ciés, qui désignent nettement et la route faite et la route à suivre, tandis que la tradition citée par Dieffenbach n’en dit absolument rien ; c’est pourtant sur elle qu’il s’appuie (1) D’autres légendes, publiéespar Taylor, montrent que ce chef était Rauru ou Ruaauru. (2) Il y avait aussi des Ngati-Kahungunu, et c’étaient des Nga- ti-Ruanui qui* d’après Taylor* remplaçaient les premiers. 256 LES POLYNÉSIENS. pour établir l’origine polynésienne orientale des Maori, ou autrement dit, la venue de l’Est des canots que les légendes de Sir Grey font venir de l’Ouest ou du Sud-Ouest. Ainsi, dès le début, nous voyons que Dieffenbach appuie son opinion sur un fait qu’on peut, au moins, croire mal in- terprété, mal entendu, d’après les légendes si précises publiées par Sir Grey. Il est bien probable, en effet, comme tout ce que nous dirons le démontrera, que celui qui lui a fait con- naître la légende qu’il rapporte, a donné, comme point de départ, ce qui n’était que le but à atteindre, c'est-à-dire l’Est. Mais; que ce soit ou non une erreur d’interprétation, il est certain qu’elle serait suffisante à elle seule pour dé- truire son hypothèse, quand celle-ci ne serait pas combattue par toutes sortes d’autres raisons. Par exemple, quand Dieffenbacli dit que les Néo-Zélan- dais ressemblent plus, par le langage, aux habitants des îles Sandwich qu’à ceux des autres îles polynésiennes, il avance certainement un fait inexact (1) : Beechey, Moëren- lioüt, et surtout J. Williams, ont montré que certaines îles, comme Rarotonga, Mangareva, possèdent un langage plus analogue. Il est vrai qu’ailleurs, tout en les faisant venir des Sandwich, il trouve les Néo-Zélandais plus ressemblants aux Malais par leur extérieur et par leurs coutumes. Mais cela ne prouve qu’une chose, c’est que Dieffenbach n’a pro- bablement jamais vu les peuples malais et les autres poly- nésiens. Quant à la légende qu’il rapporte, elle ne dit pas un seul mot qui autorise à soutenir que les Néo-Zélandais sont en dernier lieu venus des Sandwich ; cette assertion n’est qu’une interprétation purement personnelle. Dieffenbach est plus exact quand il dit que l’analogie exis- tant entre les Maori et les habitants de l’Ile de Pâques est plus grande qu’entre les Maori et les autres Polynésiens mais il faut qu’on n’en sépare pas quelques autres îles telles que les Hervey, les Mangareva, etc. Ce fait prouve que des rapports ont nécessairement existé entre des populations (1) Il ne dit cela évidemment que parce que d’Urville trouvait, avec raison, plus d’analogie entre le Maori et l’Hawaiien qu’entre le Maori et le Tahitien. LES POLYNÉSIENS, 257 séparées par une si grande distance. Mais son assertion n’est plus aussi évidente, quand il prétend que les émigrants d’Hawaii pouvaient arriver sans peine à l’île de Pâques : le plus souvent, avant d’atteindre cette île, ils auraient infailliblement rencontré les Marquises, sinon les Paumotu. Or, on l’a vu, les traditions des Marquises, de même que celles des îles de la Société et même des Sand- wich, laissent supposer que ce sont, au contraire, des émi- grants des deux premiers archipels qui sont allés peupler les îles Hawaii. Est- il supposable, d’ailleurs, que les émi- grants de ces îles, s’ils avaient suivi la route que leur fait faire Dieffenbach , soient allés au hasard chercher un point perdu dans l’espace, plutôt que de rester dans les Marqui- ses ou les Paumotu qu’ils auraient rencontrées presque infailliblement ? L’Ile de Pâques, en effet, est tellement éloignée de toute terre, qu’elle n’a dû être atteinte que par des canots égarés, quel que fût leur point de départ. Dieffenbach, du reste, fait lui-même à son hypothèse cette objection insurmontable : « N’est-il pas plus vraisem- blable, dit-il (1), que si les enfants des îles Sandwich avaient quitté, à dessein ou au hasard, leur première rési- dence, ils seraient tombés sur quelqu’une des terres qui occupent l’intervalle qui sépare la leur de l’île de Pâques, et se seraient établis là où le climat était plus doux et plus agréable, au lieu d’aller où il est toujours variable et sou- vent rigoureux ? » Nous n’avons point, ajoute-t-il, de ré- ponse à faire à cette objection , et il est certain qu’il serait difficile d’en faire une bonne. Suivant nous, c’est bien la plus forte objection opposable à cette supposition, même en admettant que la route aurait pu être faite directement. Nous croyons, avec tous les ethnologues, sans en excepter ceux qui, comme MM. Gaussin et Shortland, admettent, que les Nouveaux-Zélandais sont venus de l’Est, que la distance des îles Sandwich à Pâques, et à plus forte raison de Pâques à la Nouvelle-Zélande, est par trop grande, pour qu’il soit (1) Ouvrage cité, p. 93. 258 LES POLYNÉSIENS. possible de supposer que les pirogues des émigrants aient pu effectuer de pareils voyages. En supposant la route directe, il est à peu près certain que les émigrants auraient rencontré quelques terres ou même des archipels entiers, tels que les Samoa, les Tunga, les Fiji, placés sur leur route, et qu’ils s’y seraient arrêtés sans songer à continuer leur voyage ; de même que, par la route indirecte, c’est-à-dire en passant par Pâques, ils en auraient également trouvé quelques-uns, et au moins les îles Marquises. Or, pas une des traditions polynésiennes ne fait allusion à ce fait, alors qu’elles en rapportent nette- ment tant d’autres beaucoup moins importants. Les îles Sandwich, qui semblent avoir si bien conservé le souvenir de leur premier peuplement par les îles de la Société et même celui de quelques voyages lointains, n’en disent absolument rien non plus, à moins que l’on ne reconnaisse la Nouvelle-Zélande dans la mystérieuse Haupokane des légendes Hawaiiennes, terre qui, sous ce nom du moins, n’a jamais été retrouvée dans les îles polynésiennes. Les lé- gendes maori elles-mêmes ne parlent que d’une petite île rencontrée par les émigrants pendant leur trajet de l’Ha- wahiki à l’île Ika-na-Maui ; et cependant elles sont riches de souvenirs, confus il est vrai, mais variés. Elles ne disent rien de plus que les traditions des archipels polynésiens Samoa et Tunga qui se taisent à ce sujet ; mais elles appren- nent un fait, resté ignoré jusqu’aux légendes publiées par Sir Grey, et que lui-même n’a pas remarqué, c’est que l’Hawahiki ou terre d’origine était placée dans une direc- tion tout-à-fait opposée à celle qu’occupent les îles Havaii. S'ils étaient venus de l’île de Pâques, comme le suppose Dieffenbach, les canots, il est vrai, auraient pu arriver à la Nouvelle-Zélande sans rencontrer aucune terre, mais après une traversée tellement longue, qu’il n’est véritablement pas permis d’en admettre la possibilité. D’ailleurs, l’expé- rience a appris qu’il est difficile, même aux navires euro- péens, de faire cette route directement. D’un autre côté, les égendes de Sir Grey montrent que les canots ne s’éloi- LES POLYNESIENS. 259 gnaient guère d’Hawahiki qu’en suivant pour ainsi dire les côtes de vue. Mais c’est surtout l’introduction des patates douces dans l’île Ahi-na-Maui qui achève de détruire l’hypothèse de Dieffenbach. En effet, c’est à tort qu’il place à l’Est l’île Tawaï, d’où Pani apporta les Kumara et où elle était née, mais qui « n’était pas celle d’où, suivant la tradition, étaient venus les ancêtres des Nouveaux-Zélan dais. (1) » Il n’y a pas d’île de ce nom dans cette direction, par rap- port à la Nouvelle-Zélande, à l’exception toutefois de l’île Tauai ou mieux Kauaï des Sandwich, qui gît dans le Nord- Est. Dieffenbach n’a pas remarqué que, du côté opposé, au contraire, et à toucher pour ainsi dire Ahi-na-Maui, existe l’île de la Nouvelle-Zélande appelée Tawai et qui, presque certainement, est celle dont la légende a voulu parler. Ce qui le prouve surtout, c’est ce qu’elle dit de la facilité du voyage de Pani allant chercher les patates douces. Pani n’aurait évidemment pu aller aux îles Sandwich et en reve- nir aussi promptement et aussi facilement, si le voyage eût été fait de ce côté. En outre, pas plus que son mari, elle n’eût parlé la langue maori, comme le rapporte la tradi- tion, si l’un et l’autre fussent partis des Sandwich. Qu’on se rappelle, en effet, cette phrase qui termine la légende citée par Dieffenbach : « E-Tiki, son mari, était étranger aux Nouveaux-Zélandais, quoiqu’il eût la même couleur et parlât le même langage qu’eux. » On verra plus tard quelle est l’importance de cette tradition ; mais, en attendant, on en conviendra, c’était aller chercher bien loin ce qu’on avait pour ainsi dire sous la main. L’erreur propagée par Dieffenbach provient de ce que, pour appuyer son hypothèse, il regarde ce mot Tawai com- me le nom d’une île se trouvant dans l’Est, et surtout de ce qu’il confond toutes les îles du groupe, sous le nom de Nouvelle-Zélande. G’est ce que nous achèverons de démon- trer, quand nous aurons fait connaître les légendes de Sir Grey. En confondant lTle-Nord de la Nouvelle-Zélande avec (1) Ouvr. cité, t. II, p. 47, lig. 18. 260 LES POLYNÉSIENS. ITle-du-Milieu du même groupe» Dieffenbach ne pouvait évidemment se douter que cette dernière était la véritable Tawai dont il est parlé par la légende. Dieffenbach, enfin, dit que Hawahiki et Tawai dérivent de Hawaii et Tauai ; mais il est tout aussi croyable que le contraire a eu lieu et que les deux premiers ont fourni les deux derniers. Aux Sandwich, en effet, le mot tauai se prononce aussi et même plus fréquemment kauai ; or la transformation du h en t semble plus naturelle que celle du t en k. Dieffenbach, on l’a vu, suppose que des navires espa- gnols ont, plus probablement que les Polynésiens, apporté les premiers les patates douces à la Nouvelle-Zélande ; mais les mots sur lesquels il s’appuie pour étayer cette opinion sont tous erronés. Ainsi le mot kaïpuke ne vient pas, com- me il le prétend, de l’Espagnol buque : kaï , homme et puke) colline, sont des mots purement maori, de même que waïpuke , flot, courant, puke puke} lieu élevé, mon* tueux, etc. Le mot pero, que Dieffenbach donne comme le nom du chien à la Nouvelle-Zélande n’est pas plus exact : le chien y est appelé peropero , et ce mot se prononce tout autrement que le perro espagnol. L’analogie est encore moins grande pour le mot poaka. En Espagnol, porc se dit puerco, tandis que, dans les îles polynésiennes, c’est puaka, buaka , puaaf etc. Ce mot est donc encore tout polyné- sien. Avant Dieffenbach, du reste, une foule d’écrivains avaient cru pouvoir dire, d’après les premiers Européens établis aux Sandwich, qu’on trouvait dans ces îles un grand nom- bre de mots d’origine espagnole : On citait entre autres les mots pono et poco, que l’on faisait venir de l’Espagnol bueno ou du Portugais bono , et de l’Espagnol poco. Nous avons déjà montré plus haut que ce sont des mots polyné- siens signifiant : le premier, « vrai, vérité », le second, « court, petit. » En résumé, de tout ce que nous venons de dire, il est impossible, croyons-nous, de partager l’opinion de Dief- fenbach, qui est sans aucun fondement. Même quand il LES POLYNÉSIENS. 261 n’y aurait pas contre elle l’objection si considérable que l’auteur lui- même lui adresse, la direction ordinaire et la force des vents, ainsi que la position de quelques archipels sur la route, auraient suffi pour mettre obstacle à des mi- grations se dirigeant du Nord-Est vers le Sud-Ouest. Dieffenbach se trouvait à la Nouvelle-Zélande de 1839 à 1841, alors que nous étions nous-même dans les îles poly- nésiennes. Embarqué comme naturaliste sur un bâtiment de la Compagnie, il ne put suivre que la direction tracée à son navire par les besoins de la nouvelle colonisation. C’est ce qui explique pourquoi il n’a pu bien voir que le détroit de Cook et l’Ile-Nbrd de la Nouvelle-Zélande. Son livre fut publié en 1843, alors que le commodore Wilkes venait à peine de terminer son voyage commencé en 1838. Ses observations d’histoire naturelle sont pleines d’intérêt; mais, à part quelques objets, elles ont peu ajouté aux con- naissances déjà acquises par les naturalistes de Cook, de Vancouver, de d'Urville, de Duperrey, etc. Il suffira, pour s’en convaincre, de jeter un coup d’œil sur l’énumération qu’il fait des plantes de la Nouvelle-Zélande. En somme, Dieffenbach, de même qu’Ellis et d’Urville, n’a guère fourni, malgré le nombre considérable de ses renseignements, qu’un ramassis d’opinions contradictoires ; après l’avoir lu, on se demande même quelle est celle à laquelle il s’est arrêté, et l’on serait fort embarrassé de le dire sans quelques-unes de ses propres objections. Il ré- sulte de tout son livre que, de toutes les peuplades poly- nésiennes, il n’avait vu que celles de la Nouvelle-Zélande et peut-être celles des îles Sandwich, mais que les autres lui étaient inconnues. Pourtant, au point de vue des ma- tériaux, ce n’en était pas moins l’ouvrage le plus impor- tant qui eut paru jusque-là. 3e hypothèse : Origine samoane des No un eaux -Z élan- dais. — Cette hypothèse, d’après laquelle Savaii est la première étape des émigrants malais et le point de départ des colonies pour toutes les îles polynésiennes, est due au 262 LES POLYNÉSIENS. savant ethnologue Horatio Haie, l’un des compagnons de Wilkes, dans son expédition au pôle Sud (1). On peut dire que c’est celle qui, aujourd’hui, est généralement adoptée, avec quelques variantes. En s’appuyant alternativement sur les traditions, sur la philologie, sur la carte de Tupaia, et plus particulièrement sur l’assertion de ce dernier que Savaii était « la mère des autres îles, » M. Haie a conclu que c’était de cette île Savaii qu’étaient partis, non- seulement les Polynésiens les plus orientaux, mais encore ceux qui étaient allés peupler la Nouvelle-Zélande. Pour lui, c’était ce nom que les colonies issues de Savaii, l’une des Samoa, avaient porté successivement, d’abord dans l’Est, le Sud-Est, et même dans le Nord, c’est-à-dire aux îles de la Société, Paumotu, Marquises et Sandwich ; puis, dans le Sud et le Sud-Ouest, c’est-à-dire aux îles Manaia, Rapa, etc. ; enfin à la Nouvelle-Zélande. Pour arriver à cette conclusion, il s’appuyait surtout sur la signi- fication identique de ce mot Savaii et de tous ceux par lesquels la plupart des autres archipels polynésiens dé- signent le pays d’origine première. Ces mots, nous l’avons déjà dit, sont : Havaï aux Iles de la Société ; Hapaï aux Tunga; Avaiki dans l’archipel de Cook, à Rarotonga, Rapa, Mangareva, dans les Paumotu ; Havaïki aux Marquises ; Hawaii ^aux Sandwich, et Hawahiki à la Nouvelle-Zé- lapde. En effet, tous ces mots sont bien les mêmes ; ils ont à peine été modifiés suivant les lieux, et ils possèdent la même signification, comme l’avaient déjà reconnu Dieffen- bach et plusieurs autres voyageurs. Mais il est loin d’être aussi démontré que semble le croire M. Haie, que ces di- vers mots soient les dérivés du mot Savaii, car lui-même reconnaît que l’île ainsi nommée n’est point la terre d’ori- gine première, mais seulement la première étape des émi- grants, qu’il fait venir des îles asiatiques. Comme il a (1) United States exploring expédition narrative , during the Years 1838-1842. Philadelphia, 1844, LES POLYNÉSIENS. 263 admis, d’un autre côté, que cette terre d’origine première portait un autre nom que celui de Savaii, il faut nécessai- rement reconnaître que son explication manque d’exacti- tude, ou que, tout au moins, elle a besoin d’être com- plétée. Si Savaii représente bien, comme il l’a dit, le nom qui était donné au lieu d’origine première, il importe de savoir, et il aurait dû dire aussi, comment il se fait que le nom donné par les émigrants à leur première étape, dans les Samoa, ne soit pas celui que portait le lieu de départ, qu’il appelle Borotou. Comment alors se fait-il que les colonies parties de Savaii n’aient seulement répandu que ce dernier mot ? Il eût été au moins utile de chercher à savoir si Savaii, au lieu d’avoir fourni les autres mots, ne dérivait pas plutôt, d’après la linguistique elle-même, de l’un d’entre eux. C’est ce que nous allons essayer de déterminer dans les pages qui vont suivre. Car tous ces mots ont bien une même signification, ainsi que l’a dit M. Haie, et c’est avec raison qu’il les a regardés comme « la clef des migrations polyné- siennes. » Avec la distinction qu’il faut nécessairement établir entre les îles composant le groupe de la Nouvelle- Zélande, il n’est aucun autre fait, dans l’histoire de la Polynésie, qui aide autant que cette détermination à suivre la marche des émigrants et à remonter, par conséquent, à leur véritable point de départ. C’est justement parce que les mots en question^ ont l’im- portance que leur reconnaît M. Haie, qu’il est indispensable d’entrer, à leur sujet, dans quelques développements et de demander à la linguistique l’explication de leur significa- tion réelle et de leur origine. Comme l’a fait M. Haie lui-même, c’est donc à la philo- logie que nous nous adresserons nous aussi, puisqu’elle seule peut éclairer une pareille question. Certainement nous aurions pu, comme tant d’autres, ad- mettre, sans critique, l’opinion du savant américain, opi- nion si généralement acceptée, et en apparence si bien igotivée. Mais, du moment que nous ne croyons passes 264 LES POLYNÉSIENS. assertions complètement exactes, c’est un devoir de cher- cher à le démontrer, et c’est ce que nous allons tenter. Aussi bien ce sera, croyons -nous, le meilleur moyen, en même temps que le plus simple, de montrer que son hypo- thèse ne repose que sur une erreur étymologique. Nous allons donc chercher d’abord la valeur exacte de chacun des mots employés par les divers archipels, puisque c’est la signification qu’ils possèdent quiseule peut débrouil- ler cette question. Aux îles Hervey, ce mot, sous la forme Avaïki, signifie le pays des ancêtres, et ce pays est placé, par les traditions, « sous le vent, » c’est-à-dire, du côté du couchant : «le vent» ou le dessus étant, pour toutes les îles polynésiennes, le Sud-Est. Sous la même forme, aux îles Mang*areva, aussi bien qu’à Rapa, aux îles Paumotu, etc., il est aussi le nom de la terre d’origine, laquelle est toujours placée plus à l’Ouest. A Tahiti, comme dans les autres îles delà Société, sous la forme Havai, c’est encore le nom de la patrie commune, située de même vers l’Ouest. Aux îles Marquises, le pays des ancêtres est placé dans la direction du soleil couchant, et là il porte le nom d’Ha- vaïki. Il en est de même aux îles Sandwich, sous la forme Hawaii. Seulement, dans ces îles, on y pai'aît moins fixé sur sa position, quoiqu’on la place toujours plus Ouest ou Sud- Ouest. Il semble, et l’on verra pourquoi plus tard, que les souvenirs de la patrie première sont plus confus dans ces îles que partout ailleurs. 11 est bien évident, comme l’ont dit les ethnologmes, que ce nom n’a été imposé à l’île principale des Sandwich, qu’en souvenir de la patrie commune ; mais là, com- me ailleurs, rien de plus que l’analogie existante entre Savaii et Hawaii, ne dit que le dernier mot dérive du pre- mier. D’après la philologie, tant invoquée par M. Haie, il est à supposer qu’ils viennent plutôt l’un et l’autre d’un troi- sième. Nous ferons remarquer, en outre, à cette occasion, que la LES POLYNÉSIENS. 265 manière d’écrire et de prononcer ce mot Hawaii aux Sand- wich pourrait être considérée comme un indice que ces îles n’ont dû recevoir les premiers émigrants de Tahiti que longtemps après le départ des premiers émigrants de la même île pour les Marquises, mais qu’elles ont reçu ces émigrants de Tahiti, avant ceux qui paraissent avoir été fournis aussi par les îles Marquises. Il doit sembler pro- bable, en effet, que puisque les Sandwich ont adopté ou conservé la forme tahitienne de leur nom, c’est que cette forme leur est arrivée la première ; dans le cas contraire, c’est-à-dire les colonies des Marquises arrivant les pre- mières, il est à croire qu’elles auraient pris et g-ardé la forme Havaïki, employée par ces îles. Dans les Samoa, c’est le mot Savaii qui est l’équivalent des mots précédents. Si ce mot s’écrit Savaii, pendant qu’un autre est écrit ou prononcé Hawaii ou seulement Havaï, c’est que les habitants des îles Samoa remplacent, dans leur dialecte, le h expiré des autres archipels, par ]e s, de même qu’ils remplacent, avec ceux de Tahiti et de beau- coup d’autres îles, le 10 par un v simple, etc. Nous avons remarqué nous-même aux îles Tung’a, comme à Tahiti, que quand les indigènes veulent parler de l’île Savaii, ils ne l’appellent que Havaii ou simplement Havaï, comme l'a écrit le tahitien Mare, dans l’essai de mythologie qu’il a donné au g-ouverneur Lavaud. Il en est de même pour tous les autres noms des îles prononcé par les Tahitiens ou les Tong,ans ; le nom de tout le groupe n’est plus que Hamoa ou mieux Haamoa, au lieu de Samoa que lui donnent les habitants. Enfin, à la Nouvelle-Zélande, c’est encore sous la forme Hawahiki qu’est connu le nom de la terre d’origine com- mune, comme le prouvent tous les faits venus, dans ces dernières années, à la connaissance des ethnologmes. Mais là seulement, au lieu d’être prononcé avec douceur, comme dans les îles Samoa, ce mot est prononcé au contraire avec une forte expiration et, fait bien plus remarquable, c’est toujours dans l'Ouest ou Couchant, par rapport à l’Ile-Nord 266 LES POLYNÉSIENS. de la Nouvelle-Zélande, que ce lieu d’origine première se trouvait plané d’après les traditions. En résumé, tous ces mots semblent bien appuyer cette as- sertion de M. Haie: « Ils sont les noms du pays d’origine, » et même <* ils dérivent les uns des autres. » En effet, il y a non seulement, analogie de son et d’ orthographe, mais analogie de sigmification et rapport géographique : On ne peut le nier, Savaii est placée plus à l’Ouest que toutes les îles polynésiennes où ses colonies paraissent être allées s’établir ; et si Ton tient compte de l’assertion de Tupaia, on peut très bien admettre, qu’ après avoir perdu le souve- nir de la patrie première, ces colonies n’ont voulu propager que le nom de leur dernier point de départ, Savaii. Mais, si telle est bien la signification de tous ces mots, rien n’indique qu’ils dérivent, comme le dit M. Haie, du mot Savaii ; la lingmistique elle-même vient plutôt prouver le contraire, c’est-à-dire que c’est Savaii qui dérive d6 l’un des autres mots. La logique veut que le mot le plus émas- culé et le plus adouci dérive du plus mâle et du plus com- plet. Nous allons donc maintenant essayer de démontrer, contrairement à l’opinion de M. Haie, que non-seulement les autres mots ne sont pas des dérivés du mot Savaii, mais que celui-ci, de même, que tous les autres, dérive du mot Hawahiki. Si ce que nous allons dire suffît à cette démonstration, nous aurons réfuté en même temps l’hypothèse du peu- plement de la Nouvelle-Zélande par les îles Samoa. M. Haie, il faut le remarquer, a reconnu que Savaii n’é- tait point la terre d’origine, mais seulement la première étape des émigrants qui, suivant lui, venaient des îles asia- tiques. Or, il donne à cette terre d’origine le nom de Borctou ; mais, il faut en convenir, cela ne suffît pas pour faire comprendre comment Savaii n’est, comme il le dit, que le nom de cette terre d’origine première. Sa déduction eût été plus légitimée, s’il eût expliqué comment les émi- grants, pour conserver le nom de la patrie, avaient donné à l’île, la première rencontrée par eux, un nom qui n’était pas LES POLYNÉSIENS. 267 celui de cette patrie. Il est à regretter que M. Ilale ne se soit pas aperçu de cette lacune ; il est probable qu’elle l’eût mis sur la voie de la véritable situation du lieu qui a servi de point de départ. Suivant nous, la cause du silence de M. Haie provient de l’erreur propagée par Mariner, qui, le premier, a dit que le point de départ des Polynésiens était appelé Borotu. M. Haie a adopté cette opinion toute faite, comme tant d’au- tres, depuis lui ; mais, comme nous l’avons déjà dit, ce mot Borotu n’est qu’un mot purement mélanésien, adopté plus tard par les Polynésiens pour remplacer le nom qu’ils donnaient d’abord au pays de leurs ancêtres, et qui, en effet, était celui qu’ils ont voulu rendre par le mot Savaii. Puisque ce dernier nom a été porté dans toutes les îles plus orientales que les Samoa, par les colonies sortant de ces îles, il faut nécessairement admettre que ces essaims se sont opérés avant l’adoption du mot Borotu : autrement on eût retrouvé ce dernier dans quelques îles. Or, on l’a vu, celui qui existe est partout un équivalent du mot Savaii, jamais du mot Borotu. On le sait, il n’y a absolument que les îles Samoa et Tung*a qui, aujourd’hui, se servent de ce mot pour désigner le pays des ancêtres ; ce sont justement les îles qui avoisi- nent le plus les îles mélanésiennes, où ce mot est employé pour désigner le séjour des dieux et des âmes. Si les colo- nies issues des Samoa ont propagn le premier nom plutôt que le second, c’est donc, nous le répéterons, qu’il était le seul existant au moment de leur départ, et qu’il était véri- tablement le nom du pays d’origine. Ce n’était certainement pas, comme le prétend M. Haie, pour conserver le nom de l’île Savaii que les colonies ré- pandaient ce nom à mesure quelles s’éloignaient : c’était tout simplement pour rappeler le nom de la patrie primi- tive, qui ne s’appelait pas plus Borotu que Savaii, mais bien Hawahiki. Il y aurait d’ailleurs une autre difficulté à cette explica- tion de M. Haie, ce serait de comprendre comment le mot 268 LES FOLYNÉSIENS. qui, suivant lui. est celui de Savaii, aurait pris, dans quel- ques archipels, une prononciation aussi dure. Il semble que s’il eût été apporté par des colonies de Savaii, il aurait dû au moins conserver la douceur de prononciation qu’il a aux Samoa. Evidemment, cela doit faire conclure que ce mot Savaii ne s’est ainsi transformé qu’après le départ des colonies qui ont porté les mots Havaï, Havaïki et Havaii aux îles de la Société, Marquises et Sandwich, Il faut inférer de tout cela, ainsi que nous l’avons déjà dit, que si l’un de ces mots dérive de l’un des autres, c’est plutôt le mot le plus modifié et se prononçant avec le plus de douceur qui dérive du mot le plus complet et se pro- nonçant le plus durement. C’est donc plutôt Savaii qui dé- rive d’Hawahiki, que Hawahiki de Savaii. Cette conclusion, on le voit, est complètement opposée à celle de M. Haie. Non seulement si Hawahiki était dérivé de Savaii, comme le pense M. Haie, on ne s’expliquerait pas sa rude pronon- ciation, mais, fait plus important, on ne s’expliquerait pas surtout la position que les Nouveaux-Zélandais de l’Ile— Nord donnent au pays de leurs ancêtres, ainsi appelé par eux, et qu’ils placent plus à l’Ouest encore que leur île. Il est évident que si les Maori de l’Ile-Nord étaient venus des îles où M. Haie place leur point de départ, c’est-à-dire de Savaii, dans les Samoa, ils n’auraient pas pu dire, comme ils le font dans leurs traditions, que leur pays d’origine se trouvait dans l’Ouest par rapport à eux. (1) Dans ce cas, en effet, il seserait placé dans le N. N.-E. c’est-à-dire dans une direction tout-à-fait opposée. Cette circonstance suffit à elle seule pour faire douter de l’exactitude de l’interpréta- tion de M. Haie. Qu’en conclure, en somme ? C’est que la dérivation de ces mots n’est pas, aussi sûrement qu’on le croit générale- ment, celle qu’a donnée M. Haie, et que Savaii est le dérivé de l’un des autres, plutôt que Hawahiki. Bientôt nous ferons voir que ce dernier mot n’est, comme le sont également tous les autres, qu'un composé de mots distincts, signifiant bien patrie, pays d’origine, mais sans (1) Voir Sir Grey, Légende de V émigration de Turi , LES POLYNÉSIENS. 269 préciser autrement le lieu, sans dire si c’est une île ou seulement quelque partie de cette île. On verra, en même temps, que ce nom, fût-il celui d’une contrée, ne le devien- drait qu’à la condition de le décomposer en plusieurs mots, et que, par conséquent, il a, dans tous les cas, été mal orthographié jusqu’ici par tous les voyageurs. M. Haie s’est également appuyé sur l’assertion de Tupaia que Savaii était la mère des autres îles. Cette assertion, il faut bien le reconnaître, a probablement servi, plus encore que la linguistique, à donner plus de créance à l’opinion du savant américain. Mais nous croyons qu’elle, non plus, n’a pas l’importance qu’on lui a généralement accordée ; c’est ce que nous allons essayer de démontrer. Malgré ses connaissances géographiques, malgré ses pérégrinations, Tupaia, en effet, ignorait probablement l’existence exacte des îles Sandwich, ainsi que celle de la Nouvelle-Zélande, qu’il ne devait voir qu’avec Cook, à la fin du premier voyage de ce navigateur. (1) Quand il pla- çait sur la carte, dictée et donnée par lui à Banks, une île Oheavaï, dans l’Ouest de Tahiti, il ne faisait et ne pouvait faire allusion qu’à la terre d’origine première ou Hawa- hiki, mot qui se rend par Havaï, dans les îles de la So- ciété. Les traditions de ces îles faisant venir de l’Ouest les premiers habitants du groupe, il était tout natu- rel qu'il plaçât cette île Oheavai dans cette direction. C’est même probablement cette position qui a porté Banks et les premiers navigateurs à attribuer à l’île Savaii, ce que Tupaia n’avait pu vouloir dire que de la patrie pre- mière, placée, de même que Savaii, dans l’Ouest de Tahiti. Ceque Tupaia dit de l’étendue de l’île portée sursacartesous le nom de O-Hea-Vai, ainsi du moins que l’ont écrit les An- glais, prouve bien que ce n’était qu’une erreur d’interpré- tation, faite par les Européens, et qu’il ne pouvait s’agir de (1) Cependant nous montrerons, quand nous étudierons dans tous ses détails la carte de Tupaia, que non seulement T Archipel des Sandwich ne devait pas être complètement inconnu du grand- prêtre tahitien, mais peut-être même celui de la Nouvelle-Zé- lande, qu’il semble avoir désigné traditionnellement. 270 LES POLYNÉSIENS. Savaii. Il l’indique quatre fois plus grande que Tahiti. Or, comme Tupaia connaissait parfaitement Savaii, qui n’a que le double d’étendue, il faut bien conclure qu’il n’a pu vou- loir parler de cette île, car il l’eût fait alors avec plus d’exactitude. (1) Presque certainement, au contraire, il n’a voulu parler que de l’île d’où, étaient venus ses ancêtres, île qui lui était inconnue, mais que les traditions plaçaient dans l’Ouest de Tahiti. Quand on saura quelle est cette con- trée d’origine, on verra, en effet, quelle a au moins l’éten- due signalée par lui. Pour nous, les paroles de Tupaia ne s’appliquaient donc bien probablement qu’au pays d’origine première, que M. Haie croyait avoir retrouvé dans l’île Boro des Moluques. 11 est vrai pourtant, et c’est sans doute ce quia induit en erreur les ethnologues, que Tupaia, qui ne connaissait pas de visu de terre plus à l’Ouest que Savaii et les Fiji, et qui attribuait, avec raison, à Savaii et aux autres Samoa la provenance de ses ancêtres (2), aurait pu vouloir parler de cette île en l’appelant « la mère des autres. » Mais alors il n’aurait certai- nement voulu parler que des îles qu’il connaissait et qu’il a fait connaître à Banks, c’est-à-dire toutes les îles plus orientales que les Samoa. Il aurait d’autant moins pu son- ger à faire peupler par Savaii certaines îles de l’Ouest, qu’il en ignorait sans doute l’existence. En un mot, nous croyons qu’en disant que les îles de la Société, comme les autres îles plus à l’Est, avaient été peu- plées par Savaii, Tupaia ne considérait pas pour cela cette île comme la « mère» des îles plus occidentales qu’elle. Cette opinion, il est vrai, est bien celle que les voyageurs et les ethnologues européens lui ont attribuée, mais nous espé- (1) Ce n’est pas une objection pour M. de Quatrefages, qui glisse rapidement sur cette difficulté. (Y* l'Espèce humaine , Ch. XVII.) (2) Nous avons montré précédemment que cela résulte de cer- tains mots tels que Havai , Upolu, Orohena , Manunu , etc. retrou- vés dans les îles de la Société, plus encore que des traditions elles- mêmes. (Yoy. vol. Il, p. 327, 329, 336, etc.). LES POLYNÉSIENS. 271 rorts. que ce que nous venons de dire fera douter de son exactitude. Ainsi s’écroule le témoigmage sur lequel M. Haie et ses partisans s’appuient le plus pour soutenir l’origine polynésienne des Maori ; et si notre étymologie des mots qui, d’après Haie lui-même, sont la clef des migrations, est exacte, il ne resterait plus à réfuter que des témoignages de trop peu de valeur pour qu’il soit nécessaire de nous y arrêter ici ; nous lavons déjà fait d’ailleurs pour quelques- uns, et nous aurons plus tard l’occasion de réfuter égale- ment les autres. Si un même nom est donné par tous les Polynésiens au pays d’origine, ce n’est point parce qu’il dérive de Savaii, comme le dit M. Haie, mais seulement parce que partout, comme nous l’avons fait pressentir, il signifie, quelle que soit sa forme, « patrie, pays nourricier. » C’est cette étymologie seule qui permet de comprendre comment il se fait que les Polynésiens, quoique venus dans leurs îles de directions différentes, les uns de l’Ouest, d’au- tres du Sud, comme les habitants des Sandwich, par exem- ple, d’après leurs propres traditions, ne placent pas moins tous la patrie première au couchant. Car il faut le remar- quer, les habitants des Samoa et des Tunga, qui se servent d’un nom différent, ne font même pas exception. Tous, en ne faisant pas allusion au mot Savaii seulement, comme l’a cru M. Haie, mais bien au nom du pays d’origine première, qui était placé dans l’Ouest, tous pouvaient, en effet, em- ployer ce mot, quelle que fût la position relative, même les habitants de l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande, qui n’au- raient pu le faire, s’ils fussent venus des îles Samoa, comme le croit M. Haie. Nous l’avons déjà dit, et nous croyons devoir le dire en- core, c’est dans la direction du Couchant que tous les Po- lynésiens, Samoans et Tongans comme les autres, placent leurpays d’origine. Cette circonstance, à elle seule, suffirait, s’il n’y en avait pas tant d’autres, pour faire inférer, comme on l’a tant dit depuis quelque temps, que c’est de l’Ouest vers l’Est que les migrations se sont opérées ; mais elle fait 272 LES POLYNÉSIENS. en même temps supposer que la Nouvelle-Zélande n’a pu recevoir ses habitants de Savaii, puisque cette dernière île se trouve dans le Nord-Est par rapport à elle. Il eût fallu, pour cela, d’abord que les émigrants fissent exception à la marche généralement suivie, ce qui est peu probable ; ensuite qu’ils se rendissent à la Nouvelle- Zélande (Ile-Nord), avec des vents qui sont le plus sou- vent violents et contraires, ce qui n’est guère possible ; puis qu’ils traversassent, sans s’y arrêter, les archipels Tunga et Fiji qui barrent la route, ce qui n’est guère croyable. Ils n’eussent pu le faire d’ailleurs qu’avec des vents de la partie de l’Est, et dans ce cas, il est certain que des canots, au moins quelques-uns, seraient allés aborder h la Nou- velle-Hollande, entraînés involontairement. Or, nous l’a- vons dit déjà, aucune des traditions des divers archipels polynésiens ou mélanésiens, ne parle de semblables en- traînements, pas même les traditions maori, qui contre- disent ainsi un fait, que l’absence complète d’animaux polynésiens dans cette contrée rend encore moins admis- sible. Enfin, parmi les autres faits s’opposant à la venue des Néo-Zélandais directement des Samoa, il faut ajouter, avec M. Gaussin (1), que le rapport existant entre le dialecte Néo-Zélandais et celui des Samoa exige un autre inter- médiaire. Pour tous ces motifs, nous ne croyons donc pas qu’on puisse admettre l’hypothèse de M. Haie. Dans le but d’appuyer son hypothèse, le savant améri- cain a rapporté que, vers l’année 1740, une colonie de Poly- nésiens est arrivée à la Baie des lies, venant, dit-il, d’Ha- wahiki, et il en a conclu que l’émigration de la Polynésie à la Nouvelle-Zélande, n’a eu lieu qu’à une époque très peu reculée. Mais M. Thompson s’est chargé de réfuter cette nouvelle assertion. « Des recherches personnelles faites avec le plus grand soin en 1850, sur le point même où M. Haie avait obtenu ce renseignement, m’ont mis à même, (1) Ouvr. cité, p. 279. LES POLYNÉSIENS. 273 dit-il, d’avancer qu’il a été mal informé ; car aucune mi- gration moderne n’a eu lieu de la Polynésie à la Nouvelle- Zélande. Seulement, vers l’année 1830, un canot chargé d’é- migrants partit de l’île Mayor, dans la Baie d’ Abondance pour Hawahiki, et depuis on n’en a jamais entendu par- ler (l). » Gomme on voit, ce serait tout le contraire. Peut-être pourrions-nous, dès à présent, clore l’examen des diverses hypothèses concernant l’origine polynésienne des Nouveaux-Zélandais, car les trois que nous venons d’exposer, résument assez complètement les opinions fon- damentales sur cette question. Mais, comme depuis la dernière hypothèse, plusieurs au- torités, plus ou moins compétentes, sont venues lui faire subir quelques modifications, nous ne croyons pas devoir nous dispenser, avant d’arriver à notre propre hypothèse, d’examiner avec soin les témoignages nouveaux sur lesquels on s’est appuyé pour soutenir la provenance polynésienne des Maori. En suivant, comme toujours, l’ordre chronologique, nous commencerons par l’examen de l’opinion de M. Gaussin ; puis, nous arriverons successivement à celles de MM. Short- land, Grey, Taylor, Thompson et de Quatrefages, 4e hypothèse : Origine Samoane indirecte. — La première modification apportée à l’hypothèse de M. Haie est due à un écrivain de mérite, M. Gaussin, ingénieur hydrographe de la marine, qui a commencé sa carrière en 1843 en Océa- nie, et qui a publié, dix ans après, le livre qui lui a valu Je prix de linguistique fondé par Yolney (2). Ce n’est, par le fait, qu’une des variantes de l’hypothèse de M. Haie, mais elle réunit si bien les trois hypothèses précédentes, qu’on peut la considérer comme originale. Avec Dieffenbach, en effet, M. Gaussin admet que les pre- miers habitants de la Nouvelle-Zélande ont été amenés par (1) The Story of the New-Zealand,vo\ . I, p. 63. (2) Du dialecte de Tahiti , des îles Marquises et en général , de la langue polynésienne. Paris 1853. 18. 274 LES POLYNÉSIENS. trois canots venant de l’Est ; avec Haie, que ces canots étaient partis des îles Samoa plutôt que des Sandwich, et qu’ils commencèrent par passer par des îles plus orientales ; enfin, comme le croyait d’Urville, que de là les canots se rendirent directement à la Nouvelle-Zélande. * « Les traditions à la Nouvelle-Zélande établissent avec certitude, dit-il, (1) que la Nouvelle-Zélande a été peuplée par • des hommes venus de l'Est dans trois canots. » Et il ajou- te : a Cook appelle le lieu de départ Heavise et M. Haie voit avec raison Hawahiki dans ce nom. En effet la même tradi- tion est rapportée par Dieffenbach et, d’après ce voyageur, Hawahiki est l’île d’où sont venus les trois canots qui appor- tèrent dans l’île les premiers habitants. » Nous avons montré précédemment ce que cette dernière assertion de Dieffenbach avait d’inexact : il est inutile de nous y arrêter de nouveau ici. Mais ce que nous devons faire remarquer, c’est que, tout en reconnaissant le rapport frappant signalé par Dieffenbach, M. Gaussin ne croit pas que la distance qui sépare les îles Sandwich de la Nouvelle- Zélande ait pu permettre aux pirogues polynésiennes d’ef- fectuer un pareil voyage (2). Il fait la même objection à Ho- ratio Haie qui admet que les émigrants pour la Nouvelle- Zélande sont partis directement de l’île Savaii. Il préfère adopter l’opinion qu’ils proviennent d’une île Hawahiki, qui ne serait autre que l’ile Savaii dans les Samoa, mais sans remarquer, lui non plus, que si les migrations s’étaient bien faites de l’Est, comme il le dit, ce ne pourrait pas plus être de l’île Savaii que des Sandwich, puisqu’il n’y a rien dans l’Est de la Nouvelle-Zélande, et qu’il n’y a, dans le Nord- Est, que les îles de Cook, Rapa, Tupuai, Tahiti, etc. Aussi, comme Dieffenbach l’a fait pour les Sandwich, en supposant que les colonies commencèrent par se rendre à l’île de Pâques, M. Gaussin, pour prévenir sans doute cette diffi- culté, fait d’abord passer les émigrants des Samoa à la (1) Ouv. cité, p. 277. (2) Ibid. p. 278. LES POLYNÉSIENS. 