Presented to the LIBRARY of fhe UNIVERSITY OF TORONTO by MRS. H. M. FERGUSON + FAT Lil | LA ù NAS sue Le INR {r f ï | Dr ni l Un vAY À 1 j { u À 1 IN if ATELIER U ' Pie (THON { Ur AT'4 Late û \ L MES f Vs] f} ST LE \ ‘ ÿ CU NAN |, ON EU * VAR UTNE I} PV -ER Ty l { ñ Dpt | \ 21e Lé L } 4 in . É \ HET " (AU \ l ÿ ai j "3 ï 1 J 1 i Re ae A À LAPS A | #77 ; ( i ML x _ + | … # L'ESPRIT . DES OISEAUX Es mRART EE nr 20 DES = EESPRET DES OISEAUX PAR S. HENRY BERTHOUD ILLUSTRATION PAR YAN DARGENT DEUXIÈME ÉDITION TOURS ALFRED MAME ET FILS, ÉDITEURS M DCCC LXVII CHAPITRE PREMIER Qu'il n’est pas besoin de sortir de Paris ni même de son eabinet de travail pour étudier les oiseaux sur le vif. — Que les bêtes pensent. — Les oiseaux de ma maison. — Les moineaux. — Leur nid. — Les hirondelles et leur maçonnerie. — Leur chirurgie et leurs panse- ments. — Expropriation forcée. — Une attaque à patte armée. — Conseil de guerre. Il n’est pas besoin de quitter Paris pour étudier, sous leurs aspects les plus curieux peut-être, les mœurs et l’industrie des oiseaux. En effet, soit en liberté, soit en domesticité, soit en captivité, ils s’y trouvent aux prises avec des difficultés plus ou moins contraires à leurs habitudes et à leur nature; il faut, à tout prix et presque toujours sous peme de mort, qu’ils surmontent les obstacles ou qu'ils subissent les inexorables exigences du milieu 8 L'ESPRIT DES OISEAUX. dans lequel ils se trouvent placés. Ils y parviennent avec une intelligence devant la flexibilité et la portée de laquelle on ne peut se défendre d’un sentiment profond de surprise et d’admiration. Leur manière de faire détruit sans conteste cette singulière pré- tention de certains naturalistes qui veulent que les arimaux n’agissent que par instinct, c’est-à-dire par une sorte de mécanisme inné chez eux. Non, les oiseaux, comme tous les animaux, y compris les insectes eux-mêmes, réfléchissent, calculent, com- binent, exécutent. S'y prennent-ils maladroitement d’abord, ils reconnaissent bientôt leur erreur; ils recourent à d’autres manœuvres ; ils inventent des moyens plus ingénieux et mieux appropriés à leur but; enfin, avec une persévérance que rien ne décourage, ils arrivent à la réalisation de l’idée qu'ils poursuivent, et ne cessent leur labeur qu’a- près l’avoir amené à la perfection. Voilà ce qui se passe à chaque instant sous mes yeux , et voilà ce que je vois sans cesse, assis deyant mon bureau, dans mon cabinet, en plein cœur de Paris. A l'heure qu'il est, par exemple, des moineaux picorent sous mes fenêtres ; des hirondelles nichent dans les angles des murs de ma cour; des martinets hantent les cheminées d’où il ne sortira plus de fumée avant l’hiver; des serins couvent dans cinq ou six cages attachées aux balcons d'autant d'appartements ; un perroquet caquette sur son perchoir doré; des merles sifflent, au milieu de leur humble logette en L'ESPRIT DES OISEAUX. J osier ; des perruches ondulées se beequettent tendre- ment dans leur volière, comme elles le feraient au milieu des forêts de la Nouvelle-Hollande; j'entends le chant d’un rossignol captif auquel répondent un bouvreuil, des mésanges, des fauvettes ; des poules, leur coy en tête, fouillent le fumier de l’écurie dont une dizaine de pigeons couvrent le toit, et un gros corbeau noir, familier du concierge, veille gravement sur un petit enfant qui se roule à terre. Il ne faut point qu'une poule approche de trop près le baby; car son protecteur hérisse ses plumes et chasse lim- portune à gros coups de son bec. Les moineaux se montrent les plus hardis de tous ces hôtes emplumés. Ils vont partout, et s’érigent partout en maitres. Les huit nids qu’ils occupent, et que je puis compter de ma place, se trouvent placés et construits dans des conditions compléte- ment différentes : l’un, amas grossier d'herbes, de paille et de bûchettes, occupe un angle de la remise, sous le conduit de la gouttière. Par une disposition ingénieuse qui honorerait un architecte, les cons- tructeurs l’ont placé de facon à ce que cette large gargouille, qui parfois vomit de véritables avalanches de pluie, ne puisse en laisser tomber une seule goutte sur leur habitation ; six autres nids occupent des pots à fleurs que le palefrenier, après en avoir élargi le trou ménagé à leur base, a fixés contre le mur; le huitième, bâti en terre sous une corniche de mon propre appartement, m'a rendu témoin d’un véritable drame; c’est un nid d’hirondelle. 10 L'ESPRIT DES OISEAUX. Au retour du printemps de 1859, deux hirondelles construisirent le nid en question sous cette corniche, et employèrent près d’une semaine à mener à bonne fin leur labeur. Il fallait les voir aller chercher au loin les becquetées de terre humide, les pétrir en petites boules, agglomérer ces boules les unes aux autres, et les soutenir entre elles à laide d’étais composés de brins de paille. Un maçon eût parfois été embarrassé pour régler les combinaisons néces- saires à rendre solide cette masse demi-sphérique, collée d’un côté contre le mur, et de l’autre s’avan- cant en large saillie. Parfois les hirondelles hésitaient, parfois elles défaisaient ce qu’elles venaient de faire, parfois elles s'arrétaient inquiètes, se suspendaient par les pattes pour s'assurer du plus ou moins de solidité réelle de certaines parties qui leur parais- saient équivoques. À d’autres instants, on les voyait suspendre tout à coup leur besogne, et partir ensuite un quart d'heure après à tire-d’aile pour revenir chargées de matériaux qui naguère leur faisaient défaut. Au plus fort de la besogne, la femelle se déchira la patte à un morceau de bouteille enchâssé dans le mur. Elle voulut néanmoins continuer à travailler avec le mäle au nid presque achevé ; mais il lui fallut bientôt y renoncer, car le sang coulait abondamment de la blessure , et on voyait s’épuiser et presque dé- fullr la pauvrette. Alors le mâle obligea sa com- pagne à entrer dans le nid, et se prit à pousser des cris perçants et d’une nature particulière. L'ESPRIT DES OISEAUX. 11 A ce signal, deux autres hirondelles qui occupaient un nid bâti l’année précédente et qu’elles étaient en train de réparer, s’envolèrent et s’approchèrent en k Int x ' | # J iU ; À 4 p | | LE | il v! tournoyant du male qui les appelait à son aide. La femelle de cet officieux voisin entra dans le nid, vit ce dont 1l s'agissait, détacha de la bâtisse un peu de terre encore humide, la tritura finement par des 12 L'ESPRIT DES OISEAUX. mouvements de va-et-vient de son bec, et appliqua une couche de cette glaise autour de la patte de la blessée, dont bientôt cessèrent peu à peu les petits oémissements, et qui sans doute s’endormait après le pansement qui calmait la douleur de sa blessure. Tandis qu’elle reposait, les deux voisins donnèrent au mâle un coup de main entendu, et achevèrent complétement le nid. Après quoi ils s’envolèrent , retournèrent chez eux, et reprirent leurs propres réparations interrompues par cette bonne action. Il fallut bien cinq ou six jours à la blessée pour recouvrer sa santé et ses forces. Je la vis plusieurs fois se trainer péniblement jus- qu'à l'entrée du nid, et passer au dehors sa jolie petite tête pour regarder le ciel et les autres oiseaux qui, plus heureux qu’elle, pouvaient voler à leur aise et ne point subir les tristesses de l'isolement et de la captivité au logis. Le mâle allait du matin au soir à la chasse. Quand il avait pris une'centaine de moucherons, ce qu’il faisait en une demi-heure au plus, il revenait et dé- sorgeait le produit de sa chasse, de son bec, dans le bec de la femelle, qui se laissait faire languissam- ment et avec tout l’abandon d’une convalescente. Un matin que le mâle était parti de bonne heure, je vis la blessée sortir tout à fait du nid, se percher sur un des bords, essayer sa patte, se convaincre de la cicatrisation de la plaie, et ensuite lisser ses plumes avec une coquetterie toute féminine; après quoi elle attendit le retour du mäle. Lorsqu’au loin | de «tit Dee dé. L'ESPRIT DES OISEAUX. 13 elle entendit certain petit cri par lequel loiseau annonçait d’habi- tude son retour, elle s’élançca au- devant de lui. Je ne saurais vous dire le bonheur causé à l'oiseau par cette bonne surprise. Un in- stant son vol se ralentit, tant le bon cœur éprou- vait d'émotions; mais, presque aussitôt, revenu de ce premier mouvement de trouble, il poussa de petits sons joyeux, vola en tournoyantautour de sa femelle, et finit par s’envoler avec elle au plus haut des airs pour bien s’assurer de la complète guéri- son de la boiteuse. À quelque temps de là, de mon bureau, d’où je J4 L'ESPRIT DES OISEAUX. pouvais observer les moindres mouvements des deux hirondelles , je ne tardai point à voir que la femelle y avait pondu, sur un lit de laine et de plume qui tapis- sait le fond du nid, six œufs ronds et d’un blanc écailleux, sur lesquels elle se tenait blottie, et qu’elle couvait avec une tendre sollicitude, tandis que le mâle allait à la chasse pour elle et pour lui. Elle en était au troisième jour de sa ponte et de sa couvée, quand un soir les enfants du cocher, trou- vant dans la cour une échelle apportée le matin par des ouvriers chargés de repeindre les persiennes de la maison, appliquèrent cette échelle contre le mur, et, après bien des efforts, arrivèrent à l’un des pots à fleurs qui servait de logement à une paire de moi- neaux. Ceux-ci, effrayés en sentant leur refuge ébranlé par les efforts des petits maraudeurs qui le secouaient pour le faire tomber, s’enfuirent brusquement, s’en- volèrent, et, bientôt revenus de leur premier mou- vement de terreur, attaquèrent et frappèrent au visage, de leur bec et de leurs ailes, les gamins; ceux-ci, forcés de se préserver de ces coups, en se voilant de leurs mains, lachèrent le pot, qui tomba sur le pavé et s’y brisa avec les œufs qu’il contenait. Les moineaux se réfugièrent sur le bord de la souttière de l’écurie, et je les vis là, tant que la nuit me permit de les apercevoir, mornes, immobiles, la tète enfoncée dans les plumes de leur cou. Jeus beau jeter devant eux du pain émietté, ils le lais- sèrent ramasser par les autres oiseaux, sans faire un mouvement pour prendre leur partde cette provende. L'ESPRIT DES OISEAUX. 5 Le lendemain matin, en m'éveillant, mon premier soin fut de cher- cher des yeux les moineaux que j’a- vais laissés, la veille , si tristes de leur expro- priation forcée et de la perte de leurs œufs. Ils ne perchaient plus à la même place que la veille, et ils se tenaient ca- chés derrière la corniche de mon balcon, dans un coim obscur, au- dessus du nid des hirondelles. Je commencçais à travailler, et J'avais déjà écrit quelques lignes, quand tout à coup un bruit étrange m'interrompit et me fit laisser là ma plume. Je me penchai vers le balcon, et je vis les deux moineaux 16 L'ESPRIT DES OISEAUX. qui attaquaient l'hirondelle femelle, restée seule au logis. Cramponnés au nid, ils frappaient à grands. coups de bec la pauvrette , qui cherchait sans doute à se défendre, lui arrachaient les plumes de la tête, et finirent par la malmener de telle façon qu'il fallut qu’elle leur abandonnât la place. Quand üls la virent réduite à battre la chamade, ils se rangèrent pour lui permetkre de fuir, entrèrent dans le nid, en jetèrent dehors les œufs, et se blottirent de façon à barrer l’étroite entrée du logis volé, en y plaçant leurs deux robustes becs. Cépendant l’hirondelle jetait des cris désespérés, qui ne tardèrent point à rassembler autour d’elle une trentaine de ses compagnes du voisinage. Celles réunies sur le toit de la maison commencèrent à tenir conseil en attendant le mâle qui survint bien- tôt. Quand il sut de quoi il s'agissait, éperdu de colère, il se jeta sur le nid, pour le reconquérir par la force; mais ce mouvement irréfléchi ne lui servit qu’à recevoir deux rudes coups de bec sur le crâne, et il revint à tire-d’aile vers le conciliabule, en mon- trant sa tête sanglante, et en proférant des cris de rage et de vengeance. Les moineaux répondirent à Ces anathèmes jetés contre eux, par des piaillements qui ne manquaient ni d’insolence, ni d’ironie. Les hirondelles, après avoir longuement délibéré, s’envolèrent chacune de leur côté, et les deux vic- times des brigands disparurent elles-mêmes. Pendant ce temps-là, les usurpateurs s’installaient, L'ESPRIT DES OISEAUX. 17 commodément et avec impunité, dans lPhabitation dont ils s'étaient si brutalement emparés. Ils jetaient dehors quelques petits débris de coquille d'œuf qui s'y trouvaient encore, et remplaçaient les plumes souillées du lit par des plumes fraiches qu'ils ramas- saient tour à tour dans la cour. Je dis tour à tour; car jamais ils ne sortaient à la fois du nid. Tandis que l’un s’en allait à la picorée, Pautre faisait bonne garde au logis, s’avançait, au moindre bruit, à l'entrée de la boule de terre, la barricadait avec sa grosse tête, et montrait, en guise de palissade, son bec, solide, aigu, et qui serre, qui perce si bien au besoin. À la tombée de la nuit, tous les deux redou- blèrent de vigilance ; ils semblaient évidemment pré- occupés, et à chaque instant ils sortaient la tête pour regarder de leurs petits yeux noirs ce qui se passait au dehors. Tout à coup j’entendis comme une explosion su- bite de cris d'oiseaux. CHAPITRE II Sommation de livrer la place. — Siége en règle. — Contre-escarpe. — Un tombeau muré. — Prisonniers délivrés. — Un pacte d’amitié. — Qu'il ne faut point faire attendre des moineaux qui ont faim. — Les moineaux navigateurs. — Charité d’un moineau. — La perruche de M. Adolphe Sax. Ce tapage était produit par une centaine d’hiron- delles, qui volaient devant le nid volé. Elles le ra- saient de leurs ailes, poussaient des glapissements de menace et de colère, et sommaient de déguerpir les deux moineaux; ceux-ci leur répondaient en criant plus fort qu’elles, en les menaçant de leurs becs, et parfois même en arrachant au passage quel- L'ESPRIT DES OISEAUX. 19 ques plumes de la gorgerette ou de l'aile des plus bardies et des plus imprudentes. Il fallait les voir l'œil en feu, gonflés, hérissés, ripostant à linjure par l’injure, à la violence par la violence, et résolus à rester quand même dans le nid usurpé. Tout à coup les hirondelles se turent ; d’un com- mun accord elles se rallièrent en un groupe, qui forma dans les airs un véritable nuage noir, et se dis- persèrent en tous les sens. Les moineaux triomphaient, et le mâle, sortant la tête, salua d’un air ironique les assaillants qui bat- taient en retraite. Comme lui, je croyais les hirondelles forcées de se retirer et de laisser les voleurs jouir en paix de leur conquête, quand à un quart d'heure de là survint un bruit qui ressemblait à celui que produisent les ma- cons lorsqu'ils appliquent le mortier sur les pierres d’un mur. Chaque hirondelle, un morceau de terre détrempée dans le bec, le laissait tomber de haut sur le nid, avec une adresse et une justesse de coup d'œil que je ne pouvais assez admirer, et l’y amas- sait en monceau; elle s’en servait ensuite comme d’un rempart, qui lui permettait d'avancer sans danger, et le poussait avec ses pattes au-dessus de l'ouverture du nid, sur laquelle la matière à demi liquide coulait peu à peu en l’obstruant à vue d'œil. En vain les moineaux s’efforçaient-ils de repousser cette avalanche vaseuse, elle augmentait sans cesse, et elle ne tarda point à rendre impossible évasion des assiégés et même tout moyen de défense. Alors 20 L'ESPRIT DES OISEAUX. la boue arriva plus que jamais, doubla les dimen- sions du nid, en obstrua complétement l'entrée , et, pour plus de sûreté, forma par devant un talus épais de cinq centimètres environ. Cet acte de lynch accompli, les hirondelles retour- nèrent chacune chez elle, et un silence de mort se fit autour du tombeau muré qui renfermait les Ugolins. Je n’ai jamais pu savoir un animal souffrant, sans chercher à le soulager. (4 | D Aussi, malgré la con- duite indélicate des moineaux, n’hésitai-je point à faire apporter une échelle, et à dé- molir le cachot qui ren- fermait les victimes. Je les y trouvai com- plétement asphyxiées, sans mouvement, le bec ouvert, l’œil atone, la paupière écarquillée, la tête ballant au ha- sard, et les membres flexibles. D'abord je les crus morts; mais peu à peu, à force de soins et en leur insufflant de l'air, je parvins à les ranimer. Ils commencèrent par se replier sur eux-mêmes, portèrent autour d’eux des regards effarés, fermèrent le bec, et cherchèrent à fuir par la fenêtre entr’ou- L'ESPRIT DES OISEAUX. 21 verte; la force leur en manqua, et ils retombérent inertes sur mon bureau. . Sur ces entrefaites, la nuit était devenue tout à fait noire, un orage éclatait et la pluie tombait par torrents. Je fermai ma fenêtre, et après avoir couché de mon mieux, dans une petite corbeille pleine de ouate, les convalescents, je plaçai près d'eux du pain émietté, et m’en allai dans ma biblio- -thèque. Le lendemain de grand matin, en entrant dans mon cabinet de travail, j'y vis les moineaux fort affairés à expédier le peu qui restait des miettes de pain égrenées la veille. Fouvris les deux battants de la fenêtre, et ils s’envolèrent précipitamment; mais je ne fus pas peu surpris de les voir, une ou deux minutes après, revenir se percher sur le rebord du balcon , et ne pas s’effaroucher quand je m’approchaiï d'eux, Il est vrai de dire que mes mains se trou- vaient pleines de grains que j’épanchai sur le rebord de la fenêtre. La familiarité confiante que me témoignaient les oiseaux me suggéra l’idée de placer contre le mur, à la portée de ma main, un pot à fleur garni de ouate, disposé dans les mêmes conditions que les vases de même espèce que le cocher avait accrochés au-dessus de l’écurie. Les moineaux, qui suivaient de loin et attentive- ment mon travail, comprirent à l'instant de quoi il s’agissait ; Car à peine eus-je terminé la petite instal- lation, qu'ils allèrent s’v loger, et que dès lors ils 22 L'ESPRIT DES OISEAUX. l’habitèrent, sans s'inquiéter le moins du monde de leur voisinage avec moi. Dès lors nous nous montrâämes tous les trois fidèles au pacte d'amitié que nous avions fait tacite- ment entre nous. Chaque matin je mettais dans une tasse , placée sur la fenêtre, de la mie de pain, des oraines, des insectes, et les moineaux venaient, sans façon et sans hésitation, accepter le déjeuner que je leur servais. Pendant qu'ils picoraient gaie- ment, je pouvais, sans crainte de les inquiéter, passer mon doigt sur le plumage noir et brun du mâle, et sur la livrée plus modeste de sa compagne. Le pis qu'il en advenait, c’était un ou deux coups de bec, décochés plutôt en manière d’agacerie qu'avec l'intention de me blesser. Nous n’avions sérieusement maille à partir que si, par hasard, j'oubliais ou même si Je retardais le tribut que je m'étais imposé de payer chaque jour à ces deux suzerains emplumés. Alors vraiment, il fallait les voir, si ma fenêtre restait fer- mée, frapper contre les vitres à grands coups de bec, me rappeler à mon devoir, par des reproches aigus, et ne cesser leur tapage qu’en voyant arriver la tasse pleine à épancher. Trouvaient-ils, au contraire, la fenêtre ouverte, mais sans provende sur son rebord, ils entraient violemment, me cherchaient partout, m’assaillaient, et ne m’épargnaient ni les reproches tapageurs, ni même les voies de fait. Feignais-Je de ne pas me rendre à une volonté si énergiquement exprimée, 1ls se ruaient sur l’armoire où se trou- vaient enfermées les graines, l’assiégeaient, et ne L'ESPRIT DES OISEAUX. 93 m'accordaient la paix qu'après m'avoir forcé à leur obéir. Peu à peu mes voisins, de mieux en mieux installés dans leur pot à fleur, y pondirent, y couvèrent leurs œufs, et y mirent au monde des petits; si bien qu’un beau matin je reçus la visite de huit moineaux, au lieu de deux, et que les nouveaux venus, enhardis par l'exemple de leurs parents, se mirent, dès le premier jour de leur entrée chez moi, à en user à mon égard avec autant de sans-facon. Ne croyez pas, du reste, que mes bons rapports avec cette famille de moineaux forme une exception. Je pourrais vous citer de nombreux exemples d’une semblable familiarité. Il suffit de se promener aux Tuileries pour voir des bandes de ces oiseaux accourir à un signal donné par un vieillard, se grouper sur ses épaules, sur sa tête, fourrager dans sa bouche, pour y picorer le pain qu’il y tient enfermé, s’élancer dans les airs, afin d’y saisir les boulettes qu’il lance, mettre à jouer avec lui une confiance sans bornes. D’autre part, le docteur Jonathan Franklin raconte qu’un jour, à Newcastle, au moment du départ d’une corvette chargée de transporter du charbon de terre à Nairn, en Écosse, on vit deux moineaux se per- cher et s'installer au haut du mât. Lorsque le bâtiment prit la mer, les moineaux, loin de songer à retourner à terre, ne tardèrent point à établir des rapports amicaux entre eux et les matelots, qui leur jetaient des miettes de biscuit 24 L'ESPRIT DES OISEAUX. sur le pont. À peine naviguait-on depuis deux jours, 2 2 2 qu'ils descen- _ — —___ daient pour rece- = voir les larges- ses de l’équipage ; bientôt même ils se construisirent, à l’aide de toutes les bribes d’étou- pes qu’ils purent ramasser sur le pont, un nid en plein des cordages les plus élevés, y pondirent, et y couvèrent. Ils firent ainsi avec léquipage, pendant deux ans, une vingtaine de voyages, pendant lesquels ils vécu- rent de plus en plus intimement avec les hommes du bord; par mal- heur ‘al 1armva; dans la rivière la à Tyne, une si grave avarie à la corvette, déjà fort vieille d’ailleurs, qu’on L'ESPRIT DES OISEAUX. 5 la jugea indigne de réparation, et qu’on la condamna à être dépecée. Avant de quitter le bâtiment condamné à mort, les matelots détachèrent délicatement du mât le nid de Jeurs oiseaux favoris, et le placèrent dans une des crevasses d’une vieille masure en ruines et inhabitée, et qui s'élevait à quelque distance du rivage. À l’époque où cela se passait, une dame de Chel- sea, ville peu éloignée de la masure, aimait passion- nément les oiseaux, et en élevait un grand nombre. Parmi les hôtes de sa volière se trouvait un serin favori, dont elle plaçait la cage dans la feuillée des arbres de son jardin. Un matin, pendant le déjeuner de cette dame, un moineau vola autour de la cage, où il se percha, et engagea avec le prisonnier une sorte de conversa- tion. Après quelques momenis, il reprit son essor, s’éloigna et revint bientôt, tenant un vermisseau dans son bec. Il jeta l’insecte dans la cage et disparut. Chaque jour désormais, à la même heure, il apporta une semblable provende à son nouvel ami, et les choses en vinrent à ce point, que le serin finit par ne plus vouloir prendre sa nourriture que du bec même du moineau. Une si singulière liaison attira l'attention des voi- sins de la dame, témoins de ces visites quotidiennes, et quelques-uns d’entre eux, curieux de connaitre Jusqu'où s’étendrait le bon cœur du moineau, atta- chèrent aussi la cage de leurs oiseaux en dehors de la fenêtre. Le moineau vint nourrir de même les nou- 2 26 L'ESPRIT DES OISEAUX. veaux Captifs; mais il réserva toujours la première et la plus longue visite à son premier ami, le serin. Quoique si familier et si sociable envers les oiseaux, le moineau se montrait extrêmement ombrageux et timide vis-à-vis des témoins de ces scènes intéres- santes. Ils étaient obligés de se tenir à distance et de prendre de grandes précautions; sinon le visiteur s’envolait immédiatement. Ce charmant manége se prolongea jusqu’au commencement de lautomne, puis il cessa : était-ce avec intention de la part du moineau, ou bien lui était-il arrivé quelque acci- dent ? Quelque chose d'à peu près semblable s’est passé en 1855, chez M. Adolphe Sax, le célèbre inventeur qui a révolutionné et transformé les instruments de cuivre et les musiques militaires. Il possédait une petite perruche verte, maladive, assez pauvre en plume, et quelque peu rachitique. Pour lui faire respirer un air moins malsain que l’atmosphère rem- plie de poussière de cuivre qu’on respirait dans les ateliers, on plaçait la cage dans les branches d’un grand et vieil arbre de Judée, qui étalait somptueu- sement ses grappes de feuilles d’un vert délicat et de fleurs d’un rose charmant. Comme tous les ani- maux valétudinaires, la perruche se montrait ingé- nieuse et adroite; aussi, quand elle le voulait, ou- vrait-elle sa cage, assez négligemment fermée, du reste, et allait-elle se promener sur les râämeaux les plus élevés. Peu à peu, un des nombreux moineaux qui hantaient le quartier s’enhardit à entrer, en L'ESPRIT DES OISEAUX 29 l'absence de la propriétaire, dans la cage abondam- mént garnie de graines, et à y picorer avec la glou- tonnerie et la sans-façon de son espèce. Il ne tarda même point à ne plus prendre la fuite, et à conti- nuer paisiblement ses repas, quand la perruche, lasse d’errer, rentrait chez elle; si bien que les deux oiseaux finirent par se lier entre eux d’une étroite \ à ( YEN y A SL a à \| AR \ 4 f' \ amitié. La perruche imitait à s’y méprendre le en du moineau, et se servait de ce moyen pour appeler son camarade. De son côté, le moineau, dans les temps de pluie ou d'hiver, se laissait enfermer dans la cage avec la perruche, sans souci des verrous qu’on tirait sur lui, et qu’il savait qu'on ouvrirait le lendemain. La perruche se montrait, pour son ami, d’une sollicitude toute maternelle : elle lui broyait 30 L'ESPRIT DES OISEAUX. les graines trop grosses et trop dures pour qu’il püt les avaler; elle l’abritait sous ses ailes à demi déplu- mées, et si par hasard il survenait du mauvais temps, et qu’on oubliàt de rentrer la cage, jamais grand’mère ne soigna et ne mijota mieux un petit-fils que ne le faisait la perruche à l'égard de son enfant d'adoption. Un beau jour, ou plutôt un jour fatal, un chat du voisinage saisit et dévora le moineau, que sa fami- liarité dans la maison ne mettait pas assez en dé- fiance. La perruche, ne le voyant pas revenir, passa dès lors ses nuits et ses jours à appeler celui qu’elle ne devait plus revoir, et, à huit jours de là, on la trouva morte au pied de lParbre de Judée, où elle s'était trainée par un suprème effort. CHAPITRE III Passions et vices des moineaux. — Aventures d'un friquet et d’une petite fermière. — Un moineau qui disparaît. — Une perruche. — Évasion d’un prisonnier. — Combat, — Meurtre. — Justificaticn agricole des moineaux. — Une loi du grand Frédéric. — Les têtes des moineaux mises à prix. — Leur réhabilitation. — On les ra- mène en Prusse à prix d'argent. — Florent Prévost et les gésiers des moineaux. — illustres défenseurs de ces oiseaux. — Injustice de Mahomet envers eux. — Le moineau suit l'honune partout. — L’hirondelle. — Ses émigrations. — Où vont-elles? — Erreurs à ce sujet. En domesticité, le moineau ne tarde point à s’initier aux passions et même aux vices de l’espèce humaine : il devient capricieux, colère et jaloux jusqu’à la fré- nésie. 32 L'ESPRIT DES OISEAUX. En 1845, la petite fille d’un fermier du département du Nord ramassa au pied d’un mur un moineau en- core sans plume, et qu’un accident avait, comme il n'arrive que trop souvent, jeté à bas de son nid. La pauvre bestiole se mourait de froid et de faim. L’en- fant la placa dans son sein, la réchauffa, lapporta chez elle, et la nourrit de pain détrempé dans du lait, qu'elle lui présentait au bout d’une menue ba- suette. Le moineau, d’abord, resta languissant ; mais à force de soins sa bienfaitrice parvint à l’élever, et à lui donner de la force et de la vigueur. Il finit même par devenir un beau mâle, à la tête cendrée et aux joues bleuâtres; un bandeau rouge brun s’étendait de l’un de ses veux à l’autre, en passant par l’occi- put; un cercle noir entourait ses yeux, et depuis son cou, jusque sur ses ailes et sur sa queue, miroitaient de charmantes nuances brunes et grises d’un pourpre sombre; enfin une plaque noire recouvrait sa large poitrine, et faisait valoir la finesse et l’élégance de sa taille. L'oiseau ne quittait point un instant sa maîtresse; au logis, il se tenait perché sur son épaule, ou bien, il se réfugiait dans le giron de la jeune fille, pour s’y endormir; à table, il grimpait sur le dossier de sa chaise, à l’affüt des bribes de pain ou de légumes, dont il se montrait fort friand; la nuit, il se blot- lissait sous le traversin du lit, et y dormait jusqu’à Paube. Dès que la jeune fermière s’éveillait, il sortait de sa retraite, caressait de son gros bec noir et jaune les lèvres de l'enfant, se baignait dans la cuvette où L'ESPRIT DES OISEAUX. Ji elle avait fait sa toilette, lissait ses plumes, et venait ensuite prendre gaiement sa part du déjeuner. Sor- tait-elle, 1il l’ac- 1 compagnait, tan- Me En re vu tôt perché sur sa Ep | tête, tantôt volant capricieusement de çà et de là, d'arbre en arbre, de buisson en buisson, toujours en mouvement, toujours pétulant, toujours gai. Un beau jour, il disparut, et je vous laisse à pen- ser du chagrin qu'en éprouva celle à qui il devait la vie, et pour laquelle il professait tant d'affection. On donna une perruche verte à la petite désolée, et celle-ci, qui, de même que tous les autres enfants, se consolait aussi vite qu’elle s’affligeait vivement, commençait à aimer l'oiseau émeraude presque au- tant que le moineau, qu’elle accusait de l'avoir dé- laissée en prenant la fuite, quand un matin elle en- tendit de petits coups secs résonner vivement à ses vitres ; elle se hâta d'ouvrir, car c'était le moineau perdu qui l’appelait ainsi. Dépouillé d’une partie de + 34 L'ESPRIT DES OISEAUX. ses plumes, meurtri, blessé, trainant à la patte une ficelle, il prodigua les caresses les plus passionnées à celle dont il se trouvait séparé depuis si longtemps, et sembla lui raconter ses souffrances et ses angoisses depuis le jour ou un méchant enfant l'avait pris à un piége tendu derrière la haie de la ferme, et les tor- tures qu'on lui avait fait subir pendant une cruelle captivité. Ai-je besoin d'ajouter que la petite fermière lui rendit caresse pour caresse, le débarrassa de la cor- delette qui étreignait sa patte, et lui présenta toute sorte de bonne nourriture”? Après les premiers instants donnés au plaisir de se revoir et de se raconter les douleurs de l'absence, le moineau songea à se repaitre, et c'était un plaisir que de lui voir engloutir avidement tout ce qu’on lui présentait. Rassasié enfin, il se baigna avec la vo- lupté d’un voyageur qui se retrouve, à la suite de longues privations, en présence du comfort de la vie civilisée. Il achevait sa toilette, quand tout à coup la perruche éleva la voix, et se mit à crier une de ces phrases banales que la routine enseigne aux perro- quets, de quelque espèce qu'ils soient. Aussitôt le moineau s’élança furieusement sur elle, et l’attaqua à coups de bec, sans tenir compte des horions qu'il recevait en échange, et qui le mettaient en sang. Quand leur maitresse voulut les séparer, il la re- poussa, lui pinça les doigts, et s’envola sur un grand orme, qui s'élevait en face de la ferme. Celle à qui naguère il obéissait si complaisamment, L'ESPRIT DES OISEAUX. 35 et dont il ne voulait point s'éloigner, eut beau lPap- peler; il fit la sourde oreille, et ne répondit qu'en battant les ailes avec colère et en ouvrant un bec menaçant. Le lendemain, la perruche succomba à une bles- sure grave qu'elle avait reçue au crâne dans son combat avec son rival; et un domestique Pemporta à la ville voisine pour la faire empailler. Quand il vit passer le cadavre de celle qu’il haïs- sait tant, le moineau revint à tire-d’aile chez sa mui- tresse. Confus, repentant, il implora son pardon par 36 L'ESPRIT DES OISEAUX. les caresses les plus tendres et les plus soumises, et il fit tant et si bien, que, malgré le meurtre quil avait commis, il finit par rentrer en grâce. À quelque temps de là, le naturaliste chargé de préparer la perruche la renvoya à la ferme. On vou- lut voir comment le moineau se comporterait en présence de la dépouille de sa rivaie défunte, et on la mit brusquement vis-à-vis de lui. D'abord il re- cula, se gonfla et se rua sur elle; mais presque aussi- tôt il recula brusquement. Il avait reconnu qu’il n'avait point affaire à un être vivant, mais à une peau bourrée, et il se retira honteux et mécontent dans un coin de la ferme, où il bouda le reste de la journée. On a longtemps regardé, et l’on ne regarde que trop encore , le moineau comme un ravageur funeste à Tagriculture. Aujourd'hui, on revient sur une er- reur qui n’a fait massacrer que trop d'oiseaux inno- cents, et il reste à peu près incontestablement établi : que les moineaux, dans les campagnes, ne se nour- rissent de graines que si les insectes leur font défaut. En compensation de quelques pillages peu funestes, ils débarrassent les arbres ‘des chenilles, et les champ des hordes d'insectes de toute espèce qui attaquent les racines du blé, rongent ses feuilles, et font avorter ses épis. Le grand Frédéric, qui possédait à Postdam de magnifiques cerisiers, vit un jour une bande de moi- neaux se jeter sur ses arbres favoris , et en attaquer les meilleurs fruits; il entra dans une violente colère, L'ESPRIT DES OISEAUX. 37 jura qu'un pareil méfait ne se renouvellerait point, et rendit immédiatement une loi, par laquelle il ordonnait qu'on payât une prime de six pfennings à chaque personne qui livrerait deux têtes de moi- neaux. A dater de cette loi, on fit, vous le comprenez sans peine, dans toute la Prusse, une guerre achar- née aux moineaux. Les têtes mises à prix arrivèrent de toutes parts, et la première année le gouverne- ment eut à payer la somme relativement exorbitante de dix mille thalers de primes ; la seconde année, cent thalers, et la trotsième, dix ; par conséquent il ne restait plus un moineau, ni à Berlin, ni dans les autres villes des États du souverain horticulteur. Le roi se frottait les mains de ces massacres, et il comptait bien désormais manger en abondance des cerises qui ne porteraient point de traces de coups de bec, quand il vit des bandes de chenilles couvrir ses cerisiers, en dévorer les feuilles naissantes et les fleurs, et ne même pas respecter les bourgeons. En même temps, des plaintes et des réclamations s’éle- vèrent de toutes les parties des États prussiens; les récoltes périssaient sur pied, les arbres fruitiers res- taient stériles, les forêts elles-mêmes causaient de graves inquiétudes. Frédéric s’en prit à quelques pauvres agronomes qui, prétendit-il, lui avaient conseillé la destruction des moineaux, et rendit une autre loi, par laquelle on promettait de payer six pfennings pour chaque paire de moineaux qu’on importerait en Prusse. 38 L'ESPRIT DES OISEAUX. M. Florent Prévost a, lui aussi, causé la mort d’un grand nombre de moineaux, moyen passable- ment cruel mais nécessaire et irrécusable pour dé- montrer l’innocuité de ces oiseaux, et les services qu'ils rendent à l’agriculture. Habile chasseur, il a tué des centaines de ces pauvres bêtes pendant les diverses saisons de l’année, au priniemps, à lété, et jusque vers le commencement de l’automne; il a ouvert les gésiers de ses victimes, et il n’y a trouvé que des insectes de toute espèce, chenilles, chrysalides , vers, sauterelles, hannetons, papillons, taupins, myriapodes, acarus, pucerons, alucites, moucherons, araignées. A dater de la fin d'octobre, il faut en faire l’aveu, leur estomac était rempli de graines. En ceci, l'antiquité se montrait plus sage que nous. Moïse promit la fécondité des champs et une L'ESPRIT DES OISEAUX. 39 longue vie à ceux qui respecteraient les oiseaux auxiliaires de l’agriculture, Les Égyptiens les pla- cèrent sous la protection d’Osiris, et déclarèrent sacriléges les coupables qui les tueraient ou qui dé- truiraient leurs nids. Pline, Columelle, Varron et Plutarque déclarèrent ennemis des dieux et des hommes les persécuteurs de ces célestes créatures. Au rebours Mahomet, dont les agriculteurs du xIxe siècle ne partagent que trop encore, en ce point, les doctrines erronées, proscrivit, dans son Ko- ran, les têtes des moineaux, et ordonna même de détruire tout arbre susceptible de leur servir de refuge. Aussi Dieu sait comment est déplorable Pagriculture chez les musulmans. Le moineau, comme le rat et la souris, avec laquelle, dans certains rapports ; il ne manque pas d’affinité, suit l’homme partout ; les premiers colons de la Nouvelle-Zélande restèrent tout surpris de voir ce compatriote ailé s'installer avec eux dans leur nouvelle patrie. Jusqu'à présent on n’a point encore pu s'expliquer d’une manière satisfaisante ce singu- lier problème. L'hirondelle, elle aussi, se trouve dans presque toutes les parties du globe; mais on y comprend sa présence par l'instinct impérieux qui la pousse à voyager, et qui prend surtout sa cause dans le genre de sa nourriture, consistant exclusivement en insectes. | Je ne répèterai point tout ce que l’on a déjà dit tant de fois de la manière dont elles arrivent dans . 40 L'ESPRIT DES OISEAUX. nos climats, et surtout de la manière dont elles en partent. Je ne vous les montrerai point rassemblées vers l’automne, quelquefois au nombre de trois à quatre mille, sur un toit, où elles tiennent conseil, pour décider du jour de leur émigration, se dis- persent ensuite, et se rassemblent de nouveau, à l'heure dite, pour se mettre en route. Elles partent, non pas en masses et toutes à la fois, mais par groupes successifs de cent à deux cents, de façon à ne point trop attirer l'attention des oiseaux de proie, ce qui par malheur n'empêche point toujours les brigands de l'air de les attendre au passage et d’en faire un grand massacre. Où vont-elles? On a dit bien des fables sur leur émigration. Olaüs Magnus, entre autres, prétend 1 qu'elles s’enfoncent dans les marécages, dans les | étangs et dansles lacs, pour s’y tenir enfouies jus- qu’au retour de la belle saison, et, d’après lui, des | pêcheurs, aux environs d’'Upsal, auraient pris dans leurs filets, en même temps que des poissons, un serand nombre d’hirondelles pelotonnées ensemble, réunies ventre contre ventre, bec contre bec, pattes contre pattes, et qui, exposées soit à l'air, soit à la Le température d’un four, étaient revenues petit à petit à la vie, et sorties complétement de leur engour- dissement. Le jésuite Kircher poussa la chose encore plus loin; car il prétendit que les hirondelles, à cer- taines époques, se jetaient dans les puits et dans les citernes. CHAPITRE IV Une erreur populaire ét scientifique réfutée par Spallanzani. — Pêche aux hirondelles, — Un nid dans un tiroir. — Un nid sous la roue d’un steamer. — Un nid sur le fil d’une sonnette. — Le naturaliste Audubon et les hirondelles d'Amérique. Il était réservé à un des naturalistes les plus jus- tement célèbres du xvure siècle, à Spallanzani, de rectifier une erreur adoptée par Aristote, Pline, Olaüs Magnus, Aldovrand, Klein, Linnée, passée à l’état de croyance populaire et qui reposait tou- Jours, comme il arrive en pareil Cas, sur des faits mal observés. D'abord Spallanzani expérimenta sur des hiron- 42 L'ESPRIT DES OISEAUX. delles, et il démontra que ces oiseaux, pas plus que les autres oiseaux, ne pouvaient supporter sans mourir un froid rigoureux. Ensuite le hasard, auquel on doit la plupart des découvertes scientifiques, le fit assister dans le duché de Modène à une chasse, ou plutôt à une pêche aux hirondelles. « En automne, dit-il, les hirondelles, devenues grasses, offrent à Phomme une nourriture abondante, sont en butte à ses attaques, et deviennent dans certaines contrées l’objet d’une chasse importante. € On parvient aisément à s’en emparer, en les faisant tomber dans l’eau, où elles s’asphyxient promptement. On comprend dès lors que quelques- unes de ces hirondelles ainsi noyées aient pu se trouver prises dans les filets d’un pêcheur peu de temps après leur immersion, et donner lieu à la fable de leur immersion hiémale. | € Dans le duché de Modène, au milieu des marais, les chasseurs forment une nappe d’eau au-dessus de laquelle ils attachent un vaste filet. La chasse com- mence à la nuit close; on a une corde qui traverse l'extrémité de la langue du marais opposée à la nappe d’eau ; des hommes la tiennent chacun par un bout, et l’agitent tout doucement parmi les roseaux; ils s’avancent ainsi, formant une ligne courbe. À ce bruit inattendu , les oiseaux, effrayés, quittent leur place et vont se percher un peu plus loin; bientôt troublés dans ce nouveau port, ils abandonnent; et, poursuivis ainsi de place en place, ils sont forcés L'ESPRIT DES OISEAUX. 43 de se concentrer tous sur la portion de roseaux con- tiguë à la nappe d’eau; alors les chasseurs donnent un mouvement rapide à la corde, toute la multitude d'oiseaux se lève précipitamment pour gagner les roseaux situés à l’autre bord ; mais le filet resté sus- pendu sur leur tête tombe tout à coup, les enve- loppe de ses mailles et les entraine à la surface de l'eau , où, se débattant inutilement, ils restent suffo- qués. » Au mois de mai, les hirondelles reviennent à Pa- ris, reprennent possession de leurs anciens mids, qu’elles restaurent, ou s’en construisent de nou- veaux avec de petites boules d’argile molle qu’elles gàächent et qu'elles appliquent lune contre Pautre avec une adresse merveilleuse. Ce n’est point seulement dans les angles des toits qu’elles placent leurs nids; dès que par certaines preuves elles se convainquent qu'on ne leur veut point de mal, elles n'hésitent point à entrer dans les habitations de l’homme, à s’y installer, et y devenir même familières. Un naturaliste anglais raconte que dans le De- vonshire, en 1848, un couple d’hirondelles con- struisit son nid à l’entrée du tiroir entr'ouvert d’une table de sapin reléguée au fond d’un grenier inoc- cupé. Pennant cite d’autres hirondelles qui placèrent leur nid sous l'aile d’un hibou, suivant une stupide et barbare coutume, cloué sur la porte d’une grange. Il rapporte encore qu’en 1845 des hirondelles con- _struisirent leur nid sous les supports de la roue à 2 L'ESPRIT DES GISEAUX. palettes d’un petit steamer nommé le Clarence. Ce stéamer servait à remorquer les vaisseaux, et faisait presque chaque jour la traversée d’Annanwaterfoot à Port-Carlisle. Quoique le nid ne se trouvât guère qu'à cinquante centimètres au-dessus de Peau, non- seulement les oiseaux y élevèrent leur nichée, mais encore ils réussirent à y pondre à diverses reprises et pendant plusieurs années. Me la baronne de Chabord, femme de lun de nos généraux les plus distingués, m'a raconté bien des fois que des hirondelles vinrent un soir établir leur nid dans le grand corridor du château où se passa son enfance; elles y demeuraient paisiblement la nuit, car on fermait les portes vers neuf heures du soir pour ne les ouvrir qu’au point du jour; mais quand par hasard le domestique chargé de ce double soin se trouvait un peu en retard le matin, elles témoignaient leur impatience en volant partout et en jetant des cris. Une confiance absolue et une tendre amitié ne tardèrent point à se contracter entre la jeune fille et les oiseaux. Ceux-ci venaient prendre sans façon, dans les doigts de l’enfant, les insectes qu’elle leur présentait, couraient au-devant d’elle dès qu’elles l’apercevaient au loin, et la laissaient se hisser sur une échelle pour mieux regarder, et même pour toucher les petits qui venaient de sortir de l’œuf. Cette bonne union dura pendant trois ans, après lesquels la santé de la mère de la baronne de Cha- bord inspira de sérieuses inquiétudes à sa famille. L'ESPRIT DES OISEAUX. 415 Comme la malade se refusait à ce qu'on veillât la nuit près d'elle, même en plein cœur d'hiver, il fallut établir une sonnette dont le fil communiquät de la chambre de la malade à celle de sa femme de chambre. Pour mener à bonne fin cette be- sogne, les serruriers se virent obligés de disposer leur fil dar- chal le long et en haut du mur du corridor où se trouvait appliqué le nid des hirondelles. Malgré toutes les pré- cautions qu’on leur re- commanda de prendre, il fallut que ce fil passät derrière le nid, qu'ils se virent forcés de détruire à moitié. Au mois de mai suivant, les hirondelles revinrent. Grand fut leur émoi en présence des avaries subies : par leur gite. D'abord elles témoignèrent de leur mauvaise humeur et firent mine de s’en aller se bâtir une demeure autre part; mais la jeune fille, accourue aux cris qu’elles jetaient, leur fit tant de caresses et leur prodigua tant d'insectes, que les mécontentes s’apaisèrent et se mirent incontinent 46 L'ESPRIT DES OISEAUX. à restaurer et à occuper comme par le passé leur ancien nid. . Tout alla bien pendant une quinzaine de Jours; mais une nuit la malade tira le cordon de sa son- nette d'autant plus fort, que le fil s’en trouvait engagé dans le nid, dont plusieurs morceaux se détachèrent et tombèrent. Les hirondelles, surprises, réparèrent le dégât, qui se renouvela à quelques jours de là; et cette seconde fois encore, elles se mirent de nouveau à la besogne. Dès lors on eut beau tirer et agiter le fil de fer, le nid ne bougea plus. Le père de la ba- ronne de Chabord résolut de découvrir la solution d’un problème qui lintriguait fort, prit une échelle: et examina de près le nid. Les hirondelles avaient construit entre le mur et leur berceau de terre un conduit, véritable tube au travers duquel le fil pas- sait et manœuvrait librement, sans désormais com- promettre en rien la solidité de la construction de terre glaise desséchée. Le naturaliste américain Audubon, dans ses Scènes de la nature aux États-Unis, a consacré un de ses plus charmants chapitres à l’hirondelle de cheminée, ou maytinet d'Amérique. « Du moment, dit-il, que l'hirondelle a trouvé dans nos maisons tant de commodités pour y établir son nid, on l’a vue abandonner avec une sagacité remarquable ses anciennes retraites dans le creux des arbres, et prendre possession de nos cheminées, ce qui, sans aucun doute, lui a valu le nom sous L'ESPRIT DES OISEAUX. 