fMc^wmuc'^ \W \ '-^^V>x^ ri' '¥ M^^^ÊkA^ m i^'^-.^- .:v"^';-'*ls;<^ ■r^.r^ } Si.» i FOR THE PEOPLE FOR EDVCATION FOR SCIENCE LIBRARY or THE AMERICAN MUSEUM OF NATURAL HISTORY A M LE MONDE OISEAUX ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE ^ l>AHtS - IMI'lilNF.CIE J \()I$VE\EI, RIE ht CROIItSlX T, (fi. ^ l'ESPRlT DES BÊTES. LE MONDE ^ SîU:'l-^'- DES OISEAUX ORmHOLOGIE PASSIONNELLE PAR A. TOi:SSE\EL Auteur des Juifs, rois Je l'éfKK/ue. DCUXIÈMC PARTIE. I.e monde des animaux est un océan de syiiipaOïies dont nous ne buvons qu'une goutte, quand nous pourrious eu absorber par torreuts. LAMARTJTtE, La femme est , l'honime devient. Cahus. l.' Amour est le Génie de la Raison. Mou PARIS LIBRAIRIE PHALANSTERIENNE KIE DE BUAL'NE , H. 4 855 / ^4y>/^^/ ERRATIM. L'auteur avoue ingéuumeut que la plupart des fautes eontenues en ce livre sont de lui, non de son impri- meur, et que le présent erratum a ])our unique objet d'appeler sur icclles l'indulp^ence du lecteur. ]a\ plus grave de ces fautes, la plus irrémissible, hélas! est de n'avoir pas su faire tenir dans ce second volume toute la seconde moitié du Monde des Oiseaux. . . Impuissance désastreuse et qui accuse impitovablement la double misère de l'auteur : misère de l'esprit qui ne lui a pas permis de fiiire plus court ; misère de la bourse qui l'a forcé d'entrer dans des considérations mesquines sur le rapport des prix de revient et de vente du papier imprimé, lui a interdit de pousser trop généreusement à la page, et l'a réduit finalement à la nécessité doulou- reuse de couper son récit à l'endroit le plus dramatique et de renvoyer à une troisième partie l'histoire si inté- ressante des Rapaces, ensemble le tableau synoptique de la classification nouvelle si impatiemment attendu. Peut-être quelques lecteurs, mécontents de la mesure, 5eront-ils disposes à attribuer les torts de cette dis- ▼I ERRATUM; jonction imprévue à la complaisance abusive avec la- quelle l'auteur se serait livré, au début de ce volume,, à la démonstration de la supériorité de sa méthode de classification ornithologique , démonstration complète- ment superflue et que personne ne lui demandait, au contraire. Peut-être les moins bienveillants, les plus- enclins à l'épigramme, essaieront- ils de prouver à leur tour qu'il y avait à économiser sur ce chapitre seul de ([uoi faire une large place à tous les Rapaces de la terre... L'auteur n'entend contester aucunement ni la justesse de la censure ni la sagesse de f économie de- mandée. Il a seulement à objecter, en manière d'excuse, à tous les reproches de la critique.... qu'en ce temps là il s'était laissé enivrer par les vaines fumées de la gloire; que la noble ambition de gagner le grand prix d'his- toire naturelle, fondé par Georges Cuvier, l'avait mordu au cœur (un prix de cinq mille francs qui re- présentait pour lui, outre la gloire, la possession d'un nombre illimité d'hectares sur lés rives parfumées du Rio-Trinity ou du Rio-Brazos) et que, dans l'honorable but de conquérir l'estime des savants et de se rendre ses juges favorables, il avait dû naturellement insister sur la partie la plus scientifique de son œuvre, etc., etc. Il prie de considérer encore que chacun ici-bas cher- che à gagner son prix comme il peut et non comme il veut, et que tout le monde n'a pas les moyens de concourir pour celui de Sagesse, ainsi que ce bon jeune homme de l'Ecole normale dont le nom appar^ tient à la troisième déclinaison et fait au génitif Carnis. Après cela, que celui qui n'a jamais rêvé de gagner un grand prix à fhistitut, ou un quaternc à la loterie, lui jet le la première pierre. KRHATIM. vu ■Qiïant aux erreurs matérielles concernant le classe- ment (les espèces. Fauteur n'a jamais eu la sotte pré- tention de les avoir évitées toutes. 11 afïirme seulement, avec sa réserve habituelle, qu'on en trouvera chez lui beaucoup moins que partout ailleurs, dix fois moins par exemple que dans le Manuel de Temmynck, qui fait loi aujourd'hui en matière ornithologique. Il n'oserait pas jurer qu'il a suivi rigoureusement et de tout point, dans la distribution de ses séries, l'ordre établi par Dieu, et (|ue son travail est un daguern'otype exact des plans du Créateur ; mais il aime néanmoins à se rendre cette justice qu'il a serré cet idéal de plus près que tous ses concurrents, et que s'il a erré par hasard, ce n'est pas par orgueil et parce qu'il n'a pas voulu voir, mais bien parce qu'il n'a pas vu. Puis, s'il a erré, il sait où, et même il ne craint pas de renseigner à cet égard la critique vétilleuse. Peut- être, par exemple, a-t-il eu tort de placer d'autorité le Jaseur parmi les Granivores purs, pour faire pièce à Temmynck qui colloque cette espèce parmi les Omni- vores, entre les Corbeaux et les Geais. Mais où serait te mal, si en osant ainsi, il avait relevé un défaut de la science? L'analogie est,' de sa nature, oseuse, et il gc faut pas la reprendre de ses légers écarts avec trop de sévérité. Si la poésie a l'air d'être morte à l'époque où nous sommes , c'est qu'elle n'ose pas oser, et qu'elle attend probablement que l'analogie la réveille. D'autres encore pourront dire qu'à la place de l'au- teur ils auraient fait marcher la Grive à la suite du Bec-figues, ou bien le Troglodyte après le Traine-buis- son, etc. L'auteur répond d'avance à toutes ces criti- ques de détail qu'il ne demande pas mieux que de voir VIII t:HHA.TLM. ceux qui sont plus forts que lui prendre ù faire, et il répète pour la dernière fois qu'il n'a jamais prétendu que sa classification ornlthologique fût parfaite ; il es- time qu'elle vaut mieux que toutes les autres, étant, par ube exception bizarre, la seule qui commence par le commencement et finisse par la fin... voilà tout. ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. LE m\m DES OISEAUX. RESIMK DF LIVRE OU PRECEDE. Pieds plais cl pieds ratnbiTS. — Orf^icarniL', ^Foiiosaiiii*' — Foimulc de Lhoiiioiul, rorniiile du (ieilaiil. Ainsi tous les oiseaux Nageurs, Barbottcnrs et Coureurs po- sent sur des pieds plats , et le pied plat est le signe fatal auquel se reconnaissent les espèces primitives, grossières, inachevées Et rOrgigamie est la loi de ces tribus sans gloire, l'Orgigamie honteuse qui est le plein essor des péchés capitaux et qui étouffe dans leur germe toutes les inspirations du génie. Pas d'amour, pas de joie, pas de nids merveilleux , de poésie ni de chants. Et chez l'immense majorité de ces espèces impures , le mâle est incomparablement plus fort, mieux vêtu, mieux armé que la femelle, et il abuse naturellement de sa supériorité physique pour écraser celle-ci , et le genre masculin y est dit plus noble que le féminin ! Ainsi tout ce qui vit de poisson mort, trône sur le fumier ou '2 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. patauge dans la fauge ; tout ce qu'il y a de plus épais , de plus ialbrme, de plus goulu, de moins aérien parmi les habitants de l'air, est pour la formule de Lhomond ! Ainsi tout moule inférieur déshérité du mobile d'amour est voué fatdlement aux voluptés immondes et jeté en pâture à la Goinfrerie et à la Fainéantise , mères de l'obésité qui conduit à la broche ! Ainsi Dieu, en frappant cette vile plèbe de l'interdit d'amour, l'a du même coup condamnée au supplice du feu éternel ! Triste fin , expiation terrible qui me fait trembler pour l'ave- nir d'untas d'amoureux fous de la muse latine, mais dont les malheureux ne s'inquiètent pas assez. Combien j'en sais , hélas ! rien qu'au Journal des Débats et à l'École normale, pour qui le sort du dinde, de l'oie et du canard n'eut jamais d'enseignement! Ceci est le résumé du livre qui précède, résumé l)ref mais "plein, renfermant tout un monde de vérités nouvelles, avec la solution du problème social et l'avant-dernier mot de la sagesse humaine. Il n'y a peut-être que l'analogie passionnelle pour faire tenir à l'aise tant de choses en si peu de mots. On y trouverait plus facilement encore, en le désirant bien , toute la substance et toute la moralité de la première partie de cette œuvre. Car il a été loyalement déclaré par l'auteur , dès le début d'icelle, et sous forme d'avis au lecteur, que l'histoire des oiseaux de France n'était que le prétexte et le but apparent de l'ouvrage et que son but réel et secret était de se servir du témoignage oral des verbes ailés de Dieu , pour arriver à la démonstration géométrique des deux propositions audacieuses ci-après : « Le règne de l'homme,. règne de la force brutale, règne delà contrainte, de l'imposture et des vieux, coïncide fatalement avec la période la plus douloureuse de la vie de l'humanité. » Le règne de la femme, règne du droit, règne de la liberté, de l'amour et des jeunes , correspond à la phase d'apogée ou de plein développement. » UKSiMi: iti LiMŒ i^w rmxEui:. 3 Or, l'îiiiathome qu'on vient d'ouïr, or celte malédiction suprême (jiu' la nature exaspérée fulmine contre les contemp- teurs d'amour, n'est rien de plus, n'est rien de moins ([ue la démonstration i;eonietrique , peremptoire , triomphante de la première des deux propositions ci-dessus. C'est-a-dire (jue j'ai déjà démontre d'une faron irréfutable par l'étude des trois ordres des Nageurs, des Barbotteurs et des Cou- reurs (/ue la supériorité du mule est caractéristique des races inférieures flans lu volatilité. Et je crois (pi'il est absolument impossible d'arriver à cette conclusion chez l'oiseau, sans la faire jaillir en même temps du principe ridicule de la toute-puissance de la barbe chez 1" homme. Attendu (pie la bête comme la fleur n'est qu'une fraction pas- sionnelle de l'homme , fraction exactement moulée sur le modèle de son unité typi(|ue et se conjujïuant et se gouvernant exclusi- vement sur elle et reflétant fidèlement toutes ses évolutions... Ou bien si vous voulez encore , attendu que chaque créature inférieure est un essai de la créature supérieure et que l'oiseau annonce l'homme , comme l'homme annonce la femme , conmie la femme annonce lange. C'est-à-dire que la première moitié du monde des oiseaux que nous venons de parcourir est l'image iidèle du monde des humains, du monde où nous vivons, du monde des sauvages , des civilisés, des barbares. Et que le moment même de l'histoire de la volatilité où nous sommes est celui qui correspond à la phase critique de l'humanité que nous traversons à cette heure... heure unique marquée dans les âges pour la fin du chaos et l'ère de la transhguration sociale ; heure solennelle , où les tour- billons font silence dans l'attente des graves événements qui se préparent, où les voiles des temples se déchirent du haut jus- qu'en bas et où les guéridons parlent... Je n'ai pas besoin de dire quel intérêt d'actualité immense ajoute à ce récit la coïnci- dence curieuse que je viens de révéler. Je demande seulement à ne pas être forcé de reprendre mon cours complet d'histoire universelle pour démontrer catégori- quement, pièces en main, que les espèces impures dont j'ai 4 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. décrit précédemment les mœurs, que ces Patauds, ces Goinfres, ces Eperonnés, ces Butors sont notre portrait , trait pour trait. On ue démontre pas la ressemblance de deux images, on les met l'upe contre l'autre et Tondit : Regardez. Or, quoi de plus frappant que l'étrange ressemblance de ton, de physionomie , de tempérament et d'allures , qui est entre les liéros des deux scènes... Et n'est-il pas visible cju'à travers tous ces moules des phases antérieures , le même souffle de Dieu a passé! Mêmes visages, mêmes mœurs, mêmes institutions politiques. Tout se lie, tout s'enchaîne; il y a parenté physionomique , parce qu'il y a affinité caractérielle entre les vivants des mêmes phases et parce que le même signe de réprobation est sur eux. Et cette similitude de traits et de caractères est si apparente , si parfaite, qu'elle a été entrevue dès l'origine par les poètes de tous les climats et de toutes les littératures, et qu'elle a enfanté l'Apologue et la Comparaison. Et si fort est le nœud de honte qui unit les deux limbes que la sagesse des nations qui s'exprime par le Yerbe, n'a pu trouver encore de nom plus convenable pour baptiser le monde des humains d'aujourd'hui que celui de Pieds-plats , le même que l'observation m'a donné pour caractériser au physique le monde des oiseaux voués à l'orgigamie ! Car, ce n'est pas moi , notez bien, qui ai attaché à ce terme une signification de mépris; c'est l'analogie passionnelle qui l'a teint de cette couleur et fait entrer de force dans l'argot des civilisés qui s'en servent journellement pour flétrir lies serviles. Pied-plat : lâche, rampant, flagorneur. « Pied-plat : homme méprisable , » dit Boiste , et il ajoute à l'appui de sa déhnition, cette phrase non moins remarquable par son incorrection que par sa profondeur : « La sagacité du peuple a remarqué que les gens à petites âmes étaient souvent de plats pieds ou bien à larges pieds. » J'adopte l'opinion de Boiste, mais j'ai besoin de rendre grâce d'abord à la prévoyance iniinie et à la toute-puissance de l'analogie passionnelle qui n'a besoin que de laisser tomber un mot, une seule expression pittoresque pour vous mettre sur la voie de solutions inespé- RÉSLMK 1)1 iJVRi-: un r'UKCKm:. 5 récs et de rapprocluMiiciits impossibles, ainsi (pie dans l'espèce. Que ce inonde des luiniaius des sociétés linihiques est bien, ea effet, comme l'autre, un monde de Pieds-plats, de Pieds-plats et d'Orj^iiiamic ! Un monde de vilenie , d'oppression , de misère , où l'autorité se mesure à la force corporelle, où le pied de douze pouces s'ap- pelle un pied ((e roi ! Un monde d'impudicite et de luxure , où par l'interversion odieuse de toutes les lois divines et humaines, la Beauté que Dieu avait faite pour régner , est esclave... Où le sexe le plus rose et le plus délicat est condamné aux: travaux les plus rudes, aux métiers les })lus repui^nants... Ou le plus précieux de tous les droits naturels, le droit d'amour et de paternité, est privilège du riche... Où le vieux Salomon possède impudemment un harem de mille vierges, pendant (|ue mille jouvenceaux de la contrée jeûnent d'amour. Un monde de fourberie , de goinfrerie , d'avarice, ou la soif de Tor pousse la mère à traliquer de sa tille et la passion de rulcool le fils à vendre son père ; où le métier qu'on honore le plus, après celui d'agioteur, est le métier de tueur d'hommes... Monde maudit, monde stupide , qui |)orte écrite au front de ses codes imposteurs la formule infecte de Lhomond ! Je délie le plus savant ami des bêtes de m'enoncer une seule sottise ou une seule turpitude de son monde, à laquelle je ne ri- poste pas aussitôt et avec bonheur, par la contre-citation de la même sottise ou de la même turp^^ude dans l'histoire des civilisés. Le cachet de la perversion sera plus marqué chez le civilisé que chez la bête, ce sera toute la ditïèrence ; car la bète ne fait pas le mal sciemment quand elle obéit aux impulsions de son instinct ; elle n'a pas sa conscience comme l'homme pour lui dire qu'il n'est pas bien d'occir ou de voler son jjrochain. Il est très-facile au surplus d'essayer la comparaison : Se raser , se dissimuler, s'aplatir à tout bout de champ , est l'univetselle tactique de l'immense majorité des espèces volatiles qui composent les trois ordres dont l'histoire précède. Ainsi fout, fi ()RMTHOI,()(ilK PASSIONNKLLK. soiis la menace; ih l'oiseau do proie, l'autruclie , la caille, l'oie, le faisan, le cygne lui-même, le plus gros comme le plus j)etit , le mieux armé comme le plus faible dans ces races inertes. Ainsi font les humains des sociétés maudites, dont l'histoire toute entière, depuis lachutejusqu'à nos jours, pourrait s'intituler l'histoire de l'aplatissement continu, tant l'habitude de s'aplatir est fréquente chez l'espèce. Et cette honteuse déviation de l'at- titude verticale chez l'homme est produite aussi par la peur, une peur universelle , stupéfiante , écrasante , peur de Dieu , peur du diable; peur du bien, peur du mal; peur de l'eau, peur du feu; peur de la lumière , peur de l'ombre ; peur de jouir, peur d'aimer. Les papas et les mamans des petits civilisés leur enseignent à trembler dès l'âge le plus tendre, et il y a en civilisation une littérature et des bibliothèques spéciales pour aider à ces ensei- gnements. On ne sait pas assez , hélas ! que les trois quarts des maladies qui assiègent notre âge mûr et qui abrègent de trente ans notre existence à tous , sont les fruits des peurs atroces qu'on nous a faites quand nous étions très-jeunes , et que la crainte du diable est le commencement de notre dégradation composée , de nos infirmités, de nos génuflexions, de nos turpitudes omni- modes. Guérir l'homme de la peur , voilà la première cure à pra- tiquer sur l'homme pour lui rendre la santé de l'âme qui entraînera celle du corps ; car , la peur est la cataracte (}ui couvre son enten- dement et l'empêche de voir Dieu. Je demande qu'on brûle tous les livres qui font peur aux enfants et qu'il soit défendu sous des peines très-sévères de se ^ervir du Diable, de l'Ogre ou de Croquemitaine pour préparer les peuples à courber leur tète sous le joug et en faire ensuite des troupeaux. Nous savons parfaitement par le triste témoignage de l'histoire ce que des imposteurs habiles peuvent faire avec des générations abruties par la peur , mais nous n'avons pas l'idée de ce qu'il y aurait à obtenir pour le bien de l'humanité, d'une génération d'hommes libres, élevés dans le pur amour de Dieu et complètement étrangers à la crainte. Je ne suis pas bien sûr, mais je parierais presque que la fable du coup de pied de làne a été prise dans l'histoire des hommes, UKsiMi; lu i,i\i;k ni i I'KkckiU'. 7 tant elle a l'air d'an fait quotidien de leur vie politique. Quand le lion d'Ansterlitz eut reçu sa blessure mortelle aux champs de Waterloo , son Sénat , qu'il avait gorgé d'une large part de ses proies et qui lui avait livré en retour et sans marchander aucu- nement tout le sang, toutes les libertés et tout l'or de la France , son Sénat lut le premier à lui jeter la pierre , quand il le vit à bas. Et ces messieurs qui se déguisaient naguère en ouvriers , pour essayer d'escamoter les sufi'rages du peuple et qui depuis... mais alors... C'est-ii-dire que je necounais pas au beau pavs de France un seul homme de quelque valeur qui n'ait reçu dix fois son coup de pied de l'àne. Quoi de plus facile encore à appliquer aux jugements humains, que la morale des Animaux malades de lu peste! On accuse le dindon de fuir lâchement devant le coq et de retrouver toute son énergie pour assassiner dans un coin quelque volaille malade; mais l'histoire du dindon est celle de Thcrsite qui s'éclipse pendant la bataille et ne retrouve tout son courage qu'après que le péril est passé. Dans les pays sujets aux discordes civiles on a maintes fois observé que la férocité dans la ven- geance était généralement proportionnelle à l'intensité de la peur éprouvée pendant le combat. Il est reçu encore chez les pieds-plats « que les femelles n'ont été créées que pour la joie et le divertissement des mâles, et qu'à elles seules incombe la charge du travail... et qu'elles doivent fidélité et obéissance absolue à leurs seigneurs et maîtres fpii ne leur doivent rien en retour... Et que la nature, pour prouver catégoriquement qu'elle voulait qu'il en fût ainsi, avait armé ceux-ci de moyens tout-puissants de contrainte, afin qu'ils eussent raison de toutes les résistances et que force restât à 'a loi , etc. » Telle est du moins l'opinion des masses , des viles multitudes. C'est celle du dindon, déjà nommé entre autres, et aussi celle de l'oie et du canard musqué, pour citer des noms propres , et le Journal des Débats peut s'appuyer contre moi de ces autorités. Mais je demande de quel droit d'autres humains que nous s'indigneraient d'entendre professer par des bêtes ces doctrines 8 t)RMTU()L()(;il-: l'ASSIONiNELLE. honteuses , quand ces doctrines honteuses se retrouvent au fond de toutes les législations et de toutes les religions des hommes dont elles sont la substance même ; quand on lit dans un livre saint que c'est la femme qui a provoqué la chute, en induisant l'homme à goûter au fruit de l'arbre de science... (lomme si ce n'était pas, au contraire, le premier et le plus beau des titres de la femme à la reconnaissance de l'homme que de l'avoir forcé de sortir de son ignorance ! Je voudrais savoir chanter, pour parodier d'une façon joyeuse la célèbre chanson de Béranger : Dindon, Canard, Juif, Grec, Cliinois, Romain, Pieds-plals, formez une sainte alliance, Et donnez-vous la main.... Vous dites qu'il y a parmi ces partisans effrénés de l'absolutisme masculin, un faisan, le doré, qui est un logicien terrible, pous- sant volontiers son principe à ses dernières conséquences et n'hésitant jamais à faire sauter le crâne à ses épouses pour la moindre velléité d'opposition à ses fougueux caprices. Cela est vrai et j'ai été témoin oculaire du crime ; et même le faisan dore , plus féroce que le juif Hérode, qui se bornait à faire massacrer la progéniture d'autrui , sévit contre son propre sang, et semble prendre plaisir à se faire le bourreau de tous les innocents de sa race. Puis, à ceux qui lui rei)rochent ces actes de barbarie, il répond d'un air leste... quant aux meurtres de poules, qu'il est bon de faire de temps en tenq)s des exemples pour retenir le peuple dans le respect de la loi... quant aux poussins, que les embarras de l'éducation d'une famille nombreuse détournent trop souvent les mères de leurs devoirs d'épouses. Donc je veux bien mêler ma colère à celle qu'éprouvent tputes les âmes sensibles au récit de ces énormités ; mais, mon indigna- tion ne me rendra pas injuste et ne m'empêchera ])as de recon- naître que ce faisan dore est un emblème du Ralline de cour, et (|u'un emblème, quel qu'il soit , ne peut guère puiser ses exem- ples de conduite ailleurs que dans le monde (ju'il a charge de symboliser. Or, quand je vois dans ce monde un Henri Ylll d'Angleterre qui était un grand prince, plus un maréchal de l\etz (Barbe-Bleue), qui était un guerrier illustre, plus une foule IIESIMK hl l,|\ lU; Ol l l'KKCKDK. !» iiinombrahle de sultaus i^lorieux et de liers gentilshommes (|iii ne se gênent pas |)oiir faire couper le cou à leurs lemmes, désque l'idée leur en vient... Quand je considère d'autre part que ce faisan doré est originaire de la Chine, un pays abominable, où les hommes ont l'habitude de casser les pieds à leurs lemmes pour les clouer à demeure lixe, et où la pratique de l'intanticidc est passée dans les mœurs... je tue demande froidement s'il n'est pas très-possible que le siiectacle permanent de telles atrocités ait réagi d'une façon désastreuse sur le moral de l'oiseau. Je me demande si , en présence de tels précédents humains , nous sommes bien venus, nous autres hommes, créatures censées rai- sonnables, à faire le procès à une bête qui sera toujours en droit de nous répondre (jue , s'il y a crime dans son acte , la coulpe en est à nous , non à elle qui n'a fait quimiter l'exemple cju'on lui donnait , (jui n'a ete entraînée à mal faire que par la dangereuse contagion de la monomanie féminicide. Et, comme le peuple français lui-même aurait bonne grâce à refuser au faisan doré le bénehce de cette circonstance atténuante, le peuple chevalier, galant et troubadour, qui a dans son code un article où l'on explique dans quel cas le mari a le droit d'assassiner sa l'emrae ! ♦ Une dernière comparaison pour achever la preuve de la simi- litude composée des deux règnes. L'orgigamie, avons-nous vu, est la loi générale des relations sexuelles dans les trois ordres d'oiseaux qui forment le personnel de la Planipédie, mais elle n'est que la loi générale. Le mal est en dominance dans ce monde, mais il n'est pas absolu. Et en elVet, du sein de l'impudicite triomphante, nous avons entendu s'élever de nobles voix pour protester chaudement contre l'im- pure doctrine de la preexcellence du sexe masculin. C'était, si vous en avez souvenance, la cigogne, le pélican, le cygne, le tadorne, le vanneau, la bécassine. Or remarquez que ces espèces exceptionnelles qui protestent eu faveur de la liberté d'amour sont précisément celles que la poésie et la mythologie ont im- mortalisées par leurs chants. L'estime que fait le genre hu- main de ces tribus d'élite leur est venue de la pureté et de la i(> ORMTHOLOf.IE PASSJO^^'ELLE. délicatesse de leurs mœurs, pour dire qu'il n'y a que ceux qui aiment qui méritent d'être aimés. Hélas ! dans notre monde aussi le mal est en dominance et le bien ne figure qu'à titre d'exception minime; car l'amour, chassé par les \k\\\ du foyer domestique , a été obligé de se réfugier dans le roman et dans la région des chimères. Mais pourtant la défense des vieux, autrement dit des sages,'a été impuissante à éteindre dans le cœur des mortels l'ardente soif de bonheur que Dieu y avait allumée. Et comme Dieu est plus fort encore que la superstition et tous les hypocrites , et que sa volonté expresse est que l'homme soit heureux, il en est résulté que les âmes d'élite, que les plus nobles cœurs, c'est-à-dire les plus pénétrés du véritable esprit de Dieu, ont protesté énergiquement aussi en faveur de la liberté des attractions ou de la souverai- neté de la femme , ce qui est la même chose. Et bientôt l'idéal où s'était réfugié l'amour est devenu la patrie de toutes les na- tures supérieures, et le domaine exclusif de la poésie et de l'art comme chez les oiseaux. Chez nous aussi, regardez bien, tout ce qui se détache en rose du fond somhre de nos annales noi- res de misère et de crime, est la teinte de nos aspirations invin- cibles vers le bonheur d'amour, but soprême de nos destinées. Il faut bien que j'en reste là de cette esquisse comparative et que je laisse inachevé le parallèle, pour être fidèle à l'engage- ment que j'ai pris envers mes lecteurs. Mais quel magnifique parti la philosophie de l'histoire a oublié de tirer de ces rappro- chements ! Et de quel avantage immense ne serait pas pour un grand peuple l'adoption ofiicielle d'une méthode d'enseignement histo- rique comme celle-ci , Qui permet de lire aussi facilement dans les ténèbres du passé que dans les splendeurs éblouissantes de l'avenir... Qui réalise au profit du jeune âge, de si nombreuses et de si importantes économies de lectures insipides, d'exercices mné- motechniques douloureux, de copies de composition, de pen- sums... RiiSl.MK m I.IVRK Q[[ PRKCÉDE. 1 1 Qu abrège de tant d'années l'apprentissage intellectuel du jeune âge... Qui convertit en récréations joyeuses les corvées abrutissan- tes des antiques études... Qui édicté on quelques traits de plume tous les commande- ments (ffe Dieu avec la manière de s'en servir pour que tout le monde soit heureux... Qui amènerait k très-bref df>lai et par suite des améli(#ations ci-dessus, la suppression de l'Académie des sciences morales et politiques et aussi celle de l'Académie des Inscriptions et Belles- Lettres et d'une foule d'institutions analogues et de chaires pro- fessorales , exclusivement habitées par des vieux, ennemis-nés du progrès... Et qui même autoriserait une administration paternelle à pro- fiter d'un hiver où le froid serait très-dur et le condiustible très- cher , pour distribuer aux ménages indigents , en guise de co- trets, ces énormes in-folio à tranche rouge qui traitent de l'histoire des Mèdes et des Perses , ou bien de la philosophie, de la théo- logie et de la morale, et ([ui encombrent si désagréablement les bibliothèques des grandes villes où personne n'y touche, hormis les souris et les rats, lesquels abusent naturellement de la paix qui leur est faite en ces lieux solitaires pour y multiplier dans des proportions scandaleuses. A quoi bon tant de livres de morale et d'histoire quand il suf- (it de deux lignes, d'une demande et d'une réponse, pour faire le tableau d'une nation, d'une époque, d'un monde? Dites-moi ce qu'y était la femme et je vous dirai tout le reste. 11 n'y a eu depuis six mille ans, dans les deux continents, dans les deux hémisphères , qu'un peuple heureux et libre, un seul, celui de l'Amérique du Nord. L'Amérique du Nord est le seul pays de la terre où la femme soit reine ! C'est là qu'il faut aimer, c'est là qu'il faut mourir. Donc, nous sommes arrivés dans l'histoire des oiseaux aux extrêmes confins des empires du bien et du mal. A gauche est le monde des pieds plats et de l'orgigamie qui porte pour devise 12 ORNITHOLOGIE 1>ASS10>NELLE. Ja formule de Lhomond. A droite le monde des pieds cambrés, des cœurs fidèles, qui marchent sous la bannière du Gerfaut. Là- bas, sur le fumier, sur les eaux, dans la vase, sensualité gros- sière, voix discordantes, incapacité artistique, chez des races vouées à Ici broche. Ici, sous la feuillée, au bord des toits, au ver- sant des collines, voix mélodieuses, nids d'amour, génie et liberté ! L'ordre du jour de ce récit appelle l'histoire des Sédipèdes ou des oiseaux percheurs , un sujet plein de charme. niAPITRE PREMIER. Ordre des Scdipèdes. — l?,0 espOces. L'histoire des Sédipèdes est la visite à la volière au sortir de la basse-cour et de la faisanderie. J'ai déjà ronlessé , eu toute modestie, que la présente classifi- cation pedilornie, jjour être de heaucouj) supérieure à toutes celles qui l'ont précédée, n'était pas cependant parfaite. Le lecteur aura plus d'une fois occasion, dans le cours de cette étude , d'observer ce double caractère de supériorité relative et d'imperfection absolue. Cette série des Sédipèdes est celle (jui corres|)ond ou à peu près à l'ordre ofliciel des Passereaux. On sait (|ue ce prétendu ordre, qui comprend à lui seul autant ou plus d'espèces que les cinq ordres restants, est celui qui a causé à l'Institut le plus de tabla- ture et de désagréments. Avec tout le respect dû aux grands noms de la science, disons que ceux qui ont pris part à la fondation de cet ordre , Linnseus et Buffon, Cuvier et ses complices en ont dû répondre devant Dieu. Il est de fait que la confusion fâcheuse introduite par ces illustres maîtres dans le chapitre en question , est sans bornes comme sans excuse et (pi'elle apporte à l'étude de la science, c'est-à-dire à l'intelligence des vues du créateur, un obstacle invincible. La première chose que je ferais si j'étais gouvernement ou simplement ministre de l'instruction publique , serait d'ordonner la suppression de l'ordre des Passereaux et peut-être de quelques autres avec. Qui est-ce qui s'en plaiu- drait ? 14 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Piloté dans cette passe par l'analogie passionnelle , guide plus gai que Mentor , il m'a été l'acile d'évit(M- maints écueils où d'autres avaient sombré. Ainsi, l'insignifiance absolue du titre de Passereaux placé par les inventeurs de la nomenclature ofti- cielle en tète de la série était déjà un tort, parce (pùme devise qui ne dit rienn'est pas une devise, et parce qu'on ne fait pas une gerbe, un faisceau, un groupe sans un lien. Mais n'insistons pas sur une faute que j'ai déjà l'elevée sévèrement ailleurs ; faisons seulement observer que la dénomination de Sédipèdes, par nous attribuée à la série des Percheurs , échappe complète- ment au reproche d'impropriété et d'insignifiance si justement mérité par celle de Passereaux. Une autre fatalité de ce malencontreux ordre des Passereaux a été que ses parrains en aient fait comme un ordre de rebut des- tiné à loger tous les caractères embarrassants qu'on n'avait pas trouvé à colloquer ailleurs, un ordre assez semblable à ces légions étrangères qu'on forme de réfilgiés venus de tous pays et divers d'appétit, de costume et d'idiomes. Notez bien, en ellét, que le Passereau n'est qu'un mythe, un être purement fictif, éclos dans l'imagination poétique de Liunœus ou d'un autre et sans forme tangible. De sorte (|ue l'on n'est plus passe- reau, comme tout à l'heure on était rapace ou palmipède, en vertu de telle ou telle conformation physique analogue à certain patron pris pour type de série , aigle , faucon ou canard. On est passereau tout bonnement, ])arce qu'on na pas le bec crochu ou le pied garni de membranes; on est passereau, non pas parles caractères que l'on a, mais par ceux qui vous man(iuent; on est passereau.r, enfin, non pas parce que l'on se ressemble, mais parce que l'on ne ressemble pas à autrui. Je crois largement demeurer dans les termes de la politesse en me bornant à qua- lifier d'absurde une pareille méthode de classement qui est le renversement de toutes les idées reçues en matière de distribu- tion d'harmonie; car Dieu a donné à chacune de ses créatures ailées un titre sériel et un numéro d'ordre pour (|ue ceux qui voudraient un jour les mettre eu rang , pussent les reconnaître à ces signes , et il a expressément défendu de placer côte à côte SEDIPEDES. lo dans la même série les espèces qui se repoussent par toutes les habitudes de l'esprit et du corps, ou dont Tune mange l'autre... Et les nomcnclateurs (pii vont au rebours de ces indications et qui procèdent à la rorination d'une série par voie de négation et de disparité , sont des ennemis de Dieu qui méprisent ses comman- dements et calomnient son œuvre. Et plus vaste est la sciencede ces génies sublimes, decpii c'est le métier de savoir, plus énorme est leur faute. ('e (pii n'a pas empêché le Journal des Débats^ feuille pieuse, de m'imputer à crime de ne pas m'être traîné servilement sur les traces des maîtres... Comme s'il m'eût été possible, en de- meurant collé il cette froide piste, d'avoir connaissance parfaite du pied du volatile, et de retrouver dans son empreinte le pas des sociétés humaines en marche vers l'Éden d'apogée ! C'est le même journal (jui m'a reproché aussi, dans un mou- vement d'humeur, de n'être plus tout à fait de la première jeu- nesse. Comme si c'était ma faute! comme si l'on était maître d'avoir toujours vingt ans et des cheveux à soi !... Je n'ai pas ré- pondu à ce reproche amer. Ce n'est pas de vieillir, hélas! qui est un crime, puisque la science n'a pas encore découvert le moyen d'arrêter le temps dans sa course rapide; ce qui est mal , c'est, quand on n'est plus jeune, de médire sottement du bien qu'on a perdu et de se proclamer sage. Le beau mérite d'être sage quand personne ne tient plus à vous faire pécher ! Au spirituel, trois alliances monstrueuses me faisaient surtout peine à voir dans cet ordre confus des Passereaux de Cuvier, à savoir : celle du croque-mort et du colibri , celle du gobe-mou- ches et de la pie-grièche , celle des chantres mélodieux et des oiseaux criards. Au matériel aussi, il m'était difficile d'admettre la proche parenté de l'oiseau percheur, à l'attitude horizontale, avec l'oiseau grimpeur, aux allures verticales. Or, comme l'é- tude approfondie de la nature m'eut bientôt démontré toute la légitimité de mes répulsions à l'endroit de l'ordre de choses éta- bli , et que nulle raison sérieuse n'existait de tolérer plus long- temps le scandale de ces unions adultères, je les ai rompues hardiment, démon autorité privée. le. OK.MTlKll.OCll': l'ASSlO.NNKM.i:. J'ai commencé par débarrasser l'oiseau-mouchcs , emblème de la jeunesse dorée qui vit du miel des fleurs, du voisina2;c désho- norant du corbeau, emblème de léi^iste qui vit de lacbair des cadavres et des œufs des autres oiseaux; puis j'ai remis le moule ignoble à' sa place, qui est à l'avant-garde de la série des Ra paces, section des Ambigus. J'en ai fait autant pour le gobe-mouches, un oiseau estimable sous une foule de rapports, que j'ai affranchi de la société dés- agréable de la pie-grièche qui le croque quelquefois. Et comme je tenais de l'hirondelle et de la hiM-geronnette que cette pie- grièche était un véritable oiseau de proie, à telles enseignes ((u'elle donnait la chasse à tous les petits oiseaux, voire au merle, et qu'on l'avait dressée au vol du moineau-franc, j'ai logé la mauvaise à son poste de guerre, entre la grande-pie sa cousine et le plus petit des faucons. J'ai fait plus encore pour la science, qui ne m'en saura aucun gré, en éliminant complètement de l'ordre des Percheurs (passe- reaux) l'innombrable série des Grimpeurs, conformément au vœu de la nature, qui avait tracé elle-même entre ces deux types gé- nériques une ligne de démarcation profonde dans la disparité an- tipodique de la marche, de l'attitude et du verbe. Démarcation bien plus tranchée encore au moral (ju'au physique par la di- versité des emblèmes : les vrais Sédipèdcs ou chanteurs symbo- lisant la poésie et les arts, les Grimpeurs les métiers bruyants; le premier ordre modulant en inincur, le second en majeur! J'entends la critique malveillante s'écrier à ce propos (|ue l'a- nalogiste qui est au courant de ces derniers détails a belle de critiquer le savant vulgaire qui les ignore, et qu'il est peu gé- néreux à lui d'abuser des avantages de sa situation exception- nelle. Je n'ai jamais nié la supériorité de la méthode analogique sur les autres, mais le savant est maître d'en user comme moi. J'estime que l'elagage intelligent que j'ai pratiqué dans l'ordre des Passereaux a réduit de trois cents individus environ l'effectif oUiciel. il esta remarquer, en effet, (|ue l'ordre des Grimpeurs, disons des Jugipèdes, renferme une vingtaine de tribus popu- leuses: Pics, Perroquets, Goucous,Couas, Couroucous, Toucans, SÉniPÉDES. 17 Aracaris , etc., et que la série ambiguë des Corbeaux , des Pies et des Geais u'est pas moins féconde en espèces. L'ordre des Passereaux , débarrassé de cet accessoire anormal qui gênait ses allures en détruisant son homogénéité, se déploie désormais en colonnes régulières ; et alors il devient notre ordre des Sédipèdes , ordre admirable , ordre modèle qui se détache aussi nettement que celui diis Rémipèdes ou des Rapaces des ordres contigus , et que l'exposé de ses caractères généraux va poser carrément dans son jour Uuniucux. L'ordre des Sédipèdes de France comprend près de cent trente espèces, depuis le Pigeon ramier justiu'au Grimpereau. C'est plus du tiers du nombre total des oiseaux de France, qui n'est que de trois cent soixante. Trois espèces seulement sont eu partie ralliées à l'homme et produisent en domesticité ; elles ont donné naissance à un nombre de variétés infini. Caratlères généraux. Un seul mot suffirait pour caractériser cet ordre ; c'est celui des oiseaux chanteurs. Le chant est la plus pure expression de l'amour ; le chant est le privilège exclusif des natures d'élite, passionnées et fidèles. C'est le cachet du vase d'élection , comme le parfum pour la ûeur. La mélodie est, comme le parfum , génératrice du charme. De là les touchantes sympathies des âmes tendres , des poètes, des enfants et des femmes pour les oiseaux chanteurs et les fleurs odorantes. Le chaut , attribut normal du sexe masculin dans les tribus ailées (i), implique déférence absolue du mâle pour la femelle. (1) Le vulgaire s'imagine à tort que la femelle n'a pas de voix. Le chant est dans ses dons, et si elle ne s'en sert pas, c'est qu'elle a mieux à faire, c'est qu'elle a une mission plus haute et plus sainte à remplir. Du reste, elle a suivi, dans son enfance, un cours de musique vocale, comme ses frères, et son goût s'est développé avec l'âge ; et il fallait bien qu'il en fût ainsi, pour qu'elle pût savourer le charme des élégies brûlantes qu'on lui soupirerait un jour. Maintenant, (jui n'a pas vu une l'ois dans sa vie, dans la loge de son H. 2 18 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. La galanterie est la tonique de l'ordre des chanteurs , comme elle est celle de l'homme dans la jjhase d'harmonie. Et la nature, en sa reconnaissance, a richement récompensé l'oiseau 'chanteur de son obéissance à ses lois. Elle l'a, plus puissamment que tout autre, titré en favoritisme, lui donnant en partage les dons qui font aimer : l'innocence , la pureté du cœur, l'élégance, la sveltesse des formes. Au génie musical elle a joint celui de l'architecture, sublime inspiration de l'amour maternel et aussi le dévouement, la charité, le courage. Elle lui a attribué enlin , pour caractère distinctif et spécial qui le sépare complètement des races inférieures, la finesse, la trans- parence et la cambrure du pied. Le lecteur doit se souvenir que j'ai dit autrefois que la classification des oiseaux par le pied était celle qui côtoyait de plus près la classification pas- sionnelle , la seule vraie , la seule raisonnable. Les preuves de cette affirmation se pressent sous ma plume. On a déjà vu tout à l'heure que l'ordre des Sédipèdes débutait par le pigeon et la tourterelle aux pieds roses pour finir par le grimpereau, un des plus petits pieds que je connaisse. En vérité , en vérité , je vous le dis , il n'y a que les jolis pieds pour savoir aimer, danser, chanter, bâtir, dans le monde des oiseaux, comme dans celui des humains : lady EstherStauhope, la reine de Palmyre, qui n'avait jamais entendu parler de La- martine , la pauvre femme , le reconnut soudain pour un poëte hors ligne, à la cambrure du pied. La femelle, dans toutes les espèces de Sédipèdes, se distingue du mâle par une tête plus hne, un col plus gracieux, des cou- leurs moins voyantes , un tarse plus transparent , des doigts plus déliés. Aussi est-ce elle que la nature a chargée exclusivement de la partie la plus délicate et la plus artistique de la bâtisse du nid, comme de l'éducation secondaire de la jeune famille. Ainsi porlicr ou ailleurs, de pauvres serines sevrées d'amour, qui essayaient de Irorn- per leurs ennuis par le chanl, eomnie l'époux d'Euryiiice, et (jui renonçaient bientôt;! ee vain subterfuf^e (luand on leur doiuiail un mari? Ainsi, la jeune Parisienne, si ardente au piano uvanl le mariage, le néglige volontiers après. SEDIPEDES. 19 chez nous les plus difficiles des arts , ceux qui exigent le plus de délicatesse et de tact, la broderie, la conversation, l'art de styler l'enfance, sont attributs exclusifs du sexe féminin, le se\e par excellence. On reconnaît à preniicre vue dans le monde l'ado- lescent élevé par les femmes, à l'aisance des manières, à la dis- tinction et à la facilité du verbe , séduisantes (pialités qui lui ou- vrent bientôt toutes les portes de la faveur et des grâces , et lui permettent de distancer sans peine et sur tous les terrains le collégien lourdaud sorti des maius des cuistres. Et comme on l'a dressé à plaire au lieu de le bourrer de langues mortes, il est rare qu'il tombe dans l'abus de la citation latine, cette déplorable infirmité de l'âge mùr et des gens arrivés. Dois-je dire à ce propos que cette contagion funeste qui a fait tant de ravages en ces dernières années , a envabi jus^iu'aux tables parlantes ! Un guéridon de palissandre qui m'avait pris en grippe, ne m'adres- sait jamais la parole (ju'en latin. Je serais heureux que M. Babi- net m'expliquât ce mystère, lui qui les explique si bien. La supériorité morale tirée de la petitesse relative du pied est donc un argument formidable contre la doctrine de Lbomond. En effet , dès que vous avez décrété que la finesse du pied était un caractère de distinction aristocratique, vous n'avez plus le droit d'affirmer que le genre masculin est plus noble que le féminin. Les savants ordinaires n'ayant encore rien vu de ces rapports spirituels qui sont les propres lois de l'ordre hiérarchique divin, on s'explique aisément le vague et l'indécision de leurs nomen- clatures. Un des torts de cette classe est de ne pas comprendre ce principe essentiel , ce point de départ de toute science : que la forme n'est jamais que le moule d'une idée qui lui préexis- tait depuis des siècles. Beaucoup aussi refusent d'admettre que telle bète, dont l'apparition sur cette terre a précédé celle de l'homme, ait pu être créée à l'image de celui-ci , sous prétexte qu'il n'était pas né et que la copie ne peut pas précéder l'original. Or, c'est là ce qui les trompe. L'homme est de toute éternité dans la pensée de Dieu, comme tous les autres jalons de la série infinitésimale des êtres, 6'^ du moment que Dieu le pense, il est. Les Sédipèdes, avons-nous dit dans le principe, ont quatre 20 ORNITlKiLOCIb: PASSIONNE LLK. doigts au pied, trois en avant, un en arriére. Cette règle géné- rale n'est sujette qu'à de rares exceptions. On parle d'un bec- croisé tridactyle que je ne connais pas, mais je sais pertinem- ment que le martinet et l'engoulevent, deux espèces anormales, ont leurs quatre doigts dirigés vers l'avant. La grandeur et la force du pouce forment un des caractères saillants de la série. L'immense majorité des espèces de cet ordre vit de grains, de fruits ou d'insectes. Une seule tribu fait montre d'appétits mons- trueux et de goûts déréglés. C'est celle des Mésanges, race friande de cervelle de rouge-gorge, de suif et de cadavre, et qui symbolise la tribu des éditeurs , laquelle vit de la cervelle des pauvres gens de lettres, et boit le vin de Clianq)agne dans le crâne des auteurs. Les Mésanges étaient des travailleuses de liaut titre, douées d'un talent musical sul'lisant et d'une aptitude industrielle supérieure, mais que la soif du lucre, l'egoïsme fa- milial , et par-dessus tout la fâcheuse habitude d'enfouir ont complètement perdues. Cette atroce perversité de goût de la famille des Mésanges, qui discorde si violemment avec la ten- dance générale des appétits de l'ordre, est toute une histoire lamentable qui méritait d'avoir sa place dans les Métamorphoses d'Ovide, ou je l'ai cherchée vainement, et qui prouve une fois de plus, hélas! (|ue rien n'est parfait dans ce monde, pas même l'oiseau chanteur. Mais ne laissons pas dériver notre âme au courant de ces tristes pensées. Tous les Sédipèdes nourrissent leurs |)etits après qu'ils sont éclos, ce qui est une pratique inconnue dans l'ordre des Coureurs. En revanche, la durée de l'incubation est beaucoup plus courte chez les premiers que chez les seconds. Tous les Sédipèdes sont mangeables; la chair de quelques- uns atteint le dernier degré de la délicatesse. La plupart des espèces insectivores sont estivales et voya- geuses, étant forcées d'accompagner le soleil dans ses courses, non-seulement pour justilier ces belles paroles de M. de Florian , capitaine de dragons : Point d'hiver pour les cœurs fidèles, mais aussi parce que les insectes qui leur servent de nourriture ont besoin d'une douce tcnq)erature i)our naître et se développer. Il SKIMI'ÉUliS. il en est qnrlques-inics, comme le Roiige-iiorgc et le Roitelet, (|ui se dispensent de traverser la mer, d'autres doqt les péréîirina- tions se l)ornent à transluimer du Nord au Midi de la France, et quelquefois simplement du sommet des monts à leur base. Les espèces çiranivores sont beaucoup moins tourmentées que les insectivores de la passion des voyao;es, et quelques-unes parmi elles sont complètement sédentaires. La masse est vaga- bonde, allant comme le vent la pousse , mais ne sortant i;uère dans ses excursions les plus lointaines d'un rayon de trois à quatre cents lieues. Le Ramier, la Tourterelle, le Proyer et une ou deux alouettes sont à peu près les seuls voyaj^eurs de la série qui s'aventurent au-delà des mers; et encore le Ramier com- mence-t-il à se dégoûter du métier. Une seule espèce , le Cinclc (le merle d'eau vulgaire), vit d'in- sectes aquatiques. Une autre, unique aussi, se nourrit de pois- Son ; c'est le Martin-Pêcheur. L'ordre des oiseaux chanteurs i)résente en son ensemble un des plus magniliques exemples de l'application du principe de justice distrihutive, qui est, comme chacun sait, un des trois attributs de Dieu. Il semble qu'une loi somptuaire ait interdit à tous les membres de l'ordre l'usage des étoffes llamboyantes , car on n'y voit plus l'émeraude, l'acier brûlé, le rubis ni l'or, on- doyer sur la moire des robes en reflets irisés , comme c'était la mode chez les Coqs, les Faisans, les Paons, les Lophophores. Ici plus de falbalas ruineux, de panaches extravagants ni de queues encombrantes. Tout cet attirail fait pour l'œil est rem- placé par une mise de bon goût, élégante, distinguée mais sim- ple, la véritable tenue de l'artiste qui honore et pratique le travail. Pourquoi ce changement subit? Parce que Dieu , qui a fait les chanteurs si riches au dedans , leur a sagement refusé la richesse du dehors cpi'il a dû attribuer en propre aux lourdauds et aux pauvres d'esprit pour les empê- cher de trop se plaindre. Parce que l'amour et la liberté sont les deux seuls foyers d'où rayonne l'enthousiasme lyrique, et qu'il y a incompati- bilité absolue d'humeur entre CupidonetPlutus. « Bienheureux 22 OKMTHOLOGIE PASSIONNELLE, les pauvres d'argent, a dit Arsène Houssaye, le royaume d'a- mour est à eux. » Allons plus loin, disons que l'indépendance et la dignité de l'homme ont de la peine à s'entendre avec l'amour du luxe, des hochets et des titres, et que les habits brodés vont mieux à, la fainéantise qu'au travail , et que le même esclave ne peut servir deux maîtres : sa conscience (1) et l'or. D'où il résulte que l'oiseau chanteur, qui est un industrieux de haut titre, prisant par-dessus tout les qualités de l'esprit et les jouissances du cœur, prend en pitié les airs de matamore des raffinés de basse-cour et leur luxe insolent. Ainsi, chez nous, le noble travailleur à pied regarde de son haut le laquais de pa- rade, noir ou blanc, qui perche à l'arrière du carrosse et pro- mène par la ville sa paresse impudente avec ses oripeaux menteurs, et se pavane lièrement dans sa livrée d'esclave. Le principe de justice distributive qui interdit le cumul de la richesse intellectuelle et de la matérielle dans le règne vo- latile a été si rigoureusement appliqué à l'ordre des Sédipèdes , que la magnifique série des oiseaux-mouches, qui appartient à cette classe , a été comme frappée de mutisme , en expiation ou en compensation de sa trop grande beauté. De même le Martinet des tours, qui n'a qu'un seul rival pour la puissance du vol , a payé cette supériorité exceptionnelle de la perte du chant et du droit de percher. J'aime à penser que la haute importance de l'observation qui précède aura préparé l'esprit du lecteur à recevoir sans une secousse trop vive les révélations qui vont suivre. Les trois caractères généraux de l'ordre des Sédipèdes qui nous restent à examiner sont ceux-ci : — Le chinVe des Sédipèdes est plus fort à lui seul que celui de tous les autres ordres réunis. — Le plus grand de tous les oiseaux chanteurs vraiment dignes de ce nom , est un merle , pesant tout au plus cent (Il \'n simple fruoridon do liKiiio a donné coKe cliarmaïUo déCmiMnn do la (•(.nscionce, en douze mois : Qiiasi-orfjane qui sépare les aliments de l'àme comme ie^tomac ceux du corps. SEDIPÉDES. 23 grammes, un peu moins que le quart de la livre d'autrefois. — La zone tempérée de l'hémisphère boréal est la seule où les oiseaux chantent. Ils ne fontque hredouillerou gazouillerailleurs. Un savant ordinaire à qui vous demanderiez le pourquoi de ces trois faits facilement observables , n'hésiterait pas à vous ré- pondre que la nature a des mystères qu'il serait dangereux de vouloir approfondir, et que lui , pour son compte, a toujours res pectés : ce qui ne vous apprendrait pas grand'chose. Heureuse- ment que l'analogiste est la j)our compléter l'explication insuffi- sante du savant timoré ; l'analogiste subtil qui n'est aucunement dupe de l'humilité feinte de l'académicien , mais qui n'a pas les mêmes motifs de discrétion que lui, sachant pertinemment que Dieu n'a pas de plus grand plaisir que de voir deviner par l'homme les énigmes qu'il lui propose... et il dit : L'ordre des Sédipèdes, où toutes les espèces sont titrées en monogamisme, où l'autorité souveraine est dévolue à la femelle, l'ordre des Sédipèdes qui module en mineur, symbolise la phase d'harmonie ou de plein développement de l'espèce humaine où la femme règne et gouverne. Et il tient une plus grande place que tous les autres ordres dans le règne des oiseaux, parce que la phase d'harmonie tient aussi la place la plus large dans la vie de l'humanité. Songez bien, en effet, que l'harmonie est l'état normal de l'homme , et que la Sauvagerie, la Barbarie et la Civilisation sont à cet état normal, ce que les maladies de l'enfance, l'Igno- rance, la Dentition et le Croup sont à la santé de l'adulte. Perspective radieuse, perspective délirante et bien faite pour consoler des misères du présent les vrais croyants à la religion d'amour ! Car Dieu , qui réserve aux seuls justes le bénéfice de la vie éternelle en rémunération de leurs œuvres, proportionne en même temps le charme et la durée de leurs existences harmo- niennes à la rudesse des épreuves qu'ils ont supportées sans fai- blir pendant la traversée des sociétés maudites. « Bienheureux ceux qui soufirent, car ils seront consolés. » La phase d'harmonie est encore aux autres périodes de la vie humanitaire ce qu'est l'état de veille où l'on a souvenance par- 2i ORNITHOLOGIE l'ASSIO.NNELLU. faite du passé, à l'état de sommeil où le cerveau engourdi ne perçoit plus que dos images confuses, vagues et désordonnées. La vie de l'immortalité ne commence pour les êtres que du jour où ils entrent en communion avec Dieu par l'amour, qui révèle à chacun la loi de sa destinée. Quiconque foule aux pieds sa conscience, sacrifie à la haine, à l'argent, à la peur, est rayé du livre de vie. Lasciate ogni speranza, voi c/i' infrato... à la Bourse. Je sais que plusieurs ornithologistes se sont plaints avant moi de l'excès de population de leur ordre des Passereaux, et qu'ils ont même signalé ce mal comme un des plus graves empêche- ments de leur nomenclature. Mais je doute qu'aucun d'eux se soit avisé encore d'expliquer cet embarras de richesses par les raisons si simples que je viens d'en donner. Descendons de ces hauteurs , d'où s'ouvrent aux regards tant d'horizons nouveaux, mais qui donnent le vertige. Le second problème est relatif à l'exiguïté de la taille chez les Sédipèdes. La ténuité du volume de l'oiseau chanteur confirme d'abord de tout point les récits que nous venons d'entendre sur l'avenir de bonheur et de gloire réservé aux pauvres d'argent , c'est-à- dire aux bons et aux justes, et la mortification qui attend les adorateurs du veau d'or et les superstitieux. Elle dit en quel- ques lignes ce qui fut et sera... avantage précieux et qui dis- pense de lire beaucoup de livres. Elle raconte en outre l'histoire des évolutions géologiques de la planète et la succession des manifestations de la ])uissance créatrice en icelle, etc. Elle au- rait inventé la paléontologie, si Cuvier n'eût pas pris l'initiative de la chose. Finalement, elle formule la loi de l'esthétique. J'ai dit, au premier livre de ce traité, l'histoire des émersions continentales du globe et l'apparition successive des espèces vo- latiles sur les terres émergées. J'ai mentionné à l'article Pin- gouin , ainsi qu'en d'autres places, la grande diflérence de raffinement aromal qui est entre les deux hémisphères. La supériorité de titre qu'a le boréal sur l'austral, et qu'il doit à SÊDIl'ÈDES. -m son antériorité d'émcrsion, va nous donner le mot de notre se- conde énii^me. Je rei^rette d'èfre obligé de revenir sur quelques points de cette théorie importante; mais j'aime mieux m'expo- ser à un reproche de redite, que de rester obscur. D'autant que ces raccordements de faits qui s'enchâssent les uns dans les autres et font chaîne, ne sont plus des repétitions inutiles, mais bien des preuves de la grande force de cohésion qui relie les diverses parties du système. Nous avons assisté précédemment à l'éclosion de l'animalité sur la Terre. Nous avons vu la puissance créatrice éclater en moules gigantesques, Plésiosaures, Mégalosaures , Dinothé- riums et autres. Les oiseaux de ces premiers jours sont des Pté- rodactyles, des Chauves-souris monstrueuses, munies, en place d'ailes, de membranes velues de trente pieds d'envergure Puis est survenu un cataclysme qui a englouti cette création de premier jet, pour ])oser sur ses ruines les fondements d'un au- tre règne, celui des Mastodontes et des Éléphants crépus, dont le type déjà s/>umanise. Cette seconde création est contem- poraine des immenses forêts de fougères colossales, dont les masses, fondues en vases clos par les feux de l'abtme, ont formé ces bancs de charbon fossile que la nature prévoyante a placés comme un dépôt dans les entrailles du sol, pour les futurs be- soins de l'homme, à vingt mille ans de là. Beaucoup d'oiseaux de cette époque, rÉpyornis, le Dinornis, une foule d'autres dont les noms ne sont pas arrivés jusqu'à nous, ont encore la taille de la giraffe adulte, bien que déjà leur robe soit de plume, au lieu de poil, ce qui est un progrès. On voit aussi que le nombre des moules de la Série s'est largement accru. Mais d'oiseaux chanteurs, pas un seul; quelques oiseaux de proie, quelques longipèdes, et c'est tout. Les oiseaux attendent pour chanter, comme les fleurs pour sentir, que la femme soit venue. Ceci est de l'histoire et non du madrigal : les premières roses doubles dont les Grecs fassent mention sont nées dans l'Ile de Rhodes, sous les pas de Yénus. " Enfin la femme naît, événement immense où les vues de Dieu se dessinent, car la femme est le moule le plus achevé qui soit :J0 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. sorti de ses mains , et le Créateur, en la faisant plus petite que l'homme pour qu'elle fût plus parfaite, a voulu évidemment, en procédant ainsi , inférioriser le phénomène à la substance. Je veux dire qu'il a subalternisé la matière à l'esprit et retiré le commandement à la force pour le transporter à l'attrait. Nous n'avons, en effet, qu'à passer en revue les divers règnes de la nature, pour reconnaître que tous prennent le mot d'ordre de l'archétype humain, et confessent la loi : que le raffinement des espèces est en raison inverse de la masse. Ainsi , dans le règne végétal , le parfum , titre aromal par essence et caractère de raffinement supérieur, est presque exclu- sivement dévolu à la plante herbacée , à l'arbuste , et la suavité de l'arôme semble pour ainsi dire proportionnelle à l'humilité de la fleur. La violette et le muguet se cachent sous la verdure; la rose, le réséda et l'œillet traînent à terre. Toutes les lianes odorantes, vigne, jasmin, vanille, clématite ou glycine, succomberaient tristement sous le faix de leurs tré- sors, si la nature n'avait armé leurs tiges de crampons vigoureux (|ui les aident à grimper sur l'épaule des grands arbres... Image du couple humain ou la Grâce s'appuie sur la Force , et en échange de ses bons offices, la couronne de fleurs et de fruits. Ici comme partout, comme toujours, il semble que l'humilité de la tige soit la condition première du parfum ou du charme. La loi est générale, et si quelques brillantes exceptions s'en détachent, comme l'oranger, l'acacia et le magnolia, c'est que les hautes institutions d'harmonie que ces moules exceptionnels symbo- lisent avaient besoin d'être n'^présentées dans le monde végétal par de puissants emblèmes de charme composé , cumulant les deux caractères du beau et de l'utile, du gracieux et du fort. Mentionnons en passant cette preuve curieuse de l'identité de titre passionnel qui est entre le chant de l'oiseau et le parfum de la fleur. Le glacis nacré des pétaies repousse le parfum chez celle-ci, comme le reflet métallique du plumage la mélodie chez l'autre. Et il en est de la corolle resplendissante des cactus, des renoncules et des camélias , comme des manteaux fulgurants du paon , du couroucou ou du faisan doré qui jouent les pierreries , SEDIPKDES. 27 et dont l'éclat trop vif vous force de gémir sur le sort des pau- vres espèces qui les portent et que Dieu a faites riches ne pou- vant les faire autre chose. D'où il appert (pie ce don de fulgu- rance ou de scintillement n'est véritablement caractère de ralTi- nement que dans les rangs du règne minéral. Je fais observer encore que la petitesse des pierres précieuses est une con- firmation éclatante de notre loi du rallineraent inversement pro- portionnel aux niasses. it Mais le règne qui apporte le plus de preuves à l'appui de cette vérité si palpable est celui des oiseaux où le plus massif de tous les moules, l'Autruche, en est en même temps le plus stupide , le plus mal bâti, le plus chauve et le moins pourvu d'ailes. A l'autre extrémité de l'échelle des grandeurs et en regard de l'au- truche avisez l'Oiseau-mouche , l'Oiseau-rubis , l'Oiseau-topaze , le sylphe radieux qui perce l'air cohune un trait de flamme et tout à coup s'arrête et scintille immobile, suspendu dans l'es- pace par un lil invisible. Bien plus riche d'atours que le sphinx et plus aimé des fleurs , plus léger que l'hirondelle et non moins amoureux , plus brave que le rouge-gorge et plus adroit que la mésange, corps glorieux nourri d'ambroisie, empenné d'éme- raudes, locomotive microscopique à vitesse fabuleuse, chef-d'œu- vre de mécanique, merveille de beauté, l'Oiseau-mouche occupe à coup sûr une place de favori parmi les favoris du ciel et frise d'aussi près que possible l'assemblage idéal des perfectibilités de sa race. On dirait d'un prince Charmant, fils d'un roi quelconque des pierres fines, à qui toutes les bonnes fées , moins une , la fée Mélodia, seraient venues faire leur don au jour de sa naissance. Et encore y aurait-il à dire, à propos du mutisme supposé de l'oiseau- mouche , que son bourdonnement et le frémissement saccadé de ses ailes doivent avoir pour son adorée des accords ravissants.. Vif, étourdi, d'humeur légère, amant volage des fleurs comme le papillon, friand de mets sucrés, de parure et de fêtes, inquiet, désordonné , toujours en mouvement, l'Oiseau-mouche est l'em- , blême de la jeunesse dorée qui se ruine en toilettes de bal, en soupers fins, en frivoles plaisirs et ne s'arrête pas. La jeu- nesse dorée n'échappe guère aux serres de l'usurier qui la fourre :>s (>UMTiini,<»(iiK i'.\ssi(>.n.\l:m,i;. à (llicliy ot lui ravit sa gloire. Par analogie, l'Oiseaii-inouche a pour ennemi mortel un monstre horrible à voir, tout griffes, tout yeux, tout ventre, une araignée-géante, qui, pour qu'on ne se méprit pas sur l'emblème du préteur d'écus, s'est logée dans un coffrc-iorf . . . muni d'un fermoir à secret! (Quelle effrayante fidé- lité de portraiture et dans quel abîme de réflexions profondes vous plonge la découverte de seml)lables rapports ! ) J'autorise d'au- tant i^s volontiers le lecteur à applaudir vivement à l'analogie ci-dessus, qu'elle n'est pas de moi , mais d'un autre. Après cette comparaison saisissante entre l'Oiseau-mouche et l'Autruche , les deux moules extrêmes du règne , je n'insiste plus pour démontrer que le raflinement s'opère aux dépens de lamasse. Maintenant, puiscjue nous savons que le chant , idiome pri- vilégié des cœurs tendres , est parmi les oiseaux le titre de raflinement suprême , nous sommes suffisamment renseignés pour deviner le pourquoi de la petitesse de la taille chez les oiseaux chanteurs. Si le plus grand de la tribu n'est pas plus gros qu'un merle , c'est que Dieu , qui avait donné la prestance au Dindon et la force au Chameau , ne pouvait pas décemment en déposséder ces deux moules pour en gratifier l'artiste, l'Alouette, par exemple, qui n'en avait que faire, ayant déj<à pour mission sublime de reporter au ciel les bénédictions de la terre. La troisième solution découle de la seconde , dont elle n'est qu'un simple corollaire. La zone tempérée de l'hémisphère boréal est la seule où les oiseaux chantent, d'abord parce que c'est la seule où ils puissent chanter... et ensuite parce que l'ère du chant est une des époques climatériques des globes, et qu'un progrès ne peut s'accomplir sur la face d'une planète avant que celle-ci ne soit de force à le porter. Nous savons par l'histoire des évolutions de ce globe que l'hémisphère boréal est de plus ancienne formation que l'austral, et que les moules d'ébauche, tels que les Mastodontes de l'Amérique- Nord et les Éléphants de la Sibérie et de la Nouvelle-Zemble étaient déjà en train de déguerpir de ce milieu épuré , vers l'époque où les continents de l'hémisphère sud songeaient à peine Sb;i)irÈi)ES. 211 encore à olevor le Iront au dessus de l'ahime , et s'occupaient nonchalaniment à poser sous les flots leurs assises de corail. De plus , un simple coup d'œil jeté sur un globe terrestre nous fait voir que les continents occupent dans Ihémisphère boréal une plus vaste superlicie (pu» dans lautre. Tout le monde sait enlin que les soleils sont moins chauds a latitude égale vers le tropique d'hiver ([ue vers celui d'été ; que les glaces du pôle antarctique sont plus voisines de l'ocpuitoiu' ipie celles del'arcticpie , et que la lumière des aurores boréales est de beaucoup plus intense que celle des aurores aastrales , did'érence (jui atteste (|ue la planète, dans les peines inouïes quelle se donne pour reconquérir sa double couronne polaire , but ardent de son ambition , espère bien plus du côté du nord que du cote du midi. Or, ces divers phénomènes et mille autres qu'on y pourrait joindre , siguilient clairement que l'hémisphère boréal a sur l'autre une avance de ralliuement aromal de cinq à six mille ans peut-être. Mais l'argument sans réplique pour démontrer le l'ait résulte de ceci : que la femme y est née. Je parle de la vraie, de la blanche , de celle qui naquit la dernière au jardin fortuné d'Éden ou qui sortit des flots de la mer d'Iouie, et dont le pre- mier mouvement fut de se trouver belle. Car l'Eve des Hébreux et l'Aphrodite des Grecs , sont assurément les deux sœurs , sinon la même personne , comme on serait assez disposé à le croire , à la siinple lecture de leur signalement : regards bleus, cheveux d'or, ceinture d'aimant chargée d'attraits irrésistibles. Les Grecs ont fait l'Anadyomène déesse parce qu'elle était belle et parce que la beauté est d'essence divine; mais ce brevet d'immortelle décerné à la femme par l'enthousiasme légitime d'un peuple amoureux et artiste, ne lui arien ôté de sa féminité. Et Vénus Aphrodite, mère d'Amour et des Grâces, est de notre sang à nous, des races caucasiennes, et s'il peut y avoir divergence d'opi- nion parmi les savants , quant à la date précise et au lieu de sa naissance, tous sont forcés du moins de tomber d'accord sur ce fait, qu'elle est née vers la hauteur du trentième parallèle nord, au sein d'une nature plantureuse, amie et caressante. Ce jour-là, il y eut de grands ravissements dans le ciel, car :]0 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. ce l'ut pour la première fois que la créature eut conscience de sou créateur et que les oiseaux chantèrent. Il y avait bien eu ailleurs d'autres essais de femme, car les races humaines sont au nombre de 32 , comme les planètes du tourbillon' normal. 11 y avait eu notamment l'essai de la femme noire en Afrique, celui de la femme jaune en Asie, et celui de la femme rouge en Amérique, l'essai de l'Australienne, de l'Hottentote, de l'Eskimaude; mais aucune de ces tentatives n'avait complètement réussi , et surtout n'avait eu puissance d'inspirer aux oiseaux des chants mélodieux» Si l'Amérique du Nord, où chantent tant d'oiseaux, échappe à la loi générale, c'est que d'abord cette vaste région fait partie, comme l'Europe, de l'hémisphère boréal, et ensuite que si Dieu ne l'a pas choisie dès l'origine pour la patrie de la femme rose , il n'a fait qu'a- journer sa gloire, lui réservant d'être la mère-patrie de la liberté féminine et la première terre où flotterait le pavillon de l'harmonie. C'est dans ce but, qui se dessine plus clairement à nos yeux de jour en jour, qu'il a fait de cette contrée bénie la plus belle et la plus somptueuse de toutes les demeures d'ici-bas, et qu'il l'a arrosée de tant de rivières poissonneuses et semée de tant de forêts, de gibier et de fleurs. Et les fleurs et les fruits de ce jardin de Dieu surpasseront bientôt , par la suavité de leur parfum et la délicatesse de leur chair, leurs analogues d'Europe, comme la voix du merle moqueur étouffera sous l'edat de ses ar- pèges sonores le chant mesquin du rossignol; car ce jeune conti- nent monte, monte toujours à mesure que le vieux descend. En attendant, toutefois, et comme il fallait un signe pour marquer la prééminence aromale du monde des visages pâles sur celui des peaux rouges, il s'est trouvé que la fleur d'Amérique manquait totalement d'essence , ce qui est cause que les États de l'Union sont demeurés jusqu'à ce jour tributaires de la France pour l'eau de Cologne et le vulnéraire suisse... Mais tout le monde sait aussi bien que moi désormais pourquoi la zone tempérée de l'hé- nùsphère boréal est la seule où les oiseaux chantent. De l'exposé des caractères généraux de l'ordre des Sédipèdes, passons à l'examen des caractères séparatifs des séries et des groupes. SKDIPÉDES. 3i Division par Série. Si les maîtres s'étaient contentés de semer l'anarchie dans leur ordre des Percheiirs et d'y récolter le chaos, ce ne serait que demi-mal. Mais le besoin de l'aire croire à leur infaillibilité les a poussés à déclarer l'ordre indisciplinable, et ils ont de la sorte considérablement aggravé leur méfait. Car Dieu n'agit jamais qu'avec esprit de suite et méthode; et comme la série est le seul instrument qu'il emploie pour distribuer l'harmonie dans les rè- gnes, il est de nécessité absolue qu'on la retrouve partout ; et c'est de la part du savant le comble de l'impiété et de l'orgueil que de la nier quehiuc part, parce qu'il ne l'y voit pas. Je prou- verai que l'ordre des Percheurs n'est pas indisciplinable, à la fa- çon de cette table qui marcha sur l'astronome, pour lui démon- trer le mouvement et lui ollensa la rotule. Non-seulement l'ordre des Percheurs n'est pas plus dinicile à manier (ju'aucun de ceux (pii le précèdent ou le suivent, mais je me suis convaincu, par l'expérience, qu'il n'était pas un des ca- ractères généraux ci-devant exposés qui ne put, avec un peu d'aide, servir de type parfait de sériation secondaire. Nous con- viendrons toutefois que, pour bien faire, le meilleur eût été de commencer par prendre le contrepied de la voie suivie par la science officielle, et de poser la dominante passionnelle en pivot de série. La dominante passionnelle de l'ordre n'était ici un mystère pour personne. C'était l'amour du chant ou l'enthousiasme lyri- que. Qui dit Sédipèdes dit chanteurs. Les maîtres s'étaient empêtrés dans le gâchis, pour avoir ou- blié de tenir compte de l'élément du chant dans la classification des Chanteurs. Rien de plus facile alors que d'agir au rebours de leur étourderie et de dire , par exemple : « Puisque tout s'enchaîne et se tient dans le système de la nature, puisque l'oiseau a été fait à l'image de l'homme, » L'ordre des oiseaux chanteurs est une vaste société cho- rale qui se réunit chaque année au retour du soleil , pour célé- brer un festival immense qui s'appelle le printemps. 