275 Nouvelle-Zélande par des îles plus orientales que leur point de départ. Voici ce qu’il dit à ce sujet : « Nous ferons la même objection à M. Haie qui suppose les Nouveaux-Zélan dais venus directement de l’île Savaii. Nous préférons admettre que ces migrations ayant eu lieu à une époque où les colons gardaient encore le souvenir récent de Savaii, leur première patrie, ils ont, dans leurs colonisations successives à la Nouvelle-Zélande comme aux Marquises et aux îles Sandwich, attaché une importance secondaire aux îles d’où ils venaient en dernier lieu. D’ail- leurs il est une raison qui ne permet pas de rattacher sans intermédiaire les Nouveaux-Zélandais aux habitants des îles Savaii, c’est le rapport qui existe entre leur dialecte et ceux de la Polynésie orientale. Il faut en outre remarquer que la tradition porte que les premiers habitants de la Nou- velle-Zélande sont venus d’une île située à l’Est. » Il termine en disant : (1) Les traditions que nous venons de rapporter établissent donc qu’il y a eu une île primitive- ment nommée Hawahiki, qui a été, dans la Polynésie, le pre- mier point de départ des Polynésiens. On pourrait, eu égard à la conformité des noms, voir cette île dans Hawaii des îles Sandwich, aussi bien que dans Savaii des Iles Sa- moa. Mais l’éloignement de Hawaii, le souvenir que les Polynésiens paraissent avoir gardé de l’archipel Samoa, et l'ignorance des Tahitiens relativement à l’existence des îles Sandwich, car on peut remarquer que cet archipel n’est pas porté sur la carte de Tupaia, décident la question en faveur de Savaii. » Et il avait dit un peu plus haut (2) : « La discussion que M. Haie a faite des traditions de cha- que île, ne permet point de douter que ce ne soit Savaii qui ait été le point de départ des Polynésiens orien- taux. » De sorte, que pour M. Gaussin, les émigrants de Savaii, avant d’arriver à la Nouvelle-Zélande, se seraient arrêtés dans des îles plus orientales que les Samoa, c’est-à-dire (1) Ibid. p. 279. (2) Ibid. p. 273. 276 LES POLYNÉSIENS. les îles de la Société, Tubuai, ou tout au moins les îles Hervey ; ce serait de là que, sans en retenir le nom et pen- dant qu’ils conservaient encore celu de la patrie première, Savaii, ils auraient gagné la Nouvelle-Zélande. M. Gaussin ne désigne aucune île ou groupe d’îles en particulier ; mais il est bien probable que c’est des îles Hervey qu’il a voulu parler, en en jugeant par l’appui que nous lui verrons don- ner plus tard à cette même hypothèse, empruntée à Thomp- son, par M. de Quatrefages. M. Gaussin qui, ainsi qu’on a pu voir par nos premières citations, ne croit pas à la possibilité d’un voyage direct de Savaii àl a Nouvelle-Zélande, en raison de la grande distance qui sépare ces îles, admet donc que ces voyages ont pu être faits en partant d’îles plus à l’Est, et par consé- quent plus éloignées. Il est certain que, de ce côté, les émigrants de Savaii n’au- raient pas eu l’obstacle que présentent les deux archipels Fiji et Tunga à une route directe vers la Nouvelle-Zélan- de, et que, malgré cette distance, le voyage est plus facile à comprendre. Mais, comme nous l'avons déjà dit, une pa- reille route aurait été faite contre les vents alisés ordi- nairement régnants, et en sens inverse des autres émigra- tions : cela suffirait, quand il n’y aurait pas tant d’autres témoignages contraires, à faire douter de sa possibilité. On verra du reste bientôt, quand nous en serons à l’hypothèse de M. Thompson, quels faits doivent empêcher d’accepter une opinion qui, d’ailleurs, est à peine formulée ici, et qui ne s’appuie guère que sur celle de Dieffenb^ch, que nous croyons avoir suffisamment réfutée. Pour M. Gaussin, comme pour nous, c’est avec les vents de la partie de l’Ouest que les migrations se sont opérées vers l’Est ; seulement il les fait venir directement de l’Ouest, c’est-à-dire de la Malaisie ; il accepte par consé- quent l’ancienne opinion émise à ce sujet, mais sans ap- porter aucun fait nouveau à l’appui ; (1) tandis que nous (1) On a vu précédemment, d’après M . Garnier l’impossibilité de la provenance des Polynésiens soit de la Malaisie, soie de l’Asie, ec sa réfutation de ropinion de M. Gaussin. LES POLYNÉSIENS. 277 les croyons venus du Sud-Ouest, comme nous espérons le démontrer bientôt. Ce qui prouve que M. Gaussin a bien voulu indiquer la Malaisie en parlant de l’Ouest, c’est ce qu’il dit de l’impossibi- lité de remonter contre les vents : « Nous pensons, comme la plupart de nos devanciers, dit-il, que les migrations ont dû se faire de l’Ouest à l’Est. Cette direction étant con- traire à celle des vents alisés, quelques auteurs regardent comme impossible que les Polynésiens aient réussi à re- monter contre le vent et à gagner les îles de l’Est ; nous reconnaissons que, avec les moyens qu’ils ont aujourd’hui, de semblables voyages ont dû être en effet, très difficiles ; mais il suffit que, sur cent expéditions, une seule ait réussi. C’est ce qui a pu arriver lorsqu’une des pirogmes doubles, montée par des marins habiles et entreprenants, aura pro- fité des vents d’Ouest qui, dans l’Océan Pacifique, souf- flent quelquefois avec persistance. » 5e Hypothèse : Origine hawaienne et samoane. — On a vu que Dieffenbach faisait venir les Nouveaux-Zélandais des îles Sandwich, en passant par l’Ile de Pâques, c’est-à- dire qu’il leur donnait une provenance orientale ; Haie, des îles Samoa, par une route directe ; M. Gaussin, des mêmes îles en les faisant passer d’abord par des îles plus Est, c’est- à-dire par une route indirecte. Maintenant nous allons voir un écrivain anglais emprunter quelque chose à cha- cune de ces hypothèses, et faire venir à la fois les Nou- veaux-Zélandais des îles Sandwich, des îles Samoa, du Nord-Est, de l’Est, et même de Tahiti avec d’Urville. Cet écrivain est le docteur E. Shortland, long-temps rési- dent à la Nouvelle-Zélande et particulièrement à Maketu, dans la Baie d’Abondance, en qualité de protecteur des indig-ènes. Il publia d’abord, en 1851, un livre intitulé « Les districts Sud de la Nouvelle-Zélande », (1) et ce fut en 1854 que pa- rurent pour la première fois ses « Traditions et Superstitions (1) The Southern districts of New-Zealand , London, 1851. 278 LES POLYNÉSIENS. des Nouveaux-Zélandais, (1) » ouvrage quia été réédité en 1856 avec beaucoup d’emprunts faits à l’ouvrage précieux de Sir Grey, qui avait paru dans l’intervalle, et dont nous aurons plus tard à parler longuement. Résultat d’une longue résidence et d’une étude suivie, l’ouvrage de M. Shortland est du plus haut intérêt. Le premier, il donne, quoique d’une manière incomplète, le texte des traditions maori les plus importantes touchant le lieu d’origine des habitants. Ces traditions étant les mêmes que celles que Sir Grey a fait connaître avec plus de dé- tails, nous ne nous y arrêterons pas ici. Mais nous dirons dès à présent que leur concordance, dans les principales circonstances, avec celles de Sir Grey, Taylor et autres, leur donne une valeur qu’on ne peut méconnaître et qui doit aider singulièrement à remonter à l’origine des Nou- veaux-Zélandais. M. Shortland, comme ses prédécesseurs, commence par dire que les Maori sont arrivés d’une terre appelée Hawa- hiki. « Les traditions nous apprennent, dit-il (2), que les ancêtres delà race actuelle sont venus d’une île éloignée, appelée Hawahiki, située dans le Nord ou le Nord-Est de la Nou- velle-Zélande, ou d’un groupe d’îles dont l’une porte ce mi oi)i. On n’a trouvé, parmi les indigènes, aucun souvenir d’une autre provenance, et les traditions s’accordent, au contraire, à dire que la migration venait d’Hawahiki. » Ainsi, il n’admet qu’un Hawahiki ; mais il semble em- barrassé entre Savaii et Hawaii, comme représentant cette terre : c’est sans doute ce qui lui fait adopter aussi bien l’une que l’autre. « Il y a quelque intérêt, ajoute* t-il plus loin (3), à recher- cher où se trouve Hawahiki, l’île de laquelle les Nouveaux- Zélandais disent que leurs ancêtres sont venus. La réponse (1) Traditions and superstitions of the New-Zealanders , Wich illustrations of their manners and customs. London, Longman 1854. 2e é dit. 1856. (2 ) Traditions, etc., p. 2. (S) Ibid. p. 3 3. LES POLYNÉSIENS. 279 que nous pouvons faire n’est que conjecturale. Mais il y a des raisons de croire que l’île à laquelle il est fait allusion était, soit la principale du groupe des îles Sandwich, dite Hawaii par les habitants actuels, l’Owaihee de Cook ; soit l’une des îles des Navigateurs dite Savaii par ses habitants : ces formes de prononciation sont des différences dialecti- ques de la prononciation Hawahiki des Nouveaux-Zélan- dais. » Comme on voit, il admet sinon deux origines, du moins deux points différents comme ayant pu fournir les émigrants à la Nouvelle-Zélande, mais il laisse au lecteur à choisir, tout en montrant qu’il penche pour les îles Sandwich. En effet, supposant que les migrations premières sont parties des îles Philippines, il les fait d’abord arriver dans les îles Carolines et Mariannes, puis, de là, aux Sandwich, et des Sandwich aux autres îles polynésiennes. La preuve la plus convaincante, dit-il, de cette provenance asiatique, c’est l’analogie qui existe dans les langages, qui sont cons- truits d’après les mêmes principes grammaticaux, et offrent plusieurs points de contact sous d’autres rapports. Des Sandwich, il les conduit sans difficulté aux Marquises et aux Iles de là Société, car-dit-il encore (1) : « Dans ce voyage un canot ne rencontre pas les difficultés qui existent pour aller des Philippines aux Sandwich, et le vent de Nord-Est oblige les partants de ces îles à aller vers les plus orien- tales de la Polynésie. * « Supposons, ajoute-t-il encore, qu’une flottille de ca- nots, comme ceux dont parlent les traditions maori, ait été équipée pour un voyage de découvertes, à l’aide de tous les moyens au pouvoir des indigènes et qu’elle se soit dirigée vers le Sud. Quelques-uns d’eux tomberont probablement sur quelqu’une des îles de la Polynésie tropicale, tandis que quelques autres passeront au travers de toutes, en allant du Nord sur le Sud, sans en rencontrer une seule. Ces derniers canots, en rencontrant les vents alisés du Sud- Est, seront dans la nécessité de faire un peu plus d’Ouest, (1) Ibid. p. 104. 280 LES POLYNÉSIENS. ce qui les conduira vers la Nouvelle-Zélande ; et si le voyage était fait pendant l’été de cet hémisphère, en per- dant les vents alisés, on rencontrerait le vent alors régnant, qui est le Nord et l’Est, et l’on ne pourrait pour ainsi dire pas manquer de tomber sur quelque point de la côte de la Nouvelle-Zélande, qui a plus de 600 milles du Nord au Sud, » Il est bien certain, dirons-nous à cette occasion, qu’un navire voulant aller des Sandwich à Tahiti, n’a qu’à courir le plus possible au Sud jusqu’au 16e ou 18e degré de latitude Nord ; puis, une fois là, à prendre et à garder constamment le plus près jusqu’à Tahiti. C’est la route que nous recommandait le consul Dudoit, qui était venu nous faire ses adieux avec lé roi Tamehameha, le jour de notre départ, et c’est en la suivant exactement que notre navire, après dix-huit jours de traversée, atterrit directement sur les Teturoa, petites îles qui se trouvent dans le Nord et à peu de distance de Tahiti (1). Yoilà ce que l’expérience a appris aux navigateurs euro- péens qui savent en tout temps où ils se trouvent. Mais il est certainement permis de douter que les émigrants des Sandwich aient pu recourir à cette même expérience : l’eussent-ils possédée, elle se serait trouvée à chaque ins- tant en défaut, dans l’impossibilité où ils étaient, après chaque coup de vent, de se fixer sur leur position réelle. Quoi qu’il en soit, l’explication de M. Shortland, tout insuf- fisante qu’elle paraisse, n’en est pas moins originale, et elle prouve surtout ses connaissances nautiques. On remarquera que cette supposition fait faire aux émi- grants d’Hawahiki à Tahiti une route inverse à celle géné- ralement admise depuis Haie. Son auteur prend, pour étape des émigrants des Sandwich, l’île qu’on s’accorde à regar- der comme ayant envoyé une partie des premiers colons à cet archipel, et qui, d’après ses traditions, dit avoir reçu ses premiers habitants de Raiatea. C’est d’ailleurs de Tahiti que Shortland fait arriver à la (1) Voyage du Pylade , 1840. (Inédit). LES POLYNÉSIENS. 281 Nouvelle-Zélande la colonne venant des îles Sandwich : il fournissait de la sorte un appui à l’opinion soutenue par d’Urville. Ce voyage s’était-il opéré directement ou indi- rectement ? Il ne le dit pas formellement, mais on peut croire qu’il admet la voie directe, puisqu’il parle des vents de Sud-Est comme favorisant le voyage à la Nouvelle-Zé- lande. Il ne dit pas non plus comment les émigrants qui, d’a- près lui, (l) seraient partis de Savaii, la plus grande et la plus Ouest des îles des Navigateurs, pour aller à la Nou- velle-Zélande, ont fait le trajet : mais de son silence meme on peut conjecturer qu’il admettait une route directe. Shortland appuie d’ailleurs sa double hypothèse sur les témoignages fournis par Ellis, Kotzebüe et autres. Mais il laisse voir qu’il croit davantage au peuplement de la Nouvelle-Zélande par les Sandwich que par les Samoa, dont le langage, dit-il avec raison, ne se rapproche pas autant de celui de la Nouvelle-Zélande que le dialecte des îles Sandwich. Il cite, entre autres, à l’appui de cette préfé- rence : la coutume du tangi (2) commune aux Sandwich et h la Nouvelle-Zélande ; les noms des dieux Tane, Rono, Tanaroa et Tu ; celui de l’île Maui ; etc. Il semble attacher une grande importance à ce fait tra- ditionnel des Nouveaux-Zélandais, que la patate douce ou Kumara, apportée par leurs ancêtres à Àotearoa ou Ile- Nord de la Nouvelle-Zélande, acquérait un plus grand vo- lume en Hawahild qu’en aucun autre endroit de l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande. Ce fait, à notre avis, ne prouve pas grand’chose, car il pouvait y avoir, et nous montre- rons qu’il y avait encore, plus au couchant que cette der- nière île, une terre qui produisait justement une forte pa- tate douce, dont le nom, anu rangi , ciel troid, semble même indiquer le climat qu’elle préférait. (1) Ouv. cité, p. 50. (2) Cette coutume consiste à crier, à se lamenter l’un sur l'autre lors du retour ou de la rencontre de quelque parent ou ami qu’on n'a pas vu depuis longtemps. 282 LES POLYNÉSIENS. Shortland fait observer, d’après Ellis(l),que dans les îles Sandwich, les Kurnara sont un des principaux moyens de subsistance, tandis que, dans les îles de la Société, elles sont moins cultivées et de beaucoup inférieures à celles des îles du Nord. Mais il faut remarquer également la note dont il accompagne son observation, car elle suffit pour expliquer ce fait : « En outre de la variété de Kurnara introduite par les Nouveaux-Zélandais et dont la racine est petite, les Européens, dit-il, ont introduit une autre variété d’Amérique, je pense, qui est bien plus grosse et d’une couleur plus claire ; mais, quoique sa culture ne réclame pas autant de soin, on n’en fait pas le même cas que de l’autre, par suite de l’infériorité de son goût. » Sans doute une variété de Kurnara, donnant aux Sand- wich de gros rhyzomes, a pu être importée par les Euro- péens et ne pas trouver là le sol qui lui convenait ; mais il n’est pourtant pas moins certain qu’à la Nouvelle-Zélande même, les variétés de cette plante étaient nombreuses, et qu’il y en avait entre autres qui, ainsi qu’une foule d’au- tres végétaux, se plaisaient mieux dans l’île la plus Sud que dans l’Ile-Nord. Ce serait donc à tort, croyons-nous, que M. Shortland aurait dit : « S’il est vrai, comme nous sommes porté à le conclure du fait précédent, que la Kuma- ra ne prospère pas dans les îles les plus tropicales de la Polynésie, qui ont un sol et un climat pareils à celui des îles de la Société, la tradition des Nouveaux-Zélandais tou- chant la grosseur de la racine apportée d’Hawahiki, quelle que soit son importance, nous porte à considérer les îles Sandwich, qui sont les plus éloignées, comme la source probable d’où est sortie la migration. » Il n’a sans doute voulu parler que de la Kurnara apportée d’Hawahiki à l’île Nord par les émigrants. On verra bientôt d’où venait cette patate douce. Enfin, pour montrer que les Sandwich et les îles Samoa ont bien probablement peuplé la Nouvelle-Zélande, Short- land s’appuie en dernier lieu sur une observation du Dr (1) Polynesian researches . p. 46. LES POLYNÉSIENS. 283 Pickering (1), d’après lequel ces deux groupes d’îles sont les seuls dans ces mers qu’on ait trouvés couverts de torrents délavés. Cette observation est inexacte : c’est ce qui a existé aux îles Fiji, dans des temps très éloignés ; la nature volcanique de ces îles n’est pas douteuse et l’action des vol- cans s’y fait encore sentir par des secousses de tremblements de terre, ainsi qu’on l’a observé à Waïnunu, Na-Savu- Savu ou Vanua-Levu, ainsi qu’à Ngau, où existent des sources d’eau bouillante, comme à la Nouvelle-Zélande. En somme donc, comme ses devanciers Dieffenbach, Haie et Gaussin, M. Shortland concluait que les ancêtres de la race actuelle des Nouveaux- Zélandais étaient venus d’une île éloignée, appelée Hawahiki, île située dans la direction du Nord ou du Nord-Est de la Nouvelle-Zélande ; ou bien encore du groupe des Samoa, qui se trouve lui-même, eu effet, dans le Nord-Est de la Nouvelle-Zélande. Mais c’était à tort qu’il s’appuyait sur les traditions quant à la direction dans laquelle se trouvait l’Hawahiki ; car si toutes les légendes donnent bien ce nom au lieu d’où provenaient les émigrants, pas une ne désigne formellement cette direction, pas même les traditions que Shortland, le premier, a fait connaître. Bien mieux, comme il nous sera facile de le démontrer, la plupart de ces traditions prou- vent que les émigrants venaient d’une direction tout-à-fait contraire au Nord-Est. Déjà nous avons fait remarquer que Dieffenbach, qui a le plus cherché à étayer cette opinion, n’a pas cité un mot des traditions qui précise cette direc- tion, et que Haie n’en a rien dit non plus. Shortland n’ap- portant aucun témoignage nouveau à l’appui, il est permis de supposer qu’il s’est contenté de répéter l’assertion de Dieffenbach, qui n’était que l’induction tirée de certains faits, mais non l’expression des traditions connues. Nous avons déjà longuement réfuté cette opinion ; nous 11e nous y arrêterons pas plus longtemps. Toutefois, avant de terminer, qu’il nous soit permis de re- lever quelques erreurs de faits : (1) Races of man7 in-4°, p. 74. 284 LES POLYNÉSIENS. Shortland cite (1) une légende qui parle de six canots ; cependant ce n’est qu’à trois seulement, mais surtout à YArawa et au Taïnui qu’il attribue le peuplement de la Nouvelle-Zélande. Ce que nous voulons surtout faire remarquer, c’est qu’il ne fait point arriver tous les canots dans le même point, auprès du Cap Est, quoique la légende qu’il rapporte le dise formellement. Cette légende, après avoir cité les six canots par leurs noms, dit, en effet, que le premier lieu abordé par eux, sur la côte Est d’Aotearoa, a été Whaiapu (2), c’est-à- dire le Cap Est de Cook. On dirait que M. Shortland a de- viné l’importance de ce fait, car il s’empresse d’ajouter en note que ce n’est pas ce que la légende a voulu faire enten- dre. Mais il ne reconnaît pas moins que 4 canots sur 6 ont abordé à cet endroit. Ce fait est surtout important pour la question qui nous occupe, car si les canots fussent venus d’un Hawahiki bien éloigné et en traversant de vastes mers, on ne comprendrait pas qu’ils eussent pu arriver pres- que tous justement dans le même point, tandis qu’il serait facile de le comprendre, s’ils n’avaient eu qu’à suivre pour ainsi dire les côtes. En effet, en longeant la côte, il aurait fallu, quelle que fût la route suivie, que tous doublassent le Cap, et, pourvu qu’un port s’y trouvât, il était tout naturel de s’y arrêter. Quant aux deux autres canots, Shortland les fait aller aborder dans un point beaucoup plus Nord, sur la même côte Est d’Aotearoa ; mais nous sommes convaincu qu’il ne le fait que parce qu’il confond un point avec un autre, Whangaparaoa avec Whangaparaua. Avec sa croyance d’une provenance polynésienne surtout, il est impossible que l’arrivée de ces canots ait pu s’effectuer dans le lieu qu’il indique, et qui se trouve à peu de distance de la rivière Waïmata, sur les bords de laquelle est bâtie la ville d’Au- (1) Ouvr. cité, p. 23. (2) Et c’est également ce que le vieux chef Hahakai cité par Taylor, (p. 194), disait pour tous les canots. (Voir plus bas, p. 288, ce que nous disons du récit fait par ce chef à Taylor.) LES POLYNÉSIENS. 285 ckland, dans le fond du golfe Hauraki. En effet, 'comment en venant de l’Est ou du Nord-Est, c’est-à-dire de la Polyné- sie, comme le croit M. Shortland, les deux canots le Taïnui et YArawa, auraient-ils pu atteindre ce port, qui est placé assez avant dans le fond du g-olfe (1), sans être arrêtés, soit par Tune des îles Grande ou Petite-Barrière, soit par les îles Mercure, d’Haussez, ou du moins sans voir forcément l’une d’elles, tant elles barrent le passag-e et tant elles sont voisines de nie Nord ? Comment, en les rencontrant après une tra- versée aussi longue que celle qu’eût nécessité le départ de la Polynésie, ne s’y seraient-ils pas arrêtés de préférence ? D’ailleurs, avant d’arriver à Whangaparaoa, en venant de l’Est ou du Nord-Est, il eût fallu commencer par côtoyer le rivage et on n’eût pas manqué de rencontrer d’autres ports, où l’on serait probablement descendu. En effet, de- puis le cap Rodney, il y en a plusieurs autres, tels que Orna et plus particulièrement la baie Kawau et la fameuse île de ce nom. On comprendrait difficilement que, venant de la mer et rencontrant nécessairement l’une des îles désignées, on ne s’y fût pas arrêté ; mais ce que Ton ne comprendrait pas surtout, ce sont les allées et venues qui ont lieu après la sortie de Whangaparaoa. On voit (2) qu’en quittant ce point, YArawa se rend à Aotea ou île de la Grande Barrière, qu’il revient ensuite à Hauraki, puis qu’il retourne à Moehau ou cap Colleville. A quoi bon retourner à la Grande-Barrière puisqu’il n’aurait pu passer, en venant de la Polynésie, sans la ren- contrer ? Puis, une fois à la Grande-Barrière, pourquoi revenir à Hauraki, où il était d’abord, pour aller à (1) Le havre de Waïtemata ou Waimata a son entrée dans le fond du golfe Hauraki, à 40 milles du havre Coromandel ; à 45 mil- les de l’entrée de la rivière Tamise ; à 40 milles de la pointe Rod- ney et à 45 milles du Cap Colleville. Il y a 40 milles du Cap Rod- ney au cap Colleville, c’est-à-dire toute la largeur du golfe. Waï- hao ou le havre Coromandel est à 25 railles du cap Colleville ; Moehau ou baie Cabbage est à moitié chemin. (2) Shortland, ouvr. cité, p. 14. 286 LES POLYNÉSIENS. Moehau, qui touche le cap Colleville ? Car la Grande-Bar- rière est assez éloignée de Hauraki, tandis qu’elle est voi- sine du cap Colleville, ainsi qu’on peut le voir en jetant les yeux sur la carte. Une légende citée par M. Shortland, à propos de l’origine des Ngati-Kahuunuunu, des Nga-Puhi et des Rarawa, semble elle-même prouver que son Whangaparaoa n’est pas le Whan- gaparaoa des légendes de Sir Grey. Cette légende dit : L’endroit où les canots Tainui , Arawa , Kurahoupo , Maiku - kura , Mahuhu et Mamari abordèrent, fut Whaiapu. Or, Whaiapu n’est autre que le cap Est, et c’est après l’avoir doublé en venant du Sud-Ouest que se trouve le Whanga- paraoa des légendes de Sir Gréy. Ce n’est, à peu près cer- tainement, que celui donr parle M. Shortland, quoiqu’il le place plus au Nord. Il est vrai que Shortland, semblant pressentir l'importance de cette citation pour l’opinion con- traire à la sienne, s’est empressé de l’affaiblir en disant en note, ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer : « Le nar- rateur ne voulait pas dire que tous les canots avaient tou- ché à Whaiapu, mais seulement le Kurahoupo et les trois autres dans lesquels étaient venus leurs ancêtres. Nous avons déjà vu, ajoute-t-il, que le Tainui et V Arawa abor- dèrent à Whangaparaoa. » Cela n est pas douteux; sa légende parle elle-même d’un Whangaparaoa, mais non de celui qu’il suppose, comme le prouvent les itinéraires si clairement rapportés par les lé- gendes de Sir Grey, et sur lesquelles nous aurons plus tard à revenir, et comme le prouve aussi la légende elle- même rapportée par Shortland pour la première fois. Mais puisque rien, dans les textes, ne vient à l’appui de l’opinion de Shortland, il faut bien reconnaître que ce n’est qu’une interprétation sans fondement. Shortland dit que le port de Whangaparaoa a été ainsi dénommé parce qu’un cachalot ou baleine a été trouvé échoué sur le rivage, et que le cachalot est appelé jparaoa ; mais il doit s’être trompé au moins d’orthographe ; en Maori le cachalot est désigné par le mot paraua et la baleine par le mot tohora} ou tohoraha . Le mot pamua qui sert à dési- LES POLYNÉSIENS. 287 gner le cachalot sert également à désigner les os de la ha- leine, ainsi qu’une sorte de bâton de commandement des chefs fait avec l’os de ce cétacé. Paraoa, au contraire, ne signifie, en Maori, que farine, et n’est qu’une transformation du mot anglais floor. Evidemment, puisque ce port a été ainsi appelé par les premiers émigrants, parce qu’ils y ont trouvé un cachalot, il faut écrire son nom Whangaparaua au lieu de Whanga- paraoa (1) M. Shortland a donc confondu le point d’ar- rivée. Shortland, après avoir dit que l’émigration d’Hawahiki à Aotearoa s’est probablement faite il y a cinq à six cents ans, ajoute (2) : « On dit que plusieurs canots partirent à la même époque pour aller à la recherche de nouvelles terres. Une partie seulement d’entre eux atteignit cette côte, et le lieu où chaque canot fut tiré à terre fut pris par les hommes de l’équipage, qui se répandirent ensuite de ce centre sur les districts les plus fertiles, jusqu’à ce qu’ils devinssent une tribu nombreuse. » Ces lignes nous paraissent avoir la plus grande importance : elles semblent témoigner en faveur de migrations faites vers d’autres îles, qui pour nous sont des îles polynésiennes, en même temps que les migrations d’Hawahiki s’établissaient à Aotearoa, et non à la Nouvelle- Zélande, comme il le dit lui aussi. Si nous suivions l’ordre chronologique, il nous faudrait parler ici des deux ouvrages les plus importants qui aient été publiés sur la Nouvelle-Zélande, la « Mythologie po- lynésienne » de Sir Grey, et « Te Ika a Maui » du Révér. Richard Taylor. Ils ont paru l’un et l’autre à Londres dans le courant de 1855, Mais nous aurons à nous arrêter longue- ment sur ces deux livres, si riches de faits pour la question (1) Peut-être aussi pourrait-on lire Whangaparoa : whanga, at- tendre, veilleiq observer ; pa, village fortifié, tomber, refluer, des- sous; roa, grand. Mais la circonstance d’un cachalot, trouvé sur la côte, doit faire préférer l’étymologie précédente; (1) Ouvrage cité, p. 304. 288 LES POLYNÉSIENS. qui nous occupe, lorsque nous leur demanderons des témoi- gnages à l’appui de notre propre système. Nous nous bornerons donc ici, avant d’aborder l’examen critique des deux variantes de l’hypothèse d’Horatio Haie soutenues par MM . Thompson et de Quatrefages, et qui complètent tout ce qui a été écrit jusqu’à ce jour sur cette question, à rap- porter le récit sur la provenance des Maori, que fit au Rév. Taylor un vieux prêtre de Parapara, sur l’Ile-Nord, nommé Hahakai. Nous ferons néanmoins remarquer dès à présent que si MM. Thompson et de Quatrefages se sont, pour appuyer leur opinion, adressés surtout à Sir Grey et au Rév. Tay- lor, ils nous paraissent avoir presque toujours dépassé le but en leur faisant dire ce qu’ils n’avaient pas dit. Nous essaierons de le prouver plus loin. Au surplus, Sir Grey n’a, au sujet de la provenance des Maori, que l’opinion de Haie ; il n’y avait par conséquent rien à en dire de nouveau. Quant à Taylor, il semble avoir celle de Dieffenbach, puis- qu’il croit que les Néo-Zélandais sont arrivés de T Ile de Pâques, en venant en dernier lieu des Sandwich et primi- tivement de l’Asie. Il n’est même pas éloigné de croire, comme nous l’avons déjà dit, qu’ils étaient Tune de ces tri - bus juives dont on n’a jamais eu de nouvelles depuis leur sortie de l’Assyrie. Le récit d’Hahakai ne dit, pas plus que les autres, où se trouvait exactement l’Hawahiki ; mais il montre du moins que le vieux prêtre de Parapara croyait lui-même à l’origi- ne polynésienne des Maori. Il nous semble n’être que l’in- terprétation d’un Néo-Zélandais ayant eu, depuis plus ou moins longtemps, des rapports avec les Européens. En somme, malgré sa distinction et ses fonctions, le vieil Ha- hakai ne parlait du lieu d’origine de ses ancêtres que d’a- près des lambeaux de traditions conservés dans sa mé- moire. « Les émigrants, disait le vieux prêtre à Taylor, étaient partis des îles appelées Hawahiki, Matatera et Wairota. » Taylor plaçait toutes ces îles dans l’Est ; mais bientôt nous ferons voir, d’après les noms mêmes que portaient ces LES POLYNÉSIENS. 280 lieux, quelle était leur véritable situation et quelle confu- sion faisait le vénérable Hahakai. Suivant lui, « les montagnes dés îles d’où leurs ancêtres étaient partis, étaient couvertes de Kumara, qui y crois- saient spontanément. » Ce fait s’est présenté, non seulement à Tahiti, aux îles Sandwich, etc., mais même dans les mon- tagnes de rile-du-Milieu de la Nouvelle-Zélande ; là, seule- ment, l’espèce était différente et portait un nom particu- lier. * Une querelle les avait fait partir, mais sans qu’ils se fussent battus, parce qu’ils n’avaient pas’ d’armes et qu’ils n’étaient pas encore une race guerrière. » On comprend difficilement que la tribu du vieux prêtre n’eût pas d’armes, à moins qu’il n’ait voulu dire, d’armes capables d’égaler celles des hommes qui venaient les attaquer. « Ils étaient arrivés sur une flotte de canots et avaient d’a- bord atterri à Whaiapu, près du Cap Est de l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande. » Nous dirons ailleurs pour quelle raison presque tous les canots ont touché dans ce point. Longeant pour ainsi dire constamment les côtes à vue, ils ne pou- vaient pas aller plus loin sans rencontrer ce cap fort avancé en mer ;• il était donc tout naturel qu’ils s’y arrêtassent. « Ce ne fut qu’à la troisième génération que Po arriva dans Tîle et se fixa à Taimaro. » Il en ressort nettement, qu’après la grande émigration, d’autres émigrations par- tielles, isolées, continuèrent, et eurent lieu même assez longtemps après la première. Celle-ci, d’après les tradi- tions, avait elle-même été précédée de plusieurs autres, telle que celle de Turi, ainsi que de plusieurs voyages de découvertes, tels que ceux de Kupe, de Ngahue, etc. Le même vieux prêtre disait à M. Taylor : « Dans une île voisine des leurs, il y avait des bêtes qui portaient les hommes sur leur dos, et dans plusieurs de ces îles, il y avait des haches ayant des trous par lesquels passaient les man- ches, de manière à n’avoir pas besoin de les amarrer comme les leurs. » Ici, il faudrait se transporter évidemment vers l’Asie ou l’Amérique, ou tout au moins vers les îles Malai- siennes, pour trouver le pays dont Hahakai aurait voulu m 19. 290 LES POLYNESIENS. parler, si ce n’ était pas tout simplement un récit, n’ayant d’autre base que ce que les Européens ont montré et qu’ils ont rapporté eux-mêmes. Ce qui doit le faire croire davantage encore, c’est ce que dit ensuite Hahakai : « Dans une autre île du voisinage, il y avait des hommes dont la peau était tout-à-fait noire ; ils allaient tout nus et n’avaient même pas, le plus souvent, de tablier devant eux.» Il n’y a peut-être pas un seul peuple qui ne recouvre plus ou moins quelque partie de leur corps, et particulièrement une, comme le prouverait au besoin le fait rapporté en latin par Claret de Fleurieu (1) et emprunté par lui à M. Labé, compagnon de Surville. A moins donc que Hahakai n’ait voulu parler des habitants de la Nou- velle-Hollande qui, en effet, abritent plutôt leur dos que les autres parties de leur corps, nous croyons que cette asser- tion n’est qu’une réminiscence de narration européenne. Il en est de même de l’assertion suivante : « Dans une autre île encore , il existait des hommes ayant des cheveux roux, qu’ils enduisaient d’huile de noix de co- cos ; ils portaient des vêtements faits en écorce d’arbre. » On sait aujourd’hui que les cheveux roux ne se trouvent naturellement que chez les Albinos de toutes les contrées. Quand on en trouve de pareils en Polynésie, c’est que cette couleur, comme les couleurs rouge ou blanche, est procurée par l’art. Toutefois ce que le vieux prêtre dit de l’usagede l’hui- le de cocos et des vêtements en écorce d’arbre, est plus àremar- quer, car ce fait n’appartient qu’aux îles Polynésiennes ou Malaisiennes. Evidemment, il n’a pu vouloir parler des pre- mières, puisqu’il dit que, dans le voisinage du pays d’ori- gine, existaient des îles qui avaient l’usage des bêtes de somme et des hommes à peau tout-à-fait noire. Il faudrait donc admettre qu’il s’agissait des îles de la Malaisie ou même de Madagascar: Mais il est bien difficile de le croire. En outre, rien ne démontre que ces îles connaissaient les bêtes de somme à l’époque des migrations hawahikiennes à (1) Découvertes des Français au Sud-Est de la Nouvelle-Guinée , etc. par Claret de Fleurieu. Paris, 1790, p, 145. LES POLYNÉSIENS. 291 l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande. Quand on tient compte de toutes les différences linguistiques, anthropologiques et autres que nous avons signalées, il est vraiment impossible d’admettre que les Maori ont pu provenir dlles voisines de celles désignées par le vieux prêtre. A moins donc que quelques canots soient revenus à l’Ile-Nord de la Nouvelle- Zélande, après l’émigration vers la Polynésie, ou qu’il s’a- gisse d’un récit fait au retour d’un canot qui avait été entraîné jusqu’à Ulimarao, dans les Carolines, il faut rester convaincu que l’assertion d’Hahakai n’était encore qu’une réminiscence européenne. Le même vieux prêtre disait aussi « que leurs ancêtres avaient apporté le Tapu avec eux, c’est-à-dire leur reli- gion. » Cel« devait être ; mais, comme nous l’avons déjà fait remarquer, puisque le Tapu, sous des noms peu diffé- rents n’appartient qu’à la race polynésienne ou maori, c’est une raison de plus de la reconnaître comme une race spé- ciale ; en effet, elle ne pouvait pas prendre cette interdic- tion là où elle n’existait pas. Il ajoutait: « Ils n’étaient pas cannibales dans l’origine ; cette coutume était peu ancienne ; elle n’avait commencé que lorsqu’il était enfant ; elle n’était due, en somme, qu’à la colère et non à la faim ; elle commença dans sa tribu qui s’appelait alors Patu. » Cette assertion est démentie par les traditions, quant à l’ancienneté, puisque les plus anciennes disent nettement que cette coutume existait en Hawahiki avant l’émigration ; mais elle vient appuyer l’opinion, générale aujourd’hui, que l’anthropophagie n’est piatiquée que par vengeance ou superstition. Il faut remar- quer ici le nom que portait dans l’origine la tribu du vieux prêtre : ce mot patu signifie tuer, frapper-. Il est la première partie du nom patu-parahe que les traditions donnent aux habitants, probablement autochthones, qui ont été trouvés sur l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande, par la tribu conqué- rante des Whanganui (1). , Enfin, le vieux prqtre disait « qu’ils ne tatouaient point (1) Voir Taylor, ouvr. cité, p» 46, 49. 292 LES POLYNÉSIENS. leur visage à leur arrivée ; ils avaient seulement l’habitude de le noircir avec du charbon, comme le font encore les jeunes gens en temps de guerre ; le tatouage ne fut mis en pratique que plusieurs générations après leur venue, en un mot il n’était qu’une invention récente. » Comme il importe assez peu de savoir si cet usage est moderne ou ancien, nous ne nous y arrêterons pas. En résumé, excepté l’assertion du vieil Ariki, relative aux noms des lieux qu’il regarde comme pays d’origine, et à la situation qu’il leur supposait, toutes les autres assertions ne semblent être que des réminiscences confuses, et elles n’ont qu’une médiocre importance pour la question qui nous occupe. Mais il n’en serait plus de même si le vieux prêtre avait voulu parler d’une tribu occupant File-Nord de la Nouvelle-Zélande, (les environs de la Baie Lauriston de Sur ville), avant l’arrivée des émigrants de FHawahiki, et c’est ce qu’on pourrait croire, quand on voit le nombre de 26 générations qu’il donne à sa tribu, puisque c’est celui qui était donné aux premiers occupants de File-Nord à l’arrivée des émigrants d’Hawahiki. Telle n’a pu être l’in- tention du vieux prêtre, car il commence par dire qu’ils étaient partis de FHawahiki et de deux autres lieux qu’il ap- pelle Matatera et Waïrota ou Waïroti : ceux-ci ne sont bien probablement, comme on a déjà yu, et comme on verra mieux encore, que les mots Mataura, nom d’une rivière, et Waïota, nom d’un lac dans le Sud-Ouest de l’Ile-du-Milieu. Son récit, bien que regardé comme des plus importants par M. Taylor, n’est donc, par cela même, à notre avis, qu’un souvenir personnel, plus confus encore que beaucoup d’au- tres, et qui ne dispose guère à accorder grande confiance à ses assertions. Bientôt nous aurons à revenir sur ces lieux, et à mieux préciser encore leur situation ; mais nous nous bornerons ici à faire remarquer que ces assertions n’ont pas plus de valeur que celles de tous les auteurs qui placent FHawahiki en Polynésie, puisqu’ aucune tradition 11e vient les appuyer formellement par son texte : elles sont seule- ment une manière de voir de celui qui les exprime, mais sans la moindre preuve précise. LES POLYNÉSIENS. 293 6e Hypothèse : — Origine samoane indirecte par Raro- tonga. — Cette hypothèse est due à M. Thompson qui, en qualité de. chirurgien -mai or du 58e régiment, a résidé pen- dant onze années à lTle-Nord de la Nouvelle-Zélande : c’est après ce séjour qu’il publia l’histoire de cette contrée (lj, ou- vrage plein de faits observés et contré] és par lui-même ou empruntés à ses devanciers. En rapport avec les hommes du gouvernement comme avec les indigènes, M. Thompson s’est trouvé dans la meilleure position pour réunir les do- cuments les plus variés sur le pays et les évènements ; il eut, de plus, le rare privilège de pouvoir entendre un ancien chef de Rotorua, Mailii-te-Rangi-Haheke, resté pendant quelques années son commensal, lui faire le récit des évè- nements passés, ce qui lui permit de donner à son opinion un cachet d’autorité que n’ont pas la plupart des écrits de ses prédécesseurs. Nous avons déjà signalé le résultat des études et des observations de M. Thompson sur l’origine première des Polynésiens ; on a pu voir que Je savant docteur est parti- san, comme M. Haie, du peuplement de la Polynésie par la race Malaie et qu’il fait arriver aux îles Samoa, par le dé - troit de Torrès, les émigrants venant de Sumatra. Or, c’est également, comme M. Haie, des îles Samoa qu’il fait partir les colonies d’ émigrants pour la Nouvelle-Zélan- de, l’examen attentif de cette question l’ayant convaincu, dit-il, que l’Hawahiki des Nouveaux- Zélandais est, comme l’avance le savant américain, l’île Savaii de l’archipel Sa- moa. Seulement, au lieu de les y faire arriver directement, il les fait passer et s’arrêter d’abord à l’île Rarotonga, dans le groupe Iiervey. C’est de cette étape que les colonies par- tent ensuite pour la Nouvelle-Zélande. Gomme on voit, c’est à peu près l'opinion de Haie, légèrement modifiée et débarrassée de l’obstacle qu’opposait l’existence, sur la route directe, des archipels Tunga et Fiji. Thompson étaie cette opinion d’un nombre considérable de preuves. (1) The Story of the New-Zealand , 2 vol. London, 1859. 294 LES POLYNÉSIENS. Voici les raisons qui, suivant lui, prouvent le plus que les ancêtres des Nouveaux-Zélandais étaient Malais et qu’ils venaient en dernier lieu de l’île Rarotonga : 1° La généralité de la génération actuelle de la Nou- velle-Zélande aurait, encore aujourd’hui, le langage, les coutumes et les caractères physiques et moraux des Ma- lais ; 2° Tous les Nouveaux-Zélandais rapportent leur ori- gine à un lieu appelé Hawahiki, et cet Hawahiki n’est pas connu dans les îles Samoa ; 3° Il est fait allusion, à la Nouvelle-Zélande, à deux Hawahiki, l’un plus éloigné et plus grand, l’autre plus proche et plus petit : 4° Une tradition désigne les îles Waerota, Rarotonga, Waeroti, Parima et Manono, comme des îles voisines de l’Hawahiki ; 5° Les Nouveaux-Zélandais, quand* on leur demande la position de l’Hawahiki, montrent ladirection de Rarotonga ; 6° Le nom de « route d’Hawahiki », est encore le surnom de Pile Rarotonga, et les traditions apprennent que c’est dans l’île Rarotonga que les émigrants ont construit plu- sieurs de leurs canots ; 7° Les chiens, les rats, et bien des plantes apportées à la Nouvelle-Zélande par les émigrants, seraient les mêmes que ceux qui existent dans les îles des Navigateurs ; 8° Enfin les habitants de Rarotonga existaient dans leur île depuis 29 générations, tandis que les Nouveaux- Zélandais de l’Ile-Nord n’étaient dans la leur que depuis 15 à 20 générations Ces preuves sont aussi imposantes que nombreuses, et elles donnent, à priori, au système de l’auteur, une apparence de vérité qui porte avec elle la conviction. Aussi ont-elles suffi pour porter M. de Quatrefages à changer d’opinion et ont-elles valu à M. Thompson d’être traité comme le sont à peu près tous les observateurs de mérite, et comme l’ont été plus particulièrement les voyageurs Ellis et R. P. Lesson. On l’a beaucoup cité, mais en même temps d’autres lui ont LES POLYNÉSIENS . 