49 lequel on la connait généralement. Je me rappelle parfaitement bien le temps où, dans le Kentucky, dans lIndiana et l'Illinois, ces oiseaux choisissaient encore très-souvent, pour nicher, les excavations des branches et des vieux troncs; et telle est lin- fluence d’une première habitude, que c’est toujours là que de préférence ils reviennent, non-seulement pour chercher un abri, mais aussi pour élever leurs petits, spécialement dans les parties isolées de notre pays, qu’on peut à peine dire habitées. Alors les hirondelles se montrent aussi délicates pour le choix d’un arbre, qu'elles le sont ordinairement dans nos villes pour le choix de la cheminée où elles veulent fixer temporairement leur demeure : des sycomores d’une taille gigantesque, et que ne soutient plus qu’une simple couche d’écorce et de bois, sont ceux qui semblent leur convenir le mieux. Partout où j'ai rencontré de ces vénérables patriar- ches des forêts, que la décadence et l’âge avaient ainsi rendus habitables, j'ai toujours trouvé des nids d’hirondelles qui elles-mêmes continuaient d'y vivre jusqu’au moment de leur départ. Ayant fait couper un arbre de cette espèce, j'ai compté dans l’intérieur du tronc une cinquantaine de ces nids; et, de plus, chaque branche creuse en renfermait un. « Le nid, qu’il soit placé dans un arbre ou dans une cheminée, se compose de petites branches sèches que l’oiseau se procure d’une facon assez singulière. Si vous regardez les hirondelles tandis qu’elles sont en Pair, vous les voyez tournoyer par 3 b0 L'ESPRIT DES OISEAUX. bandes autour de la cime de quelque arbre qui dé- périt, s’il n’est déjà tout à fait mort. On les dirait occupées à poursuivre les insectes dont elles font leur proie; leurs mouvements sont extrêmement ra- pides. Tout à coup elles se jettent le corps contre la branche, s'y accrochent avec leurs pattes par une brusque secousse, la cassent net et se renvolent en lemportant à leur nid. « Cest au moyen de sa salive que l’hirondelle fixe ces premiers matériaux sur le bois, le roc ou le mur d’une cheminée; elle les arrange en rond, les croise, les entrelace, pour étendre à l'extérieur les bords de son ouvrage; le tout est pareillement englué de sa- live qu’elle répand autour, à un pouce ou plus, pour mieux l’assujettir et le consolider. Quand le nid est dans une cheminée, sa place est généralement du côté de l’est, et à une distance de cinq à huit pieds de l’entrée. Mais dans le creux d’un arbre, où toutes nichent en communauté, il se trouve plus haut ou plus bas, suivant la convenance générale. La con- struction, assez fragile du reste, cède de temps à autre, soit sous le poids des parents et des jeunes, soit emportée par un flot subit de pluie, cas auquel ils sont tous ensemble précipités par terre. — On y compte de quatre à six œufs d’un blanc pur, et il y a deux couvées par saison. « Le vol de cette hirondelle rappelle celui du mar- tinet d'Europe; mais il est plus vif, quoique bien soutenu. « C’est une succession de battements as$ez courts, L'ESPRIT DES OISEAUX. 51 si l’on en excepte pourtant la saison où l’heureux couple prélude aux amours; car on les voit alors comme nager tous les deux, les ailes immobiles, glissant dans les airs avec un petit gazouillement aigu, et la femelle ne cessant de recevoir les caresses du mâle, En d’autres temps, ils planent au large, à une grande hauteur au-dessus des villes et des forêts; puis, avec la saison humide, reviennent voler à ras du sol, et on les voit écumer l’eau pour boire et se baigner. Quand ils vont pour descendre dans un trou d'arbre ou une cheminée, leur vol, toujours rapide, 52 L'ESPRIT DES OISEAUX. s’interrompt brusquement comme par magie; en un instant ils s’abattent en tournoyant et produisent avec leurs ailes un tel bruit, qu’on croirait entendre le roulement lointain du tonnerre. Jamais ils ne se posent sur le sol ni sur les arbres. Si on prend une de ces hirondelles et qu’on la mette par terre, elle fait de gauches efforts pour s'échapper et peut à peine se mouvoir. « J’ai lieu de croire que parfois, la nuit, il arrive aux parents de s'envoler, et aux jeunes de prendre de la nourriture; car j’ai entendu le frou-frou d’ailes des premiers et les cris de reconnaissance des se- conds pendant des nuits calmes et sereines. « Quand les petits tombent par accident, ce qui arrive quelquefois, bien que le nid reste en place, ils parviennent à y remonter à l’aide de leurs griffes aiguës, en élevant un pied, puis l’autre, et en s’ap- puyant sur leur queue. Deux ou trois jours avant d’être en état de s’envoler, ils grimpent en haut du mur, jusque auprès de lPouverture de la cheminée à l'abri de laquelle ils ont grandi. Un observateur pourra reconnaitre ce moment, en voyant les pa- rents passer et repasser au-dessus de l'extrémité du tuyau sans y entrer. C’est la même chose quand ils ont été élevés dans un arbre. » Rd _ | CHAPITRE V Le respect des morts. — Les martinels. — Un oiseau qui ne peu, s'envoler. — Le grand martinet à ventre blanc. — Ses mœurs. — Sa présence annonce dans le Midi un hiver rigoureux. Fritz Jung, auteur d’un volume trop peu connu publié à Berlin, et que son auteur consacre tout en- tier à un petit nombre de faits curieux observés avec une patience dont un Allemand seul est capable, Fritz Jung à passé une partie de sa vie à étudier les hiron- delles. Il professe pour ces oiseaux un enthousiasme qui touche presque au fanatisme; aussi prenons-nous ces précautions oratoires pour citer les deux fais suivants : 54 L'ESPRIT DES OISEAUX. « Une hirondelle, en sortant de son nid, se prit par le cou, sans doute dans un fil du crin faisant partie de la couche moelleuse destinée à sa jeune couvée, et se trouva ainsi suspendue le corps en dehors. La pauvre bête faisait des mouvements vio- lents pour se débarrasser, lorsque les hirondelles, ses voisines, attirées par ses battements d’aile, vin- rent en grand nombre s’empresser pour lui porter secours. Elles se groupèrent tumultueusement au- tour du nid, et cherchèrent à briser avec leurs becs le lacs fatal qui retenait leur compagne. Mais l’aide était insuffisante, la délivrance n’arrivait pas, le temps se passait et la situation devenait de plus en plus critique. Un moineau franc se mit à l’œuvre avec les hirondelles, et becqueta vigoureusement à son tour : tout fut inutile. « Malgré une persévérance de plus d’une heure, la pauvre patiente n’éprouvait aucun soulagement ; au contraire, ses mouvements vigoureux d’abord finissaient par s’affaiblir, par devenir convulsifs, sac- cadés, puis enfin le corps, toujours suspendu, re- tomba une dernière fois inerte pour jamais; 1e sau- vetage n'avait pas abouti, et tant de généreux efforts demeurèrent infructueux. « Pendant quelque temps les hirondelles s’appro- chèrent encore en voletant de leur malheureuse com- pagne ; mais, au moment de se poser sur le nid, l’'im- mobilité du cadavre révéla sans doute à leur instinct la mort de la victime, car toutes s’envolèrent en pla- nant pour ne plus revenir. L'ESPRIT DES OISEAUX. 55 « Quelques minutes après, la fenêtre était devenue solitaire. » & Un couple d’hirondelles, après avoir pris posses- sion d’un nid construit, l’année précédente devant ma maison, par d’autres oiseaux de la même espèce, y trouva les corps desséchés de quatre petits cou- verts de plumes, et que je ne sais quel accident avait sans doute là fait mourir de faim. Peut-être bien ai-je le droit d’accuser de cette cruauté mon voisin de campagne, le jeune baron Müller, qui, aux approches de l’ouverture de la chasse, tire sans pitié sur de pauvres hirondelles, sans autre justification que le besoin de se refaire la main et l'œil; ce sont des bou- cheries inutiles, commises pour préparer des bou- cheries lucratives. « Les deux hirondelles, à la vue de ces cadavres, tinrent conseil; le mâle, qui se piquait sans doute d'esprit fort, s’enhardit à entrer dans le nid, et même à tirer par la patte un des oisillons trépassés; le membre lui en resta dans le bec. La femelle, indi- gnée, d’un coup d’aile abattit ce triste débris, et s’envola en appelant son compagnon, qui la suivit docilement, et, pour ainsi dire, honteux de ce qu’il venait de faire. « Bientôt je les vis revenir tous les deux, portant dans leur bec chacun une boule d’argile, avec les- quelles ils commencèrent à fermer l'entrée du nid, devenu un sépulcre. Après quoi, ils s’en allèrent de nouveau s’approvisionner de terre molle pour conti- nuer leur pieuse besogne, et ils ne songèrent à con- 56 L'ESPRIT DES OISEAUX. struire leur propre demeure qu'après avoir clos her- métiquement le nid funèbre pour le mettre à l'abri de toute nouvelle profanation. » On divise les hirondelles en plusieurs espèces ; les hirondelies des fenêtres, les hirondelles des che- minées et les hirondelles de rivage. On les distingue facilement les unes des autres, quoiqu'il existe entre elles une grande ressemblance. La seconde (hirundo rustica) arrive avant les autres en Europe, se nourrit exclusivement d'insectes ailés, et se fait remarquer par la richesse des tons mordorés de ses plumes; la première (hirundo urbica), d’un plumage moins riche et à bec noir, part isolément à l’automne, sans con- ciliabule, et pond trois fois par an; la troisième (h1- rundo riparia), ainsi que l'indique son nom, hante les bords des rivières, et niche indifféremment dans les trous naturels des arbres, ou dans les crevasses des rochers. Au besoin, elle se creuse elle-même, à l'aide de ses pattes, des nids au sommet des endroits les plus escarpés, et elle effleure sans cesse en volant la surface des eaux, pour y faire une guerre acharnée aux insectes aquatiques. L'hirondelle des rochers (hirundo rupestris), parti- culière aux rives de la Méditerranée, vit aux bords de la mer dans les creux des rochers. Quoique lhirondelle salangane n’habite pas l’Eu- rope, nous ne pouvons la passer sous silence; car c’est à elle qu’on doit les fameux nids comestibles qui, des habitudes gastronomiques des Chinois, commencent à passer dans les habitudes culinaires des Français. 1# (4, #00); Dh ie MN L'ESPRIT DES OISEAUX 59 Les salanganes placent leurs nids dans les rochers au bord de la mer; elles en tapissent des cavernes entières; on en trouve aussi à peu de distance de l'ile de Java et auprès de celle de Sumatra. On pré- tend qu’elles mettent deux mois à façonner ces nids; leur ponte est de deux œufs, Pincubation dure quinze jours. Il parait qu’elles ne quittent jamais le lieu de leur naissance. Les Javanais prennent mille précautions supersti- tieuses avant de récolter les nids de salangane. Habi- tués dès leur enfance à ce métier dangereux, ils ne négligent rien pour s'assurer la protection de leurs dieux, à qui ils sacrifient des buffles, et adressent de ferventes prières. Ils se frottent le corps d’huile odo- riférante, et brûlent des parfums dans les cavernes qu'ils se disposent à explorer à l’aide d’échelles de roseaux, et en se servant de flambeaux qui résistent facilement à l’action des gaz. Les nids de salangane, d’un goût fin, légèrement parfumés, onctueux, compactes, délicats, et d’une digestion facile, se composent d’une matière gélati- neuse, qui rappelle un peu par sa forme, sa densité et sa saveur, les fonds d’artichauts desséchés qu’on sert sur nos tables comme complément de certaines sauces. Lorsqu'on les a récoltés, on les dégage d’un treillis de fils dans lequel ils se trouvent engagés, et qui se compose d’une matière moins fine, mais que Peau tiède délaie, et qui sert à la confection de cer- tains ragoûts fort en vogue dans le Céleste-Empire. On ne sait rien ni des matériaux, ni des procédés 60 L'ESPRIT DES OISEAUX. de préparation qu'emploient les salanganes pour fa- caractéristique des œufs et de la briquer ces nids. On suppose, sans trop de preu- ves, qu'ils pro- viennent d’une matière digérée par les oiseaux , à peu près à la façon dont les abeilles digèrent la miel- lée pour produire la cire, avec la- quelle d’ailleurs ils présentent une certaine analogie. Les Indiens, de leur COtéV MpIE= tendent que cette matière se fait avec le frai des holothuries et des polypes qui cou- vre au printemps la mer. Toutefois la saveur exquise des nids de salan- vane ne rappelle en rien le goût si chair du poisson. L'ESPRIT DES OISEAUX. 61 Des hirondelles aux martinets, la transition est toute naturelle : commeelles, ces dernierssenourrissent d’in- sectes; comme elles, ils viennent habiter nos climats et nos demeures; comme elles enfin, ils émigrent aux approches de Phiver. Toutefois ils en diffèrent par leur organisation et par certains détails caractéristiques. D'abord ils offrent à l’anatomiste un squelette d’une forme particulière; car ils sont destinés, pour ainsi dire , exclusivement à voler. Véritables habitants de l'air, les martinets, suivant l'expression de Buffon, « occupent dans la classe des oiseaux la position exceptionnelle que les taupes occupent parmi les mammifères. » En effet, ils ne posent jamais à terre; si quelque accident les y jette, ils ne peuvent plus s'envoler, ou, S'ils parviennent à prendre leur essor, ce n’est qu'après avoir péniblement gagné une légère émi- nence, ou une pierre élevée, qui leur permette de s’élancer et de mouvoir leurs longues ailes. Sur un terrain uni et sans aucune inégalité, ces oiseaux, si légers, deviennent aussi pesants qu’un reptile. Spallanzani, à qui l’on doit un grand nombre d'observations sur les martinets, assure pourtant qu’ils parviennent à se détacher et à s’élever de terre, en réagissant sur le sol avec leurs pattes, en étendant leurs ailes et en les battant l’une contre l’autre. « Par ce moyen, dit-il, ils peuvent décrire un demi-cercle, bas et peu étendu, puis un second, plus grand et plus élevé, puis un troisième, après lequel ils prennent leur essor; s'ils s’abattent dans 62 L'ESPRIT DES OISEAUX. un lieu fourré, couvert de buissons ou de hautes herbes, ce sont pour eux des écueils insurmon- tables par l'impossibilité où ils se trouvent de faire agir leurs ailes, L'ostéologie exceptionnelle des martinets dont je parlais tout à l'heure, consiste en un sternum al- longé, beaucoup plus large en arrière qu’en avant, et sans échancrure vers son bord postérieur, qui fournit des points d'insertion grands et solides aux muscles destinés à faire mouvoir Paile. Leurs pattes sont courtes, et leurs ailes, excessi- vement longues et étroites, à cause du décroisse- ment rapide de leurs pennes. Le raccourcissement de l’humérus, réduit à n’être plus qu’un large noyau osseux, présente cependant de fortes crêtes d’inser- tion. L’avant-bras lui-même est très-court, et les os de la main, sur lesquels s’implantent les pennes les plus essentielles pour le vol, acquièrent, au con- traire , le summum de longueur. Une espèce de martinet, particulière à la Savoie, le grand martinet à ventre blanc (gypselus alba) - arrive dans ce pays vers le commencement d'avril. A cette époque, elle se tient sur les étangs, autour desquels elle ne cesse de voler dès la pointe du jour; elle ne gagne les hautes montagnes, son domicile habituel, qu’à la fin de ce mois. On la rencontre aussi dans les montagnes de la Suisse, du Tyrol et du Bussel; on la voit à Constantinople, dans les îles de Panaria, d’Ischia, de Lipari et de Malte. Rarement on trouve un individu seul; ils volent, L'ESPRIT DES OISEAUX. 63 au contraire, par bandes plus ou moins nombreuses, et circulent sans cesse en poussant des cris reten- tissants autour des pointes de rochers qui s’élèvent au-dessus des précipices où ils ont placé leurs nids. Quand ils se retirent dans leur gîte, ils le font d’em- blée, comme les chauves-souris aux approches de la nuit. Une de leurs singulières habitudes consiste à se suspendre les uns aux autres, et à former ainsi une sorte de chaine oscillante et animée. Un pre- mier oiseau, à l’aide de ses ongles, s’accroche à un bloc de pierre; un second vient après, qui se cram- ponne à lui; et ainsi de suite jusqu’à ce que le dernier qui sert de tête à la chaine cède sous le poids, et, en se détachant du rocher, la force à se rompre. Ces martinets font deux pontes par an; la pre- mière produit trois ou quatre œufs blancs et allon- 64 L'ESPRIT DES OISEAUX. gés ; la seconde n’en donne, pour l’ordinaire, que deux. L’incubation dure trois semaines. Les jeunes, pris avant leur sortie du nid ou à leur sortie, sont excellents à manger; les vieux, au contraire, et même les adultes, ont un goût huileux et une chair coriace. Le martinet à ventre blanc construit son nid de deux manières. D’après certains observateurs, il le fabrique avec des fétus de paille, des brins de bois entrelacés en cercles concentriques étroitement liés entre eux, et fortifiés par une multitude de feuilles d'arbres qui en occupent tous les vides. Selon {quel- ques autres, il recourt à de la paille et de la mousse liées ensemble avec une matière gluante qui, en sé- chant, donnerait à ce nid la forme et la consistance du nid de la salangane. On remarque que ces oiseaux, qui d'ordinaire se tiennent toujours très-haut dans les airs, s’abais- sent sur les torrents quand surviennent de mauvais temps, et que leur apparition en nombre plus consi- dérable dans le midi de la France et de nos côtes méridionales, coïncide toujours avec des froids pré- coces, et annonce un hiver rigoureux. La Nouvelle-Orléans possède une espèce de mar- tinet qui, loin de porter la sombre livrée de deuil de son congénère d'Europe, possède un plumage res- plendissant des plus riches couleurs : c’est le mar- finet pourpre. Le vol, dans cette espèce, ressemble beaucoup à celui de l’hirondelle de fenêtre ; mais, bien que fa- L'ESPRIT DES OISEAUX. 65 cile et gracieux, on ne peut le comparer pour la ra- pidité à celui de lhirondelle domestique; excepté celle-ci, le martinet peut distancer tout autre oiseau. C’est plaisir de le voir se baigner et boire tout en volant, lorsque sur un lac ou une rivière, par un brusque mouvement imprimé à la partie postérieure de son corps, il l'amène en contact avec l’eau, se relève l'instant d’après et se secoue ainsi que fait un barbet, en éparpillant les gouttes d’eau comme au- tant de perles. Il se pose assez facilement sur différents arbres, notamment sur les saules, en faisant de fréquents mouvements de queue, lorsqu'il change de place pour chercher des feuilles et les porter à son nid. On le voit aussi fréquemment s’abattre sur le sol, où, malgré ses jambes si courtes, il se meut avec une certaine agilité; il va picorant un scarabée ou . un autre insecte, marchant au bord des flaques d’eau pour s’y désaltérer, mais en ouvrant un peu les ailes, ce qu'il fait aussi sur les arbres, comme s’il ne s’y trouvait pas à l’aise. Les martinets montrent une profonde antipathie contre les chats et les chiens. Ils attaquent et pour- suivent indistinctement toute espèce de faucon, de corneille ou de vautour. Enfin ils chassent et har- cèlent un aigle jusqu'à ce que celui-ci ne se trouve plus en vue de leur nid. « J'avais, dit Audubon, construit et fixé au bout d’une perche un logement spacieux et commode pour recevoir des martinets, dans un enclos auprès 66 L'ESPRIT DES OISEAUX. de ma maison, où, depuis quelques années, plu- sieurs couples venaient faire leur nid. Pendant l'hiver, j’établis de cette manière d’autres petites boites, désirant y attirer aussi des oiseaux bleus. Au printemps arrivèrent les martinets, qui, trou- vant ces petits appartements plus commodes que les leurs, s’y installèrent, en forçant les jolis oiseaux bleus à décamper. J’observai les divers combats qui furent livrés en cette occasion, et je m’assurai que l’un des oiseaux bleus était doué, pour le moins, d'autant de courage que son adversaire ; seulement, le martinet étant le plus fort, il avait dû lui céder sa maison où son nid était presque terminé; mais, autant qu'il était en son pouvoir, il ne manquait pas une occasion de taquiner l’usurpateur. Le martinet mettait la tête à la fenêtre et se contentait de lui répondre par des accents d’insulte et de défi. Je vis bien qu'il fallait intervenir. En conséquence, je montai sur l’arbre où la boite de l’oiseau bleu était attachée, pris le martinet et lui rognai la queue avec des ciseaux, dans l’espoir que cette punition morti- fiante produirait son effet et l’engagerait à retourner à ses quartiers. Pas du tout; je ne l’eus pas plutôt lâché, qu’il courut droit à la boîte et y rentra. Je le pris une seconde fois et lui coupai la pointe de chaque aile, de façon cependant qu’il püt toujours voler pour chercher sa nourriture; puis je le remis en liberté; mais cela n’y fit encore rien, et je vis l’entêté mar- ünet se réinstaller dans la boite en dépit de tous mes efforts. Alors, de colère, je le pris et le traitai de L'ESPRIT DES OISEAUX. 67 telle sorte, qu'il ne revint jamais plus troubler le voisinage. « Chez un de mes amis, dans la Louisiane, des martinets s'étaient emparés de quelques creux dans les corniches et y avaient élevé leurs petits plusieurs années de suite, jusqu’à ce qu’enfin les insectes qu'ils introduisaient avec eux dans la maison eurent déterminé le propriétaire à s'occuper d’une réforme. On appela des charpentiers pour nettoyer la place et fermer les ouvertures par où les oiseaux s’introdui- saient. Cela fut bientôt fait. Les martinets parais- saient au désespoir ; 1ls apportèrent de petites bran- ches et d’autres matériaux, et commencèrent à reconstruire d’autres nids, en quelque endroit du bâtiment que restät un trou. Mais on leur donna si bien la chasse, qu'après de nombreuses tentatives, la saison se trouvant trop avancée, ils furent con- traints de déguerpir et se retirèrent aux environs de la plantation, dans quelques creux d'arbres qui autrefois avaient appartenu à des pics. Au printemps suivant, on bâtit un logement tout exprès pour eux ; et c’est ce qui se pratique généralement chez nous, où l’on considère le martinet comme un voyageur privilégié et comme lavant-coureur du printemps. « La voix du martinet n’est pas mélodieuse; mais cependant elle ne laisse pas que de faire plaisir. On aime surtout à entendre le gazouillement du mâle pendant qu’il courtise sa femelle. « Les Indiens recherchent avec empressement la compagnie du martinet. Souvent ils suspendent une 68 L'ESPRIT DES OISEAUX. x calebasse à quelque branche d'arbre voisin de leur camp, et ils préparent avec des plumes un nid où ne manque jamais de venir s'installer un martinet. De cette calebasse, l’oiseau fait sentinelle et se pré- Cipite, pour garantir de l’attaque du vautour les peaux de daim ou les pièces de venaison que les sauvages ont exposées à l’air pour les y sécher. « Les nègres des États du Sud se donnent égale- ment le plaisir d'élever des martinets; 1ls vident avec soin une calebasse, et l’attachent à l’extrémité flexible d’un roseau planté auprès de leur hutte. « À la campagne, presque chaque taverne à sur le haut de son enseigne sa boîte aux martinets; car, dit-on, plus la boîte est belle, meilleure est l'auberge elle-même. « Toutes les villes ont aussi de ces boîtes; et l’on peut dire que le martinet est vraiment un oiseau privilégié, puisque même les enfants maraudeurs ne cherchent pas à le troubler. Il glisse tranquillement le long des rues en gobant par-ci par-là quelque moucheron, s'accroche sous les gouttières, jette un regard curieux dans l’intérieur des maisons, en se balançant sur ses ailes devant les fenêtres; ou bien il s’élève au-dessus de la ville, plonge dans l'air limpide et joue avec les cordes des cerfs-volants, qu'il frappe en passant d’un vol rapide et sans ja- mais manquer le but ; puis, soudain, il revient raser les toits, d’où il chasse le chat, qui se retire toujours à la première sommation. « Dans les États du Centre, le martinet commence L'ESPRIT DES OISEAUX. 69 à bâtir un nid nouveau, quand il ne se contente pas de réparer et d'augmenter celui de l’année précé- dente, huit ou dix jours après son arrivée, c’est-à- dire vers le 20 avril. Il le compose de bûchettes, de petites branches de saule, d'herbe, de feuilles sèches ou vertes, et de tous les chiffons qu’il peut trouver, et y pond de quatre à six œufs d’un blanc pur. Plusieurs couples se retirent dans la même boite pour couver, et la petite communauté semble vivre en parfaite harmonie. Ils élèvent d'ordinaire deux nichées par saison : la première éclôt à la fin de mar: la seconde, vers le milieu de juillet. Cependant, comme je lai dit, dans la Louisiane, ils en ont quel- quefois trois. Le mäle couve à son tour, et prodigue les plus tendres soins à la femelle Il gazouille sans cesse , perché sur sa boite, ou bien passe et repasse devant l’entrée. Ses notes, à ce moment, sont em- 10 L'ESPRIT DES OISEAUX. phatiques et prolongées, mais basses et même moins musicales que ses communs pious pious. « Ces oiseaux ‘ne se nourrissent que d'insectes, el entre autres de hannetons ; rarement s’attaquent- ils aux mouches à miel. » es ri CHAPITRE VI Le serin. — La cage de la mansarde. — Les petits. — La mar- chande de mouron. — La mère Rose. — Walter Raleigh et la reine Élisabeth d'Angleterre. — Transformation des serins — Un serin envolé. — Le cini de Provence. — Les médecins de serins. — Un haras de serins. En aucune autre ville du monde, on n’aime autant qu'à Paris les fleurs et les oiseaux. Les plus pauvres y ont leur pot de réséda, leur rosier, leurs plantes grimpant à une ficelle autour de leur fenêtre : heu- reux quand ils peuvent accrocher sous ces guirlandes feuillues et vivantes une cage habitée par un couple de serins. Pour bien des veuves qu'ont laissées seules en chemin un mari ou des enfants morts avant heure, 72 L'ESPRIT DES OISEAUX. pour bien des ouvrières vieillies dans le travail au jour le jour, pour bien des jeunes filles qui com- mencent,,, à {ra- vers tant de périls, de déceptions et de chagrins, cette vie d’ouvrière où la beauté devient presque toujours un malheur, un oiseau est une distraction, un plaisir, et parfois une consolation. Toutes ces créa- tures délaissées, perdues au milieu de la grande ville, se trouvent moins seules en ren- trant au logis, quand un chat ami les accueille et que deux jolis petits oiseaux saluent leur retour en bat- tant des ailes. Et puis il v a la mère, dans le nid de laquelle on découvre un beau matin des œufs qu’elle couve, et d’où sortent, après bien des attentes, trois ou quatre petits aux gros yeux, au corps nu, mais qui semblent presque aussi beaux à la maîtresse du pauvre logis qu’à la mère elle-même. Que de soins exigent les nouveau-nés, et combien on se sent préoccupé et heureux de s’associer à ces soins, de L'ESPRIT DES OISEAUX. 13 broyer des œufs durs, d’y mélanger des graines écra- sées, de veiller à ce que ni le chaud ni le froid, ni les courants d'air, ni les chats du voisinage, ne puissent nuire à cette chère nichée! Combien on sera dédommagé de ses peines, lorsque les petits, devenus grands, commenceront à se percher sur les bâtons de la cage, à voler par la mansarde, à venir à la voix, hardiment, sans hésitation, prendre quelques bribes de biscuit dans les doigts de celle qui les lui présente, émue et le cœur presque palpi- tant! Aussi voyez! la cage est tenue proprement ; une eau fraiche remplit la fontaine sacramentelle et à forme bizarre, et une épaisse couche de mouron renouvelée chaque matin étend une voûte de verdure toujours fraiche au-dessus des oiseaux. Le mouron est à Paris un véritable commerce qui fait vivre, comme tant d’autres, bien des pauvres gens. Dès laube, une voix éraillée annonce le pas- sage de la marchande de mouron, et à cette voix on descend de six étages pour emporter, en échange de cinq centimes, une poignée de l'herbe que les serins aiment tant à becqueter. La marchande qui approvisionne de mouron les hauteurs de mon quartier exerce cette industrie de- puis vingt ans; restée orpheline à neuf ans, elle arriva un beau matin, à peine vêtue, sans chaus- sures, et criant d’une voix fêlée et qu’étouffaient sou- vent les larmes : « Mouron pour les petits oiseaux! » On s’intéressa à cette pauvre enfant, qui, au point du jour, seule, sans famille, sans protection, allait n 14 L'ESPRIT DES OISEAUX. acheter à la halle des bottes d'herbe, qu’elle venait ensuite débiter dans la Chaussée-d’Antin pour gagner quelques sous. La charité est féconde et ingénieuse à Paris, surtout parmi ceux-là qui côtoient la pau- vreté. On donna donc des souliers à l’enfant, on la vêtit d’une robe noire qui lui permit de porter le deuil de sa mère; et un peintre, par hasard en veine d'argent, lui loua pour un an une man- sarde dont il paya le loyer d’avance. De- puis lors rien n’a changé pour cette la- borieuse créature,si ce n’est que d’enfant elle est devenue femme. Chaque matin elle se rend à la halle, n'importe par quel temps, n'importe par quelle sauson; elle revient dans son quartier, marche, crie, et vend du mouron jusqu’à midi, et passe le reste de la journée à faire dans sa cham- brette des ouvrages de grossière couture, son pauvre diner, et surtout la toilette de sa chambre resplen- dissante de propreté, et qui ne prend jour qu’à tra- vers une lucarne à demi fermée par une petite volière . pleine de serins. Ces derniers sont tout à la fois pour elle une joie et un petit revenu. Elle possède les plus L'ESPRIT DES OISEAUX. 15 beaux serins hollandais qu’on puisse trouver à Paris : le roi des Belges, qui, enfant, aimait passionnément les serins et entretenait somptueusement un haras de ces oiseaux, comme d’autres princes élèvent des chevaux pour les courses, n’en possédait pas de plus beaux. Les oiseliers de Paris s’approvisionnent de serins, pour les revendre à haut prix, chez «la mère Rose ; » c’est le nom de cette femme, qui compte trente-deux ans à peine, et qui semble dépasser la cinquantaine, tant les fatigues l’ont vieillie avant le temps. Sobre et ne buvant jamais que de l’eau, à force de glapir par les rues pour annoncer son mou- ron , elle parle de la voix enrouée d’un ivrogne. Sa taille s’est courbée sous le poids de la hotte sans cesse attachée sur ses épaules; ses cheveux ont blanchi aux intempéries de toutes sortes ; ses jambes se sont contournées à force de marcher. Mais que lui importe, pourvu qu’elle paie exactement son loyer, que « le commerce aille bien, » que des épi- démies ne ravagent point ses cages, comme il n’ar- rive que trop souvent, et qu’elle puisse, avant de commencer sa rude journée, entrer un moment dans une église, y faire une courte prière à la sainte Vierge, et le soir, quand vient l’heure du repos, assister au salut qui réunit devant l’autel de la pa- roisse quelques rares personnes? Car la mère Rose est dévote, et, qui plus est, charitable. Elle a déjà rendu au centuple, à de pauvres enfants abandonnés, les aumônes qui ont secouru autrefois sa propre en- fance , et si quelqu'un dans le quartier se trouve sé- 16 L'ESPRIT DES OISEAUX. rieusement malade et manque de garde, Rose passe les nuits à son chevet jusqu’au point du jour. Alors elle le quitte, s’en va acheter et revendre son mou- ron; et certes, à la voir arpenter vaillamment les rues, on ne se douterait guère qu’elle n’a point fermé l’œil depuis vingt-quatre heures. Quoique la mère Rose ne sache ni lire ni écrire et qu’elle possède plus de cœur que d'intelligence, je puis vous assurer qu'on ne perd point son temps à deviser avec elle, pourvu, bien entendu, qu’on ne lui parle que de serins. Elle sait, sur les mœurs, sur les habitudes, sur les instincts, sur les passions de ces animaux, mille détails, mille observations fines et curieuses dont ne se doutent pas les princes de la science ornithologique: que Dieu leur pardonne ce vilain mot grec ! L'importation des serins en Europe ne remonte guère qu’au xvi® siècle. Une cage d’or remplie de ces oiseaux faisait partie des merveilles que Walter Raleigh rapporta des îles Fortunées, et offrit à la reine Élisabeth d'Angleterre. Ces oiseaux, d’un gris presque aussi foncé que la linotte d'Europe, n’attirèrent d’abord que médio- crement l’attention de la reine, encore ne fut-ce que pour lui inspirer cette réflexion : « Pour venir de si loin, ils n’en sont pas plus beaux! — Que Votre Majesté, dit Raleigh, daigne sus- pendre son jugement jusqu’à ce qu’elle ait entendu chanter ces petits musiciens. » Et les oiseaux, comme s'ils eussent compris les L'ESPRIT DES OISEAUX. 71 paroles du célèbre voyageur, se mirent aussitôt à dire de leur voix claire et suave un air fort à la mode à cette époque, et que Walter Scott cite dans son admirable roman de La Prison d Édimbourg : J'étais dans l'ombre, et j'ai vu le soleil de l'Angleterre. Dès lors les serins devinrent les favoris de la reine, qui ne s’en rapportait qu'à elle-même des soins qu'ils exigeaient. Elle en fut récompensée non- seulement par de nombreuses nichées que lui don- nèrent les oiseaux, mais encore par un changement singulier que subit peu à peu le plumage des serins nés dans la volière royale. Insensiblement ce plu- mage perdit de ses couleurs sombres, et cinq à six ans après tous portaient une livrée d’un jaune pâle qui fit appeler le serin oiseau d’or. On ne manqua pas de crier au miracle, et Shakespeare fait allusion dans un de ses poëmes à cette transformation mira- culeuse due aux regards d’une souveraine plus puis- sante pour produire de l'or que le soleil de l’Atlan- tique. Élisabeth distribuait parfois à ses favoris les pro- duits de sa volière; ces courtisans se disputaient une faveur fort rare et fort recherchée; on conserve encore dans la famille de lord Castleereagh un de ces oiseaux empaillés, à la patte duquel se trouve attaché un petit anneau d’or portant le monogramme de la reine. Aujourd'hui le serin, devenu tout à fait démocra- 18 L'ESPRIT DES OISEAUX. tique, figure peu dans les palais et pullule dans les = Ps —— ” 3 mansardes. C’est du reste un oiseau gai, vif, alerte, qui ne songe point à se conquérir une liberté qu'il ne connait point; car il naît, vit et meurt, depuis trois cents ans, de père en fils, dans les habitudes de la captivité. Aussi ne sais-je rien de plus triste que de voir un serin échappé par hasard de sa cage et errer triste- ment sur les toits, inquiet, gauche, effrayé, et ne sa- chant où trouver un refuge et de la nourriture ; la plu- part du temps il finit soit par re- venir de lui-même au logis déserté, soit par de- mander asile en frappant du bec à quelque fenêtre L'ESPRIT DES OISEAUX. 79 étrangère qui bien rarement reste fermée pour lui. C’est pourtant à des serins fugitifs, échappés de leur cage et revenus aux habitudes de la vie sau- vage, qu’on attribue l’origine du cini, ou serin vert de Provence (fringilla serinus). Il habite une partie de lItalie, de l'Espagne, de l'Allemagne et de la France, depuis la Provence Jusqu'en Bourgogne, et se hasarde rarement vers le Nord. Il ne conserve que sur la tête, la gorge et au-dessus de la queue, des traces de sa belle livrée jaune due à la domesticité de ses ancêtres; le reste du plumage est verdâtre et rayé de lignes longitu- dinales d’un brun velouté. La captivité ne modifie qu’à la longue ses couleurs. Son chant consiste en un cri aigu, fort, continu, mais modulé, qu'il ne fait 80 L'ESPRIT DES OISEAUX. guère entendre qu’à l’époque des fiançailles. Il niche sur les genêts, sur les chênes verts, sur les arbres fruitiers, y pond, dans un nid assez grossièrement construit, quatre ou cinq œufs marqués, à leur gros bout, d’un cercle de points et de taches, soit brunes, soit rougeâtres; enfin, comme le serin exo- tique, il se nourrit de petites graines, de seneçon, de plantin, et des fleurs et des feuilles du mouron. Le serin domestique, comme trop d'animaux as- sociés à la vie de l’homme, se trouve soumis à beau- coup d’infirmités et de maladies que sans doute il ne connaissait point à l’état de liberté; sujet à Pépilepsie, à la goutte, &ux éruptions cutanées, il compte, parmi les savants, des médecins qui règlent, dans de gros volumes, l’art de le médicamenter. De ce nombre il faut citer Hervieux, auteur d’un ouvrage in-4° publié en 1713, sous le titre de Traité des maladies des serins, et le père Bougot, dont les bibliophiles paient aujourd’hui au poids de l'or l'Art d'élever et de quérir les serins, que Buffon ne dé- daigne pas de citer. Quoi qu’il en soit de cette thé- rapeutique à l’usage des serins, on a tort de les regarder comme des oiseaux délicats ; ils supportent les froids et les rigueurs de l’hiver aussi bien que les plus robustes des oiseaux de nos climats. Les Hollandais, dont le ciel n’a guère de soleil lumineux et dont le climat n’est rien moins que clément, élèvent en plein air leurs serins et se van- tent d’en posséder la plus belle race; beaucoup de ces passionnés amateurs leur laissent même une ALMA 2 DEL Ru AU TEEN L'ESPRIT DES OISEAUX. 85 liberté presque complète. Voici la description que fait M. Van Moersen du haras de serins qu'il possède à quelques kilomètres d'Amsterdam. « Une pelouse verdoyante s'étend sur une pente graduée jusqu’à la lisière d’un large parc qui s’ouvre sur des perspectives presque illimitées. À la maison se rattache un terrain plein de beaux arbrisseaux de toute espèce soigneusement entretenus. Cette forêt d’arbrisseaux s'étend tout autour de la maison. A gauche, immédiatement au delà du jardin où l’on cultive les fleurs, et dans un coin abrité, se trouve une pièce d’eau ombragée par des arbres autour de laquelle se rassemblent les oiseaux pour jouir de la fraicheur. « Les serins vivent nuit et jour en parfaite liberté dans cet eldorado; ils construisent leurs nids; ils v couvent leurs œufs ; ils élèvent leurs petits; ils sv ébattent et y chantent. « Quelquefois un nid se rencontre par hasard im- médiatement au-dessous du vasistas d’une fenêtre. On peut passer le doigt sur le dos de la mère qui couve sans qu’elle s’effarouche et qu’elle se dérange. Lorsque les petits ont trois ou quatre jours, elle semble même se complaire à les voir caresser. Je ne sais rien de plus charmant que de voir ces jolies petites créatures de toutes nuances et de toutes couleurs nourrir leurs jeunes; tandis que les pères, perchés sur les arbrisseaux voisins, chantent leurs plus jolis airs. « Les facultés musicales du serin, développées 84 L'ESPRIT DES OISEAUX. dans un parc ouvert ou dans un bosquet d’arbris- seaux, ont quelque chose de tout nouveau pour ceux qui n’ont jamais entendu chanter que des se- rins en cage. Rien n’égale la pureté, l’énergie, la variété dont ils font preuve. « Les serins jouissent chez moi de leurs entrées libres dans la maison ; ils mangent à table, ils volent sur les épaules des jeunes filles, ils sont chez eux. Cependant on leur sert une abondante nourriture dans une grande cage qui se trouve placée sur la pelouse, et où ils entrent par de petites ouvertures. Si l’on veut les retenir, une corde légère tirée adroi- tement ferme aussitôt toutes les issues. « Quand maintenant je vois des serins en cage, maladifs, boudeurs, et peu enclins à déployer la richesse de leur voix, je ne m’en étonne point; si quelque chose m'étonne, c’est qu’ainsi traités ils chantent encore. » CHAPITRE VII Le bouvreuil. — Son prix. — Moyen de le faire chanter, — Les bouvreuils tyroliens. — Leur légende. — Le marchand d'oiseaux. — M. de Rothschild. — Le mariage aux oiseaux. — Différentes espèces du bouvreuil. — Mariage du bouvreuil et du serin. — Un bouvreuil au lycée de Douai. — La liberté ou la mort. — L’hor- loge ornithologique. Il y a vingt ans, on voyait rarement à Paris des bouvreuils en cage. Aujourd’hui on en trouve un certain nombre, surtout dans le monde de la fi- nance et des artistes, où on les paie des sommes assez rondes. Certains bouvreuils coûtent trois à quatre cents francs. Il faut bien vite ajouter que ces bouvreuils sont d’admirables chanteurs , sachant jusqu’à sept ou huit 86 L'ESPRIT DES OISEAUX. airs qu'ils disent avec une justesse d’intonation et un goût qui tiennent du merveilleux. Quand on les encourage à chanter par un singulier moyen, qui consiste à balancer la tête devant eux, comme un poussah chinois, il faut les voir se rengorger, se gonfler, remuer doucement leur tête, entr’ouvrir leurs ailes, et les yeux à demi fermés, moduler d’un bout jusqu'à l’autre des lieder allemands et des chan- sons lyroliennes. Ils chantent ainsi tout l’été, et restent silencieux depuis la fin de lautomne jusque vers les premiers jours du printemps. Aux approches du renouveau, on les entend caqueter à mi-voix et chercher à se remettre en mémoire les airs oubliés pendant l’inac- tion de la mauvaise saison. Ils les répètent note à note, se reprennent chaque fois qu’ils se trompent, ne se lassent point de cet exercice et s’y consacrent avec une persévérance vraiment artistique, jusqu’à ce qu'ils reconquièrent leur répertoire entier. Une fois ce succès obtenu, rien ne les arrête et ne peut les faire taire; ils chantent toute la journée; ils chantent même pendant ja nuit, et un mois ou deux s’écoulent avant qu’ils usent sobrement de leur sa- voir musical. Chaque année un montagnard tyrolien apporte à Paris une cinquantaine de ces charmants oiseaux. Autrefois il faisait la route à pied, les épaules chargées de cages suspendues à des perches et contenant cha- cune un bouvreuil; aujourd’hui il voyage par le che- min de fer, et en compagnie d’une adorable petite L'ESPRIT DES OISEAUX. 87 femme blonde qui parle le français presque aussi bien que lalle- mand, et que vous êtescertain deren- contrer trois fois la semaine pen- dant la première quinzaine de mai à l'Opéra, blottie plutôt qu'assise dans un fauteuil de première ga- lerie. Elle se livre sans réserve aux émotions de la musique, et.par- fois presse furtive- ment la main de son mari pour le remercier du plai- sir qu’elleéprouve à écouter les par- titions de Guil- laume Tell ou des Huguenots. Un hasard assez singulier à fait la fortune de cet: heureux ménage. Il y a quinze ans, durant un voyage que fit le 88 L'ESPRIT DES OISEAUX. baron Rothschild en Tyrol, et tandis qu’on relayait les chevaux de sa voiture, un jeune paysan de bonne mine lui offrit une cage de mince apparence; elle contenait un oiseau au plumage peu brillant. Aussi le baron repoussa d’abord de la main cet objet peu commode à emporter dans sa berline; mais il ne tarda point à changer d'avis quand il entendit le bouvreuil se mettre à chanter sans se tromper d’une note et sans produire un son douteux, d’abord la cachucha, puis des airs nationaux allemands. « Combien veux-tu de cet oiseau? demanda- t-il au paysan. — Un florin, Monsieur. — Cela vaut mieux, » riposta le financier; et il mit dans la main du paysan, qui écarquillait les yeux comme s’il eût rêvé, trois ou quatre pièces d’or. « As-tu encore d’autres bouvreuils qui valent celui-ci? demanda M. de Rothschild en souriant de l’extase du pauvre garçon. — Une soixantaine, Monsieur. J'en élève sans cesse pour les vendre aux voyageurs qui par mal- heur ne me les paient point comme vous; sans cela j'épouserais Gretchen, que j'aime depuis deux ans et que son père me refuse, parce que je ne possède rien au monde qu’une chaumière et mes oiseaux. — Je serai de retour à Paris dans un mois, viens m'y trouver; voici mon adresse. » Et la chaise de poste partit au grand galop des chevaux, laissant le jeune paysan dans une émotion que vous comprenez sans peine. L'ESPRIT DES OISEAUX. 89 Un mois après, Jour pour jour, notre Tyrolien, ses soixante cages sur les épaules, arrivait rue Laffitte, entrait tout poudreux dans l'hôtel de M. de Roth- schild et demandait à parler au maître de la maison dont il montrait la carte. Tandis que le suisse hésitait à laisser arriver jus- qu’au baron ce singulier visiteur, un hasard provi- dentiel voulut que ce même baron se trouvât à la fenêtre de son cabinet. Il vit le Tyrolien, le reconnut à son attirail de cages, et se le fit amener près de lui. « Monsieur, dit en allemand le voyageur, vous m'avez ordonné de venir : me voici. Permettez-moi de vous offrir ce bouvreuil bien autrement savant que celui que vous m’avez acheté dans nos mon- tagnes. Il va vous chanter douze airs. » Et aussitôt il balança la tête devant l'oiseau, qui commença imperturbablement sa série de douze chansons et se conforma rigoureusement au pro- gramme annoncé. M. de Rothschild donna l’ordre qu’on remit cinq cents francs à l’oiseleur et qu’on le conduisit dans un petit hôtel du voisinage, en annonçant qu'il se chargeait d’héberger à ses frais son ami du Tyrol. Bientôt il ne fut plus question à Paris que des bou- vreuils musiciens. On les vit, on les entendit, eton les admira chez le célèbre banquier, et on voulut s’en procurer de semblables, n’importe à quel prix. Aussi le Tyrolien repartit-il bientôt, toujours à pied, 90 L'ESPRIT DES OISEAUX. sans cages, et avec sept mille francs soigneusement renfermés dans sa ceinture. Sept mille francs sont une vraie fortune en Tyrol. L'homme aux oiseaux ne tarda donc point à épouser Gretchen; or, comme Gretchen atteignait sa sei- zième année le jour de la cérémonie nuptiale, que nous sommes en 1866, et qu’en sa qualité de blonde et de montagnarde elle paraît encore plus jeune qu’elle ne l’est réellement, vous comprenez com- ment à l'Opéra chacun se retourne pour admirer sa luxuriante chevelure , ses traits fins, son nez coquet- tement retroussé, sa taille élégante et ses adorables petites mains. Il existe de légères différences entre la forme et le plumage du bouvreuil français et du bouvreuil tyrolien ; mais le premier, convenablement éduqué, peut devenir également un habile chanteur. Toutefois, à l’état sauvage, il n’élève la voix que pour émettre une sorte de sifflement et un cri triste et plaintif commun aux deux sexes. Naturellement ümide, il se tient caché dans les endroits ombragés et couverts, où l’on ne découvre pas sans peine son nid placé presque toujours au fond d’un buis- son, d’une haie, et même dans les charmilles des parcs. Ce nid, aussi souple que léger, se compose de petits morceaux de bois enlacés que recouvrent des racines menues. La femelle y pond cinq ou six œufs d’un blanc bleuâtre, marqués à leur gros bout d’un cercle de taches brunes et violettes; l’incubation L'ESPRIT DES OISEAUX. 