32 ORMTIlOLOGlli PASSKKNMiLLU:. » Puisque le premier but de ces fêtes annuelles est de glorilier l'amour, le second de charmer nos ouïes , il faut que toute la musique qui s'y chante ait été écrite pour nous , c'est-à-dire qu'il faut quelle clavier musical de l'oiseau ait été réglé sur celui de l'homme , et que l'harmonie vocale des deux règnes se fonde dans un type commun. » Or, ce type parfait de l'harmonie universelle est depuis long- temps trouvé pour l'homme ; c'est le quatuor qui représente les quatre grandes divisions premières de l'échelle vocale, nommées dans la langue technique Soprano, Contralto, Ténor, Basse. » Nous n'avions pas besoin d'aller plus loin et d'en demander davantage à la science musicale ; car cette simple combinaison des puissances harmouifjues intitulée le quatuor, en nous don- nant la loi du groupement hiérarchique des voix humaines, nous eût révélé du même coup la loi de la classification de l'ordre des oiseaux chanteurs, que nous eussions divisé premièrement en quatre grandes séries principales , dites par analogie , du So- prano, du Contralto, du Ténor et de la Basse. Et puisque le quatuor instrumental qui se compose des qua- tre parties de violon , alto, violoncelle et basse, est basé sur le même principe divisionnaire que le vocal , il va sans dire que si nous l'avions pris pour unité ou terme de comparaison , au lieu de l'autre, nous serions arrivés à des résultats complètement iden- tiques. Que si maintenant quelque curieux eût voulu chercher dans les diverses parties de la masse chorale ailée les analo- gues de toutes les voix humaines, voire les analogues de tous les instruments inventés par le génie de l'honnue et qui sont en dehors du quatuor naturel, j'ose affirmer qu'il les y eût trouvés. J'ai écrit il y a trop longtemps que celui qui saurait à fond sa gamme nuisicale en saurait beaucoup plus sur toute question d'astronomie, de politique ou d'histoire universelle que Newton, Machiavel , Richelieu et Bossuet. Il est probable que beaucoup d'ornithologistes ont passé au- près de cette analogie sans la voir, et que quelques-uns même la nieront après l'avoir vue. Je m'attends à pis que cela encore, à ce que des critiques sans foi, travestissant mes intentions d'une SEDIPEUES. :i:\ l'açon odieuse, prennent texte de ce nouveau travail pour m'ac- cuser derechef de viser à l'amusement de mes lecteurs plus qu'à leur enseignement. Mais je sais trop aussi avec quelle par- cimonie extrême Dieu a distribué parmi les civilisés le don de percevoir les harmonies célestes, pourm'aflliger outre mesure de l'incrédulité ou des sarcasmes de mes contemporains. Surtout s'il en est du langage des oiseaux comme de celui des fleurs et de celui des tables qui s'ouvrent avec tant de facilité aux cœurs simples et refusent si durement de conférer avec les orgueilleux et les dominateurs. Car si les savants n'entendent rien à ces verbes de Dieu, c'est la preuve, croyez-le bien, que l'orgueil a desséché leurs âmes et calciné leurs yeux. Que de fois, en effet, n'ai-je pas vu dans le monde des tables pétillantes d'esprit et de gaieté, prodigues de mots charmaflts , de délicieuses mélo- dies et de révélations ébouriffantes, parce que le milieu leur plaisait, passer subitement du babil le plus intarissable au mu- tisme le plus obstiné , pour avoir subi le contact d'une main académique ! Explique qui pourra cette antipathie insurmontable des meu- bles intelligents pour les corps savants constitués et pour leurs lauréats , mais le fait qui est positif n'est certainement pas le moins étrange de ceux qui se rattachent à ce phénomène quasi- miraculeux du don des langues récemment octroyé au palissan- dre et à l'acajou. Un guéridon d'humeur trop prompte s'était laissé aller devant moi contre un savant brodé jusqu'à le traiter (ïespèce. Comme je le reprenais doucement de sa vivacité , il s'en excusa , répondant : « Eh ! que voulez-vous qu'il y ait entre les esprits de lumière et les esprits de ténèbres? » Il désignait sous ce dernier sobriquet ces vénérables piliers de boutique académi- que qui s'attribuent pour mission d'entraver le progrès en niant les découvertes et en persifïlant les inventeurs. Le même meuble fit un soir beaucoup de peine à un jeune prix de sagesse devant des dames, lui rappelant sévèrement les devoirs de son âge et que Dieu nous donnait la jeunesse pour aimer et non pas pour être sage. Je ne garantis pas que toutes les tables qui parlent soient des esprits de lumière, mais ce que je sais pertinemment 34 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. et ce que j'affirme pour le savoir, c'est que jamais la charité évangélique n'eut de plus ferventes apôtres que celles qui m'ont jusqu'ici honoré de leur conliance. Elles répondent plus chaleu- reusement à l'appel du sentiment qu'à celui de la raison , c'est très-vrai, et elles prêtèrent la conversation des jeunes femmes à celle des vieillards ; mais ces préférences n'ont rien que de très- naturel , puisque le sentiment est d'essence divine, tandis que la raison n'est que d'essence terrestre. Quant à leur propension vers les voix argentines et les visages roses, que celui de nous qui est sans ce péché leur jette la première pierre. Un savant expliquait à une femme d'esprit comme quoi les tables parlantes n'étaient que les miroirs de la pensée des per- sonnes qui les mettaient en jeu. « Alors pourquoi mon guéri- don qui me dit de si jolies choses , interrompit la patiente , est-il toujours si discret avec vous? » C'est parce que les guéridons parleurs sont les miroirs de l'âme, qu'ils font voir le diable à tant de gens. J'ai consulté douze tables sur le véritable principe de la clas- sification des espèces volatiles; toutes m'ont répondu par la re- production textuelle de la formule du Gerfaut. A toutes j'ai lu à haute voix la dominicale des Débats où ils m'ont accusé d'avoir fait plein divorce avec le sens commun. Plusieurs m'ont crié stop ! dès les premières Hgnes ; une s'est emportée contre les prix d'honneur en latin de cuisine ; une autre s'est brisée de dépit à la péroraison où le critique ingrat , pour me remercier du plaisir que lui avait procuré la lecture de mon livre, me repro- chait sérieusement de m'étre moqué de lui. Comme si le seul moyen de prouver à son lecteur qu'on le respecte n'était pas de lui plaire, conformément au précepte de Boileau. Celui qui se moque de vous n'est pas moi qui vous amuse et que vous abîmez, mais bien le moraliste hautain qui vous assomme et que vous encensez. Bas veniam corvis.... Mais que le juste ressentiment d'une douleur légitime ne nous retienne pas plus longtemps hors de notre sujet. Puisqu'il a été convenu que la classification passionnelle ne pourrait apparaître en cette œuvre qu'à l'état d'utopie ou de SÉUlPt:UES. 35 phare lointain , j'aurais le droit de garder pour moi lés détails de la composition du quatuor empenné qui fait face au quatuor vo- cal ou instrumental humain. Mais j'ai trop parlé sur le principal sans en être prie , pour avoir bonne grâce à faire le discret a propos de l'accessoire, surtout quand il ne s'agit plus que de citer quelques noms propres pour en avoir fini avec l'analo- gie. Je dirai donc que la série de la Basse serait représentée dans l'ordre des chanteurs par la tribu des Grives et des Merles, une compagnie d'artistes eminents qui a l'honneur de compter parmi ses membres le Moqueur des États-Unis, Ic plus brillant de tous les virtuoses ailes, au dire d'Âudubon — que la sérié dés ténors aurait pour terme correspondant la famille des Fau- vettes, au gosier vek)uté — le Contralto, l'Alouette et la Far- lousequi distillent l'harmonie dans l'espace et chantent dans lé miheu des airs, suspendues sur leurs ailes. La chanterelle aiguë du soprano percerait dans les notes pointues du Chardonneret , du Canari et des autres granivores. Cependant que le Ramier et la Tourterelle qui ne sont pas à proprement parler des chan- teurs, mais qui forment le premier anneau de transition ascen- dante entre les Coureurs et ceux-ci, fourniraient par leur gémis- sement monotone, tendre et grave, l'accompagnement de pédale continue, et que le Grimpereau, le Roitelet et les petites Mésan- ges tiendraient dans le concert aérien la partie des chœurs de l'enfance.... Il fut un temps où j'aurais plus nettement accusé et défini ces nuances , peut-être ])arce qu'alors je les comprenais mieux; mais je préfère aujourd'hui laisser à de plus jeunes et à de plus savants que moi , à ces heureux surtout qui traversent la phase à jamais regrettable de la lucidité amoureuse , le soin de compléter cette analyse des diverses conjugaisons du verbe j'aime, et de traduire en idiome vulgaire le langage mystérieux des chansonniers des bois. Le type passionnel , écarté comme pivot de série, restait à choisir entre les caractères physiques les plus saillants et les plus séparatifs. L'élément de la demeure habituelle était un caractère trop 3f. ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. vague pour remplir cet office de terme de comparaison. Le Pinson et la Fauvette habitent nos jardins comme le Roitelet, le Grimpe- reau et tant d'autres. Dieu, dans sa justice, n'a déshéi-ité aucune place des enchantements de la mélodie céleste, et il a crée des alouettes pour les bois, ainsi que pour les champs. Le mode de division pris de l'habitat péchait donc par la base. Je l'ai écarté comme moyen principal , sauf à le reprendre comme accessoire. J'avais bien songé un moment à introduire dans l'ordre le procédé de sériation par la couleur des pieds. 11 y aurait eu la ttibu des pieds roses , celle des pieds jaunes , celle des pieds noirs ; mais après avoir reconnu à la pratique que le procédé présentait plus d'intérêt sous le rapport culinaire que sous celui de la distribution hiérarchique, j'y ai sagement renoncé. Il y avait encore à tenir compte du caractère séparatif ou com- paratif tiré de la dimension du pouce, caractère dont on ne sau- rait méconnaître l'importance dans une classification pédiforme ; mais l'impossibilité absolue de trouver dans le concours de trois langues un seul substantif convenable pour ce type, m'en a inter- dit l'emploi. Le moyen, je vous prie, d'infliger à l'Alouette le nom injurieux et quasi-géométrique de Longijjollicipède , à l'Alouette, le plus adorable et le plus magnifique gosier de nos climats , à l'Alouette, cet oiseau si éminemment français , et dont la tribu s'appelle dans le pur idiome de l'analogie passionnelle, la tribu des Mireurs ou des amoureux du soleil. Périssent tous les prin- cipes, plutôt que le respect des noms ! C'est par la barbarie de son vocabulaire que la science s'est tuée. Un ornithologiste anglais avait aussi proposé dans le temps de baser la classification du règne volatile sur la diversité des modes de nidification ; mais je crois que la proposition n'a jamais eu d'autre partisan que son auteur, par la raison fort simple qu'elle n'était pas soutenable. 11 suffirait en effet de mentionner deux ou trois des conséquences fâcheuses qu'eût entraînées l'adoption du principe pour en faire comprendre le danger. Ainsi la création de l'ordre des oiseaux mineu/s, c'est-à-dire des oiseaux qui nichent dans des trous en terre, eût rangé côte à côte dans la SÉDIPÉDES. 37 môme vitrine l'Hirondelle de rivière et le Martin-pècheur, le Diablotin de la Guadeloupe et le Guêpier, la Chouette des prai- ries américaines, le Pouillot et le Tadorne, le Pingouin et le Macareux, etc. De même une déplorable conformité de goûts en matière architecturale eût accouplé le Pigeon , qui niche sur une plate-forme de brindilles à claire-voie, avec l'Épervier et le Faucon, ses ennemis intimes. Enfin le Roitelet, la Mésange à longue queue, le Moineau franc et la Pie eussent été enrôlés sous la même bannière, à titre d'amateurs de logements sphériques. C'est-à-dire que la combinaison proposée par l'auteur du livre intitulé : De l'Architecture des Oiseaux, eût atteint de prime saut ce beau idéal du désordre, auquel les maîtres de la science ne sont parvenus qu'après d'immenses eflbrts. Enregistrons pour mémoire cette tentative ambitieuse et n'y revenons plus. Je crois même qu'après avoir bataillé si longtemps contre toutes les clas- sifications en vogue, je pourrais me dispenser de revenir à la charge sans le moindre inconvénient. Le bec est un excellent caractère séparatif et dont j'ai autrefois signalé tous les avantages. J'ai dit qu'indépendamment de la ma- nière de vivre et du genre de nourriture, il donnait sur-le-champ la physionomie de l'oiseau. Il se prête de plus avec une facilite extrême à tous les procédés de division par deux, par trois, par quatre, et son élasticité serait déjà une preuve sullisante de sa valeur comme élément de classification naturelle, quand bien même il ne joindrait pas à ces divers mérites , celui de dessi- ner ses groupes sur le type du quatuor, critérium supérieur d'ap- titude distributive d'harmonie. Un fait bien singulier et bien digne de remarque, en effet, c'est que la première opération divisionnaire pratiquée dans l'ordre par ce système et qui donne naturellement les deux grandes sections des Becs fus et des Gros becs, reproduit sans le vouloir toutes les circonstances du partage primordial de l'échelle des sons en ses deux modes, le majeur et le mineur. Le mode ma- jeur a pour éléments constituants la Basse et le Ténor; le mineur le Contralto et le Soprano. Los deux sections des becs fins (Ténui- rostres) et des gros becs (Crassirostres) se dédoublent d'une façon 38 ORNlTllOlJMili: PASSIONNELLE. complétcnient analogue; la première en Merles et en Fauvettes, 1^ seconde en Fringiiles (chardonneret, serin) et en Alouettes. Or, ces quatre tribus valeureuses sont les mêmes, si l'on s'en souvient, qui composaient le quadrille emplumé dans jequel se reflétait notre quatuor musical. On voit d'ici tout l'avantage de ce parallélisme et quelle facilité extrême une ouverture aussi heureuse apportait dans la suite des combinaisons. Malheureuse- ment, \\ faut bien que nous le confessions encore, une suscepti- bilité déraisonnable et puérile , une répugnance invincible à nous servir des noms consacrés par la méthode rostriforme, nous a détourné d'elle, et nous a empêché de profiter d'un travail tout fait pour ainsi dire. Et comme il nous était prouvé que notre plume timide se l^riserait plutôt que de signer une série Vngui- culatirostres o\] ^margiiiati rostres , nous n'avons pas cherché à A'aincre notre nature; et, nous résignant stoïquement à garder pour nous seul le fruit de longues et pénibles études , noys avons laissé là le rostre et pris le genre de nourriture comme élément définitif de notre nomenclature. De bec à mangeaille, du reste, la distance est minime, et peut-être qu'à raison de la connexité çles deux termes, il ne nous sera pas tout à fait im- possible de placer avantageusement dans notre nouveau travail quelques bribes de l'ancien. D'autant mieux que nous serons forcé d'indiquer le changement de la forme du bec à chaque variation de régime. Je répète pour la troisième ou la quatrième fois au lecteur ce détail important qu'il ne doit jamais perdre de vue, à savoir : Oue le nombre des oiseaux de France n'est que le vingtième du nombre total des espèces répandues sur ce globe et que les cent trente Sédipèdes dont nous allons étudier l'histoire sont là pour figurer les quelques milliers d'individus de l'ordre. Donc, que si par hasard la présente classification présentait quelques lacunes, on ne s'en étonne pas trop. J'aurai soin d'ailleurs d'indiquer de temps à autre les groupes et les séries à prendre pour com- bler les principaux vides, désirant autant que possible venir en aide par ces indications bienveillantes aux chercheurs de no- menclature besogneux.... SÉDIPÉDES. •'!'• Puisque toutes les espèces sédipèdes de France se nourrissent (le fruits on d'insectes, la classification naturelle de l'ordre sem- ble devoir débuter ainsi : Division de la masse en deux premières grandes sections dites des Frugivores et des Insectivores. Cette division si naturelle se fond complètement en eiïet avec celle des becs fins et des gros becs qui se moule comme nous avons vu tout à l'heure avec une facilité merveilleuse sur le type du quatuor musical. Ainsi nourriture végétale, aliments résis- tants, bec fort, notes élevées : mode mineur. Nourriture ani- male, aliments mous , bec faible, notes graves : mode majeur. Je plaindrais sincèrement l'aveugle (jui ne verrait pas dans la persistance obstinée de cette correspondance analogique la loi de toute distribution sériaire et de toute harmonie. La nature elle-même semble avoir séparé les frugivores des insectivores par la dilTercnce de structure de l'appareil digestif. Car elle a donné deux estomacs aux sédipèdes frugivores, c'est- à-dire à ceux qui vivent exclusivement ou principalement de substances végétales , nourriture d'une assimilation difïicile et dont la coction exige des transvasements compliqués; et elle n'en a attribué qu'un seul aux espèces insectivores, c'est à dire à celles qui vivent exclusivement ou principalement de substan- ces animales faciles à digérer. On verra tout à l'heure pourquoi j'appuie avec tant d'insistance sur l'opposition de ces deux ad- verbes. De sorte qu'il paraîtrait assez naturel, au premier aperçu, de s'emparer de cette différence d'organisation interne, pour couper l'ordre en deux grandes divisions primordiales qu'on ap- pellerait, par exemple, de la iJigastérie et de la Monogastérie, ou de tout autre nom plus ou moins barbare emportant l'idée de comparaison de l'estomac double (jabot) à l'estomac simple. Par malheur, ce système, qui pourrait convenir aux moyens bornés de la science vulgaire, ne saurait s'adapter aux données de l'ana- logie. Il tombe, en effet, sous le sens que l'appareil digestif, qui est un organe caché , n'a pu être employé par Dieu comme cachet 10 ÔH.MTHOI.OCIH PASSIONNELLE. de pareutc quelconque. Dieu écrit la ressemblance congénérique des espèces dans les traits du visage et dans les habitudes du corps, et c'est là qu'il faut la rechercher, pour se conformer à ses Mues. Je ne pouvais tomber dans une aberration de cet or- dre , moi qui n'ai jamais eu la ])rétention de forger une classi- fication de toutes pièces, et qui ne vise qu'à découvrir celle que Dieu a tracée. Restent donc nos deux premiers termes, frugivores et insec- tivores. Mais cette division binaire est-elle suflisante, est-elle géomé- trique surtout? Je ne le pense pas. Et d'abord, avons-nous, en France, des espèces exclusive- ment frugivores, comme nous avons des espèces exclusivement insectivores (le grimpereau, l'hirondelle, etc.)? Quelques savants disent oui, M. Temmynck entre autres; l'observation dit non. Car si les frugivores purs doivent se ren- contrer en France quelque part, c'est assurément dans la tribu des Colombiens (ramiers et tourterelles). Or, j'ai vu, de mes ■yeux vu, dans les grands hivers, en Lorraine, de pauvres pigeons ramiers réduits par la misère à l'état de squelettes, suivre à la glandée les troupeaux de porcs, nombreux en ces parages, et se percher pittoresquement sur le dos de ces quadrupèdes. Les pâ- tres prétendent bien que ces oiseaux ne font ainsi que pour se réchauffer les pieds, mais tout me porte à croire qu'ils imitent plutôt l'exemple que leur donnent chaque jour les étourneaux et les bergeronnettes, qui se posent sur le dos des moutons, pour les débarrasser de la vermine dont leur toison abonde. Je me demande, d'autre part , d'où viendrait cette odeur de fourmi si prononcée qu'exhale (juehpu'fois la chair des tourterelles, en septembre, sinon de_ la fréquentation des fourmilières. Je sais bien que les cas que je cite ne sont cpie des accidents et qu'il serait aussi ridicule de vouloir classer les pigeons parmi les insectivores parce qu'ils mangent de temps à autre une fourmi ou une puce, que de les "traiter de piscivores ou de carnivores parce qu'ils adorent la morue et le renard au gros sel ; mais si ces goûts exceptionnels ne sufliscnt pas pour attribuer un titre SKKlI'liDES. 41 générique au groupe, ils ont assez de valeur néanmoins pour vicier la dénomination de frugivores purs qu'on lui applique d'habitude, et c'est en cela que je la critique. Il est connu , on outre , que la plupart des granivores exclusifs , les perroquets eux-mêmes, recherchent avidement les insectes pour nourrir leurs petits. Maintenant , à supposer que le frugivore exclusif existât en France, il est évident que l'ordre des Percheurs ne contiendrait pas seulement des espèces vivant de fruits ou d'insectes, mais qu'il y aurait encore la série des espèces vivant de fruits et d'in- sectes. D'où la nécessité de remplacer la division binaire par la ternaire, et de créer tout d'abord une troisième grande série dite de YAmbicon'e. J'ai expérimenté cette méthode comme les autres; j'ai créé cette ambivorie (jui est à elle seule tout un monde, et j'en ai même obtenu, à l'aide d'une division adroite, une double série des Duri rostres et des Mollirostres, qui m'a fourni des résultats assez avantageux. Malheureusement cette division primordiale ternaire avait le tort d'offenser mes instincts musicaux, et il me répugnait de sérier un ordre d'amoureux par le nombre trois, qui n'est pas un nombre d'amour. D'ailleurs, comme il m'était facile d'obtenir les bénéfices de la subdivision ci-dessus sans confondre les dénominations de la méthode diété- tique avec celles de larostriforme, j'ai mieux aimé autre chose. J'ai mieux aimé, par exemple,' faire semblant de croire un moment que la frugivorie pure comptait un certain nombre de représentants en France, et partir de cette hypothèse pour divi- ser l'ordre des Sédipèdes en quatre grandes séries principales : Frugivorie. Grnnivorie, Baccivorie^ Insectivorie. Je dirai tout à l'heure pourquoi ces noms plutôt que d'autres. Je prie seule- ment le lecteur de considérer, avant toute objection, que ces quatre noms cadrent parfaitement ensemble; qu'ils ne sont pas dépourvus d'une certaine euphonie ; qu'ils joignent à ce double mérite celui d'indiquer heureusement la transition de la nourri- ture la plus ferme, qui est le gland , à la plus molle, qui est la mouche ou bien l'œuf de fourmi, et enfin que ces substantifs gé- nériques ont l'avantage de posséder un sens pour ainsi dire offi- 42 OnMTHOLOGlE PASSIONiNELLE. ciel. Quant à la prétendue hypothèse (pic j'ai l'air d'adopter pour hase do ma classification définitive, je prouverai facilement (pie son adoption provisoire n'a rien qui vicie la méthode et qui sente l'expédient. J'ai dil! Frugivorie, ou série des Frugivores, pour les espèces qui vivent exclmivcment de substances végétales. Fruyivorie vaut mieux que Végétivorie, pour deux causes. D'abord parce que la première expression est plus consacrée par l'usage, parce qu'on dit un homme frugaL pour quelqu'un qui vit de peu et surtout de lentilles ; parce que les pères conscrits de la science ayant à baptiser un corbeau qui , pour se distinguer de sa race, aiïectail de mépriser la chair et de préférer le blé tendre, l'ap- pelèrept frngilcgv.s (qui lit les fruits) dont nous avons fait freux. En second lieu, parce que végétivore reporte plus volontiers la pensée vers l'herbe et vers la feuille que vers le fruit et le grain ^ qui sont plus spécialement du domaine alimentaire de l'oiseau. Carpivore n'était pas sans charme, Pomivore non plus, et j'avais songé à tous deux, mais tous deux avaient le tort de restreindre fâcheusement le sens de leur radical et de prêter à de pitoyables allusions touchant la charlotte et la matelote. Toutes les rai- sons pour et contre débattues , j'ai gardé frugivore. La première série étant celle qui vit exclusivement de subs- tances végétales , la seconde devait être celle qui en vit princi- palement. Et comme le grain .ou la graine, et non plus le fruit , devient, <à partir de la distinction entre l'exclusif et le principal , l'élément pivotai de la nourriture des espèces qiie nous avons à sérier, j'ai dû écrire sur l'étendard de cette seconde série le nom de Granivore. ta Granivorie débute par la première tribu qui se relâche des rigueurs du régime purement végétal, pour tâter de l'insecte. Il ne s'agit, pour bien saisir le point précis de la division , que de connaître <à fond les mœurs et les coutumes diététiques de tous les Sédipèdes. La troisième série comprend, comme la seconde, des espèces vivant des deux régimes , mais principalement d'insectes. Cependant je l'ai intitulée Baccivorie, plut(jt que Vermivorie, SEmpKDES. i3 qui lui eût très-bien convonu, paire que les principales es- pèces de la série (piil s'agissait de baptiser (Grives, Loriots, Merles, Fauvettes) sont plus connues, en France, corjnie gour- mandes de cerises, de raisins, de baies de sureau et d'a- lises , que comme mangeuses de vers de terre , et que la pas- sion des fruits rouges m'a paru plus prononcée chez elle que le goût de la chair. Car i! est bien certain que si la nourriture animale est le régime obligé de ces espèces pendant sixj^iois de l'an, elles y renoncent néanmoins avec enthousiasme, l'eut-ètre adraettra-t-on alors que , dans un livre qui s'intitule Traité d'or- nithologie passionnelle, et que, dans une classification basée sur le genre de nourriture, l'auteur se soit cru obligé de choisir, entre deux dénominateurs de valeur presque égale, celui qui procédait du régime le plus attrayant. Pour(]uoi chercherait-il , d'ailleurs, à cacher ses faiblesses, et hésiterait-il à confesser (ju'il lui répugnait d'associer aux noms d'oiseaux (pi'il aime, comme le Rouge-gorge et la Grive, une épithète peu poétique ? La louable impartialité dont je fais profession m'oblige de noter en passant que la méthode divisionnaire, tirée de la comparaison des appareils digestifs, à laquelle j'ai si généreu- sement renoncé, facilite extrêmement la formation de ces trois premières séries, et prévient toute difliculte relative aux points de contiguïté ou de séparation d'icelles. Ainsi, les Granivores étant doués de la poche du jabot, comme les Frugivores, leur union, par ce caractère, avait l'avantage de constituer d'abord le mode mineur dit de la Digastérie ; puis la Granivorie se détachait de la Frugivorie à l'endroit mentionné plus haut, où débute la promiscuité des régimes alimentaires. Il n'y avait pas de confusion à redouter non plus quant à la délimitation des frontières entre la seconde et la troisième série, puisque la nature nous fournit, dans la diversité de structure de l'estomac et dans le nombre de ses poches, un signe infaillible pour dire où finit celle-là, où commence celle-ci. La troisième série part du dernier chaînon de la Digastérie, pour aboutir au premier rang de l'Insectivorie; et ces deux dernières séries cons- tituent le mode majeur dit de la Monogastérie. Et j'ajoute que la 44 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. confusion entre les deux modes est ici d'autant moins à craindre, que nous avons, i)our nous orienter en ces parages, une boussole supplémentaire , le bec , dont la forme suit nécessairement les modifications de l'estomac, et qui est précisément en train de pas- ser du fort au faible ou du conique à l'unguiculé, à l'endroit où nous sommes. Heureusement que si j'ai dû renoncer, pour motifs supérieurs, aux avantages de la comparaison des appareils diges- tifs, aullme raison ne m'imposait une semblable réserve à l'é- gard de la forme du bec, et que j'espère retrouver, à l'aide de cette boussole supplémentaire, toutes les facilités de casement dont je me suis volontairement privé. Revenons , pour la termi- ner, à notre nomenclature. Point de discussion pour le quatrième terme, qui est Insecti- vorie, et qui s'applique à la série des mangeurs exclusifs d'in- sectes. Dans l'un et dans l'autre système, cette série commence à la première espèce qui renonce à la haie; elle nous conduit jusqu'aux limites de l'ordre voisin des Grimpeurs. Le moment est venu, je crois, de justifier l'admission de l'hy- pothèse relative à l'existence des moules de notre première série. Mon opinion est que la Frugivorie pure n'a pas un seul repré- sentant parmi nos espèces de France. Cependant l'analogie, qui voit mieux et plus loin (jue tous les observateurs, afhrmant que les zones tropicales sont plus riches, sous ce rapport, que les tempérées, je suis bien forcé de dire comme elle. Yoici , du reste, les motifs qu'elle apporte à l'appui de son allirmation. Elle dit donc que les contrées les plus chaudes et les plus plantureuses du globe sont les patries véritables du Frugivore pur, parce que, dans ces climats heureux où le sol n'est jamais las de produire , la végétation surmenée fait en tout temps lar- gesse de fleurs , de graines, de fruits, de feuilles, aux espèces qui les aiment... et que la puissance aromale, qui gît dans les rayons solaires, communique à ces divers produits du règne vé- gétal des vertus alibiles qui leur manquent ailleurs. C'est-à-dire (lue le Frugivore pur se trouverait confiné dans les limites de la zone équinoxiale, par la môme raison (pie SEDIPEDES. *:; l'oiseau-mouche, qui se nourrit du miel des fleurs, et ne peut subsister, par conséquent , que dans les pays privilégiés du so- leil où la saison des fleurs dure douze mois par an. Mais si l'existence du Frugivore se conçoit sans peine en ce milieu de luxe , où Tahondancc des mets se prête si facilement au besoin de varier la nourriture et à l'inconstance des goûts ; si la nature , enfin , a fait au Frugivore , dans les régions de l'é- quateur, une destinée proportionnelle à ses attractions, ainsi n'a-t-elle pu agir dans nos froides contrées du Nord , trop voi- sines du pôle où le soleil se cache, laissant la terre nue, dépouil- lée, sans verdure, se reposer de sa fécondité laborieuse dans un somme de six mois. Où le Frugivore sédipéde, qui n'a pas d'on- gles tranchants , comme les Lagopèdes , pour déchirer la terre , trouverait-il sa subsistance, pendant que cette terre dort, ense- velie dans son linceul de neige? Il est bien évident qu'ici l'ama- teur passionné des fruits n'aura, chaque année, qu'une saison pour vivre suivant ses goûts , et qu'il demeurera tout le reste du temps exposé aux dangereuses suggestions de la misère , cette grande dépravatrice des goûts. Et ce sort est précisément celui que nos printemps font à une foule de granivores chanteurs , leur oflrant l'insecte tout frais au moment même où la graine rancit et devient rare. Le granivore, pressé par le besoin et chargé de famille, est bien forcé de changer de régime; mais eût-il fait cette concession aux circonstances , si la Flore du pays lui eût fait litière de graines fines ? Ceci est un problème. Les Serins , les Tarins , les Linots , élevés ou nourris dans nos cages au sein de l'abondance , témoignent bien rarement le désir de passer de la nourriture végétale à la nourriture animale; et j'ai connu des chardonnerets qui sont morts pleins de jours , saiis avoir à se reprocher le moindre coup de bec donné à un insecte , pendant une carrière de vingt ans. De même , nos pigeons de colombiers et nos pigeons en volières , qui trouvent à peu près de quoi vivre pythagoriciennement autour d'eux et qui sont à peu près libres, sont exclusivement frugivores, comme les serins, les bouvreuils et les chardonnerets captifs. Ce rapprochement curieux tranche, selon moi. par l'alïirmative la question de 46 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. l'existence des frugivores purs. Il ne s'agit plus que d'aller les chercher où ils sont : ce que je ferai tout à l'heure. Mais du moment que le sédipède frugivore existe quelque part en ce monde , du moment que cette dernièfe dénomination remplit (Convenablement sa -fonction d étiquette dans son appli- cation la plus universelle, il me semble que nous n'avons plus à nous inquiéter de savoir si notre pauvre mobilier ornithologique de France fournit ou ne fournit pas d'espèces à mettre dessous. Et je dis qu'il sullit que ce terme de frugivore soit vrai, dans l'ordre complet des Sédipèdes , pour que nous soyons tenus de l'accepter comme nôtre , sans réserve et quand même , et abs- traction faite de son plus ou moins d'applicabilité à l'ordre in- complet des Sédipèdes de France ; car si je consens volontiers à ce que ce Traité d'ornithologie demeure spécial à la France en tant qu'étude détaillée de mœurs et de caractères d'oiseaux, mes prétentions sont moins humbles, quant à ce qui est de la nomen- clature. Ici j'ai l'ambition de travailler pour le monde des vola- tiles tout entier, et c'est pourquoi je suis si attentif à respecter l'ordre naturel établi pour les huit mille oiseaux du globe, et à ne pas sacrifier les intérêts de la masse aux convenances et à la commodité de nos 300 espèces. J'estime que l'Aigle de Meaux n'eût pas fait ainsi à ma place , ce sublime fantaisiste qui s'a- musa un jour à poser le peuple hébreux comme pivot de l'hu- manité et à faire tourbillonner l'histoire universelle autour de l'histoire juive, pour voir jusqu'où pourrait aller la crédulité du lecteur. Ainsi la prétendue hypothèse par nous admise précédemment , pour faciliter la subdivision normale de l'ordre des Percheurs, n'était une supposition qu'en France. Ailleurs , c'était un fait , et un fait important , dont notre devoir d'historien nous forçait de tenir compte, pour obéir au principe d'harmonie qui veut que le principal emporte l'accessoire. Cette humiliante obligation de recourir à l'hypothèse, ainsi qu'en géométrie, n'est, du reste , que le moindre des désagréments attachés à la condition du clas- silicateur local , condamné à opérer sur une échelle du vingtième, (pii l'expose à rencontrer des vides là oii miroitent, dans le loin- SÉUIPEDES. 47 tain, les séries les plus populeuses, et le pousse à faire, à chaque pas, des enjamiiecs colossales pour franchir d'eflroyables la- cunes, au ris(iuoile se rompre le cou. J'ai entendu dire une fois au Journal des Débats , qui le tenait peut-être de Virgile. (|ue l'art de gouverner les peuples... rcgere imperio populos... était le plus sublime et le plus diOicile de tous. Or, uou-seulement je ])roteste, avec Oxenstiern, contre cette assertion téméraire, mais j'allirme que la feuille ci-dessus, si prudente et si réservée d'habitude, n'eût pas parle aussi légè- rement, si elle se fût un peu moins occupée de la classification des hommes et un |)eu plus de celle des bètes. Une preuve, en eflet, et une preuve trop probante, que l'art de gouverner les so- ciétés humaines n'est pas la mer à boire , c'est que le premier venu y est propre , c'est que jamais on n'a manqué nulle part , nusquum gentiu)»^ de gens de bonne volonté pour être gouverne- ment, au contraire. C'est à ce point que je sais des pays peuplés de trente et quarante millions d'àmes où l'idée fixe d'une bonne moitié de la population est de gouverner l'autre, c'est-à-dire de toucher ses impôts et de se les appliquer, ce qui, dans toutes les langues du monde, est le vrai sens du mot gouverner. D'é- tranges pays, hélas ! où le citoyen le plus inculte et le plus igno- rant a sa Constitution dans sa poche , comme Sieyès et Lycur- gue, et ne demande qu'à sauver le monde, mais où personne, en revanche , n'est dans le cas de vous dire où perche la Mésange...! Le Journal des Débats lui-même, qui a gouverné très -longtemps avec profit et gloire, et qui serait heureux de gouverner encore, le Journal des Débats^ qui est très-fort en politique, est incom- parablement plus faible en botanique, où il croit à la graine du chanvre mâle, ce qui induirait à supposer qu'en ornithologie il croit aux œufs de coq. C'est qu'il est plus facile de rédiger de grands journaux éloquents, voire de faire des constitutions pour le bonheur des peuples, que de mettre chaque bête à sa place. Les tribulations du classihcateur sont malheureusement de celles qui laissent le public froid et indifférent , sous prétexte ([ue la loi ne condamne personne à faire des classifications, pas plus que des tragédies. 48 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Mes lectrices ont deviné sans doute, quand je faisais tout à l'heure abus de citations latines, que c'était pour me rendre pro- pice le Journal des Débats , et non pour faire parade de mon érudition classique. Alors je ne leur demande pas pardon de cette inconvenance. Mais le cadre de notre classification est enfin terminé ; il me reste à le remplir. PREMIÈRE SÉRIE. FRl'CI\ OIIES. Vn groupe, quatre espèces : Exotiques. Ce mot exotiques est ici pour remplacer néant, qui est la part que la Faune française fournit à la Frugivorie pure. Il ne tenait qu'à moi assurément de peupler cette première série de deux groupes que j'aurais appelés des Colombiens et des Loxiens , ou des Gros-Becs , attendu que les espèces dont ces deux groupes se composent sont essentiellement, sinon exclusi- vement frugivores , et que personne ne m'aurait chicané pour le plus ou le moins. Ensuite, comme les Colombiens et les Gros- becs nourrissent également leurs petits au moyen d'une bouillie de graiu qu'ils préparent dans leur estomac et qu'ils transva- sent après dans la gorge de leurs nourrissons, par divers procé- dés, j'aurais pu aisément les unir par le caractère commun, puis les différencier par la comparaison de leur mode de dégorge- ment. Et non-seulement cette classification de contrebande n'eût soulevé , du côté des savants , aucune objection sérieuse , mais je suis bien sûr qu'elle eût paru plus scientifique et plus naturelle que l'autre, que la vraie, qui a contre elle le désavan- tage immense de débuter par le vide, et de faire boiter, dès le premier pas, la division c|uaternaire de l'ordre. Mais l'analogiste consciencieux , amant iidèlc de la vérité , ne spécule pas en face du devoir; il dédaigne souverainement les succès que d'autres proclament faciles, parce (ju'ils ne coûtent qu'un mensonge ; et SEDII'EDES. 41» il s'inquiète peu que ses séries soient pauvres, pourvu qu'elles soient honnêtes. Sa devise est : Fais ce que dois... C'est la mienne. J'ai dit quelles impossibilités matériolles ou plutôt quels scru- pules m'interdisaient de placer les Colombiens de France parmi les Frugivores purs. Leur })lace n'est pas là, en elTet, mais bien au point de jonction des deuv grands ordres des Coureurs et des Percheurs, station de l'ambiguë, échelle de transition ascen- dante. Le titre de Frugivores purs n'appartient qu'aux Colombiens de l'Australie, des Philippines et des Iles de la Sonde. A la suite de ces groupes |)oi)ulcii\ doivent figurer, d'après l'analogie, les Coqs-de-roche, les l^upicoles de l'Amérique équatoriale, ^esPhy- totomesde l'Abyssinie, les Manakins de la Guyane, qui donnent la main à nos gros-becs, ou loxiens, par le Jaseur. Ces gros- becs, comme nous le verrons bientôt, bornent la série des Frugi- vores purs adroite, comme les Colombiens à gauche, et forment le premier anneau de la (Iranivorie. Groupe tlos Coloinliicns. Deuv ramilles; ciiKi espèces; nombre inliiii de \ariélés. Nous avons à choisir entre dix caractères , excellents presque tous, pour désigner convenablement ce groupe. Il y a l'aliment spécial, la forme du bec, celle de la queue, l'habitat, les ma- nières galantes , la façon de voler, de nourrir les petits, le titre d'afliour maternel, le nombre des œufs, etc., indépendamment des dénominations consacrées par l'usage. Nous dirons lequel de tous est à notre avis le meilleur, laissant ensuite, suivant notre habitude, chacun libre d'opter. Le groupe des Colombiens, si pauvre d'espèces types en France, n'en est pas moi'.is un de ceux qui renferment le plus grand nombre d'espèces dans le reste du globe. C'est même probablement celui qui pris en masse donne le chilïre de population le plus considérable. Audubon évalua un jour à plus d'un milliard un vol de pigeons voyageurs qui tenait tout un pan du ciel au- 50 OllMTilOLOGIE PASSIONNELLE. dessus de sa tète et dont il eut à se plaindre. Bien qu'aucun nuage ne iVit entre le soleil et la terre , les rayons de l'astre étaient coni|)lctcnient éclipsés sur un espace de i)lusieurs milles carrés. Dans la futaie choisie pour le repos du soir, les chênes rompaient sous le poids de la masse qui s'abattait sur leurs bran- ches; le sol blanchissait à vue d'œil sous la neige épaisse du guano. La scène se passait sur les rives de-l'Ohio, et cependant l'Amérique n'est pas la véritable patrie du groupe. L'Australie et les îles de la Sonde sont les contrées qui nourrissent le plus grand nombre d'espèces et surtout les plus belles. Le chiffre de ces espèces orientales approche de la centaine. On trouve dans le nombre des pigeons a aigrette, gros comme des poulardes et des tourterelles minuscules de la taille d'un moineau franc, avec des ailes couleur de llamme. Il y en a d'au- tres qui portent des huppes impérieuses, des manteaux de ve- lours gris perle, ocellés de topazes, des coups de poignard dans le sein, etc., toutes espèces charmantes et délicates de chair comme de nururs et de ton. ('./ii'aclores (jélU'r.itix du ^ioii|)<*. Le groupe des Colombiens est ambigu entre les Vélocipèdes et les Sédipèdes, Coureurs etPercheurs. Presque exclusivement frugivores, ces oiseaux cherchent comme les pulvérateurs leur nourriture à terre et surtout dans les plaines; seulement ils grat- tent le sol du bec et non des doigts et préfèrent les bains d'eau courante aux bains de poussière qui font les délices de ceux-ci. Quelques espèces glandivores ont le talent de faire tomber les glands du chêne en frappant ces fruits de leurs ailes et ils se précipitent vivement au bas de l'arbre pour les ramasser. Les Colombiens sont pourvus de longues ailes aiguës propres aux voyages d'outremer , et le besoin de voir du pays est une maladie endémique à l'espèce. Vol sibilant, soutenu, rapide; les pigeons ramiers traversent en moins de dix minutes le détroit de Gibraltar et no le cèdent en vélocité qu'aux faucons, aux hi- rondelles et aux locomotives. Toutes les espèces se livrent dans SEUIPliDES. H\ les airs aux évolutions les plus folâtres et les plus capricieuses, et leur départ quand elles prennent l'essor est acconipajiné d'un claquement tout spécial produit par la brusque rencontre de leurs ailes qui se dressent verticalement sous la détente de leurs mus- cles. Mais autant leurs allures de vol sont faciles et légères, au- tant sont disgracieuses leurs allures de pied, trop semblables à celles du canard chargé d'un embonpoint extrême et pas assez à celles de la perdrix. La plupart des ('olond)iens perchent et nichent sur les arbres; une espèce cepemiant jalouse de mar(|uer le caractère do tran- sition qui est le signe hiérarchique du groupe ne se branche jamais et niche dans les cavités des rochers, voire dans les hauts édifices bâtis par la main de l'homme et notamment dans ceux qu'on appelle colomhicra. Ce caractère d'ambiguïté est si visible que Cuvier n'a pas hé- sité il ranger les colombes dans son ordre des (iallinacés, dé- plorable erreur du génie dans laquelle n'était pas tombé Linn;rus (pii avait logé ce groupe dans l'ordre des Percheurs. C'était là en eiïet sa véritable place, car si la similitude des appétits grani- vores rapproche un moment les deux races , la différence de leurs opinions en matière amoureuse rétablit entre elles la distance. Le pigeon est pour la douceur, la timidité, l'innocence et la pu- reté des mœurs, le pendant de l'agneau. Or, on sait que penser de la pureté des mœurs du coq et du dindon. La nature a môme crée une longue série d'espèces ambiguës pour rattacher l'une à l'autre ces deux familles, ce qu'elle n'eût pas fait certainement si la distance qui les sépare n'eût pas été aussi considérable. Ces espèces ambiguës que les savants ont décorées du titre de Colombi-gallines sont étrangères cà l'Europe. On remarque dans le nombre le Goura couronné des îles de la Sonde , qui peut être considéré comme un des moules les mieux réussis de l'ambiguïté. Le groupe des Colombiens se distingue de tous ceux qui l'en- tourent par uue multitude de caractères spéciaux qui fournissent vingt moyens de l'isoler; mais la reine de Cythère en atte- lant autrefois deux colombes à son char, a dit mieux que tous :i2 ORMTMOLOGIE PASSIONNELLE. les savants la gloire de la tribu et sa dominante passionnelle. Bien inspiré l'ut en elTet le choix de la déesse d'amour; cartons les mâles de cette famille sont des amoureux de très-haut titre, passionnés et fidèles et qui se montrent dans la saison d'amour les plus' fervents observateurs des lois de la galanterie. C'est merveille de voir avec quel luxe de révérences courtoises et de courbettes cérémonieuses l'amant de cette catégorie aborde sa maîtresse. Elle marche, dans sa dignité féminine, fière et ma- jestueuse , et comme il convient à une reine ; lui l'arrête en se précipitant tout à coup au devant de ses pas et commence par l'encenser de trois saints adorateurs, le front profondément in- cliné vers la terre et comme pour baiser la poussière de ses pieds. Suit la série des évolutions rotatoires, des pirouettes semi-circulaires , des passes et des contre-passes magnétiques exécutées avec une persévérance et une fougue sans égales, dans le but de charmer l'idole, et illustrées de gonflements de gorge et de redressements de col d'un effet indicible. Ces démonstrations éloquentes sont accompagnées, suivant les espèces, de tendres gémissements ou de roucoulements énergiques, ardentes récla- mes d'amour que rhythme un frémissement voluptueux des ailes. Le moyen de rester froide au contact d'une passion si véhémente, si sincère surtout, et si chaleureusement exprimée. La coquette, essaie bien de retarder sa défaite par tous les artifices vulgaires , et elle réussit à prolonger sa résistance aussi longtemps qu'il faut pour décupler le prix de ses concessions; mais l'incendie finit par l'atteindre à la longue, et alors elle fuit vers les sau- les, désireuse qu'on l'y suive, et là le pacte des fiançailles se conclut d'un baiser. Car le privilège du baiser, faveur inesti- mable que la Nature n'accorde qu'à un très-petit nombre d'es- pèces, est attribut du groupe. Le pacte conjugal suit de près celui des fiançailles; il durera autant que la vie; de part et d'autre on y sera fidèle... Fidèle! Remarquez cependant que j'ai dit tout à l'heure, r^wo?/- rcux fie très-haut titre, et non pas du plus haut titre. C'est qu'il y a mieux, en effet dans le inonde des oiseaux, en fait d'a- mants fidèles, que les colombiens : il y a l'hirondelle et aussf SÉDIPÈDES. d3 roiseau-mouche. C'est (|ue la fidélité n'est pas toujours, chez les premiers, à l'abri des orages impétueux des sons, et que parfois on a vu de pauvres tourterelles, victimes de leur bon cœur, s'attendrir trop vivement au récit des malheurs d'in- fortunés célibataires, et éi)rouver le besoin d'adoucir leurs tour- ments. Et pour ce manquement à sa foi, la foule des puri- tains, Buffon à leur tète, ont accablé des termes les plus durs la tourterelle trop sensible, comme s'il ne fallait pas que la sainte corporation des sœurs de charité d'amour eût aussi là-haut son emblème. Donc, il parait démontré que la tourterelle des bois et le pigeon domestique donnent quelquefois, dans le contrat, de légers coups de bec ; tandis ([ue les plus mauvaises langues n'ont pas osé encore accuser l'hirondelle de méfaits de cet ordre. En outre, chez les Colombiens, quand le mariage est dissous par un cas de force majeure, par un de ces accidents funestes aux- quels est exposée l'existence des tribus délicates de chair, il est rare que le veuvage du conjoint survivant dure plus d'une sai- son. Souvent même l'oublieux n'attend pas la fin légale de son deuil pour convoler en secondes noces; scandale inouï dans la fa- mille des hirondelles, où le premier amour dure autant que la vie et où ceux qui se sont juré une fidélité éternelle, n'admettent pas que la mort dégage des serments. Séparée par le sort de tout ce qu'elle aimait, ei brisée par l'épreuve, l'hirondelle survivante ne songe pas même k éluder la sentence du destin ; mais disant adieu pour toujours aux bonheurs de ce monde où rien ne lui est plus, elle s'enveloppe dans son deuil et attend la fin de ses maux. On a vu de ces Artémises et de ces Orpliees inconsolables qui trouvaient que le chagrin ne tuait pas assez vite , traverser les monts et les mers et faire deux mille lieues pour revoir une fois encore le nid de leurs dernières amours et s'y enfermer pour mourir. Je demande que la loi qui protège les bêtes en France contienne un article terrible contre les assassins d'hiron- delles. Or, nous avons déjà dans ces simples détails trois caractères importants , et qui nous mettent parfaitement en mesure de for- ger trois dénominateurs "scientifiques acceptables pour le groupe 54 oil.MTHOLuClK PASSlON.MiLLE. des Colombiens. Il y a le privilège du baiser, le mode de saluta- tion, l'idiome amoureux spécial. Choisissez pour parrain celui de CCS trois attributs qui vous agréera le plus; mais la liste de tes attributs exclusifs n'est pas close. Le mariage, en eiïet, n'est pas chez les pigeons comme chez les humains le tombeau de l'amour. Le père et la mère s'y par- tagent avec un dévouement passionné les soins de la famille; mais ce partage édifiant de bonheurs et de peines semble aviver bien plutôt qu'amoindrir l'ardente tendresse des époux. Nos amoureux commencent par se mettre à la bâtisse du nid; le mâle va cueillir sur les arbres voisins les brindilles légères qui doivent servir de matériaux à l'édilice , et les apporte à sa fe- melle, qui fait semblant de les disposer avec art. Cette besogne est trop tôt terminée, par malheur, car ce nid n'est pas tout à lait une merveille architecturale. Il se compose tout simplement de deux ou trois lits de bûchettes entrecroisées et posées à plat sur quelque enfourchurc de grosse branche, une manière de lit de camp , sans aucune addition de matelas ni de paillasse. Il est visible que les artistes qui ont exécuté cette œuvre ont été dé- rangés dans le cours de leur travail par plusieurs distractions, et qu'ils avaient dans ce moment-là tant de choses plus intéres- santes à se dire qu'ils n'ont pas eu le temps de s'occuper des questions de comfort. Mais l'extrême négligence apportée en cette construction est souvent cause de désastres terribles. Que de fois j'ai vu la tempête , dans la saison des nids , emporter comme une plume les deux œufs du ramier et les semer dans l'espace ou jeter en bas de l'arbre sa progéniture confondue ! Si du moins la catastrophe prolitait aux victimes ; mais elle ne pro- fite à personne, pas même, hélas! aux pauvres amoureux de la tribu des prolétaires igenre /lomme] qui s'en vont réjjctant après les tourterelles et après les ramiers vue chaumière et son cœui\ et ([ui ne craignent pas d'entrer en ménage avec leur affection mutuelle pour tout moblier, parfaitement insoucieux des chutes dangereuses au.vquelles leur imprudence expose dans l'avenir les innocents qui naîtront d'eux ! Après la bâtisse du nid, qui ne prend que deux ou trois jours, SKDIPKDES. .Jo a| rès la ponte (|iii n'est que de deux œufs et ne dure guère plus, vient le travail de l'incubation. Dans toutes les tribus du groupe des Colombiens, le père jjartage avec la mère cette fonction at- tributive de la maternité chez l'immense majorité des espèces, et il se montre si lier de cet honneur que la femelle est souvent obligée de le pousser hors du nid par les épaules pour le forcer de lui céder sa place. A peine relevé de garde, le couveur pas- sionné s'élève dans les airs par une pointe verticale, puis s'ar- rête aussitôt pour déployer toutes ses voiles et l'aire le Saint- Esprit. Avais-je tort de dire (pie ces habitudes touchantes où se trahit si visiblement la dominante passionnelle du groupe des Colombiens, jointes à l'innocence et à la pureté de leurs mœurs, discordent (piol(|ue peu avec ce que nous savons de l'histoire amoureuse des Éperonnés, vile engeance de goujats qui ne com- prennent pas même une jouissance au-delà des brutales satis- factions des appétits charnels, qui n'emploient la plupart du temps que la violence pour triompher de la résistance des poules et n'entrent jamais dans le ménage de celles-ci que pour y mettre tout à sac. J'en suis toujours à me demander, en présence de cette disparate si violente des mœurs et des coutumes des deux groupes, comment il a pu entrer dans l'esprit d'un naturaliste de la taille de Cuvier de faire entrer les pigeons dans son ordre des Gallinacés. Un nomenclateur ingénieux et fécond en substantifs pittores- ques trouverait certainement matière à dénominations heureuses dans chacun de ces deux caractères charmants de la participa- tion au travail de l'incubation par le mâle et de son vol d'amour, évolution gracieuse par-dessus toutes les autres et qui a évidein- ineut ins])iré aux analogistes de la religion catholique la poéti- que idée de faire descendre le Saint-Esprit du ciel sous la forme d'une colombe. Mais le groupe des Colombiens oflre encore deux autres carac- tères plus simples et moins ambitieux que tous ceux que nous venons de passer eu revue, et cjui se prêtent mieux selon moi aux besoins de notre nomenclature actuelle, nomenclature hon- 5(i OHMTHOLUlilK PASSlO.N.NKLLi:. grée et prosaïiiuc, basée sur la comparaison d'éléments maté- riels. Je veux parler de la ponte et du procédé d'abecquement ou de nutrition des jeunes. Les Cojombiens ne pondent que deux œufs et n'élèvent que deux petits de sexe différent et (jui sont probablement destinés à continuer jusqu'à la lin de leurs jours l'union contractée au berceau. Or les Colombiens étant presque les seuls parmi les per- cheurs chez qui le nombre deux soit le chiffre invariable de la ponte, il est évident que le titre générique tiré de ce caractère exclusif et constant, et surtout facile à saisir, répond à toutes les exigences de la classilication. Que ceux à qui le nom de Colom- biens écorcheles oreilles choisissent donc entre Diovipariemou Gemini pariens qui n'ont pas l'heur de me plaire, je l'avoue sin- cèrement. Le procédé d'abecquement excentri([ue et spécialqu'emploient les Colombiens est également de nature à fournir à ce groupe un excellent nom scientifique. Seulement ce procédé est telle- ment compliqué qu'il devient d'une difficulté extrême d'en tirer une dénomination brève suffisamment explicative. En effet, les pigeons ne nourrissent pas leurs petits à la façon des cana- ris et des chardonnerets qui dégorgent dans le bec de ceux-ci une bouillie de grain préparée au fond de leur jabot. Ceci est le procédé (rabec(iuement primitif et vulgaire pratiqué par la masse, et qui jouit même d'une certaine vogue chez plusieurs races d'humains, chez celle des Esquimaux entre autres; mais les pigeons l'ont usage d'une méthode complètement inverse, (yest-k-dire que ce ne sont plus les parents qui introduisent leur bec dans celui de leurs nourrissons , mais bien les nour- rissons qui introduisent leur bec dans la gorge de leurs nourriciers ; et connue il est naturel que l'introduction d'un corps étranger dans la gorge d'une pauvre b(Me provoque immédiatement chez elle le besoin de l'expulser violem- ment, il s'ensuit que les malheureux parents sont soumis pendant toute la durée de leurs fonctions nourricières à une série de convulsions stomacales, complètement analogues à celles qui résultent chez nous de l'ingestion de l'émétique, les- SKUll'KDKS. :il (juclk'S convulsions multipliées ont précise ment pour elVet de projeter dans le bec entr'ouvert du pigeonneau l'aliment préparé dans le sein maternel. Les petits cris plaintifs qui accompagnent cette ingurgitation laborieuse et la fixation rigoureuse de deux repas par jour, tendraient à faire croire que l'opération ne s'ac- complit pas tout à lait sans douleur. De f[uel nom qualifier ce procédé d'abecquement bizarre presque voisin de l'allaitement? car la bouillie préparée par les pères et mères dans les trois pre- miers Jours qui suivent l'edosion des petits est une substance blanchâtre quasi-liquide, semblable au lait des mammifères. Je ne tiens pas assez au verbe incjurgitor pour en recommander l'emploi en cette circonstance. J'ai omis de tenir compte de la forme du bec et de celle de la queue et des ailes , comme de la couleur des pieds, parce que les distinctions à tirer de ces caractères ne sont pas sullisamment accusées. Je n'empêche personne d'appeler les Colombiens du nom pastoral de rosipèdes qui est moins barbare à coup sur que celui d'ingurgiteurs ou de diovipariens dont je n'abuserai pas, si j'en use jamais. Je ferai remarquer seulement que rosipède en- traîne à prendre la couleur des pieds pour type comparatif dans le cours de la série, et je me suis exprimé précédemment sur l'insulïisance du moyen. La queue est longue et arrondie chez les Colombiens et se dé- veloppe volontiers pour jouer l'éventail) tandis qu'elle est four- chue et courte chez les granivores. C'est une dissemblance qu'il est bon de signaler, mais dont il paraît difficile d'extraire le dé- nominateur demandé. La chose eût peut-être été plus facile avec la forme du bec qui offre un caractère spécial à la tribu. Ce bec voûte comme celui des perdrix, mais moins arqué cependant et terminé par une légère courbure, a pour signe particulier d'être alTecté d'une boursoufHure des narines «jui le déligure comj)Iétement. La preuve que cette boursouflure qui couvre toute la base du bec, provient d'un vice de sang et constitue une anomalie, c'est que chez certaines espèces de pigeons , chez celles de fabrique hu- maine notamment, cette affection dégénère facilement en véri- o.s (HiMIlIOLoGlK PASSIO.N.NELLt:. table lèpre et produit des becs monstrueux. D'où l'occasion dont je n'ai pas voulu profiter de forger quelque méchant terme gé- nérique sentant l'amphithéâtre, comme fumidi ou psori rostre. Si les Colombiens ne mangent guère d'insectes , en revanche ils en nourrissent un grand nombre, et ce malheur leur est com- mun avec les hirondelles et aussi avec les pêchers et générale- ment avec toutes les bctes et avec tous les végétaux qui symbo- lisent les pures et vives amours, dont le destin en civilisation est de servir de sujet à tous les ragots des portières et de nourrir l'oisiveté de tous les esprits parasites. De là le goût passionné des pigeons pour le sel , spécifique contre la vermine. L'histoire des Colombiens est semblable à celle des prolétaires qui vivent aussi de rien, et nourrissent beaucoup de parasites. Elle apporte un témoignage précieux à l'appui de deux grandes lois que nous avons souvent formulées dans le cours de ces études. « Le granivore est ami de riiommc (|ui fait venir les grains. — Le principal caractère de l'ambigu est d'être utile ou agréable à l'homme. » Le pigeon est en eflét le secoiid oiseau, si ce n'est le premier, qui se soit rallié à l'homme. Toutes les espèces de ce groupe, même les plus farouches, sont amies de riiomnie au fond. Et de plus elles lui sont à la fois agréables et utiles, peuplant ses colombiers , ses volières et son garde-mangT. Le groupe des Colombiens se divise en deux familles ou tri- bus, l'une dite des Pigeons, l'autre des Tourterelles, Roucou- leurs et Gémisseurs. La tribu des Pigeons de France renferme trois espèces premiè- res, dont une, domestiquée, fournit à elle seule une trentaine de variétés. Ces trois espèces sappellent le Ramier, le Colombin, ie Biset. Ramier. Pigeon sau\;(ge, Pigeon ûii,6 bois. Pigeon des Tui- leries , Palombe et Palome du Midi ; le Palumbus du Journal SKDlPKItES. ."9 des /Jé/j(((s ; i\a\\s. pliir. Palumhos. Horatius Flaccus écrivait Palumbes. Le Ramier (jue son nom désii;ne sulHsanmient pour perchcur est le plus grand de tous les Pigeons d'Europe. Il habite les fo- rêts, pose son nid en plate-l'orme sur les enfourchures des vieux arbres et fait sa principale nourriture des glands et des faines qu'il avale tout entiers. Il descend dans les plaines, à l'époque de la maturité des vesces et des graine* oléagineuses dont il est très-friand comme tous ses congénères. Les Hamiers se réunissent en bandas nombreuses vers le milieu de septenibrc et se rejjandent dans les champs récemment dé- barrassés de leurs récoltes de chanvre, de millet et de sarra- sin. Une partie de cette population attend la venue des brouil- lards pour emigrer vers rAfri(|ue, en franchissant les deux chaî- nes de montagnes qui enceignent la France au Midi. Le plus ^rand nombre choisit la voie des Pyrénées. La direction des voyageurs est eu ce temps-là du levant au couchant et la masse effectue son passage par les gorges ou fuites des environs de Pau. Les Ramiers voyagent volontiers de grand matin et par la brume pour éviter la rencontre de l'epervier et de l'autour. Ils volent en escadrons serrés, rasant parfois le sol. Une autre partie hiverne en nos contrées ou elle mange le cœur des colzas et des choux, quand toute autre nourriture lui manque, ce qui arrive naturellement quand la neige couvre la terre où ces oiseaux ne peuvent pas fouiller à l'instar des Perdrix , des Tétras et des Lagopèdes. C'est alors qu'on les voit se mettre à la queue des troupeaux de porcs qui s'en vont déter- rant les glands dans les clairs cltèncs de l'Est et se poser sur le dos de ces quadrupèdes. Depuis que la culture du colza a pris une très-grande exten- sion dans la région septentrionale de la France, le Pigeon ra- mier y est devenu un des fléaux de l'agriculture et le cultiva- teur lui fait une guerre impitoyable. La chasse à la palombe que je décrirai quelque jour, et qui est une des plus savantes ins- titutions de ce genre, a été pendant des siècles pour les habi- tants des Pyrénées-Occidentales l'objet d'une fructueuse in- ou ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. dustrJe. Le lieu où se pratique cette chasse est dit une palomif're. La robe du Ranilci' est trop connue pour que j'aie besoin de la décrire en détail. Dessus du corps et de la tète gris cendré, poitrine Hc de vin, larges épaulettes blanches, col chatoyant à, reflet vert doré passant volontiers au bleu tendre, orné d'un croissant blanc sur chacune de ses faces latérales; pieds rouges , iris jaunàtje. La forme du Ramier est des plus élégantes; son vol est soutejiu et rapide , son roucoulement sonore , sa vue aussi perçante que celle de l'aigle ou du canard. C'est un des plus charmants oiseaux de nos climats. Les plus terribles ennemis du Ramier sont , après l'homme et l'oiseau de proie, le corbeau et la martre qui en veulent à ses œufs, encore plus qu'à ses petits. Quand on considère le nom- bre prodigieux d'ennemis acharnés à la destruction de cette es- pèce si peu féconde et qui n'a pour tous moyens de salut que sa vue perçante et son aile rapide, on a quelque peine à s'expli- quer le chiffre respectable de sa population. .T'ai oublié de dire que le Ramier qui ne pond que deux œufs, ne faisait qu'une ponte par an. L'apprivoisement complet des ramiers des Tuileries fait voir que l'humeur farouche et défiante de l'espèce n'est que le résul- tat naturel des dispositions malveillantes que lui témoigne tou- jours l'homme. Quand la femme régnera sur le reste du monde, comme elle règne au jardin d'amour de Paris, le Ramier dépo- sera do grand cœur ses appréhensions légitimes et rivalisera en tout lieu de familiarité et de hardiesse avec le moineau franc. Le ramier pris au nid s'élève facilement. Sa chair est d'un excellent goût, plus substantielle toutefois que délicate. Celle des vieux est trcs-duro, ce qui devrait les faire respecter. CoLOMBiN. Les naturalistes ont donné un nom insignifiant à une espèce voisine du Ramier, habitant les forêts comme lui, mais plus petite de taille et nicbant dans les trous d'arbre. Cette espèce est celle que les chasseurs des Pyrénées appellent le Ri- set et qui se prend à la Pantière dans les gorges des Pyrénées orientales. Lvs habitudes du Colombin diffèrent peu de celles StDlPÉDKS. Cl du Ramier; seulement il passade meilleure heure et je ne crois pas qu'il hiverne chez nous, n'en ayant jamais vu voler un seul dans la rude saison. Ses vrais quartiers d'hiver sont les plaines de l'Afrique septentrionale depuis l'Egypte jusqu'au Maroc. Il revient de bonne heure au printemps dans son pays natal. L'es- pèce moins répandue en Franre (pie la j)remière habite surtout les districts forestiers de l'Est. Elle prclère aux fruits des fortHs les grains et les semences des plaines et aussi la rive droite à la rive gauche du Rhin, je veux dire la forêt Noire aux forêts des Vosges et des Ardcnnes. Quoique voisin du Ramier par la couleur du manteau, les habi- tudes et les mœurs, le Colombin s'en sépare cependant par plusieurs caractères faciles à saisir, indépendamment de la dif- férence de la taille. Ainsi, le ton général de la robe du Colom- bin est plus foncé, le rouge vineux de la poitrine est plus accentué ; les reflets métalliques du col jouent l'acier brûlé plus que le cuivre. Enfin l'iris qui est jaunâtre chez celui-là est rouge chez celui-ci. Le vol du Colombin est aussi soutenu et aussi ra- pide que celui du Ramier, mais sa vue est beaucoup moins per- çante, ce qui est cause que la chasse du Riset n'exige pas des procédés aussi savants et aussi compliqués que celle de la Pa- lome. On parle de 2,200 bisets pris dans une seule journée dans une seule pantière des environs de Saint-Girons (Ariége) ; mais le fait s'est passé bien avant la révolution. RisET. Le Pigeon biset de RuITon ou le Pigeon de roche. Celui-ci passe généralement pour être la souche de toutes nos variétés domestiques , et cette opinion me paraît d'autant plus acceptable que l'espèce-type ne se rencontre plus guère à l'état libre en Europe et que la masse semble avoir fait sa soumission définitive à l'homme. Le Riset n'habite plus les forêts et ne vit plus des fruits des arbres ; il est exclusivement arvicole et trouve sa nourriture dans nos plaines; il ne perche jamais. Cette différence radicale dans l'habitat et le. régime diététique, suffit pour établir entre le Riset et ses congénères une distinction tranchée. On ne fi2 ORMTHOUMili: PASSlONNKLI.i:. pourrait d'aillours confondre cette espèce à la vue qu'avec le (lolomhiii (|ui est «le la même taille et qui porte à peu près le même uniibrme; mais la comparaison du croupion chez les deux espèces ne laisse pas d'occasion à l'erreur. Cette partie du corps toujours'ceudree chez le Colombin est d'un blanc pur chez le Biset. Le Pigeon de roche d'ailleurs niche dans les rochers. C'est à l'espèce du pigeon de roche (ju'appartiennent tou- tes ces républiques libres de pigeons qui peuplent les édifices publics des cités, arcs de triomphe, voûtes de ponts, tours de cathédrales, pigeons de Saint-Marc à Venise, du Pont-Neuf à Paris, etc. Les citoyens de ces républiques sont à coup sur, comme les ramiers des Tuileries, les plus heureux de leur race, cumulant tous les avantages de la liberté absolue, avec la sécu- rité que leur assure le partage du domicile de l'homme. C'est ])our cela que j'approuve fort la sagesse des bisets de colombiers , (pii se sont donnés à l'homme pour n'avoir plus qu'un maître et qu'un seul tribut à payer. Ainsi a fait le coq qui ne s'en est pas trouvé plus mal , à ce que j'imagine et si j'en juge d'après l'ac- croissenuMit de la taille chez les individus et le chilTre énorme des légions de l'espèce. Ainsi conseillerai-je toujours d'agir aux espèces innocentes trop faibles pour se défendre, et vouées par leur innocence mémo à l'universelle boucherie. Je sais encore .lujourd'hui en France quelques pauvres localités, falaises de l'Océan, roches de Thébaïdes intérieures où vivent à l'état libre, c'est-à-dire sous la menace perpétuelle de l'autour et du bra- connier, les maigres et rares débris de la race du biset-type. Quand je vois les périls (jui planent sur la tète de ces derniers amants d'une liberté illusoire, et quand je compare leur sort à celui de leurs frères captifs , je n'ose plus m'attendrir sur l'infor- tune de ceux-ci ni réclamer pour eux la jouissance absolue de leurs droits naturels. Tristes droits naturels que ceux d'être traqués , forces , plumés vifs et croqués par tous les assassins •le la terre et du ciel. La liberté, hélas î n'est que le pain des forts. C'est toujours une question histori(|ue, immense et non en- core résolue, de savoir à hupielle «les deux races du faucon ou de SÉDIPEDES. ^\■^ la colombe revient l'iDsigne honneur d'avoir donne le i)remier exemple de ralliement volontaire à l'homme. J'opine aujourd'hui plus que jamais pour la version qui attribue cette gloire à la race de l'oiseau de proie, ayant été depuis peu fortilié dans mon opi- nion par une table d'un savoir prodigieux qui m'a narré, dans ses moindres détails, l'histoire de la double conquête. 11 appert de ces contidences que non-seulement le faucon s'est rallié à l'homme avant le pigeon de roche, mais que c'est lui qui a donne cette espèce et les autres volailles à l'homme, un peu après que le chien lui eut donné le mouton, le bœuf et le cheval. Indépendamment du témoignage des tables, il y a sur cette question d'antériorité de ralliement, le témoignage de la raison humaine (|ui allirme que le pigeon yranivoïc n'a dû venir à son maître qu'après que celui-ci eut inventé la charrue et l'art de cultiver les (jniim. Or l'humanité a vécu de la chasse qui est institution pivotale de Sauvagerie, avant de vivre de la moisson et du troupeau qui sont institutions de plein Patriarcat. L'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres tout entière nralïirmerait le contraire (|ue je ne tiendrais pas le moindre compte de son opinion. Quant à l'époque de la conclusion du pacte d'amitié entre le biset et l'homme, il y a des dates authentiques. Ainsi l'Orient d'où nous vient toute lumière, constate en ses plus vieux bou- quins, unanimes par hasard sur ce chef, l'existence du pigeon domestique, et je ne veux pas remonter plus haut que le déluge et le bonhomme Noë pour préciser le jour de la signature du contrat. Toutes les personnes versées dans la connaissance des Saintes Écritures savent, en effet, que l'illustre navigateur, fati- gué de sa longue croisière sur la cime des monts arméniens et craignant pour ses passagers une disette de vivres, fit sortir de l'arche deux oiseaux , le corbeau et le biset, pour voir un peu ce qui se passait au dehors et le lui rapporter. Et il est dit dans le texte que le corbeau ne revient pas, tandis que le pigeon fidèle rentre dans l'arche, tenant dans son bec un rameau d'olivier, pour dire que le printemps s'avance et que le courroux de Jehova commence à se calmer. Je crois fermement que de ce U ORMTIloLOCli; PASSIONNELLE. monient-Ià, ralliancc fut entre le hiset et l'homnie, à preuve (|iic peu de temps après, riioiniiie saisit toutes les occasions de té- moigner au biset la haute considération dont il l'honore, l'of- frant en sacrifice à Dieu, comme la plus agréable de toutes les victim«s.... Un peu plus tard encore, les amoureux des rives de l'Euphrate ou d'ailleurs inventent la poste aux pigeons. Enfin après l'histoire sainte, un de nos plus vieux récits est l'épo- pée d'Homère. Or le pigeon domestique se trouve dans l'Odyssée aussi bien que dans la Bible, où le coq est encore complètement inconnu. Le coq paraît être contemporain.de Salomon. Mais je m'aperçois que ces détails inutiles empiètent sur l'histoire spé- ciale du biset, qui demande un volume, et il y a dix excel- lentes raisons pour que je n'entreprenne pas ce travail. La pre- mière, c'est qu'il a été fait, et beaucoup mieux que je ne saurais le faire, par deux savants de haut mérite, MM. Corbié et Boitard. Je demande seulement la permission de dire le nom des prin- cipales espèces de pigeons de volière, pour faire remar(juer à travers les modifications du type-primitif, la persistance du ca-. ractère normal de l'ambiguïté qui est le titre hiérarchique du groupe des Colombiens. Ces principales variétés dérivant du biset portent les noms qui suivent : Romain, batave, polonais, souabe, suisse, turc, patu, paon, culbuteur, plongeur, tourneur, frisé, capucin, carme, nounaiu, grosse-gorge, cravate, coquille, mondain, cavalier, messager, hirondelle, etc., etc. La parenté qui est entre les Cou- reurs et les Pigeons , parenté plus ou moins marquée dans tou- tes ces variétés, apparaît surtout dans les trois dites Paon, patue, à cravate. Le Pigeon à cravate a évidemment emprunté sa parure de col au tétras à fraise d'Amérique ; le Patu la fourrure dont ses tarses sont garnis, aux pieds fourrés du Lagopède. Le Pigeon-paon, ainsi nomme ])arce (|u'il fait la roue, n'est qu'un plagiaire du dinde et de l'oiseau de Junon. La chair rouge et substantielle de tous les j)igeons tient de celle du Lagopède. .Te ne puis clore cet alinéa, sans protester de toute la puis- sance de mes convictions contre une des grandes iniquités poli- SEDlPliUES. m tiques et sociales de cette époque. Je veux parler de la position inacceptable faite aux pigeons fuyards de France par le code civil et de la persécution administrative qui s'acharne sur eux. Cette protestation s'adresse spécialement à messieurs les préfets, arbitres souverains du sort des pauvres volatiles. Chose pénible à penser, plus triste encore à dire, le pigeon de colombier, le plus innocent peut-être de tous les voiliers de l'air, est le seul à qui la loi française ait songé à faire expier le crime de ses sympathies politiques. Parce que le droit de possé- der un colombier était jadis privilège de noble, le peuple des campagnes, égaré par ses haines pour un passé odieux, a voulu à toute force voir dans l'habitant de la tour féodale un complice et un partisan du régime foudroyé dans la nuit du 4 août ; comme si l'infortuné biset avait jamais été libre d'émettre une opinion quelconque et de choisir entre ses bourreaux; et ils l'ont pour- suivi à outrance, mettant sa tête à prix. Bien des institutions démolies par la tempête révolutionnaire de la tin du siècle der- nier se sont relevées depuis ; bien des erreurs se sont amnis- tiées de part et d'autre; bien des rancunes d'ordre se sont cal- mées de noblesse à roture ; le colombier tout seul attend et ne voit pas venir le jour de la réparation. D'honorables magistrats, de savants jurisconsultes, des orateurs puissants se sont levés durant cet intervalle de soixante ans et plus pour prendre la défense de la perdrix, de la bécasse, du faisan, du chevreuil, pour essayer de soustraire à l'extermination imminente une foule de gibiers des bois et de la plaine, gibiers royaux ou non ; mais aucune voix éloquente n'a osé se faire entendre en faveur du pigeon, victime de l'ignorance administrative autant que des préjugés. Nos annales parlementaires conservent avec amour le souvenir de cette discussion mémorable de la loi du 3 mai , où l'on vit une majorité d'hommes graves , emportée par un louable excès de sollicitude à l'égard de la caille, retirer hardiment cet oiseau vagabond de la catégorie des oiseaux de passage pour le sauver des périls attachés à ce titre. Mais pourquoi , hélas ! pendant que nos législateurs étaient en si belle veine de sagesse, l'idée né leur est-elle pas venue de réviser la législation draco- fiO . OUMTIIOLOGIE PASSIONNELLE. niennc (jui pesé sur Je pigeon fuyard, sur le jjigeon fuyard qui orne plus fréquemment que la caille la table du pauvre monde et qui fournit à li culture de l'oignon et à celle du chanvre un auxiliaire si précieux. Funeste effet des pas-ions politiques et des r*éactions aveugles de l'esprit de parti. C'était le travailleur des champs, c'était la production du sol que les réformateurs de 1783 prétendaient protéger d'une façon toute spéciale, en vouant le biset à l'extermination et à la détention perpétuelle, et c'est précisément sur la tète de l'agriculteur et sur celle de ses fils qu'est retom1)é le sang de l'innocent. Le colombier seigneurialversait à la consommation du peuple avant 1783 un tribut annuel de quatre millions de pigeonneaux dont la majeure partie servait à varier l'ordinaire du ménage des champs. Le ménage des champs a dû faire son deuil du pâté de pigeon et de la crapaudinc. Je ne sais plus à combien de mil- liers de tonnes s'élevait le jjroduit de la colombine; aujourd'hui ce produit est réduit à zéro et la culture maraîchère cherche en vain à le remplacer, et c'est ainsi que deux sources fécondes de prospérité agricole ont été taries pour la France. J'estime que le peuple français a sacrifié assez longtemps à des haines puériles pour écouter enfin la voix de la raison. Or voici ce que la raison lui souffle par ma bouche : Les pigeons ne grattent pas la terre avec leurs ongles comme les poules ; ils ne la piochent pas avec leurs becs comme les cor- beaux et les pies ; et les seuls grains qu'ils puissent ramasser sur le sol sont ceux qui sont tombés de l'épi ou de la silique par une cause indépendante de leur volonté ou ceux que la herse a oublié d'ensevelir et ES. "^ a prescience et de ftimuler la soif de la féliciU' et de la richesse universelle pour pousser les masses en avant. Pcut-tHre les des- tinées de l'art s'accompliraient-ellcs plus facilement, si elles étaient ainsi généralement comprises; peut-être verrait-on moins de grands artistes renier la cause du progrès pour se l'aire les plats courtisans de Mécène. Maintenant, puisque la comparaison du pigeon blanc et du Lagopède a si bien réussi à vous indiquer d'oii le groupe des Colombiens venait, vous ne pouvez faire mieux que d'employer le même procédé pour savoir oii il va. Faites donc la contre- partie de l'expérience, cherchez dans la série des moules natu- rels des familles voisines celui qui ressemble le plus à la variété du pigeon domestique la plus éloignée du type primitif, par exemple au petit pigeon blanc à fraise rebilîee et à queue re- troussée. Vous avez trouvé le Coq de roche de l'Amérique éciua- toriale. Alors concluez hardiment de ce cas de ressemblance for- tuit et isolé des deux individus comparés, à la contiguïté certaine des deux familles dont ils l'ont partie. Je ne suis pas sur que le Coq de roche soit aussi mauvais ar- chitecte que le pigeon de roche, ni qu'il ponde deux œufs, ni qu'il soit complètement frugivore comme notre biset domestique; mais je ne crois pas me hasarder beaucoup en aflirmant qu'il en doit être ainsi.... D'autant mieux que j'ai absolument besoin du Coq de roche pour graduer la transition de la Frugivorie à la Granivorie ; la tribu des Coqs de roche donnant la main à celle des Manakins qui confine à celle des Jaseurs de Bohème qui sont les cousins des Gros-becs et des Becs-croisés. J'entends à ce seul nom de Jaseur, prononcé en tel lieu, tout l'Institut fré- mir, alarmé de mon audace; car il avait plu jusqu'à ce jour à la science, on ne sait pas pourquoi, de coUoquer le Jaseur qui est une espèce innocente et gazouillante, vivant principalement de bourgeons et de semences , parmi les geais et les pies-grièches qui sont des espèces féroces , amies de la chair vive Or les sa- vants qui n'ignorent pas que leurs classifications ofiicielles sont des châteaux de cartes, ont toujours peur qu'on ne souffle dessus. 