295 fait des emprunts à la manière de Rienzi, c’est-à-dire sans se donner la peine d’en indiquer la source (1). Mais ces preuves ont-elles bien toute la valeur que M. Thompson leur a donnée? Les faits qui les lui ont fournies ont-ils cette exactitude indispensable pour que les consé- quences qu’on en tire soient inattaquables ? En un mot, peut-on leur accorder toute confiance sans qu’il soit utile de les contrôler ? Nous ne le croyons pas. En effet, si quelques-uns de ces faits, pris isolément, sont embarrassants, la plupart cessent de l’être dès qu’on les examine de près, qu’on les rapproche de faits contradictoires. Or, comme plusieurs même nous ont semblé être rendus inexactement, il importe de signaler ces inexactitudes, car si elles ont pu être commises sans intention, elles n’en sont pas moins capables d’induire en erreur. Nous allons donc reprendre une à une chacune des preuves de M, Thompson. 1° Nous 11e nous arrêterons pas longtemps à réfuter l’as- sertion de M. Thompson, d’après lequel « les habitants ac- tuels de la Nouvelle-Zélande présentent encore dans leur langue, leurs coutumes, leur apparence extérieure et leur caractère, des preuves de leur origine malaie » (2). Il reconnnaît lui-même qu’il y a une grande différence de langage, et cela doit suffire. Il est vrai qu’il explique cette différence par le long temps écoulé depuis la sépara- tion, 10 à 12 siècles ; il dit en outre que le Malai ancien différait du Malai moderne, et que les racines et la structure des deux dialectes permettent encore de découvrir des res- semblances dans les mots qui expriment les choses les plus usuelles et les actes les plus simples de la vie. Mais son ex- plication 11e repose que sur des faits d’observation, enta- chés eux aussi d’inexactitude, et qui sont contestés par bon nombre d’ethnologues, (1) Voir, pour n’en citer qu’un exemple, dans le Tour du Monde , n° 281, p. 311, l’emprunt fait par M. de Hoehstetter aux pages 16 et 17 du 1er volume de Thompson. (2) Ouvrage cité, p. 57. 296 LES POLYNÉSIENS. Qui a vu les deux peuples ne peut leur trouver les res- semblances physiques et morales que signale M. Thompson. Leurs mœurs sont également différentes ; leurs coutumes sont tout autres ; et si l’on trouve quelques mots analogues, ces mots sont beaucoup plus rares qu’on ne croit, ainsi que nous l’avons montré précédemment. Mais c’est surtout par les caractères physiques que les . Néo-Zélandais et les Malais diffèrent entre eux. Or nous avons déjà assez indiqué ces caractères pour qu’il soit inu- tile d’y revenir ici (1). 2° Nous ne nous arrêterons pas davantage au nom que les Nouveaux-Zélandais de l’Ile-Nord donnent à la contrée d’où leurs ancêtres avaient émigré. Nous avons déjà cher- ché à démontrer que le nom de cette contrée est Hawahiki, aussi bien pour les Polynésiens que pour les habitants de l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande. Ce fait prouve une cho- se, c’est que le nom de la contrée d’origine était générale- ment le même, mais qu’on n’en précisait pas la véritable situation, quoiqu’on s’accordât à dire qu’elle se trouvait vers l’Ouest ou le Couchant. Quant à la preuve que M. Thompson tire de l’absence, dans l’archipel Samoa, de toute tradition relatant que leurs ancêtres sont venus originairement d’Hawahiki, comme ceux de la Nouvelle-Zélande et des îles Hervey, bien que les habitants des Samoa admettent, dit-il, qu’ils sont sortis de l’île voisine Savaii (2), cette preuve est peu importante et n'a aucune valeur. Elle ne saurait prouver que les Samoa sont l’Hawahiki même, ou que l’Hawahiki se trouve dans l’une d’entre elles. Nous avons déjàsuffisammentmontréque, si elles n'ont pas ce nom, elles en ont pourtant l’équivalent dans le mot Bolotou (3). Ce mot, emprunté à une nation voisine, n’a été adopté aux Samoa qu’après le départ des émigrants vers les îles plus orientales, et il a remplacé le (1) Voy. vol. I, p. 139. (2) Ouvr. cité, p. 58. (3) Yoy. vol. II, p. 483, 486 et 500. LES POLYNÉSIENS. 297 mot Hawahiki, qui y avait nécessairement existé dès le principe, ainsi que le montre son existence dans toutes les îles que l’on reconnaît avoir été peuplées par les Samoa et les Tunga. Ce fait même viendrait plutôt appuyer l’opinion que nous soutenons, puisqu’une légende samoane établit que les îles Samoa ont reçu leurs premiers habitants des îles Tunga. 3° a Dans toute la Nouvelle-Zélande, dit M. Thompson (1), les indigènes disent que leurs ancêtres ont émigré d’une contrée appelée Hawahiki.» Et il ajoute :« Les naturels, dans leurs traditions, font, à ce sujet, allusion aussi à une Hawahiki plus éloignée et à une Havahiki plus voisine et plus petite. » Il a dû emprunter ce fait à quelques lignes du révérend Taylor, le seul qui, jusque-là, eût fait allusion à plusieurs Hawahiki ; mais cette assertion, bien que fournie par une pareille autorité n’en a pas pour cela plus de valeur. Quand nous en serons à l’examen de l’hypothèse de M. de Qua- trefages, nous ferons connaître les raisons péremptoires de l’impossibilité de ce fait. Nous nous bornerons ici à montrer que les paroles citées parle révérend Taylor n’ont point la signification qu’il leur a donnée, et que, par conséquent, elles ne peuvent servir de preuve à M. Thompson. Aucun des renseignements obtenus jusqu’à Taylor sur la Nouvelle-Zélande n’avait parlé de plusieurs Hawahiki ; tous, au contraire, semblaient s’accorder à dire qu'il n’y en avait qu’un seul : Diefïenbach n’en cite qu’un ; Shortland ne dit rien de plus ; toutes les légendes de Sir Grey se tai- sent sur la multiplicité des Hawahiki ; elles établissent partout, au contraire, qu’il n’y en avait qu’un. John Wil- liams lui-même, le savant missionnaire auquel Thomp- son a emprunté tous ses renseignements sur les îles lier- vey, l’homme si compétent, qui a résidé longtemps dans ces îles avant d’aller trouver la mort à Erromango, l’une (1) Ouvrage cité, p, 57. 298 LES POLYNÉSIENS. des Hébrides, John Williams, qui a publié toutes les traditions de Rarotonga, ne dit pas un seul mot, lui non plus, qui fasse allusion h deux Hawahiki. Cependant il parle longuement de tout ce qui'concerne le groupe entier ; il indique même jusqu’aux noms des plus petites localités de Rarotonga, et d’après lui, enfin, il n’y a qu’un Hawahiki, d’où sont venus les ancêtres des habitants actuels, et qui était placé dans l’Ouest de ces îles. Ce silence général suffirait déjà à faire douter de l’im- portance attribuée à cette remarque. Mais comme on va voir, cette citation a encore beaucoup moins de valeur qu’on a cru, si elle n’est, comme nous le pensons, qu’un emprunt fait au révérend Taylor, le premier et le seul écrivain, avant M. Thompson qui eût parlé de plusieurs Hawahiki. Sans doute, Thompson, aurait pu obtenir ce renseignement de quelque autre source, et plus particulièrement de son com- mensal le chef de Rotorua ; mais comme il n’en dit absolu- ment rien, alors que cela eût été si naturel, comme il ne cite aucune tradition qui aurait pu le fournir, nous croyons qu’il a fait cet emprunt à Taylor, et en vue seulement de l’hypothèse qu’il voulait soutenir ; cet emprunt, en effet, a pour elle une importance considérable. Voici ce que dit à ce sujet le révérend Taylor : (1) « Dans leurs traditions, les indigènes conservent le nom de l’île d’où ils sont venus, lequel est Hawaiki, et, dans ce nom qui est identique avec celui de Hawaii, nous avons la preuve du changement des langues avec le temps. Les Maori ont encore l’usage du k et du ng ; leurs ancêtres l’ont perdu . « Hawaii, continue-t-il, est encore le nom de la plus grande des îles Sandwich. Celle-ci, à laquelle manque seu- lement le 7c, était appelée par les Nouveaux-Zélandais Hawaïki-tawiti-nui, ou l’Hawaii très éloignée ; de là il allèrent à .Hawaiki -pat ata ou l’Hawaïki plus proche, lit- téralement la plus petite île, l’île plus petite qu’Hawaïki, c’est-à-dire Tahiti. Etant restés là, jusqu’au moment où (1) Té Ika a Mani , p. 192. LES POLYNÉSIENS. 299 l’île s’est trouvée trop petite pour leur nombre, ils partirent de nouveau et émigrèrent à Hawaïki-ki-te-moutere . En admettant que celle-ci était l’île de Pâques, qui est située à l’extrémité Sud-Est des vents alisés, on a un trajet très fa- cile et très naturel jusqu’au havre Coromandel de la Nou- velle Zélande, qui, ainsi que nous l’avons déjà fait remar- quer, porte le même nom que l’île de Pâques. « Toutes leurs traditions établissent qu’ils venaient de l’Est. Ainsi donc, la mémoire des indig-ènes a conservé le souvenir de trois étapes principales : combien d’autres, en plus grand nombre, ont été oubliées ! » Nous l’avons déjà dit ailleurs et nous ne pouvons que le répéter, toutes les traditions établissent bien que la terre de provenance était appelée Hawahiki, mais pas une ne dit que c’était plutôt Hawaii qu’une autre île, pas une ne dit textuellement que cet Hawahiki se trouvait dans l’Est, comme on ne cesse de le répéter. Ce n’est absolument qu’une déduction des Européens, plus nécessitée par leurs hypo- thèses que fondée sur les textes : si les uns disent que c’é- tait Tahiti, les autres que c’étaient les Samoa, ceux-ci, les îles Sandwich, il n’y a rien dans les traditions qui Pexprime nettement. Bien mieux, la traduction faite par le révérend Taylor, des mots cités, n’est même pas tout-à-fait exacte. En effet, Ha- waïki tawiti (1) nui signifie bien, comme il le traduit, « Ha- waïki très éloig-né » et Hawaïki patata (2), a Hawaïki pro- che, voisin, contigai ; » mais c'est à tort qu’il dit a plus pro- che » au lieu de « proche » seulement, et qu’il ajoute sur- tout ; « littéralement l’île plus petite, qui est plus petite que l’Hawahiki, c’est-à-dire Tahiti. » Tout cela n’est qu’une interprétation de M. Taylor qui avait besoin, peut-être à son insu, d’appuyer son opinion préconçue. lien est de même quand il dit qu’en partant de l’Hawaiki-tawiti-nui, (1) 11 faut écrire Tawhiti, mot qui signifie « distance, éloigne- ment, éloigné. » (2) Patata, près, être proche, contre. 300 LE8 POLYNÉSIENS. ils allèrent à Hawaïki patata ; une simple citation du texte eût certainement mieux fait l’affaire des ethnologues. Mais c’est la traduction qu’il donne du troisième Hawaï- ki qui doit surtout faire douter de la signification qu’il attri- bue à cette citation des vieilles légendes : Quand il dit qu’a- près avoir demeuré à Hawaiki-patata, jusqu’à ce que l’île devînt trop petite pour les contenir, ils émigrèrent encore à Havaiki-ki-te-moutere, il paraît n’avoir pas compris ces derniers mots qui semblent, à eux seuls, détruire tout son échafaudage, et qui, pas plus que les premiers ne parlaient de Tahiti, ne font allusion à l’Ile de Pâques, comme il aime le supposer. Si l’on cherche ce que signifie moutere , on voit que ce mot, ainsi écrit du moins, n’est pas maori et qu’il doit être écrit mau tere , c’est-à-dire qu’il faut lire : Hawa-iki-te- mau-tere, dont voici la traduction littérale : Hawaiki pour hawahiki ; ki , à ; te, le ; mau , porté, en- traîné, emporté ; tere , en dérive, dériver, aller vite, léger. Mou , pour toi, ne serait qu’un nom sens. Cette expression signifie donc : « En quittant l’Hawahiki, on fut entraîné en dérive;» mais elle ne dit pas du tout, comme on voit, que la tradition ait voulu parler d’un troisième Hawahiki. C’est ce qui explique probablement pourquoi Thompson s’est borné à n’en recon- naître que deux. En supposant, comme le fait Taylor, que ces derniers mots voulaient désigner Waihu, l’Ile de Pâques, et le hâvre Coromandel (l)de la rivière Tamise delà Nouvelle-Zélande, il est facile certainement de faire croire aux ethnologues que les Nouveaux-Zélandais avaient pu, malgré l’énorme distance, venir de cette petite île ;mais, après avoir reconnu quel est le sens littéral des derniers mots cités, à moins de vouloir soutenir à tout prix qu’ils signifient l’île de Pâques et la troisième étape des émigrants d’Hawahiki pas un (1) Waïhu, d’après presque tous les écrivains, est le nom réel de l’île de Pâques; mais, comme nous Pavons vu plus haut, le nom du hâvre Coromandel est Waïlio. LES POLYNÉSIENS. 301 seul linguiste ne verra dans ces textes ce que Taylor a cru y trouver. C’est pourtant là-dessus que M. Thompson s’est proba- blement fondé pour reconnaître deux Hawahiki, tandis que M. Taylor en voyait trois au moins. Mais, jusqu’à preuve du contraire, êt en nous étayant de l’absence de citations in- digènes précises dans toutes les traditions connues, ainsi que de l’ensemble de tous les faits polynésiens, nous croyons pouvoir regarder cette assertion comme n’ayant aucune valeur et répéter avec la plupart des écrivains, comme avec toutes les traditions connues, qu’il n’y avait qu’un Ha- wahiki. C’est ce que M. Taylor établit lui-même en maints passa- ges de son excellent livre. Ainsi, en parlant de la quatrième période mythologique, qui fait connaître les îles nées de l’alliance du ciel et de l’Hawahiki, (1) il ajoute : (2) « Ce sont les noms des terres ou des îles qu’on suppose avoir été les premières créées ; Hawaiki est l’île d’où ils sont venus dans l’origine et qui est regardée comme le berceau de leur race. » Plus loin, (3) M. Taylor cite les paroles indigènes suivantes, qui semblent prouver elles-mêmes qu’il n’y avait qu’un Havahiki : I Kune mai i Kawaiki , Te kune kai} te kune Tangata. Qu’il traduit ; a La semence (graine) de notre venue est Hawaiki, « La semence de la nourriture, la semence de Thomme. » La vraie signification de ce vieux dicton, si elle est bien fl) Ces îles sont O-Taporapora-Tauwarenikau, Kuku-Paru, Wa- wau-ata, Whfwhi-te-rangiora. M. Taylor n’a point cherché à découvrir quelles pouvaient être ces îles, et c’est en vain que nous avons nous-même essayé de le faire ; mais il est à croire que les noms donnés comme étant ceux des îles premières nées signifient toute autre chose que ce qu’on a dit. (2) Ouvrage cité, p. 15. (3) Ouvrage cité, p. 192. 302 LES POLYNÉSIENS. celle donnée, ne permet guère, en effet, d’admettre plu- sieurs Hawahiki. (1) 4° — La preuve que M. Thompson tire de la tradition rapportée par SirGreysous lenomde KoteHekengamai (2), semble, à première vue, beaucoup plus explicite ; mais, nous allons montrer qu’elle n’a pas l’importance qu’on pour- rait être disposé à lui accorder, et que, si elle en a, c’est plutôt pour l’opinion opposée. Yoici ce que dit Thompson à ce sujet : (3) « Une tradition des Nouveaux-Zélandais rapporte queWaerota, Rarotonga, Waeroti, Parima et Manono, sont des îles voisines d’Ha- wahiki. Les Nouveaux-Zélandais de la génération actuelle prononcent machinalement ces noms, en récitant la tradi- tion ; ils ignorent la position géographique de ces endroits et tout ce qui les concerne. Puis il ajoute : « Rarotonga est une des plus grandes îles du groupe Hervey, mais ce n’est pas l’Hawahiki des Nou- veaux-Zélandais, puisque les habitants de Rarotonga rap- portent que leurs ancêtres étaient venus aussi d’Hawahiki. La situation de Waerota et de Waeroti est inconnue ; mais Parima et Manono sont les noms indigènes de deux îles dans le groupe des Navigateurs, dont les habitants n’ont aucune tradition, comme celle des Nouveaux-Zélandais et des insu- laires du groupe Hervey, qui fasse venir leurs ancêtres d’un (1) Le mot kune paraît ne pas être maori ; ce serait plutôt hu- ne, signifiant duvet des semences du Raupo, et probablement autre chose. En Maori semence, graine, se disent kopura, pur a - pur a , huri , kakano. Nous ferons remarquer aussi l’orthographe du mot que M. Tay- lor traduit par Hawaïki, et qui était probablement celle des an- ciens temps ; ce mot, avons-nous déjà dit, doit s’écrire Kawa- hiki. On sait que le Raupo, typha angustifolia,Q st une espèce de glaïeul ou jonc qu’on emploie dans la construction des maisons. (2) Sir Grey’s Poems : ko te hekengamai , l’émigration ; heke, des- cendre, refluer, émigrer ; hekenga , descente, reflux, émigration ; mai, versj ici. (3) Ouvr. cité, p. 58. LES POLYNÉSIENS. 303 Hawahiki, quoiqu’ils admettent qu’ils sont sortis de File voisine, de Savaii. » Ainsi, M. Thompson reconnaît dans les deux îles Parima et Manono, citées par la tradition, celles qui occupent l’en- trée du canal séparant Upolu de Savaii ; et, si la situation de deux autres est inconnue, il voit la Rarotonga de la tra- dition dans l’île du groupe des îles Hervey, où, dit-il, « d’autres traditions montrent que les canots ont été cons- truits. '» S’il n’y avait qu’une île Rarotonga, il serait difficile de nier l’importance de la preuve qu’il tire d’un pareil fait, aidée qu’elle est par la coïncidence des deux autres noms d’îles, Parima et Manono. Mais il est loin d’en être ainsi : non - seulement il y a ailleurs une île du nom de Rarotonga, mais, ce qui est bien autrement important, c’est autour de cette autre île Rarotonga même que se trouvent groupés tous les autres noms de la tradition, comme nous allons le montrer. Si M. Thompson n’en a rien dit, c’est sans doute que l’exis- tence de cette île lui était inconnue ; mais il n’est pas moins vrai qu’elle figure sur la carte de la Nouvelle-Zélande et qu’elle se rencontre près de la côte Sud-Ouest de l’Ile-du- Milieu, dans le détroit de Foveaux. C’est l’île dite du Cen- tre sur les cartes anglaises, entre la Grande Terre et Ra- kiura et c’est près d’elle qu’on voit les lieux appelés Aparima, Waïraki et Waiota. Pourquoi, dès lors, ne se- rait-ce pas plutôt de cette île que la légende aurait voulu parler et dont elle a parlé certainement, si l’on en juge par la légende que Sir Grey a fait connaître sous le nom a Emi- gration à la Nouvelle-Zélande ? » On voit, en faisant certains rapprochements, que cette tra- dition n’a pu faire allusion qu’à l’île Rarotonga du détroit de Foveaux : ce n’est que sur l’Ile-du-Milieu, que pouvait se trouver un lac nommé Waïharakeke (1), lac où, d’après la légende, aurait été abattu le Totara, arbre qui devait servir à taire VAotea, le canot de Turi, plusieurs années (1) Wai, eau ; harakeke , phormium tenax . 304 LES POLYNÉSIENS. avant qu’on ne construisit VArawa et les autres canots sur l’île Rarotonga. Fait bien curieux, c’est près de là qu’est la rivière Waiharakeke, qui se déverse dans la grande ri- vière Mataura. Ce nom de Waiharakeke suffirait à lui seul, comme nous le montrerons plus tard, à prouver que l’Ha- wahiki ne pouvait exister en Polynésie, puisque les Poly- nésiens n’auraient pu songer à donner à un de leurs lacs le nom de « Lac du Phormium » : Cette plante leur étant inconnue et n’existant absolument qu’à la .Nouvelle-Zélan- de et à l’île Norfolk. Il en est de même, du reste, de l’arbre abattu : le Totara ne se trouve pas non plus en Polynésie. Ainsi, voilà d’abord une des cinq îles de la légende re- trouvée ailleurs qu’en Polynésie ; nous allons démontrer qu’elle n’est pas la seule. Non loin de cette île, en effet, existe une rivière nommée Aparima. justement comme celle des îles Samoa, car le l, on le sait, remplace, dans ces îles, le r de la plupart des autres archipels. Le même nom est d’ailleurs donné, à la Nou- velle-Zélande, à une baie dans laquelle débouche la rivière Aparima . Il est vrai que M. Thompson appelle. Parima l’île du groupe Samoa ; mais c’est évidemment à tort, puisque son autorité, J. Williams, lui donne le nom de Apolima, nom qu’il traduit par « creux de la main. (1) » L’ Apolima (2) de John Williams se rapproche d’ailleurs trop du mot maori aparima pour que ce ne soit pas le mê- mème ; il faut pourtant reconnaître que les oreilles Euro- (1) Qu’on nous permette de dire ici que J. Williams semble s’être trompé. En Maori, apo ne signifie que cupidité, assembler, et rima , cinq. En Tahitien apo veut dire, attraper quelque chose jetée à une autre, et creux d’un rocher ; rima , la main, le bras, cinq. (2) L’île à laquelle les Samoans donnent ce nom est un ancien cratère de volcan éteint, au centre duquel on n’arrive que par une étroite ouverture, ce qui a permis aux indigènes d’en faire une forteresse imprenable. Elle est située entre Manono et Savaii, à sept milles seulement de cette dernière; elle a deux milles de circonférence et une population estimée à 2000 âmes-. LES POLYNÉSIENS. 305 péennes saisissent si mal les sons que rien n’est plus facile qu’une semblable erreur. Le révérend Taylor nous semble n’y avoir pas échappé lui-même en appelant Akarima la rivière Aparima de la Nouvelle-Zélande (1). Mais si Thomp- son a donné le nom de Parima, c’est, nous le répétons, contrairement aux légendes et aux cartes géographiques. V oilà donc encore la deuxième des cinq localités citées par la légende retrouvée, du moins comme désignation ; et, fait des plus curieux, c’est dans cette rivière Aparima que se déverse une autre rivière qui porte le nom de Waï- raki. Comme le mot Wairoti de la tradition n’a pu être que mal rapporté puisqu’il n’est pas maori, il est presque cer- tain pour nous que ce nom est celui de Waïraki (2) comme nous allons voir que Waïrota n’est que le nom de Wai- ota. (3). Ce nom Waiotaest en effet celui d’un lac vis-à-vis et à tou- cher la rivière Taiari, près de Dunedin ou Otakou, entre la baie Molyneux et le cap Saunders, non loin par consé- quent de la grande rivière Mataura, où se déverse la rivière Waiharakeke, et du port Awarua qui semble jouer un si grand rôle dans les traditions. Sans doute, il n’y a là rien de certain, puisque ces mots, tels quon les a écrits, ne sont pas maori ; mais ils ont pour eux la première syllabe qui est plus maori que polyné- sienne, et quand on les voit accolés dans la tradition à deux autres noms qui se trouvent nettement désignés sur la côte Sud-Ouest de l’Ile-du-Milieu, on est autorisé, croyons-nous, à les reconnaître dans ceux que nous venons de citer : car (1) Apa , en Maori, signifie compagnie de travailleurs; rima, cinq. (2) Wai , eau ; raki , sec, être à sec, desséché. (3) On écrit également Waeroti et Waerota; mais si wae, signifie jambe, pied, rôti n’est ni maori, ni tahitien ; dans ce der- nier dialecte, sous la forme rotia , il signifie un poisson. Rota , en Maori est également le nom d’un poisson. Ro, .insecte, fourmi en Maori et en Tahitien ; ti, cordjlina australis, (Nouvelle-Zélande), et Dracoena terminalis, (Iles de la Société). Wai , eau ; ota, cru, mauvais . 20. 306 LES POLYNÉSIENS® ceux-ci ne s’en rapprochent pas seulement par l’analogie, mais encore par le voisinage immédiat. Il est d’ailleurs bien facile de comprendre que les émigrants, en venant d’un Hawahiki tout autre que Savaii, auraient aussi bien pu dire, comme le fait Thompson, que les îles inconnues Waerota et Waeroti étaient, comme Rarotonga, Parima et Manon o, voisines de THawahiki. Quand nous aurons dé- montré où se trouvait cet Hawahiki, il ne sera plus pos- sible d’en douter® Reste toutefois à retrouver le lieu auquel la tradition donne le nom de Manono, et que M. Thompson a cru appli- qué spécialement à la petite île qui, avec Aparima, se trouve entre Savaii et Opulu. On sait que Manono a cinq milles de circonférence, et cinq à six mille habitants ; elle tient à Upolu par un ré- cif et n’en est éloignée que de trois milles. (1) Il nous semble évident que si l’on retrouvait quelque loca- lité de ce nom, près de celles que nous venons d'indiquer sur rile-du-Milieu, il n’y aurait pour ainsi dire plus de doute à avoir. Or Manono est un nom de lieu qui existe sur la côte Sud-Ouest de lTle-du-Milieu de la Nouvelle-Zé- lande. En outre, il y a justement, dans les traditions, des passa- ges qui font allusion à ce mot Manono, en Hawahiki. Les tra- ditions, il est vrai, ne précisent pas la position du lieu auquel il est appliqué, aussi bien que celle des localités précéden- tes ; mais elles disent toutes qu'il était en Hawahiki. Qu’on prenne les légendes de Tinirau, de Kae, et l’on verra que la demeure de ce dernier, aussi bien que le lieu sur lequel (1) En Tahitien, manono ne peut être composé que des mots suivants : Ma, blanc, propre, net, compagnie ; no de, à, concer- nant ; nono , nom du fruit du Morinda citrifolia. En Maori ; ma, blanc, propre, net, être blanc, propre ; no, de, appartenant à, quand ; mano mille. Et si Ton tient compte des milliers (mano) de personnes abattues par chaque coup de cordes, appliqué par Whakatau, d’après une légende qui1 cite le Tihi- o -Manono comme brûlé par lui, il se pourrait que l’étymologie fût maori. De même qu’en Tahitien le mot manono pourrait bien être manomano par élision. 307 LES POLYNÉSIENS. elle était établie, portait le nom de Tihi, on Tini-o-Ma- nono (1). Ce lieu ne pouvait être éloigné d’Hawahiki, puis- que Whakatau put s’y rendre promptement avec son canot, de l’endroit qu’il habitait lui-même en Hawahiki (2). Si l’Hawahiki est, comme nous espérons le démontrer, l’Ile - du-Milieu de la Nouvelle-Zélande, n’en faut-il pas con- clure que c’est dans cette île encore que se trouvait le Tilii-o-Manono, comme c’est là que se rencontraient les autres localités désignées par les traditions, et si difficile- ment rapportées par tous les écrivains à la Polynésie ? On a retrouvé dans l’Ile-du-Milieu et l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande des localités appelées Tunga, Matavai, Rotuma, Otaheiti, Oheavai, Papaiti, Rapa, Amo, etc. ; et puisqu’on y retrouve également les noms Aparima, Raro- tong*a, Waïraki et Waiota, qui ont tant intrigné les ethnologues, ainsi que celui de Manono, réunis pour ainsi dire tous dans un espace fort restreint sur la côte Sud-Ouest de l’Ile-du-Milieu, il est plus que probable que c’est de ces localités que parlent les indigènes, quand « ils récitent ces traditions machinalement en ignorant leur position ; » c’est d’elles qu’on peut dire avec plus de vérité ce qu’a dit M. Thompson (3) : « de Parima ou Manono dans les îles des Navigateurs, le voyage à Rarotonga pouvait être fait faci- lement, car il y avait entre ces îles de nombreux rapports. » En effet, si tous ces points étaient si rapprochés sur la côte Sud-Ouest de l’lle-du-Milieu, il est évident que les rap- ports devaient être fréquents et faciles. Après cela, quand M. Thompson dit que « les émigrants (1) M. Shortland traduit Tihi-o-Manono parle pic de Manono. Or, tihi, d’après Williams, signifie sommet et la même légende de Shortland apprend que c’était également le nom de la maison ha- bitée par Kae et la tribu des Ati-Hapai, maison brûlée par Wha- katau. Quant à Manono le dictionnaire de Williams, n’en dit rien. (2) Voir la légende de Whakatau rapportée par Shortland, p. 68 ; Taylor p. 107, et Sir Grey : légendes de Tinirau, Whakatau, etc. Nous insérerons toutes ces légendes dans l’Appendice du IV*5 volume. (3) Ouvr. cité, p. 64. LES POLYNÉSIENS. 308 s’arrêtèrent évidemment à Rarotonga, » il ne fait que dé- velopper son hypothèse d’une provenance des îles Samoa ; mais quand il ajoute que « les émigrants s’y arrêtèrent évidemment et que plusieurs tribus s’y établirent proba- blement, parce que les dialectes ont une étonnante ressem- blance, » il nous donne le droit de lui demander comment il se fait qu’en remarquant l’étonnante analogie des dialec- tes, il n’ait pas remarqué que celui des îles Hervey n’est pas le dialecte des Samoa. Il est vrai que s’il eût fait cette remarque, il n’aurait pas pu signaler l’étonnante analogie qu’il indique et que cela eût été contraire à la provenance qu’il admet. Certes, chacun sait qu’il y a de l’analogie entre les dialectes samoan et maori ; mais cette analogie est plus grande entre les dialectes rarotongan et maori, qu’entre les autres, comme J. Williams, le premier, l’a démontré (1). Si cette analogie eût été reconnue, il eût fallu conclure que les émigrants venaient plus probablement d'une toute autre contrée que les Samoa ; or, comme ce ne pouvait pas être des îles de la Société, pour les raisons que nous avons don- nées ailleurs, il devait naturellement répugner d’admettre la conclusion logique qui renversait l’hypothèse soute- nue. En résumé, cette preuve elle-même ne résiste pas à un examen attentif ; contrairement à ce qu’on a cru, elle est plutôt opposée que favorable à une provenance polyné- sienne. Nous le démontrerons quand nous en serons arrivé à préciser la véritable situation de l’Hawahiki. 5° — La cinquième preuve de M. Thompson est déduite de la réponse que font, d’après lui, les Nouveaux-Zélandais, quand on leur demande où gît l’Hawahiki. « Ils montrent, dit-il, la direction de Rarotonga. » Et il ajoute (2) : « ce qui démontre que telle est la véritable direction de l’île d’où ils étaient partis en dernier lieu, c’est que chaque canot émigrant avait commencé par voir la côte Est de la Nou- (1) Voy. ci-dassus, p. 192 et suiv. (2) Ouvr. cité, p. ë4. LES POLYNÉSIENS. 309 velle-Zélande. » Cette dernière assertion est de trop, à notre avis ; elle est suffisante, à elle seule, pour détruire l’impor- tance de cette preuve. Par suite sans doute de l’expérience de leurs ancêtres transmise par les traditions, les Nouveaux-Zélandais sem- blent savoir qu’il n’y a pas de terres dans l’Est de leurs îles, et à plus forte raison dans le Sud-Est, excepté les Chatham. Quand on leur parle de terres plus orientales, c’est vers l’E.-N.-E. ouïe N.-E., qu’ilsles supposent exister. Or, lors- qu’ils montrent cette direction, ils indiquent nécessaire- ment celle de Rarotonga ; mais il est certainement douteux qu’en la montrant, quand on leur demande ou gît l’Hawa- hiki, ils veuillent parler de Rarotong-a, dont le position g-éographique leur est inconnue, d’après Thompson lui~ même, qui dit d’autre part : « Rarotong-a est une des plus grandes îles du groupe Hervey, mais non l’Hawahiki des Nouveaux-Zélandais, puisque les habitants de Rarotonga disent aussi que leurs ancêtres étaient venus d’Hawahiki. » Il aurait pu ajouter : d’un Hawahiki placé dans l’Ouest et par conséquent dans une direction, par rapport à leur île, toute différente de celle dans laquelle se trouve Savaii, que M. Thompson regarde comme la grande Hawahiki. Cela seul dénote que les habitants de Rarotonga eux-mêmes ne croyaient pas provenir de Savaii, car, vu le peu de dis- tance des deux groupes, ils devaient certainement en con- naître la position relative. La distinction de deux Hawahiki établie par Thompson doit faire supposer qu’il n’a voulu parler de Rarotonga que comme de la petite Hawahiki, quoiqu’il ne l’exprime pas nettement ; mais cela n’aide guère à comprendre comment il se fait que la génération actuelle de la Nouvelle-Zélande sache qu’il faut suivre cette direction pour aller en Hawa- hiki. Qui le lui aurait appris, d’ailleurs ? Elle n’a pas émi- gré depuis des siècles (l) ; les émigrants qui ont pu partir (I) Excepté pourtant eu 1830, d’après Thompson et Shortland : Un canot chargé d’émigrants essaya de se rendre en Hawahiki, en partant de l’Ile Mayor, d’après le premier, ou de Tauranga d’a- près le second . 310 LES POLYNÉSIENS. ne sont jamais revenus, et les traditions maori, loin d’être explicites, comme on pourrait le croire d’après tous les écrivains, disent plutôt, contrairement à ce qu’on leur a fait dire, qu’au lieu de recevoir des émigrants de l’Est, c’était vers l’Est que les émigrants se dirigeaient. Si la légende sur laquelle s’appuie M. Thompson a bien dit, avec apparence de raison, en supposant l’Hawahiki en Polynésie, que Manono et Parima étaient des îles voisines, on est en droit d’être surpris qu’elle ait dit la même chose de Rarotonga, puisque cette île en est éloignée de six à sept cents milles. L’île Rarotonga, dont la tradition parle com- me du point où des canots ont été construits pour l’émigra- tion, ne pouvait donc pas être, ainsi que l’a cru M. Thomp- son, celle de la Polynésie, mais bien celle du groupe de la Nouvelle-Zélande. C’est Pile de la Polynésie qui a reçu son nom d’émigrants venant de la Nouvelle-Zélande : nous le démontrerons bientôt. Nous croyons, en somme, que si on a montré à M. Thomp- son la direction de Rarotonga pour la route d’Hawahiki, c’est sans faire allusion à cette île ; l’auteur anglais a cru la reconnaître, parce qu’il avait en mémoire les quelques lignes indéterminées des légendes que nous avons du rap~ peler. Si les indigènes ont indiqué cette direction, ce n’est bien probablement de leur part que par confusion de sou- venirs traditionnels, car presque toutes les légendes prou- vent, dans les migrations qu’elles rapportent, que la route était faite du Sud-Ouest vers le Nord-Est, de l’Ouest à l’Est. Quelle qu’ait pu être l’époque des migrations de l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande, ou même de celles, venant direc- tement d’Hawahiki vers la Polynésie, ces émigrations n’ont pu manquer de se porter dans la même direction, c’est-à- dire d’aller de l’Ouest vers l’Est. C’est sans doute ce sou- venir lointain, si confus qu’il est inversé (1), qui a guidé (1) Les habitants de l’Ile-du-Milieu, par exemple, appliquent le mot raro , qui signifie dessous, sous, à tout ce qui est au Sud d’eux, tandis qu’à Auckland, raro est appliqué à ce qui se trouve au Nord. LES POLYNÉSIENS. 311 dans leur réponse les naturels interrogés par M. Thomp- son. Cette réponse, cependant, a été accueillie avec d'au- tant plus d’empressement, quelle cadrait davantage avec le système préconçu de l’auteur. C’est la même confusion de souvenir qui a fait dire, sans plus de preuves, que la Nou- velle-Zélande a été peuplée par trois canots venant de l’Est. Or ces canots portaient, comme on a vu, absolument les mêmes noms que ceux que les légendes de Sir Grey montrent être venus du Sud-Ouest ou de l’Ouest. On a tout simplement pris la direction du point de départ pour celle de l’arrivée. Il est facile de s’expliquer cette erreur, quand on se re- porte à cette partie de la légende qui désigne Rarotouga, où des canots ont été construits, comme une île « située de l’autre côté de l’Hawaliiki » (1) et dans son voisinage. Il était tout naturel qu’en plaçant l’Hawahiki aux Samoa, on vit la Rarotonga des légendes dans l’île du groupe Hervey. Mais, nous l’avons dit, n’y aurait-il que l’existence signalée du Totara à Rarotonga, qu’il est impossible que ce soit la Rarotonga polynésienne. M. Thompson s’est d’ailleurs chargé lui-même, parles dernières lignes de la citation que nous avons faite, de dé- truire l’importance de ses inductions ; et son assertion n’est pas exacte, quand il avance que chaque canot émigrant com- mença par voir la côte Est delaNouvelle-Zélande,(Ile -Nord). Il suffira, pour s’en assurer, de jeter les yeux sur les tra- ditions si importantes publiés par Sir Grey, et dont Thomp- son ne donne qu’un résumé fort incomplet. Nous allons en citer quelques exemples : La tradition de Kupe montre que ce navigateur a com- mencé et fini par le détroit de Cook : on dit bien qu’il a fait le tour de l’île ; mais la tradition ne parle que des lieux qu’il a découverts et entre autres de Patea dans le détroit. Le canot deTuri, quoiqu’en dise M. Thompson, n’est pas allé sur la côte Est d’Aotearoa ou Ile-Nord de la Nouvelle- Zélande, mais il a seulement visité une partie de la côte (l) Sir Grey, Polynesian mythology , p. 134, 312 LES POLYNÉSIENS. Ouest de cette île et une partie du détroit de Cook lui-même : c’est là qu’il avait presque certainement commencé, et qu’il termina son voyage. Tama-te-Kapua, Manaia et autres chefs Nouveaux-Zélam- dais, ont longé avec leurs canots la côte Est de l’Ile-Nord, mais en allant vers le Nord-Est, c’est-à-dire en venant d’un point plus Sud-Ouest, comme avait faitTuri en particulier. C’est ce que dit nettement la légende de son émigration, quand elle indique la nécessité de faire route du côté où le soleil se lève pour atteindre Aotearoa, en partant d’Hawa- hiki. (1). La légende de Ngahue prouve qu’il a passé, lui aussi, dans le détroit de Cook et qu’il a pris au moins son point de départ d’un lieu voisin, puisqu’il possédait, en partant d’Hawahiki, du jade vert qui ne se trouve que dans l’Ile-du-Milieu. D’après ces mêmes légendes, c’était également du détroit de Cook que tous les canots prenaient leur point de départ pour retourner en Hawahiki. D’où il faut conclure que les preuves tirées de pareils faits n’avaient pas l’importance que M. Thompson leur donnait. Il n’y a rien d’étonnant à ce que quelques indigènes de la génération actuelle, chaque jour plus ignorante des vieilles traditions, aient répondu à la demande qui leur était faite que l’Est était la position de l’Hawahiki : les Po- lynésiens, de tous les temps et de toutes les îles, ne sont jamais embarrassés pour répondre, alors même qu’ils igno- rent, comme nous en avons si souvent fait l’expérience nous-même. Aujourd’hui qu’ils sont démoralisés, presque constam- ment en lutte entre eux, peu disposés à écouter les ensei- gnements de leurs prêtres, comment sauraient- ils indiquer, aussi bien que les générations qui les ont précédés, la route suivie par leurs ancêtres en émigrant d’Hawahiki ? Or tou- tes les traditions connues, les plus anciennes comme les (1) Le nom donné à une pointe près du cap Palliser, te Rawhi- ti,«le soleil se lève, » (littéralement, le soleil passe outre, traverse), n a pu être donné que par quelques émigrants venant de FOuest. LES POLYNÉSIENS. 313 plus modernes, ne disent absolument rien ni de l’existence de deuxHawahiki, ni de la situation de l’Hawahiki dans l’Est. Et cependant c’est sur ces légendes que quelques auteurs se sont basés pour soutenir que les ancêtres des Maori étaient ve- nus de l’Est. Il est vrai que ces auteurs diffèrent eux-mêmes entre eux quant à la direction qui leur aurait été indiquée par les indigènes : Haie avait entendu qu’ils venaient de l’Est ; c’est ce que Dieffenbach et Gaussin ont répété après lui. Shortland a dit qu’ils venaient du Nord ou du Nord- Est ; mais ni les uns ni les autres n’ont fourni d’autre té- moignage que leur assertion. Car, nous le répéterons en- core, aucune des légendes citées ou rapportées par eux- mêmes pour la première fois, ne parle de l’Est comme di- rection de provenance. Shortland lui-même dit et montre (1) que la situation de l’Hawahiki était inconnue aux indigènes, qu’elle était toute conjecturale. Quelle confiance, dès lors, avoir dans la ré- ponse qui a pu être faite à M. Thompson ? On ne pourrait lui en accorder que si les traditions parlaient nettement de la position précise ; mais elles n’en disent absolument rien. Bien mieux, elles disent que les émigrants d’Hawahiki vers l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande venaient d’un point placé plus à l’Ouest. Taylor, il est vrai, a écrit : (2) « Toutes les traditions rap- portent qu’ils sont venus de l’Est. » Mais le savant mission- naire a beau affirmer que toutes les traditions le rapportent, son assertion, comme celles de ses prédécesseurs, ne repose que sur une interprétation toute européenne. Pas une seu- le des traditions connues ou citées par lui ne le dit ; pas une ne se sert de ce mot Est, ou de mois qui puissent être interprétés ainsi. Evidemment une pareille opinion, comme celle de tous les écrivains précédents, n’est que le résultat d’une idée préconçue : après avoir placé l’Hawaliiki dans la Polynésie, il fallait bien qu’on supposât les émigrants venus de TEst. Mais nous le répéterons encore, pas un des (1) Ouvr. cité, p. 28 et 33. (2) Te Ika a Mctui , p. 193. 314 LES POLYNÉSIENS. textes de ces légendes, et nous croyons les connaître pres- que toutes, ne parle de l’Est ; toutes se bornent à nommer l’Hawahiki, mais sans désigner aucunement sa position. Une seule pourtant a paru le faire : c’est sur elle que Haie et plus tard Pritchard se sont appuyés pour soutenir cette opinion. Mais, comme nous l’avons déjà montré, ni l’un ni l’autre n’a remarqué que les mots employés parla tradition disent précisément tout le contraire de ce qu’ils les ont cru signifier, c’est-à-dire Ouest ou Nord-Ouest au lieu d’Est. 6° La preuve que M. Thompson trouve dans le nom de a route d’Hawahiki, » que porterait l’île Rarotonga, est encore moins importante que la précédente : elle est même presque certainement contraire à son opinion. Pour que l’on puisse mieux en juger, nous transcrivons ici le texte original de l’auteur anglais : (1) « For these reasons , it is infered that tlne ancestors of the New-Zealan~ ders migrated from the Navigator' s Islands througli Raro- tonga , because the latter island is still denominated the Road to Hawahiki , and is descrïbed as lying on this side of it. » Plus on examine ce texte, moins il signifie ce que M. Thompson a cru y voir : Il ne dit pas « route d’Hawahiki, » comme on le traduit d’ordinaire, mais « route à, vers (to) l’Hawahiki, » par conséquent vers un autre point que celui d’où venaient les émigrants. Ces émigrants, queM. Thomp- son faisait sortir des Samoa, ne pouvaient donc pas regar- der Savaii comme leur Hawahiki, puisqu’ils allaient vers celui-ci en s’éloignant de Savaii. Cela prouve aussi que l’ Hawahiki devait être encore plus loin que Rarotonga, puisque Rarotonga n’était qu’une étape et qu’elle « se trou- vait sur ce côté de l’ Hawahiki. » (1) Ouvr. cité, p. 59. « Pour ces raisons, il faut conclure que les ancêtres des Néo-Zélandais ont émigré des îles des Navigateurs en passant par Rarotonga, car la dernière île est encore appelée la route vers l’Hawahiki, et elle est décrite comme se trouvant sur ce côté de lui (de Y Hawahiki). » LES POLYNÉSIENS. 