^io^if fMm^p^^^ mn< 'o-cs j*"^^- ■^/^■.■v''~~i|.A>\i ^^=5*=^' ,^^% FORTHE PEOPLE FOR EDVCATION ! FOR SCIENCE LIBRARY OF THE AMERICAN MUSEUM OF NATURAL HISTORY M.Afl. LE .MONDE OISEAUX ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE L'auteur se réserve sur cet ouvrage le droit de réimpression et traduction dans les pays étrangers. Pans. — Imprimerie J. Voisvenel, rue Ju Croissant. 16. l'ESPRIT DES BÊTES. - — . ^-iMiLi^ LE MONDE DES OISEAUX ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE PAR A. TOrSSENEL Auteur des Juifs , rois de l'époque. TROISIÈME PAUTIE. PARIS LIBRAIRIE PHALANSTÉRIENNE HIE DE UEAIXE , G. (^^Afi,n «^ l 'J^yy^ griécbe. Seize espèces. Caractères généraux. Nous avons vu que le moyen le plus simple et le plus ration- nel de caractériser la physionomie générale d'un ordre ou d'une série de bêtes quelconques était d'indiquer dès le début la caste ou la corporation humaine que symbolisait cette série. En effet, cette déclaration, qui apprend à priori au lecteur à quelle sorte de gens il a affaire, abrège de moitié ses tortures et allège d'au- tant la tâche de l'historien. Quand on a commencé par vous dire que la série des Grimpeurs symbolisait les métiers bruyants, il vous a été bien difficile de ne pas reporter immédiatement votre esprit vers les tonneliers, les bûcherons, les fendeurs de bois, les couvreurs, qui sont toujours occupés à cogner quelque part. M'est avis que l'histoire naturelle, enseignée de la sorte et illus- trée de caricatures analogiques à la façon de Grandville, plairait fort aux enfants. Appliquons cette méthode à la série des Omni- vores, afin que le lecteur saisisse d'emblée sa figure, son esprit et ses mœurs. Les Omnivores n'exercent pas de métiers, mais bien des pro- fessions qu'on appelle /«'ôem^es. Ils représentent les sommités du Tiers, la bourgeoisie lettrée, les gens de loi et de chicane, les titulaires de charges vénales, procureurs et parlementaires et aussi les universitaires ; tout ce qui porte, en un mot, toque noire, 1« ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. robe noire et rabat ; tout ce qui vit de parlasserie et de paperas- serie. On trouvé chez eux des crudits pour représenter l'Institut et jusqu'à des mouchards de la plus vile espèce pour représenter les agents de la police de sûreté. Tous les oiseaux de cette catégorie ont pour dominante l'ava- rice, passjon insatiable, qui engendre celle du vol et le besoin d'enfouir. Beaucoup sont possédés de l'étrange manie de dérober tous les objets brillants qui ressemblent à l'or et de les déposer dans une cachette à eux. Beaucoup parlent plusieurs langues et savent l'arithmétique dès l'âge le plus tendre. Il y en a qui comptent jusqu'à cinq. L'expérience ayant démontré depuis longtemps que rien n'é- tait plus coûteux qu'une conviction, les Omnivores, oiseaux pleins de bon sens, ont pris le sage parti de n'en avoir aucune, ou plutôt de les avoir toutes, pour en avoir toujours à vendre. Le régime qui leur va le mieux est celui qui paye le plus cher; on ne pousse pas plus loin que chez certaines espèces le cynisme des apostasies. Toute nourriture convient à l'Omnivore, ainsi que son nom l'indique, depuis le grain de blé, la châtaigne et le vermisseau, jusqu'à la chair de poisson, de lièvre ou de cheval, chair vive comme chair morte. Son estomac est un gouffre sans fond, un tonneau de Danaïdes qui ne se remplit jamais. Un jeune Geai, une jeune Pie, âgés de quinze jours, engloutissent facilement le tiers de leur poids de fromage blanc en deux ou trois repas. Mais la nourriture par excellence pour l'espèce, celle qui lui agrée le plus est l'œuf tout frais pondu, l'œuf de Perdrix pour la Pie, celui de Pigeon pour le Corbeau, de Merle pour le Geai. Les Omnivores sont, parmi les oiseaux de proie et de rapine, à la même place que les Mustéliens parmi les quadrupèdes car- nassiers. Ils préfèrent, comme la fouine et le putois, les œufs à la volaille, mais sans dédaigner celle-ci, car la passion del'Ovivo- OMNIVORES. 17 rie conduit fatalement à l'infanticide. La Pie ouïe Corbeau qui a la chance de trouver la Perdrix sur ses œufs, commence par assassiner la couveuse, si c'est possible, avant de lui voler ses coquilles. L'assassin n'attend pas même toujours que le puissant mammifère blessé qui git dans le sillon, frappé par le plomb du chasseur, ait rendu le dernier soupir pour se précipiter sur lui. 11 débute, comme le rat de Montfaucon, par crever les yeux à sa proie. S'il ne tue pas aussi noblement que le vrai Ilapace, qui attaque sa victime de haute lutte et la capture dans les airs, il assassine plus. Les Omnivores ont indépendamment de la passion des œufs frais un caractère uvariciel commun avec les fouines , les putois et les martres. Ce caractère est la solidité des attaches qui lient leur parure à leur peau. Une zibeline ne tient pas plus à sa four- rure, un procureur à ses pièces, un Harpagon à sa cassette, que le Corbeau à ses plumes. L'analogie passionnelle a de très-curieux rapprochements et de très-curieux contrastes à tirer de ce fait. Les Omnivores ont le don des langues. Plusieurs imitent natu- rellement la voix d'autres oiseaux : quelques-uns parlent comme l'homme. Tous à peu près sont susceptibles de recevoir une éducation brillante et courent d'eux-mêmes au-devant de l'ins- truction dont ils savent devoir tirer profit un jour. On en cite qui ont acquis une érudition prodigieuse, mais il est plus facile de meubler leur esprit que de changer leur cœur; car il est sans exemple que les préceptes de la saine morale aient jamais réussi à détourner un seul de ces pervers du sentier de la per- dition, tandis que l'histoire des bêtes scélérates, au contraire, est pleine de pies voleuses et de corbeaux sans foi. Les plus francs conviennent, du reste, que le besoin de voler est plus fort qu'eux. Demandez-leur, cependant, à quoi leur sert d'empiler au fond d'une cachette, des pièces d'argent, des croix d'or, des épingles de cuivre, qu'ils ne peuvent ni manger, ni vendre, ni 18 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. échanger contre quoi que ce soit; ils ne vous répondront pas plus clairement que n'ont fait jusqu'ici les avares qui s'amusent à crever de faim à côté de leurs trésors. La meilleure réponse, la seule même à faire à cette question indiscrète est celle que j'ai donnée, à l'article Mésange, à savoir: que l'avarice est un travers d'esprit qui dénote un dérangement notable des fa- cultés intellectuelles et qui devrait en conséquence provoquer l'interdiction de celui qui en est atteint. Mais par un de ces con- tre-sens ab-surdes qui déshonorent la législation des peuples civi- lisés, il arrive que c'est le généreux que l'on condamne et l'avare qu'on absout. Je ne puis résister ici à la brillante occa- sion qui se présente de réciter le fameux vers de Juvénal contre la législation des vieux : Dut veniam corvis, vexât censura coLUMBAS. Mot à mot : La censure fait de la peine aux colombes et fait (jriice aux corbeaux. Cette citation est d'autant mieux appropriée à la circonstance que le Corbeau, qui tient tant à ses plumes, est un emblème d'avarice en contraste parfait avec la Colombe, emblème de désintéressement qui abandonne géné- reusement, à l'exemple de Saint-Martin, la moitié de son man- teau à tous ceux qui en ont besoin. Mais ce qui me met surtout à l'abri du reproche de pédantisme, c'est que la plupart des oiseaux dont j'écris en ce moment l'histoire, aiment à parler latin. Or, je suis bien forcé de reproduire leurs discours, sauf à les traduire pour les dames. Le talent de parole des Pies, des Geais et des Corneilles, pas plus que leur science de croque-mort, n'a jamais été en faveur dans le monde des esprits distingués. En revanche, les portières tiennent ces bètes-là eu grande estime; elles se chargent avec amour de leur éducation , pour se mirer dans leur œuvre, et elles leur réservent volontiers une place d'honneur dans leurs loges où leur loquacité fait un touchant contraste avec la discrétion des poissons rouges qu'on rencontre aussi dans ces lieux. OMNIVORES. 19 Il faut croire que la force de cette sympathie affectueuse est dans le sau?, comme disent les bonnes femmes, puisqu'elle semble s'être transmise inaltérée, de génération en génération, des portiè- res romaines du temps de Jules César à celles du moderne Paris. 11 est malheureux pour l'espèce que l'éducation qui lui est donnée par ces dames , soit généralement frivole ou tournée vers la politique, mais il n'est pas bien sûr que le génie des élèves puisse se prêter aux exigences d'un enseignement supérieur. J'ai lu dans quelques historiens qui citaient des noms propres , que des fauconniers habiles étaient parvenus à dresser le Corbeau au vol de la Perdrix. La chose n'est peut-être pas impossible avec beaucoup de peine et avec l'aide du chien, mais ce qui me parait difficile à admettre, c'est qu'un Corbeau d'esprit ait jamais pu consentir à se donner du mal à quoi que ce soit pour le compte d'autrui. J'ai entendu aussi parler quelquefois dans le monde de l'humeur chatouilleuse et du tempérament belliqueux de toutes ces espèces piaillardes. Belliqueuses de la langue et devant le public, c'est vrai, mais du bec et des ongles entre quatre yeux, c'est une toute autre affaire ; car la première condition pour bien se battre est de ne pas avoir peur, et toutes les espè- ces omnivores sont poltronnes , hormis une seule, la Pie-grièche, qui n'est déjà plus omnivore et qui porte des dents au bec à l'instar du Faucon. Les Corbeaux, les Pies et les Geais ne se bat- tent bravement, s'il est permis de s'exprimer ainsi , que quand ils se voient cent contre un. Le seul ennemi contre lequel ils s'élancent avec rage et de propos délibéré, est la Chouette. Mais observons que la Chouette, que le soleil aveugle, n'est plus durant le jour qu'un oiseau désarmé. La guerre que les Omnivo- res font à la Chouette, est l'image de celle que les savants, les philosophes et les sceptiques, tous amis des lumières, font aux obscurantins et aux partisans de la diffusion des ténèbres que symbolise l'oiseau de nuit. 20 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. 11 va sans dire que tous ces ennemis effrénés de la bourse et de la laniillc d'autrui , sont pétris d'amour pour les leurs. Ils leur bâtissent des berceaux confortables, les dorlottent, les choient, les nourrissent d'aliments exquis , omelettes d'œufs de perdrix et autres friandises. Ils font aussi à l'occasion de super- bes discours sur le respect des droits de la propriété, en matière de trésors cachés. Le mâle et la femelle se partagent les travaux et les joies de l'incubation aussi bieu que celles de l'alimentation de la jeune famille, et Dieu , pour nous poser un indéchiffrable rébus, a donné à quelques individus de cette caste maudite le privilège du baiser. Touchés de leurs vertus domestiques, beau- coup de naturalistes sensibles ont réclamé à diverses reprises le prix Montyon pour eux. Tous les Omnivores ont un bec vigoureux, dépassant la com- mune mesure. Presque tous l'ont taillé en pioche et armé d'un crochet. Il sert généralement à deux fins, à déchiqueter la cha- rogne et à creuser le sol. Tous ont les pieds munis d'ongles acérés, crochus, dont ils se servent habilement pour préparer leurs pièces anatoraiques, et ces pieds sont presque des mains. La chair de toutes ces lâches espèces, avides de chair morte, est sèche et immangeable, à l'exception de celle du Geai dans la saison des glands ; et encore, et encore ! Les Anglais se font bien un régal de la fricassée des jeunes Freux pris au nid ; mais j'ai résolu de ne plus m'arrèter à l'opinion gastrosophique de ce peuple gros mangeur, depuis que des rapports dignes de foi m'ont appris qu'en la riche Australie, où les bécassines abondent, les habitants ne savaient pas d'autre moyen d'assai- sonner ce gibier plume hors ligne que de le fourrer au pot. Abomination de la profanation ! La série des Omnivores, qui fournit d'emblèmes parlants tant d'institutions civiles du monde civilisé, est par cette même rai- son l'une des plus complètes de la faune européenne ; et je ne OMNIVORES. Jl dis pas seulement complète par le noml)re, mais encore et sur- tout pour la merveilleuse gradation de nuances qu'y suit lalilia- tion des espèces. Nous allons voir, en effet, que dans cette série des Omnivores, ambiguë entre l'ordre des Jugipèdeset celui des Serripèdes, le premier terme est un vrai Pic déguisé en Corbeau, et le dernier une véritable Pie déguisée en Faucon. J'ajoute que cette série remarquable se divise d'elle-même en deux groupes à peu près d'égale force; le premier se composant des espèces qui marchent d'un pas majestueux et grave, le second des sauteuses : Altigrades, Saltigrades. Mais ne multiplions pas les dénominations inutiles. Genre Casse-noix. Le Xucifraga Caryocafalcs des savants. Espèce unique. Le Casse-noix est ce premier terme de la série des Omnivores que je viens d'annoncer. Il a le bec droit du Pic ; il grimpe comme ce dernier le long des arbres et niche comme lui dans leurs cavités ténébreuses. Il adore comme la Sitelle. l'intérieur des noix et des noisettes, et s'amuse à casser ces fruits dans ses heures de désœuvrement; voilà la ressemblance. Il porte le ravage dans le sein des familles des petits oiseaux chanteurs et dévore parfois leurs petits; voilà la différence. Encore se pour- rait-il que cette différence ne fût pas aussi réelle que je l'affirme, si l'on ajoutait foi aux accusations d'Audubon , à propos des Pics d'Amérique. Mais comme les fautes sont personnelles, et comme aucune observation n'a encore constaté jusqu'ici que les .Tugipèdes de l'ancien Continent partageassent les goûts déshonorants de leurs congénères du nouveau, je m'abstiens de les charger d'une accusation dénuée de preuves. L'empereur Charlemagne, qui était un grand chasseur , a écrit dans ses 22 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. (lapitulaires : a On ne condamnera un accusé que lorsque les preuves qui l'accusent seront aussi claires que la lumière du jour, et, s'il y a du doute, on le renverra au jugement de Dieu qui seul sait pénétrer les abîmes des cœurs. » Renvoyons à ce jugement solennel les Pics européens. Le Casse-noix est un oiseau de la taille du Geai, qui porte un paletot chocolat parsemé de taches rondes d'un blanc sale qui ne font pas un effet merveilleux. Il habite en France tous les dis- tricts forestiers montagneux , Vosges, Franche-Comté, Pyré- nées. On le rencontre de temps à autre pendant l'hiver dans les «forêts du Midi et du Centre, voire dans les vergers. Je n'en ai jamais pris à la pipée en Lorraine, peut-être parce qu'il n'y en avait pas, et je n'ai jamais eu l'occasion d'en tirer que deux ou trois dans ma vie. Sa véritable patrie est au delà des Alpes , au versant oriental des Alpes tyroliennes, en Hongrie, en Transyk vanie et plus loin. Il fait des provisions de noix , de noisettes et de faînes qu'il dépose dans le sein des vieux chênes, et il s'em- pare des magots des écureuils et des loirs toutes les fois qu'il en rencontre. Au demeurant, une pauvre bête, d'assez triste figure, qui s'éloigne peu des lieux où elle a reçu le jour et fait peu par- ler d'elle. Qui voulez-vous que symbolise un oiseau de pauvre appa- rence, qui n'est pas bon à grand'chose et qui ne réussit qu'a- vec peine à tirer sa maigre subsistance d'un fruit qui produit la lumière (noix)...? sinon le magister de village. S'il vit confiné dans les districts les plus froids et les plus montagneux du pays, c'est que le département des Ilautes-Âlpes et celui de l'Aveyron, qui sont les plus arides et les plus froids de la France, sont en même temps ceux qui fournissent le plus grand nombre d'instituteurs primaires in utroquejure. OMNIVORES. 28 Genre Corbeau. Sept espèces: Le Grand Corbeau ou le Corbeau Solitaire, la Corneille Noire, la Manleiée, le Freux, le Choucas, le Chocart, le Coracias. Caractères généraux. Oiseaux généralement très laids, très-criards, très-pillards, voraccset coriaces, porteurs d'une robe noire qui vire facilement au gris et môme au blanc ; grands destructeurs des œufs des au- tres oiseaux dans la saison d'amour, amis de la charogne et des grains frais semés, la plupart voyageant et se répandant par grandes masses dans les champs cultivés à l'entrée de l'hiver ; quelques-uns sédentaires. Les Corbeaux ne payent pas de mine et n'ont pas la physionomie trompeuse ; leur bec démesuré et taillé en pioche fait songer au faux nez; leur démarche compo- sée et grave vise à la majesté mais n'atteint qu'à la lourdeur; leur vol pesant, quoique soutenu, semble trahir l'effort; leur voix disgracieuse rappelle le croassement de la grenouille. Beaucoup nichent sur les arbres et construisent des nids solides et confor- tables qui durent plusieurs années et qui ont pour assises un sommier de brindilles sur lequel pose un moelleux matelas fait de laine et de fines racines. Quelques espèces nichent dans les trous des édifices publics ou dans les fentes des rochers. Les Cor- beaux sont de tous les oiseaux parleurs ceux qui parlent le plus purement le langage de l'homme. Leur idiome naturel est la langue latine. Le mot français qu'ils prononcent le plus facile- ment est Colas, comme la Pie Margot, le Geai Ricurr; d'où vient que ces trois espèces ont été désignées dans diverses con- trées de la France sous ces trois petits noms. L'histoire du Corbeau est toute à refaire au point de vue de 24 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. l'analogie passionnelle, car il n'en est pas une, hormis celle du Coucou peut-être, sur laquelle on ait plus erré. La question est grave, écoutez : Les Corbeaux ne sont pas ce qu'un vain peuple pense... Ils sont de robe, non d'église. Le Corbeau est maigre et bavard ; l'homme d'église est gras et discret. Celui-ci prêche la paix ; l'autre fait chorus avec les Loups, les Hyènes et les Vautours pour évoquer le démon de la guerre qui fauche les bataillons et sème les champs de cadavres. . . Ainsi les dominantes caractérielles des deux moules sont en opposition antipodique... Ainsi la personnification emblématique attribuée jusqu'à ce jour au Corbeau par la sottise universelle était fausse... Ainsi l'analogie passionnelle relève noblement le ministre du culte d'une assimilation injurieuse, ridicule et im- méritée. Comment ne pas éprouver le besoin de déplorer l'aveuglement dos mortels et la ténacité des préjugés, en voyant un mensonge aussi apparent, une confusion d'emblèmes aussi indigne, s'im- poser si longtemps à la crédulité publique, et faire même d'in- nombrables dupes dans la corporation des disciples de Saint- Hubert ! Il est bien surprenant, en effet, qu'un oiseau aussi ancienne- ment connu que le Corbeau n'ait pas encore rencontré son véri- table emblème dans la langue de l'apologue, comme le Renard et le Vautour, quand on songe surtout qu'il a existé des légistes depuis le commencement du monde et qu'il suHit de mettre les pieds dans le premier temple venu de Thémis pour trouver l'ori- ginal du type, type imméconnaissable à la conjonction de ces trois caractères : rapacité, loquacité, robe noire. Cependant l'erreur universelle dans laquelle le monde a vécu jusqu'à ce jour sur le compte du Corbeau s'expli(|n(' par le fait (juo le nom OMNIVORES. 2o de cet oiseau a été mêlé aux choses saintes de temps immémo- rial. Les personnes versées dans la connaissance des Saintes Écritures savent, en effet, comme moi, que la notoriété histori- que du Corbeau date de la fin du déluge, où il sortit le premier de l'arche pour n'y plus revenir, et rompit le premier l'unité qui avait été jusque-là entre l'homme et les bêtes. Or, il est à remarquer que depuis cette époque anté-histori- que, toutes les légendes des religions antiques semblent s'être donné le mot pour faire du Corbeau un messager céleste, et sur- tout pour lui faire jouer un rôle très-important dans une foule de miracles. C'est lui qui, dans la légende hébraïque, est chargé entre autres missions délicates d'apporter au prophète Élie son pain quotidien. Il occupe une place plus éminente encore dans la légende romaine, où il sauve pour la seconde fois la cité éternelle en se mettant du côté d'un chevalier romain qui est en train de se bat- tre en duel contre un chevalier gaulois , et en jetant traîtreuse- ment de la poudre aux yeux à ce dernier. Il est dans le destin de Rome d'être sauvée par les bêtes. Dans la légende grecque, c'est un Corbeau qui indique à Alexandre de Macédoine la route du temple mystérieux de Jupiter Ammon. Je crois me souvenir d'a- voir rencontré un Corbeau dans l'Olympe Scandinave où il occupe un siège tout près du Loup Fenris, ou sur l'épaule d'Odin. Nous savons enfin que Rome et la Grèce l'admettent au premier rang des oiseaux de bon conseil ayant l'oreille des dieux, et qu'ils lui donnent voix délibérative dans leurs assemblées politi- ques. Alors il est très-concevable que le peuple chrétien, à qui ses maîtres en avaient appris de si belles sur le compte du Corbeau et qui voyait en lui un coupable instrument de pratiques supers- titieuses , ait dès le principe confondu dans sa haine et dans son 26 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. mépris les imposteurs de l'un et l'autre règne, et que naturelle- ment il ait assimilé à ces augures romains qui ne pouvaient se regarder sans rire, lo volatile sacré qui leur avait servi si longtemps de compère. Les progrès toujours croissants de l'hé- résie, les doctrines pernicieuses semées parmi les peuples chré- tiens par les ennemis de la vraie foi, la ressemblance de la cou- leur de la robe, la force de l'habitude, mille autres causes enfin, auront poussé plus tard les imaginations perverties à transpor- ter l'analogie flétrissante des prêtres païens qui l'avaient encourue aux ministres du vrai Dieu qui ne la méritaient pas. Mais j'ai démoli d'un trait de plume l'édifice du mensonge et de l'impiété ignorante. Il n'était que temps de redresser l'analogie fautive, au nom de la vraie science, et de rendre au légiste ce qui appar- tient au Corbeau. Continuons ce travail et passons au déluge. La couleur noire, couleur éminemment absorbante, dénote par ce caractère même l'égoïsme et la voracité. C'est celle que le Corbeau a choisie, et le légiste aussi. On dit de l'homme méchant qu'il a l'àme noire comme un Corbeau. Chacun a sa bète noire, la mienne est de cette race. Du reste le Corbeau a dit franchement ce qu'il était le jour où il sortit de l'arche et rompit avec l'homme. On ne pouvait pas se poser plus impudemment comme agent de scission et de dé- sorganisation sociale. Où visent les argumentations des sophistes, des légistes et des gens de robe, sinon à troubler les idées et la paix des États? L'oiseau noir aspire ardemment après la curée des batailles, l'homme noir après les querelles de famille. Ainsi que le pre- mier se repaît avec délices de la chair des cadavres , de même le second s'enrichit des procès de succession et des faux testa- ments. Témoin ce procès donné en dot par un procureur à sa fille. OMNIVORES. 27 Comme on voit des Corbeaux attablés à la charogne immonde, se lever tous à la fois en poussant de grands cris , quand on les force à quitter leur proie, ainsi tous les gens de loi , tous les titulaires d'ollices privilégiés quelconques , se lèvent comme un seul homme et protestent énergiqucmcnt contre toute proposi- tion de réforme concernant la vénalité des charges ou la législa- tion hypothécaire, poule aux œufs d'or de la chicane. Je connais plusieurs Corbeaux qui, à l'heure qu'il est, ne se doutent pas de l'épouvantable contrecoup dont la suppression desdits odices les menace d'ici à peu de temps, et je ris de leur quiétude. Les Corbeaux choisissent pour s'abattre sur les champs culti- vés le même moment que Thémis pour rouvrir ses prétoires. Quand les Corbeaux fouillent le sol emblavé pour détruire dans son germe l'espoir de la mois?on prochaine, c'est pour le pro- cureur qu'ils travaillent en préparant la ruine et l'expropriation du malheureux colon. Par un aimable échange de galants procé- dés, l'homme noir qui condamne le voleur à la corde travaille pour le Corbeau. Ainsi que le Corbeau attaque par les yeux le mammifère mort ou mourant dont il veut faire sa proie, de môme les artisans de chicane commencent par aveugler sur leurs intérêts les plus clairs les pauvres innocents qu'ils veulent mettre aux prises. Comme l'homme de loi dépasse tous les autres mortels en ava- rice et en rapacité, et ne peut voir briller une pièce d'or sans être tenté de mettre la main dessus , ainsi le Corbeau pousse la soif des métaux brillants jusqu'à dérober des couverts. Les Ger- mains ont donné au Corbeau le nom de Rabe, de rauben, voler, en latin rapere, ravir. On dit maître Corbeau ^ comme on dit M« Chose... L'homme de loi peut être considéré comme une machine à parole, dressée à parler pour ou contre, suivant son intérêt. Le Corbeau se dresse aussi à la parole, et n'a pas plus que le mar- 28 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. chand de phrases la couviction de ce qu'il dit. Tous deux aiment à parler latin. A ce propos , je dois dire que les gens naïfs, qui pensent que le latin est la langue naturelle de l'homme, ont voulu faire du Corbeau l'emblème de l'espérance, sous prétexte que le mot latin cras^ que l'oiseau répète sans cesse et qui veut dire demain dans la langue de Virgile, est un encouragement à espérer un meilleur avenir. Malheureusement des linguistes encore plus forts ont réfuté l'opinion de ces bonnes âmes , en prouvant que l'oiseau noir était l'emblème des gens paresseux à se convertir et qui ajournent constamment au lendemain l'heure de se confesser. Les nuées de Corbeaux affamés qui se précipitent à la curée des cadavres, le lendemain des batailles, ont été comparées de tout temps à ces nuées d'avocats et de procureurs de province qui s'abattent sur les capitales et se ruent à la curée des places, le lendemain des émeutes réussies auxquelles ils n'ont pris au- cune part. Comme l'homme noir se vante d'avoir devancé la justice du peuple, quand le peuple est vainqueur, sauf à l'injurier le jour suivant, si la cause populaire périclite, ainsi le Corbeau, vil flatteur de la puissance du moment, modifie ses vivats et laisse tourner sa langue au vent des circonstances. Un Corbeau très- connu de la place du Louvre, se faisait remarquer par la ferveur de son royalisme avant février 48, et fatiguait son voisinage de son éternel Vive le roi. Advint la fusillade de la place du Palais- Royal , qui produisit sur le moral du lâche une si vive impres- sion qu'il en perdit pendant huit jours le rire et la parole. Les voisins crurent d'abord devoir attribuer le silence obstiné du bavard à un ressentiment naturel de la défaite de sa cause ; mais leur surprise ne fut pas moins grande que leur indignation quand ils virent, au bout de la semaine, l'odieux renégat retrou- OMNIVORES. 29 ver tout à coup sou verbe pour entonner avec enthousiasme le cri des vainqueurs : A bas Gulzot ! Vive la République ! Et l'on parie du cynisme de l'apostasie des humains ! La versatilité des opinions du Corbeau en matière politique est du reste une vieille histoire. On peut lire dans Pline et par- tout que les carrefours de Rome regorgeaient de braillards de cette espèce, que leurs maîtres dressaient à débiter à chaque César le salut impérial : Ave Nero^ Galba, Otho, etc. L'histoire rapporte même que le meurtre d'un de ces oiseaux, connu par la vivacité de son attachement au nouvel empereur, fut cause d'une collision sanglante entre les anarchistes et les amis de l'ordre. Comme le marchand de parole est naturellement sujet à l'in- tempérance du verbe et à s'emporter en plaidant contre la par- tie adverse, ce qui l'expose à rerevoir des leçons et des correc- tions désagréables , ainsi maître Corbeau a été plus d'une fois et à juste raison stygmatisé par la satire pour n'avoir pas saisi l'occasion de se taire. On sait le désagrément qui lui advint un jour du fait d'un Renard subtil qui, connaissant son faible, l'ex- ploita indignement, et par deux ou trois mots d'adulation pertide réussit à lui faire lâcher le fromage qu'il tenait en son bec, L'histoire quotidienne du Corbeau est semée de traits pareils et il ne paraît pas que Li leçon du Renard lui ait profité. Un poëte dont je ne sais plus le nom a même cru devoir consigner ce fait caractériel dans la langue des dieux : Tacilus pascisi posset, corvus haberet Plus dapis et rixa; minus, invidia-que. Traduction libre dans la même langue : Si Colas en mangeant pouvait taire sou bec, • Il aurait moins d'ennuis , de rixe et de pain sec. 30 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. La bravoure n'est pas le fait des oiseaux qui vivent de chair morte; le Corbeau attaque volontiers le lièvre agonisant et les petits oiseaux pris au piège, mais il gagne prudemment la bran- che à l'aspect de l'Kmerillon belliqueux qui le méprise et lui donne ch;\sse. La conduite du Corbeau n'est pas sans analogie avec celle du légiste, hautain avec les faibles, humble avec les puissants. Ce sont des gens de cette catégorie qui ont bâti ce monument merveilleux de la législation moderne dont les ci- vilisés sont si fiers et qu'ils nomment eux-mêmes le dédale des lois , à cause de l'impossibilité absolue où l'on est de s'y re- connaître et de s'en dépêtrer. Drôles de lois, dont un sage a dit qu'elles ressemblaient aux toiles d'araignées qui arrêtent les petits voleurs et laissent passer les gros. De même que l'accentuation plus énergique et la répétition plus fréquente des croassements du Corbeau est un présage in- faillible de mauvais temps , ainsi lorsque la voix des avocats do- mine dans les conseils de la république c'est le signe certain qu'un grand malheur la menace. Un illustre avocat, mal chaussé et fort laid, plaidant un jour contre la Pologne en pleine tribune législative française, eut le malheur de clore sa harangue par cette honteuse conclusion bien digne de l'exorde : Chacun chez soi , chacun pour soi. L'éloquent orateur avait dérobé ce jour là au Corbeau sa devise politique. Terminons ces rapprochements, que nous pourrions multiplier il l'infini, par un trait de satire. Le Corbeau assassine la per- drix sur son nid et lui vole ses œufs les uns après les autres , pour justifier les termes de la fameuse parabole de l'avocat de l'Écriture sainte : 11 prend les intérêts de la veuve... et le capital de l'orphelin. On peut juger d'après le nombre et l'évidence des caractères comparatifs qui précèdent, si j'avais le droit d'être surpris que OMNIVORES. 31 l'esprit humain n'eût pas deviné d'emblée l'hiéroglyphe du Cor- beau. Mais une chose non moins étonnante, c'est qu'un oiseau sali par tant de turpitudes , anathématisé par Job, et classé par Moïse au rang dus animaux immondes, ait pu être choisi plus tard par une foule de dieux pour porteur de messages et de con- fidences intimes. Et je ne suis pas le seul écrivain sérieux que la bizarrerie de ce choix ait frappé. Elle a intrigué très- vivement aussi plusieurs pères de l'Eglise, notamment saint Jean Chry- sostome, saint Augustin et saint Cyrile, qui considèrent juste- ment la difliculté comme très-grave ets'efibrcent de la résoudre. Saint Cyrile aime à croire que le Corbeau n'est pas aussi noir qu'on le fait et qu'il n'a pas rompu avec Noé aussi brutalement qu'on le dit. L'historiographe d'Elie, saint Jean qui parle d'or, éprouve d'abord comme moi quelque peine à comprendre que la mission de pourvoyeur du prophète dans le désert ait pu être assignée à un agent aussi peu sur que le Corbeau ; mais il se ra- vise bientôt pour dire en propres termes que si Dieu s'est servi de l'oiseau impur pour opérer une bonne œuvre, ça été pour prouver qu'il ne fallait pas désespérer de la conversion des Juifs. J'aime mieux la version de saint Augustin, le plus élo- quent et le plus fort de tous les apôtres de la loi d'amour. Saint Augustin ne croit pas à l'indignité de la bète, et il met tous ses crimes sur le compte de l'homme, disant que si celui-ci eût con- servé sa première innocence, toutes les bêtes du ciel et de la terre auraient été obligées de se modeler sur lui, et qu'il eût obtenu d'elles un concours précieux qui paraîtrait aujourd'hui chimérique. Le docteur de la grâce a raison, et lui seul a entrevu la solution du problème, et l'analogie passionnelle est heureuse de tenir en main le flambeau dont la lumière va dissiper toutes les obscurités de cette question ténébreuse et faire voir en quoi et sur quoi tous les biographes passés du Corbeau , profanes ou sa- crés, ont failli. 32 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Tous ont failli pour avoir étudié, comme d'habitude, l'histoire du Corbeau, eu simplistes ; tous ont failli , à l'exception de saint Augustin, pour n'avoir pas tenu compte de l'influence du milieu civilisé sur le moral du moule qu'ils avaient à décrire.... Car notez bien que ce légiste sans foi , avide et cauteleux , cet indus- triel altéré de la soif des procès et qui vit aujourd'hui des dis- cordes publiques et de la ruine du travailleur, n'avait pas reçu du ciel, pour en faire un pareil usage, les brillantes facultés in- tellectuelles dont il a été investi. Notez bien que le légiste est du bois dont on fait les législateurs, et que tout législateur qui relire une société d'un état inférieur pour la hisser sur un gradin supérieur, employât-il pour y arriver la supercherie et l'impos- ture, comme Moïse et Numa, doit être appelé du nom de bien- faiteur de l'humanité. L'homme de loi avait donc été institué pour protéger le travailleur contre l'oisif, et pour faire observer le contrat d'assurance qui garantit à chacun des assurés le droit de jouir des fruits de son travail , autrement dit le droit de pro- priété... ; et il est juste de reconnaître que cette espèce n'a pas toujours méconnu sa mission et qu'elle a noblement acquis, par une infinité de services, des titres immortels à la gratitude des humains. Seulement elle a eu sa chute comme elle avait eu son beau moment, et elle a fini comme toujours par abuser de l'au- torité légitime dévolue à ses mérites pour enter l'oppression sur la reconnaissance. Et comme le légiste était plus lettré et plus savant que les autres, il comprit rapidement les vices du méca- nisme des sociétés limbiques, de la civilisée notamment; et voyant que dans ces sociétés à rebours tous les avantages étaient pour le coquin , tous les déboires pour l'honnête homme, et qu'il fallait nécessairement se résoudre à opter entre le mé- tier de fripon et le rôle de dupe, il opta résolument pour le prer micr emploi. Et une fois le premier pas fait dans la carrière du mal , il n'eut pas honte de tourner contre le pauvre travailleur oMNivoRbis. :y,\ qu'il devait protéger la science et le talent dont il était orné. Puis, pour s'illusionner sur sa propre infamie, il inventa un vol légal, une usurpation légitime; il mit toute son érudition de jurisconsulte, toute son expérience de praticien de fourberies au service des forts; il lit de la justice une boutique, et de la loi une toile d'araignée. 11 osa plus , il réussit à faire passer sa pro- fession d'écumeur de bourse et de parleur pour et contre pour une profession honorable, il prit impudemment le titre de défen- seur de la veuve et de l'orphelin ! Le Corbeau aussi a eu sa chute, mais lui aussi était né iiour être vertueux et pour tenir en ce monde une place honorée et utile, et il n'a pas toujours été ce qu'il est aujourd'hui. Dieu l'a- vait institué protecteur des moissons et cureur des emblaves , une fonction plus relevée certainement que celle que l'Urubu occupe dans l'Amérique méridionale et le Secrétaire en Afrique. Sa besogne consistait principalement à sauvegarder les blés de la dent des vers blancs et des limaces, et à débarrasser le solde toutes les vermines qui l'infestent; puis, à faire disparaître tous les foyers de corruption atmosphérique. C'était pour qu'il put mieux remplir cette noble mission d'édilité agricole que Dieu l'avait doué, comme le porc, du don d'omnivorie et de cette vo- racité stomacale qui ne recule devant aucune horreur et fait ventre de tout. Or^le Corbeau ne se refusa pas, dans le principe, à apporter à l'homme le concours qu'il lui devait, et on l'a vu pendant des siècles attendre chaque année l'époque des grands labours pour suivre la charrue et dévorer sans pitié toutes les larves de hannetons que le soc découvrait. Il déployait en même temps un zèle remarquable dans les divers services de l'édilité rurale et domestique, se vouant sans répugnance à l'absorption de toutes les matières animales que le débordement des fleuve.s déposait sur leurs rives, purgeant de toutes leurs immondices les prairies et les chani}is et les rues dos cilé^. On ^^uit ([ue 34 Oli.MTHOLOGlE l'ASSIUNNKLLi:, le Corbeau occupe encore en Russie et dans l'Inde la fonction de curcur dégoûts, et qu'il jouit de l'estime générale en ces vastes contrées. Alors donc l'homme n'avait qu'à se louer des vertus et du dévouement de son auxiliaire, dont le ca- quetage l'amusait du reste et dont la sensibilité barométrique lui servait d'almanach pour prévoir les changements de temp •. Alors ])robablcmcnt le germe de ses passions mauvaises ne s'était pas développé encore. Cette époque doit être celle où l'homme honora le Corbeau de toutes les distinctions qui peuvent flatter l'amour -propre d'une créature ambitieuse, et oii il lui donna place dans ses légendes nationales et le mit dans laconlidence de ses mystères religieux. Comment fut rompue l'alliance, et de quel côté furent les torls de la fatale rupture ? L'analogiste n'est pas en peine de répondre a cette double question. L'histoire de la dépravation du Corbeau est celle de la dépravation du légiste; toutes deux proviennent de la même origine et suivent une marche parallèle. La perver- sité de l'homme engendra la perversité de la béte. A mesure, en elTct, que la Sauvagerie et le Patriarcat firent place à la Barbarie et à la Civilisation, la guerre s'organisa sur une échelle immense. Bes collisions de masses armées eurent lieu, qui jonchèrent le sol de monceaux de cadavres, abomina- ble curée par laquelle l'Homme inocula lui-même aux Loups , aux Corbeaux , aux Vautours et aux Crocodiles, la passion de la chair humaine, et perdit bientôt son prestige dans l'esprit de l'animalité... Car on ne se iigure pas ce qu'il faut d'efforts et de peines pour ramener au respect de l'homme, une béte qui en a mangé. Le mépris de l'espèce humaine, si peu soucieusedesadignité^ s'en allait donc croissant dans le cœur du Corbeau , en raison di- recte de la monomanie homicide d'icelle, (juand une nouvelle sottise de l'Homme j plus ihcxplicable peut-être encore que la u^yiMvoRES. :vô première, vint traiisformcr ce sentiment en haine cl ensoil 4e ven- geance. Des barbares éans goût et sans délicatesse firent un jour courir le bruit que la chair du Corbeau était non-seulement très- niangeablc, ninis (|u'ellc pouvait remphiccr avantageusementcellc du bœuf dans le pot-au-feu... Et la masse ignorante les en ayant crus sur parole, l'attaque contre le Corbeau commença sur toute la ligne. L'histoire même constate que le gamin ne se borna pas à user contre l'ennemi des procédés habituels de la guerre loyale, mais qu'il n'est sorte de tours pendal)les qu'il n'ait joués à la malheureuse béte, comme par exemple, de la griser avec des petits pois à l'eau-de-vie ou de la coiffer avec des cornets de papier enduits de glu, pour donner à la foule le spectacle de sou ivresse et de ses évolutions risibles. Exaspéré par cette longue série d'avanies, et placé dans le cas de légitime défense par cette agression directe de l'homme, le Corbeau accepta résolu- ment la guerre. Dès le lendemain de la dénonciation des hostili- tés, en effet, il se retirait chez les Yolsques, c'est-à-dire qu'il abandonnait les villes pour se réfugier dans les forêts et sur la cime des plus âpres montagnes, où il a élevé depuis ses familles plantureuses dans la haine du laboureur. C'est là qu'il a médité ses vengeances dans le calme de la solitude et qu'il a imaginé à son tour d'adapter à chaque récolte du cultivateur un procédé de dévastation spécial , changeant de batteries et de manœuvres suivant les lieux et les saisons. Ainsi on l'a vu successivement déclarer une guerre acharnée au gibier cher à l'homme (lièvre et perdrix), fondre en grandes masses sur les champs aux épo^ ques des semailles , dévorer le grain répandu sur la terre, le déterrer après qu'il a été enfoui et que Ja germination en a développé les principes sucrés , et se réjouir enfin de toutes les misères et de toutes les désolations de son ennemi. Voilà com- ment le Corbeau, que Dieu avait créé pour être le bouclier de l'agriculture, à l'instar du légiste, en est devenu le fléau. 36 OU.MTIIULOGIE l'ASSiaN.NLl^LE. Comment finira cette guerre? Je sais le secret de la solution pacifique du différend, mais je ne vois pas la nécessité de la ré- véler au civilisé qui ne l'emploierait pas. Le civilisé ne connaît pas d'autre moyen de débrouiller les questions obscures que d'y tirer beaucoup de poudre, et c'est peine perdue que de chercher à le corriger de cette sotte habitude. Je dirai seulement que saint Augustin, en faisant voir ce que l'homme avait perdu à la perte de son innocence, a montré implicitement ce qu'il pourrait reconquérir en la reconquérant. Je puis affirmer aussi qu'en Harmonie, où la femme règne et gouverne, toutes les bêtes ont accepté sa domination avec joie, et qu'elles contribuent admira- blement par leur docilité et leurs services aux charmes de l'exis- tence sociale. Or, il me semble que les civilisés qui raisonnent pourraient bien se donner un peu de peine pour changer leur misérable société contre celle-là, où la durée moyenne de la vie de l'homme est de 144 ans (chiffre 100 du système duodécimal) et où les femmes conservent généralement jusqu'au delà de cent ans tous leurs moyens de plaire. Mais les civilisés, paresseux et abrutis par leur éternelle misère, aiment mieux nier l'Harmonie que de s'occuper sérieusement des moyens de l'atteindre ; et au lieu d'ajouter foi aux récits de ceux qui leur racontent les délices de cette période sociale qui comprend les trois quarts de la vie de l'humanité, ils les traitent injurieusement d'utopistes et de faiseurs de paradoxes, etc. Utopistes, hélas ! ce n'est pas nous qui méritons d'être appelés ainsi , mais bien les insensés qui croient à l'éternelle durée d'une société si impossible qu'elle ne tiendrait pas debout deux heures sans l'étai du bourreau. Fai- seurs de paradoxes ! ah ! j'accepte l'épithète ; lorsque les cer- veaux de l'immense majorité des humains sont fêlés et que la raison s'en échappe par toutes les fissures , il faut bien que la sagesse des nations se résume en quelques paradoxes. Faites en sorte qu'il y ait plus de bénéfices à être honnête OMNIVORES. :\7 homme qu'à Hre fripon, et le légiste reviendra à la probité de lui-même, et il entraînera uaturcllemeut le Corbeau dans sa voie de retour au bien. Tout ce qui précède s'applique non-seulement à tous les Cor- beaux, mais encore aux Pies et aux Geais et à tous les autres membres de la famille des Omnivores. Tous vivent très-long- temps, à l'imitation des avares; tous adorent le gland, à l'instar du pourceau qui est aussi emblème pivotai d'avarice. Horace a dit son fait à cette engeance indiscrète et perverse en ces fameux vers tant cités : Absentem qui rodit omicum... Commissa tacerc. Qui nequit, Itic niger est, hune tu, romane, caveto. » Défie-toi de celui qui ronge son ami absent... et qui ne peut garder le secret qu'on lui confie, c'est une bcte noire. » Il est remarqua- ble, en eflet, que presque tous les gens vêtus de noir sont pour la peine de mort, et se réjouissent du spectacle des gibets , des tortures et des expositions. Après avoir traité de l'histoire du groupe en général, il est de notre devoir de consacrer une courte notice spéciale à l'illustra- tion de chaque espèce. Le Grand Corbeau ou le Corbeau solitaire. La plus grande des espèces du genre. Plumage d'un beau noir lustré à reflets pourpres. Sédentaire, ami des rocs chauves, vit par couples iso- lés sur les sommets des plus hautes montagnes du Midi; habite aussi les falaises de nos côtes maritimes. Grand destructeur du menu gibier, levrauts, lapereaux, perdreaux, etc.; ogre aflamé de la chair des oiseaux nouveaux-nés, pillard effréné d'œufs. Ni- che sur les cèdres du Liban , et aussi dans les fissures des rocs et des vieilles tours. Les propriétaires jaloux de la conservation de leurs chasses ne peuvent pousser trop vivement à l'extermi- nation de cette espèce. ■M< ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. C'est à elle néanmoins qu'il convient de reporter la meilleure part de la gloire historique conquise par la tribu. Ce Corbeau solitaire, grave, majestueux, taciturne, qui habite de préfé- rence les Thébaïdes rocheuses, est bien le vrai Corbeau, l'unique Corbeau de l'antique légende orientale, le commensal et l'ami du pieux cénobite retiré au désert, le porte pain d'Élie, le guide d'Alexandre. C'est lui qui est de moitié dans les victoiresde Rome, et qui baptise de son nom les familles patriciennes. C'est l'oiseau augurai par excellence, à qui le Destin, maître des dieux, com- munique d'avance ses arrêts et qui vit trois âges d'homme. Il découvre les lois de la chute des graves et de l'impénétrabilité des corps avant Archimède et Nev^ ton, etc. 11 est l'auteur du procédé de correspondance télégraphique le plus anciennement connu, ainsi que d'une foule de procédés industriels des plus in- génieux. Les trois quarts des proverbes faussement attribués au grand roigalomon ou bien à Sancho sont de lui. L'illustration de ce moule remonte aux premiers jours des annales du monde; les Saintes-Écritures sont pleines de sa gloire, ainsi que les pro- fanes, ainsi que la poésie, la mythologie et l'histoire. Job , David, Aristote, Plutarque, Pline, Ovide, Tite-Live, chantent le Corbeau sur tous les modes. La Grèce a recours à ses connais- sances géographiques pour savoir où est situé le point central do la terre oit elle désire bâtir un temple à Apollon Pythien. Rome lui lit une liste civile, l'Egypte l'embauma. Combien de grands hommeiP^'hélas ! combien de célèbres inventeurs n'ont pas été traités ainsi , à commencer par Prométhée et à linir par Salo- mou de Causs. Ce fut encore ce même Corbeau qui s'établit le premier sur la terre à la suite du déluge et trouva que tout y était bien. Les his- toriens légers et qui ne vont pas au fond des choses, ont fort blâmé ce trait de fermeté caractérielle du Corl)cau, qui refuse de rentiTirdans l'arche après en être sorti, et ils qualilicnt cette résis- OMMVORKS. -10 tance d'acte diiigratitudc.Jc ne partage pas complètement leur manière de voir à cet égard, et ne crains même pas d'allirmer que le Corbeau s'est beaucoup mieux tiré que le Pigeon de son rôle d'éclaireur dans cette grave circonstance. Remarquons, d'à- Iiord, en effet, que la terre, au temps dont on parle, n'était pas ronde comme de nos jours, mais plate. Disons même qu'elle af- fectait la forme d'une cuvette, puisque cette forme est la seule qui puisse s'adapter au récit de la Bible et prêter ii une explication plausible du déluge universel, lequel se comprend plus dilïicilc- mcnt avec la donnée de la forme sphérique inconciliable avec la submersion totale. Ajoutons que i'oiseau noir est omnivore et surtout Carnivore, que tous les méchants viennent d'être en- gloutis, que leurs cadavres flottent à la surface des ondes, et que dès lors le Corbeau peut avoir d'excellentes raisons de se plaire là où l'innocente Colombe, qui n'aime que les grains, ne trouve pas où poser le pied. Du moment que le Corbeau ne revient pas, son message est parfaitement rempli , puisqu'il déclare implici- tement par la prolongation de son absence, et contrairement au rapport de la Colombe, qu'il y a pied sur la terre et que les con- tinents sont en voie d'émersion. Après cela, puisqu'il fallait que quelqu'un sortit de l'arche le premier, je ne vois pas pour- quoi la chance n'aurait pas favorisé le Corbeau comme un autie. Quant à sa répugnance à rentrer dans le sein de l'arche, je l'ex- cuse et l'approuve et trouve fort naturel qu'une bête d'esprit qui vient de passer quarante jours dans une société si mêlée, éprouve par réaction le besoin de l'isolement. Tant il y a, pourtant, que de cette accusation de négligence puérile, qui le frappa dès le début de sa carrière, le Corbeau ne réussit jamais à se blanchir parfaitement et que la réputation de commissionnaire oublieux est restée clouée à, son nom dans les fastes héroïques de la Grèce comme dans les récits de la Bi- ble. Un jour qu'Apollon sacrifiait et qu'il avait besoin de se la- 40 (H{MTllOK(M,lK i'ASSloNNKLl.K. ver les mains, il pria le Coihoau de lui aller quérir de l'eau ii la source prochaine, invitation à laquelle celui-ci obtempéra de bonne grâce. Mais le malheur voulut qu'il fit rencontre à la porte du temple d'un figuier chargé de fruits, et que cet objet plein de charme lui fit oublier son message. La fable ajoute que les fruits n'étant pas encore murs, l'oiseau se vit forcé de s'installer sur place pour attendre leur maturité, et que cette négligence impardonnable mit si fort le dieu en colère que, pour rafraîchir la mémoire à son émissaire oublieux, il le condamna à subir tous les ans le supplice de la pépie vers la saison des figues. La poésie judaïque et l'arabe vont plus loin encore que la grecque dans les reproches de défaut de mémoire qu'elles adres- sent au Corbeau; elles font dégénérer ce vice de cervelle en sé- cheresse de cœur. Le patriarche Job accuse formellement le Corbeau de chasser ses petits de leur nid dès l'âge le plus ten- dre et de les abandonner inhumainement aux bons soins de la Providence, et le saint roi David répète l'accusation dans ce fa- meux verset du psaume U6, oii il est dit que Dieu donne la pâture aux petits des Corbeaux. Aux petits des Corbeaux, enten- dez bien, jt3M//2s corcorum , et non pas aux petits des oiseaux, pullis avium, comme a traduit Racine Aux petits des oiseaux, il donne la pùlurc Et sa bonté... s'arrête à la Ullérature. Il n'y a pas dans le texte un seul mot de tout cela. Le Psal- miste spécialise et ne généralise pas. Il sait trop bien qu'il n'en- tre pas dans les habitudes des oiseaux de confier leurs petits à la charité publique. Pourquoi rougirais-je d'avouer que je suis très- aise d'avoir trouvé cette occasion de faire preuve d'érudition bi- blique et de relever le doux Racine du péché d'infidélité en même temps. (r.lN'.VORES. H Le grand roi Salomon voue au bec dos Corbeaux les yeux de tous les entants irrespectueux envers leurs pères. J'ai dû m'enquérir avec zèle du degré de créance que méri- tait cette grave accusation d'insensibilité maternelle que les Saintes-Écritures laissent planer sur le Corbeau. Or, de tous les renseignements que j'ai recueillis, et de toutes les observa- tions que j'ai pu faire par moi-même, en France et en Afrique, est résultée pour moi la preuve que l'imputation porte à faux. Plut au ciel que le grand Corbeau pût se laver aussi facile- ment de l'anathème formidable que la voix unanime des sages de l'antiquité fulmine contre lui, à raison de son avarice! Mais cette fois la tâche est plus rude, et loin de l'entreprendre, l'ana- logie passionnelle est heureuse de pouvoir constater le touchant accord qui est entre elle et Âristote sur ce point délicat. Qui dit Aristote, dit Pline; qui dit Pline, dit Élien. Passons condam- nation sur ce chef d'avarice. Du reste, le Corbeau solitaire n'a nullement besoin qu'on lui vienne en aide sans raison, au con- traire, car le nombre de ses panégyristes officieux est beaucoup plus considérable que celui de ses détracteurs systématiques. Si, d'une part, en effet. Job et David incriminent ses mœurs familiales et le représentent à tort comme le type du mauvais père, abandonnant lâchement le soin de sa progéniture pour se livrer à des flâneries indignes, Plutarque, qui a écrit une sorte de petit traité de la vie des bétes illustres pour faire pendant à son grand livre, Plutarque fait une peinture édifiante de la fidé- lité conjugale du Corbeau et de sa galanterie. Or, nous savons que l'aBéction passionnée des parents l'un pour l'autre est une garantie infaillible de leur tendresse pour leurs petits. L'éloquent écrivain qui a consacré de si belles pages à la glorification de la continence de Scipion l'Africain, soutient donc avec la môme puissance d'entrainement et de conviction, qu'il arrive tous les jours au Corbeau de renouveler les prodiges de fidélité conjugale 12 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. qui ont rendu si célèbres dans la mémoire des hommes, les noms d'Arthémise et d'Orphée. Les Cor])eaux mùIcs, dit-il, sont dans l'usage de garder pendant neuf ans le deuil de leurs défuntes; un veuf qui s'aviserait de convoler en secondes ou en troisièmes noces avant l'expiration de ce terme, serait déshonoré Je crois que c'est le même historien (jui a parlé de l'entente cordiale qui aurait été autrefois entre le Corbeau et la Cigogne, alliance si chnleureuse qu'elle aurait porté le premier à s'embarquer avec la seconde pour lui servir pendant la traversée d'estafette et d'escorte. J'ignore si réellement ces choses furent dans les temps loin de nous, mais je sais parfaitement, par exemple, qu'elles ont bien changé depuis, car non-seulement le Corbeau, qui est sédentaire, n'accompagne plus la Cigogne dans ses voya- ges, mais il est sa bète noire au lieu d'être sa bête de compa- gnie, et son bonheur est déporter le trouble dans le ménage de l'oiseau blanc, de lui casser ses œufs et de lui ravir ses petits. Un jour (jue le Corbeau solitaire, sur sa roche perché, avaitété témoin de la façon ingénieuse et savante dont l'Aigle s'y prenait pour décortiquer les tortues, en les laissant tomber du plus haut des airs sur le roc, l'envie lui vint aussitôt d'appliquer cette méthode d'extraction rapide à certains coquillages dont il estimait l'inté- rieur. Il prit à cet elTct une moule en son bec, et l'emportant à une grande hauteur, la laissa choir sur les cailloux. Or, le coquillage ne s'étant pas brisé comme l'opérateur l'espérait, il comprit de lui-même ({ue l'insuccès de l'expérience provenait de sa maladresse et qu'il ne sagissait pour réussir que de s'élever un peu plus. Et reprenant sa proie, il réitéra l'ascension jusqu'à ce qu'il fût arrivé à ses lins. « Les racines des sciences sont amères, s'écria-t-il en savourant la moule, mais le fruit en est doux, w Tous ceux qui ont eu le malheur de passer quel(|ucs-uncs de leurs jeunes années au collège savent que les Corbeaux de Ly- OMNIVORES. i.T bie, qui sont des Corbcaiixsolitaires, ont rhabitiidc, quand ils ont soif et qu'ils font rencontre d'une caraffc à moitié pleine, d'insi- nuer en icelle une certaine quantité de gravier pour faire mon- ter le liquide jusqu'à portée de leur bec... Et aussi qu'il était une fois un roi d'Egypte, nommé Mertès qui, bien avant l'institution du Pigeon voyageur et celle du télégraphe électrique, employait pour le service de sa correspondance littéraire un de ces Cor beaux de Lybie, dont la sagacité dépassait la commune mesure, et que la bête étant morte d'accident, le pharaon inconsolable la fit empailler proprement et ensuite enterrer avec un convoi de première classe. Tous les mortels sont désireux de lire dans l'avenir pour con- naître d'avance le nom des numéros gagnants à la loterie. Les sages des vieux temps, que torturait comme nous cette curiosité du futur, avaient imaginé une recette culinaire dans laquelle entraient le foie et le cœur du Corbeau, préparés d'une certaine façon, et qui vous conférait d'emblée le don de divination. Le se- cret s'en est perdu comme tant d'autres, hélas ! ne le regrettons pas. Mais rappelons que l'histoire constate l'existence de ra[)- ports fréquents et suivis entre le Corbeau d'une part, et d'autre le prophète Élie, la pythonissc de Delphes, la sybille de Cumcs et un tas d'autres voyants. C'est encore à cette espèce, comme à la plus puissante et à la plus valeureuse du genre, qu'il convient de reporter l'honneur qu'on veut faire au Corbeau d'avoir servi dans l'arme de la fauconnerie. Pline affirme positivement que dans une certaine contrée d'Asie qui s'appelait l'Erizène, vivait jadis un gentil- homme nommé Cratérus Monoceros, ayant pour industrie spé- ciale de voler la Perdrix et la Caille au Corbeau. Marc Paul ou Chardin, je ne sais plus lequel, prétendrait à son tour avoir été témoin oculaire d'un fait de cette nature à la cour du grand Kan, ii OiH.MTIlOLOGlE PASSlONMiLLli:. (lu grand Sha ou du grand Lama. Enfin, ce qui est plus grave encore, les fastes de la fauconnerie française accuseraient le roi Louis XII d'avoir donné dans les mêmes écarts que les souve- rains ci-dessus. J'aurais besoin, je ne le cache pas, de voir ces choses pour y ajouter foi entière, ne comprenant pas bien qu'un' oiseau privé de mains et porteur d'ailes obtuses, qu'un oiseau, en un mot, aussi lourd et aussi paresseux que le Corbeau, se puisse jeter de fougue et à commandement à la poursuite d'une proie aussi rapide que la Perdrix lancée et la lier dans les airs. Cependant, du moment que l'homme a réussi, à force de patience et d'adresse, à dresser le lièvre à battre la caisse et à mettre le feu au canon, je ne vois pas pourquoi il lui serait impossible de dresser le Corbeau au vol de la Perdrix ; d'autant moins que je sais de science certaine que le Corbeau des champs, beaucoup plus petit que le solitaire, vole naturelle- ment le lièvre et le lapin. Mais je commence à m'apercevoir que, de concession en concession, j'en suis presque arrivé à faire l'apologie du moule indigne que j'avais voué d'abord à l'exter- mination. Restons en là de cette notice, pour n'avoir pas à nous repentir de notre premier mouvement. La Corneille noire et la Mamelée. Corbeaux vulgaires des champs, Corbines, Grolles, etc. La Corneille noire, qui se ré- pand en ?i grandes masses sur nos champs cultivés à l'approche de l'hiver, nous vient généralement du Nord, et principalement de la Russie où elle est pour ainsi dire domestique. Cependant elle niche aussi en France, où elle vit isolément et se cantonne pendant toute la durée de la belle saison, se taillant dans la carte un arrondissement de pillage et de carnage comme les vrais oiseaux de proie. Elle fait son nid, qui est très-apparent, très- large et très-solide, sur les peupliers dans les champs, sur les chênes dans les forêts. La Corneille Mantelée niche rarement en OMMVOKES. io Fraoce, ses mœurs sont les mêmes que celles de l'espèce précé- dente, avec laquelle elle voyage de conserve et se marie parfois. Je vote pour qu'on leur applique à toutes deux la peine du talion, c'est-à-dire pour qu'on déniche leurs petits, qu'on leur torde le cou et qu'on les donne en pâture aux pourceaux. C'est la première de ces deux Corneilles-là, la Noire ou le Corbeau vulgaire, qui iigure dans tous les récits plus ou moins authentiques où l'espèce a le vilain rôle. C'est le maître Corbeau essentiellement dévolu à la mystification par son intempérance de verbe; c'est le plus enclin au vol, à l'ivrognerie et à la gour- mandise; le même que l'astuce du Renard a illustré d'un ridi- cule inelïàçable, que l'oiseleur enivre avec des petits pois à l'eau- de-vie et que les gamins coilïént de cornets enduits de glu et amorcés de chair. C'est celui qui se fait gloire du chllfrc de ses parjures et se pavane triomphalement dans ses apostasies. C'est un des grands fléaux de l'agriculture, un déterreur de grains, un voleur de cerises, un assassin de levrauts, de perdreaux, de lapins. J'en ai tué quelques-uns et ne m'enrepens pas, mais je crains cependant qu'on n'ait poussé trop loin l'esprit de dénigre- ment envers l'espèce, en l'accusant d'avoir voulu enlever un mou- ton pour faire comme un Aigle à qui elle avait vu tenter cette opération avec un plein succès. Le Corbeau n'est pas bcte à s'em- barquer en dépareilles entreprises, et il connaît aussi bien sinon mieux que pas un fabuliste, la justesse du proverbe : Qui trop embrasse mal étreint. Quand il grimpe sur le dos du mouton pen- dant l'hiver, c'est pour se réchauflér les pieds ou chercher dans sa laine les baies qui s'y attachent et non pour l'emporter dans les champs de l'espace. Il se juche quelquefois aussi sur l'échiné du porc pour le débarrasser d'une foule d'hôtes importuns ; pour- quoi les fabulistes ne l'ont-ils pas accusé de même d'avoir tenté l'enlèvement d'un animal du poids de loO kilogrammes. On a vu des Corbeaux de cette espèce, cloués par les épaules Ki OU.MTllOl.OGlE PASSlO.NMiLLi:. a uiipi({iiet (ie chùueau beau milieu des cliamps, entrer eu lies colères blanclies qui les faisaient empoigner avec rage et retenir mordicus cnl'étaude leurs serres tout ce qui s'approchait d'eux. Comme cette race des Corbeaux est une race ignoble, et avide du spectacle des tortures et des expositions publiciues, ainsi que toutes les viles multitudes, elle ne manque jamais d'accourir en grand nombre au-devant des exécutions pour se repaître de l'ago- nie des victimes; mais malheur en ce cas au sans cœur qui veut inspecter de trop près l'appareil du supplice; le patient le saisit et lui fait cx"pier sa curiosité imprudente par la perte de sa vie ou de sa liberté, et le diable ne fait que rire de cette mésaven- ture d'un larron roué par un autre larron. Ainsi le public bat des mains quand deux grands avocats se prennent de bec en plein tribunal et se couvrent d'injures fraternelles, dans l'intérêt de leur cause. Le Freux. Le Freux est ce Corbeau chauve qui affecte de pré- férer le grain à la chair, d'où lui est venu son nom de F/ugile- f/us. Son plumage noir a des reflets plus violets el plus cuivrés que celui de la Corneille noire et il a le front et les entournures du bec complètement dénudés de plumes. Cette calvitie n'est pas un défaut de naissance, la bote l'a gagnée à piocher la terre pour en déterrer les grains. Le Freux est fier de ces nobles cica- trices du travail et il les montre avec orgueil , comme un bon canotier ses ampoules gagnées à manier l'aviron. C'est un des plus redoutables ennemis du laboureur; mais la loi et le préjugé, qui sont si sévères aux pigeons, sont pleins de tolérance pour le Freux. Ces oiseaux se réunissent en grandes bandes au prin- temps pour nicher, à l'instar des Hérons. Une fois qu'ils ont adopté pour emplacement dé colonie une avenue de peupliers ou un massif d'ormes, ils y reviennent tous les ans à époque lixe pour y pondre, et quand ils (luittent le pays à l'approche O.MMVORES. 4: des Iriniats, ils ont grand soin de visiter leur nid et d y luire des réparations pour prévenir les ravages dos autans. Cette espèce est très-populaire et très-répandue dans les iles Britan- niques, oîi les petits se mangent en guise de pigeonneaux. Les Anglais ont remarqué que les Freux adoptaient de préférence pour domicile d'amour les massifs d'arbres voisins des écoles primaires , ou plantés dans les cours de récréation des moutards. Ce choix dit assez leur emblème qui est le maître d'étude, espèce sobre par nécessité, et qui devient chauve de bonne heure. Les Freux sont intraitables sur l'article du res{)cct à la propriété. Quand un jeune couple, qui n'a pas encore de maison à lui , s'avise d'emprunter des matériaux de bâtisse à l'établissement de ses voisins , et ne dissimule pas sou larcin avec assez d'habi- leté, les volés entrent dans une colère furieuse et se réunissent aussitôt pour tomber à grands coups de bec sur les voleurs mala- droits qui sont souvent obligés de s'expatrier pour fuir le châtiment dont ils sont menacés. On cite un couple de Freux anglais (|ui nicha pendant plusieurs années de suite au-dessus de la girouette qui surmonte la halle aux blés de Ncwcastle. Ce nid, qui lit long- temps l'admiration des étrangers et le bonheur des indigènes de la noire cité, était digne de servir de pendant à celui qu'une Hirondelle de cheminée, de la même contrée, avait bâti sur les aîles d'un Chat-huant cloué à une grande porte. On ne saurait refuser aux oiseaux de la Grande-Bretagne, pas plus qu'à ses autres natifs, une certaine dose de hardiesse industrielle et d'ex- centricité tout à fait caractéristique. Je sais plus d'une rookery en France, une entre autres, située dans le voisinage du bourg deMennecy, près Corbeil , où j'avais autrefois l'habitude de me rendre tous les ans au mois de mai pour y détruire un millier de petits Freux et prévenir ainsi la destruction de quelques milliers de boisseaux de froment. Je propose ma conduite pour modèle à tous les chasseurs soucieux des intérêts de l'agriculture et de la 48 ORNITHOLOGIE PASSlONMiLLli. chose publique. Rookcrji^ prononcez rouquereu^ est un mot anglais qui veut dire établissement colonial de Freux; les Freux ont reçu le doux nom de RoûkAt l'autre côté de la Manche. Je ne connais pas de langue plus riche que l'anglaise en termes de zoologie. Le Freux a l'estomac musculeux et l'intestin très-développé comme les granivores ; ce qui ne l'empêche pas de faire sauter très- adroitement les pierres pour manger les vers qui sont dessous. Le Cnouc.vs. La petite Corneille des églises, si commune à Paris et dans toutes les vieilles cités ornées de cathédrales gothi- (jues. Le Choucas est un des ennemis les plus acharnés de la famille des petits oiseaux. Il dévore les jeunes avec la même avidité que les œufs et s'oppose fructueusement à la multiplica- tion du gibier plume. C'est lui seul qui rend l'existence amère aux Ramiers des Tuileries et qui interdit quelquefois aux pro- meneurs de ce jardin splendide le parcours de certains massifs de marronniers. C'est un larron de cette espèce qui resta pendu un jour à un nid d'Hirondelle de la place Vendôme dans lequel il avait insinué sa tête pour en retirer les petits. Les malheureux Moineaux francs qui nichent parmi les feuilles d'acanthe de la magnilique colonnade du Ministùre de la Marine, payent chaque année un énorme tribut de victimes à sa voracité. Un des pre- miers devoirs des édiles de la capitale et des autres grandes villes de la France, serait de poursuivre l'extermination de cette espèce nuisible par l'appât de fortes primes. L'initiative d'une semblable mesure leur assurerait des droits à la gratitude éter- nelle des Cailles, des Perdrix et des Alouettes qui habitent les champs, aussi bien qu'à celle des llamiers, des Moineaux francs et des autres oiseaux indigènes des cites. La maison du Sei- gneur peut sans inconvénient servir de demeure aux Colombes et aux Hirondelles, qui sont de doux emblèmes de toutes les vertus domestiques; mais elle doit être imi)itoyablcii:cr.t IViîi.ée OMNIVORES. 