93 dure de quatorze à quinze jours; et deux mois suf- fisent pour que les petits se sentent assez forts pour quitter leur mère et prendre leur volée. Le bouvreuil allemand, auquel on donne le nom de cramoisi et que les naturalistes appellent pyr- rhula erythrina, diffère du nôtre en ce qu’il niche sur les arbres les plus élevés des forêts, qu’un riche plastron d’un rouge brun recouvre sa poitrine, et qu’il pond des œufs verdâtres. Le bouvreuil français (pyrrhula) se reconnait à la calotte noire qui recouvre sa tête, à son bec robuste, épais, convexe plutôt que conique, à sa mandibule supérieure plus longue que linférieure, à ses narines rondes , ouvertes sous de petites plumes dirigées en avant, et à ses ailes obtuses, d’un gris cendré au- dessus, rouge en dessous. Durant l’année, il se nourrit de fruits noirs, de graines qu'il ne mange qu'après les avoir dépouillées de leurs péricarpes ; au printemps, il cueille et mange les premiers bour- seons des arbres fruitiers et surtout des pommiers. Le bouvreuil se rencontre dans toutes les parties du monde, excepté à la Nouvelle-Hollande, où jus- qu'ici les déprédations qu’il commet dans les ver- gers empêchent de l’acclimater comme on le fait pour la plupart de nos oiseaux indigènes, et même pour le moineau. L'Amérique, l'Asie, l’Afrique ont leurs espèces, qui varient de la nôtre par des diffé- rences, peu sensibles d’ailleurs, de forme et surtout de couleurs. Celui qui s’éloigne le plus de son frère de France est le bouvreuil-perroquet (pyrrhula 94 L'ESPRIT DES OISEAUX. falcirostris), d’un plumage olivâtre, qui appartient au Brésil, et dont le bec, caractéristiquement bombé, rappelle le bec de la perruche. Les oiseleurs parviennent quelquefois à obtenir du bouvreuil et du serin des petits que les amateurs tiennent en grande estime. Leur livrée prend en partie les teintes jaunes maternelles, et ils se montrent d'autant plus infatigables chanteurs, que la nature leur interdit la reproduction de leur espèce. Pris jeune et dans le nid, le bouvreuil s’appri- voise avec une grande facilité et s'associe parfaite- ment aux habitudes et au goût des personnes qui l’élèvent avec douceur. Jai possédé dans mon en- fance un de ces oiseaux qui ne me quittait pas d’un instant, quoiqu'il pût, quand bon lui semblait, s’en- voler sur les beaux arbres qui s’élevaient à cette époque dans la cour du lycée de Douai. Il se tenait d'habitude blotti entre le collet de mon gilet et ma tunique, m’accompagnait en classe et me suivait à l’étude, où il se conduisait de façon à ne jamais troubler le silence et à ne jamais justifier l’ordre de me séparer de lui, ordre que je n’eusse point man- qué de recevoir. Un soir qu'il se promenait avec moi pendant la récréation et qu'il se jouait sur mon képi, tout à coup un oiseau de proie, poussé par la faim, rasa audacieusement mon épaule, saisit le bouvreuil dans ses serres et s’envola avec sa proie. Aux cris que je jetais, un de mes camarades | L'ESPRIT DES OISEAUX. 95 occupé à tirer à l’arc décocha avec tant d'adresse une flèche au brigand alé, que celui-ci tomba des airs percé en pleine poitrine et s’abattit à nos pieds. Nous eûmes bien de la peine à détacher des ongles de l’agonisant le pauvre bouvreuil, qui, grâce à Dieu, vivait encore, malgré les profondes blessures qu'il avait reçues et que nous parvinmes à guérir. Pris au piége, le bouvreuil adulte, si douce cap- 96 L'ESPRIT DES OISEAUX. tivité qu'on veuille lui faire, refuse de manger, et se débat de toutes les façons dans sa cage. S'il ne parvient pas à se briser la tête contre les grilles de sa prison, il ne tarde point à y mourir de faim, semblable en cela au dernier des chefs indiens, Oscéola. Oscéola, en 1832, s’était rendu à une confé- rence demandée par les Américains sous prétexte de traiter de la paix, et, sans respect pour la foi jurée et pour le droit des gens, on s’empara du guerrier pied-noir, et on l’enferma dans une citadelle. « Vous êtes des traitres et des lâches, leur dit le captif; mais je saurai bien me rendre libre malgré vos fers. » En effet, à quinze jours de là il était libre; car il était mort. Le bouvreuil fait partie des oiseaux que Linné place dans son horloge ornithologique. D’après ce célèbre naturaliste , le rossignol chante toute la nuit. Le pinson est le plus matinal des musiciens ailés et devançant l'aurore. Il se fait entendre d’une heure et demie à deux heures du matin. Presque en même temps, c’est-à-dire vers deux heures et demie, la fauvette à tête noire fait en- tendre un chant qui rivaliserait avec le chant du rossignol, s’il durait plus longtemps et ne se com- posait de courtes stances. De deux heures et demie à trois heures, la caille, perdue dans les champs de blés, scande de petits sons moitié gloussés, moitié criés, dans lesquels les L'ESPRIT DES OISEAUX 97 habitants des campagnes croient entendre ces mots : Paye tes dettes! paye tes dettes ! Vient ensuite le bouvreuil, qui chante ses amours sur un mode mélancolique et entremêlé, comme je vous l'ai dit, de sifflements et de susurrements. De trois heures et demie à quatre heures, la fauvette à ventre rouge jette hardiment et à pleine voix ses trilles harmonieux. De trois heures et demie à quatre heures, se fait entendre le merle. Non-seulement il possède un chant qui lui est propre, mais encore il apprend très-bien tous les airs que le hasard lui fait entendre. Tous les merles d’une campagne habitée par M. Du- reau de la Malle chantaient la Marseillaise ; 11 avait suffi pour cela au savant d'enseigner cet air à un merle captif, et de le rendre ensuite à la liberté. 98 L'ESPRIT DES OISEAUX. De quatre heures à cinq heures, arrive le tour du pouliot. De quatre heures et demie à cinq heures, la mé- sange noire fait grincer sa voix agaçante. | Enfin de cinq heures à cinq heures et demie piaille le moineau france. | CHAPITRE VIII Les pigeons ramiers. — L'inconnu des Tuileries. — Ün ami perdu el une amie retrouvée. — Mœurs du ramier sauvage. — Les ramiers en Amérique. — Récit d’Audubon. — Des nuages de pigeons. — Leur nombre. — Ce qu’ils consomment de nourriture par jour. — Les sifflets chinois. Il y a huit à dix ans, un homme d’une cinquan- tane d'années, assez pauvrement vêtu, et qui sem- blait étranger, prit l'habitude de venir s'installer dans les Tuileries dès qu’on ouvrait les grilles et d’y demeurer jusqu’à l'heure où on les fermait. Assis sur un banc près de l’enclos réservé qui borde le palais et qui contraste si singulièrement par sa prétention de jardin à l’anglaise avec la grandiose ordonnance 100 L'ESPRIT DES OISEAUX. de le Nôtre, il vivait là comme un locataire dans son appartement. Ressentait-il la soif, il tirait de sa poche une gourde et il y buvait à petites gorgées. Avait-il faim, il puisait à même dans un petit panier qu'il portait toujours à son bras, et déjeunait ou dinait sans façon devant les curieux qui ne manquent jamais de se rassembler autour de tout ce qui leur offre le moindre caractère d’excentricité. Enfin, quand venait pour lui le besoin de dormir, il s’éten- dait sans façon sur le banc et y faisait un somme. Jamais ni le soleil ni la pluie ne l’obligeaient à quitter la place. Il s’abritait sous un vieux parapluie servant au besoin de parasol, ou bien, absorbé dans une profonde rêverie , il recevait les torrents d’eau et les rayons ardents sans paraître s’en apercevoir. Par une rude journée d'hiver, il resta là couvert par la neige et à demi enseveli sous sa couche blanche et glacée. Les gardiens du jardin s’'émurent d’abord de la présence de cet homme bizarre et voulurent lui in- terdire l’entrée des Tuileries ; il obéit si tristement qu'ils finirent par prendre en pitié un original qui se représentait tous les jours, en dépit de cette inter- diction, et qui d’ailleurs n’amenait jamais avec lui, complétement inoffensif, ni trouble, ni scandale. Ils en référèrent à leurs chefs, et ceux-ci les autori- sèrent à laisser en repos le pauvre diable. À une quinzaine de jours de sa prise de posses-. sion définitive du jardin, on remarqua que des bandes de moineaux, et surtout de pigeons ramiers, L'ESPRIT DES OISEAUX. 101 accouraient de toutes parts, dès que le mystérieux personnage venait s'asseoir sur son banc. Ils com- mencèrent par ramasser à ses pieds les miettes abondantes de pain qu’il y laissait tomber, et peu à peu, rassurés et enhardis, ils se perchèrent sur le dossier du banc, grimpèrent sur les genoux et sur les épaules du vieillard, et ils en vinrent même à 102 L'ESPRIT DES OISEAUX. prendre de leur bec, dans sa bouche, le pain qu'il y mâchait. Non-seulement il se laissa faire, mais encore peu à peu il prit intérêt à la confiance que lui témoignaient ces oiseaux, et il s’en fit une société intime avec laquelle il se jouait. Tantôt il les enfer- mait délicatement dans ses mains sans qu’ils s’effa- rouchassent, et il les caressait; tantôt il leur jetait en l'air des boulettes de pain qu’ils saisissaient au vol avec une adresse merveilleuse. Le soir venu, et quand les tambours, en battant la retraite, donnaient le signal du départ aux promeneurs, moineaux et ramiers formaient cortége à leur ami, le recondui- saient jusqu’à la porte qui s'ouvre sur le quai, près du Pont-Royal, s’arrêtaient à la grille, sur laquelle ils se rangeaient en bandes, et saluaient de leurs cris Pinconnu, qui se retournait à chaque pas, et qui s’arrêtait pour leur dire adieu de la main. Deux à trois années se passèrent ainsi. Un matin, les oiseaux se groupèrent, suivant leur habitude, autour du banc pour attendre celui qui arrivait tou- jours les mains et les poches pleines d’une abondante provende. Hélas ! il ne vint ni ce jour-là, ni les jours suivants. Et comme personne ne savait ni son nom, ni le quartier qu’il habitait, les habitués des Tuileries en restèrent réduits aux suppositions sur la dispa- rition mystérieuse de ce personnage singulier. Quoi qu'il en soit, il ne tarda point à lui arriver des successeurs dans sa mission de sollicitude et. d'amitié pour les oiseaux; et bientôt une vieille dame vint occuper sa place vide sur le banc. À sa L'ESPRIT DES OISEAUX. 104 vue tous les oiseaux commencèrent par s'envoler ; mais bientôt, tentés par un grand sac de soie rempli de graines et de pain dont elle épancha autour d'elle le contenu, ils revinrent presque sans hésitation, et nouèrent avec elle, pour ainsi dire, sans transition, des relations semblables à celles qui existaient entre eux et l'inconnu, Les pigeons ramiers qui habitent les parcs impé- riaux, les Tuileries, et qui s’y montrent si confiants et si familiers, ont, grâce à leur contact avec l’homme, perdu toutes les habitudes qui les carac- térisent à l’état sauvage; non-seulement ils y nichent 104 L'ESPRIT DES OISEAUX. à côté de la corneille, leur plus cruel ennemi dans les forêts, mais encore ils n’émigrent point en oc- tobre , et ils passent l'hiver à Paris, sûrs que les pro- visions ne leur manqueront point. Tout autre part qu'aux Tuileries et au Luxem- bourg, où se passent des scènes analogues à ce que je viens de vous conter, les ramiers se nourrissent de glands, de faines, et même de fraises, dont ils se montrent très-friands. À défaut de ces aliments, ils s’attaquent à diverses espèces de graines, et aux pousses tendres des différentes plantes; ils se jettent en bandes nombreuses sur les terres nouvellement ensemencées, sur les moissons, et y causent de srands dégâts. [ls ont ceci de.particulier avec un crand nombre de gallinacés, qu’ils vont pâturer à des heures réglées, et chôment presque tout le reste du temps. Dans ces moments de far niente, ils aiment à se percher sur les branches dépouillées de verdure qui se dressent à la cime des plus hauts arbres. Pendant les matinées fraîches , on les y voit, au lever du soleil, immobiles durant des heures en- tières, et attendant qu’un rayon vienne rendre à leurs ailes roidies un peu de souplesse et de vigueur. Pendant la belle saison, ils se plaisent dans les ar- bres feuillus; et ils y établissent leur nid. La part que le mâle et la femelle prennent à la construction de ce nid mérite d’être rapportée. Tou- jours la femelle en choisit la place. Ce choix fait, seule elle met en œuvre les matériaux que le mâle lui apporte. Jamais elle ne S’écarte de la branche où L'ESPRIT DES OISEAUX. 105 elle veut jeter les premiers fondements de son nid, tandis que le mâle se met en quête, et parcourt tous les arbres des alentours. Lorsqu'il aperçoit des büù- chettes mortes attenant à leur tronc, car jamais il ne ramasse celles qui sont à terre, il en choisit une, la saisit avec les pattes s, ou quelquefois même avec le bec, et cherche à la détacher, soit en appuyant + J 106 L'ESPRIT DES OISEAUX. dessus de tout le poids de son corps, soit en agissant sur elle fortement par des tractions réitérées; dès qu'il parvient à l'enlever, il l'emporte, la remet à la femelle, et repart pour continuer sans relâche, pen- dant des heures entières, la même besogne. Il n’est, on le voit, que le manœuvre, tandis que sa com- pagne se réserve exclusivement la part intelligente de la construction. Quoi qu'il en soit, cette construction n’exige pas beaucoup d'art; grossière et peu solide, elle ne dure même pas toujours jusqu'à l’époque où les jeunes deviennent assez forts pour prendre leur essor et renoncer aux soins de leurs parents. Si un accident survient, et que le nid tombe en ruines, les fortes branches sur lesquelles le nid se trouve presque toujours établi, offrent alors un appui aux rame- reaux; c’est le nom qu'on donne aux jeunes ra- miers. La ponte n’est ordinairement que de deux œufs, entièrement blanes. L’incubation dure quatorzejours, et il faut autant de temps pour que les petits puissent voler et se pourvoir d'eux-mêmes. Durant la période de laccroissement de leur li- gnée, le père et la mère lui apportent à manger à des heures réglées; car le ramier professe en toutes choses une régularité méthodique. Le matin, vers huit heures, les ramereaux prennent leur premier repas, et le second se fait entre trois et quatre heures du soir. Pendant les premiers jours, la fe- melle n’abandonne pas ses petits, et les réchauffe L'ESPRIT DES OISEAUX. 107 sous ses ailes, plus tard, elle se tient dans les en- virons, à portée de les observer. Le mâle, qui trahit sa présence par un roucoulement fort et plaintif, assiste et la remplace au besoin dans ce double devoir. Un nombre considérable de pigeons ramiers arri- vent dans le midi de la France vers la fin du mois d'octobre ; aussi leur y fait-on à cette époque une chasse acharnée, et souvent productive. Audubon a consacré un des chapitres de ses Scènes de la nature aux pigeons ramiers d’Amé- rique. « La multitude de ces pigeons dans nos forêts est t:l'2, Git-il, que je me demande si ce que je vais raconter est réel. Et pourtant je l’ai vu, je l’ai bien vu, et en compagnie de personnes qui, comme moi en restèrent frappées de stupeur. « Pendant l’automne de 1813, je partis des bords de l'Ohio, et me dirigeai vers Louisville, en traver- sant les landes qu’on trouve à quelques milles au delà de Hardensbourg. Je remarquai des pigeons qui volaient du nord-est vers le sud-ouest en si grand nombre,.que je n'avais jamais rien vu de pareil. Voulant compter les troupes qui passeraient à portée de mes regards dans l’espace d’une heure, je des- cendis de cheval, je m’assis sur une éminence, et je commençai à faire un trait de crayon à chaque bande que je voyais. Mais bientôt je reconnus que la chose devenait impraticable ; car les oiseaux se pressaient en innombrables multitudes. Je me levai, je compta 108 L'ESPRIT DES OISEAUX. les traits marqués sur mon album; j'en comptai cent soixante -trois, faits en vingt et une minutes. « Je continuai ma route, et plus j’avançais, plus je rencontrais de pigeons. L’air s’en trouvait litté- ralement rempli; la lumière du jour, en plein midi, s’en obscurcissait comme par une éclipse; la fiente tombait semblable aux flocons d’une neige fondante, et le bourdonnement continu des ailes m'étourdissait et me donnait le vertige. « Je m’arrêtai au confluent qui réunit la rivière Salée à l'Ohio ; et de la rive je vis à loisir d'immenses légions de pigeons passant toujours sur un front qui s’étendait bien au delà de l'Ohio, dans l’ouest, et des forêts de hêtres qu’on découvre directement à l’est. Pas un seul oiseau ne se posa, car on ne voyait ni un gland, ni une noix dans le voisinage, el ils volaient si haut, qu’on essayait vainement de les atteindre, même avec la plus forte carabine. Je renonce à vous décrire l’admirable spectacle qu’of- fraient leurs évolutions aériennes : lorsque, par hasard, un faucon venait à fondre sur l’arrière- garde de l’une de leurs troupes, tous les pigeons à la fois, comme un torrent et avec un bruit de ton- nerre, se précipitalent en masses compactes, et se pressaient l’un sur l’autre vers le centre; tandis que ces masses solides dardaient en avant, en lignes brisées ou gracieusement onduleuses, descendaient et rasaient la terre avec une inconcevable rapidité, montaient perpendiculairement de maniere à former une immense colonne, puis, à perte de vue, tour- L'ESPRIT DES OISEAUX 111 noyaient en tordant leurs lignes sans fin , semblables à un gigantesque serpent. « Avant le coucher du soleil, j'atteignis Louis- ville, éloignée de Hardenshourg de cinquante-cinq milles; les pigeons passaient toujours en même nombre. Ils continuèrent ainsi pendant trois jours sans cesser. Tout le monde avait pris les armes; les bords de l'Ohio étaient couverts d'hommes el de jeunes garçons fusillant sans relâche les pauvres voyageurs, qui volaient plus bas en passant la ri- vière. On en détruisit des milliers; pendant une se- maine et plus, toute la population ne se nourrit que de pigeons, et pendant ce temps l'atmosphère resta profondément imprégnée de l'odeur particulière à ceute espèce d'oiseaux. « Aussitôt que s'annonce quelque part une abon- dance convenable, les pigeons se préparent à des- cendre, et volent d’abord en larges cercles, en passant en revue la contrée au-dessous d'eux. C’est pendant ces évolutions que leurs masses profondes offrent des aspects d’une admirable beauté et dé- ploient, selon qu'ils changent de direction , tantôt un tapis du plus riche azur, tantôt une couche brillante d’un pourpre foncé. Alors ils passent plus bas par-dessus les bois, et par instants se perdent parmi le feuillage, pour reparaitre le moment d’après et se relever au-dessus de la cime des arbres. Enfin les voilà posés; mais aussitôt, comme saisis d’une terreur panique, ils reprennent leur vol, avec un battement d'ailes semblable au roulement lointain 112 L'ESPRIT DES OISEAUX. du tonnerre ; et ils parcourent en tous sens la forêt, comme pour s'assurer qu'il n’y a nulle part de dan- ser. La faim cependant les ramène bientôt sur la terre, où on les voit retournant très -adroitement les feuilles sèches qui cachent les graines et les fruits tombés des arbres. Sans cesse, les derniers rangs s’enlèvent et passent par-dessus le gros du corps, pour aller se reposer en avant; et ainsi de suite, d’un mouvement si rapide et si continu, que toute la troupe semble être en même temps sur ses ailes. La quantité de terrain qu’ils balayent est immense, et la place, rendue si nette, que le glaneur qui vou- drait venir après eux perdrait complétement sa peine. Ils mangent quelquefois avec une telle avi- dité, qu’en s’efforçant d’avaler un gros gland ou une noisette, ils restent là longtemps, en tirant le cou et haletant, comme sur le point d’étouffer. « Cest lorsqu'ils remplissent ainsi les bois qu’on en tue des quantités prodigieuses, et sans que le nombre paraisse en diminuer. Vers le milieu du jour, quand leur repas est fini, ils s’établissent sur les arbres pour reposer et digérer. Par terre, ils marchent aisément, aussi bien que sur les branches, et se plaisent à étaler leur belle queue, en imprimant à leur cou un mouvement en arrière et en avant des plus gracieux. Quand le soleil commence à dispa- raitre, ils regagnent en masse leur juchoir quel- quefois à des centaines de milles, ainsi que me l'ont affirmé plusieurs personnes qui avaient exactement noté le moment de leur arrivée et de leur départ. L'ESPRIT DES OISEAUX. 113 « Et nous aussi, cher lecteur, suivons-les jus- qu'aux lieux qu'ils ont choisis pour leur nocturne rendez-vous. J’en sais un, notamment, digne de tout votre intérêt : c’est sur les bords de la rivière Verte et, comme toujours, dans cette partie de la forêt où il y a le moins de taillis et les plus hautes futaies. Je l'ai parcouru sur un espace d'environ cinquante Milles, et j'ai trouvé qu'il n'avait pas moins de trois milles de large. La première fois que Je le visitai, les pigeons y avaient fait élection de domicile depuis une quinzaine, et il pouvait être deux heures avant le soleil couchant lorsque j'y ar- rivai. On n’en apercevait encore que très-peu; mais déjà un grand nombre de personnes, avec chevaux, charrettes, fusils et munitions, s’étaient installées sur la lisière de la forêt. Deux fermiers du voisinage de Russellsville, distante de plus de cent milles, avaient amené près de trois cents porcs, pour les engraisser de la chair des pigeons qui allaient être massacrés; çà et là on s’occupait à plumer et saler ceux qu’on avait précédemment tués et qui étaient véritablement par monceaux. La fiente, sur plu- sieurs pouces de profondeur, couvrait la terre. Je remarquai quantité d'arbres de deux pieds de dia- mètre, rompus assez près du sol; et les branches des plus grands et des plus gros avaient été brisées comme si l'ouragan eût dévasté la forêt. En un mot, tout me prouvait que le nombre des oiseaux qui fréquentaient cette partie des bois devait être im- mense, au delà de toute conception. À mesure 11% L'ESPRIT DES OISEAUX. qu'approchait le moment où les pigeons devaient arriver, leurs ennemis, sur le qui-vive, se prépa- raient à les recevoir. Les uns s'étaient munis de mar- mites de fer remplies de soufre ; d’autres, de torches et de pommes de pin; plusieurs, de gaules, et le reste de fusils. Cependant le soleil était descendu sous l'horizon, et rien encore ne paraissait! Chacun se tenait prêt, et le regard dirigé vers le clair fir- mament qu'on apercevait par échappées à travers le feuillage des grands arbres... Soudain un cri général à retenti: «Les voici! » Le bruit qu'ils fai- salent, bien qu’éloigné, me rappelait celui d’une forte brise de mer parmi les cordages d’un vaisseau dont les voiles sont ferlées. Quand ils passèrent au-dessus de ma tête, je sentis un courant d'air qui m’étonna. Déjà des milliers étaient abattus par les hommes armés de perches; mais il continuait d'en arriver sans relâche. On alluma les feux, et alors ce fut un spectacle fantastique, merveilleux et plein d’une magnifique épouvante. Les oiseaux se précipitaient par masses et se posaient où ils pou- valent, les uns sur les autres, en tas gros comme des barriques; puis les branches, cédant sous le poids , craquaient et tombaient, entrainant par terre et écrasant les troupes serrées qui surchargeaient chaque partie des ‘arbres. C'était une lamentable : scène de tumulte et de confusion. En vain aurais-je essayé de parler, ou même d'appeler les personnes les plus rapprochées de moi. Cest à grand’peine si l’on entendait les coups de fusil; et je ne m’a- L'ESPRIT DES OISEAUX. 117 percevais qu’on eût tiré qu’en voyant recharger les armes. « Personne n’osait s’aventurer au milieu du champ de carnage. On avait renfermé les porcs, et l’on remettait au lendemain pour ramasser morts el blessés; mais les pigeons venaient toujours, et il était plus de minuit que je ne remarquais encore aucune diminution dans le nombre des arrivants. Le vacarme continua toute la nuit. J'étais curieux de savoir à quelle distance 1l parvenait, et j’envoyai un homme habitué à parcourir les forêts. Au bout de deux heures il revint et me dit qu’il l'avait dis- tinctement entendu à trois milles de là. Enfin, aux approches du jour , le bruit s’apaisa un peu; et long- temps avant qu'on pût distinguer les objets, les pi- geons commencèrent à se remettre en mouvement dans une direction tout opposée à celle par où ils étaient venus le soir. Au lever du soleil, tous ceux qui étaient capables de s’envoler avaient disparu. C’était maintenant le tour des loups, dont les hur- lements frappaient nos oreilles : renards, lynx, cou- cuars, ours, ratons, opossums et fouines, bondis- sant, courant, rampant, se pressaient à la curée, tandis que des aigles et des faucons de différentes espèces se précipitaient du haut des airs pour les supplanter, ou du moins prendre leur part d’un aussi riche butin. « Alors, eux aussi, les auteurs de cette sanglante boucherie, commencèrent à faire leur entrée au milieu des morts, des mourants et des blessés. Les 118 L'ESPRIT DES OISEAUX. pigeons furent entassés par monceaux ; chacun en prit ce qu'il voulut; puis on lâcha les cochons pour se rassasier du reste. « Si l’on ne connaissait pas ces oiseaux, on serait naturellement porté à conclure que d'aussi terribles massacres devraient bientôt avoir mis fin à l’espèce; mais j'ai pu m'assurer, par une longue observation, qu'il n’y a que le défrichement graduel de nos forêts qui puisse réellement les menacer, attendu que, dans la même année, ils quadruplent fréquemment leur nombre, ou tout au moins ne manquent jamais de le doubler. En 1805 j'ai vu des schooners, ayant une cargaison complète de pigeons pris au haut de la rivière Hudson, venir les décharger aux quais de New-York, où ils se vendaient un cent la pièce ‘. En Pensylvanie, j’ai connu un individu qui en prit près de cinq cents douzaines dans une tirasse, en un seul jour; il en balayait quelquefois vingt dou- zaines et plus d’un même coup de filet. Au mois de mars 4830, ils étaient si abondants sur les marchés de New-York, qu’on en rencontrait par tas dans toutes les directions. Aux salines des États-Unis, J'ai vu des nègres fatigués d’en tuer pendant des semaines, lorsqu'ils descendaient pour boire l’eau sortant des tuyaux d’exhaure. Encore en 1826, dans la Louisiane, Je les ai trouvés rassemblés par troupes aussi nombreuses que jamais. « Veut-on se faire une idée du nombre de ces { Un centième de dollar, ou environ cinq centimes de France. L'ESPRIT DES OISEAUX. 119 pigeons, et de la quantité de nourriture qu'ils peu- vent consommer dans un jour? « Il suffit de prendre pour base de l'opération une colonne de ces oiseaux, d’un mille de large, ce qui est bien au-dessous de la réalité, passant sans inter- ruption, pendant trois heures, à raison d’un mille par minute; on aura ainsi un parallélogramme de cent quatre-vingts milles de long, sur un mille de large. Supposez maintenant deux pigeons par mètre carré, le tout vous donnera un billion cent quinze millions cent cinquante-six mille pigeons par troupe. Or, comme chaque pigeon consomme journellement une bonne demi-pinte, la nourriture nécessaire pour subvenir à cette immense multitude sera de huit millions sept cent douze mille boisseaux par jour. » Non-seulement l’homme fait servir les pigeons à sa nourriture et au plaisir cruel de la chasse, mais encore il trouve le moyen de les associer à ses spé- culations et à ses jeux. Jusqu'à l’époque où ladmi- nistration des postes donna à l'expédition de ses dépêches une activité en rapport avec les besoins de l’industrie et du commerce, et surtout jusqu’à la création de la télégraphie privée, on se servit en France, en Belgique, en Hollande et en Allemagne des pigeons pour transmettre rapidement à de grandes distances les cours de la bourse. Dans ce but, on sortait des pigeonniers un certain nombre de fe- melles près de couver, on les marquait d’un signe à l'aile, et on les dirigeait, dans des corbeilles, par la diligence, vers la capitale d'où lon voulait rece- 120 L'ESPRIT DES OISEAUX. voir des nouvelles financières. Là on attachait un petit billet sous l'aile du pigeon, et l’on mettait loi- seau en liberté. Aussitôt il prenait son vol, s’élevait à une grande hauteur, y planait quelques instants, et partait ensuite avec une grande rapidité vers le pigeonnier où l’attendaient son nid et ses œufs. On a calculé qu’un pigeon bon voilier franchissait de quatre à cinq kilomètres par minute. L'idée de recourir aux pigeons pour transmettre des dépêches a été mise en pratique la première fois à Anvers, par un négociant qui avait longtemps habité la Chine. Les habitants du Céleste-Empire professent, on le sait, une passion effrénée pour le jeu, et recher- chent avec une avidité ingénieuse tous les moyens de s’y livrer; ils raffolent surtout de paris, et ils ont, non comme en Angleterre et comme en France, des courses de chevaux, mais des vols de pigeons. Dans ce but, ils élèvent à grands frais, et avec toutes sortes de soins minutieux, des pigeons d’une espèce particulière, et que caractérisent une taille robuste et des ailes d’une vigueur peu commune. On transporte ces pigeons à une distance convenue, sur des jonques, dans des corbeilles en treillage, et on les met en liberté, à une heure dite. Toutefois, avant de les lâcher, on leur attache à la queue une sorte de petit sifflet en bois très-léger, et composé de huit à quinze tuyaux de dimensions différentes, savamment calculés et combinés de façon à produire une sorte d’accord, lorsque le vent L'ESPRIT DES OISEAUX. 131 s’introduit avec force dans ces tubes, grâce à la rapidité et à l’impulsion de l'oiseau qui fend impé- tueusement l'air. Les parieurs attendent les pigeons à lentrée du pigeonnier, et ils reconnaissent de loin celui de ces oiseaux qui leur appartient, à la musique pro- duite par le sifflet; ils savent ainsi à l'avance quels sont les vainqueurs ou les vaincus. En Belgique et dans certains départements de la France , on a également des vols de pigeons, et sans doute on les complètera bientôt en imitant la mé- thode chinoise. CHAPITRE IX Le merle Jeannot. — La folle aux oiseaux. Quelle est cette voix qui crie à la porte de mon cabinet, et en m'appelant de mon nom: Henri! Henri! Qui frappe: contre ma porte, à coups impé- ratifs? C’est mon merle favori, Jeannot. Il s’ennuyait dans la cuisine, quoique ma cuisinière soit sa fa- vorite, qu’elle l'ait élevé tout petit, quand il n’était même pas encore couvert de plumes, et qu’elle lui donne le meilleur des bonnes choses qu’elle sait préparer. Voici Jeannot qui s’installe sur mon bu- reau, et qui interroge de son grand œil noir tous les objets qui m’entourent. Tout à-coup un de ces L'ESPRIT DES OISEAUX. 123 masques en bois de la Nouvelle-Calédonie que les indigènes mettent sur leur tête en guise de casque, pour paraitre plus grands et plus effrayants à leurs ennèmis, frappe les regards de l’oiseau ; il entre en fureur , il attaque, il le frappe de son bec, et il ne faut rien moins que mon intervention pour l’apaiser. Il s'arrête néanmoins à ma voix, et vient se percher sur mon épaule. Jeannot est un enfant de la Vendée, et le des- cendant d’un des merles dont je veux vous conter l'histoire. : Il y a quarante ans, le quartier que l’on désignait alors sous le nom de la Nouvelle-Athènes, quartier sillonné en tous sens aujourd’hui par les rues de la Rochefoucauld, de la Bruyère, d’Aumale, Blanche, Pigalle et de Douai, se composait d'immenses jar- dins, au bas desquels la rue de la Rochefoucauld commençait à dresser sa pente roide, où se trou- vaient les maisons récemment construites d’Horace Vernet, de Talma, de Me Mars et de Mile Duchesnois. En remontant cette pente, à peine apercevait-on, au milieu des arbres centenaires qui dressaient de de toutes parts leurs têtes luxuriantes de verdure, deux hôtels perdus sous les ombrages; ils apparte- naient à l’académicien Arnault, l’auteur de la tra- gédie Marius à Minturnes, et au marquis de Fortia d’Urban, membre libre de l'Académie des inscrip- tions et belles-lettres, qui consacrait une partie de son immense fortune à rééditer et à annoter des livres rares et des documents historiques inédits. 124 L'ESPRIT DES OISEAUX. A côté, étaient le parc et les serres de M. Boursauli, financier célèbre, et lhabitation de Charles Des- champs, jeune peintre, dont on commence à couvrir d’or les toiles, pour me servir d’une expression du temps. La maison de cet artiste occupait la partie la plus solitaire et la plus mystérieuse de ce singulier quartier. Elle se cachait sous d'immenses marron- niers entremélés d’ormes et de chênes qui formaient la ceinture d’un petit parc traversé par les sinuo- sités d’un ruisseau dont les eaux, amenées à grands frais, tombaient en cascade d’un rocher, mêlaient leurs bruits aux murmures des arbres et aux chants de milliers d'oiseaux de toutes les sortes. L'auteur des Ruines, le sénateur Volney, avait fait construire, en 1804, cette villa, acquise depuis quelques années par Charles Deschamps, et sur lune des faces de laquelle on lisait l’inscription suivante : Comme il ne croit point à la stabilité de la fortune, le sénateur Volney à fait construire cette petite maison pour y trouver un refuge. L'administration des hospices, soit dit en passant, vient de faire abattre ce qui restait encore du logis de Volney, pour y substituer une école gratuite de jeunes filles desservie par les sœurs de la Charité. Par un contraste singulier, désormais il ne se dira plus que des prières là où jadis s’est professé tant de fois un athéisme sans vergogne. La façade de lPhôtel, d’une simplicité exagérée, sur laquelle ne s’ouvrait point une seule fenêtre, L'ESPRIT DES OISEAUX. 125 et où l’on n'avait pratiqué qu'une porte, ajoutait encore à l’effet du comfort et de l'élégance dont le visiteur se trouvait entouré dès qu'il franchissait le seuil. Si l'artiste avait laissé à l'extérieur de son habitation le cachet sec et froid donné par Volney, il avait pris sa revanche à l’intérieur, où se trou- vaient réunies toutes les recherches du bien-être et du luxe les mieux entendues. Un immense atelier prenait jour sur le jardin par une glace de quatre mètres, véritable merveille à cette époque, et faite expressément pour Deschamps dans les usines de Saint-Gobain. Cet atelier pouvait passer pour un véritable musée, tant il se trouvait encombré d’armes et de costumes de toutes les contrées du monde, d'objets d'art, de porcelaines de Chine et du Japon, de faïences italiennes, de statues antiques et de peintures originales des grands maitres. Quatre portes fermées par des tapisseries des Gobelins menaient, la première, à un salon digne de l'atelier, et dont l’ameublement somptueux appartenait au siècle de Louis XIV; la seconde, à une salle à manger que caractérisait le style sévère du x1rre siècle ; et la troisième, à la chambre à cou- cher de l’artiste, tout entière dans le goût du xvin® siècle. Le coquet mobilier en avait été fait pour Mie Duthé par le célèbre tapissier Lelong, et il était arrivé chez l'artiste après diverses vicissitudes qui cependant n’en avaient même point altéré la frai- cheur. La quatrième porte enfin conduisait à un petit 126 L'ESPRIT DES OISEAUX. appartement dont le chaste aspect ne ressemblait en rien au reste du logis. Il se composait d’un salon, d’une chambre à coucher, d’un cabinet de toilette et d’un oratoire. Tout était blanc dans ce charmant logis ; des tentures et des rideaux en damas de soie blanc enveloppaient les fenêtres et recouvraient les murailles ; les tapis, en véritables peaux d’hermine, s’étendaient sur les parquets; enfin, au-dessus du prie-Dieu de l’oratoire on voyait une vierge de Fra Angelico, toile d’une inappréciable valeur. Cet appartement se trouvait occupé par une jeune fille, dont une nature délicate ca- ractérisait la beauté un peu maladive. C'était un de ces enfants mi- gnons et un peu lan- guissants, que CEUX qui les aiment redoutent sans cesse de voir près ‘de se transformer en anges et de remonter au ciel. Aussi, au plus fort de ses inspirations et de son travail, voyait- = = on tout AMCOUDÈAle peintre laisser brusquement sa toile et ses pinceaux, et entrer avec une précipitation pleine de crainte dans l'appartement de sa fille; sil la trouvait as- L'ESPRIT DES OISEAUX. 127 soupie , il se penchait sur elle, étudiait avec anxiété sa respiration, et revenait doucement se rasseoir devant son chevalet. Au contraire, entendait-il dans le jardin les aboie- ments d’un petit chien qui ne quittait jamais Marie, il courait se mettre devant la glace sans tan qui servait de fenêtre à l’atelier, et oubliait tout pour suivre d’un regard attendri chacun des mouvements de l’enfant, courant et jouant à travers les arbres. Une femme d’une tren- taine d'années, et qui portait le costume pit- toresque des paysannes vendéennes, ne quittait jamais d’un instant la jeune fille ; elle partageait la sollicitude de Des- champs pour lenfant nourrie de son lait, et près du chevet de laquelle elle avait passé tant de nuits d’angoisses à pleurer et à prier. Marie n'aurait pu se passer une heure de Jeanne, et Jeanne ne se sentait plus vivre quand il lui arrivait par hasard de se séparer de « sa fille », comme elle la nommait à juste titre ; car elle ressentait pour elle la ten- dresse de la mère la plus passionnée. Charles Deschamps, malgré la femme dévouée 128 L'ESPRIT DES OISEAUX. qu'il savait près de Marie, ne pouvait guère sortir de son logis sans éprouver des inquiétudes. Le soir, pour se reposer d’un travail de douze heures, il se laissait aller parfois à son goût pas- sionné pour l’équitation, et montait Simoun, ma- onifique cheval arabe dont le roi lui avait fait pré- sent; mais à peine sorti, il lui arrivait souvent de tourner bride brusquement et de revenir au galop chez lui pour revoir et embrasser sa fille, la seule tendresse qui Jui restät au monde. La frêle et mignonne créature ne justifiut que trop la sollicitude craintive de son père et de sa nourrice. Le jour même de sa naissance, elle avait perdu sa mère, mariée depuis un an à peine. En voyant morte celle qu’il aimait depuis dix ans, qu'il n’avait obtenue de sa famille qu'après des ré- sistances longues et obstinées et des épreuves sans nombre, l’infortuné sentit sa raison s’égarer ; l’idée de suicide le fascina de son fatal vertige, et déjà il tenait à la main un pistolet quand un vagissement sortit du berceau de la nouveau-née. En entendant la voix de l'enfant qui allait devenir deux fois or- pheline , il repoussa l'arme, se jeta sur le cadavre et s’écria : « Je te le jure, je vivrai pour elle! » En effet, il consacra dès lors sa vie à cette enfant à laquelle il donna le nom de sa mère, et dont les traits, la voix et jusqu’à la langueur lui rappelaient celle qu’il avait perdue. Il tremblait sans cesse, avec trop de raison, pour le pauvre petit être chétif, L'ESPRIT DES OISEAUX. 129 continuellement menacé par la maladie. C’est pour elle qu'il avait acheté cette habitation, entourée d’un jardin, élevée sur le pied de la colline de Mont- martre, et de toutes parts inondée d’un air frais et pur que n’empoisonnaient pas les fétides émanations du bas Paris; c’est pour elle qu’il travaillait avec une ardeur fiévreuse, pour elle qu’il prodiguait tout l'or qu'il gagnait, pour elle qu'il menait une vie solitaire, et dont les exigences les plus impérieuses de sa position parvenaient rarement à le faire sortir de temps en temps ; il ne vivait, il ne respirait réel- lement que près de sa fille. L'intelligence précoce de Marie et son amour pour son père et pour sa nourrice justfiaient d’ailleurs ces tendresses effrénées, sur lesquelles elle s’ap- 6° 130 L'ESPRIT DES OISEAUX. puyait avec une foi sans réserve. L’un près de Pautre, ils se sentaient les trois créatures les plus heureuses du monde, et un indifférent n’eût pu voir sans émo- tion la jeune fille à demi couchée dans les bras de Jeanne et tenant ses grands yeux bleus attachés sur son père avec une ineffable expression. Celui-ei suivait du regard ses moindres mouvements et ne pouvait se rassasier de la voir. Ah! c’est que, voyez- vous, comme le dit saint Augustin, il n’y a pour un homme que deux vrais amours, l’un au ciel avec Dieu, Pautre sur la terre avec un enfant. Hélas! ce dernier bonheur est fragile ! Deschamps le comprenait si bien, qu’il ne pouvait s’en détacher un moment et qu’il le savourait avec une sorte d’ex- tase pleine de craintes. Une voix mystérieuse, un de ces pressentiments qui parlent à l'âme, semblait lui dire qu’il fallait se hâter d’en jouir, et que l'heure fatale de la séparation approchait sinistrement. Un soir, Marie avait exprimé à son père un de ces désirs qui passent dans la tête des enfants sans y laisser de trace, et qui s’oublient avant même d’être exprimés. Deschamps n’en résolut pas moins de le satisfaire, et par une belle soirée d'automne il alla prendre Marie dans sa chambre, la fit parer par Jeanne de sa plus belle robe, et la conduisit devant une charmante voiture découverte à laquelle un do- mestique achevait d'atteler le cheval arabe Simoun. € Tu m'as dit l’autre jour, mignonne, que tu désirais venir un soir te promener avec moi au bois de Boulogne; voici ton désir qui va se réaliser. » L'ESPRIT DES OISEAUX. 131 L'enfant regarda son père avec attendrissement, « Que tu es bon! dit-elle; je ne me souvenais plus de cette fantaisie, et tu l’en souviens, toi, père! — Allons, allons! s’écria Deschamps qui se sen- tait venir les larmes aux yeux, car le seul son de la voix de sa fille le remuait jusqu’au fond des en- trailles; allons! viens t’asseoir à mes côtés, enve- loppe-toi avec soin de cette pelisse, et partons. » Jeanne plaça elle-même dans la voiture lenfant, qui lembrassa en lui disant : € Allons, petite mère, ne fais point ainsi la moue, nous reviendrons bien vite. » Jeanne, du revers de sa main, essuya ses pau- pières humides ; le domestique remit les rênes à l'artiste, et Simoun partit comme l'éclair. € Ah! disait Marie, quelle bonne chose que de traverser ainsi rapidement la ville! Quelle longue avenue! N'est-ce point là les Champs-Élysées dont tu me parlais l’autre jour? Ce bois vers lequel Si- moun nous emporte ne se nomme-t-il point le bois de Boulogne”? Je suis bien heureuse à la maison, père; mäis je me sens plus heureuse encore ici! Avec toi, dans ces lieux nouveaux, il me semble que je fais un beau rêve! » L’heureux père, qui se sentait inondé de joie par la joie de sa fille, se tourna pour mieux la voir: dans ce mouvement les rênes lui glissèrent des mains. Il se penchait pour les ressaisir, quand une voiture débusqua brusquement au détour d'un che- 132 L'ESPRIT DES OISEAUX. min et vint heurter Simoun. Le cheval prit peur, s’emporta et partit au galop, éperdu et rendu fu- rieux par les rênes qui trainaient à terre, lui bat- taient les jambes etui frottaient les flancs. Tout à coup la voiture se heurta violemment au tronc d’un arbre, se brisa, et lança à quelques pas de là Marie et son père, qui tenait désespérément son enfant serrée contre sa poitrine. On s’empressa d’accourir à son secours. « Malheur! dit une des personnes qui les rele- vèrent. Malheur! le père est mort, et lenfant a reçu à la tête une blessure dont elle ne guérira sans doute pas. » Je ne sais point de ville où l’on se passionne et où l’on oublie plus vite qu'à Paris. Les premiers jours, la mort imprévue et dramatique de Charles Deschamps produisit une immense sensation, et Je pourrais même dire qu'il fut un véritable chagrin pendant une semaine ou peu s’en faut. On ne s’en- tretenait que de la perte prématurée faite par les arts, on ne s’abordait qu’en se demandant ou en se racontant des détails sur le fatal événement, enfin, jamais obsèques ne se célébrèrent avec äutant de pompe, et en présence d’une multitude plus grande et plus émue. L'Institut en corps voulut rendre les derniers hon- neurs à l'artiste qu'il n’eût point tardé à compter au. nombre des siens. Parmi les voitures qui suivaient le convoi, on en distinguait une à la livrée royale; les journaux publièrent, tous sans exception, des L'ESPRIT DES OISEAUX. 