Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa htip://www.archive.org/details/lespritdesbetesi02tous LE MONDE OISEAUX ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE / * 1 A 6 or © 18 v} . “ V1 . n 1 d cu , L LE 4} 3 1 V8 A » "n n À : | A ss , F hi à .: CFA ” s | LI Nu A + À ’ ÿ « \ | si A LA N Lt [MR] Lu \ Ca re 4 . ta t { r@ e €” , î Hi ri « ' LE" t 54 ù ï , van ü J64 ti LA des “+ “ES 4 s PEVPULNRSLÈRE LICE PEN ' + * - ‘ ; d . ñ TP ’ y ‘ Ca l ÿ À ’ d À url #4, a … n % “+ L 2} F d { * ‘ ' ' ï \ Fi ) { i “ . { d Li L'ESPRIT DES BÉTES, LE MONDE DES ISENUX ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE PAR A. TOUSSENEL Auteur des Juifs, rois de l’époque. DEUXIÈME PARTIE. Le monde des animaux est un océan de sympathies dont nous ne buvons qu’une goutte, quand nous pourrions en absorber par torrents. LAMARTINE, La femme est, l'homme devient. Canus. L'Amour est le Génie de la Raison. Mor. PARIS LIBRAIRIE PHALANSTÉRIENNE RUE DE BÉAUXNE , 6. 1855 es à 4 ‘ 1 \ : "id se : de. DT ie 1 rs NN :1OOMHE # rue : *, A à,2 ' Le A Er ». + = et s En ME. F2 mo 1 ï Ÿ RE, à DEL MONS EUR vil terfiaN j Fa, 2 - ‘ RE RUE Tr { | j ee AD TT PEUR UT YEN AMAEUTE., ne 34 M: LEE dns rs se be Miuer Te mine +4 Fes Ans& Eno! DeU HLNCE tt -5; SUBIT devis d Lt EN d'+8 ve ts le; DANSE TE Ar J 40 ÿ { prit np: 4 c ‘4 " * À TAN RE de "CE RARE do l'ENS ETES his, : ë ’ “: Ge d 14 40e rain LUE Lo OUR s ù LuM ait * * 1 à ? 3 se a sado ter « L æ - . #1 - + 1 Line pad Mer: M, . RATIO aa jus : s ne 7 fe 4" : A RE) LES CPE ver ve TT) , ERRATUM. L'auteur avoue ingénument que la plupart des fautes contenues en ce livre sont de lui, non de son impri- meur, et que le présent erratum a pour unique objet d'appeler sur icelles l’'indulgence du lecteur. La plus grave de ces fautes, la plus irrémnssible, hélas! est de n'avoir pas su faire tenir dans le second volume toute la seconde moitié du MoxpE DES OIsEaux.… Impuissance désastreuse et qui accuse impitoyablement la double misère de l’auteur : misère de Fesprit qui ne lui a pas permis de faire plus court ; misère de la bourse qui l'a forcé d'entrer dans des considérations mesquines sur le rapport des prix de revient et de vente du papier imprimé, lui a interdit de pousser trop généreusement à la page, et l’a réduit finalement à la nécessité doulou- reuse de couper son récit à l'endroit le plus dramatique et de rentoyer à une troisième partie l’histoire si inté- ressante des Rapaces, ensemble le tableau synoptique de la classification nouvelle si impatiemment attendu. Peut-être quelques lecteurs, mécontents de la mesure, seront-ils disposés à attribuer les torts de cette dis- vi ERRATUM, Jonction imprévue à la complaisance abusive avec la- quelle l’auteur se serait livré, au début de ce volume, à la démonstration de la supériorité de sa méthode de classification ornithologique ; démonstration compléte- ment superflue et que personne ne lui demandait, au contraire. Peut-être les moins bienveillants, les plus enclins à l'épigramme, essaieront-ils de prouver à leur tour qu'il y avait à économiser sur ce chapitre seul de quoi faire une large place à tous les Rapaces de la terre. L'auteur n'entend contester aucunement mi la justesse de la censure ni la sagesse de l’économie de- mandée. Il a seulement à objecter, en manière d’excuse, à tous les reproches de la critique... qu’en ce temps là il s'était laissé enivrer par les vaines famées de la gloire; que la noble ambition de gagner le grand prix d’his- toire naturelle, fondé par Georges Cuvier, l'avait mordu au cœur (un prix de cinq mille francs qui re- présentait pour lui, outre la gloire, la possession d'un nombre illimité d'hectares sur les rives parfumées du Rio- Trinity ou du Rio-Brazos) et que, dans l'honorable but de conquérir lestime des savants et de se rendre ses juges favorables, il avait dù naturellement insister sur la partie la plus scientifique de son œuvre, etc., etc. Il prie de considérer encore que chacun 1ici-bas cher- che à gagner son prix comme il peut et non comme il veut, et que tout le monde n’a pas les moyens de concourir pour celui de Sagesse, ainsi que ce bon jeune homme de l'Ecole normale dont le nom appar- tient à la troisième déclinaison et fait au gémitif Uarnis. Après cela, que celui qui n’a jamais rêvé de gagner un grand prix à l'Institut, ou un quaterne à la loterie, lui jette la première pierre. ERRATUM. vil Quant aux erreurs matérielles concernant le classe- ment des espèces, l’auteur n’a jamais eu la sotte pré tention de les avoir évitées toutes. Il affirme seulement, avec sa réserve habituelle, qu'on en trouvera chez lui beaucoup moins que partout ailleurs, dix fois moins par exemple que dans le Manuel de Temmyncek, qui fait loi aujourd’hui en matière ornithologique. Il n’oserait pas jurer qu'il a suivi rigoureusement et de tout point, dans la distribution de ses séries, l’ordre établi par Dieu, et que son travail est un daguerréotype exact des plans du Créateur ; mais 1l ame néanmoins à se rendre cette justice qu'il a serré cet idéal de plus près que tous ses concurrents, et que s'il a erré par hasard, ce n’est pas par orgueil et parce qu'il n’a pas voulu voir, mais bien parce qu'il n'a pas vu. Puis, s'il a erré, 1l sait où, et même il ne craint pas de renseigner à cet égard la critique vétilleuse. Peut- être, par exemple, a-t-1l eu tort de placer d'autorité le Jaseur parmi les Granivores purs, pour faire pièce à Temmynck qui colloque cette espèce parmi les Omni- vores, entre les Corbeaux et les Geais. Mais où serait le mal, si en osant ainsi, il avait relevé un défaut de la science? L’analogie est.‘ de sa nature, oseuse, et il ne faut pas la reprendre de ses légers écarts avec trop de sévérité. Si la poésie à l'air d’être morte à l’époque où nous sommes , C'est qu’elle n'ose pas oser, et qu’elle attend probablement que l'analogie la réveille. D'autres encore pourront dire qu'à la place de l'au- teur ils auraient fait marcher la Grive à la suite du Bec-figues, ou bien le Troglodyte après le Traine-buis- son, etc. L'auteur répond d'avance à toutes ces criti- ques de détail qu'il ne demande pas mieux que de voir + VII ERRATUM. ceux qui sont plus forts que lui prendre à faire, et il répète pour la dernière fois qu'il u’a jamais prétendu que sa classification ornithologique fût parfaite ; il es- time qu'elle vaut mieux que toutes les autres, étant, par une exception bizarre, la seule qui commence par le commencement et finisse par la fin. voilà tout. ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. — 2 © € © a — LE MONDE DES OISEAUX. RÉSUMÉ DU LIVRE QUI PRÉCÉDE. Pieds plats et pieds cambrés. — Orgigamie, Monogamie. — Formule de Lhomond, formule du Gerfaut. Ainsi tous les oiseaux Nageurs, Barbotteurs et Coureurs po- sent sur des pieds plats, et le pied plat est le signe fatal auquel se reconnaissent les espèces primitives, grossières, inachevées Et l'Orgigamie est la loi de ces tribus sans gloire, l'Orgigamie honteuse qui est le plein essor des péchés capitaux et qui étouffe dans leur germe toutes les inspirations du génie. Pas d'amour, pas de joie, pas de nids merveilleux , de poésie ni de chants. Et chez l'immense majorité de ces espèces impures, le mâle est incomparablement plus fort, mieux vêtu, mieux armé que la femelle, et il abuse naturellement de sa supériorité physique pour écraser celle-ci, et le genre masculin y est dit plus noble que le féminin! Ainsi tout ce qui vit de poisson mort, trône sur le fumier ou IT.  2 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. + patauge dans la fange ; tout ce qu'il y a de plus épais, de plus informe, de plus goulu, de moins aérien parmi les habitants de l'air, est pour la formule de Lhomond ! Ainsi tout moule inférieur déshérité du mobile d'amour est voué fatalement aux voluptés immondes et jeté en pâture à la Goinfrerie et à la Fainéantise , mères de l'obésité qui conduit à la broche ! Ainsi Dieu, en frappant cette vile plèbe de l'interdit d'amour, l’a du même coup condamnée au supplice du feu éternel ! Triste fin, expiation terrible qui me fait trembler pour l’ave- nir d’untas d’amoureux fous de la muse latine, mais dont les malheureux ne s'inquiètent pas assez. Combien j'en sais, hélas ! rien qu'au Journal des Débats et à l'École normale, pour qui le sort du dinde, de l’oie et du canard n’eut jamais d'enseignement! Ceci est le résumé du livre qui précède, résumé bref mais plein, renfermant tout un monde de vérités nouvelles, avec la solution du problème social et l’avant-dernier mot de la sagesse humaine. {1 n’y a peut-être que l’analogie passionnelle pour faire tenir à l'aise tant de choses en si peu de mots. On y trouverait plus facilement encore, en le désirant bien, toute la substance et toute la moralité de la première partie de cette œuvre. Car il a été loyalement déclaré par l’auteur, dès le début d'icelle, et sous forme d’avis au lecteur, que l’histoire des oiseaux de France n’était que le prétexte et le but apparent de l'ouvrage et que son but réel et secret était de se servir du témoignage oral des verbes ailés de Dieu, pour arriver à la démonstration géométrique des deux propositions audacieuses ci-après : « Le règne de l’homme, règne de la force brutale, règne de la contrainte, de limposture et des vieux, coïncide fatalement avec la période la plus douloureuse de la vie de l'humanité. » Le règne de la femme, règne du droit, règne de la liberté, de l'amour et des jeunes, correspond à la phase d’apogée ou de plem développement. » RÉSUMÉ DU LIVRE QUI PRÉCÉDE. 3 Or, l'anathème qu'on vient d'ouir, or cette malédiction suprême que la nature exaspérée fulmine contre les contemp- teurs d'amour, n’est rien de plus, n’est rien de moins que la démonstration géométrique, péremptoire , triomphante de la première des deux propositions ci-dessus. C'est-à-dire que j'ai déjà démontré d’une facon irréfutable par l'étude des trois ordres des Nageurs, des Barbotteurs et des Cou- reurs que la supériorité du müle est caractéristique des races inférieures dans la volatilité. Et je crois qu'il est absolument impossible d'arriver à cette conclusion chez l'oiseau, sans la faire jaillir en même temps du principe ridicule de la toute-puissance de la barbe chez l'homme. Attendu que la bête comme la fleur n’est qu'une fraction pas- sionnelle de l’homme , fraction exactement moulée sur le modèle de son unité typique et se conjuguant et se gouvernant exclusi- vement sur elle et reflétant fidèlement toutes ses évolutions. Ou bien si vous voulez encore, attendu que chaque créature inférieure est un essai de la créature supérieure et que l'oiseau annonce l’homme, comme l'homme annonce la femme, comme la femme annonce l'ange. C'est-à-dire que la première moitié du monde des oiseaux que nous venons de parcourir est l'image fidèle du monde des bumains, du monde où nous vivons, du monde des sauvages, des civilisés, des barbares. Et que le moment même de l'histoire de la volatilité où nous sommes est celui qui correspond à la phase critique de l'humanité que nous traversons à cette heure. heure unique marquée dans les âges pour la fin du chaos et l'ère de la transfiguration sociale; heure solennelle , où les tour- billons font silence dans l'attente des graves événements qui se préparent, où les voiles des temples se déchirent du haut jus- qu'en bas et où les guéridons parlent... Je n'ai pas besoin de dire quel intérêt d'actualité immense ajoute à ce récit la coïncei- dence curieuse que je viens de révéler. Je demande seulement à ne pas être forcé de reprendre mon cours complet d'histoire universelle pour démontrer catégori- quement, pièces en main, que les espèces impures dont j'ai 4 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. décrit précédemment les mœurs, que ces Patauds, ces Goinfres, ces Éperonnés, ces Butors sont notre portrait, trait pour trait. On ne démontre pas la ressemblance de deux images, on les met l’une contre l’autre et l’on dit : Regardez. Or, quoi de plus frappant que l'étrange ressemblance de ton, de physionomie, de tempérament et d’allures, qui est entre les héros des deux scènes. Et n'est-il pas visible qu'à travers tous ces moules des phases antérieures, le même souffle de Dieu à passé! Mèêmes visages, mêmes mœurs, mêmes Institutions politiques. Tout se lie, tout s’enchaine; il y a parenté physionomique , parce qu'il y a affinité caractérielle entre les vivants des mêmes phases et parce que le même signe de réprobation est sur eux. Et cette similitude de traitset de caractères est si apparente, si parfaite, qu’elle a été entrevue dès l’origine par les poëtes de tous les climats et de toutes les littératures, et qu ’elle a enfanté l'Apologue et la Comparaison. Et si fort est le nœud de honte qui unit les deux limbes que la sagesse des nations qui s'exprime par le Verbe, n’a pu trouver encore de nom plus convenable pour baptiser le monde des humains d'aujourd'hui que celui de Péieds-plats, le même que l'observation m'a donné pour caractériser au physique le monde des oiseaux voués à l’orgigamie! Car, ce n’est pas moi, notez bien, qui ai attaché à ce terme une signification de mépris; c'est l’analogie passionnelle qui l'a teint de cette couleur et fait entrer de force dans l’argot des civilisés qui s’en servent journellement pour flétrir les serviles. Pied-plat : lache, rampant, flagorneur. « Pied-plat : homme méprisable , » dit Boiste, et il ajoute à l'appui de sa définition, cette phrase non moins remarquable par son incorrection que par sa profondeur : « La sagacité du peuple a remarqué que les gens à petites mes étaient souvent de plats pieds ou bien à larges pieds. » adopte l'opinion de Boiste, mais j'ai besoin de rendre grâce. d'abord à la prévoyance infinie et à la toute-puissance de l’analogie passionnelle qui n’a besoin que de laisser tomber un mot, une seule expression pittoresque pour vous mettre sur Ja voie de solutions inespé- RÉSUMÉ DU LIVRE QUI PRÉCÉDE. ÿ rées et de rapprochements impossibles , ainsi que dans l'espèce. Que ce monde des humains des sociétés limbiques est bien, en effet, comme l’autre, un monde de Pieds-plats, de Pieds-plats et d Ont + Un monde de vilenie , d'oppression, de misère , où l'autorité se mesure à la force corporelle, où le pied de douze pouces s'ap- pelle un pied de roi ! Un monde d'impudicité et de luxure, où par l'interversion odieuse de toutes les lois divines et humaines, la Beauté que Dieu avait faite pour régner, est esclave. Où le sexe le plus rose et le plus délicat est condamné aux travaux les plus rudes, aux métiers les plus répugnants.. Où le plus précieux de tous les droits naturels, le droit d'amour et de paternité, est privilége du riche... Où le vieux Salomon possède impudemment un harem de mille vierges, pendant que mille jouvenceaux de la contrée jeunent d'amour. Un monde de fourberie, de goinfrerie, d’avarice, où la soif de l'or pousse la mère à trafiquer de sa fille et la passion de l'alcool le fils à’ vendre son père; où le métier qu'on honore le plus, après celui d’agioteur, est le métier de tueur d'hommes. Monde maudit, monde stupide , qui porte écrite au front de ses codes imposteurs la formule infecte de Lhomond ! Je défie le plus savant ami des bètes de m’énoncer une seule sottise ou une seule turpitude de son monde, à laquelle je ne ri- poste pas aussitôt et avec bonheur, par la contre-citation de la même sottise ou de la même turpitude dans l'histoire des civilisés. Le cachet de la perversion sera plus marqué chez le civilisé que chez la bête, ce sera toute la différence; car la bête ne fait pas le mal sciemment quand elle obéit aux impulsions de son instinct ; elle n'a pas sa conscience comme l’homme pour lui dire qu'il n’est pas bien d’occir ou de voler son prochain. Il est très-facile au surplus d'essayer la comparaison : Se raser , se dissimuler, s’aplatir à tout bout de champ, est l’universelle tactique de l'immense majorité des espèces volatiles qui composent les trois ordres dont l’histoire précède. Ainsi fout, 6 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. sous la menace de l'oiseau de proie, l’autruche, la caille, l'oie, le faisan, le cygne lui-même, le plus gros comme le plus petit, le mieux armé comme le plus faible dans ces races inertes. Ainsi font les humains des sociétés maudites, dont l’histoire toute entière, depuis la chute jusqu’à nos jours, pourrait s’intituler l’histoire de l’aplatissement cont'uu, tant l'habitude de s’aplatir est fréquente chez l'espèce. Ei cette honteuse déviation de l’at- titude verticale chez l'homme est produite aussi par la peur, une peur universelle , stupéfiante, écrasante, peur de Dieu, peur du diable ; peur du bien, peur du mal; peur de l’eau, peur du feu; peur de la lumière, peur de l'ombre; peur de jouir, peur d'aimer. Les papas et les mamans des petits civilisés leur enseignent à trembler dès l’âge le plus tendre, et il y à en civilisation une littérature et des bibliothèques spéciales pour aider à ces ensei- enements. On ne sait pas assez, hélas! que les trois quarts des maladies qui assiégent notre âge mür et qui abrégent de trente ans notre existence à tous, sont les fruits des peurs atroces qu’on nous à faites quand nous étions très-jeunes , et que la crainte du diable est le commencement de notre dégradatioh composée, de nos infirmités, de nos génuflexions, de nos turpitudes omni- modes. Guérir l’homme de la peur, voilà la première cure à pra- tiquer sur l’homme pour lui rendre la santé de l'âme qui entrainera celle du corps; car, la peur est la cataracte qui couvre son enten- dement et l'empêche de voir Dieu. Je demande qu'on brüle tous les livres qui font peur aux enfants et qu'il soit défendu sous des peines très-sévères de se servir du Diable, de l'Ogre ou de Croquemitaine pour préparer les peuples à courber leur tête sous le joug et en faire ensuite des troupeaux. Nous savons parfaitement par le triste témoignage de l’histoire ce que des imposteurs habiles peuvent faire avec des générations abruties par la peur, mais nous n'avons pas l’idée de ce qu'il y aurait à obtenir pour le bien de l'humanité, d’une génération d'hommes libres, élevés dans le pur amour de Dieu et complétement étrangers à la crainte. Je ne suis pas bien sûr, mais je parierais presque que la fable du coup de pied de l'âne a été prise dans l'histoire des hommes, RESUME DU LIVRE QUI PRÉCÉDE. 7 tant elle à l'air d’un fait quotidien de leur vie politique. Quand le lion d’Austerlitz eut recu sa blessure mortelle aux champs de Waterloo, son Sénat, qu'il avait gorgé d’une large part de ses proies et qui lui avait livré en retour et sans marchander aucu- nement tout le sang, toutes les libertés ef tout l'or de la France, son Sénat fut le premier à lui jeter la pierre, quand il le vit à bas. Et ces messieurs qui se déguisaient naguère en ouvriers, pour essayer d’escamoter les suffrages du peuple et qui depuis. mais alors... C'est-à-dire que je ne connais pas au beau pays de France un seul homme de quelque valeur qui n'ait recu dix fois son coup de pied de l'âne. , Quoi de plus facile encore à pes aux jugements humains que la morale des Animaux malades de la peste! On accuse le dindon de fuir lächement devant le coq et de retrouver toute son énergie pour assassiner dans un coin quelque volaille malade; mais l’histoire du dindon est celle de Thersite qui s’éclipse pendant la bataille et ne retrouve tout son courage qu'après que le péril est passé. Dans les pays sujets aux discordes civiles on a maintes fois observé que la férocité dans la ven- seance était généralement proportionnelle à l'intensité de la peur éprouvée pendant le combat. Il est recu encore chez les pieds-plats « que les femelles n’ont été créées que pour la joie et le divertissement des mâles, et qu'à elles seules incombe la charge du travail... et qu’elles doivent fidélité et obéissance absolue à leurs seigneurs et maitres qui ne leur doivent rien en retour... Et que la nature, pour prouver catégoriquement qu'elle voulait qu’il en füt ainsi, avait armé ceux-ci de moyens tout-puissants de contrainte, afin qu'ils eussent raison de toutes les résistances et que force restàt à la loi, etc.» Telle est du moins l'opinion des masses, des viles multitudes. C’est celle du dindon, déjà nommé entre autres, et aussi celle de loie et du canard musqué, pour citer des noms propres, et le Journal des Débats peut s'appuyer contre moi de ces autorités. Mais je demande de quel droit d’autres humains que nous s'indigneraient d'entendre professer par des bêtes ces doctrines S ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. honteuses, quand ces doctrines honteuses se retrouvent au fond de toutes les législations et de toutes les religions des hommes dont elles sont la substance même ; quand on lit dans un livre saint que c'est la femme qui a provoqué la chute, en induisant l’homme à goûter au fruit de l'arbre de science... Comme si ce n'éfait pas, au contraire, le premier et le plus beau des titres de la femme à la reconnaissance de l’homme que de l'avoir forcé de sortir de son ignorance ! Je voudrais savoir chanter, pour parodier d'une façon joyeuse la célèbre chanson de Béranger : Dindon, Canard, Juif, Grec, Chinois, Romain, Pieds-plats, formez une sainte alliance, 55000 Et donnez-vous la main... Vous dites qu’il y a parmi ces partisans effrénés de l’absolutisme masculin, un faisan, Je doré, qui est un logicien terrible, pous- sant volontiers son principe à ses dernières conséquences et n'hésitant jamais à faire sauter le crane à ses épouses pour la moindre velléité d'opposition à ses fougueux caprices. Cela est vrai et j'ai été témoin oculaire du crime ; et même le faisan doré, plus féroce que le juif Hérode, quise bornait à faire massacrer la progéniture d'autrui, sévit contre son propre sang, et semble prendre plaisir à se faire le bourreau de tous les innocents de sa race. Puis, à ceux qui lui reprochent ces actes de barbarie, il répond d'un air leste… quant aux meurtres de poules, ‘qu'il est bon de faire de temps en temps des exemples pour retenir le peuple dans le respect de la loi. quant aux poussins, que les embarras de l'éducation d’une famille nombreuse détournent trop souvent les mères de leurs devoirs d’épouses. Donc je veux bien mêler ma colère à celle qu'éprouvent toutes les âmes sensibles au récit de ces énormités ; mais, mon indigna- tion ne me rendra pas injuste et ne m'empêchera pas de recon- naître que ce faisan doré est un emblème du Rafliné de cour, et qu'un emblème, quel qu'il soit, ne peut guère puiser ses exem- ples de conduite ailleurs que dans le monde qu'il a charge de symboliser. Or, quand je vois dans ce monde un Henri VII d'Angleterre qui était un grand prince, plus un maréchal de Retz (Barbe-Bleue), qui était un guerrier illustre, plus une foule L RESUME DU LIVRE QUI PRÉCEDE, y innombrable de sultans glorieux et de fiers gentilshommes qui ne se génent pas pour faire couper le cou à leurs femmes, dès que l'idée leur en vient. Quand je considère d'autre part que ce faisan doré est originaire de la Chine, un pays abominable, où les hommes ont l'habitude de casser les pieds à leurs femmes pour les louer à demeure fixe, et où la pratique de l'infanticide est passée dans les mœurs. je me demande froidement s'il n’est pas très-possible que le spectacle permanent de telles atrocités ait réagi d’une façon désastreuse sur le moral de l'oiseau. Je me demande si, en présence de tels précédents humains, nous sommes bien venus, nous autres hommes, créatures censées rai- sonnables, à faire le procès à une bête qui sera toujours en droit de nous répondre que, s’il y a crime dans son acte, la coulpe en est à nous, non à elle qui n’a fait qu'imiter l'exemple qu’on lui donnait, qui n’a été entraînée à mal faire que par la dangereuse contagion de la monomanie féminicide. Et, comme le peuple francais lui-même aurait bonne gräce à refuser au faisan doré le bénéfice de cette circonstance atténuante, le peuple chevalier, galant et troubadour, qui a dans son code un article où l’on explique dans quel cas le mari a le droit d’assassiner sa femme ! Une dernière comparaison pour achever la preuve de la simi- litude composée des deux règnes. L'orgigamie , avons-nous vu, est la loi générale des relations sexuelles dans les trois ordres d'oiseaux qui forment le personnel de la Planipédie, mais elle n’est que la loi générale. Le mal est en dominance dans ce monde, mais il n’est pas absolu. Et en effet, du sein de l’impudicité triomphante, nous avons entendu s'élever de nobles voix pour protester chaudement contre l'ini- pure doctrine de la préexcellence du sexe masculin. C'était, si vous en avez souvenance , la cigogne, le pélican, le cygne, le tadorne, le vanneau, la bécassine. Or remarquez que ces espèces exceptionnelles qui protestent en faveur de la liberté d'amour sont précisément celles que la poésie et la mythologie ont im- mortalisées par leurs chants. L’estime que fait le genre hu- main de ces tribus d'élite leur est venue de la pureté et de la 10 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. délicatesse de leurs mœurs, pour dire qu'il n y à que ceux qui aiment qui méritent d’être aimés. Hélas ! dans notre monde aussi le mal est en dominance et le bien nefigure qu'à titre d'exception minime ; car l'amour , chassé par les vieux du foyer domestique, a été obligé de se réfugier dans le roman et dans la région des chimères. Mais pourtant la défense des vieux, autrement dit des sages,'a été impuissante à éteindre dans le cœur des mortels l’ardente soif de bonbeur que Dieu y avait allumée. Et comme Dieu est plus fort encore que la superstition et tous les hypocrites, et que sa volonté “expresse est que l’homme soit heureux, il en est résulté que les àmes d'élite, que les plus nobles cœurs, c’est-à-dire les plus pénétrés du véritable esprit de Dieu, ont protesté énergiquement aussi en faveur de la liberté des attractions ou de la souverai- neté de la femme, ce qui est la même chose. Et bientôt l'idéal où s'était réfugié l'amour est devenu la patrie de toutes les na- tures supérieures, et le domaine exclusif de la poésie et de l'art comme chez les oiseaux. -Chez nous aussi, regardez bien, tout ce qui se détache en rose du fond sombre de nos annales noi- res de misère et de crime, est la teinte de nos aspirations invin- cibles vers le bonheur d'amour, but suprème de nos destinées. Il faut bien que j'en reste là de cette esquisse comparative et que je laisse inachevé le parallèle, pour être fidèle à l’engage- ment que j'ai pris envers mes lecteurs. Mais quel magnifique parti la philosophie de l’histoire a oublié de tirer de ces rappro- chements ! ; Et de quel avantage immense ne serait pas pour un grand peuple l'adoption officielle d'une méthode d'enseignement histo- rique comme celle-ci , Qui permet de lire aussi facilement dans les ténèbres du passé que dans les splendeurs éblouissantes de l'avenir. Qui réalise au profit du jeune àge, de si nombreuses et de si importantes économies de lectures insipides, d'exercices mné- motechniques douloureux, de copies de composition, de pen- sums.…. RESUME DU LIVRE QUI PRÉCÉDE. 11 Qu abrége de tant d'années l'apprentissage intellectuel du Jeune âge. Qui convertit en récréations joyeuses les corvées abrutissan- tes des antiques études. Qui édicte en quelques traits de plume tous les commande- ments de Dieu avec la manière de s'en servir pour que tout le monde soit heureux. Qui amènerait à très-bref délai et par suite des améliorations ci-dessus, la suppression de l’Académie des sciences morales et politiques et aussi celle de l’Académie des Inscriptions et Belles- Lettres et d’une foule d'institutions analogues et de chaires pro- fessorales, exclusivement habitées par des vieux, ennemis-nés du progrès. Et qui même autoriserait une administration paternelle à pro- fiter d'un hiver où le froid serait très-dur et le combustible très- cher, pour distribuer aux ménages indigents, en guise de co- trets, ces énormes in-folio à tranche rouge qui traitent de l’histoire des Mèdes et des Perses, ou bien de la philosophie, de la théo- logie et de la morale, et qui encombrent si désagréablement les bibliothèques des grandes villes où personne n'y touche, hormis les souris et les rats, lesquels abusent naturellement de la paix qui leur est faite en ces lieux solitaires pour y multiplier dans des proportions scandaleuses. A quoi bon tant de livres de morale et d'histoire quand il suf- lit de deux lignes, d’une demande et d’une réponse, pour faire le tableau d'une nation, d’une époque, d'un monde ? Dites-moi ce qu'y était la femme et je vous dirai tout le reste. n’y à eu depuis six mille ans, dans les deux continents, dans les deux hémisphères, qu'un peuple heureux et libre, un seul, celui de l'Amérique du Nord. L'Amérique du Nord est le seul pays de la terre où la femme soit reine ! C'est là qu'il faut aimer, c'est là qu'il faut mourir. Donc, nous sommes arrivés dans l’histoire des oiseaux aux extrêmes confins des empires du bien et du mal. À gauche est le monde des pieds plats et de l’orgigamie qui porte pour devise 12 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. la formule de Lhomond. A droite le monde des pieds cambrés, des cœurs fidèles, qui marchent sous la bannière du Gerfaut. Là- bas, sur le fumier, sur les eaux, dans la vase, sensualité gros- sière, voix discordantes, incapacité artistique, chez des races vouées à la broche. Ici, sous la feuillée, au bord destoits, au ver- sant des collines, voix mélodieuses, nids d'amour, génie et liberté ! L'ordre du jour de ce récit appelle l’histoire des Sédipèdes ou des oiseaux percheurs, un sujet plein de charme. CHAPITRE PREMIER. Ordre des Sédipèdes. — 130 espces. L'histoire des Sédipèdes est la visite à la volière au sortir de la basse-cour et de la faisanderie. J'ai déjà confessé, en toute modestie , que la présente classifi- cation pédiforme, pour être de beaucoup supérieure à toutes celles qui l'ont précédée, n’était pas cependant parfaite. Le lecteur aura plus d’une fois occasion, dans le cours de cette étude, d'observer ce double caractère de supériorité relative et d'imperfection absolue. Cette série des Sédipèdes est celle qui correspond ou à peu près à l’ordre officiel des Passereaux. On sait que ce prétendu ordre, qui comprend à lui seul autant ou plus d'espèces que les cinq ordres restants, est celui qui a causé à l’Institut le plus de tabla- ture et de désagréments. Avec tout le respect dû aux grands noms de la science, disons que ceux qui ont pris part à la fondation de cet ordre, Linnæus et Buffon, Cuvier et ses complices en ont dû répondre devant Dieu. Il est de fait que la confusion fâcheuse introduite par ces illustres maîtres dans le chapitre en question, est sans bornes comme sans excuse et qu'elle apporte à l'étude de la science, c’est-à-dire à l'intelligence des vues du créateur, un obstacle invincible. La première chose que je ferais si j'étais gouvernement ou simplement ministre de l'instruction publique, serait d’ordonner la suppression de l’ordre des Passereaux et peut-être de quelques autres avec. Qui est-ce qui s’en plain- drait ? 14 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Piloté dans cette passe par l’analogie passionnelle , guide plus gai que Mentor, il m'a été facile d'éviter maints écueils où d’autres avaient sombré. Ainsi, l’insignifiance absolue du titre de Passereaux placé par les inventeurs de la nomenclature offi- cielle en tête de la série était déjà un tort, parce qu'une devise qui ne dit rien n’est pas une devise, et parce qu'on ne fait pas une gerbe, un faisceau, un groupe sans un lien. Mais n'insistons pas sur une faute que j'ai déjà relevée sévèrement ailleurs ; faisons seulement observer que la dénomination de Sédipèdes, par nous attribuée à la série des Percheurs, échappe compléte- ment au reproche d'impropriété et d'insignifiance si justement mérité par celle de Passereaux. Une autre fatalité de ce malencontreux ordre des Passereaux a été que ses parrains en aient fait comme un ordre de rebut des- tiné à loger tous les caractères embarrassants qu’on n'avait pas trouvé à colloquer ailleurs, un ordre assez semblable à ‘ces légions étrangères qu'on forme de réfugiés venus de tous pays et divers d'appétit, de costume et d’idiômes. Notez bien, en effet, que le Passereau n’est qu'un mythe, un être purement fictif, éclos dans l'imagination poétique de Linnæus ou d’un autre et sans forme tangible. De sorte que l'on n’est plus passe- reau, comme tout à l'heure on était rapace ou palmipède, en vertu de telle ou telle conformation physique analogue à certain patron pris pour type de série , aigle, faucon ou canard. On est passereau fout bonnement, parce qu'on n’a pas le bec crochu ou le pied garni de membranes ; on est passereau, non pas par les caractères que l’on à, mais par Ceux qui vous manquent; on est passereaux, enfin, non pas parce que l’on se ressemble, mais parce que l’on ne ressemble pas à autrui. Je crois largement demeurer dans les termes de la politesse en me bornant à qua- lifier d’absurde une pareille méthode de classement qui est le renversement de toutes les idées recues en matière de distribu- tion d'harmonie; car Dieu a donné à chacune de ses créatures ailées un titre sériel et un numéro d'ordre pour que ceux qui voudraient un jour les mettre en rang , pussent les reconnaître à ces signes, et 1l a expressément défendu de placer côte à côte SEDIPEDES. 15 dans la même série les espèces qui se repoussent par toutes les habitudes de l'esprit et du corps, ou dont l'une mange l'autre. Et les nomenclateurs qui vont au rebours de ces indications et qui procèdent à la formation d’une série par voie de négation et de disparité, sont des ennemis de Dieu qui méprisent ses comman- dements et calomnient son œuvre. Et plus vaste est la science de ces génies sublimes, de qui c’est le métier de savoir, plus énorme est leur faute. Ce qui n'a pas empêché le Journal des Débats, feuille pieuse, de m'imputer à crime de ne pas m'être trainé servilement sur les traces des maîtres. Comme s’il m’eût été possible, en de- meurant collé à cette froide piste, d’avoir connaissance parfaite du pied du volatile, et de retrouver dans son empreinte le pas des sociétés humaines en marche vers l’Éden d’apogée ! C’est le même journal qui m'a reproché aussi, dans un mou- vement d'humeur, de n'être plus tout à fait de la première jeu- nesse. Comme si c'était ma faute! comme si l’on était maître d'avoir toujours vingt ans et des cheveux à soi! Je n'ai pas ré- pondu à ce reproche amer. Ce n’est pas de vieillir, hélas! qui est un crime, puisque la science n’a pas encore découvert le moyen d'arrêter le temps dans sa course rapide; ce qui est mal, c'est, quand on n’est plus jeune, de médire sottement du bien qu'on a perdu et de se proclamer sage. Le beau mérite d’être sage quand personne ne tient plus à vous faire pécher! Au spirituel, trois alliances monstrueuses me faisaient surtout peine à voir dans cet ordre confus des Passereaux de Cuvier, à savoir : celle du croque-mort et du colibri, celle du gobe-mou- ches et de la pie-grièche, celle des chantres mélodieux et des oiseaux criards. Au matériel aussi, il m'était difficile d'admettre la proche parenté de l'oiseau percheur, à l'attitude horizontale, avec l'oiseau grimpeur, aux allures verticales. Or, comme l’é- tude approfondie de la nature m’eut bientôt démontré toute la légitimité de mes répulsions à l'endroit de l’ordre de choses éta- bli, et que nulle raison sérieuse n’existait de tolérer plus long- temps le scandale de ces unions adultères, je les ai rompues hardiment , de mon autorité privée. 16 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. J'ai commencé par débarrasser l’oiseau-mouches , emblème de la jeunesse dorée qui vit du miel des fleurs, du voisinage désho- norant du corbeau, emblème de légiste qui vit de la chair des cadavres et des œufs des autres oiseaux; puis j'ai remis le moule ignoble à sa place, qui est à l'avant-garde de la série des Ra paces, section des Ambigus. J'en ai fait autant pour le gobe-mouches, un oiseau estimable sous une foule de rapports, que j'ai affranchi de la société dés- agréable de la pie-grièche qui le croque quelquefois. Et comme je tenais de l’hirondelle et de la bergeronnette que cette pie- grièche était un véritable oiseau de proie, à telles enseignes qu'elle donnait la chasse à tous les petits oiseaux, voireau merle, et qu'on l'avait dressée au vol du moineau-franc, j'ai logé la mauvaise à son poste de guerre, entre la grande-pie sa cousine et le plus petit des faucons. J'ai fait plus encore pour la science, qui ne m’en saura aucun gré, en éliminant complétement de l’ordre des Percheurs (passe- reaux) l’innombrable série des Grimpeurs, conformément au vœu de la nature, qui avait tracé elle-même entre ces deux types gé- nériques une ligne de démarcation profonde dans la disparité an- tipodique de la marche, de l'attitude et du verbe. Démarcation bien plus tranchée encore au moral qu'au physique par la di- versité des emblèmes : les vrais Sédipèdes ou chanteurs symbo- lisant la poésie et les arts, les Grimpeurs les métiers bruyants ; le premier ordre modulant en mineur, le second en majeur ! J'entends la critique malveillante s’écrier à ce propos que l’a- nalogiste qui est au courant de ces derniers détails a belle de critiquer le savant vulgaire qui les ignore, et qu'il est peu gé- néreux à lui d'abuser des avantages de sa situation exception- nelle. Je n'ai jamais nié la supériorité de la méthode analogique sur les autres, mais le savant est maître d’en user comme moi. J'estime que l’élagage intelligent que j'ai pratiqué dans l’ordre des Passereaux a réduit de trois cents individus environ l'effectif officiel. Il est à remarquer, en eflet, que l’ordre des Grimpeurs, disons des Jugipèdes, renferme une vingtaine de tribus popu- leuses : Pies, Perroquets, Coucous, Couas, Couroucous, Toucans, SÉDIPÉDES. 17 Aracaris, ete., et que la série ambiguë des Corbeaux, des Pies et des Geais n’est pas moins féconde en espèces. L'ordre des Passereaux, débarrassé de cet accessoire anormal qui génait ses allures en détruisant son homogénéité, se déploie désormais en colonnes régulières ; et alors il devient notre ordre des Sédipèdes , ordre admirable, ordre modèle qui se détache aussi nettement que celui des Rémipèdes ou des Rapaces des ordres contigus , et que l'exposé de ses caractères généraux va poser carrément dans son jour lumineux. L'ordre des Sédipèdes de France comprend près de cent trente espèces, depuis le Pigeon ramier jusqu'au Grimpereau. C'est plus du tiers du nombre total des oiseaux de France, qui n’est que de trois cent soixante. Trois espèces seulement sont eu partie ralliées à l’homme et produisent en domesticité; elles ont donné naissance à un nombre de variétés infini. Caractères généraux. Un seul mot suffirait pour caractériser cet ordre ; c'est celui des oiseaux chanteurs. Le chant est la plus pure expression de l'amour ; le chant est le privilége exclusif des natures d'élite, passionnées et fidèles. C’est le cachet du vase d'élection, comme le parfum pour la fleur. La mélodie est, comme le parfum , génératrice du charme. De là les touchantes sympathies des âmes tendres , des poëtes, des enfants et des femmes pour les oiseaux chanteurs et les fleurs odorantes. Le chant, attribut normal du sexe masculin dans les tribus ailées (1), implique déférence absolue du mâle pour la femelle. (4) Le vulgaire s’imagine à tort que la femelle n’a pas de voix. Le chant est dans ses dons, et si elle ne s'en sert pas, c'est qu'elle a mieux à faire, c’est qu’elle a une mission plus haute et plus sainte à remplir. Du reste, elle a suivi, dans son enfance, un cours de musique vocale, comme ses frères, el son goût s’est développé avec l’âge; et il fallait bien qu'il en fût ainsi, pour qu’elle pût savourer le charme des élégies brûlantes qu'on lui soupirerait un jour. Maintenant, qui n’a pas vu une fois dans sa vie, dans la loge de son LE 2 18 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. La galanterie est la tonique de l’ordre des chanteurs; comme elle est celle de l’homme dans la phase d'harmonie. Et la nature, en sa reconnaissance, a richement. récompensé l'oiseau chanteur de son obéissance à ses. lois. Elle l'a,:-plus puissamment que tout autre, titré en favoritisme , lui donnant en partage les dons: qui font aimer : l'innocence, la pureté du cœur, l'élégance, la sveltesse des formes. Au génie musical.elle a joint celui. de l'architecture, sublime inspiration de. l'amour maternel et aussi le dévouement, la charité, le courage. Elle lui a attribué enfin, pour caractère distinctif et spécial, qui le sépare complétement des races inférieures, la finesse, la trans- parence et la cambrure du pied. Le lecteur doit se souvenir que j'ai dit autrefois que la classification des oiseaux par le pied était celle qui cotoyait de plus près la classification pas- sionnelle , la seule vraie ; la seule. raisonnable, Les preuves de cette affirmation se pressent sous ma plume. On a déjà.vu tout à l'heure que l’ordre des Sédipèdes débutait par le pigeon. et, la tourterelle aux pieds roses pour finir par le grimpereau, un des plus petits pieds que je connaisse. En vérité, en vérité, je vous le dis, il n’y a queles jolis pieis pour savoir aimer, danser, chanter, bôtin, dans le monde des oiseaux, comme dans celui des humains : lady Esther Stanhope, la reine de Palmyre, qui n'avait jamais entendu parler de La- martine, la pauvre femme, le reconnut soudain pour un poëte bors ligne, à la cambrure du pied. La ae dans toutes les espèces de Sédipèdes, se distilehe du mäle par une tête plus fine, un col plus gracieux; des cou- leurs moins voyantes, un tarse plus transparent, des doigts plus déliés. Aussi est-ce elle que la nature a chargée exclusivement de la partie la plus délicate et la plus artistique de: la bâtisse du nid, comme de l'éducation secondaire de la jeune famille. Ainsi portier ou ailleurs, de pauvresserines sevrées d'amour, qui essayaient de trom- per leurs ennuis par le chant, comme l'épout d'Eurydice, et qui renonçaient bientôt à ce vain subterfuge quand on leur donnait un mari? Ainsi, la jeune Parisienne, si ardente au piano avant le mariage, le néglige volontiers après. SÉDIPÉDES. 19 chez nous les plus difficiles des arts, ceux qui exigent le plus de délicatesse et de tact, la broderie, la conversation, l’art de styler l'enfance, sont attributs exclusifs du sexe féminin, le sexe par excellence. On reconnaît à première vue dans le monde l'ado- lescent élevé par les femmes, à l'aisance des manières , à la dis- tinction et à la facilité du verbe, séduisantes qualités qui lui ou- vrent bientôt toutes les portes de la faveur et des grâces, et lui permettent de distancer sans peine et sur tous les terrains le collégien lourdaud sorti des mains des cuistres. Et comme on l'a dressé à plaire au lieu de le bourrer de langues mortes, il est rare qu'il tombe dans l'abus de la citation latine, cette déplorable infirmité de l’âge mür et des gens arrivés. Dois-je dire à ce propos que cette contagion funeste qui à fait tant de ravages en ces dernières années , a envahi jusqu'aux tables parlantes ! Un guéridon de palissandre qui m'avait pris en grippe, ne m adres- sait jamais la parole qu’en latin. Je serais heureux que M. Babi- net m'expliquät ce mystère, lui qui les explique si bien. La supériorité morale tirée de la petitesse relative du pied est donc un argument formidable contre la doctrine de Lhomond. En effet, dès que vous avez décrété que la finesse du pied était un caractère de distinction aristocratique, vous n'avez plusle droit d'affirmer que le genre masculin est plus noble que le féminin. Les savants ordinaires n'ayant encore rien vu de ces rapports spirituels qui sont les propres lois de l’ordre hiérarchique divin, on s'explique aisément le vague et l’indécision de leurs nomen- clatures. Un des torts de cette classe est de ne pas comprendre ce principe essentiel, ce point de départ de toute science : que la forme n’est jamais que le moule d'une idée qui lui préexis- tait depuis des siècles. Beaucoup aussi refusent d'admettre que telle bète, dont l'apparition sur cette terre a précédé celle de l'homme, ait pu être créée à l’image de celui-ci, sous prétexte qu'il n’était pas né et que la copie ne peut pas précéder l'original. Or, c’est là ce qui les trompe. L'homme est de toute éternité dans la pensée de Dieu, comme tous les autres jalons de Ja sériè infinitésimale des êtres, eé du moment que Dieu le pense, 11 Esr. Les Sédipèdes , avons-nous dit dans le principe, ont quatre 20 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. doigts au pied, trois en avant, un en arrière. Cette règle géne- rale n’est sujette qu'à de rares exceptions. On parle d'un bec- croisé tridactyle que je ne connais pas, mais je sais pertinem- ment que le martinet et l’engoulevent, deux espèces anormales, ont leurs quatre doigts dirigés vers l’avant. La grandeur et la force du pouce forment un des caractères saillants de la série. L'immense majorité des espèces de cet ordre vit de grains, de fruits ou d'insectes. Une seule tribu fait montre d’appétits mons- trueux et de goüts déréglés. C’est celle des Mésanges, race friande de cervelle de rouge-gorge, de suif et de cadavre, et qui symbolise la tribu des éditeurs , laquelle vit de la cervelle des pauvres gens de lettres, et boit le vin de Champagne dans le crâne des auteurs. Les Mésanges étaient des travailleuses de haut titre, douées d’un talent musical suffisant et d’une aptitude industrielle supérieure, mais que la soif du lucre, l’égoïsme fa- milial, et par-dessus tout la fâcheuse habitude d’enfouir ont complétement perdues. Cette atroce perversité de goût de la famille des Mésanges, qui discorde si violemment avec la ten- dance générale des appétits de l’ordre, est toute une histoire lamentable qui méritait d’avoir sa place dans les Métamorphoses d'Ovide, où je l'ai cherchée vainement, et qui prouve une fois de plus, hélas! que rien n’est parfait dans ce monde, pas même l’oiseau chanteur. Mais ne laissons pas dériver notre âme au courant de ces tristes pensées. Tous les Sédipèdes nourrissent leurs petits après qu'ils sont éclos, ce qui est une pratique inconnue dans l’ordre des Coureurs. En revanche, la durée de l'incubation est beaucoup plus courte chez les premiers que chez les seconds. Tous les Sédipèdes sont mangeables; la chair de quelques- uns atteint le dernier degré de la délicatesse. La plupart des espèces insectivores sont estivales et voya- geuses, étant forcées d'accompagner le soleil dans ses courses, non-seulement pour justifier ces belles paroles de M. de Florian, capitaine de dragons : Point d’hiver.pour les cœurs fidèles, mais aussi parce que les insectes qui leur servent de nourriture ont besoin d’une douce température pour naître et se développer. Il SÉDIPEDES. 21 en est quelques-unes, comme le Rouge-gorge et le Roitelet, qui se dispensent de traverser la mer, d'autres dont les pérégrina- tions se bornent à transhumer du Nord au Midi de la France, et quelquefois simplement du sommet des monts à leur base. Les espèces granivores sont beaucoup moins tourmentées que les insectivores de la passion des voyages, et quelques-unes parmi elles sont complétement sédentaires. La masse est vaga- bonde, allant comme le vent la pousse, mais ne sortant guère dans ses excursions les plus lointaines d'un rayon de trois à quatre cents lieues. Le Ramier, la Tourterelle, le Proyer et une ou deux alouettes sont à peu près les seuls voyageurs de la série qui s'aventurent au-delà des mers; et encore le Ramier com- mence-t-il à se dégouter du métier. Une seule espèce, le Cinele (le merle d’eau vulgaire), vit d’in- sectes aquatiques. Une autre, unique aussi, se nourrit de pois- son; c’est le Martin-Pêcheur. L'ordre des oiseaux chanteurs présente en son ensemble un des plus magnifiques exemples de l'application du principe de justice distributive, qui est, comme chacun sait, un des trois attributs de Dieu. Il semble qu'une loi somptuaire ait interdit à tous les membres de l'ordre l'usage des étoffes flamboyantes, car on n'y voit plus l'émeraude, l'acier brûlé, le rubis ni l'or, on- doyer sur la moire des robes en reflets irisés, comme c’était la mode chez les Coqs, les Faisans, les Paons, les Lophophores. Ici plus de falbalas ruineux, de panaches extravagants ni de queues encombrantes. Tout cet attirail fait pour l’œil est rem- placé par une mise de bon goût, élégante, distinguée mais sim- ple, la véritable tenue de l'artiste qui honore et pratique le travail. Pourquoi ce changement subit ? Parce que Dieu , qui a fait les chanteurs si riches au dedans, leur à sagement refusé la richesse du dehors qu'il a dû attribuer en propre aux lourdauds et aux pauvres d'esprit pour les empé- cher de trop se plaindre. Parce que l'amour et la liberté sont les deux seuls fovers d'où rayonne l'enthousiasme lyrique, et qu'il v a incompati- bilité absolue d'humeur entre Cupidon et Plutus. « Bienheureux 22 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. les pauvres d'argent, a dit Arsène Houssaye, le royaume d’a- mour est à eux.» Allons plus loin, disons que l'indépendance et la dignité de l’homme ont de la peine à s'entendre avec l'amour du luxe, des hochets et des titres, et que les habits brodés vont mieux à la fainéantise qu'au travail, et que le même esclave ne peut servir deux maitres : sa conscience (1) et l'or. D'où il résulte que l'oiseau chanteur, qui est un industrieux de haut titre, prisant par-dessus tout les qualités de l'esprit et les jouissances du cœur, prend en pitié les airs de matamore des raffinés de basse-cour et leur luxe insolent. Ainsi, chez nous, le noble travailleur à pied regarde de son haut le laquais de pa- rade, noir ou blanc, qui perche à l'arrière du carrosse et pro- mène par la ville sa paresse impudente avec ses oripeaux menteurs, et se pavane fièrement dans sa livrée d’esclave. Le principe de justice distributive qui interdit le cumul de la richesse intellectuelle et de la matérielle dans le règne vo- latile à été si rigoureusement appliqué à l’ordre des Sédipèdes , que la magnifique série des oiseaux-mouches, qui appartient à cette classe, a été comme frappée de mutisme, en expiation ou en compensation de sa trop grande beauté. De même le Martinet des tours, qui n’a qu'un seul rival pour la puissance du vol, a payé cette supériorité exceptionnelle de la perte du chant et du droit de percher. J'aime à penser que la haute importance de l'observation qui précède aura préparé l'esprit du lecteur à recevoir sans une secousse trop vive les révélations qui vont suivre. Les trois caractères généraux de l’ordre des Sédipèdes qui nous restent à examiner sont Ceux-ci : — Le chiffre des Sédipèdes est plus fort à lui seul que celui de tous les autres ordres réunis. — Le plus grand de tous les oiseaux chanteurs vraiment dignes de ce nom, est un merle, pesant tout au plus cent {4) Un simple guéridon de laque a donné cette charmante définition de la conscience, en douze mots : Quasi-organe qui sépare les aliments de l'âme comme l'estomac ceux du corps. SÉDIPÉDES. | 23 grammes, un peu moins que le quart de la livre d'autrefois. — La zonetempérée de l'hémisphère boréal estla seule où les oiseaux chantent. Ils ne font que bredouiller ou gazouiller ailleurs. Un savant ordinaire à qui vous demanderiez le pourquoi de ces trois faits facilement obsérvables , n'hésiterait pas à vous ré- pondre que la nature a des mystères qu'il serait dangereux de vouloir approfondir, et que lui, pour son compte, a toujours res péctés :! ce qui ne vous apprendrait pas grand'chose. Heureuse- ment que l’analogiste est là pour compléter l'explication insuffi- sante du savant timoré ; l’analogiste subtil qui n’est aucunement dupe-de l'humilité feinte de l'académicien, mais qui n’a pas lesmêmes motifs de discrétion que lui, sachant pertinemment que Dieu n’a pas de plus grand plaisir que de voir deviner par l’homme les énigmes qu'il lui propose... et il dit : L'ordre des Sédipèdes, où toutes les espèces sont titrées en monogamisme,-où l'autorité souveraine estdévolue à la femelle, l’ordre des Sédipèdes qui module en mineur, symbolise la phase d'harmonie ou de plein développement de espèce humaine où là femme règne et gouverne. "Et'il tient une plus grande place que tous les autres ordres dans le règne des oiseaux, parce que la phase d'harmonie tient aussi la place la plus large dans la vie de l'humanité, Songez bien, en effet, que l'harmonie est l’état normal de l'homme ; et que la Sauvagerie, la Barbarie et la Civilisation sont à cet éfat normal, ce que les maladies de l'enfance, l'Igno- rance, la Dentition et le Croup sont à la santé de l'adulte. Perspective radieuse, perspective délirante et bien faite pour consoler des misères du présent les ‘vrais crovants à la religion d'amour ! Car Dieu, ‘qui réserve aux seuls justes le bénéfice de la vie éternelle en rémunération de leurs œuvres, proportionne en même temps le charme et la durée de leurs existences harmo- niennes à la rudesse des épreuves qu'ils ont supportées sans fai- blir pendant la traversée des sociétés maudites. « Bienheureux ceux qui souffrent, car ils seront consolés. » La phase d'harmonie est encore aux autres périodes de la vie humanitaire ce qu'est l’état de veille où l’on a souvenance par - 24 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. 74 faite du passé, à l’état de sommeil où le cerveau engourdi ne percoit plus que des images confuses, vagues et désordonnées. La vie de limmortalité ne commence pour les êtres que du jour où ils entrent en communion avec Dieu par l'amour, qui révèle à chacun la loi de sa destinée. Quiconque foule aux pieds sa conscience, sacrifie à la haine, à l'argent, à la peur, est rayé du livre de vie. Lasciate oqgni speranza, voi ch intrate... à la Bourse, * Je sais que plusieurs ornithologistes se sont plaints avant moi de l’excès de population de leur ordre des Passereaux, et qu'ils ont même signalé ce mal comme un des plus graves empêche- ments de leur nomenclature. Mais je doute qu'aucun d'eux se soit avisé encore d'expliquer cet embarras de richesses par les raisons si simples que je viens d'en donner. Descendons de ces hauteurs, d’où s'ouvrent aux regards tant d'horizons nouveaux, mais qui donnent le vertige. Le second problème est relatif à l'exiguïté de la taille chez les Sédipèdes. La ténuité du volume de l'oiseau chanteur confirme d'abord de tout point les récits que nous venons d'entendre sur l'avenir de bonheur et de gloire réservé aux pauvres d'argent , c’est-à- dire aux bons et aux justes, et la mortification qui attend les adorateurs du veau d'or et les superstitieux. Elle dit en quel- ques lignes ce qui fut et sera... avantage précieux et qui dis- pense de lire beaucoup de livres. Elle raconte en outre l'histoire des évolutions géologiques de la planète et la succession des manifestations de la puissance créatrice en icelle, ete, Elle au- rait inventé la paléontologie, si Guvier n’eût pas pris l'initiative de la chose. Finalement, elle formule a loi de l'esthétique. J'ai dit, au premier livre de ce traité, l'histoire des émersions continentales du globe et l'apparition successive des espèces vo- latiles sur les terres émergées. J'ai mentionné à l’article Pin- gouin, ainsi qu'en d’autres places, la grande différence de raflinement aromal qui est entre les deux hémisphères. La supériorité de titre qu'a le boréal sur l'austral, et qu’il doit à SÉDIPÉDES. 25 son antériorité d’émersion, va nous donner le mot de notre se- conde énigme. Je regrette d'être obligé de revenir sur quelques points de cette théorie importante; mais j'aime mieux m'expo- ser à un reproche de redite, que de rester obscur. D'autant que ces raccordements de faits qui s’enchässent les uns dans les autres et font chaîne, ne sont plus des répétitions inutiles, mais bien des preuves de la grande force de cohésion qui relie les diverses parties du système. Nous avons assisté précédemment à l'éclosion de l'animalité sur la Terre. Nous avons vu la puissance créatrice éclater en moules gigantesques, Plésiosaures, Mégalosaures, Dinothé- riums et autres. Les oiseaux de ces premiers jours sont des Pté- rodactyles, des Chauves-souris monstrueuses, munies, en place d'ailes, de membranes velues de trente pieds d'envergure... Puis est survenu un cataclysme qui a englouti cette création de premier jet, pour poser sur ses ruines les fondements d'un au- tre règne, celui des Mastodontes et des Eléphants crépus, dont le type déjà s’hwmanise. Cette seconde création est contem- poraine des immenses forêts de fougères colossales, dont les masses, fondues en vases clos par les feux de l’abime, ont formé ces bancs de charbon fossile que la nature prévoyante a placés comme un dépôt dans les entrailles du sol, pour les futurs be- soins de l’homme, à vingt mille ans de là. Beaucoup d'oiseaux de cette époque, l'Épyornis, le Dinornis, une foule d’autres dont les noms ne sont pas arrivés jusqu’à nous, ont encore la taille de la giraffe adulte, bien que déjà leur robe soit de plume, au lieu de poil, ce qui est un progrès. On voit aussi que le nombre des moules de la Série s'est largement accru. Mais d'oiseaux chanteurs, pas un seul; quelques oiseaux de proie, quelques longipèdes, et c'est tout. Les oiseaux attendent pour chanter, comme les fleurs pour sentir, que la femme soit venue. Ceci est de Fhistoire et non du madrigal : les premières roses doubles dont les Grecs fassent mention sont nées dans l’île de Rhodes, sous les pas de Vénus. | Enfin la femme naît, événement immense où les vues de Dieu se dessinent, car la femme est le moule le plus achevé qui soit 26 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. sorti de ses mains, et le Créateur, en la faisant plus petite que l’homme pour qu'elle fût plus parfaite, a voulu évidemment, en procédant ainsi, inférioriser le phénomène à la substance. Je veux dire qu'il a subalternisé la matière à l'esprit et retiréile commandement à la force pour le transporter à l'attrait. Nous n'avons, en effet, qu'à passer en revue les divers règnes de la nature, pour reconnaitre que tous prennent le mot d'ordre de lérebétype humain, et confessent la loi : que le afin énnent des espèces est en raison inverse de la masse, Ainsi, dans le règne végétal, le parfum, titre aromal par essence et caractère de raflinement supérieur, estpresqueexelu- sivement dévolu à la plante herbaeée,, à l’arbuste, et la: suavité! de l’arôme semble pour ainsi dire proportionnelle à lhumihté! de la fleur. La violette et le muguet se cachent sous la verdure; la rose, le réséda et l’œillet trainent à terre. Toutes les lianes odorantes, vigne, jasmin, vanille, elématite ou glycine, suecomberaient tristement sous le faix de leurs tré: sors, si la nature n'avait armé leurs tiges de crampons vigoureux qui les aident à grimper sur l'épaule des grands arbres... Image du couple humain où la Grâce s'appuie sur la Force, et en échange de ses bons offices, la couronne de fieurs et de fruits. Ici comme partout, comme toujours , il semble que l'humilité de la tige soit la condition première du parfum ou du charme. Ja loi est générale, et si quelques brillantes exceptions s'en détachent, comme l’oranger, l’acacia et le magnolia , c'est que les hautes institutions d'harmonie que ces moules exceptionnels symbo= lisent avaient besoin d’être représentées dans le monde végétal par de puissants emblèmes de charme composé | cumulant les deux caractères du beau et de l'utite, du gracieux et du fort: Mentionnons en passant celte preuve curieuse: de l'identité de titre passionnel qui est.entre le chant de l'oiseauet le parfum de la fleur. Le glacis nacré des pétales repousse Le parfum chez celle-ci, comme le reflet métallique du plumage la mélodie chez l'autre. Et il en est de la corolle resplendissante des cactus, des renoncules et des camélias, comme des manteaux fulgurants du paon , du couroucou ou du faisan doré qui jouent les pierreries , SEDIPÉDES. 27 et dont l'éclat trop vif vous force de gémir sur le sort des pau- vres espèces qui les portent et que Dieu a faites riches ne pou- vant les faire autre chose. D'où il appert que ce don de fulgu- rance ou de scintillement n’est véritablement caractère de rafli- nement que dans les rangs du règne minéral. Je fais observer encore que la petitesse des pierres précieuses est une con- firmation éclatante de notre loi du raflinement inversement pro- portionnel aux masses. Mais le règne qui apporte le plus de preuves à l'appui de cette vérité si palpable est celui des oiseaux où le plus massif de tous les moules, l’Autruche, en est en même temps le plus stupide , le plus mal bâti, le plus chauve et le moins pourvu d'ailes. A l’autre extrémité de l’échelle des grandeurs et en regard de l’au- truche avisez l'Oiseau-mouche , l'Oiseau-rubis , lOiseau-topaze , le sylphe radieux qui perce l'air comme un trait de flamme et tout à coup s'arrête et scintille immobile, suspendu dans l’es- pace par un fil invisible. Bien plus riche d’atours que le sphinx et plus aimé des fleurs , plus léger que l’hirondelle et non moins amoureux , plus brave que le rouge-gorge et plus adroit que la mésange, corps glorieux nourri d’ambroisie , empenné d’éme- raudes, locomotive microscopique à vitesse fabuleuse, chef-d’œu- vre de mécanique, merveille de beauté, l'Oiseau-mouche occupe à coup sûr une place de favori parmi les favoris du ciel et frise d'aussi près que possible l'assemblage idéal des perfectibilités de sa race. On dirait d'un prince Charmant, fils d’un roi quelconque des pierres fines, à qui toutes les bonnes fées, moins une, la fée Mélodia, seraient venues faire leur don au jour de sa naissance. Et encore y aurait-il à dire, à propos du mutisme supposé de l’oiseau- mouche, que son bourdonnement et le frémissement saccadé de ses ailes doivent avoir pour son adorée des accords ravissants. Vif, étourdi, d'humeur légère, amant volage des fleurs comme le papillon, friand de mets sucrés, de parure et de fêtes, inquiet, désordonne , toujours en mouvement, l'Oiseau-mouche est l’emi - blème de la jeunesse dorée qui se ruine en toilettes de bal, en soupers fins, en frivoles plaisirs et ne s'arrête pas. La jeu- nesse dorée n'échappe guère aux serres de l’usurier qui la fourre 28 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. à Clichy et lui ravit sa gloire. Par analogie, l'Oiseau-mouche a pour ennemi mortelun monstre horrible à voir, tout griffes, tout yeux, tout ventre, une araignée-géante, qui, pour qu'on ne se méprit pas sur l'emblème du prêteur d’écus, s’est logée dans un coffre-fort. muni d'un fermoir à secret ! (Quelle effrayante fidé- lité de portraiture et dans quel abime de réflexions profondes vous plonge la découverte de semblables rapports!) J'autorise d'au- tant plus volontiers le lecteur à applaudir vivement à l’analogie ci-dessus, qu'elle n'est pas de moi, mais d’un autre. Après cette comparaison saisissante entre l’Oiseau-mouche et l’Autruche , les deux moules extrêmes du règne, je n’insiste plus pour démontrer quele raflinement s'opère aux dépens de lamasse. Maintenant, puisque nous savons que le chant , idiome pri- vilégié des cœurs tendres, est parmi les oiseaux le titre de raflinement suprême, nous sommes suflisamment renseignés pour deviner le pourquoi de la petitesse de la taille chez les oiseaux chanteurs. Si le plus grand de la tribu n'est pas plus gros qu'un merle, c’est que Dieu , qui avait donné la prestance au Dindon et la force au Chameau, ne pouvait pas décemment en déposséder ces deux moules pour en gratifier l'artiste, l'Alouette, par exemple, qui n’en avait que faire, ayant déjà pour mission sublime de reporter au ciel les bénédictions de la terre. La troisième solution découle de la seconde, dont elle n’est qu'un simple corollaire. La zone tempérée de l'hémisphère boréal est la seule où les oiseaux chantent, d’abord parce que c’est la seule où ils puissent chanter. et ensuite parce que l'ère du chant est une des époques climatériques des globes, et qu’un progrès ne peut s'accomplir sur la face d’une planète avant que celle-ci ne soit de force à le porter. Nous savons par l’histoire des évolutions de ce globe que l'hémisphère boréal est de plus ancienne formation que l’austral, et que les moules débauche, tels que les Mastodontes de l’Amérique- Nord et les Éléphants de la Sibérie et de la Nouvelle-Zemble étaient déjà en train de déguerpir de ce milieu épuré, vers l'époque où les continents de l'hémisphère sud songeaient à peine SÉDIPÉDES. 29 encore à élever le front au dessus de l'abime , et s’occupaient nonchalamment à poser sous les flots leurs assises de corail. De plus, un simple coup d’æil jeté sur un globe terrestre nous fait voir que les continents occupent dans l'hémisphère boréal une plus vaste superficie que dans l’autre. Tout le monde sait enfin que les soleils sont moins chauds à latitude égale vers le tropique d'hiver que vers celui d'été; que les glaces du pôle antarctique sont plus voisines de l'équateur que celles del’arctique , et que la lumière des aurores boréales est de beaucoup plus intense que celle des aurores australes, différence qui atteste que la planète, dans les peines inouïes qu'elle se donne pour reconquérir sa double couronne polaire, but ardent de son ambition, espère bien plus du côté du nord que du côté du midi. Or, ces divers phénomènes et mille autres qu'on y pourrait joindre, signifient clairement que l'hémisphère boréal a sur l’autre une avance de raflinement aromal de cinq à six mille ans peut-être. Mais l'argument sans réplique pour démontrer le fait résulte de ceci : que la femme y est née. Je parle de la vraie, de la blanche, de celle qui naquit la dernière au jardin fortuné d’Éden ou qui sortit des flots de la mer d’Ionie, et dont le pre- mier mouvement fut de se trouver belle. Car l’Eve des Hébreux et l’Aphrodite des Grecs , sont assurément les deux sœurs , sinon la même personne, comme on serait assez disposé à le croire , à la simple lecture de leur signalement : regards bleus, cheveux d'or, ceinture d'aimant chargée d’attraits irrésistibles. Les Grecs ont fait l'Anadyomène déesse parce qu’elle était belle et parce que la beauté est d'essence divine; mais ce brevet d’immortelle décerné à la femme par l'enthousiasme légitime d’un peuple amoureux et artiste, ne lui a rien ôté de sa féminité. Et Vénus Aphrodite, mère d'Amour et des Grâces, est de notre sang à nous, des races caucasiennes, et s'il peut y avoir divergence d’opi- nion parmi les savants, quant à la date précise et au lieu de sa naissance, tous sont forcés du moins de tomber d'accord sur ce fait, qu’elle est née vers la hauteur du trentième parallèle nord, au sein d’une nature plantureuse , amie et caressante. Ce jour-là. il y eut de grands ravissements dans le ciel, car 30 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. ce fut pour la première fois que la créature eut conscience de son créateur et que les oiseaux chantèrent. Il y avait bien eu ailleurs d’autres essais de femme, car les races humaines sont au nombre de 32, comme les planètes du tourbillon normal. Il y avait eu notamment l'essai de la femme noire en Afrique, celui de la femme jaune en Asie, et celui de la femme rouge en Amérique, l'essai de l’Australienne, de l'Hottentote, de l’Eskimaude; mais aucune de ces tentatives n'avait complétement réussi, et surtout n'avait eu puissance d'inspirer aux oiseaux des chants mélodieux. Si Amérique du Nord, où chantent tant d'oiseaux, échappe à la loi générale, c'est que d’abord cette vaste région fait partie, comme l'Europe, de l'hémisphère boréal, et ensuite que si Dieu ne l’a pas choisie dès l’origine pour la patrie de la femme rose, il n’a fait qu’a- journer sa gloire, lui réservant d’être la mère-patrie de la liberté féminine et la première terre où flotterait le pavillon de l'harmonie. C’est dans ce but, qui se dessine plus clairement-à nos yeux de jour en jour, qu'il a fait de cette contrée bénie la plus belle etla plus somptueuse de toutes les demeures d’ici-bas, et qu'il l'a arrosée de tant de rivières poissonneuses et semée de tant de forêts, de gibier et de fleurs. Et les fleurs et les fruits de ce jardin de Dieu surpasseront bientôt , par la suavité de leur parfum et la délicatesse de leur chair, leurs analogues d'Europe, comme la voix du merle moqueur étouffera sous l'éclat de ses ar- péges sonores le chant mesquin du rossiguol; car ce jeune conti- nent monte, monte toujours à mesure que le vieux descend. En attendant, toutefois, et comme il fallait un signe pour «marquer la prééminence aromale du monde des visages päles sur celui des peaux rouges, 1l s’est trouvé que la fleur d'Amérique manquait totalement d'essence , ce qui est cause que les États de l'Union sont demeurés jusqu'à ce jour tributaires de la France pour l’eau de Cologne et le vulnéraire suisse... Mais tout le monde sait aussi bien que moi désormais pourquoi la zone tempérée de Fhé- misphère boréal est la seule où les oiseaux chantent. De l'exposé des caractères généraux de l'ordre des Sédipèdes, passons à l'examen des caractères séparatifs des séries et des groupes. SÉDIPÉDES. 31 Division par Série. Si les maîtres s'étaient contentés de semer l'anarchie dans leur ordre des. Percheurs et d’y récolter le chaos, ce ne serait que demi-mal. Mais le besoin de faire croire à leur infailhbilité les a poussés à déclarer l'ordre indisciplinable, et ils ont de la sorte considérablement aggravé leur méfait. Car Dieu n'agit jamais qu'avec esprit de suite et méthode; et comme la série est le seul instrument qu'il emploie pour distribuer l'harmonie dans les rè- gnes, 1l est de nécessité absolue qu'on la retrouve partout; et cest de la part du savant le comble de l'impiété et de l'orgueil que de la nier quelque part, parce qu'il ne l'y voit pas. Je prou- verai que l'ordre des Percheurs n’est pas indisciplinable, à la fa- con de cette table qui marcha sur l'astronome, pour lui démon- trer le mouvement et lui offensa la rotule. Non-seulement l'ordre des Percheurs n’est pas plus difficile à manier qu'aucun de ceux qui le précèdent ou le suivent, mais je me suis convaincu, par l'expérience, qu'il n'était pas un des ca- ractères généraux ci-devant exposés qui ne püt, avec un peu d'aide, servir de type parfait de sériation secondaire. Nous con- viendrons toutefois que, pour bien faire, le meilleur eût été de commencer par prendre le contrepied de la voie suivie par la science officielle, et de poser la dominante passionnelle en pivot de série. + La dominante passionnelle de l'ordre n’était ici un mystère pour personne. C'était l'amour du chant ou l'enthousiasme Iyri- que: Qui dit Sédipèdes dit chanteurs. Les maîtres s'étaient empêtrés dans le gächis, pour avoir ou- blié de tenir compte de l'élément du chant dans la classification des Chanteurs Rien de-plus facile alors que d'agir au rebours de’ leur étourderie et de dire, par exemple : « Puisque tout s’enchaine et se tient dans le système de la nature, puisque l'oiseau a été fait à l'image de l’homme, » L'ordre des oiseaux chanteurs est une vaste société cho- rale ‘qui se réunit chaque année au retour du soleil , pour célé- brer un festival immense qui s'appelle le prmtemps. 32 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. » Puisque le premier but de ces fètesannelles est de’glorifier . l'amour, le second de charmer nos ouïes, il faut que toute la musique qui s’y chante ait été écrite pour nous , c'est-à-dire qu'il faut que le clavier musical de l'oiseau ait été réglé sur’celui de l'homme, et que l'harmonie vocale des deux règnes se ue: dans un ty pe commun. E ..» Or, ce type parfait de l'harmonie universelleest aébés long temps trouvé pour l'homme ; c’est le quatuor qui représente les’ quatre grandes divisions premières de l’échelle vocale, nommées dans la langue technique Soprano, Contralto, Ténor, Basse. » Nous n'avions pas besoin d'aller plus loin et d’en demander davantage à la science musicale; car cette simple- combinaison des puissances harmoniques intitulée le quatuor, en nous don- nant la loi du groupement hiérarchique des voix humaines, nous eùüt révélé du même coup la loi de la classification de l’ordre des oiseaux chanteurs, que nous eussions divisé premièrement en quatre grandes séries principales, dites par analogie, du’ su prano, du Contralto, du Ténor et de la Basse. L7E Et puisque le quatuor instrumental qui se compose ‘des qua- tre parties de violon , alto, violoncelle et basse, est basé sur le même principe divisionnaire que le vocal, il va sans dire que si nous l’avions pris pour unité ou terme de comparaison; au lieude l’autre, nous serions arrivés à des résultats complétement iden- tiques. Que si maintenant quelque curieux eût voulu chercher dans les diverses parties de la masse chorale ailée les analo- gues de toutes les voix humaines, voire les analogues de tous les instruments inventés_ par le génie de l'homme et qui sont en dehors du quatuor naturel, j'ose affirmer qu'il les y'eût trouvés. J'ai écrit 1l y a trop longtemps que celui qui saurait à fond sa gamme musicale. en saurait beaucoup plus sur touté question d'astronomie, de politique ou d'histoire universelleque Newton, Machiavel, Richelieu et Bossuet. ILest probable que beaucoup d’ornithologistes ont passé au- près de cette analogie sans la voir, et que quelques-uns même la nieront après l'avoir vue.Je m’attends à pis que cela encore, à ce que des critiques sans foi, travestissant mes intentions d’une SÉDIPEDES. 33 façon odieuse, prennent texte de ce nouveau travail pour m'ac- cuser derechef de viser à l'amusement de mes lecteurs plus qu’à leur enseignement. Mais je sais trop aussi avec quelle par- cimonie extrême Dieu a distribué parmi les civilisés le don de percevoir les harmonies célestes, pour m'aflliger outre mesure de l’incrédulité ou des sarcasmes de mes contemporains. Surtout s’il en est du langage des oiseaux comme de celui des fleurs et de celui des tables qui s'ouvrent avec tant de facilité aux cœurs simples et refusent si durement de conférer avec les orgueilleux et les dominateurs. Car si les savants n’entendent rien à ces verbes de Dieu, c'est la preuve, croyez-le bien, que l’orgueil a desséché leurs âmes et calciné leurs yeux. Que de fois, en effet, 'ai-je pas vu dans le monde des tables pétillantes d'esprit et de gaieté, prodigues de mots charmants, de délicieuses mélo- dies et de révélations ébouriffantes, parce que le milieu leur plaisait, passer subitement du babil le plus intarissable au mu- tisme le plus obstiné, pour avoir subi le contact d’une main académique ! Explique qui pourra cette antipathie insurmontable des meu- bles intelligents pour les corps savants constitués et pour leurs lauréats, mais le fait qui est positif n’est certainement pas le moins étrange de ceux qui se rattachent à ce phénomène quasi- miraculeux du don des langues récemment octroyé au palissan- dre et à l'acajou. Un guéridon d'humeur trop prompte s'était laissé aller devant moi contre un savant brodé jusqu’à le traiter d'espèce. Comme je le reprenais doucement de sa vivacité, il s’en excusa, répondant : « Eh ! que voulez-vous qu'il y ait entre les esprits de lumière et les esprits de ténèbres? » Il désignait sous ce dernier sobriquet ces vénérables piliers de boutique académi- que qui s’attribuent pour mission d’entraver le progrès en niant les découvertes et en persifflant les inventeurs. Le même meuble fit un soir beaucoup de peine à un jeune prix de sagesse devant des dames, lui rappelant sévèrement les devoirs de son âge et que Dieu nous donnait la jeunesse pour aimer et non pas pour être sage. Je ne garantis pas que toutes les tables qui parlent soient des esprits de lumière, mais ce que je sais pertinemment 2 ‘ 34 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. et ce que j'afirme pour le savoir, c’est que jamais la charité évangélique n’eut de plus ferventes apôtres que celles qui m'ont jusqu'ici honoré de leur confiance. Elles répondent plus chaleu- reusement à l'appel du sentiment qu'à celui de la raison, c'est très-vrai, et elles préfèrent la conversation des jeunes femmes à celle des vieillards ; mais ces préférences n’ont rien que de très- naturel, puisque le sentiment est d’essence divine, tandis que la raison n’est que d'essence terrestre. Quant à leur propension vers les voix argentines et les visages roses, que celui de nous qui est sans ce péché leur jette la première pierre. Un savant expliquait à une femme d'esprit comme quoi les tables parlantes n'étaient que les miroirs de la pensée des per- sonnes qui les mettaient en jeu. « Alors pourquoi mon guéri- don qui me dit de si jolies choses, interrompit la patiente, sil toujours si discret avec vous ? » C’est parce que les guéridons parleurs sont les miroirs de l'âme, qu'ils font voir le diable à tant de gens. J'ai consulté douze tables sur le véritable principe de la clas- sification des espèces volatiles; toutes m'ont répondu par la re- production textuelle de la formule du Gerfaut. A toutes j'ai lu à baute voix la dominicale des Débats où ils m'ont accusé d’avoir fait plein divorce avec le sens commun. Plusieurs m'ont crié stop ! dès les premières lignes ; une s’est emportée contre les prix d'honneur en latin de cuisine ; une autre s’est brisée de dépit à la péroraison où le critique ingrat, pour me remercier du plaisir que lui avait procuré la lecture de mon livre, me repro- chait sérieusement de m'être moqué de lui. Comme si le seul moyen de prouver à son lecteur qu'on le respecte n'était pas de lui plaire, conformément au précepte de Boileau. Celui qui se moque de vous n’est pas moi qui vous amuse et que vous abîmez, mais bien le moraliste hautain qui vous assomme et que vous encensez. Das veniam corvis….. Mais que le juste ressentiment d'une doüleur légitime ne nous retienne pas plus longtemps hors de notre sujet. Puisqu'il a été convenu que la classification passionnelle ne pourrait apparaître en cette œuvre qu'à l’état d’utopie ou de SÉDIPÉDES. 35 phare lointain , j'aurais le droit de garder pour moi les détails de la composition du quatuor empenné qui fait face au quatuor vo- cal ou instrumental humain. Mais j'ai trop parlé sur le principal sans en être prié, pour avoir bonne grâce à faire le discret à propos de l'accessoire, surtout quand il ne s’agit plus que de citer quelques noms propres pour en avoir fini avec l’analo- gie. Je dirai donc que la série de la Basse serait représentée dans l'ordre des chanteurs par la tribu des Grives et des Merles, une compagnie d'artistes éminents qui a l'honneur de compter parmi ses membres le Moqueur des États-Unis, le plus brillant de tous les virtuoses ailés, au dire d’Audubon — que la série des ténors aurait pour terme correspondant la famille des Fau- vettes, au gosier velouté — le Contralto, l'Alouette et la Far- louse qui distillent l'harmonie dans l’espace et chantent dans le milieu des airs, suspendues sur leurs ailes. La chanterelle aiguë du soprano percerait dans les notes pointues du Ghardonneret, du Canari et des autres granivores. Cependant que le Ramier et la Tourterelle qui ne sont pas à proprement parler des chan- teurs, mais qui forment le premier anneau de transition ascen- dante entre les Coureurs et ceux-ci, fourniraient par leur gémis- sement monotone, tendre et grave, l'accompagnement de pédale continue, et que le Grimpereau , le Roitelet et les petites Mésan- ges tiendraient dans le concert aérien la partie des chœurs de l'enfance... El fut un temps où j'aurais plus nettement accusé et défini ces nuances, peut-être parce qu'alors je les comprenais mieux; mais je préfère aujourd'hui laisser à de plus jeunes et à de plus savants que moi, à ces heureux surtout qui traversent la phase à jamais regrettable de la lucidité amoureuse, le som de compléter cette analyse des diverses conjugaisons du verbe j'aime, et de traduire en idiome vulgaire le langage mystérieux des chansonniers des bois. Le type passionnel, écarté comme pivot de série, restait à choisir entre les caractères physiques les plus saillants et les plus séparatifs. L'élément de la demeure habituelle était un caractère trop 36 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. vague pour remplir cet office de terme de comparaison. Le Pinson et la Fauvette habitent nos jardins comme le Roitelet, le Grimpe- reau et tant d’autres. Dieu, dans sa justice, n’a déshérité aucune place des enchantements de la mélodie céleste, et il a crée des alouettes pour les bois, ainsi que pour les champs. Le mode de division pris de lhabitat péchait donc par la base. Je l'ai écarté comme moyen principal, sauf à le reprendre comme accessoire. J'avais bien songé un moment à introduire dans l’ordre le procédé de sériation par la couleur des pieds. Il y aurait eu la tribu des pieds roses, celle des pieds jaunes, celle des pieds noirs; Mais après avoir reconnu à la pratique que le procédé présentait plus d'intérêt sous le rapport culinaire que sous celui de la distribution hiérarchique, j'y ai sagement renoncé. Il y avait encore à tenir compte du caractère séparatif ou com paratif tiré de la dimension du pouce, caractère dont on ne sau- rait méconnaître l'importance dans une classification pédiforme ; mais l'impossibilité absolue de trouver dans le concours de trois langues un seul substantif convenable pour ce type, m'en à inter- dit l'emploi. Le moyen, je vous prie, d’infliger à l’Alouette le nom injurieux ef quasi-géométrique de Zongipollicipède, à l’Alouette, le plus adorable et le plus magnifique gosier de nos climats, à l'Alouette, cet oiseau si éminemment français, et dont la tribu s'appelle dans le pur idiome de l’analogie passionnelle, la tribu des Mireurs ou des amoureux du soleil. Périssent tous les prin- cipes, plutôt que le respect des noms ! C’est par la barbarie de son vocabulaire que la science s’est tuée. Un ornithologiste anglais avait aussi proposé dans le temps de baser la classification du règne volatile sur la diversité des modes de nidification; mais je crois que la proposition n’a jamais eu d'autre partisan que son auteur, par la raison fort simple qu’elle n'était pas soutenable. Il suflirait en effet de mentionner deux ou trois des conséquences fâcheuses qu'eût entrainées l'adoption du principe pour en faire comprendre le danger. Ainsi la création de l’ordre des oiseaux mineurs, c’est-à-dire des oiseaux qui nichent dans des trous en terre, eût range côte à côte dans la SÉDIPÉDES. 37 même vitrine l'Hirondelle de rivière et le Martin-pêcheur, le Diablotin de la Guadeloupe et le Guêpier, la Chouette des prai- ries américaines, le Pouillot et le Tadorne, le Pingouin et le Macareux, etc. De même une déplorable conformité de goûts en matière architecturale eût accouplé le Pigeon, qui niche sur une plate-forme de brindilles à claire-voie , avec l’Éperwvier et le Faucon, ses ennemis intimes. Enfin le Roitelet, la Mésange à longue queue, le Moineau franc et la Pie eussent été enrôlés sous la même bannière, à titre d'amateurs de logements sphériques. C'est-à-dire que la combinaison proposée par l'auteur du livre intitulé : De l'Architecture des Oiseaux, eût atteint de prime saut ce beau idéal du désordre, auquel les maîtres de la science ne sont parvenus qu'après d'immenses efforts. Enregistrons pour mémoire cette tentative ambitieuse et n’y revenons plus. Je crois même qu'après avoir bataillé si longtemps contre toutes les clas- sifications en vogue, je pourrais me dispenser de revenir à la charge sans le moindre inconvénient. Le bec est un excellent caractère séparatif et dont j'ai autrefois signalé tous les avantages. J'ai dit qu'indépendamment de la ma- nière de vivre et du genre de nourriture, il donnait sur-le-champ la physionomie de l'oiseau. Il se prête de plus avec une facilité extrême à tous les procédés de division par deux, par trois, par quatre, et son élasticité serait déjà une preuve suffisante de sa valeur comme élément de classification naturelle, quand bien même il ne joindrait pas à ces divers mérites, celui de dessi- ner ses groupes sur le type du quatuor, critérium supérieur d'ap- titude distributive d'harmonie. Un fait bien singulier et bien digne de remarque, en effet, c'est que la première opération divisionnaire pratiquée dans l’ordre par ce système et qui donne naturellement les deux grandes sections des Zecs fins et des Gros becs, reproduit sans le vouloir toutes les circonstances du partage primordial de l'échelle des sons en ses deux modes, le majeur et le mineur. Le mode ma- jeur a pour éléments constituants la Basse et le Ténor ; le mineur le Contralto et le Soprano. Les deux sections des becs fins (Ténui- rostres) et des gros becs (Crassirostres) se dédoublent d'une facon 38 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. complétement analogue; la première en Merles et en Fauvettes, la seconde en Fringilles (chardonneret, serin) et en Alouettes. Or, ces quatre tribus valeureuses sont les mêmes, si l’on s'en souvient, qui composaient le quadrille emplumé dans lequel se reflétait notre quatuor musical. On voit d'ici tout l'avantage de ce parallélisme et quelle facilité extrème une ouverture aussi heureuse apportait dans la suite des combinaisons. Malheureuse- ment, il faut bien que nous le confessions encore, une suscepti- bilité déraisonnable et puérile, une répugrance invincible à nous servir des noms consacrés par la méthode rostriforme, nous a détourné d'elle, et nous a empêché de profiter d’un travail tout fait pour ainsi dire. Et comme il nous était prouvé que notre plume timide se briserait plutôt que de signer une série Ungui- culatirostres où Emarginatirostres, nous n'avons pas cherché à vaincre notre nature; et, nous résignant stoiquement à garder pour nous seul le fruit de longues et pénibles études, nous avons laissé là le rostre et pris le genre de nourriture comme élément définitif de notre nomenclature. De bec à mangeaille, du reste, la distance est minime, et peut-être qu'à raisos de la connexité des deux termes, il ne nous sera pas tout à fait im- possible de placer avantageusement dans notre nouveau travail quelques bribes de l'ancien. D'autant mieux que nous serons foreé d'indiquer le changement de la forme du bec à chaque variation de régime. Je répète pour la troisième ou la quatrième fois au lecteur ce détail important qu'il ne doit jamais perdre de vue, à savoir : Que le nombre des oiseaux de France n'est que le vingtième du nombre total des espèces répandues sur ce globe et que les cent trente Sédipèdes dont nous allons étudier l'histoire sont à pour figurer les quelques milliers d'individus de l'ordre. Donc, que si par hasard la présente classification présentait quelques lacunes, on ne s’en étonne pas trop. J'aurai soin d’ailleurs d'indiquer de temps à autre les groupes et les séries à prendre pour com- bler les principaux vides, désirant autant que possible venir en aide par ces indications bienveillantes aux chercheurs de no- menclature besogneux.…. SÉDIPÉDES. 39 Puisque toutes les espèces sédipèdes de France se nourrissent de fruits ou d'insectes, la classification naturelle de l’ordre sem- ble devoir débuter ainsi : Division de la masse en deux premières grandes sections dites des Frugivores et des /nsectivores. Cette division si naturelle se fond complétement en effet avec - celle des becs fins et des gros becs qui se moule comme nous avons vu tout à l'heure avec une facilité merveilleuse sur le type du quatuor musical. Ainsi nourriture végétale, aliments résis- tants, bec fort, notes élevées : mode mineur. Nourriture ani- male, aliments mous, bec faible, notes graves : mode majeur. Je plamdrais sincèrement l'aveugle qui ne verrait pas dans la persistance obstinée de cette correspondance analogique la loi de toute distribution sériaire et de toute harmonie. La nature elle-même semble avoir séparé les frugivores des insectivores par la différence de structure de l'appareil digestif. Car elle a donné deux estomacs aux sédipèdes frugivores, c’est- à-dire à ceux qui vivent exclusivement où principalement de substances végétales, nourriture d’une assimilation difiicile et dont la coction exige des transyasements compliqués; et elle n'en à attribué qu'un seul aux espèces insectivores, c’est à dire à celles qui vivent exclusivement ou principalement de substan- ces animales faciles à digérer. On verra tout à l'heure pourquoi j'appuie avec tant d'insistance sur l'opposition de ces deux ad- verbes. De sorte qu'il paraitrait assez naturel, au premier apercu, de s'emparer de cette différence d'organisation interne, pour couper l'ordre en deux grandes divisions primordiales qu’on ap- pellerait, par exemple, de la Digastérie et de la Monogastérie, ou de tout autre nom plus ou moins barbare emportant l'idée de comparaison de l'estomac double (jabot) à l'estomac simple. Par malheur, ce système, qui pourrait convenir aux moyens bornés de la science vulgaire, ne saurait s'adapter aux données de l'ana- logie. Il tombe, en effet, sous le sens que l'appareil digestif, qui est un organe caché, n'a pu être employé par Dieu comme cachet 19 ORNITHOLOGIE/PASSIONNELLE. de parenté quelconque. Dieu écrit la-ressemblance congénérique des espèces dans les traits du visage et dansiles habitudes: du corps, et c'est là qu'il faut Ja rechercher, pour se conformer à ses vues. Je ne pouvais tomber dans une aberration descetor- dre, moi qui n'ai jamais:eu la prétention de forger une: elassi: lication de toutes pièces, et qui ne vise qu'à découvrir!celle Te Dieu a tracée. oil Restent done nos deux premiers termes, frugivores ti insec4 tivores. Mais cette division binaire est-elle Sn est noi Dr trique surtout ? Je ne le pense pas. 9 Et d'abord, avons-nous, en France, des espèces ‘exclusive ment. frugivores, comme nous avons des éspèces exclusivement insectivores (le grimpereau, l'hirondelle, etc.)? Quelques savants. disent oui, M. Temmynck entre autres l'observation dit non. Car si les frugivores purs doivent sé ren: contrer en France quelque part, c'est assurément dans la tribu des, Colombiens (ramiers et tourterelles). Or, J'aivu, ‘de-mes veux vu, dans les grands hivers, en Lorraine; de pauvres pigeons ramiers réduits par la misère à l'état de squelettes; isuivrecà la glandée les troupeaux de pores, nombreux en! ces parages,1etise percher pittoresquement sur le dos de ces quadrupèdes.- Les pà- tres prétendent bien que ces oiseaux ne font ainsi que pourisé réchauffer les pieds, mais tout me porte à croire qu'ils imitent plutôt l'exemple que leur donnent chaque jour les étourneauxet les bergeronnettes, qui se posent sur le dos des moutons; pour les débarrasser de la vermine dont leur toison-abonde: Je me demande, d'autre part, d'où viendrait cette odeur de fourmi si prononcée. qu'exhale quelquefois la chair des :tourterelless! en septembre, sinon.de la fréquentation des fourmilières. Je:sais bien que les cas que je, cite ne sont. que; des accidents etiqu'il serait aussi ridicule de, vouloir classer les pigeons panmidles insectivores parce qu'ils mangent. de temps, à autresune fourmi ou une.puce, que. dé, les traiter de, piscivores ou decarnivores parce qu'ils adorent la morue.et le renard au grosisel; mais si ces goûts exceptionnels ne, suffisent pas pour attribuer un:titre OSEDIPEDES. 1 générique au groupe, is’ ont assez de valeur néanmoins pour vicier la dénomination de‘frugivores purs qu'on lui applique d'habitude, et c'estien cela que je la critique. Il est connu, en outre ; que la plupart des granivores exclusifs. les perroquets eux-mêmes , recherchent ‘avidement les insectes pour nourrir leurs petits. Maintenant, à supposer que le frugivore exclusif existàt en France, 1l-est évident que l’ordre des Percheurs ne contiendrait pas seulement des espèces vivant de fruits ov d'insectes, mais qu'il yaurait encore la série des espèces vivant de fruits é'd’in- sectes. D'où la nécessité de remplacer la division binaire par Ta ternaire , et de‘eréer tout d’abord une troisième grande série ditesde F'Ambvorie, J'ai expérimenté cette méthode comme les autres; j'ai créé cette ambivorie qui est à elle seule tout un monde, et j'en ai:même obtenu, à l’aide d’une division adroîte, une; double; série:des Durirostres et des Mollirostres, qui m'a fourni des-résultats assez avantageux. Malheureusement cette division primordiale ternaire avait le tort d'offenser mes instincts musicaux, et il mé répugnait de sérier un ordre d'amoureax pat le nombre-trois, qui n’est pas un nombre d'amour. D'ailleurs; comme il m'était facile d'obtenir les bénéfices dela subdivision ci-dessus sans confondre les dénominations de la méthode diété- tique avec celles de la rostriforme, j'ai mieux aimé autre chose. ‘J'ai mieux aimé, par exemple, faire semblant de croire un moment que la frugivorie pure comptait un certain nombre ‘de représentants en France, et partir decette hypothèse pour divi- ser l'ordre des Sédipèdes en quatre grandes sériés principales : Frugivorie, Granivorie, Baccivorie, Insectivorie.: Je dirai tout à l'heure pourquoi es noms plutôt que d’autres. Je prie'seule: ment lle lecteur de considérer, avant toute objection, que ces quatre noms cadrent parfaitement ensemble; qu'ils ne sont pas dépourvus d'une certaine euphonie; qu'ils joignent à ce double mérite celui d'indiquer heureusement la transitionde là nourri- ture la plus ferme, qui estile gland , à la plus molle, qui est la mouche ou-bien l'œuf de fourmi, et enfin que ces substantifs gé- nériques ont l'avantage de: posséder un sens pour ainsi dire offi- 42 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. ciel. Quant à la prétendue hypothèse que j'ai l'air d'adopter pour base de ma classification définitive, je prouverai facilement que son adoption provisoire n’a rien qui vicie la méthode et qui sente l'expédient. | J'ai dit Frugivorie, ou série des Frugivores, pour les espèces qui vivent exclusivement de substances végétales. Frugivorie vaut mieux que Végétivorie, pour deux causes. D'abord parce que la première expression est plus consacrée par l'usage, parce qu'on dit un homme frugal, pour quelqu'un qui vit de peu et surtout de lentilles ; parce que les pères conscrits de la science ayant à baptiser un corbeau qui, pour se distinguer de sa race, affectait de mépriser ia chair et de préférer le blé tendre, l'ap- pelèrent frugilegus (qui it les fruits) dont nous avons fait freux. En second lieu, parce que végétivore reporte plus volontiers la pensée vers l'herbe et vers la feuille que vers le fruit et le grain, qui sont plus spécialement du domaine alimentaire de l'oiseau. Carpivore n’était pas sans charme, Pomivore non plus, et j'avais songé à tous deux, mais tous deux avaient le tort de restreindre fâcheusement le sens de leur radical et de prêter à de pitoyables allusions touchant la charlotte et la matelote. Toutes les rai sons pour et contre débattues, j'ai gardé frugivore. La première série étant celle qui vit exclusivement de subs- tances végétales, la seconde devait ètre celle qui en vit prinai- palement. Et comme le grain ou la graine, et non plus le fruit, devient, à partir de la distinction entre l'exclusif et le principal , l’élément pivotal de la nourriture des espèces que nous avons à sérier, j'ai dû écrire sur l’étendard de cette seconde série le nom de Granivore. La Granivorie débute par la première tribu qui se relâche des rigueurs du régime purement végétal, pour tàter de l'insecte. I ne s’agit, pour bien saisir le point précis de la division, que de connaitre à fond les mœurs et les coutumes diététiques de tous les Sédipèdes. La troisième série comprend, comme la seconde, des espèces vivant des deux régimes, mais préncipalement d'insectes. Cependant je l'ai intitulée Baccivorie, plutôt que Vermivorie, SEDIPEDES. #3 qui lui eùt très-bien convenu, parce que les principales es- pèces de la série qu'il s'agissait de baptiser (Grives, Loriots, Merles, Fauvettes) sont plus connues, en France, comme gour- mandes de cerises, de raisins, de baies de sureau et d'a- lises, que comme mangeuses de vers de terre, et que la pas- sion des fruits rouges m'a paru plus prononcée chez elle que le coût de la chair. Car il est bien certain que si la nourriture animale est le régime obligé de ces espèces pendant six mois de l'an, elles y renoncent néanmoins avec enthousiasme. Peut-être admettra-t-on alors que, dans un livre qui s'intitule raité d'or- nithologie passionnelle, et que, dans une classification basée sur le genre de nourriture, l'auteur se soit cru obligé de choisir, entre deux dénominateurs de valeur presque égale, celui qui procédait du régime le plus attrayant. Pourquoi chercherait-il d’ailleurs, à cacher ses faiblesses, et hésiterait-1l à confesser qu'il lui répugnait d'associer aux noms d'oiseaux qu'il aime, comme le Rouge-gorge et la Grive, une épithète peu poétique ? La louable impartialité dont je fais. profession m'oblige de noter en passant que la méthode divisionnaire, tirée de la comparaison des appareils digestifs, à laquelle j'ai si généreu- sement renoncé, facilite extrêmement la formation de ces trois premières séries, et prévient toute difficulté relative aux points de contiguité ou de séparation d'icelles. Ainsi, les Granivores étant doués de la poche du jabot, comme les Frugivores, leur union, par ce caractère, avait l'avantage de constituer d'abord le mode mineur dit de la Digasterie; puis la Granivorie se détachait de la Frugivorie à l'endroit mentionné plus haut, où débute la promiscuité des régimes alimentaires. Il n’y avait pas de confusion à redouter non plus quant à la délimitation des frontières entre la seconde et la troisième série, puisque la nature nous fournit, dans la diversité de structure de l'estomac et dans le nombre de ses poches, un signe infaillible pour dire où finit celle-là, où commence celle-ci. La troisième série part du dernier chainon de la Digastérie, pour aboutir au premier rang de l'Insectivorie; et ces deux dernières séries cons- tituent le mode majeur dit de la Monogastérie. Et j'ajoute que la A 44 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. confusion entre les deux modes est ici d'autant moins à craindre, que nous avons, pour nous orienter en ces parages, une boussole supplémentaire, le bec, dont la forme suit nécessairement les modifications de l'estomac, et qui est précisément en train de pas- ser du fort au faible ou du conique à l’unguiculé, à l'endroit où nous sommes. Heureusement que si j'ai dû renoncer, pour motifs supérieurs, aux avantages de la comparaison des appareils diges- tifs, aucune raison ne m'imposait une semblable réserve à l’é- gard de la forme du bec, et que j'espère retrouver, à l’aide de cette boussole supplémentaire, toutes les facilités de casement dont je me suis volontairement privé. Revenons, pour la termi- ner, à notre nomenclature. Point de discussion pour le quatrième terme, qui est Insecti- vorie, et qui s'applique à la série des mangeurs exclusifs d’in- sectes. Dans l’un et dans l’autre système, cette série commence à la première espèce qui renonce à la baie; elle nous conduit jusqu'aux limites de l’ordre voisin des Grimpeurs. Le moment est venu, je crois, de justifier l'admission de l’hy- pothèse relative à l'existence des moules de notre première série. Mon opinion est que la Frugivorie pure n’a pas un seul repré- sentant parmi nos espèces de France. Cependant l’analogie, qui voit mieux et plus loin que tous les observateurs, affirmant que les zones tropicales sont plus riches, sous ce rapport, que les tempérées, je suis bien forcé de dire comme elle. Voici, du reste, les motifs qu’elle apporte à l'appui de son affirmation. Elle dit donc que les contrées les plus chaudes et les plus plantureuses du globe sont les patries véritables du Frugivore pur, parce que, dans ces climats heureux où le sol n’est jamais las de produire, la végétation surmenée fait en tout temps lar- gesse de fleurs, de graines, de fruits, de feuilles, aux espèces qui les aiment... et que la puissance aromale, qui git dans les rayons solaires, communique à ces divers produits du règne vé- gétal des vertus alibiles qui leur manquent ailleurs. C'est-à-dire que le Frugivore pur se trouverait confiné dans les limites de la zone équinoxiale, par la même raison que SEDIPEDES,. 45 l’oiseau-mouche, qui se nourrit du miel des fleurs, et ne peut subsister, par conséquent, que dans les pays privilégiés du so- leil où la saison des fleurs dure douze mois par an. Mais si l'existence du Frugivore se conçoit sans peine en ce milieu de luxe, où l'abondance des mets se prête si facilement au besoin de varier la nourriture et à l’inconstance des goûts ; si la nature, enfin , a fait au Frugivore, dans les régions de l’é- quateur, une destinée proportionnelle à ses attractions, ainsi n'a-t-elle pu agir dans nos froides contrées du Nord, trop voi- sines du pôle où le soleil se cache, laissant la terre nue, dépouil- lée, sans verdure, se reposer de sa fécondité laborieuse dans un somme de six mois. Où le Frugivore sédipède, qui n’a pas d'on- gles tranchants, comme les Lagopèdes, pour déchirer la terre, trouverait-il sa subsistance, pendant que cette terre dort, ense- velie dans son linceul de neige? Il est bien évident qu'ici l’ama- teur passionné des fruits n'aura, chaque année, qu’une saison pour vivre suivant ses goûts, et qu'il demeurera tout le reste du temps exposé aux dangereuses suggestions de la misère, cette grande dépravatrice des goûts. Et ce sort est précisément celui que nos printemps font à une foule de granivores chanteurs, leur offrant l'insecte tout frais au moment même où la graine rancit et devient rare. Le granivore, pressé par le besoin et chargé de famille, est bien forcé de changer de régime; mais eüt-il fait cette concession aux circonstances , si la Flore du pays lui eût fait litière de graines fines ? Ceci est un problème. Les Serins, les Tarins, les Linots, élevés ou nourris dans nos cages au sein de l'abondance , témoignent bien rarement le désir de passer de la nourriture végétale à la nourriture animale ; et j'ai connu des chardonnerets qui sont morts pleins de jours, sans avoir à se reprocher le moindre coup de bec donné à un insecte, pendant une carrière de vingt ans. De même, nos pigeons de colombiers et nos pigeons en volières, qui trouvent à peu près de quoi vivre pythagoriciennement autour d'eux et qui sont à peu près libres, sont exclusivement frugivores, comme les serins, les bouvreuils et les chardonnerets captifs. Ce rapprochement curieux tranche, selon moi, par laflirmative la question de 46 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. l'existence des frugivores purs. Il ne s’agit plus que d'aller les chercher où ils sont : ce que je ferai tout à l'heure. Mais du moment que le sédipède frugivore existe quelque part en ce monde, du moment que cette dernière dénomination remplit convenablement sa fonction d'étiquette dans son apphi- cation la plus universelle, il me semble que nous n'avons plus à nous inquiéter de savoir si notre pauvre mobilier ornithologique de France fournit ou ne fournit pas d'espèces à mettre dessous. Et je dis qu'il suffit que ce terme de frugivore soit vrai, dans l’ordre complet des Sédipèdes, pour que nous soyons tenus de l’accepter comme nôtre, sans réserve et quand même, et abs- traction faite de son plus ou moins d’applicabilité à l'ordre èn- complet des Sédipèdes de France; car si je consens volontiers à ce que ce Traité d’ornithologie demeure spécial à la France en tant qu’étude détaillée de mœurs et de caractères d'oiseaux, mes prétentions sont moins humbles, quant à ce qui est de la nomen- clature. Ici j'ai l'ambition de travailler pour le monde des vola- tiles tout entier, et c’est pourquoi je suis si attentif à respecter l'ordre naturel établi pour les huit mille oiseaux du globe, et à ne pas sacrifier les intérêts de la masse aux convenances et à la commodité de nos 360 espèces. J’estime que l’Aiïgle de Meaux n'eût pas fait ainsi à ma place, ce sublime fantaisiste qui s’a- musa un jour à poser le peuple hébreux comme pivot de l'hu- manité et à faire tourbillonner l’histoire universelle autour de l'histoire juive, pour voir jusqu'où pourrait aller la crédulité du lecteur. Ainsi la prétendue hypothèse par nous admise précédemment , pour faciliter la subdivision normale de l’ordre des Percheurs, n’était une supposition qu'en France. Aïlleurs, c'était un fait, et un fait important, dont notre devoir d’historien nous forçait de tenir compte, pour obéir au principe d'harmonie qui veut que le principal emporte l'accessoire. Cette humiliante obligation de recourir à l'hypothèse, ainsi qu'en géométrie, n’est, du reste, que le moindre des désagréments attachés à la condition du clas- sificateur local, condamné à opérer sur une échelle du vingtième, qui l’expose à rencontrer des vides là où miroitent, dans le loin- SÉDIPEDES. 47 tain, les séries les plus populeuses, et le pousse à faire, à chaque pas, des enjambées colossales pour franchir d'effroyables la- cunes , au risque de se rompre le cou. J'ai entendu dire une fois au Journal des Débats , qui le tenait peut-être de Virgile, que l’art de gouverner les peuples. regere imperio populos… était le plus sublime et le plus difhcile de tous. Or, non-seulement je proteste, avec Oxenstiern, contre cette assertion téméraire, mais j'aflirme que la feuille ci-dessus, si prudente et si réservée d'habitude, n’eût pas parlé aussi légè- rement, si elle se fût un peu moins occupée de la classification des hommes et un peu plus de celle des bêtes. Une preuve, en effet, et une preuve trop probante, que l’art de gouverner les so- ciétés humaines n’est pas la mer à boire, c’est que le premier venu y est propre, c’est que jamais on n'a manqué nulle part, nusquam gentium, de gens de bonne volonté pour être gouverne- ment, au contraire. C’est à ce point que je sais des pays peuplés de trente et quarante millions d’âämes où l'idée fixe d'une bonne moitié de la population est de gouverner l'autre, c'est-à-dire de toucher ses impôts et de se les appliquer, ce qui, dans toutes les langues du monde, est le vrai sens du mot gouverner. D'é- tranges pays, hélas! où le citoyen le plus inculte et le plus igno- rant a sa Constitution dans sa poche, comme Sieyès et Lycur- gue, et ne demande qu’à sauver le monde, mais où personne, en revanche , n’est dans le cas de vous dire où perche la Mésange.….! Le Journal des Débats lui-mème, qui a gouverné très -longtemps avec profit et gloire, et qui serait heureux de gouverner encore, le Journal des Débats, qui est très-fort en politique, est incom- parablement plus faible en botanique, où il croit à la graine du chanvre mâle, ce qui induirait à supposer qu'en ornithologie il croit aux œufs de coq. C’est qu'il est plus facile de rédiger de grands journaux éloquents, voire de faire des constitutions pour le bonheur des peuples, que de mettre chaque bête à sa place. Les tribulations du classificateur sont malheureusement de celles qui laissent le public froid et indifférent, sous prétexte que la loi ne condamne personne à faire des classifications, pas plus que des tragédies. 18 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Mes lectrices ont deviné sans doute, quand je faisais tout à l'heure abus de citations latines, qué c’était pour me rendre pro- pice le Journal des Débats, et non pour faire parade de mon _érüudition classique. Alors j je ne leur demande pas pardon de 0 inconvenance. Mais le cadre de notre dust est enfin terminé: il me is à se RE Le PREMIÈRE SÉRIE. d | #4 ph : 5 FRUGIVORES, “Un groupe, quatre espécés : Exotiques. Ce mot,exotiques est ici,pour remplacer aéant, qui est la part que: la. Faune. française fournit à la Frugivorie pure. I ne tenait.qu'à moi assurément de peupler cette première série de deux groupes que j'aurais appelés des Co/ombiensiet-des Loxiens, ou des Gros-Becs, attendu que les espèces dont ces deux groupes se composent sont essentiellement, sinon exclusi- vement frugivores et que personne.ne m ‘aurait chicané pour le plus ou le moins. Ensuite, comme les Colombiens et les Gros- becs, nourrissent, également leurs petits au mo ven:d'une bouillie de grain qu'ils préparent dans leur estomacret qu'ils transva- sent après dans la gorge de leurs nourrissons, par divers: procé- dés, j'aurais pu aisément les unir par le caractère commun, puis les:différencier par la comparaison! de leur mode: de dégorge- ment. Et, non-seulement. cette classification de contrebande :m'eût soulevé: du.côté | des savants ; aucune objection sérieuse , mais je suis bien sûr qu’elle eût paru plus scientifique et. plus naturelle que l'autre, que la vraie, qui à contre ellele.désavan- tage immense de débuter par lewide, et:de faire boiter, dès le premier pas, la division quaternaire de l’ordre. Mais l’analogiste consciencieux:;samant-fidèle de la-vérité,-ne spécule pas en face du devoir; il dédaigne souverainement les succès que, d'autres proclament faciles, parce qu'ils ne coùtent qu'un mensonge ; et currorSÉDIRÈRES. (10 il s'inquiète peu, que ses séries soient pauyres, pourvu qu'elles soient honnêtes. Sa devise. est : Fais ce. qne dois. C'est la mienne, | J'ai dit quelles impossibilités matérielles ou plutôt quels scru- pules m'interdisaient de placer les Colombiens de France parmi les Frugivores purs. Leur place n’est. pas là, en. effet,, mais bien au point de jonction des deux grands ordres des. Coureurs, et des Percheurs, station de l’ambiguë, échelle de transition ascen- dante. Le titre de Krugivores purs n'appartient qu'aux Colombiens de l'Australie, des Philippines.et des îles de la Sonde. A la suite de ces groupes populeux doivent figurer, d'après l’analogie, les Cogs-de-roche, les Rupicoles de l Amérique équatoriale , les Phy- totomes de l’Abyssinie, les Manakins de la Guyane, qui donnent la main à nos gros-becs, ou loxiens, par le Jaseur. Ces gros- Le becs, commenous le verrons bientôt, bornent la série des Frugi- :vores.purs à droite, comme les Colombiens à gauche, et forment le-premier anneau de la Granivorie. Groupe des Colombiens. Deux familles: cinq espéc es: nombre infini de variétés. Nous ayons à choisir entre dix caractères, excellents presque tous, pour désigner convenablement ce groupe. IL y a l'aliment spécial ; la forme du bec, celle de la queue ; l'habitat, les ma- nières-galantes ; la facon de voler , de nourrir les petits, le titre d'amour maternel , le nombre des œufs ,ete.; indépendamment des dénominations consacrées par l'usage. Nous dirons lequel de tous est à notre avis le- meilleur, laissant ensuite, suivant notre habitude , chacun libre d'opter. : Legroupe des Colombiens, sipauvre d'espèces types en France, n'en est pas mois un de ceux qui renferment le plus grand nombre d'espècesdansle reste du globe. C'est mème probablement celui qui pris en masse donne le chiffre de population le plus considérable. Audubon évalua un jour plus d'un milliard un vol-de pigeons voyageurs qui tenait tout un: pan du ciel au- 11. 4 D0 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. dessus de sa tête et dont il eut à se plaindre. Bien qu'aucun nuage ne fût entre le soleil et la terre, les rayons de Pastre étaient complétement éclipsés sur un espace de plusieurs milles carrés. Dans la futaie choisie pour le repos du soir, les chères rompaient sous le poids de la masse qui s’abattait sur leurs bran- ches; le sol blanchissait à vue d’œil sous la neige épaisse du guano. La scène se passait sur les rives de l'Ohio, et cependant l'Amérique n’est pas la véritable patrie du groupe. L'Australie et les îles de la Sonde sont les contrées qui nourrissent le plus grand nombre d'espèces et surtout les plus belles. Le chiffre de ces espèces orientales approche de la centaine. On trouve dans le nombre des pigeons à aigrette, gros comme des poulardes et des tourterelles minuscules de la taille d'un moineau franc, avec des ailes couleur de flamme. Il y en a d’au- tres qui portent des huppes impérieuses, des manteaux de ve- lours gris perle, ocellés de topazes, des coups de poignard dans le sein, etc., toutes espèces charmantes et délicates de chair comme de mœurs et de ton. Caracteres généraux du groupe. Le groupe des Colombiens est ambigu entre les Vélocipèdes et les Sédipèdes, Coureurs et Percheurs. Presque exclusivement frugivores, ces oiseaux cherchent comme les pulvérateurs leur nourriture à terre et surtout dans les plaines; seulement ils grat- tent le sol du bec et non des doigts et préfèrent les bains d'eau courante aux bains de poussière qui font les délices de ceux-ei. Quelques espèces glandivores ont le talent de faire tomber les glands du chêne en frappant ces fruits de leurs ailes et ils se précipitent vivement au bas de l'arbre pour les ramasser. Les Colombiens sont pourvus de longues ailes aiguës propres aux voyages d'outremer, et le besoin de voir du pays est une maladie endémique à l’espèce. Vol sibilant, soutenu, rapide; les pigeons ramiers traversent en moins de dix minutes le détroit de Gibraltar et ne le cèdent en vélocité qu'aux faucons, aux hi- rondelles et aux locomotives. Toutes les espèces se livrent dans SEDIPÉDES.: 51 les airs aux évolutions les plus folâtres et les plus capricieuses, et leur départ quand elles prennent l'essor est accompagné d’un claquement tout spécial produit par la brusque rencontre de leurs ailes qui se dressent verticalement sous la détente de leurs mus- cles. Mais autant leurs allures de vol sont faciles et légères, au- tant sont disgracieuses leurs allures de pied, trop semblables à celles du canard chargé d'un £mbonpoint extrème et pas assez à celles de la perdrix. La plupart des Colombiens perehent et nichent sur les arbres ; une espèce fependant jalouse de marquer le caractère de tran- siion qui est le signe hiérarchique du groupe ne se branche jamais et niche dans les cavités des rochers, voire dans les hauts édifices bâtis par la main de l'homme et notamment dans ceux qu'on appelle colombiers. Ce caractère d'ambiguité est si visible que Cuvier n’a pas hé- sité à ranger les colombes dans son ordre des Gallinacés, dé- plorable erreur du génie dans laquelle n’était pas tombé Linnæus qui avait logé ce groupe dans l'ordre des Percheurs. C'était là en eflet sa véritable place, car si la similitude des appétits grani- vores rapproche un moment les deux races, la différence de leurs opinions en matière amoureuse rétablit entre elles la distance. Le pigeon est pour la douceur, la timidité, l'innocence et la pu- reté.des mœurs, le pendant de l'agneau. Or, on sait que penser de la pureté des mœurs du coq et du dindon. La nature à même crée une longue série d'espèces ambiguës pour rattacher l'une à l'autre ces deux familles, ce qu’elle n’eût pas fait certainement si la distance qui les sépare n’eût pas été aussi considérable. Ces espèces ambiguës que les savants ont décorées du titre de Colombi-gallines sont étrangères à l'Europe. On remarque dans le nombre le Goura couronné des îles de la Sonde , qui peut être considéré comme un des moules les mieux réussis de l'ambiguïté. Le groupe des Colombiens se distingue de tous ceux qui l’en- tourent par une multitude de caractères spéciaux qui fournissent vingt moyens de l'isoler; mais la reine de Cythère en atte- lant autrefois deux colombes à son char, a dit mieux que tous D? ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. les savants la gloire, de da 'tribu etsa dominante passionnelle! Bien inspiré fut en.eflet le choix dela déesse d'amour ;-ear tous les. mâles -de cette famille sont des amoureux de très-hautititre, passionnés et fidèles et.qui se montrent dans la: saison: d'amour les plus: fervents observateurs :des. lois ide la galanterie, Gest merveille, de voir ‘avec iquel luxe de révérences courtoises-et-de courbettes .cérémonieuses! l'amant. de: cette catégoriefaborde:sa maîtresse. Elle:manche, dans-sa. dignité féminine; fière et mas jestueuse , et-comme il,convient à une reine; Jui l'arrête:en:se précipitant tout: à coup au devant de ses pas et conimencepar l'encenser de::trois saluts adorateurs; le front. profondémentiins cliné-vers la:terre et comme pour: baiser la poussière :delses pieds. Suitila série ‘des lévolutions rotatoires des «prrouettés semi-cireulaires, des passes et des contre-passes magnétiques exécutées avec-une persévérance.et une fouguesans égales,.dans le-but de charmer l'idole, .etillustrées de gonflements de, gorge etde redressementsde:col d’un effet indicible.Ges démonstrations éloquentes sont accompagnées; suivant les espèces, de tendres cémissements ou de roucoulements énergiques, ardentes réelar mes d'amour querhythme un frémissement voluptueux des ailes: Le moyen de rester froide au contact d'une passion si.véhémente, si sincère surtout,.et, si chaleureusement, exprimée. Laicoquette essaie bien de retarder sa-défaite par tousles artifices vulgaires, et.elle réussit à prolonger, sa résistance aussi longtemps-qu'al faut pour. décupler le prix.de-ses, concessions; mais Lincendie finit par l'atteindre à la longue, :ethalors.elle, fuit-versles;sau- les, -désireuse qu'on l'y suive, et-là le pacte.des fiançailles: se conclut d’un baiser. Car le-privilége: du baiser, faveur inesti- mable que-la. Nature n'accorde qu'àcun très-petit nombre:d'es- pèces,. est attribut. du. groupe. Le-pacte conjugal suit de près celui des fiançailles ;:1 durera: autant ne la vie;r-de:partoet d'autre on:y-sera fidèles, 2H ai oinos 990611 Fidèle ! Remarquez érduns que j'ai dit tout à l'heure ain - reuæ de très-haut titre,-etnon pas duplus haut titres Crest qu'il y a mieux, .en effet dans le: monde des oiseaux, em fait d'a- mants fidèles, que les colombiens : 1 ya l'hirondelle et'aussi LAN NÉPIPEDÉS). 10 53 l'oiseau:mouchestCiesb que la fidélitéo n'est - pas” toujours, chez les premiersy-à l'abri des orages impétuéux des sens, et que parfois on ‘a vu’ de pauvres tourterelles ; victimes de leur bon cœurçs'attendrir trop vivement au récit destmalheurs d'in- fortunés célibataires et éprouver lebesoin-d'adoucir leurs tour- mentsEtipour ce 1manquémentià !sapfoi, la 7 foule» dés puri- tains; Buffon à leur tête, ont accablé des termes les plus durs la tourtérelle trop sensible) comme-s'ilne fallait pas que‘le'sainte corporation des! sœurs de’charité d'amour eûtaussi là-haut son emblème Donc} ik parait démontré que: la tourterelle:des bois ebilépigeon domestique donnent quelquefois, dans: lecontrat, de légers coupsode bec tandis queles plus mauvaises: langues n'ôntpasiosé encore accuser l'hirondelle de méfaits dé cet ordre. Ewpoutre,:chez les Colombiens,; quand-le mariage est dissousipar un:cas de-force majeure ; par un de ces accidents funestes aux: quels ést exposée l'existence des tribus délicateside éhaïr il est räréquelemveuvage du conjoint sugvivant duréplus-d'une sai: sotSduvent même l'oublienx n'attend pas Ja finlégale de son deuil pourreonvoler en secondes noces ; ‘scandale’ inout dans Fa fa aille des hirondelles /oùle-prentier amour'durc antant que fà vitetow/ ceux qui ss sont juré une fidélité éternelle; n'admettent pasique là mort dégage des serméents. Séparée par le sort de tout cérqu'elle aimait et brisée par l'épreuve, l'hirondelle survivante né songe pas même à éludér la sentence du destin ;-niais disant “adiew pour toujours aux bonheurs de ce: monde où rien ne ui ést-plus; elle s'enveloppeé-dans son deuil et attend) la Hinde ses maux, On alvwdedes Artémises et deces Orphées’inconsolables quitrouvaient que le chagrin ne tuait pas assez vite traverser les monts'et les mers et: faire deux mille lieues/pour revoir une #ois encore le-nid de’ leurs dernières amours et#s'v enférmér ‘pouremourir: Je-demande ‘que latloi qui protège les "bètes en France contienne un article terrible contre les assassins d'hiron- dellesiusd ! $ inoi db 16 | sûp iebasqn soupes !sl$ :1Or;nôus avons déjà dans ces simples défails trois caractères importants , etquinous mettent parfaitement en mesure de for- ger trois dénominateurs scientifiques acceptables pour le groupe 04 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. des Colombiens. Il y a le privilége du baiser, le mode de saluta- tion, l'idiome amoureux spécial. Choisissez pour parrain celui de ces trois attributs qui vous agrécra le plus; mais la liste de ces attributs exclusifs n'est pas close. Le mariage, en effet, n’est pas chez les pigeons comme chez les humains le tombeau de l'amour. Le père et la mère s’y par- tagent avec un dévouement passionné les soins de la famille; mais ce partage édifiant de bonheurs et de peines semble aviver bien plutôt qu'amoindrir l'ardente tendresse des époux. Nos amoureux commencent par se mettre à la bâtisse du nid; le mâle va cueillir sur les arbres voisins les brindilles légères qui doivent servir de matériaux à l'édifice, et les apporte à sa fe- melle, qui fait semblant de les disposer avec art. Gette besogne est trop tôt terminée, par malheur, car ce nid n'est pas tout à fait une merveille architecturale. Il se compose tout simplement de deux ou trois lits de büchettes entrecroisées et posées à plat sur quelque enfourchure de grosse branche, une manière de hit de Camp, sans aucune addition de matelas ni de paillasse.‘Ilest visible que les artistes qui ont exécuté cette œuvre ont été dé= rangés dans le cours de leur travail par plusieurs distractions;'et qu'ils avaient dans ce moment-là tant de choses plus intéres- santes à se dire qu'ils n’ont pas eu le temps de s'occuper des questions de comfort. Mais l'extrème négligence apportée en cette construction est souvent cause de désastres terribles: Que de fois j'ai vu la tempête, dans la saison des nids; emporter comme une plume les deux œufs du ramier et les semer dans l’espace où jeter en bas de l'arbre sa progéniture confondue lSi du moins la catastrophe profitait aux victimes ; mais elle ne pro- fite à personne, pas même, hélas! aux pauvres amoureux de la tribu des prolétaires (genre Lonune) qui s'en vont répétant après les tourterelles et après les ramicrs uxe chaumière et son cœur, ef qui ne craignent pas d'entrer en ménage avec leur affection mutuelle pour tout moblier, parfaitement insoucieux des chutes dangereuses auxquelles leur imprudence expose dans lPavenir les innocents qui naîtront d'eux ! Après la bâtisse du nid, qui ne prend que deux ou 1trois jours, SEDIPEDES. D ayrès la ponte qui n’est que de deux œufs et ne dure guère plus, vient le travail de l’incubation. Dans toutes les tribus du groupe des Colombiens, le père partage avec la mère cette fonction at- tributive de la matermté chez l'immense majorité des espèces, et il se montre si fier de cet honneur que la femelle est souvent obligée de le pousser hors du nid par les épaules pour le forcer de Jui céder sa place. À peine relevé de garde, le couveur pas- sionné s'élève dans les airs par une pointe verticale, puis s’ar- rête aussitôt pour déployer toutes ses voiles et faire le Saint- Esprit. | Avais-je tort de dire que ces habitudes touchantes où ‘se trahit si visiblement la dominante passionnelle du groupe des Colombiens, jointes à l'innocence et à la pureté de leurs mœurs, discordent quelque peu avec ce que nous savons de l’histoire amoureuse des Éperonnés, vile engeance de goujats qui ne com- prennent pas même une jouissance au-delà des brutales satis- factions des appétits charnels, qui n'emploient la plupart du temps que la violence pour triompher de la résistance des poules etn’entrent jamais dans le ménage de celles-ci que pour y mettre tout à sac. J'en suis toujours à me demander, en présence de cette disparate si violente des mœurs et des coutumes des deux groupes, comment il a pu entrer dans l'esprit d'un naturaliste de la taille de Cuvier de faire entrer les pigeons dans son ordre des Gallinacés. Un, nomenciateur ingénieux et fécond en substantifs pittores- ques trouverait certainement matière à dénominations heureuses dans chacun de ces deux caractères charmants de la participa- tion au travail de l'incubation par le mâle et de son vol d'amour, évolution gracieuse par-dessus toutes les autres et qui a évidem- ment inspiré aux analogistes de la religion catholique la poéti- que idée de faire descendre le Saint-Esprit du ciel sous la forme d'une colombe. Mais le groupe des Colombiens offre encore deux autres carac- ières plus simples et moins ambitieux que tous ceux que nous venons de passer en revue, et qui se prètent mieux selon moi aux besoins de notre nomenclature actueile, nomenclature hon- 6 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. grée et prosaïque, basée sur! la comparaison d'éléments miaté- riels. Je veux parler de la À re et.du Rrapése d' ms ou de nutrition des jeunes. !; 211 21 92 91 208 Les Colombiens nepondent que deux afin et) délires: que deux petits de sexe différent.et qui sont probablement destinésà continuer jusqu'à la: fin de leurs jours l'union eontractéerran berceau: Orles-Colombiens étant presque les seuls pari les per: cheurs cheziqui:le-nombre deux soit:le chiffre -invariablé dela ponte, ilestsévidentique le titre générique tiré de;ce caractère exclusif et-constant, et surtout faéile: à-saisir répondii à-toutesilés exigences de: Jaclassilication. Que eeux à quile nom deGolom< biens écorche les oreilles choisissent doncrentre Divviparièns ou Geminipariens qui n'ont mi Y heur de:me:plaire, je l'avoue sin- eèrements: bo ED) Leprocédé d'abecquement not et éd qu doniplifer les Golombiens -est également de nature à fournir à ce-groupe un.excellent nom: séientifique. : Seulement ce procédésest telle ment compliqué qu'il devient d'une:difficulté-extrème d'en tirer une -dénemination: brève -sufisamment: explicatives En-eflet , les pigeons me nourrissent pas leurs petits à la facon des cana- ris-et des :chardonnerets qui dégorgent dans der bec! de eux-ei une bouillie de grain préparée au fond de leursjabot:-Gecrest le procédé d'abecquement primitif: et vulgaire pratique rpar! la masse, et qui jouitimêmé: d'une certaine vogue: chez plusieurs räces d'humains ;:chez: celle des Esquimaux ‘entreautresi; mais les: pigeons font usage! d'une; méthode:complétement linverses C'est-à-dire que ce ne sont plus les parents: :quhintroduisent leur bec! dans eelui-de: leurs nourrissons ; mais, biensles noûr- rissons qui, introduisént leur 1beë dans: da: gorger-der leurs nourricierss.etcomme.hil-est, naturel -que: l'introduction d'a corps étranger : danslargorge «d'uncrpauvre:bête:provoqué immediatement :ehezelle:: le! besoin: -de:1l'expulserfhvioleme meñt,ilsensuit:.que:les: malheuréux-parèntsi-sont} soumis pendant, toute la: durée ‘dé leurs fonctions nourricières:à ne série. de: convulsions, stomacales ; complétement-amalogues à celles qui résultent: chez: nous de lingestion de l’émétique;, les- LEA CSEÉRMIPÉDES. REA 57 quelles -convulsiénstmultipliées ontrprécisément pourceflet de projeter dans-l#hec entr'ouvert durpigeonheau l'aliment préparé dans le sein maternel. Les petits cris plaintifsqui aceompagnent cette ingurgitation laborieuse etila fixation rigoureuse de-déux repasipar jour; tédraientà aire Croire: que Popérationine s'ac- complit pas tout asfait sans douleur) De quel: nomrqualifierice procédé :d'abeequement bizarre’ présque voisin de-l'ablditenrent? cärda bouillie préparée par les pères etiières dans les frorstprie: mers jours qui suivert, l'éclosion! des petitsiest uné-‘substänce blänchätre quasi-liquide,-semblableraurlait dessmammiféresJe nertiens pasrassezi au verbe nfugiterpourlen recommander l'emploi encette ‘citeonstahcerz21#1009 2911910 294 9191098 ? -Faromis de:tenir compte: del forme du beert-de celle de la queue et des ailes, comme de la couleur des picds, pareerque les distmotions à tirer derces caractères nesont(pas suflisanymént accusées) Je n'empêche pérsonhe d'appeler les Colombiens du noi pastoral derrosipèdesiqui est moinsibarbarerà coup sûr ‘que celui d'ingurgitéurs ou dé diovipariéns dohtjem'abuserapastysi j'én'use jamais. Je ferai remarquér-seulement querosipède ens traine àprendrè Ki couléur des pieds:pouwr #ypes comparatif dans le cours de la-sérieztet'jérmetsuis exprimé précédémnrent sur Finsafhandceduiméyen.baot we 96q%iq aisr2 9b oilliuod 5: ‘la queue ést longue letarrondierchez les EvJombiens et se dé- veloppévolontiers pour jouèr Féventaibstandistqu'elle est four - ehue etceouvterchez les: granivores) Olest une dissemblanée ‘qu'il est'bon dé signaler; mais dontil paraît difficile d'extrairede dé- nominhteuridemandéiisq 291 25lq ino2 on 99 sup atib-5-i -1kachoseæüt peut-être été plus facile aveclt forme du‘bec qui offre! un! caractère spécial à latribui! Cetbec votité comme celui desiperdrix: bmäis moins ‘arquér cépendantiet'teñmiré par une légères courbure ta poursighe particulier ‘d'étre affecté d’une boursoufflurer des Inarinestoquil lol défigureséoniplétemient. La preuve quescettèrboursouffluresquit ceuvrertouteta:base du bec, provient d’un viecidersangiet constitie une:lanômalie, c'est que chez eertaines!espèces deopigeohs {chez celles de fabrique hu- maine notamment, cette affection dégénère facilement en véri- tn) - ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. table lèpre et produit des becs monstrueux. D'où l'occasion dont je n'ai pas voulu profiter de forger quelque méchant terme gé- nérique sentant l'amphithéâtre, comme fwnidi ou psorirostre. Siles Colombiens ne mangent guère d'insectes, en revanche ils en nourrissent un grand nombre, et ce malheur leur est com- mun avec les hirondelles et aussi avec les pèchers et générale- ment avec toutes les hètes et avec tous les végétaux qui symbo- lisent les pures.et vives amours, dont le destin en civilisation est de servir de sujet à tous les ragots des portières et de nourrir l'oisiveté de tous les esprits parasites. De là le goût passionné des pigeons pour le sel, spécifique contre la vermine. L'histoire des Colombiens est semblable à celle des prolétaires qui vivent aussi de rien, et nourrissent beaucoup de parasites. Elle apporte un témoignage précieux à l'appui de deux grandes lois que nous avons souvent formulées dans le cours de ces études: «Le granivore est ami de l’homme qui fait venir les grains. — Le principal caractère de Fambigu est d’être utile ou agréable à l'homme. » Le pigeon est en effet le second oiseau, sice n’est le premier, qui se soit rallié à l'homme. Toutes les espèces de ce groupe, même les plus farouches, sont amies de l'homaie au fond. Et de plus elles lui sont à la fois agréables et utiles, peuplant ses colombiers, ses volières et son garde-manger. Le groupe des Colombiens se divise en deux familles ou tri bus, l’une dite des Pigeons, l’autre des Tsurterelles, Roucou- leurs et Gémisseurs. La tribu des Pigeons de France renferme trois espèces premiè- res, dont une, domestiquée, fournit à elle seule une trentaine de variétés, Ces trois espèces s'appellent le Ramier, le Colombin, ic Biset. Ramier. Pigeon sauvage, Pigeon des bois, Pigeon des Tui- leries , Palombe et Palome du Midi; le Palumbus du Journal SEDIPEDES. 59 des Débats ; accus. plur, Palumbos. Moratius Flaccus écrivait Palhumbes. Le Ramier que son nom désigne suffisamment pour percheur est le plus grand de tous les Pigeons d'Europe. Il habite les fo- rêts, pose son nid en plate-forme sur les enfourchures des vieux arbres et fait sa principale nourriture des glands et des faines qu'il avale tout entiers. Il descend dans les plaines, à l'époque de la maturité des vesces et des graines oléagineuses dont il est très-friand comme tous ses congénéres. Les Ramiers se réunissent en bandes nombreuses vers le milieu de septembre et se répandent dans les champs récemment dé- barrassés dé leurs récoltes de chanvre, de millet et de sarra- sin. Une partie de cette population attend la venue des brouil- lards pour émigrer vers l'Afrique, en franchissant les deux chai- nes de montagnes qui enceigneut ka France au Midi. Le plus grand nombre choisit la voie des Pyrénées. La direction des voyageurs est en ce temps-là du levant au couchant et la masse effectue son passage par les gorges ou fontes des environs de Pau. Les Ramiers voyagent volontiers de grand matin et par la brume pour éviter la rencontre de l'épervier et de l’autour. Ils volent en escadrons serrés, rasant parfois le sol. Une autre partie hiverne en nos contrées où elle mange le cœur des colzas et des choux, quand toute autre nourriture lui manque, ce qui arrive naturellement quand “la neige couvre la terre où ces oiseaux ne peuvent pas fouiller à l'instar des Perdrix, des Tétras ct des Lagopèdes. C’est alors qu'on les voit se mettre à la queue des troupeaux de porcs qui s'en vont déter- _rant les glands dans les clairs chènes de l'Est et se poser sur le dos de ces quadrupèdes. Depuis que la culture du colza a pris une tres-grande exten- sion dans la région septentrionale de la France, le Pigeon ra- mier y est devenu un des fléaux de l’agriculture et le cultiva- teur lui fait une guerre impitoyable. La chasse à la palombe que Je décrirai quelque jour, et qui est une des plus savantes ins- titutions de ce genre, a été pendant des siècles pour les habi- tants des Pyrénées-Occidentales l'objet d'une fructucuse in- 60 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. dustrie: Le lieu où se pratique cette chasse ést'ditiine palomniere, ‘La robe du Ramier ‘ést'trop ‘éofinué pour qué j'aie besoin-de la ‘décrire en détail! Dessus/du corps ét dé la tète- gris tcendré poitrine lie de vin, lirgés épaulettes blanches ct éhatoyant à reflet vert doré /passant volontiers au bleu'tendre; ‘orné ‘dun croissant blanc sur chacune ‘de ses faces latérales; pieds rouges | iris jaunâtre! La’ forme du'Ramier-ést des plus élégantes; bson vol est soutenu! ét-rapide, Son! roucoulénient sonore-/'1sa vue aussi perçanté ‘que’celle de l'aigle ‘où ‘du canard:1C'estoun ‘des plus charmants oiseaux de nos climats. 299014 #00 18 98807 Les-plus terribles ennemis du Ramier' sont, après l'hommé/et l'oiseauw/de proie, le corbeau et la martre qui entveulent à°ses œufs, encore plus qu'à ses petits. Quand ‘on considère lenom2 bre prodigiéux d’ennemis ächarnés à la destruction de cette es: pèce si'peu féconde et qui n’a pour tous movens de‘salut que sa vue percante et son'aile rapide, on a quelque perne à’s'expliz quer le-chiffre respectable de: sa population: J'ai oublié de’dire que le Ramier ss né ir is ste APE ne se us ‘une EE par aniloit qH09 ) SUV & DIU 1199 tp 3Dfq L'apprivoisément complet des ramiérs dés Tuileries ait AUOT que l'huümeur farouche et défiante-de l'espèce n’est que te résule tat Haturél des dispositions malveillantes que lui témoigne tot- jéurs Fhomnié. Quand la femme régnera sur’ le réste‘du/fionde comme elle règne au jardin d'amour de Paris! le Raniiér- dépo® sera de grand cœur ses appréhensions légitimes et rivalisera en tout liew derfamiliaritétet de hardiesse avec le moïineau frand! Le-ramierbpris aw nid s'élève facilement: Sa ‘chair est d'un extellent goût; plus substantielle toutefois que -déliéate: Celle dés vieux est très-dure, ce qui devrait les faire respectér/4® CoLommix. Les naturalistes ont donné un nom insignifiant à une éspècevoisme (duRamier, habitant des forêts comihe lui, maïs plus petite detaille et nichant dans les:trous d'arbre - Gette espèce est'celle que les chasseurs des Pyrénées appellentile:Bi- setiet qui se prend à la Pantière danses gorges des Pyrénées orientales. Les habitudes du Colombin: different peu de- celles 111! 17 r0SÉDIPEDES. ’ [ Gi du Ramier ; seulement,il passe de meilleure.heure et je ne crois pas qu'il-hiverne, chez, nous, n'en ayant jamais vu voler un seul dans, la rude saison: Ses vrais quartiers d'hiver sont,les plaines de: Afrique septentrionale depuis l'Égypte jusqu'au Maroc: H revient. desbonne,heure;au printemps dans son pays matal. L'es- pèce moins-répandue en France. que la première habite surtout les-distriets forestiers. de l'Est, Elle: préfère aux fruits: des forêts lesygrains.et les semences des plaines et aussi la rive droite à da rive gauche du Rhin, je: veux dire Ja forêt. Noire aux forêts-des Vosges et des Ardennes. -};411 2 do éula :+Quoïquevoisin du-Ramier;par Je. éohén dé lon Fes habi- tudes et:-les mœurs; le: Colombin s'en sépare. cependant, par plusieurs-earactères. faciles à)saisir,, indépendamment de la-dif- férence dea:taille.:Ainsi!, le ton.général, de Ja robe, du: Colom: bin, est: plus foncé, le rouge, vineux. de la poitrine,est plus accentué; des reflets métalliques, du col jouent l'acier, brûlé plus quéle,cuivre. Enfin l'iris qui est jauntre chez, celui-là est rouge chez.celui-ci.Levol. du-Colombin est aussi soutenu et aussi ras pide que celui du Ramier, mais sa vue est beaucoup moins;per çante}:ce -qui-est Icause_ que, la chasse. du Biset n'exige pas des procédés aussi savants et aussi compliqués: que celle de, Ja! Pa- lome.. On parle,de 2,200 bisets pris dans une seule journée dans une,seule pantière des environs de Saint-Girons Se mais le. fait s’estpassé bien avant la réroluinns 6 of SIIO 9 RIJ2IIGVIE 19 1 Biser. Le, Riga Del dei BuPon, ou " iPigedne de ibtbei Celui-ei passe généralement pour être | la souche:detoutes nos väriétés' domestiques, et cette Opinion me parait) d'autant plus acceptable-que l'espèce-type ne serencontre plus guère à l'état libre en Europe et que la masse semble avoir fait sa soumission définitive à hommes 4600 : 23 À .riamot “LeBiset n'habite plusiles férèts et.tier vit gini des: fruits at arbres rilest-exclusiveméentsarvicole et trouve !saynounr#ure dns nos plaines; ilne/perche-jamais: Cette différence radicale dans d'habitat-et le régime diététique! suffit pour étabhr entre le’ Biset etses congénères une distinction tranchée. On ne 62 ORNITHOLOGIE IPASSIONNELLE. pourrait d’ailleurs confondre cette espèce à la vue qu'avec le Colombin qui est de la même taille et qui porte à peu près le même uniforme ; mais la comparaison du croupion chez les deux espèces ne laisse pas d'occasion à l'erreur. Cette partie du corps toujours cendrée chez le Colombin est d’un blanc pur chez le Biset. Le Pigeon de roche d'ailleurs niche dans les rochers. C'est à l'espèce du pigeon de roche qu'appartiennent tou- tes ces républiques libres de pigeons qui peuplent les édifices publics des eités, ares de triomphe, voûtes de ponts, tours de cathédrales, pigeons de Saint-Marc à Venise, du Pont-Neuf à Paris, ete. Les citovens de ces républiques sont à coup sùr, comme les ramiers des Tuileries, les plus heureux de leur race;: cumulant tous les avantages de la liberté absolue, avec la sécu- rité que leur assure le partage du domicile de l'homme. C'est pour cela que j'approuve fort la sagesse des bisets de colombiers, qui se sont donnés à l'homme pour n'avoir plus qu'un maître et qu'un seul tribut à payer. Ainsi a fait le coq qui ne s’en est pas trouvé plus mal, à ce que j'imagine et si j'en juge d’après l'ac- croissement de la taille chez les individus et le chiffre énorme des légions de l’espèce. Ainsi conseillerai-je toujours d'agir aux espèces innocentes trop faibles pour se défendre, et vouées par leur innocence même à l’universelle boucherie. Je sais encore aujourd'hui en France quelques pauvres localités, falaises de l'Océan, roches de Thébaïdes intérieures où vivent à l'état libre, c’est-à-dire sous la menace perpétuelle de l’autour et du bra- connier, les maigres:et rares débris de la race du biset-type. Quand je vois les périls qui planent sur la tête de ces derniers amants d’une liberté illusoire, et quand je compare leur sort à celui de leurs frères captifs, je n'ose plus m'attendrir sur l'infor- tune de ceux-ci ni réclamer pour eux la jouissance absolue de leurs droits naturels. Tristes droits naturels que ceux d’être traqués, forcés, plumés vifs et croqués par tous les assassins de la terre et du ciel. La liberté, hélas ! n'est que le pain des forts. C'est toujours une question historique, immense et non en= core résolue, de savoir à laquelle des deux races du faucon ou de SÉDIPÈDES. 63 la colombe revient l'insigne honneur d'avoir donné le premier exemple de ralliement volontaire à l'homme. J'opine aujourd'hui plus que jamais pour la version qui attribue cette gloire à la race de l'oiseau de proie, ayant été depuis peu fortifié dans mon opi- nion par une table d'un savoir prodigieux qui m'a narré, dans ses moindres détails, histoire de la double conquête. Il appert de ces confidences que non-seulement le faucon s’est rallié à l'homme avant le pigeon de roche, mais que c’est lui qui a donné cette espèce et les autres volailles à l'homme, un peu après que le chien lui eut donné le mouton, le bœuf et le cheval. Indépendamment du témoignage des tables, il y a sur cette question d'antériorité de ralliement, le témoignage de la raison humaine qui aflirme que le pigeon granivore n’a dû venir à son maitre qu'après que celui-ci eut inventé la charrue et l'art de cultiver les grains. Or l'humanité à vécu de la chasse qui est institution pivotale de Sauvagerie, avant de vivre de la moisson et du troupeau qui sont institutions de plein Patriarcat. L'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres tout entière m'aflirmerait le contraire que je ne-tiendrais pas le moindre compte de son opinion. Quant à l’époque de la conclusion du pacte d'amitié entre le “biset ct l'homme, il y a des dates authentiques. Ainsi l'Orient d'où nous vient toute lumière, constate en ses plus vieux bou- quins, unanimes par hasard sur ce chef, l'existence du pigeon domestique, et je ne veux pas remonter plus haut que le déluge et le bonhomme Noë pour préciser le jour de la signature du contrat. Toutes les personnes versées dans la connaissance des Saintes Écritures savent, en effet, que l'illustre navigateur, fati- gué de sa longue croisière sur la cime des monts arméniens et craignant pour ses passagers une disette de vivres, fit sortir de l'arche deux oiseaux, le corbeau et le biset, pour voir un peu ce qui se passait au dehors et le lui rapporter. Et il est dit dans le _texte que le corbeau ne revient pas, tandis que le pigeon fidèle rentre dans l'arche, tenant dans son bec un rameau d’olivier, pour dire que le printemps s'avance et que le courroux de Jehova commence à se calmer. Je crois fermement que de ce . 64 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. moment-là, l'alliance fut entre le biset.et, l'homme, à preuve que peu de temps après, l’homme saisit toutes, les ogcasions de té- moigner au biset la haute considération. dont il. l'honore, l'of- frant en sacrifice à Dieu ,.comme la plus agréable de-toutes, les victimes... Un peu plus tard encore, les amoureux; des rives de l'Euphrate ou d’ailleurs inventent.la poste aux pigeons. Enfin après l'histoire sainte, un de. nos plus, vieux. récits, est Fépo- pée d'Homère. Or le pigeon domestique se trouve dans l'Odyssée aussi bien que;dans la Bible, où le coq est encore complétement inconnu. Le coq paraît être contemporain de Salomon. Mais,je m'aperçois.que ces détails inutiles empiètent sur l'histoire spé- ciale du. biset, qui demande un, volume, et;il,y.a .dix; excel lentes raisons pour que je n'entreprenne pas ce travail..La pre- mière, c'est qu’il a été fait, .et beaucoup mieux:que je ne.saurais le faire, par deux.savants de haut mérite, MM. Corbié et Boitard.. Je demande seulement la permission de dire le nom.des prin- cipales espèces .de pigeons de volière, pour faire remarquer. à travers les modifications du type-primitif, la persistance du ca- ractère normal de lambiguité. qui est le titre nes: du groupe. des Colombiens. | Ces principales variétés dérivant du biset, portent qe noms qui suivent : Romain, batave, polonais, souabe, suisse, turc, patu, paon, culbuteur, plongeur, tourneur, frisé; capucin, carme, nonnain, grosse-gorge, cravate, coquille, mondain , cavalier, messager, hirondelle, ete, ete. La parenté qui est entre les Cou- reurs et les Pigeons, parenté plus ou moins. marquée dans tou- tes ces variétés, apparait surtout dans les trois dites Paon, patue, à cravate. Le Pigeon à cravate a évidemment. emprunté, sa parure de col au tétras à fraise d'Amérique; le Patu la fourrure dont ses, tarses, sont garnis, aux pieds fourrés du Lagopède. Le Pigeon-paon, ainsi nommé parce qu'il fait la roue, n’est qu'un plagiaire du dinde et de l'oiseau de, Junon. La chair rouge et substantielle de tous les pigeons tient de celle du Lagopède. Je ne puis clore cet alinéa, sans protester de toute la puis- sance de mes convictions contre une des grandes iniquités poli- SÉDIPÉDES. 65 tiques ét sociales de cette époque. Je veux parler de la position inacceptable faité äux pigeons fuyards de France par le code civil'et de là persécution administrative qui s'acharné sur eux. Cette protestation s'adresse spécialement à messieurs les préfets, arbitres souverains du sort des pauvres volatiles. * Chose pénible à penser, plus triste encore à dire, le pigeon de colombier, lé plus innocent peut-être de tous les voiliers de l'air, ‘est le seul à qui la loi francaise ait songé à faire expier le crime de ses sympathies politiques. Parce que le droit de possé- der-un’colombier était jadis privilége de noble, le peuple des campagnes , égaré par ses haines pour un passé odieux, a voulu à toute force voir dans l'habitant de la tour féodale un complice etun partisan du régime foudroyé dans la nuit du 4 août ; comme si Pinfortuné biset avait jamais été libre d'émettre une opinion quelconque et de choisir entre ses bourreaux; et ils l'ont pour- suivi à outrance, mettant sa tête à prix. Bien des institutions démolies par la tempête révolutionnaire de la fin du siècle der- nier se sont relevées depuis; bien des erreurs se sont amnis- tiées de part et d'autre; bien des rancunes d'ordre se sont cal- mées de noblesse à roture ; le colombier tout seul attend et ne voit pas venir lé jour de la réparation. D'honorables magistrats, de Savants jurisconsultes, des orateurs puissants se sont levés durant cet intervalle de soixante ans et plus pour prendre la défense’de la perdrix, de la bécasse, du faisan, du chevreuil, pour essayer de soustraire à l’extermination imminente une foule de gibiers des boïs et de la plaine, gibiers royaux ou non; mais aucune voix éloquente n'a osé se faire entendre en faveur du pigéon, victime de l'ignorance administrative autant que des préjugés. Nos annales parlementaires conservent avec amour le souvenir de cette discussion mémorable de la loi du 3 mai, où l'on vit une majorité d'hommes graves , emportée par un louable excès de sollicitude à l'égard de la caille, retirer hardiment cet oiseau vagabond de la catégorie des oïseaux de passage pour le sauver des périls attachés à ce titre. Mais pourquoi, hélas ! pendant que nos législateurs étaient en si belle veine de sagesse, l'idée ne leur est-elle pas venue de réviser Ja législation draco- LEA 5 66 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. nienne qui pèse sur le pigeon fuyard, sur le pigeon fuvard qui orne plus fréquemment que la caïile la table du pauvre monde et qui fournit à la culture de l'oignon et à celle du chanvre un auxiliaire si précieux. Funeste effet des passions politiques et des réactions aveugles de l'esprit de parti. C'était le travailleur des champs, c'était la production du sol que les réformateurs de 1783 prétendaient protéger d'une facon toute spéciale, en vouant le biset à l’extermination et à la détention perpétuelle, et c’est précisément sur la tête de l’agriculteur et sur celle de ses fils qu'est retombé le sang de l’innocent. Le colombier seigneurial versait à la consommation du peuple avant 4783 un tribut annuel de quatre millions de pigeonneaux dont la majeure partie servait à varier l'ordinaire du ménage des champs. Le ménage des champs a dû faire son deuil du pâté de pigeon et de la crapaudine. Je ne sais plus à combien de mil- liers de tonnes s'élevait le produit de la colombine ; aujourd’hui ce produit est réduit à zéro et la culture maraichère cherche en vain à le remplacer, et c'est ainsi que deux sources fécondes de prospérité agricole ont été taries pour la France. J’estime que le peuple français a sacrifié assez longtemps à des haines puériles pour écouter enfin la voix de la raison. Or voici ce que la raison lui souffle par ma bouche : Les pigeons ne grattent pas la terre avec leurs ongles comme les poules; ils ne la piochent pas avec leurs becs comme les cor- beaux et les pies; et les seuls grains qu'ils puissent ramasser sur le sol sont ceux qui sont tombés de l’épi ou de la silique par une cause indépendante de leur volonté ou ceux que la herse a oublié d’ensevelir et qui ont mille chances pour une de ne pas germer. Par conséquent les pigeons ne peuvent en aucun temps faire de tort aux semailles. Par conséquent les arrêtés de préfecture qui condamnent les pigeons à rester prisonniers chez eux depuis le 47 mars jusqu’au 45 avril au printemps , et depuis le 4 oc- tobre jusqu'au 45 novembre à l'automne, sont des arrêtés mal conçus qui doivent être rapportés ; attendu qu'il est de notoriété publique que le pigeon de colombier qui a besoin d’être libre SÉDIPÉDES. 67 pour aimer, abandonne ses œufs et ses petits quand on le tient captif. La seule époque où les pigeons puissent occasionner quelques dégâts est celle qui avoisine la moisson, dans les pays surtout où l’on cultive l'escourgeon, les pois et la vesce. Qu'on ferme les colombiers pendant une quinzaine de jours au mois d'août : c'est tout ce qu'exige l'intérêt de la chose publique. Que si le destin qui pousse on ne sait où les livres faisait tom- ber celui-ci entre les mains d’un administrateur éclairé et ami de son pays, qu'il médite ce passage et conforme ses actes aux principes y déduits, et il recueillera beaucoup de gloire et de bénedictions. La chair des pigeonneaux vaut mieux en fout pays que sa réputation ; elle est succulente, sapide, favorable à l'âge mur. L’Autour et le Faucon qui sont de fines bouches en font le plus grand cas. On sait d’ailleurs que le pigeon se plait dans la so- ciété des petits pois après sa mort comme pendant sa vie, qu'il se prête à tous les caprices de l'imagination culinaire, qu'il fait bien en pâté, à la daube, à la crapaudine, qu'il est la proyidence des ménages modestes au printemps. Est-il donc besoin de plus de titres pour mériter la reconnaissance du peuple et les égards de l'administration ! On peut citer comme preuve de l'amour maternel qui anime cette famille un fait fort remarquable en raison de sa rareté et que je n'ai encore retrouvé que chez les hirondelles. C’est que les pigeonneaux nourris par leurs parents sont plus gras qu'ils ne le seront à aucune autre époque de leur vie. Le fait est universe] et notoire. Dans certaines contrées des États-Unis d'Amérique, Ohio, Kertucky, Tennessée, etc., les ménagères font provision de graisse de pigeonneaux sauvages qu’elles emploient en guise de saindoux et de beurre pour accon:moder leurs ragoüts. Ces pigeon- neaux se fuent par centaines de milles en quinze jours. La tue- rie a lieu au mois de mai. Je renvoie de nouveau pour les détails de ces boucheries atroces aux récits d'Audubon qui nous montre des fermiers accourant au Mesting-Place de vingt lieues à la ronde, munis de leurs énormes charriots pour emporter le gros 68 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. des morts et suivis de leurs troupeaux de porcs pour faire ventre des isolés. Famille des Tourterelles. La charmante et poétique famille des Tourterelles n’est repré- sentée en France que par deux seules espèces, l’une sauvage, l’autre privée. Celle-ci a donné naissance à une variété. Les Tourterelles sont comme les Pigeous, des oiseaux voya- geurs munis de longues ailes. Leur arrivée dans nos forêts du Nord n’a guère lieu avant le premier mai; elles répartent pour l'Afrique dès le milieu d'août; pas une n’hiverne en France. Les Tourterelles sont essentiellement sinon exclusivement granivores, et vivent dans nos champs. Les vesces, la navette, le colza, le chènevis, sont leurs nourritures favorites. Leurs mœurs familiales et conjugales sont les mêmes que celles des Ramiers. Elles ni- chent comme ceux-ci dans les bois, et ne déploient pas plus de science architecturale dans la construction de leur demeure. Seulement elles ont pris l'excellente habitude de la placer sur des buissons touflus à quelques pieds de terre, et non plus'sur des arbres; ce qui garantit leur famille contre de nombreux sinistres. Elles ne font qu'une ponte par an. Les Tourterelles passent isolément et de jour, l'extrème vigueur de leurs aïles leur permettant de braver l’attaque de l'oiseau de proie. On ne les voit jamais réunies en grandes bandes dans Pintérieur des terres, mais seulement dans le voisinage des côtes maritimes, au moment de l’arrivée ou du départ. J'ai remarqué autrefois en Afrique que ces oiseaux, si farouches et si difficiles à appro- cher dans nos plaines, déposaient soudainement leur défiance en posant le pied-sur:le sol algérien, où l’indigène d'alors leur permettait de circuler librement parmi ses tribus et ses willes, sans attenter jamais à leur liberté nià leur existence. J'ai grand’- peur que cet état de choses n'ait: changé au détriment de l'in- nocente espèce, depuis que la civilisation et le fusil de chasse ont envahi le domaine des forbans. : Le vol des Tourterelles semble plus facile encore et plus rapide $ SEDIPÉDES. 69 que celui des Ramiers; la forme de leur corps est plus svelte et plus élégante, plus féminine, pour tout dire. Leur queue s'épa- nouit en gracieux éventail toutes les fois qu'elles se posent, soit sur un rameau , soit à terre. Leur gémissement, plus tendre que le roucoulement des Pigeons , ressemble bien plus aussi à une supplique d'amour. La Tourterelle est une suave créature dans toute l’acception du terme, et le nom de Tourtour que lui ont donné les Romains est une des plus heureuses et des plus ex- pressives onomatopées de la langue zoologique. TourrereLze. La Tourterelledes bois, notre unique espèce in- digène, habite tousles pays de France où il y a un bosquet pour lui-offrir un. asile, et un ruisseau d’eau pure pour la désaltérer. Elle aime par-dessus tout les vallées ombreuses et fraiches, voi- sines des prairies et des champs cultivés. Elle est friande de tou- tes les graines oléagineuses, de celles de la navette d'été notam- ment; et l’abus de cette nourriture finit par lui donner vers le mois de septembre un excès d'embonpoint qui lui permet de riva- liser avec la caille pour la délicatesse de la chair. La jeune tour- terelle prise;au nid s'élève facilement en cage et se marie sans trop de répugnance avec la tourterelle à colliér, voire avec les petites variétés de pigeon domestique. Cette union est même féconde ; seulement les métis qui en naissent sont stériles. Tou- tes les tourterelles nourries en cage, et auxquelles on ne ménage pas assez le chènevis ou le colza, sont sujettes à périr d'indi- gestion et d'obésité. TourreRELLE À coLier. Cette espèce, qui est pour le vul- gaire le type de la famille, est originaire de la Syrie et de l'Egypte, d'où elle a été importée en Europe à une époque déjà assez ancienne pour qu'il soit difficile de la bien préciser. Elle est remarquable par sa charmante couleur isabelle ou café au lait et par un joli collier noir qui tranche délicatement sur le fond de son manteau. Je ne connais pas dans le monde une se- conde créature aussi innocente de mœurs, aussi élégante de forme , aussi douce de regard, aussi caressante pour sa mai- tresse que la tourterelle isabelle. Elle a pour pendant la gazelle 2 70 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. dans le règne mammifère. On entend souvent des gens froids, parfaitement insensibles aux harmonies de la nature, se plaindre de la monotonie des soupirs de la tourterelle, comme si c'était pour eux que là tourterelle soupirait. Ce reproche de monotonie est souverainement absurde , attendu que c’est le propre des vrais amoureux de répéter toujours la même note, et le propre des vraies amoureuses d'adorer cette même note et d’en être enchan- tées. En harmonie, tous les séristères d'amour sont peuplés de tourterelles comme les Tuileries de ramiers: et il est fait à tou- tes ces espèces innocentes une destinée proportionnelle à leurs attractions. En vertu du principe de zoologie passionnelle qui veut que toute espèce susceptible d’être domestiquée débute par virer au blanc, couleur d’unitéisme, la tourterelle isabelle produit en cage une variété blanche. Ainsi la poule blanche et la colombe blanche sont les premières modifications de leurs types pri- mitifs. La famille des Tourterelles qui ne fournit à la France qu'une espèce indigène est comme celle des pigeons, très-riche en variétés naturelles sur d'autres points du globe. On v trouve des tourterelles lilliputiennes à queue fourchue, d’autres à queue pointue, d’autres qui ne quittent jamais la plaine. Il est proba- ble que la plupart finiront quelque jour par produire et s’accli- mater parmi nous. . La coutume d’élever des tourterelles en cage n’est nulle part plus répandue que dans les pays d'Outre-Rhin. On a cru très- longtemps que cette passion du peuple allemand pour ce tou- chant emblème de tendresse maternelle et de fidélité conjugale reposait sur l'accord des sympathies du cœur. Mais 1l à bien fallu depuis revenir de ces illusions poétiques et restituer à la triste coutume son mobile mesquin. Ce mobile, c’est la croyance que les Tourterelles sont plus prédisposées que l’homme aux affections nerveuses et notamment au mal caduc, et que ce mal tombe sur elles, quand il entre dans un logis, au lieu de s'attaquer aux maitres. C'est-à-dire que l’on ne se charge de l'entretien des malheureuses bêtes que pour s’en faire des bou- - SÉDIPEDES. 71 cliers contre la maladie et qu'on ne les chérit que tout juste assez pour les mettre souffrir à sa place. Combien d’autres es- pèces délicates et nerveuses, telles que le Canari, le chardon- neret . le bouvreuil , n’ont dû leur popularité qu'à des préjugés dé même ordre ! Et ailleurs aussi que d’Abigails condamnées au supplice de la tourterelle par des mèrès sans pudeur !.…. Exotiques. 116633 è J'ai dit que les Frugivores purs habitaient généralement en Asie, le grand Archipel oriental ; en Afrique, la Nubie et l'Abys- sinie ; en Amérique, les rives de l’'Orénoque ou de l'Amazone. Les Frügivores asiatiques, compatriotes des oiseaux de paradis, appartiennént presque tous à la populeuse tribu des Colombiens: Beaucoup d'arbres et de fruits du pays des épices ont leur Fru- givore spécial, et il y a le colombien du poivre comme celui du giroflier.…. Les Frugivores d'Afrique S'appellent PAytotomes , nom qui veut dire érancheurs de tiges, de la fächeuse habitude qu'ont ces oiseaux de faucher les moïssons en vert, habitude qui leur met à dos tous les cultivateurs. Je sais trop peu de chose sur les mœurs de cette famille inconnue, pour hasarder uné théorie relative aux caractères de parenté qui doivent exister entre sés divers’ membres et les Colombiens, mais on m'apprendrait demain que le nid des Phytotomes est aussi mal bâti que célui des pigeons, que leur ponte est de deux œufs et que le mâle et la femelle se partagent les fonctions de la ma- ternité, que la nouvelle ne me surprendrait aucunement. De même, je ne connais guère plus les mœurs du coq de roche des rives de l’'Amazone, mais j'ai suffisamment vu la bête et la façon dont.elle se coiffe et dont elle porte la queue pour affirmer à mes risques et périls qu'elle est proche parente du pigeon , parce qu'il y à de ces caractères de parenté physionomique qui ne -doivent pas tromper. C’est ainsi, par exemple, que si vous prenez un pigeon blanc pätu de la plus belle espèce, et que vous le placiez en regard du Lagopède, vos yeux à une très-petite;distance confondront les 72 ORNITHOLOGIE’ PASSIONNELLE. deux moules, et que si vous remontez ensuite de cette compa- raison des traits du visage à celle des mœurs des deux espèces, vous serez émerveillé de la similitude morale comme de l’autre, L'observation vous fera reconnaître , en effet, dans le Lagopède, le plus pur et le plus herbivore de tous les pulvérateurs, une espèce où le mäle dans la saison d'amour roucoule et fait le Saint-Esprit comme un pigeon ramier. Cependant le pigeon blanc patu est un produit de l’art, et sous prétexte que ce moule n'existe pas dans la nature, plu- sieurs pourraient être tentés de nier la valeur du rapproche- ment; mais cette négation n'accuserait de leur part qu'un esprit très-étroit et peu judicieux ; car ces modifications des types pri- mitifs obtenues par la domestication sont les signes qui indiquent les vraies aflinités génériques, à l'instar de la monstruosité. Ce qu'on nomme monstruosité dans la langue vulgaire veut dire en langage scientifique temps d'arrêt dans le développement ou fixité anormale attribuée par un accident quelconque à un ca- ractère essentiellement #ransitoire.: Quand l'homme s'empare de cette anomalie et la régularise, quand il{l’incarné dans un type nouveau, l'anomalie change de nom et la monstruosité devient une variété. Ainsi la rose double, la pêche de‘ Montreuil,1le froment et le pigeon patu ont été dés monstruosités avant de s'appeler des conquêtes précieuses de l'homme. J'ai déjà dit que ce privilège de créer des variétés était la part de puissance créatrice que Dieu avait dévolue à l'homme et que l'Art dont'on parle tant et dont on sait si peu, était l’exercice même de cette puissance. Je reviens volontiers à cette intéressante question de l'Esthétique que je serais heureux de faire comprendré ‘aux malheureux artistes qui ignorent la plupart du temps ce qu'ils sont, ce qu'ils font, ee qu'ils veulent, et que leur ignorance äbso- lue du but et de‘fa’mission de l’art entraîne trop souvent dans une fâcheuse voie. L'Art est le domaine de la création hu- maine; les artistes sont les gens qui créent, sont les collabo- rateurs de Dieu. L'art ne consiste pas à imiter la nature, comme aucuns le supposent, mais à faire mieux qu'elle et à corriger ses épreuves. Sa mission est d’incarner l'idéal ‘dont il SEDIPEDES. 73 a prescience et: de’stimuler:la soif de la félicité et de la richesse universelle pour pousser les masses en ayant. Peut-être les des- tinées de l’art s’accompliraient-elles plus facilement, si elles étaient ainsi généralement comprises ; peut-être verrait-on moins de grands artistes renier la cause du progrès pour se faire les plats courtisans de Mécène. | Maintenant, puisque la comparaison du pigeon blanc et. du Lagopède a si bien réussi à vous indiquer d'où le groupe des Colombiens venait, vous ne pouvez faire mieux que d'employer le même procédé pour savoir où il va. Faites donc la contre- partie de l'expérience, cherchez dans la série des moules nafu- rels des familles voisines celui qui ressemble.le plus à la variété du pigeon domestique la plus éloignée du type primitif, par exemple au petit pigeon blanc à fraise rebiflée et à queue re- troussée. Vous avez trouvé le Coq de roche de l'Amérique équa- toriale, Alors concluez hardiment de ce cas de ressemblance for- tuit et isolé des deux individus comparés, à la contiguité certaine des deux familles dont ils font partie. Je ne suis pas.sûr que le Coq de roche soit aussi mauvais ar- chitecte que, le pigeon de roche, ni qu’il ponde deux œufs, ni qu'il soit complétement frugivore comme notre biset domestique; mais je ne, crois pas me hasarder beaucoup en affirmant qu'il en doit être ainsi..….D'autant mieux que j'ai absolument besoin du Coq de roche pour graduer la transition de la Frugivorie à Ja Granivorie ; la tribu des Cogqs de roche donnant la main à celle des Manakins qui confine à celle des Jaseurs de Bohême qui sont les cousins des Gros-becs et des Becs-croisés. J'entends à ce.seul nom de Jaseur, prononcé en tel lieu, tout l'Institut fré- mir, alarmé de mon audace; car il avait plu jusqu'à ce jour à la science, on ne sait, pas pourquoi, de colloquer le Jaseur qui est upe.espèce innocente et gazouillante vivant principalement de bourgeons et de semences, parmi les geais. et. les pies-grièches qui.sont des espèces féroces , amies de la chair vive. Or les sa- vants qui n'ignorent pas que leurs classifications officielles sont des châteaux. de cartes, ont toujours peur qu'on ne soufle dessus. 14 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Il est à remarquer que la nature, dans son amour des nuances et des transitions insensibles, a refusé à toutes les espèces de la frugivorie là plupaït des-dons artistiques , le génie dé la musi- que et celui de l'architecture entre autres. La nature, toutefois, à fait beaucoup pour elles, leur donnant le baiser en place de ces dons, et bien avisé serait: celui qui soutiendrait qu'elles ont perdu au change. On sait que le cumul des deux dons du bai- ser et du chant, privilége quasi-excelusif du genre homme, n'a été concédé dans le règne tout entier des oiseaux qu'à deux où trois espèces dites inséparables. Et encore ces espèces jasent- elles plutôt qu’elles ne chantent dans la vraie acception du mot: Un joli problème à résoudre est celui de savoir si le baiser est dans les dons du Coq de roche comme dans ceux du pigeon biset. Quel triomphe pour l’analogie passionnelle, s’il en était ainsi ! DEUXIÈME SÉRIE. Granivorie : Quatre groupes; 34 cspéces. C'est ici seulement que commence l’ordre des vrais artistes, l’ordre des chanteurs et des architectes qui comprend trois séries. La première de ces trois séries, dite des Granivores, débute par le Jaseur et finit par l’Alouette. Elle est bornée au levant par la tribu exotique des Manakins, au couchant par celle des Far- louses ; elle compte 34 espèces. Caractères généraux. Le Granivore est ami de l’homme... Le lecteur a entendu assez de fois répéter cette phrase pour la savoir par cœur; je ne l'a- chève pas. Elle peint en ces six mots les mœurs de la série, une série charmante, une série féminine qui, dans la classification mélodique embrasse toute la partie du soprano et moitié de celle du contralto. Là se trouvent, en effet, les espèces qui se plaisent le plus dans la société de l'homme, qui se résignent le plus facile- ment à la captivité, qui peuplent le plus abondamment nos vo- SEDIPEDES. 19 lières et remplissent nos demeures, nos jardins et nos plaines de plus de gaité et de chants. C’est la série des êtres jolis, gen- tils, sociables, des êtres causeurs par excellence et éminemment häbiles aux travaux délicats. L'esprit de fraternité qui les anime est si grand qu'ils donnent dans tous les pièges à l'appel d’un des leurs et que l’homme à pu fonder une industrie fructueuse sur l'exploitation inhumaine de ces instincts si purs. La supério- rité du sexe féminin sur l’autre y est acceptée comme axiome et he s'y discute pas; ce qui du reste est une preuve de grañd bon sens de la part de ces espèces, attendu que chez toutes, c'est la femelle qui construit le nid à elle seule et que chez la plupart, elle chante quand elle veut. On ne voit pas trop à ce compte-là sur quel privilége de droit divin pourrait s'appuyer le mâle, si par hasard la folle idée le prenait de revendiquer l'autorité su- prème. Heureusement l'amour joue un rôle très-important dans les espèces qui peuplent ce milieu harmonique pour qu'un pareil germe de discorde puisse s'y développer. Le règne du mâle, je l'ai déjà dit, n’est logique et fatal que dans les milieux subver- sifs, voués à l'oppression, au carnage et aux déchirements, aux- quels cas il est naturel que le plus fort fasse usage de sa force. Mais nous ne sommes plus dans cette galère. Ici tout vire à la Uouceur, à l'urbanité, à la grâce comme en tous lieux où le sexe féminin domine. Le mâle y prend les allures de la femelle et as- pire mème à la remplacer dans la plupart des fonctions de la ma- ternité. Il l’aide à faire son nid, autant que ses faibles moyens le lui permettent ; il la nourrit pendant qu’elle couve. La bataille n'a plus lieu dans cette série modèle que pour des questions de rivalité amoureuse ou de préséance artistique. Je préviens tous les civilisés qui aspirent à quitter leur vallée de larmes pour les champs d'Harmonie qu'ils auront beaucoup à profiter de l’étude des mœurs du Bouvreuil, dé l’Alouette et du Chardonneret. Voilà pour le côté moral de la Granivorie. Passons à l'examen de ses caractères physiques. Toutes les espèces de cette série sont armées d’un bec de forme conique, plus ou moins eflilé ou bombé, de consistance cornée, dur, luisant, solide et muni de mandibules tranchantes. 76 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. D'où les noms de Controstres et de Crassirostres que leur attri- buent certaines nomenclatures. Presque toutes ont la queue fourchue, l'aile courte et arron- die, le vol bruyant et saccadé , indécis et peu soutenu. L’ongle du pouce, dont la dimension s’en va toujours croissant, du pre- mier anneau de la série à sa limite extrême, finit par atteindre chez l’Alouette des proportions exagérées qui font perdre à l’oi- seau la faculté de percher. La plupart des espèces granivores sont pourvues de la poche du jabot, cette antichambre de l’estomac véritable qui se re- trouve dans la bâtisse de tous les pulvérateurs. Elles peuvent être conséquemment aussi bien que ces derniers assimilées aux quadrupèdes ruminants. Quelques-unes suppléent à l’absence des dents par l’'ingestion d’une certaine quantité de gravier fin qui fait l'office des molaires, et qui aide à la trituration des ali- ments par le frottement d'iceux dans l'intérieur du gésier, L'immense majorité fait ses nids sur les arbres. Beaucoup de ces édifices sont des merveilles d'art. Les granivores, en géné- ral, pondent quatre à cinq œufs et couvent trois fois par an; fa les couvées du printemps sont toujours plus Pros- pères que celles de l'été. Chez les espèces les plus amies des grains et des semences et les moins portées vers l’insecte, les parents nourrissent leurs petits en leur dégorgeant dans le bec une bouillie préparée dans le laboratoire du jabot. Cette pratique est naturellement hors de mode dans les familles qui nourrissent leur progéniture avec des larves d'insectes, des hannetons, des cigales , et qui se con- tentent de lui apporter la nourriture toute crue au bout du bec, ayant soin seulement de débarrasser le Coléoptère de ses ailes et de ses élytres. La méthode de transvasement de nourriture dite dégorgement n’est.pas seulement employée comme procédé d'abecquement de la jeune famille : c'est de plus une FAN de courtoisie galante à l'usage des amoureux. Quelques espèces ne sont que de passage en France comme le Bec croisé, le Jaseur et le Pinson d’Ardenne qui nichent plus haut dans le Nord, et leur passage même n’a rien de régulier. SEDIPÉDES. 77 D'autres, mais en fort petit nombre , comme l'Ortolan et le Proyer, désertent nos climats vers l’arrière-saison. La masse est vagabonde : je ne connais de vrais sédentaires dans la série que le Moineau franc et le Canari, ayant la preuve que le Fri- quet se permet des absences. x A s’en tenir à ce simple aperçu, il y aurait bien loin de la Tourterelle des bois, dernière représentante du groupe am- bigu des Colombiens au Jaseur, premier moule de la gfäni- vorie, auquel la pauvreté de la Faune francaise Ja force di “doi - nér la main. Tourterelle : bec mou , ailes pointues, vol rapide, qüêèue épanouie, pouce court, diovipare, études musicales et architecturales plus que médiocres. Ce signalement, rapproché de celui qui vient d’être donné du granivore, offre, pour ainsi dire , autant de différences nettement accusées que de traits. Ce n’est pas moi qui nierai jamais l’immensité de la distance qui sépare les deux familles, moi qui ai tant de peine à la réduire, et qui, pour combler la Vénñé existant entre ces deux térmes, ai dû recourir à l'intervention de toute une série exotique. Et cependant ÿ affirme que la plupart de ces différences organiques qui nous frappent de prime abord dans la comparaison des es+ pèces ci-dessus ne sont qu'à la surface, et qu'il est facile de re- trouver sous la disparité extérieure les liens secrets de parenté qui rattachent le Gros-bec au Colombien. Et premièrement cette parenté se révèle par la communauté de trois caractères d’une importance extrème : communauté de sympathies pour la nourriture végétale, identité de conformation de l'appareil digestif, similitude des procédés de nutrition et d’é- ducation des petits. On ne se ressemble pas par d'aussi grands côtés sans avoir d'autre part des liens d’ affinité supérieure comme le respect de la femelle et l'amour des enfants. Et il faut bien que la classification tienne compte de ces affinités morales; mais je n’en ai pas mème besoin ici pour faire la preuve dela parenté en litige, et je m'en réfère pour cela au simple témoignage des af- finités organiques. Il n’y a qu'à consulter un de ces signes ré- vélateurs des généalogies secrètes dont tout à l'heure encore je 18 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. faisais valoir la puissance; il n’y a qu'à étudier la modification que Ja main de l’homme a fait subir au bec du pigeon primitif pour savoir à quoi s’en tenir sur le nom des tenants et des abou- tissants d'icelui. Or, avez-vous remarqué chez toutes nos variétés de Pigeons domestiques, à partir du type le plus sauvage jusqu'au type le plus modifié , cette singulière etsignificative tendance du bec qui va se raccoureissant toujours et perdant sa courbure , mais rega- gnant en largeur, en hauteur et en solidité ce qu'il perd en lon- gueur. Là est l'indication de la voie de transition tracée par la nature. Le bec est l'aiguille de la boussole des aflinités généri- ques. Dès qu'il y a de ces becs de Pigeons privés qui, à force de rémaniements, sont devenus triangulaires et robustes comme celui du Jaseur , archi-bombés , trapus et courts comme celui du Bouvreuil; dès que l'aiguille se fixe sur ces espèces, c’est un signe certain que ces espèces sont les plus proches parentes de l'espèce modifiée. J'ajoute pour donner plus de poids à cette aflirmation que la tendance du bec à l’épaississement est déjà manifeste en l’état de pure nature chez quelques espèces de la grande tribu des Colombiens d'Asie, où la bifurcation de la queue est égale- ment signalée. Quant à l'accroissement du pouce et à l’obtusité des ailes, les deux phénomènes sont visibles chez les Cogs de roche, les cousins-germains des Pigeons. On conviendra que la distance des deux termes contigus de nos deux séries qui dans le premier instant semblait infranchissable à subi quelque réduc- tion de l'effet de ces rapprochements. Mais ce n’est pas tout encore, et la nature qui a plus horreur que pas un de nous des sauts brusques, a gradué si habilement la transition entre le bec mou du Ramier et le bec dur du Jaseur qu'après avoir examiné attentivement le système de modification appliqué à cet organe, il devient impossible de nier la parenté des deux espèces. Ê Pourquoi le bec du Ramier, du Biset, de la Tourterelle, est-il mou et inconsistant ? Pourquoi si dur et si tranchant, au con- traire, celui du Gros-bec, du Bouvreuil et du Chardonneret ? Pourquoi tant de dissemblance dans les traits du visage entre des SÉDIPÉDES. 19 espèces si voisines par le genre de nourriture, les pr seine po- litiques, les mœurs ? Le bec du Pigeon ramier, comme celui des espèces voisines, est mou et inconsistant parce que ces espèces ont le moyen d’a- valer leur nourriture sans la mâcher; parce qu’elles sont douées d’un estomac double et triple , immense fournaise digestive où les glands, les faines, les pois chiches entrent aussi facilement qu'une lettre à la poste et se cuisent avec une rapidité analogue. Ici la faiblesse du bec à pour correctif la vigueur et l'ampleur de l’appareil digestif. On ne voit pas bien à quoi servirait que le bec travaillät, puisque l'estomac se charge de tout. Mais il fallait nécessairement que là où manquait cette puis- sance de caléfaction interne qui semble particulière à l'estomac des Pigeons et à celui des Autruches, la nature y suppléàt par une faculté externe quelconque , c’est-à-dire par un organe qui mâächât la besogne, comme on dit vulgairement , au gésier pares- seux. C’est ce que la nature a fait en augmentant la puissance du bec de l’oiseau et en aiguisant le tranchant de ses mandibu- les à mesure que son estomac faiblissait. Par ce moyen les Gra- nivores qui auraient eu quelque peine à digérer l'enveloppe de certaines graines dures , notamment celle des amandes, se sont trouvées naïties de la faculté de décortiquer ces aliments rebel- les et procèdent à l'égard d'icelles comme nous procédons nous- mêmes à l’égard du haricot de Soissons dont nous voulons nous rendre l'assimilation moins pénible. Il va sans dire encore que la force de ce bec a été proportionnée à la résistance des obstacles à vaincre et que le Gros-bec , qui était destiné à vivre des noyaux de cerises , a été un peu mieux armé que le Moineau franc qui devait se contenter de la pulpe molle du fruit. Aïnsi la proche parenté des Gros-becs granivores et des Co- lombiens est un fait qui se déduit de la différence même de la forme du bec, dissemblance motivée elle-même par la diversité des graines ou des semences à concasser ou à décortiquer. IF y avait pourtant dans cette même série des Granivores une famille que la nature semblait avoir rapprochée plus visiblement qu'aucune autre de celle des Colombiens. C'était la tribu des SD ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Alouettes , peu percheuses , grandes voilières , quasi-pulvératri- ces et amoureuses du soleil et hahiles à faire le Saint-Esprit en volant comme les Pigeons. À ne considérer que les apparences des deux groupes et le nombre des victimes qu'ils fournissent tous deux à la barbarie des méchants, on serait tenté de les unir sous quelque appellation touchante; mais le raisonnement ne tarde pas à réprimer ce premier mouvement sympathique. Vous vous dites d’abord que l’Alouette qui emplit les cieux de mélo- die occupe une position trop élevée dans le monde musical pour pouvoir être reléguée aux échelons inférieurs de la série du chant, bec à bec de la Touricrelle. Puis un simple coup d'œil jeté en passant sur la forme excentrique du pied de l’Alouette au pouce démesuré suffit pour vous faire voir la distance prodigieuse qui est entre le puissant coryphée de l'harmonie céleste et l’humble gémisseur des forêts. Je n’ai pas jugé à propos de forger une série de noms nou- veaux pour spécifier les subdivisions de la Granivorie en grou- pes et en familles , l'utilité de ce travail ne me paraissant pas sufli- samment démontrée. Je conçois que l’ornithologiste passionnel emporté par l'amour de l’art ne regarde pas à sa peine quand il s’agit de créer une nomenclature idéale qui doit rendre à chaque volatile son véritable nom et porter jusque dans les âges futurs la gloire de son auteur. J'admets qu’en pareil cas il innove hardiment en matière de noms propres et qu'il accepte résolument la res- ponsabilité de ses néologismes : la grandeur de sa fin justifie sa vaillance. Je comprends, en un mot, qu'on se mette l'imagina - tion à la torture pour arriver au mieux ; mais qu’on fasse volon- tairement de tels frais pour n’aboutir qu’au moins mal est chose quime passe. Or le mieux consistait évidemment ici à commencer par intituler cette première série de chanteurs : série des Sopra- niens et non des Granivores; puis à distribuer les groupes par le genre de chant et à spécifier les espèces par l'arbre ou l'endroit où elles chantent, ou encore par la singularité des modes de parure en vogue chez chacune d'elles. II y avait à créer là toute une série de dénominations nouvelles, euphoniques, charmantes, pour désigner le Sopranien des lilas , celui des pommiers, des SEDIPÉDES. 8l vergers, des. forêts, des vallées, des collines, le Sopranien couronné, au-bec rouge, aux ailes d'or, etc. Et certainement que pour quiconque, eût abordé l'épreuve, l'insurrection contre la nomenclature, oflicielle eût été le premier des. droits et le plus sacré des devoirs. Mais je demande si c’est bien la peine de frap- per.de si grands coups. contre le Vocabulaire et de déranger le public. de ses habitudes de langage pour faire prévaloir Granivore sur. Conirostre comme étiquette de série, ou Brévicone sur Gemmivore comme étiquette de groupe. Je proclame pour:mon compte. la question souverainement mesquine et au-dessous d'un aussi grand tapage, et déclare aimer autant Chardonneret tout court que Convrostre longicône, qui est le double nom de groupe et de famille dont les nomenclatures les plus neuves af- fublent cet oiseau. Je me suis borné en conséquence à tracer le cadre de la sub- division naturelle de la Granivorie, à l’aide des procédés les plus, simples et je l'ai rempli de noms connus. La série des..Granivores:se partage en quatre groupes ; Dé- gorgeurs ; Fringilles, Bruants, Alouettes. Ces quatre groupes, au, besoin, pourraient même se réduire à deux : Dégorgeurs et «non-Dégorgeurs.! : Les Dégorgeurs sont des oiseaux essentiellement granivores , si,granivores même que le plus grand nombre des ornitholo- -gistes d'aujourd'hui les considèrent comme des Frugivores purs -et n’hésiteraient pas à les ranger à côté des Pigeons dans la pré- | cédente série ,,s ils étaient à ma place. Ils nourrissent principa- Jement leurs jeunes à la bouillie, mais ils varient volontiers ce régime, par l'insecte., [ls adorent la verdure, le mouron, le sé- necon, la salade, et sont friands d’échaudé et de sucre. Le grain qui leur agrée le plus est le millet. On sait que le dégor- gement est un procédé d'abecquement spécial aux granivores, qui.sont obligés de faire subir-une élaboration première à leurs aliments dans cette poche de l’æsophage qui a nom le jabot. Cette pratique accuse la nature rebelle, coriace et réfractaire des substances alimentaires ingérées, lesquelles révèlent à leur tour la force et l'épaisseur du bec, et la puissance de ses man- KES 6 82 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. dibules. Il y a de ces becs de Dégorgeurs qui brisent certains noyaux comme des casse-noisettes, d’autres qui vous entaillent les’ doigts aussi profondément qu'une serpette; il y en à qui sont disposés de manière à pouvoir pénétrer jusqu'au cœur de la pomme pour y prendre les pépins. Tous les Granivores de ce prémier groupe décortiquent les graines dont ils se nourrissent avant de les avaler. Je sais une tribu exotique qui est ambiguë entre les Dégorgeurs et les non-Dégorgeurs et chez laquelle le père et la mère, au lieu de commencer par digérer un peu les graines qu'ils destinent à leurs petits, se contentent de les éplu- cher proprement et de les leur servir en cet état. Tous les Dégor- geurs nichent sur des branches; plusieurs font des nids mer- véilleux. Leur chair est généralement sèche et maigre, heureux défaut qui protège leurs jours. Ce groupe, presque entièrement composé d'oiseaux chanteurs, doux, familiers, sociables et /a- ciles à nourrir devait être la providence des volières. C’est à lui en effet que ces établissements d'agrément public et privé doivent la plus grande partie des trésors qu'ils possèdent, et le temps n'est pas loin où une foule d'espèces de cette tribu précieuse, natives d’autres parties du monde, mais conquises à l’Europe par les soins d'habiles amateurs, doubleront et tripleront le chiffre de nos espèces. Je dirai à la fin de l’histoire de cet ordre le nom des espèces étrangères déjà acclimatées en France. | Tous les non-Dégorgeurs, sans exception, nourrissent leurs petits avec des insectes dans leur âge le plus tendre; ils ne les sèvrent jamais avant que toutes leurs plumes soient sorties. Un grand nombre de ces espèces nichent à terre ; quelques-unes même dans les trous des arbres et des murailles. Plusieurs sont célèbres dans les fastes de la gastrosophie par l’exquise délica- tesse de leur chair. Le groupe ne semble pas avoir été créé comme l’autre pour l'unique volupté des oreilles et des yeux. La mue chez la plupart des Granivores n’a lieu qu’une seule fois chaque année, à l'automne ; ce qui n'empêche pas les mâles de certaines espèces de revêtir au printemps un splendide cos- tume de noces; car il faut que l'amour apporte son lustre avec lui. Mais ici le changement de tenue n’est plus comme en la SÉDIPÉDES. 83 mue ordinaire le résultat du remplacement des vieilles plumes par les jeunes : ce sont les vieilles plumes elles-mêmes qui se colorent de nuances plus vives par l'effet du soleil et de l'expo- sition au grand air. Aussi voyons-nous nos Linots , nos Pinsons, nos Bouvreuils perdre complétement l'éclat de leurs couleurs par la captivité. Remarquez que dans la nature le soleil embellit tout, hors l’homme, exception humiliante et qui prouve clair comme le jour que le Civilisé est tout à fait en dehors des voies de Dieu. L'harmonien lève noblement ses regards vers le soleil qui ne léblouit pas et qui rosit son leint , au lieu de le roussir. La subdivision de la série des Granivores par familles offre tou- tes sortes de facilités. On la réussit, par exemple, en prenant pour pivot de cette subdivision tertiaire le genre de nourriture spécial à chaque tribu, fruit, graine, semence, insecte. Ainsi des Gemmivores, pour la tribu des Mangeurs de bourgeons , des Conivores , pour celle des Mangeurs de semences d'arbres verts, Pépinivores , Cannabivores, et le reste. Il y a même ici une charmante gradation à suivre en étageant ces familles d’après la hauteur des tiges qui supportent leurs fruits de prédilection. Viennent d’abord les espèces qui vivent des fruits du chène, du hêtre , du sapin, du bouleau, de l'aulne, du charme et des ar- bres de haute-futaie ; puis les espèces amies des arbres fruitiers, des arbustes, des haies et des buissons ; puis celles qui dépouil- lent de leurs semences les tiges herbacées, et enfin celles qui se contentent de ramasser le grain dans le creux des sillons. Je me suis amusé plus d’une fois à voir faire cette procession des tribus granivores qui défilent de Laut en bas, pendant que les tribus de la série voisine défilent de bas en haut. le premier rang occupé à recueillir l'insecte qui sort de terre, le second l'insecte des herbes, puis celui des feuilles, puis celui des fleurs et ainsi de suite, et la chasse allant toujours et montant jusqu'à la plus haute cime des grands arbres , jusqu’au plus haut des nues. Contraste symétrique assurément plein de charmes, spectacle attrayant au possible dans une classification universelle où toutes ces files de processions se trouvent au complet; mais spectacle hors de nos moyens, utopie irréalisable avec la classification restreinte des 84 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. zones tempérées où la majeure partie des familles se. compose d'une espèce unique. C’est ce qui fait que j'ai dû supprimer en- core ce travail de la subdivision tertiaire de la Granivorie et que j'ai remis à parler des familles de la Série quand le hasard m’en ferait rencontrer sur ma route, ne jugeant pas nécessaire de me charger jusque-là d’un bagage de noms inutiles. Le lecteur me saura d'autant meilleur gré de cette attention délicate, qu'il ne tardera pas à reconnaître que les noms populaires auxquels je m'en tiens, faute de mieux , sont plus savants que les noms scientifiques , dix-neuf fois sur vingt, pour le moins. A preuve : Le Jaseur ne Bonfme. Voici un de ces noms charmants de la fabrique de tout le monde, un nom ramassé dans la rue. Ja- seur, babilleur, gazouilleur, apprenti virtuose, qui fredonne des ariettes , qui s’essaie à chanter depuis le matin jusqu’au soir pour le plus grand tourment de ceux du voisinage. Le vocable est si heureux et si savant à la fois, et il convient si admirablement à l’espèce qui engrène dans la série des Chanteurs , qu'il ne se- rait pas possible même à l’analogie de trouver mieux. Regardez maintenant ce que les savants en ont fait. Is l'ont appelé Bombycivore, mot à mot: qui mange des Bom- byx. Bombycivore.. comme ce nom qui sent la poudre ressem- ble bien à un joli petit oiseau dont les plumes sont de soie, qui babille sans fin et qui vient de Bohème! Or, j'ouvre le dictionnaire de Boïiste à l’article Bombyx et j'y trouve pour toute définition : « Long chalumeau de roseau. » Cela voudrait-il dire que le Jaseur de Bohème mange des chalu- meaux? Cette définition m'irait assez à moi qui ai rangé d’au- torité l'espèce dans les Végétivores; mais je doute qu’elle entre aussi bien dans les vues de Temmynck, le parrain du Bomby- civore, qui classe le Jaseur parmi les Corbeaux et les Geais, races omnivores, mais surtout ovivores, et qui préfèrent infini- ment la chair à la moelle de roseau. Peut-être alors que j'ai eu tort de chercher au mot Bombyx, dans Boiste, et que j'aurais mieux fait de prendre le Pombice du même auteur qui s'applique à une famille de Lépidoptères nocturnes, dont le papillon du SÉDIPÉDES, 85 ver à soie fait partie. Mettons donc le lépidoptère à la place du chalumeau et lisons la notice de l’illustre ornithologiste hollan- dais, pour vérifier si le nouveau nom de l'oiseau dérive vérita- blement de ses habitudes diététiques. Je lis : « Nourriture du Jaseur : insectes, mais particulière- ment toutes sortes de baies.» Cette explication ne m'avance guère. M. de Talleyrand était curieux de savoir quel inté- rêt pouvait avoir M. de Sémonville, son ami, à être alité par la fièvre. Je ne suis pas moins intriguë de deviner quel intérêt a pu avoir ce savant de Hollande à faire manger des Bombyx au Jaseur malgré lui. Il est vrai que l’auteur du Manuel ornithologique a grand soin de nous prévenir quelques lignes plus loin qu'il « ne sait presque rien des mœurs ni des habitudes du Jaseur qui niche dans le Nord, et que ses collègues de cette région n’en savent quère à ce sujet plus que lui. » J'admire comme il convient cette modestie tou- chante, mais n'en trouve pas moins bien étrange qu'après avoir confessé qu'on ne sait rien d’une bête, on profite de la circons- tance pour lanommer Bombycivore. Si jamais occasion fut belle de garder le silence, c'était pourtant celle-là. Le Bombyx n'est pas ce que le Jaseur aime, mais c’est la pomme de reinette, à telles enseignes qu'il en mange à en deve- nir gras et qu'il s’étrangle quelquefois, en avalant trop goulu- ment un quartier de ce fruit. Cette passion du Jaseur pour les pommes est si violente que le Jaseur, blessé d’un coup de feu, oublie sa blessure à la vue d’une calville et se jette dessus. Une autre preuve de son peu de penchant pour le Bombyx, c'est qu'il niche très tard, vers la mi-juin au flus tôt, ayant besoin d'attendre que les baïes soient venues pour nourrir sa famille. Il mange bien, si vous voulez, des mouches ct en grande quantité même, mais seulement en guise de dessert et après son “diner. Cette manie désolante de distribuer les noms à tort et à tra- vers m'afflige d'autant plus que l'illustre nomenclateur étranger est aujourd hui ce que nous avons de mieux en Europe en histo- rien d'oiseaux , et que non-seulement l'opinion de M. Temmynck 86 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. fait loi en matière d'Ornithologie non passionnelle, mais que de son vivant même dix oiseaux qu'il n’a pas cependant découverts ont été baptisés de son nom peu harmonieux. Honneur qui jusqu’à ce jour n'avait encore été décerné à personne, pas même à Christophe Colomb , le découvreur d’un monde. Or , jugez d’a- près ce seul exemple de l'étourderie et de la légèreté d’un savant de Hollande, à quels écarts effrayants de classification et de no- menclature ont pu se laisser emporter les savants d’une contrée moins rassise. Le Jaseur qui niche dans le Nord, en Pologne, en Russie, en Styrie, et qui ne fait d'apparition en France que tous les cinq à six aus , est donc un oiseau peu connu et dont les modes de ni- dification et d'éducation sont tout à fait ignorés. L'analogie pas- sionnelle aflirme bien avec sa hardiesse habituelle et à l’aide de la notice d’Audubon sur le Cedar-Bird que le Jaseur fait son nid à plat sur les larges et basses branches des pommiers et des arbres verts; que ce nid est un progrès sur celui du pigeon, mais seulement un progrès, pas encore un chef-d'œuvre; qu'il est composé d'un matelas de fines radicules reposant sur une paillasse d'herbes sèches, sans plume, ni crin, ni mousse; et que le Jaseur nourrit ses petits à la facon de nos Gros-becs ét de nos Bouvreuils. Mais comme elle n’a pas de procès-verbaux à fournir à l'appui de son affirmation, l'analogie ne demande pas à être crue sur parole. Cependant nous ne sommes pas réduits à nous en tenir aux simples conjectures, quant à ce qui est des habitudes et des goûts de l'espèce. Je me suis fait renseigner à cet égard par M. Florent Prevost du Jardin des Plantes, le compagnon assidu des grands travaux des Geof- froy Saint-Hilaire père et fils, des Cuvier, des Blainville, un de ces chercheurs infatigables qui joignent à la passion de la z00logie la passion de la chasse. M. Florent Prevost, qui m'a ap- pris une foule de détails inédits sur les espèces les mieux con- nues de nos climats, est l’homme de ce temps qui possède le mieux son Jaseur, ayant eu l'incroyable chance de tuer en une seule chasse quatorze individus de l'espèce dans les jardins de Versailles. M. Florent Prevost qui sait la nourriture du Jaseur SEDIPEDES. S7 mois par mois, jour par jour, ne m'a pas aflirmé que l'estomac du Jaseur fût muni de la double poche, ce qui m'a vivement contrarié ; mais en me communiquant le procès-verbal des subs- tances trouvées dans cet alambic à diverses époques, il m'a con- firmé dans mon opinion que l'oiseau était plus granivore que gobe-mouche. D'où j'ai conclu, peut-être à tort, que l'oiseau était dégorgeur, et que sa place était bien où je l'avais mis et non à côté du Rollier et du Coracias. Ce qui a motivé l'erreur déplorable de Temmynck et des autres qui ont colloqué le Jaseur dans ce voisinage illogique, est la circonstance de la dent qui arme la mandibule supérieure du bec de cet oiseau, et qui, rapprochée de la couleur géné- rale du manteau ainsi que du volume, lui donne un faux air de parenté avec la Pie-grièche. Les savants qui ont commis cette confusion semblent avoir oublié que les oiseaux qui vivent de semences coriaces et de noyaux de fruits sont pourvus d'instru- ments triturateurs et sécateurs aussi solidement conditionnés que ceux qui font leur ordinaire de chair vive ou morte et de gros scarabées ; témoin le bec des Gros-becs, des Durs-becs, des Becs-croisés et des Perruches qui sont des granivores de pre- mier ordre et dont les mandibules ne le cèdent ni en dureté ni en puissance à celles des carnivores. La similitude des becs n’est qu'apparente et cesse d’être un signe de contiguité des espèces quand la forme de l’appareil digestif diffère, et j'ai précédem- ment débattu cette thèse au chapitre des Considérations géné- rales du premier volume où j'ai fait voir que l'aigle, le goëland et le coq domestique avaient tous trois le bec crochu, sans être pour cela plus cousins. La véritable parenté du Jaseur n'est pas avec la Pie-grièche qui a la tête large, plate et unie, mais bien avec le Cardinal qui porte la huppe comme le Jaseur et chez le- quel le gris fait comme chez ce dernier opposition au rouge. Dieu a dessiné les coiffures ou parures du chef pour être les signes visibles de l'esprit qui est dessous. Mais résumons enfin ce chapitre en peu de lignes. Le Jaseur est un élégant oiseau de la taille du Gros-bec, au bec court et robuste, légèrement arqué. Il nous vient de temps 88 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. en temps de l’autre côté du Rhin, pendant les grands hivers , et se rencontre alors fréquemment en Alsace. Le ton général de son plumage soyeux, plus foncé dessus que dessous, est analogue à celui du manteau du Gros-bec. Les plumes du vertex se relèvent à l'arrière pour lui faire une huppe semblable à celle du Cardinal. Il porte une plaque noire sous la gorge et deux brides de‘même nuance sur les veux. Une charmante série de taches jaunes contiguës et légèrement ourlées de blanc borde l'extrémité des rémiges et des rectrices qui sont d’un beau noir mat; mais l’ac- cident le plus singulier de cette parure déjà si remarquable est un tout petit appendice cartilagineux de l'éearlate le plus vif qui termine quelques-unes des pennes secondaires et simule à s’y méprendre des filaments de cire à cacheter. Le Jaseur est doué comme la plupart des granivores d’une voracité insatiable, mais qui s'exerce malheureusement l'hiver aux dépens des arbres fruitiers dont il mange les bourgeons. Cette circonstance, rap- prochée de sa passion funeste pour les pommes, le classe à côté des Bouvreuils et des Becs-croisés dans le groupe des Gemmi- vores. Remarquons avant d’en finir que beaucoup de Colombiens d'Asie portent la huppe et que cette tendance qui persiste opi- niâtrement à travers la tribu des Coqs de roche et celle des Manakins qui donnent la main aux Jaseurs est pleine de révéla- tions de parenté mystérieuse. Je n’ai jamais entendu babiller de jaseurs, et personne n'a jamais écrit que dans cette espèce la femelle jasàt comme le male, et pourtant j'ai besoin d'affirmer ce fait-la. Le Bec croisé. Oiseau de la taille du Gros-bec, à physiono- mie de Perroquet, corps trapu, queue fourchue, ailes médiocres, manteau gris, rouge ou vert, suivant l'âge, la saison , le sexe. Moule étrange et paradoxal, marqué au coin de l’anomalie et de la caricature. Son bec est une des plaisanteries les plus ha- sardées de la nature, mais des mieux réussies. Ce bec ne consiste plus, comme tous les autres becs, en une paire de compartiments réguliers et commodes qui se superposent et se ferment exactement l’un l'autre. C’est, au contraire, un SÉDIPÉDES. 89 jeu de mandibules biscornues, dépareillées, feroces, qui, au lieu de s’emboîter pacifiquement , se repoussent, se chevauchent, se manquent, bref se disjoignent violemment dans le sens de la verticale, de manière que l’une tire à gauche, pendant que l'au- tre oblique à droite , etque celle-ci remonte pendant que celle-là descend. Représentons cette image en moins de mots encore : Tandis que chez tous les autres.becs, sans exception aucune, les mandibules tendent au rapprochement, chez celui-ci elles visent à l’écart absolu, et comme la mandibule qui se redresse contre le ciel est tout aussi crochue que celle qui aspire vers le sol et simule un tantinet la corne ou la défense, cet accident de physionomie insolite donne à l'ensemble de la portraiture un effet renversant. La figure du Bec croisé est de celles qui vous font dire involontairement et sans malice quand vous les regar- dez pour la première fois : Voilà de pauvres bêtes qui sont arri- vées un peu tard à la distribution des masques. Ce qui n'empêche pas le Bec-croisé, du reste, de tirer un parti merveilleux de son instrument ridicule pour l'exploitation des cônes des arbres verts qu'il vide de leurs semences avec une dextérité sans égale, et malheureusement aussi pour l’épepine- ment des pommes et des poires, au sein desquelles il ouvre des tranchées formidables pour pénétrer jusqu’au cœur de la place et s'emparer des trésors qu'il convoite. La passion du Bec-croisé pour les pepins de pommes, passion qui lui est commune avec le Perroquet et le Jaseur, annonce des goûts essentiellement frugivores. Le Bec-croisé est, en effet, après le Pigeon et le Bouvreuil, l'oiseau d'Europe qui mérite le plus d'être classé parmi les Frugivores purs. Un ornithologiste fort savant de Saône-et-Loire , et non moins obligeant qu'éclairé, M. Rossignol de Pierre, me répondait récemment : « J'ai tué beaucoup de Becs-croisés dans leurs passages irréguliers au printemps, sur les pins, sur les or- mes, et principalement sur les peupliers dont ils mangent les bourgeons résineux. Jamais je ne leur ai trouvé d'insectes dans l'estomac, mais cela tient peut-être à l'époque de leur passage chez nous. » On sait les scrapules honorables qui m’ont retenu de 90 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE, reconnaitre l'existence des Frugivores de France. J'aime à Sup- poser avec mon judicieux correspondant de Pierre que l'absence totale de l’insecte constatée à diverses reprises dans l'estomac du Bec-croisé doit être attribuée à l’époque où a été dressé le procès-verbal de carence. Le Bec-croisé ne niche pas encore à l'heure qu'il est en France, mais il y nichera prochainement; son premier établissement chez nous se fera probablement dans la forêt des Ardennes, voi- sine des forêts belges , où il habite depuis des siècles. Cette ten- dance de l'espèce à se rapprocher du territoire français devient de jour en jour plus manifeste; elle a été signalée par une foule d’observateurs , oiseleurs ou naturalistes, en ces dernières an- nées. Jusqu'à nouvel ordre, néanmoins, nous considérerons le Bec-croisé comme indigène du Nord, ainsi que le Jaseur, et vi- vant des mêmes semences, des mêmes bourgeons et des mêmes insectes. Le Bec-croisé émigre plus fréquemment chez nous que son compatriote et il descend volontiers jusque dans nos vallées mé- ridionales du Rhône et de l'Isère. Ses heures de voyages diffè- rent légèrement aussi de celles du Jaseur qui ne se déplace sé- rieusement que par les grands hivers et ne traverse le Rhin que lorsque ce fleuve est gelé. Le Bec-croisé se met plus volontiers en route au milieu des beaux jours; il reste dehors toute la sai- son d'automne, plus une grande partie de l'hiver , et n'est guère de retour dans ses forêts natales avant la mi-janvier, époque vers laquelle il commence à aimer. Cette précocité d’ardeur amoureuse bien faite pour dérouter les ornithologistes vulgaires, qui ont longtemps révoqué le fait en doute, ne surprend aucu- nement l’analogiste , qui sait à quoi s'en tenir sur les bizarre- ries des moules exceptionnels et que rien n'étonne de la part d’une espèce munie du bec paradoxal que nous venons de voir. D'autant que le Bec-croisé avait deux excellentes raisons pour faire comme il a fait, indépendamment de la nécessité de con- former ses actes à ses principes, qui sont d'opérer au rebours de toutes les habitudes d'autrui. D'abord c'était choisir sagement pour éravailler la saison que les loirs , les écureuils, grands en- SÉDIPÉDES . 91 némis des couvées , ont choisie pour dormir ; ensuite la fin de janvier est l’époque de l'an où les semences de pins confites par les gelées ont acquis leur maximum de tendreté et de délicatesse et présentent aux parents le plus de facilité pour l'entretien de leur famille. D'ailleurs, le Bec-croisé, qui n’est pas aussi maladroit qu'il en à l'air, a des procédés de bâtisse analogues à la circonstance et qui lui permettent de braver l’inclémence des frimats. Il place son nid qu'il compose des mêmes éléments et qu'il dispose dans le même ordre que le Jaseur, sous l'auvent d'une grosse branche ; il en enduit les deux faces latérales d'une couche de résine qui garantit la muraille de l'édifice contre l'in- filtration des eaux; et il réussit à force d'industrie à se créer un domicile parfaitement confortable sous la menace des éléments conjurés. Ainsi la nature proclame par la voix des plus hum- bles et des plus disgraciés la féconde énergie du mobile tout puissant d'amour ! La ponte du Bec-croisé est de quatre à cinq œufs d’un gris verdâtre, nuancés de rouge au gros bout. Il fait deux pontes par an. Le Bec croisé ne chante pas encore; il appartient comme ses plus proches voisins au groupe des débutants ou des jaseurs, et tout porte à croire que dans cette espèce la femelle possède comme le mäle le droit de jaboter. Il apprend à parler en cage et retient facilement les airs de serinette. Il dégorge puisqu'il est essentiellement séminivore et gemmivore. C’est un oiseau de mœurs innocentes et qui ne se défie pas assez de la malice de l'homme ; il fréquente volontiers sa demeure, pénètre dans ses cités et se fait tuer jusque sur les arbres du Jardin des plantes de Paris. De mauvaises langues ont accusé le mâle d'être brutal en- vers sa femelle, mais j'attends d'avoir recu des preuves authen- tiques du crime avant de vouloir me faire l'écho de ces vilains bruits. Je pourrais y ajouter quelque foi sans doute, s'il existait une espèce de Bec-croisé tridactyle, comme certains l’aflirment, attendu que la galanterie n’est pas dans les dons de la tridac- ivlie. Heureusement que je ne crois pas plus à l'existence d'un percheur à trois doigts qu'à celle du deuxième Bec-croisé de Temmynck, à quatre doigts. 92 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Le Bec-croisé se suspend quelquefois par les pieds aux grappes des bourgeons qu'il attaque, à la facon des Tarins et des Mésanges et il transporte cette habitude dans la captivité. Malgré les prodiges d'industrie qu'il accomplit sans cesse, le Bec-croisé n'arrive pas à faire une bonne maison; je veux dire n'arrive pas à acquérir cet état d'embonpoint et de délicatesse de chair qui atteste que la nourriture que vous prenez vous pro- fite. Il y en à qui travaillent moins et qui engraissent plus. Le Bec croisé ne doit muer qu'une seule fois par an, malgré les apparences contraires. La femelle est vêtue d’une robe mo- deste, d’une nuance cendré-verdätre uniforme qui ne varie jamais. Le mâle, après avoir adopté cette couleur pour les six premiers mois de son existence, change subitement de costume à sa première mue. ]l endosse alors un splendide manteau d’étoffe cramoisie tendre, livrée de l'ambition artistique, qu'il ne garde pas plus longtemps que l’autre et qui se laisse remplacer définitivement dès la seconde mue par une humble livrée grise nuancée de vert et de brun sombre, livrée du travail mal payé. Emblème trop parlant de ces déshérités du sort dont la triste car- rière n’est qu'une longue série de disgrâces et d'épreuves dou- loureuses, qui aiment par le froid, par la faim, par le manque de tout, et pour qui l'horizon de l'avenir ne se colore en rose qu'une fois dans la vie, aux beaux jours du premier prin- temps! Un mot sur le nom de l’Oiseau avant de passer outre. La voix publique l'avait nommé le Zec-croisé, peut-être parce qu’il avait le bec en croix... Mais apparemment que les savants n'ont pas trouvé la raison suffisante, puisqu'ils se sont empressés de le débaptiser pour l'appeler /oxia…. Loxia, du mot grec loxos , louche, oblique, de travers. Je ne hlâme pas les savants d’avoir use ici du droit qu'ils ont toujours de forger un terme nouveau quand les besoins du ser- vice le réclament, et je les en blâme d'autant moins que le voca- ble créé n’a rien en soi de dissonnant ni d’illégitime. Mais si j'admets qu'il soit permis jusqu’à un certain point d’infliger le SÉDIPEDES. 93 sobriquet malveillant de loxienne à une pauvre espèce qui a le bec de travers de naissance, je nie énergiquement qu'ou ait le droit de falsifier une étymologie étrangère pour transporter l'épithète injurieuse qu'elle récèle aux espèces qui ne la méri- tent pas. Or, tel est précisément le crime que les savants ont commis en faisant de leur loxia, nom d'espèce, un nom de tribu ou de famille. Tel est l’abus scandaleux d'autorité que je dénonce à la vindicte publique. Linnæus, Brisson, Gmelin, une foule d’autres sont parmi les coupables, mais le plus criminel de tous à cent coudées près est Latham, Latham, ce même Anglais qui pour maigrir et me pous- ser à bout avait déjà créé dans le temps son affreux Ordre des Pres, dont le besoin ne se faisait nullement sentir et dans lequel il a entassé pêle-mêle Pivert, Oiseau-mouche et Corbeau... En- rôler l'Oiseau-mouche, emblème de la jeunesse dorée, et le Pivert, emblème du compagnon charpentier, sous l'ignoble bannière du mouchard! En vérité , on ne sait plus qui l'emporte de l’odieux ou de l’innocent dans ces combinaisons étranges, ni si l’on doit pleurer ou rire de tels égarements! Oui je connais une tribu de loxias de Latham, riche de cent deux membres, sur lequel nombre, entendez-bien, cent un ont le bec planté droit... c'est-à-dire que tous les becs de travers de Latham sont des becs droits, hors un! Æ#/sum teneatis… Et cette puissante tribu si indignement défigurée par le bon plaisir d’un Anglais qui cherchait à se distraire, veut-on que je la nomme? c’est la propre tribu des granivores chanteurs que nous étudions à cette heure, la tribu qui renferme les espèces les plus gaies, les plus vives, les plus jolies, les plus amies de l'homme, celles qui font le plus de frais pour charmer son séjour, la tribu des Chardonnerets et des Bouvreuils, des Serins, des Bengalis et des Sénégalis. Comme ce doit être agréable pour un de ces moules pétris de gentillesse et de grâce de s'entendre ap- peler Loxien ! Il fallait pout cette place d'honneur de porte-drapeau et de 94 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. parrain de la tribu modèle un type exceptionnel de gràce, de talent, de beauté; ce fut un Loxien qui l’obtint.… le Loxien que vous savez, aux mandibules extravagantes, le Loxien en lutte ouverte contre toutes les habitudes reçues, le Loxien qui pond l'hiver et ne peut pas porter le même habit six mois de suite. Et la Science officielle ! Que dire de la Science officielle, qui, au lieu de traduire l'Anglais délinquant à sa barre pour viola- tion flagrante de la loi naturelle de la classification, a làchement adopté sa tribu de contrebande et partagé le prix d'honneur de la nomenclature entre l'inventeur du Loxien et celui du Bom- bycivore, ex æquo ! Mais moi, qui ne suis pas de la science, je protesterai au nom de la raison , du bon sens et du droit contre l’usurpation de l'ex- ception minuscule, et le bec de travers à bec droit ne me verra pas plus fablir que le Pied rouge aux pieds noirs, le Quadru- pède solipède , la Poule d’eau de genêts ! Il est dans le nord de l'Europe une espèce voisine de celle-ci qu'on nomme le Pur-bec. Cette espèce, qui ne descend jamais en France, forme la transition naturelle entre le Bec-croisé et le Bouvreuil. Le Dur-bec est de la même grosseur que le Bec-croisé ; il porte ses couleurs, habite de préférence les mêmes régions que lui et y vit de la même nourriture ; il a comme lui aussi le corps trapu , le bec crochu , l'air lourd du Perroquet. C’est sa doublure pour tout dire, à part les mandibules qui n’ont rien d’excentrique chez l'oiseau de Russie. Le Bouvreuiz. Ebourgeonneux de l’ouest et du Midi , Pionne (Pivoine) de Lorraine. Un des plus jolis oiseaux de France , trop connu pour que je le décrive en détail : manteau cendré,, calotte noire , toute la par- tie inférieure du corps depuis la gorge et les joues jusqu’à l’abdo- men , rouge ponceau éclatant, abdomen et croupion blane pur, les ailes et la queue noires , le rouge remplacé chez la femelle par une teinte gris sombre, queue fourchue, bec bomhé, court et SÉDIPÉDES. | 95 conique, la mandibule supérieure légèrement incurvée. Le Bou- vreuil ne mue qu'une seule fois par an, à l'automne; le lustre éclatant de ses couleurs se perd dans la captivité. Le Bouvreuil niche de très-bonne heure , au printemps ; j'en ai vu des nids au mois de mars. Ce nid est composé d’un tissu de petites racines reposant sur un lit d'herbe fanée ; il est absolu- ment semblable à celui du Jaseur, du Bec-croisé et du Gros-bec et n’admet aucunement le concours des plumes, du crin, ni de la mousse , ainsi que la plupart des ornithologistes l'écrivent. Ce nid est ordinairement posé à plat sur une branche horizontale de chêne ou d'arbre vert. On le trouve encore dans l'enfourchure des grosses bränches , dans les mêmes conditions que celui du Ramier. Le nombre des œufs est de cinq à six pour la première ponte ; il descend jusqu'à trois à la troisième couvée. Ces œufs d’une couleur blanc-bleuàtre sont marqués de taches brunes au gros bout. Le Bouvreuil armé d’un bectrapu et fort, presque aussi vigou- reux que celui du Perroquet , s’en sert habilement pour décorti- quer et briser toutes sortes de graines; 1l est fricnddes bourgeons des arbres fruitiers auxquels il porte de graves préjudices dans la saison d'hiver ; il s’accommode des baies du sorbier et de l’é- pine blanche , comme des graines des plantes oléagineuses et de celles de l’armoise. C’est un des oiseaux les plus essentielle- ment frugivores que je connaisse. M. Rossignol de Pierre m'é- crit n'avoir jamais trouvé d'insecte dans l'estomac du Bouvreuil ; ce qui ne m'empèche pas cependant de croire que cet oiseau en mange quelquefois. Le Bouvreuil dégorge la becquée dans le bec de ses petits, et le mâle par conséquent dans le bec de la femelle ; c’est la raison surtout qui rend facile l’accouplement du Bouvreuil avec la serine domestique. Le Bouvreuil fait encore partie du groupe des Jaseurs ou des apprentis virtuoses ; car son ramage agréable ne saurait passer pour un chant. Mais à défaut d'héritage de talent paternel, il possède d’heureuses dispositions pour l'étude avec beaucoup de mémoire , et il profite de ces dons pour apprendre les airs des 96 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. autres oiseaux. On l’a mème instruit à répéter des phrases du langage humain. Ceci est un rapport de plus qu’il a avec le Per- roquet auquel il ressemble quelque peu de carrure et de physio- nomie, mais en beau. La femelle dans cette espèce charmante est aussi bonne musicienne que le mâle. Avez-vous quelquefois entendu dans les bois l'hiver cette note sifflée, tendre et mélancolique, qui réveille seule par intervalles les échos de la solitude assourdie par les neiges et qui se marie si bien au deuil de la nature? C’est la voix plaintive du Bou- vreuil qui semble invoquer l'appui de l'homme contre la cruauté du ciel. Je sais une maison du bon Dieu, sur les bords fortunés de l'Indre, où tous les petits oiseaux hivernants, bouvreuils, pinsons, chardonnerets, rouges-gorges, sont habitués de père en fils et de temps immémorial à trouver chaque soir un asile dans une orangerie immense qu'on leur ouvre à heure fixe. Il faut entendre la bande mutine murmurer d’impatience et cogner aux vitres avec rage pour peu que l’ouvreur soit en retard de quelques minutes seulement. Chaque commune d'Harmonie a aussi son kiosque d'asile pour les petits oiseaux durant la froide saison. C’est une annexe de la volière, le bonheur et l’orgueil du séristère d'Enfance. Nature essentiellement nerveuse, TS et sensible, amie des belles manières et des douces senteurs, répulsive aux bu- tors et aux gens mal vêtus, susceptible d’attachement et de re- connaissance, le Bouvreuil est en sympathie native avec la femme. C’est un des hôtes les plus charmants de nos demeures, et c’est peut-être après le Chardonneret le captif qui Mere avec le plus de philosophie la perte de sa liberté. Il semble comprendre les paroles. caressantes qu’on lui adresse et y ré- pondre en même style par son zézaiement enfantin. Il a pour sa compagne en cage des attentions de tous les instants, des pré- venances nie et j'en ai vu, qui après avoir perdu T objet de leur tendresse, avaient toutes les peines du monde à se remettre du coup affreux qui leur avait été porté par cette séparation cruelle. Un noble ami n'écrivait il y a quelque temps de Belle-[le : SÉDIPÉDES. 97 « Voici ce qui vient de m'arriver avec mes bouvreuils. La fe- melle ayant éprouvé une ophthalmie à la suite de sa mue, j'ai voulu lui donner la clé des champs; mais elle a refusé de pro- fiter de sa liberté toute seule, et à peine a-t-elle été délivrée qu'elle est revenue assiéger ma cellule; si bien que, pour ne pas prolonger son supplice, j'ai été obligé de la réintégrer dans sa cage à côté de son époux. Que de tristes rapprochements à tirer de ce trait de fidélité conjugale pour notre pauvre espèce! » Il est certain que l'Art, la Poésie et l'Histoire ont canonisé Ar- témise pour moins que ce qu'on vient d'ouir. ; Le Bouvreuil , ainsi qu'il est facile de le voir à l'humble cou- leur de son manteau et à la pourpre éclatante qui couvre sa poi- trine, symbolise le travailleur honnète, animé de la pure ambi- tion du bien et incapable de marcher à la fortune par les voies de traverse, les seules qui y conduisent. Il y parait bien à sa maigreur qui semble être son lot éternel, en dépit des peines qu'il se donne et de l’industrie qu'il dépense. Aussi malgré son grand courage ne peut-il bien souvent retenir une plainte contre l'injustice du sort, et mème quelquefois le voit-on, à la suite de trop longs chômages, aigri, désespéré, furieux, n'écouter plus que les conseils de son estomac vide et se ruer avec rage à la démolition des bourgeons du pommier, espoir du laboureur C'est que les oiseaux les plus méritants sont faits de chair, comme nous autres hommes, et que la patience échappe au plus saint, à la longue. Voilà plusieurs années que je me promets chaque printemps de me tuer des bouvreuils pour vérifier par l'inspection de leur estomac si ce que j'ai écrit d'eux est vrai, s'ils mangent parfois des insectes. Mais cæst chose si odieuse que de donner la mort à un pauvre petit oiseau qui ne vous a rien fait et qui aime, à seule fin de savoir ce qu'il a dans le ventre, que je n’ai pas encore eu le cœur de me tenir ma promesse. LE Gros-nec. Gros-bec commun ,Pinson royal de l'Ouest, a recu des savants le doux nom de Coccorurausres. J'aime micux celui du peuple. 11. ? 98 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Encore un moule du groupe des Jaseurs et des Gemmivores (ébourgeonneurs), mais un moule inférieur , un rustre, un lour- daud , un butor; face de perroquet, mais de perroquet très- laid; bec singeant le faux nez, cou engoncé , corps mal hàti, ailes trop rondes, queue trop courte; mauvais œil, mauvaise bête. J'apprendrais ce matin par les papiers publics que toute l’engeance des Coccothraustes a été emportée par une épidémie, que mon pouls n’en battrait ni une puisation de plus, ni une pulsation de moins. Le malheur du Gros-bec est de symbioliser l’homme trop fort pour sa taille ou trop petit pour sa force. On sait les ridicules et les disgtâces sans nombre qui pleuvent de cette fausse position reridüvélée du supplice de Sisyphe, où l'on voit un pauvre diable condärné à lever sans relâche et à bras tendu des tas de chaises ou de queues de billard ou des poids de cent livres sans cesse retombants. Celui qui se livre à ces exercices n'avait d'autre but, das le commencement, que de vaincre l’incrédulité du public qui'ne l'aurait pas jugé capable de tels exploits sur sa mine. Plus tard , il a été forcé de travailler pour nourrir l'admiration ac- quise, enfin il en est arrivé à casser des cailloux et des noyaux de pêche d’un coup de poing. C’est le genre de succès vt d’ama- bilité qu'ambitionne le Coccothraustes des savants qui aime aussi à casser des noix ou des noisettes d’un coup de sa mailloche pour divertir la société. L'homme qui désire prouver sa force manque rarement d'en- foncer une côte ou deux à un ami en jouant ou de lui casser un bras ou de lui crever un œil. Mais sortez-le de cette spécialité, il est nul. Ainsi fait le Gros-bec qui éborgne, estropie, as- somime tout ce qui l’entoure, sous prétexte d'essayer à qui sera le plus fort. Hors de là triste compagnon. Le Gros-bec est commun dans toutes les contrées de la France, mais plus répandu dans le nord et dans l’est que dans la région du midi où il n'apparaît qu’en hiver. Il n’y a pas d'année que je ne le rencontre aux Tuileries ou au Jardin des Plantes à son double passage de printemps et d'automne. Il niche dans les fo- rèts, presque toujours sur les arbres conservés dans les coupes. SÉDIPÈLES. 99 Son nid qui n’est pas artistement construit, comme l’aflirme Tem- mynck, mais, au contraire, assez grossièrement façonné , est posé à plat sur une enfourchure de grosse branche , à une ving- taine de pieds du sol; il ressemble à celui du Bouvreuil, étant formé d'herbes sèches et de petites racines, et renferme quatre à cinq œufs d'un gris sale, marqués de taches de rousseur. J'ai suivi attentivement des éducations de jeunes Gros-becs sur place, et j'ai pu me convaincre que si les pères et mères nourrissaient leurs petits à la bouillie, ils avaient grand soin aussi de leur ap- porter de temps en temps des insectes au bout du bec, des in- sectes ailés notamment. Le Gros-bec est un goinfre à qui tous les morceaux convien- nent, mais à qui la nourriture ne profite guère plus qu’à la plu- part de ses congénères. Il attaque les bourgeons des arbres, les graines , les noix, les noisettes, les fraises ; il adore le marc de raisin, mais son mets de prédilection est le noyau de cerise. C'est grand dommage qu'il ne rachète pas les défauts de son ca- ractère par les qualités de sa chair ; car c’est un des oiseaux les plus niäis et les plus faciles à prendre; il n’a pas même l'esprit de se débarrasser d'un gluau. Sa tactique de défense est de se renverser sur le dos pour faire le moulinet à quatre faces et as- séner un vigoureux coup de bec à la main qui va le saisir, et malheur au novice trop lent à la parade. Je sais des personnes qui ont du plaisir à garder de ces oi- seaux en cage où ils ne disent pas grand'chose, mais j'en connais aussi qui se plaisent dans la société des hommes forts. Ici se termine le groupe des Jaseurs et des Ébourgeonneurs, espèces éminemment végétivores et frugivores, munies de becs d'acier, capables d’avoir raison des enveloppes de fruit les plus dures, mais généralement peu habiles à bâtir etn'employant que l'herbe et les racines dans la construction de leurs nids. C'est à la suite des Gros-becs qu’il convient de faire figurer le groupe des Cardinaux, des Paroares et des Commandeurs, qui sont de charmants oiseaux de volières, remarquables par l'éclat de leur plumage , la vivacité de leurs allures et la gaieté 100 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. de leurs chansonnettes. Presque toutes les espèces portent la huppe , ce qui les rapproche du Jaseur. Toutes ne dégorgent pas, mais celles qui sous ce rapport font exception à à la règle générale remplacent ce procédé par un autre qui s’en rapproche beaucoup; elles épluchent et concassent les graines pour les servir à leurs petits: Le Commandeur qui est un oiseau jaune et vert, de la taille du Gros-bec, est tout proche parent du Verdier. Le Vernier. Verdon du Midi, Vert montant du Nord, 27 uant, Tarin-Bruyant, Fringilla Chloris des savants. Il importe de ne pas confondre le Verdier qui est un oiseau dégorgeur , qui fait son nid sur les arbres et qui produit en cap- tivité avec la Serine, avec la Verdière qui fait son nid'à terre et ne dégorge pas , et ne peut par conséquent se marier avec la Serine. L'oiseau connu à Paris et dans les trois quarts de la France sous le nom de Verdière, est le Bruant de haies dont il sera question plus tard. Le Verdier dont nous nous occupons pour le moment est un oiseau jaune et vert, un peu plus gros que le Pinson, qui vient immédiatement après le Gros-bec parmi les Granivores pour la puissance et la force de ses mandibules et qui ressemble assez pour le ton général du costume au Tarin. Les gamins de Lorraine qui sont de grands nomenclateurs l'ont appelé le Tarin bruyant, à raison de cette ressemblance compli- quée de tapage. Le Verdier est un assez joli oiseau dont il y a beaucoup de bien à dire. C’est une espèce innocente et sans fard, et qui n’a d’au- tre défaut que d’être trop confiante dans la loyauté de l’homme et de donner dans tous les piéges avec une facilité extrême, ca- ractère commun à tous les êtres bons et naïfs, incapables de mentir et qui ont le cœur sur la main. Le Verdier accepte la cap- tivité avec une philosophie admirable et il se prête complaisam- ment en prison à toutes les expériences matrimoniales qu'on veut tenter sur lui. Il vit autour de nos jardins l'été, et l'hiver autour de nos fermes ; il émigre à peine au Midi par les froids 1e plus rigoureux. Mais le Verdier engrène sérieusement dans l’ordre des artistes SÉDIPEDES. 101 supérieurs, virtuoses, architectes, tisseurs, vanniers , matelas- siers, etc. Son chant, bien qu’un peu monotone, est un chant vé- ritable, retentissant et sonore qu'il fait entendre presque sans interruption du matin jusqu'au soir pendant la belle saison. Son nid est déjà une œuvre d'art et qu'il est licite d'admirer , même à côté des produits merveilleux de la fabrique du Pinson et de celle du Chardonneret. Ce nid , très-compliqué, se compose, à partir de l'extérieur , d'une première corbeille en menues racines d’herbettes lächement tissues et ornées d’une ruche de mousse destinée à marier la couleur de l'édifice avec celle du milieu ver- doyant où il est assis. Cette première corbeille ou paillasse en enveloppe une seconde d’un tissu de même étoffe, mais bien plus serré et plus fin, qui sert à son tour de support à un léger matelas de crin, admirablement ouvragé, feutré, enguirlandé, sur lequel reposent les œufs. Ces œufs sont au nombre de cinq, tiquetés de. rouge sur fond gris bleuàtre. Le Verdier, qui aime le monde, niche volontiers sur les tilleuls des promenades pu- bliques; et si je ne l’ai pas encore trouvé établi aux Tuileries ni au Luxembourg, j'en ai connu en revanche de nombreux mé- nages en province, à Versailles, par exemple, et bien plus fré- quemment encore dans les allées des esplanades de toutes nos grandes places fortes du Nord, Lille, Metz, Strasbourg. Ces nids sont presque toujours dissimulés habilement dans la sombre épaisseur de ces bouquets de feuilles qui font éruption après le tronc des tilleuls à la suite des élagages pratiqués par la serpe. Le mâle aide valeureusement la femelle dans la bâtisse de ce nid, œuvre capitale dont l'achèvement complet n’exige pas moins de trois jours d'un travail assidu. Il lui sert de manœuvre pendant toute la durée de la besogne, lui apportant avec un zèle et une intelligence dignes des plus grands éloges les divers matériaux qu’elle lui demande, et ne s’interrompant dans sa tâche que pour lui chanter des chansons où il met toute son âme. C’est lui aussi qui la nourrit. dans l'incubation et qui prend sur sa peine la plus lourde part de l'éducation de la famille, se chargeant de distribuer aux nouveaux-nés la nourriture de l'esprit après celle du corps. Bon fils, bon époux et bon père, est un témoignage 102 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. qu'on peut porter & priori de tous les Verdiers du monde et inscrire sur Jeur tombe. J'ignore à propos de quoi Buffon s'est avisé d'attribuer au pauvre volatile, la triste habitude d’enfouir. Je dois faire ici, à propos de cette espèce jaune, une remarque très-intéressante et qui s’appliquera à toutes les espèces du groupe que nous venons d'aborder et qui est le groupe des illustres soprani, de ces grands artistes si habiles à façonner les étoffes précieuses en barcelonnettes mirifiques et à marier les sons en d'éloquents épithalames. On sait que le Serin jaune est un produit de l’art, c’est-à-dire un produit de l'industrie humaine, et que la couleur jaune jonquille est la note du fami- lisme pur. Il est donc visible que le moule obtenu par l'homme est l'emblème le plus pur de l'amour maternel, ce qui se traduit en analogie passionnelle par cette phrase : «Le Serin est l'em- blème de l’enfant gâté. » La couronne de plume que portent les Jeunes Canaris est, en effet, un signe de royauté qui ne permet pas qu’on se méprenne sur la dominante passionnelle de l’es- pèce ; c’est comme si la nature avait écrit sur le front du petit oiseau la formule du ton du mode hypomineur : le supérieur excuse aveuglément l'inférieur. Alors, il résulte de cette attri- bution du titre supérieur de paternisme au Serin de Canarie que toutes les espèces qui sont en affinité morale avec lui, c’est- à-dire que toutes les espèces qui se marient avec la Serine, sont titrées en mème dominante. Et cette remarque ne s'applique pas seulement aux trois espèces indigènes auxquelles je faisais allu- sion au début de cet alinéa, Tarin, Chardonneret, Linot, mais encore à cette foule immense de petits Granivores des autres parties du monde qui peuplent déjà les volières des riches ama- teurs, et grâce aux eflorts de quelques-uns d’entre eux ne tar- deront pas à s’acclimater sous notre ciel. Ainsi voilà cette série innombrable des Gros-becs, des Loxias, des Fringilles, que la science empirique avait proclamée indisciplinable, parfaitement classée, ralliée et différenciée d’un seul trait ! Le Tarix. Charmant petit oiseau de volière, à manteau jaune, illustré de plaques noires, compagnon de cage habituel du Serin SÉDIPÈDES. 