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EMILE VERHAEREN

Les Rythmes souverains

POÈMES

QUATRIEME ÉDITION

PARIS MERGVRE DE FRANGE

SXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI MGMX

LES RYTHMES SOUVERAINS

DU MÊME AUTEUR

Poésie

POÈMES , , I vol ,

POÈMES, nouvelle série i vol.

POÈMES, me série i vol.

LES FORCES TUMULTUEUSES I Vol.

LES VILLES TENTACULAIRES, précédéeS deS CAMPAGNES

HALLUCINÉES I VOl .

LA MULTIPLE SPLENDEUR I VOl .

LES HEURES CLAIRES, SuivicS dcS HEURES d' APRES-MIDI. I VoL

LES VISAGES DE LA VIE, Suivis deS DOUZE MOIS I VOl.

ALMANACH (chcz Diotrich, à Bruxelles) i vol.

PETITES LÉGENDES (chcz Deiiian, à Bruxelles) i vol.

TOUTE LA FLANDRE (chez Deman, à Bruxelles) 4 vol.

Théâtre

LES AUBES, drame lyrique en actes (chez Deman, à

Bruxelles i vol .

DEUX DRAMES (Philippe IL Le Cloître) i vol.

VsUr

EMILE VERHAEREN

Les Rythmes souverains

POEMES

QUATRIÈME ÉDITION

PARIS

MERGVRE DE FRANCE [^^

XXVI, nVÈ DE CONDE, XXVI

IL A ETE TIRE DE CET OUVRAGE

Cinq exemplaires sur Japon impérial numérotés de i à5,

et vingt-un exemplaires sur papier de Hollande,

numérotés de 6 à 26.

JUSTIFICATION DU TIRAGE :

#

Droits de traduction et de reproduction réserrés pour tous pays,

ANDRÉ GIDE

LE PARADIS

Des buissons lumineux fusaient comme des gerbes ; Mille insectes, tels des prismes, vibraient dans l'air; Le vent jouait avec Fombre des lilas clairs, Sur le tissu des eaux et les nappes de l'herbe. Un lion se couchait sous des branches en fleurs; Le daim flexible errait là-bas, près des panthères ; Et les paons déployaient des faisceaux de lueurs Parmi les phlox en feu et les lys de lumière . Dieu seul régnait sur terre et seul régnait aux cieux. Adam vivait, captif en des chaînes divines ; Eve écoutait le chant menu des sources fines, Le sourire du monde habitait ses beaux yeux ; Un archange tranquille et pur veillait sur elle

LES RYTHMES SOUVERAINS

Et, chaque soir, quand se dardaient, là-haut, les ors, Pour que la nuit fût douce au repos de son corps, L'archang-e endormait Eve au creux de sa grande aile,

Avec de la rosée au vallon de ses seins,

Elle se réveillait, candidement, dans l'aube;

Et Tarchang-e séchait aux clartés de sa robe

Les longs cheveux dont Eve avait empli sa main.

L ombre se déliait de l'étreinte des roses

Qui sommeillaient encore et s'inclinaient là-bas ;

Et le couple montait vers les apothéoses

Que le jardin sacré dressait devant ses pas.

Comme hier, comme toujours, les bêtes familières

Avec le frais soleil dormaient sur les g-azons ;

Les insectes brillaient à la pointe des pierres

Et les paons lumineux rouaient aux horizons ;

Les tigres clairs, auprès des fleurs simples et douces,

Sans les blesser jamais, posaient leurs mufles roux ;

Et lesbonds des chevreuils, dans l'herbe et sur la mousse,

S'entremêlaient sous le regard des lions doux;

Rien n'avait dérangé les splendeurs de la veille :

LE PARADIS

C'était le même rythme unique et glorieux, Le même ordre lucide et la même merveille Et la même présence immuable de Dieu.

12 LES RYTHMES SOUVERAINS

II

Pourtant, après des ans et puis des ans, un jour, Eve sentit son âme impatiente et lasse D'être à jamais la fleur sans sève et sans amour D'un torride bonheur, monotone et tenace ; Aux cieux, planait encor l'orag'euse menace Quand le désir lui vint d'en éprouver l'éclair. Un larg-e et doux frisson g-lissa dès lors sur elle Et, pour le ressentir jusqu'au fond de sa chair, Eve, contre son cœur, serrait ses deux mains frêles. L'archange, avec angoisse, interrogeait, la nuit, Le brusque et violent réveil de la dormeuse Et les gestes épars de son étrange ennui. Mais Eve demeurait close et silencieuse.