315 Si l’Hawahiki eût été Savaii, à quoi bon, en effet, passer par Rarotonga pour s'y rendre, en partant de Manonoet de Parima, comme Thompson le fait supposer ? Il eût cer- tainement été plus simple de débarquer de suite à Savaii, qui n’est éloignée de ces deux petites îles que de quelques milles seulement. Cela seul suffirait pour que l’on mette en doute la provenance de Savaii. Le dernier membre de phrase qui termine la citation que nous venons de faire est assez obscur : peut-être is descri - bed ne doit-il pas s’appliquer à Rarotonga, mais à la route suivie, ce qui semble plus rationnel. Néanmoins il resterait toujours à se demander sur quel côté, car le texte, peut- être intentionnellement, se borne à dire : « on this side of it. » Une des légendes publiées par Sir Grey, et qui parle d’une île Rarotonga où les émigrants allèrent abattre le Totara destiné à construire YArawa, se borne elle- même à dire que « cette île était de l'autre côté de l’ïïawa- hiki. » Sans doute M. Thompson, dans son texte, n’a fait allusion qu’à ce membre de phrase de la légende maori. Mais, ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer, le nom seul donné à l’arbre abattu prouve qu’il ne pouvait s’agir de Tîle Rarotong’a du groupe Hervey, puisque le Totara ne vient pas dans cette île. Quoiqu’il en soit, il résulte du texte même de M. Thomp- son que les émigrants ont passé par Rarotonga, et qu’ils s’y sont arrêtés pendant plusieurs générations avant d’émi- grer à la Nouvelle-Zélande (1). Mais cette citation n’aide en rien à préciser la véritable situation de l’Hawahiki, c’est- à-dire le point de départ des émigrants. Des émigrants venant de la Nouvelle-Zélande auraient, du reste, pu passer par cette île bien mieux que ceux qu’on fait sortir des Samoa, puisque Rarotonga est sur la route directe de la Nouvelle-Zélande à la Polynésie. Ils auraient même tout aussi bien pu donner à cette île le nom de Ra- rotonga, et lui appliquer l’épithète de « route d’Hawahi- (1) Ouvr. cité, p. 59, 316 LES POLYNÉSIENS. ki, (1) » comme on le dit. Bientôt nous démontrerons que ce mot Rarotonga est Maori et que, comme celui de Tunga, dont nous avons déjà parlé, il ne pouvait être donné que par des Maori. En résumé, cette preuve invoquée par M. Thompson est un témoignage plus favorable aux migrations venant de la Nouvelle-Zélande qu’à celles qu’on fait venir des îles Sa- moa à la Nouvelle-Zélande. 7° — M. Thompson trouve encore une preuve de l’origine samoane des Nouveaux- Zélandais, dans l’existence aux îles Samoa de chiens sauvages, ressemblant au chien do- mestique trouvé par Cook à la Nouvelle-Zélande. Il l’em- prunte au missionnaire J. Williams, qui décrit, de la ma- nière suivante, l’animal dont on lui avait parlé : (2) « Une particularité de l’histoire naturelle du groupe Samoa, est qu’on trouve un chien sauvage dans les montagnes. J’ai vainement cherché à m’en procurer un. D’après la descrip- tion qui m’en a été faite, il paraît être un petit animal, de couleur noire, gris sale ou de plomb, avec peu ou pas de poil, et de grandes oreilles droites. » M. Thompson, tout en trouvant que les chiens de la Nou- velle-Zélande sont identiques à ceux des Samoa, et qu’ils prouvent la situation de l’Hawahiki à Savaii? n’admet pas naturellement que ces chiens fussent indigènes : « On compte, dit-il (3), parmi les mammifères indigènes de la Nouvelle-Zélande, les chiens et les rats, mais il n’en est rien. Il est vrai que le capitaine Cook a trouvé des chiens et des rats en 1769 ; mais ces deux animaux avaient été apportés dans le pays par les Nouveaux-Zélandais , et il est à remarquer que tous les deux sont presque éteints aujour- (1) Nous citerons, à ce sujet, un proverbe maori qui, d’après M. Taylor, peint les actions désespérées : ka hotia te tai tapu ki Hawcihiki , « la route à l’Hawahihi est coupée. » C’est Y aléa jacta est , le passage du Rubicon des Maori. (2) A Narrative , etc., p. 498. (3) Ouvr. cité, t. I, p. 21. LES POLYNÉSIENS. 317 d’hui. Le grand rat de Norway, importé dans la Nouvelle- Zélande par les colons Anglo-Saxons, a détruit le rat indi- gène ; et les chiens indigènes qu’on élevait et propageait anciennement pour servir de nourriture, ont tous été man- gés ou détruits, parce qu’après l’introduction des cochons, les Nouveaux-Zélandais n’ont pris aucune précaution pour en conserver la race. « Des voyageurs attentifs peuvent encore voir, de temps en temps, sur les bords du lac Taupo, quelques mauvais chiens, croisés de chiens maori et anglais, qui ont la queue touffue, le poil couleur du renard, les oreilles dressées et un hurlement au lieu d’un aboiement : ce sont les derniers vestiges de la race des chiens apportés par les naturels à la Nouvelle-Zélande. Ceux que les bergers de l’Ile-du-Milieu appellent chiens indigènes, ne sont que des animaux an- glais libres, non sauvages. « Il est prouvé que le véritable chien indigène a été in- troduit à la Nouvelle-Zélande et paroles traditions, et par le mot maori qui sert à désigner le chien, mot qui est tout-à-fait polynésien, et, parles os calcinés d’hommes, de moa et de chiens qui ont été trouvés par M. Mantell sur un banc de sable, près de Taranaki, l’un des points les plus ancienne* ment occupés par les Nouveaux-Zélandais. « Il est également prouvé, par les traditions et par l’exis- tence de rats semblables dans toute la Polynésie, que les rats indigènes de la Nouvelle-Zélande, qui. étaient petits et frugivores, y ont été détruits. (1) » (1) Shortland (p. 26) semble ne pas partager l’opinion de Thomp- son : après avoir dit que les Néo-Zélandais avaient des nattes de chiens au temps de Cook et que les livres qui lui attiibuent l’in- troduction des chiens à la Nouvelle-Zélande ne prouvent nulle- ment que les légendes parlant des chiens ne datent que d’une centaine d’années, il ajoute : « de plus la race indigène des chiens existe encore à la Nouvelle-Zélande, quoique peut-être rarement dans sa pureté originelle. Elle est élevée dans certains lieux pour sa peau. En apparence, elle est très différente des races euro- péennes : son corps est long ; ses jambes courtes ; sa tête poin- tue ; sa queue longue, droite et touffue. Le poil est épais, droit et assez long, de couleur variant du blanc au brun, mais sans taches. » 318 LES POLYNÉSIENS. Sans rechercher si l’animal décrit par J. Williams est bien le même que celui, de la Nouvelle-Zélande, ce qui est probable, et sans entrer dans des recherches d’histoire na- turelle qui nous entraîneraient trop loin, nous devons du moins faire remarquer qu’tin pareil fait serait aussi facile- ment expliqué en supposant le transport en Polynésie opéré par les Nouveaux-Zélandais, qu’en admettant le contraire. Si les chiens ont disparu à la Nouvelle-Zélande, il est cer- tain qu’il en a été de même dans les îles Polynésiennes et particulièrement dans les grands archipels, aux Sandwich, par exemple, où on les élevait, comme à la Nouvelle-Zélan- de, pour les festins des chefs. On n’en retrouve guère plus que dans les îles isolées et où les disettes n’ont pas été trop fréquentes. Nous pouvons aussi assurer que, malgré la chasse qu’on leur fait dans certaines îles, malgré l’introduction du rat de Norvay à Tahiti, par exemple, les rats indigènes y pullu- lent, et qu’ils ne le cèdent peut-être en nombre qu’à ceux des îles Marquises. S’ils ont disparu à la Nouvelle-Zélande autant qu’on le dit, c’est que, sur cette grande terre impro- ductive, se sont trouvées réunies à la fois les circonstances les plus défavorables : grand nombre d’hommes, disette de certains végétaux nourriciers, absence complète de quadru- pèdes et particulièrement du cochon, guerres incessantes, chasses répétées aux oiseaux par les naturels eux -mêmes. Avant l’arrivée des Européens, des chats et d’autres chiens, ces causes avaient déjà diminué considérablement le nom- bre des pigeons, des Tui, des Kiwi, si grand autrefois d’a- près les traditions, et détruit complètement les oiseaux à ailes rudimentaires, tels que les Moa. Certainement les mêmes légendes disent bien que les émigrants d’Hawahiki avaient emporté avec eux des chiens, des rats, des oiseaux, et en outre, des patates douces, des g'ourdes, et le Taro, qui, dit M. Thompson, sont indigènes aux îles des Navigateurs. Mais qui donc a pu apprendre que ces animaux et ces plantes ne l’étaient pas aussi dans lTle- Nord comme dans Tlle-Sud, quand les émigrants ont abor- dé la première ? LES POLYNESIENS. 319 Les légendes apprennent que les graines du Karaka, entre autres, faisaient partie du bagage des émigrants d’Hawahiki, et que Turi en fit semer sur la route depuis Aotea jusqu’à la rivière Patea sur TIle-Nord : mais com- ment cet arbre, qui est le Corynocarpus lœvigata, (Fors- ter), aurait- il pu être apporté de la Polynésie puisqu’il ne s’y trouve pas ? M. Thompson, il est vrai, ne parle pas de cet arbre ; mais la légende en parle, et cela suffit. Si donc il a été apporté d’Hawahiki, il faut bien en conclure encore que l’Hawahiki ne pouvait être en Polynésie. Il en est de même des Moa, des Kiwi et de tous les oiseaux sans ailes qui ont existé ou existent encore à la Nouvelle-Zélande. Il est évident qu'ils ne pouvaient provenir dé la Polynésie, et, par conséquent, il faut reconnaître que ceux-là du moins étaient autochthones, puisqu’on ne les trouve qu’à la Nou- velle-Zélande. Ces dernières raisons, sans parler de toutes celles que nous avons déjà indiquées, nous semblent donc bien suffi- santes pour détruire toute l’importante de cette preuve de M. Thompson. En résumé, de l’examen de tous les preuves précédentes, il faut conclure qu’elles sont plutôt contraires que favora- bles à l’opinion soutenue par le savant anglais. Tout ce que l’on pourrait dire à leur égard de moins défavorable, c’est que si plusieurs laissent planer quelque léger doute, toutes, du moins, laissent voir que les traditions citées par l’au- teur n’ont jamais précisé la situation réelle de l’Hawa* hiki. 8° — Il nous reste encore à examiner une preuve plus difficile que toutes les précédentes : c'est celle qui est rela- tive à l’époque des migrations. Au premier abord, cette preuve est embarrassante, puisqu’elle est tirée de ce que les Nouveaux- Zélandais émigrés d’Hawahiki n’ont séjourné dans leur île que pendant la durée de 19 générations, tandis que les habitants de Rarotonga ont demeuré dans la leur pendant 29 générations. Mais on n’a pas remarqué qu’elle 320 LES POLYNÉSIENS. n’est embarrassante que pour celui qui admet à priori la provenance polynésienne et plus particulièrement celle de Rarotonga. Car pour ceux qui donnent un autre lieu d’o- rigine aux Nouveaux-Zélandais, il est évident que cette différence importe peu. Pour ceux-ci, elle ne serait embar- rassante que si elle aidait à déterminer la position de l’Ha- wabiki autrement que par induction. Or elle ne dit rien de plus que ce que nous avons rapporté, et elle repose d’ail- leurs sur des données si incomplètes, qu’il est sage, croyons- nous, de ne lui accorder qu’une confiance relative, même en ce qui touche le nombre des générations. C’est avec raison certainement que M. Thompson a le premier fait remarquer que les 29 générations de chefs, si- gnalées par Williams à Rarotonga, témoignent que les habitants de cette île y ont passé un temps plus long que les Néo-Zélandais à l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande, de- puis leur émigration, s’il est vrai que ces derniers ne comptent que 15, 18 à 20 générations. En effet, si ces calculs étaient exacts, et s’il était démon- tré surtout que les Néo-Zélandais sont venus de Rarotonga, les plus jeunes auraient été évidemment les émigrants et les habitants de Rarotonga seraient leurs ancêtres, Mais on l’a vu, rien jusqu’à présent ne l’a prouvé ; rien n’a déterminé la position de l’Hawahiki, et une pareille comparaison ne peut être un témoignage que pour celui qui, plaçant d’a- vance l'Hawahiki dans les îles des Navigateurs, en fait pro- venir les Néo-Zélandais. Comme le dit Thompson, (1) « le temps a fait sortir de la mémoire des Néo-Zélandais le nombre des années écoulées depuis l’arrivée de leurs ancêtres, et ce n’est qu’indirecte- ment qu’on a pu obtenir quelque renseignement sur cet intéressant sujet. » De l’examen attentif qu’il a fait de deux arbres généalogiques , il a conclu qu’il y a eu 20 gé- nérations de chefs depuis l’arrivée des premiers émigrants d’Hawahild, c’est-à-dire que cette arrivée avait eu lien vers 1419. Il croyait qu’on devait d’autant plus se fier à ces deux (1) Ouvr. cité, p. 67. LES POLYNÉSIENS. 321 généalogies qu’elles avaient été débattues par les deux parties devant le j âge anglais. Avant lui, du reste, Short- land en avait publié deux obtenues de la même manière et par lui-même : elles ne portaient ces générations qu’à 18. En admettant ces 20 générations, chiffre le plus élevé auquel on rapporte généralement leur nombre (1) et, pour Rarotonga, les 29 générations qui sont généralement admi- ses, il en résulterait que les migrations d’Hawahiki, dont parlent les légendes de Shortland et Sir Grey, seraient pos- térieures à celles qui se sont faites à Rarotonga. Mais c’est là tout ce que prouvent ces calculs, sans rendre plus cer- taine la provenance polynésienne des Maori. D’un autre coté, toutes les légendes maori connues montrent que l’é- migration d’Hawahiki a eu lieu vers une même époque ; mais ce que l’on n’a pas remarqué, c’est qu’elles font con- naître en même temps plusieurs départs, antérieurs, tels que ceux de Kupe, Turi, Ngahue et même de Uenuku, qu’elles disent s’être rendu à Aotearoa en pagayant. Or si des voyages antérieurs à l’émigration d’Hawahiki ont pu être faits du même point habité par tous les person- nages que nous venons de désigner, ne pourrait-on pas supposer, qu’avant la grande émigration d’Hawahiki, d’au- tres émigrations vers l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande se seraient opérées du même point ou de points environnants, et de la même manière qu’ont fait les émigrants dont par- lent les légendes ? Il faudrait seulement admettre alors que le souvenir de ces premiers voyages aurait été perdu et pour ainsi dire absorbé par celui de l’émigration rapportée par la légende. Il est évident qu’une émigration pareille aurait pu avoir lieu à une époque très reculée, peut être double de celle connue. Si donc on admet, d’après la généa- logie d’un descendant d’Hotunui, le chef du Taïnui, que la grande émigration d’Hawahiki s’est faite 450 ans avant 1850, l’ancienne aurait pu se faire 900 ans auparavant, autrement (1) Il n’y en aurait que 15 d’après la légende de Sir Grey, mais bien davantage, 29, d’après la tradition rapportée par un grand prê- tre à Taylor. ni 21. 322 LES POLYNÉSIENS. dit à la même époque que le peuplement de.Rarotonga d’a- près ses 29 générations. La supposition que nous faisons n'est probablement pas aussi paradoxale qu’elle le paraît. En effet, il est démontré aujourd’hui que les émigrants d’Hawahiki, dont parlent les traditions, ont rencontré quelques colonies d’habitants primitifs, ou du moins plus anciens qu’eux sur l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande. Les légendes de Sir Grey en citent au moins deux exemples observés sur des points différents de rîle : Fun sur les bords du lac Roto-Rua, près de la côte Est, et l’autre à Rohutu (Waïtara), sur la côte Ouest (1). Or ces colonies parlaient la même langue que les émigrants d’Hawahiki, avaient les mêmes usages et les mêmes croyan» ces religieuses qu’eux. Pour qu’il en fût ainsi, il fallait nécessairement qu’elles vinssent d’une même contrée et que leur venue datât de bien loin, puisqu’elles étaient incon- nues aux nouveaux arrivants. Si elles venaient du même point, l’Hawahiki, pourquoi n’auraient-elles pas pu en pro- venir à une époque double peut-être de celle des émigrants dont parlent les légendes ? Cela ramènerait justement à l’é- poque de la migration faite aux îles Hervey. Tout cela est fort conjectural, nous le reconnaissons ; mais s’il est si difficile, comme le dit Thompson lui-même, de séparer la vérité de Terreur, il n’est pas moins vrai qu’en s’en rapportant aux estimations de MM. Haie et Grey, l’époque des migrations doit être reculée beaucoup plus encore : ce dernier la reporte à 2000 ans, ce que nous se- rions plus porté à admettre que les 450 ans seulement qui résultent des généaologies de Shortland citées également par Thompson (2). Car, quel que soit le lieu d’où l’on fasse (1) Le révérend Taylor en cite également plusieurs exemples : Kupe, Turi, etc. (2) Ces généalogies sont forcément inexactes : un vieux grand- prêtre actuel a donné au révérend Taylor une liste de 29 généra- tions depuis le moment de l’arrivée dans Tîle, (Taylor, p. 193.) Le même missionnaire (p. 155), dit qu’on fait peu de cas d’un chef qui ne peut pas remonter à 20 ou 30 générations, et que les grandes familles vont même jusqu’au commencement de toutes choses. LES POLYNÉSIENS. 323 venir les habitants de TIle-Nord de la Nouvelle-Zélande, la même difficulté existe. Si l’on admet qu’ils venaient de Rarotonga, il faut admettre également que les colonies trouvées par eux en étaient aussi venues à une époque fort éloignée. De toute façon donc il y aurait eu oubli des migrations antérieures ; car il faut le répéter : migrations de l’ Hawahiki et colonies trouvées par elles, étaient de la même race, quoiqu’on ait voulu y voir des races diffé- rentes. En somme, il résulte du long examen que nous venons de faire de l’opinion de M. Thompson : Que les Nouveaux-Zélandais n’ont ni le langage, ni les caractères physiques des Malais comme il le dit, et qu’ils ne reconnaissent qu’un seul Hawahiki ; Que si tous rapportent leur origine à un lieu appelé Hawahiki, rien ne prouve que ce lieu soit Savaii ou Raroton- ga, ni Aparima et Manono, îles voisines de la première; Que l’histoire naturelle ne prouve pas davantage, ou plu- tôt prouve, de même qu’une foule d’autres témoignages, que le lieu d’origine des Maori ne pouvait pas être en Po- lynésie. Le travail de M. Thompson, malgré l’intérêt qu’il pré- sente, renferme un assez grand nombre d’inexactitudes, principalement dans le résumé qu’il donne des itinéraires des émigrants. Comme il a emprunté ce résumé aux légen- des publiées par Sir Grey, il suffira de comparer les deux textes pour s’en convaincre. Nous nous bornerons à signa- 1er ici les inexactitudes relatives : aux motifs qui ont forcé Ngahue à émigrer ; à l’époque du départ de VAotea ; à l’ab- sence d’habitants sur l’île Aotearoa, lors de l’arrivée des émigrants ; à l’itinéraire de YArawa ; à la situation du Whangaparaoa, où abordèrent le Tokomaru et le Tainui , et après eux, YArawa ; à l'itinéraire de VAotea, le canot de Turi, et à celui du Tokomaru ; etc. M. Thompson, qui a fait à ses prédécesseurs Dieffenbach, 324 LES POLYNÉSIENS. Shortland, Grey et Taylor, tant d’emprunts, beaucoup plus même qu’on aurait pu s’y attendre d’après sa préface, s’est abstenu de citer une seule fois, dans son ouvrage, les tra- vaux géographiques si consciencieux et si importants, par- ticulièrement dans le détroit de Cook, des compagnons de d’Urville. 11 se borne à dire (1) que le capitaine d’Urville, de l’armée navale, a passé, en 1827, deux mois sur V Astro- labe à examiner les côtes de l’Ile-du-Milieu, et que de nom- breux baleiniers français ont voltigé autour de ces îles avant que l’Angleterre n’en prît possession. Mais il ne dit pas un seul mot de la découverte de l’île d’Urville, de l’île Adèle, de la passe des Français, de l’exploration du lieu où a été fondée la ville Nelson, de la belle et dangereuse ex- ploration de la baie d’ Abondance si peu connue jusque-là. De même qu’il passe sous silence les travaux géographi- ques des Français, il oublie de mentionner les recherches d’histoire naturelle, si nombreuses et si neuves, des natu- talistes Quoy, Gaimard et Lesson ; ce n’est guère que par hasard qu’il dit, à l’art. Bibliographie , en parlant des plan- ches botaniques du voyage de Y Astrolabe, qu’elles sont excellentes : ce qui nous touche infiniment. Dans tout son livre, par ses raisonnements aussi bien que par ses prétentions, Thompson se montre Anglais dans la force du terme : il y trahit à chaque instant l’ambition et l’orgueil de son pays. « Les Anglais, a dit Malte-Brun, par- tagent le genre humain en deux classes : l’une composée de ceux qu ils haïssent, l’autre de ceux qu’ils méprisent. Les nations n’ont que le choix. » Le livre de M. Thompson, œuvre de compilation de tous les travaux modernes, et de recherches propres, n’en est pas moins l’un des plus intéressants qui aient été publiés dans ces dernières années sur la Nouvelle-Zélande. 7e Hypothèse : Origine s amoane indirecte. — M. de Qua- trefages a successivement soutenu deux opinions diffé- (1) Ouvr. cité, p. 270 LES POLYNÉSIENS. 325 rentes : Dans la première, qui date de 1864, (1) Savaii était l’Hawahiki des Néo-Zélandais qui, de là, avaient fait route directe vers la Nouvelle-Zélande. Ce n’était en somme que l’opinion d’Horatio Haie, appuyée d’un témoignage qui avait manqué au naturaliste Américain. Dans la seconde, qui date de la fin de 1866, (2) il fit, avec Thompson, passer les émigrants par Rarotonga avant de se rendre de Savaii à la Nouvelle-Zélande. Ce fut après la lecture du premier travail du savant pro- fesseur, que nous adressâmes à la Société d’Anthropologie de Paris, deux mémoires, dontM. Gaussin fut nommé rap- porteur le 7 décembre 1865; l’un était l’appréciation de quelques parties du travail de M. de Quatrefages; l’autre avait pour but de prouver qu’on avait mal interprété les traditions maori publiées par Sir Grey, et dont nous don- nions la traduction. Alors M. de Quatrefages était tout- à -fait partisan de l’hypothèse de Haie. Comme lui, après avoir fait partir les émigrants de l’ile Bourou, après les avoir conduits en deux colonnes aux Samoa et aux Fiji, et, de là, aux îles Tunga, il les faisait aller directement à la Nouvelle-Zélande, en partant des îles Samoa. Pour prouver cette opinion, il invoquait la plupart des témoignages de M. Haie, témoignages que nous avons déjà fait connaître, et plus particulièrement celui que semblait fournir une des légendes publiées par Sir Grey et que le savant américain n’avait pu connaître. Il pensait, comme ce dernier, que de l’île désignée sur la carte de Tupaia (3) sous le nom de Oheavai, dérivait le mot Hawahiki (1) Revue des Deux-Mondes , t. XLIX, 3e et 4e livraison, février 1864. (2) Comptes-Rendus de V Académie des Sciences , vol. LXIII, p. 813 et 816, séance du 12 novembre 1866. (3) Cette carte fut donnée à Banks et non à Forster, comme le dit M. de Quatrefages : Tupaia, en effet, est mort à la fin du premier voyage de Cook, et Forster ne faisait partie que du deuxième voyage; mais c’est par ce dernier qu’elle fut publiée pour la pre- mière fois dans le volume Y du deuxième voyage. 326 LES POLYNÉSIENS. de la Nouvelle-Zélande; « car, disait-il, il n’y a pas à dou- ter : les chants nationaux publiés par Sir Grey le démon- trent de la manière la plus précise et la plus détaillée : ces chants citent comme point de départ l’Hawahiki. » Cette citation ne prouve nullement que le mot Hawahiki dé- rive de Savaii, et surtout elle ne prouve pas quel’ Hawahiki se trouvât placé en Polynésie, quoiqu’elle soit regardée comme si décisive par M. de Quatrefages. Elle n’établit, à notre avis, qu’une chose : l’origine étrangère des habitants de l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande et leur venue d’un lieu appelé Ha- wahiki; mais elle ne dit en aucune façon où était situé cet Hawahiki, ou pays des ancêtres. Pour qu’on n’en puisse douter, nous allons citer les lignes sur lesquelles s’ap- puyait M. de Quatrefages. Ce sont les premières du réc t légendaire relatant les causes des guerres survenues en Hawahiki; elles furent publiées par Sir Grey sous le nom de légende deToï-te-Huatahiet de Tama-te-Kapua (1). « Autrefois nos ancêtres se séparèrent : les uns restèrent en Hawahiki, (2) les autres vinrent ici, (3) dans des canots. » M. de Quatrefages ne manque pas de conclure à cette occasion, comme il fit aussi dans son travail ultérieur : « Il est superflu d’insister sur ce que ces lignes ont de décisif, et, n’eût-on aucune autre preuve, cela suffirait pour mettre hors de doute, pour tout esprit non prévenu, l’origine étrangère des Nouveaux-Zélandais . Des hommes qui avouent être étrangers à la terre qu’ils habitent peu- vent être crus sur parole, la plus haute prétention des peuples sauvages étant d’être enfants du sol. » Sans contredit, telle est bien la signification de ces li- gnes, et personne n’a témoigné à ce sujet le moindre doute, si ce n’est peut-être d’Urville ; car toutes les traditions s’ac- cordent aie dire. Mais encore une fois, ce n’est pas là 1a, (1 ) Polynesicinmytkology, p. 123. (2) Le texte, en effet, ne dit pas « à, de, » comme le traduit M. de Quatrefages, mais bien « en, dans. » (3) Le mot « ici » est pour l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande ou Aotearoa. LES POLYNÉSIENS. 327 question : elle consiste à savoir où se trouvait l’Hawaliiki ayant fourni les émigrants qui sont allés peupler l’Ile- Nord de la Nouvelle- Zélande. Evidemment de pareilles paroles ne disent pas qu’il se trouvait placé dans les îles Samoa, et si M. de Quatrefag-es eût fait attention aux ligmes qui les suivent, il aurait pu remarquer qu’elles semblent indiquer la faible distance qui séparait Aotearoa d’Hawabiki, puis- que Uenuku l’avait franchie en pag-ayant. M. de Quatrefag-es, sans doute, a conclu de la sorte parce que M. Haie l’avait dit ; mais cette supposition n’est pas fondée. Pour le prouver, il nous suffira de recourir aux mêmes lég-endes que cite le célèbre professeur. On recon- naîtra facilement que ces légendes, mal interprétées par celui-là même qui les a fait connaître, puisqu’il partag*eait l’opinion de Haie, quant au lieu d'origine des Maori, prou» vent le contraire de ce qu’on leur a fait dire touchant la véritable situation de l’Hawahiki. Elles établissent nette- ment, en effet, que les émigrants sont venus de l’Ouest, et par conséquent, d’une direction opposée à celle qu’on ad- met g-énéralement, de même qu’elles distinguent constam- ment l’île qui a reçu ces émigrants des autres îles de la Nouvelle-Zélande, et qu’elles ne parlent jamais de l’Ile- Nord que sous le nom d’ Aotearoa. Cette distinction, avons- nous dit ailleurs, est de la plus grande importance. Si les lég-endes n’ont voulu parler que de l’Ile-Nord, comme nous le démontrerons bientôt, il faut donc commen- cer par isoler de cette île la grande île voisine, appelée Tavai-Pounamu, qui se trouve placée dans le Sud-Ouest et par conséquent plus dans l’Ouest qu’elle, et il ne faut jamais perdre de vue que, quand un écrivain européen rend par Nouvelle-Zélande le nom de l’île qui a reçu les émi- grants, il ne s’agît absolument que de l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande, que ces mêmes lég-endes appellent Aotea- roa. Il est évident, d’après cela, que c’est à tort qu’on a con- fondu jusqu’à ce jour toutes les îles de ce groupe sous le nom de Nouvelle-Zélande : Sir Grey lui-même a commis cette méprise, qui, naturellement, a été répétée par tous 328 LES POLYNÉSIENS. ceux qui ont écrit après lui. Si nous insistons autant sur ce fait, c’est qu’il a été le plus grand obstacle à la décou- verte du véritable point de départ des premiers colons de rile-Nord. Telle était donc l’opinion de M. de Quatrefages en 1864, alors qu’il ne connaissait pas encore l'ouvrage de Thompson, publié en 1859. Mais, imitant en cela d’Urville et Ellis, et témoignant en même temps avec quel soin il s’est occupé de cette question, le savant professeur aban- donna l’opinion de Haie pour adopter complètement celle de Thompson. Dans ce nouveau travail, qui n’est que la reproduction du premier, revu, corrigé et augmenté, l’auteur continue à faire venir les Polynésiens de l’île Bourou,parle Nord de la Nouvelle-Guinée, et avec Haie, il les fait arriver aux Fiji et aux Samoa. Mais là, il se sépare du naturaliste amé- ricain, et il admet que les îles Tunga ont reçu des habi- tants directement de la Malaisie, par une troisième colonne d’émigrants. Puis, revenant à l’opinion de Haie, adoptée par Thompson, il tait partir des lies Samoa les émigrants pour la Nouvelle-Zélande. Seulement, avec ce dernier, il les fait passer et séjourner d’abord à l’île Rarotonga du groupe Hervey ; puis, de cette île, sinon de toutes les Ma- naia, il les tait enfin sortir et arriver directement à la Nouvelle-Zélande. Ce fait, suivant lui, se serait passé plu- sieurs siècles après l’émigration tahitienne au lieu d’en être contemporaine, comme Haie le croyait. S’appuyant tout particulièrement sur l’assertion de Thompson, que les Nouveaux-Zélandais reconnaissent deux Hawahiki, et, suivant son habitude, beaucoup plus hardi dans ses inductions que J’écrivain anglais, M. de Quatre- fages ne se borne pas à faire passer les émigrants se ren- dant de Savaii à la Nouvelle-Zélande par Rarojonga, mais il trouve que c’est à une partie de cette île Rarotonga qu’ils ont donné le nom d’Hawahiki. Il se fonde : Sur ce fait, rap- porté par les légendes, que c’est à Rarotonta qu’a été abattu le Totara qui a servi à construire VArawa ; sur le surnom de « route d’Hawahiki » donné à cette île ; sur cet autre LES POLYNÉSIENS. 329 fait que les habitants de Rarotonga ont des caractères phy- siques et un langage presque pareils à ceux des Maori, et enfin sur tous les témoignages apportés en faveur de cette opinion par M. Thompson ; il en conclut qu’il est difficile de ne pas reconnaître, d’après tous ces faits, que les Nouveaux-Zélandais viennent des îles Hervey. « Enfin, dit-il, (1) c’est aussi de Rarotonga que viennent les Maori, conformément à l’opinion de Thompson, et contrairement à celle de Haie que j’avais d’abord embras- sée. » Puis, après avoir exposé les raisons qui l’ont porté à changer d'opinion et à ne plus voir un seul point de départ dans Savaii, « cette île qui était pour Tupaia le père de tou- tes les autres, » il ajoute : a Thompson nous apprend qu’au dire des Néo-Zélandais il existe deux Hawaïki, l’une plus grande et plus éloignée, l’autre plus rapprochée et moins étendue. Il est clair que cette petite Hawaïki est ou une île, ou une partie d’île, à qui des émigrants avaient donné ce nom en souvenir de la mère-patrie, comme les Tahitiens avaient appelé Hawaii la plaine sacrée de Raiatea. « Dès lors toutes les difficultés s’aplanissent : les Maori deviennent les descendants de cette colonie de Samoans que nous avons vu se rencontrer et se fondre avec les Tahi- tiens à Rarotonga. Tout en adoptant le dialecte de leurs vassaux, probablement plus civilisés, ils ont conservé le souvenir de leur première patrie et donné au district qu’ils habitaient le nom d’Hawaïki, laissant le nom tout Tahi- tien de Rarotonga à la partie de l’îie occupée par leurs voi- sins. De là les deux Hawaïki dont ils ont emporté le souve- nir à la Nouvelle-Zélande, quand leurs guerres intestines ont amené la grande émigration dont nous avons raconté les principaux évènements ; de là aussi les rapports lin- guistiques signalés par les deux auteurs qui ont combattu l’opinion de Haie. » M. de Quatrefages, pour soutenir son opinion, ne s’appuie en somme que sur les témoignages du Dr Thompson. Après (I) Les Polynésiens et leurs migrations , p. 156. 330 LES POLYNÉSIENS. la longue réfutation que nous avons faite "de ces témoi- gnages, il serait certainement suffisant d’y renvoyer le lecteur ; mais nous avons réservé à l’examen de l’opinion de M. de Quatrefages, la preuve décisive que Rarotonga n’a pu peupler la Nouvelle-Zélande, et qu'elle a plutôt été elle- même peuplée par la Nouvelle-Zélande. Nous allons donc ici exposer cette preuve, afin de compléter notre première réfutation, et de réfuter en même temps la dernière opinion deM. de Quatrefages. C’est aux faits eux -mêmes, mais sur- tout à la linguistique que nous nous adresserons. Si les choses s’étaient passées comme le dit M. de Qua- trefages, s’il y avait eu deux Hawahiki, si ce nom avait été donné à un district de Rarotonga par les Samoans, alors qu’une autre partie de llle était appelée Rarotonga par les Tahitiens, il n'existerait aucune difficulté, rien ne serait plus simple. On comprend parfaitement que la grande Hawahiki, ou Savaii, envoyant, comme il le dit, une colo- nie à Rarotonga, aurait pu commencer par soumettre celle venue de Tahiti, puis par adopter le dialecte des Tahitiens ses vassaux; c’est même ce qu’on ne cesse de répéter depuis que Williams a fait connaître la légende de Karika et de Tangiia dont nous avons déjà parlé et qui pour nous dit le contraire. On comprend aussi fort bien qu’à la suite de guerres intestines, des émigrations auraient pu s’opérer vers un point quelconque, en emportant le souvenir de la grande et de la petite Hawahiki, si Rarotonga eut été véri- tablement la dèrnière (1). Mais, pas plus que ses autorités, M. de Quatrefages n’a remarqué qu’une pareille théorie ne repose que sur des faits qui la détruisent. Il n’a pas remarqué que le mot Rarotonga, par exemple, loin d’être tout tahitien, comme il (1) Nous avons accepté, avec tous les écrivains, le mot Rarotonga comme le nom de l’île ; mais nous devons dire que quelques voya- geurs ont écrit Rorotonga : roro, le devant d’une maison, (le de- vant étant « dessus, au vent. ») L’île se trouve, en effet, au vent de Tunga par rapport aux vents alisés d’Est et de Sud-Est. Peut- être, à cause de cela, serait-il. préférable d’adopter Rorotonga. LES POLYNÉSIENS. 331 le dit (1), n’est ni tahitien ni samoan, et qu’il ne pouvait être donné par conséquent par l’une ou l’autre colonie ; que le mot Hawahiki pouvait d’autant moins être appliqué par les Samoans, que ce mot est inconnu aux Samoa, où il est rem- placé par le motBulotu ; que le mot Rarotong*a se retrouve ailleurs qu’aux Samoa, de même que les mots Aparima, Manono, etc. ; qu’enfin la similitude entre les dialectes rarotongan et maori, est encore plus grande que MM. Gaus- sin et Thompson ne l’ont remarqué, avec tous les linguis- tes, depuis les recherches de J. Williams, que Rienzi, le premier, a fait connaître en France. M. de Quatrefages n’a pas remarqué non plus, pas plus du reste que ne l’ont fait Thompson et tous les autres écri- vains, qu’on retrouve dans l’une des îles de la Nouvelle-Zélan- de, en outre des mots Manono, Oheavai, Tunga, Aparima, Hapai, etc., ce mot Rarotonga, qui est donné à une île placée sur la côte Sud-Ouest de lTle-du-Milieu, dans le détroit de Foveaux. Il n’était donc pas aussi légitime qu’on l’a dit, de conclure que c’étaient les émigrants de l’île Ra- rotonga du groupe Hervey qui avaient « nécessairement » peuplé la Nouvelle-Zélande, puisqu’il serait tout aussi lo- gique, en s’appuyant sur les mêmes raisons, d’attribuer aux habitants de l’Ile-du-Milieu le peuplement et même la dé- nomination de l’île Rarotonga. Un pareil fait ne prouve pas plus en faveur du peuplement de la Nouvelle-Zélande par l’île Rarotonga, que du peuplement de Rarotonga par la Nouvelle-Zélande. D’où il faut conclure que ce fait était insuffisant pour justifier la solution proposée par M. Thomp- son, et adoptée par M. de Quatrefages : c'était ailleurs qu’il fallait en chercher l’explication. Or, aucun des renseignements sur lesquels s’appuie M. de Quatrefages ne dit qu’une partie de Rarotonga ait porté autrefois le nom d’Hawahiki. M. Thompson, l’autorité invo - quée, dit même : (2) « Rarotonga est une des plus grandes îles du groupe Hervey ; mais ce n’est pas l’Hawahiki des (1) Les Polynésiens, p. 157. (2 Ouvr. cité, p. 58. 332 LES POLYNÉSIENS. Nouveaux-Zélandais, puisque les habitants de Rarotonga rapportent que leurs ancêtres étaient venus aussi d’Hawa- hiki. » Et il ajoute plus loin (1) : «J’ai été, par mes propres recherches, conduit à conclure que la Nouvelle-Zélande a été peuplée par un seul lieu, et en une seule fois. » C’était une réponse anticipée qu’on nous semble n’avoir pas assez remarquée. Nous avons déjà montré qu’aucune tradition ne parle de plusieurs Hawahiki, quoiqu’en ait dit Taylor, et après lui Thompson. Ellis, affirme-t-on généralement, aurait avancé que les Tahitiens ont autrefois donné, en souvenir de la mère patrie, le nom de Havaï à la plaine sacrée d’Opoa, dans l’île de Raiatea. Mais, ainsi que nous l’avons dit précédemment, Ellis garde à ce sujet le silence le plus complet, et c’est seulement dans l’ouvrage de Barff que l’on trouve écrit ce mot Havaï (2). D’un autre côté, J. Williams, l’historien de Rarotonga, n’a jamais rien avancé qui pût faire supposer que des émi- grants aient donné à un district de cette île le nom d’Ha- wahiki en souvenir du pays d’origine ; et pourtant, il dé- signe avec soin chaque localité nominativement. Bien mieux, il fait connaître une légende très explicite et très nette, d’après laquelle les habitants de Rarotonga et des autres îles Hervey étaient venus d’un Hawahiki placé sous le vent, c’est-à-dire dans l’Ouest. Ils ne pouvaient donc venir ni de Tahiti, ni des Samoa, puisque Tahiti est dans le Nord-Est et les Samoa dans le Nord-Ouest de Rarotonga, et qu’il n’y a dans l’Ouest que les îles Tunga. L’assertion de M. de Quatrefages relativement à la « petite Hawahiki » n’est donc pas aussi claire qu’il semble le croire. Quelques recherches linguistiques démontreront encore mieux qu’il doit y avoir erreur dans les conclusions du sa- vant français, erreur qui provient, il faut le reconnaître, des autorités sur lesquelles il s’est appuyé. Comment, en effet, les Tahitiens auraient-ils pu désigner (1) Ibid. p. 66. (2) Vol. II, p. 337. LES POLYNÉSIENS. 333 rîle Rarotonga par ce nom qui n’est pas taliitien? Ils ont, il est vrai, le mot raro, qui signifie « vers l’Ouest, sous le vent, dessous, sous ; » mais ils ne se servent pas du mot tonga , ni sous cette forme, ni sous la forme tunga. Tonga , à la Nouvelle-Zélande, signifie « vent du Sud». A Tahiti, ce vent est appelé aujourd’hui maramu , mot qui a remplacé celui de maraai des anciens temps. Les Tahitiens n’auraient donc pu l’appeler ainsi que si le nom donné à leur île eût été Tonga, ou si ce nom eût existé autrefois dans leur lan- gage avec la signification qu’il a à la Nouvelle-Zélande. Dans ce dernier cas, en effet, on comprend qu’on aurait pu dire queRarotonga se trouvait, par rapport à Tahiti, sous le vent alisé ; car, on le sait, une île est au vent d'une autre, quand elle est plus occidentale, par rapport aux vents d’Est et de Sud-Est. Mais alors il faudrait être sûr que ce mot tonga a bien existé et signifié autrefois, à Tahiti, «vent du Sud, » pour persister à soutenir que ce sont les Tahitiens de Tangiia qui ont donné à cette île le nom de Rarotonga. Or, rien ne l’indique, et l’absence complète du mot tonga h Tahiti doit plutôt faire supposer le contraire. Pas plus que Tahiti, du reste, les îles Samoa et les îles Tunga elles-mêmes ne peuvent, par leur position, pré- tendre à cette désignation ; les Tunga surtout sont placées directement dans l’Ouest de Rarotonga, et les émigrants qui seraient partis de ces îles, quand même ils auraient été les découvreurs de Rarotonga, n’auraient pu dire qu’elle se trouve sous le vent des Tunga, puisque ce sont les îles Tunga qui, comme les Iles Samoa, sent sous le vent de Rarotonga. Mais il y a une contrée, parfaitement placée au contraire pour pouvoir donner cette appellation : c’est la Nouvelle- Zélande. Il est certain que, par rapport à cette dernière, l’île Rarotonga. du groupe Hervey est presque directement sous le vent du Sud. Qu’on jette les yeux sur la carte et Ton reconnaîtra que, pour expliquer une pareille désigna- tion, il faut supposer que le mot tonga provient des îles où il a la signification de vent du Sud, îles qui sont elles-mê- mes plus au Sud que Rarotonga, et les seules, relativement 334 LES POLYNÉSIENS. à cette île de la Polynésie, qui soient plus au vent dans cette direction. Une remarque de M. Thompson, remarque des plus im- portantes et sur laquelle nous aurons à revenir, ne permet pas d’ailleurs de mettre cette étymologie en doute : c’est que, pour les Maori, le Sud signifie « en haut, dessus, » et le Nord, « en bas, dessous »« Voici ce qu’il dit à ce sujet (1) : « The North island w as first peopled, and as a proof of this , tke South means up , and the North down. » C’était ce que Shortland et Taylor avaient déjà appris, et l’on verra plus tard de quelle importance est une pareille observation pour le système que nous soutenons. 