103 et du Chardonneret, espèces avec lesquelles on l'appuric avec une facilité extrême. Les métis qui naissent de la Serine ct du Tarin sont féconds, vivent beaucoup plus longtemps que les autres et fournissent d'excellents musiciens. On en a vu qui fri- saient le quart de siècle. Le Tarin qui niche communément dans certaines provinces du milieu de la France, et notamment dans les contrées riveraines de la Saône, ne se montre que fort rare- ment ailleurs dans la belle saison. En revanche on le rencontre partout, à dater de la mi-octobre jusqu'au premier décembre. C'est l’époque où la venue du froid le chasse du Nord, sapatrie, et le force à prendre ses quartiers d'hiver dans les pays voisins de la Méditerranée. Il repasse au printemps, mais ne suit pas la même route, car on n’en revoit pas au mois de mars la vingtième partie du nombre qu’on avait compté en novembre. Ses pérégri- nations, du reste, embrassent une grande partie de l'hémisphère boréal de l’ancien continent, et même je suis très-porté à consi- dérer comme de véritables Tarins les petits oiseaux jaunes ct noirs qui sont inscrits dans Jes vitrines du Muséum d'histoire naturelle de Paris sous le nom de Chardonnerets de l'Amérique du Nord. Les Tarins voyagent le matin par petites troupes de douze à quinze individus, qui s’annoncent de très-loin par leur sifflet d'appel, note perçante quoique flûtée et douce et semblable à celle du Bouvreuil. Leur vol est rapide et incertain comme celui des Linots avec lesquels ils ont de grandes similitudes d'’allures. Il arrive très-souvent qu'en cette saison des brumes on les en- tend passer au-dessus de sa tête sans les apercevoir. Les Tarins s’abattent d'habitude sur la cime des aulnes où ils se tiennent tout le reste du jour. Les semences de l'aulne, renfermées entre des écailles comme celles des arbres verts, sont, en effet, la prin- cipale nourriture de ces petits oiseaux qui sont obligés de se pen- dre à l'extrémité des rameaux pour visiter les fruits sous toutes leurs faces. On les voit aussi, mais bien plus rarement, se jeter sur les massifs de chardons et de bardanes. Ils ne cessent de ca- queter et de voleter joyeusement d’une tige à l’autre pendant la durée du repas, puis à un coup de sifflet donné par le chef de la bande, tous prennent leur volée et font une pointe rapide dans 104 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. l'espace pour revenir la moitié du temps à leur point de départ. Si pendant qu'une compagnie est en train de dépouiller un arbre, une autre se fait entendre dans l'air, elle est aussitôt conviée par une acclamation unanime et énergique à venir prendre sa part de la bonne aubaine offerte par le sort, et elle répond sans se faire prier à l'invitation fraternelle. Cette facilité extrême à accepter les invitations à déjeuner qui distingue le Tari voyageur, comme tous les Granivores du reste, ne pouvait man- quer d’être exploitée d’une façon cruelle par l'homme. Elle est cause que l'appelant fait tomber chaque automne des milliers de Tarins dans les filets de l’oiseleur. Heureusement que les pau- vres petites bêtes sont si jolies à voir et à entendre, et font si triste mine à la broche ou à la casserole, que l'idée ne vient ja= mais à l'oiseleur de leur ôter la vie. Ajoutons que la bonne hu- meur avec laquelle les captifs semblent accepter leur position nouvelle et qui leur permet de se mettre à table une heure après leur entrée en cellule, ne laisse pas que de contribuer quelque peu à alléger le remords des bourreaux. Règle générale : tous les oiseaux qui vivent sur les grands arbres, de semences dures et coriaces, font de piètres rôtis.' Le Coq de bruyère, lui-même, quand il a trop abusé des tiges de sapin, prend un goût de résine qui détruit tous ses charmes. Le nid du Tarin est encore un progrès sur celui du Verdier ; la mousse en est absente, le matelas de crin et le sommier de menues racines sont d'un tissu plus fin et plus serré, et j'ai cru y voir figurer un élément nouveau, la laine ou le duvet. Ce nid est caché avec un soin extrême dans Ie redan de l’enfourchure d'une grosse branche d'arbre vert et si bien dissimulé aux re- gards qu'il est à peu près impossible de le découvrir d'en dessous. Le Vexruron. Espèce presque exclusive aux provinces du Midi riveraines du Rhône; ambiguë entre le Tarin et le Serin de cage. La tendance au jaune absolu continue à se dessiner d’une facon formelle ; le sommet de la tête encore noir chez le Tarin passe au jaune chez le Venturon, ainsi que la poitrine et toutes SEDIPEDES. 105 les parties inférieures du corps, y compris le croupion. La teinte de l'abdomen et celle du craupion sont un peu plus pâles, mais l'envahissement de la nuance citron est notable. Le manteau reste vert, les ailes à peu près noires, ourlées de lisérés jaunà- tres avec un rayon de miroir de pareille couleur. Du reste, même innocence de mœurs et même régime que le Tarin, Le Venturon vit un peu moins exclusivement de semences d'arbres que ce dernier, et méle plus volontiers à cette nourriture les menues graines des plantes herbacées. Gazouillement gracieux et inta- rissable. Les habitants du Midi appellent cet oiseau d'un nom barbare qui veut dire véolonneux , pour l'habitude qu’il a de pin- cer sa chanterelle. Il niche de préférence sur les arbres verts; son nid est une œuvre d'architecture merveilleuse à la construction de laquelle il emploie les matières les plus riches et les plus déli- cates , la laine, le crin , le duvet. Aucune couche n’est trop douce pour les enfants gâtés. La femelle y pond ses cinq œufs et conti- nue après avoir pondu à parer sa demeure, pour charmer les lon- ques heures de l'incubation ; pendant lesquelles le mâle la quitte à peine d'une seconde pour lui aller chercher sa pâture. Le Ven- turon est avec le Cini le moule de la série qui se marie le plus facilement avec la Serine. Originaire des pays méridionaux comme elle, et brûlé d'autant dé feux, il n’a pas contre ces mariages de la main gauche les mêmes scrupules de conscience que les es- pèces du Nord, froides et morigénées, et il n'attend pas comme le Bouvreuil et le Tarin, que la Serine abjure la pudeur de son sexe pour lui faire des avances, Le Serix De Caxarie. Pur produit de l’art, c’est-à-dire de la création humaine ; moule inconnu dans la nature vivante et fort improprement nommé Serin de Canarie, puisque le Serin de cette ile n'est pas jaune des pieds à la tête et ressemble beaucoup plus au Serin de Provence qu'au Serin de Hollande. Pur produit de l’art, cela revient à dire, produit qui ne tar- derait pas à dégénérer si où l’abandonnait à lui-même comme le blé, comme la pêche de Montreuil , comme le chien d’arrèt, ou 166 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. encore, que si par hasard tous les Serins appropriés par l'homme ‘et élevés aujourd'hui dans sa demeure, s'échappaient de leur cage à la même heure, l'espèce aurait disparu de la surface du globe avant un demi-siècle. Par conséquent, j'aurais pu me dis- penser de classer le Serin dit de Canarie parmi les oiseaux de France et le reléguer dans la catégorie des variétés dont je n’é- cris pas l'histoire. Mais l'espoir de tirer un parti avantageux de son introduction dans la série, pour le classement des espèces voisines, a été le motif qui m'a fait renoncer pour cette fois à ma pratique habituelle. On dit donc qu’un navire qui venait des îles Canaries à destina- tion de Livourne avec un fort chargement de Scrins, fit naufrage sur les côtes de l’île d’Elbe, en l’an 1500 et tant, et que ces oiseaux s'étant échappés de leur prison, gagnèrent heureusement la terre, et trouvant le pays à leur convenance, s’y établirent et y mul- tiplièrent promptement. On ajoute que l’affabilité des nouveaux débarqués , la grâce de leurs manières , la suavité de leur chant, et surtout leur aptitude précieuse à apprendre facilement tous les airs, leur acquirent en peu de temps une célébrité euro- péenne. Si bien que l'engouement de tous les riches oisifs des cités pour cette provenance enchanteresse des îles Fortunées serait devenu si puissant et si universel, que le prix d’une paire de Serins de l'île d'Elbe aurait rapidement atteint des chiffres fabuleux, à la portée des seules bourses hollandaises. Et alors l'industrie de l'élève de l'espèce se serait localisée dans les Pro- vinces Unies, à côté de l'industrie des tulipes et des jacinthes. Acceptons cette donnée telle quelle , étant plus facile d'y croire, comme on dit, que d'y aller voir. Le fait est que s’il est un peuple qui ait à réclamer une plus large part que tout autre dans la création du Serin jaune , c’est le peuple hollandais. Aujourd'hui même encore, les plus belles variétés de l'espèce , les plus grandes, les plus sveltes , les meil- leures chanteuses, les plus vives en couleurs sont dites de Æol- lande , et je ne vois aucune raison de ne pas considérer cette glorieuse attribution d’origine; comme une sanction légitime de la reconnaissance publique. N'oablions pas de mentionner cepen- SÉDIPÉDES:. ::-- + 107 dant que beaucoup d’autres contrées européennes réclament à juste titre l'honneur d'avoir contribué à l'illustration de l'espèce en développant ses talents. C’est ainsi que les Canaris de la ville d'Inspruch, capitale du Tyrol, mère-patrie du falaitou, ont joui longtemps sur tous les marchés de l’Europe d’une faveur méri- tée ; faveur qui provenait de ce que la plupart d’entre eux tiraient leur origine d’un ancêtre fameux qui chantait le rossignol. C’est ainsi encore que les Canaris d'Angleterre se sont fait une bril- lante réputation mélodique à chanter la farlouse. Il m'est dur d’a- vouer que j'ignore complétement encore l'illustration spéciale des Canaris de France. J'en sais bien des centaines qui chantent l'hirondelle, mais l'article n’a qu’un prix fort médiocre aux yeux des amateurs. Toute l’histoire du Serin des Canaries , du Serin d'avant la conquête, tient largement dans les trois faits qui suivent et dont deux sont déjà connus : | Il aspire au jaune absolu ; les petits portent la couronne. Les pères ont un grand bonheur à jouer à l'enfant, c’est-à-dire à se fourrer dans le nid, à côté de leur progéniture, puis à ouvrir le bec et à battre des ailes pour se faire donner la becquée. Il est possible que des pères civilisés, que des hommes modé- rément titrés en paternisme et en intelligence aient besoin qu'on leur explique la signification de ces faits ; mais j'ose affirmer qu'il n'est pas une jeune mère à la hauteur de la mission sacrée que ce titre lui confère, qui ne tire facilement et à première vue la morale de l'histoire. Et, en effet, la tendresse immodérée des Canaris pour leurs nourrissons ne veut dire autre chose, sinon, qu'on ne saurait trop gâter et càliner l'enfant, le bourrer de trop desucreries , le manger de trop de caresses , etc., principes de sa- gesse éternelle que Dieu a gravés de tout temps dans le cœur des vraies femmes. Or, il était diflicile que celles-ci n’éntendissent pas sur-le-champ un langage aussi clair, ct qu'après l'avoir com- pris elles n’entourassent pas de leurs sympathies légitimes les charmantes créatures qui étaient en communauté d'opinions po+ litiques avec elles. Maintenant soyez bien sûrs que si l'alliance contractée entre la femme et le Serin a été si complète, que ce- 108 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. lui-ci-pour vivre auprès de sa protectrice a fait abandon absolu de:sa liberté, cet acte d’abnégation étrange cache un secret des-- sein de Dieu, qui a voulu que le spectacle du ménage heureux de l'oiseau qui symbolise l'amour maternel élevé à la septième puissance, füt sans cesse sous les yeux de l’homme pour lui ap- prendre à chaque heure du jour les devoirs du père envers l'en- fant. Les Harmoniens , qui pratiquent le dogme de la Suprématie enfantine, attribuent justement la méchanceté des Civilisés à ce qu'on les fustige trop dans le jeune âge où la chair est si tendre et où l'instinct de la justice native se révolte si facilement contre l'iniquité du châtiment et l’abus de la force. Tel père, tel fils; les Canaris qui n'ont recu de leurs auteurs que des preuves d'affection quand ils étaient petits, sont tout naturellement portés à faire à leur progéniture ce qui leur a été fait, et l’idée de se conduire autrement ne leur est jamais venue que dans des cas exceptionnels, dits d’aliénation mentale, qui peuvent déshonorer quelques individus, mais n’atteignent pas l'espèce. On n’a peut-être pas d'exemple qu'il ait existé un commerce d'amitié entre des Canaris et l’une de ces mégères atroces, hontes de l'humanité, qui font périr à petit feu leurs malheureux enfants qui n'avaient pas demandé à naître. Il est bien vrai que toute l'histoire analogique et philosophi- que du Serin de Canarie peut tenir en trois lignes; mais cette vérité-là n'empêche pas qu'il ne reste pour les détails un volume plein d'intérêt à écrire sur cette espèce an:ie de l’homme et consolatrice entre toutes ; car aucun autre petit oiseau à gosier de cristal n’occupe une aussi large place dans les affections de la jeune prolétaire, n'égaie de ses chansons joyeuses plus de taudis maussades , ne préserve tous les jours plus de pauvres anges dé- chus de la tentation du réchaud. Je regrette bien vivement pour mon compte que le manque d'espace m'interdise de me laisser aller aux élans de ma sensibilité et de ma gratitude envers ce doux charmeur du travail et de la misère, désireux que je serais de le venger des coupables dédains de la jeune fille du monde, qui n’a pas honte de préférer les criailleries odieuses du per- roquet vert faux, ignoble emblème du légiste retors, aux notes SÉDIPÉDES. 109 vives et perlées , aux fugues enthousiastes du Canari jonquille, emblème gracieux de la plus sainte des passions féminines. Pau- vre société, hélas, que celle qui aime à se mirer dans les em- blèmes de perlidie et de cupidité ! Pauvre société que celle où l'artiste de talent végète au fond des bouges, pendant que le hàbleur subtil sans foi, ni loi, ni style, habite les palais ! Il était encore dans mes vœux de ne pas clore cet essai si court sur les mœurs et coutumes du Serin de Canarie avant d'avoir fait ressortir les avantages immenses du système d'éducation pu- blique en vogue chez l'espèce, système que les Hafmoniens lui ont pris et dont ils ont tiré des résultats merveilleux ; système dont l'adoption toute seule suflirait peut-être aujourd’hui à sau- ver le vieux monde, mais dont il m'est totalement impossible de donner les détails. Institution d’une double Grande-Maitrise de l’enseignement public, l’une Féminine, l’autre Masculine. Celle-là modulant en mineur et régissant souverainement la sphère de l'éducation proprement dite, de l'éducation physique et morale de la pre- mière enfance; la sphère du sentiment, du juste, du gracieux, du tendre ; la sphère de l'éducation attrayante où s’apprennent les secrets de la parole élégante et facile avec ceux de la faisanderie, de la confiserie et de l’art d'élever les lapins et les roses, etc., où l'enfant en un mot est guidé vers le bon par la route du beau. Celle-ci modulant en majeur et embrassant la vaste et sérieuse doctrine de l'éducation intellectuelle, de l’enseignement secondaire et professionnel, poussant au beau par la route de l’utile. On comprend tout ce que doit faire perdre d'intérêt à un sujet de cette nature l'insuffisance d’un pareil exposé, mais on sent aussi la nécessité qui force l'analogiste de s’imposer certai- nes bornes en de trop riches matières. Et assurément que ce n'était pas pour demander au Scrin de Canarie un modèle de constitution de l'instruction publique que je l'avais tiré de son île et classé, malgré lui, parmi les Granivores de France. Le Serin de Canarie est le plus habile, le plus intelligent et le plus infatigable de tous les chanteurs à gros bec. Il est, à ce titre , le coryphée et le pivot de la grande série naturelle musi- 110 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. cale du Soprano. Il est en outre le prototype du groupe des Dégorgeurs dont nous sommes occupés à distribuer les gen- res. Or, tous ceux qui ont tenu en main le compas sériaire sa- vent combien il est difficile d'opérer le calcul des distances hiérarchiques, quand on ne connaît pas la place du pivot et quelle lacune immense l'absence de ce numéro 4 laisse dans la série. Telle était précisément la situation où se trouvaient nos espèces de France, et c'est pour parer à ses périls que j'ai ap- pelé l'intervention du moule glorieux. En le plaçant où je l'ai mis, je fais voir que le classement des espèces du groupe a été établi d'après l’ordre des affinités morales et physiques de chacune d’elles peur le type pivotal. Ainsi de la séquence des trois oiseaux jaunes qui précèdent , le Verdier, le Tarin et le Ven- turon, lesquels vont se rapprochant de plus en plus de l'idéal jonquille. A partir de là, marche analogue, mais en sens inverse, et le premier moule de laileron descendant, le Cini, presque complétement semblable au dernier de l’aileron ascendant, le Venturon. J'ai mentionné dans une note antérieuré, page 17 de ce vo- lume, ce fait intéressant que la femelle du Serin de Canarie chantait quand elle voulait et quand elle n'avait rien de mieux à faire. Tout porte à croire que ce don du chant a été accordé par privilége exclusif et spécial à toutes les femelles du groupe. Le Ci. Serin de Provence. Front, poitrine, croupion jaune serin, ventre paille, manteau brun verdâtre, émaillé de taches noires, bec bombé , queue fourchue , natif du midi de la France, commun aux deux versants des Alpes ; habitant des rives ombra- gées, des ruisseaux et des fleuves ; amateur de mouron, de se- necon et des menues graines ; nid charmant, chant délicieux. Ce- lui-ci est le plus proche parent du Serin de Canarie. Mèmes mœurs innocentes, mème gentillesse , même grâce, même esprit de charité sociale que toutes les éspèces voisines; même facilité à donner dans tous les piéges à la voix de l’appelant. Sédentaire dans quelques localités privilégiées du Languedoc et de la Pro- vence. Émigre par delà les monts, à la venue des froids. SÉDIPEDES. 111 Le Cini , le Venturon et le Serin libre , sont des espèces si voi- sines l’une de l’autre qu’on les a souvent confondues. Cependant la différence de la forme du bec est assez grande entre les trois pour prévenir les méprises. Le Cuarponxerer. Le plus vif, le plus joli, le mieux paré et le plus coquet de tous les oiseaux de France, le plus industrieux aussi et le plus intelligent. Le Chardonneret est comme l'Alouette et le Rouge-gorge une de ces espèces précieuses sur lesquelles il faudrait se taire ou écrire un volume. Je ne puis ni l'un ni Fau- tre, hélas! Mais ce n’est ni la bonne volonté ni les pièces ” me Dauen pour faire le gros livre. Les Grecs, plus heureux que nousdans la distribution des noms de bètes, appelaient le Chardonneret l'acanthide. Rome adopta ce nom et Virgile l'a chanté. C’est la même expression que celle de Chardonneret, à la poésie près du vocable. On sait, en effet, que l’acanthe qui a fourni le modèle du chapiteau corinthien est une variété de chardon voisine de l’artichaut , plante toute neuve. Les Allemands, moins poëtes que les Grecs, mais plus dociles quelquefois aux indications de la nature, ont aussi rescontré mieux que nous. Ils appellent le Chardonneret Séiglitz par har- monie imitative. C’est le plusrationnel et le plus joli de ses noms. Le changement de costume du Chardonneret qui déserte déei- dément le jaune et adopte pour parure de chef le turban écar- late, annonce la tendance à s'éloigner du type pivotal. Le Char- donneret se tient à la mème distance de la Serine au delà que le Tarin en decà. Il fait avec elle bon ménage, mais à la condition néanmoins que la princesse étrangère commence par l'encoura- ger à oser. Il est essentiellement granivore et ne doit se passer la fantaisie de l’insecte que comme le Jaseur, au dessert. Le ramage éclatant du Chardonneret se rapporte à son plu- mage ; sa grace, sa gentillesse, son. babil amusant en ont fait de tout temps les délices de l'enfance et la consolation des re- cluses. C’est le plus charmant des captifs, et après le Rouge- gorge, l'oiseau chanteur le plus familier et le plus ami de l’homme. 112 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Pour un peu de caresses, quelques marques d'intérêt, quelques douces paroles, on lui fait chérir sa prison; il s'attache à son maitre et surtout à sa maitresse. L'esclavage à deux lui plait plus que la liberté seule. Je connais à Paris une dizaine d’établisse- ments de coiffeurs où voltigent librement parmi les faux toupets et les flacons de Portugal des Chardonnerets privés , prisonniers sur parole, et à qui l’idée ne vient jamais de prendre la clef.des champs. Plus heureux que beaucoup de ses semblables, le Chardonne: ret sait sa beauté et la soigne. Il se mire dans sa glace et se re- garde faire , il s’écoute chanter. Dans les parterres qui sont ses demeures favorites et où il aime à nicher parmi les lilas et les roses, il pose en guise de fleur à la cime des jeunes pousses des pommiers qu'il courbe de sa pression légère et il s’y balance avec grâce pour étaler aux regards la dorure de ses ailes. Il y eut sous le dernier règne, dans une petite ville de l'Oise, distante de 42 lieues de Paris, un Chardonneret dont l'intelli- gence dépassa la commune mesure et qui jouit très-longtemps dans son pays natal d’une popularité méritée. Il appartenait à un entrepreneur de messageries qui faisait deux fois par semaine le voyage de la capitale , et s'était habitué peu à peu à accom- pagner son maître en ses expéditions. Dans le principe, il se bornait à voltiger au devant de la voiture et à se reposer de temps en temps sur la bâche de l'impériale où siégeait le patron et d’où il s’échappait à l'occasion pour causer et batifoler avec les oiseaux de son espèce qu'il rencontrait sur la route. Mais il se fatigua bientôt de la lenteur du véhicule à quatre roues, et peu à peu il s’accoutuma à prendre les grands devants ; à la fin il allait tout d’une traite annoncer la prochaine arrivée de son maître à l'hôtel de la grande ville, où il l’attendait tranquille- ment au coin du feu quand le temps était à l’orage et d'où il repartait pour voler à sa rencontre quand l’air était serein. C'é- tait à chaque fois qu'on se séparait et qu'on se retrouvait une effusion intarissable de caresses et de félicitations mutuelles, comme s’il y avait des siècles qu'on ne s'était parlé. Ce char- mant commerce d'amitié dura plusieurs années pendant les- SEDIPÉDES, 113 quelles tout citoyen de la ville en question eut chaque jour sous les yeux la démonstration convaincante de cette vérité philoso- phique par nous si souvent formulée : que toutes les bonnes bé- tes ont été créées pour aimer et pour servir l'homme et que l'ambition secrète des plus intelligentes est de se rallier à lui. Un accident dont on n’a jamais su positivement les détails mit fin à l'union édifiante de l'oiseau et de l'homme. Un enfant sans pitié abusa-t-il de l'innocence de la douce créature pour mettre la main dessus et lui tordre le cou? Mourut-elle sous la griffe d’un émerillon affamé pendant qu'elle portait un message ? L'estomac d’un matou perfide lui servit-il de tombe? Personne ne peut le dire, car personne ne fut là pour constater le crime. L'une des trois versions était la plus probable, mais l'imagination du peu- ple, amie du merveilleux , ne voulut pas accepter cette catastro- phe commune, si éloignée de tous les principes de la légende ; et elle trouva plus naturel d'admettre que Sa Majesté le Roi des Français, voyageant un jour vers Compiègne et ayant entendu raconter en termes enthousiastes les prodiges de sagacité de humble volatile , fut soudainement atteinte d’un désir si violent de posséder l'oiseau phénoménal, qu'elle en fit offrir des som- mes folles; auquel prix son maître le céda. L'histoire du Chardonneret est pleine de traits d’attachement de ce genre, et son intelligence va de pair avec la noblesse de son cœur. Tout le monde sait l'innocence et l'honnêteté de ses mœurs à l’état libre ; le dévouement absolu du mâle à la femelle, l'amour de la famille qui caractérise l'espèce, la gràce et la gaieté de son langage , sont alent prodigieux d’architecte, et ce- pendant l'étude du Chardonneret captif est plus intéressante encore que celle du Chardonneret libre. Un Chardonneret captif s'étant aperçu qu’un méchant fragment . d'échaudé, inattaquable pour cause de dureté et de vieillesse, s'était amélioré par suite de son exposition à une longue pluie, prit, à dater de cette expérience, l'habitude de faire tremper dans l’eau les aliments qu'on lui offrait. Le besoin le plus vif du Chardonneret est d'échanger sa pen- sée avec ses semblables : le régime cellulaire Je tue, et quand il + 114 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. est condamné, on voit bientôt sa gaieté disparaître et le marasme de la solitude le prendre pour le conduire aux portes du tom- beau. Or quelquefois on le guérit de ces accès d'humeur noire en trompant sa passion par un innocent subterfuge, en lui faisant cadeau d'un miroir qui reflète ses traits. La pauvre petite bête, en voyant manger son image, se persuade facilement qu'elle dine en société, et il ne lui en faut pas davantage pour lui re- donner le goût de vivre. : L'intelligence du Chardonneret se lit dans sa physionomie éveillée, spirituelle, qu'encadre d’une facon si heureuse et si ca- ractéristique sa couronne d’ardent écarlate, symbole de noble am- bition. Son joli bec d'ivoire plus gracieux et plus ellilé qu'aucun de ceux des espèces voisines sembJe bien l'instrument taillé pour créer des chefs-d'œuvre. La sveltesse féminine de sès formes lui confère le cachet d'élégance suprême. Il porte d’or en mi- roir sur les ailes, en signe de l'énergie de ses attaches pour les doc- trines du plus pur familisme. Les deux plaques roux cendré qui décorent sa poitrine sont l'Ordre du Travail et celui de la Pauvreté. C’est, en effet, un travailleur de premier ordre que le Char- donneret, un artiste qui, comme chanteur, ne reconnaît dans ‘toute la série du Soprano qu’un rival et qu’un maître, le Serin ‘de Hollande, et, comme constructeur, peut disputer hardiment le premier prix d'architecture aérienne aux plus célèbres maîtres du genre volatile, Loriot, Grive, Pinson, Rémiz et Mésange à longue queue. Son nid qu'il construit de duvet végétal, de crin, de laine et de mousse, est plus mignon, plus joli, plus petit et plus délicatement ouvré que celui du Pinson lui-même, qui sous d’autres rapports peut lui être supérieur. Il lé fait en trois jours et sait tirer parti pour sa construction de toutes lés substances soyeuses et cotonneuses qu'offrent le règne végétal et le règne animal. Aussi n'est-il pas rare de voir des Chardonnerets défaire leur bâtisse de fond en comble, lorsqu'ils viennent à trouver au milieu de leur besogne des matériaux plus précieux que ceux -qu'ils avaieut employés dans le principe. C’est ainsi qu’on à vu une paire de Chardonnerets changer de matelas trois fois dans SÉDIPEDES. 115 l'espacé de trois jours, au gré du propriétaire d’un jardin ou ils avaient établi leur domicile. Le premier jour on leur offrit de la laine; ils s’empressèrent de composer leur matelas de cette étoffe. Le second jour on mit à leurportée de la ouate de coton; ils jetèrent dehors la laine et la remplacèrent par la substance végétale. Le troisième jour on leur proposa du fin duvet qu'ils acceptèrent encore; mais ils s'en tinrent là finalement, s’aper- cevant que leur bâtisse commençait à prendre des dimensions exagérées par suite de ces remaniements. Je me suis assuré par des expériences personnelles que les Chardonnerets en quête de matériaux de construction acceptaient le poil de lapin avec non moins de reconnaissance que le coton. J'ai su une fois dans le même jardin potager onze nids de Chardonnerets dont tous les matelas étaient faits de ces houppes soyeuses qui ornementent les graines de salsifis. Or retenons bien ces détails, si caracté- ristiques dé la dominante de l'oiseau. Le Chardonneret unit donc aux grâces de la figure tous les agréments de l'esprit, toutes les facultés de l'intelligence, plus une foule de vertus du cœur. C'est qué le Chardonneret est l'emblème d'un ambitieux du plus haut titre, d'un artiste éminent, adorateur passionné du beau comme du bon, désireux de parvenir. de briller, d’éclipser les autres, disant bien, faisant mieux encore, mais avant tout honnête et ne voulant devoir qu'à son mérite seul sa fortune et sa gloire. Le Chardonneret est né dans une humble condition , puisqu'il vit sur le chardon comme l’âne, emblème du porteur d’eau et ennemi du progrès. Il symbolise l'enfant du peuple, fils de ses œuvres, qui s'élève très-haut dans l'estime de la postérité par ses œuvres immortelles, mais qui personnellement et de son vi- _vant né doit recueillir que des privations et des tribulations de tout genre. Si veut la loi des sociétés limbiques qui condamne les Prométhée, les Galilée, les Salomon de Caus à expier dans les supplices et dans les cachots les torts de leur génie. Le Chardonneret n’a jamais que les os et la peau. C'est l'espèce que le froid et la faim moissonnent le plus rapidement dans nos ru- 116 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. des hivers. Or le Civilisé, jaloux de témoigner au Chardonneret l'estime qu'il fait de ses talents, a inventé pour lui la peine des galères, châtiment odieux par son injustice et par sa barbarie, mais plus cruel encore au moral qu'au physique pour le noble travailleur qu'il ravale au rang de porteur d'eau, symbolisé par l'âne. Heureusement que le Chardonneret a été doué par la nature d'une résignation à toute épreuve et armé de la patience qui est la moitié du génie. Cet éternel besoin de corriger, de refaire et de perfectionner son œuvre qui tourmente le Chardonneret en travail de bâtisse a torturé aussi tous les grands découvreurs. « Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage, » dit Boileau qui a raison de faire du travail patient de la lime la condition pre- mière des œuvres immortelles; mais le Chardonneret avait for- mulé ce précepte quarante siècles avant qu'Horace ne l’eût dicté à Boileau. Newton, qui avait fini par découvrir la loi de l’attrac- tion sidérale en y pensant souvent, avait suivi aussi sans le savoir les instructions de notre oiseau. L'histoire dit que Thémistocle ne pouvait dormir des lauriers de Miltiade. Il y a beaucoup de Thémistocle dans le Chardonneret, qui ne peut non plus fermer l'œil si quelqu'un de ses compa- gnons de volière sommeille plus haut que lui. C’est un travers d'esprit peut-être, mais l’ambitieux ne saurait se résigner à être confondu dans la foule. Il n’est à son aise pour chanter qu’à la plus haute cime de l'arbre ou de l’arbuste; il a à toute force be- soin qu'on le regarde, même quand il travaille à son nid. Ce besoin de s'élever au-dessus de la masse qui tyrannise le Chardonneret explique les déboires dont sa carrière est semée. Le peuple en général n'aime pas à reconnaître la supériorité de ceux qui sont nés dans son sein. Le menu peuple de la volière murmure donc tout bas contre les prétentions du Chardonneret à occuper la première place; les Serins de Canarie, les Tarins, les Linottes essaient même de la lui disputer; mais il triomphe sans peine de ces ligues innocentes. La fréquence de ces démé- lés suffit néanmoins pour lui donner dans le monde le renom de mauvais coucheur. Tout autre est l'issue du combat quand la SEDIPEDES,. 117 Mésange s'en méle. ILest plus facile au Chardonneret d’avoir raison de cent Linottes que d’une seule Charbonnière. Il faut dire que cette Charbonnière est une intrigante de Ja pire espèce, avide d'autorité et de richesses, et à qui tous les moyens sont bons pour parvenir. C'est l'ennemie intime, l’anti- pathique naturelle, la bête noire du Chardonneret, à qui elle rend haine pour mépris, guerre pour guerre ; et l'on se déteste- rait cordialement à moins. Le Chardonneret est, comme j'ai dit, fils de ses œuvres ; la Mésange , au contraire, mange la cervelle aux petits oiseaux plus faibles qu'elle, et vit par conséquent de la pensée des autres. Le Chardonneret définit le droit de pro- priété, celui de jouir du fruit de son travail ; la Mésange le droit de jouir du fruit du travail d'autrui. On sent qu'il my a ni trève ni arrangement possible entre des champions de doc- trines aussi opposées; mais jusqu'à présent, il faut le dire, la stupide sentence du sort a élé pour la Mésange, l’affreuse petite cannibale qui enfouit comme le Corbeau, qui adore le suif commie un barbare , qui porte des griffettes comme un oiseau de proie, qui siffle comme la vipère, emblème de calomnie. Les prétentions de la Mésange à occuper le rang suprême sont aussi ridicules que celles du Chardonneret légitimes; mais comme elle est mieux armée et comme elle ne se fait pas scru- pule d’abuser de la supériorité de ses moyens d'attaque, il arrive que neuf fois sur dix le succès couronne ses manœuvres. Quand le cas exceptionnel se présente, quand il arrive par hasard qu’elle ne peut débusquer l'ennemi de sa haute position, la méchante petite bète, féconde en artifices, a recours à un subterfuge ingé- nieux pour prendre le dessus. Elle grimpe au plafond de l’éta- blissement où le Chardonneret ne peut la suivre, s'y cramponne fortement de ses griffes crochues, se pend la tête en bas et dort dans cette attitude, narguant ainsi de ce poste suprème et jus- qu'en sa défaite son vainqueur stupéfié. Audacieuse et rampante et l'on parvient à tout. : ‘Que d'emplois supérieurs aussi et de grades et de fauteuils d’Institut usurpés par l'intrigue et volés au talent dans le monde des hommes! Et que d’apologues à écrire sur ce texte inédit de 118 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. l’antipathie invincible du Chardonneret pour la grosse Mésange! J'engage toutes les personnes qui me lisent, et qui aiment les jolis oiseaux et veulent leur bonheur, à éloigner de leurs Char- donnerets les Mésanges charbonnières, vases d'inpureté et calices d'amertume. Si les Chardonnerets eux-mêmes se mon- trent trop difficiles à vivre, qu’on les isole invisiblement dans leur cage, au milieu de la volière, de manière à conserver tous les charmes de leur société, tout en se préservant des écarts de leur dominante. L'amour des chardonnerets dure autant que leur vie. On en a vu prendre le deuil à la suite d'une grosse peine de cœur et se retirer du monde, à l'instar de l’empereur Charles-Quint, qui, dégoüté de l'ambition et de la vaine grandeur, abdiqua le scep- tre, pour s’ensevelir tout vivant dans le monastère de Saint-Just et y fabriquer des horloges. L'histoire dit que le regret de sa détermination prit quelquefois le monarque. Ainsi le Chardon- neret qui a déposé sa couronne écarlate, signe de royauté, pour coiffer le voile noir, signe de renoncement et de deuil, revient quelquefois aussi sur Ja résolution que lui a dictée le déses- poir et rentre en ses insignes. Malgré tant de dons naturels, malgré tant de moyens de plaire, le Chardonneret n'arrive qu'en second dans les affections de l’analogiste. Il cède le pas au Rouge-gorge, emblème tou- chant du martyr de la foi sociale , et la plus noble, la plus dé- vouée et la plus héroïque de toutes les créatures ailées. Le Chardonneret porte haut et s’admire dans son chant et dans sa beauté; il est bien le phénix des hôtes de nos jardins, mais il n'a pas comme le Rouge-gorge le front ceint d'une auréole orangée qui lui descend sur la poitrine et couvre toute la région du cœur d’un vaillant plastron d'enthousiasme. Il n’accourt pas au bruit de la cognée pour assister le pauvre bücheron dans son travail ingrat ; il n’accompagne pas le voyageur égaré dans les sentiers de la forêt solitaire. L'hiver, 1l ne vient pas comme le Rouge-gorge demander place au foyer de l'humble cabane; il e proteste pas par ses douces chansons contre la rigueur du deuil universel. Il n’a pas non plus suivi le Christ au calvaire et SÉDIPÉDES. | 119 détaché une épine de la couronne du Rédempteur ; et les génies bienfaisants des campagnes ne lui confient pas leurs messages. Je demande qu’on supprime la peine des galères pour le Char- donneret par un simple amendement à la loi qui protége les bêtes, la meilleure loi que nos législateurs nous aient faite depuis un demi-siècle, la seule du moins que j'eusse été heureux et fier d'entendre appeler par mon nom. Le Lino. Linotte de vigne , Linotte rouge, grande Linotte, Gyntel de Strasbourg, etc. Toutes ces espèces-là sont la même , et le nom sous lequel on les déguise ne leur convient pas plus au masculin qu'au féminin. Lirot, pour dire l'oiseau du lin, comme on dit Chardonneret en français, Carduelis en latin et Acanthis en grec, pour dire l'oiseau du chardon. Or, les savants qui avaient à baptiser cette espèce en latin l'ont nommée d’abord Zinota, et puis Cannabina (c'est-à-dire mangeuse de chènevis), et ils ont obtenu de la sorte la mangeuse de graines de lin, qui vit de la graine de chanvre. Après quoi ils ontnaturellement appliqué le dénominateur Linaria équivalent de linot au Sizerin ou Cabaret, une espèce voisine qui se nourrit particulièrement des semences et des bourgeons de l'aulne. On n'a pas la main plus heureuse que ces braves gens-là. Je fais observer , du reste, à raison de ces deux noms français tirés de la nourriture favorite, que le premier convient mieux au Char- donneret que le second au Linot, attendu que celui-ci se passe parfaitement de la graine de lin pour vivre, tandis que celui-là a l'habitude de ne considérer comme habitables que les con- trées où le chardon , fléau de l’agriculture, étale avec orgueil sa végétation parasite. Pour mon compte j'ai vécu durant de longues années parmi de très-nombreuses républiques de Linots, dans un pays où j'en savais au moins cinquante nids chaque printemps et où la culture du lin était presque totalement inconnue. J'ai même remarqué que ces petits oiseaux préféraient généralement à tous autres les cantons montueux où abondent les genévriers et les buissons d’épine noire. Et tout le monde sait que le gené- vrier et l’épine noire sont les parures naturelles des terres en 120 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. friche, et que le lin se plait exclusivement au contraire dans la plaine fertile, riche et bien cultivée. À supposer done qu'il y eût eu nécessité de baptiser l'oiseau d’un nom de plante, j'es- time qu'on aurait pu mieux choisir la marraine qu'on n’a fait. Mais rien n’empêchait certainement de le nommer d’un nom de couleur et qui eût fait image , comme par exemple gorge-ama- ranthe, ou amaranthe tout court. Si l'élégance et la clarté de la nomenclature eussent gagné toutes deux à la chose, où ent été le mal? Le Linot s'éloigne à tire d'ailes du type pivotal de la série. Il abjure la couleur jonquille et vise résolüment à la rouge dont il se décore le poitrail et teint gracieusement sa calotte. Ce nouvel uniforme est l'accident le plus caractéristique de sa toilette; tout le reste de son costume, à la réserve de quelques étroits sillages de couleur blanche à travers les rémiges et les couvertures, se fond dans cette nuance indécise et modeste que j'appelle l’hum- ble livrée du travail et qui passe par toutes les nuances du terne, depuis le brun roux foncé des scapulaires du Moineau franc jus- qu'au gris terreux et jaunâtre du manteau de l’Alouette. Le Li- not se trouve placé à la même distance du Serin que le Verdier, et il est assez remarquable qu'il ait avec ce dernier de nombreux rapports d'habitudes, de régime et presque de voix, recherchant sa société dans les bons comme dans les mauvais jours. Le Linot niche fréquemment sur les quenouilles des jardins attenant à l'habitation de l'homme et aussi dans les vignes; mais sa demeure de prédilection est le buisson fourré du genévrier et de l’épine, où1l bâtit près de terre un nid plus confortable qu'é- légant et dans lequel le matelas de crin est trop léger et celui de laine trop épais. Cette bâtisse est l'ouvrage de la femelle seule, mais le mäle lui tient une compagnie assidue pendant toute la durée des travaux et l’aide avec tant de zèle dans la mesure de ses petits moyens qu’il est juste de lui savoir gré de ses bonnes intentions. Le Linot se nourrit de toutes les menues graines des champs, mais principalement de celles des plantes textiles et oléagineu- ses, lin, chanvre, cameline, etc. On lui reproche quelquefois SÉDIPEDES. 121 aussi d'attaquer les bourgeons des arbres des forèts. Mais je suis sûr qu'en revanche le Linot fait bonne guerre aux insectes enne- mis des vergers et que Dieu ne l’a pas poussé à nicher dans la vigne sans lui confier en même temps la mission de défendre la plante sainte contre les invasions de la Pyrale. | La confusion qui s’est faite dans les livres autour du nom de la Linotte provient de ce qu'on a pris quelques variétés acciden- telles et locales de l'espèce pour des espèces réelles. Et comme la couleur de la robe de la Linotte n'était pas très-bon teint et qu'elle tendait fortement à passer à l’une des deux nuances ge- nératrices du gris, l'occasion de l'erreur a dù se présenter fré- quemmeut. C’est ainsi qu'on a eu d'abord une Linotte blanche et une Linotte à manteau sombre. On n’a pas donné un nom spé- cal à la première variété, parce qu'on a bien vite reconnu qu'elle n'était que fortuite, mais on a été moins réservé à l'égard de la seconde qui se reproduisait plus souvent et qui est devenue en Alsace le Gynte! ou le Gentil de Strasbourg, une prétendue Li- notte noire à pieds rouges. Il y a eu ensuite la confusion motivée par la différence de taille, où l’on a fait naturellement de l'espèce la mieux nourrie et la plus riche la Grande Linotte de vigne, et de la plus pauvre la Petite. Enfin on a été jusqu’à trouver des différences d'espèces dans les différences de langage, comme si -chaque région n’imposait pas pour ainsi dire son idiôme parti- culier et son accent à tous les indigènes, hommes ou bêtes, comme si le plus ou moins d'élégance et de pureté de la diction n'était pas une chose qui se prend. Je n'ai besoin que de citer une seule observation pour faire sentir la puérilité de la dis- tinction. Il est de notoriété publique, et tous les marchands d’oi- seaux chanteurs le savent parfaitement, si les savants l’ignorent, que ces espèces délicates et sensibles subissent irrésistiblement l'influence du milieu social où elles vivent, et qu'il y a pour cha- cune d'elles dix méthodes de chant comme chez nous, et qu'il en est absolument du Linot, du Pinson , du Rossignol, etc., comme de la prima donna, du ténor et des autres prémiers sujets du chant qui se tiennent parfaitement et acquièrent tant qu'ils tra- 122 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. vaillent sur les théâtres des capitales, mais qui perdent prompte- ment et se rouillent en province. | Or on peut être un Rossignol barbare, un rustre, un malap- pris sans cesser d’être un Rossignol, de même qu'on peut, à la rigueur, naître à Saint-Flour sans perdre le glorieux titre de citoyen français. En somme, je ne connais en dehors de la Linotte de vignes que deux autres oiseaux de France qui méritent ce nom, le Sizerin dont il sera question tout à l'heure, et encore une Linotte à gorge rousse et à croupion rose, dite par quelques auteurs Linotte de montagne, qui ne niche pas chez nous, mais dans les pays du Nord, d’où elle émigre en nos climats plus doux en même temps que le Pinson des Ardennes. La Linotte ne mue qu’une fois l’an, à l'automne, ce qui ne l'empêche pas de revêtir son costume de noces au printemps. C’est un charmant oiseau de volière, doux de mœurs , caressant, intelligent, docile, doué par la nature d’un organe enchanteur et susceptible de se perfectionner par l'étude. Il retient facile- ment les airs qu’on lui serine; il y en a quisifflent, d’autres qui parlent. La Linotte vit très-bien et très-longtemps en cage, où elle ne tarde pas cependant à perdre ses brillantes couleurs; ce qui veut dire que sa place naturelle est bien dans l'intimité de l’homme, mais non dans une prison. Donnez à la Linotte au prin- temps ce dont elle a besoin pour bâtir, un peu de tranquillité l'été, un peu de grain l'hiver; assurez-lui un refuge contre la rigueur des longues nuits de janvier et de décembre, et elle ac- ceptera d'égayer vos demeures toute l’année à ce prix. On dit téte de linotte pour une tête vide et légère et qui tourne à tout vent, à cause de l’indécision et de l’inconstance d’allures qu'on a cru remarquer dans le vol de cette espèce. L'expression est vicieuse ; la Linotte est vive et rieuse, babillarde, étourdie, confiante, et comme tous les enfants gâtés et les gens heureux d’être au monde, elle aime le mouvement pour le mouvement lui-même et ne tient pas en place; mais ce besoin perpétuel d'aller et de venir, cette démangeaison de joyeux caquetage dont elle est tourmentée, n'impliquent aucunement chez elle le SÉDIPÉDES. 123 vide du cerveau ni le décousu des idées. Peu d'oiseaux, au con- traire, sont plus fermes en leurs principes et plus fidèles en leurs affections. La Linotte est l'emblème du chansonnier très-gai qui chante sur la vigne. Le Sizenin. Cabaret, petite Linotte, Serin de Lorraine. Plus petit que la Linotte ; le manteau d’un cendré plus obscur ; unè charmante calotte rouge laque ou rouge cramoisi sur la tête; les deux parties latérales du col et de la poitrine, le ventre et le croupion , teintes de la mème nuance, mais considérablement affaiblie et touchant presque au rose. Aucun des divers noms qui précèdent n'ayant de valeur intrinsèque et ne convenant à l'oi- seau , les savants ont beaucoup écrit sur la question de savoir lequel était le meilleur; et personne naturellement n'a songé à baptiser l'espèce du nom de Linotte à tête rouge ou tête rouge tout court, le seul qui lui convint. Le Sizerin est une jolie petite espèce qui porte la livrée de la Linotte, mais qui pour tout le reste, caractère, allures, régi- me, semble avoir été coulée dans le même moule que le Tarin au poitrail jaune et à la calotte noire. Elle ne niche pas en France ; sa patrie, c’est-à-dire le pays où elle aime, est le Nord, le vrai Nord du Pôle, la région la plus hyperboréenne des trois continents d'Europé , d’Asie et d'Amérique. On la trouve au cap Nord, au Groënland et au Kamschatka où elle passe toute la sai- son d'amour , attendant que le froid l’en chasse. Elle commence à paraître dans nos provinces d'Artois, de Flandre, de Lorraine et d'Alsace, aux approches de la Toussaint. C’est aussi l’époque que le Tarin a choisie pour ses voyages. Le Sizerin passe comme lui en petites bandes et à la mème heure ; il recherche comme lui les vallées humides plantées d’aul- nes, se nourrit comme lui des semences de ces arbres, se sus- peud comme lui à l'extrémité des tiges pour inspecter les fruits, siffle ou caquette joyeusement comme lui en volant; bref, porte la marie de limitation de son modèle jusqu'à se précipiter tête baissée dans les piéges où il le voit donner. Il m'est arrivé bien des fois de rapporter de la raéme chasse le’ mème nombre de 124 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. captifs de l’une et l’autre espèce pris sur les mêmes salades , au moyen du même appelant. Car j'ai oublié de dire que le Size- rin adorait la graine de salade et qu'il la préferait même à la semence et aux bourgeons de l’aulne dont il est si friand. Ce qui est cause que les maîtres l'ont appelé le mangeur de lin, Loxia linaria ou Fringilla linaria, le Bec de travers ou la Fringilla de lin, au choix. Je serais curieux de savoir si à nous autres barba- res la Science pardonnerait de telles bourdes. Elle aurait au sur- plus raison de nous huer ! Le nid du Sizerin que je ne connais pas et dont je n’ai jamais entendu parler, est bâti de crin, de laine, de mousse et de duvet végétal et caché très-adroitement dans une enfourchure d'arbre vert ou de bouleau rabougri..…. à l'instar de celui du Tarin. Le Sizerin est, comme le Tarin et la Linotte, un joyeux com- pagnon , un amifanatique du plaisir, toujours en verve, toujours en belle humeur, mangeant et buvant à sa délivrance prochaine, une heure après l'entrée en cage, officieux, bon enfant, se fai- sant tout à tous , ne croyant pas déroger en s’alliant à une espèce voisine, habile aux tours de force du corps et du gosier, mar- chant la tête en bas sous le ciel de son domicile, et donnant des ut de poitrine d'un éclat formidable pour un si petit oiseau. Ici finit le groupe des Dégorgeurs. Ici finirait la série des frugi- vores de France, s’il y en avait une , série qui débuterait par le Ramier et se terminerait au Sizerin. Le Sizerin, qui clôt le groupe des Dégorgeurs, est en même temps le dernier membre de cette corporation illustre des Maîtres Soprani, que je ne crains pas de nommer les délices du genre humain, après l'empereur Tite. Car Dieu ne versa jamais avec une pareille profusion sur aucune au- tre race ses trésors de vertu, de grâce, de joliesse , d'aptitude à toutes les jouissances spirituelles , de charme composé. Et il a eu soin en le faisant ami de l’homme de le faire Immangeable, im- mangeable hors le cas de légitime défense contre la faim, ines- timable don qu'il a refusé à l’Alouette, au Bec-figue , au Rouge- gorge et au Rossignol. Ajoutez maintenant à cette masse de précieux privilèges celui SÉDIPÉDES. 125 de la longévité. Gessner, qui écrivait il y a trois siècles, parle d'un Chardonneret qui avait vécu 23 ans; on en a connu depuis qui avaient dépassé ce terme. Et il y a mieux que des faits de longévité à rapporter de cette tribu favorisée du ciel. IZhistoire naturelle de tous les pays lui attribue des traits d'intelligence quasi-canine. J'ai raconté l'histoire de ce Chardonneret de province qui faisait la messagerie de Paris à sa petite ville, de compte à demi avec son maître. Des écrivains dignes de foi ont vu maintes fois dans l'Inde des Zengalis dressés à rattraper dans - sa chute rapide un anneau de métal qu’on leur jette en l’air et qui va toucher l’eau... D'autres qui s'amusent à faire des niches aux jeunes indouses, et leur chippent les piécettes d'or dont elles parent leur front, sur un mot de leurs amoureux... D'au- tres enfin, qui dans leur zèle pour la diffusion des lumières, illuminent toutes les nuits la façade de leur domicile, au moyen de vers luisants et de mouches phosphorescentes qu'ils fixent dans la muraille par un procédé ingénieux ; spectacle évi- demment renouvelé des Feux de Bengale et des lanternes de couleur en usage à la Chine. Arrétons-nous ici de peur d'aller trop loin. Perplexité cruelle! Quand je vois tant de Chardonnerets et de Tarins vivre des vingt ans en cage sans manger un insecte et sans en demander ; tant d'écrivains affirmer que les Linottes sont exclusivement granivores ; quand j'entends des ornithologistes de savoir et d'expérience comme M. Rossignol de Pierre me dire qu'ils n’ont pas encore eu la chance de découvrir une bête dans l'estomac d’un bouvreuil; quand je songe que le Coucou qui est exclusivement insectivore ne pond jamais dans le nid d'un Dé- gorgeur, je me prends quelquefois à maudire lächement les scru- pules qui m'ont détourné de croire à l'existence des frugivores français. Quand je considère surtout que cette série qui com- mence aussi par le Ramier et finit par le Sizerin est toute une avec celle des Dégorgeurs , laquelle se confond hermétiquement avec la série naturelle du Soprano , je me sens disposé d’a- vance à excuser ceux qui me reprocheront de n’avoir pas adopté pour l’ordre des Percheurs la division ternaire de préférence à la 126 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. quaternaire : Frugivorie, Ambivorie , Insectivorie… Ilest certain que cette méthode est la plus facile et la plus expéditive et qu'elle m'eût épargné , ainsi qu'à mes lecteurs, bien des phrases inuti- les… Mais si par hasard ces frigivores n’en avaient pas été ! Si je vous disais que j'ai fait voir l’autre jour à un savant qui n’en put croire ses yeux, que les Ramiers des Tuileries, les Frugivo- res modèles, étaient de forcenés vermivores à qui ne répugnait pas d’avaler de suite dix énormes lombrics ! Nous voici parvenus au second groupe de la série, un groupe . peu populeux que nous appellerons, si l'on veut, des Fringilles, pour faire une position honorable à ce nom générique qui tient une grande place dans le vocabulaire ornithologique officiel , bien qu'à mes yeux son principal mérite réside en son insigni- fiance. Les savants certifient que ce nom-là vient du latin fregus , sous prétexte que les oiseaux de cette catégorie sont les amis du froid. Mais je fais observer qu'alors c'était frigilles , et non fringilles qu'il aurait fallu dire. Quoi qu’il en soit, puisque ce terme a une signification admise et qu'il est doux à entendre en sa désinence féminine, acceptons-le bien vite pour la rareté du fait. Groupe des Fringilles. Deux genres ; six espèces. Le groupe des Fringilles se compose de deux familles, ou plu- tôt de deux genres, dits du Pinson et du Moineau, renfermant en tout six espèces : Pinson commun, Pinson d’Ardennes, Pinson des neiges, — Moineau franc (domestique), Friquet (Moineau des champs), Soulcie {Moineau de bois). | Caractères généraux. Les Friugilles ne dégorgent plus comme les espèces du groupe précédent , et elles nourrissent leurs petits avec des insectes; elles ne peuvent par conséquent se marier avec les Serins. Les unes nichent sur les branches, les autres indifféremment dans les cavités naturelles des vieux arbres et dans les trous des murs. La plupart ont le naturel batailleur et donnent à la pipée. Courageuses, rusées et méfiantes , les Frin- SÉDIPÉDES. | 127 gilles se défendent vaillamment contre un agresseur plus fort qu'elles et évitent même les piéges de l'homme. Elles sont ambi- vores et changent de nourriture avec les saisons, insectivores au printemps, baccivores l'été, granivores l'automne, et gemmi- vores l'hiver. Cette complaisance et cette élasticité d'estomac, triplant et décuplant pour elles les ressources alimentaires du pays, elles sont volontiers sédentaires, et leur chair n'est pas tout à fait aussi sèche ni aussi coriace que celle des séminivores quasi-purs. Les Fringilles se réunissent en bandes innombrables dans la saison des froids et voguent de concert avec les Linots, les Bruants, les Verdiers, les Alouettes, etc. Vol peu soutenu, bruyant et lourd, ailes rondes, queue fourchue, bec conique, vigoureux et court. Plus épaisses de corsage et beaucoup moins rapides que les Seriniens. | Le groupe des Fringilles se distingue des deux qui l'entourent par des caractères si tranchés et si nets que je n’excuse pas les elassificateurs d’avoir pu les confondre. Les Fringilles ne dé- gorgent pas comme les Serins et ne nichent pas à terre comme les Bruants. Je m'abstiens d'indiquer une foule d’autres caractè- res séparatifs saillants et faciles à saisir. Le Pixsox. Encore un pauvre nom pour une espèce bien riche- ment titrée, bien remarquable surtout par l’énergie de sa domi- nante caractérielle. Le Pinson est l'emblème de l'artiste jaloux, du chanteur épris de son art, mais jaloux de sa propre gloire, à un point qu'on n'imagine pas, jaloux à se briser la tête du suc- eès d’un rival. Or, qu'y a-t-il de commun entre le caractère de l'oiseau et son nom? Gai comme pinson est encore un de ces adages menteurs qui contribuent si déplorablement à enraciner les préjugés et les er- reurs dans l'esprit des populations. Un oiseau gai, c’est le Tarin, c’est le Sizerin, le Linot, le Serin, un oiseau qui toujours fré- tille, sautille et babille, qui prend son mal en patience et le temps comme il vient, qui, comme. le Chardonneret, mange devant sa glace quand il est seul, pour se faire accroire à lui- même qu'il dine en société. Or, le Pinson n’a jamais affecté ces 128 « ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. allures joviales; au contraire. Il s’observe constamment, fait tout avec mesure, réflexion et solennité; il pose, comme on dit, quand il marche, quand il mange, quand il chante. Au lieu de prendre le temps comme il vient , il se laisse aller à des plaintes mélancoliques pour peu que la pluie menace. La captivité le démoralise, le rend aveugle, le tue. Ce ne sont pas là des façons d'oiseau gai. L'air que le Pinson chante n’est pas une élégie amoureuse, mais un air de bravoure qui attend des bravos. S'il manque son effet , il peste. Si quelque mäle voisin, possesseur d’un organe plus puissant servi par une meilleure méthode, menace de l’é- clipser , son cœur s’emplit de rage; sa colère gonfle, éclate. Il se précipite sur l'intrus, la plume hérissée , la voix haute , l’at- taque , le déchire , et, s’il est le plus fort, l’expulse du canton. Car trop souvent l'amour est en jeu dans ces luttes, et plus d'une jeune pinsonne, objet de l’ardeur de nombreux soupirants, attend pour faire son choix que la victoire le lui dicte. Si le sort du combat tourne contre l'agresseur , il s’exile lui-même et va bien loin cacher sa honte. C’est pour cela que les Pinsons qui habitent les forêts et les endroits déserts ont une si piètre voix. Ces barbares sont les fils des vaincus des joutes musicales que la défaite a bannis des vergers plantureux attenant au domicile de l’homme , séjours exclusivement réservés aux élus du talent. C'est par la même raison que les plus célèbres pinsons de France appartiennent aux provinces du Nord, provinces richement peu- plées, richement cultivées, où le goût de la musique est ré- pandu dans le sein de toutes les classes, où chaque:ville un peu importante possède une société philharmonique , et où mon ami Henry Bruneel de Lille organise ces fêtes musicales splendides qui semblent un emprunt fait aux jeux olympiques d'Harmonie. Natif de Languedoc ou de Provence est une expression épigram- matique qui équivaut parmi les Pinsons à celle de pignouf ou de pataud parmi nous. Aussi l'immense majorité des Pinsons qui habitent le midi l'hiver, s’empressent-ils de remonter vers le nord, pour y prendre domicile d'amour, aussitôt que les orands froids sont passés. SÉDIPÉDES. 129 La Flandre et la Belgique sont au Pinson d'Europe ce que les grands théâtres de Paris et de Londres sont aux plus illustres gosiers humains de cette même partie du monde. De même que Ja Diva dont le larynx perlé roule des notes d’or ne consent à dé- ployer ses talents que sur ces vastes scènes où la roulade se paie à sa juste valeur : cent mille francs par an, plus les feux, les congés, les bravos enthousiastes, les avalanches de fleurs... Ainsi le Pinson qui est de force à entonner cent fois de suite et sans se reposer sa ritournelle triomphale, ne donne tous ses moyens que devant des auditeurs capables d'apprécier son go- sier sans rival et de le payer à son prix. Car il y a des Pinsons qui chantent en public et qui luttent de la voix, comme les chevaux des jambes, et ces Pinsons attei- gnent des prix presque fabuleux sur certaines places du Nord. Et le combat de Pinsons est un jeu national aussi couru en Flan- dre que la course des taureaux en Espagne et la boxe en Al- bion… Et il existe dans notre département du Nord une foule de sociétés philharmoniques qui s'occupent exclusivement de l’édu- cation des Pinsons de combat et qui sont dites des Pinchonneux ,. du nom légèrement altéré de l’objet spécial de leurs études, qu'on prononce Péinchon dans le patois flamand. Et ces sociétés florissantes organisent chaque année pendant la belle saison , et dans chacun de leurs chefs-lieux , une série de tournois musicaux et de duels de larynx qui donnent lieu à des scènes plus émou- vantes qu'on ne saurait dire et à des paris effrénés. Trop heureux le Pinson si l'intérêt qu'il inspire, intérêt chauffé au rouge par l’amour-propre et la passion du gain, n’avait pas de fil en aiguille amené l’homme à se faire son bourreau! * En effet, le sort réservé à tous ces premiers prix de chant est d’être inhumainement privés de la lumière du jour. Leurs maîtres les aveuglent, soi disant pour les guérir de la distraction du regard qui nuit à leurs études, et afin de les ahstraire totalement du monde extérieur. Ils prétextent aussi que le Pinson ne consen- tirait jamais à se montrer et à chanter en public , s’il apercevait le spectateur et les barreaux de sa cage. Et chose cruelle à dire, c'est tout au plus si la victime a l’air de s’affliger du traitement LP D 9 130 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. barbare qu'on.lui inflige, tant la preuve qu'on lui donne de la haute estime qu'on fait de son talent en lui brülant les yeux a de “consolation pourson orgueil d'artiste. Que je n’oublie pas de men- tionner d’ailleurs cette circonstance intéressante que le Pinson est de sa nature su) età S'aveugler… comme tant d'autres artistes, Un malheur bien plus redouté du Pinson que la perte de la vue, où plutôt le seul malheur qu'il redoute, est la perte de la voix, Aussi Je rhume de cerveau le plus benin Fiqnibe A beaucoup plus que l’ophthalmie la plus grave. … J'ai assisté quelquefois dans nos cités industrielles du Nord à ces combats de chant dont je parlais tout à Fheure. Aucun spec- tacle ne m'a plus vivement ému, aucun ne m'a donné autant à réfléchir sur l'incroyable puissance du levier de la dominante passionnelle. Il m'a été impossible depuis lors d'entendre une ariette de Pinson sans éprouver immédiatement le besoin de _m'attendrir sur le sort des martyrs de la gloire. Le jour et le lieu du combat ont été fixés et annoncés par voie d'afliche. L'heure venue, on place les deux rivaux aveugles à six pas l’un de l’autre dans leur cage, et l'assemblée attend dans le plus profond silence le début des hostilités. Bien entendu que les signes d'approbation et d'improbation sont rigoureusement interdits dans ces représentations où 1l faut laisser croire aux acteurs qu'ils sont Jà tous deux seul à seul en face de la nature. Un des deux champions ne tarde pas à entonner sen champ de guerre qui est aussitôt repris par l’autre , et la réplique de suivre la riposte, seconde pour seconde. A partir de ce premier coup de gosier la lutte est engagée, et elle tiendra jusqu'à ce que l’un des deux athlètes soit à bout de poumons. Le prix est à celui qui a le dernier mot. Dois-je dire que trop souvent, hélas! ce prix si glorieux, objet de tant d'efforts, cause de tant de veilles, est dérobé au plus digne par l'astuce et la fraude, et que la tri- cherie, qui est essor fatal de cabaliste en phase civilisée , désho- _nore la lice du chant, comme celles de la Course et de la Bourse, et que le Pinchonneux qui fait chanter ne se montre pas toujours plus délicat que le membre du Jockey-Club qui fait courir sur le choix des moyens de vaincre. Le procédé de gabecie le plus en SEDIPEDES. 131 vogue auprès des Pinchonnèux félons est celui qui consiste à ap- pendre secrètement une cage de Pinsonne dans le voisinage du Pinson ennemi quelques jours avant la bataille. Le chanteur , qui ne sait pas le besoin qu'il aurait de réserver ses moyens, et tout entier au désir de plaire à la nouvelle venue, s’égosille : l'amoureux tue en lui le soldat, et l'heure du combat le trouve complétement énervé. Alors tous ceux qui avaient spéculé sur san antique vaillance sont volés comme dans un bois. J'ai besoin: de me voiler la face, quand je vois l'homme, mon semblaële , exploiter la bonne foi d'un oiseau par d'aussi ignobles ficelles et dans un pareil but. Tout le monde connait cette courte phrase musicale du Pinson composée d'une sorte de prélude fugué suivi d'un trait fina! lé- gèrement syncopé et que le patois lorrain traduit de cette facon : «CF fi les laboureux , j'vivrons ben sans eux. » Or, il y a de ces Pinsons aveugles qui la répètent huit cents fois d’une haleine! Mais un virtuose de cette force trouve facilement preneur à «en et cent vingt francs. F Il arrive quetquefois que le vaineu tombe de fatigue sur place et ne se relève plus; et quelquefdis aussi que le vainqueur qui n'a distancé le vaincu que d’une note/s’affaisse sous son triomphe et périt sous l'effort conmme le soldat de Marathon. On a vu des Pinsons vainqueurs en cent batailles renoncer à l'art pour jamais... d’autres plus sensibles encore, mourir de douleur et de honte, à la suite d'un preièr échec. Ainsi, l'infortuné Raoul, le chevaleresqüe amant de l'infor- tunée Valentine , vainqueur en cent batailles aussi et chargé de couronnes , ne put se faire à l'idée d'abandonner au nouveau favori Aracld le théâtre brillant de sa gloire , pour aller cueillir d’autres palmes sur une scène étrangère .et sous un plus beau ciel... et ses regrets furent plus forts que son — et ‘+5 sb les liens qui la retenaient à son corps. + L'adage vulgaire a beau dire , l'oiseau qui prend ainsi son art au sérieux n’est pas un oiseau gai.: Mais je m'aperçois que je ni entré sans le vouloir au fond de 132 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. l'histoire passionnelle et analogique du Pinson, et que j'ai laissé courir ma plume à l'intérêt palpitant du sujet. Alors achevons cette histoire, puisque nous l'avons commencée. Le Pinson est un oiseau éminemment cauteleux qui ne saurait se passer de la société ni des applaudissements de l’homme, mais qui sait parfaitement que tout n’est pas profit dans ses re- lations. De là sa défiance légitime. Aucune femelle d'oiseaux ne fabrique un nid avec plus d'art que la Pinsonne, et surtout ne s'entend à le cacher comme elle. Ce nid est un chef-d'œuvre d'élégance et de dextérité, et à l’examiner de tout près, on comprend que beaucoup de connais- seurs le regardent comme un travail plus achevé et plus merveil- leux encore que celui du Chardonneret. Non pas que les deux objets d'art diffèrent quant au fini et à la délicatesse de la main d'œuvre, en ce qui concerne l’intérieur , où les mêmes éléments précieux , la laine, le crin, la plume ont été faconnés en cor- beilles d'amour avec la mème supériorité de part et d'autre. La différence est toute dans le mode d'exécution du revêtement ex- térieur de l'édifice; et il est certain que la Pinsonne dépense en cette opération plus de talent que la Chardonnerette, étant poussée à mieux faire par son caractère soupconneux. Celle-ci, en effet, qui ne lit rien dans son cœur qui lui fasse douter de l'innocence d'autrui, et qui ne pourra jamais comprendre que l’homme lui veuille du mal , necs’occupe que de la question d’art lorsqu'elle bâtit son nid. Partant elle ne songe guère à en dé- rober la vue aux regards du-passant; mais attendez que la Pin- sonne futée qui sait que penser de la malice et de la perfidie humaines, commette dé ces imprudences. Il ne lui, suffit pas à celle-là que sa progéniture adorée repose sur la couche la plus molle, dans le berceau le plus splendide, sa tendresse maternelle a besoin de lui assurer la sécurité avant tout. . Dans ce but, Fingénieuse femelle commence par choisir pour emplacement de sa bâtisse quelque enfourchure de maïtresse branche, sur un pommier moussu, un poirier ou un chêne. Elle en pose les assises dans la concavité du lieu, et à mesure que la bâtisse s'élève, elle en couvre la muraille extérieure d’un SEDIPÉDES. 133 placage de mousse jaunâtre ou de lichen argenté qu'elle détache du tronc même de l'arbre où elle a établi ses pénates. Elle prati- que cette soudure de l'écorce du nid ct de celle de la tige avec tant d'habileté et elle donne si bien aux deux surfaces par cet ajustement le cachet du même àge , qu'il est presque impossible de ne pas voir dans l’une la continuation de l’autre. On cite l'his- toire d'une pinsonne condamnée par d'impérieuses circonstances à faire son nid sur un platane, et qui réussit à plaquer ce nid en mosaïque composée de fragments d'écorce de cet arbre. J'ai su certainement dans ma vie plus de cent et deux cents nids de Pinsons que je n'ai jamais touchés de l'œil. J'en découvris un une fois, à l'aide d’une échelle, qu'on avait eu l'impudence de venir me bâtir sous le nez à nu et à plat sur une basse branche de pommier quasi-morte et archi-moussue, à six pieds de terre tout au plus et à six pas de ma fenêtre, et qui n’était protégé con- tre la curiosité du public que par un simple rideau de toile d'a- raignée ou de chenille. Personne cependant ne sut le nid que moi, vérité presque invraisemblable et à laquelle ne voudront jamais croire ceux qui savent combien le secret d'un nid est pe - nible à porter. Au lieu de procéder ainsi, la chardonnerette confiante atta- che négligemment son nid à l'extrémité des hautes tiges ct laisse la laine déborder la mousse extérieure, comme pour mieux attirer les regards du passant. Voyez maintenant comme cette différence caractérielle des deux espèces qui se révèle à l’analo- giste dans une simple différence d'ornementation d’une façade, va ressortir plus manifestement encore de la comparaison des au- tres habitudes. Le temps de l’incubation venu, le Chardonneret ose à pcine s'éloigner de sa couveuse, va lui chercher à manger dans le voi- sinage et choisit pour lui parler d'amour la cime même de l’ar- bre où son nid est perché. Le Pinson cauteleux se garde bien d'imiter ces exemples ; il a plusieurs tribunes et chacune d'elles est un poste d'observation distant de cinquante pas au moins de son mystérieux domicile, Ses roulades dépistent au lieu de ren- seigner. “ 134 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Aussitôt que les jeunes Chardonnerets sont éclos, on voit le père et la mère s'empresser autour d'eux avec un grand tapage, heureux d'informer un chacun par leurs cris d'allégresse de la joie qui leur arrive. Survienne au milieu de cette folle ivresse le maraudeur en quête de larcin; qu'il cherche et il trouvera. On est plus réservé et plus discret dans l’autre espèce; on garde pour soi ses secrets de famille, et le père et la mère prennent de longs détours pour rentrer à leur nid qu'ils abordent en si- lence. Et à peine les petits sont-ils en âge de comprendre, qu'on leur apprend le sens de certains cris d'alarme qui doivent les prévenir de l'approche de l'ennemi , homme ou chouette, avec la manière de se conduire en pareille occurrence. Singulier appren- tissage d'insouciance et de gaicté ! La saison des amours passée, le Chardonneret fidèle à ses -antécédents donne en étourdi dans tous les piéges tendus à sa crédulité. Le vieux Pinson toujours en garde contre son premièr mouvement, observe avant de répondre à la voix qui l'appelle, aperçoit la nappe insidieuse et s’esquive au plus vite, engageant vivement ceux (le sa bande à faire comme lui. Mais s’il n'accepte pas toujours une invitation à déjeuner à l'automne, en revanche ilne refuse jamais un cartel au printemps. En cette occasion, sa prudence n’a plus voix au conseil ; il est à qui veut le prendre, puisqu'il n'est plus à lui. | Par la richesse de son titre caractériel et par son amour pas- sionné de l’art, le Pinson est encore un des ennemis nés de l’oi- seau de nuit, symbole de la superstition et de l’obscurantisme. C'est dire qu'il répond avec fureur à l'appeau de la touite (chouette) et donne à la pipée. Il est beau à voir en cette passe , l'œil en feu, la crête menaçante, sommant de sa voix terrible l'ennemi de se montrer et le traitant de lâche, d'assassin de té- nébres.. Le Pinson adore aussi la vendange en sa qualité de musicien. Le Pinson est un bel oiseau surtout dans son costume de no- ees, car bien qu'il ne mue qu'une fois l'an, vers la fin de sep- tembre, le soleil et l'amour s'unissent pour transfigurer glo- rieusement son plumage au printemps. Alors sa poitrine s'em- SEDIPÉDES. 135 pourpre de la rouge couleur du vin; sa calotte bleu cendré prend une teinte plus sombre, son bec du jaune pâle transite à l’ardoise. Le Pinson nourrit ses petits de papillons, de chenilles et de menus scarabées. Les alliances qu'on à quelquefois essayé de lui faire contracter avec la Serine n'ont pas encore réussi, les parents ne pouvant s'entendre sur le genre de nourriture à don. ner à la jeune famille. On a fait couver des œufs de pinson à la Serine; elle les a amenés à éclosion, mais les nouveaux-nés n’ont pu vivre, faute de nourriture animale. Les Pinsons se réunissent en troupes assez nombreuses vers l'arrière-saison et se mettent habituellement en route pour fes contrées méridionales à la suite des pluies de l’equinoxe ; mais leurs voyages ont plutôt l'air d’une partie de plaisir que d'une émigration véritable. [ls cheminent à petites journées , et sta- tionnent fréquemment dans les vigues , dans les vergers’ et dans les champs voisins de la demeure de bestioles Rarement les voit- on dépasser les frontières naturelles du Midi de la France. Les natifs de cette région y sont complétement sédentaires. On dit que les femelles des Pinsons passent avant les mâles, mais j'ai peur que cette opinion que je sais accréditée parmi les ornithologistes ne soit encore une erreur, provenant de ce qu'après la mue d’au- tomne le costume des màles diffère peu de celui des femelles. A la pipée, quand nous étions petits, les anciens nous lais- saient facilement les Pinsons pour notre part, et nous permet- taient d'exercer sur ces maigres sujets nos jeunes talents culi- naires. Ils trembläient un peu plus de nous voir gâter les Row ges-gorges.. Ce qui ne doit pas être une note très-favbrabte” pour là chair des premiers. 1 IN 26G 369 0 Si l'on avait donné le Pinson à baptiser aux Peaux routes des! grands lacs, probablement qu'ils l'aurai appelé ‘le - ikiat courageux. 8 8 ja oi ACTA RRRU f dos of $ D EE à», À L : 1) Ditfésiti J JUSINONON HA . (02184 Le Pixsox ht Nom de famille absurde, surchargé d'un mensonge ;"'cär cet oiseau viont dela Séñdinaqte et nôn pas de la forêt d'Ardéttié &til n'a fañiais nithé en Franée où ni 136 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. n’est que de passage deux mois de l'an, de la Toussaint à Noël. Il descend par grands vols dans nos provinces de l'Est, pénètre jusqu'au cœur du Languedoc, y fait un séjour d'une quinzaine et puis tout à coup disparaît, sans qu’on sache bien par où 1l passe. On dit que dans leur pays ces oiseaux chantent des airs de bravoure magnifiques ; ceux que j'ai tenus en cage n'ont jamais justifié ce renom de talent que leurs compatriotes leur ont fait. On ajoute que leur nid bàti sur les sapins est comme celui des nôtres une merveille d'art et qu'ils aiment la semence de pin et les bourgeons des arbres comme‘leurs cousins de France. J'adhère facilement à cette opinion. On ne raconte rien par malheur des joutes de larynx de ces chanteurs du Nord, et ce doit être un oubli de l’histoire, attendu qu'il est impossible qu'il ne se passe pas dans le sein de cette famille au printemps quel- que chose d’analogue à ce qui se voit chez nous dans celle des Pinsons. Le Pinson du Nord qui arrive en ligne droite du pays des barbares dont il a conservé la touche dans sa mise et dans son langage, est plus facile à séduire que le nôtre, élevé en plein mi- lieu de civilisation. On en prend des nuées aux filets, on en fait au fusil des abattis terribles. Leur chair finit par devenir man- gcable, quand elle s’est corrigée par un mois de séjour en France, du principe d'amertume qu’elle tenait dela fréquentation de l'arbre vert. Je connais peu d'oiseaux dont le plumage emploie autant de nuances et varie aussi fréquemment que celui du Pinson du Nord où le roux orangé, le noir luisant, le jaune d'or, le blanc pur s’'amalgament et s'embrouillent dans un fàcheux désordre qui n’est pas un effet de l’art. Poitrail roux, ventre blanc, calotte et manteau de velours noir, queue idem sillonnée dans son milieu de filets blancs et bordée d'une frange de même nuance; le bec jaune l'hiver, bleu l’été avec la pointe noire dans l’une et l'autre saison. Au demeurant un moule d'assez riche prestance. Le Pixsox pes xeiGes. Niverolle, mieux nommé que le précé- dent; car il habite la région des neiges éternelles, en société du SEDIPÉDES. 137 Chamois, de l’Accenteur et du Lagopède, et ses chansons d'a- mour sont les dernières qui troublent le silence des champs de la mort. Douce voix, humble costume , capuchon gris , le bec et les pieds noirs, le mauteau brun, la robe blanche, les pennes secondaires aussi et la queue, hormis les deux rectrices médianes qui sont noires. Le Pinson de neige réside pendant l'été aux dernières limites du règne végétal; il en descend l'hiver pour chercher sa vie dans les plaines. Sa demeure est en France aux cimes escarpées des monts de l'Isère et des Hautes-Alpes, au voi- sinage de la Grande Chartreuse. Il se retrouve au nord des deux continents, en société du Lagopède et aux latitudes dont la tem- pérature correspond à celle des régions élevées qu’il habite chez nous. Mon pauvre ami Bellot l'avait rencontré sur les bords de la mer de glace où il a trouvé la mort, et lui avait parlé. Le Niverolle se nourrit là du peu de semences et d'insectes à qui le froid per- met de se développer en ces mornes solitudes, papillons, graines alpestres, amandes d'arbres verts. Il fait son nid dans les cre- vasses des rocs avec la mousse des arbres et la bourre laineuse dont la robe des chamoïis se dépouille au printemps. Le Moixeau Franc. Pierrot, Pierrette. Moineau, du grec m0- nos , moine , solitaire. probablement parce que cette espèce se plaît au sein des cités populeuses et recherche le bruit ef la société. J'aimerais mieux l'ancien nom passereau, du mot latin passer, dérivé de l'infinitif pati qui veut dire subir, pour indi- quer une nature passionnée, ardente, victime de son tempérament orageux. J'envie sincèrement le talent des ornithologistes de renom qui réussissent à faire tenir en douze lignes, comme Temmynck, l'his- toire du Moineau franc... Une histoire qui raconte les causes de la grandeur et de la dé- cadence de cent peuples, qui apporte des solutions inédites à la plupart des grands problèmes politiques etreligieux qui ont agité le monde pendant cinquante siècles, qui soulève en passant plus de questions de cl'matologie, de météorologie, d'économie sociale 138 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. et agricole, quele Sirocco et le Mistral né sou!èvent de tourbillons de poussière parmi les craus et les steapes fumeusés de la Mau- ritanie et de la Provence altérées !.… Je me sers à dessein de cette comparaison ambitieuse etlé +èrement hyperbolique pour appe- ler l'attention du lecteur sur deux fléaux atmosphériques qui ne sont pas étrangers au sujet que jé traite. 2ETe Douze lignes, c'est à peu près la place qu'ilmie faudraità moi , rien que pour écrire le sommaire des questions capitales qui se rattachent intimement à celle du Moineau franc! Ne pouvant les aborder toutes, pour des raisons qu’il est inutile de déduire, je me bornerai à considérer l'histoire du Moineau franc dans ses rapports avec celle de la domination arabe et avec: l’état actuel des malheureuses contrées d'Asie, d'Afrique, d'Eu- rope sur lesquelles cette domination à pesé. Je commence par relever l'oubli si impardonnable comiis par tous les historiens modernes, dont pas un n'a jugé à propos de constater scientifiquement l'influence que la peur du Moineau france exerca si longtemps sur les conseils des nations de l'ancien continent. Car cette peur fut universelle, et il n’est même pas bien sûr que les peuples les plus avancés de l'Europe en soient, à l'heure qu'il est, complétement guéris. Je lisais naguère en- core dans un recueil de statistique fort peu édifiant : qu'on ne pouyait évaluer à moins de dix millions de francs ou de dix mil- lions d’hectolitres , je ne sais plus lequel, la quantité de froment. dont le Moineau faisait tort chaque année à la France. Or je nc: mets pas en doute que cefte assertion absurde n'ait trouvé de nombreux croyants. Vous avez beau dire au badaud que pour que le chiffre du dommage fût juste, 11 faudrait posséder « d'abord’ un moyen sûr de caleuler le blé que peut mangér un moineau dans un jour et ensuite défalquer du total acquis par cette voie la somme des millions d'hectolitres sauvés de la dent du ver blanc: et des autres vermines par la garde du Moineau franc; le badaud plein de foi dans la statistique brute ne tient compte de vos raisonnements. Rappelonsencore que les Économistes, une secte d’origine anglaise, supplièrent un jour le gouvernement de leur pavs dé mettre à prix la tête du Moineau franc dans l'intérêt. de SEDIPÉDES. 139 l'agriculture, et que le gouvernement eut la faiblesse d'accéder à cette proposition dont il ne tarda pas à reconnaître la sottise. Je ne désire voir mettre à prix la tête de personne, mais je ne puis m'empêcher de dire que je connais une secte dont les prin- cipes ont été plus funestes au travailleur agricole que tous les moineaux francs du monde et dont il eût été beaucoup plus ur- gent et plus sage de débarrasser le pays. L'histoire ancienne, c’est justice à lui rendre, comprit mfeux Ja haute portée de la question que la moderne. Diodore de Sicile affirme positivement que le Moineau franc a chassé le Mède de sa patrie. Mais de toutes les races dont la peur du Moineau a bouleversé la cervelle, aucune n’a apporté dans la persécution qu'elle a fait subir à l'espèce plus d’acharnement , de fanatisme et de tenacité que celle des enfants d'Ismaël. | Elle à déclaré la guerre au Moineau franc, guerre sainte ! Elle à fait de la question une question d’être ou de n’être pas. La haine qu’elle portait au Moineau s'est étendue à l'arbre qui lui servait de domicile, et elle a voue la forêt et la verdure à la destruction. «Si l'arbre avait pu se plaindre, il aurait dit à l’assas- sin brutal : pourquoi t'en prendre à moi du mal dont je ne suis pas l’auteur ? » Mais l'arbre ne parle pas et ila laissé faire. Jetez les veux sur cette nappe immense de contrées comprises dans la plus riche des zones de l’ancien continent, depuis les rives de l'Indus jusqu'à celles du Tage et de la Durance, en pas- sant par la Perse, la Mésopotamie, l’Arabie, la Syrie, l'Égypte, les États barbaresques; partout le même spectacle attristera vos regards : la plaine aride et nue remplacant les Edens et les jardins des Hespérides, partout la lèpre du désert dévorant l'oasis sur les pas de l’Arabe. Le Dieu de Mahomet adit à ses fidèles de ne pas laisser au Moineau une branche où reposer sa tête, et les fi- dèles exécutent à la lettre les ordres de leur Dieu , à l'instar des Huns d’Attila qui se croient aussi commissionnés d'en haut pour punir les crimes de la terre et-qui ne veulent pas que l'herbe repousse là où leurs chevaux ont passé. : La tradition orientale avait placé le Paradis terrestre au lieu 140 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. où jaillissaient les sources des Quatre Fleuves, en ‘un coin for- tuné quelconque de la Mésopotamie ; l’Arabe a mis un jour le pied sur ce sol plantureux et soudain les fleuves ont tari , les sa- bles vitrifiés qui brûlent le regard ont enseveli sous leurs flots la prairie verdoyante et ses tapis de fleurs; le souflle empesté du Khamsin a remplacé dans l'air les brises parfumées des orangers médiques et des lilas de Perse; et ces vallées si belles au sortir des mains de Dieu, si belles et si amies de l’homme qu'elles lui furent assignées pour son premier séjour, ces délices de la terre sont devenues les champs de l’abomination de la désolation , les arènes du brigandage, les oflicines dès exterminateurs, les foyers d'infection permanente et universelle du globe. Ainsi en est-il advenu de toutes les terres promises de la lé- gende antique, du Chanaan, de la Babylonie, de la Syrie, de l'Arabie Heureuse ; ainsi de l'Égypte des Pharaons et des Pto- lémées, de la Numidie et de la Mauritanie de Salluste, où la tradition de l'Occident avait logé aussi un autre Paradis, certain jardin des Hespérides où croissaient des pommes d'or (oranges de Blida) gardées par des dragons aux langues flamboyantes. L’Arabe qui a peur du Moineau, l'Arabe au mauvais œil, est venu là, porté par la conquête, et le Sirocco, le Simoun, la peste et la misère y ont fait élection de domicile avec lui. II a jeté le sort aux forêts et aux sources, et le désert s’est fait aux lieux où florirent jadis trois cents métropoles populeuses ; et les greniers du monde ro- main n’ont pu bientôt suffire à nourrir chétivement les quelques tribus de bandits nomades demeurés les seuls maîtres d’un sol déshonoré. La preuve que c'est bien la peur du Moineau franc, cette peur et rien de plus qui a converti en déserts les plus riches contrées de l’ancien monde, des rives de l’Indus aux colonnes d’Hercule, la preuve que le ravage a bien été conduit par les mains de l’Arabe, c’est que les deux seuls pays d'Europe où ce peuple ait mis le pied ont subi la même métamorphose que l'Algérie, l'Égypte et la Mésopotamie. Je parle de l'Espagne et de la France des Maures. Lisez dans les auteurs anciens et même de Fénélon les mer- SÉDIPÉDES. jt veilles de la fertilité de la Bétique et les récits authentiques du bonheur paradisiaque dont jouissaient au temps jadis les popu- lations innombrables de la péninsule ibérique , le plus riche de tous les pays d'Europe en forêts et en fleuves. Puis comparez cette Espagne d'autrefois, si humide et si verdoyante, terre de lait et de miel, avec l'Espagne de nos jours, si pauvre, si nue, si dépeuplée, si aride, brûlante l'été, glacée l'hiver; et deman- dez à votre raison la cause d'aussi fàâcheux changements. Votre raison , si elle ose remonter aux vraies sources , ne vous répon- dra qu’un seul mot, un seul nom qui dit tout, l'Arabe.. l’Arabe et sa peur du Moineau. Attendu que cette peur est une épidémie contagieuse, et que de l'esprit du musulman vainqueur elle a passé dans celui du chrétien vaincu, qui alors n’a plus eu de cesse qu'il n'eût rasé à blanc les monts dont l’épaisse chevelure proté- geait les vallées contre les assauts redoublés des vents du Midi et du Nord et y entretenait une perpétuelle fraicheur. La Sierra une fois achauvie , et le tabac à fumer et l'Amérique aidant, la ressemblance des vallées de la Bétique à celles de la Médie et de l'Arabie Heureuse n'a pas tardé à s’opérer. Le Sirocco et la Bise se sont partagé fraternellement le règne de l’atmosphère et s’y sont entendus pour faire se succéder aussi régulièrement que possible les deux extrèmes de chaud et de froid; et de si bon accord ont agi tous ces éléments de ruine, que l'infortunée pé- ninsule eu est devenue ce qu’elle est, c'est-à-dire la contrée la plus inhospitalière et la plus déchue de sa splendeur native, in- habitable faute d’eau et de moyens d’y faire la cuisine. Les voyageurs assurent qu'aux royaumes de Murcie, de Malaga, d’Alicante, qui passaient autrefois pour la fleur des jardins de la riche Bétique, les jardiniers d'aujourd'hui attendent quelque- fois cinq ans qu'il leur tombe du ciel une goutte d’eau pour faire lever leurs choux. Il n’y a pas jusqu'à l'Amérique espagnole elle-même, vierge du Moineau franc, où l’aridité et le désert n'aient vaincu par la main des vainqueurs. Et je ne vois pas de terme à l’envahissement indéfini de cette misère et de cette sécheresse, puisque l’exécration du Moineau franc qui les a en- gendrées n’a fait que croître dans le cœur du peuple espa- 142 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. enol, au fur et à mesure de la dégradation du sol de sa patrie. On dit qu’au temps du bannissement des Maures, qui suivit de très-près la prise de Grenade, un des derniers bannis, avant de mettre le pied sur le pont du navire qui l’allait transporter aux plages marocaines , prit un Moïneau franc dans sa main et le lança contre l'Espagne, le chargeant du soin de sa ven= geance. La vengeance s’est accomplie, hélas! La pauvre Es: pagne se meurt d’un préjugé arabe, en chantant dans son agonie ses triomphes sur le Maure ! L’Arabe arrété raide dans son vol vers le Nord par la hachè de Charles-Martel , et forcé de rétrograder vers le Midi, eut à peine Je temps de fonder quelques établissements éphémères aux bords de la Garonne , du Rhône, de la Durance, ete; Mais si courte cependant qu'ait été sa domination sur ces rives fer- tiles, elle a suffi pour inculquer le préjugé mortel au crédule indigène de ces contrées naives. Et la guerre aux forêts et aux sources y est née comme en Espagne de la peur du Moineau franc, et l'ulcère malin de la craus et de la garrigue y a petit à petit dévoré la prairie , et les cimes des monts frontières , dé- mantelées de leurs fortifications naturelles, ont livré la vallée aux outrages du mistral. Je n'achève pas la description de ces scènes monotones, le gibier disparu, la vigne déshonorée, la culture de l'olivier et de l'oranger réduite à des proportions ridi= cules, et les anciens Paradis de la Gaule, l'Occitanie et la Pro vince romaine transformés en pays sauvages comme l'heureuse Bétique et les rives embaumées du Tage. J'ai besoin d'éloigner de mes yeux ce tableau affligeant sur lequel j'ai déjà précédem = ment versé tant dé regrets et de larmes. Ainsi la grandeur du désert raconte celle de la question du Moineau franc, et aussi le souffle brülant du simoun, et l'haleine glacée du mistral, et peut-être même la lune rousse, fléau d’origine moderne , et les intempéries outrées... Ainsi la peur du Moineau franc est caractéristique de phase patriarcale ét vice de sang chez la race arabe, race vouée de toute éternité à la routine, à la fainéantise, au brigandage , à la polygamie ! Que vous semble, en présence de ces considérations si larges SEDIPEDES. 143 et si neuves, des prétentions de ces savants d'académies diverses qui vous donnent effrontément pour de vraies histoires du Ca- lifat, de la France, de l'Espagne, ou encore pour de vrais trai- tés de climatologie ou d'économie agricole, de gros livres où il n'est pas dit un mot du Moineau franc! Il est juste de convenir pourtant que la haïne de l’Arabe pour le Moineau franc n’est pas tout à fait sans motifs. Seulement ces motifs accusent plus la paresse de l’homme que la voracité de l'oiseau. Je n’apprends rien de nouveau à personne en rappelant que les Arabes, comme tous les patriarcaux , vivent sous un régime «de communauté où la terre n’a point de maître. Là, chaque -membre de la tribu reçoit chaque année de Ja régence commu- hnale le droit d'ensemencer une certaine quantité de terrain dont l'étendue est proportionnelle aux besoins de sa famille. Or, J'Arabe, qui considère le travail comme un acte déshonorant et ‘qui aime mieux se laisser mourir de faim que se déshonorer, se borne naturellement à cultiver le moins qu'il peut; et il ré- sulte de sa paresse que tous les Moineaux du canton , étant for- cés de s'abattre sur les minces parcelles cultivées au temps de la moisson , y causent un dommage notable. Le remède à appliquer à ce mal est fort simple. [l consiste à décupler l'étendue des terrains cultivés, et non à raser les forêts. Par le moyen du produit décuple, en effet, le dommage est réduit des neuf dixiè- mes et devient insensible ; ou plutôt la part de grain que le Moi- -néau dérobe peut être considérée comme celle qui lui revient de droit dans la récolte, à titre de conservateur et de gardien d’icelle. Du reste, si l'Histoire et la Science ont manqué au Moineau franc dans les âges modernes et se sont manquées à elles-mê- ‘mes , la Poésie, la Science et la Littérature antiques l'ont noble- ment relevé de ce dédain injuste. Le Moineau de Lesbie est Fhon- meur éternel de la littérature du grand siècle de Rome: la Déesse des amours attelle des moineaux à son char; la Mytho- —logie -et l'Écriture Sainte requièrent en une foule d'occasions Je témoignage de l'espèce. . Pline démontre fort bien d'abord. et par : des calculs très- 144 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. savants que Vénus a bien fait de prendre pour attelage un cou- ple de moineaux francs. Seulement le grand naturaliste montre un peu d’ignorance en affirmant que, dans cette espèce, le mâle succombe habituellement avant la fin de l’année qui l’a vu nai- tre, épuisé par les voluptés et les douleurs rnumatismales gout- teuses. Je soupconne également Scaliger et Aldrovande d'avoir exagéré ses prouesses amoureuses. Le moineau vit quatre ans et plus en liberté, et j’en ai connu personnellement un qui vécut sept ans, moitié libre, moitié captif, ce qui prouve que cette question de longévité est encore à revoir. Disons d’ailleurs qu'un moineau qui ne vivrait que quatre ans, aurait pendant ce temps élevé dix à douze familles et que l’on a toujours suffisam- ment vécu lorsqu'on arrive au bout d’une carrière aussi honora- blement remplie. Considérons, en outre, que le Moineau franc vit plus vite que la plupart des autres oiseaux, absorbant dans un temps égal une quantité d'oxygène bien plus considérable. Or l'absorption de l'oxygène est à proprement parler l'acte qui cons- titue la vie, puisque c’est l’acte qui donne au sang sa chaleur et aux artères leur jeu qui mesure le temps. Les anciens supposaient que l’Épervier avait découvert l'inten- sité de la chaleur interne du Moineau franc et que cet oiseau de proie avait l'habitude de prendre tous les soirs un Moineau franc l'hiver et de le tenir toute la nuit contre sa poitrine en guise de chaufferette, le laissant échapper au matin sans lui faire aucun mal. Les oiseaux de proie de nos jours paraissent moins versés dans la thermométrie. Si le Moineau franc a les passions très-vives, ce que je ne con- teste pas, du moins est-il juste de reconnaître que jamais l'ar- deur de ses sens ne l’entraîne à enfreindre ses devoirs conju- gaux. Il meurt où il s'attache, triple mérite à lui. La belle gloire aux cœurs froids de demeurer fidèles! Les livres saints, ai-je dit, rendent justice au moineau. Le Psalmiste chante sa piété et celle de l’hirondelle qui choisit comme lui pour élever ses petits la maison du Seigneur. Le Lévi- tique veut que le lépreux guéri offre à Dieu une paire de Moi- neaux francs, en témoignage de purification et de retour à la SÉDIPÉDES. 145 santé. Le luthérien Holein établit entre la dévotion de cet oiseau ét celle d’un certain évèque catholique un rapprochement qui n'est pas favorable au prélat, « car le moineau, dit l'hérétique, se réveille avant l'aurore pour chanter les louanges du Très- Haut, tandis que vous, monseigneur, il faut vous arracher dé force au sommeil pour vous faire dire votre messe ct bien long- temps après que le soleil est levé. » Hérodote, le père de l'histoire profane, fait jouir le Moineau franc de l Aube des dicux, comme David et Moïse. Il raconte qu'un industriel qui faisait le commerce des oiseaux, était oc- cupé un jour à dénicher les Moineaux francs d'un temple de Lydie, lorsque soudain une voix menaçante sortit du fond du sanctuaire et causa un tel effroi au ravisseur qu'il descendit de son échelle la tête la première et se fit beaucoup de mal. Pline, qui croit comme moï que le Moineau franc est l'ami de l'homme, cite à l'appui de notre opinion le fait de ce pierrot qui, pour- suivi par un émérillon, s'insiaua vivement dans le paletot de Xénocrate. Nous avons pour nous encore le fameux jugementde l'Aréopage dont je n abuserai pas. Mais de tous les écrivains de l’antiquité , Plutarque est celui qui a le mieux compris le carac- tère et la portée d'esprit du Moineau franc. L'illustre auteur de la vie des hommes célèbres avoue avec candeur dans la vie de Sylla que ce fut un moineau qui prédit le premier la venue de la guerre civile qui devait inonder Rome de sang. Un jour que les Pères Conscrits délibéraient sur un sujet très-grave dans la chapelle de Bellone, un pierrot s’offrit tout à coup aux regards de l'assemblée, tenant en son bec une cigale, — une cigale dont il fit deux parts, l'une qu’il donna aux Pères Conscrits, l'autre qu'il emporta dans les champs. Ce qui annonçait clairement {c’est l'histoire qui parle) qu'il y aurait prochainement bataille entre les cigales (propriétaires fonciers) et les moineaux francs (citadins... Or l'événement ne tarda pas à justifier la parabole anatomique du prophète. Ainsi dès le temps le plus brillant de la république romaine et bien avant Plutarque , le Moineau franc symbolisait l'habitant des cités. ( 11. 10 146 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Is voyaient juste dans les rapports des êtres, ces enfants du jeune monde; le Moineau franc est, en effet, l'emblème de l'habitant des cités, mais de l'habitant des cités jeune àge, tran- chons le mot, du gamin. Comme tous les gamins, le Moineau se teint facilement de la couleur locale, empruntant son langage, son faire, ses allures, au milieu où il vit. Paris est le séjour favori des flâneurs, des viveurs , des diseurs spirituels, la ville des causeries attrayantes et des plaisirs qui usent. Le gamin de Paris n’a pas son pareil dans le monde ; le moineau de Paris non plus. Le moineau de Londres est triste, fumeux, convenable, mais froid et empesé comme son pays natal. Celui de Rome et celui de Madrid portent une robe plus chaude de ton, mais ils manquent d’entrain et de spontanéité. C’est à Paris qu'il faut étudier l'espèce. Querelleur, conteur, godailleur, goguenard, pillard, bavard, effronté, familier, mutin, mauvaise tête et bon cœur: voilà le moineau de Paris. Courte et bonne est sa devise. J'ai vu le moi- neau né en avril prendre femme au mois de juin. Le moineau parisien le mieux élevé et le plus sociable est celui du Palais-Royal; le plus heureux, sans contredit, est celui du Jardin des Plantes, qui est à la vraie source pour en appren- dre de tous les pays et de toutes les couleurs et qui prélève une dime copieuse sur la nourriture des pensionnaires ailés de l’éta- blissement, y compris Martin l'ours. Il y a beaucoup de bien et aussi un peu de mal à dire de l'espèce, qui possède toutes les ver- tus, mais aussi la plupart des défauts de son emblème, lequel est un des sujets historiques les plus délicats à traiter. Le moineau de Paris vous mange volontiers dans la main et vous paie facilement-votre gracieuseté par un bon mot ou une gentillesse. Ainsi du gamin de Paris. Le langage du Moineau franc brille peu par l'élégance et la distinction, mais il est expressif. On en peut dire autant de celui du gamin qui tient même à ses fautes. C’est ainsi qu'il s’ostine à écrire rue Aochoir, en place de Aochechouart , sous prétexte SÉDIPÉDES. 147 que pour se conformer de tout point à l’autre règle , il serait obligé de dire mon mouchechouart au lieu de mon mouchoir. Le piaulement peu harmonieux du Moineau s'appelle pépiement. Ilest rusé, narquois, futé comme son emblème; il a l'air d'écouter avec un plaisir infini les paroles de l'appelant et du pipeur, comme le gamin le boniment de l'artiste en plein vent, puis au moment de paver s'esquive. I sait le cessous des ficel- les, des nappes et des raquettes, et les narguc en disant quel- que chose qui ressemble au fameux mot : Connu. Il s'éloigne peu des lieux où il est né, demeure fidèle à son toit, à sa famille et à ses habitudes. Ce n’est jamais non plus de son propre mouvement que le gamin de Paris quitte son quar- tier natal ; et s’il n’est pas toujours fidèle à sa famille , c'est qu'il a trop souvent de graves raisons pour cela. Le Moineau franc a la passion du hanneton, du raisin, des fruits rouges , des gâteaux de Nanterre; l’autre aussi. Il adore la maraude et trouve aux fruits volés une saveur que n’ont pas les autres. Il fait semblant de n'avoir pas connaissance des arrêtés de la police municipale et goûte un malicieux plaisir à prendre domicile sur le chapeau ou sur la manche du man- nequin empaillé qu'on place dans les cerisiers en guise d’é- pouvantail. Le gamin préfère aussi et de beaucoup les chaus- sons de pommes et les pruneaux non achetés aux autres, et le respect de l'autorité est le moindre de ses défauts. C'est-à-dire que tous deux professent en matière de propriété et de gouver- nement des doctrines que je ne puis m'empêcher de qualifier d’anarchiques, et qui les mènent trop loin. En effet, ce besoin de narguer l'autorité, de pénétrer dans les enceintes réservées malgré les défenses de la police, et de mys- tifier le propriétaire, qui est dans les habitudes de l'espèce em- plumée, se retrouve fréquemment dans les faits et gestes de l'autre. Le gamin parisien est enclin aussi à vexer le bourgeois, l'homme posé, établi, et le chapitre de ses démélés avec cette corporation puissante n’est pas le moins réjouissant de tous ceux de la grande histoire des guerres de pauvre à riche. Mais ce pen- chant pervers porte rarement bonheur aux deux espèces. 148 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Un monsieur entre deux âges, décoré et visiblement établi, sort un jour du magasin de Chevet, porteur d’un cantaloup su- perbe, au moment mal choisi où par le plus grand des hasards un gamin à tous crins , lancé à toutes jambes, rasait le seuil du célèbre établissement. Un choc terrible a lieu; le bourgeois de ce coup va mesurer la terre, se scindant en trois parts. Il se re- lève furieux , rallie son gibus, son légume , se frotte les genoux et cherche de l'œil sur qui décharger sa colère. Il avise l'en- nemi qui, dans la prévision de l'orage, s’est déjà retranché der- rière la colonne voisine, poste propice aux détours, et qui l’at- tend fièrement dans sa garde de bataille, l'air moqueur, la main gauche appuyée sur la hanche, la droite épanouie, le pouce à la hauteur des narines. Cette attitude provocante exas- père au plus haut degré la rage de l’offensé dont la face chan- geante passe subitement du rouge rose au rouge blanc. Il éclate en gesticulations menaçantes, en injures inutiles; mais son melon qu'il est contraint de tenir embrassé gène sa pantomime. Le gamin saisit soudain l’image, et de ce son de voix et de ce geste qui n'appartiennent qu'à cette institution : « Tiens! & mos- sieu Saint-Denis, dit-il, qui porte sa tête dans ses mains! » Très-bien, la foule a ri. Mais le lendemain, notre héros, enivré et poussé à mal par son succès de la veille, tombe au milieu de ses camarades, le chef paré d’une superbe casquette de drap bleu, flambante neuve. Ce luxe de coiffure, qui n’est pas dans ses habitudes, suscite parmi l'assistance un étonnement profond mêlé d’un double sentiment d'envie et de curiosité. « Cré nom, la superbe cassiette! Y en a-t-il des gas qu'ont la chance! » Ainsi parle l’envie. « Qui donc qui ta donné ca? » Ainsi s’ex- prime la curiosité malicieuse.—« Qui qui m’'adonné ça, eh! c’est personne donc, c’est moi qui m° la donné. — Ta parole d’hon- neur que c’est toi qui l’as achetée toi-même. — Puisqu'on te le dit; est-il drôle? — Combien qu'a te coûte? — Ça, par exem- ple, j” sais pas. — Elle est bonne celle-là, dis donc, Chose, en vlà un qui n’ sait pas s’ que s’’qu'il a acheté coûte. — Et com- ment que j'aurais pu l’ savoir, puisque l marchand dormait. Et les gens d'esprit de rire encore. Et c’est ainsi que la fà- SÉDIPÉDES. 149 cheuse habitude ou l’on est à Paris d’excuser les fautes les plus graves moyennant un trait spirituel, finit par perturber le sens moral aux gens et par conduire les plus honnêtes à des actes qui ne le sont plus. Je m'accuse publiquement d’avoir volé cette histoire de cas- quette à mon respectable ami M. Joseph Prudhomme (Henri Monnier), qui l'avait peut-être lui-même prise sous son chapeau ; mais la morale est de moi. Il est écrit au premier article de la Constitution des Moineaux francs de Paris que tous se doivent mutuellement secours ct as- sistance. [ls n’ont garde de manquer à cette prescription. Ils s’a- vertissent diligemment l'un l'autre de la présence de l'oiseau de proie ou du piége caché sous les cerises. Un des leurs est-il pris au trébuchet ou enlevé par un matou, aussitôt tous ses camarades s'empressent d'accourir à son aide et tentent parfois d'incroya- bles efforts pour le tirer de peine. Exposez sur votre fenêtre un pauvre petit Moineau qui ne mange pas encore seul, et toutes les mères et tous les pères du voisinage, voire des jeunes du mois dernier, se feront un plaisir de lui apporter la becquée. Les gran- des dames des villes font bien semblant de s'attendrir aussi sur le sort des nouveaux nés que leurs malheureuses mères exposent sous le porche des églises; mais les grandes dames des villes ne pratiquent la charité qu’à la condition qu’on en parle, et elles ne se disputent jamais comme les Moineaux francs le soin de nourrir elles-mêmes l’orphelin. | Les principes de l'assistance fraternelle sont en honneur aussi parmi les francs gamins, qui ont même un langage à eux pour se signaler mutuellement le sergent de ville ou le garde cham- pêtre, et qui sont capables de traits de dévouement incroyables pour délivrer leurs captifs. La charité, hélas ! est de pratique si nécessaire et si habituelle dans la vie du pauvre monde qu'il n’y a que les riches qui aient eu l'idée d'en faire une vertu. Il n’est pas sans exemple que des querelles légères se soient élevées entre Moineaux francs pour une bouchée de pain, comme parmi les gamins pour un trognon de pomme; mais combien il est moins rare encore de voir ces ennemis généreux s’em- 150 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. presser d'oublier leurs querelles pour se faire part de toute bonne aubaine qui leur tombe du ciel! Eunapius raconte qu'il connaissait un homme qui comprenait parfaitement le langage des oiseaux, comme le visir du sultan Mahmoud. Cet homme avisant un jour sur le toit d’une maison une foule considérable de Moineaux qui causaient chaudement d’une affaire, eut envie de savoir le sujet de la discussion , et prêtant l'oreille, entendit que le principal orateur invitait l'assemblée à se transporter au plus vite vers l’une des portes de la ville où venait de sombrer une voiture chargée de grains. Or, quelques-unes des person- nes qui avaient été mises par l'interprète au courant des débats, s'étant rendues sur le théâtre de l'événement, pour vérifier la jus- tesse de l'interprétation, furent stupéfiées de voir que l'homme et le Moineau avaient dit vrai. Ainsi l'oiseau témoin de l’heu- reuse catastrophe n’en avait pas voulu garder le secret pour lui seul. Un des bonheurs du gamin de Paris essentiellement gobe- mouche et fläneur est de se réunir aux siens à certaines heures du jour , en un carrefour quelconque, pour deviser de choses et d'autres. Semblable habitude est entrée dans les mœurs des Moï- neaux des villes, qui tiennent presque tous les jours pendant la belle saison un conciliabule à cinq heures. Comme on n'avait ja- mais rien pu savoir de ce qui se disait dans ces réunions où tout le monde parlait à la fois et répétait toujours la même note, l'idée vint naturellement d'y voir une singerie du régime parlemen- taire et une épigramme mordante de l'oiseau railleur à l'adresse de nos orateurs. Mais cette explication spécieuse à cessé d’être soutenable , depuis que de profondes recherches historiques ont amené la preuve que cette institution des clubs de Moineaux francs était antérieure de plusieurs siècles à la naissance du re- présentatif. La seule explication acceptable à donner de cette coutume me semble être : que si les Moïneaux francs aiment à se réunir, c’est pour être beaucoup ensemble. . Le Moineau est un oiseau brave qui meurt et ne se rend pas, et se défend avec un courage héroïque contre des ennemis dix fois plus forts que lui. J'en ai vu, tout jeune, un du Palais Royal SEDIPEDES. 151 qui força un roquet à la retraite en le pinçant violemment aux narines , aux grands applaudissements des polissons de la place et de plusieurs Moineaux perchés sur les arbres voisins. Beau- coup d'écrivains accordent aussi une valeur héroïque aux gamins de Paris, surtout au lendemain des émeutes réussies. Les Moineaux sont surtout susceptibles d'attachement et de re- connaissance , comme le trait suivaut le démontre. Un soir que je traversais les Tuileries , au retour d'une visite aux cygnes du grand bassin, mes yeux furent tout à coup tirés en haut par un tumulte étrange. C’étaient des trombes épaisses de Moineaux francs qui tourbillonnaient dans l'espace au-dessus des grands arbres, comme emportees par des vents de tempète, et qui rem- plissaient l'air de tapage et de cris. Je reconnus sans peine à l’ac- cent douloureux ct plaintif de ces voix qu'un immense malheur venait d'arriver à l'espèce, et à force d'écouter, je parvins à com- prendre la cause du bruyant émoi. C'était Maria Stella qui ve- nait de mourir, Maria Stella qui fut pendant de longues années la providence des Ramiers et des Moineaux francs des Tuileries ; la même qui s’est plainte dans un livre d'avoir été changée en nourrice contre le roi Louis-Philippe. Maria Stella habitait , rue de Rivoli, au quatrième étage , un appartement à balcon ou elle avait fondé une table d'hôte pour la société d'élite des Moineaux parisiens, qu'elle recevait tous les jours, à heure fixe. Or, il v avait déjà deux jours que les fenêtres hospitalières de la salle à manger ne s'étaient ouvertes, et que les pensionnaires affligés n'avaient aperçu leur hôtesse, et la douleur de son absence était la cause de leurs gémissements. Leur deuil dura huit jours. On cite encore parmi les traits d'affection et de dévouement du Moineau franc l'histoire touchante de celui qui suivit son malheureux maitre, un pauvre soldat condamné à mort, jusqu'au lieu de l'exécution et demeura courageusement perché sur son épaule pendant la fusillade. | Je dois dire maintenant que le Moineau familier, celui qui entre chez vous eten sort quand il lui convient, a un défaut très- grave, celui d'une ponctualité excessive pour les heures de repas. Il est presque aussi exigeant que Louis XIV et n'aime pas à at- 152 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. tendre. Fourier en savait quelque chose. Une fois que le plaisir de la conversation l'avait retenu chez une parente au delà de l'heure prescrite, l'homme de génie se lève tout à coup comme frappé d'un remords, consulte sa montre et s'écrie avec un accent de désespoir non joué : 2ix minutes de retard, je suis perdu. — Comment cela, et que voulez-vous dire? interroge la parente effrayée à son tour; qu'y a-t 11? confiez-nous ce secret redoutable. — Il y à, il y a... que mes moineaux sont dans ma chambre qui m’attendent depuis dix grandes minutes, et que je ne vais pas savoir quel mensonge inventer pour excuser un oubli aussi impardonnable. — Ce qui est impardonnable, c’est de faire de pareilles peurs aux gens pour de méchantes petites bètes comme ça. Envoyez-les promener vos moineaux, s'ils ae sont pas contents.—C'est très-facile à dire, reprend l'auteur du Nouveau Monde, s'esquivant à la hâte, mais on voit bien que vous ne connaissez pas Ceux à qui j'ai affaire. Je ne les avais manqués que d’une minute l’autre jour et j'en ai eu pour une bonne heure de semonces et de reproches à subir. Il est aussi d'observation quasi-universelle que le gamin se montre plus ponctuel pour l'heure des repas que pour celle du travail, ce qui n’a rien de blàämable, puisque les trois quarts des travaux en civilisation sont essentiellement répugnants. Le gamin n'ayant pas encore endossé la robe virile est en decàa de la série d'amour et en dehors de ce sujet d'étude. Ici finissent en conséquence tous ses rapports avec le Moincau franc; le reste de cette notice n'a trait qu'à celui-ci. Le nid du Moineau franc, celui qu'il bâtit sur les arbres, en haut des peupliers, n’est pas une merveille d'architecture; le travail en est grossier, les matériaux communs, Îles détails incorrects, les dimensions absurdes. Le Moineau est peut-être de tous les oiseaux du monde celui qui, proportionnellement à sa taille, se construit la plus vaste demeure. Son nid, de forme ronde comme celui de l’écureuil, n’occupe guère moins d'emplacement que ce dernier ou celui de la pie. Mais l'œuvre ne pèche pas, tant s’en SÉDIPÉDES. 