7i t)KMTllUl.OCilE l'ASSlaN.NliLLE. Il est il remarquer que la nature, dans son amour des nuances et des transitions insensibles, a refusé à toutes les espèces de la frugivorie la plupart des dons artistiques , le génie de la musi- que et celui de l'architecture entre autres. La nature, toutefois, a fait beaucoup pour elles, leur donnant le baiser en place de ces dons, et bien avisé serait celui qui soutiendrait qu'elles ont perdu au change. On sait que le cumul des deux dons du bai- ser et du chant, privilège (piasi-excluslf du genre homme, n'a été concédé dans le règne tout entier des oiseaux (ju'à deux ou trois espèces dites inséparables. Et encore ces espèces jasent- elles plutôt qu'elles ne chantent dans la vraie acception du mot. Un joli problème à résoudre est celui de savoir si le baiser est dans les dons du Coq de roche comme dans ceux du pigeon biset. Quel triomphe pour l'analogie passionnelle , s'il en était amsi : DEUXIÈME SÉRIE. Graiiivorie : Quatre groupes; 31 espèces. C'est ici seulement que commence l'ordre des vrais artistes, l'ordre des chanteurs et des architectes qui comprend trois séries. La première de ces trois séries, dite des Granivores, débute par le .laseur et finit par l'Alouette. Elle est bornée au levant par la tribu exotique des Manakins , au couchant par celle des Far- louses; elle compte 34 espèces. Caractères généraux. Le Granivore est ami de l'homme... Le lecteur a entendu assez de fois répéter cette phrase pour la savoir par cœur; je ne l'a- chève pas. Elle peint en ces six mots les mœurs de la série, une série charmante, une série féminine qui, dans la classilication mélodique embrasse toute la partie du soprano et moitié de celle du contralto. Là se trouvent, en effet, les espèces qui se plaisent le plus dans la société de l' homme, qui se résiguent le plus facile- ment à la captivité, qui peuplent le plus abondamment nos vo- Jières et remplissent nos demeures, nos jardins et nos plaines de plus de gaîte et de chants. C'est la série des êtres jolis, gen- tils, sociables, des êtres causeurs par excellence et éminemment habiles aux travaux délicats. L'esprit de fraternité qui les anime est si grand qu'ils donnent dans tous les pièges à l'appel d'un des leurs et que l'homme a pu fonder une industrie fructueuse sur l'exploitation inhumaine de ces instincts si purs. La supério- rité du sexe féminin sur l'autre y est acceptée comme axiome et ue s'y discute pas ; ce qui du reste est une preuve de grand bon sens de la part de ces esj)èces , attendu qufc chez toutes , c'est la femelle qui construit le nid à elle seule et (jue v/tez lt:i>ES. 70 espèces si voisines par le genre de nourriUirc , les principes po- litiques, les mœurs? « Le bec du Pii^eon ramier, comme celui des espèces voisines, est mou et inconsistant parce ([ue ces espèces ont le moyen d'a- valer leur nourriture sans la mâcher; parce qu'elles sont douées d'un estomac double et tri|)le , immense fournaise digestive où les glands, les laines, les pois chiches entrent aussi facilement qu'une lettre à la poste et se cuisent avec une rapidité analogue. Ici la faiblesse du bec a pour correctif la vigueur et l'ampleur de l'appareil digestif. On ne voit pas bien à quoi servirait (|ue le bec travaillât, puisque l'estomac se charge de tout. Mais il fallait nécessairement que là oii mancjuait cette puis- sance de caléfaction interne (jui semble particulière à l'estomac des Pigeons et à celui des Autruches, la nature y suppléât par une ftU-ulté externe quelconque , c'est-à-dire par un organe qui mâchât la besogne, comme on dit vulgairement, au gésier pares- seux. C'est ce que la nature a fait en augmentant la puissance du bec de l'oiseau et en aiguisant le tranchant de ses mandibu- les à mesure que son estomac faiblissait. Par ce moyen les Gra- nivores qui auraient eu quelcjuc peine à digérer l'enveloppe de certaines graines dures , notamment celle des amandes, se sont trouvées nanties de la faculté de décortiquer ces aliments rebel- les et procèdent à l'égard d'icelles comme nous procédons nous- mêmes à l'égard du haricot de Soissons dont nous voulons nous rendre l'assimilation moins pénible. 11 va sans dire encore que la force de ce bec a été proportionnée à la résistance des obstacles à vaincre et que le Gros-bec , qui était destiné à vivre des noyaux de cerises , a été un peu mieux armé que le Moineau franc qui devait se contenter de la pulpe molle du fruit. Ainsi la proche parenté des Gros-becs granivores et des Co- lombiens est un fait qui se déduit de la différence même de la forme du bec , dissemblance motivée elle-même par la diversité des graines ou des semences à concasser ou à décortiquer. Il y avait pourtant dans cette même série des Granivores une famille que la nature semblait avoir rapprochée plus visiblement qu'aucune autre 'de celle des Colombiens. C'était la tribu des -'^ OUMTIIOLOGIE PASSIONNELLE. Alouettes , peu percheuscs , grandes voilières , quasi-pulvératri- ces et amoureuses du soleil et habiles à l'aire le Saint-Esprit en volant comme les Pigeons. A ne considérer que les apparences des deux groupes et le nombre des victimes qu'ils fournissent tous doux à la barbarie des méchants, on serait tenté de les unir sous quelque appellation touchante; mais le raisonnement ne tarde pas à réprimer ce premier mouvement sympathique. Vous vous dites d'abord que l'Alouette qui emplit les cicux de mélo- die occupe une position trop élevée dans le monde musical pour pouvoir être reléguée aux échelons inférieurs de la série du chant , bec à bec de la Tourterelle. Puis un simple coup d'œil jeté en passant sur la forme excentrique du pied de l'Alouette au pouce démesuré suffît pour vous faire voir la distance prodigieuse qui est entre le puissant coryphée de l'harmonie céleste et l'humble gémisseur des forêts. Je n'ai pas jugé à propos de forger une série de noms nou- veaux pour spécifier les subdivisions de la Granivorie en grou- pes et en familles , l'utilité de ce travail ne me paraissant pas suffi- samment démontrée. Je conçois que l'ornithologiste passionnel emporté par l'amour de l'art ne regarde pas à sa peine quand il s'agit de créer une nomenclature idéale qui doit rendre à chaque volatile son véritable nom et porter jusque dans les âges futurs la gloire de son auteur. J'admets qu'en pareil cas il innove hardiment en matière de noms propres et qu'il accepte résolument la res- ponsabilité de ses néologismes : la grandeur de sa fin justifie sa vaillance. Je comprends, en un mot, qu'on se mette l'imagina- tion à la torture pour arriver au mieux ; mais (|u'on fasse volon- tairement de tels frais pour n'aboutir qu'au moins mal est chose qui me passe. Or le mieux consistait évidemment ici à commencer par intituler cette première série de chanteurs : série des Sopra- nicns et non des Granivores; puis à distribuer les groupes par le genre de chant et à spécifier les espèces par l'arbre ou l'endroit où elles chantent, ou encore par la singularité des modes de parure en vogue chez chacune d'elles. 11 y avait à créer là toute une série de dénominations nouvelles, euphoniques, charmantes, pour désigner le Sopranicn des lilas j celui des pommiers, des SÉDIPÉDES. 81 vergers, des forùts, des vallées, des collines, le Sopranien couronné, au bec rouge, aux ailes d'or, etc. Et certainement que pour quiconque eût abordé l'épreuve, l'insurrection contre la nomenclature officielle eût été le premier des droits et le plus sacré des devoirs. Mais je demande si c'est bien la peine de frap- per de si grands coups contre le Vocabulaire et de déranger le public de ses habitudes de langage pour faire prévaloir Granivore sur Conirostre comme étiquette de série, ou Brévicone sur Geramivore comme étiquette de groupe. Je proclame pour mon compte la question souverainement mesquine et au-dessous d'un aussi grand tapage, et déclare aimer autant Chardonneret tout court que Conirostre longicône, qui est le double nom de groupe et de famille dont les nomenclatures les plus neuves af- fublent cet oiseau. Je me suis borné en conséquence à tracer le cadre de la sub- division naturelle de la Granivorie, à l'aide des procédés les plus simples et je l'ai rempli de noms connus. La série des Granivores se partage en quatre groupes , Dé- gorgeurs, Fringillcs, Bruants, Alouettes. Ces quatre groupes, au besoin , pourraient même se réduire à deux : Uégorgeurs et non-Dégorgeurs. Les Dégorgeurs sont des oiseaux essentiellement granivores , si granivores même que le plus grand nombre des ornitholo- gistes d'aujourd'hui les considèrent comme des Frugivores purs et n'hésiteraient pas à les ranger à côté des Pigeons dans la pré- cédente série , s'ils étaient à ma place. Ils nourrissent principa- lement leurs jeunes à la bouillie , mais ils varient volontiers ce régime par l'insecte. Ils adorent la verdure, le mouron, le sé- neçon, la salade, et sont friands d'échaudé et de sucre. Le grain qui leur agrée le plus est le millet. On sait que le dégor- gement est un procédé d'abecquement spécial aux granivores , qui sont obligés de faire subir une élaboration première à leurs aliments dans cette poche de l'œsophage qui a nom le jabot. Cette pratique accuse la nature rebelle , coriace et réfractaire des sui)stances alimentaires ingérées, lesquelles révèlent à leur tour la force et l'épaisseur du bec, et la puissance de ses man- ,S2 OUMTHOLOGIE PASSIONNELLE. (libulcs. Il y a de ces becs de Dégorgeurs qui brisent certains novaux comme des casse-noisettes, d'autres qui vous entaillent les doigts aussi profondément (ju'une serpette; il y en a qui sont disposés de manière à pouvoir pénétrer jusqu'au cœur de la pomme pour y prendre les pépins. Tous les Granivores de ce premier groupe décortiquent les graines dont ils se nourrissent avant de les avaler. Je sais une tribu exotique qui est ambiguë entre les Dégorgeurs et les non-Dégorgeurs et cbez laquelle le père et la mère , au lieu de commencer par digérer un peu les graines (|u'ils destinent à leurs petits . se contentent de les éplu- cher proprement et de les leur servir en cet état. Tous les Dégor- geurs nichent sur des branches ; plusieurs font des nids mer- veilleux. Leur chair est généralement sèche et maigre, heureux défaut qui protège leurs jours. Ce groupe, presque entièrement composé d'oiseaux chanteurs, doux, familiers, sociables et fa- ciles à nourrir devait être la providence des volières, (".'est à lui en efl'etciue ces établissements d'agrément public et privé doivent la plus grande i)artie des trésors qu'ils possèdent , et le temps n'est pas loin où une foule d'espèces de cette tribu précieuse, natives d'autres parties du monde , mais conquises à l'Europe par les soins d'habiles amateurs, doubleront et tripleront le chiffre de nos espèces. Je dirai à la fin de l'histoire de cet ordre le nom des espèces étrangères déjà acclimatées en France. Tous les non-Dégorgeurs , sans exception , nourrissent leurs petits avec des insectes dans leur âge le plus tendre; ils ne les sèvrent jamais avant que toutes leurs plumes soient sorties. Un grand nombre de ces espèces nichent à terre ;. quelques-unes même dans les trous des arbres et des murailles. Plusieurs sont célèbres dans les fastes de la gastrosophie par l'exquise délica- tesse de leur chair. Le groupe ne semlilc pas avoir été créé comme l'autre pour l'unique volupté des oreilles et des yeux. La mue chez la plupart des Granivores n'a lieu qu'une seule fois chaque année, à l'automne ; ce qui n'empêche pas les mâles de certaines espèces de revêtir au printemps un splendide cos- tume de noces; car il faut que l'amour apporte son lustre avec lui. Mais ici le changement de tenue n'est plus comme en la SÉDII'ÉDES. 83 mue ordinaire le résultat du remplacement des vieilles plumes • par les jeunes : ce sont les vieilles plumes elles-mêmes (|ui se colorent de nuances plus vives par l'eftet du soleil et de l'expo- sition au grand air. Aussi voyons-nous nos Linots , nos Pinsons , nos Bouvreuils perdre complètement l'éclat de leurs couleurs par la captivité. Remarquez que dans la nature le soleil embellit tout, hors l'homme, exception humiliante et (jui prouve clair comme le jour que le Civilise est tout à lait en dehors des voies de Dieu. Lharmonien lève noblement ses rej^ards vers le soleil (jui ne l'èblouit pas et qui rosit son teint , 4u lieu de le roussir. La subdivision de la série des dranivores par familles oiïre tou- tes sortes de facilités. On la réussit , par exemple , en prenant pour pivot de cette subdivision tertiaire le genre de nourriture spécial à chaque tribu, fruit, graine, semence, insecte. Ainsi des Geimnicores, pour la tribu des Mangeurs de bourgeons , des Conivores , pour celle des Mangeurs de semences d'arbres verts , Pépinivoi-es , Cannabicores, et le reste. Il y a même ici une charmante gradation à suivre en étageant ces familles d'après la hauteur des tiges qui supportent leurs fruits de prédilection. Viennent d'abord les espèces qui vivent des fruits du chêne , du hêtre , du sapin , du bouleau , de l'aulne , du charme et des ar- bres de haute-futaie ; puis les espèces amies des arbres fruitiers , des arbustes , des haies et des buissons ; puis celles qui dépouil- lent de leurs semences les tiges herbacées , et enfin celles qui se contentent de ramasser le grain dans le creux des sillons. Je me suis amusé plus d'une fois avoir faire cette procession des tribus granivores qui déMlent de /laut en bas , pendant que les tribus de la série voisine défilent de bas en haut... le premier rang occupé à recueillir l'insecte qui sort de terre , le second l'insecte des herbes , puis celui des feuilles , puis celui des fleurs et ainsi de suite, et la chasse allant toujours et montant jusqu'à la plus haute cime des grands arbres , jusqu'au plus haut des nues. Contraste symétrique assurément plein de charmes, spectacle attrayant au possible dans une classitication universelle où toutes ces files de processions se trouvent au complet ; mais spectacle hors de nos moyens, utopie irréaHsable avec la classification restreinte des 84 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. ' zones tempérées où la majeure partie des familles se compose d'une espèce unique. C'est ce qui fait que j'ai dû supprimer en- core ce travail de la subdivision tertiaire de la Granivorie et que j'ai remis à parler des familles de la Série quand le hasard m'en ferait rencontrer sur ma route, ne jugeant pas nécessaire de me charger jusque-là d'un bagage de noms inutiles. Le lecteur me saura d'autant meilleur gré de cette attention délicate , qu'il ne tardera pas à reconnaître que les noms populaires auxquels je m'en tiens , faute de mieux , sont plus savants que les noms scientifiques , dix-neuf fois sur vingt, pour le moins. A preuve : Le Jaselr de Bohême. Voici un de ces noms charmants de la fabrique de tout le monde, un nom ramassé dans la rue. Ja- seur, habilleur, gazouilleur, apprenti virtuose , qui fredonne des ariettes , qui s'essaie à chanter depuis le matin jusqu'au soir pour le plus grand tourment de ceux du voisinage. Le vocable est si heureux et si savant à la fois , et il convient si admirablement à l'espèce qui engrène dans la série des Chanteurs , qu'il ne se- rait pas possible même à l'analogie de trouver mieux. Regardez maintenant ce que les savants en ont fait. Ils l'ont appelé Bombycivore , mot à mot : qui mange des Bom- byx. Bombycivore... comme ce nom qui sent la poudre ressem- ble bien à un joli petit oiseau dont les plumes sont de soie, qui babille sans fin et qui vient de Bohème! Or, j'ouvre le dictionnaire de Boiste à l'article Bombyx et j'y trouve pour toute définition : « Long chalumeau de roseau. » Cela voudrait-il dire que le Jaseur de Bohème mange des chalu- meaux? Cette définition m'irait assez à moi qui ai rangé d'au- torité l'espèce dans les Végétivores ; mais je doute qu'elle entre aussi bien dans les vues de Temmynck, le parrain du Bomby- civore , qui classe le Jaseur parmi les Corbeaux et les Geais , races omnivores, mais surtout ovivores, et qui préfèrent infini- ment la chair à la moelle de roseau. Peut-être alors que j'ai eu tort de chercher au mot Bombyx , dans Boiste , et que j'aurais mieux fait de prendre le Dombice du même auteur (|ui s'applique à une famille de Lépidoptères nocturnes, dont le papillon du SEDIPEDES. 83 ver 4 soie lait partie. Mettons donc le lépidoptère à la place du chalumeau et lisons la notice de l'illustre ornithologiste hollan- dais, pour vérifier si le nouveau nom de l'oiseau dérive vérita- blement de ses habitudes diététiques. Je lis : « Nourriture du Jaseur : insectes, mais particulière- ment toutes sortes de baies. « Cette explication ne m'avance guère. M. de Talleyrand était curieux de savoir quel inté- rêt pouvait avoir M. de Sémonville, son ami, à être alité par la fièvre. Je ne suis pas moins intrigué de deviner quel intérêt a pu avoir ce savant de Hollande à faire manger des Bombyx au Jaseur malgré lui. Il est vrai que l'auteur du Momœl onv't/iolor/if/ue a grand soin de nous prévenir quelques lignes plus loin ([u'il « ne sait presque rien des mœurs ni des habitudes du Jaseur qui niche dans le Nord, et que ses collègues de cette région n'en savent guère à ce sujet plus que lui. » J'admire comme il convient cette modestie tou- chante, mais n'en trouve pas moins bien étrange qu'après avoir confessé qu'on ne sait rien d'une bête, on protite de la circons- tance pour la nommer Bombycivore. Si jamais occasion fut belle de garder le silence, c'était pourtant celle-là. Le Bombyx n'est pas ce que le Jaseur aime, mais c'est la pomme de reinette, à telles enseignes qu'il en mange à en deve- nir gras et qu'il s'étrangle quelquefois , en avalant trop goulû- ment un quartier de ce fruit. Cette passion du Jaseur pour les pommes est si violente que le Jaseur, blessé d'un coup de feu, oublie sa blessure à la vue d'une calville et se jette dessus. Une autre preuve de son peu de penchant pour le Bombyx, c'est qu'il niche très tard , vers la mi-juin au plus tôt, ayant besoin d'attendre que les baies soient venues pour nourrir sa famille. Il mange bien, si vous voulez, des mouches et en grande quantité même, mais seulement en guise de dessert et après sou dîner. Cette manie désolante de distribuer les noms à tort et à tra- vers m'afflige d'autant plus que l'illustre nomenclateur étranger est aujourd'hui ce que nous avons de mieux en Europe en histo- rien d'oiseaux , et que non-seulement l'opinion de M. Temmynck 8(5 OHMTHOLOGIE PASSIONNELLE. fait loi en matière d'Ornithologie non passionnelle, mais que de son vivant même dix oiseaux qu'il n'a pas cependant découverts ont été baptisés de son nom peu harmonieux. Honneur (pii jusqu'à ce jouf n'avait encore été décerné à personne , pas même à Christophe Colomb , le découvreur d'un monde. Or, jugez d'a- près ce seul exemple de l'étourdorie ot de la légèreté d'un savant de Hollande, à quels écarts eiïrayants de classification et de no- menclature ont pu se laisser emporter les savants d'une contrée moins rassise. Le Jaseur qui niche dans le Nord , en Pologne , en Russie, en Styrie, et qui ne fait d'apparition en France que tous les cinq à six an? , est donc un oiseau peu connu et dont les modes de ni- dification et d'éducation sont tout à fait ignorés. L'analogie pas- sionnelle afhrme bien avec sa hardiesse habituelle et à l'aide de la notice d'Audubon sur le Cedar-Bird que le Jaseur fait son nid à plat sur les larges et basses branches des pommiers et des arbres verts ; que ce nid est un progrès sur celui du pigeon , mais seulement un progrès, pas encore un chef-d'œuvre; qu'il est composé d'un matelas de fines radicules reposant sur une paillasse d'herbes sèches, sans plume, ni crin, ni mousse; et que le Jaseur nourrit ses petits à la façon de nos Gros-becs et de nos Bouvreuils. Mais comme elle n'a pas de procès-verbaux à fournir à l'appui de son afiirmation, l'analogie ne demande pas à être crue sur parole. Cependant nous ne sommes pas réduits à nous en tenir aux simples conjectures, quant à ce qui est des habitudes et des goûts de l'espèce. Je me suis fait renseigner à cet égard par M. Florent Prévost du Jardin des Plantes, le compagnon assidu des grands travaux des (ieof- froy Saint-Hilaire père et fils, des Cuvier, des Blainville, un de ces chercheurs infatigables qui joiguent à la passion de la zoologie la passion de la chasse. M. Florent Prévost, qui m'a ap- pris une foule de détails inédits sur les espèces les mieux con- nues de nos climats , est l'homme de ce temps qui po.ssède le mieux son Jaseur , ayant eu l'incroyable chance de tuer en une seule chasse quatorze individus de l'espèce dans les jardins de Versailles. M. Florent Prévost qui sait la nourriture du Jaseur SÉDIPÉDES. S? mois par mois, jour par jour, ne m'a pas allirmé que l'estomac du Jaseur fût muni de la double poche, ce qui m'a vivement contrarié ; mais en me communiquant le procès-verhal des subs- tances trouvées dans cet alambic à diverses époques, il m'a con- firmé dans mon opinion que l'oiseau était plus granivore que gobe-mouche. D'où j'ai conclu, peut-être à tort, (pie l'oiseau était dégorgeur, et que sa place était bien où je l'avais niis et non à côté du Hollier et du Coracias. Ce qui a motivé l'erreur déplorable de Temmynck et des autres qui ont colloque le Jaseur dans ce voisinage illogique , est la circonstance de la dent qui arme la mandibule supérieure du bec de cet oiseau , et qui , rapprochée de la couleur géné- rale du manteau ainsi que du volume, lui donne un faux air de parenté avec la Pie-grièche. Les savants qui ont commis cette confusion semblent avoir oublié que les oiseaux qui vivent de semences coriaces et de noyaux de fruits sont pourvus d'instru- ments triturateurs et sécateurs aussi solidement conditionnés que ceux qui font leur ordinaire de chair vive ou morte et de gros scarabées; témoin le bec des Gros-becs, des Durs-becs, des Becs-croisés et des Perruches qui sont des granivores de pre- mier ordre et dont les mandibules ne le cèdent ni en dureté ni en puissance à celles des carnivores. La similitude des becs n'est qu'apparente et cesse d'être un signe de contiguïté des espèces quand la forme de l'appareil digestif diffère , et j'ai précédem- ment débattu cette thèse au chapitre des Considérations géné- rales du premier volume ou j'ai fait voir que l'aigle , le goéland et le coq domestique avaient tous trois le bec crochu , sans être pour cela plus cousins. La véritable parenté du Jaseur n'est pas avec la Pie-grièche qui a la tète large, plate et unie, mais bien avec le Cardinal qui porte la huppe comme le Jaseur et chez le- quel le gris fait comme chez ce dernier opposition au rouge. Dieu a dessiné les coiffures ou parures du chef pour être les signes visibles de l'esprit qui est dessous. Mais résumons enfin ce chapitre en peu de lignes. Le Jaseur est un élégant oiseau de la taille du Gros-bec, au bec court et robuste, légèrement arqué. Il nous vient de temps 88 OHNITHOLOGIE PASSIONNELLE. en temps de l'autre côté du Rhin, pondant les grands hivers , et se rencontre alors fréquemment en Alsace. Le ton général de son plumage soyeux, plus foncé dessus que dessous, est analogue à celui du manteau du Gros-bec. Les plumes du vertex se relèvent à l'arrière pour lui faire une huppe semblable à celle du Cardinal. Il porte une plaque noire sous la gorge et deux lirides de même nuance sur les yeux. Une charmante série de taches jaunes contiguës et légèrement ourlées de blanc borde l'extrémité des rémiges et des rectrices qui sont d'un beau noir mat; mais l'ac- cident le plus singulier de cette parure déjà si remarquable est un tout petit appendice cartilagineux de l'écarlate le plus vif qui termine quelques-unes des pennes secondaires et simule à s'y méprendre des filaments de cire à cacheter. Le Jaseur est doué comme la plupart des granivores d'une voracité insatiable , mais qui s'exerce malheureusement l'hiver aux dépens des arbres fruitiers dont il mange les bourgeons. Cette circonstance, rap- prochée de sa passion funeste pour les pommes , le classe à côté des Bouvreuils et des Becs-croisés dans le groupe des Gemmi- vores. Remarquons avant d'en finir que beaucoup de Colombiens d'Asie portent la huppe et que cette tendance qui persiste opi- niâtrement à travers la tribu des Coqs de roche et celle des Manakins qui donnent la main aux Jaseurs est pleine de révéla- tions de parenté mystérieuse. Je n'ai jamais entendu babiller de jaseurs , et personne n'a jamais écrit que dans cette espèce la femelle jasât comme le mâle, et pourtant j'ai besoin d'allirmer ce fait-là. Le Bec croisé. Oiseau de la taille du Gros-bec , à physiono- mie de Perroquet , corps trapu , queue fourchue, ailes médiocres, manteau gris, rouge ou vert, suivant l'âge, la saison , le sexe. Moule étrange et paradoxal , marqué au coin de l'anomalie et de la caricature. Son bec est une des plaisanteries les plus ha- sardées de la nature , mais des mieux réussies. Ce bec ne consiste plus, comme tous les autres becs, en une paire de compartiments réguliers et commodes qui se superposent et se ferment exactement l'un l'autre. C'est, au contraire, un SÉUll'KDES. 89 jeu de mandibules biscornues , dépareillées, féroces, qui, au lieu de s'emboîter pacifiquement , se repoussent , se cbevauchcnt , se manquent, bref se disjoignent violemment dans le sens de la verticale, de manière que l'une tire à gauche, pendant que l'au- tre oblique à droite , et que celle-ci remonte pendant que celle-là descend. Représentons cette image en moins de mots encore : Taudis que chez tous les autres becs, sans exception aucune, les mandibules tendent au rapprochement, chez celui-ci elles visent à l'écart absolu , et comme la mandibule qui se redresse contre le ciel est tout aussi crochue que celle qui aspire vers le sol et simule un tantinet la corne ou la défense , cet accident de physionomie insolite donne à l'ensemble de la portraiture un effet renversant. La figure du Bec croise est de celles qui vous font dire involontairement et sans malice quand vous les regar- dez pour la première fois : Voilà de pauvres bètes qui sont arri- vées un peu tard à la distribution des masques. Ce qui n'empêche pas le Bec-croisé , du reste, de tirer un parti merveilleux de son instrument ridicule pour l'exploitation des cônes des arbres verts qu'il vide de leurs semences avec une dextérité sans égale, et malheureusement aussi pour l'épepine- ment des pommes et des poires , au sein desquelles il ouvre des tranchées formidables pour pénétrer jusqu'au cœur de la place et s'emparer des trésors qu'il convoite. La passion du Bec-croisé pour les pépins de pommes, passion qui lui est commune avec le Perroquet et le Jaseur, annonce des goûts essentiellement frugivores. Le Bec-croisé est, en effet, après le Pigeon et le Bouvreuil, l'oiseau d'Europe qui mérite le plus d'être classé parmi les Frugivores purs. Un ornithologiste fort savant de Saône-et-Loire , et non moins obligeant qu'éclairé, M. Rossignol de Pierre, me répondait récemment : « J'ai tué beaucoup de Becs- croisés dans leurs passages irréguliers au printemps , sur les pins , sur les or- mes, et principalement sur les peupliers dont ils mangent les bourgeons résineux. Jtfmais je ne leur ai trouve d'insectes dans l'estomac , mais cela tient peut-être à l'époque de leur passage chez nous. » On sait les scrupules honorables qui m'ont retenu de 90 OHNITHOLOGIE PASSIOxNNIil.LK. reconnaître l'existence des Frugivores de France. J'aime à sup- poser avec mon judicieux correspondant de Pierre que l'absence totale de l'insecte constatée à diverses reprises dans l'estomac du Bec-croisé doit être attribuée à l'époque où a été dressé le procès-verbal de carence. Le Bec-croisé ne niche pas encore à l'heure qu'il est en France , mais il y nichera prochainement; son premier établissement chez nous se fera probablement dans la forêt des Ardennes , voi- sine des forêts belges , où il habite depuis des siècles. Cette ten- dance de l'espèce à se rapprocher du territoire français devient de jour en jour plus manifeste; elle a été signalée par une foule d'observateurs , oiseleurs ou naturalistes , en ces dernières an- nées. Jusqu'à nouvel ordre, néanmoins, nous considérerons le Bec-croisé comme indigène du Nord , ainsi que le Jaseur, et vi- vant des mêmes semences, des mêmes bourgeons et des mêmes insectes. Le Bec-croisé émigré plus fréquemment chez nous que son compatriote et il descend volontiers jusque dans nos vallées mé- ridionales du Rhône et de l'Isère. Ses heures de voyages diffè- rent légèrement aussi de celles du Jaseur qui ne se déplace sé- rieusement que par les grands hivers et ne traverse le Rhin que lorsque ce fleuve est gelé. Le Bec-croisé se met plus volontiers en route au milieu des beaux jours; il reste dehors toute la sai- son d'automne , plus une grande partie de l'hiver , et n'est guère de retour dans ses forêts natales avant la mi-janvier , époque vers laquelle il commence à aimer. Cette précocité d'ardeur amoureuse bien faite pour diM-outer les ornithologistes vulgaires, qui ont longtemps révoqué le fait en doute, ne surprend aucu- nement l'analogiste , qui sait à (juoi s'en tenir sur les bizarre- ries des moules exceptionnels et que rien n'étonne de la part d'une espèce munie du bec paradoxal que nous venons de voir. D'autant que le Bec-croisé avait deux excellentes raisons pour faire comme il a fait, indépendamment de la nécessité de con- former SCS actes à ses principes, (pii sont*d'opérer au rebours de toutes les habitudes d'autriii. D'abord c'était choisir sagement pour travailler la saison que les loirs , les écureuils, grands en- SÉDIPKDES. ni nemis des couvées , ont choisie pour dormir ; ensuite la lin de janvier estl'épocjue de l'an où les semences de pins confites par les gelées ont acquis leur maximum de tendreté et de délicatesse et présentent aux parents le plus de facilité pour l'entretien de leur famille. D'ailleurs, le Bec-croisé, qui n'est pas aussi maladroit qu'il en a l'air , a dos procédés de bâtisse analogues à la circonstance et qui lui permettent de braver l'inclémence des frimats. Il place son nid qu'il compose des mômes éléments et qu'il dispose dans le môme ordre que le Jaseur, sous l'auvent d'une grosse branche ; il en enduit les deux faces latérales d'une couche de résine qui garantit la muraille de l'édifice contre l'in- filtration des eaux; et il réussit à force d'industrie à se créer un domicile parfaitement confortable sous la menace des éléments conjurés. Ainsi la nature proclame par la voix des plus hum- bles et des plus disgraciés la féconde énergie du mobile tout puissant d'amour ! La ponte du Bec-croisé est de quatre à cinq œufs d'un gris verdâtre, nuancés de rouge au gros bout. Il fait deux pontes par an. Le Bec croisé ne chante pas encore; il appartient comme ses plus proches voisins au groupe des débutants ou des jaseurs, et tout porte à croire que dans cette espèce la femelle possède comme le mâle le droit de jaboter. Il apprend à parler en cage et retient facilement les airs de serinette., Il dégorge puisqu'il est essentiellement séminivore et gemmivore. C'est un oiseau de mœurs innocentes et qui ne se défie pas assez de la malice de l'homme; il fréquente volontiers sa demeure, pénètre dans ses cités et se fait tuer jusque sur les arbres du Jardin des plantes de Paris. De mauvaises langues ont accusé le mâle d'ôtre brutal en- vers sa femelle , mais j'attends d'avoir reçu des preuves authen- tiques du crime avant de vouloir me faire l'écho de ces vilains bruiis. Je pourrais y ajouter quelque foi sans doute, s'il existait une espèce de Bec-croisé tridacty le, comme certains l'affirment, attendu que la galanterie n'est pas dans les dons de la tridac- tylie. Heureusement que je ne crois pas plus à l'existence d'un percheur à trois doigts qu'à celle du deuxième Bec-croisé de Temmynck, à quatre doigts. 92 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Le Bec-croisé se suspend ([uelquefois par les pieds aux grappes des bourgeons qu'il attaque, à la façon des Tarins et des Mésanges et il transporte cette habitude dans la captivité. Malgré les prodiges d'industrie qu'il accomplit sans cesse, le Bec-croisé n'arrive pas à l'aire une bonne maison; je veux dire n'arrive pas à acquérir cet état d'embonpoint et de délicatesse de chair qui atteste que la nourriture que vous prenez vous pro- fite. Il y en a qui travaillent moins et qui engraissent plus. Le Bec croisé ne doit muer qu'une seule fois par an , malgré les apparences contraires. La femelle est vêtue d'une robe mo- deste, d'une nuance cendré-verdàtre uniforme qui ne varie jamais. Le mâle, après avoir adopté cette couleur pour les six premiers mois de son existence, change subitement de costume à sa première mue. 11 endosse alors un splendide manteau d'étoffe cramoisie tendre, livrée de l'ambition artistique, qu'il ne garde pas plus longtemps que l'autre et qui se laisse remplacer définitivement dès la seconde mue par une humble livrée grise nuancée de vert et de brun sombre , livrée du travail mal payé. Emblème trop parlant de ces déshérités du sort dont la triste car- rière n'est qu'une longue série de disgrâces et d'épreuves dou- loureuses, qui aiment par le froid, par la faim , par le manque de tout, et pour qui l'horizon de l'avenir ne se colore en rose qu'une fois dans la vie, aux beaux jours du premier prin- temps ! Un mot sur le nom de l'Oiseau avant de passer outre. La voix publique l'avait nommé le Bec-croisé, peut-être parce qu'il avait le bec en croix... Mais apparemment que les savants n'ont pas trouvé la raison suffisante, puisqu'ils se sont empressés de le débaptiser pour l'appeler /oa;/fl... Loxia, du mot grec loxos, louche, oblique, de travers. .Te ne blâme pas les savants d'avoir use ici du droit qu'ils ont toujours de forger un terme nouveau quand les besoins du ser- vice le réclament, et je les en blâme d'autant moins que le voca- ble créé n'a rien en soi de dissonnant ni d'illégitime. Mais si j'admets qu'il soit permis jusqu'à un certain point d'infliger le SKDIPKUES. 93 sobriquet malveillant de loxienne à une pauvre espèce qui a le bec de travers de naissance, je nie énergiquement (lu'oii ait le droit de falsifier une etymologie étrangère pour transporter l'épithète injurieuse qu'elle récèle aux espèces qui ne la méri- tent pas. Or, tel est précisément le crime que les savants ont commis en faisant de leur loxia, nom d'espèce, un nom de tribu ou de famille. Tel est l'abus scandaleux d'autorité que je dénonce à la vindicte publique. Linna}us, Brisson, Gnielin, une foule d'autres sont parmi les coupables, mais le plus criminel de tous à cent coudées près est Latham, Latham, ce même Anglais qui pour m'aigrir et me pous- ser à bout avait déjà créé dans le temps son affreux Ordre des Pies, dont le besoin ne se faisait nullement sentir et dans lequel il a entassé pèle-mèle Pivert, Oiseau-mouche et Corbeau... En- rôler l'Oiseau-mouche , emblème de la jeunesse dorée, et le Pivert, emblème du compagnon charpentier, sous l'ignoble bannière du mouchard ! En vérité , on ne sait plus qui l'emporte de l'odieux ou de l'innocent dans ces combinaisons étranges, ni si l'on doit pleurer ou rire de tels égarements ! Oui je connais une tribu de loxias de Latham, riche de cent deux membres, sur lequel nombre, entendez-bien, cent un ont le bec planté droit.... c'est-à-dire que tous les becs de travers de Latham sont des becs droits, hors un! liisum teneatis . . . Et cette puissante tribu si indignement défigurée par le bon plaisir d'un Anglais qui cherchait à se distraire, veut-on que je la nomme ? c'est la propre tribu des granivores chanteurs que nous étudions à cette heure , la tribu qui renferme les espèces les plus gaies, les plus vives, les plus jolies, les plus amies de l'homme, celles qui font le plus de frais pour charmer son séjour, la tribu des Chardonnerets et des Bouvreuils , des Serins , des Bengalis et des Sénégalis. Comme ce doit être agréable pour un de ces moules pétris de gentillesse et de grâce de s'entendre ap- peler Loxieu ! Il fallait pour cette place d'honneur de porte-drapeau et de 94 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. parrain de la tribu modèle un type exceptionnel de grâce , de talent, de beauté; ce fut un Loxien qui l'obtint... le Loxien que vous savez, aux mandibules extravagantes, le Loxien en lutte ouverte contre toutes les habitudes reçues , le Loxien qui pond l'hiver et ne peut pas porter le même habit six mois de suite. Et la Science officielle ! Que dire dé la Science officielle, qui , au lieu de traduire l'Anglais délinquant à sa barre pour viola- tion flagrante delà loi naturelle de la classiticatiou, a lâchement adopté sa tribu de contrebande et partagé le prix d'honneur de la nomenclature entre l'inventeur du Loxien et celui du Bom- bycivore, ex œquo ! Mais moi , (jui ne suis pas de la science , je protesterai au nom de la raison , du bon sens et du droit contre l'usurpation de l'ex- ception minuscule, et le bec de travers à bec droit ne me verra pas plus faiblir que le Pied rouge aux pieds noirs, le Quadru- pède solipède , la Poule d'eau de genêts ! Il est dans le nord de l'Europe une espèce voisine de celle-ci qu'on nomme le Dur-bec. Cette espèce , qui ne descend jamais en France, forme la transition naturelle entre le Bec-croisé et le Bouvreuil. Le Dur-bec est de la même grosseur que le Bec-croisé ; il porte ses couleurs, habite de préférence les mêmes régions que lui et y vit de la même nourriture ; il a comme lui aussi le corps trapu , le bec crochu , l'air lourd du Perroquet. C'est sa doublure pour tout dire , à part les mandibules qui n'ont rien d'excentrique chez l'oiseau de Russie. Le Bouvreuil. Ebourgeonneux de l'ouest et du Midi , Pionne (Pivoine) de Lorraine. Un des plus jolis oiseaux de France , trop connu pour que je le décrive en détail : manteau cendré , calotte noire , toute la par- tie inférieure du corps depuis la gorge et les joues jusqu'à l'abdo- men , rouge ponceau éclatant , abdomen et croupion blanc pur , les ailes et la queue noires , le rouge remplacé chez la femelle par une teinte gris sombre, queue fourchue, bec bombé, court et SEDll'ÈDES. 95 conique, la mandibule supérieure légÎM-ement incurvée. Le Bou- vreuil ne mue (|u'une seule fois par an, à l'automne; le lustre éclatant de ses couleurs se perd ilans la captivité. Le Bouvreuil niche de très-bonne heure , au printemps ; j'en ai vu des nids au mois de mars. Ce nid est composé d'un tissu de petites racines reposant sur un lit d'herbe lanée ; il est absolu- ment semblable à celui du Jaseur, du Bec-croisé et du Gros-bec et n'admet aucunement le concours des plumes, du crin, ni de la mousse , ainsi tjue lajjlupart des ornithologistes 1 écrivent. Ce nid est ordinairement posé à plat sur une branche horizontale de chêne ou d'arbre vert. On le trouve entore dans l'enlourchure des grosses branches , dans les mêmes conditions que celui du Uaniier. Le nombre des œufs est de cinq à si\ pour la première ponte ; il descend jusqu'à trois à la troisième couvée. Ces œufs d'une couleur blanc-bleuàtre sont marcjues de taches brunes au gros bout. Le Bouvreuil arme d'un bec trapu et fort, presque aussi vigou- reux que celui du Perrocjuet , s'en sert habilement pour décorti- quer et briser toutes sortes de graines; il est friand des bourgeons des arbres fruitiers auxquels il porte de graves préjudices dans la saison d'hiver ; il s'accommode des baies du sorbier et de l'é- pine blanche, comme des graines des plantes oléagineuses et de celles de l'armoise. C'est un des oiseaux les plus essentielle- ment frugivores que je connaisse, M. Bossignol de Pierre m'é- crit n'avoir jamais trouvé d'insecte dans l'estomac du Bouvreuil; ce qui ne m'empêche pas cependant de croire que cet oiseau en mange quelquefois. Le Bouvreuil dégorge la becquée dans le bec de ses petits , et le mâle par conséquent dans le bec de la femelle ; c'est la raison surtout qui rend facile l'accouplement du Bouvreuil avec la serine domestique. Le Bouvreuil fait encore partie du groupe des Jaseurs ou des apprentis virtuoses ; car son ramage agréable ne saurait passer pour un chant. Mais à défaut d'héritage de talent paternel , il possède d'heureuses dispositions pour l'étude avec beaucoup de mémoire , et il prolite de ces dons pour apprendre les airs des 06 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. autres oiseaux. On l'a même instruit à répéter des phrases du langage humain. Ceci est un rapport de plus qu'il a avec le Per- roquet auquel il ressemble quekjue peu de carrure et de physio- nomie, mais en beau. La femelle dans cette espèce charmante est aussi bonne musicienne que le mâle. Avez-vous quelquefois entendu dans les bois l'hiver cette note silïlée, tendre et mélancolique, qui réveille seule par intervalles les échos de la solitude assourdie par les neiges et qui se marie si bien au deuil de la nature? C'est la voix plaintive du Bou- vreuil qui semble invoquer l'appui de l'homme contre la cruauté du ciel. Je sais une maison du bon Dieu, sur les bords fortunés de l'Indre, où tous les petits oiseaux hivernants, bouvreuils, pinsons , chardonnerets , rouges-gorges , sont habitués de père en fils et de temps immémorial à trouver chaque soir un asile dans une orangerie immense qu'on leur ouvre à heure fixe. 11 faut entendre la bande mutine murmurer d'impatience et cogner aux vitres avec rage pour peu que l'ouvreur soit en retard de quelques minutes seulement. Chaque commune d'Harmonie a aussi son kiosque d'asile pour les petits oiseaux durant la froide saison. C'est une annexe de la volière, le bonheur et l'orgueil du séristère d'Enfance. Nature essentiellement nerveuse, délicate et sensible, amie des belles manières et des douces senteurs , répulsive aux bu- tors et aux gens mal vêtus , susceptible d'attachement et de re- connaissance, le Bouvreuil est en sympathie native avec la femme. C'est un des hôtes les plus charmants de nos demeures, et c'est peut-être après le Chardonneret le captif qui supporte avec le plus de philosophie la perte de sa liberté. Il semble comprendre les paroles caressantes qu'on lui adresse et y ré- poudre en même style par son zézaiement enfantin. Il a pour sa compagne en cage des attentions de tous les instants, des pré- venances infinies; et j'en ai vu, qui après avoir perdu l'objet de leur tendresse, avaient toutes les peines du monde à se remettre (lu coup affreux qui leur avait été porté par cette séparation cruelle. L'n noble ami m'écrivait il y a quelque temps de Belle-Ile : SliUIFDDES. 97 « Voici ce qui vient de m'arriver avec mes bouvreuils. La fe- melle ayant éprouvé une ophthalmic à la suite de sa mue , j'ai voulu lui donner la clé des champs; mais elle a rel'usé de |)ro- litcr de sa liberté toute seule , et à peine a-t-elle été délivrée qu'elle est revenue assiéger ma cellule ; si bien que , pour ne pas prolonger son supplice, j'ai été obligé de la réintégrer dans sa cage à côté de son époux. Que de tristes rapprochements à tirer de ce trait de lidelité conjugale pour notre pauvre espèce! » Il est certain que l'Art, la Poésie et l'Histoire ont canonisé Ar- témise pour moins que ce qu^'on vient d'ouïr. Le Bouvreuil , ainsi qu'il est facile de le voir à l'huiidjle cou- leur de son manteau et à la pourpre éclatante qui couvre sa poi- trine, symbolise le travailleur honnête, animé de la pure ambi- tion du bien et incapable de marcher à la fortune par les voies de traverse, les seules qui y conduisent. Il y parait bien à sa maigreur qui semble être son lot éternel , en dépit des peines qu'il se donne et de l'industrie qu'il dépense. Aussi malgré son grand courage ne peut-il bien souvent retenir une plainte contre l'injustice du sort , et même quelquefois le voit-on , à la suite de trop longs chômages, aigri, désespéré, furieux, n'écouter plus que les conseils de son estomac vide et se ruer avec rage à la démolition des bourgeons du pommier, espoir du laboureur C'est que les oiseaux les plus méritants sont faits de chair , comme nous autres hommes, et que la patience échappe au plus saint, à la longue. Voilà plusieurs années que je me promets chaque printemps de me tuer des bouvreuils pour vérilier par l'inspection de leur estomac si ce que j'ai écrit d'eux est vrai , s'ils mangent parfois des insectes. Mais c'est chose si odieuse que de donner la mort à un pauvre petit oiseau qui ne vous a rien fait et qui aime, à seule tin de savoir ce qu'il a dans le ventre , que je n'ai pas encore eu le cœur de me tenir ma promesse. Le Gros-bec. Gros-bec commun .Pinson royal de l'Ouest, a reçu des savants le doux nom de Coccotbraustes, J'aime mieux celui du peuple. 9,S ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Encore un moule du p;roiipe des Jascnrs et des (Jeminivores (éboiirgconnciirs), mais un moule inférieur, un rustre, un lour- daud , un butor ; face de perroquet , mais de perroquet très- laid; bec singeant le faux nez, cou engoncé, corps mal bâti, •ailes tj-op rondes , queue trop courte ; mauvais œil , mauvaise bète. J'apprendrais ce matin par les papiers publics que toute l'engeance des Coccothraustcs a été emportée par une épidémie, que mon pouls n'en battrait ni une puisaiion de plus, ni une pulsation do moins. Le malbeur du Gros-bec est de symboliser l'homme trop fort pour sa taille ou trop petit pour sa force. On sait les ridicules et les disgrâces sans nombre (|ui pleuvent de cette fausse position renouvelée du supplice de Sisyphe, où l'on voit un pauvre dial)le condamné à lever sans relâche et à bras tendu des tas de chaises ou de queues de billard ou des poids de cent livres sans cesse retombants. Celui qui se livre à ces exercices n'avait d'autre but, dans le commencement, que de vaincre l'incn'dulité du public qui ne l'aurait pas jugé capable de tels exploits sur sa mine. Plus tard , il a été forcé de travailler pour nourrir l'admiration ac- (|uise; enfin il en est arrivé à casser des cailloux et des noyaux (le pèche d'un coup de poing. C'est le genre de succès et d'ama- bilité qu'ambitionne le Coccothraustcs des savants qui aime aussi à ca?scr des noix ou des noisettes d'un coup de sa mailloche pour divertir la société. L'homme qui désire prouver sa force manque rarement d'en- foncer une côte ou deux à un ami en jouant ou de lui casser un liras ou de lui crever un œil. Mais sortez-le de cette spécialité , il est nul. Ainsi fait le Gros-bec qui éborgne, estropie, as- somme tout ce qui l'entoure, sous prétexte d'essayer à qui sera le plus fort. Hors de là triste compagnon. Le Gros-bec est commun dans toutes les contrées de la France, mais plus répandu dans le nord et dans l'est (jue dans la région du midi où il n'apparaît qu'en hiver. 11 n'y a pas d'année que je ne le rencontre aux Tuileries ou au Jardin des Plantes à son double passage de printemps et d'automne. Il niche dans les fo- rêts, presque toujours sur les arbres conservés dans les coupes. SÉDIPÉIiES. 09 Son nid qui n'est pas artistemcnt construit , comme l'anirmc Tcm- niynck, mais, au contraire, assez grossièrement façonné , est posé à plat sur unecnfourcliurc de grosse branche, à une ving- taine de pieds du sol; il ressemble à celui du Bouvreuil, étant formé d'hetbes sèches et de petites racines, et renferme quatre à cinq œufs d'un gris sale, marqués de taches de rousseur. J'ai suivi attentivement des éducations de jeunes Gros-becs sur place, et j'ai pu me convaincre que si les pères et mères nourrissaient leurs petits à la J)ouillie, ils avaient grand soin aussi de leur ap- porter de temps en temps des insectes au bout du bec , des in- sectes ailés notamment. Le Gros-bec est un goinfre à qui tous les morceaux convien- nent, mais à qui la nourriture ne profite guère plus qu'à la plu- part de ses congénères. Il atlatjue les bourgeons des arbres, les graines, les noi\ , les noisettes, les fraises; il adore le marc de raisin, mais son mets de prédilection est le noyau de cerise. C'est grand dommage qu'il ne rachète pas les défauts de son ca- ractère par les qualités de sa chair ; car c'est un des oiseaux les plus niais et les plus faciles à prendre; il n'a pas même l'esprit de se débarrasser d'un gluau. Sa tacti(jue de défense est de se renverser sur le dos pour faire le moulinet à quatre faces et as- séner un vigoureux coup de bec à la main qui va le saisir , et malheur au novice trop lent à la parade. Je sais des personnes qui ont du plaisir à garder de ces oi- seaux en cage où ils ne disent pas grand'chose, mais j'en connais aussi qui se plaisent dans la société 4es hommes forts. Ici se termine le groupe des Jaseurs et des Ébourgeonneurs , espèces éminemment végétivores et frugivores , munies de becs d'acier, capables d'avoir raison des enveloppes de fruit les plus dures , mais généralement peu habiles à bâtir et n'employant que l'herbe et les racines dans la construction de leurs nids. C'est à la suite des Gros-becs qu'il convient de faire figurer le groupe des Cardinaux , des Paroares et des Commandeurs , qui sont de charmants oiseaux de volières, remarquables par l'éclat de leur plumage , la vivacité de leurs allures et la gaieté 100 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. de leurs chansonnettes. Presque toutes les espèces portent la huppe , ce qui les rapproche du Jaseur. Toutes ne dégorgent pas , mais celles qui sous ce rapport l'ont exception à la règle générale remplacent ce procédé par un autre qui s'en rapproche beaucoup; elles épluchent et concassent les graints pour les servir à leurs petits. Le Commandeur qui est un oiseau jaune et vert, de la taille du Gros-bec, est tout proche parent du Yerdier. Le Yerdier. Verdon du Midi , Vert montant du Nord, Bruant, Tarin-Bruyant , Fringilla Chloris des savants. Il importe de ne pas confondre le Yerdier qui est un oiseau dégorgeur , qui fait son nid sur les arbres et qui produit en cap- tivité avec la Serine , avec la Yerdière qui fait son nid à terre et ne dégorge pas , et ne peut par conséquent se marier avec la Serine. L'oiseau connu à Paris et dans les trois quarts de la France sous le nom de Yerdière, est le Bruant de haies dont il sera question plus tard. Le Yerdier dont nous nous occupons pour le moment est un oiseau jaune et vert , un peu plus gros que le Pinson, qui vient immédiatement après le Gros-bec parmi les Granivores pour la puissance et la force de ses mandibules et qui ressemble assez pour le ton général du costume au Tarin. Les gamins de Lorraine qui sont de grands nomenclateurs l'ont appelé le Tarin bruyant, à raison de cette ressemblance compli- quée de tapage. Le Yerdier est un assez joli oiseau dont il y a beaucoup de bien à dire. C'est une espèce innocente et sans fard , et qui n'a d'au- tre défaut que d'être trop confiante dans la loyauté de l'homme et de donner dans tous les pièges avec une facilité extrême , ca- ractère commun à tous les êtres bons et naïfs , incapables de mentir et qui ont le cœur sur la main. Le Yerdier accepte la cap- tivité avec une philosophie admirable et il se prèle complaisam- ment en prison à toutes les expériences matrimoniales quon veut tenter sur lui. Il vit autour de nos jardins l'été, et l'hiver autour de nos fermes; il émigré à peine au Midi par les froids les plus rigoureux. Mais le Yerdier engrène sérieusement dans l'ordre des artistes SÉDIPKUES. loi supérieurs, virtuoses, architectes, tisseurs , vanniers , matelas- siers, etc. Sonchant, bien qu'un peu monotone, est un chant vé- ritable, retentissant et sonore qu'il fait entendre presque sans interruption du matin jusqu'au soir pendant la belle saison. Son nid est déjà une œuvre d'art et qu'il est licite d'admirer , même à côté des produits merveilleux de la fabrique du Pinson et de celle du Chardonneret. Ce nid, très-compliqué, se compose, à partir de l'extérieur , d'une première corbeille en menues racines d'herbcttes lâchement tissues et ornées d'une ruche de mousse destinée à marier la couleur de l'édifice avec celle du milieu ver- doyant où il est assis. Cette première corbeille ou paillasse en enveloppe une seconde d'un tissu de même étoffe, mais bien plus serre et plus fin , qui sert à son tour de support à un léger matelas de crin, admirablement ouvragé, feutré, enguirlandé, sur lequel reposent les œufs. Ces œufs sont au nombre de cinq, tiquetés de rouge sur fond gris bleuâtre. Le Yerdier, qui aime le monde, niche volontiers sur les tilleuls des promenades pu- bliques; et si je ne l'ai pas encore trouvé établi aux Tuileries ni au Luxembourg , j'en ai connu en revanche de nombreux mé- nages en province, à Versailles, par exemple, et bien plus fré- quemment encore dans les allées des esplanades de toutes nos grandes places fortes du Nord, Lille, Metz, Strasbourg. Ces nids sont presque toujours dissimulés habilement dans la sombre épaisseur de ces bouquets de feuilles qui font éruption après le tronc des tilleuls à la suite des élagages pratiqués par la serpe. Le mâle aide valeureusement la femelle dans la bâtisse de ce nid, œuvre capitale dont l'achèvement complet n'exige pas moins de trois jours d'un travail assidu. Il lui sert de manœuvre pendant toute la durée de la besogne, lui apportant avec un zèle et une intelligence dignes des plus grands éloges les divers matériaux qu'elle lui demande, et ne s'interrompant dans sa tâche que pour lui chanter des chansons où il met toute son âme. C'est lui aussi qui la nourrit dans l'incubation et qui prend sur sa peine la plus lourde part de l'éducation de la famille, se chargeant de distribuer aux nouveaux-nés la nourriture de l'esprit après celle du corps. Bon fils, bon époux et bon père, est un témoignage 102 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. qu'on peut porter o priori de tous les Yerdiers du monde et inscrire sur leur tombe. J'ignore à propos de quoi BuO'on s'est avisé d'attribuer au pauvre volatile, la triste habitude d'enfouir. Je dois faire ici, à proposde cette espèce jaune, une remanjue très-intéressaute et qui s'appliquera à toutes les espèces du groupe que nous venons d'aborder et qui est le groupe des illustres soprani, de ces grands artistes si habiles à façonner les étoffes précieuses en barcelonnettes miriliciues et à marier les sons en d'éloquents épithalames. On sait que le Serin jaune est un produit de l'art, c'est-à-dire un produit de l'industrie humaine, et que la couleur jaune jonquille est la note du fami- lisme pur. Il est donc visible (|ue le moule obtenu par l'homme est l'emblème le plus pur de l'amour maternel, ce qui se traduit en analogie passionnelle par cette j)hrase : « Le Serin est l'em- blème de l'enfant gâté, w La couronne de plume que portent les jeunes Canaris est, en effet, un signe de royauté qui ne permet pas qu'on se méprenne sur la dominante passionnelle de l'es- pèce ; c'est comme si la nature avait écrit sur le front du petit oiseau la formule du ton du mode hypomineur : le supérieur excuse aveuglément l'inférieur. Alors, il résulte de cette attri- bution du titre supérieur de paternisme au Serin de Canarie que toutes les espèces qui sont en allinité morale avec lui , c'est- à-dire que toutes les espèces qui se marient avec la Serine, sont titrées en même dominante. Et cette remarque ne s'applique pas seulement aux trois espèces indigènes auxquelles je faisais allu- sion au début de cet alinéa , Tarin , Chardonneret, Linot, mais encore à cette foule immense de petits Granivores des autres parties du monde (pii peuplent déjà les volières des riches ama- teurs, et grâce aux efforts de quehpies-uns d'entre eux ne tar-t deront pas à s'acclimater sous notre ciel. Ainsi voilà cette série innombrable des Gros-becs, des Loxias, des Fringilles, (jue la science empirique avait proclamée indisciplinable, parfaitement classée, ralliée et différenciée d'un seul trait! Li: Tarin. Charmant petit oiseau de volière, à manteau jaune, illustré de placjucs noires, compagnon de cage habituel du Serin SÉDIPÉUES. KM et du Chardonneret, espèces avec lesquelles on l'apparie avec une facilité extrême. Les métis qui naissent de la Serine et du Tarin sont féconds, vivent beaucoup plus longtemps que les autres et fournissent d'excellents musiciens. On en a vu qui fri-i saient le quart de siècle. Le Tarin qui niche communément dans certaines provinces du milieu de la France, et notamment dans^ les contrées riveraines de la Saône, ne se montre que fort rare-» ment ailleurs dans la belle saison. En revanche on le rencontre partout , à dater de la mi-octobre jusqu'au premier décembre. C'est l'époque où la venue du froid le chasse du Nord, sa patrie, et le force à prendre ses quartiers d'hiver dans les pays voisins de la Méditerranée, il repasse au printemps, mais ne suit pas la même route, car on n'en revoit pas au mois de mars la vinglièniQ partie du nombre qu'on avait compté en novembre. Ses perégri-r nations, du reste, embrassent une grande partie de l'hémisphère boréal de l'ancien continent, et même je suis très-porté à consi- dérer comme de véritables Tarins les petits oiseaux jaunes et noirs (]ui sont inscrits dans les vitrines du Muséum d'histoire naturelle de Paris sous le nom de Chardonnerets de l'Amérique du Nord. Les Tarins voyagent le matin par petites troupes de douze à quinze individus, qui s'annoncent de très-loin par leur silllet d'appel, note perçante quoique llùtée et douce et semblable à celle du Bouvreuil. Leur vol est rapide et incertain comme celui des Linots avec lesquels ils ont de grandes similitudes d'allures. 11 arrive très-souvent qu'en cette saison des brumes on les en- tend passer au-dessus de sa tète sans les apercevoir. Les Tarins s'abattent d'habitude sur la cime des aulnes où ils se tiennent tout le reste du jour. Les semences de l'aulne, renfermées entre des écailles comme celles des arbres verts , sont , en effet, la prin- cipale nourriture de ces petits oiseaux qui sont obligés de se pen- dre à l'extrémité des rameaux pour visiter les fruits sous toutes leurs faces. On les voit aussi , mais bien plus rarement, se jeter sur les massifs de chardons et de bardanes. Ils ne cessent de ca- queter et de voleter joyeusement d'une tige à l'autre pendant la durée du repas, puis à un coup de silllet donné par le chef dp la bande, tous prennent leur volée et font une pointe rapide dans 104 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. l'espace pour revenir la moitié du temps à leur point de départ. Si pendant qu'une compagnie est en train de déj)Ouiller un arbre, une autre se fait entendre dans l'air, elle est aussitôt conviée par une acclamation unanime et énergique à venir prendre sa part de la Iwnne aubaine oiïertc par le sort, et elle répond sans se l'aire prier à l'invitation fraternelle. Cette facilité extrême à accepter les invitations cà déjeuner qui distingue le Tarin voyageur, comme tous les Granivores du reste, ne pouvait man- quer d'être exploitée d'une façon cruclh par l'homme. Elle est cause que l'appelant fait tomber chaque automne des milliers de Tarins dans les lilets de l'oiseleur. Heureusement que les pau- vres petites bêtes sont si jolies à voir et à entendre, et font si triste mine à la broche ou à la casserole , que l'idée ne vient ja- mais à l'oiseleur de leur ôter la vie. Ajoutons que la bonne hu- meur avec laquelle les captifs semblent accepter leur position nouvelle et qui leur permet de se mettre à table une heure après leur entrée en cellule, ne laisse pas que de contribuer quelque peu à alléger le remords des bourreaux. Règle générale : tous les oiseaux qui vivent sur les grands arbres, de semences dures et coriaces, font de piètres rôtis. Le Coq de bruyère, lui-même, quand il a trop abusé des liges de sapin , prend un goût de résine qui détruit tous ses charmes. Le nid du Tarin est encore un progrès sur celui du Verdier ; la mousse en est absente, le matelas de crin et le sonunier de menues racines sont d'un tissu plus lin et plus serré, et j'ai cru y voir figurer un élément nouveau , la laine ou le duvet. Ce nid est caché avec un soin extrême dans le redan de l'enfourchure d'une grosse branche d'arbre vert et si bien dissimulé aux re- gards qu'il est à peu près impossible de le découvrir d'en dessous. Lii Ventiron. Espèce presque exclusive aux provinces du Midi riveraines du Rhône; ambiguë entre le Tarin et le Serin de cage. La tendance au jaune absolu continue à se dessiner d'une faron formelle ; le sommet de la tête encore noir chez le Tarin passe au jaune chez le Vcnturon , ainsi que la poitrine et toutes SEUIPHUES. lOo les parties inférieures du corps , y compris le croupion. La teinte de labdonien et celle du croupion sont un peu plus paies, mais l'envahissement de la nuance citron est notable. Le manteau reste vert, les ailes à peu près noires, ourlées de lisérés jaunâ- tres avec un rayon de miroir de pareille couleur. Du reste, même innocence de mœurs et même régime que le Taiin. Le Yenturon vit un peu moins exclusivement de semences d'arbres que ce dernier, et mêle plus volontiers à cette nourriture les menues graines des plantes herbacées. Gazouillement gracieux et inta- rissable. Les habitants du Midi appellent cet oiseau d'un nom barbare qui veut dire violonneux , pour l'habitude qu'il a de pin- cer sa chanterelle. Il niche de préférence sur les arbres verts; son nid est une œuvre d'architecture merveilleuse à la construction de laquelle il emploie les matières les plus riches et les plus déli- cates , la laine, le crin , le duvet. Aucune couche n'est trop douce pour les enfants gâtés. La femelle y pond ses cinq œufs et conti- nue après avoir pondu à parer sa demeure, pour charmer les lon- gues heures de l'incubation , pendant lesquelles le mâle la quitte à peine d'une seconde pour lui aller chercher sa pâture. Le Yen- turon est avec le Cini le moule de la série qui se marie le plus facilement avec la Serine. Originaire des pays méridionaux comme elle, et brûlé d'autant de feux, il n'a pas contre ces mariages de la main gauche les mêmes scrupules de conscience que les es- pèces du Nord, froides et morigénées, et il n'attend pas comme le Bouvreuil et le Tarin, que la Serine abjure la pudeur de son sexe pour lui faire des avances. Le Serin de Canarie. Pur produit de l'art, c'est-à-dire de la création humaine ; moule inconnu dans la nature vivante et fort improprement nommé Serin de Canarie , puisque le Serin de cette ile n'est pas jaune des pieds à la tète et ressemble beaucoup plus au Serin de Provence qu'au Serin de Hollande. Pur produit de l'art , cela revient à dire , produit qui ne tar- derait pas à dégénérer si on l'abandonnait à lui-même comme le blé , comme la pèche de Montreujl , comme le chien d'arrêt , ou 106 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. encore , que si par hasard tous les Serins appropriés par l'homme et élevés aujourd'hui dans sa demeure, s'échappaient de leur cage à la même heure, l'espèce aurait disparu de la surface du globe avant un demi-siècle. Par conséquent , j'aurais pu me dis- penser de classer le Serin dit de Canarie parmi les oiseaux de France et le reléguer dans la catégorie des variétés dont je n'é- cris pas l'histoire. Mais l'espoir de tirer un parti avantageux de son introduction dans la série , pour le classement des espèces voisines , a ét'i le motif qui m'a fait renoncer pour cette fois ù ma pratique habituelle. On dit donc qu'un navire qui venait des iles Canaries à destina- tion de Livourue avec un fort chargement de Serins, fit naufrage sur les côtes de l'île d'Elbe, en l'an 1 500 et tant, et que ces oiseaux s'étant échappés de leur prison, gagnèrent heureusement la terre, et trouvant le pays à leur convenance , s'y établirent et y mul- tiplièrent promptement. On ajoute que l'affabilité des nouveaux débarqués , la grâce de leurs manières , la suavité de leur chant , et surtout leur aptitude précieuse à apprendre facilement tous les airs , leur acquirent en peu de temps une célébrité euro- péenne. Si bien que l'engouement de tous les riches oisifs des cités pour cette provenance enchanteresse des îles Fortunées serait devenu si puissant et si universel, que le prix d'une paire de Serins de l'île d'Elbe aurait rapidement atteint des chiffres fabuleux, à la portée des seules bourses hollandaises. Et alors l'industrie de l'élève de l'espèce se serait localisée dans les Pro- vinces Unies, à côté de l'industrie des tulipes et des jacinthes. Acceptons cette donnée telle quelle , étant plus facile d'y croire, comme on dit, que d'y aller voir. Le fait est que s'il est un peuple qui ait à réclamer une plus large part que tout autre dans la création du Serin jaune , c'est le peuple hollandais. Aujourd'hui même encore , les plus belles variétés de l'espèce , les plus grandes, les plus sveltes, les meil- leures chanteuses, les plus vives en couleurs sont dites de Nol~ lande , et je ne vois aucune raison de ne pas considérer cette glorieuse attribution d'origine , comme une sanction légitime de la reconnaissance publique. N'oublions pas de mentionner cepen- SÉIJIPÈDES. 107 dant que beaucoup d'autres contrées européennes réclament à juste titre l'honneur d'avoir contribué à l'illustration de l'espèce en développant ses talents. C'est ainsi que les Canaris de la ville d'Insprucli, capitale du Tyrol, mère-patrie du talaïtou, ont joui longtemps sur tous les marchés de l'Europe d'une faveur méri- tée ; faveur qui provenait de ce que la plupart d'entre eux tiraient leur origine d'un ancêtre fameux qui chantait le rossignol. C'est ainsi encore que les Canaris d'Angleterre se sont fait une bril- lante réputation mélodique à chanter lafarlouse. Il m'est dur d'a- vouer que j'ignore complètement encore l'illustration spéciale des Canaris de France. J'en sais bien des centaines qui chantent l'hirondelle , mais l'article n'a qu'un prix fort médiocre aux yeux des amateurs. Toute l'histoire du Serin des Canaries , du Serin d'avant la conquête, tient largement dans les trois faits. qui suivent et dont deux sont déjà connus : Il aspire ay jaune absolu ; les petits portent la couronne. Les pères ont un grand bonheur à jouer à l'enfant, c'est-à-dire à se fourrer dans le nid , à côte de leur progéniture, puis à ouvrir le bec et à battre des ailes pour se faire donner la becquée. Il est possible que des pères civilisés, que des hommes modé- rément titrés en paternisme et en intelligence aient besoin qu'on leur explique la signification de ces faits ; mais j'ose affirmer qu'il n'est pas une jeune mère à la hauteur de la mission sacrée que ce titre lui confère, qui ne tire facilement et à première vue la morale de l'histoire. Et, en effet, la tendresse immodérée des Canaris pour leurs nourrissons iTe veut dire autre chose, sinon, qu'on ne saurait trop gâter et câliner l'enfant, le bourrer de trop de sucreries, le manger de trop de caresses , etc., principes de sa- gesse éternelle que Dieu a gravés de tout temps dans le cœur des vraies femmes. Or , il était difficile que celles-ci n'entendissent pas sur-le-champ un langage aussi clair, et qu'après l'avoir com- pris elles n entourassent pas de leurs sympathies légitimes les charmantes créatures qui étaient en communauté d'opinions po- litiques avec elles... Maintenant soyez bien sûrs que si l'alliance contractée entre la femme et le Serin a été si complète, que ce- 1U8 ()I{MTH0L0G1E PASSIONNELLE. lui-ci pour vivre auprès de sa protectrice a fait abandon absolu de sa liberté, cet acte d'abnégation étrange cache un secret des- sein de Dieu, qui a voulu que le spectacle du ménage heureux de l'oiseau qui symbolise l'amour maternel élevé à la septième puissance, fût sans cesse sous les yeux de l'homme pour lui ap- prendre à chaque heure du jour les devoirs du père envers l'en- fant. Les Harmoniens , qui pratiquent le dognje de la Suprématie enfantine, attribuent justement la méchanceté des (Civilisés à ce qu'on les fustige trop dans le jeune âge où la chair est si tendre et où l'instinct de la justice native se révolte si facilement contre l'iniquité du châtiment et l'abus de la force. Tel père, tel lils; les Canaris qui n'ont reçu de leurs auteurs que des preuves d'affection quand ils étaient petits, sont tout naturellement portés à faire à leur progéniture ce qui leur a été fait, et l'idée de se conduire autrement ne leur est jamais venue que dans des cas exceptionnels, dits d'aliénation mentale, qui peuvent'-déshonorer quelques individus , mais n' atteignent pas l'espèce. On n'a peut-être pas d'exemple qu'il ait existé un commerce d'amitié entre des Canaris et l'une de ces mégères atroces , hontes de l'humanité , qui font périr à petit feu leurs malheureux enfants qui n'avaient pas demandé à naître. Il est bien vrai que toute l'histoire analogique et philosophi- que du Serin de Cauarie peut tenir en trois lignes; mais cette vérité-là n'empêche pas qu'il ne reste pour les détails un volume plein d'intérêt à écrire sur cette espèce amie de l'homme et consolatrice entre toutes ; car aucun autre petit oiseau à gosier de cristal n'occupe une aussi large place dans les affections de la jeune prolétaire, n'égaie de ses chansons joyeuses plus de taudis maussades , ne préserve tous les jours plus de pauvres anges dé- chus de la tentation du réchaud. Je regrette bien vivement pour mon compte que le manque d'espace m'interdise de me laisser aller aux élans de ma sensibilité et de ma gratitude envers ce doux charmeur du travail et de la misère, désireux que je serais de le venger des coupables dédains de la jeune fille du monde, qui n'a pas honte de préférer les criailleries odieuses du per- roquet vert faux, ignoble emblème du légiste retors, aux notes SEUIPÉDES. 