11 faut donc conclure de cette remarque que le nom de Rarotonga a été donné par les Maori. Par leur position dans le Sud du monde, ils étaient les seuls qui pussent regarder le Nord comme placé « en bas, dessous, » par rap- port à eux, et Rarotonga comme se trouvant « située sous le vent. » Cette même remarque prouve plutôt qu’au lieu d’être peuplée par Rarotonga, c’est la Nouvelle-Zélande qui a découvert et peuplé cette île. Toujours est-il qu’à la Nouvelle-Zélande on trouve les mots à significations distinctes de : mro, sous, dessous ; tonga , vent du Sud, et Rarotonga, nom d’une île. On y trouve même une île dont le nom est écrit Tonga, mais doit être orthographié, comme nous l’avons dit ailleurs* Tunga. Evidemment, d’après tout ce que nous venons de dire, c’est à tort que l’on a toujours regardé jusqu’à présent le mot rarotonga comme ne pouvant provenir que du Tahî^ tien. Certainement on a eu raison de trouver de l’analogie entre le dialecte de Tahiti et celui de Rarotonga : il y en a entre tous les dialectes polynésiens ; mais on a eu tort de dire avec M. Gaussin. que « le dialecte rarotonga est essen» tiellement tahitien. (2) » 11 suffit de comparer quelques mots (1) Ouvr. cité, p. 63. (2) De Quatrefages, ouvr. cité, p. 156. LES POLYNÉSIENS, 335 pourvoir, comme l’avait déjà dit de Rienzi, d’après les ren- seignements des missionnaires anglais, que c’est avec le dialecte maori que le dialecte rarotongan a le plus d’ana- logie : comme lui, il n’emploie pas' le f et il emploie au contraire le k et le ng , qui ne sont pas plus usités à Tahiti qu’aux Samoa, mais qui le sont aux îles Tunga. En un mot, le dialecte de Rarotonga ne diffère du Maori qu’en ce qu’il n’emploie ni le f, ni le h, car, comme lui, il emploie le r que les Samoa et les Tunga ont remplacé par le l. Si cependant M. Gaussin a affirmé à M. de Quatrefages que le dialecte maori était essentiellement tahitîen, c’est qu’il n’a donné qu’un des membres de la phrase de J. Wil- liams. Celui-ci dit bien, en effet, alors qu’il a à faire admet- tre une provenance tahitienne, que « le langage est pur tahitien » ; mais il ajoute aussitôt, ce que n’a sans doute pas remarqué M. Gaussin : « avec une infusion de conson- nes dures et des sons nasaux qui caractérisent les dialectes de l’Ouest ; » (1) c’est-à-dire qu’il ressemble plus au Maori qu’au Tahitien. Il n’est, du reste, pas permis de douter que Williams ne s’est servi de cette qualification que par inattention, car il dit ailleurs : « Le dialecte des îles Hervey est plus original et a une affinité plus grande avec les autres dialectes de la Polynésie que le Tahitien. » (2) a Le dialecte des îles Hervey et de Rarotonga se distingue du Tahitien par deux parti- cularités : d’abord par le rejet du fet du h, ensuite par l’usage du k et du ng. » (3) « Le dialecte des Nouveaux- Zélandais est, dans ses principales particularités, semblable à celui de Rarotonga ; la seule différence étant que les Nou^eaux-Zélandais se servent du h que les habitants de Rarotonga n’emploient pas » (4). Dans ses remarques sur la langue des îles Hervey, il avait commencé par dire qu’il ne prenait le Tahitien pour (1) John Williams, ouvr. cité, p. 196. (2) Ibid. p. 522. (3) Ibid. p. 524. (4) Ibid. p. 525. 336 LES POLYNÉSIENS. terme de comparaison que parce qu’il avait été réduit en système : * Pour être plus clair, dit-il, après avoir admis huit dialectes (1), je choisirai comme étalon le dialecte tahitien, et je lui comparerai les autres dialectes. Je le ferai, non cependant parce que je pense qu’il est primitif (origi- nal) car, à ce titre, le dialecte des îles Hervey semble avoir de plus grandes prétentions, de même qu’il est parlé beau- coup plus généralement et qu’il a une affinité plus grande avec les autres dialectes que le Tahitien ; mais parce que le Tahitien a été le premier réduit en système. » C’est clair. N’en faut-il pas conclure que si on ne l’a pas remarqué, c’est par défaut d’attention, et que ces diverses citations de J. Williams prouvent à peu près le contraire de ce qu’on lui a fait dire ? En effet, les dernières observa- tions sont les seules exactes, parce qu’elles résultent réelle- ment de la comparaison des dialectes : elles constatent la ressemblance presque complète des langages des îles Hervey et de la Nouvelle-Zélande, et, par contre, les différences plus grandes qui existent entre le Maori et le Tahitien. M. de Quatrefages, pour appuyer son opinion, n’a pas manqué de recourir à l’histoire du peuplement deRarotonga rapportée par Haie, et que J. Williams a, le premier, fait connaître. Cette histoire, suivant lui« confirme de tout point quant au langage, que le dialecte tahitien, très dominant, y est mêlé de mots et de quelques tournures empruntées aux Samoa. » Nous en avons déjà longuement parlé ail- leurs, mais il ne nous paraît pas moins indispensable d’y revenir ici, pour montrer qu’elle confirme plutôt le con- traire . Les ethnologues et J. Williams lui-même n’ont pas re- marqué que tous les mots cités dans cette légende (2), au lieu d’être des mots tahitiens ou samoans sont des mots maori : tels sont : Karika, Tangua, Makea , Aru, Takai , etc. Nous pouvons citer aussi, en les empruntant encore à J. Williams, les mots Arorangi, Avarua et Ngatangiia, noms (1) Ibid. p. 522. (2) J. William?, A Narrative, etc., p. 92. LES POLYNÉSIENS. 337 de lieux à Rarotong'a. Ces trois mots, tels qu'ils sont écrits, sont plus maori que tahitiens. Si on les faisait tahitiens, il faudrait écrire les deux premiers aro-raï et ava-rua (1) ; quant au troisième, il ne saurait être tahitien, puisque la particule ng n’existe pas à tahiti. Nous ajouterons enfin que l’un des chefs suprêmes de Rarotonga, quand Williams alla s’y établir, se nommait Makea : ce nom était, à la Nou- velle-Zélande, celui du père de Maui. Or, aucun de ces mots ne pouvait évidemment exister aux Samoa et à Tahiti. Aux Samoa, rangi , par exemple, se rend par lagi ; tangaloa par tagaloa ; tangi par tagi ; papalangi par papalagi ; etc. Le ng n’y était donc pas plus usité qu’à Tahiti, où les mots rangi , tangi , etc., de la Nou- velle-Zélande et de Rarotonga, se rendent par rai et tai. D’un autre côté, on a dit que la colonie qui était allée peu- pler Rarotonga, conduite par le chef samoan Karika(2), était partie de Manua, l’une des îles Samoa. Mais le texte, qui appelle cette île Manuka au lieu de Manua, se contente de dire que l’île d’où ce départ avait eu lieu gisait dans l’Ouest de Rarotonga. Or l’île Manua des Samoa ne se trouve pas dans l’Ouest, mais dans le N. -N. -O de Raro- tong’a. Il est donc bien probable qu’il y a là encore une erreur. Cette erreur provient de J. Williams qui, dans son désir de retrouver le pays des ancêtres du roi Makea, et oubliant que la légende le disait placé dans l’Ouest, avait cru le découvrir dans Manua, que, dans son texte, il appe- lait néanmoins Manuka. Voici, en effet, ce qu’il dit à ce su- jet : (3) « Makea fut heureux d’apprendre que j’avais re- (1) En Maori, aro, détour, incliner; rangi , ciel. En Tahitien, aro , vu, être oublié, perdu, inconnu; rai , ciel. En Maori, awarua , fosse, rivière. En Tahitien, ava , entrée, ouverture de rivière; rua , trace, ouvert, deux. En Maori, nga , particule, respirer; tangi, crier, saluer; ia, passif. (2) Noter, que Karika était le nom de l’un des chefs premiers émigraats d’Hawahiki à Aoteacoa. (3) Ouvr. cité; p. 359. i 338 LES POLYNÉSIENS. trouvé Manuka, d’où était venu, suivant la tradition, le grand et célèbre Karika, l’ancêtre de la famille de Makea. » Le studieux observateur ne remarque pas, dans sa préoc- cupation, que le mot manuka est aussi maori que les autres mots que nous avons cités, et que, pas plus que le mot karika , il ne pouvait être samoan, puisque les Samoans n’emploient pas le k. La position qu’il donnait à Manuka, dans l’Ouest, prouve d’ailleurs que ce ne pouvait être Ma- nua, qui est dans le N. -N. -O. Puisque Manuka se trouvait dans l’Ouest, la légende avait bien probablement voulu parler d’une île qui porte un nom presque pareil, c’est-à-dire de l’île Na-Muka, une des îles Hapaï, placée tout-à-fait à l’Ouest de Rarotonga. D’un autre côté, Na-Muka (1) n’avait bien certainement pu être dénommée ainsi que par des Maori : eux seuls pou- vaient croire à l’existence du Phormium tenax ailleurs qu’à la Nouvelle-Zélande et songer à donner un nom pareil. Dans la direction indiquée par le texte, c’est-à-dire à l’Ouest de Rarotong'a, il y a bien une île Manu portée sur la carte de Tupaia ; mais il ne peut s’agir de cette île, qui figure sur les cartes modernes dans le groupe Ilervey au Nord de Rarotonga, et qui est bien probablement l’île Manuai ou Hervey de Cook. A moins donc que M. Williams ait commis une méprise en indiquant l’Ouest comme étant la direction dans la- quelle se trouvait placée la contrée d’où venait Karika, on doit, à notre avis, reconnaître dans Na-Muka, malgré l’in- version de lettres que présente ce mot, l’île Manuka du texte et non l’île Manua des Samoa. Il en résulterait alors que Karika serait venu de l’une des îles Tunga. C’est là, en effet, que le k et le ng sont employés comme à la Nouvelle- Zélande, quoiqu’on trouve aussi dans le langage l’usage du l à la place du r. Il suffit d’indiquer ce fait pour qu’on en saisisse toute l’importance. J. Williams ne s’est pas contenté de signaler les différen- ces de langage que nous venons de démontrer entre le Ta- (1) Na, du ; muka, phormium, LES POLYNÉSIENS, 339 hitien et le Rarotongan ; il a montré en outre qu’à Raro- tonga les rang*s ne sont pas dénommés comme à Tahiti, mais bien comme à la Nouvelle-Zélande. Là, dit-il, quatre rang-s se partag-ent la population : les Ariki ou chefs ; les Mataiapo ou g-ouverneurs de districts ; les Rang-atira ou propriétaires fonciers, et les Unga outenanciers, fer- miers, vassaux. Un homme est grand en raison du nom- bre plus grand de Kainga ou fermes qu’il possède. Or tous ces mots encore ont le cachet Maori. On sait qu’à la Nouvelle-Zélande les prêtres et même les premiers chefs dans l’origine étaient appelés Àri- ki (1) ; nous avons déjà dit pourquoi ce nom a été adop- té en Polynésie pour le titre le plus, élevé. En Maori, mataiapo signifie précieux, estimé, alors qu’il ne dési- gne que le premier né à Tahiti ; rangatira signifie chef ; unga , envoyer, arrivée, et, pour ainsi dire, colon, co- lonisateur : ce dernier mot est tout-à-fait inconnu à Tahi- ti. Il en est de même du mot kainga, qui n’existe pas non plus à Tahiti ; on le retrouve, au contraire à la Nouvelle-Zé- lande, où il signifie lieu de résidence, demeure, village, etc. ; aux Turiga il signifie parenté. En résumé, malgré ce que Williams a dit une seule fois de l’analogie du Rarotongan et du Tahitien, toutes ses au- tres assertions montrent la différence de ces langages ; de plus, comme on le voit, tous les mots que nous venons de citer prouvent qu’ils sont maori au lieu d’être tanitiens ou samoans. La dernière opinion de M. de Quatrefages sur le peuple- ment de la Nouvelle-Zélande par Rarotonga ne repose donc pas sur des bases plus solides que ne le faisait la pre- mière. Certainement la supposition de deux Hawahiki, faite par M. Thompson et adoptée par M. de Quatrefages, rend plus facile l’explication de l’origine polynésienne admise par ces écri- vains; mais c’est à la condition de ne pas tenir compte dulan- (1) D’après Thompson, ce nom est encore celui du premier pouvoir. 340 LES POLYNÉSIENS. gage. Autrement, cette supposition devient tout-à-fait insuf- fisante, sans parler de toutes celles qu’il faudrait faire, en outre, pour chaque archipel plus oriental. D’autre part d’ailleurs, et cela ^eul suffirait pour faire rejeter cette opinion, il est impossible d’appliquer à Raro- tonga le récit des légendes rapportées par Sir Grey, ainsi que le font MM. Thompson et de Quatrefages. Car, non- seulement la plupart des témoignages de Thompson prou- vent le contraire de ce qu’il a avancé ; mais, de plus, on ne saurait comprendre comment des guerres intestines surve- nues, même à la longue, dans cette petite île, auraient pu produire la grande émigration dont parlent les légendes. Ces mêmes légendes montrent, en outre, que les tribus qui fournissaient les émigrants étaient non-seulement nom’ breuses, mais qu’elles se trouvaient souvent placées à de grandes distances l’une de l’autre : ce qui, certes, n’aurait pas eu lieu s’il se fût agi d’une île aussi restreinte que Ra- rotonga. Elles établissent enfin, d’une manière positive, qu’avant d’atteindre la mer, les canots avaient presque tou- jours une rivière h descendre, et qu'une fois en mer ils se dirigeaient vers le Levant, vers l’Est, pour atteindre Aotea- roa ou l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande. Tout ceci démon- tre de la manière la plus péremptoire que la petite Hawa- hiki n’avait pu exister à Rarotonga, île petite, et par con- séquent dans l’impossibilité d’avoir jamais contenu une grande population (1) ; île sans rivières navigables, et d’où les émigrants, au lieu de se diriger vers l’Est, comme le disent les légendes, auraient dû faire route vers le Sud- Ouest pour atteindre la Nouvelle-Zélande ; île enfin où l’on ne trouve pas un seul de.ces lacs si nombreux dans la pa- trie première, où ne croissent ni le Totara, ni le Karaka, etc. La distance entre la Nouvelle-Zélande et Rarotonga, n’est pas très grande, puisqu’elle n’est guère que de 1000 milles, (1) Williams a estimé la population de Rarotonga à 6 ou 7000 âmes, et celle de tout le groupe à 14 ou 16000 ; mais Dibbes, le capitaine de sou navire, ne portait qu’à 2000 le nombre des habi- tants de Rarotonga. LES POLYNÉSIENS. 341 . et non de 3000 milles comme Fa dit Thompson : ceci, d’ail- leurs, ne prouve pas plus en faveur d’une provenance que de l’autre. Mais ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est qu’en partant de Rarotonga, les émigrants se seraient trou- vés dans la nécessité d’avancer contre les vents d’Ouest (S. -O. et N. -O) : ce sont les plus fréquents et surtout les plus forts dans ces parages, et ce sont ceux qu’on reconnaît généralement avoir servi aux migrations polynésiennes. Cette dernière raison suffirait seule, à notre avis, pour faire douter de la possibilité du peuplement de la Nouvelle-Zé- lande par Rarotonga, tandis que, au contraire, elle expli- querait très bien l’arrivée facile de colonies maori aux île Hervey, Tunga et autres îles Polynésiennes. En résumé, parmi les écrivains qui ont cherché à expli- quer le peuplement de l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande, ou mieux de toutes les îles de ce groupe, les uns ont admis que les émigrants sont venus de Tahiti ; d’autres, qu’ils sont arrivés des Sandwich ; quelques-uns de l’île de Pâ- ques ; d’autres enfin, et ce sont les plus nombreux, des îles Samoa, soit directement, soit indirectement ; mais tous s’accordent à les faire venir de la Polynésie. D’Urville, Diefïenbach, Horatio Haie, Gaussin, Shortland et Thomp- son, résument les diverses variantes de la croyance en une origine polynésienne des Maori. Mais comme aucun des témoigmages présentés à l’appui de ces diverses opinions ne vient les justifier, nous allons maintenant exposer à notre tour le système rationnel au- quel les faits nous paraissent nécessairement conduire. Cette dernière opinion n’a jamais été soutenue avant nous ; elle est absolument opposée à toutes celles qui ont été émises jusqu’à ce jour ; elle est la résultante de toutes les données que nous avons déjà signalées, et surtout de tontes celles qu’il nous reste à faire connaître. RIVRE quatrième HA.WAHIKI CHAPITRE PREMIER RECHERCHE DE L’HAWAHIKI Heawise de Cook. — Traditions relatives à l’Hawahiki, publiéès par sir Grey et Taylor. — Conséquences qui en découlent. — • Ce^qu’était l’Ha- wahiki.— Erreurs résultant de la confusion faite entre les îles qui com- posent le groupe de la Nouvelle-Zélande. — LTIawahiki était placé à l’Ouest et fort près d’Aotearoa ou Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande. — Ces émigrants de l’Hawahiki ont tous vécu vers la même époque et se sont expatriés pour les mêmes motifs. — Voyage de Kupe. — Itinéraire de Turi : Version de sir Grey; version de Taylor. — Voyage de Ngahue: Version de sir Grey ; version de Taylor. — Voyage à la Nou- velle-Zélande, d’après sir Grey : Itinéraire de VArawa ; itinéraire du Taïnui ; itinéraire du Tokomaru. — Conséquences tirées de ces itiné- raires: l’Hawahiki se trouvait situé dans l’Ile-du-Milieu de la Nouvelle- Zélande, Comme pour tant d’autres faits océaniens, c’est d’abord à Cook, malgré ses erreurs, si excusables d’ailleurs, que nous demanderons le premier mot de cette question. S’il ne l’a pas résolue, tant s’en faut, il n’est pas moins vrai qu’il a été le premier à la soulever (1). Parmi les premières traditions relatives h l’origine des Nouveaux-Zélandais qui lui ont été données sur les lieux, il en est une, en effet, qui attribuait cette origine à un pays appelé Heawise ou Heaveejee ; ce nom, comme l’a dit, le premier, M. Iiale, n’était que le mot Hawahiki, mal enten- du et mal orthographié par le navigateur anglais. i Aujourd’hui, il est à peu près démontré que c’est biennie (1) Cook, Premier voyage , t. III, p. 298. LES POLYNÉSIENS. 343 mot Hawahiki qui a été dit à Cook, et qu’il a rendu par Ileaveejee ou Heawise. Mais il est pourtant vrai que quel- ques écrivains ont cru y reconnaître, à première vue, le mot Fiji. Les îles de ce nom ne sont, comme on sait, qu’à 900 milles environ de -File-Nord de la Nouvelle-Zélande, et, certainement, des canots auraient pu en être entraînés jusque-là. De plus, si les observations des premiers naviga- teurs étaient exactes, il faudrait en conclure que la venue d’un ou plusieurs canots de ces îles expliquerait, mieux que tout ce qu’on a dit, les différentes nuances et même les variétés de type qu’on a cru voir dans la population d£ la Nouvelle-Zélande. Mais nous avons déjà assez démontré l’erreur d’observation commise par ces navigateurs et par- ticulièrement par Crozet, qui a le plus contribué à la répan- dre ; il est inutile de nous y arrêter de nouveau, et nous nous bornerons à répéter que c’est certainement de l’Hawahiki que l’on a parlé à Cook, quand il a entendu Heaveejee ou Heawise. On verra tout à l’beure, quand nous dirons où se trouvait placé cet Hawahiki, combien Haie avait raison de le regarder comme le lieu d’origine de ces populations, mais combien en même temps il avait tort de le placer dans les îles Samoa. Nous ferons remarquer en passant que ce mot Heavejee, qu’il signifiât ou nom Hawahiki, indiquait toujours que les Nouveaux-Zélandais de i’Ile-Norcl, contrairement à ce que d’Urville a avancé, d’après le chef Tuaï, se regardaient comme provenant d’une autre terre que celle qu’ils occu- paient. Du reste, on l’a vu, tous les auteurs précédemment cités ont également rapporté l’origine des Nouveaux-Zélandais à un même lieu nommé Hawahiki ; ils ne diffèrent entre eux que sur la véritable situation de ce lieu, qu’ils supposent tous pius Est ou plus Nord que la Nouvelle-Zélande, tandis que nous le regardons, au contraire, comme placé encore plus à l’Ouest que l’Ile-Nord, c’est-à-dire dans l’Ile- du-Milieu de la Nouvelle-Zélande : c’est ce que nous allons démontrer. Pour faire cette démonstration, nous n’aurons qu’à exa^ 344 LES POLYNÉSIENS. miner quelques-unes des traditions publiées par sir Grey et le révérend Taylor ; et nous croyons, qu’à moins de ne pas vouloir voir, il faudra bien conclure que l’Hawahiki fai- sait partie de lTle-du-Milieu, et n’était même probablement que cette île elle-même. On sait que sir George Grey, qui fut à deux reprises gou- verneur de la Nouvelle-Zélande, a traduit et publié à Londres, en 1855, la plupart des traditions indigènes de cette contrée, qui lui avaient été dictées par des prêtres et des chefs de la race Maori. Ce travail considérable est des plus précieux pour la solution de la question qui nous oc- cupe (1). Ce sont ces traditions que nous avons traduites nous- même sur le texte anglais, et que nous avons adres- sées en décembre 1865, à la Société d’anthropologie de Paris, où elles ont été le sujet d’un rapport faille 18 juillet 1867, par M. Gaussin (2). Il nous est impossible de présenter ici ce travail fort longuement annoté ; nous ne pouvons que renvoyer à la traduction complète que nous avons faite du livre de sir Grey. Nous exposerons néanmoins les conclusions auxquelles conduit l’étude de ces traditions, et nous en citerons même quelques-unes afin de faire ac- cepter plus facilement l’opinion que nous voulons établir. C’est en 1855 aussi que parut le livre, peut-être plus im- portant encore, du Révérend Taylor, qui, . pendant long- temps, fut missionnaire à la Nouvelle-Zélande. Ce livre est intitulé Te Ika-a-Mciui ou la Nouvelle-Zélande et ses ha- bitants (3). (1) Polynesian Mythology and ancient traditional History of the New-Zealand race , as furnished by tlieir Priests and Chiefs , by sir George Grey, late governor in chief of New-ZealaaJ, in-8°, London 1855. (2) Bull. soc. d'anthrop 1867, p. 436. (3) Telka a Maui, or New-Zealand and its inhabitants. London, 18561 Cette appellation est inexacte, puisque, comme le recon- naît l’auteur lui-même, Ika-a-Maui, «. le poisson de Maui, » n’est que le nom de lTle-Nord de la Nouvelle-Zélande. Cook, le premier, LES POLYNÉSIENS. £45 Les traditions qu’il contient sont du plus haut intérêt, car elles complètent très souvent celles de sir Grey, les corrobo- rant toujours et sont surtout précieuses par les données nou- velles qu’elles fournissent. Ii en est une, entre autres, qui semble dire exactement où se trouvait l’Hawahiki, et, des lambeaux d’une autre, on arrive à comprendre, pour la première fois, ce que c’était que cette fameuse Wharekura ou « Maison Roug*e, » dont Uenuku était l’un des directeurs. Nous nous bornerons à dire ici que les faits les plus variés abondent dans ce travail immense, faits entassés lentement par un homme qui com- prenait parfaitement la langue, et qui avait de grandes con- naissances en histoire naturelle. Comme sir Grey, le Révérend Taylord, montre, du reste, qu’il croyait la Nouvelle-Zélande peuplée par des émigrants venant en dernier lieu de la Polynésie, et, comme on a vu, il n’était même pas éloigné de croire que les Maori étaient les descendants de l’une des tribus perdues d’Israël. Nous allons maintenant examiner les traditions publiées par ces deux écrivains et, avant d’entrer dans les détails, nous essaierons d’en résumer brièvement les données. Trois sortes de traditions se trouvent dans ces deux ou- vrages, comme d’ailleurs dans ceux de Shortland et de White (1). 1° Celles qui ne sont que des mythes touchant l’origine du monde et des hommes ;t 2° Celles qui sont relatives à certains héros ou demi- dieux des temps anciens ; .3° Celles qui datent, soit de l’époque de la grande émi- gration, soit de quelque temps peu antérieur ou très peu postérieur. l’avait déjà fait remarquer, en écrivant, il est vrai, le son entendu par lui d’une manière si étrange, que ce mot était difficile à re- connaître. (1) John White, Maori Superstitions , Auckland, 1856. 346 LES POLYNÉSIENS. Les premières sont pour ainsi dire sacrées pour tout le monde ; les secondes, au contraire, sont considérées par beaucoup d’indigènes comme des fables, qu’ils appellent Korero-Tara (1) ; mais tous regardent les dernières, malgré le mervei lieux qui les enveloppe, comme fondées sur des faits qui ont réellement existé. Il n’est guère permis, en effet, de douter de leur impor- tance, quand on remarque que, quelque soit le lieu de l’Ile- Nord de la Nouvelle-Zélande où l’on se procure ces tradi- tions, les naturels s’accordent presque complètement à donner les mêmes noms aux canots qui ont amené leurs ancêtres, aux chefs qui les commandaient, aux équipages qui les composaient, et à désigner jusqu’aux choses diver- ses apportées par eux. C’est, du moins, une preuve presque certaine de l’exactitude de la tradition générale, et c’est pourquoi, croyons-nous, on peut avoir recours à ce dernier genre de traditions sans crainte d’être induit en erreur. Toutes les traditions des livres de Taylor et de sir Grey, qu’on peut appeler historiques, prouvent, en somme, que les premières émigrations ont eu lieu d’Hawahiki à l’Ile- Nord de la Nouvelle-Zélande ou Aotearoa, par des canots forcés de s’expatrier et se dirigeant tous vers l’Est pour atteindre cette île. Elles montrent qu’en arrivant à Aotearoa, les émigrants s’emparaient simplement des lieux, quand ils étaient inhabités, ce qui avait le plus souvent lieu, mais qu’ils commençaient par exterminer les populations primi*- ves, quand ils en rencontraient. Quatre légendes au moins en rapportent des exemples. Ces traditions sont l’histoire des colonisations sur Aotearoa d’émigrants arrivant presque tous à la fois, ou du moins dans un intervalle assez restreint, de la contrée d’origine appelée Hawahiki. Rien ne peut donner une idée plus exacte des mœurs et des usages des Nouveaux-Zélandais que ces traditions qui, pour la plupart, n’ont évidemment été dictées que par de vieux prêtres Maori, nés dans l’ile-Nord, et encore tout (1) Korero , discours, récits ; tara , courage, hauts faits. LES POLYNÉSIENS. 347 imbus des vieilles croyances. Mais il est regrettable qu’elles aient été fournies presque toutes par des personnages de l’Ile-Nord, et qu’elles présentent de temps en temps des la- cunes et des divergences, qui s’expliquent d’ailleurs parfai- tement par les procédés que le gouverneur Grey et le mis- sionnaire Taylor ont été dans la nécessité d’employer pour se les procurer. Ainsi que le fait remarquer le premier, ce n’était souvent qu’ après beaucoup de temps et à des sources différentes qu’il finissait par obtenir quelque fragment manquant pour compléter la tradition. Mais il n’est pas moins digne de remarque que ces traditions, si elles diffè- rent souvent par les détails, s’accordent au contraire toutes par le fond ; c’est la preuve qu’on peut leur donner quel- que confiance. Il doit sembler étonnant que ces traditions n’aient pas été interprétées, depuis le temps de leur publication (1855), comme elles auraient du l’être ; nous croyons même qu’on pourrait se demander comment il se fait que ceux qui s’en sont servi pour appuyer leur opinion, en en citant de nom- breux passages, n’aient pas signalé ou combattu les passa- ges voisins qui étaient contraires à cette opinion. On com- prend très bien qu’en rencontrant les explications toutes faites d’Horatio Haie, quelque savant les accepte et s’en contente; mais quand ce savant se donne la peiné de par- courir les traditions publiées depuis lui, et de leur faire des emprunts, à toucher des faits tout-à-fait opposés, on ne comprend plus aussi bien le silence qu’il garde sur ces der- niers, car il ne peut venir à l’idée qu’il ne les a pas vus, et dès lors, ce silence peut sembler intéressé. 1° Le premier fait qui résulte de ces légendes, c’est que les émigrants venaient tous d’une même contrée appelée Hawahiki (1). (1) C’était, avons-nous déjà dit, l’opinion de Thompson, opinion que ne partageait pas le Rév. Maunsell. Celui-ci pensait, au con- traire, que les Néo-Zélandais étaient venus de différentes îles, en raison de trois particularités linguistiques, ( Grammar of the New-Zealand Language , 1842) qui ne sont pas exactement obser- 348 LES POLYNÉSIENS. Cet Hawahiki était le pays des ancêtres, la résidence des dieux| et c’est là, s’il fallait en croire le mythe de Maui, qui n’a de valeur qu’à Aotearoa, que les enfants des hommes auraient cessé, par sa faute, d’être immortels. Maui était devenu le plus remarquable de ses 4 ou 5 frères ; sa vie ne paraît avoir été qu’une succession de prodiges. C’est lui, dit la légende, qui pêcha à la ligne Aotearoa, qui fut sur- nommé depuis Ika-na-Maui (poisson de Maui), et ce fut là qu’il alla s’établir et mourir. C’est encore en Hawahiki que la religion fut fondée, et certainement il n'existe, dans aucune île polynésienne, une cosmog-onie plus complète que celle des N ou veaux-Zélan- dais. Auprès de cette cosmog-onie, celle dés Polynésiens n’est véritablement composée que de lambeaux qui en pro- viennent, mais qui, avec le temps, se sont complètement transformés et obscurcis. Ainsi écrit, et en un seul mot, Hawahiki n’est pas maori; mais on trouve dans cette langue les radicaux qui servent à le former, de même qu’on les retrouve dans toutes les îles polynésiennes où l’usag-e et la signification de ce mot ont été conservés. Partout ce mot est le synonyme de pays d’orig-ine, de patrie: on a donc dit à tort que les Zé- landais n’avaient conservé aucun souvenir de leur pays d’orig-ine.'* Non-seulement, depuis les lég-endes publiées par sir Grey et Taylor, il n’est pas permis de douter que ce soit le mot employé dans l'Ile-Nord au moins, mais de plus il n’est peut-être pas une contrée qui ait conservé plus soigneusement le souvenir du pays des ancêtres ; rien n’en précise plus nettement la position que les traditions Néo-Zélandaises. vées. Ces particularités sont, suivant lui, que les Nga-Puhi, qui vivent dans les environs de la baie des Iles, prononcent le h comme s’il y avait sh : ainsi, shongi pour hongi ; 2° que les naturels de Taranaki ne prononcent pas du tout le h et le remplacent par une secousse dans la voix : Hei devient ei et hohoro, orro , dans leur bouche; 3° que quelques tribus dans la baie d’Abondance, neMonnent pas le «g, son nasal particulier aux bons linguistes, et emploient à sa place na. LES POLYNÉSIENS. 349 Dans la Polynésie, au contraire, comme nous l’avons fait voir, ce n’est absolument qu’un souvenir lointain et confus qui a été cause que, pendant bien des années, presque tous les voyageurs et les missionnaires surtout, faute de com- prendre, n’ont fait de l’Hawahiki qu’un enfer, un lieu de rendez-vous des âmes. Mais jamais les Polynésiens n’ont pu donner sur ce lieu et sur sa position que les indications les plus vagues ; ils laissaient ainsi le champ libre aux in- terprétations les plus extrêmes' des voyageurs. Les Néo- Zélandais de Pile-Nord, du moins, ont toujours dit nette- ment que leurs ancêtres venaient d’un lieu appelé Hawahiki : c’est même ce qu’ils avaient dit à Cook qui, il est vrai, avait, comme toujours, si mal écrit le mot entendu par lui, qu’il avait été impossible, jusqu’à ces derniers temps, de le re- connaître. C’est donc à tort, nous le répéterons, qu’on a dit que les Néo-Zélandais n’avaient pas conservé le moindre souvenir du pays d’origine, puisque, d’après les traditions aujourd’hui connues, ceux de l’Ile-Nord, du moins, avaient encore des sou- venirs aussi frais que s’ils eussent été de la veille. Toutefois il se pourrait que la remarque fût plus applicable à la contrée où se trouvait l’Hawahiki. En effet, si ce mot, composé des racines que nous ferons connaître, y était probablement connu et parfois usité dans le même sens, il est clair qu’on devait s’en servir moins fréquemment que ne devaient, avec le temps surtout, le faire les émigrés, une fois éloignés du pays d’origine. Bientôt, en effet, tous les émigrants de points différents, en perdant le souvenir de leurs loca- lités diverses, ne devaient plus avoir recours qu’au mot gé- nérique qui, compris de tous, les rappelait à chacun d’eux, c’est-à-dire au mot Hawahiki, a pays nourricier, qui avait vu naître. » Il se pourrait donc, pour ces raisons, que ce mot eût été beaucoup moins usité, comme l’ont dit quelques écrivains, mais seulement dans le pays d’origine, c’est-à-dire dans rile-du-Milieu qui, ainsi que nous allons le démontrer, est ce pays. Pourtant, comme cette île est à peine connue, quoi- que plusieurs points soient occupés déjà depuis assez long- 350 LES POLYNÉSIENS. temps, comme les Shortland et autres n’en disent rien, nous croyons qu’il est permis de douter de cette assertion dans ce qu’elle a d’extrême. On comprend, du reste, que si c’est en s’éloignant davan- tage et avec le temps que cette expression Hawahiki est devenue, pour ainsi dire, le seul souvenir delà patrie, elle a dû en même temps, être de plus en plus obscure. C’est ce qui explique si bien comment on l’a trouvée remplacée par un autre mot dans cêrtaines îles : Samoa et Tunga; conservée parfaitement dans d’autres : îlesHervey et Mar- quises, et presque oubliée dans quelques-unes, telles que Tahiti et les Sandwich. Il résulte d’une citation du Rév. Taylor fl) qu’ Hawahiki était la terre primitive, celle qui fut employée pour former les autres terres. Ce qui semble le prouver, c’est qu’il dit: a Le ciel s’unit à l’Hawahiki et la terre fut produite. » Te porapora , tauware-nikau, kuku paru , wawauatea , wiwhi te rangiora. Taylor n’a pas cherché à donner la signification de ce texte maori, et nous l’avons nous-même cherchée vaine- ment. Mais, quelle qu’elle soit, il n’en est pas moins à re- marquer que, d’après lui, le nom Hawahiki est donné à la première terre formée. Dans toutes les autres traditions, au contraire, on se borne à dire que «le ciel s’unità la terre.» N’est-çe pas encore un témoignage que la signification véritable de ce mot est bien « le pays nourricier, la terre nourricière, » et que ce mot est un nom abstrait au lieu d’être le nom propre d’une île ou d’une terre. 2° Le deuxième fait résultant des légendes, c’est qu’il faut bien distinguer les unes des autres les îles qui composent le groupe de la Nouvelle-Zélande. Quand les légendes parlent de l’île qui a reçu les émigrants d’Hawahiki, elles ne font absolument allusion qu’à llle-Nord de la Nouvelle-Zélande, qu’elles appellent Aotearoa. Cette île Aotearoa, en effet*. n’est, d’après toutes lestradi- (1) Ouv. citi p. 15, LES POLYNÉSIENS. 351 tions, comme d’après les cartes et d’après Taylor et sir Grey eux-mêmes, que l’He-Nord de la Nouvelle-Zélande, c’est-à« dire celle, qui, en outre d’une foule de noms antérieurs que nous avons signalés ailleurs, porte encore le nom de Ika-na- Maui ou « Poisson de Maui. » Il est bien certain que toutes les îles ont des noms parti- culiers, sans en excepter celle qui avoisine le plus Aotearoa, et que Cook et d’Urville ont appelée Tovai ou Tavai-Poena» mu. Mais quand les légendes désignent l’île où se sont ren- dus les émigrants, elles n’entendent parler formellement que de TIle-Nord de la Nouvelle-Zélande. Ce fait est de la plus haute importance, comme il est facile de le pressentir, et il ne faut jamais le perdre de vue, qùand on recherche le lieu d’origine des émigrants arrivés sur cette île. De cette remarque, jusque-là passée inaperçue, il résulte d'abord, en effet, que tous les ethnologues, aussi bien que le Rév. Taylor, sir Grey, Thompson, Shorland et autres, ont à tort confondu toutes ces îles sous le nom collectif euro- péen de Nouvelle-Zélande. Or, une pareille désignation ne peut qu’induire en erreur par son inexactitude. Il en résulte ensuite que, lorsqu’on lit les traditions interprétées par les Européens, il ne faut jamais oublier que ce mot Nouvelle- Zélande doit être remplacé par le mot Aotearoa, qui répé- tons-le, est celui de l’île qui a reçu te émigrants, c’est-à- dire seulement l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande. Nous croyons devoir insister d’autant plus sur cette dis- tinction, que c’est faute de l’avoir faite, nous en sommes con- vaincu aujourd’hui, qu’on n’est jamais parvenu, jusqu’à présent, à préciser la situation véritable du point de départ ou Hawahiki : bientôt nous le démontrerons. Comment, d’ailleurs, aurait-on pu le faire avec les données contradic- toires qui résultaient de cette confusion ? Tl fallait forcé- ment qu’on allât bien loin chercher un lieu d'origine qui, comme tant d’autres choses , se trouvait plus près qu’on ne croyait. Aujourd’hui, depuis la publication des traditions maori, il n’est plus guère possible de faire cette confusion.; mais comme c’est nous qui la faisons re- marquer pour la première fois, il était indispensable d’in- 352 LES POLYNÉSIENS. sister sur la distinction à faire, distinction qui résulte nette- ment, quoique h leur insu, des beaux travaux de sir Grey et du Révérend Taylor. Une telle distinction est, suivant nous, si importante, que nous n’hésitons pas à dire d’elle, comme Haie Ta dit du mot Hawahiki, qu’elle est la clef de l’origine des Maori. Il est inutile de répéter longuement ici que le nom de Nouvelle-Zélande, appliqué, on ne sait par qui, à la terre vue par Tasman, appelée Staten-Land et regardée à tort par lui comme ne faisant qu’une seule terre, est donné à un ensemble d’îles et d’îlots, renfermés entre le 64e et 176e degrés de longitude à l’Est de Paris, et s?étendant depuis le 34°12, jusqu’au 48° iat. S., et que le groupe est composé de deux îles principales, d’une troisième, encore assez grande, nommée Rakiura, et de plusieurs autres petites. Les deux grandes sont îka-na-Maui ou Aotearoa, au Nord du détroit de Cook, et Tavai-Poenamu ou mieux Kawai, autrement dit l’He-du-Milieu des Angiais, l’He-Sud ded’Urvilïe, au Sud du même détroit. La dernière est séparée de l’île Stewart par le détroit de Foveaux. Mais ce sur quoi nous insisterons encore une fois, c’est que ces îles avaient chacune un nom particulier, qui était le seul employé par les indigènes quand ils voulaient les désigner, et qu’ils nedes confondaient jamais sous un même nom, pas plus qu’on ne le faisait aux Sandwich, avant Tamehameha Ier. Cette distinction entre chacune des îles, semble trouver un appui dans la différence des noms donnés à certaines mêmes choses dans les deux îles principales, au dire du Révérend Taylor. Ainsi, le dieu de la guerre est appelé Tu dans TIle-Nord et Maru dans l’Ile-du-Milieu (1). (1) Taylor, p. 35, dit que ce dieu avait une foule de noms : Maru-i-te-Aeva, Maru-Koeta, Maru-Anaunau, Maru-Wakatamara , Maru-tu-Huri-mai, Maru-Takotua, Maru-Tuwakarere, Maru-Riri, Maru-Ngulia, Maru-Mataitai. Tous ces noms indiquaient les di- verses mauvaises qualités de Maru ; ses allées de côté et d’autres comme ennemi ; cause de défiance, fauteur de maladies, le cour- LES POLYNÉSIENS. 353 Ainsi, les ternies d’appel sont : e hoa , e tama , dans Flle- du-Milieu ; e koro1 e mara dans File-Nord (I). Il y avait surtout une différence remarquable dans la pro- nonciation : Ainsi, les mots rarotoka , rakituma , moeraki, takitata, hikuraki , hakaroa , whakanui ou hakanui de File» du-Milieu, sont les mêmes qu’on prononce et qu’on écrit, dans File-Nord : rarotonga , rangituma » moerangi , rangitata , hikurangi, whangaroa. On en trouve la preuve dans le récit des guerres faites aux habitants de FIle-du-Milieu par Rauparaha, et cité par Shortland. p. 253. Tous les ob- servateurs, d’ailleurs, s’accordent sur ce sujet. 3°. — Ce que les légendes établissent surtout formelle- ment, c’est que, pour aller de FHawahiki à Aotearoa, il fal- lait faire route vers « le côté où le soleil se lève, * c’est-à- dire vers l’Est. Après la distinction précédemment signalée, il n’en est certainement pas de plus importante que celle-là. On verra plus loin que ce conseil est donné à l’émigrant Turi par Kupe, qui revenait à l’instant même de son voyage. Kupe avait découvert la rivière Patea, sur Aotearoa, dans le détroit de Cook, et il avait fait d’autres découvertes * encore au dire des traditions ; il insiste auprès de Turi pour qu’il s’y rende, et il lui renouvelle deux fois sa recommandation de faire route « vers le côté où le soleil se lève, » ce qui prouve que lui aussi avait fait la même route. roucé, le plein de colère et de tromperie, etc. Etant descendu sur la terre, Maru y avait été tué et mangé, mais sa divinité était re- montée au ciel et la planète Mars avait pris son nom. (1) Quand les habitants de FIle-du-Milieu entendent ces mots ainsi employés par ceux de File-Nord, ils se moquent d’eux, dit Taylor. Sans doute, ajouterons-nous, parce qu’ils n’ont plus tout à fait le même sens que les leurs. Ainsi, e hoa, e îama, signifient ami, enfant; koro , une personne, et mara , un cultivateur, un fermier Les premiers mots sont évidemment plus affectueux. ni 28a. 354 LES POLYNÉSIENS. Voici, du reste, ses paroles, que nous nous bornons à citer ici sans commentaires : nous y reviendrons plus tard. « Maintenant, rappelle-toi bien de 'toujours te diriger vers l’Orient où le soleil se lève, et que l’avant de ta piro- gue soit toujours dirigé droit vers cette partie du ciel. » Ces paroles sont répétées et appuyées plus tard par Turi lui-même, dans sa dispute avec Poturu, le chef de l’un des canots qui étaient partis en même temps que lui. Poturu, après la relâche dans une île appelée Rangitawha, voulait retourner vers l’Ouest, d’où on venait, tandis que Turi vou- lait, au contraire, continuer la route vers l’Est. « Ne te rappelles-tu pas, disait Turi, ce que Kupe qui a visité ces îles, nous a tout particulièrement recommandé ? « Mainte- « nant, rappelez-vous bien de ne pas dévier la proue de vo- « tre canot du point des cieux où se lève le soleil. » Il fallait donc bien faire route vers l’Est. Du reste, comme on le verra encore, les légendes établis- sent également que tout le chemin fait, surtout depuis le cap Est de l’île Aotearoa, l’a été en allant du Sud vers le Nord ou mieux du Sud-Ouest vers le Nord-Est, c’est-à-dire dans le sens de la direction des deux îles principales de la Nouvel^ -Zélande. Ce fait ne serait guère compréhensible, si l’on supposait que les émigrants venaient des îles Samoa dans la Polynésie, car alors, il leur eût certainement été plus naturel de continuer la route commencée du Nord-Est vers le Sud-Ouest, que de revenir sur leurs pas à la moitié à peu près d’ Aotearoa. Ce qu’on comprendrait encore moins, en admettant la provenance des Samoa, c’est l’arrivée des premiers canots (1) d’emblée et sans voir aucune terre, dans le détroit de Cook^ qui est le point de Pile-Nord le plus éloigné des îles Samoa. On ne comprendrait pas davantage, enfin, le choix que les émigrants auraient fait de ce détroit pour retourner en nawahiEi, si cet Hawahiki se trouve en Polynésie. D’ordi- naire, on ne part que du point le plus proche ou le mieux (1) Par ex. Kupe, Turi, Hou, Uenuku, peut-être Ngahue, Mawa- keroa à Kaupokonui. LES POLYNÉSIENS. 