4» aux oiseaux voleurs et sans foi et aux artisans de ténèbres. Au- cune mauvaise bète n'est plus digne à tous égards de la pros- cription que j'invoque, que le petit Corbeau d'église, qui sym- bolise le syndic de la communauté religieuse. Les portières elles-mêmes ont été forcées de renoncer à l'éducation du Chou- cas, par impuissance de le corriger de ses instincts subversifs, et notamment de sa passion pour le vol. Les habitants de la Grande-Bretagne, qui sontesseQliellemcnt carnivores, dénichent les jeunes Choucas pour en faire des pâtés. Je parlais tout à l'heure de l'excentricité des goûts et des idées de? natifs de cette île. Les anciens mangeaient aussi le Choucas, mais uni- quement pour la raison que j'ai signalée plus haut, parce qu'ils étaient persuadés que la chair de ce petit Corbeau communi- quait le don de prévoir l'avenir. Le Choqlard, Choucas des Alpes. Un peu plus grand que le Choucas ; manteau noir à reflets pourpres passant au vert, bec court d'une belle couleur orangée, iris brun et pieds rouges. Le Choquard habite en France les plus hautes régions monta- gneuses et le voisinage des neiges éternelles; il est omnivore comme tous ses congénères et vit en société comme le Choucas et le Freux, ne désertant que très-rarement, et lorsqu'il y est contraint par la rigueur de la saison, les lieux où il a reçu le jour. Il niche dans les fentes des rochers. Personne n'a jamais pu me dire pourquoi Cuvier avait distrait cette espèce du genre Corbeau, dont elle a tous les caractères, les goûts immondes, le croassement et les allures, afin de la placer parmi les Merles. Le Merle est un oiseau qui chante et ne croasse pas, qui court et ne marche pas, qui s'engraisse de la baie du myrthe et non pas des lambeaux de la charogne putréfiée, et je repousse éner- giquement pour lui l'assimilation honteuse dont Cuvier a essayé de le flétrir. Je suis parfois tenté de dire de la Science ce que SO ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. les savants disent de la Nature, qu'elle a des secrets dont il est impossible de sonder la profondeur. Le Coracias. Un peu plus long que le Choquard, de la queue, du bec et des ailes. Robe noire à reflets violets, pourpres et verts; iris brun, pieds et bec du plus pur vermillon, langue do- rée. Les habitudes de cette espèce sont semblables à celles de la précédente. Toutes deux vivent dans les mômes parages et voyâ* gent souvent de conserve. Seulement le Coracias n'est pas exclusif comme le Choquard aux sommets neigeux des Alpes, du Jura et des Vosges, et on l'aperçoit quelquefois sur les corniches de la falaise armoricaine. La Corneille aux pieds roses, de Belle-Ile, qui s'apprivoise si facilement, appartient à cette jolie espèce, dans le sein de laquelle les cas d'albinosisme sont fréquents. On sait que cette dernière tendance indique de fortes propen- sions à la domesticabilité. J'ai forcé en la présente année 1855, une perdrix rouge, toute blanche, à la réserve de l'occiput et des maillurcs du flanc qui sont Isabelle et gris perle ; moins de huit jours après la perte de sa liberté elle mangeait dans ma main. Le Choquard et le Coracias, qui sont de véritables Corbeaux, composent le sous-genre Pyrrhocorax de je ne sais qui. Cuvier, qui avait retiré le Choquard de cette tribu des Corbeaux pour le ranger parmi les Merles, ne pouvait guère se dispenser d'en faire autant pour le Coracias. Il l'a logé parmi les Huppes, dans lé voisinage des Crimpereaux et des Oiseaux-mouches, sous pré^ texte qu'il avait le bec trop effilé et trop arqué pour exercer convenablement l'emploi de Croquemort. Continuons de jeter un voile respectueux sur ces tristes écarts du génie, et disons à la gloire de l'Aigle de Montbéliard qu'il a vu bien plus clair daûS les ténèbres du passé que dans les clartés du présent. J'ai fini le groupe des Burgraves, à la démarche lente et di- gne; voici venir les sauteurs. O.MMVOHES. ol Genre Rollier. Espèce unique. Le Rollier est im tort bel oiseau à plumage dcMartin-pôcheur, qui est plus rare encore que le Casse-noix et fait encore moins parler de lui. C'est un Geai véritable et qui ne diffère du Geai vulgaire que par de très-légères différences. Le Rollier quitte l'Afrique pour se rendre en Europe vers le milieu d'avril ; il est fort répandu à cette époque, ainsi que le Guêpier, dans nos plan- tations d'Algérie. Un très-faible contingent de l'émigration re- monte la vallée du Rhône pour établir en France son domicile d'amour. Le Rollier niche dans les forêts les plus solitaires de l'Est et du Midi. Puisqu'il porte la livrée aigue-marinc des Guê- piers et des Marlins-pêcheurs, il faut bien qu'il fasse son nid dans des cavités maçonnées et qu'il ponde des œufs blancs lus- trés. C'est ce qui a lieu, en effet ; son domicile est un creux d'ar- bre ou une fente de muraille ou bien un trou percé dans une pa- roi de roche, de carrière. Sa nourriture consiste surtout en escar- gots, mais son régal supérieur est l'œuf de Tourterelle ou celui de Rossignol. Le Rollier, pris très-jeune, s'apprivoise facile- ment et s'élève de la même manière que les Pies et les Geais; il est aussi braillard, aussi vorace et aussi âile que les jeunes de cette dernière espèce, dont il a les façons, les grâces et l'or- gane. Toutefois, on a remarqué que le pelichalit au vol était moins caractérisé chez cette espèce que chez ses congénères, ce qui doit dépendre de ce que le Rollier est un oiseau de passage, qui prend ses quartiers d'hiver en Afrique, et qui n'a pas be- soin, par conséquent, de se créer des magasins de réserve en prévision du manque de vivres pendant la rude saison. Je ne o'2 OKNITHOLOGIE PASSIO.NNELLE. vois pas d'autre différence entre le Rollier et le Geai vulgaire que celle-là, si ce n'est encore que le Rollier prend le chemin du cap de Bonne-Espérance et pique vers le Midi, quand il ap- pareille de France, tandis que le Geai gouverne vers l'Est et fait voile vers le Japon. Le Rollier, qui a une mer à traverser, et qui voyage d'ailleurs à plus longues étapes que le Geai, a, par cette raison, l'aile plus longue et surtout plus pointue. Le Rollier est un oiseau très-savant, très-habile des mains et du bec, qui jon- gle avec les boulettes de viande et de fromage qu'on lui pré- sente, et qui dit ainsi son emblème. (ienre Geai. Espèce uniciue. Geai. Jaques de Lorraine; Ricard des rives de la Loire; le Corvus glandarius ou Corbeau à gland des auteurs. Tout le monde connaît le Geai en France, parce qu'on l'y ren- contre partout, et parce qu'il n'est guère d'enfant de ce pays qui n'ait pris de jeunes Geais au nid et tenté d'en élever un. C'est un oiseau très-sale, très-gourmand, très-voleur et très- désagréable à entendre, ce dont il ne se doute guère, car il parle sur tout et pour rien, et sa loquacité disgracieuse est à l'ave- nant de sa voracité. Toute nourriture lui est bonne ; escargots, glands, cerises, pommes, châtaignes, noix, tètes d'œillet, fro- mage blanc ; mais son régal de prédilection est l'œuf de Rossi- gnol ou de Merle frais pondu. La chair des oisillons nou- veaux-nés lui est encore particulièrement savoureuse ; il ne dédaigne pas non plus celle des adultes qu'il aime à détacher des pièges pour mystifier l'oiseleur. Enfin, il déterre les grains et dissèque les cadavres à l'instar du Corbeau. 11 est possédé, OMNIVORES. .S;< comme le Choucas et la Pie, du besoin de voler et d'enfouir. Quand vous le voyez passer au-dessus de la vallée, en automne, tenant en son bec une pomme, une châtaigne, une noix, c'est qu'il se rend vers la cachette qu'il a choisie pour y déposer son épargne. Cette cachette est tantôt un vieux nid de Pie ou un nid d'Écureuil, ou bien encore quelque cavité d'arbre. Les chênes qui poussent quelquefois dans le sein des vieux saules proviennent des glands apportés là et plus tard oubliés par le Geai. Ses pieds sont de véritables serres acérées et pointues qui ne lâchent ja- mais prise, et son bec est armé d'un crochet aigu et tranchant qui porte des coups terribles. Les Geais, comme tous les avares, se délectent à la contem- plation de leur trésor. Ils passent de longues heures à savourer ce spectacle et à compter leurs espèces, et comme la peur d'être volés, qui est le plus grand supplice des voleurs, les tourmente sans cesse, ils changent fré(|uemment leur cachette de place. Le Geai est un oiseau éminemment voyageur, mais qui ne suit pas dans ses migrations la même route que le RoUier. J'ai dit que celui-ci allait du Nord au Sud, conformément à la pratique géné- rale des oiseaux de passage ; le Geai , tout au contraire, marche de l'Ouest à l'Est et ne revient pas tous les ans aux lieux qui l'ont vu naître; si bien que tel Geai qui s'est établi cette année en France, nichera peut-être l'an prochain dans les forêts de la Tartarie ou dans celles de la Chine et réciproquement. Ces habitudes de cos- mopolitisme de l'espèce expliquent les variations nombreuses que les oiseleurs d'Europe observent fréquemment dans le chif- fre de son effectif. La plus grande élévation de ce chiffre sem- ble correspondre aux dates des plus riches années de glands. Il est même à remarquer que lorsque ce fruit a copieusement donné et que les Geais ont eu le temps de remplir leurs greniers d'abondance, ils déposent volontiers leur humeur voyageuse et demeurent tout l'hiver dans nos forêts de l'Est. Autrement le 54 0R^'1TII0L0G1E PASSIONNELLE. Geai n esi guère sédentaire en France que dans nos forêts du Midi. Le Geai niciie de très-bonne heure au printemps, et les petits sont quelquefois en état de voler dès les premiers jours de mai. Son nid, qu'il bâtit de préférence sur les arbres épineux, se com- pose d'un fin matelas de petites racines d'herbes tressées avec beaucoup d'art et reposant mollement sur une assise de brin- dilles sèches. La mère y pond cinq œufs de couleur gris terne tiquetés de points verdàtres, qu'elle abandonne sans retour aussitôt qu'elle s'aperçoit que son nid a été découvert, malheur qui lui arrive fréquemment, attendu que cet établissement fondé avant les feuilles, occupe une assez vaste place et attire facile- ment les yeux du maraudeur. Cette espèce ne fait qu'une seule ponte par an, et sa progéniture a fort à souffrir des gamins qui ont fait de la vente d'icelle une branche de commerce lucrative. II ne fallait pas moins que la réunion de ces deux circonstances pour protéger les espèces innocentes contre les déprédations du redoutable ovivore, qui semble avoir juré l'extermination de la race des Rouges-gorges et des Rossignols. Le Geai est méfiant et rusé, mais toute sa malice ne l'empêche pas de donner dans les pièges où le pousse sa nature curieuse. Quand on éprouve le besoin de t^avoir tout ce qui se passe, pour le raconter au premier venu, il faut nécessairement se tenir à l'affût du fait divers et courir aux nouvelles. Si l'on voit passer un Renard ou un Lièvre, il faut le signaler ; si l'on entend l'appeau du pi- peur, il faut voir ce que c'est; le cri de la Chouette, il faut son- ner la charge contre la méchante bète. Or, l'oiseleur a dressé des embûches sur toutes les voies des oiseaux, et malheur à ceux qui se laissent aller à leurs instincts. La statistique n'a pas encore constaté officiellement le nombre exact des Ge;iis qui yjé- rissent chaciue automne, victimes de leur curiosité immodérée ; mais je sais par ma propre expérience que ce chiffre doit attein- OMNIVORES. fîî) dre des proportions fabuleuses. J'en al pris des trente et des quarante ^dans une srulc matinée et sur le même arbre de pipée. Le succès de ce genre de chasse est d'autant plus certain, qu'il suffit de faire pousser le cri d'alarme au premier Geai qu'on a pris pour attirer sur la pipée tous ses frères de la forêt. Le pi- peur se livre à cette extermination avec d'autant plus de plaisir qu'il joint habituellement à cette profession celle de tendeur au collet et à la raquette, et qu'il a, en cette dernière qualité, de légitimes vengeances à exercer contre le Geai, qui est, après le Renard, son ennemi le plus intime, et qui visite tous les matins ses pièges pour lui dérober sou butin. Le costume du Geai est trop connu pour que je le décrive en détail. Ses longues moustaches noires, sa huppe toujours héris- sée, ses allures frétillantes, sembleraient annoncer une humeur ultra-belliqueuse ; mais sa vaillance est toute dans son verbe. Ce décrocheur de pendus, ce massacreur d'innocents, qui a bec et ongles pour se battre, n'est qu'un lâche comme tous ses pareils; il fuit lâchement à la branche à l'aspect de l'Èmerillon. Le mi- roir de ses ailes est aussi coloré d'azur, d'où l'on pourrait à pre- mière vue induire que l'amour tient une large place dans les af- fections de l'oiseau. Apparence menteuse. Regardez ces barres noires qui compriment l'expansion de la couleur céleste, elles vous disent qu'il n'y a plus de place pour les nobles sentiments dans le cœur de l'avare. L'amour, comme le courage, est tout en paroles chez le Geai. Son gosier an printemps est un vrai mou- lin à palabres. Sa manie, en ce temps-là, est de contrefaire le cri de tous les animaux. Un oiseau qui n'a point de patrie et qui vit de toute nourri- ture ne doit pas être difficile à élever. Le Geai est, en effet, un de ceux qui se résignent le plus philosophiquement à la capti- vité et qui troquent le plus volontiers leur liberté contre le bien- être. 11 partage à cet égard les opinions du porc, avec lequel il o« ORN1THOF.OG1I£ PASSIONNELLE. est déjà en rapport analogique par son amour du gland. Seule- ment, le porc symbolise l'avarice utile, en ce qu'il est bon après sa mort, tandis que le Geai ne vaut guère mieux après son tré- pas que devant. Un de mes amisdu Tarn, ornithologiste passionné, M. Achille Crouzet,de l'Ile d'Alby,àqui je demandais un jour des rensei- gnements inédits sur la moralité du Geai, me répondit en ces termes : « Le Geai possède de brillantes facultés intellectuelles qui peuvent se développer par l'étude, et il est susceptible d'attache- ment. Il reconnaît au bout de quelques jours la voix de celui qui le soigne et caresse volontiers la main qui s'ouvre pour lui offrir des friandises. J'en ai conservé un pendant une dizaine d'années, et il est très-probable qu'il vivrait encore aujourd'hui, si je ne l'avais laissé périr par négligence coupable, car cet oiseau vit très-longtemps. C'était un mâle que j'avais pris la peine de choi- sir moi-même dans le nid. Yous savez peut-être que les sexes se distinguent parfaitement dans cette espèce dès l'âge le plus tendre et que les jeunes mâles portent sur le sommet de la tète cinq à six plumes noirâtres qui sont beaucoup plus foncées que celles des femelles. Si vous ignoriez ce fait, je suis heureux de vous l'apprendre. La première éducation de mon jeune élève réussit merveilleusement. Aussitôt qu'il fut en âge de voler, je lui bâtis une demeure confortable sous la terrasse de mon enclos qui est un verger assez vaste, et dans lequel il avait pleine li- berté d'aller et de venir. 11 m'y suivait quand je m'y promenais, voltigeant d'arbre en arbre, et se retirait régulièrement chaque soir sous son toit. Il s'égarait aussi parfois dans les jardins du voisinage, mais ces expéditions aventureuses n'avaient aucun pé- ril pour lui, car tous mes voisins le connaissaient, et la crainte de me désobliger les eût retenus de lui faireaucun mal. L'automne venu, je jugeai prudent de lui rogner proprement la barbe des OMNIVORES. 57 rémiges, pour l'cmpècher de céder aux conseils de ses frères de Ja forêt, qui auraient bien pu l'embaucher pour quelque émigra- tion lointaine, et je lui laissai le libre parcours de la galerie de notre habitation, de nos appartements et de nos cours. Il n'est pas à ma connaissance qu'il ait oublié l'heure du repas familial une seule fois en sa vie. 11 y assistait dévotement en société d'un nombreux personnel de chiens de chasse et de chats gâtés auxquels il arrachait les morceaux de la bouche avec une adresse et une subtilité qui faisaient le bonheur des auteurs de mes jours. Il avait de plus pour ses amphy trions de ces attentions déli- cates qu'on ne rencontre pas généralement chez les bêtes carni- vores à quatre pattes ; il n'affichait pas comme celles-ci une sou- veraine indifférence pour les choses du dessert, et ne se levait jamais de table avant la fin. Malheureusement l'oiseau ne tarda pas à abuser de la liberté qu'on lui laissait et de la confiance illi- mitée qu'on avait mise en lui. Ma grand'mère s'alarmait de voir décroître chaque jour, avec une rapidité effrayante, le nombre de ses épingles; des aiguilles à tricoter s'étaient évanouies, chargées de leur commencement de chaussette; un beau matin, un dé d'or disparut. Instruit par l'opéra de la Pie voleuse de la force de la passion de certaines espèces d'oiseaux pour les couverts d'argent, je me doutai bien que* mon Geai n'était pas étranger à ce dernier larcin; et comme je savais par expérience que les oiseaux voleurs ne laissent jamais bien longtemps à la môme place les objets qu'ils ont dérobés, je pris le parti d'épier soigneusement toutes les démarches du prévenu et de m'atta- cher à ses pas. Le résultat de cette surveillance minutieuse fut qu'avant deux jours pleins je tenais le délinquant et le corps du délit, l'un portant l'autre. L'oiseau pris sur le fait, n'osa pas nier le crime, mais vous ne vîtes jamais de larron plus penaud. Condamné à l'emprisonnement cellulaire pour 1 reste de ses jours, il entendit sa sentence avec calme. .iS ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. » Cependant j'avais en ce temps là charge d'âmes, m'étant fait par pur esprit de charité démocratique l'instituteur pri- maire de quelques pauvres enfants du voisinage, auxquels j'en- seignais vaillamment les premiers éléments de la lecture, de l'é- criture, du dessin, du calcul, etc. Pour mêler l'agréable à l'utile dans mon enseignement, et varier la monotonie des répétitions de l'A B C, je terminais volontiers la séance par l'exécution d'un solo de clarinette sur quelque air villageois connu, comme celui delà gaieté des champs. Il n'en coûte aucunement à l'amour-propre du professeur de confesser que de tous ses élèves, l'oiseau fut peut- être celui dont les progrès firent le plus d'honneur à sa méthode. » Ces élèves externes arrivaientà la maison après leur déjeuner, vers neuf heures; ils en sortaient un peu avant midi, pour aller prendre leur part du modeste diner paternel , et quand j'étais absent à l'heure de la sortie, ils ouvraient la fenêtre de la classe pour crier à ma bonne mère, dans leur patois enfantin du midi : « Aladamo Crouzet, nous nanan; » c'est-à-dire : « Nous en allons- nous? » à laquelle interrogation la digne femme répondait inva- riablement par un oui énergique et trois fois répété. )) Or, par une belle matinée d'avril , à l'heure où les élèves et les professeurs dormgnt encore, ma mère vint me réveiller pour m'apprendre qu'un des petits était là, qui sifflait avec une verve incroyable l'air de la gaieté des champs; elle me priait de le faire taire. Flatté d'un pareil trait de zèle et d'amour pour l'étude de la part d'un de mes élèves, je me lève en grande hâte pour aller re- connaître le sujet méritant ; mais les portes de la maison sont en- core fermées, par conséquent nul étranger ne peut s'y trouver à cette heure, à moins d'y avoir passé la nuit. La lumière se fait soudain dans mon entendement à cette réflexion, et m'avisant du tour, je monte à mon atelier pour observer de ce poste couvert celui que je suppose être l'auteur de la mystification. C'était le Geai en efl'et qui, posé magistralement et d'aplomb sur une seule patte, OMNIVORES. 59 répétait avec enthousiasme les accords de la clarinette. Non-seu- lement la cadence était exécutée avec une tidélité de son merveil- leuse, mais la bête l'avait terminée par une fioriture italienne de sa composition. Ma mère fut la première à rire de sa méprise et rendit cordialement son affection à la béte. A quelques jours de là, un jeudi que la classe était vide, elle est interpellée vers l'heure de midi par le nous nanan habituel. — Oui, répond-elle de confiance... mais la bande ne décampe pas et l'interpellation continue. — Oui, vous dis-je, oui, oui, oui, reprend- elle de re- chef, et en accentuant son aflirmation d'un ton d'impatience. — Oui, oui, oui, redit l'écho caché qui avait fait la demande et qui finit par faire à son tour la réponse. Ma mère, à ce dernier trait, s'aperçoit qu'elle vient d'être victime d'une mystification nouvelle; mais elle est plus disposée à s'émerveiller de la prodi- gieuse sagacité de l'oiseau, qu'à lui garder rancune de sa plai- santerie et elle lui pardonne comme toujours. » Ce Geai avait une mémoire musicale prodigieuse, et aussi, à ce qu'il semble, le génie de la combinaison métronomique; car je l'ai vu maintes fois essayer d'adapter les airs qu'il possédait aux gammes alphabétiques ba be bi bo bu et suivantes, aussi bien qu'aux préceptes de la numération. Il fit pendant plusieurs années, par sa conversation variée et instructive, les délices des passants. Longtemps après sa mort, arrivée par ma faute, un tourneur à qui l'on avait donné à rempailler les chaises de la cuisine, trouva dans l'intérieur des tresses de l'une d'elles, une énorme pelotte d'épingles que l'oiseau y avait cachée. » Les personnes qui ont lu tout à l'heure l'histoire du Corbeau et qui l'ont méditée avec toute l'attention que commande un sujet aussi grave, ont remarqué sans doute que le fabuliste français, en traitant cet oiseau de Maître^ et en le faisant punir de sa manie de bavardage par un Renard subtil, nous en avait bien plus appris sur ses mœurs et sa dominante caractérielle, 00 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. que tous les historiens de Paris, d'Edimbourg et de Rome. Or le Geai a eu aussi l'heureuse chance d'avoir été touché par la main de la fable, qui l'a mieux peint d'un seul trait de pinceau que n'ont pu faire tous les naturalistes oiïiciels en des tas de vo- lumes. Le Geai n'est donc qu'un effronté plagiaire, un vaniteux fieffé, un ambitieux de renommée scientifique et littéraire, dont la principale industrie est de se parer des plumes du Paon, c'est- à-dire de voler la gloire et le travail d'autrui . Son érudition semble prodigieuse, parce qu'il possède à un degré éminent le don de retenir ce que les autres ont dit et écrit ; mais cette érudition de dictionnaire n'est que superficielle et ne séduit que les simples. Elle est dans la mémoire des sons, non dans celle des choses, et je la méprise hautement comme toute prétendue science qui ne donne pas les moyens de procéder du connu à l'inconnu. La science n'est pas de savoir si la fondation de tel monument écroulé remonte au règne du premier ou du second Rhamsès, mais bien de préparer les voies à l'affranchissement de la femme, de l'enfant, de l'esclave, et de guider les générations nouvelles vers la terre promise d'harmo- nie. C'est l'histoire de l'avenir en un mot qui nous intéresse, et non celle du passé... et le Geai, qui répète comme un perroquet tout ce qu'il entend dire, qui miaule comme le chat, hennit comme le cheval, jure comme le charretier et craille comme le Paon, le Geai peut récréer un moment les badauds par ses talents de saltimbanque ; il n'a droit qu'au dédain des penseurs sérieux. Par sa sotte prétention de passer pour universel, par sa folle manie de crier pour un rien et de parler sur tout, par sa triste habitude de piller à droite et à gauche, le Geai est l'emblème parlant du vil folliculaire, orgueilleux, voleur et sans foi, qui s'in- titule lui-même l'homme spécial dans toutes les parties. Par sa passion de dérober les dés d'or, les cuillers à café, et la menue monnaie, il svmbolise le collectionneur avide que son amour UM.MVURES. (jl immodéré (les collectiousnumismatiques et bibliographiques porte à dépouiller les bibliothèques publiques et les cabinets de mé- dailles de leurs plus précieux exemplaires. Eu Chine, il est l'image du mandarin lettré à bouton de cristal... C'est-à-dire que pour écrire la monographie complète de ce moule important, il eût été nécessaire de traiter préalablement de l'histoire de la Presse, et surtout de celle du Mandarinat, qui est institution pivotale des États ambigus mi-barbares, mi-civilisés. Malheureusement les circonstances politi(|ues ne me permettent guère de donner à ce chapitre tous les développements dont il aurait besoin et me condamnent à garder pour moi une foule d'aperçus inédits sur le secret de la grandeur et de la décadence des deux vastes empires de Chine et de Russie. Puissé-je être le seul à gémir de cet écourtement forcé ! Queje dise seulement que le Mandarinat est une institution éga- litaire pleine de sagesse, qui confère la noblesse aux lettrés et qui sert par cela même de soupape de sûreté aux gouvernements des- potiques contre l'explosion de l'élément révolutionnaire. Qui fait les révolutions, enefl'et? c'est la capacité méconnue^ le bourgeois lettré, le riche industriel, à qui la constitution ne fait pas une part d'influence légitime. Or, du moment que, par une mesure de transaction permanente et qui ne ressemble plus à la concession forcée, le despotisme accorde l'accès des emplois publics et les privilèges de lanoblesse au bourgeois ambitieux, celui-ci n'ayant plus de prétexte raisonnable pour s'apitoyer amèrement sur la misère du peuple, le laisse à ses occupations paisibles. Ce qui nous explique pourquoi le peuple russe, sur lequel pèse une abo- minable oppression, mais qui jouit du Mandarinat, n'a pas encore tenté de briser ses fers ; tandis que le peuple anglais, chez qui la liberté déborde, mais qui n'a pas le Mandarinat, est à la veille d'opérer une révolution radicale dans ses institutions. Le Geai a cependant pour lui sa haine de l'oiseau des ténèbres 62 ORNlTllULOGlli i'ASSlO.NNELLE. et son jimour de la noix qui donne l'iiuile, source précieuse de lumière. En sa qualité de nouvelliste, il est tenu aussi de signa- ler une foule de méfaits à l'opinion publique. C'est pour cela qu'il dénonce le Renard et rend compte aux chasseurs de ses allées et venues. La rivalité des faux savants engendre des espiègleries qui font le principal charme des séances académiques. Une des plus amu- santes scènes de 'Molière est la fameuse querelle de Yadius et dô Trissotin. Par esprit d'imitation, le Geai ne craint pas de donner au public le scandale de ses divisions intestines. Quand il peut saisir l'occasion d'empoigner vigoureusement un confrère, il ne la laisse pas échapper. 11 est bien sous ce rapport de la famille du Corbeau. Par ces motifs et autres, la cause mûrement entendue et les cir- constances pour ou contre examinées et pesées avec calme, je ful- mine délibérément la sentence de mort contre le Geai^ l'envelop- pant dans le même anathème que tous ses congénères, immon- des oiseaux de rapine, qui vivent surtout de l'exploitation de l'enfance et de la ruine des familles (œufs et jeunes), en signe des protits immenses que procure aux lettrés le monopole de l'enseignement public. Genre ÎMc. Espcee uiiiquo. La Pie. Margot, Âgasse. Le Corbeau et le Geai ne sont pas de petits saints. Tous deux se parjurent avec un entrain déplorable. Tous deux professent, en matière de droit de propriété, des principes trop larges et qui mènent quelquefois soit à la potence, soit ou bagneceux qu'ils ne UMMVUUES. 6;{ hissent pas au faite de la fortune. Beaucoup meurent, en un mot, attachés aux institutions qui précèdent, et peu s'endorment dans le Seigneur. Et pourtant il y a un abîme entre ces bêtes scélérates et la Pie, leur cousine. Le Geai et le Corbeau, en chacun de leurs actes, cherchent leur bien d'abord^ le mal d'autrui après. C'est ce mal d' autrui, au contraire, qui est le mobile superlatif et l'idée fixe de la Pie. Nuire est le premier besoin de sa nature ingrate. Elle compte comme journées perdues toutes celles où elle n'a commis aucune scélératesse; elle mourrait de remords pour une seule bonne action. C'est l'ignominie incarnée; c'est la honte du monde emplumé; c'est le type du plus vil et du plus odieux de tous les caractères humains, l'emblème du mouchard, qui cumule les profits de l'as- sassinat et du vol avec ceux de la délation; l'emblème du Simon Deutz et du Judas Iscariote, toujours prêts à vendre père et mère pour un petit écu; l'emblème des Laubardemont, des JefTries et de tous ces honnêtes accusateurs publics qui sont toujours en quête de victimes innocentes et ne demandent aux gens que deux lignes de leur écriture pour les faire pendre ; ignobles pour- voyeurs d'échafaud, que M. de Montai..., l'éloquent enjoliveur de miracles, dit être nés des amours incestueuses du laquais et de la bourrelle (femelle du bourreau). Piller les œufs, manger les jeunes, achever les adultes blessés ou pris au piège, est l'u- nique occupation de la Pie tant que dure le jour. Elle indique les assassinats dont elle n'ose pas se charger pour son compte. Je l'ai surprise maintes fois en flagrant délit de cannibalisme, exerçant sa fureur contre son propre sang. Elle vole les couverts, non pas pour s'en servir, mais pour faire retomber son crime sur la tête des pauvres filles deservice innocentes. On voyait jadiâ à Paris, derrière l'Hôtel de Yille, une chapelle expiatoire élevée par des âmes pieuses à la mémoire d'une malheureuse servante 64 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. que la cour d'assises du temps avait condamnée à mort sur le faux témoignage d'une Pie, et dont l'innocence ne fut reconnue qu'après que la sentence eut reçu son exécution. La Pie est roa bête d'horreur, ma bête noire. L'oiseau de nuit, ce hideux coupe-tète qui égorge dans l'ombre, n'arrive qu'après elle dans mes exécrations. Son accent ricaneur m'agace comme une injure et m'insuffle malgré moi dans l'àme des pen- sées de sang et de meurtre. Il y a des jours où je crois que je consentirais à redevenir très-jeune, rien que pour reprendre contre la Pie ma guerre à outrance d'autrefois et poursuivre de nouveau ma haine jusqu'à la cime vertigineuse du peuplier fra- gile, et dévaster derechef, parle fer et la glu, les pénates de l'in- fàrae et retordre le cou à sa progéniture: J'ai regretté une fois de n'avoir pas eu l'idée de ramasser quelques millions n'importe où, comme tout le monde, afin de pouvoir poussera l'extermination de la Pie par l'appât de primes gigantesques.. T'ai rêvé une nuit que le suffrage universel de mes concitoyens, en veine de sagesse, m'avait confié la conservation générale des eaux et forêts de France, après avoir appelé M. Raspail à la conservation générale de la santé publique... Et que tandis que l'illustre guérisseur réus- sissait à sauver le pauvre monde des griffes des charlatans et des empoisonneurs, je rendais parallèlement un service analogue au malheureux gibier par l'extirpation radicale de toutes les ver- mines ennemies... Et que je voyais mon nom écrit en lettres de feu sur d'innombrables banderolles, flotter gracieusement par les airs et traverser les âges, marié à la date glorieuse de la dis parition de la Pie. Songe trompeur, illusion cruelle ! Ce n'est pas moi qui ai purgé la France de l'immonde vermine, c'est elle qui m'expulse des lieux où j'ai reçu le jour; car je ne veux pas dis- simuler plus longtemps que c'est la multiplication toujours crois- sante de l'engeance maudite aux rives de la Seine, de la Loire et du Rh6ne, qui me fait un besoin de changer de patrie. O.MMVUKES. (m Du reste, le lecteur n'a pas à craindre que les sentiments de colère et de dégoût qui s'emparent de mon âme au seul nom de la Pie me détournent à son égard de mes devoirs d'historien consciencieux et fidèle. Mes répulsions pour l'ignoble moule sont, en eiïct, légitimes et saintes et me sont venues surtout de l'étude approfondie du sujet. L'analogie raisonne jusqu'à ses haines d'instinct et tie s'abandonne pas à ses préventions en aveugle. La Pie et le mouchard sont dos types du génie du mal que l'homme simple et juste a le droit de haïr de toute sa passion pour le bien. Mais laissons dire les faits et prenons la Pie au berceau. La première leçon qu'on lui donne est une leçon de meurtre. A peine a-t-clle ouvert les yeux à la lumière du jour qu'on lui apprend à dépecer le cadavre des petits oiseaux et à gober leurs œufs. A peine sa cervelle, immaculée encore, est-elle apte à recevoir l'empreinte d'une idée, qu'on lui enseigne à consi- dérer la richesse comme l'unique bien d'ici-bas. L'argent, l'ar- gent est tout.. .... Et pour en amasser, Il ne faul épargner ni crime ni parjure, Il faut mourir de froid et coucher sur !a dure... De peur de perdre un liard, soulTrir qu'on vous égorge, Entre des tas de blé, vivre de seigle et d'orge... C'est à peu près le même langage que tenaient à leurs élec- teurs les ministres puritains de la monarchie citoyenne : « Enri- chissez-vous et mettez à la Caisse d'épargne. » On a vu par une expérience récente vers quels profonds abîmes ces principes cor- rupteurs menaient les nations et ceux qui les gouvernent. L'ar 66 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. gent, comme siipi)ort de système gouvernemental, vaut encore moins que le fer, dont il a été dit avec tant de justesse, qu'on pouvait à l'occasion s'appuyer sur les baïonnettes, mais non pas s'y asseoir. Il y a donc des siècles que les principes de la Pie ont soulevé contre elle la révolution du mépris chez tous les honnê- tes gens. En même temps que le père et la mère «de la jeune Pie, ses instituteurs naturels, l'associent à leurs brigandages et la nour- rissent de doctrines impures, ils ont grand soin de lui inculquer le mépris des arts d'agrément qu'ils traitent de distractions fri- voles et surtout dangereuses , en ce qu'elles détournent de la seule industrie honorable et vraiment utile, qui consiste à gros- sir un pécule dont ou n'usera jamais. En conséquence, au lieu de lui donner des maîtres de chant, ils se bornent à lui faire ap- prendre les quatre règles. Cent francs au denier cinq, combien font-ils? — Yingt livres. Une large conscience avec çà, c'est au- tant qu'il enfant pour se tirer d'affaire. Le reste n'est pas sérieux. Puis, au sortir du nid, ils l'initient à la pratique du vol et de l'infanticide, ils l'instruisent à se garer des embûches et du fusil de l'homme, à épier la Perdrix pour savoir où elle couve, à dé- rober les œufs, à suprendre les jeunes, k revêche)' les tendues . Ils guident ses premiers pas dans la carrière du crime, lui prê- chant sans relâche l'économie et lui recommandant de s'ha- bituer à se priver dans sa jeunesse, pour être riche dans sa vieillesse ; stupide théorie très en vogue chez les pères et mères des jeunes civilisés. Ils lui indiquent les cachettes les plus sûres pour placer son épargne. Il est rare qu'au bout de deux ou trois mois de cette éduca- tion théori(iue et pratique, la jeune élève ne soit pas en état d'en revendre à ses maîtres sur toutes les roueries du métier. Elle débute généralement dans les affaires par voler ses auteurs, qui, au lieu de se laisser aller contre elle pour si peu à des emporte^ OMNIVORES. 67 ments stériles, vous disent Iroidement (ju'à sa j)lace ils auraient fait comme elle. Le dicton favori de la famille est que l'argent n'a point de maître. L'analogie passionnelle, d'accord avec la morale en action, ne cesse de répéter à ceux qui veulent l'en- tendre, que c'est toujours l'avarice qui entraine les gens à leur perte, dans le monde des oiseaux comme dans celui des hom- mes, menant l'àme à Satan et le corps au bourreau. Et tant mieux, après tout, que le royaume du ciel soit fermé à tous les hommes d'ordre, que nous ayons, du moins, nous autres pauvres gens d'esprit, la certitude de ne pas y rencontrer de ces espèces là. Une fois passée maîtresse en faitde volerie, la jeune Pie, forte de ses principes, marche désormais d'assurance dans la voie de la turpitude. Curieuse, cancanière, voleuse, ayant besoin de savoir tout ce qui se passe et de parler de tout, elle commence par se choisir un poste culminant sur quelque arbre de la grande route, poste excellent pour se tenir au courant des nouvelles du jour et ra- masser tout ce qui tombe des voitures des passants. Remarquez que les grands chemins furent de tout temps les promenades de prédilection des voleurs. On sait que le mot français argot, qui veut dire langue des voleurs, est celui que la Pie prononce le plus facilement. La France est le pays d'Europe qui nourrit le plus grand nombre de Pies. De ce poste élevé, dont elle s'éloigne peu, étant sédentaire par nature, elle inspecte avec soin tout ce qui se passe dans la plaine. Elle suit du regard le chasseur, écoute le bruit de son arme et la voix de ses chiens, observe la remise de la perdrix blessée, et la place où se rase le lièvre sur ses hns. Puis, tous les importuns partis, l'instant favorable arrivé, elle appelle une ou deux com- pagnes, leur raconte l'aventure, leur indique les lieux. Le coup monté, les rôles distribués, toutes fondent ensemble sur la bête mise à mal. Si elles réussissent à joindre le lièvre d'assez près, «8 OKiMTHOLOGlE PASSIONNELLE. elles essaient de lui crever les yeux, par imitation d'une vieille pratique des voleurs à la tire qui ont coutume d'aveugler les ser- gents-de-ville en leur jetant de la poudre de tabac dans les yeux. Les misérables assassines, (juand elles ont trouvé telle au- baine, ne manquent pas de se gaudir fort, aux frais du chasseur obligeant qui a mis la table pour elles. 11 m'est quelquefois arrivé de troubler de ces parties fines et de servir aux convives, pour la fin du repas, une surprise foudroyante. Il faut, en pareil cas, les ouïr épuiser contre l'intervenant le catéchisme des halles et vous traiter de bandit, de voleur, de n'importe quoi. Quand le vieux cerf apprend par la rumeur publique qu'on en veut à ses jours, l'instinct de sa conservation le porte à se receler dans son fort; et les piqueurs et les limiers s'épuisent vainement à découvrir sa piste et se disposent bientôt à quitter le canton , las de faire buisson creux. Déjà le pauvre animal, emblème du penseur persécuté, s'applaudit en silence du succès de sa ruse et croit l'orage passé pour cette fois encore. Il comp- tait sans la Pie, hélas ! mais le matin môme du jour fixé pour le départ, le malheur a voulu que celle-ci l'ait aperçu, debout dans la clairière, se ressuyant de l'esgail aux rayons du soleil. Or, la misérable espionne n'a rien eu de plus pressé que de ven- dreau veneur lesecret de la retraite du proscrit. Le veneur désap- pointé se ravise sur ce rapport, fouille l'enceinte indiquée, dé- tourne l'animal et le livre à la meute impatiente. Deux heures après, de bruyantes fanfares réveillent les échosde la solitude en- dormie : un drame émouvant se joue sous les regards du soleil... Yoiià le dix cors sur ses fins, dos arqué, langue pendante. Après avoir tenté eu vain toutes les voies de salut, et épuisé tout l'arse- nal des ruses de la défense, sans être parvenu à mettre en défaut la science de ses persécuteurs, le noble animal a pris l'eau pour la dernière fois ; mais la fraîcheur de l'onde n'a pu rendre le souf- OMNIVORES. 60 fie à ses poumons brûlés ni la souplesse à ses jarrets raidis. Il essaye de franchir d'un bond l'escarpement de la berge, mais ses genoux défaillants refusent le service; il glisse et lléchit sur l'arrière. A peine a t-il eu le temps de se remettre sur pied que les chiens sont sur lui qui lui barrent le passage et l'enferment dans un cercle étroit de gueules dévorantes affamées de sa chair. Bientôt les plus hardis sont pendus à ses flancs, à ?ou muflle, à sa gorge qu'ils déchirent avec rage. Le roi de la forêt, c'est ainsi qu'ils l'appellent dans leur style ironique, le roi de la forêt, éperdu, hors d'espoir, voyant qu'il faut périr, songe enfin à ven- dre sa vie. Repoussant loin de lui par un effort suprême la tourbe des assaillants, il prend champ de quelques mètres, pousse aux plus acharnés, les confond, les disperse, en défonce deux ou trois de ses andouillers formidables, en broie un nombre égal sous le marteau de ses pinces. Le drame prend couleur, l'intérêt est à son comble; les hurlements de douleur des bles- sés percent l'air, à travers les clameurs furibondes du reste de la meute et les notes cuivrées des trompes qui sonnent l'hallali. Mais ce beau moment-là n'a que la durée d'un éclair. La soif de la vengeance s'éteint au cœur de la noble victime avec son sang qui coule par vingt larges blessures; elle chancelle, implorant de ses regards pleins de larmes la pitié des veneurs accourus à la mort. L'un d'eux met pied à terre et lui perce le sein. Elle tombe sur son lit de cadavres, chiens dessus, chiens dessous. Le sol, rougi par Inrges places, exhale l'odeur fade du sang chaud. La fanfare de victoire exulte en notes plus aiguës, plus précipi- tées, plus ardentes... Seule la jeune fille, témoin involontaire du meurtre de l'innocent, s'attendrit sur son sort et maudit dans son cœur la férocité des bourreaux. Cependant tous ces bruits, tous ces enivrements, toutes ces rages se calment peu à peu ; les chiens repus se taisent ; les cors essoufflés ne sonnent plus qu'à de longs intervalles. Alors au 70 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. vacarme du cuivre succède celui des crécelles des oiseaux jacas- seurs. Un de ces jacassements atroces, qu'on prendrait volon- tiers pour le rire d'un démon échappé de l'enfer, surpasse en énergie et en intensité tous les autres. C'est l'hallali de la Pie assassine, de la peste incarnée, de la délatrice perfide qui a fait tout le mal. C'est elle qui a pris la plus large part des joies de la journée sanglante, et qui s'est le plus copieusement gorgée du spectacle des torture.'^ du juste qu'elle a vendu. Elle n'a pas perdu un seul détail du drame; elle a suivi la chasse du lancer à la mort et aidé de tous ses efforts à relever les défauts; et main- tenant, postée au faîte du plus haut des peupliers de la rive, d'où elle domine en plein la scène de carnage, elle raconte sa gloire à tous les habitants de la forêt. Me adsum qui feci... Et fière de son œuvre, heureuse de tant de sang et de tant de ca- davres, elle ne réclame pas même le salaire de la trahison. L'analogie passionnelle m'avait révélé depuis longtemps sur la moralité de cette espèce indigne des détails révoltants, que l'expérience a confirmés depuis. Sachant que la Pie était l'emblème du vil mouton des bagnes, un criminel endurci à qui les magistrats chargés de la sûreté pu- blique font grâce de la potence, à la condition qu'il profitera dé- sormais de ses nombreuses relations avec le personnel des grin- c/ies et des escarpes pour se faire initier à tous les projets qui se trament contre la société et vendre ses complices, j'en con- cluais naturellement que la ressemblance des deux types entraî- nait pour l'oiseau la tendance au cannibalisme, c'est-à-dire à un goût violent pour la chair de ceux de son espèce. Le problème valait la peine d'être résolu ; la solution ne s'en fit pas attendre. Je jetai sur la neige, au-devant d'un terrier de renard et en présence d'un certain nombre de Pies, une gobe empoisonnée. Le lendemain matin, l'appât avait disparu ; à quehiues mètres OMNIVORES. 71 de la place où je l'avais déposé, dormait de son dernier sommeil l'imprudente qui l'avait avalé. Le soir il y avait deux cadavres à cùté du premier, par suite de la curiosité qui avait porté deux des parentes de la défunte à faire l'autopsie de son corps pour savoir d'une manière certaine la cause de son trépas. Quelques piégeurs expérimentés m'ont affirmé du reste qu'il était à leur connaissance que les Pies se mangeaient entre elles, et qu'elles ne ménageaient pas plus le Geai pris à la raquette que les autres oiseaux, sans considération aucune des liens du sang qui unis- sent les deux espèces. On me rapporterait de semblables turpi- tudes sur le compte du Geai, du Choucas, du Corbeau, que je ne m'étonnerais pas. Les Romains^ qui avaient deviné les tendances policières de la Pie, lui avaient fait une destinée proportionnelle à ses actions, en lui donnant une loge à l'entrée de leur vestibule, avec mission spéciale de signaler à haute voix toutes les entrées et les sorties des gens. La Pie a si bien elle-même conscience de son indignité et du mépris et de la haine qu'elle doit inspirer aux créatures de tous les règnes, qu'elle s'est crue obligée de faire de son domicile une place inexpugnable. Son nid est, en effet, un modèle de construc- tion stratégique, un logement blindéet casemate, et dont l'attaque, qui présente de graves difficultés, a été plus d'une fois cause de bras cassés et de mort d'homme. D'abord, elle a soin de le loger très-haut et de l'asseoir sur les peupliers, de préférence aux ormes et aux chênes, parce qu'elle a remarqué que la première de ces essences était de beaucoup la plus fragile. Ensuite, ce nid est bâti en forme de dôme, dont toute la partie extérieure est hérissée de chevaux de frise d'épine. L'intérieur, composé d'un matelas de fines radicules, s'appuie sur un ouvrage de maçonnerie artiste- ment gâché et qui est parfaitement à l'épreuve du plomb de lièvre ; cet ouvrage repose à son tour sur une solide assise de bûchettes 72 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. entrelacées. L'entrée de la place enfin, construite dans toutes les données de l'art des Vauban et des Cohorn, n'est qu'une étroite poterne percée dans le blindage supérieur, et qui ne peut livrer passage qu'à un seul ennemi à la fois. Ce qui n'empêche pas cependant que la soif de la vengeance maternelle, qui enfante des prodiges, ne parvienne fréquemment à renverser tous ces obstacles, pour appliquer à l'odieuse infanticide la peine san- glante de \ Exode : œuf pour œuf, jeune pour jeune... Mais quels titres la Piea-t-elle donc à faire valoir à la recon- naissance de l'homme pour contrebalancer l'influence de tous ceux qu'elle possède à sa haine : la Pie voleuse, la Pie infâme, qui détruit ses perdreaux dans l'œuf et déterre ses grains? Quelle considération stupide a pu contenir jusqu'à ce jour l'ex- plosion de l'exaspération légitime du chasseur et du laboureur contre l'ignoble moule? C'est que le civilisé, hélas ! est ignare, pervers et crédule, et qu'il s'est laissé dire par ses éducateurs que l'homme, par sa na- ture, était enclin au mal, et qu'il y aurait toujours des voleurs, des assassins et des empoisonneurs, et que, par conséquent, ja- mais la société ne pourrait se passer de la protection du mou- chard. Pauvres civilisés ! Comme si la suppression de la misère, qui est chose si facile, n'entraînait pas de suite l'abolition du vol et de l'assassinat! Comme si l'institution du commerce véridique n'était pas l'arrêt de mort du commerce anarchique, déloyal et empoisonneur. Alors, à ce compte-là, on comprend que la sagesse des peu- ples n'ait pas signé encore l'arrêt de mort de la Pie qui dé- vore quelques vers blancs et détruit quelques autres larves et signale de temps à autre la présence du Renard, emblème du filou, ou celle du Chat marron, emblème du larron domestique. On dit aussi qu'on l'a dressée à voler je ne sais quoi , à V ins- tar fhi Corbeau. — Impossible, son atle est si courte et sa queue OMNIVORES. T.î est si longue, qu'elle a beaucoup de peine à se tenir dans l'air toute seule. A l'instar du Corbeau me paraît adorable. Enfin les défenseurs quand même de l'oiseau noir et blanc, signe de duplicité, vont jusqu'à lui prêter un trait de vertu ridi- cule et qui fait mentir le proverbe qu'on ne prête qu'aux riches. Ils racontent « qu'une Pie qui se promenait un jour dans l'a- venue d'un superbe château, vit venir à elle un monsieur qu'elle reconnut sur le champ pour un ex-intendant des plaisirs secrets du roi Louis XV, et que dans le premier mouvement d'indigna- tion que lui fit éprouver cette rencontre, elle ne put se retenir d'apostropher brutalement l'ex-ami du prince par son nom, en présence de nombreux témoins. Ce dont le malheureux, qui s'é- tait retiré dans sa maison des champs pour faire sa paix avec le ciel, s'impressionna si fort qu'il en mourut de mort subite, con- sidérant l'apostrophe injurieuse de l'oiseau comme la sentence de condamnation sans appel du tribunal d'en haut. » Le fond de l'anecdote doit être vrai ; car ces choses se pas- sent tous les jours. Tous les jours on voit un laquais chassé d'une bonne maison pour vol , dresser un Corbeau ou une Pie à insul- ter son ancien maître et à l'outrager dans son honneur de mari ou de militaire, de mari principalement. Et il est plus que pro- bable que la Pie dont on vient de lire l'histoire ne fut que l'ins- trument d'une vengeance de cet ordre. Tous les jours un riche parvenu qui a fait sa fortune par des moyens peu honorables et même dans les suifs, meurt de honte de s'entendre rappeler son premier métier en public. Ce n'est donc pas l'exactitude du fait en lui-même que je conteste, mais sa moralité. Je demande où la vertu se niche dans cette affaire et ce qu'il peut y avoir de si louable et de si méritoire à un oiseau malin d'empêcher un pau- vre pécheur repentant de faire son salut et d'édifier sur ses vieux jours, par sa contrition, le monde qu'il avait scandalisé autrefois 71 ORNITIIOI-OGIE PASSIONNELLE. par ses vices. Vous savez bien que Dieu ne désire pas la mort, mais la conversion du pécheur. Et c'est parce qu'il n'y a pas lieu d'espérer en la conversion de la Pie que je prêche contre elle la croisade, et que j'adjure toutes les âmes sensibles de me prêter main-forte contre l'ennemi commun. Famille des Pies-griéelies. Cinq espèces. Les Pies-grièches sont des moules ambigus entre les rapaces et les omnivores, ou pour parler le langage analogique, beau- coup plus intelligible et plus clair, ambigus entre les gens d'épée et les gens de robe. Ce sont les emblèmes du dénoncia- teur public, du chevalier du guet, du muezzin qui sonne les heures du haut du minaret, du guetteur posté sur la tour du beffroi pour signaler la marche de l'ennemi et pour crier au feu. La famille des Pies-grièches indique la transition de l'insec- tivorie à l'avivorie avec une admirable précision. Elle contient cinq espèces , toutes mélomanes et avides de la cervelle des petits oiseaux. Là Grande Pie-griècre. Pic-grièche grise. Agasse-frouère de Lorraine. La grande Pie-grièche qui nous doit occuper plus spé- cialement dans ce traité, puisque c'est la seule que l'homme ait dressée et ralliée à lui, est un oiseau de la taille du Merle, qui porte un manteau blanc et noir à nuances ternes et qui est facilement rcconnaissable à son vol saccadé comme celui de la Pie. Ses mains sont armées de petites serres; sou bec, fort et OMNIVORES. 7o large à sa base, se termine par un crochet pointu. 11 est acéré comme celui de l'Êmérillon et armé d'une dent. La Pie-grièche emporte avec le bec et non avec les serres, caractère d'ambi- guïté remarquable. La femelle dans cette famille commence déjà à être un peu plus forte que le mâle. La Pie-grièche tient du militaire autant que du civil. Elle ne manque ni d'intelligence ni de courage, au contraire ; elle est lettrée comme un gendarme et passionnée pour l'étude de la musique, de l'entomologie, de la taxidermie et des langues étran- gères. Sa vue est aussi perçante que celle de l'Aigle. Postée en manière de vigie à la cime la plus haute du peuplier, du merisier et du frêne, l'œil constamment tendu vers les pro- fondeurs du ciel , elle inspecte les baies et les replis des nuages pour y découvrir le Faucon et le Milan qui aiment à se baigner dans l'air frais , loin de la portée des regards de l'homme et du commun des oiseaux; elle signale à toute la nature animée la présence de l'ennemi invisible par ses perpétuels : Garde à vous ! C'est l'inquiétude et la vigilance faites béte. La Pie-grièche, tant que dure le jour, ne prend pas un instant de repos. Elle veille en chassant, en mangeant, en couvant. Cette habitude d'inter- roger l'espace est commune à toutes les variétés du groupe qui ne perchent jamais que sur les extrémités culminantes des ar- bres et des buissons. Le cri d'alarme poussé par une des senti- nelles est immédiatement répété par toutes les autres. Dans la gendarmerie, quand un gendarme rit... Lorsque la Pie-grièche vole de la cime d'un arbre à un autre, elle fait semblant de se laisser choir, pour avoir occasion de se relever et de décrire une courbe élégante semblable à celle des cordages de fer qui supportent les ponts suspendus. Les Pies-grièches se cantonnent volontiers et se font, comme les Milans et les Aigles, un petit arrondissement de chasse. Cet amour de la propriété du sol leur occasionne de nombreux pro- 76 ORNITHOLOGIE PASSlOiNNELLE. ces qui se vident à coups de bec, d'où est venue à quelques écri- vains satyriques l'idée de baptiser les épouses acariâtres du nom de Pies-grièches. La Pie-grièche grise habite la rive des grands bois et niche au sommet des plus hauts arbres. Elle défend sa couvée avec une intrépidité sans égale. Elle émigré de nos contrées du nord et du centre à l'approche du froid. L'oiseleur et le fauconnier tiraient jadis parti de la vigilance inquiète de la Pie-grièche pour guerroyer contre l'Épervier, le Faucon et la plupart des rapaces. Cette chasse s'opérait au moyen d'un filet à double nappe, pareil à celui du miroir et amorcé d'un pigeon blanc pour mute (mouvant). Comme le Faucon plane si haut dans les airs et fond si rapidement sur sa proie qu'on n'a jamais le temps de le voir venir, il arrivait souvent que le ten- deur surpris fermait ses nappes trop tard et que le larron s'échap- pait. Alors, pour éviter ce désappointement trop fréquent, l'hom- me emprunta à la Pie-grièche le secours de ses prunelles. Il l'emporta avec lui à la chasse, la chargeant de lui dire à l'oreille quand l'ennemi serait là. Pour ce seul bon office, la Pie-grièche eût mérité d'être classée parmi les auxiliaires de l'homme, quand bien même d'autres services plus importants et plus di- rects ne lui eussent pas assuré la possession de ce titre. La Pie-grièche est susceptible d'éducation et d'attachement pour les personnes qui la soignent. Le roi François P"" en avait une qui s'en allait et s'en revenait à sa voix, se perchant sur son poing. La Pie-grièche, à l'état libre ou d'innocence, est plus insec- tivore qu'avivore. Elle fait une grande destruction de ces igno- bles scarabées armés de cornes perçantes que les enfants appel- lent des cerfs-volants ou des rhinocéros, et qui s'introduisent dans le cœur des peupliers de Yirginii;, des ormes et des chênes pour y creuser d'immondes et fétides fistules par où s'échappe bientôt en flots de pourriture la vie de l'arbre attaqué. OMMVORES. 77 Ces capricornes odieux étant d'énergiques emblèmes des lèpres et des gangrènes qui putréfient le corps social, il était évidente priori que DieU; en confiant à la Pie-grièche la mission de les détruire, l'avait créée pour un service d'hygiène et de salubrité publique. Cette louable intention du Créateur ressort surtout de ce que la Pie-grièche, abandonnée à ses seuls instincts en pleine solitude, ne donne la chasse aux petits oiseaux que dans des cir- constances exceptionnelles, lorsque la faim la talonne et que l'insecte, enseveli par le froid dans son linceul d'hiver, lui man- que totalement. Dans les pays féconds en arbres épineux comme l'Algérie et le Midi de la France, la Pie-grièche, qui remplit sa fonction de scarabivore en artiste, aime à ficher les insectes qu'elle capture au bout des longues épines des acacias, si bien que tel de ces arbres, vu de près, ressemble à un arbret de collection tiré du cabinet d'un entomologiste. Il lui arrive fréquemment de conser- ver ces collections intactes pendant des semaines entières pour jouir de l'agrément du coup d'œij. Les sceptiques qui se croiraient damnés de reconnaître l'elïigie d'un moule passionnel humain dans un moule de bipède à plume, attribuent cette réserve de l'oiseau collectionneur à de moins nobles motifs. Ils disent que la Pie--grièche aime le scarabée faisandé, et que les tiges aux- quelles elle suspend ses trophées sont tout simplement des garde- manger où elle attend que ses viandes se fassent. Toutes ces versions sont inexactes. La Pie-grièche, comme toutes ses sœurs et comme les Mésanges, chasse pour chasser, et quand elle ne peut pas manger toutes ses proies, elle les perd, elle les sème, elle en fait des collections. Reconnaissez dans cette pratique les vestiges de la tradition d'enfouissement qu'elle tient de la famille. La Pie-grièche a encore une autre manie qui rentre dans le cadre de ses études favorites, celle d'écorcher les petits oiseaux 78 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. qu'elle capture pour en conserver les peaux. Un analogisie quand même me disait une fois que cette pratique de la Pie- grièche, qui est une mélomane passionnée, devait être une ven- geance à l'imitation de celle (jue le divin Apollon tira du satyre Marsyas qui avait osé lui disputer le prix du flageolet. Ce rap- prochement peut être spirituel, mais il a le tort d'être forcé et entaché de pédantisme. Je crois pouvoir d'ailleurs donner une explication plus satisfaisante de ce singulier procédé. Si la Pie-grièche écorrhe sa proie avant de la manger, c'est que la nature lui a probablement refusé la faculté de faire des petites pelotes d'os et de plumes pour les rejeter par le bec, à l'instar de la plupart des autres oiseaux carnivores et piscivores, y compris le Martin-pêcheur et le Coucou. Maintenant, voyez avec quelle rapidité excessive les plus heu- reuses aptitudes pour le bien se convertissent en capacités pour le mal sous l'influence dissolvante d'un milieu subversif. Voyez comme les meilleures natures de bêtes se détériorent au souffle contagieux de la perversité humaine^ et avec qu'elle facilité dé- plorable la Pie-grièche, emblème du gardien de la sécurité pu- blique, vire à la Pie, emblème de l'ignoble mouchard qui fait métier d'inventer les complots au lieu de les éventer. Yoi'Ià une bête qui, dans le principe, ne demandait pas mieux que de protéger les arbres et les oiseaux, richesses naturelles de l'homme, et qui se contentait parfaitement pour son ordi- naire d'un plat de scarabées. Elle vivait en intelligence parfaite avec le bûcheron et le cultivateur, ne s'oubliant que très-rare- ment à donner des coups de bec dans le contrat d'alliance... Mais il est arrivé que les enfants des hommes ont déclaré aux petits oiseaux du bocage une guerre si acharnée, et qu'ils ont mis si souvent sous les yeux de la Pie-grièche le spectacle des supplices qu'ils aiment k faire subir aux Mésanges, aux Gobe- mouches et aux Rouges-gorges, que celle-ci a fini par prendre U.M.NiVUliliS. 7fl goût à ces scènes barbares. Et alors la raquette, qui lui avait paru une invention diabolique la première fois qu'elle l'avait considérée de près, la raquette qui saisit le malheureux petit oiseau par les pattes, les lui brise et les tord, et fait mourir ses patients dans d'atroces tortures, pendus la tète en bas et tout le poids du corps pesant sur les tendons endoloris;.,, la raquette, dont j'ai demandé l'interdiction immédiate par amendement à la loi Grammont ;... la raquette, ce gibet sanglant où le corps du supplicié reste exposé des heures et des journées entières après son agonie, comme pour appeler à la curée tous les croque- morts de la forêt, de la plaine et du ciel, depuis le Geai et le Gros-bec jusqu'au Renard et à l'Oiseau de proie... la raquette est devenue pour la Pie-grièche la machine ingénieuse destinée à prévenir la multiplication dangereuse d'espèces trop fécondes, l'instrument, en un mot, des rigueurs salutaires. Beaucoup de Pies-grièches sont aujourd'hui pour la peine de mort et répètent après Malthus quil n'ij a pas de place pour le Bouge -gorge au banquet de la vie ; que la Nature Va décidé ainsi , et qu'elles , les Pies-grièches^ ont été chargées avec d'autres de mettre à exé- cution les ordres de la Nature. Que personne ne s'étonne de rencontrer des arguments à la Malthus et à la de Maistre dans la bouche des bêtes; car il n'est rien de brute et de stupide comme le pourvoyeur d'échafaud. Une chose surprenante seulement est de voir tant de braves gens concéder à si bon marché le titre de génies supérieurs à tous ces glorificateurs de guillotine, qui n'ont jamais su qu'injurier impu- demment leurs adversaires ou leur jeter des bourreaux à la tête, comme si le bourreau était un argument. 1 II a bien fallu quelque temps à la Pie-grièche, à vrai dire, pour surmonter le sentiment de répulsion et de terreur qui l'é- loignait de la raquette infernale; mais l'exemple et les propos du Geai et de la Pie, ses plus proches parents, ont fini à la 80 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE, longue par lui brûler le sang et par triompher de ses scrupules de conscience. Et bientôt celle qui tremblait à la vue de la potence s'y est accoquinée, et sa plus douce occupation a été désormais de décrocher les pendus et de se délecter de leur chair. Et de iil en aiguille et la soif du sang empirant, la Pie--grièche a cessé en beaucoup de lieux de veillera l'apparition du Milan et de persé- cuter le Capricorne, pour prêter une oreille avide au déclic de la raquette et au cri de détresse de l'oiseau qui vient de s'y prendre. Que l'oiseleur ne soit pas présent pour défendre sa prise, la Pie-grièche s'en empare et la dévore vive, et Dieu sait si pen- dant ce temps le Milan, le Busard et le Capricorne ont beau jeu. C'est ainsi que la richesse de l'homme brûle par tous les bouts. J'ai vu dans Saône-et-Loire une magnifique plantation de peu- pliers d'Amérique d'une valeur de cent mille francs et plus périr en quelques jours sous la tarière empestée du Capricorne. Mais pas une société agricole en France ne s'est émue de cet acte de vandalisme. Ainsi sont faites les sociétés savantes patronnées par les gouvernements ! Qu'un arbre qui n'avait pas envie de mourir tombe sous la hache d'un pauvre délinquant vaincu par la mi- sère, aussitôt cent perroquets de l'ordre de tonner à l'unisson contre l'audace effrénée des anarchistes qui mar^-hent le bras levé contre la propriété territoriale. Mais que trois ou quatre mille pieds d'arbres périssent en une nuit sous la sape du Capri- corne, motus, l'ordre n'a rien à voir aux méfaits du Capricorne. Le Capricorne de France est inviolable et sacré comme ses an- cêtres d'Egypte. Alors vous allez me demander pour la vingtième fois que je vous explique à quoi servent les sociétés agricoles. — On n'a jamais pu le savoir. Ainsi, du jour à jamais regrettable où le bon gendarme, ami de l'homme, a été détourné par la politique du droit divin de sa voie naturelle, qui est la protection du gibier etde l'humble tra- OMiMVORKS. 81 vailleur, du jour où il a été contraint de i)rostituer sa candeur native aux exigences de la faction absolutiste , de faire ses dévotions et de déserter sa fonction de sentinelle sociale pour se faire raccoleur de votes royalistes... ; de ce jour-là l'immense considération dont jouissait le gendarme a subi un échec no- table, et le chilïre des délits de chasse et des attentats contre les personnes a suivi un accroissement proportionnel. Le résul- tat qu'ils n'ont pas prévu était pourtant bien facile à prévoir. Un bon gendarme, si bon et si zélé qu'il soit, ne peut pas être en plusieurs endroits à la fois comme saint François Xavier. L'Évan- gile politique ajoute : un même municipal ne peut pas servir deux maîtres : le gouverné et le gouvernement. Deux révolutions françaises ont eu lieu à dix-huit années de distance pour prouver que la métamorphose du gendarme royal et du municipal en agents politiques réussissait souvent à exas- pérer l'esprit des masses contre l'autorité, mais jamais à empê- cher de tomber les dynasties trop mûres. Un seul fait suffira pour donner une idée de cette exaspération dangereuse et de ses con- séquences. Le rapport de la commission des récoiji penses natio- nales de 1830, rédigé sur les déclarations oITicielIes des vain- queurs eux-mêmes, constata que le chiflre des gendarmes tués pendant les trois glorieuses dépassait trois millions ! et proba- blement que si la révolution de février eût osé, comme celle de juillet, récompenser ses héros , le chiffre des municipaux occis dans la matinée du 24 eût atteint des proportions non moins py- ramidales. Puisse du moins l'exemple du sort fatal du gendarme de la branche aînée et du municipal de la branche cadette servir de texte utile aux méditations du gendarme d'aujourd'hui et l'engager à mettre l'eau de la circonspection dans le vin de son zèle. • Ce n'est pas sans une vive douleur que j'ai vu il y a quelques années le gendarme Briol prêter l'autorité de sou témoignage à 82 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. uuc mystification éclose dans le cerveau fêlé d'une pauvre Pro- vençale. Ce sont là visions folles dont il faut laisser Tinitiative aux filles célibataires et aux sous-préfets ambitieux. Un peu de voltairianismenemessiedpas à la maréchaussée; j'aime le muni- cipal esprit fort , et je déclare la société en péril si le gendarme faiblit à l'endroit du miracle. Pourquoi le gendarme royal , le gendarme des chasses et le municipal ont-ils péri, dites-le moi? Parce que nul analogiste ne s'est rencontré dans les conseils de leurs gouvernements in- sensés et aveugles pour lire dans l'histoire de la décadence de la Pie-grièchc l'avalanche de cataclysmes qui devait engloutir ces institutions vénérées. Car la Pie-grièchc ne s'est pas arrêtée, dans le cours de ses déprédations, à copier les exemples pernicieux du Geai, de la Pie et de la Corneille, espèces indignes qui furent de tout temps les bètes noires de l'oiseau et de l'oiseleur. Au noble titre d'écumeuse de tendue, elle n'a pas tardé à joindre celui d'in- fanticide. Quiconque a pu franchi)' les bornes légitimes^ a dit le vertueux lïippolyte, peut violer enfin les droits les plus sacrés Oui, de môme que la paresse et l'horreur du travail répugnant conduisent le jeune civilisé au braconnage et le braconnage à l'assassinat, ainsi l'habitude de dérober des oiseaux pris au piège et la fréquentation des mauvaises sociétés ont conduit la Piegric- che à l'infanticide, le plus lâche des crimes. Et cependant com- ment ne pas prendre goût it la chair des enfants, quand on a mangé tant de pères ! Comment se remettre au travail quand on a l'ha- bitude de se reposer pour sa nourriture sur le travail d'autrui 1 Comment celle qui s'était laissée aller à ses appétits carnivores à la vue de la Mésange pendue au nœud fatal , aurait-elle ré- sisté aux alléchements de la chair rose et tendre de la jeune nichée s'offrant à ses regards sous la ramée épaisse, (juand tou- OMNIVORES. 83 tes les circonstances conspiraient pour la pousser au crime : la gourmandise, l'ombre et la solitude, l'absence des parents, des témoins, du péril ! Ajoutez que l'occasion de mal faire, cette tentatrice maudite qui a perdu tant d'àmes et fait tant de larrons, s'oflraità la Pic- grièche plus souvent qu'à tout autre, à elle qui, par son métier de guetteuse, était ex[)osée à savoir plus de nids cjue personne et à connaître mieux que personne aussi les habitudes, les heures, les allées et venues d'un chacun, et alors vous ne trou- verez pas étonnant qu'elle ait succombé à la tentation satanique. Après tout, n'était-elle pas endroit de se croire moins coupable que ces enfants dénaturés des hommes qui portent tous lesjours sur les nids des oiseaux une main sacrilège, et qui n'ont pas même à objecter, pour justifier leur crime, l'excuse de la faim ! Je n'entends pas proclamer la blancheur immaculée de la Pie- griéche, je demande seulement (]ue celui de nous qui n'a pas détruit des oiseaux innocents pour le seul plaisir de détruire, lui jette la première pierre. Une chose plus diiïicile à justilier que l'infantjipide de la Pie- grièche en lui-même, c'est le caractère des moyens 'employés pour arriver à la perpétration d'icclui. 3'ai dit que les Pies- grièches en général avaient été douées par la nature de prodi- gieuses facultés pour la musique. Ces oiseaux, en effet, ont le talent d'imiter tous les accents, de parler tous les langages, de chanter le Rossignol , le Rouge-gorge, l'Hirondelle, suivant les caprices du goût du virtuose et le hasard des rencontres. Or, imaginerait-on que les misérables petites bêtes ont usé de cette faculté précieuse, de manière à laisser croire que l'unique but de leurs études aurait été de s'approprier le langage des pères, pour mieux tromper les fils? Ou aurait vu de ces Pies-grièches, grises, rousses ou roses, s'approcher traîtreusement des buis- sons où elles soupçonnaient le domicile du Rossignol ou de la 84 ORNlTHOLOGlli PASSIONNELLE. Fauvette, et, contrefaisant la voix des parents qui apportent la becquée, forcer les petits à trahir leur retraite par leurs doux cris d'appel et à se livrer d'eux-mêmes à leurs bourreaux per- fides. Ainsi l'espion politique, le plus lâche et le plus méprisable de tous les scélérats, imite le langage et la tenue de l'ami du tra- vailleur pour s'immiscer dans son intimité, s'instruire de ses projets, le dénoncer, le perdre. Une fois la Pie-grièche descendue jusqu'à l'infanticide, jusqu'à ce degré de turpitude où le criminel se mire dans sa propre in- famie et s'enorgueillit de son titre de délateur et de fléau des familles, il n'y avait plus à discuter ni à marchander avec elle. On l'a tuée et on a bien fait. Je lui ai fréquemment appliqué pour mon compte la loi du talion. Je l'ai abominablement mar- tyrisée dans ses affections de mère ; je lui ai tenu des heures en- tières le poignard sur la gorge de ses petits, pour lui faire en- trer dans le cœur la lame du remords ; je l'ai atrocement punie par où elle avait péché et je ne m'en repens pas. A'"ous vous êtes faites Pie, c'est-à-dire délatrice, moucharde, infanticide, eh bien 1 subissez les conséquences de votre félonie et de votre vénalité. Le sang appelle le sang... Et jamais je n'ai refusé, depuis que )'ai su ces bassesses, l'aumône d'un coup de feu à la Pie-grièche qui m'a croisé la voie, quelle que fût du reste la variété à la- quelle elle appartînt, et j'engage tous mes confrères en saint Hubert à agir comme moi. Mais, encore une fois, n'oublions pas, au milieu de nos saintes et légitimes imprécations contre l'infamie, de faire la part de l'homme et de la Pie-grièche, des gouvernements et des gen- darmes. Si le gendarme a deux penchants, un qui le porte au bien et l'autre à la police, et que ce dernier soit le seul que dévelop- pent nos institutions, à qui la première faute si le gendarme OMNIVORES. S'î tourne mal ? Évidemment à nos institutions. Alors prenons-nous- en à celles-ci avant de nous en prendre au gendarme. Que tout notre blâme retombe sur le ministre suborneur, non sur le suborné. De même, si la Pie-grièche avait primitivement plus d'appétit pour le scarabée que pour la Fauvette, et si les hommes se sont ingéniés à développer en elle les instincts avivores aux dépens des instincts scarabivores, (lue la coulpe du crime retombe sur Ja tète des hommes. Jamais l'humanité ne se lavera de la honte d'avoir conduit à l'anthropophagie le loup, l'hyène et le chacal, qui jamais certainement n'eussent songé à la chair humaine, si les peuples ne les eussent si fréquemment conviés à l'horrible curée des batailles. Il est prouvé que le crocodile du Nil ne se serait jamais permis de dévorer un seul baigneur, si les chefs du pouvoir et de la superstition du pays ne lui eussent fait contrac- ter la déplorable habitude de vivre de noyés.,. Argument inédit et puissant à ajouter à tous les arguments contre la peine de mort, laquelle, par parenthèse, se trouve au bout de chaque li- gne de la Bible, quoi qu'en ait dit M. Crémieux. Par quoi la Ge- nèse débute-t-elle, en cllet, sinon par une absurde sentence pro- nonçant la peine de mort contre le genre humain tout entier?... Et pour quel crime, mon Dieu ! Entin, la question est sur la Pie- grièche et non pas sur la Chute; ne confondons pas les deux choses. Tout le monde connaît l'origine de la grande fortune des Luy- nes. Albert de Luynes, premier du nom, qui fut connétable et favori de Louis XIII, était, dit-on, un gamin très-habile à dres- ser la Pie-grièche au vol du Moineau franc, industrie déjà en vigueur sous les règnes des Valois. Un talent de cette nature était bien fait pour séduire un souverain qui s'ennuyait beaucoup parmi les hommes et qui devait chercher à se distraire dans la société des bétes. Le roi, (jui considérait la fauconnerie comme 8fi ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. )e plus glorieux des arts, fit d'abord l'enfant connétable, et pour l'aider à supporter les embarras de cette charge, donna au nou- veau favori les millions de l'ancien. J'estime à sa juste valeur le mérite d'un enfant qui dresse des Pies-grièches; mais quand je viens h penser que Salomon de Causs, qui inventa la vapeur à peu près à la môme époque, expia sa découverte par la perte de sa liberté, de sa raison, de sa vie, je ne puis m'empôcher de me livrer à des réflexions excessivement révolutionnaires sur l'équité des rois et sur la diversité des chances des inven- teurs. Je n'ai lu dans aucun traité de chasse qu'on se fût servi de la Pie-grièche pour le vol du Moineau-franc, ailleurs que dans les jardins du J^ouvre, de Chambord ou d'Amboise. Ainsi l'invention serait bien d'origine française, et l'application du procédé se se- rait pour ainsi dire éteinte avec ses inventeurs dans le grand naufrage de la fauconnerie aristocratique. La postérité indul- gente oubliera quelque jour que le jeune Albert de Luynes fut le favori de Louis le Juste et l'héritier des biens volés par Con- cini, pour ne se souvenir que de ses rapports avec la Pie-griè- che, son seul et unique titre de gloire. Car dans ce temps-là l'il- lustration ne se mesurera qu'au travail, et parmi les travaux qui donneront la gloire, figurera au premier rang la conquête d'un animal nouveau, d'un légume, d'une sauce. Et de même que le parfait troupier avait cédé dans le temps au parfait magistrat, de même le parfait magistrat devra céder à son tour dans l'es- time publique au parfait cuisinier. C'est le destin; quand chô- ment les tribunaux pour cause d'exubérance universelle de vertu et de richesse, à quoi bon le gendarme, le magistrat, le bour- reau? Mais on mangera bien longtemps encore après qu'on ne se volera et ne s'assassinera plus. Maintenant la Pie-grièche entrera-t-elle avec l'homme en cette terre promise d'utopie? L'homme lui pardonnera-t-il les OMNIVORES. 