109 vives et perlées , aux fugues enthousiastes du Canari jonquille, emblème gracieux de la plus sainte des passions féminines. Pau- vre société , hélas , que celle qui aime à se mirer dans les em- blèmes de pertidie et de cupidité ! Pauvre société que celle où l'artiste de talent végète au fond des bouges, pendant que le hâbleur subtil sans foi, ni loi , ni style, habite les palais ! Il était encore dans mes vœux de ne pas clore cet essai si court sur les mœurs et coutumes du Serin de Canarie avant d'avoir fait ressortir les avantages immenses du système d'éducation pu- blique en vogue chez l'espèce, système que les Harmoniens lui ont pris et dont ils ont tiré des résultats merveilleux ; système dont l'adoption toute seule sullirait peut-être aujourd'hui à sau- ver le vieux monde, mais dont il m'est totalement impossible de donner les détails. Institution d'une double Grande-Maîtrise de l'enseignement public, l'une Féminine, l'autre Masculine. Celle-là modulant en mineur et régissant souverainement la sphère de Yéducation proprement dite, de l'éducation plnjiiiqHe et morale de là pre- mière enfance; la sphère du sentiment, du juste, du gracieux, du tendre ; la sphère de l'éducation attrayante où s'apprennent les secrets de la parole élégante et facile avec ceux de la faisanderie, de la confiserie et de l'art d'élever les lapins et les roses, etc., où l'enfant en un mot est guidé vers le bon par la route du beau... Celle-ci modulant en majeur et embrassant la vaste et sérieuse doctrine de l'éducation intellectuelle, de l'enseignement secondaire et professionnel , poussant au beau par la route de Vutile. On comprend tout ce que doit faire perdre d'intérêt à un sujet de cette nature l'insuffisance d'un pareil exposé , mais on sent aussi la nécessité qui force l'analogiste de s'imposer certai- nes bornes en de trop riches matières. Et assurément que ce n'était pas pour demander au Serin de Canarie un modèle de constitution de l'instruction publique que je l'avais tiré de son île et classé, malgré lui, parmi les Granivores de France. Le Serin de Canarie est le plus habile, le plus intelligent et le plus infatigable de tous les chanteurs à gros bec. Il est, à ce titre , le coryphée et le pivot de la grande série naturelle musi- 1 1 0 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. cale du Soprano. Il est en outre le prototype du groupe des Dégorgeurs dont nous sommes occupés à distribuer les gen- res. Or, tous ceux qui ont tenu en main le compas sériaire sa- vent combien il est difficile d'opérer le calcul des distances hiérarchiques, quand on ne connaît pas la place du pivot et quelle lacune immense l'absence de ce numéro 1 laisse dans la série. Telle était précisément la situation où se trouvaient nos espèces de France, et c'est pour parer à ses périls que j'ai ap- pelé l'intervention du moule glorieux. En le plaçant où je l'ai mis, je fais voir que le classement des espèces du groupe a été établi d'après l'ordre des afiinités morales et physiques de chacune d'elles pour le type pivotai. Ainsi de la séquence des trois oiseaux jaunes qui précèdent , le Verdier, le Tarin et le Yen- turon, lesquels vont se rapprochant de plus en plus de l'idéal jonquille. A partir de là , marche analogue, mais en sens inverse, et le premier moule de l'aileron descendant , le Cini , presque complètement semblable au dernier de l'aileron ascendant, le Yentiiron. J'ai mentionné dans une note antérieure , page 1 7 de ce vo- lume, ce fait intéressant que la femelle du Serin de Canarie chantait quand elle voulait et quand elle n'avait rien de mieux à faire. Tout porte à croire que ce don du chant a été accordé par privilège exclusif et spécial à toutes les femelles du groupe. Le Cini. Serin de Provence. Front, poitrine, croupion jaune serin , ventre paille , manteau brun verdàtre , émaillé de taches noires, bec bombé, queue fourchue, natif du midi de la France, commun aux deux versants des Alpes ; habitant des rives ombra- gées , des ruisseaux et des fleuves ; amateur de mouron , de sé- neçon et des menues graines ; nid charmant , chant délicieux. Ce- lui-ci est le plus proche parent du Serin de Canarie. Mêmes mœurs innocentes, môme gentillesse , même grâce, même esprit de charité sociale que toutes les espèces voisines; même facilité à donner dans tous les pièges à la voix de l'appelant. Sédentaire dans quelques localités privilégiées du Languedoc et de la Pro- vence. Kmigre par delà les monts, à la venue des froids. SÉniPÉDES. ill Le Cini . le Yenturnn et le Serin libre , sont des espèces si voi- sines l'une de l'autre qu'on les a souvent confondues. Cependant la diflercncc de la forme du bec est assez grande entre les trois pour prévenir les méprises. Lb Chardonneret. Le plus vif, le plus joli, le mieux paré et \ti plus coqflet de tous les oiseaux de France , le plus industrieux aussi et le plus intelligent. Le Chardonneret est comme l'Alouetle et le Rouge-gorge une de ces espèces précieuses sur lesquelles il faudrait se taire ou écrire un volume, .le ne puis ni l'un ni l'au- tre, bêlas ! Mais ce n'est ni la bonne volonté ni les pièces qui me manquent pour faire le gros livre. Les(îrecs, plus heureux que nous dans la distribution des noms de botes, appelaient le Chardonneret Xncanthide. Rome adopta ce nom et Virgile l'a chanté. C'est la même expression que celle de Chardonneret, à la poésie près du vocable. On sait, en elTet, que l'acanthe qui a fourni le modèle du chapiteau corinthien est une variété de chardon voisine de l'artichaut , plante toute neuve. Les Allemands, moins poètes que les Grecs, mais plus dociles l'espace de trois jours , au gré du propriétaire d'un jardin où ils avaient établi leur domicile. Le premier jour on leur oO'rit de la laine; ils s'empressèrent de composer leur matelas de cette étoflCe. Le second jour on mit à leur portée de la ouate de caton; ils jetèrent dehors la laine et la reniplacèrent |)ar la substance végétale. Le troisième jour on leur proposa du lin duvet qu'ibî acceptèrent encore; mais ils s'en tinrent là (inalement, s'aper- cevant que leur bâtisse commençait à prendre des dijnensions exagérées par suite de ces remaniements. Je me suis assuré par des expériences personnelles que les Chardonnerets en quête de matériaux de construction acceptaient le poil de lapin avec non moins de reconnaissance que le coton. J'ai su une l'ois dans le même jardin potager onze nids de Chardonnerets dont tous les matelas étaient faits de ces houppes soyeuses qui ornementent les graines de salsilis. Or retenons bien ces détails, si caracté- ristiques de la dominante de l'oiseau. Le Chardonneret unit donc aux grâces de la figure tous les agréments de l'esprit, toutes les facultés de l'intelligence, plus une foule de vertus du cœur. C'est que le Chardonneret est l'emblème d'un ambitieux du plus haut titre, d'un artiste éminent , adorateur passionné du beau comme du bon, désireux de parvenir, de briller, d'éclipser les autres, disant bien , faisant mieux encore, mais avant tout honnête et ne voulant devoir qu'à son mérite seul sa fortune et sa gloire. Le Chardonneret est né dans une humble condition , puisqu'il vit sur le chardon comme l'àne, emblème du porteur d'eau et ennemi du progrès. Il symbolise l'enfant du peuple, tilsde ses œuvres , qui s'élève très-haut dans l'estime de la postérité par ses œuvres immortelles, mais qui personnellement et de son vi- vant ne doit recueillir que des privations et des tribulations de tout genre. Si veut la loi des sociétés limbiques qui condamne les Prométhéc, les Galilée, les Salomon de Caus à expier dans les supplices et dans les cachots les torts de leur génie. Le Chardonneret n'a jamais que les os et la peau. C'est l'espèce que le froid et la faim moissonnent le plus rapidement dans nos ru- IKi ORMTnOI.OGIE PASSIONNELLE. des hivers. Or le Civilisé, jaloux de témoigner au Chardonneret l'estime qu'il fait de ses talents, a inventé pour lui la peine des galères, châtiment odieux par son injustice et par sa barbarie, mais plus cruel encore au moral qu'au physique pour le noble travailleur qu'il ravale au rang de porteur d'eau, symbolisé par l'Ane. Heureusement que le Chardonneret a été doué par la nature d'une résignation à toute épreuve et armé de la patience qui est la moitié du génie. Cet éternel besoin de corriger, de refaire et de perfectionner son œuvre qui tourmente le Chardonneret en travail de bâtisse a torturé aussi tous les grands découvreurs. « Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage, » dit Boileau qui a raison de faire du travail patient de la lime la condition pre- mière des œuvres immortelles; mais le Chardonneret avait for- mulé ce précepte quarante siècles avant qu'Horace ne l'eût dicté à Boileau. Newton, qui avait fini par découvrir la loi de l'attrac- tion sidérale en y pensant souvent, avait suivi aussi sans le savoir les instructions de notre oiseau. L'histoire dit que Thémistocle ne pouvait dormir des lauriers de Miltiade. 11 y a beaucoup de Thémistocle dans le Chardonneret, qui ne peut non plus fermer l'œil si quelqu'un de ses compa-^ gnons de volière sommeille plus haut que lui. C'est un travers d'esprit peut-être, mais l'ambitieux ne saurait se résigner à être confondu dans la foule. II n'est à son aise pour chanter qu'à la plus haute cime de l'arbre ou de l'arbuste ; il a à toute force be- soin qu'on le regarde, même quand il travaille à son nid. Ce besoin de s'élever au-dessus de la masse qui tyrannise le Chardonneret explique les déboires dont sa carrière est semée. Le peuple en général n'aime pas à reconnaître la supériorité de ceux qui sont nés dans son sein. Le menu peuple de la volière murmure donc tout bas contre les prétentions du Chardonneret à occuper la première place ; les Serins de Canarie , les Tarins , les Linottes essaient même de la lui disputer; mais il triomphe sans peine de ces ligues innocentes. La fréquence de ces démê- lés sullit néanmoins pour lui donner dans le monde le renom de mauvais coucheur. Tout autre est l'issue dti combat quand la SKIHPÉDKS, 117 Mesauge s'en mêle, il est plus facile au Chardonneret d'avoir raison de cent Linottes que d'une seule Charbonnière. Il faut dire que cette Charbonnière est une intrigante de la pire espèce , avide d'autorité et de richesses , et à qui tous les moyens sont bous pour parvenir. C'est l'ennemie intime, l'anti- pathique naturelle, la bète noire du Chardonneret, à qui elle rend haine pour mépris, guerre pour guerre ; et l'on se déteste- rait cordialement à moins. Le Chardonneret est, comme j'ai dit, fils de ses œuvres ; la Mésange , au contraire , mange la cervelle aux petits oiseaux plus faibles qu'elle, et vit par conséquent de la pensée des autres. Le Chardonneret définit le droit de pro- priété, celui de jouir du fruit de son travail ;\di Mésange le droit de jouir du fruit du travail d' autrui. On sent qu'il n'y a ni trêve ni arrangement possible entre des champions de doc- trines aussi opposées; mais jusqu'à présent, il faut le dire, la stupide sentence du sort a été pour la Mésange, l'aiïreuse petite cannibale qui enfouit comme le Corbeau , qui adore le suif comme un barbare, qui porte des griffettes comme un oiseau de proie, qui siffle comme la vipère, emblème de calomnie. Les prétentions de la Mésange à occuper le rang suprême sont aussi ridicules que celles du Chardonneret légitimes; mais comme elle est mieux armée et comme elle ne se fait pas scru- pule d'abuser de la supériorité de ses moyens d'attaque, il arrive que neuf fois sur dix le succès couronne ses manœuvres. Quand le cas exceptionnel se présen'e , quand il arrive par ha^^ard qu'elle ne peut débusquer l'ennemi de sa haute position , la méchante petite bète, féconde en artifices, a recours à un subterfuge ingé- nieux pour prendre le dessus. Elle grimpe au plafond de l'éta- blissement où le Chardonneret ne peut la suivre, s'y cramponne fortement de ses grilTes crochues , se pend la tête en bas et dort dans cette attitude, narguant ainsi de ce poste suprême et jus- qu'en sa défaite son vainqueur stupéfié. Audacieuse et rampante et l'on parvient à tout. Que d'emplois supérieurs aussi et de grades et de fauteuils d'Institut usurpés par l'intrigue et volés au talent dans le monde des hommes ! Et que d'apologues à écrire sur ce texte inédit de H8 ORMTHOLC ME PASSlONiNELLE. Fantipathie invincible du Chai "onneret pour la grosse Mésange! J'engage toutes les personnes lui me lisent, et qui aiment le^ jolis oiseaux et veulent leur bonhvur, à éloigner de leurs Char- donnerets les Mésanges charbonnières, vases d'ifhpureté et calices d'amertume. Si les Chardonnerets eux-mêmes se mon- trent trop difficiles à vivre, qu'on les isole invisiblementdans leur cage, au milieu de la volière, de manière à conserver tous les charmes de leur société , tout en se préservant des écarts de leur dominante. L'amour des chardonnerets dure autant que leur vie. On en a \a prendre le deuil à la suite d'une grosse peine de cœur et S3 retirer du monde, à linstar de l'empereur Charles-Quint, qui, dégoûté de l'ambition et de la vaine grandeur, abdiqua le scep- tre, pour s'ensevelir tout vivant dans le monastère de Saint-Just et y fabriquer des horloges. L'histoire dit que le regret de sa détermination prit quelquefois le monarque. Ainsi le Chardon- neret qui a déposé sa couronne écarlate, signe dé royauté, pour coiffer le voile noir, signe de renoncement et de deuil . revient quelquefois aussi sur la résolution que lui a dictée le déses- poir et rentre en ses insignes. Malgré tant de dons naturels, malgré tant de moyens de plaire, le Chardonneret n'arrive qu'en second dans les aiïections de l'analogiste. Il cède le pas au Rouge-gorge, emblème tou- chant du martyr de la foi sociale . et la plus noble, la plus dé- vouée et la plus héroïque de toutes les créatures ailées. Le Chardonneret porte haut et s'admire dans son chant et dans sa beauté; il est bien le phénix des hùtes de nos jardins, mais il n'a pas comme le Rouge-gorge le front ceint d'une auréole orangée qui lui descend sur la poitrine et couvre toute la région du cœur d'un vaillant plastron d'enthousiasme. 11 n'accourt pas au bruit de la cognée pour assister le pauvre bûcheron dans son travail ingrat: il n'accompagne pas le voyageur égaré dans les sentiers de la forêt solitaire. L'hiver, il ne vient pas comme lé Rouge-gorge demander place au foyer de l'humble cabane; il ne proteste pas par ses douces chansons contre la rigueur du deuil universel. Il n'a pas non plus suivi le Christ au calvaire et SÉniPÉDES. Hft détaché une épine de la couronne du Rédempteur; et les génies bienfaisants des campagnes ne lui confient pas leurs messages. Je demande qu'on supprime la peine des galères pour le Char- donneret par un simple amendement à la loi qui protège les hètes , la meilleure loi que nos législateurs nous aient faite depuis un demi-siècle , la seule du moins que j'eusse été heureux et iie^" d'entendre appeler par mon nom. Le Linot. Linotte de vigne, Linotte rouge, grande Linotte, (iyntel de Strasbourg, etc. Toutes ces espèces-là sont la même , et le nom sous lequel on les déguise ne leur convient pas plus au masculin qu'au féminin. Llnot , pour dire l'oiseau du lin , comme on dit Chardonneret en français, Cardiœlis en latin et Acanthis en grec, pour dire l'oiseau du chardon. Or, les savants qui avaient à baptiser cette espèce en latin l'ont nommée d'abord Linota , et puis Cannabina (c'est-à-dire mangeuse de chènevis), et ils ont obtenu de la sorte la mangeuse de graines de lin , qui vit de la grai/ie de chanvre. Après quoi ils ont naturellement appliqué le dénominateur />//iar/a équivalent de linot au Sizerin ou Cabaret, uno espèce voisine qui se nourrit particulièrement des semences et des bourgeons de Xaidne. On n'a pas la main plus heureuse que ces braves gens-là. Je fais observer , du reste , à raison de ces deux noms français tirés de la nourriture favorite, que le premier convient mieux au Char- donneret que le second au Linot , attendu que celui-ci se passe parfaitement de la graine de lin pour vivre , tandis que celui-là a l'habitude de ne considérer comme habitables que les con-- trées où le chardon, lléau de l'agriculture, étale avec orgueil sa végétation parasite. Pour mon compte j'ai vécu durant de longues années parmi de très-nombreuses républiques de Linots, dans un pays où j'en sa^ais au moins cinquante nids chaque prmtemps et où la culture du Un était presque totalement inconnue. J'ai même remarqué que ces petits oiseaux préféraient généralement à tous autres les cantons montueux où abondent les genévriers et les buissons d'épine noire. Et tout le monde sait que le gené- vrier et l'épine noire sont les parures naturelles des terres en 120 OHMTHOLUGIE PASSIONNELLE. friche, et (jue le lin se plaît exclusivement au contraire dans la plaine fertile , riche et bien cultivée.  supposer donc qu'il y eût eu nécessité de baptiser l'oiseau d'un nom de plante, j'es- time qu'on aurait pu mieux choisir la marraine qu'on n'a lait. Maiâ rien n'empêchait certainement de le nommer d'un nom de couleur et qui eût l'ait image , comme par exemple gorge-ama- ranthe , ou amaranthe tout court. Si l'élégance et la clarté de la nomenclature eussent gagné toutes deux à la chose , où eût été le mal ? Le Linot s'éloigne à tire d'ailes du type pivotai de la série. 11 abjure la couleur jonquille et vise résolument à la rouge dont il se décore le poitrail et teint gracieusement sa calotte. Ce nouvel uniforme est l'accident le plus caractéristique de sa toilette ; tout le reste de son costume, à la réserve de quelques étroits sillages de couleur blanche à travers les rémiges et les couvertures, se fond dans cette nuance indécise et modeste que j'appelle l'hum- ble livrée du travail et qui passe par toutes les nuances du terne, depuis le brun roux foncé des scapulaires du Moineau franc jus- qu'au gris terreux et jaunâtre du manteau de l'Alouette. Le Li- not se trouve placé à la même distance du Serin que le Verdier, et il est assez remarquable qu'il ait avec ce dernier de nombreux rapports d'habitudes, de régime et presque de voix, recherchant sa société dans les bons comme dans les mauvais jours. Le Linot niche fréquemment sur les quenouilles des jardins attenant à l'habitation de l'homme et aussi dans les vignes; mais sa demeure de prédilection est le buisson fourré du genévrier et de l'épine, où il bâtit près de terre un nid plus confortable qu'é- légant et dans lequel le matelas de crin est trop léger et celui de laine trop épais. Cette bâtisse est l'ouvrage de la femelle seule, mais le mâle lui tient une compagnie assidue pendant toute la durée des travaux et l'aide avec tant de zèle dans la mesure de ses petits moyens qu'il est juste de lui savoir gré de ses bonnes intentions. Le Linot se nourrit de toutes les menues graines des champs, mais principalement de celles des plantes textiles et oléagineu- ses, lin, chanvre, cameline, etc. On lui reproche quelquefois SEDIPEUES. 121 aussi d'attaquer les bourgeons des arbres des forêts. Mais je suis sûr qu'en revanche le Linot fait bonne guerre aux insectes enne- mis des vergers et que Dieu ne l'a pas poussé à nicher dans la vigne sans lui conlier en môme temps la mission de défendre la plante sainte contre les invasions de la Pyrale. La confusion qui s'est laite dans les livres autour du nom de la Linotte provient de ce qu'on a pris quelques variétés acciden- telles et locales de l'espèce pour des espèces réelles. Et comme la couleur de la robe de la Linotte n'était pas très-bon teint et qu'elle tendait fortement à passer à l'une des deux nuances gé- nératrices du gris, l'occasion de l'erreur a dû se présenter fré- quemment. C'est ainsi qu'on a eu d'abord une Linotte blanche et une Linotte à manteau sombre. On n'a pas donné un nom spé- cial à la première variété, parce qu'on a bien vite reconnu qu'elle n'était que fortuite, mais on a été moins réservé à l'égard de la seconde qui se reproduisait plus souvent et qui est devenue eu Alsace le Gyntel ou le Gentil de Strasbourg, une prétendue Li- notte noire à pieds rouges. Il y a eu ensuite la confusion motivée parla différence de taille, où l'on a fait naturellement de l'espèce la mieux nourrie et Ja plus riche la Grande Linotte de vigne, et de la plus pauvre la Petite. Enfin on a été jusqu'à trouver des différences d'espèces dans les différences de langage, comme si chaque région n'imposait pas pour ainsi dire son idiome parti- culier et son accent à tous les indigènes, hommes ou bètes, comme si le plus ou moins d'élégance et de pureté de la diction n'était pas une chose qui se prend. Je n'ai besoin que de citer une seule observation pour faire sentir la puérilité de la dis- tinction. Il est de notoriété publique , et tous les marchands d'oi- seaux chanteurs le savent parfaitement, si les savants l'ignorent, que ces espèces délicates et sensibles subissent irrésistiblement l'influence du milieu social où elles vivent, et qu'il y a pour cha- cune d'elles dix méthodes de chant comme chez nous , et qu'il en est absolument du Linot, du Pinson, du Rossignol, etc., comme de la prima donna , du ténor et des autres premiers sujets du chant qui se tiennent parfaitement et acquièrent tant qu'ils tra- 122 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. vaillent sur les théâtres des capitales, mais qui perdent prompte- ment et se rouillent en province. Or on peut être un Rossignol barbare, un rustre, un malap- pris sans cesser d'être un Rossignol, de même qu'on peut, à la rigueur,' naître à Saint-Flour sans perdre le glorieux titre de citoyen français. En somme, je ne connais en dehors de la Linotte de vignes que deux autres oiseaux de France qui méritent ce nom, le Sizerin dont il sera question tout à l'heure, et encore une Linotte à gorge rousse et à croupion rose, dite par quelques auteurs Linotte de montagne, qui ne niche pas chez nous, mais dans les pays du Nord, d'où elle émigré en nos climats plus doux en même temps que le Pinson des Ârdennes. La Linotte ne mue qu'une fois l'an, à l'automne, ce qui ne l'empêche pas de revêtir son costume de noces au printemps. C'est un charmant oiseau de volière, doux de mœurs , caressant , intelligent, docile, doué par la nature d'un organe enchanteur et susceptible de se perfectionner par l'étude. Il retient facile- ment les airs qu'on lui serine; il y en a qui sifflent, d'autres qui parlent. La Linotte vit très-bien et très-longtemps en cage, où elle ne tarde pas cependant à perdre ses brillantes couleurs; ce qui veut dire que sa place naturelle est bien dans l'intimité de l'homme, mais non dans une prison. Donnez à la Linotte au prin- temps ce dont elle a besoin pour bâtir , un peu de tranquillité l'été, un peu de grain l'hiver; assurez-lui un refuge contre la rigueur des longues nuits de janvier et de décembre, et elle ac- ceptera d'égayer vos demeures toute l'année à ce prix. On dit tète de linotte pour une tête vide et légère et qui tourne à tout vent, à cause de l'indécision et de l'inconstance d'allures qu'on a cru remanjuer dans le vol de cette espèce. L'expression est vicieuse ; la Linotte est vive et rieuse, babillarde, étourdie, confiante, et comme tous les enfants gâtés et les gens heureu-\ d'être au monde, elle aime le mouvement pour le mouvement lui-même et ne tient pas en place; mais ce besoin perpétuel d'aller et de venir, cette démangeaison de joyeux caquetagc dont elle est tourmentée, iiinipliquent aucunement chez elle le SÉDIPÉDES. '2-^ vide du cerveau ni le décousu des idées. Peu d'oiseaux, au con- traire, sont plus fermes en leurs principes et plus fidèles en leurs affections. La Linotte est Icmblènie du chansonnier très-gai qui chante sur la vigne. Le Sizerin. Cabaret, petite Linotte, Serin de Lorraine. Plus petit que la Linotte ; le manteau d'un cendré plus obscur ; une charmante calotte roui^e laque ou rouge cramoisi sur la tète; les deux parties latérales du col et de la poitrine, le ventre et le croupion , teintes de la même nuance , mais considérablement afïiiiblie et touchant presque au rose. Aucun des divers noms qui précèdent n'ayant de valeur intrinsèque et ne convenant à l'oi- seau , les savants ont beaucoup écrit sur la question de savoir lequel était le meilleur; et personne naturellement n'a songé à baptiser l'espèce du nom de Linotte à tète rouge ou tète rouge tout court, le seul qui lui convînt. Le Sizerin est une jolie petite espèce qui porte la livrée de la Linotte, mais qui pour tout le reste, caractère, allures, régi- me, semble avoir été coulée dans le même moule que le Tarin au poitrail jaune et à la calotte noire. Elle ne niche pas en France ; sa patrie , c'est-à-dire le pays où elle aime , est le Nord , le vrai Nord du Pôle , la région la plus hyperboréenne des trois continents d'Europe , d'Asie et d'Amérique. On la trouve au cap Nord , au Groenland et au Kamschatka où elle passe toute la sai- son d'amour, attendant que le froid l'en chasse. Elle commence à paralti'e dans nos provinces d'Artois, de Flandre , de Lorraine et d'Alsace , aux approches de la Toussaint. C'est aussi l'époque que le Tarin a choisie pour ses voyages. Le Sizerin passe comme lui en petites bandes et à la même heure; il recherche comme lui les vallées humides plantées d'aul- nes , se nourrit comme lui des semences de ces arbres , se sus- pend comme lui à l'extrémité des tiges pour inspecter les fruits , siiïle où caquette joyeusement comme lui en volant ; bref, porie la manie de Timitation de son modèle jusqu'à se précipiter tête baissée dans les pièges où il le voit donnei-. Il m'est arrivé bien des fois de ra[)porter de la même chasse le même nombre de 124 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE . captifs de l'une et l'autre espèce pris sur les mêmes salades , au moyen du même appelant. Car j'ai oublié de dire que le Size- rin adorait la graine de salade et qu'il la préferait même à la semence et aux bourgeons de l'aulne dont il est si friand. Ce qui est cause que les maîtres l'ont appelé le mangeur do Un, Loxia linan'a ou Friugilla linaria , le Bec de travers ou la Fringilla de lin , au choix. Je serais curieux de savoir si à nous autres barba- res la Science pardonnerait de telles bourdes. Elle aurait au sur- plus raison de nous huer ! Le nid du Sizerin que je ne connais pas et dont je n'ai jamais entendu parler, est bâti de crin, de laine, de mousse et de duvet végétal et caché très-adroitement dans une enfourchure d'arbre vert ou de bouleau rabougri à l'instar de celui du Tarin. Le Sizerin est, comme le Tarin et la Linotte , un joyeux com- pagnon , un ami fanatique du plaisir, toujours en verve, toujours eu belle humeur, mangeant et buvant à sa délivrance prochaine, une heure après l'entrée en cage, officieux, bon enfant, se fai- sant tout à tous , ne croyant pas déroger en s'alliantà une espèce voisine , habile aux tours de force du corps et du gosier, mar- chant la tète en bas sous le ciel de son domicile, et donnant des ut de poitrine d'un éclat formidable pour un si petit oiseau. Ici finit le groupe desDégorgeurs. Ici finirait la série des frugi- vores de France , s'il y en avait une , série qui débuterait par le Ramier et se terminerait au Sizerin. Le Sizerin, qui clôt le groupe des Dégorgeurs, est en même temps le dernier membre de cette corporation illustre des Maîtres Soprani, que je ne crains pas de nommer les délices du genre humain, après l'empereur Tite. Car Dieu ne versa jamais avec une pareille profusion sur aucune au- tre race ses trésors de vertu, de grâce, de joliesse, d'aptitude à toutes les jouissances spirituelles , de charme composé. Et il a eu soin en le faisant ami de l'homme de le faire immangeable, im- mangeable hors le cas de légitime défense contre la faim , ines- timable don qu'il a refusé à l'Alouette, au Bec-figue , au Rouge- gorge et au Rossignol. Ajoutez maintenant à cette masse de précieux privilèges celui SliDlPÉDES. 123 de la longévité. Gessner, qui écrivait il y a trois siècles, parle d'un Chardonneret qui avait vécu 23 ans; on en a connu depuis qui avaient dépassé ce terme. Et il y a mieux que des faits de longévité à rapporter de cette tribu favorisée du ciel. L'histoire naturelle de tous les pays lui attribue des traits d'intelligence quasi-canine. J'ai raconté l'histoire de ce Chardonneret de province qui faisait la messagerie de Paris à sa petite ville , de compte à demi avec son maître. Des écrivains dignes de foi ont vu maintes fois dans l'Inde des Bengalis dressés à rattraper dans sa chute rapide un anneau de métal qu'on leur jette en l'air et qui va toucher l'eau... D'autres qui s'amusent à faire des niches aux jeunes indouses, et leur chippmt les piécettes d'or dont elles parent leur front, sur un mot de leurs amoureux.... D'au- tres enfin , qui dans leur zèle pour la diffusion des lumières , illuminent toutes les nuits la façade de leur domicile, au moyen de vers luisants et de mouches phosphorescentes qu'ils fixent dans la muraille par un procédé ingénieux ; spectacle évi- demment renouvelé des Feux de Bengale et des lanternes de couleur en usage à la Chine. Arrêtons-nous ici de peur d'aller trop loin. Perplexité cruelle ! Quand je vois tant de Chardonnerets et de Tarins vivre des vingt ans en cage sans manger un insecte et sans eu demander; tant d'écrivains affirmer que les Linottes sont exclusivement granivores; quand j'entends des ornithologistes de savoir et d'expérience comme M. Rossignol de Pierre me dire qu'ils n'ont pas encore eu la chance de découvrir une bête dans l'estomac d'un bouvreuil ; quand je songe que le Coucou qui est exclusivement insectivore ne pond jamais dans le nid d'un Dé- gorgeur, je me prends quelquefois à maudire lâchement les scru- pules qui m'ont détourné de croire à l'existence des frugivores français. Quand je considère surtout que cette série qui com- mence aussi par le Ramier et finit par le Sizerin est toute une avec celle des Dégorgeurs , laquelle se confond hermétiquement avec la série naturelle du Soprano , je me sens disposé d'a- vance à excuser ceux qui me reprocheront de n'avoir pas adopté pour l'ordre des Percheurs la division ternaire de préférence à la 12(i ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. quaternaire : Frugivorie, Ambivorie, Insectivorie... Il est ccrtam que cette méthode est la plus facile et la plus expéditive et qu'elle m'eût épargné, ainsi qu'à mes lecteurs . bien des phrases inuti- les... Mais si par hasard ces i'rigivores nen avaient pas été ! Si je vous disais que j'ai t'ait voir l'autre jour à un sav;int qui n'en put croire ses yeux, que les Ramiers des Tuileries, les Frugivo- res modèles, étaiejit de forcenés vermivorefi à qui ne répugnait pas d'avaler de suite dix énormes lombrics ! Nous voici parvenus au second groupe de la série, un groupe peu populeux que nous appellerons, si l'on veut, des Fringilles, pour faire une position honorable à ce nom générique qui tient une grande place dans le vocabulaire ornithologique officiel , bien qu'à mes yeux son principal mérite réside en son insigni- tiance. Les savants certitient que ce nom-là vient du latin frigus, sous prétexte que les oiseaux de cette catégorie sont les arais du froid. Mais je fais observer qu'alors c'était frigilles, et non fringilles qu'il aurait fallu dire. Quoi qu'il en soit, puisque ce terme a une signification admise et qu'il est doux à entendre en sa désinence féminine, acceptons-le bien vite pour la rareté du fait. (îroupe des Fringilles. Deux genres ; six espèces. Le groupe des Fringilles se compose de deux familles, ou plu- tôt de deux genres, dits du Pinson et du Moineau, renfermant en tout six espèces : Pinson commun, Pinson d'Ârdennes, Pinson des neiges, — Moineau franc (domestique), Friquet (Moineau des champs), Soulcic (Moineau de bois). Caractères géné/aux. Les Fringilles ne dégorgent plus comme les espèces du groupe précédent , et elles nourrissent leurs petits avec des insectes; elles ne peuvent par conséquent se marier avec les Serins. Les unes nichent sur les branches, les autres indifl'éremmcnt dans les cavités naturelles des vieux arbres et dans les trous des murs. La plupart ont le naturel batailleur et donnent à la pipée. Courîigeuses, rusées et méfiantes , les Frin- SEDIPEDES. i'21 jjiHes se défendent vaillamment contre un agresseur plus fort qu'elles et évitent même les pièges de l'homme. Elles sontambi- vores et changent de nourriture avec les saisons, insectivores au printemps , baccivores l'été , granivores l'automne, et gemmi- vores l'hiver. Cette complaisance et cette élasticité d'estomac, triplant et décuplant pour elles les ressources alimentaires du pays, elles sont volontiers sédentaires, et leur chair n'est pas tout à fait aussi sèche ni aussi coriace que celle des séminivores quasi-purs. Les Fringilles se reunissent en bandes innombrables dans la saison des froids et voguent de concert avec les Linots , les Bruants, les Verdiers, les Alouettes, etc. \o\ peu soutenu, bruyant et lourd, ailes rondes, queue fourchue, bec conique, vigoureux et court. Plus épaisses de corsage et beaucoup moins rapides que les Seriniens. Le groupe des Fringilles se distingue des deux qui l'entourent par des caractères si tranchés et si nets que je n'excuse pas les classiticateurs d'avoir pu les confondre. Les Fringilles ne dé- gorgent pas comme les Serins et ne nichent pas à terre comme les Bruants. Je m'abstiens d'indiquer une fouh^ d'autres caractè- res séparatifs saillants et faciles à saisir. Le Pinsox. Encore un pauvre nom pour une espèce bien riche- ment titrée , bien remarquable surtout par l'énergie de sa domi- nante caractérielle. Le Pinson est l'emblème de l'artiste jaloux, du chanteur épris de son art, mais jaloux de sa propre gloire, à un point qu'on n'imagine pas , jaloux à se briser la tête du suc- cès d'un rival. Or, qu'y a-t-il de commun entre le caractère de l'oiseau et son nom ? Gai comme pinson est encore un de ces adages menteurs qui contribuent si déplorablement à enraciner les préjugés et les er- reurs dans l'esprit des populations. Un oiseau gai , c'est le Tarin , c'est le Sizerin, le Linot , le Serin, un oiseau qui toujours fré- tille , sautille et babille , qui prend son mal en patience et le temps comme il vient, qui, comme le Chardonneret, mange devant sa glace quand il est seul, pour se faire accroire à lui- même qu'il dîne en société. Or, le Pinson n'a jamais affecté ces 128 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. allures joviales ; au contraire. Il s'observe constamment , fait tout avec mesure , réflexion et solennité; il pose , comme on dit, quand il marche, quand il mange, quand il chante. Au lieu de prendre le temps comme il vient , il se laisse aller à des plaintes mélancoliques pour peu que la pluie menace. La captivité le démoralise, le rend aveugle, le tue. Ce ne sont pas là des façons d'oiseau gai. L'air que le Pinson chante n'est pas une élégie amoureuse , mais un air de bravoure qui attend des bravos. S'il manque son effet, il peste. Si quelque mâle voisin, possesseur d'un organe plus puissant servi par une meilleure méthode, menace de l'é- clipser , son cœur s'emplit de rage ; sa colère gonfle , éclate. II se précipite sur l'intrus , la plume hérissée , la voix haute , l'at- taque , le déchire , et , s'il est le plus fort , l'expulse du canton. Car trop souvent l'amour est en jeu dans ces luttes, et plus d'une jeune pinsonne, objet de l'ardeur de nombreux soupirants, attend pour faire son choix que la victoire le lui dicte. Si le sort du combat tourne contre l'agresseur , il s'exile lui-même et va bien loin cacher sa honte. C'est pour cela que les Pinsons qui habitent les forêts et les endroits déserts ont une si piètre voix. Ces barbares sont les fils des vaincus des joutes musicales que la défaite a bannis des vergers plantureux attenant au domicile de l'homme , séjours exclusivement réservés aux élus du talent. C'est par la même raison que les plus célèbres pinsons de France appartiennent aux provinces du Nord , provinces richement peu- plées , richement cultivées , où le goût de la musique est ré- pandu dans le sein de toutes les classes , où chaque ville un peu importante possède une société philharmonique , et où mon ami Henry Bruneel de Lille organise ces fêtes musicales splendides qui semblent un emprunt l'ait aux jeux olympiques d'Harmonie. Natif de Languedoc ou de Provence est une expression épigram- matique qui équivaut parmi les Pinsons à celle depignoufou de pataud parmi nous. Aussi l'immense majorité des Pinsons qui habitent le midi l'hiver, s'empressent-ils de remonter vers le nord, pour y prendre domicile d'amour, aussitôt que les grands froids sont passés. SEDIPÉDES. 129 La Flandre et la Belgique sont au Pinson d'Europe ce que les grands théâtres de Paris et de Londres sont aux plus illustres gosiers humains de cette même partie du monde. De même que la Diva dont le larynx perlé roule des notes d'or ne consent à dé- ployer ses talents que sur ces vastes scènes où la roulade se paie à sa juste valeur : cent mille francs par an , plus les feux , les congés, les bravos enthousiastes, les avalanches de fleurs.... Ainsi le Pinson qui est de force à entonner cent fois de suite et sans se reposer sa ritournelle triomphale , ne donne tous ses moyens que devant des auditeurs capables d'apprécier son go- sier sans rival et de le payle, exploiter la bonne foi d'un oiseau par d'aussi igaobles licelle.s et dans un pareil but. Tout le monde connaît cette courte phrase musicale du Pinson composée d'uue sorte de prélude fugue suivi d'un trait iinal lé- gèrement syncopé et que le patois lorrain traduit de cette façon: « Fi fi les laboureux , j'vivions ben sans eux. » Or, il v a de ces Pinsons aveugles qui la répètent huit cents fois d'une haleine! Mais un virtuose de cette force trouve facilement preneur à cent et cent vingt francs. Il arrive quelquefois que le vaincu tombe de fatigue sur place et ne se relève plus; et quelquefois aussi que le vainqueur qui n'a distancé le vaincu que d'une note, s'affaisse sous son triomphe et périt sous l'effort comme le soldat de Marathon. On a vu des Pinsons vainqueurs en cent batailles renoncer à l'art pour jamais.... d'autres plus sensibles encore, mourir de douleur et de honte, à la suite d'un premier échec. Ainsi , l'infortuné Raoul , le chevaleresque amant de l'infor- tunée Valentine , vainqueur en cent batailles aussi et chargé de couronnes , ne put se faire à l'idée d'abandonner au nouveau favori Arnold le théâtre brillant de sa gloire , pour aller cueillir d'autres palmes sur une scène étrangère et sous un plus beau ciel.... et ses regrets furent plus forts que son àme et rompirent les liens qui la retenaient à son corps. L'adage vulgaire a beau dire , l'oiseau qui prend ainsi son art au sérieux n'est pas un oiseau gai. Mais je m'aperçois que je suis entré sans le vouloir au fond de 132 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. l'histoire passionnelle et analogique du Pinson, et que j'ai laissé courir ma jjlumc à l'intérêt palpitant du sujet. Alors achevons cette histoire , puisque nous l'avons commencée. Le Pinson est un oiseau éminemment cauteleux qui ne saurait se passer de la société ni des applaudissements de l'homme, mais qui sait parfaitement que tout n'est pas profit dans ses re- lations. De là sa défiance légitime. Aucune femelle d'oiseaux ne fabrique un nid avec plus d'art que la Pinsonne, et surtout ne s'entend à le cacher comme elle. Ce nid est un chef-d'œuvre d'élégance et de dextérité, et à l'examiner de tout près , on comprend que beaucoup de connais- seurs le regardent comme un travail plus achevé et plus merveil- leux encore que celui du Chardonneret. Non pas que les deux objets d'art diflerent quant au fini et à la délicatesse de la main d'oeuvre , en ce qui concerne l'intérieur , uii les mêmes éléments précieux, la laine, le crin, la plume ont été façonnés en cor- beilles d'amour avec la même supériorité de part et d'autre. La différence est toute dans le mode d'exécution du revêtement ex- térieur de l'édifice; et il est certain que la Pinsonne dépense en cette opération plus de talent que la Chardonnerette, étant poussée à mieux faire par son caractère soupçonneux. Celle-ci , en effet, qui ne lit rien dans sou cœur qui lui fasse douter de l'innocence d'autrui , et qui ne pourra jamais comprendre que l'homme lui veuille du mal , ne s'occupe que de la question d'art lorsqu'elle bâtit son nid. Partant elle ne songe guère à en dé- rober la vue aux regards du passant; mais attendez que la Pin- sonne futée qui sait que penser de la malice et de la perfidie humaines , commette de ces imprudences. Il ne lui suffit pas à celle-là que sa progéniture adorée repose sur la couche la plus molle, dcins le berceau le plus splendide, sa tendresse maternelle a besoin de lui assurer la sécurité avant tout. Dans ce but, l'ingénieuse femelle commence par choisir pour emplacement de sa bâtisse quelque enfourchure de maîtresse branche, sur un pommier moussu, un poirier ou un chêne. Elle en pose les assises dans la concavité du lieu-, et à mesure que la bâtisse s'élève , elle en couvre la muraille extérieure d'un SEDIPÉDES. 133 placage de mousse jaunâtre ou de lichen argenté qu'elle détache du tronc même de l'arbre où elle a établi ses pénates. Elle prati- que cette soudure de l'écorce du nid et de celle de la tige avec tant d'habileté et elle donne si bien aux deux surfaces par cet ajustement le cachet du même âge , qu'il est presque impossible de ne pas voir dans l'une la continuation de l'autre. On cite l'his- toire d'une pinsonne condamnée par d'impérieuses circonstances à faire son nid sur un platane, et qui réussit à plaquer ce nid en mosaïque composée de fragments d'écorce de cet arbre, .l'ai su certainement dans ma vie plus de cent et deux cents nids de Pinsons que je n'ai jamais touchés de l'œil. J'en découvris un une fois, à l'aide d'une échelle, qu'on avait eu l'impudence de venir me bâtir sous le nez à nu et à plat sur une basse branche de pommier quasi-morte et archi-moussue , à six pieds de terre tout au plus et à six pas de ma fenêtre, et qui n'était protégé con- tre la curiosité du public que par un simple rideau de toile d'a- raignée ou de chenille. Personne cependant ne sut le nid que moi, vérité presque invraisemblable et à laquelle ne voudront jamais croire ceux qui savent combien le secret d'un nid est pé- nible à porter. Au lieu de procéder ainsi , la chardonnerettc confiante atta- che négligemment son nid à l'extrémité des hautes tiges et laisse la laine déborder la mousse extérieure, comme pour mieux attirer les regards du passant. Yoyez maintenant comme cette différence caractérielle des deux espèces qui se révèle à l'analo- giste dans une simple différence d'ornementation d'une façade, va ressortir plus manifestement encore de la comparaison des au- tres habitudes. Le temps de l'incubation venu, le Chardonneret ose à peine s'éloigner de sa couveuse, va lui chercher à manger dans. le voi- sinage et choisit pour lui parler d'amour la cime même de l'ar- bre où son nid est perché. Le Pinson cauteleux se garde bien d'imiter ces exemples ; il a plusieurs tribunes et chacune d'elles est un poste d'observation distant de cinquante pas au moins de son mystérieux domicile. Ses roulades dépistent au lieu de ren- seieuer. iBi ORMTIIOLUGIK PASSIONNELLE. Aussitôt que les jeunes Chardonnerets sont éclos, on voit le père et la mère s'empresser autour d'eux avec un grand tapage , heureux d'informer un chacun par leurs cris d'alléç;resse de la joie qui leur arrive. Survienne au milieu de cette folle ivresse le maraudeur en quête de larcin; qu'il cherche et il trouvera. On est plus réservé et plus discret dans l'autre espèce; on garde pour soi ses secrets de famille, et le père et la mère prennent de longs détours pour rentrer à leur nid qu'ils abordent en si- lence. Et à peine les petits sont-ils en âge de comprendre, qu'on leur apprend le sens de certains cris d'alarme qui doivent les prévenir de l'approche de l'ennemi , homme ou chouette, avec la manière de se conduire en pareille occurrence. Singulier appren- tissage d'insouciance et de gaieté ! La saison des amours passée, le Chardonneret fidèle à ses antécédents donne en étourdi dans tous les pièges tendus à sa crédulité. Le vieux Pinson toujours en garde contre son premier mouvement , observe avant de répondre à la voix qui l'appelle, aperçoit la nappe insidieuse et s'esquive au plus vite, engageant vivement ceux de sa bande à faire comme lui. Mais s'il n'accepte pas toujours une invitation à déjeuner à l'automne, en revanche il ne refuse jamais un cartel au printemps. En cette occasion , sa prudence n'a plus voix au conseil ; il est à qui veut le prendre, puisqu'il n'est plus à lui. Par la richesse de son titre caractériel et par son amour pas- sionné de l'art , le Pinson est encore un des ennemis nés de l'oi- seau de nuit, symbole de la superstition et de l'obscurantisme. C'est dire qu'il répond avec fureur à l'appeau de la touïte (chouette) et donne à la pipée. 11 est beau à voir en cette passe , l'œil en feu , la crête menaçante , sommant de sa voix terrible l'ennemi de se montrer et le traitant de lâche, d'assassin de té- nèbres... Le Pinson adore aussi la vendange en sa qualité de musicien. Le Pinson est un bel oiseau surtout dans son costume de no- ces, car bien qu'il ne mue qu'une fois l'an, vers la fin de sep- tembre, le soleil et l'amour s'unissent pour transfigurer glo- rieusement son plumage au printemps, .\lors sa poitrine s'em- SEDIPEDES. I3S pourpre de la ron2;e couleur du vin; sa calotte bleu cendré prend une teinte plus sombre, son bec du jaune pâle transite a l'ardoise. Le Pinson nourrit ses petits de papillons, de chenilles et dô menus scarabées. Les alliances qu'on a quelquefois essaye de lui faire contracter avec la Serine n'ont pas encore réussi, les parents ne pouvant s'entendre sur le genre de nourriture à don-, ner à la jeune famille. On a fait couver dts œufs de pinson à la Serine ; elle les a amenés à éclosion , mais les nouveaux-nés n'ont pu vivre, faute de nourriture animale. Les Pinsons se réunissent en troupes assez nombreuses vers l'arrière-saison et se mettent habituellement en route pour les contrées méridionales à la suite des pluie.? de l'equinoxe ; mais leurs voyages ont plutôt l'air d'une partie de plaisir que d'une émigration véritable. Ils cheminent à petites journées, et sta- tionnent fréquemment dans.les vignes , dans les vergers et dans les champs voisins de la demeure de l'homme. Rarement les voit- on dépasser les frontières naturelles du Midi de la France. Les natifs de cette région y sont complètement sédentaires. On dit que les femelles des Pinsons passent avant les mâles , mais j'ai peur que cette opinion que je sais accréditée parmi les ornithologistes ne soit encore une erreur, provenant de ce qu'après la mue d'au- tomne le costume des mâles difl'ère peu de celui des femelles. A la pipée , quand nous étions petits , les anciens nous lais- saient facilement les Pinsons pour notre part , et nous permet- taient d'exercer sur ces maigres sujets nos jeunes talents culi- naires. Ils tremblaient un peu plus de nous voir gâter les Rou- ges-gorges... Ce qui ne doit pas être une note très-favorable pour la chair des premiers. Si l'on avait donné le Pinson à baptiser aux Peaux rouges des grands lacs , probablement qu'ils l'auraient appelé le Gosier courageux. Le Pinson d'âudenne. Nom de famille absurde, surchargé d'un mensonge , car cet oiseau vient de la Scandinavie et non pas de la forêt d'.\rdenne et il n'a jamais niché en France où il im ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. n'est que de passage deux mois de l'an, de la Toussaint à Noël. 11 descend par grands vols dans nos provinces de l'Kst, pénètre jusqu'au cœur du Languedoc, y fait un séjour d'une quinzaine et puis tout à coup disparaît, sans qu'on sache bien par où il passe. On dit que dans leur pays ces oiseaux chantent des airs de bravoure magnifiques ; ceux que j'ai tenus en cage n'ont jamais justifié ce renom de talent que leurs compatriotes leur ont fait. On ajoute que leur nid bâti sur les sapins est comme celui des nôtres une merveille d'art et qu'ils aiment la semence de pin et les bourgeons des arbres comme leurs cousins de France. J'adhère facilement à cette opinion. On ne raconte rien par malheur des joutes de larynx de ces chanteurs du Nord , et ce doit être un oubli de l'histoire, attendu qu'il est impossible qu'il ne se passe pas dans le sein de cette famille au printemps quel- que chose d'analogue à ce qui se voit chez nous dans celle des Pinsons. Le Pinson du Nord qui arrive en ligne droite du pays des barbares dont il a conservé la touche dans sa mise et dans son langage, est plus facile à séduire que le nôtre, élevé en plein mi- lieu de civilisation. On en prend des nuées aux filets , on en fait au fusil des abattis terribles. Leur chair finit par devenir man- geable, quand elle s'est corrigée par un mois de séjour en France, du principe d'amertume qu'elle tenait de la fréquentation de l'arbre vert. Je connais peu d'oiseaux dont le plumage emploie autant de nuances et varie aussi fréquemment que celui du Pinson du Nord où le roux orangé, le noir luisant , le jaune d'or, le blanc pur s'amalgament et s'embrouillent dans un fâcheux désordre qui n'est pas un eflet de l'art. Poitrail roux , ventre blanc, calotte et manteau de velours noir, queue idem sillonnée dans son milieu de filets blancs et bordée d'une frange de môme nuance; le bec jaune l'hiver, bleu l'été avec la pointe noire dans l'une et l'autre saison. Au demeurant un moule d'assez riche prestance. Le Pinson des nek.es. Nivcrolle, mieux nommé que le précé- dent; car il habite la région des neiges éternelles, en société du SÉDIPÉUES. 137 Chamois , de l'Accenteur et du Lagopède , et ses chansons d'a- mour sont les dernières qui troublent le silence des champs de la mort. Douce voi\ , humble costume , capuchon gris , le bec et les pieds noirs , le mauteau brun , la robe blanche , les pennes secondaires aussi et la queue, hormis les deux rectrices médianes qui sont noires. Le Pinson de neige réside pendant l'été aux dernières limites du règne végétal; il en descend l'hiver pour chercher sa vie dans les plaines. Sa demeure est en France aux cimes escarpées des monts de l'Isère et des llautes-Alpes, au voi- sinage de la Grande Chartreuse. Il se retrouve au nord des deux continents, en société du Lagopède et aux latitudes dont la tem- pérature correspond à celle des régions élevées qu'il habite chez nous. Mon pauvre ami Bellot l'avait rencontré sur les bords de la mer de glace où il a trouvé la mort, et lui avait parlé. Le Niverolle se nourrit là du peu de semences et d'insectes à qui le froid per- met de se développer en ces mornes solitudes, papillons, graines alpestres , amandes d'arbres verts. Il fait son nid dans les cre- vasses des rocs avec la mousse des arbres et la bourre laineuse dont la robe des chamois se dépouille au printemps. Le Moineau franc. Pierrot, Pierrette. Moineau, du grec mo- nos , moine , solitaire... probablement parce que cette espèce se plaît au sein des cités populeuses et recherche le bruit et la société. J'aimerais mieux l'ancien nom passereau, du mot latin passer, dérivé de l'infinitif pati qui veut dire subir, pour indi- quer une nature passionnée, ardente, victime de son tempérament orageux. J'envie sincèrement le talent des ornithologistes de renom qui réussissent à faire tenir en douze lignes, comme Temmynck, l'his- toire du Moineau franc Une histoire qui raconte les causes de lagrandeur et de la dé- cadence de cent peuples, qui apporte des solutions inédites à la plupart des grands problèmes politiques et religieux qui ont agité le monde pendant cinquante siècles , qui soulève en passant plus de questions de climatologie, de météorologie, d'économie sociale 138 OKNlTHOLOfjlE PASSIONNELLE. et agricole, queleSirocco et leMistralne soulèvent de tourbillons de poussière parmi les craus et les steppes fumeuses de la Mau- ritanie et de la Provence altéi ées ! . . . Je me sers à dessein de cette comparaison ambitieuse etL^ ■i;èrement hyperbolique pour appe- ler l'atteVition du lecteur sur deux fléaux atmosphéricjues qui ne sont pas étrangers au sujet que je traite. Douze lignes, c'est à peu près la place qu'il me faudraitàmoi, rien que pour écrire le sommaire des questions capitales qui se rattachent intimement à celle du Moineau franc! Ne pouvant les aborder toutes, pour des raisons qu'il e?t inutile de déduire, je me bornerai à considérer l'histoire du Moineau franc dans ses rapports avec celle de la domination arabe et avec l'état actuel des malheureuses contrées d'Asie, d'Afrique, d'Eu- rope sur lesquelles cette domination a pesé. Je commence par relever l'oubli si impardonnable commis par tous les historiens modernes, dont pas un n'a jugé à propos de constater scientifiquement l'inlluence que la peur du Moineau franc exerça si longtemps sur les conseils des nations de l'ancien continent. Car cette peur fut universelle, et il n'est même pas bien sûr que les peuples les plus avancés de l'Europe en soient, à l'heure qu'il est , complètement guéris. Je lisais naguère en- core dans un recueil de statistique fort peu édifiant : qu'on ne pouvait évaluer à moins de dix millions de francs ou de dix mil- lions d'hectolitres , je ne sais plus lequel , la quantité de froment dont le Moineau faisait tort chaque année à la France. Or je ne mets pas en doute que cette assertion absurde n'ait trouvé de nombreux croyants. Vous avez beau dire au badaud que pour quelechilTre du dommage fût juste, il faudrait posséder d'abord un moyen sur de calculer le blé que peut manger un moineau dans un jour et ensuite défalquer du total acquis par cette voie la somme des millions d'hectolitres sauvés de la dent du ver blanc et des autres vermines par la garde du Moineau Iranc; le badaud plein de foi dans la statisliciue brute ne tient compte de vos~ raisonnements. Rappelons encore que les Economistes, une secte d'origine anglaise, supplièrent un jour le gouvernement de leur pays de mettre à prix la tète du Moineau franc dans l'intérêt do SÉDIPÉDES. 139 l'agriculture, et que le gouvernement eut la faiblesse d'accéder à cette proposition dont il ne tarda pas à reconnaître la sottise. Je ne désire voir mettre à prix la tète de personne, mais je ne puis m'empêcher de dire que je connais une secte dont les prin- cipes ont été p4us funestes au travailleur agricole que tous les moineaux francs du monde et dont il eût été beaucoup plus ur- gent et plus sage de débarrasser le pays. L'histoiï-e ancienne, c'est justice à lui rendre, comprit mieux la haute portée de la question que la moderne. Diodore de Sicile affirme positivement que le Moineau franc a chassé le Mède de sa patrie. Mais de toutes les races dont la peur du Moineau a bouleversé la cervelle, aucune n'a apporté dans la persécution qu'elle a fait subir à l'espèce plus d'acharnement , de fanatisme et de ténacité que celle des enfants d'Ismaël. Elle a déclaré la guerre au Moineau franc, guerre sainte ! Elle a fait de la question une question d'être ou de n'être pas. La haine qu'elle portait au Moineau s'est étendue à l'arbre qui lui servait de domicile, et elle a voué la forêt et la verdure à la destruction. « Si l'arbre avait pu se plaindre, il aurait dit à l'assas- sin brutal : pourquoi t'en prendre à moi du mal dont je ne suis pas l'auteur? » Mais l'arbre ne parle pas et il a laissé faire. Jetez les yeux sur cette nappe immense de contrées comprises dans la plus riche des zones de l'ancien continent, depuis les rives de l'Indus jusqu'à celles duTage et delà Durance, en pas- sant par la Perse, la Mésopotamie, l'Arabie, la Syrie, l'Egypte, les États barbaresques; partout le même spectacle attristera vos regards : la plaine aride et nue remplaçant les Edens et les jardins des Hespérides, partout la lèpre du désert dévorant l'oasis sur les pas de l'Arabe. Le Dieu de Mahomet a dit à ses tidèles de ne pas laisser au Moineau une br;inche où reposer sa tête, et les fi- dèles exécutent à la lettre les ordres de leur Dieu , à l'instar des Huns d'Attila qui se croient aussi commissionnés d'en haut pour punir les crimes de la terre et qui ne veulent pas que l'herbe repousse là où leurs chevaux ont passé. La tradition orientale avait placé le Paradis terrestre au lieu i4() ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. OÙ jaillissaient les sources des Quatre Fleuves, en un coin for- tuné quelconque de la Mésopotamie ; l'Arabe a mis un jour le pied sur ce sol plantureux et soudain les fleuves ont tari , les sa- bles vitrifiés qui brûlent le regard ont enseveli sous leurs flots la prairie Verdoyante et ses tapis de fleurs; le souille empesté du Khamsin a remplacé dans l'air les brises parfumées des orangers médiques et des lilasde Perse; et ces vallées si belles au sortir des mains de Dieu, si belles et si amies de l'homme qu'elles lui furent assignées pour son premier séjour , ces délices de la terre sont devenues les champs de l'abomination de la désolation , les arènes du brigandage, les officines des exterminateurs, les foyers d'infection permanente et universelle du globe. Amsi en est-il advenu de toutes les terres promises de la lé- gende antique , du Chanaan , de la Babylonie, de la Syrie, de l'Arabie Heureuse ; ainsi de l'Egypte des Pharaons et des Pto- lémées , de la Numidie et de la Mauritanie de Salluste , où la tradition de l'Occident avait logé aussi un autre Paradis, certain jardin des Hespérides où croissaient des pommes d'or (oranges de Blida) gardées par des dragons aux langues flamboyantes. L'Arabe qui a peur du Moineau, l'Arabe au mauvais œil, est venu là, porté par la conquête, et le Sirocco , le Simoun , la peste et la misère y ont fait élection de domicile avec lui. Il a jeté le sort aux forêts et aux sources, et le désert s'est fait aux lieux où florirent jadis trois cents métropoles populeuses ; et les greniers du monde ro- main n'ont pu bientôt suffire à nourrir chétivement les quelques tribus de bandits nomades demeurés les seuls maîtres d'un sol déshonoré. La preuve que c'est bien la peur du Moineau franc , cette peur et rien de plus qui a converti en déserts les plus riches contrées de l'ancien monde, des rives de l'Indusaux colonnes d'Hercule, la preuve que le ravage a bien été conduit par les mains de l'Arabe, c'est que les deux seuls pays d'Europe où ce peuple ait mis le pied ont subi la même métamorphose que l'Algérie, l'Egypte et la Mésopotamie. Je parle de l'Espagne et de la France des Maures. Lisez dans les auteurs anciens et même dans Fénélon les mer- SKDIPÉDES. 1i1 veilles de la fertilité de la Bétique et les récits authentiques du bonheur paradisia(iuc dont jouissaient au temps jadis les popu- lations innombrables de la péninsule ibérique , le plus riche de tous les pays d'Europe en forêts et en fleuves. Puis comparez cette Espa{i;ne d'autrefois, si humide et si verdoyante, terre de lait et de miel , avec l'Espagne de nos jours , si pauvre , si nue , si dépeuplée, si aride, brûlante l'été, glacée l'hiver; et deman- dez à votre raison la cause d'aussi fâcheux changements. Votre raison , si elle ose remonter aux vraies sources , ne vous répon- dra qu'un seul mot, un seul nom qui dit tout, l'Arabe... l'Arabe et sa peur du Moineau. Attendu que cette peur est une épidémie contagieuse, et que de l'esprit du musulman vainqueur elle a passé dans celui du chrétien vaincu , qui alors n'a plus eu de cesse qu'il n'eût rasé à blanc les monts dont l'épaisse chevelure proté- geait les vallées contre les assauts redoublés des vents du Midi et du Nord et y entretenait une perpétuelle fraîcheur. La Sierra une fois achauvie , et le tabac à fumer et l'Amérique aidant , la ressemblance des vallées de la Bétique à celles de la Médie et de 1 Arabie Heureuse n'a pas tardé à s'opérer. Le Sirocco et la Bise se sont partagé fraternellement le règne de l'atmosphère et s'y sont entendus pour faire se succéder aussi régulièrement que possible les deux extrêmes de chaud et de froid ; et de si boa accord ont agi tous ces éléments de ruine , que l'infortunée pé- ninsule en est devenue ce qu'elle est , c'est-à-dire la contrée la plus inhospitalière et la plus déchue de sa splendeur native , in- habitable faute d'eau et de moyens d'y faire la cuisine. Les voyageurs assurent qu'aux royaumes de Murcie , de Malaga , d'Alicante , qui passaient autrefois pour la fleur des jardins de la riche Bétique , les jardiniers d'aujourd'hui attendent quelque- fois cinq ans qu'il leur tombe du ciel une goutte d'eau pour faire lever leurs choux. II n'y a pas jusqu'à l'Amérique espagnole elle-même , vierge du Moineau franc , où l'aridité et le désert n'aient vaincu par la main des vainqueurs. Et je ne vois pas de terme à l'envahissement indéfini de cette misère et de cette sécheresse, puisque l'exécration du Moineau franc qui les a en- gendrées n'a fait que croître dans le cœur du peuple espa- 142 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. gnol, au fur et à mesure de la dégradation du sol de sa patrie. On dit qu'au temps du bannissement des Maures, qui suivit de très-près la prise de Grenade, un des derniers bannis, avant de mettre le pied sur le pont du navire qui fallait transporter aux places marocaines , prit un Moineau franc dans sa main et le lança contre l'Espagne, le chargeant du soin de sa ven- geance. La vengeance s'est accomplie, hélas! La pauvre Es- pagne se meurt d'un préjugé arabe , en chantant dans son agonie ses triomphes sur le Maure ! L'Arabe arrêté raide dans son vol vers le Nord par la hache de Charles-Martel , et forcé de rétrograder vers le Midi , eut à peine le temps de fonder quelques établissements éphémères aux bords de la Garonne , du Rhùne , de la Durance, etc. Mais si courte cependant qu'ait été sa domination sur ces rives fer- tiles, elle a sulli pour inculquer le préjugé mortel au crédule indigène de ces contrées naïves. Et la guerre aux forêts et aux sources y est née comme en Espagne de la peur du Moineau franc, et l'ulcère malin de la craus et de la garrigue y a petit à petit dévoré la prairie , et les cimes des monts frontières , dé- mantelées de leurs fortilications naturelles , ont livré la vallée aux outrages du mistral. Je n'achève pas la description de ces scènes monotones , le gibier disparu , la vigne déshonorée , la culture de l'olivier et de l'oranger réduite à des proportions ridi- cules, et les anciens Paradis de la Gaule, l'Occitanie et la Pro- vince romaine transformés en pays sauvages comme l'heureuse Bétique et les rives embaumées du Tage. J'ai besoin d'éloigner de mes yeux ce tableau ailligeant sur lequel j'ai déjà précédem- ment versé tant de regrets et de larmes. Ainsi la grandeur du désert raconte celle de la question du Moineau franc , et aussi le souffle brûlant du simoun , et l'haleine glacée du mistral , et peut-être même la lune rousse , lléau d'origine moderne , et les intempéries outrées... Ainsi la peur du Moineau franc est caractéristique de phase patriarcale et vice de sang chez la race arabe , race vouée de toute éternité à la routine, à la fainéantise, au brigandage , à la polygamie ! Que vous semble , en présence de ces considérations si larges SÉUIPEDES. 143 et si neuves , des prétentions de ces savants d'académies uivcses qui vous donnent eiïronténicnt pour de vraies histoires du Ca- lifat, de la France, de i'Espai',ne, ou encore pour de vrais trai- tés de climatologie ou d'économie agricole , de gros livres où il n'est pas dit un mot du Moineau franc! Il est juste de convenir pourtant que la haine de l'Arahe pour le Moineau franc n'est pas tout à fait sans motifs. Seulement ces motifs accusent plus la paresse de l'homme que la voracité de l'oiseau. Je n'apprends rien de nouveau à personne en rappelant que les Arabes , comme tous les patriarcaux , vivent sous un régime de communauté où la terre n'a point de maître. Là, chaque membre de la tribu reçoit chaque année de la régence commu- nale le droit d'ensemencer une certaine quantité de terrain dont l'étendue est proportionnelle aux besoins de sa famille. Or, l'Arabe, qui considère le travail comme un acte déshonorant et qui aime mieux se laisser mourir de faim que se déshonorer , se borne naturellement à cultiver le moins qu'il peut ; et il ré- sulte de sa paresse que tous les Moineaux du canton , étant for- cés de s'abattre sur les minces parcelles cultivées au temps de la moisson , y causent un dommage notable. Le remède à appliquer à ce mal est fort simple. Il consiste à décupler l'étendue des terrains cultivés , et non à raser les forêts. Par le moyen du produit décuple, en eflét, le dommage est réduit des neuf dixiè- mes et devient insensible; ou plutôt la part de grain que le Moi- neau dérobe peut être considérée comme celle qui lui revient de droit dans la récolte, à titre de conservateur et de gardien d'icelle. Du reste, si l'Histoire et la Science ont manqué au Moineau franc dans les âges modernes et se sont manquées à elles-mê- mes, la Poésie, la Science et la Littérature antiques l'ont noble- ment relevé de ce dédain injuste. Le Moineau de Lesbie est l'hon- neur éternel de la littérature du grand siècle de Rome; la Déesse des amours attelle des moineaux à son char; la Mytho- logie et l'Écriture Sainte requièrent en une foule d'occasions -le témoignage de l'espèce. Pline démontre fort bien d'abord et par de? calculs très- iU ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. savants que Vénus a bien fait de prendre pour attelage un cou- ple de moineaux francs. Seulement le grand naturaliste montre un peu d'ignorance en affirmant que, dans cette espèce, le mâle succombe habituellement avant la lin de l'année qui l'a vu naî- tre , épiiisé par les voluptés et les douleurs rhumatismales gout- teuses. Je soupçonne également Scaliger et Aldrovande d'avoir exagéré ses prouesses amoureuses. Le moineau vit quatre ans et plus en liberté, et j'en ai connu personnellement un qui vécut sept ans, moitié libre, moitié captif; ce qui prouve que cette question de longévité est encore à revoir. Disons d'ailleurs qu'un moineau qui ne vivrait que quatre ans, aurait pendant ce temps élevé dix à douze familles et que l'on a toujours suffisam- ment vécu lorsqu'on arrive au bout d'une carrière aussi honora- blement remplie. Considérons, en outre , que le Moineau franc vit plus vite que la plupart des autres oiseaux , absorbant dans un temps égal une quantité d'oxygène bien plus considérable. Or l'absorption de l'oxygène est à proprement parler l'acte qui cons- titue la vie, puisque c'est l'acte qui donne au sang sa chaleur et aux artères leur jeu qui mesure le temps. Les anciens supposaient que l'Épervier avait découvert l'inten- sité de la chaleur interne du Moineau franc et que cet oiseau de proie avait l'habitude de prendre tous les soirs un Moineau franc l'hiver et de le tenir toute la nuit contre sa poitrine en guise de chaufferette, le laissant échapper au matin sans lui faire aucun mal. Les oiseaux de proie de nos jours paraissent moins versés dans la thermométrie. Si le Moineau franc a les passions très-vives , ce que je ne con- teste pas, du moins est-il juste de reconnaître que jamais l'ar- deur de ses sens ne l'entraîne à enfreindre ses devoirs conju- gaux. Il meurt où il s'attache , triple mérite à lui. La belle gloire aux cœurs froids de demeurer fidèles! Les livres saints , ai-jc dit , rendent justice au moineau. Le Psalmiste chante sa piété et celle de l'hirondelle qui choisit comme lui pour élever ses petits la maison du Seigneur. LeZm- tique veut que le lépreux guéri oflVe à Dieu une paire de Moi- neaux francs, en témoignage de purification et de retour à la SÉDlPÉbES. U'J santé. Le luthérien Holem établit entre la dévotion de cet oiseau et celle d'un certain cvèquc catholique un rapprochement qui n'est pas favorable au prélat, « car le moineau, dit l'hérétique, se réveille avant l'aurore pour chanter les louanges du Très- lïaut, tandis que vous, monseigneur, il faut vous arracher de force au sommeil pour vous faire dire votre messe et bien long- temps après que le soleil est levé. » Hérodote, le père de l'histoire profane, fait jouir le Moineau franc de l'amitié des dieux, comme David et Moïse. Il raconte qu'un industriel qui faisait le commerce des oiseaux, était oc- cupé un jour à dénicher les Moineaux francs d'un temple de Lydie, lorsque soudain une voix menaçante sortit du fond du sanctuaire et causa un tel cfl'roi au ra\isscur qu'il descendit de son échelle la tête la première et se lit beaucoup de mal. Pline , qui croit comme moi que le Moineau franc est l'ami de l'homme, cite à l'appui de notre opinion le fait de ce pierrot qui, pour- suivi par unémérillon, s'insinua vivement dans le paletot de Xénocrate. Nous avons pour nous encore le fameux jugement de l'Aréopage dont je n'abuserai pas. Mais de tous les écrivains de l'antiquité , Plutarque est celui (|ui a le mieux compris le carac- tère et la portée d'esprit du Moineau franc. L'illustre auteur de la vie des hommes célèbres avoue avec candeur dans la vie de Sylla que ce fut un moineau qui prédit le premier la venue de la guerre civile qui devait inonder Rome de sang. Un jour que les Pères Conscrits délibéraient sur un sujet très-grave dans la chapelle de Bellone, un pierrot s'offrit tout à coup aux regards de l'assemblée, tenant en son bec une cigale , — une cigale dont il ht deux parts, l'une qu'il donna aux Pères Conscrits, l'autre qu'il emporta dans les champs. Ce qui annonçait clairement (c'est l'histoire qui parle) qu'il y aurait prochainement bataille entre les cigales (propriétaires fonciers) et les moineaux francs (citadins)... Or l'événement ne tarda pas à justiher la parabole anatomique du prophète. Ainsi dès le tenips le plus brillant de la république romaine et bien avant Plutarque, le Moineau franc symbolisait l'habitant des cités. II. 40 ]ii\ OH.MTHOLor.lE l'ASSlOiNNELLE. Ils voyaient juste dans les rapports des êtres, ces enfants du jeune monde; le Moineau franc est, en effet, rémblème de l'habitant des cités, mais de l'habitant des cités jeune âge, tran- chons le, mot, du gamin. Comme tous les gamins, le Moineau se teint facilement de la couleur locale, empruntant son langage, son faire, ses allures, au milieu où il vit. l^aris est le séjour favori des flâneurs , des viveurs, des diseurs spirituels^ la ville des causeries attrayantes et des plaisirs qui usent. Le iiamin de Paris n'a pas son pareil dans le monde ; le moineau de Paris non plus. Lp nioineau de Londres est triste , fumeux , convenable , mais froid et empesé comme son pays natal. Celui d^ Rome et celui de Madrid portent une robe plus chaude de ton , mais ils manquent d'entrain et de spontanéité. C'est à Paris qu'il faut étudier l'espèce. Querelleur, conteur, godaillcur, goguenard, pillard, bavard, effronté, familier, mutin, mauvaise tète et bon cœur: voilà le moineau (Je Paris. Courte et bonne est sa devise. J'ai vu le moi- neau, jiié .eu avril prendre femme au mois de juin. Le moineau parisien le mieux élevé et le plus sociable est celui du Palais-Royal ; le plus heureux, sans contredit, est celui du Jardin des Plantes , qui est à la vraie source pour en appren- dre de tous les pays et de toutes les couleurs et qui prélève une dîme copieuse sur la nourriture des pensionnaires ailés de l'éta- blissement, y compris Martin l'ours. Il y a beaucoup de bien et aussi un peu de mal à dire de l'espèce, qui possède toutes les ver- tus, mais aussi la plupart des défauts de son emblème, lequel est un des sujets historiques les plus délicats à traiter. Le moineau de Paris vous mange volontiers dans la main et vous paie facilement votre gracieuseté par un bon mot ou une gentillesse. Ains-i du gamin de Paris. Le langage du Moineau franc brille peu par l'élégance et la distinction , mais il est expressif. On en peut dire autant de celui du gamin qui tient même à ses fautes. C'est ainsi qu'il sostine à écrire rue Ihrlioir . en place de liochechovai't ^ sous. prétexte SEIJIPEDES. 147 que pour se conformer de tout point à l'autre règle , jl serait obligé de dire mon mourlierhouavt au lieu de mon mouchoir. Le piaulement peu harmonieux du Moineau s'appelle pépiement. Il est rusé, narquois, luté comme son emblènie; il a l'air d'écouter avec un plaisir infini les paroles de l'appelant et du pipeur, comme le gamin le boniment de l'artiste en plein vent, puis au moment de payer s'esquive. II sait le dessous des ficeiT les, des nappes et des r.-iqiieltes, et les nargue en disant quelr que chose (|ui ressemble au lameux mot : Connu. Il s'éloigne peu des lieux où il est né, demeure fidèle à son toit, à sa famille et à ses habitudes. Ce n'est jamais non plus de .«on propre mouvement que le K. Un des leurs est-il pris au trébuchetou enlevé par un matou, aussitôt tous ses camarades s'empressent d'accourir à son aide et tentent parfois d'incroya- bles efforts pour le tirer de peine. Exposez sur votre fenêtre un pauvre petit Moineau qui ne mange pas encore seul, et toutes les mères et tous les pères du voisinage, voire des jeunes du mois dernier, se feront un plaisir de lui apporter la becquée. Les gran- des dames des villes font bien semblant de s'attendrir aussi sur le sort des nouveaux nés que leurs malheureuses mères exposent sous le porche des églises; mais les grandes dames des villes ne pratiquent la charité qu'à la condition qu'on en parle, et elles ne se disputent jamais comme les Moineaux francs le soin de nourrir elles-mêmes l'orphelin. * Les principes de l'assistance fraternelle sont en honneur aussi parmi les francs gamins , qui ont même un langage à eux pour se signaler mutuellement le sergent de ville ou le garde cham- pêtre, et qui sont capables de traits de dévouement incroyables pour délivrer leurs captifs. La charité , hélas ! est de pratique si nécessaire et si habituelle dans la vie du pauvre monde qu'il n'y a que les riches qui aient eu l'idée d'en faire une vertu. Il n'est pas sans exemple que des querelles légères se soient élevées entre Moineaux francs pour une bouchée de pain , comme parmi les gamins pour un trognon de pomme; mais combien il est moins rare encore de voir ces ennemis généreux s'em- loO (mMiH()L(K;iE PASSlONMiLLE. presser d'oublier leurs querelles pour se faire part de toute bonne aubaine qui leur tombe du ciel ! Eunapius raconte qu'il connaissait un homme qui comprenait parfaitement le langage des oi.'