153 faut, sous le rapport da luxe, si elle laisse beaucoup à désirer du côté de l’artet du goût. Cette espèce de botte de paille défaite, mal peignée, sans lien, qui se découvre facilement d’une dis- tance de deux kilomètres, renferme dans son intérieur une cham- brette sphérique, splendidement lambrissée des plus précieuses étoffes, plumes, duvet, soie de lapin, c'est-à-dire que je ne connais pas de berceau plus confortable ni plus chaud que ce- lui-ei, et où les petits soient plus à l'aise. On trouve fréquemment parmi les démolitions de ces bâtisses des fragments de journaux voltairiens et des pièces d’étoffes rouges, affiches non équivoques des dangereux principes dans lesquels le Moineau franc élève sa famille , et que j'ai déjà dénoncés. Ces principes, en effet, joints au gout passionné du Moineau franc pour les appartements chauds et lambrissés de plumes, sont les causes qui l’entrainent à faire à l'Hirondelle toutes sor- tes de misères et d’odieuses chicanes pour l’expulser de son do- micile, lequel réunit à tous lesavantages du nid du Moineau franc celui d'être tout bâti. On dit que l'Hirondelle se venge parfois de l'envahisseur de sa propriété en l'y murant et l'y faisant mourir du supplice des Vestales. Je désire pour l'exemple que le conte soit vrai, mais ne l'espère pas. Le ménage des Moineaux francs, quoique très-édifiant par l’ardeur mutuelle des époux et par leur tendresse sans bornes pour leur progéniture, n'est pas toujours exempt de ces légers nuages qui troublent le ciel d'azur des unions les mieux assorties. Madame est d'humeur exigeante et de service difficile et hous- pille fréquemment Monsieur, sous prétexte qu'on la néglige. Mais ces querelles durent peu et malheur en tout cas à l'officieux voisin qui s’avise de s’interposer entre les parties helligérantes pour mettre le holà; car nos deux amoureux se raccommodent aussitôt et profitent de la circonstance pour tomber à grands coups de bec sur l’intrus de malheur et pour lui apprendre à se mêler de ce qui le regarde. Ainsi procèdent les époux Sganarelle de Molière et les époux Colin de Béranger, mettant en pratique la maxime que vivre en paix c’est vivre en bêtes. J'ai dit que toutes les Fringilles nourrissaient leurs petits avec 154 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. des insectes. Ce régime est surtout de rigueur dans les huit pre- miers jours qui suivent la naissance, et parait indispensable pour faciliter l'éruption des plumes. Ces insectes sont généralement des papillons, des chenilles, de petits scarabées. Cependant le Moineau franc ne craint pas de s'attaquer au hanneton, et il en immole de vastes hécatombes. C’est pourquoi j'ai eu raison de dire que l'espèce servait dix fois plus l’agriculture par la grande destruction qu’elle fait des ennemis des arbres et des moissons, qu'elle ne lui nuisait par sa passion pour l'orge et le blé tendre. Et attendu que cette passion n’a pour se satisfaire qu'une dou- zaine de jours par année, les calomniateurs qui ont écrit que le Moineau franc mangeait deux boisseaux de blé pendant ces douze jours, sans compter ce qu'il en gaspillait, ont dit une sot- tise grosse comme eux. Les Moincaux francs sont richement titrés en familisme, et il n'est pas une äme sensible qui n’ait été émue au doux spectacle des soins affectueux, de la protection et des caresses dont le père et la mère entourent leurs petits longtemps encore après qu'ils sont sortis du nid. La passion des enfants est si universelle et si développée dans l'espèce, que des millions de jeunes en sont annuellement victimes. Mettez à la portée d’un Moineau de deux mois un Moineau de quinze jours enfermé sous une mue et faites que le captif réclame le secours de l'assistance publique, le libre n'hésitera jamais à pénétrer dans l'enceinte perfide pour ap- porter la becquée à Fautre et faire de la charité maternelle un apprentissage qui lui coûtera la vie; car le Moineau de grain jeune àge est tout à fait mangeable, et sa capture paie l'oiseleur de ses frais. Ici comme chez lé Pinson, il a fallu attaquer la do- minante passionnelle de l'espèce pour triompher de sa défiance naturelle. Ainsi done, et à bien prendre, il n’y aurait à articuler contre le Moineau franc qu'un seul grief sérieux, celui qui est relatif à ses opinions $ur le droit de propriété, et à ses démêlés fréquents avec les hirondelles. Et encore a-t-il à faire valoir de nombreu-. ses circonstances atténuantes à l'encontre de ces deux accu- sations. Il dit, quant à la seconde, que les méchants procédés SEDIPEDES. 155 dont il use envers l'Hirondelle de fenêtre ne sont que les re- présailles légitimes des extorsions, des expropriations et des avanies de tout genre que lui fait subir journellement le Marti- net, la grande Hirondelle dés tours, sa bête noire, qui ne se gène pas non plus pour expulser le Moinezu franc de son do- micile et pour lui voler ses matelas en gros et en détail. Quant à la première, il excipe de la contagion de l'exemple des mœurs civilisées qu'il à constamment sous les yeux et qui lui repré- sentent sans variante aucune l'infortuné travailleur exploité, rançonné , exproprié par la paresse et le parasitisme. Ce qui m'étonne, moi, en effet, ce n’est pas que le Moineau franc des grandes capitales ait emprunté quelques vices à l'homme, c'est que son cœur soit demeuré aussi pur et sa fidélité à ses serments aussi inébranlable au sein de ces bourbiers immondes où se dé- veloppent avec tant d'énergie tous les genres de putréfaction morale, la soif du gain, le mépris des sentiments tendres, l'inti- délité amoureuse, l’apostasie et la vénalité. A ceux de mes lecteurs qui seraient tentés de se plaindre de la longueur exagérée de cette notice, je réponds que l'écrivain consciencieux n’est pas maître de son sujet, et que j'avais bc- soin d'acquitter une dette de reconnaissance contractée il y a bien des années envers le Moineau franc. le pauvre Moineau franc, ce souffre-douleur-né de l’inexpérience enfantine, qui fut avec le lapin blanc mon unique reconfort, mes uniques amours au collége, au temps non regretté où le pion ennemi m'ensei- gnait avec tant de succès à maudire le travail, la grammaire et l'autorité. Le Friquer. Paisse, Minchot, Cendrille, Moineau des champs, con aurait dù appeler Moineau de puits, parce qu'il aime à nicher dans là sombre profondeur de ces édifices. Un peu plus roux et un peu plus petit que Fautre, sans tache noire sur la gorge. Son nom de Paësse lui vient de passer ; celui de Friquet de l'habitude qu'il a de frétiller sans cesse. Il aime micux Îles champs que les villes, les trous d'arbres que les trous de murs. C'est l'ennemi le plus terrible de la cigale qu'il atteint dans les 156 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. airs à de grandes hauteurs. Il ne diffère pas plus du Moineau franc par les mœurs que par le costume, et ne vaut pas une histoire à part. En l’empéchant beaucoup de dormir et en lui répétant tous les soirs deux ou trois monosyllabes, on le force à les retenir, mais il a la mémoire courte et manque fréquemment de parole. | Les Moineaux qu'on appelle Cisalpins et Espagnols, ne sont pas des espèces distinctes, mais de simples variétés du Moineau france dont le soleil du Midi a culotté le teint. La Sourcie. Moineau de bois. Cette espèce, assez rare et as- sez insignifiante, est un peu plus grande que le Moineau domes- tique ; elle habite exclusivement les forêts où elle niche comme les Mésanges dans les trous des vicux arbres. La Soulcie vit parfaitement et se marie même en captivité. Ses allures, ses facons d'agir en cage semblent calquées sur celles du Moineau franc. Le mâle monte la garde tout le jour sur le goulot du pot de moineau cloué à la muraille qu'on lui a assigné pour domicile ct où sa femelle couve. Il force tous les autres oiseaux de la volière à se tenir à distance respectueuse de ses foyers, et fond avec impétuosité sur quiconque viole sa consigne. Les blessures qu'il fait sont terribles. J'ai vu de pauvres Chardonnerets et de pauvres pinsons se retirer piteusement de ces batailles, éclopés pour le reste de leurs jours. Comme la Soulcie ne chante pas et peut se manger à la rigueur, il y a mieux à faire avec elle que de la conserver. Sa robe est parfaitement semblable à celle du Proyer ou de l’Alouette, si ce n’est qu'on y remarque à la partie supérieure de la poitrine un bel écusson de couleur jaune, en signe de la tendresse que l’espèce porte à ses petits. La Soulcie est sédentaire dans tous les pays chauds de l’Europe, et voyageuse ailleurs. Je n’en ai pris que deux ou trois en ma vie à la pipée ou à la tendue, en huit ans de pratique féroce de cette attrayante industrie. SÉDIPÈLES. 157 Groupe des Bruants. Neuf espéces. Le groupe des Bruants se distingue de celui des Fringilles et de celui des Alouettes qui l’enceignent par des caractères sépa- ratifs faciles à déterminer. Les Bruants nichent à terre, portent le pouce très-long et sont excellents à la broche pour se distin- guer des Fringilles. Ils chantent mal et perchent beaucoup pour se distinguer des Alouettes. Leur palais est en outre orné d’une protubérance osseuse sui generis, qui leur sert de signe de re- connaissance certaine parmi toutes les espèces. Le nom de Bruant, qu'on leur a donné, ne vaut guère mieux que celui de Fringilles ou d’Alouettes. S'il est pris du bruit de leur vol, il ne trace pas une ligne de démarcation sensible entre ce groupe et le précé- dent dont la plupart des espèces, le Friquet notamment, ont le départ bruyant et émotionnant de la Perdrix, du Faisan et de la Bécasse. Les savants ont métamorphosé ce méchant nom fran- çais en une dénomination latine tirée du grec, Embervyza qui veut dire je ne sais plus quoi. Le bec des Bruants, fort et conique comme celui des moineaux, s’en distingue complétement par la disposition des mandibules qui laissent entre elles une sorte d’hiatus à leur base et dont la supérieure est moins large que l'inférieure. La queue est fourchue comme dans tous les autres groupes de l’ordre. Le groupe des Bruants de France comprend neuf espèces dont une, l’Ortolan, est célèbre dans les fastes de la gastroso- phie. Les Bruants nourrissent exclusivement leurs petits avec des insectes. Leurs nids sont bâtis avec assez d'art de fenasse légère et de.crin, et sont parfaitement cachés. Le Proyer et l’Ortolan sont un peu de passage ; les autres sont sédentaires ; l'illustration de la famille est toute dans la délicatesse de quelques-uns de ses membres qui aiment mieux lutter à qui mangera le plus qu’à qui chantera le mieux. Les Bruants ne sont ni aussi querelleurs et méfiants que les Fringilles, ni aussi faciles et confiants que les Alouettes. 158 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Le Bruant pe Hate. La Verdière. Le plus connu et le plus commun de tous les Bruants. C’est l'oiseau à tête jaune que l'on désigne dans une foule de pays sous le nom de Verdier et de Verdière. J'ignore pourquoi on ne l’a pas appelé Tête jaune ou Bruant doré, plutôt que Verdière et Bruant de haie qui ne lui conviennent guère. Le Bruant de haies niche dans les ados des fossés, dans les berges herbenses de la Seine, sous les buissons des bois aux environs des plaines, quelquefois au milieu des jeu- nes touffes de charmille et de hêtre dans les forêts. La paillasse de son nid est faite d'herbes sèches et le matelas de crin. Les œufs sont marbrés de veines rougeàtres comme une carte géogra- phique. Le mäle partage les travaux de l’incubation avec la fa- mille. Le chant de cet oiseau est des plus monotones : Sol, sol, mi. sol, sol, mi. ut. Le Bruant de haie donne à la pipée, et sa chair est mangeable. J'ai même idée que les efforts que l'on tenterait pour en faire un rôti de luxe seraient couronnés de succès, car il aime avec passion la graine de millet et supporte la captivité avec résignation. Sédentaire dans tous les pays de France, il pénètre l'hiver jusque dans les cours des fermes et dans les rues des cités. Le Beuant-z121. Bruant de haie comme le précédent, dont il ne diffère que par la couleur de la tête et de la nuque où do- minent le brun et le noir. La gorge et la partie supérieure du cou sont teintes de la même nuance; le poitrail est décoré d'une plaque d’un beau jaune; manteau roux marron; abdomen jaune pàle; pieds roses. Le vulgaire prend communément tous les individus de cette espèce pour les femelles du Bruant doré. Histoire sans intérêt. Bnauaxr Fou. Bruant de pré, Ortolan de Lorraine. Ainsi nommé parce qu'il se jette comme un écervelé dans toutes les embüches qu'on lui dresse. L'espèce est rare en France, et sa classification a donné lieu à de graves discussions entre les or- nithologistes sérieux. Manteau roux zébré de noir ; dessus de la tète, cou et poitrine cendré bleuâtre; l'abdomen, le croupion , SEDIPÉDES. 159 les flancs blanchâtres. Le Bruant fou habite les régions froides des montagnes d'où il descend en hiver dans les plaines. Mèmes mœurs, mème nourriture, mème nidification que les précédentes espèces. Gavout Er Mrrizèxe. Deux espèces de Bruants originaires des montagnes du Dauphiné et de la Provence, dont Buffon a parlé pour ne pas en dire grand’ chose, et dont il n’y avait en réalité que très-peu de choses à dire, si ce n’est que leux chair dépasse en qualité celle de la plupart des Gros-becs mentionnés en decà. L'histoire de chaque membre de ce groupe est renfermée dans celle de son pivot. Ce pivot est l'Ortolan, devant le nom duquel tous les hommes de goût doivent incliner la tête, en signe dé respect, à l'instar de ce colonel d’une légion étrangère qui fit porter les armes à sa troupe en passant devant le Clos-Vougeot. L'Orrorax. Du latin Lortulanus, habitant des jardins. Déno- mination vicieuse, puisque l'oiseau se plaît surtout dans les plaines siliceuses, voisines des vignobles, et ne niche jamais que dans les blés ou dans les vignes. Le nom de Vigneiroun qu'on donne à l'Ortolan dans certaines parties du Languedoc eùt été préférable, L'Ortolan se rapproche beaucoup du Bruant-Zizi pour la cou- leur et la taille. Sa marque la plus distinctive est dans les deux pennes extérieures de sa queue qui sont blanches, tandis que les autres sont noires; la poitrine, le ventre, l'abdomen sont lavés d’une teinte rouge jaunâtre difficile à définir; les yeux sont cer- clés d’une zône jaune encadrée d’une bordure noire et se pro- longeant sur la gorge; les parties supérieures de la tête et du cou affectent la nuance olivâtre ; le fond en est strié et moucheté de taches noirâtres; iris brun et pieds roses; le doigt de derrière très-long et terminé par un ongle court. L'Ortolan est un oiseau de passage dont les quartiers d'hiver sont au delà des Pyrénées et des Alpes, en Italie et en Es- pagne, et dont les demeures d'été sont en France depuis les ri- ves de l'Adour jusqu’à celles de la Durance, dans la direction de 160 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. l'Est, depuis les plages de la Méditerranée jusqu'aux montagnes des Cévennes, dans la direction du Sud au Nord. L'espèce ne s'élève guère au delà de nos anciennes provinces du Midi; le Tarn et la Garonne semblent lui servir de limites dans le pays ouvert. L'Ortolan arrive sur les rives du Tarn vers le 10 ou le 42 avril, et recherche de préférence les plaines sèches plantées de vignes. On dit que la plupart de ces voyageurs reviennent se fixer aux lieux où ils ont reçu le jour. Les mâles arrivent les pre- micrs et choisissent leurs places; les femelles qui les suivent s'arrètent où les mäles chantent; ct la possession de chacune d'elles devient le sujet de luttes acharnées qui se terminent par le bannissement du vaincu qui est obligé d'aller tenter ailleurs les chances de la fortune. Chaque couple ayant besoin d'occuper pour sa subsistance un territoire de chasse d’une assez grande étendue, il est rare que les Ortolans établis se logent à moins de 500 mètres de distance l’un de l’autre. La femeile creuse une légère cavité en terre au pied d’un cep en s’y roulant et en S'y trémoussant à la façon des Moineaux et des Poules. Elle mate- telasse les parois de cette fossette avec une épaisse couche de feuilles de chiendent desséchées et garnit l’intérieur d’un doux sommier de crin ou de bourre de vache. Elle y dépose quatre ou cinq œufs très-gros relativement au volume de l'espèce. Les pe- tits éclosent au bout de quatorze jours et s’échappent du nid avant l'heure, ce qui rend leur éducation très-pénible. Cette es- pèce fait deux pontes par an, souvent trois. Tout le temps que l'incubation dure, le mâle, perché sur quelque branche morte du voisinage, tient fidèle compagnie à la couveuse par les répéti- tions sans fin de son chant monotone. Les père et mère nourrissent leurs petits de chenilles, de grillons, de sauterelles, de petits scarabées, et rendent à cette occasion d'immenses services à la vigne en la purgeant de tous les insectes qui la dévorent. Il est plus que probable que les trois quarts des maladies contagieuses qui ravagent périodique- ment nos vignobles de France ont pour cause la guerre sans pitié que les vignerons du Midi ont déclarée à l'Ortolan. Le nid de l’Ortolan est parfaitement caché, et quand la mère entend SÉDIPÉDES. 161 venir le maraudeur de son côté, elle s'en échappe sans bruit, piétine une douzaine de pas et attend que l'ennemi soit sur elle pour partir dans ses jambes, en feignant une mortelle alarme. Celui-ci cherche alors à la place où il est, perd ses peines, se rebute , pendant que l’heureuse mère a rejoint sa couvée par dés chemins de traverse, et s’applaudit tout bas du succès de sa ruse. Les petits Ortolans que leurs parents nourrissent Jongtemps encore après leur sortie du nid, continuent à séjourner dans le canton jusqu'au jour du départ qui varie de la mi-août à la mi-septembre. Ces oiseaux semblent voyager par familles, car on les voit rarement plus de quatre ou cinq ensemble. C'est vers cette époque de leur émigration que les oiseleurs en font de vastes captures, car l'Ortolan donne dans la nappe avec une facilité sans égale à la voix de l'appelant. Mais il s'en faut du tout au tout que l'Ortolan acquière à l’état libre cet état d'em- bonpoint dont nous voyons nantis ceux qui nous arrivent à Pa- ris, encaqués par douzaines dans des caisses de millet. L'Ortolan gras est un produit de l’art, c’est-à-dire de création humaine, et je me hâte de dire que cette industrie lucrative et que les Ro- mains connaissaient , exige peu de talent, de dépense et de soin. Il ne s’agit pour donner à l'Ortolan cette triple ceinture de graisse qui lui confère une si haute valeur commerciale, que de l’abandonner à ses propres instincts, en l’enfermant dans une chambre un peu obscure en compagnie d'une lourde pelotte de farine de millet et d’un vase rempli d’eau. L'oiseau cherchant naturellement à se distraire dans sa triste prison et ne trouvant pour cela d'autre moyen que de manger et de boire, s'acharne à ce travail avec une telle ardeur qu'il ne tarderait pas à crever d'embonpoint si on le laissait faire. Quinze jours de ce régime suffisent généralement pour opérer la métamorphose de l'Or- tolan étique en Ortolan obèse et digne d’être servi sur la table des rois. Il arrive fréquemment que l'Ortolan parvenu au dernier terme de la saturation et de l’abésité est affligé d’un déborde- ment d’excroissances charnues à la face et de nodosités aux join- 1. 11 162 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. tures, qui le déshonorent , le dégradent et le font périr avant l'heure de douleurs suraiguës. Emblème du Mondor qui fait son dieu de son ventre, n’a qu'une ambition, celle de mourir gras, et se trouve arrêté tout à coup dans sa marche ascendante vers cette fin glorieuse par la goutte cruelle qui le cloue sur son li, te condamne à la dièté,; lui garotte les membres, lui fait subir mille morts avant de l'étouffer ! Superbe sujet d’enseigne pour une boutique dé société de tempérance! Admirable matière à mettre en-vers français pour ‘un prix Montyon! : 10083 Fi 5 JHOS-HE Si #5 LE t : ‘ L'Orroiax DE roseaux. C'est-à-dire habitant des jardins qui habite les étangs. Nous voici retombés avec ce nom dans le sys- tèmie des Poules d’eau de génêts. Bruant de roseaux vaudrait mieux. Cette espèce très-connue dans tous les pays de maré- cages, de prairies basses, de tourbières, a quelques rapports de plumage avec le Moineau franc et: d’allures avec le Friquet. L'Ortolan dé roseaux à la tête et la gorge noires du premier, Te manteau roussàtre et l'animation inquiète et perpétuelle du second. [l'grimpe après les roseaux comme certaines Fauvettes et vit des graines et des insectes qu'il trouve sur les plantes aqua- tiques; se rencontre abondamment vers la fin de l’automne dans toutes les oseraies qui bordent nos grands fleuves: Son chant est triste et monotone ; il le fait quelquefois entendre pendant la nuit. "Quelques ornithologistes croient à l'existence d'une seconde espèce de Bruant de roseaux, qu'ils appellent Bruants de maruis, ét dont quelques rares individus feraient apparition de temps à autre sur les rives de nos grands étangs du Midi. Je n'ai pas vu l'oiseau, mais la description qu'on en donne ne permet guére de séparer cette espèce prétendue nouvelle de celle dont nous ve- nons de parler. La différence qui existe entre elles deux est moins grande, en effet, que celle qu’on remarque entre la Per- ‘drix grise ordinaire et la Roquette, entre le Moineau de Paris et celui de Madrid, qui sont des types originaires de la même Souche, Hégèrement différenciés par l'influence de la diversité des milieux. Le soleil dore le teint, la nourriture facile développe les muscles, l'éducation polit le verbe chez les bêtes comme chez SÉDIPÉDES. 163 Fhdmme; mais aucune de ces circonstances n’a pouvoir de scin- der l'unité typique. ‘Le Proyenr, La plus forte espèce du groupe et la plus intéres- sante peut-être; car sa fécondité est extrème, et je ne-vois pas quelle impossibilité s'oppose à ce que l'homme tire de ses pen- chants à la gourmandise le même bénéfice que de ceux de l'erto+ lan. Notez que le Prover tout frais pris, vaut au moins ce dernier avant son entrée en épinette et qu'il est plus gros et plus gras. Ou l’analogie me trompe fort, ou il y a là toute une industrie g glor rieuse et fructueuse à créer : et ce que je dis du Proyer qui n'a bésoin que d’être poussé par l’homme pour rjvaliser d'embon- point avec l’ortolan et la poularde, s'applique à toutes les espè- ces du groupe des Bruants. Il m'est arrivé bien des fois, dans ma vie de chasseur et de pipeur, d'être réduit à vivre pendant des semaines entières du produit exclusif de mes chasses. Ainsi j'ai vécu suivant les pays et les saisons, de Lièvre, de Sanglier, de Caille, de Rouge-gorge, de Grive. En Algérie, où j'ai été obligé d'alterner de la Bécasse au Proyer, j'ai remarqué que la répéti- tion trop fréquente du Proyer était celle qui me rebutait le moins. On fait aux environs d'Alger, vers l’époque de la Saint- Martin, de grands abattis de Proyèér au fusil. En ce temps-là tous les arbres des grandes routes et des places publiques des villages en sont littéralement couverts. Le Proyer dans ce pays- lis ‘appelle le Gros-bec. Le Proyer est un oiseau tout gris qui tient beaucoup, quant au costume, de la Pierrette et de l'Alouette. Il est très-répandu en France dans tous les pays de plaine, notamment en Champagne. Il y arrive de bonne heure au printemps, fait son nid dans les _blés ou dans les prairies ‘et émigre vers le midi dès le commen- cement de septembre, Une grande partie des émigrants hiverne Mans nos provinces méridionales ; le reste traverse la Méditerra- née et occupe | Algérie. Le chant du Proyer est monotone, mais plein d'expression: et son vol d'amour est une évolution gracieuse -quiannonce l'appr oche de l'Alouette, L'oiseau, après avoir plu- sieurs fois répété ses trois notes du haut dn grand arbre de la 164 : ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. route, s’élance vers la terre, les ailes déployées en façon de pa- rachute et les jambes pendantes, et finit par tomber auprès de sa femelle, qui l'écoute et l'admire immobile sur ses œufs. Le nid du Proyer est fait comme celui du Bruant doré et de l’Ortolan , d'herbes sèches et de crin. Je l'ai trouvé quelquelois élevé d’un demi-pied au-dessus du sol et logé dans un épais massif de luzerne ou de mélilot. Les petits sont nourris exclusi- vement d'insectes. Le Bruanr DE eiGe. Les Bruants sont les plus proches voisins des Alouettes. [ls ont comme celles-ci le pouce long et comme elles ils nichent à terre et habitent les grandes plaines; mais l'ongle de ce poute est généralement arqué et court, tandis que celui des Alouettes est généralement long et plat. Or voici, pour bien marquer la transition entre les deux groupes voisins, une espèce, le Bruant de neige ou le Bruant de montagne, qui porte l’ongle plat. Le Bruant de neige, ainsi que son nom l'indique, habite les régions les plus froides de l’Europe, la Laponie et les hautes vallées des Alpes norwégiennes. Il en descend quelque- fois pendant l'hiver dans nos plaines. Je l'ai pris une ou deux fois en Lorraine sur des touffes de chardons disposées pour faire capture de Chardonnerets, de Tarins et d’autres Granivores. C’est un oiseau fort rare, dont le manteau de voyage est presque semblable à celui du Traine-buisson ou Fauvette d'hiver. Il a la gorge et la poitrine noires en son costume de noces, les flancs et l'abdomen blanchâtres , la partie supérieure du cou marquée de roux; la queue noire ondée de blanc. Il chante en volant comme le Proyer, en signe de sa proche parenté avec le genre alouette. Ici finit le groupe des Bruants dont les dominantes caracté= rielles sont le familisme et la gourmandise, et que je crois ap- pelé à un glorieux avenir gastrosophique. Je fertié son histoire par une remarque d’une importance extrême et qui ajoute un trait de séparation de plus entre lui et les précédents. C’est que les Bruants sont les premiers Granivores dans le nid desquels le coucou ponde. On concoit, en effet, que ce parasite qui est émi- SÉDIPÉDES. 165 nemment, sinon exclusivement insectivore , ne s'avise pas de déposer son œuf dans le nid des seriniens qui nourrissent leurs petits à la bouillie de gruau , nourriture qui ne conviendrait nul- lement au jeune coucou ; mais on ne voit pas pourquoi la mau- dite bête ne chargerait pas les Fringilles, qui nourrissent leurs petits d'insectes , du soin d'élever sa famille. Cependant il n’est pas à ma connaissance qu'on ait jamais trouvé un jeune coucou dans un nid de Pinson, de Soulcie ou de Moineau franc, tandis que j'en ai pris personnellement deux ou trois dans des nids de Proyer. Groupe des Alouettes. — Six espèces. J'ai besoin de rappeler pour l’acquit de ma conscience que le groupe des Alouettes, qui se trouve placé à l'extrémité de cette série bâtarde de la Granivorie , occupe le rang de groupe pivotal dans la classification naturelle des Chanteurs, qui se moule sur la division de l’échelle vocale en quatre groupes de voix. Les Alouettes, musicalement parlant, appartiennent à la série du contralto. Elles brillent au premier rang de tous les oiseaux de la terre par la beauté de leur chant, l'innccence de leurs mœurs et la délicatesse de leur chair. C’est une famille aimée des dieux et digne de l'estime et de la reconnaissance des mortels. Les Alouettes font leur nid à terre et couvent l'œuf du Coucou à l'instar des Bruants, ce qui démontre qu'elles nourrissent leurs petits avec des insectes. Elles sont beaucoup moins percheuses que toutes les espèces des groupes voisins ; quelques-unes même comme notre espèce commune ne perchent jamais que dans la saison d'amour. Cette difficulté de percher vient aux Alouettes de la longueur extraordinaire de leur doigt de derrière qui est plat et qui se termine par un ongle de dimension exagérée également rectiligne. Les doigts de devant ne faisant plus crochet avec le pouce, il s'ensuit naturellement que l'oiseau a plus de facilité pour courir sur le sol que pour saisir un rameau et s’en faire un support. Mais la nature a compensé richement cette difficulté de 166 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. perchement par une plus grande puissance de vol. Les Alouettes sont mumes d'ailes longues, vigoureuses et infatigables , qui leur permettent pour ainsi dire de se reposer dans les airs; elles montent au plus haut des nues et dans une direction quasi-ver- ticale avec une facilité extrème et se maintiennent pendant des heures entières dans ces parages vides, remplissant d'harmonie tous les carrefours du ciel. Leur nid est moins artistement cons- truif que celui des Bruants, et leurs petits le quittent de très- bonne heure, ce qui est cause que les choupilles en confisquent souvent. Les Alouettes se réunissent en vols nombreux à l’au- tomne, et vagabondent plutôt qu'elles n'émigrent pendant l'hiver , recherchant particulièrement les pays de plaine et les bords de la mer, sans distinction de zône. Elles vivent d’insectes pendant le printemps et l'été, de grains et de pousses de blé pendant la morte saison, et poudroient presque à la facon des “pérdrix et des cailles. L'Alouette s’engraisse seule et sans le se- cours de l’homme. Espèce victime, espèce féconde, vouée à l'ex- ‘termination , comme le Rouge-gorge, le Pigeon, la Berge- ‘ronnette. On a fait dériver le nom d'Alouette, en latin A/auda, des ‘deux mots à laude, de la louange, comme qui dirait loiseau ‘chargé de chanter les louanges du Seigneur. Il est fächeux que cette dénomination , qui dans ce sens serait fort juste, fasse mieux en latin qu’en français. J'ai lu je ne sais où que les anciens habi- tants de la Gaule appelaient l'Alouette Bardalis, d'où l'on a tiré le: mot barde, nom du rapsode ou trouvère gallois, c'est à dire que pour nos ancêtres l’Alouette était l’oiseau chanteur par “excellence. J'accepte encore cette qualification glorieuse; car le poëme de l’Alouette est pour moi le plus sublime de tous, et ce -qui me fait supposer que mon opinion est la bonne, c’est qu'elle est partagée par tous les oiseaux amateurs de musique étrangère, qui-aiment mieux répéter les chansons de l'Alouette que celles -du Rossignol. [l faudrait trouver pour l'Mouette un nom de fa- mille qui voudrait dire : celle qui chante en volant, Le nom de G+- role qu’elle a porté jadis répondait évidemment à cette indication, SEDIPÉDES. 1H0 [LU La Ciraxore. Cette espèce particulière à nos provinees méri- dionales et presque inconnue dans nos départements du Milieu et du Nord, est la plus grosse de nos espèces indigènes. Sa taille approche dé celle du Mauvis , la petite Grive à ailes rouges. Elle se distingue de notre Alouette commune (Mauviette des restau- rants) par sa grandeur d'abord , puis par la forme de son bec qui est plus haut que large. Elle porte sur le devant du cou une sorte de plastron noir qui tranche éiégamment sur le fond blanc de la gorge. Poitrail jaunâtre , virguleté de taches brunes à la façon des grives, les parties inférieures du.corps et de la queue ainsi que les deux rectrices externes blanches, Manteau cendré roux ou plutôt jaune terreux , uniforme obligé des familles qui doi- vent vivre à terre. Jris brun, pieds roux, vol gracieux, talent musical sans pareil. S'accommode parfaitement de la captivité, La CaL. ANDRELLE. Moule réduit de la précédente ; plus commun également dans le Midi que dans le Nord et le Milieu de la France. La Calandrelle aime les pays vignobles et émigre en Algérie aux approches du froid. Son séjour au delà des mers est de courte durée. Elle a tout le devant et tout le dessous du corps blancs, la queue d'un brun foncé avec les rémiges externes blanches, le manteau cendré isabelle, l'iris brun, les pieds roses. C'est cette petite Alouette aux doigts courts qui file avec tant de rapi- dité dans les sillons devant le chien, et que les chassereaux tirent souvent à terre pour une caille, Sa voix est mélodieuse, ses thèmes variés, et elle chante comme toutes les Alouettes, en décrivant dans l'air des orbes gracieux. Le Hausse-cor. Espèce remarquable et fort rare qui ne niche pas e2 France et ne s’y fait tuer ou prendre que par une de ces chances extraordinaires qui n'arrivent même pas à tous les ten deurs d'alouettes une fois en leur vie. Elle doit son nom à une large tache noire en forme de hausse-col qui lui emboite la gorge. Elle porte également sur la tête une petite LR de mème nuance. 168 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. * Le Cocaevis. L’Alouette huppée des grands chemins, des grè- ves nues de la Loire, des carrières de Montrouge, l'Alouette qui se perche sur les toits de chaume des villages de la Cham- pagne Pouilleuse, sa patrie d'adoption, et qui cherche sa subs- tance dans le fumier frais de cheval. Habitante des contrées sté- riles, cette espèce vit maigrement et sa chair n'atteint pas le degré de délicatesse qui fait le malheur et la gloire de toutes ses congénères. En revanche son chant est des plus délectables, et c'est pour cela probablement que Dieu l’a attachée aux demeu- res des plus pauvres laboureurs, afin qu'aucun des séjours de l'homme en cette terre ne fût déshérité de la poésie d'amour. Le Cochevis se conduit parfaitement en cage où il peut être em- ployé en guise de réveil-matin par les gens paresseux. Pareil au cantonnier, dans la société duquel il dépense ses plus douces heures, il tient une portion de route départementale ou royale dont il s'éloigne peu, voisinant avec les pinsons et les moi- neaux des alentours et sachant se contenter d’un petit nombre d'amis. Le Cuseuier. Alouette des bois, Lulu, Alouette de Champa- gne, efc.; noms impropres, sinon absurdes. Le Cujelier est cette charmante petite alouette à queue écourtée qui voyage par petites compagnies à l'arrière-saison, disant Zouli, louli d'une voix flûtée et douce, qui se lève à dix pas de vous dans les chaumes très-ras, se rabat à vingt pas plus loin et semble s’engouffrer dans les entrailles du sol; tant elle disparait com- plétement aux regards, si nue que soit la place où elle s’est remisée. J'ai trouvé quelquefois le nid de cette espèce achevé et habité dès la fin de mars dans nos provinces du Nord. J'ai revu la mère couvant encore au commencement de septembre. C’est dire que cette Alouette est du petit nombre des oiseaux privilégiés, peur qui la saison des amours dure plus de la moitié de l'an. Aussi est-elle des premières qui saluent le retour du soleil au prin- temps, et des dernières qui renoncent à célébrer sa gloire en automne, Elle chante jusqu'à la venue des grands froids, et son SEDIPÉDES. 169 chant est une des plus suaves et des plus touchantes mélodies qu'on puisse ouir. Il est presque semblable à celui des Far- louses et s'entend quelquefois la nuit. L'oiseau se perche sou- vent à la cime d'un orme ou d’un chène pour défiler ce chapelet de perles musicales. Plus souvent encore il les sème dans l’espace du haut des airs où l'attraction passionnelle le force à décrire une circonférence d'amour dont tous les points sont également éloignés d’un point fixe du sol qui est le nid où dort sa couveuse. Cette jolie petite espèce que je propose de baptiser l'Alouette à queue courte, comme on dit la Mésange ou la Bergeronnette à longue queue, ne supporte pas la prison avec la mème philo- sophie que les autres membres de sa famille. Mais à quoi bon la priver de sa liberté pour avoir le plaisir de l'entendre, puis- qu'elle vient d'elle-même nicher près de nos demeures pour nous dire gratis tout ce qu’elle sait? Sa chair est excellente, mais heu- reusement ne fait l'objet d'aucun commerce. Sédentaire ou vagabonde suivant les accidents de la température; très-commune en Poitou, en Anjou, en Touraine, en Orléanais, en Champagne, provinces chères aux tendeurs. L'Arouerre. L'Alouette commune, l'Alouette des champs, la grande Voilière, la Mauviette. Un des plus riches dons que Dieu ait faits à l'homme dans sa munificence. Un gibier délicieux qui chante! qui nous charme pendant sa vie, qui nous délecte après sa mort! Peu de bons pâtés en ce monde peuvent se vanter d’égaler ceux de Pithiviers et de Chartres pour la légèreté et la délicatesse ; mais aucun gosier à coup sûr n'est capabie de lutter avec celui de l’Alouette pour la richesse et la variété du chant , l'ampleur et le velouté du timbre, la tenue et la portée du son, la souplesse et l'infatigabilité des cordes de la voix. L'Alouette chante une heure d'affilée sans s’interrompre d'une demi- seconde, s’élevant verticalement dans les airs jusqu'à des hau- teurs de mille mètres et courant des bordées dans la région des nues pour gagner au plus haut, etsans qu'une seule de ses notes se perde dans ce trajet immense. Que tous les Rossignols des 170 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. forêts d'Allemagne , de Russie et de France, que tous les Merles: moqueurs des forêts d'Amérique essaient d'en faire autant ! La gentille alouette avec son tirelire, Tirelire, relire et tirelirant tire, Vers la voûte du ciel; puis son vol en ce lieu Vire et semble nous dire : Adieu, adieu, adieu. _ Je ne connais pas d'exemple d'harmonie imitative -plus à reux que celui que renferment ces vers, où le double caractère du chant de l'Alouette et de ses évolutions aéronautiques se trouve si gentiment saisi. L'Alouette est une des gloires nationales de la France. Ce n'est pas l’analogie qui dit cela, mais un historien éloquent, un poëte, un savant d'une érudition immense et chez qui le savoir n'a pas tué le sentiment, Écoutez comme Michelet, l'auteur de Ja meilleure histoire romaine qui existe, a noué indissoluble- ment la gloire de l’Alouette à celle de Jules-César et à celle de la France IL ( Jules-César ) engagea à tout prix les meilleures guerriers gaulois dans ses légions ; il en composa une légion tout entiere dont les soldats por- taient une alouette sur leur casque et qu'on appelait pour cette raison l'alauda. Sous cet emblème tout national de la vigilance matinale et de la vive gaielé, ces intrépides soldats passérent les Alpes en chantant, et jusqu’à Pharsale poursuivirent de leurs défis les taciturnes légions de Pompée. L'ÆAlouette gauloise conduite par l’Aigle romaine, prit Rome pour la se- conde fois et s’associa aux triomphes de la guerre civile. » Ainsi l'Alouette de France s'est emparée deux fois de Rome, la maîtresse du monde ! Combien citeriez-vous d'oiseaux, voire de nations illustres, qui possèdent dans leurs archives hietiriques he: de pages -comme celle-là ? On comprend que je ne me soucie pas d'affadir la saveur du morceau qui précède par mes commentaires insipides. © Pour avoir conquis de si puissantes sympathies dans le cœur des guerriers et des poëtes, il fallait que l’Alouette possédât une bien haute valeur personnelle. Elle la possède en effet. C'est la joie des sillons; c'est le premier oiseau qui annonce SEDIPEDES. 171 le printemps, et elle l'annonce par un hymne de fête bien au- trement senti que le ramage du Rossignol, chantre des nuits obscures et de l'harmonie solitaire, et dont la mélodie sent la lampe. C’est l’humble Alouette des champs qui chante le plus haut sous les cieux la gloire du soleil. Sa dominante passion- nelle est l'amour de l'astre éclatant d'où rayonnent la lumière, la chaleur et la vie. Elle célèbre son retour dès la fin de janvier dans nos provinces du Centre. Quand viennent les gelées blanches d'octobre et les matinées sombres où l’astre pares- seux fait attendre si longtemps son lever à la terre, l'Alouette, qui s’enpuie de son immobilité sur le sol froid et humide et aspire à lé quitter, s’élance avec joie dans l’espace au devant du pre- mier rayon qui émergé de la brume, et elle commence la série de ses évolutions gracieuses, de ses courses au clocher, de ses chutes et de ses ascensions rapides. Alors le moment est venu ‘pour l'homme de dresser le miroir perfide; car aussitôt que le chatoiement de la glace mobile aura frappé sa vue , l'amoureuse du soleil se précipitera soudain sur l'appareil, non pas pour sv mirer coquettement , comme disent quelques poëtes, mais bien pour y chercher l'image de son astre chéri. Quelquefois elle res- -tera immobile dans l'air au-dessus du miroir, les ailes déployées et les jambes pendantes, dans cette attitude de bonheur extatique particulière à la Colombe, et qui l’a fait prendre dans la religion -chrétienne pour l'emblème du Saint-Esprit. C'est l'instant que l'apprenti tireur guette pour la manquer. On comprend mainte- nant pourgüoi dans le langage raisonné de l’ornithologie pas- -sionnefle, la tribu des Alouettes est dite la tribu des mireurs ou des amoureux du soleil. Une preuve que c'est bien l'image de l'astre roi et non la sienne propre que l’Alouette contemple dans -la glace, c'est que le mème oiseau ne #wre plus en* Afrique où Fabsence du soleil est toujours de courte durée. La chasse au -miroir n'est que la plus jolie ct la plus amusante des chasses à l'Alouette; c'est la moins fructueuse, hélas! L'enthousiasme amoureux qui déborde au printemps du cœur de l’Alouette lui apporte un tel surcroît de forces et active si -puissamment le jeu de ses ailes, qu’elle n’a plus à se préoccuper 172 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. en cette saison des menaces de l'oiseau de proie. L'Émérillon et le Hobereau, qui ne vivent que d'Alouettes à certaines époques, avertis de respecter la trève de Dieu, se gardent sagement de l'enfreindre et attendent patiemment que l'obésité qui nait de l’accalmie des sens et qui est un fruit de l’automne, ait alourdi les ailes de la puissante voilière et rendu sa capture plus facile et plus profitable. ‘ L’Alouette porte le manteau gris, la triste livrée du travail et du travail des champs, le plus noble, le plus utile, le moins ré- tribué et le plus ingrat de tous. La couleur de sa robe est celle de la terre; par les temps gris il est à peu près impossible de la distinguer à dix pas. Dieu l’a vêtue de cette robe comme le lièvre pour la dérober à la vue de ses innombrables ennemis. La vie de l'Alouette qui sert de point de mire à l’avidité spoliatrice de tous les exploiteurs , qui donne dans tous les piéges, qui fournit à la rapacité de l’homme et à celle de l’oiseau de proie vingt procédés de chasse également fructueux... la vie de l’Alouette est l’image fidèle de celle du laboureur… dont le travail est en possession de nourrir la paresse des oisifs depuis que le monde est monde et de fournir au vautour insatiable de la fiscalité et de l'usure une pàture sans cesse renaissante. Toute l'histoire du passé n’est que celle d’une joute sanglante entre ennemis du travail qui se dis- putent à qui boira les sueurs du laboureur. Je sais un pays d'Eu- rope, cher à Bacchus, où l'impôt du vin seul porte seize noms différents. De même qu'il ne faut à l'Alouette qu'un rayon de soleil pour la remettre en joie, de mème il ne faut au laboureur qu'une pluie qui tombe à propos pour lui rendre espoir et courage et le faire se recourber avec une ardeur toute nouvelle sur la bêche ou sur la chârrue. Et il est fort heureux que Dieu ait pourvu le cœur de toutes ces pauvres créatures de cette richesse inépui- sable de résignation et de gaieté qui les caractérise. Car on ne sait pas trop ce que deviendrait la société civilisée, si le petit monde, se laissant aller à un découragement funeste, s’avisait tout à coup de refuser le travail à ceux qui le lui commandent ou seulement d'en exiger un salaire rémunérateur. Qui chante SÉDIPÉDES. 173 paie, disait en italien un prêtre marié, homme d’État illustre, et comme il avait donc raison ; comme le mot s'applique heureu- sement à l’Alouette ! L’Alouette vit de peu comme le cultivateur et s’accommode de tout. Elle symbolise spécialement le serf attaché à la glèbe. Son ennemi le plus terrible s'appelle le Hobercau, le Gentillâtre, le Boyard. Or l'abolition des privilèges de la féodalité terrienne est le commencement de l'émancipation du travailleur, et l’Alouette aura sa nuit du 4 août comme les autres. Un jour en effet il n'y aura plus d'oiseaux de proie que ceux qui seront absolument né- cessaires au service de l’homme, et l’Alouette sera heureuse et le travailleur aussi. Mais quand luiront ces jours? L’Alouette, quand elle est poursuivie par l'oiseau de proie, cherche son refuge dans le ciel, comme tous les opprimés. C'est un spectacle qui n’est pas rare que celui du vol de l’Alouette par le Hobereau ou par l'Émerillon dans nos pays de plaine vers l’arrière-saison. De même que le chasseur habile, lorsqu'il a à choisir, ne tire que les cailles grasses qu'il distingue facilement à la pesanteur de leur vol, ainsi l'oiseau de proie s'attaque de préférence à l’alouette bien nourrie. Il fond d'abord sur elle avec la rapidité de l'éclair au moment où elle vient de se lever de terre et l’enlève comme une plume, si elle n'est prévenue. Mais si le garde à vous de l'Hirondelle ou de la Bergeronnette arrive à temps à ses oreilles et lui permet d'apercevoir l'ennemi, elle l'évite aisément par une rapide ascension verticale que celui-ci ne peut suivre, emporté dans la direction horizontale par la vigueur de l'élan qu’il s’est donné. Mais il se retourne aussitôt, reprend champ, calcule la hauteur que l’alouette qui monte toujours va atteindre et se lance de nouveau à fond de train. L'alouette esquive encore par une seconde pointe vers le zénith; mais comme cette ascension perpétuelle la fatigue, comme elle sait qu'il faudra toujours finir par regagner la terre, elle profite cette fois du moment où l'Émerillon achève sa lancée, pour se ramasser, se faire lourde et piquer vers le sol une tête désespé- rée; et si elle a avisé du haut de la nue un buisson, une touffe d'herbe, elle sv blottit immobile, car c'est à peine si elle a 174 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. distancé la niort d’uné seconde, et son persécüuteur âfamé qui l’a suivie dans $a chute, plus rapide que la Béçassine ou la balle deplomb, est déjà sur son dos qui inispecte ‘avidement la place où elle vient de disparaitre à ses yeux. Malheur alots à la pauvre échappée si le vent venait à soulever seulement une plume de ses ailes. J'ai vu dans de semblables passes l'Alouette à bout d'efforts se jeter aux picds de l’homme pour implorer son aide , etiln’est pas de vieux chasseur des plaines de Picardie, de Champagne , de Lorraine et d’ailleurs, à qui il ne soit arrivé cinquante fois comme à moi d’avoir à punir l'imprudence d'un Hobereau ou d’un Émerillon qui, dans sa préoccupation san- guinaire, avait oublié sa présence. Je conserve à mon avoir et comme souvenir de bonnes actions dont il me sera tenu compte un jour, tous les services de même nature que j'ai été assez heureux de pouvoir rendre à une foule d'oiseaux méritants. La France est un pays favorisé du ciel, mais qui ne rentrera dans la voie de ses destinées véritables ; qu'en renonçant à tous les emblèmes de guerre qui l'ont passionnée jusqu'ici pour re- prendre celui de la conquête pacifique et du travail glorifié, l’Alouette. | Il y eut en ces dernières années un homme envoyé de Dieu nommé de Lamartine... qui était beau, orateur et poëte..….. et chez qui la noblesse du cœur était à l'avenant de ces dons de nature... et que le peuple français un jour porta sur le pavois. Or, sile lendemain de son ayénement au pouvoir, le poëte sublime _qui avait écrit la Marseillaise de la paix, eût osé introduire Ja poésie dans la politique, décréter l'abolition de la guerre et supprimer l'armée, il eùt par ce seul trait de génie et d'audare sauvé le monde et assuré l'impérissable royauté de sa patrie sur toutes les nations. Car ce jour-là le territoire français, désarmé de toute baïonnette, eùt été déclaré terre sainte et inviolable par l’acclamation unanime des peuples, dont l'admiration, l'es- time et la gratitude l’eussent protégé plus sûrement que tous les engins exterminateurs inventés par le démon du carnage. Et pas une autre armée n'eût pu tenir sur le sol d'Europe après la SÉDIPÉDES. 175 disparition de. la française. et mort l'instrument d’oppression , morte l'oppression elle-même... et les haines nationales éteintes , plus de raisons de se garder chez soi, plus de prétexte à sub- vention de guerre et à para bellum ; plus d'impôts, plus de gar- nisaires ; le dernier survivant de la race des Gentils, le douanier, -S'évaporait, et j'aurais contemplé de mes ultièmes regards la face de | Humanité épanouie… Et les peuples libérés, au lieu de se ruer de nouveau comme des fous furieux dans l'arène des ba tailles, seraient pacifiquement occupés aujourd'hui à aimer, à boire , à chanter au poëte libérateur, lequel eût laissé dans la mémoire des âges le plus resplendissant de tous les noms humains. Mais je fus le seul, hélas! de ce temps à être poëte et à voir et à dire que le salut de la Révolution , de la France et du Monde était là et non pas ailleurs; et plusieurs, même à l'heure qu'il est, n'en sont pas encore bien certains, . Ici se termine la série des Granivores au bec conique et à la queue fourchue ; série d'élite, série charmante qui répète chaque jour par des milliers de voix suayes l’immortelle formule du Gerfaut. TROISIÈME SÉRIE. Baccivorie : Trois groupes; sept familles, 37 espèces. La nourriture animale joue un plus grand rôle que la végétale dans la série nouvelle. Voici le premier de ses caractères géne- raux. [Il implique une plus grande difficulté de vivre des ressour- - ces du pays et la nécessité d’émigrer pendant l'hiver dans les contrées méridionales. Aussi la série ne fournit-elle pas une - seule espèce réellement sédentaire, et compte-t-elle au contraire dans ses rangs nombre de voyageurs au long cours. Quelques- uns deces voyageurs, tels que le Loriot et le Rouge-queue tra- versent la mer ; d’autres, comme les Grives, hivernent dans le midi de l'Espagne , de l'Italie, en Grèce et dans les grandes îles de la Méditerranée ; d’autres, comme le Rouge-gorge et l'Ac- 176 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. centeur, passent à peine les frontières et hivernent d'habitude en-decà des Alpes et des Pyrénées. La différence de régime alimentaire entraine satutelleiels une différence de constitution organique, de tempérament et d'humeur. Du moment que la résistance de l'aliment diminue et que cet aliment passe de la graine féculente recouverte d’une enveloppe solide au fruit mou recouvert d’une pellicule inconsis- tante, le bec conique fort et pointu aux mandibules tranchantes , organe sécateur et triturateur à la fois, devenant inutile, la na- ture qui sait proportionner les moyens à la fin amincit les man- dibules de ce bec et les termine par un crochet léger qui facilite la préhension de la proie, en même temps qu'il aide à la retenir. De là une transition insensible et graduée du bec de l’Alouette, la dernière des Granivores , à celui du Loriot ou du Merle, ter- mes extrèmes de la série des Baccivores. Dis-moi ce que tu manges, je te dirai quitu es. Mais la transformation du bec entraine naturellement une mo- dification analogue de l'appareil digestif. Il est évident que la puissance caléfactrice de l'estomac etsa force musculaire doivent aller toujours diminuant aussi en proportion de la digestibilité de l'aliment. Ainsi déjà nous étions arrivés du Pigeon ruminant, qui a trois estomacs : le jabot, le succenturier et le gésier, à l’Alouette, chez laquelle a disparu complétement le jabot. Ce- pendant l'estomac simplifié de Alouette avait encore un gésier à parois musculeuses qui s’aidait au besoin de gravier en guise de dents molaires pour triturer le grain récalcitrant. Ces moyens de digestion puissants étant devenus de luxe avec le fruit mou et l’insecte, la nature a dù les refuser aux espèces baccivores. Voici venir maintenant une conséquence fàcheuse de cette transformation. Nous avons vu précédemment que toutes les espèces animales essentiellement végétivores et ruminantes, à quelque règne qu’elles appartinssent, vaches, brebis ou pigeons, se distin- guaient entre toutes par la douceur de leur caractère, leur sociabilité, leur domesticabilité. L'esprit de charité et de fra- ternité est en elles, parce qu'elles sentent comme tous les faibles SÉDIPÉDES. 137 le besoin de s'unir contre les noinbreux ennemis dont elles sont entourées ; et comme la nourriture herbacée est plus facile à trouver que toute autre , elles n’ont pas à se jalouser ni à se que- reller pour des questions de subsistance. Mais cet esprit de fraternité ne saurait persister chez les espèces éminemment insectivores dont chaque couple a besoin d'exercer son droit exclusif de chasse sur un terrain d’une certaine étendue. La chasse pousse à la guerre chez les oiseaux comme chez les Peaux rouges; et déjà nous avons vu apparaître ces symptômes de division intestine dans la tribu du Pinson et dans celle de l'Ortolan qui nourrissent leurs petits avec des insectes. Ces symptômes fâcheux , qui n'étaient que des exceptions dans la série des Granivores, vont devenir la règle générale dans celle des Baccivores. La chose est triste à dire, mais il faut nous défier de ces becs- fins à l'organe velouté, suave et mélancolique, de ces amants de la nuit ct de la solitude, tant chantés par les poëtes, car leur innocence n est qu'au dehors et leur physionomie est trompeuse. C'est la haine qu'ils ont pour les leurs qui les fait vivre seuls et non le mépris de ia foule profane, comme on voudrait le croire. Ils aiment avec passion leur art, mais ils veulent l'exercer seuls et sans concurrents; ils adorent la chasse, mais ils en sont jaloux comme des boutiquiers parvenus. Cet esprit de rivalité omnimode qui ronge le cœur des espèces baccivores les plus sentimentales de langage et d'aspect, explique les drames fré- quents qui ensanglantent les volières où l’on a l'imprudence de réunir plusieurs individus de la même famille. Le Rouge-gorge, le Rossignol, la Fauvette, dont il v a de si jolies choses à dire sous tant d’autres rapports, sont de tous les oiseaux peut-être les plus difliciles à élever, à nourrir, à conduire. Qui se doute- rait de l'insociabilité de ces espèces, à ne les juger que sur la mine ? Ainsi j'ai dit que la plupart des Baccivores étaient des oiseaux de passage. Or presque tous ces oiseaux de passage voyagent isolément. Rouges-gorges, Rouges- queues, Fauvettes, etc., partent du mème lieu, vont au même lieu, passent par la même 11, 42 178 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. nuit et par la même lune, mais passent un par un. Il est facile de conclure de cette insociabilité caractéristique des espèces de la série que la chasse à l'appelant a moins de succès auprès d'elles qu'auprès de celles de la série précédente. N'oublions pas de signaler cette différence d’habitudes remarquable entre les Granivores bons camarades et les Baccivores mauvais coucheurs, à savoir que les premiers passent de jour et les seconds de nuit. Bien entendu que cette règle est la règle générale et souffre de nombreuses exceptions. Heureusement que cette insociabilité caractéristique de Ja série passe avec la saison des amours, et que la gourmandise, passion égoïste de l’âge mür, prend à époque fixe la place du dévouement familial et des préoccupations artistiques qui aigris- sent le sang. Cette transformation morale qui est contemporaine de là mue, s'opère ordinairement vers le milieu d'août. C'est à dater de cette époque que l'oiseau, forcé de s'occuper de ses préparatifs de voyage, commence à se lester de la provision d'embonpoint dont il a besoin pour sa route; et comme alors toutes les baiés sont müres et les insectes abondants, il lui de- vient facile d'emplir ses magasins de réserve. Hélas! c'est là aussi que l'homme et l'oiseau de proie l'attendaient pour lui faire une guerre à mort; guerre trop pleine d'attraits et que là gourmandise légitime en quelque sorte, autant du moins qu'un crime peut se légitimer par un péché capital. Car c'est au sein de la baccivorie que se rencontrent les gibiers les plus exquis de cette vallée de larmes; et les espèces les plus dodues n'ont pas même besoin comme l'Ortolan et la Poularde de passer par la main de l’homme pour acquérir ce dernier de- gré de rotondité, de blancheur et de finesse qui livre chaque année tant d’âmes à Satan. Remarquons encore à ce propos que la chair de l’insecte communique à celle des oiseaux qui en vi- vent un certain arôme montant qui ne se retrouve plus chez les oiseaux engraissés à la farine pure. Un Ortolan est fade auprès d'un Bec-figue de vigne, une Poularde auprès d’un Faisan. Le régime alterné paraît éfre celui qui produit les plus merveilleux résultats. SEDIPEDES. 179 La glu, les raquettes et l'appeau jouent donc dans la guerre aux Baccivores un rôle plus important que les nappes, l’appelant et le miroir, et les abreuvoirs et les sentiers des bois en sont plus volontiers le théâtre que la plaine. Beaucoup d'espèces de cette série, en leur qualité de grandes artistes, poursuivent l'oiseau de nuit, emblème de l'ennemi des lumières, d’une haine implacable, et donnent à la pipée. C’est elles surtout, et je cite dans le nombre le Rouge-gorge et la Grive, qui font la for- tune du pipeur. L'illustrissime série n'est pas moins riche en taients de premier ordre, comme musiciens et comme architectes, et qui se dis- tinguent généralement par la simplicité et ia modestie de leur costume. Cette simplicité de tenue jointe à la supériorité de la valeur artistique et gastrosophique caractérise les Baceivores indigènes de la zone tempérée de Fhémisphère boréal, de qui les dons sont en contraste parfait avec ceux de leurs congénères de la zone équatoriale qui affichent pour la plupart un luxe de cos- tume éblouissant, mais remplacent le chant par les cris. Ainsi se conduisent, par parenthèse, tous les oiseaux de Paradis des Moluques et de la Nouvelle-Guinée, plus une foule d’autres Merles, Loriots et Étourneaux des mêmes latitudes, qui pour- raient lutter sans crainte contre le Paon , le Couroucou et l'Oiseau- Mouche pour la richesse de l’étoffe du manteau, la distinction de la fraise, la moire du velours et la prodigalité abusive des pierreries. Pourquoi faut-il que je sois forcé d'ajouter que le plus grand nombre de ces dernières espèces sont absentes des vitrines du Cabinet d'histoire naturelle, et ne s’admirent encore que dans les opulentes galeries du musée Verreaux frères , place Royale, 14... Un musée où l’on m'a montré dès ma première visite cinq cents volatiles inédits... où j'ai vu rangées par douzaines ces espèces précieuses {Strigops, Aptérix, ete.), dont ie Muséum national s'estime heureux de posséder un spécimen unique qu'il à grand soin de conserver sous un globe à pendule. Ce qui rehausse à mes yeux la valeur de cette collection sans se- conde en Europe, c'est que la majeure partie de ses richesses sont le fruit des explorations périlleuses entreprises par ses 180 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. créateurs mêmes dans les contrées les plus lointaines et les plus inexplorées du globe, l'Australie, la Nouvelle-Zelande, l'inté- rieur de l'Afrique et des grandes îles de l'archipel indien. Les frères Verreaux, qui comptent parmi les voyageurs les plus in- telligents et les plus intrépides de ces temps, ont mis à contri- bution tous les pays de la terre et tous les règnes de l’animalité pour former leur musée modèle, et ils entretiennent à leurs frais à tous les bouts du monde un certain nombre de voyageurs et de chasseurs habiles dans l’art de préparer les peaux de bêtes, et qui ont mission de colliger sur place les espèces les plus rares, pour de là les expédier au musée de la place Royale, d'où quel- ques doubles de moules inconnus s'échappent de temps à autre pour enrichir ou renouveler le personnel du Musée national. Je propose de voter une médaille d’or aux citoyens Verreaux frères, au nom de la zoologie reconnaissante. Le changement radical de la forme de la queue est un autre ca- ractère séparatif entre la Granivorie et la Baccivorie. Nous avons vu que la queue était courte et fourchue chez tous les granivores de France, à une seule exception près, le Jaseur de Bohême qui n’est pas d'origine française et ne porte pas le jabot. Or, l’Alouette est le dernier membre de la famille qui ait la queue fourchue. Cette queue s’allonge visiblement et s’équarrit, à partir des Farlouses ; plus tard nous la verrons virer vers la forme étagée en approchant des Grimpeurs. Le système des queues étagées est complétement opposé à celui des queues fourchues , puisque dans les premières, les plus longues pennes sont celles du mi- lieu et celles du dehors dans les autres. J'avoue que l'impor- tance du caractère séparatif tiré de la différence de conforma- tion des queues n’a pas peu contribué à me faire établir une ligne de démarcation sérielle entre la tribu des Alouettes et celle des Farlouses qui chantent au mème pupitre et sont par con- séquent inséparables dans la classification passionnelle. Cette obligation où je me suis trouvé de séparer violemment des espè- ces que la nature avait unies, pour faire comme tout le monde, n’est pas la seule des làchetés que m'ait imposées la méthode de classement par le genre de nourriture que j'ai l'air d'avoir SEDIPEDES. INI adopté, mais que je maudis à part moi. Un crime que je ne lui pardonnerai jamais, est de m'avoir forcé de confondre dans une même série de l’ordre des Chanteurs, Contr’alti, Bassi et Ténors, Farlouses, Merles et Fauveites. J'essaie bien de me consaler en me disant que les plus illustres maitres ont fait pis, à com- mencer par Linnæus et Cuvier et à finir par Latham et Tem- mynck, qui ont été jusqu'à apparenter en leurs classifications brutales le Corbeau et l'Oiseau-Mouche , le Toucan et l'Hiron- delle, la Pie-grièche et le Roitelet, le Croasseur et le Chanteur, le Bourreau et la Victime. Sans doute que tous ces grands hom- mes ont scandaleusement erré, et que ma faute, si l'on s’en réfère exclusivement à la lettre de ce qui a été écrit, est mille fois moins lourde que la leur. Mais combien elle est plus grave, au contraire, si l'on tient compte des circonstances morales dans lesquelles l'une et l'autre erreur furent commises! Car enfin presque tous ces honnêtes gens s’imaginaient faire de l’ordre en faisant du chaos, moi pas. Ils n'avaient pas conscience de leurs énormités, moi si. Je suis sûr que M. Temmynck qui règne et qui gouverne en ce moment au muséc royal de Leyde où l’on voit trois Sirènes , est aussi heureux et aussi fier de son Bombycivore que le Hibou de la fable l'était de la gentillesse sans seconde de sa progéniture. Mi, dit-il parlant de son Bombvcivore, à mor, comme s’il avait peur que l'envie ne me prit de le lui dérober ! La confusion introduite dans la série par le mélange des voix se retrouve dans la nidification. Quelques espèces nichent à terre, d’autres sur des arbres, d’autres dans des trous de mu- raille; mais toutes possèdent un gosier d'une souplesse ou d'une sonorité remarquable. On sait que Buffon et l'opinion quasi-una- nime des amateurs ont décerné le prix du chant au Rossignol , que revendique Audubon pour le Merle Moqueur d'Amérique. Le Rossignol et le Merle Moqueur appartiennent à lillustre série des Baccivores , ainsi que la Farlouse , la Grive, le Rouge-gorge , la Fauvette à tête noire, etc. Les groupes de cette série sont au nombre de trois, Farlou- ses, Fauvettes, Merles, correspondant précisément aux trois séries de contralto, de ténor et de basse. Ces trois groupes ren- 182 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. ferment sept familles, qui m'ont paru suflisamment désignées par les noms populaires qu’elles portent; ce qui est cause que je n'ai pas cru devoir leur en fabriquer de nouveaux. Ces noms sont les suivants : Accenteurs, Rubiettes, Fauvettes, Merles, Grives, Loriot, Étourneau. Groupe des Farlouses, Cinq espèces. Les Farlouses sont des oiseaux si voisins des Alouettes par le costume et les allures, que beaucoup d’ornithologistes ont con- fondu les deux familles dans le même groupe. Elles ont, en effet, la voix mélodieuse Ge contr'alto des Alouettes et chantent comme elles en volant. avec cette seule différence que l’Alouette chante en montant et la Farlouse en descendant. Elles ont de mème encore le pouce plus long que les autres doigts du pied; elles sont généralement plus coureuses que percheuses et préfèrent les champs aux couverts. Elles portent enfin sur le poitrail les mêmes grivolures. Cependant elles s'éloignent beaucoup de leurs modèles sous le rapport du régime alimentaire, et plusieurs ornithologistes distingués, Temmynck entre autres , vont jusqu'à dire que les Farlouses sont exclusivement insectivores. Mais je m'insurge contre cette aflirmation au nom des principes sacrés de la loi divine : Natura non facit saltum {la n'ture a horreur des sauts brusques. Si, en effet, l'affirmation de Temmynck et des autres était fondée, si les Farlouses étaient exclusivement insectivores, il faudrait reconnaitre l’existence d'une lacune ou d'un saut brusque entre cette tribu et celle des Alouettes grani- vores. Or ces tribus sont sœurs par tant de caractères prinei- paux qu'il est absolument impossible d'admettre qu'une incom- patibilité quelconque d'humeur ou de régime les sépare, et j'aime anieux croire à l'erreur de Temmynck et consorts, qu'à celle de la nature. Je ‘dis donc que les Farlouses sont baccivores et même granivores à leurs heures. J'ajoute que j'ai pour garants de cette doùble vérité une foule d'autorités respectables, l'opinion de Georges Cuvier notamment, et ce nom mème de Bec-figues de vigne donné à la plus célèbre des espèces du groupe’des Farlouses SEDIPEDES,. 1N3 et quelle possede de toute antiquité, car les Romains désignaient aussi cette espèce sous le nom de ficedula (Mange-figue), et Mar- tial se mettant à la place de l'oiseau lui fait dire : Cum me ficus alat, cum pascar dulcibus uvis, Cur potins nomen non dedit uva mihi? Puisque je me nourris de raisins comme de fiques, pourquoi n'est-ce pas le raisin qui m'a donné son nom? C'est-à-dire que suivant Martial, le Bec-figues n'aurait pas été fàâché de s'appeler AÆaisinette. La voix du peuple de certaines contrées vignobles de France à été au devant de ces vœux du Bec-figue en le nommant Vinette. Ainsi d’après la tradition antique comme d’après la moderne , une espèce de Farlouse adorerait le fruit mou du figuier comme celui de la vigne, qui est dans tous les temps son séjour favori. Du reste, les savants diraient vrai, que leur opinion ne prou- verait rien, sinon que la méthode de classification diététique qui sépare violemment la Farlouse de l'Alouette est inapplica- ble à l'ordre des Chanteurs et qu'il serait urgent d'y renoncer pour révenir au plus vite à la seule vraie, à la seule naturelle . à la classification par rang de voix, calquée sur le type du qua- tuor. Mais les savants savent parfaitement qu'ils prêchent un converti. Faisons comme si les Farlouses n'étaient pas exclusivement insectivores et méritaient d'occuper dans la présente classifica- tion la place que je leur ai donnée et qui leur appartient, Les Farlouses sont des alouettes par toutes les habitudes de l'esprit et du corps , et elles se rapprochent de la Grive par Ja grivolure de leur poitrail et leur amour de la vigne. Elles sont ambiguës entre les Alouettes et les Grives, comme le ràle de genêts est ambigu entre les échassiers et les coureurs. Or, rap- pelez-vous les promesses deftoute sorte que renferme ce nom d'ambigu et le fumet particulier qu'il exhale. Ef si les Alouettes et les Grives ont été classées de tout temps parmi les premiers sujets de la cuisine et du chant, figurez-vous ce que peut être 1N1 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. sous le double rapport musical et gastrosophique la tribu destinée à rallier ces deux groupes! Un sot gourmandait Dieu de n'avoir pas fait le Bec-figues aussi gros que le dinde; un homme d'esprit lui répondit que Dieu avait très-bien fait ee qu'il avait fait, attendu que sile Bec-figues possédait la taille du dinde, personne au monde ne serait assez riche pour le payer. L'auteur de la Physiologie du Gout qui rap- porte l’anecdote a en outre grand soin de faire entrer le Bec- figues comme pièce pivotale dans la composition de sa fameuse éprouvette gastrosophique réservée aux heureux du siècle, et dans laquelle figurent un rôti de bécasse fourrée de bec-figues et un plat d’épinards à la graisse de caille. Le Bec-figues est une far- louse. Ce qui vient d'être rapporté donneune idée sullisante du mérite de la tribu comme gibier. Quant à son mérite comme chanteuse, la Farlouse est du petit nombre des virtuoses qui ont puissance de passionner les masses et de les enthousiasmer à tel point que tout autre talent leur paraisse insipide. La Farlouse des bois (Bec-figues) a ses fanatiques forcenés comme le Rossignol, le Rouge-gorge et la Fauvette à tête noire ; et je comprends d'autant mieux cette passion que les Canaris la partagent. Un Canari qui chante la Farlouse est aussi honoré dans son monde que dans le sien l'Arabe qui lit le Co- ran. (On sait que le Coran est écrit en arabe sacré et ne peut être traduit.) L'opinion que le gosier de la Farlouse dépasse en suavité tous les autres compte également au sein de la nation anglaise de chauds et nombreux partisans. Il est certain que jamais l'amour n’inspira un langage plus mélodieux , plus pas- sionné et plus süave que l’épithalame du Bec-figues ; et que si rien n'est plus doux à entendre que cette mélodie céleste, rien n'est plus gracieux à voir que l’évolution aérienne dont l'exécu- tant l'accompagne. J'ai déjà dit que les Farlouses étaient après les Alouettes les oiseaux qui portaient le plus haut vers le ciel le verbe de vie et d'amour. Or, il paraît que dans l'opinion des oiseaux la sublimité du chant se mesure à la hauteur du poste d'où le chanteur vocalise; car les Merles et les Grives, qui sont aussi des virtuoses de premier ordre, choisissent invariablement SEDIPEDES. 5 pour exprimer leur flamme la plus haute cime des arbres ; et le Merle moqueur , qui est le prince des poëtes de cette famille, monte dans les airs pour chanter, à limitation du Bec-figues, qui, après s'être élevé légèrement dans les airs, v plane quelque temps au-dessus de ses amours, puis tout à coup se laisse aller à terre les ailes grandes ouvertes pour ralentir sa chute et verser plus longtemps sur la tête de la couveuse ses torrents d'harmonie. Or, pour donner à mes lecteurs une idée de la facon dont on écrit l'histoire, il faut que je leur dise que cette tribu éminente des Farlouses, qui renferme en son sein des espèces si précieuses et si recommandables, n'a pas encore eu d'historien. Temmynck, qui a écrit deux gros livres sur les oiseaux d'Europe, ne sait pas même le nom du Bec-figues, car 1l ne le cite pas. Triste et fu- neste fruit de l'étude assidue mais par trop exclusive des mœurs et des coutumes des oiseaux empaillés! Et notez bien que ce même savant, que cet illustre ingrat, qui n'a pas su trouver dans son cœur ni dans son estomac une parole d'admiration ou de re- connaissance à l'adresse de l’intéressant volatile, va cependant tout à l'heure et à la première occasion le réclamer comme s’en. « Mon Pipit des buissons, » ose-t-il écrire, parlant du Bec-figues à propos d'Alouette. Son Pipit des buissons! l’ambitieux qui n'en-a pas encore assez de son Bombycivore! Son Pipit des buissons, parce qu'il lui a plu de donner ce nom à l'oiseau, en place de celui de Farlouse qui ne lui allait pas! Et M. Crespon, de Nismes, qui a rédige comme moi un traité spécial sur les oiseaux de France, sous prétexte d'ornithologie du Gard et des pays voisins, M. Crespon, de Nismes, qui habite une localité où existe certainement une corporation de chasseurs de Bec-figues, dont lui-même peut-être fait partie, M. Cres- pon, de Nismes, arrivé à l'histoire du moule glorieux, passe aussi par-dessus son nom et écrit : le Pipit des buissons de Temmynck.Concession déplorable, acte d'obséquieuse déférence que je blàme et que jai raison de blämer, car l’orgueilleux étranger n'en tiendra pas même compte à son humble disciple. Écoutez-le, en effet, page 284 de son premier volume, qui con- tinue de se plaindre de l'indocilité des ornithologistes qui ne 136 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. veulent pas profiter de ses observations, écrit-1l, re qui est cause que les erreurs vont se perpétuant… D'où il serait à inférer que la science ornithologique aurait eu un intérêt extrême à ce que le nom de Farlouse, qui ne signifie pas grand’ chose, fût métamorphosé au plus vite en celui de Pipit qui ne signifie rien dun tout. Car il m'a été jusqu'à ce jour impossible de comprendre la gravité des motifs de la distinction; et je demande la permission de conserver l'ancien terme pour unique raison de supériorité d'euphonie. On compte en France cinq espèces de Farlouses qui toutes v aiment ef y naissent, y compris le Bec-figuc. Les Farlouses se distinguent sensiblement des Alouettes par la forme de leur bec qui n’est plus droit, fort et conique, mais grèle, cylindrique et légèrement arqué avec une petite échancrure à la mandibule supérieure. La plupart nichent à terre; la plupart ont l’ongle du doigt postérieur plat. Toutes sont voyageuses, mais rarement dépassent-elles en leurs émigrations automnales les plages euro- péennes de la Méditerranée. On en rencontre fréquemment sur cette mer, dans les caux du golfe de Lyon et de celui de Gènes, et qui prennent passage à bord des bâtiments en route pour Alger; mais presque toutes s'arrêtent à moitié chemin dans les grandes îles de Corse, de Sardaigne, de Sicile. Les Farlouses sont des oiseaux éminemment diurnes, qui voyagent de jour. J'ai dit qu'elles poursuivaient d'une haine im- placable les oiseaux des ténèbres. Elles donnent au miroir ainsi qu'à la chouette. Ces divers caractères généraux s'appliquent si exactement à toutes les espèces du groupe qu'il est complétement inutile d'entrer dans les détails de l’histoire de chacune. Deux de ces espèces seulement méritent une mention spéciale en raison de l'importance de la chasse dont elles sont l'objet. L'une d'elles est le Bec-figues de vigne, connu chez les au- teurs sous les noms de Vinette, d’Alouette pipi, d'Alouette des bois, de Pipit des buissons, de Farlouse des buissons, de Far- louse dés bois, de Pivote-Ortolane, ete. Le Bec-figues de vigne, SEDIPEDES. LS chanteur hors ligne et rôti sans égal, niche dans les forêts et sur la lisière des plaines où il construit son nid dans la couronne de feuilles qui entoure le tronc des jeunes chènes conserves comme baliveaux dans les coupes. Plus percheur que les autres Farlouses, il a l’ongle du pouce plus court et plus crochu, et vit sous le couvert. Il commence à émigrer vers le Midi dès la fin du mois d'août et voyage à petites journées, s’arrétant de pré- férence sur la route dans les jeunes taillis et dans les vignes. Il passe seul de très-grand matin, se pose alors sur la cime des hauts arbres en plaine où il est facile de l'attirer au moyen de ce petit sifflet de plomb qui sert de joujou aux enfants. On le chasse au fusil. La couche de graisse dont ses muscles sont alors couverts est si considérable que le plomb qui le tue ne fait pas sang. Il se tient tapi sous la vigne pendant la grande chaleur du jour, attend pour se lever que le tireur ou son chien soit sur lui, et, fatigué de l'effort, se repose au plus tôt dans le milieu du feuillage de l'arbre le plus voisin. Il hiverne dans les contrées les plus méridionales de l'Europe. Je l'ai pris à la pipée en Lorraine où j'en ai trouvé beaucoup de nids. Les chasseurs le confondent souvent avec l'espèce suivante qu'on appelle aussi du nom de Bec-figues et qui lui ressemble beaucoup par le plumage, mais qui n’a ni ses habitudes, ni sa taille, ni son embonpoint. Le Bec-figues vulgaire de Paris, Fifi, Aspi de Màcon, Bec- figues des présde Lyon dont on fait une si grande consommation dans les hôtels de tous les pays riverains de la Saône et du Rhône, est celui que les naturalistes désignent sous le nom de Farlouse des prés. Temmynck l'appelle le Pipit-Farlouse, Roux le Pipit des buissons. C'est ce petit oiseau verdàtre à poitrail grivolé qui voyage par bandes de quinze à vingt individus, se rencontre partout à l'arrière-saison, mais surtout dans les luzernes, qui se balance sur votre tête pendant quelques minutes avant de se remiser quand vous l'avez fait partir, et qui donne sur le miroir avec entrainement. Je crois qu'il est difficile de ne pas le recon- naître à ces signes. Il passe de très-grand matin dans les plaines et se prend par masses à l'appelant. Sa chair est délicate, mais se tient sous ce rapport à une distance respectueuse de celle du 188 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. précédent. Le Bec-figues de pré ou de luzerne qui n’a que très- peu de rapport avec le fruit mou du figuier, est plus petit aussi que celui de vigne, et le prix d’un seul individu de la dernière espèce égale généralement celui d’une douzaine de l’autre. J'ai rencontré mille fois dans la banlieue de Paris, vers le commen- cement de septembre, des chasseurs en casquettes de loutreet en redingotes à sous-pieds qui se rendaient de très-grand matin sur les grandes routes pour y tirer des Bec-ligues de vignes sur les arbres, et qui m'ont dit gagner honorablement leur vie à ce métier. L'ancienne médecine attribuait à la chair des Bec-figues des propriétés nutritives et exhilarantes toutes particulières, et la prescrivait contre la débilité d'estomac, l'humeur noire et Île spleen. Les trois autres espèces de Farlouses indigènes sont dites : le Pipit Richard , ainsi nommé par M. Vieillot, du nom d'un bon bourgeois de Lunéville qui l'aurait inventé; le Pipit Spioncelle ou Spipolette qui est un petit oiseau gris qu'on rencontre toujours, même par les plus grands froids, sur le bord des ruisseaux, des étangs, des rivières où il circule sous les glaçons; enfin, le Pipit Rousseline , ex-alouette de marais, qui est très-commun en Lorraine et plus roussâtre de ton que les espèces précédentes. De sincères amis m'ont sérieusement prié, dans l'intérêt de ma gloire , de ne pas persister à confondre la Farlouse des bois avec le Bec-figues de vigne des restaurants Ivonnais; m'alléguant que les deux espèces étaient parfaitement distinctes de patrie et de coutumes , et que toutes les Farlouses dont il était question dans tous les traités d’ornithologie européenne nichaient à terre et qu’il était impossible, par conséquent, que l'oiseau que j'avais vu nicher sur des chènes en Lorraine appartint à cette tribu. [ls ont été jusqu'à m'offrir de créer une sixième espèce de Pipit francais pour moi seul, et de l'appeler par mon nom dans l'espoir de me corrompre et de me faire dire comme tout le monde. Mais j'ai repoussé sans faiblir leurs vœux et leurs offres tentantes , parce que l’Alouette des bois que j'ai connue en Lorraine où elle niche sur les chênes et où le Coucou aime à lui confier l'éducation de sa progéniture est bien la Farlouse desbois , la même qui vit SEDIPÉDES. 1N9 dans les vignes et que Temmynck appelle son Pipit des buis- sons, et je respecte trop les titres de propriété de ce monsieur pour songer à les lui ravir. Quant à la différence de costume qui existerait, dit-on, entre le Bec-figues des restaurants et la Far- louse des bois, l'objection n'est pas séricuse. L'oiseau de res- taurant st toujours en tenue de voyage et cette tenue de l’arrière-saison est habituellement plus humble que sa tenue de noces. Il a la graisse en plus et l'ordre d'amour en moins sur la poitrine, mais il est toujours le même, bien qu'ilne se ressemble plus. Résumons done mon opinion sur les Farlouses. J'afirme courageusement de nouveau que toutes les espèces de cette tribu sont baccivores et granivores , en mème temps qu'insecti- vores, et que tous les ornithologistes qui ont écrit le contraire ont écrit la chose qui n’est pas. Les Farlouses, qui sont des contralti de premier ordre, symbo- lisent la partie la plus blanche, la plus exquise et la plus déli- cate de la plus belle moitié du genre humain, la tribu des hé- roïnes de roman, de tragédie ct de mélodrame , la tribu de toutes les victimes innocentes, malheureuses et persécutées. De même que tous les petits oiseaux à gros bec, y compris le Chardonneret et le Moineau franc, sont réputés ortolans à Mar- seille, passé la mi-août; ainsi tous les becs fins sont dits en Italie Bec-figues, à partir de la même époque. Je soupçonne également le mérier de Bordeaux d’être un terme générique et collectif, un nom de circonstance qui s’appliquerait sur les rives de la Garonne aux mêmes espèces que celui de Bec-figues sur les rives du Pô. Groupe des Fauvettes; trois familles ; 19 espèces. Il est d'usage dans les nomenclatures officielles de faire suivre ou précéder la famille des Farlouses ambivores par celle des Bergeronnettes insectivores, sous prétexte de parenté évidente et intime. Les caractères de cette parenté, quels qu'ils soient, sont moins saillants que ceux qui rapprochent les Farlouses des 190 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Grives. La ressemblance qui existe entre ces deux familles est même si frappante que beaucoup d’ornithologistes se sonttrouvés dans un grand embarras pour classer plusieurs espèces qui te- naient autant de l’Alouette que de la Farlouse et de la Grive; si bien que les uns les ont appelées Anthus, les autres Alauda, les troisièmes Zurdus. Turdus, Tourde, est le nom latin de la Grive, Anthus celui de la Farlouse. Cette ressemblance apparait surtout dans les allures et les habitudes de corps des deux fa- milles , dans la hauteur du tarse et les grivolures du poitrail, dans l'amour commun de la vigne, la blancheur et la délicatesse de la chair et le besoin de chanter de haut; caractèrés supérieurs de parenté dont on chercherait vainement les analogues dans la famille des Bergeronnettes, chanteuses de dernier ordre, bonnes à manger, insectivores pures et amies des moutons. fl existe bien entre les Farlouses et les Grives une certaine différence dans la taille et dans la conformation des mandibules, mais la gradation qui manque chez les espèces de France est parfaite- ment ménagée par une foule d'espèces intermédiaires propres à divers continents et particulièrement à l Amérique du Nord. Ainsi je ne verrais sous le rapport physique aucune difficulté réelle à faire marcher les Grives à la suite des Farlouses dans cette clas- sification, mais il est de ces scrupules honorables qui prohibent les unions scandaleuses et qui parlent trop haut à la conscience de l’ornithologiste passionnel pour qu'il ne les entende pas. Ainsi j'ai bien voulu, dans une pensée de conciliation louable, séparer Le un léger trait les Aloucttes des Farlouses, deux genres que la nature avait apparentés d’une facon ostensible en leur prêtant le même esprit, le même manteau, la même voix, et parce que la démarcation exigée par la classification diététique n'impliquait aucunement la séparation des deux groupes qui demeurent voisins , malgré la différence de l'étiquette sérielle. Mais 1l serait inutile d'attendre plus de ma condescendance, et les impies sur- tout ne doivent pas espérer qu'après avoir consenti à diviser par un trait ce que Dieu a uni, je me laisse aller à unir ce quil à séparé , et à faire se toucher dans ma classification Ja Farlouse et la Grive, c'est-à-dire la série du Contralto avec celle de la SEDIPÉDES. 14 Basse, au mépris de Ja loi d'harmonie naturelle qui a mis entre elles deux la série du Ténor. L'ordre et la marche de la procession des chanteurs, telle que l'a instituée la nature, exigeant que le Soprano précédàt le Contralto et que celui-ci fût suivi par le Ténor, je ne me suis pas eru en droit de rien changer de par mon bon plaisir au pro- eranime de l'institution. La série des Contralti épuisée, j'ai donc appelé les Ténors. Après les Farlouses les Fauvettes. J'ai besoin de faire observer seulement qu'il y a Fauvettes et Fauvettes, et que les miennes n'ont rien de commun avec celles des savants de profession. Toutes mes Fauvettes sont des premiers sujets du chant; voix jeunes et sympathiques, ardentes et veloutées. Toutes habitent les bocages, lieux discrets où se plaisent à errer les amants. Toutes adorent le fruit mou du mème appétit que lin- secte. Toutes sont voyageuses, et leur chair blanche, dodue et parfumée marche immédiatement après celle du Bec-figues pour la délicatesse. Pour les hommes de goût, ce premier apercu distinguera suffi- samment la famille et ses genres. Il n'est personne , en effet, qui à l'examen des conditions de talent, de fumet et d'embonpoint exigées pour l'admission en cette tribu, puisse songer à y faire entrer ces espèces maudites que Temmynck et les autres ap- pellent Riveraines ou Fauvettes de roseaux , exécrables bavardes qui ne sont bonnes qu'à vous rendre insupportable le métier de pêcheur à la ligne, et dont les larynx discordants et les notes toujours enrhumées trahissent d'une facon si visible la funeste influence d’un milieu trop humide peuplé de reptiles croassants. Mes Fauvettes s'appellent l’Accentenr, le Rossignol, la Fau- vette à Tète-Noire, le Rouge gorge, etc., ete., et non la Rousse- rolle et le Tirlibara, etc. J'insiste sur cette distinction essentielle, parce que je considère l'idée d'apparenter les Fauvettes des bo- cages avec les Jaseuses des roseaux, qui est une des marottes de la nomenclature officielle, comme une de ses inspirations les plus bizarres et les plus malheureuses. Bizarres, en ce qu'il est assez drôle de voir ranger sous la même étiquette familiale des genres 192 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. si différents de ton, d'habitat, de régime. Malheureuses, en ce que cette alliance illégitime a horriblement contribué à augmen- ter l’épaisseur du gàchis dans lequel tous les auteurs sont plongés à l'heure qu'il est jusqu’au cou, précisément à cet endroit de la classification du Merle et des Fauvettes. Écoutez les infortunés se plaindre de l'indisciplinabilité de ces espèces; il n’y à qu'un cri parmi eux sur l'impossibilité d’assigner au genre Merle une place convenable, à égale distance des Traquets, des Fauvettes, des Jaseuses, des Corbeaux et des Pies-grièches. Car le Merle cousine avec toutes ces familles-là dans les nomenclatures auto- risées par la police. J’en sais une où l'on va jusqu'à en faire un oiseau de proie. Temmynck, qui voit partout des Merles, fait un jour de la Rousserolle son Merle de roseaux , mais la raison lui revient le lendemain , et alors il s’amende et demande noblement pardon de son erreur. D’autres, plus endurcis, persévèrent dans la confusion. La masse jette sa langue aux chiens. Or la plupart de ces embarras, je le répète, proviennent du principe de désordre introduit dans la classification par une homonymie déplorable qui a poussé à confondre les vraies Fau- vettes qui charment les oreilles, avec les fausses qui les écor- chent. Imaginez qu'on eût remis à un habile chef d'orchestre le soin de distribuer l'harmonie dans cet ordre des Chanteurs, et la classification eût marché conime sur des roulettes, n'étant pas plus difficile d’assigner sa partie dans un concert à une basse qu'à un ténor. Le malheur est que ce ne sont pas les chefs d'orchestre, mais les savants en ”s qui sont presque toujours chargés de distribuer l'harmonie dans les mondes à rebours. Quoi qu'il en soit, je suppose que j'aurai rendu à la science un immense service en lui donnant la solution tant cherchée du pro- blème épineux du Merle et en lui apportant la preuve que cet oiseau , si difficile à classer, est tout simplement une basse, ww basso cantante, qui adore le jus de la treille, et non pas un Tra- quet purement iusectivere, encore moins un Corbeau ni un oiseau de proie. Car j ai besoin de réhabiliter ici la méthode de classe- ment prise de l'élément de nourriture, et de mentionner à sa gloire qu'elle marche en cette circonstance parfaitement d’ac- SEDIPÉDES. 103 cord avec là méthode musicale naturelle, prouvant aussi de son côté que la chair la plus délicate est celle qui se fait de l’alter- nance des deux régimes, et le larynx le plus limpide celui qui se gargarise, à l’occasion, de sirop vegétal. On sait tout le charme et tout le prix de la voix des tenors ; c'est la voix de la jeunesse, c’est celle qui peint le mieux les an- goisses de la passion d'amour, de la passion échevelée, impé- rieuse, jalouse. C’est la voix de la sérénade qui retentit dans l'ombre à l'heure où la terre fait silence, où il n’y à d'éveillés que les seuls amoureux. Le chant de l'Alouette est plus religieux, plus sonore, et plus rempli de bonheur et de bénédictions que celui du Rossignol , et pourtant le dernier nous est plus sympa- thique , parce qu'il est plus mouillé de larmes, plus entrecoupé de soupirs, et qu'il est de notre essence animique de nous in- téresser plus aux souffrants qu'aux heureux. Philomélie , Philédonie, noms doux et harmonieux comme la voix des Fauvettes et qui veulent dire tous deux passion des accords , étaient les seuls qui pussent convenablement désigner la famille. Il est fâcheux que le peuple ait préféré celui de Fau- vette et les savants celui de Sylvia, forestière. C'est un char- mant vocable aussi que celui de Sylvia et qu'il faut conserver pour cause d'euphonie ; son tort seulement est de n'avoir qu'une signification indécise; car forestière ne veut pas dire assez virtuose de premier ordre et fanatique de l’art; et d’ailleurs les Fauvettes ne sont pas des amies exclusives des forêts. Elles sont aussi amies de l'homme; elles recherchent le voisinage de sa demeure pour y bâtir leur domicile, et des sont heureuses de le voir et de chanter pour lui. Les Fauvettes ne sont pas non plus de simples artistes de nature sur-lesquelles Ja mélodie pousse comme la pomme sur le pommier. Elles étudient sans cesse pour se perfectionner ; elles ont des traditions , un art, des modèles qu'elles s'efforcent per- pétuellement d'atteindre. Il n’y a peut-être pas parmi elles deux talents de même ordre, et les supériorités reconnues y sont d’une morgue et d'une cruauté impitoyable à l'égard des infériorités qu'elles accablent d’épigrammes et qui osent à peine élever la 11. 43 198 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE, voix en leur présence. Et comme elles ont des traditions , elles ont des écoles et des principes admis en matière de méthode, ainsi qu’en acoustique. C’est ainsi que les Rossignols et les Fau- vettes à tête noire des rives de la Seine l’emportent de cent coudées pour la puissance du son, le charme de l'organe et l'excellence de la méthode sur leurs tristes congénères du Borys- thène. Le Rossignol aime à chanter la nuit, parce qu'il tient de ses professeurs que l'air est plus sonore pendant la nuit que pen- dant le jour. Si en cage il renonce àses chants vers le solstice d'été pour les reprendre vers le solstice d'hiver (Noël), c'est qu'il sait parfaitement encore et pour l'avoir appris que le froid est meilleur conducteur de la voix que le chaud. Le Pinson , le Merle, l’Alouette, la Grive et tous les grands ar- tistes qui travaillent pour le public, savent ces petits détails de rendement de son aussi bien que le Rossignol, et comme ils n'entendent pas dépenser leur talent en pure perte, ils choisis- sent pour chanter les heures les plus résonnantes du jour, celles du matin et du soir, voisines de la nuit. Ils se taisent à mesure que le soleil qui fond leur voix s’élève sur l'horizon. Puisque les Fauvettes sont amies de l’homme, elles ne doivent pas supposer que l’homme soit leur ennemi; et comme elles ne sont pas moins curieuses que confiantes, il en résulte qu’elles donnent dans tous les piéges avec un entrain désastreux. Il y en a comme le Rouge-gorge et le Rossignol, qui attendent avec impatience que vous ayez posé votre gluau ou assuré votre raquette, pour se jeter dessus. Les rivalités qui engendrent si facilement les haines et trou- blent si déplorablement l'existence des artistes, sont pour les malheureuses Fauvettes une troisième cause de perdition et de ruine, Car la plupart répondent au cartel, si elles sont insensi- bles à l'appel d'amitié. J'ai déjà trop parlé de la délicatesse de leur chair qui fait excu- ser, chaque automne, par tant d’estomacs sans pitié le meurtre de tant de Rouges-gorges et de Rossignols innocents. Toutes les Fauvettes de France portent la livrée du travail, en vertu du principe de justice distributive qui interdit sévèrement SÉDIPÉDES. 195 le cumul des dons supérieurs de l'esprit et du corps et ne tolère d'exception qu'en faveur de quelques créatures privilégiées quasi-parfaites, la femme , le chardonneret, etc. La perfection est femme, a écrit l'autre jour George Sand. Le groupe des Fauvettes se divise en trois familles dites des Accenteurs, des Rubiettes, des Fauvettes proprement dites. Accexreurs. Deux espèces, le Pégot ou l'Accenteur des Al- pes ; le Mouchet, vulgairement nommé le Traine-buisson ou la Fauvette d'hiver. Humble famille , amie du pauvre , partant presque inconnue du poëte et du vulgaire, et qui cependant, si la gloire se décernait au vrai mérite, aurait fatigué depuis des siècles les trompettes de la renommée. Si j'étais Alfred de Musset seulement pendant vingt-quatre heures, j'en profiterais pour tirer l'Accenteur de son obscurité illégitime, par quelque invocation sublime dans le goût de celle au Tyrol. Mouchet, nui barde encor n'a chanté ta. Les Accenteurs, dont la taille est voisine de celle du Rossignol. portent un manteau plus brun que celui des Farlouses. Ils ont le bec grèle , eflilé et cylindrique de celles-ci et vivent comme elles d'insectes pendant le printemps et l'été, de menues semences et de baies pendant l’autre moitié de l'an. Leur voix mélanco- lique et suave est douée d'un grand charme. L’Accenteur des Alpes est un peu plus gros que le Traine- buisson. Il habite la patrie du Lagopède et du Pinson des neiges. Son existence semble attachée comme celle de ces espèces à la sombre région des abimes. Ami des cimes sourcilleuses’ et des pentes déclives où se joue l'avalanche, il niche sous le toit de l'humble cabane collée aux flancs de l’abrupte ravine. Il est l'hôte des chàlets, des hospices et des monastères perdus dans les hautes solitudes. C’est le chantre le plus harmonieux des Thé- baïdes de glace, le consolateur le plus fidèle des plus déshérités, des bannis du monde des vivants, des détenus de la prison du froid , des reclus de la Grande Chartreuse et du Mont Saint- Bernard. 11 y a commerce d'amitié entre lui et le chien de ce 196 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. dernier asile. Et l’attachement que Dieu lui a mis au cœur pour sa patrie désolée est si fort qu'il ne l’abandonne jamais que con- traint et chassé par la rigueur du froid et l’épaisseur des neiges. L'air des riches vallées est si pesant pour lui que le mal du pays le prend pour peu que son séjour s'y prolonge; et sa voix n’a de chants que pour les affligés. Noble et touchant emblème de l’ar- tiste généreux à qui son cœur révèle la mission de l’art ici bas. Ainsi la souveraine des fêtes, la diva inspirée, garde pour ses seuls pauvres les trésors de sa voix, et met au ban de l’art l'ache- teur de plaisir, chantant gratis pour toutes les infortunes, refu- sant de charmer pour de l'or les soirées des heureux. Quel malheur, Dieu du ciel, que tous les grands artistes ne comprennent pas comme l’Accenteur des Alpes leur mission su- blime ! et qu'il y ait des peintres pour toutes les batailles et des poëtes pour tous les succès, comme des prêtres, hélas ! pour tous les Ze Deum ! Le Mouchet ou Traine-buisson, bien nommé, est cette petite Fauvette brune à couleur de muraille comme le Moineau franc qui traîne dans toutes les haies sèches et dans toutes les piles de fagots à l'arrière-saison. C’est le temps où elle quitte les contrées du Nord pour celles du Midi et les monts pour les plaines ; elle prend ses quartiers d'hiver sous nos bücheries et nos hangars et y attend avec philosophie le retour du printemps. Le Traîne-buis- son est un des familiers de la maison du pauvre , comme le Roi- telet et le Rouge-gorge, et qui chante comme ceux-ci pour la moindre bouffée d’air tiède , pour la moindre promesse du soleil. Sa voix est douce ct tendre, plutôt mélancolique que joyeuse, et peu retentissante, car le Traine-buisson ne chante pas pour passionner la foule, mais uniquement pour consoler quelque humble ménage de travailleurs, confiné en quelque masure so- litaire au coin de la forèt. I aime à chercher sa vie parmi les joubarbes, les flambes et les autres pariétaires qui croissent sur les toits moussus. Une autre de ses demeures de choix est l'ave- nue de petits pois où de haricots montants qui sèchent sur les ramures. Le Traine-buisson niche dans les bois en montagne, SÉDIPÉDES. 197 sous le tronc des arbres tombés ou dans les piles de bois de moule rangées par corde dans les coupes. Ce nid est construit avec art et ressemble beaucoup à celui du Rouge-gorge. Il est tapissé à l'extérieur d'un revêtement de mousse fine qui repose sur une première assise de menues racines d'herbes; il est matelassé à l'intérieur d’un épais sommier de crin, non feutré mais tissé avec une habileté extrême et présentant à l'intérieur la forme d'une charmante coupe nette et brillante comme un miroir. L’adroite tisseuse qui a mené à fin cette œuvre remarquable a eu le som d’enduire son étoffe rebelle d’un parement de sa composition qui l’a rendue docile, et de faire rentrer dans l'épaisseur des parois ambiantes tous les bouts des fils employés. Mais que de talent et de peine dépensés , hélas! en pure perte, quand la malheureuse mère n'a pu réussir à dérober la connaissance de sa demeure à ce chercheur de nids terrible qui s'appelle le Coucou, prototype odieux du parasite ingrat et du glouton fratricide. Car le miséra- ble qui sait le comfort de l'établissement et l'hospitalité des nobles cœurs qui l’habitent, y dépose naturellement son œuf de préfé- rence. Et alors adieu tous les profits de la tendresse et de l'in- dustrie maternelle pour les pauvres enfants légitimes. Dieu a voulu qu'ils périssent tous, et que leur ruine assurât la fortune du bâtard , du fils de l'étrangère. Image trop saïsissante du sort de tant de pauvres nourrices que la misère oblige à refuser aux fruits de leurs entrailles le lait de leurs mamelles pour le vendre aux enfants des riches citadines ! Famille des Rubielles. — Six espéces. Ce terme générique de Rubiettes qui veut dire Rougettes ne s'appliquait jadis qu'a deux espèces, le Rouge-gorge et la Gorge-bleue; mais je me suis cru autorisé par la nature et par le sens commun à étendre cette appellation aux Rouges-queues et aux Rossignols, qui ressemblent si fort aux deux premières espèces par la physionomie et les mœurs qu'il est absolument interdit à l'homme sage de les séparer. Je fais remarquer scule- ment que le nom de Rubiettes, qui conviendrait admirablement JUS ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. au Bouvreuil et au Cardinal qui sont des oiseaux rouges, ne va pas tout à fait aussi bien aux becs fins dont nous écrivons l'his- toire et qui sont des oiseaux gris. Il est très-certain, en effet, que le rouge dont le Rouge-gorge se décore la poitrine est du jaune orangé, et que le rouge dont le Rossignol se teint la queue est du roux vineux ou sang de bœuf. Mais Rubiette est un nom joli et pour ainsi dire ressemblant, et je ne lui en ai pas démandé davantage pour l'admettre. L'ornithologie passionnelle est l’art de raisonner droit sur des noms de travers. Toutes les espèces de la tribu des Rubiettes trainent dans les buissons et nichent à terre ou dans les fentes des vieux murs comme les Accenteurs. Elles courent avec facilité sur le sol où elles cherchent de préférence leur nourriture, Ces habitudes les séparent de la famille des Fauvettes proprement dites qui toutes nichent en l'air et cherchent exclusivement leur vie sur les buis- sons et les arbustes. Les Rubiettes sont plus vermivores,, les Fau- vettes plus muscivores; et l’écartement qui est entre les deux fa- milles s'ouvre encore plus au moral qu'au physique; car les Fauvettes sont des oiseaux d'humeur enjouée et de mœurs pacifiques qui ne se déplaisent pas trop dans la société de leurs semblables, nien cage ni en liberté ; tandis que les Rubiettes sont des races de frères ennemis, de frères féroces que le démon de la vendetta et celui de la jalousie artistique tiennent constamment armés les uns contre les autres, en prison comme ailleurs ,.ce qui les condamne à vivre par couples isolés dans des cantonne- ments rigoureusement circonscrits et conquis à la force du bec. Il semble que les malheureuses petites bètes, c’est le nom qu’on leur donne sur les rives de la Meuse, aient dépensé en faveur de l'homme tout leur esprit de camaraderie et de sociabilité. Les espèces de cette tribu sont peut-être de toutes les créatures ailées les plus confiantes, les plus crédules , les plus faciles à duper. Elles recherchent bien plus qu'elles ne redoutent la pré- sence de l'homme, et leur curiosité de ses faits et gestes est égale à leur familiarité. Ce sont elles qui ne veulent pas attendre SEDIPEDES. 199 que le tendeur ait achevé de poser son piége pour mettre le pied dessus. Ce besoin de voir fonctionner les machines nouvelles qui est instinctif chez tous les amis du progrès est un penchant d’au- tant plus désastreux pour les Rubiettes que leur chair a une répu: tation qui va de pair avec celle du Bec-figues; et hàtons-nous de reconnaître que cette réputation qui leur fait tant d’ennemis n’est aucunement usurpée, et que cette tribu d'élite qui fournit les premiers ténors, abonde aussi, hélas ! en sublimes rôtis. Les Rubiettes habitent les buissons sur la rive des bois. Telle espèce se plait au bord des frais ruisseaux dans les bocages som - bres, telle autre aux versants des rochers parmi les ronces échevelées qui pendent aux flancs de la ravine. Leur vol est bas et peu soutenu ; elles ne font que sautiller de branche en bran- che , d'où elles se précipitent vivement et fréquemment à terre pour ramasser l'insecte qu'elles ont apercu. Si quelques mâles montent quelquefois très-haut dans le branchage des chênes et gravissent même jusqu'au faîte de la vieille tour féodale, c’est pour parler d'amour et non pour autre chose, et ces tours de force-là ne se font qu'au printemps. Les Rubiettes ont encore un tic de famille, s'il est permis de s'exprimer ainsi; elles accom- pagnent chaque mouvement du corps, soit en marchant, soit en se posant, d'un certain frétillement ou redressement de la queue bizarre et caractéristique. Toutes les Rubiettes sont des oiseaux de passage, puisqu'elles sont fines grasses à l'automne, mais toutes ne suivent pas la même route dans leurs migrations pério- diques. Elles passent isolément et voyagent à petites étapes, le matin pendant le jour , la nuit par les beaux clairs de lune. Bec droit et eflilé, légèrement échancré à la mandibule supérieure. Le Rorce-corce. Encore un des consolateurs du pauvre, encore un oiseau du bon Dieu , une espèce victime. et la plus noble et la plus héroïque de toutes les créatures ailées, la plus amie de l’homme, la plus inébranlable dans sa foi au progrès ! Le Rouge-gorge est l'oiseau fort et valeureux par essence qui poursuit de sa haine implacable l'usure et la superstition, les deux sources fécondes de toutes les oppressions ct de toutes les 200 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. misères de l'esprit et du corps, l'usure symbolisée par l'araignée immonde, l’'infâme par l'oiseau de nuit. Le Rouge-gorge est plus vaillant et plus généreux que le Faucon, car il combat sans ar- mes et ne combat pas pour lui, mais pour la cause de la justice et du droit. Ses notes d’harmonica, douces, suaves, pénétrantes, expressives , son chant triste et mélancolique, qu'il vous dit pour vous seul, vont plus rapidement à l'âme que les stances du Ros- signol, plus sonores mais plus savantes et plus étudiées. Le Rouge-gorge est le plus curieux, le plus sensible et le plus délicat de tous les oiseaux du ciel; c’est celui que je chéris le pius. La légende catholique a illustré le Rouge-gorge ; les poètes l'ont oublié, excepté George Sand. La RL bretonne que m'a racontée dans le temps Hitpole de La Morvonnais, un ami qui n’est plus , rapporte que le Rouge- gorge accompagna le Christ sur le Calvaire et détacha une épine de la couronne du divin Rédempteur, et que Dieu, en récom- pense de cette manifestation courageuse, l’anima de l'Esprit- Saint. À dater de ce jour, l'oiseau pieux aurait eu mission de conjurer les sortiléges et de déjouer les entreprises du Malin. Et comme dans la contrée naïve où règna le roi Arthus, la croyance à l'intervention des cnchanteurs et des fées, des bons et des mauvais génies dans les affaires des hommes, se mèla de tout temps à la foi aux miracles de notre religion sainte, il arriva bientôt que le Rouge-gorge, qu'on rencontre toujours dans la voie du pauvre travailleur, passa dans l'opinion du monde des campagnes pour l'agent mystérieux des puissances surnaturelles et le porteur de messages des génies bienfaisants. Je ne suis pas breton , et ma foi éclairée en la sagesse de Dieu, personnilication de l’ordre’suprème, infini, universel, prescient, immuable, n'admet_pas le miracle , qui est le renversement des lois de Dieu, et, par conséquent, la négation de sa sagesse ; mais je crois fermement, comme la légende armoricaine, à l'existence des rapports secrets qui sont entre la bète et l’homme. Seulement l'explication de la sympathie du Rouge-gorge pour le travailleur se déduit tout simplement pour moi de la loi SEDIPÉDES. 201 d'Unité traduite et commentée par l'analogie passionnelle , qui, pour m'intéresser à l'étude des lois de la nature, n’a aullement besoin de l'aide du merveilleux humain. L'analogie passion- nelle , d'accord sur uue foule de points avec la légende ci-dessus , trouve dans le Rouge-gorge l'emblème du martyr de la foi. Le Rouge-gorge a le tour du bec ceint d’un bandeau d’au- réole qui descend et s'épanouit sur la gorge et la poitrine où il forme un large écusson. La couleur orangée de l'auréole est celle de l'enthousiasme qui pousse en avant les chercheurs des vérités nouvelles. Le réseau de la nuance sainte enveloppe la ré- gion du cerveau comme celle du cœur pour exprimer que la passion de l'enthousiasme ou de la composite exige double es- sor de l'esprit et des sens. Le reste du costume du Rouge-gorge est du gris le plus humble , livrée du travailleur. Le Rouge-gorge est le premier oiseau qui s'éveille à l'aurore et salue la venue du jour. Il pétille avant que le Merle n’ait sonné la diane. Pétiller est un verbe trop faible qu'ont fabriqué les ga- mins de Lorraine pour essayer de rendre le cliquetis métallique des notes précipitées que fait entendre à l'heure du matin et à l'heure du soir le Rouge-gorge appelant son monde au travail ou le conviant au repos. La sonnerie argentine du Rouge- gorge qui retentit dès l'aube, vous remémore involontairement la fanfare des Petites Hordes sonnant la charge du travail à la pique du jour. Quand, par les premières brumes d'octobre, un peu avant l'hiver , le pauvre prolétaire vient chercher dans la forêt sa ché- tive provision de bois mort, un petit oiseau s'approche de lui, attiré par le bruit de la cognée ; il circule à ses côtés et s'ingénie à lui faire fête en lui chantant tout bas ses plus douces chanson- nettes. C’est le Rouge-gorge qu'une fée charitable a député vers le travailleur solitaire pour lui dire qu'il y a encore quelqu'un dans la nature qui s'intéresse à lui. Quand le Bücheron a rapproché l'un de l’autre les tisons de la veille engourdis dans la cendre; quand le copeau et la branche sèche pétillent dans la flamme , le Rouge-corge accourt en chan- fant pour prendre sa part du feu et des joies du bücheron. Quand la nature s'endort et s'enveloppe de son manteau de 202 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. neige, quand on n'entend plus d'autre voix que celle des OISEAUX du Nord qui dessinent dans l'air leurs triangles rapides ou celle de la bise qui mugit et s’engouffre au chaume des cabanes , un petit chant flüté, modulé à voix basse, vient protester encore, au nom du travail créateur, contre l’atonie universelle, le deuil et le chômage. C’est toujours le chant du Rouge-gorge, disant qu'il n’est pas de saison morte pour l’ouvrier laborieux et que le travail attrayant sc rit des rigueurs des frimas. Et l'oiseau frappe de son bec aux vitraux de la chétive masure pour y de- mander asile, comme la fée des contes, et pour rappeler à l’homme les devoirs de l'hospitalité. Emblème de dévouement et de charité sociale, le Rouge-gorge semble invinciblement attiré par les penchants de sa nature vers les lieux où l’on souffre. L'un des plus nobles confesseurs de la foi républicaine m'écrivait de Belle-Isle-en-Mer, il y à quel- ques mois : «J'ai à vous raconter une histoire de Rouge-gorge qui vous intéressera peut-être, à raison de l'affection toute spéciale que vous semblez porter à cette espèce. » L'année dernière, vers la fin de l'automne, un Rouge-gorge, chassé sans doute du continent par le froid et la neige, chercha un refuge dans notre ile. Chaque matin il apparaissait dans la cour de notre prison et se tenait quelque temps aux alentours de ma cellule, où il vovait des frères captifs. Je le pris bien vite en affection ; sa visite me faisait besoin et sa ponctualité à me la rendre me causait le plus grand plaisir. Comme j'avais soin de lui jeter à chaque rencontre un ver de terre, de farine ou de bois, il ne tarda pas de son côté à éprouver pour moi une vive sympathie. Bientôt ils’attacha à mes pas et ne voulait plus me quitter. Il me suivait quand je sortais dans la cour et accourait à portée de ma main aussitôt qu'il me voyait fouiller la terre de mon petit jardin. Chaque soir, avant de partir, il nous disait adieu de son petit chant d'hiver, qui ressemble au murmure du ruisseau parmi les cailloux et les herbes, Mes compagnons m'en- SEDIPEDES, (1: gageaient à le prendre, mais jamais je ne pus me résoudre à trahir sa confiance pour le priver de sa liberté. Voilà pourtant qu'un beau matin, fatigué de mes dédains sans doute, et trou- vant la porte ouverte, l'oiseau profite de l’occasion pour s'in- troduire dans ma cage, et s’y installe sans facon et presque mal- gré moi. Le lendemain , il avait fait connaissance avec mes autres oiseaux, il jouait avec eux et mangeait et chantait, comme s'il eüt été enchanté de sa position nouvelle. Depuis lors, je lai conservé comme souvenir vivant d'un àge regretté. Il furette maintenant partout autour de moi, se promène sur mon lit, se mire dans mon miroir, se place près de mon chevet pour dormir, et quand je lui adresse la parole , il me répond par son plus doux langage, ce chant que vous savez, si limpide, si pur et si mélancolique. Je savais bien le Rouge-gorge familier, curieux, confiant et crédule. Je l'avais vu autrefois suivre le long des haies les petits pâtres pour ramasser les rares miettes de pain noir, débris de leur repas frugal, ou encore rôder autour des travailleurs des champs pour s'emparer des menus vermisseaux mis au jour par la bêche, la pioche ou la charrue. Je l’avais vu, à l'entrée de l'hiver, entrer dans la cour de la ferme et pe- nétrer jusque dans le logement des gens de la campagne ; mais je ne le croyais pas capable d’un pareil dévouement pour l’homme, d'un dévouement qui va jusqu’à lui faire sacrifier sa li- berté pour prendre sa part des douleurs de la captivité d’un ami. Du moins je n’abuserai pas de l’attachement de la pauvre créa- ture. Elle m'a donné sa liberté et ses chansons pendant l'hiver; au printemps je lui rendrai son air libre, sa verdure, ses amours; Car j'ai pour principe de ne tenir en cage que des oi- seaux qui puissent y aimer, et ne garde par conséquent que des couples. Ce n’est pas moi qui ai rédigé les lois barbares qui n’ont pas honte de priver le détenu de la société de sa femme, de sa mère ou de son enfant. » « P. S. Je n'ai pas osé tout vous dire. Mais la preuve d’affec- tion touchante que m'a donnée mon Rouge-corge de Belle-Isle, rapprochée d’une autre circonstance de ma vie, fait quelquefois passer par mon cerveau une idée fugitive, un rève, que vous 204 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. appellerez du nom que vous voudrez. Une fois déjà, il v a bien des années, j'ai eu la visite d’un Rouge-gorge. C'était, bien loin d'ici, au milieu des souffrances d'une maladie longue et cruelle qui faillit m’enlever. Le pauvre petit oiseau ne manquait pas de venir deux fois par jour, matin et soir, chanter sur ma fenêtre, comme pour m'encourager à souffrir en silence et à espérer de meilleurs jours. Et souvent il me semble reconnaitre dans le compagnon volontaire de ma captivité d'aujourd'hui le con- solateur de mes peines et de ma maladie d'autrefois. » Consolateur des afligés, doux messager d'espoir, sympathique à tous les martyrs, héros de tous les dévouements, tel est, en effet, le Rouge-gorge, le vrai Rouge-gorge de la légende po- pulaire et de l’ornithologie passionnelle, l'oiseau qui me rappelle aussi le plus de jours regrettés, celui qui m'initia au charme de la vie des forêts, bonheur de mes jeunes ans, refuge de mon âge mur. Consolateur de tous les affligés, héros de tous les dévoue-- ments, c'est juste; il n'y à pas dans l'apologie un mot de trop. Quand le Pipeur à tendu sa pipée et qu'il a tiré de son ap- peau de guerre le houloulement lugubre, le Rouge-gorge intré- pide est le premier qui réponde à la provocation de l'oiseau des ténèbres. Il se rue avec rage sur la loge où se cache l'assassin et tombe sur les gluaux pertides. Il est déjà pris, que les autres, les Grives et les Merles , sont encore à se consulter pour savoir s'il est opportun de marcher. Alors le Pipeur se saisit de sa vic- time et lui brise les ailes pour le faire crier; car le cri de détresse du Rouge-gorge attire à la bataille tous les oiseaux de cœur qui s'imaginent que le généreux champion de la bonne cause est aux prises avec le Hibou et volent à sa défense. Quand je vous disais que ce monde des oiseaux n’était qu'une copie fidèle du monde des humains! C'est aussi le pauvre ouvrier, le pauvre laboureur, le pauvre bûcheron, qui vole le premier à la défense du sol de la patrie, qui le premier expose sa poitrine aux balles de la coalition. SÉDIPÉDES. 