355 placé du moins pour profiter des vents ; et Ton ne voit pas quel aurait été, pour se rendre aux Samoa, l’avantage de partir du point de l’île, non seulement le plus éloigné, mais en même temps le moins bien placé peut-être (1) . C’est ail- leurs que nous aurons à insister sur ce fait ; nous diront seu- lement encore ici que les mêmes légendes, par tous leurs témoignages, montrent que l’Hawahiki n’était et ne pouvait être situé que dans une direction toute contraire à celle jusque-là admise. 4°. — Puisqu’il fallait faire route vers l’Est, pour aller de l’Hawahiki à Aotearoa, les légendes disent donc implicite- ment que l’Hawahiki était placé plus à l’Ouest que cette île, et non pas, comme on le croit généralement, dans le Nord- Est, c’est-à-dire dans les îles Samoa. Il est bien certain, en effet, que si on fût parti des Samoa, il eût fallu faire une route toute autre, toute opposée même à celle qui était conseillée, puisque les Samoa se trouvent dans le Nord-Est de la Nouvelle-Zélande. C’est vers le Sud-Ouest que, dans ce cas, il eût fallu se diriger pour ar- river à cette dernière île , autrement, en partant des Samoa et en faisant route vers l’Est, les émigrants auraient tourné le dos à la Nouvelle-Zélande, et, s’ils avaient prolongé leur voyage dans cette direction, ils seraient, comme nous l’a- vons dit ailleurs, arrivés en Amérique. Or personne, avec raison, n’a jamais cru que telle avait pu être la direction qu’ils avaient suivie ; tous les écrivains s’accordent, au con- traire, à leur faire faire depuis les Samoa la route qui con- duit directement ou indirectement à la Nouvelle-Zélande, c’est-à-dire une route qui est démentie par les traditions et que toutes les autres considérations ne permettent pas d’ac- (1) Quand nous aurons dit où l’Hawahiki était placé, on com- prendra parfaitement, au contraire, que des émigrants aient pu se rendre en pagayant à Aotearoa ; on verra également pourquoi les premiers canots étaient tous arrivés dans le détroit de Cook, et surtout pourquoi c’était de ce détroit que les canots partaient pour retourner directement en Hawaliiki. 356 LES POLYNÉSIENS. cepter quand on ne se contente pas de la première hypo- thèse venue. 5°. — Il résulte encore des mêmes légendes que l’Hawa- hiki, situé dans l’Ouest d’ Aotearoa, n’était même pas éloigné de cette île. Ce qui le prouve, c’est la fréquence et la facilité des voyages, aller et retour, d’un point à l’autre*; c’est la possibilité d’accomplir ces voyages à la pagaie seulement. Ainsi, les légendes citent une foule de faits démontrant qu’il suffisait de suivre les côtes de l’île, et elles indiquent particulièrement le voyage de Uenuku et de Tamatua, fait d’Hawahiki à Aotearoa, en pagayant. Quelques-unes des légendes montrent même que des per- sonnages qui n’avaient jamais fait ce voyage jusque-là, ne craignaient pas de se rendre aux points les plus éloignés de l’île Aotearoa, pour y devancer et y attendre leurs enne- mis. Ainsi elles citent Ruaeo, qui se rendit à Maketu, dans la Baie d’ Abondance, pour se venger de Tama-te-Kapua, qui avait enlevé sa femme. Ainsi le prêtre Rakataua, dont le fils avait été tué par Rata ou Hotu-Roa, quelques jours avant le lancement du Taïnui, etc. Certes, il ne viendra à l’idée de personne que, s’ils étaient venus des îles Samoa, ils auraient pu faire un pareil voyage à la pagaie, si promptement et si sûrement. Pour com- prendre ce voyage, il faut nécessairement admettre qu’il suffisait de suivre les côtes, et qu’on était assuré, après plus ou moins de temps, de rencontrer le point cherché, que des voyages antérieurs avaient sans doute fait connaître. Car, fait bien curieux, il résulte de l’examen approfondi de toutes les traditions connues, que la terre d’ Aotearoa, ainsi dénommée par Turi, portait, avant cet émigrant, une foule de noms qui dénotent l’ancienneté de sa découverte. Or, ces noms que nous avons déjà cités, tels que Nuku-roa, Ulm- Rangi.Tuawhenua, Tauwhenua (1), ont nécessairement pré- i (1) Nukus distance, étendue ; roar, grande. Uku, argile blanche ; rangi, ciel. Tua, intérieur, de l’intérieur; whenua , terre. Tau, étrangère. LES POLYNÉSIENS. 357 cédé le surnom de Ika-na-Maui, puisque Maui, qui vivait du temps de Tinirau et de Whakatau, n'a émigré à l’Ile- Nord de la Nouvelle-Zélande que peu d’années avant Kupe, Turi, et probablement nombre d’autres inconnus. Ce qui prouve que cette terre avait dû être bien souvent contournée de près, c’est la connaissance exacte qu’on avait de sa forme, qui était comparée à celle d’un poisson plat, à une raie. Telle est, en effet, la ressemblance qu’on peut lui donner avec les traditions ; et cela témoigne surtout d’une observation attentive et vraiment surprenante. Qu’on jette les yeux sur la carte de cette île, et l‘on verra que si l’on n’y retrouve pas sans un peu de bonne volonté la forme d’un turbot, d’une plie, etc., ce n’est pas moins un poisson de ce g,enre que les indigènes y ont reconnu. Ils disent même que l’un de ses yeux est Whang-anui-a-te- Ra ou port Nicholson ; l’autre, Wairarapa ou baie Palliser; la mâ- choire supérieure, la pointe Nord du port Nicholson ; la mâ- choire inférieure, la pointe Sud du même port ; la tête, à Turakirae ; le ventre, à Taupo et à Tong^ariro ; la queue, au cap Nord ou Reing'a. Il faut reconnaître que, pour en être arrivés là, il fallait qu’ils eussent bien souvent exploré cette terre. Mais, fait encore plus curieux, ces mêmes légendes ne se bornent pas à montrer que l’Hawahiki se trouvait plus à l’Ouest que l’îleAotearoa,et aune très petite distance d’elle, elles rapportent même, dans plusieurs passages, que l’Ha- wahiki n’en était séparé que par le détroit de Cook, et qu’a- vant cette séparation, les deux terres n’en faisaient qu’une. On ne pouvait certainement rien dire de plus précis (1). Il est probable que c’est ce fait qui a donné lieu au proverbe Maori : « Le chemin de l’Hawahiki est coupé, » Ka kotia te tai tapu ki Hawahiki. 6°. — Quoi qu’il en soit, il résulte encore de la lecture de ces traditions que les hommes dont elles parlent ont tous (1) Voir particulièrement l’ouvrage du Ré v. S. Ironside, New- Zealand and its aborigines , Sydney, 1863. 358 LES POLYNÉSIENS. vécu à la même époque et qu’ils ont presque tous quitté leur patrie pour le même motif et à peu près dans le même temps. Ainsi Kupe, après avoir fait noyer Hotu-Rapa, beau-frère de Tnri, enlève sa femme et s’enfuit sur l’Océan dans le ca- not Mata-horua , pour éviter la vengeance des parents. Turi, quatre ans après avoir tué le fils du grand-prêtre Uenuku, s’éloigme dans son canot VA otea, pour échapper à la veng*eance de Uenuku. Ng’ahue s’enfuit d’Hawabiki pour conserver le jade vert qu’il possédait, et dont une puissante cheffesse était jalouse. C'est avec la bâche faite du morceau de jade qu’il rapporta en Hawahiki, que le chef de l'Arawa, Tama-te-Kapua, coupe la tête de Uenuku. Tama-te-Kapua et ses frères s’expatrient pour ne pas lais- ser exterminer leur tribu, et ils emmènent avec eux par ruse le célèbre grand-prêtre Ng*atoro-i-Rang*i et sa femme. Manaia, beau-frère de Ng’atoro s’éloigme, pour le même motif, sur le Tokomaru , en même temps que les canots YArawa et le Taïnui. Porua, sur le Ririno , accompagne Turi dans son émigra- tion, et se perd avant d’arriver à Aotearoa. Hotu-Roa commande le Taïnui , sur lequel se trouvaient les enfants de Uenuku. Ruaeopart, toujours pour le même motif, sur son canot le Pukea-te-awanui , après avoir été laissé à terre par Tama-te- Kapua, qui enlevait sa femme. De même Rong-omai, sur le Mahuhu, qui fait naufrage dans la Baie d’ Abondance, ainsi que tous ceux dont on pourra voir les noms sur la liste que nous avons dressée, et que nous insérons à la fin de ce livre . D’où il résulte bien, eh somme, que tous les chefs dont il est parlé, vivaient à la même époque et qu’ils se sont éloi- gnés pour fuir le parti le plus fort. Nous ferons remarquer en passant combien les femmes sont causes déterminantes du départ de beaucoup de canots. Ainsi Hau entreprit son voyag-e pour chercher Wai-Raka LES POLYNÉSIENS. 359 sa femme, qui s’était enfuie avec Weku (1). Il la retrouva avec son amoureux à Te Pariparî, extrémité de la chaîne Tarama ; il l’envoya lui chercher de l’eau et, par ses char- mes, il la transforma en un rocher qu’on voit encore au- jourd’hui dans la mer, avant d’arriver à Wairarapa. Kupe, d’après la version de Taylor (2), partit également pour aller à la recherche de sa femme, Iiura-Marotina, qui avait été enlevée par son plus jeune frère, Hoturapa. La version relatée par Sir Grey, dit que Kupe fit noyer Hoturapa son cousin, afin de prendre sa femme, et qu’il se sauva avec elle dans son canot, le Matahorua. Ce canot, comme VAotea , avait été fait par Toto, qui les avait donnés à cha- cune de ses filles, l’une femme de Turi, et l’autre d’Hotu- rapa. Cette dernière est appelée avec plus de raison Kura- Marotinipar Sir Grey. Toujours est- il que Kupe revint en Hawahiki assez tôt pour dire à Turi quelle route il fallait suivre afin d’atteindre Patea dans le détroit de Cook. Seulement les légendes n’en parlent plus, et comme il était l’ami de Uenuku, il est à supposer qu’il partagea son sort. On ne voit pas que Turi ait eu à se plaindre de sa femme Rongo-Rongo ; du moins, il n’en est rien dit et son nom « l’obéissante » est en sa faveur. Mais il n’en est plus rie même des chefs suivants. Les gens deTupenu ayant violé la femme de Manaia, ce- lui-ci s’en vengea en les tuant, et il en résulta une grande guerre. Plus tard, Manaia, au retour de son émigration, se vit attaqué par son beau-frère, Ngatoro, venu exprès d’Ao- tearoa pour venger la malédiction qu’il avait adressée h sa sœur ; puis, en voulant se venger h son tour de Ngatoro, Manaia périt devant Motiki où il était allétrouver son beau- frère . * Ruaeo était l’un des chefs qui partaient sur YArawa avec leur famille; Tama-te-Kapua l’ayant laissé à terre, par ruse, pendant qu’il emmenait sa femme, Ruaeo se rendit aussi- (1) Taylor, ou.vr. cité. p. 140. (2) Ibid , p. 116. 360 LES POLYNÉSIENS. tôt dans son propre canot à Maketu, où il .arriva avant Tama, et, après l’avoir battu et couvert de honte, il s’éloi- gna de cet endroit en lui laissant safemme (1). Ngatoro-i-Rangi, que Tama-te-Kapua avait aussi enlevé par ruse du Taïnui , avec sa femme, ne se conduisit pas comme Ruaeo , car, quoique sa femme eût été souillée par Tama dans la traversée, Tama et lui restèrent toujours unis; mais on voit que, cette fois encore, la femme eût pu être la cause d’une querelle. D’après l’une des plus vieilles traditions, c’est aux deux grandes prêtresses Rito-Wara et Rito-Maopo, que serait dû le commencement des querelles parmi les chefs de la fa- meuse Maison rouge, Whare-Kura, dont le grand -prêtre Uenuku était l’un des directeurs. Cette tradition apprend que jusque-là les tribus étaient restées unies, et que, à cause de ces deux prêtresses, survint la grande querelle qui les sépara toutes (2). En résumé, les résultats les plus importants fournis par ces légendes, sont : Que l’Hawahiki était situé plus à l’Ouest que l’île Aotea- roa, et que, par conséquent, contrairement à ce qu’on a cru jusqu’ici, il fallait faire route vers l’Est pour aller du pre- mier lieu au second. Que hile Aotearoa, la seule du groupe dont les légendes parlent, était uniquement l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande et non toutes celles auxquelles les Européens donnent ce dernier nom, cause presque certaine de l’erreur dans la- quelle on est resté jusqu’à ce jour. Nous allons maintenant essayer de prouver ces as- sertions. Pour arriver à cette preuve, il nous suffira, croyons-nous, (1) Le canot de Ruaeo s’appelait Pukea te Awanui : Pukea , l’i- nondé, inondation; te awanui , de la grande rivière. (2) Yoy. Taylor, ouvr cité, p. 67. LES POLYNÉSIENS. 361 d’exposer aussi brièvement que nous le pourrons, quelques- unes des légendes qui offrent le plus de témoignages en fa- veur de notre assertion : telles sont celles de Turi, qui pré- cise si bien la route qu’il faut faire, et celle des canots l’A- rawcLj le Taïnui, etc., qui indique si nettement la route qu’ils ont suivie. Il est indispensable de présenter cet exposé, afin que cha- cun puisse bien juger par soi-même de la valeur de l’opi- nion que nous soutenons, opinion contraire à toutes celles admises jusqu’à ce jour. Nous nous bornerons, du reste, aux faits les plus démonstratifs de la marche des émigrants, sans relever aucun de ceux qui peignent si bien leurs mœurs et leurs usages. Cet exposé aura, en outre, l’immense avan- tage de nous permettre, au fur et à mesure que nous le don- nerons, de mieux faire ressortir l’impossibilité d’une prove- nance polynésienne. Voyage de Kupe. — Il existe de ce voyage deux versions qui se complètent l’une l’autre. Mais, dans les deux, Kupe est la première personne qui aborde à Aotearoa ou Ile - Nord de la Nouvelle-Zélande. Son voyage est presque un voyage d’exploration, quoiqu’il n’eût pour cause que la né- cessité de fuir la vengeance des parents de la femme qu’il enlevait. • On voit, dans la version de Sir Grey, qu’il commence par se rendre directement dans le détroit de Cook où il découvre, sur l’île Aotearoa, la rivière Patea ; puis, sans qu’aucune relâche ou découverte soit désignée, la légende dit qu’il fait le tour de l’île, et elle le fait reparaître sur la côte Est, près de Castle-point de Cook, d’où s’enfuit devant lui, en se dirigeant vers le détroit de Cook, un poulpe gigan- * tesque qu’il poursuit et qu’il finit par tuer. C’est dans le canal Awa-iti, le Tory- Channel des Anglais, que Kupe pourfend ce fameux Kraken zélandais. Après cela, il pénè- tre dans les canaux qui sont formés par les îles de la Reine Charlotte, de Cook, et dans les divers bras de mer qui s’en- foncent dans l’intérieur des terres; il donne des noms h 362 LES POLYNÉSIENS. quelques lieux ; enfin, après avoir terminé l’exploration de ces localités, il part de là pour retourner directement en Rawahiki, où il arrive justement quand Turi allait s’en éloigner. Nous ferons remarquer en passant que la légende signale tout particulièrement les courants qui sont si violents dans les canaux du détroit de Cook et qui nous rappellent si bien ceux que Y Astrolabe eut à traverser avant de découvrir et de franchir la Passe des Français sous le commandement de Dumont d’UrviJe, son premier découvreur en 1827. Dans la version du Révér. Taylor (1), Kupe est également le premier qui aborde à Aotearoa, d’après tous les indigè- nes. Il y arriva dans le canot Mata-o-rua, évidemment le même que le Mata-horua de Sir Grey ; il alla débarquer à Wanganui-a-te-Ra, le port Nicholson actuel, à la recherche de sa femme, Kura-Marotini, qui avait été enlevée par son jeune frère Hoturapa (2). De là, Kupe alla jusqu’à Patea, où il entendit le cri du Kokako dans l'intérieur des terres ; il prit ce cri pour celui d’un homme ; aussi s’écria-t-il : Hua noa he reo te tangata , « on dirait que c’est une voix d’homme. » Mais il eut beau envoyer voir ce que ce pouvait être, on ne put rien décou- vrir. Après avoir planté un poteau dans l’endroit, il retour- na à Wanganui-a-te-Ra ; puis, de là, à Hawahild, où il de- meura’ sans vouloir entreprendre d’autres voyages ; d’où le proverbe : HokiKupe , e kore ia e hokimai , « reyenu (de ce pays), Kupe ne voulut plus y retourner. » Il résulte évidemment de cette version, que la première a singulièrement grossi le voyage du navigateur zélandais, et qu’au lieu de faire un voyage autour de « la terre étran- gère, » Tauwhenua, comme l’appellent quelques légendes, Kupe semble s’être borné à explorer le détroit de Cook , et les environs du cap Kawakawa ou Palliser. Si l’on admettait qu’il a fait le tour d’ Aotearoa, il faudrait (1) Ouvr. cité, p. 116. (2) Dans ia première version, Hoturapa n’était que son cousin, et le beau-frère de Turi. LES POLYNÉSIENS. 363 nécessairement admettre, en effet, qu’il a dû commencer son voyage par un des points du détroit de Cook, puisque c'est dans ce détroit qu’il découvre Patea dès le début, et qu’on le voit finir son voyage dans le même détroit. De la sorte sem lement, il aurait pu faire le tour de ce monde nouveau, comme la première version semblé le faire croire. Mais dès lors, comment concevoir qu’en partant des îles Samoa, comme on le suppose, il aurait pu arriver justement dans le détroit de Cook sans voir aucune terre ? Il y a là une impos- sibilité qui doit faire préférer la version du Rév. Taylor ; et ce qui vient à l’appui, c’est le choix que fait Kupe du dé- troit de Cook pour retourner en Hawaliiki. Il est évident qu’il n’eût pas choisi un pareil point pour se rendre directe- ment aux îlès Samoa. D’un autre côté, comment s’expliquer qu’ après être arrivé dans ce détroit, en venant du Nord-Est, comme il aurait fallu qu’il fît s’il était parti des Samoa, Kupe aurait pris la routé du Nord par l’Ouest pour remonter jusqu au cap Nord, puis celle du Sud par l’Est pour aboutir à son premier point d’arrivée, et tout cela, sans voir terre et sans relâcher nulle part? Car il est certain que la version de Sir Grey ne dési- gne aucun lieu : il est bien dit, en note, que Kupe en a vu plusieurs; mais la légende se tait complètement sur eux, et, comme elle entre, pour tout le reste, dans des détails fort étendus, il est permis de supposer qu’elle ne s’est tue que parce qu’elle n’avait rien à dire à ce sujet. Pour nous, nous pensons qu’il est plus probable qu’en ve- nant d’Hawahiki, Kupe s’est d’abord rendu dans le détroit de Cook où il a découvert Patea ; puis, continuant la route qu’il devait conseiller plus tard à Turi, c’est-à-dire celle de l’Ouest à TE st, qu’il a longé la côte d’Aotearoa depuis Patea jusqu’au cap Palliser d’abord, et depuis ce cap jusqu’à Castle-point, pointe où il s’arrêta pour revenir au détroit de Cook en poursuivant la poulpe ou monstre marin de la lé- gende. De la sorte, au lieu de faire le tour de l’île, Kupe se serait borné, suivant nous, à l’exploration du détroit de Cook et 364 LES POLYNÉSIENS. à celle d’une portion fort restreinte de la côte Est d’Aotearon. Si l’Hawahiki était bien placé où nous le supposons, il lui était, en effet, d’autant plus facile d’y retourner directe- ment qu’il n’en était qu’à une faible distance. C’est à Kupe que les traditions attribuent tout le mérite d’une première découverte de l’Ile-Nord de la Nouvelle=Zélande. Elles pré- tendent même que cette de ceux des autres classes, et permettent de répondre « presque avec certitude » , parce qu’ils accusent la prédominance du sang nègre ; nous som- mes bien convaincu, au contraire, que cette croyance ne provient que d’une erreur d’observation, et qu’il n’y a pas, nous l’avons déjà dit et répété, une seule physionomie nègre, même dans les classes inférieures. Il nous est donc impossible de croire, avec le savant français, que ce sont des Mélanésiens entraînés jusque-là, qui ont donné aux classes (1) Yoy . ci-dessus, p. 374. (2) Ouv. cité, p. 134. LES POLYNÉSIENS. 449 inférieures la physionomie que leur reconnaît celui-là seul qui ne les a pas vus. Car, il faut bien le dire, M. de Quatrefages est plus explicite à ce sujet que tous ceux qui ont vu et étudié les Néo-Zélandais sur les lieux mêmes. Quand on lit les écrits des voyageurs, on voit, en effet, que ceux qui ont émis cette opinion, ne l’ont émise qu’avec quelque hésitation, quelque restriction, parfois même en citant des exemples qui la détruisaient : c’est ce qu’ont fait Dieffenbach et Crozet, Crozet surtout, ce com- pagnon de Marion, dont l’opinion n’a cessé pourtant d’être invoquée depuis lors. Maispour M. deQuatrefages,pas d’hé- sitation. Il a vu des portraits donnant le type nègre : donc c’étaient des nègres, à nez aquilin sans doute, puisque Crozet lui-même l’a dit. M . de Quatrefages n’a pas même songé à se demander si ces portraits ne pouvaient pas être ou n’étaient pas des portraits de véritables nègres, fixés de- puis plus ou moins longtemps à la Nouvelle-Zélande, com- me nous en avons vu nous -même un certain nombre. Il est vrai que c’était inutile avec la thèse qu’il soutenait. Du reste, ainsi que nous avons cherché à le démontrer dans nos considérations sur la Nouvelle-Zélande, il est cer- tain, pour nous, qu'il n’a jamais existé de nègres véritables dans ce groupes d’îles, du moins avant la venue d’un cer- tain nombre d’hommes de cette race avec les Européens. Il faut bien l’avouer pourtant, malgré le nombre assez grand de foyers de populations trouvés sur Aotearoa par les émigrants d’Hawahiki, il n’est pas facile, si ces populations n’étaient pas filles du sol, de dire à quelle époque elles y étaient arrivées. De même qu’on a vu les écrivains admettre que c’est l’Ile- Nord qui a peuplé l’Ile-du-Milieu, de même tous ont sup- posé que les populations rencontrées n’étaient là que depuis assez peu de temps, parce qu’elles n’occupaient que des points éloignés les uns des autres et qu’elles étaient inca- pables de résister aux envahisseurs, ün en concluait que cela prouvait leur petit nombre et, partant, leur peu d’an- cienneté. Nous ne croyons pas que cela soit tout-à-fait exact pour les raisons que nous allons donner. S’il est vrai que m 29. 450 LES POLYNÉSIENS. toutes ces populations ont fini par être vaincues, exterminées ou repoussées, il ne l’est pas moins que, d’après quel- ques renseignements, elles ont duré, malgré les conqué- rants, jusqu’à une époque peu reculée et qu’elles existent même encore dans quelques lieux. Il est certain, d’un autre côté, que ces populations primi- tives avaient, comme nous l’avons déjà indiqué, les mêmes coutumes, les mêmes croyances et qu’elles parlaient la même langue que les émigrants d’Hawaliiki. 11 faut donc en inférer du moins, si cela ne prouve rien de bien précis pour leur ancienneté, qu’elles étaient de la même race que ces émigrants, et que, si elles n’étaient pas les enfants du sol qu’elles occupaient, elles étaient presque sûrement d’une même contrée. Dans tous les cas elles n’étaient point de l’Australie, comme on la dit, les Australiens ne navigant jamais, et n’ayant même pas de canots. Parce que les populations trouvées dans quelques en- droits ont été facilement détruites, et nous pourrions citer celles rencontrées par Turi qui prouvent le contraire, nous ne croyons pas que cela donne le droit de conclure qu’il n’y avait là que « des étrangers arrivés depuis peu. » On comprend parfaitement que ces populations, plus faibles et surtout moins courageuses que les envahisseurs, durent cé- der, devenir esclaves ou se faire exterminer ; mais il n est pas moins vrai qu’elles étaient de même race, c’est-à-dire que c’étaient des Maori, venus presque certainement de l’IIawahiki. Ils étaient partis probablement de points au- tres que ceux laissés par les émigrants de la grande émi- gration, quelques-uns, peut-être, depuis assez peu de temps, comme on le dit, mais les autres depuis une époque sans doute très éloignée. C’est ce qui semble résulter des légen- des de Kupe, de Manaia, de Turi,' et même de la tradition de Tiki rapportée par Dieffenback et que nous avons fait connaître précédemment (1). Là on peut voir ce que nous avons dit de l’erreur com- mise par Dieffenbach relativement à la situation de l’île Tawaï, d’où venaient Tiki et sa femme Pani. Nous ne répé- (1) Voy. ci-dessus, p. 247. LES POLYNÉSIENS. 451 terons pas ce que nous avons écrit à ce sujet; mais ce que nous voulons faire remarquer ici, c’est qu’en parlant de cette tradition, il citait les lignes suivantes, à notre avis, si im- portantes : « Le mari de Pani, Tild, était de la même couleur que les habitants de 1 île Aotearoa et parlait la même langue qu’eux (1). » Or, si l’on rapproche ce fait de la facilité avec laquelle Pani put retourner à l’île d’où, elle venait, afin d’y prendre une espèce de pomme de terre qui manquait dans celle où elle se trouvait alors ; si, surtout, on. compare le nom Tawaï, donné par la légende de Dieffenbach à l’île d’où venait Pani et son mari, au nom Tovai ou Tavai, sous lequel Cook et Dumont-d’Urville ont les premiers fait connaître l’Ile-du- Milieu, il n’y a guère qu’une conclusion à tirer, c’est que Tiki et Pani étaient presque certainement des Maori de l’île ainsi désignée par les deux navigateurs, c’est-à-dire de celle qui est pour nous, comme elle nous semble l’être pour les indigènes, l’île Kawai. Evidemment, il fallait que l’île Tawaï, d’où était venue Pani, fut bien voisine, pour qu’elle put y retourner et en revenir si facilement. Or, nous l’avons assez répété, une seule île, portant un nom identique, per- mettait, par son voisinage, un voyage aussi rapide : c’est toujours l’Ile-du-Milieu, sur laquelle se trouvait l’Hawahiki, si elle n’était pas tout l’Hawahiki lui-même. Cela sans doute ne dit pas plus à quelle époque a été fait le voyage de Tiki que cela n’aide à fixer l’arrivée des popu- lations primitives et celles des émigrants d’Hawahild ; mais, de l’ensemble de tous ces faits, il nous semble résul- ter que le voyage du Maori Tiki a dû s’effectuer longtemps avant la grande émigration, et même avant les voyages de Kupe et de Turi, qui ont trouvé, eux aussi, des habitants surl’île Aotearoa. Quand on remarque, en effet, que le nom de Tiki ne figure dans aucune des traditions contem- poraines de la grande émigration, pas même dans les tra- ditions antérieures relatives aux chefs de l’Hawahiki, Wa- (1) Dieffenbach, comme tous les autres écrivains, se sert tou- jours du mot Nouvelle-Zélande pour désigner TIle-Nord ou Aotearoa. 453 LES POLYNÉSIENS. katau, Maui, etc., tandis que les plus anciennes disent qu’il «st l’un des ancêtres des habitants actuels de l’Ile-Nord ; quand on remarque, d’un autre côté, que la pomme de terre apportée par sa femme aurait été inutile, après la grande émigration décrite par les légendes, puisque les émigrants en avaient apporté plusieurs espèces, il faut presque néces- sairement admettre que Tiki a dû précéder, de fort long- temps même, les voyageurs connus (1). Quand on remarque encore que Tiki, d’après les plus anciennes traditions my- thologiques, était le deuxième fils du Ciel et de la Terre ; que c’est de lui qu’est descendu l’homme, fait par lui-même à son image (2) ; qu’on ne s’accorde même pas sur son sexe, puisque certaines traditions en font une femme (3) ; n’en peut-on pas conjecturer que cette tradition n’est plus qu’un mythe, renvoyant le peuplement d’Aotearoa à une époque fort reculée et pour ainsi dire au commencement des choses. L’ancienneté seule de ce fait expliquerait le silence des traditions à ce sujet. Il est bien certain, comme on l’a dit, que les populations rencontrées par les émigrants à Aotea- roa, n’étaient généralement pas en grandes aggloméra- tions; mais on sait qu’il est impossible à des peuples sans annales écrites de ne pas confondre les époques au delà d’un certain nombre de générations : Ce nombre semblerait être compris entre 15 à 20 générations, d’après les observa- tions de tous les voyageurs, et comme le prouvent celles faites à Tahiti même. Ici, lorsqu’il s’agit de la grande émi- gration, il est évident qu’elle s’est faite à une époque assez peu reculée, quoique probablement beaucoup plus éloignée (1) Il y a eu plusieurs Tiki et celui de la légende de Dieffenbach est probablement le Tiki surnommé Tahito ou l’Ancien. Ce vieux Tiki était un grand voyageur ; c’est peut-être le même qui a porté le premier Y Hibiscus ( Hau ) aux îles Marquises, comme le disent les traditions de ces îles. On sait que là, le pays d’origine est appelé Havaïki, c’est-à-dire presque absolument comme à la Nouvelle- Zélande, ce qui s’expliquerait parfaitement si le Tiki auquel les Marquésans attribuent l’introduction du Hau eût été Maori. (2) Voy. Taylor, ouvr. cité, p. 18 et 23. (3) Taylor, ibid. p. 23. LES POLYNÉSIENS. 453 qu’on ne le dit généralement : en effet une tradition porte le nombre de générations à 26 (1). Mais si les traditions ne parlent pas plus qu’elles ne le font des populations rencon-v trées par les émigrants, c’est bien probablement parce que ceux-ci ne sont arrivés à l’Ile-Nord qu’ après les guerres qui là, comme dans l’Ile-du-Milieu, s’étaient élevées entre les habitants . Ces guerres avaient contraint à émigrer la plus grande partie de la population et l’avaient réduite à un nombre incapable de résister aux envahiseurs. Vaincues, ces populations ne méritaient plus qu’on s’occupât d’elles : c’est ce que les faits modernes semblent démontrer, puis- qu’on voit aujourd’hui, à l’Ile-du-Milieu même, les descen- dants des conquérants et des Ngati-Mamoe, produits par l’alliance des vainqueurs et des vaincus, ne plus vouloir se rappeler, de leur double origine, que celle qui les fait des- cendre des premiers (2). Il en résulte qu’on ne pouvait attacher une grande impor- tance aux vaincus de l’Ile-Nord, eussent-ils été plus nom- breux que ne semblent le faire croire les quelques mots des traditions qui en parlent. En somme, pour nous, l’Ile-Nord était habitée à l’arrivée des émigrants d’Hawahiki et les habitants trouvés n’étaient bien probablement que de plus anciens émigrants de l’Ha- wahiki ou de l’Ile-du-Milieu, comme semblent le prouver et leurs usages et leur langage. Ce seraient ces anciens émigrants qui, à leur tour, auraient émigré vers la Polynésie à une époque bien antérieure à l’ar- rivée des derniers ; cette époque semble pouvoir être reportée à un nombre d’années égal au moins à celui qui paraît exis- ter entre la nôtre et la grande émigration dont parlent les légendes. Ainsi s’expliquerait parfaitement le peuplement assez ancien de quelques-uns des archipels de la Polynésie, indépendamment des envois qui ont pu être faits par les derniers émigrants d’Hawahiki, dont plusieurs canots, ainsi que le rapportent les traditions, n’ayant pu, à cause des po- (1) Voy. Taylor p. 193, et note. Nous y reviendrons quand nous re- chercherons la date des migrations. (2) Voy. à ce sujet Shortland, Southern Districts , p. 98. 454 LES POLYNÉSIENS. pulations, aborder à Aotearoa, durent aller chercher d’autres terres (1). Ainsi s’expliquerait aussi pourquoi les popula- tions rencontrées sur Aotearoa ne paraissaient pas connues des nouveaux arrivants, quoiqu’elles eussent le même lan- gage et qu’elles provinssent évidemment de 3a même con- trée. Cela expliquerait même leur petit nombre ; car si des migrations considérables s’étaient opérées de Pile-Nord vers la Polynésie, c’est que des guerres avaient dû, comme à l’Ile-du-Milieu, contraindre tous les théocrates et leurs par- tisans à abandonner une terre où ils n’avaient d’autre pers- pective que l’extermination : d’où réduction considérable du nombre des habitants ; d’où leur affaiblissement et leur impossibilité de se défendre contre les envahisseurs ve- nus d’une autre contrée. Quelques écrivains des plus compétents croyaient à l’exis- tence de populations primitives surl’Ile-Nord avantl’arrivée des émigrants d’Hawahiki, et, fait bien curieux, le nom Mae- ro que portaient ces populations, semble indiquer qu’elles étaient les premières. En effet, ce mot signifie «race, fa- mille, courant d’eau, source » et, dans quelques îles de la Po- lynésie, telles que les Sandwich et les Marquises, ce mot a pour ainsi dire la même signification, puisque il y signifie « postérité, descendance.» On dirait vraiment quelemot Maori, nom sous lequel les Nouveaux-Zélandais se désignent eux- mêmes et qui signifie « indigène, naturel, pur, » est le même mot, ayant la même signification, mais modifié avec le temps et transformé par une orthographe différente. On sait que ce mot Maori était, dans le principe, c’est-à- dire fort anciennement, le mot Mauri, dont, suivant Tay- lor (2), la racine uri signifie « obscur, noir » : mais ce mot uri signifie aussi « postérité » , c’est-à-dire absolument la même chose que le mot Maero aux Sandwich et aux Marquises,- et presque la même chose qu’à l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande, où il signifie « race. » (1) Voy. Taylor, p. 123. (2) Te Ika a Maui , p. 179. Uri est la racine de plusieurs autres mots: Pouri , ténèbres ; Wheuri , eau profonde, noire ; Tua uri uri , nuages noirs ; etc. LES POLYNÉSIENS» 455 Nous allons compléter ici ces recherches étymologiques, afin de répondre en même temps à l’opinion de M. de Qua- trefages sur les Maero de l’Ile-Nord et les Ngati-Mamoe de rile-du-Milieu ; et surtout à la note qui suit l’exposé de cette opinion. Après avoir fait remarquer (1) que les faits ont, d’après lui, conduit la plupart des historiens modernes de la Nouvelle-Zélande à regarder cette terre comme ayant été « absolument inhabitée à l’époque de l’arrivée des Mao- ri, »M. de Quatrefages ajoute: « Cependant les indigènes ont diverses traditions d’où il résulterait que, dans les ré- gions les plus inaccessibles, et au fond des forêts vierges de leurs îles, vivent encore aujourd’hui des hommes sau- vages, qu’ils déclarent ne pas être de leur race et appar- tenir à une population antérieure à la leur. Ils nomment ces indigènes Maero dans l’Ile-Nord, et Ngati-Mamoe dans l’île du Sud ou du Milieu des Anglais (2). « Malgré ces affirmations, Hochstetter a adopté l’opinion la plus générale; il ne voit, dans ces prétendus indigènes,, que des Maori dispersés et ayant perdu le peu de civilisa- tion qu’ils avaient apportée d’Hawaïki. Il se fonde surtout sur les renseignements fournis par un chef de la côte occi- dentale de l’Ile-du-Milieu (des Anglais, ou Sud de d’Urville) mort en 1861. D’après les dires de ce chef, les Ngatimamoe étaient, il y a un siècle environ, une tribu habitant du côté delà baie Jackson et soumise aux Ngati-Tahus. Slior- tland (3), de son côté, nous apprend qu’ils formaient, il y a trois siècles environ, une population nombreuse et puis- sante qui occupait presque en totalité l’île méridionale, du cap Campbell à l’île Stewart. « Sur leur territoire se trouvaient des carrières de jade. Ce fut la cause de leur perte. Diverses tribus de l’Ile-Nord s’unirent pour les dépouiller, et après plusieurs défaites, elles durent accepter la domination de ces étrangers. Comme signe de leur ancienne grandeur, les Ngatimamoe n’avaient conservé qu’un Mere Punanamu, c’est-à-dire un de ces (1) Les Polynésiens,^. 132. (2) Hochstetter, New-Zealand , 1863. (3) The Southern districts of New-Zealand, 1851. 456 LES POLYNÉSIENS. casse-têtes en jade, auxquels ces peuples attachaient une si grande valeur. Cette arme portait le nom de Taonga ou Tonga. Les Ngatitahus cherchèrent à s’emparer à la fois de ce palladium et du chef Te U ira, « l’Eclair, » dont ils sem- blent avoir redouté la bravoure. Ils réussirent par ruse ; mais Te Uira trouva le moyen de s’échapper, puis de s’in- troduire de nuit au milieu de ses ennemis et de leur re- prendre Larme sacrée dont il frappa deux envahisseurs. Attaqués et prévoyant une défaite inévitable, ce chef et ses compatriotes mirent le feu à leur forteresse et s’enfoncèrent dans les solitudes centrales de File, où les restes de leurs descendants vivent, dit-on, encore- » Et M. de Quatrefages ajoute : « Hochstetter applique aux Maero de lTle-Nord, les conséquences qui ressortent de cette histoire, et peut-être a-t-il raison. » D’abord, nous ferons remarquer que M. de Hochstetter au- rait eu d’autant moins raison d’appliquer ces conséquences aux Maero de lTle-Nord, que cette île ne produit pas de jade vert. Il est donc certainement dans l’erreur, comme les renseignements sur lesquels il se fonde suffiraient à le prouver. Le chef qui lui a fourni ces renseignements disait que les Ngati-Mamoe étaient, il y a un siècle, une tribu habitant du côté de la baie Jackson, c’est-à-dire sur la côte Ouest de l’Ile-du-Milieu. Or, ce chef pouvait d’autant moins lui affirmer que cette tribu était soumise alors aux Ngati-Tahu, que ceux-ci, comme nous allons le mon- trer, n’ont émigré du détroit de Cook qu’à une époque tr£s voisine de la nôtre, vers 1828 ou 1830, chassés comme les Rangitaue par le grand exterminateur Rauparaha. C'est à Thompson, auquel il a tant fait d’emprunts pour son li- vre, que M. de Hochstetter doit cette erreur. Certes, l’opinion de M. Shortland qui a vulTle-du-Milieu, a vécu parmi ses habitants et les a beaucoup étudiés, doit être préférée à la sienne. Or, l’auteur anglais rapporte, dans un de ses ouvrages sur la Nouvelle-Zélande, (1) le récit suivant qui lui a été (1) Southern Districts of New-Zealand , 1851, p. 98. LES POLYNÉSIENS. 457 donné et garanti par Tuhawaïki et quelques autres indigè- nes : « Il y a trois cents ans environ, ou dix générations pas- sées, toute cette partie de l’Ile-du-Milieu, qui s’étend depuis Waipapa, point situé à environ 20 milles au Sud du cap Campbell, jusqu’à Rakiura ou l’île Stewart, y compris le détroit de Foveaux et probablement une grande partie de la côte Ouest, était possédée par une tribu appelée Ngati- Mamoe. « Elle était bornée au Nord par la tribu nommée Te Huataki, dont les ancêtres étaient venus de File-Nord, et s’étaient fixés à Wairau, le Cloudy Bay de Cook. A l’Ouest, la contrée appelée Totaranui, était possédée par la tribu des Ngaitara, dont les ancêtres étaient venus aussi de File- Nord, sous le commandement du chef Te Puhirere, qui, disait Tuhawaiki, était du même lignage que la tribu des Nga-Puhi. « Il paraît qu’à la même époque une forte et puissante tribu s’étendait de Turanga-Nui-a-Rua, ou baie de Pauvreté, tout le long de la côte Est et des côtes Nord du détroit de Cook, y compris Wairarapa,Porirua, et même plus à l’Ouest. Seulement, cette tribu avait été contrainte de revenir à Waïrarapa, sa limite actuelle, refoulée par Te Rauparaha, et on l’appelle encore par son nom primitif de Ngati-Kahu- Unu-Unu. Le désir de posséder le Pounamu, qui ne se trouvait que dans l’Ile-du-Milieu, paraît être le principal motif qui poussa plusieurs fortes tribus, à différentes épo- ques, à envahir le pays des Ngati-Mamoe, qui étaient de- venus célèbres parla possession de ce trésor. « La plus ancienne de ces invasions eut lieu il y a envi- ron 270 ans, car Tuteahunga, chef de cette tribu, qui vi- vait neuf générations auparavant, passe pour avoir été tué à Kaikoura. Sa famille était appelée Ngaitahu, de son grand père Tahu. Une autre famille appelée Te-Aitanga-Kuri, descendait deKuri. Kuri, cousin de Tuteahunga, arriva peu après, et unit ses forces à celles des Ngaïtahu ; mais ils ne purent s’emparer de Kaikoura, où leur chef Manawa fut tué dans une escarmouche par Tuikau, chef des Ngati-Mamoe. 458 LES POLYNÉSIENS.. « Vers le même temps, un renfort puissant de Ngati-Ka~ hu-Unu-Unu, fut expédié par un chef nommé Turakautahi, dont le père et le grand-père, en faisant une pareille tenta- tive devant Kaikoura, s’étaient noyés avec leur équipage en face de Raukawa (1), où leur canot avait chaviré. Tura- kautahi, avec son plus jeune frère Moki, débarqua ‘ses for- ces à Totaranui ; il eut à &e frayer un chemin à travers les Ng*aïtara et les Tehuataki, pour pouvoir joindre ceux de sa propre tribu qui l’avaient précédé, et qui étaient alors éta- blis à Kaikoura. « Réunis, ils attaquèrent un Pa, appelé Parawakatu. Peu après, les Ng*ati-Mamoe furent encore défaits, dans un endroit nommé Parakakariki ; puis, àWaïkakahi, où l’un de leurs chefs, nommé Tute-Kawa, fut tué, et où un autre, appelé Rangitamau, fut fait prisonnier. La vie du dernier fut épargnée; on le condamna à résider à Kaiapoï, pour pêcher des anguilles et préparer la nourriture de son vain- queur quand il irait de ce côté. « Après cela, les terres conquises furent partagées entre les envahisseurs. Te Ruakihikihi, fils de Manawa, qui était retourné dans sa tribu sur T Ile-Nord, pour lever de nouvel- les forces parmi ses parents, afin de venger la mort de son père, revint vers cette époque et s’établit à Taumutu (2). Ce point, le plus Sud du nouveau territoire conquis, était le lieu le mieux placé pour qu’il pût rencontrer son ennemi et obtenir Yutu (3) ou la satisfaction désirée. « Les Ngati-Mamoe se retirèrent vers le Sud, et, à la fin, se trouvant trop affaiblis pour espérer pouvoir reprendre leurs positions perdues, ils firent la paix avec leurs envahis- seurs et cimentèrent une alliance entre eux. Alors, les deux races ne firent qu’une tribu, qui, ayant plus de sang* de Tahu dans les veines, fut appelée généralement Ngaitahu ou Kaïtahu. (1) Raukawa, est le détroit de Cook. (2) Taumutu est sur la presqu’île de Banks, au Sud; Kaiapoï est sur la meme presqu’île, au Nord. (3) Utu, tribut, compensation, dette. LES POLYNÉSIENS. 