87 maux réels qu'elle lui a faits, en mémoire des services qu'elle aurait pu lui rendre? J'en doute fort. Quand l'humanité sera rédimée de la chute, elle éprouvera un dégoût dont on ne se fait pas d'idée pour toutes les institutions qui lui rappelleront les misères de cette civilisation fangeuse où elle aura pataugé qua- tre mille ans et plus, et alors il est très-possible que, considé- rant le manteau noir et blanc de la Pic-grièche, signe de dupli- cité, et ses tendances policières et ses appétits infanticides, clic se dise que si le gendarme et tous ses congénères ont disparu de la surface de la terre, il n'y a pas nécessité d'en conserver le symbole et le souvenir dans les cieux. La Pie-grièche méridionale. Àin.si nommée par Temmynck, sans doute parce que M. Vieillot, qui était son ennemi intime, l'avait gratiliéc du nom de boréale. (Les savants ennemis sont enclins à se faire de ces traits.) C'est le même moule à peu près que l'espèce précédente, avec cette différence que la teinte du manteau est un peu plus foncée et que le poitrail est lavé de roux vineux, circonstances qui peuvent dépendre de l'iniluence du climat du Midi qu'elle habite presque exclusivement. Cette Pie-grièche méridionale, dont les mœurs et la taille sont les mêmes que celles de la boréale, fait une guerre acharnée à tous les petits oiseaux qu'elle saisit comme l'autre du bec et non des serres. On a remarqué qu'elle se contentait de manger la cer- velle à ses victimes, et qu'après leur avoir déchiré le corps, elle l'exposait sur des fourches patibulaires, au milieu de la voie publique. Cette race a évidemment la passion du spectacle des exécutions sanglantes et des supplices d'apparat. C'est une au- dacieuse assassine, une mangeuse d'appelants qui fait le déses- poir des tendeurs de la Provence, et qui joint, comme l'empe- reur Néron, à l'ardente soif du meurtre le goût passionné des beaux-arts, de la musique notamment. Elle imite le chant d'une 88 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. foule de petits oiseaux innocents et parle plusieurs langues. On l'accuse d'avoir inventé la pipée. La PiE-GRiÈciiE ROSE. Exclusivc il quelques-uns de nos dépar- tements du Midi. Taille du Proyer ou de l'Alouette. Front noir, ailes noires, mirées de blanc sur les rémiges, poitrail rose, ventre blanc. (Le rose est mauvais teint comme toujours.) Celte espèce, malgré l'exiguïté de sa taille, est une persécutrice acharnée des autres petits oiseaux. C'est une musicienne érudite qui sait aussi beaucoup de langues et parle facilement celle de l'Hirondelle de cheminée. Elle se donne en chassant des airs d'oiseau de proie, prenant le dessus du vent et faisant le Saint- Esprit à une certaine hauteur, comme pour bloquer les remises. Les oiseaux sentinelles, la Bergeronnette et l'Hirondelle de fe- nêtre la dénoncent énergiquement comme ennemie de la sécurité publique, et elles ont parfaitement raison. La Pje-grièche rousse. Encore plus petite que la précé- dente et plus commune aussi dans les provinces du Sud que dans celles du Nord. Manteau noir, ailes noires, avec un miroir blanc sur les rémiges, front noir, l'occiput et la nuque coiffés d'une calotte rousse d'une nuance vive. Attaque tous les petits oiseaux et donne vaillamment sur la Chouette. L'ÉcoRCHEUR. L'espèce la plus petite et la plus commune de toute la tribu. Habite les lisières des vergers et des bosquets en plaine, niche dans toutes les haies fourrées voisines des parcs et des maisons des champs, et ne craint pas même d'établir son do- micile dans les branches moussues et enchevêtrées des pommiers de nos jardins. J'en connais plusieurs couples qui nichent an- nuellement en dedans de l'enceinte des fortifications de Paris. Manteau roux marron, poitrine et ventre lavés d'un roux plus OMNIVORES. sn tendre, gorge blanche comme l'abdomen. La femelle dans cette espèce didère considérablement du mule. Le rouv marron vire chez elle au roux cendré, et les plumes du col et de la poitrine sont écussonnées par de fines encadrures noires qui font que son costume se rapproche quelque peu de celui du Torcol. Cet oiseau tient son nom d'Écorcheur de l'habitude qu'il a d'écorcher ses victimes et de suspendre leurs dépouilles en guise de trophées aux fourches des jeunes ormes et des jeunes peupliers. Il pique les insectes aux épines des acacias. La Pie-grièche écorcheur est un oiseau redoutable par sa méchanceté autant que par sa bravoure, qui attaque les petits de tous les autres oiseaux, mais qui défend les siens avec une intrépidité sans égale, et qui réussit quelquefois à intimider les gamins qui eu veulent à sa progéniture, en les menaçant de leur crever les yeux. Le nid de toutes ces espèces est bâti de la même façon, c'est- à-dire avec beaucoup d'art, et ses constructeurs s'entendent par- faitement à le dissimuler, soit dans une enfourchure de hautes branches d'un chêne, soit dans la chevelure touffue des bas buissons. La muraille extérieure est faite de petites racines et d'herbes sèches parmi lesquelles on remarque l'immortelle sau- vage au feuillage blanc d'argent ; mais la couche la plus inté- rieure est richement garnie de laine. Je ne puis terminer cette notice sans renouveler à tous mes amis et frères en saint Hubert l'invitation que je leur ai déjà adressée, d'exterminer sans pitié tous ces petits exterminateurs eu sous-ordre, ovivores ou infanticides, qui partent du Coucou pour aboutir à l'Écorcheur. Autant de ces ogrillons occis^ autant de familles honnêtes préservées d'une multitude de chances d'ef- froyables sinistres. Peut-être chercherait-on vainement à créer par l'imagination une série qui se rapprochât plus de l'ordre des Rapaces que 90 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. celle des Pics-grièches, — où déjà la femelle est visiblement plus forte que le mâle, — où tout le monde se donne les airs de chasser les petits oiseaux, — où l'on se laisse dresser au vol du Moineau-franc comme un Émérillon, — où l'on possède géné- ralement enfin le bec denté du Faucon, sinon son pied prenant. La parenté était même si visible que Linnjeus et Bulïon l'avaient officiellement reconnue. Cependant, chose étrange à dire, il ne s'est pas rencontré de nos jours un savant assez hardi pour suivre cet exemple. L'envie en était bien venue dans le temps à Temmynck, mais il n'a pas tardé à se mordre les doigts de sa témérité, et repoussant pour la famille des Pies-grièches toute alliance ambitieuse avec les hautes puissances du ciel, il en a re- placé sagement tous les membres à leur place naturelle^... entre le Gobe-mouches et l'Étourneau! Entre l'Étourneau et le Gobe- mouches , de méchantes petites bêtes que l'immortel lîufTon avait mises au rang des Oiseaux de proie, et même des plus fers et des plus sunguinai?'es. Heureusement qu'il doit y avoir une justice là haut 1 SERRIPÈDES PROPREiMEiNT DITS. 15 genres, 40 espèces. Caraclères f^'-néranx de l'ordre. Je rappelle, avant de passer outre et pour ne pas me laisser prendre en flagrant délit d'ignorance étymologique, que cette étiquette de Serripèdes, sous laquelle j'ai rangé l'ordre des Ra- paces des auteurs, dérive du mot français serre^ qui veut dire main griffue, main armée, main prenante, et non pas du latin serra, qui veut dire une scie. Les personnes que ce terme géné- rique blesserait, sont donc libres d'en choisir un autre, comme Rapacipèdes (pieds ravisseurs), Jugulipèdes (pieds égorgeurs), Mucronipèdes (pieds armés de poignards). Pour moi, je garde le nom de Serripèdes, parce qu'il est le plus court, le plus intelli- gible et le plus expressif à la fois. Tous les oiseaux de cet ordre sont armés d'un bec crochu à 92 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. mandibules tranchantes et de pieds prenants à ongles recourbés, plus ou moins acérés, aigus et rétractiles. Dans toutes les espè- ces, en outre, la femelle est d'un tiers plus forte que le mule, qui est dit quelquefois Tiercelet pour cette cause. La réunion de CCS trois caractères constitue l'Oiseau de proie, qui ne peut être confondu avec aucun des membres des ordres précédents. Tous les Oiseaux de proie sont monogames, et chez les es- pèces les plus nobles l'union des conjoints dure autant que leur vie. Un autre caractère distinctif des Oiseaux de proie, quoique non universel , est la Cire, sorte de membrane charnue dont la base du bec est ornée, et qui est analogue à la membrane jaune qui tapisse les mandibules du Moineau-franc dans son jeune àgc. Le bec est plus ou moins courbé. La jambe est de hauteur moyenne pour les Rapaces d'Europe ; elle est bien proportionnée, musculeuse ; le tarse est plus ou moins dégagé, les pieds sont petits, les doigts souples et déliés. Un bec courbé dès sa racine et des doigts rétractiles et creusés en gouttière, avec des arêtes tranchantes, dénotent les espèces les plus redoutables, les plus rapides et les plus avides de chair vive. La jambe est toujours emplumée, le tarse très-souvent ; les mains sont quelquefois gantées jusqu'à la naissance des ongles. Les oiseaux carnassiers, qui avalent goulûment des mammifè- res et des oiseaux entiers, ont été pourvus par la nature d'une poche œsophagienne musculeuse analogue au jabot des Pigeons et dans laquelle les peaux, les ossements, les arêtes des diverses proies ingérées se roulent en pelotes ([ui sont ensuite rejetées par le bec. Cette poche s'appelait la mulctte en langage de fau- connerie. Les Oiseaux de proie, qui se repaissent d'animaux vivants, éprouvent rarement la soif à l'état libre, le sang leur tenant lieu de boisson. On dit des grandes espèces qu'elles airenl, c'est-à-dire qu'elles SKKUH'ÉDES. 03 font un nid en forme d'aire ou de surface plane qu'elles éta- blissent dans le creux de qucl(|ue roche surplombante à des hauteurs inaccessibles, et où elles reviennent chaque année, quand on ne les dérange pas. La plupart des Oiseaux de proie sont pourvus d'ailes immen- ses d'une vigueur prodigieuse. Leur vol est soutenu et rapide. Ils aiment à tournoyer sans mouvement apparent dans les régions de l'air où l'œil de l'homme ne peut les suivre, mais d'où leur vue perçante leur fait apercevoir très-distinctement tout ce qui s'agite à la surface du sol, voire dans le sein des eaux. Il y en a qui se laissent tomber de ces hauteurs sur leur proie avec la vélocité de la foudre, la ravissent et l'emportent au loin, avant que l'homme surpris de cette apparition fulgurante ait le temps de s'armer pour s'opposer au rapt. Le sifflement des ailes de ces voiliers rapides est aussi distinct en ce cas que celui des balles de mousquet. Les grandes espèces sont généralement amies de la solitude et habitent par couples isolés les cimes les plus ardues des monts. Tous les oiseaux de rapine, soit qu'ils chassent, soit qu'ils pèchent, empoignent leur proie avec la main. Les plus ignobles cependant, ceux qui ne s'attaquent qu'aux charognes et qui ont les ongles presque droits, trouvent quelquefois plus commode d'emporter dans leur estomac leur immonde curée qu'ils dégor- gent ensuite à la façon des loups. Les Oiseaux de proie ne muent qu'une fois par année, mais chacune de ces mues apporte un changement notable dans leur costume, ce qui fait qu'il est excessivement difficile de rappor- ter à leur famille les jaunes de certaines espèces. Ainsi les Fau- cons ont besoin de cinq à six mues pour compléter leur toilette d'adulte. Tel qui, comme le Gerfaut, doit porter un jour la splen- dide robe blanche, à peine constellée de fines mouchetures uoi- 94 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. res, commence par se vôtir de robes grises ou fauves irréguliè- remcut historiées. Chez d'autres, il arrive constamment que les bigarrures du poitrail changent de direction comme de couleur avec l'âge ; c'est-à-dire que la barrure transversale de la seconde ou de la troisième année passe à la verticale un an ou deux plus tard, et réciproquement. Il est remarqual)lc que la femelle qui, dans cette race, l'emporte toujours sur le mâle par la force et la taille, lui soit inférieure cependant pour la richesse générale de l'uniforme et l'accentuation des teintes. Des oiseaux qui attendent six ans pour prendre la robe virile doivent être doués nécessairement d'une longévité exception- nelle. On dit que le Vautour brun de Constantinople, qui vit depuis une quarantaine d'années au Jardin des Plantes de Paris, avait déjà plus que cet âge quand il nous fut donné. L'histoire des oiseaux carnassiers reproduit celle des quadru- pèdes de ce nom aussi exactement que celle de l'homme. Il y en a qui jappent comme le Chien, qui hurlent comme le Loup, qui miaulent comme le Chat, qui vagissent comme l'Hyène. Il y en a qui forcent leur proie à tire d'ailes, comme le Lévrier le Lièvre à la force des jarrets. Il y en a d'autres qui la guettent, comme les Félins. Quelques-uns joignent à l'intelligence et à l'o- piniâtreté du Chien courant la férocité, l'audace et la puissance des moyens du Lion. L'homologie de ces espèces ailées avec leS quadrupèdes carnassiers s'établit facilement, d'ailleurs, par la ressemblance des robes. Les uns portent les zébrures du Tigre, les autres les mouchetures de la Panthère. J'ai déjà dit que cette ressemblance se poursuivait jusque dans les règnes inférieurs. Tigre : brochet, perche* frelon, guêpe, etc.; panthère : truite, araignée, etc. La nature semble avoir plus fait pour les oiseaux dd l'ordre des Serripèdes que pour toutes les autres créatures. Il n'est pas de règne de l'animalité qui ne leur paye un riche tribut de chair. SERRIPEDES. !)o Je tiens que l'Aigle dressé viendrait à bout du Tigre et du Rhi- nocéros, voire de l'Éléphant. Le niàle, dans les races les plus nobles, semble soumis de corps et dame à sa femelle, qui dispose souverainement de ses services. Elle ordonne, lui exécute; il chasse, elle le regarde faire, se bornant à applaudir à ses plus jolis coups et à lui prêter son concours dans les circonstances dilliciles. Ilélas ! pour l'ana- logiste passionnel, toute l'histoire de l'animalité et de l'humanité est écrite en ce peu de lignes. Un monde où la femelle règne par la force du corps est un monde contre nature et qui ne peut durer, parce qu'il est assis sur l'oppression et le carnage. Du moment (juc vous ùtez à la femme sa grâce et sa toute puissante faiblesse et sa peur de voir souffrir, pour remplacer ces dons par la vigueur des muscles et l'insensibilité devant le meurtre; du moment que vous lui retirez l'attrait pour la faire régner par la force, tout le charme de l'existence humaine est à l'instant perdu... Car l'amour d'où naît toute joie n'a été inventé que pour asservir le fort à la faible, et il n'a pas même de raison d'exister hors de là. Cela veut dire que le véritable monde des oiseaux amoureux est celui des oi- seaux chanteurs, non celui des oiseaux de proie. Pour que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes, il est de néces- sité absolue que la femme se borne à régner dans la sphère du sentiment et de la poésie et laisse à l'homme le sceptre de la force, de la géométrie et de la raison pure. Les auteurs n'ont pas été heureux dans .les tentatives qu'ils ont faites jusqu'ici pour subdiviser les oiseaux de proie. On peut même ajouter que ces tentatives ont plus servi à embrouiller la matière qu'à la tirer au clair. La seule méthode qui ait fait un peu de lumière dans le chaos est celle d'Huber de Genève, dont j'ai déjà parlé au début de cet ouvrage, et qui consiste dans la 96 OIIMTHOLOGIE PASSIONNELLE. division de l'ordre en Voiliers et en Rameurs. Les Rameurs, ai-je dit, sont ceux qui ont puissance de voler dans le vent, à raison de l'extrême longueur de leurs deux premières rémiges, disposition qui leur taille l'aile en faux. Les Voiliers sont, au contraire, ceux chez lesquels la rémige la plus longue est la qua- trième ou la cinquième, disposition qui arrondit tout le système alaire et ne permet plus à l'oiseau de tenir contre le vent. J'ai comparé le Rameur au bateau à vapeur, le Voilier au bateau à voiles. Les Faucons appartiennent à la section des Rameurs ; les Aigles, les Vautours et tout le reste à celle des Voiliers. Cepen- dant il est facile de reconnaître du premier coupd'œil que cette division est insuffisante, puisqu'elle ne laisse figurer à l'avoir des Rameurs que deux ou trois espèces. Une loi qui se réduit ainsi d'elle-même à l'état d'exception ne peut pas être une loi. Le ca- ractère d'exception de celle-ci se trahit plus malheureusement encore dans son application spéciale à l'ordre des Rapaces, at- tendu que le règne des oiseaux fournit une foule d'ordres plus riches que celui-ci en séries de Rameurs, et notamment les séries des grands Oiseaux de mer, des Hirondelles, des Oiseaux-mou- ches, etc. Il est clair qu'une méthode qui sépare des espèces aussi voisines que l'Aigle et le Faucon, pour rapprocher des genres aussi disparates que la Frégate et l'Oiseau-mouche, n'a pas en elle le pouvoir de distribuer l'harmonie. La classification officielle, c'est-à-dire celle qui résulte de l'amalgame des classitications de Linn;cus, Latham, Cuvier, Temmynck, joint à l'absence de tout principe philosophique de division le vice d'une nomenclature inadmissible. Je n'aurai besoin que de citer un seul nom et de donner un seul exemple pour démontrer le peu de consistance de la classification olK- cielle et pour trouer de part en part sa pauvre nomenclature. On sait (jue le mot faucon est la traduction littérale du mot latin fo.ko^ qui est dérivé lui-même du radical /«/x-, (|ui veut SKKUH'EltLS. y; (lire Taux ii l'aurlier. Faucon, Falco. sont donc deux termes i;é- neriques, emportant signification d'un oiseau qui a l'aile taillée en taux ; et tous les naturalistes sont d'accord sur la valeur de cette expression. Cela étant, je prie Cuvicr, Temniynck et tous les autres de me répondre, la main sur la conscience, s'il n'est pas au moins contraire au bon ordre, au bon sens et à la gram- maire, d'attribuer ce nom de Faucon à des espèces qui, au lieu d'avoir l'aile taillée en taux, l'ont, au contraire, ronde ou obtuse. Je demande s'il n'est pas contradictoire de dire le Faucon-Au- tour, le Faucon -lîuse, le Faucon-Aigle, comme onditlcFau- con-Gerlaut, le Faucon-Sacre, leFaucon-Pelerin ctsurtout après (|u'on a reconnu la valeur de la distinction établie par Huber entre les Voiliers et les Rameurs, (."ncore une lois, mes maîtres, permettez-moi de vous le dire, c'est vous qui avez lait le gàcliis dans lequel vous êtes embourbés, et votre attribution de l'éti- quette de Faucon aux trois quarts des Oiseaux de proie n'est pas moins malheureuse que celle dej/ied roiu/e aux pieds noirs que vous avez faite naguère à un liuitricr d'Australie. Vous ririez impitoyablement, j'en suis sûr, du malheureux professeur de géométrie qui s'aviserait de découvrir le triangle /a/angie- o^^M.sangle... Et pourtant la nouvelle invention ne serait que tout juste le pendant de la vôtre, de votre aile de Faucon aigw-oLtuse^ et toutes les deux, je crois, figureraient beaucoup mieux dans un cabinet de curiosités scientifiques que dans une classification sérieuse. Mais l'Évangile a dit : le zoologiste qui voit la paille dansi'œil du géomètre n'aperçoit pas la poutre qui est dans le sien. Je ne veux pas répéter aux savants, qui peut-être ne m'enten- draient pas, que la raison de leurs égarements est dans leur igno- rance de la loi des rapports entre l'homme et les êtres créés, attendu que la série qui distribue l'harmonie dans tous les règnes de la nature a sa source eu cette science, qui est la science de 98 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. l'Unité et de l'Analogie passionnelle. J'aime mieux leur prouver par l'exemple que par la théorie, que la méthode de classifica- tion des Oiseaux de proie, la plus sûre et la moins trompeuse, est celle qui consiste à considérer chaque espèce dans ses raj)- ports avec le souverain de la terre, pour lui assigner, d'après cette étude consciencieuse, la place qui lui revient. Parmi les Oiseaux de proie, les uns ont été destines à servir l'homme, à lilrc d'auxiliaires de chasse ; d'autres à lui demeurer hostiles. D'où la subdivision de l'ordre desRapaces ou des Serri- pèdes en deux principales Séries : la première que j'appellerai des Auxiliaires ou des Soumis, ou des Oiseaux de chasse; la se- conde des Insoumis ou des Rei'ractaires. Les personnes qui seraient disposées à trouver cette distinction trop savante, c'est-à-dire trop entachée d'analogie passionnelle, peuvent la remplacer facilement. 11 y a d'abord la division des Nobles et des Ignobles, puis celle des Nécrophages(croquemorts) et des Nécrophubes (croquevifs), et enfin dix autres analogues; car tous les Rapaces ennemis de l'honniie sont amis des cadavres. l>REMli;Rt sliUlK. Auxiliaires OU OisoaUx de chasse. Falconiens ; Asléiieiis; IJalbu^aid, Trois genres. Onze espèces. Caraclèrcs généraux. Tous les Oiseaux de proie susceptibles d'être ralliés à l'homme se distinguent par la vivacité de leur physionomie, l'élégance de leurs formes, la noblesse de leur goût. Tous ont le bec courbe dès la racine, la main petite, les doigts déliés. Les plus mignonnes SERHlPtDES. yj espèces sont, comme la Pic-grièche, plus insectivores qu'avivo- res. Toutes font preuve d'une dextérité merveilleuse pour s'em- parer de leur proie. Toutes attaquent des oiseaux plus loris qu'elles. Aucune ne se repaît de chair morte. Les Oiseaux de chasse se divisent en trois genres : le premier, dit des Falronicnii ou des Rameurs; le second, des Ast/'ricns ou des Voiliers, se distinguant l'un de l'autre, comme il a été dit, j)ar la forme de leurs ailes. Le troisième genre, (jui est un ambigu entre les Rallies et les Insoumis, ne compte (|u'une espèce. (i( nie l-';ilc(i!iii'ii. Iliiil i'>iii'ii'.>i. Elaiiiuii, Kubcv, Crosserolle, (Ircs.vercllcllo, Mlruiioic, Prloriii, llolicreaii, Éiiinilloii. Les Faucons sont les i)lus vaillants et les plus généreux des oiseaux de chasse et de guerre. Ils symbolisent l'institution de la chevalerie qui est la plus noble et la plus poétique de toutes les institutions homicides. Les Faucons portent tous la longue queue rubanée et l'aile pointue des Rameurs. Le caractère distinctif de cette aile, est la longueur excessive de la seconde rémige, qui déborde considéra- blement la première et la troisième, lesquelles sont d'égale di- mension. C'est à cette forme spéciale que les oiseaux de ce genre doivent la supériorité de leur vol. Tous chassent en planant. Les Faucons ont le bec crochu, courbé dès la racine et armé d'une dent terrible. Leurs mains déliées et habiles sont termi- nées par des ongles aigus, tranchants et rélractiles. Ils ne s'a- battent jamais sur les cadavres. Ils constituent spécialement la 100 ()îr\lJll(Jl,OG!H I'ASSION-NLILLL:. lanùlli! (.les oiseaux nul/les ou des oiseaux de /i((uf col de la l'aii- connciie. L'ancienne fauconnerie employait six oiseaux de haut vol ; le Gerfaut, le Sacre, le Lanier, le Pèlerin, l'Alèthe et l'Alphanet. Le Hobereau, rÉniérillon et la Cresserelle, qui sont de tout pe- tits Faucons, bons seulement à voler la Perdrix, l'Alouette, la Caille, n'avaient pas l'honneur de iigurer dans cette catégorie. La France n'est pas riche en oiseaux de haut vol , c'est-à-dire en espèces capables de lier l'Aigle, le Milan, le Héron, la Grue. Le Gerfaut apj)artient à l'Islande et à la Norwége, le Sacre à la Russie , le Lanier aux îles de la Grèce , à Malte , à la Sicile. L'Alèthe se tirait des Açores et de Madère, l'Alphanet de Bar- barie et de Crète. L'Alphanet prenait son nom de la première lettre de l'alphabet grec , pour dire qu'il était le plus sociable et le plus charmant de tous les Faucons. L'Alèthe se payait, sous les Va- lois, jusqu'à trois cents écus la pièce. Ce prix n'a pas baisse, bien que le Faucon se soit retiré du commerce. Un Gerfaut non dressé et fort jeune fut vendu 500 francs, au Havre, en 18i2. La disparition du Gerfaut, du Sacre et du Lanier s'explique par l'ancienneté de l'époque à laquelle remonte l'introduction de la fauconnerie dans les Gaules. Cette époque correspond pour le moins à celle de l'invasion des rois francs , puisqu'il est ques- tion dans l'histoire des faucons du roi Mérovée. J'ai dit que le Lanier airait encore, il y a cent cin(iuante ans, au pourtour de la haute falaise qui fait mur à la mer du Midi, depuis Antibes jusqu'à Gènes, et que les voyageurs appellent la Corniche; mais je n'ai pas connaissance qu'il existe dans aucun cabinet d'amateur de ce temps, un seul exemplaire de Lanier pris ou occis en France depuis une cinquante d'années. H manquera toujours pour moi deux choses essentielles à la France, aussi longtemps qu'elle ne sera pas redevenue la patrie du Ger- faut et qu'elle continoera à ne pas récolter , bon an mal an, qua- (re rciil millions d'hectolitres de vin; car hi Franco a ete crceo pour enivrer et faire chanter la terre. Kt qnchiuefois mon imagi- nation rêveuse et remplie d'illusions me lait croire que le Ger- faut, qui est un bel oiseau blanc chaussé d'éperons d'or, setrans- |>orto aussi de son cAté en espoir vers les bords fleuris de la Seine, et que s'il n'y revient pas plus promptcment , c'est qu'il en est empêché par la malice de quelque maudit enchanteur qui le retient captif en sa prison du Nord. Il est temps de convenir, à ce propos, que llslande, patrie du derfaut, n'est pas ce qu'on croyait jadis, un roc inhabitable, perdu sous la calotte du pôle . un énorme ta? de ncip;e coill'é d'un lampion fumeux , en guise de volcan ; en un mot . une terre de silence et de mort. C'est au contraire la perle des mers hyper- borées, et une véritable perle enchâssée comme une oasis de lu- mière et de chaleur au sein d'alTreux déserts de glaces et de té- nèbres. C'est l'île sacrée de l'océaa du Nord, qui porte au front une couronne de feu , phare sans éclipses , j)hare éternel ap- pendu parla main de Dieu au-dessus du noir abîme pour éclairer la marche des innombrables tribus de navigateurs de tout règne qui sillonnent deux fois chaque année le dessus et le dessous des flots. L'Islande est la station obligée des nombreux oiseaux de pas- sage qui font la traversée de rAméri({ue nord en Europe. C'est aussi le point central de ralliement de la grande colonne expé- ditionnaire des harengs qui sourd tous les ans du fond de la mer Glaciale pour apporter le tribut de sa chair aux riverains de l'Atlantique , entraînant à sa suite tous les monstres goulus de rOcéan, les narvals, les baleines, les squales. Nulle terre n'est plus féconde en gibier d'eau et de marais ; nulle côte plus poissonneuse. Longtemps les innombrables cétacés du Nord ne voulurent d'autre demeure que les baies paisibles de l'îîe, et le baleinier 102 ORNITHOLOGIE PASSIONNELI-K . avide dut détruire presque complètement la raie avant de la faire renoncer à ces mouillages favoris. L'Islande est une des patries les plus aimées du grand Cygne sauvage à bec jaune que nous tuons l'hiver sur la Seine. La Bécasse et la Bécassine , deux fines bouches qui savent par leur nom tous les bons endroits du globe, en parlent comme d'un pays de cocagne où elles aiment ùpasser un ou deux mois par an. L'Hirondelle de cheminée y va faire entendre chaque printemps ses suaves chansonnettes. La Caille elle-même y touche, et je ne serais pas surpris que les pèlerins les plus aventureux de cette race intrépide, après avoir accompli ce voyage, prissent un titre de hadji quelconque, comme les pèlerins musulmans qui sont revenus de la Mecque. Les oiseaux de passage, qui sont curieux comme des Gaulois de la vieille Gaule, tiennent en haute estime les explorateurs courageux. Enfin, pour que l'Islande, où le bois ne vient pas, fût habi- table pour l'homme lui même. Dieu a forcé le grand couiant sous-marin qui porte du golfe de Mexique à rEuroi)e nord , de déposer en passant sur les rivages de l'île les troncs des chênes séculaires arrachés à la terre américaine par les eaux de l'Av- kansas, du Missouri et du Mississipi. La prédilection des oiseaux et des poissons voyageurs pour les parages de l'Islande s'explique sans eflbrt. L'Islande est une immense marmite à Papin, pleine d'eau à la température rouge et destinée à chaufl'er le pôle, La superficie du sol est le cou- vercle de cette marmite. Ce couvercle est percé d'une infinité de trous qui donnent passage à autant de puits artésiens ou de sources thermales qui délayent la terre et la transforment en une vase liquide analogue aux boues de Saint-Amand en Flandre, si efficaces contre les rhumatismes. Quelquefois la violence de la pression interne crache dans les airs la terre liquéfiée ; alors le phénomène .s'appelle volcan de hnup. On dit qu'il y a êruplion si;rhiim;ih:s. lo.] I(»r.s(|u iiiu' Iraction tio|) considérable ducoiucrcle éclate cl qiK' d'alVreux torrents de flammes , d'eau rouge et de luméc s'échap- pent du cratère avec un grand tapage. On conçoit l'agréable surprise ([ue doivent éprouver les Ca- nards et les Bécasses rencontrant dos boues chaudes à de si hau- tes latitudes, et quelles délicieuses paitics de baibottage s'en suivent. Les personnes qui adorent les bains russes peuvent se mettre aussi à la place des poissons et des cétacés de cette mer, auxquels il est loisible de passer brus(iueinent<'itoute heure d'une température de ()'' à une température de 40" centigrades. On comprend enfin que le (lerfaut, qui est un amateur pas- sionné de la chair de la Bécasse et de celle du Canard , s'acco- quine au séjour cher à ces volatiles et ne le quitte pas pour nos terres dépeuplées. Néanmoins on aftirme que quelques individus de l'espèce s'échappent de tempsà autre de l'Ile pour aller étudier la Faune du continent norwégien , car on ne peut pas toujours manger de la Bécasse. C'est dans le cours de cette exploration gastroso- phique que quelques-uns descendraient sur les sommets boises des Vosges, du Jura, du Cantal. Je demande des preuves. J^e seul oiseau de haut vol que nourrisse authentiquement la France est donc le Faucon pèlerin. L'Éf.AMox. L'Élanion est un K;ipace d'Afrique qui s'égare quelquefois sur les plages françaises de la Méditerranée. C'est une double Pie-grièche grise, portant la même livrée que celle- ci et mangeant comme elle be.uicoup plus de Scarabées et de Grillons que d'oiseaux. L'Élanion, qu'on appelle aussi le Blac, se rabat volontiers sur les grenouilles, dans les jours de misère, à l'instar du Héron. Il est ami de l'homme et ne fuit pas sa pré- sence; ce qui l'expose à de cruels mécomptes. Il serait difficile d'imaginer un premier terme de série ménageant mieux que lOi OBMTHOIOGIK PASSIONNEI.l.K. ( (ilui-d la transition rntre les Omnivores amltigus et les véiila- l)les Oiseaux de proie. J'ignore si l'Élauion a été dressé an vol; mais sa familiarité, sa douceur et la vivacité de ses jolis yeux d'or ne permettent même pas de mettre en doute son éducabilité. Le Faucon KoiiEz ou faucon à pieds rouges. Jolie petite es- pèce, plus insectivore qu'avivore, qui demeure de l'autre côté des Pyrénées, bien loin vers l'Espagne des Maures ou dans les gran- des îles de la Méditerranée et de l'Archipel. Elle ne vient guère chez nous qu'à la suite de quelque débordement insolite de Grillons ou de Sauterelles, comme l'Élanion et la Cresserellette. On a vu des Faucons Kobez dégoûtés de la chair, se rabattre sur les fruits et notamment sur les cerises; goût frugal qui révèle assez l'innocence de ses mœurs. Le Faucon à pieds rouges, aussi ingénu que l'Élanion, semble heureux de la présence de l'homme et s'approche du chasseur au lieu de s'éloigner de lui. Cette confiance dangereuse dans la loyauté du perlide, explique la ra- reté de ce moule charmant. L'espèce se distingue du reste des Faucons par deux carac- tères spéciaux. Elle porte un manteau à teintes uniformes et distribuées par grandes masses, sans taches ni mouchetures; et c'est à peine si la femelle y est plus forte que le mâle. Mais si la distinction des sexes ne se trahit pas par la différence de la taille, elle éclate vivement par la disparate des couleurs. Le mâle a tout le dessus et tout le devant du corps couvert d'une étoile cendrée de nuance sombre qui rappelle la teinture à l'encre. L'abdomen, les garnitures des cuisses et la partie inférieure de la queue, alîéclent la nuance roux vif. Robe et manteau, tout le costume de la femelle, à l'exception des rémiges et des rectrices, vire au roux orangé. Jris, cire et pieds rouges. La CRESSEiiKLLE.LaCresserelIe est ce joli petit oiseau de i)roie Si:KltlI'KI)KS. KVj à iiiaiileau de l)iii|ue roscqui niche dans les curniclies du Louvre et dans toutes les tours de cathédrales. Elle porte les ailes plus courtes que la queue, suivant la mode de l'Épervier et de l'Au- tour ; mais ces ailes n'en sont pas moins taillées sur le patron (le la noble tribu des Rameurs. Queue rubanée et ourlée de noir, bec bleu, cire, iris et pieds jaunes. Pendant l'été, la Cresserelle fait la guerre aux Moineaux- francs et aux oiseaux des vergers, Pinsons, Chardonnerets, Mésanges. Aussitôt que la plaine se découvre et que la moisson est rentrée, elle quitte la ville pour la campagne où elle guerroie avec succès contre le Yerdier, l'Ortolan, l'Alouette et le Mulot f/cf/rain, dont la chair est particulièrement savoureuse à cette époque, de l'avis unanime des Hiboux, des Renards et des autres bêtes de proie. Klle donne facilement dans tout piège amorcé d'un oiseaii vivant. Faire le Saint-Esprit , faire la Cresserelle est tout un en langage de chasse; c'est avoir l'air d'être suspendu par un fil invisible à un point fixe de l'espace, et déployer sa queue et ngiter ses ailes afin de garder quelque temps cette position gracieuse. L'oiseau de proie fait la Cresserelle, lors- qu'il se tient au-dessus du Chien qui veut lever une Perdrix, lors- (|u'il bloque du regard la place où s'est tapie la proie qui vient d'échapper à ses serres, ou encore lorsqu'il épie la sortie du Mulot. La Cresserelle occupe une place plus bizarre qu'importante dans les fastes de la fauconnerie. A la cour du roi Louis XllI, on l'employait au vol de la Chauve-souris. La Cresserei.lette. Moule réduit de l'espèce précédente. Extrêmement rare en France, où elle n'apparaît guère qu'à la suite de quelque débordement de Grillons ou de Sauterelles. Plus connue dans le midi de l'Espagne, de la Sicile et de la Sar- daigne. Plus funeste aux Mulots, aux Scarabées et à tous les gros insectes ([u'aux petits oiseaux. Même couleur rouge brique 100 oKM'mnl (V.IF. P\SS;!ON\r.l.l,K. que la Crosserelle; ongles jaunes, rire el pieds ick'in ; l;iille de la Tourterelle. Le Faucon Éléonore. Les ornithologistes du Midi parlent quelquefois d'un Faucon Éléouorc, de la taille de l'Fpervier, et qui porte 'sur les éi)aules un superbe manteau de velours noir. Mais le Faucon Éléonore appartient à la région d'au delà des Alpes; il ne niche pas en France , n'y l'ait pas d'apparition régulière et n'y est jamais qu'égaré. Ce n'est donc pas le cas d'allonger ce récit en écrivant son histoire, (pii n'offre, du reste, aucun trait bien saillant. Le Faicon Pèlerin. C'est un oiseau de lier aspect et de riche encolure, doué d'une intelligence supérieure et d'une bravoure à toute épreuve. Sa taille est celle de l'Autour ou du Milan. La femelle mesure 18 pouces de longueur de la pointe du bec à celle de la queue. Le Faucon a l'œil vif, malin et provocateur du Gaulois ; il est magnifique sous les armes et se rengorge quand on le re- garde. Il chausse comme le Gerfaut l'éperon d'or, mais porte de plus une large moustache noire , crânement retroussée à la façon des guerriers de son pfiys. Le bec est bleu d'acier, bleu noir, le dessus de la tète et la partie supérieure du cou d'une belle cou- leur noir mat, la gorge d'un blanc pur ainsi que la poitrine, avec de fines raies noires longitudinales du plus charmant elïet. La queue est traversée de bandes étroites alternant du gris cen- dré au brun sombre ; les barbes des rémiges sont historiées de taches rousses semblables aux arabesques d'une armure de Mi- lan; le tour des yeux et l'iris sont jaune d'or comme les j)ieds. Ceci est le costume du Pèlerin femelle après sa sixième mue, caril fautsix ans aux Faucons pour parfaire leur plumage. — Ainsi SEF^HIPKnKS. 107 \c. conscrit français, qui porte dans sa gihorno un bâton de ma- réchal, doit néanmoins attendre (iiichiuc- années avant d'arriver à ce grade et change plus d'une fois d'uniforme avant d'endosser le chapeau à plumes et l'habit galonné sur toutes les coutures. Ainsi l'illustre chevalier delà Manche dut s'appeler le Chevalier de la Ïriste-Figure avant de s'appeler le Chevalier du Soleil. Les jeunes Faucons , avant la troisième ou la quatrième mue , sont des chevaliers d'assez triste figure , comme les Aigles du reste et les autres Oiseaux de proie. Les couleurs de leurs man- teaux ne sont pas franches, les stries, les virgules et les étoiles, les diverses mouchetures, en un mot, qui les décorent, sem- blent avoir été apposées là sans ordre , sans dessin arrêté. De jeunes Laniers, de jeunes Sacres et de jeunes Pèlerins, qui ne doivent pas se ressembler le moins du monde un jour , se ressem- blent tellement dans les premières années, qu'il est fort difficile de les distinguer les uns des autres. Les oiseaux , ai-je dit , ont cet avantage sur nous qu'ils deviennent plus beaux avec l'àge. A chaque nouvelle mue du Faucon pèlerin , du Gerfaut , de l'Au- tour , l'uniforme va se simplifiant et le manteau se colorant par niasses. Les raies qui étaient longitudinales dans le jeune âge deviennent transversales, et vice vcrsd, chez l'adulte. Singularité bien remarquable et que j'aurai été cependant le premier à signaler, j'en suis sur, la France ne nourrit qu'une seule espèce de Faucon , et cette espèce est celle du Faucon pè- lerin ! Pèlerin, c'est-à-dire qui ne demeure guère ; c'est-à-dire l'em- blème du chevalier errant. il est certain que l'emblème du chevalier errant, du redres- seur universel des torts , appartient plus à la nation de ce côté- ci des Pyrénées qu'à celle d'au delà. Les auteurs du Boland furieux et de la Jérmalem délivrée , qui ne sont pas français , ont été forcés de rendre à ma patrie cet hommage. Les plus nn OKNITHOI.OGIE PASSIONNKI.I i:. ;;rands coups d épée, ies plus beaux coups de laiice qui se soient donnés ou reçus, en prose comme en vers, l'ont été par des mains ou des poitrines françaises. Le preux Roland, l'honneur de la chevalerie, qui embrochait les Sarrasins comme des boc- figueS; et qui en tenait quelquefois sept au bout de sa lance , était né comte d'Angers , comme Richard Cœur de Lion naquit depuis comte d'Anjou. Le nom de Uayard, nom éminemment français , avant de recevoir son illustration historique du r/iovn- licr scuis pn(r et mna reprorhe, avait déjà ét''^ porté avec distinc- tion par un cheval , celui des quatre tils Aymon , un cheval né et élevé dans les pâturages de la Haute-Garonne, et qui galopait avec une aisance sans égale sous la charge de quatre chevaliers gigantesques couverts de fer des pieds jusqu'à la tète, et qui dans la bataille vous tombaient moiis les hommes, comme l'ou- ragan d'automne vous abat les feuilles d'orme après une forte gelée. Je veux croire que Michel Cervantes eut ses raisons pour faire naître son héros dans une contrée d'Espagne qui s'appelle la Manche; mais je crois que l'incomparable Chevalier du Soleil n'eût rien perdu à avoir pour patrie ces mêmes rives de la Garonne où reçurent le jour Renaud de Montauban et son che- val, le Réarnais et le chevalier d'Artagnan. J'abandonne volontiers à l'Espagne la paternité de Sancho Pança le sans cœur, le poltron, type du bourgeois français et non du paysan espagnol. Je ne re- vendique pour ma nation que la paternité de ce fou d'une rai- son si haute qui empochait avec tant de résignation les horions et les coups de gaule, espérant dans sa naïveté sublime que le chiffre toujours croissant de ses emplâtres finirait par lléchir les rigueurs de son inhumaine Dulcinée. A part le côté édifiant du céladonisme chevaleresque, il y a dans la ligure du vrai chauvin de la grande épopée napoléonienne plus d'un trait et plus d'un tu; caractériel du héros de la Manche. Si l'on pouvait se repen- tir (l'avoir ri dans ce momie, où les hommes gais sont si rares, je SKUIUI'KI'KS. ICI» me repentirais d'avoir ri à la lecture du don Quichotte, dont je ue rirais plus aujourd'hui. Mais toujours j'aimerai et j'admirerai l'Arioste, qui ne m'a jamais fait rire aux dépens du champion de la vérité et de la justice. 0 bienheureux chevaliers d'une époque impossible, qui parcouriez si aisément les distances les plus pro- digieuses, qui voyagiez de la France au Catay, sans avoir à vous inquiéter le moindrement de ces viles questions de passeport, de blanchissage et de carte à payer qui tiennent tant de place dans l'existence moderne.. Beaux paladinsqui n'aviez (|u'à lais- ser flotter la bride sur le cou de vos n»onlurcs jiour tomber sûrement dans quelque île enchantée, dans un jardin d'Âlcinc émaillé de femmes roses, d'oiseaux bleus, de fleurs comme ou n'en voit guère... Enfants perdus de la fantaisie, qui viviez sans souci du lendemain ni du jour, nourris, logés, couchés aux frais de la princesse, — comme j'étais fait pour vous aimer et vous comprendre, pour vivre et mourir avec vous ! Le Faucon pèlerin est le plus fameux de tous les oiseaux de vol à la descente, comme le (ierfaut est le meilleur à la mon- tée. La femelle vole tout ce qu'il est permis à un oiseau de voler, depuis la Caille jusqu'à l'Âutruchc, et, par exemple, l'Outarde, la Grue, l'Oie sauvage, le Canard, la Canepetière, la Perdrix, le Coq de bruyère, le Faisan, la Bécasse, le Lièvre et le La- pin, etc., etc.; puis, dans un autre ordre d'idées, le Jean-Ie-blanc, le Milan, le Balbuzard, l'Oiseau Saint-Martin, la Buse, l'Éper- vier, la Cresserelle, le Hobereau, le Chat-Huant, le Corbeau, la Pie, etc., etc. De compagnie avec l'Autour, elle planant dans les airs, l'Autour rasant le sol , elle exécute des razzias de Per- drix fabuleuses. Alliée à l'JÈpervier, elle occasionne à la Pie et à la Corneille des désagréments infinis. Le Pèlerin ou Tiercelet, qui ue peut aborder qu'avec une extrême difficulté les grands rùles, se distingue surtout dans le vol du Pigeon, de la Poule d'eau, de l'Hirondelle de mer, du Yaiineau, du Pluvier, de la 1 10 OUMlHuLOGit: PASSlOxNiNELLE, Perdrix et de la Cresserelle. On l'a vu quelquefois, lie sachant plus à qui s'en prendre, donner chasse au Coucou, à l'Engoule- vent, à la Chauve-souris elle-même pour s'entretenir la main. Le Faucon pèlerin est tellement passionné pour la chasse, qu'il lui arrive souvent de rendre la liberté à l'oiseau qu'il a pris et de lui donner champ pour le revoler de nouveau, et quand il l'a manqué de ce second vol, il ne se repent pas de sa généro- sité. Pareil au tireur généreux qui rougirait de tuer un lièvre au gîte, le Faucon pèlerin ne se décide qu'avec une extrême répu- gnance à saisir une proie arrêtée; mais souvent il la coudoie de l'aile et la force à partir pour lui laisser au moins une chance de salut. J'ai dit que l'Hirondelle en agissait de même avec une foule de moucherons qu'elle pourrait happer sur les murs, mais qu'elle aime mieux saisir au vol. Toutes ces petites délicatesses de procédés se retrouvent dans les habitudes militaires des Français. Le Faucon pèlerin s'instruit et se dresse avec une facilité re- marquable, comme le conscrit français. On en a vu qui avaient terminé leurs études en quinze jours. Il est malheureusement aussi sujet, comme les héros de France, à deux infirmités déplorables, le duel et le rhumatisme. Les châtiments les plus sévères, la peine capitale même, n'ont jamais pu faire renoncer les Faucons à ce fatal préjugé du point d'honneur qui fait tous les jours parmi eux tant de victimes. Le Faucon se fie plus à son épée qu'à son bon droit et ii ses juges, et il donne d'excellentes raisons pour justifierson opinion et ses actes. Dans le fait, quand on considère de près la sottise des hommes, il est difficile de ne pas être un peu de l'avis du Faucon. Le Pèlerin craint la neige, peu^-êtrc par souvenance des dé- sastres de la campagne de Russie. Le nom de Pèlerin \cut dire qui fait de longs voyages. Ce Faucon se rencontre en elTet dans presque tous les pays de la Terre, et les traversées de mille lieues sont ses moindres |)rou)e- nades. 11 aire dans les roches du Midi plus fréquemment que dans celles du Nord. Toutefois, Temmynck a grand tort d'affirmer qu'il est très-rare dons les pays en plaine et rpron no le rencon- tre jamais dans les contrées marécageuses. Ce sont, au contraire, les contrées marécageuses du nord de la France, les rives de la Somme et de l'Oise, fécondes en Bécassines et en Canards, qui sont chez nous ses demeures favorites; car le Pèlerin adore le Canard sauvage et la Sarcelle, et il en fait une consommation elVroyable; il est donc bien forcé de fréquenter les lieux où se plaisent ces espèces. Mais j'ai plus que les simples données du bon sens pour infir- mer l'assertion de Temmynck. relativement à la prétendue ré- pugnance du Faucon Pèlerin pour les pays de plaino, et d'abord mon expérience personnelle qui la contredit formellement, puis i'opinion de M. Crespon de Nismes, qui a rencontré maintes fois le Pèlerin sur les rives basses et marécageuses de nos grands étangs du Midi , et encore le témoignage précis de vingt huttiers du Nord, entre autres celui de M. Ernest Bonjour de Ribemont, un illustre chasseur de Canards devant Dieu, qui joint à la pas- sion de la hutte un amour éclairé de l'ornithologie, et possède une des plus riches collections d'oiseaux de France que je con- naisse, Le muséum de M. Ernest Bonjour abonde en Pèlerins de tout âge et de tout sexe, tués sur les rives de l'Oise et dans les plaines nues adjacentes ; et il n est pas, dans le pays, d'observa- teur un peu subtil qui n'ait assisté nombre de fois au spectacle de l'attaque du Canard et de la Sarcelle par le Pèlerin, voire de rOic sauvage; car le Pèlerin a barre sur tous les rémipèdes; il lie rOie sans grande peine, et s'il a l'air de respecter le Cygne, ce n'est pas qu'il le craigne, mais seulement qu'il le trouve gê- nant à emporter. Or, à quoi bon tenter une épreuve périlleuse, liJ «tilMillULuOlt l'AbMUN.NLLLi:. sans chances de profit personnel. Encore passe si Ton travaillait pour un maître, pour une maîtresse surtout. Enfin je fus moi-même un jour de ce dernier hiver (mars iSbo), témoin oculaire d'un fait qui tranche la question. La scène s'est j)asséesur ces mômes rives de l'Oise, au lieu dit de Ribcmont. Nous revenions bredouille de la hutte Bonjour, une hutte modèle et mouU plaisante, aurait dit Rabelais, et monastique ment assor- tis (Ir harnais de (jucrre et de (jueule. Une bande de Canards sillonnait la région des nues à une hauteur prodigieu.'^e. « En voilà qui ne sont pas pour nous, » dit le vénérable du groupe; mais il avait à i»eine formulé ses regrets, que soudain la bande se disloque comme sous l'explosion de la foudre et que ses mem- bres cpars , piquent du haut du ciel sur le sol une tête verticale. « Faucon en vue » crie l'ornithologiste, et braquant sa lunette vers les profondeurs de l'espace, il distingue au zénith un point noir immobile, invisible à l'œil nu. C'était un Pèlerin qui planait. Mais les chasseurs avisés se dispersent aussitôt et courent avec leurs chiens à la recherche des Canards qui viennent de s'abattre dans les buissons voisins. On les trouve, on les tire à l'arrêt comme des Cailles ; car le Canard qui se voit ou qui se croit blo- que par le Faucon, éprouve une frayeur si grande, que ses moyens en sont totalement paralysés et qu'il n'essaye pas même de fuir devant l'homme ou son chien. Ainsi le malheureux bour- geois à qui ses mystificateurs habituels ont fait peur du Faucou de l'anarchie,, se jette tête baissée dans la gueule insatiable de l'ogre du despotisme; et non moins fin que Gribouille, qui se fourrait dans l'eau de crainte d'être mouillé, commence par lui livrer sa vie, sa liberté, sa bourse, tous les biens qu'il tremblait que l'anarchie ne lui prît. Donc s'il est un fait bien certain et bien démontre dans ce monde, c'est que le Faucon pèlerin fréquente les contrées maré- cageuses et les pays de plaine, malgré la défense de Tcminyiick. SKKhIl'KWKS. H. 5 Le couple ue se sépare pas à la tin de l'éducation des entants, ainsi que la chose se pratique dans plusieurs espèces. Le père et la merc continuent de l'aire ménage ensemble et chassent de compagnie. Le Faucon pèlerin est l'emblème du preux chasseur aussi bien que du chevalier errant; car ca^ deux professions n'en sont qu'une, et je les confonds dans mon estime. Chasseurs de haut litre et chevaliers errants ne pcu\cnt avoir qu'une seule ambi- tion en ce monde, celle de débarrasser leur patrie de tous les oiseaux de nuit, de tous les Aigles, de tous les Vautours, de tous les Renards, de toutes les Fouines, de tous les Kats et de toutes les N ipèrcs dont elle est infestée. Ft puisque la mission de tous le>> chevaliers et de tous les chas- seurs est la même, l'histoire du Faucon pèlerin doit être celle de tousses frères d'armes. Disons donc le F'aucon tout court pour donner plus d'intérêt au récit qui va suivre, et généralisons. Puisque le Faucon est le plus vaillant et le plus rapide de tous les oiseaux de bataille, ce doit être l'emblème de la bravoure chevaleresque qui s'est persounitiée de touttem|)s dans le héros français. C'est pourquoi je regrette que la France guerrière n'ait pas choisi le Faucon pour emblème, de préférence à l'Aigle qui est un type inférieur. L'Aigle est l'emblème du Romain et de l'Anglais qui combat- tent surtout pour étendre leur domination et qui s'attaquent avec bonheur aux races inférieures, aux espèces-victimes. Le Faucon, chevalier intrépide, toujours armé pour la bonne cause, méprise ces triomphes faciles. Il ne regarde point au nom- bre de ses ennemis ni à la supériorité de leurs armes, et la gran- deur du péril ne fait qu'enllammer son courage. Ogre ou Géant, Aigle, Milan, Héron, tyran des airs, des forêts ou des eaux, toutduità sa vaillance, tout ennemi lui est bon, Il l'attaque de 114 ( HiMTHOLOGIE PASSIONNELLE. haute lutte dans les champs clos de l'air, le lie, lui lait mordre la poussière. Il semble plus désireux de bien mourir que de mal vivre, et ne réclame jamais pour prix de la victoire de la veille, que l'honneur de combattre aux premiers rangs le len- demain. Ainsi faisaient nos pères au début de ce siècle, entassant pro- diges sur prodiges dans leur lutte titanesque contre la coalition des despotes, et fatiguant vingt ans la victoire à les suivre, le tout pour conquérir un peu de gloire et le renom de héros in- vincibles. Les autres oiseaux disent, parlant de l'impétuosité irrésistible du Faucon dans l'attaque, la furia francese, je me trompe, la furie fauconienne. Le Faucon a reçu en partage les dons les plus précieux de l'es- prit et du corps, la grâce et l'élégance des formes, le génie du calcul et de la combinaison stratégique, une délicatesse de goiU exquise, une iinesse de vue incomparable, une ardeur de dé- Vouement à l'état permanent de paroxysme. La nature, qui ne Ta pas armé chevalier pour rien, a proportionné la puissance et la solidité de son armure à la rudesse des assauts qu'il aurait à Jivrer, des chocs qu'il aurait à subir. Aussi ses dagues cannelées et rétractiles sont-elles de plus fine trempe (|ue la meilleure lame de Tolède. Son bec flenté, crochu et court, pèse comme la massue et tranche comme la hache. L'aile du Faucon est le modèle le plus achevé que nous Mvons de la rame aérienne. C'est peut-être celui de ses chefs- d'œuvre où le souverain artiste a marié avec le plus d'imperti- nence la force à la légèreté. L'Aigle et le Vautour à l'envergure immense s'élèvent plus haut que le Faucon dans les régions du ciel , mais ils ne tiennent pas contre le vent, faute de rémiges assez pointues pour les garer de la dérive. Le Faucon, mieux gréé, pique droit dans la rafale et se berce dans l'ouragan. si:imii»EULS. iio La race française aussi a reçu quel(iues dons lioiireux en par- tage, notamment l'esprit, la bravoure, la grâce, la i^aieté insou- cieuse, le bon goût, l'atticisme , l'urbanité exquise, l'amour de toutes les élégances, etc. , etc. Ce n'est pas elle qui a imagine le couvre-chef disgracieux qu'on nomme chapeau rond et qui fut dans l'origine un fragment de tuyau de pocle. Ce produit est de création britanni(|ue ou tout au moins américaine. En revanche, tout ce (|ui se fait de joli et de délicieux en matière de parure fé- minine est d'invention française. L'Amérique et l'Orient sont les provinces de l'Europe , mais l'Jùirope est la jjrovince de la Fran- ce. Toute femme un peu adorable est plus ou moins parisienne; tout étranger ijui pense et qui sait vivre convient qu'on ne vit qu'à Paris. Russe , Italien , Anglais peuvent être les noms de baptême de ces penseurs d'élite , leur nom de famille est Frau* yais. Pendant tout le temps que dura l'exposition universelle de Londres, on ne circulait plus dans Paris , ou s'y étoulVait, on s'y portait, et il est, des aujourd'hui, avère (jue sur les deux cent cinquante mille maris français qui ont \ms dcsgpasseports pour la Grande-Bretagne, deux cent vingt mille au moins ont eu le bon esprit de passer leur congé conjugal eu deçà de la Man- che. Même dans l'intérieur du Palais de Cristal, les gens d'esprit n'avaient d'yeux (jue pour les chefs-d'œuvre de l'industrie fran- çaise, qui avait eu le bon goût de se faire attendre et de n'entrer qu'à la dernière heure en sa loge , à la façon des coquettes bien apprises. C'est qu'il est des laces, hélas ! comme la race britannique, chez lesquelles les vertus sont pires que les vices; c'est le con- traire chez la race française, où les défauts sont plus aimables et plus charmants que les qualités, où l'esprit national est de n'en pas avoir. Le beau pays de France tient moins de place sur la carte du globe que l'empire britannique , mais quel plus vaste espace il 110 UUMTllUl.UGlL l'ASSln.NM'LLh;. occupe daus l'histoire de l'avenir et dans le cœur de rhuuiauile ! Mt sa grandeur est de celles que n'ébranlent pas les vicissitudes (le la fortune , car elle est l'ondée sur la puissance de l'attractioD et de la sympathie universelles ; car la France n'est pas seule- ment la terre des délices pour les heureux du jour, c'est la terre ]>romisc de l'exil , l'asile toujours ouvert aux malheureux pros- crits; c'est la commune patrie des libres et des l'orts armés pour la défense du droit. Et les autres nations n'ont pas même à la maudire dans les écarts les plus désordonnés de sa politique conquérante , par la raison (jue la France se rétrécit de ses suc- cès, au rebours de l'Autriche qui s'agrandit de ses revers. Dieu a voulu, en ellet, que chaque victoire de la France lui rognât un bout de frontière pour la dégoûter des batailles et pour lui mon- trer que ce n'était pas par les armes qu'il l'avait appelée à sub- juguer le monde. La Rome de^ Scipions, la Rome des Césars, a tenu aussi plus de place que l'Athènes de Phidias, de Sophocle et de Démos- thène sur ^ carte d'autrefois , mais Rome a sombré comme un fragile esquif sous le premier souffle de l'ouragan de la barbarie Scandinave , et rien n'est resté d'elle que ses aflreux traités de chicane, tandis que la gloire d'Athènes va toujours grandissant, Albion V aristocratique a régné , elle a l'air de régner encore par la grâce du coton et celle des bouches à feu de ses citadelles flottantes, dominatrices des mers; mais demain la tourmente peut briser comme verre ces colosses de bois . peuplés par la contrainte, et semer de leurs riches épaves les Ilots émancipés... car l'Aigle, je vous le répète , ne tient pas contre le vent. Il y a encore une Angleterre et j'en bénis le ciel, mais les lords ne sont plus. Or, la France a subi en moins de soixante ans dix révolutions successives, plus deux invasions de barbares. Tous les Cosaques du Midi et du Nord, Cosaques de la Tamise, de la Sprée , du SKhItIPKKKS. HT Don el <1(* l'Isl(.-r ont rampé dans ses capitales , pille ses inomi- inents, ses trésors, ses tonneaux. La conjuration des éléments, des frimats, des pestes, des famines s'est mise de la partie pour aider à sa ruine et s'est alliée contre elle à la conjuration des despotes. Klle a eu le mal du traître, plus pernicieux et plu.s redoutable que les despotes et les éléments conjurés; le mal de l'émigré moins français que le russe, plus insolent et plus avide que lui. Elle a eu le mal de la peur, le plus honteux et le plus dangereux de tous. .Sottises du droit divin . terreur rouge , ter- reur blanche; régnes de caporaux, d'avocats, de sacristains... tous les fléaux de la terre et du ciel se sont l'un après l'autre , quelquefois tous ensemble , attachés à ses flancs. Un de ses chefs, :i lui seul, l'avait saignée une fois de trois milliards d'argent et de trois millions d'hommes, et les bourreaux des peuples, pro- litant de son épuisement , s'étaient jetés dessus et l'avaient ter- rassée, espérant, pour le coup, que c'en était fait d'elle. Stupide illusion! le lendemain de sa chute, la captive enchaînée avait grisé la geôle et vaincu ses vainqueurs, et d'un seul tour de main, détordant ses entraves, elle se redressait dans sa gloire, plus forte , plus rayonnante et plus indomptée que jamais. Et toutes les nations lurent écrit dans ses regards célestes que jamais les clefs du goupillon , du sabre et du rabat ne pré- vaudraient contre elle. Comme il n'y a, parmi les oiseaux de guerre, que le Faucon pour faire le Saint-Esprit au milieu de l'orage , il n'y a , parmi les grands États que la France pour tenir coup aux plus vio- lents ébranlements de la politique et se jouer de la tourmente. .l'ai lu partout et partout entendu citer comme exemple de la rapidité prodigieuse du Faucon, l'histoire du Sacre appartenant au roi Henri II , qui sdcorta un beau matin à la suite d'une Cane- petière dans les plaines de Fontainebleau, et fut repris le lende- main , jour de la Notre-Dame de Mars, sur un rocher de l'ile de 118 ORNlTllOI,Or,IF PASSIONNRM.F. ' Malte où il avait passé la nuit. Un autre qui appartenait au duc de Guise, le lils du Balafré, étant monté eu essor (trop haut) dans la plaine de Paris , fut repris à quelques heures de là à (élèves en Allem;igne et rapporté à son propriétaire. Un troi- sième revint aussi de Lisbonne ou de Madrid à l'Ile de Ténériffe en quelques tours d'aiguille. Le temps où le Faucon est le plus Bujet à ces fugues est le temps des amours. La vitesse moyenne du Faucon est de quarante à cinquante lieues à l'heure ; le Mar- tinet fait mieux que cela. Le courage et l'intelligence du Faucon sont à l'avenant de sa vitesse. Le Faucon qui combat sous les yeux de sa maîtresse abat tout ce qu'on veut qu'il abatte. L'Alphanet, charmant Fau- con rose de la taille du Faisan , terrasse la Gazelle et n'hésiterait probablement pas à donner sur la Giralïe. L'homme a oublié de dresser le Faucon au vol du Lion , du Rhinocéros et du Tigre , où il eût réussi. J'affirme qu'il n'est pas d'animal si terrible qui puisse résister à la ligue offensive du Chien et du Faucon, d'au- tant que le Faucoû est de toutes les bêtes celle qui comprend le mieux les immenses avantages de l'association intégrale. Non- seulement les Faucons des diflerentes races s'unissent entre eux pour la bataille, Gerfauts, Sacres, Laniers, Faucons pèlerins, Autours, Alèthes, Alphanets, mais tous se lient d'amitié avec l'Homme, le Chien et le Cheval, et ces liaisons affectueuses, nées de la confraternité des armes et des goûts, ont parfois en- gendré de touchantes anecdotes. C'est par l'association que le Sacre et le Gerfaut, plus petits que l'Aigle, sont venus à bout d'abattre ce tyran sanguinaire (jui se jouait de la justice et méprisait les dieux. Grande leçon pour les peuples ! Le vol du Milan, du Héron, du Cliat-huant et de tous les grands oiseaux exige le concours de plusieurs Faucons, et le succès de la chasse dépend de leur entente cordiale. SERU1I»ÉI)KS. {{', Il l'autau moins trois Faucons, (loiiauls, l'clcriiis ou Sacres pour lier le Héron , sans compter un Chien qui le lève. Il y a le Hausse-pied qui attaque le Héron reposé et le force à prendre l'essor, le Teneur qui le narde et le Jomfjts.'^rin- qui l'assomme. Chacun combat à sonranii, mais veille au salut de ses frères d'armes. Un jour que le roi Louis XI1[ volait le Hi ron sous les murs de Paris, il arriva que le Hausse-pied reçut une blessure grave à l'attaque; ce que voyant le second Faucon ou Teneur, il entra en un ii;rand courroux, jurant de venger sur l'heure son camarade, et donna à phndj si fitricnscment nu Héron, qu'il lui emporta la tète dont le roi se trouva privé de son droit. L'alliance du Faucon et de l'Autour est mortelle à la Perdrix. L'histoire des amitiés du Chien et de l'Oiseau de chasse four- mille de traits piquants. ITh Bra([ue de caractère rassis avait été commis à la surveil- lance d'un Alphanet de o;rand mérite, mais diflicile à vivre, capricieux, boudeur et découchant parfois. Au bout de quelques jours, les deux bêtes s'étaient prises l'une pour l'autre d'une aiïection si vive qu'on ne les pouvait plus séparer. La première fois que l' Alphanet lit sa tète et annonça l'intention de passer la nuit à la belle étoile , le Braque commença par épuiser toute son éloquence pour tâcher de le ramènera des principes d'hygiène et de morale plus sains; puis, voyant sa peine inutile , il finit par s'établir en rond au pied de l'arbre que le mauvais coucheur avait choisi pour domicile, et veilla toute la nuit sur lui. Le jour venu, la bête intelligente se rendit au château pour y chercher le garde et l'amena lui-même sur les lieux , désignant de la voix et du geste l'arbre touffu où le vaurien se tenait caché. D'Esparron possédait un Lévrier turc parfaitement élevé qui se faisait un plaisir de ramasser tous les Perdreaux que les Fau- cons avaient abattus , puis de leur tordre le cou et de les resti- tuer ensuite à ceux-ci avec une courtoisie exquise. Lé môme fut ijo DUNvrHoi.rM'.it; passionnki.i.i:. lo lieros d'une histoirp amusante et qui ne, me paraît pas dépla- cée en CCS lignes. Il venait de prendre un Lièvre , des vignerons le lui volent. (La scène se passait en Provence.) Il s'en retourne vers son maître, tout penaud, la queue basse et lui raconte l'escroquerie dont il a été victime. Le maître se dirige aussitôt vers les voleurs, leur transmet le récit de la béte et conclut énergiquement à ce que le lièvre dérobé soit rendu sur le champ à celui qui l'a pris. Là-dessus , dénégations unanimes des inculpés qui déclinent bruyamment la responsabilité du larcin et protestent à l'envi contre les aliirmations du Lévrier. Alors celui-ci, révolté de tant d'hypocrisie et d'audace , furieux surtout de voir sa loyauté mé- connue, désigne le coupable en se jetant sur lui et lui enlevant un riche morceau du rable en matière de représailles , puis pour achever de confondre les imposteurs , il marche droit à la place où le Lièvre a été enseveli , le déterre et le rapporte lentement à son maître à la barbe des larrons , honteux et consternés. Ce qui prouve, ajoute le narrateur, témoin oculaire de l'histoire, que les bétes ont quelquefois plus d'esprit qu'on ne pense. 11 est certain que le Lévrier turc de d'Esparron ne méritait pas d'être traité de cloaque d'infamie, pas plus que Castagno et mille autres , et notamment cette pauvre Levrette qui , ayant per- du son Levron , lui donna la sépulture de ses propres mains, et passa plusieurs jours et plusieurs nuits sur sa tombe pour la pro- téger contre les profanations des Loups et des Vautours. Quant à la fidélité du Faucon, je ne suis embarrassé que du nombre des preuves à choisir dans une foule d'écrits, d'annales, de légendes populaires où il est redit à satiété que le Faucon tombe malade lorsqu'il change de maître , et surtout de maî- tresse; qu'il languit de l'indifférence et de l'oubli de celle-ci , et meurt de son absence. Que je cite seulement, en témoignage de la constance et de la moralité du Faucon , la touchante niésa- si:miiiM:i)i>. i-i V(MUuri' arrivée du temps îles croisades a un (iliaherl (|iiel»(iin|iie des Haiites-P\ renées. De retour en sa patrie , après un séjour de dix ans en Pales - tine où il avait subi de graves avaries et laissé quelques os, l'infortune chevalier trappe le soir à la porte de son castcl. Mais il s'annonce vainement connue le maître du logis; personne ne veut le reconnaître. Son épouse volage , qui s'est empressée de convoler en secondes noces, sur le bruit de sa mort , est la première à le ([ualilier d'intrigant ; ses anciens serviteurs le ba- louent et l'outragent ; ses dogues mûmes lui montrent les dents. Une seule \oix ose s'élever au milieu de ce chœur de malédic- tions pour reconnaître l'identité du propriétaire légitime, un seul ami ose témoigner au chîUelain délabré sa joie de le revoir : c'est son (lerfaut lidèle... Légende tout aussi poétique et aussi touchante que celles du sage Ulysse, d'Imogiae et de Lénore, qui ont l'ourni tant de sujets d'épopées , de romances et d'opéras-comiqucs. La vénération des anciens et des modernes pour le Faucon va si loin, qu on attribue à ses os la précieuse propriété d'attirer l'or et à ses pennes roussies le pouvoir de chasser la fièvre et le démon. L'expérience moderne n'a ijue très-partiellement con- lirmé ces idées d'un autre âge. Elle a démontré que le Faucon jouissait à un très-haut degré de la propriété d'attirer l'or... mais seulement hors de la bourse de son maître. Or, cette pro- priété n'est pas spéciale à l'oiseau de chasse, elle lui est com- mune avec le Chien et le Cheval , et une foule d'autres objets de plaisir et de luxe. Le Faucon , qui tient constamment le dessus , est un emblème vivant de force et de victoire. Les prêtres de Memphis portaient une aile de Faucon de chaciue côté de la tète , et l'Écriture- Sainte compare le Faucon habitant de la nue à l'homme pieux adonné à la contemplation du ciel. I?) OHMTHOIOfilE F'ASSIONNEILF, J'ai déjà dit (|ue la doférence passionnée du Tieicolet pour sa femelle était le fond de toutes les vertus de la race faucon- nienne. De liiértie toutes les brillantes qualités qui distinguent la race frailçaise, sa délicatesse de goût, son urbanité si van- tée lui sont venues de son respect pour la femme. La cheva- lerie est née en France , puisque la galanterie est l'àme de la chevalerie. La déférence du Tiercelet pour sa femelle est motivée sur la reconnaissance de la supériorité incontestable de celle-ci au moral et au physique. La même cause a produit les mêmes effets en France, où le sexe féminin l'a toujours emporté considérable- ment sur l'autre par les charmes de l'esprit et les agréments extérieurs, où la plus resplendissante de toutes les figures che- valeresques est une figure de vierge. Seulement, comme les bètes ne se contredisent jamais et sont plus logiciennes que les hommes, les Faucons ne se bornent pas à honorer leurs femelles de vains titres et à dorer la chaîne de leurs esclaves ; ils concèdent de bonne grâce à celles qu'ils sa- luent leurs maîtresses tous les avantages et privilèges afférents à ce titre. Ainsi, ce n'est plus là-haut comme chez nous le mari qui donne son nom à la mariée : c'est lui qui le reçoit au con- traire, et ce nom est tout naturellement orné d'un diminutif, comme il convient à un individu d'une taille exiguë et d'un sexe inférieur. Sacre et Lanier, noms génériques de l'espèce, seront les noms des femelles. Le màlc s'appellera Sarrot et A^- nerct. On pense aussi dans ce haut monde que les femelles, à qui ont été assignées les tribulations de la maternité et les fonctions pénibles d'institutrices primaires des générations nouvelles , ont reçu de la nature une assez lourde charge pour avoir droit à l'exemption de tous les autres services et travaux répugnants. Et les mâles des Faucons ont noblement basé sur cette considé- si;iu;ii'i:i)iN i-i ration de juslico (li>lribuli\e leur iT}i;le do roiidiiiU' c'uiijiif^alc . coiniiie pour donner une le»;on de di;ïiii(c et d liunianitc ii tant de likhes humains (jui n'ont pas honte (h; \ivre de hi (h)t ou du travail de leurs lemines. Rien n'est curieux ;i observer comme les évolutions amoureuses du Tiercelet de Faucon pendant (pie sa femelle couve, (l'est de l'aire aux champs un va-et-vient perpétuel. Ln remelie. alitée par la lièvre de l'incubation , ayant besoin (lue (pu'bpi'un chasse et travaille |)ourelle, le Tiercelet se multiplie pour se main- tenir à la hauteur de sa tAche et réussit à s'acquitter avec honneur de ce surcroit de besogne. Ijitendcz ces clameurs aiguL's qu'il jette dans l'air a la sortie du domicile conju};al : c'est la promesse (pi'il l'ait à la dame de céans de rentrer le plus tôt possible chargé de riches dépouilles. Ainsi disait tous les matins Hector à Andromaque, un peu avant de grimper sur les murs d'ilion. I*arole donnée. |)arole tenue : voici le Tiercelet de retour, le cœur joyeux, les mains pleines. Toutefois, avant de déposer sa capture aux pieds de sa souveraine , il éprouve le be- soin de chanter son triomphe, comme le bon travailleur la tin de son travail , et il s'amuse à tenter dans les airs des ascensions verticales et des descentes en parachute pour récréer celle qui le regarde du spectacle et du bruit de ses évolutions. Le jour ou il devient père et où l'éclosion des petits rend la liberté à leur mère, sa joie devient du délire ; il faut qu'il aille crier sa gloire à tous les carrefours du ciel; il en est fatigant. Les Faucons savent vaincre et chanter leurs conquêtes , à l'instar du guerrier français, héros et troubadour, .l'abuse peut- être ici de la métaphore voltairienne en employant l'infinitif c/ianter. Clamer ou glapir vaudrait mieux. Les Faucons adorent les odeurs agréables , comme les Vau - tours la puanteur des cadavres. On les accuse d'une vive anti- pathie pour l'ail et le tabac de caporal. Les fauconniers d'autre- i-?4 oisMTiKiinr.ii; l'vssiowi'i i.i:. lois expliquaient l'allection toute particulièro îles hmcons \un\i les jolies femmes, par leur communauté de goiit pour les par- fums. Le Faucon est peut-être le premier des animaux (jui se soit rallié à l'homme et qui lui ait olTert spontanément son concours pour l'assujettissement des espèces rebelles. Le Faucon est le beau idéal du forceur, c'est le Lévrier de l'air, mais le Lévrier ailé, joij;raphes, comme le cynisme du Chien, hélas ! dans le style des plus illustres ve- neurs. Autant Dufouilloux et les auteurs de nos fanfares de chasse sont obscènes, autant d'Esparron et ses collègues se mon- trent réservés, farouches même, à l'endroit de l'amour. ('.jlhéro ainio ramour H la liilnicilc-, Le (ii'lical ropos cl rimpiidicilr; -Vlais Diane alioniiiio une clioso si \ile... Sisiedc raiiiininorie. On sait la fonction harmoniciue du Chien (|ui a tiré l'homme de l'anthropophagie et de la sauvagerie en lui donnant le trou- peau. Cette fonction est de garder le Mouton, la Chèvre, le Ud'uf, le Cheval, l'Âne, contre les entreprises '/c iou.