^eaux , comme le visir du sultan Mahmoud. Cet homme avisant un jour sur le toit d'une maison une foule considérable de Moineaux qui causaient chaudement d'une affaire , eut envie de savoir le sujet de la discussion, et prêtant l'oreille, entendit que le principal orateur invitait l'assemblée à. se transporter au plus vite vers l'une des portes de la ville où venait de sombrer une voiture chargée de grains. Or, quelques-unes des person- nes qui avaient été mises par l'interprète au courant des débals, s'étant rendues sur le théâtre de l'événement, pour vérifier la jus- tesse de l'interprétation , furent stupéfiées de voir que l'homme et le Moineau avaient dit vrai. Ainsi l'oiseau témoin de l'heu- reuse catastrophe n'en avait pas voulu garder le secret pour lui seul. Un des bonheurs du gamin de Paris essentiellement gobe- mouche et llàneur est de se réunir aux siens à certaines heures du jour, en un carrefour quelconque, pour deviser de choses et d'autres. Semblable habitude est entrée dans les mœurs des Moi- neaux des villes, (pii tiennent presque tous les jours pendant la belle saison un conciliabule à cinq heures. Comme on n'avait ja- mais rien pu savoir de ce qui se disait dans ces réunions où tout le monde parlait à la fois et répétait toujours la même note, l'idée vint naturellement d'y voir une singerie du régime parlemen- taire et une épigramme mordante de l'oiseau railleur à l'adresse de nos orateurs. Mais cette explication spécieuse a cessé d'être soutenable , depuis que de profondes recherches historiques ont amené la preuve que cette institution des clubs de Moineaux francs était antérieure de plusieurs siècles à la naissance du re- présentatif. La seule explication acceptable à donner de cette coutume me semble être : (pie si les Moineaux francs aiment à se réunir, c'est pour être beaucoup ensemble. Le Moineau est un oiseau brave qui meurt et ne se rend pas , et se défend avec un courage héroïque contre des ennemis dix fois[)lus forts que lui. .l'eu ai vu , tout jeune, un du Palais Royal SKIMPÉDES. loi (|(ii Ibira un ro(|iu't à la rctraiti; en le pineanl violemment aux narines , aux grands applaudissements des polissons de la place et de plusieurs Moineaux perches sur les arbres voisins. Beau- coup d'écrivains accordent aussi une valeur héroïque aux gamins de Paris , surtout au lendemain des émeutes réussies. Les Moineaux sont surtout susceptibles d'attachement et de re- connaissance, comme le trait suivant le démontre. Un soir que je traversais J es Tuileries , au retour d'un^î visite aux cygnes du grand bassin, mes vchix lurent tout à coup tirés en haut ])ar un tumulte étrange, ("/étaient des trombes épaisses de Moineaux Irancs qui tourbillonnaient dans res|)ace au-dessus des grands arbres, comme emportées par des vents de tempête , et (pii rem- plissaient l'air de ta|)age et de cris. Je reconnus sai\s |)cine à l'ac- cent douloureux et plaintif de ces voix qu'un immense malheur venait d'arriver à l'espèce, et à force d'écouter, je parvins à com- prendre la cause du bruyant émoi. C'était Maria Stella qui ve- nait de mourir , Maria Stella qui fut pendant de longues années la providence des Ramiers et des Moineaux francs des Tuileries ; la même qui s'est plainte dans un livre d'avoir ete changée en nourrice contre le roi Louis-Philippe. Maria Stella habitait , rue de Rivoli , au (juatriéme étage , un appartement à balcon où elle avait fonde une table d'hùte pour la société d'élite des Moineaux parisiens, qu'elle recevait tous les jours, à heure lixe. Or, il y avait déjà deux jours que les fenêtres hospitalières de la salle à manger ne s'étaient ouvertes, et que les pensionnaires affligés n'avaient aperçu leur hôtesse, et la douleur de son absence était la cause de leurs gémissements. Leur deuil dura huit jours. On cite encore parmi les traits d'aïfeclion et de dévouement du Moineau franc l'histoire touchante de celui qui suivit son malheureux maître, un pauvre soldat condamné à mort, jusqu'au lieu de l'exécution et demeura courageusement perché sur son épaule pendant la fusillade. • Je dois dire maintenant que le Moineau familier, celui qui entre chez vous et en sort quand il lui convient, a un défaut très- grave, celui d'une ponctualité excessive pour les heures de repas. }l est presque aussi exigeant que Louis XIV et n'aime pas à at- lo2 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. tendre. Fourier en savait quelque chose. Une fois que le plaisir de la conversation l'avait retenu chez une parente au delà de l'heure prescrite, l'homme de génie se lève tout à coup comme frappé d'un remords, consulte sa montre et s'écrie avec un accent de désespoir non joué : Dix minutes de retard, je suis per/iu. — Comment cela, et que voulez-vous dire? interroge la parente effrayée à son tour; (ju'y a-t il ? confiez-nous ce secret redoutable. — 11 y a, il y a... que mes moineaux sont dans ma chambre qui m'attendent depuis dix grandes minutes, et que je ne vais pas savoir quel mensonge inventer pour excuser un oubli aussi impardonnable. — Ce qui est impardonnable, c'est de faire de pareilles peurs aux gens pour de méchantes petites bètcs comme ça. Envoyez-les promener vos moineaux , s'ils ne sont pas contents. — C'est très-facile à dire, reprend l'auteur du Nouveau Monde, s'esquivant à la hâte, mais on voit bien que vous ne connaissez pas ceux à qui j'ai affaire. Je ne les avais manques que d'une minute l'autre jour et j'en ai eu pour une bonne heure de semonces et de reproches à subir. Il est aussi d'observation quasi-universelle que le gamin se montre plus ponctuel pour l'heure des repus que pour celle du travail , ce qui n'a rien de blâmable, puisque les trois quarts des travaux en civilisation sont essentiellement répugnants. Le gamin n'ayant pas encore endossé la robe virile est en deçà de la série d'amour et en dehors de ce sujet d'étude. Ici finissent en conséquence tous ses rapports avec le Moineau franc ; le reste de cette notice n'a trait qu'à celui-ci. Le nid du Moineau franc, celui qu'il bâtit sur les arbres, en haut des peupliers, n'est pas une merveille d'architecture; le travail en est grossier, les matériaux communs, les détails incorrects, les dimensions absurdes. Le Moineau cet peut-être de tous les oiseaux du monde celui qui , proportionnellement à fa taille, se construit la plus vaste demeure. Son nid, de forme ronde comme celui de l'écureuil, n'occupe guère moins d'emplacement que ce dernier ou celui de la pie. Mais l'œuvre ne pèche pas, tant s'en SÉUIPEDES. lo3 faut, sous le rapport du lu\e, si elle laisse beaucoup à désirer du côté de l'art et du goût. Cette espèce de botte de paille défaite, mal peignée, sans lien , qui se découvre facilement d'une dis- tance de deux kilomètres, renferme dans son intérieur une cham- brette sphérique, splendidement lambrissée des plus précieuses étoffes, plumes, duvet, soie de lapin, c'est-à-dire que je ne connais pas de berceau plus confortable ni plus cbaud que ce- luici, et où les petits soient plus à l'aise. On trouve fréquemment parmi les démolitions de ces bâtisses des fragments de journaux voltairiens et des pièces d'étoffes rouges, affiches non écpiivoques des dangereux principes dans lesquels le Moineau franc élève sa famille , et que j'ai déjà dénoncés. Ces principes, en effet, joints au goût passionné du Moineau franc pour les appartements chauds et lambrissés de plumes, sont les causes qui l'entraînent à faire à l'Hirondelle toutes sor- tes de misères et d'odieuses chicanes pour l'expulser de son do- micile, lequel réunit à tous les avantages du nid du Moineau franc celui d'être tout bâti. On dit que l'Hirondelle se venge parfois de l'envahisseur de sa propriété en l'y murant et l'y faisant mourir du supplice des Vestales. Je désire pour l'exemple que le conte soit vrai , mais ne l'espère pas. Le ménage des Moineaux francs, quoique très-édifiant par l'ardeur mutuelle des époux et par leur tendresse sans bornes pour leur progéniture, n'est pas toujoufs exempt de ces légers nuages qui troublent le ciel d'azur des unions les mieux assorties. Madame est d'humeur exigeante et de service difficile et hous- pille fréquemment Monsieur, sous prétexte qu'on la néglige. Mais ces querelles durent peu et malheur en tout cas à l'officieux voisin qui s'avise de s'interposer entre les parties belligérantes pour mettre le holà; car nos deux amoureux se raccommodent aussitôt et profilent de la circonstance pour tomber à grands coups de bec sur l'intrus de malheur et pour lui apprendre à se mêler de ce qui le regarde. Ainsi procèdent les époux Sganarelle de Molière et les époux Colin de Béranger, mettant en pratique la maxime que vivre en paix c'est vivre en bêtes. J'ai dit que toutes les Fringilles nourrissaient leurs petits avec I.ii UlLMTHOLOGlfc: PASSIONNELLE. des insectes. Ce régime est surtout de rigueur dans les huit pre- miers jours qui suivent la naissance, et parait indispensable pour l'aciliter l'éruption des plumes. Ces insectes sont généralement des papillons, des chenilles, de petits scarabées. Cependant le Moineau franc ne craint pas de s'attaquer au hanneton, et il en immole de vastes hécatombes. C'est i)ourquoi j'ai eu raison de dire que l'espèce servait dix fois plus l'agriculture par la grande destruction qu'elle fait des ennemis des arbres et des moissons, qu'elle ne lui nuisait par sa passion pour l'orge et le ble tendre. Et attendu que cette passion n'a pour se satisfaire qu'une dou- zaine de jours par année , les calomniateurs qui ont écrit que le Moineau franc mangeait deux boisseaux de blé pendant ces douze jours, sans compter ce qu'il en gaspillait, ont dit une sot- tise grosse comme eux. Les Moineaux francs sont richement titrés en familisme, et il n'est pas une àme sensible qui n'ait été émue au doux spectacle des soins alfectueux, de la |)rotection et des caresses dont le père et la mère entourent leurs petits longtemps encore après qu'ils sont sortis du nid. La passion des enfants est si universelle et si développée dans l'espèce, que des millions de jeunes en sont annuellement victimes. Mettez à la portée d'un Moineau de deux mois un Moineau de quinze jours enfermé sous une mue et faites (|ue le captif réclame le secours de l'assistance publique, le libre n'hésitera jamais à pénétrer dans l'enceinte perlide pour ap- porter la becquée à l'autre et faire de la charité maternelle un apprentissage qui lui coûtera la vie; car le Moineau de grain jeune âge est tout à fait mangeable, et sa capture paie l'oiseleur de ses frais. Ici comme chez le Pinson, il a fallu attaquer la do- minante passionnelle de l'espèce pour triompher de sa detiance naturelle. Ainsi donc, et à bien prendre, il n'y aurait à articuler contre le Moineau franc qu'un seul ii;rief sérieux, celui qui est relatif à ses opinions sur le droit de propriété, et à ses démêlés fréquents avec les hirondelles. Et encore a-t-il à faire valoir de nombreu- ses circonstances atténuantes à l'encontre de ces deux accu- sations. Il dit, quant à la seconde, (pie les méchants procédés SEDU'liDIiS. \'à'ô dont il use envers l'Hirondelle de fenêtre ne sont (juc les re- présailles légitimes des extorsions, des expropriations et des avanies de tout genre que lui fait subir journellement le Marti- net, la grande Hirondelle des tours, sa hète noire, qui ne se gêne pas non plus pour expulser le Moineau franc de son do- micile et pour lui voler ses matelas en gros et en détail. Quant à la première, il excipe de la contagion de l'exemple des mœurs civilisées qu'il a constamment sous les yeux et qui lui repré- sentent sans variante aucune l'inlortune travailleur exploité, rançonné , exproprié par la paresse et le parasitisme. Ce qui m'étonne , moi , en eflet , ce n'est pas que le Moineau franc des grandes capitales ait emprunté quelques vices à l'homme , c'est que son cœur soit demeuré aussi pur et sa fidélité à ses serments aussi inébranlable au sein de ces bourbiers immondes où se dé- veloppent avec tant d'énergie tous les genres de putréfaction jnorale, la soif du gain, le mépris des sentiments tendres, l'inli- délité amoureuse, l'apostasie et la vénalité.. A ceux de mes lecteurs qui seraient tentés de se plaindre de la longueur exagérée de cette notice, je réponds (|ue l'écrivain consciencieux n'est pas maître de son sujet, et que j'avais be- soin d'acquitter une dette de reconnaissance contractée il y a bien des années envers le Moineau franc... le pauvre Moineau franc, ce soufl're-dou leur-né de l'inexpérience enfantine, qui fut avec le lapin blanc mon unique reconfort, mes uniques amours au collège , au temps non regretté où le pion ennemi m'ensei- i-nait avec tant de succès à maudire le travail, la grammaire et' l'autorité. Le Friqlet. Paisse, Minchot, Cendrille, Moineau des champs, (ya'on aurait dû appeler Moineau de puits , parce qu'il aime à nicher dans la sombre profondeur de ces édifices. Un peu plus i'oux et un peu plus petit que l'autre, sans tache noire sur la gorge. Son nom de Paisse lui vient dû passer ; celui de Friquet de l'habitude qu'il a de frétiller sans cesse. 11 aime mieux les champs que les villes, les trous d'arbres que les trous de murs. C'est l'ennemi le plus terrible de la cigale qu'il atteint dans les 156 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. airs à de grandes hauteurs. Il ne diflère pas plus du Moineau franc par les mœurs que par le costume, et ne vaut pas une histoire à part. En l'empêchant beaucoup de dormir et en lui répétant tous les soirs deux ou trois monosyllabes, on le force à les retenir , mais il a la mémoire courte et manque fréquemment de parole. Les Moineaux qu'on appelle Cisalpins et Espagnols, ne sont pas des espèces distinctes , mais de simples variétés du Moineau franc dont le soleil du Midi a culotté le teint. La Soulcie. Moineau de bois. Cette espèce, assez rare et as- sez insignifiante, est un peu plus grande que le Moineau domes- tique; elle habite exclusivement les forêts où elle niche comme les Mésanges dans les trous des vieux arbres. La Soulcie vit parfaitement et se marie môme en captivité. Ses allures, ses façons d'agir en cage semblent calquées sur celles du Moineau franc. Le mâle monte la garde tout le jour sur le goulot du pot de moineau cloué à la muraille qu'on lui a assigné pour domicile et où sa femelle couve. Il force tous les autres oiseaux de la volière à se tenir à distance respectueuse de ses foyers, et fond avec impétuosité sur quiconque viole sa consigne. Les blessures qu'il fait sont terribles. J'ai vu de pauvres Chardonnerets et de pauvres pinsons se retirer piteusement de ces batailles, éclopés pour le reste de leurs jours. Comme la Soulcie ne chante pas et peut se manger à la rigueur, il y a mieux à faire avec elle que de la conserver. Sa robe est parfaitement semblable à celle du Proyer ou de l'Alouette, si ce n'est qu'on y remarque à la partie supérieure de la poitrine un bel écusson de couleur jaune, en signe de la tendresse que l'espèce porte à ses petits. La Soulcie est sédentaire dans tous les pays chauds de l'Europe, et voyageuse ailleurs. Je n'en ai pris que deux ou trois en ma vie à la pipée ou à la tendue, en huit ans de pratique féroce de cette attravante industrie. SÉDIPÉI'ES. \51 Groupe des Bruanls. Neuf espèces. Le groupe des Bruants se distingue de celui des Fringillcs et de celui des Alouettes qui l'enceignent par des caractères sépa- ratifs faciles à déterminer. Les Bruants nichent à terre, portent le pouce très-long et sont excellents à la broche pour se distin- guer des Fringillcs. Ils chantent mal et perchent beaucoup pour se distinguer des Alouettes. Leur palais est en outre orné d'une protulierance osseuse sut genen's , qui leur sert de signe de re- connaissance certaine parmi toutes les espèces. Le nom de Bruant, qu'on leur a donné, ne vaut guère mieux que celui de Fringillcs ou d'Alouettes. S'il est pris du bruit de leur vol, il ne trace pas une ligne de démarcation sensible entre ce groupe et le précé- dent dont la plupart des espèces , le Friquet notamment , ont le départ bruyant et émotionnant de la Perdrix, du Faisan et de la Bécasse. Les savants ont métamorphosé ce méchant nom fran- çais en une dénomination latine tirée du grec, Emberyza qui veut dire je ne sais plus quoi. Le bec des Bruant?, fort et conique comme celui des moineaux, s'en distingue complètement par la disposition des mandibule^ qui laissent entre elles une sorte d'hiatus à leur base et dont la supérieure est moins large que l'inféiieure. La queue est fourchue comme dans tous les autres groupes de l'ordre. Le groupe des Bruants de France comprend neuf espèces dont une, l'Ortolan, est célèbre dans les fastes de la gastroso- phie. Les Bruants nourrissent exclusivement leurs petits avec des insectes. Leurs nids sont bâtis avcQ assez d'art de fenasse légère et de crin, et sont parfaitement cachés. Le Proyer et l'Ortolan sont un peu de passage; les autres sont sédentaires; l'illustration de la famille est toute dans la délicatesse de quelques-uns de ses membres qui aiment mieux lutter à qui mangera le plus qu'à qui chantera le mieux. Les Bruants ne sont ni aussi querelleurs et méfiants que les Fringillcs, ni aussi faciles et confiants que les Alouettes. I .iS ORNITHOLOGIE. PASSIONNELLE. Le Bruant dk haie. La VerditTC. Le plus connu et le plus commun de tous les Bruants, ('/est l'oiseau à tùte jaune que l'on désigne dans une foule de pays sous le nom de Yerdier et de Verdière. J'ignore pourquoi on ne l'a pas appelé Tète jaune ou Bruant^doré, plutôt que Verdière et Bruant de haie qui ne lui conviennent guère. Le Bruant de haies niche dans les ados des fossés , dans les berges herbeuses de la Seine , sous les buissons (les bfîis aux environs des plaines , (luelqucfois au milieu des jeu- nes touiïos de charniille et de hêtre dans les forêts. La paillasse de son nid est faite d'herbes sèches et le matelas de crin. Les œufs sont marbrés de veines rougeàtres comme une carte géogra- phique. Le mâle partage les travaux de l'incubation avec la fa- mille. Le chant de cet oiseau est des plus monotones : Sol , sol , mi... sol, sol, mi... ut... Le Bruant de haie donne à la pipée, et sa chair est mangeable. J'ai même idée que les efforts que l'on tenterait pour en faire un rôti de luxe seraient couronnés de succès, car il aime avec passion la graine de millet et supporte la captivité avec résignation. Sédentaire dans tous les pays de France, il pénètre l'hiver jusque dans les cours des fermes et dans les rues des cités. Le Bri'ant-zizi. Bruant de haie comme le précédent, dont il ne diiïère que par la couleur de la tète et de la nuque où do- minent le brun et le noir. La gorge et la partie supérieure du cou sont teintes de la même nuance; le poitrail. est décoré d'une plaque d'un beau jaune; manteau roux marron; abdomen jaune paie; pieds roses. Le vulgaire prend communément tous les individus de cette espèce pour les fcniplles du Bruant doréi Histoire siins intérêt. Bruant fou. Bruant de pré. Ortolan de Lorraine. Ainsi nommé parce qu'il se jette comme un écervelé dans toutes les embûches qu'on lui dresse. L'espèce est rare en France, et sa classification a donné lieu à de graves discussions entre les or- nithologistes sérieux. Manteau roux zébré de noir; dessus de la tête, cou et poitrine cendre bleuAtre; l'abdomen , le croupion , SliDU'ÉUES. 459 les lianes blanchâtres. Le Bruant fou habite les régions froides des montagnes d'où il descend en hiver dans les plaines. Mêmes mœurs, même nourriture, même nidification que les précédentes espèces. Gavoié et Mitilène. Deux espèces de Bruants originaires des montagnes du Danphiné et de la Provence, dont BulTon a parlé pour ne pas en dire grand' chose, et dont il n'y avait en réalité que très-peu de choses à dire, si ce n'est que leur chair dépasse en qualité celle de la plupart des Gros-becs mentionnés en deçà. L'histoire de cliaciue membre de ce groupe est renfermée dans celle de son pivot. Ce pivot est l'Ortolan, devant le nom duquel tous les hommes de goût doivent incliner la tète, en signe de respect, à l'instar de ce colonel d'une légion étrangère qui Ht porter les armes à sa troupe en passant devant le Clos-Vougeot. L'Ortolan. Du latin hortulanus, habitant des jardins. Déno- mination vicieuse, puisque l'oiseau se plaît surtout dans les plaines siliceuses, voisines des vignobles, et ne niche jamais que dans les blés ou dans les vignes. Le nom de Vigneiroun qu'on donne à l'Ortolan dans certaines parties du Languedoc eût été préférable. L'Ortolan se rapproche beaucoup du Bruant-Zizi pour la cou- leur et la taille. Sa marque la plus distinctive est dans les deux pennes extérieures de sa queue qui sont blanches, tandis que les autres sont noires; la poitrine, le ventre, l'abdomen sont lavés d'une teinte rouge jaunâtre difficile à définir; les yeux sont cer- clés d'une zone jaune encadrée d'une bordure noire et se pro- longeant sur la gorge; les parties supérieures de la tête et du cou affectent la nuance olivâtre ; le fond en est strié et moucheté de taches noirâtres; iris brun et pieds roses ; le doigt de derrière très-long et terminé par un ongle court. L'Ortolan est un oiseau de passage dont les quartiers d'hiver sont au delà des Pyrénées et des Alpes, en Italie et en Es- pagne, et dont les demeuras d'été sont en Fran£e depuis les ri- ves de l'Adour jusqu'à celles de la Durance, dans la direction de 100 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. l'Est, depuis les plages de la Méditerranée jusqu'aux montagnes des Ccvennes, dans la direction du Sud au Nord. L'espèce ne s'élève guère au delà de nos anciennes provinces du Alidi ; le Tarn et la Garonne semblent lui servir de limites dans le pays ouvert. sL'OrtoIan arrive sur les rives du Tarn vers le 10 ou le 12 avril , et recherche de préférence les plaines sèches plantées de vignes. On dit que la plupart de ces voyageurs reviennent se fixer aux lieux où ils ont reçu le jour. Les mâles arrivent les pre- miers et choisissent leurs places; les femelles qui les suivent s'arrêtent où les mâles chantent; et la possession de chacune d'elles devient le sujet de luttes acharnées qui se terminent par le bannissement du vaincu qui est obligé d'aller tenter ailleurs les chances de la fortune. Chaque couple ayant besoin d'occuper pour sa subsistance un territoire de chasse d'une assez grande étendue, il est rare que les Ortolans établis se logent à moins de 500 mètres de distance l'un de l'autre. La femelle creuse une légère cavité en terre au pied d'un cep en s'y roulant et en s'y trémoussant à la façon des Moineaux et des Poules. Elle mate- telasse les parois de cette fossette avec une épaisse couche de feuilles de chiendent desséchées et garnit l'intérieur d'un doux sommier de crin ou de bourre de vache. Elle y dépose quatre ou cinq œufs très-gros relativement au volume de l'espèce. Les pe- tits éclosent au bout de quatorze jours et s'échappent du nid avant l'heure, ce qui rend leur éducation très-pénible. Cette es- pèce fait deux pontes par an, souvent trois. Tout le temps que l'incubaiion dure, le mâle, perché sur quelque branche morte du voisinage, tient fidèle compagnie à la couveuse par les répéti- tions sans fin de son chant monotone. Les père et mère nourrissent leurs petits de chenilles, de grillons, de sauterelles, de petits scarabées, et rendent à cette occasion d'immenses services à la vigne en la purgeant de tous les insectes qui la dévorent. Il est plus que probable que les trois quarts des maladies contagieuses qui ravagent périodique- ment nos vignobles de France ont pour cause la guerre sans pitié que les vignerons du Midi ont déclarée à l'Ortolan. Le nid de l'Ortolan est parfaitement caché, et quand la mère entend SEDIPEUES. <6I venir le maraudeur de son côté, elle s'en échappe sans bruit , piétine une douzaine de pas et attend que l'ennemi soit sur elle pour partir dans ses jambes, en feignant une mortelle alarme. Celui-ci cherche alors à la place où il est, perd ses peines, se rebute . pendant que l'heureuse mère a rejoint sa couvée par des chemins de traverse, et s'applaudit tout bas du succès de sa ruse. Les petits Ortolans que leurs parents nourrissent longtemps encore après leur sortie du nid , continuent à séjourner dans le canton jusqu'au jour du départ qui varie de la mi-aoùt à la mi-septembre. Ces oiseaux semblent voyager par familles, car on les voit rarement plus de quatre ou cinq ensemble. C'est vers cette époque de leur émigration que les oiseleurs en font de vastes captures, car l'Ortolan donne dans la nappe avec une facilité sans égale à la voix de l'appelant. Mais il s'en faut du tout au tout que l'Ortolan acquière à l'état libre cet état d'em- bonpoint dont nous voyons nantis ceux qui nous arrivent à Pa- ris, encaqués par douzaines dans des caisses de millet. L'Ortolan gras est un produit de l'art, c'est-à-dire de création humaine, et je me hâte de dire que cette industrie lucrative et que les Ro- mains connaissaient , exige peu de tajent , de dépense et de soin. Il ne s'agit pour donner à l'Ortolan cette triple ceinture de graisse qui lui confère une si haute valeur commerciale, que de l'abandonner à ses propres instincts, en l'enfermant dans une chambre un peu obscure en compagnie d'une lourde pelotte de farine de millet et d'un vase rempli d'eau. L'oiseau cherchant naturellement à se distraire dans sa triste prison et ne trouvant pour cela d'autre moyen que de manger et de boire, s'acharne à ce travail avec une telle ardeur qu'il ne tarderait pas à crever d'embonpoint si on le laissait faire. Quinze jours de ce régime suffisent généralement pour opérer la métamorphose de l'Or- tolan étique en Ortolan obèse et digne d'être servi sur la table des rois. Il arrive fréquemment que l'Ortolan parvenu au dernier terme de la saturation et de l'obésité est affligé d'un déborde- ment d'excroissances charnues à la face et de nodosités aux join- II. Il 162 ORNITHOLOGIE Px\SSIONiNELLE. tures , qui le déshonorent , le dégradent et le font périr avant l'heure de douleurs suraiguës. Emblème du Mondor qui fait son dieu de son ventre, n'a qu'une ambition, celle de mourir gras, et se trouve arrêté tout à coup dans sa marche ascendante vers cette firi glorieuse par la goutte cruelle qui le cloue sur son lit , 1-e condamne à la diète, lui garotte les membres, lui fait subir mille morts avant de l'étouiïer! Superbe sujet d'enseigne pour une boutique de société de tempérance! Admirable matière à mettre en vers français pour un prix Mont\ on ! L'Ortolan de rosfaux. C'est-à-dire habitant des jardins qui habite les étangs. Nous voici retombés avec ce nom dans le sys- tème des Poules r/'eou de f/enrts. Bruant de roseaux Vaudrait mieux. Cette espèce très-connue dans tous les pays de maré- cages , de prairies basses , de tourbières , a quelques rapports de plumage avec le Moineau franc et d'allures avec le Friquet. L'Ortolan de roseaux a la tète et la gorge noires du premier, le manteau roussàtre et l'animation inquiète et perpétuelle du second. Il grimpe après les roseaux comme certaines Fauvettes et vit des graines et des insectes qu'il trouve sur les plantes aqua- tiques; se rencontre abondamment vers la fin de l'automne dans toutes les oseraies qui bordent nos grands fleuves. Son chant est tristeet monotone ; il le fait quelquefois entendre pendant la nuit. Quelques ornithologistes croient à l'existence d'une seconde espèce de Bruant de roseaux, (ju'ils appellent Bruants de marais, et dont quelques rares individus feraient apparition de temps à autre sur les rives de no? grands étangs du Midi. Je n'ai pas vu l'oiseau, mais la description qu'on en donne ne permet guère de séparer cette esi)ère prétendue nouvelle de celle dont nous ve- nons de parler. La différence qui existe entre elles deux est moins grande, en effet, ciiie celle ipi'on remarque entre la Per- drix grise ordinaire et la Roquette, entre le Moineau de Paris et celui de Madrid, cpii sont des types originaires de la même souche, légèrement différencies par l'influence de la diversité des milieux. Le soleil dore le teint, la nourriture facile développe 1rs muscles, l'éducation polit le verbe chez les bètes comme che/ SEDIPEDES. Ifi.'î l'homme; mais aucune de ces circonstances n'a pouvoir de scin- der lunité typique. Le Proyer. La plus forte espèce du groupe et la plus intéres- sante peut-être: car sa fécondité est extrême, et je ne vois pas quelle impossibilité s'oppose à ce que l'homme tire de ses pen- chants à la jîourmandisele même bcnélice que de ceux de l'orto- lan. Notez que le Proyer tout frais pris, vaut au moins ce dernier avant son entrée en epinettc et qu'il est plus gros et plus gras. Ou l'analogie me trompe fort, ou il y a là toute une industrie glo- rieuse et fructueuse à créer : et ce que je dis du Proyer qui n'a besoin que d'être poussé par l'homme pour rivaliser d'embon- point avec l'ortolan et la poularde, s'applique à toutes les espè- ces du groupe des Bruants. Il m'est arrivé bien des fois, dans ma vie de chasseur et de pipeur, d'être réduit à vivre pendant d(!s semaines entières du produit exclusif de mes chasses. Ainsi j'ai vécu suivant les pays et les saisons, de Lièvre, de Sanglier, de (faille, de Rouge-gorge, de Grive. En Algérie, où j'ai été obligé d'alterner de la Bécasse au Proyer, j'ai remarqué que la répéti- tion trop fréquente du Proyer était celle qui me rebutait le moins. On fait aux environs d'Alger, vers l'époque de la Saint- Martin, de grands abattis de Proyer au fusil. En ce temps-là tous les arbres des grandes routes et des places publiques des villages en sont littéralement couverts. Le Proyer dans ce pays- la s'appelle le Gros-bec. Le Proyer est un oiseau tout gris qui tient beaucoup, quant au costume, de la Pierrette et de l'Alouette. Il est très-répandu en France dans tous les pays de plaine, notamme^it en Champagne. Il y arrive de bonne heure au printemps, fait son nid dans les blés ou dans les prairies et émigré vers le midi dès le commen- cement de septembre. Une grande partie des éraigrants hiverne dans nos provinces méridionales ; le reste traverse la Méditerra- née et occupe l'Algérie. Le chant du Proyer est monotone, mais plein d'expression et son vol d'amour est une évolution gracieuse qui annonce l'approche de l'Alouette. L'oiseau, après avoir plu- sieurs fois répète ses trois note.s du haut du grand arbre de la |«4 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. route, s'élance vers la terre, les ailes déployées en façon de pa- rachute et les jambes pendantes , et finit par tomber auprès de sa femelle, qui l'écoute et l'admire immobile sur ses œufs. Le nid du Proyer est fait comme celui du Bruant doré et de rOrtoIcin , d'herbes sèches et de crin. Je l'ai trouvé quelquefois élevé d'un demi-pied au-dessus du sol et logé dans un épais massif de luzerne ou de mélilot. Les petits sont nourris exclusi- vement d'insectes. Le Bruant de neige. Les Bruants sont les plus proches voisins des Alouettes. Ils ont comme celles-ci le pouce long et comme elles ils nichent à terre et habitent les grandes plaines ; mais l'ongle de ce pouce est généralement arqué et court, tandis que celui des Alouettes est généralement long et plat. Or voici, pour bien marquer la transition entre les deux groupes voisins, une espèce, le Bruant de neige ou le Bruant de montagne, qui porte l'ongle plat. Le Bruant de neige, ainsi que son nom l'indique, habite les régions les plus froides de l'Europe, la Laponie et les hautes vallées des Alpes norv^égiennes. Il en descend quelque- fois pendant l'hiver dans nos plaines. Je l'ai pris une ou deux fois eu Lorraine sur des touffes de chardons disposées pour faire capture de Chardonnerets, de Tarins et d'autres Granivores. C'est un oiseau fort rare, dont le manteau de voyage est presque semblable à celui du Traine-buisson ou Fauvette d'hiver. lia la gorge et la poitrine noires en son costume de noces , les flancs et l'abdomen blanchâtres , la partie supérieure du cou marquée de roux; la queue noire ondée de blanc. Il chante en volant comme le Proyer, en signe de* sa proche parenté avec le genre alouette. Ici tinit le groupe des Bruants dont les dominantes caracté- rielles sont le familisme et la gourmandise , et que je crois ap- pelé à un glorieux avenir gastrosophique. Je ferme son histoire par une remarque d'une importance extrême et qui ajoute un trait de séparation de plus entre lui et les précédents. C'est que les Bruants sont les premiers Granivores dans le nid desquels le coucou ponde. On conçoit, en effet, que ce parasite qui est émi- SEDIPÉUES. 163 nemment, sinon exclusivement insectivore , ne s'avise pas de déposer son œuf dans le nid des seriniens qui nourrissent leurs petits h la bouillie de gruau , nourriture qui ne conviendrait nul- lement au jeune coucou ; mais on ne voit pas pourquoi la mau- dite bête ne chargerait pas les Fringilles, qui nourrissent leurs petits d'insectes , du soin d'élever sa famille. Cependant il n'est pas à ma connaissance qu'on ait jamais trouvé un jeune coucou dans un nid de Pinson , de Soulcie ou de Moineau franc, tandis que j'en ai pris personnellement deux ou trois dans des nids de Prover. Groupe des Alouettes. — SU espca-);. J'ai besoin de rappeler pour l'acquit de ma conscience que le groupe des Alouettes, qui se trouve placé à l'extrémité de cette série bâtarde de la Granivorie , occupe le rang de groupe pivotai dans la classification naturelle des Chanteurs, qui se moule sur la division de l'échelle vocale en quatre groupes de voix. Les Alouettes, musicalement parlant, appartiennent à la série du contralto. Elles brillent au premier rang de tous les oiseaux de la terre par la beauté de leur chant, l'innocence de leurs mœurs et la délicatesse de leur chair. C'est une famille aimée des dieux et digne de l'estime et de la reconnaissance des mortels. Les Alouettes font leur nid à terre et couvent l'œuf du Coucou à l'instar des Bruants, ce qui démontre qu'elles nourrissent leurs petits avec des insectes. Elles sont beaucoup moins percheuses que toutes les espèces des groupes voisins ; quelques-unes même comme notre espèce commune ne perchent jamais que dans la saison d'amour. Cette difficulté de percher vient aux Alouettes de la longueur extraordinaire de leur doigt de derrière qui est plat et qui se termine par un ongle de dimension exagérée également rectiligne. Les doigts de devant ne faisant plus crochet avec le pouce, il s'ensuit naturellement que l'oiseau a plus de facilité pour courir sur le sol que pour saisir un rameau et s'en faire un support. Mais la nature a compensé richement cette difficulté de 16(5 ORNITHOLOGIE PASSION.NEI-I.E. perchement par une plus grande puissance de vol. Les Alouettes sont munies d'ailes longues, vigoureuses et infatigables, qui leur permettent pour ainsi dire de se reposer dans les airs; elles montent au plus haut des nues et dans une direction quasi-ver- ticale civec une facilité extrême et se maintiennent pendant des heures entières dans ces parages vides, remplissant d'harmonie tous les carrefours du ciel. Leur nid est moins artistement cons- truit que celui des Bruants, et leurs petits le quittent de très- bonne heure, ce qui est cause que les choupilles en confisquent souvent. Les Alouettes se réunissent en vols nombreux à l'au- tomne, et vagabondent plutôt qu'elles n'cmigrent pendant l'hiver , recherchant particulièrement les pays de plaine et les bords de la mer , sans distinction de zone. Elles vivent d'insectes pendant le printemps et l'été, de grains et de pousses de blé pendant la morte saison, et poudroient presque à la façon des perdrix et des cailles. L'Alouette s'engraisse seule et sans le se- cours de l'homme. Espèce victime, espèce féconde, vouée à l'ex- termination , comme le Rouge-gorge , le Pigeon , la Berge- ronnette. On a fait dériver le nom d Alouette, en latin Alauda, des deux mots à lande, do la louange, comme qui dirait l'oiseau chargé de chanter les louanges du Seigneur. Il est fâcheux que cette dénomination , qui dans cesens serait fort juste , fasse mieux en latin qu'en français. J'ai lu je ne sais où que les anciens habi- tants delà Gaule appelaient \ khwtiiç, Bardalis , d'où l'on a tire le mot barde, nom du rapsode ou trouvère gallois, c'est à dire que pour nos ancêtres l'Alouette était l'oiseau chanteur par excellence. Jaccepte encore cette qualiHcalion glorieuse; car le poëme de l'Alouette est pour moi le plus sublime de tous, et ce (jui me fait supposer que mon opinion est la bonne, c'est qu'elle est partagée par tous les oiseaux amateurs de musique étrangère, qui aiment mieux répéter les chansons de l'Alouette que celles du Rossignol. Il faudrait trouver pour l'Alouette un nom de fa- mille qui voudrait dire : celle qui chante en volant. Le nom de Gi- role qu'elle a porté jadis répondait évidemment à cette indication, SEUIPEOKS. l»îT L\ Cai.\m)ri:. Cette espèce particulière à nos provinces méri- dionales et presque inconnue dans nos départements du Milieu et du Nord, est la plus grosse de nos espèces indigènes. Sa taille approche de celle du Mauvis , la petite (irive à ailes rouges. Elle se distingue de notre Alouette commune (Mauviette des restau- rants |)ar sa grandeur d'abord , puis par la l'orme de son bec qui est plus haut que large. Elle porte sur le devant du cou une sorte de plastron noir qui tranche éiégammont*ur le tond blanc de la gorge. Poitrail jaunâtre . virgulete de tac hes brunes à la l'açoa des grives, les parties intérieures du corps et de la (|ueue ainsi que les deux rcctrices externes blanches. Manteau cendré roux ou plutôt jaune terreux, unilbrme oblige des lamilles (|ui doi- vent vivre à terre. Iris brun, pieds roux, vol gracieux, talent nuisical sans pareil. S'accommode parfaitement de la captivité. La Cai.a.ndkelle. Moule réduit de la preci'dente ; i)lus commun également dans le Midi que dans le Nord et le Milieu de la France. La Calandreîle aime les pays vignobles et émigré en Algérie aux approches du froid. Son séjour au delà des mers est de courte durée. Elle a tout le devant et tout le dessous du corps blancs, la queue d'un brun foncé avec les rémiges externes blanches , le manteau cendre Isabelle, l'iris brun, les pieds roses. C'est cette petite Alouette aux doigts courts qui hle avec tant de rapi- dité dans les sillons devant le chien, et que les chassereaux tirent souvent à terre pour une caille. Sa voix est mélodieuse, ses thèmes variés, et elle chante comme toutes les Alouettes, en décrivant dans l'air des orbes gracieux. Le Hausse-col. Espèce remarquable et fort rare qui ne niche pas CQ France et ne s'y fait tuer ou prendre que par une de ces chances extraordinaires (|ui n'arrivent même pas à tous les ten- deurs d'alouettes une fois en leur vie. Elle doit son nom à une large tache noire en forme de hausse-col qui lui emboite la gorge. Elle porte également sur la tète une petite huppe de même nuance. 1H8 OHMTHOLOGIE PASSIOiNNELLt;. Le CocHEvis. L'Alouette huppée des grands chemins, des grè- ves nues de la Loire, des carrières de Montrouge, l'Alouette qui se perche sur les toits de chaume des villages de la Cham- pagne Pouilleuse, sa patrie d'adoption, et qui cherche sa subs- tance dans le fumier frais de cheval. Habitante des contrées sté- riles, cette espèce vit maigrement et sa chair n'atteint pas le degré de délicatesse qui fait le malheur et la gloire de toutes ses congénères. En revanftie son chant est des plus délectables, et c'est pour cela probablement que Dieu l'a attachée aux demeu- res des plus pauvres laboureurs, afin qu'aucun des séjours de l'homme en cette terre ne fût déshérité de la poésie d'amour. Le Cochevis se conduit parfaitement en cage où il peut être em- ployé en guise de réveil-matin par les gens paresseux. Pareil au cantonnier, dans la société duquel il dépense ses plus douces heures , il lient une portion de route départementale ou royale dont il s'éloigne peu , voisinant avec les pinsons et les moi- neaux des alentours et sachant se contenter d'un petit nombre d'amis. Le CujELiER. Alouette des bois, Lulu, Alouette de Champa- gne, etc.; noms impropres, sinon absurdes. Le Cujelier est cette charmante petite alouette à queue cccurtée qui voyage par petites compagnies à l'arrière-saison , disant loulL /oiASSl(>.NM::i.l.i:. huit et par la im^me lune, mais passent un par un. Il est facile de conclure de cette insociabilité caractéristique des espèces de la série que la chasse à l'appelant a moins de succès auprès d'elles qu'auprès de celles de la série précédente. N'oublions pas de signaler cette diflerence d'habitudes remarquable entre les Granivores bons camarades et les Baccivores mauvais coudieurs, il savoir que les premiers passent de jour et les seconds de nuit. Bien entendu que cette règle est la règle générale et souffre de nombreuses exceptions. Heureusement que cette insociabilité caractéristique de la série passe avec la saison des amours, et que la gourmandise, passion égoïste de l'âge mùr, prend à époque fixe la place du dévouement familial et des préoccupations artistiques qui aigris- sent le sang. Cette transformation morale qui est contemporaine de la mue, s'opère ordinairement vers le milieu d'août. C'est à dater de cette époque que l'oiseau , forcé de s'occuper de ses préparatifs de voyage , commence à se lester de la provision d'embonpoint dont il a besoin pour sa route; et comme alors toutes les baies sont mûres et les insectes abondants, il lui de- vient facile d'empHr ses magasins de réserve. Hélas! c'est là aussi que l'homme et l'oiseau de proie l'attendaient pour lui faire une guerre à mort; guerre trop pleine d'attraits et que la gourmandise légitime en quelque sorte, autant du moins (|u'un crime peut se légitimer par un péché capital. Car c'est au sein de la baccivorie que se rencontrent les gibiers les plus exquis de cette vallée de larmes...; et les espèces les plus dodues n'ont pas même besoin comme l'Ortolan et la Poularde de passer par la main de l'homme pour acquérir ce dernier de- gré de rotondité, de blancheur et de finesse qui livre chaque année tant d'àmes à Satan. Bemarcjuons encore à ce propos que la chair de l'insecte communique à celle des oiseaux qui en vi- vent un certain arôme montant (|ui ne se retrouve plus chez les oiseaux engraissés à la farine pure. Un Ortolan est fade auprès d'un Bec-ligue de vigne, une Poularde auprès d'un Faisan. Le régime alterne i)araît être celui (pii produit les plus merveilleux résultats. La glu , les raquettes et l'appeau jouent donc dans la guerre aux Baccivores un rôle plus important que les nappes, l'appelant et le miroir, et les abreuvoirs et les sentiers des bois en sont plus volontiers le théâtre que la plaine. Beaucoup d'espèces de cette série, en leur qualité de grandes artistes, poursuivent l'oiseau de nuit, emblème de l'ennemi des lumières, d'une haine implacable, et donnent à la pipee. C'est elles surtout, et je cite dans le nombre le Rouge-gorge et la (irive, qui font la for- tune du pipeur. L'illustrissime série n'est pas moins riche eu talents de premier ordre, comme musiciens et comme architectes, et qui se dis- tinguent généralement par la simplicité et la modestie de leur costume. Cette simplicité de tenue jointe à la supériorité de la valeur artisti(|ue et gastrosophique caractérise les Baccivores indigènes de la zone tempérée de l'hémisphère boréal, de qui les dons sont en contraste parfait avec ceux de leurs congénères de la zone équatoriale qui afhchent pour la plupart un luxe de cos- tume éblouissant, mais remplacent le chant par les cris. Ainsi se conduisent, par parenthèse, tous les oiseaux de Paradis des Moluqués et de la Nouvelle-Guinée, plus une foule d'autres Merles, Loriots etÉtourneaux des mêmes latitudes, qui pour- raient lutter sans crainte contre le Paon , le Couroucou et l'Oiseau- Mouche pour la richesse de l'étoffe du manteau, la distinction de la fraise, la moire du velours et la prodigalité abusive des pierreries. Pourquoi faut-il que je sois forcé d'ajouter que le plus grand nombre de ces dernières espèces sont absentes des vitrines du Cabinet d'histoire naturelle, et ne s'admirent encore que dans les opulentes galeries du musée Verreaux frères , place Royale, 14... Uu musée où l'on m'a montré dès ma première visite cinq cents volatiles inédits.... où j'ai vu rangées pai douzaines ces espèces précieuses (Strigops, Aptérix^ etc.), dont le Muséum national s'estime heureux de posséder un spécimen unique qu'il a grand soin de conserver sous un globe à pendule. Ce qui rehausse à mes yeux la valeur de cette collection sans se- conde en Europe, c'est que la majeure partie de ses richesses sont le fruit des explorations périlleuses entreprises par ses 180 UHMTHOLOGIE PASSIONNELLE. créateurs mêmes dans les contrées les plus lointaines et les plus inexplorées du globe, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'inté- rieur de l'Afrique et des grandes îles de l'archipel indien. Les frères .Verreaux, qui comptent parmi les voyageurs les plus in- telligents et les plus intrépides de ces temps, ont mis à contri- bution tous les pays de la terre et tous les règnes de l'animalité pour former leur musée modèle, et ils entretiennent à leurs frais à tous les bouts du monde un certain nombre de voyageurs et de chasseurs habiles dans l'art de préparer les peaux de bêtes, et qui ont mission de colliger sur place les espèces les plus rares, pour de là les expédier au musée de la place Royale, d'où quel- ques doubles de moules inconnus s'échappent de temps à autre pour enrichir ou renouveler le personnel du Musée national. Je propose de voter une médaille d'or aux citoyens Yerreaux frères, au nom de la zoologie reconnaissante. Le changement radical de la forme de la queue est un autre ca- ractère séparatifentre la Granivorieet laBaccivorie. Nous avons vu que la queue était courte et fourchue chez tous les granivores de France, à une seule exception près, le Jaseurde Bohême qui n'est pas d'origine française et ne porte pas le jabot. Or, l'Alouette est le dernier membre de la famille qui ait la queue fourchue. Cette queue s'allonge visiblement et s'équarrit, à partir des Farlouses ; plus tard nous la verrons virer vers la forme étagée en approchant des Grimpeurs. Le système des queues étagées est complètement opposé à celui des queues fourchues , puisque dans les premières, les plus longues pennes sont celles du mi- lieu et celles du dehors dans les autres. J'avoue que l'impor- tance du caractère séparatif tiré de la différence de conforma- tion des queues n'a pas peu contribué à me faire établir une ligne de dé^Aarcation sérielle entre la tribu des Alouettes et celle des Farlouses qui chantent au même pupitre et sont par con- séquent inséparables dans la classification passionnelle. Cette obligation où je me suis trouvé de séparer violemment des espè- ces que la nature avait unies, pour faire comme tout le monde, n'est pas la seule des lâchetés que m'ait imposées la méthode de classement par le genre de nourriture que j'ai l'air d'avoir SEniI'KOES. ISI adopté, mais que je maudis à part moi. Uu crime que je ne lui pardonnerai jamais, est de m'avoir forcé de confondre dans une même série de l'ordre des Chanteurs, Contr'alti , Kassi et Ténors , Farlouscs, Merles et Fauveltes. J'essaie bien de me cons »ler en me disant que les plus illustres maîtres ont fait pis, à com- mencer par Linnipus et Cuvier et à linir par Latiuim et Tem- mynck , qui ont ete jusqu'à apparenter en leurs classilications brutales le Corbeau et l'Oiseau-Mouche , le Toucan et l'Hiron- delle , la Pic-grièchc et le Roitelet , le Croasseur et le Chanteur, le Bourreau et la Victime. Sans doute que tous ces grands hom- mes ont scandaleusement erré, et que ma faute, si l'on s'en réfère exclusivement à la lettre de ce qui a été écrit, est mille fois moins lourde que la leur. Mais combien elle est plus grave, au contraire, si l'on tient compte des circonstances morales dans lesquelles l'une et l'autre erreur furent commises ! Car enfin presque tous ces honnêtes gens s'imaginaient faire de l'ordre en faisant du chaos , moi pas. Ils n'avaient pas conscience de leurs enormités, moi si. Je suis sûr que M. Temmynck qui régne et qui gouverne en ce moment au musée royal de Leydeoù l'on voit trois Sirènes , est aussi heureux et aussi fier de son Bombycivore que le Hibou de la fable l'était de la gentillesse sans seconde de sa progéniture. Milii , dit-il parlant de son Bombycivore, rt?«o/. comme s'il avait peur que l'envie ne me prît de le lui dérober! La confusion introduite dans la série par le mélange des voix se retrouve dans la nidification. Quelques espèces nichent à terre , d'autres sur des arbres , d'autres dans des trous de mu- raille; mais toutes possèdent un gosier d'une souplesse ou d'une sonorité remarquable. On sait que BufTon et l'opinion quasi- una- nime des amateurs ont décerné le prix du chant au Rossignol , (jue revendique Audubon pour le Merle Moqueur d'Amérique. Le Rossignol et le Merle Moqueur appartiennent à l'illustre série desBaccivores , ainsi que la Farlouse , la Grive, le Rouge-gorge , la Fauvette à tète noire , etc. Les groupes de cette série sont au nombre de trois , Farlou- ses, Fauvettes, Merles, correspondant précisément aux trois séries de contralto, de ténor et de basse. Ces trois groupes ren- IS2 oHMTHULOdlE PASMU-N-NKl-I-E. rermciit sept Ikmilles, qui m'ont paru sutïisanimcnt desigaecs par les no/ns populaires qu'elles portent; ce qui est cause que je n'ai pas cru devoir leur en fabriquer de nouveaux. Ces noms sont les suivants : Âccentcurs, Rubiettes, Fauvettes, Merles , (îrives, Loriot, Étourneau. (jroupe des Failduses, Ciii(| csikhcs. Les Karlouses sont des oiseaux si voisins des Alouettes par le costume et les allures, que beaucoup d'ornithologistes ont con- l'ondu les deux familles dans le même groupe. Elles ont, en eflet, la voix mélodieuse de contr'alto des Alouettes et chantent comme elles en volant , avec cette seule dill'erence que l'Alouette chante en montant et la Farlouse en descendant. Elles ont de même encore le pouce plus long que les autres doigts du pied ; elles sont généralement plus coureuses que percheuses et préfèrent les chanips aux couverts. Elles portent enlin sur le poitrail les mêmes grivolures. Cependant elles s'éloignent beaucoup de leurs modèles sous le rapport du régime alimentaire, et plusieurs ornithologistes distingués , Temmynck entre autres , vont jusqu'il dire que les Failouscs sont exclusivement insectivores. Mais je m'insurge contre cette allirmalion au nom des principes sacrés de la loi divine : Natuj'a non facit snlfinn [la n'turca horreur des sauts brusques). Si, enellet, l'adirmation de Temmynck et des autres était fondée, si les Farlouses étaient exclusivement insectivores, il faudrait reconnaître l'existence d'une lacune ou d'un saut brusque entre cette tribu et celle des Alouettes grani- vores. Or ces tribus sont sœurs par tant de caractères princi- paux qu'il est absolument impossible d'admettre qu'une incom- patibilité quelconque d'humeur ou de régime les sépare, et jaime mieux croire à l'erreur de Temmynck et consorts, qu'à celle de la nature. Je dis donc que les Farlouses sontbaccivoreset même granivores ;i leurs heures, .l'ajoute que j'ai pour garants de cette •louble vérité une foule d'autorités respectables , l'opinion de Georges Cuvier notamment, et ce nom même de Bec-(igues de vigne donne à la plus célèbre des espèces du groupe des Farlouses sKini'i:i>KS. is.'{ et quelle possède de toute antiquité , car les Komains désignaient aussi cette espèce sous le nom dc/icedula (Mange- figue;, et Mar- tial se mettant à la place de l'oiseau lui fait dire : (luni me liens alal, niiii pascar diikibus mis, Gur potins noiiicii non (ledit nva niihi? Puisque Je uic nourrh de iaisiti:^ comnir de figues , /iour//u(ii n'est-ce pas le raisin fjni }iùi (loiiiii' smi ninu? C'est-à-dire que suivant Martial , le^ec-ligues n'aurait pas été fâché de s'appeler /Idisincffc La voix du peuple de certaines contrées vignobles de France a été au devant de ces vqmix du Bec-figue en le nommant Vinettr. Ainsi d'après la tradition antique conune d'après la moderne , une espèce de Farlouse adorerait le fruit mou du figuier comme celui de la vigne, (jui est dans tous les temps son séjour favori. Du reste, les savants diraient vrai, que leur opinion ne prou- verait rien, sinon que la méthode de classification diététique qui sépare violemment la Farlouse de l'Alouette est inapplica- ble à l'ordre des Chanteurs et qu'il serait urgent d'y renoncer pour revenir au plus vite à la seule vraie , à la seule naturelle , à la classification par rang de voix . calquée sur le type du qua- tuor Mais les savants savent parfaitement (ju'ils prêchent un converti. Faisons comme si les Failouses n'étaient pas exclusivement insectivores et méritaient d'occuper dans la présente classifica- tion la place que je leur ai donm'e et qui leur appartient. Les Farlouses sont des alouettes par toutes les habitudes de l'esprit et du corps , et elles se rapprochent de la Grive par la grivolure de leur poitrail et leur amour de la vigne. Elles sont ambiguës entre les Alouettes et les Grives, comme le râle de genêts est ambigu entre les échassiers et les coureurs. Or, rap- pelez-vous les promesses de toute sorte que renferme ce nom d'ambigu et le fumet particulier qu'il exhale. Et si les Alouettes et les Grives ont été classées de tout temps parmi les premiers sujets de la cuisine et du chant, figurez-vous ce que peut être ISi ORNITHOLOGIE l'ASSIONNELLK. SOUS le double rapport musical et gastrosophique la tribu destinée H rallier ces deux groupes ! Un sot gourmandait Dieu de n'avoir pas fait le Bec-ligues aussi gros que le dinde; un homme d'esprit lui répondit que Dieu avait très-bien fait ce qu'il a\ait fait, attendu que si le Bec-figues possédait la taille du dinde, personne au monde ne serait assez- riche pour le payer. L'auteur de la P/iysioloyie du Goût qui raj)- porte l'anecdote a en outre grand soin de faire entrer le Bec- figues comme pièce pivorale dans la composition de sa fameuse éprouvette gastrosophique réservée aux heureux du siècle, et dans laquelle figurent un r5ti de bécasse fourrée de bec-figues et un plat d'épinards à la graisse de caille. Le Bec-figues est une far- louse. Ce qui vient d'être rapporté donneune idée suffisante du mérite de la tribu comme gibier. Quanta son mérite comme chanteuse, laFarlouse est du petit nombre des virtuoses qui ont puissance de passionner les masses «'t de les enthousiasmer à tel point (pie tout autre talent leur paraisse insipide. LaFarlouse des bois (Bec-figues) a ses fanatiques forcenés comme le Bossignol , le Bouge-gorge et la Fauvette à tète noire; et je comprends d'autant mieux cette passion que les Canaris la partagent. Un Canari qui chante la Farlouse est aussi honoré dans son monde que dans le sien l'Arabe qui lit le Co- ran. (On sait que le Coran est écrit en arabe sacré et ne peut être traduit.) L'opinion que le gosier de la Farlouse dépasse eu suavité tous les autres compte également au sein de la nation anglaise de chauds et nombreux partisans. Il est certain que jamais l'amour n'inspira un langage plus mélodieux , plus pas- sionné et plus suave que l'épithalamc du Bec-ligues; et que si rien n'est plus doux à entendre que cette mélodie céleste , rien n'est plus gracieux à voir que l'évolution aérienne dont l'exécu- tant l'accompagne. J'ai déjà dit que les Farlouses étaient après les Alouettes les oiseaux qui portaient le plus haut vers le ciel le verbe de vie et d'amour. Or, il paraît (pie dans l'opinion des oiseaux la sublimité du chant se mesure à la hauteur du poste doù le chanteur vocalise ; car les Merles et les (J rives , qui sont aussi des virtiK^ses de premier ordre, choisissent invariablement SKDll'KDKS. is;i pour exprimer leur llaninie la plus haute cime des arbres ; et le Merle moqueur, qui est le prince des poètes de cette famille, monte dans les airs pour chanter, à l'imitation du Bec-lip;ues , qui , après s'être eleve légèrement dans les airs, y plane quelque temps au-dessus de ses amours, puis tout à coup se laisse aller à terre les ailes grandes ouvertes pour ralentir sa chute et verser plus longtemps sur la tète de la couveuse ses torrents d'harmonie. Or, pour donner à mes lecteurs une idée de la façon dont on écrit l'histoire, il faut que je leur dise que cette tribu eminente des Farlouses, qui renferme en son sein des espèces si précieuses et si recommandables, n'a pas encore eu d'historien. Temmynck, qui a écrit deux gros livres sur les oiseaux d'Europe, ne sait pas même le nom du Ik-c-ligues, car il ne le cite pas. Triste et fu- neste fruit de l'étude assidue mais par trop exclusive des mœurs et des coutumes des oiseaux empaillés! Et notez bien que ce même savant , que cet illustre ingrat , qui n'a pas su trouver dans son cœur ni dans son estomac une parole d'admiration ou de re- connaissance à l'adresse de l'intéressant volatile, va cependant tout a Iheure et à la première occasion le réclamer comme sioi. cf Mon Pipit des buissons, » ose t-il écrire, parlant du Bec-hgues k propos d'Alouette. Son Pipit des buissons! l'ambitieux qui n'en a pas encore assez de son Bombycivore ! Son Pqjit des buissons, parce qu'il lui a plu de donner ce nom à l'oiseau, en place de celui de Farloiise qui ne lui allait pas! Et M. Crespon, de Nismes, qui a rédige comme moi un traite spécial sur les oiseaux de France, sous prétexte d'ornithologie du Gard et des pays voisins, M. Crespon, de Nismes, qui habite une localité ou existe certainement une corporation de chasseurs de Bec-ligues, dont lui-même peut-être fait partie, M. Cres- pon, de Nismes, arrive à l'histoire du moule glorieux, passe aussi par-dessus son nom et écrit : le Pipit des fmissons de Temmynck. Concession déplorable, acte d'obséquieuse déférence que je blâme et que j'ai raison de blâmer, car l'orgueilleux étranger n'en tiendra pas même compte à son humble disciple. Écoutez-le, en effet , page 284 de son premier volume, qui con- tinue de se plaindre de l'indocilité des ornithologistes qui ne isti OH.MTHOLOGIE l'ASSlU.N.NEl.l.i:. veulent [jd s fj/o/iter de ses observations, écrit-il , ce qui est cause que les erreurs vont se perpétuant... D'où il serait à inférer que la science ornithologique aurait eu un intéj'èt extrême à ce que le nom de Farlouse, qui ne signilie pas grand' chose, fût métamorphosé au plus vite en celui de Pipit qui ne signifie rien du tout. Car il m'a été jusqu'à ce jour impossible de comprendre la gravité des motifs de la distinction; et je demande la permission de conserver l'ancien terme pour unique raison de su|)eriorité d'euphonie. Ou compte en France cinq espèces de Fariouses (pii toutes y aiment et y naissent, y compris le liec-figue. Les Fariouses se distinguent sensiblement des Alouettes par la forme de leur bec (pii n'est plus droit , fort et conique, mais grêle, cylindrique et légèrement arqué avec une petite échancrure à la mandibule supérieure. La plupart nichent à terre; la plupart ont l'ongle du doigt postérieur plat. Toutes sont voyageuses, mais rarement depassent-elles en leurs émigrations automnales les plages euro- péennes de la Méditerranée. On en rencontre fréquemment sur cette mer, dans les eaux du golfe de Lyon et de celui de Gênes, et qui prennent passage à bord des bâtiments en route pour Alger; mais presque toutes s'arrêtcnf ii moitié chemin dans les grandes îles de Corse, de Sardaigne, de Sicile. Les Fariouses sont des oiseaux éminemment diurnes, qui voyagent de jour. J'ai dit qu'elles poursuivaient d'une haine im- placable les oiseaux des ténèbres. Elles donnent au miroir ainsi qu'a la chouette. Ces divers caractères généraux s'appli(|uent si exactement à toutes les espèces du groupe qu'il est complètement inutile d'entrer dans les détails de l'histoire de chacune. Deux de ces espèces seulement méritent une mention spéciale en raison de l'importance de la chasse dont elles sont l'objet. L'une d'elles est le Bec-figues de vigne, connu chez les au- teurs sous les noms de Yinette, d'Alouette pipi, d'Alouette des bois, de Pipit des buissons, de Farlouse des buissons, de Far- louse des'^bois , de Pivute-Ortolane, etc. Le lîec-ligues de vigne, SEDH'ËItES. is: chaulfur hors lij^ne et rôti sans égal , niche dans les lorèts et sur la lisière des plaines où il construit son nid dans la couronoe de feuilles qui entoure le tronc des jeunes chiMies conserves comme baliveaux dans les coupes. Plus percheur que les autres Farlouses, il a l'enfile du pouce plus court et plus crochu, et vit sous le couvert. Il commence à emigrer vers le Midi dès la fin du mois d'août et > o\ âge à petites journées, s'arrètant de pré- férence sur la route dans les jeunes taillis et dans les vignes. Il passe seul de très-grand matin, se pose alors sur la eime des hauts arbres en plaine ou il est latile de l'attirer au moyen de ce petit silllet de plomb (jui sert de joujou aux enfants. On le chasse au fusil. La couche de graisse dont ses muscles sont alors couverts est si considérable que le plomb (jui le tue ne fait pas sang. Il se tient tapi sous la vigne pendant la grande chaleur du jour, attend pour se lever que le tireur ou son chien soit sur lui, et, fatigué delclfort, se repose au plus tôt dans le milieu du feuillage de l'arbre le plus voisin, il hiverne dans les contrées les plus méridionales de l'Europe. Je l'ai pris à la pipée en Lorraine où j'en ai trouvé beaucoup de nids. Les chasseurs le confondent souvent avec l'espèce suivante qu'on appelle aussi du nom de Bec-figues et qui lui ressemble beaucoup par le plumage, mais qui n'a ni ses habitudes, ni sa taille, ni son embonpoint. Le Bec-figues vulgaire de Paris, Fifi, Aspi de Màcon, Bec- figucsdes présde Lyon dont on fait une si grande consommation dans les hôtels de tous les pays riverains de la Saône et du Rhône, est celui que les naturalistes désignent sous le nom de Farlouse des prés. Temmynck l'appelle le Pipit-Farlouse, Roux le Pipit des buissons. C'est ce .petit oiseau verdàtre à poitrail grivolé qui voyage par bandes de quinze à vingt individus, se rencontre partout à l'arrière-saison , mais surtout dans les luzernes, qui se balance sur votre tète pendant quelques minutes avant de se remiser quand vous l'avez fait partir, et qui donne sur le miroir avec entraînement. Je crois qu'il est difficile de ne pas le recon- naître à ces signes. 11 passe de très-grand matin dans les plaines et se prend par masses à l'appelant. Sa chair est délicate, mais se tient sous ce rapport à une distance respectueuse de celle du |S,s OllMTIlOLOdlE PASSIONNELLE. précédent. Le Bec-figues de pré ou de luzerne qui n'a que très- peu de rapport avec le fruit mou du figuier, est plus petit aussi que celui de vigne, et le prix d'un seul individu de la dernière espèce égale généralement celui d'une douzaine de l'autre. J'ai rencontré mille fois dans la banlieue de Paris , vers le commen- cement de septembre, des cbasseurs en casquettes de loutre et en redingotes k sous-pieds qui se rendaient de très-grand matin sur les grandes routes pour y tirer des Bec-figues de vignes sur les arbres, et qui m'ont dit gagner honorablement leur vie à ce métier. L'ancienne médecine attribuait k la chair des Bec-figues des propriétés nutritives et exhilarantes toutes particulières, et la prescrivait contre la débilité d'estomac, l'humeur noire et le spleen. Les trois autres espèces de Farlouses indigènes sont dites : le Pipit Richard, ainsi nommé par M. Vieillot, du nom d'un bon bourgeois de Lunéville qui l'aurait inventé; le Pipit Spioncelle ou Spipolette qui est un petit oiseau gris qu'on rencontre toujours, même par les plus grands froids, sur le bord des ruisseaux, des étangs, des rivières où il circule sous les glaçons; enfin , le Pipit Rousseline , ex-alouette de marais, qui est très-commun en Lorraine et plus roussàtre de ton que les espèces précédentes. De sincères amis m'ont sérieusement prié, dans l'intérêt de ma gloire , de ne pas persister k confondre la Farlouse des bois avec le Bec-figues de vigne des restaurants lyonnais; m'alléguant (|ue les deux espèces étaient parfaitement distinctes de patrie et de coutumes , et que toutes les Farlouses dont il était question dans tous les traites d'ornithologie européenne nichaient k terre et (ju'il était impossible, par conséquent, que l'oiseau que j'avais vu nicher sur des chênes en Lorraine aj)partînt k cette tribu. Ils ont été jusqu'km'oflîir de créer une sixième espèce de Pipit français pour moi seul, et de lajjpeler par mon nom dans l'espoir de me corrompre et de me faire dire comme tout le monde. Mais j'ai repoussé, sans faiblir leurs vœux et leurs ofl'res tentantes , parce que V Alouette des bois que j'ai connue en Lorraine où elle niche sur les chênes et où le Coucou aime à lui confier l'éducation de sa progéniture est bien la Farlouse des bois , la même qui vit SEDlPÈDliS. 189 dans les vignes et que Temmynck appelle son Pipil des buis- sons, et je respecte trop les titres de propriété de ce monsieur pour son{i;er à les lui ravir. Quant à ladilîerence de costume qui existerait, dit-on. entre le Hec-ligues des restaurants et la Far- louse des bois, l'objection n'est pas sérieuse. L'oi?eau de res- taurant est toujours en tenue de voyage et cette tenue de l'arrière-saison est habituellement plus humble que sa tenue de noces, il a la graisse en plus et l'ordre d amour en moins sur la poitrine, mais il est toujours le même, bien cpiilne .se ressemble plus. Résumons donc mon opinion sur les Farlouses. J'affirme courageusement de nouveau que toutes les espèces de cette tribu sont baccivorcs et granivores , en même temps qu'insecti- vores, et que tous les ornithologistes qui ont écrit le contraire ont écrit la chose qui n'est pas. Les Farlouses, qui sont des contralti de premier ordre, symbo- lisent la partie la plus blanche , la plus e\(iuise et la plus déli- cate de la plus belle moitié du genre humain, la tribu des hé- roïnes de roman , de tragédie et de mélodrame , la tribu de toutes les victimes innocentes, malheureuses et persécutées. De même que tous les petits oiseaux à gros bec , y compris le Chardonneret et le Moineau franc , sont réputés ortolans à Mar- seille, passé la mi-aoùt; ainsi tous les becs tins sont dits en Italie Bec-figues, à partir de la mjme époque. Je soupçonne également le miYrier de Bordeaux d'être un terme générique et collectif, un nom de circonstance qui s'appliquerait sur les rives de la Garonne aux mêmes espèces que celui de Bec-figues sur les rives du Pô. Groupe des Fauvettes; trois familles ; 19 espèces. Il est d'usage dans les nomenclatures officielles de faire suivr« ou précéder la famille des Farlouses ambivorcs par celle des Bergeronnettes insectivores, sous prétexte de parenté évidente et intime. Les caractères de cette parenté, quels qu'ils soient, sont moins saillants que ceux qui rapprochent les Farlouses des tilO ()UMTlI<>l,(t(,lK l'ASSloNNELLi:. Grives. La ressemblance qui existe entre ces deux l'amilles est môme si frappante que beaucoup d'ornithologistes se sonttrouvés dans un grand embarras pour classer plusieurs espèces qui te- naient autant de l'Alouette que de la Farlouse et de la Grive; si bien que les uns les ont appelées Ant/ius , les autres ^/aurfo, les troisièmes Tnrdjn. Turdus, Tourde, est le nom latin de la Grive, Anthus celui de la Farlouse. C.ette ressemblance apparaît surtout dans les allures et les habitudes de corps des deux fa- milles , dans la hauteurdu tarse et les grivolures du poitrail, dans l'amour commun de la vigne, la blancheur et la délicatesse de ta chair et le besoin de chanter de haut; caractères supérieurs de parenté dont on chercherait vainement les analogues dans la famille des Bergeronnettes , chanteuses de dernier ordre, bonnes à manger, insectivores pures et amies des moutons. Il existe bien entre les Farlouses et les Grives une certaine diiïérence dans la taille et dans la conformation des mandibules, mais la gradation qui manque chez les espèces de France est parfaite- ment ménagée par une foule d'espèces intermédiaires propres à divers continents et particulièrement à l'Amérique du Nord. Ainsi je ne verrais sous le raj)port physique aucune difficulté réelle à faire marcher les Grives à la suite des Farlouses dans cette clas- silication , mais il est de ces scrupules honorables qui prohibent les unions scandaleuses et qui parlent trop haut à la conscience de l'ornithologiste passionnel pour qu'il ne les entende pas. Ainsi j'ai bien voulu, dans une pensée de conciliation louable, séparer par un léger trait les Alouettes des Farlouses, deux genres que la nature avait apparentés d'une façon ostensible en leur prêtant le n^ème esprit, le même manteau, la même voix, et parce que la démarcation exigée par la classilication diététique n'impliquait aucunement la séparation des deux groupes qui demeurent voisins , malgré la dill'erence de l'étiquette sérielle. Mais il serait inutile d'attendre plus de ma condescendance, et les impies sur- tout ne doivent pas espérer qu'après avoir consenti à diviser par un trait ce que Dieu a uni, je me laisse aller à unir ce qu'il a séparé , et à faire se toucher dans ma classilication la Farlouse et la TirÎNe, c'est-à-dire la série du Contralto avec celle de la si;!>iPKi)i:s. 101 Basse, au niopris do la loi d'iiarmonic natuielle (jui a mis cntro cMes deux la série du Ténor. L'ordre et la marche de la procession des chanteurs, telle que l'a instituée la nature , exigeant que le Soprano précédât le Contralto et que celui-ci fi'it suivi par le Ténor, je ne me suis pas cru en droit de rien changer de par mon bon plaisir au pro- gramme de l'institution. I.a série dos Coutralti épuisée, j'ai donc appelé les Ténors. Après les Farlouses les Fauvettes. J'ai besoin de faire observer seulement qu'il \ a Fauvettes et Fauvettes, et ^\w les miennes n'ont rion de comnuin avec celles des savants de profession. Toutes mes Fauvettes sont des premiers sujets du chant ; voix jeunes et sympathiques, ardentes et veloutées. Toutes habitent les bocages, lieux discrets oii se plaisent à errer les amants. Toutes adorent le fruit mou du m(}me appétit que l'in- secte. Toutes sont voyageuses, et leur chair blanche, dodue et parfumée marche inunédiatement après celle du Kec-ligues pour la délicatesse. Pour les hommes de goût, ce premier aperçu distinguera suffi- samment la famille et ses genres. Il n'est personne, enefl'et, qui à l'examen des conditions de talent , de fumet et d'embonpoint exigées pour l'admission en cette tribu, puisse songer à y faire entrer ces espèces maudites que Tenmnnck et les autres ap- pellent Riveraines ou Fauvettes de roseaux , exécrables bavardes (jui ne sont bonnes qu'à vous rendre insupportable le métier de pécheur à la ligne, et dont les larynx discordants et les notes toujours enrhumées trahissent d'une façon si visible la funeste iniluence d'un milieu trop humide peuplé de reptiles croassants. Mes Fauvettes s'appellent l'Âccentenr, le Rossignol, ta Fau- vette à Tète-Noire, le Rouge gorge, etc., etc., et non la Rousse- rolleetleTirlibara, etc. J'insiste sur cette distinction essentielle, parce (lue je considère l'idée d'apparenter les Fauvettes des bo- cages avec les Jaseuses des roseaux , qui est une des marottes de la nomenclature olHcielle, comme une de ses inspirations les plus bizarres et les plus malheureuses. Rizarres, en ce qu'il est assez drôle de voir ranger sous la même etitjuette familiale des genres 192 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. si différents de ton , d'habitat, de régime. Malheureuses, en ce que cette alliance illégitime a horriblement contribué à augmen- ter l'épaisseur du gâchis dans lequel tous les auteurs sont plongés à l'heure qu'il est jusqu'au cou, précisément à cet endroit de la classification du Merle et des Fauvettes. Écoutez les infortunés se plaindre de l'indisciplinabilité de ces espèces; il n'y a qu'un cri parmi eux sur l'impossibilité d'assigner au genre Merle une place convenable, à égale distance des Traquets, des Fauvettes, des Jaseuses, des Corbeaux et des Pies-griéches. Car le Merle cousine avec toutes ces familles-là dans les nomenclatures auto- risées par la police. J'en sais une où l'on va jusqu'à en faire un oiseau de proie. Temmynck, qui voit partout des Merles, fait un jour de la Rousserolle son .Merle de roseaux , mais la raison lui revient le lendemain , et alors il s'amende et demande noblement pardon de son erreur. D'autres, plus endurcis, persévèrent dans la confusion. La masse jette sa langue aux chiens. Or la plupart de ces embarras, je le répète, proviennent du principe de désordre introduit dans la classification par une homonymie déplorable qui a poussé à confondre les vraies Fau- vettes qui charment les oreilles, avec les fausses qui les écor- chent. Imaginez qu'on eût remis à un habile chef d'orchestre le soin de distribuer l'harmonie dans cet ordre des Chanteurs, et la classification eût marché comme sur des roulettes, n'étant pas plus difficile d'îissigner sa partie dans un concert à une basse qu'à un ténor. Le malheur est que ce ne sont pas les chefs d'orchestre, mais les savants en vs qui sont presque toujours chargés de distribuer l'harmonie dans les mondes à rebours. Quoi qu'il en soit, je suppose que j'aurai rendu à la science un immense service en lui donnant la solution tant cherchée du pro- blème épineux du Merle et en lui apportant la preuve que cet oiseau, si difficile à classer, est tout simplement une basse, un' hasso cardante^ qui adore le jus de la treille, et non pas un Tra- quet purement iusectivrre, encore moins un Corbeau ni un oiseau de proie. Car jai besoin de réhabiliter ici la méthode de classe- ment prise de l'élément de nourriture, et de mentionner à sa gloire qu'elle marche en cette circonstance parfaitement d'ac- rord avec la méthode musicale n.'itiirelle, prouvant aussi de son côté (jue la chair la plus délicate est celle qui se fait de l'alter- nance des deux régimes, et le larynx le plus limpide celui qui se gargarise, à l'occasion, de sirop végétal. On sait tout le charuie et tout le prix de la voix des ténors ; c'est la voix de la jeunesse , c'est celle qui peint le mieux les an- goisses de la passion d'amour, de la passion échcvelée, impé- rieuse, jalouse. C'est la voix de la sérénade qui retentit dans l'ombre à l'heure où la terre fait silence, où il n'y a d'éveillés que les seuls amoureux. Le chant de l'Alouette est plus religieux, (ilus sonore, et plus rempli de bonheur et de bénédictions que celui du Rossignol , et pourtant le dernier nous est plus sympa- thique, parce qu'il est plus mouillé de larmes, plus entrecoupé de soupirs, et qu'il est de notre essence animique de nous in- téresser plus aux souffrants qu'aux heureux. Philomélio , Philédonie , noms doux et harmonieux comme la voix des Fauvettes et qui veulent dire tous deux passion des accords, étaient les seuls qui pussent convenablement désigner la famille. Il est fâcheux que le peuple ait préféré celui de Fau- vette et les savants celui de Sylvia, forestière. C'est un char- mant vocable aussi que celui de Sylvia et qu'il faut conserver pour cause d'euphonie; son tort seulement est de n'avoir qu'une signification indécise; car forestière ne veut pas dire assez virtuose de premier ordre et fanatique de l'art ; et d'ailleurs les Fauvettes ne sont pas des amies exclusives des forêts. Elles sont aussi amies de l'homme; elles recherchent le voisinage de sa demeure pour y bâtir leur domicile , et elles sont heureuses de le voir et de chanter pour lui. Les Fauvettes ne sont pas non plus de simples artistes de nature sur lesquelles la mélodie pousse comme la pomme sur le pommier. Elles étudient sans cesse pour se perfectionner; elles ont des traditions , un art, des modèles qu'elles s'efforcent per- pétuellement d'atteindre. Il n'y a peut-être pas parmi elles deux talents de même ordre, et les supériorités reconnues y sont d'une morgue et d'une cruauté impitoyable à l'égard des infériorités qu'elles accal'lent d'épigrammes et qui osent à peine élever la lili OKMTiKH.MCli: PASSION NKlJ.i:. ,voix en leur présence. Et comme elles ont des traditions , elles ont des écoles et des principes admis en matière de niéihode, ainsi qu'en acoustique. C'est ainsi que les Rossignols et les Fau- vettes à tête noire des rives de la Seine l'emportent de cent coudées pour la puissance du son, le charme de l'organe et l'excellence de la méthode sur leurs tristes congénères du Borys- thène. Le Rossignol aime à chanter la nuit , parce qu'il tient de ses professeurs que l'air est plus sonore pendant la nuit que pen- dant le jour. Si en cage il renonce à ses chants vers le solstice d'été pour les reprendre vers le solstice d'hiver (Noël), c'est qu'il sait parfaitement encore et pour l'avoir appris que le froid est meilleur conducteur de la voix que le chaud. Le Pinson, le Merle, l'Alouette, la Grive et tous les grands ar- tistes qui travaillent pour le i)ublic , savent ces petits détails de rendement de son aussi bien que le Rossignol, et comme ils n'entendent pas dépenser leur talent en pure perte , ils choisis- sent pour chanter les heures les plus resonnantes du jour, celles du matin et du soir, voisines de la nuit. Ils se taisent à mesure que le soled qui fond leur voix s'élève sur l'horizon. Puisque les Fauvettes sont amies de l'homme, elles ne doivent pas supposer que l'homme soit leur ennemi; et comme elles ne sont pas moins curieuses que conhantes, il en résulte qu'elles donnent dans tous les pièges avec un entrain désastreux. 