133 notices nécrologiques sur Charles Deschamps, et provoquèrent une souscription pour élever un mo- nument funèbre à celui que la France et l’art pleu- raient. Peu à peu, ce grand bruit s’apaisa et cessa; l’at- tention publique se tourna vers un procès célèbre qui surgit tout à coup et qui foisonnail en détails piquants, et l’on mit la même ardeur à suivre cette affaire scandaleuse qu’on en avait mis à déplorer la perte de l’artiste. Si bien qu'à une année de là on passait, sans se souvenir de celui qui Pavait habité, devant l’hôtel de Charles Deschamps, sur les murs duquel une grande affiche rouge annonçait la vente prochaine, par autorité de justice, d’un immeuble composé d’une maison avec atelier de peintre, entourée d’un parc d’un are de terrain et planté d'arbres; mise à prix , trois cent mille francs. Le lendemain du jour où cette vente s’accomplis- sait par-devant notaire, et où des entrepreneurs se disputaient à coups d'enchères à qui deviendrait ac- quéreur d’un terrain destiné à se transformer im- médiatement en un quartier nouveau et de grand rapport, Marie se tenait assise avec sa nourrice sous un vieux chêne qu’une large coche teinte en rouge annonçait devoir bientôt être abattu par la cognée des nouveaux acquéreurs. Vous eussiez reconnu difficilement dans l'enfant vêtue d’une robe noire la charmante petite Marie, que son père entourait naguère de tant de sollici- 134 L'ESPRIT DES OISEAUX. tude et d'amour. Tandis que Jeanne travaillait acti- vement à un grossier tricot de bas de laine, de dessus lequel elle levait de temps à autre les yeux pour les reporter sur Marie, celle-ci, plongée dans une sorte de stupeur, entr’ouvrait à peine ses paupières, quand parfois venaient à passer près d’elle les commission- naires, qui achevaient d'enlever, avec leur brutalité habituelle, le peu de meubles qui restaient encore à l'hôtel, et qu'ils chargeaient sur une voiture de déménagement pour les porter à l’hôtel des ventes. Un large bandeau couvrait le front de lenfant amaigrie et sur les traits de laquelle on ne retrouvait plus rien, hélas! de Pintelligence qui la caractérisait autrefois. Par intervalles , elle soulevait sa tête hé- bétée, poussait des sons inarticulés et se laissait aller de nouveau sur le gazon pour retomber dans un idiot affaissement. En ce moment entra, en compagnie d’un vieil- lard, le docteur Lisfranc, le seul des amis de Charles Deschamps qui n’eût point oublié le chemin de la maison de Partiste. Au son de la voix de celui qui depuis un an lui donnait des soins assidus, un vague sourire entr'ouvrit les lèvres appesanties de Marie, qui parut reconnaitre le médecin. Celui-ci essuya une larme, et se tournant vers la personne qui lPaccompagnait: « Voilà, Monsieur, tout ce qu’il reste du bon- heur et de la gloire qui, l’année dernière, remplis- saient cette maison : une orpheline idiote! J'ai bien eu de la peine à la guérir de la blessure qui lui E £ EE ua L'ESPRIT DES OISEAUX. 137 avait brisé le crâne; je lui ai conservé la vie, mais Je n'ai pu lui conserver la raison. « Peut-être, après tout, vaut-il mieux pour elle qu’elle assiste sans le comprendre à la ruine et à la désolation qui lentourent. Pauvre Deschamps! il croyait si fermement à la fortune qui lui promet- tait un avenir qui ne devait point se réaliser! A peine le prix de son hôtel et de ses tableaux suffira- t-il à combler le passif qu'il laisse, comme disent les gens de loi!...» Le vieillard répondit : « Oui, docteur, tout cela est bien triste! D’au- tant plus triste que Je n’ai pu obtenir pour cette infortunée qu’une pension de six cents francs ; l'État a tant d’infortunes artistiques à soulager, qu’il se trouve forcément réduit à une douloureuse parci- monie. — Jeanne, ma fidèle Jeanne, interrompit brus- quement Lisfranc, tu le vois, il ne reste plus à Marie que toi au monde, à moins que tu ne veuilles qu’on l’enferme dans un hospice, où elle ne tardera pas à mourir. Au contraire, la vie libre, en plein air, parviendra peut-être un jour à la rendre à la raison. Veux-tu, comme tu las fait jusqu'ici, continuer à te dévouer à elle? Veux-tu devenir tout à fait sa mère? — Je ferai pour mon enfant ce que j'ai fait depuis le jour de sa naissance. — Il faut donc que vous quittiez toutes les deux, aujourd’hui même, cette maison que dès demain 138 L'ESPRIT DES OISEAUX. les hommes de la bande noire commenceront à dé- molir. Retourne à ton village de Maine-et-Loire, et tâche d’y acheter une petite ferme au nom de Marie. Nous trouverons bien, n’est-ce pas, ajouta-t-il en se tournant vers celui qui lPaccompagnait, nous trouverons bien dans notre bourse et dans celle de quelques amis les deux à trois mille francs que coûtera cette chaumière ? — Assurément, docteur, et vous pouvez compter sur mOi. — Là, ma bonne Jeanne, l'enfant et toi, vous pourrez, sans trop souffrir de la gêne, vivre avec la pension de six cents francs donnée par le roi. Je suis fils de paysan, et je sais combien il faut peu de chose pour vivre à l’aise au village. Laisse à notre pauvre Marie une liberté absolue, et mène-la tant que tu le pourras à travers les bois et les champs. Tu n’écris pas trop mal une lettre, quoique tes caractères soient gros; mais je ne les en lirai que mieux , Car ma vue baisse ; tu me donneras donc des nouvelles de Marie quand tu le croiras nécessaire. En attendant, voici de quoi payer tes frais de route. Au revoir, et que le bon Dieu bénisse ton dévoue- ment ! » Il embrassa Jeanne sur les deux joues, souleva Marie de terre, la prit dans ses bras, la considéra quelques instants avec émotion et la baisa au front. «Papa! papa! » bégaya l’enfant. Lisfranc se hâta de l’asseoir sur les genoux de Jeanne, et s’éloigna précipitamment. L'ESPRIT DES OISEAUX 139 « Ah! mon ami, dit-il au vieillard en remontant en voiture, il y a de bien tristes quarts d'heure à passer dans la vie! » Dès le soir même Jeanne, après avoir rassemblé les vêtements de Marie et les siens, les enferma dans une grande malle, prit l’enfant par la main et se dirigea avec elle vers les messageries qui condui- saient alors de Paris à Angers. Après avoir surveillé le chargement de ses bagages, elle prit possession de deux places dans la rotonde et fit asseoir à ses côtés l’idiote, qui se laissa faire avec l'indifférence passive qui la caractérisait. La route fut longue et fatigante; tant que dura cette route, la pauvre créature ne fit pas entendre une seule plainte. Presque toujours assoupie, elle se tenait étroitement appuyée contre sa nourrice, se laissait descendre par elle, aux relais, pour prendre quelque nourriture, et se laissait reporter avec la même insouciance dans la voiture. Seule- ment il ne fallait pas que Jeanne s’éloignät, même pendant quelques secondes ; car Marie poussait alors de sourds gémissements, et frappait avec désespoir sa tête contre les parois de la diligence. Enfin, après deux jours de voyage, Jeanne et sa fille adoptive arrivèrent à Angers, et repartirent presque aussitôt pour un petit hameau, voisin de Saint-Florent-le-Vieil. Saint-Florent-le-Vieil, qui se trouve à une soixan- taine de kilomètres d'Angers, s'élève au bord de la rive droite de la Loire, sur une immense falaise 140 L'ESPRIT DES OISEAUX. escarpée, de Paspect le plus étrange et le plus pitto- resque. Jeanne acheta dans les environs une petite maison isolée, d’où l’on découvrait le cours majes- tueux de la rivière, les îles verdoyantes qui la di- visent en plusieurs bras, et les immenses prairies « qui s'étendent partout à perte de vue. À peine en possession du jardin assez vaste qui entourait sa nou- velle demeure, elle se remit passionnément au tra- vail de la culture, comme si elle n’eût point vécu douze années à Paris, entourée de bien-être et de loisirs. Dès le point du jour à l’œuvre, la bêche et le râteau à la main, elle fouillait la terre, défrichait, semait, plantait, sarclait, récoltait, ne tenant compte ni de la fatigue ni des sueurs, sans négliger ses aiguilles et son tricot, qu’elle reprenait le soir à la veillée. L'ESPRIT DES OISEAUX. 141 Marié, dans les premiers temps, étendue sur l'herbe, la regardait faire nonchalamment; mais peu à peu l’action d’un air vivifiant et le besoin d’i- mitation, inhé chez les idiots comme chez les en- fants, agit sur elle et commença par l’amener près de sa nourrice, d’abord pour voir ce qu’elle faisait, et ensuite pour suivre son exemple. Bientôt il n°y eut point, dans tout Saint-Florent-le-Vieil et ses en- virons, une ouvrière qui valût l'enfant pour l’activité et la force. Brunie par le soleil, devenue robuste par lexercice, Marie se montrait infatigable à la besogne, et son sourire prenait une vague expression d’intel- ligence, quand Jeanne lui frappait affectueusement sur l’épaule en lui disant : «€ Voilà qui est bien, mon enfant! » Insensiblement, un insurmontable besoin de mou- vement acheva de succéder chez elle à la torpeur maladive qui la dominait depuis le fatal accident. On ne pouvait plus la tenir au logis, d’où elle s’é- chappait sans cesse pour aller courir dans les prairies et dans les bois. Sans conscience du danger, elle gravissait les côtes les plus escarpées, se laissait rouler le long de la falaise, et entreprenait les excur- sions les plus aventureuses. Elle finit même par grimper aux arbres et par sauter de branche en branche avec lagilité et l'adresse d’un écureuil. Jeanne, que le besoin de vagabondage de l’enfant avait commencé par désoler, finit par se résigner et par la laisser faire. Elle la savait d’ailleurs pro- tégée par le respect superstitieux qu’on professe 142 L'ESPRIT DES OISEAUX. dans cette partie de la France pour les infortunés privés de la raison. À un an de là, la nourrice vit revenir vers le soir Marie, partie, suivant son habitude, dès le matin. Quoiqu’elle ne comptât guère que quinze à seize ans, l’idiote, grande et robuste, semblait en annon- cer dix-sept à dix-huit. Les reins ceints d’une jupe courte en laine rouge, le buste enfermé dans un casaquin de couleur brune, les pieds nus, ses longs cheveux blonds épars sur ses épaules, elle respirait la force et la santé. Dès qu’elle aperçut sa nourrice, elle courut à elle, fit entendre une certaine inflexion cutturale dont elle se servait pour exprimer sa sa- tisfaction, et, soulevant avec précaution un coin de son tablier de toile bise en lambeaux, elle mon- tra un objet qu'elle y tenait soigneusement enve- loppé. C’était un nid de merles noirs, où se trouvaient quatre petits nouveau-nés. « Que veux-tu faire de ces pauvres oiseaux ? de- manda Jeanne ; donne-leur à manger. Hélas! pauvre enfant ! je lui parle comme si elle pouvait me com- prendre ! » À la grande surprise de sa nourrice, Marie mon- tra des baies placées dans un coin noué de son tablier et les présenta aux oiselets, qui ouvrirent aussitôt leur bec en glapissant, et qui engloutirent la pro- vende que l'enfant leur présentait. Après qu'ils furent rassasiés, l'enfant, qui se tenait accroupie devant le nid, se leva, alla récolter L'ESPRIT DES OISEAUX. 143 dans le jardin, près d’un petit ruisseau qui le bai unait, des branches d’osier, en forma une sorte de panier à claire-voie et ouvert par le haut, comme souvent elle lavait vu faire à sa mère adoptive y déposa les oiseaux, et, plaçant ses deux mains autour de sa bouche, elle se mit à imiter le cri que poussaient tout à l'heure les petits merles quand ils demandaient de la nourriture. 144 L'ESPRIT DES OISEAUX. Elleentraina en- suite Jeanne dans un coin du jardin derrière un buis- son, et, posant son doigt sur ses lèvres, lui recom- manda le silence. Jeanne se sentit à la fois surprise, presque effrayée et surtout émue en voyant, pour la première fois depuis son départ de Paris, appa- raitre sur les traits de Marie une lueur d’intelligence. L'œil morne et ternedelenfantse tenait fixé vers le ciel avec l’expres- sion de l'attente; impatience sou- levait sa poitrine, et sa main serrait la main de sa mère adoptive, qui la sentit trembler entre ses doig'=. L'ESPRIT DES OISEAUX. 145 Tout à coup l’étreinte de cette main devint encore plus étroite; un son inarticulé et sourd s’échappa des lèvres de la jeune fille, et elle leva vivement la tête vers le ciel. Deux points noirs apparaissaient dans les airs au- dessus de la ferme. D'abord à peine visibles, peu à peu ces points se rapprochèrent, grossirent, devin- rent visibles, et Marie et Jeanne purent distinguer deux merles. Après bien des hésitations et avec mille précautions craintives, les oiseaux finirent par raser de leurs ailes le panier qui contenait le nid dans lequel les oisillons, qui les avaient aperçus, s’agitaient et Jetaient des cris aigus. Enfin l’un des merles, la femelle, facile à recon- naitre à sa taille moins grande et à ses formes élan- cées, s’enhardit la première, d’abord jusqu’à se pencher sur les bords de la corbeille, et ensuite Jusqu'à descendre dans le nid. Les petits s’empres- sèrent de se blottir sous ses ailes, où l’on entendit peu à peu leurs cris devenir moins aigus, s’apaiser, s’amortir, et enfin se taire tout à fait. Pendant ce temps, le mâle se tenait tout près de là sur une branche voisine ; on le voyait faire le guet, tourner à droite, à gauche, par dévant, par derrière, de tous les côtés, sa tète noire et ses veux intelli- cents. Deux ou trois fois, le choc d’un rameau, une feuille qui tombait, un bruit qui s’entendait au loin, lui firent donner le signal d’alarme. Alors la femelle s’élançait hors du nid, s’envolait avec son compa- non, ou bien se cachait au plus touffu d’un arbre. 7 16 L'ESPRIT DES OISEAUX. Peu à peu le silence la rassurait, et, tout à fait con- vaincue de l'absence de péril, elle venait reprendre sa place au milieu de sa nichée. Marie ne pouvait se lasser de regarder cette scène ; elle obligea Jeanne à rester là, cachée et immobile avec elle, pendant deux longues heures, et jusqu’à la tombée de la nuit. Quand elle cessa de voir les oiseaux, elle soupira, prit sa nourrice par la main, et avec mille précautions, et en faisant toutes sortes de détours, elle la ramena au logis sans que les o1- seaux pussent s’apercevoir de leur départ et en prendre peur. Rentrée à la ferme, elle se jeta dans les bras de Jeanne, et murmura le mot maman. Jeanne rendit avec effusion ses caresses à celle qui lui en adressait pour la première fois depuis si longtemps, et tomba ensuite à genoux devant un crucifix suspendu à son chevet. L'ESPRIT DES OISEAUX. 147 Quand elle eut fini sa prière mêlée de larmes et qu'elle se releva, elle vit Marie agenouillée près d'elle, et s’efforçant de joindre les mains comme elle le voyait faire à sa compagne. Le lendemain, au point du jour, avant même que Jeanne s’éveillât, l'enfant sortit furtivement de sa couche, gagna le bois voisin et y fit une récolte abondante de baies et d'insectes. De retour au jardin, elle se coucha dans les hautes herbes du pré et s’approcha du nid lentement et en rampant. Elle y mit tant de précautions que les merles ne virent rien, n’entendirent rien et ne firent même aucun mouvement d'inquiétude. Alors elle déposa à quelque distance la provende qu’elle rapportait, et elle attendit, les yeux attachés sur la corbeille. Le soleil commençait à se lever, et jetait ses premiers rayons sur le jardin encore en- veloppé d’une brume qui ne tarda point à se diss!- per, sous l’influence de la chaleur tiède et vivifiante de l’astre. Le mâle, éveillé le premier, sortit sa tête qu’il tenait cachée sous son aile, sembla humer autour de lui les bonnes émanations qui se répandaient dans les airs, secoua ses plumes, et du premier coup, sans hésiter, s’élança sur les baies et sur les insectes. A la vue de Marie, il reprit son vol avec effroi, et s’éleva au plus haut dans les airs en jetant un cri de détresse. À ce cri, la femelle s’envola à son tour et alla rejoindre le mâle. Tous les deux tournoyèrent 148 L'ESPRIT DES OISEAUX. ainsi à tire-d’aile pendant quelques minutes, tantôt à perte de vue, tantôt rasant la terre. A la fin, ras- surés par l’immobilité de Marie, dont le cœur pour- tant battait bien fort, ils se hasardèrent à se poser à quelque distance du sol, et à picoter à coups de bec un ou deux insectes qui s’efforçaient de fuir et qui déjà se trouvaient assez loin de lendroit où on les avait déposés. Ils portèrent ce butin à la nichée, qui reçut le commencement de son déjeuner avec des cris de Joie. Enhardis par ce premier succès, les oiseaux re- vinrent à la charge; cette fois, ils s’attaquèrent au tas principal, et, toujours de plus en plus rassurés, ils finirent par se livrer à leur pillage sans prendre de précautions et en toute sécurité. À peine restait- il sur le sable une ou deux pincées de graines ; Marie profita d’un moment où les merles se trouvaient occupés dans la corbeille à donner la becquée à leurs petits, pour prendre rapidement ce peu de graines qu’elle étala dans une de ses mains ouverte. A leur retour, les oiseaux , surpris de ne plus voir les graines à leur première place, s’enfuirent ef- frayés, et ne revinrent qu'avec mille précautions. A la fin, la femelle se posa devant la main de l'enfant le plus loin qu’elle le put, mais en calculant néanmoins la distance à laquelle elle pouvait y atteindre du bout du bec. Alors elle allongea son col lancé par un mouve- ment brusque, saisit une baie, prit la fuite, et re- sarda d’un buisson voisin ce qui allait avenir. L'ESPRIT DES OISEAUX. 149 Rien ne bougea. Elle recommença ce manége, et ne le cessa qu’a- près avoir enlevé jusqu'à la dernière bribe tout ce que contenaient les doigts de la jeune fille. Marie se traina à trente pas de là, se releva dou- cement, regagna la ferme, embrassa de nouveau sa mère, étendit l'index vers le nid, frappa l’une contre l’autre ses mains par un geste de joie, et remuant les lèvres avec effort, et tendant les cordes gonflées de son gosier, après deux ou trois tenta- tives pénibles, elle parvint à articuler le mot oiseau. Heureuse au delà de toute expression de ce succès, elle battit des mains de nouveau, sauta joyeuse- ment, et répéta vingt fois de suite : Oiseau ! oiseau ! oiseau ! Je n’ai pas besoin de vous dire que pendant toute la journée on laissa dans un isolement absolu les merles et leurs petits. Jeanne prit soin de ne s’occuper de culture que dans une autre partie du jardin, et Marie retourna dans le bois, d’où elle ne revint que le soir, chargée d’un panier qu’elle rapportait plein de toutes sortes d'aliments destinés à ses pensionnaires. A quelques jours de là, les oiseaux, non-seule- ment avaient élu domicile dans la corbeille, mais encore ils ne s’envolaient plus quand Jeanne et sur- tout Marie venaient à passer près d'eux; certams qu’on ne leur voulait pas de mal, comme il arrive en pareil cas à tous les animaux même les plus craintifs , ils témoignaient une confiance absolue. 150 L'ESPRIT DES OISEAUX. Tout le temps que Marie ne consacrait pas dans les bois à récolter de la nourriture pour ses favoris, elle le passait, assise près de la corbeille, à considérer la petite famille qui S'y trouvait si heureuse, Les merles ne tardèrent point, à sa vue, à témoi- gner de la joie et à picoter sans façon dans ses mains les aliments qu’elle leur servait trop lentement à leur gré. Bientôt même ils n’hésitèrent plus à grim- per, à sautiller sur ses épaules, à becqueter ses che- veux et à se laisser caresser par elle. Parfois ils lui confiaient la garde du nid, et s’envolaient chasser au loin pendant des heures entières; ou bien s'ils restaient au logis, et que l’absence de Marie se pro- longeât plus que d'habitude, ils allaient au-devant d'elle, lui adressaient du haut des airs, en l’aperce- vant, des saluts affectueux , et revenaient à la ferme, tantôt sautant de branche en branche, tantôt perchés sur son dos ou sur ses bras, tantôt sautillant à ses côtés sur le chemin. Les petits, qui grossissaient, pour ainsi dire, à vue d'œil, tant ils se trouvaient bien nourris, parta- geaient cette affection de leurs parents pour la jeune fille. Ils mangeaient aussi volontiers de sa main que du bec maternel, grimpaient à leurs barreaux d’o- sier pour gagner les genoux de Marie, et la suivaient par tout le jardin et par toute la maison, au grand plaisir de l'enfant et à la satisfaction ineffable de Jeanne; car alors la jeune fille, heureuse, animée, gaie, répétait avec des intonations rauques sans doute encore, mais qui semblaient bien douces à L'ESPRIT DES OISEAUX. 155 l'oreille de lexcellente femme : Maman! oiseau! maman ! oiseau ! Deux mois après, les promenades de la famille ailée et de son amie ne se bornaient plus au jardin et à la ferme ; ils s’en allaient chaque jour ensemble à travers les bois, pendant des journées entières. Les merles ne se faisaient pas faute de s’envoler dans les airs, de percher sur les arbres, de picorer dans les sillons et de se livrer à toutes leurs fan- taisies de vagabondage ; mais dès que Marie pous- sait une sorte de sifflement aigu qui s’entendait de fort loin, on voyait les merles et leurs cinq petits, devenus, ma foi, de véritables oiseaux aussi gros que leurs parents, accourir à tire-daile et se disputer soit la sauterelle, soit la baie succulente ramässée par Marie pour eux. Le soir, l’enfant rentrait au logis avec son escorte complète, la plupart du temps volant et tournoyant au-dessus de sa tête, et jetant de petits cris, tandis qu'elle battait des mains et qu'elle criait de son plus loin, dès qu’elle apercevait Jeanne : Maman ! oiseau ! Les habitants de Saint-Florent-le-Vieil finirent par remarquer cette étrange amitié de la fille adoptive de Jeanne et de la bande des merles. À une époque où ne régnaient encore que trop les idées supersti- tieuses qui laissent même, aujourd'hui encore, bien des traces fâcheuses dans la vieille Vendée, quel- qu'un prononça un jour le mot de sorcellerie pour expliquer un phénomène sans exemple jusque-là dans le pays. Le mot, comme il n'arrive que trop 7- 1 154 L'ESPRIT DES OISEAUX. souvent aux choses absurdes, fit fortune et ne tarda pas à se trouver sur les lèvres de tous les gens de la contrée. Les enfants, entendant donner sans cesse l’épithète de sorcière à Marie dont ils avaient respecté jusque-là la faiblesse et la folie, en revinrent aux mauvais instincts de leur âge sans pitié, et commen- cèrent peu à peu à prendre en aversion l’idiote. Ils se la montraient de loin du doigt, en répétant le mot odieux de sorcière par lequel leurs parents, de leur côté, ne se faisaient point faute de désigner lPétrange créature, toujours errante par monts et par vaux, les cheveux épars, les vêtements en désordre, et qui ne savait prononcer que deux mots de la langue des chrétiens. On passe bien vite de lPaversion à lesprit d’hosti- lité, surtout à l’âge de sept à huit ans, quand on a affaire à un être privé de raison et qu’on croit sans moyen de défense. Les petits garcons du pays, et même certaines petites filles, ne manquaient point d’assaillir Marie de leurs huées dès qu’ils la rencon- traient seule en quelque chemin solitaire. Marie, habituée à la bienveillance que chacun lui témoignait jusque-là, regardait les enfants sans com- prendre la nature de leurs charivaris malveillants, riait de son rire hébété à ceux qui burlaient le nom de sorcière, et mêlait sa voix à leurs voix en criant à tue-tête : Maman! oiseau! mainan! oiseau! Un jour un des plus mauvais sujets de la bande, chétif, boiteux, difforme et souffre-douleur ordinaire de ses camarades, se trouva face à face avec Marie à L'ESPRIT DES OISEAUX, 155 un détour de la falaise qui domine la Loire. Le pauvre hère, habitué à voir abuser de la force des autres à son égard, saisit cette occasion de devenir à son tour le plus fort et le plus méchant. Il épuisa d’abord contre la folle son répertoire d’in- jures, qu’elle accueillit, suivant son habitude, en riant et en criant aussi haut que lui : Maman! oiseau! Enhardi par cette manière d'agir, il saisit Marie par 156 L'ESPRIT DES OISEAUX. sa robe, dont il arracha un morceau. L'idiote rit autant que lui, en voyant le lambeau d’étoffe rester dans la main du hargneux polisson, qui répondit à ce rire par un grand coup de poing. Ce coup non- seulement fit jeter un cri de douleur à la pauvre petite, mais encore il la renversa sur le bord de la falaise, et la mit en danger de glisser sur la pente rapide jusque dans la Loire. Il allait redoubler, quand tout à coup il se sentit frapper au visage par une bande dassaillants invi- sibles qui semblaient tomber du ciel sur sa tête, dont les becs lui déchiraient la face, qui s’attaquaient sur- tout à ses yeux, et qui ne tardèrent point à lui mettre la face tout en sang et à le rendre à peu près aveugle. Éperdu, il prit la fuite; mais ses ennemis le pour- suivirent avec acharnement, et ne l’abandonnèrent que loin de là et en le laissant dans un état déplo- rable. À quelque distance éloignée que les excursions de Marie l’entrainassent, elle rentrait toujours vers le soir au logis avec la ponctualité machinale que met- tent dans leurs actions habituelles les pauvres êtres privés de la raison. Aussi la bonne femme ne s’in- quiéta-t-elle pas de l’absence de son enfant jusqu’à l'heure où le crépuscule se mit à teindre de sa pourpre violacée les nuages du couchant. « Marie, se disait- elle, a trouvé dans les bois des mûres et des baies de genévrier, et elle en a mangé avec ses oiseaux; comme elle ne ressentait pas la faim, elle est restée à courir et à grimper aux arbres en compagnie des L'ESPRIT DES OISEAUX. 157 merles pour y chanter ensemble de branche en bran- che. Car elle imite tout ce qu'ils font, c’est à croire qu’elle vole aussi bien qu'eux, sans compter qu’elle chante comme eux à s’y méprendre. Je l'ai entendue l’autre soir qui gazouillait à leur façon : on dirait qua- siment qu’elle comprend leur langage. » Tout en se parlant ainsi et en cherchant à con- jurer l’inquiétude qui commençait à la gagner, Jeanne allait et venait dans son jardin; elle regardait au plus loin qu'elle pouvait voir et prêtait à chaque instant l'oreille : « Ah! s’écria-t-elle tout à coup, voici Marie qui re- vient! J’entends ses merles qui jettent des cris et qui tournent dans les airs au-dessus de la ferme. Pour- quoi donc, au lieu de s’abattre et de venir se nicher dans leur corbeille, ainsi qu’ils le font chaque soir, continuent-ils à voler et à crier sans s’arrêter? Pour- quoi rasent-ils de leurs ailes mon visage et s’en- volent-ils du côté de la falaise pour revenir à moi et recommencer à se diriger de nouveau vers la Loire? Jésus, mon Dieu! serait-il arrivé un accident à Marie, et voudraient-ils m'en prévenir”? » Aussitôt, sans réfléchir davantage, sans même son- yer à chausser ses sabots, elle prit pieds nus le che- min de la falaise, vers laquelle les merles la précé- dèrent à tire-d’aile. Tout à coup ils s’abattirent sur un rebord presque à pic, où Jeanne, qui suivait de l'œil tous leurs mouvements, aperçut Marie éva- noule et la tête ensanglantée. La nourrice éperdue prit l'enfant sur ses genoux 158 L'ESPRIT DES OISEAUX. et chercha à la ranimer en réchauffant de son haleine le front glacé de la jeune fille, et en frictionnant de son gros jupon de laine ses mains roidies. A force de soins et d'efforts elle vit enfin la blessée rouvrir lan- guissamment les yeux et regarder vaguement autour d'elle. « Dieu soit béni! dit Jeanne, tout n’est pas perdu : cette chute ne l’a pas tuée du coup! » En se parlant ainsi à elle-même, la robuste femme prit Marie dans ses bras € comme elle avait l'habitude de le faire autrefois à Paris, » songea-t-elle avec des larmes dans les veux; la ramena au logis et la déposa sur son lit. Tandis qu’elle lui ôtait ses vêtements et qu’elle cherchait à la ranimer tout à fait, les sept merles se tenaient perchés sur le rebord de la fenêtre et sem- blaient suivre de leur œil intelligent les moindres mouvements de Jeanne. L'ESPRIT DES OISEAUX. 159 Celle-ci lavait d’eau tiède la blessure de Marie, qui se laissait faire avec une impassibilité absolue. Elle avait beau lui dire de bonnes paroles et l’embrasser à chaque instant, elle ne parvenait pas à la tirer de sa torpeur. Peu à peu, à cet état déjà trop alarmant d’atonie, succéda une agitation plus alarmante encore. Les regards éteints de la blessée s’enflammèrent; elle tressaillit ; elle s’agita ; elle poussa des cris inarticulés, et un tremblement convulsif se mit à secouer tout son corps avec les symptômes d’une fièvre ardente. Tantôt elle se levait brusquement sur son séant; tantôt elle voulait se précipiter à bas du lit, et elle repoussait violemment Jeanne en hurlant les deux seuls mots que sussent prononcer ses lèvres : € Maman! oi- seau ! » La pauvre femme ne savait que faire. La nuit était venue, et le seul médecin qui habitait le pays demeu- rait à quatre kilomètres de là. Comment aller le cher- cher”? Elle ne pouvait laisser seule ainsi, pendant une heure, Marie dans un pareil état de délire! elle ne pouvait appeler à son secours aucun voisin; la mai- son isolée n’en avait point! Tandis que désespérée elle priait et pleurait, elle entendit tout à coup le bruit d’une voiture qui passait à quelque distance. Aussitôt elle courut à la porte du jardin, et, plaçant ses deux mains à sa bouche, elle cria de toutes ses forces : « Au secours! au secours! » Après quoi elle écouta. La voiture continuait sa route. La pauvre femme recommença de nouveau ses ap- 160 L'ESPRIT DES OISEAUX. pels. Cette fois le bruit des roues cessa distinctement, et elle entendit, au milieu du silence absolu qui règne la nuit dans les lieux solitaires, des pas qui devenaient de plus en plus distincts et qui se dirigeaient vers la ferme. Elle courut au-devant de celui que la Provi- dence envoyait si miraculeusement à son aide, le saisit par le bras et l’entraina dans la chambre de Marie en disant : « Venez, au nom du ciel! Mon enfant se meurt! » Elle se mourait, en effet, gisant sur l'aire où elle était tombée en proie à des convulsions. L’étranger était un homme d’une trentaine d’an- nées; sa belle physionomie, naturellement sérieuse, prit une expression de sympathie et de tristesse en voyant les souffrances de la malade. Il la souleva dou- cement dans ses bras pour la replacer sur le lit, ra- justa autour d’elle ses couvertures avec ladresse et la sollicitude qu'eussent pu y mettre une femme ou un père, prit entre ses doigts le bras de l'enfant et en interrogea le pouls. Après quoi il se fit raconter par quel incident Marie se trouvait en cet état, examina la blessure et la pansa en se servant d'instruments qu'il tira d’une trousse de chirurgie. « L'état de cette enfant est grave, dit-il enfin; car jusque-là il n’avait point prononcé un seul mot. Il faut que je passe la nuit près d’elle. Veuillez prévenir mon valet de chambre, qui m'attend sur la route; il laissera le cocher ramener seul la voiture à Saint- Florent-le-Vieil, et viendra m'apporter ma valise ici, où je l’attends. » L'ESPRIT DES OISEAUX. 164 Jeanne s’empressa d’obéir à cet ordre, et ne tarda point à revenir avec le domestique. L'étranger, après avoir donné quelques ordres à celui-ci, tira de la valise un petit coffret qui conte- nait des médicaments; et il prépara une potion qu'il fit boire par cuillerées, de quart d'heure en quart d'heure, à la malade, dont la fièvre parut se calmer peu à peu et qui finit par tomber dans un profond assoupissement. « Voicienfin un bon symptôme! dit-il avec un sou- rire et en se tournant vers Jeanne. J’espère que de- main matin la malade se réveillera sans fièvre et avec sa raison. — Hélas! répondit Jeanne, elle ne saurait se réveil- ler avec sa raison! Elle est idiote depuis cinq ans. Dieu peut-être a montré de la miséricorde en agissant ainsi; Car la perte de sa raison est un bienfait pour orpheline! » Elle raconta au médecin, car c’en était bien un, le nom du père de Marie et sa mort fatale. « Je savais déjà cette triste histoire, répondit-il. Ma mère, qui appartient par d’étroits liens de parenté à la mère de Mi Deschamps, se trouvait depuis quinze ans au fond de l'Amérique du Nord, où elle luttait elle-même avec moi contre une mauvaise fortune, qu’elle est parvenue, grâce à Dieu, à conjurer. À notre rentrée en France, elle y a seulement appris du doc- teur Lisfranc, notre ami, la mort de sa sœur et de Deschamps, et le funeste accident de Marie; elle m'a donné pour mission de venir m’assurer par mes yeux 162 L'ESPRIT DES OISEAUX. s’il restait à la science des moyens de rendre la raison à celle que le malheur a frappée si rudement, et à qui . Vous prodiguez un dévouement maternel. J’arrivais ici pour m’acquitter de ce devoir, quand tout à l'heure le hasard m’a réuni d’une façon imprévue à elle et à vous, ma chère Jeanne; vous voyez qu’on sait votre nom ami dans notre famille. J'ai bon espoir de guérir de sa blessure ma cousine, et peut-être même, Dieu aidant et à force de soins, de rendre la raison à celle que, depuis sa naissance, vous entourez de tant de tendresse. Il faut donc que je m'installe ici, chez vous, pour tenter de mener à bonne fin cette double cure; voyez, chère Jeanne, à me préparer une chambre dans votre ferme. Le docteur en médecine qui naguère occupait au Canada une cellule d’interne des hôpi- taux, sait s’accommoder de tout, à plus forte raison d’un logis tenu comme le vôtre avec une exquise pro- preté. Veuillez donc, dès le matin, aller à la ville faire les emplettes nécessaires à mon emménagement. Jean, mon vieux valet de chambre, se chargera de vous guider dans vos acquisitions; il connaît sur le bout de son doigt mes habitudes et mes besoins. Laissez- le faire, et, quant à l’argent, ne vous en inquiétez point, ma mère est riche maintenant, et ne pro- digue que trop d’argent à son fils unique, qu'elle adore. » Lorsque Jeanne revint de la ville, en compagnie de Jean et suivi d’une voiture chargée de meubles, elle trouva Marie assise sur son chevet et qui la salua de ses mots habituels : « Maman! oiseau! » L'ESPRIT DES OISEAUX. 163 En même temps un bruit de petits coups secs ré- sonna sur les vitres de la fenêtre, que Jeanne s’em- pressa d'ouvrir. Aussitôt les sept merles, qui jusque-là s'étaient tenus prudemment à distance sur un arbre d’où leurs regards pouvaient apercevoir le lit de Marie, s’élancèrent dans la chambre, volèrent quel- ques instants avec défiance autour du jeune médecin, et, rassurés peu à peu, finirent par s’abattre sur le lit de l'enfant, à qui ils prodiguèrent les caresses les plus affectueuses. Et comme Louis de Bocourt, c'était le nom du jeune homme, regardait avec surprise ce spectacle singulier : « Monsieur, lui dit la nourrice, ces oiseaux sont ses meilleurs amis, après moi; elle n’aime et ne connait qu'eux au monde. » Elle raconta ensuite comment cette amitié s’était faite, comment les merles lui avaient appris la veille que Marie se trouvait en danger, et comment ils l'avaient conduite sur la berge où gisait la blessée. Louis écouta silencieusement ce récit. Là, peut-être, se dit-il en lui-même, est pour elle le moyen de salut. Et il resta longtemps pensif. Quelques jours après, la malade, dont l’état s’amé- liorait de plus en plus, et dont la fièvre finit par céder aux prescriptions du nouvel ami qui se trouvait près d’elle, entra en convalescence et put quitter sans danger sa chambre. Appuyée sur le bras de Louis et de Jeanne, elle vint s’asseoir dans le jardin, sous un 164 L'ESPRIT DES OISEAUX. grand arbre, où Jean avait installé un fauteuil confor- table, trouvé par un hasard heureux chez un fripier de Florent-le-Vieil. Tandis qu’elle respirait avec bonheur le grand air si tiède et si doux à une convalescente après une se- maine de reclusion dans une chambre close, les merles volaient gaiement autour d’elle en jetant de petits cris de joie. L'ESPRIT DES OISEAUX. 165 En les entendant, Marie se souleva, leur tendit les bras, et répondit à leurs cris par des cris semblables et si fidèlement imités, que l'oreille la plus attentive n'aurait su les distinguer du gazouillement des oi- seaux. Le médecin laissa tomber sa tête sur ses deux mains, et médita longtemps dans cette attitude. Oui, se dit-il, oui, c’est bien là les véritables auxi- liaires qu’il faut que je prenne pour tenter la guérison de cette enfant. A commencer de ce moment, il ne négligea rien pour devenir lui-même lami des merles, etil faut dire qu'il n'eut point beaucoup de peine à prendre peur v arriver. Comme il ne quittait jamais d’un instant Marie, et qu’il laccompagnait dans les promenades qu’elle ne tarda point à faire de nouveau au milieu des bois et à travers les champs; comme il se trouvait toujours approvisionné d'insectes et de baies de gené- vrier, les merles he tardèrent point à lui montrer une familiarité presque égale à celle qu’ils montraient à Marie. Une fois ces résultats obtenus, M. de Bocourt en profita pour siffler sans cesse, pendant ses prome- nades, de petits airs et même des mots que les merles, on le sait, doués d’un merveilleux instinct d'imitation, ne tardèrent pas à répéter fidèlement. Ils en vinrent ainsi à posséder un répertoire assez varié dans lequel Marie les suivait pas à pas. C’était une chose vraiment étrange que de voir le jeune homme sans cesse par voie et par chemin, avec une enfant follement vêtue 166 L'ESPRIT DES OISEAUX. et une bande d’oiseaux qui tournoyaient autour d’eux en disant, de leur voix claire et stridente, des mots qui semblaient tomber des nues et que l'enfant répé- tait comme un écho. L'automne et l'hiver se passèrent sans amener dans l'état mental de Marie un changement appréciable comme développement sensible d'intelligence. Elle avait, il est vrai, appris autant de mots que les merles en savaient; mais elle les disait comme eux et avec eux, en leur donnant la même intonation sifflée, sans en comprendre la signification, et sans pouvoir les appliquer à propos. Sa facilité à les retenir dans sa mémoire était le résultat d’un instinct d'imitation, rien de plus. M. de Bocourt n’obtint pas plus de suc- cès quand il voulut diminuer le besoin de vagabon- dage de cette grande et belle créature, pour laquelle il commençait à devenir dangereux de s'échapper sans cesse pour courir seule dans la campagne et dans les bois. Rien ne pouvait la retenir au logis, ni le froid, nm la neige, ni les tempêtes qui faisaient gémir, en les { En 1848, la cour de la caserne des célestins, rue du Petit-Musc, à Paris, se trouvait plantée de grands arbres, dans lesquels nichaient d'innombrables merles noirs. Ces oiseaux non-seulement sifflaient toutes les fanfares des trompettes du régiment de cavalerie, mais encore ils répétaient chacun des commandements faits par les officiers aux soldats ; il m'est arrivé p'usieurs fois, avec mon ami le docteur Alexandre Thierry, dont le quartier Saint-Antoine garde encore pieusement la mémoire, d'entendre les merles dire les commandements fort à propos et avant les officiers eux-mêmes. Non-seulement ils savaient prononcer ces commandements, mais encore ils comprenaient incontestablement le moment où il fallait les placer. Jamais un par file à gauche, ou un e» avant, v’arrivait mal à propos du haut des arbres. L'ESPRIT DES OISEAUX. 167 secouant, la cime des arbres dépouillés de feuilles, ni même le refus de Louis de l'accompagner. Elle se sauvait furtivement, appelait ses merles à mi-voix en jetant un cri particulier, et partait avec eux en ca- chette. Il fallait donc que Louis la laissât sans protec- tion, ou qu'il la suivit bon gré, mal gré. Rien ne par- vint à le décourager et à ralentir son dévouement; il se sentait soutenu par l’importance de sa mission, et par l’espérance qu'un incident imprévu viendrait tout à coup réveiller l'intelligence assoupie de Marie, ou du moins indiquer quelle voie pourrait la ramener à la raison. Enfin le printemps arriva, et avec lui les matinées tièdes et les feuilles naissantes. A la surprise et au mécontentement de Marie, les cinq jeunes merles commencèrent dès lors à faire bande à part de leurs parents; ils s’envolaient seuls, le matin, chacun à leur guise, pour ne plus reparaitre au logis que le soir. Le père et la mère, de leur côté, se montraient sédentaires. Le mâle se tenait perché sur la branche d’un orme, où il chantait ses plus beaux airs et répétait tous les mots que lui avait appris Louis. Pendant qu’il faisait ce coquet manége en agitant sa jolie tête, en gonflant et en lissant ses plumes, la femelle, affairée, allait de çà et de là, ramassant de petites bûchettes de bois pour construire en plein d’un buisson un nid qui sans doute lui paraissait mieux placé sous la feuillée que dans la corbeille où l’année précédente elle était venue retrouver ses petits. Il fallait la voir preste, alerte, adroite, saisir de 168 L'ESPRIT DES OISEAUX. son bec jaune tantôt un brin de mousse, tantôt une longue paille, tantôt une petite branche souple, et ensuite les enlacer et les tresser avec l’habileté du vannier le plus expert. Encouragée par les chants et par le caquet de son époux, qui ne se taisait que pour s’abattre, soit sur le gazon, soit sur une plate-bande, afin d’y saisir un insecte qu’il apportait aussitôt à sa compagne, en moins d’une journée elle acheva de construire le charmant petit édifice, composé de ra- cines et de toutes sortes de débris végétaux, et ren- forcé par une forte couche d'argile. Le lendemain, au point du jour, elle compléta son œuvre, et elle en matelassa l’intérieur de toutes les plumes qu’elle put ramasser, puis elle s’envola au loin avec le mâle. Marie, assise près du nouveau nid, en suivit toute la construction avec une attention inquiète et presque tiévreuse. Lorsqu'elle vit les deux merles s'envoler, elle voulut suivre la direction qu’ils prenaient et ga- gner avec eux les bois; mais les oiseaux, dès qu’ils l’aperçurent, s’élevèrent à perte de vue dans les airs et se dirigèrent d’un autre côté, comme S'ils voulaient la fuir. Marie, désappointée, resta donc seule avec Louis, qu’elle regarda d’un air triste. - Le jeune homme lui prit la main et essaya de l’em- mener; mais elle le repoussa, et revint seule, sombre et silencieuse, s’accroupir devant le nid... Elle y at- tendit en vain les merles, qui ne reparurent pas de quelques jours. M. de Bocourt profita de cette longue absence des L'ESPRIT DES OISEAUX. 169 oiseaux pour rendre moins farouche la pauvre enfant désespérée de labsence de ses compagnons favoris. Peu à peu il obtint d'elle qu’elle écoutät et qu’elle répétât les nouveaux mots qu'il essayait de lui ap- prendre. Elle finit même un jour par permettre à Jeanne de peigner et de rattacher sa longue cheve- lure, qu’elle s’obstinait jusque-là à laisser flotter en désordre sur ses épaules. La nourrice profita de cet accès de bonne volonté pour substituer aux vêtements fanés de Marie un costume neuf et frais, et, sur l’ordre de Louis, elle présenta un miroir à la jeune fille. Celle-ci resta d’abord étonnée de l’image qu'elle y 8 170 L'ESPRIT DES OISEAUX. voyait. Elle passa ses doigts sur la glace, regarda der- rière, et parut préoccupée et inquiète. M. de Bocourt se pencha sur son épaule, et montra dans le miroir ses traits à côté des traits de Marie; la surprise de l'enfant s’en accrut. Il profita de cette émotion nou- velle qu’elle manifestait pour lui faire voir, se réflé- chissant dans la glace, la ferme, les arbres, la cam- pagne et tout ce qui l’entourait. Éblouie, elle passa ses mains sur ses yeux; puis tout à coup, ramassant le miroir qu’elle venait de repousser, elle s’y regarda de nouveau avec complaisance, et ne voulut plus s’en séparer. Dès lors, chaque fois qu'elle rejetait ses cheveux en désordre, chaque fois qu’elle déchirait ses vête- ments, son cousin lui montrait dans la glace aspect déplaisant que causait ce retour à des habitudes sau- vases. Aussitôt elle se hâtait de rajuster elle-même ses cheveux et de disposer avec une sorte de goût sa jupe de laine rouge, dont elle laissait complaisam- ment réparer les avaries par Jeanne. Chaque matin elle se rendait, dès le point du jour, près du nid construit avec tant de travail, de soin et d'adresse, et cependant qui restait abandonné. Un jour elle accourut, joyeuse, haletante, près de sa nourrice et de Louis, qui feignirent de dormir; car ils connaissaient le motif de sa joie et de son émo- tion, et le docteur voulait en profiter pour faire faire un pas de plus à l'intelligence de sa malade. Elle les tira, elle les secoua; ils restèrent immobiles et si- lencieux. À la fin ils ouvrirent les yeux, et elle leur L'ESPRIT DES OISEAUX. 171 tit signe de la suivre, sans qu’ils répondissent à cette invitation. Elle frappa du pied, limpatience colora sa face hâlée. Enfin elle passa ses mains sur son front, comme pour y faire éclore une idée, s’agenouilla devant M. de Bocourt, attacha sur lui ses grands veux bleus, et, l’attirant de nouveau, elle lui dit : € Viens! » C'était la première fois qu’elle semblait comprendre le sens d’un des mots qu'elle avait appris en commun avec des oiseaux. Éperdu de joie, le docteur suivit Marie, qui l’en- traina vers le nid des vieux merles et qui montra du doigt cinq œufs bleuâtres, tachés et brouillés confu- sément d’une teinte de rouille, sur lesquels se tenait la mère, tandis que le mâle, perché au-dessus, se balançait à une branche verte et sifflait toutes sortes d’airs. Pendant qu’elle considérait le nid, tout à coup elle se trouva entourée de cinq autres merles ga- zouillant et se jouant, suivant leur habitude, dans ses cheveux et sur ses épaules. Tous les fugitifs étaient non-seulement de retour, mais encore ils avaient amené avec eux d’autres merles. Ceux-ci, rassurés en voyant avec quelle sécurité leurs com- pagnons s’ébattaient près de Louis et de Marie, s’ap- prochèrent également, mais toutefois avec la réserve d’une demi-confiance. Ils s’avançuient, ils s’arrè- taient, ils regardaient, ils s’avancaient encore pour reculer de nouveau, hochant la queue et tournant deçà et delà la tête à chaque point d'arrêt. Marie leur jeta une poignée de graines, d’abord au loin, puis 172 L'ESPRIT DES OISEAUX. insensiblement de plus près en plus près d'elle, si bien qu'ils finirent par venir puiser la provende jusque dans sa main, encouragés d’ailleurs par ceux qui les avaient introduits dans le jardin, qui se mé- laient à eux et qui leur prêchaient l'exemple. & Charmants oiseaux! » murmura Louis. Marie se tourna tout doucement vers M. de Bocour L'ESPRIT DES OISEAUX. 