^ coiix di- m race , et de poursuivre avec acharnement les espèces rebelles à l'autorité du maître qu'il a le premier reconnue. si.aiui'i;hi>. \r, l.ii llli^>iu!l litiniiuiui|UL' du Faucon u'esi pas autre : l*rotej:ei" les troupeaux de l'erdrix, de Faisans, de Coqs de bruyère, de (îailles, de Canepetières , d'Oies, do Canards, etc., etc. , ruii/)-'' la rapacité de tous coii.v fie sfi rac, Ai;;les, (îrands-ducs , Mi- lans , etc. , et abattre les insoumis , ilchrlhui' sn/icr/jos. Pour que le Chien pût remplir honorablement les hautes et pénibles fonctions (|ui lui étaient assignées par l'ordre ^jrovi- dentiel , pour qu'il pût à la lois tenir tctc au Chacal . au Loup, au Sanjilier, àlOurs, etc., etc., mater le Taureau. rFlalon, le Bou(pielin, le Moullloii, etc., etc., eurej;imeiitcr et l'aire marcher au pas les espèces soumises, il fallait que la nature armât le Chien d une triple cuirasse de ruse, de souplesse et de force. C'est précisément ce qu'elle a fait. Le Lévrier, le père d(; tous les Chiens du monde, est le plus rapide et lopins intelli- gent de tous les quadrupèdes chasseurs, et ses crochets redouta- bles ont la ténacité des mâchoires de l'etau. De même , pour que le Faucon pût tenir en respect l'Aigle , le Jean-le-lilanc et le Grand-duc , la nature l'a pourvu dv. moyens de locomotion et de coï'rcition supérieurs, ailes aigiies, bec denté , serres tranchantes. Le ï'aucon est le plus vite de tous les oiseaux de guerre. Donc , que personne ne fasse un crime au Faucon et au Lé- vrier de leur humeur belliqueuse et de leurs instincts carnassiers, sans faire en même temps l'éloge le plus pompeux de leurs rares vertus. (-ar ces deux nobles races ont été dans leur alTection pour 1 homme, jusqu'à lui faire le sacrilicc de leurs penchants et do, leurs appétits naturels. Le Chien a renonce à la chair de Mouton cru qu'il estime, le Faucon à celle de la Perdrix qu'il adore, pour assurer au maître le monopole de la jouissance du troupeau et du gibier, inépuisable fonds d'alimentation et de plaisir. Si le Faucon et le Chien se pillent encore entre eux, se battent et I:>(i OHMTHOLOCIE l'ASSlU.N.MÎLLE. se déchirent, ce n'est que par jalousie, par un excès d'affection l)Our riiomme ; mais le Braque et le Faucon bien dressés n'atten- dent pas même que leur maître les vienne débarrasser de leur capture; ils volent au devant de lui avec toutes sortes de dé- monstrations joyeuses et lui remettent leur Perdrix dans les mains sans faire à celle-ci aucun mal. Cependant il y a des gens qui ne sont pas touchés comme moi jusqu'aux larmes de ce magnifique accord de volonté et de désintéressement qui fait autant d'honneur à l'homme qu'à la bête. J'en sais même qui admirent le prétendu dévouement du Coq et lui savent gré de son ralliement forcé à l'homme, et qui refusent leur admiration au ralliement volontaire du Chien et du Faucon, qui avaient parfaitement le moyen de se passer de l'homme et n'avaient rien à gagner avec lui. Le Ger- faut se rallie à l'homme pour l'aimer et le servir. Le Coq ne se rapproche de ce dernier que pour trouver près de lui protection et profit. Et c'en était fait de l'homme, si la Providence ne lui eut pro- curé dans chaque règne le concours de certains caniasaiers for- cews dociles qui lui ont prêté main forte contre les carnamers et les farceurs (/issidents. Otez à l'Asiatique le Chien et le Faucon , et tous les dissidents, le Lion, le Loup , le Chacal, l'Aigle et le Milan restent les maî- tres de la situation qui se prolonge indéfiniment dans les siècles. Les arts et l'industrie pourrissent en germe dans les limbes de la misère et de la sauvagerie éternelles. L'Égyptien se contente de la hutte du Peau-rouge et ne bâtit pas Memphis , ni rAssyh'ea Habylone , ni le Romain Rome , ni le Parisien Paris. La lumière oublie de se faire, et voilà une planète cardinale condamnée à i)erpétuité au chaos ! Otez à l'homme le Chien et le Faucon, et le troupeau de Mou- tons, don du Chion, s'évapore... Et le Coq domestique lui- SKUHII'EDES. 1-27 même , désormais livre sans dél'ense aux. injures de tous les car- nassiers de la terre et du ciel . s'empresse d'aller rejoindre le (îerf aux larges bois du moyen âge et le Dronte de l'Ile Maurice dans la r^i^'um des mythes. Ainsi, hors du Limier et du Faucon, point de progrès, point de richesses, point de salut pour l'humanité. Ainsi , pour (pie le peuple irauçais acconipllt sur la terre sa mission rédemptrice et mit lin au règne de Satan, ce n'était pas assez que ce peuple eût au cd'ur l'amour de la justice et l'horreur des bourreaux; il fallait encore que son verbe fût arme de l'ironie sanglante qui démolit l'erreur et sa main de lu massue d'Hercule qui terrasse les Lions... Et Dieu a pourvu lui-même au triomphe de sa cause, en armant le bras de son champion d une force invincible... L'histoire et la poésie, du reste, ont enregistre de bonne heure le pacte d'alliance conclu entre le Faucon et l'homme, et(|ui re- monte, comme je l'ai dit, aux premiers jours du monde. Je ne sais pas pourquoi M. (luvier a cité (Itésias comme un des premiers au- teurs qui aient fait mention de la fauconnerie , car il n'est ques- tion que de cela (manière de parler hyperbolique) dans tous les livres de l'anticpiité juive , grecque et romaine. Lamech, his de Mathusalem , le même qui tua Caïn sans le vouloir, était, à ce qu'on assure, un parlait fauconnier. Or, Caïn ne date pas d'hier. Moïse s'explique catégoriquement sur la vénerie et sur le vol : Si guis venutione atque aucupio [aucupium , en latin, veut dire chasse au Faucon). Job, antérieur k Moïse , Baruch , qui est venu après lui , mentionnent cette industrie. Les Indiens , les Assyriens , les Mèdes et les Perses pratiquent le vol du Lièvre , de la Grue et du Renard , dès les âges les plus reculés. Le sage Ulysse rapporte du sac de Troie des Faucons parfaitement dressés; En Thrace et en Egypte, on croit que le Faucon fait 12S OHMillUl.OGIL l'AbblU.N.NELlj;. commerce d'amitié avec l'homme depuis un temps iiiuueiiiorial et (ju'il a toujours chassé les oiseaux dans les filets, moyennant une légère part de prise. On le représente animé pour l'espèci; humaine d'une sorte de sympathie pieuse. Le Faucon s'attendrit à la vue du cadavre de l'homme et lui ferme respectueusement les jeux. Sa fidélité à son maître, mais surtout à sa maîtresse, est proverbiale sur les rives du Nil comme sur celles du Bos- phore. On n'a pas d'exemple qu'un Faucon ait quitté le service de son patron sans de graves sujets de mécontentement. Et cependant de si nombreux mérites, tant de vertus, tant de services, n'ont pas détourné du Faucon les traits de la rancune et du dénigrement. Et j'ai eu la douleur d'entendre l'auteur de la déroute des Césars^ un ami, s'emporter contre le noble oiseau en paroles améres, le traiter de Sacripant, de Sbire, d'égorgeur eu sous-ordre, et me porter le déli de lui expliquer la fonction harmonique de ce moule supérieur; je crois avoir répondu tout à l'heure à ce défi eu termes catégoriques; je crois avoir exposé assez victorieusement cette fonction harmonique qui est la même que celle du chien de chasse; je. crois enfin avoir blan- chi à fond le Gerfaut de toutes les iniquités dont les haines poli- tiques ont chargé sa mémoire. Malheureusement le nom du Ger- faut est de ceux qui ont le funeste avantage de rappeler des époques douloureuses et de se rattacher à des institutions dé- testées ; et je sais trop la persistance et la ténacité des préjugés de caste pour me fiatter d'avoir ramené à la justice par quelques mots de sagesse, cette foule d'honnêtes gens qui ont contrticté l'habitude d'englober le Gerfaut dans l'exécration rationnelle qu'ils ont vouée à la féodalité, et qui n'ont pas même encore pardonné au pauvre Pigeon de colombier ses accointances geu ■ tilhommières d'avant 89. Hélas oui , c'est chose triste à dire, mais la France de nos jours est remplie juscpitui l)ord d'amants fougueux de l'^galitc SEHRIl'KUKS. IJO «|ui, (Iciiis leur sainte haine de toutes les oppressions des vieux régimes, voudraient en elVacer jusqu'au nom dans le souvenir des hommes, et qui gratteraient volontiers les mots de roi, de pape ou de gentilhomme à toutes les pages de l'histoire et à tous les coins de rue ou les a gravés le temps. Or, s'il m'était permis de m'exprimer eu toute franchise à l'endroit de cette suscepti- bilité extrême, je n'hésiterais pas une seconde à la taxer de ma- ladresse et de puérilité. Je l'appelle une maladresse, parce que la haine des mots laisse supposer la peur des choses ; une pué- rilité, |)arce (|ue l'histoire ne se hille pas d'un trait de plume. Ainsi beaucoup de serviteurs ardents de la deniocratie ont cru servir sa cause eu forçant le Tigre roijol à se débaptiser et à se nommer le Tigre if des castes privilégiées. Or, pour cette raison singulière, crie- rons-nous à toutes ces bonnes choses-là : anathème ! Defen- drons-nous au Clos-Vougeot et au Chaïubertiu d'approcher de nos lèvres parce que ces nobles vins auront trempé jadis dans plus d'une orgie de chanoine, ou parce que le sol (|ui les porte appartint dans le temps aux bénédictins de Citeaux ! Non, mille l'ois non, nous ne ferons pas ainsi, car un pareil renoncement serait absurde. Le progrès ne consiste i)as à décla- mer sans fruit contre les privilèges de l'ancien régime, mais bien à centupler les richesses qui étaient autrefois lapanage ex- clusif du petit nonibre, pour élargir démesurément la sphère des jouissances physiques et intellectuelles d'un chacun, et pour em- pêcher qu'il n'y ait des misérables qui portent envie au sort de leur prochain. Le vin de Bourgogne et le Faucon ont été di nnés à l'homme pour qu'il en fît un doux et salutaire usage. Si le moine et le gentilhomme ont fait un mauvais emploi de ces élé- ments de bonheur, c'est à nous, que l'expérience a instruits, de faire mieux. En tout cas, le Gerfaut ni le Chambertin ne sau- raient être réputés solidaires de la perversité des méchants. Ah ! comme j'ai toujours eu superlement raison dans nies admirations outrées du tout-puissant génie de ces analogi>jtes grecs qui firent naître Minerve, armée de pied en cap ! Et comme je délie quicon(|ue ne s'est pas inspiré à fond du gens de SEKRll^tDES. 131 ce mythe subiiine de rien comprendre à la qiiestiou du Gerfaut pas plus qu'a celle du Trogrcs indoniii et du Bien et du Mal et de la Chute et du Bonheur et de la Liberté. Qu'est-ce que le progrès, eu etïet, sinon la marche vers lé mieux. Mais le mieux suppose le plus mal, et si vous admettez l'homme parlait, vous suppriuK z du coup la cause du mouve- ment social; vous cassez le grand ressort de l'activité animique, scientifique et industrielle. Plus de beau, plus de\rai, plusd'art, partant plus de nobles jouissances. Plus de liberté, puisipie la liberté n'est que le droit d'errer, et que l'homme est redescendu pac le viri! de sa perfection native au niveau de la brute. Plus de bonheur, puisque le bonheur est surtout dans la victoire sur le mal ou bien dans la conscience du devoir accompli. Le mal, ou le péché originel, (jue les mo'isiaques considèrent à tort comme une expiation iiilligée à l'homme par le Très-Haut pour crime de désobéissance, est donc, au contraire, une des condi- tions fatales de bonheur et de liberté pour tous les êtres supé- rieurs, c'est-à-dire doués de raison, à preuve que cette même raison ne leur a été octroyée que pour discerner le bien du mal ou la vérité de l'erreur. Or voyez comme cette argumentation, si logique et si simple, et qui s'impose si impérieusement à l'esprit sans l'aide du mira- cle, est nettement posée dans le mythe ingénieux de la naissance de Minerve, sur lequel on me reproche de revenir trop souvent. Remarquez que la déepse de la Sagesse ne sort p is du sein de l'onde comme Vénus, mais du cerveau de Jupiter et à la suite d'une violente migraine. Elle n'est pas non plus parée de ses seuls attraits, comme la mère de l'Amour, parce que la mission de celle ci est de ravir les regards des mortels et des dieux, et qu'elle doit se laisser voir pour que son charme opère ; tandis que la Sagesse, qui est née pour combattre l'erreur et pour dé- montrer des théorèmes, a besoin d'être armée et moins légère- i;tj UK.MniULUGlE PASSlaN.NELLL. ment vêtue. La Beauté module en mineur, la Sagesse eu ma- jeur. Le mythe de Minerve armée de l'Égide et de la lance af- firme donc à la fois et la fatalité de l'erreur et la nécessité de la lutte. Mais du moment que la lutte est fatale dans la sphère de l'homiualité, et par conséquent légitime, il faut, nous le sa- vons, que cette fatalité se reflète dans les règnes inférieurs. Du moment que le genre humain fournissait une série d'hercules, ou de héros chasseurs, ou de chevaliers errants investis de la mis- sion de pourfendre les géants, de décoler les ogres, d'étouffer les reptiles, le monde des Oiseaux était tenu d'ofl'rir sa série d'oiseaux de chasse et de guerre, marchant dans une voie paral- lèle. Ce rôle est échu aux Faucons, grands étouffeurs de mons- tres. Honorons-les et ne les hlàmons pas d'avoir su le remplir avec honneur et gloire. .le n'exige pas qu'on leur élève des tem- ples comme avait fait l'Egypte en sa reconnaissance; je demande seulement qu'on les traite suivant leurs mérites. (Tout le monde a pu observer que l'image du Faucon était reproduite à chacune des quatre pages de l'obélisque de Luxor). Les Faucons réprésentent l'aristocratie , c'est très-vrai , mais seulement dans le sens littéral et primitif du mot grec aristos, qui voulait dire jadis le meilleur, le plus éminent par les qualités de l'esprit et les vertus du cœur. Or, nul ne songe à protester, je suppose, contre l'élévation en grade des purs et des capables, et ce n'est pas de la faute des oiseaux que je défends, si des hommes corrompus ont altéré le sens du vocable et l'ont désho- noré en faisant du gouvernement des meilleius, le (jouceraemcnt des priviléyiés du /lascwd, c'est-à-dire des riches et des nobles. Les illustres Faucons sont tous fils de leurs œuvres. Ils sont eux-mêmes des ancêtres à la façon de Marius et du maréchal L'Jebvre, et n'ont pas besoin d'en a\oir Les grades se gagnent *EHRlPÉr»FS. in chez eux par le travail , l'étude et la bravoure déployée sur le champ de bataille. Ils font leur tour de Fnince, à l'instar des vaillants compagnons du devoir. Il ne-disent pas mes titres, mes (foinaiiies, mon air, comme font les Aigles, qui possèdent fiefs et manoirs transmissibles par droit d'atnesse Mais je ne veux pas insister plus longtemps sur la démonstra- tion de l'injustice des préjuges démocratiques à l'égard du Ger- faut, iniquité qui ressort plus que sufiisamment de l'exposition victorieuse que j'ai donnée tout à l'heure de sa mission harmo- nique, et plus encore des termes de saformuleimmortelle, qu'une dame reconnaissante a proposé naguère de faire graver en lettres d'or sur la pierre de mon monument. L'analogie, d'ailleurs, et toutes les gloires de la France témoignent de l'excellence des principes faucouiens. Ainsi j'ai entendu les maîtres de la science gémir sur les Rapaces, à propos de l'inconstance et de la bizarrerie des capri- ces de la nature qui, contrairement à tous les principes et à tou- tes ses habitudes, s'est avisée de faire les femelles plus grosses que les mâles dans cet ordre supérieur. N'eu déplaise aux savants, hélas ! la nature n'est ici ni bi- zarre ni capricieuse, elle est conséquente et logique, et ce n'est pas le fait de la supériorité de taille dévolue exceptionnellement à la femelle qui est inexplicable ici, mais bien l'embarras de la science devant un rébus aussi simple. Ne savons-nous pas, en effet, que le Faucon est l'emblème de la chevalerie? Or, en chevalerie, c'est la femme qui règne, qui règne et qui gouverne, qui préside aux tournois, qui ceint l'épée aux preux, qui distribue les prix de grâce et de vaillance. L'amour y est la Dominante et la galanterie la Tonique... Donc, il fallait de toute nécessité que la femelle tint plus de place que le mâle dans la tribu volatile chargée de symboliser i:û oRNlTHOlOfilE PASSlONNELl.i:. rère (le la royauté féminine. Et voilà pourquoi la nature a fait les lemelles des Faucons plus grosses que les mâles. Avouez frnnchcment qu'il n'y a que Tanalogie passionnelle pour donner sur-le-champ, sans efl'ort, sans douleur, dépareilles solutions. Le fait que vous ne comprenez pas est exceptionnel , dites- vous ; c'est vrai , mais la chevalerie aussi , mais la beauté, le dévouement, la bravoure désintéressée, la foi aux engagements, et tout ce que nous admirons, et tout ce que nous adorons en phase civilisée sont choses exceptionnelles ; mais la somme de ces exceptions n'en constitue pas moins le monde de l'idéal, le monde des nobles cœurs et des esprits d'élite, le monde des amoureux, des poètes, le seul monde où l'on vive. Et notez que l'analogie passionnelle sait le secret de la mala- die des plantes aussi bien que celui de la maladie des États, et qu'il ne tiendrait qu'à nous de lui faire dire la vraie cause de la consomption qui dévore la vigne... la vigne, plante loyale et sainte, née des plus pures amours du Soleil et de la Terre, ainsi qu'il est prouvé par le parfum du muscat et de la violette qu'exha- lent ses produits; la vigne, emblème de franchise et d'expansion amicale, dont l'ollice naturel est de tenir le cœur de l'homme en joie et son corps en santé, et qui se meurt des lauriers de la bet- terave, et des fraudes et des empoisonnements du commerce anarchique... Mais il e^^t évident que cette question végétale sort de notre sujet. Rentrons-y par un biais habile. Benjamin Franklin, l'imprimeur, qui fut doué au degré le plus cminent du génie du progrès, Franklin qui révolutionna tout, la Science. l'Agriculture, l'Ancien et le Nouveau monde, Franklin doit à l'analogie ses succès et sa gloire. C'est elle qui lui révéla les secrets rapports qui existent entre le pétillement sr-uri!Ph':iJF.s. lis (|ui s'échappe du l>i\lon de ciro à cacheter c'clKUiiïi' par le frotte nient et le bruit du tonnerre, et c'est de là qu'il partit pour ravir la foudre au ciel et le sceptre aux tyrans. L'invention du para- tonnerre, ipii démontrait l'innocuité de la fouilre, appelait l'in- vention de la télégraphie éleetri(pie, qui devait démontrer plus tard la maniahililé et la docilité du fluide. Maintenant il est cl. iir qu'un moyen rie correspondance qui met l'homme en communication instantanée avec tous les points de son globe, va lui f lire trouver ce globe trop étroit, et qu'il sera forcé, par le vif besoin d'en sortir, d'inventer la correspondance tclescopicpie pour se mettre en relations .«uivies avec les habitants des Pla- nètes, qui lui apprendront l)eauconp de choses, à commencer par l'alphabet de la langue du tourbillon solaire. Cette institution surgira inévitablement de la découverte du métal transparent h laquelle nous touchons, et qui va nous permettre de fabriquer des objectifs d'une dimension impossible, lesquels supprimeront complètement res|)ace et nous laisseront lire dans le fond de nos veines toutes les causes de nos maladies. Tout porte à croire que les observatoires de Jupiter et de Saturne sont munis depuis longtemps de ces appareils gigantesques et n'attendent que le moment d'entrer en correspondance avec nous. Je renonce à décrire l'enthousiasme qui s'emparera de tous les cœurs des Ter- riens, à la lecture du premier bulletin du Soleil. Quel charme, quel intérêt piquant de nouveauté ofiriront les journaux de cette heureuse époque ! Or, la postérité reconnaissante rattachera l'initiative glorieuse de ces nobles concpiètes de la science au nom de Benjamin Franklin, que l'analogie inspira. On sait que l'un des plus vifs chagrins du grand homme fut un chagrin analogique, et qu'il emporta au tombeau le regret de n'avoir pu détourner ses concitoyens de choisir le Pygargue à tête blanche pour end)lème de la nationalité américaine (Relire AM ol^NITHOI.oClK PASSIONNEI.I.K. au chapitro tlii Coq., premior volume du Muik/c des ()i$eaax, la protestation éloquente de Franklin contre cette erreur inconce- vable chez un peuple républicain!. Franklin n'aurait pas protesté contre le choix du Faucon. La France est justement fière de la gloire militaire de ses iils, mais elle ne sait pas assez d'où provient la supériorité de ses armes, supériorité incontestée depuis 92. La supériorité de l'armée française sur la russe, l'anglaise,, l'allemande provient principalement de ce que sou organisation repose sur les prin- cipes de la politique fauconienne, tandis que celle des autres est assise sur la politique aquilienne. J'ai dit que chez les Fau- cons tous les grades se donnaient au mérite ; c'est tout le con- traire chez les Aigles. L'Archiduc Charles, guerrierillustreetmal- heureux, qui avait longuement médité sur ce sujet important, et pour cause, avait fini par se convaincre de cette grande vérité. Savez-vous ce que veut aujourd'hui la nation britannique et quelle mouche la pique ? La mouche qui la pique et qui va la mettre hors des gonds et lui faire accomplir la plus curieuse et la plus inattendue des révolutions de ce siècle, n'est autre que le besoin de passer de la politique de l'Aigle à celle du Faucon. Je vais plus loin, puisqu'on m'y pousse ; je déclare que la supé- riorité de la littérature française sur la latine et sur les autres, ne provient que du ralliement énergique et spontané d'icelle aux principes de la poésie fauconienne, dont j'ai cité plus haut quel- ques extraits. Que dit à ce propos le régent du Parnasse : Le Inlin dans les mois brave l'honnêteté, Mais le lecteur frantjai.s veut être respecté. C'est juste, mais je demande pourquoi le lecteur français du sl£RmPï:itKS. |:jT temps (le Boileau, veiil (Hre respecte, et pourquoi il l'a été plus que le lecteur français du temps de Rabelais? Reconnaissons -le sincèrement, c'est que la littérature lauoo- nienne est née dans l'intervallo, et qiied'Esparron et d'Urfé, et tous les esprits délicats soutenus par le beau sexe, ont rappelé à la pudeur la langue de Rabelais et amené la transition de Bran- tôme à Madame de Lafayette et à Mademoiselle de Scudéry. On ne manquera pas de m'objecter qu'il est bien étonnant que l'auteur de VArt poétique, qui vivait vers l'aurore de cette révo- lution littéraire, n'en ait pas reconnu et signale les causes. Ce qui me paraîtrait plus surprenant, à moi, c'est que l'auteur de la dixième satyre, écrivain froid, correct et rempli de mauvais vouloir pour la femme, eût eu la loyauté de reporter au sexe qu'il abhorrait le mérite d'une réforme qui a plus profité à la gloire de la France que tous les succès de ses armes, et assuré entre autres à sa littérature le monopole de tous les débouchés intellectuels de l'Europe et d'ailleurs. Maintenant, question d'art ou de littérature, c'est tout un. Une toucliante sympathie, un commerce naturel d'amitié devait naître entre le Gerfaut et la femme de leur commune délicatesse de goût, de leur même passion des parfums, de leur même hor- reur des bassesses et surtout de la conformité de leur opinion à l'endroit de la prééminence du sexe féminin. L'alliance se fait donc, et alors tout ce qui peinturlure sur toile, sur papier, sur étoffe ou sur verre, aussi bien que tout ce qui rime, s'ingénie à la consacrer par des monuments immortels; et l'on ne voit plus bientôtdans les images de pierre, dans les lais des ménestrels, sur les tapisseries, que gentesdamoiselles chevauchant par monts et par vaux, sur leurs blancs palefrois, l'oiseau de vol au poing. Le Faucon chaperonné fait désormais partie, et partie obligée du cos- tume de la châtelaine. II porte les couleurs de sa dame, et la no- ble coiffure qui décore son chef a passé par les mains de l'adorée 138 ORNITHOLOGIK PASSlONNELLi:. maîtresse, comme l'écharpc (la servant d'amour. La statuaire, la peinture ont tiré vingt chefs-d'œuvre du groupe gracieux. ,\insi l'analogie n'est pas seulement TOEtlipe de tous les Sphinx, c'est encore la pierre angulaire, en même temps que la clef de voûte de la science universelle, et les misères des peuples ne finiront que le jour où elle sera devenue l'Egérie des gou- vernements. Ainsi la question du Gerfaut se relie par mille attaches à tous les grands problèmes de la politique économique, agricole et sociale, et rien ne lui est étranger de ce qui concerne l'histoire, la littérature et les arts. Ce qu il fallait démontrer... Résumons en deux traits et en m;\nière de morale d'apolo- gue cette monographie un peu longue, mais que l'intérêt du su- jet ne m'a pas permis d'écourler : Le Faucon, fds de ses oeuvres et guerrier valeureux, est l'em- blème du héros chasseur, le nîème qui domp(e les monstres et bâtit des cités, soit Hercule et Nemrod. Par l'ardeur inaltérable de ses feux, par sa fidélité édifiante et son dévouenicnt énergi- que aux principes de la supériorité féminine, il personnifie l'Amadis, le Roland, le Don Quichotte, la fleur des pois de la chevalerie. L'oiseau qui lie les Aigles, les Milans, les Grands-ducs, ne peut avoir (|u'un homologue en zoologie comparée, le Lé- vrier de noble race d'autrefois qui coiflait le Sanglier, l'Ours, le Loup, le Taureau. La Diane de France, la Diane d'Anct et du Louvre, s'accompagne indilTéremmont du Gerfaut ou du Lévrier. Le IloBEKEAi;. Le Hobereau n'a jamais mérilé l'injure qu'on lui a lai te en le comparant au gentilhUre de campagne, besoi- SKhRU'tDES. 489 »npux, lier ot plat. C'est un charmant oiseau, doué du plus heu- reux naturel, et qui tient du Faucon-pèlerin autanttpiel'Épervier de l'Autour. II est plus petit que rïlpcrvier et se distinp;ue de sou entouraj2,e par des caractères tout à fait spéciaux. II a les ailes plus longues que la queue , le dessus de la tète et des épaules noir comme le Pèlerin, la gorge blanche, le plastron roux comme les cuisses et virguleté de mouchetures noires, le bec bleuâtre, la cire, la paupière et les pieds jaunes. Sa physionomie spirituelle et hardie s'accentue finement d'une paire de favoris noirs qui lui partent de l'œil pour se noyer dans le cou. Le Hobereau est de sa nature encore plus ami de l'homme que tous ses congénères. Il fait semblant de ne pas croire à la rupture de l'alliance qui fut entre son seigneur et lui. Il vous acconipagne à la chasse en plaine, malgré vous, observe îivcc un intérêt pal- pitant les évolutions de votre braque en quête d'un râle de genêts ou d'une caille, prend quelquefois la pièce au départ avant que vous ne l'ayez tirée, mais attend plus volontiers néan- moins pour jouer son coup que vous l'ayez manquée. Une preuve remarquable que donne le Hobereau de sa perspicacité est de pré- férer la compagnie d'un chasseur novice , d'un collégien qui débute, à celle du chasseur expérimenté qui n'use pas de pou- dre aux moineaux. Il ne cache pas non plus sa prédilec- tion pour les choupillcs qui bourrent et qui s'écartent, et il té- moigne de l'éloignement pour le pointer et le braque trop solides à l'arrêt. On prend fréquemment cet oiseau au filet d'Alouettes, ainsi qu'à la pipée, où il accourt à l'appeau de la chouette. Il m'est arrivé plus d'une fois, comme à tout le monde, de me méprendre sur les motifs qui le décidaient à me servir de cortège et de le châtier de son impor- tunitc. Du reste, il y a bien des années que j'avais remarqué la préférence du Hobereau pour les chasseurs dont le plomb arrête peu et dont les chiens n'arrêtent guère. Le Hobereau 140 (mMTHOI.OGlE PASSIONXEI.I.R. aUeiid rouverture (W la rhasse avec la riK^me iin[)ationco que le chasseur. Le Hobereau est un des ennemis personnels de l'Alouette, a laquelle il rend l'existence amère vers la saison de l'équinoxe. U se vante aussi de forcer l'Hirondelle, et beaucoup d'ornitholo- gistes l'en ont cru sur parole, parce qu'ils avaient remarque que vson arrivée au printemps et son départ à l'automne coïncidaient avec l'arrivée et le départ des Hirondelles. Mais cette coïncidence n'est pas une preuve à l'appui des prétentions du Hobereau. L'Hirondelle s'en va et s'en revient à peu près comme tout le monde , du moins avec la plupart des petits oiseaux qui servent de pâture aux menus oiseaux de proie. Je n'ai jamais été pour mon compte témoinde l'enlèvement de l'Hirondelle par un rapace quelconque, et parmi les dépouilles d'oiseaux qui tapissent les plaines de la Champagne et de la Lorraine, à certaines époques de l'année, je n'ai jamais reconnu le manteau de l'Hirondelle , bien rcconnaissable cependant. Il est toutefois un cas qui se pré- sente fréquemment et qui peut motiver la forfanterie du Hobereau, c'est quand une gelée prématurée ou tardive surprenant l'Hiron- delle, paralyse l'essor de ses ailes et la cloue surnos toits. Alors je ne dis pas qu'un Hobereau sans pitié n'aura pas abusé de l'état de prostration de la paralytique pour tâter de sa chair et en faire des gorges chaudes; mais distinguons, je vous prie, entre l'Hiron- delle à^ juste guerre et l'Hirondelle morte de froid. De tous nos petits oiseaux de proie, le Hobereau est le moins éducable , en dépit de sa familiarité. Le joug de la captivité lui est par trop pesant ; il est de plus mutin, rageur, et veut faire à sa tète. .l'en ai privé plus d'uu et j'ai remarqué chez tous de longues intermittences dans l'amabilité. Le Hobereau, dans l'état de na- ture, aime à chasser à deux comme le chien et le Faucon. H a une grande habileté dt^ main. H est chasseur et tireur à la fois. L'Eméiullon. L'Eméiillon, le plus petit de nos oiseaux de proie, a, comme la Crcsserelle, les ailes plus courtes que la queue. Peudant ses premières années, rKmérilion porte une robe gris cendré, illustrée sur le de\ant du corps de mouche- tures brunes assez éloignées l'une de l'autre, comme les grivo- lures de la Grive. Avec l'âge, cette couleur prend une teinte gé- nérale plus foncée et plus riche. Le manteau passe au roux som- bre, la devanture de la robe au roux rose; la moucheture s'a- vive et se condense, la virgule brunâtre se métamorphose en point noir. L'Kmérillon se reconnaît aux cinq raies irrégulières qui rubanuent sa large queue et qui sont formées de taches noi- res isolées. Il a la gorge blanche, le bec bleuâtre, la cire, le tour des yeux, les pieds jaunes. L'Emérillon est un moule de haut titre. Il loge conmie le Rouge-gorge et l'abeille un grand cœur dans un petit corps; il est vif, intelligent, docile et courageux. Les vieux fauconniers ne tarissent pas en considérations élogieuses sur le nombre de ses mérites et les charmes de son caractère. Il se dresse en huit jours, comme l'Épervier, vole tout ce qu'on veut, chasse avec qui l'on veut, comme l'Épervier, et ne se trouve jamais déplacé nulle part. Il a longtemps volé la Caille, de compte à demi avec l'Épervier, et il n'a pas cru déroger en s' associant avec la Pie- grièche pour voler le Moineau-franc et le Roitelet dans les jar- dins du Louvre, sous le règne de Louis le Juste, ainsi nommé parce qu'il était né sous le signe de la Balance. On a vu plus d'une fois l'Émérillon abandonné à lui-même, l'Émérillon qui n'est pas gros en tout comme une Caille, atta- quer la Perdrix et la prendre, et livrer à la Pie, au Geai et au Choucas des assauts formidables. 11 vole naturellement aussi la Pie-giièche, la Huppe, l'Étourneau, le Merle, la Grive ; mais sou vol de prédilection est celui de l'Alouette. L'Émérillon acte crée et mis au monde pour assister l'homme dans sa 142 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. guerre contre l'Âlouetto, comme l'Épcrvier pour l'assister dans sa guerre contre la Caille, et c'est surtout en sa qualité de voleur d'Alouettes que les fauconniers de France iemployaient autrefois. L'habitude était de donner trois Emérillons à la Pie-grièclie et à la Grive; deux seulement à l'Alouette, au Cochevis, à la Huppe. On adjoignait l'Emérillon à l'Epervier pour le vol de la Caille, du Merle, du Râle d'eau, du Râle de genêts, etc. Le sultan Mohammed L', qui tenait sept mille hommes au service de ses oiseaux et cent hommes seulement au service de ses chiens, rolloquait iJÈmcrillon dans son estime à côté du Pèlerin et du Sacre. Un des grands bonheurs de ce barbare était de jeter quarante Emérillons à la fois sur ces bandes d'É- tourneaux qui se rencontrent dans tous les pays méridionaux de l'Europe, et qui sont si épaisses et si noires qu'elles finissent par faire rideau contre les rayons du soleil. Si l'on considère que l'Alouette est une des plus rapides voi- lières de l'air, qu'elle est le seul oiseau qui possède la faculté d'ascension verticale, qu'il lui suffit de s'ajouver (s'aplatir) sur le sol pour échapper à tous les yeux, on comprend les difficultés que présente le vol de l'Alouette, et l'on est tenté de l'assimiler in petto à celui du Héron, qui cherche aussi son salut dans le ciel. Il y a des pays en France où l'on ne saurait faire un pas vers l'arricre-saison sans être témoin d'un de ces drames dont la ré- pétition a bientôt blasé l'observateur superficiel, mais qui sont toujours pleins de péripéties émouvantes pour le chasseur artiste. Les bois, les champs, les airs sont autant de théâtres de tragé- dies, d'opéras et de vaudevilles où Dieu, qui est miséricordieux aux pauvres, ne fait pas payer les places, mais où pourtant il n'iidinet que les femmes, les enfants et les riches d'esprit. Les banquiers, qui n'ont jamais été conviésà ces jeux, et pour cause^ SERKlPtbES. 143 en lïiL'disent elVrontément dans leurs bals. Ils traitent volontiers de vagabonds et de gens sans aveu 1rs spectateurs privilégies de la scène naliirellc dont le plaisir est de bayer aux corneilles, et à i'ofcasion ils les privent de leurs droits polilifpies, par esprit de jalousie. Suivant le banquier, Perroquet de la Pie, il n'y au- rait (ju'un seul travail digne de l'homme et qui consisterait à des- siner un alîVeux paraphe au bas d'un ^ale chiiïon de papier dont un pion un peu dillicilc ne voudrait pas pour pensum. Vous ne ferez jamais entendre à celte rare-là i\\ie tracailler cc^t pro- dui/c, et que ce n'est pas produire que noircir d'une signature un n)orccau de papier. L'Éinérillon eï.t appelé a jouer un jour dans la chasse de l'A- louette le même rôle (pie l'Epervier dans lachîisseaux Palombes; car l'Alouette se prend à la panlière, absolument de la même manière que la Palombe de Pau et le Bizet de Bagnères de Bigorre. Il y a cette seule dilTerence entre les deux chasses, que celle des Alouettes se fait le soir et celle des Palombes le matin. (unie Astciicii. Drux cspires. tpeiviei, Au(oui. J'ai réuni dans ce genre nouveau des Astériens deux oiseaux bien connus, 1 Épervier et l'Autour, qui se ressemblent complè- tement par la couleur du manteau et par les habitudes. J'ai tiré ce nom d'Astérien du mot Asterias (étoile), qui est le nom grec de l'Autour. Les Astériens ne sont plus des Bameurs^ mais de simples Voi- liers, puisque ce n'est plus chez eux la seconde rémige, mais la troisième, qui dépasse les autres en longueur; et bien que cette troisième rémige ne déborde que faiblement la seconde, cette lii UUMTIIOLOGIE PASSIONNELLE. seule (lilïerence dans la structure recpective de l'aile suftil pour apporter dans les mœurs et coutumes des deux lamillcs une dis- parité si notable, que la fauconnerie s'est trouvée obligée de créer pour chacune une école d'enseignement spécial et un lan- gage distinct. Les Astériens ne chassent pas à la façon du Pèlerin, du Lanier, ni du Sacre, qui tiennent le haut des nues pour ins- pecter l'espace et tomber d'aplomb sur la proie. Leurs ailes rondes et courtes leur rendent l'ascension trop pénible, et ils ne sont pas gréés pour marcher vent debout. Ils préfèrent pour champ clos le voisinage des forêts, les vallées abritées, et s'ac- commodent plus volontiers des pays chauds que des froids. Ils rasent les sillons d'un vol sibilant et rapide, battent les buissons comme de vrais chiens d'arrêt, ne craignent pas de poursuivre l'oiseau sous le feuillage et le prennent de côté. Ils ont une ha- bileté de main extrême et se dressent plus facilement encore que les Faucons. Leur aile, malgré sa brévité, est celle qui s'éloigne le moins du type supérieur, et la nature l'a évidemment façon- née pour servir de type intermédiaire entre l'aile des Faucons, qui a pour trait saillant la maximité de la seconde rémige, et celle des Milans et des Aigles, que caractérise la maximité de la quatrième. La formule du Gerfaut n'est pas moins en honneur chez les Astériens que chez les Faucons. Les Autours et les Éperviersdu sexe masculin sont profondément pénétrés de l'importance su- prême de l'éducation (infcricnrc, c'est-à-dire de celle qui s'ac- complit dans l'œuf et dans le sein de la mère ; et comme ils sa- vent que la vigueur de la couvée à venir dépend du bien-être physique et moral qui aura été fait à la couveuse pendant la du- rée de l'incubation, ils s'arrangent pour procurer à celle-ci tout le comfort et toute la sérénité d'esprit dont elle a besoin pour traverser heureusement cette crise. Ce qui est cause qu'on ne st!mipi:m:s. \ is rencontre pas chez ces races d'élite, comme chez nous, des my- riades de crétins , d'idiots et de rachitiques qui déshonorent l'espèce humaine et forcent le Créateur à rougir de son œuvre. L'asservissement de la femme au travail répugnant est peut-être, de tous les grands crimes de la société moderne, celui qui cric le plus haut contre le civilise. Je ne sais pas pourquoi Tcinmuuk, toujours Temmynck, a écrit qu'il était excessivement dilïicile, pour ne pas dire impos- sible, d'établir une ligue de démarcation quelconque entre les Autours et les Aigles. Le fait est que les deux familles se ressem- blent fort peu. Les Autours ont les ailes très-courtes, les Aigles les ont très-longues ; les Autours rasent le sol , ou se tiennent à la branche pour dissimuler leur présence ; les Aigles croisent au plus haut des nues; les Autours aiment l'homme, les autres le détestent. Quant au volume du corps, à la couleur de la robe, k la forme du bec ou des ongles, la différence est encore plus tran- chée. Je commence à être curieux de connaître le caractère de ressemblance qui rai)prochc ces deux familles d'une façon si intime. L'ÈPERViiiR. L'Épervier est le diminutif de l'Autour. Il a comme lui l'aile ronde et plus courte que la queue, la poitrine rubannée de bandes transversales régulières, composées d'écus- sons contigus qui se sont accointés avec l'âge. Le dessus des ailes et le dos sont de couleur brun sombre. L'Épervier ne peut être confondu avec aucune espèce voisine; c'est le plus j^ros de ces petits oiseaux de proie que nous rencontrons tous les jours, qui chassent concurremment avec nous la Perdrix, la Caille, l'Alouette, le Pinson et les petits oiseaux, et que nous dési- gnons indistinctement sous les noms vulgaires d'Émouchet, de Tiercelet, de Chassereau, de Hobereau, de Faucher, de Rahail- li. lu liO OUNITHOLOGIE PASSlONNELLt:. Jet, etc., etc. Sa grosseur, ([ui égale celle du Pigeon de colom- bier, est à peu près intermédiaire entre celle de l'Autour, plus fort que nos plus grandes espèces de Pigeons de volière, cl celle de l'ÉmérilIon, aussi petit que la Tourterelle. Indépendamment de l'infériorité de sa taille, l'Épervier est marqué d'un signe qui le distingue complètement de l'Autour, Chez celui-ci, le tarse est court et robuste; chez l'Épervier, il est long et grêle; l'oi- seau a presque l'air de s'être hissé sur des échasses, et l'ongle du doigt médian est beaucoup plus long que les autres, comme chez le Balbusard, ce qui lui donne, ainsi qu'à celui-ci, une grande facilité pour saisir et pour retenir sa proie. Cet ongle de l'Épervier est si aigu, et les blessures qu'il fait sont si dange- reuses, qu'il est très-difficile de conserver les Cailles et les autres petits oiseaux qu'il vous ra|)])orte vivants et auxquels il s'ima- gine n'avoir fait aucun mal. On peut lui faire porter des gants pour obvier à ce désagrément. L'Éperviern' engendre pas le Coucou, comme le bruit en a couru trop longtemps parmi les savants de l'antiquité et ceux du moyen âge. Il lui ressemble légèrement de poitrine et d'allure, mais il en diffère complétemeiit pour le bec et les pieds; même il le mange quelquefois pour prouver qu'aucun lien de sang ne ies unit. L'Épervier est encore un de ces auxiliaires-nés de l'homme dont la mission semble écrite sur leur physionomie. 11 éprouve une si vive impatience de remplir sa mission, c'est-à-dire de chasser de pair à compagnon avec l'homme, qu'il apprend son métier de servant de chasse en huit jours. Aujourd'hui qu'il a été destitué de son emploi, à la suite des révolutions, il aime encore à suivre le chasseur de très-haut dans la plaine; il l'accompagne souvent des heures entières sans que celui-ci s'en aperçoive, car il a soin de se tenir à une distance respectueuse du fusil qu'il abomine. Il lui arrive même parfois de fondre sur une perdrix SEUlUl'EDliS. 447 manquce et de la lier sous les yeux du maladroit tireur, comme pour lui dire : Mais voyez donc un i)cu (|uelles belles parties à deux l'on pourrait faire, si l'on voulait s'entendre. Si l'on voulait s'entendre, hélas! oui, cela est vrai; car cet ftpervier qui nous parle n'a pas son pareil pour voler la Caille; et le vol de la Caille a été longtemps une des plus llorissantes industries de la Lombardie, le pays des riches plaines. On trou- vait là des Eperviers qui n'étaient pas embarrassés de prendre leurs soixante-douze et quatre vingts Cailles en un jour. Et l'Kpervicr. qui est une nature éminemment intelligente, volait complaisamment, par-dessus le marché, tous les petits oiseaux qui faisaient envie à son maître. Merles, Grives, Piverts. Pinsons, Mésanges et le reste. Il donnait avec bonheur sur la Pie et le Geai, espèces détestables et nuisibles par essence. C'é- tait un vrai chasseur. Non-seulement l'Épervier vole tout ce qu'on veut, mais il chasse avec qui l'on veut; c'est un charmant caractère. Il ne se croit pas déplacé dans la société du Faucon, plus richement titré que lui, parce qu'il pense sagement qu'un Epervier qui fait ce qu'il peut, fait ce qu'il doit, et qu'il a l'habitude de faire tout ce qu'il peut. De même il ne prend pas de grands airs quand on l'associe avec l'Émérillon, la Cresserelle, le Hobereau, voire avec la Pie-grièche pour voler le Moineau-franc, la Mésange et le Roitelet, parce qu'il considère que les devoirs sont proportion- nels aux facultés, et que les facultés sont des dons de nature dont il n'y a pas lieu de tirer vanité. Je voudrais que l'humanité fût pavée de philosophes de cette école, prenant toutes les choses en riant et ne regardant rien comme au-dessus ni comme au- dessous d'eux. J'aime surtout l'Épervier de sa haine pour le Chat-huant, emblème de l'inquisiteur, et de son mépris pour la Corneille, em- blème du légiste. C'est à l'étalon de ces antipathies que je mesure fis OKMTHOLOGlb: PASSIONNELLE. les grands cœurs. Cette haine ardente de l'Épervier pour l'oiseau de nuit lui a bien des fois coûté cher; car le pipeur l'exploite avec succès pour ravir au généreux oiseau la liberté et la vie, et le Hibou profite de son sommeil pour trancher le fil de ses jours. L'Epervier est brave jusqu'à la témérité ; il attaquera sans hé- sitation aucune un vol entier de Corbeaux, rien que pour se faire faire place ; il ne craint pas de tenter l'enlèvement de la mute (mouvant) au beau milieu des filets du tendeur au miroir, tenta- tive périlleuse qui ne lui réussit peut-être pas une seule fois sur vingt, et dont la mort punit presque toujours l'insuccès. Le dédain de l'Européen pour les mérites de l'Kpervier remonte à la même cause et à la même époque que sa rupture avec le Gerfaut, le Pèlerin et l'Autour. Tous les chasseurs de l'Europe occidentale renoncèrent à voler le gibier du moment que le perfectionnement de l'arquebuse les eut armés du moyen d'atteindre l'oiseau dans son vol. On ne jugea pas nécessaire de laisser au Faucon la moitié d'un plaisir qu'on pouvait garder tout entier pour soi seul. Cette déplorable inspiration del'égoïsme eut de funestes résultats pour toutes les contrées de l'Europe où elle prévalut. D'une part, le gibier timide, effrayé de la détona- tion du salpêtre, finit par se dégoûter de nos plaines bruyantes; de l'autre, l'oiseau de proie, voyant l'homme se rallier à la triste politique du chacun pour soi, l'imita, et, tirant à lui avec une énergie doublée par la rancune, se plut à porter le ravage dans les espèces les plus chères au chasseur. Le Français n'a pas à se féliciter de sa scission avec l'Épervier, qui tire sur ses Pigeons, depuis ce temps, avec une volupté amère, et fait des vides affreux au sein de ses Perdreaux. Et remarquez bien qu'en me servant de l'expression ^/Vey, j'emploie le véritable terme; tar l'Epervier est plus réellement tireur que chasseur. Pour lui, pièce visée est pièce morte; il possède une habileté de main et une justi'sse de coup d'œil merveilleuses, et il lire le Pigeon et la Bécassine dans une désespérante perfection. Tant pis pour le Français après tout, s'il s'est fait un ennemi terrible d'une béte qui ne demandait qu'à le servir en auxiliaire dévoué. Dans les contrées de l'Europe orientale et de l'Asie, où l'homme et l'Épervier ont continué de vivre en bonne intelli • gence, la Caille, la Perdrix et le Bizct se trouvent encore en quantité considérable. Dans la Russie et dans la Pologne, c'est l'Épervier qui sert à ramasser les Perdrix que l'on fait hiverner en cage pour les préserver des famines et des gelées de la rude saison, et auxquelles on rend la liberté au printemps. EnMolda • vie, en Yalachie et tout le long des rives du Danube, le vol de la Caille à l'Épervier est encore une chasse populaire. Elle est exercée principalement par les Tchèques ou habitants de la Bohême, qui cumulent ce monopole avec celui de la fabrication des cristaux coloriés. Une anomalie qui m'a toujours affligé pour l'intelligence de mes compatriotes duBéarn, et lieux circonvoisins, est celle qui frappe l'observateur dans l'agencement des divers appareils qui constituent la palomière et la pantière de la région des Pyré- nées. Ou sait que les gorges de cette région sont les grandes voies d'émigration que suivent chaque année, à l'automne, les Ramiers et les Bizets, qui se rendent de France en Afrique par la pénin- sule ibérique. La chasse de ces oiseaux se fait dans le Béarn, le Bigorre, le Couserans et le Comminges sur une très-grande échelle (des échelles de 80 pieds de haut). Le filet employé pour cette chasse est la pantière, une nappe complètement semblable, aux dimensions près, à la pantière dont on se sert pour prendre les Bécasses et les Grives, à la sortie ou à l'entrée des bois. Il faut dire que l'un des principaux appareils nécessaires au I.'IO OnMTMOl.OGlE PASSlONNri.l.R. succi'S de la chasse des Palomes ou Palombes est intitulé la Trèpc. Cette trèpc est un édifice gigantesque et pyramitlai, composé, comme son nom l'indique, de la réunion de trois arbres ébranchés, ou miàts d'une hauteur de quatre-vingts pieds envi- ron, distants de quinze à dix-huit pieds l'un de l'autre, et reliés à leur extrémité supérieure par une chaîne de fer sur lacpielleest assise une cabane de feuillages où se tient embusqué un chas- seur. On monte à cette demeure aérienne au moyen de chevilles enfoncées dans le tronc de l'un des trois mâts. Cette trèpe est pia(;ée à l'embouchure de la gorge par où doi- vent passer les Palombes , à soixante pas environ en avant des filets. Le chasseur embusqué dans la loge de feuillage a pour fonction spéciale de faire peur aux Palombes qu'il voit venir, et de les forcer de s'abaisser jusqu'à la surface du sol où le filet tombe sur elles et les couvre. Il obtient ce résultat à l'aide de la raquette , une alfaire en bois qu'il jette en l'air et qui est cen- sée représenter un Épervier empaillé, quoiqu'elle resseml)le beaucoup plus au battoir d'une blanchisseuse qu'à un oiseau de proie. A cette vue terrifiante , la malheureuse Paloml)e , qui de- manderait volontiers un asile au centre de la terre contre la per- sécution de son ennemi implacable, pique une tète à fond. Le filet tombe sur la pauvrette et le tour est joué. Maintenant cette trèpe , qui est la principale place d'armes du tendeur aux Palombes , n'est pas la .«eule ; elle est précédée de quatre , cinq , six , dix autres trèpcs auxiliaires nommées battes , également munies de sentinelles qui ont aussi pour office de di- riger l'escadron volant vers la trèpe aux filets , à l'aide du même procédé de la raquette, ainsi que débattre les Palombes, tantôt en avant pour leur faire peur, tantôt sur les ailes pour les faire rentrer dans le sillon de la gorge , tantôt par derrière et en queue ^ afin do les faire descendre, etc. Et indépendamment de ces postes, les cotcnux (|ui forment la gorge sont bordés d'une SERRIPiinKS. V6i fjamisGn derhassenrs qui jiortent à lanurin une perche garnie de plumes d'oie blanche, ou peimonée d'une serviette, et qui cou- rent de côté et d'autre pour empêcher les Palombes de s'écarter de la bonne voie, ou les y ramener lorsqu'elles en sont dehors. Les chasseurs de Bizcts , au lieu de la raquette, se servent de petits bâtons courts ou nn^me de flèches qu'ils tirent avec une arbalète. On a vu des arbalétriers habiles arrêter un vol de Pi- geons pendant assez de temps pour donner aux tendeurs celui de redresser leurs filets. Cette série de trèpes , de filets et de chasseurs échelonnés à la contrescarpe et à l'embouchure de la gorge , occupe quelquefois une longueur de quatre à cinq kilomètres. Or, je demande s'il n'était pas cent fois plus commode et plus simple de confier cette besogne de dirigeurs et de rameneurs des convois de Palombes à une dizaine d'Éperviers à qui ce té- moignage de confiance eût fait un immense plaisir, qiie de s'em- barrasser de cette série d'appareils dispendieux et barbares, exigeant le concours d'un personnel exagéré et ridicule. Adop- tez l'Kpervier et vous supprimez la trèpe, édifice coûteux, dont l'ascension est pleine de périls et le séjour trop favorable aux rhumes de cerveau; vous obtenez une économie quotidienne de quinze à vingt journées d'hommes; vous réduisez toute la stra- tégie palomière au service des iilcls. Vous dites à vos Éperviers que tel convoi de Palombes ou de Bizets est en marche vers telle direction et qu'il importe de l'en détourner; soudain deux mnw- neurs ou détourneurs s'élancent, s'en vont à quinze ou vingt lieues de là, reconnaissent les voyageurs désignés, les détour- nent et les forcent à entrer dans la gorge. Le convoi une fois en- gagé dans l'impasse , il s'agit de l'y maintenir. Pour cela, trois couples de côtoijeurs ou de voltigeurs suffisent. Celui-ci battra sur les ailes, celui-là en avant, et le troisième en queue. Yous. pourrez embusquer un dernier Épervier, pivot de série, à une •Ja2 oliMTiKM.OGlE PASSIONNKI.I.K. centaine de pas; on avant des tilcts , avec mission spéciale de faire plonger le vol des Palombes sous les lilets, de manière à ce qu'il n'en échappe pas une seule. Et ce faisant , vous aurez tra- vaillé poétiquement; vous aurez marié l'agréable à l'utile. Mais parlez à nos chasseurs de Palombes d'introduire dans leur industrie une réforme aussi simple, et de substituer de véri- tables Éperviers, des Eperviers de chair et de plume, à des Éperviers de bois, et la première réponse qu'ils vous feront sera que la chose est impossible, et d'ailleurs que leurs pères, qui entendaient parfaitement leur affaire, ont toujours procédé comme eux... Je vous demande pardon de l'expression , mais vous mentez, mes braves , quand vous affirmez que la chose est impossible , attendu que tous les jours on fait faire aux Éperviers , en Polo- gne et ailleurs, des tours de force intellectuels beaucoup plus impossibles. Ensuite il est généralement faux que nos pères aient toujours procédé de la sorte , puisque les Thessalicns , les Macédoniens et les Thraces , il y a quatre mille ans de cela , em- ployaient les Éperviers à ramener les Palombes dans leurs filets, aux gorges du mont Hémus, du Rhodophe et d'ailleurs. Je pour- rais même affirmer d'une façon positive que des cours publics se faisaient sur cette matière à l'école du Centaure Chiron. Enfin, j'ai rempli mon devoir; que mes malheureux compa- triotes persévèrent dans leur routine absurde, continuent à se casser le cou à leur métier d'écureuil , à remplacer l'Épervier par le battoir, et à user de la serviette blanche en guise d'épou- vantail , je m'en lave les mains. L'Autour. L'Autour, qu'on appelle quelquefois le Faucon des Palombes, est le plus grand de tous les oiseaux de chasse de France. Sa taille dépasse celle du Faucon-pèlerin. Il se distin- gue de cette dernière espèce par sa conformation et ses mœurs. Il a l'aile ronde ol plus courte que la queue , ce qui est cause qu'il craint le vent comme l'Aigle et que l'Aigle l'attaque de pré- férence au Faucon. Il a le ventre évidé et comme rentré dans la poitrine, ce qui le fait paraître bossu. On le rencontre dans tous les pays boisés de France , où, sans être commun, il est beaucoup moins rare que le Faucon. Il niche sur les grands arbres. J'ai dit que son nom d'Autour lui venait du ^tqc Asferias , qui veutdireétoilé,àcausedu grand nombre d'étoiles brunes et rous- sàtresqui constellent son plumage. Ces taches, en forme d'écusson, plus ou moins rousses dans le jeune âge , comme le reste de la robe , et distribuées sans ordre sur le devant du corps , changent de couleur et de disposition avec les années. Elles pâlissent in- cessamment et finissent par se rejoindre pour composer à l'oiseau un magnifique plastron gris de fer zébré de raies transversales d'une couleur un peu plus foncée et d'une élégance parfaite. La queue, rubannée de zones brunes sur fond gris, comme celle du Faucon, parait beaucoup plus longue que chez celui-ci, à raison de la bréviti'' des ailes. La cuisse est garnie de longues plumes soyeuses qui retombent gracieusement sur le genou; le tarse est court et robuste, la tète forte, le bec vaillamment re- courbé, l'ongle tranchant et solide. L'Autour est beaucoup plus difficile à distinguer de lui-même que des espèces voi- sines. Manteau brun ; iris et pieds jaunâtres. Il y a entre l'Autour et le Faucon la même différence à peu près qu'entre le chien courant et le lévrier. De même que nos pères avaient deux chasses à courre, celle du lévrier et celle du chien courant, ils avaient deux sortes de chasses au vol, dont chacune constituait un art particulier et une science : la faucon- nerie et l'autourserie. La première était réputée la seule noble, la seule royale , comme de notre temps le courre. La seconde était la chasse quasi-bourgeoise, lâchasse delà petite propriété, notre chasse au basset d'à présent. L'autourserie et la faucon- l.ii nilMTlloljiCIR l'ASSlONNEl.l.K. neric» étaient deux industries si étrangères l'une à laiitre qu'elles n'avaient pas même un langage commun. On. jetait le Faucon, on lâchait rAutour; le Faucon bloquait , l'Autour arrêtait; le Faucon avait des mains, l'Autour n'avait que des pieds. Le Faucon portait le chaperon , l'Autour pas. On leurrait le premier , on ne faisait que rédamer le second , etc. L'Autour, malgré le peu d'estime qu'on semblait faire de lui dans une certaine caste, n'eu était pas moins honoré de ceux qui, dans toute entreprise, cherchent le profit plus que la gloire; car c'est un rude jouteur que l'Autour , et qui vole dans la per- fection la perdrix, la canepetière, le lapin. C'est de plus un oi- seau docile et qui se dresse en huit jours , un guetteur persévé^ rant qui ne perd pas de l'œil la perdrix remisée et qui ne va pas au change. Il est rare qu'il ne prenne pas sa perdrix du premier coup d'aile; d'où vient que dans le temps on lui donnait en ma- nière de sobriquet le nom de Cuisinier, c'est-à-dire d'excellent fournisseur de cuisine. Seulement, l'Autour craint le vent, et alors on ne doit le faire chasser que, par un temps calme ou bien dans des champs abrités. Il rase le sol d'une aile rapide, ou se choisit un observa- toire sur la cime d'un arbre toufl'u, d'où son regard embrasse l'horizon , et alors malheur à ce qui bouge ! L'Autour aime à laisser passer vingt-quatre heures entre deux chasses et à prendre ses aises en toute circonstance. Il attaque le Héron, mais seulement quand on l'y force et uniquement pour montrer qu'il n'a pas peur ; car il ne cache pas le peu de goût qu'il a pour les victoires sans profit. Il dit qu'on ne vit pas de la fumée de la gloire, et il n'aime à chasser que ce qui se mange, perdrix, pigeons, canards. Ce n'est pas, comme le Faucon , un oiseau chevaleresque. L'Autour est l'emblème du guerrier qui se bat pour le grade plus que pour la patrie, du chasseur qui chasse pour sa bouche SERTJIPKDES l.ir, au lion de s'ocrupcr d'abord de la destruction dos animaux nui- sibles. Il ternit toutes ses brillantes qualités par une détestable avidité qui le pousse à manger les perdrix qui lui appartiennent, et à dérober celles qui ne lui appartiennent pas, défaut trop ha- bituel au chasseur de bas titre. L'Autour est un mauvais cou- cheur dans toute l'acception du terme, processif, rabâcheur, toujours prêt à se faire tuer pour une aile de perdrix, et pous- sant la passion du duel jusqu'à la monomanie furieuse. Il traite le Pèlerin de ci-devant, comme nos ofliciers de fortune traitaient jadis nos marquis, et il recherche avec ardeur l'occasion de dé- gainer avec lui. On va jusqu'à dire que l'Autour ne se borne pas toujours à casser la tête à ses camarades de chasse, mais qu'il les mange quelquefois, même ceux de son propre sang. L'Autour, bravo sans foi, pillard, batailleur et avide, est l'emblème de ces héros insatiables et félons , chefs de condot- tieri ou de compagnies franches, trop communs autrefois en ma belle patrie, et dont la vénalité a ftiit dire : que jamais trahison n'avait manqué en France, faute d'un connétable. Genre Balbusaid. Espèce uiiuine. Les Faucons et les Autours correspondent aux lévriers et aux chiens courants; le Balbusard correspond à la loutre, cpii a été destinée à servir d'auxiliaire de pêche à l'homme. Yoilà pour- quoi j'ai classé cet oiseau, de mon autorité privée, à la suite des oiseaux de vol. Le Balbusard est un oiseau de trop grand cœur et de trop belle mine, pour n'avoir pas été, dès l'origine, destiné à faire avec l'homme commerce d'amitié. Il remplit à merveille, i:j(i ORNITHOLOfilK PASSIONNELLE. du reste, le rôle d'ambigu eutre les Autours et les Aigles, ayant les ailes longues comme ceux-ci, et pointues comme ceux-là. J'ai dit que chez l'Épervier et l'Autour, c'était la troisième rémige qui débordait les autres. L'aile du Balbusard est taillée sur le même patron. Le Balbusard a été très-longtemps autorisé à ajouter le glorieux surnom d'Aigle à son nom de famille , et il méritait certainement de conserver le nom d'Aigle pécheur que lui avaient unanimement décerné les populations marinières de l'ancien et du nouveau continent. Mais un savant de malheur s'aperçut un matin que le Balbusard n'était qu'un simple loca- taire de pêche qui payait fermage au Pygargue, et comme il se hâta d'ébruiter la chose , le Balbusard tomba soudain dans l'estime des corps constitués, de la distance qui sépare l'oisif du travailleur. Alors la science éprouva le besoin de classer le Bal- busard à part, ce en quoi elle n'a pas tout à fait mal agi. Le Balbusard préfère la chair de la Truite et de la Perche à celle du Canard, et j'approuve cette opinion gastrosophique. 11 y avait donc des raisons morales pour le distinguer de l'Aigle , bien que celui-ci ne soit pas l'ennemi du poisson. La distinction se caractérise plus vivement encore par certaines raisons phy- siques tirées de la conformation particulière des doigts qui sont indépendants et non creusés en gouttière chez le Balbusard, comme chez l'Aigle, mais garnis de petites pelottes comme les mains de la grenouille en amour. La plume des cuisses , courte et tassée, la garniture d'écaillés rudes qui cuirasse ses tarses ro- bustes, ne permettent pas davantage qu'on confonde cet oiseau avec les espèces voisines. Entin la nature, qui a créé cet oiseau pour la pêche, et qui fait habituellementles choses en conscience, a armé ses doigts d'hameçons recourbés dont la structure et la solidité feraient honneur aux fabricants de Limmerick. Deux de ces hameçons, le ponce et le doigt mitoyen, plus forts, plus aigus SEKHlPEDtS. lo7 et plus longs de moitié que les autres, auraient même le droit de se qualifier de harpons, car ils ont pour destination spéciale de pénétrer dans la chair de la carpe à travers les interstices des écailles, et de s'y incruster comme le fer du harpon dans le corps de la baleine. Le Balbusard est un fort bel oiseau, de fière et martiale tour- nure, plus élancé que le Jean-le-blanc, qu'il égale quasi en hau- teur, et facilement reconnaissable à ses longues ailes noires qui dépassent la queue, à son bec bleu aquilin, à ses pieds de même couleur, au large plastron brun ((ui couvre sa poitrine et fait tache sur sa robe blanche. Il commence à devenir rare en France, où on le rencontre encore dans le voisinage des grands étangs et des grandes rivières. Je l'ai vu tuer plus d'une fois sur les rives de la Seine et sur la chaussée qui sépare les étangs de Saclé. Il niche sur les grands arbres. Le Balbusard est un concurrent redoutable pour tous les pê- cheurs de rivière. Les chasseurs de marais ne l'exècrent pas moins que leurs confrères les pêcheurs, lui reprochant à tort d'opérer des ravages désastreux dans les rangs des jeunes oiseaux d'eau, Halbrans, Foulquillons , Morillons, etc. Ce n'est pas un simple pêcheur, c'est un amateur distingué et ambitieux des belles pièces comme la loutre , et qui rapporte sans la moindre gêne des poissons de six livres ; mais quelquefois aussi son ambition le perd. On l'a vu périr au fond de l'eau, noyé par un poisson trop fort qui l'avait entraîné au milieu d'un dédale d'herbes et de racines oii il demeurait empêtré. Sa passion pour le poisson est également cause qu'il donne trop facilement dans les pièges amorcés de cet appât. C'est encore un navigateur fort habile , qui sait tirer des bor- dées dans les airs quand le vent est contraire. Il aperçoit le pois- son sous les eaux, d'une hauteur prodigieuse , tombe dessus comme une ileche, le saisit avec les serres et remi)orle au i)Ius Iu8 ORiMTHOLOGlE PASSIOiNNELLE. loiQ pour le savourer à ses aises. Il se secoue en sortant de l'eau , à la manière du caniche. Le roi Louis XllI , le grand fauconnier , (jui volait tous les oi- seaux, l'Aigle compris, volait le lîalbusard avec Gerfauts et Sacres. Le vol du Balbusard , qui est un oiseau de grand cœur, méritait à coup sûr mieux que le vol du Milan d'être qualifié chasse royale. Nous reverrons tous ces spectacles-là un jour, quand le peuple, installé dans sa souveraineté véritable, man- dera et ordonnera à tous ses serviteurs des eaux , de la terre et du ciel, de rivaliser d'efforts pour embellir ses fêtes... ses fêtes où le sang ne coulera plus , ses fêtes auxquelles assisteront des millions de spectateurs, ses chasses aériennes où de jeunes aéronautes, portés sur les ailes de la foudre, rempliront l'otUce du Gerfaut. Il y a si peu d'oiseaux (pii pèchent à la main, que cette seule spécialité du Balbusard eût dû suttire pour dicter sou analogie. C'est l'emblème du pêcheur à la main , le plus poétique et le plus destructeur de tous les braconniers de rivière. Il est rare que le Pêcheur à la main ne soit pas en même temps un habile tireur de Bécassines, plus ou moins amateur de U chasse à la hutte ; car les deux industries sont sœurs , comme les deux droits naturels de pêche et de chasse, dont elles revendi- quent la jouissance, sont frères. Ce type de Bas-de-Cuir à deux fins est plus commun (|u'on ne le croit en France. Je l'ai ren- contré en tous lieux où m'a conduit la passion de la chasse , dans les marais de la Picardie , de l'Artois , de la Lorraine , de la Franche- Comté, du Berry, sur les rives des grands étangs salés du Languedoc et de la Provence. Je n'ai jamais dissimulé l'es- time toute spéciale dont j'honore la vaillante série à laquelle ce type appartient. Le chasseur-pêcheur de marais est ordinaire- ment un savant naturaliste dont la conversation est pleine d'in- térêt et de charme, un liomme de la nature, primitif et farouche, SERRirÉDES. io\) ennemi déclaré des bornes et des gendarmes, éloquent et su- perbe dans ses tirades éternelles contre l'ordre civilisé qui débute par priver le pauvre de ses sept droits naturels. Quand j'étais amodiateur d'une forêt domaniale et que j'avais des llatteurs, ils m'accusaient de tenir de la race, pour flatter mon orgueil. On ne s'enrichit pas, hélas, au rude métier de pécheur à la main et de chasseur à la hutte , et plus d'un généreux travail- leur de cette catégorie a laissé au fond de l'eau sa santé et sa vie; aussi le Balbusard ne créve-t-il pas d'embonpoint. Le braconnier est peu disciplinable par la civilisation, le Balbu- sard pas du tout. L'indigence du pécheur de rivière vient surtout de ses fréquents démêlés avec la justice et de l'énormité des droits que lui fait payer le lise. Le lise et le gabelou ne sont pas moins durs au pauvre Balbusard. On a vu de misérables Pygargucs (|ui n'avaient pas d'autre industrie que d'exploiter son talent. LePy- gargue est cet Aigle de mer à tête blanche que les citoyens li- bres de l'Union américaine ont pris pour emblème de leur natio- nalité, et qui préfère, comme le Balbusard, la matelote au civet. Tapi sournoisement dans la chevelure des grands arbres ou dans les anfractuosités des rochers qui bordent les rivières , le noble paresseux éjjie de sa cachette toutes les évolutions du pê- cheur. A peine le Balbusard a-t-il tiré de l'eau une pièce conve- nable, que IcPygargue fond sur lui, réclame la remise de l'ob- jet comme de chose à lui appartenant, et abuse odieusement de la puissance de son vol et de la supériorité de ses armes pour ravir à l'infortuné travailleur le fruit de son travail. Vainement le plongeur intrépide s'épuise à défendre sa propriété, le fruit de ses sueurs, l'espoir du déjeuner de sa famille; vainement l'amour maternel décuple son courage et lui fait prolonger la lutte. L'agresseur aussi a pour lui le stimulant de l'amour mater- nel , et la faim de ses Aiglons , la plus mauvaise des conseillères, l'a rendu sourd aux accents de la justice. Le sort se prononce i60 OBMTHOLOGlt: PASSIONNELLE. donc en faveur de la force; le Balbusard laisse tomber sa proie, que le noble filou subtilise avant qu'elle n'ait touché la surface des flots, et le crime est perpétré. Quelquefois le Balbusard , trop tenace à ses pièces, paye de sa vie sa désobéissance à la loi.... car il est bon de savoir que c'est au nom de la légalité que toutes ces spoliations s'accomplissent. Le Pygargue , toujours tant soit peu clerc, comme le lord d'Albion et de Rome , excipe d'une prétendue loi aussi vieille que le monde et dans laquelle il serait écrit que le poisson de toutes les rivières, de tous les lacs, de tous les fleuves, appartient aux Pygargues qui en ont concédé la pêche aux Balbusards, moyennant un prix convenu. S'ils recourent à la voie de l'expropriation forcée contre ceux-ci, c'est que ces locataires infidèles sont en arrière de plusieurs termes. Écoutez parler toutes les bétes paresseuses , orgueilleuses, rai- sonneuses; lisez leurs gazettes et leurs livres, vous n'entendrez jamais que le même langage : les légistes du droit divin sont les mêmes partout. sb:uRii»Ei)t:s. 161 DËt^IËME SEUIL. Ucbelles ou insoumis. Xoul' zniit's. \iii;.'l-!ii'ul' csiK-ces. La classification la plus naturelle des Rapaces, celle qui se présente la première à l'esprit du classilicateur, est celle qui commence par diviser l'ordre en deux grandes sections ou clas- ses, l'une dite des (//w/7JilK PASSIONM'LLK. réseau, avec la meilleure partie des provinces danubiennes, la haute Silcsie, la Moravie, la Bohème, la Hongrie, la Gallicic, la Transylvanie et le reste. L'Aigle criard et l'Aigle botté sont des oiseaux de passage. Le Royal, l'Impérial et le lionnelli paraissent sédentaires. Sous genre Pygarguc, Deux espaces. Le Pygargue a tête blanche. Ce Pygarguc, qu'on appelle aussi le grand Aigle de mer et l'Orfraie, est peut-être le plus grand et le plus fort de tous les Aigles. C'est, du moins, l'idée qu'il donne de lui à la première vue, parce que son corps sem- ble plus ramassé que celui de l'Aigle impérial. L'adulte se dis- tingue facilement de tous ses congénères par la couleur de son manteau, qui est le brun cendré sale, et surtout par la blancheur immaculée de sa perruque, dont les plumes déliées retombent en s'arrondissant sur son col. La queue est également blanche; mais cette couleur caractéristique ne vient illustrer le plumage qu'après un certain nombre de mues ; et le Pygargue de pre- mière année ressemble complètement aux jeunes de l'espèce royale et de l'espèce impériale. Il porte alors la livrée fa- miliale brun fauve, et un simple bec de corne au lieu d'un bec d'ivoire. Le Pygargue à tète blanche est, du reste, si rare en France, et même dans le nord de l'Europe, que Temmynrk va jusqu'à mettre son existence en doute. Mais il y a contre l'opinion de Temmynck ce fait considérable, que la ménagerie du Jardin des Plantes de Paris possède fréquemment des Py- gargues à tête blanche venus de Norwége ou d'Islande, et même quelquefois de nos côtes maritimes de Normandie et de Bretagne. SEUKll'ÉUliS. 