205 C'est lui qui s’armant de la sape, renverse dans la poudre les gouvernements oppresseurs. C’est lui que les grands souverains dépensent généreusement plutôt que de reculer d'une semelle, pour prouver leur grande âme. Malheureux prolétaire, c'est toujours son cadavre qui, dans les ruelles noires des cités comme sur les champs de bataille , sert de piédestal à la fortune des as- sassins en grand et des ambitieux. Enthousiasme, candeur et bravoure. hélas! ces nobles dons du ciel s’expient aussi cher parmi nous que parmi les oiseaux, et les traverses innombrables qui troublent la vie du Rouge- gorge ne sont que l'image de celles dont la carrière du prolé- taire industrieux est semée. Le jeune ouvrier qui arrive de ses champs dans la ville porte un vêtement modeste comme le manteau du Rouge-gorge, la livrée du travail. Il est vif, ennemi du repos et désireux d'ap- prendre. Comme son emblème, son cœur déborde d’enthou- siasme (plastron orangé de l'oiseau). Comme le Rouge-gorge, il est simple, confiant et naïf, ne soupconnant pas chez autrui les méchantes pensées qui ne sont pas dans son âme. Comme le Rouge-gorge, il donne dans tous les piéges tendus à sa bonne foi et à sa curiosité. Et de même que le Rouge-gorge est la proie de la vipère qui le fascine et le contraint par une puissance invin- cible et surnaturelle à descendre de branche en branche jus- qu’à la portée de sa gueule…..; ainsi le jeuné ouvrier qui s’est laissé entrainer aux suggestions de l'envie et de la paresse sym- bolisées par le serpent, fait tous les jours un pas de plus vers l’abime du déshonneur qui doit le dévorer. Le Coucou, qui est trop grand seigneur pour faire son nid lui-même, trouve plus commode de pondre dans le nid du Rouge-gorge. L'analogie du Traine-buisson a donné tout à l'heure l'explication de ce parasitisme. La Mésange charbonnière, qui n’est pas plus grosse que le Rouge-gorge , l'attaque de pré- férence et avec un acharnement tout spécial. On à vu l'affreuse petite cannibale l’assassiuer, le scalper et lui manger la cervelle, moins d’une heure après son entrée dans la cage commune. Le Rouge-gorge est de la famille de ces prédestinés de la souf- 206 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. france à qui le mal arrive de tous les points du ciel et qui ont en partage mesure comble de tribulations. Un seul vice dépare cette longue nomenclature des vertus et des qualités du Rouge-gorge ; il est jaloux du chant, jaloux de la chasse, duelliste, querelleur et ennemi des siens. Deux Rouges- gorges ne sauraient vivre pacifiquement côte à côte dans le mème canton, ni sous les mêmes barreaux; il faut que le plus fort tue le plus faible ou l’expulse. Triste tableau des querelles et des rivalités qui arment les uns contre les autres tous les serfs du sa- lire dont la concurrence anarchique qui tend constamment à ré- duire le prix de la main-d'œuvre, fait fatalement des frères en- nemis. Le Rouge-gorge si doux, si sociable, si charmant avec l'homme et avec une foule d'oiseaux, repousse invinciblement tous ceux de son espèce; quoique cependant il vole courageu- sement à leur secours contre l'ennemi commun. Je ne sais plus si j'écris l'histoire des bipèdes emplumés ou celle des bipèdes sans plumes, tant les deux se ressemblent. Tous les oiseaux voleurs, le Corbeau, l'Oie sauvage, la Grue, etc., comprennent parfaitement les avantages de l'association et s'entendent comme larrons en foire. Ils ne tentent jamais un coup de bec sur les récoltes de l’homme, avant d’avoir disposé préalablement des sentinelles chargées de les avertir du péril. Mais les oiseaux honnètes et parmi'eux tous les chanteurs à bec fin, qui portent la livrée du travail, Rouges-gorges, Rossignols, Roitelets, répu- gnent systématiquement à l'emploi du procédé d'association qui est l'unique voie de salut pour les travailleurs exploités. Ils vi- veht autour de nous isolés et en état de guerre civile, et alors rien ne peut les soustraire à la barbarie de l’homme, sinon le charme de leur voix. Là haut comme ici bas, il n'y a que les méchants qui sachent se coaliser et s'armer. De grands malheurs pleuvent pour le Rouge-gorge de cet état d'antagonisme et d'insolidarité. Car l'homme ingrat ne s’est pas contenté d'abuser odieusement de la crédulité et de la curio- sité du Rouge-gorse pour l'attirer dans tous ses piéges. Après avoir exploité l'affection que lui portait l'oiseau, il a exploité SÉDIPÉDES, 207 - la haine que l’infortuné portait à ceux de son espèce ; il les a forcés de se détruire et de se livrer l'un l’autre. Placez un Rouge-gorge dans sa cage à filet, à portée äu Rouge-gorge libre dont vous saurez la demeure, et vous ne tarderez pas à compter un pri- sonnier de plus ; car le libre ne manquera pas de se ruer sur le nouveau venu. C’est le mème piége qu'on tend au pinson et au roitelet domestique. Il est simple mais infaillible pour tous les artistes jaloux et puissamment titrés en Cabaliste. J'ai entendu d’indignes moralistes exciper de ce naturel ba- tailleur et insociable du Rouge-gorge pour justifier toutes les turpitudes de la conduite de l’homme à son égard, et pour traiter l'oiseau chevaleresque de cerveau brûlé, d'anarchiste , d'espèce indisciplinable et tournée vers les idées nouvelles, d'ennemie de la famille et du repos public. J'ai honte d’être obligé de répondre à tant d'hypocrisie. Batailleur, insociable….. Comme si le progrès pouvait se faire tout seul et les abus se déraciner d'eux-mêmes, et sans qu'on y aide un peu par les proclamations de guerres saintes, les le- vées de boucliers et les révolutions ! Comme si Minerve elle-même, Déesse de la Sagesse , n'était pas sortie tout armée du cerveau de Jupiter, pour dire que la sagesse à besoin d’être armée pour combattre l'erreur ! Mais pourquoi chercherais-je à défendre le Rouge-gorge con- tre les attaques des tartufes, quand il m'est si facile de prouver que tous les défauts qu’on lui reproche valent mieux que ses qualités mêmes ; quand je n'ai, pour donner cette preuve, qu'a ouvrir le premier traité venu de l’histoire du peuple français , à ses pages les plus glorieuses, aux jours d'il y à soixante ans? Où la passion de la bataille et du duel était encore dans le sang de notre nation, comme dans celui du Rouge-gorge, avec le même mépris du vil trafic (araignée) et la même borreur de l’infâme (oiseau de nuit) et l’ardent besoin de jeter bas toutes les tyrannies pour élever sur leurs ruines un temple à la Concorde et à la Liberté. , Où la grande nation, fille ainée du progrès, consciente de sa mission et subitement illluminée de l'Esprit-Saint, comme le . 208 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Rouge-gorge, renoncçait pour la première fois à ses vieilles idées de suprématie et de conquêtes territoriales, et dans la sublime effusion des sentiments de justice et d'amour qui débordaient de son cœur, se proclamait l’amie de tous les peuples opprimés.…. En ce temps-là, en eflet, le peuple francais fut un jour ce que le Rouge-gorge était doute des siècles, le défenseur des faibles, le redresseur universel des torts, le capion de l'unité. Il tendit la main à l’esclave et le secoua rudement pour le for- cer de relever son regard vers le ciel, et le monde est encore sous le coup de cet ébranlement. La France s’est-elle diminuée le jour où elle posa l'intérêt de l'humanité au-dessus de son in- térêt national? — Au contraire, puisque c'est pour cette cause qu'on la décora du nom de grande. Pourquoi alors imputer à crime au Rouge-gorge d’avoir fait toute sa vie comme la France un seul jour, de s'être séparé des siens pour se rallier à l’homme! Le Sauveur n'a-t-il pas dit que celui qui voulait le suivre devait commencer par se dépêétrer de toutes les entraves qui l’attachaient au monde, famille, pro- priétés, trésors ! Ainsi là où l’ornithologiste vulgaire n’apercoit qu'un texte d'accusation frivole contre un oiseau plein de mérites, l’analo- giste découvre un motif d'apologie sérieux. Les poltrons et les insulteurs à la ligne ont aussi l'habitude de déclamer à perte de vue contre les funestes effets de l’exagération du point d'honneur, et de déplorer la manie sanguinaire du duel, qui a peu arrêté en somme les progrès de la population. Mais les poltrons n’empècheront pas que cette prétendue monomanie fu- rieuse n'ait fait mille fois plus pour l'illustration et le charme de la société française que toutes les lecons des moralistes et même que ce fameux traite de la civilité puérile et honnête, qui vous défend de fourrer vos doigts dans votre nez et de vous moucher sur votre manche, surtout quand vous êtes chez les grands. Mettons-nous bien dans la tête que la peur du duel est le com- mencement de la sagesse ou du respect à là femme, ce qui est la même chose, et que sans ce vernis de bravoure chevaleresque, de galanterie et d'insoucieuse gaieté qui brillantait jadis la sur- SÉDIPÉDES. 209 face de nos mœurs, jamais l'esprit francais n’eùt été ce qu'il fut et n’eût conquis le monde, Conquis le monde, hélas! ce propos me rappelle de nouveau l'ingratitude des écrivains de ma patrie envers le Rouge-gorge, si digne à tant d'égards d’inspirer les chants de la muse et que pas un d’eux n’a chanté. L’Alouette a été plus heureuse et le Rossignol aussi, «t l'Hirondelle, et beaucoup d’autres qui le mé- ritaient moins. L’Alouette a vaincu à Pharsale et pris Rome deux fois, c’est très-vrai; mais qui vous dit que le Rouge-gorge n'a pas vaincu plus loin encore que l’Alouette, et suivi l'aigle victo- rieuse en plus de capitales? Car il semble que tous les historiens de la révolution française se soient donné le mot pour oublier de signaler l'influence du Rouge-gorge sur le résultat des campagnes d'Italie, de Russie et d'Égypte. Et cependant cette influence n’a jamais été contestable, puisque la plus grande part de gloire acquise à nos drapeaux en ces campagnes immor- telles revient aux héros de Lorraine. et que tous les héros de cette province si boisée et si calomniée avaient été élevés à l'é- cole du Rouge-gorge. Alors , puisque j'en suis venu là malgré moi, je prie qu’ on me permette de réparer en passant l'inexcusable oubli des historiens de la révolution française, et de protester par la même occasion contre une affirmation téméraire de Michelet. Michelet est un admirable historien que je porte dans mon cœur, et que j'aime encore plus pour la noblesse et l'élévation de ses senti- ments que je ne l’admire pour son immense savoir et sa haute éloquence. Je pense néanmoins qu’il a eu tort d'écrire « que le peuple normand était le peuple héroïque de l'Europe. » Ce n’est pas parce que je suis originaire des rives de la Meuse, mais je crois qu'il aurait mieux fait de décerner la palme de l'héroïsme au Lorrain qu’au Normand. Le Normand a conquis l'Angleterre, la Sicile et. une foule d'empires si longs et si éloignés les uns des autres, que jamais le soleil ne se couche chez lui. Il a forcé les portes de la Chine et créé plusieurs nouveaux mondes où il a implanté ses machi- 1. 44 2410 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. nes:et des populations prospères. Il a fondé enfin la plus vaste puissance industrielle et commerciale qui ait jamais éte. Or loin de moi la pensée de méconnaitre ces hauts faits et de nier les innombrables services rendus par le Normand à là cause du progrès. Je suis prêt à crier 2ule Britannia et à vociférer aussi haut que quiconque en l'honneur des pionniers valeureux de l'Australie et de l'Amérique du Nord. Seulement mon admi- ration pour les gigantesques efforts du génie britannique ne va pas jusqu'à me farre oublier le sens naturel des mots'èt à me faire confondre héroïsme et génie commercial, qui ne sont pas la même chose. Le vrai héros, en effet, d’après le langage recu, est un être essentiellement désintéressé et enthousiaste, dominé par la sainte passion de l’Unitéisme et qui combat vaillamment pour sà foi, sans jamais marchander sa vie. Assurer par sa mort le triomphe de sa cause, de sa patrie ou de sa religion, est un sort qu'il envie; il vire facilement au martyr... Tandis que le vrai tra- ficant est, au contraire, un être essentiellement rassis et calme, qui calcule froidement les profits et pertes d’une affaire avant de la lancer; qui comprend faiblement les joies sublimes du sacrifice et ne s’enivre pas des vaines fumées de la gloire. Hé- roïisme, en un mot, implique, selon moi, grandeur du but collectif en même temps que déploiement d’un courage surhumain pour l'atteindre.... et Régulus et d’Assas, qui n’ont eu que la mort pour prix de leur dévouement, me semblent mieux repondre au beau nom de héros que les soldats-marchands qui forcent les portes du Géleste-Empire pour vendre beaucoup d’opium ou de bonnets de coton à ses malheureux habitants. Les poëtes, au surplus, sont d'accord avec moi sur cette ques- tion délicate ; les poëtes qui sont les vrais historiens des âges hé- roïques et qui se sont emparés du héros lorrain et n'ont pas voulu du normand. Les âges héroïques de l’Europe portent quatre noms principaux : Invasion des Barbares, Croisades, Guerre de cent ans, Guerre de la Révolution. Or, le premier nom qui se présente sur la liste des héros de chacune de ces époques mémorables est celui d’un héros lorrain. C'est un Lorrain, un Austrasien pur sang du nom de Charles- SEDIPÉDES. 41 Martel qui broie de sa masse d'arnies l’armée des Sarrasins, réfoule par delà les Pyrénées l'ouragan des cavaliers arabes, soustrait l’Europe à l'Islamisme et la femme au Harem! C'est encore un chevaher lorrain qui commande la première Croisade et qui plante le premier son étendard sur les murs de là ville sainte. Or les Croisades sont au moyen àge ce que fut à l'antiquité grecque l'expédition des Argonautes. C'est le fait héroïque par excellence pour les nations chrétiennes. Voilà près de mille ans que la poésie et la légende vivent de la Jerusa- lèem délivrée; mais je défie bien qu'on me taille un semblant de poëme quelconque dans l’étoffe du casque à mèche, qui cons- titue, au dire du Normand, le cinquième élément. Les Anglais tenaient la France, ses ports, sa capitale; et leur domination, qui durait dépuis'cent ans déjà, semblait impéris- sable, quand une vierge de Lorraine, âgée de dix-huit printemps, priten pitié les maux de la nation opprimée, arma son bras du glaive, fondit sur les phalanges de l'insulaire comme l'ange ex- terminateur, les rompit et les écrasa et les re‘eta pour jamais du sol du continent. Jeanne d'Arc était du jays des Rouges-gorges, et les historiens de son enfance rapportent qu’elle était en rela- tion d'amitié et de sympathie avec ces petits oiseaux qui la sw- vaient aux champs. Elle paya son dévouement de sa vie, comme le Rouge-gorge, et subit comme lui le supplice du feu. N'en dé- plaise à Michelet qui, lui-même , atrouvé de si éloquentes paroles pour raconter la gloire et le martyre de la vierge inspirée, je ne connais dans aucune autre histoire de figure d’héroïne plus res- plendissante que celle-là. En 1792, lors de la grande levée, tous les mâles de Lorraine en état de porter les armes s’enrôlèrent. Hs m’ontdit dans ma petite ville que, sur une population de près de 6,000 âmes, il ne resta au pays que trois garcons, à qui l’on donna des noms de femmes. Ces volontares farent les premiers ‘et les derniers qui com- battir nt pour la défense du sol de la patrie. Un jour, en 1814, trois cents paysans de la Meurthe formèrent lè projet d'enlever ou de tuer d'un seul coup l’empereur de Russie, l'empereur d'Autriche et le roi de Prusse, en s’embusquant dans une gorge #2 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. étroite où les souverains devaient passer. Le coup faillit réussir et ne manqua que par l’indiscrétion de l’un des conjurés. En temps de guerre, tous les mâles de Lorraine naissent plus ou moins soldats. Le gamin de cette contrée est la matière pre- mière du grognard d’Austerlitz. Autrement dit, c'est de la graine de héros qui, semée en bon terrain et en saison convenable, produit abondimment le maréchal de France. Au plus fort des batailles de la grande guerre, les pété dé- partements de la Lorraine étaient en possession de fournir à eux seuls la moitié environ des maréchaux de France; les quatre- vingt-deux autres s’arrangeaient pour le reste. Sous le règne du dernier roi encore, cinq maréchaux sur neuf étaient Aus- trasiens : deux de la Meuse, Oudinot, Gérard; deux de la Meurthe, Lobau, Molitor; un des Vosges, Victor. Ceux de la Moselle étaient morts. Les Fabert, les Chevert et la plupart des officiers de fortune de l’ancien régime étaient de ces pays-là. La maison de Lorraine a pris l'Empire qu'elle tient encore, et avec l’Empire une portion de l'Italie, la Toscane, Modène, Venise; elle a la Hongrie et la Transylvanie. Elle faillit pren- dre le rayaume de France sous les Guises, des héros de haute taille, forgés tout exprès pour la poésie, le drame et le roman. J'ai toujours supposé que les trois merlettes de l’écusson de Lorraine étaient des Rouges-gorges. Pourquoi les aurait-on ap- pelées des merlettes sans cela ? Or désire-t-on savoir qui donne au gamin de Lorraine cette incontestable supériorité de vaillance sur tous les autres gamins de France? C’est l'éducation de la pipée, c'est la passion du Rouge-gorge. Dès l’âge de douze ans, la constitution du gamin de Lorraine est faite à la vie du bivouac; car la chasse aux petits oiseaux des bois, la Tendue et la Pipée exigent qu'on passe les nuits à la belle étoile pendant six semaines environ, du 1* septembre au 15 octobre, si l’on tient à bien faire. Et le voyage et la cou- chée dans les bois noirs, la nuit, quand on a dix ans, qu’on est seul, et que les hiboux huent et que les grands loups hurlent, sont de fières préparations pour la vie de héros. A l'âge de quinze SEYNIPEDES. 215 ans, cet élève de la nature et de la solitude déchiffre à première ouie dans l'air tous les cris de voyage que jettent en passant les oiseaux. Il sait le canton, l'arbre, le buisson qu’affectionne cha- que espèce et les papillons de chaque plante et la mouche du jour pour la truite. Il s'oriente par les étoiles dans l'obscurité des forêts et dit l'heure de jour et de nuit, sans montre ni soleil, et la collection d'œufs d'oiseaux qu'il a conquise de ses propres mains'et au grand détriment de ses hardes à travers les épines, les rochers, les roseaux, dépasse deux cents noms. A cette vie de Mohican, le gamin de Lorraine n'apprend pas seulement à s’aguerrir contre la peur et à mépriser le hurle- ment des loups; il y gagne de savoir se servir de ses mains pour fabriquer et inventer des pièges de toutes sortes, collets, rejets, raquettes. Il grimpe comme l’écureuil et nage comme la loutre. La préparation de la glu qui est une opération savante et de longue durée, l'initie aux procédes de la chimie ; la faim aux secrets de la cuisine ; le besoin de se chauffer et de se préserver de la pluie aux arts du bücheron , du charbonnier, du charpen- tier. J'ai peu connu de maîtres tendeurs qui ne fussent en même temps de parfaits rôtisseurs. Or l'étude de toutes ces professions rentre essentiellement dans le programme de l'éducation du héros. Aussi n'y a-t-il pas de danger que les privations de la guerre et l’accablement de la nostalgie prennent jamais sur le gamin de Lorraine, passé à l’état de surnuméraire-maréchal. La conscience qu'il a de sa haute valeur le soutient dans les mauvaises passes. Plein d'estime pour la vendange et le gigot de mouton, il pos- sède assez de philosophie pour mépriser le luxe de la table, lors- que les temps sont durs, mais il n'en médit pas. Dix années de pipée vous cuirassent hermétiquement le tempérament d'un homme contre le mal du pays, la misère et fe rhume de cerveau. C'est en Lorraine que l'on trouvait, il y a vingt ans, le plus de revenus de Russie. J'en ai connu qui avaient enseigné la ra- quette et le rejet aux Kirguis et ravi les oiseaux du gouverne- ment d'Orenbourg par des airs inédits. C'est un gamin de Lor- raine, nommé Jacqueminot, le même qui rend aujourd’hui le pain 214 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. béni à Meudon, qui passa le premier la Bérésina à la nage. Il a fallu un boulet pour mettre à bas Duroc. Les simples biscaïens ne purent jamais mordre à fond sur le maréchal Oudinot. J'ai consulté la chronique locale sur les commencements de ces illustres mangeurs de fer; tous avaient sept à huit campagnes de pipée sur le corps, quand ils s’enrôlèrent comme soldats. Ainsi la passion du Rouge-gorge est celle des vaillants et des forts. Elle survit chez eux au jeune âge. Après 1815, qui amena en Europe une grève générale de héros, et fit rentrer chez eux ceux qui n'étaient pas morts, beaucoup de petites villes de Lor- raine en furent littéralement engorgées ; la mienne fut de ce nombre. Sa population se composait de décorés pour un sixième, et je me souviens que les trois quarts des pipées et des tendues d'alors s'appelaient de noms de capitaines ou de commandants retraités. J'ai bivouaqué cent fois aux foyers hospitaliers de ces braves qui aim ient à se consoler de leur bonheur présent par le récit de leurs misères passées. C’est là que j'appris comment tel régiment de hussards, de diagons ou de cuirassiers, suivant que le narrateur appartenait à l'un ou à l’autre de ces corps, avait gagné la bataille d'Austerlitz, d'Iéna ou de Wagram. Une chose dont il m'était très-difficile de me rendre coupte en ce temps-là, était que la race des Kinzerliques eût pu conti- auer à croître et à se multiplier, après les boucheries épouvan- tables que j'en avais entendu faire. Et je crois, Dieu me par donne, qu’ils avaient fini par me brüler limagination avec leurs récits de victoires, et que s’il y eût eu chance de se distin- guer dans la lice guerrière, quelques années plus tard, je m'y serais lancé après eux. Ainsi la passion du Rouge-gorge métamorphose en héros d'intention les moins portés vers la tuerie humaine et les pousse malgré eux dans les champs de Bellone. Étais-je en droit de réclamer pour le Rouge-gorge une place au Panthéon des illustres oiseaux de France, auprès de l Alouette de Michelet ? Ec Rouge-gorge est, de tous les membris de sa famille , le seul SÉDIPÉDES. 215 qui donne à la pipée et qui montre un si grand courage contre l'ennemi commun (la Chouette.) Les autres se contentent de se battre et de se persécuter entre eux, ce qui dénote un caractère de titre inférieur. Le Rouge-gorge ne nous quitte pas complète- ment non plus à l'automne comme les Rouges-queues et les Fauvettes proprement dites. Beaucoup séjournent l'hiver autour des demeures de l’homme, où j'en ai ramassé souvent que le: froid avait tués. Le chant du Rouge-gorge est de ceux qui font fanatisme. Je n'ose pas dire que je partage l'hérésie des admirateurs exclusifs de ce chant, qui ne voient rien au-dessus; mais il est certain que le langage d'amour du Rouge-gorge m'est plus sympathique. qu'aucun autre. Rien n’est plus rare du reste qu'un beau chanteur de cette espèce, attendu que les malheureux virtuoses n'ont pres-. que jamais le temps de vieillir et de se perfectionner. Il y en a qui d'eux-mêmes chantent le Rossignol et valent des prix fous. Le Rouge-2orge niche dans les bois au fond des petites cavités souterraines pratiquées par les rats, les taupes, etc., ou bien dans quelque trou d'arbre ou de muraille près de terre , ou encore sous les voûtes obscures des souches excavées. Il ne fait qu'une couvée par an comme le Rossignol; les jeunes changent de plumage vers. la fin d'août. L'unique couvée du Rouge-gorge est du reste plantu- reuse et elle équivaut presque à trois couvées de Fauvettes Son nid est admirablement travaillé et ressemble à celui du Traine- buisson pour la disposition et l'ordonnance des. matériaux, ainsi que pour la souplesse et l'épaisseur du sommier de crin dont l'intérieur est garni. On a vu,en Anglet rre, un couple de Kou- ges-gorges à qui l'on avait donné durant l'hiver une hospitalité confortable daus une vaste serre chaude, y faire leur nid avec un. plein succès au milieu de janvier; et nul doute que le fait ne se soit produit ailleurs et ne puisse se produire partout, moyen- pant un peu de soin. Or, jugez de ce qu'il pourrait advenir un jour pour l'embellissement de nos demeures, de l'application en grand d'un procédé d'éducation de fleurs et de Rouges- gorges, .qui permettrait à l'homme de savourer en plein cœur des frimas les déhces les plus raffinées de la saison d'amour ; à savoir 216 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. le parfum des roses et le chant des oiseaux. Retenez bien que ce sera encore le Rouge-gorge qui, pour encourager les autres fau- vettes à se prêter à l'expérience et à renoncer à leurs voyages d'outre-mer, consentira le premier à se claquemurer entre quatre murailles pendant toute la rude saison. Puis le Roitelet et le Traine-buisson imiteront son exemple; puis enfin viendront le Rossignol et la Fauvette à tête noire, ete. Je dois avoir déjà dit une fois que le ralliement spontané de toutes les jolies bêtes à l'homme était un des plus sûrs symptômes de la proche venue d'Harmonie. Quand je quitterai ma patrie pour aller chercher une tombe sur la terre étrangère, le Rouge-gorge sera un des amis de cœur que je regretterai le plus, avec Alphonse Karr, à qui Dieu fit une si large part d'humour, de bon sens et d'esprit, et à qui je dédie les sept cents lignes qui précèdent, en manière d'adieu. La Gorcr-sLeur. La plus jolie de toutes les Fauvettes et l’un des plus beaux oiseaux de France , où la couleur d'azur est aussi rare sur les manteaux de plumes que sur le satin des corolles. Le nom de la Gorge-bleue lui vient d’un magnifique écusson bleu clair qui lui couvre tout le poitrail et qui est marqué en son milieu d’un pois ou miroir d'un blanc pur. Cet élégant plastron repose sur une légère zône noire qui est bordée à son tour d’uñe ceinture blanche à franges orangé roux. La queue est bicolore et remarquable par la disposi‘ion de ses deux nuances. La pre- mière moitié est rousse, la seconde noire. Manteau uniforme cendré brun. Le plumage de cet oiseau subit de grandes modifications avéc l’âge. Le miroir blanc de l'écusson semble être d'abord un attri- but spécial de la jeunesse qui disparaît chez les vieux; puis la bordure roux orangé de la poitrine empiète à chaque mue sur la blanche et la noire et finit par les absorber. Quelques auteurs parlent bien d'une seconde espèce de Gorge-bleue, qui serait particulière à la Suède et qui se distinguerait de la nôtre par la couleur de son miroir orangé roux; mais rien n'empêche de croire jusqu'à plus ample informé que cette Gorge-bleue à miroir SÉDIPÉDES. A7 jaune ne soit la Gorge-bleue à miroir blanc, parvenue à un âge très-avancé , et chez laquelle l'empiétement de la couleur fauve aurait continué ses progrès. La Gorge-bleue, par la mobilité et par la couleur de sa queue, par ses allures et par ses habitudes, se rapproche beaucoup plus du genre Rouge-queue que du genre Rouge-gorge. Elle est plus riveraine et plus buissonnière que cette dernière espèce; elle se plaît dans les oseraies, les saules et les tamarix, et fréquente presque exclusivement les buissons des plaines basses, les bor- dures boisées des étangs et des petites rivières. Ce qui n’a pas empêché quelques nomenclateurs illustres, mais aveugles, de faire de la Gorge-bleue un Rouge-gorge, et nfème de l'appeler le Aouge-gorge gorge-bleue, pour le distinguer de l’autre... tant l'amour du chaos est puissant sur certaine classe humaine. Je crois avoir agi d'une manière plus rationnelle et plus conforme aux vœux de la nature en faisant de la Gorge-bleue un Rouge- queue, parce qu'elle a la queue rouge. Dites Rouge-queue à gorge bleue, si bon vous semble, le sens commun ne s'y oppose pas; mais pour l'amour du ciel , n’appelez pas Rouge-gorge l’oi- seau qui a la gorge bleue. La Gorge-bleue niche dans le creux des saules et sous les ra- cines, comme le Rouge-gorge, et aussi dans les piles de bois entassées près des berges de rivières. Elle passe isolément et fait peu parler d’elle. Elle adore les müres de ronces; je l’ai prise quelquefois à la raquette dans les avenues de pois des prié C'est un rôti parfait. Son chant est doux et suave; seulement elle a peu de voix et ne chante que pour un petit cercle d’intimes. Les couples se cantonnent comme les Rouge-gorges et les Rossignols et se font des misères sans fin. C’est une espèce assez rare et très-belle, mais qui en captivité a le double inconvénient de ne rien dire et d'être privée de sa queue la moitié de l'année. Le Rovcr-queue. Beaucoup mieux dit queue rousse, qui est son nom populaire dans une foule de localités de France , et par- ticulièrement dans les environs de Paris. Espèce que l’on con- 2418 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. fond toujours avec le Rossignol de muraille qu'on prend et qu'on vend avec elle, et qui ne lui est pas inférieur sous le rapport de l'embonpoint, de la blancheur et de la délicatesse de la chair. Le Rouge-queue est celui qui a la gorge, la poitrine, les joues et le tour du bec très-ncirs, le croupion et la queue d’un roux vif. Le. Rossignol de muraille est l'autre, celui qui a le poitrail, et tout le devant du corps jusques sous les ailes orangé roux, la gorge noire, la queue un peu moins rouge, le front et les sour. cils blancs. Les femell:s des deux espèces sont un peu plus dif- ficiles à distinguer que les mäles. Le pied noir, qui est presque, toujours pour les oiseaux gris un certificat de délicatesse exquise,, est un attribut commun au Rouge-queue et au Rossignol de mu- raille. Leur manière de vivre et d'aimer est aussi la même, ef je. connais peu d'espèces voisines qui se ressemblent plus et par plus de côtés. Le Rouge. queue et le Rossignol de muraille nichent dans les trous de. murs à toutes les hauteurs. J'en sais des nids dans cin- quante vieilles tours de chäteaux et de cathédrales à trente mè- tres de terre, c'est à dire à des élevations qui donneraient le ver- tige au Moineau franc et à l'Hirondelle, et où. se plaisent seulement le Sansonnet, le Choucas, le Martinet et la Chouette. Tous deux nichent aussi à terre, dans la mousse verte qui enveloppe le pied des souches, sous les racines creuses, à travers les piles de bois, sous les tuiles. Ils s'attachent volontiers à la place qu'ils ont choisie pour domicile dans une habitation et y reviennent chaque, année. On connaît l'histoire de cette famille de Rouges-queues qui demeura pendant une vingtaine d'années dans la même boîte de corps de pompe, se transinettant l'héritage de cette propriété de mère en fille. Une lois que la machine ne jouait plus, et que le maitre avait été forcé de faire venir des ouvriers pour la re- mettre. en état de service, les Rouges-queues contrariés émigrè- rent et furent trois ans sans revenir, après quoi leur bouderie, cessa. [1 faut croire que le bruit et le tremblement qui accom- pagnent chaque descente et chaque montée du piston dans son tube ont pour cette espèce-là un charme tout spécial. Je con- nais intimement à l'heure qu’il est une famille de Rossignols de “ SÉDIPÉDES. 219 muraille que j'ai rencontrée chez un de mes anus, à Maisons, et qui habite depuis une dizaine d'années l'intérieur d'une fontaine en terre cuite placée au milieu du jardin. Ces deux espèces ne font qu’une couvée par an, mais une couvée plantureuse. Les chants de ces deux Rouges-queues sont modestes comme celui de la Gorge-bleue. Ils ne le font entendre que de très- grand matin et ne chantent que deux mois de l'an. Hs se détestent du reste cerdialement entre eux comme les Rouges-gorges et pas sent isolkément. Mais le Rouge-queue et le Rossignol de mu raille sont de vrais voyageurs qui franchissent hardiment là Méditerranée et abordent par grandes masses les collines boi- sées des Sahels de toute la côte africaine, où les Arabes leur tendent des piéges si primitifs ct si patriarcaux que je n'ai jamais compris qu'un oiseau sensé püt s'y prendre. C'est, par exemple, un trébuchet formé d'une simple feuille de cactus, suspendue par une büchette au-dessus d’une petite fossette creusée dans le sable avec le hout du pied et dans laquelle il faut que le Rouge- queue descende pour déplacer l’étançon et faire tom er la trappe. IL n'y avait dans la nature entière qu'un Rouge-queue ou un Rossignol de muraille qui püt avoir besoin de voir aller cette mécanique- là. L'invention de ce piége, qui doit remonter à Jacob, prouve que l'innocence et la curiosité de la famille des Rubiettes furent connues de toute antiqui'é des peuples du désert et exploitées par eux. Mais il faut que la leçon des malheurs passés de leur race n'ait guère profité aux Rouges-queues , puisque les pauvres oiseaux sont encore aujourd'hui sur tous les points du globe qu'ils parcourent l’objet d'une persécution atroce. La terre de France est surtout celle qui leur est la plus inhospitalière et la plus en- nemic. Le Rouge-queue et le Rossignol de muraille constituent avec le Rouge-sorge, le Gobe-mouches et la Grive les principaux éléments de la tendue aux raquettes qui se fait en Lorraine sur la plus vaste échelle et qu'il faut bien se garder de confondre avec la pipée qui est une chasse à la glu. J'ai vu en ce pays-là dans mon enfance tous les sentiers et toutes les lisières des bois, tous les mangeoirs et tous les abreuvoirs quelconques des forêts, gar- 220 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. nis pendant des vingtaines de lieues de suite de piéges si serrés et si drus, qu’il était à peu près impossible aux malheureuses espèces obligées de passer par cette voie scélérate de mettre pied à terre sans donner dans un guet-apens. J'ignore si la loi de mai 4844 a calmé un peu cette rage de tuerie, et si les préfets de Lorraine ont osé rappeler le garde forestier de cette contrée à son devoir et à la pudeur; mais j'aflirme que la chose est à faire, si elle n'a pas été faite, et qu'il est urgent d'imposer un frein à la cupidité et à la barbarie des tendeurs de raquettes, dans le tri- ple intérêt de la moralité, de la salubrité et de la prospérité pu- bliques. Car il est inutile de nous abuser plus longtemps sur les périls de la situation actuelle. La fortune territoriale de la France est totalement compromise en ce moment par ces débordements scandaleux d'insectes dévorants qui envahissent toutes les cul- tures l’une après l’autre, et qui ne tarderont pas à demeurer les seuls maîtres du sol, si l'administration n'y met ordre. Or, la première mesure à prendre pour arrêter le fléau de la contagion dévastatrice n’est pas de consulter les savants sur la question de savoir si c’est par un champignon ou par un ver que les vignes et les pommes de terre sont mangées, mais d'empêcher ces plan- tes de périr, en plaçant au plus vite sous la sauvegarde de la loi les petits oiseaux insectivores à qui Dieu a commis le soin de sauvegarder les récoltes de l'homme. Et il n’est que temps, je le répète, d'appliquer au mal le remède que la nature prévoyante a mis elle-même auprès de lui, et qui consiste, par exemple, à interdire absolument la chasse aux petits oiseaux pendant trois ans au Moins. ss Hélas! si je demande à la loi de se mettre en travers des jouissances des libres tendeurs, c'est que je sais mieux que personne l'attrait pernicieux de ces amusements barbares, ayant été moi-même bourreau de Rouges-gorges en mon en- fance , à l’âge où l’on est sans pitié. C’est parce que je veux épar- gner à mes complices le chagrin futur de mes remords, que je réclame formellement la prohibition absolue de la raquette et du collet comme engins de chasse aux petites bètes. Le collet est un piége odieux où tout gibier qui se prend souffre SÉDIPÉDES. 221 et se détériore par suite des violents efforts qu'il fait pour se dé- barrasser. Aussi le nom de colleteur désigne-t-il spécialement dans la langue de chasse les braconniers de la plus vile espèce. Quant à la raquette, c’est un abominable instrument de torture qui ne peut servir qu'à dresser l'enfance à la pratique du métier de bourreau. La raquette porte témoignage de cruauté contre la législation qui la tolère. Les oiseaux qui s’y prennent commencent par s’y briser horriblement les pattes et ne parviennent à mourir qu'après de longues heures de souffrance. Je suppose que ces Athéniens si justes qui condamnèrent Xénocrate à l'amende pour n'avoir pas écouté la pitié en faveur du petit oiseau qui s'était réfugié dans son sein, auraient au moins banni du territoire de leur république les tendeurs de ragwettes. Je ne requiers pas un châtiment aussi dur contre les tortureurs de Rouges-gorges, et me contenterais pour la première fois d’une amende ruineuse et de la privation du droit de chasse; mais je serais impitoyable pour la récidive, surtout à l'égard des parents, estimant que la loi ne peut punir trop sévèrement le père qui apprend à son fils ou bien lui laisse apprendre la dureté de cœur et l'insensibilité aux souffrances d'autrui. Quand les hommes convaincus par une longue et cruelle expérience de leur inaptitude suprême à régir les choses de ce monde, auront à la fin abdiqué en faveur de l’autre sexe, un des premiers actes du gouvernement nouveau sera de supprimer sur-le-champ, pour tous les êtres, tous les genres d’oppression, tous les instruments de torture, et d'envoyer la raquette , le knout et la férule rejoindre le rudiment de Lhomond dans la nuit éternelle. Mais que de tribulations, de couleuvres et de pensums avaleront encore les pauvres bêtes et les pauvres enfants jusque-là ! Le Rouge-queue , le Rossignol de muraille, le Rouge-gorge et le Gobe-mouches qui sont de la même taille, et possèdent les mêmes qualités de chair, sont les quatre espèces célèbres qui se vendent sur tous les marchés des villes de Lorraine en sep- tembre , sous le nom collectif de petites bêtes et s'expédient de là sur toutes les capitales. La Grive est dite grosse bête comme le Merle. Le commerce de l'exportation des petites bêtes s'opère 222 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Sur des milliers de douzaines, mais son chiffre n’approche pas de celui de la consommation locale. H y a dans ces pays-là une époque de l’année qui dure six semaines et pendant laquelle Ôn peut voir tous les jours, à certaines heures, les ménagères des petites villes gravement occupées sur le seuil de leurs portes à plumer les ‘oiseaux capturés de la veille. En ce temps-là l'air ‘du pays he voiture que des émarations savoureuses et n'apporte que ‘des parfums de brochette au passant, qui ne saurait faire un pas ‘sans fouler les dépouilles de la cuirasse orangée des Rouges-vorges et des Rossignols de muraille qui se détachent harmonieusement du manteau noir des Merles sur le pavé des rues. Le RossiGxOL DE MURAILLE {vor l'alinéa qui précède). Hante plus volontiers les hautes tours que le Rouge-queue. Ses œufs sont d’un beau bleu d'azur sans taches, tandis que ceux da Rouge-queue sont blancs. Le Rossiexoz. Du latin Zuscinia , par l'italien Uscinia., Usci- niola, Rossignol. Nom absurde et déshonoré par une foule d’ho- monymes honteux ; nom anti-scientifique et que se sont bièn gar- dés d'adopter les Allemands qui ont appelé l'oiseau de Son véri- table nom Nachtigall , c'est-à-dire chantre de la nuit. Les Anglais écrivent Nightingale et prononcent Naïtign… Je ne vais pas plus loin de peur de me compromettre. On ne saurait trop hésiter à traduire la prononciation d’une langue dans laquelle le mot colonel est le seul où l’r s'accentue. Le Rossignol n’a pas à se plaindre comme le Rouge-gorpe et le Bec-figues que la Poésie et l'Histoire aient été rngrates à ses mérites. On l'a chanté dans toutes les langues des pays qu'il ha- bite. On à écrit sur lui cent traïtés spéciaux. Toutes les httera- türes da Midi, de l'Orient, de l'Occident et du Nord retentissent de ses apologies. Je ne sache pas de grand poëte, à commencer par Euripide et par Virgile chez les anciens, et à finir par La- martine ch:z les modernes, qui ne se soit cru obligé de lui con- sacrér une strophe mélodieuse. Pour tous les écrivains inspirés, SÉDIPÉDES. 223 sacrés comme profanes, Philomèle est la personnification de l'é- loquence suprême. | Euripide, pour donner une idée du charme de la parole d'Ulysse, la compare au chant du Rossignol. Saint Grégoire de Nazianze retrouve dans les écrits de l’école d'Athènes le style harmonieux et sonore du prince des chanteurs ailés. Les fa- rouches sectateurs de Luther reconnaissent la mission divine de PHIlippe MELanchton et la supériorité de son éloquence sans seconde, à ce que les deux syllabes initiales de ses noms repro- duisent le nom de Philomèle. Or, comme il est dans les dons de l’analogié passionnelle d'ins- pirer heureusement les esprits qu'elle éclaire, il est constam- ment advenu que le succès a couronné l’allégorie et la compa- raison tirées du Rossignol. Ainsi aucune Muse n’a probablement modulé dans aucune autre langue de plus mélancoliques et plus tendres accents que la muse de Virgile comparant la douleur d'Orphée qui regrette Eurydice à celle de Philomèle qui pleure ses petits : Qualis populeä mœærens… L'inspiration d'amour qui parfume le texte latin est si pénétrante et si vive qu'il en est passé quelques émanations subtiles jusque dans la traduction de Delille : Telle, sut un rameau, durant la nuit obscure, Philomèele plaintive attendrit la nature, Accuse en gémissant l’oiseleur inhumaäïn, Qui, glissant dans son nid une furtive main, Ravit les tendres fruits que l'amour fit éclore Et qu'un léger duvet ne couvrait pas encore. Le chantre des Zarmonies, dont la harpe aussi mélodieuse que celle de Virgile, vibre bien plus puissamment sous la touche d'amour , Lamartine , se surpasse lui-même dans la peinture du chant du Rossignol. Relisez Jocelyn, une histoire touchante qui retrouve toujours le chemin de vos larmes, l'histoire de deux pauvres enfants perdus dans un désert de glace êt qui s'aiment et s’ignorent sous le regard de Dieu. Ouvrez le livre à cette page vrageuse de la matinée de mai, où l’haleine fiévreuse du prin- temps verse au cœur des deux innocents des troubles inconnus, 224 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. où le ‘besoin d'aimer fait explosion dans la poitrine de Laurence qui cherche en son extase.… Une langue de feu — Pour crier de bonheur vers la nature et Dieu. Écoutez, écoutez : LAURENCE. Vois dans son nid la muette femelle Du rossignol, qui couve ses doux œufs, Comme l'amour lui fait enfler son aile Pour que le froid ne tombe pas sur eux. Son cou, que dresse un peu d'inquiétude, Surmonte seul la conque où dort son fruit, Et son bel œil éteint de lassitude, Clos du sommeil , se rouvre au moindre bruit. Pour ses pelits son souci la consume; Son blond duvet à ma voix a frémi; On voit son cœur palpiter sous sa plume Et le nid tremble à son souffle endormi. A ce doux soin quelle force l’enchaine ? Ah! c’est le chant du mâle dans les bois, Qui, suspendu sur la cime du chêne, Fait ruisseler les ondes de sa voix ! Oh ! l’entends-tu distiller goutte à goutte Ses lents soupirs aprés ses vifs transports, Puis de son arbre étourdissant la voûte, Faire écumer ses cascades d'accords ? Un cœur aussi dans ses notes palpite ! L'âme s’y mêle à l'ivresse des sens, Il lance au ciel l'hymne qui bat si vite, Ou d’une larmeil mouille ses accents ! A ce rameau qui l’attache lui-même ? Et qui le fait s’'épuiser de langueur ? C’est que sa voix vibre dans ce qu'il aime Et que son chant y tombe dans un cœur ! De ses accents sa femelle ravie Veille attentive en oubliant le jour; La saison fuit, l’œuf éclot, et la vie N'est que printemps, que musique et qu'amour ! SÉDIPEDES. * Dieu de bonheur ! que cette vie est belle ! ‘ Ah ! dans mon sein je me sens aujourd'hui Assez d'amour pour reposer comme elle . Et de transports pour chanter comme lui. 12 r2 ot N'est-ce pas que jamais la passion n’a parlé par une bouche humaine un langage plus sublime et plus incendiaire, et que l'infortunée Didon est bien pàle auprès de Laurence, et même Roméo qui veut trop s’en aller ! N'est-ce pas que le pauvre historien des bêtes qui a commis l’imprudence d'illustrer son récit de tels vers, est tenu de demander pardon à ses lecteurs d'oser encore leur servir sa vile prose après ! Aucune gloire, aucune chance heureuse n’a donc manqué au Rossignol. Comme il a des panégyristes qui s'appellent Virgile, Ovide, Lamartine, etc., il a des historiens nommés Pline, Buf- fon, etc., etc. Jean-Jacques déclare en ses Confessions, qu'il n'a jamais entendu le chant du Rossignol sans être vivement ému. Le naturaliste latin savait les mœurs de l'oiseau , il y a dix-sept siècles, comme nous les savons aujourd'hui; mais la mythologie grecque a erré sur son compte. La tradition mythologique s’est trompée, pour avoir fait de Philomèle le type d’une princesse athénienne célèbre par sa beauté, à qui son beau-frère luxurieux aurait infligé un outrage et puis coupé la langue pour l'empècher de divulguer son crime. Ce signalement de princesse de sang royal, belle et muette, ne reproduit aucunement les traits du Rossignol, qui n’est ni beau ni muet, et qui d’ailleurs serait parfaitement incapable d’égor- ger un neveu pour le faire manger à son père, comme le fit, dit l'histoire, la princesse outragée. D'où je crains fort que ceux qui ont cru d’après la fable que la romance du Rossignol était une complainte sur les malheurs de Philomèle et sur la perversité de Térée, n'aient été dupes de leur crédulité. La ro- mance ou plutôt le nocturne du Rossignol n’est pas une com- plainte, mais bien une élégie amoureuse écrite pour une voix seule par un maëstro passionné. Et la passion brülante qui respire en ce poëme et empèche de dormir l'infortuné inamo- rato, est la double jalousie de l’art et de l'amour. 11. 45 226 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Le Rossignol, en effet, ne chante pas seulement pour atten- drir le cœur de sa maîtresse et charmer ses ennuis ; il chante aussi et surtout pour qu'on l'admire et pour qu'on l'applaudisse; il chante pour faire taire ses rivaux , pour les écraser sous le poids de sa supériorité, pour les tenir à distance du canton qu'il s’est adjugé. S'il n’atteint pas ce dernier but par la force de ses pou- mons , il a recours au combat ordinaire , au combat corps à corps; car il faut d’une manière ou de l’autre qu'on lui fasse place nette. S'il est vaincu dans cette nouvelle rencontre, il s’expatrie comme le Pinson et va bien loin cacher sa honte. Beaucoup meurent sur le terrain du dépit de la défaite et des blessures reçues. On ne comprend pas à première vue qu'une épée aussi peu offensive qu'un bec de Rossignol ou de Rouge-gorge puisse donner la mort, mais le fait se reproduit si fréquemment qu'il n'est pas même contestable. L'habitude des duels à outrance se retrouve jusque chez les Fauvettes proprement dites , qui ont l'esprit moins batailleur que les Rossignols, et chez les Roitelets qui ont le bec encore plus mou et encore plus inoffensif que les Fauvettes. La quinzaine qui suit l’arrivée des Rossignols parmi nous est l'époque habituelle de ces joûtes terribles. Les mäles dans ces espèces précèdent les femelles d’une semaine ou deux, afin d’avoir terminé leurs querelles pour le jour où celles-ci arrivent, et pour être en mesure d'offrir un établissement convenable aux belles voyageuses en quête de maris. Ainsi procèdent les Orto- lans et quelques milliers d’autres. Cette précession des mâles dont la cause était demeurée jusqu'ici un mystère pour lascience, n'intriguera plus personne désormais. L'avenir des Rossignols dépendant du triomphe obtenu dans ces concours de musique vocale, on concoit toute l'importance que les pères de famille et les enfants mäles de cette espèce at- tachent à l'étude du chant. Il n’y a peut-être pas un seul dé- partement de France où l'ardeur immodérée qu’apportent à cette étude les jeunes Rossignols, ne fasse chaque année des victimes. Ainsi dans nos collèges, des centaines de malheureux enfants s’abrutissent l'intelligence en des travaux ingrats pour acqué- rir le titre glorieux d'élève de l’École Polytechnique, et paient SÉDIPÉDES. 297 quelquefois de leur santé ou de leur vie cette noble ambition. Il résulte de cette tension perpétuelle de l'esprit des Rossi- gnols vers le progrès et la perfectibilité, que quelques-uns des mieux doués acquièrent des talents supérieurs qui leur assurent le monopole des honneurs et des places. Heureux sont les fils de tels pères, car ceux-ci naturellement jaloux de perpétuer l'illus- tration de leur nom et de faire souche de virtuoses, se font un plaisir et un devoir de pousser leurs héritiers dans la voie du suc- cès, en les initiant à tous les secrets de la méthode et à toutes les rubriques du métier. De là l'illustration séculaire de telles ou telles familles de tel ou tel canton, de la famille des Rossignolis le Romainville, par exemple, ou de celle des Fauvettes à tête noire d'Auteuil. Mais de même qu'il est pour les Rossignols des contrées privilégiées où semble s'être réfugié l’atticisme du beau langage, il est des Béoties par contre où fleurit le patois et dont les malheureux indigènes n'émettent pas une note qui ne devienne aussitôt le texte de mauvais quolibets. Les Fauvettes du bel air sont peut-être plus impitoyables encore pour le purisme de la phrase que les jolies parleuses des salons de Paris. , Bechsteïn, naturaliste allemand qui a fait sur l'histoire des Fauvettes de profondes études , va jusqu'à affirmer que le chant nocturne est un privilége aristocratique, appartenant à cer- taines familles de Rossignols, mais non à toutes, et se trans- mettant par le sang. Le chant d'un Rossignol parfait renferme habituellement vingt-æaatre strophes, sans compter les orne- ments et les fioritures dont l'artiste brode ses finales. On a calculé aussi que la portée de la voix du Rossignol égalait celle de la voix de l’homme et s’entendait de plus d’un kilomètre. Retenons bien que tout ce que je viens de dire, à propos du Rossignol , espèce pivotale du groupe des ténors, s'applique à tous ses membres et peut même s'étendre à l'immense majorité des chanteurs des trois autres séries. Faisons encore cette obser- vation importante : que les grands talents ne s’acquièrent qu’en pleine liberté et qu'aucune serinette quelconque ne saurait sup- pléer pour les oiseaux chanteurs les maîtres que leur à donnés la 228 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. nature. Un Merle, un Rossignol , un Rouge-gorge pris dans les bois, à l’époque de la maturité de leur talent, chantent bien plus souvent en cage qu’en liberté, parce qu'étant débarrassés du soin de chercher leur nourriture, ils ont plus de temps à consacrer à l'art; mais il leur manque toujours pour accen- tuer leur voix, ce mobile tout puissant de lémulation et du génie, l'amour, la passion sainte qui ne se remplace pas. Il y a de l'oiseau chanteur pris de filet, au chanteur de brochette (élevé en cage) une différence de valeur qui ne se calcule pas. J'ai connu, rue de la Victoire, chez un riche portier amateur, un Rossignol de Romainville, pris de filet, dont on offrait cinquante écus; mais je ne sache pas que jamais Rossignol de brochette ait été payé 25 francs. Or , tout ce qui précède a été dit par Pline, il y a dix-sept cents ans et plus, et dans un excellent langage. Le grand naturaliste romain a assisté en personne aux lecons de chaut données par le Rossignol à ses fils; il a admiré l'attention soutenue et le respect avec lequel les jeunes élèves écoutent la parole de leur profes- seur et accueillent ses remontrances. [1 affirme qu'il est impos- sible de rencontrer deux Rossignols de mérite égal, ce qui est vrai. Il trouve enfin une hyperbole sublime pour peindre la fré- nésie de cabaliste qui pousse au combat les rivaux : « Victa morte sœæpè finit vitam, Spiritu prius deficiente quam cantu. » (Plus d’une fois le vaincu finit sa vie par la mort, le suuflle lui manquant avant le chant). Il soupirait encor, qu'il n'était déjà plus. Les oiseliers de l'antiquité savaient aussi bien que nos oise liers modernes que le Rossignol mis au trou perdait incontinent le désir et la faculté de chanter. La mise au trou est un procédé par lequel on arrête une Fauvette ou un Rossignol au milieu de son chant d'amour au printemps, pour le lui faire reprendre plus tard, vers la fin de l'été, au temps où les oiseaux ne chantent plus. Il consiste tout simplement à emprisonner l'oiseau pendant soixante jours dans une armoire sombre. Le captif, tout joyeux de revoir la lumière, entonne incontinent une hymne d’allé- SEDIPÉDES. 229 gresse en l'honneur du soleil. Et voila ses chants retrouvés. On sait par les poésies d'Horace quel grand cas les gourmands de Rome faisaient de la chair du Rossignol, qui se servait rôti sur un lit de confitures (au miel). La brochette de rossignols était en ce temps-là une éprouvette gastrosophique pour les amphi- tryons de première classe, les Esope et les Luculius. La valeur de l'oiseau chanteur atteignait des chiffres encore plus fabuleux que celle de l'oiseau mort. Dans les beaux jours de la grandeur ro- maine, disent les écrivains de cette époque, les Rossignols bien appris se vendaient plus cher que les esclaves. On en donna un blanc à l'impératrice Agrippine qui avait coûté 6,000 sesterces (quinze cents francs de notre monnaie). Ce prix exorbitant ne serait enccre que la moitié, dit-on, de la valeur courante des bons Rossignols au Japon. Les mêmes historiens qui nous ont transmis ces détails rappor- tent que la passion des Rossignols était endémique dans la fa- mille des Césars, et que Drusus et Britannicus, fils de Claude, possédaient plusieurs de ces oiseaux qui savaient plusieurs lan- gues et parlaient indifféremment le latin et le grec. Conrad Gessner a raconté sérieusement aussi l'histoire de deux Rossi- gnols de Ratishonne qui avaient l'habitude de causer en alle- mand la nuit, sur tout ce qu'ils avaient entendu dire autour d'eux durant le jour. J'ai peine à admettre que tout soit vrai dans ces récits. On a cru longtemps encore que les Rossignols s’engourdissaient pendant l'hiver et passaient la rude saison ensevelis dans des troncs d'arbres d’où ils ressuscitaient au printemps; mais on sait aujourd'hui que cette version n’est pas plus exacte que celle qui attribuait aux Sizerins la singu- lière habitude de se métamorphoser en mulots à l'approche du froid pour chercher un asile dans le sein de la terre. Les Rossignols quittent la France de très-bonne heure, dès les premiers jours d'août, et leur passage est presque complétement effectué vers le 5 septembre. Ils ne traversent pas la mer, mais se dirigent vers l'Est et se rendent en Égypte par la Hongrie, la Dalmatie, l'Epire et lesiles de l’Archipel. Ils ne donnent pas à la pipée et sont presque tous partis à l’époque de l'ouverture de la 230 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. tendue , c'est à dire au 1° septembre, ce qui est cause qu'il en échappe beaucoup aux oiseleurs. On a vu par le chiffre des hauts et des bas prix que j'ai donnés ci-dessus, que les oiseaux se vendaient moins cher au marché Saint-Germain du Paris moderne qu'au marché de l’ancienne Rome. La ville de Troyes en Champagne, si célèbre déjà par son commerce d'andouilles et de bonnets de coton, est de toutes les cités de France celle qui se livre avec le plus de succès à l'élève du Rossignol. Le monopole de cette industrie intéressante y est entre les mains des cordonniers, comme à Paris l'élève des Canaris et à Strasbourg l'engraissement des oies. Le Rossignol recherche les voütes des frais ombrages, le voisi- nage des ruisseaux, des prairies et des habitations isolées. Il préfère à toute autre demeure l'allée ombreuse et solitaire du pare, propice aux promenades sentimentales et à la rèverie et d’où il peut être entendu de la compagnie du château; car il a conscience de la supériorité de ses chants et il a besoin qu'on l’é- coute. Il niche à terre au sein des tapis de pervenche, de lierre ou de mousse verte qui couvrent les ados de fossés ou encore au milieu d’une touffe de houx, de hêtre ou de charmille. Son nid est fait presque entièrement de feuilles mortes pressées , agglu- {inées et stratifiées par couches épaisses, sans crin ni laine à l'intérieur. Ce nid n'ayant jamais été bâti que pour être placé dans des tas de feuilles sèches, je m'étonne que Temmynck, et après lui l’auteur de l'Ornithologie du Gard, se soient avisés de le placer sur les arbustes adossés contre un mur ou dans de gros buissons, ete. Quelque chose me dit que ce savant Hollandais, qui connaît mieux que personne les oiseaux empaillés, est moins fort que moi sur les nids, et qu'il a moins souvent afiligé ses parents que moi les miens dans son bas âge, par le piteux spectacle de ses hardes dévastées. La femelle pond dans ce nid de feuillage cinq œufs d'un vert olive foncé, marqués au gros bout d’une tache blanche. Les petits quittent le nid de trop bonne heure comme toutes les Fauvettes. Le Rossignol n’élève qu'une couvée par an. Puisque les savants d'autrefois ont tout dit sur le Rossignol, SÉDIPÉDES. 231 la beauté et la variété de ses chants, la délicatesse de sa chair, ses batailles et sa jalousie , sa curiosité excessive qui le porte à vouloir essayer tous les piéges , etc., puisqu'il n’y a pas à le dé- fendre d’un déni de justice, je ne vois pas la nécéssité de prolonger une notice qui n'apprendrait rien à personne. Le Rossignol est l'emblème de l'Harmonie solitaire et de la poésie élégiaque qui aime à gémir sur les tombes et à conter ses peines aux échos de la nuit. La Prinomère. Une autre espèce de Rossignol, un peu plus grosse et un peu plus roussâtre de ton que la précédente; plus solitaire aussi et plus amie des eaux. La voix de la Philomèle a plus de portée et plus d'éclat encore que celle du Rossignol or- dinaire , et son chant a plus de durée; mais ce chant est loin de valoir l'autre pour la variété, la souplesse et le liant des modu- lations. Il est haché, heurté et dénué de ces prolongements solennels et de ces finales harmoniques qui donnent tant d'ex- pression et de charme au langage du Rossignol vulgaire. La Philomèle a, en outre, le défaut de parler trop haut pour le tète-à-tète de la chambre: et comme elle chante toute Ja nuit quand elle est de bonne humeur, elle indispose faci- lement le voisinage par la sonorité de son verbe. Il y a beau- coup de gens qui ne peuvent pas souffrir le Roisignol et qui se lèvent la nuit pour le faire taire. De ce nombre était sans doute l’agronome Mathieu de Dombasle, qui écrivit de si déplorables dédicaces au Dauphin et de si fâcheuses diatribes contre le Rossignol. Rare en France et d'assez grand prix. Les immenses progrès qu'a faits depuis vingt-cinq ans en Eu- rope l'art d'élever les oiseaux, donnent lieu d'espérer que l’homme se sera rendu maitre avant peu de tous ces grands chan- teurs, et qu'il les fera nicher dans sa demeure. Et comme il lui sera facile de choisir les types reproducteurs, il arrivera qu'au bout d’un certain temps, de plusieurs siècles peut-être, les plus excellentes méthodes de chant auront prévalu parmi l’universalité des espèces chanteuses, et vulgarisé le talent dans des propor- tions indicibles. Les jeunes oiseaux de cette catégorie sont, en 292 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. effet, si désireux de s’instruire et naturellement si pleins de.goût, qu'il suflit de mettre à leur portée un exemple du mieux, pour qu'ils cherchent à l'imiter sur-le-champ. Et le progrès gagnera jusqu'aux tribus primitives des Fauvettes et des Rossignols de Russie, si barbares encore, si incultes et si illettrées. Famille des Fauvettes proprement dites. Onze espèces. Nous entrons ici de nouveau dans un de ces fouillis inextricables de nomenclature et de classification comme la science officielle s'entend seule à les faire. Essayons de nous tirer de cette passe dangereuse, comme nous nous sommes tiré déjà de celle des Loxiens et des Fringilles, où nous avons été assez heureux pour cotoyer de tout près le gàchis sans trop nous y embourber. De même qu’on passe auprès du cadavre de l’homme ivre sans le voir, pour s’épargner une hypocrite jérémiade sur les misères de l'espèce humaine, faisons semblant de passer sur les tristes écarts de la science sans les apercevoir , afin de nous dispenser de nous apitoyer sur iceux. Les Fauvettes proprement dites, qui chantent et qui mangent des baies ainsi que des insectes, fornent tout au plus la troisième ou la quatrième partie de la tribu populeuse à laquelle les sa- vants ont attribué cette dénomination générique, et qui d’après eux contiendrait une quarantaine d'espèces, tribu qu'ils ont divisée en deux sections principales, celle des Riverains (aquatiques) et celle des Sylvains (forestiers). Pour ma part, je ne connais en France que onze fauvettes proprement dites , et encore n'oserais- je pas garantir l’authenticité de ce chiffre, tant les nomenclateurs ont été ingénieux à introduire le trouble et la confusion dans la désignation des espèces. Je ne crois pas m'aventurer en affirmant que sur les quarante étiquettes qu'emploie la nomenclature an- cienne , il en est à peine douze qui puissent servir à faire recon- naître d'une manière certaine l'espèce qu'elles sont chargées de désigner et qui ne s'appliquent pas tout aussi bien à deux ou trois SÉDIPÉDES. 233 autres variétés. C’est ainsi qu’on rencontre dans la classification de Temmynck {réputée la meilleure) des Mélanocéphales et des Tétes noires, c'est à dire des noms qui signifient absolument la même chose et qui par conséquent ne divisent rien; plus une Babillarde , comme si toutes les Fauvettes n'étaient pas babil- lardes ; plus une Fauvette tout court; plus une Grisette, comme si toutes les Fauvettes n'étaient pas plus ou moins grises; plus une Fauvette des jardins, comme s’il n'y avait pas trois ou quatre Fauvettes de jardins. [Il ne m'est pas prouvé que si l’ornithologie officielle eût visé à embrouiller l’écheveau de cette histoire, elle y eùt mieux réussi qu'elle n’a fait en cherchant à le dévider. Mais nous avons promis de jeter un voile sur ses fautes , soyons fidèle à nos engagements. Les onze Fauvettes de ma connaissance s'appellent l'Orphée, la Mélanocéphale ou la Grande Fauvette à tête noire, la Fau- vette à tête noire ordinaire, la Bretonse, qui est probablement la même que la Grisette, la Babillarde, la Fauvette à lunettes, la Passerinette, le Pitchou , l'Epervière , la Sarde. L'histoire de toutes ces espèces est à peu près la même et ne demande pas pour chacune d'elles une notice spéciale développée. Elles habi- tent les bois, les haies et les jardins; elles nichent pour la plu- part dans les buissons, quelques-unes sur les arbres, d’autres au milieu des hautes tiges des genêts, du blé et des luzernes. Leur nid plus gracieux que solide consiste habituellement en une jolie corbeille à claire-voie dont la muraille est faite de brins d'herbes et dont l'intérieur est garni d’un semblant de mateias de crin où apparaissent de ci de là quelques rares flocons de laine. Le caille-lait, dont la tige velue adhère fortement aux corps contre lesquels on l’applique, sert ordinairement d'assises à cet édifice trop léger. Cette négligence dans la tenue du domicile des Fau- vettes s'explique par la raison que leur incubation dure peu, une dizaine de jours au plus, et que les petits sortent du nid avant l'heure. À quoi bon faire des frais pour l’embellissement et le comfort d’une demeure qu'on doit occuper si peu de temps? Aucune de ces espèces n’est sédentaire dans les départements du Nord. Quelques-unes seulement s’arrétent en leurs émigra- 234 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. tions dans quelques localités privilégiées du midi de la France et de la Corse dont la température est la même que celle des iles de l’Archipel et de la côte septentrionale d'Afrique. Toutes pas- sent isolément et de très-bonne heure comme le Rossignol. » chair de quelques-unes vaut celle du Bec-figues. Le Prrcnov. Moule réduit du Traine-buisson , commun dans le Midi, rare dans tout le Nord, le Centre et l'Est, mais assez ré- pandu dans les landes buissonneuses, les genêts et les forêts de la Bretagne. Tout le dessus du corps brun cendré, le poitrail rouge vineux , la queue longue et étagée. Ce petit oiseau marque par- faitement la transition entre les Rubiettes et les Fauvettes pro- prement dites. Il court à terre et fait de fréquentes salutations de la queue comme le Rossignol, s’essaie quelquefois à chanter en volant comme la Babillarde , et demeure volontiers lhiver aux lieux où il est né. Je serais fort embarrassé de dire quelle raison m'a retenu d'enlever le Pitchou à la tribu des Fauvettes pour le classer dans celle des Rubiettes.— Niche dans les genêts. La Basrcrarpe. L'espèce la plus commune et la plus répan- due en France où on la trouve partout dans les bois, dans les plaines, dans les vergers et les jardins. C’est cette petite Fauvette à gorge blanche, à manteau marron clair, à la queue brune avec les remiges extérieures marquées de blanc comme chez l'Alouette, qui se plait comme le Traine-buisson dans les ramures des petits pois des jardins, qui niche dans les seringas, les groseillers , les chèvres-feuilles , qui monte en l'air à quatre ou cinq mètres pour débiter son ariette joyeuse et retombe aussitôt sur la tête feuil- lue des pommiers; qui chante dans les blés, dans les bois, dans les haies, qui adore les baies de sureau , les cerises et les mira- belles. Je propose de faire à cette espèce un joli petit nom poéti- que d’une seule pièce qui voudrait dire fusée chantante et qui la désignerait beaucoup mieux que le sobriquet déplaisant qu'on Jui a infligé. Remarque. Le portrait qui vient d’être tracé est celui de la Babillarde du marché Saint-Germain; mais il est d’une ressem-- blance parfaite avec celui de la Grisette de Temmynck. SEDIPEDES. 235 LA Breronxe. La Fauvette qui se vend à Paris sous le nom de Bretonne est-elle la même que la Grisette des auteurs, ou la Fauvette tout court, ou la Fauvette des jardins de Temmynck ? Je me suis posé cette question-là bien des fois sans pouvoir la résoudre. Je crois pour mon compte néanmoins que la Bretonne est cette charmante musicienne à laquelle Roux ou Vieillot ont donné le nom grec d'OEdonia, c’est-à-dire qui chante, comme si toutes les vraies Fauvettes n'étaient pas des oiseaux chanteurs ; mais j'attends pour affirmer cette identité d’une facon plus posi- tive que l'autorité ait fait dresser juridiquement l’état civil de ces trois ou quatre moules, opération urgente et vivement réclamée par l'incertitude publique. En tout cas, la Bretonne du marché Saint-Germain, comme elle s'appelle ailleurs, est cette petite Fauvette très-commune qui porte un manteau gris verdàtre plus clair que celui de la Fauvette à tête noire et moins nuancé de marron clair que celui de la Babillarde. La Bretonne chante beaucoup mieux que celle-ci et presque aussi bien que celle-là Elle se distingue en outre de toutes ses congénères par deux ca- ractères fort remarquables dont les historiens parlent peu; elle subit deux mues chaque année et préfère la nourriture végétale à l'animale , à ce point qu'elle ne peut se passer de fruit pendant l'hiver, à l'instar des autres Fauvettes, du Rouge-gorge et du Rossignol. Les oiseliers qui la gardent d’une année à l’autre sont donc obligés de la mettre au régime de la pomme de Cal- ville ou du cœur de choux mélangé avec la pâte de chènevis, quand les baies sont passées ; mais ce régime exclusivement vé- gétal a l'inconvénient de nourrir ses penchants à l'obésité, ma- ladie incurable à laquelle la Bretonne est trop sujette et qui la conduit à la mort par l'hébètement , la somnolence et la perte du chant. Les périls et les diflicultés de tout genre dont l’entre- tien de la Bretonne est semé expliquent la rareté des éducations qu'on en fait et le peu de popularité de l'espèce, malgré la beauté de sa voix, que quelques amateurs distingués ne crai- gnent pas de mettre au-dessus de celle de la Fauvette à tète noire. Je demande la permission de n’en pas écrire plus long sur la 236 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Grisette, la Fauvette et la Fauvette des jardins de Temmynck, ne connaissant ces espèces que par oui dire et non personnelle- ment. Je désire seulement qu’on sache bien que si je ne les con- nais pas, la faute n'en est pas à moi, mais aux nomenclateurs patentés qui leur ont si drôlement barbouillé la figure qu'il m'a été tout à fait impossible de reconnaitre leurs traits. La Fauverre À LuneTTEs. Un des plus petits oiseaux de France et des plus charmants gazouilleurs; ainsi nommé d’une sorte de bandeau circulaire qui lui entoure les yeux et semble s’enchàs- ser dans son bec. Espèce très-rare sur le continent et presque exclusive à la Corse, contrée très-propice aux Becs-fins. La Fauvette à lunettes chante en volant comme la Babillarde, mais sa chanson a deux phrases de plus que celle de cette dernière, sa voix est plus solennelle, plus veloutée et plus grave. La PasserinerTe. Autre petite espèce méridionale, délicate et fluette, commune en Corse et dans toute l'Italie, mais rare sur le continent français. Elle habite les grands bois et se tient cachée dans le plus épais du feuillage des ormes et des chênes, d’où elle ne cesse de faire entendre ses joyeux gazouillements. Manteau cendré bleuàtre, devant du corps roux vineux, mous- taches blanches, etc. La Fauvette éPerviÈre et la Fauvette sarpE sont deux espèces fort rares et peu intéressantes, La dernière n’habite guère d'autre pays que la Corse; et comme aucune particularité ne la carac- térise, je passe sur elle brièvement. Elle à le tour des veux nu et coloré d’un rouge vif comme les Perdrix. L'Épervière n’a pas acquis ce nom redoutable de l'habitude qu'elle aurait contractée de manger des petits oiseaux ; au con- traire. Elle le tient de la vague ressemblance qui existe entre les rayures transversales de sa robe et celles qui strient la devanture de la robe de l’Épervier. Originaire du nord du continent. Un cachet de distinction tout particulier dans la voix comme SÉDIPÉDES. 237 dans le costume, semble caractériser et unir les trois espèces de Fauvettes dont l’histoire nous reste à écrire, et qui ont l'air de constituer une petite famille dans la grande. Le costume de ces trois espèces est le même : manteau gris de fer, calotte noire. Leur gosier a une qualité de son enchanteresse. La Fauvette à tête noire tient dans le concert vocal aérien l'emploi de baryton. On sait le charme de cette voix, intermédiaire entre celles de ténor et de basse, pénétrante comme la première, veloutée comme la seconde. De nos trois Fauvettes à tête noire, la plus intéressante et la plus illustre est celle des environs de Paris et d'Auteuil nommément. La FauverTE 4 TÊTE notre. Tout le monde connaît et admire cette espèce, familière des parterres, des rosiers, des lilas; qui adore les habitations de l’homme, et qui vient chanter et faire son nid dans tous les jardins de Paris, où j'en sais chaque prin- temps vingt ou trente, rue du Bac, rue Laflitte, rue du Faubourg- Saint-Denis ou du Faubourg-Saint--Martin, dans le voisinage de l'Opéra comme dans celui de la barrière. Peu de personnes sont d'avis de décerner le premier prix de vocalisation à la Fauvette à tête noire, mais presque tout le monde est d'accord pour luiattri- buer le second, et elle a, comme le Rossignol et le Rouge gorge, ses admirateurs fanatiques. Je sais une multitude de bons bour- geois de la rue Saint-Honoré et de plus loin, qui s'en vont tous les matins à pied de leur demeure à la place de la Bastille pour y entendre une Fauvette à tête noire, virtuose de premier mé- rite, qui donne des séances à cette heure-là chez un marchand de vin. Je sais même des traits de dévouement et de générosité inspirés par la passion de la Fauvette à tête noire qui ne dé- pareraient pas les pages du traité de la Morale en action. Entre autres celui-ci, qui n’a pas deux ans de date et dont le héros fut un brave épicier. Où la générosité va-t-elle se nicher? ne man- quera pas de s’écrier le sceptique sur cette simple annonce. Et moi je lui réponds que la générosité se niche dans tous les cœurs susceptibles de nourrir une passion honorable, laquelle est un parfum ou un feu qui purifie tout, 238 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Cet épicier, qui est à la tête d’un établissement florissant et non encore condamné, des environs du boulevard Poissonnière , avait done, il y a deux ans, une Fauvette à tête noire ; une Fau- vette qu’il avait prise de son propre filet dans le bois de Boulo- gne; une Fauvette qui faisait le désespoir et l'admiration de tous les connaisseurs et n’avait plus de prix. Il jouissait de son bonheur avec cette ivresse que connaissent seuls les proprié- taires des trésors universellement enviés. Tous les matins, dans la belle saison, une foule compacte accourait pour entendre les chants de l'oiseau sans pareil, et le sergent de ville dut même intervenir plus d’une fois pour rétablir, aux abords du théâtre. la circulation compromise par les rassemblements. Le hasard de la flânerie me favorisa un jour d’être témoin de lune de ces émeutes dont le motif était de nature à m'intéresser spéciale- ment. Le lendemain, j'étais de très-bonne heure de retour sur la place où je pus satisfaire mes oreilles et juger par moi-même de la légitimité de l’engouemeut populaire. Jamais je n’avais ouï encore sortir d’un gosier de fauvette des accords aussi ravissants. Mais l'édifice de toutes les félicités humaines est fondé sur le sable. La troisième ou la quatrième fois que je revins pour l'entendre, la Fauvette ne chantait plus, et la solitude s'était faite autour du magasin, au fond duquel un homme seul, un homme à la barbe inculte et à la physionomie bouleversée, se pressait le front de sa main. Un instinct sympathique et qui ne devait pasme tromper me révéla soudain que le silence dela Fauvette était pour beaucoup dans les causes d’une si grande affliction; et marchant droit vers la cage vitrée du comptoir où l’infortuné stationnait, j'osai m'en- quérir auprès de lui de la santé de son élève et lui demander pourquoi ses chants avaient cessé. Le ton de sollicitude sincère dont mes paroles étaient empreintes dut faire impression sur son cœur, Car sa face contractée se détendit subitement, son œil sombre et fatal où le suicide errait s’éclaira d’une lueur de tris- tesse attendrie, et il me répondit d'une voix qui aurait voulu être plus ferme : « Elle ne chanteplus, parce qu’elle ne chantera plus ; parce que. elle ne peut plus chanter... parce que. il y a des gens à qui le bonheur des autres fait mal. » Il appuya sur les der- SEDIPÉDES. 239 niers mots de cette phrase largement syncopée, et en les pro- noncant il dirigea son regard en même temps que sa parole du côté de l'arrière-boutique, vers ses Lares. A l'expression rancu neuse de ce regard et à l'accent de rébellion qui perçait dans cette plainte, je compris que de noirs soupcons domestiques as- siégeaient l'âme du malheureux. J'en savais plus sur l'accident que je n'en désirais savoir; je pris congé de l’épicier trop sen- sible, après m'être associé de cœur aux regrets de sa perte. Quelques jours après, je lui envoyais mes livres sur les bêtes, en témoignage d'estime et de fraternité de sympathies, et 1l ripostait à cette galanterie par l'envoi de plusieurs pots de con- liture. A onze ou douze mois de là environ, je reçus un matin par un commissionnaire un bout de lettre avec la suscription frès- pressée, où je lus : « Elle est retrouvée et l'on ne me l’ôtera plus. Venez tout de suite, je vous en prie. » X.., l'épicier à la Fauvette. » J'étais arrivé au rendez-vous avant le retour du commission- paire. Du plus loin que l'heureux mortel m'apercut, il courut au devant de moi, et s'élançant dans le milord à la volée et sans faire arrêter le cheval : « Cocher, cinquante centimes de pour- boire et en avant vivement, s'écria-t-il, lançant en l'air une adresse du faubourg Saint-Antoine. Et après m'avoir brisé les mains, à force de me les serrer, 1l me raconta comme quoi, passant en recouvrement la veille par une rue impossible, et tou- jours accablé par le souvenir de sa perte, il avait entendu tout à coup résonner une voix, plus douce à son ouïe que celle d'un ange du ciel, la voix de sa Fauvette, crue morte et tant pleurée ; car il n'y avait pas à se méprendre sur son identité, la Terre w'aurait pas pu nourrir deux fauvettes de cet ordre-là.. Et qu'a- ors il s'était dirigé vers le lieu d’où partaient ces sons, qui était une mansarde au quatrième étage , habitée par un cordonnier… où 1l avait retrouvé sa pensionnaire chérie, embellie par un an de plus, laquelle l'avait reconnu et lui avait fait fête. [l l'avait rachetée, elle était à lui, et il se promettait de cette retrouvaille 240 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. un long avenir de joies, et il bénissait presque le sort de lui avoir fait subir une épreuve cruelle pour décupler le prix de sa félicité. Ilme confia encore, mais sous le sceau du secret , que c'était sa moitié qui, dans un accès de jalousie furieuse, avait enjoint à sa femme de ménage de donner la clé des champs à l’oiseau ou de lui tordre le cou, et que celle-ci, pour se conformer aux ordres de sa maitresse, avait pris la pauvre petite bête et l'avait em- portée bien loin pour qu’elle ne revint pas, et en avait fait don à un sien cousin, cordonnier, qu’elle supposait, à ce dernier titre, devoir être ami des moigneaux. La brave femme heureusement avait deviné juste. Du reste, il n’accusait de ses malheurs passés personne que lui-même, attendu, disait-il, que le premier devoir d'un honnête homme qui aime les fauvettes à tête noire et qui désire être heureux en ménage, est de s'informer avant le mariage si sa femme partage ses goûts. Ce n’est pas l’épicier généreux, c’est le cordonnier reconnais- sant qui m'apprit la fin de cette histoire. À sa première entree dans le bouge de l’iudustriel, à la première vue de sa fauvette, le négociant avait été pris comme d’une suffocation subite et d’un éblouissement de joie. Revenu à lui, il avait réussi à faire comprendre à l’habitant de l'humble mansarde les motifs de son irruption dans son apppartement, et il avait fini par offrir au nouveau possesseur de la fauvette, des sommes fabuleuses pour rentrer dans la possession de son bien. Ici il y avait eu un assaut de grandeur d'âme entre les deux amateurs. Le nouveau possesseur prétendait devoir restituer purement et simplement l'oiseau qui n'était pas à lui; l’autre n’entendait pas de cette oreille et parlait d’une indemnité légitime proportionnée à la valeur de l’objet en litige. « Hélas! dit le cordonnier, je suis bien malheureux; je suis en arrière de mon terme de janvier; celui d'avril va échoir dans huit jours, et je n’ai pas le premier sou des cinquante francs qu’il me faudrait pour boucher ces deux trous; mais il ne sera pas dit que j'aurai vendu ma seule joie, ma seule amitié, ma seule consolation dans ma misère, pour con- server un mobilier indigne. Emportez la fauvette, monsieur, puisqu'elle vous appartient; je ne vous demande qu'un délai de SÉDIPÉDES. 241 huit jours pour m'habituer à la séparation, et puis encore de temps en temps, la permission d'aller l'entendre et de lui appor- ter quelques mouches.— Mon noble ami, avait répondu l'épicier, je sais trop les douleurs d’une telle séparation pour les faire souf- frir à mon semblable; vous ne vous séparerez pas de la fauvette ; au contraire. Seulement, elle sera nôtre au lieu d’être menne ou vôtre. Prenez ces cinquante francs que je vous offre à titre de prèt, si vous ne voulez pas les accepter à titre de récompense pour le service que vous m'avez rendu, et gardez l'oiseau chez vous. C’est moi qui vous demande la permission de venir, quand bon me semblera , l'entendre et m’enivrer de ses chants. » Le marché s'était conclu sur ces bases. Inutile d'ajouter que les deux parties contractantes en ont exécuté fidèlement toutes les clauses. Leur bonheur était intéressé à leur fidélité. Comme le spectacle de semblables actions rafraichit l'âme, après celui des condamnations quotidiennes et des crimes de l’épicerie ! Je connais peu d'oiseaux qui méritent au même degré que la Fauvette à tête noire l'estime et les égards de l'homme. Elle ne se borne pas, en effet, à égayer nos parterres du charme de sa . voix pendant toute la durée de la belle saison; elle joint l’utile à l’agréable et nous sert en mode composé ; car c’est l'ennemie la plus infatigable des pucerons qui dévorent nos rosiers comme de toutes les petites chenilles qui déshonorent la verdure de nos plates-bandes. On la dirait préposée à la garde de nos plus jo- lies plantes et nos plus jolis arbustes, à voir l'activité avec laquelle elle inspecte la tige et le dessous et le dessus de chaque feuille pour les débarrasser de la vermine dont elles sont infestées. La Fauvette à tête noire a de plus, comme le Rouge-gorge et le Rossignol, la mémoire et l'affection des lieux et l'attachement pour les personnes. Tout le monde a pu vérifier qu'elle avait du sentiment, comme l’aflirmait la nièce de Descartes. J'en ai connu une qui attacha son nid pendant six années de suite à l'extrémité d’une ronce qui pendait d’un rocher au-dessus d'une table de gazon dans un jardin public. Le mâle semblait prendre 11, 46 242 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. plaisir à mêler ses chansons aux refrains joyeux des buveurs. La femelle était faite au bruit et continuait de couver avec une admirable tranquillité d'esprit au milieu du vacarme. Les petits éclos, le père et la mère ne se gênaient nullement pour leur apporter la pâture en présence d’une foule de témoins. Pourquoi se gêner entre amis? Une fois que je repassais par la localité, après une absence de dix ans, la curiosité me prit d’aller revoir la place où nichait autrefois le couple familier. Le couple fami- lier était mort; mais avant de mourir, il avait dû léguer l'héritage de la ronce à quelques rejetons de la famille, car la place était occupée. La Fauvette à tête noire s’apprivoise comme le Rossignol et le Rouge-gorge, suit la personne qu’elle affectionne parmi les allées du parterre et vient prendre des mouches dans sa main. Îl arriva l’an dernier à une femelle de cette espèce, qui était détenue à Belle-Isle , de tuer son màle dans un accès de mo- nomanie avicide. L'orgueilleuse croyait pouvoir se passer du con- cours d’un mari pour amener à bien une couvée. Elle fit son nid après Ie pied du lit de son maitre, y pondit quatre œufs qu’elle couva, mais sans succès, hélas! et elle fut très-chagrine de cette déception, qui la punit par où elle avait péché. I faut de graves motifs pour porter des femelles à ces actes regrettables. Celle-ci se défit de son male et repoussa ses caresses parce qu'il avait perdu sa queue et qu'il était trop souvent enrhumé. Elle craignait naturellement que ses petits ne vinssent au monde privés de queue ou parlant du nez comme leur père. Nous appelons ces traits-là des actes de barbarie, nous autres civilisés, qui permet- tons à tous les rachitiques, nhthisiques, scrofuleux, lépreux, etce., de prendre femme et de déshonorer lespèce humaine en procréant des races de malheureux voués à la souffrance : mais les oiseaux, qui tiennent à conserver dans toute leur pureté primitive les types de beauté de leur race, sont plus spar- tiates à cet endroit que nous. Et il faut bien que je le déclare, puisque l'occasion s’en présente, et si douloureuse que puisse être la sensation universelle que ma révélation produira... Mais il est inutile que l'Humanité se flatte d'entrer en Harmonie dans SEDIPÉDES. 243 l’état ouelleest. L'entréeen Harmonie exige l'extirpation préalable de toutes les maladies et de tous les vices qui affligent l'Huma- nité et sa Planète. Or, cette extirpation ne peut se faire qu'au moven de l'application du double système d'assainissement in- tégral du globe et de Quarantaines générales, dont l’auteur du Nouveau Monde a donné les détails. Hélas ! que ces idées grandioses, si sensées et si simples, sont encore loin d'avoir germé dans le cerveau des gouvernements les plus sages et les plus avancés ! Et que cette pauvre humanité est aveugle, qui parle de se racheter de sa chute et n’a pas même l'esprit de s'appliquer à elle-même le système d'amélioration qu'elle applique à ses bêtes de somme, à ses bœufs et à ses pour- ceaux ! LA Méraxocépuare. Seconde espèce de fauvette à tète noire, qu'on a oublié de baptiser, puisque le nom de Mélanocéphale qu'on lui a attribué n’est pas autre que celui de la précédente. La Mélanocéphale des auteurs habite exclusivement les contrées du midi de l'Europe, Espagne, Sicile, Sardaigne, Grèce. La Corse , la Provence et le Languedoc sont à peu près ses seules patries en France. Elle se distingue de la Fauvette à tête noire dés jardins par ses orbites nus et colorés de rouge, caractère qui la rapproche de la Fauvette sarde, et qui pouvait servir à lui donner un nom. L'Orrnér. La plus grosse du genre, plus commune en Italie qu'en France, où on ne la rencontre fréquemment que dans les départements du midi et de l’est, presque totalement inconnue dans les provinces du nord, du milieu et de l'ouest. L'Orphée et la Mélanocéphale se rapprochent considérable- ment par la voix et un peu par la taille de la famille des Grives. L’Orphée à presque le volume du Mauvis et sa voix rappelle celle de la Draine en quelques occasions. Ces deuxespèces ha bi- tent aussi de préférence les forêts êt chantent sur les grands ar- bres. Elles aiment à se cacher au fond des fourrés comme les merles dont elles ont les allures et le naturel méfiant. Les per 244 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. sonnes qui ne se tiendraient pas pour satisfaites de ces renseigne- ments, pourront consulter avec avantage le Wanuel d'Ornitho- logie de Temmynck, et le traité de l'Ornithologie du Gard , de M. Crespon de Nimes, quoique ces deux auteurs, qui s'enten- dent très-bien d'habitude, ne soient pas tout à fait d'accord sur les mœurs et coutumes des espèces ci-dessus. Ainsi la Fauvette mélanocéphale de Temmynck «habite exclu- sivement le midi de l'Espagne, la Sardaigne et les Deux-Siciles ; elle niche dans les petits buissons loin des habitations et pond quatre ou cinq œufs d'un blanc jaunätre , marqués presque sur toute la surface de l'œuf par de très-petits points d'un yaunâtre plus foncé, » tandis que celle de M. Crespon de Nîmes, est très comunune dans le département du Gard, niche dans les buissons écartés, et quelquefois aussi dans ceux voisins des habitations rurales et pond des œufs blancs marqués de points norrätres, etc. Le même défaut d'entente cordiale se retrouve dans la des- cription de l’'Orphée. L'Orphée de Temmynck «niche dans les buissons, souvent plusieurs en un même lieu; souvent aussi dans les fentes des masures, dans les trous de murailles et sous les toits des habitations isolées. L'Orphée de M. Crespon de Nimes est, au contraire, un oiseau sauvage « qui habite les bois et les champs d’oliviers situés sur des élévations, et qui «riche sur les arbres épais, le plus ordinairement entre les branches des oliviers, souvent à côté de la pie-grièche à tête rousse. » Décide si tu peux et choisis si tu l’oses. Moi j'adopte la version de l’ornithologiste nimois pour deux raisons : la première, parce que c’est la vraie ; la seconde, parce que le duc de Grammont, appelé un jour à décider d’un coup d'échecs douteux entre le grand roi et l’un de ses courtisans, condamna le roi sans l'entendre. « Cependant, objecta non sans une certaine apparence de raison la Majesté condamnée, il me semble qu'il serait au moins nécessaire de regarder le coup avant de se prononcer. — Mais, Sire, Votre Majesté ne voit donc pas, répliqua le duc, que pour peu que le coup eût été douteux, tout le monde, y compris son adversaire, lui eût donné raison. » Pa- reillement, si l’auteur du traité de l'Orrithologie du Gard, qui SÉDIPEDES. 245 pousse la déférence pour les opinions du naturaliste hollandais jusqu'à les reproduire presque toujours textuellement dans son livre; si, dis-je, M. Crespon de Nimes se brouille avec son sou- verain, c'est que le tort de celui-ci ne peut être douteux. J'ai vu, il y a vingt ans, chez M. de Lamartine à Màcon, un Bulbul d'Orient, tout frais débarqué de Syrie, qui était une grosse Fauvette à tête noire, semblable de tout point à la Fau- vette Orphée. On sait que le Bulbul tient dans la poésie orien- tale le même rang que le Rossignol dans celle de l'Occident, et que ses amours avec la Rose ont inspiré plus d’une suave élégie aux poëtes du pays des contes. Il n’en a coûté que deux lignes à l’auteur du Voyage en Orient pour importer le Bulbul dans la poésie française et l'y acclimater à jamais. Vous vous souvenez... dans cette réponse improvisée à la belle fille de Syrie qui lui demandait des vers : Qui toi, me demander l’encens de poësie, Toi, fille d'Orient, née aux vents du désert, Fleur des jardins d'Alep, que Bulbul eût choisie, Pour languir et chanter sur son calice ouvert. Groupe des Grives ou des Merles, Deux familles ; neuf genres, Je n'ai compris dans ce groupe naturel que les deux familles du Merle et de la Grive, bien qu'il eût été plus régulier d’y faire entrer en même temps le Loriot et le Sansonnet, qui ont droit d'y tenir une place. Toutefois, pour simplifier ainsi la classifi- cation, 1l eût fallu commencer par créer pour le groupe un terme plus savant et plus explicite que celui de Merle ou de Grive, qui ne signifie rien du tout, un terme comme Rubivore, par exem- ple, et qui aurait voulu dire amateur violent de fruits rouges. Or, je n'ai pas osé prendre cette liberté avec les noms consacrés par l'usage, et ma timidité coupable m'a cette fois encore retenu hors du bien. Ce groupe des Merles ou des Grives se divise donc en deux 246 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. familles ; l’une dite des Grives, l’autre des Merles. Cette nomen- clature, où tous les noms de groupes, de genres et d’espèces sont les mêmes, peut avoir un certain avantage sous le rapport de l’économie des termes ; mais je déclare que de toutes les éco- nomies la plus ruineuse est celle qui sacrifie l’ordre et la préci- sion à la crainte de faire une dépense nécessaire de noms pro- pres. Ce groupe, Si mal nommé, est le plus important de la série naturelle de la Basse. La plupart des oiseaux qui le composent sont des chanteurs, des architectes et des tisseurs du plus haut titre. Leur voix est veloutée et grave, leur ramage varié, élé- gant et susceptible de perfectionnement par l'étude. En leur qualité de basses, les Grives et les Merles sont les plus gros de tous les oiseaux chanteurs et adorent la vendange. A/téré comme une basse, dit-on généralement. Toutes les espèces du groupe vivent d'insectes et de mollus- ques pendant le printemps et une partie de l'été, de fruits rouges et de toutes sortes de baies pendant le reste de l’année. Les vers de terre et les escargots sont les principaux éléments de leur nourriture animale. On sait leur passion pour les cerises, les raisins, les alises, les senelles, les baies du sorbier et du gené- vrier. Les Merles de Corse se nourrissent principalement de baies de myrte. Il n’est pas une de ces espèces qui n’ait contribué à l'illustration gastrosophique du groupe, dans une proportion estimable ; presque toutes donnent à la pipée. Tous ces oiseaux sont voyageurs. Quelques Merles cepen- dant, et ceux de Paris dans le nombre, ne quittent pas leur patrie l'hiver, mais l'exception n’infirme pas la règle générale ; les Merles sont comme les Grives des oiseaux de passage. Telle espèce voyage de jour et par escadrons serrés, telle autre iso- lément et de nuit. Aucune ne dépasse dans ses expéditions les plus aventureuses les limites extrêmes de l’Europe méridionale, Andalousie, Sicile, Grèce. Bien entendu que rien de ce qui pré- cède ne s'applique au Loriot ni au Sansonnet. Tous les Merles et toutes les Grives établissent leurs nids sur les arbres, et de préférence dans les massifs d’arbustes SEDIPÉDES. 247 épineux. Quelques-uns de ces nids sont des merveilles d'art. Les Grives qui sautillent pour se mouvoir à terre et qui n'ont pas de mouvement convulsif dans la queue, ressemblent plus aux Fauvettes. Les Merles qui courent très-rapidement sur le sol ét saluent de la queue comme le Rossignol, se rapprochent plus des Rubiettes. Famille des Grives, — Quatre espéces, Le régime alimentaire des Grives est le mème que celui des Merles. Les deux familles hantent volontiers les mêmes lieux , dans la saison d'amour et dans celle de chasse. Elles donnent dans les mêmes piéges, chantent au même pupitre, rôtissent à la méme broche. Elles sont sœurs, en un mot, autant par la destinée que par les habitudes générales de l'esprit et du corps; et c’est avec raison que tous les ornithologistes les ont apparentées dans leurs classifications. Cependant la différence qui se fait remar- quer entre elles, quant à la couleur du manteau et à la disposition des nuances, à toujours paru assez forte pour motiver la divi- sion du groupe en deux sections. Les Romains, qui s’occupaient beaucoup de ces espèces, avaient dès le principe établi la sépa- ration normale. [ls donnaient à la Grive le nom de 7wrdus, que nos méridionaux ont conservé et celui de Merula au Merle. Le costume des Grives est caractérisé par une moucheture particulière , à laquelle les oïseleurs ont donné le nom de Gri- volure, et qui consiste en une émaillure de taches brunes de forme ovoïde qui occupe tout le devant du corps, comme chez les Alouettes et les Bec-figues. La couleur du man- teau, qui est d’une teinte uniforme, est le cendre olivâtre, plus ou moins obscur ; le ventre est blanc, le dessous des ailes jaune. tirant à l’orangé. Chez les Merles , au contraire, la moucheture disparait pour faire place au moiré ou à la pommelure. La robe et le manteau sont souvent monochromes, ou bien quand ces 248 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. deux parties du costume affectent des nuances diverses, l'oppo- sition des couleurs se distribue par larges zônes. La famille des Grives renferme quatre espèces , le Mauvis, la Grive de vigne, la Draine et la Litorne. Deux de ces espèces, la Grive de vigne et la Draine, sont indigènes de France; les deux autres, le Mauvis et la Litorne, n'y aiment pas et ny viennent que pour se refaire pendant la rude saison et lorsque le froid les chasse du nord de l'Europe, leur patrie. Le Mauvis. Rouge-aile de Lorraine. La plus petite et la plus délicate peut-être de toutes les grives. Tout le monde connait cette espèce, qui n'apparait dans les environs de Paris que vers la fin d'octobre et dont l’arrivée coïncide avec celle des bécasses. Le Mauvis a le manteau plus foncé que la Grive, et le dessous des ailes teint d’un jaune-orangé qui Jui a fait donner le nom qu'il porte en Lorraine. Il passe par grands vols et de jour, tan- dis que la Grive dite de vigne passe isolément et de nuit. Il donne avec enthousiasme sur la chouette, sur la vigne et sur l’alisier. On en prend de grandes masses aux environs de la Toussaint avec des collets volants amorcés de fruits rouges. Cette chasse fructueuse et exterminatrice se fait surtout dans nos dé- partements de l'Est et du Nord, dans le pays de Luxembourg, dans les Ardennes, la Meuse, les Vosges, ie Haut-Rhin. Le Mauvis est une des espèces qui ont porté le plus haut la gloire culinaire de leur famille. Je sais de fines bouches qui préfèrent le Mauvis de vendange à la Caille et à la Bécasse, à tous les autres gibiers, en un mot, excepté le Bec-figues; et les gour- mands de l’ancienne Rome ont formulé leur opinion à ce sujet, il y a près de deux mille ans, par la bouche de Martial. /nfer aves turdus, gloria prima. Traduisez : la Grive de vigne est le plus parfait de tous les rôtis de gibier à plumes. Horace avait dit avant Martial : Vel onelius turdo, rien de meilleur que la Grive. Il est vrai que ce nom de turdus désigne plus spéciale- ment la Grive proprement dite que le Mauvis; mais comme celui-ci est encore supérieur à celle-là, et qu'il a.dù être d’ail- leurs compris dans cette dénomination quasi-générique de tur- SEDIPÉDES. 249 dus, ce n’est faire aucun tort à la vérité que d'étendre au Mau- vis le précepte de Martial. Le Mauvis, qui à toujours un retard d'une quinzaine de jours sur la Grive à l’arrivée, la précède quelquefois d’un mois pour le retour. Elle descend du Nord et y remonte avec la Bécasse , et quoiqu’elle ne niche pas en France , elle y chante cependant et dès la fin de février, et sa chanson joveuse est une des pre- mières qui annoncent le printemps. LA Grive. Grive de vigne, tourde du Midi. Emblème du franc buveur, délice de l’ouïe et du goût, de l'enfance et de l’âge mùr. La Grive tient une place immense dans la vie de plaisir de l'ami des forêts, du tendeur à la glu, du tendeur au collet, du pipeur, du chasseur. Ses chants d'amour qui descendent le matin et le soir de la cime de tous les grands arbres, dès les premiers soleils, sont la vraie harmonie printanière des forèts. La Grive chante un mois avant le Rossignol, et n'attend pas comme lui, pour célébrer le réveil de la nature, que la terre ait repris sa parure de fête et que l’aubépine soit en fleur. Elle chante dès que pointe la verdure aux tiges aventureuses du chèvre-feuille et de la Daphnéole odorante. J'ai souvenance aujourd'hui, comme des heures les plus roses et les mieux employées de ma première Jeunesse, de celles que j'ai passées à entendre jaser la Grive dans les grands bois de la Meuse, par ces douces soirées de mars si propices à la croulle, au temps où le deuil est encore aux rameaux dépouillés des hèêtres, mais où déjà la sève d'amour circule ac- tivement dans les veines de tout ce qui a vie, où de larges bouffées d'air tiède saturé des senteurs mielleuses du marsaule s’exhalent par intervalles du sol et trahissent le travail souterrain du printemps. J'ai gardé bien longtemps aussi parmi mes dates heureuses celle de la matinée de septembre où je pris ma pre- mière Grive, bonheur si vaste et si inespéré que je ne pus m’em- pêcher de le considérer tout d'abord comme une marque écla- tante de la faveur du ciel, et plus tard de le mettre en vers, en vers latins s'entend, car je n'ai jamais su rèmer qu’en cette langue. Comme la situation d’une Grive qui fond sur la pipée à 250 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. l’appel de la Chouette n’est pas sans une certaine analogie avec celle de Laocoon, prêtre du dieu des mers, qui s’apprète à percer de sa lance les flancs du cheval de bois, j'avais tiré pour la cir- constance un parti très-avantageux du fameux récit de l’Énéide, à ce point que ma mère, qui ne savait cependant pas le latin, ne pouvait se lasser d'admirer ce tour de force. Une seule crainte troublait la digne femme en ses joies d’orgueil maternel. Elle avait entendu dire que les enfants mouraient pour avoir trop d'esprit. La Grive est done un des fruits les plus doux et les plus pré- cieux du béau pays de France, et je crois qu'il est permis de s'exprimer ainsi depuis qu'un guéridon a défini la bête : végétal organisé puissanciellement. La Grive est la joie du printenips et la joie de l'automne. Elle sert d’élément pivotal à dix chasses au moins, dont deux ou trois charmantes, la pipée et la chasse aux vignes. Les autres constituent pour certaines contrées une in- dustrie fructueuse. Comme elle donne dans tous les piéges, ra- quettes, gluaux, collets, pantières , la Grive se met à toutes les sauces et donne lieu à des rôtis du plus haut titre, ainsi qu’à des salmis et à des pâtés délectables. Cependant nul poëte indigène n'a songé à chanter la Grive; bien que chaque jour j'entende quelqu'un de ces nourrissons des muses se plaindre en vers menteurs que tous les sujets soient usés. Tous ies sujets usés. parce qu'ils ont fait des odes à la Peste età la Guerre, et rimé tant de plates adulations à la Richesse et à la Force, que les riches et les puissants n’en veulent plus. Pauvre Poésie ! pauvre Grive! Pauvre Grive, en effet, car à défaut de poëte elle n’a pas même encore trouvé d'historien. Guéneau de Montbeillard, le pseudo- nyme de Buffon, en fait un oiseau sombre, taciturne et mélan- colique, quoique ami des vendanges. Contradiction bizarre et que J'ai déjà relevée. Comme si l'amour de la vendange avait ja- mais engendré la mélancolie ou tenu la langue captive. Égosil- lez-vous donc à chanter à tue-tête, depuis le matin jusqu’au soir, pendant cinq mois de suite, pour être ainsi jugé par les plus compétents ! J'ignoré, en vérité, de quels instruments d’optique et d'acous- SÉDIPÉDES. 251 tique, longue-vue ou cornet, ces naturalistes-là font usage pour observer leur nature; mais moi qui ai beaucoup entendu de chants de Grives, je les ai toujours trouvés à peu près aussi tristes que les meilleurs refrains de nos chansons à boire : Vive le vin, Vive ce jus divin, Je veux jusqu'à la fin Qu'il égaye ma vie, elc., ete. Je comprends encore jusqu'à un certain point que le penchant à la boisson, qui est trop prononcé chez la Grive, ait tenu éloi- gnés d'elle les poëtes rèveurs au teint pâle, et que l’adage so#/ comme une Grive ait effarouché la pudeur des muses sensitives. Mais raison de plus alors pour tous les gais chansonniers qui chantent sous la treille de venger leur emblème des injustes dé- dains de la poésie éthérée et valétudinaire. Et si le devoir de la réparation de l'injustice incombait à quelqu'une des illustrations de la pléiade anacréontique de l’époque plus spécialement qu'à aucune autre, c'était assurément à celle qui avait fait valoir avec tant de succès et de verve les droits de Jean-Raisin. Mais atten- dez un peu qu'en ce monde à rebours la logique parle au cœur des plus intelligents. Voici qu'au lieu de nous chanter la Grive, amie des gais refrains et du jus de la treille, l'emblème du bon vivant qui boit sec et souvent et s’attarde parfois dans les vi- gnes du seigneur, voilà que le poëte, renoncant aux pipeaux pour emboucher la trompette héroïque , va dépenser son souffle à glo- rifier le Coq. Le Coq, mon ennemi intime, une brute féroce , un matamore ignoble qui trône sur le fumier, comme trône l’instru- ment de compression sur toute société faisandée.. une machine à tuer qui se rue sur les siens au sifflet de son maitre. Pardon, pardon, poëte , mais à tant faire que de travailler à l'illustration des tueurs, j'aimerais mieux encore, si je savais chanter, chanter l’Aigle que le Coq. Oui, l’Aigle aux serres tranchantes qui trône dans la nue et tient en main la foudre et s’enivre de sang dans les champs du carnage ; car l'Aïgle est dans son rôle du moins, quand il tue et dévore, et la boucherie lui profite, tandis qu’à l’autre, pas. Mais si je savais chanter, je chanterais la Grive, 202 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. la Grive et le Rouge-Gorge, mes premières amours, et non le Coq ni l’Aigle. Si j'étais riche, je mettrais, dès demain, l'éloge de la Grive au concours. Le prix consisterait en un pâté de grives monstre, orné de cent bouteilles de Haut-Brion-Larrieux de 1848. Si j é- tais un membre influent d’une société bachique quelconque, j'intriguerais vivement dans son sein pour lui faire adopter la bannière symbolique de la série des gourmets d'harmonie, qui est un magnifique drapeau blanc (couleur d’unitéisme), sur le champ duquel se détache une immense grappe de raisin pourpre en proie à trois grives d'or. Car ils ont repris là haut les fêtes de Bacchus, mais sans l’orgie et les Bacchantes, c’est-à-dire sans les Bacchanales. La fête des vendanges d'harmonie est d'abord celle de la clôture des travaux de l’année. C’est aussi la fête de l’âge mur et de l'amitié dont le vin est l'emblème. Elle est princi- palement consacrée aux repas de corps où l'on toaste plus qu'on ne danse et où la jeunesse s’ennuierait, ce qui fait qu'on ne l’y in- vite pas. C’est, pour tout dire enfin, la fête du Jubilé de l'amitié revenant tous les ans, à l’époque du passage des Grives. J'ai he- soin de faire remarquer que le mot gourmet, dont Je me suis servi tout à l'heure, n’a jamais voulu dire gourmand, mais bien dégusta- teur de liquides. Cette distinction est essentielle. La fonction de sourmet est entourée en harmonie d’une considération égale à son importance, et c’est toujours le Haut Gourmet qui préside ces grands tournois de fourchette où l'honneur culinaire du can- ton est en jeu. Alors, puisque la poésie et l’histoire universelle ont fait défaut à la Grive en même temps, discutons la sentence dont l’a frappée la justice du peuple : soël convme une grive. Le peuple, il faut bien le confesser , à plus approché de la vérité dans sa condamnation brutale que certains maladroits avocats de la Grive, qui l'ont voulu défendre de l’accusation d’ivrognerie pour en faire une simple gourmande, alléguant que manger n'était pas boire... comme si la gourmandise qui figure sur la liste des péchés capitaux était un moindre vice que l'ivrognerie qui n'y figure pas. Mais l'argumentation n'est pas SÉDIPEDES. Le. même spécieuse et tombe devant le fait. Linnæus eut une Grive qui tant aimait à boire qu’elle se grisait une fois tous les jours , dont elle était devenue chauve ; infirmité qui disparut après que le grand naturaliste eut soumis la buveuse pendant une saison au régime de l’eau pure. Voici donc qui est démontré : la Grive aime le vin; mais, attendons un peu, tous les honnêtes gens aussi aiment le vin. Jean-Jacques prouve même très-bien que cette passion-là est l'indice des cœurs francs et droits et des àmes sensibles. Or, d'aimer le vin à en boire jusqu'à perdre la raison et l’usage de ses jambes, la distance est très-grande, et la Grive ne la fran- chit pas. Elle en prend quelquefois plus qu’elle n’en peut por- ter; je ne dis pas le contraire; mais c'est pour se refaire de longs jeünes, et mille fois je l’ai rencontrée pompette, ivre morte jamais. Et l’eussé-je rencontrée en cet état, hélas! que mon âme charitable eût plus penché probablement encore à la plain- dre qu'à la hlämer. Car il faut bien nous persuader que l'ivro- onerie porte presque toujours son excuse avec elle, et que l'homme ne se résout pas volontairement et sans de graves motifs à abdi- quer saraison, qui est son plus belattribut, et à se dégrader. Grat- tez l'ivrogne, vous trouverez l’affligé, et souvent l’affligé de peines de cœur incurables, mortelles, qui ne cherche pas dans l'ivresse le retour d’une illusion perdue, mais l'effacement d’une figure aimée, d’un souvenir fatal. Puisque l'oubli n’est qu'au fond de la bouteille, il faut bien que tous les malheureux descendent le chercher jusque-là ; et le misérable serf de la machine ou de la glèbe qui a besoin d'oublier son présent, et le pauvre père de famille qui a besoin d'oublier l’avenir. Et pour cette masse d’in- fortunés-là l'ivresse est une facon de suicide intellectuel qui sup- prime la pensée et empêche de souffrir. Pour le petit nombre seulement, elle est le mirage de l'idéal ; l'ivresse facilite quel- quefois à l'artiste ses tentatives d'évasions du réel. Nul ne s’enivre en harmonie où les vins fins pourtant sont à discrétion, parce qu'il n'y a ni passé ni avenir à oublier en cette phase de délices. Tout le monde se soüle, au contraire, dans l'Irlande catholique, comme dans la Pologne catholique, 254 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. parce que la Pologne catholique et l'Irlande catholique, enserrées l’une et l’autre aux griffes de l'aigle orthodoxe, ou du léopard anglican, et sans reläche tordues, déchirées, dévorées par ces dominateurs avides, sont les deux États de l'Europe où l’on souf- fre le plus. Consultez à ce sujet toutes les statistiques de l’ivro- gnerie en cette partie du monde, toutes seront unanimes pour vous répondre que l'intensité des ravages de l'épidémie honteuse est proportionnelle aux misères des populations et à la pesanteur du joug qui les écrase Or, les Grives et les Bec-figues qui don- nent à la vigne, sont parmi les oiseaux ce que sont les Irlandais etles Polonais catholiques parmi les peuples d'Europe, c'est-à- dire les races qui ont le plus à se plaindre de la barbarie et de l'avidité de leurs persécuteurs, l'homme et l'oiseau de proie. Il faut considérer encore que si le premier orateur venu d’une société de vertu ou de tempérance quelconque d’un pays où ne croit pas le vin a le droit d'en médire, pareille liberté est inter- dite à l'analogiste passionnel né de parents français, qui sait que la vigne est le plus pur produit des amours du Soleil et de la Terre, et la plus précieuse de toutes les richesses naturelles de sa patrie. La France ne s’appellera la reine des nations que lors- qu'elle les aura amenées toutes à se prosterner devant la supé- riorité de ses vins. Et puis encore, la pauvre Grive paie si cher sa passion pour le fruit de la plante sainte, qu'il y aurait plus que de la bar- barie et de l'ingratitude à la lui reprocher. C'est ce fruit, en effet, qui attire tous les ans sur notre tai toire ces légions innombrables de Grives qui fournissent à nos joies tant d'éléments divers. C’est lui qui communique à la chair de l'oiseau ses qualités exquises ; qui lui monte l'esprit au diapa- son de la bataille, lui ôte sa prudence et le fait se précipiter tête baissée dans tous les piéges. C’est le raisin qui alourdissant ses allures, le livre sans défense aux attaques du Hobereau et de l'Émérillon. Beaucoup de gourmands connaissent la Grive pour en avoir mangé, mais non pour avoir oui ses chants mélodieux; par la raison que la Grive n’a guère d’autres patries en France que les SEDIPÈÉDES. 9: =) grandes furèts de l'Est et qu'elle niche très-rarement dans l'Ouest et dans le Centre, presque jamais dans le Midi. Et en- core le nombre des Grives qui recoivent le jour dans les districts boisés de la Lorraine, de l'Alsace et de la Franche-Comté ne compose-t-il qu'une fraction très-minime du chiffre total de celles qui s’abattent vers le temps des vendanges sur tous les vignobles français. La masse descend en ligne droite des Alpes norwégiennes et lieux circonvoisins, et s'ébranle vers le com-. mencement de l’'équinoxe d'automne. Les premières Grives de saison apparaissent le 10 octobre, jour de la Saint-Denis (Diony- sius, Bacchus) vers la zône de Paris. Le passage dure trois se- maines au plus et se termine généralement le 28. Le gros de l’armée émigrante suit les vallées du Rhin, de la Meuse, de la Saône. Mais de nombreuses divisions s’en détachent pour gagner l'Espagne par les vignobles du Poitou, de la Saintonge et de la Guienne et prendre leurs quartiers d'hiver sur les rives plus ou moins boisées du Tage, de la Guadiana et du Guadalquivir. Le reste se dissémine dans les autres péninsules de l'Europe méridionale et aussi dans les archipels. Quelques faibles partis se hasardent à franchir la mer, mais le chiffre de ces voyageurs aventureux est toujours fort restreint. Après avoir payé un large tribut de chair à toutes les contrées où elles ont fait séjour, les Grives de vigne reprennent le chemin du Nord aux environs de l'équinoxe de mars. Elles voyagent isolément et de nuit comme les Merles. Les trois autres espèces de Grives passent par com- pagnies. Il n’est pas rare de rencontrer l'hiver, dans nos départements de l'Est et du Centre, surtout dans le voisinage des sources et des ruisseaux couverts, des Grives attardées qui y vivent de petits mollusques ou des baies de l’aubépine, du genièvre, du lierre ou du gui. Mème il m'est arrivé dans cette saison-là d’en tirer dans les chaumes, au beau milieu de la plaine, à l'arrêt de mon chien, Les Grives vivent principalement, comme il a été dit, de vers et de mollusques ; elles avalent les petits escargots et cas- sent les gros contre les pierres avec une adresse remarquable. 256 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Elles se mettent au régime des baies dès la venue des merises. Le nid de cette espèce estun des plus merveilleux spécimens de l’art architectural des oiseaux. Il est habituellement placé dans les embranchements des poiriers ou des pommiers sau- vages et des arbres à épines. Ce nid est assez semblable à celui du Merle quant à l'apparence extérieure, étant comme celui-ci revétu d’une large ceinture de mousse verte; mais il en diffère complétement quant au système de la bâtisse intérieure. La conque du nid du Merle est tout simplement bâtie en pisé humide, déposé en couches fort épaisses au dedans de la muraille de mousse, et l'oiseau, pour garantir ses œufs de l'humidité de ce lit, est obligé de le couvrir d’une forte paillasse d'herbes sèches, ce qui en réduit considérahlement ia profondeur et nuit à son élégance. La conque du nid de la Grive, au contraire, a la forme d’un verre à boire d’une profondeur convenable et d'une élégance parfaite dont les parois intérieures sont nettes et polies, cornme si on les avait taillées au ciseau dans un cylindre de buis. Les œufs reposent à nu sur cette surface polie et sans m- terposition de matelas d'aucun genre. La matière de cette paroi intérieure est une simple couche de stuc ou de carton faite de bois mort pétri avec la salive de l'oiseau et plaqué avec économie ct adresse sur une muraille de fumier de vache suffisamment consistante et qui relie solidement les trois parties de la bâtisse. Il n'y a pas de nid qui puisse rivaliser avec celui de la Grive pour la distinction de la forme intérieure et pour l'originalité du travail. Cinq œufs charmants d’un bleu d'azur profond tiqueté de points noirs, occupent dignement leur place au fond de cette coupe antique, qui est assurément une des plus charmantes productions de la céramique oiseli.….. (Il n’y a point d'adjectif dans notre langue pour dire ce qui est des oiseaux, comme l’on dit Aumain pour ce qui est de l'homme). Il est digne de remarque que les modernes qui ont donné une si grande attention au nid de la Pie et celui de tant d'autres oi- seaux, n'aient jamais songé à admirer le nid de la Grive, qui est unique en son espèce, et dont la construction savante avait frappé jadis Aristote, Pline, Aldrovande. Temmynck à oublié SÉDIPÉDES. 