173 pour ne point effaroucher ses nouveaux amis, échan- sea avec lui un regard où se lisait une véritable lueur d'intelligence, et répéta, tout heureuse de com- prendre elle-même les paroles qu’elle articulait « Charmants oiseaux! » Puis, après un effort visible de réflexion, elle ajouta, avec une expression de tendresse restée jusque-là étrangère à sa voix : CLouis! » Telle était son émotion quand il se fit dans son in- telligence cette éclaircie subite, qu’elle faillit y suc- comber et s’évanouir. L’heureux docteur la soutint dans ses bras, où elle ne tarda point à se ranimer. En se sentant renaître, elle attacha sur son ami ses yeux encore chargés de langueur, et répéta avec une sorte d’enivrement, de façon à prouver qu’elle com- prenait l’idée attachée à ces mots : « Charmants oi- seaux ! Louis! » « Jeanne! Jeanne! » cria le docteur en proie à un trouble facile à comprendre. Jeanne accourut, et perdit elle-même tout son sang- froid quand elle vit l’orpheline courir à elle, la serrer dans ses bras et lui dire en souriant : « Jeanne! ma- man! » Au bonheur de Louis et de Jeanne ne tardèrent point à succéder de grosses inquiétudes. Une crise nerveuse d’une grande violence fit quelques instants après tomber Marie à leurs pieds, et il fallut porter la pauvre enfant dans son lit, où une fièvre violente s'empara d'elle, et où ils la veillèrent pendant une semaine, s’attendant à chaque instant à voir succom- 174 L'ESPRIT DES OISEAUX. ber celle à qui ils s'étaient dévoués, l’un en frère, l’autre en mère. A la fin cependant le danger disparut, et il ne resta plus à la malade qu'une faiblesse extrême et une päleur qui donnait à ses traits une expression tout à fait différente de celle qu'y avait imprimée si long- temps lidiotisme. Elle voulait que la main de son cousin et de Jeanne fussent sans cesse tenues dans les siennes, et quand un soin impérieux les obligeait à s'éloigner pour quelques instants, des larmes ruis- selaient sur ses joues amaigries, naguère brülées par le soleil, et maintenant blanches et mates comme une fleur de camellia. Malgré les devoirs de la paternité, les merles en- traient à chaque instant par la fenêtre, sautillaient sur le lit de la convalescente, passaient leur bec d’or sur ses lèvres, et retournaient bien vite à leur nid pour revenir, tour à tour, quelques instants après. Quand, à six semaines de là, Marie put descendre au jardin, elle s’y vit entourée d’une véritable troupe d'oiseaux dont la plupart savaient à peine voler, mais qui ne s’en montraient pas moins empressés à imiter leurs parents dans leur familière tendresse pour la jeune fille. Marie joignit les mains et murmura d’une voix que rendait tremblante le bonheur : € Bons oiseaux! bon Louis! bonne Jeanne! » Marie savait associer deux idées! Dès lors, chaque jour, chaque heure amena un nou- veau progrès dans son intelligence. Aussi frêle, aussi L'ESPRIT DE3> OISEAUX. 115 délicate, aussi douce qu'elle était naguère impauente, robuste et sauvage, elle éprouvait un sentiment in- vincible de volupté à percevoir les rayons qui péné- traient peu à peu son intelligence et y répandaient des clartés vivifiantes. Non-seulement elle commen- çait, à l'exemple des petits enfants, à bégayer des mots dont elle comprenait et dont elle appliquait avec justesse le sens, mais encore ses idées s’élargissaient, et ses phrases, moins élémentaires, les exprimaient nettement. En parlant, elle tenait toujours ses re- gards sur Louis, et elle s’étudiait, par l'expression qu'ils y lisaient, à s'assurer qu’elle était comprise. Ces progrès rapides effrayaient et charmaient à la fois M. de Bocourt, qui faisait d’inutiles efforts pour enrayer un développement d'intelligence, dangereux peut-être et obtenu aux dépens de la santé de la con- valescente. Il résolut d'y couper court ou du moins de les atténuer, et un matin il annonça à Marie, qui savait maintenant comprendre, qu’il comptait faire une promenade dans la forêt. « Marie seule ici? demanda-t-elle avec imquiétude. — Non, Marie viendra avec moi. — Marie malade! répondit-elle en montrant ses bras amaigris et en se soulevant péniblement sur son fauteuil pour s’y laisser retomber avec découra- gement. — Marie s’appuiera sur le bras de son cousin. » Elle le regarda avec une expression indicible ; puis, après un instant de silence, elle reprit : « Marie aller partout avec son cousin. 176 L'ESPRIT DES OISEAUX. — Viens donc, lui dit-il en plaçant sur la tête de son élève un chapeau de paille, qu’elle repoussa de la main. » Il sourit, lui présenta un miroir et lui dit : « Maria est charmante avec son chapeau. » Elle se regarda dans la glace, sourit elle-même, et, par un mouvement gracieux et instinctif de femme, elle ajusta le chapeau, se leva et dit : « Louis, donne ton bras; Marie va au bois. » Quand ils virent les deux jeunes gens franchir le seuil du jardin, une partie des merles prirent leur essor et se mirent à voler joyeusement autour des deux promeneurs. Il ne resta dans leurs nids que deux mères, dont les petits étaient encore trop faibles pour les suivre. En se retrouvant au milieu des bois, entourée de ses oiseaux, enivrée par les senteurs des arbres et par les cris joyeux des merles, Marie redevint, d’a- bord pendant quelques instants, l’enfant sauvage d'autrefois. Elle leva les yeux vers la nuée de merles qui tournoyait autour d’elle, elle poussa des cris avec eux, et elle rejeta sa robe pour s’élancer vers un arbre et y grimper. Mais, soit que les forces vinssent à lui manquer, soit que le regard de Louis, que le sien rencontra, éveillât le sentiment nouveau chez elle de la pudeur, elle s'arrêta, laissa retomber sur ses pieds les plis de sa jupe, et s’assit, ou plutôt s’af- faissa au milieu des hautes herbes qui l’entouraient. M. de Bocourt prit place à côté d’elle, et jeta sur ses genoux un bouquet de fleurs champêtres qu’il L'ESPRIT DES OISEAUX. 171 avait cueillies en chemin. Elle n’y prit garde que pour le repousser de sa main; car une épine d’églan- tier l'avait égratignée au doist. Elle regarda avec une sorte d’effroi les gouttelettes de sang qui suintaient de cette légère blessure, et tendit sa main à Louis avec un sentiment de surprise, de douleur et de peur. Le jeune médecin regarda autour de lui et aperçut une joubarbe qui étalait, sur un tas de vieilles briques gisant là depuis des années, sa mignonne fleur rou- geâtre et ses fleurs planes, charnues et ciliées, qui lui donnent l’aspect d’une véritable plante grasse. II en cueillit une petite pousse, l’écrasa et en frotta doucement l’égratignure de Marie. Celle-ci, qui le regardait faire avec une curiosité mêlée d'angoisse, sentit aussitôt succéder une douce fraicheur à la dou- leur cuisante qu’elle éprouvait. « Bonne! bonne! fit-elle. 178 L'ESPRIT DES OISEAUX. — Bonne plante, reprit Louis. — Bonne plante! plante! plante! » répéta-t-elle, tout heureuse d'acquérir et d'exprimer une nouvelle idée. Louis ramassa le bouquet, en détacha la rose sau- vage et l’approcha des narines de son élève, qui re- cula brusquement la tête avec terreur. Il insista pour qu'elle respirât le parfum de la fleur, et il ne tarda point à voir sa compagne se recueillir et fermer les yeux pour mieux savourer cette sensation nouvelle. Alors il détacha une à une du bouquet chacune des plantes qui le composaient, et 1l initia Marie à leurs odeurs délicates et variées, en même temps qu’il lui en montrait les formes élégantes. Bientôt elle admira dans leurs détails infinis la dent-de-lion, parée d’une aigrette légère qui se détache et s'envole au moindre souffle ; la marguerite, à dix fleurons blancs; le silène, dont la fleur affecte la forme d’un gobelet; l’hépatique bleuâtre; la douce-amère, aux feuilles larges, aux fleurs violettes et aux grappes de graines noires; le trèfle-d'or, avec ses mignardes houppes métalliques ; la vipérine empourprée; le millepertuis, qui ressemble à un héliotrope rose; l’aubépine neigeuse; la tulipe sauvage, à pétales barbus à son sommet; la cinéraire champêtre, couverte d’un duvet cotonneux; la vigne noire, à fleurs verdâtres ; et les graminées, aux épillets délicats, suspendus autour de la tige comme d’in- nombrables clochettes en miniature. À mesure qu’il les lui faisait passer sous les yeux, il lui en disait les noms, qu’elle répétait avec empressement et qui se L'ESPRIT DES OISEAUX. 159 gravaient aussitôt dans sa merveilleuse mémoire; elle reprenait une à une les plantes étalées sur ses ge- noux, elle en redisait les noms, quelquefois en hési- tant, presque toujours sans commettre une erreur, et elle battait des mains en lisant dans les yeux de son Cousin qu'elle ne se trompait point dans sa no- menclature. Le soir, quand elle revint au logis, elle y rapporta soigneusement ses fleurs, courut à Jeanne pour les lui montrer, les désigna toutes par leur nom, et vit avec surprise sa nourrice qui plaçait dans un vase plein d’eau les herbes que la chaleur commençait à faner. Elle s’assit devant la table sur laquelle se trou- vaient placées les plantes, et, tout en faisant avec un vif appétit un repas copieux, elle les regarda renaître peu à peu au contact du liquide bienfaisant. Enfin, vaincue par la fatigue et les émotions de la journée, elle finit par s'endormir, dans les bras de sa nour- rice, d’un profond sommeil qui ne s’interrompit point quand on la déposa sur son lit, et qui ne cessa qu’a- vec le point du jour. Alors elle se leva gaiement, bai- gna seule, et d'elle-même, pour la première fois, son visage et ses bras dans l’eau de la fontaine qui arro- sait le jardin, frappa dans ses mains et cria : « Louis, viens te promener avec Marie. » Le jeune médecin, ému jusqu'aux larmes, tomba à deux genoux devant le crucifix qui ornait sa chambre. « Seigneur! Seigneur! soyez béni! cette enfant à recouvré la raison, dit-il avec effusion. Elle vient d'exprimer une idée complète et précise! Les mot: 180 L'ESPRIT DES OISEAUX. ont cessé d’être pour elle des sons vagues et dépour- vus de sens! Soyez béni! mon Dieu! soyez béni! Mon œuvre, grâce à votre miséricorde, touche à son but! » En effet, les progrès de Marie marchèrent, à dater de ce jour, avec une rapidité qui charmait son insti- tuteur, et qui lui causait à elle-même un bonheur qu'elle exprimait naïvement à chaque nouvelle con- quête de son intelligence. En même temps les traces de sa longue maladie achevaient de s’effacer, et la jeune fille, qui commençait à lire couramment et à tracer des caractères d'écriture déjà lisibles, ne res- semblait plus en rien à la sauvage et idiote créature que Jeanne avait amenée six ans auparavant dans la solitude de Saint-Florent-le-Vieil. Sans son amour pour ses merles, dont le nombre s’augmentait de plus en plus par des couvées successives en compagnie desquelles elle se promenait chaque matin, et qui lui prodiguaient sans cesse les témoignages d’une affec- tion confiante et souvent impérieuse, on eût reconnu difficilement la folle aux oiseaux dans la belle jeune fille portant avec la grâce et la coquetterie innée chez toutes les femmes le pittoresque costume vendéen. Elle s’exprimait avec une finesse et une justesse d'expression qui charmaient tous ceux qui l’appro- chaient; et maintenant les petits paysans, au lieu de insulter comme autrefois, la saluaient respectueu- sement et se rangeaient pour laisser passer celle qu'ils appelaient « la demoiselle ». Jeanne, sans cesse en extase devant sa fille adoptive, s’écriait à chaque instant : L'ESPRIT DES OISEAUX. 181 « Le bon Dieu m'a rendu ma vraie Marie d’autre- fois. » Vers Pautomne, M. de Bocourt, qui depuis quelques semaines faisait seul de fréquentes excursions, an- nonça qu'il se trouvait dans la nécessité de quitter, pour quelque temps, la fermé et d'entreprendre un voyage. En faisant part de ce projet à Mile Deschamps, il la vit pälir et détourner la tête pour cacher ses larmes. « Je reviendrai bientôt! dit-il. — Bientôt! dit-elle; oui, bientôt, n’est-ce pas? Il me semble qu'en vous éloignant vous emportez avec vous la vie et la raison que vous m'avez rendues. — Un devoir m’oblige de vous quitter pour peu de jours; voulez-vous que je manque à ce devoir? — Non, dit-elle. Je soufirirai, mais partez. Je de- manderai la force et la résignation à Dieu, que vous m'avez appris à connaitre et à prier. » M. de Bocourt se mit en route le lendemain. Marie, qui n’avait point dormi de la nuit, lorsqu'elle eut en- tendu s’éteindre au loin les derniers bruits de la voi- ture qui emmenait son cousin, vint s'asseoir sous l’arbre où elle avait l'habitude de prendre ses leçons. En voyant leur favorite, les merles s’abattirent autour d'elle; mais ils chantèrent leurs airs les plus gais, et répétèrent leurs mots les plus savants sans attirer son attention. Tout à coup l’un d’eux prononça le nom de Louis, que tous ses compagnons s’empres- sèrent de redire avec lui. « Oh! Louis! Louis! Louis! dit-elle; quand le re- 182 L'ESPRIT DES OISEAUX. verrai-je? quand le reverrez-vous? vous qui l’aimez comme moi! » En ce moment on entendit une voiture qui tra- versait la route, et qui s'arrêta devant la porte de la ferme. « Il revient! » s’écria Marie en courant à la voi- ture. Ce n’était pas Louis, mais une vieille dame qui s’avança en souriant vers la jeune fille interdite et confuse. « Ma chère enfant, lui dit-elle avec émotion, venez m’embrasser, je vous en prie; je suis la sœur de votre pauvre mère... et la mère du docteur Louis, ajouta-t-elle avec un nouveau sourire. — Ah! quand reviendra-t-il? s’écria Marie, à qui son maître s'était bien gardé d'apprendre l’art de cacher et de réprimer sa pensée. — Il ne reviendra point, mon enfant. L'ESPRIT DES OISEAUX. 183 — Il ne reviendra point! répéta douloureusement Marie. Il veut donc que je redevienne une pauvre fille privée de sa raison! Il veut donc que je meure! — Il ne reviendra point; mais vous viendrez le re- trouver avec moi. — Quand! Oh! dites quand, je vous en supplie! — À l'instant même; car Louis nous attend à la maison de campagne qu'il a, depuis un an, achetée pour moi, à quatre ou cinq kilomètres de cette ferme. — Partons! partons bien vite! — Soit! mais je mets une condition à ce départ. — Laquelle”? dites laquelle”? je l’accepte à l'avance. — Il faut consentir à vivre près de moi. — Près de la sœur de ma mère! près de la mère de Louis! Oh! je serai la plus heureuse des créa- tures. — Ce n’est pas tout : il faut consentir encore à devenir la femme de mon fils Louis. — Sa femme? demanda Marie; devenir sa femme ? Je ne sais point ce que c’est! N’importe! j’accepte à l’avance. Mais quels sont les devoirs d’une femme envers.…..? — Son mari. — Son mari? répéta la jeune fille. — Ces devoirs consistent, reprit la vieille dame, à jurer à l’église, devant Dieu, d'aimer celui à qui désormais on unit sa destinée pour toujours... — J'aime déjà Louis de toute mon âme. — De lui obéir. 184 L'ESPRIT DES OISEAUX. — J'ai habitude d’obéir à Louis avec bonheur en toutes choses. — Et de devenir la véritable fille de sa mère, que vous aimerez Comme si vous étiez son propre enfant. — Oh! je vous aime déjà presque autant que Louis! — Je me garderai bien, chère petite, d'exiger que vous m'aimiez autant que lui. Aimez-moi seulement comme votre tante, comme votre mère, je n’en de- mande pas davantage.Venez, il ne vous reste plus qu’à m’accompagner chez moi. Allons rejoindre mon fils. — Oui, allons le rejoindre, » s’écria Marie. Déjà elle franchissait la porte du jardin, quand elle s'arrêta tout à coup. «Ma mère, dit-elle, j'ai là une mère que je ne puis quitter. Sans elle votre fille serait morte abandonnée de tous! — Je m'attendais si bien à cette demande, mon en- fant, que Jeanne est déjà montée dans ma voiture, où elle nous attend. — Allons! allons! partons! fit Marie en battant des mains. — Vous ne regrettez plus rien ici, chère enfant? — Si fait! je regrette les lieux où j'ai vécu près de fui, où il m'a rendu la vie et la raison, où vous êtes venue me donner une mère. — Eh bien, vous reviendrez souvent avec votre mari visiter cette petite ferme, y revivre de vos sou- venirs, et y retrouver vos oiseaux, chère petite fée ; car Louis m'a conté votre affection pour eux, et leur tendresse pour vous. L'ESPRIT DES OISEAUX. 185 — Mes oiseaux ne me quitteront point, répondit Marie. — Je ne puis cependant donner une place dans ma voiture à ce nuage vivant et chantant qui vole au- dessus de nous. » Marie leva la tête vers les merles, frappa dans ses mains, et montra aux oiseaux la voiture dans laquelle elle alla prendre place à côté de sa tante et en face de sa nourrice. Les chevaux partirent. Aussitôt les oiseaux s’élancèrent dans les airs, et volèrent au-des- sus de la berline jusqu'à ce qu’elle entràt et s’arrêtât dans le parc d’une charmante maison de campagne, sur le seuil de laquelle se trouvait Louis. « Marie, Marie! s’écria-t-il en prenant dans ses bras sa fiancée, dont ses lèvres effleurèrent pour la pre- mière fois le front. — Ma chère Marie, dit la mère de Louis en mon- trant les merles, les uns perchés sur les arbres du 186 L'ESPRIT DES OISEAUX. parc, les autres déjà fourrageant dans une abondante provende de baies à l'avance épanchées pour eux, êtes-vous contente de retrouver ici tout ce qui vous entourait là-bas : votre cousin, votre nourrice et vos oiseaux ? — Ah! répondit Marie en se jetant dans les bras de M de Bocourt... j'y retrouve encore un autre trésor que j'avais perdu depuis bien longtemps : une mère! » CHAPITRE X Le corbeau. — Ses mœurs. — Peu de passion de la femelle pour la maternité. — Mauvais renom du corbeau. — Cicéron et le corbeau. — Valerius et le Gaulois. — La pie voleuse de Palaiseau. — L’aigle et les corbeaux. — La pie-grièche. — Torture d’un oiseau. — La pie-grièche de François ler, Le corbeau est le plus grand de nos passereaux d'Europe. On l'y rencontre partout, sans que pour- tant on puisse l’y dire fort commun. Il habite les fo- rêts, les rochers et les ruines, et ne vient guère dans les plaines que pour y chercher sa nourriture, c’est- a-dire des insectes, des graines, des fruits, des viandes fraiches ou corrompues, et trop souvent de petits oiseaux qu’il vole dans le nid maternel pendant l’ab- sence des parents. 188 L'ESPRIT DES OISEAUX. Le véritable corbeau, le corax des ornithologistes, se reconnait à son bec droit, court, comprimé, un peu renflé sur les côtés, convexe et recourbé vers sa pente, à ses narines cachées par des soies roides, à la qua- trième rémige de ses ailes plus longue que les autres, à sa queue toujours égale et arrondie. Le corbeau noir (corax) mesure soixante-cinq cen- timètres depuis le bout du bec jusqu’à l'extrémité de sa queue ; des reflets pourprés se jouent à la lumière sur son plumage d’un beau noir; l'iris de son œil in- telligent et malicieux se compose de deux cercles gris-blanc et cendré-brun, et ses robustes pattes sem- blent taillées dans de l’ébène. Le corbeau se retrouve en Amérique et en Afrique, où ses mœurs ne diffèrent en rien des mœurs qu’on observe chez lui en Europe. Solitaire, sédentaire, il construit son nid dans les lieux les plus escarpés et les plus isolés qu’il peut rencontrer; il pond, vers le mois de mars, trois œufs d’un vert sale, tacheté et rayé çà et là de brun; ses petits éclosent vers la fin d'avril, naissent presque toujours blancs, et ne res- semblent en rien à leurs parents. La femelle, débarrassée des soucis et des fatigues de Pincubation, en prend à son aise après la naissance de sa nichée, et laisse au mâle le soin de pourvoir à la nourriture des nouveau-nés jusqu’à ce que ceux-ci puissent se suffire à eux-mêmes. Dès qu'ils arrivent à savoir manger seuls et à voler, leurs parents, médio- crement tendres, on le voit, les chassent à grands coups de bec et d’aile, sans même leur permettre de L'ESPRIT DES OISEAUX. 189 s'installer dans le canton paternel; il faut qu’ils aillent au loin chercher aventure. Je ne sais si les corbeaux doivent à leur tiède pater- nité ou à leur livrée sombre le mauvais renom qui s’attache à eux; mais on ne les en regarde pas moins, depuis la plus haute antiquité, comme des oiseaux de mauvais augure. Il suffisait chez les Romains d’un combat aérien de corbeaux avec d’autres oiseaux, pour faire croire à une guerre prochaine et fatale, et aujourd’hui encore, dans beaucoup de campagnes, on détruit impitoyable- ment les nids de corbeaux, sous prétexte que leur voi- sinage porte malheur. En Bretagne et dans certaines parties des départements méridionaux, on ne laisse point un corbeau se poser sur le toit des chaumières, et on les en chasse à coups de pierre; car s’ils viennent, dit-on, c’est qu’ils sentent la mort. Le corbeau, cependant, est un des oiseaux qui s’ap- privoisent le plus vite et le mieux, et qui acceptent sans arrière-pensée la société des hommes. Ajoutez quil possède une merveilleuse facilité à apprendre à parler. Les Romains faisaient grand cas des corbeaux par- leurs, et les payaient de grands prix. Pline cite un corbeau qui, chaque matin, venait de lui-même sur la place publique saluer par son nom l’empereur ré- gnant, et qui rendit successivement cet hommage bizarre à César, à Auguste et à Tibère. Parfois, à la grande joie de ceux qui encombraient le Forum, il répétait aux curieux qui l’entouraient quelques bribes 190 L'ESPRIT DES OISEAUX. des discours que venaient de prononcer les orateurs, et un certain jour Cicéron dut s’in- terrompre en pré- sence du corbeau qui s’acharnait à crier : face, ne- bulo, apostrophe qu'un passant avait adressée à un gamin, et que le malencontreux corbeau jugeait à propos de crier de sa voix aigre et stridente au grand orateur, qui se laissa déconcerter par un interrup- teur si peu prévu. L'auteur de lA- viarium Silesiæ , Schwenckfeld, mentionne un cor- beau élevé par un paysan allemand, et qui allait de temps à autre se Joindre aux oiseaux de son espèce pour faire des promenades aériennes. Un beau jour il disparut, et L'ESPRIT DES OISEAUX. 191 ne revint pas à la nuit tombante, ainsi qu'il en avait l'habitude. Deux années s’écoulèrent, et le fermier ne songeait plus à son corbeau, lorsqu'un jour, en traversant une forêt distante au moins de cent kilo- mètres de son logis, il entendit prononcer son nom dans les airs. Il leva la tête à cette interpellation sin- culière, et il vit tournoyer au-dessus de lui une nuée d'oiseaux noirs, du milieu de laquelle se détacha un corbeau qui se posa sur son épaule, lui prodigua toutes sortes de caresses, et qui dès lors ne voulut plus se séparer de lui. Un autre corbeau appartenant à Valerius, et dont parle encore Pline, que je vous citais déjà tout à lheure, non-seulement témoignait à son maitre une extrême affection, mais encore 1l accompagnait à la guerre, et au besoin il le défendait vaillamment. Un jour, à la veille d’une bataille, un Gaulois, d’une taille gigantesque et d’une force sans égale, défia en combat singulier, et en présence des deux armées, les soldats romains campésderrière leurs retranchements. Quoique de petite taille et peu robuste, Valerius, voyant ses compagnons hésiter devant ce redoutable ennemi, courut au géant et l’attaqua. Le Gaulois, au lieu de se servir de son épée, prit Valerius dans ses larges mains, et se disposait à l’étouffer, quand tout à coup le corbeau du champion romain sauta à la tête du Gaulois, se cramponna dans ses cheveux, et de là le frappa au visage à coups de bec si adroitement assenés, qu’il lui creva presque instantanément les deux veux. Valerius, vainqueur grâce à cet auxiliaire 192 L'ESPRIT DES OISEAUX. imprévu, reçut de ses compagnons, garda et trans- mit à ses descendants le nom de Corvinus. Le corbeau, comme la pie, ramasse, vole et em- porte dans son nid, ou cache avec soin dans quelque endroit secret une foule d'objets dont il ne sait que faire et qu'il oublie bientôt. Toutes les légendes du moyen âge sont pleines de récits de larcins commis par des pies ou par des corbeaux, et dont on accusait de pauvres gens qui finirent néanmoins par échapper à la hart, grâce à la découverte faite à temps des ob- jets volés. D'autres fois, comme dans la populaire histoire de la servante de Palaiseau, on surprend là pie en flagrant délit au moment où l’on mène la vic- time au gibet, et quelqu'un accourt en criant grâce et en dénonçant le véritable voleur. Je parlais tout à l'heure de la bravoure du corbeau ; voici une histoire qui me revient à la mémoire, et je pense qu'elle n’arrivera pas ici mal à propos pour rébabiliter un peu cet oiseau de la mauvaise renom- mée de voleur que je viens de lui faire. Dans les bois du château des Étangs, propriété que possède, en Brie, la princesse Bacciocchi, un aigle royal apparut tout à coup, et, après avoir plané quel- que temps au Cessus des plus grands arbres, s’abattit sur l’un d’eux et y établit son domicile. Pourquoi cet aigle était-il venu là? Comment avait-il quitté les montagnes pour la plaine? On n’en sait rien. Je ne le répète que trop souvent à mes lecteurs : la vie, comme la science, ne se compose que de points d'interrogation sans réponse. L'ESPRIT DES GISEAUX. 193 Quoi qu'il en soit, l'aigle, une fois installé, se mit à faire la chasse aux lièvres, aux lapins et aux pe’dreaux ; ilne dédaigna mème pas, un? ou deux fois, de cro- quer des corbeaux. Le lendemain, l'oiseau royal se vit assailli par une troupe d'environ cinq cents corbeaux, qui venaient lui demander compte du sang de leurs frères. 194 L'ESPRIT DES OISEAUX. L’aigle, à coups de bec et d’aile, dispersa les auda- cieux, et dina de deux ou trois blessés restés sur le champ de bataille. Cette échauffourée se passait à trois heures de l'après-midi. À six heures, une nouvelle troupe de corbeaux, une armée cette fois, cinq à six mille com- battants, pour le moins, revinrent à la charge. L’aigle résista héroïquement ; il reçut bien des coups de bec; mais il les rendit à profusion. De telle sorte que, pour employer l’expression d’un témoim oculaire, il pleuvait littéralement des plumes et du sang. La nuit seule put mettre trêve à la bataille. Les corbeaux, après le soleil couché, s’éparpillèrent çà et là; le plus grand nombre se réfugièrent dans les ruines du château qu'habita jadis Charles VI avec Odette de Champdivers, et où, soit dit en passant, furent inventées, dit-on, les cartes à jouer. Le lendemain, au lever du soleil, l’armée noire, augmentée de nouvelles troupes recrutées pendant la nuit par des agents et des affidés, revint au com- bat ; elle se divisait en cinq corps disposés en forme d’éventail, et qui tombèrent à la fois sur leur en- nemi; le ciel se trouvait en quelque sorte obscurci par des nuages vivants. Dieu sait quelle eût été l'issue de ce combat contre des milliers d’ennemis, lorsqu'un garde, attiré sur le théâtre de la guerre par les croassements d'environ dix mille corbeaux, tira l'aigle et Pabattit. Le noble oiseau tomba du haut des airs sur le gazon L'ESPRIT DES OISEAUX. 195 aux pieds de son meurtrier; la présence de ce dernier ne put empêcher les corbeaux de tournover autour du cadavre du héros assassiné. Après quoi ils se dis- persèrent dans les airs, et l’on n’en vit plus et l’on n’en entendit plus un seul. Le garde, après s'être bien assuré que laigle était complétement mort, car il redoutait la force de son bec et les ongles aigus et puissants de ses serres, lemporta et le mesura comme il eût fait d’une vul- gaire pièce d’étoffe, et avec une vieille aune encore! Sa victime avait sept pieds et demi d'envergure, style de Brie. La pie-grièche écorcheur se rapproche beaucoup du corbeau par ses mœurs, et ne se montre pas moins intelligente que lui; mais son caractère à l’état sau- vage est d’une cruauté qu’on ne saurait s'expliquer. La pie-grièche écorcheur ne manque jamais, quand la faim ne la presse point trop énergiquement, d’en- filer aux épines des buissons les gros insectes qu’elle capture, et même les petits oiseaux nouveau-nés qu’elle vole vivants dans le nid maternel. Placée sur quelque branche voisine, elle se complait à regarder ses victimes se débattre convulsivement dans les an- goisses de l’agonie, et à écouter les cris désespérés qu'elles jettent. Parfois des heures s'écoulent avant qu'elle se décide à leur donner le coup de grâce. Souvent même, après avoir joui de leurs tortures, elle s'éloigne sans y toucher, et les abandonne à une mort lente et douloureuse. Comme pour le corbeau, la domesticité adoucit ou 196 L'ESPRIT DES OISEAUX. plutôt transforme complétement les mœurs de la pie- grièche. Cet oiseau S'y montre doux et affectueux pour son maitre; d’une intelligence rare, il apprend en peu de temps à prononcer des mots et même des phrases entières, qu'il dit souvent à propos, et dont il semblerait qu’il comprend le sens. L’historien Tur- nus raconte que le roi François [er possédait une pie- grièche de cette espèce. Il la menait avec lui à la chasse, et 1l la portait sur le poing comme les fau- cons, avec lesquels elle rivalisait d'adresse et d’au- dace. Ne reculant point même devant un héron, elle volait à cet oiseau, dix fois plus grand qu’elle, tour- noyait autour de lui, et finissait par s’abattre sur sa tête et par lui crever les yeux en deux coups de bec. La victoire remportée, elle revenait se percher sur L'ESPRIT DES OISEAUX. 197 le poing royal, baisait de son bec sanglant les lèvres de son maitre, et lui disait claire- ment et allégre- ——_— ment. ‘@, Nous = = avons fait bonne chasse, Sire. » = = = La pie-grièche = : écorcheur diffère des autres oiseaux de son espèce par un plumage d’un gris bleuâtre, mé- langé de marron, de blanc et de teintes roses. Une bande noire s’é- tend de son bec jusqu'aux oreilles en traversant l'œil. Nomade, elle voyage en famille, arrive en France vers le prin- temps, et repart aux approches de ZE l'automne, pour NS + SNEZ S. se rendre soit en Afrique, soit même dans Amérique méridionale. 198 L'ESPRIT DES OISEAUX. La Revue zoologique a donné sur la corneille les curieux détails qu’on va lire et qui ont été observés par M. Vian. « Le à mars 1865, je me promenais dans une petite vallée voisine de Meulan, plantée en partie de vieux peupliers, sur lesquels des compagnies de corneilles nichent depuis plusieurs années. Elles ne paraissaient pas encore travailler à leurs nids. « Sur un des peupliers sept de ces oiseaux se te- naient réunis autour d’un vieux nid, et faisaient re- tentir l’air de leurs croassements. De temps à autre une corneille arrivait seule, se posait sur le nid, une autre venait l'y rejoindre; quelques secondes après, les deux oiseaux se laissaient tomber jusqu’à trois ou quatre mètres au-dessous du nid et s’envolaient en- semble vers les plateaux. « Les survenants n'étaient pas toujours agréés, et j'en ai vu jusqu'à trois devant la même femelle s’en aller comme ils étaient venus. Cette scène s’est renou- velée vingt fois pendant une heure, sans que jamais le nid ait porté plus de deux oiseaux en même temps. J'ai cru un instant la cérémonie terminée; après le premier quart d'heure, toute la troupe avait disparu. Mais quelques minutes après sept corneilles prenaient place autour du nid, et la scène recommençait; elle durait encore lorsque je suis parti. « Quelques heures après, voyant sur les plateaux qui dominent cette vallée un nombre considérable de corneilles, j'interrogeai un paysan. Il me répondit : « C’est le grand jour des corbeaux; aujourd’hui tous L'ESPRIT DES OISEAUX 199 « ceux du payset peut-être même de France se réu- « nissent chez nous; c’est comme cela tous les ans à « la même époque. » Malheureusement ses observa- tions s’arrêtaient là. « J'ai cru, je l'avoue, assister aux cérémonies du mariage des jeunes corneilles de l’année précédente : rien n’y manquait; jai vu sept témoins, la présenta- tion des futurs, le choix du mari, le mariage et le voyage des époux. » RU J (QU { 1 1). ira ji fl (2 al ga br {! CHAPITRE XI Aventures d’un bibou. — Un hibou cloué à une porte. — Sa déli- vrance. — Jl devient mon hôte. — Ses habitudes. — Amitié mu- luelle. — Son nid. — Combat de Strix avec des moineaux. — Le hibou commun ou moyen-duc. — Le hibou à aigrettes. — L’effraie. — Le strix à terrier Je suis allé l’autre jour rendre visite à un de mes amis qui occupe dans la magistrature une grande position. À mon extrême surprise, j'ai trouvé perché sur son fauteuil un hibou, qui ne témoigna ni éton- nement n1 peur en me voyant entrer. « D’où vous vient donc cet oiseau? “emandai-je à mon ami. — C'est tout un roman, et je vais vous le conter, ne répondit le magistrat; mais auparavant laissez- L'ESPRIT DES OISEAUX. 201 moi vous montrer l'intelligence de mon compagnon emplumé. — Strix, ordonna-t-il au hibou, va saluer Mon- sieur! » Strix ouvrit ses ailes, prit son vol et vint se placer sur mon épaule. Là, il frotta amicalement sa tête contre mon visage et retourna près de son maitre. € Où donc est ma plume? demanda celui-ci; je Pai laissée tomber, je crois. » Strix, en un coup d'ailes, sauta à terre, et de son bec court, crochu, aux larges narines et aux man- dibules mobiles, ramassa la plume et la rapporta à son maitre. « Maintenant que vous avez fait connaissance avec Strix, et que vous pouvez vous rendre compte de son intelligence, continua le magistrat, je vais vous ra- conter son histoire. « 1l existe chez les habitants de la campagne une habitude cruelle et qui atteste autant d’ignorance que d’ingratitude. Je veux parler de l’odieuse coutume de clouer vivants, sur une porte, les chouettes et les hiboux que le hasard fait tomber dans les mains des paysans. Non-seulement ceux-ci commettent une mauvaise action en soumettant à de lentes tortures, aussi affreuses qu’inutiles, ces pauvres oiseaux, Mais encore ils se privent d’un auxiliaire qui débarrasse les champs et les jardins des insectes nuisibles et des rongeurs qui causent tant de dégâts. «Il y a cinq à six mois, dans une excursion aux environs de Paris, je trouvai un de ces pauvres o1- 9* 202 L'ESPRIT DES OISEAUX. seaux, un hibou commun ou moyen, crucifié au- dessus de la porte d’une ferme et qui ne pouvait tarder à mourir; car il était là, depuis deux jours, sans nourriture et chacune des ailes percée d’un gros clou. « Je voulus le détacher de son gibet; mais aussitôt le propriétaire de la maison vint m'en empêcher. &« — Eh quoi! Monsieur, me dit-il, vous voulez nous empêcher de tuer un oiseau pareil et de le punir par des souffrances trop méritées du mal qu’il fait? & — Mais quel mal vous a-t-il fait? « — L’avant-dernière nuit, il est venu se percher sur le toit de notre maison, où il n’a cessé de pousser des cris lugubres et effrayants. Ma femme, mes en- fants et moi, il faut bien le dire, nous mourions de peur. Enfin, comme on dit, j'ai pris mon courage à deux mains. Armé de monffusil chargé à plomb, je suis descendu dans le jardin et j’ai tiré, au juger, sur le vilain oiseau, que j'ai entendu bientôt tomber presque à mes pieds. Alors j’ai appelé mes enfants; ils sont venus avec de la lumière, et j’ai vu le hibou couché sur le dos et cherchant encore, la méchante bête, à se défendre avec ses griffes et son bec. J'ai jeté un sac dessus; je l'y ai enfermé jusqu’au matin, et ensuite, avec de grandes précautions, qui ne m'ont point empêché de recevoir trois ou quatre énormes égratignures sur la main, je l'ai cloué où vous le voyez, et où 1l souffre ce qu’il mérite. » « Je me sentais sur les lèvres une foule de réflexions morales et agricoles, pour démontrer péremptoire- L'ESPRIT DES OISEAUX, 203 ment à mon interlocuteur combien il avait eu tort d'en agir de cette facon, et surtout de me débiter ses billevesées; mais comprenant linutilité de mon ser- mon, je recourus à une argumentation plus certaine, et je tirai ma bourse de ma poche. «— Combien voulez-vous me vendre ce hibou? demandai-Je. « — Eh! qu’en voulez-vous faire? me demanda le paysan ahuri par une proposition aussi absurde. « — Peu vous importe! répondis-je en souriant. Voyons! à quel prix mettez-vous cet oiseau? &« — Ma foi! Monsieur, prenez-le pour rien, puis- qu'il vous fait envie! » « Pour couper court à ce débat, j’appelai un des enfants du fermier qui jouait dans le jardin, et je lui mis dans la main une pièce de monnaie. Elle fit briller de joie ses yeux; mais le père se hâta de la lui reprendre. 204 L'ESPRIT DES OISEAUX. «— Donne-moi cela! dit-il au pauvre petit garçon, qui le regardait avec un mélange de crainte et de désappointement. Donne-moi cela... Ce sera pour t’acheter de bonnes choses à la ville, quand j'irai, » ajouta-t-il un peu confus en se tournant vers moi, non sans quelque honte, mais en plaçant néanmoins la pièce d'argent au plus profond de son gilet. « L'enfant pleurait, et je n’ai jamais pu voir pleurer un enfant sans chercher à le consoler. Or, comme il ne s'agissait, pour arrêter les larmes de celui-ci, que de puiser de nouveau à ma bourse, j'en tirai un second franc, que cette fois le petit garçon saisit, serra Convulsivement dans sa main, en même temps que, pour s’en assurer la possession, il s’enfuyait à tire de jambes. «— Voyons; maintenant le hibou est bien à moi, n'est-ce pas? Veuillez donc, je vous prie, me prêter une échelle et des tenailles. » « Le paysan, dont la physionomie devenait de plus en plus goguenarde, n’en fit pas moins ce que je lui demandais, et je me mis à l’œuvre pour délivrer le hibou, qui, ne comprenant pas mes intentions chari- tables, me déchira la main d’un coup de ses ongles. À la vue de ma blessure, le paysan partit d’un éclat de rire, qui ne m’empécha point d’arracher les clous et de délivrer le pauvre oiseau, que j’enveloppai dans mon mouchoir. Après quoi, je mis des gants assez épais pour me préserver d’une nouvelle égratignure ; je déposai l'oiseau sur le gazon, et je lui versai dans le bec qu'lques gouttes d’eau qui parurent le ranimer. L'ESPRIT DES OISEAUX. 205 Il sembla dès lors comprendre mes bonnes intentions à son égard ; car il me laissa désormais, sans résistance, lui donner les soins nécessaires. « Je commençai done par laver les plaies, où déjà les mouches avaient déposé leurs larves, et par en- tourer d’une bande faite aux dépens de mon mouchoir son aile droite, que le coup de fusil de la nuit précé- dente avait brisée. A laide d’un peu de collodion puisé dans un flacon que j’emporte toujours dans mes excursions champêtres, je pansai les autres blessures du hibou et par-dessus le marché Pécorchure de mon doigt. ; « Le hibou, de son œil ensanglanté par la souf- france et par la fièvre, me regardait avec autant de surprise que le paysan, tandis que, résolu à ne point borner là mon rôle de bon Samaritain, je secouais un arbre d’où il tomba une pluie de hannetons. J’en présentai quelques-uns à l'oiseau, qui les croqua avidement. « — Eh! qu’allez-vous faire de cette bête? me de- manda le paysan en voyant le hibou se ranimer. « — Mais le rendre à la liberté. «— Il n’en aura pas pour longtemps! répliqua-tl en hochant la tête. Blessé comme le voici, il ne pourra pas s’envoler, et je ne donne pas dix minutes à mes gamins pour le poursuivre, pour latteindre et pour Passommer à coups de pierres. « — Eh bien! je l’emporterai à Paris! m'écriai-je, tout en me demandant en moi-même ce que je ferais d’un hibou dans mon appartement. 206 L'ESPRIT DES OISEAUX. « — A votre aise, ajouta le paysan qui se moquait évidemment de moi. Tenez, voici un panier qui vous servira de cage pour transporter votre oiseau. Je ne vous le vendrai pas cher. » « Cela voulait dire qu’il comptait me le faire payer un prix exorbitant, que je lui donnai tout en riant en moi-même de ce que je faisais. ù 4 « Le hibou se laissa mettre sans résistance dans le panier, et je repris le chemin de fer avec ma singu- lière acquisition. « Quand je me trouvai revenu à Paris et de retour chez moi, je me demandai de nouveau ce que j’allais faire de mon hibou, et je me mis à le regarder avec une attention que, durant les premières heures de ma bonne œuvre un peu fiévreuse, je n’avais point songé à lui donner. | « C’était une femelle, jeune encore, de hibou com- mun où moyen-duc (Strix otus). Des teintes blanches, rousses et brunes caractérisaient le plumage de sa tête et de son manteau; son ventre était nuancé de brun; le roux dominait sur sa poitrine et sur sa queue dont les plumes se trouvaient recouvertes de neuf bandes plus foncées. Pendant cet examen, l'oi- seau sortit de lui-même du panier, gagna péniblement le dossier de mon fauteuil de bureau, s’y installa com- modément et carrément, se mit à lisser ses plumes en désordre et me regarda fixement de ses yeux, dont la prunelle se dilatait dans l’obscurité que le soir commençait à introduire chez moi. J’allai à lui et je lui passai doucement les doigts sur le dos; il reçut L'ESPRIT DES OISEAUX. 207 cette caresse avec une satisfaction évidente, et me la rendit en frottant doucem=nt sa tête sur le revers de ma main. « Dès lors un pacte d'amitié fut conclu entre nous, et Strix, car je lui laissai son nom ornithologique, de- vint désormais pour moi un Compagnon aussi tendre que fidèle. « Comme le chat, 1l se montrait d’une exquise pro- preté, et ne manquait jamais, dès que le matin j’ou- vrais ma fenêtre, d'aller au dehors se purifier de toute impureté dans quelque coin affecté par lui à ce soin hygiénique. Après cela, il entrait dans mon cabinet de toilette, y barbotait, avec une satisfaction évi- dente, dans une cuvette pleine d’eau, et apportait à sa toilette les recherches les plus minutieuses. Il procédait ensuite à son déjeuner, qui consistait soit en insectes apportés de la campagne par mon jardi- nier, soit en languettes de foie de mouton. Dès qu'il se sentait repu, il venait reprendre sa place habi- tuelle sur le dossier de mon fauteuil. De ce poste, il suivait mes moindres mouvements, et semblait pré- ter la plus grande attention à ce que j'écrivais. Si je venais à me lever, il sautait sur mon épaule, et me suivait dans la pièce où j'avais affaire. Me fallait-i! sortir, je le caressais affectueusement en lui disant : « Au revoir, mon Strix. » Et Strix, enfonçant mélan- coliquement sa tête entre ses ailes, ne tardait point à s'endormir. « Quand je revenais au logis, il entendait et recon- naissait mon pas dans l’escalier, poussait un cri aigu 208 L'ESPRIT DES OISEAUX. pour me donner de loin la bienvenue, battait des ailes, et, dès que j'entrais dans mon cabinet, me prodiguait les témoignages de joie et d'amitié qu’un chien prodigue en pareille occurrence. « Quoique son aile, autrefois brisée, ne lui permit pas de voler longtemps, Strix, surtout pendant les belles soirées de printemps, se perchait sur mon balcon et même parfois se permettait des excursions aériennes jusqu'aux toits des maisons voisines. Je ne me préoccupais pas de ces absences; seulement je laissais ma fenêtre ouverte pour que le hibou pût rentrer quand bon lui semblerait. « Or, peu à peu, les absences se renouvelèrent plus fréquemment, et, une nuit, Strix ne revint pas au logis. J’avoue que j’éprouvai une véritable inquié- tude, et que je crus à quelque accident survenu au pauvre oiseau. Le lendemain, au point du jour, j’en- tendis qu’on assenait des coups de bec sur mes vitres, et je me hâtai d'ouvrir au vagabond, que je reçus en véritable enfant prodigue, c’est-à-dire en le comblant de caresses. « À dater de ce jour, je remarquai chez mon hibou, qui, je vous l’ai dit, était une femelle, je ne sais quelle étrange préoccupation. Inquiet et fiévreux, il allait et venait dans mon cabinet, ne dormait plus une partie de la journée suivant son habitude, et je le surpris un soir brisant à coups de bec les branches d’osier dont se composait ma corbeille à papier. Strix finit par emporter hors du logis, morceau à morceau, la cor- beille entière ; puis il recommença ses excursions L'ESPRIT DES OISEAUX. 209 nocturnes prolongées jusqu’au lendemain, et il finit par ne plus rentrer qu’à de courts intervalles, le soir, pour prendre précipitamment sa nourriture et dispa- raitre de nouveau. « Cette manière d'agir m'intriguait tant, que je ré- solus d’en découvrir les motifs et que je me mis à espionner Strix dans toutes ses démarches. Après deux à trois jours de surveillance, je finis par m'as- surer qu'il se réfugiait, au sortir de chez moi, dans un Jardin dont les grands arbres entourent mon vieux et solitaire faubourg Saint Germain. J’obtins sans difficulté du duc **“*, mon ami, à qui appartenaient ces Jardins, l'autorisation de continuer mes observations chez lui. Et je ne tardai pas, un matin, au point du Jour, à surprendre Strix qui se dirigeait vers une tou- relle en ruines, datant du xvre siècle, et qui, après avoir autrefois sans doute servi d'escalier à un bâti- ment qui n'existait plus, se trouvait réduite aujour- d’hui au rôle humiliant d’un hangar à peu près inutile et délaissé. Je grimpai de mon moins mal possible, à travers les marches brisées de cette tour, jusqu’à son sommet. Et je vis dans un coin Strix qui donnait, avec la viande qu’il avait prise chez moi, becquée à quatre petits oisillons couverts de duvet, et qui ouvraient, de toute leur largeur démesurée, de grands becs jaunes et insatiables. Le fugitif ne s’effaroucha pas en me voyant arriver près de sa nichée d’une façon si peu prévue. Il continua paisiblement, et sans se déranger, sa distribution à sa progéniture. Ce som rempli, il leva doucement la tête, et attacha sur moi 210 L'ESPRIT DES OISEAUX. ses grands yeux d'or pleins d’une indicible expres- sion de tendresse. kkk « Je racontai au duc “* le spectacle singulier que je venais de voir, et lui exprimai mon intention de venir chaque matin ou chaque soir rendre visite à la Jeune mère. Dès lors j’apportai régulièrement à celle- ei les mets dont je la savais friande. Les petits, non- seulement s’habituèrent insensiblement à ma pré- sence, mais encore ils finirent par reconnaître de loin le bruit de mes pas et par saluer de leurs cris mon arrivée qui leur annonçait une bonne provende. Le mâle lui-même, qui se tenait d’abord dans une défiante réserve à mon égard, rassuré sur mes inten- tions, acquiesça au pacte d'amitié qui m’unissait à sa famille, et chaque matin nous fraternisions tous les sept avec une familiarité de laquelle, j’en fais sincè- rement l’aveu, je ne me sentais pas médiocrement touché. € À six semaines environ de là, le duc de *“** partit pour la campagne avec toute sa maison, et je dus re- noncer, non sans regret, à mes visites quotidiennes à mes amis emplumés. « Un soir, je les trouvais tous les six installés dans mon cabinet. « J'avoue que si je fus sensible à ce témoignage d'affection et de confiance, je m'en sentis toutefois singulièrement embarrassé. Cependant, comme on n’a pas tous les jours des hiboux à héberger, je tins à honneur de remplir dignement les devoirs d’une hospitalité si peu vulgaire, et je servis à mes hôtes, L'ESPRIT DES OISEAUX. 