20o On a lu au chapitre du Coq l'opinion de Franklin sur le carac- tère du Pygargue. J'ai raconté précédemment moi-môme, au chapitre du Balbusard, l'indélicatesse de ses procédés vis-k-vis de ce dernier et ses prétentions insoutenables à l'empire absolu de la pèche et des ondes. Le récit suivant, que j'emprunte au traité d'Audubon, peindra mieux que toutes mes paroles sa force et sa férocité. « Pour vous donner quelque idée de son caractère et de ses habitudes, laissez-moi vous placer sur le Mississipi, à l'époque où les oiseaux d'eau descendent par millions, fuyant les contrées du Nord à l'approche de l'hiver. » Au bord du fleuve, l'Aigle, debout sur la dernière branche de l'arbre le plus élevé, jette à l'horizon son regard dominateur; il écoute attentivement, et de temps à autre abaisse son œil per- çant vers la terre, de peur que la fuite légère d'un Faon n'é- chappe à son oreille. Sa compagne, perchée sur la rive opposée, lui recommande de rester calme et patient. A cette voix bien connue, il ouvre ses larges ailes, s'incline et répond par un cri strident qui ressemble au rire d'un fou ; puis il reprend sa pre- mière attitude et tout redevient silencieux. » Des Canards de toute espèce, des Sarcelles et bien d'autres menus gibiers passent rapidement, sans qu'il daigne y faire at- tention. Mais, tout à coup, pareil au son de la trompette, un bruit lointain se fait entendre, il grandit, il approche : c'est un Cygne qui s'avance. Un long cri de la femelle traverse le fleuve, le mâle secoue son plumage et l'arrange du bec en un instant. » Le Cygne, blanc comme la neige, est maintenant en vue; le cou allongé, l'œil au guet, il semble supporter difficilement le poids de son corps malgré ses coups d'aile incessamment répétés; il a tendu ses pieds au delà de sa queue pour s'aider dans son vol; tous ses mouvements paraissent une fatigue; il approche cependant. Mais l'Aigle l'a marqué pour sa proie, et, au mo- :»0(i ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. ment où il passe, le couple redoutable, préparé pour la chasse, s'élance des deux rives, le mâle avec un cri affreux qui retentit plus douloureusement à roreille du Cygne que la détonation de l'arme à feu. C'est le moment d'observer l'Aigle pour juger de sa puissance; il glisse dans l'air comme une étoile filante et se di- rige avec la rapidité de l'éclair vers le Cygne épouvanté, qui cherche déjà à conjurer par ses ruses l'horrible mort qui l'attend. Il va, vient, se détourne, fait un crochet, essaye de plonger dans le fleuve; mais l'Aigle s'y oppose on se plaçant au-dessous de lui pour lui couper toute retraite. Alors l'espé- rance l'abandonne, ses forces sont épuisées, la respiration lui manque, il sent que la vie lui échappe... et bientôt, frappé sous l'aile d'un coup de poignard, il tombe sur la rive en décrivant une ligne oblique. La cruauté de l'Aigle se montre alors tout en- tière; exalté par le triomphe, ilrespire plus largement et plus li- brement; le pied fortement appuyé sur le corps de sa victime, il lui enfonce lentement ses ongles tranchants jusqu'au cœur, et savoure avec délices ses dernières convulsions, qui lui arrachent un long cri d'allégresse et d'orgueil. La femelle a suivi du regard toutes les évolutions du mâle; si elle ne l'a pas assisté dans cette occasion, ce n'est pas manque de courage ni de puissance, mais simplement parce que, confiante en la force de son seigneur, elle savait que son aide lui était inutile. » Dès que le Cygne est à bas, elle accourt auprès de son époux qui l'attend avec impatience, et tous deux , retournant le cadavre, en déchirent les chairs et se gorgent de sang. » [Traduit par M""" Ilenriette Loreau.) Que vous semble du mot seigneur, écrit par Audubon, à la place d'époux; serviteur no, vaudrait-il pas mieux? Le Pvgargle commun. C'est le Pygargue à tète blanche, moins ce dernier caractère. Celui-ci est assez commun sur nos SERRU'ÈDES. 207 côtes maritimes du nord, de l'ouest et du midi. Il descend eu France chaque hiver à la suite des Oies et des Canards sauvages dont il fait grande consommation, ne méprisant pas non plus le Lièvre, le Lapin, ni le gros gibier plume. On l'accuse de pécher la nuit, mais si le fait est vrai, il est peu vraisemblable. Puisque j'ai déjà pris l'administration du Muséum d'histoire naturelle à partie, à propos de l'Aigle criard, je ne veux pas ter- miner ce chapitre des Âquiliens sans adressera M. le directeur des galeries oruithologiques une humble pétition que l'intérêt de sa gloire lui commande impérieusement d'écouter. Je lui demande d'introduire un peu d'ordre et de clarté dans l'étiquetage et le grou- pement des Rapaces de sa collection, ce qui ne doit pas êtredifli- cile, attendu que les vitrines où sont exposées ces espèces, n'of- frent guère en ce moment (juin I800) que la reproduction fidèle de ces naïves images du Paradis terrestre, où s'épanouissent, dans un charmant désordre, toutes les races confondues. Cette confusion est née du tort qu'ont eu messieurs les ornithologistes officiels de ne tenir aucun compte de la variété des costumes, ni de la différence des sexes et des âges pour distribuer les rangs de cette puissante série. Le moyen que je propose pour remé- dier au mal est d'une simplicité extrême; il consiste à réparer cet oubli. Je demande qu'on commence par diviser chaque famille en deux branches, la branche féminine et la branche mas- culine, pour suivre l'ordre établi par Dieu. Puis, qu'il soit formé pour chacune une série ascendante de sept termes, indiquée par la gradation des perchoirs. Au plus bas de la première série, à gauche : Aigle ou Gerfaut femelle, première année; idem, après la première mue, et ainsi de suite jusqu'à la septième année, où serait représenté le type parfait de l'espèce. A ce terme septième de la branche féminine ferait pendant le mâle adulte ou septième terme de la branche masculine, qui descen- drait ses gradins dans un ordre symétrique. 208 oliMIllOlAXilli PASSlU.\M:i.l.r.. Que cette méthode de distributioa hiérarchique soit appliquée k tous les oiseaux de proie et l'ordre succédera immédiatement au fouillis, et le visiteur, désireux d'interroger et de s'instruire, n'en sera plus, comme aujourd'hui, pour ses frais de voyage au Jardin des Plantes, et je ne serai pas réduit à me faire l'écho de ses gémissements. Si je me suis laissé aller tout à l'heure dans mon admiration légitime pour les travaux immenses de M. Jules Yerreaux, jus- qu'à signaler l'ingratitude de l'administration pour ce natura- liste éminent comme une calamité publique, c'est que les gale- ries zoologiques de M. Jules Yerreaux, 9, place Rovale, sont les seules où l'on trouve des familles distribuées dans l'ordre que je viens d'indiquer. Je demande aussi, puisque l'occasion s'en présente, pourquoi tant d'oiseaux de haut vol , illustrés par l'histoire et les chefs- d'œuvre de la scène française, n'ont pas de représentants dans un Musée comme celui de la capitale de la France. J'y ai cherché vainement pendant plus de vingt ans le Sacre, l'oiseau sacré de la fauconnerie, le noble abatteur d'Aigles. Le Sacre est enlin arrivé, mais tout seul de sa race. Est-il mâle ou femelle, jeune ou adulte, nul ne le sait. Aujourd'hui c'est le Lanier.qui man- que; le Lanier et l'Aléthe et tous les Faucons d'Algérie, signalés par M. le général Daumas. Or, je ne vois réellement pas d'ex- cuse à cette triste absence ; car du moment qu'on a jugé néces- saire d'envoyer un professeur du Jardin des Plantes à Berlin pour en rapporter des Ablettes, il n'y a plus de raison pour qu'on n'en expédie pas un second et un troisième en Russie ou en Arabie, n'importe où, pour y chercher le Sacre, l'Alcthc, le Térakel, etc. SI-IIIUPEDES. U09 tiPttre .l<'iiii-lc-lilain'. H>|>('H' iiiiiiin»'. Le Jean-le-bl\nc. Ou a lait louijteiups au Joau-le-blauc riionoeur de le classer parmi les Aigles comme le Bal busard, l)arce que de l'ace il ressemble à l'Aigle et qu'il monte très-baut dans les airs, et (|uil est, après le Gypaète, l'Aigle et le Vau- tour, le plus grand de uos oiseaux de "proie. Il égale, en effet, le (irand-ducen grosseur. Plus tard, on a destitue le Jean-le-blanc de sa dignité d'Aigle, parce (ju'on s'est aperçu que de prolil il ressemblait à la Buse ; après quoi ou a essayé de le l'aire passer dans la catégorie des Faucons. Mais cette admission ayant ren- contré de nombreuses diflicultés, MM. les naturalistes ont lini par se décider à l'aire de cet oiseau un genre particulier (ju'ils ont baptisé Circaète , sans trop savoir pourquoi. Buffon, qui s'est donné beaucoup de peine pour tirer la ques* lion du Jean-le-blanc au clair et qui uy a pas réussi, ne veut pas qu'on classe cette espèce parmi les Aigles. Il lui assigne un poste intermédiaire entre cette tribu et celle des Buses, et ce classement judicieux l'eût été plus encore, si le maître eût écrit Pygargue en place d'Aigle; car le Jean-le-blanc a les tarses nus comme l'Aigle de mer, et se rapproche plus de ce dernier genre par la couleur de son manteau qui ne vire pas au roux et s'en tient aux nuances brun cendré. Le Jean-le-blanc n'a rien de royal ni d'impérial non plus dans la physionomie. Son corps est relativement plus trapu que celui des Aigles, sa tête plus volu- mineuse, ses doigts plus courts, ses ailes plus arrondies. L'oi- seau, en un mot, ne s'annonce pas, dès le premier abord, comme un des hauts voiliers de la région des nues. Je crois, néanmoins, m. u 210 , ORMTHOJ.OGlt; PASSlO.NNELLt. que Buflbn et plusieurs autres ont eu tort d'affirmer que le Jean- le-blanc avait le vol lourd et pénible, et qu'il ne pouvait chas- ser qu'en rasant le sol à la façon des Autours. Le Jean-le-blanc aime à se balancer, au contraire, dans les régions supérieures de l'atmosphère, d'où il fond comme l'Aigle sur sa proie, qu'il emporte pour la déchirer. Il y a doute aussi parmi les auteurs sur la question de savoir si le Jean-le-blanc nous arrive avec le printemps, pour émigrer . avec l'hiver, comme la plupart de nos oiseaux de proie indigè- nes, ou s'il attend, pour nous rendre visite, la saison desfrimats. L'auteur de l'Ornithologie du Gard opine pour la dernière ver- sion; je penche pour la première, et la raison que je donne à l'appui de mon opinion est celle-ci : Qu'il m'est arrivé si souvent de tuer ou de voir tuer des Jeans-le-blanc qui n'étaient que des Suses de l'espèce panachée qui vire souvent au blanc, que j'ai fini par croire que beaucoup de gens parlaient de cet oiseau sans le connaître. C'est, en effet, un oiseau plus rare qu'on ne le dit et qui habite plus volontiers les régions de l'Est et du Midi de la France que celles du Nord , de l'Ouest et du Centre. Le Jean-le-blanc doit son nom à la blancheur de sa poitrine. Les plumes de sa tête se relèvent à l'arrière pour lui former une sorte de chignon peu gracieux. Il a l'iris jaune, le bec brun, les tarses etlesdoigts grisde plomb, les pieds réticulés. La longueur de son corps est de plus de deux pieds, de l'extrémité du bec à celle de la queue. Le Jean-le-blanc , dont le nom est encore populaire en France , est un ravisseur redouté de la volaille et du menu gibier, poil ou plume. Il attaque courageusement le Faucon dressé et l'Autour, et les égorge sans pitié. Ce fut dans le temps, pouf Cette cause et malgré sa couleur , la bète noire des Fauconniers. En ses jours de famine , il ne dédaigne pas le pis-aller du mulot ou de la cou- leuvre. si;miii'i:i)Ls. 21 1 L'histoire du Jeau-le-blauc est de celles qui racontent comment les aristocraties finissent. Elle nous apprend encore à nous détier de la sottise des jugements humains ([ui ne sortent guère de l'orbite fixée par la morale de la fable des animaux malades : Selon que vous serez puissant ou luisérablr, Un jiisrfment de cour vous rendra blanc ou noir. Le mépris que le civilise eut toujours pour le Jeau-le-blanc. rapproché du respect qu'il porte à l'Aigle, n'est qu'un autre mode d'adhésion à cette morale impie. 11 est bien difficile de ne pas se laisser aller à une série de réflexions décourageantes, au sujet de ce rapprochement. Les lois, H dit un premier sage , sont des toiles d'araignée qui u'arrcteut que les petits voleurs et laissent passer les gros. Les lois , a dit un second , sont des machines à compression destinées à réprimer l'essor des passions du grand nombre pour favoriser l'essor des passions du petit nombre. Serre-toi le ven- tre, dit la philosophie au pauvre homme, pour que le riche puisse dîner deux fois. Les jeunes personnes qui suivent avec intérêt ce cours de haute économie sociale et de zoologie passionnelle, trouveront dans l'histoire de l'Aigle , du Vautour et du Grand-duc une multitude de faits qui démontrent la justesse des définitions ci-dessus. L'Aigle , qui symbolise l'aristocratie britannique ou romaine, qui a pour lui la force, qui tient en main la foudre, insulte super- bement le droit et l'équité du haut du manoir crénelé qu'il habite ou de la région supérieure où il plane. Il y a une raison pour que le patricien et le landlord soient plus puissants que la loi , c'est que la loi est leur œuvre, l'œuvre du sénat romain ou de la cham- bre des lords, et que jamais législateur ne fit de lois que dans il2 OHMTHOLUGIE PASSIONNELLE. l'intérêt de sa caste. Le privilège de la noblesse est inviolable et sacré, dit le premier article de toutes les chartes nobles. Vainement la cour des Comptes de Rome accuse-t-elle de péculat Scipion dit l'Africain. L'illustre guerrier, qui a empli ses poches et ses galeries de l'argent et des statues des principales cités de l'Asie, ne descend pas même à se justifier. Sa réponse unique à l'accusation est qu'à semblable jour il a vaincu Annibal. — Montons au Capitole , ajoute-t-il , et rendons grâces aux dieux !! J'ai eu un professeur de rhétorique qui n'avait pas de paroles assez admiratives pour ce trait d'insolence et de morgue aristo- cratique. Étonnez-vous après cela que les enfants se perdent avec l'éducation qu'on leur donne! Au temps où l'on comptait encore quelques échantillons de vraie geutilhommerie en France , il y a deux cents ans, un mal- heureux homme de loi , un huissier qui joignait à tous les désa- gréments de sa position celui de s'appeler Leloup , s'étant avisé un jour de porter un acte injurieux, un commandement de paver à un noble auvergnat, l'insulté, pour toute réponse, saisit le messager de la loi et lui coupa le poignet droit, qu'il cloua à sa porte, disant que jamais loup n'était entré chez lui sans y laisser sa patte. Yoilà ce que j'appelle agir en gentilhomme. Ce caleni- bourg atroce eut un succès fou dans son temps. Sous le régime de la féodalité d'argent ou du Vautour, le capital a sur le travail le même droit de suzeraineté absolue que le noble sur le serf dans l'autre féodalité. Un créancier a droit de disposer de la personne de son débiteur et de l'envoyer pourrir en prison, à défaut de payement au jour dit. Une chose assez remarquable s'observe sous ce triste régime : c'est que toutes les lois y sont favorables à l'usure , mêmes celles qui ont pour but de réprimer l'usure. En ce temps-là le thermomètre de 'agiotage est considéré comme le thermomètre de la prospérité publique ; le juif est inviolable et sacré, et mal avisé serait l'ac- cusateur public de lui demander compte des moyens dont il s'est servi pour extraire tous ses millions de la poche d'autrui. Sous le régime théocratique ou du Hibou , la caste souveraine ne se donne pas même la peine de fabriquer la loi, elle charge son dieu de ce travail; elle se la fïiit révéler. Ici le sort de l'in- soumis est encore moins supportable que celui du serf du capital ou de la glèbe. Au moindre murmure , on le cuit , ou du moins ou lui brûle la langue avec un fer rouge, ot le manque de res- pect à l'autorité est qualilié sacrilège. Hélas! oui, mais tous les voleurs ne sont pas inviolables et sacrés comme les majestés constitutionnelles, les rois de droit divin et autres oints du Seigneur ; car l'inviolabilité ne s'acquiert qu'à la force des poignets , et tout le monde n'a pas le poignet ferré comme l'Aigle, le Vautour et le Grand-duc. Voilà qui vous ex- plique pourquoi la loi est si sévère au Jean-le-blanc , au Balbu- sard et au Milan, qui essayent quelquefois de singer l'Aigle. Le .Tean-le-blanc , dont la tète a toujours été mise à prix comme celle d'un assassin vulgaire , était pourtant du bois dont se font les héros, les conquérants et les brigands de haut titre, dont les Tite-Live et les Thiers racontent avec ivresse les orgies sanguinaires. Mais parce qu'il n'avait pas la passion de la pro- priété comme l'Aigle , parce qu'il n'avait pas su se tailler sur la carte un arrondissement de carnage , parce qu'il s'humanisait de temps à autre jusqu'à avaler des couleuvres, on l'a traité de bandit et de vagabond. Comme le Jean-le-])Ianc captif a soin de se cacher pour boire, on l'a comparé au laquais qui se grise en cachette de ses maîtres. Le .Tean-le-blanc ne méritait pas plus que beaucoup d'autres méchantes bêtes l'honneur des calomnies dont on l'a surchargé. C'est tout simplement un malandrin de sang noble, un dé- 214 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. trousseur de grand chemin qui porte une épée de bonne trempe, mais que l'inoonduite , la paresse et la gourmandise ont jeté dans la misère. Puis cette misère, jointe à un amour immodéré de la volaille, l'a fait mordre aux amorces séduisantes de la cour et tomber dans ses pièges. Et alors le Jean-le-blanc a perdu toute fierté et il a fini par dîner sans vergogne des restes de la table de l'Aigle. Sa raréfaction en France date du règne de Louis XIY, comme celle des gentilshommes à tourelles. On a vainement essayé de le dresser au vol et d'en faire quelque chose de Ijon. 11 appartient à ces races malheureuses destinées à périr pour n'avoir jamais rien appris. Le Jean-le-blanc et toutes les tribus qui vont suivre, Buses, Milans, Busards, procèdent de l'Aigle et se moulent sur ce type commun, au matériel comme au passionnel. Le Jean-le-blanc et les autres sont la menue monnaie de l'Aigle, s'il est permis de s'exprimer ainsi, comme les hobereaux ruinés de nos campa- gnes étaient, avant 89, la menue monnaie des Burchard et des Coligny. Tout cela pille, vole, assassine, passe les trois quarts de sou temps à muser et le reste à mal faire. Je les ai placés les uns à la suite des autres, d'après la puissance de leur vol, Jean- le-blanc, Milan, Busard, Buse; mais je ne tiens pas précisément à cet ordre, et quelqu'un voudrait mettre la Buse après le Jean- le-Blanc et avant le Milan, que je ne m'y opposerais pas. Cionrp Milan. Deux espèces. Le Milan roval. L'espèce du Milan est ambiguë entre les carnivores et les piscivores, comme celle du Balbusard ; elle fait SERRIPEDES. 2iï nuauce entre les Rapaces forceurs et les Rapaces immondes, penchant horriblement de ce dernier coté. Le Alilan royal se distingue de tous les autres oiseaux de proie par sa queue fourchue. Le Milan noir, dont le pennage est beaucoup plus riche et plus foncé, ne quitte guère les contrées riveraines des grands lacs sales du Midi, où il vit à peu près exclusivement de poisson. Tous deux sont de passage. Le Milan royal doit ce nom au triste bonheur qu'il eut jadis de servir aux plaisirs des rois. En ce temps-là , le vol du Milan et celui du Héron étaient les seuls qui fussent classés au titre de chasse royale, et nul gentilhomme ne pouvait attaquer le Milan sans empiéter sur les privilèges du roi. Le Milan est un oiseau de rapine, très-connu sous une grande variété de noms dans tous les pays boisés de France. C'est l'en- nemi intime des Pigeonneaux et des Poulets, et l'exécration des ménagères de la campagne. A défaut de volaille tendre, le ma- raudeur perfide accepte volontiers le poisson mort, et n'a pas de répugnance pour le mouton crevé. C'est une mauvaise bête, lâche à l'attaque , mais rude à la défense , rampante vis-à-vis des forts , dure et impitoyable aux faibles. Défiante et rusée à l'excès , elle ne descend qu'à bon escient des hautes régions de l'air où elle aime à se tenir immobile, pour observer de loin tout ce qui agonise sur la surface de la terre et des ondes, et fondre sur les agonisants. Le Milan est un des plus magnifiques Voiliers de la région des nues. Le mouvement de ses ailes est si doux qu'on l'aper- çoit à peine. Il a l'air de nager, plutôt que de voler dans l'o- céan du ciel. Le Milan pèche à la main comme le Balbusard, mais ne pêche guère que le poisson mort; il met sa proie à terre; son cri est un miaulement de chat. Le Milan s'apprivoise sans peine comme la plupart desoiseaux iMfi fUlMTHOI.OGlE PASSIONNEIJ.E. de proie , mais il n'est pas susceptil)ie d'éducation comme le Faucon , rÉmérillon et l'Autour. Il ne demande pas mieux que de troquer sa liberté contre le bien-être, mais le travail lui sembleun acte contre nature, une fois le vivre assuré. C'est un être ignoble de tout point, mais de belle figure. Les Milans ont emprunté à la politique de l'Aigle la puissante et aristocratique institution du fief héréditaire. Nulle terre sans Milan. Ils ont divisé la France en quatre ou cinq mille arrondis- sements de rapine, comme dirait M. Thiers, le tout de leur auto- rité privée , et sans s'inquiéter le moins du monde de savoir si l'opération agréait aux possesseurs nominatifs du sol ; puis ils se sont adjugé à l'amiable ces fiefs, dont l'étendue varie de six à dix lieues carrées. Les meilleurs et les plus courus de ces domaines sont ceux situés dans les pays entrecoupés de plaines, de forêts, de lacs et de cours d'eau importants ; les régions où la volaille , le gibier et le poisson abondent, où les forbans de l'air trouvent facilement à se dissimuler sous les sombres abris des futaies sé- culaires pour fondre à l'improviste sur les Pigeons aventureux et les Poussins novices. Les possesseurs de ces fiefs les défendent avec une sollicitude et une àpreté chicanière qui feraient honneur à des propriétaires humains de basse Normandie, Les Milans royaux disent à qui veut les entendre que toutes les basses-cours , tous les colom- biers,, toutes les pièces d'eau sont à eux; à preuve qu'il y a des siècles qu'ils prélèvent sur le produit de tous ces établissements une prime de rapine... Comme si, me permettrai-je de leur ré- pondre avec Sieyès, le vol pouvait jamais constituer un droit pour le voleur ou un devoir pour le volé ! C'est aussi l'an- tienne du Pygargue. Ce n'est pas moi qui me répète, c'est eux. En dépit de cette affectation de respect pour la propriété légi- time , il n'est pas rare de voir un Milan qui s'est emparé par la force d'un arrondissement mal défendu par son propriétaire SKUniPKDKS. t?!: inlirnio, invoquer la proscription contn* toute répétition des héritiers dépossèdes. Conformément auK usages de l'aristocratie , les Milans revien- nent chaque année, à époque fixe, habiter leurs propriétés rurales. Ils reprennent leurs vieux nids, comme les Hérons, les Cicognes et les Hirondelles , et leur retour annonce celui du vrai printemps. Ils partent de bonne heure à l'automne et s'élèvent au plus haut des airs en larges tourbillons qui décrivent dimmenses orbes dont le centre fugitif va s'èloignant toujours. Les Athéniens , qui étaient de grands amateurs de comfort et qui redoutaient le froid presque autant que la chaleur, avaient l'habitude de tenir un compte fort exact des faits et gestes du Milan, qui jouait un rôle fort important dans l'almanach grec, et qui était l'oiseau augurai dont ce peuple spirituel , mais faible, acceptait le plus facilement l'opinion. C'est parce que les Athé- niens étaient si bien au courant des mœurs et coutumes du Milan, que je ne pardonne pas à Buffon d'avoir ignoré le Milan noir et affirmé que l'autre passait l'hiver en France. J'ai toujours eu au cœur une vive antipathie contre les indi- vidus de cette race rusée et perfide , que le Faucon ne peut pas sentir. Le Milan niche au sommet des vieux hêtres, sinon dans les fissures du roc. Je me souviens qu'enfant, un de mes bonheurs était de l'assiéger dans sa haute demeure , de l'y clouer sous la glu, de tordre le cou à ses ignobles rejetons ou d'écraser dans l'œuf leur royauté future. En ce temps là, j'aurais eu quelque peine à accorder mon estime au gamin qui n'aurait pas connu le nid de son Milan. Il m'en avait coûté , à moi , vingt mois d'obser- vations quasi-quotidiennes , sans compter un nombre illimité de culottes et de déceptions de tout genre pour savoir le repaire du mien. Les chercheurs d'étymologie supposent que le nom latin du Milan, milvns , lui est venu du radical mollh. ^ mollitu-^ , pour VIS ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. accuser la mollesse universelle de cet oiseau, mou dans savoix, mou dans son vol , mou dans l'agression. Cette étymologie me semble moins heureuse que celle de vidpes, renard, volvipes, marche tortueuse. Il y en a encore une autre, qui ne me sem- ble guère préférable à la première et qui fait dériver le nom de Milviis de celui de Milvina, sorte de flûte très-ancienne, dont le son rappelait le sifllet du Milan, et qui devait être quelque chose de déchirant comme notre clarinette. Je profite de cette circonstance pour demander au gouvernement qu il interdise le droit de musique aux aveugles du Pont-Royal, voisin de ma demeure...; n'étant nullement charitable, ni juste d'infliger l'é- pouvantable supplice du flageolet continu à tout une popula- tion sensible, en réparation de malheurs individuels dont elle est parfaitement innocente. Soyons miséricordieux aux pauvres gens qui ont perdu la vue, mais gardons un peu de pitié néan- moins pour ceux qui ont conservé leurs oreilles. Ce maire de la ville de Cologne qui avait interdit à tous les musiciens ambu- lants de jouer faux, sous peine de bannissement et d'amende, était un véritable philanthrope à qui ses administrés reconnais- sants auraient dû élever une statue. Le Milan aiïecte à tout propos de se modeler sur l'Aigle, comme' Olivier Proudfute affectait de se modeler sur Henri Gow. Il se coiffe d'une perruque blanche à la manière des Pygargues , tranche des allures de TAigic royal , parle comme lui de .son par- cours et de ses domaines, fait rimer travail et canaille, ajoute à son nom comme lui l'épithète d'altesse. Ce qui n'empêche pas qu'il n'y ait du Milan royal à l'Aigle royal la même distance à peu près que du chacal au lion. Le Milan royal est l'emblème du féodal infime , possesseur d'un titre usurpé; et aussi de ces titulaires d'ollices de finance ou de chicane vulgairement appelés savonnettes à vilain, dont l'ospèce a été si parfaitement rirliculisée par Molière; et encore SERRIFEDES. iM'j de ces acquéreurs de charges vénales à qui l'administratiou con- cédait autrefois le monopole de l'exploitation de certaines indus- tries et de certains contribuables , conseillers du roi regrattiers, conseillers du roi marchands de tripes , fermiers royaux , mono- poleurs d'usure, tabellions royaux, huissiers royaux , monopo- leurs de chicane. L'huissier royal et le tabellion royal ne per- mettaient pas plus que le Milan royal à un confrère royal d'instru- m^ntfir (lanfi leur r[arliii, Rlafaril. Les Busards sont des oiseaux naturellement hardis, dépré- dateurs et voraces , qui ont dans la physionomie et l'allure quelque chose du Faucon, la poitrine évidée, la jambe haute, l'aile longue, la queue plus longue encore. Cependant, en y regardant de très-près, on linit par apercevoir dans ce genre certains caractères spéciaux qui les rapprochent des Rapaces noclurnes. Et d'abord les Busards chassent plus volontiers le matin et le soir qu'aux autres heures du jour. Ensuite ces tendances crépusculaires s'accompagnent d'une grosse tête et de larges oreilles, entourées d'un demi-cercle de plumes tas- SERKIl'EUtS. 221 sees, coillure évidemment empruntée à la Chouette. Le bec est faible et couvert à moitié par les envahissements de la cire, les ailes arondies. Le Busard pourrait donc jouer sans trop d'incon- venance le rôle d'ambigu entre les Rapaces de jour et les Rapa- ces de nuit. Presque tous les Busards sont décorés d'un ordre qu'ils portent en sautoir. L'âge et le sexe établissent entre les individus de si grandes diiïérences de taille et de costume, qu'il est tout à fait impossible de dire leur uniforme. Ces dilfcrences sont si tran- chées , que les ornithologistes ne s'accordent même pas sur le jiombre des espèces et ne savent pas s'il convient de porter ce nombre à- quatre ou de le réduire à trois. J'opine pour le premier parti. Moins rapides et moins généreux que les Faucons , les Busards font une guerre redoutable au menu gibier, aux couleuvres, aux Mulots et aux Grenouilles. Ils placent leur proie à terre comme les Milans; ils habitent le voisinage des marais, où ils nichent dans l'herbe. C'est une belle famille, dont la ligure attire , mais dont les mœurs repoussent. L'espèce la plus connue , celle du llarpaye , remplit dans les garennes l'office de croque-mort. Les Belettes ayant, comme chacun sait, l'habitude de saigner les Lape- reaux et les Levrauts k la jugulaire et d'abandonner le cadavre de leurs victimes après leur avoir sucé le sang , le Harpaye fait sa main de la desserte des Belettes. On le voit , à des heures ré- gulières, passer l'inspection de^ tirés, des forêts et des ga- rennes, qu'il rase d'un vol paisible, pour enlever les corps morts et leur donner la sépulture. La Buse paresseuse aide vo- lontiers le Busard dans l'exercice de ces fonctions charitables et lucratives; on les a même accusés tous les deux de ne pas at- tendre toujours que les jeunes Levrauts et les jeunes Lapereaux fussent bien morts pour les ensevelir. 222 OHiMTHULOGlE PASSiOMNELLE. Le Busard Montaigu et le Busard Saint-Martiu , plus connu sous le nom de l'Oiseau de Saint-Martin, commencent à devenir fort rares, et, comme il arrive pour toutes les espèces en phase de déclin, la défiance et la circonspection ont remplacé chez eux l'audace et l'esprit d'entreprise. Ils semblent ne plus viser qu'à se faire oublier. Le Busard Montaigu et le Saint-Martin, qu'on a longtempis appelés du titre commun de Sous-Buse, présentent un caractère fort singulier dans la diflérence du costume des deux sexes. Le mâle adulte, dans ces deux espèces, porte une robe d'une char- mante couleur, le gris ardoisé tendre , tandis que la femelle, qui est beaucoup plus forte, revêt ce manteau de couleur sombre qui est l'uniforme habituel des Aigles et des Buses. Le Tiercelet du Montaigu se distingue du Tiercelet Saint-Martin, en ce qu'il est un peu moins fort et en ce que l'abdomen est chez lui sil- lonné de coups de pinceau rougeâtres qui ne sont pas chez l'autre. Le quatrième Busard, le Blafard, celui dont l'existence est encore mise en doute, paraît appartenir spécialement aux pro- vinces les plus méridionales de l'Europe. Ne l'ayant jamais ren- contre dans mes excursions cynégétiques, et ne connaissant per- sonne qui ait été plus heureux que moi, force m'est de me bor- ner à publier son nom. Le Busard est le fléau des Faisandeaux et des Perdreaux ; il lève d'épouvantables dîmes sur les plantureuses tribus des Hal- brans, des Poules d'eau et des Foulques , qu'il linit par réduire à leur expression la plus simple. C'est un braconnier de la pire espèce et pour lequel la loi et le garde-chasse doivent être sans pitié. SbiKKli'EDLS. 223 (Icnro Buse. Trois esinces : PalUie, Bondrcc, Variable. La famille des Buses, cousidérce sous le double rapport moral et matériel, l'orme le dernier anneau de la chaîne qui unit les tribus du mode aquilicQ à celles du mode vultiirien. Les Buses se distinguent des Busards par la brévitc des tarses et de la queue, aussi bien que par l'épaisseur du corps. Elles ont également les cuisses ])lus fournies. Leur bec est plus arqué et plus court. Elles sont plus ennemies du mouvement. Toutes nichent sur les arbres. Tous les membres de cette famille ont les allures molles et peu distinguées, et se montrent généralement peu délicats pour le choix de la nourriture. Ils marchent avec beaucoup plus de facilité que les autres Rapaces à jambes courtes et ne sont plus exclusivement carnivores. Ce caractère de transition se retrouve chez les plantigrades de l'ordre des quadrupèdes carnassiers (Ours, Blaireaux. Gloutons, Carcajoux), à telles enseignes que les Buses s'embusquent dans le branchage feuillu des grands arbres pour guetter leur proie, etc., et qu'elles aiment le miel. Lasomnolence est vice héréditaire et typique dans la famille des Buses, comme dans celle des Ours. Mais si les Buses méri- tent leur réputation, sous le rapport de la paresse, elles ont par- faitement le droit de repousser l'accusation de stupidité que leur adresse journellement le vulgaire. Elles valent un peu mieux que tous leurs parents à bec crochu et mangent moins de pou- lets. C'est là l'unique motif qui les a fait passer pour bêtes dans l'opinion du peuple. Le civilisé méchant est enclin à confondre ■2U (iliMriKH.ÔCIH PASSIONNELLE. l'innocence ou la débonnaireté avec la pauvreté de cervelle, lionté est, ])Our beaucoup de nous, synonime de bêtise. l.a Buse a encore pour elle d'être meilleure mère que ses voi- sines, et de veiller aussi longtemps que le Corbeau à l'éducation de ses petits. Cette famille est une de celles dont il a été le plus diiïicile de caractériser les espèces, à raison de la variabilité perpé- tuelle de leur costume. 11 y a une de ces espèces qui varie, entre deux saisons, du brun noir au blanc sale. Par la même raison que les plus nobles créatures ne sont pas parfaites , les moins nobles sont accessibles à de généreux sentiments qui relèvent leur nature. C'est ainsi qu'on a vu de pauvres Buses, mangeuses, de poulets de leur état, amener à éclosion des œufs de Poule et se conduire envers leur progéni- ture de contrebande comme auraient pu faire les plus tendres des mères , leur distribuant avec sollicitude des lambeaux de chair sanglante , ne comprenant plus rien à leur répulsion pour cette nourriture de choix , supportant eutin avec une patience angé- lique les caprices et les nmtineries enfantines de leurs poussins et leur préférence inexplicable pour le menu grain et la pâtée de farine. C'est là un des moindres miracles de l'amour maternel , car l'amour maternel va plus loin chez mille autres espèces, chez les gallinacés par exemple, que chez les Buses. C'est la passion merveilleuse qui fait croire au Chapon qu'il est la vérita- ble mère de la famille qu'il a fait éclore et qui le force d'adopter une langue et des façons appropriées à ses fonctions augustes. Blackstone avoue que la Chambre des Communes peut tout, hormis changer un homme en femme. Or, l'amour maternel opère le miracle interdit à l'omnipotence de la Chambre des Commu- nes d'Angleterre. Humboldt a vu en Amérique des hommes allai- ter des enfants du lait de leurs mamelles. Le même phénomène avait été observé plus d'une fois chez les Béliers et les Taureaux. SEKIUi'KUtiS. 2io L\ IksE rAiTii;. La lUise pattuc, qui se distingue des autres Buses en ce qu'elle est gantée de longues plumes, comme les Pigeons de ce nom, IVétiuente le bord des rivières où elle fait curée des cadavres de Mulots et de Taupes que les eaux dépo- sent sur la plage après l'inondation. Elle se nourrit également de Serpents, de Grenouilles et de menu gibier. La Bo>drèe. La Bondréc, très-commune dans le centre de la France -et dans toutes les contrées riveraines de la Loire, où elle s'oppose énergiquenient à la multiplication exagérée des Perdrix et des Cailles, est un oiseau de passage qui hiverne dans les con- trées du midi de la France. C'est cette es])èce qui passe pour adorer le miel, et que pour cette laison on a qualifiée d'apivore ou de mangeuse d'abeilles comme le Martinet, lleùt été plus juste de la nommer vfs/jicofc, attendu qu'elle détruit beaucoup plus de duèpes que d'Abeilles, et qu'elle consomme plus de larves (|ue de miel. Pour ces causes même je trouve que la Bondréea de véritables droits aux égards et a l'amitié de l'homme, et pour mon compte j'ai l'habitude de respecter, en toute occasion, sou travail et ses œul's. Ou se souvient peut-être que j'ai écrit à l'article Guêpier, que l'exubérance toujours croissante de la population des Guêpes menaçait de prendre en ce pays les proportions d'une immense calamité publiijue. J'ai le regret d'annoncer que cette éventualité formidable se rapproche chaque jour de la réalité ; que chaque jour les mauvaises mouches de- viennent plus venimeuses et plus audacieuses, et que je ne m'ex- plique pas l'impassibilité de l'administration et des sociétés agricoles en face des ravages du fléau. Après cela comment sortir de ce cercle vicieux qui est l'enfer de la civilisation? Comment s'y prendre pour faire le bonheur dos Bondrées, sans faire le malheur dos Perdreaux? is a 226 OHiNiTHOLOGlE PÂSSlurSiNELLE. La Buse vaiuable. La Buse variable, dite aussi àpoitrine bar- rée, est l'espèce la plus commune, et celle dont la ménagère des champs a le ])lus à se plaindre. Elle est facile à prendre et à apprivoiser, et elle rend d'excellents services de chat en domes- ticité. Sa place est au grenier, où elle veille parfaitement au grain. Son nom de Variable lui vient de la mobilité extrême de ses goûts de toilette qui la porte à changer à tout moment de robe et à passer entre deux saisons du blanc saie au brun sombre. La Buse, paresseuse, somnolente, aclieveuse de gibier blesse, est l'image de ces usuriers de bas étage qui exploitent les cam- pagnes, fainéants à l'afiùt de toutes les disgrâces et de toutes les maladies qui tombent sur le malheureux laboureur, et habiles t protiter du sinistre pour donner au pauvre éclopé le coup de grâce. On sent que nous approchons de la famille des Vautours. (k'uic GjpîK'le. Lsix'ce iiiii([ut'. Entre le Vautour et lAigle vient se placer un maguiiique ambigu ou moule de transition, que les savants nomment Gy- paète, et les indigènes d'Helvétie le Vautour des Agneaux (laramer-geyer) . C'est le même qui enlève les enfants et qui les transporte dans son aire où les pauvres parents sont obligés de les aller chercher. L'enlèvement de l'enfant occupe une place immense dans la légende de l'Aigle, qui est le nom commun du Roc, du Gypaète, du Griffon et des autres dans, les contes orientaux. Plus griffu, plus barbu . plus chevelu que le Vautour. (|ui SLllUiFÉDtS. -^27 est chauve, le Gypaëte aime la parure et s'attife avec art. Moins haut sur jambes et pourvu d'ailes plus longues, il porte encore avec une certaine distinction la coillure à la malcontent, la mouche du raffiné, et les manchettes de dentelles qui man- (juent au Vautour. Une zone de pourpre ardente, qui borde son iris, illumine son regard de rouges rellets de sang. Toutefois sou jabot saillant, son bec et ses ongles presque droits, le rapprochent des Hapaces immondes. Le Gypaète est le plus grand, je ne dirai pas le plus fort de tous les Rapaces d'Europe. La hauteur de l'adulte varie commu- nément entre trois pieds et demi et quatre pieds. L'histoire de l'expédition d'Egypte fait mention d'un Gypaète dont procès- verbal fut dressé en présence de Berthollet et de Monge, et qui mesurait quatorze pieds, près de cinq mètres d'envergure. Je n'ai pas ouï-dire qu'eu Sardaigne ni dans la province de Cons- tantine, où l'espèce est très-répandue, on ait encore rencontré des individus de cette taille. Il était naturel qu'un oiseau doué de tant d'avantages exlé* rieurs cherchât à se séparer par ses mœurs, ainsi que par ses allures, d'une race méprisée. Aussi le Gypaète attaque-t-il la proie vivante comme l'Aigle, et fait-il une guerre cruelle aux ruminants des glaciers. Le Chamois en bas âge, le Bouquetin nouveau-né, lAgneau, le Lièvre sont les fournisseurs attitrés de la table somptueuse du Gypaète; mais pour adorer les enfants, l'ogre des pics nei- geux ne cède pas à l'Aigle sa part des pères et mères. On l'a vu en mille circonstances employer la ruse et l'adresse, à défaut de la force, pour jouer au Bouquetin et aux Chamois adultes des niches infernales. Le Chamois et le Bouquetin sont des enjambeurs d'abîme doués d'une élasticité et d'une vigueur de jarrets prodigieuse. Un de leurs plus grands bonheurs est de poser sur la pointe la nu OR.NITHOLOGIE PASSIO.NMELLE. plus aiguë d'un pic, comme un coq catholique sur la flèche d'une église, ou bien encore de s'accrocher comme un grimpereau de muraille aux parois les plus verticales du précipice, dans l'es- poir d'être croqués par quelque paysagiste de rencontre en ces attitudes impossibles. Le Gypaète qui sait à ses victimes ce tra- vers déplorable, l'exploite avec periidie. Aussitôt qu'il avise le Chamois dans la pose d'équilibre instable exposée ci-dessus, il s'en approche en tapinois, apparaît soudain à sa vue en pous- sant un grand cri et lui bat les yeux de ses ailes, à linstar de ces enfants trop espiègles qui profitent de la distraction d'un camarade absorbé par les évolutions des poissons royges pour lui faire prendre un bain de pied dans une pièce d'eau des Tui- leries. La pauvre bête, troublée par l'attaque imprévue, perd le sang-froid et l'équilibre, trébuche, chancelle, tombe, tournoie un instant dans le vide, s'accrochant dans sa chute aux angles des rochers qui se renvoient son corps comme une balle élasti- que, se casse enfin et s'aplatit en rebondissant sur le sol, où le triomphateur arrive aussitôt qu'elle et célèbre incontinent le succès de sa ruse par un festin sanglant. Pline et tous les anciens naturalistes ont accusé l'Aigle d'agir avec la même déloyauté à l'égard du Cerf, que le Gypaète à l'égard du Chamois. Le fait a été nié depuis; mais l'analogie le confirme. Quand on voit les plus ignobles oisillons de rapine, comme le Corbeau et la Pie, attaquer le Lièvre et lui crever les yeux; quand on voit le Faucon d'Algérie, qui n'est guère plus gros qu'un Pigeon, venir à bout de la Gazelle par le môme procédé, il me parait difficile d'admettre que les grands carnas- siers comme l'Aigle, qui savent au besoin joindre la ruse à la force, n'aient pas de pareils tours dans leur sac. Il est de mode aujourd'hui de reprocher aux anciens d'avoir été les témoins ocu- laires de faits qui ne se reproduisent plus de nos jours. C'est fjue la science moderne ne se rend pas suffisamment compte de SEIIHIPKDES. 220 rintUience exercée sur le moral des bêtes par l'iatroduction des armes à feu dans nos relations avec elles. Les bêtes n'osent plus dire ni faire ce qu'elles faisaient et disaient jadis, parce que la peur paralyse leurs moyens. Il ne me paraît pas plus difficile de faire choir un bouquetin dans l'abîme béant sous ses pas que d'ouvrir une tortue en la laissant tomber du haut des airs sur la pointe d'un roc, et r.\i2;Ie a trouvé ce dernier secret, il y a des siècles; il l'a même enseigné, comme nous avons vu, au Corbeau qui s'en sert pour ouvrir les moules. Beaucoup de naturalistes se sont insurgés contre l'opinion commune qui attribue au Gypaète l'amour de la chair des en- fants. Ils disent d'abord que l'oiseau est trop lâche pour attaquer des proies vivantes, et qu'en Algérie, où il est très-commun, on ne lui connaît d'autro goût que celui des chevaux morts et des Tortues de terre. Ils ajoutent que le Corbeau solitaire, qui niche auprès du Gypaète dans le grand ravin de Constantine, prend le dessus sur lui en toute circonstance et le traite de Turc à Maure. Ce dernier fait est vrai, et il a été confirmé récemment par une expérience tentée à la ménagerie du Jardin des Plantes de Paris, où l'on voit ces deux oiseaux vivre en parfaite intelli- gence dans la même cellule, mais où il est constant que le Cor- beau commande et que l'autre obéit. Seulement les savants ou- blient qu'on peut respecter le Corbeau qui a bec et ongles pour se défendre et ne pas craindre d'attaquer un enfant désarmé. Le Corbeau solitaire sait se faire respecter de plus redoutables que le Gypaète, et notamment du Faucon pèlerin qu'il charge même hardiment, lorsqu'il le voit s'approcher trop familièrement de son domicile conjugal. La bataille a lieu quelquefois vers les parages de Dieppe, où la grande falaise abrite chaque printemps les amours de quelques couples de Corbeaux, de Pèlerins, de Cor- morans, de Fous, etc. L'habile naturaliste du quai Voltaire, M. Lefebvre, m'a albrmé avoir été témoin oculaire d'un de ces 230 ORMTHOI.OGIK PASSlONNEl.LK. combats terribles où le Faucon avait été tué raide d'un coup de pioche qui lui avait défoncé l'occiput. Les ennemis du Gypaëte adirmcnt de plus que les serres de cet oiseau sont trop faibles et trop peu arquées pour lui permet- tre de saisir et d'emporter au loin des proies d'une quinzaine de kilogrammes. Mais ce qui est un argument contre le fait de rapt et de transférement dans l'aire, n'en est plus un contre l'incul- pation principale. Il n'y a pas de preuves, peut-être, qu'on ait trouvé de jeunes enfants dans le nid du Gypaëte, mais il y en a plus d'une qui témoigne de la prédilection toute spéciale de l'im- monde Rapace pour la chair en question. Il y a que deux oiseaux de cette espèce dévorèrent un enfant sur place, en plein jour, dans le royaume de Saxe, et que M. Crespon, de Nîmes, qui tenait un Gypaëte en passion, fut obligé d'intervenir un jour pour soustraire sa petite fille aux persécutions de son pension- naire, dont les vues n'étaient pas douteuses. J'ai failli moi-même être témoin d'un attentat de même nature, il y a une vingtaine d'années. C'était dans une excursion que j'avais faite en Bresse pour prendre part à une grande chasse au Loup. Deux pauvres petits garçons que nous rencontrâmes eu un canton désert, nous dirent qu'ils venaient d'être assaillis par un énorme oiseau qui s'était précipité sur eux, les ailes étendues, et les avait poursui- vis très-longtemps. C'était la seconde ou la troisième visite, assu- raient-ils, qu'ils recevaient de la mauvaise bête, et elle arrivait toujours à la même heure, entre onze heures et midi. Avisé de cette circonstance et curieux d'assister à la prochaine attaque, un des nôtres s'installa dans le voisinage, et le lendemain, à l'heure dite, vit l'oiseau et le tua. C'était un Gypaëte d'une taille dé- mesurée. Le Gypaëte barbu, pins commun en Algérie qu'en Europe, est l'emblème d'un superbe ambigu entre le Romain et le Juif, SKUMIPKliKS. t?.l| l'embléino do l'Arabe, pillaiil de caravanos; nn lype d'industriel valeureux non moins ardent au lucre qu'à la bataille, mais préférant de beaucoup à la guerre en plaine rase, la guerre d'embuscade, de razzia, de surprise. Aucune race de voleurs ne pratique avec plus d'amour cl de talent que l'Arabe, le vol à l'apparition, au buisson, à la culbute. Aucune nation n'apporte plus de luxe dans son costume, plus de majesté dans ses poses. Le Gypaëte, issu de la même soucbe que le Vautour, ainsi qu'il est facile de le reconnaître à la forme du bec et des pieds, nie cependant avec énergie tout rapport de consanguinité avec cette famille. Ainsi l'Arabe, né d'Abraham par Ismaël, repousse avec dédain toute communauté d'origine avec le juif, né du même Abraham par Isaac, parenté bien visible pourtant dans la coupe du nez et l'àpreté au gain. J'ai connu, dans le temps que j'habitais l'Afrique, un kaïd de Blida à qui je ne pus jamais faire entendre qu'un israëlite fût un homnie comme lui et moi. (Con- sulter au sujet de l'esprit inventif de l'Arabe, en matière de dol et de vol, l'ouvrage aussi intéressant qu'instructif du comman- dant Richard, intitulé : Mœxrs arabes, 6, rue de Beaune.) Genre Vanlour. Trois espères. Vaiilour fauve, Ynutotir l)ri;;î Calliarîe oii Fo-cnopiére. Caraclèrcs séiiérar.x. Les Vautaurs, races immonde, sont les homologues des Hyè- nes. Ils ont été créés comme celles-ci pour débarrasser le sol des immondices et des cadavres dont les émanations empestent l'air. Ils portent écrits sur la face, en caractères gros et lisibles, 232 ORMTHOLOniE PASSIONNELLE. lour nom et leur profession. II y a, dans le Vautour, du Dinde et du Corbeau. Comme l'attaque des corps morts exige plus de puissance digestive que de puissance agressive, la nature a sagement doué toutes les espèces du genre d'une voracité extrême, mais elle leur a refusé les armes de combat. Le bec des Vautours est presque droit dans toute sa longueur, et ne s'incurve en crochet qu'à l'extrémité de la raendibule su- périeure. Les ongles sont taillés sur le môme modèle. L'armature est plus voisine de celle du Corbeau que de celle de l'Aigle. Le bec et les serres des Vautours ont tout juste ce qu'il faut de force pour achever une proie agonisante ou perpétrer l'assassinat du mammifère nouveau-né. Les Vautours se distinguent de tous les autres Rapaces par deux caractères spéciaux qui sont la nudité de la face et du col et la saillie extérieure de la poche du jabot. Le col est long, la tète petite, les tarses nus et réticulés. Les Vautours sont porteurs d'ailes immenses comme l'Aigle et planent aussi haut que lui dans la région des nues. Ces ailes sont obtuses chez le plus grand nombre des espèces ; c'est-à-dire que la quatrième rémige est la plus longue de toutes. Les oi- seaux, quand ils sont à terre, tiennent fréquemment ces ailes mi- ouvertes. Les ongles n'étant pas assez puissants pour soutenir une lourde proie, c'est l'estomac qui fait chez les Vautours l'ofHce d'emporteur. Ils se gorgent sur place d'autant de chair que leur panse en peut contenir, et remontent vers leur aire, où ils se délestent incontinent par le vomissement. La nature a pourvu à la facilité de la double opération, en donnant à la poche stomacale du Vautour une capacité et une élasticité prodi- gieuses. L'œsophage est muni d'un renHement ou jabot qui fait saillie à la base du col et retombe sur la poitrine comme une SEimiPÉDES i'.'i.T besace trop charçiée, ou comme la sacoche d'un commis de la Banque. Tous les membres de la tribu exhalent une odeur fétide, odeur entretenue par l'écoulement d'une sanie purulente (|ui suinte perpétuellement de leurs larges narines, et plus copieu- sement que jamais dans la saison d'amour. Le préjugé vulgaire attribue à tort aux Vautours, aussi bien qu'aux Corbeaux, le don d'un odorat perçant qui leur indiquerait le gisement des cada- vres à des distances énormes. Ce n'est pas le sens de l'odorat, mais celui de la vue qui est le plus parfait chez les oiseaux de proie. La nature est trop sage pour avoir raffiné le nerf olfactif à des espèces qui devaient vivre de charognes putréfiées. On sait que les conditions les plus favorables à la décomposi- tion des corps sont celles qui résultent de la combinaison de la chaleur et de l'humidité et que cette décomposition n'a plus lieu sous l'isfluence de la sécheresse ou du froid. Par conséquent le foyer de la putréfaction animale qui engendre les pestes est aux pays du soleil, et alors le Vautour, pour remplir convenable- ment sa haute mission d'hygiène et de salubrité publique, doit surveiller surtout les zones tropicales. C'est aussi ce qu'il fait, parcourant la région de l'équateur, mais ne s' aventurant guère au delà du 45^ degré de latitude nord ou sud. En Europe, ses principales demeures sont aux versants des grandes chaînes qui font face aux mers du Midi, Archipel, Marmara, mer Noire, Adriatique, golfe de Lyon, golfe de Gènes. La France en nour- rit quelques couples qui airentaux rocs des monts les plus inac- cessibles des Pyrénées, des Cévennes, des Alpes, de la Corse, et trois espèces seulement figurent au catalogue de ses richesses ornithologiques indigènes. Ces trois espèces sont le Vautour fauve ou commun, et le Noir dont la taille égale, si elle ne la dépasse, celle de l'Aigle royal; le Catharte, petit Vautour blanc, de la taille du grand :>:{| nUMïllol.OGll' PXSSlONNKLIi:. Corbeau, remarquable par sa face nue couverte d'un parcbeiniii jaune ridé . Les pâtres du Midi accusent les deux premiers d'exé- cuter de temps à autre des coups de main aquiliens sur leurs jeunes agneaux. Les braconniers de la nu^me région se plaignent de la concurrence du troisième. Leur histoire à tous est la même. Laissons parler l'analogie. Le V.viTOtR, — CiiAïrocK '11. Après l'égorgeur, l'écorcheur; après le détrousseur de grand chemin, le voleur à la petite semaine. — Après l'Aigle, le Vau- tour. — Après le Scipionde Numance, le AVarwick ou le Coli- gny... Chaïlock. Il n'y a jamais eu dans ce monde qu'une seule iniquité qui est de dépouiller le travailleur du fruit de son travail, mais cette iniquité s'appelle de bien des noms et s'exerce de bien des ma- nières. Or, Dieu qui n'a créé les bêtes que pour en faire des types particuliers de caractères humains, les a chargées naturel- lement de la rédaction de cette monographie spéciale. Et l'uni- que tùche de l'historien de l'humanité consiste, comme j'ai dit, à déchiffrer ces logogriphes de plumes, de fourrure et d'écaillé écrits dans la langue sacrée pour les traduire ensuite en langage vulgaire. Je le répète, et le répéterai jusqu'à satiété, si la plupart des écrivains qui ont composé de très-gros livres sur l'histoire des Romains, des Perses et des Mèdes ont rarement réussi à intéresser leurs lecteurs et surtout leurs lectrices, ce résultat provient de ce qu'ils n'avaient compris ni le véritable but ni le véritable point de départ de la science historique. Shakespeare, Molière, Lafontaine et Fourier sont les plus iin- (I)Sh)lock, céh'hrc nsurierjnir (|iii avail riialiiliidc do pirloi- M':!.Li:. émineut, sous prétexte que celui-ci avait duJjlié de lui faire le uez du duc Decazes. L'artiste répondit, avec autant de dignité que de bon sens, qu'un peintre qui possédait quelque peu son analogie passionnelle ne pouvait, sans déshonorer son pinceau, accoler un bec d'Aigle à une face de Vautour, et tout le ridicule tomba sur ce dernier. Le casse-noisette du Vautour est percé de deux narines dé- goûtantes d'où suinte perpétuellement une sanie fétide. C'est qu'on ne vit pas éternellement de charogne sans passer peu à peu à l'état de cadavre; c'est qu'on ne vit pas éternellement d'usure sans que l'âme se pourrisse et sans que la pourriture intérieure fasse éruption au dehors par un écoulement de phrases fétides, image trop fidèle de l'ulcère purulent. Le pourceau, emblème de l'avare, est sujet aussi à une lèpre appelée ladrerie. La Bible parle souvent d'un peuple atteint de cette infirmité, qui n'est pas rare non plus parmi les Arabes d'Algérie. Les yeux sont le miroir de l'àme. Le regard du Vautour, terne, fixe, large ouvert, exprime l'inquiétude et la faim plutôt que la menace. L'inquiétude et la convoitise ont fait de tout temps élection de domicile dans l'œil de l'usurier, qu'assiège perpétuellement une double panique, la peur de sa ruine et la peur du parquet. La voix du Vautour affamé rappelle èelle de l'hyène, emblème du bandit qui demande l'aumône, l'escopetteà la main, une voix de mendiant qui crie misère, une espèce de vagissement plain- tif et saccadé où la rage a sa note. Je ne sache pas d'idiônie plus impur, plus odieux que celui qui est en usage chez les usu- riers de race do la Lorraine allemande et de la rive gauche du Rhin. 11 va sans dire (juc les mœurs' et les habitudes du Vautour simt à l'avi'îiant do sa physionomie. s[:5{nii'i:ii!-s. 21:; Le 'j;vÀnd roi Salonion,(iui liit i;ii modèle de tempérance et de sagesse, comme Caton rancieû, cl qui se contentait de trois cents femmes et de .-ept cents concubines, le grand roi Salomon a omis de désigner nominativement la panse du Vautour comme l'une des trois choses qui ne sont jamais soûles. Mais il est évi- dent pour moi que l'auteur des Proverbes n'a été retenu en cette circonstance que par la crainte de commettre un pléonasme. Qui dit bourse d'usurier dit eneflét panse de Vautour. Or, au nombre de ces trois gouflres qui ne sont jamais pleins, d'après le Caton juif figurent, comme on sîjit, la mer qui n'est jamais lasse de re- cevoir Keau des lleuves et le coiïrefort de l'usurier qui a tou jours soif de pièces d'or. J'oublie à dessein le troisième. Tel tiu'iin gouriie ellrayant que nous cache la li ne. 11 faisait disparaîlre en ses rares fesliii.';, Un Porc, un Sanglier, un Mouton et cent pains ! ! ! Ce portrait de Phagon, dessiné par l'auteur de la Gastrono- mie, a été calqué sur le Vautour, dont la voracité n'a d'autre* bornes que la capacité de son estomac, et encore. L'Aigle est un gros mangeur, mais qui sait se tenir à table et n'empoche pas les restes du festin comme les gens mal appri.«^. Le Vautour est étranger à ces délicatesses. Toute maxime de tempérance ou de savoir-vivre est pour lui viande creuse. Il a trouvé dans sa gloutonnerie la solution d'un problème proclamé insoluble par tous les physiciens : manger dans un seul repas plus gros que soi. Mais mal en prend au goinfre de mépriser le précepte d'flip- pocrate qui prescrit de sortir de table avec un reste d'appétit ; car sa goinfrerie fournit au.^ habitants des pays qu'il habite un moyen économique et sur de se débarrasser de lui. Au Pérou, au Chili, en Bolivie, dans toutes les régions des Andes, quand les indigènes ont perdu un animal domestique. •iii OKMTHOl-Or.lK l'ASSUtNNLI.LE. ils dcposcnt le cadavre dans un champ découvert, renferment dans un petit parc, et s'embusquent dans quelque cachette à proximité des lieux. Les Condors, Vautours de la plus grande espèce qui devinent les corps morts à des distances prodigieu- ses, ne tardent pas à apparaître en foule au-dessus du théâtre de l'événement. Ils dessinentd'aborddans les airs d'immensesorbes. pour inspecter les terrains d'alentours, puis l'inspection terminée, ils s'abattent sur leur proie, la déchirent, l'engloutissent et ne renoncent à l;v curée que lorsqu'ils en ont littéralement jusqu'au bec, après quoi ils se laissent aller sur leurs jambes et tombent ivres-morts sous la table, cherchant à se soutenir de leurs ailes comme l'ivrogne de ses bras. C'est le moment que nos affûteurs embusqués attendent pour faire main basse sur les gloutons, qu'ils assomment l'un après l'autre. L'instinct de la conserva- tion qui ne se retire jamais tout à fait de la brute, même quand elle est ivre, suggère pourtant à quelques-uns l'idée de rejeter au dehors une partie des aliments ingérés pour s'alléger d'au- tant. Ce procédé, connu des Romains et des Russes, et qui rétablit l'équilibre entre la force d'ascension de l'oiseau et la résistance à vaincre, permet à quelques-uns d'échapper au tré- pas. Les habitants des îles de la Dalmatie, où les Vautours fau- ves sont fort communs, emploient la même tactique pour se débarrasser de ces hôtes plus importuns que dangereux. La nature a accordé le privilège du vomissement facultatif à tous les carnivores pourvus d'un appétit extraordinaire, aux Vautours et aux Hyènes des champs, comme aux Mauves de la mer. Cette faculté de vomissement spontané permet à tous les carnivores faméliques de manger eu une seule fois pour plusieurs jours, et de compenser ainsi les trop longues abstinences. Les Loups, les Chiens et les Renards abusent de ce moyen pour en- fouir dans \i\ terre une partie de leur proie qu'ils retrouvent plus tard. Les Vautours en savent encore tirer parti pour nourrir SKRRirÉDES. îi;; leur jtnme famille, à qui la chair uu peu cuite convient mieux que la chair toute crue. Je ne connais, sous la calotte du ciel, d'avidité semblable à celle du Vautour que celle de l'usurier. 11 semble que l'amour de l'or se nourrisse de l'or même. Donnez cent millions au pre- mier usurier venu, juif ou chrétien, il n'aura ni cesse ni repos qu'il n'en ait avalé cent autres. Thomyris, reine des Amazones, imagina un jour de faire boire de l'or fondu à Cyrus pour le guérir de son ambition insatiable. Le remède tua le malade, mais ne le guérit pas. La nature, qui ne fait rien sans motifs, aime à reproduire dans ses tableaux les emblèmes de la cupidité usurière. Je ne l'accuse pas de se répéter, parce que je sais ses raisons. Un de ces portraits les plus ressemblants et que j'ai déjà donné est celui de l'araignée, un vampire hideux, tout griiïes, tout yeux, tout ventre, qui n'a pas de poitrine, c'est-à-dire de place pour le cœur, et qui n'abandonne ses victimes qu'après leur avoir sucé le sang jusqu'à la dernière goutte. Les poètes per- sans racontent que le Banian (juif de l'Inde) porte un écu à la place du cœur. Un autre portrait de l'usurier, plus comique, mais non moins fidèle, est celui du tiquet, cet ignoble pou de bois qui s'attache par grappes aux oreilles du chien et de la vache, qui entre sa tète et ses suçoirs dans la chair des malheureuses bêtes, s'em- plit jusqu'à centupler son volume et crève de pléthore. Exami- nez le parasite à l'apogée de son développement monstrueux, vous serez effrayé de la ressemblance du petit sac de chair avec la bourse de l'usurier. Même puissance d'accaparement, même contexture, môme forme! Tout y entre, rien nen sort. Bien n'en sort! Je me suis amusé bien des fois à torturer le savant officiel en lui demandant le pourquoi de cette absence de canal excréteur qui caractérise le genre parasite ci-dessus. Le 2i6 ORMTilOi/WiiE rASSlONXELI.F.. savant ol'Hciel, qui est étranger de son métier aux setrets de l'a- nalogie passionnelle, essayait, comme toujours, de se tirer de peine en disant que c'était là un de ces jeux bizarres de la nature que les Instituts n'avaient pas mission d'expliquer. Un mystère qui me semble beaucoup plus inexplicable à moi, c'est qu'on alloue des émoluments de dix mille francs par an à des natura- listes qui ne peuvent pas expliquer les jeux de la nature, quand il y a des analogistes d;^ bonne volonté qui les exp!iijii<^nt pour rien. Le fournisseur de vivres, ce munitionnaire félon qui rogne la ration du conscrit et vit pour ainsi dire de sa chair, est encore un de ces miroirs de voracité homicide dans lesquels le Yautaiir aime à voir refléter ses traits. Si j'avais un Vautour, je n'hésite- rais aucunement à l'appeler Rapinat. Le Milanais qu'on assassine Voudrait bien que l'on dëcid.U Si Rapinat vient de rapine. Ou rapine de Raiiimt. Le marchand de chair masculine appartient volontiers aussi à la race des marchands d'habits de Londres, Les marchands d'habits sont naturellement les plus mid couverts de tous les industriels. Il m'est impossible de regarder en face ces misérables petits Vautours blancs d'Algérie et de la Camargue qu'on nomme Percnoptères ou Cathartes, sans me reporter involontairement à la physionomie de la revendeuse à la toilette ; une ignoble vieille au long nez, au front jaune, à la main crochue, qui s'in- sinue dans les ménages pauvres pour acheter les jolies filies, trafique de déshonneur et vit de corruption. Les navigateurs rencontrent fréquenmient en pleine mer des Condors attablés sur le cadavre dos Cachalots et dos Baleines, si:i. Ainsi, l'usure prend pied sur les [)Ius puissants empires maritimes. Pesez les coiïres- forts de Londres, de Rot- terdam, de Hambourg, vous reconnaîtrez que les plus lourds appartiennent à Cliaïlock et à sa dynastie. Le Vautour est l'acolyte assidu de la mort. Il n'attend pas qu'elle ait frappé pour accourir à son appel ; il devance son vnl et l'annonce de ses cris. Kn quelque solitude d'Asie, d'Afrique nu d'Amérique que le \oyai;eur s'éjiare, il y a au-dessus de lui un Vautour qui le surveille. En quelque réduit si sauvage que retentisse la détonation de l'arme du chasseur, l'immonde harpie accourt pour réclamer sa part delà bote abattue. Quand le Bison de rAmeri(|ue nord émigré en masses profondes des pâturages épuisés de l'Orégon ou de lArkansas. on voit se précipiter sur se? traces un cortège innombrable de Peaux-rouges, de Loups, de Çouguars qui voltigent sur les flancs ou menacent l'arrière- garde du tourbillon fumeux. Puis un point noir apparaît isoié sous la coupole du ciel, bientôt suivi de l'apparition de mille autres qui naissent sous la vague investigation du regard, com- me les étoiles du soir fous l'envahissement des ténèbres. C'est l'armée des Vautours qui se laisse entraîner à la suite des Loups au courant du carnage. Même ordre de marche, mêmes scènes aux champs herbus de la Cafrerie et de l'Afj ique australe, où rien n'est changé que le nom des assassins et celui des victimes : Loups et Bisons là-bas, ici Lions et Gazelles, mais des Vautours partout. En quelque lieu que planent la ruine, la destruction, la mort, plane aussi l'usurier avide. Sénèque compare, je ne sais où, l'hé- ritier impatient au Vautour qui attend son cadavre. Sividtvres, cadaver expecta... Le Vautour, qui est un oiseau lâche, attend que l'Aigle, (\wq le Lion, le Loup, rifomme et tous les faiseurs de cadavres aient passé pour faire curée de leurs restes. A cette besogne de crc- 2iS ORNITHOLOGIE PASSION NFJ,!.K. que-mort et d'acheveur de victimes, son bec presque droit, ses ongles quasi-rectilignes suffisent comme j'ai déjà dit. Le créa- teur, économe de ressorts, ne pouvait armer contre les vivants celui qui ne s'attaque qu'aux morts et aux agonisants. Chaïlock non plus n'est pas brave. Il y a toujours au fond du courage le plus stupide et le plus brutal quelque chose qui res- semble à de la générosité. L'idée de péril à braver entraine l'idée de dévouement et de puissance morale. Or, aucun de ces senti- ments ne perça jamais la cuirasse d'égoïsme qui couvre la poi- trine de Chailock. L'avarice ossifie la fibre, le cœur de l'homme d'argent est verrouillé et cadenassé comme sa caisse. Le mar- chand d'espèces au-dessus du cours légal s'aime trop pour exposer ses trésors et ses jours aux hasards des combats. Il ne chérit de la guerre que les profits et méprise ses lauriers. L'épee est trop lourde à sa main. La tribu de Chaïlock craint la guerre et fournit, comme je l'ai lu quelque part chez un écrivain juif, plus de héros au bagne qu'à l'armée. Comme le Vautour perché sur la cime du roc ou perdu dans les nues, comtemple avec un doux ravissement le carnage loin- tain et attend que la boucherie ait cessé pour s'abattre sur les morts, ainsi Chaïlock et les siens attendent en lieu sur que le sort des combats ait prononcé entre Rome et Carthage pour accourir au secours de la victoire et se ruer sur le cadavre de la nation vaincue ; car le Vautour n'a pas de patrie, et change tous les six mois de domicile. Chaïlock n'a pas de patrie non plus, il se dit citoyen du monde. La patrie pour les amoureux est le lieu où l'on aime; la patrie pour Chaïlock est le lieu où l'on usure. Uhi fwnus, ihi patria . Quand les Barbares du Nord, plus altérés de jouissances et de sang que les Aigles des monts et les Lions du désert, passè- rent comme l'ouragan sur les champs du Midi, rasant jusqu'au SEHRIPÉDKS. 