257 d’en parler, et l’auteur de l’Ornithologie. du Gard a oublié d'imi- ter le silence de son modèle, ce qui eùt été de sa part plus prudent que d'affirmer que ce nid était « composé de mousse et d'herbes sèches à l'extérieur ef garni à l’intérieur de quelques brins de paille liés ensemble avec de la terre glaise. » Je pro- teste, au nom de la vérité, contre cette assertion et aussi contre celle qui la suit et que je trouve peut-être plus téméraire encore, à savoir que dans cette espèce « le mâle partage la ponte avec la femelle. » Le partage des travaux de l’incubation et de la bâtisse, d'accord ; mais celui de la ponte, jamais ! On sait que l’engraissement de la Grive était l’objet d'une haute et lucrative industrie du temps de la Rome des Césars, et que les grivières étaient alors en si grand nombre aux alentours de la cité reine que le guano provenant de ces établissements avait fini par devenir à son tour l’élément d'un commerce actif. Le procédé que les gourmands de Rome employaient pour en- graisser la Grive était absolument semblable à celui qu'emploient de nos jours les riverains de la Garonne et du Tarn pour engrais- ser l’Ortolan, et même les habitants du Maine et de la Bresse pour engraisser la volaille. Il consistait à tenir ces oiseaux con- finés dans une chambre obscure , loin de tout sujet de distraction et au sein d’une nourriture copieuse. Cette nourriture était aussi la même à peu de chose près que celle qu'on sert à nos Ortolans du Midi, une mixture de farine de millet et de baies de diverses espèces, notamment de baies de myrte qui ont la propriété de communiquer leur parfum aux Grives qui s’en repaissent. On dit que l'industrie des engraisseurs de Grives s'est continuée sans interruption depuis l'époque de Lucullus et de Tibère jus- .qu'à nos jours, dans quelques localités de l’île de Corse et de la Provence. Seulement dans l’ile de Corse on n'aurait rien changé à la méthode ancienne, ce qui ferait du Werle de cette île un gibier supérieur, tandis que les nourrisseurs de Provence au- raient adopté la funeste pratique de substituer dans leur pâte la baie du genièvre à celle du myrte. Or, tous les gens de palais délicat doivent savoir que le gout résineux de la baie de genièvre n’est guère plus agréable que celui de l'huile de ricin si prisée If. 47 258 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE, des Chinois comme élément pivotal de friture. Je comprendrais mieux qu'on instituàt des grivières pour enlever le goût de ge- nièvre ou de térébenthine aux Grives qui en sont naturellement affectées, que pour l’inoculer à celles qui ne l'ont pas. Mais gardons-nous de jeter entre Paris et Marseille une nouvelle pomme de discorde, à propos de cette question venimeuse de la supériorité du goût en matière gastrosophique, et bornons-nous à donner comme nôtre et non comme celle du public éclairé l'opinion que nous venons d'émettre. Un guéridon de province que je consultais une fois sur la ma- ladie de la vigne, me répondit d’abord par cette phrase en douze lignes : Maladie contagieuse. Sol épuisé de la vieille Europe. Transporter dans l'Amérique Nord. Puis , comme j'insistais pour savoir le remède au mal actuel : Griveline, ajouta-t-elle. La griveline est le guano de Grive dont il a été question tout à l'heure. Le guéridon insinuait par là que l'abondance de fu- mier qu’on donne de nos jours à la vigne était la première cause de sa dégénérescence , et qu'il fallait pour la guérir retourner à la pratique des créateurs des plus fins vignobles de France, ces pieux enfants de Saint-Benoist, « de Citeaux, de Saint-Maur, heureux propriétaires » qui laissaient systématiquement aux oi- seaux du ciel, aux Grives, aux Bec-figues, aux Alouettes, le soin de féconder leurs cultures. Quelle merveille de voir, à tant d'années de distance, la sagesse et l'expérience des vénérables Pères confirmées par le dire d’un simple guéridon! La Draine. Nom excellent parce qu’il a été pris du mot de passe de l'oiseau, et presque généralement adopté en France. Haute Grive de Lorraine, Merle mangeur de qui (Merula vis- civora) des savants. Cette espèce un peu plus grosse que la précédente et plus pâle de ton estégalement indigène de France, où elle habite peut-être soixante départements. Elle niche de bonne heure au printemps, et place volontiers son nid dans les maîtresses enfourchures des pommiers des jardins, des vergers et des avenues, ou encore SÉDIPÉDES. 259 dans les chevelures touflues des tétards de saules, d’ormes et de . Chênes qui entourent les champs; elle niche aussi dans les bois. Son nid, qu’elle ne sait pas cacher, est construit avec beaucoup d'art. La coque extérieure est bâtie de cette mousse grisàtre des _arbres qu’emploient les Pinsons et les Chardonnerets pour con- fectionner leurs chefs-d'œuvre. Ce revêtement couvre une mu- raille solide en maçonnerie ou en stuc faite de bois mort et de salive et qui supporte à son tour un fin matelas de menus brins d'herbes sèches ou de menues racines. Le mâle et la femelle tra- vaillent à cette bâtisse avec la même ardeur et la même hahi- leté. La femelle pond cinq œufs à fond gris, tiquetés de points rougeàtres. Elle ne fait qu'une ponte par an. La déplorable habitude qu'a contractée cette espèce de confier son nid à la bonne foi publique et de le montrer à tout venant est pour elle une source féconde de conflits et de tribulations. Elle a surtout fort à souffrir des entreprises des Pies, des Geais et des Corneilles , races maudites et ennemies de la Famille, qui aiment aussi à faire des collections d'œufs d'oiseaux, mais pour les avaler ou les faire humer à leurs jeunes. Je n’ai jamais su un nid de Draine que les Pies du voisinage n’eussent connu avant moi, et le plus soufent ce sont elles qui me l'ont indiqué. Les . méchantes bêtes bloquent l'établissement, et tapies dans le bran- chage ou le feuillage des ormes d’alentour , attendent patiem- ment que les propriétaires s’en absentent pour fondre dessus et faire maison nette. L’enlèvement de tout ce qui s’y trouve, œufs ou jeunes, est l'affaire d’un tour de main. C’est pour se soustraire aux périls de ce blocus permanent dont elle se sait menacée, que la Draine vient se réfugier pour nicher sous le regard de l’homme , plaçant la sécurité de sa famille sous l'égide de la peur que le roi de la terre inspire généralement aux espèces malfaisantes. Triste calcul, confiance généreuse mais funeste ; car de tous les ravageurs de nids l’homme des champs est le pire; le gardien de bètes surtout, berger ou pâtre, dont la principale fonction pendant trois mois de l'an consiste à chercher pour ses maitres des sujets d’omelette ou de fricassée d’innocents. Il est bien rare que la malheureuse Draine qui s’est 260 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE fiée au civilisé une seule fois ne s’en repente pas toute sa vie. Il résulte pourtant de ses déceptions amères, que la noble créature, revenue de sa foi dans l’homme et ne sachant plus à quel saint se vouer , se prend résolüment à ne plus compter que sur elle-même; et on la voit alors déployer un courage admi- rable pour se défendre elle et les siens. C'est-à-dire qu'on voit tous les jours des couples de Draines bien décidées à se battre, non-seulement tenir tête à des coalitions de Pies et de Geais redoutables par le nombre et l'audace, mais les enfoncer, mais les rompre, et faire passer pour quelque temps à ces làches for- bans le goût de la rapine. Le triomphe de l'insurrection est bien autrement éclatant, quand des meneurs habiles ont réussi à ral- lier toutes les Draines d’un canton en une vaste société d’assu- rance mutuelle, et à leur faire signer un traité d'alliance offen- sive et défensive. La première mesure qui suit la conclusion de ce traité est, en effet, l’organisation d’un service de surveillance spéciale, dont les agents ont pour consigne de signaler avec un grand tapage et avec redoublement de crécelles l'apparition de l'ennemi, de si loin qu'il se montre. À ce signal toute la répu- blique est en armes, et fond comme une seule Draine sur le ra- visseur dévoilé, qui, froissé d'un semblable accueil, décampe et ne reparait plus. Je sais de véritables oiseaux de proie, des rapaces à mandibules crochues et à serres prenantes, qui ont été forcés de déguerpir de leurs propres domaines héréditaires par suite des tracasseries et des contrariétés que leur suscitait cette police, et qui avouaient franchement que le métier de fort n’était plus tenable dès que les faibles s'entendaient. Cet épisode intéressant de l’histoire de la Draine, joint à l'exemple de l’affranchissement de la Suisse par Guillaume Tell et à d’autres, prouve que l'oppression a toujours beaucoup de peine à se maintenir là où on n’en veut pas, et que l’insolence des tyrans n’est jamais que l'expression de la bassesse des es- claves. La Draine qui fait preuve d’un si grand courage en certaines rencontres et qui sait si bien mettre en pratique le principe tuté- laire de la solidarité, ancre de salut des faibles, la Draine qui SÉDIPÉDES, 261 est un oiseau plein d'intelligence et de cœur, devait à ce double titre se prononcer fortement contre l’oiseau des ténèbres, em- blème de l’obscurantisme. Elle donne à la pipée, en effet, mais avec une réserve extrème et avec beaucoup moins de résolution que le Mauvis , la Grive et même que son cousin le Merle. Car il est très-remarquable que la Draine, qui se montre si insoucieuse de sa sécurité dans l'affaire du choix d’un domicile d'amour, fait preuve , au contraire , d’une prudence excessive dans toutes les autres circonstances de sa vie. Le chant d'amour de la Draine ressemble beaucoup à celui de la Grive; il est moins mélodieux seulement et vire tant soit peu à la mélancolie. Elle le fait entendre sans interruption depuis la fin de février jusqu'à la fin de juin. La Draine choisit pour tri- bune , comme tous les oiseaux de sa famille, la plus haute cime de l'arbre le plus haut du canton. Elle commence ses ariettes de très-grand matin, souvent même avant l'aube. Il n’est même pas rare qu'elle retrouve son chant d'amour pendant l'hiver, quand la rigueur du temps vient tout à coup à se détendre et lorsqu'une pluie douce va succéder à la gelée. La Draine, quoique toujours en voyage à partir de l'équinoxe d'automne , n'abandonne jamais complétement nos provinces du Nord, même par les hivers les plus durs. Elle y vit pendant la saison rigoureuse de baies de genièvre , et surtout de gui, ce qui lui à fait donner par la science le nom de Grive de gui, ‘qui suffit parfaitement pour la distinguer de ses sœurs. Elle aime aussi le raisin, le lierre et l’escargot, mais sa chair n'approche pas pour la délicatesse de celle de la Grive de vigne. La Draine est le plus grand de tous nos oiseaux chanteurs. Sa {aille est celle de l'Émérillon et de la Tourterelle. Ses notes de basse sont aussi les plus graves et les plus résonnantes de tout le registre musical. Sa voix s'entend le soir de près de deux kilomètres. La Lrrorxe. Tiatia, Tchatcha, Grive d'hiver. Tout le monde connaît la Tiatia, parce que le nom de l'oiseau pris de son cri d'appel, comme celui de Coucou ou de Tourtour , ne peut trom- 262 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. per personne. Cette Grive est du reste aussi facile à distinguer des autres par le costume et les allures que par le son de sa voix. La couleur de son manteau est le gris ardoisé de celui des ra- miers avec la bordure des aïles noires ainsi que la partie supé- rieure de la queue. Elle porte un plastron jaune orangé clair, non marqué de taches brunes ovoïdes comme celles de la Grive, ou triangulaires comme celles de la Draine, mais historié d’é- troites ravures noires verticales. La Litorne est originaire des contrées septentrionales de l'Europe comme le Mauvis et ne descend dans nos plaines qu'aux approches de l'hiver. Elle voyage par bandes très-nombreuses, se répand par les plaines, surtout par les prairies, où elle cherche sa vie parmi les laissées du bétail. Elle fréquente également les pays sauvages et les fri- ches où abonde le genévrier dont elle mange les baies qui communiquent à sa chair coriace une saveur détestable, mais que certains palais peu délicats s’obstinent à trouver délicieuse. Je ne l'ai jamais entendue chanter et je doute qu’elle chante. A cette espèce appartenait la Grive de Linnæus, qui donna le scan- dale de ses débordements et de sa passion effrénée pour le jus de la treille. Famille des Merles. Cinq espèces. Le Merze. Merle à bec jaune, Merle commun. L'oiseau le plus défiant de nos forêts était peut-être le Merle après le Ramier et les oiseaux de proie; c'est un de ceux dont Paris a fait le plus aisément la conquête; preuve que l’homme peut tout ce qu'il veut sur les bêtes. Le Merle est après la Fauvette à tête noire le chanteur le plus harmonieux du printemps pour les jardins de Paris. L’insulaire de Océanie qui retrouve l'arbre de son pays au jardin botanique d'une capitale européenne n'éprouve pas un ravissement plus Joyeux que le gamin de Lorraine qui, débarqué pour la première fois à Paris, à la mi-avril, et rentrant trop tard à son hôtel de SÉDIPÉDES. 263 la rue du Bac ou de la rue de Sèvres, entend résonner de toutes parts le chant d'amour des Merles, qu’il croyait jusqu'alors le pré- cieux privilége de ses forêts natales. Le Merle est l'emblème du sonneur de cloche. C’est le muez- zin des bois qui se charge de chanter matin et soir l'heure du travail et celle du repos aux hôtes des forêts. On lui reproche comme au sonneur de trop aimer le jus de raisin et celui de la cerise (kirschwasser). Le manteau noir que le Merle affectionne dénote l’égoïsme et la dévotion. Le Merle s’enivre seul; les per- sonnes dévotes ont aussi le tort de s'occuper trop exclusivement de leur salut personnel. La couleur de la robe de la femelle qui est le brun indique aussi des tendances à la pruderie et à la bi- goterie. Le bec jaune de l'espèce veut dire encore que les affec- tions de l'oiseau ne sortent guère du cercle de la famille et que ‘son industrie n’a d'autre stimulant que le besoin de fournir à la subsistance d’icelle. Le Merle vit donc solitaire, et c’est son goût pour la solitude qui l’a fait l'habitant des allées silencieuses et sombres de ces jardins aristocratiques de Paris où survit l’esprit de famille. Son véritable quartier dans cette capitale est le faubourg saint-Ger- main; sa demeure de prédilection, le couvent où il sonne les Matines, Complies et l'Angelus. Il est presque inconnu dans les régions industrielles de la vaste cité. Cependant le sonneur public ne borne pas son rôle à rappeler aux fidèles les heures des offices religieux. Il est tenu aussi d’a- vertir les populations de tous les périls qui menacent le pays. C’est pour cela qu’il signale avec tant d'énergie le passage du renard et de l'oiseau de proie dans la forêt et qu’il donne sur la Chouette. Il est juste de remarquer toutefois qu'il hésite long- temps à se ruer sur l'ennemi commun, et qu'on ne le prend guère à la pipée qu'à la suite de quelque orgie copieuse , et lors- que le jus du raisin ou celui de l’alise égare sa raison et l'empêche de se conduire. Et encore faut-il dans ce cas-là pour le pousser à l’action que le Rouge-gorge et la Grive lui donnent l'exemple du courage. Généralement il aime mieux exciter les autres au combat que d'y prendre part pour son compte. C’est une fine 264 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE, bète, soupconneuse et rusée, comme la gent dévote, mais comme elle accessible par un certain côté. Il était naturel que l'oiseau qui pleure tous les jours la splendeur éclipsée des ordres religieux qui firent tant pour la gloire des vignobles français, partageñt les chaudes sympathies des moines de Citeaux, d'Hautvillers et d’ailleurs pour le fruit de la plante dont « la culture enivre comme la liqueur qu'elle produit. » Paroles de M. Mathieu de Dombasle , un ennemi fanatique de la vigne et du Rossignol , mais ami des chenilles. Le Merle est un chanteur de haut mérite qui peut acquérir par l'étude et sous les lecons des grands maitres des talents pro- digieux, mais de qui l'homme semble se complaire à pervertir les facultés brillantes. Le Civilisé, qui dresse le boule-dogue à sauter à la gorge du premier venu et le Merle à siffler des airs de corps de garde, se trahit dans ses œuvres. Il est impossible d'exprimer tout le dégoût qu’éprouve un Merle de noble famille, instruit à haute école, à entendre quelque fils dégénéré de sa race siffler un chant ignoble comme J'ai du bon tabac. Le Merle chante exclusivement pour les siens, et adieu ses mélodies comme celles du Rossignol, quand ses petits sont éclos. Ce n’est pas ainsi que procèdent le Rouge-gorge , le Roi- telet, le Traîne-buisson , l’Alouette, à qui le moindre rayon de soleil, même au milieu de la froide saison, met soudain l’âme en joie. Il est regrettable que toutes les vertus et toutes les fa- cultés du Merle se renferment, comme je lai dit plus haut, dans l'enceinte du cercle familial; car elles sont de haut. titre. Au- dubon, qui a déjà décerné au Merle moqueur des États-Unis le premier prix de chant, est presque d'avis de lui décerner aussi celui du courage maternel. La planche consacrée à l'illustration de cet oiseau dans son ouvrage magnifique représente une fa- mille de Moqueurs attaquée par un énorme serpent à sonnettes, Le reptile odieux qui s’est hissé dans le branchage jusqu’à la hauteur du nid, ouvre une gueule démesurée et capable d'en- gloutir d’un seul coup l'édifice aérien et tous ceux qui l'habitent. Mais le père et la mère soutiennent l'attaque avec une énergie désespérée, et, loin de songer à fuir, se précipitent sur l'agresseur SEDIPÉDES, 265 pour lui crever les veux, pendant que les amis du voisinage ac- courent de tous côtés pour prêter secours aux assiégés. Le Merle de France n’atteint jamais l'embonpoint de la Grive, d’où le proverbe de tendue qui de temps immémorial signala son infériorité : Faute de Grives, faut bien prendre des Merles. Mais en revanche, il y a des pays Comme la Corse où la chair du Merle atteint un si haut degré de finesse que le chasseur de ces pays-là aurait presque le droit de retourner l'adage du tendeur de Lorraine. Mais l'histoire ajoute, circonstance fort étrange, que dans ces mêmes contrées le Merle a complétement changé de caractère , que sa sauvagerie est devenue de ia férocité, que ses mœurs, en un mot, se rapprochent considérablement de celles de l'oiseau de proie ! Cela voudrait-il dire que la droiture et l'innocence ne condui- sent pas à grand'chose dans le monde où nous sommes... et que toutes les chances de succès y sont pour les méchants! Le Merle blanc n'est pas une espèce particulière du genre Merle, mais une simple variété accidentelle, un simple cas d'’al- binosisme du Merle noir; ce qui est cause que je ne l’ai point rangé dans la catégorie des espèces. Le Merle à bec jaune ayant été considéré longtemps comme le type le plus parfait de l'oiseau noir dont il porte le nom en anglais {Black bird), il était rationnel que le Merle blanc semblät le parangon du merveilleux et du phénoménal, digne d'être promis en récompense aux tentateurs de l'impossible. Mais aujourd'hui que chacun sait que le blanc est la couleur de l'Unitéisme, et que, par consé- quent , toute espèce domesticable est susceptible d’en être affec- tée; aujourd'hui, dis-je , le Merle blanc a dû passer de l’état de mythe ou d’anomalie à celui d'anneau de transition indiquant une tendance vers certain ralliement au mème titre que la Poule blanche, le Faisan blanc , le Moineau blanc, la Grive ou l'Hiron- delle blanche, etc. La couleur du ralliement universel se trouve à l’état latent sous toutes les autres nuances, chez les bêtes comme chez les fleurs; elle se trouve chez l’homme lui-même dans ses races diverses et sous ses cheveux rouges ou noirs. L'existence du Merle blanc, loin de contrarier la nature, entrait 266 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. donc de toute éternité dans les nécessités de la logique. Comm tout changement radical de couleur dans les espèces animales et végétales débute par le panachement , le Merle qui veut virer au blanc commence par se panacher les ailes, par porter une queue blanche. Peu à peu la nuance nouveile empiète sur la pri- mitive , et de progrès en progrès la métamorphose s'accomplit , et l'iris passe au rose trouble comme chez les lapins blancs , pour achever de caractériser l’albinosisme. Puis , comme il est natu- rel que les oiseaux qui se ressemblent se rassemblent, il arrive que des unions se contractent entre Merles blancs qui transmet- tent leur uniforme à leur progéniture et se cantonnent dans des résidences spéciales. C’est ainsi que j'ai su et que j'ai déniché des Merles blancs dans une localité qui n’est pas éloignée de Paris de plus de quarante lieues et où ces oiseaux doivent se propager depuis un temps immémorial; puisque j'ai retrouvé dans un vieux titre féodal du pays la mention d’une obligation imposée au seigneur de ladite localité, d’avoir à offrir chaque année à son suzerain du bourg voisin un Merle blanc, à titre d'hommage de respect et de vassalité. Le Mere a pLasrron. Espèce un peu plus forte que la pré- cédente et incomparablement plus rare, exclusive aux districts forestiers des montagnes. Ainsi nommée du superbe plastron blanc qui lui couvre la poitrine, et qui se détache hardiment du fond noir et moiré de sa robe, de manière à produire une par- faite opposition de nuances. Le nom de Merle à collier qu’on donne aussi à cette espèce lui convient moins que l’autre, par la raison que l’ornement qu'il porte sur la poitrine est une plaque d'ordre et non pas un collier, c’est à dire un colifichet faisant le tour du cou. Le Merle à plastron qui, malgré sa rareté, parait habiter toutes les montagnes de hauteur moyenne de l’Europe, depuis les Alpes Scandinaves jusqu'aux chaînes de l’Apennin et des Alpujarras , émigre en même temps que la Grive et s’attarde avec elle dans nos vignes , où tous les chasseurs en ont tué. C’est un gibier d'une délicatesse exquise et dont l’embonpoint le cède à peine à celui de la caille. SÉDIPÉDES. : 267 Cette espèce est de celles qui hivernent en Corse et qui con- tribuent à l'illustration eulinaire du Merle de cette ile, dont le nom s'étend à plusieurs genres voisins. Elle est aussi voisine que possible de l’espèce vulgaire dont elle se rapproche par la parenté universelle des goûts, des habitudes et des mœurs, s’habillant des mêmes couleurs, vivant de la même nourriture et suivant les mêmes méthodes de bâtisse et de chant. Le costume du Merle à plastron est, en effet, tout pareil à celui du Merle à bec jaune, à la réserve du plastron qui est blanc et du bec qui est noir. Son manteau semble fait aussi d’une étoffe plus moirée, plus précieuse et plus riche. Quatre ou cinq cantons montagneux du Puy-de-Dôme, du Cantal, des Cévennes et des Vosges sont à peu près les seules demeures d'amour de cette superbe espèce qui partout ailleurs est peut-être aussi rare que le Merle blanc. Le Merze sorirarme. Merle de roche ; jolie espèce, douée d’un gosier mélodieux et amie de ces vieilles tours féodales dont les ruines sont vêtues de noirs manteaux de lierre. Taille du Mauvis; manteau bleu cendré tendre; tout le devant du corps plaqué d’un beau roux orangé ainsi que l'abdomen et les pennes de la queue. Il fut un temps où tous les vieux édifices de l'Est et du Midi de la France, castels des monts ou églises des cités, nourrissaient une famille au moins de ces hôtes charmants, quirevenaient fidè- lement chaque année à leur gite natal comme les Hirondelles. La voix du Merle solitaire a beaucoup de rapport avec celle de la Fauvette à tête noire. L'oiseau monte pour chanter, suivant l'usage invariable de ceux de sa famille, sur le point le plus cul- minant de la tour ou du rocher qu’il habite. Le Merle solitaire était l'oiseau favori du roi François Ie: il est encore en grande estime chez les musulmans de la Roumélie et de l'Asie Mineure. Un écrivain d'il y a deux siècles affirmait que de son temps le prix des bons Merles de cette espèce variait de 200 à 500 livres sur le marché de Constantinople. Le Merle solitaire est devenu très-rare en France. Je ne répondrais pas qu’on püt trouver un seul échantillon de l'espèce dans un rayon de cinquante lieues tout autour de Paris. | 268 ” ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Le Merce BLEU. Espèce quasi-exclusive aux montagnes ro- cheuses du Sud-Est de la France, commune en Savoie, en Pié- mont, où elle niche comme le Solitaire dans les fissures des hautes roches et quelquefois aussi dans celles des anciens édifi- ces isolés et inhabités. Le mâle adulte de cette espèce est un des plus beaux oiseaux de nos climats. Manteau bleu foncé, robe idem, les ailes et la queue noires, toutes les plumes du dessous du corps frangées d'une élégante bordure noire en forme de croissant. Il y a entre le Merle bleu et le Merle solitaire, indi- gènes de la même zône et amis des mêmes solitudes, la même parenté de mœurs, de talent et d'habitudes, qu'entre le Merle à bec jaune et le Merle à plastron. Le Merle, bleu, très-rare en France et qui porte un manteau de turquoise trop riche pour nos climats, engrène avec distinc- tion dans la série des Merles à manteaux fulgurants que pro- duisent en grand nombre les îles de l'archipel indien. C’est à l'endroit de cette classification où nous sommes, que demandent à se rattacher les groupes des Merles mirifiques de Java et des Paradis de Timor. Le Merce p’Eau. Cincle plongeur; Merle plongeur. Espèce plus remarquable par l’excentricité de ses habitudes que par la beauté de sa robe ou le charme de sa voix. Cet oiseau qui est un véritable Merle par toutes ses allures, par son chant, par sa forme et par son nom grec (Aïklos , Grive), le Cincle, qui a une jolie voix et de joiis doigts de pieds libres et non cousus en- semble, caractères complétement incompatibles en apparence avec la profession d'oiseau d’eau, n’en est pas moins à ses heures un plongeur fort habile et qui cherche sa vie avec succès au fond de l’eau comme un grèbe ou une macreuse. Phénomène qui a fort intrigué jusqu'ici les savants et que je ne me flatte pas d'expli- quer d'une facon satisfaisante; attendu qu'il ne m'a pas été donné de vivre assez de temps dans la société de cette espèce et que je n’aurais pu d’ailleurs consacrer à l'étude de ses mœurs un nombre d'années suflisant,. Les uns affirment que le Cincle se promène au fond de l’eau et SÉDIPÉDES. 269 qu'il y marche avec la même aisance que sur la terre un autre Merle ; que là, il passe l'inspection des cailloux pour se saisir des chevrettes et des larves de demoiselles qui stationnent volontiers dans les interstices d’iceux et leur servent de cales. Les autres prennent à témoin la raison, que l'oiseau n’a d'autre organe de locomotion et de propulsion au fond de l’onde que le jeu de ses ailes et qu’il vole entre deux eaux, à la façon des har- les et des grèbes. Cette dernière version a toutes mes sympa- thies et je ne la crois pas tout à fait inconciliable avec la pre- mière; parce que d’abord il est déjà excessivement difficile de se trouver à portée d'examiner les évolutions d’une bête au fond de l’eau , et qu'ensuite à qui a cette chance il faut des rétines douées d’une sensibilité microscopique pour distinguer clairement à une certaine profondeur le jeu des ailes mi-ouvertes. Cependant Vieillot assure avoir vu le Cincle marcher avec une facilité ex- trême sous le poids d’une colonne liquide de soixante centimètres de hauteur, et il a même observé que pendant ce travail toute la surface de son corps était enveloppée d’une couche ou d’un ré- seau de petites perles, comme un grain de raisin qui se promène dans un verre de Champagne, lesdites perles formées par les bulles d’air qui s’échappent des réservoirs pneumatiques de l’oi- seau et s'accrochent à ses plumes. M. Crespon de Nimes, qui a vu en 1835 un Merle d’eau se réfugier dans les souterrains de la fameuse fontaine romaine de cette cité, où il passa une grande partie de la froide saison, était admirablement posé pour étudier le problème et le résoudre. Maisil se contente de dire qu’il a vu l'oi- seau marcher dans les rigoles des bains d’Auguste, où il n’a pas été témoin du brillant phénomène de la couche des bulles d’air signalé par Vieillot. Or, de telles indications ne suffisent pas pour éclairer les profondeurs d'une semblable question, et j'ai tout lieu de croire qu'elle attend encore sa solution définitive, d’après les tristes paroles que j'ai entendu prononcer à ce sujet à M. Isidore-Geoffroy-Saint-Hilaire, dans une de ses lecons pu- bliques des dernières années. Je dois dire cependant à ma louange, que si la question est encore à l'état de problème, la faute n'en est pas à moi, qui 270 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. tentai vaillamment mais vainement de la trancher pendant deux étés consécutifs. Le premier sujet de mes études fut le Merle d’eau qui habitait en 1839 le petit ruisseau qui coule contre le Clos Vougeot lui-même et y fait mouvoir un moulin. Si celui-là ne m'a pas révélé le secret de ses évolutions sous-ondines, c’est qu'apparemment la disposition des lieux n’était pas favorable à l'observation ; car je vis bien des fois l'oiseau piquer sa tête à la facon des Martins-pêcheurs et gagner le fond à la façon des poules d'eau, mais jamais je n’eus la chance de l'y voir arpenter la grève, debout et dressé sur ses jambes. Le second fut un habitant d'un ruisseau à cascade des Vosges. S'il ne m’apprit pas mieux que le premier les mystères de l’ambulation sous-marine, il m'enseigna au moins un fait assez curieux, à savoir que le Merle d’eau fait quelquefois son nid dans les fissures de la voûte sur- plombée qui est sous la cascade, de sorte qu'il est forcé de per- cer la nappe verticale pour apporter la pâture à ses petits. Cette manière de dérober son nid aux regards du public est à coup sûr des mieux imaginées. Mais à supposer même que l'observation nous eût donné le mot de l'énigme qui nous intrigue , resterait encore à deviner celle- ei qui n’est pas moins intéressante : Pourquoi le Merle d’eau? Car il est certain que le besoin de cette création ne se faisait pas vi- vement sentir dans la série des Merles. C’est ici que le savant ordinaire a beau jeu pour se retrancher derrière l’impénétrabi- lité des voiles de la nature, sa fin de non-recevoir habituelle; mais l’ornithologiste passionnel, qui sait parfaitement que Dieu ne présente jamais à l’homme de rébus indéchiffrable, ne jette pas sa langue aux chiens aussi vite, et il voit dans la création du Merle d’eau une des conséquences les plus logiques du grand principe d'Unité qui régit tous les règnes : Dieu à créé un Merle plongeur pour qu'il y eùt un oiseau d’eau qui chantât et un oiseau chanteur qui plongeàt, et pour prouver par un exemple de plus que tout se tient dans la nature , à tous les degrés de l'échelle, même les êtres qui semblent au premier abord les plus antipodiques. Puis tous les autres Merles aimaient le vin et les liqueurs fortes (raisin, groseille, kirsch); c'était bien SEDIPEDES. 271 le moins qu'il y en eût un dans la famille qui fit profession d’ai- mer l’eau et jeünàt pour les autres. Grive de vin, Merle d'eau, l'oiseau est bien nommé. Le Merle d’eau est le plus petit des Merles et l’un des plus petits oiseaux d’eau. Il est moins gros que le Merle solitaire et semble avoir emprunté au Martin-pècheur quelques-unes de ses allures, rasant droit comme lui la surface de l'onde et poussant un cri en partant. On le rencontre en France dans tous les pays de montagne, Vosges, Côte-d'Or, Jura, Cévennes, Alpes et Pyrénées, où il occupe les moyennes régions arrosées par ces petits courants d’eau vive où la truite se plaît. L'espèce est sédentaire. Manteau brun, gorge et poitrine blanches, ventre roux, bec finement dentelé à l'instar de celui des oiseaux d’eau, iris gris clair, pieds jaunes. Je regrette vivement de ne pas connaître assez à fond l'oi- seau mystérieux que Georges Cuvier appelle le Merle à queue blanche et Temmynck le Traquet rieur pour oser me permettre de lui marquer ici sa place; mais je suis sûr, cependant, que j'aurais bien fait d’oser et que je me repentirai plus tard de ma timidité. En attendant, je termine par le Merle d'eau comme tout le monde, l'histoire de la famille des Merles, famille si imma- niable au dire des savants, qu'il n’y à pas de raisons pour n’en -pas faire une branche du groupe des Fauvettes, tout aussi bien qu'une branche du groupe des Corbeaux. Halte-là, s'il vous plaît, mes maîtres. J'accorde bien qu'il n’y ait pas d'incon- vénient grave à placer la famille des Merles , oiseaux chanteurs, à côté de celle des Fauvettes, et la preuve, c'est que j'ai reconnu moi-même la parenté des deux groupes en les avoisi- nant. Mais je vois, au contraire, un immense danger à loger l'innocente famille aussi près de celle des Corbeaux. C'est que les Geais, les Pies, les Casse-noix, les Corneilles raffolent des œufs du Merle, et que la Pie-grièche le croque lui-même bel et bien. Or, j'admire toujours que les périls et les anomalies 272 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. d’une alliance aussi monstrueuse n’aient pas encore frappé votre esprit ni vos yeux. Car enfin, vous n'avez pas osé encore ap- parenter dans vos classifications de Mammifères le Lapin et le Renard, bien que tous deux aient quatre pattes et logent dans des terriers.. Pourquoi auriez-vous plus le droit, dans le cas des oiseaux que dans celui des quadrupèdes, d’unir ce que par- tout la nature sépare : la victime et le bourreau. Genre Loriot. Espèce unique. Le Loriot n’habite guère la France que pendant quatre mois sur douze. Il nous arrive aux premiers jours de mai pour nous quitter au commencement d'août. Il passe, par conséquent, dans le voisinage des tropiques les deux tiers de l’année et pourrait être considéré en quelque sorte comme un oiseau de la zône équatoriale, qui n’est jamais qu'égaré dans le nord de l’Europe où l’attire la passion des cerises. On a besoin de s’appesantir sur cette circonstance d'habitat de prédilection, pour s’expli- quer la richesse exceptionnelle du costume de cette espèce, qui écrase si impitoyablement les pàles habits de nos tarins et de nos Canaris, lesquels mis en regard du Loriot paraissent bien moins des oiseaux jaunes que des oiseaux atteints de la jaunisse. Ilest certain que le ton de l'uniforme jonquille ou topaze brûlé du Loriot appartient à une gamme de couleur d’un dia- pason plus élevé que celle de nos brumeux climats, et qu'il nous serait complétement impossible de nous procurer chez nos autres espèces , ni bleu, ni violet, ni rouge concordant avec ce jaune-là. Le Loriot est bien plus encore que le Merle bleu un moule d’engrenage ou de transition des races emplumées de la zône torride à celles de la zône tempérée. 11 donne la main dans la classification universelle à cet immense groupe d'oiseaux à manteau d'or, manteau orangé roux, manteau orangé rouge, etc., qui comprend les Troupiales, les Carouges, les Cassiques du nord de l'Amérique, sans compter une foule innombrable d’Orio- SÉDIPÉDES. 273 lus, d'Ictérus, de Sturnus innommés. (Loriots, Traquets, San- sonnets.) Le Loriot est un des plus infatigables arpenteurs des plaines de l'air. Il suit plus fidèlement le soleil dans ses courses qu'au- cune autre espèce voyageuse de nos pays, voire le Martinet et le Coucou. Il se remet en marche du Nord pour le Midi, le len- demain même du solstice ; il semble plus impatient encore du repos que la Caille. Il a comme celle-ci, comme tous les navi- gateurs au long cours, l'aile longue et pointue. Les Loriots pas- sent de jour, par familles isolées. J'ai déjà dit assez de fois pour qu'aucun de mes lecteurs ne l'ignore que la couleur jaune jonquille était celle de l’étendard du familisme. Nous pouvions donc parfaitement, sur la seule en- seigne du Loriot, nous attendre à rencontrer en lui un des types les plus purs et les plus achevés de l’amour maternel. Comme l'amour des enfants se trahit d'abord chez les oiseaux par la ri- chesse et le luxe du berceau qu'ils faconnent pour leurs petits, le nid du Loriot est une merveille d'art qui pourrait bien mériter à ses auteurs le premier prix d'architecture aérienne. Je ne sais pas de nid, en effet, qui l'emporte sur celui du Loriot pour l'élégance de la forme, la richesse des matériaux , la délicatesse du travail et la solidité de la bâtisse. Le nid du Loriot est encore plus mignon peut-être et de moindre dimension relative que celui du Chardonneret. Il est tapissé au dehors comme celui du Pinson d'une couche de ce lichen argenté des arbres fruitiers qui lui donne l'air de faire corps avec la branche qui le supporte. Mais la demeure du Loriot est bien plus habilement dissimulée encore que celle du Pinson. Celle du Pinson est assise sur la branche dont elle augmente le volume, et elle appelle les re- gards. Le nid du Loriot, au contraire, est fixé par des attaches de liane aux deux branches d’une fourche horizontale entre les- quelles il flotte suspendu , et dont l'épaisseur masque une forte partie de la muraille extérieure. On peut se faire une idée parfaite de ce nid par ces jolies petites corbeilles d'osier tapissées de Jaine à l’intérieur et qu'on donne pour nicher aux Serins. Les matériaux employés à sa confection sont avec lelichen, la laine, LI, 18 274 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. la toile d'araignée, la plume, mais le tout choisi de couleur blanchätre , pour que rien de la masse ne se détache en sombre du milieu feuillu qui la couvre et n’attire le mauvais œil du pâtre comme un nid de Merle ou de Roitelet. D’autres fois, à défaut de fourchettes de pommier, le Loriot choisit pour assises de sa de- meure un épais bouquet de feuilles de bouleau, de peuplier, voire de gui. Dans ce cas-là, le nid, solidement attaché par un système d’élégants cordages à quelques brindilles d'en haut, à l'instar de la nacelle d’un aérostat, flotte dans le vide de la verdure ambiante. Quand les attaches sont latérales, la berce- lonnette légère est un hamac mobile où la brise du printemps s'amuse à bercer les petits. Audubon, qui a passé des semaines entières à regarder travail- ler le Loriot de Baltimore, sur un arbre perché et à l’aide d’une longue vue, a constaté que ces oiseaux employaient pour tisser l'étoffe de leurs matelas le même procédé que nos tisserands pour confectionner leur toile : c’est-à-dire qu'ils commencaient par faire une chaine et une trame, et que chacun des deux époux, comprenant les avantages de la division du travail, se chargeait de la conduite de l’une des deux opérations, non de l’autre. Les travaux de couture et d’entrecroisements de fils qu'exigent la construction et la suspension du nid de nos Loriots de France ne permettent pas de douter que la science du tisserand , celle du vannier et du tailleur, ne soient aussi bien dans leurs dons que dans ceux des Loriots d'Amérique. J'aime à penser que si tout le monde était instruit de ces détails, personne n’oserait plus porter sur le nid du Loriot une main sacrilége ; nid qui mérite d'autant plus le respect des humains que cette espèce ne s'élève pas et n’est pas agréable en cage, tandis que, laissée libre, c'est l’ennemie la plus redoutable de la chenille processionnaire, cette vermine immonde qui mange quelquefois en six semaines pour quarante à cinquante millions de chènes et de pommiers français. Le déploiement d'un pareil luxe dans la bâtisse et dans l'ameu- blement de cette demeure annonce que le séjour y sera long. En effet, la durée de l’incubation est la même chez le Loriot que chez la Poule ; les petits ne sortent du nid que très-tard ; SÉDIPÉDES. . @15 et leur éducation n’est pas une sinécure , attendu que les jeunes Loriots sont de force à absorber en un seul repas le tiers de leur poids en nourriture, et que j'en ai connu d'adultes qui avalaient aisément seize cerises de suite. Mais la tendresse infinie des pa- rents pour leur progéniture satisfait largement à toutes les exi- gences de ces natures impérieuses. Peu d'oiseaux se montrent plus jaloux de leur liberté que les Loriots; et cependant on a vu des couveuses de cette espèce, en proie à la fièvre d'amour ma- ternel qui les prend à la fin de leur travail d'incubation , se lais- ser emporter avec leur nid par le ravisseur et mourir d’inanition sur leurs œufs. Les pauvres bêtes avaient fait le sacrifice deleur vie; mais elles ne se croyaient pas le droit d’entrainer dans leur tombe les innocents prêts à éclore , et alors elles se faisaient un devoir de pousser jusqu'au bout le dévouement maternel. Eeur courage pour défendre leurs jeunes contre les attaques des Pies- grièches, des Geais et des Corneilles n’est pas moins admirable. Le fusil fait peu de tort aux Loriots, qui .ont le bon esprit de quitter nos contrées inhospitalières avant l'époque de l'ouverture habituelle de la chasse. Quant au filet, il n’est guère plus préju- diciable à l'espèce qui ne descend presque jamais à terre. Ce n’est qu'au bout de sa troisième mue ou au commencement de sa troisième année que le Loriot se trouve enfin vétu de ce splendide manteau d'or, qui couvre tout son corps, à l'exception des ailes et de la queue qui sont noires. Er ce temps-là son becse colore aussi d'un rouge sombre ; l'iris est rouge, les pieds glau- ques. Le costume de la femelle diffère considérablement de celui du mâle quant à la richesse et à la vivacité des teintes, et les jeunes conservent très-longtemps leur ressemblance avec leur mère. Le chant d'amour du Loriot semble être le début de lai phase musicale des Grives et des Merles. Il est sonore et retentissant , et, malgré sa brièveté et sa monotonie, ce chant tient parfaite- ment sa place dans le concert universel de la forèt au printemps. Iest trop souvent accompagné d'un cri de passe étrange qui tient du ricanement, du miaulement et du bruit de la crécelle, cri que mille musiciens ont entendu comme moi, mais que 216% - ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. jamais aucun d’eux n’a pu même approximativement me définir. Le peuple appelle cet oiseau le compère Loriot, et il est per- suadé que son chant veut dire : Je suis le compère Loriot… qui gobe les cerises. et laisse les noyaux. Plût au ciel que toutes les erreurs du peuple fussent aussi innocentes que celle-là! J'aurais dù, avant d'entreprendre le récit qui précède, pré- venir mes lecteurs que j'avais le malheur extrême de me trouver, sur la question de la parenté du Merle et du Loriot, en dissi- dence complète d'opinion avec l’illustre auteur du Manuel d'Or- nithologie , qui est aujourd’hui, comme je l'ai déjà dit, à la tête de la meilleure classification sérieuse (1) des oiseaux d'Europe. Ce n’est pas le Loriot qui vient après le Merle, comme chez moi, dans la classification de Temmynck. Le plus proche parent du Merle pour le naturaliste hollandais est le Gobe-mouches… le Gobe-mouches, un tout petit oiseau qui adore les mouches et ne peut pas souffrir les fruits rouges, en quoi il se rapproche con- sidérablement des Hirondelles et des Bergeronnettes. Après le Gobe-mouches vient la Pie-grièche... un oiseau carnivore et chasseur qui mange les Gobe-mouches. Après la Pie-grièche vient l'Étourneau, puis enfin le Loriot, qui donne la main aux Ovivores (Geais, Corneilles, etc.). Beaucoup de gens sensés auront une peine infinie à se rendre compte de cette étrange hallucination du sens de la vue chez certains. qui ne leur permet pas de saisir les caractères flagrants de parenté qui sont entre deux espèces comme le Merle et le Lo- riot : même figure, même bec, même taille, même régime, même voix de basse, même passion désordonnée pour les ce- rises.... mais qui, eu revanche, leur en fait voir d’imaginaires entre des espèces parfaitement étrangères l’une à l’autre, comme la Grive, le Gobe-mouches et la Pie-grièche. Mais le fait de l'aberration incroyable n’en est pas moins constant, constant et (1) On appelle sérieuse en langage académique une classification bonne personne qui ne fait de tort à aucune erreur en place, et suit fidèlement l’or- niére de la routine où les classifications précédentes ont versé. Un savant me disait un jour, pour me désobliger, que le seul tort de ma classification était de n'être pas sérieuse. Ça m'a fait beaucoup de peine, SÉDIPÉDES. 277 imprimé, hélas ! Et vainement était-il dans mes vœux charitables ‘de couvrir pudiquement la faiblesse du maitre; la fàcheuse question de dissidence m'a contraint de la dévoiler. Il se peut que ma classification ne soit pas sérieuse, mais en- core l’est-elle assez pour ne pas se permettre des alliances et des plaisanteries de ce genre-là. Enfin, l'illustre ornithologiste étranger a daigné reconnaitre la proche parenté du Loriot et du Sansonnet. Empressons-nous de saisir cette occasion heureuse de nous réconcilier avec lui. Genre Étourneau : Trois espèces. Les Étourneaux , qui sont les cousins germains des Loriots et des Grives, autant du moins qu'on peut s’en rapporter aux registres de l'état civil de la nature, constituent un genre tout nouveau, plus insectivore que baccivore, et quasi-am- bigu entre les deux séries, et qui mérite d'occuper en cette classification la place que je lui ai donnée, c'est-à-dire celle de terme externe ou de terme de ralliement. Les Étourneaux ont, en effet, un caractère à eux et qui les différencie complétement du groupe antécédent ; ils sont les amis des troupeaux. Le nom qui conviendrait à ce genre serait donc celui de Gré- garien ou de Pasteur. Or, la science a déjà reconnu la nécessité de cette caractérisation par l'étiquette, puisqu'elle a désigné sous ce nom de Pastor l’une des trois espèces d’Étourneaux qui habitent la France, le Martin Roselin. Voyez maintenant jus- qu'où s'étend le pouvoir d’une dénomination bien choisie et qui joint au mérite de l'expression le charme de l’euphonie. Voici que ce doux nom de Pastor va nous fournir un moyen très-facile de transiter sans saut brusque de la Baccivorie à l'Insectivorie. Il y à un insectivore qui s'appelle aussi Pastor, et ce Pastor estun Traquet. Donc, c’est le Traquet qui sera le premier terme de la série nouvelle. À Ainsi s’évanouit comme une ombre légère et par le simple 278 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. effet d’une homonymie de rencontre, cette prétendue impossi- bilité radicale de trouver une place convenable pour le genre’ Merle dans une classification ornithologique quelconque! Et combien de diflicultés politiques réputées insurmontables, hélas! et sur lesquelles beaucoup de gens sérieux ont jauni depuis des siècles, sont encore plus faciles à aplanir que celle-là! Et même je puis vous le dire, si vous désirez le sa- voir, pourquoi on ne les résout jamais ces problèmes politiques. C’est que toujours on les donne à résoudre à des hommes sérieux qui ont toujours un intérêt immense à ce qu'ils ne soient pas résolus. Les Étourneaux sont donc des oiseaux amis des moutons, des chèvres et des bœufs, qui suivent ces bêtes au pâturage et vi- vent dans leur société intime, leur montant sur le dos, leur mangeant dans la main. Ils aiment également à marcher dans les sillons de la charrue, à mesure qu’elle retourne les guérets et fait sortir de terre une foule de vermisseaux et de larves, de larves de hanneton notamment. Les Étourneaux sont encore les ennemis redoutables des grillons et des sauterelles, dont ils font des déconfitures immenses et à la suite desquels ils entre- prennent de longs voyages, comme les hiboux et les renards du Nord à la suite des émigrations de mulots. Les Étourneaux pré- fèrent les prairies aux champs cultivés, et surtout les prairies les, plus marécageuses. Les services qu'ils rendent à l'agriculture en qualité de destructeurs de vermines sont immenses. C'est une espèce du genre, le Martin de l'Inde, qui, transportée du con- tient dans les îles de la Réunion et de Maurice, a mis fin aux ravages que les sauterelles exerçaient chaque année:sur les cul- tures de cesiles fertiles. Mais toute médaille a son revers; Je suis forcé de témoigner à la charge de PÉtourneau que son amour immodéré du raisin le pousse quelquefois à se précipiter sur ce fruit même avant qu'il soit mür, et qu'il cause quelquefois au vigneron un préjudice notable et sans compensation aucune , car la chair d'Étourneau est un piètre régal. Les Étourneaux sont comme les Loriots des voyageurs intré- pides que tourmente l'incessant besoin de se déplacer. Ils s’en SEDIPEDES. 279 vont pour n'être pas ou ils sont, plutôt que pour être ailleurs. On les trouve à peu près partout où l’on trouve la Caille et l'Hi- rondelle de cheminée. On peut les suivre dans l’ancien continent depuis le cap Nord jusqu’au cap de Bonne-Espérance, et depuis les plaines de l'Irlande jusqu’à celles du Kamschatka. L'Australie est, dit-on, la seule grande terre qu'ils n'aient pas visitée encore; mais j'ai écrit il y a quelques années qu'ils ne tarderaient pas à envahir cette cinquième partie du monde, et tout me porte à croire que cette invasion est déjà un fait accompli. On sait, en effet, que l'Australie était un vaste parc à moutons de la Grande Bretagne avant d'être métamorphosée en Potose. Or, il m'est impossible d'admettre que les Etourneaux qui sont partout, allant, venant et sonnant à la porte de toutes les nouvelles, n'aient pas eu vent par un hasard quelconque de l'existence des riches troupeaux des antipodes d'Europe, et que pas un d'entre eux n’ait été tenté de prendre passage sur un des nombreux bâtiments de commerce qui sillonnent sans interruption la face du Pacifique austral, depuis qu'une terre d’or a surgi de son sein. Il ne faut pas que j'oublie de dire , pour mieux faire compren- dre ce qui précède , que les Étourneaux qui voyagent sans cesse sont doués comme nos ancètres les Gaulois, qui aimaient aussi les longues promenades, d'un esprit de curiosité insatiable ; et que cet esprit de curiosité les pousse à fraterniser avec toutes les bandes d’émigrants qu'ils rencontrent dans leurs traversées aériennes , bandes de Vanneaux, de Pluviers, de Proyers, de Corneilles, ete. Or il est naturel de supposer que des oiseaux qui n’arrètent jamais et qui sont en relation suivie avec tant de sens venant de tant de pays, soient mieux informés que personne de tout ce qui se passe aux quatre bouts de l'horizon. Les Étourneaux voyagent de jour en colonnes épaisses, pro- fondes et tourbillonnantes. Leurs rangs sont si serrés qu’il arrive quelquefois que tous les grains de plomb du coup de fusil qu’on leur tire portent. Je me rappelle avoir vu passer en l'air, au- dessus de la Mitidja, de ces trombes d’Étourneaux qui obscurcis- saient le soieil et occupaient dans le ciel des zônes d’un kilomètre 280 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. d'étendue sur une profondeur insondahle. Il faisait beau voir ces masses opaques s'ébranler d’un mouvement uniforme, sous la chasse d'un faucon , s'abaisser jusqu’à terre et se redresser dans les airs, avec la souplesse d’un ressort, sans jamais desserrer leurs rangs et, qui mieux est, sans perdre un seul individu. On conçoit les ravages qu'un vol d'Étourneaux de cette impor- tance, tombant sur un clos de Chambertin, de Vougeot, de Haut-Brion est capable d'opérer. Mais les Étourneaux dont je parle, ont rendu jusqu'ici plus de services à l'Algérie qu'ils ne lui ont fait de mal; car ces oiseaux ont été bien longtemps les seuls et les infatigables semeurs dont Dieu s’est servi pour repeupler d’oliviers et de lentisques les cimes et les revers de l’Altas, que l'Arabe se plaisait à dénuder par la dent de ses troupeaux et par les embrasements de ses incendies périodiques. Si les montagnes et les collines de l'Algérie ne sont pas encore aussi pelées, ni aussi chauves que celles de la Provence, c’est l'Étourneau qui en est cause. Gräces lui en soient rendues ! Une coutume invariable chez toutes les espèces de ce genre, et que nous retrouverons plus tard chez les Bergeronnettes et les Hirondelles , est de se rendre chaque soir au milieu des roseaux des étangs, afin d'y prendre gîte pour la nuit. Une longue expérience semble leur avoir démontré la parfaite sécurité de cet asile, qui leur offre d’abord une complète garantie contre les assauts nocturnes de l’homme et des carnivores à quatre pattes, plus l'égide du brouillard contre les oiseaux de nuit. Cette habitude de prudence et beaucoup d’autres pratiques analogues qui sont particulières à toutes les espèces du genre Étourneau, prouvent qu’elles n’ont rien fait pour mériter d’être appelées d’un nom qui dans notre langueest synonyme de celui d'étourdi. Les Étourneaux ne chantent déjà plus, ils gazouillent et gazouillent sans fin, mais ce ramage qui n'a ni queue ni tête n’approche pas pour la suavité de celui de l'Hirondelle. Il est gai, rien de plus. Les Étourneaux commencent à gazouiller de très-bonne heure au printemps. Ils apprennent sans peine à parler, mais leur prononciation est toujours défectueuse; elle SÉDIPÉDES. 281 n'a ni la franchise, ni l'ampleur de celle du corbeau. Ils éprou- vent la même difficulté que les Angiais à faire sonner les 7 et parlent généralement du nez comme le peuple français. L'époque des amours rouvre chaque année pour ces espèces l'ère de la bataille et du duel. Les vainqueurs ont la petitesse de tirer vanité de leur triomphe et de le rappeler trop souvent; mais le bon naturel de la race reprend le dessus après la saison des querelles, et vainqueurs et vaincus redeviennent amis comme devant. | Des trois espèces d'Étourneaux qui habitent la France, une est particulière à la Corse; l'autre n'apparaît que de loin en loin dans nos provinces méridionales, à la suite des déluges de Sau- terelles. La troisième, le Sansonnet vulgaire, habite toutes les parties du territoire national, mais se plaît surtout dans les ré- gions les plus arrosées et les plus fécondes en pâturages. Elle habite indifféremment les forèts et les villes, nichant au bois dans les trous d'arbres, et sous les tuiles dans les cités. Elle aime aussi comme le Martinet et l'Effraie le séjour des vieilles tours de cathédrales. Il en niche tous les ans un couple ou deux dans les marronniers des Tuileries. Le Saxsoxner. Sansonnet, Chansonnet, qui babille sans cesse. Ce nom convient mieux à l'espèce que celui d'étourneau, par les raisons ci-devant déduites. Des personnes qui se disent bien informées prétendent que ce nom lui est venu de la prédi- lection toute spéciale qu'il a pour cette phrase : Sonnez, sonnez, sonnez, que par parenthèse il prononce : Son nez, son nez, son nez, en appuyant sur la nasale. Cette version, qui a pour elle l'exemple des noms, Margot, Colas, Ricard, attribués à la Pie, au Corbeau et au Geai, en raison de la facilité avec laquelle ces trois espèces prononcent ces trois mots, mérite qu'on en tienne compte. Le Sansonnet est l'emblème du commis-voyageur, qui est obli- ge par sa profession de changer souvent de place; qui parle beau- coup pour peu dire; quise lie facilement de conversation et d’a- milié avec ceux de son état qu'il rencontre dans les lieux de 282 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. | passage et sans trop se préoccuper de la diversité de leurs parties respectives; qui apprend facilement à répéter la phrase qu'on lui serine, mais qui n’a pas toujours conscience de la valeur d'icelle. Le Sansonnet parle moins purement que le Corbeau, qui est un emblème de légiste et d’orateur: cette infériorité est toute naturelle et n’a rien d'humiliant. Comme l'oiseau qui sert d'agent actif à la propagande de lo- livier (huile), du lentisque (pistache) et de la merise (kirsch et liqueurs), qui sont de bons produits, a le malheur de contribuer aussi à la propagande du gui, qui est une plante parasite et perfide.…. ainsi, le commis-voyageur à le tort de mélanger dans, son commerce les denrées falsifiées aux marchandises loyales , comme le faux au vrai dans son bavardage — utile à la société. quand il remplit honnêtement sa fonction d'agent intermédiaire entre la production et la consommation — nuisible et funeste au pays et au consommateur, quand il procède par voie de coalition à l’accaparement des récoltes. . On reproche au Sansonnet de chanter un peu haut ses con- quêtes amoureuses et d'aimer à se parer le col de cravates très voyantes dans la saison d'amour. Le commis-voyageur n’est pas toujours exempt de ce double travers, dans sa toilette et ses discours. Le Sansonnet a tout le devant du corps, gorge et poitrail, noyé dans le violet changeant, miroir d'illusion, en signe des erreurs dans lesquelles la secte des économistes s’est toujours plu à entretenir le public relativement aux bienfaits et à la mo- ralité du commerce. Le rôtisseur qui cherche à tirer parti de la chair de l'Étour- neau, tâche ingrate, commence par lui arracher la langue qu'il a double et noirâtre, et que les anciens réputaient vénéneuse. Cela voudrait-il dire que la suppression du mensonge ou, ce qui revient au même, la substitution de la concurrence véridi- que à la concurrence anarchique dans les transactions du com- merce, serait la première mesure à prendre pour réhabiliter et assainir la profession commerciale ? SÉDIPÉDES. 283 L'Erourneau Not. Espèce qui semble particulière à la Corse et à la Sardaigne, où elle est sédentaire. Manteau noir lustré comme celui du Corbeau, avec de légers reflets de pourpre. Mème taille, mêmes habitudes, même gosier que le précédent. Le Marrix Rosezix. Martin rose, Merle rose. Oiseau rose et charmant, originaire. de la Syrie et de l'Asie Mineure, de pas- sage quelquefois en France, dans les prairies de la Camargue, où il aime à se poser comme tous les Étourneaux sur lé dos du bétail. Tous les Martins roses que j'ai vus dans les volières du Jardin des Plantes et ailleurs, se faisaient remarquer au com- mencement de leur captivité par une activité inquiète, un be- soin de mouvement perpétuel et une énergie de gazouillement formidable. Malheureusement tous ces symptômes de force et de santé duraient peu et les pauvres oiseaux succombaient bien vite aux regrets de leur liberté perdue. Le gazouillement du Martin rose trahit sa parenté avec notre Étourneau vulgaire. C'est le mème babil incohérent et interminable, avec un peu plus de sonorité et d'éclat. Cet oiseau est encore un de ceux dont la riche parure atteste l’origine étrangère. Il a tout le des- sus et le dessous du corps teint d'une belle couleur rose de chair, mais si tendre et si fugace, qu’elle ne tient pas même deux jours sur le cadavre de l'oiseau. Il a le chef orné d’une huppe élégante noire à reflets violets. Cette teinte noire s'étend sur la gorge, sur le cou, la queue et les ailes et forme avec le rose clair du reste du plumage, un accord contrasté de nuances du plus charmant eltet. Voilà que nous avons vu défiler les plus brillantes séries de l’ordre des Chanteurs. C'en est fait désormais des grands poëmes et des grandes ecoles lyriques. C’est à peine si nous rencontre- rons encore deux ou trois illustrations musicales sur la liste de noms qu'il nous reste à parcourir, avant d'atteindre à l’ordre des Grimpeurs, où l’on ne chante plus. 284 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. QUATIÈME SÉRIE, INSECTIVORIE, Neuf familles, vingt genres, cinquante-deux espèces. J'ai dit précédemment une méthode fort simple pour classer les Insectivores par groupes. C’est celle qui consiste à donner d’abord un nom régional aux insectes, puis à transporter ce nom revêtu de la terminale vores aux oiseaux qui vivent d’iceux, en ayant soin de commencer par les insectes de la région infé- rieure pour monter jusqu'à ceux de la région des nues et redes- cendre ensuite. Ainsi le premier groupe aurait été celui des mangeurs d'insectes de terre, Vermivores ou tout autre, et il aurait contenu les tribus des Traquets, des Bergeronnettes, etc. Le second eût compris les mangeurs d'insectes des herbes, des roseaux , des tiges, des feuilles, Fauvettes de roseaux, Pouillots, Roitelets, Troglodyte, etc. Le troisième avait son nom tout fait, celui de Muscivores (Gobe-mouches), désignant les oiseaux qui attrapent leur proie au vol, Gobe-mouches, Hirondelles, etc. Maintenant, parmi les insectes qui s'élèvent au plus haut des airs sont les fourmis et les abeilles qui ne peuvent aimer que dans la région des nues. Or qui va relancer ces insectes nubicoles dans leurs hautes solitudes? Le Martinet, le Guëpier. Néces- sité de créer alors un sous-groupe des Apivores ou des Hémip- térivores pour le Martinet et le Guêpier; plus un second sous- groupe sous le nom de Phalénivores pour l'Hirondelle de nuit (Engoulevent), qui mange les Phalènes. De là on redescendait vers les Grimpeurs , qui sont des mangeurs d'insectes d'arbres et de fourmis, par d’autres fourmiliers, dont on dira les noms à leur place. Je n'insiste pas sur les avantages de cette méthode, parce que c’est celle que j'ai suivie en partie, et que, par conséquent, le lecteur pourra apprécier ses mérites. Seulement SÉDIPÉDES. 285 je n'ai pas nommé les groupes que je viens de désigner , par la raison que les noms de région manquent aux insectes et que je n'ai pas osé prendre sur moi de les fabriquer , n'étant nullement pressé d'ajouter les embarras d'une nouvelle nomenclature en- tomologique à ceux d’une nouvelle classification ornithologique. Une autre division par groupes, très-voisine de celle-ci, mais bien moins scientifique, est celle qui désigne les groupes par l'habitat de l’oiseau au lieu de les désigner par l'habitat de l'insecte. Ainsi le groupe des Arvicoles pour les oiseaux des gué- rets, des Saxicoles pour les amis des cailloux, et ainsi de suite. Je n’empèche personne d’user de cette méthode qui a de bons côtés. L'essentiel, en matière de classification, est d'établir les lignes de démarcation cardinales. Ce travail une fois fait , le choix des subdivisions peut être laissé sans péril à l’option de la fan- faisie. Caractères généraux. Tous les Insectivores sont des oiseaux de passage dans nos climats, puisque tous les insectes des zônes tempérées se cachent pendant l'hiver ou périssent par le froid. Cette loi est générale et ne souffre pas d'exception. Les petits Roitelets et le Troglo- dyte, qui passent en France une partie de la froide saison , sont eux-mêmes des oiseaux voyageurs, comme les Mésanges , qui sont des ambigus omnivores, et le Martin-pécheur, qui est un piscivore. L'instinct de sociabilité et de fraternité est fortement déve- loppé parmi les tribus de cette série. La plupart des espèces voyagent en sociétés nombreuses et passent pendant le jour. Quelques-unes sont célèbres par leur talent dans l'art de bâtir. D’autres se sont fait une haute réputation gastrosophique par la délicatesse de leur chair. Beaucoup sont amies de l'homme et aiment à loger près de lui. 286 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Famille des Traquets ou des Motteux. Trois genres, six espèces. Ge sont deux fort mauvais noms de famille que ces noms de Fraquet et de Motteux dont on a baptisé les six espèces qui suivent; car les Traquets.et les Motteux sont considérés par une foule de naturalistes éminents comme les plus proches voisins des Merles, qui adorent les fourrés humides et les retraites som- bres. Or, ces mêmes naturalistes ont grand soin de vous avertir que les Traquets sont de petits oiseaux à pieds noirs qui adorent les pays découverts, les friches, les collines nues et pierreu- ses, etc. J'ai beau recommander à la Science d'éviter ces contra- dictions ridicules, dans l'intérêt de sa propre gloire; elle nem'é- coute pas et continue de faire à sa tête, ce qui m'oblige trop souvent de m'insurger contre elle. J'ai d'abord à faire observer à la Science que ce n’est pas le Merle ami des retraites sombres, mais le Sansonnet ami des troupeaux et des pâturages qui est le plus proche parent du Traquet. J'ajoute maintenant que ce nom de Traquet ne convient qu'à deux espèces, tout au plus, sur les six qu'il rallie illégiti- mement dans la nomenclature officielle. Attendu que ce nom est une onomatopée, c'est-à-dire une sorte de traduction du mot de passe d'une espèce auquel on a trouvé une certaine ressemblance avec le bruit du traquet d’un moulin, et que s'il est permis de l'appliquer au Traquet vulgaire et au Tarier, qui n'ont pas le droit de s’en formaliser , l’usage en doit être interdit à l'égard des quatre autres espèces qui ne fraquettent pas. J'adresse lemême reproche à l'étiquette de Motteux , quipeut parfaitement convenir aux espèces saxicoles qui aiment à se poser sur les mottes et les pierres pointues, mais qui ne va pas aussi bien aux espèces forestières ou buissonneuses qui perchent cons- tamment sur les arbres ou sur les piquets. , Admirez ici avec moi cet étrange penchant qui porte certains naturalistes à toujours contrarier la nature. Voici des espèces à SÉDIPÉDES. 287 rallier , des fractions de famille à réduire au même dénominateur. Ces espèces, ces fractions, n'ont qu’un seul caractère commun qui puisse leur servir de trait d'union légitime : ce caractère est aussi apparent que possible, peut-être plus saillant que le nez au milieu du visage; car c'est un croupion blanc, une queue blanche qui vous sautent d'emblée aux regards. Eh bien ! au lieu d'opérer la fusion sur ce caractère de ralliement unique, au lieu de créer une famille de Leucouriens (queues blanches) quel- conque, et de la subdiviser ensuite en autant de genresiqu'en eût exigé la diversité d’habitudes des espèces, ces naturalistes con- trariants ont trouvé moyen de nous bâtir sur ce terme commun de queue blanche une tribu de Traquets ou de Motteux au choix.….! car, pour eux , Motteux et Traquet sont des expressions synony- mes. Mieux que cela encore : il y avait dans la patrie du Merle blanc et du Merle de roche un Saxicole non classé qui avait à peu près les allures et les goûts de ces deux derniers moules , et qui méritait, par conséquent, d’être classé parmi les Merles, où Cuvier l'avait mis. Or , attendu que le Saxicole en question.était décoré de la queue blanche, ils l'ont revendiqué et inventorié comme Traquet! Il est vrai de dire qu’en donnant à ce Traquet de con- trebande le nom de Traquet rieur, ils ont avoué implicitement ‘que ce nom n’était pas sérieux. Mais l’intrus de malheur n’en figure pas moins parmi les six Traquets de la nomenclature de ‘Temmynck; et moi-même, intimidé par l'aplomb du classificateur ‘hollandais, j'ai lâchement enregistré au chapitre des Insecti- vores ce moule qui m'était inconnu. Et voilà les conséquences fâcheuses où aboutissent fatalement ‘les moindres déviations de principes. On avait cru pouvoir se permettre d'infliger l'épithète de Traquet au Motteux, parce qu'il avait la queue blanche. Tout le monde ayant laissé faire, et le silence général ayant pour ainsi dire sanctionné l'extension “abusive du nouveau terme générique, on a fini par l’attribuer à un Merle. Je crois qu'il n'est que temps de protester contre l'abus, -pour empêcher une foule de Chevaliers à croupion blanc de venir grossir à leur tour la liste des Traquets , trop nombreuse déjà. Je propose de faire ce que les naturalistes patentés n’ont pas 288 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. fait, c'est-à-dire de diviser en deux genres pour le moins et d’après la diversité d'habitat la famille officielle des Saxicoles, dont je voudrais remplacer le nom par celui de mangeurs d’in- sectes du sol. On laisserait au premier genre , composé des es- pèces Buissonnières , le nom acceptable de Traquets, et celui de Motteux à l’autre renfermant les espèces véritablement saxi- coles. On attendrait sagement ensuite, pour se prononcer sur la qualification définitive à attribuer au Traquet rieur, que son histoire fût un peu mieux connue. Genre Traquet : Deux espèces. Les Traquets sont ces petits oiseaux si vifs, si remuants, si communs autour des pätures et sur toutes les lisières des landes, des champs, des prés, qui remuent constamment la queue comme les Rossignols, et qu’on apercoit toujours perchés à la cime des buissons, des.échalas, des piquets, des poteaux, des ronces, des chardons, de tous les postes élevés en un mot, d’où ils s’é- lancent de temps à autre vers le sol pour saisir tne proie , et où ils remontent aussitôt par une courbe élégante. On les voit quelquefois encore se balancer sur leurs ailes avant de se poser, et leurs allures de vol ont beaucoup d’analogie avec celles de la Pie-grièche, qui recherche aussi les observatoires élevés pour inspecter la plaine, qui décrit le même genre de courbe pour passer d’une cime à une autre, et semble adorer également l’exer- cice de la balançoire. Les Traquets paraissent tourmentés comme la Pie-grièche d’une agitation perpétuelle. Ils sont à l’affüt de tout ce qui se passe et témoignent leur inquiétude par un petit cri de Ouistratra légèrement empreint de l’accent d’Auver- one et qui leur a valu le nom qu'ils portent plus une foule d’autres appellations onomatopiques, vitrec, vitrac, ouitrac, bistratra, etc. Ce sont des oiseaux courageux qui donnent sur la Chouette. SEDIPEDES. 284 Les Traquets vivent de mouches, de vermisseaux et de petits scarabées qu'ils ramassent le plus généralement à terre ou qu'ils happent quelquefois au vol. [ls se tiennent de préférence sur les haies avoisinant les champs ensemencés et bordant les pàtu- rages ; la société du bétail leur est chère. Les deux espèces qui composent ce geure étaient d'une familiarité charmante avant l'invention de la poudre. Non-seulement ils suivaient la charrue, ce qu'ils font quelquefois encore, pour s'emparer des vermisseaux que le soc amène à la surface du sol, mais ils venaient prendre leur repas jusque sous la bèche du laboureur. Dans le temps que j'habitais l'Algérie, il y a une douzaine d'années, les Traquets avaient conservé l'habitude de se poser pittoresquement sur la bêche du travailleur, aussitôt que celui-ci avait le dos tourné. Ces habitudes familières ne sont ni dans le caractère des Étour- neaux ni dans celui des Motteux, et servent à les distinguer de ces deux genres. Les Traquets qui engrènent dans la série de l’Insectivorie s'éloignent encore des genres précédents par la conformation de leurs mandibules qui vont se rétrécissant dans le sens de la longueur et s’élargissent par la base. Ces mandibules sont assez dures pour avoir raison de la résistance des cuirasses des petites coléoptères dont cette tribu détruit une quantité notable. Le Traquet et le Tarier nichent à terre, dans les blés, dans les prés et sous les arcades des mottes. Leur nid est fait d'une païllasse d'herbes sèches doublée d’un léger matelas de crin. Ils y pondent des œufs bleus. Le chant de ces deux espèces, qui est à peu près le même, est une simple répétition de deux ou trois notes joyeuses et vive- ment accentuées que le mäle lance quelquefois du haut de l'air à l'instar de la Fauvette babillarde. Les Traquets sont des ja- seurs, non des chanteurs, et leur chair est généralement plus estimée que leur chant. Ils composent, avec les Motteux, cette fameuse tribu des Pieds noirs, si prisée des chasseurs gastro- sophes, qui ne craignent pas de lui faire la guerre au fusil, en témoignage de la haute considération dont ils honorent tous ses membres. | 11. 49 290 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. : Ces deux espèces, que le vulgaire et le chasseur confondent volontiers, sont très-faciles à distinguer l’une de l’autre. Le Traquet est le joli petit oiseau noir qui a la poitrine roux orangé, comme le Rossignol de muraille et le croupion blanc comme le Bouvreuil. Le Tarier est le Traquet déteint, chez lequel le brun remplace le noir, et le roussâtre le roux vif orangé. Le Tarier est aussi plus ami des solitudes et des landes que le Traquet. On n’a jamais pu savoir pourquoi ces malheureux savants avaient surnommé le Traquet Rubicole, mot à mot : qui cultive ou qui habite des rouges. Je ne serais pas moins embarrassé de dire pourquoi ils l'ont appelé en latin Saxicola Rubicola , mot à mot : habitant des cailloux, qui habite des rouges. Mais ce qui m'intrigue plus encore que l’étrangeté de ces dénominatious, c’est l'étrange bonhomie de ces braves nomenclateurs hollan- dais, français et autres, qui commencent par vous inscrire vaillamment au sommaire de leur chapitre un Saxicole Rubicole, et qui partent de là pour vous tracer l’histoire d’un oiseau qui habite exclusivement, d’après leur récit même, les bois ou les buissons. De tous les surnoms donnés au Traquet celui de Pâtre est le seul que j'approuve, le Traquet se plaisant, ainsi que je l'ai dit deux fois déjà, dans la société des troupeaux. Le Traquer rieur. Si le Traquet rieur est un Merle à queue blanche, comme le croyait Cuvier; s’il a le chant éclatant et composé de sons très-doux , et si sa nourriture consiste en insectes et en baies sauvages, comme l’affirme l’auteur de l'Ornithologie du Gard , qui en a trouvé le nid dans un vieil édifice ; s’il a tant de rapports en un mot avec le Merle solitaire, il est évident que le Merle à queue blanche doit être distrait des Insectivores pour être reporté aux Baccivores. Malheureusement le sage a dit : « Dans l'ignorance abstiens-toi. » Or, j'avoue modestement qu'aucun hasard heureux ne m'a jamais mis en rapport avec cette espèce, et que je n’ai trouvé personne encore du pays ni d’ailleurs en état de me renseigner sur le sujet d’une façon sa- tisfaisante, et alors je me tais, SÉDIPÉDES. 294 J'avais cependant grande envie de tenter un coup audacieux qui eût réussi peut-être, et qui était tout simplement de faire une famille d’ambigus avec le Traquet rieur et les deux autres qui ne doivent pas être aussi ennemis des fruits mous qu'on le dit. Genre Motteux. Trois espèces. Les Motteux sont les véritables insectivores saxicoles, c’est-à - dire les insectivores qui préfèrent les craus nues et arides de la Provence aux humides vallées de la Normandie et d’ailleurs. Ils perchent rarement, par la raison que les arbres se plaisent peu dans les séjours qu’ils affectionnent, et ils traversent des étendues de terrain incommensurables en rasant la surface du sol, volant de roche en roche, de sillon en sillon. Leurs patries, je veux dire les contrées où ils nichent, sont les contrées les plus sau- vages, et les collines émaillées de rochers en saillie où la charrue n’a jamais passé, Les grès de Fontainebleau, s'ils étaient dénu- dés de leur magnifique entourage de verdure, seraient certai- nement pour cette race une demeure de prédilection. Les Mot- teux, qui passent le printemps et l'été dans les lieux aérés et secs, se répandent à l'automne dans les guérets nouveaux où ils se prennent volontiers aux collets tendus pour lAlouette. Malheureusement pour cette espèce, la pauvreté de sa contrée natale ne se trahit pas comme chez les Perdrix par la sécheresse de sa chair; et les chasseurs gastrosophes lui font une guerre acharnée. Le chasseur provençal surtout la tient en haute es- time et déclare le Motteux préférable de cent piques à tout autre gibier-plume, ce qui dépend peut-être de ce que la riante Pro- vence est une des étapes principales de la grande route du Motteux, qui s’achemine volontiers vers l'Afrique par la Cham- pagne, la Sologne et certains autres pays de plaines chéris de l’OEdicnème, de la Canepétière et du Ganga Canta. Les Motteux amis des hautes terres se rapprochent des Far- 292 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. ouses et des Alouettes par la hauteur des tarses, ainsi que par la longueur du pouce, et sont, comme les espèces de ces deux tribus, très-agiles à la course. Tous les Motteux nichent sous la pierre , font un nid d'herbes sèches garni à l’intérieur d’un léger sommier de crin , et pondent des œufs bleus. Leur chant est un ramage à bâtons rompus sans liaison ni suite ; ils le débitent souvent en l'air. On les accuse d'imiter le chant des autres oiseaux. Bien que la mue soit simple dans toutes les espèces et n'ait lieu qu'une fois par an. il est cependant peu d'oiseaux dont le costume varie plus que celui des Motteux. Comme chez un grand nombre d'oiseaux d’eau et d'oiseaux de rivage, le mâle, en sa tenue d'amour du printemps, ne se reconnaît plus dans le voya- geur de l'automne. Le costume de noces se dessine par l’op- position des couleurs blanche et noire qui se substituent de toutes parts sur le marteau et sous la robe au brun roussâtre de la petite tenue. Le blanc pur s'empare de la gorge et de l'abdomen , du croupion et d’une grande partie de la queue. Le noir couvre le dessus du corps, la calotte, les ailes, le reste de la queue ; le roussâtre ne persiste plus qu'au poitrail, pour enva- hir de nouveau l'uniforme après la mue d'août. Il y a la même différence quant à la richesse des habits entre le mâle et la femelle que chez les oiseaux nageurs. Le Gran Morreux. Le Traquet motteux des auteurs, le Cul blanc vulgaire des plaines. Commun dans tous les mauvais pays de France. Niche dans les tas de pierres et sous les douves des fossés qui séparent les bois de la plaine. Mi-partie noir et blanc au printemps ; ni blanc ni noir à l’automne. Le Morreux Srarazin. Espèce plus petite que la précédente; très-rare dans le Nord et dans le Centre de la France; plus commune dans les départements du Midi. Costume semblable à SEDIPÉDES. 293 celui du Motteux ordinaire; changement de tenue analogue. Origine de nom inconnue. Le Morreux Roux. Le mème que l'OretzLarp. Ainsi nommé parce que tout son plunage passe au roux vif par l'effet de la mue. Cette teinte vive s’eflace par l'usure du voyage, passe peu à peu au jaune nankin et finit par virer au blanc au mois de mai. Les ailes noirés, ainsi que les rectrices médianes. Ces trois espèces se confondent dans le langage habituel des chasseurs et des tendeurs sous le nom générique de Culs blancs des champs. Famille des Gobe-Mouches. Trois espèces, J'ai signalé déjà à plusieurs reprises cette monomanie étrange et déplorable, qui a poussé tant de nomenclateurs à séparer les Gobe-mouches des petits oiseaux qui vivent exclusivement de mouches, pour les placer entre les Pies-grièches, qui vivent de petits oiseaux, et les Merles, qui adorent les cerises. Signaler les effets de ce travers d'esprit est chose plus facile que de re- monter à ses causes. Ainsi, j'ai demandé à Temmynck, qui eut un jour le courage de reconnaître officiellement la parenté de la Pie-grièche avec la Pie vulgaire, pourquoi il s'était repenti plus tard de cette concession, et quel puissant motif l'avait déterminé depuis à retirer la Pie-grièche du sein de sa vraie famille pour la placer entre l'Étourneau et le Gobe-mouches. Mais Temmynck ne m'a pas répondu, ou s'il m'a répondu, il l’a fait en termes si vagues que je n'ai pas Compris sa raison. Je mets sous les yeux du public les pièces du procès. Sommé de définir le ca- ractère du genre Pie-grièche (Zanius), Temmynck s'exprimait ainsi : « Les cinq espèces de Pies-grièches de nos climats se distin- guent par leur courage et par leur cruauté. Petits oïseaux de rapine, elles ne le cèdent point en courage aux plus grands des- 294 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. tructeurs des airs. Leur proie, qu'elles saisissent et emportent avec le bec, consiste principalement en gros insectes ; mais elles attaquent aussi avec avantage les plus petites espèces d'oiseaux et les détruisent en se servant de leurs doigts comme moyen de préhension. » Assurément que ce portrait, qui est exact, n’est pas celui d’un oiseau doux de mœurs, et qu'il est bien difhicile à la per- sonne qui vient de le lire de n'être pas portée à penser un peu de mal de l'espèce qui doit suivre, car l'esprit de l’homme n’est pas apte à apparenter de prime-saut les bons et les méchants, les loups et les brebis. Écoutons donc attentivement ce que l’au- teur va dire du genre Gobe-mouches pour motiver le ralliement d'icelui au genre Lanius. « Les Gobe-mouches, écrit-il, sont des oiseaux voyageurs qui arrivent tard et partent tôt en automne. Ils se nourrissent une- quement de mouches et d’autres insectes ailés qu'ils attrappent au vol... » La notice s'arrête là en ce qui concerne les caractères de parenté du Gobe-mouches et de la Pie-grièche. Or, maintenant qu’on a pu comparer les deux genres par leurs portraits tracés de la main même du maitre, de l'observateur réputé le plus intelligent de tous, je demande si la parenté dont je me plains repose réellement sur des titres authentiques. Je demande si des juges sérieux, des tribunaux ordinaires, par exemple, reconnaîtraient la parenté de la Pie-grièche et du Gobe- mouches au degré successible. Le Hollandais, du reste, a l'air de n’avoir pas la conscience en repos sur l’article ; car il cherche à se couvrir de l'autorité de Cuvier et d'Illiger pour expliquer la malheureuse idée qui lui est venue de revenir sur la réunion de la Pie-grièche avec son homonyme; comme si les fautes des autres n'étaient pas faites pour nous servir de guide-àâne et de garde-fou au lieu de nous induire à erreur. Mais en atten- dant la sentence du public impartial , passons outre aux débats. Les Gobe-mouches sont pour la conformation du bec, la cou- leur du costume, la taille, les habitudes générales et la délica- SÉDIPÉDES. 295 tesse de la chair, les plus proches voisins du Motteux. Seule- ment ils habitent les bois et non les terres en friches; ils guettent l’insecte ailé qui leur sert de nourriture des basses ou des hautes branches de l'arbre, et non plus de la roche ou de la motte élevée, et ils happent leur proie au vol à la façon des Hirondelles et ne la ramassent pas à terre. Leur bec, déprimé et élargi à sa base comme celui des Traquets, annonce le bec des Hirondelles. Leur chair a un goût exquis qui rappelle celle du Bee-figues, et l’une des espèces du genre a été honorée de cet illustre surnom. De même que le Motteux et l'Hirondelle, entre lesquels l'ordre de la série exige qu’on le place, le Gobe-mouches porte un uriforme remarquable par l'opposition des deux nuances blanche et noire, laquelle opposition se manifeste dans toute sa vivacité vers l’époque des amours et s’apaise à la mue d’au- tomne. Les Gobe-mouches n’ont pas de chant et leur langage ha- bituel est un petit cri plaintif semblable à celui des jeunes pinsons qui demandent la becquée à leur mère. Deux espèces vivent soli- taires dans le fond des forêts. Une autre pénètre dans les jardins des villes et des campagnes et niche parmi les espaliers et les cordons de vignes. Il n’y à pas d'année où-le Cèdre du Liban du Jardin des Plantes n’élève sur ses larges branches horizontales quelques couvées de Gobe-mouches, qui trouvent une hospi- talité semblable sur beaucoup de grands marronniers des Tuile- ries et du Luxembourg. Leur nid est construit avec soin de mousse et d'herbes fines à l'extérieur, et garni de crin au de- dans. Lés Gobe-Mouches passent de très-bonne heure et en même temps que les Fauvettes. Leur passage en Lorraine dure un mois, de la mi-août à la mi-septembre. J'ai dit qu'on en prenait un grand nombre dans les tendues à la raquette. Il est assez remarquable que ces oiseaux donnent rarement à l’abreuvoir et jamais à la pipée. L'espèce qui niche dans les jardins publics s’arrèête volontiers en route, au milieu des promenades des villes et stationne même fréquemment pendant plusieurs journées consécutives sur les toits de certaines maisons, où elie fait curée de ces tas de mouches qui s’amassent en noires colonnes dans 296 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. les angles des murs. L'amour des habitations de l'homme est une passion qui rapproche cette espèce des genres voisins de l'Hirondelle et de la Bergeronnette. La tribu des Gobe-mouches tient à ces deux dernières par d’autres liens de parenté mys- térieux que les nomenclateurs ofliciels se sont bien gardés d’en- trevoir. Elle est chargée comme elles de veiller à la sûreté des richesses de l’homme. On lira aux chapitres de l'Hirondelle et de la Bergeronnette les caractères de cette mission sainte. Le membre de la famille des Gobe-mouches que Dieu en a investi, n'appartient pas à la France; c’est un oiseau célèbre dans les fastes de l'ornithologie amériricaine, et qui s'appelle dans ce pays l'oiseau royal ou l'oiseau roi. Il est connu dans la science sous le nom de Tyran ou Roi des Gobe-mouches. On peut l'ap- peler de ce dernier nom parce qu'il porte une couronne; mais cette couronne lui a été donnée en signe de sa générosité et de sa vaillance, et comme il n’emploie ses brillantes fa- cultés que pour combattre la tyrannie et soutenir les faibles, je proteste contre le premier nom. Ce prétendu tyran, dont Audubon et Franklin ont célébré la gloire, est un petit oiseau qui établit son domicile à portée de la demeure du fermier américain pour avoir l'œil sur tous les périls qui menacent ses volailles; qui monte hardiment dans les airs pour combattre l'oiseau de proie, quel qu'il soit, voire l’Aïgle; aui signale à grands cris sa présence à toutes les espèces menacées, et assaille avec tant d'impétuosité le ravisseur, qu'il le force à la fuite. Mais voyez le malheur : l'oiseau royal, en agissant ainsi, empiète sur les attributions de l'Hirondelle. Or, celle-ci n'entend pas qu'on la remplace dans son oflice de sauvegarde de la basse- cour, et comme elle ne veut partager avec personne l'honneur et les périls de l'office, elle n’a pas de repos qu'elle n’ait chassé loin du canton l’importun concurrent. Et pour cela elle le pour- suit sans relâche, le coudoie, le rudoie, le harcelle, abuse con- tre lui de la supériorité de ses ailes rapides, bref, le tue de fatigue, s’il ne prend le sage parti de se retirer à distance; et trop souvent le triomphateur glorieux du Faucon et de l’Aïgle meurt sous l'attaque de l'Hirondelle, Tant l'ambition de servir SÉDIPÉDES. 297 l’homme peut engendrer d’ardentes jalousies et de nobles dé- vouements. Trois espèces de Gobe-mouches ont la France pour patrie. On pourrait les nommer ainsi : le Gobe-mouches à collier, le Gris, le Noir. Le premier, dit aussi le Gobe-mouches de Lorraine, est un oï- seau charmant dans son costume de noces : manteau noir, tête noire, queue noire, tout le devant et tout le dessous du corps d’un blanc pur avec un joli collier noir sur le devant du cou, miroir blanc sur les ailes. Cette riche toilette, qui ne se déve- loppe dans toute sa splendeur qu'au troisième printemps, dispa- raît complétement avec la mue d’été. L'oiseau rassis n’a plus rien de l'oiseau pris d'amour; mais s’il a perdu toute valeur en ce temps-là aux veux de l’ornithologiste, il en a acquis une im- mense auprès du gastrosophe qui le lui fait bien voir. Le Gobe-mouches noir, Gobe-mouches Bec-figues, beaucoup plus connu que le précédent, est celui qui figure avec le Rouge- queue et le Rouge-gorge sur tous les marchés de Lorraine en septembre, et qu'on appelle en ce pays-là le Petit-gris. Son cos- tume d'amour est comme celui de l’autre, noir et blanc; mais il ne porte pas de collier, et sa tenue de voyage est plus grise et plus modeste encore que celle du précédent. Le troisième est l'espèce grise qui niche aux Tuileries et au Jardin des Plantes, et stationne sur les toits. Famille des Hirondelles, Trois genres, huit espéces. — Hirondelle, Qui es si belle, Dis-moi, l’hiver où vas-tu ? — À Athènes, Chez Antoine, Pourquoi t'en informes- tu ? Le peuple a eu raison d'appeler les Hirondelles les oiseaux du bon Dieu, car il n’est pas une espèce animale sur laquelle Dieu ait versé avec une partialité plus visible ses grâces et 298 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. ses dons; et même, parmi les hommes, beaucoup seraient en droit d’envier à l'Hirondelle quelques-unes des facultés de son esprit et des vertus de son cœur. C’est mieux que la Tourterelle et le Moineau franc pour la tendresse, mieux que Philémon et Baucis pour la fidélité, mieux que la perdrix pour le dévouement maternel, mieux que la Bergeronnette pour la charité soctale , mieux que le Faucon pour la puissance du vol, là finesse de la vue et la légèreté. L'Hirondelle est essentiellement amie de l'homme. Dieu nous l'envoie dès les premiers soleils pour nous débarrasser des in- sectes ailés que leurs chaleurs font éclore. Il l’a instruite dans l’art de bâtir comme nous , pour qu’elle püt attacher son nid aux angles de nos fenêtres. Il lui a donné, pour égayer autour de nous les airs, le vol le plus gracieux, les plus frais gazouille- ments. Elle a reçu pour patrie toute la terre habitable, et nul autre oiseau ne mesure autant de latitudes en sa double excursion annuelle. Elle ignore le froid des climats, comme celui du cœur ; sa vie n’est qu’une longue fête et son chant qu'un hymne éter- nel, au printemps, à la liberté. Je fais remarquer que ce mot si doux : gazouiller , a été fa- briqué tout exprès pour l’Hirondelle, et que ce gazouillement est un thème favori sur lequel aiment à broder la plupart des oiseaux compositeurs, le Canari, le Chardonneret, le Rouge- gorge, la Pie-grièche rose, etc. L'union des Hirondelles dure autant qu’elles-mêmes, autant que leur affection pour les lieux qui les ont vues naître ou qui furent le berceau de leur premier amour. Plus chastes et plus pudiques que les oiseaux de Vénus, elles n'admettent pas la foule aux secrets de leur intimité et tirent le rideau sur les mys- tères de l’alcôve nuptiale. L'espèce est féconde en Artémises qui portent jusqu’au tombeau le deuil de leur époux, voire en maris inconsolables qui meurent avant d’avoir pu s’habituer au veuvage du cœur. La science indifférente ne s’est pas assez oc- eupée d'analyser toutes les circonstances qui accompagnent la mort de tant d'Hirondelles qui se noient. Dans ces cas de mort violente ou de fin prématurée, on voit de charitables voisines se SÉDIPÉDES. 299 charger de la tutelle des enfants du couple défunt et pourvoir généreusement à l'éducation et à la nourriture des pauvres or- phelins. Quelle lecon pour les mauvaises mères qui n'ont pas même soin des leurs et qui les déposent quelquefois sur la voie publique comme un paquet de linge sale, quand elles ne les étouffent pas! Les traits d’héroïsme maternel sont si nombreux dans l’histoire de l'Hirondelle, qu'il n’est pas, pour ainsi dire, de cité un peu importante qui n'ait sa légende de l’Hirondelle mère se précipi- tant dans les flammes pour sauver ses petits. La sollicitude des parents pour ces enfants gâtés est si active et si invétérée, leur habitude de les bourrer de friandises si universelle, qu'il n’est pas rare de trouver dans un nid d'Hirondelle de fenêtre des nourrissons plus gras, plus dodus et plus lourds que leurs nour- riciers. Ainsi de bons parents se privent du nécessaire pour don- ner le superflu à leurs enfants. Ce fait curieux a été observé plus d'une fois, et je ne connais qu'une autre espèce chez laquelle le phénomène se reproduise. L'histoire du jeune Coucou, par exemple, n'a plus rien de commun avec celle-ci. Le jeune Coucou n’est pas plus gros dans sa première enfance qu'il ne sera dans l’âge adulte. L'esprit de maternité se manifeste chez l'Hirondelle, comme chez la jeune fille, dès l’âge le plus tendre. Bien des observateurs ont pu voir comme moi, vers l’arrière-saison, de pauvres petites Hirondelles , sorties du nid à peine , s’empresser déjà autour de leurs père et mère et les aider dans les soins de l'éducation d’une famille nouvelle. Si bien que les Benjamins de ces couvées tardives se trouvent avoir parfois deux nourrices chacun. Dupont de Nemours, Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire, Roullin, Dupuy et quelques autres ont vu des Hirondelles délivrer une de leurs camarades accrochée par la patte à un cordon de soie; puis, l'opération miraculeuse achevée, célébrer leur triomphe par de joyeuses et bruyantes ovations. Je n’ai pas eu la chance d’être témoin de ces prodiges de patience et d'adresse inspirés par l'esprit de charité chrétienne; mais je ne veux pas les ré- voquer en doute, sachant trop qu'il suffit, hélas ! d’attacher une 300 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. pauvre Hirondelle à un piquet au sein de la prairie et de la faire de temps à autre crier et voleter pour engager toutes les Hiron- delles de la contrée à lui porter secours. Mais n’anticipons pas sur ces tristes détails. Je n’ai jamais vu non plus d'Hirondelles s'unir pour murer le Moineau franc dans le nid par lui dérobé, quoique j'aie été plus de mille fois témoin de cas où l'expérience eùüt pu être tentée. Dieu n’a pas voulu donner à l'Hirondelle des ailes si rapides et une vue si perçante sans lui imposer en retour une mission de charité sociale. Il l’a chargée d’avoir l'œil sur tous les périls qui menacent les espèces paresseuses qui habitent le voisinage des hommes. Aussi tous les petits oiseaux des rues et des vergers et les poulets des basses-cours ont-ils l'oreille attentive au cri d'a- larme de l'Hirondelle, et ont-ils besoin de compter sur sa vigi- lance pour vaquer l'esprit libre à leurs occupations. J'ai fait cette remarque importante sur les rives de la Saône et sur celles de la Seine où l’homme fait à l'Hirondelle une rude guerre, que les petits granivores, qui sont de charmants musiciens et d'habiles échenilleurs, ne tardaient pas à déserter les lieux d’où leur sau- vegarde avait fui. Et l'on se plaint ensuite que les chenilles ra- vagent les vergers, les forèts et les vignes, et imposent à la fortune publique des contributions extraordinaires de cent millions par an, comme s’il n’était pas juste que l'homme, cet éternel bourreau de son propre bonheur, expiàt la fureur de destruction avicide dont il est dévoré. En Amérique, où les hommes sont plus près de D'eu et où les oiseaux de proie sont nombreux en raison de l’immensité des solitudes , l'Hirondelle est appelée la sentinelle de la basse-cour , et ce titre, j'en suis sûr, n'a pas été volé. Le nombre des oi- seaux de proie n'est pas moins considérable en Afrique qu’en Amérique. Aussi l'Hirondelle afflue-t-elle par masses dans nos établissements d'Algérie, docile aux instructions de Dieu qui a voulu qu'elle consacrät ses moyens supérieurs au salut de ses SŒuTs. Spallanzani à calculé que le grand Martinet noir volait avec une vitesse de quatre-vingts lieues à l'heure; et Bélon qu’il aper- SEDIPEDES. 301 cevait distinctement une mouche ou une fourmi ailee à la dis- tance de cinq cents mètres. Alors je ne vois guère que l'homme qui soit de force à distancer le Martinet dans une joûte aérienne. L'Hirondelle de cheminée et l'Hirondelle de fenêtre, qui se ba- lancent perpétuellement dans les airs et batifolent en chassant au lieu de suivre une droite ligne, n’atteindraient, à ce qu'il parait, qu'aux deux tiers de cette vitesse. Les Romains, qui avaient comme nous des paris de course, employaient les Hirondelles en guise de pigeons de poste pour la transmission des bulletins de victoire du cirque. Les assiégés s'en servaient également comme de moyen de correspondance avec leurs amis du dehors. On savait par ces facteurs rapides quel jour on serait secouru et à quelle heure précise une sortie serait opportune. L'Hirondelle est un messager plus petit, mais plus sûr que la Colombe, n'ayant pas comme celle-ci la funeste habitude de se laisser croquer en route par les oiseaux de proie. Chose merveilleuse , cet instinct admirable que possède l'Hiron- delle mère pour retrouver son nid, existe même chez le petit qui n'a pas atteint sa croissance. On a vu en Toscane des Hirondeaux dénichés par des mains inhumaines et transportés à dix lieues de leur patrie pour être mis à la broche , s'échapper de leur cage et rentrer dans le domicile paternel une demi-heure après. Les petits des oiseaux qui ont les pieds courts et les ailes longues, comme les Hirondelles, ont naturellement besoin de rester dans le nid plus longtemps que ceux des autres espèces et d’y attendre avec résignation que leurs pennes aient atteint des dimensions convenables et une solidité à l'épreuve. Cette condition de longue attente est surtout de rigueur pour les jeunes Martinets qui, une fois lancés dans l'air, ne doivent presque plus se reposer. Le petit perdreau , qui est destiné à courir , peut sortir de son nid quelques heures après l'éclosion ; mais le jeune Martinet, qui n’a d'autre moyen de locomotion que ses ailes, est bien obligé de rester coi dans son berceau jusqu'à ce que ces ailes soient poussées , et elles sont si longues qu'elles deman- dent un mois à venir. Toutes les espèces . Hirondelles se baignent et s dérivé 302 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. en volant, et nourrissent même leurs petits dans les airs pen- dant les premiers jours qui suivent la sortie du nid. Rien de plus délicieux à voir que ces distributions de becquées aériennes, si sagement ordonnées pour ne pas faire de jaloux dans la répar- tition des faveurs et des grâces; rien de plus charmant que le zèle et l'empressement du père et de la mère à diriger dans l’es- pace les premiers coups d’aile de leurs élèves et à les dresser au vol du moucheron; rien d’adorable de folie et d'ivresse comme la joie de ceux-ei à leurs premiers suecès. Alors, si vous aviez des yeux de Martinet pour voir, vous verriez l'Hirondelle cou- doyer généreusement de l'aile la proie ailée qu’elle pourrait saisir, afin de la laisser courre à ses jeunes nourrissons. Reines de l’air par la légèreté, la grâce capricieuse et la puis- sance du vol, les Hirondelles sont encore des architectes de pre: mier ordre, qui déploient dans la bâtisse de leurs nids un talent prodigieux. Les nids de l’hirondelle de cheminée et surtout ceux de l’hirondelle de fenêtre sont des travaux merveilleux dans les- quels intervient, avec la science de l'architecte, l’art du ma- con et du plafonneur. Les mâles dans ces deux espèces ont le droit de travailler au nid comme les femelles, et même celles-ei emploient, pour actionner à la besogne leurs collaborateurs, l’appât des plus séduisantes promesses. L’hirondelle de rivage creuse avec ses griffes dans les berges de véritables souterrains pour y établir sa famille. Le Martinet, qui se trouve souvent obligé de nicher sur les surfaces plates des poutres et des tra- verses, à imaginé un procédé de bâtisse aussi curieux que beau- coup d'autres. Il se fait une aire de sa salive qu'il dégorge en plus grande abondance à la périphérie qu'au centre; puis il laisse le tout sécher. À mesure que la matière se solidifie, cette péri- phérie prend figure et se détermine par un bourrelet saillant dont l’habile maçon augmente le volume et la hauteur jusqu'à la dimension voulue. C’est ainsi qu'il surmonte les principales dit- ficultés de l'assiette de son domicile. Ajoutons que cette couche de salive desséchée finit par s'épaissir, par acquérir la consis- tance du caoutchouc, et enfin par réaliser un sommier élastique d’un usage excellent. Le plus célèbre de tous les nids d’hiron- SÉDIPEDES. | 303 delles est celui qui se mange, le nid de la Salangane des Molu- ques qui le confectionne avec de certaines algues sucrées de la mer des Indes. On a calculé qu'il s'exportait annuellement en Chine trois ou quatre cent mille nids d’hirondelles valant en moyenne 42 millions. Les magots de cette contrée singulière estiment que ce produit est un spécifique certain pour rajeunir les sens. Tous ces nids maconnés sont non-seulement des merveilles d'architecture artistique, mais des modèles inimitables d’écono- mie et de solidité. Un méchant petit corbeau d'église qui eut un jour l'imprudence de fourrer sa tête dans l’ouverture d’un des nids de la place Vendôme, fut le mauvais marchand de sa curio- sité. Il ne put dégager sa tête de l’étroit orifice et mourut à la peine. Tous les corbeaux d'église qui s'insinuent traitreusement dans le ménage des gens paisibles pour voir ce qui s’y passe, feraient une fin pareille, que je n’en pleurerais pas. Le corbeau est ma bête noire. | À tous les titres énumérés ci-dessus , les Hirondelles ont joui autrefois d’une existence heureuse et d’une considération méri- tée. Longtemps la France leur fut une douce patrie où se multi- pliaient paisiblement leurs joyeuses familles, sous la triple sau- vegarde de la poésie, de l'amour et de l'hospitalité. Je pourrais citer les noms de cent cinquante poëtes fameux qui ont chanté l’Hirondelle, à partir d'Isaïe, d'Homère et de Virgile pour finir par Châteaubriand , Lamartine et Félicien David. Je saisdes Al- lemands d'Allemagne qui ont trouvé moyen d’empiler sur ce su- jet léger des tas de vers plus durs, plus sourds et plus lourds que du plomb. Et chose remarquable assurément, c’est que jamais les poëtes n'ont erré sur les mœurs de l'Hirondelle et n’ont mé- connu son caractère analogique et sa dominante passionnelle, tandis que c'a été parmi les savants, Pline en tête, comme une concurrence à qui débiterait sur le compte de la charmante es- pèce le plus d’àneries et de bourdes. J'avoue que je traite ici Pline avec trop peu de ménagement, mais qu'il confesse à son tour qu'il a eu tort de faire de l’Hirondelle un oiseau carnassier qui se dépouille de ses plumes pour passer plus chaudement l’hi- 304 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. ver dans nos pays. M. de Florian, qui était de son métier capi- taine de dragons et qui par conséquent n’était pas tenu d'être fort, en savait plus long que Pline sur les Hirondelles qu'il appe- lait de leur véritable nom, les messagères du soleil. « Point d'hiver pour les cœurs fidèles. Ils sont toujours dans le prin- temps. » En ce temps-là, les jeunes filles avaient l'habitude de ceindre le col des Hirondelles d’un nœud de faveur rose, et d’après l’exac- titude de leur retour, elles auguraient de la fidélité de leurs fian- cés absents. Le meurtre de l’hirondelle était réputé impie comme celui de la Cigogne; car les Hirondelles étaient aussi les oiseaux du bon Dieu , les hôtes du foyer domestique, et le peuple, dans sa foi naïve, croyait que le bonheur de la maison s’envolait avec elles. L'air de la servitude est mortel à l'Hirondelle. On ne : cite que de fort rares exemples d’Hirondelles de cheminée ayant vécu en cage. La foi païenne avait même été plus lein que la chrétienne dans sa vénération pour l'Hirondelle ; car elle l'avait placée sous la protection d'Esculape, dieu de la médecine. Les anciens phar- macopoles possédaient la recette de dix-sept spécifiques souve- rains tirés de l'Hirondelle. Il y avait une eau d’hirondelles en- tre autres , qui avait la propriété de guérir tous les maux, comme le baume de fier-à-bras, mais qui avait l'inconvénient de faire tomber les cheveux à ceux qui en faisaient usage. Comment, avec tant de raisons d'aimer et de respecter l’Hi- rondelle et si peu de la détruire, l’homme a-t-il pu se résoudre à déchirer le contrat d'alliance qui exista si longtemps entre les deux races ! Je sens que j'entre ici dans la partie la plus doulou- reuse de ma tâche. Il est bon de prévenir le lecteur, avant d'aller plus loin, que de tous les petits oiseaux qui peuplent notre hémisphère, l'Hiron- delle est le plus sujet à la vermine, celui qui nourrit de sa chair le plus grand nombre de parasites. C’est une espèce de disgràce que Dieu semble avoir infligée aux espèces les plus méritantes, comme aux arbres les plus délicats, pour donner à entendre que SÉDIPÉDES. 305 dans le monde des méchants , que dans les sociétés maudites , les plus pures vertus doivent servir de point de mire aux traits de la calomnie et devenir autant de causes de persécution et de tablature pour les justes. Ainsi le pêcher, qui symbolise la vir- ginité, est assailli d'une myriade d'insectes odieux, emblèmes des cancans auxquels est exposée la réputation des jeunes filles. La populeuse vermine qui assiége l'hirondelle nous offre une peinture trop fidèle des nombreuses inimitiés secrètes que sou- lève la pureté éclatante des mœurs parmi les corrompus. Nul ne peut éviter son sort, hélas! et c'est précisément la réunion de toutes les vertus et de toutes les qualités touchantes qui à tué l’hirondelle. Il était impossible, en effet, qu'une noble et loyale créature dont tous les actes sont marqués au coin du dévouement et de la charité fraternelle, ne fût pas quelque jour mise au ban d’une société avare et égoïste où ceux qui se disent les sages n’ont pas honte de poser au peuple pour règle de conduite l'ignoble devise Chacun chez soi, chacun pour soi. Donc, tous ceux qui vivaient dans l’agiotage et dans le mensonge du cœur se sont d’abord donné le mot pour proscrire l'Hirondelle, par mesure de propreté soi-disant, mais au fond pour se débarrasser d’un spectacle de probité et de loyauté pratique dont la répétition quotidienne avait fini par devenir une insupportable ironie. Les mauvaises mères qui se débarrassent de l'éducation de leurs enfants sur la ten- dresse soldée de femmes étrangères, les vieux qui achètent pour de l'or la propriété des attraits des jeunes vierges, tous les transgresseurs des lois saintes de l'amour et de la maternité sui- virent immédiatement l'exemple des égoïstes et des fourbes, non moins jaloux que ceux-ci de s'affranchir de la contemplation de ces scènes éternelles d'ardeurs partagées et sincères, de soins maternels empressés. Enfin , le fainéant qui vit sur le travailleur comme le pou sur l’Hirondelle, ne pouvait pas être plus que tous ces gens-là l'ami de petites hètes industrieuses qui remplissent de l'aube à la nuit, avec une activité si joyeuse, les fonctions de maconnes, de couveuses, de nourrices. Et de toutes parts l'Hi- rondelle à été obligée de déserter la demeure des heureux d’où LE 20 306 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. l’amour et la poésie avaient déguerpi bien longtemps avant elle. A la suite de longues études sur les causes de la déplorable scission qui a éclaté entre l'hirondelle et l’homme, j'ai constaté avec satisfaction que ma patrie était demeurée pendant des siè- cles étrangère à l'événement. Le mal est de provenance italienne. L'Italie est une terre féconde en moines et en oisifs. L'oisiveté est la mère de tous les vices, a dit la sagesse des nations. L'histoire apocryphe du bonhomme Tobie, qui fut privé de la vue pour avoir regardé voler des hirondelles avec une casquette sans visière, a fait à celles-ci un tort immense dans tous les pays d'Orient. Des oiseaux qui occasionnent des maladies dont on ne peut être guéri que par le fiel d’un poisson comme on n’en voit guère sont toujours de mauvais voisins. La mythologie grecque elle-même, si supérieure à la superstition hébraïque, n’a pas été juste envers l’Hirondelle. Si l’Hirondelle devait servir de moule de métamorphose à quelqu'un , c'était à un modèle de tendresse conjugale ou d'amour maternel quelconque, et non pas à Progné, la sœur de Philoméie, l'épouse vindicative qui fit manger à son mari volage le corps de son enfant. Les mages d'Égypte avaient mieux compris que ceux de Grèce la véritable analogie de l'Hi- rondelle qui est l'emblème de la fidélité conjugale d’outre-tombe L'Hirondelle, dans les hiéroglyphes anciens, représente la déesse Isis, inconsolable de la mort d’Osiris et cherchant son cadavre sur la face des flots. Si la justice est de nécessité rigoureuse quelque part, c'est en analogie. Je pardonne à Pythagore sa pitoyable sortie à l'en- droit de l’Hirondelle, en faveur de sa découverte du carré de l'hypothénuse. D'abord ce grand homme était géomètre, et j'ai toujours eu beaucoup d’indulgence pour l'opinion du géomètre en matière d'amour. Pythagore était de plus un chef de secte qui recommandait à ses disciples de rester trois ans sans ouvrir la bouche et de ne pas manger de fèves. Alors on comprend fa- cilement qu'un esprit de cette trempe, imbu de pareilles idées sur le mérite du silence, n'ait éprouvé qu’une médiocre sympa- thie pour un oiseau babillard qui gazouille du soir au matin. Ce qui m'afflige beaucoup plus, c’est l'injustice de Cicéron qui a com- SÉDIPLDES. 307 paré les faux amis à l'Hirondelle, qu’on ne voit, dit-il, que durant les beaux jours et qui vous quitte à la venue de la rude saison. Les ennemis nés de l’Hirondelle, les moines d'Italie, ont pris texte de ces diverses accusations sans preuves et de ces diatribes en l'air pour légitimer la persécution qu’ils ont fait subir à l'oiseau du bon Dieu. Cependant le Psalmiste, dont le livre est une autre autorité que celui de Tobie, avait comparé l'homme pieux à l'Hirondelle qui aime à suspendre son nid aux voûtes du temple saint pour faire entendre de bonne heure à ses petits les louanges de l’Éter- nel. D'un autre côté, des moines d'Italie ne pouvaient ignorer la douce intimité qui avait existé autrefois entre saint Francois d’Assises le Napolitain et les Hirondelles, qu'il appelait ses sœurs. L'auteur de la vie de saint François d’Assises rapporte, en effet, qu'un jour que ce saint personnage était occupé à ser- monner des populations idolàtres et que le babillage des Hiron- delles empêchait ses paroles de parvenir aux oreilles de son au- ditoire, il s’adressa directement à ses interruptrices en ces termes : « Voilà bien des heures que vous babillez, d Hiron- delles mes sœurs; taisez donc un peu vos becs (fencatis silen- tium) que je m'explique à mon tour et que je fasse entendre à ces braves gens la parole de Dieu. » Ce que les Hirondelles oyant, elles se turent soudain, dit l'histoire, et écoutèrent avec un recueillement profond le verbe du saint homme. Mais saint François d’Assises était un homme pieux dans toute l’acception du terme et qui se levait de très-grand matin pour prier le Seigneur, et qui ne trouvait pas à redire à ce que des oiseaux pieux, animés du même zèle, s’éveillassent avant lui. Par une raison contraire, cet excès de zèle fut souverainement déplaisant aux successeurs du bienheureux saint François d’As- sises, qui n'étaient pas pétris de. la même pâte que lui, et qui d’ailleurs, étant devenus riches par la générosité des fidèles, demandaient naturellement à dormir la grasse matinée. Tout porte à croire que le désir de se débarrasser d'un réveil-matin incommode aura été le premier démon qui poussa les bons Pères à prècher la croisade contre les Hirondelles. 308 . ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. La gourmandise s’en sera mêlée plus tard, et des curieux, comme il y en a toujours chez les moines , avisant que la jeune Hirondelle prise au nid, à l'apogée de sa croissance, est un mets plus que mangeable, l'usage se sera introduit peu à peu dans le sein des monastères d'Italie d'exploiter les nids d'Hi- rondelles en coupe réglée, comme on faisait de ceux des pigeons, et quelques spéculateurs auront fait au dehors des envois de cette denrée commerciale. Puis, quand les moines auront eu goûté de la chair des petits, l'envie leur sera venue de tâter de celle des pères qui aura été trouvée d’aussi bon goût que l’autre, et notan:ment à l’époque des passages. C’est alors que l’oiseleur sans entrailles, poussé au crime par l'exemple du capucin et la certitude de placer les produits de son industrie coupable, aura tendu ses filets contre l'Hirondelle et tiré parti contre elle de cet esprit de charité qui la fait accourir au moindre cri de détresse d'une compagne en péril. Une bien noble chasse, bien difficile surtout, et qui consiste, comme il a été dit, à placer au milieu des filets une Hirondelle captive pour forcer toutes les voya- geuses imprudentes qui passent à portée du coupe-gorge à s'y précipiter. Tant il y a que l’abomination de la désolation, qui avait commencé à s’accomplir vers les rives de l’Arno, s’est étendue peu à peu vers celles du Pô et de l’Adige; après quoi, elle a franchi les monts, déshonorant les unes après les autres les vallées de l'Isère, du Rhône et de la Saône. Qui maintenant pourrait dire au fléau : Tu n’iras pas plus loin? Aujourd'hui la tuerie a pris des proportions pyramidales. Là où l’on n'ose pas encore prendre l’Hirondelle au filet par respect pour les mœurs, on la tire au fusil. Le tir de l’Hirondelle est devenu presque partout en France l’école préparatoire de la chasse. Tous les jours d'été on rencontre sur les rives de la Seine, de la Loire, de la Meuse, une foule de bons bourgeois et d’épi- ciers en grève affütant l'Hirondelle. Les trois quarts des kilo- grammes de poudre qui se consomment en dehors de la saison de chasse se brülent à l’Hirondelle. Moi-même, dans mon premier àge , hélas! et alors que j'ignorais encore toutes les conséquences de ma cruelle adresse, j'ai cédé à l'influence de la contagion et SEDIPÉDES. 