213 de mes mains, la viande, découpée en lanières, d’une pièce de bœuf, que ma cuisinière comptait faire rôtir le lendemain pour mon déjeuner. « Mes six convives ne laissèrent pas une bribe de ce repas. Après quoi le mâle et ses quatre enfants firent claquer leur bec en signe incontestable de salut et d'adieu, et s’envolèrent tous les cinq, laissant chez moi Strix, qui dès lors y reprit ses habitudes comme si jamais il ne les avait quittées. « Ce que je vous raconte là, mon cher ami, a eu pour témoins, non-seulement le duc de ***, mais en- core toutes les personnes de sa maison, sans compter ma propre famille et mes amis. « Je terminerai le récit des aventures de Strix par une petite mésaventure dont il a failli devenir victime la semaine dernière. J'étais allé passer deux ou trois jours à la campagne, et j'avais recommandé à mon domestique, qui s’entend fort bien avec mon hibou, à veiller à ce que celui-ci ne manquât de rien, qu’on lui ouvrit la fenêtre le matin et le soir, et qu’enfin on la refermât après le retour de l'oiseau. « Le jour de mon retour, quand j'arrivai vers midi et que je rentrai chez moi, j’entendis au dehors un bruit de cris discordants qui se faisaient entendre dans ma cour. J’ouvris les rideaux de ma fenêtre, et je vis sur le rebord du balcon Strix, assailli par une centaine de moineaux acharnés contre lui. Ils Patta- quaient à grands coups, et lui arrachaient les plumes sans que leur victime cherchät même à leur riposter et à se défendre. Ma présence mit en fuite la petite 214 L'ESPRIT DES OISEAUX. armée, et Je pris dans mes mains le hibou sanglant et tout éperdu, et qui ne retrouva son sang-froid qu'une bonne heure après. « Mon domestique avait oublié d'ouvrir le matin ma fenêtre, et Strix, obligé de rester dehors, n’avait point tardé à être vu des moineaux, qui se hâtèrent de se venger sur lui de la mort de quelques-uns d’entre eux croqués par loiseau de proie. Ils se sa- vaient sûrs de lPimpunité; car, le jour, la lumière du soleil rend à peu près aveugles les hiboux; or le soleil frappait alors en plein sur la fenêtre où Strix se te- nait, et le mettait dans l’impossibilité absolue de se défendre contre des ennemis qu’il ne voyait pas. » En effet, la pupille énorme des oiseaux crépuscu- laires donne entrée à la fois à une grande quantité de rayons solaires, et empêche leur rétine de supporter la lumière quand le crépuscule ne la tempère pas. En revanche, ces oiseaux possèdent une délicatesse d’ouie qui leur fait entendre distinctement les bruits les plus faibles et les plus éloignés, et leur odorat ne jouit pas d’une finesse d’une portée moindre; aussi les naturalistes leur donnent-ils le nom de strix otus, hibou-oreille. Les hiboux ont le bec court comme les chats-huants et les nyctales; mais ils en diffèrent par leur disque facial complet, leurs ailes aiguës, et leur tête sur- montée de deux aigrettes mobiles plus ou moins distinctes ; leur conque auditive consiste en un demi- cercle et se trouve munie d’un opercule membra- neux. L'ESPRIT DES OISEAUX. 215 Le hibou commun, otus communis, de Lesson; strir otus, de Linné, nommé vulgairement moyen-duc, ap- partient à une espèce répandue dans toute l'Europe, et très-commune en France, où il vit sédentaire, Ses aigrettes, composées de six plumes, et longues comme la moitié de la tête, surmontent ses yeux; son plu- mage est fauve, avec des taches longitudinales brunes sur le dos et en dessous. Des lignes brunes ornent ses ailes et son dos, sa queue compte huit ou neuf bandes brunes. Sa taille mesure treize pouces environ. Ces oiseaux habitent ordinairement les cavernes, les bâtiments en ruines, le creux des vieux arbres et les forêts montueuses; ils jettent pendant la nuit un cri plaintif, ou plutôt une sorte de gémissement grave et prolongé. Les oiseleurs se servent des hiboux pour attirer à la pipée les autres oiseaux, et obligent à jeter son cri en plein jour. Alors tous les oiseaux du voisinage accourent pour se jeter sur un ennemi qu’ils croient en détresse, et se prennent dans les filets disposés autour de l’oiseau nocturne. Le hibou ne construit de nid que très-rarement; il pond souvent dans les nids abandonnés d’écureuil, de buse, de pie ou de corbeau, quatre ou cinq œufs oblongs et très-blancs, dont le grand axe mesure quinze lignes, et le petit axe douze lignes. Il se nourrit de menus oiseaux, et surtout de mulots et de campa- snols ; lorsque ces rongeurs lui font défaut, il pé- nètre jusque dans les granges pour y chasser des souris et des rats, et retourne au gite de grand malin. 216 L'ESPRIT DES OISEAUX. Le moyen-duc, contrairement à la plupart des ra- paces, se montre disposé à la sociabilité. On le voit souvent former de petites bandes de sept ou huit in- dividus, associés pour braconner en commun, et qu’on a beau effaroucher et disperser, sans les em- pêcher de se réunir de nouveau. Le hibou à aigrettes courtes (otus brachyotos, de Cuvier; strix ulula, de Gmelin, vulgairement che- vêche) ressemble au hibou commun par la taille et par le plumage. Son dos n'offre pas de lignes en réseau; mais son ventre est marqué de lignes longi- tudinales étroites, ses aigrettes, très-petites, occu- pent le milieu de son front, et se composent de deux ou trois plumes relevées carrément. Cet oiseau habite 12 nord, et il se répand dans toute l’Europe; il est de passage régulier en France. Un grand esprit de sociabilité le caractérise encore plus que l’espèce précédente. Il séjourne presque con- stamment à terre, où il guette les petits rongeurs, dont il fait sa principale nourriture. C’est aussi à terre qu’il construit son nid. On trouve l’effraie commune, strix flammea, de Linné, vulgairement nommée frésaie, répandue sur les diverses parties du globe, et fort communément en France, où elle vit sédentaire. Longue d’environ quatorze pouces, les parties supérieures de son plu- mage se teintent d’un roux jaune mêlé de gris et de brun, et pointillé de noir et de blanc; les parties in- férieures de ce même plumage sont blanches ou jaunes, parsemées de petites taches brunâtres ou L'ESPRIT DES OISEAUX. 217 noirâtres. La face est blanche ou grise, et tout le tour des yeux, d’un brun plus où moins roussâtre; la queue, légèrement barrée de brun. L'iris brun- noir de ses yeux lui‘donne un caractère tout parti- culier. Dans le midi de la France, les gens de la cam- pagne la désignent sous le nom de buéou-lholi, parce qu'ils croient que cette chouette vient pendant la nuit boire l'huile qui brûle dans les lampes des églises ; elle reçoit encore le nom vulgaire de chouette de clochers, et son nom d’effraie lui vient sans doute de l’effroi qu'elle inspire, dit Buffon, par ses souffle- ments che, chei, cheu, chubou; ses cris âcres et sin- guliers, grei, gré, crei, et la voix entrecoupée qu’elle fait souvent retentir dans le silence de la nuit. Pour ainsi dire, domestique, elle habite au milieu des villes les mieux peuplées; les tours, les clochers, les toits des églises et des autres bâtiments élevés lui servent de retraite pendant le Jour, et elle en sort à l’heure du crépuscule. Son soufflement, qu’elle réitère sans cesse, ressemble à celui d’un homme qui dort la bouche ouverte; elle pousse aussi, en volant et en se reposant, différents sons aigres, tous si désa- oréables, que cela, joint à l’idée du voisinage des cimetières et des églises, et encore à l'obscurité de la nuit, inspire de l'horreur et de la crainte aux en- fants, aux femmes et même aux hommes qui croient aux revenants, aux sorciers, aux augures., Tous re- sardent l’effraie comme un oiseau funèbre et comme un messager de mort; ils croient que quand il se lixe sur une maison et qu'il y fait retentir une voix 10 218 L'ESPRIT DES OISEAUX. différente de ses cris ordinaires, c’est pour appeler quelqu'un au cimetière. Cette mauvaise réputation, faite à l’effraie par la superstition populaire, devrait être remplacée par un sentiment de gratitude et de bienveillance; car, de tous les rapaces nocturnes, il est le plus utile à l’homme, et fait une guerre de destruction aux mulots, aux rats et aux rongeurs nuisibles à l’agriculture. L’effraie pond trois ou quatre œufs un peu allongés et d’un blanc pur. Ces oiseaux sont véritablement des faucons de nuit. En observant attentivement les deux espèces dont je vous parle, on constate une grande ressem- blance Gans la forme de leur bec et de leurs serres. Seulement lœil du hibou se montre plus dilaté, comme celui de tous les animaux destinés à chercher leur nourriture à la faib'e lumière du crépuscule. Comme nous l’avons déjà dit, les oiseaux noc- turnes possèdent un développement extraordinaire de l’ouïe et de la vue. Leur vol silencieux leur per- met, en outre, de saisir furtivement la proie qu’ils guettent durant les heures silencieuses de la nuit, où le moindre bruit donnerait l’éveil aux animaux menacés. «€ Durant leurs visites en Angleterre, dit sir Frank- lin, au milieu des bruyères vagues, recouvertes çà et là de grandes herbes, quelquefois un couple de hibous, quelquefois même toute une famille, après avoir établi son domicile en un lieu qui lui plaît, vient à son tour occuper le même gite, et alors on peut les observer à laise. » de L'ESPRIT DES OISEAUX. 22| Ils portent à teur famille un attachement extrême. On raconte que de jeunes hiboux, assez privés déja pour recevoir leur nourriture de Ja main de leur maitre, devinrent tout à coup farouches., Après avoir bien cherché, on finit par reconnaitre que la cage où on les avait renfermés avait été suspendue pendant la nuit en dehors de la fenêtre et que les parents des captifs étaient venus ‘es nourrir au crépuscule. Un autre exemple de la même sollicitude mater- nelle confirme cette supposition. Un gentilhomme suédois résidait dans une ferme : près de cette ferme s'élevait une montagne, sur le sommet de laquelle nichaient deux grands hiboux. Un jour du mois de juillet, un des jeunes quitta le nid et fut pris par des domestiques. Cet oiseau était dejà recouvert de plumes; mais le duvet de sa première enfance se montrait encore çà et là entre ses plumes, qui n’avaient point atteint toute leur grandeur. On enferma le prisonnier pris immédi: tement dans une vaste cage à poulets. Le lendemain matin, à la grande surprise des gens de la ferme, on trouva une belle perdrix morte gisant devant la porte de la cage. On en conclut tout de suite que cette perdrix avai été apportée par les parents de l'oiseau, qui avaient sans doute chassé durant la nuit au profit de leur enfant perdu. On ne se trompait pas; car, de nuit en nuit, pendant quinze jours, les pourvoyeurs mystérieux renouve- lèrent le même approvisionnement et continuèrent à déposer près de la cage des pièces de gibier, et sur- 222 L'ESPRIT DES OISEAUX. tout des perdrix nouvellement tuées. Parfois ils ne reculaient même pas devant la difficulté de. trans- porter, pour régaler leur petit prisonnier, des oiseaux plus gros qu’eux, tels que des coqs de bruyère, et même des morceaux d'agneau. Le gentilhomme suédois et ses domestiques se tinrent pendant plusieurs nuits en observation à une fenêtre , afin de voir quand et comment ces provisions étaient apportées. Ils ne purent jamais y parvenir: les hiboux, grâce à la vue pénétrante qui les carac- térise, saisissaient les rares moments où se trouvait en défaut la surveillance de ceux qui les épiaient, pour approvisionner le petit à quiils témoignaient tant de sollicitude. Au mois d'août, ils cessèrent de s’acquitter de ce soin quotidien et disparurent. Le mois d’août est, en effet, l’époque de l’année à laquelle les parents aban- donnent leur progéniture à elle-même, la chassent du nid et l’obligent à chercher des gîtes éloignés de la demeure paternelle. : On peut conjecturer par cet exemple quelle quan- tité de gibier détruisent les grandes espèces de hi- boux, sans compter que beaucoup se nourrissent de poissons et ravagent les étangs. Il existe une belle espèce de hibou, connue sous le nom de hibou des neiges (strix nyctea). Cet oiseau blanc peut, sans trop de désavantage, par sa taille et par sa noble apparence, se comparer à l'aigle doré; aussi le surnomme-t-on le roi des hiboux. L'ESPRIT DES OISEAUX, 223 Il vient rarement en France, et limite ses excur- sions aux contrées les plus désertes et les plus dé- solées du Nord, où il vit solitaire parmi les neiges éternelles. Le plumage de cet oiseau adulte est d’un blanc neigeux etéblouis- sant, taché de quelques points sur la tête. Durant les trois mois d'été, dans ces régions in- hospitalières, la température de l'air ne s'élève guère au-dessus du degré de con- gélation de l’eau; et, pendant tout le reste de l’année, elle descend beau- coup au-dessous, Aussi la nature revêt - elle le hibou des neiges d’une masse de duvet et de plumes qui forme plus des deux tiers du corps de cet oiseau. À l'exception de la pointe de son bec et des extrémités de ses serres noires, aucune partie de son individu ne reste exposée aux injures de l'atmosphère ; enfin sa couleur blanche le rend presque invisible, dans une contrée où tout est blanc, et les 224 L'ESPRIT DES OISEAUX. animaux dont il fait sa proie ne sauraient l’apercevoir et prendre la fuite, lorsqu'il plane silencieusement sur les déserts de neige. Comme on le pense bien, les ados du hibou des neiges sont très-peu connues, Deux de ces oiseaux, le mâle et la femelle, furent pourtant tués dans le Northumberland pendant le rigoureux hiver de 1823. Peu de jours avant qu’on les abattit d’un coup de feu, on les avait aperçus dans les rochers qui se dressaient au-dessus des ma- récages solitaires. Tantôt perchés sur la neige, tantôt immobiles sur une grande pierre isolée, ils guettaient et saisissaient leur proie sans qu'aucun contraste de couleur les dénonçât à l’œil de leurs victimes. Ils chassaient les lièvres et les lapins avec la même mé- thode qu'emploient les petites espèces de hiboux pour chasser aux souris, c’est-à-dire qu'ils fondaient sur eux et qu'ils les avalaient, quand ils le pouvaient, tout entiers. Un de ces hiboux, ayant été blessé d’un coup de fusil dans l’île de Balta, dégorgea un jeune lapin ; un autre, au moment où on le prit, contenait dans son estomac un oiseau avec toutes ses plumes. Sir Edward Parry, qui passa plusieurs mois dans la patrie du hibou des neiges, trouva souvent plusieurs de ces oiseaux morts, et il en conclut qu’ils étaient morts de faim. L’avidité que les hiboux des neiges mettent à dis- puter au chasseur son butin ou à emporter, lui pré- sent, les rebuts de la chasse, vient en outre à l'appui L'ESPRIT DES OISEAUX. 225 de cette opinion, que ces oiseaux souffrent quelque- fois cruellement de la faim. D’autres voyageurs, qui ont parcouru les régions du Nord, assurent également que les hiboux montent la garde sur quelque grand arbre ou sur quelque rocher à pic, et qu’au moment où l’on tue le gibier, ils fondent sur lui avec une rapidité extrême, et s'en emparent avant que le chasseur ait eu le temps d’en prendre possession. Le hibou commun a des habitudes différentes : il rôde autour des habitations de l’homme; il fre- quente nos granges et nos hangars. À l’approche du crépuscule, il s’élance de l'endroit où il perche, et bat les champs, les plaines, les haies avec la scrupu- leuse exactitude d'un chien d'arrêt. On le voit fondre de temps en temps, d’un vol rapide et avec une rare sûreté de coup d’œil, sur sa proie qu'il sasit et qu’il dévore en même temps. Il ne prend même point la peine de la déchirer avec ses griffes. Une fois rassasié, il songe aux jours de disette et il emporte dans son nid les petits animaux dont il vient de s'emparer. La chose n’est pourtant pas aussi facile qu’elle le parait. Tant qu’il tient soit un mulot, soit un oiseau dans ses serres, il ne peut évidemment pas se servir de ses pattes pour se poser; avant de s’abattre tout à fait, il lui faut donc se percher sur la partie la plus saillante d'un toit, et, là, faire passer son fardeau de ses ongles dans son bec. Cette opération est fort 10 226 L'ESPRIT DES OISEAUX. délicate, et permet à la proie de s’échapper, si elle est encore vivante. Il est une autre espèce de hibou qui diffère beau- coup de notre hibou commun dans ses habitudes et dans sa manière de se nicher; car elle se creuse de véritables terriers. On la nomme strix cunicu- larid. Très-répandue sur le continent américain, soit au nord, soit au midi, elle doit son nom à sa manière de se loger. Tandis que les autres oiseaux de cette famille re- cherchent les endroits retirés dans les bois, les forêts, les édifices en ruines, lui, au contraire, il hante des plaines ouvertes, et vit en compagnie avec eer- tains animaux. Au lieu de chasser la nuit ou le matin, et de se retirer ensuite dans son gîte, il aime la lumière du soleil de midi, vole rapidement en plein jour, et regagne seulement à la nuit sa demeure sou- L'ESPRIT DES OISEAUX. 227 terraine, véritable terrier semblable à celui de la marmotte des prairies. Il se tient habituellement dans le voisinage de ces terriers, s'envole à quelque petite distance si on l’ef- farouche, et, une fois rassuré, revient occuper son poste. Dans le cas d’alerte sérieuse, il se réfugie au fond de son trou, d’où il est très-difficile de le déloger. Le capitaine sir Francis Head traversait les im- menses plaines de l'Amérique du Sud, appelées les pampas, lorsqu'il tomba au milieu d’une bande de ces oiseaux, qui vivaient en compagnie avec des bis- cachos, espèce de rongeur voisine du chinchilla. « Vers le soir, dit il, les biscachos se tiennent hors de leurs terriers, avec un sérieux digne des philo- sophes ou des moralistes les plus graves et les plus réfléchis. « Pendant la journée, les trous de leurs gites sou- terrains sont gardés par deux hiboux, qui ne quittent jamais leur poste. Tandis que leurs amis galopent dans la plaine, ils continuent leur faction, regardent en plein visage les voyageurs, et hochent, l’un après l’autre, leurs têtes vénérables d’une manière presque ridicule à force d’être solennelle. Toutefois, lorsque des cavaliers passent trop près des deux sentinelles, celles-ci perdent beaucoup de leur dignité, et se pré- cipitent dans les trous des biscachos. » CHAPITRE XII Les oiseaux exotiques. — Un merle qui chante. — L'oiseau de paradis. — Son arrivée à Paris. — Sa patrie. — Manière dont on le chasse. — Manière de préparer sa peau. — Sa nourriture en liberté. — Légendes sur l'oiseau de paradis. — Comment on a cru longtemps qu'il pondait et qu’il couvait. — Les oiseaux-mouches. — Encore les oiseaux de paradis. Ce matin, je suis allé rendre visite à un capitaine de la marine marchande, arrivé depuis peu de jours, des îles Moluques, à Paris, pour s’y reposer près de sa famille d’une navigation qui n’a pas duré moins de trois ans. En entrant dans son salon, et tandis que je lui serrais la main, j’entendis un merle qui sifflait avec une grande perfection l'air de la reine Hortense : Partant pour la Syrie. Mes yeux cherchèrent le chanteur dont la voix stridente émettait des sons L'ESPRIT DES OISEAUX. oi) OISEAUX. 263 La quatrième espèce ne possède ni filets ni prolon- sement aux plumes des flancs. Vieillot en composait la division des lophorines. Cuvier n’admet dans ce groupe que deux espèces, Le paradisier superbe (paradisea superba), que les Papous nomment shaywa, ce qu signifie oiseau de serghile. Les naturels de Ternate et de Tidor en font un très- grand commerce, et l’appellent suffo-0o ko- kotoo (oiseau de paradis noir ). Cette espèce est très- curieuse à cause de la direction qu'affectent quelques-unes de ses plumes, Celles de la partie in- férieure de la gorge, d’un vert bronzé, à reflets violets, s’étendent sur la poitrine, et simulent, en s’écartant sur les côtés du ventre, dont elles laissent le milieu à découvert, une queue d’hirondelle. Le dos, le croupion, les ailes, les rectrices caudales et les tectrices offrent les mêmes nuances. De longues plumes veloutées semblent sorti: des épaules, se relèvent tantôt très-haut, tantôt plus ou 26% L'ESPRIT DES OISEAUX. moins sur le dos, et s’inclinent en arrière en formant une espèce de mantelet, qui s'étend presque jusqu’au bout des ailes. Celles qu’on voit sur le dessus du bec, se présentent comme deux petites huppes noires. Les habitants de la Nouvelle-Guinée portent et vendent à Salawar ces paradisiers dans des bambous creux, après les avoir fait sécher à la fumée autour d’un bâton, et leur avoir ôté les entrailles, les ailes, la queue et les pieds. La deuxième espèce admise par Cuvier est le para- disier orangé (paradisea aurea), que Gmelin plaçait parmi les loriots, sous le nom de oriolus aureus. Cet oiseau ne présente aucun développement extra- ordinaire de plumage, et ne se fait reconnaître qu’au velouté de ses plumes. La livrée du mâle est généralement d’un orangé très-vif; on ne trouve de noir que sur la gorge et sur les premières rémiges. Chez la femelle, le brun remplace l’orangé. Latham et Gmelin confondaient parmi les paradi- siers un oiseau que Cuvier classe dans le genre merle, c’est l'oiseau de paradis noir ou la pie de paradis (pa- radisea nigra), caractérisée par une queue très-allon- gée. Quelques ornithologistes ont depuis rendu cette espèce aux paradisiers, pour en faire un genre sous le nom d’astrapie (astrapia). GHA PITRE MEN Les oiseaux de France. — Les oiseaux de proie diurnes et nocturnes. — Les passereaux dentirostres. — Les conirostres. — L'alouette. — Son panégyrique par le naturaliste Vieillot. — Les oiseaux utiles et M. Bonjean. Il n'existe nulle part en France, même au Muséum de Paris, une collection complète et spéciale des oi- seaux de la France. Je vais essayer de donner ici une énumération aussi complète que possible de ces oi- seaux, qu'il serait bien curieux cependant de voir disposés dans une galerie, les uns près des autres. 12 266 L'ESPRIT DES OISEAUX. En tête viennent naturellement les oiseaux de proie diurnes. Le vautour (wullur cinereus). Le vautour fauve (vultur fulvus). Le percnoptère blanc (vultur perenopterus). Le griffon (vultur gypaetus). Le griffon barbu (gypaetus barbatus). Le faucon (falco lanarius). Le faucon pélerin (/alco peregrinus). Le hobereau (/falco sabbateo). L'émérillon (/alco æsalon ). La cresserelle (/falco tinnunculus). La cresserelette (falco tinnunculoides). Le kobez ou faucon à pieds rouges (/alco rufipes). Le gerfaut (/a/co islandicus). L’aigle royal {/al/co fulvus). L’aigle criard (falco nœvius). L’aigle botté (falco pennutus). L’aigle pygargue (/alco albicilla). Le balbuzard (falco haliaelus ). . Le circaëte le jean-le-blanc (falco brachydactylus). L’autour (falco palumbarius ). L'épervier (/alco nisus). Le milan comraun (/falco milvus). Le milan noir (falco ater). La bondrée commune (/alco apivorus). La buse commune (/fulco buteo). La buse pattue (/alco tuzopus). Le buzard harpaye (fulco rufus). Le buzard saint-martin (falco cyaneus). Les oiseaux de proie nocturnes sont : Le hibou (strix). Le moyen-duc (strix otus). Le brachyote (strix brachyotes). L’effraie vulgaire (strixr flammea ). La hulotte ou chouette des bois (strix stridula): Le grand-duc (strix bubo). EN ET L'ESPRIT DES OISEAUX. 267 La chevêche (strix uralensis). La chouette à pieds emplumés. La chouette commune (s#rix passerina). Le scops ou petit-duc (s/rix scops). Ainsi, en France, trente-six espèces d'oiseaux vivent exclusivement de proies vivantes, et font une guerre acharnée aux mammifères de toutes tailles, depuis l'agneau, que l'aigle enlève dans ses serres, jusqu’au mulot nain, caché sous les gerbes de nos champs. Ils n’épargnent pas davan- tage les oiseaux, les reptiles, et souvent même les poissons. Les passereaux ne se nourrissent en général que d'insectes et de graines. La classification ornithologique des passereaux, une des moins naturelles, a subi toutes sortes de variations. D’après les caractères linnéens on a introduit dans cet ordre des espèces qu’on en sépare avec raison, et on en éloigne d’autres qui présentent tous les attri- buts des vrais passereaux. Ces modifications sont logiques, et sans rendre la classification de Linné plus naturelle, elles la sim- plifient et la rendent plus facile à comprendre. Les passereaux, en effet, sont des oiseaux dont lescaractères généraux consistent dans le doigtexterne uni au doigt du milieu sur une étendue plus ou moins considérable. Cuvier, dont nous suivons la méthode, s'explique ainsi à l’égard de cet ordre : 268 L'ESPRIT DES OISEAUX. « Il est le plus nombreux de toute la classe, ditil ; son caractère semble d’abord purement négatif, car il embrasse tous les oiseaux qui ne sont ni na- seurs, ni échassiers, ni grimpeurs, ni rapaces, ni gallinacés. Cependant, en les comparant, on saisit bientôt entre eux une grande ressemblance de struc- ture, et surtout des passages tellement insensibles d’un genre à l’autre, qu’il est difficile d’y établir des subdivisions. « Ils n’ont ni le volume des oiseaux de proie, ni le régime déterminé des gallinacés ou des oiseaux d’eau ; les insectes, les fruits, les grains fournissent à leur nourriture : les grains d'autant plus exclusive- ment que leur bec est plus gros, les insectes qu’il est plus grêle ; ceux qui lont fort poursuivent même les petits oiseaux. « Leur estomac est en forme de gésier musculeux ; ils ont généralement deux petits cœcums; c’est parmi eux qu’on trouve les oiseaux chanteurs et à larynx inférieurs les plus compliqués. La longueur propor- tionnelle de leurs ailes et l’étendue de leur vue sont aussi variables que leur genre de vie. » D’après la forme qu’affectent les pieds des pas- sereaux, Cuvier fait dans cet ordre deux divisions. Dans la première et la plus nombreuse, il place toutes les espèces dont le doigt externe se trouve réuni à l’interne, seulement par une ou deux phalanges. Cette division se compose de quatre familles, les dentirostres, les fissirostres, les conirostres et les ténuirostres. L'ESPRIT DES OISEAUX. 269 La seconde et la plus petite division de passereaux comprend ceux où le doigt externe, presque aussi long que celui du milieu, lui est uni jusqu’à l’avant- dernière articulation; Cuvier n’en-a fait qu'un seul groupe, celui des synd actyles. Voici l’énumération des passereaux, telle que Cuvier Padopte : La pie-grièche (lanius). La pie-grièche grise (/anius excubitor ). La pie-grièche méridionale (/anius meridionalis ). La pie-grièche à poitrine rose (/anius minor). La pie-grièche rousse (/anius rufus). La pie-grièche écorcheuse (/anius colluris). Le gobe-mouche (/anius muscicapa). Le gobe-mouche gris (muscicapa grisola ). Le gobe-mouche à collier { muscicapa albicollis). Le bec-figue (muscicapa luctuosa). Le jaseur (bombycilla ). Le jaseur de Bohême (bombycilla garrula). Le merle (furdus merula ). Le merle bleu ({urdus cyaneus). Le merle de roche ({urdus saxatilis). Le merle à plastron ({urdus torquatus). Le merle draine ({urdus viscivorus). Le merle citorne (furdus hilaris). Le merle-grive ({urdus hirsicus). Le merle mauvis ({wrdus iliacus). Le cinile plongeur ou merle d’eau (aquaticus cinilus ). Le martin roselin ou merle rose (graculus roseus). Le chocard (pyrrhocorax). Le chocärd des Alpes (pyrrhocoraz corvus). Le coriacias (pyrrhocoraz graculus). Le loriot (oriolus galbula). Le bec-fin (montacilla). Le bec- fin des forêts (#2ontacilla sylvia ). Le traquet pâtre (montacilla rubicola). 210 L'ESPRIT DES OISEAUX. Le tarier (montacilla ruberla). Le motteux ou cul-blanc (r7ontacilla œnanthe). Le traquet rieur (montacilla cachinnans ). Le traquet stapazin (montacilla tapazina). Le rouge-gorge (montacilla sylvia rubecula ). Le rouge-gorge bleu. Le rouge-sorge noir ou rossignol des murailes (sylvia syphœæni- CUTus ). Le rouge-queue (sylvia tithys). La fauvette rousserole (sylvia syturdoides ). La fauvette locustelle (sy/via locustella ). La fauvette aquatique (sylvia aquaticu). La fauvette de roseaux ou effarvate (sylvia arundinacea ). La fauvette la verderolle (sy/via palustris ). La fauvette rossignol (sylvia philomela ). La fauvette orphée (sylvia orphea). La fauvette à moustaches noires (sylvia melanopogon ). La fauvette rugie (sylvia nisorea ). La fauvette à tête noire (sylvia atricapilla). La fauvette des fragones (sylvia rusticola). La fauvette proprement dite (sylvia hortensis ). La fauvette phrasmile (sylvia phrasmiles). La fauvette grisette ou grise (sylvia cinerea). La fauvette babillarde (sylvia garrula). La fauvette des saules (sylvia luscinoides ). La fauvette pittechou (sylvia provincialis). La fauvette passerinette (sy/via passerina). La fauvette des Alpes ou pegot (sylvia alpina). La fauvette-mouchet ou traine-buisson (sylvia modularis ). Le roitelet ordinaire (sylvia requlus ). Le pouillot (sylvia trochilus). Le grand-pouillot ou fauvette à poitrine jaune (sylvia hippolars ). Le bec-fin siffleur (sylvia sibilatrix ). La petite fauvette rousse (sy/via rufa). La fauvette citerine (sylvia citerina). La fauvette Bonelli (sy/via Bonelli). Le roitelet triple bandeau (sylvia ignicapilla ). Le troglodyte d'Europe ou roitelet (sylvia troglodytes). La hoche-queue bergeronnette (motacilla ). o L'ESPRIT DES OISEAUX. 271 La bergeronnette lugubre (motacilla luqubris). La bergeronnette grise ou lavandière (motacilla alba), La bergeronnette jaune (motacilla boarula). La bergeronnette printanière (mofacilla flara). La farlouse ou pipit (motacilla anthus). L'alouette des prés (motacilla pratensis). Le pipit du buisson (anthus arboreus). La rousseline (anthus rufescens). Le pipit spioncelle (anthus aquaticus). Le pipit richard (anthus richard). La série des passereaux qu’on vient de lire appar- tient à la catégorie des dentirostres ou à bec en forme de dent. Nous arrivons maintenant aux fissirostres ou à bec fendu. É Le raartinet à ventre blanc (cypselus alpinus). Le grand-martinet ou martinet noir (cypselus murarius ). L’hirondelle des cheminées (Airundo rustica). L'hirondelle des fenêtres (hirundo urbica). L'hirondelle des rivages (hïrundo riparia). L’hirondelle des rochers (hërundo rupestris). L’engoulevent (caprimulqus europæus ). Les passereaux conirostres s'appellent ainsi de leur bec en forme de cône. L’alouette des champs (a/auda arvensis). Le cochevis ou alouette huppée (a/auda cristata). Le cupellier ou alouette des bois (a/auda arborea). L'alouette calandre (calandra). L’alouette calendrelle (alauda brachydactyla). L’alouette Dupont (alauda Duponti). Cette dernière alouette n’est sans doute qu’un oiseau de passage, et ne se rencontre que rarement en France. « L’alouette commune, dit Vieillot, est le musicien 272 L ESPRIT DES OISEAUX. des champs ; son joli ramage est l'hymne d’allégresse qui devance le printemps et accompagne le premier sourire de l’aurore. On l’entend dès les beaux jours qui succèdent aux jours froids et sombres de Phiver, et ses accents sont les premiers qui frappent l'oreille du cultivateur vigilant. « Le chant matinal de l’alouette était chez les Grecs le signal auquel le moissonneur devait com- mencer son travail, et il le suspendait pendant la portion de la journée où les feux du midi imposent silence à l’oiseau. « L’alouette se tait, en effet, vers le milieu du jour; mais quand le soleil s’abaisse vers lhorizon, elle remplit de nouveau les airs de ses modulations variées et sonores ; ellé se tait encore lorsque le ciel est couvert et le temps pluvieux, du reste, elle chante pendant toute la belle saison. « De même que dans presque toutes les espèces d’oiseaux, le ramage est un attribut particulier au mâle de lalouette. On le voit s’élever presque perpen- diculairement et par reprises, et décrire en s’élevant une courbe en forme de vis ou de limaçon; il monte souvent fort haut, toujours chantant, forçant sa voix à mesure qu'il s'éloigne de la terre, de sorte qu’on l'entend aisément lors même qu’on peut à peine le distinguer à la vue; il se soutient longtemps en l'air, et descend lentement jusqu’à dix à douze pieds du sol, puis s’y précipite comme un trait; sa voix s’af- faiblit à mesure qu’il en approche, et il est muet aus- sitôt qu’il s’y pose. L'ESPRIT DES OISEAUX. 273 « Cette voix si pure et si mélodieuse, loin de s’éteindre dans l'esclavage, s’y conserve et s’y em- bellit; et si on la prend jeune et qu’on l'élève avec soin, l’alouette devient un des oiseaux les plus pré- cieux, moins encore par la beauté de ses accents naturels que par sa prodigieuse mémoire, qui lui permet de retenir ceux des autres oiseaux et tous les airs qu’on veut lui apprendre et qu’elle répète avec une pureté, une flexibilité d’organe qui leur ajoute de nouveaux charmes, et ne les imite que pour les embellir. » On prend en octobre ou en novembre les alouettes mâles destinées au chant. Elles ne tardent pas à s’'habituer à l'esclavage, et deviennent familières au point de manger dans la main, sur la table et même dans les assiettes; mais la cage où on les renferme doit être recouverte de toile par le haut; sans quoi, obéissant à l’instinct qui les porte sans cesse à s’é- lever perpendiculairement, elles ne tarderaient pas à se tuer en se brisant la tête contre le haut de leur prison. En outre, on revêt le fond de la cage d’une épaisse couche de sable fin, afin que ces oiseaux puissent s'y rouler et chercher un soulagement contre les petits insectes qui les tourmentent. Il est encore bon de placer dans un coin du gazon frais et de le renou- veler souvent. On nourrit les jeunes que l’on prend dans le nid avec de la graine de pavot mouillée, et lorsqu'ils mangent seuls, avec de la mie de pain également humectée, et mélangée à toutes sortes de graines. 12° 274 L'ESPRIT DES OISEAUX. Lorsque les alouettes commencent à faire entendre leur ramage, on leur prépare une pâtée avec de la viande bouillie et de la mie de pain détrempée dans du lait, à laquelle on ajoute de la graine de pavot, de l’orge, du blé, du millet, du chènevis écrasé ; mais si on leur donne cette dernière nourriture en trop grande quantité, suivant un vieil auteur à qui nous en laissons toute la responsabilité, on pourrait faire noircir entièrement leur plumage. Après deux ans de domesticité, la voix des jeunes mâles atteint son complet développement ; toutefois, pour qu'elle arrive à un degré réel de perfection, il faut qu’on éloigne d’eux tout ce qui pourrait fausser leur goût. On doit surtout se garder de jamais chercher à faire apprendre aux alouettes plusieurs airs à la fois, et éviter que rien de faux, d’aigre ou de discordant arrive à leurs oreilles ; si quelque chant étranger vient dis- iraire leur mémoire des dernières modulations sur lesquelles on veut fixer leur attention, leur ramage deviendra un mélange confus et bizarre des différents sons qui les auront frappées davantage. Captives, les alouettes chantent en toutes saisons. Leur vie se prolonge, en cage, pendant dix à douze ans, suivant quelques auteurs, et jusqu’à vingt et vingt-quatre ans, suivant d’autres. Trop souvent, ces pauvres prisonniers, placés dans un milieu si différent des habitudes pour lesquelles Dieu les a créés, finissent par devenir épileptiques, surtout quand ils commencent à vieillir. L'ESPRIT DES OISEAUX. 2175 En liberté, l’alouette femelle, dans nos contrées, commence seulement vers le mois de mai à con- struire son nid par terre, entre deux mottes ou au pied d’une touffe d'herbe ; elle se sert de petits brins de paille, de menues racines et de crin pour en former un nid plat et presque sans consistance. Elle y pond quatre ou cinq œufs tachés de brun sur un fond grisâtre. Après quatorze à quinze jours d’incubation, les jeunes éclosent, et quinze autres jours suffisent à la mère pour élever sa couvée, et la mettre en état de se soustraire aux poursuites de ses nombreux ennemis. Les petites alouettes quittent leur nid de bonne heure, surtout si leur mère découvre aux environs quelques traces ennemies ; il arrive souvent aux chas- seurs de trouver la famille délogée longtemps avant le jour où ils comptaient s’en emparer. A peine les petits peuvent se suffire, que la mère songe déjà à de nouvelles amours et à une nouvelle fa- mille. Dans les pays chauds, elle pond jusqu’à trois couvées. « Mais, dit Vieillot, que je citais tout à l'heure, qu’on ne croie pas que la tendresse maternelle se taise de- vant un besoin si actif de se reproduire, et qu'aux soins et à l’affection succède tout d’un coup l’oubli de ses premiers nourrissons ; longtemps encore on la voit voltiger au-dessus de sa couvée sans expérience, la suivre de l’œil avec sollicitude, diriger tous ses mou- vements, pourvoir à tous ses besoins, veiller à tous ses dangers, et cet instinct sublime d'amour, de soins 276 L'ESPRIT DES OISEAUX. et d’abnégation maternelle est même porté si loin dans ce frêle et intéressant oiseau, que loin de n'être, comme dans presque tous les êtres, qu’une consé- quence de celui qui les dispose à devenir mères, sou- vent il le précède de longtemps, et se développe, d’après Buffon , dès l’âge le moins avancé. » Buffon possédait une alouette qui mangeait à peine seule, lorsqu'on mit dans sa cage trois ou quatre pe- tits d’une autre couvée, Le jeune oiseau s’éprit aussitôt pour les nouveaux venus d’une affection si vive, qu’il se mit à les soi- gner, à les nourrir, et à les réchauffer sous ses ailes. Malgré les soins que lui prodiguait son maitre, il finit par se laisser mourir d’inanition au milieu des soins tendres jusqu’à l’exagération dont il les entourait, et à la perte desquels aucun oisillon ne survécut. La question de savoir si les alouettes sont ou non des oiseaux de passage n’est pas résolue. Buffon n’af- firme rien à cet égard, et un grand nombre répondent négativement. Vieillot prétend qu'au commencement de l'hiver l’espèce tout entière se partage en deux bandes, celle des voyageuses et celle des sédentaires; que les pre- mières traversent la Méditerranée et vont se répandre en Syrie, sur les bords de la mer Rouge, en Égypte, en Nubie et en Abyssinie, d’où elles reviennent au retour de la belle saison réparer les pertes énormes qu'ont éprouvées leurs compagnes, qui osent braver dans leur patrie les rigueur de lhiver et de la guerre acharnée que leur livrent toutes sortes d’ennemis. Fa Le è PARLES L'ESPRIT DES OISEAUX. 219 Quoi qu’il en soit, il parait certain que les alouettes, au commencement de la mauvaise saison, se ras- semblent en troupes nombreuses et quittent les plaines élevées qu’elles habitent, pour chercher des lieux mieux abrités. Souvent, lorsqu'il survient un froid rigoureux et imprévu, elles disparaissent comme par enchantement pour revenir dès qu'apparaissent quelques jours d’une température plus douce. Si le froid se remontre, si la terre reste longtemps couverte de neige ou durcie par la gelée, la misère des pauvres oiseaux devient extrême; ils se rap- prochent alors des grands chemins, des lieux habités, et négligent même le soin de leur conservation, jus- qu’à se laisser tuer à coups de perche ou prendre à la main. Un oiseau dont les insectes et les chrysalides for- ment la principale nourriture, doit trouver protection dans les pays où les sauterelles ne sont pas un fléau moins destructeur que la peste et la famine qui mar- chent à leur suite. Aussi les alouettes ont-elles toujours été tenues en vénération dans le Levant et surtout dans l’île de Lemnos. Chez nous, au contraire, elles sont l’objet d’une guerre acharnée qui a ses règles et sa tactique fondées sur l’étude du caractère des pauvres victimes. Aussi plusieurs naturalistes affirment-ils que l’espèce a con- sidérablement diminué depuis cinquante ans, et si elle n’est pas encore complétement détruite, on ne le doit qu’à sa fécondité prodigieuse. 284 L'ESPRIT DES OISEAUX. Vers le mois de septembre, après le temps des amours , du chant et des soins maternels, lorsque la nourriture foisonne de toutes parts pour elles, les alouettes prennent cet embonpoint, cette chair succu- lente qui les fait rechercher si favorablement par les gourmets, sous le nom de mauviettes, et à laquelle les pâtés de Pithiviers doivent leur réputation. Alors aussi la destruction de ces oiseaux commence, etse continue impitoyablement jusqu’à la fin de Phiver. Les chasseurs ne s’en prennent point à des indi- vidus isolés, mais bien à des masses considérables d’alouettes, et, par malheur, nul oiseau n'offre plus de prise à ces razzias. Sa confiance, la douceur de ses mœurs, sa sociabi- lité, et surtout sa curiosité, ne servent que trop les ruses et les stratagèmes de leurs ennemis. Ceux-ci placent, au milieu des sillons où l’alouette se réfugie, quelques objets brillants, et les mettent en mouve- ment; le plus souvent un miroir, morceau de bois taillé en dos d'âne, supporté par son milieu, et in- crusté soit de boutons d’acier ou de cuivre, soit de petits morceaux de glace ; tout est bon, pourvu que les rayons du soleil puissent s’y réfléchir. Aussitôt, cédant à une sorte d’instinct, l’alouette accourt, vient papillonner autour de cette lumière inconnue, se met sous les filets, et s'offre sans défense aux plombs des fusils, sans que les détonations qui éclatent de toutes parts, sans que la mort de ses compagnes, dont les cadavres jonchent le sol, lui inspirent une terreur sa- lutaire et la fasse fuir. L'ESPRIT DES OISEAUX. 283 Par un temps sombre et froid, par un ciel couvert, ou le soir, après le coucher du soleil, les alouettes volent par troupes, sans s’élever et en rasant la terre: alors les chasseurs, en les effrayant, les forcent à marcher longtemps sans s’élever dans les airs, et les dirigent sous de vastes filets que supportent quelques fourchettes, et fixés à terre par trois côtés. Ces filets n'offrent aux malheureux oiseaux qu’une entrée sans issue et se referment sur eux dès qu’ils y sont enga- gés. On se sert encore de la tonnelle murée, sorte d’énorme sac offrant une ouverture de dix pieds en tous sens, et flanqué à droite et à gauche par de larges filets qui s’agrandissent de manière à réunir dans la tonnelle la bande entière, qui s’y laisse facilement engager. Cependant ces moyens de destruction ne sont rien en comparaison de la chasse aux gluaux. Cette chasse se pratique dans toute la Lorraine. Dans une plaine en jachère, on aligne en carré long quinze cents à trois mille branches de saule de trois à quatre pieds, enduites de glu et plantées assez légèrement pour que l’oiseau n’y puisse toucher sans les faire tomber. Des détachements de chasseurs for- ment ensuite autour du terrain où se trouvent les alouettes, un cordon de trois à quatre kilomètres de développement, et rétrécissent lentement le carré en serrant dans son enceinte des milliers d’alouettes. Un commandant supérieur et des chefs sous ses ordres dirigent avec habileté les manœuvres, et forcent les alouettes, souvent après trois heures de soins et de 284 L'ESPRIT DES OISEAUX. ruses, à entrer, en sautillant et en s’élevant un peu de terre, dans la funeste enceinte. À peine entrées, elles s’empêtrent dans les branches engluées, ne peuvent plus se détacher de cette substance maudite qui para- lyse tous leurs efforts, et se laissent prendre à la main. Une chasse de cette nature rapporte souvent jusqu’à cent douzaines d’alouettes. Une dernière chasse aux alouettes, plus usitée peut- être que les précédentes, parce qu’elle exige moins de frais et moins d'adresse, est la chasse aux lacets. Les lacets ou collets trainants se composent d’un ou deux crins de cheval, disposés en nœud coulant et fixés à des ficelles de plusieurs mètres de longueur. On les tend sur un terrain en jachère, soit dans des sillons nouvellement labourés, soit dans une trouée ouverte à travers la neige, et l’on a soin que les la- cets, semés sans ordre ni régularité, s'élèvent de quelques centimètres seulement au-dessus du sol. On jette çà et là du grain, on y place quelques alouettes captives appelées moquettes. Les alouettes affamées , et rassurées par la présence ‘d'oiseaux de leur espèce, accourent de toutes parts, et se prennent de la tête aux pieds dans les lacets, où elles meurent étranglées. De pareilles chasses dévastatrices, par malheur, dépeuplent nos campagnes d’utiles au xiliaires qui dé- truisent par milliards les insectes nuisibles, et trop souvent des récoltes avortées punissent l’imprudence et l’avidité des chasseurs. Voici en quels termes, en 1861, M. Bonjean expo- L'ESPRIT DES OISEAUX. 