LE PARADIS l3

Il consultait en vain les fleurs et les oiseaux Qui vivaient avec elle au bord des sources nues, Et le miroir fidèle et souterrain des eaux D'où peut-être sourdait sa pensée inconnue. Un soir, qu'il se penchait, avec des doigts pieux, Doucement, lentement, pour lui fermer les yeux, Eve bondit soudain hors de son aile immense. Oh I l'heureuse, subite et féconde démence. Que Tang-e, avec son cœur trop pur, ne comprit pas. Elle était loin qu'il lui tendait encor les bras Tandis qu'elle levait déjà son corps sans voiles Eperdûment, là-bas, vers des brasiers d'étoiles.

Adam la vit ainsi et tout son cœur trembla.

Jadis, quand, au soir descendant, ses courses De marcheur solitaire erraient par là. Joueuse, il l'avait vue au bord des sources Vouloir, en ses deux mains, saisir Les bulles d'eau fugaces

i4

LES RYTHMES SOUVERAINS

Que les sables du fond lançaient vers la surface ; 11 l'avait vue encor ardente au seul plaisir De ployer vers le sol, avec des doig-ts ag-iles,

Les brins d'herbe lég-ers Et d'y reg-arder luire et tout à coup bouger

Les insectes fragiles; Eve n'était alors qu'un bel enfant distrait Quand lui, l'homme, cherchait déjà quelqu'autre vie

Non asservie Là-bas, au loin, parmi les monts et les forêts.

Eve voulait aimer, Adam voulait connaître ;

Et de la voir ainsi, vers l'ombre et la splendeur,

Tendue, il devina soudain quel nouvel être

Eve, à son tour, sentait naître et battre en son cœur.

Il s'approcha, ardent et gauche, avec la crainte D'effaroucher ces yeux dans leur songe perdus ; Des grappes de parfums tombaient des térébinthes Et le sol était chaud de parfums répandus.

LE PARADIS

Il hésitait et s'attardait quand la belle Eve, Avec un g-este fier, s'empara de ses mains, Les baisa long-uement, lentement, comme en rêve, Et doucement glissa leur douceur sur ses seins.

Jusqu'au fond de sa chair s'étendit leur brûlure. Sa bouche avait trouvé la bouche s'embraser^ Et ses doig-ts épandaient sa g'rande chevelure Sur la nombreuse ardeur de leurs premiers baisers.

Ils s'étaient tous les deux couchés près des fontaines comme seuls témoins ne luisaient que leurs yeux, Adam sentait sa force inconnue et soudaine Croître, sous un émoi brusque et délicieux.

Le corps d'Eve cachait de profondes retraites Douces comme la mousse au vent tiède du jour ; Et les g-azons foulés et les g-erbes défaites Se laissaient écraser sous leur mouvant amour.

l6 LES RYTHMES SOUVERAINS

Et quand le spasme enfin sauta de leur poitrine Et les retint broyés entre leurs bras raidis, Toute la g-rande nuit amoureuse et féline Fit plus douce sa brise au cœur du paradis.

Soudain Un nuage d'abord lointain, Mais dont se déchaînait le tournoyant vertige Au point de n'être plus que terreur et prodige, Bondit de l'horizon au travers de la nuit. Adam releva Eve et serra contre lui Le pâle et doux effroi de sa chair frissonnante. Le nuage approchait, livide et sulfureux. Il était débordant de menaces tonnantes Et tout à coup, au ras du sol, devant leurs yeux, A l'endroit même les herbes sauvages Etaient chaudes encor D'avoir été la couche s'aimèrent leurs corps, Toute la rage Du formidable et ténébreux nuage Mordit.

LE PARADIS

Et dans l'ombre la voix du Seigneur s'entendit.

Des feux sortaient des fleurs et des buissons nocturnes ;

Au détour des sentiers profonds et taciturnes,

L'épée entre leurs mains, les anges flamboyaient ;

On entendait rugir des lions vers les astres ;

Des cris d'aigle hélaient la mort et ses désastres ;

Tous les palmiers géants, au bord des lacs, ployaient

Sous le même vent dur de colère et de haine,

Qui s'acharnait sur Eve et sur Adam, là-bas,

Et dans l'immense nuit précipitait leurs pas

Vers les mondes nouveaux de la ferveur humaine.