219 niveau du sol tout ce qui était debout; quand ces faucheurs de uations qui s'appellent Attila, Dgingis et Timour-Lenk prome- naient sur la tête des peuples le knout exterminateur, semant toutes les plaines de carnage et élevant dans les airs leurs pyra- mides gémissantes, bâties de moellons d'hommes... c'était le bon temps pour les Vautours, car jamais l'usure ne fut plus flo- rissante qu'en ces jours désastreux, que Robertson et quelques autres historiens considèrent comme la phase des douleurs su- prêmes de l'humanité. Quand, au début de ce siècle, qui verra sombrer dans une dernière tourmente la dernière tyrannie, la France révolution- naire succomba sous la coalition de tous les despotismes raccolés par l'or de l'Anglais, ce fut un heureux temps aussi pour les Corbeaux, les Loups et les Vautours; car la France héroïque tint les abois vingt ans et ne tomba que sur un sommier de huit millions de cadavres... .Te sais sur les rives du Volga de vieux Vautours podagres et des Cosaques hors d'iiLre qui se rappellent avec désespoir ces jours de boucherie et de pillage, et qui regrettent de n'avoir pas su mourir dans le sein de l'orgie. Or, le colosse à bas, Chaïlock s'abattit sur lui et lui incrusta ses ongles dans les flancs, et voilii quarante ans qu'il s'engraisse de ses chairs, sans qu'aucun libérateur ait encore osé s'appro- cher du vampire insatiable pour lui faire lâcher prise. Toute fortune monstrueuse qui s'est élevée depuis ce temps en Europe s'est bâtie de nos ruines, a pour origine ou pour date quelqu'un de nos revers, Leipzig, Bérésina, Waterloo. Pareille scène s'est passée naguère .lux rives du Danube, quand la fortune des armes, cette lâche prostituée qui n'aime que les gros bataillons, eut déserlé le drapeau de la liberté hon- groise et changé en martyrs les héros de !a cause sainte. Après que l'Autrichien, lils chéri do la déroute, eut vaincu ses vain- 2:iO niiMTHOl.OGIK l'ASSKlNNKi^LK. queurs par ie Russe et la trahison, le Hainaii vint pour arhever les morts, Chaïlock pour les dépouiller. Chaïlock, Chaïlock, jeté reconnais à ma haine, à ta voracité sans égale, à ta longévité. C'est toi que les premiers analogistes (le la Grèce représentèrent sous la ligure du Vautour, rivé sur le Caucase aux flancs de Prométhée, et sans relâche occupé à lui ronger le foie, un foie qui repousse sans cesse, ùnmortalcjecur. Mythe effrayant, mythe sublime, qui écrit avec une seule image dix mille ans de l'histoire de l'humanité, les longues op- pressions du travailleur, ses tortures et ses cris sur le chevalet du supplice et sa rédemption glorieuse. Je demande s'il existo quelque part dans les écrits les plus éloquents des penseurs, une morale qui approche pour la profondeur de celle de ce mythe antique de Prométhée. Prométhée, le génie du travail éraanci- patcur ; Prométhée, l'inventeur du feu, qui mit aux mains de l'homme la puissance créatrice, traité pour cet irrémissible crime de Titan audacieux qui, dans son orgueil, a voulu s'éleVer jusqu'au ciel ; Prométhée livré en proie au Yautour insatiable de l'usure et du parasitisme; Prométhée, de qui le supplice doit du- rer jusqu'à la venue de l'Hercule, du héros libérateur en qui se personnifie le Travail glorifié; le travail revêtu de la force comme d'une peau de Lion ; le travail armé du pic, de la massue et de la truelle, qui terrasse les monstres, détruit les foyers de peste et bâtit les cités ! î 1 Chaïlock, Chaïlock, c'est toi, le génie de l'usure, qui dévoiMîs sans fin ni trêve, depuis l'origine du monde, le foie du travail- leur sans cesse renaissant. C'est toi qui condamnas Jésus par la voix deCaïphe, qui le clouns au gibet sur un autre Caucase, qui le fis outrager par les vociférations de la populace, cette vile et éternelle complice des bourreaux ! ! ! sr,!nin»KîiF.s. ?.st Oli! (jti'on nie laisse loger ici une considération historique d'une portée immense, qui a malheureusement échappé jus- qu'ici à tous les professeurs d'histoire et de législation compa- rée, et dont la profondeur m'épouvanterait moi-même, si l'étude de l'analogie passionnelle et la grande habitude de ses solutions ébouriffantes ne m'avaient cuirassé contre ce genre d'émotion... La plupart des grands fondateurs de religions et des inspirés qui se sont l'ait passer pour révélateurs du verbe de Dieu, n'é- taient en réalité que des naturalistes, très-forts sur l'ornitholo- gie pour leur temps. Romulus ou Numa, le fondateur de Rome quel qu'il soit, a ES. 2:i3 11 sufïil (le lire deux pages du Lévitique, où le caractère des bètes de sou pays est si consciencieusement analisé, pour se l'aire une idée de l'cteuduc de se? connaissances, en matière de zoologie passionnelle. Comme tout fondateur de religion qui a loi en son Dieu, Moïse dut vouloir asservir le monde à sa croyance. Comme tout chef de nation, son ambition dut être de constituer son peuple à l'état de caste dominatrice. Il le voulut et le lit. Or, pour parvenir à la domination suprême il n'y a que deux politiques à suivre : 1" la politique de l'Aigle, c'est-à-dire celle de la conquête armée, la politique de la force brutale, la politi- que de la féodalité de sang ; 2" la politique du Vautour, celle de la domination par l'argent, la politique de la féodalité linau- cière. Le chef du peuple hébreu, qui n'aurait pu triompher par la force et le nombre, opta pour la politique du Vautour, et bien lui en a pris. Moïse était trop fort en analogie passionnelle pour ignorer la triste fin de l'Aigle. Avant que le Christ eût dit à Pierre que ce- lui qui se servirait de l'épée, périrait par l'épée, Moïse avait étudié le bec de l'Aigle, et ce bec trop crochu, qui se retourne contre l'oiseau de guerre pour lui donner la mort, avait appris au révélateur que la force brutale est une arme perfide qui se retourne tôt ou tard contre la poitrine de celui qui la porte. 11 avait vu de plus, dans le cours de ses études zoologiques, que le Vautour ne meurt pas de faim, au contraire, et que, pour être bien moins armé que I Aigle, il n'en montait pas moins plus haut que lui dans les airs. Cette dernière considération déter- mina sou choix. Ajoutons que le Vautour vit deux fois autant que l'Aigle. Pour lors Moïse entendit sur le haut de la montagne la voix de .Téhova qui disait 'Dentéronome, chapitre 15, ver.^et 6] : •i'ii oUMTHol.iXiU:: f'ASSI<>NM:!.l.i:. « Prête de iaryent aux nations d n:' leur emprunte jamais et lu les domineras et personne ne sera ton maître. » Et Moïse se hâta de transmettre à son peuple les ordres de Jéhova, et Israël se hâta de les suivre. Or, Israël engendra Chaïlock... C[iaïlock,qui pose aujourd'hui son pied sur la face de tous les despotes, (|ui a hypothèque première sur tous les revenus des empires, Chaïlock, à qui le vicaire du Dieu des Chrétiens paye le tribut du vassal, comme l'autocrate du Nord, comme Albion elle-même, la superbe dominatrice des mers... Tous les Lions, tous les Léopards, tous les Coqs, tous les Aigles d'Europe à une ou à deux tètes, mendient agenouillés l'assistance du Vautour. La domination de Chaïlock sur ses vassaux les rois est plus solidement établie que celle des rois sur leurs peuples, car Chaïlock n'a pas besoin d'armer des hommes pour soumettre ses sujets rebelles..., il étrangle les insurrections avec les cordons de sa bourse. Ainsi la misère des peuples et l'asservissement des rois justitient l'enseignem ent de l'analogie passionnelle qui est le verbe de Dieu ! ! ! Maintenant le monde est plein de gens étroits, qui pour avoir ouï-dire (jue le délit d'usure était ch'ose l'réquente chez les enfants de Moïse, sont partis de là pour répéter partout que l'usure était en honneur chez ce peuple. Ces gens étroits sont des simplistes qui n'aperçoivent jamais qu'un côté de la vérité et qui ne possèdent pas mon estime. Moïse était un penseur trop profond pour n'avoir pas reconnu d'emblée l'infamie de l'usure; et cela est si vrai qu'il l'interdit formellement à son peuple. « Tu n usure ras pas avec ton prochain., mais avec l'étranger, » dit-il, dan.s ce même Dcutérononu' j)récedcmmentcité. SKKHll'LDES. , •>;;;; L'usure est une arme de guerre comme le canon et le sabre. Moïse en prescrit l'usage contre l'étranger, mais il défend sage- ment de s'en servir de juif à juif. Moïse n'a accepta la politique du Vautour que sous bénéfice d'inventaire et à l'endroit de ["étranger. Étranger veut dire ennemi dans l'ancienne langue des peuples. La doctrine de Moïse renferme à dose égale le bon et le mau- vais principe; le principe de paix et le principe de guerre. Ap- pliquée à l'administration intérieure de la nation juive, la légis- lation du Pentateuque est le code de l'égalité et de la fraternité ; appliquée à l'étranger, c'est le code de la haine et de l'iniquité. C'est faute d'avoir envisagé cette doctrine sous ses deux faces, et faute d'avoir distingué entre le bon et le mauvais, que tant de savants commentateurs , y compris Proudhon, ont erré. La persistance opiniâtre du juif dans sa croyance religieuse se justifie par la sublimité des principes renfermés en icelle. Le Christ n'a pas été envoyé par Dieu pour détruire la loi de Moïse, mais au contraire pour l'étendre, en développant le côté religieux et humain de cette doctrine aux dépens de son côté politique et inhumain. Le Christ qui aimait les petits enfants, et (jui était profond comme tous les hommes simples, se dit : Puisque la loi ne tolère l'usure qu'à l'égard de l'étranger, du getitil, il n'y a qu'à sup- primer le gentil et à déclarer tous les hommes enfants de Dieu et frères, pour affranchir l'humanité tout entière de la tyrannie du capital. Et voilà pourquoila doctrine de charité, de fraternité, d'éga- lité prêchée par l'Évangile s'appelle justement la doctrine de rédemption ; car elle avait pour but de rédimer le travailleur de son oppression séculaire. Voilà pourquoi l'Église catholique a interdit le prêt à intérêt si longtemps. r66 ^ UKMrilUl,(>(ilK l'ASSIOiNiNELLB:. Mais voilà pourquoi, aussi, les Pharisiens et les Princes des prêtres, qui étaient les forts usuriers de ce temps- là, mirent le Christ en croit et lui tirent boire jusqu'à la lie le calice d'amer- tume; car ces habiles calculateurs virent bien que le Christ en prêchant la fraternité des peuples et en supprimant le gentil, qui était leur matière u^uroMe, taiUahle et corvéable à niera', faisait un tort infini aux détenteurs du capital, et ils l'accusèrent naturellement d'oflense à la propriété, à la famille et à la re- ligion, etc. Beaucoup de gens, très-versés en théologie, mais très-faibles sur l'ornithologie passionnelle, ont donné certainement sur le caractère distinctif de l'Ancien et du Nouveau-Testament plus d'une explication moins claire et moins satisfaisante que celle-ci. La révolution de 89 a repris, sans s'en douter, l'œuvre du Christ. Si elle a échoué jusqu'ici dans son entreprise, c'est tou- jours pour crime de faiblesse en zoologie passionnelle; c'est qu'elle a cru ne devoir s'attaquer qu'à l'Aigle et au Hibou (le noble et le superstitieux] et quelle a laissé de côté le Vautour. Néanmoins il a sulïi à Napoléon de tenter le renversement du monopole commercial de l'Anglais et de faire emprisonner quel- ques munitionnaires récalcitrants, pour être cloué sur le roc de Sainte-Hélène, comme le Christ sur le Calvaire, comme Promé- thée sur le Caucase... Et pareil sort, hélas! attend peut-être pour bien des mois encore plus d un incorrigible utopiste de mon espèce, rêveur de crédit gratuit et de banque du peuple... Jusqu'à ce que revienne de nouveau le grand chasseur Hercule, pour relever une dernière fois tous les supplicies, et briser tous les instruments de supplice, pour abattre du même coup Aigle, Hibou et Vautour. En attendant, je détie le fataliste qui ne croit qu'au hasard, je détio le philosophe ipii écrit de gros livres pour réconcilier le SERRIPEDES. subjectif avec l'objectif ou pour les mettre aux prises ; je défie le naturaliste qui n'entend rien aux jeux bizarres de la nature de m'expliquer pourquoi : L'Aigle meurt de faim, le Vautour d'indigestion??? Cependant, il est bien certain que Dieu n'a pu confier au Vautour un emploi de désinfecteur ou d'assainisseur quelconque, sans attribuer une mission analogue à l'institution humaine que ce moule symbolise. Or, quelques-uns désireraient peut-être avoir des détails sur la nature des services hygiéniques que la féodalité financière est appelée à rendre au genre humain, et mon devoir d'historien impartial est de courir au-devant de leurs vœux : La mission d'hygiène publique assignée par Dieu à la féoda- lité financière est de purger la société des immondices, des fraudes et des empoisonnements du trafic en détail, et de faire transiter l'humanité de Civilisation en Garantisme, par la substi- tution du monopole régulier à la concurrence anarchique. On voit si la question est grave. Je préviens que sa solution inté- resse spécialement les hommes d'État, les architectes et les pro- fesseurs d'économie politique auxquels je la dédie. Les premiers y trouveront des conseils pleins de sagesse sur la conduite à tenir en maintes occurences; les seconds, des considérations fort importantes sur l'architectonique de l'avenir ; les troisièmes, un enseignement dont ils ont grand besoin. Je n'apprendrai rien de nouveau à personne en répétant après mille autres que l'activité sociale s'exerce par trois modes ou essors principaux qui sont : la Production, la Consommation et la Distribution. Mais ce que tout le monde ne sait pas 258 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. aussi bien, les professeurs d'économie politique moins que per- sonne, c'est que la Distribution, qui est l'agence intermédiaire entre la Production et la Consommation, est une fonction neu- tre essentiellement administrative et gouvernementale, et la seule qui doive être ordonnée et réglementée... (L'économiste se fâche, donc il a tort.) Tout le monde est intéressé, en effet, à*ce que tous les pro- duits, naturels ou artificiels, arrivent à la consommation au plus bas prix possible. Or, pour qu'il en soit ainsi, il faut de toute nécessité que le salaire du commerce ou de l'agence intermé- diaire soit proportionnel à la valeur du service rendu ; c'est-à- dire que la prime allouée à la fonction distributive ne peut, en bonne administration, représenter que les frais bruts de trans- port augmentés de la récompense légitime due au travail du transporteur. Hors de là point de salut, point de liberté pour la Production et la Consommation, qui sont les deux leviers pri- mordiaux et essentiels de l'activité humaine et de la richesse sociale. Je pose le principe et ne le discute pas, parce que ce principe a été mis hors de discussion par l'expérience et la pratique de sociétés plus avancées que la nôtre, dont les exemples doivent faire loi pour nous. Donc, il me suffit d'affirmer qu'en Harmonie, où l'on est excessivement sobre de réglementation et de gouver- nement, les deux domaines de la Production et de la Consom- mation sont affranchis de toute intervention et protection de l'État, mais que la fonction gouvernementale s'y réduit presque exclusivement à l'oHicede distribution. Que les économistes ré- voquent en doute l'authenticité du fait, libre à eux ; le fait n'en subsista! pas moins. Qu'ils déclarent que les institutions d'Har- monie sont lettres closes pour eux, je les crois d'avance sur parole. Nous disions donc (ju'cn Harmonie lo rôle du gouvernement SEKRIFÈDES. 259 se réduisait à transporter et à distribuer les produits demandés, de la même manière qu'il transporte et distribue les lettres en Civilisation, c'est-à-dire de la manière la plus économique, la plus rapide et la plus sûre. Ceux qui n'ont pas été témoins ocu- laires de la chose ne sauraient s'imaginera quel point la Produc- tion et la Consommation, qui n'ont plus à faire la fortune scan- daleuse des agents commerciaux, se trouvent bien de cette libé- ration. C'est à vous tenter de remettre tout de suite aux mains de l'État la Banque et les Transports. On sait que cette idée lu- mineuse d'accaparer les deux grands leviers du commerce, passa un jour par la tète de Bonaparte, mais ne s'y fixa pas. Malheureusement il faut beaucoup de temps à la raison des mas- ses comme à celle des économistes pour s'élever à la conception des institutions d'Harmonie; et comme en attendant que la sa- gesse leur arrive, les sociétés humaines sont obligées de vivre, et pour cela d'échanger entre elles les productions de leurs zones et de leurs industries diverses, il s'ensuit fatalement que la fonc- tion distribulive est toujours abandonnée pendant une période de quelques milliers d'années au principe de la concurrence commerciale auarchique, que les faux savants s'obstinent à décorer du beau nom de liberté commerciale. La liberté com- merciale, c'est la mer ouverte à tous les vaisseaux, c'est tous les marchés du monde libres, toutes les voies de communication et de transit affranchies de la douane et des droits de péage oné- reux, la sécurité garantie à tous les pavillons. Ce que l'histoire a jusqu'ici nommé la libre concurrence, c'est le monopole com- mercial et maritime de Tyr ou de Carthage, de Gênes ou de Venise, de Lisbonne, d'Amsterdam, d'Albion; c'est en perma- nence la guerre, la guerre sur terre et sur mer, les accaparements de tous les bénéfices commerciaux par la nation la plus rapace ; c'est le triomphe de la force sur le droit, l'oppression des indus- triels et de.î consommateurs par une coalition de forbans quM- 2fiO ORNITHOLOGIE PASSIOxNNELLE. conque; c'est l'alternance périodique des disettes et des encom- brements, c'est l'ère et le foyer des fraudes, des falsifications de denrées et de l'empoisonnement des populations sur la plus vaste échelle ; c'est la perpétration des abominations les plus noires : le Hollandais foulant aux pieds le Christ pour accaparer le mono- pole du commerce avec le Japonais, l'Anglais forçant à coups de canon les portes du Céleste Empire pour y vendre son opium. La liberté commerciale engendrant fatalement le monopole, voilà le témoignage de l'histoire, de celle du présent, comme de celle du passé. Et vainement la religion éplorée fulmine-t elle ses plus viru- lents anathèmes contre la passion du lucre. Vainement l'église catholique prohibe-t-elle l'usure et fait-elle de l'avarice l'arme la plus sûre du Malin. A''ainement la poésie et la philosophie vouent-elles de concert les nations commerçantes au mépris et à l'exécration des âges. Vainement la mythologie grecque, fille aînée de l'analogie passionnelle, enrôle-t-elle sous la bannière du même Dieu, avocats, marchands et voleurs L'anathème, la malé- diction, la satire, l'ironie n'arrêtent pas d'une heure la marche du fléau, et le hideux vampire commercial, cuirassé de la sottise des peuples comme d'une impénétrable armure, continue à bra- ver les vaines clameurs de l'indignation universelle, du haut de ses richesses mal acquises et de son impunité. Qu'y faire, c'est le destin; il faut bien que l'humanité subisse ses épreuves, pour qu'elle puisse s'instruire aux leçons du malheur; il faut bien que l'anarchie triomphe et marche jusqu'au bout dans sa voie scélé- rate pour entraîner de force le progrès après elle. L'anarchie commerciale atteint son apogée vers les heures de déclin de la Civilisation, qui est la phase sociale d'enfance la plus féconde en turpitudes et en misères de tout genre, en lâchetés et en prostitutions de tout sexe. Elle ligure avec éclat dans la série des sept fléaux limbiques au triple titre de Fonr- SKURIPKDES. 261 berie, d'Oppression et (le Maladies provoquées. Il y a soixante ans environ que l'immonde harpie s'est abattue sur les États de l'Europe, où grâce à la complicité des économistes tout-puissants et aux progrès de la chimie, elle a fini par asservir le double domaine de la production et de la consommation, planant au- dessus des lois, volant et empoisonnant à sa guise, trompant sur la quantité comme sur la qualité. L'économisme a le droit de s'admirer dans ce triomphe de la* liberté commerciale, qui est bien la fille légitime de la doctrine du laissez faire. Je demande seulement à l'Académie française, qui a le privilège de la fabri- cation des mots neufs, de me forger un substantif spécial pour qualifier la puissance nouvelle, Toxicocratie , par exemple, comme qui dirait la puissance inviolable des empoisonneurs patentés. Pour se faire une idée de l'audace et des méfaits du commerce anarchique qui salit tout ce qu'il touche, à l'instar des oiseaux du lac Stymphale, il faut lire un traité récent sur la matière, publié par M. A. Chevalier, un savant de la section des utiles. Il est dit et prouvé, dans ce livre tout plein de révélations for- midables... Que pas une denrée alimentaire, pas une boisson livrée à la consommation quotidienne des malheureuses popula- tions d'Angleterre et de France, n'est exempte de sophistica- tion... et que la plupart des substances employées par les falsi- ficateurs sont de véritables poisons. Poison le pain ! Poison le vin ! Poison la bière ! Poisons le sel, le poivre, les remèdes, le gaz, la fumée des bougies!... C'est-à-dire que vous et moi, nous tous, nous communions deux ou trois fois par jour, sans le sa- voir et sans le vouloir, par le poison, et sous toutes les espèces. Les misérables ne respectent pas même l'enfance ; ils l'empoi- sonnent dans ses bonbons et dans son sucre d'orge, et répondent aux mères éplorées qui leur reprochent de leur avoir ravi les objets de leur amour, qu'il faut que tout le monde vive. C'est 2tii ORNITHOLOGIE passionm: Li,i:. déjà la réponse qu'ont laite, dans les temps, les marchands de la Compagnie des Indes aux utopistes philantropes qui trouvaient peu chrétien de faire la guerre à un malheureux peuple inca- pable de se défendre, et de profiter de sa faiblesse pour lui donner à opter entre le fer et l'opium. La révélation foudroyante de Lucrèce Borgia annonçant aux convives de la princesse Né- groni qu'elle vient de les empoisonner tous, ne produisit peut- être pas, sur le moral de ces Jeunes seigneurs, une impression de terreur égale à celle que m'a fait éprouver à moi la lecture de l'ouvrage de M. A. Chevalier. Tous mes écrits, tous mes fusils, tous mes chiens pour un cheval ... je veux dire pour un bateau à vapeur qui m'emporte bien vite loin de ces bords empestés. Mais où se cacher, oîi fuir pour éviter l'atteinte de la persécution ! Un économiste politique m'obligerait de m'apprendre com- ment la fameuse théorie de la lance d'Achille, qui guérit les blessures qu'elle fait, s'applique à la question de la liberté illi- mitée de l'empoisonnement public. Mais je ne demande pas pourquoi la loi civilisée, qui condamne à la peine de mort le criminel maladroit qui n'a empoisonné qu'un seul individu. n'a pas de châtiment du tout pour celui qui en a empoisonné plusieurs. Je m'en tiens à cet égard aux termes de la célèbre métaphore de la toile d'araignée, qui n'arrête que les petits empoisonneurs et laisse passer les gros. J'ai de plus, pour m'engager à garder sur ce point le silence, l'exemple de l'insuc- cès des tentatives d'Alphonse Karr, lequel a appliqué cent fois peut-être le législateur de sa patrie à la même question, sans pouvoir en tirer un seul bout de réponse. Après cela, il est juste de convenir que la question est très-embarrassante. De sorte donc que c'en serait bientôt fait de la malheureuse espèce des civilisés, espèce rabougrie, abrutie et livrée chaque jour, comme sujet d'expérience, aux praticiens du libre com- SEKHJPKOKS. -263 nierce du poison, si Die», (iiii ne veut pas la mort mais la simple conversion des sociétés lymbiques, n'envoyait à point li leur aide un sauveur imprévu. Ce sauveur, chacun sait son nom, sa naissance, son emblème, puisque c'est son histoire même que je viens de raconter dans les lignes qui précèdent. La loi du mouvement social veut, en elTet, que l'apogée de l'anarchie commerciale coïncide avec la période d'envahisse- ment de la féodalité financière, minotaure dévorant qui doit accaparer les trois fonctions de l'activité sociale, y compris la boutique et le débit au détail, foyers de pestilence et d'empoi- sonnement. La féodalité financière a, comme le Vautour, son bon et son mauvais côté. Je l'ai montrée surgissant des embarras pécuniaires des États obérés, et débutant sur la scène politique par l'accaparement du monopole des emprunts nationaux. Une fois nantie de l'hypothè- que privilégiée sur le plus pur des revenus de tous les empires, elle procède à la conquête de la Banque, des canaux et des che- mins de fer, qui lui assurent le monopole des bénéfices du fret et des transports. Puis, elle fusionne et solidarise les banques et les chemins de fer dans le sein du même État, en attendant qu'elle fusionne en uu unique faisceau toutes les banques et toutes les voies de communication de tous les États européens, banques de France, d'Angleterre, de Vienne et de Hambourg, chemins de fer français, autrichiens, etc. L'histoire que je ra- conte est celle du temps présent, et de même que j'avais an- noncé, il y a dix ans, ce qui se réalise de nos jours, je puis an- noncer aujourd'hui en toute certitude ce qui se fera dans dix ans; à moins de révolutions nouvelles. Dans dix ans, la féoda- lité financière, qui n'a encore accaparé à l'heure qu'il est, que les principaux leviers de la fonction distributive, aura organisé dans toutes les grandes cités européennes d'immenses magasins, d'immenses bazars de vente où se débiteront à, prix loyal tous 264 ORNITHOLOGIE l>x\SS10NNELLE. les divers produits de l'industrie manufacturière et du sol, et il n'y aura plus qu'un marchand là où il y en a vingt, et la bou- tique, incapable de soutenir la concurrence du bon marché et des gros capitaux, disparaîtra peu à peu de la place et les capitales feront peau neuve. Car la disparition de la boutique entraînera naturellement une révolution architectonique radicale dont le besoin se faisait généralement sentir. Voilà pourquoi je conseille vivement aux jeunes architectes désireux de se faire un nom, d'abandonner au plus vite les erre- ments du passé, pour se lancer à corps perdu dans l'étude des plans de la cité nouvelle, qui ne comportera plus que d'immen- ses squares, pourvus d'eaux jaillissantes, de verdure et de fleurs, avec des cafés monstres, des magasins d'étoflés et de nouveautés monstres, des restaurants babyloniens, des expositions perma- nentes de tableaux, de statues, etc., et plus de ces rues noires et infectes qui déshonorent encore à cette heure les grandes capitales ; plus de ces échoppes malsaines où se triturent et se débitent les poudres de succession et les philtres circéens qui métamorphosent l'homme en brute. Puisque l'architecture est l'expression la plus vraie de la société, il faudra bien que celle du jour fasse raconter à la pierre les faits contemporains et qu'elle se marque de l'empreinte du pouvoir dominant. Or, la féodalité d'argent qui tend au Garantisme par l'association simpliste des capitaux, imprime fatalement le cachet d'unité à tous ses monuments, palais de Banque, palais de Bourse, entrepôts communaux, docks, gares de chemins de fer, hôtels de Ri- voli et magasins du Louvre, et même il est facile de voir que chaque construction de l'ordre nouveau fait tomber en montant un pan de l'ordre ancien. Notons bien au surplus, que la trans- formation radicale et universelle que j'ai l'air de prophétiser est déjà au tiers accomplie, et que le char de la féodalité financière est un train de grande vitesse dirigé par les plus habiles gens du SKHHlPEl>t:S. 26o monde... Habiles mi^me n'est pas assez dire, et ma conscience m'oblige d'ajouter à cette épithète celles d'utilissimes. Il est essentiel, en eflet, de ne pas perdre de vue le dualisme ca- ractéristique du mouvement de la féodalité financière. Tant pour le mal, tant pour le bien. La féodalité d'argent, en s'emparant du monopole des banques, du crédit mobilier, foncier, maritime, etc. mine insensiblement l'usure, allège l'exploitation du producteur, garantit la sécurité des transactions commerciales. Par la créa- tion des chemins de fer, elle abrège les distances pour le pauvre comme pour le riche, et garantit le voyageur et la marchandise contre les exactions des transporteurs. Par la fusion de tous les intérêts, par l'accaparement de toutes les forces vives des Ktats, elle porte un coup mortel à la guerre et à la douane et garantit pour une époque déterminée la conclusion de la paix univer- selle, etc. Elle se fait peut-être payer de ses services un peu cher; elle absorbe peut-être une certaine quantité de millions dont elle pourrait se priver sans se nuire; d'accord, et ce n'est pas moi qui veux la défendre du reproche d'avidité, après tout ce" que j'ai dit contre elle; mais enfin elle crée, elle fait son service avec exactitude , elle n'empoisonne pas ; et puis ce doit être un métier si abrutissant que de travailler du matin au soir à gagner des espèces, qu'il faut bien avoir de l'indulgence pour les pauvres d'esprit qui n'ont pas le moyen de s'amuser à autre chose. Mais brisons sur ce chef. On désirait connaître la mission utilitaire de la féodalité du coffre-fort, je l'ai dite; ses titres à la reconnaissance de l'huma- nité, les voilà ; et encore de ces titres ai-je passé le meilleur. Car aussitôt que tous les monopoles ci-dessus, et cent autres que je n'ai pas spécifiés, auront été organisés; aussitôt que les difficultés de premier établissement auront été surmontées, que la perception des revenus marchera comme sur des roulettes, un homme d'État, un novateur audacieux, dans le genre deFran- 266 ORiMTIlOLOGŒ PASSIONNELLE. klin ou de Sieyès, se lèvera pour poser cette question au peuple : « Lequel vaut le mieux pour nous tous, producteurs et con- sommateurs, du monopole des compagnies fermières qui s'exerce au profit de quelques-uns ou de celui de l'État qui s'exerce au profit de tous ? » Or, tout me porte à croire que la question ainsi posée sera promptement résolue. Et nunc erudhnini (/ni judicafis torram... Et maintenant ins- truisez-vous, vous qui réglementez la terre... Architectes, livrez- nous vivement les plans de la cité garantiste... Économistes poli- tiques et empoisonneurs patentés, laissez faire, laissez passer la justice de l'analogie passionnelle ! ! DEUXIÈME GROUPE. Nocturnes. Deux genres. Huit espèces. Caractères généraux. Tous les oiseaux de nuit sont très- laids, comme l'a remarqué Lafontaine, rccltignés, un air triste, une voix de mégère^ de petits monstres fort hideux. La Bécasse, l'Engoulevent et le Butor, qui ne sont pas des Rapaces, ne brillent pas non plus par le charme de la physionomie. Le plumage de tous les amis des té- nèbres a généralement pour tonique la nuance roux cendré ou roux sombre, fond d'uniforme obscur sur lequel se détachent diverses bigarrures plus ou moins élégantes, barrures transver- sales, stries, étoiles. Il n'y a d'exception à la règle quasi-uni- verselle qu'en faveur des rares habitants de? régions polaires où si;i{i{ii'i:inis -nu la couleur de tous les manteaux de bètes cherche naturellement use confondre 'avec celle du sol que recouvre une neige éternelle. Les Rapaces nocturnes se distinguent des diurnes par dix caractères tranchés dont chacun fournirait au besoin à la série maudite une dénomination acceptable. C'est-à-dire qu'il y a entre les deux races la même différence à peu près qu'entre le jour et la nuit. Et d'abord, indépendamment de la disparité absolue de la couleur du manteau et de la physionomie, il y a la disparité de la forme du bec et des pieds, lesquels n'ont pas été coulés dans les mêmes moules que ceux que nous avons observés jusqu'ici. Le bec des Rapaces nocturnes présente, en effet, un caractère tout spécial, étant formé de deux pièces de rapport également mobiles, caractère séparatif essentiel et qui ne se retrouve plus que chez les Perroquets dans tout le monde des oiseaux. Les Rapaces nocturnes sont pour cette cause les seuls oiseaux de proie qui aient la propriété d'imiter le jeu des castagnettes par le cliquetis de leurs mandibules. Rien de plus facile, par consé- quent, que de tirer une dénomination pittoresque, soit grecque, soit latine, de ce caractère exceptionnel ; quelque chose comme Crumaft rostre... Les serres sont gantées de duvet jusqu'à la racine des ongles : Plumiserres . Dasyserres. . . Enfin, ces serres ne sont plus régulières comme celles du Fau- con et de l'Aigle qui portent trois doigts à l'avant pour faire oppo- sition au pouce, dont l'ongle est généralement plus fort que tous les autres. Elles sont divisées par couples, comme le pied des Grimpeurs. Toutefois le doigt externe, qui se replie le plus sou- vent vers l'arrière, est doué d'une réversibilité si parfaite qu'il peut se porter également vers l'avant ou bien garder la position intermédiaire, suivant l'exigence des cas. Pour cette cause, les Rapaces nocturnes devraient prendre dans une classification 268 ORNITHOLOGIE PASSIOPsNKLLK. pédiforme le nom de Jugiserres, lequel entraînerait celui de Ju- gimanes pour l'ordre des Perroquets, dont la main est taillée sur le même modèle que celle des Hiboux et des Pics. Rappelez- vous que les Perroquets sont les homologues des quadrumanes (Singes) qui composent l'ordre le plus élevé du règne des mam- mifères. Donc, trois dénominations parfaitement distinctes pour désigner les trois ordres d'oiseaux chez lesquels les doigts du pied sont attelés par paires : Pieds non préhenseurs iy\cs),Jugi- pèdes ; préhenseurs armés (Hiboux), Jugiserres; préhenseurs non armés, Jugimanes. Heureuses les nomenclatures si elles ne possédaient que de semblables noms, expressifs, rationnels, fa- ciles à retenir. Mais la liste de ces noms n'est pas finie encore. Tous les Rapaces nocturnes ont une tête énorme qui fait corps avec la poitrine et tourne sur pivot comme un miroir à Alouette. Le cou absent est remplacé par un pas de vis. Tous les moules de la série abusent de cette facilité de locomotion cervicale pour se mettre la face dans le dos et pour exécuter des grimaces ou des contorsions rétrospectives, à l'effet grotesque desquelles l'excentricité de leur masque prête admirablement. Leur vol à tous est sourd, leurs ailes silencieuses; leur voix, houloulement sinistre, semble un appel de la mort. Tous ont pour habitude de trancher la tête à leurs proies, Levrauts ou Moineaux francs, avant de les dévorer... Tous sont atteints de cannibalisme, la plus honteuse et la plus dégradante de toutes les maladies. La femelle mange le mâle, les petits mangent leur père. La tribu des Rapaces nocturnes est l'exécration et l'horreur de tous les oiseaux de jour, voire de l'homme. La matière est- elle assez riche en éléments de classification et de nomenclature ? Enfin la nature elle-même s'était donné la peine de distribuer la série en deux groupes d'à peu près égale force, mettant aux SERRiPÈDES. 269 espèces de l'un des cornes sur la tête, privant de cet ornement celles de l'autre. D'où la division toute simple en nocturnes cornus et nocturnes à tète rase. Or, admirez le parti merveilleux que les maîtres de la science ont tiré de tous ces moyens. Ils ont trouvé trois noms pour distinguer les Nocturnes des Diurnes, et pour les distinguer d'eux-mêmes; trois noms : Duc Hibou, Chouette. Le premier rappelle une sottise antique, et c'est le seul avantage, hélas ! qu'il possède sur les autres. Personne ne s'est permis, du reste, la moindre allusion à la face cornue, à l'amour des tcnébres, à la monomanie de la décolation et de l'autophagie, etc., à la forme du pied encore moins. Toutefois, comme il y avait nécessité absolue de tenir compte des caractè- res séparatifs tracés par la nature, ces messieurs sont convenus que Dut., qui vient du latin dux, signifiant général d'armée, voudrait dire en langage ornithologique officiel Rapacc noc- turne à aigrettes^ absolument comme Hibou, qui ne vient de rien du tout et n'a jamais voulu rien dire, et que Chouette désigne- rait le reste. J'accepte, puisque j'y suis forcé, le langage de la science ; mais je déclare l'enseignement de la zoologie impossi- ble avec ce vocabulaire-là. Si, pour me venger des tyrans je leur posais une question insidieuse... Si je les mettais tous au défi de me dire pourquoi la nature a omis de nuancer la transition entre les Rapaces de jour et ceux de nuit, qui sont des espèces du même ordre, tandis qu'elle a ménagé au contraire avec une délicatesse infinie la transition des Rapaces aux Perroquets, rpti appartiennent à des ordres diffé- rents ? On sait en effet qu'il existe dans la Nouvelle-Zélande une sorte de Perroquet nocturne à serres et à bec de Hibou, qu'ils appellent le Strygops, et qui remplit si admirablement son of- fice d'ambigu entre les deux ordres voisins, que la science en est oncofp à savoir on la mettre. 270 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Premier genre : Noclurncs cornus ou à aigreKes, quatre espèces : Grand-Duc, Mon en-Duc, Petit-Duc, Braclijole. Le Ghakd-dlc, l'oiseau de nuit. — l'iisfame. Le Glaive a bu bien du sang, l'Usure bien des sueurs, mais Fa Superstition religieuse, qu'en France nous appelons \ Infâme, a bu à elle seule plus de sueur et de sang que le glaive et l'usure ; car l'infâme, qui fabrique des dieux pour exploiter les hom- mes, ne se contente pas de voler et d'égorger pour son compte, elle est encore de moitié dans toutes les rapines, dans toutes les scélératesses d'autrui. Elle recèle les larcins et donne des con- seils, quand elle ne peut faire mieux. C'est elle qui proclame l'épée sainte, qui pousse le soldat et le bourreau au meurtre et leur crie sans cesse : tue, tue, tue, jiar la voix des Samuel, des Mahomet, des Innocent III ou des (luises. Frappez, ne craignez rien, qu'on n'épargne personne. C'est Dieu, c'est Médicis, c'est le roi ([ui l'ordonne. Qu'on n'épargne personne! C'est là le point capital, le post- scriptum obligé de toute recommandation adressée aux séides. Le Dieu des juifs ayant ordonné à Saiil, par la voix du grand- prêtre Samuel, d'externiiner tous les Amalécites, et Saiil ayant commis l'imprudence d'épargner le roi Agag, qui était un homme très- gras et qui ne voulait pas mourir. Dieu le punit de sa désobéissance en lui retirant son trône, sa raison et la vie. Instruits par cet exemple, les logiciens inflexibles de l'ortho- SEUKlFtUES. 271 doxie ultraniontaine ont toujours coosidéré le bûcher comme le seul spécitique à employer conlre l'hérésie protestante, et cer- tains journaux religieux affirment tous les jours que la loi ca- tholique n'a péri que pour avoir été trop molle à l'endroit de Luther. C'est la Superstition sanguinaire qui fait se ruer les nations les unes sur les autres, la Tartario sur l'Europe, l'Europe sur l'Asie; qui change les entants d'un même peuple en ennemis implacables, arme l'épouse contre l'époux, le lils contre le père; qui fait crever sur les empires les cataractes de sang, voue tous les cœurs où elle s'est logée à la haine et toutes les contrées ou elle règne à la stérilité. C'est elle qui a l'ait de l'Asie mineure, de la Grèce, de l'E- gypte, de litalie et de l'Irlande ce qu'elles sont. Elle qui a fait périr sous la dent des dogues espagnols et sous le fouet de leurs maîtres le million d'indigènes qui peuplait Haiti. Elle qui dicta au pieux roi Philippe II cette courte réponse : Tous au gibet ! à son lieutenant qui le consultait sur les mesures à prendre vis-à- vis de ses prisonniers. Ce mystilicateur célèbre, qui a nom Jo- seph de Maistre et qui a fait un gros livre pour se moquer de son temps et pour déifier le bourreau, avait coutume de dire que l'antiquité grecque et romaine n'offrait rien de comparable à cette phrase sous le rapport du laconisme et du sublime. Hélas! voici bientôt trois siècles que l'Espagne fanatique expie par ses misères et par sa décadence le laconisme sublime du pieux roi Philippe IL Non moins habile à aiguiser les ongles de Chaïlock que le tranchant de la hache homicide, le fanatisme religieux s'allie dans tous pays à la cupidité... l'alimente, l'allume. Avide d'or et de puissance comme de sang humain, l'Infâme a imaginé pour accaparer le métal jaune des procédés impossibles. Elle a trouvé moyen de faire payer les trépassés dans leurs tombes, en conti- 272 ORNITHOLOGIE PASSlONNELLIil. nuant de percevoir sur les générations vivantes le tribut imposé par la peur aux générations enferrées. Ce diable au pied four- chu, ces légions de farfadets de tout poil, de tout corsage, qu'elle a créés pour tourmenter les morts et rançonner les vi- vants, ont amené dans ses coffres des trésors fabuleux. Les en- fants de Juda, qui se connaissent en spéculations audacieuses et qui prêtent des chameaux et des crocodiles empaillés à la petite semaine, s'inclinent avec respect devant les entrepreneurs de momeries religieuses qui ont mis la propriété de l'autre monde en actions et réussi à placer leurs valeurs avec primes. Il est cer- tain que l'institution du miracle et la vente des indulgences ont été dans leurs temps d'admirables idées financières, et que 1 art de guérir, qui a fait tant de progrès dans l'âge moderne, au dire de la quatrième page des journaux, n'a pas encore trouvé mieux que le procédé de guérison radicale du rhumatisme par le simple contact d'un os de bienheureux. Il y eut autrefois tel évêque de la vallée du Rhin, tel autre des bords heureux du Tage à qui la peur du diable rapportait en moyenne cent mille écus par an. Et la richesse d'autrefois des évoques catholiques n'était que débine et misère en regard de la richesse d'aujourd'hui des évè- ques anglicans. Le Glaive, l'Usure et la Superstition sont les trois personnes de la trinité démoniaque, qui pèse sur la poitrine des jeunes humanités et comprime leur croissance. L'histoire du tourbillon solaire ne mentionne pas de planète qui ait mis autant de siècles que la nôtre à secouer ce cauchemar. La Superstition, qui est la révolte insensée de l'homme contre Dieu et contre la Nature, sa manifestation matérielle, est une sorte de manie furieuse qui emprunte à toutes les maladies de l'esprit et du corps leurs plus effrayants caractères. Elle est in- curable et contagieuse comme la rage, épidémique comme le choléra et le typhus, héréditaire comme la phthisie.Son influence SERRIPÈDES. 273 désastreuse sévit sur tous les règnes. Elle dessèche les fruits sur leur tige, suspend le cours de la sève dans les canaux des plan- tes, stérilise les plus beaux lieux du monde; et en même temps qu'elle fait entrer en décomposition les consciences, elle sème partout dans les airs les poisons de la malaria. Elle est née, comme le miracle, de la peur de la mort. Or, de même que l'horreur des liquides, disons l'hydrophobie, est le symptôme le plus caractéristique de la rage, ainsi l'hor- reur de la lumière ou la photophobie est le symplùme le plus constant du n;al alTreux que nous analysons ici. Il est d'obser- vation générale, en efl'et, que les malheureux atteints de vertige fanatique ont les yeux en dessous, adorent les lieux obscurs, portent des vêtements sombres et se coiiïent volontiers d'une sorte d'éteignoir. Ils mangent du philosophe et du maître d'é- cole. La chair d'un hérétique rôti en place publique, et large- ment épicée de tortures, leur est particulièrement savoureuse. Faire cuire cet hérétique s'appelle, en leur jargon barbare, faire un acte de foi (auto-da-fe) ; ce qui est cause qu'il m'a toujours été très-diiïicile, ainsi qu'à beaucoup d'autres, de bien comprendre l'alliance de cette Foi avec la Charité, qui nous prescrit d'aimer notre prochain comme nous-mème, mais non de le faire cuire. Après çà, si c'est pour son bien... Le vertige superstitieux est incomparablement plus dangereux que la rage, d'abord parce qu'il ne tue pas les gens qui en sont attaqués, et ensuite et surtout parce que le fanatique qui a goûté une fois de la chair d'hérétique n'en veut plus tàter d'autre. On a vu l'épée soûle de sang et lasse de frapper, le fanatisme jamais ! Certaines âmes pieuses ne peuvent se con- soler du départ du chevalet, des tenailles et des autres instru- ments de la charité orthodoxe. Mais la superstition ne subsiste que du bon plaisir des téuè- 271 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. bres. Les ennemis de la nature et du soleil sont trop poltrons pour attaquer ces puissances en plein jour, et les spectres sont trop laids pour sortir de leurs cachettes à l'heure où l'on pour- rait les voir. La Nuit, la froide Nuit, qui voile les regards du brave et peuple de fantômes l'imagination du peureux; la Nuit, (jui favorise tout mystère de son ombre, la Nuit, complice née des sanglants sacrifices, de l'imposture et de l'assassinat, était le seul champ d'action qui convînt à l'înfàme. C'est celui qu'elle a adopté. Cette option significative, rapprochée de la coilTure de Moïse et de l'acte de foi du bonhomme Samuel qui coupa A gag en morceaux, parce que l'opération répugnait à Saûl, facilile sin- gulièrement la tâche de l'analogiste. îl fallait, pour symboliser l'Infâme dans le monde des oiseaux, un moule plus sanguinaire que l'Aigle, plus repoussant d'aspect que le Vautour, un égorgeur de nuit (la circonstance de nuit est aggravante dans toute législation criminelle), un scélérat à deux fins qui tint également de la Larve et du Yarapire, qui fût propre à l'apparition comme à l'assassinat. Un seul type répon- dait à cette indication composée : l'oiseau de proie nocturne ou Voiseau de la mort, comme le peuple l'appelle. Hideux de traits et de physionomie, de langage et de mœurs, l'oiseau d€ nuit est, en effet, une de ces créations abominables dans lesquelles l'auteur de la nature s'est plu à réunir les élé- ments de la laideur suprême. L'oiseau de nuit a été doué, comme le serpent, l'araignée, le crapaud et la chauve-souris, du don de répulsion instinctive. Il fait une exception remarquable à cette loi générale dont l'observation avait fait dire que le règne des Oiseaux avait été créé dans un jour de gaieté. SERRIPÉDES. "ITri Aucun autre visage de volatile ne se rapproche plus du visage humain que celui du Hibou; mais cette ressemblance de portrai- ture est loin de lui avoir réussi comme au lion qui en a su tirer d'admirables effets de majesté olympienne. L'oiseau de nuit a même trouvé moyen d'emprunter à la chatte ses yeux et ses oreilles, et de s'en composer un masque de carnaval affreux. Les Allemands ont dans leurs comédies populaires un person- nage astucieux qu'ils nomment If eulenspiegel , mot à mot mi- roir (lehUiDH^ et dont nous avons fait espiègle. Le petit bonhomme Th..., qui eut tant de gouvernements tués sous lui, et qui se faisait, suivant les circonstances, mangeur de jésuites ou cagot, était un ministre espiègle dans toute la force de l'expression, au physique ainsi qu'au moral ; car la nature l'avait doué tout exprès pour ce rôle d'une physionomie de chat-huant que le crayon de la caricature avait parfaitement saisie. Cette ressemblance de physionomie avec l'être pivotai de la création, que Dieu n'a pu attribuera l'oiseau de nuit sans de puissants motifs, vient au Hibou de son attitude verticale, de l'ampleur de sa poitrine, du volume prodigieux d'une tète pres- que privée de cou et enfouie dans les épaules, de la grandeur et de l'étrange disposition de ses deux yeux, percés dans le même plan rectiligue et qui sont forcés de regarder droit devant eux comme ceux de l'homme. Ces caractères anormaux, qui suffi- raient amplement encore pour assigner une place àpartà la série des oiseaux de proie nocturnes dans l'ordre des volatiles, ne sont pas cependant les seuls signes dont la nature l'ait marquée. Elle a voulu, en effet, que la séparation entre l'oiseau de jour et l'oi- seau de nuit fût tranchée, hostile, antipodique. Néanmoins, dans l'esprit de justice distributive qui préside généralement à ses actes, elle s'est montrée prodigue de consolations et de faveurs envers la série disgraciée. Après l'Anglais, qui a reçu la femme blonde et le génie industriel en indemnité de la privation du 270 ORMTilOl.OGIE PASSI0NM':M,[;. soleil, le Hibou est certainement le moins à j)laindrc de tous les condamnés aux ténèbres. Et d'abord, l'étrange privilège qu'a cette tète monstrueuse de tourner sur elle-même avec une aisance sans égale, procure à l'oiseau myope la faculté d'embrasser de ses regards tout l'es- pace, et de tourner sa lace vers l'arrière sans bouger le reste du corps. J'ai dit que la mauvaise bète abusait de ce don naturel pour prendre des airs grotesques et des attitudes impossibles. La déclaration d'amour d'un Grand Duc à sa fiancée est une des plus risibles scènes de grimacerie qui se passe sous le ciel. Ces yeux de chat, d'une dimension exagérée, qu'offense l'éclat du jour, ne doivent leur susceptibilité douloureuse qu'à l'exquise perfection de leur organisation, qui leur permet de colliger et de réunir en faisceaux les moindres atomes de lumière qui flottent dans le sein de l'Erèbe. Et ces yeux délicats sont garnis d'une double paupière clignotante en manière de garde-vue. La pupille, en se rétrécissant, ne prend pas la forme lenticulaire comme celle du chat et du renard ; elle conserve sa rondeur. Deux oreilles immenses et douées d'une mobilité surprenante suppléent en tant que de besoin à la faiblesse de la rétine. Le bec, tran- chant, crochu et recourbé dès l'origine, est à moitié caché par une double palissade d'épis de plumes courtes, frisées et dis- posées en rosaces, dont les circonférences se relèvent et se croi- sent pour lui servir de niche et en faire une sorte de nez. Le corps, épais, trapu, robuste, est couvert des pieds à la tète d'une ample et riche douillette de soie, d'étoffe brune, élégamment striée et mouchetée d'étoiles sombres. Des bras courts etmuscu- Icux, ensevelis dans le duvet de la robe et garnis de peluche jaune, des mains odieusement armées et gantées jusqu à la nais- sance des ongles, complètent cette tenue confortable. La dispo- sition circulaire des doigts donne à la grille acérée du rapacc la puissance de l'étau pour se cramponner ou saisir. On sait que SERRIPEDES. 277 cette disposition spéciale, qui indique la transition entre les per- roquets et les oiseaux de proie, est due à la mobilité du doigt externe qui peut à volonté se retourner en arrière ou se reporter en avant. Le vol tournoyant du Grand-Duc est si doux que l'air ne semble pas même se déplacer sous le sourd frôlement de ses ailes, larges et silencieuses comme celles que l'imagination prête à l'oiseau de la mort. Ces ailes, bien qu'arrondies, sont taillées sur un bon modèle. La troisième et la quatrième rémige sont d'égale longueur. Retenons fidèlement dans la mémoire des yeux cbacun de ces détails, pour comprendre la portée du récit qui va suivre : A l'heure où le soleil fuyant sous l'hori/on ne dispute plus que faiblement les champs de l'air à l'envahissement des ténèbres, où les urnes des fleurs versent à plus larges flots leurs parfums pénétrants, où la Grive jaseusc laisse choir sa dernière phrase de la cime aiguë du merisier.... un hôlement formidable et qui semble s'arracher avec efl"ort d'une poitrine humaine, retentit tout à coup dans la solitude des forêts. Rappelez vos esprits, ce n'est pas la réclame de détresse de quelque imprudent qui se noie, de quelque malheureux qu'on égorge, c'est le chant d'al- légresse du Grand-Duc, le coryphée en titre des oiseaux de la mort. C'est la première strophe de son Ode à la Nuit, c'est l'ouver- ture de la marche funèbre du jour, avec une Invitation au Car- nage, adressée du haut des airs à tous les assassins nocturnes, quadrupèdes et biptTles. Entendez la réponse du loup, les plain- tifs vagissements de l'hyène et les miaulements du chacal, les sourds grondements du tigre, du lion, de la panthère. Le signal du meurtre est donné, le roncert infernal commence; avant une heure ou deux les cris déchirants des victimes vous raconteront •i7S OHMTIIOI/JGIE PASSIONNELLE. les phases de l'orgie sanguinaire. Je voudrais m'appeler Hector Berlioz pour écrire sur ce thème une superi)e symphonie, ou Ja sérénade de rfimoureux, les chants du rossignol et le lever du soleil feraient un délicieux contraste de nuances avec la cou- leur sombre du motif principal. Je crois, en eiïet, le moment venu de remettre à sa place la nuit, la douce nuit propice aux turpitudes, et de réhabiliter le soleil trop noirci par les myopes. A cette voix si connue qui déchaîne la tuerie sur les bois et les plaines et fait prendre leur volée aux innombrables essaims des farfadets nocturnes, tous les oiseaux de jour se blottissent en tremblant sous la feuillée épaisse, les forts comme les faibles, les braves comme les timides, car nul n'est à l'abri du poignard de l'ennemi commun. La Huppe s'évanouit de frayeur ; le Rouge-Gorge impétueux se raisonne, le Rossignol interrompt subitement sa cadence amoureuse ; le Merle vigilant sonne le dernier coup de la retraite pour aviser du péril les flâneurs attardés ; le Faucon généreux frémit de rage et s'emporte en imprécations comme Ajax contre l'obscurité qui le cloue à son perchoir et l'empêche de châtier le provocateur insolent... Le Lièvre, qui bondit par les blés, s'arrête comme foudroyé sur place, et se rase immobile sous la coulée herbue. Le chasseur !c plus intrépide et le moins accessible aux lâches suggestions des ténèbres ne peut dissinmler un rapide frisson. Jamais terreur universelle ne fut mieux motivée, du reste; car le Grand-Duc est, après l'Aigle, le plus fort et le mieux armé de tous les oiseaux de carnage, et ses coups sont plus sûrs, l)arce qu'il frappe dans l'ombre et (]ue son vol muet le porte sur sa proie sans lui donner l'éveil. Le lièvre à l'ouïe subtile sent les ongles de l'ogre s'incruster dans ses chairs, avant même d'avoir soupçonné sa présence. Le plus vile, le plus courageux de tous les oiseaux de combat, le vice- roi des airs pendant le jour, le Faucon à la vue perçante. si:!;ii!i'!:iii;s. -nu loiiihe inaniiiR' sous le poignard de l'assassin, avant d'avoir eu le temps de se mettre en défense. Ainsi fut la lière Bradamante, crème et ifeur de chevalerie, traîtreusement occise par le perlide Maycnrais. Donc le Grand-Duc est le dominateur absolu des airs pen- dant la nuit ; et comme il acclame sa venue par un cri d'allé- gresse, il insulte par une malédiction à la clarté naissante de l'Aurore qui clôt sa dictature. Il se hasarde néanmoins quelquefois à chasser durant le jour, au printemps, par exemple, quand la faim de ses petits lui crie dans les entrailles. C'est le destructeur le plus acharné du Lièvre, de la Perdrix et de tout le menu gibier. Son morceau de prédilection, vers les rives de l'Ohio et du Mississipi, est la Dinde sauvage, qui pèse moyennement de 5 à 1 0 kilogrammes, et qu'il garrotte et trans^ porte au loin malgré ce poids énorme. Les Dindes domestiques elles-mêmes, qui juchent dans l'intérieur des fermes, ne sont pas à l'abri des coups de main du larron. Un ménage de Grands- Ducs, un peu chargé de famille, est le meilleur auxiliaire qu'un propriétaire de lapins, embarrassé de ses richesses, puisse em- ployer pour éclaircir la population de sa garenne. Si j'étais ({uelque chose dans le conseil municipal de la Seine, mon pre- mier soin, après avoir aboli le rat de cave, serait de porter un coup terrible à celui de Montfaucon en naturalisant le Grand- Duc dans ces parages odieux. L'apprivoisement du Grand-Duc n'est pas chose difficile. Tous ces gros mangeurs, hommes ou bêtes, sont volontiers à qui veut leur bourrer la panse. Le Grand-Duc, si redoutable dans l'agression, ne lest pas moins dans la défense. Les ongles rétractiles dont ses doigts sont armés font des blessures aussi terrii)lcs que la dent du renard et la grifie du chat sauvage, ils se rejoignent à travers les chairs à l'aide d'une puissance incroyable de contraction musculaire, •jso ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. et percent les guêtres de cuir et les empeignes les plus résistantes du soulier du chasseur. Il est besoin de deux ou trois Faucons, et de Faucons de la plus grande espèce, pour lier cet oiseau dans les airs, et ce vol est une des scènes les plus curieuses du drame émouvant de la fauconnerie. L'oiseau chassé, au lieu de fuir en ligne droite, multiplie les ascensions et les culbutes, ne s'occupant qu'à regagner le dessus sur ses adversaires, et à leur grimper sur la croupe. Blessé d'un coup de feu dans la membrure et forcé de s'abattre, il imite le stratagème du blaireau assailli par de nombreux ennemis et décidé à vendre très-chè- rement sa vie. Il se renverse sur le dos, attend les chiens, la serre ouverte et haute, et exécute avec son bec une sorte de moulinet à quatre faces qui protège tout son corps. Tous ces mouvements étranges sont accompagnés de roulements d'yeux féroces et de la musique des castagnettes dont j'ai parlé plus haut. Pour prouver la supériorité de cette garde, il me suflira de dire que j'ai vu plus d'une fois le chien d'arrêt le plus impé- tueux se calmer spontanément à l'aspect des préparatifs de dé- fense du Grand-Duc, et opiner pour les mesures de clémence, contre son habitude. Le Graud-Duc n'ayant pour ainsi dire d'autre ennemi que l'homme, sa race se serait accrue d'une façon désastreuse, n'eus- sent été les traces de carnage qu'il laisse autour de lui. Les débris de cadavres dont il a soin de tapisser les 'abords de son aire tra- hissent bientôt, en effet, le secret de sa retraite. Il a commis, d'ail- leurs une seconde imprudence en faisant chaque soir ouïr son cri lugubre du haut de la roche qu'il habite. Le braconnier, qui le déteste par jalousie de métier, et le chercheur de nids, qui le sait de bonne prise, renseignés par ces divers indices, ont belle à le massacrer et à le surprendre de jour au sein de sa famille. Le Grand-Duc est devenu excessivement rare en France, ce dont je me félicite. On ne l'y rencontre plus guère que dans les si-:Hiun:!)i:s. -isi grandes forêts de l'Est, Alpes, Jura, Vosges, Cùtc-d'Or, ou bien encore dans quelques contrées maritimes cmaillces de falaises, comme la vieille Armori(|uc. C'est d'ailleurs un oiseau de pas- sage, et que pour cette raison on peut trouver partout vers cer- taines époques. Son nom de Grand-Duc lui vient d'une erreur des anciens qui avaient rêvé que les cailles opéraient leurs migrations semes- trielles sous la conduite, de ce chef 'Du.v, ducis, commandant d'armég. Les modernes n'ont eu garde de se départir en cette circonstance de leur méthode habituelle de constater leur res- pect pour l'Antiquité, en acceptant ses contes. Ils ont donné un corps de réalité à la fable en l'incarnant dans un nom propre, nom absurde et barbare (|u'il importe de changer. Le Grand-Duc et ses congénères, tapis durant le jour au fond des cavités les plus obscures, y passent de longues heures à cu- ver leurs orgies et à méditer de nouveaux crimes. Obligés de se cacher comme les meurtriers pour se soustraire aux justes ré- pétitions de la vindicte sociale, leur haine pour la volatilité s'é- chauffe de la solitude et de l'antipathie universelle qu'ils .-avent avoir méritée. Aussi la vésicule du fiel atteint-elle des propor- tions monstrueuses chez cette race de maudits ! Le Grand-Duc est remblèmc de la Théocratie, qui règne par la Terreur superstitieuse, comme l'Aristocratie par le Glaive, la Ploutocratie par l'Usure. Son véritable nom était, en Judée, le Prince des Prêtres. Les moules humains dans lesquels il aime à se personnifier sont, après celui-ci, le Grand Inquisiteur et le Grand Justicier. L'allégorie des détails précédemment exposés est si claire, qu'il semble presque inutile d'insister sur les rap- prochements. Ainsi, personne qui n'ait compris par l'énormité des dimen- sions du liel chez le Grand-Duc, l'ùprcté et la vitalité des haines dont les âmes dévotes sont rongées. Tant de fiel cnfre-t-il... J82 (MI.MTIIOI.MGIK P.\SS1«».NM:!,!,1;. rcrsoiiuc (jui n'ait reconnu dans les deux vastes cornets acous- tiques de l'oiseau, les deux modes de délation qui s'appellent la délation politique et la délation religieuse, et qui rapportent heure par heure, aux chefs de la superstition, les secrets de la conspiration avec ceux de l'alcùvc. A l'instar du bec formi- dable et des serres tranchantes de l'oiseau de nuit, la délation frappe dans l'ombre, et la calomnie assassine, familière au Saiût- Ofiice, porte des coups mortels qui ne se parent pas. Les petits, dans cette espèce, mangent leur père, à l'imitation des enfants des hérétiques des Cévcrines. qui vendaient leurs auteurs y)0ur hériter plus vite de leurs biens (1). (1) lu procureur du roi de l'Avovroii nomrissaif un (JranfJ-Duc, il y a douze at)s de cela. Des f;ens de la campagne lui apportent^dcux jeunes oisil- lons de l'espèce, couverts encore de leur premier duvet. Le magistrat confie à tout hasafd l'éduc ation de cette jeunesse à son pensionnaire, qui ('■lait un mâle et qui s'ac(iuitta des devoirs de sa charge avec un zèle tout mater- nel et digne d'un meilleur sort, car le premier essai que firent de leurs forces les deux jeunes élèves parvenus à l'adolescence, fut d'occire pendant son sommeil leur père nourricier, de lui tranclierla tète et de le dévofer. Après quoi le plus fort des deux, la femelle, tua son frère et le mangea comme elle avait fait de son père. Alors le magistrat, effrajé de tant de j)erversilé dans un l'igc aussi tendre, et ne pouvant jilus désormais supporter la vue de la créature scélérate, s'en délit eu faveur d'un savant de ses amis qui liabitait Toulouse et qui était précisément en (jnéte d'une épouse [lotir un jeune mâle (]il'il avait élevé. Le mariage eut lieu sous les plus favorables auspices; mais riiabilude du cannilialisme est une seconde nature et il n'y avail guère il espérer que celle qui avail déluilé dans la vie par le parricide et le fratri- cide, recuIAl devant le conjugicide.Eii effet, l'infàmc assassine saisit avec ardeur la première occasion qui s'offrit de secliarger la conscience d'un nou- veau crime et d'un nouveau cadavre. L'histoire ajoute qu'elle ne jouit pas longtemps du fruit de ses forfaits, et qu'elle mourut peu de jours après son dernier attentat, non de remords, mais d'un ho>au de veau trop long qu'elle ne i)ul avaler. /-.'/'<' ahnnU tnip le veau, c'est ce qui l'a lucc. SKItIllPKI>i:S. is:! On sait (|iir si le i|;rand roi Louis \IV eut la faiblesse de si- i;ner le décret qui attribuait aux enfants convertis la fortune de leurs pères demeurés hérétiques, il ne (it (jue suivre en cela l'exemple à lui donné par la reine Elisabeth et le protecteur Cromwell, qui avaient compris les intérêts de la foi protestante, comme le grand roi comprit depuis ceux de la foi catholique. E sempre bene. De même que les enfants du Grand-Duc man£;ent leur père, ainsi l'épouse mange son époux, (pii est plus petit qu'elle, pour dire que la femme, qui est plus accessible que l'homme à la peur de l'enfer, ruine son ménage et sa famille par ses donations pieuses. Un des grands torts des ordres religieux de France et des marchands d'indulgences de Rome fut aussi, dans le temps, de faire de leurs richesses un trop fastueux étalage. Cette faute, qui les a tués parce (juc cette opulence scandaleuse était en contradiction manifeste avec le vœu de pauvreté (jue le Christ imposa à ses apôtres, tuera également, tôt ou tard, les évèques anglicans, imprudence du Grand- Duc, qui ne cache pas assez ses meurtres et ses rapines. Enfin, les croyants aux miracles commencent à devenir rares sur la terre de France, presque aussi rares que les Grands-Ducs, et vous ne les rencontrez plus guère que dans quehjues diocèses arriérés de Franche-Comte, de Dauphine ou de Bretagne, et la police correctionnelle, perdue par la lecture des é(;rits de Voltaire, en est venue à interdire aux madones peintes de tourner de l'œil dans leurs cadres, et aux plaies de Jésus de saigner. De par le roi (lélciise ii Dieu De l'aire miracle en ce lieu. •IS'i ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. Les robes soyeuses de l'espèce, ses mains gantées jusqu'aux ongles symbolisent l'amour du bien-être matériel et des vête- ments de luxe qui caractérise l'homme pieux. Un saint homme de Duc^ bien fourré, gros et gras^ aurait dit Lafontaine, s'il eût su que, de tous les Rapaces, ceux de nuit étaient les seuls qui prissent de l'embonpoint. Les contorsions des derviches-tourneurs et autres entrepre- neurs de momeries religieuses expliquent le secret des poses extravagantes et des grimaces risibles des Chouettes et des Hi- boux. L'homme pieux, ennemi du progrès, tient volontiers aussi ses regards tournés vers l'arrière, à l'instar du Grand-Duc. Il y a superstition et superstition, du reste, comme il y a oiseaux de nuit cornus et oiseaux de nuit sans aigrette. Si toutes les impostures religieuses se tiennent par le fond, elles varient quant à la forme ; de là, diversité d'emblèmes et d'espèces dans la série des Rapaces nocturnes. Le prince des oiseaux de la mort, le Grand-Duc, que nous venons de décrire, symbolise spécialement la superstition moï- siaque, celle qui a le plus puissamment contribué à prolonger la minorité intellectuelle de notre infortunée planète; celle qui fit crucifier par les princes des prêtres le Messie de la religion d'amour; celle qui règne aujourd'hui par la bourse et l'usure sur le monde civilisé. Moïse, en volant au Grand-Duc sa double aigrette pour s'en parer le chef, a singulièrement abrégé la tâche de l'analogiste. Qui ne reconnaît à priori dans cette coiffure sinistre la tendance à la domination absolue de la terre pendant la durée des ténèbres ! Moïse, c'est en ellet la théocratie ellcmême incarnée dans un homme. Aucun législateur n'a su, comme celui-là, faire tenir un État dans une religion, et emprisonner l'àmc humaine dans le cercle de peur. L'i premier acte de Moïse est une profession de foi vch'^mcntc slki{1i>l:i»[:s. • 28:» en laveur de l'obscuranlisme. Il lait condamner Â.dam à la peine de mort, pour le punir d'avoir touché à l'arbre de la science et rejette lâchement sur la femme la responsabilité de l'acte soi- disant criminel. Il témoigne en toutes circonstances de mauvais vouloir contre le soleil, source de lumière, le faisant tourner autour de la Terre comme un misérable satellit% Josué, son successeur le décroche et l'arrête av,ec un sans gène révoltant, et sous un prétexte in- * soutenable, pour achever, je crois, une tuerie d'Amalécites ou de Gabaonites. Moïse est le législateur de la contrainte et l'en- nemi du libre examen. Des écrivains superficiels et naïfs, qui ont imaginé de concilier on ne sait trop comment la religion de fraternité et d'amour et la religion de l'isolement et de la haine, m'accusent quelquefois d'injustice systématique à l'égard de l'Ancien-Testamcnt. Je leur réponds pour la vingtième fois, que ce n'est pas moi (pii ai fait l'histoire, et que ce n'est pas de ma faute, mais bien de celle de la logique et de l'analogie, si je suis contraint de remonter jus- qu'aux livres des Juges, des Rois et de Moïse, pour découvrir la source des trois quarts de nos folies et de nos crimes. Et par exemple, je leur demande : qui a inventé le procédé de la fournaise ardente comme spécifique infaillible contre l'hérésie, sinon Moïse, qui fit s'ouvrir sous les pas des murmurateurs un abîme de feu qui les dévora tous? Funeste précédent, helas! dont l'Inquisition et le Diable s'autorisèrent plus tard pour faire cuire à petit feu tant d'innocentes victimes ! Je demande en- core qui a écrit dans l'Exode, sinon Moïse : OEil pour œil, dent pour dent? Qui coupa le roi Ayag en morceaux, sinon le grand-prètre Samuel? Ils vont dire aussi que je plaisante, quand je reproche au lé- gislateur des Hébreux sa coiffure à l'oiseau de nuit. Comme s'ils ne savaient pas de quelle vogue immense jouit ce genre de coif- •2S(; ■ ORMiliOI.OGlI- PASSIONNELLE. lïire parmi toutes les peuplades sauvages éparses sur le glohe, et notamment parmi les tribus friandes de chair humaine, peaux rouges d'Amérique, peaux jaunes de Malaisie, peaux noires d'Océanie ou d'Afrique! Comme si le plus vorace et le plus sanguinaire de tous les Aigles, l' Aigle-Harpie des bords de l'Amazone, ne portait pas aussi sur le sommet du front la double aigrette des Ducs. Moïsc»avait le droit d'ignorer ces détails et beaucoup d'autres avec, puisque de son vivant l'Amé- rique n'était pas encore découverte, et que c'était même le Soleil qui dans ce temps-là tournait après la Terre : mais on aura de la peine à me convaincre qu'un homme politi- que de cette taille se soit mis sans 'raison des cornes sur la tête. Moïse était, de plus, sorcier et très-fort dans son art, ainsi qu'il le fit voir aux magiciens du roi d'Egypte, qu'il battit à plates coutures en une épreuve solennelle. Or, nous tenons de source historique que jamais sorcière ni sorcier de Judée, ni de Thessalie, ni d'ailleurs, ne procéda à une évocation ou aune incantation quelconque sans l'assistance obligée d'une demi- douzaine de Hiboux, Alors il serait bien étrange que le plus habile et le plus heureux de tous les sorciers de l'histoire n'eût pas eu accointance avec ce gibier- là. L'ombre du prophète Samuel, qu'évoqua la pythonised'Endor pour faire du chagrin à Saiil, avait le front cornu. Or, ce Sa- muel fut, après Moïse, de l'avis unanime des sages, la plus forte tète théocratique de Sion. Mais il y a malheureusement un argument plus puissant que tous ceux-là, un argument cruel et sans réplique, pour démon- trer la parenté des principes politiques et religieux du Grand- Duc et de l'enfant d'israél. On sait l'antipathie invincible et mortelle qu'inspire l'oiseau do nuit à tous les oiseaux de jour... SF.RRll KijKS. i>s7 Or, riiistoirc de l'hunianite ne cite (lu'iin seul peuple (pii ait joui du triste j)rivilége d'inspirer les mûmes sentiments ii tous les nobles peuples, païens, musulmans ou chrétiens; mais je tairai son nom par générosité. Ainsi le point de contact sériaire entre le Vautour et le (Irand-Duc, que nul n'avait soupçonne jusqu'à ce jour, est trouvé. La superstition moïsiaque n'est pas la seule qui ait réussi à pervertir rentendemeut humain, qu'il est si urgent de refaire. Klle a fait des petits. Après le Grand- Duc, le AJoycn-Duc ; après le Moyen, le Petit. LeMoven-Dlc. Conimundans tous les pays boisésde France, a été considéré très-longtemps comme le bouc émissaire des ini- ((uités de son espèce, et la béte noire des oiseaux de jour. Olivier de Serre et une foule d'auteurs après lui ont affirmé quec'étaitle cri du Moyen-Duc que le pipeur imitait pour attirer sur ses gluaux l'irritable gent emplumee. On a ajouté que l'espèce du Moyen- Duc était celle dont la présence enflammait le plus vivement la cx)lère de ses nombreux ennemis. L'assertion n'est pas tout a fait mensongère. Le Moyen-Duc n'est pas en odeur de sainteté auprès du llouge-Gorge ni de la Grive. So^i aspect ne réveille pas de tendres sympathies chez les Mésanges, et sa voix, de loin entendue, n'appelle pas à la paix les hôtes ailés du bocage. J'estime néanmoins qu'il serait plus équitable d'attribuer à la Hulotte le don de répulsion universelle et suprême dévolu au Moyen-Duc par Olivier de Serre. La Hulotte est une espèce voisine du Moyen-Duc par la taille, mais ^ont le chef n'est pas décoré d'une double aigrette. La Hulotte a la physionomie des Chouettes proprement dites, c'est-à-dire une physionomie encore moins attrayante que celle des Ducs. Son plumage est plus sombre aussi, et elle a plus peur que Le Moyen-Duc de la lumière du 288 ORNITHOLOGIE PASSIONM' I.l.K. jour. Sa taille est moins svelte, et sa voix, que j'ai comparée mille fois avec celle de ses congénères, m'a i)arii être celle qui met le plus promptcment en émoi la foret. C'est bien celle-là, j'en suis sur, que les pipeurs de Lorraine s'exercent à repro • duire au moyen de la feuille de chiendent velu ou de Técorcc d'érable insérée dans la Touite. La Hulotte est, selon moi, le vrai type du Chat-Huant populaire, et il est très-probable que c'est à cette espèce qu'a été appliquée, pour la première fois, cette appellation naturelle devenue générique pour tous les oi- seaux de proie nocturnes, par suite de la confusion des langues. J'ai deux raisons majeures pour m'avancer ainsi : la première est que la Hulotte et l'oiseau vulgairement désigné sous le nom de Chat-Huant ou de Hibou ne sont, malgré la différence de couleur et de taille qui existe entre les deux moules, que des individus mâle et femelle d'une seule et môme espèce; la se- conde, que la Hulotte est plus généralement répandue que le Moyen-Duc, habitant tous les pays où se trouvent de vieilles églises, de vieilles masures ou de vieux arbres, tandis que l'existence des Moyens-Ducs semble plus spécialement attachée auxforèts. Les accents de la Hulotte et ceux du Moyen-Duc ne dif- fèrent guère plus, du reste, que leur genre de nourriture et leurs mœurs. Tous deux restent chez nous pendant l'hiver; tous deux vivent des mulots qu'ils guettent dans les campagnes ou des petits oiseaux qu'ils surprennent endormis. Étrangers, comme tous les oiseaux de nuit, aux travaux de la bâtisse, ils pondent sans scrupule dans de vieux nids de Cieai, de Pie ou de Corbeau; défenseurs acharnés de la famille et de la propriété en ce qui les concerne, mais pleins d'irrévérence pour les droits de la fa- mille et de la propriété d'autrui. La Hulotte et le Moyen-Duc ont coutume de choisir les carrefours et les clairières des forêts sombres pour théâtres de leurs maléfices. Cette habitude, qui leur est comnume avec tous les sorciers de bas aloi et les devins .M:iiUll'Kl)i:S. 2S9 (le village, dit leur analogie. Tous ces hurleurs de nuit symbo- lisent surtout ces ordres de frères prêcheurs qui se livraient avec succès à la vente des onguents bénis et à la fabrique des petits miracles pour la campagne, avant la révolution. Les Chouans de la Bretagne et les Peaux.