285 sait au sénat les funestes conséquences de la destruc- tion des oiseaux : « Plusieurs milliers d'insectes, doués d’une ef- frayante fécondité, vivent exclusivement aux dépens de nos végétaux les plus précieux. « Le chêne robuste a pour ennemis le lucane, le cerambyx heros, etc. « À l’orme s’attachent les scolytes destructeurs. « Les pins et sapins succombent sous les atta- ques des bostriches, de la nonne, du scarabée ty- pographe. « L’olivier voit son bois miné par le phlæotribus, tandis que ses fruits sont dévorés par les larves in- nombrables de la mouche de l'olivier (dacus oleæ.) « La vigne résiste à peine, en certaines localités, aux ravages de la pyrade. « Le blé et les autres céréales sont attaqués, dans leurs racines, par le ver blanc (larve du hanneton); sur pied, avant la floraison, par la cécydomyie; plus tard, au moment où se forme le grain, par le cha- rançon (calandra granaria ). « Le colza et les autres crucifères ne comptent pas des ennemis moins nombreux. Plusieurs varié- tés d’altises détruisent le plant à sa sortie de terre; d’autres parasites attendent que la silique soit for- mée pour y élire domicile et se nourrir aux dépens de la graine. « Les racines de toutes les légumineuses sont man- gées par les courtilières et autres insectes fouilleurs , tandis que la larve de la bruche vit cachée dans les 286 L'ESPRIT DES OISEAUX. pois et les lentilles, dont elle ne nous laisse que l'enveloppe. « Les lamentations des pays vinicoles, au sujet de la pyrale, attestent assez la grandeur du mal, pour ce genre de culture. — De 1828 à 1837, en dix années, et seulement dans vingt-trois communes du Mâconnais et du Beaujolais, représentant trois mille hectares de vignes, les dommages causés par la pyrale furent évalués, d’après un calcul fondé sur des bases fournies par l'administration des con- tributions, à 34,080,000 francs, soit plus de trois millions par an. Aux Thorins, notamment en 1837, sur une propriété qui rapportait ordinairement 5,000 hectolitres de vin, on n’en récolta que 22. — Le gou- vernement dut accorder des dégrèvements considé- rables sur l'impôt foncier. Plusieurs propriétaires , découragés, vendirent leurs vignes à vil prix ; d’autres les arrachèrent pour y substituer de nouvelles cul- tures. — Des ravages analogues, quoique moins considérables, furent constatés, à la même époque; dans les départements de la Côte-d'Or, de la Marne, de la Charente-Inférieure, de la Haute-Garonne, des Pyrénées-Orientales et de l'Hérault, et toujours dans les crus les plus fins. « Quant aux céréales, on n'évalue pas à moins de quatre millions de francs, au plus bas, la valeur de blé que fait avorter, en une seule année, dans l'un de nos départements de l'Est, la seule larve cécidomyique. — Dans une notice spéciale, d’après un grand nombre de faits soigneusement étudiés, L'ESPRIT DES OISEAUX. 287 M. Bazin n'hésite pas à attribuer à cet insecte l’in- suffisance des récoltes, dont nous eûmes tant à souf- frir durant les trois années qui précédèrent 1856 : dans certains champs, la perte s’éleva à près de moitié de la récolte. « Pour le colza, une monographie très-bien faite par un des professeurs de l’ancien Institut agro- nomique de Versailles, a constaté, d’après des ex- périences faites avec le plus grand soin, sur une récolte dépendant de cet établissement, que, sur 20 siliques, prises au hasard et fournissant 504 graines, 296 graines seulement étaient saines ; le surplus avait été mangé par les insectes, ou s’était flétri par leffet de leurs piqûres; que, par suite, 1l y avait eu perte, en huile, de 32,8 pour 100; et, plus spécialement, que sur une récolte ayant produit 4,500 francs, il fallait compter une perte de 2,700 francs, qui, si elle eût pu être évitée, aurait porté le produit à 7,200 francs. « En Allemagne, au témoignage de Latreille, la nonne (phalæna monacha) à fait périr des forêts entières. — En 1810, les bostriches avaient tellement envahi la forêt de Tannesbuch, située dans le dé- partement de la Roër, qu'un décret dut ordonner d’abattre la forêt, et de brûler sur place les bran- ches, racines et bruyères. — Dans la Prusse orien- tale, il a fallu abattre, il y a trois ans, dans les forêts de l’État, plus de 24 millions de mètres cubes de sapins, contrairement ‘à tous les règlements fores- tiers, uniquement parce que les arbres périssaient sous les attaques des insectes. 288 L'ESPRIT DES OISEAUX. « Dès le commencement des âges, l’homme eût succombé dans cette lutte inégale, si Dieu ne lui eût donné, dans l’oiseau, un auxiliaire puissant, un allié fidèle, qui s’acquitte à merveille de l’œuvre que lui, homme, ne saurait accomplir. « Ce sont tous les oiseaux purement insectivores : les grimpereaux, le pivert, l’engoulevent, le coucou, les différentes variétés d’hirondelles, mais surtout ces charmants musiciens des champs, tous ces in- sectivores vulgairement désignés sous les expressions collectives de petits-pieds ou becs fins : rossignols, fauvettes, traquets, rouges-gorges, rouges-queues, bergeronnettes, pipits, pouillots, roitelets et le troglodyte, cet ami des chaumières, qui, tous à l’envi, nous rendent d’inappréciables services, ser- vices aussi gratuits que mal récompensés , parce qu’on ne s’en fait pas une idée suffisamment exacte. « Permettez-moi donc d’en citer un exemple qui m'est fourni par un des tableaux de M. F. Prévost, relatif au martinet. Dix-huit de ces oiseaux furent L'ESPRIT DES OISEAUX. 289 tués du 15 avril au 29 août, à la fin de la journée, au moment où ils rentrent au nid. Les insectes, dont les débris furent retrouvés dans les estomacs. ne montaient pas à moins de 8,690, ce qui donne, pour chaque jour et pour chaque oiseau, une moyenne de 483 insectes détruits. Un autre tableau présente des résultats analogues pour la fauvette d'hiver. Et, parmi les insectes ainsi anéantis, fi- gurent précisément les plus redoutables pour nous : le charançon des blés, la pyrade, le hanneton, et une foule d’autres coléoptères destructeurs. « Or ce que cause de mal un seul de ces insectes, vous pouvez, Messieurs les sénateurs, vous en faire une idée, en vous rappelant que le hanneton pond de 70 à 100 œufs, bientôt transformés en autant de vers blancs qui, pendant une ou deux années, vivent exclusivement aux dépens des racines de vos végé- taux les plus précieux. — Le charançon du blé pro- duit 70 à 90 œufs, qui déposés dans autant de grains de blé, s’y développent en larves qui en dévorent le contenu; c’est donc la valeur d’un épi au moins perdue par le fait d’un seul charançon. — La pyrale dépose, sur les feuilles de la vigne, 100 à 150 œufs d’où sortent autant de chenilles, qui, après s'être: cachées sous l’écorce pendant l'hiver, en sortent au printemps pour ronger, en mai et en juin, les feuilles et les bourgeons. Voilà 100 à 150 grappes de raisin qu’une seule pyrale détruit en leur germe. « Et maintenant, si vous rapprochez les deux ordres de chiffres que je viens de mettre sous vos 13 290 L'ESPRIT DES OISEAUX. yeux, en admettant que, sur les 500 insectes dé- truits en un jour par un seul oiseau, il y ait seu- lement un dixième de ces êtres malfaisants : par exemple, quarante charançons et dix pyrales (et ces chiffres sont au-dessous de la vérité), c’est en moyenne 3,200 graines de blé et 1,150 grappes de raisin qu’en un seul jour ce petit oiseau vous aura sauvés. « Faites la part aussi large que vous voudrez aux autres causes naturelles qui auraient pu arrêter les ravages de ces insectes; réduisez autant qu'il vous plaira celle de Poiseau, il en restera toujours assez pour justifier ce mot profond d’un contemporain : « L'oiseau peut vivre sans l’homme; mais l’homme « ne peut vivre sans l’oiseau. » « Et, en effet, qui donc, excepté le petit oiseau, pourrait guetter et saisir le charancon, long de cinq millimètres, quand, au milieu d’un champ de blé, il s'apprête à déposer ses œufs dans les grains en voie de formation? Qui pourrait saisir le papillon de la pyrale alors que, dans le même but, il voltige autour des ceps, ou la chenille du même insecte, quand elle sort au printemps, longue de quatre à cinq millimètres ? « Qui pourrait surtout atteindre ces œufs et ces larves microscopiques, dont une seule mésange consomme plus de 200,000 en une année? « L'homme, par un étrange aveuglement, se montre le plus terrible ennemi de ces douces et utiles créatures. » CHAPITRE XV Suite des passereaux denlirostres. — Le serin de la légende. — Les passereaux conirostres. — Les syndactyles. — Les grimpeurs. Revenons maintenant aux autres conirostres. La mésange proprement dite (parus). La mésange charbonnière (parus major). La mésange petite charbonnière (parus ater ). La mésange bleue (parus cæruleus). La mésange huppée (parus cristatus). La mésange nonnette (parus palustris). La mésange à longue queue (parus caudatus). ) La mésange à moustaches (parus biarmicus). La mésange réveil ou penduline (parus pendulinus). Le bruant commun (emberiza citrinella ). Le bruant crocote (emberiza melanocephala). 292 L'ESPRIT DES OISEAUX. Le bruant fou des prés (emberiza ica). Le bruant des haies (emberiza cirlus). Le bruant des roseaux (ermberiza schœæniclus). Le bruant des marais (emberiza palustris). Le bruant proyer (ernberiza mililaria). L'ortolan (emberiza hortulana). Le bruant mytilène ou gavoué (emberiza lesbia ). Le bruant des neiges (emberiza nivalis). Le bruant cendrillard (emberisa æsia). Le bruant montain ou pinson des montagnes (emberiza calca- rata). Le moineau domestique (fringilla domestica ) Le moineau des bois ou friquet (frirgilla montana). Le moineau espagnol (fringilla hispanolensis). Le pinson vulgaire (fringilla cælebs). Le pinson de montagne ou des Ardennes (monti fringilla). Le pinson des neiges ou niverolle (fringilla nival's). La linotte ordinaire (fringillu cannabina) La linotte des montagnes (fringilla montana). La petite linotte , le serin du cabaret ( fringilla linaria ). Le serin de Provence ou cini (fringilia serinus). Peut-être faut-il joindre à cette énumération des oiseaux de France une espèce exotique venant des L'ESPRIT DES OISEAUX. 293 iles Canaries, mais tout à fait domestique en France, puisqu'elle y peuple partout et qu'elle s’allie au be- soin avec le serin de Provence, tout à fait indigène. Né en cage et livré, soit volontairement, soit par hasard, à une liberté qu'il n’a jamais connue, puis- qu’il est né en esclavage, le serin des Canaries niche, pond en plein air, et se conforme en tout aux habi- tudes du serin provençal. L'élève du serin des Canaries remonte en France à une époque assez ancienne, comme l’atteste le récit qu'on va lire. Parmi les plantes qui fleurissent en ce moment et tapissent le pied des vieux murs ou les coins solitaires, et cherchent même à se conquérir une petite place obscure dans les terrains cultivés, il faut citer en première ligne la stellaria media des bota- nistes, que l’on nomme encore stellaire, alsine, mor- geline, et qui n’est autre chose que le véritable mou- ron des oiseaux. Avant le règne de Charles VI, personne ne s’in- quiétait de cette herbe autrement que pour la quali- fier de mauvaise et pour l’arracher quand elle poussait dans un champ ; chacun la foulait aux pieds, sans y prendre garde, quand on la rencontrait sur son chemin. Or, à l’époque où la plus terrible des maladies, l’aliénation mentale, vint frapper le pauvre roi, et lorsqu'on eut recouru inutilement pour le guérir à toutes les ressources de la médecine et même à la magie, quelqu'un s’avisa de faire observer qu'on 294 L'ESPRIT DES OISEAUX. n'avait pas consulté le neveu de l’archiâtre du défunt roi Charles V, Guibert du Celsoy, ou de Salceto, doyen de la faculté de médecine de Paris. Sans doute le neveu était l'héritier des secrets de son oncle, comme il était l'héritier de sa fortune et de sa maison de la rue Saint-Jacques, adossée à l’église Saint-Séverin, et portant pour enseigne une croix de fer. On alla donc le querir chez lui, et bon gré, mal uré, on le mit en présence du royal malade. Antoine Guibert de Celsoy, malgré la solitude profonde dans laquelle il vivait, passait à tort ou à raison pour un médecin de grande valeur comme son oncle, et on a lieu de s'étonner que lon ne l’eût point mandé plus tôt. Son épitaphe, qu'on lisait encore, il y a quelques années, dans la petite église Saint - Maur, au petit village de Celsoy, près de Langres, affirme, en effet, que : Maistre fu es arts excellent Et en médecine ensement De la praticque souverain Pareil n’avoit en corps humain. Il ne fallait point songer à déclarer incurable la maladie de Charles VI; car on avait pendu, peu de temps auparavant, deux cordeliers appelés, comme Guibert, en consultation, et qui avaient déclaré la science humaine impuissante contre un mal surna- turel, selon eux. Cette déclaration faite, on les obligea à exorciser le roi, et, le roi se trouvant plus mai L'ESPRIT DES OISEAUX. 295 après les exorcismes, on envoya au gibet les pauvres moines, sous prétexte qu'au lieu de chasser les mau- vais esprits, ils en avaient évoqué de plus redoutables encore. Donc, Antoine Guibert, après avoir mürement étudié pendant plus d’une semaine les symptômes de la démence du roi, déclara que toute maladie mettant à s’en aller autant de temps qu’elle en avait mis à venir, et le roi étant malade depuis dix ans, il fallait également dix ans pour obtenir sa guérison. Après cette sage précaution, il se mit à l’œuvre et prescrivit à Charles VI, entre autres remèdes, des infusions d’une plante fraiche dont il faisait grand mystère. j A la grande surprise de ceux qui soignaient Île roi, et surtout de damoiselle Odette de Champdi- vers, on ne tarda point à remarquer que le visage du roi se débarrassait des feux qui lempourpraient, et que son humeur devenait plus facile. Antoine Guibert, nommé, pour ce premier succès, chape- lain de la chapelle de Saint-Jean -Baptiste, dans l’église de Paris, chapellenie qu'avait également ob- tenue son oncle, ordonna que chaque jour le malade prit, pendant deux heures, un bain préparé avec les mêmes herbes, non-seulement cuites en eau bouillante, mais encore jetées fraiches et vives dans la baignoire. Soit par suite de ce traitement, soit hasard, le roi entra alors dans une des crises de calme et de quasi- intelligence qui caractérisaient sa maladie. 296 L'ESPRIT DES OISEAUX. Je n’ai pas besoin de vous dire qu’on cria au mi- racle, et que chacun voulut connaître quelle était l'herbe efficace dont Antoine Guibert faisait un si grand mystère. En agissant ainsi, il imitait ses con- frères, qui tous cachaient avec un soin extrême la nature des remèdes qu’ils avaient découverts. On épia si bien Guibert, qu’on finit par découvrir que l’herbe du roi, — on l’appelait déjà ainsi, — était la morgeline. Alors chacun, d’abord à la cour, puis à la ville, voulut se mettre au régime d’une plante si bienfai- sante, et à laquelle on ne tarda point à attribuer toutes sortes de vertus. La reine Isabeau elle-même voulut prendre chaque jour des bains semblables à ceux du roi, espérant ainsi donner plus de blancheur à sa peau et plus de relief à sa funeste beauté. Ce fut avec les dons de la reine et les munificences des courtisans que Guibert fit élever, dans son village natal de Celsoy, une église qui subsiste encore en partie, et dans laquelle il consacra à la mémoire de son oncle un magnifique monument, sur lequel on lit lPinscription suivante : Médecin fut des rois de France, Jehan et deux Charles sans doublance. Après avoir usé des décoctions de morgeline et pris des bains parfumés des essences de cette plante, on recourut à elle comme à un vulnéraire résolutif et astringent, et on en composa par la distillation une eau tenue infaillible contre les maux d’yeux; L'ESPRIT DES OISEAUX. 297 bref, on la fit entrer dans la préparation de tous les cosmétiques, et on finit même par la manger en salade et par en composer des potages de santé appe- lés soupes au roi. Vers la sixième année du traitement de Charles VI, Antoine Guibert, prétextant sa mauvaise santé, se donna des aides et des suppléants, ralentit ses visites à la cour, n’y reparut plus que rarement, et mourut vers 1409, laissant une réputation rivale de celle de son oncle, avec lequel, par parenthèse, on le con- fond souvent. Les médicaments et les simples ont, comme les livres dont parle Horace, leur destin, c’est-à-dire qu'après les avoir prônés outre mesure, on les laisse tomber peu à peu dans un oubli profond Sans avoir mérité Ni cet excès d'honneur, ni cette indignité. La morgeline n’échappa pas au sort commun ; non- seulement on cessa de s’en servir pour combattre la folie, mais encore les parfumeurs renoncèrent peu à peu à la distiller et à en préparer des cosmétiques, et les ménagères à en servir sur leur table des salades et des soupes au roi. Le hasard rendit cependant, un siècle après, à la morgeline une partie de sa vogue, et voici en quelles circonstances. Henri II aimait beaucoup les oiseaux, et surtout les serins, qu’on appelait alors canaries, des îles d'où on les supposait originaires. Il en possédait de 13” 298 L'ESPRIT DES OISEAUX. belles espèces dont il s’appliquait encore à perfec- tionner la race par des croisements savamment com- binés. I fallait, selon les idées de cette époque, pour qu’un serin atteignit la perfection, qu’il fût svelte de taille, assez haut sur pattes, d’un jaune mat, le bec fort, et doué d’une voix éclatante. Henri HI s’enquérait de tous côtés des moyens les meilleurs d'élever les serins. Un de ses courti- sans lui apprit qu'en Hollande, où se faisait un grand commerce de ces oiseaux, on plaçait dans leur cage des plantes de mouron, qu'ils trouvaient grand plaisir à becqueter, et qui les préservaient des maladies épidémiques trop souvent fatales à ces oiseaux. | Le roi n'eut point de cesse qu’on n’eût rempli ses cages de mouron. À sa grande surprise, les oiseaux moururent en masse victimes d’une maladie que lon baptisa du nom d’astriction, et qui consistait en une sorte de colique sèche. On accusa, non sans raison, le mouron d’être l’auteur de ces sinistres, et on le bannit des volières du Louvre. Or, un matin que le roi venait de faire ses dévo- tions à l’église Saint-Séverin, il passa par la rue Saint-Jacques; il entendit dans une maison de cette rue, touchant à l'hôtel de Mortmer et à celle du Dieu- d'Amour, des serins qui chantaient d’une façon merveilleuse. Il leva la tête, vit au-dessus de la porte une croix de fer en guise d’emblème ou d’enseigne, entra sans L'ESPRIT DES OISEAUX. 299 façon, et alla droit à une magnifique volière pleine de serins et garnie de toutes parts de mouron, « Vous ne savez donc pas que cette herbe maudite a empoisonné tous les oiseaux du roi? demanda-t-il à un jeune homme qui s'avançail pour recevoir le visi- teur inattendu. | — Si fait, Monsieur, répondit le jeune homme ; mais c’est parce que les gens chargés d’approvi- sionner de mouron les cages du roi ont confondu avec cette plante une autre plante qui lui ressemble beaucoup ; on la nomme anagallide, et on lui attri- bue, à tort ou à raison, la propriété d'attirer hors des blessures les fers des flèches. Quoi qu’il en soit, l’anagallide est un poison pour les oiseaux, tandis que le vrai mouron, la morgeline, les rafraichit et les préserve de male mort. La morgeline porte des fleurs blanches, et l’anagallide, des fleurs tantôt d’un rouge de brique, tantôt variant du blanc au bleu. — Et où avez-vous appris toutes ces savantes choses ? — Dans les manuscrits que m'ont légués mes grands-oncles, archiâtres et médecins des rois Jean, Charles V et Charles VE, Guibert et Antoine du Celsoy. — Eh bien! tu seras archiâtre de mes oiseaux, ré- pliqua le roi en riant. » Charles du Celsoy ne dédaigna pas d'accepter cette position officielle à la cour, et depuis lors la morgeline conserve le privilége de servir de nourriture aux nom- breux serins qu’on élève à Paris, où les riches et les 300 L'ESPRIT DES OISEAUX. pauvres, les pauvres surtout, aiment passionnément les oiseaux et les fleurs; sans doute par la grande difficulté qu’on éprouve à y élever des oiseaux et à y cultiver des fleurs. Reprenons maintenant notre nomenclature des oiseaux de France. Après le serin de Provence viennent parmi les co- nirostes : Le venturon commun (/ringilla citrinella). Le tarin commun (fringilla spinus). Le gros-bec commun (fringilla coccauthraustles). Le verdier (fringilla chloris). Le saulcie (fringilla petronia). Le gros-bec incertain (fringilla incerta). Lé bouvreuil (friéngilla pyrrhula vulgaris). Le bouvreuil gilhagine (pyrrhula vulgaris ). Le bec-croisé (pyrrhula loxio). Le bec-croisé-perroquet ou des sapins (pyrrhula pythiopsittacus). Le bec-croisé des pins (/oxia curvirostra ). L'étourneau commun (sfurnus vulgaris ). Le corbeau vulgaire (corvus corazx). La corneille (corvus corone). L'ESPRIT DES OISEAUX. 301 Le freux (corvus fregillus ). Le choucas (corvus monedula spermologus ). La pie (corvus pica). Le geai (corvus glandularius). Le casse-noix (corvus caryocatactes ). Le rollier (coracis garrula). On appelle genre ténuirostres les passereaux à bec faible. Ce genre se compose des oiseaux suivants : Le torche-pot (si{{a europæa). Le grimpereau (certhea familiaris). L'échelette ou grimpe de murailles (certhia muraria). La huppe commune (upupa epops). Le crave d'Europe (corvus graculus). On classe parmi les passereaux syndactyles, c'est- à-dire dont les doigts de pieds sont réunis par une membrane étroite : Le guëpier commun (#erops apiaster). Le martin-pêcheur (a/cedo ispida ). Les grimpeurs sont : Le pic noir (picus martius ). Le pic vert (picus viridis). Le pic cendré (picus canus). Le pic moyen épeiche (picus major). Le pic moyen (picus medius). Le pic épeichette (picus minor ). Le pic tridactyle ou picoïde (picus tridactylus). Le torcol (yunx torquilla). Le coucou (cuculus canorus). Le coucou Jean ou tacheté (cuculus glandarius). Je vais vous conter, à propos des pics, un acte de dévouement et d'intelligence que je tiens de M. Ser- vaux, chef de bureau au ministère de l'instruction pu- blique, et, à ses heures de loisir, ornithologiste pas- sionné. Je le laisse parler : 302 L'ESPRIT DES OISEAUX. « A la fin de l'hiver, j'avais remarqué, dans une grande propriété de Montmorency (Seine-et-Oise), deux pics (le pic commun, picus viridis), qui avaient commencé à creuser leur nid dans un orme, à environ quatre mètres du sol. Vers le milieu de mai, pensant, à juste raison, qu'ils devaient avoir des œufs, j’appli- quai une échelle et montai le long de Parbre; mais impossible d'introduire mon bras dans Pouverture : l'arbre était trop épais, et le trou, profond de cin- quante centimètres environ, J’essayai, mais en vain, et pendant une demi-heure, d'arriver aux œufs, soit à l’aide d’une branche enduite de glu, soit avec une cuiller en étain recourbée... Enfin, lassé de mes ten- tatives infructueuses, je me décidai à boucher l'entrée du nid, avec cette espérance que peut-être, pressée de pondre, la femelle déposerait ses œufs (ainsi que je l'ai observé plusieurs fois) dans un trou d'arbre des environs. Je ne m’occupais plus des pics et ne pensais déjà plus à eux, lorsque le soir, vers quatre heures, passant dans cette même allée, j'entendis frapper à coups redoublés sur l’orme que j'avais quitté le matin. Je m’avançai avec précaution etj’aperçus, cramponné à la hauteur du fond du nid, c’est-à-dire à cinquante centimètres plus bas que l'ouverture, un pic qui, tout préoccupé de son opération, ne me vit pas et me laissa approcher jusqu’au pied de l'arbre. Il s’envola alors, et grand fut mon étonnement, lorsque j’entendis con- tinuer, mais intérieurement, dans l’arbre le même bruit que j'avais entendu au dehors. Évidemment j’a- vais enfermé la femelle dans le nid, sans m’en douter, L'ESPRIT DES OISEAUX. 305 et la pauvre bête, couchée sur sa couvée, n'avait pas donné signe de vie le matin, lors de mes tentatives pour lui enlever ses œufs. « J’appliquai de nouveau l’échelle contre l'arbre, et collai mon oreille à l’endroit où les coups de bec ar- rivaient sans arrêt el avec une précipitation qui indi- quait le désir de la liberté que devait éprouver la prisonnière. Je fis du bruit, elle s'arrêta; mais un instant après elle recommença de plus belle. De son côté, le mâle n’était pas resté inactif, je vous assure ; car l'écorce de l'arbre était fortement entamée sur une largeur de cinq à six centimètres, et sur une profondeur de plus de deux centimètres; inutile d'ajouter que ce commencement de trou corres- pondait juste à celui que la femelle commençait à l'intérieur. « La captivité forcée que j'avais imposée bien invo- lontairement à la pauvre femelle avait duré assez longtemps, et, après m'être bien assuré du fait que je viens de vous raconter, je retirai la pierre que j'avais mise le matin pour boucher l’entrée du nid. La fe- melle s’élança immédiatement; mais je la saisis au passage pour l’examiner avec attention. Elle était, comme vous pouvez le penser,extrèmement farouche, très-agitée, les plumes hérissées, le bec tout couvert de sciure de bois, et, lorsque je la lâchaiï, elle poussa deux ou trois cris en s’envolant. Était-ce la peur que je venais encore de lui causer, ou plutôt la joie de la liberté”? « En quittant la maison, je fis part au jardinier de 306 L'ESPRIT DES OISEAUX. ce qui venait de m’arriver; il me plaisanta beaucoup, me disant que c’était impossible, attendu que, dans la journée , à plusieurs reprises, il avait vu les deux pics qui frappaient l’orme à l’extérieur, et qui étaient tellement occupés à leur travail, qu'ils continuaient malgré sa présence, ne s’envolant qu'au moment où il allait les toucher. Je m’expliquai alors l'énorme trou fait en si peu de temps, et qui, bien probablement, n'aurait pas tardé à offrir une sortie à la prisonnière. Pour rendre la liberté à sa femelle, le pic mâle avait eu recours à l’obligeance d’un camarade, de son frère peut-être. » CHAPITRE XVI Les gallinacés. — Le dindon. — Les échassiers. — Les gallinacés pressirostres et cultrirostres. — Le héron. — Les échassiers longi- rostres. — Un récit d’Audubon. L'ordre des gallimacés en France est surtout nom- breux à cause des nombreuses espèces domestiques. Le faisan (phasianus colchicus ). Le grand coq de bruyère ou tetras (fetras urogallus). Le coq de bruyère à queue fourchue (f{etras tetrir). La gelinotte ou poule des coudriers (fetras bonasia). La lagopède ordinaire ou perdrix des Pyrénées ({etras lagopus). Le ganga ou gelinotte des Pyrénées (/etras alchata Le francolin à collier roux ({etras francolinus ). La perdrix bartavelle (fetras saratilis ). La perdrix rouge ( fetras rufus). La perdrix gamba (fetras petrosus). Le perdrix grise (fetras cinereus). La caille commune (fetras coturnir ). Le pigeon ramier (co/umba palumbus ). Le colombin ou petit ramier (c/umba ænas). 308 L'ESPRIT DES OISEAUX. Le pigeon bizet (co/umba livia). La tourterelle (co/umba turtur). Le coq (phasianus gallus). Il faut ajouter aux gallinacés le dindon (meleagris galle pavo). Quoique d'importation relativement ré- cente en France, cet oiseau n’en peut pas moins être compté aujourd’hui parmi ceux qui se trouvent do- mestiques et même naturalisés chez nous. Lorsque le roi Charles IX, âgé de vingt ans, épousa le 26 novembre 1570, à Mézières, Élisabeth, fille de l’empereur Maximilien IT, on servit sur la table du banquetnuptial un mets dont les convives, raconte un chroniqueur du temps, — c’est d’Aubigné, s’il m’en souvient bien, — ne goûtèrent d’abord qu'avec une extrème défiance , en dépit des éloges des maîtres- queue qui l'avaient acheté au poids de l’or et fait venir d’Espagne à grands frais. C'étaient deux gros oiseaux farcis de truffes et dis- posés dans des plats d’or massif, où on les voyait, sui- vant la coutume usitée pour les rôts à plumes, accou- trés de leur queue, de leurs ailes et de leur tête. Cette tête semblait peu ragoûtante, à cause de son long col tout couvert d’excroissances charnues, et du bas duquel sortait une sorte d’aigrette de crins noirs et rudes. La jeune reine, la première, pour se montrer brave et plaisante en présence du roi, approcha de ses lèvres mignonnes une aiguillette de la poitrine d’un de ces oiseaux. Elle donna un si grand éloge de sa chair sa- voureuse et délicate, que les convives ne purent faire L'ESPRIT DES OISEAUX. 309 autrement que de limiter. Chacun donc, reginæ ad exemplar, goûta bravement de ce rôt inconnu, et fit chorus d’éloges avec Élisabeth. Après quoi le sire de Biron déclara qu’il fallait introduire en France un oiseau de si haut goût ; le sire de Mesmes appuya fort cette opinion. Peu de temps après, en effet, quelques dindons, importés d’Espagne à Bourges, s’acclimatèrent dans cette ville, s’y multiplièrent, et ne tardèrent point à devenir fort communs en France, où ils portèrent longtemps le nom d'oiseaux de la paix boiteuse. Cela provenait de ce que le sieur Malassis de Mesmes et le sire Biron, qui clochaient de la jambe droite, étaient les auteurs de la paix signée le 25 août, à Saint-Ger- main-en-Laye, entre les protestants et les catholiques, et, comme nous venons de le raconter, les promo- teurs de l'introduction des dindons en France. Je vous ai parlé des massacres que les chasseurs font des alouettes. Les pigeons, qui appartiennent à la famille des gallinacés, dont je suis en train de vous parler, ne sont pas plus heureux, et l’on en pratique, dans les Pyrénées, d’affreux carnages. Situées entre la Méditerranée et l'Océan, les Pyré- nées offrent un point de repos naturel pour les tribus d'oiseaux voyageurs qui dirigent leurs migrations annuelles tantôt vers le nord, tantôt vers le midi; la chaîne occidentale, moins élevée et moins aride, attire de préférence ces hôtes passagers que la diver- sité de leur instinct, de leur chant et de leur plumage rend si intéressants à observer. 310 L'ESPRIT DES OISEAUX. Dès le printemps, les hirondelles de mer remontent les rivières, qu’elles effleurent d’une aile rapide, suivies par les goëlands, les mouettes, les coupeurs d’eau, dont le nid repose sur les récifs de l'Océan ; la huppe se montre bientôt à la pointe des bruyères qui commencent à verdir, et chante en hérissant les plumes de sa Jolie crête; le coucou devance dans les bois la naissance des feuilles et fait entendre les deux: notes de son couplet monotone. L'été vient à son tour, avec le loriot, qui, par ses sifflets joyeux et cadencés, semble défier les merles; les vautours, exilés par l'hiver, rentrent en foule dans les montagnes; le barbu prend un essor puis- sant, avec ses larges ailes dont l’envergure dépasse celle même du grand aigle; l’arrian à tête chauve descend dans les profondeurs des ravins et plane sur les eaux. Avec l’automne arrivent les müriers, les bec- figues, les étourneaux, les grives, les cailles ; tandis que, sur les genêts dorés et les buissons jaunis, les rossignols, les linottes, les chardonnerets et toutes les famulles d'oiseaux chanteurs volent par troupes nombreuses, s'appellent vivement, s’assemblent, puis redoublent en chœur des refrains d’adieux, pour aller chercher au loin un autre printemps et une autre pairie. La colombe océanique, le ramier bleu qui joue un si grand rôle dans la cosmogonie ibérienne, appa- raissent dans les Pyrénées en septembre. Rien n’égale la rapidité de son vol bruyant, et il L'ESPRIT DES OISEAUX. 311 est impossible de se faire une idée du fracas qui ac- compagne ces oiseaux, lorsqu'ils s’abattent par mil- liers dans les grandes forêts de hêtres. Les montagnards les chassent avec de grands filets tendus à l’extrémité d’un vallon; le choix du site et l’habileté des chasseurs concourent à la rendre plus ou moins heureuse; les produits en sont assez lucra- tifs pour faire de chaque pantière une propriété im- portante et privilégiée, « L’épervier et le hobereau sont les seuls oiseaux de proie que le ramier doive craindre, dit ‘écrivain basque Chao; la vitesse de son vol le met à l'abri de tous les autres. » L’épervier, en effet, s’élance de terre perpendiculairement, et se renverse sur le dos pour saisir sa victime, qu’il frappe de son bec tran- chant et de sa poitrine osseuse; les ramiers, instruits par linstinct, évitent son atteinte en abattant subite- ment leur vol. L'idée de la chasse aux filets est fondée sur cette observation. Les chasseurs se postent sur les col- lines, dans un rayon d’un kilomètre, à portée des filets, armés de raquettes blanches, dont la forme imite un épervier; leurs yeux perçants ne se dé- tachent point de l'horizon, où d’imperceptibles va- peurs leur font reconnaitre chaque volée de ramiers, plus de vingt minutes souvent avant son approche; ils s’avertissent mutuellement par des cris et des signaux, et lancent leurs raquettes avec tant d’in- telligence et d’à-propos, qu’ils manquent rarement de faire prendre aux ramiers la direction fatale. 312 L'ESPRIT DES OISEAUX. L’instant qui cause le plus d'émotions est celui où les pauvres oiseaux se pressent en colonnes, d’un vol étourtissant que précipite la terreur, et donnent tête baissée dans les filets qui tombent pour les envelopper. Tous les ramiers pris vivants sont mis en volière, vendus, et garnissent la table des mon- tagnards pendant l’hiver. On tue à coups de fusil ceux que l’on sert en automne et qui n’en sont, L'ESPRIT DES OISEAUX. 313 dit-on, que meilleurs : on emploie, pour les attirer, des appeaux vivants auxquels on a crevé les veux. La venue des oiseaux voyageurs dans une contrée se détermine par la maturité des fruits dont chaque espèce se nourrit. Les uns arrivent aux Pyrénées à l'ouverture des moissons, les autres dans les ven- danges. Les grues forment l’arrière-garde de la migration ; mais, dirigeant leur vol au-dessus des régions que l’aigle fréquente en été, ces oiseaux passent sans s'arrêter, à moins que le mauvais temps et les brouillards ne dérangent leur ligne de bataille et ne les forcent à descendre. Le héron cendré, le cygne sauvage, le canard et l’oie sau- vages, la sarcelle, l’outarde et la cigogne séjournent dans les Pyrénées une partie de hiver. Il y a en France quatre espèces d’échassiers : les pressirostres (à bec serré), les cultrirostres (en forme de couteau), les longirostres (à long bec), et les macrodactyles (à grands doigts). ÉCHASSIERS PRESSIROSTRES. La grande outarde (ofis tarda). L'outarde canepetière (ofis tetrax). L'œdicnème ordinaire (charadrius ædienemus). Le pluvier doré (charadrius pluvialis). Le pluvier guignard (charadrius morinellus ). Le pluvier à collier (charadrius hiaticula). Le vanneau gris (fringa squatarola ). Le vanneau huppé (#ringa vanellus). L'huitrier (kæëmatopus ostralequs ). Le eoure- vite isabelle (eursorius isabellinus ). 314 L'ESPRIT DES OISEAUX. ÉCHASSIERS CULTRIROSTRES. La grue cendrée (grus cinerea). Le héron (ardea picnuta). Le héron cendré (ardea cinerea). Le héron pourpre (ardea purpurea). Le héron à aigrette (ardea rigreta). La petite aigrette ou garzette (ardea qarzetta). Le héron crabier (ardea comata). Le grand butor (ardea stellaris),. Le bihoreau à manteau noir (ardea nycticorax). Le héron, qu’on regardait au moyen âge comme un oiseau peu courageux, ne mérite point cette accusation. Infatigable et affamé pêcheur, il passe sa vie dans la vase au bord des fleuves; mais il ne faut pas l’attaquer, car nul oiseau ne sait se servir plus vaillamment et plus rudement de son bec ro- buste et de ses pattes armées d'ongles redoutables. L’aigle lui-même trouve chez le héron un adver- saire que n’épouvante point la force de son ennemi. Belon raconte que, poursuivi par « le roi des airs, » le héron s’élève dans les plus hautes régions de l'atmosphère. Là il passe son bec dans sa propre aile, et présente à l’aigle ce bec, contre lequel celui-ci vient se percer dans l’impétuosité de son vol. Le naturaliste américain Audubon parle avec un grand enthousiasme du héron du nouveau monde, dont les mœurs, du reste, présentent une grande analogie avec les mœurs du héron français. Cest surtout le bihoreau dont il aime à dire la vie pitto- resque et dramatique. L'ESPRIT DES OISEAUX. 315 Voici dans quels termes il me la disait lui-même, ily à vingt-cinq ans, durant une excursion scien- tüfique que nous fimes ensemble au Canada, et telle qu'il la raconte, à peu près de même, dans son bel ouvrage intitulé : Scènes de la nature. aux États - Unis. « Le héron de nuit ne quitte pas les États du Midi. « On l'y trouve en abondance dans les contrées marécageuses, aux environs des côtes, depuis l’em- bouchure de la rivière Sabine, jusqu'aux frontières est de la Caroline du Sud. Sur toute cette vaste étendue de pays, on peut s’en procurer, quelle que soit la saison. « Les adultes se tiennent moins au sud que les jeunes; et des troupes de ces derniers demeurent tout l'hiver dans la Caroline méridionale. « On les appelle poulets indiens ; les créoles leur donnent le nom de gros bus; les habitants de la Floride orientale, celui de poules indiennes; quant à la désignation plus singulière de qua bird, par laquelle il semble qu'on ait voulu imiter le cri de cet oiseau, elle est généralement usitée dans les États de PEst. « Les hérons, sauf pendant la saison des œufs, se montrent défiants et farouches, surtout les adul- tes; s’en approcher après qu’ils vous ont aperçu, n’est pas chose facile : ils semblent connaitre la distance à laquelle votre fusil peut les atteindre, auettent tous vos mouvements, et, lorsqu'il en est 316 L'ESPRIT DES OISEAUX. temps, s’enlèvent de leur perchoir. Au moindre bruit, 1ls partent tous" ensemble, en battant vive- ment des ailes, comme fait le pigeon commun, et l’on dirait que, dans leur fuite rapide, ils se moquent de votre désappointement. « Au contraire, on les tue sans peine en les épiant aux lieux où ils viennent se reposer pendant le jour. Q Ils y arrivent ordi- nairement seul à seul ou par petites troupes ; et de sa cachette, sous les arbres, rien n’est plus aisé au chasseur que de lestirer à bonne distance, au moment où ils se posent au- dessus de sa tête. Jai connu des personnes qui, de cette manière, en tuaient, à deux, de quarante à cinquante en une couple d'heures. «On peut également en tuer à chaque instant du jour, en les surprenant à l’écart, pendant qu'ils sont occupés à manger, et ©’est une chasse qui m'a fré- quemment réussi dans les diverses parties des États- Unis, même dans les États du Centre. « Cependant les hérons se laissent rarement joindre L'ESPRIT DES OISEAUX. 317 quand ils sont à terre; ils possèdent une ouïe plus fine encore que le butor américain : celui-ci, lorsqu'il entend du bruit, se tapit parmi les herbes, tandis que le héron de nuit s'envole immédiatement. « Le héron bihoreau niche en communauté, autour des étangs dont l’eau est stagnante, près des plan- tations de riz, dans l’intérieur des marais reculés, ou dans la mer, sur quelques iles couvertes d’arbres verts. « Les héronnières sont établies, tantôt parmi les basses branches des buissons, tantôt sur des arbres d’une hauteur moyenne, ou, au contraire, très-élevés, selon que les uns ou les autres paraissent plus con- venables et plus sûrs. « Dans les Florides, les bihoreaux recherchent les mangliers qui penchent au-dessus des eaux salées ; dans la Louisiane , ils préfèrent les cyprès, et, dans les districts du Milieu, les cèdres leur semblent mieux appropriés à leurs besoins. « Dans quelques-unes de leurs colonies, non loin de Charleston, que je visitai en compagnie de Bachman, nous trouvämes les nids placés en bas, sur des buis- sons, serrés les uns contre les autres: les uns à un mètre seulement de terre, les autres à deux à trois mètres, un grand nombre à plat sur les branches; certains, enfin, dans les bifurcations. « On en apercevait plus de cent à la fois, tous bâtis sur la lisière des buissons ét faisant face à la mer. « Les nids que je vis dans les Florides étaient mva- 318 L'ESPRIT DES OISEAUX. riablement placés sur le côté sud-ouest des iles de mangliers, mais plus écartés lun de l’autre; quel- ques-uns n'étant qu’à trente centimètres au-dessus de la marque des hautes eaux, tandis qu’il y en avait jusqu’au sommet des arbres, lesquels, toutefois, ne aépassaient guère six à dix mètres. « Dans la Louisiane, j’en remarquai tout en haut d'immenses cyprès qui n'avaient pas moins de cent pieds ; et à côté étaient les nids de l’ardea herodias, de l’ardea abba, et de quelques anhingas. « Thomas Nutall affirme que sur une île très- retirée et marécageuse, dans l’étang qu’on appelle Freshpond, près de Boston, il existe une ancienne héronnière ; de méchants garnements ont beau dé- rober à plaisir les œufs des pauvres oiseaux, ceux-ci ne se rebutent point, mais se remettent aussitôt à pondre et réussissent ordinairement à élever une seconde couvée. « Le nid du bihoreau est large, aplati, composé de petits bâtons croisés en divers sens et sur une épaisseur de trois à quatre pouces. Parfois il est arrangé avec si peu de soin, que les petits font la culbute en bas, avant de pouvoir voler. « Souvent les oiseaux se bornent à réparer ces nids chaque année, et quand ils ont une fois trouvé quelque position qui leur plait, ils y reviennent pério- diquement, jusqu’à ce qu’une catastrophe les con- traigne à l’abandonner. Ils ont, au plus, quatre œufs. La coquille est mince et d’un beau vert de mer. « Trois semaines environ après leur éclosion, la L'ESPRIT DES OISEAUX. 319 plupart des jeunes quittent le nid, grimpent le long des branches, auxquelles ils s’accrochent, et par- viennent à se hisser jusqu'au sommet des arbres et des buissons, où 1ls attendent que les parents leur apportent de la nourriture. « Si vous vous en approchez dans ces moments- là, votre présence jette le trouble parmi les petits et les grands; le croassement que les uns et les autres ont jusqu'ici continuellement fait entendre, cesse tout à coup; les vieux s’envolent et viennent planer autour de vous, ou se posent sur les arbres voisins, pendant que les petits s'échappent en ram- pant dans toutes les directions et tächent de se sauver. Leur terreur est telle, qu'on en voit qui se précipitent à l’eau, où ils nagent très-vite; bientôt ils atteignent la rive, et courent se cacher partout où ils le peuvent, « Retirez-vous à l'écart, pendant une demi-heure, et vous êtes certain de les entendre s’entre-appeler de nouveau. Leurs cris s'élèvent graduellement, redeviennent bientôt aussi bruyants que jamais. La puanteur des excréments qui recouvrent les nids abandonnés, les branches et les feuilles des arbres et des broussailles aussi bien que le sol; l'odeur fétide qu'exhalent les œufs cassés et les cadavres des jeunes qui ont péri, jointes à celle du poisson et des autres matières, font, d’une visite à une héronnière, une véritable corvée. « Les corbeaux, les vautours et les faucons tour- mentent ces oiseaux pendant tout le jour, tandis 320 L'ESPRIT DES OISEAUX. que les ratons et les autres animaux carnassiers les détruisent à la faveur de la nuit. « La chair des jeunes, tendre, grasse et succu- lente, est aussi bonne à manger que la chair du pigeon, et n’a qu'à un très-faible degré ce goût désagréable qu’on reproche aux autres oiseaux qui, comme eux, se nourrissent de poissons et de rep- tiles. « À cette époque de l’année, on trouve rarement les vieux hérons parés de ces plumes effilées qui leur pendent derrière la tête en forme de léger panache, et ce n’est qu'à la fin de l'hiver suivant qu’elles repoussent ; mais alors elles atteignent toute leur longueur en quelques semaines. € Quand un héron se sent blessé, il cherche d’abord à se dérober parmi les herbes et les brous- sailles, où il se foule dès qu’il a trouvé une bonne cachette. Au contraire, lorsqu'il croit n’avoir aucun moyen de fuir, il s'arrête, redresse son aigrette, hérisse ses plumes et se prépare à la défense, en ouvrant son long bec, dont parfois 1l administre de rudes coups; mais il fait encore bien plus de mal avec ses griffes. Quand on le saisit, il pousse un cri fort, rauque et continu, et cherche à tous moments à s'échapper. » Un autre échassier, la cigogne, ne présente pas, en Europe, des mœurs moins curieuses que le héron en Amérique. Voici ce qu'en raconte M. Martner : « J’habitais à Strasbourg le troisième étage d’une haute maison, et de mes fenêtres j’apercevais cinq L'ESPRIT DES OISEAUX. 324 ou six nids de cigognes; mais d’un vaste grenier, situé au-dessus, : je pouvais VO —=— presque tous = _— ceux de la ville. Ces nids sont tous situés dans le même quar- tier, dans un es- pace assez res- serré, et à l’ouest de la cathédrale, dans un rayon qui ne dépasse pas trois à quatre cents mètres, ce qui indique dans ces oiseaux un esprit de socia- bilité bien pro- noncé. « L'arrivée des cigognes a lieu constamment vers la fin de février, et leur départ dans les premiers jours de Pautomne. Leur ‘premier soin, après avoir pris possession de 4° 322 L'ESPRIT DES OISEAUX. leur demeure, qui paraît être la propriété d’une mème famille, est de réparer les dégâts causés par l'hiver. Les cigognes vont chercher dans la campagne des branchages qu’elles entrelacent très-solidement avec les anciennes constructions, de sorte que les nids ont quelquefois une hauteur de cinquante à soixante centimètres. Ces nids sont placés sur le sommet des cheminées hors d'usage ou couvertes d’un toit plat. Dans les campagnes, les habitants cherchent à les attirer en plaçant sur les cheminées ou sur le pignon de l’église une vieille roue de chariot, et même un petit plancher en bois, pour servir de point d’appui à leurs constructions. « Les cigognes se répandent dans toutes les parties basses de lPAlsace, qui sont couvertes de grandes prairies entrecoupées de cours d’eau, où elles trou- vent facilement leur nourriture. Elle s’arrêtent au pied des Vosges, qu’elles ne dépassent jamais. Cepen- dant il est arrivé une fois qu’un couple de ces oiseaux est venu s'établir à Lunéville, en bâtissant son nid sur la tête d'une statue qui surmonte une tour de l’église principale. Cette statue représente l’archange saint Michel, dont les ailes ont servi à appuyer un des rebords du nid. Cet essai ne leur a pas paru satisfaisant ; car elles ne sont plus revenues. À Sa- verne, au pied de la côte, il existait aussi un nid très-ancien sur la maison qu’'habitait ma famille, et qui était occupé chaque année; mais à la suite d’un feu d'artifice tiré dans le voisinage, elles ont disparu subitement et n’ont plus reparu. J’ignore si, L'ESPRIT DES OISEAUX. 