309 j'ai barbarement multiplié dans l'espèce le chiffre des orphelins, et celui des veufs et des veuves; mais jamais du moins je n'ai allé- gué, pour atténuer mes torts, l’excuse que j'ai rencontrée na- guère dans la bouche de maladroïits assassins qui arguaient, pour colorer leur crime, d’une prétendue nécessité de se faire la main contre les ennemis de l'ordre social. Les ennemis de l'ordre so- cial, malheureux! mais ce sont les hannetons ! les vers blancs, les chenilles, les sauterelles, qui détruisent les récoltes et qui poussent les populations au désespoir ; ce sont les vermines pa- rasites dont vous travaillez tous à propager les races en détrui- sant les auxiliaires que Dieu vous avait octroyés pour vous en délivrer. Stupidité étrange de la loi qui prohibe sous de fortes peines certaines industries, dites nuisibles, et qui tolère la destruc- tion-ees oiseaux utiles..! et qui ne comprend pas qu'un braconnier qui se livre à la destruction des Cigognes et des Hirondelles est un industriel qui se livre à la fabrication des cousins, des chenilles et des vipères. À Ah! j'ai bien des fois dans ma vie protesté contre cette to- lérance criminelle et signalé tous les assassins d'Hirondelles à la vindicte des lois. J'ai partout fatigué de mes plaintes législa- teurs et préfets sans obtenir de leur fausse charité le moindre édit sauveur; trop heureux encore qu'ils n'aient pas jugé à propos de me loger deux ans sous les verroux, pour délit d'exci- tation à la haine contre une classe de citoyens. Vainement j'ai mis en regard la somme des minimes bénéfices récoltés par quel- ques misérables industriels, et celle des préjudices immenses apportés à la masse par leur triste industrie. Vainement j'ai dit la disparition des granivores à la suite de la disparition de l'Hi- rondelle, puis l’envahissement des vignobles, des vergers et des bois par les chenilles, à la suite de la disparition des granivores ; et ma voix découragée a fini par s’éteindre dans une malédic- tion suprême contre l’inertie et la jobarderie de ces prétendus défenseurs des intérêts de la propriété qui, non contents de la livrer pieds et poings liés à tous les loups-cerviers de l'usure et de la chicane, ne savent pas même la défendre contre l'inva- 310 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. sion des chenilles, des vers blancs, voire des champignons. J'ai dit des champignons, ces fleurs de pourriture qui pous- sent sur le fumier comme la superstition sur les cerveaux ma- lades, parce que le champignon paraît destiné à jouer un grand rôle dans l'histoire des calamités modernes. Aujourd'hui, quand la contagion s’abat sur les pommes de terre, sur le froment ou sur la vigne, ce n’est plus la colère de Dieu qui la sème, c'est un champignon qui s'amuse. Une académie que l’on consulte sur les moyens d'arrêter un fléau qui menace l'existence des populations dans leurs denrées alimentaires, se garde bien d'indiquer le spécifique demandé; elle trouve plus com- mode de répondre que le fléau est l'œuvre d'un champignon. Les populations prouveraient qu'elles ne sont pas raisonnables si elles ne se contentaient pas d’une semblable réponse. Une fois que les vignobles se plaignaient plus amèrement qu&#'de coutume des ravages de la pyrale, une chenille qui boit le vin en herbe, l’Académie des sciences de Paris, désireuse de témoi- * gner publiquement de sa sollicitude pour les intérêts des infor- tunés viticoles, envoya un de ses membres sur les lieux de la contagion avec mission expresse de découvrir les moyens d’ar- rètcr le fléau. Mais le savant ne découvrit que l'étymologie du nom grec de la vermine. C'était quelque chose sans doute, mais ce n'était pas assez, et le fléau ne s'arrêta pas, au con- traire. Mon Dieu, mon Dieu, combien de fois ce malheureux monde aurait-il le temps de périr, s’il attendait d'être sauvé par la science officielle! Mon Dieu, mon Dicu, que la cause du pro- grès est heureuse dans son malheur d'avoir toujours pour elle les casse -cou, les rèveurs et les cerveaux brülés ! Excepté moi et dezx ou trois autres voyants, par exemple , dites-moi où sont en ce pays les sages qui aient reconnu, dans a séric des calamités sans nom qui affligent depuis quelques années les plantes les plus utiles à l'homme, les symptômes de cette peste typhoïdale dont la Terre n’a jamais bien guéri et dont a Lune est morte. Dites-moi où sont les sages qui ont compris à ces signes de l’'empoisonnement universel de la Planète que les jours d'épuisement et de caducité du vieux monde étaient SÉDIPÉDES. 3114 venus, et qu'il n’était que temps, si l'on ne voulait périr, d’ar- racher le gouvernement des choses humaines aux barbons pour le remettre aux jeunes. Les sages de ce monde, les agronomes et les académiciens , ils vous prouveront , quand vous voudrez les entendre, que la question de l'hirondelle ou celle de la pyrale est complétement étrangère à la politique. Ils nous tenaient déjà ce langage, il y a cinq ou six ans au début de la maladie des pommes de terre, quand nous Jeur annoncions du haut de notre certitude analogi- que la prochaine venue du typhus de la vigne et du blé. Bien- heureux l’'agronome, l’académicien et les autres, le royaume du ciel est à eux! A Paris la destruction de l'Hirondelle s'opère journellement sous les yeux de la police, qui l’'encourage par son indifférence. C’est à ce point que j'ai renoncé à me promener sur le boulevard pour n'y pas rencontrer d'odieuses créatures indignes du nom de femmes, qui offrent aux passants de mettre en liberté des Hirondelles pour deux sous. Un de mes sujets les plus fé- conds de tristesse est de songer que Paris, la ville aux monu- ments sans nombre, où les charmes du sexe Je plus joli ont fixé les ramiers et dompté leur humeur sauvage, que Paris, la cité reine, ne possède, à l'heure qu'il est, qu'une demi-dou- zaine de colonies d'Hirondelles, à Finstitut, aux Tuileries, à la place Vendôme, au Pont-Neuf, au portail de la Cathédrale. Tandis qu'en Amérique, il n’est pas une ferme, pas une mai- son des champs, pas une misérable cabine d’oncle Tom qui ne soit décorée de son hirondellière. Celle du riche est semblable à ces pigeonniers sur poteaux que nous élevons dans nos cours pour nos pigeons de volière; celle du pauvre, plus pittoresque, con- siste tout simplement en une paire de calebasses percées et ac- crochées au haut d’une perche. Domicile d'amour plus luxueux que celui de beaucoup de millionnaires, puisqu'il abrite des heureux. Is font ou ils laissent faire une guerre impie à l’Hirondelle qui est un oiseau du bon Dieu, à l'Hirondelle qui est le fléau des fléaux de la culture en même temps que le plus parfait em- 312 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. blème de la Fidélité conjugale, de’la Maternité et de la Charité sociale; ct ils ont le front de se dire les seuls amis de la fa- mille , de la propriété et de la religion. Par Bacchus, Apollon et la Vénus fidèle, vous en avez menti! Mais je m'aperçois que l'intérêt de la question politique, éco- nomique et sociale m'a fait perdre de vue jusqu'ici la question de classification, et que j'ai oublié de dessiner les caractères de la famille, pour chanter les mérites et la gloire d'une ou deux espèces. Reprenons donc ce récit à la suite de l’histoire des Gobe-mouches et supposons que tout ce qui précède n'a pas été écrit. La famille des Hirondelles tient à celle des Gobe-mouches, 1° par la similitude absolue du régime, les espèces de l’une et l'autre tribu ne vivant que d'insectes ailés qu'elles attrapent au vol; 2° par la forme du bec qui va gagnant de plus en plus en largeur, mais perdant proportionnellement en longueur ; 3° par le goût de l'opposition des couleurs noire et blanche dans le cos- tume, les Hirondelles ayant volontiers le ventre et le croupion blancs comme les Motteux et les Gobe-mouches, et le pardessus noir ou brun; 4° enfin par le caractère supérieur de dévouement passionné au service de l’homme. C'est surtout par la parenté morale qui résulte de cette identité de dominante passionnelle que j'ai été amené à placer l'Hirondelle entre le Gobe-mouches et la Bergeronnette, contrairement aux habitudes des nomencla- teurs qui aiment à la loger entre le Pigeon et le Martin-pêcheur qui mangent l’un et l’autre très-peu de mouches Il est vrai qu'ils appellent l'Hirondelle Chélidon. Maintenant la famille des Hirondelles possède d’autres caractères qui lui sont tout à fait personnels et qui sont même assez fortement accentués pour lui faire partout une place à part, sinon une place d'honneur. Ces caractères sont des ailes démesurées, taillées en forme de faulx, un bec imperceptible qui n’est pas fait pour saisir, et des pieds d’une brévité extrême qui ne sont pas faits pour percher. Les doigts sont garnis de duvet et armés de griffettes bonnes tout au plus à servir de crampons. Mais le bec imperceptible de SÉDIPÉDES. 313 l'Hirondelle, caractère générique de la tribu, a la faculté de s’ou- vrir démesurément comme ses ailes. C'est l’orifice d’un large gosier, ou mieux d'un véritable gouflre dans lequel s’entassent par pelotes des centaines d'insectes ailés que l'oiseau cueille dans son vol et que retient agglutinés dans l'œsophage une ma- tière visqueuse que suintent en abondance des glandes salivaires. La largeur de l’orifice du gosier est particulièrement remarqua-- ble chez le Martinet et chez l'Engoulevent qui chassent le bec ouvert. Elle a valu à ce dernier l’affreux nom de Crapaud-volant. En vertu de ce caractère commun à toutes les espèces de la fa- mille, le nom générique qui lui aurait le mieux convenu était celui de Grand-gosier, beaucoup plus expressif que Chélidon et Hirondelle. Malgré la similitude de leurs principaux caractères, les huit membres de la famille des Hirondelles francaises se divisent na- turellement en trois genres fort distincts. D'abord l’une des espèces, la plus grande, est nocturne, ce qui oblige de lui donner une résidence à part, et les caractères séparatifs qui sont entre les deux autres genres ne sont pas moins saillants. Nous désigne- rons tout simplement ces trois genres par leurs noms populaires : Hirondelle, Martinet, Engoulevent. La science avait reconnu depuis longtemps cette nécessité de la division de la famille des Hirondelles en trois genres; mais les noms qu'elle a attribués à ceux-ci ne me semblent pas heureux. Chélidon n’a d'autre avan- tage sur celui d'Hirondelle que d'être moins poétique et plus dur. Cypselidées, en place de Martinet, ne me déplairait pas, quoique prétentieux. Quant à Caprimulgidées, qui veut dire tette-chèvre et qui consacre un préjugé déplorable, je le repousse énergiquement comme faux et inconvenant pour l'espèce noc- terne à laquelle le nom d'Engoulevent va très-bien. Genre Hirondelle proprement dite, Quatre espèces. Toutes les Hirondelles sont des Gobe-mouches et des Gobe- cousins qui trouvent leur nourriture à la surface des eaux et à la 314 . ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. surface du sol qu’elles rasent d’un volrapide. Toutes ont la queue fourchue. Toutes vont demander un asile pour la nuit aux ro- seaux des étangs ou aux peupliers de la rive. Toutes perchent, ce qui les distingue des Martinets. L'histoire des Hirondelles a été longtemps remplie de mystères. Aristote, Pline et tous les savants de l'antiquité qui n'avaient pu suivre de l’œil les migrations des oiseaux voyageurs, étaient persuadés que les Hirondelles passaient l'hiver en Europe, ense- velies dans des troncs d’arbres morts ou dans des fissures de ca- vernes à la facon des Marmottes et des Chauves-souris. La même version à circulé longtemps sur le compte du Coucou et de la Caille. Quand se fit la découverte du cap de Bonne-Espérance et du Sénégal où se rendent la plupart des oiseaux qui émigrent d'Europe à la fin de l'été, et où on les retrouva, la science aban- donna la version d’Aristote. La découverte de la pure vérité, la solution du problème date du siècle actuel, et il n’a pas fallu à l’homme pour y arriver moins de quatre mille ans de recherches. L'hibernation des Hirondelles est un fait acquis qu’on ne peut plus révoquer en doute. Vieillot, Larrey, une foule d’autres, onf trouvé sous des arches de ponts, dans des fissures de vieilles murailles, dans des grottes alpestres, des Hirondelles de chemi- nées engourdies qui attendaient paisiblement dans leurs retraites sombres le retour du printemps. Exposées à l'influence d'une douce chaleur, ces dormeuses ne tardaient pas à sortir de leur léthargie et à reprendre le mouvement et la vie. De plus, il à été constaté que de temps immémorial quelques Hirondelles des rives du Rhin , plus paresseuses ou plus grasses que de raison, avaient l'habitude de s’ensevelir chaque hiver dans les terriers étroits qui leur servent de nids l'été, si bien que la recherche des souterrains habités était pour les enfants du pays une partie de plaisir. Ainsi l'erreur d’Aristote et des anciens venait de ce qu'ils avaient conclu de l'exception à la règle générale, et celle des modernes de ce que la règle générale leur avait fait rejeter l’ex- ception. Les Cailles, les Hirondelles et les Coucous sont des oi- seaux de passage dont quelques-uns, pour avoir manqué l’épo- que favorable du départ, pour une cause ou pour l'autre, sont SÉDIPÉDES. 315 forcés d’hiverner, et à qui la nature accorde le privilége d'un somme de six mois, ainsi qu'à la fourmi, au loir et à une foule d’autres bêtes. Les Hirondelles ne muent qu’une seule fois par an, vers la fin du mois de février etle commencement du mois de mars, c'est- à-dire avant de quitter l'Afrique. Elles mettent environ quinze jours, pour accomplir leur traversée de Sénégal en Europe où elles arrivent généralement vers le premier avril, les Hiron- delles de cheminée en tête. Celles qui arrivent les dernières, les délicates, les frileuses, sont, comme de raison, celles qui partent les premières. Beaucoup d'Hirondelles de cheminée font encore une ponte en octobre. Les départs de quelques espèces sont accompagnés de céré- mounies intéressantes. Les Hirondelles de fenêtre, par exemple, après avoir arrêté l'heure fatale, se réunissent plusieurs jours de suite en grand nombre sur le couronnement des hauts édifices ou sur la cime des vieux arbres de la localité; puis elles s'élèvent dans les airs d'un vol inquiet, tournoyant et rapide, comme pour revoir unc dernière fois la contrée qui leur est chère, et lui adresser leurs adieux. Enfin, après plusieurs répétitions de cette scène touchante, prenant soudain un parti décisif qu'an- nonce le redoublement de leurs clameurs plaintives, toutes les voyageuses s’élancent avec effort vers le Sud et piquent dans l'espace une pointe désespérée. L'Hiroxpezce pe caewinée. Celle-ci est la plus charmante et la plus intéressante de la tribu; car c’est l'amie du pauvre laboureur, et l'hôtesse de son humble foyer. C’est de plus la seule Hirondelle qui chante, et son gazouillement est une ado- rable chansonnette. L'Hirondelle de cheminée est de toutes les espèces voyageuses celle qui possède sur le globe la plus vaste patrie ; c'est la vraie citoyenne du monde. Elle arpente chaque année les terres et les mers du cap de Bonne-Espérance au cap Nord , et du cap Horn à la baie de Baffin. Elle devance aussi l'ar- rivée de ses sœurs dans tous les pays froids, précédant de douze jours en France l'Hirondelle de fenêtre et d’un mois le Martinet. 316 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Comme le long récit qu'on vient de lire s'applique presque entiè- rement à l'Hirondelle de cheminée, il est inutile que j'allonge sa notice spéciale. Elle niche dans les puits des mines et dans les cours ténébreuses des hautes maisons, comme dans les chemi- nées et dans les appartements. Elle fait trois pontes par an. L'Hironpezze pe renûrre. Celle-ci est l'Hirondelle des pa- lais, des églises et des villes, comme celle-là est l’Hirondelle des chaumières ; ce qui ne l'empêche pas d’adorer la campagne et les jolies maisons de plaisance bâties dans le voisinage des prai- ries et des eaux. C’est elle qui en France est le plus particuliè- rement chargée de veiller à la sécurité des moineaux-francs et des poulets, et qui pousse la première le cri d'alarme à l’appa- rition du Corbeau ou de l'oiseau de proie. Elle ne se contente pas de signaler la présence de la mauvaise bête; elle lui voie sus, si grosse et si redoutable qu’elle soit, Epervier, Hobereau ou Buse, et par ses obsessions incessantes et ses injures mul- tipliées, la force à déguerpir du canton soumis à sa surveil- lance. L'esprit de fraternité et de solidarité a été encore plus développé chez cette espèce que chez toutes les autres par l'ha- bitude qu'elle a de vivre en république et d'appuyer la bâtisse de sa demeure sur celle d’une voisine. C’est à son compte qu'il faut porter toutes les charmantes histoires de sauvetages d'Hi- rondelles captives, délivrées par l'assistance de leurs sœurs, ou de moineaux envahisseurs murés par leurs propriétaires dépossé- dés. J'ai eu plus d’une fois par mes veux la preuve de la puis- sance de ce sentiment de charité fraternelle chez les Hirondelles de fenêtre. On sait peut-être que ces maçonnes intelligentes ont généralement l'attention, quand elles sont en train de bâtir, de donner à leurs matériaux le temps de sécher, pour en assurer la cohésion et la solidité. Parfois, cependant, il arrive que l'édifice à peine achevé s'écroule, soit par défaut de qualité du ciment local, soit par défaut de patience de la part des constructeurs, soit par une autre cause quelconque de sinistre. C’est alors qu'il fait beau voir tous les voisins et toutes les voisines s’empresser SÉDIPÉDES. , HT autour des victimes de l'accident pour leur offrir leurs consola- tions et leurs services. Et cette charité secourable ne s’épuise pas comme ailleurs en vaines et menteuses paroles, mais toute la tribu se met incontinent à l’œuvre pour refaire au couple dé- logé un domicile confortable, et cette besogne diflicile dont l'achèvement complet exige habituellement une dixaine dé jours de travail, est souvent terminé en deux fois vingt-quatre heures, suivant le temps. Les Hirondelles de la cathédrale de Paris donnèrent en 1842, à l’occasion des obsèques du duc d'Orléans, une preuve remar- quable d'intelligence et de respect pour les cérémonies du culte. Comme on avait tapissé de tentures noires tout l'extérieur du portail où elles nichent sur les épaules et les mitres des saints évèques qui festonnent les ares des ogives, elles trouvèrent moyen de pénétrer à travers cet obstacle par les interstices des draperies et elles gardèrent, pendant toute la durée du service funéraire, un silence religieux. L'Hirondelle de fenêtre, plus frileuse que l’Hirondelle de che- minée, nous arrive presque toujours douze ou quinze jours plus tard, et nous quitte dès la fin d'août. Et, malgré ce prudent retard, elle est souvent encore victime de son imprévoyance. J'ai eu deux ou trois fois dans ma vie la triste chance de voir tomber dans les rues, mortes de froid, de nombreuses quantités d'Hirondelles voyageuses appartenant à cette espèce. Les pau- vres petites bêtes avaient été surprises en route par une gelée prématurée ou tardive, et elles n'avaient pu résister à un abais- sement subit de température de deux à trois degrés. L'HiRONDELLE DE ROCHER. Espèce à peu près inconnue dans quatre-vingts départements de France, et presque exclusive à une dizaine de localités rocailleuses des provinces du Sud-Est, Dauphiné, Languedoc, Provence. Habite les rocs taillés à pic dans le voisinage des rivières et en société des Hirondelles de fenêtre, du Martinet à ventre blanc et de l'oiseau de proie. Fait un nid en pisé, comme l'Hirondelle de cheminée. Arrive de bonne heure et n'émigre que très-tard. 318 ù ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. L'HiRONDELLE DE RIvVAGE. C’est cette petite Hirondelle à dos roux qui niche dans les berges escarpées des rivières ou dans les carrières de sable, et qui est si commune sur les bords de la Seine. Le travail qu'opère cette espèce est remarquable comme ouvrage de mineuse , quand on compare surtout la longueur des boyaüx qu'elle se creuse dans un terrain compacte et résistant avec le peu de puissance des instruments dont elle dispose. Ima- ginez qu'un bec aussi petit, aussi mou, puisse servir de pioche, et des pieds aussi courts de bèche et de râteau. Les terriers de l’Hirondelle de rivage n’ont pas moins de dix-huit pouces à deux pieds de long; ils sont étranglés à l’orifice et décrivent une si- nuosité semblable à celle des chemins couverts qui donnent en- trée en nos places fortes. La couche de duvet où reposent les petits occupe la partie la plus reculée du souterrain qui en est en même temps la plus large. La fortification est construite selon toutes les règles de l’art. C’est cette même espèce qui s’enfouit quelquefois dans les carrières ou dans les terriers creusés dans les hautes berges à l'abri de tout danger d'inondation, pour y passer l'hiver. C’est elle aussi qui a servi de sujet aux contes d'Olaus Magnus, qui a rapporté sérieusement que les Hiron- delles de cette espèce se pelotonnaient en grandes masses vers l’automne, à l'instar des anguilles, pour se laisser choir ensuite au fond des lacs de la Suède où elles hivernaient et d’où les pêcheurs de la contrée les retiraient quelquefois. L'Hirondelle de rivage est la plus petite de toutes les espèces européennes. On la dit sédentaire dans les rochers de l’Etna, des iles de Lipari et de Malte. Genre Martinet, Deux espèces. Les deux espèces de Martinet qui visitent la France ne dif- fèrent l’une de l’autre que par la couleur de l'abdomen. Ce qui sera dit de l’une s’appliquera donc exactement à l’autre. Ces deux espèces sont le Martinet noir de nos églises, et le Martinet à ventre blanc des rochers du Midi. Elles constituent avec SÉDIPÉDES. 319 les Guëêpiers le groupe naturel des Insectivores de la nue. Les Martinets sont des Hirondelles de forte taille chez les- quelles tous les caractères spéciaux de la famille ont été déve- loppés outre mesure, on pourrait même dire jusqu'à l'exagé- ration. Ils ont, en effet, l’aile si longue qu'ils ne peuvent plus se relever une fois qu'ils sont à terre, et le pied si court qu'ils ne peuvent en aucune façon s’en servir pour la locomotion et qu'ils sont obligés de se reposer sur leurs ailes. Outre sa brévité extrème, le pied du Martinet est encore affecté d’un vice de con- formation fort grave qui achève de l'iuutiliser , quant à sa fonc- tion normale : il a les quatre doigts dirigés vers l'avant. Mais la nature, qui est infinie en ses ressources, n'a pas laissé comme bien on pense cette disgrace sans compensalion. D'abord l’oi- seau se sert de cette paire de griffettes si courtes comme d’une paire de crampons pour s’accrocher aux aspérités de la muraille , de la roche ou de la carrière dans les fissures de laquelle il a établi son domicile. Il en use ensuite d’une façon profitable , en guise de peigne à peigner, car ces pauvres Martinets sont dévo- rés d’une si horrible quantité de vermine, qu'aucun instru- ment ne pouvait véritablement leur être plus utile que celui-là. C’est moi qui le premier, je crois , ai osé énoncer cette opinion hardie que le peigne avait été donné à l’oiseau pour se peigner. La nature prévoyante a suppléé encore d’une façon ingénieuse et piquante aux défectuosités de l'appareil de la locomotion pé- destre chez cette espèce, en lui armant dans son bas âge la saillie des épaules d’un crochet acéré, d’une espèce de doigt comme aux Chauves-souris. Cet organe supplémentaire anor- mal, qui disparaît chez l'adulte, n’a été évidemment attribué à l'oiseau en nourrice que pour lui faciliter le moyen de se mou- voir dans son nid. Les anciens qui n'avaient pas de lunettes n’apercurent pas les griflettes du Martinet qui sont garnies de fin duvet et presque entièrement ensevelies sous la plume de l'abdomen et ils déclarèrent l'oiseau apode, c’est-à-dire sans pieds ; erreur que la Science moderne a naturellement cherché à propager en donnant à cet oiseau le nom d’Æérondo apus ; Api- vore aurait mieux valu. 320 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Les jeunes Martinets ayant besoin d'atteindre le complet déve- loppement de leurs ailes qui sont leur unique organe de locomotion avant de sortir de leur nid, il s’en suit que leur séjour s’y prolonge un mois et plus. Pendant tout le temps de cette longue éducation, l’activité des parents est extrême, et quand arrive le moment solennel de la sortie du nid ou de la prise de possession de l’at- mosphère par la génération nouvelle, cette activité prend des allures fébriles. Les pères et mères du même district se réunis- sent alors par bandes de quinze ou vingt, passent et repassent autour de chaque nid , emplissant l'air de sifflements expressifs pour appeler les petits au dehors. Ceux-ci, désireux de répondre à cette énergique et universelle réclame, se traînent comme ils peuvent jusque sur les bords du trou, s’aidant de leurs crochets, des ailes et des pieds , et finissent par se laisser choir dans le vide , où la puissance de leurs moyens de vol se développe sou- dain. Ces premières sorties ont toujours lieu à l'heure mysté- rieuse du soir. Le néophyte, initié aux délices sans fin des naviga- tions aériennes, débute par une traite de cent ou cent cinquante lieues. Qui n’a pas désiré une fois dans sa vie, n'étant plus amou- reux ou bien étant en cage, échanger son sort d'homme contre celui du Martinet! Le Martinet occupe une place brillante dans les fastes de l’or- nithologie. C’est le plus vite de tous les coureurs de l'air. Spallanzani affirme que cet oiseau ne se repose jamais ailleurs que dans la nue. Le Martinet raille le faucon de sa pesanteur et le traite en plaisantant de chemin de fer Corbeil. Il rend un kilomètre par minute, soit quinze lieues par heure, au plus crâne marcheur, et ne trouve personne pour joûter avec lui. La Bécas- sine et le Pigeon ramier y ont renoncé il y a bel âge, et le Ho- bereau n’a pas osé s’exposer aux chances d'une défaite qui l’eût couvert de ridicule. Une des amusettes favorites du Martinet est de piquer une tête verticale dans le ciel à la facon des fusées volantes et de se lais- ser choir en parachute, en simulant toutes les contorsions de l'oi- seau blessé à mort. Le Pigeon culbuteur est atteint de la même manie. SÉDIPEDES, 321 Pourquoi le Martinet, dont le vol est si rapide, n'a-t-il jamais obtenu la même popularité que l'Hirondelle ? Parce que le Mar- tinet n’est pas un emblème de charité, mais un emblème d'é- goisme, qui ne s’est jamais servi de ses moyens supérieurs que daus son intérêt personnel. Le caractère du Martinet déteint sur sa robe. J'ai signalé précédemment et à diverses reprises les mauvais procédés dont le Martinet use à l'égard du Moineau-franc auquel il vole ses matelas de duvet, quand il ne l’expulse pas tout à fait de son nid. Ces facons d'agir là ne font pas l'éloge des principes de l'espèce. Où vont les Hirondelles noires la nuit ? On n’a jamais pu le savoir. Se couchent-elles jamais? On l’ignore. On sait seule= ment que le soir, bien longtemps après la complète disparition du jour, on les entend monter, monter, monter toujours, puis que leurs sifflements se taiscnt dans les airs pour en redescendre avec l'aube. Néanmoins, un sonneur d'église que je consultais une fois sur le mystère de ces équipées nocturnes , m'a confié que les Martinets adoptent volontiers pour dortoirs les auvents de bois des hautes tours où les cloches gémissent enfermées. Preuve que les Martinets se couchent à l'instar des autres oiseaux. Jamais les Martinets ne passent plus d’un trimestre en France. Ils nous arrivent au mois de mai pour repartir fin juillet. Leur autre patrie est l'Afrique. Ils vivent principalement de fourmis ailées, c’est-à-dire de fourmis en costume d'amour et d’abeilles. Les Martinets qui se nourrissent presque exclusivement d'in- sectes venimeux et armés d’aiguillons, sont inattaquables au venin de l'abeille, comme le hérisson à celui de la vipère et le porc à celui du serpent à sonnettes. Ces oiseaux semblent bâtis pour une durée éternelle et ne veulent pas mourir, quand on les a blessés. Le Martinet à ventre blanc habite les mêmes contrées que l'Hirondelle de rocher; il est commun aux iles d'Hvères, aux environs du Pont du Gard et dans tout le littoral de Ja mer du Midi qui borde la Corniche. Il est plus ami des falaises et des rochers taillés à pic que des vieilles cathédrales. CS 1er Li ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Genre Engoulevent. Deux espéces ? L'ExGouLevent. Crapaud-volant, Tette-chèvre, Chauche- branche. C'est une Hirondelle de nuit qui a été instituée pour continuer l'office de l'Hirondelle de jour et dévorer les phalènés et les blattes qui aiment à dévorer les vêtements de l'homme. C'est la plus grosse espèce du genre; elle est de la taille du Merle et porte le plumage de la Bécasse. Elle vole le bec ouvert, et bourdonue le soir autour de tous les grands arbres où elle capture des myriades d'insectes. Son vol est plus brisé, plus fantasque, plus capricieux encore que celui de l'Hirondelle de fenêtre. Elle affectionne pour retraite, pendant le jour, les vieilles carrières et les vieux murs et se trouve aussi dans les bois. La tête d2 l'Engoulevent est si plate et sa boite osseuse si mince que ses gros yeux myopes font hernie dans sa gorge. Les mandibules de son bec imperceptible sont incurvées tout:s les deux de haut en bas; elles ne lui servent pas d’instrument de préhension, mais seulement de fermoir d'œæsophage. L'Engoulevent est un oiseau de passage qui se lève dans les jambes du chien; il vaut le coup de fusil en septembre. Il niche à terre comme tous les oiseaux de nuit qui n’y voient pas asséz clair et qui n’ont pas assez de temps à eux pour se bâtir un établis- sement confortable. Ses mœurs sont innocentes, douces et pures comme celles de toutes ses congénères. Le nom d'Engoulevent sous lequel est vulgairement désignée l'Hirondelle de nuit, n'est pas absurde et ridicule comme la plupart de ceux que lui ont prètés l'ignorance et les préjugés stupides. L'oiseau volant le bec ouvert, et bourdonnant comme un Oiseau-mouche, on dirait, en effet, qu'il engoule le vent. Le peuple a cru longtemps, d'après une tradition antique, que cet oiseau de nuit était un des émissaires de l'esprit des ténèbres, qui avait pour mission spéciale de tarir le lait des chèvres en les tétant. Et ce préjugé fut cause que les hérétiques luthériens abu- SÉDIPÉDES. 323 sèrent quelquefois dé la comparaison de l’évêque et dé l'Engou- levent, disant que les Papistes étaient de véritables Tette- chèvres, qui, par ‘impôt de la messe, avaient trouvé moyen de mettre à contribution les morts dans leurs tombes ét taris- saient les sources de la prospérité publique. Mais ce qui prouve bien que tous les arguments des hérétiques reposent sur le mén- songe, c'est que l'histoire de l'épuisement des mamelles de la chèvre par un oiseau est un conté,.ct que l'Engoulevent, ät lieu de boire le lait des chèvres qui ne sont pas aux champs pendant la nuit, boit au contraire tous les petits papillons dont les larves dévorent nos étolles, et même les hannctons qui sont là véritable peste des vergers ct des bois. L'Hirondelle de nuit est l'emblème du bienfaiteur obscur et méconnu de l'humanité, l'emblème de ces travailleurs opinià- trés qui poussent les veilles très-avant dans la nuit et se lèvent avant l'aube , pour quelle cause les fainéants du pays les accusént de connivence avec l’esprit malin et les traitent de sorciers. On parle d'une seconde espèce d'Engoulevent, d’un Engou- levent roux qui scrait particulier aux provinces pyrénéennes. Pourvu qu'il n'en soit pas de cette seconde espèce comme du Coucou roux, qui après avoir Cté traité pendant longtemps comme une variété , a fini par être reconnu pour cé qu'il était réellement, pour un Coucou jeune âge de l'espèce grise uniqué. Famille des Bergeronneltes. Quatre espèces. Tribu charmante, douce, inoffensive et jolie comme le nom qu'elle porte, élégante de formes, de tenue et d’allures, délicate d'esprit comme de Chair. Espèces amies de lhommé, imbues au degré le plus haut du sentiment de la solidarité fraternellé et investics par la Providénce d’une sainte mission de charité sociale. Les Bergcronnettes, que toutes les nomenclatures placent immédiatement, mais à tort, à côté des Farlouses, ont, en effet, 324 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. plusieurs caractères communs avec cette famille, notamment le tarse haut et dégagé, le pouce long et à peine arqué; elles cou- rent avec rapidité et sont peu percheuses; elles se plaisent comme certaines Farlouses à chasser sur la grève , sur les rives des ruisseaux, des étangs et des fleuves. Cependant la famille dont les Bergeronnettes se rapprochent le plus par les habitudes et les mœurs, sinon par les traits du visage, est celle des Étourneaux. Les Bergeronnettes sont après les Étourneaux les oiseaux qui ont le plus besoin de la société du bétail; elles se posent sur le dos des moutons comme ceux-ci, et comme ceux- ci, parité d’habitudes extrêmement remarquable, s’en vont de- mander chaque soir aux roseaux des étangs un gîte pour la cou- chée. Il faut bien qu’on se ressemble un peu pour se rassembler si souvent. Ajoutons, pour compléter le tableau de cette simili- tude de pratiques et de goûts, que la Bergeronnette suit comme l'Étourneau la charrue dans les champs, s’aventure comme lui sans crainte jusqu’au cœur des cités, niche comme lui sous le toit de l’homme, et même dans les trous d'arbre. Mais la parenté la plus honorable pour les Bergeronnettes est celle qui les lie à la tribu des Hirondelles, à titre d'oi- seaux du bon Dieu. Car il y a les oiseaux du bon Dieu, comme les oiseaux du diable, ainsi que je l'ai dit tant de fois. Il y a les espèces gardiennes de la sécurité sociale, comme il y a les espèces ennemies de la prospérité publique. La Bergeron- nette appartient à la première des deux catégories avec l'Hiron- delle de fenêtre d'Europe, l’Hirondelle domestique et le Roi des Gobe-mouches des États-Unis d'Amérique. Elle a mission de protéger les espèces victimes contre la cruauté de leurs bour- reaux et de déjouer les attentats des oiseaux de rapine. C'est pour veiller à la sécurité de la volaille incessamment menacée par le Faucon, le Milan et l’Autour, qu'elle se rap- proche si fréquemment de l’habitation de l’homme, sur le faite de laquelle elle monte des factions si longues, poussant de mi- aute en minute ses petits cris Îlütés, attendris, sympathiques, pour dire à tout ce qui peut l'entendre qu'elle est là, qu’elle a l'œil au guet, qu'on peut aimer, dormir et chanter sous sa garde. La SEDIPEDES. 325 volaille rassurée, elle revole aux champs pour reconforter à leur tour les Alouettes et les Perdrix de la plaine, les Linots et les Bruants des haies , les Fauvettes du bocage. Sentinelle non moins hardie que vigilante, elle choisit toujours un poste à découvert pour inspecter tous les points de l'horizon à la fois; elle s'élève dans les airs, s'y balance, et si elle n’aperçoit aucune menace dans le ciel répète que tout va bien. Mais que soudain l’épervier apparaisse, du plus loin que la Bergeronnette l’avise, elle jette son cri d'alarme, à l'expression duquel aucun être vivant ne se méprend, pousse droit à l'ennemi, appelant à l’aide toutes ses sœurs et aussi l'Hirondelle; et vous voyez soudain toutes ces dévouées créatures s’unissant assaillir le forban dans le sein de la nue, l’enfermer dans un cercle de malédictions enflammées, le provoquer , le huer, le harceler et finalement le réduire à fuir honteusement... les mains vides... À moins que tout à coup l’é- conduit furieux , tournant toute sa rage contre l’une des héroïnes, ne lui fasse expier par une mort.cruelle son noble dévouement. Heureusement que Dieu a pourvu en partie à la sécurité de la Bergeronnette et lui a facilité les moyens de remplir sa mission charitable en lui donnant un vol plongeant et saccadé dont les courbes profondes déroutent le calcul des lancées rectilignes de l'oiseau de proie. ; mais combien il s’en faut que la pauvre senti- nelle perdue soit tout à fait à l'abri du péril ! La puissante voi- lure de l'Hirondelle elle-même ne la sauve pas toujours dès serres du hobereau. Vous avez deviné le sort de la Bergeronnette, vous toutes, àmes sympathiques et tendres qui savez où conduisent le dé- vouement à la chose publique et l'esprit de charité sociale dans les milieux maudits où le juste est voué à la croix. Quand l’homme eut reconnu que la douce créature ne pou- vait voir une de ses sœurs en peine sans voler soudain à son aide, il attacha des Bergeronnettes par les pieds en des places garnies de filets et il les fit se débattre violemment et pousser des cris dou- loureux au moment où des vols de Bergeronnettes passaient en l'air au-dessus du lieu du supplice ;… alors les voyageuses s’abat- tirent et le bourreau les prit par milliers et les tua pour les vendre. 326 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Mais la vengeance de Dieu ne s’est pas fait attendre, et ç'a été naturellement comme toujours sur les pauvres travailleurs qu'est retombée la peine du crime du faintant. Que voulez-vous, il faut bien les faire passer par l’école du malheur ces travailleurs stupides, puisque les leçons de cette école sont les seules qui leur profitent et qui puissent leur apprendre les devoirs de la so- lidarité. Il faut bien que le choléra du Gange s’établisse à de- meure fixe dans les États d'Europe ct ravage périodiquement leurs plus riches cités pour apprendre aux civilisés de l'Europe que la superstition indienne, qui livre chaque année aux eaux du fleuve sacré des milliers de cadavres, est le foyer de cette infection universelle du globe, et que tous les habitants du globe sont solidaires de la supersiition quelle qu'elle soit et en quelques lieux qu'elle trône! Done, à mesure que l'extermination sévissait sur les Berge- ronnettes et que l'espèce s'éteignait, tous les petits insectivores et les petits granivores qui se virent privés de la tutelle de l'oi- seau du bon Dieu, dont la disparition les livrait sans défense aux attaques de l'Épervier, de la Corneille et de la Pie-grièche, déser- tèrent peu à peu les contrées inhospitalières où la tuerie avait lieu sur la plus vaste échelle. Et leur fuite laissant la place libre aux insectes dévorants, de nouveaux fléaux inconnus s'abattirent de toutes parts sur les cultures de l'homme, frap- pèrent ses moissons, ses pommes de terre, ses vignes... Aux rives plantureuses de la Saône, autrefois si peuplées d'oiseaux mais où s’est fait le vide, les poëtes chantent encore, mais non plus les buissons; le printemps est sans voix et la vigne s’en va. Je sais bien que je me répète et que je viens de dire ces choses-là à propos de l'Hiréndelle; mais ces choses-là sont de celles qu'on ne peut trop redire, ct puis elles sont neuves, ce qui est encore une circonstance atténuante de la répétition. Les Bergerettes ou les Bergcronnettes ont reçu ces deux noms de l’affectucuse sympathie qu'elles ont pour les troupeaux qu'elles accompagnent aux pàturages et qu'elles protègent contre la pers‘ceution des taons et des tiquets et de tous les au- tres insectes avides du sang des quadrupèdes. On les appelle SÉDIPÉDES. 327 eneore Hoche-queue et Gligne-queue, de l'habitude où elles sont de multiplier les salutations de la queue à chacun de leurs pas ; et aussi Lavandières , parce qu'on a imaginé qu'elles se plaisaient infiniment dans la société des laveuses de lessive et que leur fa- çon de battre l’eau de leur queue quand elles se promenaient sur les feuilles des nénuphars était une parodie du mouvement des battoirs. Dans le chef-lieu du département de Saône-et-Loire , où les ràles d'eau s'appellent Gérardines, les Bergeronnettes par la même raison s'appellent Jacobines. Les Bergeronnettes se rapprochent aussi des Traquets pour leur manière de chasser et de vivre. Elles se nourrissent prin- cipalement d'insectes de terre qu'elles poursuivent dans les sillons à la facon des Motteux et avec une prestesse et une agi- lité sans égales. Elles sont amies des prairies et des vallées fer- tiles, et souvent on les voit se promener sur les herbes qui flottent à la surface des eaux pour y cueillir leur proie. Par cette habitude et par la forme du bec qui est plus grèle et plus eflile que celui des Traquets, elles se rapprochent des Jaseuses de roseaux {Fauvettes riveraines des savants), qui cherchent leur vie sur les plantes aquatiques. Les Bergeronnettes sont de tous les oiseaux de nos climats peut-être ceux qui déploient le plus de grâces dans leurs évolutions omnimodes et qui sont les plus jolis à regar- der marcher. Elles ont dans le milieu des airs des poses de temps d'arrêt pleines de charmants caprices, ct à terre une demarche et des salutations de queue d'une distinction adorable. Elles ont aussi des facons de dire adieu aux gens comme les Hirondelles et de se rappeler et de se réunir en grandes masses sur les toits. Les Bergeronnettes sont des oiseaux de passage qui voyagent de jour et de très-grand matin comme les Bizets et les Ramiers pour éviter l'oiseau de proie. Leur passage commence dès les premiers jours de septembre et dure environ six semaines. C’est pendant ce temps, qui est aussi celui des grands labours d’au- tomne, qu'on voit ces petits oiseaux sc répandre dans les terres nouvellement labourées. Beaucoup de Bergeronnettes passent l'hiver en France et cherchent un refuge au sein des grandes villes, sous les berges des quais. 328 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Leur chant, qui ressemble assez à celui du Proyer, n'a qu'une phrase de deux ou trois notes; mais le timbre de leur voix est doux et sympathique et fait plaisir à entendre. Leur chair, quoique beaucoup moins fine que celle de leurs voisins les Pieds- noirs, est préférable à leur chant. Les Bergeronnettes nichent par terre, sous les cavernes des mottes, dans les arbres creux, dans les fissures des murailles des quais, des ponts, des digues. M. Crespon de Nismes raconte que dans l’année 1837 une Bergeronnette jaune fit son nid entre les chapiteaux des colonnes des bains d'Auguste. Le nid de la Bergeronnette est très-artistement travaillé, et aucune espèce ne dépense plus de crin pour la confection de ses ma- telas. Le Coucou prend souvent dans cette espèce des nourrices pour ses rejetons. Les Bergeronnettes muent deux fois chaque année , au prin- temps et à l'automne, et après la seconde mue il devient très- difficile de distinguer les mäles des femelles. La contexture des ailes offre dans les espèces de ce genre une particularité fort re- marquable : les grandes couvertures couvrent presque entière- ment les rémiges. On connait quatre espèces de Bergeronnettes en France, dont trois fort communes et l’autre rare. La BERGERONNETTE Grise. L'espèce la plus commune. Toute la partie supérieure du corps, gorge, poitrine, calotte, teinte de noir profond; le dos gris ardoisé comme les flancs; l’abdo- men et les rectrices externes d’un blanc pur; un bandeau de couleur blanche à travers le front et les joues. Le noir de la gorge et du poitrail disparait à la mue d'automne. J'ai grand’peur que la Bergeronnette lugubre de Temmynck qui, au dire de cet auteur, se marie volontiers avec la Bergeronnette grise quand elle ne trouve pas à s'établir dans sa propre famille, ne soit une Bergeronnette grise en costume d'amour, ce qui expliquerait sans peine la singularité de l'alliance morganatique qui intrigue notre savant. SÉDIPELES. 329 La BERGEROXNETTE JAUNE. Mème taille que la précédente ; un peu plus amie des eaux et des digues de moulins. C’est celle-là qui se promène le plus fréquemment sur les herbes flottantes des rivières. Poitrail , abdomen et tectrices inférieures de la queue d'une brillante couleur jaune dans la tenue d’amour, avec une magnifique plaque noire sur la gorge, dos cendré. La plaque noire de la gorge disparaît avec la mue d'automne, et le brillant de la couleur jaune s'éteint. La BeRGERONNETTE PRINTANIÈRE. Nom absurde et inaccep- table, attendu que cette espèce n’est pas plus printanière qu'une autre, et que ce qualificatif de printanière ne la qua- lifie aucunement. Il eût été plus simple de continuer pour elle la séparation introduite dans le genre par la diversité des couleurs et de l'appeler la Bergeronnette verte, puisqu'elle a tout le dessus du corps ou le manteau vert olive. Robe jaune, rectrices externes blanches, Taille un peu inférieure à celle des espèces précédentes. La BERGERONNETTE FLAYÉOLE. Espèce dont on a attribué la récente découverte au naturaliste anglais Gould, mais que je crois fermement être la même que la précédente , avec laquelle on l'avait très-sagement confondue jusqu’à ce jour. La Flavéole m'a tout l'air d'être à la Printanière ce que la Lugubre est à la Grise. Famille des Jaseuses. Dix espèces. Le seul nom qui convienne à cette famille, mais que personne n'a encore songé à lui donner, est celui de Croasseuse des ro- seaux; attendu qu'elle vit dans les jonchaies des tourbières, des étangs, des rivières, des fossés des places fortes, et non ailleurs, et que la plupart des individus qui la composent ont plutôt l'air d’avoir étudié la musique vocale à l’école des gre- 330 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. nouilles qu'à celle des Fauvettes. Les savants en ont fait une.des deux sections de la famille des Fauvettes et ils l'ont appelée la section des Æiveraines. On sait les raisons qui m'empêchent d'a- dopter cette division irrationnelle. J'ai dit et je répète, qu'il était impossible qu’il y eût parenté de premier degré entre deux familles dont l’une avait fourni à l’art musical ses plus illustres interprètes, dont l’autre avait déshonoré cet art par une imita- tion servile des procédés phonétiques de l’ordre des Batraciens: dont l’une adorait les fruits mous, et l'autre les méprisait. Je ne crains pas d'ajouter que je n'ai apporté qu'un intérêt très-faible à l'étude détaillée des mœurs de cettre tribu , et que j'entends ne consacrer au narré de ses faits et gestes qu'un nombre de lignes très-restreint. Donc ces Fauvettes riveraines, jaseuses, croasseuses , gre- nouillardes, comme on les appelle, sont des espèces voyageu- ses qui s’établissent au printemps dans les jonchaies de nos eaux stagnantes où elles passent une partie de la belle saison et d'où elles partent vers la mi-septembre. Elles y vivent d'insectes ailés et de cousins, de libellules et de petits scarabées, qu'elles ne ramassent pas par terre, qu'elles ne happent pas non plus au vol, mais qu'elles cucillent réellement sur les feuiiles et sur les tiges des roseaux et des arbustes qu'elles escaladent lésère- ment à la façon des Grimpeurs. Le fond de leur uniforme, qui est à peu près le même pour toutes les espèces, est une nuance indécise entre le jaunâtre, le brunätre et l'olivàtre. Leur taille varie depuis celle de la plus grosse Alouette jusqu'à celle du Roitelet. Un embonpoint sortable n’est jamais le fruit de leur peine. Leur dur et rauque larynx leur a valu en Lorraine le doux nom de Zirrrllibarrrace… et sur les rives de l'Essonne près Paris celui de 7èrr.…..arrache…. que l'usage dans l’une et l'autre province à fait appliquer à la tribu entière. Mais les pauvres riveraines, si mal dotées de la nature sous tant de rapports, n’en possèdent pas moins comme architectes des droits éternels et certains à l'admiration des mortels. Les nids de toutes les Fauvettes de roseaux sont généralement des œuvres d'art aux- quelles la critique la plus méticuleuse trouverait difficilement à SÉDIPÉDES. * 381 reprendre. Il.y en a un, celui de la Cisticole, qui est bäti en forme de bourse dans l'intérieur d’une toufle de carex, et qui, par l'admirable exiguité de ses proportions et la délicatesse du tissage, rappelle les merveilleux travaux du Colibri et de l'Oiseau-mouche. Le nid ordinaire des autres espèces est cons- truit sur le modèle de celui du Loriot ct pourrait motiver les mêmes admirations que ce dernier chef-d'œuvre. C'est une cor- beille élégante et profonde, tissée des plus précieuses matières avec une adresse de fée et solidement attachée par des amarres de liane à trois ou quatre tiges de roseaux que l'architecte a en- gagées dans la muraille extérieure de l'ouvrage en lacs d'herbes. Ces quatre tiges flexibles s’affolent à la moindre brise et se cour- bent parfois sous la tempête jusqu'à baiser de l'extrémité de leur flèche le miroir mobile de l'onde. Alors le frèle édifice est en- trainé par son adhérence à suivre les oscillations de ses supports. Mais le canot le micux trempe ne supporte pas avec plus de fer- meté les assauts de la mer ; et le léger berceau se relève et re- prend son, assiette sans avoir subi d'avaries, tant la couveuse qui a le pied marin est habile à maintenir ses œufs ou ses petits sous la douce pression de son corps. On me demande pourquoi je fais preuve de dispositions si mal- veillantes à l'égard de pauvres espèces plus dignes de pitié que de blâme et qui construisent de si jolis nids. C’est que ces pauvres espèces, hélas! indépendamment de l'effroyable tintamarre dont elles écorchent tout le long du jour les oreilles du pêcheur, symholisentdes êtres humains d'une société peu agréable et dont tous mes semblables ont eu beaucoup à souffrir... Et d’abord ces femmes charmantes, douces épouses, bonnes mères, riches de tous les moyens de plaire et remplies de goût pour habiller leurs enfants et leurs meubles, mais qui, dédaigneuses des succès de cette sphère intime, aspirent à briller dans le monde comme chanteuses ou comme poëtes, et affligent trop souvent le cœur de leurs amis par leurs rimes risquées ct leurs notes douteuses. Et encore ces nobles travailleurs, fils de leurs œuvres; qui, pour avoir conquis le premier rang dans un art tout manuel, se lais- sent trop aisément aller à croire que leur destin les appelle à A 332 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. régenter les autres, et se montrent trop avides des succès de tribune. Les dernières espèces du genre symbolisent ces affreux bourgeois de Paris et d’ailleurs, ex-directeurs de funambules, ou marchands de vulnéraire suisse en retraite, qui, pour avoir gagné un million ou deux à de sales métiers, s'imaginent s'être décrassés de leur roture intellectuelle comme on se décrassait de l’autre, avec quelques écus; se disent gens de lettres, et se croient autorisés à vous raconter les mystères de leur sotte existence. Que tous ceux qui comme moi ont gémi et souflert des de- plorables prétentions de ces trois classes, me pardonnent mes antipathies à l'endroit des Fauvettes croasseuses. Les auteurs ne s'accordent pas sur le nombre des espèces ri- veraines qui peuplent toutes les jonchaies de la France, depuis celles de la citadelle de Lille jusqu'à celles des étangs maritimes du Midi. Temmynck n’en compte que cinq ou six ; d’autres vont jusqu’à douze. Ils les appellent des noms qui suivent : Rousse- rolle (la plus grosse du genre, le véritable Tire-Arrache de la vallée d’'Essonne, celle que Temmynck avait métamorphosée en Merle, malgré son horreur pour les cerises), Bouscarle, Verde- rolle, Effarvatte, Locustelle, Phragmite, Cisticole, à mousta- ches, etc. Il y en a qu’ils appellent l'Aquatique, la Riveraine , la Fauvette des saules, comme si toutes n'étaient pas aquati- ques, riveraines et amies des saules. Le moyen de les recon- naître à des délinitions aussi claires que celles-là. Mettons qu'elles soient une dixaine, pour leur faire bonne mesure, et puis n’en parlons plus. Famille des Pouillots. Cinq espèces. Les Pouillots sont de tous petits oiseaux, qui vivent, comme la précédente tribu, des insectes des feuilles et des tiges, mais qui s'éloignent un peu du milieu aquatique pour gagner la SÉDIPÉDES. 333 forèt. Ils portent encore la livrée jaune des riveraines; mais ils différent d'elles par trois ou quatre caractères remarquables. Leur voix est douce et flütée; ils font des nids en boule qu'ils cachent dans des trous de taupes ou dans des tas de feuilles, comme le Rouge-gorge et le Rossignol ; leurs ailes sont beau- coup plus longues et leur queue commence à fourcher. Les Pouil- lots virent aux Roitelets, qui virent aux Oiseaux-mouches. Ils ont conservé de leur parenté avec les Fauvettes riveraines un certain amour des marécages , qui fait que dans les forêts et sur les rives des plaines, on les rencontre toujours dans les lieux arrosés. Je crois qu’il eüt été facile, en le voulant un peu, de donner à cette charmante tribu lilliputienne un nom plus digne et plus convenable que celui qu’elle porte dans les livres. Je trouve que Zouite, par exemple, qui est le nom onomatopique sous lequel elle est connue en Lorraine, est plus propre, plus heu- reux et plus expressif que Pouillot. C'était bien le moins pour- tant qu'on décoràt d’un joli nom cette espèce si gracieuse , si svelte, si poétique et dont la douce voix accentuée de tristesse semble dire sa propre complainte. Car la carrière de la pau- vrette est assaillie de bien des misères, Dieu lui ayant donné, ainsi qu'au Rouge-gorge, un grand cœur dans un petit corps. Elle se rue avec impétuosité sur la chouette au premier appel du pipeur, marche droit devant elle et tombe dans tous les piéges. La Fauvette cisticole, qui est la plus petite de toutes les Fau- vettes de roseaux et qui n’a pas la voix aussi rauque que ses sœurs, à bâti la première un nid clos de toutes parts et dans lequel on entre par une ouverture latérale. Ce système de bà- tisse a été promptement adopté par la plupart des très-petits oiseaux de nos climats, qui ont parfaitement compris que la forme sphérique était la plus favorable à la conservation et à la répartition égale de la chaleur. Il est évident, que ces petits oi- seaux, qui sont très-féconds, n'auraient jamais pu , à raison de l’exiguité de leur corps, suffire à la dépense de calorique qu’exige l'incubation d’un grand nombre d'œufs , si la nature ne leur eût 334 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. révélé les moyens d'économiser leurs ressources. Ajoutons à cétté considération importante que le nid sphérique a sur les autres l'avantage d'être complétement fermé aux attaques de la plüie, du regard et du bec des espèces ennemies. La Pie et lé Moineau-franc , qui ont oublié d’être bêtes, n’auraient pas depuis si longtemps adopté cette forme, s'ils n'avaient constaté par ex- périence la puissance de réverbération calorifique du dômé, autrement dit de la voûte de four. Règle générale : tous les très-petits oiseaux des climats froids et tempérés ont des habitations sphériques garnies de duvet à l'in- térieur, et ils y pondent de petits œufs blancs tiquetés de points rouges, dont la quantité varie depuis la demi-douzaine jusqu’à la douzaine et demie. Le chiffre de la Touïte est de six à dix, celui de ia Mésange à longue queue de seize à vingt. La Touïte la pluscommuneest ce joli petit oiseau jaune, à voix flütée, qu'on rencontre dans tous les jardins au printemps et à l'automne , où il grimpe et sautille de branche en branche à travers les lilas et les surcaux, qu'il épluche de leurs mouches, de leurs araignées et de leurs cheniiles molles, se précipitant à l’occasion au-dessus de la pièce d'eau, qu'il rase commé une Hirondelle, pour happer un cousin ou un autre insecte minus- cule. C’est l'espèce, je crois, qui a reçu dans les environs de Paris le nom de compteur d’écus, autre dénomination injurieuse. Elle cache si bien son nid dans les trous de taupes, dans les tas de mousses ou de feuilles sèches ct sous les tapis de pervenchie que je n'en ai jamais trouvé que deux dans toute ma vie, dont lun au bois de Boulogne. Cette espèce est le Pouillot proprement dit, qui mesure quatre pouces et demi dans sa plus grande longueur. Il y én à une autre un peu plus forte, que les savants ont appelée Hippolais, probablement parce qu'elle aväit la poitrine plus jaune que la première. Je dis probablement, parce que l'abbé Chavée, qui est le plus savant polyglotte que je connaisse , et que j'ai consulté à l'égard de la signification de ce mot grec, m'a certifié qu'hip= polaïs voulait dire. cheval de je ne sais quoi et non pas poitrine jaune... Ce n'est pas une raison. L’'Hippolaïs, qui mesure près SÉDIPÉDES. 335 de cinq pouces et demi de la pointe du bec à l'extrémité de la queue, est dite aussi le Grand-Pouillot.. Vient ensuite le Pouillot-Siffleur, dont la taille reprend la dimension normale de la tribu, et qui se distingue du Pouillot commun par le fond noir de sa queue et de ses ailes. Puis le Véloce, qui est un peu plus petit que le Siffleur, et qui se plaît surtout dans les bois de sapins. Enfin, le Natterer, qui est le plus exigu de tous les Pouillots, et qu'on ne rencontre en France qué dans l’île de Corse et dans quelques localités du Midi. Le nom de Natterer n’est pas plus qualificatif de cette dernière espèce que celui d'Hippolaïs de l’autre. C'est tout simplement le nom du chasseur qui à fait voir à M. Temmynck ou à quelque autre baptiseur patenté , le prémier individu du genre, et je ne songé pas Sans une secrète envie que pareille chance heureuse aurait pu m'arriver. Famille des Roitelets. Deux espèces Après les émoucheurs des saules et des arbrisseaux, les émou- cheurs de la forèt et des grands arbres; après les Pouillots, les Roitelets. Ceux-ci sont bien nommés, car ils portent couronné en tête, et le diminutif de roi convient parfaitement aux oiseaux qui sont les plus petits de l'Europe et les oiseaux-mouches, si lon veut, de l'ancien continent. Cette famille, ou plutôt ce genre, contient deux espèces, dont la taille varie de trois pouces à trois pouces et demi. Il y a nombre de Colibris dont la ‘queue seule dépasse cette dimension. On a tort d'appeler de ce nom de roitelet l'autre tout petit oiseau couleur de bécasse qui niche sous les chaumes des toits ét scus les hangards, puisqu'il ne porte aucun insigne de royauté. On dit bien, pour séparer les deux genres, Roitelet couronné et Roitelet domestique; mais à quoi bon baptiser du nom de roi un oiseau sans couronne ? Les gamins de Lorraine appellent le couronné le souci, à raison de la couleur de sa huppe, et l’autre le #réfri, à raison de son cri de passe habituel. Cette méthode est aussi simple que sensée. 336 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Les Roitelets vivent des mouches, des chenilles rases et des larves d'insectes qui habitent les hautes régions des tiges. Ils sont natifs du Nord, et quoique très délicats en apparence, durs au froid; car ils n'arrivent dans nos contrées que vers la saison des brouillards, alors que la gelée sévit rudement déjà dans leur pays natal. Ils passent toute la belle saison dans les cimes feuil- lues des sapins des forêts norvégiennes. Ils y aiment, y nichent et y chantent, et comme ils chantent si doux que leur voix ne descend pas jusqu’à terre, comme ils sont si petits que l'œil ne jes aperçoit pas dans leurs demeures aériennes, on a été fort longtemps à découvrir le mystère de leurs amours, même dans leur patrie. On a cru également que jamais ils ne nichaient en France, parce que jamais on ne les y avait vus dans la saison des nids; mais M. Florent-Prévost, qui a trouvé le nid du Roitelet sur un arbre vert du Jardin des Plantes, a forcé l’opi- nion publique de revenir de cette erreur. Les Roitelets nichent donc en France; seulement ils nichent trop haut pour que tout le monde les apercoive, et n'ayant que faire à terre au temps de leurs amours, ils n’y descendent pas. Ils boivent à la rosée et mangent sur la feuille. Leur nourriture est assez molle d’ailleurs pour pouvoir se passer de l’auxiliaire du breuvage. C’est donc vers l’époque des brouillards ou de la chute des feuilles que les Roitelets quittent les rivages de la Baltique pour prendre leurs quartiers d'hiver en France, en Italie, en Espagne; ils ne passent pas la mer. Ils se répandent alors dans tous nos bois et dans tous nos jardins publics par bandes peu nombreuses, composées de quatre ou cinq individus au plus, qui inspectent minutieusement chaque tête de lilas, chaque rosier, à la facon des Mésanges à longue queue, se montant sur les talons, se rap- pelant sans cesse et ne restant jamais une minute en repos. Leur confiance en l’homme est entière, et sa présence les inti- mide si peu, qu'ils se laissent mettre le gluau sur les ailes. J'ai dit que la coiffure des oiseaux était l'indice certain des idées et des passions qui germent en dessous. La huppe du Roi- telet, teinte d’une belle nuance orangé vif (souci), dénote donc un titre caractériel supérieur. à dominante d'enthousiasme. SEDIPÉDES. 397 La charmante petite créature a été douée en effet de tous les dons de l'intelligence, de l'esprit et du cœur. Son chant est une mélodie suave; son nid une merveille d'architecture ; son cou- rage est à l'avenant de celui du Rouge-gorge et de la Touïite. Le Roitelet couronné est un des oiseaux qui se ruent avec le plus d’impétuosité sur la Chouette, et il est superbe à voir dans cette lutte si prodigieusement inégale, l'œil ardent de colère et la huppe hérissée. Il est bien naturel que ce soient les plus pe- tits et les plus faibles qui se révoltent le plus violemment par- tout contre la tyrannie, puisque c’est eux qui ont le plus à souffrir de la cruauté de l'oppression. On ne peut pas apporter tant de qualités et de vertus dans un monde pervers sans les expier chèrement. Aussi le nom du Roi- telet couronné figure-t-il parmi les premiers sur la liste des es- pèces victimes. L’exiguité de sa taille ne l’a même pas sauvé de la gloutonnerie des humains. De sa confiance extrème et de sa familiarité touchante l'homme abuse pour le prendre avec un gluau mis au bout d’un bâton, l'enfant pour le tuer avec la sar- bacane. Le Pipeur a spéculé sur sa vaillance et sur sa haine de l’oiseau de nuit pour en faire d'énormes captures. On accuse la ville de Nuremberg, patrie de tant d'instruments barbares, d'être le plus fort marché de Roitelets de l'Europe. . Le nid du Roitelet est une toute petite sphère grise, pas plus grosse que le poing, faite avec de la soie de cocon de chenille, des aigrettes de chardons, du duvet, de la mousse, et qui est posée avec art sur le plat d'une branche de sapin, à des hauteurs inabordables. La ponte est de huit œufs. Le Roitelet peut s'élever et se garder en cage, mais il n’y chante pas et son éducation coûte des peines infinies. On connait en France deux espèces de Roitelets couronnés, lesquelles ont été très-longtemps confondues en une seule et qui ne diffèrent en effet l’une de l’autre que par de très-petits.. détails de coiffure. L'une s'appelle le Roitelet tout court, l’autre le Roitelet à triple bandeau, à raison de la répétition du ban- deau noir qui orne sa couronne. di. ; 22 338 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Genre Troglodyte. Espèce unique. Après l’'Émoucheur des hautes tiges et des arbres en bonne santé, vient l'Émoucheur du bois mort, des vieux murs, des arches de pont et du domicile de l'homme; après le Roitelet couronné, le Troglodyte. D. Pourquoi ce nom de Troglodyte? JR. Parce qu'il y avait autrefois, au dire d'Hérodote ou d'un autre, sur les bords de la Mer Rouge ou ailleurs, un peuple de Sauvages ou de Babouins qui habitait dans des cavernes, eomme les vignerons de la Touraine, et auquel les Grecs avaient donné le nom de Troglodyte, qui signifie ami des retraites té- nébreuses (#oglos, trou). Alors les savants de France qui avaient à baptiser un charmant petit oiseau, familier de la maison de l'homme et qui aime à se fourrer dans les trous, lui attribuèrent naturellement le nom de la peuplade ci-dessus, lequel ils don- nèrent en même temps à une très-grande espèce de singe. ‘: On ne voit peut-être pas de prime abord en quoi la dénomi- nation qui convient à un orang-outang peut convenir à un Roi- telet, mais le mot Troglodyte est grec et le grec fait toujours bien dans une nomenclature. Et puis où en serait la Science, si elle était obligée de rendre compte de toutes ses raisons au commun des mortels ? - J'ai déjà dit que les gamins de Lorraine, qui sont des nomen- clateurs de l’école naturelle, appelaient le Roitelet domestique le Tritri, par onomatopée. N’allez pas croire que ces observateurs vaifs s’en soient tenus là et qu’ils n’aient pas été frappés comme les savants de la manie de furetage ténébreux qui caractérise -éette espèce curieuse. Ils l'ont si bien remarquée, au contraire, qu'ils se sont crus obligés d'en faire au Tritri un second nom, qui à été Mussot. Mussot, comme qui dirait qui passe dans toutes les russes (musse, couloir de souris, #nus). Malheureusement, mussot a le tort d’être francais et non grec et de ne pas rappeler SÉDIPEDES. 339 le souvenir des singes de la mer Rouge. Je suis forcé de recon- naître ce double désavantage et j'opte pour Troglodyte. Le Troglodyte n'est pas un simple Gobe-mouches comme le Roitelet. Il joint à cette fonction celle d'Échenilleur forcené. On a compté qu'un couple de Troglodytes apportait à sa famille cent cinquante-six chenilles dans une seule journée. Il est vrai que les couvées de cette espèce sont plantureuses comme celle de tous les petits oiseaux, l’Oiseau-mouche et le Colibri exceptés. L'ha- bitude de ce petit oiseau est de fureter partout, d'entrer dans tous les noirs passages des murailles, des arbres morts et des chantiers de bois. Il y a beaucoup de la souris et du loir dans ses évolutions et dans ses manières d'aller et de venir, de pa- raître et de disparaitre. Il est vif, inquiet, remuant, affairé et porte sa queue relevée à la facon des Coqs. L'inspection qu'il fait subir aux vieilles poutres, aux arches de pont et aux vieux murs a pour but de le mettre en rapport avec une foule de larves d'insectes et de moucherons qui se réfugient, à l’arrière-saison, dans les gercures des écorces et dans les crevasses du ciment. A mesure que la rigueur du froid sévit, il quitte les forêts et les haies et se rapproche des fermes; il pénètre volontiers pen- dant l'hiver dans les appartements habités pour s'y emparer des moucherons et des mouches qui sont venus y chercher un asile. Sa familiarité est extrème et lui joue parfois de mauvais tours. Le Troglodyte construit un nid en boule, à l'instar des Pouil- lots, des Roitelets et des petites Mésanges. Ce nid est fait de mousse verte à l'extérieur et garni de plumes en dedans. On le trouve souyent dans les ronces, les rosiers, les épines, les lierres des arbres et des murailles, les troncs mousseux des chè- nes, mais plus généralement encore dans les solives percées des hangars, les toits de chaume, les trous de murs, les dessous de tuiles, les piles de fagots. Le premier système de bâtisse trahit Ja parenté de l'architecte avec les Roitelets, le second sa parenté avec les Grimpereaux, pourquoi nous l’ayons fait siéger entre les deux. Le nombre de ses œufs varie de six à douze. Le petit Roitelet pris au nid s'élève facilement à la pâtée de cœur de bœuf, mélangé de farine de chènevis, qui est 310 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE, le fond de la nourriture des trois quarts des insectivores pri- sonniers. J'ai vu, en la présente année 4854, un couple de Troglodytes capturés au bois de Meudon en avril, au moment où ils travaillaient 'à leur nid, reprendre dans la prison leur œuvre interrompue, et puis couver et amener à bien une su- perbe famille. J'ai reconnu là que le mâle de cette espèce était un petit tyran domestique, attentif à nourrir sa femelle pendant l'incubation , mais la rappelant énergiquement à ses devoirs de maternité et la renvoyant vivement à ses œufs aus- sitôt qu'elle se permettait de les quitter pour prendre l'air. Dans la cage voisine de ces Roitelets, grandissait une nichée de jeunes Fauvettes à tête noire, prises dans le même bois avec leur père, et que celui-ci s'était bravement chargé de nourrir et d'élever à lui tout seul en l'absence de leur mère, ce dont il vint heureu- sement à bout. Quand je vous dis que tous les oiseaux chantants ne voudraient pas d'autre domicile que celui de l’homme pour abriter leurs amours , s'ils pouvaient compter sur la loyauté des pères et sur l'amitié des enfants. On ne peut pas être un grand artiste et garder son talent pour soi et ne pas être jaloux des ap- plaudissements de la femme. J'ai parlé tout à l'heure de la fami- liarité extrème du Troglodyte. L'un d’eux fit une fois son nid dans le chapeau d’un de ces mannequins de paille qu’on place dans les jardins pour épouvanter les moineaux. Le Troglodyte a des raisons pour vouloir qu’on l'écoute. C’est le plus magnifique gosier de toute la tribu des insectivores, et il n'a qu'un petit nombre de rivaux à redouter parmi les plus illus- tres maitres de l’ordre tout entier des chanteurs. Son chant, sans être aussi varié que celui du Rouge-gorge, en a les notes limpides et le timbre cristallin. Il exprime presque aussi élo- quemment que celui de l’Alouette le délire de l’amour heureux. Dieu a dû dépenser beaucoup d'art pour construire le larynx du Roitelet domestique et pour armer une aussi frêle machine de moyens d'action si puissants. Le Troglodyte est comme le Rouge-gorge, le Traîne-buisson, l'Hirondelle, un oiseau du bon Dieu, un hôte de la cabane du pauvre. Il chante pendant l'hiver. SEDIPÉDES. 341 Ce ténor de si grand talent et de si courte taille (3 pouces 9 lignes), n’a pas été moins richement partagé du côte du cœur que du côté de la voix. C’est encore un brave des braves ; quel- que chose comme une seconde édition, une édition diamant, ou un alter ego du Rouge-gorge. Il fait beau les voir atta- quer le hibou à eux deux. Le Roitelet, qui est un lion dans la bataille, n'y va pas par quatre chemins. Aussitôt au’il entend le cri de l'espèce maudite, il perce droit dans la loge du pipeur, pour lui crever les veux, et il éprouve un désappoiatement bien amer de rencontrer un homme là où il espérait un ennemi. Je présume, du reste, que la réputation de bravoure du Roitelet était solidement établie dans le monde dès la plus haute anti- quité , puisque l’histoire romaine constate l'analogie qui fut en- tre lui et Jules César. « La veille du jour où ce dernier reçut ses vingt-deux coups de poignard dans le sénat, dit-elle, un Roite- let fut écharpé de la même facon sur la place publique par une vingtaine d’autres petites bêtes, et cet événement qui semblait un triste présage pour le nouveau 702, impressionna vivement les amis du grand homme et les fit se douter de l'affaire qui se machinait. » Brave comme César, voilà ce que l’histoire ro- maine témoigne du Roitelet. Après cela rien ne prouve que le nom même de Regulus, nom latin du Roitelet, ait jamais eu en cette langue la mème acception de diminutif que dans la nôtre, et n’ait pas été donné à l'espèce en considération de son cou- rage héroïque et de ses rapports caractériels avec l’illustre pri- sonnier de Carthage. Cette étymologie serait nouvelle; je l'offre pour ce qu’elle vaut. Du reste, la légende du Roitelet domesti- que est pleine de semblables comparaisons entre lui et de très- hauts personnages, voire des têtes couronnées. Je m'étonne même que l’histoire grecque n'ait pas trouvé quelque part ma- tière à rapprochement entre le héros emplumé et Alexandre le Grand, qui était petit de corps (corpore parvus), ainsi que Jules César et Napoléon; et je me trompe fort, si le nom de Roi Bertaut ou de Robertot que le Roitelet porte dans toutes les contrées de l'Ouest, n’a pas encore quelque origine royale. Le Troglodyte possède trap de qualités du Rouge-gorge pour 34 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. n'avoir pas aussi quelques-uns de ses défauts. Il est trop grand artiste pour n'être pas jaloux ; il chante trop bien pour n'aimer pas à chanter seul ; il est trop brave pour n'être pas quelque peu ferrailleur et bretteur. Il est donc un fléau pour ceux de son espèce, qu'il provoque en combat singulier, en cage comme en liberté, et qu'il tue quelquefois. Mais le plus grand de tous les malheurs du Troglodyte est dans l’exiguité de sa taille. Il est trop petit pour n’être pas essentiellement rageur et très-porté à s'exagérer ses moyens en toutes choses. L'histoire rapporte qu'un Troglodyte paria un jour de voler plus haut que l'aigle, et qu'il gagna son pari par un strafagème ingénieux. Pour voler plus haut que l'aigle, il ne s'agissait que de lui grimper sur le dos et de s’y installer sans que l’autre s’en apercüt; le Roitelet eut cette adresse, et quand l'oiseau de Jupiter arrivant dans la nue et cherchant partout du regard son adversaire, eut exprimé son étonnement de ne pas l’apercevoir, le petit Poucet sortant tout à coup la tête de la fourrure de l'Ogre, lui entonna dans les oreilles un chant de victoire qui dut le surprendre bien plus en- core... Le Roitelet s'était servi, pour monter plus haut que l’ai- gle, du procédé qu'employa depuis mademoiselle d’Angeville pour monter plus haut que le Mont-Blanc, dans cette ascension audacieuse qui immortalisa son nom. Comme la tricherie au jeu n’est pas dans les habitudes des braves, il m'est difficile d’ad- mettre l'authenticité absolue du récit qui précède; cependant j'ai voulu le reproduire pour prouver que l’opinion de tous les observateurs sérieux était fixée depuis des siècles sur les ten- dances caractérielles du Troglodyte, et que tous ces observa- teurs étaient d'accord avec moi pour faire de cette espèce inté- ressante le portrait vivant d'une foule d'artistes grands d'esprit, mais petits de corps et fortement titrés en Cabaliste. Le Troglodyte ne marche la queue si haute, ne fait tant de poussière et de bruit en marchant, ne crie aux gens gare que je passe, ne demande à faire à chaque instant ses preuves, n’est si désagréable pour sa société, en un mot, que parce qu'il a tou- jours peur qu'on ne mesure son mérite à sa taille. Or, cette peur est la torture de tous les petits hommes forts, artistes ou guer- SÉDIPEDES. 343 riers. La crainte perpétuelle d’être refusés au concours pour défaut de taille et la connaissance qu'ils ont des sympathies des masses, généralement acquises aux hommes gros, sont deux tisons toujours ardents qui maintiennent leur cervelle dans un état d'ébullition permanente; laquelle température pousse à forcer le verbe, à apostropher l'ennemi et à tenter des œuvres titanes- ques. Mon cœur sensible compatit aux souffrances de ces na- tures orageuses et insociables et excuse leurs emportements. Est-ce leur faute, à elles, si le fourreau qu'on leur a distribué, en naissant, s'est trouvé trop petit pour sa lame, et l'humanité n'a-telle pas plus à bénéficier qu'a pätir de leurs ambitions? Peut-être que M. Ingres et Alexandre le Grand n'auraient pas entrepris les grandes choses qu'ils ont faites, s'ils avaient eu seu- lement un ou deux pieds de plus! Famille des Grimpereaux. Deux espèces. Ayant de spécifier les caractères de parenté qui sont entre les Troglodytes et les Grimpereaux, il importe de signaler une modification curviligne -du bec qui commence à se manifester dans la série des Insectivores, à partir des Pouillots, pour se continuer jusqu'à ses dernières limites. Cette tendance à la forme de l'arc et de l’alène est déjà visible chez les Roitelets couronnés, chez lesquels le bec s’arrondit, s'eflile et s'incurve légèrement. L'alène se dessine plus franchement encore chez le Troglodyte dont le bec est plus long et plus arqué que celui du Roitelet ; elle est complétement marquée chez les Grimpereaux qui touchent aux Colibris. La longueur et la gracilité des man- dibules qui sont des causes de faiblesse dans l'instrument de préhension, annoncent que la proie devient de plus en plus molle et qu’elle se loge dans des retraites de plus en plus pro- fondes. Tout à l'heure il faudra des langues aussi longues que la trompe du sphinx pour pouvoir pomper l'insecte au fond du calice des fleurs. 344 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Le Troglodyte est l’insectivore des vieux murs, du bois mort, qui circule comme la souris à travers les fagots. La famille des Grimpereaux de France renferme deux espèces dont l’une cher- che exclusivement sa vie dans les gerçcures des vicilles écorces des arbres et l’autre dans les fissures des rochers. La première de ces espèces est dite le Grimpereau tout court ou le Grimpe- reau familier; la seconde, l'Échelette ou le Grimpereau de mu- raille. Le Grimpereau familier est un tout petit oiseau de la taille et de la couleur du Roitelet domestique, très-connu dans toutes nos forêts et dans nos jardins publics, qui niche dans les trous des marronniers des Tuileries, du Luxembourg ct du Jardin des Plantes, qui circule rapidement autour de tous les troncs d'ar- bres et s'y promène dans tous les sens, insinuant son bec cflilé dans les fentes des écorces pour y appréhender les mou- cherons, les punaises, les cocons et les larves de petits papil- lons qui s'y cachent. Il diffère essentiellement des Grimpeurs jugipèdes ; d’abord en ce que ses pieds sont conformés comme ceux des Fauvettes, trois doigts devant, l’autre à l'arrière; en- suite, en ce qu’il peut descendre aussi bien que monter le long des arbres, tandis que la descente cest interdite aux Piverts; enfin, en ce que la faiblesse de son bec ne lui permet pas de creuser le bois comme ceux-ci, et de frapper assez fort à la porte des insectes lignivores pour les forcer de sortir. Le Grimpereau a, du reste, la queue étagée des Piverts, et les plus longues de ses rectrices, les médianes, sont assez résistantes pour lui offrir un point d'appui dans ses ascensions. Le Grimpereau, qui est très-causeur en tout temps, mais surtout au printemps, accom- pagne chacun de ses mouvements d’une petite note aiguë, flûtée et quasi-douloureuse, assez semblable à celle du Pouillot et qui se métamorphose facilement en chant d'amour par la répétition. LE GRIMPEREAU DE MURAILLE. Ainsi nommé par Buflon, est le mème que le Pichion de Vieillot et le Tichodrome Echelette de Temmynck. Le nom le plus joli ct le plus savant que cette char- mante espèce ait reçu est celui qui lui est venu des gardeurs de SÉDIPÉDES. 345 chèvres du Jura et des Alpes françaises, qui l'appellent le Pa- pillon des rochers. Nom savant, s'il en fut, en même temps que pittoresque, car il indique d’abord que l'oiseau à l'habitude de faire des stations dans l'air, à l'instar des papillons qui pom- pent le suc des fleurs en se soutenant immobiles sur leurs ailes; et ensuite que le Grimpereau de muraille est précisément par ce côté-là le plus proche parent de lOiseau-mouche, fa- mille difficile à classer. Le Parpaillon des rives du Gardon et de la Durance, qui doit être la prononciation provençale de l'italien Farfalone , dérive évidemment de la même analogie. Le Papillon des rochers peut compter parmi les plus rares et les plus belles espèces de France. Il est à peu près inconnu dans quatre-vingts de nos départements et très peu connu dans le reste. Ses patries sont les grandes roches des Alpes, du Jura et des Pyrénées, et aussi les falaises de la mer du Midi. Il est plus commun au delà qu'en decà de nos frontières du Piémont et de la Savoie. La taille de ce Grimpereau est celle de l'Alouette ; ses longues ailes, son bec eflilé et la délicatesse recherchée des nuances de son plumage en font un moule d'une élégance ct d’une distinction sans pareilles. Ces nuances délicates sont le cendré clair ,-le gris perle et le rose vif; mais le rose et le cendré des pastels de Latour ou de Maréchal. Le rose couvre les scapulaires et tout le dessus des ailes, c’est-à-dire la partie la plus apparente du manteau , puisque la principale évolution de l'oiseau est l’as- cension verticale contre une paroi de roche, évolution pendant laquelle il ne peut être vu que de dos. Le cendré clair plus ou moins tendre, plus ou moins accusé, prend le reste du costume, virant graduellement au noir mat, à mesure qu'il approche des bordures et gagnant insensiblement la gorge, la calctte, les pennes extérieures de la queue et des ailes pour faire à tout le système une sombre encadrure d'un effet merveilleux. D’autres enjolivements de détail viennent compléter l'harmonie de ces accords de teintes, lorsque l'oiseau joue son grand jeu et déploie toutes ses voiles ; lorsqu'il est obligé, par exemple, de mouiller . sur ses ailes, pour inspecter quelque imperceptible fissure du 346 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. mur trop poli de l’abime où ses ongles n'auraient pas prise. Alors une foule de petits miroirs blanc et or, qui gisaient ensevelis jusque-là sous les plis des rémiges, s’en détachent tout à coup pour scintiller , papillonner, miroiter aux regards; pour essayer, en un mot, d'imiter d'aussi près que possible les façons des mo- dèles de l’art, le Sphinx et l'Oiseau-mouche. Le Papillon des roches, qui n'aime pas à poser son pied ailleurs que sur la pierre , reste confiné dans ses districts mon- tagneux des Alpes pendant toute la belle saison. Mais quand arrive la saison des voyages, 1l choisit volontiers pour étapes les grandes villes célèbres par la beauté de leurs édifices publics et surtout par leurs cathédrales. C’est ainsi qu'il visite chaque année et toujours avec un nouveau plaisir le pont du Gard, les arènes d'Arles et de Nimes, la Tour Magne de cette dernière cité et toutes les églises du Midi. L'auteur de l'Ornithologie du Gard à même tort d'affirmer que jamais il ne se montre dans le Nord; car je l'y ai rencontré plusieurs fois pour mon compte; une fois dans une visite à la jolie église de Notre-Dame de Lépine, en Champagne , une autre fois sous les arches du Pont du Diable (Moselle), et je sais positivement que l'espèce se laisse voir de temps à autre sur les cathédrales de Dijon , de Strasbourg, de Metz, de Reims, de Bourges, etc. Enfin M. Jules Delon de Soizy, ornithologiste passionné et savant, à qui je dois une foule de communications intéressantes, m'a fait voir dans sa char- mante collection d'espèces européennes un Grimpereau de mu- ‘raille tué dans la grande carrière de Montmartre. Le Papillon des rochers niche naturellement dans une fissure de roc ; il doit pon- dre des œufs blancs vernis. Son chant n’est pas un chant , mais une simple répétition plus ou moins accentuée de la même note. Ici est la place où s'emmanche dans la classification univer- selle l’innombrable et brillante tribu des Oiseaux-mouches et des Colibris, qui sont les insectivores des fleurs. Vieillot et les autres -ont eu tort de désigner ces espèces illustres sous le titre géné- rique de Mellivores ou de Mellisuges, mangeurs ou suceurs de miel; attendu que les Oiseaux-mouches boivent bien, en effet, SÉDIPÉDES. 347 le miel des fleurs, mais ne méprisent aucunement les insectes ailés qu'attire la douce liqueur au fond des nectaires parfumés. Il est certain qu’on n’a jamais ouvert un estomac de Colibri ou d'Oiseau-mouche sans y trouver des tas d'insectes nageant dans le sirop. La tribu des Oiseaux-mouches confine à celle des Sucriers et des Soui-mangas de l’ancien continent, qui confinent à leur tour aux Huppes et aux Guëpiers d'Europe et qui nous ramènent chez nous de notre courte excursion à travers la zône embrasée… où les corps n’ont point d'ombre, ni la floraison de re- pos, où le plumage de l'oiseau semble fondre aux rayons ardents du soleil pour cristalliser en pierreries. J'ai dit que les Oiseaux- mouches étaient à la fois les plus riches, les plus braves ct les plus fins voiliers de l'air et que rien ne leur manquait sinon la voix pour toucher l'idéal. Genre Huppe. Espèce unique. Des centaines, un millier d'espèces peut-être , séparent le Grimpereau de muraille de la Huppe, et cependant il est facile de saisir encore les caractères de parenté qui relient ces deux genres. Le bec est grêle, triangulaire, arqué et plus long que la tête chez l’un comme chez l’autre. Les pieds sont également courts ; le doigt du milieu est soudé à la base avec le doigt ex- terne. La Huppe niche quelquefois, comme le papillon de rocher, dans les trous des vieux murs; là s'arrêtent les similitudes et commencent les différences. La Huppe vit à terre des petits scarabées qu'elle cherche dans les laissées du bétail et aussi des fourmis; elle perche et elle ne grimpe plus, et elle niche plus sou- vent dans les cavités des arbres ou dans celles des murailles que dans les fissures de rocher. Les Grimpereaux sont des oiseaux familiers, sinon braves; la Huppe est le plus timide et le plus poltron de tous les oiseaux de la terre. Elle s’évanouit et tombe de frayeur à la vue de l'oiseau de proie. Huppe , Puput , Coq puant, Coq de bois, sont les principaux noms sous lesquels cet oiseau est connu en France. Le premier 348 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Jui vient d’une huppe superbe de vingt-six plumes rousses, bordées de noir, disposées sur deux rangs; huppe fuyante , bien entendu, huppe de peureux. Les noms de Puput et de Coq puant, ont été attribués à l’oiscau, non pas, comme on l’a dit, à raison du genre de mortier fétide dont il confectionnerait son nid, mais bien parce que ce nid, qui est une cavité profonde peu propice au curage, se trouve habituellement défendu par un re- tranchement d'immondices qui en rend l’abord peu facile. Ces immondices proviennent des déjections de la jeune famille que les pères et mères n'ont pas soin d'emporter au dehors comme font d’autres parents plus soigneux. Le nom de Coq de bois dé- rive de la huppe qui n’a pourtant rien de commun, passion- nellement parlant, avec la crête de chair de l'emblème du gla- diateur. Mais où sont les nomenclateurs qui savent distinguer à la disposition d’une parure de chef, la dominante caractérielle d’une espèce emplumée ? La Huppe est un oiseau d'assez belle prestance, quand la frayeur ne paralyse pas ses moyens. Elle marche avec assez de majesté dans les prés et dans les sillons des champs, redressant de temps à autre sa crête. Sa taille est celle de la Litorne ou de la Tourterelle. Elle acquiert au temps du passage, vers le com- mencement de septembre, un état d'embonpoint qui en ferait un rôti délicieux, si sa chair n’exhalait pas trop souvent le par- fum musqué de la fourmi. Il n’en reste pas un seul couple en France pendant l'hiver. Elle traverse la mer et passe dans l'in- térieur du continent d'Afrique la majeure partie de la saison. Cet oiseau n’a pas de chant. Seulement au printemps, le mâle fait entendreune note assez semblable à celle du roucoulement du Ramier, note qu'il répète plusieurs fois de suite, en relevant amoureusement les belles plumes de sa huppe et en ramenant son bec sur sa poitrine. Son cri de passe rappelle au contraire le sifflement aigu du Gros-bec. L'espèce est solitaire ‘et silen- cieuse et fait tout ce qu'elle peut pour n'être ni remarquée ni entendue de personne. La Huppe est le parfait emblème du parti des trembleurs et des immobilistes, braves gens qui relèvent fièrement la tête, et SÉDIPÉDES. 349 parlent volontiers de couper celle de l'hydre de l'anarchie quand le pays est calme, mais qui rentrent énergiquement dans leur cave pour peu que l'horizon politique se couvre de nuages; gens honnètes, gens modérés, mais ennemis des réformes et qui ai- ment mieux continuer à croupir dans le sein de l’ordure civili- sée où leurs pères ont vécu, que de faire un pas en avant dans la voie du progrès. Genre Guépier. Deux espèces. Le genre Guépier et le genre Martin-pècheur forment dans les nomenclatures habituelles une famille ou mème un ordre dit l’ordre des Alcyons. Bien qu’au point de vue de la classification basée sur la conformité du mode de nourriture, la parenté de ces deux genres paraisse difficile à établir, cependant cette pa- rente-là, il faut bien en convenir, est un fait qui s'impose aux regards même avant de se discuter. Le Guëpier est un voilier rapide, pourvu de longues ailes ai- guës et d’une queue à filets comme le Paille en queue du Tro- pique; il se joue dans les hautes régions de l'atmosphère avec la grâce et la légèreté de l'Hirondelle dont il a les allures et le vol capricieux ; le Martin-pècheur a l'aile ronde et la queue courte de l'oiseau plongeur; il rase la surface de l’eau et ne s’é- lève jamais jusqu’à la cime des arbres qui bordent le rivage. Le Guëpier vit de guèpes et d'insectes ailés ainsi que son nom l'in- dique ; le Martin-pècheur de poissons et d'insectes aquatiques. Le premier a le bec arqué du Colibri ; le second, le bec droit et pointu du Pivert. Celui-là est un oiseau de passage comme tous les insectivores, et qui ne fréquente que les seules contrées du Midi ; le Martin-pècheur est presque sédentaire et se rencontre sur tous les cours d’eau de la France. Et pourtant la nomencla- ture officielle a eu mille fois raison de réunir ces deux genres dans la même famille , et j'irai plus loin qu'elle en y faisant en- trer de force un troisième moule, le Torchepot ou la Sitelle, 350 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. qui est un Grimpeur ambigu entre l’ordre des Sédipèdes et celui des Jugipèdes. Mais quelle est donc alors cette puissance mystérieuse qui force la main à la science et lui fait une loi d’incorporer dans le même groupe des groupes en apparence si distincts ? Ouvrez le fameux traité de la Théorie des Ressemblances , ou- vrage neuf et hardi, mais non autorisé par la Sacrée Congrégation de l’Index, vous y trouverez cette question résolue ainsi que beaucoup d’autres. L'auteur de ce traité si remarquable à tant de titres est ce riche seigneur portugais si ami des oiseaux qui fait reconduire chez eux dans son propre équipage les jeunes Martins- pêcheurs enlevés par des mains barbares à la tendresse mater- nelle ; le même qui, voyant le triste usage que les civilisés fai- saient de leur intelligence, a maudit ce funeste don de la nature en termes si éloquents et si amers. La Zhéorie des Ressemn- blances nous révèle la loi mystérieuse qui force ici la science à marcher dans le droit chemin de la classification. En tout et partout le semblable doit produire son semblable, y est-il dé- montré. Or le Guèpier, le Martin-pècheur et pd si divers d’appétits, d'habitudes et de mœurs, se ressemblent par un point, la couleur du manteau, qui est l'aigue-marine émaillée de roux orangé. Et cette seule parenté de couleur a suffi pour en- traîner la parenté d’une foule de caractères importants dont l'identité singulière à frappé tous les yeux. La couleur aigue- marine exige, à ce qu'il paraît, des pieds nus, des pieds courts où le doigt médian ne fasse qu’un avec le doigt interne jusqu’à la première articulation et soit soudé avec le pouce jusqu'à la seconde. Le Guëpier et le Martin-pêcheur sont parents du côté de cette conformation anormale des membres inférieurs. L'aigue - marine exige encore que les oiseaux qui s’en parent creusent de profonds terriers dans les berges des rivières et rétrécissent l’en- trée de leurs domiciles.. En conséquence , le Guêpier se perce dans les escarpemenis des cours d’eau un immense boyau de cinq à six pieds de long qu'il étrangle à la gorge; son bec fermé lui sert de pic pour ouvrir sa tranchée, et ses pieds de râteaux pour ramener la terre au dehors. Le Martin-pècheur, moins expert SÉDIPÉDES. 351 en ce travail de mine, s'empare tout simplement d'un trou de rat d’eau prenant jour sous quelque racine de saule et dont il maconne l'entrée par de la terre battue. Enfin la Sitelle, qui est un Grimpeur vivant d'insectes perce-bois, la Sitelle, qui adore le suif et la noisètte, genre d'alimentation complétement répulsif au Guëpier et au Martin-pécheur, la Sitelle, en un mot, qui n’a rien de commun avec ces deux espèces qu'une vague similitude de goût pour les robes à fond roux et les manteaux bleuâtres, la Sitelle fait des trous d'arbres taillés à l’emporte-pièce par le pi- vert ce que le Martin-pêcheur fait des trous de rat d’eau ou d'écrevisse; elle s’en empare et s’y installe, ayant bien soin, avant d'y pondre, d’en rétrécir l’orifice par une porte en ciment, vrai ciment d'argile et de salive, solide et persistant comme ce- lui de l’Hirondelle. Et comment s'étonner que la puissance in- vincible et fatale de l'homochromie dans la mise (similitude de couleur du manteau) se manifeste chez des espèces de la même série dans un ordre quelconque , quand on la voit tous les jours franchir la distance qui sépare les règnes, pour rallier caracté- riellement les espèces les plus éloignées l’une de l’autre dans l'échelle de l’animalité.….; attribuant invariablement à telle ou telle moucheture, à telle ou telle zébrure, une dominante fixe; imposant, par exemple, à la Truite la gloutonnerie féroce de la Panthère ou à la Guëpe les appétits sanguinaires du Tigre. parce quelles sont marquées de même ! Tant il ya qu'il ne fallait pas moins que ces singuliers rapports de conformation de pieds et de nidification entre les trois espèces hétéroclites ci-dessus pour guider l'analogiste dans le classement régulier d'icelles. Car il ne suffit pas à l’analogiste comme au savant vulgaire pour apparenter deux espèces, dont l’une vit dans le sein des nues, l’autre dans le sein des ondes, de voir qu’elles s’habillent de même et qu’elles portent aux pieds des entraves de la même fabrique ; il désire encore qu'on lui dise pourquoi elles sont ve- nues au monde comme cela. Le Guépier est parent de la Huppe par l’arcure effilée de son bec et un peu aussi par la conformation des pieds (soudure du doigt médium et de l’externe à la base). Sa taille est un peu 302 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. moins forte que celle de cette espèce. C’est un oiseau d’Afrique qui s'égare au printemps sur nos plages riveraines de la Méditer- ranée où il visite chaque année quelques cantons des Bouches- du-Rhône, du Var, du Gard, de l'Hérault et de l'Aude. Il est rare qu'il s’aventure plus au Nord. Les habitants de la Camargue le connaissent sous le doux nom de Sérène. La richesse éblouissante du costume du Guëpier dit assez qu'il est originaire des contrées du soleil. Ce costume est beaucoup plus semblable à celui du Colibri qu'à celui du Martin-pêcheur, par le nombre infini de ses nuances aigue-marine, orangé roux, vert, brun marron, jaune d’or. Les Guépiers rappellent plus encore le type radieux du Colibri par l’élégante courbure de leur bec en faucille, la puissance , la grâce et la légèreté de leur vol et la dimension de leur queue qui s’allonge en filets caractéristi- ques. La première fois qu’un chasseur parisien , doué d’une ima- ginalion un peu vive, rencontre en Algérie un vol de ces oiseaux groupés en rangs serrés sur les branches nues du mürier ou du frêne , il est tenté de les prendre pour des fleurs d'émeraude et de topaze de quelque jardin enchanté. Le Guëpier est un oiseau charmant , créé comme l’Hirondelle pour vivre aux alentours de la demeure de l'homme et pour la garder contre les attaques d’une foule d'ennemis dangereux qui s'appellent les Frèlons et les Guèpes , insectes dévorateurs et san- guinaires , fléaux de la chair et des fruits. Il ne se borne pas à attaquer la Guèpe et le Frêlon quand il les rencontre dans les airs, mais il observe attentivement leur marche et les suit jus- qu'à leur domicile , à l'entrée duquel il se poste pour saisir tout ce qui en sort. Le besoin de l’aide du Guëpier se fait vivement sentir dans une foule de départements de France où l’homme est impuissant à lutter contre les guèpes qui rendent beaucoup de maisons inhabitables et beaucoup de riches jardins frui- tiers complétement improductifs. Mais l’homme, au lieu d’atti- rer à lui son auxiliaire, par ses invitations et ses bons procé- dés, n’a rien de plus pressé que de le fusiller quand il le trouve à portée de son arme, ce qui a forcé la pauvre bête de se retirer des lieux où l’on brûle beaucoup de poudre. Bien que le Guëpier SÉDIPÈDES. 353 ait le bec assez dur pour tuer sa proie d'un seul coup, il n'a pas besoin de se précautionner, par cette mesure préalable, contre la piqüre redoutable de l'ennemi, la nature l'ayant doué, comme le Martinet, de l’inintoxicabilité mithridatique. J’ai déjà dit au chapi- tre de l’Hirondelle apivore que cette faculté précieuse que je viens de substantiver d’une facon si barbare devait entrainer avec elle garantie de vitalité énergique et de longévité. Je n'ai pas compté avec le Guépier pour savoir à quel âge il meurt; mais je sais par expérience qu'aucun autre oiseau n’est plus tenace à la vie. Si bien que quand j'ai vu qu'il ne voulait pas mourir, j'ai re- noncé à le tuer ; détermination d'autant plus raisonnable , que la chair du Guëpier n'est pas mangeable et que son meurtre est sans excuse. Cet oiseau est très-connu dans toutes les îles de l'Archipel et de la Méditerranée et dans les environs de Gibraltar. Les habi- tants des îles de Candie, de Rhodes et de Chypre, pays de chasse adorables, le pèchent à l'hamecon , au moyen d'une lon- gue ligne de soie amorcée d'un bourdon qu'ils font jouer dans les airs. J'ai vu des gamins de Paris prendre des Martinets au pont des Arts par le même procédé. Le Guëpier, qui fait son nid comme le Martin-pècheur.dans un terrier profond , a encore avec cet oiseau un caractère de rallie- ment remarquable , qui est de pondre des œufs blancs à surface polie et luisante comme la plupart des espèces qui nichent au fond des cavités obscures. Les savants prétendent que le genre Guèpier renferme deux espèces, l'une qu'ils appellent le Guépier vulgaire, l’autre le Guëpier Savigny , lesquelles espèces, disent-ils, vivent toujours ensemble et se ressemblent si fort qu'il faut d'excellents veux pour ne pas les confondre et les prendre pour la même. Puisque la distinction est si embarrassante, n'essayons pas de la carac- tériser, et réservons cet office au pinceau qui s’en tirerait mieux que la plume. Le Marrix-r£cueur. Piscivore et plongeur. Il appert de l'excentricité des habitudes et des goûts des deux ou trois gen- ii. 23 304 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. res dont nous avons encore à décrire l’histoire, que l’ordre des Sédipèdes touche à sa fin. Le Martin-pécheur qui vit beaucoup plus de poissons que d'insectes, est le dernier terme de l’ordre dans cette classification pédiforme, et les genres Sitelle et Mésange que nous rencontrerons après lui sur la route de l'ordre voisin, sont des ambigus si prononcés que nous avons re- - connu la nécessité d’en faire une classe à part, à ce titre, entre les Percheurs et les Grimpeurs. L’étrangeté de ce rapproche- ment du genre le plus voisin des Pics avec un oiseau plongeur à bec droit, paraîtra moins choquante quand j'aurai démontré par un fait que c’est la nature elle-même qui a créé ce rappro- chement dont je ne suis pas fautif. Il existe en effet une nom- breuse famille naturelle d'oiseaux que les savants appellent Jacamars , et ces Jacamars tiennent par tant de caractères aux Piverts et aux Martins-pêcheurs, qu'il est complétement impos- sible de nier la parenté des deux groupes. Je n'ai pas le temps de discuter le fait, je le cite, cela suffit. Le Martin-pêcheur , qui jouit en France et dans tous les écrits des auteurs d’une immense réputation de beauté, est un oiseau presque aussi remarquable par la disgracieuseté de ses formes que par l'éclat de son plumage. Son long bec caréné est beaucoup trop fort pour sa taille, sa tête aussi est trop volumineuse , sa queue trop courte , ses ailes trop arrondies. Il porte sur la tête une calotte bleu sombre marquetée d’écailles bleu clair et ter- minée par un épais chignon d’où part , pour aboutir à l'extrémité de la queue, cette fameuse zône longitudinale aigue-marine dont l'éclat métallique motive suflisamment la célébrité de l'oiseau. Le reste du plumage n’a plus rien de bien merveilleux : Mous- taches vertes, gorge blanche, tout le devant et tout le dessous du corps d’un roux orangé vif. J'ai dit à l'alinéa qui précède le système de nidification du Martin-pêcheur et même la couleur de ses œufs. Cet oiseau n’est commun nulle part en France ; ce qui n’empê- che pas qu’on ne l’y rencontre partout, même aux bains Vigier du Pont-neuf ,en plein cœur de la capitale. I habite indifféremment les rives de tous les cours d’eau grands et petits bordés d'arbres, SÉDIPÉDES. 355 et aussi celles des étangs, des jonchaies, des tourbières. Ses demeures de prédilection sont les basses branches des oseraies et des saules qui pendent sur les flots, et d’où il regarde passer les petits poissons dont 1] fait sa nourriture, et qu'il est très-habile à prendre entre deux eaux. Aussitôt qu'il aperçoit sa proie, il fond dessus avec la rapidité de la balle, la saisit de ‘son long bec et revient la manger sur une pierre du rivage. Quelquefois, il improvise un observatoire aérien, en s'élevant à une hauteur de deux ou trois mètres dans l’espace , se maintient une demi- minute immobile à la même place, comme l’Alouette devant son miroir, et pique de là sa tête sur le menu frétin. Quand il manque son coup, ce qui lui arrive quelquefois, ce qui nous est arrivé à tous, si habiles chasseurs et pêcheurs que nous soyons, il remonte vivement à son poste pour essayer de mieux faire. Il est beau de persévérance, de calme et de philosophie. Le Martin-pêcheur est facile à prendre à la raquette , à raison de l'habitude où il est de percher sur tous les bouts de branches mortes qui se détachent du fouillis de la verdure riveraine et font saillie sur le courant. La marchette du piége lui offre pré- cisément les meilleures conditions de cette sorte de perchoir à fleur d’eau, et la malheureuse bète se hâte d’en profiter, Je sais des pays où l'espèce a été complétement anéantie par l'emploi de ce procédé criminel. Le Martin-pêcheur n’est pas difficile non plus à surprendre, puisqu'il stationne fréquemment sous les berges, d'où il est impossible qu'il voie venir le chasseur. Il a coutume de jeter un long cri d'alarme toutes les fois qu'il quitte son poste pour se rendre à un autre; il fuit en ligne droite et rase de tout près la surface de l'onde sur laquelle on dirait qu'il trace un rapide sillon rouge et bleu. C’est un crime de le tuer, puisqu'il ne fait de tort à personne et qu'il charme les re- gards par l'éclat de ses couleurs et que sa chair n’est pas man- geable. Ce meurtre s’expliquait autrefois par l'importance ex- trème des propriétés qu'on attachait au corps de cet oiseau, qui passait alors pour prédire les changements de temps, pour in- diquer la direction du pôle par celle de son bee, et aussi pour préserver les draps de l'invasion des teignes. I n'a plus d'excuse 356 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. aujourd'hui que le Martin-pêcheur empaillé peut être avanta- geusement remplacé dans le triple office ci-dessus par le baro- mètre , la boussole, le camphre et le vétiver. Nous retrouvons dans cette croyance du peuple à la sensibilité barométrique du Martin-pêcheur les traces d’une tradition an- tique et solennelle consacrée par la poésie d'Ovide et l'une des plus charmantes histoires de la mythologie grecque. Il paraît donc qu’autrefois le Martin-pécheur, qui s'appelait alors l’Alcyon, jouissait du curieux privilége de poser son nid sur la mer, à la surface même des flots. Or, comme il fallait que la mer fût très- douce pour que l’embarcation ne chaviràt pas, et comme l’oiseau avait besoin de trois semaines au moins pour parfaire toutes ses opérations de ponte, d'incubation et d'éducation des jeunes, les Dieux avaient décidé dans leur sagesse de lui accorder chaque année cet intervalle de calme plat. Ils lui avaient de plus attribué le don de prévoir à heure fixe la venue de ces jours pacifiques que les marins appelaient les jours Alcyoniens. Natu- rellement il s'était trouvé beaucoup de gens de bonne volonté pour être témoins de la construction et de la mise à l’eau du nid de l’Alcyon, de même qu'il se trouve de nos jours des Ro- sette Tamisier et de bons gendarmes pour être témoins de phé- nomènes non moins miraculeux. Plutarque fut un de ceux qui virent l'Alcyon travailler. L’Alcyon commençait, comme nos ingénieurs de marine, par construire la charpente de son em- barcation à terre. Cette charpente était composée des arêtes d’un certain poisson qui étaient reliées entre elles par un mastic doué d’une imperméabilité supérieure à celle du caoutchouc, mais dont le secret est perdu. La construction avait l'apparence d’une chambrette ronde assise dans un canot, et les construc- teurs, avant de la lancer pour tout de bon, avaient soin de la mettre à l’eau une ou deux fois pour l'essayer et voir si elle n’embarquait pas la lame ; puis, quand elle était en état, et que le moment favorable était venu , ils la livraient sans crainte à la merci des flots et à la protection de Neptune. Une seule chose atrigue l'historien dans toute cette affaire, c’est de n'avoir jamais pu surprendre la manière dont la couveuse s’introduisait SÉDIPÉDES. 397 dans son domicile. C’est bien le cas de répéter avec le sage que l’homme n’est jamais content. Je n'aurais vu que la moitié des phénomènes dont Plutarque eut la chance d’être témoin oculaire, que je m’estimerais déjà suffisamment heureux. Il est difficile aujourd’hui de vérifier si Plutarque et les autres ont dit toute la vérité et rien que la vérité en tout ceci, puisque, depuis un temps immémorial, les Martins-pècheurs ont renoncé à l'habitude de nicher sur les flots de la mer pour adopter le système de la ni- dification à huis-clos dans le sein de la terre; mais j'avoue néan- moins que cette histoire des faits et gestes de l'Alcyon racontée si naïvement par Plutarque n'a pas peu contribué à invalider pour moi le témoignage de l'illustre écrivain relativement à la continence de Scipion. Du reste, il nous faut reconnaitre, à la justification de Plutarque, que beaucoup de naturalistes mo- dernes et des plus éminents même ne paraissent guère mieux renseignés que lui sur la nidification du Martin-pècheur. C'est ainsi que François de Neufchàteau , personnage consulaire mort en 1828, en plein dix-neuvième siècle, affirme encore à son heure dernière que cette espèce fait son nid sur les saules, ver- sion qui n’est pas plus vraie que l’autre, et qui est moins amu- sante. Ceux qui sont forts en mythologie savent pourquoi les Dieux avaient concédé à l'Alcyon le privilége de bâtir sur l’eau et le don de prévoir le beau temps. C'était pour le récompenser de sa vertu et d'avoir été parmi les hommes un modèle parfait de tendresse et de fidélité conjugale avant de subir sa métamor- phose en oiseau. Groupe ambigu. Omnivorie. Deux genres ; neuf espèces. Il a été établi précédemment que l'ambigu était la charnière naturelle, le trait d'union, et pour mieux dire encore l’accolade des séries voisines, et que celui qui négligeait de s’en servir, dans ses opérations de classement des espèces, était semblable à un explorateur des catacombes de Rome, qui aurait eu le malheur 308 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. de perdre sa ficelle et ne pourrait plus reconnaitre, à travers les nombreuses routes du dédale, celle par oùil était venu. J'ai de- montré que cette situation perplexe était celle où se trouvaient aujourd'hui nos plus fameux généalogistes d'oiseaux qui, pour avoir oublié de tenir compte des indications de la nature relati- vement à la nécessité de l'intervention de l’ambigu, avaient vu toutes leurs classifications dérailler faute de tenons et se culbuter l'une sur l’autre : celle de Buffon sur celle de Linnæus; celles de Latham et de Cuvier su celle de Buffon ; celle de Temmynek sur le tas ; spectacie lamentable. J'ai dit enfin qu'un des plus sûrs moyens d'éviter pareille malencontre était d'abandonner d'abord la voie dangereuse suivie par ces illustres maitres, puis de pro- céder à l'égard de leurs systèmes par la méthode logique de l'Écart absolu. Ainsi ai-je fait dans l'espèce. L'Omnivorie est, de tous les caractères d’ambiguité, le plus saillant et le plus fécond en anomalies de tout genre. Or l'Omni- vorie était le titre de la Sitelle et de la Mésange. Je me suis donc autorisé de cette donnée pour retirer ces deux genres des posi- tions ridicules qu’ils occupent dans toutes les classifications offi- cielles et pour les réintégrer dans leur poste normal de moules de transition des Percheurs aux Grimpeurs. Croiriez-vous qu'ils ont bien eu le front de me loger la Mésange entre l'Ortolan et Alouette ! Auprès de l'Ortolan des vignes, la Mésange, le plus amer, le plus sec, le plus ingrat de tous les rôtis peut-être ! Auprès de l’Alouette, coryphée des célestes concerts, inno- cente et joueuse , la Mésange... un petit monstre de perversité et de scélératesse, qui mange la cervelle à ses sœurs, donne sur la charogne et siffle comme la vipère. Auprès de l’Alouette au long pouce rectiligne inhabile au per- chement et à la préhension. la Mésange au long pouce crochu , un grimpeur armé de grillettes d'oiseau de proie, de véritables mains | . Mais voyons un peu si nos deux genres sont timbres , comme j'ai dit, du cachet de l'ambiguïté. SEDIPEDES. 359 Genre Silelle. Une espèce. La Sitelle, qu'on appelle aussi le Torchepot , a le pied bâti comme tous les Sédipèdes: trois doigts devant, un derrière ; seulement ce dernier doigt en vaut presque deux autres , tant il est large et fort et surtout bien onglé. La Sitelle est friande de chènevis , de noix et de noisettes, appétit qui la rapproche des granivores et notamment du Coccothraustes {gros bec). Elle bâtit en ciment comme les Hirondelles, et vit principalement d'insectes percebois, par quoi elle touche aux insectivores. Pour le reste, c'est un vrai grimpeur à bec droit taillé en ciseau, et qui passe sa vie à évoluer circulairement après le tronc des vieux arbres, à là facon des pics , tapageant sans cesse comme eux du larynx et du bec. Voilà certainement plus d'anomalies qu'il n’en faut pour constituer une ambiguïté très-tranchée; mais le caractère d’ex- centricité ou de monstruosité appartenant en propre à la Sitelle et qui m'impose la loi de la loger à part en cette classification, est son amour désordonné du suif ou du gras de cadavre. Je ne connais dans toute la nature vivante que deux bipèdes, la Mé- sange et le Cosaque, qui poussent aussi loin que lui la pro de cette substance odieuse. La Sitelle est plus voisine des Pics que la Mésange, par toutes ses allures et par la force de son bec ; cependant, deux raisons d'une haute valeur m'ont déterminé à la laisser au tenon inférieur de la charnière. La première de ces raisous est la parenté de cou- leur de ce moule avec le Martin-pècheur et le Guépier. La se- conde , est que nous avons décidé que le pied prenant (la main) occupait les gradins les plus élevés dans le règne des oiseaux comme dans celui des mammifères. Or, la Mésange a le pied prenant , presque la serre de l’oiseau de proie. Il me reste peu de chose à dire sur le compte de la Sitelle. C'est un oiseau doué de grands moyens comme grimpeur; 360 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. comme maçon et comme charpentier. 11 parcourt l'arbre en tous les sens et manie aussi habilement la truelle que le ciseau et la bisaiguë. Il ne manque pas non plus de courage ni d'initiative et donne à la pipée. La Sitelle n’a pas besoin d'attendre après le tra- vail des autres pour se faire un chez soi ; et elle n’est pas plus em- pruntée que le Pivert pour se tailler un domicile dans le sein du tremble ou du chêne. Seulement clle aime mieux que l'Epeiche ou quelque autre piocheur de la tribu lui ait mâché la grande besogne de l'évidage de l'intérieur, pour qu'elle n’ait plus qu'à donner une dernière façon de retrécissage à la porte. Bien en- tendu que quand c’est elle-même qui se charge du devis et de l'exécution de sa bâtisse, elle a grand soin de n’accorder à cette baie que des dimensions raisonnables. La Sitelle est un parfait modèle de l’ouvrier en bâtiment, habile à se tirer d'affaire et à faire flèche de tout bois. C’est un gai compagnon de travail, mais qui chante trop haut et dont l’entrain assomme. La Sitelle est curieuse à voir travailler à la perforation et à l'exploitation d’une noix ou d'une noisette. Elle commence par l'assujettir fortement dans l’étau de deux branches et la pioche ensuite vaillamment de son ciseau pointu jusqu'à ce qu’elle ait percé la cuirasse rebelle, après quoi elle la vide, en s’encoura- geant de la voix. Les Anglais lui ont donné pour cette cause un nom qui vaut mieux que Torchepot et qui veut dire hache noix. La Sitelle mise en cage n’y reste pas longtemps, pour peu qu’elle ait ses coudées franches ; car si la muraille de sa prison n’est qu’en bois, elle n’en a que pour quelques heures à y prati- quer uneissue suffisante pour lui livrer passage. On l’a vue essayer de percer un obstacle en pierre et se casser le bec à cette ten- tative insensée. La Sitelle ne chante pas, elle crie. Genre Mésange. Huit espèces. L'ambiguité est plus accentuée encore chez la Mésange que chez la Sitelle; car c’est le seul des oiseaux percheurs et chan- SÉDIPÉDES. 361 teurs qui soit infecté du vice d'Infanticide et de Cannibalisme, le seul qui donne sur la charogne, le seul qui ait les pieds pre- nants, le seul qui thésaurise. Ajoutez à cela qu'elle fait plus d'une ponte par an malgré sa fécondité prodigieuse, qu'elle grimpe , qu’elle marche et qu'il ne lui manque plus que de savoir plonger pour jouir de la faculté de locomotion omnimode. Dites- moi maintenant dans quelle catégorie de mangeurs vous classe- riez une échenilleuse qui adore le suif, le chènevis, le mollus- que, l'abeille, la semence de charme et la cervelle de rouge- gorge! Assurément que jamais espèce n'a mieux mérité que celle-ci le titre d'ambiguë. Les Mésanges forment la dernière tribu de l’ordredes chanteurs. Ce sont de petits oiseaux de grand courage, vifs, bruyants, bargneux, querelleurs, qui voyagent par compagnies ou plutôt par familles. Ils ont pour principaux caractères un bec coni- que, court et robuste, à mandibules tranchantes, des doigts armés d'ongles recourbés semblables à ceux de l'oiseau de proie et doués de la faculté de préhension. Georges Cuvier, Tem- mynck et les autres les divisent ordinairement en deux genres comme les Fauvettes. 