-llougcs de l'Amérique imitent le cri du Moyen-Duc à s'y méprendre, et l'emploient avantageusement comme procédé de téléphonie nocturne dans leurs guerres d'em- buscade. On entend quelquefois dans les romans de Cooper et dans les récits dramatiques de nos guerres vendéennes de ces houloulements de Hibou qui vous font venir la chair de poule. Le Petit-Dlc. Le Petit-Duc, qui n'est guère plus gros qu'un Merle, est un oiseau de passage qui nous arrive en mai pour nous quitter en septembre. Il niche dans les troncs d'arbre et stationne dans les branchages toulTus des peupliers, des ormes et des tilleuls qui bordent les grandes routes. C'est lui qui fait entendre le soir, aux environs des bourgs, cette note mélancolique qu'on serait tenté de prendre pour celle du Crapaud. Le Petit-Duc vit des rogatons de la table des riches et consomme plus d'insectes que de Mulots et de Moineaux-Francs. 11 symbolise les ordres men- diants ; il a énormément perdu à la suppression des couvents après 89, et semble ne pouvoir se consoler de ce désastre. Le H[bou Brachyote. Il n'est pas de chasseur de plaine qui n'ait souvent rencontré dans les luzernes, les bruyères et les vi- gnes, vers l'arrière- saison, de ces grands Chats- Huants jaunes qui volent souvent par couples, partent sans bruit sous le nez du chien et vont se poser par terre à cinquante pas plus loin quand on les a manques, ce qui est assez rare vu qu'ils tombent de peur. Il y a des années où ces Chats-Huants sont si communs, surtout dans les pays de plaine, comme l'Artois, la Beauce, la Champagne qu'il est facile à unchasseur d'en as.sassinerunGdouzainc dans la •i«jn OUMTllOLOGIE PASSlO.N.Mil.i.E. môine journée. Ccsindividus appartiennent à une espèce originaire du Nord et que les savants désignent sous la dénomination de Hibou Brachyote (Hibou à oreilles courtes). La plupart sont na- tifs des contrées les plus septentrionales de l'Europe, d'où ils ont l'habitude d'émigrer tous les ans à l'automne à la suite des Leniniings, Mulots des Alpes Scandinaves qui descendent vers ce temps en épais bataillons du haut de leurs montagnes pour chercher un tombeau sur les grèves de la Baltique. Ces bandes de Rats voyageurs entraînent après eux non-seulement des oi- seaux, mais encore des Renards. Quand cette campagne aux Mulots norwégiens est terminée, il arrive tout naturellement que le Hibou du Nord, qui a pris goût à la curée, traverse le détroit du Sund pour s'attacher à la poursuite des Mulots da- nois, puis à celle des hanovriens, des prussiens, et finalement à, celle des Mulots français, lesquels sont tourmentés, en ce temps-là, du besoin de déplacement comme tous les Mulots du monde. Ainsi la passion de la chasse et l'amour des voyages nous amènent cet hôte qui se fixe quelquefois dans nos contrées pendant plusieurs années de suite, et niche alors dans nos marais, à terre. Ce Chat-Huant se distingue de tous ses con- génères par la blancheur et la tendreté de sa chair, et par son embompoint scandaleux. Il doit être mangeable. Ainsi l'ana- logie passionnelle vient corroborer d'un exemple saisissant le témoignage permanent de l'histoire. Le Rat est l'emblème du barbare... Les beaux jours de la superstition coïncident avec la phase de pleine Barbarie, caractérisée par le débordement des Mulots... Détruisez la lîarbarie par la diiVusiou des lumières (progrès agronomiques), vous portez un coup mortel à la puissance de la superstition en lui coupant les vivres. SERRIPÈDES. 2«)l Sous-genre Chouede, Quatre espèces. Le sous-genre des Rapaces nocturnes sans aigrettes, ou des Chouettes, comprend quatre espèces : la Hulotte, la Chevêche, la ChevtSchette, l'Effraie. J'ai dit plus haut l'histoire de la Hulotte, au paragraphe du Moyen-Duc. Je n'y reviens que pour conseiller aux chasseurs et aux gardes de procéder avec zèle à la destruction de cette es- pèce qui fait une consommation prodigieuse de jeunes Levrauts et déjeunes Lapereaux. La Chevêche. La Chevêche est un vilain oiseau, voisin du Petit-Duc par le plumage et la taille, qui niche dans les trous des arbres, dans les carrières abandonnées, et aussi sur la plate-forme des têtards ou arbres étètcs qui bordent tous les champs dans nos provinces de l'Ouest et du Centre. Elle a, comme le Grand-Duc, la funeste coutume de trahir le secret de sa demeure par la répé- tition de ses clameurs fatigantes, dont l'effet le plus habituel est d'appeler sur sa famille la colère des passants. De cette criaillerie importune de la Chevêche est né un dicton qui a cours dans cer- tains pays de la France : Crier comme une Chevêche (Chouette, Chavoche). La Chevêche se nourrit de chair crue, comme tous ses parents. Les forêts de sapins du Midi, du Jura et des Vosges servent d'asile à laChevêchette, oiseau criard, aussi désagréable, mais moins fort que le précédent. Quand la mendicité religieuse disparaîtra du sol, la Chevêche et la Chevêdiette s'en iront avec elle. 292 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. L'Effraie. Reste à décrire le plus hideux de tous les égor- geurs nocturnes, le moule qui se prête le mieux à l'incarnation de l'hypocrisie sanguinaire, l'EITraie ou la Fresaie, la Chouette blanche des clochers, le véritable oiseau de mort dont la voix sibilante jette l'eiïroi au cœur des enfants et fait se signer les vieilles femmes. L'Efl'raie ne hôle pas, à la façon des Hulottes, des Grands-Ducs, des Hommes, ni des Chacals; elle grince, elle stride. Les an- ciens l'appelaient striœ, et avaient inventé le vaoistridor pour ex- primer son cri. Son larynx est une exécrable crécelle qui cherche à combiner les notes principales du sifflement des reptiles et du râle des agonisants. Elle habite les églises et les cloîtres en rui- nes, et dans ces tristes demeures elle recherche de préférence le voisinage des cloches. On dit qu'elle bat des ailes dans le creux de sa niche, quand tinte le glas funèbre, et qu'elle suit mentale- ment l'office des trépassés. On ajoute qu'elle reconnaît à de mystérieux caractères tracés par une main invisible les mai- sons où la mort s'est choisi une proie, et que sa première visite, en s'élançant de son clocher chaque soir est pour elles. Son odorat serait si fin qu'elle pressentirait le cadavre des semaines et des mois à l'avance, sous les joues les plus roses et les teints les plus satinés. Le peuple superstitieux du Midi l'appelle Bé- lolli et l'accuse de boire les saintes huiles. N'accordez jamais que demi-foi à ces contes absurdes, enfants des folles terreurs et des cerveaux malades calcinés par la dévotion. Cequi est vrai, c'est que la Chouette des églises, douée de ja hi- deur suprême, porte en môme temps pi us loin qu'aucun autre oiseau de nuit l'horreur de la lumière, et que si on la surprend de jour au fond de la retraite de pierre ou de feuillage où elle se tient immobile, elle aime mieux se laisser assommer surplace quede risquer une évasion- à travers les rayons du soleil. Et néan- moins, malgré cet amour fanatique de l'obscurité qui la rend se- SERRIPÈDES. 5!)3 dentaire et l'accoquine aux églises, l'Effraie est un des oiseaux voyageurs qui exécutent sur ce globe les plus longues traversées. L'espèce en est en effet incomparablement plus répandue qu'aucune autre, et on la retrouve dans toutes les Iles, et dans tous les con- tinents du monde, sous toutes les latitudes... Bien que l'Effraie ait adopté de tout temps pour séjour de pré- dilection les villes à cathédrales, elle n'est pas ennemie des égli- ses de village et se retire volontiers dans les troncs vermoulus des noyers et des saules qui bordent le champ des morts. Les ar- bres aux ténébreux feuillages, les ifs et les cyprès qui croissent au voisinage des tombes, ont pour elle un charme puissant. Elle vit dans nos cités, des Chauves-Souris qui hantent les mêmes vieux édifices qu'elle, des Moineaux-Francs et des Hiron- delles, qui dorment à la belle étoile. Elle pénétre dans les co- lombiers où elle fait main basse sur les Pigeonneaux ; elle étouffe les petits oiseaux à travers les barreaux de leur cage. Quand toutes ces ressources lui font faute, elle se rabat sur les Mulots des champs ; mais elle préfère, et de beaucoup, le gibier-plume au gibier-poil. Il suffit que l'Effraie ait séjourné quelques heures dans le co- lombier le plus prospère pour que presque aussitôt la désertion et le vide s'y produisent. Alors le propriétaire se désole et accuse son voisin d'avoir jeté un sort à ses Pigeons. Ce n'est pas le voi- sin, mais l'Effraie qui a le mauvais œil. La robe de l'Effraie est faite d'une précieuse étofTe de soie de couleur blanche, constellée d'étoiles jaunes. Son vol silencieux échappe complètement à l'ouïe, comme son corps de fantôme à l'œil ; indice analogique de personnages puissants et habiles à dissimuler la trace de leurs pas. L'obscurantisme effréné de ce moule odieux, son horreur du soleil et sa passion des cloches, par dessus tout son cosmopoli- tisme ambitieux qui le fait se trouver en même temps partout. iU ORNlTHOLOGIIi: l'ASSlONPsELLE. il Montroiigc comme à Rome, en Cliinc comme au Paraguay, le désignent assez clairement pour l'emblème de cette Compagnie célèbre, connue dans l'univers et dans mille autres lieux pour son hostilité acharnée au progrès des lumières; Société non moins redoutable à la puissance des rois qu'aux libertés des peuples, aspirant à la domination universelle de ce globe pour l'emplir de ténèbres, et travaillant sans relâche dans l'ombre à cadavériser les àmcs et les corps; Société en comman- dite pour l'exploitation du miracle et de l'imbécillité humaine sur la plus vaste échelle; Société qui confère à ses princi- paux actionnaires le don d'ubiquité, et dont la plus méritante et la plus fructueuse industrie consiste à baptiser tous les ans une demi-douzaine d'enfants trouvés en Chine, et à envoyer en retour pareil nombre de pauvres diables d'Europe se faire mettre à la broche dans ces lointains parages pour la plus grande gloire de Dieu! Je laisse à dire si la calomnie s'est fait faute de s'exercer à l'endroit des révérends Pères, et si la malignité masculine les a plus épargnés que la médisance féminine la Chouette des clo- chers. L'espèce humaine, hélas! est la même partout, surtout quand elle a peur; il faut toujours qu'elle fasse le diable plus noir qu'il n'est. Heureusement que les plus iniques accusateurs de la sainte Compagnie ne sont pas chez nous, mais en Chine. On sait, en effet, quel mobile pieux et charitable poussa de tout temps les bons Pères vers les terres du Céleste Empire, le désir de gagner des âmes au ciel et rien de plus. Or il faut voir de quelle façon étrange les magots de ce pays ont travesti ce dévouement si pur. D'abord, comme on chercherait vainemoiit parmi les trois cent cinquante millions d'indigènes qui j)euplent cet empire, un seul individu assez dévoué aux intérêts du dieu Fù pour faire quatre mille lieues de mer à seule lin de convertir un cluélien idolâtre SEniUi'iiDi'S. 29;; au culte d'icclui, il résulta de cette niécréaace native que pas un d'eux n'admit que des missionnaires d'Europe, que des hommes sensés pussent venir d'aussi loin en Chine rien que pour sauver des âmes. Puis, comme il l'allait bien donner une cause quel- conque à ce déplacement, les lettrés du pays l'expliquèrent en disant que les hommes noirs d'Europe étaient les agents d'une société commerciale qui faisait la traite des jaunes pour les besoins alimentaires des barbares d'Occident. Version absurdis- sime et dont la fausseté a été démontrée depuis, mais qui n'en était pas moins de nature à produire une vive impression sur l'imagination d'un peuple farci de préjugés stupidcs à l'égard de tous les rtrangcrs, et qui, depuis des siècles, vivait dans la croyance que les barbares ci-dessus (nous autres) en étaient restés pour la cuisine aux pratiques élémentaires des Ogres et des Cyclopes. Tant et si bien que l'orgueil national à la fin s'en mêla et fit accréditer cette opinion fâcheuse que de tous les rôtis de chair humaine en vogue dans l'Occident, le plus haut en sa- veur, le plus exquis et le plus recherché des connaisseurs était cehii des jeunes Chinois de l'un et de l'autre sexe;... voire qu'il était d'usage à la cour des Rois de France, de tenir constam- ment à l'épinette, pour les besoins de la bouche royale, certain nombre de ceux-ci. La tendre sollicitude des Pères de la Foi pour les petits enfants s'expliquait naturellement dans ce sys- tème; ce qui dispense d'aller chercher ailleurs les raisons du mépris profond que le Chinois affecte pour les nations de l'Eu- rope, et de sa répulsion invincible à traiter avec elles. Bravez donc les tempêtes, bravez donc le martyre, le fouet, le gril, le pal, pour qu'on vous juge ainsi ! Il est juste maintenant de reconnaître que l'opinion publique de la Chine s'est légèrement moililiée en ce qui nous concerne depuis quelques années, depuis surtout (pic les canons dey Hottes anglaises ont ouvert au commerce de roi)ium les portes 296 OI^MTIÎOLOCÎE PASSIONM' LLt:. de rp]mpirc du Milieu. Je vois une preuve de ce retour salutaire des esprits à une .plus sage appréciation de nos usages culi- naires, dans la publication toute récente d'un écrit rédige par un mandarin à bouton de saphir, lequel non-seulement n'hé- site pas à s'inscrire en faux contre les préjugés de ses compa- triotes, qui persistent à considérer la France comme un pays peuplé d'anthropophages, mais rétablit hautement la vérité des faits. « Le but secret des missions européennes est enfin découvert, écrit ce lettré estimable. Les petits Chinois que les révérends Pères expédient tous les ans en France n'y servent pas à con- fectionner des rôtis de première classe, mais bien des étoffes de soie d'une qualité supérieure, dans une ville nommée Lyon. Les seuls chinois que l'on consomme dans cette partie du monde sont des fruits à l'eau-de-vie. » Ainsi la vérité finit par se faire jour à travers les ragots, la distance et le temps. Ce qu'on vient de lire est la biographie complète de tous les oiseaux de proie nocturnes qui infestent la France et lieux cir- convoisins. Une triste conclusion s'échappe de la pensée du lec- teur à la lin de cette histoire véridique. C'est que le meilleur de tous ces oiseaux ne vaut rien, quand môme il détruirait beau- coup de rats. Cependant un fâcheux de savant m'arrête pour m'empô- chcr de Unir, et m'engage malicieusement à tâcher de m'en- tendre avec les analogistes de la mythologie païenne qui honoraient le Hibou comme un emblème de sagesse, et qui l'avaient placé auprès de la déesse Minerve en qualité d'oiseau de compagnie. Je réponds à mon fâcheux, sans le moindre embarras, que l'antiquité grecque a commis là une bourde, mais que ce fait n'a SI'RRIPEDES. -297 rien d'otraoge, vu que les analogistes grecs ont trois ou quatre mille ans de moins que ceux du temps présent, lesquels ont pu apprendre dans cet intervalle de trente à quarante siècles beau- coup de choses que leurs devanciers ignoraient. J'accueille avec égard l'opinion des anciens en matière de zoologie passionnelle, mais je l'accepte rarement comme une autorité. D'abord, parce (jue les Grecs étaient trop jeunes pour connaître à fond l'àme humaine, et ensuite parce qu'ils étaient très-crédules, et que les vieux qui sont dominés par la ruse ont abusé de la crédulité de ce peuple pour lui faire accroire que la sagesse était le fruit des cheveux blancs. Or, les Hiboux qui craignent le mouvement et détestent la lumière, s'etant toujours rangés du cùté des immobilistes et des myopes, les vieux qui étaient déjà les maîtres en ce temps-là, leur décernèrent d'emblée un brevet de sagesse. D'un autre côté, l'esprit égare, et les Grecs en avaient beau- coup. Alors, considérant que l'existence du Hibou s'absorbe dans une espèce de contemplation solitaire, qu'il a l'air d'étudier pendant que tous les autres s'amusent, et que lui seul y voit à se conduire dans les ténèbres... ils furent naturellement tentés d'assigner à ce moule une analogie triomphante. Hs comparè- rent ce veilleur infatigable à l'homme pieux qui passe sa vie dans les temples, absorbé par la recherche des lois de l'absolu; au savant qui suit le cours des astres à travers l'obscurité des nuits et distingue clairement la voie des destinées heureuses à travers le chaos de l'universelle ignorance. La haine des oiseaux de jour pour l'oiseau de nuit s'expliquait dans ce système par le mépris que font les riches oisifs de l'homme de mérite obscur et par le ridicule dont le grand monde couvre le philoso])he mal mis. Certes, s'il eût possédé tous ces titres à l'estime de l'opinion publique, le Hibou eût mérité la place de rocliance qu'il occu- ■l'JS OHMTllnLCMill': l'ASSlO.N.NEI.l.K. pait aiid-elois aui)rôs de la déesse Minerve, et je ne m'insuri^e- rais pas, comme je fais en ce moment contre l'usurpation, ,1e vais plus loin dans mon impartialité et dans ma justice, et j'accorde volontiers que les prôtres de Brama, de Citeaux et de Memphis ont quelquefois utilisé par de vaillantes études le droit de fai- néantise que leur conférait la constitution sociale, comme j'ac- corde que les oiseaux de nuit ont rendu plus d'un service à l'homme en protégeant ses moissons contre le débordement des mulots. Mais cette concession légitime et qui ne me coûte guère, ne peut pas m'empècher de démontrer que l'analogie qui a conféré au Hibou rcm])loi d'honneur dont il fut autrefois revêtu, est fautive, et fautive de tout point, toute spécieuse et toute jolie (lu'clle est. En premier lieu, le Hibou n'a jamais travaillé, pas même à se bâtir un domicile, ce qui est la moindre des choses, et il a tou- jours trouvé plus commode de pondre dans le nid d'autrui. H a bien l'air de s'enfermer pour étudier dans les cavités de vieux arbres et dans des trous de murailles; mais il n'étudie rien du tout, il dort; ce en quoi il ne ressemble pas mal à ces fainéants qui s'enferment aussi volontiers dans les temples, soi- disant pour prier, mais au fond pour digérer et pour dormir. Et au lieu de pousser de la voix et des ailes au triomphe de la science, le Hibou et les siens n'ont jamais fait que susciter aux savants et aux philosophes tablatures et tortures, martyres et persécutions. Et les oiseaux de nuit ne ressemblent en rien aux vrais ouvriers du grand œuvre qui dînent maigrement dans de pauvres habits, attendu que les manteaux qu'ils portent sont manteaux de velours, de duvet ou d'hermine, et que leurs repas nocturnes sont régals de chanoine. Quant à la faculté incontes- table de percer du regard l'obscurité des ténèbres, le Hibou n'en a jamais usé, à ma connaissance, que pour égarer les voyageurs f'I |)our assassiner ses victimes. Peste soit du précieux don ! SKKHIPEDKS. 2af| .Alais, Dieu merci! l'opinion publique est bien laite aujourdhui sur les mérites de la fourbe séquelle. Ici se termine le Monde des Oiseaux de France, qui ne possède pas un seul représentant du grand ordre des Psittaciens ou des Perroquets, que j'appelle l'ordre des Jugimanes, c'est-à-dire des espèces pourvues de mains prenantes non armées et attelées par paires. J'ai dit que le Perroquet était l'homologue du Singe qui occupe la place correspondante à la sienne dans l'ordre des Mammifères. Le Perroquet se détache de la Carnivorie, comme le Singe, pour passer à la Frugivorie, qui est dominance de l'appétit humain, dominance malheureusement faussée par la misère des temps actuels, mais qui reparaîtra un jour et fera considérer nos repas de chair d'aujourd'hui comme des festins de cannibales. Le Perroquet semble né pour la captivité comme le Singe, tant il s'en accommode gracieusement. Il est doué au plus haut degré, comme le Singe, de la faculté d'imiter l'homme dans .son langage et dans ses gestes; il lui ressemble de même par les traits de la physionomie. Il se sert de son bec pour grim- per, comme le Sapajou de sa queue. Le Perroquet est l'emblème du sophiste bavard qui parle sans savoir... Le Perroquet, emblème du sophiste ! L'Oiseau de nuit, sym- bole de l'ennemi des lumières ! ... Celui-ci qui proteste à haute voix contre la venue du jour et défend sous peine de mort de toucher aux fruits de l'arbre de science... Celui-là qui publie des millions de volumes pour troubler la cervelle aux gens et prolonger indéfiniment la durée des limbes sociales... J)evine-t-on maintenant le mot de l'énigme perlidc que je proposais naguère, et pourquoi Dieu devait unir, par des liens 300 OUMTHOLOGIE PASSIONNELLE. de parenté si étroits, deux races si bien faites pour s'estimer et se comprendre, et qui ont travaillé jusqu'à ce jour avec tant de zèle et d'accord à la perversion de rcutendcmcnt hu- main î ! ! C'est l'Oiseau de nuit qui cloue Prométhéc sur le Caucase. C'est le Vautour qui lui ronge le foie. Commence-t-on à comprendre les mystères de la classilication passionnelle! L'auteur, sur la de mande de quelques amis imprudents, a cru devoir adjoindre à ce volume les quelques fragments d'ornitho- logie passionnelle qui suivent et qui avaient été publiés précé- demment dans la Presse et la Démocratie pacifique. LE PELICA>. L'homme ayant été créé pour vivre de poisson aussi bien que de chair, la nature hii devait une série d'auxiliaires de pèche, aussi bien qu'une série d'auxiliaires de chasse. Lui ayant donné le Chien et le Faucon pour l'aider à se rendre maître de l'oiseau et du quadrupède, elle était tenue de lui octroyer la Loutre, le Cormoran et le Pélican, pour lui assurer la conquête du poisson et la jouissance absolue du domaine des eaux. La nature a rempli religieusement son devoir, mais l'homme, enfant gâté, a négligé ses dons. Peut-être n'y a-t-il aujourd'hui que le Chinois, peuple en dehors de l'humanité, qui emploie au service de la pêche la Loutre, le Cormoran et le Pélican, et qui n'ait pas laissé périr en ses mains ces pièces précieuses de notre mobilier animal. La série des oiseaux destinés à remplir cet ollice important d'auxiliaires de pêche de l'homme est marquée de caractères séparatifs tellement tranchés qu'il n'y a pas moyen de la con- 302 OILM'liKtLOC.lE PASSlU.N.NEl.LK. l'undrc avec les séries voisines. Elle ne renferme que qualrc groupes dans toute la nature : le Pélican, le Cormoran, le Fou et l'Anhinga (oiseau-serpent) (!c Madagascar. Les trois premiers ont des représentants distingués en Europe, voire en France. On sait que cette série se distingue des autres par l'armature des pieds, qui sont réunis j)ar trois membranes au lieu de deux. Il n'est pas nécessaire d'être versé dans la connaissance de Fart nautique, comme un canotier parisien, pour comprendre la supé- riorité de marche sous -marine que doit assurer à cette classe de plongeurs un semblable système de voilure. Le Cormoran et le Pélican évoluent entre deux eaux avec la même aisance que l'Hirondelle et le Faucon entre deux airs. Le Cormoran et le Pélican volent entre deux eaux l'aile ou- verte. Si je n'ai pas fait de cette propriété singulière le caractère de la série, c'est que beaucoup d'espèces qui n'ont pas trois membranes aux pieds, les Harles, les Plongeons et les Pingouins, par exemple, jouissent du même privilège. On sait qu'il y a des Pingouins qui ne se servent jamais de leurs ailes qu'en guise de nageoires. La puissance des moyens d'action d'une espèce dépendant toujours de l'importance des relations que cette espèce est des- tinée à avoir avec l'homme, il va sans dire que la série des Pcli- caniens, que j'ai appelés Pollicirèmes, a été douée par Dieu de facultés supérieures. La nature, en eflet, ne se contredit pas dans ses œuvres et fait même volontiers bonne mesure à l'homme. Nous allons donc avoir à répéter, à propos des membres de cette série fameuse, la plupart des observations que nous avions déjà faites à l'occasion des moules si favorisés du Chien, du Cheval, du Faucon. Et d'abord les principaux types de la série possèdent une en- vergure exagérée et une puissance proportionnelle de vol. Chez LE PÉLICAN. 30o le Pélican et le Fou les rémiges sont si longues qu'elles sont obligées de s'entrecroiser au-dessus de la queue; les ailes sont taillées à la façon de celles des plus fameux rameurs, pour piquer dans le vent. Les os, les plumes et les muscles des Pélicans sont évidés avec tant d'art, sont si largement ballonnés de cellules à air que le corps de l'oiseau, malgré la grosseur de son volume, finit par acquérir la légèreté de l'aérostat. Le s(|uelette d'un Pélican ne pèse pas deux livres ; l'oiseau vivant en pèse 25 et plus; les os sont transparents comme les tuyaux de plume. On me dirait que ces bêtes-là se couchent dans l'air pour dormir que je le croirais naïvement. Leur bec est un autre chef-d'œuvre de structure mécanique ; mais comme la conformation de cet organe diiïère dans les trois espèces, je ferme ici l'exposition des caractères généraux de la série pour arriver à l'analyse détaillée des caractères spéciaux. Le bec du Pélican vaut seul un long poëme. Le Pélican est le plus gros de tous les oiseaux d'eau de l'Eu- rope et d'ailleurs. Il dépasse le Cygne en hauteur et en volume, et je crois que l'Albatros, vulgairement nommé Mouton du Cap, est le seul palmipède que le Pélican ne soulèverait pas facile- ment au bout d'une balançoire. Il est difficile à l'homme bien portant de contenir son hilarité à la première vue de ce moule grotesque que la nature créa évidemment dans un accès de gaieté folle. Comme si leur bec immense, creusé en rigole et sous-tendu d'un ballon, ne suffisait pas pour donner à leur phy- sionomie un caractère assez hétéroclite, il y a de ces Pélicans, indigènes de l'Australie, qui joignent à leur masque bouffon l'accessoire d'une perruque frisée et d'une paire de lunettes. Où diable la mascarade va-t-elle se nicher 1 Il est plus que probable que le Pélican du Danube et de la Crimée, qui habite un climat tempéré semblable à celui de la France, et qui vit parfaitement en état de domesticité, obtiendrait iir. 2r) 300 OUMTliOLOGlE ^ASS10^'^■EI.LE. au jardin des Plantes de Paris une popularité légitime, s'il y était plus connu. 11 est visible, néanmoins, même à travers ce risible aperçu, que Dieu a dû avoir de grandes vues sur ce moule colossal. Ce n'est pas pour qu'il loge son poisson dans son ventre qu'on donne un carnier de pèche à un oiseau pécheur. Remarquons, en effet, que de tous les piscivores, le Pélican est le seul que la natiïre ait fait porte-carnier. L'appendice utriforme de la Frégate ne compte que pour mémoire. Le bec du Pélican, fendu jusqu'en arrière des yeux, suivant la tradition de la série, mesure dix à douze pouces de longueur. La mandibule supérieure consiste en une lame mince et plate large d'un pouce et renforcée dans son milieu d'un renfle- ment ou arête longitudinale qui se recourbe en crochet à son extrémité. Cette mandibule supérieure vient s'emboiter herméti- quement entre les deux bordages de la mandibule inférieure qui sont séparés l'un de l'autre par le vide. Ce vide est l'ouverture d'un abîme béant. Cet abîme est une double poche membra- neuse, diaphane et susceptible d'une vaste dilatation, que la na- ture a cousue aux parois inférieures du bec et au cou de cet oiseau, pour lui servir de boutique portative. On appelle boutique, en langage de marine, la boîte percée de trous et fermée à cade- nas où se garde le poisson. Les savants, qui ne soupçonnaient pas les vues de Dieu sur le Pélican, se sont bien gardés d'attribuer le don de ce singulier appareil à sa véritable cause. Ils ont dit dans leur simplisme que la nature avait donné cette poche à l'oiseau en guise de garde- manger, parce qu'il avait quelquefois de très-longues courses à faire pour apporter la becquée à ses petits. Explication peu in- génieuse, car tous les oiseaux piscivores nourrissent leurs petits avec du poisson et se passent parfaitement de carnier pour rap- porter à leur domicile le produit de leur pèche. Ensuite ce que I.E PKI.ICAN. .307 les savants appeileiit de longues distances, des distances de 30 à 40 lieues, ne sont pour les oiseaux de la vitesse du Pélican que de mesquines enjambées. Un Pélican qui s'éloigne de 40 lieues de son nid ne le perd pas même de vue une seconde, il lui sem- ble toujours planer dessus. Les savants devraient bien s'habituer, quand ils parlent des bètes, à parler un langage intelligible à celles-ci. L'antiquité juive et romaine qui a beaucoup erré sur le texte du Pélican a'également oublié de résoudre le problème et même d'en donner une solution satisfaisante. Les uns ont dit que le Pélican était un gros mangeur atteint d'une fringale constitu- tionnelle et à qui les aliments ne prolitaient pas, ce qui était cause qu'il était forcé d'en tenir une immense provision en réserve. Les autres prenant le contre pied de cette donnée, ont fait du Pélican un gastrosophe sensuel, aimant le poisson fait et surtout cuit à point. La poche, dans cette variante, devient une sorte de vestibule ou de premier estomac dans lequel le poisson subit une première marinade. Lorsqu'il est sullisamment atten- dri, l'oiseau l'avale et le soumet à une coction complète dans la chaudière de son second estomac; après quoi il le rejette au dehors, se le ressert et le déguste avec volupté, ayant grand soin de laisser de côté les arêtes et les écailles. Je déclare qu'il m'est souverainement impossible de digérer cette version. La seule et unique solution, la solution naturelle est celle-ci : Le Pélican a reçu une poche pour emmagasiner son poisson, parce qu'il n'est pas destiné à travailler pour lui seul. Or, comme la puissance de son vol et sa force musculaire le mettent à l'abri des attaques des parasites vulgaires, j'en conclus que le Pélican ne peut travailler en qualité de compagnon que pour l'homme. Vainement les princes de la science zooîogique et les navi- gateurs à courte vue me soutiendront-ils que l'association de l'homme et du Pélican pour la pèche est un mythe; je ne m'em- .■{08 ORiNlTIIOLOGlE PASSIONNKLLR . barrasse pas de ces objections puériles. La meilleure preuve de la sociabilité du Pélican est sa passion pour la musi(jue, passion commune à tous les amis de l'bomme, à la carpe comme au lézard. Ainsi l'avaient compris, du reste, dans les temps primitifs, une foule de gens simples d'Asie, d'Afrique et d'Amérique, les- quelS;, avant que le raisonnement n'eût usé leur instinct, avaient parfaitement deviné les intentions secrètes du créateur à l'en- droit du Pélican et s'étaient ingéniés à tirer parti tle ses mer- veilleuses facultés pour la pèche fluviatile. L'espèce est toujours répandue sur les trois quarts de la surface du globe, et il n'est qu'un seul peuple, hélas ! qui ait continué à associer le Pélican à son labeur, et encore le fait est-il nié ! Cependant l'éducation du Pélican n'est pas plus difficile que celle du Faucon et du Cormoran; elle est plus facile cent fois que celle de la Loutre, dont le concours est probablement moins lucratif et moins avantageux. L'oiseau pécheur, une fois appri- voisé, il suffit de lui boucler le col par un système de compres- sion quelconque, comme on fait pour le Cormoran dont on veut réfréner la convoitise; tandis que pour obtenir le concours absolu de la Loutre, il faut commencer par lui inculquer le mépris du poisson et l'amour du gigot de mouton. Il est vrai que si la Lou- tre est difficile à dresser et de rude entretien, elle est cares- sante et causeuse, et qu'elle rachète bien des petits travers par l'amabilité. L'histoire fait mention du reste de mille traits qui attestent la sociabilité du Pélican, la puissante sympathie qui l'attire vers l'homme et la durée de ses affections. Qu'on ouvre le premier alraanach venu d'il y a cinquante ans, on y lira l'histoire du Pélican qui vécut pendant seize lustres dans l'intimité de l'em- pereur Maximilion et des siens, accompagnant fidèlement ce I.K PÉLICAN. :m\ prince dans toutes ses expéditions militaires. Seulement il est fâcheux d'être obligé de convenir qu'aucun des princes qui ré- gnèrent sur la France n'ait jamais songea disputer à la maison d'Autriche l'honneur d'une semblable amitié. La nature pourtant n'avait pas refusé le Pélican à la France ; il y était même autre- Ibis très-commun sur le cours de tous ses grands fleuves. 11 a cessé d'y nicher et d'y apparaître à des époques régulières de- puis l'invention de l'arquebuse, et on ne l'y rencontre plus au- jourd'hui que par hasard. Quelques chasseurs de marais ont bien pu en revoir sur les grands étangs de la Lorraine, de la Bresse ou du Languedoc, ou bien encore il a pu reparaître sur nos rivières par l'aventure de quelcjne débordement d'été ; mais qu'on en ait tué cinq à six depuis cinquante ans sur l'Isère, sur la Saône ou le Rhin, c'est tout le bout du monde, et le Pélican est encore une de ces magnifiques espèces dont il faut que ma patrie fasse son deuil. Le Pélican de France a depuis deux cents ans et plus transporté ses pénates aux rives du Danube, d'où bientôt le chassera la vapeur et où l'indigène barbare ne l'ap- proche déjà plus que pour l'assassiner. Aux termes de mon pro- gramme j'avais donc le droit de fermer au Pélican l'entrée de cette galerie; mais l'illustration historique attachée à sou nom par la fable et l'Ancien-Testament ne m'a pas permis de le repousser par une telle fin de non recevoir. Et d'ailleurs il y a autour du Pélican une grave question de personne et d'identité à vider, et l'analogie passionnelle n'a pas le droit de s'abstenir en d'aussi graves débats. « Je suis devenu semblable au Pélican de la solitude, chante le roi David en un quart d'heure d'abrutissement suprême, etfai été fait comme le nycticorax sous le toit... Similis factus sum pelccano solitudinis et factus sum sicut nycticorax in tecto. » Poé- sie touchante, poésie sublime, mais trop faite pour donner de la tablature aux commentateurs du saint livre et aux âmes pieuses ;;i(t ORMTMOLOGIt; PASSIONNELU:. Car le l*élicaii et le Nycticorax du psalmiste n'ont jamais été que des rébus, et des rébus de la plus dangereuse espèce et qui ont épuisé la science de tous les devins de la Judée, de la Chal- déc et de l'Egypte. La version la plus accréditée est celle qui traduit le substantit pélican par le substantif onocrotale, mot à mot, qui sonne comme un âne. Mais cette traduction, hélas ! n'a fait que déplacer la difliculté et ne l'a pas résolue. Quel est l'oiseau qui sonne comme un àne et signe onocrotate ! Est-ce le Pivert, un oiseau gros comme un 3Ierle ? ou le Héron, un oiseau de trois pieds de haut? car chacune de ces deux espèces revendique avec acharnement l'honneur de la comparaison biblique et chacune a pour elle de fanatiques partisans. A l'heure qu'il est, le procès n'est pas encore jugé L'analogie appelée à se prononcer décide... Que le Pélican de la Bible n'a aucune espèce de rapport ni avec le véritable Pélican blanc qui n'a jamais inspiré la tristesse, ni avec le Héron du Nil, oiseau très-taciturne..., et que l'Onocrotate des Saintes-Écritures n'est autre que le Pivert, oiseau dont le cri monotone, assez semblable au braiement de l'âne, retentit en effet trop souvent dans la solitude. L'analogie appuie son opinion sur la signifi- cation étymologique du substantif pelecanos qui voudrait dire perce bois^ ronge bois (du 2,vgq, pelecao, je ronge). On sait que la passion du Pivert est de tourner, de cogner et de piocher après le tronc des arbres et même d'y tailler de vastes appartements pour lui et pour les siens, taudis que ces divers genres d'exercice sont complètement interdits au Héron, et surtout au Pélican de nos jours qui est, je le répète, un oiseau très-jovial. Ainsi le doute ne saurait subsister plus longtemps à l'égard (lu vérilable sens des paroles du saint roi. Lisez au psaume 102 : « Je suis devenu semblable au Pivert de la solitude. » 1-E PELICAN. 311 J'ai donne l'explication du rébus du Nycticorax à l'article lîihorcaii. Le Pélican ne ligure pas simplement dans les erreurs de l'an - tiquité au titre de parangon de tristesse ; une vénérable et ridi- cule tradition, transmise d'Age en âge par la sculpture, la peinture et l'ignorance, a pour ainsi dire consacré le grand Pélican blanc comme le type le plus pur de l'amour maternel, l'accusant de se percer le flanc pour nourrir ses enfants avec son propre sang. Je sais même plusieurs versions sur la manière dont le Pélican s'y prenait pour consommer le sacrilice, car l'imagination des conteurs s'est donné libre carrière sur ce sujet fantastique. Les uns, se raccrochant à cette éternelle fable de l'antipathie du Serpent pour toutes les bètes chéries de Dieu, ont écrit que le Serpent ou si mieux l'on aime le Dragon, cet insigne artisan de maléfices, profitait de l'absence du Pélican pour grimper jus- qu'à son nid, et que parvenu là, il soufflait sur les petits ou sur les œufs de l'oiseau le venin de son haleine et les asphyxiait... Puisque, la mère de retour, à la vue du désastre, commençait par prendre le deuil pour trois jours, pendant lesquels elle em- plissait la solitude de ses gémissements douloureux; après quoi elle se perçait le sein, et de son sang généreux, qui est un puis- sant antidote, lustrait soigneusement le cadavre de ses nourris- sons et finissait par les rappeler à l'existence en leur donnant la sienne. D'autres affirmaient que les choses ne se passaient pas com- plètement ainsi, et que l'histoire des maléfices du Serpent, par exemple, était un conte. La pure vérité, au dire de ces scepti- ques, était que les petits Pélicans venaient au monde à demi- morts, et que cet état de débilité extrême plaçait leurs parents dans la nécessité cruelle de se tirer du sang pour leur en donner 312 ORNITHOLOGIE PASSIOiNMiLL!:. à l)oirc et les réconl'ortcr. Mais attendu que des saignées cojjieu- scs, trop fréquemment renouvelées, finissent par conduire les sujets les plus vigoureux aux portes du tombeau, il arrivait bien- tôt que ce n'était plus le père et la mère qui étaient obligés de travailler pour nourrir leurs petits, mais bien ceux-ci qui se trouvaient chargés de l'entretien de leurs parents infirmes. Or, suivant qu'ils s'acquittaient plus ou moins bien de ce devoir filial, les grands parents leur tenaient compte plus tard de leur conduite, les récompensant de leur piété ou les châtiant de leur ingratitude. Quelques-uns de ces écrivains sacrés ont même cru bien faire de prêter frauduleusement au Pélican les mœurs de la Frégate qui pince les oiseaux pécheurs à la nuque pour leur faire dégor- ger le poisson, à cette fin de le comparer au Christ qui frappe le Diable à la tête pour lui faire lâcher ses victimes et (|ui traite pareillement la mort. Eodem modo Cliristm contere debuit NON caudam,, sed Ipsum caput diaboli, quod est œiema moi's. II m'est douloureux, comme on pense, d'avoir à citer parmi les auteurs de ces bourdes qui frisent parfois l'impiété, de véné- rables Pères de l'Église ayant nom saint Augustin, saint Gré- goire, saint Basile, etc. M'expliquera maintenant qui pourra cette incroyable contradiction des esprits de nos jours, qui rou- giraient d'accorder la moindre créance à l'autorité de tous ces braves gens de saints en matière de physique ou d'histoire natu- relle, sciences pour ainsi dire élémentaires... et qui n'en conti- nuent pas moins à considérer lesdits Pères comme des oracles infaillibles en matière de foi, de théodicée et de métaphysique, sujets bien autrement ardus et propices à l'erreur que la physique et la zoologie. Je demande encore qu'on m'explique pouniuoi, parmi ces pères si forts en théologie, soi-disant, les uns comparent le Pélican au fils de Dieu, qui par sa mort a ra- LE PÉLICAN. 313 chcté tous les hommes, tandis que les autres l'assimilent au Cvclopc et même à moins que cela. Tous les préjugés répandus dans le monde à l'endroit de l'amour immodéré du Pélican pour sa famille proviennent d'une source unique, de l'habitude qu'il a de tirer son poisson de son estomac pour le distribuer à sa progéniture. Ce qu'il l'ait là, le Pigeon, le Canari et le Chardonneret le font tous les jours sous nos yeux sans nous faire crier au miracle. La poche du Pélican est un jabot d'une plus grande dimension que celui du Pigeon, voilà tout, mais c'est, comme le jabot du Pigeon ou du Chardon- neret et la panse des ruminants, un estomac préparatoire, où l'animal prévoyant emmagasine ses aliments, pour leur faire subir un ramollissement préalable et les avoir sous le bec quand l'heure du repas ou de l'abecquement est venue. La chair du Pélican, rauce et huileuse et par trop imprégnée de l'odeur de poisson, n'est pas mangeable, pas plus que celle du Cormoran, preuve incontestable que l'homme a plus de ser- vices à attendre de ces espèces pendant leur vie qu'après leur mort. Sa poche, qui ressemble par le volume, le format et la couleur, à une énorme vessie de porc, sert de blague à tabac en beaucoup de pays. Les dames de l'Amérique espagnole ne dédai- gnent pas de la broder et de la filigraner de leurs jolis doigts roses, et savent métamorphoser cet engin de pèche en souvenir d'amour. Si j'en possédais un, j'en ferais une puisette. Les os du Pélican passent également pour faire d'excellents tuyaux de pipes et des flageolets incomparables. Aldrovande a accusé un Pélican d'Ethiopie d'avoir fourré un jour un enfant dans son sac et de l'avoir emporté dans les airs à une très-grande hauteur ; mais cette accusation n'a pas de fond, car le Pélican n'a pas plus de goût pour la chair humaine que pour les mauvaises plaisanteries. C'est un oiseau de mœurs dou- :n\ Ol'.MTHOLOGlE PASSlONiNELLi: . CCS et complètement incapable de faire aux gens des peurs atro- ces pour rire. Je conseille à tous ceux qui ignorent Aldrovandc de ne pas faire plus ample connaissance avec lui. Voici la vérité et toute la vérité sur le Pélican blanc. C'est un oiseau pêcheur par excellence, qui profère le poisson des lacs et des eaux douces au poisson de mer, sans faire (i toutefois d'ice- lui. Il fond sur sa proie de très-haut, l'étourdit par le fouette- ment de ses ailes et la saisit avec le bec. Il a le bout du doigt médian armé d'un ongle et se perche, à l'instar du Cormoran et du Fou. 11 niche à terre dans les lieux écartés, escarpés, solitaires. Les femelles aiment à se réunir pour pondre en société, et l'a- mour qu'elles ont pour leurs petits, qui sont les plus aflrcux nourrissons qu'on puisse voir, ne déptisse pas la commune mesure. 11 y a quatre-vingts siècles, pour ne pas dire plus, que les Pé- licans pratiquent dans leurs grandes pèches le procédé de la madrague et de la seine. Tout le monde n'a pas vu la Méditer- ranée aux (lots bleus et ne connaît pas la pèche du Thon à la madrague ; mais personne n'ignore l'opération de la pèche à la seine. La seine est un immense filet avec lequel on barre les rivières et que l'on ramène ensuite vers terre par une de ses cornes en lui faisant décrire une espèce d'ellipse, pendant que des pécheurs, postés eu aval, battent la rivière pour faire re- monter le poisson dans l'enceinte circulaire formée par les deux côtés du filet. Comme les Pélicans, qui savent beaucoup de cho- ses, ignorent néanmoins l'art de fabriquer les filets et de s'en servir pour la pèche, ils sont obligés de suppléer à ce défaut d'engins par des tours de génie stratégique prodigieux. C'est ici qu'apparaît dans tout son lustre la force incroyable de l'as- sociation, si féconde en merveilles. Nous n'avons pas oublié que la p!iq)art des poissons soiil. LE PELICAN. 31.i comme la plupart des oiseaux, de forcenés navigateurs à qui les nageoires démangent à certaines époques de l'année et qui ne s'arrclent dans leurs pérégrinations que là où l'eau leur manque. Le mouvement est universel et se fait sentir dans toutes les eaux, eaux douces ou salées, eaux de la mer, des ileuves et des lacs. L'oiseau piscivore attend ces migrations périodiques avec la même impatience que le pipcur des bords de la Meuse te pas- sage du Rouge-gorge et de la Grive. Quand le poisson commence à s'agiter et à se former en co- lonnes dans les vastes étangs ou les grands fleuves sur les rives desquels le Pélican a fait élection de domicile, avis en est donné au public à son de trompe : aussitôt tous les pécheurs se réu- nissent pour se concerter sur le choix du champ de pèche. C'est le plus communément une anse étroite dans le lac, et dans le tleuve quelque haut-fond situé sous la chute d'un rapide. L'abon- dance du poisson dans telle ou telle passe est, du reste, la raison déterminante du choix. L'option décidée à l'unanimité des suffrages, un Pélican vieux d'un siècle, et expert en ce genre de travail, trace de l'aile la ligne de circonvallation ou d'investissement du poisson. A sa suite, s'étagent avec ordre cent, deux cents Pélicans, tout l'ef- fectif disponible de l'armée, qui se posent sur l'eau l'un après l'autre et en ligne, ayant grand soin de laisser entre chaque poste un espace d'une douzaine de pieds, un peu plus ou un peu moins, suffisant en tout cas pour assurer à chacun le libre jeu de ses ailes. L'investissement opéré, et l'anse hermétique- ment bloquée, il s'agit de pousser le poisson à la cote. Le signal de l'opération est donné par le vieux Pélican de tout à l'heure, le même qui s'est chargé de distribuer les postes. A ce cri reten- tissant que répètent sur touic la ligne les sentinelles attentives, succède un bruit d'un autre genre, un bruit de trémoussement et d'ébattement universel. Chaiiuc Pélican, se dressant sur ses 31(i OUMTilOLOGlE PASSIONNELLE. pieds de toute sa hauteur, déploie son envergure immense, lus- tige l'eau du fouet de ses ailes avec un grand fracas, pique sous lui une tête verticale, et exécute sans bouger de place une série de mouvements rapides qui font clapoter les Ilots et croire à la tempête. Le poisson, effrayé de ce tintamarre et de ce boulever- sement imprévus, s'enfuit dans toutes les directions. Celui qui est emprisonné entre la ligne des Pélicans et le rivage, cherche son salut vers la côte ; c'est tout ce que désirent ses persécu- teurs acharnés. Toujours bruissant à la surface et fouillant au- dessous, le cordon sanitaire gagne, gagne, les intervalles se rétrécissent, les sentinelles se coudoient; c'est bientôt une mu- raille vivante, infranchissable, un filet à mailles serrées et sai- sissantes qui s'avance. Déjà le poisson, qui se voit acculé dans une impasse, qui sent que toute issue lui est fermée et qui ra- bote le sol en nageant, perd la tète et s'élance dans les airs par bonds désespérés. Mais ce spectacle, cjui ravit de joie le Pélican, ne lui fait pas perdre le sang-froid si nécessaire en pareille occu- rence. Loin de céder à l'attrait de la convoitise qui l'-entraîne- rait à rompre les rangs et à ouvrir une issue aux captifs, il redouble de vigilance à mesure que s'approche le moment du bonheur. Yoici, en effet, que toutes les poitrines des Pélicans se touchent, que l'eau ne leur vient plus qu'à mi-jambes et que les poissons, pressés dans le cercle fatal, entassés les uns ^ur les autres, flottent à moitié pâmés. La débandade est désormais sans péril, l'heure de la curée a sonné... Pille, pille, pille, et hardi, qu'on emplisse ses sacoches ! Et soudain les longs cous, armés de larges becs, de piquer dans le tas, comme le troupier dans la gamelle, et les sacoches de s'emplir, et de s'emplir à crever. Quand l'opération est bien conduite et que les pécheurs sont en nombre suffisant, ce qui est la première condition de succès, la part de prise peut s'élever à vingt livres pesant de poisson pour chaque actionnaire; et notez que le Pélican n'admet guère que LE PELICAN. 317 des morceaux de choix aux honneurs de sa table et qu'il dédai- gne le menu fretin. Un Pélican qui a saisi une belle pièce se re- fuse rarement le plaisir de jongler avec ; il la fait pirouetter dans l'air pour faire tous ses voisins jaloux de son bonheur et témoins de son adresse, puis s'y prend de façon à la recevoir dans son vaste jabot la tète la première. Après les fatigues du travail, la douceur du repos, la bombance et les ris. De même que la bande joyeuse des enfants de Saint- Hubert, après le rabat fructueux, se dirige avec amour vers le carrefour de halte où la collation est servie, ainsi notre troupe de pêcheurs, chargée de son riche butin, gagne en riant l'abri de la corniche escarpée, dont la hauteur la protège contre les surprises du dehors, pour se livrer aux ébats du festin. C'est l'heure des causeries intimes et des commentaires diffus sur les diverses particularités de la fête du jour; c'est l'heure de la cri- tique et de la louange, des longues racontances et de la vantar- dise. On vide son carnier pour étaler sa pèche et comparer ses pièces. «Mais palpez-moi donc un peu ce muge, ce sterlet, cette carpe, cette anguille. Mais vttes-vous jamais chair plus appétissante, plus dorée et plus ferme? » Et c'est sur chaque espèce une série de dissertations sans tin. Il faut un terme à tout heureusement, même aux intempérances du bec et aux jouissances des yeux. Après avoir laissé pendant quelque temps libre doursàsa joie,chacundenos gastrosophes s'occupe de ren- trer au garde-manger sa capture, réservant pour son souper son plus bel échantillon de montre, puis saisit ce morceau de roi, le tourne et le retourne dans toutes les dimensions, l'avale d'un seul trait, le digère et s'endort. C'est un curieux spectacle, me contait un observateur, que cette file de grands oiseaux blancs qui dor- ment immobiles, lebec rabattu sur leur jabot où le poisson frétille, et qui semblent de loin un cordon de grenadiers autrichiens .ils ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. postés sur un l)aiTa2;e l'ait de main d'homme pour défendre le ;)assage du lleuve à l'ennemi. Les grandes pèches du Pélican sont pour tous les oiseaux pis- civores de la contrée des occasions de réjouissances puhli(|ues et de noces sans frais où les Goélands, les Mouettes et les Ster- nes se ruent, comme les Auvergnats se ruaient, du temps de Charles X, aux distributions de cervelas gratuits. A peine ces espèces parasites s'aperçoiventelles que les Pélicans ont pris leurs dispositions pour la pèche, qu'on les voit voler par bandes nombreuses à l'avant de la ligne des rabatteurs; puis, à mesure que l'enceinte bloquée se rétrécit et que les rangs des poissons s'épaississent, plonger avec un acharnement toujours croissant et se gorger de friture, n'abandonnant la place que lorsque les Pélicans les en expulsent à coups de bec, et y revenant après le départ de ceux-ci pour ramasser leurs miettes et glaner leurs mépris. Les Pélicans, qui sont naturellement philosophes et qui ne demandent pas mieux que tout le monde vive, s'oiïensent modérément de ce parasitisme. Des civilisés, à leur place, ne manqueraient pas d'instituer un corps spécial de gendarmerie de pêche dont l'entretien coûterait quatre ou cinq fois la valeur du menu fretin dérobé, et qui tinirait bientôt par absorber tous les bénéfices de l'opération principale. Le Pélican vit deux âges d'homme et n'est pas sujet à la goutte, comme la plupart des financiers qui font abus de que- nelles de Brochet, de foies de Lotte et de pâtés de Truite. Le Pélican, sur qui le Créateur a versé tant de grâces, qu'il a muni d'ailes si vigoureuses et de nageoires si puissantes, à qui il a donné le don de prévoyance avec une poche pour s'en ser- vir; le Pélican n'est pas, comme on le croit, l'emblème de l'amour maternel, pas plus que celui du lils de Dieu ni du LE PÉLICAN. 319 Cyclope : cest l'emblème du pêcheur de haut titre, comme qui dirait du pêcheur hollandais, lequel a fondé sur la pêche du Hareng un des empires les plus llorissants de ce monde, un empire où il y a tant d'or que les marchands n'en veulent plus. Le Pélican, qui porte une perruque Irisée et des lunettes, nobles insignes de la science oflicielle, est évidemment un em- blème de mascarade, un emblème travesti, décidé à tourner en dérision les personnages qu'il symbolise. C'est le plus gros mangeur de l'espèce. Ce Pélican vous représente les parfiiits cumulards de l'Institut, myopes, ventrus et chauves, gens plus généralement habiles à émarger les émoluments de dix emplois qu'à faire aller sur l'eau les frégates qu'on leur donne à bâtir, serviles adulateurs du pouvoir quel qu'il soit et qui déshono- rent la science par leur avidité. Maintenant, puisqu'il est constant que le pécheur hollandais, ce travailleur intelligent qui a conquis sa patrie sur la mer est rançonné par une race parasite et usurière, qui se vante de n'avoir jamais manié nulle part la rame, le mousquet ni la pio- che, il faut de toute nécessité que le Pélican, malgré sa gran- deur et sa force, paye un tribut de pèche à quelque parasite intime de l'ordre des Frégates ou de l'ordre des Aigles. L'ana- logie aiiirme le fait, en dépit de toute assertion contraire, comme elle tient que le Pélican n'a été aussi richement pourvu parla nature que pour aimer et servir l'homme, et lui faciliter la conquête du domaine des eaux. LE CYG>E. L'histoire des bèlcs mentionnera un jour, à la honte de ce temps, qu'en plein dix-neuvième siècle, le Français civilisé n'avait à son service, dans tout l'ordre des oiseaux, que le Cygne; et bien mieux, que cet «wx/Z/a/re unique servait l'homme sans que celui-ci s'en doutât. On ne voudrait pas ajouter foi à cette affirmation si je n'avais, pour la corroborer, hélas ! une preuve irréfragable. Le Dictionnaire d'Histoire naturelle^ ouvrage tout récemment imprimé, a osé faire un crime à Buiïon et à une foule d'autres poètes de l'antiquité et de l'âge moderne, de leur admiration pour le Cygne, animal^ a-t-il dit, propre à faire l'ornement de nos pièces d'eau^ mais à qui Von ne peut rien demander au delà. J'avoue volontiers que les anciens ont été un peu loin dans leur engoùment pour le Cygne, qui ne chante pas, en lui prê- tant une voix mélodieuse pour chanter sa chanson de mort, pré- jugé que Martial a si délicieusement reproduit dans ce distique : Mollia defeclii modulât ur carmina linguâ GaïUator Cycnus funcris ipsc sui. Et puisque la prémisse est fausse, je conviens que la consé- quence l'est aussi à l'endroit de Virgile et de Fénelon, que leurs contemporains ont décorés tous deux de l'épithète de Cygne, en laison de la douceur et de la suavité de leurs chants. LE CYGiNE. 321 Mais j'aimerais mieux, pour la tranquillité de ma conscience, avoir péché par adulation et par prodigalité envers le Cygne, comme les Grecs, que péché par injustice et par parcimonie comme les auteurs de l'ouvrage ci-dessus. Car la phrase précitée, qui a le tort de blâmer chez Buffon et ses complices une faiblesse charmante, renferme un déni de justice à l'égard du Cygne. Il y est dit que le Cygne n'est propre qu'à faire l'ornement de nos pièces d'eau, ce qui est inexact. Le Cygne est un oiseau intelligent et qui s'entend admirablement, au contraire, à ma- rier l'agréable à l'utile. Il ne serait propre qu'à embellir les jardins publics, que je lui vouerais à ce seul titre une très-haute estime ; mais il vaut mieux que cela. Il a des droits sacrés à la reconnaissance des hommes. Le Cygne a été chargé par Dieu de détruire tous les foyers d'infection contagieuse provenant de la putréfaction des herbes aquatiques. Le Cygne est le plus formidable ennemi de la fièvre des marécages : son rêve est de l'extirper. Il sait que cette épou- vantable peste, qui est absolument la même que la fièvre jaune et celle de nos marais d'Algérie et de France, a pour cause la décomposition des herbes qui embarrassent le cours de nos pièces d'eau, de nos rigoles d'irrigation, des fossés de nos citadelles, etc., etc.; il n'a d'autre occupation et d'autre souci que de faucher ces herbes vénéneuses. Placez des Cygnes en quantité suffisante dans toutes les eaux dormantes où croupissent des plantes aquatiques, au bout de quelques mois ils auront nettoyé la place et transformé en lim- pides miroirs les ondes les plus fétides, les plus troubles et les plus obstruées de végétaux fébrifères. Le grand bassin des Tuileries et celui du Luxembourg sont tous deux habités par un couple de Cygnes, et jamais la lentille d'eau n'a eu le temps d'étendre son manteau de pustules verdâ- IH. 21 n^i? ORMTnOLOGlE PASSIONNELLE. très sur la face immobile de leurs eaux. Mais au jardin du Palais- Royal, où la pièce d'eau est beaucoup plus petite, où les ondes sont constamment agitées par l'action de la grande gerbe, agi- tation qui devrait s'opposer puissamment à la formation de la croûte herbacée, la végétation aquatique a cependant réussi à s'implanter et à déshonorer le bassin. Une béte qui veut tuer la fièvre jaune et prévenir les exhalai- sons pestilentielles de tous les marais du globe; une bête qui métamorphose à vue d'oeil les vases infectes en eau potable, est ce que ces infortunés savants appellent une bête inu- tile et propre tout au plus à charmer les regards dans une promenade publique. J'en suis peiné pour messieurs les auteurs du Dictionnaire d'Histoire naturelle^ mais l'erreur des poètes de l'antiquité est plus respectable que la leur, et j'approuve Buflbnde ses sympathies rationnelles pour l'oiseau cher à Léda. Il y aurait cependant un moyen bien simple d'éviter toute erreur en histoire naturelle; mais j'ai beau en indiquer le secret à tout le monde, et gratis, personne ne veut l'employer. Ce moyen consisterait à s'abstenir de tout propos sur le compte d'une bête avant d'avoir découvert pour quelle cause Dieu a pu créer cette bête et lui assigner tels et tels attributs ; car chaque animal est un sphinx qui présente à deviner son énigme, et le vrai savant est l'Œdipe qui déchillre le mieux ces rébus. Mais les esprits superliciels estiment qu'il est plus com- mode de se moquer des débrouilleurs d'énigmes que de s'échauf- fer la cervelle à en chercher le mot avec eux, et on les voit jeter leur langue aux chiens dès le premier insuccès. Le zoologiste olliciel a le tort de singer l'économiste politique, qui veut bien rendre compte de la manière dont se produisent les richesses, mais qui n'ose pas dire pourquoi elles se répar- tissent quelquefois si inéquitablement. Le zoologiste olliciel LE flVCNR. .1-2:3 veut bien convenir que la queue de la Cigogne est décorée de trente pennes, tandis que celle de l'Aigle et celle du Faucon n'en ont que douze, et que celle du Pivert n'en a que dix ; mais il n'aime pas qu'on le pousse plus loin et qu'on l'interroge sur les causes de cette inéquitê de répartition. C'est un fait, répond-il, et l'unique office de la science est de constater les faits. C'est un fait aussi que le Cygne a vingt-trois vertèbres au cou, c'est-à-dire beaucoup plus de vertèbres (lu'aucune autre bête à plume. Mais cette explication ne me suffit pas ; je demande le pourquoi de ce chilTre exorbitant. Si messieurs les auteurs du Dictionnaire d'Histoire naturelle avaient eu l'excellente idée de s'adresser à eux-mêmes la question que je me pose, au lieu de s'en tenir servilement à constater le fait, il e.st probable qu'ils eussent mis d'emblée la main sur la clef du rébus du Cygne et se fussent, par conséquent, épargné le désagrément du petit rappel à la vérité que j'ai été obligé de leur infliger en passant. Le Cygne des jardins, celui dont j'écris l'histoire, est un ma- gnifique oiseau blanc, qui n'a de noir dans tout son costume que les yeux, les pieds et les entournures du bec. Son corps pèse vingt-cinq livres; ses ailes ont une envergure de plus de deux mètres; elles sont concaves comme celles de la Cigogne et sem- blent se goufler comme des voiles de navire sous le souflle du vent. Son long col onduleux, type souverain de grâce, s'arron- dit en une courbe serpentine plus souple, plus caressante encore que celle de l'encolure de l'étalon arabe. Son bec, taillé dans d'heureuses proportions, réunit toutes les conditions de l'élé- gance, de la dextérité, de la force. Les mandibules sont armées de scies tranchantes, la supérieure se termine par un onglet corné de solide consistance. Il y a des Cygnes noirs d'Australie et des Cygnes d'Islande à bec jaune, car Dieu avait primitivement répandu l'espèce sur ;j24 ORNITHOLOGIE PASSIO.NNEi.l-E. tous les points du globe pour qu'il n'y eût point de jaloux, il fut même un temps où les eaux de la Seine, au-dessous de Paris, étaient couvertes d'une si grande quantité de Cygnes qu'une île de ces parages en avait pris son nom. Aujourd'hui encore, presque tous les fossés de nos citadelles du Nord sont gardés par des Cygnes ; on y voit aussi des canons et des soldats de la ligne; mais j'aimerais mieux des Cygnes tout seuls, les Cygnes étant les meilleurs gardiens de forteresses et de pro- priétés que je connaisse. J'ai toujours été tenté de leur attribuer le salut du Capitolc. Le Cygne ne vit pas de poisson, à proprement parler, et ne plonge pas comme le canard, ce qui aurait dû naturellement induire les savants à penser que ce long col, armé d'un bec tranchant, ne devait avoir été donné au Cygne que comme instrument d'extirpation à l'usage des bulbes et des racines des végétaux sous-marins. Et une fois en possession de cette donnée lumineuse, qui confère à l'oiseau les hautes fonctions de préser- vateur d'infection, de destructeur des grenouilles et de sauve- garde des narines, lesdits savants se fussent abstenus forcément de cette affirmation téméraire que le Cygne n'est bon que pour le plaisir des yeux. Tout concourt à l'effet de beauté dans ce moule d'élite, et le Cygne, qui a conscience de sa mission liygiéni(jue et ornemen- tale, ajoute à la nature autant qu'il peut par l'art. C'est le plus coquet de tous les volatiles, y compris le Paon et l'Oiseau- Mouchc. Il passe encore ])lus de temps à sa toilette que la Chatte; il se mire sans cesse dans le cristal des ondes comme le beau Narcisse. Si j'avais intérêt à calomnier le Cygne, je ne dirais pas qu'il n'est bon qu à décorer des jardins publics, mais bien qu'il n'aime les eaux limpides que comme des miroirs qui reflètent ses traits. LE CYGNE. 32o Le Cygne est plus glorieux de sa race que le Cheval de sang. Il arriva une fois qu'une jeune femelle de Cygne, en proie à la tristesse et à la solitude, écouta trop facilement les propos de son cœur qui la priait d'amour en faveur d'un jeune Jars (le Jars est le mâle de l'Oie ; l'Oie est au Cygne ce que l'Ane est au Cheval. Le Cygne de la Lcda de Léonard a le triste avantage de ressemhler en même temps à une Oie et à un Âne). Or, cette conversation criminelle ayant eu des conséquences, la grande dame refusa de reconnaître ses hàtards, et même s'oublia jus- qu'à les traiter d'espèces. Il ne manquera pas de gens pour penser mal du Cygne, d'après ce premier aperçu, et pour l'accuser de tendances aristocratiques. C'est à tort, l'amour du luxe et de la distinction, le respect même exagéré de soi-même ne sont pas des tendances blâmables, mais bien des manifestations d'un titre caractériel supérieur. Je vais plus loin : je dis que la réunion de ces qualités ou plutôt de ces défauts, qui valent plus que des qualités, est ce qui constitue le bon goût, l'atticisme, ce qui a fait dans l'antiquité la gloire du peuple athénien, et dans l'âge moderne celle du peuple français. Au compte des détracteurs du Cygne, en effet, tous les ouvriers et tous les écrivains distingués de la France mériteraient égale- ment d'être traités d'aristocrates, car leurs produits se distin- guent des produits similaires de l'étranger par un cachet spécial de distinction et d'élégance, qui n'est pas autre chose que la marque de fabrique du bon goût. Au même titre, les jolies femmes de Paris seraient des aris- tocrates et des raffinées pour toutes les autres jolies femmes d'ailleurs, parce qu'elles donnent le ton à la mode et qu'elles ont au plus haut degré Vatticisme de la parure. Il n'y a pas jus- qu'aux vins de France à qui l'on ne pourrait adresser ce reproche banal de tendances aristocratiques, à raison de la finesse du bouquet qu'ils exhalent? Mais j'ai hâte de le répéter, à la justifi- ,•120 OUMl'HOUMilb: PASSlOiSiNELLi:. cation du Gyi^ne et des produits les plus enchanteurs de ma !)ello patrie, ces prétendues tendances aristocratiques ne sont que des aspirations légitimes vers l'idéal de richesse, de beauté, d'har- monie après lequel nous soupirons tous, et la supériorité des hommes et des bêtes se mesure précisément au degré de tension d'un chacun vers cet idéal radieux. Admettons que l'amour exagéré de soi-même et le besoin de voir se reiléter dans les eaux la blancheur immaculée de sa robe, soient les deux seuls mobiles du Cygne en ses travaux d'assai- nissement et d'hygiène publique, ce n'en sera pas moins par le lait un péché capital (l'orgueil), qui contribuera plus elïicace- ment que toutes les vertus du monde au triomphe des saines doctrines. Et que m'importe à moi sceptique, à moi indifférent, l'essence du mobile intéressé qui pousse le Cygne à la démolition des herbes stagnantes et des reptiles croassants ! L'air n'est plus empoisonné de miasmes fétides, la grenouille ne trouble plus le repos de mes nuits ! Yoilà tout ce que je sais, et j'en sais assez pour avoir le droit de m'écrier : « Gloire au Cygne, qui m'a fait cet air pur et ces nuits silencieuses ! » Mais si je ne suis pas sceptique, si je suis analogiste, si je suis convaincu que chaque moule de bête est chargé de symboliser un caractère humain, comme la scène va s'agrandir aux regards de mon intellect ! Ainsi le Cygne ne va plus être un simple pal- mipède qui préfère les eaux limpides par l'effet du hasard, comme un autre palmipède, le Canard, préfère les eaux troubles. Le Cygne va se métamorphoser en Édile des eaux, et emporter mon imagination sur ses ailes à travers les nappes fantastiques des cascades irisées et les paraboles sans lin des gerbes j)hos- phorescentes et les mille accidents des bassins de Neptune, qui sont nos féeries d'aujourd'hui, qui ne seront bientôt plus que les décorations vulgaires des plus humbles cilés' quand le génie I.t- CVClM'. .Vil scieutifi(iuc aura deliniliveincnt racheté, riiomme de sa misère originelle et translonné le travail en plaisir. Le Cygne, j'ai dit son nom, c'est l'Édile des eaux qui cumule les fonctions de directeur du génie hydraulique et de conserva- teur de la salubrité générale. Cette fonction, qui ressort de la Cirande Maîtrise des plaisirs publics, n'existant pas encore, les savants sont pour ainsi dire excusables de n'avoir pas compris la destinée du Cygne et le mobile de ses attractions. Les anciens cependant l'avaient presque deviné, lorsqu'ils avaient consacré cet oiseau à Apollon, le dieu des beaux -arts, et à Vénus, déesse de la beauté, c'est-à-dire aux deux plus charmantes personna- lités de l'Olympe. La Grèce a chanté le Cygne comme elle a chanté le Rossignol, la Colombe, l'Hirondelle et toutes les créations gracieuses. Elle peuplait de blancs palmipèdes toutes les eaux de ses fleuves, notamment celles de l'iùirotas, baignoir favori de Léda. Parce que Léda fut mère de la blanche Hélène au col de Cygne, la poésie imagina que Jupiter s'était métamorphosé en Cygne pour séduire la jolie baigneuse. Je préfère, quoi qu'on en dise, comme moyen de séduction, cette forme élégante à la forme hideuse du Serpent. Je ne connais pas de plus terrible calomniateur de la femme et des espèces animales innocentes que ce farouche rédacteur de la Genèse, qui fit séduire notre première mère pai un affreux boa, et qui prohiba la chair du Cygne comme impure, ni plus ni moins que celle du Griffon et de l'Ixiou, deux races de volatiles qui me sont étrangères. Le Cygne, heureusement, a trouvé dans toutes les littératures des écrivains consciencieux qui l'ont vengé des calomnies de la Bible et des injustices du Dictionnaire d'Histoire naturelle. Ccï^ écrivains ont posé le Cygne comme le modèle des amants, des époux et des pères, et la blancheur sans tache de sa robe a été considérée par eux comme l'emblème de la pureté de ses mœurs. 