323 à cette heure, une nouvelle famille n’en a pas pris possession. « Pour revenir aux cigognes qui s’abattent sur Strasbourg, j'ai été témoin de plusieurs faits, dont lun prouve qu’il y a entre ces animaux une entente semblable à celle que l’on remarque chez les hiron- delles. Un couple, sans doute jeune et inexpéri- menté, s'était établi sur une cheminée vacante, en face de mes fenêtres; le nid s'élevait rapidement; mais, un jour, une demi-douzaine de cigognes, s’aper- cevant que ce nid se formait aux dépens des leurs, se précipitèrent avec fureur sur le nouvel édifice, en dispersèrent une partie des matériaux, les firent tomber à terre, et en emportèrent le reste dans leur bec. Pour faire ce coup, elles avaient profité de lPab- sence du jeune couple. « Ces oiseaux pondent ordinairement deux ou trois œufs; j'ai vu un nid qui contenait cinq jeunes. A mesure que les petits grossissent, leur appétit devient plus fort, et les parents ontfort à faire pour leur appor- ter la nourriture nécessaire. Un jour, un de ceux-ci arrivant avec la provende, qui paraissait être une couleuvre vivante qui se débattait beaucoup, les petits allongèrent vivement leur bec, chacun d'eux voulant être servi le premier, et piquèrent ou pin- cèrent probablement leur mère. Celle-ci s’abattit sur le nid en piétinant avec colère pendant quelques instants; puis, inclinant la tête de côté, les regarda fixement pendant quelques minutes, comme pour les menacer. Les cigogneaux ne bougèrent pas, se 324 L'ESPRIT DES OISEAUX. tinrent parfaitement tranquilles, et reçurent ensuite avec beaucoup de calme la nourriture que la mère leur distribua également. «€ Quand les petits sont devenus un peu gros, le nid se trouve trop étroit; les parents vont se percher, pendant la nuit, sur le faite des toits voisins. Rien de plus amusant que de voir des enfants s’essayer à voler; ils se dressent d’abord sur leurs longues pattes, battant gauchement de leurs ailes par un mouvement régulier ; puis ils s'élèvent quelque peu avec le même mouvement, et retombent lourdement dans leur nid. Les parents leur avaient enseigné cet exercice par une manœuvre semblable. Au bout de huit à dix jours, ils peuvent prendre leur vol, en augmentant progressivement les distances. Ils ont quelquefois trop présumé de leurs forces; on les relève avec soin pour les mettre dans les cours ou les jardins. En captivité, ils se promènent gravement, mais ne se familiarisent pas. J’ai vu à Saverne, dans un établissement de bains, un de ces oiseaux qui, ayant une querelle avec un chien pour un morceau qu'ils se disputaient, a eu la mandibule inférieure brisée. Le pauvre animal devait nécessairement mourir de faim. Un ferblantier fut appelé, lui fabri- qua un fragment de bec en fer-blanc qui fut rajusté à la partie restante au moyen de petits clous, et dont le blessé se servit fort bien. « Le départ des cigognes a lieu de bonne heure; Je crois que c’est au commencement de septembre. Déjà longtemps avant cette époque les nids sont L'ESPRIT DES OISEAUX. 325 vides; pères et enfants vont passer la journée dans les champs, au bord des ruisseaux, des mares, où ils trouvent de petits poissons, des grenouilles, des souris, de gros insectes, car tout leur est bon: et ils ne reviennent que dans la soirée, où ils vont se percher sur les toits. Quelques jours avant le départ, on voit toutes les cisgognes rangées à côté les unes des autres, sur le toit très-élevé et très-aigu de Péglise appelée le Temple-Neuf, qui sert au culte protestant. On les entend, pendant la nuit, claqueter continuelle- ment de leurs becs, comme pour se concerter; puis, un beau matin, on n’en aperçoit plus une seule: elles sont parties au point du jour. » Après les hérons viennent, dans l’ordre des échas- siers de France, les cultrirostres : La spatule blanche (platalea leucoroides ). La cigogne blanche (ciconia alba). La cigogne noire (ciconia nigra). La cigogne maguari (ciconia maquart). Cette dernière espèce est assez rare en France: 326 L'ESPRIT DES OISEAUX. cependant on en tue presque chaque année quelques individus à l’époque du passage de ces oiseaux. Passons maintenant aux échassiers longirostres. L'ibis vert ou noir (sco/opaxr falcenellus). Le courlis (scolopax aquata). Le petit courlis ou courlieu (sco/opax phæopus). La bécasse ordinaire (scolopax rusticola). La double bécassine (sco/opaz major ). La bécasse sourde (scolopax gallinula). La barge rousse (scolopax limosa rufa). La barge à queue noire (scolopax melanura). La maubèche ou bécasseau noirâtre ({ringa maritima ). La bécasse de Lemmink (fringa Lemminki). La bécasse échasse (tringa minuta) La maubèche canut (fringa cinerea). Le sanderling variable (charadrius calidris). L’alouette de mer ou bécasseau brunette ({ringa anelus). Le bécasseau cocorli (sco/opax subarquata ). Le combattant (#ringa pugnax). Le tourne-pierre à collier (#r#nga interpres). Le chevalier aux pieds verts (sco/opax glottis ). Le chevalier noir ({otanus fuscus). Le chevalier gambette ou aux pieds rouges (fotanus calidris). Le petit chevalier aux pieds verts (fotanus stagnatilis). L'ESPRIT DES OISEAUX. 32 — Le cul-blanc ({ringa ochropus). Le chevalier sylvain ou des bois (hringa glareola). Le chevalier guignette (#ringa hypoleucos ). L'échasse à manteau noir (himantopus melanopterus). L'avocette à nuque noire (recurvirostra avocetta). ÉCHASSIERS MACRODACTYLES. Le râle d’eau d'Europe (rallus aquaticus). Le râle des genèêts ou roi des cailles (ra/lus crex). Le râle tacheté ou marouette (r4/lus porhana). Le baillon (rallus Bailloni). Le râle poussin (ra/lus pusillus ). La foulque commune (/fulica chloropus ). La macroule où morelle (fulica atra). La perdrix de mer ou glaréole (/ulica glareola). La perdrix de mer ordinaire ou glaréole à collier (glareola tor- quata). Le flamant rouge (phœnicopterus ruber). Les palmipèdes, c’est-à-dire les oiseaux qui portent des espèces de palmes aux pattes, pour en unir les doigts et les rendre propres à la natation, se divisent en palmipèdes plongeurs, en palmipèdes longipennes, ou à longues plumes des ailes et grands voiliers, en palmipèdes lotipalmes, c’est-à-dire à palmes très- grandes, et en palmipèdes lamellirostres, c’est-à-dire à bec en forme de lames. PALMIPÉDES PLONGEURS. Le grèbe huppé (col/ymbus cristatus). Le grèbe à joues grises (co/ymbus rubicollis). Le grèbe cornu (co/ymbus cornutus). Le grèbe oreillard (co/ymbus auritus ). Le grèbe castagneux (co/ymbus minor). 328 Le Le Le Le Le L'ESPRIT DES OISEAUX. grand plongeon (colymbus glacialis). plongeon lumme (colymbus arclicus). petit plongeon (colymbus septentrionalis). grand guillemot (co/ymbus troile). guillemot à miroir blanc (colymbus grille). Le pigeon du Groënland ou guillemot nan (co/ymbus alle). Le pingouin ou macareux moine (alca arctica). Le pingouin commun pro- prement dit (alca tordu). Presque tous ces o1- seaux nhabitent la France qu’une partie de l’année , et voyagent d’une contrée à l’autre, selon les changements de température et les saisons. Les palmipèdes longi- pennes, ou grands voi- liers, sont des familiers de la mer, et on ne les rencontre guère que dans nos ports, où ils vivent aux dépens des poissons qu’ils pêchent ou des co- quillages qu’ils ramassent sur les rivages. Le pétrel puffin (procellaria puffinus ). Le pétrel manks (procellaria Anglorum). Le pétrel leach (procellaria Leachit). Le goëland à manteau gris ou bourguemestre {/arus glaucus). Le goëland à manteau noir (/arus marinus). Le goëland à manteau bleu (/arus argentatus). L'ESPRIT DES OISEAUX. 331 La mouette ou mauve à pieds jaunes (/arus /useus). La mouette à pieds bleus (/arus canus ). La mouette tridactyle (/arus tridactylus). La mouette rieuse (/arus ridibundus ). Le stercoraire ou labbe à longue queue (/arus parasiticus). L'hirondelle de mer pierre garin (s{erna hirundo). La petite hirondelle de mer (sterna minuta). L'hirondelle noire de mer (s{erna nigra). L’hirondelle de mer moustac (s{erna leucopareia). L'hirondelle de mer à bec noir (s{erna cantiaca). L'hirondelle de mer tshegrava (s/erna caspia ). Nous voici arrivés aux palmipèdes totipalmes, com- posés d’un seul ordre d'oiseaux, peu communs, et qu'on ne rencontre, pour ainsi dire, que par acci- dent en France. Quoi qu’il en soit, les naturalistes les placent parmi les oiseaux indigènes ; or, dans cette énumération des oiseaux de France, je me contente d'exposer les classifications reçues, sans les discuter. Le pélican ordinaire (pelecanus onocrotalus). Le grand cormoran (pelecanus carbo). Le cormoran nigaud ou petit cormoran (pelecanus graculus). Le fou de Bassan (pelecanus Bassanus ). Les palmipèdes lamellirostres sont, au contraire, nombreux et presque vulgaires ; car plusieurs appar- tiennent aux espèces domestiques. Le cygne sauvage (anas cygnus ). Le cygne tuberculé (anas olor). L’oie des neiges (anas kyperborea). L'oie vulgaire (anas anser ). L'oie sauvage (anas segetum ). L'oie rieuse (anas albifrons). L'oie bernache (anus leucopsis ). L'oie cravant (anas bernicla). 332 Le La Le Le Le Le Le Le Le Le Le Le Le Le Le La La Le L'ESPRIT DES OISEAUX. canard macreuse (anas nigra). double macreuse (anas fusca). canard eider (anas mollissima ). canard arlequin (anas histrionica ). canard garot (anas clanqula). canard milouin (anas frina ). canard siffleur huppé (anas rufina). canard millouinan (anas marila). canard morillon (anas falegina). canard souchet (anas clipeata). canard tadorne (anas tadorna). pilet ou canard à longue queue (anas acuta). canard sauvage (anas boschas). canard Chipeau ou ridenne (anas strepera ). canard siffleur (anas penelope). sarcelle ordinaire (anas querquedula). petite sarcelle (anas crena). grand harle (#1erqus merganser ). Le harle huppé (s#nerqus serrator). Le petit harle ou harle Piette (#erqus albellus ). CHAPITRE XVII La basse-cour. — Ses drames et ses merveilles. — Une buse et une oie. — Olivier de Serres. Je n’ai pas voulu interrompre cette dernière liste, pour vous raconter quelques détails de mœurs assez curieux, et qui se rattachent à la fois à l’histoire des oiseaux de proie et à celle des palmipèdes lamel- lirostres. N’allez pas croire que les naturalistes ne sachent point, quand ils le veulent, se donner le spectacle émouvant de drames bizarres et féconds en sur- prises, et savamment machinés à rendre jaloux M. Dennery. Un ornithologiste, qui habite près de la forêt de Fontainebleau, vient de me raconter un roman réel, que je veux vous redire, et qui produira, je le tiens pour certain, un peu de l'émotion que je ressens encore en prenant ma plume. 334 L'ESPRIT DES OISEAUX. Cet ornithologiste avait remarqué, tout près d’un petit étang, au plus touffu des rameaux d’un chène, le nid d’une buse. L'oiseau de proie, chaque soir, au moment où paraissait le crépuscule, se mettait en chasse avec sa femelle, s'élevait dans les airs, y virait où y planait et se laissait tomber tout à coup sur les mulots, les couleuvres et les autres petits animaux qui profitaient eux-mêmes de la tombée du jour pour sortir de leur refuge et se procurer leur souper. Bientôt le mâle seul se montra au dehors du nid; la femelle ne lPaccompagnait que rarement, et se hâtait de retourner chez elle. L’ornithologiste en conclut qu’elle avait pondu et qu’elle commençait à couver. Cette réflexion lui vint tandis qu'il se promenait dans sa basse-cour, au milieu des poules, des ca- nards et des oies. Tout à coup une pensée bizarre lui passa par l'esprit : il prit quatre œufs d’oie, les enveloppa soigneusement de son mouchoir, arma ses jambes de ces crochets de fer dont les bücherons se servent pour grimper aux arbres, et se mit à escalader bra- vement le chêne jusqu’à la hauteur du nid des buses, qui se trouvaient en ce moment toutes les deux en- trainées par la chasse d’une bande de moineaux à trois ou quatre cents mètres de là. Il prit les œufs blanchâtres et tachetés de jaune, qui reposaient douillettement dans le nid, sur une couche de laine et de plumes, y substitua les œufs Para 2 cf 2 L'ESPRIT DES OISEAUX. 335 d’oie qu’il avait apportés, et se hâta de regagner terre. Il était temps; les deux buses, gorgées de butin. revenaient à tire-d’aile. Rentré dans sa basse-cour, il plaça les œufs qu'il venait de conquérir dans le coin du poulailler, où une oie avait pondu les œufs qui maintenant se trouvaient dans le nid des buses. Après quoi il monta sur le toit de sa maison, dis- posé en observatoire, et braqua un télescope, qui s’y trouve à demeure, vers le chêne des buses. Les deux oiseaux parurent d’abord s’apercevoir qu'on avait touché à leur nid. Ils tournoyèrent avec inquiétude pendant quelques secondes avant que d’y entrer ; la femelle la première y pénétra, retourna deux ou trois fois avec son bec les œufs de loie, finit par se coucher dessus, et recommenca à couver. Il en fut de même dans la basse-cour. L’oie se mit consciencieusement à la besogne, et couva sans soupçonner la substitution d’œufs dont elle était vic- time. Plusieurs fois chaque jour, le naturaliste plaçait son œil droit sur le télescope, et voyait où les choses en étaient sur le chêne et comment elles S'y pas- saient. Un matin, jugez de son émotion, il aperçut dans le nid quatre petits oisillons. Tandis que le mâle veillait sur une branche voisine, la buse femelle s’abattit sur l'étang, y prit dans ses serres une poignée de têtards de grenouilles et les apporta à ses soi-disant petits, qui les arrachèrent à 336 L'ESPRIT DES OISEAUX. la buse, les froissèrent dans le nid, et, après une courte lutte, engloutirent cette nourriture, appro- priée par hasard à leur nature. Chaque soir et chaque matin, la buse continua le même manége. L’étang s’étendait, pour ainsi dire, au pied du chêne, et foisonnait de têtards et de petites grenouilles ; il suffisait à la nourrice de baisser son bec ou d'ouvrir ses serres pour en récolter à foison. Tout allait donc au mieux, quand, à trois ou quatre jours de là, les oies nouveau-nées commen- cèrent à éprouver une agitation qui causait à leur mère supposée autant de surprise que d'angoisse. Elles se penchaient sur le bord du nid et poussaient des cris mélancoliques, en remuant les ailes et en tendant le col vers l’étang. Si bien qu'une fois le plus fort des poussins n’y tint plus, s’élança, ouvrit ses ailes en guise de parachute, et tomba, un peu étourdi, dans les hautes herbes; il ne lui fallut pas longtemps pour se remettre. Il se releva bientôt, courut à l’étang et s’y mit à barboter avec un bon- heur ineffable en appelant ses frères par des cris de joie. En voyant le petit qu’elle avait couvé courir vers l’eau fort profonde de létang, la buse s’élança à tire-d’aile et voulut arrêter l’imprudent, qui nageait avec plus de volupté que jamais. Il virait de droite et de gauche ; il naviguait la queue au vent et les ailes à demi étendues, sans tenir compte de sa nourrice, qui rasait l’eau, jetait des cris d’alarme et suppliait le nageur de revenir à terre. pe TR, LU, © L'ESPRIT DES OISEAUX. 9937 37 Une fois même elle voulut employer l'autorité, et se rua sur le désobéissant pour le saisir de ses serres, l'enlever et le ramener au nid; mais l’oie plongea, disparut sous l’eau et ne revint se montrer qu’à dix pas de l'endroit où elle avait disparu. La buse, consternée, retourna à son nid. Hélas ! elle y trouva la sédition. Les frères du fugitif avaient entendu les cris qu'il poussait en se baignant dans la mare. Ces cris éveil- laient puissamment en eux l’instinct aquatique, Ras- semblés sur le bord du nid, ils canetaient d’une ma- nière bien humiliante et bien affligeante pour les oreilles de l’oiseau de proie. Une sorte de lutte s’engagea entre les petits révol- tés et la buse; puis, la colère et la résistance faisant disparaitre la peur qui les retenait encore au logis, ils s’élancèrent tous les trois, arrivèrent et coururent rejoindre leur frère dans la mare. Alors la douleur de la buse ne connut plus de bornes, et elle s’élança dans l'étang à la poursuite des fusitifs. Elle battait l’eau de ses longues ailes, elle jetait des cris dont l’observateur se sentait ému, tant le désespoir et la maternité y parlaient hautement. A la fin, et après une lutte et des supplications de plus d’une heure, ses pattes s’embarrassèrent au milieu des herbes de l’étang. Brisée par la fatigue, elle s’empêtra de plus en plus dans ces herbes et dans la vase, et elle finit par rester immobile et inanimée à côté des oisillons , qui se mirent insoucieusement à becqueter les plumes de celle qui était morte par amour pour eux. 15 338 L'ESPRIT DES OISEAUX. Cependant Poie à laquelle on avait confié dans la basse-cour les œufs de la buse, les couvait avec sollicitude et comme s'ils eussent été pondus par elle. Un beau matin, pendant que le naturaliste exa- minait de sa fenêtre les volailles qui s’ébattaient sur le fumier, autour d’une sorte de petite mare, il vit la couveuse sortir tout à coup du nid qu’elle s’était construit dans un des angles du mur, qu’abritait un auvent en bois. Quatre petites buses couvertes d’un duvet blan- châtre ouvraient leurs larges becs jaunes, et pous- saient des cris significatifs de bon appétit. L’oie, en entendant ces cris, s’était élancée de son nid. Plongée à demi dans la mare, elle appelait les nouveau-nés, et les conviait à venir avec elle prendre les plaisirs du bain. Les buses ne bougeaient point de leur place, par la raison bien simple que leurs pattes se trouvaient encore trop faibles pour sup- porter leurs corps et qu’elles ne comprenaient rien d’ailleurs aux appels de leur soi-disant mère. L’oie, impatientée, quitta la mare, s’approcha de la nichée et finit par soulever les oisillons à l’aide de son bec Ils se prirent à crier de plus belle, mais sans faire nn seul pas. Cependant l’oiseau aquatique, par un coup d’aile, dispersa les petites buses, les flaira de son bec une à une, les tourna, les retourna dans tous les sens, et les examina avec une attention mêlée de sur- prise. L'ESPRIT DES OISEAUX. 339 Quand elle se fut bien convaincue que les poussins qu'elle avait couvés n’appartenaient pas à son espèce, et qu’elle se trouvait victime d’une supercherie, elle se rua sur les quatre pauvrets, les frappa à Coups de bec, les écrasa sous ses pattes palmées, les saisit lun après l’autre, et alla les jeter dans la mare où elle acheva de les tuer. Après quoi, elle les plongea, les détrempa long- temps dans l’eau, et finit par les dévorer. 340 L'ESPRIT DES OISEAUX. Ainsi l’oiseau de proie mourut victime de ses illu- sions maternelles, et l’oiseau de basse-cour prit bru- talement son parti de la déception causée par sa couvée hétérogène, Ce n’est guère là un plaidoyer bien en faveur de la civilisation des bêtes. Puisque nous voilà dans la ferme et dans le pou- lailler, laissez-nous vous montrer encore les galli- nacés , faisant le profit et la gaieté de cette ferme, tels que les dépeint, dans son Théâtre de l'agriculture et Mesnage des champs, le seigneur du Pradel, Olivier de Serres. Il commence par recommander méticuleusement tous les soins qu’exige la poulaille commune et la facon de son logis, pour employer ses propres ex- pressions. « Afin que nostre maison contienne non-seulement ses né- cessitez, mais aussi quelques délices et voluptez, telles qu’'hon- nestement on les peut souhaiter : après l’auoir fournie du principal bestail, ensuite nous la meublerons de l’autre : dont l’ornement est en augmentation de reuenu, assauoir de toutes espèces de volailles. « La nourriture de la poulaille est si vulgaire, qu’il semble estre chose inutile d’en traiter particulièrement, estans doctes en ce gouuernement les plus simples femmelettes, car il n’y a tant pauvre metairie, où la poulaille ne face la premiere nourriture. Néantmoins, ès diuerses obseruations, mieux en- tenduës en vn endroit qu’en autre, representées à nostre mere de famille, à laquelle proprement ce negoce appartient ; tous- jours apprendra-elle quelque chose, pour rendre ceste sienne nourriture plus fructueuse. « Est à noter qu'il y a plusieurs et diuerses races et especes L'ESPRIT DES OISEAUX. 341 de poulaille, domestiques et estrangeres, dont se compose ceste nourriture, lesquelles est besoin de discerner pour les gouuerner toutes selon leur particulier naturel, Les poules domestiques ou communes sont celles dont de toute ancien- neté la race en est entre nous, differentes néantmoins en quelque chose entre elles, comme en grandeur de corps, en couleur, quantité de pennage ; non pourtant, de diuers natu- rel, ayant toutes tres-bonnes, ne cedans en delicatesse à nulles autres, et dont les œufs sont les premiers en santé. Touchant les estrangeres, celles d'Inde, appelées Maléagrides, sont les plus cogneuës, naturalisées en ce Royaume, depuis quelque temps , desquelles la conduite s’est renduë aisée par vsage. Après sont les Gelinotes, dites de Numidie, especes de faisan, puis les poules d’eau, le héron, l’otarde, le halle- bran, l’aigrette. Aussi d’autre volaille nourrit-on, comme perdrix, sarcelles, griues, cicoignes et gruës, et semblables, passageres, aquatiques et terrestres; toutes fois auec diffi- culté : mais c’est aussi pour grands seigneurs qui regardent plus au plaisir qu’au profit, sans se soucier de la despence. Les cygnes et paons ne seront reiettés, par estre esleuables, diuersement néantmoins, pour la diuersité de leur naturel, car non sans grande peine esleue-on le cygne en lieu qu'il n’ait accoustumé : mais le paon, facilement presque partout. 342 L'ESPRIT DES OISEAUX. Quant à la volaille aquatique, outre le cygne c’est l’oye et les canes communes et d'Inde, qui y tiennent le principal rang, desquelles deux dernieres sort vne troisiesme bastarde race quand le canard d’Inde et la cane commune s’accouplent en- semble. | « Est nécessaire, pour un prealable, donner logis commode à chacune espece de ces volailles, sans lequel elles ne profite- ront à moitié de leur deuoir : d'autant que ces bestes, petites ou grandes, ne peuuent que mal-aisement subsister parmi l’autre bestial, s’en perdant tousiours quelqu’vne en trepi- gnant et mordant, le fort opprimant le foible. Les plumes et le fiens de la volaille sont pernicieuses à toute sorte de bestial gros et menu : pour laquelle considération doit-on separer ces animaux-Ci d’auec les autres; afin que chacun soit logé à l’aise et à part. Joint que ceste raison s’y adjouste, que les œufs en ce meslange sont subjets à se perdre : d’autant que les bestes les cassent, les mangent, et les larrons les desrobent, chose notable, pour ne se priver de telle commodité, premier reuenu de la poulaille et de la cane commune. « Selon l’ordonnance des antiques , nos geliniers ou pou- laillers auront leurs principales veuës tournées vers l’orient d’hyver, afin que la poulaille soit eschauffée du soleil à son leuer. Et si voulons du tout suiure leur avis, joindrons les poulaillers au four , ou à la cuisine; en les accommodant de telle sorte, que la fumée en sortant penetre jusqu’à la pou- laille, pour leur santé. Ce conseil n’est receu, pour plusieurs incommoditez que la poulaille apporte dans la maison, la sa- lissant de la fiente, et l’importunant par sa crierie : pour la- quelle cause la logerons-nous tant loin qu’il est possible de l'habitation des hommes. Ce sera donques en la prairie des estableries la plus esloignée de la maison que dresserons nos poulaillers; en lieu toutesfois le plus chaud que pourrons choi- sir. Nous en bastirons trois ou quatre contigus et arrangez de suite, l’vn joignant l’autre (et tous ensemble, en l’aspect du ciel cy-dessus noté) c’est assauoir, vn pour chacune espece L'ESPRIT DES OISEAUX. 343 de poulaille; afin que toutes soyent logees selon leur desir, Pour les oyes et canes, vn seul suffira à cause de la sympathie de leurs mœurs : ou ce seroit que la grande quantité qu'au- riez de telle volaille aquatique meritast de leur faire un tect à part pour chacune de ses especes. Des communes et de celles d'Inde, n’est de mesme, pour la difference de leurs com- plexions, mal-aisement se compatissans. Tres-bien des coqs, chappons et poules communes , lesquelles se juchent ensem- blement , n’estant possible de les separer la nuict, vivans le jour en compagnie, par estre tous de mesme genre, quoyque de divers sexe. Néantmoins , les chapons prejudicient gran- dement aux poules, leur empeschant de faire des œufs en abondance : tant en les chauchans , qu'’affamans par leur con- tinuelle frequentation. À quoy le seul remede est la separa- tion , les faisans vivre en terroirs distincts, et diuerses metai- ries appartenantes à vn mesme maistre : où sans s’importuner les vns les autres, les chapons à vn costé, et les poules de l’autre, se maintiendront tres-bien : mais ce sera sous tel de- partement, de loger les poules près de la maison, pour le res- pect des œufs, qui mieux se conserueront, que moins seront esloignez de la mere de famille, laquelle pour la facilité de traicter ses poules de l’œil les fera abondamment fructi- fier. -« Aucune sujection n’y a-t-il touchant la figure et capacité des poulaillers , estant en la liberté d’vn chacun de les dispo- ser à son plaisir, pourueu qu'ils n’excedent en petitesse. De huit ou neuf pieds de quarreure dans œuvre et peu moins de hauteur sera la raisonnable capacité d’un chacun poulailler : lesquels pour le meilleur on voutera par le dessus, attendu que la poulaille sera plus chaudement en hyuer, et plus frais- chement en esté, et moins importunée de souris, belettes, fouines, semblables bestes, sous les voutes que sous les plan- chers, ne simples couuertures. Des fenestres pour donner jour et entrée à la poulaille dans les geliniers, seront faites et accommodées selon chacune espece, comme sera monstré, 344 L'ESPRIT DES OISEAUX. Et particulierement, en chacun poulailler aura vne porte pour les personnes y allans et venans : laquelle on asserra où le mieux s’accordera, car en cela n’y a aucune sujection, horsmis touchant l'aspect du septentrion, lequel conuient euiter à cause des froidures. « Les murailles en seront de bonne estoffe, bien basties et maçonnées, proprement blanchies et dehors et dedans. En leur espesseur seront espargnez des trous pour les nids de Ja volaille : et joignant iceux pressez leurs juschoirs, qu’on dis- posera selon le particulier desir de chacune espece, ainsi qu’on verra cy après. Outre lesquelles retraites est besoin faire des petits cabinets dedans la maison ou ailleurs, en endroit chaud, pour y mettre couuer les poules et y esleuer les poussins de toutes sortes et especes; jusqu’à ce que fortifiez, puissent mesler auec les autres de plus grand aage, et qu’exemps du danger d’estre foulez aux pieds et par les hommes et par les bestes, ou mangez par chiens et pourceaux, selon leur incli- nation, puissent seurement s’agrandir. Au défaut desquels cabinets, seruiront les grandes cages, à ce proprement accom- modées. « Au logis de ceste sorte poulaille, aura deux ouvertures du costé de lorient d’hyver; l’une sera vne fenestre large d’vn pied, et longue de deux, pour esclairer le dedans, à quoy telle mesure suffira. Laquelle fenestre, pour seureté, sera ferrée auec des barreaux de fer mis dans l’espesseur du mur, et au devant d’iceux plaqué un petit treillis de fer d’archail, fait à la facon de cage, pour empescher l’issuë à la poulaille et l’entrée aux rats, fouines, bellettes et semblables ennemis des poules. L’autre ouverture servira d'entrée et de sortie à la poulaille, qu’à telle cause l’on fera à la proportion de leur corps, qui pourra estre de huit à neuf poulces en quarreure : pour monter à laquelle, on y accommodera au devant une eschellette portant plusieurs petits degrez, par lesquels la poulaille se rendra aisement dans le gelinier. Telle entrée fermera on à clefs tous les soirs, la poulaille estant retirée , et L'ESPRIT DES OISEAUX. 347 tous les matins ouverte pour l’en faire sortir, et donner les champs pour paistre, auquel temps sera facile de recognoistre ce bestail-là en sortant de rang, et là-dessus faire son compte Environ six pieds sur Ja chaussée ou le pavé du dedans, sera posee ceste entrée, qui peut revenir à la hauteur d’un homme depuis terre. Et justement à son niveau, assera on le juschoi sur lequel les poules dès leur entrée se rendront sans monter ne descendre : et de là, par mesme aisance, aux trous et nids, pour aller pondre, qu’à telle cause l’on fera joignant le jus- choir. Il sera composé de perches de bois esquarries, pour mieux la poulaille s’y affermir, qu’estans rondes ; les- quelles perches ne seront espargnées en ceste œuvre, à ce que le juschoir estant fait bien à profit, contienne toute vostre poulaille. « Voilà le logis préparé; reste maintenant à le meubler au meilleur bestail qui sera possible, La plus souhaitable race des poules est celle qui, avec la délicatesse de la chair, fournit les œufs en abondance, la pluspart des saisons de l’année. Telles qualitez se trouvent le plus souvent en celles qui sont de moyenne corpulence, qu’es autres trop grandes ou trop petites, et ès noires et tanées qu’ès blanches ,emplumées de couleur claire. Les noires par-dessus les autres sont louës des medecins, pour la qualité de leurs œufs, qui sont fort sains, et de la mesnagere pour l’abondance : attendu que les poules de pennage noir sont plus joyeuses et robustes que celles de blanc. Pour ceste cause aussi sont moins prisees les blanches, qu’elles sont plus sujettes aux oiseaux de proye que les noires, par facilement se descouvrir de loin leur couleur. La creste pendante d’un costé est signe certain de fertilité ; la couleur jaune ès pieds et jambes, de delicatesse et santé de la chair. « En outre choisirons-nous la poule tenant des qualitez du coq, le plus que faire se pourra representées comme s’en- suit : « Que le coq soit de moyenne taille, toutefois plus grand 348 L'ESPRIT DES OISEAUX. que petit : de pennage noir ou rouge-obscur : ayant les pieds gros, garnis d’ongles et de griffes, avec les ergots forts et ace- rez : les jambes fortes, et tout cela de couleur jaune: les cuisses massives et fournies de plumes : la poictrine large : le col eslevé et fort garny de plumes de diverses et variantes couleurs, comme dorées, jaunes, violettes et rouges : la teste grosse et eslevée , la creste rouge comme escarlate, grande, redoublee, crepelüe : le bec gros et court : les yeux noirs et brillans : les aureilles larges et blanches : la barbe longue et pendante, les aisles fortes et bien fournies de pennage : la queuë grande et haute, la portant redoublée par-dessus la teste, si toutefois il a queuë : car des esquenez s’en trouve de fort bons, Sera aussi le coq eueillé, courageux, remuant, ro- buste, prompt à chanter, affectionné à défendre ses poules et à les faire manger. « Ceste est la plus commune poulaille et dont le profit est asseuré , laquelle l’on accompagnera de celle de la grande sorte presque eplumée, pour avoir des grands chapons, comme ceux du Mans et de Laudunois; de naine et petite aussi, pour l’abondance des œufs; de frisée et semblables plaisantes à voir, pour la diuersité, et avec ce utiles. » On ne saurait assurément rien lire de plus char- mant, et Buffon lui-même n’atteint pas à la naïveté et au charme du tableau que je viens de mettre sous VOS Yeux. « La mere de famille, continue Olivier de Serres, pour son soulagement, commettra au gouvernement de sa poulaille Ja plus experte et diligente de ses servantes, se reservant toute- fois la principale intelligence de ce negoce. Laquelle servante, par charge expresse, aura le soin de nourrir la poulaille, l’en- fermer, l’ouvrir et souvent recognoistre : et en somme sans obmission d’aucun article, concernant telle fatigue , conduira la volulle. Comme, de retirer les œufs des poules de jour à TT Il | jus | HAN th NA fr ll Mill {LU al & L'ESPRIT DES OISEAUX. 351 autre, pour les serrer à part, separement par journées, sans se confondre, afin de distinguer les frez d'avec les autres , et employer selon les divers usages qu’on desire, De nettoyer les gelines chacune semaine une fois, sortant les fumiers de tous les endroits d’iceux, jusques aux juchoirs, eschelettes, et montées, afin qu’une saleté n’y séjourne. De les parfumer souvent avec des herbes odorantes ; y faisant quelques fois brusler dedans de l’encens, du benjoin, et semblables drogues, pour en chasser le mauvais air et maladie. Tout d’une main, rafreschira les nids de nouvelle paille, avec la vieille , sortant de dehors les puces, poux et autres bestioles nuisibles à la poulaille : ou plustost se servira-elle du foin, par n’estre si sujets engendrer vermine que la paille, et plus qu’elle estre mol et chaud, au soulagement de la poulaille : laquelle par tel ordre sera maintenue en bon estat, pour en tirer le ser- vice tel que raisonnablement l’on en espere. « Les poules ont ceci de commun avec les autres revenus de la terre, que d’avoir gayement leur particuliere saison de pondre. Les poules de robuste nature, en pays chaud et tem- peré, font des œufs plus longuement que les debiles, en froid. À toutes lesquelles le froid est contraire, cessanis de faire des œufs alors que l’hyver se renforce. Il est vray qu’'estant en plusieurs choses admirable l’artifice de l’homme; en cet en- droit aussi il y a moyen de contraindre les poules à pondre en hyver, presque contre le commun ordre. À cela trois choses concourent : la force de la poule, le lieu de la garde, et la viande dont elle est nourrie. Quelque petit nombre de poules bien marquées et choisies de moyenne corpulence et d’aage, seront enfermées dans une chambre chaude et claire. Là seront grassement nourries avec mangeaille propre à vostre intention. L’orge, bouilly et baïllé chaud, y est bon; l’avoine crouë aussi, la graine et l'herbe appelée esparcet : les miettes venant directement de la table; toutes sortes de criblures de blez : mais par sur toutes ces choses, la graine de cheneuy est de grande efficace à eschauffer les poules, non pour les 352 L'ESPRIT DES OISEAUX. en nourrir entierement (car la viande serait trop chere) ains pour leur eueiller l’appétit, les en paissans par fois. On se prendra garde qu’elles n’ayent faute de ces viures; que l’eau nette et claire leur abonde aussi ; que le fumier soit souuent osté, et la paille de leurs nids de mesme remuée. « C’est une trop grande curiosité que de faire esclorre les œufs de poule, sans les mettre couuer sous aucune volaille. Cela se fait néantmoins en vn petit fourneau, à cela accom- modé et eschauffé par le dessous d’vn feu continuel, esgal et non trop fort : duquel les œufs sont eschauffés, et dans dix- huit ou vingt jours les poussins en sortent avec esbahisse- ment. Le fourneau est de fer ou de cuiure, vouté en rond par le dessus, à la manière de ceux à cuire le pain : paué de mesme matière, droitement et sans aucune pente, comme vn plancher. Dessus lequel sont arrengez les œufs, entre-meslez auec de la plume, et couuerts d'vn oreiller de plume bien mollet. Le feu continuel et esgal est donné à tout le fourneau par quatre lampes tousiours allumées, posées de telle sorte, que leur flamme touche le dessous du dit plancher, qui la communique à tout le fourneau et aux œufs qui sont dedans, lesquels sont aussi eschauffez par la reverberation dudit four- neau. Pour plus grande aisance, faudra que le dessus du four- neau soit tout d'vne piece, en forme d’vne cloche en timbre, vn peu platte, ayant vn petit anneau en la sommité du dehors, pour la retirer estant eschauffée, quand on voudra remuer les œufs; ce qu’il faudra faire vn couple de fois durant la couuée… Faudra aussi que le plancher estant de figure ronde , enuiron d’vn pied de diametre, aye sur sa circonference au bord un rehaussement d’vn poulce de haut, et qu'il soit tellement espais, qu’vn petit canal y puisse estre fait, dans lequel on vienne à fourrer le dessus du fourneau iustement de part et d'autre. Ainsi par artifice l'esprit de l'homme supplée à vn besoin au defaut des poules : pouuant par ce moyen faire sans elles en tout temps, ce qu’en un certain temps seulement Na- ture nous permet faire auec elles. Les poulets ainsi esclos for- L'ESPRIT DES OISEAUX. cement sont suiets à defluxions et rheumes, et par ainsi difi- ciles à esleuer; à cause de quoy en faudra auoir beaucoup plus de soin en leur premiere ieunesse, que des naturels, pour les faire venir en leur parfait accroissement. Cecy ne sera sans merueille. En l’histoire du royaume de la Chine, escrite par Jean Gonçales, Espagnol, est monstrée la façon que les gens du pays tiennent pour auoir des canars sans mere couuant. Ils en mettent des œufs parmi du fumier, et sans autre moyen, dans certain terme retirez de là, sont dou- cement cassez, l’un après l’autre : de chacun sort un petit caneton qu'après l’on nourrit et esleue dans des cages. Cela se fait durant l’esté : si c’est en hyuer, l’on y aioute le feu, l’accommodant à cela pour fortifier la chaleur du fumier. En Egypte, vers le grand Caire et ès villages tirans de là à la mer Rouge , font esclorre des œufs de poule dans des fours à ce appropriez. On mesle parmy les œufs du fien de chameau , dont la chaleur auec celle du feu mis au dessous le fourneau , en font sortir des poulets dans vingt iours, qu’ensuite l'on nourrit sans mere. Mais souuentes fois auient, que les poulets 354 L'ESPRIT DES OISEAUX. naissent difformes, deffectueux ou sur-abondans en membres, iambes, aisles, crestes, ne pouuant tousiours à l’artifice imiter entierement la Nature. « Encores peut-on descharger entierement toutes les poules de telle conduite, en subrogeant aux chapons, à cela tres- propres, y estant dressez vne fois. On choisit vn chapon de grand corps, assez ieune et bien eueillé, on luy plume le ventre, après on le luy frotte auec des orties picquantes : puis le chapon est enyuré avec des souppes au vin, faites de pain blanc et fort vin rouge, dont on lui baille manger tout son saoul. Ce traictement luy est continué par deux ou trois iours, pendant lesquels on le tient emprisonné dans une petite casse de bois, fermée auec son couuercle , mais esuentée par trous et fentes, afin que le chapon n’y estouffe. De là on le remuë dans une cage, enluy donnant pour compagnie, vn couple des poulets ja grandets , lesquels par manger et frequenter en- semble, le chapon caresse iusqu’à les couurir de ses aisles. Et telle approche des poulets joignant le ventre plumé du chapon en la cuisson procedante des orties, apporte soulage- ment au chapon : si que donnant aux poulets son entiere gue- rison , qui auient à la longue, il les prend en amitié; voire telle qu'il ne les abandonne nullement, craignant que par leur absence son mal reuienne. Ce que voyant on augmentera le nombre des poulets, mais peu à peu, d’heure à autre, iusqu’à ce que toute la bande soit complette, de laquelle on veut que le chapon soit capitaine, Lequel, après vn couple de iours qu'il aura accoustumé ses poulets au logis, les sort en la campagne, où il les conduit auec toute affection et sage dexte- rité, estant continuellement aux escouttes, pour les défendre selon les occurrences, et en action pour les faire paictre, les promenant unis ensemble, à ce que mal ne leur aduienne. Et luy dure telle amitié fort longuement : car il ne les abandonne du pied ne de l'œil iusqu’à ce qu’ils soient du tout grands, les cochets conuertis en chapons, et les poulettes facent les œufs. L'ESPRIT DES OISEAUX. 355 «Or comme la meilleure conduite des poulets appartient au chapon, aussi la plus profitable couuée est deuë à la poule d’Inde : laquelle pour son grand corps comme grande quan- tité d’œufs de poule commune, par sa grand chaleur, les eschauffe très-bien, et par sa constance, ne les abandonne jamais : si que toutes telles qualitez assemblées causent la naissance de plusieurs poulets à la fois : lesquels par après baillez à conduire au chapon, ne peuvent faillir de faire bonne fin. Geste estant la quinte -essence du gouvernement de la poulaille commune, pour la faire abonder en la maison, que la poule commune n’estant employée qu’à over, par conse- quent rend des œufs en grande abondance, et ensuite la pou- laille en procede, comme dit est, par la suffisance de la poule d'Inde et du chapon. » Je voulais seulement extraire quelques fragments de cet adorable chapitre d'Olivier de Serres sur la poulaille, comme il l'appelle, et voici qu’entrainé par le charme de ce chef-d'œuvre naïf et gracieux, je le reproduis tout entier, sans pouvoir me résoudre ni à le morceler, ni à l’interrompre, Je le tiens pour certain. Personne ne s’en plaindra, et moi moins que tout autre. En effet, j'imite l’hirondelle dont parle Plutarque, qui avait bâti son nid entre les pieds mêmes d’une statue de Minerve. On épargnait le logis de l’oiseau à cause de la déesse, et peut-être épargnera-t-on mon livre à cause d'Olivier de Serres. FIN. CHAPITRE I Qu'il n’est pas besoin de sortir de Paris ni même de son cabinet de travail pour étudier les oiseaux sur le vif, — Que les bêtes pensent. — Les oiseaux de ma maison. — Les moineaux. — Leur nid. — Les hirondelles et leur maçonnerie. — Leur chirurgie et leurs panse- ments. — Expropriation forcée. — Une attaque à patte armée. — 1 Conseil de guerre. CHAPITRE II Sommation de livrer la place. — Siége en règle. — Contre-escarpe. — Un tombeau muré. — Prisonniers délivrés. — Un pacte d’amitié. — Qu'il ne faut point faire attendre des moineaux qui ont faim. — Les moineaux navigateurs. — Charité d’un moineau. — La perruche de M. Ado!phe Sax. 18 ds CHAPITRE III Passions et vices des moineaux. — Aventures d’un friquet et d'une petite fermière. — Un moïneau qui disparait. — Une perruche. — Évasion d’un prisonnier. — Combat. — Meurtre. — Justification agricole des moineaux. — Une loi du grand Frédéric. — Les tèles 338 TABLE. des moineaux mises à prix. — Leur réhabilitation. — On les ra- mène en Prusse à prix d'argent. — Florent Prévost et les gésiers des moineaux. — Illustres défenseurs de ces oiseaux. — Injustice de Mahomet envers eux. — Le moineau suit l'homme partout. — L’hirondelle. — Ses émigrations. — Où vont-elles? — Erreurs à COUSDjEE "0 RE CN EE FE nl CHAPITRE IV L Une erreur populaire et scientifique réfutée par Pallanzani. — Pêche aux hirondelles. — Un nid dans un tiroir. — Un nid sous la roue d’un steamer. — Un nid sur le fil d’une sonnette. — Le naturaliste Audubon et les hirondelles d'Amérique . . . . . . . . 41 CHAPITRE V Le respect des morts. — Les martinets. — Un oïseau qui ne peut s'envoler. — Le grand martinet à ventre blanc. — Ses mœurs. — Sa présence annonce dans le Midi un hiver rigoureux. . . . 53 CHAPITRE VI Le serin. — La cage de la mansarde. — Les petits. — La mar- chande de mouron. — La mère Rose. — Walter Raleigh et la reine Élisabeth d'Angleterre. — Transformation des serins. — Un serin envolé. — Le cini de Provence. — Les médecins de serins. — Un harasde Serms ee. eo UN ON NOR PR NT CHAPITRE VTT Le bouvreuil. — Son prix. — Moyen de le faire chanter. — Les bouvreuils tyroliens. — Leur légende. — Le marchand d'oiseaux. — M. de Rothschild. — Le mariage aux oiseaux. — Différentes espèces du bouvreuil. — Mariage du bouvreuil et du serin. — Un bouvreuil au lycée de Douai. — La liberté ou la mort. — L’hor- loge onto rique dns. RP RE dE RC TABLE. 359 CHAPITRE VIII Les pigeons ramiers. — L’inconnu des Tuileries. — Un ami perdu et une amie retrouvée. — Mœæurs du ramier sauvage, — Les ramiers en Amérique. — Récit d’Audubon. — Des nuages de pigeons. — Leur nombre. — Ce qu’ils consomment de nourriture par jour. ICS HELSICHINOIS ce ce - 0) CHAPITRE IX Le merle Jeannot. — La folle aux oiseaux. . . . . . . . 122 CHAPITRE X Le corbeau. — Ses mœurs. — Peu de passion de la femelle pour la maternité. — Mauvais renom du corbeau. — Cicéron et le corbeau. — Valerius et le Gaulois, — La pie voleuse de Palaiseau. — L’aigle et les corbeaux. — La pie-grièche. — Torture d’un oiscau. — La pie-grièche de Françoïs 1er . .. . . . . . . . . . . 187 CHAPITRE XI Aventures d’un hibou. — Un hibou cloué à une porte. — Sa déli- vrance. — Il devient mon hôte. — Ses habitudes. — Amitié mu- tuelle. — Son nid. — Combat de Strix avec des moineaux. — Le hibou commun ou moyen-due.— Le hibou à aigrettes. — L’effraie. — He SIN A lELTIEL EEE 0. 0, 0. 200 CHAPITRE XII Les oiseaux exotiques. — Un merle qui chante. — L'oiseau de paradis. — Son arrivée à Paris. — Sa patrie. — Manière dont on le chasse. — Manière de préparer sa peau. — Sa nourriture en liberté. — Légendes sur l’oiseau de paradis. — Comment on à cru longtemps qu’il pondait et qu’il couvait. — Les oiseaux-mouches. — Encore les oiseaux de paradis. . . . . . . . . . .22à 360 TABLE, CHAPITRE XIII Promenade au Muséum. — Les oiseaux en cage. — Le roitelet. — Le papegaut. — Les colibris et les oiseaux-mouches. — La collec- HOnUdeS para SET STE NAN SRE NT REED 5 9 CHAPITRE XIV Les oiseaux de France. — Les oiseaux de proie diurnes et nocturnes. — Les passereaux dentirostres. — Les conirostres. — L’alouette. — son panégyrique par le naturaliste Vicillot. — Les oiseaux utiles et MO BONNE MR CAES CARS ES RE CHAPITRE XV Suite des passereaux dentirostres. — Le serin de la légende. — Les passereaux conirostres. — Les syndactyles. — Les grimpeurs. 291 CHAPITRE XVI Les gallinacés. — Le dindon. — Les échassiers. — Les gallinacés pres- sirostres et cultrirostres. — Le héron. — Les échassiers longirostres. Unirécitid'AUdUbDoOnt NET TE NC NERO CHAPITRE XVII La basse-cour. — Ses drames et ses merveilles. — Une buse et une oie. Olivier defSerres L (4 MON NEMENT EC COR 503 Tours. — Impr. Mame. ù til Be a “D 4 PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY QL Berthoud, Samuel Henry 785 L'esprit des oiseaux MM dpt A Eat % LOUE ÉHrt 1 spa DE PRO LENCO b LILHIR [ tte it + ET OCRR EME ANA TR ANA 2 pd pret à F à hole on rod pere " o M \,44- US t 2e " i pr HUE DS re H: : #1 : * : Hi ot 1448 4er à ruf F etat t HIER He A \ PA ASUS TT EE 3 + are Pare j Tsuss dr NANTES | RE Nul COMENT: ste UE LE Hop ED NUE ir Re fe re 2 q Les ' + i HORS TAPER at Z se Aa Le bi AU Lisseur HU L'on Pere, vs ep ha TIM rt MOMIE ; Per MOUTON Ca on He or + arr Fest HQE à DER A # prit : METAL Fit4 "ni MOATSOEUNE mere r Lg Besse tre HR J LL rss : ? 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