11 y en a comme le Rouge-gorge et le Rossignol, qui attendent avec impatience que vous ayez posé votre gluau ou assuré votre raquette , pour se jeter dessus. Les rivalités qui engendrent si facilement les haines et trou- blent si déplorablement l'existence des artistes , sont pour les malheureuses Fauvettes une troisième cause de perdition et de ruine, car la plupart répondent au cartel , si elles sont insensi- bles à l'appel d'amitié. J'ai déjà trop parlé de la délicatesse de leur chair qui fait excu- ser, chaque automne, par tant d'estomacs sans pitié le meurtre de tant de Rouges-gorges et de Rossignols innocents. Toutes les Fauvettes de France portent la livrée du travail , en vertudu principe de justice distributive qui interdit sévèrement si;ini>i:i>Ks. i!i:i le ciitmil des dons supérieurs de l'esprit cl du corps et ne tolère d'exception qu'en faveur de (pelques créatures privilégiées quasi-parfdites , la femme , le chardonneret , etc. La perfection est femme, a écrit (autre jour George Sand. Le groupe des Fauvettes se divise en trois familles dites des Accenteurs, de? Rulnettes, des Fauvettes proprement dites. AccENTEiRS. Deu\ espèces, le Pégot ou l'Aocenteur des Al- pes; le Mouciiet, vulgairement nomme le Traîne-lmisson ou la Fauvette d'hiver. Ilumhle famille , amie du pauvre , partant |)resque inconnue du poète et du vulgaire, et qui cependant, si la gloire ?e décernait au vrai mérite , aurait fatigue depuis des siècles les trompettes de la renommée. Si j'étais Alfred de Musset seulement pendant vingt-quatre heures, j'en profiterais pour tirer l'Accenteur de son ohscurité illégitime, par quehjue invocation sublime dans le goût de celle au Tyrol. Mouclicl, nul Imidc eiiror n'a (li.inU' (a... Les Accenteurs. dont la faille est voisine de celle du Rossignol . portent un manteau plus brun (|uc celui des FarlousfS. Ils ont le bec grêle, eflile et cylindrique de celles-ci et vivent comme elles d'insectes pendant le printemps et l'été, de menues semences et de baies pendant l'autre moitié de l'an. Leur voix mélanco- lique et suave est douée d'un grand charme. L'Accenteur des Alpes est un peu plus gros que le Traîne- buisson. Il habite la patrie du Lagopède et du Pinson des neiges. Son existence semble attachée comme celle de ces espèces à la sombre région des abîmes. Ami des cimes sourcilleuses et des pentes déclives où se joue l'avalanche , il niche sous le toit de l'humble cabane collée aux flancs de l'abrupte ravine. Il est l'hôte des chalets , des hospices et des monastères perdus dans les hautes solitudes. C'est le chantre le plus harmonieux des Thé- baïdes de glace, le consolateur le plus fidèle des plus déshérités, des bannis du monde des vivants, des détenus de la prison du froid , des reclus de la Grande Chartreuse et du Mont Saint- Bernard. Il V a commerce d'amitié entre lui et le chien de ce l'J« OHMTHOLOGIE PASSIONNKM.K. dernier asile. Et l'attachement que Dieu lui a mis au cœur pour sa patrie désolée est si fort qu'il ne l'abandonne jamais que con- traint et chassé par la rigueur du froid et l'épaisseur des neiges. L'air des riches vallées esi si pesant pour lui que le mal du pays le prend pour peu que son séjour s'y prolonge ; et sa voi\ n'a de chants que pour les affligés. Noble et touchant emblème de l'ar- tiste généreux à qui son cœur révèle la mission de l'art ici bas. Ainsi la souveraine des fêtes , la diva inspirée, garde pour ses seuls pauvres les trésors de sa voix , et met au ban de l'art l'ache- teur de plaisir , chantant gratis pour toutes les infortunes, refu- sant de charmer pour de l'or les soirées des heureux. Quel malheur , Dieu du ciel , que tous les grands artistes ne comprennent pas comme l'Accenteur des Alpes leur mission su- blime ! et qu'il y ait des peintres pour toutes les batailles et des poètes pour tous les succès , comme des prêtres, hélas ! pour tous les Te Deum ! Le Mouchet ou Traîne-buisson , bien nommé , est cette petite Fauvette brune à couleur de muraille comme le Moineau franc qui traîne dans toutes les haies sèches et dans toutes les piles de fagots à l'arriére-saison. C'est le temps où elle quitte les contrées du Nord pour celles du Midi et les monts pour les plaines ; elle prend ses quartiers d'hiver sous nos bùcheries et nos hangars et y attend avec philosophie le retour du printemps. Le Traîne-buis- son est un des familiers de la maison du pauvre , comme le Roi- telet et le Rouge-gorge , et qui chante comme ceux-ci pour la moindre bouffée d'air tiède , pour la moindre promesse du soleil. Sa voix est douce et tendre, plutôt mélancolique que joyeuse, et peu retentissante, car le Traîne-buisson ne chante pas pour passionner la foule, mais uniquement pour consoler quelque humble ménage de travailleurs, conliné en quelque masure so- litaire au coin de la forêt. 11 aime à chercher sa vie parmi les joubarbes, les flambes et les autres pariétaires qui croissent sur les toits moussus. Une autre de ses demeures de choix est l'ave- nue de petits pois ou de haricots montants qui sèchent sur les ramures. Le Traîne-buisson niche dans les bois en montagne. SKIMPKIHiS. |!17 SOUS le tronc dos arbres tombes ou dans les |)iles de bois de nioule rangées par corde dans les coupes. Ce nid est construit avec art et ressemble beaucoup à celui du Rouge-gorge. Il est tapissé k l'extérieur d'un revêtement de mousse fine (|ui repose sur une première assise de menues racines d'herbes; il est matelassé à l'intérieur d'un épais sommier de crin, non feutre mais tisse avec une habileté extrême et présentant à l'intérieur la forme d'une charmante coupe nette et brillante comme un miroir. L'adroite tisseuse qui a mené à fin cette œuvre remarquable a eu le soin d'enduire son étofl'e rebelle d'un parement de sa composition qui l'a rendue docile, et de faire rentrer dans réj)aisseur des parois ambiantes tous les bouts des fils employés. Mais que de talent et de peine dépensés, hélas! en pure perte, quand la malheureuse mère n'a i)u réussir à dérober la connaissance de sa demeure à ce chercheur de nids terrible qui s'appelle le Coucou , prototype odieux du parasite ingrat et du glouton fratricide. Car le miséra- ble qui sait le comfort de l'établissement et l'hospitalité des nobles cœurs qui l'habitent, y dépose naturellement son œuf de préfé- rence. Et alors adieu tous les |)rolits de la tendresse et de l'in- dustrie maternelle pour les pauvres enfants légitimes. Dieu a voulu qu'ils périssent tous, et que leur ruine assurât la fortune du bâtard, du fils de l'étrangère. Image trop saisissante du sort de tant de pauvres nourrices que la misère oblige à refuser aux fruits de leurs entrailles le lait de leurs mamelles pour le vendre aux enfants des riches citadines ! Famille des Kubiellei. — Six e.spéees. Ce terme générique de llubiettes qui veut dire Roulettes ne s'appliquait jadis qu'à deux espèces , le Rouge-gorge et la Gorge-bleue; mais je me suis cru autorisé par la nature et par le sens commun à étendre cette appellation aux Rouges-queues et aux Rossignols, qui ressemblent si fort aux deux premières espèces par la physionomie et les mœurs qu'il est absolument interdit à l'homme sage de les séparer. Je fais remarquer seule- ment que le nom de Rubiettes, qui conviendrait admirablenieut I!),s nKMTIlOLUGlt: PASSIONNELLE. au Bouvreuil cl au Cardinal qui sont des oiseaux rouges, ne va pas tout à fait aussi bien aux becs lins dont nous écrivons l'his- toire et qui sont des oiseaux gris. Il est très-certain, en elTet, (|ue Iç rouge dont le llouge-gorge se décore la yjoitrine est du jaune orangé, et que le rouge dont le Rossignol se teint la queue est du roux vineux ou .'^ang de bœuf. Mais Rubiette est un nom joli et pour ainsi dire ressemblant, et je ne lui en ai pas démande daviintage pour l'admettre. L'ornithologie passionnelle est l'art de raisonner droit sur des noms de travers. Toutes les espèces de la tribu des Rubiettes traînent dans les buissons et nichent à terre ou dans les fentes des vieux murs comme les Accenteurs. Elles courent avec facilité sur le sol ou elles cherchent de préférence leur nourriture. Ces habitudes les séparent de la famille des Fauvettes proprement dites qui toutes nichent en l'air et cherchent exclusivement leur vie sur les buis- sons et les arbustes. Les Rubiettes sont plus vermivores , les Fau- vettes plus muscivores; et Técartementqui est entre les deux fa- milles s'ouvre encore plus au moral qu'au physique; car les Fauvetles sont des oiseaux d'humeur enjouée et de mœurs pacifiques qui ne se déplaisent pas trop dans la société de leurs semblables, ni en cage ni en liberté ; tandis que les Rubiettes sont des races de frères ennemis, de frères féroces que le démon de la vendetia et celui de la jalousie artistique tiennent constamment armés les uns contre les autres, en prison comme ailleurs, ce (|iii les condamne à vivre par couples isolés dans des cantonne- ments rigoureusement circonscrits et conquis à la force du bec. Il semble que les malheureuses petites bètes, c'est le nom qu'on leur donne sur les rives de hi Meuse , aient dépensé en faveur de rhomme tout leur esprit de camaraderie et de sociabilité. Les espèces de cette tribu sont peut-être de toutes les créatures ailées les plus conhantes, les plus crédules, les plus faciles à duper. Elles recherchent bien plus qu'elles ne redoutent la pré- sence de l'homme , et leur curiosité de ses faits et gestes est égale à leur familiarité. Ce sont elles qui ne veulent pas attendre st:im>i:i)i:s. nui (|ue le tciult'iirait achevé de poser son piei^e pour mettre le pied dessus. Ce besoin de voir l'onctionncr les machines nouvelles qui est instinctif chez tous les amis du progrès est nn penchant d'au- tant plus désastreux pour les Ruhiettes que leur chair a une repu - tation qui va de pair avec celle du Bec-liii;ues; et hîltons-nousde reconnaître (|ue cette réputation qui leur lait tant d'ennemis n'est? aucunement usurpée, et que cette tribu d'élite qui fournit les premiers ténors , abonde aussi , hélas ! en sublimes rôtis. Les Hubiettes habitent li'S buissons sur la rive des bois. Tellr espèce se plaît au bord des frais ruisseaux dans les bocap;es som • bres . telle autre aux versants des rochers parmi les ronces échevelées (pii pendent aux lianes de la ravine. Leur vol est bas et peu soutenu ; elles ne font que sautiller de branche en bran- che, d'où elles se précipitent vivement et frécpitinment a terre pour ramasser l'insecte qu'elles ont aperçu. Si (pielques mâles montent quelquefois très-haut dans le branchage des chênes et gravissent même jusqu'au faite de la vieille tour féodale, c'est pour parler d'amour et non pour autre chose, et ces tours de force-là ne se font qu'au printemps. Les Rubiettes ont encore un- tic de famille , s'il est permis de s'exprimer ainsi; elles accom- pagnent chaque mouvement du corps, soit en marchant, soit eu se posant , d'un certain frétillement ou redressement de la quejic bizarre et caractéristique. Toutes les Rubiettes sont des oiseaux de passage, puisqu'elles sont lines grasses à l'automne, mais toutes ne suivent pas la même route dans leurs migrations pério- diques. Elles passent isolément et voyagent à petites étapes, le matin pendant le jour , la nuit par les beaux clairs de lune. Bec droit et eftilé, légèrement échancre à la mandibule supérieure- Le RoiGK-(;oR dechilVre à première ouïe dans l'air tous les cris de voyage que jetc^-iten passant les oiseaux. Il sait le canton, l'arltro, le buisson (|u'a(tt?Uonne cha- que espèce et les pa|)ill()iis de cliaciiie plante et la mouche du jour pour la tiuile. Il s'oriente |)ar les étoiles dans l'obscurité des forêts et dit l'heure de jour et de nuit, sans montre ni soleil, et la collection d'œul's d'oiseaux (juil a conquise de ses propres mains et au grand détriment de ses hardes à travers les épines, les rochers, les roseaux, dépasse deux cents noms... A cette vie de Mohican , le gamin de I.orraine n'apprend pas seulement à s'aguerrir contre la peur et à mépriser le hurle- ment des loups; il y gagne de savoir se servir de ses mains pour fabricpier et inventer des pièges de toutes sortes , collets, rejets, raquettes. 11 griin[)e comme l'écureuil et nage comme la loutre. La préparation de la glu qui est une opération savante et de longue durée, l'initie aux procèdes de la chimie ; la faim aux secrets de la cuisine; le besoin de se chaull'er et de se préserver de la pluie aux arts du bûcheron , du charbonnier, du charpen- tier. J'ai peu connu de maîtres tendeurs qui ne fussent en même temps de parfaits rôtisseurs. Or l'étude de toutes ces professions rentre essentiellement dans le programme de l'éducation du héros. Aussi n'y a-t-il pas de danger que les privations de la guerre et l'accablement de la nostalgie prennent jamais sur le gamin de Lorraine, passé à l'état de surnuméraire-maréchal. La conscience qu'il a de sa haute valeur le soutient dans les mauvaises passes. Plein d'estime pour la vendange et le gigot de mouton , il pos- sède as.?ez de philoso|)hie pour mépriser le luxe de la table , lors- que les temps sont durs, mais il n'en médit pas. Dix années de pipée vous cuirassent hermétiquement le tempérament d'un homme contre le mal du pays , la misère et le rhume de cerveau. C'est en Lorraine que l'on trouvait, il y a vingt ans, le plus de revenus de Russie. J'en ai connu qui avaient enseigné la ra- quette et le rejet aux Kirguis et ravi les oiseaux du gouverne- ment d'Orcnbourg par des airs inédits. C'est un gamin de Lor- raine, nommé Jacqueminot, le même qui rend aujourd'hui le pain 214 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. béni à Moudon, qui passa le premier la Bérésina à la nage. II a fallu un boulet pour mettre à has Duroc. Les simples hiscaïcns ne purent jamais mordre à fond sur le maréchal Oudinot. .l'ai consulté la chroniciue locale sur les commencements de ces illustres mangeurs de fer; tous avaient sept à huit campagnes de pipée sur le corps, quand ils s'enrôlèrent comme soldats. Ainsi la passion du Rouge-gorge est celle des vaillants et des forts. Elle survit chez eux au jeune âge. Après 1815, qui amena en Europe une grève générale de héros, et fit rentrer chez eux ceux qui n'étaient pas morts, beaucoup de petites villes de Lor- raine en furent littéralement engorgées ; la mienne fut de ce nombre. Sa population se composait de décorés pour un sixième, et je me souviens (pie les trois quarts des pipées et des tendues d'alors s'appelaient de noms de ca[)itaines ou de commandants retraités. .J'ai bivouatpié cent fois aux foyers hos|)italiers de ces braves (pii aim ient à se consoler de leur bonheur présent par le récit de leurs misères passées. C'est là que j'appris comment tel régiment de hussards, de d.agons ou de cuirassiers, suivant que le narrateur appartenait à l'un ou à l'autre de ces corps, avait gagné la bataille d'Austerlitz , d'Iéna ou de Wagrara. Une chose dont il m'était très-diflicile de me rendre coiipte en ce temps-là, était que la race des Kinzerliques eût pu conti- nuera croître et à se multiplier, après les boucheries épouvan- tables (|uc j'en avais entendu faire. Et je crois, Dieu me par- donne, qu'ils avaient lini par me brûler l'imagination avec .leurs récits de victoires, et que s'il y eût eu chance dr se distin- guer dans la lice guerrière, quelques années plus tard, je m'y serais lancé après eux. Ainsi la passion du Rouge-gorge métamorphose en héros d'intention les moins portés vers la tuerie humaine et les pousse .malgré eux dans les champs de Bellone. Étais-je en droit de réclamer pour le Rougc-gorge une place au Panthéon des illustres oiseaux de France, auprès de l'Alouette deMichelet? . Le Rouge-gorge est, de tous les membfi s de sa famille, leseul SEUIPEDES. 215 qui donne à la pipée et (|ni montre un si grand courage contre l'ennemi commun (lu Cliouelle.) Les autres se contentent de se battre et de se persécuter entre eux , ce qui dénote un caractère de titre inférieur. Le Rouge -gorge ne nous quitte pa? complète- ment non |)lus à l'automne comme les Rouges-queues et les Fauvettes proprement dites. Reaucouj) séjournent l'hiver autour des demeures de l'homme , où j'en ai ramassé souvent que le froid avait tués. Le chant du Rouge-gorge est de ceux qui font fanatisme. Je n'ose pas dire que je parlage l'Iiércsie des admimteurs exclusifs de ce chant, (pii ne voient rien au-dessus; mais il est certain que le langage d'iunour du Rouge-gorge m'est plus synq)alhi(|ue qu'aucun au!re. Rien n'est | Iun rare du reste cpi'un beau chanteur de cette espèce, attendu (pu» les malheureux virtuoses n'ont pres- que jahiais le tenq)s de vieillir et de se perfeitionner. Il y en a qui d'eux-mêmes chantent le Rossignol et valent des prix fous. Le Rouge-goigt; niche dans les bois au fond des petites cavités souterraines pratiquées par les rats, les taupes, etc., ou bien dans quehpie trou d'arbre ou de muraille près de terre , ou encore sous les voûtes obscures des souches excavécs. Il nelait(|ii'une couvée par an comme le Rossignol ; les jeunes changent de plunuige vers la fin d'août. L'uniipie couvée du Rouge-gorge est du reste plantu- reuse et elle C(piivaut pres(|ue à trois couvées de Fauvettes Soa nid est admirablement travaillé et ressemble à celui du Traîne- buisson pour la disposition et l'ordunniuice des matériaux, ainsi que pour la souplesse et l'épaisseur du sommier de crin dont l'intérieur est garni. On a vu, en Anglet rre, un couple de l'tou- ges-gorges à qui l'on avait donné durant l'hiver une hospitalité confortable dans une vaste serre chaude, y faire leur nid avec un plein succès au milieu de janvier; et nul doute que le fait ne se soit produit ailleurs et ne puisse se produire partout, moyen- nant un peu de soin. Or, jugez de ce qu'il pou'rait advenir un jour pour l'embellissement de nos demeures, de l'application en grand d'un procède d'éducation de fleurs et de Rouges- gorges, qui permettrait à l'homme de savourer en plein cœur des frimas les délices les plus raffinées de la saison d'amour ; à savoir 216 URMTH(il.t)(;it: I^VSSIONNELLE. le parluni des roses et le chant des oiseaux, lletenez bien que ce sera encore le Rouge-gori^e qui, pour encourager les autres iau- veltes à se prêter à l'expérience et à renoncer à leurs voyages d'outre-mer, consentira le premier à se claquemurer entre quatre muraille.s pendant toute la rude saison. Puis le Roitelet et le Traîne-buisson imiteront son exemple; puis enlin viendront le Rossignol et la Fauvette à tète noire , etc. Je dois avoir déjà dit une fois que le ralliement spontané de toutes les jolies bêtes à l'homme était un des plus sûrs symptômes de la proche venue d'Harmonie. Quand je quitterai ma patrie pour aller chercher une tombe sur la terre étrangère, le Rouge-gorge sera un des amis de cœur que je regretterai le plus, avec Alphonse Karr, à qui Dieu fit une si large part d'humour, de bon sens et d'esprit, et à qui je dédie les sept cents lignes qui précèdent, en manière d'adieu. La. Gorge-bleue. La plus jolie de toutes les Fauvettes et l'un des plus beaux oiseaux de France , où la couleur d'azur est aussi rare sur les manteaux de plumes que sur le satin des corolles. Le nom de la Gorge-bleue lui vient d'un magnifique écusson bleu clair qui lui couvre tout le poitrail et qui est marqué en son milieu d'un pois ou miroir d'un blanc pur. Cet élégant plastron repose sur une légère zone noire qui est bordée à son tour d'une ceinture blanche à franges orange roux. La queue est bicolore et remarquable par la disposi'ion de ses deux nuances. La pre- mière moitié est rousse, la seconde noire. Manteau uniforme cendré brun. Le plumage de cet oiseau subit de grandes modifications avec l'âge. Le miroir blanc de l'écusson semble être d'abord un attri- but spécial de la jeunesse qui disparaît chez les vieux; puis la bordure roux orangé de la poitrine empiète à chaque mue sur la blanche et la noire et finit par les absorber. QueUpies auteurs parlent bien d'une seconde espèce de Gorge-bleue, qui serait particulière à la Suède et qui se distinguerait de la nôtre par la couleur de son miroir orange roux ; mais rien n'empêche de croire jusqu'à plus ample informé que cette Gorge-bleue à miroir SKDlFEbblS. 217 jaune ne soit la Gorge-bleue à miroir blauc, parvenue à un âge très-avancé, et chez laquelle l'empiétement de la couleur fauve aurait continue ses progrès. La Gorge-bleue, par la mobilité et par la couleur de sa queue , par ses allures et par ses habitudes, se rapproche beaucoup plus du genre Rouge-queue que du genre Rouge-gorge. Elle est plus riveraine et plus buissonnière que cette dernière espèce; elle se plaît dans les oseraies, les saules et les tamarix, et fréquente presque exclusivement les buissons des plaines basses , les bor- dures boisées des étangs et des petites rivières. Ce qui n'a pas empêché quelques nonienclateurs illustres, mais aveugles, de faire de la Gorge-bleue un Rouge-gorge, et même de l'appeler le Jiouye-gorge f/oz-ge-bleue , pour le distinguer de l'autre... tant l'amour du chaos est puissant sur certaine clr.sse humaine. Je crois avoir agi dune manière plus rationnelle et plus conforme aux vœux de la nature en faisant de la Gorge-bleue un Rouge- queue, parce qu'elle a la queue rouge. Dites Rouge-queue à gorge bleue, si bon vous semble, le sens commun ne s'y oppose pas; mais pour l'amour du ciel , n'appelez pas Rouge-gorge l'oi- seau qui a la gorge bleue. La Gorge-bleue niche dans le creux des saules et sous les ra- cines , comme le Rouge-gorge , et aussi dans les piles de bois entassées près des berges de rivières. Elle passe isolément et fait peu parler d'elle. Elle adore les mûres de ronces ; je l'ai prise quelquefois à la raquette dans les avenues de pois des jardins. C'est un rôti parfait. Son chant est doux et suave; seulement elle a peu de voix et ue chante que pour un petit cercle d'intimes. Les couples se cantonnent comme les Rouge-gorges et les Rossignols et se font des misères sans fin. C'est une espèce assez rare et très-belle, mais qui en captivité a le double inconvénient de ne rien dire et d'être privée de sa queue la moitié de l'année. Le Rouge-queue. Beaucoup mieux dit queue rousse, qui est son nom populaire dans une foule de localités de France , et par- ticulièrement dans les environs de Paris. Espèce que l'on con- i»!^ ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. fond toujours avec le Rossignol dç nuiraillc qu'on prend et qu'en vend avec elle, et qui ne lui est pas iiirericur sous le rapport de l'embonpoint , de la blancheur et de la délicatesse de la chair. Le llouge-queue est celui qui a la gorge , la poitrine , les joues et le tour du bec très-u irs, le croupion et la queue d'un roux vif. Le Rossignol de muraille est l'autre, celui (jui a le poilrail et tout le devant du corps jus;iues sous les ailes or.mgé roux , la gorge noire, la(|uoue un peu moins rouge, Ij Iront el les sour- cils blanrs. Les l'emel! s des deux espèces sont un peu plus dif- ficiles à distinguer que les màles. Le pied noir, qui est presque toujours pour les oiseaux gris un certiticatde délicatesse ex(iuise, est un atlrd)ut conunun au Rouge-(|U' ue et au Rossignol de mu- raille. Leur manière de vivre et.d'aimer est aussi la même, et je connais peu d'espèces voisines qui se ressemblent plus et par plus de côtés. Le Rouge queue et le Rossignol de muraille nichent dans les trous de murs à toutes les hautei rs. J'en sais des nids dans cin- quante vieilles tours de châteaux et de cathédrales à trente mè- tres de terre, c'est à dire à des élévations qui donneraient le ver- tige au Moineau franc et à l'irrondelle, et où se plaisent seulement le Sansonnet, le Choucas, le Martinet et la Chouette. Tous deux nichent aussi à terre, dans la muussc verte qui enveloppe le pied des souches, sous les racines creuses , à travers les piles de bois , sous les tuiles. Ils satta.'hent volonliers à la place qu'ils ont choisie pour domicile dans une habitation et y reviennent chaque année. On connaît Ihisloire de cette famille de Rouges-()ueues qui demeuni pendant une vingtaine d'années dans la même boîte de corps de pompe, se transmettant l'héritage de cette propriété de mère en fille. Une l'ois que la machine ne jouait plus, el que le maître avait été focé de faire venir des ouvriers pour la re- mettre en état de service, les Rougis-queue? contraries émigrc- rent et furent trois ans sans revenir, après quoi leur bouderie cessa. 11 faut croire (|ue le bruit et le tremblement qui accom- pagnent chaciue descente et chacjue montre du piston dans son tube ont pour cette espèce-là un charme tout spécial. Je con- nais intimement à l'heure qu'il est une famille de Rossignols de SÉDlPÉhKS. 219 muraille que j'ai rcnconirée «liez un de mes amis, à Maisons, et qui habite depuis une dizaine d'années l'intérieur d'une l'ontaine en terre euite placée au milieu du jardin. Ces deux espèces ne font qu'une couvée par an, mais une couvée plantunuse. Les chants de ces deuv Rouges-queues sont modestes comme celui fie la Gorge-hleue. Ils ne le fout entendre (pie de très grand matin et ne chantent que deux mois de l'an, lis se détestent du reste ardialement entre eux comme les Uougps-gorges et pas- sent isolément. Mais le Uouge-cpieue et le Rossignol de mu- raille sont de vrais voyageurs (pii franchissent hardiment la Méditerr.inée et abordent par grandes masse-; les collines boi- sées des Sahels de toute la côte africaine, où les Ar.bes leur tendent des pièges si primitifs et .«^i patriarcaux que je n'ai janiais compris (|u'uu oiseau sensé put s'y prendre. C'est, par exemple, UQ trebucliet forme d'une simple feuille de cactus, suspendue par une bûchette ;;u-dessus d'une peiite fossette creusée dans le sable avec le bout d\i pied et dans laquelle il faut (pje le Rouge- queue descende pour déplacer l'etançon et faire tomi er la irappe. Il n'y avait dans la nature entière qu'un Rouge-queue ou un Rossignol de nmraille qui pût avoir besoin de voir aller cette mécanique- là. Linvenlion de ce piège, qui doit remonter à .lacob, prouve que l'innocence et la curiosité de la famille des Rubiettes furent connues de toute anticpii e des peuples du désert et exploitées par eux. Mais il faut (jue la leçon des malheurs passés de leur race n'ait guère profité aux Rouges-queues , puisque les pauvres oiseaux sont encore aujourd'hui sur tous les points du globe qu'ils parcourent l'objet d'iuie persécution atroce. La terre de France est surtout celle qui leur est la plus inhospitalière et la plus en- nemie. Le Rouge queue et le Rossignol de murail'e constituent avec le Rouge-gorge, le Gobe mouches et la Grive les principaux éléments de la tendue aux raquettes qui se fait en Lorraine sur la plus vaste échelle et qu'il faut bien se garder de confondre avec la pipée qui est une chasse à la glu. J'ai vu en ce pays-là dans mon enfance tous les sentiers et toutes les lisières des bois, tous les mangeoirs et tous les abreuvoirs quelconques des forêts, gar- 220 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. nis pendant des vingtaines de lieues de suite de pièges si serrés et si drus , qu'il était à peu près impossible aux malheureuses espèces obligées de passer par cette voie scélérate de mettre pied à terre sans donner dans un guet-apens. J'ignore si la loi de mai 4844 a calmé un peu cette rage de tuerie, et si les préfets de Lorraine ont osé rappeler le garde forestier de cette contrée à son devoir et à la pudeur; mais j'aflirme que la chose est à faire, si elle n'a pas été faite , et qu'il est urgent d'imposer un frein à la cupidité et à la barbarie des tendeurs de raquettes, dans le tri- ple intérêt de la moralité, de la salubrité et de la prospérité pu- bliques. Car il est inutile de nous abuser plus longtemps sur les périls de la situation actuelle. La fortune territoriale de la France est totalement compromise en ce moment par ces débordements scandaleux d'insectes dévorants qui envahissent toutes les cul- tures l'une après l'autre, et qui ne tarderont pas à demeurer les seuls maîtres du sol , si l'administration n'y met ordre. Or, la première mesure à prendre pour arrêter le fléau de la contagion dévastatrice n'est pas de consulter les savants sur la question de savoir si c'est par un champignon ou par un ver que les vignes et les pommes de terre sont mangées, mais d'empêcher ces plan- tes de périr , en plaçant au plus vite sous la sauvegarde de la loi les petits oiseaux insectivores à qui Dieu a commis le soin de sauvegarder les récoltes de l'homme. Et il n'est que temps, je le répète , d'appliquer au mal le remède que la nature prévoyante a mis elle-même auprès de lui, et qui consiste, par exemple, à interdire absolument la chasse aux petits oiseaux pendant trois ans au moins. Hélas ! si je demande à la loi de se mettre en travers des jouissances des libres tendeurs , c'est que je sais mieux que personne l'attrait pernicieux de ces amusements barbares, ayant été moi-même bourreau de Rouges-gorges en mon en- fance , à l'âge où l'on est sans pitié. C'est parce que je veux épar- gner à mes complices le chagrin futur de mes remords, que je réclame formellement la prohibition absolue de la raquette et du collet comme engins de chasse aux petites bêtes. Le collet est un piège odieux où tout gibier qui se prend souffre SKDIPÈDES. 221 et se détériore par suite des violents efforts qu'il fait pour se dé- barrasser. Aussi le nom de colleteur désigne-t-il spécialement dans la lanpie de chasse les braconniers de la plus vile espèce. Quant à la raquette, c'est un abominable instrument de torture qui ne peut servir qu'à dresser l'enfance à la pratique du métier de bourreau. La raquette porte témoijinage de cruauté contre la législation qui la tolère. Les oiseaux qui s'y prennent commencent par s'y briser horriblement les pattes et ne parviennent à mourir qu'après de Ioniques heures de soullrance. Je suppose que ces Athéniens si justes qui condamnèrent Xenocrate à l'amende pour n'avoir pas écouté la pitié en faveur du petit oiseau qui s'était réfugié dans son sein , auraient au moins banni du territoire de leur république les tendeurs de raquettes. Je ne requiers pas un châtiment aussi dur contre les tortureurs de Rouges-gorges, et me contenterais pour la première l'ois d'une amende ruineuse et de la privation du droit de chasse ; mais je serais impitoyable pour la récidive , surtout à l'égard des parents , estimant que la loi ne peut punir trop sévèrement le père qui apprend à son fils ou bien lui laisse apprendre la dureté de cœur et l'insensibilité aux souffrances d'autrui. Quand les hommes convaincus par une longue et cruelle expérience de leur inaptitude suprême à régir les choses de ce monde, auront à la fin abdique en faveur de l'autre sexe, un des premiers actes du gouvernement nouveau sera de supprimer sur-le-champ , pour tous les êtres , tous les genres d'oppression, tous les instruments de torture, et d'envoyer la raquette , le knout et la férule rejoindre le rudiment deLhomond dans la nuit éternelle. Mais que de tribulations, de couleuvres et de pensums avaleront encore les pauvres bêtes et les pauvres enfants jusque-là! Le Rouge-queue , le Rossignol de muraille, le Rouge-gorge et le Gobe-mouches qui sont de la même taille , et possèdent les mêmes qualités de chair , sont les quatre espèces célèbres qui se vendent sur tous les marchés des villes de Lorraine en sep- tembre , sous le nom collectif de petites bêtes et s'expédient de là sur toutes les capitales. La Grive est dite grosse bête comme le Merle. Le commerce de l'exportation des petites bêtes s'opère 222 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. sur des milliers de douzaines , mais son chiiïre n'approche pas de celui de la consommation locale. Il y a dans ces pays-là une époque de l'année qui dure six semaines et pendant laquelle ou peut viw tous les jours, à certaines heures, les ménagères des petites villes gravement occupées sur le seuil de leurs portes à plumer les oiseaux capturés de la veille. En ce temps-là l'air du pays ne voiture que des émanations savoureuses et n'apporte que des parfums de brochette au passant, qui ne saurait faire un pas sans fouler les dépouilles de la cuirasse orangée des Rouges-gorges et des llossignols de muraille qui se détachent harmonieusement du manteau noir des Merles sur le pavé des rues. Le Rossignol de muraille [vnir l'alinéa qui précède). Hante plus volontiers les hautes tours que le Rouge-queue. Ses œufs sont d'un beau bleu d'azur sans taches, tandis que ceux du Rouge-queue sont blancs. Le Rossignol. Du latin Liiscùiia , par l'italien Vscinia, i'sci- niola, Rossignol. Nom absurde et déshonoré par une fuule d'ho- monymes honteux ; nom antiscientiKque ctque se sont bien gar- désd'adopter les Allemands qui ont appelé l'oiseau de son véri- table nom NacIttigoU , c'est-à-dire chantre de la nuit. Les Anglais écrivent Nightmgale et prononcent Naïtign... Je ne vais pas plus loin de peur de me comprcn^ettre. On ne saurait trop hésiter à traduire la prononciation d'une langue dans laquelle le mot co/one/ est le seul où l'r s'accentue. Le Rossignol n'a pas à se plaindre comme le Rouge-gorge et le Rec-figues (jue la Poésie et l'Histoire aient été ingrates à ses mérites. On l'a chanté dans toutes les langues des pays qu'il ha- bile. On a écrit sur lui cent traités spéciaux. Toutes les littéra- tures du Midi, de l'Orient, de l'Occident et du Nord retentissent de ses apologies. Je ne sache pas de grand poëte, à commencer par Euri|:ide et par Virgile chez les anciens, et à finir par La- martine ch z les modernes, (jui ne se soit cru obligé de lui con- sacrer une strophe mélodieuse. Pour tous les écrivains inspirés, SÉDIPÈDES. 223 sacrés comme profanes, Philomèle est la personuification ilo l'é- loquence suprême. Euripide, pour donner une idée du charme de la parole d'Ulysse, la compare au chant du Rossignol. Saint Grégoire de Nazianze retrouve dans les écrits de l'école d'Athènes le style harmonieux et sonore du ]»rince des chanteurs ailés. Les fa- rouches sectateurs de Luther reconnaissent la mission divine de Pllllippe MELanchton et la supériorité de son éloquence sans seconde, à ce (pie les deux syllabes initiales de ses noms repro- duisent le nom de Philomèle. Or, comme il est dans les dons de l'analogie passionnelle d'ins- pirer heureusement les esprits quelle éclaire, il est constam- ment advenu que le succès a couronné l'allégorie et la compa- raison tirées du Rossignol. Ainsi aucune Muse n'a probablement modulé dans aucune autre langue de plus mélancoliques et plus tendres accents que la muse de Virgile comparant la douleur d'Orphée qui regrette Eurydice à celle de Fhilomèle qui pleure ses petits : Qucdis populeâ mœrens... L'inspiration d amour qui parfume le texte latin est si pénétrante et si vive qu'il en est passé quelques émanations subtiles jusque dans la traduction de Delille : Telle, sur un rameau, durant la nuit obscure, Philoméic pluinlive allendril la nature, Accuse en gémissant l'oiseleur inhumain, Qui , glissant dans son nid une furlive main, Ravit 1 s tendres fruits (jue l'amour fit éclore Et qu'un léger duvet ne couvrait pas encore. Le chantre des Harmonies, dont la harpe aussi mélodieuse que celle de Virgile, vibre bien plus puissamment sous la touche d'amour, Lamartine, se surpasse lui-même dans la peinture du chant du Rossignol. Relisez Jocelyn, une histoire touchante qui retrouve toujours le chemin de vos larmes, Ihistoire de deux pauvres 'enfants perdus dans un désert de glace et qui s'aiment et s'ignorent sous le regard de Dieu. Ouvrez le livre à cette page (irageuse de la matinée de mai, où l'haleine liévreuse du prin- temps verse au cœur des deux innocents des troubles inconnus, 22 i ORNITHOLOGIE PASSIONNELLK. où le besoin d'aimer lait explosion dans la poitrine de Laurence qui cherche en son extase... Une langw Je feu — Pour crier fie bonheur vers la nature et Dieu, écoutez, écoutez : ' LAURENCE. Vois dans son nid la muette femelle Du rossignol, qui couve ses doux oeufs, Comme l'amour lui fait enfler son aile Pour que le froid ne tombe pas sur eux. Son cou , que dresse un peu d'inquiétude. Surmonte seul la conque où dort son fruit, Et son bel œil éteint de lassitude, Clos du sommeil , se rouvre au moindre bruit. Pour ses petits son souci la consume; Son blond duvet à ma voix a frémi; On voit son cœur palpiter sous sa plume Et le nid tremble à son souffle endormi. A ce doux soin quelle force l'enchaîne 1* Ah ! c'est le chant du mule dans les bois , Qui , suspendu sur la cime du chêne, Fait ruisstler les ondes de sa voix ! Oh ! l'en tends-tu distiller goutte à goutte Ses lents soupirs après .•■es vifs transports. Puis de son arbre étourdissant la voûte, Faire écuraer ses cascades d'accords? Un cœur aussi dans ses notes palpite ! L'àme s'y mêle à l'ivresse des sens. Il lance au ciel l'hymne qui bal si vite, Ou d'une larme il mouille ses accents ! A ce rameau qui l'attache lui-même ? Et qui le fait s'épuiser de langueur? C'est que sa voix vibre dans ce qu'il aime Et que son chant y tombe dans un cœur ! De ses accents sa femelle ravie Veille attentive en oubliant le jour; La saison fuit, l'œuf éclot, et la vie ?J'est que printemps, que musique et qu'amour ! SEDIPEDES. 225 Dieu de bonheur ! que celle vie esl belle ! Ah ! dans mon sein je me sens aujourd'hui Assez d'amour pour reposer connue elle El de transporis pour chanler comme lui. ]N'est-cc pas que jamais la passion n'a parié par une bouche humaine un langage plus sublime et i)his incendiaire, et que rinfortunée Didon est bien pâle auprès de Laurence, et même Roméo qui vent trop s'en aller ! N'est-ce pas que le pauvre historien des bétes qui a commis l'imprudence d'illustrer son récit de tels vers, est tenu de demander pardon à ses lecteurs d'oser encore leur servir sa vile prose après ! Aucune gloire , aucune chance heureuse n'a donc manqué au Rossignol. Comme il a des panégyristes qui s'appellent Virgile, Ovide, Lamartine, etc., il a des historiens nommés Pline, Buf- fon, etc., etc. Jean- Jacques déclare en ses Confessions, qu'il n'a jamais entendu le chant du Rossignol sans être vivement ému. Le naturaliste latin savait les mœurs de l'oiseau , il y a dix-sept siècles, comme nous les savons aujourd'hui; mais la mythologie grecque a erré sur son compte. La tradition mythologique s'est trompée, pour avoir fait de Philomèle le type d'une princesse athénienne célèbre par sa beauté, à qui son beau-frère luxurieux aurait infligé un outrage et puis coupé la langue pour l'empêcher de divulguer son crime. Ce signalement de princesse de sang royal, belle et muette, ne reproduit aucunement les traits du Rossignol , qui n'est ni beau ni muet , et qui d'ailleurs serait parfaitement incapable d'égor- ger un neveu pour le faire manger à son père , comme le fit , dit l'histoire, la princesse outragée. D'où je crains fort que ceux qui ont cru d'après la fable que la romance du Rossignol était une complainte sur les malheurs de Philomèle et sur la perversité de Térée, noient été dupes de leur crédulité. La ro- mance ou plutôt le nocturne du Rossignol n'est pas une com- plainte , mais bien une élégie amoureuse écrite pour une voix seule par un maestro passionné. Et la passion brûlante qui respire en ce poëme et empêche de dormir l'infortuné inamo- rato , est la double jalousie de l'art et de l'amour. II. is 226 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Le Rossignol , en effet , ne chante pas seulement pour atten- drir le cœur de sa maîtresse et charmer ses ennuis ; il chante aussi et surtout pour qu'on l'admire et pour qu'on l'applaudisse; il chante pour faire taire ses rivaux , pour les écraser sous le poids de sa supériorité, pour les tenir à distance du canton qu'il s'est adjugé. S'il n'atteint pas ce dernier but par la force de ses pou- mons , il a recours au combat ordinaire , au combat corps à corps; car il faut d'une manière ou de l'autre qu'on lui fasse place nette. S'il est vaincu dans cette nouvelle rencontre , il s'expatrie comme le Pinson et va bien k in cacher sa honte. Beaucoup meurent sur le terrain du dépit de la défaite et des blessures reçues. On ne comprend pas à première vue qu'une épée aussi peu offensive qu'un bec de Rossignol ou de Rouge-gorge puisse donner la mort , mais le fait se reproduit si fréquemment qu'il n'est pas même contestable. L'habitude des duels à outrance se retrouve jusque chez les Fauvettes proprement dites , qui ont l'esprit moins batailleur que les Rossignols, et chez les Roitelets qui onl le bec encore plus mou et encore plus inoffensif que les Fauvettes. La quinzaine qui suit l'arrivée des Rossignols parmi nous est l'époque habituelle de ces joutes terribles. Les mâles dans ces espèces précèdent les femelles d'une semaine ou deux, afin d'avoir terminé leurs querelles pour le jour où celles-ci arrivent , et pour être en mesure d'offrir un établissement convenable aux belles voyageuses en quête de maris. Ainsi procèdent les Orto- lans et quelques milliers d'autres. Cette précession des mâles dont la cau.se était demeurée jusqu'ici un mystère pour lascience, n'intriguera plus personne désormais. L'avenir des Rossignols dépendant du triomphe obtenu dans ces concours de musique vocale, on conçoit toute l'importance que les pères de famille et les enfants mâles de cette espèce at- tachent à l'étude du chant. Il n'y a peQt-être pas un seul dé- partement de France où l'ardeur immodérée qu'apportent à cette étude les jeunes Rossignols, ne fasse chaque année des victimes. Ainsi dans nos collèges, des centaines de malheureux enfants s'abrutissent l'intelligence en des travaux ingrats pour acqué- rir le titre glorieux d'élève de l'École Polytechnique, et paient SÉDIPÈDES. 527 quelquefois de leur santé ou de leur vie cette nobJe ambition. Il resuite de cette tension perpétuelle de l'esprit des Rossi- gnols vers le progrès et la perfectibilité , que quelques-uns des mieux doués acquièrent des talents supérieurs qui leur assurent le monopole des honneurs et des places. Heureux sont les (ils de tels pères, car ceux-ci naturellement jaloux de perpétuer l'illus- tration de Irtir nom et de faire souche de virtuoses, se font un plaisir et un devoir de pousser leurs héritiers dans la voie du suc- cès, en les initiant à tous les secrets de la méthode et à toutes les rubn(iucs du métier. De là l'illustration séculaire de telles ou telles familles de tel ou tel canton, de la famille des Rossignols je Romainville , par exemple , ou de celle des Fauvettes à tête noire d'Auteuil. Mais de môme qu'il est pour les Rossignols des contrées privilégiées où semble s'être réfugié l'atticisme du beau langage , il est des Béoties par contre où fleurit le patois et dont les malheureux indigènes n'émettent pas une note qui ne devienne aussitôt le texte de mauvais quolibets. Les Fauvettes du bel air sont peut-être plus impitoyables encore pour le purisme de la phrase que les jolies parleuses des salons de Paris. Bechsteïn, naturaliste allemand qui a fait sur l'histoire des Fauvettes de profondes études , va jusqu'à affirmer que le chant nocturne est un privilège aristocratique , appartenant à cer- taines familles de Rossignols, mais non à toutes, et se trans- mettant par le sang. Le chant d'un Rossignol parfait renferme habituellement vingt-qnatre strophes, sans compter les orne- ments et les fioritures dont l'artiste brode ses finales. On a calculé aussi que la portée de la voix du Rossignol égalait celle de la voix de l'homme et s'entendait de plus d'un kilomètre. Retenons bien que tout ce que je viens de dire, à propos du Rossignol , espèce pivotale du groupe des ténors, s'applique à tous ses membres et peut même s'étendre à l'immense majorité des chanteurs des trois autres séries. Faisons encore cette obser- vation importante : que les grands talents ne s'acquièrent qu'en pleine liberté et qu'aucune serinette quelconque ne saurait sup- pléer pour les oiseaux chanteurs les maîtres que leur a donnés la 228 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. nature. Un Merle, un Rossignol , un Rouge-gorge pris dans les bois, à l'époque de la maturité de leur talent, chantent bien plus souvent en cage qu'en liberté , parce qu'étant débarrassés du soin tie chercher leur nourriture, ils ont plus de temps à consacrera l'art; mais il leur manque toujours pour accen- tuer leur voix, ce mobile tout puissant de l'émulation et du génie, l'amour, la passion sainte qui ne se remplace«pas. Il y a de l'oiseau chanteur pris de filet , au chanteur de brochette (élevé en cage) une différence de valeur qui ne se calcule pas. J'ai connu, rue de la Victoire , chez un riche portier amateur, un Rossignol de Romainville , pris de filet . dont on offrait cinquante écus ; mais je ne sache pas que jamais Rossignol de brochette ait été payé 25 francs. Or , tout ce qui précède a été dit par Pline , il y a dix-sept cents ans et plus , et dans un excellent langage. Le grand naturaliste romain a assisté en personne aux leçons de chant données par le Rossignol à ses tils: il a admiré l'attention soutenue et le respect avec lequel les jeunes élèves écoutent la parole de leur profes- seur et accueillent ses remontrances. Il affirme qu'il est impos- sible de rencontrer deux Rossignols de mérite égal , ce qui est vrai. Il trouve enfin une hyperbole sublime pour peindre la fré- nésie de cabaliste qui pousse au combat les rivaux : « Victa morte sœpè finit vitam, spiritu prias déficiente quam cnntu. » f Plus d'une fois le vaincu finit sa vie par la mort , le souffle lui manquant avant le chant). Il soupiraU cncor, qu'il n'était déjà plus. Les oiseliers de l'antiquité savaient aussi bien que nos oise- liers modernes que le Rossignol mis au trou perdait incontinent le désir et la faculté de chanter. La mise au trou est un procédé par lequel on arrête une Fauvette ou un Rossignol au milieu de son chant d'amour au printemps , pour le lui faire reprendre plus tard, vers la fin de l'été, au temps où les oiseaux ne chantent plus. Il consiste tout simplement à emprisonner l'oiseau pendant soixante jours dans une armoire sombre. Le captif, tout joyeux de revoir la lumière, entonne incontinent une hymne d'allé- SKDU'ÉDES. 229 gresse en l'honneur du soleil. Et voilà ses chants retrouvés. On sait par les poésies d'Horace quel grand cas les gourmands de Rome faisaient de la chair du Rossignol, qui se servait rôti sur un lit de confitures (au miel). La brochette de rossignols était en ce temps-là une eprouvette gastrosopliique pour les amphi- tryons de première classe, les Esope et les Lucullus. La valeur de l'oiseau chanteur atteignait des chillres encore plus fabuleux que celle de l'oiseau mort. Dans les l)eaux jours de la grandeur ro- maine, disent les écrivains de cette époque, les Rossignols bien appris se vendaient plus cher que les esclaves. On en donna un blanc à l'impératrice Agrippine qui avait coûté 6,000 sesterces (quinze cents francs de notre monnaie'. Ce prix exorbitant ne serait encore que la moitié, dit-on, de la valeur courante des bons Rossignols au Japon. Les mêmes historiens qui nous ont transmis ces détails rappor- tent que la passion des Rossignols était endémique dans la fa- mille des Césars, et que Drusus et Britannicus, fils de Claude, possédaient plusieurs de ces oiseaux qui savaient plusieurs lan- gues et parlaient indilTeremment le latin et le grec. Conrad Gessner a raconté sérieusement aussi l'histoire de deux Rossi- gnols de Ratisbonne qui avaient l'habitude de causer en alie- wianrf la nuit, sur tout ce qu'ils avaient entendu dire autour d'eux durant le jour. J'ai peine à admettre que tout soit vrai dans ces récits. Ou a cru longtemps encore que les Rossignols s'engourdissaient pendant l'hiver et passaient la rude saison ensevelis dans des troncs d'arbres d'où ils ressuscitaient au printemps; maison sait aujourd'hui que cette version n'est pas plus exacte que celle qui attribuait aux Sizerins la singu-- Hère habitude de se métamorphoser en mulots à l'approche du froid pour chercher un asile dans le sein de la terre. Les Rossignols quittent la France de très-bonne heure , dès les premiers jours d'août, et leur passage est presque complètement effectué vers le o septembre. Ils ne traversent pas la mer, mais se dirigent vers l'Est et se rendent en Egypte par la Hongrie, la Dulmatie, l'Epire et les îles de l'Archipel. Ils ne donnent pas à la pipée et sont presque tous partis à l'époque de l'ouverture de la 230 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. tendue , c'est à dire au l^"" septembre, ce qui est cause qu'il en échappe beaucoup aux oiseleurs. On a vu par le chifire des hauts et des bas prix que j'ai donnés ci-dessus\ que les oiseaux se vendaient moins cher au marché Saint-Germain du Paris moderne qu'au marché de l'ancienne Rome. La ville de Troyes en Champagne, si célèbre déjà par son commerce d'andouilles et de bonnets de coton, est de toutes les cités de France celle qui se livre avec le plus de succès à l'élève du Rossignol. Le monopole de cette industrie intéressante y est entre les mains des cordonniers , comme à Paris l'élève des Canaris et à Strasbourg l'engraissement des oies. Le Rossignol recherche les voûtes des frais ombrages, le voisi- nage des ruisseaux, des prairies et des habitations isolées. Il préfère à toute autre demeure l'allée ombreuse et solitaire du parc , propice aux promenades sentimentales et à la rêverie et d'où il peut être entendu de la compagnie du château; car il a conscience de la supériorité de ses chants et il a besoin qu'on l'é- coute. Il niche à terre au sein des tapis de pervenche, de lierre ou de mousse verte qui couvrent les ados de fossés ou encore au milieu d'une touffe de houx , de hêtre ou de charmille. Son nid est fait presque entièrement de feuilles mortes pressées, agglu- tinées et stratifiées par couches épaisses , sans crin ni laine à l'intérieur. Ce nid n'ayant jamais été bâti que pour être placé dans des tas de feuilles sèches, je m'étonne que Temmynck , et après lui l'auteur de ï Ornithologie du Gard, se soient avisés de le placer sur les arbustes adossés contre un mur ou dans de gros buissons, etc. Quelque chose me dit que ce savant Hollandais, qui connaît mieux que personne les oiseaux empaillés , est moins fort que moi sur les nids, et qu'il a moins souvent affligé ses parents que moi les miens dans son bas âge, par le piteux spectacle de ses bardes dévastées. La femelle pond dans ce nid de feuillage cinq œufs d'un vert olive foncé, marqués au yros bout d'une tache blanche. Les petits quittent le nid de trop bonne heure comme toutes les Fauvettes. Le Rossignol n'élève qu'une couvée par an. Puisque les savants d'autrefois ont tout dit sur le Rossignol , SÉDIPÉDES. 231 la beauté et la variété de ses chants, la délicatesse de sa chair, ses batailles et sa jalousie , sa curiosité excessive qui le porte à vouloir essayer tous les pièges , etc., puisqu'il n'y a pas à le dé- fendre d'un déni de justice, je ne vois pas la nécessité de prolonger une notice qui n'apprendrait rien à personne. Le Rossignol est l'emblème de l'Harmonie solitaire et de la poésie élégiaque qui aime à gémir sur les tombes et à conter ses peines aux échos de la nuit. La Philomèle. Une autre espèce de Rossignol , un peu plus grosse et un peu plus roussàtre de ton que la précédente ; plus solitaire aussi et plus amie des eaux. La voix de la Philomèle a plus de portée et plus d'éclat encore que celle du Rossignol or- dinaire , et son chant a plus de durée ; mais ce chant est loin de valoir l'autre pour la variété, la souplesse et le liant des modu- lations. H est haché, heurte et dénué de ces prolongements solennels et de ces finales harmoniques qui donnent tant d'ex- pression et de charme au langage du Rossignol vulgaire. La Philomèle a, en outre, le défaut de parler trop haut pour le tête-à-téte de la chambre ; et comme elle chante toute la nuit quand elle est de boime humeur, elle indispose faci- lement le voisinage par la sonorité de son verbe. Il y a beau- coup de gens qui ne peuvent pas soullrir le Rossignol et qui se lèvent la nuit pour le faire taire. De ce nombre était sans doute l'agronome Mathieu de Dombasie , qui écrivit de si déploiables dédicaces au Dauphin et de si fâcheuses diatribes contre le Rossignol. Rare en France et d'assez grand prix. Les immenses progrès qu'a faits depuis vingt-cinq ans en Eu- rope l'art d'élever les oiseaux, donnent lieu d'espérer que l'homme se sera rendu maître avant peu de tous ces grands chan- teurs, et qu'il les fera nicher dans sa demeure. Et comme il lui sera facile de choisir les types reproducteurs, il arrivera qu'au bout d'un certain temps, de plusieurs siècles peut-être, les i)lus excellentes méthodes de chant auront prévalu parmi l'universalité des espèces chanteuses, et vulgarisé le talent dans des propor- tions indicibles. Les jeunes oiseaux de cette catégorie sont, en. 232 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. effet, si désireux de s'instruire et naturellement si pleins de goût, qu'il suffit de mettre à leur portée un exemple du mieux, pour qu'ils cherchent à l'imiter sur-le-champ. Et le progrès gagnera jusqu'aux tribus primitives des Fauvettes et des Rossignols de Russie , si barbares encore , si incultes et si illettrées. Famille des Fauvelles |)roprement dites. Onze espèces. Nous entrons ici de nouveau dans un de ces fouillis inextricables de nomenclature et de classification comme la science otïicielle s'entend seule à les faire. Essayons de nous tirer de cette passe dangereuse, comme nous nous sommes tiré déjà de celle des Loxiens et des Fringilles , où nous avons été assez heureux pour côtoyer de tout près le gâchis sans trop nous y embourber. De même qu'on passe auprès du cadavre de l'homme ivre sans le voir, pour s'épargner une hypocrite jérémiade sur les misères de l'espèce humaine , faisons semblant de passer sur les tristes écarts de la science sans les apercevoir , afin de nous dispenser de nous apitoyer sur iceux. Les Fauvettes proprement dites, qui chantent et qui mangent des baies ainsi que des insectes, fornsent tout au plus la troisième ou la quatrième partie de la tribu populeuse à laquelle les sa- vants ont attribué cette dénomination générique, et qui d'après eux contiendrait une quarantaine d'espèces, tribu qu'ils ont divisée en deux sections principales, celle des Riverains (aquatiques) et celle des Sylvains (forestiers). Pour ma part, je ne connais eu France que onze fauvettes proprement dites , et encore n'oserais- je pas garantir l'authenticité de ce chiffre, tant les uomenclateurs ont été ingénieux à introduire le trouble et la confusion dans la désignation des espèces. Je ne crois pas m'aventurer en affirmant que sur les quarante étiquettes qu'emploie la nomenclature an- cienne. il en est à peine douze qui puissent servir à faire recon- naître d'une manière certaine l'espèce qu'elles sont chargées de désigner et qui ne s'appliquent pas tout aussi bien à deux ou trois SEI)I1»ÉL)ES. 233 autres variétés. C'est ainsi qu'on rencontre dans la classification de Tcmmynck (répuléc la meilleure) des Mélonorèplmlc!^ et des l'êtes itoiirs, c'est à dire des noms ([ui signifient absolument la même chose et qui par conséquent ne divisent rien; plus une Bahillarde , comme si toutes les Fauvettes n'étaient pas babil- lardes; plus une Fauvette tout court; plus une Grisette, comme si toutes les Fauvettes n'étaient pas plus ou moins grises ; plus une Fauvette des jardins, comme s'il n'y avait j)as trois ou (juatre Fauvettes de jardins. Il ne m'est pas prouvé que si l'ornithologie ofllicielle eût visé à embrouiller l'écheveau de cette histoire, elle y eût mieux réussi qu'elle n'a lait en cherchant à le dévider. Mais nous avons promis de jeter un voile sur ses fautes , soyons tidèle à nos engagements. Les onze Fauvettes de ma connaissance s'appellent l'Orphre , la Mélanocéphale ou la Grande Fauvette à tête noire , la Fau- vette à tète noire ordinaire, la Bretonne, qui est probablement la même que la Grisette, la Babillarde, la Fauvette à lunettes, la Passerinette , le Pitchou , l'Eperviére , la Sarde. L'histoire de toutes ces espèces est à peu près la même et ne demande pas pour chacune d'elles une notice spéciale développée. Elles habi- tent les bois, les haies et les jardins; elles nichent pour la plu- part dans les buissons, quelques-unes sur les arbres, d'autres au milieu des hautes tiges des genêts, du blé et des luzernes. Leur nid plus gracieux que solide consiste habituellement en une jolie corbeille à claire-voie dont la muraille est laite de brins d'herbes et dont l'intérieur est garni d'un semblant de matelas de crin où apparaissent de ci de là quelques rares flocons de laine. Le caille-lait, dont la tige velue adhère fortement aux corps contre lesquels on l'applique, sert ordinairement d'assises à cet édifice trop léger. Cette négligence dans la tenue du domicile des Fau- vettes s'explique par la raison que leur incubation dure peu , une dizaine de jours au plus , et que les petits sortent du nid avant l'heure. A quoi bon faire des frais pour l'embellissement et le comfort d'une demeure qu'on doit occuper si peu de temps? Aucune de ces espèces n'est sédentaire dans les départements du Nord. Quelques-unes seulement s'arrêtent en leurs émigra- •234 ORNITHOLOGIE PASSiOiNNELLE. tions dans quelques localités privilégiées du midi de la France et de la Corse dont la température est la même que celle des îles de l'Archipel et de la côte septentrionale d'Afrique. Toutes pas- sent isolément et de très-bonne heure comme le Rossignol. La chair de quelques-unes vaut celle du Bec-figues. Le Pitchou. Moule réduit du Traîne-buisson , commun dans le Midi, rare dans tout le Nord, le Centre et l'Est, mais assez ré- pandu dans les landes buissonneuses, les genêts et les forêts delà Bretagne. Tout le dessus du corps brun cendré , le poitrail rouge vineux , la queue longue et étagée. Ce petit oiseau marque par- faitement la transition entre les Rubiettes et les Fauvettes pro- prement dites. Il court à terre et fait de fréquentes salutations de la queue comme le Rossignol, s'essaie quelquefois à chanter en volant comme la Babillarde , et demeure volontiers l'hiver aux lieux où il est né. Je serais fort embarrassé de dire quelle raison m'a retenu d'enlever le Pitchou à la tribu des Fauvettes pour le classer dans celle des Rubiettes. — Niche dans les genêts. La Babillarde. L'espèce la plus commune et la plus répan- due en France où on la trouve partout dans les bois , dans les plaines , dans les vergers et les jardins. C'est cette petite Fauvette à gorge blanche, à manteau marron clair, à la queue brune avec les rémiges extérieures marquées de blanc comme chez l'Alouette, qui se plaît comme le Traîne-buisson dans les ramures des petits pois des jardins, qui niche dans les seringas, lesgroseillers, les chèvres-feuilles , qui monte en l'air kciuatreoucinq mètres pour débiter son ariette joyeuse et retombe aussitôt sur la tête feuil- lue des pommiers; qui chante dans les blés , dans les bois, dans les haies , qui adore les baies de sureau , les cerises et les mira- belles. Je propose de faire à cette espèce un joli petit nom poéti- que d'une seule pièce qui voudrait dire fusée chantante et qui la désignerait beaucoup mieux que le sobriquet déplaisant qu'on lui a infligé. Remarque. Le portrait qui vient d'être tracé est celui de la Babillarde du marché Saint-Germain; mais il est d'une resscm • blance parfaite avec celui de la Grisette de Temmynck. SKDIPEUES. 233 La Bretonne. La Fauvette (|ui se vend a Paris sous le nom de Bretonne est-elle la même que la Grisette des auteurs, ou la Fauvette tout court, ou la Fauvette des jardins de Tcmmynck? Je me suis posé cette question-là bien des fois sans pouvoir la résoudre. Je crois pour mon compte néanmoins (jue la Bretonne est cette charmante musicienne à laquelle Roux ou Vieillot ont donné le nom grec dOEdonia, c'est-à-dire (|ui chante, comme si toutes les vraies Fauvettes n'étaient pas des oiseaux chanteurs; mais j'attends pour allirmer cette identité d'une façon plus posi- tive que l'autorité ait fait dresser juridiquement l'état civil de ces trois ou (juatre moules, opération urgente et vivement reclamée par l'incertitude publique. Ea tout cas, la Bretonne du marché Saint-Germain, comme elle s'appelle ailleurs, est cette petite Fauvette très-commune qui porte un manteau gris verdàtre plus clair que celui de la Fauvette à tête noire et moins nuancé de marron clair que celui de la Babillarde. La Bretonne chante beaucoup mieux (\ne celle-ci et presque aussi bien que celle-là Elle se distingue en outre de toutes ses congénères par deux ca- ractères fort remarcjuables dont les historiens parlent peu ; elle subit deux mues chaque année et préfère la nourriture végétale à l'animale , à ce point qu'elle ne peut se passer de fruit pendant l'hiver, à l'instar des autres Fauvettes, du Rouge-gorge et du Rossignol. Les oiseliers qui la gardent d'une année à l'autre sont donc obligés de la mettre au régime de la pomme de Cal- ville ou du cœur de choux mélangé avec la pâte de chènevis, quand les baies sont passées ; mais ce régime exclusivement vé- gétal a l'inconvénient de nourrir ses penchants à l'obésité, ma- ladie incurable à laquelle la Bretonne est trop sujette et qui la conduit à la mort par l'hébétement , la somnolence et la perte du chant. Les périls et les difficultés de tout genre dont l'entre- tien de la Bretonne esl semé expliquent la rareté des éducations qu'on en fait et le peu de popularité de l'espèce , malgré la beauté de sa voix , que quelques amateurs distingués ne crai- gnent pas de mettre au-dessus de celle de la Fauvette à tète noire. Je demande la permission de n'en pas écrire plus long sur la 230 OILMTHOLOGIE PASSIONNELLE. Grisette, la Fauvette et la Fauvette des jardins de Temmyuck, ne connaissant ces espèces que par ouï dire et non personnelle- ment. Je désire seulement ((u'on sache bien que si je ne les con- nais pas.sla faute n'en est pas à moi , mais aux nonienclateurs patentés qui leur ont si drôlement barbouillé la ligure qu'il m'a été tout à fait impossible de reconnaître leurs traits. La Fauvette a lunettes. Un des plus petits oiseaux de France et des plus charmants gazouilleurs; ainsi nommé d'une sorte de bandeau circulaire qui lui entoure les yeux et semble s'enchâs- ser dans son bec. Espèce très-rare sur le continent et presque exclusive à la Corse, contrée très-propice aux Becs-tins. La Fauvette à lunettes chante en volant comme la Babillarde, mais sa chanson a deux phrases de plus que celle de cette dernière, sa voix est plus solennelle, plus veloutée et plus grave. La Passerinette. Autre petite espèce méridionale, délicate et fluette, commune en Corse et dans toute l'Italie, mais rare sur le continent français. Elle habite les grands bois et se tient cachée dans le plus épais du feuillage des ormes et des chênes, d'où elle ne cesse de faire entendre ses joyeux gazouillements. Manteau cendré bleuâtre , devant du corps roux vineux , mous- taches blanches, etc. La Fauvette épervière et la Fauvette sarde sont deux espèces fort rares et peu intéressantes. La dernière n'habite guère d'autre pays que la Corse ; et comme aucune particularité ne la carac- térise, je passe sur elle brièvement. Elle a le tour des yeux nu et coloré d'un rouge vif comme les Perdrix. L'Épervière n'a pas acquis ce nom redoutable de l'habitude (juclle aurait contractée de manger des petits oiseaux; au con- traire. Elle le tient de la vague ressemblance qui existe entre les rayures transversales de sa robe et celles qui strient la devanture de la robe de l'Epervier. Originaire du nord du continent. Un cachet de distinction tout particulier dans la voix comme SKDIPÉDES. -237 dans le costume, semble caractériser et unir les trois espèces de Fauvettes dont l'histoire nous reste à écrire, et qui ont l'air de constituer une petite famille dans la grande. Le costume de ces trois espèces est le même : manteau gris de fer, calotte noire. Leur gosier a unt' qualité de son enchanteresse. La Fauvette à tête noire tient dans le concert vocal aérien l'emploi de baryton. On sait le charme de celte voix, intermédiaire entre celles de ténor et de basse , pénétrante comme la première , veloutée comme la seconde. De nos trois Fauvettes à tète noire, la plus intéressante et la plu- illustre est celle des environs de Paris et d'Auteuil nommément. L.v Faivette a tète >oinE. Tout le monde connaît et admire cette espèce, familière des parterres, des rosiers, des lilas; qui adore les habitations de Thommc , et qui vient chanter et faire son nid dans tous les jardins de Paris, ou j'en sais chaque prin- temps vingt, ou trente, rue du Bac, rue Lallitte, rue du Faubourg- Saint-Denis ou du Faubourg-Saint-Martin, dans le voisinage de l'Opéra comme dans celui de la barrière. Peu de personnes sont d'avis de décerner le premier prix de vocalisation à la Fauvette à tète noire, mais presque tout le monde est d'accord pour lui attri- buer le second, et elle a, comme le Rossignol et le Rouge-gorge, ses admirateurs fanatiques. Je sais une multitude de bons bour- geois de la rue Saint-llonoré et de plus loin, qui s'en vont tous les matins à pied de leur demeure à la place de la Bastille pour y entendre une Fauvette à tète noire , virtuose de premier mé- rite, qui donne des séances à cette heure-là chez un marchand de vin. Je sais même des traits de dévouement et de générosité * inspirés par la passion de la Fauvette à tète noire qui ne dé- pareraient pas les pages du traité de la Morale en action. Entre autres celui-ci, qui n'a pas deux ans de date et dont le héros fut un brave épicier. Où la générosité va-t-elle se nicher? ne man- quera pas de s'écrier le sceptique sur cette simple annonce. Et moi je lui réponds que la générosité se niche dans tous les cœurs susceptibles de nourrir une passion honorable, laquelle est un parfum ou un feu qui purifie tout. 238 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Cet épicier, qui est à la tête d'un établissement florissant et non encore condamné, des environs du boulevard Poissonnière , avait donc, il y a deux ans, une Fauvette à tête noire ; une Fau- vette qu'il avait prise de son propre filet dans le bois de Boulo- gne; une' Fauvetle qui faisait le désespoir et l'admiration de tous les connaisseurs et n'avait plus de prix. II jouissait de son bonheur avec cette ivresse que connaissent seuls les proprié- taires des trésors universellement enviés. Tous les matins, dans la belle saison, une foule compacte accourait pour entendre les chants de l'oiseau sans pareil, et le sergent de ville dut môme intervenir plus d'une fois pour rétablir, aux abords du théâtre, la circulation compromise par les rassemblements. Le hasard de la flânerie me favorisa un jour d'être témoin de l'une de ces émeutes dont le motif était de nature à m'intéresser spéciale- ment. Le lendemain, j'étais de très-bonne heure de retour sur la place où je pus satisfaire mes oreilles et juger par moi-même de la légitimité de l'engouemeut populaire. Jamais je n'avais ouï encore sortir d'un gosier de fauvette des accords aussi ravissants. Mais l'édilice de toutes les félicités humaines est fondé sur le sable. La troisième ou la quatrième fois que je revins pour l'entendre, la Fauvette ne chantait plus, et la solitude s'était faite autour du magasin, au fond duquel un homme seul, un homme à la barbe inculte et à la physionomie bouleversée, se pressait le front de sa main. Un instinct sympathique et qui ne devait pas me tromper me révéla soudain que le silence de la Fauvette était pour beaucoup dans les causes d'une si grande affliction ; et marchant droit vers la cage vitrée du comptoir où l'infortuné stationnait, j'osai m'en- quérir auprès de lui de la santé de son élève et lui demander pourquoi ses chants avaient cessé. Le ton de sollicitude sincère dont mes paroles étaient empreintes dut faire impression sur son cœur, car sa face contractée se détendit subitement, son œil sombre et fatal où le suicide errait s'éclaira d'une lueur de tris- tesse attendrie, et il me répondit d'une voix qui aurait voulu être plus ferme : « Elle nechanteplus, parce qu'elle ne chantera plus; parce que... elle ne peut plus chanter... parce que... il y a des gens à qui le bonheur des autres fait mal. » H appuya sur les der- ♦ SKDIPEDES. 