L'ordre divin et primitif n'existait plus.

Tout un autre univers se dégageait de l'ombre

des rythmes nouveaux encore irrésolus

Entremêlaient leur force et leurs ondes sans nombre.

Vous les sentiez courir en vous, grands bois vermeils,

Tumultueux de vent ou calmes de rosée,

Et toi, montagne, et vous, neiges cristallisées.

Là-haut, en des palais de gel et de soleil

Et toi, sol bienveillant aux fruits, aux fleurs, aux graines,

LES RYTHMES SOUVERAINS

Et toi, clarté chantante et douce des fontaines, Et vous, minéraux froids, subtils et ténébreux, Et vous, astres mêlés au tournoiement des cieux. Et toi, fleuve jeté aux flots océaniques. Et toi, le temps, et vous, l'espace et l'infini. Et vous enfin, cerveaux d'Eve et d'Adam, unis Pour la vie innombrable et pour la mort unique.

L'homme sentit bientôt comme un multiple aimant

Solliciter sa force et la mêler aux choses ;

Il devinait les buts, il soupçonnait les causes

Et les mots s'exaltaient sur ses lèvres d'amant ;

Son cœur naïf, sans le vouloir, aima la terre

Et l'eau obéissante et l'arbre autoritaire

Et les feux jaillissants des cailloux fracassés.

Les fruits tentaient sa bouche avec leurs ors placides

Et les raisins broyés des g-rappes translucides

Illuminaient sa soif avant de l'apaiser .

Et la chasse et la lutte et les bêtes hurlantes

Eveillèrent l'adresse endormie en ses mains.

Et l'orgueil le dota de forces violentes

LE PARADIS 19

Pour que lui-même, un jour, bâtit seul son destin.

Et la femme, plus belle encor depuis que l'homme

Avait ému sa chair du frisson merveilleux,

Vivait dans les bois d'or baig-nés d'aube et d'arômes

Avec tout Tavenir dans les pleurs de ses yeux.

C'est en elle que s'éveilla la première âme

Faite de force douce et de trouble inconnu,

A l'heure tout son cœur se répandait en flammes

Sur le germe d'enfant que serrait son flanc nu.

Le soir, lorsque le jour dans la gloire s'achève

Et que luisent les pieds des troncs dans les forêts,

Elle étendait son corps déjà plein de son rêve

Sur les pentes des rocs que le couchant dorait ;

Ses beaux seins soulevés faisaient deux ombres rondes

Sur sa peau frémissante^ et claire ainsi que l'eau,

Et le soleil frôlant toute sa chair féconde

Semblait mûrir ainsi tout le monde nouveau.

Elle songeait, vaillante et grave, ardente et lente,

Au sort humain multiplié par son amour,

A la volonté belle, énorme et violente

LES RYTHMKS SOUVERAINS

Qui dompterait la terre et ses forces un jour. Vous lui apparaissiez, vous, les douleurs sacrées, Et vous, les désespoirs, et vous, les maux profonds, Et d'avance la g-rande Eve transfigurée Prit vos mains en ses mains et vous baisa le front ; Mais vous aussi, grandeur, folie, audace humaines, Vous exaltiez son cœur pour en chasser le deuil. Et vos transports naissants et vos ardeurs soudaines Lui prédirent quels bonds soulèveraient l'orgueil ; Elle espérait en vous, recherches et pensées, Acharnement de vivre et de vouloir le mieux Dans la peine vaillante et la joie angoissée. Si bien que, s'en allant un soir sous le ciel bleu, Libre et belle, par un chemin de mousses vertes, Elle aperçut le seuil du paradis, là-bas : L'ange était accueillant, la porte était ouverte ; Mais, détournant la tête, elle n'y rentra pas.

HERCULE

Que faire désormais pour se grandir encore?

Hélas! depuis quels temps Avait-il fatigué les soirs et les aurores.

Hélas'! depuis quels temps, Depuis quels temps de tumulte et d'effroi Avait-il fatigué les marais et les bois, Les monts silencieux et les grèves sonores Du bruit terrible et persistant De ses exploits ?

Bien que son cœur brûlât comme autrefois son torse, Parfois il lui semblait que s'éteignait sa force ;

24

LES RYTHMES SOUVERAINS

Tant de héros plus prompts et plus jeunes que lui Avaient de leurs travaux illuminé la nuit.

Et jour à jour, ses pas sonnaient plus solitaires Même en retentissant jusqu'au bout de la terre.