1ls appellent sy/vaines celles qui font leurs nids dans les bois, riveraines celles qui nichent dans les roseaux et habitent les jonchaies. Les premières, à l'exception d'uneseule, nichent dans les trous naturels des arbres et dans les fissures des murailles; les secondes suspendent leurs habitations aux branches des tamarins qui pendent sur les eaux ou les attachent aux tiges des roseaux comme les Fauvettes des marais. Les nids de la Mésange à longue queue, de la Moustache et surtout de la Rémiz passent à bon droit pour des merveilles d'art. Les Mésanges qui habitent les forêts ont le naturel plus féroce et plus carnassier que les Arondinicoles. Elles sont au nombre de six, les dernières au nombre de deux seulement. La MÉSANGE CHARBONNIÈRE Ou la Grosse Mésange. Cette espèce dont la taille est celle du Rouge-gorge est la plus grosse du genre, d’où son nom de Grosse Mésange. Elle porte sur la tête une calotte épaisse d’une belle couleur noire à reflets. Un long 362 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. sillon de même nuance traverse toute la partie antérieure et infe- rieure du corps qui est jaune; manteau cendré bleuàtre, comme les couvertures des ailes; celles-ci traversées d’une zone blan- che. Toutes ces couleurs sont caractéristiques ; elles disent de pri- me abord les dominantes passionnelles du moule. Le jaune est symbolique de familisme, le noir d’égoïsme concentré ; le bleu päle argentin annonce un essor faussé d’affective. J'ai souligné dans la première phrase de ce chapitre le verbe #Aésauriser : parce que ce verbe suflisait à lui seul pour dévoiler à l’analogiste le secret de l’'amalgame incroyable de vices et de vertus qui est dans la Mésange et qui imprime à sa figure un cachet d’étran- geté si curieux. Il est de fait que la Grosse Mésange est pétrie de tant de turpitudes et possède tant de qualités qu'il est fort difficile d'établir à priori la balance de son compte moral, et que le naturaliste est tout aussi embarrassé devant la portraiture de cette espèce, que l'historien politique devant celle d'Alcibiade, qui était aussi un mélange très-remarquable de grandeur et de petitesse , de vices et de vertus. La Mésange thésaurise; cela veut dire qu’elle est dévorée de la passion d'acquérir. Or, tout le monde sait que cette passion qui dans le langage des hommes s'appelle l'Avarice ou la Cupi- dité et que l'Église a mise au rang des péchés capitaux est la source des dix-neuf vingtièmes des scélératesses qui déshono- rent l'enfance des humanités et notamment de toutes les infa- mies commerciales. L'histoire de la Mésange est toute dans ces lignes. H n’y à plus de place pour une autre passion dans un cœur où la cupidité s’est logée. La Mésange est, en effet, l'emblème de tous les essors sub- versifs qui peuvent dériver de l’égoïsme familial , affection légi- time dans son essence, mais atroce en ses subversions, qui sont au premier rang la peur de la misère, l’avarice, la rapa- cité, etc. La Mésange est la plus féconde de toutes les espèces de son ordre ; elle pond vingt œufs d’une seule ponte et tous ces œufs viennent à éclosion. Voilà le secret de ses crimes. SÉDIPÈDES. 363 Car il est naturel que le père et la mère qui ont charge d'une famille aussi nombreuse et qui sont obligés de subvenir à la nourriture de tant de becs par leur seule industrie, aient peur de n’y pouvoir suflire et que cette peur terrible les pousse à chercher à se prémunir contre les menaces du besoin par une économie sévère et par la création d'un magasin de réserve. Rien de plus sage au premier abord que cette précaution; rien de plus innocent et de plus simple que de placer ses économies à la caisse d'épargne, pour lesretrouver aux mauvais jours; mais le diable est bien fin, et habile qui lui en remontrerait dans l'art de capturer sa proie. C’est précisément sur ces légitimes appré- hensions de la tendresse maternelle que l'odieux pervertisseur des âmes a spéculé pour faire tomber la Mésange dans ses pié- ges. Observez-la marcher. La pauvre bête n’agissait donc dans le principe , que dans un but parfaitement honorable qui était de se garantir elle et les siens des redoutables éventualités de la misère, et c’est dans cette vue qu’elle avait entassé chenilles sur semences, larves sur bouts de chandelles, et qu'elle avait empli de ses trésors les cavités des chènes et les nids de l'écureuil. Mais par une fatalité bien étrange , voici que loin de se calmer par la posses- sion de ces ressources immenses, sa peur de la misère n'a fait que croître et qu'elle a pris tout à coup des proportions gigan- tesques.. C'est que la peur de la pauvreté s'est transformée petit à petit en soif de la richesse, par la malice infernale du démon qui a place une puissance de fascination irrésistible dans la contemplation du trésor, puissance qui agit aussi.en raison directe de la masse. Du moment que la Mésange s’est trouvée à la tête d’un petit capital, elle a été condamnée à l'accroître sans relèche et per fas et nefas, en vertu de cette force ascension- nelle d'attraction qui est dans l'épargne. Ce n'est pas tout : qui trésor a guerre a, et en mème temps qu'elle est devenue riche, elle a été portée à considérer tous ses voisins qui sont demeu- rés pauvres comme autant d'ennemis. Elle a été en proie à une inquiétude dévorante qui ne l'a laissée en repos ni le jour ni la nuit. Les fläneurs les plus innocents et les plus pacifiques qui 364 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. vivent au jour le jour, ne songeant qu’à aimer, ont cessé d’être pour elle comme par le passé, d’aimables compagnons de plai- sir. La peur d’être dépouillée par eux du fruit de ses épargnes lui a fait découvrir dans leur troupe joyeuse une bande de brigands avides en quête de son magot. Puis elle a commencé par n’y plus voir que rouge, et dans sa rage aveugle, elle s'est ruée sur les espèces les plus inoffensives. Comme elle était armée pour la guerre et ces espèces pas, tous les coups qu'elle a frap- pés ont été mortels et la victoire lui a été facile. Alors elle s’est mise à dépouiller les morts; après leur avoir percé le crâne de son pic acéré, elle s’est enivrée de leur cervelle; et la soif du meurtre étant venue s'ajouter à l’autre pour lui brüler le sang, elle s’est habituée au carnage, achevant tout ce qui souffrait, attaquant tout ce qui était faible, pénétrant jusque dans le do- micile de ses sœurs pour massacrer leurs petits au berceau. L'his- toire cite le fait d’une Mésange charbonnière qui, transportée dans une volière populeuse, mit à mort tous ses habitants en une nuit. Une Caille dormait paisiblement à terre, presque cachée sous un monceau des cadavres, et ne s'imaginant même pas qu'une bête trois fois moins forte qu'elle püt avoir l'idée de l’at- taquer ; mais la petite ogresse, non encore lasse de tuer, ne l’eut pas plus tôt avisée, qu’elle fondit sur elle , et d’un seul coup de son casse-tête lui fracassa la tempe et l'étendit morte à ses pieds. Ainsi cette mère si tendre, si prévoyante de l'avenir, si sou- cieuse de la sécurité des siens, est devenue en peu de temps et sous la pression primitive de l’égoïsme familial, la terreur des familles et, l'ennemie de la sécurité publique, et elle n’a pas eu honte de descendre jusqu'à l’infanticide, le plus lâche et le plus odieux de tous les assassinats ! Encore, sices atrocités avaient pour elles l’excuse d’une soif immodérée de jouissance, d'immenses besoins de luxe et de faste dépensier, mais point! la misérable assassine n’a pas même à invoquer en atténuation de ses crimes la circonstance d’une nature gloutonne impérieuse. Elle entasse pour entasser comme elle tue pour tuer, par peur; et elle aime mieux se laisser mou- rir de faim et d’éthisie auprès de ses trésors que de les diminuer SÉDIPÉDES. 365 de la plus minime parcelle. C’est là ce qui me révolte le plus. De mémoire d'homme on n’a vu Mésange grasse, c'est-à-dire Mésange à qui sa richesse profitàt; mais tous les jours on en voit, en revanche, qui meurent sur un galetas, réduites par le jeûne à l'état complet de squelettes, et sous la paillasse desquel- les on trouve, après leur mort, des capitaux énormes que la moitié du temps la défunte ne se connaissait pas! Ceci ressem- ble furieusement à une foule de faits divers que je lis de temps à autre dans la Gazette des Tribunaux. Morale. L'histoire de la Mésange nous apprend que la fin de l’avare est digne de sa vie, et que l’avarice est une mystification atroce , sinon la plus honteuse et la plus extravagante de toutes les folies, puisqu'elle ne laisse goûter au riche de toutes les jouissances de la richesse, que la peur de la perdre , torture plus àpre mille fois que celle du besoin. Elle enseigne de plus aux pères et mères de familles trop portés à ne rien voir dans le monde, en dehors des intérèts et du bonheur des leurs, que les chemins de l’égoïsme familial sont pleins de loups. Elle recom- mande enfin d’une manière toute spéciale à la sage jeunesse de s'empresser de jouir des félicités de l'heure présente, sans se préoccuper des misères de l’avenir, ou plutôt, en prévision des misères de l'avenir, puisque l'avenir c’est la vieillesse qui raye l’homme du cadre du plaisir et supprime les besoins. Tächons de profiter tous de ces enseignements et de en jamais remettre à bien manger, aux jours où nous n'aurons plus de dents. Ceci est la morale de Dieu exprimée par la vertu de l’ana- logie passionnelle et il n’y en a point d'autre... et les stupides déclamations des vieux qui acquièrent pour ne pas dépenser ne prévaudront pas contre elle. Il n’y a parmi les oiseaux que ceux du diable, les Mésanges, les Corbeaux, les Pies voleuses, qui placent leurs capitaux à la caisse d'épargne; ceux du bon Dieu, les Rouges-gorges, les Hirondelles et les Bergeronnettes, n'y ont jamais eu une obole. Mais l’égoïsme familial et la passion de s'enrichir n’engendrent pas que des turpitudes, dira le philosophe impartial, et il est impossible que deux agents moteurs doués de si grande puis- 366 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. sance pour le mal, ne portent pas quelque vaillant correctif avec eux. L'observation est juste. Je n’ai tracé que la moitié du por- trait de la Mésange en peignant ses bassesses et il me faut l’ache- ver par l'énumération de ses vertus; car elle a des vertus, et ses vices eux-mêmes, ses vices odieux que je viens de flétrir ont apporté plus de profit que de perte à l'humanité. Au premier rang des vertus de la Mésange brilie l'amour maternel que la nature a sagement proportionné dans cette espèce à limmensité de la tâche qu’elle avait à remplir. Rien n'égale l'activité que ces oiseaux déploient pour nourrir leur nombreuse famille. On calcule qu'il n’est pas de couple de grosses Mésan- ges qui ne détruisent par jour trois cents chenilles au moins pour fournir à la consommation de ses petits. La Mésange est, à ce titre d'échenilleuse, la providence du jardinier, du fores- tier et du pépiniériste, et la somme de richesses qu’elle préserve chaque année de la dent de la vermine s’élève à des chiffres fabu- leux. Ainsi le reproche d’avarice que nous lui adressions tout à l'heure était presque de notre part un acte d'ingratitude, puis- que cette manie d’enfouir et d'entasser qui possède le Mésange, profite largement à l'homme et ne profite qu'à lui. La Pie-griè- che, qui est un petit oiseau féroce et un ambigu comme la Mésange, est affligée aussi du singulier besoin de détruire pour détruire ; mais comme cette manie s'exerce surtout aux dépens des scarabées qui dévorent nos arbres, de quel droit nous plain- drions-nous de la cupidité insatiable de la Pie-grièche qui tra- vaille pour nous? La Mésange est un oiseau brave et qui ne regarde pas à la taille de l'ennemi qui menace sa famille pour lui livrer bataille ; et sa bravoure n'est pas, comme chez la poule domestique, une impulsion temporaire de l'amour maternel ; c’est une disposition de son esprit, permanente et normale. Elle ne montre pas moins d'énergie pour attaquer la chouette de sang-froid , au mois de septembre, que pour défendre ses petits contre l'agression de l'Épervier ou du Corbeau , au mois de mai. Le Coucou qui ne vit que de chenilles et qui ne voudrait pour ses petits d’autres nour- rices que des Meésanges, se tient sagement à distance de la SÉDIPÉDES. 367 demeure de ces échenilleuses redoutables qui sont toujours sur le qui-vive, prêtes à faire sauter la cervelle à quiconque les offus- que. La Mésange est de tous les petits oiseaux celui qui résiste le plus énergiquement à l'oppression et qui sait le mieux faire respecter ses droits. Les vertus de cet ordre-là ne sont pas don- nees à tous. L'amour de la famille inspire d'habitude le goût de l’architec- ture savante et confortable. J'ai dit que les nids de quelques Mésanges étaient des chefs-d'œuvre admirables. Ce dernier titre ne conviendrait pas à la demeure de la Charbonnière que j'ai prise pour type du genre. Toutefois cette demeure est tapissée d’étofles douces et soyeuses, de duvet, de laine'et de crin, et comme elle est placée dans le fond d'un trou d'arbre ou d'un trou de muraille, elle n'a pas besoin d'être plus luxueusement ornée. J'ai dit aussi l'ambition de la Mésange Charbonnière au cha- pitre du Chardonneret. L'ambition est un titre qui caractérise les races fortes. Aucun oiseau n’est plus habile du bec et de la main que la Grosse Mésange. Elle ne concasse pas la graine de chènevis entre ses mandibules comme les Granivores, mais elle la prend délicatement entre les doigts , y taille une petite ouverture dans la partie supérieure et la vide jusqu'à l'écorce, comme nous faisons d'un œuf frais. Elle travaille les noix avec la même adresse. Cette diversité d’aptitudes industrielles, jointe à la fa- eulté de vivre de tout et partout, révèle une nature supérieure. Toutes les Mésanges voyagent par compagnies et par petites étapes. Ces compagnies ont l'air d’être guidées par un chef qui doit en être ou le père ou la mère. Leur vol est incertain, gra- cieux et léger; elles envahissent les forêts , les jardins, les cam- pagnes , passant les inspections des arbres, des buissons, des murailles, cueillant adroitement les larves des insectes ou les semences du charme, s’accrochant par les griffes à l'extrémité inférieure des tiges, chassant dans toutes les attitudes, se ré- clamant et se poursuivant sans cesse. Leur humeur batailleuse et leur curiosité indiserète en font une proie facile pour le pipeur 368 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. et le.tendeur qui n'ont, que trop souvent à gémir de l'abondance de leur capture , attendu qu'il suffit du: moindre passage de Mé- Sanges , surtout de Mésanges à longuequeue ; pour détendre une pipée , et que ce gibier-là d’ailleurs est de difficile placement: se fait dans tous les départements boisés de l'Est des pipées spé- ciales pour les Mésanges forestières dont il se prend:chaque année des myriades de douzaines à la perche fendue: Le courage de la Mésange ne se dément pas dans l adversité. Prise au gluau , elle cherche à s'en dépêtrer. plume à plume; prise à la raquette , elle cherche à déchiqueter la ficelle-quilui scie les tibias; elle se révolte contre la main de l'homme qui-la prend. La captivité même n’abat pas son moral, et elle conserve jusqu'au dernier instant l'espoir de meilleurs jours. Comme, elle se sait destinée à garder la demeure et:le Perse de l'homme , elle ne peut s'habituer à voir en lui un, ennemie ne fuit point sa présence. Elle aime même à nicher sous son toit. J'ai connu à Mäcon une Mésange charbonnière quiavait choisi pour, demeure un trou dans une muraille de tir au pistolet: La détonation de la poudre,et la présence des gens lui faisaient: si peu d'effet qu'on: l'aurait dite sourde, let quelquefois elle s'amu- sait pour défier l'assistance à se ee sur le haut de la plaque, en guise de poupée. J'en sais une autre qui donna-un jour.une bien grande preuve de courage en même temps quede confiance dans l'amitié de l’homme. Un propriétaire d'Angers, père d’un de, mes amis, se promenant un matin dans les allées: de:son parterre, fit-rencontre d'une Charbonnière qui. semblait l'appe- ler à son aide du haut d'une quenouille et. qui, au lieu‘de: fuir à son approche, descendit de branche en branche jusqu’à la/portée de sa main. Il prit doucement l'oiseau et n'eut pas longtemps à chercher pour deviner la raison de sa conduite étrange, car Ja pauvre suppliante avait le.sommet de la tête envahi par unttiquet énorme, qui la défigurait complétement ;.et c'était la douleur que lui faisait éprouver la succion du hideux parasite qui l'avait portée à recourir à l'assistance de l’homme ; se disant qu'après tout si celui-là trahissait sa confiance, elle ne mourrait pas deux fois, Heureusement qu'elle avait à faire à un noble ami des SÉDIPÉDES. 369 oiseaux, incapable d'use semblable noirceur, qui lui rendit le service qu'elle attendait de lui et ne le lui fit pas payer en la retenant en cage. Ce trait de magnanimité honore l'homme presque autant que la bête. Je sens que je faiblis dans ma haine contre l'espèce maudite, mais il est si difficile de condamner sans rémission de jolies petites bêtes capables d'autant d’intelli- gence et de résolution. Il y à eu aussi dans le monde des nations de proie, rapaces et avides et douées au plus haut degré du génie de l'industrie et du commerce anarchique; et ces nations-là ont semé bien des misè- res et versé bien du sang sur la face du globe, et leur cupidité sans frein a largement motivé les anathèmes de l'église et les imprécations des àmes charitables. Mais pourtant ce commerce anarchique , générateur fatal de guerres, d’oppressions, de car- nage, de fourberies et d'empoisonnements, n’en a pas moins rem- pli son rôle de serviteur fatal de la cause du progrès. Et ces nations maudites qui lancèrent les premiers navires sur les océans inconnus , ont abouché entre eux des mondes qui s’ignoraient et qu'elles ont découverts, et elles ont rapporté de leurs spoliations le sucre , le café, le thé, le coton et la pomme de terre. Elles ont voituré les idées en même temps que les divers produits des zônes et des industries dans tous les hémisphères, et peut-être ont-elles travaillé plus efficacement au ralliement universel des peuples que les nations innocentes et paisibles. Peut-être leurs fourberies ont-eiles émancipé plus d'ilotes et brisé plus de fers que les plus éloquentes tirades des philanthropes contre la soif de l'or et ses conséquences homicides ! La Mésange aussi en est là. Emblème de l'avare qui enfouit ses trésors dont il n’usera jamais ; emblème de l'éditeur qui vit de la cervelle d'autrui ; emblème du commerce anarchique , spo- liateur et déprédateur ; mais destructrice infatigable de la che- nille impure , fléau de nos vergers et image de misère et de pa- rasitisme ; plus utile cent fois à l'homme par ses vices que vingt autres par leurs vertus. 310 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. La rerirs Cuansonnière, Moule féduit de la précédente. Ailes dela même couleur, cendré bleuätre, traversées par un sillon, blanc: tète etgorge noires; jaune Sent dessous du çor ps blanc sale. Espèce CHE des forèts du RU de l'Europe , biz chant trés-rarement en, Er ance et nv apparaissant pas tous les ans. La petite € harbonniere est avide.des se Mences du charme et.donne abondamment dansles foréts,de la L orraine , peuplées de cette essence, quand las saison à 66 fav orable à $a lructifica- tion. ,, | F n | 1111 Hti ! ! | 1 110) A°bt pi NOXNETTE où la petite Mésange à tte noire. Mè me taille que là petite Charbonnière. Calotte noir mat; tout à fait sem- blable pour là couleur à à la Fauvette à téte noire : três- connue dans tous les pays hoisés de l'Est. Ennemie des Guëpes etdes Abeilles. COLUMESUNGE nerréeé. Mémetaitlé que la Nonnette! mtmeteinte de plumage: Renarquable par sa huppe mélangée de plates üoites et blanches : éspéce indigène du Nord et trés-rarten France où je ne érois pas qu'elle niche. Totalement inconnue des terideurs de’ Lofraine. ) Alt 203110 À 15 OS! x Msanere metre, Annonciade de Lorraine. La plus connue de toutes: les Mésanges:' et nichant aussi volontiers sous les tuiles désrmaisons el dans les branches creuses des porimiers que dansilé mieu! des forêts. Manteau bleu ; robe jaune, bec robuste ;:cannibale effrénée. Hp AUSSI I hi] } ; (LOL Les, ring espèces ci-dessus sont les vraies forestières: ou-svl- vaines des auteurs; Toutes ont l'humeur batailleuse et les appé- üts.cannibalesques de la grosse Mésange. Toutes viennent à Fap- peau.deda feuulle de herre etià celui de la chouette avéc t& mémé ardeurstoutesniehent., dans des trous d'arbres tou demurs-ct pondeni des:œufsblanes tiquetés de points roses. Toutes siflent commé la vipère.; Tous les dutres petits oiseaux lesredoutent-et les ‘furent. >; La MésiNcs 4 Loxaue queue, Espèce plus petite encore que la SÉDIPEÉDER, 200 M LE Mésange bleue et'se fapprochant toût x fait dt Roitélet par la (aile "La Mésange à longue queue, stlfisinment édractériste par lehon qu'elle porté, fit nf nid irerveilleux’ dont la bélé- bite 1e disputé à cétlé de tous Is autres. PA V0 + forme ést céflé d'un énorme Coton élargt par la basé} "où bibn” Celle d'une poinme dé pin. Les Anglais ont trouvé que cétté forte était plutôt celle dé là carafe où de la bouteille : ce qui est causé que lé peuple d'Albion à donné à Voiséau lé nom dé Jack ou de Tom-Carafe. Le nid est collé d'habitude contrée tronc d'un peuplier ou d'un saule, de la même manière que celui des Pinsons contre Je tronc”moussu d'un pomier. . Quelque OIS il est placé très =près ( de terre au milieu de quelque petit buisson touffu:. en quelques. rares circonstances enlin, il est logé dans l’enfourebure d'un ar rbuste, à une assez TE élévation. Mais jeu ai toujours trouvé dix nids sur le peuplier d'Italie pour jun seul sur d'autres essences. La coque extérieure de ce nid, tout à fait semblable d'aspect à celle du nid du Pinson. et du Char- donneret, est composée, du lichen: argenté recueilli sur, Farbre mème contre lequel il doit être appliqué , pour éviter toute dis- sonnance de couleur et tromper le regard du passant. Toutes les pièces en,sont reliées entre elles par:des cordons:de laide très- délices, le. dôme est protégé, contre. la: pluie:par unecouche épaisse de mousse grise.et envelonpé de ces fils d'araignée dits lilstde Ja bonne Vierge dont quelques bouts passent au- dehors. L'intérieur qui figure un four, forme la plus favorable à la-con- centration de la chaleur, est garni d’un lit de plumes d’une. épaisseur formidable. serait impossible d'imaginer une coûche plussehaude et plus douce: La muraille est percée à ‘an pouce environ du sommet d'une petite ouverture: quelques naturatistés disent de deux ouvertures qui se correspondent ; et cette doubie: ouverture serait; suivant eux, nécessaire pour le-placéement de laqüeue de ki couveuse:qui ne pourrait se loger dans intérieur à causede sa longueur excessive! Je” n'oserais nier le fait de l'existence des deux ouvertures correspondantes , mais je ‘ne lai jamais observé. La ponte habituelle de cette espèce est de seize à vingt œufs. If faut avoir vu de ses veux ces vingt petites têtes 372 ORNITHOLOGIE, PASSIONNELLE. 1246 et ces vingt-petits corps rangés avec un:ordre ct une.symétrie admirables dans le fondide cetétroit réduit, large. tout au plus comme le creux de la main, pour imaginer que tant de monde y puisse tenir et tant de grandes queues sy développer: On,a dit qué là érandèur ‘de l'auteur! de! la nature: éclatait surtout dans l'ordonnance de l'infiniment petit. Le talent prodigiéux:d'archi-- tecté qué‘ dépense la petite Mésange dans la bâtisse de son nid, le zèlé passionné et” ingénieux qu'elle: déploie dans l'éducation de Son'intombrablé progéniture, sont certainement parmi-les-plus charmatites préuvés qu'offre lé monde des oiseaux. à l'appui,de cette vérité! La première fois que je trouvai un nid de Mésangeà longué queue dans léquelgrandissaient dix-huitjeunes;;e fus ému d’un‘si vif sentiment d’admiration que j'en qjurai sur-le«champ de rester éternéllemént sur le pied de paix avec espèce: Depuis lors, il m'arrita bien des fois, quand un passage de: petites Mé- sanges se précipitait sur ma pipée , de sortir de ma logeypour léur diré de rebroussér chemin: ce qui ne suffisait {pas toujours poûr les faire changer de routé. Il est vrai que la Mésange, à longüe queue n’a que les 6$ et la peau et que sa taille est beau- coup au-dessous de la moyenne des petites hètes. Alors) il est bien possible que! cette considération ait influé sur ma-conduite à son égard, ce qui diminuérait un peule mérite! de ma réso- lation. 3 7059201 9h Il n'est jamais venu à ma conhäaissance que :læ Mésange, à longue queue se soit rendue coupable des atroeités qu'en re- proche aux éinq autres espèces foréstières: C'estuni/joli petit oiseau courageux et plein de charité pour'ses semblables Jet qui ne fait de mal à personne excepté aux chemillés et,aux petits Starabées qui font beautoup de malaux arbres: Iliehanite une chansonnette agréable au printemps, et il est aussi-amusant d regarder qu'à entendre! he il exécuté ses cabrioles autour des boiqüets de féuitlage , Ja téte’en bas, les piedsten l'ait. Pdur mille ett ue SL if prie de le és dite Les Mésanges rivéraines sont moins omnivores que les fcres- tières: elles quittent peu les jonchates et poursuivent leur proie SEDIPEDES. 373 avec une grande agite Sar/lcs fiééS eS joniés, des roseaux dés”SaleS et) dés tamarix. Elles: sent-presquésexclusives aux drands id aride prôvinées duMidiet 51 206b 29! + sbaoct 9b tugt sun 1 aigen gi 9b zoom ol 9 10 Ban Mésanqe ov-mousr+ones., Moustache,de Russie. Jolie. es- “pèée, robe avénturines de fa taillede,la grande; Gharbonnière : réarquable:pavune superbe paire de monstaches noires, mobr- les, dont lemouvement:obeit à -tous-les-sentiments qui l'agitent Létlaccéntue sa physionomie, d'une, animation, toute, spéciale, La Mésange à moustaches est: un soiseau-du, Nord; très-rare en Fratice’, | maïs/très-commun.en Russie, en Pologne, en Dane- énarek) En Hollande 1et mème en Angleterre. J'ignore Jes raisons du “ont puni faire prendre notre, pays en grippe, mais, il est certain-qu'on nela trouve presque nulle; part dans les provinces -du milieu nidu nord, et.qu'ellene-niche guère que dans. les jon- chaies du midi. Cest un.oiseauélégant.et de figure avenante qui iitiparfaitement en cage:et n'a jamais fait dire beaucoup de mal - de lui: Enjliberté on. le voit.courir sur les feuilles, du nénuphar, : comme la Bergeronnette; l'hiver il,patine, sur la glace Avec habileté. San :nidest.un ouvrage, fort remarquable. mais qui In'approéhe pas pourile merveilleux deceluide la Mésange à lon- “guerqueue;, et encore moins:de celui.de l'espèce .qui va suivre. C'estun nid: à ciel ouvert qui s'attache à trois où quatre Here de roseaux comme celui des jaseuses et qui se promène au,,g : desivents sur la face des flats., 129 a il )L 19 fn) Ia 0 Mésance : réa -Penduline;, Mésange du Languedoc. lPlas/petite que-la Moustache, manteau roux marron, gorge blan- zichéy déssous: du: corps, roux clair, calotte blanche; “les, ailes, et ‘Ha quéte-noires avec bordure roussätre. Cette espèce moins yive liquerses congénères, nese rencontre, comme la pr écédente, que :sundes bords des rivières et des. grands étangs du Midi. Elle ha- bite les fourrés d'oseraies , de salicaires et.de tamarix, Elle aime à suspendre son-md, aux brançhes de ces derniers, abrisseaux. Ce nid dont onretrouve fréquemmentles analogues dans les contrées -maïécageusesode da zône tropicale est, unique pour sa forme en 174 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. France. C’est une sorte de bas fabriqué avec le coton dela fleur des peupliers et des saules, artistement feutre , foule ét éonso= lidé par des trames de erin ét ‘de laine! Les détails dé fabri- cation de cette étoile sont encore aujourd'hui un my stère” pour” tous n0$ ouvriéfs tisserands'èt foulèurs. Ce bas est Sispéndi? par dés cordages de laine’ ou de éhanvre à F'extrémité ‘dés raméaux! du saule et du tamarix et se balance au-dessus deS’ondès Sous! le souffle du vent. Il est percé dans sa partie supérieure et sur la face qui regarde l’eau d’une ouverture très-étroite qui fait saillie ou goulot en dehors et ressemble au col d'une cornemuse. La construction dé, cette œuvre d'art admirable et qui pourrait pas= ser à bon droit pour une des sept merveilles du moudé des oiseaux, n’exige pas moins de trois Sémaines d'un travail fréné” tique et non interrompu et d'un travail à deux. JE né connais en! France que le nid du grand Pie noir dont l'établissement néces2 site une pareille dépense de main-d'œuvre et de temps. Je tiens de l’un de nos professeurs lès plüs distiigues ét les plus justement populaires de la Faculté 4e médeéine, une histoire intéressante concernant 16S Rémiz et qui péut alter de” pair avec celle de Ja Charbonnière , venant st faire opérer r de l'extraction du tiquet par un Hé de lart. Deux Rémiz avaient vu détruire par Ja main rapace du pâtre, l'espoir d ue postérité plantureusé et le fruit de leurs travaux de Vingt : jours , et elles se lamentaient à l'idée de passer toute nc belle u son sans amour. Avec quelle matière, en effet, conféctidnter l'etofle d'un nid flottant, quand est passe le temps de la foraïz son des amentacées | arbres à chatons éotonneux), ét de quel’ droit aimer, quand on n'a pas par devers soi les moyens d'assii- rer l'avenir de la famille à naitre? L'affliction dé nos déux amants paraissai( donc sans remède , quand elles apprirent de rencontré, par le bavardage d’une pie... qu'à tel endroit de Ta rive de Ja forêt prochaine, gisait un lavé de rénard. EE S'étänt transe portés à la place indiquée , ils virent que la bête était encore: ornée de sa fourrure. Alors l'idée leur vint d'essayer s il ne serait pas possible e d employer ce poil soyeux en 'guisé de coton végétal, pour la construction d’une bâtisse nouvelle, Or l preuve SEDIPÉDES. 375 réussit au dela de leur espoir; ils SA E beaucoup d'enfants et ils yecurent hieuheureux. Pbtené Le savant et spirituel professeur qui. m à 1 raconté cétte histoire ayait été témoin,de l'expérience; il a vu et tenu. ce nid de-Rémiz en poil de renard qui ne serait pas déplacé, ce me, semble, au milieu des produits industriels les plus curieux d'une exposition universelle de Londres ou de Paris. 5j ub 15 9sinée glne j9 9109 {i | | in 1h oflinoz ill Nous, voici paryenus celte lois. à la clôture délnitisé el £ans remise del ordre des Sédipèdes qui débute par le SToUpe à ambigu des, Colombiens et se termine par la tribu des Mésanges. “Bien que le nombre des espèces que nous Yenons de ASSET en rev ue ne S “elèxe, selon mes estimations personnelles. qu’: au chiffre de cent vipgt-sept ; cependant, comme je ne me CFOIS pas infaillible, et comme il y a chez moi incertitude sur l existence du second Bec-croise francais annoncé par Temmynck et sur l eliectit e exact de la tribu des Fauvettes sylviennes et riveraines jai porte ; à tout risque le total de ce chapitre à à € ent trènte. r ai agi ‘en cé étte circonstance autant par esprit de condescendance pour la cfas- | sification officielle que par mesure de précaution contre des cas d qui Fete! à imitant la sage fe RENE ovance RUES ces sbonnes méres Mais j à le pe de. erossir “cel effec tif de à LOS nn indi- gènes, par l'addition d'une quinzaine d espèc es sedipédes EXO- tiques récemment conquises sur la zône “tropicale par. les U QE vaux ingénieux ef perséverants de quelques amateurs { éclairé s et devoués à la science, parmi lesquels j'aime à citer “A Jules Delon de, Soizy., déja nommé , et M. Saunier de S Saint- Brice. Ces espèces s. ‘appellent le Cardinal huppé. le Paroare , Le Comman- deur, le Bec d'argent, le, Fondy , le Sénégali orangé, le. Sénc- gai de Sainte-Hélène, le Cordon bleu , le Chanteur d Afrique , le Cou coupé , le Bensali. le Pape , le Capucin Je Dommo, le Ministre, etc. j'en passe peut-être et des meil eures. Toutes ap- partiennent à la grande serie des Granix 0res Degorgeurs ; ‘toutes 376 ORNITHOLOGIE, PASSIONNELLE, sont, belles à voir, plusieurs agréables à entendre; une Seule, le, Paroare, fait preuve de, méchant-caractère et. semble, ayoir appris de ja Mésange Charbonnière ce. terrible coup de tête qui cloue la, victime sur place. Les espècesique je viens de citer. sont ce.les que J'ai vues de mes veux et que jai ju observeryet admi- rer. tout à l'aise dans la charmante volière de M. Jules Delon, où.elles font leurs nids sans plus. de gêne, que si elles € étaient chez.elles et où elles se reproduisent depuis quelques, années avec une bonne volonté digne d’eloges, en compagnie de quatre à cinq Perruches d'Australie, plus, jolies :et plus sociables que toutes celles qui nous étaient venues jusqu'à ce jour;des, conti nents d'Asie , d'Afrique et d'Amérique. Beaucoup de ces espèces’, et.nofamment les Perruches australiennes, ont, également adopté pour patrie. la délicieuse habitation de M.Saunier à Saint-Brice, oùles volières sont de grands arbres entourés à distance de. filets inxisibles et où il est accordé aux prisonniers tant d'air, de, ver- dure..et. d'espace qu'ils ont fini par se croire en pleine liberté. M.Saunier.est.en, ce moment occupé, (juin 1854) à doter. Ja France.de la magnifique perdrix américaine dite de, Califormie., intermédiaire, pour, la, couleur Let la taille entre. notre. Perdrix rouge. ef, le, Colin. vuloaire;, et remarquable par la singulière, ai- grelte d'une seule plume qui lui part du sommet du, front pour lui retomber sur le.bec. Quand da fortune contraire VOUS à re- fusé.les:movens.de travailler de. vos propres, mains à l'accrois- sement du mobilier zoologique de votre pays, le plus noble but auquel puisse aspirer l'ambition du sage, il est doux encore d’applaudir aux succès de ceux qui, plus favorisés que vous, ont pu y consacrer leurs eforts, leur temps et leur bourse; et je regarde , quant à moi, comme une des meilleures chances desma vice d'avoir été témoin. de l'éclosion dei la: premiére.couvée de ;Perdrix de Californie, nées, en France, souche, féconde, dont les rejetons innombrables couvriront Rae un jour le So dema: patrie. Qui.sait mème. si la phrase qui $ ‘écoule;en cet instant. de, ma; plume. retrouvée; dans deux. on.trois cents ans d'hui-par, quelque 1 dan liseur de bouquins ignorés ;neser- vira.pasià fixer la, date, précise de l'acclimatation ‘du précieux SÉDIPÉDES. 7 477 gallinacé ét à rappeler à la mémoire ingrate dés populations le nom dé Son acclimatateur ? Il n°v à pas encore trois siéeles que 16 Dindon a été naturalisé en Franéé et déja 1e n0m de ses fm: portatèurs à disparu dé l'histoire des bienfaiteurs dé l'humanité. MM: Julés Delon et Saunier , qui sont de très=puissantés au- térités en tatiére d'éducation dé granivores ! pénisent Comme moi qu'il n'est pas une espèce detcétte catégorie; voire de celle des Perruches, qui ne soit friande de Finsecte en Ta saïson CT TENTE Snolo 7 Sadod 901 99% Une grande Sotiété nationalé, ayant pour objet la! conquète paéifiqué de toutes lés"bêtes agréables et utiles du globe; s'ést fondée naguère à Paris sous la présidéncé de M. Isidore-Géof frov-Saint-Hilairé ,; Gouverneur général du Jardin des Plantes, un savant de haut tifre Qui porte avec aisance le poids dé/a sloire paternelle! Dé cette Société Sont menibres! MM. Julés Délon, Saunier, Florént-Prevost et ‘vingt autres. J'attends béatéoup pour l'avenir dé la France,” dés’ efforts d’une société ausëi riche dé bon vouloir et de sticricé; étant de Ceux 'qui"esti- ment le sain d’une fleur , d'un légume, d’un lapin bien audest &us de’celui de vingt batailles. H Sérait curieux tout de mère dé voir incéssamment se rapprocher par leurs bêtes les peuplés que leurs hommes d'esprit avaient reussi à maintenir jusqu'ici en état dé flagrant antagonisme. Remarquons que la première 66- lénie dé Chinois qui se soit établie à Paris est celle du Jardin des Plantes, sic Ms | Di LD igomss 2NOY Sin 29: ! )291] BUS D nes 29719! \Î " } : ” hs 9 91 la Adietlé monde harmonieux dé la pousié, dés Chants ; des fêtes ‘éternelles ‘où l'amour, 6 charmeur Suprême, transforme 1e tra- vaillén plaisir où les cieux ne reténtissent que dés bénédictions dé laterre?où la! libéralité dur soleil dore-à tous existence, dé- vüple les bonheurs’ dé’ la maternité, affranchit! les'àmes et les corps de l'ivnoble oppression ‘des bésoïns matériels ef Faitles cœurs mis! Adibt lé monde héureux des joutes artistiques et JD ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. des rivalités innocentes , mirage éblouissant de l'utopie, c'est-à.- dire du monde vrai, vision anticipée de l'idéal, de l'harmonie future où les humains de ce glohe vivront soixante mille ans et plus... mais en dehors de laquelle ils sont fatalement voués à la misère, au travail répugnant, à l’antagonisme fratricide. Adieu la gentille alouette, l'hirondelle ‘légère, le rouge-gorge intré- pide, délices de l'atmosphère des champs, des villes et des bois. Adieu les sublimes gosiers, les splendides parures, les rôtis succulents ! À la place des joyeux chanteurs, des artistes bril- lants, si doux à regarder et à entendre pendant leur vie, si bons encore après leur mort, nous ne rencontrerons plus, hélas ! dans les derniers ordres d'oiseaux qu'il nous reste à décrire, au'op- presseurs sanguinaires accouplés pour le meurtre, que travail- leurs malingres talonnés par la faim cruelle, que larynx discor- dants ; que muscles décharnés, emblèmes des vivants desisotié- tes maudites dont la Civilisation ‘actuelle est la phase pivotale: La liseusé ingénue que la sévérité maternelle ‘condamne &quit-: ter Subitement la lecture atrachante des récits de l’Arioste-et du, Tasse pour reprendre l'histoire ‘des rois de France paroM:le: Raÿois n’éprouvé pas un désenchantement plus amer! que l'orni-. thologisté passionnel } au moment où il touche à 1cé point dou loureux de la bifurcation de Pidéal et du réel otumous sommes arrives. HOIALVE MADOISE ! D), 1591 | | / lH1Y AP CHA CITE UT « “ TIC , Î " | : la 9 24j'([] ' | h } 91) / PAR 1b r AMILRE { - Ordre des Jugipèdes, Trois genres: sept espèces. ) / 11 4 : f1{ 11 ! : tit 4 teste lle plus visiblement la pauvreté relative de: la Faune euro- péenpes; ‘car: cet: ordre. des Jugipedes ;est, des plus: populenx | ailleurs! sous lazône tropicale notamment, et: aussi dans,icer- | taïies Contnces dela zène temperée de l'hémisphère austral. On | se fera sans peine une, idée, de sa richesse, en songeant que. l'in-s: nombrable tribu des Perroquets ret. des Perruches, qui occupe: à. cHerseule une immense vitrine au Maséum, n'est qu'une de ses divisions. a Räppelons brièvement nos principes et la signification précise de ce nom de Jugipèdes que nous avons attaché comme étiquette à la emquièéme grande division du règne des oiseaux. Jugipède est la traduction en latin du mot grec Zygodactyle qui veut dire doigts attelés par paire, comme les bœufs au joug (Jugum, zygos). Je me sers fréquemment de l'expression de grimpeurs pour désigner l'ordre actuel, mais ce langage est dé- fectueux, attendu que grimpeur et jugipède ne sont pas tout à fait synonymes, pas plus que percheur et chanteur. Il est très- vrai que la division des doigts du pied en deux systèmes égaux indique de fortes tendances au grimpement, mais elle n'indique que des tendances, elle n'implique pas fatalement des habitudes de gravitation verticale. La preuve :n est que nous rencontrerons 3S0 ORNITHOL OGIE PASSIONNELLE days, cet ordre des, espèces beaucoup moins habiles à grimper que les Grimpereaux et les Sitelles ‘appartenant à à loire prété- dent. [| 29192 Cet ordre des Jugipèdes est un or rdre bizarre doût l'éXcéñtriz cité semble être le caractere normal ; cé qui est cause que’ la classification pédiforme à l'air de le géner beaucoup. DS Les obstacles qu'il oppose à cette classification sont de déux S Es D'une part. l'excentricité qui est un des | caractères de l'ambiguité, pousse l ordre à à Jeter à chaque instant dès énibrai- chements sur fous ses Voisins et a se confondre avec eux! de J'autre, ses familles qui se 1 ‘approchent | par les pieds, divergent -presque toujours par le bec et par le régime. Exemple : des Per- xoquets qui sont.des jugipèdes et des oriImpeurs comme les Pics, «mais presque exclusivement granivores, tandis que ces derniers sont presque exclusivement insectivores. Faites abstraction de la forme dupied et vous trouverez beaucoup plus d’ analogie entrè le Dur-bec, le Bec- croisé, le Bouvreuil et le Perroquet, qu'entre celui-ci et le Pivert. Heureusement ce qui est un embarras | pour une classification empirique, devient un moy en d'ordre pour une méthode naturelle. Ainsi la différence de conformation dés becs donne la clé de la division de l’ordre par série, ét cellé des lan- eues qui. ne sont pas moins excenfriques que les becs, “fournit le type de la. division par groupes. D'après cette méthode facile, la première série ‘de l'érdre, celle qui se rapproche le plus de r ordre précédent par la Sitelle, serait. celle des Pics, reconnaissables à leur bec droit, robuête et taillé en coin pour perforer le tronc des arbres. Cette série des Pics serait dite des Cunéirostres (becs en Coin). Le bec s’incur- ve-t-il légèrement et se termine-t-il par un léger crochet (Cou- .eous, Couas), la sérièest appelée des acc ou des Larirostres où de quelque autre nom moins long ct moins barbare. Le bee va-t-il toujours s'incuryant, s'épaississant ct s'armant d’une double ,mandibule mobile; la mandibule supérieure fait- elle office de crampon pour favoriser le grimpement comme chezles Pérr oquets, la série est baptisée des Scansirostres {becs erimpeurs. Après ceux-ci viennent les becs à dimensions exagérées, les becs mons- L JUGIPÉDES. 381 trueux, les becs ridicules des Toucans, des Aracaris; nouvelles séries , nouveaux noms. Jé me borne à indiquer cette Voie de di- vision pour les naturalistes dont les travaux embrassent la géné- ralité des espèces ; la pauvreté de la jugipedie française n mé dis pense de creuser ce, sujet plus avant, Ja subdivision par groupes n'est pas moins Curieuse. Jia à des. langues eflilées et pointues qui ressemblent à de longs ser- pents ou à des javelines dont le manche serait en Cäbutchouc'ét jouirait de la propriété de s’allonger indéfiniment; puis tes lan- gues larges, courtes , épaisses, propices à la répétition du verbe humain: puis les, langues impossibles, langues en corne , lan- gues en plumes et en plumes de couleurs variées HE NAME à des,empennures de flèches de sauvages que l'oiseau’ seraït ‘en train d'avaler. Mais ce travail encore une fois ne mie regarde pas, puisque je n'aiici que trois cenres à classér, @t trois gerr- res dont l'histoire sera courte, attendu que sur ce nombre. deux se réduisent à une espèce unique (Torcol, Coucou), "et que le troisième, celui des Pics, se compose de cinq espèces dont les mœurs, les allures, le régime et le ton sont tout à fait se blables et, ne veulent qu'une seule notice. + Comme il m'a paru encore complétement inutile d'exposer ès caractères généraux de l’ordre en l'absence d’un nombre de'té- moins, suffisants pour valider mes dires, je me Suis naturelle- ment affranchi de cette tâche ingrate. À bien préndre, du reste, je ne vois guère que l'amour désordonné des insectes et du ta- page qui soit, un caractère commun à nos trois genres. Le Torcol niche bien dans ies trous d'arbres et pond bien des œufs blancs yernissés comme les Pics, mais ces habitudes n’ont rien de commun : avec celles du Coucou qui est trop grand Sérgnéür pour se donner la peine de se construire un nid ct d élever sa famille. Ainsi point de caractères généraux d'ordre dans lé pêtit nombre d espèces de la jugipédie indigène. Seulément la’ similitude de conformation de la langue nous fournit un caractère de parenté très-accusé entre le Torcol et les Pics. { CHI , J (Genie ToRcoL. Espèce unique. ai place le Torcol à l'avant- DS ORMTHOLOGIE PASSIONNELLE. garde dé l'ordre} paréé'que cet diseau siiguliér se rApproché un peu de la Mésange par ld forme de son bec droit, conique, Mot: qué: énsuite et surtüut, parce que les deux espèces m'oût seni= blé se tenir par un lier mystérieux. Tout est plein de mystere , en effet, dans l’histoire du Torcol, et il est nécéssaire de sé pés nétrer à fond de la substance du traité de la TAcorre des Ressbin- blantes pour ‘avoir explication de’ cet” hiéroglyphe eniplinié. ‘C'est un petit oistau de lutaille de l'Alouefte, porteur d'un manteau! gris d'une étoffé distinguée! strié et écuSS6HnEE le lines zébrures. Il arrive en France aû mis d'avril et en repañt vers Ja fin d'août. Comme l'époque de ses vovages coïncidé avec celle des'migratiôns du Coucou, on eru autréfois dans certains pavs du Nord que le Torcol était le mâle oùla femelle du Coucou! Le Torcol niche dans de vieux trous d'arbre perlorés” jadis par dés Pics et dont il a soin de rafraichir chaque ‘arinée les pa: rois intérieures par un léger travail de repiquage! La poussière qu'il fait tomber dans le fond du nid par cette opération forme unécouche qui lui parait assez luxueuse pour sa famille, püis-- qu'il netcherche à én augmenter l'élasticité’nila mollésse par aucune addition de matériaux plus doux, plus chauds ; plus con- fortables.- Sa ponte est de six à huit œufs; cés œufs, comme je l'ai-déjà dit; sont blancs ét vernissés coinme ceux des Pies ef ss Maärtins-pècheurs. ANNEES Le Torcol est un grand consommateur de fourmis et de chez nilles, qui se tient perpétaellément ‘sur la lisièré des! bois! tit plaine ou en colline et qui préféré le séjour dés vergers et'dés jardins de l'homme aux sombres profondeurs des forêts. 11 né finit pas de tapager au printemps, quand il passe l'inspection dés cavités des pommiers ou des chênes pour Choisir lun dofiii- cile; 11 devient plus discret lorsque ‘son choix'est fait: Son éri ressemble plus'aux clameurs de lÉpervier ét dé à rad qu'a un-chant harmonieux: | Cecrest l’histoire du Forcol, telle qu'a dû léctire Tél un récit simple etnu, dépouillé d'artifice, pris Sur un sujet ei paille. Mais ce Foreol n'est pas celui del'auteur de la 7#éorie des ressemblances, mile mien. Un joli manteau gris, historié de JUOIPÈDES, 1: 385 zébrures noires, peut être pour le commun des nafuralistes un manteau gris tout court; pour le savant chercheur. deseffets et des causes, comme pour l'analogiste passionnel,, c'est quelque chose de plus. Cette. robe tigrée. là est faite d'une étolfe de vipère. Or, cette ressemblance dans les goits de toilette: doit couvrir de my stérieuses aflinités morales entre le reptile.et l'oi- seau, et le savant et l'analogiste ont besoin de, pénétrer le se+ cret de cette similitude: Hne tombe pas, en effet, sous le, sens qu'un. oiseau aille emprunter sa robe à un reptile sans mauyaise intention. Quel est donc ce mystère ? Ce mystère est tout simplement que Ze semblable pritiet és son semblable , en dépit de toutes les distances des règnes}, ainsi que l'a, démontré jusqu'à l'évidence. le: seigneur. Da: (rama Machado. Ce mystère est que le besoin d'imiter, la vipère en toutes ses allures est une des manies du Torcol; manie bizarre et qui ne s'explique que comme conséquence naturelle et fatale de, la noire zébrure de sa robe. î Quand le Torcol,est maitrisé par une émotion vive, duaiid il veut plaire à sa femelle ou bien intimider le tendeur qui vient le, détacher du piége, il roule, des regards féroces, darde salan- que immense, dresse sa queue à l'instar du reptile, et son col se recourbe en replis tortueux de tous les côtés de son corps: Quand un gamin grimpe à son trou pour lui dérober ses-petits/ il pousse du fond de sa retraite un sifflement d'aspic siaipu , si horripilant, qu'il est rare que le ravisseur n'en soit pas desar- conné d’effroi et_ne redescende pas de son arbre plus vite qu'il ny est monte. | . Les Anglais qui aiment mieux les bétes que nous et. qui les observent plus finement, ont donné au Torcol.en raison de ses habitudes, de singeries, vipérines, le. nom; d'oiseau-sérpent (snake-bird, prononcez, snèque-beurde en machant, fr}, Oiseau- serpent vaut mieux que éourne-tète et, tire-langte; qui sont les deux noms populaires que l'oiseau porte dans les diverses pro- vinges.de, France. AH va sans dire qu'à Marseille on l'appelle Ortolan l’'Ortolan tire-langue (prononcez heurtelen).… ; C'est parce que le Torcol ressemble beaucoup à la Mésange 384 ORNITHOLOGIE, PASSIONNELLE. par le bec et un peu. par, selle, habitude-d'imitar le sifilemensade fre que: j'ai ayoisiné les. deux, genressen cetter.classiligat tion ; ;.mais..il, faut. bien reconnaitre, que) de. talent, d'imitation (du Torcol est complétement, supérieur à,celui de la Charbonpière, C'est-à-dire que, le,sibilement, de: l'aspic,sur dequelivons xenez 6 marcher, ne.yous fait pas, plus: froid ne,xous; paralyse spas plus rapidement la pensée. et.les jambes, que, celudu: Touçel. Aussi, deyonsz nous. être indulgents à la poltronneriedu gaminde tout à, é heure que, nous avons yu, redescendre, quatre: à : quatre les escaliers. de son, arbre, D'autant mieux,qu'il mest guère de chercheur de. nids passionné. à-qui il ne soit arriwé: quelquefois de saisir un, serpent. eu croyant, mettre -la,main sur: des œufside werle, Or la sensation. que xous fait, éproux er } quendivous èdes sensible, le contactimprèyu..et;.glacé. de, cette )shain.derreptite est.d2 celles, qu'il faut avoir .goñtées ponr:les,hien;comprendre et.qui.yous [laissent jusque, danssles, plus dointuins, souveniss #allreux.frissonnements, On,sait.que.les serpents quiont tour jours froid, recherchent Jes chauds séjours, comme des nids du- iVeLés des oiseaux; les édredons, les matelas et les -Couvertures de, laine, soit pour,s'y;établr, soit pour, y déposer, deurs œufs; va.mème telles, contrées d'Afrique ou, d'Amérique) où,l'onyeom- Sidérerait ç comme une, imprudénce, 8 orave;d'entrer dans son;dit ou dans ses. boites. avant d'avoir, passé ne: inspection minutieuse de, ces demeures et, regardé. si-elles. ne, recèlent.pas.quelques hôtes dangereux. Mal en adviut;une fois à lun de mes amisqui habitait; temporairement la province de Sainte-Catherine au-Bré- sil d'avoir omis. cette sage précaution. Une; femelle de serpent de: la plus abomingble espèce avait prolité d'une deses.ahsen- ses pour sinsinuer, dans sa, paillasse et, x faire sa ponte,et lui, ie, retour, ayaut -couyé, les œufs sans, nélance. aucune, Si 1bien quune belle nuit, | L infortuné : Sélait.trouxé littéralement-envahi, débordé par un épouvantable essam de jeunes serpenteaux| que sentiment de, reconnaissance, tout naturel aftrait.xexs «de, soux 10 er, de. chaleur -qu. leur av ait donné Été evov-v9ivoQ .ei1q … Mais. hàtons-nous de prévenir le lecteur que, res Toreol estun oiseau de mœurs innocentes et qui ne.faitile.serpent et ses au JUGIPÉDES. "77 385 tres! griniaces que pour sa défense pérsonnelle ét l'amusement d'autrui. Je ne Connais guère d'analogié plus facile à saisir que celle-là: Elle découle pour ainsi dire de ‘chaque détail anatomi- que du moule ét de éhacun dé ses faits et gestes. CR va Hiigue du Torcol semblé un immense lombrie caché dans une ‘gaine élastique! Ele’est armée d’un dard et Se détend' pour piquer sd proie avéc'la même préstesse que lé monstre d'üne bôtte surprise! Elle est énduite de glu pour engluér tout ce qui l'ap- proche et l'oiseau Pintroduit dans les fourmilières ôu l'étale sur a voie publiqué pour rarassér les insectes passants. "7 “10Pout lé monde à entendu parler de la ventriloquie, qui est un art-de mystifier les'Sens en’ leur faisant accroire qué la Voix qui les’ appelle'vient d'en haut} tandis qu’elle vient d’en has Les Torcols goùtent fort ce genre de plaisanterie. "Ainsi vous'éntendez un grand bruit sortir par un trou d'arbre, “én/vous promenant dans les bois’, vérs la fn d'avril; machïnale- Mehtvous!portez vos regards à la Hauteur dé l'ouverture d'où semblé provenir {à voix! añn de voir par corps la bôté qui fait tant de tapage. Mais le tapage recommencé et Toiseau ne paraît pas: Alors Yous vous piquéz au jeu ; vous attendéz uné démi- heuré, une heure sans en apprendre plus! A la fin le bruit cessé, et vous voyez rôder ét fureter près dé vous, au plus’ bas dés buissons | un'oiseau gris et”silencieux qui a l'air de vous ren- contrer par hasard et qui se montre très- “surpris dé votre pré- sénce: Gr, éette Sainte-Nitouche d’oiséau gris qui joue si pàr- faitement le silence et la surprise est le véntriloque qui vous à toüt a l'héuré si vivement intrigué. H était caché tout près de vous dans le fin fond de 14 chéminée du chêne creux d’où il fai- sait monter sa voix par l'orifice supérieur, ce qui vous a trompé sur le lieu de naissance du son, et il s’est échappé de son manoir ténébreux par quelque poterne inférieure , tandis que vous le chérehiez en l'air. Il'est venu ensuite fläner autour de vous pour regarder si sa farcé avait été bien jouée et si vous y’ aviez été pris. Doutez-vous dé Fidentité du personnage silencieux ‘du déhors ét du tapageur ventfioque du dedans? vous avez un move bien facile dé vous édifiér complétement à cet égard. ir. 25 386 ORNITHOLOBIEIPASSIONNELLE. Demeurez caché à où voas êtes, derrière un paravent quel- conque , etayez la patience d’ attendre encore une heure ou deux, vous verrez votre industriel rentrer dans $ôn établissement pour recommencer sa parade. Il n’y a pas d'oiseau qui fasse plus de Bruit que le Porcol au momentide la pousse dés feuilles Ent ce tempslä on ‘n'entend que lui ‘vociférer ‘et|cressérellér/à toüte hétre' du jour “et partout! par les lisières des champs; par ‘les haies pariles bois ; les futaies ; les vergers ;les pâquis plantés d'arbres creux} de re een on! Merise: mais nie tre pe MToDTs 9 | ab raun Le Torcol sait aussi se pordrért par: les ui coiiiie Ti Mé- sange’äu plafond de sa cage’et exécuter quelques tours de’ sot- plesse; mais il manque de vigueur dans les articulations. Par exemple; il peut bien s'accrocher ‘en volant à un troné d'arbre pour: fouiller: tel quartier d'écorce ; maïs il lui est! intérdit de -s'enlever de cetté place à uné autre, à la seule force des'poi- gnets )comme le Grimpereau, la Sitellé et les Pics. Sx-quète non plus n'est pas assez rigide . lui servir de pin d appui en -sès ascénsions. 71 1h HI9HS TO … Textrème facilité que le à Poreot trouvé à! vivre largement -sans rien faire et en se bornant à étendre sa. langue'sur le pas- sage des fourmis } finit par le rendre paresseux, lourd'et obèse “vers Jaifin de l'été, où il'serait susceptible de faire un excellent rôti, n'était la fiieste habitude qu’il a de se Hisquer à forte, :dose comme Id Tourterelle et la Huppe. 'HOÏert LU Ÿ 19 Quin'a reconnu dans l'étrangeté significative des allures'/du :Torcol; l'emblème du charlatan de là place publique, qui s’in- génie à captiver la foule par’ses tours ; Ses grimaces et Ses eon- torsions qui parle de l'estomac; imite Ja voix des animaux Îles “plus tériibles {oiseaux deproie et vipères), exglue Son public par l'éloquence du boniment tend son escarcelle sur tous les Cär- refours et s'engraisse/qtélquefois aux dépens des badauds 711%! JUGIPÉÈDES.TONT 71 387 és ; ab Pics, Cinq espéces. | 99 és ‘connais. peu: & hiaisères plus faailen: à onipe que où dé, la Aribu des Pics;-et pourtant je n’en sais guère. que les poëtes..et les historiens. de tous les payset de tous. les âges aient plus défi: gurée, Je vais-essayer de l'écrire en dix lignes; jeme serais pas -embarrassé de la faire tenir enquatre-mots pour. un analogiste. Jugipèdes; grimpeurs; calotte rouge ardent, bec en coin, Jangue -anguiforme,. rétractile, armée, d’un dard pointu à son extrémité; queue étagée, formée de ae ou douze, baguettes. rigi- -des , usées par le frottement... b ou “Larvie des Pics est attachée aux troncs des arbres autour des- Mile ritiulent ‘perpétuellement de bas en! haut, jamais -de haut.en.bas, tâtant l'arbre à coups de-pioche et sondant-toutes les fissures ettoutes.les cavités, pour ysaisirles larves perforeu- :8e5 dont ils font leur régal. Hs descendent fréquemment à terre pour cueillir les fourmis, et s'amusent quelquefois à-casser des noisettes, Grands saibseis des forêts par la guerre:qu'ils font.aux insectes, mais grands ennemis des vieux arbres par les trous qu'ils,y creusent. Enclins à la gaieté et à Ja grosse farce, philosophes en;amour, mais beaucoup! trop bruyants, yE mai igres ; trop coriaces. Voilà l'histoire de la tribu des bia telle que je la savais à quinze jans.; telle que les historiens officiels des bêtes pourraient -da savoir à soixante. J'admire que tant de génies immortels, les _auteurs dela. Mythologie grecque entre, autres et. le saint roi -Dawid..et l'éloquent Buffon, qui.ont parlé: du Pie, aient. pu errer -aussi fortement qu'ils l'ont fait sur un: sujet aussi elairet l'em- plie d'autant. de ténèbres ; quand il; leur était'si facile, de se faire donner gratis par le-premier venu des-gamins.de, Lorraine, tous les renseignements ci-dessus. C’est que le savant et le saint sont deux genres difficiles à rallier à la vérité; le premier, à cause de sa fierté qui l'empêche de consulter les petits; le se- cond , à raison de la ténacité de sa foi aux fables des légendes. 388 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. me a, , en “effet, ‘dans à hisfoire des variations de l'esprit humain sur. le compte. du Pic à diète r rouge, ‘uné ‘Iégéndé catholique: qui pourrait bien € être la Source de toutes les faûsses pH es ont! lé portées sur Ja bète f jar les” méilleurs “esprits. FO SRI ESS La version de Ja mythologie | païenne est plus infocenté que PIIGE les autres. slle rapporte tout simplement qu'il existait autrefois JULIE Te D que ce ] roi Picus était l'ami et le contemporain du” Ho Évandre, ‘le même qui Juts si “heureux de l'arrivée des LA Eire n'ayant pu « encore ‘m’habituer à considérer le‘ héros dé 1 Ms néide comme Je type. idéal du Voyageur jovial et” agréable à Voir. Énée était | pieux Mais. aussi pleurnicheur, ét} augure mal de la. puissance ‘de jovialité d un narrateur qui, parlant ‘presque seul pendant douze grands livres , ne trouve pas même l'occasion d'\ ÿ placer un Simple aéntloeue dé! la forcé de célui d'Ulysse Là. croyance universelle où fut longtemps 1e monde, quelle Pivert à avait toujours lé Sosier altéré, fournissait’ égaléinent une explication plausible ( dé la métamiorphose du bon roi Piéus,| mais gardons-nous de condamner lés iœurs d'un PAGE ami es ha à Sur d aussi misérables conjéctures. D JIONVO à . Je ai dit à à l article Pélican , DIET Rois de cet ouvrage fra Cf bête dont la Voix Phare 1é braïment de âne et/rétentit ani solitude. du désert 6 comme l'écho-de l'affliction Suprémié, I faisait séc et Soif aux! lieux où écrivait David} lieux étailés dé roches pointues, “Sp privés ‘dé! Sources d'Al vive et'où les vallées n ‘ont point. d'ombre. ‘On reconnatra facilément 4° travers eccë récit q qi 1 c rest a Aadition des Saintes LÉcritures etelléderta Mytholos ogiIc qui ont engendré 14 légende DEA MAS à EL contes de ÉTÉ IDE D 9110891 * La Jégénde câtholiqué est horw teienne du saxôfiné, jé/né sais plus lequél. Ta stêne se passe cn Angicterté où à nhotheiel en ces +Cmps Héateux à enoraE et ete na OU avédelement IN "16 en en Taht lie un prince nomme Picus que les dieux avaïent Re 114/0SIPÈDES, Lorriz so 389 déda;foi ne, jsous. empéchait pas. d ètr ï Lepoin oculaire Sue {as deyprodiges qu'on, ne. voit plus aujourt (in méme avec le: seit leures, Jorgnett gs. Iyayat donc en. ce temp: sk el q dans ce pays- FI une vilaine femme }Rommee. Ger trude qui ayait| Lhabitu Le ee Sc e s6 4 caifler d'un, béretre ques et qui était sl mécl anfe, Si ur CAE som aari ayaif coutume de. dire qu'il ail erait mieux He r Sans eHe,que.le Paradis ayec. Or, un jour. qu 'elle 6 ê ait de pire humeur ençgore que de coutume , ayant à à faire sa IGsSIve, u voyageur Ü1 dont.le;costume délabré annonçait. la m und de un i “large 0. capuchon de. bure, dissimulait, complete out guréal Gas sk présente, au, logis, de, la, mégère.et lui demande un Yerre, l'eau pour étancher:sa, soif, Mais, ha méchante femme au PA rouge, au lieu d'accéder, à prière, du pauvre voyageur, le nu fe ICT Yarnu-pieds et de, vagabond et le menacant de. Son. man Ch balai, Jui enjoint de, déguerpir, au plus. vite. tu Notre gneur répondit. ni CAT c était le fils de Dieu lui-m nê ème qui V ti } Pl NS en.ces parages ; fes puisque, fn as, péché confre | le sa i- êtes ‘et puisque fu as, refusé si serred' eau au | PAUYr YOy y qui javait 15119 soif, je-te condamne pour expier. ton crime, à direr à langue loue € ta viei— Et, dans, Je même instant le corps de la mée chante femme s'évanouit dans les airs et l'on vit. à,sa place 1 un oiseau vert. ue Îl 12 » À e d’une ealotte rouge.quis ‘échappait par. la cheminée 0 en gr impant avec un. grand tapage. Et depuis, ce temps- -là, le Pi ert a | ujours le igosier sec, aflirme. l'historien, et comme ] il ne, peut, «boire à sa soif que:lorsqu'il tombe une grande, pluig, il il n° a d NE OGCUPA; tion, que de l’appeler, sans cesse, ce qui le rend on ES nil: -Je,ne yeux, pas dire: que l'histoire. du. Pivert (PAS l'immortel Bon soit la, copie, littérale, de. Se, récit peu onu blable Le Once è (O4 iestbien.certan.quil l'avait lu, quelque, part et quil Hé al Fembellir,des charmes ;de son style, en faisant à aussi d des|Piesçune tribu,de maudits, de, damnés, de. Rares, cond äranés par une sorte de fatalité œdipienne à à «gravir, constamment. le tronc des arbres, à, yégéter. misérablement el, à à manger. dé la terre tous les .jours, de. leur ) ic, Puis l'occasion. était si belle de placer en regard du travail répuguant êt del expi jation imméritée 390 ORNITHOLOGIÉ PASSIONNELLE. le spectacle dés jouissances 'omnimôdes réservées ‘sans ‘plus deräisün ‘aux élus” par!l'avengle Destin; que le poëte :s'est bién'gardé dela” laisser! échapper. Done, après avoir prouvéifà $es!!'Iécteurs à’ uné façon à ‘peu près ‘irréfutable que -sile bonheur nous ‘rend lieureux le malheur nous rénd°malheu- reux, lé sublime écrivain les laisse en proié à des doutes affreux sur la sagesse dés vues delà iture, : ii de ces PAS misères des grimpeurs.:1.77" 7 HO 916 JI6 Je né tiens pas à rébféndte Buffon hé j'admiré et'que j'aime de ses nobles et éloquentés erreurs, où l’homme se retrouveitou- jours sous les phrases brodées. Cette! critiqué me répugne d'aut tant plus pour le quart d'heure qu'il semble que toutes tes mé diocrités scientifiques et littéraires du temps, les académiciens inores des diverses sections dé l'Institut et notamment les Tm mortels noceurs'qui font le lundi dans les grands Journaux pol tiques, Se sont ameutés depuis peu pour démolir ‘gloire ‘du grand homme: Or, pour né pas faire chorus dé jappements avec ces espèces et pour né pas m'üser les dents commé'elles à l'acier d'un génie de trempe süpérieure , jé laisseà Audüboñ l'änéri- cain ; à Audubon lé plus patient et Ie lus exact dé'tous’ les observateurs de bêtes de ce siècle’, là'tristé tâche’ de réléver’ et d’ensévelir dans la même tombe toutes 1es'traditions étrrénéés de la science, de la poésie et dé Ta légende! (Le passage qui ‘suit est extrait de la charmante traduction d” Aüdübon? par Madanie IL. Loreau. Volume pretnier } éhapitré du Pié'aux ailes d’or!) " CH'est toujours agréable dé Se trouver au milieu ‘de! gehs pleins d’entrain et d'amabilité: Aucüne société done he baurait être micux ‘accueillie dans! la forêt que celle des pics! Écoutez, cher lecteur, lé récit détaillé des habitudes’du Pic aux ailes 4” ôr. :» Cette espèce que les Français dela Louisiane désignent sous le nom de Pique-bois:jénel et à Jaquelle ün'Attribue rarèment'la qualification de pic aux aîlés d’or, sous liquellé lé cüfindissent la plupart des naturalistes! est line dés'plus ‘enjouéés' et dés PUS amusantes qui se rencontrent en Amérique. "1" » peine le printemps ie at-il rappeler ces! oiseaux au dévbir charmant d'amour, que leur vo ox qui d'a rién' de désasréabié témbhe r AUGIPELES: lourt17 110 JU de Ja cime ardue des arbres morts,-pour-proclamer.avec, delices Pouverture de la,saison benie. LeurJangage-estun rire;pralongé quisentend, de. très-loincet,qui:est, l'hlarité.même. Plusieurs sèles poursuivent une femelle. s'approchent. d'elle.et,; pour.lui démontrer Ja-force. et la sincérité de, leur passion, courbent Ja tête, déploient la queue; virent de tous;eôtés, en avant; en.ar- riète,-avec des mouvements et des Yestes si comiques, qu'il fau- drait être doué d'un tempérament plus que, morose. pour.pe.-pas être tenté de mêler sa gaieté:à.la leur., La. belle. poursuivie senvole-t-elle sur, l'arbre voisin, .elle yest immédiatement re- jointe-par,ses cinqousix prétendants, qui s'empressent.-de,xe- commencer da précédente cérémonie, Mais pas l'ombre de jalousie ai de, querelle.entre,ces beaux. qui font de leur mieux pour .mé- riter.et;obtenir la, palme d'amour, mais qui,se résignent philo- sophiquement à déguerpir,et à se mettre,en quête. d'une. autre belle quand la première à fait son. choix. De cette facon, les pics dorés sont. vite et. heureusement, apparjés., Chaque. couple, pro- cède immédiatement à l’excavation d'un tronc d'arbre, et,se hâte d'y.percer an trou assez. vaste pour contenir toute la famille, les deux, travailleurs y compris. Le, père et la mére travaillent à Lévi- \dage de la pièce ayee beaucoup d'adresse, d'ardeur et de plaisir. -La femelle félicite joyeusement lemälede son talent, à l'occasion de chaque.copeaw qu'il fait sauter en l'air. Puis; quand'il est fa- tiguéyc'est elle;qui, reprend la besogue, et lui, fout en.se repo- sant, Jui tient de passionnés. discours. De, cette façon de travailler le. temps passe, vite,.et la construction du domicile conjugal est :promptementachexée, C'est alors que. le moment est venu de se parler d'amour, plus sérieusement que jamais, Avant la fin de la quinzaine, lafemelle, a pondu ses cinq, ou. six; œufs, dont, la blancheur et la, transparence font la joie.de son cœux, et s'il .suflisait d'éleyer, une nombreuse famille pour posséder le secretdu bonheur, on pourrait.dine que les Pics sonfau no7 npre des OSCaux les plus, heureux, du,monde..car ils font deux, COUYÉES par an. D'où vous pouvez conclure, qu'ils sont, communs en Amérique. Mème,,en, caphyité, Le Picne se laisse pas abattre: qL ontinue à,bien manger (comme en, liberté, et. por se distrure de ses 392 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. peines, il perce ét.déchire çn,un jour autant de meubles; qu'un, bon LE ouvrier en, OHITAÏETÉéparen en ABLE 105 mod ou gas & At croyez donc pas, plus. Jongtemps, lecteur, que Jes Pics, je; arlee al Amérique, soient. comme ou les représentés jus-) qigides eréaturesstupides efmisérables, totalement déshéritées; du, ciel; car sur Jess dix-sept, espèces qui habitent.mos. forêts, je, n en On ais, pas, ung seule dônt;la yie.ne soit aussi joyense. que, celle du Pic doré; Is rendent de véritables, 5 ervices, et comme leur, chair A ’est pas, très-savoureuse, ils. ne sont. SuÊre, chassés ques, Par. des amateurs, oisifs. Is possèdent, x, parcours immense, ef dans; Fouies les saisons, ils frouyent.on. quelques lieux qu'ilsisen: mi MU qu'ils. PRÉSAE ur suons! 5e 998 9b16b Ce tabl eau, yéridique es un, PEU € diférent, Jhélast de; celui der, Bulon : mais il est si difficile de savoir ce qui se passe sousilesn voûtes des forêts et dans le fond des trous d'arbres à qui ne peut sortir de son cabinet, d'étude joù.le retiennent.eloué desodevoits de sa, charge, ét la passion, des, manchettes; :dei:dentellé, qu'énis vérité. la, discordance, des) eux opinions, ci-dessus, n'a rien qui MARI ER So ai reproduit, en, :grande-partie, d'histoire (duPic:b ux ailes der, d'Audubon, parce; que, cette histoiresiest celle des toi les Pics, de l'uniyers;iet par ticulièrement,celle.des Pies franss ru dont, l'exçessixe. gaieté m'a toujours. plus-dépluoque-leur:s mél ancolie.. Celui,des joiseaux. de. cette. tribn, que neusäppélonseb le, \Pivert et qui. porte, un, çostume,de. perroquetvert-jaune, est} en efet:ile; plus bruyant de tous:les, oiseaux de: nos forèts:aveco | son ARS Torçol, Ætsagaietéme se manifes{e; pas: seulement s par,ses vogiférations désagréables; elle;setnahit-encore-dans sesroi gestes, elle perce en ses espiégleries. Quaod, un. Pivert-vient déuq s’accoler au tronc d’un peuplier et qu'il vous aperçoit, senipremiérol mouvement nest.pas de fuir,-mais de fourner:commeclécutenil autonr de | la. branche, pour.vous inviter à tourner après lüi ;epuil; 5 v à MESUE QUE, Qu ayançez, il coptiaue à décrireiisa,cireonféssil rence, et si ous vous arrété riLaventurele houtdu heedeotré sl côté pour vous regarder faire. Quand les petits commencent &roii grimper hors du nid, i.exécutent;autour de, leur tronc paternell une série de manœuvres en,.spirale, deld'effete-plasjavia etes IAA OS GE PÉ DES AO TIAH 30 plus pittoresque. Le peuple éS pérsuadé qiaussitét que le Pivért a frappé un bon coup dansün endroit quelconque! del” arbre qu'it travaille "il Court’ de l'autre côté pour voir si'son bec passe. Cétte”opinionlestentore un préjugé Comme celle qui “attribuait arcet'oisean IH faculté de découvrir une hérbe qui ‘Coupait les bar réaux dé fer des p SON, comme Je diamant le vérre. Le pivert, quand il a hafSÈ en un lieu qu'il croit habité et qu'il n'entend pérsonné répondre : à on’ appel, se dirige vers léS’autres côtes” déjà place, pour voir si les insectes qu'il à mis Sur le qui-vive | n’ téntéraïént pas dé s'évader par uñe porte dérobéé et “quand! ilS“ont din péu de peine à passer dans leurs couloirs obscurs, il les darde avec sa langue, un instrument armé d’un dard dont j'ai dit a Varticle le Fée, lncomtéSurable longueur, Ja Viguèur, la, féRibiité, 2204 02 10 0 1 Iu9Q 91 Up $ 291478 be 1 HD, NJ, TA 7 trompes féaiinet hurle tout cela” etibien d'autres choses’encore én un! moindre nombre dé’ lignes ! po Grémpéur à calotte rouge 10:""3e répète qué F histoire détaillée detousiles piesde tous les mondes peut &'écriré avec ces ‘quatre mots.0Cat enfin,'aticun naturalisté, étIpas plus Xudubon que lés” autres, n’a ditienllordre pourquoi dé! cette calütte rouge! ét de ces'ascensions éternelles et dé cette voix lamentafile qui élamé ? danser déserti (60 claiantis in deserto}. "Or, où 'seraïènt l'in!" térêt etile charme d’une science’ qui né révélérait! pas le fond derces mystères? Là légende catholique a bien'essayé de tirér la!” calotterécarlate: du Pivért da ‘chaperon’rouge "dé la” mauvaise” femme;mais cette métantorphose n'est pas un fait prouvé. "EL puis quelle /diférenée éntre cette’ di et ps de l'A = logie:passionnellé 19452107 10h | H0Y IfOf( Les Pics sont les emblènies de la bruyante véto des tra- vailleurs: du -bois, Tbücheréns; ménuisiérs!éharpentiers. tontie2" liers;tetoi/ qui-tietinent en ain Te maillét ét l’équérré/kt fêtent‘ la Sainte-Anne! INoïlà pourquor 3 _. En ELES Si où tient ixdesavoip) 21194 291 Dis FE TSRERE Lessons] désubligéants ‘qu'ils tirent déleur JAH mn ébré ce à en crécèlle bontptés semblables at britmcht dé PAne qu'aux doux 394 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. gazouillementsdes Hirondelles; c’est vrai, mais ils n'ont pascons- ciencede faire mal, quand'ils poussent leurs hourras‘sonores ;ls s’imaginent au contraire chanter aussibien que possible et causer uniplaisir extrême à ceux quiles entendent. Beaucoup de bravés compagnons du mailletet l’équerre sont sujets à-se noyer: aussi dans les mêmes illusions. | 2n8b Tous les: Pics sont des grimpeurs- d'une certaine espèct, des grimpeurs qui montent et jamais ne descendent:et quitre- commencent depuis le matin jusqu'au soir leurs exercices! fati- gants: Pourquoi cela? — Hélas , parce que les pauvres forçats du-travail qui sont condamnés à gagner leur subsistance à là sueur de leur front, doivent cogner sans relàche du :matmjus- qu'au soir, sous peine de mourir de faim. Tel était dessort) de Sisyphe:, un des: grands damnés de la fable: Comme -descen- dre, c’est se laisser aller; opération qui n’exige pas d'effort, la nécessité impitoyable interdit sévèrement cette allure:syba- ritique au forçat. Mais il y a ici un autre caractère passionnel qui explique bien plus catégoriquement, encore :là raison ; pes) laquelle:le Pic monte et ne descend pas.’ 1 2 J0q A9 C'est cette calotte rouge vif qui couvre le crane de 1 oiseau en signe de l’ardente ambition qui est dessous. Le rouge;le tplus éclatant de tous les rayons du prisme, est la note de la:gammie dés couleurs qui correspond au si de la gamme musicale ; une note ardente aussi et qui n’aspire qu'à monter après Fufoet ne veutpas descendre. L'Ambition, cette noble passion : de: la puissanée , de la liberté et du iuxe , tant vilipendée pardes:sots qui n’estiment cependant que l'or’, l'ambition est: l'unique:res- sort de l'activité sociale, l'unique et économiqué cordial qui soutient-le-travailleur en’ ses rudes corvées. Otez de:son cer- : veau cette illusion ‘dorée mais décevante qu'on ya: fait-entrer de force en son bas âge, à savoir qu'un travail opiniàtre conduit infailliblement à la fortune,Let demain il jettera le manchesaprès là coignée, et.après- demain lai société qui ne vit.que; par LE sràce de l'ouvrier, Ja :socièté tout entière. périra. | erb Je:neisuis pas esse que le, travail jenrichisse,, n'ayant cuèrel entendu, professensette. doctrine, jusqu'ici,que.par:des LL17 OJBGARERES. IOHT 1/41 305 messieurs qui: avaiéné gagné beaucoup d'argent à-ne rien faire; ais ce que je:sais parfaitement, çést que les Pics qui büchent, quitaillent, quipiochent du matin jusqu'au soir et: qui cognent 4dury:commeon dit, n'en sont pas plus gras pour cela: J'ai connu aussi plusieurs: bècherons qui avaiént travaillé: touterleur vie dans les bois jusqu’à se courber l'échinecen denu-circonférence, et qui cependant ne a pas la moindre PTE de rente; à la fin de leurs jours:: Eh qu'est-cerque ça vous fait, à vous, m'intérrompt un fà- dhon. -querdes Piverts soient maigres et qu'ils s'éréintent à lèur ingrate besogne ?.. Suls sont heureux comme ça, s'ilsine veulent: pas changer de condition, de quoi les plaignez-vous? °b Gemonsieur a raison, c'est vrai, le Pivert; est très-gai et: je l'ai constaté moi-même , et je ne voïs pas pourquor je m/atten= dniräis Isi-généreusement sur cette race, puisqu'elle est contente de! son sort. Hélas! le porteur d’eau et l'âne sont -eontents aussi de leur lot et les deux malheureuses bêtes ne demandent pas à en changer non plus::. Et cependant il est permis de dé sirer pour elles une existence moins pémible:; un régime! moins sobre;-uné gaieté :moïns bruyante , un langage plus distingné, des:facons plus courtoises, un peu moins de roideur dans Pé- chine, un peu plus de nerf dans l'idée, C'est un beau spectacle, j'en conviens, que: celui de l'homme fort supportant sais faiblir des coups de l'adversité, mais convenez aussi que c'enest un bien/ignoble.que celui dela résignation! inerte: dans la misère abrutissante-etfétide: Fausse gaieté en somme que celle du Pivert etque:des imagimations sensibles peuvent bien prendre pour de l'afiction:2. Fausse gaieté qui me déchire les oreilles ét me fait mal à‘entendre comme celle des pauvres gens. Fausses amours quelses amours pacifiques et phHanthropiques; sie résigna - tioh:que la sienne. -Adrhirez maintenant étiangité de ee ma a analo- giquel imprévu et l'invincible etfatale puissance de la similitude du verbe : Dieu en faisant don au Pivert du langage de Fâne, lui a'én même temps attribué les dominantes passionnelles de infor - tünépôrtéLeroix ; la sobriété, la résignation , le courage dutra- 396: ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. ile plussapoltronnerie,et.sa rélivité, Rétivité yent.ire laspeux deLinçonnu;; horreur, de, la marche en, avant. Aucun oiseau;)après la Huppe, n'est-plus craintif que le Pivert, Les bites sontentre; elles.comme leurs langues; et, les |: bommes, aussi. :.h mGenest assez.sur la famille, des. Pics dont toutes les 2SDÈCES yable-répête ,;$e; ressemblent Par les. mœurs, Des. cinq qui bahis tent. das Françe ile. Pic noir, le Picvert, le. Pic varié, HÉpeis cheïetl Épeichette ; deux. sonb, extrèmement rares , la, première et) las dernière. Quelques, -ornithologistes,, Tan nck, entre autres;laflirment qu'il en,existe une sixième, le. Pic Tridactyle àtète jaunes Je sus presque, tenté de m° Anscrire en. faux sonfre cette! aflirmation.;| ne .pouvant.pas., admettre qu ‘un, PAYS. aussi avancéque Jenôtre.nourrisse des espèces, monogames.à, trois doigts.1Har: Tridactylie, dans mon,opinion.est exclusive .aux.trois ordres; de;la/Planipédie,;-et, si par exception elle se ghsse dans les rangs deJa; Eurvipédie le fait ne doit se produire. qu’en des pays barbares ,.et.en.des, hémisphères. fraîchement. émengés: -abe: Prenom; Grand oiseau, noir de la taille: du Corbeau; Bec corné, sealotte cramoisie, iris d'un jaune très-clair. Très-rare: en France où on,ne le rençontre que par échappée dans les hautes, forêts de sapins qui couvrent les sommets des Vosges, du Jura, des Pyxénées, et, des Alpes. $e creuse tous.les ans dans;le tronc d'un arbre de choix: une cavité sphérique. de 45 centimètres de. diamètre dont le forage lui coûte quinze jours d'un, travail as _ sidu: et où jamais. il ne pond plus dune; fois. Vit de noix, de, faines. et.d'autres semences lorsque l’inseote Jui fait. Le SPA mu: das I, forêts 434 Nord, Suède, Russie. Pologne. Le pe Hu | Pivert. ordinaire | Pique- bois. Le. A se var tingue, de. la {emelle-par la couleur de ses, moustaches. qui. is d'un,beau. rouge écarlate comme le dessus de la tête. Cell es de la femelle, sont, noires. Habite tous iles pays de France où il y à des; arbres, :; comme: chênes, sapins, peupliers cf pommiers.. Grand:çonsommateur de foprmis, 4121 c01q 9b adm} « | 4 , AT € f ! r ] " ' ATOIS 39 , JIN9Q 91 164 A9IQ 91 ,9)/91r9101 51 5) 1004 4072 31 154 1001 PF ONÉPEBES 10H70 3ÿ7 Le Pre "VE et l'Épétcire. Ces deux éSpècés/dont taille ést à peu près celle du Mauvis! 6 r6880mblétit! 8? fort °à l'éxtes rieuf, qu'on on les à fréquemment cénforidues énl une’ seulél" Cépeno dant il ést facile de les’ distinger l'une de l'autre; ‘en’ les étamni nant de près” Le Pie varié ire uné véritable calôtté dévélours robe qui évuvre tout le déssus ét le" derrière” dela tétés” tandis qué!1 "Épeiche : se contenté de se ceindre le chef /d'ün large mor céau dé cétte étoffe. Du reste, le Pit varié et l'Épeiche habiter les mêmes patries, qui sont tous les grands districts forestiers de France: ils vivent du même régime, laves perforeusesièt: fourrnis abat früits” durs’ ét sémiences par lextra » L'Hpeiche l'est plis commun ‘que le Pie varié!,Isurtout dans les forêts! de Pèst: Tüus deux méritent dé figurer au premiér rang des jolisioiseaux dé Fräniée par la richéssé dé léur manteau de velours noir écusb sénné de larges miroirs blanes, ‘contrasté chariant: dé nuanbes qui fait ressortir avec plus d'énergie entore la vive éntaminure écarlate de l'avant et de l'arrière! du déssus' et du dessous] 2754 L'Ébrrcnerre. Miniature dé PÉpeiché; taille du Pinson? man- téau dé Velours noir miroité, calotté rouge. Habite presque exclu po lés “grandes for forets dé re VEst cles Py rénées. 19 giul D 29220 tase 3b 2lô7o ai dit que tous lès 7 saasieét dés œufs! alé que tous aa armés d'une langue Yérmiforme, pointue, barbelée, mél tractilé: “uetous vivaient de! larves perforeuses2/et'que € étatesib de plus 1és iagons” ét les architectes patentés et'officicux qui’ se” pt re de batir” ‘des Jogements à toutes Les espèces aies! des cavitég"“Arboréennés. Or, 'éommié tous les" grands trôus! . qui se font dans les arbres proviennent de leur fait, il y a une écolè dé füréstiers qui a déclaré 1és pics Biseaux huisbtes pre- niére dasE et mis leur téte aprix’ Jé né drains pas dequalifiér BEC déttrine d'hérégie! et) ces mésüres ‘Barbarës" de 'ésurés préjuditiables Ja forte der État. U'énlest dé 4 peur du Pis! vété JHnie dé Eau Moinéate franc et de tant d'avtres ins truments de progrès de la société. "OH x8it T6 mal ifiré k$Pies font par le gros bout de la lorgnette, le bien par le petit, et alors 398 ORNITHOLOGIE'PASSIONNELLE. ôn lés Condamné sans plus entendre ; à la facon des-simplistésl'et cé n’est qu'après les avoir détruits qu'on vorimence 4'$'aperéévéir dé leur utilité. Mettez-vous bien dans idée cépéñdant qué/pôtr chaque écu de cinq francs que le Pivert vous a pris en tarawdant une belle pièce à l'intérieur, 1 vous en 4 mis cent‘dans la pochle par la'guetre d'extérmination qu'il a faite aux Tarets! N'est/il pas naturel que, PARRRSSPATE du SRE il Ad: üne: prie d'assurance ? p ag affg8i x AE Ë Genre Coucou. Espèce unique. de j a &l Sup LIL D « sbhonmt Le Coucou est un oiseau grisbleu de Ja’ taille de la::Huppe avec la queue longue, l'aile pointue, Jarrobe rayée transversä- lement et les allures de l'oiseau de proie. Ses pieds faïblestet courts et son ‘bec non crochu sont en parfait contrasteravec cés apparences guerrières. Ce bec d'aspect corné est taillé «surole même patron que celui du merle; il est bordé d’un -filet d'orret tapissé à l’intérieur d'une superbe membrane:orangée.1ls’ouvre démesurément comme celui des: Hirondelles.: Quede: lecteur n'oublie aucunede ces détails, surtout la ressemblance avec l'Émerillon ; car le Coucou est une espèce purementinsectivone ; et ce doit être un problème curieux que de rechercher pourquelle cause la matnre a affublé cette espèce innocente ; d’un costume d’avivore: Problème très-curieux en effet, : et dont Ja solution découle, claire commé eau de roche, du principé fécond que le semblable produit son semblable. (Relire le traité dé: la: Théorte des ressemblances, par MD. Gama Machado.) : Los dis Et d'abord, défions-nous toujours des moules travestish Cette espèce qui n’est point armée, quoique sa tenue singercelle du gentilhomme d'épée (ciséau de proie), est une engeance:démo- niaque et maudite, dont je vote l'extermination radicale des deux mains. x} D 11199 Le Coucou est l’ogre, le:cauchemar, l'épée ‘de: Damidclès de toutes les espèces chanteuses qui nourrissent “leurs petits’avéc des insectes. : C'est un fléau: dont l'atteinte, toujours mortelle, JUGIPÈDES: 390 semble: ehoisirises victimes parmi les qius> mtéressantes fa- milles AL immole,;chaque année, des hécatomhes, de Fauveites, de, Rougesrgorges, de Rossignols, de Bec-ligues, ete; Un natu- raliste, anghus, s'est, livré à de profonds calculs de,;statistique pour savoir le chiffre des petits oiseaux quele Coucou détruisait :bon,an mal an dans les Iles Britanniques. Hestiarrivé à un chif- fre de deux à trois millions! Et la, superficie de la Grande-Bre- tagne n’est que moitié de celle de la France et elle est complé- tement dépeuplée de forêts. Le Coucou est un des plus épouvantables emblèmes d’infamie que la nature ait forgés. C’est un miroir de perversité omni- mode qui reflète avec une intensité étrange les sept nuances de la gamme du vice, dite des sept péchés capitaux, Gourmandise, Paresse, Avarice, Luxure, ete., avec la soif du meurtre et Fingra- titude féroce par-dessus le marché. Le jeune Coucou débute dans -l& vie/par le crime ; ses yeux ne sont pas encore ouverts à la lu- mière du jour, que sa conscience est déjà chargée de cinq ou six infanticides !:: 181 l'histoire du Coucou au berceau est un récit de forfaits monstrueux quasi contre nature , celle du Coucou adulte est une chronique scandaleuse et une inépuisable source de gais récits etde drames lugubres, où puisent également à pleines mains, “Boccace ; , Lafontaine ; Frédéric Souhé, Eugène Sue. On y lit ‘une satire sanglante des amours oflicielles et des traités de:ma- riage où de roi a signé. Mais j'ignore dans quel chapitre de ce livre, le peuple français à pu déterrer le prétexte du nom ri- dicule qu'il a attribué à l'espèce et qui n’est que la paronymie malheureuse du vocable Coucou , le plus expressif et le plus owrai des noms qu'ait jamais reçus un oiseau. S'il est un nom qui wconvienne au Lovelace , au suborneur attitré qui se joue du repos des maris et de l'honneur des familles et fait subrepticement adopter sa progéniture par autrui, ce m'est pas, ce me prie celui de Georges Dandin. Le,Coucou, avons-nous dit, est un trop grand seigneur pour ile deses nobles mains à la bàtisse de son nid ; 1l néglige par conséquent d'en faire un. IL a trop de: vices à nourrir, pour 400 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. pouvoir se charger en même temps de l'éducation d'une famille; et ilse débarrasse de cette charge sur la charité maternelle d’au- trui. Il n’y a pas plus d'amour des parents aux petits chez les Coucous qu’il n’y en à eu du père à la mère. Ce coureur ét cette coureuse se sont rencontrés par un beau matin de printemps dans le sein de quelque orgie furibonde, où le mâle à eu sa part des faveurs de la Messaline. Un œuf est né de cétte union fugitive, appartenant à Dieu sait qui. La mère l’a pondu n'im- porte où; puis le ramassant et le cachant dans sa gorgé où elle a une poche destinée à cet usage, elle s’est mise en quête dé quel- que nid de Rouge-gorge, de Proyer ou de Fauvetté, où lon commençait à pondre , et le nid trouvé, elle y a déposé furti- vement son fardeau et elle s’est esquivée après le coup, pour voler à de nouvelles débauches. Puisque l’on ne s’attäche à ses petits qu’en proportion des tourments qu’ils vous causent, les Coucous n’ont aucun motif de chérir leur famille. Aussi'les vieux dans cette espèce, sont-ils en hostilité permanente avec les jeu- nes et les chassent-ils énergiquement de tous les lieux qu'ils habitent. à L'histoire du Coucou était encore un mythe il y à soixante ans,et Linnæus et Buffon n’en savaient guère plus long que Pline et Aristote sur le compte de cette espèce estivale. Les'an- ciens qui croyaient naturellement que la Terre finissait aux limites de l'Empire romain et qui ne pouvaient pas deviner par consé- quent ce que devenaient les Coucous pendant l'hiver, imagi- nèrent d’abord qu'ils se métamorphosaient en Éperviers, à peu près vers la même époque où le Siserin se changeaït en Mulot. Puis il y eut des incrédules qui nièrent les métamorphoses et qui aflirmèrent que l’oiseau s’engraissait considérablement vers l'arrière-saison, à la facon des ours et des marmottes, après quoi il s’ensevelissait dans le tronc vermoulu des saules pour ressus- citer au printemps. Enfin la vérité commença à percer sur Île chapitre des migrations annuelles du Eoucou, quand on sut que le continent d'Afrique se prolongeait au Sud jusqu'au Cap des Tourmentes et que beaucoup d'oiseaux voyageurs hivernaient vers ces latitudes. Mais la fameuse version de Pline qui a écrit aa role EDESIOHTIASO “Ent Dour de femelle du Eouçou re paramanger les auls des ojseaux dausile,rid desquels.elle sedisposait à pondneiset que le petil. Gougou, une fois en, puissance, de tous,ses moyensydévorait Share nomrieene pour la re compenser deses/Soinssplaension débline, dis-ign Gorroborant, celle d'Aristote:, adait: lois surda matière jusqu'à lacveillesde: 89, date eniarquadile par hi ruixie dune foule de préjugés. Linnæns s'insirgesvontre/ki conduite MOpstryEuse du jeune Coucou à égard ;dessa nourrice avéclé mme; accent d'indignation que, Philippe; Mélañchton ; qui prit un jour le Couçon.matricide.pour.toxte d'un saperbesormensur Lingratitude filiale,;, HO 79 ro14 3b 92102-92101 sb bie Oup ka découxerte de-lhistoire du Goucou estilue à d'ilustreten: ner iaventa la xaccinesetà lilustre-Levaillantqui fat'acousé par nosipères davoirinyente] lx-giraffé.Jentierreut Fheureuse chance, d'assister à1la,naissance: d'unGouconceomé par la-Fan+ } sie dhiver /{accenteur, :traine-buisson}: etdesponvoin:suivée minuierpar minute; les. développements des instinotsoperversudi jeune monsire.Le; hasard: revéla.demème à:Levaillant( én ses chasses d'Afrique, le mystère des frauduleuses machinationsidé le gaère, Qn sait parfaitement aujourd'hui; comment les:chostsse passent! edlq srôue inoisvse n'a nou do eupouti js eus -n ba femelle du, Coucou ne pond pas:dans le-nidHes/petitsiois seauxet-elle:ne commence pas par en mangerdes œufs avant dy déposer Je sien: La, femelle.du Eoucou;aple-tempéramentivalage: et.n'çst pas richement. titrée.en, maternismes yoilasla véritéoet) toute; la, vérité; Ce dégoût des fonctions de; la }matemnité sesti causerque, quand.elle a, ponduson œuf elle le ramasse! délieate-: mentayec.sonbec,-le serre dans son! yaste-gosier jet, le trañsa perte;en,tous lieux.ayec.elle, attendant.l'occasion de; lerjiacen: dans un.nid charitable, Levaillantna pas, été absolument témoin | oculaire d ;phénomène, mais ilkestabsolument impossible,:d'a: près, ge qula ju, quilaen spit pasjainsiAll surpritde mystère: aux environs duCap, en étudiant les mœurset:les eontumesides Coucous dela localité.-ILavait-déjartué un grand nombrerde su +! jets, de,cette espèce, et,très-souyentilavaitcremarqué: que Foi-! seaurendaitun œuf, parle bec.dans les convulsions de l'agonie, LL 26 402 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. ce qui l'intriguait fort. Cependant comme il partageait l'erreur générale sur le compte du Coucou qu'il croyait dévoré de la pas- sion des œufs à la coque, il avait tout naturellement attribué cette particularité singulière du dégorgement de l'œuf #n extre- mis, à la passion susdite. Mais voilà qu'un beau jour, en fouil- lant dans le gosier d’une femelle qu'il venait de tuer raide et qu'il se proposait d’empailler, notre chasseur fit la trouvaille d’un œuf parfaitement intact, et qui était le même qu'un œuf de Cou- cou précédemment rencontré dans un nid de Mésange. Dès lors la lumière était faite dans les ténèbres de l’nistoire du moule mystérieux; la science possédait désormais une vérité de plus : la femelle du Coucou porte son œuf dans son gosier et le dépose avec le bec dans les nids étrangers. Je ne sais pas si depuis cette affirmation de Levaillant un seul observateur a été assez heureux pour la vérifier par le cas de flagrant délit, mais l'hypothèse de lillustre naturaliste est si spécieuse et si irréfutable qu’elle pos- sède pour moi tous les caractères de la vérité mathématique. Levaillant avait d’abord un moyen très-facile de vérifier la justesse de sa supposition ; c'était d'attendre que la saison de la ponte des Coucous fût passée pour voir si la circonstance du dégorgement de l'œuf se reproduirait encore après ce temps. Or elle ne se reproduisit plus, bien qu'après cette époque les nids des petits oiseaux qui font deux ou trois pontes par an fussent toujours remplis d’œufs et continuassent d'offrir aux appétits ovi- vores de l'oiseau les moyens de se satisfaire. Je ne sais pas, au reste, comment on pourrait expliquer, en dehors de l'explication de Levaillant, cette aventure maiheureuse arrivée à un jeune Cou- cou qui fut élevé par une Bergeronnette dans une cavité d'arbre dont l’orifice était si étroit qu'il ne put jamais en sortir. Com- ment la mère aurait-elle pu entrer pour pondre par une ouver- ture qui aurait refusé plus tard de livrer passage au petit? Mais le fait, inexplicable dans lesystème de la ponte, devient la chose la plus simple du monde avec celui de l'introduction par le bec. La femelle du Coucou choisit pour déposer son œuf le nid des espèces insectivores, telles que Fauvettes, Rouge:gorges, Ber- seronnettes, etc. Aristote aflirme que le nid du Pigeon et celui JUGIPÉDES. 103 de la Tourterelle sont parmi ceux qu'elle honore de son choix, Ce doit être une erreur, car les Pigeons sont presque exclusive- ment granivores, et les Coucous, au contraire, ne vivent que de chenilles, de chenilles processionnaires notamment. Or, il est dans la logique de la nature que les mères mettent leurs petits en nourrice chez les espèces qui vivent du même régime qu'eux. Il est à remarquer maintenant que ces femelles ne déposent jamais leurs œufs que dans un nid où la mère commence seule- ment à pondre. La découverte de Jenner va nous dire le pour- quoi de cette précaution. Le petit Coucou, quand il vient au monde, est un être très- difforme, dont le dos est creusé en forme de cuvette; mais cette difformité couvre un but cruel de la nature. L'oiseau, à peine sorti de sa coquille, se donne des mouvements tout particuliers et tente des efforts inouïs pour faire tomber dans cet entonnoir perfide tout ce qui l'entoure, œufs ou petits, et aussitôt qu'il sent ses épaules chargées, il imprime à son corps une secousse énergique, qui fait que le fardeau est lancé par dessus bord. Or, toute chute est mortelle en un âge aussi tendre, et les pauvres parents, qui sont témoins de la catastrophe, se bornent à la dé- plorer, la nature leur ayant refusé les moyens de la prévenir. Le fils de l’étrangère ne s'arrête donc en son œuvre de destruc- tion qu'après s'être rendu maître absolu du logis et possesseur exclusif de la tendresse et des soins de ses père et mère adop- tifs, au préjudice de leurs héritiers légitimes. Comme l'appétit de cet intrus est insatiable, comme il tient autant de place et absorbe autant de nourriture à lui seul que cinq de ses frères de lait, il fallait bien qu'il eût recours pour vivre aux procédés féroces qu’il a mis en usage. C’est le cas de dire avec le pro- verbe : « La faim justifie les moyens. » Ainsi la naissance de chaque Coucou coûte la vie à cinq oi- seaux chanteurs, et comme la ponte de chaque femelle est de cinq ou Six œufs, on ne peut guère évaluer à moins de vingt- cinq ou trente le chiffre annuel de ses assassinats. On comprend maintenant pourquoi la nature a permis à la race maudite de revêtir la livrée des tueurs. Ce travestissement caractéristique 404 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. de l'élève du Rouge-gorge en oiseau de meurtre se justifie suf- fisamment par ses actes. Cette sombre rayure transversale du poitrail, empruntée au costume de l'Émerillon, est la barre de bâtardise qui dénonce le crime de la naissance de l’enfant du malheur. Le lecteur intelligent a deviné, d’après le récit des horreurs qui précèdent, la raison qui a poussé la femelle du Coucou à déposer son œuf dans le nid de la Fauvette vers le commence- ment de la ponte de celle-ci. C'était pour que le futur assassin vit le jour en même temps que ses frères, sinon auparavant, afin de n’avoir affaire qu'à des êtres sans défense. Et ce résultat est si bien dans les vues de la nature qu’elle a doué l'œuf du Coucou de la propriété d’éclore plus rapidement qu'aucun autre. Cet œuf est également d'une très-petite dimension relative. Le Coucou adulte est un insectivore pur, vivant exclusive- ment de chenilles velues, dont il ramasse les dépouilles en pe- lottes dans son estomac, pour les rejeter ensuite par le bec, comme font les oiseaux de proie pour les plumes et les peaux des petits animaux qu'ils dévorent. C’est une espèce anormale et excentrique et qui parait tenir à se distinguer en tout des oiseaux de son ordre, car elle prend de l’embonpoint à l'arrière saison et devient alors très-mangeable. Il arrive de tuer des Cou- cous en France jusque vers la fin d'octobre, mais la règle la plus générale est que le Coucou, qui nous arrive au 45 avril, nous quitte vers la mi-août,. Le Coucou est un oiseau jaloux de sa liberté et qui ne sup- porte guère la captivité plus de six mois. La seule idée de passer un hiver dans nos rudes climats suflit pour le plonger dans un état de désespoir qui se termine habituellement par la mort. C'est du reste un triste compagnon de volière, stupide, muet, vorace, et complétement indigne des soins et de l'affection de l'homme. La différence de plumage entre les vieux et les jeunes Coucous et l'habitude qu'ont les deux àges de voyager séparément, ont fait croire longtemps à l'existence de deux Coucous français, l'un j JUGIPÈDES. 105 gris et l’autre roux. Mais il a été démontré que le roux n'était autre que le gris, après sa première mue. J'ai oui parler encore d’une troisième espèce, d'un Coucou huppé africain qui ne serait pas totalement invisible sur les plages maritimes de nos dépar- tements du midi où le pousserait quelquefois la tempête. Je ne nie pas la possibilité de l'accident, mais à quoi bon l'ébruiter, s’il est si rare, et trouve-t-on qu'il y ait beaucoup de patriotisme à faire sa patrie plus riche en Coucous qu'elle ne l'est. L'histoire du Coucou est une des plus intéressantes de tout le règne animal. Il serait même difficile de trouver dans celles des sociétés humaines un sujet plus propre à. inspirer au penseur des méditations sérieuses ; car l’analogie passionnelle y a logé à côté d’un pieux enseignement moral, une ironie sanglante dont l'audace vous effraie. Le Coucou qui dépose son œuf dans le nid de la Fauvette cha ritable et qui édifie la fortune et la gloire de ses bâtards sur la ruine des enfants légitimes d'autrui, est évidemment l'emblème du séducteur adultère, qui se fait un jeu du déshonneur des époux et introduit l'abomination de la désolation dans le sein des ménages paisibles. Or, d’où vient que l'opinion publique est si indulgente aux méfaits du Coucou? C’est comme si vous me demandiez pourquoi l'opinion du par- terre est toujours pour la femme parjure contre le mari vexé? Pourquoi Molière qui eut tant à souffrir des légèretés de la Béjart, n’en fut pas moins impitoyable envers ses malheureux confrères ?.…. Pourquoi le Christ pardonna à la femme adultère ? L'analogie passionnelle répond à toutes ces questions en ces termes : I n'y a qu’une union légitime aux yeux de Dieu, celle où l'union des âmes précède celle des corps. Dieu réprouve toutes les autres, notamment les traités infämes, dits mariages de rai- son par antiphrase ou mariages d'argent, et il a charge l'adul- tère de punir tous les infracteurs de sa loi. Or l'adultère étant parmi les hommes, il faltait bien que son embleme existät parmi 406 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE, les oiseaux. De là la nécessité du Coucou, dont l'astuce déjoue les ligues maritales ; car tous les mâles des petites espèces insec- tivores, qui savent de quel malheur les menace l’immoralité du Coucou, ont conclu ensemble contre lui un traité d’alhiance offensive et défensive, demeuré jusqu'à ce jour, hélas, sans résultat. Sans doute, va-t-on m'objecter, nous comprenons parfaite- ment que l’adultère soit l’expiation attachée au crime de préva- rication à la loi de Dieu, et que le malheur sévisse sur les hu - mains des sociétés limbiques qui traitent l'amour de folle illusion du jeune âge et s'ingénient impudemment à le proscrire de leurs associations conjugales. Mais en quoi les Fauvettes, les Rouge- gorges, les Bergeronnettes et tant d’autres qui sont des espèces innocentes et qui observent fidélement dans leurs contrats d'union les commandements de la loi de Dieu qui prescrivent de ne céder qu'à la passion sainte, en quoi le Traine-buisson ct le Rouge-gorge ont-ils mérité l'expiation que la scélératesse du Coucou leur inflige ? Est-ce ainsi que la Nature entend la justice et l'applique ? Oui, c'est ainsi que la Nature entend la justice et l’applique… dans les sociétés à rebours. Oui, c’est la loi des phases subver- sives que les bons expient les iniquités des méchants, que les Louis XVI payent pour les Louis XV, que les victimes de laroue- rie des don Juans, des Lovelaces, des Alcibiades, s'appellent dona Elvire, Clarisse Harlowe, Glycère,… que la séduction et le suicide s’abattent de préférence sur les créatures les plus no- bles, les plus dévouées et les plus adorables. Qui dit héroïne de roman dit assemblage de toutes les perfections physiques et morales en même temps que victime des entrainements de son cœur, et la loi est fatale et ne souffre pas d'exception. Je défie tous les écrivains de génie de m'intéresser au bonheur ou à l'infortune de la femme forte, c'est-à-dire sans cœur. Il y a dans la Fiancée de Lammermoor un monstre plus épouvantable, plus en dehors de la féminité que lady Macbeth et Médée. Ce monstre a nom lady Ashton. Vous savez maintenant pour quelle cause le Coucou adultère JUGIPÉDES. 107 choisit de preference les ménages des Fauvettes pour y semer le trouble et la désolation. En Harmonie, où le parjure est un crime impossible et où la loyauté règne dans toutes les relations d'a- mour , l'espèce du Coucou s’est éteinte d'elle-même. Mais l'ana- logie passionnelle n'a pas encore tout dit sur ce sujet immense. J'ai souvent reproché aux gouvernements civilisés de ne pas appliquer à l'amélioration de la race humaine ce sage système de primes d'encouragement qu'ils accordent chaque année à l'amélioration de races bien moins intéressantes, la bovine, l'ovine, l’équine, etc. J'ai même écrit, je crois, que cette indiffé- rence coupable et incompréhensible pour les intérêts les plus chers de l'espèce pivotale était un des traits les plus caracté- ristiques de l’aliénation mentale constitutionnelle dont toutes les sociétés primitives sont plus ou moins frappées. On va voir tout à l'heure comme quoi cette question si grave se rattache à celle du Coucou. En attendant, si vous êtes curieux d'en apprendre de belles, vous n'avez qu'à laisser la parole aux Coucous et prêter à leurs dires une oreille complaisante. [ls ne seront pas embarrassés de vous prouver que les Coucous sont les plussaintes gens du monde, sont d’innocentes victimes de l'ignorance des sots et de la calom- nie des méchants, de nobles serviteurs du bien public qui rem- plissent une mission providentielle auguste, jusqu'ici méconnue. Je leur sais des arguments d’une audace incroyable, oubliés par Byron et par tous ses complices. Ils disent notamment qu'ils n'ont été institués par la nature que pour s'opposer à la trop grande pullullation des espèces chétives, et qu'ils ne choisissent jamais pour y déposer leurs œufs que les nids des couples malin- gres, minés par la consomption et l’âge, et incapables d'amener à bien une couvée plantureuse, etc., etc. … Îlest clair que s'il en était ainsi, la question du Coucou et de tout ce qu'il symboiise changerait visiblement de face, et que rien ne semblerait alors plus excusable que la faiblesse de la mère Fauvette oubliant les désastres qui ont frappé le reste de sa famille pour s'absorber dans la contemplation du développe- ment des formes athlétiques de son unique nourrisson. Telle la 408 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. pauvre fille des champs, trop pauvre pour se passer la fantaisie d’être mère, abandonne sur la voie publique le fruit de ses en- trailles pour vendre le lait de ses mamelles au fils dela riche étrangère, au fruit d'un autre amour, et se console de sa ma- ternité perdue par l’orgueil de nourrir un enfant de sang noble. Ou mieux encore, telle l’infortunée Valentine de Milan, incon- solable du meurtre de son époux, se délectait à voir grandir et se: développer sous son aile le beau bâtard Dunois, dont la cons- titution plus robuste que celle de ses frères légitimes, lui garau- tissait plus sûrement dans l'avenir la vengeance du défunt. Seulement, le Coucou ne songe pas que s'il en était ainsi, l’analogie passionnelle, qui a été foreée de signaler en ln lem- blème de l’adultère, se trouverait logiquement réduite à hisser ce crime odieux à la hauteur d’une vertu sociale, comme avait fait Lycurgue, ct que, de fil en aiguille, nous serions amenés à considérer les Pàris, les don Juans, les Alcibiades, les Lovelaces et toutes les Elvires et toutes les Hélènes mises à mal par ces traîtres, comme autant d'innocentes victimes de la fatalité, comme autant d'instruments aveugles et dociles de la nature, qui, dans son amour jaloux de la conservation des races, aurait entrainé violemment ces types d'élite à s'unir pour s'opposer à la trop grande multiplication des familles rachitiques et prévenir la dégénération de l'espèce humaine, image de Dieu 1e1 bas! Ge qui expliquerait en passant l'indulgence excessive avec laquelle tant de nobles esprits et de sages législateurs ont juge la femme adultère; car si la religion juive à condamné la malheureuse à être lapidée, le Christ a défendu qu’on lui jetàt la pierre. Je n'ai pas besoin de dire que l’analogie passionnelle repousse avec indignation la solidarité des doctrines impures du Coucou et qu’elle lui en laisse la responsabilité tout entière. L'analogie pas- sionnelle qui estime les hommes et les bêtes au titre de leur fidé- lité amoureuse ne peut pas admettre de transaction sur le prin- cipe même qui sert de pierre de touche à sa classification ; mais elle avoue cependant que le paradoxe de l'oiseau criminel n'est pas totalement dépourvu d'un certain cachet spécieux, d'une certaine apparence de raison grossière, laquelle suffit, hélas, pour JUGIPÉDES. 09 entrainer tous les jours à leur perte une foule de cœurs sensibles trop disposés à trouver des excuses à l'infidélité. Gardons-nous bien toutefois d'attribuer à l'humaine nature ces tendances dé- plorables qui ne sont que des conséquences fatales du vice de nos institutions. Si la nature tient essentiellement, en effet, à la conservation de la pureté de'ses types reproducteurs, comme tout nous invite à le croire, disons franchement qu’elle n'a pas lieu d’être satis- faite de l'institution du mariage, tel qu'il se conduit et comporte dans les législations patriarcale, civilisée et barbare, où il sem- ble n'avoir d'autre objet que de la contrarier et de marcher au rebours de sés indications. Je demande, par exemple, s’il est possible d'admettre que ce soit la nature qui ait dicté à Moïse ou bien à Mahomet cette loi ma- trimoniale absurde qui permet à l’homme riche de posséder légi- timement autant de femmes que ses moyens pécuniaires lui per- mettent d'en nourrir, si bien qu'il fut loisible au sage roi Salo- mon d'en avoir jusqu'a mille sur la fin de ses jours? — Non, évidemment, mille fois non, ce n’est pas la nature, car elle sait aussi bien que nous que c’est trop de mille femmes et même de moins pour un homme seul, et ce n'est pas elle qui condamnera jamais les pauvres ct les jeunes à la continence forcée, sinon à l’adultère. Et puis d’ailleurs si cette loi eùt été dans la Nature, est-ce que le roi David, qui était un homme saint inspiré de l’es- prit de Dieu, l'eut violée comme il fit, en volant Bethsabée à son époux Urie ? Est-ce que Dieu eût béni l'union qui suivit l’adul- tère en en faisant naître Salomon, qu'il combla de tant de grâces et de tant de faveurs ? En vérité, je vous le dis, je ne connais pas de condamnation plus dangereuse de la loi juive qui fait de l’adultère un crime capital, que cette absolution solennelle de la faute du saint roi. Quant à la loi de Mahomet, je n’ai besoin que d’un mot pour la confondre ct pour la convaincre d’im- posture. On sait que le prophète de l'islam prétendait que ses dépêches du ciel ki arrivaient par l'entremise d’une colombe. Or, je demande s'ii est bien supposable que le mème Dieu qui avait crée cette colombe des le commencement pour être un des 110 ORNIFHOLOGIE PASSIONNELLE. emblèmes de la fidélité conjugale (monogamie), l'eût choisie plus tard pour porteuse d’un décret de polygamie ! Toute loi religieuse qui statue la polygamie, c'est-à-dire qui permet linfidélité au mari en l’interdisant à la femme, est une lot contre nature, absurde par conséquent, et inexécutable. Voilà ce que dit le bon sens, et ce que l'histoire confirme. Maintenant, la loi matrimoniale civilisée, pour être plus hu- maine dans sa lettre que la barbare et la patriareale, ne l'est guère plus dans son esprit; car elle aussi excuse et encourage Pinfidélité du mari, et elle fait du droit de paternité légitime un privilége pour le riche. Or, tout le monde sait que les voies de la richesse sont pavées de souillures, et que cette richesse, quand elle ne provient pas de l'invention ou de l'héritage, est dix-neuf fois sur vingt le partage des sots, des vieux ou des in- lirmes, de ces pauvres d'esprit et de cœur qu'on appelle gens rangés parce qu'ils n'ont pas une seule noble passion à nourrir, et que le vide de leur cervelle les laisse tout entiers aux choses de la rapine, du trafic et de l'usure. Un malheureux ouvrier que son propriétaire était sur le point de faire exécuter pour défaut de payement d'un terme de quarante francs, s’efforçait d'atten- drir le Crésus inhumain par la peinture de sa détresse, qu'il op- posait naïvement à la richesse de son créancier. — Riche tant que vous voudrez, répondit l’autre, mais je ne le serais pas si j'avais écouté les pleurnicheries de toutes les mauvaises paves… D'où il suit que Ja possession légitime des plus charmants échantillons du sexe revient quasi-exclusivement aux sans cœurs et aux mal bâtis, ce qui est manifestement contraire aux vœux de la nature, qui créa de tout temps les jeunes et les belles pour les jeunes et les beaux. Puis 1l faut dire aussi que la civilisation, qui est la phase de déclin et de décrépitude de la période la plus douloureuse de l'humanité, abonde en institutions politiques, re- ligicuses ct autres nécessairement hostiles à l'amour. Qu'il me suflise de citer dans le nombre ces lois de recrutement si anor- males, si outrageantes pour la raison et pour l'espèce humaine, qui prélèvent chaque année sur la génération nouvelle l'élite et la fine fleur des jeunes hommes pour les envoyer à la mort, laissant JUGIPÈDES. sit à la charge du reste le soin de continuer la race... Comme si le premier mouvement du bon sens et la première inspiration de la nature ne prescrivaient pas de suivre ici une marche totalement opposée, c'est-à-dire de garder exclusivement pour le service marital , le plus sacré et le plus important de tous, tout ce qu’on avait de mieux, de plus sain et de plus solidement établi en fait de mâles, et de se débarrasser du reste en faveur de la guerre ou du célibat monastique. Ainsi font en effet chaque jour les habiles praticiens en horticulture, qui gardent exclusivement les plus beaux sujets pour la graine et emploient le reste à autre chose. Ainsi font les ministres éclairés qui cherchent à encourager l'amélioration des bêtes de boucherie et de somme en allouant des primes fabuleuses aux plus magnifiques étalons. Mais alors, se demandera-t-on, pourquoi l’idée n'est-elle ja- mais venue aux sages qui gouvernent les empires d'appliquer à l'amélioration de leur propre espèce le système qui leur réussit si bien à l'égard des chevaux et des bêtes à cornes ? C'est que les gouverneurs des empires savent parfaitement, hélas ! que les grandes nations sont bien plus difficiles à manier que les petites, ct qu'ils ne peuvent pas raisonnablement agir contre leurs intérêts en poussant par des primes à l’élé- valion de la taille chez leurs administrés. Contemplez la nation française, si ingouvernable, si remuante, il y a soixante ans: si calme, si paisible, si altérée d'ordre et de repos, aujourd’hui que la taille de nos conserits à perdu plus d’un pouce sur celle de leurs pères. Mais que la foule satisfaite admire en cette con- version la sagesse des sages, moi qui ne suis pas de la foule et ne partage ni ses peurs ni ses admirations ni ses haines, moi qui me consolerais facilement d’être seul à avoir raison dans mon siècle, je continue à tenir que la race des humains d'Europe, ravagée, déshonorée, flétrie par six mille ans et plus de fana- tisme, d’esclavage et de misère, décimée tous les ans par quel- que épidémie nouvelle, empoisonnée à la tâche par les falsifica- tions du commerce libre et saignée à blanc par Broussais, je tiens, dis-je, que cette espèce réclame de plus urgentes amé- liorations encore que celle des moutons ou des pores, et je #12 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. demande à porter un toast aux utopistes et aux fous de la jeune Amérique, mes frères, dont la taille grandit tous les jours et qui, rompant hardiment en visière à la routine du vieux monde, viennent de prendre l'initiative de la réforme par moi sollicitée, et de fonder un glorieux prix d'embonpoint et de croissance en faveur des poupons d'un an, nés et élevés en terre libre... Vents alisés de l'Atlantique, steamers fumeux du Havre qui dévorez l'espace, emportez-moi bien vite vers les rives heureu- ses où tant de sagesse habite, que mes veux contemplent des hommes avant de se fermer pour jamais ! American, American {11 FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE. x TABLE DES MATIERES. ERRATUM. RÉ DU LIVRE DEPRÉCEDE. s'est ed nee dus 0 do eue da se 0e à aie e Pieds plats et pieds cambrés. — Orgigamie, Monogamic. — For- mule de Lhomond, formule du Gerfaut. CHAPITRR I. — ORDRE DES SÉDIPÈDES, .:.,4 cesse semer ee Caractères généraux, page 17. — Division par séries, 31. — Pre- miére série : Frugivores, 48. — Groupe des Coïombiens : Ramier, Colombin , Biset. — Famille des Tourterelles. Deuxième série : Granivores, 74. — Le Jaseur de Bohème, le Bec-croisé, le Bouvreuil, le Gros-bec, le Verdier, le Tarin, le Venturon, le Serin de eamarie, le Cini, le Chardonneret, le Linot , le Sizerin. — Le Pinson, 127, le Moïineau-franc, le Friquet. — Ec Bruant, l'Ortolan, 157. — L'Alouette, 165. Troisiéme série : Baccivores, 175. — Farlouses. — Fauvettes : Accenteurs, Rubicttes, Rouge-gorge, 199, Rossignol, 222. — Fauvettes proprement dites. — Grives, 247. — Merles, 262. — Loriot, — Étourneaux. — Sansopnet. Quatriéme série : Insectivores, 284.— Traquels ou Motteux, — Gobe-mouches. — Hirondelles, 297 : Martinets : Engoule- ven{s. — Bergeronnettes. — Jaseuses. — Pouillots, — Roïitc- lets, 335. — Troglodyte. —- Grimpereaux. — Yfuppe. — Guépier. — Martin-pécheur, 353. — Groupe ambigu : la Si- telle, la Mésange. CHAPIERE ET. —" ORDRE DES ICCIPÉDES. .. . ue ee 00 so ee ae Torcol. — Tribu des Pics, — Concou, 398. 15 319 À DE er #0 : Done al URER AVR 7 0 SUR CEE nt * Me uit Bu) nr a : nf AVE pal Vo 1 Pi F# pe Le de Ut a era) DA 2 gaie pe ut CON à ll 4 ALU 1 et dE "' TARA 0 sa ae ‘il MO LA OT ete PA ble nus Fa ne PONTS USA (A e A OA l PAL: à ' { È ! LP ET 4 (à 4 ai LÉ cl ” di s ' NS ent la er a M) A PE ARE re Ware RO ut UE en ME Hymne. M Lntet. ty Qi PAAEENT SRE 114707 02 APS RTS at Mas Te doi en ch DO ae At HN a LUN ON 1100272) 2 PPPUT OI PT NULS ASUS 9 CUT EAN ENT vs ELLES PTOLE LOEB TS CEE OPEN PERS a ul order 4 sg NU MP AT COLA ENT | EL TE EEE #. sn Ait + sp, uit tof” pr MAUART € AA du ‘ te UN 4 | afvhs l A AGRAA : URL cts DEL Mo ré ere 01 rh M GE HAE. 0 LANRAEE, Po Ro! 1 5e NET EME AE 11: A NT POL Le nf CUTANT ENTIER APRES SAT ET PTS À ET . Le fo} TT AMATEUR E MP LL { Fa r * N L ü h k * S LA DRE NRE à UNE, OM ANT ARE Er li À LA MU DOTE \ ui L LL ter AAUPAE MES :uu3 4 DAITQ RCE d' TT ets à | | ue se Br RE Lee deat { AS mA VA ‘ds d . [484 y + vs | Ag" nf" 2 19 ai, k KE 2 fi i [EN Lie” \ Û t 4 " \ ' 4 k [3 "| l mn ME dé ur. ï ÿ, ) k ee UT à | A] % LA ù [l il L ; l k 4, Vans 1 FCI CIE ON Ï L Ll À j un d'u Le t V % d et RL v hE