23!i niers mots de cette phrase largement syncopée, et en les pro- nonçant il dirigea son regard en mt^me temps que sa parole du côté de l'arrière-boutique, vers ses Lares. A l'expression rancu neuse de ce regard et à l'accent de rébellion qui perçait dans cette plainte, je compris que de noirs soupçons domestiques as- siégeaient l'âme du malheureux. J'en savais plus sur l'accident que je n'en désirais savoir; je pris congé de l'épicier trop sen- sible, après m'étre associé de cœur aux regrets de sa perte. Quelques jours après, je lui envoyais mes livres sur les bétes, en témoignage d'estime et de fraternité de sympathies, et il ripostait à cette galanterie par l'envoi de plusieurs pots de con- fiture. A onze ou douze mois de là environ , je reçus un matin par un commissionnaire un bout de lettre avec la suscription très- pressée , où je lus : « Elle est retrouvée et l'on ne me l'ôtera plus. Venez tout de suite, je vous en prie. » X. ., l'épicier à la Fauvette. » J'étais arrivé au rendez-vous avant le retour du commission- naire. Du plus loin que l'heureux mortel m'aperçut, il courut au devant de moi , et s'élançant dans le milord à la volée et sans faire arrêter le cheval : « Cocher, cinquante centimes de pour- boire et en avant vivement , s'écria-t-il , lançant en l'air une adresse du faubourg Saint-Antoine. Et après m'avoir brisé les mains, à force de me les serrer, il me raconta comme quoi, passant en recouvrement la veille par une rue impossible, et tou- jours accablé par le souvenir de sa perte, il avait entendu tout à coup résoûner une voix , plus douce à son ouïe que celle d'un ange du ciel , la voix de sa Fauvette, crue morte et tant pleurée ; car il n'y avait pas à se méprendre sur son identité , la Terre n'aurait pas pu nourrir deux fauvettes de cet ordre-là... Et qu'a- , ors il s'était dirigé vers le lieu d'où partaient ces sons, qui était une mansarde au quatrième étage , habitée par un cordonnier... où il avait retrouvé sa pensionnaire chérie, embellie par un an de plus, laquelle l'avait reconnu et lui avait fait fête... Il l'avait rachetée, elle était à lui, et il se promettait de cette retrouvaille 240 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. % un long avenir de joies, et il bénissait presque le sort de lui avoir fait subir une épreuve cruelle pour décupler le prix de sa félicité, il me confia encore, mais sous le sceau du secret , que c'était sa moitié qui , dans un accès de jalousie furieuse, avait enjoint à sa femme de'^ménage de donner la clé des cbamps à l'oiseau ou de lui tordre le cou , et que celle-ci , pour se conformer aux ordres de sa maîtresse , avait pris la pauvre petite bètB et l'avait em- portée bien loin pour qu'elle ne revînt pas , et en avait fait don à un sien cousin, cordonnier, qu'elle supposait, à ce dernier titre, devoir être ami des moigneaux. La brave femme heureusement avait deviné juste. Du reste, il n'accusait de ses malheurs passés personne que lui-même, attendu, disait-il, que le premier devoir d'un honnête homme qui aime les fauvettes à tête noire et qui désire être heureux en ménage, est de s'informer avant le mariage si sa femme partage ses goûts. Ce n'est pas l'épicier généreux, c'est le cordonnier reconnais- sant qui m'apprit la fin de cette histoire. A sa première entrée dans le bouge de l'industriel, à la première vue de sa fauvette, le négociant avait été pris comme d'une suflbcation subite et d'un éblouissement de joie. Revenu à lui, il avait réussi à faire comprendre à l'habitant de l'humble mansarde les motifs de son irruption dans son apppartement, et il avait fini par offrir au nouveau possesseur de la fauvette, des sommes fabuleuses pour rentrer dans la possession de son bien. Ici il y avait eu un assaut de grandeur d'àme entre les deux amateurs. Le nouveau possesseur prétendait devoir restituer purement et simplement l'oiseau qui n'était pas à lui ; l'autre n'entendait pas de cette oreille et parlait d'une indemnité légitime proportionnée à la valeur de l'objet en litige. « llélas! dit le cordonnier, je suis bien malheureux ; je suis en arrière de mon terme de janvier; celui d'avril va échoir dans huit jours, et je n'ai pas le premier sou des cinquante francs qu'il me faudrait pour boucher ces deux trous; mais il ne sera pas dit que j'aurai vendu ma seule joie, ma seule amitié, ma seule consolation dans ma misère, pour con- server un mobilier indigne. Emportez la fauvette, monsieur, puisqu'elle vous appartient ; je ne vous demande qu'un délai de SÉDll'ÈDES. 241 huit jours pour m'habituer à la séparation, et puis encore de temps eu temps , la permission d'aller l'entendre et de lui appor- ter quelques mouches. — Mon nuble ami, avait répondu l'épicier, je sais trop les douleurs d'une telle séparation pour les faire souf- frir à mon semblai)lc; vous ne vous séparerez pas de la fauvette ; au contraire. Seulement, elle sera /")//v' au lieu d'être mienne ou vôtre. Prenez ces cinquante francs que je vous offre à titre de prêt, si vous ne voulez pas les accepter à titre de récompense pour le service que vous m'avez rendu, et gardez l'oiseau chez vous. C'est moi qui vous demande la permission de venir, quand bon me semblera , l'entendre et m'enivrer de ses chants. )) Le marché s'était conclu sur ces bases. Inutile d'ajouter que les deux parties contractantes en ont exécuté (idèlement toutes les clauses. Leur bonheur était intéressé à leur fidélité. Comme le spectacle de semblables actions rafraîchit l'àme, après celui des condamnations quotidiennes et des crimes de l'épicerie! Je, connais peu d'oiseaux qui méritent au même degré que la Fauvette à tête noire l'estime et les égards de l'homme. Elle ne se borne pas, en effet, à égayer nos parterres du charme de sa voix pendant toute la durée de la belle saison; elle joint l'utile à l'agréable et nous sert en mode composé ; car c'est l'ennemie la plus infatigable des pucerons qui dévorent nos rosiers comme de toutes les petites chenilles qui déshonorent la verdure de nos plates-bandes. On la dirait préposée à la garde de nos plus jo- lies plantes et nos plus jolis arbustes, à voir l'activité avec laquelle elle inspecte la tige et le dessous et le dessus de chaque feuille pour les débarrasser de la vermine dont elles sont infestées. La Fauvette à tête noire a de plus , comme le Rouge-gorge et le Rossignol, la mémoire et l'affection des lieux et l'attachement pour les personnes. Tout le monde a pu vérilier (pi'elle avait du sentiment , comme l'affirmait la nièce de Descartes. J'en ai connu une qui attacha son nid pendant six années de suite à l'extrémité d'une ronce qui pendait d'un rocher au-dessus d'une table de gazon dans un jardin public. Le maie semblait prendre 2i2 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. plaisir à mêler ses chansons aux refrains joyeux des buveurs. La femelle était faite au bruit et continuait de couver avec une admirable tranquillité d'esprit au milieu du vacarme. Les petits éclos, le père et la mère ne se gênaient nullement pour leur apporter Ja pâture en présence d'une foule de témoins. Pourquoi se gêner entre amis? Une fois ([ue je repassais par la localité, après une absence de dix ans, la curiosité me prit d'aller revoir la place où nichait autrefois le couple familier. Le couple fami- lier était mort; mais avant de mourir, il avaitdù léguer l'héritage de la ronce à quelques rejetons de la famille, car la place était occupée. La Fauvette à tète noire s'apprivoise comme le Rossignol et le Rouge-gorge, suit la personne qu'elle affectionne parmi les allées du parterre et vient prendre des mouches dans sa , main. Il arriva l'an dernier à une femelle de cette espèce, qui était détenue à Belle-Isle , de tuer son mâle dans un accès de mo- nomanie avicide. L'orgueilleuse croyait pouvoir se passer du con- cours d'un mari pour amener à bien une couvée. Elle fit son nid oprh le pied du lit de son maître, y pondit quatre œufs qu'elle couva, mais sans succès, hélas! et elle fut très-chagrine de cette déception, qui la punit par où elle avait péché. Il faut de graves motifs pour porter des femelles à ces actes regrettables. Celle-ci se délit de son mâle et repoussa ses caresses parce qu'il avait perdu sa queue et (pi'il était trop souvent enrhumé. Elle craignait naturellement que ses petits ne vinssent au monde privés de queue ou parlant du nez comme leur père. Nous appelons ces traits-là des actes de barbarie, nous autres civilisés, qui permet- tons à tous les rachitiques, phthisiques, scrofulcux, lépreux, etc., (le prendre femme et de déshonorer l'espèce humaine en procréant des races de malheureux voués à la souffrance : mais les oiseaux, qui tiennent à conserver dans toute leur pureté primitive les types de beauté de leur race , sont plus Spar- tiates à cet endroit que nous. Et il faut bien (|ueje le déclare, puisque l'occasion s'en présente, et si douloureuse (|ue puisse être la sensation universelle que ma révélation produira... Mais il est inutile que l'IInmanité se flatte d'entrer en Harmonie dans SEniPLDES. 2i.1 l'état où elle est. L'entrée on Harmonie exip;e l'extirpation préalable de toutes les maladies et de tous les vices qui al11i£;ent l'Huma- nité et sa Planète. Or, cette extirpation ne peut se faire qu'au moyen de l'application du double système d'assainissement in- tégral du globe et de Quuranldincs (jénc'ivles, dont l'auteur du Nouveau blonde a donné les détails. Hélas ! que ces idées grandioses, si sensées ot si simples, sont encore loin d'avoir germe dans le cerveau des gouvernements les plus sages et les plus avancés ! Et que cette pauvre bumanité est aveugle, qui parle de se racbeter de sa chute et n'a pas même l'esprit de s'appliquer à elle-même le système d'amélioration qu'elle applique à ses bêtes de somme, à ses bœufs et à ses pour- ceaux ! La Mélanocéphale. Seconde espèce de fauvette à tête noire, qu'on a oublie de baptiser, puisque le nom de Mélanocéphale qu'on lui a attribué n'est pas autre que celui de la précédente. La Mélanocéphale des auteurs habite exclusivement les contrées du midi de l'Europe, Espagne, Sicile, Sardaigne, Grèce. La Corse , la Provence et le Languedoc sont à peu près ses seules patries en France. Elle se distingue de la Fauvette à tète noire des jardins par ses orbites nus et colorés de rouge, caractère (jui la rapproche de la Fauvette sarde, et (pii pouvait servir à luidonner un nom. L'Orphée. La plus grosse du genre, plus commune en Italie qu'en France, où on ne la rencontre fréquemment que dans les départements du midi et de l'est, presque totalement inconnue dans les provinces du nord, du milieu et de l'ouest. L'Orphée et la Mélanocéphale se rapprochent considérable- ment par la voix et un peu par la taille de la famille des Grives. L'Orphée a presque le volume du Mauvis et sa voix rappelle celle de la Draine en quelques occasions. Ces deuxespèces habi- tent aussi de préférence les forêts et cliantent sur les grands ar- bres. Elles aiment à se cacher au fond des fourrés comme les merles dont elles ont les allures et le naturel méfiant. Les per •2i4 ORMTIIOLOCIE PASSIONNELLE. sonnes qui ne se tiendraient pas pour satisfaites de ces renseigne- ments, pourront consulter avec avantage \c Manuel (fOrnit/io- logie de Temmynck, et le traité de ï Ornithologie du Gard, de M. Crespqn de Nîmes, ciuoi([ue ces deux auteurs, (jui s'enten- dent très-bien d'habitude, ne soient pas tout à lait d'accord sur les mœurs et coutumes des espèces ci-dessus. Ainsi la Fauvette mélanocéphale de Temmynck « habite exclu- sivement le midi de VEspagne , la. Sardaigneet les Deux-Siciles ; elle niche dans les petits buissons loin des habitations et pond quatre ou cinq œufs d'un hhinc j a umltie , marqués presque sur toute la surface de l'œuf par de très-petits points d'un jaunâtre plus foncé, » tandis que celle de M. Crcspon de Nîmes, est très commune dans le département du Gard, niche dans les buissons écartés , et quelquefois aussi dans ceux voisins des habitations rurales et pond des œufs blancs marqués de points noirâtres, etc. Le même défaut d'entente cordiale se retrouve dans la des- cription de l'Orphée. L'Orphée de Temmynck « triche dans les buissons, souvent plusieurs en un même lieu; souvent aussi dans les fentes des masures, dans les trous de murailles et sous les toits des habitations isoléfs. L'Orphée de M. Crespou de Nîmes est, au contraire, un oiseau sauvage « qui habite les bois et les champs d'oliviers situés sur des élévations, et qui « niche sur les arbres épais, le plus ordinairement entre les branches des oliviers, souvent âcoté de la pie-grièche à tète rôtisse. » Décide si tu peux et choisis si tu l'oses. Moi j'adoj)te la version de l'ornithologiste nîmois pour deux raisons : la première, parce que c'est la vraie ; la seconde, parce que le duc de Grammont, appelé un jour à décider d'un coup d'échecs douteux entre le grand roi et l'un de ses courtisans, condamna le roi sans l'entendre. « Cependant, objecta non sans une certaine apparence de raison la Majesté condamnée, il me semble qu'il serait au moins nécessaire de regarder le coup avant de se prononcer. — Mais, Sire, Votre Majesté ne voit donc pas, répliqua le duc, que pour peu (juc le coup eût été douteux, tout le monde, y compris son adversaire, lui eût donné raison. » Pa- reillement, si y ùutQur dn tnnté de V Ornithologie du Gard, qui SÉItIFEDES. -1 i.i pousse la (lol'enMice pour les opiuions du naturaliste hollandais jusqu'à les reproduire presque toujours textuellement dans sou livre; si, dis-je, M. Crespon de Nîmes se brouille avec son sou- verain, c'est que le tort de celui-ci ne peut être douteux. J'ai.vu, il y a vingt ans, chez M. de Lamartine à Màcon, un Bulbul d'Orient, tout frais débarqué de Syrie, qui était une grosse Fauvette à tète- noire, semblable de tout point à la Fau- vette Orphée. On sait que le Bulbul tient dans la poésie orien- tale le même rang que le Rossignol dans celle de l'Occident, et (|ue ses amours avec la Rose ont inspiré plus d'une suave élégie aux poètes du pays des contes. 11 n'en a coûté que deux lignes à l'auteur du Voyage en Orient pour importer le Bulbul dans la poésie française et l'y acclimatera jamais. Vous vous souvenez... dans cette réponse improvisée à la belle tille de Syrie qui lui demandait des vers : (,)iii loi , me demander leiicens de poi-sie, Toi , fille d'Orient, née aux vents du désert , Fleur desjardins d'Alep, que Bulbul eût choisie, Pour languir et chanter sur son calice ouvert. Groupe des (jrives ou des Merles. Deux familles; neuf genres. Je n'ai compris dans ce groupe naturel que les deux familles du Merle et de la Grive, bien qu'il ei'it été plus régulier d'y faire entrer en même temps le Loriot et le Sansonnet, qui ont droit d'y tenir une place. Toutefois, pour simplifier ainsi la classifi- cation, il eût fallu commencer par créer pour le groupe un terme plus savant et plus explicite que celui de Merle ou de Grive, qui ne signifie rien du tout, un terme comme Rubivore, par exem- ple, et qui aurait voulu dire amateur violent de fruits rouges. Or, je n'ai pas osé prendre cette liberté avec les noms consacrés par l'usage, et ma timidité coupable m'a cette fois encore retenu hors du bien. Ce groupe des Merles ou des Grives se divise donc en deux •>i(i OKMTHOLUGIE PASSIONNELLE. familles; l'ime dite des Grives, l'autre des Merles. Cette nomen- clature, où tous les noms de e,roupes, de meures et d'espèces sont les mêmes, peut avoir un certain avantage sous le rapport de l'économie des termes ; mais je déclare que de toutes les éco- nomies la plus ruineuse est celle qui sacrilie l'ordre et la préci- sion à la crainte de faire une dépense nécessaire de noms pro- pres. Ce groupe, si mal nommé, est le plus important de la série naturelle de la Basse. La plupart des oiseaux qui le composent sont des chanteurs, des architectes et des tisseurs du plus haut titre. Leur voix est veloutée et grave, leur ramage varié, élé- gant et susceptible de perfectionnement par l'étude. Eu leur qualité de basses, les Grives et les Merles sont les plus gros de tous les oiseaux chanteurs et adorent la vendange. Altéré comme une basse, dit-on généralement. Toutes les espèces du groupe vivent d'insectes et de mollus- ques pendant le printemps et une partie de l'été, de fruits rouges et de toutes sortes de baies pendant le reste de l'année. Les vers de terre et les escargots sont les principaux éléments de leur nourriture animale. On sait leur passion pour les cerises, les raisins, les alises, les senelles, les baies du sorbier et du gené- vrier. Les Merles de Corse se nourrissent principalement de baies de myrte. Il n'est pas une de ces espèces qui n'ait contribué à l'illustration gastrosophique du groupe, dans une proportion estimable ; presque toutes donnent à la pipée. Tous ces oiseaux sont voyageurs. Quelques Merles cepen- dant, et ceux de Paris dans le nombre, ne quittent pas leur patrie l'hiver, mais l'exception n'inlirme pas la règle générale ; les Merles sont comme les Grives des oiseaux de passage. Telle espèce voyage de jour et par escadrons serrés, telle autre iso- lément et (le nuit. Aucune ne dépasse dans ses expéditions les plus aventureuses les limites extrêmes de l'Europe méridionale, Andalousie, Sicile, Grèce. Bien entendu que rien de ce qui pré- cède ne s'applique au Loriot ni au Sansonnet. Tous les Merles et toutes les Grives établissent leurs nids sur les arbres , et de préférence dans les massifs d'arbustes SKDll'KiUiS. riT c|)iiicii\. Oit'.'hjiics-Lins (le «es uids sont des merveilles d'ail. l.es (irives (jui sautillent pour se mouvoir à terre et qui n'ont pas de mouvement eonvulsif dans la (|ueue, ressemblent plus aux Fauvettes. Les Merles qui courent tres-ra|)idement sur le, sol et saluent de la queue comme le Rossii^nol, se ra|)|)roclient plus des Uubiettes. luiiiillf do (iri\('s. — l^hiatic r.siHTCs. Le régime alimentaire des (îrives est le même (pie celui des Merles. Les deux familles hantent volontiers les nu-mes lieux , dans la saison d'amour et dans celle de chasse. Elles donnent dans les miMnes pi(3ges, chantent au uRMne pu|)itre, r(jtissent à la même broche. Elles sont sœurs, en un mot, autant par la destinée que par les habitudes générales de l'esprit et du corps ; et c'est avec raison que tous les ornithologistes les ont apparentées dans leurs classifications. Cependant la dill'ercnce qui se l'ait remar- quer entre elles, quant à la couleur du manteau et à la disposition des nuances, a toujours paru assez forte pour motiver la divi- sion du groupe en deux sections. Les Romains, qui s'occupaient beaucoup de ces espèces, avaient dès le principe établi la sépa- ration normale. Ils donnaient à la Grive le nom de Turdus, que nos méridionaux ont conservé et celui de Merula au Merle. Le costume des Grives est caractérisé par une moucheture particulière , à laquelle les oiseleurs ont donné le nom de Gri- volure^ et qui consiste en une émaillure de taches brunes de forme ovoïde qui occupe tout le devant du corps, comme chez les Alouettes et les Bec-tigues. La couleur du man- teau, qui est d'une teinte uniforme, est le cendré olivâtre, plus ou moins obscur ; le ventre est blanc , le dessous des ailes jaune, tirant à l'orangé. Chez les Merles, au contraire , la moucheture disparaît pour faire place au moiré ou à la pommelure. La robe et le manteau sont souvent monochromes , ou bien quand ces I'i8 OHMTIIOLOGIE l'ASSlO.N.NELLE. deux parties du costume affectent des nuances diverses, l'oppo- sition des couleurs se distribue par larges zones. La lamille des (irives renlerme quatre espèces, le Mauvis, la (jlrive de vigne, la Draine et la Litorne. Deux de ces espèces, la Grive de vigne et la Draine , sont indigènes de France; les deux autres, le Mauvis et la Litorne, n'y aiment pas et n'y viennent que pour se refaire pendant la rude saison et lorsque, le l'roid les chasse du nord de l'Europe, leur patrie. Lk Malvis. Rouge-aile de Lorraine. La plus petite et la plus délicate peut-être de toutes les grives. Tout le monde connaît cette espèce, qui n'apparaît dans les environs de Paris que vers la lin d'octobre et dont l'arrivée coïncide avec celle des bécasses. Le Mauvis a le manteau plus foncé que la Grive, et le dessous des ailes teint d'un jaune-orangé qui lui a fait donner le nom qu'il porte en Lorraine. Il passe par grands vols et de jour, tan- dis que la Grive dite de vigne passe isolément et de nuit. Il donne avec enthousiasme sur la chouette , sur la vigne et sur l'alisier. On en prend de grandes masses aux environs de la Toussaint avec des collets volants amorcés de fruits rouges. Cette chasse fructueuse et exterminatrice se fait surtout dans nos dé- partements de l'Est et du Nord , dans le pays de Luxembourg , dans les Ardennes, la Meuse, les Vosges , le Haut-Rhin. Le Mauvis est une des espèces qui ont porté le plus haut la gloire culinaire de leur famille. Je sais de tines bouches qui préfèrent le Mauvis de vendange à la Caille et à la Bécasse, à tous les autres gibiers , en un mot, excepté le Bec-ligues; et les gour- mands de l'ancienne Rome ont formulé leur opinion à ce sujet , il y a près de deux mille ans, par la bouche de Martial. Inter (ives tardas, (jluriu prima... Traduisez : la Grive de vigne est le plus parfait de tous les rôtis de gibier à plumes. Horace avait dit avant Martial : Nil nielius turdu^ rien de meilleur que la (irive. n est vrai que ce nom de turdus désigne plus spéciale- ment la Grive proprement dite que le Mauvis; mais comme celui-ci est encore supérieur à celle-là , et qu'il a di\ être d'ail- leurs compris dans cette dénomination quasi-générique de tur- SEDIPEDES. ■n\) dus, ce n'est faire aucun tort à la vérité (jue d'étendre au Mau- vis le précepte de Martial. Le Mauvis, qui a toujours un retard d'une quinzaine de jours sur la (irive à l'arrivée, la précède quelquefois d'un mois pour le retour. Elle descend du Nord et y remonte avec la Bécasse , et quoiqu'elle ne niche pas en France , elle y chante cependant et dés la fin de février, et sa chanson joyeuse est une des pre- mières qui annoncent le printemps. La (luivi;. (Irive de vigne, tourde du Midi. Emblème du franc buveur, délice de l'ouïe et du goût, de l'cnlauce et de l'àgc mûr. La Grive tient une place immense dans la vie déplaisir de l'ami des forêts, du tendeur à la glu, du tendeur au collet , du pipeur, du chasseur. Ses chants d'amour (|ui descendent le matin et le soir de la cime de tous les grands arbres, dès les premiers soleils, sont la vraie harmonie printaniere des forêts. La (Irive chante un mois avant le Rossignol, et n'attend pas comme lui, pour célébrer le réveil de la nature, que la terre ait repris sa parure de fête et que l'aubépine soit en fleur. Elle chante dès que pointe la verdure aux tiges aventureuses du chèvre-feuille et de la Daphnéole odorante. J'ai souvenance aujourd'hui, comme des heures les plus roses et les mieux employées de ma première jeunesse, de celles que j'ai passées à entendre jaser la Grive dans les grands bois de la Meuse , par ces douces soirées de mars si propices à la croulle , au temps où le deuil est encore aux rameaux dépouillés des hêtres, mais où déjà la sève d'amour circule ac- tivement dans les veines de tout ce qui a vie ,» où de larges bouflées d'air tiède saturé des senteurs mielleuses du marsaule s'exhalent par intervalles du sol et trahissent le travail souterrain du printemps. J'ai gardé bien longtemps aussi parmi mes dates heureuses celle de la matinée de septembre où je pris ma pre- mière Grive, bonheur si vaste et si inespéré que je ne pus m'em- pècher de le considérer tout d'abord comme une marque écla- tante de la faveur du ciel , et plus tard de le mettre en vers, en vers latins s'entend, car je n'ai jamais su rimer qu'en cette langue. Comme la situation d'une Grive qui fond sur la pipée à l'.id (IKNITHOLUGII^ l'ASSlO.N.NKLLi:. Tajjpel de la Chouette n'est pas sans une certaine analogie avec celle de Laocoon, piètre du dieu des mers, qui s'ai)|)r(He à percer de sa lance les lianes du cheval de hois, j'avais tiré pour la cir- constance un parti très-avantageux du fameux récit de l'Enéide, k ce point que ma mère, (|ui ne savait cependant i)as le latin, ne pouvait se lasser d'admirer ce tour de force. Une seule crainte troublait la digne femme en ses joies d'orgueil maternel. Elle avait entendu dire (jue les enfants mouraient pour avoir trop d'esprit. La Grive est donc un des fruits les ])lus doux et les plus pré- cieux du beau pays de France, et je crois qu'il est permis de s'exprimer ainsi depuis qu'un guéridon a délini la bète : végétal organisé pu/ssaiicielleritent . La (îrive est la joie du printemps et la joie de l'automne. Elle sert d'élément pivotai à dix chasses au moins, dont deux ou trois charmantes, la pipée et la chasse aux vignes. Les autres constituent pour certaines contrées une in- dustrie fructueuse. Comme elle donne dans tous les pièges, ra- quettes , gluaux , collets , pantières , la Grive se met à toutes les sauces et donne lieu à des rôtis du plus haut titre, ainsi qu'à des salmis et à des pâtés délectables. Cependant nul poëte indigène n'a songé à chanter la Grive; bien que chaque jour j'entende quelqu'un de ces nourrissons des muses se plaindre en vers menteurs que tous les sujets soient usés. Tous les sujets usés... parce qu'ils ont fait des odes à la Peste et à la Guerre, et- rimé tant de plates adulations à la Richesse et à la Force, que les riches et les puissants n'en veulent plus. Pauvre Poésie! pauvre Grive! Pauvre Griue, en ellét, car à défaut de poëte elle n'a pas même encore trouvé d'historien. Guéneau de Montbeillard, le pseudo- nyme de Bull'on, en fait un oiseau sombre, taciturne et mélan- colique, quoique ami des vendanges. Contradiction bizarre et que l'ai déjà relevée. Comme si l'amour de la vendange avait ja- mais engendré la mélancolie ou tenu la langue captive. Égosil- lez-vous donc à chanter à tue-tète, depuis le matin jusqu'au soir, pendant cinq mois de suite, pour être ainsi jugé par les plus compétents ! J'ignore, en vérité, de quels instruments d'optirpie et d'acous- si:i)ii>Ei)i:s. j.;i ti(|ue, ioiii;ue-vue ou cornet, ces naturalistes-là fout usai;e pour observer leur nature ; mais moi (jui ai beaucoup entendu de chants de Grives, je les ai toujours trouvés à peu près aussi tristes que les meilleurs rel'rains de nos chansons à boire : Vive le vil) , Vive ce jus divin. .Te veux jusqu'à la fin (^u'ii égayé ma vie, elc., elr. .le comprends encore jusqu'à un certain point que le penchant à la boisson, qui est trop prononcé chez laCirive, ait tenu éloi- gnés d'elle les poètes rêveurs au teint pâle , et que l'adage soûl comme une Grice ait ellarouché la pudeur des muses sensitives. Mais raison de plus alors pour tous les gais chansonniers qui chantent sous la treille de venger leur emblème des injustes dé- dains de la poésie éthérée et valétudinaire. Et si le devoir de la réparation de l'injustice incombait à quelqu'une des illustrations de la pléiade anacréontique de l'époque plus spécialement qu'à aucune autre, c'était assurément à celle qui avait lait valoir avec tant de succès et de verve les droits de Jean-Raisin. Mais atten- dez un peu qu'en ce monde à rebours la logique parle au cœur des plus intelligents. Voici qu'au lieu de nous chanter la Grive, amie des gais refrains et du jus de la treille, l'emblème du bon vivant qui boit sec et souvent et s'attarde parfois dans les vi- gnes du seigneur, voilà que le poète , renonçant aux pipeaux pour emboucher la trompette héroïque , va dépenser son souffle à glo- rifier le Coq. Le Coq , mon ennemi intime, une brute féroce , un matamore ignoble qui trône sur le fumier, comme trône l'instru- ment de compression sur toute société faisandée... une machine à tuer qui se rue sur les siens au sitïïet de son maître. Pardon , pardon , poëte , mais à tant faire que de travailler à l'illustration des tueurs, j'aimerais mieux encore, si je savais chanter, chanter l'Aigle que le Coq. Oui, l'Aigle aux serres tranchantes qui trône dans la nue et tient en main la foudre et s'enivre de sang dans les champs du carnage; car l'Aigle est dans son rôle du moins, quand il tue et dévore, et la boucherie lui profite, tandis qu'à l'autre, pas... Mais si je savais chanter, je chanterais la Grive, ■20-2 Ul{.\lTHOLU(ilE l'ASSlU.N>ELLl£. la Grive et le Rouge-Gorge, mes premières amours, et non le Coq ni l'Aigle. Si j'étais riche , je mettrais , dès demain , l'éloge de la Grive au coucoufs. Le prix consisterait en un pâté de grives monstre, orné de cent bouteilles de Haut-Brion-Larrieux de 1848. Si j'é- tais un membre influent d'une société bachique quelconque, j'intriguerais vivement dans son sein pour lui l'aire adopter la bannière symbolique de la série des gourmets d'harmonie, qui est un magnifique drapeau blanc (couleur d'unitéisme), sur le champ duquel se détache une inmiense grappe de raisin pourpre en proie à trois grives d'or. Car ils ont repris là haut les l'êtes de lîacchus, mais sans l'orgie et les Bacchantes , c'est-à-dire sans les Bacchanales. La fête des vendanges d'harmonie est d'abord celle de la clôture des travaux de l'année. C'est aussi la fête de l'âge muret de l'amitié dont le vin est l'emblème. Elle est princi- palement consacrée aux repas de corps où l'on toaste plus qu'on ne danse et où la jeunesse s'ennuierait, ce qui fait qu'on ne l'y in- vite pas. C'est, pour tout dire enfin, la fête du Jubilé de l'amitié revenant tous les ans, à l'époque du passage des Grives. J'ai be- soin de faire remarquer que le mot cjounnet, dont je me suis servi tout à l'heure, n'a jamais voulu dire gourmand , mais bien dégusta- teur de liquides. Cette distinction est essentielle. La fonction de gourmet est entourée en harmonie d'une considération égale à son importance, et c'est toujours le Haut Gourmet qui préside ces grands tournois de fourchette où l'honneur culinaire du can- ton est en jeu. Alors, puisque la poésie et l'histoire universelle ont fait défaut à la Grive eu même temps, discutons la sentence dont l'a frappée la justice du peuple : soûl comme une yrive. Le peuple , il faut bien le confesser , a plus approché de la vérité dans sa condamnation brutale que certains maladroits avocats de la Grive, qui l'ont voulu défendre de l'accusation d'ivrognerie pour en faire une simple gourmande, alléguant que manger n'était pas boire... comme si la gourmandise qui figure sur la liste des péchés capitaux était un moindre vice que l'ivrognerie qui n'y figure pas. Mais l'argumentation n'est pas même spécieuse et tombe devant le lait. Linnœus eut une drive (|ui tant aimait à boire qu'elle se grisait une fois tous les jours , dont elle était devenue chauve ; infirmité qui disparut après (|ue le grand naturaliste eut soumis la buveuse pendant une saison au régime de l'eau pure. Yoici donc qui est démontré : la (Irive aime le vin; mais, attendons un peu, tous les honnêtes gens aussi aiment le vin. Jean-Jacques prouve même très-bien que cette passion-là est l'indice des cœurs francs et droits et des âmes sensibles. Or, d'aimer le vin à en boire juscju'à perdre la raison et l'usage de ses jambes, la distance est très-grande, et la (Irive ne la fran- chit pas. Elle en prend quelquefois plus qu'elle n'en peut por- ter; je ne dis pas le contraire; mais c'est pour se refaire de longs jeûnes, et mille fois je lai rencontrée y>o/(/y>('/^(" , ivre morte jamais. Et l'eussé-je rencontrée en cet état, hélas! que mon âme charitable eût plus penché probablement encore à la plain- dre qu'à la blâmer. (]ar il faut bien nous persuader que l'ivro- gnerie porte presque toujours son excuse avec elle, et que l'homme ne se résout pas volontairement et sans de graves motifs à abdi- quer sa raison, qui est son plus bel attribut, et à se dégrader. Grat- tez l'ivrogne, vous trouverez l'affligé, et souvent l'affligé de peines de cœur incurables, mortelles , qui ne cherche pas dans l'ivresse le retour dune illusion perdue, mais l'ertacement dune figure aimée, d'un souvenir fatal. Puisque l'oubli n'est qu'au fond de la bouteille, il faut bien que tous les malheureux descendent le chercher jusque-là; et le misérable serf de la machine ou de la glèbe qui a besoin d'oublier son présent, et le pauvre père de famille qui a besoin d'oublier l'avenir. Et pour cette masse d'in- tbrtunés-là l'ivresse est une façon de suicide intellectuel qui sup- j)rime la pensée et empêche de soufl'rir. Pour le petit nombre seulement, elle est le mirage de l'idéal ; l'ivresse facilite quel- quefois à l'artiste ses tentatives d'évasions du réel. Nul ne s'enivre en harmonie où les vins lins pourtant sont à discrétion, parce qu'il n'y a ni passé ni avenir à oublier en cette phase de délices. Tout le monde se soûle, au contraire, dans l'Irlande catholique, comme dans la Pologne catholique. 2;;4 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. parce que la Pologne catholique et l'Irlande catholique, enserrées l'une et l'autre aux griffes de l'aigle orthodoxe, ou du léopard anglican, et sans relâche tordues, déchirées, dévorées par ces dominateurs avides, sont les deux États de l'Europe où l'on souf- fre le plus.' Consultez à ce sujet toutes les statistiques de l'ivro- gnerie eu cette partie du nionde, toutes seront unanimes pour vous répondre que l'intensité des ravages de l'épidémie honteuse est proportionnelle aux misères des populations et à la pesanteur du joug qui les écrase Or, les drives et les Bec-figues qui don- nent à la vigne, sont parmi les oiseaux ce que sont les Irlandais elles Polonais catholiques parmi les peuples d'Europe, c'est-à- dire les races qui ont le plus à se plaindre de la barbarie et de l'avidité de leurs persécuteurs, l'homme et l'oiseau de proie. 11 faut considérer encore que si le premier orateur venu d'une société de vertu ou de tempérance quelconque d'un pays où ne croît pas le vin a le droit d'en médire, pareille liberté est inter- dite à l'analogiste passionnel né de parents français, qui sait que la vigne est le plus pur produit des amours du Soleil et de la Terre, et la plus précieuse de toutes les richesses naturelles de sa patrie. La France ne s'appellera la reine des nations que lors- qu'elle les aura amenées toutes à se prosterner devant la supé- riorité de ses vins. Et puis encore, la pauvre Grive paie si cher sa passion pour le fruit de la plante sainte, qu'il y aurait plus que de la bar- barie et de lingraiitude à la lui reprocher. C'est ce fruit, en effet, qui attire tous les ans sur notre terri- toire ces légions innombrables de Grives qui fournissent à nos joies tant d'éléments divers. C'est lui qui communique à la chair ES. 283 L'Etoirnkvi: noir. Espèce qui semble particiiliiTC à la Corse et à la Sardaigne , où elle est sédentaire. Manteau noir lustré comme celui du Corbeau, avec de légers reflets de pourpre. Même taille, mêmes babitudes, même gosier que le précédent. Le Martin Roselin. Martin rose, Merle rose. Oiseau rose et charmant, originaire de la Syrie et de l'Asie Mineure , de pas- sage quelquefois en France, dans les prairies de la Camargue, où il aime à se poser comme tous les Étounioaux sur le dos du bétail. Tous les Martins roses que j'ai vus dans les volières du Jardin des Plantes et ailleurs, se faisaient remarquer au com- iriencement de leur captivité par une activité inquiète, un be- soin de mouvement perpétuel et une énergie de gazouillement formidable. Malheureusement tous ces symptômes de force et de santé duraient peu et les pauvres oiseaux succombaient bien vite aux regrets de leur liberté perdue. Le gazouillement du Martin rose trahit sa parenté avec notre Étourneau vulgaire. C'est le même babil incohérent et interminable, avec un peu plus de sonorité et d'éclat. Cet oiseau est encore un de ceux dont la riche parure atteste l'origine étrangère. 11 a tout le des- sus et le dessous du corps teint d'une belle couleur rose de chair, mais si tendre et si fugace, qu'elle ne tient pas même deux jours sur le cadavre de l'oiseau. 11 a le chef orne d'une huppe élégante noire à reflets violets. Cette teinte noire s'étend sur la gorge, sur le cou, la queue et les ailes et forme avec le rose clair du reste du plumage, un accord contrasté de nuances du plus charmant efîet. Voilà que nous avons vu dehler les plus brillantes séries de l'ordre des Chanteurs. C'en est fait désormais des grands poëmes et des grandes écoles lyriques. C'est à peine si nous rencontre- rons encore deux ou trois illustrations musicales sur la liste de noms qu'il nous reste à parcourir, avant d'atteindre à l'ordre des Grimpeurs, où l'on ne chante plus. ISi ORiMTllOLOGlK PASSIONNELLE. yi ATIEME SERIE. INSECTIVOIUE. Neuf familles, vingt genres, cinquante-deux espèces. J'ai dit précédemment une méthode fort simple pour classer les Insectivores par groupes. C'est celle qui consiste à donner d'abord un nom régional aux insectes, puis à transporter ce nom revêtu de la terminale vores aux oiseaux qui vivent d'iceux, en ayant soin de commencer par les insectes de la région infé~ rieure pour monter jusqu'à ceux de la région des nues et redes- cendre ensuite. Ainsi le premier groupe aurait été celui des mangeurs d'insectes de terre, Yermivores ou tout autre, et il aurait contenu les tribus des Traquets, des Bergeronnettes, etc. Le second eût compris les mangeurs d'insectes des herbes, des roseaux , des tiges , des feuilles , Fauvettes de roseaux , Pouillots , Roitelets, Troglodyte, etc. Le troisième avait son nom tout fait, celui de Muscivores (Gobe-mouches), désignant les oiseaux qui attrapent leur proie au vol. Gobe-mouches, Hirondelles, etc. Maintenant , parmi les insectes qui s'élèvent au plus haut des airs sont les fourmis et les abeilles qui ne peuvent aimer que dans la région des nues. Or qui va relancer ces insectes nubicoles dans leurs hautes solitudes? Le Martinet, le Guêpier... Néces- sité de créer alors un sous-groupe des Apivores ou des Hémip- térivores pour le Martinet et le Guêpier; plus un second sous- groupe sous le nom de Phalénivores pour l'Hirondelle de nuit (Engoulevent), qui mange les Phalènes. De là on redescendait vers les Grimpeurs , qui sont des mangeurs d'insectes d'arbres et de fourmis, par d'autres fourmiliers, dont on dira les noms à leur place. Je n'insiste pas sur les avantages de cette méthode, parce que c'est celle que j'ai suivie en partie, et que, par con.scquent, le lecteur pourra apprécier ses mérites. Seulement SÉDIPÈDES. 28S je n'ai pas nommé les groupes que je viens de désigner , par la raison que les noms de région manquent aux insectes et que je n'ai pas osé prendre sur moi de les fabriquer, n'étant nullement pressé d'ajouter les embarras d'une nouvelle nomenclature en- tomologique à ceux d'une nouvelle classification ornithologique. Une autre division par groupes , très-voisine de celle-ci , mais bien moins scientifique , est celle qui désigne les groupes par l'habitat de l'oiseau au lieu de les désigner par l'habitat de l'insecte. Ainsi le groupe des Arvicoles pour les oiseaux des gué- rets, des Saxicoles pour les amis des cailloux, et ainsi de suite. Je n'empêche personne d'user de cette méthode qui a de bons côtés. L'essentiel , en matière de classification , est d'établir les lignes de démarcation cardinales. Ce travail une fois fait , le choix des subdivisions peut être laissé sans péril à l'option de la fan- taisie. Caraclères généraux. Tous les Insectivores sont des oiseaux de passage dans nos climats, puisque tous les insectes des zones tempérées se cachent pendant l'hiver ou périssent par le froid. Cette loi est générale et ne souffre pas d'exception. Les petits Roitelets et le Troglo- dyte , qui passent en France une partie de la froide saison , sont eux-mêmes des oiseaux voyageurs, comme les Mésanges, qui sont des ambigus omnivores, et le Martin-pêcheur, qui est un piscivore. L'instinct de sociabilité et de fraternité est fortement déve- loppé parmi les tribus de cette série. La plupart des espèces voyagent en sociétés nombreuses et passent pendant le jour. Quelques-unes sont célèbres par leur talent dans l'art de bâtir. D'autres se sont fait une haute réputation gastrosophique par la délicatesse de leur chair. Beaucoup sont amies de l'homme et aiment à loger près de lui. 286 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Famille des Traqucls ou des Moltcuv. Trois genres, six espèces. Ce sont deux iort mauvais noms de famille que ces noms de Traquet et de Motteux dont on a baptisé les six espèces qui suivent; car lesTraquets et les Motteux sont considérés par une foule de naturalistes éminents comme les plus proches voisins des Merles, qui adorent les fourrés humides et les retraites som- bres. Or , ces mêmes naturalistes ont grand soin de vous avertir que les Traquets sont de petits oiseaux à pieds noirs qui adorent les pays découverts , les friches , les collines nues et pierreu- ses, etc. J'ai beau recommandera la Science d'éviter ces contra- dictions ridicules , dans l'intérêt de sa propre gloire; elle ne m'é- coute pas et continue de faire à sa tête , ce qui m'oblige trop souvent de m'insurger contre elle. J'ai d'abord à faire observer à la Science que ce n'est pas le Merle ami des retraites sombres, mais le Sansonnet ami des troupeaux et des pâturages qui est le plus proche parent du Traquet. J'ajoute maintenant que ce nom de Traquet ne convient ([u'à deux espèces, tout au plus , sur les six qu'il rallie illégiti- mement dans la nomenclature officielle. Attendu (jue ce nom est une onomatopée, c'est-à-dire une sorte de traduction du mot de passe d'une espèce auquel on a trouvé une certaine ressemblance avec le bruit du traquet d'un moulin , et que s'il est permis de rappli(|ucr au Traquet vulgaire et au Tarier, qui n'ont pas le droit de s'en formaliser , l'usage en doit être interdit à l'égard dés quatre autres espèces (jui ne traquettent pas. J'adresse le même reproche à l'étiquette de Motteux , qui peut parfaitement convenir aux espèces saxicoles qui aiment à se poser sur les mottes et les pierres pointues , mais qui ne va pas aussi bien aux espèces forestières ou buissonneuses qui perchent cons- tamment sur les arbres ou sur les piquets. Admirez ici avec moi cet étrange penchant qui porte certains naturalistes à toujours contrarier la nature. Voici des espèces à SÉDIPÈDES. 287 rallier , des tractions de famille à réduire au même dénominateur. Ces espèces , ces fractions, n'ont qu'un seul caractère commun qui puisse leur servir de trait d'union légitime : ce caractère est aussi apparent que possible , peut-être plus saillant que le nez au milieu du visage; car c'est un croupion blanc, une queue blanche qui vous sautent d'emblée aux regards. Eh bien ! au lieu d'opérer la fusion sur ce caractère de ralliement unique, au lieu de créer une famille de Leucouriens (queues blanches) quel- conque, et de la subdiviser ensuite en autant de genres qu'en eût exigé la diversité d'habitudes des espèces , ces naturalistes con- trariants ont trouvé moyen de nous bâtir sur ce terme commun de queue blanche une tribu de ïraquets ou de Motteux au choix...! car, pour eux , Motteux et Traquet sont des expressions synony- mes. Mieux que cela encore : il y avait dans la patrie du Merle blanc et du Merle de roche un Saxicole non classé qui avait à ])eu près les allures et les goûts de ces deux derniers moules, et qui méritait, par conséquent, d'être classé parmi les Merles, où Cuvier l'avait mis. Or , attendu que le Saxicole en question était décoré de la queue blanche, ils l'ont revendique et inventorié comme Traquet! Il est vrai de dire qu'en donnant à ce Traquet de con- trebande le nom de Tracjuet rlew\ ils ont avoué implicitement que .ce nom n'était pas sérieux. Mais l'intrus de malheur n'en ligure pas moins parmi les six Traquets de la nomenclature de Temmynck; et moi-même, intimidé par l'aplomb du classiticateur hollandais , j'ai lâchement enregistré au chapitre des Insecti- vores ce moule qui m'était inconnu. Et voilà les consécjuences fâcheuses où aboutissent fatalement les moindres déviations de principes. On avait cru pouvoir se permettre d'infliger l'épithète de Traquet au Motteux, parce qu'il avait la queue blanche. Tout le monde ayant laissé faire, et le silence général ayant pour ainsi dire sanctionné l'extension abusive du nouveau terme générique, on a fini par l'attribuer à un Merle. Je crois qu'il n'est que temps de protester contre l'abus, pour empêcher une foule de Chevaliers à croupion blanc de venir grossir à leur tour la liste des Traquets , trop nombreuse déjà... Je propose de faire ce que les naturalistes patentés n'ont pas 288 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. fait, c'est-à-dire de diviser en deux genres pour le moins et d'après la diversité d'habitat la famille olïicielle des Saxicoles, dont je voudrais remplacer le nom par celui de mangeurs d'in- sectes du sol. On laisserait au premier genre, composé des es- pèces Buissonnières , le nom acceptable de Traqucts, et celui de Motteux à l'autre renfermant les espèces véritablement saxi- coles. On attendrait sagement ensuite, pour se prononcer sur la qualilication délinitive à attribuer au Traquet rieur , que son histoire fût un peu mieux connue. Genre Traquet : Deux espèces. Les Traquets sont ces petits oiseaux si vifs , si remuants , si communs autour des pâtures et sur toutes les lisières des landes, des champs, des prés, qui remuent constamment la queue comme les Rossignols , et qu'on aperçoit toujours perchés à la cime des buissons, des échalas , des piquets, des poteaux, des ronces, des chardons , de tous les postes élevés en un mot , d'où ils s'é- lancent de temps à autre vers le sol pour saisir une proie , et où ils remontent aussitôt par une courbe élégante. On les voit quelquefois encore se balancer sur leurs ailes avant de se poser, et leurs allures de vol ont beaucoup d'analogie avec celles de la Pie-grièche, qui recherche aussi les observatoires élevés pour inspecter la plaine , qui décrit le même genre de courbe pour passer d'une cime à une autre, et semble adorer également l'exer- cice de la balançoire. Les Traquets paraissent tourmentés comme la Pie-grièche d'une agitation perpétuelle. Ils sont à l'affût de tout ce qui se passe et témoignent leur inquiétude par un petit cri de Ouistratra légèrement em])reint de l'accent d'Auver- gne et qui leur a valu le nom qu'ils portent plus une foule d'autres appellations onomatopiques, vitrée, vitrac, ouitrac, bistratra, etc. Ce sont des oiseaux courageux qui donnent sur la Chouette. SKiJiI'tDES. 289 Les Traqiiets vivent de mouches, de vermisseaux et de petits scarabées qu'ils ramassent le plus généralement à terre ou qu'ils happent quelquefois au vol. Ils se tiennent de préférence sur les haies avoisinant les champs ensemencés et bordant les pâtu- rages; la société du bétail leur est chère. Les deux espèces qui composent ce genre étaient d'une familiarité charmnnte avant l'invention de la poudre. Non-seulement ils suivaient la charrue, ce qu'ils font quelquefois encore, pour s'emparer des vermisseaux que le soc amène à la surface du sol, mais ils venaient prendre leur repas jusque sous la bêche du laboureur. Dans le temps que j'habitais l'Algérie, il y a une douzaine d'années, les Traquets avaient conservé l'habitude de se poser piltoresquement sur la bêche du travailleur, aussitôt que celui-ci avait le dos tourné. Ces habitudes familières ne sont ni dans le caractère des Étour- neaux ni dans celui des Motleux, et servent à les distinguer de ces deux genres. Les Traquets qui engrènent dans la série de l'Insectivorie s'éloignent encore des genres précédents par la conformation de leurs mandibules qui vont se rétrécissant dans le sens de la longueur et s'élargissent par la base. Ces mandibules sont assez dures pour avoir raison de la résistance des cuirasses des petites coléoptères dont cette tribu détruit une quantité notable. Le Traquet et le Tarier nichent à terre, dans les blés, dans les prés et sous les arcades des mottes. Leur nid est fait d'une paillasse d'herbes sèches doublée d'un léger matelas de crin. Ils y pondent des œufs bleus. Le chant de ces deux espèces, qui esta peu près le même, est une simple répétition de deux ou trois notes joyeuses et vive- ment accentuées que le mâle lance quelquefois du haut de l'air à l'instar de la Fauvette babillarde. Les Traquets sont des ja- seurs, non des chanteurs, et leur chair est généralement plus estimée que leur chant. Ils composent, avec les Motteux, cette fameuse tribu des Pieds noirs, si prisée des chasseurs gastro- sophes, qui ne craignent pas de lui faire la guerre au fusil, en témoignage de la haute considération dont ils honorent tous ses membres. H. 49 290 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Ces deux espèces, que le vulgaire et le chasseur confondent .volontiers, sont très-faciles à distinguer l'une de l'autre. Le Traquet est le joli petit oiseau noir (pii a la poitrine roux orangé, comme le Rossignol de muraille et le croupion blanc comme le Bouvreuil. Le Tarier est le Traquet déteint, chez lequel le brun remplace le noir, et le roussàtre le roux vif orange. Le Tarier est aussi plus ami des solitudes et des landes que le Traquet. On n'a jamais pu savoir pourquoi ces malheureux savants avaient surnommé le Traquet Rubicole , mot à mot : qui cultive ou qui habite des rouges... Je ne serais pas moins embarrassé de dire pourquoi ils l'ont appelé en latin Suxicolo. lîuhicola , mot à mot : habitant des cailloux, qui habile des rouges... Mais ce qui m'intrigue plus encore que l'étrangeté de ces dénominations, c'est l'étrange bonhomie de ces braves nomenclateurs hollan- dais , français et autres , qui commencent par vous inscrire vaillammenl au sommaire de leur chapitre un Saxicole Rubicole, et qui partent de là pour vous tracer l'histoire d'un oiseau qui habite exclusivement, d'après leur récit même, les bois ou les buissons. De tous les surnoms donnes au Traquet celui de Pâtre est le seul que j'approuve, le Traquet se plaisant, ainsi que je l'ai dit deux fois déjà, dans la société des troupeaux. Le Traqiet rieur. Si le Traquet rieur est un Merle à queue blanche, comme le croyait Cuvier; s'il a le chant éclatant et composé de sons très-doux , et si sa nourriture consiste en insectes et en baies saucages , comme l'afTirme l'auteur de {Ornithologie du Gard , qui en a trouvé le nid dans un vieil éditice ; s'il a tant de rapports en un mot avec le Merle solitaire , il est évident que le Merle à queue blanche doit être distrait des Insectivores pour être reporté aux Baccivores. Malheureusement le sage a dit : «Dans l'ignorance abstiens-toi. » Or, j'avoue modestement qu'aucun hasard heureux ne m'a jamais mis en rapport avec cette espèce, et que je n'ai trouvé personne encore du pays ni d'ailleurs en état de me renseigner sur le sujet d'une façon sa- tisfaisante, et alors je me tais. SIîDIPEUES. 2yi J'avais cependant grande envie de tenter un coup audacieux qui eût réussi peut-être, et qui était tout siniplement de faire une famille d'ambigus avec le Traquet rieur et les deux autres qui ne doivent pas être aussi ennemis des fruits njous qu'op le dit. <"icnre Molteiu. Trois cspines. Les Motteux sont les véritables insectivores saxicoles, c'est-à - dire les insectivores qui préfèrent les craus nues et arides de la Provence aux humides vallées de la Normandie et d'ailleurs. Ils perchent rarement, par la raison que les arbres se plaisent peu dans les séjours qu'ils affectionnent, et ils traversent des étendues de terrain incommensurables en rasant la surface du sol , volant de roche en roche, de sillon en sillon. Leurs patries, je veux dire les contrées où ils nichent , sont les contrées les plus sau- vages, et les collines émaillées de rochers en saillie où la charrue n'a jamais passé. Les grès de Fontainebleau , s'ils étaient dénu- dés de leur magnifique entourage de verdure, seraient certai- nement pour cette race une demeure de prédilection. Les Mot- teux , qui passent le printemps et l'été dans les lieux aérés et secs , se répandent à l'automne dans les guérets nouveaux où ils se prennent volontiers aux collets tendus pour l'Alouette. Malheureusement pour cette espèce , la pauvreté de sa contrée natale ne se trahit pas comme chez les Perdrix par la sécheresse de sa chair; et les chasseurs gastrosophes lui font une guerre acharnée. Le chasseur provençal surtout la tient en haute es- time et déclare le Motteux préférable de cent piques à tout autre gibier-plume , ce qui dépend peut être de ce que la riante Pro- vence est une des étapes principales de la grande route du Motteux, qui s'achemine volontiers vers l'Afrique par la Cham- pagne, la Sologne et certains autres pays de plaines chéris de rOEdicnème, de la Canepétière et du Ganga Ganta. Les Motteux amis des hautes terres se rapprochent des Far- 292 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. ouses et des Alouettes par la hauteur des tarses , ainsi que par la longueur du pouce, et sont, comme les espèces de ces deux tribus, très-agiles à la course. Tous les Motteux nichent sous la pierre , font un nid d'herbes sèches garni à l'intérieur d'un léger sommier de crin , et pondent des œufs bleus. Leur chant est un ramage à bâtons rompus sans liaison ni suite ; ils le débitent souvent ea l'air. On les accuse d'imiter le chant des autres oiseaux. Bien que la mue soit simple dans toutes les espèces et n'ait lieu qu'une fois par an. il est cependant peu d'oiseaux dont le costume varie plus que celui des Motteux. Comme chez un grand nombre d'oiseaux d'eau et d'oiseaux de rivage , le inàle, en sa tenue d'amour du printemps, ne se reconnaît plus dans le voya- geur de l'automne. Le costume de noces se dessine par l'op- position des couleurs blanche et noire qui se substituent de toutes parts sur le manteau et sous la robe au brun roussàtre de la petite tenue. Le blanc pur s'empare de la gorge et de l'abdomen , du croupion et d'une grande partie de la queue. Le noir couvre le dessus du corps , la calotte , les ailes , le reste de la queue; le roussàtre ne persiste plus qu'au poitrail, pour enva- hir de nouveau l'uniforme après la mue d'août. Il y a la même diiïérence quant à la richesse des habits entre le inàle et la femelle que chez les oiseaux nageurs. Le Grand Motteux. Le Traquet motteux des auteurs, le Cul blanc vulgaire des plaines. Commun dans tous les mauvais pays de France. Niche dans les tas de pierres et sous les douves des fossés qui séparent les bois de la plaine. Mi-partie noir et blanc au printemps ; ni blanc ni noir à l'automne. Le Motteux Stapazin. Espèce plus petite que la précédente; très-rare dans le Nord et dans le Centre de la France; plus commune dans los départements du Midi. Costume semblable à SÉDIPEDES. 293 celui du Motteux ordinaire; changement de tenue analogue. Origine de nom inconnue. Le Mottelx koux. Le même que I'Oreillard. Ainsi nommé parce que tout son plumage passe au roux vif par l'elTet de la mue. Cette teinte vive s'elVace par l'usure du voyage, passe peu à peu au jaune nankin et finit par virer au blanc au mois de mai. Les ailes noires, ainsi que les rectrices médianes. Ces trois espèces se confondent dans le langage habituel des chasseurs et des tendeurs sous le nom générique de Culs blancs des champs. Famille des Gobc-Moudies. Trois espèces. .l'ai signalé déjà à plusieurs reprises cette monomanie étrange et déplorable, qui a poussé tant de nomenclateurs à séparer les Gobe-mouches des petits oiseaux qui vivent exclusivement de mouches, pour les placer entre les Pies-grièches, qui vivent de petits oiseaux, et les Merles, qui adorent les cerises. Signaler les efl'ets de ce travers d'esprit est chose plus facile que de re- monter à ses causes. Ainsi, j'ai demandé à Temmynck, qui eut un jour le courage de reconnaître olîiciellement la parenté de la Pie-grièche avec la Pie vulgaire, pourquoi il s'était repenti plus tard de cette concession, et quel puissant motif l'avait déterminé depuis à retirer la Pie-griéche du sein de sa vraie famille pour la placer entre l'Étourneau et le Gobe-mouches. Mais Temmynck ne m'a pas répondu, ou s'il m'a répondu, il l'a fait en termes si vagues que je n'ai pas compris sa raison. Je mets sous les yeux du public les pièces du procès. Sommé de définir le ca- ractère du genre Pie-grièche [Lanius), Temmynck s'exprimait ainsi : « Les cinq espèces de Pies-grièches de nos climats se distin- guent par leur courage et par leur cruauté. Petits oiseaux de rapine, elles ne le cèdent point en courage aux plus grands des- ■l\)l (JHMTHOLOGIE PASSIONiNELLE. triideiirs des airs. Leur proie, qu'elles saisissent et emportent avec le bec, consiste principalement en gros insectes; mais elles attaquent aussi avec avantage les plus petites espèces d'oiseaux et les détruisent en se servant de leurs doigts comme moyen de préhension. » Assurément (|iie ce portrait, ([ui est exact, n'est pas celui d'un oiseau doux de mœurs, et qu'il est bien difficile à la per- sonne qui vient de le lire de n'être pas portée à penser un peu de mal de l'espèce qui doit suivre, car l'esprit de l'homme n'est pas apte à apparenter de prime-saut les bons et les méchants, les loups et les brebis. Écoutons donc attentivement ce que l'au- teur va dire du genre Gobe-mouches pour motiver le ralliement d'icelui au genre Lanius. « Les Gobe-mouches, écrit-il, sont des oiseaux voyageurs qui arrivent tard et partent tôt en automne. Ils se nourrissent uni- quement de mouches et d'autres insectes ailés qu'ils attrappent au vol... » La notice s'arrête là en ce qui concerne les caractères de parenté du Gobe-mouches et de la Pie-grièche. Or, maintenant qu'on a pu comparer les deux genres par leurs portraits tracés de la main même du maître , de l'observateur réputé le plus intelligent de tous, je demande si la parenté dont je me plains repose réellement sur des titres authentiques. Je demande si des juges séiieux, des tribunaux ordinaires, par exemple, reconnaîtraient la parenté de la Pie-grièche et du Gobe- mouches au degré successible. Le Hollandais, du reste, a l'air de n'avoir pas la conscience en repos sur l'article ; car il cherche à se couvrir de l'autorité de Cuvier et d'Illiger pour expliquer la malheureuse idée qui lui est venue de revenir sur la réunion de la Pie-grièche avec son homonyme; comme si les fautes des autres n'étaient pas faites pour nous servir de guide-âne et de garde-fou au lieu de nous induire à erreur. Mais en atten- dant la sentence du public impartial , passons outre aux débats. Les Gobe- mouches sont pour la conformation du bec, la cou- leur du costume, la taille, les habitudes générales et la délica- SÉDIPEDES. 20o tesse de la chair, les plus proches voisins du Motteux. Seule- ment ils habitent les bois et non les terres en friches; ils guettent l'insecte aile qui leur sert de nourriture des basses ou des hautes branches de l'arbre, et uon plus de la roche ou de la motte élevée, et ils h.ippent leur proie au vol à la façon des Hirondelles et ne la ramassent pas à terre. Leur bec, déprimé et élargi à sa base comme celui des Traquets, annonce le bec des Hirondelles. Leur chair a un goût exquis qui rappelle celle du Bec-Hgues, et l'une des espèces du genre a été honorée de cet illustre surnom. De même que le Motteux et l'Hirondelle, entre lesquels l'ordre de la série exige qu'on le place, le Gobe-mouches porte un uniforme remarquable par l'opposition des deux nuances blanche et noire, laquelle 0|)posilion se manifeste dans toute sa vivacité vers l'époque des amours et s'apaise à la nme d'au- tomne. Les Gobe-mouches n'ont pas de chant et leur langage ha- bituel est un i)elit cri plaintif semblable à celui des jeunes pinsons qui demandent la becquée à leur mère. Deux espèces vivent soli- taires dans le fond des forets. Une autre pénètre dans les jardins des villes et des campagnes et niche parmi les espaliers et les cordons de vignes. H n'y a pas d'année où le Cèdre du Liban du Jardin des Plantes n'élève sur ses larges branches horizontales quelques couvées de Gobe-mouches, qui trouvent une hospi- talité semblable sur beaucoup de grands marronniers des Tuile- ries et du Luxembourg. Leur nid est construit avec soin de mousse et d'herbes Unes à l'extérieur, et garni de crin au de- dans. Les Gobe-Mouches passent de très-bonne heure et en même temps que les Fauvettes. Leur passage en Lorraine dure un mois, de la mi-aoùtàla mi-septembre. J'ai dit qu'on en prenait un grand nombre dans les tendues à la raquette. 11 e-t assez remarquable que ces oiseaux donnent rarement à l'abreuvoir et jamais à la pipée. L'espèce qui niche dans les jardins publics s'arrête volontiers en route, au milieu des promenades des villes et stationne même fréquemment pendant [lusieurs journées consécutives sur les toits de certaines maisons, ou elle fait curée de ces tas de mouches qui s'amassent en noires colonnes dans 296 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. les angles des murs. L'amour des habitations de l'homme est une passion qui rapproche cette espèce des genres voisins de l'Hirondelle et de la Bergeronnette. La tribu des Gobe-mouches tient à ces deux dernières par d'autres liens de parenté mys- térieux ffue les nomenclateurs officiels se sont bien gardés d'en- trevoir. Elle est chargée comme elles de veiller à la sûreté des richesses de l'homme. On lira aux chapitres de l'Hirondelle et de la Bergeronnette les caractères de cette mission sainte. Le membre de la famille des Gobe-mouches que Dieu en a investi, n'appartient pas à la France ; c'est un oiseau célèbre dans les fastes de l'ornithologie amériricaine, et qui s'appelle dans ce pays l'oiseau royal ou l'oiseau roi. Il est connu dans la science sous le nom de Tyran ou Roi des Gobe-mouches. On peut l'ap- peler de ce dernier nom parce qu'il porte une couronne ; mais cette couronne lui a été donnée en signe de sa générosité et de sa vaillance, et comme il n'emploie ses brillantes fa- cultés que pour combattre la tyrannie et soutenir les faibles, je proteste contre le premier nom. Ce prétendu tyran, dont Audubon et Franklin ont célébré la gloire, est un petit oiseau qui établit son domicile à portée de la demeure du fermier américain pour avoir l'œil sur tous les périls qui menacent ses volailles ; qui monte hardiment dans les airs pour combattre l'oiseau de proie, quel qu'il soit, voire l'Aigle; qui signale à grands cris sa présence à toutes les espèces menacées, et assaille avec tant d'impétuosité le ravisseur, qu'il le force à la fuite. Mais voyez le malheur : l'oiseau royal, en agissant ainsi, empiète sur les attributions de l'Hirondelle. Or, celle-ci n'entend pas qu'on la remplace dans son office de sauvegarde de la basse- cour, et comme elle ne veut partager avec personne l'honneur et les périls de l'office, elle n'a pas de repos qu'elle n'ait chassé loin du canton l'importun concurrent. Et pour cela elle le pour- suit sans relâche, le coudoie, le rudoie, le harcelle, abuse con- tre lui de la supériorité de ses ailes rapides, bref, le tue de fatigue, s'il ne prend le sage parti de se retirer à distance; et trop souvent le triomphateur glorieux du Faucon et de l'.iigle meurt sous l'attaque de l'Hirondelle. Tant l'ambition de servir SEDIPEDES. 297 l'homme peut engendrer d'ardentes jalousies et de nobles dé- vouements. Trois espèces de Gobe-mouches ont la France pour patrie. On pourrait les nommer ainsi : le Gobe-mouches à collier, le Gris, le Noir. Le premier, dit aussi le Gobe-mouches de Lorraine, est un oi- seau charmant dans son costume de noces : manteau noir, tète noire, (jueue noire, tout le devant et tout le dessous du corps d'un blanc pur avec un joli collier noir sur le devant du cou, miroir blanc sur les ailes. Cette riche toilette, qui ne se déve- loppe dans toute sa splendeur qu'au troisième printemps, dispa- raît complètement avec la mue d'été. L'oiseau rassis n'a plus rien de l'oiseau pris d'amour; mais s'il a perdu toute valeur en ce temps-là aux yeux de l'ornithologiste, il en a acquis une im- mense auprès du gastrosophe qui le lui fait bien voir. Le Gobe-mouches noir. Gobe-mouches Bec-figues, beaucoup plus connu que le précèdent, est celui qui ligure avec le Rouge- queue et le Rouge-gorge sur tous les marchés de Lorraine en septembre, et qu'on appelle en ce pays-là le Petit-gris. Son cos- tume d'amour est comme celui de l'autre, noir et blanc; mais il ne porte pas de collier, et sa tenue de voyage est plus grise et plus modeste encore que celle du précèdent. Le troisième est l'espèce grise qui niche aux Tuileries et au Jardin des Plantes, et stationne sur les toits. Famille des Hirondelles. Trois genres, huit espèces. — HiromlelU', Qui es si belle, Uis-moi , l'hiver oii vas-tu T — A Athènes , Chez Antoine. Pourquoi t'en informes- tu ! Le peuple a eu raison d'appeler les Hirondelles les oiseaux du bon Dieu , car il n'est pas une espèce animale sur laquelle Dieu ait versé avec une ptirtialité plus visible ses grâces et 29S OIIMTIIOLUGIE 1>ASS10>.NEI.1.E. ses dons; et même, parmi les hommes, beaucoup seraieut eu droit d'envier à l'Hirondelle quelques-unes des facultés de son esprit et des vertus de son cœur. C'est mieux que la Tourterelle et le Mojneau franc pour la tendresse, mieux que Pliilemon et Baucis pour la fidélité , mieux que la perdrix pour le dévouement maternel , mieux que la Bergeronnette pour la charité sociale , mieux que le Faucon pour la puissance du vol , la finesse de la vue et la légèreté. L'Hirondelle est essentiellement amie de l'homme. Dieu nous l'envoie dès les premiers soleils pour nous débarrasser des in- sectes ailés que leurs chaleurs font éclore. 11 l'a instruite dans l'art de bâtir comme nous , pour qu'elle put attacher son nid aux angles de nos fenêtres. H lui a donné, pour égayer aulour de nous les airs, le vol le plus gracieux, les plus frais gazouille- ments. Elle a reçu pour patrie toute la terre habitable , et nul autre oiseau ne mesure autant de latitudes en sa double excursion annuelle. Elle ignore le froid des climats , comme celui du cœur ; sa vie n'est qu'une longue fête et son chant qu'un hymne éter- nel , au printemps, à la liberté. Je fais remarquer que ce mot si doux : gazouiller , a été fa- briqué tout exprès pour l'Hirondelle, et que ce gazouillement est un thème favori sur lequel aiment à broder la plupart des oiseaux compositeurs, le Canari, le Chardonneret, le Rouge- gorge, la Pie-grièche rose , etc. L'union des Hirondelles dure autant qu'elles-mêmes, autant que leur affection pour les lieux qui les ont vues naître ou qui furent le berceau de leur premier amour. Plus chastes et plus pudiques que les oiseaux de Vénus , elles n'admettent pas la foule aux secrets de leur intimité et tirent le rideau sur les mys- tères de l'alcôve nuptiale. L'espèce est féconde en Artémises qui portent jusqu'au tombeau le deuil de leur époux , voire en maris inconsolables qui meurent avant d'avoir pu s'habituer au veuvage du cœur. La science indilférente ne s'est pas assez oc- cupée d'analyser toutes les circonstances qui accompagnent la mort de tant d'Hirondelles (jui se noient. Dans ces cas de mort violente ou de lin prématurée, on voit de charitables voisines se SKi»ii>KnES. îon charger de la tutelle des entants du couple del'unt et pourvoir généreusement à l'éducation et à la nourriture des pauvres or- phelins. Quelle leçon pour les mauvaises mères qui n'ont pas même soin des leurs et (|ui les déposent quelquefois sur la voie pubiiipie comme un pacpiet de linge sale , quand elles ne les étouflent pas! Les traits d'héroïsme maternel sont si noml reux dans l'histoire de l'Hirondelle, qu'il n'est pas , pour ainsi dire , de cité un peu importante qui n'ait sa légende de l'Hirondelle mère se précipi- tant dans les flammes pour sauver ses pctils. La sollicitude des parents pour ces enfants gâtes est si active et si invétérée, leur habitude de les bourrer de friandises si universelle, qu'il n'est pas rare de trouver dans un nid d'Hirondelle de fenêtre des nourrissons plus gras, plus dodus et plus lourds que leurs nour- Hclers. Ainsi de bons pnrents se privent du nécessaire pour don- ner le superflu à leurs enfants. Ce fait curieux a été observé plus d'une fois, et je ne connais qu'une autre espèce chez laquelle le phénomène se reproduise. L'histoire du jeune Coucou , par exemple, n'a plus rien de comnuin avec celle-ci. Le jeune Coucou n'est pas plus gros dans sa première enfance qu'il ne sera dans l'âge adulte. L'esprit de maternité se manifeste chez l'Hirondelle , comme chez la jeune fille , dès l'âge le plus tendre. Bien des observateurs ont pu voir comme moi , vers l'arricre-saisou, de pauvres petites Hirondelles , sorties du nid à peine , s'empresser déjà autour de leurs père et mère et les aider dans les soins de l'éducation d'une famille nouvelle. Si bien que les Benjamins de ces couvées tardives se trouvent avoir parfois deux nourrices chacun. Dupont de Nemours , Isidore GeofTroy-Saint Hilaire , Roullin , Dupuy et quelques autres ont vu des Hirondelles délivrer une de leurs camarades accrochée par la patte à un cordon de soie; puis , l'opération miraculeuse achevée , célébrer leur triomphe par de joyeuses et bruyantes ovations. Je n'ai pas eu la chance d'être témoin de ces prodiges de patience et d'adresse inspirés par l'esprit de charité chrétienne; mais je ne veux pas les ré- voquer en doute , sachant trop (ju'il suftit, hélas ! d'attacher une •KiO ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. pauvre Hirondelle à un piquet au sein de la prairie et de la taire de temps à autre crier et voleter pour engager toutes les Hiron- delles de la contrée à lui porter secours. Mais n'anticipons pas sur ces tristes détails. Je n'ai jamais vu non plus d'Hirondelles s'unir pour murer le Moineau franc dans le nid par lui dérobé, quoique j'aie été plus de mille fois témoin de cas où l'expérience eût pu être tentée. Dieu n'a pas voulu donner à l'Hirondelle des ailes si rapides et une vue si perçante sans lui imposer en retour une mission de charité sociale. Il l'a chargée d'avoir l'œil sur tous les périls qui menacent les espèces paresseuses qui habitent le voisinage des hommes. Aussi tous les petits oiseaux des rues et des vergers et les poulets des basses-cours ont-ils l'oreille attentive au cri d'a- larme de l'Hirondelle, et ont-ils besoin de compter sur sa vigi- lance pour vaquer l'esprit libre à leurs occupations. J'ai fait cette remarque importante sur les rives de la Saône et sur celles de la Seine où l'homme fait à l'Hirondelle une rude guerre, que les petits granivores , qui sont de charmants musiciens et d'habiles échenilleurs, ne tardaient pas a déserter les lieux d'où leur sau- vegarde avait fui. Et l'on se plaint ensuite que les chenilles ra- vagent les vergers , les forêts et les vignes , et imposent à la fortune publique des contributions extraordinaires de cent millions par an, comme s'il n'était pas juste que l'homme, cet éternel bourreau de son propre bonheur, expiât la fureur de destruction avicide dont il est dévoré. En Amérique , où les hommes sont plus près de Dieu et où les oiseaux de proie sont nombreux en raison de l'immensité des solitudes , l'Hirondelle est appelée la sentinelle de la basse-cour, et ce titre, j'en suis sur, n'a pas été volé. Le nombre des oi- seaux de proie n'est pas moins considérable en Afrique qu'en Amérique. Aussi l'Hirondelle alllue-t-elle par masses dans nos établissements d'Algérie, docile aux instructions de Dieu qui a voulu qu'elle consacrât ses moyens supérieurs au salut de ses sœurs. Spallanzani a calculé que le grand Martinet noir volait avec une vitesse de quatre-vingts lieues à l'heure; ctBelon qu'il aper- SEDIPÈDES. ;i<>l cevait distinctement une mouche ou une fourmi ailée à la dis- tance de cinq cents mètres. Alors je ne vois guère que l'homme qui soit de force à distancer le Martinet dans une joute aérienne. L'Hirondelle de cheminée et l'Hirondelle de fenêtre, qui se ba- lancent perpétuellement dans les airs et batifolent en chassant au lieu de suivre une droite ligne, n'atteindraient, à ce qu'il paraît , qu'aux deux tiers de cette vitesse. Les Romains, qui avaient comme nous des paris de course, employaient les Hirondelles en guise de pigeons de poste pour la transmission des bulletins de victoire du cirque. Les assiégés s'en servaient également comme de moyen de correspondance avec leurs amis du dehors. On savait par ces facteurs rapides quel jour on serait secouru et à quelle heure précise une sortie serait opportune. L'Hirondelle est un messager plus petit, mais plus sûr que la Colombe, n'ayant pas connue celle-ci la funeste habitude de se laisser croquer en route par les oiseaux de proie. Chose merveilleuse , cet instinct admirable que possède l'Hiron- delle mère pour retrouver son nid, existe même chez le petit qui n'a pas atteint sa croissance. Ou a vu en Toscane des Hirondeaux dénichés par des mains inhumaines et transportés à dix lieues de leur patrie pour être mis à la broche , s'échapper de leur cage et rentrer dans le domicile paternel une demi-heure après. Les petits des oiseaux qui ont les pieds courts et les ailes longues, comme les Hirondelles, ont naturellement besoin de rester dans le nid plus longtemps que ceux des autres espèces et d'y attendre avec résignation que leurs pennes aient atteint des dimensions convenables et une solidité à l'épreuve. Cette condition de longue attente est surtout de rigueur pour les jeunes Martinets qui, une fois lancés dans l'air, ne doivent presque plus se reposer. Le petit perdreau , qui est destiné à courir , peut sortir de son nid quelques heures après l'éclosion ; mais le jeune Martinet , qui n'a d'autre moyen de locomotion que ses ailes , est bien obligé de rester coi dans son berceau jusqu'à ce que ces ailes soient poussées , et elles sont si longues qu'elles deman- dent un mois à venir. Toutes les espèces d'Hirondelles se baignent et s'abreuvent .■{0> ORNITHOLOGIE PASSlONiNEI.LE. en volant , et nourrissent même leurs petits dans les airs pen- dant les premiers jours qui suivent la sortie du nid. Rien de plus délicieux à voir que ces distributions de becquées aériennes , si sagement ordonnées pour ne pas faire de jaloux dans la répar- tition des faveurs et des grâces ; rien de plus charmant que le zèle et 1 empressement du père et de la mère à diriger dans l'es- pace les premiers coups d'aile de leurs élèves et à les dresser au vol du moucheron ; rien d'adorable de folie et d'ivresse comme la joie de ceux-ci à leurs premiers succès. Alors, si vous avie? des yeux de Martinet pour voir, vous verriez l'Hirondelle cou- doyer généreusement de l'aile la proie ailée qu'elle pourrait saisir, alin de la laisser courre à ses jeunes nourrissons. Reines de l'air par la légèreté, la grâce capricieuse et la puis- sance du vol , les Hirondelles sont encore des architectes de pre- mier ordre, qui déploient dans la bâtisse de leurs nids un talent prodigieux. Les nids de l'hirondelle de cheminée et surtout ceux de l'hirondelle de fenêtre sont des travaux merveilleux dans les- quels intervient, avec la science de l'architecte, l'art du ma- çon etdi^i plafonneur. Les mâles dans ces deux espèces ont le droit de travailler au nid comme les femelles, et même celles-ci emploient, pour actionner à la besogne leurs collaborateurs, l'appât des plus séduisantes promesses. L'hirondelle de rivage creuse avec ses griiïes dans les berges de véritables souterrains pour y établir sa famille. Le Martinet, qui se trouve souvent obligé de nicher sur les surfaces plates des poutres et des trar- verses, a imaginé un procédé de bâtisse aussi curieux que beau- coup d'autres. 11 se fait une aire de sa salive qu'il dégorge en plus grande abondance à la périphérie qu'au centre; puis il laisse le tout sécher. A mesure que la matière se solidifie, cette péri- phérie prend figure et se détermine par un bourrelet saillant dont l'habile maçon augmente le volume et la hauteur jusqu'à la dimension voulue. C'est ainsi qu'il surmonte les principales dif- ficultés de l'assiette de son domicile. Ajoutons que cette couche de salive des.sé( bée finit par s'épaissir, par acquérir la consis- tance du caoutchouc, et enfin par réaliser un sommier élastique d'un usage excellent. Le plus célèbre de tous les nids d'hiron- SKDIPEDES. .