459 « J’ai trouvé, ajoute Shortland, que toutes les familles de quelque importance, rapportent aujourd’hui leur origine à une source de Turanga ou haie de Pauvreté dé Cook. Comme c’est le parti vainqueur, et par cela même le plus honorable, elles négligent de parler des sources Ngati» Mamoe d’avant la conquête, et c’est ce qui fait qu’il est très difficile d’obtenir quelques renseignements sur l’ancienne histoire de cette tribu. Pour en obtenir, il faudrait s’adresser aux familles qui restent de ce vieux tronc. Il y en a deux qui vivent aujourd’hui à Waiateruati, et qui s’appellent Kati-Rakai et Kati-Hine-Kato ; il y en a un plus grand nombre dans le détroit deFoveaux, mais je n’ai pas eu l’oc- casion d’apprendre d’elles ce qu’elles pouvaient savoir de leur propre histoire. » Enfin, le même écrivain dit : (1) « L’ Ile-du -Milieu était habitée autrefois, dans sa plus grande partie, de même que les îles du Sud, par des colonies de Ngati-Kahu-Unu- Unu, les mêmes qui occupent aujourd’hui toute la côte Est de l’Ile-Nord, depuis le cap Waïapu jusqu’à la baie Palliser ou port Nicholson, et qui, plus puissants jadis, s’étendaient le long* des côtes Nord du détroit de Cook, jusqu’à Rangitikei, avant d’en avoir été chassés par les Ngati- Awa, qui avaient eux-mêmes été chassés de Taranaki par les Waïkato. » Il ajoute qu’il devait ces renseignements au chef de la justice, à la Nouvelle-Zélande, qui les avait reçus du révé- rend Puckey. Ce dernier avait résidé vingt ans au milieu de la tribu Ngaii-Kaku-Unu-Unu sur l’Ile-du-Milieu. Nous allons montrer qu’il a probablement confondu des événements assez récents avec des faits fort anciens, et que ces Ngati-Kahu-Unu-Unu, quand ils se seraient fixés, il y a 270 ans, pour la première fois, sur les bords Nord du dé- troit de Cook et sur une partie de la côte Est voisine de l’Ile-du-Milieu, n’étaient pas moins arrivés d’abord sur l’Ile-Nord en venant de l’Hawahiki. Ainsi, comme on le voit tout d’abord d’après Shortland lui-même, les Ngati-Mamoe habitaient déjà l’Ile-du-Milieu, il y a trois cents, ans environ, et en occupaient la plus (1) Traditions and Superstitions, p. 23. 460 LES POLYNÉSIENS. grande partie. Ce ne serait que plus tard, c’est-à-dire 270 ans avant l’époque où il prenait ses renseignements, que se seraient opérées les plus anciennes invasions des Ngati- Kahu-Unu-Unu, habitant la côte Est de File-Nord ; ils étaient conduits par le chef Tute-Ahunga, qui aurait été tué à Kaïkoura, comme plusieurs autres chefs de sa tribu. Qu’on remarque en passant combien était dangereuse, à cette époque, la moindre traversée en canot, puisque les envahisseurs préféraient débarquer dans le détroit de Cook presque vis-à-vis leur dernier point de départ de File-Nord, et se frayer un passage à travers l’ennemi, afin de pouvoir joindre les gens de leur tribu déjà arrivés à Kaïkoura : ce point est, comme on sait, la presqu’île Lookers’on de Cook. Qu’on remarque aussi que ces ennemis n’étaient pas des Ngati-Mamoe, mais des tribus issues de FIle-Nordsqui étaient venues s’implanter sur les bords Sud du détroit de Cook dans FIle-du-Milieu. Ces tribus, qui s’appelaient Te-Huataki et Ngaïtara, étaient parties évidemment avant les Ngaïtahu ; la dernière descendait, d’après l’autorité de Sbortland, des Nga-Puhi. Ce ne fut qu’ après plusieurs défaites que les Ngati-Mamoe finirent par abandonner toutes leurs forteresses de la côte, depuis Kaïkoura jusqu’à Taumutu, localité au Sud de la presqu’île de Banks, où Fun des chefs envahisseurs alla se fixer pour être plus à même de se venger. Alors, ils se re- tirèrent tout-à-fait au Sud, vers Waiteruati, Otakou, etc. Mais ils résistaient si bien, que, de notre temps même, il était nécessaire de renouveler les attaques, bien que tous ceux qui sont restés dans le rayon conquis, se fussent, à la longue, mêlés aux vainqueurs et confondus avec eux, après avoir fait la paix, comme le dit Sbortland, faute de pouvoir résister aux armes à feu de leurs ennemis . Il résulte donc des paroles même de Sbortland que les Ngati-Mamoe n’étaient pas aussi peu nombreux que quel- ques écrivains Font cru. A propos de ce mot Ngati-Mamoe, nous ferons remarquer ici que Sbortland ne semblait pas très fixé sur l’orthographe qu’il faut lui donner, car il admet comme synonymes les LES POLYNÉSIENS. 461 mots Ngati-Mamoe et Ngati-Mamui. Ainsi, après avoir ré- pété ce que dit une des légendes de Sir Grey, que de Turi et de sa femme Rongo-Rongo sont sortis les Wanganui, il ajoute (1) : « et les Ngati-Mamui. » Puis il dit en note, « Ngati-Mamoe ? nom de tribu des premiers colons de l’Ile- du-Milieu, plus tard conquis par une division de la tribu Ngati-Kahu-Unu-U nu. [Vide South, districts , p. 68.») Comme on voit, il semble se demander si Ngati-Mamoe et Ngati-Mamui sont synonymes, et à en juger par le point d’interrogation qu’il place après le premier, on pourrait croire qu’il en doutait, quoi qu’il n’en parle pas moins, en- suite, comme si c’était bien le même peuple. Mais les Nga- ti-Mamoe étaient pour lui-même, contrairement .à l’opinion de ceux qui admettent que les îles de la Nouvelle-Zélande étaient désertes à l’arrivée des émigrants d’Hawahiki, les premiers colons de l’Ile-du-Milieu, conquis plus tard par des Kahu-Unu-Unu de l’Ile-Nord. Cette assertion, venant de lui, mérite surtout d’être remarquée. Si donc Shortland ne dit, pas plus que les traditions indi- gènes, quelle était la patrie de ces peuples, il faut du moins reconnaître que cet observateur semblait admettre qu’ils avaient plutôt une origine locale qu’une origine étrangère. Si en effet il ne précise pas leur origine, en disant qu’ils étaient les premiers colons de l’Ile-du-Milieu, il indique, par contre, la patrie de leurs voisins. Quoi qu’il en soit de son opinion à cet égard, il est certain que Mamui , en un seul mot, n’est pas Maori et que ce ne pourrait être que Ma , blanc, pur, net, propre, et Mui , en tourer, environner. Nous avons déjà dit ailleurs ce que signifie Ngati, et nous n’y reviendrons pas ; mais nous allons chercher à décou- vrir l’étymologie du mot Mamoe . En un seul mot Mamoe n’existe pas en Maori ; on ne trouve d’approchant dans cette langue que le mot Mamore , qui signifie nu, pelé. Ma, au contraire est Maori, ainsi que nous venons de le voir, et Moe signifie dormir, songer, sommeil, rêve, songe. (1) Traditions and Superstitions , p. 28. 462 LES POLYNÉSIENS. Serait-ce l’un de ces mots? Il est permis d’en douter, à moins qu’on ne leur donne la signification qu’ils ont probablement eue d’abord et qu’ils conservent encore aujourd’hui à Tahiti. Là, en effet, Ma signifie compagnie, net, non souillé, et Moe , (1) sommeil, dormir, être par terre, perdu, oublié. De plus, on trouve, là aussi, un ancien mot aujourd’hui tombé en désuétude, Mamo , « race, lignée, descendance, » qui, suivi du signe vocatif e, rend parfaitement le sens du Maero des Maori, et signifie « différent, autre, étranger. » Il est remplacé maintenant par le mot Huaai «semence, graine, progéniture. » Mais c’est bien un des mots des an- cêtres des Tahitiens, comme le signale le Dictionnaire. Nous avons déjà fait remarquer que ce mot Maero est em- ployé aux îles Marquises et aux Sandwich pour signifier descendant, postérité, descendre, venir de, et nous allons montrer qu’il a absolument la même signification à la Nou- velle-Zélande. Nous ferons remarquer enfin qu’en Maori, momo signifie lignée, descendance; momoe, dormeur ; momo-hanga pos- térité, lignée, les survivants d’une tribu massacrée. N’en pourrait'On pas conclure qu’au lieu de mamoe il faut écrire momoe ? (2) Certainement, toutes ces homologies n’établissent pas nettement quelle pouvait être la signification du mot ma- moe dans llle-du-Milieu ; pour nous, nous serions assez disposé à croire qu’il veut dire « la race, les anciens. » A moins que ce ne soit tout simplement un sobriquet donné plus tard, suivant leurs habitudes, par les conquérants ve- nant de l’Ile-Nord. Dans tous les cas, il semble bien avoir le sens que nous lui donnons. (1) Remarquons que Moeraki est le nom d’un lieu célèbre dans l’Ile-du~Milieu, où la mythologie semble avoir pris naissance et où, de nos jours encore, les habitants sont les plus versés dans les traditions . (2) A Tahiti, Meho est le nom que l’on donne aux fugitifs dans les montagnes en temps de guerre. Les Tahitiens appellent le mouton Puaa-Mamoe , ce qu’on peut traduire par le cochon d’une race différente ou le cochon qui rêve, qui sommeille. On sait, en effet, que Puaa cochon, est le terme de comparaison employé pour désigner tous les quadrupèdes. LES POLYNÉSIENS. 463 Dans l’Ile-Nord, comme le dit M. de Hochstetter, on don- nait un nom différent aux indigènes vivant dans les lieux inaccessibles de l’île et que les habitants actuels regardent comme appartenant à une autre race que la leur : ce nom était justement le mot Maero que nous venons de voir em- ployé par les Marquésans et les Hawaïens pour signifier des- cendance, postérité. Taylor nous apprend (1) que ce nom Maero est donné à un homme sauvage, vivant dans les montagnes inaccessi- bles et en descendant parfois pour emporter ce qu’il peut saisir. « Il est couvert de poils, dit-il, il a de longs doigts et de longs ongles, et mange sa nourriture crue. Les indigè- nes disent que la chaîne de montagnes nommée Tararua est aujourd’hui le seul point habité par lui dans l’ Ile-Nord. C’est là qu’il existe encore une tribu nombreuse appelée Te-Hapu-Mariri, identique avec celle des Ngati-Mamoe qui vivent sur les montagnes élevées de l’Ile-du-Milieu. » Comme Taylor parle de cet homme à propos d’êtres fa- buleux, M. de Hochstetter a cru devoir adopter l’opinion que ces hommes ne sont que des Maori traqués par leurs com- patriotes et devenus sauvages, mais non d’une race diffé- rente des autres Maori. Taylor, en effet, parle des Maero à l’occasion desPatu-Paearehe (2) ouTua-Riki, (petites divini- tés) êtres humains vivant en communauté et construisant des forteresses ou Pa au sommet des montagnes. Ils pas- sent, dit-il, pour avoir été les premiers habitants du pays, avant l’arrivée des Maori, et pour s’être retirés successive- ment à mesure que ceux-ci avançaient. Mais il nous semble qu’il y a là du merveilleux comme dans toutes les croyances Maori ; certains détails ne permettent pas de douter qu’on a bien voulu parler de populations antérieures à la venue des Maori de la grande Emigration ; on a vu, d’ail- leurs, que les légendes en citent un bon nombre d’exem- ples qu’il est impossible de nier plus longtemps. (1) Te Ika a Maux , p. 49. (2) Ou mieux, Patu-Parehe : Parehe , courbé, plié ; Palu , mur de maison, objet pour frapper, battre, tuer. 464 LES POLYNÉSIENS. L’importance de quelques-uns de ces détails, nous engage à les faire connaître au lecteur. « Les Wanganui, dit Taylor (1), rapportent que quand ils allèrent se fixer sur les bords de cette rivière, presque tous les sommets étaient occupés par des Patu-Paearehe, qui s’é- loignèrent successivement delà rivière après y être restés jusqu’à une époque peu reculée, après en avoir fait leur de- meure de prédilection. » Et Taylor ajoute avec raison : « Ces récits demi fabuleux doivent faire allusion à une race abo- rigène ; il y a beaucoup de choses qui font croire que les Maori ne furent point les premiers habitants de la terre (hle-Nord). » On a vu, répéterons-nous, que cinq ou six canots de ces émigrants ont rencontré des populations qu’ils indiquent nettement, et qui ne permettent pas de douter, comme quel- ques écrivains le font, que cette île ne possédât des habitants avant la grande émigration d’Hawahiki. Taylor dit encore : « Les Patu-Paearehe ne se montraient que le matin, et Ton dit que c’étaient des êtres blancs, vêtus de vêtements blancs, ayant la forme de ceux des Maori, et faits avec la même substance. On les disait fort grands, comme des géants, quoique, à quelques égards, ils ressem- blassent à nos fées. On ne les voyait généralement qu’en grand nombre et rarement seuls ; ils parlaient très haut et aimaient jouer de la flûte ( Putorino ). On dit qu’ils portaient leurs enfants dans leurs bras comme le font les Européens, mais non à la manière des Maori, sur le dos ou la hanche. Leurs visages étaient Papatea (2), non tatoués, et, sous ce rapport aussi, ils ressemblaient aux Européens. Ils avaient des réunions prolongées et chantaient très haut ; ils se rendaient souvent vers les cultures des Maori, et on les trouvait fréquemment bouleversées, mais jamais le sol n’é- tait injurié. » Certes, bien que ce récit soit mêlé de fables, il ne permet guère de douter que les émigrants d’Hawahiki eussent con- (1) Ouvr. cité, p. 46. (2) Papatea, non tatoués : Papa , planche, peau blanche, lisse. Serait-ce Papatahi, plaine, surface plate ? LES POLYNÉSIENS. 465 servé le souvenir vague de populations antérieures à leur arrivée ; seulement il est impossible d’en rien conclure quant à l’espèce d’hommes qui formaient ces populations. Peut-être pourrait-on le faire à l’aide des légendes Maori qui citent quelques-unes des peuplades rencontrées par les émigrants, et, tout particulièrement, à l’aide de celle qui rapporte la dispute de Ilienga avec le chef des bords de Roto-Rua. Toujours êst-il que de pareilles croyances contredisent l’opinion de M. de Hochstetter et de ceux qui l’ont adoptée. Ce sont sans doute ces Patu-Parehe ou Maero que M. J. Garnier regardait comme les autochthones de la Nouvelle- Zélande ou de son Australasie. « Le peuple autochthone de la Nouvelle-Zélande, ditdl (1), s’est fondu peu à peu dans le courant persistant des Polynésiens lorsqu’ils ne furent plus qu’en très petit nombre et cette race inférieure, refoulée dans la montagne, y périt de misère. Cependant on en trouve encore des traces parmi les Taranald, au Sud-Ouest de l’île. » C’est à ce peuple, disparu devant les Polynésiens, qu’il attribue la coutume des Néo-Zélandais de pousser, pendant de longues heures, des hurlements retentissants auprès des cadavres de ceux qui viennent de mourir : « Ce fait, dit-il, ne se retrouve pas chez les autres Polynésiens. » il en con- clut qu’il doit nécessairement être une vieille coutume des autochthones. C’est une erreur; rien, au contraire, n’est plus ordinaire dans les habitudes des vrais Polynésiens que les cris poussés autour des corps morts. Il est, du reste, impossible, d’après les renseignements que Ton possède, de dire exactement quelles pouvaient être les populations trouvées par les envahisseurs. Si l’indice nasal pouvait suffire, il faudrait en conclure à l’existence de Papua, de Négritos ou d’Australiens. Mais la description que Taylor en donne, d’après les indigènes, ne vient guère appuyer cette manière de voir, et nous pensons qu’il faut en faire une population pareille à celle des envahisseurs ve- nant de l’Hawahiki. (I; Les migrations humaines en Océanie. Mémoire p. 61, 62. 30. iii. 466 LES POLYNÉSIENS. Quant à ce qui concerne le nom Mere-Punanamu, donné à l’arme que les Ngati-Mamoe conservaient comme signe de leur grandeur passée, nous ferons remarquer qu’il n’est pas aussi exactement traduit qu’on l’a cru jusqu’à présent. Mere est bien le nom donné à une arme de guerre, à un petit casse-tête souvent en jade vert, plus souvent encore en basalte, obsidienne ou toute autre substance ; mais le mot Punanamu, ainsi écrit, n’est pas Maori. Ce ne pourrait être que puna, source d’eau, et namu, mouche de sable. Or, ces mots n’ont jamais été lé nom du jade vert qui, d’après Williams, Dieffenbach, Taylor et Shortland, serait Pouna- mu. Pourtant cela n’est pas bien sûr, car Williams, dans son dictionnaire, ne lui donne que le sens de « bouteille. » C’est pourtant ce mot qui, depuis Cook et d’Urville,n’acessé d’être donné au jade vert. Nous avons montré ailleurs que c’était probablement par erreur. Peut-être a-t-on voulu dire tout simplement Mere-pu-nanau(l). Quelle que soit l’étymologie de ces derniers mots, il est à peu près certain que le Mere dont il est parlé dans la cita- tion de M. de Quatrefages, s’appelait plutôt Taonga que Tonga. On a déjà vu que ce dernier mot, ainsi orthogra- phié, signifie vent du Sud, ce qui, appliqué à un Mere, n’aurait pas de sens. Taonga, au contraire, signifie trésor, propriété, et ces dernières significations semblent convenir davantage à une arme précieuse ; mais pourtant, nous ne •voudrions pas l’assurer (2) . A l’occasion de ces divers mots, M. de Quatrefages dit en note (3) ; « Ce nom Tonga. est remarquable. Faut-il y voir un souvenir des îles Tonga? Les Ngati-Mamoe étaient- ils venus directement de cet archipel ? Les traditions indi- gènes ne disent pas quelle était la patrie de ce peuple qui occupait une si grande étendue de terre, tandis qu’elles nous disent bien formellement, d’après Shortland, que tous (1) Mere , arme ; pu, proche, précis ; nanau, colère. (2) Voy. Maunsell, Grammar of the New-Zealand language , citée par Thompson. (3) Les Polynésiens, etc:, p. 133, note- LES POLYNÉSIENS. 467 leurs voisins avaient émigré de i’Ile-Nord. Je ne puis que poser ces questions ; mais les auteurs qui croient trouver à la Nouvelle-Zélande les traces d’une origine multiple, pourraient peut-être invoquer ces faits à l’appui de leur opinion. » Jusqu’à nous, personne n’avait encore soutenu aussi com- plètement, personne n’avait émis aussi nettement l’opinion que c’est par la Nouvelle-Zélande que la Polynésie a été peuplée : par conséquent, cette note, publiée près d’un an après l’envoi de nos mémoires à la Société d’anthropologie de Paris, est tout spécialement à notre adresse. Nous ne pouvons donc nous dispenser d’y répondre. Comme le dit M. de Quatrefages, le mot Tonga mérite, en effet, d’être remarqué, parce qu’il aide lui-même à prouver que l’un des deux peuples descend de l’autre ; mais, bien que nous soyons encore seul, depuis 1865, à soutenir que les Polynésiens proviennent plutôt des Maori que les Maori des Polynésiens, nous n’avons pas le moindre besoin d’invo- quer un pareil fait à l’appui de notre opinion. Nous sommes habitué, d’ailleurs, à ne pas nous contenter d’à peu près ou de ressemblances de mots. Pour nous, ce mot Tonga n'est pas plus un souvenir des îles Tonga de la Polynésie, qu'il n’est le souvenir du mot maori Tonga « vent du Sud, » ou celui de la petite île de même nom qu’on trouve dans le détroit de Cook, à la Nouvelle-Zélande. i Ce mot Tong’a, ainsi écrit, a d’abord une signification qui ne peut être la même dans les îles Tunga et à la Nouvelle- Zélande. Nous venons de le dire, il ne signifie, à la Nou- velle-Zélande, que vent du Sud, tandis que le vent du Sud à Tunga-Tapu, dans le groupe des îles des Amis, porte un nom tout différent. Evidemment, les Néo-Zélandais n’au- raient pas pu vouloir dire que les îles Tunga se trouvaient dans le Sud de leurs îles ou que le vent venant de cette direction soufflait du Sud, car c’est la Nouvelle-Zélande elle-même qui est plus Sud que les Tunga. La Nouvelle- Zélande ne pouvait donc tenir ce mot de l’une des îles des 468 LES POLYNÉSIENS. Amis ; elle n’employait tout simplement qu’un mot presque pareil, mais signifiant toute autre chose. Déjà ailleurs (1), nous avons cherché à démontrer que le mot par lequel tous les écrivains désignent une ou plu- sieurs des îles des Amis, ne doit pas être orthographié Tonga. Cette erreur, avons-nous dit, provient du Dr Mar- tin, l’auteur de l’ouvrage de Mariner; Mariner n’avait pas commis cette erreur, et dans son dictionnaire ilécritToonga. Or, le oo anglais, ramené à la prononciation française, doit être remplacé par ou et écrit u, suivant l’orthographe adop- tée pour les langues polynésiennes. On a donc absolument le mot que nous avons entendu prononcer nous-même sur les lieux, c’est-à-dire Tunga ou Tounga. Ce mot, que nous avons vu être le nom de l’île Tunga-Tapu, signifie, aussi bien aux îles Tunga elles-mêmes qu’à la Nouvelle-Zélande, « station, lieu où l’on s’arrête, halte. » C’est ce dernier sens que possède évidemment la petite île du détroit de Cook, près la Pointe de Séparation (2) et dont le nom est aussi écrit Tonga, par tous les navigateurs. 11 n’y a absolument qu'une conclusion à tirer de ce qui précède, c’est que c’est la Nouvelle-Zélande qui a fourni le mot Tunga à la Polynésie. Il est bien évident, en effet, que le nom d’une île ne serait pas devenu un terme concret à la Nouvelle-Zélande, tandis que ce terme concret aurait fort bien pu être appliqué, et qu’il l’a été, suivant nous, au premier point atteint par des émigrants, après une tra- versée plus ou moins fatiguante. Dès lors ce serait donc plu- tôt un souvenir de la Nouvelle-Zélande, si ce n’était pas tout simplement l’application toute naturelle faite par les émi- grants du mot de leur langue exprimant l’action de « s’ar- rêter, faire halte. » Après cela, il devient inutile, pour répondre plus expli- citement à la question que pose M. de Quatrefages, de cher- cher à réfuter la venue directe des Ngati-Mamoe des îles Tunga, car nous semble-t-il, il résulte de ce que nous ve- (1) Vol. II, p. 382, note 1. \2) « Pointe de séparation, » nom donné par d’Urville et Guilbert à une pointe séparant deux baies. LES POLYNÉSIENS* 469 nons de dire que, pas plus que les autres Maori, les Ngati- Mamoe n’auraient pu venir de ces îles. Si donc les traditions indigènes 11e disent pas, d’après M. de Quatrefages, « quelle était la patrie de ce peuple qui oc- cupait une si grande étendue de terre sur FIle-du-Milieu, tandis qu’elles disent formellement, d’après Shortland, que tous leurs voisins avaient émigré del’Ile-Nord, » c’est’ tout simplement parce qu’on n’a pas voulu voir ce qu’elles di- sent. Shortland, lui-même, qui confond des faits pour ainsi dire récents avec les plus anciens, témoigne, par les détails qu’il rapporte, que les Ngati-Mamoe étaient les populations primitives de FIle-du-Milieu. Ces populations, vaincues plus tard par des envahisseurs venus de File-Nord, finirent par s’allier et se confondre avec eux, quoique beaucoup, encore aujourd’hui, préfèrent vivre isolées. C'est enfin parce qu’on n’a pas remarqué que Thompson regarde les Ngati- Mamoe comme les restes de ce qu’il appelle avec raison «les Maori de FIle-du-Milieu. » Comme Shortland, d’ailleurs, Thompson semble prendre des faits nouveaux pour des faits anciens. Voici ce qu il dit au sujet des Ngati-Mamoe (1) : « Dans plusieurs des ports de refuge qui existent sur la cote de Fer, qui est dans l’Ouest de l’Ile-du-Milieu, et au- tour des lacs inexplorés de l’intérieur, vivent des Nouveaux- Zélandais peu nombreife, qui sont rarement vus, si ce n’est par les baleiniers et les pêcheurs de phoques, et qui, tels que des Bohémiens, errent d'un point à un autre. Ce sont les restes des Maori, que la nation Rangitane a presque dé- truits à son arrivée dans l’Ile-du-Milieu, et on les appelle Ngati-Mamoe. Cette nation quasi-éteinte, était une colonie de Wanganui. » C’est positif : pour lui, ces Néo-Zélandais, errants et peu nombreux, sont des Ngati-Mamoe ; mais ils seraient aussi des descendants des Wanganui de File-Nord, ce qui est beaucoup moins certain. En effet, l’ancêtre de ces Wanga- nui, Turi, était lui-même, comme nous l’avons dit, un Wan- ganui ; c’est sans doute pour cela qu’il a donné ce nom à la colonie qu’il avait fondée près de Patea dans le détroit (1) The S tory- of the New-Zealand, t. I, p. 92. 470 LES POLYNÉSIENS. de Cook. Il est certain qu’il n’existe aucune rivière de ce nom dans toute la Polynésie ; mais on a vu qu’il y en a, au contraire, plusieurs dans rile-du-Milieu, de même qu’il y en avait s’appelant ainsi en Hawaliiki. Il est donc plutôt à croire que les Wanganui du détroit de Cook n’étaient que les descendants de ceux venus d’Hawahiki avec Turi, et que, bien probablement, ils appartenaient à la grande na- tion des Ngati-Mamoe. Ce que dit Thompson de leur extermination par les Ran- gitane, est un témoignage plus favorable que contraire à l’ancienneté des Ngati-Mamoe sur l’Ile-du- Milieu ; cette as- sertion prouve une chose, c’est qu’il s’est trompé, lui aussi, et qu’il a pris une époque assez récente pour une époque reculée . Nous avons déjà fait remarquer que les Rangitane et les Ngaïtahu qui, d’après lui, occupent la côte Est de l’Ile-du- Milieu, depuis le cap Campbell jusqu’à Otokou, et descen* dent des Ngati-Kahungunu, ne peuvent pas avoir émigré de rile-Nord deux siècles auparavant, comme il le prétend ; ils ne l’ont fait qu’à une époque très rapprochée de la nôtre, chassés du détroit de Cook par le fameux Rauparaha, vers 182$ (1). Il est bien évident que si l’expulsion a été faite, comme c’est certain, par Rauparaha, elle n’£ pu s’opérer deux siè- cles auparavant, comme le dit Thompson, puisque cette ex- pulsion n’a eu lieu que vers 1825 ou 1826 (2). Tout ce qu’il est permis de dire, c’est que probablement des colonies de la même nation avaient occupé les mêmes lieux assez long- temps avant l’expulsion de ceux dont il est parlé. (1) C’est d’ailleurs ce que Thompson dit lui-même quand il écrit, (ouvr. cité, p. 92) : « On the East coast of the Middle -Islande from cap Campbell to the neighbourood of Otago are scattered iSoo persons known by the name Ngaitahu and Rangitane. These na- tions driven away from Cook1 s strait by Rauparaha , s prang from the Ngati-Kahungunu , and migrated from the North to the Middle - Island , two centuries ago in the hope of obtainin g possession of the District in which the invaluable green stone in found. » (2) Voy. à la fin du volume IV les notes biographiques sur Rau- paraha. LES POLYNÉSIENS. 471 On n’a jamais fait attention, et il importe de faire remar- quer, que cette tribu Ngati-Kahungunu, de laquelle on s’accorde à faire descendre ces colonies, était elle-même ve- nue de l’Hawahiki àl’He-Nord avec les premiers émigrants. Les traditions disent, en effet, que les Ngati-Kahungunu composaient les équipages des deux canots, le Matatua et le Kurahanpo . Ce fait est de la plus haute importance si rile-du-Milieu était bien l’Hawahiki, comme nous espé- rons l’avoir démontré ; car l’on sait que l’on s’accorde à faire remonter la venue de ces canots à cinq ou six cents ans et, par conséquent, à plusieurs siècles avant le départ de l’Ile-Nord de colonies Ngati-Kahungunu pour les points les plus voisins de l’Ile-du-Milieu. N’y aurait-il que ce fait, il faudrait conclure que Shortland et Thompson ont soutenu, et que M. de Quatrefages a adopté à tort l’opinion que nous combattons, c’est-à-dire le peuplement de l’Ile-du-Milieu par l’Ile-Nord. # Que, plusieurs siècles après l’établissement sur la côte d’Aotearoa la plus voisine de lTle-du-Milieu, des Ngati- Kahungunu soient retournés vers les points les plus rap- prochés de cette dernière île, à mesure que leur tribu deve- nait plus puissante, et dans le but de s’y procurer le jade précieux qui se trouvait là seulement ; qu’ils l’aient fait surtout, comme l’histoire l’apprend, de 1825 à 1840, enhar- dis par les armes à feu qu’ils avaient pu se procurer avant les habitants de l’Ile-du Milieu, et attirés toujours soit par l’appât du jade, soit seulement par le goût des conquêtes (1), ce sont des faits certains ; mais cela n’empêche point qu’ils ont pu venir sur l’Ile-Nord plusieurs siècles auparavant, avant d’envoyer leurs colonies s’établir sur quelques points de rile*du Milieu. Par conséquent, ces faits ne prouvent pas plus le peuplement de l’Ile-du-Milieu par l’Ile-Nord que l’absence, sur cette dernière île, d’une ancienne popula- tion primitive. Il faut même reconnaître qu’ils prouveraient (1) C’est ce que nous avons vu faire nous-même en 1827, par des chefs tels que Hongi, Pômare, Rauparaha, etc. Yoir à ce sujet le texte du voyage de Y Astrolabe, où d’Urville cite les rencontres que nous avons faites de ces chefs. 472 LES POLYNÉSIENS. que c’est PIle-du-Milieu qui a peuplé l’Ile-Nord, plutôt que l’Ile-Nord PIle-du-Milieu, si, comme nous le soutenons, l’Hawahiki était PIle-du-Milieu ou une portion seulement de cette île. Pour nous, en définitive, les colonies Ngaïtahu et Ran- gitane n’étaient que des colonies de tribus venues elles- mêmes, plusieurs siècles auparavant, de PIle-du-Milieu ; ces colonies, parties du bord opposé du détroit de Cook sur Pile-Nord, allèrent se fixer sur son autre bord dans PIle- du-Milieu, à côté de populations dont les écrivains n’indi- quent pas l’origine, mais qui étaient presque certainement indigènes de l’Ile-du-Milieu elle-même. Telles sont celles qui touchaient les Tehuataki et les Ngaïtara. Ces popula- tions, quoique réduites à des agglomérations assez peu considérables, cherchèrent à s’opposer au passage des en- vahisseurs. Longtemps ces colonies durent vivre dans ces lieux, en paix ou en guerre avec leurs voisins, avant de songer â conquérir des points plus éloignés ; ce ne fut qu’a- près la venue de guerriers appartenant à la souche qui les avaient fournies, et quand les armes à feu eurent été con- nues des habitants de l’Ile -Nord, qu’elles osèrent avancer jusqu’à Kaikoura d’abord, puis, successivement, jusqu’à la presqu’île de Banks, enfin, plus tard encore, jusqu’à Otokou. Car, il faut bien le remarquer, c’est à l’introduction des ar- mes à feu que les habitants de Pile-Nord, réduits, pendant des siècles peut-être, à n’occuper que les bords du détroit de Cook formés par l’Ile- du-Milieu, ont fini par devoir les succès qu’ils ont remportés sur les anciens habitants ou Nga- ti-Mamoe, occupant toute la côte Est depuis Kaikoura jus- qu’à Otokou. Aujourd’hui, il reste encore assez de Ngati-Mamoe pour qu’on puisse espérer savoir quelle était la croyance de ce peuple sur son origine, comme sur les causes de sa déca- dence. Il est vivement à regretter qu’on n’en ait pas déjà profité et qu’au lieu de se borner, comme l’a fait Shortland, par exemple, à interroger les vainqueurs, on n’ait pas de- mandé ou fait demander des renseignements à quelques- unes des familles qu'il cite lui-même. Ces renseignements LES POLYNÉSIENS. 473 auraient jeté un jour nouveau sur l’histoire des populations de l*Ile -du- Milieu, à peine connues jusqu’à présent, mais qui, pour nous, nous le répéterons, n’est que celle des ha- bitants de l’Hawahiki. # Résumé. — Ainsi, en ne cessant de remonter, et guidés à la fois par les traditions et par tous les témoignages, nous sommes parvenus, croyons-nous, au véritable lieu d’origine des Polynésiens. Commençant par les îles Sandwich, point le plus extrême en Polynésie, nous avons pu rétrograder jusqu’aux îles qui paraissent les avoir peuplées, telles que les îles de la Société, Hapaï et probablement les Marquises. Des Marquises, nous sommes arrivés aux îles de la Société encore, aux Hapaï et peut-être aux Samoa; Des Mangareva, à Rarotonga et probablement à Tahiti par la voie indirecte des Paumotu ; De Rapa, aux Tunga, aux Manaïa et probablement aussi à Tahiti ; Enfin, des Manaia et des îles de la Société, aux Samoa, et de celles-ci aux Tunga. D’où il semble résulter, comme on le voit, que les îles de •la Société et les Tunga sent celles qui ont le plus contribué à peupler les îles les plus orientales, les plus Sud et même les plus Nord. Arrivés aux Tunga, il fallait trouver le véritable lieu d’o- rigine de leurs habitants, et l’on a vu que nous avons cru le reconnaître dans l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande. Enfin , rétrogradant toujours, nous sommes parvenus à l’Ile- du-Milieu, et c’est là que nous avons rencontré l’Hawahiki, cettepatrie première de tous les Polynésiens Maori. Après tous les développements dans lesquels nous som- mes entrés, nous croyons qu’il n’est pas permis d’en douter. Mais il reste maintenant une grande difficulté à résoudre, celle de savoir d’où étaient venus eux-mêmes les premiers habitants de l’Hawahiki. C’est ce qui va faire le sujet du chapitre suivant. CHAPITRE QUATRIÈME » PROVENANCE DES HAWAHIKIENS Les Hawahikiens étaient autochthones sur Kawa'i. — Spécialité de la faune des îles de la Nouvelle-Zélande. — Spécialité de la flore de ces mêmes îles. — Spécialité delà race humaine de ce groupe. — Isole- ment dans l’espace des terres de la Nouvelle-Zélande. — L’île Kawaï a été le centre de création de la race Maori. Il est peu de questions aussi difficiles à résoudre que celle de la provenance des habitants de l’Hawahiki. Aussi nous 'bornerons-nous à exprimer la conclusion à laquelle nous avons été conduit par toutes nos études et par toutes les observations que nous avons pu faire nous-même pendant nos voyages répétés etnotre long séjour en Océanie. Il est certain qu’il n’existe aucune terre dans l’Ouest et le Sud-Ouest de l’Ile-du-Milieu, et, par conséquent, aucune population polynésienne ou autre, d’où auraient pu venir les premiers habitants de l’Hawahiki . Il n’y a, dans le Sud, que la petite île Stewart que tout annonce avoir été peuplée par l’Ile-du-Milieu ; il n’y a, dans le Sud-Est de l’Ile-Nord et l’Est de l’Ile-du-Milieu, que les îles Chatham qui, d’après les traditions, avaient une population toute Maori, avant qu’elle ne fût exterminée par d’autres tribus Maori chassées elles-mêmes, de notre temps, des bords du détroit de Cook ; mais l’idée ne viendra à personne d’attribuer à ces îles de médiocre étendue le peuplement de l’Ile-du-Milieu. Ilyabien, aune petite distance, 750 milles, dans l’Ouest- Nord-Ouest et l’Ouest, la Nouvelle-Hollande et Van Diemen ; mais il est évident que ces terres n’ont pu fournir la race LES POLYNÉSIENS. 475 dite Polynésienne par les auteurs, et que nous appelons race Maori. Ainsi, pas une seule terre, dans l’Ouest, le Sud-Ouest, le Sud-Est et même l’Est, à laquelle on puisse rapporter l'o- rigine des Maori de l’Ile-du-Milieu. Or, s’il est vrai qu’ils n’ont pu provenir de la Polynésie, comme nous l’avons sou- tenu, qu’en conclure ? Une seule chose, c’est qu’ils étaient auto chtho nés. Nous allons essayer d’appuyer cette conclusion par des raisons tirées : 1° De la spécialité de la faune et de la flore de l’Ile-du Milieu et des îles du même groupe ; 2° De la spécialité de la race humaine qui les habite, ainsi que de celle de son langage ; 3° De la séparation probablement constante entre la Nou- velle-Hollande et la nouvelle-Zélande ; 4° Enfin, de l’opinion des savants qu’on regarde comme les maîtres de la science. Quand on remarque, en effet, que des pays voisins l’un de l’autre, tels que la Nouvelle-Guinée et la Nouvelle-Hol- lande, possèdent non seulement une flore et une faune dis- tinctes, mais même des populations qui diffèrent générale- ment et ne se rapprochent que par quelques traits secon- daires, on ne peut qu’être conduit à se demander pourquoi la Nouvelle-Zélande, qui est plus éloignée de l’Australie que l’Australie ne l’est de la Nouvelle-Guinée, et qui a, elle aussi, une faune et une flore différentes, n’aurait pu avoir une race humaine particulière ? C'est une erreur de croire que les productions tant anima- les que végétales de la Polynésie sont, comme on l’a tant répété, les mêmes que celles de la Malaisie (1). 11 est cer- (1) Le traducteur d’une partie des ouvrages de Sir Raffles et Crawfurd, Marchai, fait remarquer dans sa préface qu’il y a une différence même dans l’archipel indien: « C’est une erreur, dit-il, de croire que la végétation et les animaux notamment sont les mêmes dans toutes les îles ; c’est le contraire qui existe ; il y a une grande différence entre les productions de chacune de ces îles et entre les races de leurs habitants. » 476 LES POLYNÉSIENS. tain, au contraire, que la Polynésie a une végétation géné- ralement distincte qui, parfois seulement, se rapproche de celle de l'a Nouvelle-Zélande, mais non de celle de la Ma- laisie et de l’Australie. Aussi d’Urville a-t-il pu dire, avec quelque raison, que la flore de la Nouvelle-Zéiande semblait intermédiaire de celle de la Polynésie et de l’Australie. La Polynésie, en outre, a des oiseaux, des poissons parti- culiers, tandis qu’elle n’a presque rien, en zoologie comme en botanique, de .a Malaisie. Tout le monde sait enfin que la zoologie des îles malaisiennes est aussi riche et aussi variée que celle de la Polynésie Test peu, et qu’elle semble attester, par les nombreuses espèces qui lui sont propres, que les îles malaisiennes ont fait partie du continent asiatique : En ef- fet, plusieurs des grands quadrupèdes qui vivent dans un certain nombre d’entre elles sont ceux de ce continent. Par contre, on sait aujourd’hui qu’il n’y a jamais eu d’autres mammifères en Polynésie que le chien, le cochon, le rat et quelques roussettes et chauves-souris. C’est donc bien à tort, nous ne saurions trop le dire, que les premiers navigateurs, et même des naturalistes, comme Chamisso entre autres (1), le compagnon de Kotzebüe en 1816, ont soutenu que les productions naturelles des îles polysiennes sont semblables à celles des pays malais ou asiatiques : il n’en est absolument rien pour presque toutes, comme l’avait déjà remarqué l’infatigable Péron, pendant son voyage aux Terres Australes avec- Baudin (2) . Mais, s’il en est ainsi pour la Polynésie, ce serait se trom- per bien plus encore que d’accorder à la Nouvelle-Zélande les mêmes productions que celles des îles asiatiques, ou de croire seulement que la Nouvelle-Zélande possède les principales productions de la terre qui l’avoisine le plus, l’Australie. Sans doute, il y a eu d’abord quelques dissidences à ce sujet, faute de documents assez nombreux et assez exacts : (1) Mémoires du Grand-Océan , de ses îles et de ses côtes , Annales maritimes y 1825, 2me partie. (2) Voyage de découvertes aux Terres Australes (1800-1804). — Paris, 1824. Tome IV , Mémoires sur divers sujets . LES POLYNÉSIENS. 477 mais il est démontré aujourd’hui que les différences l’em- portent de beaucoup sur les analogies, et que si la Nouvelle- Zélande se rapproche delà Nouvelle-Hollande, de la Polyné- sie, et même de l’ Amérique et de l’Europe par quelques plan- tes, elle s’en éloigne davantage par le plus grand nombre, tout en restant, naturellement plus proche par sa flore, de celles des deux contrées qui l’avoisinent le plus, la Polyné sie et l’Australie (1). Mais c’est surtout par la zoologie que les îles de la Nou- velle-Zélande diffèrent de la Nouvelle-Hollande, bien que ces deux contrées ne soient séparées que par 750 milles. On ne trouve à la Nouvelle-Zélande aucun des quadrupèdes et des oiseaux si remarquables de la Nouvelle-Hollande, tels que le Kangourou, le Dasyure, l’Echidné, le Casoar, le Fai- san-lyre, le Prince-rég’ent et le paradoxal Ornithorhynque. La Nouvelle-Zélande n’a même aucun des animaux malfai- sants de l’Australie, tels que certaines fourmis, les ser- pents, etc. Elle a, au contraire, des animaux qui n’ont ja- mais existé ni en Australie, ni en Polynésie, ni en Malaisie, tels que le Moa ou Dinornis, le Kiwi ou Aptéryx, le Kaka ou Psittacus hypopalius de Fo'rster, le singulier animal plante appelé Aweto-hotete, par les indigènes et Sphœria Robertsia par les naturalistes, etc. Que conclure de l’absence à la Nouvelle-Zélande des ani- maux malfaisants de la Nouvelle-Hollande ? Qu’évidemment ces deux grandes terres n’ont jamais été jointes ensemble. En effet, ainsique l’a ditlepremier le président Debrosses (2): « Quand on trouve des animaux malfaisants ou venimeux dans une contrée, c’est une preuve certaine que cette con- trée, q$ii est aujourd’hui une île, a été autrefois jointe au continent. Il est évident, d’une part, que les hommes qui (1) Nous avons vu plus haut, (vol. III, p. 30 à 33), que le savant missionnaire Taylor corrobore cette opinion : pour lui, la flore de la Nouvelle-Zélande difîère autant de celle de la Nouvelle-Hollande que celle-ci diffère, par ses diverses productions, de toutes celles des autres parties du globe. Sur 2,000 espèces environ à la Nou- velle-Zélande, il n’y en a que 123 semblables. (2) Histoire des .navigations aux Terres Australes, t. II, p. 382 478 LES POLYNÉSIENS. auraient été peupler ces îles en colonies, n’y auraient pas, exprès, transporté avec eux des races mâles et femelles de telles bêtes nuisibles, tels que tigres, serpents, etc. ; d’autre part, il n’est pas moins certain que les animaux n’ont pu ni voulu quitter le continent et traverser de vastes bras de mer, pour aller se gâter dans ces îles. Ainsi, puisqu’ils y sont, c’est une marque qu’ils y étaient déjà quand l’eau a commencé d’isoler ces régions du continent. On n’y en verrait point dès à présent, si dès lors les races n’y avaient été pour se reproduire. » Nous croyons avec lui que, dès que les animaux malfai- sants de la Nouvelle-Hollande ne se retrouvent pas à la Nouvelle-Zélande, il faut reconnaître que ces terres n’ont ja- mais été jointes ensemble. C’était aussi, comme on l’a vu, l’opinion du comte Carli qui, tout en admettant que la Nou- velle-Zélande avait pu aj^oir des rapports avec Tahiti, par une suite de terres intermédiaires à sec, disait que le canal qui sépare la Nouvelle-Zélande de la Nouvelle-Hollande existait antérieurement à l’inondation. Comme on l’a vu encore, et pour les mêmes motifs , Dieffenbach a pu con- clure avec raison, suivant nous, qu’autrefois l’île delà Bar- rière tenait à la grande île Ika-na-Maui, puisqu'on y retrouve le Kiwi qui, par sa conformation, est incapable de voler d’une île à l’autre. Mais que les grandes îles de la Nouvelle-Zélande aient été ou non séparées de tout temps de l’ Australie, il n’est pas moins vrai qu’elles ont des oiseaux particuliers qui n’ont ja- mais été rencontrés ni en Malaisie, ni en Polynésie, ni même en Australie. Cette opinion n’est pas seulement la nôtre; c etai^ égale- ment celle des naturalistes zoologistes de l’expédition de Dumont d’Urville, en 1827, MM. Quoy et Gaimard. Voici ce qu’ils écrivaient à ce sujet (1) : « La Nouvelle Zélande, par son isolement et sa position reculée vers le Sud, possède dans ses productions des ca- ractères qui lui sont propres. « Sa végétation a une physionomie toute particulière, et (1) Voyage de l’Astrolabe , t. II, 2e partie, p. 391, LES POLYNÉSIENS. 