3-28 OUNITIIOLOGIE PASSIONNKI.LK. L'Église catholique et l'Église jirotestantc oilc-nu^ine ont l'ail de prodigieux eflorts d'intelligence et forcé l'analogie pour asso- cier le Cygne à leurs intérêts religieux. Je ne sais pas pourquoi lo clergé des deux Églises, qui est généralement vêtu de noir, couleur de l'égoïsme, a cru retrouver son image dans un oiseau velu tic blanc, couleur de l'uniléismc. Les uns ont dit que les larges pieds palmés du Cygne figu- raient admirablement la base inébranlable sur laquelle la foi catholique est assise. Comme on croyait alors que le Cygne avait recours au régime de l'ortie pour refroidir les ardeurs de son tempérament, les prêtres célibataires prétendirent aussi que l'oiseau leur avait volé cette pratique. Le Cygne combat avec ses ailes; les deux ailes de l'Église, disent les pères de la foi, sont le verbe et la prière, avec le secours desquels l'homme pieux vient à bout des plus dangereux ennemis. En l'an d'iniquité 1415, quand les évêques du concile de Constance tirent brûler Jean Huss au mépris de la foi jurée, la victime, en montant au bûcher, fit entendre à ses bourreaux celte parole prophétique : « L'innocent que vous allez mettre à mort n'est que ÏOie de la Réforme, mais dans cent ans d'ici viendra le Cygne qui tuera l'imposture et vous fera expier tous vos crimes. » Cent ans après le martyre de Jean Huss vint, eu effet, Luther, (]ui fit beaucoup de mnl à l'Église catholique. Ces témoignages de considération et d'estime accordés au Cygne de toutes parts disent l'immense intérêt qui plana de tout temps sur ce majestueux palmipède, le plus noble de tous les oiseaux d'eau. J'ai passé bien des fois de longues heures à l'ad- mirer dans ses fonctions de père de famille, courant sous toutes ses voiles à l'avant du convoi de sa couvée plantureuse, les ailes amoureusement tendues au souffle du zéphir, traçant le sillage 1,1-: (;v(,.m:. :i20 sur la surface du lac et inspectant l'espace, le Iront haut, J'œil ardent et la menace au bec, pendant que la mère surveillait l'arrièrc-garde dans une attitude non moins ficre, et que les petits folâtraient entre eux deux avec toute l'insouciance et la gaieté naturelles à cet âge. 0 mon Dieu, que je vous remercie de m'avoir accordé tant de grâces et d'avoir attaché pour mes regards tant de charme à ces spectacles que vous donnez gratis ! Que je vous remercie de m'avoir fait dans ma pauvreté tant de jouissances interdites aux heureux ! à ces pauvres heureux qui n'ont jamais trouvé à louer la Providence que pour avoir fait passer les grands fleuves à travers les grandes villes ! Le Cygne, qui glisse sur l'onde sans que l'œil aperçoive le travail de ses rames, est l'image parfaite du navire, une des plus magnifiques conceptions de la haute industrie. La science nautique n'aura dit son dernier mot que lorsqu'elle aura fait adapter au vaisseau le système de voilure du Cygne, et trouvé pour la roue de la machine à vapeur une palette qui se replie en faisceau comme les palmes du Cygne, pour se reporter en avant et prendre un nouveau point d'appui en se développant. Dieu a toujours soin de tenir à la portée de l'homme le modèle des procédés merveilleux qu'il veut que celui-ci découvre pour entrer dans la voie des destinées heureuses. Le Cygne est considéré à juste titre comme le modèle des pères ; mais sa fidélité est moins longue que sa vie, c'est-à-dire que l'union du mâle et de la femelle ne dure quelquefois qu'une saison d'amour. Peut être ces amours, pour être moins durables, n'en sont-ils que plus vifs. On n'imagine pas plus de délicatesse, de gracieuse courtoisie, d'ardeur, que le niàle n'en met dans les soins empressés dont il entoure sa femelle. C'est de la galanterie raffinée et de la passion vraie, cbaullée à des degrés de pyro- mètre impossibles. L'homme n'a jamais aimé à cette puissance-là. :i.îo OILMTHOLUGIE l»ASSlO.NNb:LLt:. Et comme l'aflection des pères pour les enfants, chez les bètes, est toujours proportionnelle à l'amour qui engendre ceux-ci, la tendresse paternelle et maternelle du Cygne a droit d'être citée comme l'idéal du genre. Le Cygne ne calcule jamais ni le nom- bre ni la force des ennemis qui menacent la sécurité de sa famille; il se rue sur eux avec rage et attaque avec une égale fureur l'Homme, le Chien, le Cheval. H attend l'Aigle de pied ferme, le bec en arrêt et tendu comme un ressort, et le frappant d'estoc et de taille k la fois, il l'étourdit promptement et finit par le chasser honteusement de ses eaux. Il ne cache son nid à personne, étant là pour le défendre, et le Renard, si rusé, si aflamé de jeunes volatiles, n'ose pas même approcher de sa progéniture. Malheureusement son humeur changeante en amour l'expose à de sanglants tournois pour la possession des femelles. Un combat de Cygnes est presque toujours un duel à mort, mais le différend ne se vide pas en un jour; car ces animaux ont la vie dure, et la force et la rage ne leur suffisent pas pour se tuer. Il faut de plus, pour cela, une haute dose d'adresse, et d'adresse de lutteur. Le coup de merci consiste à enrouler le col de son adversaire dans l'étau de ses vertèbres et à le tenir ployé et enfoncé sous l'eau jusqu'à ce que la victime expire d'asphyxie. J'embrasse mon rival, mais c'est pour l'étouffer^ disent les Cygnes, parodiant sans s'en douter le fameux vers de Néron. Si ces drames échevelés ensanglantent rarement les eaux de nos bassins, c'est que le Cygne domestique mâle est presque toujours condamné à la fidélité conjugale par la rareté des femelles, et qu'il se résigne à être sage par impossibilité de pécher. Mais dans les eaux du Nord, dans les lacs de l'Islande et de la Laponie, où vivent en liberté un grand nombre de Cygnes sauvages, ces oiseaux se livrent avec fureur à la manie sanguinaire du duel, (|ui lève chaque printemps, sur l'espèce. LK CYGNK. ;K)1 son tribut de victimes. La sagesse apparente du Cygne domes- tique est cause qu'on l'a considéré autrefois comme un parangon de fidélité, et qu'on l'a attelé à ce titre au char de la déesse d'amour; mais cette gloire était usurpée. Âjoutcrai-je que la violence des passions jalouses du Cy^ne atteint au diapason des fureurs médéennes et le pousse à l'infanticide, en lui faisant voir un rival dans chacun de ses fils? Le père, dans cette famille, tue quelquefois sa progéniture masculine, quand elle a revêtu la robe blanche de l'adulte. Il était bien difficile de ne pas prêter à qui était si riche. C'est pour cela(jue les Grecs, qui étaient fort généreux de leur nature, voulaient à toute force douer le Cygne d'une voix mélancolique et tendre, plus suave et plus flùtée que celle du Rossignol. Le mensonge des Grecs était excusable, comme provenant de leur amour pour la perfection et l'idéal. Pour l'atténuer, ils publièrent que la voix mélodieuse dont ils avaient fait don au Cygne ne s'entendait qu'une seule fois dans la vie de l'oiseau, à l'heure qui procédait sa mort. Le mensonge a réussi, parce (ju'il était joli comme tout ce qu'a menti la Grèce. Les poètes lui ont donné force de vérité par leurs vers, et le chant du Cygne a reçu droit éternel de cité dans la langue des peuples, tant la fable a d'attraits pour les faibles mortels. Je ne vois plus la nécessité de dissimuler la vérité, aujourd'hui que nous avons le bénéfice du mensonge. Le Cygne n'a pas une voix plus harmonieuse que celle du Rossignol; il craquette comme la Cigogne, et cancane, hél.isî comme l'Oie, sa plus proche parente, et l'heure où il fait le plus de bruit, n'est pas celle qui précède sa mort, mais bien celle qui suit l'éclosion de ses petits. Du reste, les anciens avaient déjà réfuté victorieuse- ment la fable. Pylhagore, qui était géomètre, avait naturellement admis la ver- sion du chant de mort ; même il avait fait mieux. Il avait prouvé 332 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. que la douceur de ce chaut funèbre était due à la grandeur du cir- cuit que l'àme de l'oiseau était obligée de faire pour s'échapper de son corps à travers son long col. Mais Pline avait combattu avec succès l'opinion du géomètre; et l'explication ingénieuse relative à l'influence de la, dimension de la trachée-artère du Cygne sur la suavité de ses cordes vocales, avait dû tomber devant l'argument que cet oiseau ne chante pas. Antérieurement à Pline, Aristote avait déjà fait une conces- sion louable à la vérité. Il soutenait bien encore que les Cygnes de la mer d'Afrique chantaient d'une façon agréable, mais il affirmait en même temps que cet exercice n'était aucunement défavorable à leur santé et n'annonçait pas leur fin. Je n'aurais accompli que la moitié de ma tâche, si je me bor- nais à démontrer la légitimité de l'engouement des anciens pour le Cygne. Pour l'achever, j'ai besoin de réduire à néant les attaques dont le noble oiseau a été l'objet de la part des modernes. Toutes les attaques des ennemis du Cygne se réduisent à une seule, à savoir que le Cygne, surtout quand il est vieux, est très-mauvais coucheur. On a vu des Cygnes, disent-ils, prendre en grippe des vétérans et des gardiens du Luxembourg, s'élan- cer hors de leur bassin pour les poursuivre à coups de bec, frapper lâchement des enfants sans défense, casser la jambe à des poulains innocents qui venaient paisiblement s'abreuver à leurs ondes... Le Cygne est un être insociable qui ne peut vivre en paix avec personne, et qui maltraite impitoyablement les Oies et les Canards qui lui oflrent leur amitié... Déplorable conséquence de l'aveuglement de la Science privée du sens analogique ! Voici une bête qui symbolise l'édile des eaux, qui doit être un miroir de pureté, de distinction, d'clé- LK CYELLt:. Cigogne, il n'y a qu'à considérer le caractère et Je nom de ses ennemis. Ses ennemis intimes s'appellent le Serpent et le Cor- beau. Le Serpent et le Corbeau sont des hêtes maudites depuis le paradis terrestre et l'arche de Noé. Si les amis de nos amis sont nos amis, h plus forte raison cela se peut-il dire des enne- mis de nos ennemis. Je n'hésite point à proclamer le moule de la Cigogne comme l'un des plus édifiants qu'ait pétris la main du Créateur. La Cigogne a été évidemment destinée, comme l'Hirondelle, à vivre avec le souverain de la terre sur le pied de la cordialité la plus intime. C'est chose évidemment curieuse à signaler, en effet, que la similitude des mœurs et des fonctions et des dominantes affec- tives entre les Cigognes et les Hirondelles, ces deux oiseaux de si haut titre, que Dieu a chargés de purger l'air et la terre des insectes et des reptiles hostiles au repos de l'homme. Ne sem- blerait-il pas que le Créateur, en leur fixant pour commune demeure celle de l'homme, ait eu dessein de tenir perpétuelle- ment sous les yeux de celui-ci un spectacle édifiant de bonnes mœurs et de vertus privées ? Remarquez que l'Hirondelle est, aussi bien que la (Cigogne, un modèle achevé de lidélité conju- gale et d'amour maternel, et qu'il n'est pas un trait de dévoue- ment héroïque dans la vie de l'un des deux oiseaux qu'on ne retrouve dans celle de l'autre. C'est pourquoi le peuple, qui s'entend mieux que les savants à baptiser les créatures du Sei- gneur, a marié les deux moules dans sa reconnaissance, et appelle indifféremment la Cigogne et l'Hirondelle du môme nom (\'oisean du bon Dkv. A propos d'Hirondelle et d'oisenu du bon Dieu, (|u'on me laisse raconter une histoire touchante que l'analogie passionnelle m'avait. fait pressentir, quand je faisais de la douce créature, le svmbole de la bœur de charité. Un de mes vieux amis de chasse, Je commandant Ponget, m'écrivait de Constantine, l'an passé : « Vous ne dites pas assez d^ la charité de l'Hirondelle. Je ne pense pas qu'aucune espèce ait jamais porté ce sentiment aussi loin, et je ne parle pas de la charité pour les siens, qui n'est que tendresse naturelle et forcée pour ainsi dire, je parle de la charité pour autrui. Voici à l'appui de mon opinion deux faits récents qui sont dignes d'avoir place en vos intéressants récits : » Un enfant de la maison s'en revenait des champs, où il avait assisté à un de ces dénichements monstres de moineaux- francs qui se font ici, tous les ans, vers la mi-avril, et dont vous n'avez pas d'idée en France. Il avait sauvé du massacre une demi-douzaine d'innocents qu'il comptait élever, mais les pauvres petits étaient encore trop jeunes pour pouvoir se passer des soins de leur vraie mère, et deux ou trois étaient morts avant le soir des fatigues de la traversée. Comment faire pour empêcher les survivants de subir le même sort? Les moments étaient précieux et notre perplexité fort grande, quand les ga- zouillements d'une Hirondelle, qui chantait au-dessus de nos têtes, et qui avait son nid au plafond de l'appartement où nous délibérions, me suggérèrent i'heureuse idée de lui confier l'édu- cation de nos malheureux orphelins. L'enfant, en désespoir de cause, donne son adhésion au projet, qui est sur-le-champ mis à exécution. Les jeunes moineaux sont introduits dans le nid, en présence du père et de la mère qui paraissent d'abord plus inquiets que charmés de ce surcroît de famille qui leur tombe du ciel. Cependant, la première émotion se calme et les chari- tables créatures ne tardent pas à comprendre le service qu'on espère d'elles. Elles sortent, et la première fournée de mouche- rons qu'elles rapportent est pour les nourrissons étrangers, qui auront part, à dater de cette minute, à tous les soins et k toutes les tendresses de leurs parents adoptifs, tant et si bien 3'i(i OUMillOLUGlE PASSlaNMiLLi;. qu'avant la lin de la quinzaine ils atteignirent toute leur crois- sance et prirent leur volée. » Ce trait de charité sociale n'a rien de bien extraordinaire, je le sais, et trouverait sans peine son pendant dans l'histoire d'une foule d'oiseaux et de bètes à quatre pattes; mais le second l'ait que j'ai à vous raconter me semble sortir un peu plus du cadre de la banalité. Les héroïnes de cette seconde histoire sont les mômes que celles de la première, les Hirondelles qui avaient fait élection rie domicile dans l'intérieur de notre appartement. » Leur nid est vide, les petits moineaux sont partis depuis huit jours, les Hirondelles aussi. L'enfant alTriandé par le succès de la première expérience et désireux d'en tenter une seconde apporte une nichée de Rossignols qui ne font que de naître, et sont au nombre de cinq. On les hisse dans le nid vacant. Une demi-heure après, deux Hirondelles qui voltigent dans le voi- sinage, entrent dans l'appartement, avisent leur demeure occu- pée, comprennent aussitôt le nouvel appel adressé à leur charité et se mettent immédiatement en devoir d'y répondre. Moins de douze jours après, l'éducation des nouveaux orphelins était parachevée. » Ces faits là, et mille iuitres (|ue l'un pourrait citer, parlent assez haut pour pouvoir se passer de commentaires, le n'ai reproduit l'histoire si touchante des Hirondelles du commandant Pouget, que pour témoigner du grand esprit de sngcsse et de justice distributive qui était en l'analogie passionnelle quand elle a attribué à THirondelie l'emblème de sœur de charité. Chez les Cigognes, ainsi (|ue chez les Pigeons et chez les Hirondelles, le mâle est admis à partager les soins de l'incuba- tion. J'ai dit que ce rare privilège n'avait été dévolu aux mâles que dans des espèces de haut tide. Hiii dit tendre maitii-sse dit LA CKiOli.M:. 347 aussi tendre mère, nourrice passionnée. L'amour des Cigognes pour leur progéniture dégénère en idolâtrie. Une Cigogne femelle du Yorarlberg (Tyrol) avait été blessée à l'aile quelques jours avant celui fixé pour le départ général. Alors, son époux, qui avait déjà pris des engagements et fait ses préparatifs de voyage, voyant que son amie ne pourrait le suivre, renon«;a à tous ses projets pour tenir compagnie à la pauvre blessée, et resta l'hiver auprès d'elle, veillant à ses be- soins avec l'attention d'une mère, ou plutôt d'un amant. Un homme ne peut guère s'imaginer ce (piil faut de puissance sur soi-même à un oiseau voyageur pour contraindre le penchant qui l'emporte vers les pays lointains. Il y a une douzaine d'années que les Hadarsde TIemcen furent chassés de cette ville par nos soldats vainqueurs. La tribu expul- sée dut chercher un asile aux frontières du Maroc, où son exil dura trois ans et plus. Or, le jour où les autorités françaises rouvrirent aux exilés les portes de la patrie, toutes les Cigognes de la cité musulmane advolèrent d'un commun essor au devant des bannis, enveloppèrent, pendant une heure ou deux, la troupe de mille cercles de joie, et après avoir épuise, pour la féliciter de son heureux retour, toutes les formules de l'allégresse, tirent avec elle leur rentrée triomphale. • Quand les Cigognes s'apprêtent à quitter nos climats à la suite du soleil, elles ont soin d'étager les départs pour éviter les encombrements de la route. Les Cigognes qui habitent l'Alsace attendent pour partir que celles de la Hollande et des pays plus septentrionaux s'ébranlent : on s'envoie des estafettes de l'une à l'autre patrie; on se donne des rendez-vous préparatoires, puis des rendez-vous détinitifs sur des tours de cathédrales histo- riques. On discute sur la convenance de Strasbourg, de Cologne ou d'Anvers. On s'arrange de manière à égaliser l'elfectif des convois. On lixe la longueur de la course quotidienne, les sta- liiS OHMTHOLOGIE PASSIOi.NELLli. tions intermédiaires et la durée des séjours ; ou prévoit les en-cas d'intempérie et l'on dispose en conséquence. Les mâles les plus vieux et les plus expérimentés sont chargés de prendre les devants et de préparer les logis sur la route. Aussi le passage des Cigognes s'opèrc-t-il chaque année avec une régularité surprenante. Je connais, dans le département de Seine-et-Oisc, aux environs d'Étampes, une station de ravitaillement des Cigo- gnes, où jamais ces oiseaux ne manquent de prendre langue une ou deux fois par an. Les vieux mâles, comme chez la plupart des espèces voya- geuses, précèdent les femelles et les jeunes dans les émigrations. Us profitent de leur avance pour réparer les vieux nids et net- toyer leur ancien domicile, de manière à ce que les femelles trouvent à leur arrivée leurs appartements en état. Ces prépa- ratifs terminés, ils s'en retournent galamment au devant des arrivantes, et la rencontre est l'occasion d'un échange de cra- quettements d'allégresse et de caresses sans fin. La Cigogne ne craint pas la captivité comme l'Hirondelle. Elle court même au-devant de la domesticité, et dans cet état elle se lie rapidement d'amitié avec tous les commensaux de la maison qu'elle habite, enfants, chiens, chats, volailles. Elle témoigne en toutes ses manifestations une vive sympa- thie pour l'homme, mais surtout pour la femme et pour l'enfant,' étant titrée en mineur et non pas en majeur. Néanmoins, il arrive fréquemment que la Cigogne libre qui passe au-dessus d'elle Initient de tels discours, lui fait, des contrées où elle va, de si poétiques récits, que son imagination s'enflamme, et que la curiosité l'emportant sur la sagesse, elle quitte tout à coup le toit hospitalier. Mais même quand elle cède à ces entraînements, si excusables chez l'oiseau voyageur, ce n'est pas sans esprit de retour. Elle part, mais pour revenir au prochain renouveau, et le souvenir de l'hospitalité reçue ne s'efl'ace jamais de son cœur. I.A CIGOGNE. lin Une autre circonstance atténuante de son apparente ingratitude, se tire de ce que la Cigogne ne produit pas en captivité, et qu'il est bien dur de renoncer aux joies de la famille, quand la nature vous a douée de toutes les aptitudes nécessaires pour vous faire goûter ces jouissances dans toute leur plénitude. Les historiens des bétes d'autrefois voulaient absolument que la Cigogne eût guerre avec la Chauve-Souris, et amitié avec la Corneille. Suivant l'nntiquité, l'oiseau à poil, l'oiseau du diable, éprouvait un bonheur indicible à ensorceler les œufs de l'oiseau du bon Dieu. Heureusement que la Cigogne, qui était versée, comme on a vu, dans l'étude des simples, était instruite de la profonde antipathie qui existait entre le platane et la Chauve- Souris. Rien de plus commode conséquemment que de garer son nid des malélices d'icelle; il suffisait de tapisser de feuilles de platane la couche de sa progéniture, ce qu'elle n'omettait jamais de faire ; si bien que lorsque la bète diabolique venait pour accomplir son œuvre de perversité, elle trouvait la place garnie du préservatif en question, et se retirait toute confuse avec un pied de nez. Les choses se passent autrement aujour- d'hui. Comme la Cigogne a l'habitude de croquer la Chauve- Souris toutes les fois que l'occasion s'en présente, l'oiseau à poil paraît fort peu jaloux de la lui procurer. Quant à l'amitié de la Cigogne et de la Corneille, qui portait celle-ci à accompagner l'autre en toutes ses courses et à lui servir d'aide de camp, j'ai déjà démontré ailleurs la fausseté de ce conte. Non-seulement les Cigognes et les Corneilles ne voya- gent pas de compagnie, puisque les unes s'en viennent quand les autres s'en vont , mais la vérité vraie est que la Cigogne n'a jamais eu de plus mortels ennemis que dans la race des Cor- neilles, dans celle du Choucas notamment, autrement dit le petit Corbeau des églises. Le Choucas, ainsi que toutes les Corneilles ■.m OP.MTIIOI.OGIE PASSIONNELLE. et tous les Corbeaux du monde, est voleur d'œufs de son métier. Comme il habite les mêmes édifices que la Cigogne, il est en superbe position pour espionner les absences de celle-ci. II monte donc dans son aire quand elle est partie pour la chasse, et lui ravit ses doux trésors d'amour, quand il ne juge pas plus opportun de les gober sur place. La Cigogne est malheureuse- ment sans défense contre cet ignoble pillard qui trouve à se cacher partout. Maintenant, la haine du Corbeau, de la Corneille et du Chou- cas pour la Cigogne est une haine fatale, une haine de bête noire à bête blanche, qui se légitime par un intérêt puissant. Le Corbeau, qui veut rester à tout prix dans l'amitié de l'homme, ne peut justifier son ambition qu'en se faisant valoir comme cureur et balayeur des champs, comme destructeur des vers blancs et des limaces, voire comme croquemort. Si l'homme a jusqu'ici ménagé cet auxiliaire cauteleux, c'est, en eflet, qu'il a cru à son utilité. Or, comme la Cigogne, qui est l'ennemi irré- conciliable de la Corneille, veut ravir à celle-ci sa spécialité tutélaire, le seul bouclier qui la protège contre l'imminence d'une extermination complète, il est tout naturel que la Corneille, placée sous la menace d'un semblable danger, redouble d'eflbrts pour anéantir sa rivale, .l'ai grand'peur qu'elle ne touche au moment du triomphe, en ce pays, du moins. Car déjà la Cigogne n'avait trouvé que deux départements habitables en cette vaste France, si fertile, si bien arrosée, par- tant si féconde en reptiles. Deux départements sur quatre-vingt- six, ce n'est guère ; et la raison que l'oiseau donne de son établissement exceptionnel en Alsace, est bien laite surtout pour aflligerdes cœurs véritablement patriotes. Ce n'est pas seulement, dit -elle, parce que les deux départements du Rhin sont ceux où l'industrie agricole et l'industrie manufacturière ont atteint leur plus haut degré de perfection qu'elle les a adoptés pour patrie, 1,\ CKirxiNR. .•!:;i mais, avant tout, parce que ces deux départemenl^nourrissent la population la plus probe et la plus éclairée de France, et parce que l'Alsace est peut-être aujourd'hui la seule province française où la loyauté en amour trouverait un asile si elle était bannie du reste du pays. Or, il est parfaitement constant que cette noble et héroïque population d'Alsace, si industrieuse, si candide, si fidèle à sa foi, est exploitée et saignée à blanc par une race de vampires infimes, par cette race d'usuriers exotiques, dont ma plume écrit le nom toute seule quand elle sent mon pouls s'agiter. Alors, quand le peuple travailleur alsacien périt sous la dent de l'usure, comment voulez- vous que la pauvre Cigogne tienne contre les attaques du Corbeau, le diminutif du Vautour et le moule omnivore par essence ! Je sais que des guerres intestines ont éclaté quelquefois parmi des tribus de Cigognes. Mais ce n'est pas à nous autres hommes, Chauvins stupides de la nationalité, de condamner des guerres qui ont toujours pour excuse l'amour exagéré de l'édifice natal. Je sais encore qu'on reproche à la Cigogne, ce modèle achevé des mères, de ne pas respecter toujours la progéniture fraîche éclose d'autrui. Mais que voulez-vous, la faim est si mauvaise conseillère, et quand le Mulot est rare, et aussi le Serpent, et aussi la Grenouille, il faut pourtant bien se rabattre sur quelque chose pour vivre, et alors malheur aux petits oiseaux qui ont la mauvaise chance; mais une fois n'est pas coutume, et puis, qui est-ce qui est parfait? Couvrons d'un voile d'oubli ces courts moments d'erreur, et ne jetons pas la pierre à la pauvre bète pour si peu. La Cigogne est un bel oiseau blanc, au bec et aux pieds roses, aux longues ailes concaves, frangées de noir, à l'envergure immense, aux os pneumatisés. Elle vole les jambes pendantes, Xii ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. et s'élève dans les airs aussi haut que les Faucons, les Milans et les Aigles. Elle a trente pennes à la queue, en signe du grand esprit de conduite ^t de sagesse dont Dieu l'a douée. Durant les heures le plus brûlantes de la chaude saison, la Cigogne va cliercher le frais aux limites extrêmes de l'atmosphère, où elle dessine sur la voûte du ciel d'immenses orbes (jue le noir crayon de l'ombre décalque en zones mobiles sur la face des murs blancs et du sol embrasé. Par la puissance de son vol, qui lui donne permis de séjour dans la région des nues; par le genre de sa nourriture, qui est le même que celui des plus grands oiseaux de proie; par la force de son bec et la légèreté de son corps, par sa fidélité en amour, la Cigogne confine à la série des Ra- paces planeurs, dont elle est séparée par un groupe ambigu magnifique, celui du serpentaire et du cariama, qui manquent à l'Europe. On sait que ces deux espèces, destinées à purger J 'Afrique et l'Amérique australes des innombrables tribus de Serpents qui les infestent, portent des becs d'Aigles sur des cous de Cigogne, et sont montées sur échasses comme celle-ci. Envisagé sous le point de vue artistique, la question de la Cigogne n'a pas moins d'intérêt (jue sous le point de vue moral, agricole ou économique. Il est dans la nature de la Cigogne de chercher à unir l'agréable à l'utile. Elle pose, sans le savoir, sans le vouloir peut-être, mais elle pose en tout et partout; de là sa popularité d'atelier. Elle pose quand elle marche à la suite de la charrue d'un pas grave et méditatif, l'air profondément pénétré de l'importance de son travail ; elle pose quand elle se cloue immobile sur une patte à la cîme arrondie du minaret d'Orient, comme au bout de la llèchc aiguë du clocheton des vieilles cathédrales. Elle objecte, pour se justiher du reproche qu'on lui fait de trop affectioni; ;ir ces altitudes ambitieuses, (|u'elle a mission d'indiquer aux travailleurs de la cité de quel rûté le vent souffle, et en cela o!li! dit vrai. Dieu, on établissant LA CIGOGNE. .Ii3 la Cigogne sur le faîte des hautes tours, l'a priée de remplir cet olïice de girouette vivante à ses moments perdus, et il en a peu coûté, comme on pense, à l'oiseau complaisant d'obéir â l'injonc- tion céleste, et de tourner le dos au vent. Enfin, c'est sa nature, la Cigogne pose au repos, elle pose en marchant, elle pose en volant, et ce n'est pas sa faute si son caractère de décors naturel ne peut la quitter un moment. Aussi les peintres de l'Orient, les plus lidèlcs à l'expression de la couleur locale, n'oublient-ils jamais de colloquer un épisode quelconque de Cigogne dans un coin de leur toile. Les amateurs qui ont souvenance d'avoir admiré au Louvre, il y a deux ou trois lustres, un chef-d'œuvre de Decamps, intitulé le Supplia; des crochets, doivent se rappeler, entre autres beautés de la scène, l'elVct saisissant de contraste que produisait avec l'hor- rible sujet du drame principal, le vol placide et indifférent d'une Cigogne traversant lentement l'éther, le bec ceint d'une couleu- vre, et rapportant à ses petits les joies du repas de famille, à quelques toises de la muraille sanglante où pendait la victime humaine, accrochée par lambeaux. Je suis heureux de trouver cette occasion de dire en face à Decamps, que je le considère comme celui de tous les grands coloristes de ce temps-ci qu'a le mieux inspiré la patrie du soleil. La Cigogne est l'emblème du ménage humain d'harmonie, d'où n'approchent jamais les cancans, les jalousies ni les que- relles. La Cigogne n'a qu'une parole en affaires comme en amour; c'est l'emblème des cœurs droits et sincères, esclaves de leur foi, et sobres de promesses. Chaque commune aura un jour sa ciconière, où les Cigognes, après avoir extirpé la race des Serpents, des Mulots et des Hannetons, seront logées, nourries et entretenues aux frais de la cuisine publique. LE JARDIN DES PLANTES C'est le jardin du peuple; on a tout fait sous la Restauration pour le débaptiser, pour le forcer d'adopter le nom de jardin du Roi, il est resté le jardin des Plantes, comme le pont d'Auster- litz est resté le pont d'Austerlitz. C'est le jardin du peuple, car c'est le seul qui fasse bon accueil au pauvre monde et qui ne s'offusque pas de l'humble livrée du travail, recevant le béret ou la veste avec les mêmes honneurs que l'habit noir et ce frag- ment de tuyau de poêle qui s'appelle chapeau rond et qui fait partie obligée du costume de bonne compagnie. Le peuple n'entre pas au jardin des Tuileries, parc réservé à la classe fainéante, à moins qu'il ne fasse excessivement chaud, comme au 1 0 août ou au 29 juillet, ou qu'il n'éprouve le be- soin de changer son gouvernement contre un autre; ce qui est cause que l'histoire a tenu note de ses visites et que chaque dynastie nouvelle n'a jamais rien eu de plus pressé que de consigner à sa porte le terrible visiteur, dès le lendemain de son installation. On ne paye pas pour entrer au jardin des Plantes de Paris, comme cela se pratique au jardin Zoological de Londres, et la différence qui existe dans le régime économique des deux éta- * Ceci était écrit et publié en mai 1816, ii une époque oi'i existait encore faristocralie britannique, morte depuis. LE JAP.niN DES ri,\XTES. n.ïrj blisseuients est caractéristique de l'esprit national des deux peuples. En Angleterre, où l'or est tout, où l'homme ne reconnaît d'au- tre loi, d'autre Dieu que l'or, où les ministres de la religion les plus vantés pour leur philanthropie (Malthus et consorts) refu- sent au pauvre le droit d'aimer, à l'enfant du pauvre le droit de vivre ; en Angleterre, pays d'oligarchie et de fausse liberté, où la classe improductive et gouvernante a le plus grand intérêt à prolonger la misère et l'abrutissement des classes laborieuses, les institutions ne peuvent pas porter le cachet démocratique. Un gouvernement de caste ne peut pas raisonnablement doter le peuple d'établissements où l'instruction se distribue gratis, ni s'occuper de développer l'intelligence de ceux à qui l'on n'ac- corde pas même le droit de s'asseoir au fjmml banquet de la vie. L'aristocratie britannique ferme donc le jardin Zoologique au pauvre et elle a parfaitement raison; elle frappe l'éducation du peuple d'impôts quasi-prohibitifs en même temps qu'elle dégrève l'alcool, c'est dans l'ordre. Le gin, comme le tabac, aide à l'oppression, car il tue le corps en même temps qu'il abrutit l'âme ; et l'expérience a prouvé que le Saxon et l'Irlan- dais étaient plus gouvernables ivres qu'à jeun. Si le gouver- nement anglais se met quelque beau jour en frais de munificence pour le peuple, ce ne sera jamais que pour lui faire des distri- butions de gin. Il n'en saurait être de même en France, terre de chanté et de démocratie, où la démarcation entre les classes laborieuses et les classes fainéantes n'est pas eneore aussi tranchée qu'en Angle- terre ; où le peuple et le roi ont longtemps combattu sous le même drapeau ; où le peuple et le roi ont eu longtemps besoin de demeurer unis pour briser l'orgueilleuse aristocratie, l'aristo- cratie fédérale et protestante qui a vaincu en Angleterre. L'État qui s'appelait le roi en France, lorsque le roi de France s'appe- 3o6 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. lait Ilcuri IV, Richelieu ou Louis XIV, l'Etat naturellement dut faire beaucoup pour le peuple de France, dans le sein duquel il avait toujours trouvé ses auxiliaires, ses amis. C'est pour cela que toutes les grandes fondations de nos grands rois sont des institutions vraiment démocratiques. Paris a toujours été plein de collèges nationaux où l'enfant du peuple était admis à étudier gratis toutes les sciences et tous les arts, sous la parole des plus célèbres professeurs du monde civilisé. La pauvreté, en France, n'est encore qu'un vice ; ce n'est pas comme en Angleterre uq crime irrémissible. Voilà pourquoi le public ne paye pas pour voir les bêtes et les fleurs au jardin des Plantes. Le gouvernement de France n'a pas encore perdu tout à fait le sentiment de ses devoirs. En efl"et, toutes ces galeries si riches et si bien parquetées, c'est pour le peuple, c'est pour nous tous que l'État les a cons- truites, qu'il a rangé avec tant de soin et de somptuosité toutes les pièces intéressantes du mobilier de ce monde et des mondes détruits; c'est pour nous qu'il appelle tous les jours les plus hau- tes notabilités de la science aux chaires d'anatomie, de chimie, de zoologie, de minéralogie, de botanique, prenant généreuse- ment à sa charge les frais de l'éducation du peuple. C'est pour nous tous que ces riantes avenues de catalpas, de marronniers, d'arbres de Judée et de virgiliers étalent de si splendides toi- lettes, que le squelette décharné des sapins s'entoure de ses col- liers de glycines comme un mât de navire pavoisé pour une fête ; pour nous que fleurissent les cerisiers à fleur double, les magno- lias, les pivoines et les rhododendrons, et les rouges buissons des groseillers du Canada et des cognassiers du Japon ; pour nous que les flèches roses des tamarins agitent dans les airs leurs élégants panaches, que les iris, les lilas et les roses embaument l'atmosphère de si douces senteurs. Et voyez comme cet entas- sement de richesses est cependant ordonné avec sagesse et de LE JAllDLN DES PLANTES. 3o7 manière à ce que l'intérêt de la science n'ait pas trop à souflrir de la coquetterie des groupes qui ne cherchent qu'à séduire les yeux. Le jardin des Plantes de Paris, avec son luxe d'enseignement gratuit, de collections, de galeries, de bibliothèques, de cultures, est la plus belle création de l'esprit national français. Je le pré- fère au Louvre. Une seule chose m'atllige dans ce magnifique assemblage des produits de toutes les zones, c'est d'y voir le règne animal si faiblement représenté en sds verbes vivants, car il s'en faut que la richesse des loges et des parcs soit en état de rivaliser avec celle des écoles de botanique et des galeries de minéralogie. Je suis fâché aussi de voir les pauvres fleurs soufl'rir injuste- ment de l'excessive popularité des bêtes. Un jour l'homme du peuple, dégrossi par la généralisation du bien-être, puis ralliné par l'éducation harmouienne, saura quels rapports secrets unis- sent l'homme à la plante, et son affection pour les délaissées d'aujourd'hui s'en accroîtra d'autant. Savez-vous pourquoi le culte passionné des fleurs compte plus d'adeptes dans les rangs de la plus belle moitié du genre humain que dans l'autre? C'est que les liens de parenté qui unissent l'espèce humaine à la fleur sont plus sensibles chez la femme que chez l'homme. Je n'ai jamais connu un homme de goût, un poëte, qui m'ait contesté la parente des jeunes biles et des roses, et rarement ai-je ren- contré aussi une jeune fille sachant sa valeur, qui reniât cette parenté. Au contraire, demandez à l'aualogiste ou au poëte pourquoi la rose est la plus belle des fleurs, la pêche le plus savoureux des fruits, le petit pois le plus délicat des légumes, l'analogiste et le poëte répondront : la rose est la reine des fleurs, parce qu'elle est l'emblème de la jeune vierge, élégante, parfu- mée, pudique; la pêche est le plus savoureux des fruits, parce 358 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. qu'elle est remblème de la vierge, dont l'haleine est douce et suave comme le parfum de la pèche et les joues aussi vermeilles et aussi tendrement veloutées que l'enveloppe de ce fruit ; et le petit pois aussi, qui porte comme la pèche le duvet de virginité et veut être mangé dans sa fleur. J'ai entendu dire à des faiseurs de madrigaux et de bouquets à Chloris que la passion des femmes pour les Heurs n'était qu'un essor de coquetterie et d'égoïsme familial. Us disaient qu'on se plaît à se revoir dans son entou- rage, qu'on aime à se mirer dans les siens quand on s'aime. Le civilisé aime le singe, c'est un fait que je ne chercherai pas à expliquer, par la raison ci-dessus, mais un fait bien constant ; le théâtre des Singes est le plus couru de tous les théâtres du jardin des Plantes. C'est une création de M. Thiers. Beaucoup de gens s'étonnent que le chef du ministère du ]" mars, le signa- taire de la note du 8 octobre, le même qui a rappelé à Toulon la flotte de l'amiral Lalande, ait conservé si longtemps sa popu- larité et son importance politique. Je ne partage pas i'étonne- ment général, quand je songe que le palais des Singes, au jar- din des Plantes, est l'œuvre de ce ministre; car c'est là le fon- dement d'une popularité plus impérissable que celle de l'orateur. Quand le peuple aura oublié les discours et les histoires de M. Thiers, il se souviendra de son palais, comme il a oublié les fautes et les prodigalités du règne de Louis XIV, pour ne plus se souvenir que des Invalides et du Louvre, et des autres créa- lions du grand roi. Eu vérité, en vérité, je vous le dis, le palais des Singes sera vivant encore dans la mémoire des hommes, et . le nom de M. Thiers en honneur au jardin des Plantes, plus de trente ans après que la gloire de l'hislorien et de l'orateur aura péri, ou du moins qu'on ne citera plus son nom que comme on cite sur le turf ceux de Félix, de frétillon eid' Éclipse, à propos d»' vitesse prodigieuse parcourue dans un tenips donné ; « Mon- LE JAUDIN DES PLANTES. 359 sieur uu tel, dira le Tiinoii du temps, en parlant de la célébrité parlassièredu jour, est un immense orateur qui parie onze colonnes du Moniteur à l'heure. — C'est très-joli, assurément, lui répon- dra quelque érudit versé dans la connaissance des annales par- lementaires, omis ils ont eu mieux que cela en civilisation, vers le milieu du dix- neuvième siècle, un petit homme, pas plus haut que çà, qui s'appelait Adolphe Thiers, et qui parlait douze colonnes sans cracher. » Mais M. Thiers n'a pas créé que le palais des Singes au jardin favori du peuple. La reconnaissance publique inscrira encore son nom sur ces magniliques cages de verre sous lesquelles vi- vent enchâssées les forets vierges du Brésil et de l'Inde, et qui auront été les premiers modèles de ces gigantesques palais de cristal et de ces grandioses jardins d'hiver où nos enfants se promèneront sous cloche. Le peuple n'oublie jamais qui s'est occupé de ses plaisirs; il associera dans sa gratitude le nom du petit homme aux grands noms des La Brosse, des Colbert, des Daubenton, des Buffon,des Cuvier, des Geoffroy Saint- Hilaire, dont les efforts persévérants ont doté la capitale du monde civilisé de son plus bel ornement. A propos de Col- bert et du jardin des Plantes, j'ai trouvé dans l'excellent ou- vrage que vient de publier M. Pierre Clément sur la vie du grand ministre, une touchante anecdocte. C'est un mouvement d'indignation superbe de monsieur le contrôleur général qui, ayant appris que des employés de l'établissement s'étaient per- mis de planter des chasselas pour leur compte dans un terrain destiné aux cultures scientifiques, se rend sur les lieux une pio- che à la main et déracine les ceps usurpateurs. Trouvez-moi donc un homme d'État de ce temps-ci qui oserait porter la pioche dans un jardin usurpé par un grand personnage quelconque sur le domaine public, et uu hoinme d'État capable 300 ORNITHOLOGIE PASSIONNELLE. d'instituer une chambre de justice pour vérifier la fortune des écumeurs de bourse. Le vulgaire peut s'amuser des Ours, des Lions et des Pan- thères noires; moi qui sais les passions et les besoins de ces es- pèces, je passe en gémissant sur leur captivité .'Donnez-moi de l'air et du jeu à ces puissantes machines, si vous voulez que je reconnaisse en elles les moules que le Créateur a pétris. Qu'on les enferme comme les Lionceaux d'Algérie dans un parc où elles puissent se mouvoir et s'étendre au soleil ou se plonger dans l'onde; qu'on élargisse l'espace, ou si l'espace manque, qu'on supprime la représentation des félins en loge grillée. L'empereur Napoléon qui comprenait toutes les grandes pen- sées, qui chassa les économistes et les moralistes de l'Institut et voulut retirer la banque et le roulage au commerce, l'empe- reur Napoléon avait admirablement compris, comme Louis XIV et Geoffroy-Saint-Hilaire, cette importante question du jardin des Plantes. Le vainqueur des Pyramides, qui était destiné à subir si cruellement les tortures de la captivité avait souffert aussi de l'emprisonnement cellulaire des hôtes du jardin des Plantes, et sa munificence leur avait voté en espoir une plus large hos- pitalité. D'après ses plans, l'emplacement du jardin des Plantes devait s'étendre jusque par delà les rivages fangeux de laBièvre et embrasser une surface dix fois plus étendue que celle d'aujour- d'hui. Alors il y eût eu d'immenses parcs grillés pour les bêtes féroces, des prairies pour les Cerfs, les Antilopes et les Gazelles, des cascades pour le Saumon et la Truite, des lacs dormants pour le Crocodile et pour l'Hippopotame. Les accapareurs de blés, dont la coalition amena les désastres de la campagne de Russie, firent avorter tous ces vastes projets en même temps. Je ne vois pas une page néfaste de notre histoire nationale sur laquelle ne soit écrit un nom d'accapareur. Mais qu'est-ce encore que ces merveilles écloses dans le cer- LE JABDl.N DES PLANTES. 361 veau de l'Empereur, merveilles déjà rêvées par Alexandre le Grand, il y a beaucoup de siècles, en comparaison des jardins des plantes que l'Harmonie réalisera quelque jour, plus tôt qu'on ne s'y attend, je vous en préviens tous? Un hasard heureux m'a lait tomber entre les mains le plan d'un jardin des plantes d'une capitale d'Heptarchat en Saturne. La crainte de provoquer l'in- crédulité de mes lecteurs et aussi le besoin de renfermer ma pensée dans un nombre limité de colonnes, m'empêchent de ré- véler les détails de cet établissement fabuleux, mais c'est à n'en pas croire son imagination elle-même, quand on en vient à com- parer les féeries monumentales qui s'exécutent là haut avec les mesquineries et les pyramides d'ici-bas. J'en rougis pour ce globe. Un jardin des Plantes de là-haut, c'est tout bonnement un petit monde en raccourci, en miniature, où tous les climats, toutes les zones et toutes leurs productions diverses sont ras- semblées, organisées et divisées d'après l'ordre sériaire dis- tributeur de l'harmonie. Quand je serai Grand Animalier de France, ce qui est ma vocation, ou pour me servir d'une expression plus propre, la destinée proportionnelle à mes attractions, je veux essayer de reproduire sur une petite échelle le jardin des Plantes que j'ai vu en Saturne. Comme la capitale de la France aura été, à cette époque, transportée à Poissy, près du confluent de l'Oise et de la Seine, et hors des méandres de ce dernier fleuve, c'est le coteau d'Andrezy que je choisirai pour sujet de mon expérimentation. Au pied de la colline s'étendra un bassin immense divisé en d'innombrables compartiments d'eau salée et d'eau douce, où seront réunis tous les habitants des ondes que je ferai servir suivant leurs goûts et leurs tempéraments. Il y aura le bassin des Baleines, le lac des Crocodiles et celui des Hippopotames et celui des Castors, tous chauffés à la température voulue par les besoins hygiéniques de chaque espèce. Sur les rivages de l'im- 302 ORiNnHOJ.OGIE PASSlOiNNELLE. raense plaine liquide, folâtreront dans les vertes prairies toutes les variétés de ruminants, depuis la Girafe jusqu'aux Gazelles microscopiques du Cap, depuis l'Aurochs jusqu'au Bélier, et dans chaque parc destiné à telle ou telle espèce, lleuriront les arbres et les herbes qui sont le fond de sa nourriture sur sa terre natale. Ainsi des Félins, des Plantigrades, des Solipèdes, des Élé- phants et des Singes. Une température artificielle et constante, entretenue par des procédés météorologiques à moi connus, entretiendra sur le sommet du mont des neiges éternelles, pour procurer à l'Ours blanc, au Chamois, à l'Élan et aux Hennés un milieu qui les console de la patrie absente, et la montagne et tous ses alentours seront taillés sur le patron de notre globe lui-même, et il y aura une Europe, une Asie, une Afrique, une Amérique et une Océanie, et le voyageur, au moyen de cet uni- versel géorama, pourra parcourir en quelques heures toutes les contrées de la terre, et voir, comme le sage Ulysse, les mœurs et les villes de beaucoup; et par mes soins un enfant d'alors ap- prendra plus d'histoire naturelle et de géographie en huit jours que les plus fortes tètes de Civilisation n'en apprennent en trente ans par les moyens connus. Or, si le palais des Singes a sulïi pour mener à bon i)ort le nom de M. Thiers à travers l'océan des âges, jugez quel avenir de gloire est réservé au mien ! Ce qui fait la valeur scieutilique du jardin des Plantes, ce qui constitue son indéniable supériorité sur tous les autres établis- sements publics de Paris, c'est la réunion, dans un seul lieu, de toutes les productions du globe ; c'est le rapprochement de la création actuelle de toutes les créations qui l'ont précédée; c'est le spectacle de ce monde en petit, qui permet aux habitants de toutes les zones de retrouver là les quadrupèdes, les arbres et les oiseaux sition 10 Ommvores : Caïadères généraux 15 Genre Casse-noix, 21. — GenreCorbeau : Caractères généraux, 23. — Le Grand Corbeau, 37. — Genre Rollier, .51. — Genre Geai, .>2. — Genre Pie, G2. — Famille des Pies-griéches, 71. Serripèdes propremeist dits : Caractères généraux yi Première série : Auxiliaires ou oiseaux de chasse, 98. — Genre Falconien, 1)9.— Le Faucon-pèlerin, 106.— Genre aslérien, 143. — L'Épervier, 145. — L'Autour, 132. — Genre Balbusard, 1.55. deuxième série: Rebelles ou insoumis, 161. — Genre Aigle, 172. Aigle royal, 174. — Sous-genre Pygargue, 204.— Genre Jean- le-blanc, 209. — Genre Milan, 214. — Genre Busard, 220. — Genre Buse, 223. — Genre Gypaète, 226. — Genre Vautour : Caractères généraux, 231, — Le Vautour, 235. Deuxième groupe : Nocturnes, caractères généraux, 266. — Le Grand-Duc, 270.— Sous-genreChouetle, 291. — L'Effraie, 292. Le Pélican :î<>3 Le Cygîje 320 La Cigogne 336 Le Jardin des plantes 354 CATALOGUE LIBRAIRIE PHALANSTÉRIENNE RUE DE BEAUNE, 6, A PARIS. (Novembre 1855) Cil. FOURIER. I.'llARMOMI-; r\IVF.BSF,l,I,K KT I.E PH \L WSTKI'.K oxiHiscs i>ar l'Vmiior. Honieil mi-lhodiiiiio «le morco.iiix choi^iis |ifir r;iiiteur. — a \n\. in-l><. H ir. LE NOUVEAU MO\nE indiistiicl et socicinire (;r édition). — l vol. in-n. 5 l'r. TIIKORIE DE l'UIVITÉ UNIVERSELLE (OUVlilfïC capital de Fourier). 2" éilition. — i vol. in-8", 18 fr. THÉORIE DES QUATRE MOUVEMENTS (prOIllirT ouvrage de Fourier publié en I808) 3' édi- tion. — 1 vol. in-8. (i ir. Les trois ouvrages précédents formant fi vo- lumes, sons le titre de oeuvres complètes DE fourier, ensemble. 1h (r. ANARCHIE INDUSTRIELLE (de I') Ct SCiCntifUlUe. — Brochure in-l 2, ôo c. CITÉS OUVRIÈRES. — Dcs wiodlfications à in- troduira 'l'iiis l'arcliitecture des villes. — Brochiii'f^in-'^. ;iO c. ÉtAREME\T DE LA RAISON, démontré piir le ridicule des sciences incertaines. — Bro- chure in-8. i fr. 50 c. ESPRIT IRRÉLIGIEUX (surD des modernes et DERNIÈRES ANALOGIES. — BrOChurC in-S. 75 C. LIVRET d'annonce du ucuvcau monde indus- triel. — Brochure in-s. l fr. MANUSCRITS, annéc i«')i. — i vol. format Charpentier, 3 fr. 50. Par la poste, l fr. — Année 1852, i \ oi., 3 fr. 50. Par la poste, ^ fr. MÉCANISME DE l'agiotace (Analysc du) et de la méthode mixte en étude de l'attraction. — Brochure in-8. i fr. 50 c. sommaire du grand traité, in-s. 2 fr. LE PHALANSTERE ou LA REFORME INDUSTRIf.LLF, qui a paru de I8:i2 à )83i, contient de trcs- nombreux articles de Fourier. 2vol.in-î, brochés en un seul volume, (liare; il man- que plusieurs numéros). 15 fr. LA PHALANGE. Joumal dc la science sociale, de is3f. à J84ti.— 3 vol. grand in-4. (Contient des éludes développées sur toutes les ques- tions actuellement à l'ordre du jour.) (Rare\ 2: fr. I.» i'ii\i.\\Gi:, .lournarde la Science sociale, (piiaparn 3 fois par semaine, de (8iOà IHis! - 7 Mil. grand Iii-h. on fr. LA pii\LA\GE, Itevne de la science sociale qui a paru d(î isiô à iHiit, eotitient plus de 1,500 |)ages des manuscrits dc Fourier.— 10 vol. in-8. Collection complète (très- rare). 50 fr. — Les livraisons se vendent séiorément sa- voir : les livraisons simples, 75 c., et les livraisons doubles, i fr. 50 c.; par la poste 1 fr. et 2 fr. — Voir le détail à la lin des ma- nuscrits 1852. — Nous avons faitreli(Tun certain nom- bre de voliiiiics coiniircnaat evciiisivement les manuscrits piihlics d.Mis la phalange. Koiis avons divisé ces manusciits en trois tomes sous ces titres : l'un, commerce, HISTOIRE .sociale; l'autre, cosmogonie; et le troisième, des passions. Chaque volume (belle demi-reliure en chagrin ou en maro- quin) se vend séparément 15 fr. LA démocratie picifique. dc 1813 à 1851. Collection complète. — n; vol. in-folio, co fr. ALMANACIIS PHALANSTÉRIENS de 1845 1846 1847, 1S5H, 1849. 1850. 1851, 18.52. — Chaque exemplaire : 20 cent.; la collection com- pl*'<"^, 1 fr. 25 c. V. CONSIDERANT. DESTINÉE SOCIALE. ExposItiOR élémentaire complète de l'organisationjsociale de Fou- rier, 3* édition. — 2 vol. in-l8. ■ 5 li>. — Le même ouvrage, format in-8, avec un 3' volume sur l'éducation. lo fr. Le 3" volume se vend séparément 3 fr. DÉBÂCLE DE LA POLITIQUE EN FRANCE. cliure in-i2. • Bro- 1 tt-. LE SOCIALISME devant le vieux 'monde, ou le Vivant devant les Jlorts. — 1 aoI. in-8 compacte. 2 fr. DE.SCRIPTION DU PHALANSTERE Ot COUSidéra- tions sociales sur l'Architectonique. 1 fr. EXPOSITION ABRÉGÉE DU SYSTEME PHALANS- Is TÉRiEN, suivie d'études sur quelques pro- blèmes fonilamentaux de la destinée so- ciale. 50 c. LE MÊME, sans les'étudeî. ' iic. IMMOIt.VI.I ru DE I,.\ I)()t:TlE l/ÉCOLE SOCIÉTAIRE folKléP )liir Fourior, et bases i»ei.a politique positive. 2" édition. — 1 A'ol. iii-l8. i fr. l'jiiNciPEs i>r SOCIALISME. — Miiiiiteste (le la démocratie au xix' siècle. — In-lH. 50 c. si;\s \RAi DE LA rédemptiox ((lu). MorcCMU détaclié de la desti\ée sociale. l Ir. l'ETiT coins d'économie poLiTiQt e à l'usage des ignorants et des savants. — Brochure in-i«. so c. DERxiÈRE uiEKRE (la) ct \d ])aix dclnutivo en Europe. J 5 c. les QUATRE CRÉDITS. In-I><. I IV. RALLIEMENT DES SOCIALISTES (Appel nu). — Lettre de M. Bey, de Grenoble, suivie de : LES DEUX coMMLMSMEs, paf V. Considcrant (1847). 5C. TROIS DISCOURS prononcés à l'Hôtel-ile- Ville (Congrès historique de 1836), par MM. Dain, Considérant et d'Izalguier. — Grand in-s. 2 l'r. LA PAIX ou LA GUERRE. In-8, I8:J9 (raVC). 50 C. BE LA POLITIQUE GÉNÉRALE ET DU ROLE DE LA FRANCE EN EUROPE, ln-8, 1840 (très- rare). i fr. DU DROIT DE PROPRIÉTÉ. In-8, I8i0 (très-rarc). 1 fr. 50 c. DE LA SOUVERAINETÉ ET DE LA RÉGENCE. In-**, 1842 (très-rare). 2 fr. AU TEXAS, avec 2 cartes. In-8. :i Ir. 50 c. ct par la poste, i fr. JUST MUmON.' PROCÉDÉS INDUSTRIELS (Apercus sur les). Ur- gence de l'organisation sociétaire, conte- nant le plan et le projet des statuts d'un comptoir communal. 3" édition. 2 fr. M. BRIANCOURT. l'organisation du TRAVAIL ET L'aSSOCIA- TioN. 2" édition. io c. PRÉCIS du même ouvrage. 1 5 c. MSITE AU PHALANSTÈRE. 00 C. F. CANTAGREL. LE FOU DU PALAIS-ROYAL. — Dialogue sur la théorie phalanstèrienne. 2' édit. — 1 beau vol. format Char|)entier. 3 iv. LES ENFANTS AU pdal.anstère. (Kxtraitdu pré- cédent.) 30 C. DE l'organisation des TR.VVAUX PUBLICS et (Je la reforme des pouls et chaussées. — Brochure grand iu-8. 50 c. I". (^UIGNIÎT. RÉF()RME DU CRÉDIT ET DU COMMERCE. — A p- pelà tous tes producteurs manufacturiers et agricoles. In-12. 2 fr. 50 c. LE CRÉDIT COLLECTIF suppléaut le cnniit indi- dividuel. In-x. I fr. 50 c. ORGANISATION POLITIQUE. lU-^. 20 C. DES HOUILLES (Uuc solutiou delà qucslion). Jn-^, 1851. 2 fr. V. HENNEQUIN. EXPOSITION DE H THÉORIE DE FOtRIER, fail(? à Bezaufjon. 3' (^dititm. — ln-r2. 75 c. PROGRAMME, ln-18. 75 C. LE LIVRET, c'est LE SERVAGE. — BrOChurO in-3:'. 5 c. LES AMOURS AU PHALANSTERE. In-18. 30 C. VOYAGE EN ANGLETERRE. In-8. 4 ff. INTRODUCTION A l'ÉTUDE DE LA LÉGISL.\TION FR.VNÇAISE. — LES JUIFS. — 2 vol. in-8. 10 IV. J.-B. KRANTZ. LE PRÉSENT ET l'avENIR, COUp d'CCil SUF Ih théorie de Fourier. ln-8. 50 c. APPLICATION DE l' ARMÉE aux travaux d'utilité publique. — Brochure grand in-8. 60 c. CRÉATION d'une armée (le travaux publics. Grand in-8. 50 c. C. FELLARIN. FOURIER, sa Vie et sa Théorie. 4" édition. — 1 beau vol. format Charpentier. 3 fr. THÉORIE SOCIÉTAIRE (2' partie du précédent'. 1 fr. 50 c. ALLOCUTIONS. In-8. 20 C. PERREÏiMOND. LE BILAN DE LA FRANCE, OU la MisOrc et le Travail. Grand in-8. 2 fr. PARIS MONARCHIQUE ET PARIS RÉPUBLICAIN, OU (nie page de l'Histoire de la misère et du travail en i8iG et i8iH. ln-8. ^ fr. 50 c. DE LA RICHESSE ET DES IMPOTS, OU USUFe fit Travail, ln-18, 50 c. cRAcoviE, ou les derniers débris de la natio- nalité polonaise. In-s. 50 c. H. RENAUD. SOLIDARITÉ. Vue s.vntliéliquc sur la doctrine de Fourier. 3* édition. l fr. 25 c. ANTIDOTE. Réponse à une compilation. 20 c. — 3 — ÏULSSEiNEL. i'ksprit des bêtes. — Voiiorio rniuçHiso nt Zoologie passionnelle, r éilition. ' « Ir. Par la poste, 7 Ir. ôo c. m: >io\de i>f.s oisf-avx. -i vol. in-H. is l'r. Par la po>to 22 fr. ôo c. Chaque \uluine se vend séparément <> l'r. Par la poste, 7 fr. ôu c. m:oi,itio.\ de l'esclavage, avec un article (le Fourier. In-s. ôuc. ACCORD DES pRiAciPEs par F. Guillon. In-i><. ;)o c. AssociATio\ AGRICOLE (Uistoirede 1") et Solu- tion pratique. — Ouvrage couronné par l'Acatlemie de Nantes, par F^ugéne Bonne- mère, propriétaire, auteur des paysa\s au XIX' SIÈCLE. — liroduire in-l2. liO c. ASsi'RA\cE (Organisation unitaire et nationale de 1'), par Kaoul lioudon. Krocli. in-l8. iw) c. BEsoiivs DES COMMUNES, par Villcgardelle. In-s, IS:J5. 60 c. BOULANGERIES SOCIETAIRES. — Lcur Organisa- tion et projets de statuts. 50 c. CAISSE d'épargae, par F. Vidal. In-s, ikh (très-rare). i fr. 50 c. cALci'Ls AGRoxoMiQUEs, par Lemoyue. In-s, IS30 (très-rare). 3 fr. CAPITAL ET LE TRAVAIL (Ic), par F. GuiUon.— Brochure in-lN. 10 c. cHA\so\s NOUVELLES (musique et gravures sur acier), par Festeau. Joli vol. in-a2. 2 l'r. coLOMsvTiox DE l'algérie, par un officier de l'armée d'Afrique. In-8. 50 c. coxjURATioxDEs JÉSUITES. — Publication au- thentique du plan secret de l'ordre, par l'abbé Leone. — i vol. gr. in-8. 3 fr. CRÈCHES, par Imberf . 50 c. CRÈCHES-MODÈLES, par Dclbruck. i fr. 25 c. CRÉDIT AGRICOLE, mobilicr et immol)ilier. — Rapport l'ait au Cungrès central d'agricul- tuie, par M.M. Cieskowski et J. Duval.— Brochure grand iu-8. 50 c. CRÉDIT HYPOTHÉCAIRE. In-:i2. 20 c. DÉMOCRATIE (de l'Organisation de la), par .J. Le Rousseau. — i beau vol. in-s de 50o p. fCapelle, éditeur). 7 fr. 50 c. DERMÈRE ixcARXATioN (la). — Légeudcs évan- yéiiques du xix° siècle, par A. Constant. — Brochure in-i 8. 50 c. DÉROUTE (la), par Laveidant. Gros in-i8. 2 fr. DOGMES (les), le Clergé et l'État. — Étude reli gieuse, par MM. £. Pelletan, A. Collin, H. Morvonnais et V. Hennequin.— Brochure grand in-8. îoc. EM \Ms TRoi\És (Asile rural des'. — Crèdie, siille d'asile, école primaire, écolo profes- sionnelle, ferme-modèle, association libre lies élèves à leur majorité, par .\uguste Savardan. 1 vol. in-l2. i l'r. EXFA\Ts TROUVÉS (Défenso des) et de leur asile rural, par le même. In-l8. 20 c. EXAMEX DE COXSCIEXCE n'VS MÉDECIN, paV Savitrdan. 75 c. EsyuissE d'uxe sciexce morale. — Physio- logie du Sentiment, par A.Gilliot. — 2 vol. in-8. 10 fr. I ALSIFU; VTIOX DES SI lîSTAXCES ALIMENTAIRES et Mo\ens cliimi(iues de les reconnaître, par J.Garnicr et Cti. Harel. — i fort voinmo in- 12. U'r. 50 c. FOURIER et son système, par M"»f Gatti de Gamond. In-«. '2 fr. FOURIÉRISME. — Contre-critique, avec expo- sition de princi[ies, par Ch , Mandet, avocat. Brochure in-s. 50 c. FRwcoEURET GiROFLET. — Convcrsatlon sur le socialisme et sur bien d'antres choses, parP.-B — 1 vol. in-i2. i fr. GARAXTisME (Associatiou en) contre la misère, par J.-J. Farre. Brochure in-s. 50 c. nvGiÈxE POPULAIRE, par B. Dulary. 'io c. IMPOT PROGRESSIF (Note sur D, par Philipjie Breton, ancien élève de l'Ecole polytechni- que, ingénieur des ponts et chaussées.— Brochure in-s. 30 e. IMPOT PROGRESSIF, étudo sur l'appliration de ce UKulc de prélèvement a un impôt (piel- conque, par L.-L. Vauthier, ex-reinescntant du peuple. 75 c. INSURRECTION DU DHARA (Étuiles sur r),»con- tenant l'histoire de Bou-.Maza, par Ch. Ri- chard, capitaine de génie, chef des affaires arabes d'Orléansville. — Vol. in-3. 50 c. LETTRE A LAMARTINE, j)ar uu abonué au CONSEILLER DU PEUPLE, par F. Sabatlcr. — Brochure in-8. 50 c. LIBRE-ÉCHANGE (Ic) ct t'Organisatlon du tra- vail, par Armand Guibal, gérant d'une lila- ture de lin. — Brochure in-s. 20 c. MADAGASCAR (Colouisation de), par D. Laver- diint.- Grand in-s, avec carte. 2 fr. MANUEL DES ASPIRANTS AUX FONCTIONS DE CONDUCTEUR ET d'agent-vover, par L.-L. Vauthier et Allyre Bureau. Grand in-is, f> fr. MOEURS arabes (Scènes de), par Ch. Richard. — 1 vol. in-18. 75 c. MÉNAGE SOCIÉTAIRE, par Harel. In-8. 2 fr . MISSION DE l'art (de la) et du rôle des artis- tes, par D. Laverdant. In-s. 50 c. monopole des sels (du) par la féodalité finan- cière, par U. Thomassy. — Brochure in-s. 50 c. MOi\SEIGiVEt'n L'ÉVicgtE nll MANS et le I'HA- i,AxsTÈRE. — Corrpspoiulance avec l'évi^- clié, suivie (riin clianitro inlitiilé : le curé, par A. Savordan. — hmcli. iii-H. ')0 c. NOTioivs ÉLÉMENTAIRES (lo la Sciciicc socîale de Foiirior, par Henri Gorse (H. Dametii). 3'édit. — I vol. in-lN. oo c. OBSERVATIOXS RECUEILLIES E\ ANGLETERRE, par Simon. 2 vol. in-^. ô iv. OCTROIS (Rélonne des) et des contributions indirectes. — Question vinicolc, question (les bestiaux, par Raoul Boudon. — Brocli. iii-s. ôo c. onoAMSATioN DU TRAVAIL, d'après la Théorie de Fourier, par 1*. Forest. ■^° édition. — Itro- chure in-l-2. :>n c. ORCWISATIOX I)'l'\E COMMUEE SOCIÉTAIRE, par A. de lionnard. In-n. i fr. 50 c. PART DES FEMMES (la), romaii, par Antonv Méray. — l vol. in-l8. -2 fr. PAYSANS AU xix" SIÈCLE (les). — Mémoirc cou- ronné parla Société académique de Nantes, par E. Bonnemère. In-8. (lo c. pHRÉxoLOGiE (Notions de), par Julien le Itous- seau. — I beau vol. in-s. 4 fr. 50 c. yuESTiox RELIGIEUSE (la), par A. tiilliot. — Brochure in-i8. yo c. RARELAIS A LA BASMETTE, — Extrait (ICS CllH)- niques du jo.yeux curé de Meudon, i)ar A. Constant. — l vol. in-ls. 00 c. KÉioRMEs poLiTioi'Es (Ics) et Ics Rctormcs so- ciales, par F. Guillon. In-i8. lo c. LE ROI RODRiGUEs, (Irauie en prose, par Guil- lemon (extrait de la piiala\ge). ln-8. .50 c. RUCHE A ESPACEMENT (.\otice sur la) et sa Cul - ture, par Charles Sori;i. Ju-h. m c. svLo.M »El85l,par Sabatier Unf^lier. ln-8. 50 c. seigxeur (le) DE LA uEviiviÈRE. — Second extrait des Chroniques du joveux curé de Meudon, par A. Constant. — \n-B. yo c. SEL {\e\ — Impôt, Réduction, Régie, ou la question du sel sous toutes ses laces, par J.-J. Julien. — Grand in-8. 4 l'r. SOCIALISME DE l'étai (Ic , pal' V. (iiiillon. — Brocli. in- 18. to c. THÉORIE DES FOSiCTIONS (COUp d'CBil SUf la), par A. Tamisier, ancien élève de l'Ecolc! (tolytechnique. i' édit. — Br. in-lx. n» c. TRAVAIL AFFRANCHI (Collcction du joumal Ic). In-i broché (contenant de nombreux feuil- tons de M. Toussenel). 3 Ir. TROIS MALFAITEURS (Ics). — LéRenilc Orientale (Jesus-Christ et les deux larrons), |)ar A. C'onstant. — Brochure in-i8. 30 c. UNION OUVRIÈRE, par fcuc Flora Tristau. 2.")C. UNITÉ RELIGIEUSE fdo 1'), par Alph. Gilliot. — i vol. in-i-'. 1 Ir. MAISON NATALE DE FOURIER, litllOgraphiC à deux teintes. i Ir. 50 c. UN PHALANSTÈRE jvuc générale à vol d'oi- seau d"), ou village organisé d'après la théorie de Fourier, avec les campagnes en- vironnantes. Belle lithographie de 35 centi- mètres sur 3'J, dessinée par J. .Vrnoux. Epreuve noire. 5 fr. et 3 iv. EFFIGIES DE FOURIER d'après Ics t.vpcs au tlientiques. I. PORTRAIT d'après LE TABLEAU DE GIGOUX. Gravure en pied, par Calamatta. Epreuves d'artiste, séiiia 25 f. — sur chine 20 Epreuves avant la lettre, sé[tia in — — sur Chine 15 — — .sur blanc I2 — après la lettre, séitia etCliinc « — — sur blanc — f» COPIE LiiiioGRAPHiE (le la précédente gra vure, par Couturier (de CliAlons-sur-Sa()ne), imj)riiné parLanda. 3 et i fr. TKÈS-BELI.E LITHOGR.IPHIE A MI-CORPS d'après le même tableau, par Cisnéros. — Séries Ire, 5 fr.; - 2', 3 fr.; — 3', 1 fr. 50 c. II. BUSTE, par Ottin. nusTE EN PLATRE, grandeur naturelle. . . 12 1'. RÉDUCTION à demi-grandeur 4 La Librairie sociétaire se charge »Je tous achats et commissions (Je librairie. Env(3yor toutes lettres et (ous mandais de ix)ste et autres valeurs au nom de M. EMILE BoLiUDON, G, rue de Beaune, à Paris. MAPilSCRITS DE FOliRIER. La PhaUmfjc, rovuo (1(> la sci(>nco socinlo, qui a [tarn do 18i"> à 18iy et forme 10 volumes grand in-oclavo, contient plus de deux raille pages de manuscrits de Fourier, très-utiles ;i lire pour ceux qui désirent connaître toute la Théorie sociétaire. Nous n'avons plus qu'un petit nombre de collections complètes de cette revue. Prix : 50 fr., pris au bureau, 6, rue de Beaune. Les livraisons séparées se vendent : La livraison simple, 75 c, et par la poste, 1 IV. La livraison double, 1 fr. 50, et par la posle, 2 fr. Voici le détail des manuscrits, livraison par livraison. 1845. — Janvier-février. — Livraison double. — Des trois uni- tés externes (épuisé). Mars-avril. — Fin des trois unités externes. Mai-juin. — Cosmogonie. Juillet-août. — Crimes du commerce. Septembre-octobre. — Fin des Crimes du connnerco (rare). Novembre-décembre. — Des séries mesurées. 184(5. — Janvier. — Livraison simple. — Fin des séries mesu- rées. — Des trois gi'oupes d'Ambition, d'Amour et de Familisme. Février. — Môme sujet. Mars.— Fin du même sujet.— Du groupe d'Amitié (.rare). Avril. — Fin du groupe d'Amitié. Mai. — Des trois passions distributives (rare). Juin. — Fin des trois passions distributives (rare). Juillet. — Des cinq passions sensuelles. Août. — Même sujet. Septembre. — Même sujet. Octobre. — Même sujet. — (i — Novembre. — Fin des cinq passions sensuelles. — Ap- pendice à l'analyse passionnelle (rare). Décembre. — Suite de l'Appendice (rare). 1847. — Janvier. — Fin de l'Appendice. — Du Parcours et de rUnitéisme. Février. — Fin du Parcours et de l'Uniléisme. Mars. — Égarement de la raison (épuisé). Avril. — Même sujet (rare). Mai. — Fin d'Égarement de la raison (rare). Juin. — Dix fragments (épuisé). Juillet. •— Du clavier puissanciel des caractères (très- rare). Septembre. — Des transitions et désordres apparents de l'univers (rare). Octobre. — Échelle parallèle des attractions sociales (rare). 1848. — Janvier. — Du mécanisme d'agiotage. Février. — Même sujet. Mars-avril. •— Livraison double. — Fin de l'agiotage. Mai-juin. — Do la méthode mixte en étude de l'Attrac- tion. — De la médecine naturelle (rare). Juillet. — Livraison simple. — Do la Sérigermie com- posée. Août. — Analogie et Cosmogonie. Septembre-octobre. — Livraison double. — Même sujet. Novembre-décembre. — Fin d'Analogie. — Fragments et notes. 1849. — Janvier. — Livraison simple. — Des lymbes obscures. Février. — Fin des Lymbes. — Des trois no'uds du mou- vement (rare). Mars. — L'inventeur et son siècle. Avril. — Du Garantisme (rare). Mai-juin. — Livraison double. — De la Sérisophie eu épreuve réduite. Juillet-août. — Même sujet. Septembre-octobre. — Fin de la Sérisophie. — Des di- verses issues de la Civilisation. Novembre-décembre. — Sur l'esprit irréligieux des mo- dernes. — Dernières analogies. — Six fragments. Ont étô tirés à part : Ègarement>( de la raison et les Fragmenfs de juin 1847. 1 tr. 50 c. Mécanisme de V agiotage, et Méthode mixte en étude de l'attraction. ( ôO Esprit irréligieux des Moderne^ et Dernières Analogies. » 7.') Cités ouvrières, modifications à introduire dans l'architecture des villes (Extrait du 6rara»//.«mc). » 30 A été imprimé à part et n'a pas paru dans la Phalange, le manuscrit De l'Anarchie industrielle et scientifique. Brochure in-18. » ÔO Nous avons fait relier un certain nombre de volumes compo- sés uniquement des manuscrits de Fourier, publiés dans la Pha- lange. Nous avons divisé ces manuscrits en trois tomes, portant les titres suivants : L'un : C03IMERCE , HISTOIRE SOCIALE, L'autre : cosmoc.ome, Et le troisième : des passioîvs. Chaque tome (belle reliure en chagrin ou en maroquin) se rend séparément quinze francs. Nous avons enfin publié deux autres volumes des Manuscrits de Fourier, format in-18 (Prix : 3 fr. 50 c, et par la poste, 4 fr.), l'un en 1851, l'autre en 1852. En voici le sommaire abrégé : MANUSCRITS 1851. I. Oit Vautenr parle de lui-même. — Date des travaux. Les beaux-esprits. L'inventeur. Charme de la science d'attraction. Il ne peut lire Condillac. Trempe originale. Quatre pommes célè- bres. Aptitude des femmes pour l'analogie. Le nouveau bourgeois gentilhomme. Il connaît peu les mathématiques. Nécessité d'une police d'invention. Kant. Pestalozzi. Azais. Opérations prépara- toires de l'unité. — Réponse au docteur Philoharmonicos (1811). Première annonce (1803) de l'unité universelle. — 8 — II. Covr. Tli«'-ori« de riliiitu' iinivi'rxolif. 1 vol. in-S. 18 » I,«> iioiivmii iVloiiile IndiiMtriol. In-s. 5 ; P»C(» ■•iiuxlons. ]ii-8, relie. 1-.' t Co.xniOKOnit*. 1 vol. iii-S, relie ly x ■ ll.iitodî-e NOcJale, COï:js«j4'!I"<'«v 1 vol. in-8. n-He. U' > Qlta((iio[tulMli-<-M ilc I» BlOMiiiaiite (principautés da- iilibirnne.s), rt'rueillis it ir.uliiils par V. Alexa.ndki, avec une Introduction par M. A. Ubkiiii. 1 vol. gr. in-18 jesus. 3 >■ Les uiili<|iie>i de l'ITIat. Biographie comjiUle des 7nem- hres du Sniai, du Conseil d'Etal et du Coiys lé(jislatif^ par un ancien député. i'c édition. 1 fort vol. in-18. ' 3 » Il8i.«j(>!i-e murale de«i 9''eiiiuie.x, par Ernest Lkgocvé, de l'Académie française. 3e édition. 1 vol. gr. in-18jésus. 3 » IndlMcrétîoiiN et ConfidoncoN. Souvenirs du 'l'heàire et de la Littérature, par H. ArniUKRT. 1 joli vol. in-18. 2 » S»CM BnNtitailioii»^ eouiiuercialeiii en tl'c'a^ce. histoire du bureau du commerce et du conseil royal des finances ci ilu i omnieree, par le vicomte HuTTEAU d'Orignv. 1 vol grand in-8. 5 ' ■ ■■irodilcdoH ù r!i':tabll.«8cnieii! d'un g>roi< s:iiiS»tie eiii'Otiée^n, par b'KANOiSQUK BouvKT, ancien represeinaiit. -J" édition, revue et corrigée. 1 vol. gr- in- 18 jesus. :< >• Ile rOrKaiilHiitioii et dcN at(:-i!>iitiniiM des Conseils généraux de dépar- tement et des Conseils d'arrondissement, par .T. Domrsnil, avocat àf la cour de ca.ssation et au Conseil d'Etat, membre du conseil gênerai du Loiret. 3e édition, augmentée d'un nouveau supplément. 2 forts vol. in-8. . 12 » l*olltlqii«> euiiteni|»oi-aiiie. Histoire de la diplomatie tt des f^it;), des hom- mes l't des choses, l!S')l-l.s,")7. 1 vol. gr. in-18 Jésus. ^ 3 . B,e» Itùnie.». Histoire vraie des vrais bohémiens, par J.-A- Vaillant, fon- dateur du collège interne Je Bucharest. 1 vol. in-8, orne de figures. 10 » Bto<'', AMNH LIBRARY 100112673 :-?r^-^3^: ^, ':<^mfY^i m A, ..m- :& ';^-t^..