{03 délies est celui qui se mange, le nid de la Salangane des Molu- ques qui le confectionne avec de certaines algues sucrées de la mer des Indes. On a calculé qu'il s'exportait annuellement en Chine trois ou quatre cent mille nids d'hirondelles valant en moyenne li millions. Les magots de cette contrée singulière estiment que ce produit est un spécifique certain pour rajeunir les sens. Tous ces nids maçonnes sont non-seulement des merveilles d'architecture artistitpie, mais des modèles inimitables d'écono- mie et de solidité. Un méchant petit corbeau d'église qui eut un jour l'imprudence de fourrer sa tête dans l'ouverture d'un des nids de la place Vendôme, fut le mauvais marchand de sa curio- sité. Il ne put dégager sa tète de l'étroit orifice et mourut à la peine. Tous les corbeaux d'église qui s'insinuent traîtreusement dans le ménage des gens paisibles pour voir ce qui s'y passe, feraient une fin pareille, que je n'en pleurerais pas. Le corbeau est ma bètc noire. A tous les titres énumérés ci-dessus , les Iliroadelles ont joui autrefois d'une existence heureuse et d'une considération méri- tée. Longtemps la France leur fut une douce patrie où se multi- pliaient paisiblement leurs joyeuses familles, sous la triple sau- vegarde de la poésie, de l'amour et de l'hospitalité. Je pourrais citer les noms de cent cinquante poètes fameux qui ont chanté l'Hirondelle, à partir d'Isaïe, d'Homère et de Virgile pour finir par Chateaubriand , Lamartine et Félicien David. Je saisdes Al- lemands d'Allemagne qui ont trouvé moyen d'empiler sur ce su- jet léger des tas de vers plus durs , plus sourds et plus lourds que du plomb. Et chose remarquable assurément, c'est que jamais les poètes n'ont erré sur les mœurs de l'Hirondelle et n'ont mé- connu son caractère analogique et sa dominante passionnelle, tandis que c'a été parmi les savants , Pline en tète, comme une concurrence à qui débiterait sur le compte de la charmante es- pèce le plus d'âneries et de bourdes. J'avoue que je traite ici Pline avec trop peu de ménagement , mais qu'il confesse à son tour qu'il a eu tort a taille de ce Grimpereau est celle de l'Alouette ; ses longues ailes , son bec effilé et la délicatesse recherchée des nuances de son plumage en font un moule d'une élégance et d'une distinction sans pareilles. Ces nuances délicates sont le cendré clair, le gris perle et le rose vif; mais le rose et le cendré des pastels de Latour ou de Maréchal. Le rose couvre les scapulaires et tout le dessus des ailes , c'est-à-dire la partie la plus apparente du manteau , puisque la principale évolution de l'oiseau est l'as- cension verticale contre une paroi de roche , évolution pendant laquelle il ne peut être vu que de dos. Le cendré clair plus ou moins tendre, plus ou moins accusé, prend le reste du costume, virant graduellement au noir mat , à mesure qu'il approche des bordures et gagnant insensiblement la gorge, la calotte, les pennes extérieures de la queue et des ailes pour faire à tout le système une sombre encadrure d'un effet merveilleux. D'autres enjolivements de détail viennent compléter l'harmonie de ces accords de teintes, lorsque l'oiseau joue son grand jeu et déploie toutes ses voiles; lorsqu'il est obligé, par exemple, de mouiller sur ses ailes , pour inspecter quelque imperceptible fissure du 346 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE, mur trop poli do l'abîme ou ses ongles n'auraient pas prise. Alors une foule de petits miroirs blanc et or, qui gisaient ensevelis jusque-là sous les plis des rémiges, s'Cn détachent tout à coup pour scintiller , papillonner, miroiter aux regards ; pour essayer, en un mot , d'injiter d'aussi près que possible les façons des mo- dèles de l'art, le Sphinx et l'Oiseau-mouclie. Le Papillon des roches, qui n'aime pas à poser son pied ailleurs que sur la pierre , reste confiné dans ses districts mon- tagneux des Alpes pendant toute la belle saison. Mais quand arrive la saison des voyages , il choisit volontiers pour étapes les grandes villes célèbres par la beauté de leurs édilices publics et surtout par leurs cathédrales. C'est ainsi qu'il visite chaque année et toujours avec un nouveau plaisir le pont du Gard, les arènes d'Arles et de Nîmes , la Tour Magne de cette dernière cité et toutes les églises du Midi. L'auteur de \ Ornithologie du Gard a jnème tort d'affirmer que jamais il ne se montre dans le Nord ; car je l'y ai rencontré plusieurs fois pour mon compte ; une fois dans une visite à la jolie église de Notre-Dame de Lépine , en Champagne , une autre fois sous les arches du Pont du Diable (Moselle), et je sais positivement que l'espèce se laisse voir de temps à autre sur les cathédrales de Dijon , de Strasbourg, de Metz, de Reims, de Bourges, etc. Enlin M. Jules Delon de Soizy, ornithologiste passionné et savant, à qui je dois une fouie de communications intéressantes , m'a fait voir dans sa char- mante collection d'espèces européennes un Grimpereau de mu- raille tué dans la grande carrière de Montmartre. Le Papillon des rochers niche naturellement dans une fissure de roc ; il doit pon- dre des œufs blancs vernis. Son chant n'est pas un chant , mais une simple répétition plus ou moins accentuée de la même note. Ici est la place où s'emmanche dans la classification univer- selle l'innombrable et brillante tribu des Oiseaux-mouches et des Colibris, qui sont les insectivores des fleurs. Vieillot et les autres ont eu tort de désigner ces espèces illustres sous le titre géné- rique de Mcllivorcs ou de McUisin/rs, mangeurs ou suceurs de miel; attendu (juc les Oiseaux-mouches boivent bien, en effet, SEDIPÉDES. 347 Je miel des fleurs, mais ne méprisent aucunement les insectes ailés qu'attire la douce, liqueur au fond des nectaires parfumés. Il est certain qu'on n'a jamais ouvert un estomac de Colibri ou d'Oiseau-mouchft sans y trouver des tas d'insectes nageant dans le sirop. La tribu des Oiseaux-mouches confine à celle des Sucriers et des Souï-mangas de l'ancien continent, qui confinent à leur tour aux Huppes et aux Guêpiers d'Europe et qui nous ramènent chez nous de notre courte excursion à travers la zone embrasée... où les corps n'ont point d'ombre, ni la floraison de re- pos, où le plumage de l'oiseau semble fondre aux ra\ons ardents du soleil pour cristalliser en pierreries. J'ai dit que les Oiseaux- mouches étaient à la fois les plus riches. les plus braves et les plus fins voiliers de l'air et que rien ne leur manquait sinon la voix pour toucher l'idéal. (iciiiT lliipiu'. Ksiicrt' mii«ni('. Des centaines , un millier d'espèces peut-être , séparent le Grimpereau de muraille de la Huppe, et cependant il est facile de saisir encore les caractères de parenté qui relient ces deux genres. Le bec est grêle, triangulaire, arqué et plus long que la tête chez l'un comme chez l'autre. Les pieds sont également courts; le doigt du milieu est soudé à la base avec le doigt ex- terne. La Huppe niche quelquefois, comme le papillon de rocher, dans les trous des vieux murs; là s'arrêtent les similitudes et commencent les différences. La Huppe vit à terre des petits scarabées qu'elle cherche dans les laissées du bétail et aussi des fourmis; elle perche et elle ne grimpe plus, et elle niche plus sou- vent dans les cavités des arbres ou dans celles des murailles que dans les fissures de rocher. Les Grimpereaux sont des oiseaux familiers, sinon braves; la Huppe est le plus timide et le plus poltron de tous les oiseaux de la terre. Elle s'évanouit et tombe de frayeur à la vue de l'oiseau de proie. Huppe , Puput , Coq puant. Coq de bois , sont les principaux noms sous lesquels cet oiseau est connu en France Le premier 348 ORNITHOLOGIE l'ASSlONiNELLE. lui vient d'une huppe superi)e de vingt-six plumes rousses, bordées de noir, disposées sur deux raugs; huppe fuyante , bien entendu, huppe de peureux. Les noms de Puput et de Coq puant, ont été attribués à l'oiseau, non pas, comme on l'a dit, à raison di\ genre de mortier fétide dont il confectionnerait son nid , mais bien parce que ce nid , qui est une cavité profonde peu propice au curage, se trouve habituellement défendu par un re- tranchement d'immondices qui en rend l'abord peu facile. Ces immondices proviennent des déjections de la jeune famille que les pères et mères n'ont pas soin d'emporter au dehors comme font d'autres parents plus soigneux. Le nom de Coq de bois dé- rive de la huppe qui n'a pourtant rien de commun , passion- nellement parlant, avec la crête de chair de l'emblème du gla- diateur. Mais où sont les nomcnclateurs qui savent distinguer à la disposition d'une parure de chef, la dominante caractérielle d'une espèce emplumée ? La Huppe est un oiseau d'assez belle prestance, quand la frayeur ne paralyse pas ses moyens. Elle marche avec assez de majesté dans les prés et dans les sillons des champs, redressant de temps à autre sa crête. Sa taille est celle de la Litorne ou de la Tourterelle. Elle acquiert au temps du passage, vers le com- mencement de septembre, un état d'embonpoint qui en ferait un rôti délicieux, si sa chair n'exhalait pas trop souvent le par- fum musqué de la fourmi. Il n'en reste pas un seul couple en France pendant l'hiver. Elle traverse la mer et passe dans l'in- térieur du continent d'Afrique la majeure partie de la saison. Cet oiseau n'a pas de chant. Seulement au printemps, le mâle fait entendre une note assez semblable à celle du roucoulement du Ramier, note qu'il répète plusieurs fois de suite, en relevant amoureusement les belles plumes de sa huppe et en ramenant son bec sur sa poitrine. Son cri de passe rappelle au contraire le sifflement aigu du Gros-bec. L'espèce est solitaire et silen- cieuse et fait tout ce qu'elle peut pour n'être ni remarquée ni entendue de personne. La Huppe est le parfait emblème du parti des trembleurs et des immobilistes, braves gens qui relèvent lièrcmcnt la tête, et SÉDIPÉDES. Ji9 parlent volontiers de couper celle de l'hydre de l'anarchie quand le pays est calme, mais qui rentrent énergiquement dans leur cave pour peu que l'horizon politique se couvre de nuages; gens honnêtes, gens modérés, mais ennemis des réformes et qui ai- ment mieux continuer à croupir dans le sein de l'ordure civili- sée où leurs pèç-es ont vécu, que de faire un pas en avant dans la voie du progrès. Genre Guêpier. Deux espèces. Le genre Guêpier et le genre Martin-pêcheur forment dans les nomenclatures hahituelles une famille ou même un ordre dit l'ordre des Alcyons. Bien qu'au point de vue de la classification basée sur la conformité du mode de nourriture, la parenté de ces deux genres paraisse ditïicile à établir, cependant cette pa- rente-là, il faut bien en convenir, est un fait qui s'impose aux regards même avant de se discuter. Le Guêpier est un voilier rapide, pourvu de longues ailes ai- guës et d'une queue à filets comme le Paille en queue du Tro- pique; il se joue dans les hautes régions de l'atmosphère avec la grâce et la légèreté de l'Hirondelle dont il a les allures et le vol capricieux ; le Martin-pêcheur a l'aile ronde et la queue courte de l'oiseau plongeur; il rase la surface de l'eau et ne s'é- lève jamais jusqu'à la cime des arbres qui bordent le rivage. Le Guêpier vit de guêpes et d'insectes ailés ainsi que son nom l'in- dique; le Martin-pêcheur de poissons et d'insectes aquatiques. Le premier a le bec arqué du Colibri ; le second, le bec droit et pointu du Pivert. Celui-là est un oiseau de passage comme tous les insectivores , et qui ne fréquente que les seules contrées du Midi ; le Martin-pêcheur est presque sédentaire et se rencontre sur tous les cours d'eau de la France. Et pourtant la nomencla- ture officielle a eu mille fois raison de réunir ces deux genres dans la même famille , et j'irai plus loin qu'elle en y faisant en- trer de force un troisième moule , le Torchepct ou la Sitelle, .i.SO ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. qui est un Grimpeur ambigu entre l'ordre des Sédipèdes et celui des Jugipèdes. Mais quelle est donc alors cette puissance mystérieuse qui force la main à la science et lui fait une loi d'incorporer dans le môme groupe des groupes en apparence si distincts? Ouvrez le fameux traité de la Théorie des Jiessemblnnces , ou- vrage neuf et hardi, mais non autorisé par la Sacrée Congrégation de l'Index , vous y trouverez cette question résolue ainsi que beaucoup d'autres. L'auteur de ce traité si remarquable à tant de titres est ce riche seigneur portugais si ami des oiseaux qui fait reconduire chez eux dans son propre équipage les jeunes Martins- pècheurs enlevés par des mains barbares à la tendresse mater- nelle ; le même qui , voyant le triste usage que les civilisés fai- saient de leur intelligence, a maudit ce funeste don de la nature en termes si éloquents et si amers. La Théorie des liessem- blaaces nous révèle la loi mystérieuse qui force ici la science à marcher dans le droit chemin de la classification. En tout et partout le semblable doit produire son semblable, y est-il dé- montré. Or le Guêpier, le Martin-pêcheur et la Sitelle, si divers, d'appétits , d'habitudes et de mœurs , se ressemblent par un point, la couleur du manteau, qui est l'aigue-marine émailléede roux orangé. Et cette seule parenté de couleur a suffi pour en- traîner la parenté d'une foule de caractères importants dont l'identité singulière a frappé tous les yeux. La couleur aigue- marine exige, à ce qu'il paraît, des pieds nus, des pieds courts où le doigt médian ne fasse qu'un avec le doigt interne jusqu'à la première articulation et soit soudé avec le pouce jusqu'à la seconde. Le Guêpier et le Martin-pêcheur sont parents du côté de cette conformation anormale des membres inférieurs. L'aigue- marine exige encore que les oiseaux qui s'en parent creusent de profonds terriers dans les berges des rivières et rétrécissent l'en- trée de leurs domiciles... En conséquence, le Guêpier se perce dans les escarpements des cours d'eau un immense boyau de cinq à six pieds de long qu'il étrangle à la gorge; son bec fermé lui sert de pic pour ouvrir sa tranchée , et ses pieds de râteaux pour ramener la terre au dehors. Le Martin-pêcheur, moins expert SÉDIPÉDES. .T,( en ce travail de mine, s'empare tout simplement d'un trou de rat d'eau prenant jour sous quelque racine de saule et dont il maçonne l'entrée par de la terre battue. Enfin la Sitelle, qui est un Grimpeur vivant d'insectes perce-bois, la Sitelle, qui adore le suif et la noisette , genre d'alimentation complètement répulsif au Guêpier et au Martin-pêcheur, la Sitelle , en un mot, qui n'a rien de commun avec ces deux espèces qu'une vague similitude de goût pour les robes a fond roux et les manteaux bleuâtres, la Sitelle fait des trous d'arbres taillés à l'emporte-pièce par le pi- vert ce que le Marlin-pèchmir lait des trous de rat d'eau ou d'ccrevisse; elle s'en empare et s'y installe, ayant bien soin, avant d'y pondre, d'en rétrécir l'orifice par une porte en ciment, vrai ciment d'argile et de salive, solide et persistant comme ce- lui de l'Hirondelle. Et comment s'étonner que la puissance in- vincible et fatale de l'homochromie dans la mise (similitude de couleur du manteau) se manifeste chez des espèces de la même série dans un iirrlra quelconque, quand on la voit tous les jours franchir la distance qui sépare les règnes, pour rallier caracté- riellement les espèces les plus éloignées l'une de l'autre dans l'échelle de l'animalité...; attribuant invariablement à telle ou telle moucheture, à telle ou telle zébrure, une dominante fixe; imposant , par exemple , à la Truite la gloutonnerie féroce de la Panthère ou à la Guêpe les appétits sanguinaires du Tigre... parce quelles sont marquées de même ! Tant il y a qu'il ne fallait pas moins que ces singuliers rapports de conformation de pieds et de nidification entre les trois espèces hétéroclites ci-dessus pour guider l'analogiste dans le classement régulier d'icelles. Car il ne suffit pas à l'analogiste comme au savant vulgaire pour apparenter deux espèces, dont l'une vit dans le sein des nues, l'autre dans le sein des ondes, de voir qu'elles s'habillent de même et qu'elles portent aux pieds des entraves de la même fabrique; il désire encore qu'on lui dise pourquoi elles sont ve- nues au monde comme cela. Le Guêpier est parent de la Huppe par l'arcure effilée de son bec et un peu aussi par la conformation des pieds (soudure du doigt médium et de l'externe à la base). Sa taille est un peu 3o2 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. moins forte que celle de cette espèce. C'est un oiseau d'Afrique qui s'égare au printemps sur nos plages riveraines de la" Méditer- ranée où il visite chaque année quelques cantons des Bouches- du-Rhône, du Var, du Gard, de l'Hérault et de l'Aude. Il est rare qu'ibs' aventure plus au Nord. Les habitants de la Camargue le connais.^ent sous le doux nom de Sérène. La richesse éblouissante du costume du Guêpier dit assez qu'il - est originaire des contrées du soleil. Ce costume est beaucoup plus semblable à celui du Colibri qu'à celui du Martin-pêcheur, par le nombre infini de ses nuances aigue-marine, orangé roux, vert, brun marron, jaune d'or. Les Guêpiers rappellent plus encore le type radieux du Colibri par l'élégante courbure de leur bec en faucille , la puissance , la grâce et la légèreté de leur vol et la dimension de leur queue qui s'allonge en filets caractéristi- ques. La première fois qu'un chasseur parisien , doué d'une ima- gination un peu vive , rencontre en Algérie un vol de ces oiseaux groupés en rangs serrés sur les branches nues du mûrier ou du frêne , il est tenté de les prendre pour des fleurs d'émeraude et de topaze de quelque jardin enchanté. Le Guêpier est un oiseau charmant , créé comme l'Hirondelle pour vivre aux alentours de la demeure de l'homme et pour la garder contre les attaques d'une foule d'ennemis dangereux qui s'appellent les Frelons et les Guêpes , insectes dévorateurs et san- guinaires , fléaux de la chair et des fruits. H ne se borne pas à attaquer la Guêpe et le Frelon quand il les rencontre dans les airs, mais il observe attentivement leur marche et les suit jus- qu'à leur domicile , à l'entrée duquel il se poste pour saisir tout ce qui en sort. Le besoin de l'aide du Guêpier se fait vivement sentir dans une foule de départements de France où l'homme est impuissant à lutter contre les guêpes qui rendent beaucoup de maisons inhabitables et l)caucoup de riches jardins frui- tiers complètement improductifs. Mais l'homme, au lieu d'atti- rer à lui son auxiliaire, par ses invitations et ses bons procé- dés , n'a rien de plus presst' que de le fusiller quand il le trouve à portée de son arme , ce qui a forcé la pauvre bête de se retirer des lieux où l'on brûle beaucoup de poudre. Bien que le Guêpier SEDIPEDES. 353 ait le bec assez dur pour tuer sa proie d'un scut coup, il n'a pas besoin de se precautionner, par cette mesure préalable , contre la piqûre redoutable de l'ennemi, la nature l'ayant doué, comme le Martinet, de l'inintoxicabilité mithridatique. J'ai déjà dit au chapi- tre de l'Hirondelle apivorc que cette faculté précieuse que je viens de substantiver d'une façon si barbare devait entraîner avec elle garantie de vitalité énergique et de longévité. Je n'ai pas compte avec le Guêpier pour savoir à quel âge il meurt ; mais je sais par expérience qu'aucun autre oiseau n'est plus tenace à la vie. Si bien que quand j'ai vu qu'il ne voulait pas mourir, j'ai re- noncé à le tuer ; détermination d'autant plus raisonnable , que la chair du Guêpier n'est pas mangeable et que son meurtre est sans excuse. Cet oiseau est très-connu dans toutes les Iles de l'Archipel et de la Méditerranée et dans les environs de Gibraltar. Les habi- tants des îles de Candie, de Rhodes et de Chypre , pays de chasse adorables , le pèchent à l'hameçon , au moyen d'une lon- gue ligne de soie amorcée d'un bourdon qu'ils font jouer dans les airs. J'ai vu des gamins de Paris prendre des Martinets au pont des Arts par le même procédé. Le Guêpier, qui fait son nid comme le Martin-pêcheur dans un terrier profond , a encore avec cet oiseau un caractère de rallie- ment remarquable , qui est de pondre des œufs blancs à surface polie et luisante comme la plupart des espèces qui nichent au fond des cavités obscures. Les savants prétendent que le genre Guêpier renferme deux espèces , l'une qu'ils appellent le Guêpier vulgaire, l'autre le Guêpier Savigny , lesquelle^s espèces , disent-ils , vivent toujours ensemble et se ressemblent si fort qu'il faut d'excellents yeux pour ne pas les confondre et les prendre pour la même. Puisque la distinction est si embarrassante , n'essayons pas de la carac- tériser, et réservons cet office au pinceau qui s'en tirerait mieux que la plume. Le Martin-pêcheur. Piscivore et plongeur. Il appert de l'excentricité des habitudes et des goûts des deux ou trois gen- II. 23 .l'ii ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. res dont nous avons encore à décrire l'histoire , que l'ordre dc^ Sédipèdes touche à sa (in. Le Martin-pêcheur qui vit beaucoup pkis de poissons que d'insectes, est le dernier terme de l'ordre dans cette classilication pédiforme , et les genres Sitclle et Mésange que nous rencontrerons après lui sur la route de l'ordre voisin, sont des ambigus si prononcés que nous avons re- connu la nécessité d'en faire une classe à part, à ce titre, entre les Percheurs et les Grimpeurs. L'étrangeté de ce rapproche- ment du genre le plus voisin des Pics avec un oiseau plongeur à bec droit, paraîtra moins choquante quand j'aurai démontré par un fait que c'est la nature elle-même qui a créé ce rappro- chement dont je ne suis pas fautif. Il existe en effet une nom- breuse famille naturelle d'oiseaux que les savants appellent Jocamars ^ et ces Jacamars tiennent par tant de caractères aux Piverts et aux Martins-pêcheurs , qu'il est com])létement inij)os- sible de nier la parenté des deux groupes. Je n'ai pas le temps de discuter le fait , je le cite, cela suffit. Le Martin-pêcheur, qui jouit en France et dans tous les écrits des auteurs d'une immense ré|)utation de beauté , est un oiseau presque aussi remarquable par la disgracieusetc de ses formes que par l'éclat de son plumage. Son long bec caréné est beaucoup trop fort pour sa tailhi , sa tête aussi est trop volumineuse , sa queue trop courte , ses ailes trop arrondies. Il porte sur la tête une calotte bleu sombre marquetée d'écaillés bleu clair et ter- mince par un épais chignon d'où part , pour aboutir à l'extrémité de la queue, cette fameuse zone longitudinale aigue-marine dont l'éclat métallique motive suffisamment la célébrité de l'oiseau. Le reste du plumage n'a plus rien d£ bien merveilleux : Mous- taches vertes , gorge blanche , tout le devant et tout le dessous du corps d'un roux orangé vif. J'ai dit à l'alinéa qui précède le système de nidification du Martin-pêcheur et même la couleur de ses œufs. Cet oiseau n'est commun nulle part en France ; ce qui u'empê- che pas qu'on ne l'y rencontre partout, même aux bains Yigier du Pont-neuf, en plein cœur de la capitale. Il habile indifféremment les rives de tous les cours d'eau grands et petits bordés d'arbres et aussi rcllrs dos étangs, des i!)nchaics, des toiiihières. Ses doniourcs de i)rodilcciion sont les basses branches des oseraies et des saules qui pendent sur les (lots, et d'où il regarde passer les pc'.its |ioissons dont il fait sa nourriture, et qu'il est très-habile à prendre entre deux eaux. Aussitôt qui! aperçoit sa proie, il Tond dessus avec la rapidité de la balle , la saisit de son long- bec et revient la manger sur une pierre du rivage. Quebiuclois, il improvise un observatoire aérien, (û s'clevant à une hauteur de deux ou trois mètres dans l'espace , se maintient une demi- minute immobile à la même place , comme i'.VIouette devant son miroir, et pi(|ue de là sa tète sur le menu fretin. Quand il manque son coup , ce qui lui arrive quelquefois , ce qui nous est arrive à tous, si habiles chasseurs et pécheurs que nous soyons, il remonte vivement à son poste pour essayer de mieux faire. Il est beau de persévérance, de calme et de philosophie. Le Martin-pêcheur est facile à prendre à la raquette , à raison (le l'habitude où il est de percher sur tous les bouts de branches mortes (pii se détachent du fouillis de la verdure riveraine et font saillie sur le courant. La marcliette du piège lui offre pré- cisément les meilleures conditions de cette sorte de perchoir à lleur d'cciu, et la malheureuse bète .se hâte d'eu proliter. Je sais des pays où l'espèce a été complètement anéantie par l'emploi de ce procédé criminel. Le Marti n-pècheur n'est pas difficile non plus à surprendre, puisqu'il stationne fréquemment sdus les berges, d'où il est impossible qu'il voie venir le chasseur. Il a coutume de jeter un long cri d'alarme toutes les fois qu'il quitte son poste pour se rendre à un autre ; il fuit en ligne droite et rase de tout près la surface de l'onde sur laquelle on dirait qu'il trace un rapide sillon rouge et bleu. C'est un crime de le tuer, puisqu'il ne fait de tort à personne et qu'il charme les re- gards par l'éclat de ses couleurs et que sa chair n'est pas man- geable. Ce meurtre s'expliquait autrefois par l'importance ex- trême des propriétés qu'on attachait au corps de cet oiseau, qui passait alors pour prédire les changements de temps, pour in- diquer la direction du pôle par celle de son bec , et aussi pour préserver les draps de l'invasion des teignes. Il n'a p'us d'excuse 356 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. aujourd'hui que le Martin-pècheur empaillé peut être avanta- geusement remplacé dans le triple oftioe ci-dessus par le baro- mètre , la boussole , le camphre et le vétiver. Nops retrouvons dans cette croyance du peuple à la sensibilité barométrique du Martin-pêcheur les traces d'une tradition an- tique et solennelle consacrée par la poésie d'Ovide et l'une des plus charmantes histoires de la mythologie grecque. Il paraît donc qu'autrefois le Martin-pècheur, qui s'appelait alors l'Alcyon, jouissait du curieux privilège de poser son nid sur la mer, à la surface même des flots. Or , comme il fallait que la mer fût très- douce pour que l'embarcation ne chavirât pas, et comme l'oiseau avait besoin de trois semaines au moins pour parfaire toutes ses opérations de ponte , d'incubation et d'éducation des jeunes , les Dieux avaient décidé dans leur sagesse de lui accorder chaque année cet intervalle de calme plat. Ils lui avaient de plus attribué le don de prévoir à heure fixe la venue de ces jours pacifiques que les marins appelaient les jours Alcyoniens. Natu- rellement il s'était trouvé beaucoup de gens de bonne volonté pour être témoins de la construction et de la mise à l'eau du nid de l'Alcyon, de même qu'il se trouve de nos jours des Ro- sette Tamisier et de bons gendarmes pour être témoins de phé- nomènes non moins miraculeux. Plutarque fut un de ceux qui virent l'Alcyon travailler. L'Alcyon commençait, comme nos ingénieurs de marine , par construire la charpente de son em- barcation à terre. Cette charpente était composée des arêtes d'un certain poisson qui étaient reliées entre elles par un mastic doué d'une imperméabilité supérieure à celle du caoutchouc, mais dont le secret est perdu. La construction avait l'apparence d'une chambrette ronde assise dans un canot , et les construc- teurs, avant de la lancer pour tout de bon, avaient soin de la mettre à l'eau une ou deux fois pour l'essayer et voir si elle n'embarquait pas la lame; puis, quand elle était en état, et que le moment favorable était venu , ils la livraient sans crainte à la merci des flots et à la protection de Neptune. Une seule chose ntrigue l'historien dans toute cette afl'aire, c'est de n'avoir jamais pu surprendre la manière dont la couveuse s'introduisait SÉDIPÉDES. 3Î)7 dans son domicile. C'est bien le cas de répéter avec le sage que l'homme n'est jamais content. Je n'aurais vu que la moitié des phénomènes dont Plutarque eut la chance d'être témoin oculaire, que je m'estimerais déjà suflisamment heureux. Il est difficile aujourd'hui de vérifier si Plutarque et les autres ont dit toute la vérité et rien que la vérité en tout ceci, puisque, depuis un temps immémorial, les Martins-péchcurs ont renoncé à l'habitud»- Je nicher sur les flots de la mer pour adopter le système de la ni- dification à huis-clos dans le sein de la terre; mais j'avoue néan- moins que cette histoire des faits et gestes de l'Alcyon racontée si naïvement par Plutarque n'a pas peu contribué à invalider pour moi le témoignage de l'illustre écrivain relativement à la continence de Scipion. Du reste, il nous faut reconnaître, à la justification de Plutarque , que beaucoup de naturalistes mo- dernes et des plus éminents même ne paraissent guère mieux renseignés que lui sur la nidification du Martin-pécheur. C'est ainsi que François de Neufchâteau , personnage consulaire mort en 1828, en plein dix-neuvième siècle, affirme encore à son heure dernière que cette espèce fait son nid sur les saules , ver- sion qui n'est pas plus vraie que l'autre, et qui est moins amu- sante. Ceux qui sont forts en mythologie savent pourquoi les Dieux avaient concédé à l'Alcyon le privilège de bâtir sur l'eau et le don de prévoir le beau temps. C'était pour le récompenser de sa vertu et d'avoir été parmi les hommes un modèle parfait de tendresse et de fidélité conjugale avant de subir sa métamor- phose en oiseau. Groupe ambigu. Omnivoric. Deux genres; neuf espèces. Il a été établi précédemment que l'ambigu était la charnière naturelle, le trait d'union, et pour mieux dire encore l'accolade des séries voisines, et que celui qui négligeait de s'en servir, dans ses opérations de classement des espèces , était semblable à un explorateur des catacombes de Rome, qui aurait eu le malheur 3o8 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. de perdre sa ficelle et ne pourrait plus reconnaître, à travers les nombreuses routes du dédale, celle par où il était venu. J'ai dé- montré que cette situation perplexe était celle où se trouvaient aujourd'hui nos plus fameux généalogistes d'oiseaux qui, pour avoir hublié de tenir compte des indications de la nature relati- vement à la nécessité de l'intervention de l'ambigu , avaient vu toutes leurs classifications dérailler faute de tenons et se culbuter l'une sur l'autre : celle de Bull'on sur celle de Linnœus; celles de Latham et de Cuvier su celle de lîuffon ; celle de Temmynck sur le tas ; spectacle lamental>lo. J'ai dit enfin qu'un des plus sûrs moyens d'éviter pareille malencontre était d'abandonner d'aljord ^a voie dangereuse suivie par ces illustres maîtres, puis de pro- céder à l'égard de leurs systèmes par la méthode logique de l'Ecart absolu. Ainsi ai-je lait dans l'espèce. L'Omnivorie est, de tous les caractères d'ambiguïté, le plus saillant et le plus fécond en anomalies de tout genre. Or l'Omni- vorie était le titre de la Sitelle et de la Mésange. Je me suis donc autorisé de cette donnée pour retirer cas deux genres des posi- tions ridicules qu'ils occupent dans toutes les classifications offi- cielles et pour les réintégrer dans leur poste normal de moules de transition des Percheurs aux Grimpeurs. Croiricz-vous qu'ils ont bien eu le iront de me loger la Mésange entre l'Ortolan et l'Alouette ! Auprès de l'Ortolan des vignes, la Mésange, le plus amer, le plus sec, le plus ingrat de tous les rôtis peut-être ! Auprès de l'Alouette , coryphée des célestes concerts , inno- cente et joueuse, la Mésange un petit monstre de perversité et de s'^élératesse, (jui mange la cervelle à ses sœurs, donne sur la charogne et siflle comme la vipère. Auprès de l'Alouette au long pouce rcctiligne inhabile au per- chement et à la préhension... la Mésange au long pouce crochu , un grimpeur armé de grilTettes d'oiseau de proie , de véritables mains ! Mais voyons un peu si nos deux genres sont timbrés , comme j'ai dit, du cachet de l'ambiguïté. SÉDIPEDES. 339 Genre Silelle. lue espccc. La Sitclle , qu'on appelle aussi le Torchepot , a le pied bâti comme tous les Sédipèdes: trois doigts devant, un derrière; seulement ce dernier doigt en vaut presque deux autres , tant il est large et fort et surtout bien ongle. La Sitelle est friande de chènevis, de noix et de noisettes, appétit qui la rapproche des granivores et notamment du Coccothraustes (gros bec). Elle bâtit en ciment comme les Hirondelles, et vit principalement d'insectes percebois, par quoi elle touche aux insectivores. Pour le reste, c'est un vrai grimpeur à bec droit taillé en ciseau, et qui passe sa vie à évoluer circulairement après le tronc des vieux arbres , à la façon des pics , tapageant sans cesse comme eux du larynx et du bec. Voilà certainement plus d'anomalies qu'il n'en faut pour constituer une ambiguïté très-tranchée; mais le caractère d'ex- centricité ou de monstruosité appartenant en propre à la SitelJe et qui m'impose la loi de la loger à part en cette classification, est son amour désordonné du suif ou du gras de cadavre. Je ne connais dans toute la nature vivante que deux bipèdes , la Mé- sange et le Cosaque', qui poussent aussi loin que lui la passion de cette substance odieuse. La Sitelle est plus voisine des Pics que la Mésange, par toutes ses allures et par la force de son bec; cependant, deux raisons d'unehaute valeur m'ont déterminé à la laisser au tenon inférieur de la charnière. La première de ces raisons est la parenté de cou- leur de ce moule avec le Martin-pêcheur et le Guêpier. La se- conde , est que nous avons décidé que le pied prenant (la main) occupait les gradins les plus élevés dans le règne des oiseaux comme dans celui des mammifères. Or, la Mésange a le pied prenant , presque la serre de l'oiseau de proie. 11 me reste peu de chose à dire sur le compte de la Sitelle. C'est un oiseau doué de grands moyens comme grimpeur, 560 ORNITHOLOGIE PASSlOiNNELLE. comme maçon et comme charpentier. 11 parcourt l'arbre en tous les sens et manie aussi habilement la truelle que le ciseau et la bisaiguë. Il ne mancjue pas non plus de courage ni d'initiative et donne à la pipce. La Sitelle n'a pas besoin d'attendre après le tra- vail des autres pour se faire un chez soi ; et elle n'est pas plus em- pruntée que le Pivert pour se tailler un domicile dans le sein du tremble ou du chêne. Seulement elle aime mieux que l'Epeichc ou quelque autre piocheur de la tribu lui ait mâché la grande besogne de l'évidage de l'intérieur, pour qu'elle n'ait plus qu'à donner une dernière façon de retrécissage à la porte. Bien en- tendu que quand c'est elle-même qui se charge du devis et de l'exécution de sa bâtisse , elle a grand soin de n'accorder à cette baie que des dimensions raisonnables. La Sitelle est un parfait modèle de l'ouvrier en bâtiment, habile à se tirer d'affaire et à faire flèche de tout bois. C'est un gai compagnon de travail , mais qui chante trop haut et dont l'entrain assomme. La Sitelle est curieuse à voir travailler à la perforation et à l'exploitation d'une noix ou d'une noisette. Elle commence par l'assujettir fortement dans l'étau de deux branches et la pioche ensuite vaillamment de son ciseau pointu jusqu'à ce qu'elle ait percé la cuirasse rebelle, après quoi elle la vide, en s'encoura- gcant de la voix. Les Anglais lui ont donné pour cette cause un nom qui vaut mieux que Torchepot et qui veut dire hache noix. La Sitelle mise en cage n'y reste pas longtemps, pour peu qu'elle ait ses coudées franches ; car si la muraille de sa prison n'est qu'en bois, elle n'en a que pour quelques heures à y prati- quer une issue suffisante pour lui livrer passage. On l'a vue essayer de percer un obstacle en pierre et se casser le bec à cette ten- tative insensée. La Sitelle ne chante pas, elle crie. Genre Mésange. Huit espèces. L'ambiguïté est plus accentuée encore chez la Mésange que chez la Sitelle; car c'est le seul des oiseaux percheurs et chan- SÉDIPÉDES. 361 leurs qui soit infecté du vice d'Infanticide et de Cannibalisme, le seul qui donne sur la charogne , le seul qui ait les pieds pre- nants, le seul qui t/tcsaurise. Ajoutez à cela qu'elle fait plus d'une ponte par an malgré sa fécondité prodigieuse, qu'elle grimpe , qu'elle marche et qu'il ne lui manque plus que de savoir plonger pour jouir de la faculté de locomotion omnimode. Dites- moi maintenant dans quelle catégorie de mangeurs vous classe- riez une échenilleuse qui adore le suif, le chcnevis, le mollus- que, l'abeille, la semence de charme et la cervelle de rouge- gorge! Assurément que jamais espèce n'a mieux mérité que celle-ci le titre d'ambiguë. Les Mésanges forment la dernière tribu de l'ordre des chanteurs. Ce sont de petits oiseaux de grand courage, vifs, bruyants, hargneux, querelleurs, qui voyagent par compagnies ou plutôt par familles. Ils ont pour principaux caractères un bec coni- que, court et robuste, à mandibules tranchantes, des doigts armés d'ongles recourbés semblables à ceux de l'oiseau de proie et doués de la faculté de préhension. Georges Cuvier, Tem- mynck et les autres les divisent ordinairement en deux genres comme les Fauvettes. Ils appellent s?//mEUb:S. Ifl trueux, les becs ridicules des Toucaus, des Aracaris; nouvelles séries , nouveaux noms. Je me borne à indiquer cette voie de di- vision pour les naturalistes dont les travaux embrassent la géné- ralité des espèces ; la pauvreté de la jugipédie française me dis- pense de creuser ce sujet plus avant. La subdivision par groupes n'est pas moins curieuse. Il y a des langues elîih'es et pointues qui ressemblent à de longs ser- pents ou k des javelines dont le manche serait en caoutchouc et jouirait de la propriété de s'allonger indeliniment; puis les lan- gues larges, courtes , épaisses, propices à la répétition du verbe humain; puis les langues impossibles, langues en corne, lan- gues en plumes et en plumes de couleurs variées ressemblant à des empennures de flèches de sauvages que l'oiseau serait en train d avaler. Mais ce travail encore une lois ne me regarde pas , puisque je n'ai ici que trois genres à classer , et trois gen- res dont l'histoire sera courte, attendu que sur ce nombre, deux se réduisent a une espèce unique (Torcol, Coucou , et que le troisième, celui des Pics, se compose de cinq espèces dont les mœurs, les allures, le régime et le ton sont tout à fait sem- blables et ne veulent qu'une seule nolice. Comme il m'a paru encore complètement inutile d'exposer les caractères généraux de l'ordre en l'absence d'un nombre de té- moins suffisants pour valider mes dires, je me suis naturelle- ment afl'ranchi de cette tâche ingrate. A bien prendre, du reste, je ne vois guère que l'amour désordonné des insectes et du ta- page qui soit un caractère commun à nos trois genres. Le Torcol niche bien dans les trous d'arbres et pond bien des œufs blancs vernissés comme les Pics, mais ces habitudes n'ont rien de commun avec celles du Coucou qui est trop grand seigneur pour se donner la peine de se construire un nid et d'élever sa famille. Ainsi point de caractères généraux d'ordre dans le petit nombre d'espî'ces de la jugipédie indigène. Seulement la similitude de conformation de la langue nous fournit un caractère de parenté très-accusé entre le Torcol et les Pics. Genri2 Torcol. Espèce unique. J'ai placé le Torcol à l'avant- :{.S2 OI{.MTnOLO(ilt PASSIONNELLE. garde de l'ordre , parce que cet oiseau singulier se rapproche un peu de la Mésange par la forme de son bec droit, conique, tron- qué; ensuite et surtout, parce (pie les deux espèces m'ont sem- blé se tenir par un lien mystérieux. Tout est plein de mystère, en eflet, dans l'histoire du Torcol, et il est nécessaire de se pé- nétrer à fond de la substance du traité de la Théorie des Hessem- blanccs pour avoir l'explication de cet hiéroglyphe emplumé. C'est un petit oiseau de la taille de l'Alouette, porteur d'un manteau gris d'une etolTe distinguée, striée et écussonnée de lines zébrures. 11 arrive en France au mois d'avril et en repart vers la fin d'août. Comme l'époque de ses voyages coïncide avec celle des migrations du Coucou , on a cru autrefois dans certains pays du Nord que le Torcol était le mâle ou la femelle du Coucou, Le Torcol niche dans de vieux trous d'arbre perforés jadis par les Pics et dont il a soin de rafraîchir chaque année les pa- rois intérieures par un léger travail de repiquage. La poussière ([u'il fait tomber dans le fond du nid par cette opération forme une couche qui lui paraît assez luxueuse pour sa famille, puis- qu'il ne cherche à en augmenter l'élasticité ni la mollesse par aucune addition de matériaux plus doux , plus chauds , plus con- fortables. Sa ponte est de six à huit œufs; ces œufs, comme je l'ai déjà dit, sont blancs et vernissés comme ceux des Pics et des Martins-pècheurs. Le Torcol est un grand consommateur de fourmis et de che- nilles , qui se tient perpétuellement sur la lisière des bois en plaine ou en colline et qui préfère le séjour des vergers et des jardins de l'homme aux sombres profondeurs des forêts, il ne huit pas de tapager au printemps, quand il passe l'inspection des cavités des ponmiiers ou des chênes pour choisir un domi- cile; il devient plus- discret lorsque son choix est fait. Son cri ressemble plus aux clameurs de l'Épervier et de la Cresserelle qu'à un chant harmonieux. Ceci est l'histoire du Torcol, telle qu'a du l'écrire Temmynck, un récit simple et nu, dépouillé d'artifice, pris sur un sujet em- paillé. Mais ce Torcol n'est pas celui de l'auteur de la Théorie des ressemhlano/ti^ ni le mien. Un joli mimteau gris, historié de JUiîiPÉOES. ;!s.{ zébrures noires , peut iHrc pour le coinniun des naturalistes un manteau gris tout court ; pour le savant chercheur des effets et des causes, comme pour i'analogiste passionnel, c'est quelque chose de plus. Cette robe tigrée là est faite d'une étoffe de vipère. Or, cette ressemblance dans les goûts de toilette doit couvrir de mystérieuses allinités morales entre le reptile et l'oi- seau, et le savant et I'analogiste ont besoin de pénétrer le se- cret de cette similitude. II ne tombe pas, en eflet, sous le sens (ju'un oiseau aille emprunter sa robe à un reptile sans mauvaise intention. Quel est donc ce mystère ? ('e mystère est tout simplement que le semblable produit son semblable, en de|)it de toutes les distances des règnes, ainsi que l'a démontré jus([u"a l'évidence le seigneur Da Gania Machado. Ce mystère est ([ue le besoin d'imiter la vipère en toutes ses allures est une des manies du Torcol; manie bizarre et qui ne s'explique que comme conséquence naturelle et fatale de la noire zébrure de sa robe. Quand le Torcol est maîtrisé par une émotion vive, quand il veut plaire à sa femelle ou bien intimider le tendeur qui vient le détacher du piège, il roule des regards féroces , darde sa lan- gue immense, dresse sa queue à l'instar du reptile, et son col se recourbe en replis tortueux de tous les côtés de son corps... Quand un ganjin grimpe à son trou pour lui dérober ses petits, il pousse du fond de sa retraite un sifflement d'aspic si aigu , si horripilant, qu'il est rare que le ravisseur n'en soit pas désar- çonné d'effroi et ne redescende pas de son arbre plus vite qu'il n'y est monté. Les Anglais qui aiment mieux les bètes que nous et qui les observent plus iinement, ont donné au Torcol , en raison de ses habitudes de singeries vipérines, le nom d'oiseau-serpent [make-hird. prononcez snèrjue-beurde en mâchant Vr). Oiseau- serpent vaut mieux l{.MTII(>LO(ilE l'ASSlONiNELLi:. par le bec et un peu par cette habitude d'imiter le sillleiiient de la vipère, que j'ai avoisiné les deux genres en cette classifica- tion ; mais il faut bien reconnaître que le talent d'imitation du Torcol est complètement supérieur à celui de fa Charbonnière. C'est-à-dire que le sibilenient de l'aspic sur leiiuel vous venez de marcher, ne vous fait pas plus froid, ne vous paralyse pas plus rapidement la pensée et les jambes que celui du Torcol. Aussi devons-nous être indulgents à la poltronnerie du gamin de tout à l'heure (jue nous avons vu redescendre (juatre à quatre les escaliers de son arbre. D'autant mieux qu'il n'est guère de chercheur de nids passionné à qui il ne soit arrivé quelquefois de saisir un serpent en croyant mettre la main sur des œufs de merle. Or la sensation que vous fait éprouver, quand vous êtes sensible, le contact imprévu et glacé de cette chair de reptile est di celles qu'il faut avoir goûtées pour les bien comprendre et qui vous laissent jusque dans les plus lointains souvenirs d'alfreux frissonnements. On sait que les serpents qui ont tou- jours froid recherchent les chauds séjours, comme les nids du- vetés des oiseaux , lesédredons, les matelas et les couvertures de laine, scit pour s'y établir, soit pour y déposer leurs œufs. Il y a même telles contrées d'Afrique ou d'Amérique où l'on con- sidérerait comme une imprudence grave d'entrer dans son lit ou dans ses bottes , avant d'avoir passé une inspection minutieuse de ces demeures et regardé si elles ne recèlent pîis quelques hôtes dangereux. Mal en advint une fois à l'un de mes amis qui habitait temporairement la province de Sainte-Catherine au Bré- sil d'avoir omis cette sage précaution. Une femelle de serpent de la plus abominable espèce avait y^rolité d'une de ses absen- ces pour s'insinuer dans sa paillasse et y faire sa ponte, et lui, de retour, avait couvé les œufs sans méliance aucune, si bien qu'une belle nuit, l'infortuné s'était trouvé littéralement envahi, débordé par un épouvantable essaim de jeunes serpenteaux qu'un sentiment de reconnaissance tout naturel attirait vers le doux foyer de chaleur (jui leur avait donné l'être. Mais hàtons-nous de prévenir le lecteur que le Torcol est un oiseau de mœurs innocentes, et qui ne fait le serpent et ses au- JUGIPÉDES. 38";; très grimaces que pour sa défense personnelle et l'amusement d' autrui. Je ne connais guère d'analogie plus facile à saisir que celle-là. Elle découle pour ainsi dire de chaque détail anatomi- que du moule et de chacun de ses faits et gestes. La langue du Torcol semble un immense lombric caché dans une gaine élastique. Elle est armée d'un dard et se détend pour piquer sa proie avec la même prestesse que le monstre d'une boite à surprise. Elle est enduite de glu pour engluer tout ce qui l'ap- proche et l'oiseau l'introduit dans les fourmilières ou l'étalé sur la voie publique pour ramasser les insectes passants. Tout le monde a entendu parler de la vcntriloquie, qui est un art de mystifier les gens en leur faisant accroire que la voix qui les appelle vient d'en haut, tandis qu'elle vient d'en bas. Les Torcols goûtent fort ce genre de plaisanterie. Ainsi vous entendez un grand bruit sortir par un trou d'arbre , en vous promenant dans les bois , vers la fin d'avril ; machinale- ment vous portez vos regards à la hauteur de l'ouverture d'où semble provenir la voix , afin de voir par corps la bête qui fait tant de tapage. Mais le tapage recommence et l'oiseau ne paraît pas. Alors vous vous piquez au jeu ; vous attendez une demi- heure, une heure sans en apprendre plus. A la fin le bruit cesse, et vous voyez rôder et fureter près de vous, au plus bas des buissons , un oiseau gris et silencieux qui a l'air de vous ren- contrer par hasard et qui se montre très-surpris de votre pré- sence. Or, cette Sainte-Nitouche d'oiseau gris qui joue si par- faitement le silence et la surprise est le ventriloque qui vous a tout à l'heure si vivement intrigué, il était caché tout près de vous dans le fm fond de la chemin?^ du chêne creux d'où il fai- sait monter sa voix par l'orifice supérieur, ce qui vous a trompé sur le lieu de naissance du son, et il s'est échappé de son manoir ténébreux par quelque poterne inférieure , tandis que vous le cherchiez en l'air. Il est venu ensuite flâner autour devons pour regarder si sa farce avait été bien jouée et si vous y aviez été pris. Doutez-vous de l'identité du personnage silencieux du dehors et du tapageur ventriloque du dedans? vous avez un moyen bien facile de vous édiiicr complètement à cet égard. 38G OUMillOl.oCIK I'ASSIU.NNKLLL:. Demeurez caché là où vous êtes, derrière un paravent quel- con(|ue, etaycz la patience d'attendre encore une heure ou deux, vous verrez votre industriel rentrer dans son établissement pour recommencer sa parade. 11 n'y a pas d'oiseau qui fasse plus de bruit que le Torcol au moment de la pousse des feuilles. En ce temps-là, on n'entend que lui vociférer et cressereller à toute heure du jour et partout, par les lisières des champs, par les haies , par les bois , les futaies , les vergers , les pâquis plantés d'arbres creux, de saules vermoulus; on l'entend, mais on ne le voit pas. Le Torcol sait aussi se pendre par les pieds comme la Mé- sange au plafond de sa cage et exécuter quelques tours de sou- plesse; mais il manque de vigueur dans les articulations. Par exemple , il peut bien s'accrocher en volant à un tronc d'arbre pour fouiller tel quartier d'écorce , mais il lui est interdit de s'enlever de cette place à une autre , à la seule force des poi- gnets, comme le Grimpereau , la Sitelle et les Pics. Sa queue non plus n'est pas assez rigide pour lui servir de point d'appui en ses ascensions. L'extrême facilité que le Torcol trouve à vivre largement sans rien faire et en se bornant à étendre sa langue sur le pas- sage des fourmis , finit par le rendre paresseux , lourd et obèse vers la fin de l'été, où il serait susceptible de faire un excellent rôti, n'était la funeste habitude qu'il a de se musquer à forte dose comme la Tourterelle et la Huppe. Qui n'a reconnu dans l'étrangeté significative des allures du Torcol , l'emblème du charlatan de la place publique, qui s'in- génie à captiver la foule par ses tours , ses grimaces et ses con- torsions , qui parle de l'estomac, imite la voix des animaux les plus terribles (oiseaux de proie et vipères), englue son public par l'éloquence du boniment, tend son escarcelle sur tous les car- refours et s'engraisse quelquefois aux dépens des badauds ? .JLCIPtOES. 3S7 Tribu des Pics. VAiu\ espèces. Je connais peu d'histoires plus faciles à conter que celle de la tribu des Pics, et pourtant je n'en sais guère que les poètes et les historiens de tous les pays et de tous les âges aient plus défi- gurée. Je vais essayer de l'écrire en dix lignes; je ne serais pas embarrassé de la faire tenir en quatre mots pour un analogiste. Jugipèdes; grimpeurs; calotte rouge ardent, bec en coin, langue anguiforme, rétractile, armée d'un dard pointu à son extrémité; queue étagée, formée de dix ou douze baguettes rigi- des , usées par le frottement. La vie des Pics est attachée aux troncs des arbres autour des- quels ils circulent perpétuellement de bas en haut , jamais de haut en bas , tàtant l'arbre à coups de pioche et sondant tout<;s les fissures et toutes les cavités, pour y saisir les larves perforeu- ses dont ils font leur régal. Ils descendent fréquemment ù terre pour cueillir les fourmis, et s'amusent quelquefois à casser des noisettes. Grands conservateurs des forêts par la guerre qu'ils font aux insectes , mais grands ennemis des vieux arbres par les trous qu'ils y creusent. Enclins à la gaieté et à la grosse farce, philosophes en amour, mais beaucoup trop bruyants, trop mai- gres , trop coriaces. Voilà l'histoire de la tribu des Pics , telle que je la savais à quinze ans , telle que les historiens oSiciels des bêtes pourraient la savoir à soixante. J'admire que tant de génies immortels, les auteurs de la Mythologie grecque entre autres et le saint roi David et l'éloquent Buffon , qui ont parlé du Pic, aient pu errer aussi fortement qu'ils l'ont fait sur un sujet aussi clair et l'em- plir d'autant de ténèbres , quand il leur était si facile de se faire donner gratis par le premier venu des gamins de Lorraine, tous les renseignements ci-dessus. C'est que le savant et le saint sont deux genres difficiles à rallier à la vérité; le premier, à cause de sa fierté qui l'empêche de consulter les petits ; le se- cond , à raison de la ténacité de sa loi aux fables des légendes. 388 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Il y a, en effet, dans l'histoire des variations de l'esprit humain sur le compte du Pic à tète rouge, une légende catholique qui pourrait bien être la source de toutes les fausses opinions qui ont été portées sur la béte par les meilleurs esprits. La version de la mythologie païenne est plus innocente que les autres. Elle rapporte tout simplement qu'il existait autrefois en Italie un prince nommé Picus que les dieux avaient métamor- phosé en Pivert pour le récompenser de ses vertus. Elle ajoute que ce roi Picus était l'ami et le contemporain du bonhomme Évandre, le même qui fut si heureux de l'arrivée des Troyens dans sa patrie...., un bonheur, que je ne m'explique guère, n'ayant pu encore m'habituer à considérer le héros de l'É- néide comme le type idéal du voyageur jovial et agréable à voir. Énée était pieux mais aussi pleurnicheur, et j'augure mal de la puissance de jovialité d'un narrateur qui, parlant presque seul pendant douze grands livres , ne trouve pas môme l'occasion d'y placer un simple calembourg de la force de celui d'Ulysse. La croyance universelle où fut longtemps le monde , que le Pivert avait toujours le gosier altéré , fournissait également une explication plausible de la métamorphose du bon roi Picus, mais gardons-nous de condamner les mœurs d'un prince ami des dieux, sur d'aussi misérables conjectures. J'ai dit à l'article Pélican, premier volume de cet ouvrage, que le Pivert était le seul oiseau qui fût en droit de revendiquer la célébrité de l'Onocrotale, chanté par le saint roi David, cette bête dont la voix rappelle le braiment de l'àne et retentit dans la solitude du désert comme l'écho de l'ailliction suprême. II faisait sec et soif aux lieux où écrivait David , lieux émaillés de roches pointues , mais privés de sources d'eau vive et où les vallées n'ont point d'ombre. On reconnaîtra facilement à travers ce récit que c'est la tradition des Saintes-Écritures et celle de la Mythologie qui ont engendré la légende catholique , laquelle a engendré les contes de Bufl'on. La légende catholique est norwégicnnc ou saxonne, je ne sais plus lequel. La scène se passe en Angleterre ou à Dromtheim , en ces temps heureux d'ignorance ctdc naïveté oùruveuglcinont Jl'GIPÉDES. .189 de la foi ne vous empêchait pas d'être témoin oculaire d'un tas de prodiges qu'on ne voit plus aujourd'hui , môme avec les meil- leures lorgnettes. 11 y avait donc en ce temps-là et dans ce pays-là une vilaine femme nommée Gertrude qui avait l'habitude de se coiffer d'un béret rouge et qui était si méchante, si méchante, que son mari avait coutume de dire qu'il aimerait mieux l'Enfer sans elle que le Paradis avec. Or, un jour qu'elle était de pire humeur encore que de coutume , ayant à faire sa lessive, un voyageur dont le costume délabré annonçait la misère, et dont un large capuchon de bure dissimulait complètement le front auréolé, se présente au logis de la mégère et lui demande un verre d'eau pour étancher sa soif. Mais la méchante femme au béret rouge, au lieu d'accéder à la prière du pauvre voyageur, le traite de va-nu-pieds et de vagabond et le menaçant de son manche à balai, lui enjoint de déguerpir au plus vite. A quoi Notre Sei- gneur répondit , car c'était le fils de Dieu lui-même qui voyageait en ces parages : Gertrude, puisque tu as péché contre le senti- ment de charité dont j'ai ordonné la pratique à tous mes fidèles, et puisque tu as refusé un verre d'eau au pauvre voyageur qui avait soif , je te condamne pour expier ton crime à tirer la langue toute ta vie. — Et dans le même instant le corps de la méchante femme s'évanouit dans les airs et l'on vit à sa place un oiseau vert coiffé d'une calotte rouge qui s'échappait par la cheminée en grimpant avec un grand tapage. Et depuis ce temps-là le Pivert a toujours le gosier sec, affirme l'historien, et comme il ne peut boire à sa soif que lorsqu'il tombe une grande pluie, il n'a d'autre occupa- tion que de l'appeler sans cesse, ce qui le rend monotone. Je ne veux pas dire que l'histoire du Pivert par l'immortel Buffon soit la copie littérale de ce récit peu vraisemblable, mais il est bien certain qu'il l'avait lu quelque part et qu'il n'a fait que l'embellir des charmes de son style, en faisant aussi de la tribu des Pics une tribu de maudits, de damnés, de parias, condamnés par une sorte de fatalité œdipienne à gravir constamment le tronc des arbres, à végéter misérablement et à manger de la terre tous les jours de leur vie. Puis l'occasion était si belle de placer en regard du travail répugnant et de l'expiation imméritée 390 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. le spectacle des jouissances omnimodes réservées sans plus de raison aux élus par l'aveugle Destin , que le poëte s'est bien gardé de la laisser échapper. Donc, après avoir prouvé à ses lecteurs d'une façon à peu près irréfutable que si le bonheur nous rend heureux le malheur nous rend malheu- reux, le sublime écrivain les laisse en proie à des doutes affreux sur la sagesse des vues de la nature, à propos de ces prétendues misères des grimpeurs.... Je ne tiens pas à reprendre Buffon que j'admire et que j'aime de ses nobles et éloquentes erreurs, où l'homme se retrouve tou- jours sous les phrases brodées. Cette critique me répugne d'au- tant plus pour le quart d'heure qu'il semble que toutes les mé- diocrités scientifiques et littéraires du temps, les académiciens minores des diverses sections de l'Iùstitut et notamment les Im- mortels noceurs (\m. font le lundi dans les grands journaux poli- tiques, se sont ameutés depuis peu pour démolir la gloire du grand homme. Or, pour ne pas faire chorus de jappements avec ces espèces et pour ne pas m'user les dents comme elles à l'acier d'un génie de trempe supérieure, je laisse à Audubou l'améri- cain , à Audubon le plus patient et le plus exact de tous les observateurs de bètes de ce siècle , la triste tâche de relever et d'ensevelir dans la même tombe toutes les traditions errronées de la science, de la poésie et de la légende. (Le passage qui suit est extrait de la charmante traduction d' Audubon par Madame II. Loreau. Volume premier, chapitre du Pic aux ailes d'or.) « Il est toujours agréable de se trouver au milieu de gens pleins d'entrain et d'amabilité. Aucune société donc ne saurait être mieux accueillie dans la forêt que celle des pics. Écoutez, cher lecteur, le récit détaillé des habitudes du Pic aux ailes d'or. «Cette espèce que les Français de la Louisiane désignent sous le nom de Piqiœ-bois-jaune et à laquelle on attribue rarement la qualification de pic aux ailes d'or, sous laquelle le connaissent la plupart des naturalistes, est l'une des plus enjouées et des plus anuisantes qui se rencontrent on Amérique. » A peine le printemps vient-il rappeler ces oiseaux au devoir charmant d'amour, que leur voix qui n'a rien de désagréahletomhe .in.ii't:i>ES. :!!U (le la cime ardue des arbres morts, pour proclamer avec délices l'ouverture de la saison bénie. Leur lani>;age est un rire prolongé qui s'entend de très-loin et qui est l'bilarité même. Plusieurs mâles poursuivent une temelle, s'approchent d'elle et, pour lui démontrer la lorce et la sincérité de leur passion, courbent la tète, déploient la queue, virent de tous côtés, en avant, eu ar- rière, avec des mouvements et des gestes si comiques, qu'il fau- drait être doué d'un tempérament plus que morose pour ne pas être tenté de mêler sa gaieté à la leur. La belle poursuivie s'envole-t-elle sur l'arbre voisin, elle y est immédiatement re- jointe par ses cinq ou six prétendants qui s'empressent de re- commencer la précédente cérémonie. Mais pas l'ombre de jalousie ni de querelle entre ces beaux (pii l'ont de leur mieux pour mé- riter et obtenir la palme d'amour, mais qui se résignent philo- sophiquement à déguerpir et à se mettre en quête d'une autre belle quand la première a lait son choix. De cette façon, les pics dorés sont vite et heureusement appariés. Chaque cquple pro- cède immédiatement à l'excavation d'un tronc d'arbre et se hâte d'y percer un trou assez vaste pour contenir toute la famille, les deux travailleurs y compris. Le père et la mère travaillent à l'évi- dage de la pièce avec beaucoup d'adresse, d'ardeur et de plaisir. La femelle félicite joyeusement le mâle de son talent, à l'occasion de chaque copeau qu'il fait sauter en l'air. Puis, quand il est fa- tigué, c'est elle qui reprend la besogne, et lui, tout en se repo- sant, lui tient de passionnés discours. De cette façon de travailler le temps passe vite, et la construction du domicile conjugal est promptement achevée. C'est alors que le moment est venu de se parler d'amour, plus sérieusement que jamais... Avant la fin de la quinzaine, la femelle a pondu ses cinq ou six œufs, dont la blancheur et la transparence font la joie de son cœur, et s'il suHlsait d'élever une nombreuse famille pour posséder le secretdu bonheur, on pourraitdire queles Picssontaunombre des oiseaux les plus heureux du monde, car ils font deux couvées par an. D'où vous pouvez conclure qu ils Font communs en Amérique. Môme en captivité, le Pic ne se laisse pas abattre ; il continue à bien manger (comme en liberté) et po-.ir se distraire de ses 392 OKM'IHOlAXilE PASSIONNELLE. peines, il perce et déchire en un jour autant de meubles qu'un Lon ouvrier en pourrait réparer en deux... » Ne croyez donc pas plus longtemps, lecteur, que les Pics, je parle de ceux d'Amérique, soient comme on les a représentés jus- qu'ici des créatures stupides et misérables, totalement déshéritées du ciel ; car sur les dix-sept espèces qui habitent nos forêts, je n'en connais pas une seule dont la vie ne soit aussi joyeuse que celledu Picdoré. Ils rendent de véritables services, et comme leur chair n'est pas très-savoureuse, ils ne sont guère chassés que par des amateurs oisifs. Ils possèdent un parcours immense et dans toutes les saisons, ils trouvent eu quelques lieux qu'ils se posent la nourriture qu'ils préfèrent. » Ce tableau véridique est un peu différent, hélas ! de celui de Buffon ; mais il est si difficile de savoir ce qui se passe sous les voûtes des forêts et dans le fond des trous d'arbres à qui ne peut sortir de son cabinet d'étude où le retiennent cloué les devoirs de sa charge et la passion des manchettes de dentelle, qu'en vérité la discordance des deux opinions ci-dessus n'a rien qui me surprenne. J'ai reproduit, en grande partie, l'histoire du Pic aux ailes d'or d'Audubon, parce que cette histoire est celle de tous les Pics de l'univers, et p'articulièrement celle des Pics fran- çais dont l'excessive gaieté m'a toujours plus déplu que leur mélancolie. Celui des oiseaux de cette tribu, que nous appelons le Pivert et qui porte un costume de perroquet vert-jaune, est en effet le plus bruyant de tous les oiseaux de nos forêts avec son cousin le Torcol. Et sa gaieté ne se manifeste pas seulement par ses vociférations désagréables, elle se trahit encore dans .ses gestes, elle perce en ses espiègleries. Quand un Pivert vient de s'accoler au tronc d'un peuplier et qu'il vous aperçoit, son premier mouvement n'est pas de fuir, mais de tourner comme l'écureuil autour de la branche pour vous inviter à tourner après lui ; puis, à mesure que vous avancez, il continue à décrire sa circonfé- rence, et si vous vous arrêtez, il aventure le i)out du bec de votre côté pour vous regarder faire. Quand les petits commencent à grimper hors du nid, ils exécutent autour de leur tronc paternel une série de manœuvres en spirale de l'eUet le i)lus jovial et le JUGIPEDES. 393 plus pittores(|uo. Le peuple est persuadé qu'aussitôt que le Pivert a frappé un bon coup dans un endroit quelconque de l'arbre qu'il travailllc, il court de l'autre côté pour voir si son bec passe. Cette opinion est encore un préjugé comme celle qui attribuait à cet oiseau la faculté de découvrir une herbe qui coupait les bar- reaux de fer des prisons, comme le diamant le verre. Le pivert, quand il a frappé en un lieu qu'il croit habité et qu'il n'entend personne répondre à son appel, se dirige vers les autres côtés de la place, pour voir si les insectes qu'il a mis sur le qui-vive ne tenteraient pas de s'évader par une porte dérobée et quand ils ont un peu de peine à passer dans leurs couloirs obscurs, il les darde avec sa langue, un instrument armé d'un dard dont j'ai dit à l'article Torcol, l'incommensurable longueur, la vigueur, la flexibilité. Mais comme l'analogie passionnelle vous aurait raconté tout cela et bien d'autres choses encore en un moindre nombre de lignes! Grimpeur à calotte rouge! .... Je répète que l'histoire détaillée de tous les pics de tous les mondes peut s'écrire avec ces quatre mots. Car enfin, aucun naturaliste, et pas plus Audubon que les autres, n'a dit encore le pourquoi de cette calotte rouge et de ces ascensions éternelles et de cette voix lamentable qui clame dans le désert [vox clamant/ s in deserto). Or, où seraient l'in- térêt et le charme d'une science qui ne révélerait pas le fond de ces mystères? La légende catholique a bien essayé de tirer la calotte écarlate du Pivert du chaperon rouge de la mauvaise femme; mais cette métamorphose n'est pas un fait prouvé... Et puis quelle différence entre cette explication et celle de l'Ana- logie passionnelle ! Les Pics sont les emblèmes de la bruyante corporation des tra- vailleurs du bois, bûcherons, menuisiers, charpentiers, tonne- liers, etc., qui tiennent en mains le maillet et l'équerre et fêtent la Sainte-Anne. Voilà pourquoi ils font tant de tapage , si l'on tient à le savoir. Les sons désobligeants qu'ils tirent de leur larynx ébréché en crécelle sont plus semblables au braiment de l'âne qu'aux doux :m <»i{.Miii()i.m:i.i.i^. cinbk'inos de la lidélité conjugale (monogamie), l'eût choisie plus tard pour porteuse d'un décret de polygamie ! Toute loi religieuse «|ui statue la polygamie, c est-à-dire qui |)ermet l'intidélité au mari en l'interdisant à la femme, est une loi contre nature, absurde par conséquent, et inexécutable. Voilà ce que dit le bon sens, et ce que l'histoire conlirme. Maintenant, la loi matrimoniale civilisée, pour être ])lus hu- maine dans sa lettre que la barbare et la patriarcale, ne l'est guère plus dans son esprit; car elle aussi excuse et encourage l'infidélité du mari, et elle fait du droit de paternité légitime un privilège pour le riche. Or, tout le monde sait que les voies de la richesse sont pavées de souillures, et que cette richesse, (juand elle ne provient pas de l'invention ou de l'héritage, est dix-neuf fois sur vingt le partage des sots, des vieux ou des in- firmes, de ces pauvres d'esprit et de cœur qu'on appelle gens rangés parce qu'ils n'ont pas une seule noble passion à nourrir, et que le vide de leur cervelle les laisse tout entiers aux choses de la rapine, du tralic et de l'usure. Un malheureux ouvrier que son propriétaire était sur le point de faire exécuter pour défnut de payement d'un terme de quarante francs, s'elforçait d'atten- drir le Crésus inhumain par la peinture de sa détresse, qu'il op- posait naïvement à la richesse de son créancier. — Riche tant que vous voudrez, répondit l'autre, mais je ne le serais pas si j'avais écouté les pleurnicheries de toutes les mauvaises payes... D'où il suit que la possession légitime des plus charmants échantillons du sexe revient quasi-exclusivement aux sans cœurs et aux mal bâtis, ce qui est manifestement contraire aux vouix de la nature, qui créa de tout temps les jeunes et les belles pour les jeunes et les beaux. Puis il faut dire aussi que la civilisation, qui est la pha'^e de déclin et de décrépitude de la période la plus douloureuse de l'humanité, abonde en institutions politiques, re- ligieuses et autres nécessairement hostiles à l'amour. Qu'il me suflise de citer dans le nombre ces lois de recrutement si anor- males, si outrageantes pour la raison et pour l'espèce humaine, qui prélèvent chaque année sur la génération nouvelle l'élite et la fine fleur des jeunes hommes pour les envoyer à la mort, laissant JUGIPÈDKS. 4 1 1 à la charge du reste le soin de continuer la race... Comme si le premier mouvement du bon sens et la première inspiration de la nature ne prescrivaient pas de suivre ici une marche totalement opposée, c'est-à-dire de garder exclusivement pour le service marital , le plus sacré et le plus important de tous, tout ce qu'on avait de mieux, de plus sain et de plus solidement établi en fait de mâles, et de se débarrasser du reste en faveur de la guerre ou du célibat monastique. Ainsi font en effet chaque jour les habiles praticiens en horticulture, qui gardent exclusivement les plus beaux sujets pour la graine et emploient le reste à autre chose. Ainsi font les ministres éclairés qui cherchent à encourager l'amélioration des bètes de boucherie et de somme en allouant des primes fabuleuses aux plus magnifiques étalons. Mais alors, se demandera-t-on, pourquoi l'idée n'est- elle ja- mais venue aux sages qui gouvernent les empires d'appliquer à l'amélioration de leur propre espèce le système qui leur réussit si bien à l'égard des chevaux et des bètes à cornes? C'est que les gouverneurs des empires savent parfaitement, hélas ! que les grandes nations sont bien plus difficiles à manier (juc les petites , et qu'ils ne peuvent pas raisonnablement agir contre leurs intérêts en poussant par des primes à l'élé- vation de la taille chez leurs administrés. Contemplez la nation française, si ingouvernable, si remuante, il y a soixante ans; si calme, si paisible, si altérée d'ordre et de repos, aujourd'hui que la taille de nos conscrits a perdu plus d'un pouce sur celle de leurs pères. Mais que la foule satisfaite admire en cette con- version la sagesse des sages, moi qui ne suis pas de la foule et ne partage ni ses peurs ni ses admirations pi ses haines, moi qui rae consolerais facilement d'être seul à avoir raison dans mon siècle, je continue à tenir que la race des humains d'Europe, ravagée, déshonorée, flétrie par six mille ans et plus de fana- tisme, d'esclavage et de misère, décimée tous les ans par quel- que épidémie nouvelle, empoisonnée k la tâche par les falsifica- tions du commerce libre et saignée à blanc par Broussais , je tiens , dis-je, que cette espèce réclame de plus urgentes amé- liorations encore que celle des nToutons ou des porcs, et je Hi OUMTllOLOGIE PASSIONNELLE. demande à porler un toast aux utopistes et aux fous de la jeune Amérique, mes frères, dont la taille grandit tous les jours et qui, rompant hardiment en visière à la routine du vieux monde, viennent de prendre l'initiative de la réforme par moi sollicitée, et de fonder un i-loricux prix d'embonpoint et de croissance en faveur des poupons d'un an, nés et élevés en terre libre.... Vents alises de l'Atlantique, steamers fumeux du Havre qui dévorez l'espace, emportez-moi bien vite vers les rives heureu- ses où tant de .sagesse habite, que mes yeux contemplent de^ ti.ommes avant de se fernier pour jamais ! \vi DE LA DKl \li-:Ml': l'AllilK. TABLE DES MATIERES. Kkiîati \I. ]U:siMK ni i.MKi. on i'uîxkdk. Piods plais ('( picfls canibirs. — Oiîjiganiic .Mmioriariiic. — loi- iiuile de Lhoniond, formule du Gerlaii!. fliiAPJïRE r'. — Ordre des Sédipkdks t:i r.araclcres généraux, page IT. — Division par séries, 31. — Pre- mière série : Frugivores, 18. — Groupe des Colombiens: Ramier, Colombin , Bisel. — Famille des Tourlerelles. Ileuxième série : Granivores, 75. — LeJaseur de IJoliéme, le liec-croisé, le Houvreuil, le Gros-bec, leA'erdier, le Tarin, le Vcnluron, le Serin de canarie, leCLini, le (lliaidoinieref, le Linoi , le Sizcrin. — Le Pip 'Ml, Ml . U' Moineau-franc, le Frirpjet. — Le Bruant, l'Orlolan, 1.)7. — L'Alouette, Ifi.i. Troisième série : Baccivores, 17."). — Farlouses. — Fauvettes : Aecenteins, Rubielles, Kouge-gorge, 199, Rossignol, iii. — Fauvettes proprement dites. — Grives, -l'û. — ^ferles, 2G2. — Loriot. — Élourneaux. — Sansonnet. Onatrième série : Insectivores, -IHi.— Traquets ou .Motteuv. — Gobe-moiiclies. — Iliromlelles, 297 : .Martinets : Engoule- vents. — Bergeronnettes. — .Liseuses. — Pouillols. — Roite- lets, 33.'). — Troglodyte. — Grimpereaux. — Ifu[ipe. - Guêpier. — ^ Martin-péelieur, 3.»3. — Groupe ambigu : la Si- lelle, la Mésange. (ri Ki'iTRii II. — Ordre des .îi «jifèdes .179 Torcol. 'îriliu des Piis. - Oimkiu. :{'.)S. m- •*è5P L'ESPRIT DES BÊTES LE MONDE J)ES OISEAUX ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE PAU A. TOUSSENEL DE ITXIÈ iff "^^^ ARTIE PEUXIÈME ÉniTl .iVUE ET CORRIftÉB PARIS E. DENTU , LIBRAIRE -ÉDITEUR l'alais-Royal, 13, galerie d'Orléans. LIBRAIRIE PHALANSTERIENNE Rue de Beaune, 6. 1859 WW' EN VENTE A LA LIBRAIRIE E. DENTU l'ALAIS-ROYAL, 13, GALERIE d'ORLÉANS. ij' ttnoMÊ; te» Femme» et te Mafinge, Historiettes, pensées et ré- flexions glanées à travers champs, par Adolphe Ricard. S' édition revue et aug- mentée. 1 fort vol. grand in-18 Jésus. 3 » Ei'At't de ta i'ofroaponttnnce. Nouveau manuel complet théorique et pratique du stjie épistolaire et des divers genres de correspondance ; suivi de modèles de lettres familières pour tous les usages de la correspondance, par Bkscukrelle jeune. 2 vol. grand in-18 jésus. 6 > Mtéfangef et se» Chnnto**», d'après des documents fournis par lui-même et avec sa collaboration, par Joseph Bernard, auteur du Bon sens d'un homme de rien. 1 vol. in-8. 5 » Catnpagne» tt'Ktatie et fie Mtoitgt'ie , en 1848, par un capitaine de chevau-légers. I vol. in-8 orné de gravures. 3 > lin Vile humaine, par B. de B.... Discours sur les révolutions universelles de l'humanité. 1 vol. gr. in-18 jésus. 3 50 Cottfldencea Mtf ta Vttfquie, pat M. Destrilhes. 3e édition revue et augmentée. 1 vol. in-Jl-. 3 50 Conte» hwmOfi»tique», par Arthdr Arnguld. 1 vol. gr. in-18 jésus. 3 50 Conte» pou»' te» Jour"» tte pluie , par Edouard Plodvieb, précédés d'une préface par George Sand. 2e édition, jolie vignette. 1 vol. grand in-18 jésus. 3 » Destinée gocinte. Exposition élémentaire complète de l'organisation sociale de Fourier, 3e édition, par V. Considérant. 2 vol. in-18. ' 5 » Le même ouvrage, format in-8, avec un 3e volume sur l'éducation. 10 » Le 3e volume se vend séparément. 3 » Foufier, sa Vie et sa Théorie, par C. Pellarin. 4e édition. 1 beau vol. for- mat Charpentier. 3 > Théo fie sociétaiwe (3e partie du précédent). l 50 JL'Mfafinonie uninersette et te Ê*hatnn»lère exposés par ForaiER . Recuil méthodique de morceaux choisis par l'auteur. 2 vol. in-18. 5 » Par la poste. ■ 6 » Histoit'e de» Ffançai» en ahfégé, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours (Traité de Paris, 1856), par E.-J. Cuousst. 2 vol, in-8. 10 * Hintoire de tn politique contmerciate de la France et de son in- fluence sur le progrès de la richesse publique depuis le moyen âge jusqu'à nos jours,- par Charles Gouracd. 2 vol. in-8. 12 » MjC» Bontme» d'État de l'Angleterre, auxixe siècle, suivis d'un Coup d'œil sur la Russie et sa politique, par le comte A. de la Gueronnière. 1 fort vol. grand in-18 jésus. 3 > Jlurénat Enivre de Con»olation, par l'auteur de la Foi nouvelle cherchée dans l'art- 1 joli vol. in-18 1 50 Fetit Traité de l'égalité, par L. F. Lélut, membre de l'Institut. 2tf édi- tion. 1 vol. in-18. 1 50 Rude, sa vie, ses œuvres, son enseignement. — Considérations sur la Sculpture, avec un portrait gravé sur acier et deux figures explicatives gravées sur bois. 1 vol. grand in-18 jésus, 1 50 Théophraste Mtenaudot, créateur du journalisme en France. Etudes sur le xviie siècle, par le docteur Félix Roubadd. 1 vol grand in-18 jésus. 3 » E,a Turquie et »e» différent» peuple», par Henri Matiiiec. Histoire, géographie, statistique, mœurs, coutumes, gouvernement, commerce, littérature, sciences, beaux-arts, industrie, armée, etc. 2 vol gr. in-18 jesus. 7 » fans. — Impriiné chez Conaveiiiurp el Dureisoi.s. quai des GrandN-Xni'.usiins 5y. AMNH LIBRARY 111 100112672 ï':^ îr^' /T^ A'A :^Me^ ^H(A!