479 diffère totalement de celle de la Nouvelle-Hollande, terre la plus voisine et avec laquelle on aurait pu lui supposer de grands rapports. a Le règne animal n’offre pas moins de différence dans ses divisions. Les mammifères sont presque nuis : chien et rat (1). Il paraît que le cochon, qu’on trouve maintenant en assez grande abondance, est une acquisition moderne due aux Européens. Ainsi, cette nombreuse famille de marsu- piaux qu’on rencontre d’une manière non interrompue dans les îles de l’Asie, les Moluques, la Nouvelle-Guinée, qui pullule dans la Nouvelle-Hollande, s’est arrêtée à l’île de Van-Diemen. « Les oiseaux, moins bornés dans leurs* migrations, sont cependant peu nombreux et ne présentent pas cette diver- sité qu’on trouve à la Nouvelle-Hollande. Bien qu’il y ait des genres communs aux deux terres, l’ensemble est cepen- dant spécial à la Nouvelle-Zélande. Ainsi, par exemple, il paraît y avoir peu d’oiseaux de proie. Le Glaucope à caron- cules, le Philédon à cravate (Tui), un nouveau Tangara, le grimpereau que nous avons nommé hétéroclite, l’oiseau connu sous le nom d’ Aptéryx, sorte de casoar ? à long bec grêle, (Kiwi), etc., sont des êtres qui n’appartiennent qu’à cette île. Elle a de commun avec d’autres contrées, d’avoir des philedons, des cailles, des alouettes, des moucherolles, des mésanges, des synallaxes, des tourterelles, perruches, perroquets, etc. Mais la Nouvelle-Zélande a ses perroquets (1) Crozet avait déjà dit : « Je n’ai vu dans ce pays d’autres quadrupèdes que des chiens et des rats. Les Nouv.eaux-Zélandais n’ont absolument d’autre animal domestique que le chien. « Les chiens sont une espèce de renards domestiques tout noirs ou blancs, très bas sur jambes, les oreilles droites, la queue épaisse, le corps allongé, la gueule très fendue, mais moins aigüe que celle du renard; le même cri : ils n’aboient pas comme nos chiens. On en avait embarqué plusieurs sur nos vaisseaux, on n’a jamais pu les apprivoiser. » En parlant des rats, Crozet disait : « Ils sont de la même espèce que ceux qui se trouvent dans nos champs et dans nos forêts» Les sauvages les mangent comme ils mangent les chiens, v 480 LES POLYNÉSIENS. propres, dont le Nestor (Nestor meridionalis GM.) est le plus remarquable. » On sait, du reste, aujourd’hui, que les oiseaux de l’Océa- nie ou de cette partie du globe qu’on appelle Polynésie depuis que d’Urville et les navigateurs anglais l’ont ainsi désignée, comparés aux oiseaux de l’ancienne Polynésie des géographes, c’est-à-dire à ceux de cette partie du monde appelée pour la première fois Malaisie par R. P. Lesson (l), n’offrent que de rares analogues dans les espè- ces. Chaque système de terres possède des individus de gen- res rencontrés dans un grand nombre de localités, mais qui sonttoujours distincts. Ainsi, de même qu’à la Nouvelle- Zélande, on trouve des espèces particulières à l’île Norfolk, ainsi qu’à la Nouvelle-Calédonie ; aux Sandwich, on trouve des perruches et ces héorotaires# (2) qui paraissent pourtant avoir existé aussi aux îles Tunga et à Tahiti, mais qu’on n’y rencontre plus aujourd’hui ; aux îles Marquises, comme à Tahiti, on retrouve les perruches Yini, les tourterelles Ku- rukuru, mais avec des nuances si différentes, qu’elles sem- blent être autant de variétés. Pour la Nouvelle-Calédonie particulièrement, il résulte d’un travail de M. Decaisne (2) professeur au Muséum d’his- toire naturelle de Paris, que cette île appartient par sa flore à la même formation que la Nouvelle-Hollande, malgré la distance assez grande, 600 milles, qui les sépare; que son climat océanique ainsi que sa situation, lui donnent d’assez nombreux rapports avec les archipels polynésiens et en par- ticulier avec l’île de Timor ; que la population végétale de (1) Voir ce que dit à ce sujet Balbi (Introduction, p. 14). «Nous proposons de remplacer le nom inconvenant et ridicule de Nou- velle-Guinée par celui de Paponasie, dont la racine Papoua indi- que le peuple qui habite cette grande île, de même que celui de Malaisie, si heureusement imaginé par M. Lesson, pour remplacer Tarchipel d’Orient d’Asie, rappelle l'habitation des nations ma- laisiennes dans la partie occidentale du monde maritime. (2) Oiseaux à plumes rouges très recherchées par les Polyné- siens comme ornement. (3) Extr. de la Revue et Magasin de Zoologie. Sept. 1860 p. 2. LES POLYNÉSIENS. 481 la Nouvelle-Calédonie prouve, en un mot, qu’elle participe à deux grandes flores, en se rapprochant beaucoup plus de celle de l’Australie orientale et tropicale que de celle des archipels de l’Océanie; mais, d’un autre côté, la faune prouve le contraire. Il résulte, en effet, du relevé fait par MM. J. Yerreaux et O. des Murs(l) que, sur 76 espèces d’oiseaux rapportés de la Nouvelle-Calédonie, 45 ou les 4/10es et demi, sont exclusive- ment propres à cette île. Parmi ces espèces se trouvent les trois beaux types génériques Gazzola pour les corvidées, Phœnorrhina pour les colombins et Rhynochetos (2) pour les ardéidées. Dix-huit espèces ou près des 2/10es lui sont communes avec la Nouvelle-Hollande, dont une avec la terre de Yan-Diemen et treize seulement ou un peu plus d’un dizième, se retrouvent dans la Polynésie proprement dite, y compris la Nouvelle-Guinée. La conclusion qu’en ont tiré, avec raison, ces naturalistes, c’est que la faune ornithologique delà Nouvelle-Calédonie est, ainsi qu’on aurait pu le supposer, loin de se comporter comme sa flore et que, par conséquent, l’opinion de M. Decaisne pour celle-ci est infirmée par celle-là. En un mot, contrairement à ce qu’exprime le savant botaniste, au lieu de se rapprocher beaucoup plus de l’Australie orien- tale et tropicale que des archipels océaniens, elle se tient à une distance presque égale de l’une et de l’autre, (la diffé- rence n’étant que 18 à 13) ; elle oftre un caractère et une ho- mogénéité qui lui sont propres et que ne pourront que con- firmer les découvertes ornithologiques à venir dans ce nou- veau centre de création si restreint et si singulier. Ajoutons ici que la Nouvelle-Calédonie semble appartenir à la Nouvelle-Zélande par sa formation géologique. Quoi qu’il en soit, il est certain que la faune de la Nou- (1) Description d'oiseaux nouveaux de la Nouvelle-Calédonie, etc., Extrait de la Revue et Magasin de zoologie, septembre 1860. (2) Deux de ces oiseaux rares et curieux ont été possédés à Rochefort par notre ami le comte Pouget, cpfi a publié en 1878 un curieux travail sur leur remarquable intelligence. ni 31. 482 LES POLYNÉSIENS. velle-Zélande est parfaitement distincte de celle de l’Aus- tralie et de la Polynésie (1) ; si l’on s’accorde un peu moins sur la flore, ce que nous allons en dire suffira, croyons- nous, pour établir qu’elle aussi doit être considérée comme différente. Quand le professeur Richard décrivit, en 1832, les plantes collectées par nous pendant le voyage de découvertes de Ykstrolabe, et plus particulièrement celles de la Nouvelle- Zélande, auxquelles d’Urville en avait ajouté quelques-unes provenant de la même contrée, il n’y avait alors de connu qu’un très petit nombre de plantes océaniennes. Le pro- drome des deux Forster, compagnons de Cook avec Spar- mann, en 1772, et dans lequel figuraient toutes Jes décou- vertes de Banks et de Solander, faites en 1769 et restées jusque-là inédites, ne portait le nombre des espèces qu’à 274, dont 121 dicotylédones, 151monocotylédones et 22 fougères. En y ajoutant les plantes phanérogames rapportées de la baie Dusky par Menziès, compagnon de Vancouver en 1791, et qui avaient été publiées par le professeur sir W. Hooker (2), il y en avait en tout à peu près 300 à 320 espèces appartenant à la Nouvelle-Zélande. Nos collections permirent à A. Richard de porter ce nom- bre à 379 espèces environ, savoir: 211 phanérogames, dont 152 dicotylédones, 52 monocotylédones et 169 cryptogames. Ce nombre sans doute est peu considérable si on le compare aux augmentations faites depuis ; mais alors il avait son im- portance ; surtout quand on tient compte de la brièveté des relâches dans une campagne d’exploration, et de l’impos- sibilité dans laquelle se trouvait alors le botaniste de fran- chir les limites du littoral. (1) C'est ce que dit particulièrement Thompson quand il écrit : (p. 20) « Nous allons maintenant décrire la faune de la Nouvelle- Zélande, sujet qui est bien digne de fixer l’attention des natura- listes, car le pays offre l’une des meilleures preuves de ce monde que chaque partie de la terre a ses animaux et ses végétaux de forme particulière. » (2) Yoy. entre autres ouvrages dans lesquels ces plantes ont été étudiées par Hooker, les Musei exotici et ses planches de fou- gères. LES POLYNÉSIENS. 483 Richard, comparant la végétation de la Nouvelle-Zélande avec celle des autres contrées, trouva que non seulement des rapports multipliés existaient avec la végétation des pays situés*à petite distance, mais encore avec celle des pays situés à une grande distance, et même dans un autre hémisphère (1). Ainsi, il établit qu’elle avait des points de contact avec celle du cap de Bonne-Espérance, et même avec celle du cap Horn : Tous les botanistes sa- vent, en effet, que quelques genres de ce dernier point exis- tent à la Nouvelle-Zélande, de même que plusieurs genres de la Nouvelle-Hollande. 11 trouva également beaucoup d’i- dentité entre les fougères de la Nouvelle-Hollande et celles que l’on rencontre si abondamment sur les côtes baignées par l’Océan Pacifique ; enfin, il signala jusqu’à des végé- taux européens. En résumé, pour lui, c’était avec la flore des côtes méri- dionales delà Nouvelle-Hollande, que celle de la Nouvelle- Zélande offrait le plus de ressemblance (2), tout en trouvant, comme on vient de le voir, qu’elle en avait avec le cap de Bonne-Espérance et le cap Horn, et, par ses lichens, avec les régions hyperboréennes, de même que, par ses fougères, elle se rapprochait de la Nouvelle-Hollande, des côtes de l’Amérique méridionale, des îles de l’Océanie et notamment de l’île Juan-Fernandez. Mais s’il signalait toutes ces analogies incontestables, il laissait passer inaperçues les différences, qui sont encore plus nombreuses ; c’est à peine s’il s’arrêtait à quelques-unes des plantes les plus remarquables par leur spécialité d’ha- bitat. Tel est le Phormium tenax, qui n’a jamais été trouvé ailleurs qu’à la Nouvelle-Zélande et à l’île Norfolk. Il faisait seulement remarquer dès lors que les légumineuses, les malvacées, les rubiacées manquaient presque compléte- (1) Introduction : partie botanique du Voyage de V Astrolabe, 1832. (2) C’est surtout près du cap Nord de la Nouvelle-Zélande et dans la partie Nord de cette île, qu’on trouve le plus de plantes communes à la Nouvelle-Zélande et à la Nouvelle-Hollande. (Voir l’art, botanique de Taylor) 4 484 LES POLYNÉSIENS. ment à la Nouvelle-Zélande et à TIle-Nord, tandis que les épacridées, les myrticées, y formaient un nombre assez considérable d’espèces, et que les ombellifères, les crucifè- res et les œnothérées, prédominaient après les fougères, les graminées et les cypéracées. D’Urville avait à peu près la même manière de voir, au- tant qu’on en peut juger par les lignes suivantes (1) : « Cer- tainement c’est avec la flore de l’Australie que celle de la Nouvelle-Zélande ale plus de rapport, relativement au nom- bre des espèces ; mais le ton général de la végétation se rapproche plus de celui des îles de l’Océanie intertropicale par la forme des fougères, par le faciès général des plantes, surtout par la teinte verte et prononcée des arbres qui for- ment les forêts. » On le voit, ni l’un ni l’autre ne précisaient les différences existantes ; il ne faisaient guère que répéter ce qu’avaient dit les naturalistes de Y Astrolabe, quand ils écrivaient que a la végétation de la Nouvelle-Zélande a une physionomie toute particulière, différant totalement de celle de la Nou- velle-Hollande par le ton. général. » 11 faut arriver jusqu’à ces derniers temps, pour trouver un naturaliste formulant nettement la différence qui existe en- tre la flore de la Nouvelle-Zélande et celle des autres con- trées. Ce naturaliste est le Dr Dieffenbach qui a publié en 1843 deux volumes sur la Nouvelle-Zélande (2). On sait que Dieffenbach se trouvait à la Nouvelle-Zélande dans l’intervalle de 1839 à 1847 ; son opinion pouvait alors s’appuyer sur les nombreuses découvertes faites depuis la publication des collections de V Astrolabe. Entre les deux époques, W. Hooker (3) avait publié les plantes découvertes par les deux frères Allan et Richard Cunningham, en 1826 (1) Voyage de V Astrolabe, t. II, 2e partie . (2) Travels in New-Zealand, 2e vol. London 1843. La botanique de la Nouvelle-Zélande est à la page 420 du premier volume, ch. 29. (3 ) Flora Novœ Zelandiœ, by W. D. Hooker, with plates, Mur- ray, London, 1853, Published by the Admiralty. LES POLYNÉSIENS. 485 et 1833-34, et mises en ordre par le premier que nous avons eu l’avantage de connaître en 1827, à la Nouvelle-Hollande, en même temps que Frazer. Le catalogue dressé par le Dr Hooker sur leurs matériaux et ceux de leurs devanciers, avait élevé le chiffre total des plantes de laNouvelle-Zélande à 632. C’est après cela que le D1' Diffenbach (1) n’hésita pas à dire : « Quoique la Nouvelle-Zélande ait quelques rapports par sa flore avec les deux grands continents entre lesquels elle est située, l’Amérique et l’Australie, et qu’elle possède même des espèces identiques avec celles d’Europe, sans qu’on puisse attribuer l’introduction de ces dernières aux Européens, cependant le plus grand nombre des espèces et même des genres, sont particuliers à cette contrée : ce qui, fait surprenant, avait déjà frappé l’esprit des premiers ex- plorateurs. » Et il ajouta : « La Nouvelle-Zélande avec quelques-unes des îles voisines, les Chatham, Auckland et Macquarie, forme un centre botanique. » Il écrivait, avons-nous dit, en 1843, par conséquent bien des années avant Taylor et Thompson qui ne tirent paraî- tre leurs ouvrages qu’en 1855 et 1859, et qui partagèrent, eux aussi, cette manière devoir de Dieffenbach. Déjà, dans nos Considérations générales (2), nous avons montré que, sur les 632 plantes connues alors comme ap- partenant à la Nouvelle-Zélande, 89 étaient de l’A- mérique du Sud ; 77 de l’Australie et de l’Amérique méri- dionale, dont 50 communes à l’Europe ; 60 complètement européennes. 406 espèces ou près des deux tiers, et même 507 d’après Taylor, lui étaient donc particulières dès ce moment ; elles établissaient, comme ce dernier le disait lui-même, après Dieffenbach, le droit de laNouvelle-Zélande à être considé- rée comme un centre botanique, d’avoir, en un mot, la plus grande partie de sa flore complètement distincte. C’était ce que reconnaissait également le Dr Thompson (1) Ouvr. cité, p. 420. (2) Voy. ci-dessus, p. 31. 486 LES POLYNÉSIENS. quand, indiquant la connaissance incomplète que l’on avait de cette flore, il la signalait comme particulière. On pouvait craindre que de nouvelles découvertes ne vinssent modifier une pareille conclusion ; mais loin de là : malgré que les découvertes aient été considérables depuis ce moment, elles n’ont fait que l’appuyer et la sanctionner. Ces découvertes, en effet, ont plus que doublé le nombre précédent. Elles sont dues, pour un grand nombre, au doc- teur Hook'er lui-même qui, après s’être occupé une partie de sa vie des plantes de La mer du Sud, se décida à aller étu- dier celles de la Nouvelle-Zélande, lors de l’expédition an- tarctique du capitaine Ross (1839-43). Après avoir coordon- né et mis en ordre tous les matériaux connus jusque-là, le savant botaniste publia la flore, dans laquelle se trouvent décrites environ dix-neuf cents plantes. Aujourd’hui, on compte 123 plantes australiennes; 117 fougères dont 42 sont particulières à la Nouvelle-Zélande, etc. (1); mais, quel que soit le nombre exact de toutes les plantes connues, il résulte du dernier travail du Dr Hooker que la majorité des plantes du groupe de la Nouvelle-Zé- lande ne se trouve que dans cette contrée. Le même savant pensait qu’il s’en fallait qu’on connut toutes les productions végétales de la Nouvelle-Zélande. En effet, ce n’était guère alors que dans l’Ile-Nord qu’on avait pu pousser les recherches jusque dans l’intérieur ; le litto- ral seul de l’Ile-du-Milieu avait été visité, mais jamais son intérieur et surtout ses montagnes alpestres. Au contraire, depuis une trentaine d'années, on a pu faire de tous côtés des explorations botaniques ; on a vraisemblablement dé- couvert bon nombre de plantes nouvelles ; mais il est peu probable qu’elles viennent modifier ie résultat fourni par les plantes les plus en vue ; il est même plutôt à croire qu’elles viendront le confirmer. Quel que soit donc, en résumé, le degré de différence de la faune et de la flore d© la Nouvelle-Zélande, comparées à celles des autres contrées, il est un fait reconnu par tous les (1) Yoy. ci-dessus, p. 38, LES POLYNÉSIENS. 487 écrivains, c’est qu’elles sont dissemblables par l’ensemble, c’est-à-dire que l’ensemble a été créé sur place. On ne met pas en doute aujourd’hui que les flores et les faunes aient pu être créées sur place ; ce que nient, de nos jours comme autrefois, les partisans d’un démiurge, c’est que la puissance créatrice, qui a fait ces faunes et ces flores, ait pu produire en même temps, sur le même sol, une espèce humaine particulière. Nous ne chercherons pas à démontrer que l’homme suit constamment une phase évolutive identique à celle qui est suivie par les autres animaux : le transformisme s’est char- gé de prouver la vérité de cette assertion. Nous nous borne- rons ici à redresser une erreur qui a généralement cours dans la science, et qui, certainement, a le plus contri- bué à entretenir la croyance biblique, c’est-à-dire l’analo- gie de la race polynésienne avec les races de la Malaisie et de l’Asie. Nous l’avons déjà dit, et nous ne saurions trop le répéter, tant cela importe à la question qui nous occupe : Les Maori, qui appartiennent à la même race que les Polynésiens, ont non-seulement les mêmes caractères physiques, mais, chez les uns comme chez les autres, ces caractères diffèrent de ceux de toutes les autres races. Ils forment une race à part, distincte, typique, qui n’a jamais été rencontrée en grandes agglomérations ailleurs qu’en Polynésie et à la Nouvelle- Zélande, qui, en un mot, ne ressemble pas plus à la race malaise, d’où on la fait descendre, que la faune et la flore de la Nouvelle-Zélande et de la Polynésie, ne ressemblent à celles de la Malaisie. Telle était l’opinion de M. Périer, quand il disait (1) : « qu’on ne pouvait rattacher les races de la Polynésie ni à celles de l’Amérique, nia celles de l’Asie et de la Malaisie. « Nous croyons, avec M. Sanson (2), « que chaque race a son aire- géographique naturelle, d’ou le type spécifique qu’elle représente est originaire. » Nous avons assez longuement indiqué les caractères phy- (1) Bulletins de la Soc. d'anthrop ., t. I, p. 197. (2) Société d'anthropologie, séance du 21 sept. 1871. 488 LES POLYNÉSIENS. siques, moraux et intellectuels des Maori et des Polynésiens pour n’avoir pas besoin d’y revenir. Ces caractères sont absolument les mêmes, avec cette seule différence qu’ils sont plus accentués chez les Maori. Si l’on ajoute enfin que la langue est elle-même semblable, et que l’opinion de Cook, de Crozet, ded’Urville, sur l’existence de plusieurs races à la Nouvelle-Zélande n’est pas fondée, on reconnaîtra avec nous que Maori et Polynésiens appartiennent à une race spéciale, distincte. Pourquoi donc, si ces caractères sont aussi tranchés que nous le disons, s’ils n’appartiennent qu’à une race dont on n’a pu retrouver l’origine nulle part ailleurs, pourquoi cette race n’aurait-elle pas pu être également créée sur place, là où la faune et la flore paraissent l’avoir été ? Lorsque l’on raisonne froidement et scientifiquement sur l’origine des races, il faut nécessairement reconnaître que les foyers de création sont multiples, et que, dans chaque foyer, il existe une corrélation naturelle entre la flore, la faune et l’homme. Tous les arguments qui ont été mis en avant pour soute- nir l’unité des races ne sont, quand on les passe au creuset de la critique, qu’un vain effort pour concilier les faits avec une théorie préconçue. Pour M. de Quatrefages, qui est monogéniste, les Poly- nésiens ne sauraient être autochthones et, dans une dis- cussion fameuse sur le croisement des races, il répondait à ses adversaires (1) : « Cette opinion, qui a joui pendant quelque temps d’une certaine faveur, perd aujourd’hui du terrain; les ethnologues américains l’ont, pour la plupart, abandonnée, quoi qu’ils soient partisans de la multiplicité des origines de l’humanité. » M. de Quatrefages avait certainement raison s’il enten- dait seulement par là que les Polynésiens sont nés sur les îles polynésiennes actuellement occupées par eux ; mais il avait tort si les émigrants d’Hawahiki étaient, comme nous avons cherché à le prouver, des émigrants de l’Ile-du-Milieu et les ancêtres des Polynésiens. Ceux-là, évi- demment, ne pouvaient être qu’autochthones, puisqu’ils (1) Bulletins de la Soc. d'antrop ., t. I, p. 193. LES POLYNÉSIENS. 489 n’avaient pu provenir d’aucune contrée ayant une race de même type. On comprend très bien, après cela, que les eth- nologues américains aient abandonné l’opinion de l’autoch- thonie des Polynésiens, telle du moins que M. de‘ Quatre- fages parait l’entendre. Mais il n’est pas moins vrai qu’ils sont restés partisans en général de la multiplicité des origi- nes de l’humanité. Il faut bien le dire d’ailleurs, les arguments sur lesquels s’appuie M. de Quatrefages sont loin d’avoir la valeur qu’il leur accorde. Voici en effet ce qu’il dit (1) : « Quand on lit les relations des voyages du XVIe siècle, et qu’on les compare aux relations plus modernes, on est porté à croire que diverses modifications se sont produites depuis trois siècles par suite de migrations et de mélanges dans la population de certaines îles. Wallis et Cook ont trouvé, dans l’archipel de Tahiti, des hommes blonds aux cheveux bleus, et c’est seulement parmi les chefs ou dans leurs familles qu’ils ont observé ce type, comme si les hom- mes blonds descendaient d’une race de conquérants. D’un autre côté, les traditions établissent qu’il y a eu autrefois des nègres dans plusieurs îles de la Polynésie. Cette race noire aurait donc été exterminée ou chassée par la race actuelle. Il y a encore des nègres dans la Nouvelle-Zélande où la plus grande partie de la population appartient pour- tant à la race polynésienne. Nous possédons le portrait d’un Néo-Zélandais qui fut conduit à Londres, il y a quel- que temps : les principaux caractères du type éthiopien sont réunis dans ce portrait. » Il est certaind’abordqu’ilnes’estopéréquetrèspeudemodi- fications depuis les premières migrations, comme le prouve- raient au besoin les caractères physiques des habitants des Marquises, par exemple, lesquels sont absolument aujour- d’hui ceux que Mendana leur a reconnus en 1595, et ceux de tous les autres Polynésiens, même de ceux qui avoisi- nent le plus les Fiji : c’est ce que nous avons cherché à prouver. (1) Bulletins cités, 1er volume, et Revue des Deux -Mondes, 1er février 1864, p. 525. 490 LES POLYNÉSIENS. D’un autre côté, si on a vu des hommes plus blancs, moins foncés relativement, et aux cheveux bleus ou rouges, seulement dans les familles des chefs, ce n’est pas parce que ces fils de chefs, trouvés blonds, (1) descendaient d’une race de conquérants, — ce qui aurait pu être d’ailleurs, que la race fût blanche ou noire, — mais tout simplement parce qu’ils se soignaient davantage, qu’ils vivaient plus abon- damment et qu’ils évitaient, avec plus de soin que le peuple ne pouvait le faire, les causes qui auraient pu nuire à la beauté de leur corps. C’est ce qui explique, en outre, leur développement plus grand, l’épanouissement plus prononcé de leurs traits et surtout leur tendance à l’embonpoint. Mais, ainsi que nous l’avons déjà dit, cette plus grande blancheur attribuée seulement aux chefs n’est pas un carac- tère constant, puisque dans la même famille, on rencontre des nuances diverses et qu’il y a même des familles de chefs où tous les membres sont plus foncés que le reste de la po- pulation : telle est la famille des Pomaré, Nous pourrions, à cette occasion, rapporter ici les curieu- ses observations que nous avons faites dans les îles Marqui- ses ; mais nous nous sommes déjà assez étendu sur ce sujet pour n’avoir pas besoin de nous y arrêter plus longtemps. Quant à la couleur des cheveux, on sait assez aujourd’hui par quels moyens artificiels et dans quel but elle est obtenue : elle n’est qu’un objet de pure coquetterie, et c’est même ce qui explique si bien pourquoi ce sont les fils de chefs qui s’y abandonnent le plus. C’est ce qu’avait déjà remar- qué, avec tant de raison, M. de Quatrefages qui, toutefois, disons-le, supprime cette remarque, dans son dernier ou- vrage sur les Polynésiens (2). Nous avons assez montré déjà combien était dou- teuse l’existence préalable de nègres à Tahiti, pour qu’il (1) M. de Quatrefages le répète dans la séance du 5 juillet 1860, p. 403 des Bulletins , alors que M. Broca reconnaît avec raison que les blonds vus par les anciens voyageurs, ne sont que des Albi- nos (Forster). (2) Voir p, 10 et pf 525 de la Revue des Deux-Mondes du l8r février 1864. LES POLYNÉSIENS. 491 soit utile d’y revenir. Cependant, nous croyons devoir le répéter, les traditions disaient seulement que des hommes de couleur plus foncée que celle des Tahitiens existaient dans les montagnes avant l’arrivée de Cook ; ce navigateur, qui a le plus répandu cette croyance en une autre race, n’a- vait pas eu l’occasion de voir ces hommes. Ils auraient cer- tainement pu être des Fijiens, mais ils n’étaient bien plus probablement, comme nous avons essayé dé le démontrer, que des hommes plus sauvages de la même famille, vivant ainsi par goût, mais surtout par nécessité. Il est certain d’ailleurs que le langage tahitien n’a gardé aucune trace du langage tout différent qu’aurait nécessairement parlé une autre race préalable. Nous croyons ensuite que si il y a encore des nègres dans la Nouvelle-Zélande, comme ledit M. de Quatrefages, c’est qu’un assez grand nombre de véritables nègres ont été dé- posés sur cette terre par les baleiniers et autres na- vires, et que le cas cité par le savant français pourrait bien n’être qu’un métis négro-maori, ainsi que nous l’avons déjà dit précédemment. Quoi qu’il en soit, malgré ce qu’ont avancé Queiros pour la Polynésie et Crozetpour la Nouvelle- Zélande, il n’y a jamais eu de nègres à type africain dans cette dernière. contrée, avant les rapports de ses habitants avec les navigateurs. De pareils arguments ne prouvent donc rien, à notre avis, contre l’autochthonie des Nouveaux-Zélandais, pas plus qu’ils ne le font contre la multiplicité des origines du genre humain. Mais il faut le reconnaître, si l’Hawahiki était bien placé là où nous avons dit qu’il se trouvait, M. Périer n’aurait eu que le tort d’attribuer aux Polynésiens ce qui revenait seulement à leurs pères. Avec lui et M. Broca, nous aimons mieux croire, en résumé, qu’il y a eu divers foyers de création aussi bien pour les hommes que pour les autres règnes. Allant seulement plus loin que ces savants, nous croyons pouvoir regarder l’Ile-du-Milieu ou peut-être le continent auquel elle tenait avant d’être aussi réduite, comme le berceau des habitants de la Nouvelle-Zélande.' Nous répéterons donc ce que disait M. Broca, dans une 492 LES POLYNÉSIENS. discussion sur l’ancienne race égyptienne : (1) « Je suis po- lygéniste ; je crois à la multiplicité des origines du genre humain. Chaque grande région du globe a sa faune et sa flore, et les naturalistes modernes admettent avec raison qu’il y a eu, pour les animaux comme pour les végétaux, plusieurs foyers de création. Or, je suis de ceux qui pensent que le principe général est applicable aux groupes qui com- posent le genre humain. » En résumé, après de pareilles autorités, après tout ce que nous avons rapporté des traditions maori, après leur examen critique le plus attentif, nous croyons qu’il nous est permis non seulement d’admettre la multiplicité des foyers d’ori- gine ou de création, mais encore l’autochthonie particulière des habitants de l’Hawahiki . L’Hawahiki se trouvant dâns l’Ile-du-Milieu ou Kawai, ce serait donc cette île qui aurait été le foyer de création ou d’organisation de la race maori. Et, si nous avons bien 'in- terprété tous les faits, c’est du centre de ce foyer, de l’Ha- wahiki, en un mot, que seraient partis nécessairement, et pour ainsi dire d’après des lois fixes et nécessaires (2), tous les individus qui sont allés s’établir d’abord sur Pile-Nord,' en absorbant ou exterminant les populations qui s’y étaient déjà établies et qui provenaient bien probablement du même lieu, puisqu’elles parlaient la même langue. Puis, émigrant encore de leur nouvelle patrie, et pour les mêmes motifs, ces mêmes individus ou leurs descendants formèrent succes- sivement les groupes divers qui devaient être appelés Poly- nésiens de race jaune ou Maori. Avant de clore cette discussion, et dans le but de mieux étayer encore notre opinion, nous citerons textuellement, en changeant toutefois le nom de lieu, le passage suivant par (1) Bulletins Soc. d'anthrop . t. II, p. 593. (2) Ces lois n'étaient ici que le besoin d’échapper à l’extermina- tion, ainsi que la force et la direction ordinaires des vents qui poussaient toujours du côté opposé au point de départ, c’est-à- dire vers le Nord-Est ou la Polynésie. LES POLYNÉSIENS. 493 lequel Moërenhoüt défendait sa théorie d’un continent placé dans l’Est des îles polynésiennes (1) : « S’il est vrai, comme l’a dit un auteur moderne, que les foyers des populations puissent se reconnaître à la beauté et à la perfection corporelle de chacune des familles qui les constituent, et si chacun de ces foyers est le centre d’une langue mère, d’où sont descendus les différents idiomes ou dialectes, il est certain que la Nouvelle-Zélande est le foyer de la grande famille polynésienne. Car dans cette île seule et les îles polynésiennes, cette race joint à une haute sta- ture et à de belles proportions une régularité et une beau- té de corps qui ne se trouvent nulle part dans les îles malais ses, où non seulement le langage, les habitudes, les mœurs, mais même les traits diffèrent et semblent partout corrom- pus par le mélange d’espèces moins belles et dfidiomes moins parfaits » (2). (1) Voyages aux îles du Grand-Océan , p. 259. Moërenhoüt parlait des îles polynésiennes en général, à propos de l’origine malaisienne. (2) On a vu que, pour Bory de Saint-Vincent, (L'homme, liv. II, p. 299), « les hommes et les femmes de la Nouvelle-Zélande l’em- portent sur les autres Polynésiens, » et que M. de Quatrefages lui-même dit (Revue des Deux-Mondes 1864 et Bulletins Soc. d'an - throp. 1860), que les Nouveaux-Zélandais sont supérieurs aux. au- tres Polynésiens. FIN DU TROISIÈME VOLUME. Table des Matières DU TROISIÈME VOLUME Avant-Propos 1 TROISIÈME PARTIE LIVRE ^PREMIER •NOUVELLE-ZÉLANDE CONSIDÉRATIONS GENERALES SUR LA. NOUVELLE-ZELANDE. Réflexions préliminaires CHAPITRE 1er GÉOGRAPHIE ET HISTOIRE NATURELLE. Aperçu géographique et topographique sur le groupe de la Nou- velle-Zélande. — Trois îles principales. — Description de File-Nord. — Description de l’Ile-du-Milieu. — Examen des noms donnés par les premiers navigateurs. — Recherches lin- guistiques : Pounamu ; Kawai ; Kaikoura ; Pakeha. — Météo- rologie. — Vents régnants. — Noms des vents. — Tempêtes. — Température. — Tableaux météorologiques. — Géologie. — Constitution volcanique. — Iles disparues. — Botanique. — Nature et espèces des différentes plantes. — Le groupe de la Nouvelle-Zélande constitue un centre botanique. — Faune. — Mammifères terrestres : Kuri ; Kiore ; Kaurehe. — Oiseaux : Kiwi ; Moa : Remarques sur Pextinction des Moa. — Ruru : Kakapo. — Reptiles ; Lézards. — Amphibies. — - Poissons. — Coquilles. — La géologie, la faune et la flore prouvent que les îles de la Nouvelle-Zélande ont été un centre de création <* CHAPITRE II MAORI. Population de la Nouvelle-Zélande. — Evaluations contradictoi- res faites par les voyageurs. — Recensements, — Extinction 496 TABLE DES MATIERES. graduelle des indigènes. — Etymologie du mot Maori. — Divi- sion des Maori en nations, tribus et sous-tribus. — Opinions de Shortland et de Thompson. — Iwi ; Hapu. — Devises caracté- ristiques des tribus. — Signification du mot Ngati. — Unité de race à la Nouvelle-Zélande. — Examen critique des opinions contraires. — Caractères physiques des Néo-Zélandais d’après les différents observateurs : Crozet ; d’Urville ; Moërenhoüt ; Dieffenbach ; Shortland ; Taylor; Thompson. — Les Maori ne forment qu’une seule race et ne parlent qu’une même langue. — Les variétés signalées parmi eux ne sont que de simples nuances. — Caractères physiques des Néo-Zélandais, d’après nous-même. — Leurs caractères crâniens — Portraits des Néo- Zélandais. — Les Maori étaient le plus beau type delà race polynésienne. -- Comparaison de leurs caractères physiques et moraux au commencement du siècle et à notre époque : Quoy ; Marsden ; Thompson » LIVRE DEUXIÈME NOUVELLE-ZÉLANDE LIEU D’ORIGINE DES POLYNÉSIENS. REMARQUES PRÉLIMINAIRES. Analogie du Tahitien et du Maori. — Usage de l’arc et des flèches. — Premiers partisans de l’origine Néo-Zélandaise des Polyné- siens : Banks; Crozet; Bory de Saint-Vincent CHAPITRE 1er EXPOSÉ ET RÉFUTATION DES OBJECTIONS. Objections faites contre le peuplement de la Polynésie par la Nouvelle-Zélande. — Pirogues Néo-Zélandaises. — Existence à la Nouvelle-Zélande de canots doubles et de pirogues à balancier. — Absence des Maori à la Nouvelle-Hollande. — Uwhi. — Kawa, — Cochons et poules. — Direction des vents CHAPITRE II TÉMOIGNAGES FAVORABLES. « Légende de Kendall. — Chant cité par Taylor. — Mots communs aux deux contrées : — ■ Maori ; — Maui ; — O-tu ; — Tina ; — Rama et Tiare ; — Motu et Fatu ; — Ariki ; — Tui-Tunga ; — Vea-iti. — Jade vert. — Coutume d’avaler l’œil de la victime. — Absence des colonies polynésiennes ou zélandaises à la Nou- velle-Hollande TABLE DES MATIERES. CHAPITRE III EXAMEN LINGUISTIQUE. Comparaison du Maori et des dialectes polynésiens. — La langue Maori est la langue polynésienne la moins altérée. — Opinion de M. Gaussin. — Opinion de M. John Williams. — Tradition relative au peuplement de Rarotonga. — Chant "d’Oromea. — Le Maori était la langue primitive des Polynésiens. — Alpha- bets des principaux archipels polynésiens : Nouvelle-Zélande ; Tunga ; Samoa ; Rarotonga ; Tahiti ; Mangareva ; Paumotu ; Marquises ; Sandwich. — Ces alphabets dérivent tous de celui de la Nouvelle-Zélande. — Le Maori est la langue-mère des dia- lectes polynésiens. — Les noms de lieux en Polynésie ont une origine Néo-Zélandaise. — Conclusions. — Fables Néo-Zélan- daises LIVRE TROISIÈME ORIGINE DES NÉO-ZÉLANDAIS Distinction à établir entre les îles composant le groupe de la Nouvelle-Zélande. — Traditions relatives à l’origine des Néo- Zélandais, rapportées par Cook : Ulimaroa. — Arrivée d’étran- gers à l’Ile-Nord. — Heawise. — Opinion de Bory de Saint- Vincent ; de R. P. Lesson. — Principales hypothèses émises sur l’origine des Néo-Zélandais i° Origine tahitienne : Dumont d’Urville ; son opinion sur les langues polynésiennes ; son explication du peuplement de la Nouvelle-Zélande. — Réfutation de cette hypothèse 2° Origine hawaïenne : Diefïcnbach ; les Hawaiiens sont venus à la Nouvelle-Zélande en passant par Plie de Pâques ; arrivée de trois canots ; introduction des Kumaraà l’Ile-Nord. — Réfuta- tion de cette hypothèse.. . : 3° Origine samoane : H. Haie ; Savaii, première étape des émi- grants malais et point de départ des colonies polynésiennes ; re- cherches linguistiques: Savan dérive d’Hawahiki. — Réfutation de cette hypothèse 4° Origine samoane indirecte: Gaussin. — Exposé et réfutation de cette hypothèse 5° Origine hawaiienne et samoane : Shortland. — Exposé et ré- futation de cette hypothèse. — Erreurs d’interprétation : Van- gaparaoa 6° Origine samoane indirecte par Rarotonga : Thompson ; raisons sur lesquelles repose cette hypothèse ; réfutation des preuves 498 TABLE DES MATIERES. invoquées en sa faveur ; différences existant entre les Malais et les Néo -Zélandais : croyance en un Hawahiki dans les îles Samoa ; un seul Hawahiki ; localités voisines de l’Hawahiki ; direction de l’Hawahiki ; route de PHawahiki ; chiens sauva- ges aux Samoa ; époque des migrations. — Erreurs et inexac- titudes de l’ouvrage de Thompson 2g3 7° Origine samoane indirecte: de Quatrefages ; sa première opi- nion ; sa deuxième opinion ; raisons sur lesquelles elle est ap- puyée ; Rarotonga n’a pu peupler la Nouvelle-Zélande ; consi- dérations linguistiques. — Réfutation de cette hypothèse 324 Nécessité d’une hypothèse rationnelle 341 LIVRE QUATRIÈME HAWAHIKI CHAPITRE I-r RECHERCHE DE l’hAWAHIKI. Heawise de Cook. — Traditions relatives à l’Hawahiki publiées par sir Grey et Taylor. — Conséquences qui en découlent. — Ce qu’était l’Hawahiki. — Erreurs résultant de la confusion faite entre les îles qui composent le groupe de la Nouvelle-Zé- lande. — L’Hawahiki était placé à l’Ouest et fort près d’Ao- tearqa ou Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande. — Les émigrants de l’Hawahiki ont tous vécu vers la même époque et se sont ex- patriés pour les mêmes motifs. — Voyage de Kupe. — Itiné- raire de Turi : Version de sir Grey ; version de Taylor. — Voyage de Ngahue : Version de sir Grey ; version de Taylor. — Voyage à la Nouvelle-Zélande d’après sir Grey : Itinéraire de VArawa ; itinéraire du Tainui ; itinéraire du Tokomaru. — Conséquences tirées de. ces itinéraires : l’Hawahiki se trouvait situé dans l’Ile-du-Milieu de la Nouvelle-Zélande 342 CHAPITRE II ILE -D U- MILIEU. Témoignages fournis par l’étude des cartes géographiques. — Examen des localités situées sur les deux îles principales. — Ces localités se retrouvent toutes dans les chants historiques des émigrants. — Autres preuves : Phormium tenax ; Phoques ; Neige ; Piopio ; Kumara ; Hekenga-Mai ; Jade vert. — L’Ha- wahiki ne pouvait être situé en Polynésie : Preuves à l’appui. — Situation de l’Hawahiki sur l’Ile-du-Milieu, — Point de départ v TABLE DES MATIERES. 499 de Turi. — Tribus existant dans l’Hawahiki. — Signification ■flu mot Hawahiki. *— Kawai 404 CHAPITRE III PEUPLEMENT DE lTlE-NORD . Opinions à ce sujet de d’Urville et de Kendall ; de Dieffenbach, de Taylor ; de Thompson ; de Quatrefages. — Indigènes trouvés à Aotearoa par les Hawahikiens : Preuves à l’appui. — ■ Maero et Ngati-Mamoe; Patu-Paearehe ; Mere Punanamu ; étymologie du mot Tunga ; Ngati-Kahungunu. — Résumé général 439 CHAPITRE IV > PROVENANCE DES HAWAHIKIENS. Les Hawahikiens étaient autochthones sur Kawaï. — Spécialité de la faune des îles de la Nouvelle-Zélande. — Spécialité de la flore de ces mêmes î es.— Spécialité de la race humaine de ce groupe. — Isolement dans l’espace des terres de la Nouvelle-Zélande. — L’île Kawaï a été le centre de création de la race Maori 474 FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES DU TROISIÈME VOLUME. CLERMONT-DE-L’OISE.— IMP. A. DAIX, PLACE SAINT-ANDRÉ, 3.