Lentement le soleil vers le Zénith monta, Et, depuis cet instant jusques au crépuscule,

L'Œta Put voir, marcher et s'arrêter sans but. Hercule. Il hésitait Devant les routes. Allait et revenait et s'emportait Pour tout à coup se recueillir comme aux écoutes ; Son esprit s'embrouillait à voir trop de chemins

Trouer les bois, couper les plaines ; La colère mauvaise enflamma son haleine. L'impatience entra dans ses doig-ts et ses mains. Et, brusquement, courant vers la forêt prochaine, Avec des rauquements sauvages dans la voix.

HERCULE 25

Il renversa comme autrefois Les chênes. Son geste fut si prompt qu'il ne le comprit pas.

Mais quand sa rag^e, enfin calmée et assouvie, Lui permit de revoir en un éclair sa vie Et sa terrible enfance et ses puissants ébats, Alors qu'il arrachait, par simple jeu, des arbres, Ses bras devinrent lourds comme des bras de marbre

Tandis qu'il lui semblait Entendre autour de lui mille rires bruire Et les échos cruels et saccadés lui dire

Qu'il se recommençait.

Une sueur de honte inonda son front blême Et le désir lui vint de s'outrag-er soi-même

En s'entêtant.

Stupidement,

Gomme un enfant,

Dans sa folie ;

26

LES RYTHMES SOUVEaAINS

Et devant le soleil dont la gloire accomplie De cime en cime, à cette heure, se retirait, On vit le larg-e Hercule envahir les forêts. En saccager le sol, en arracher les chênes Et les rouler et les jeter du haut des monts Dans un fracas confus et de heurts et de bonds Jusques aux plaines.

L'amas des arbres morts emplit tout le vallon ; Hercule en regardait les fûts saignants et sombres Faire à leur tour comme une montagne dans l'ombre. Et les oiseaux dont il avait broyé les nids Voler éperdûment en criant dans la nuit.

L'heure de cendre et d'or l'immensité noire Allume au firmament ses astres et ses gloires

Survint tranquillement Sans que sa large paix calmât l'esprit dément

Et les rages d'Hercule ; Ses yeux restaient hagards et ses pas somnambules.

2?

Soudain il jalousa le ciel et ses flambeaux ; L'extravag-ance folle entra dans sa pensée, Si bien qu'il s'arrêta à cette œuvre insensée D'allumer troncs, écorce, aubier, feuilles, rameaux Dont l'énorme splendeur trouant la nuit stellaire

Irait dire là-haut Qu'Hercule avait créé un astre sur la terre.

Rapidement Sur l'innombrable entassement Gomme un vol sur la mer d'écumes et de lames

Passent les flammes ; Une lourde fumée enfle ses noirs remous ;

Et les mousses et les écorces Et l'emmêlement noir des brindilles retorses

Craquent ici, là-bas, plus loin, partout. Le feu monte, grandit, se déchevèle, ondule, Rugit et se propage et s'étire si fort Qu'il frôle, avec ses langues d'or, Hercule. Le héros se raidit, sentant sa chair brûler.

a8

LES RYTHMES SOUVERAINS

Il se vainc, se retrouve et ne veut reculer ; Même pour étouffer la bête dans son antre, Gomme au temps qu'il était lapre justicier ,

Il s'enfonce dans le brasier Jusques au centre. Son cœur est ferme et clair et ses pas sont légers ; D'un bond, il est là-haut et domine les flammes. Il est rapide et fort : il confronte son âme Avec le plus urgent et le plus fol danger Et tandis que les feux battent à grands coups d'aile

Autour de son torse velu Lui, le héros, comprend qu'il ne lui reste plus, Pour entreprendre enfin une lutte nouvelle, Qu'à conquérir sur un bûcher brasillant d'or Sa mort.

Et sa voix chante : « Vent rapide, nuit étoilée, ombre penchante, Moment qui vole et fuit, heure qui va venir.

Souvenez-vous, attardez-vous, Hercule est qui vous célèbre et va mourir.

HERCULE 29

La gploire autour de moi vibra comme enflammée : J'ai, dans mon sang*, le sang- du Lion de Némée ; L'Hydre, fléau d'Argos que Tyption eng-endra, A laissé sa souplesse et sa rag-e en mes bras ; Je cours de plaine en grève à larg-es pas sonores Ayant rythmé mes sauts sur les bonds des centaures ; J'ai déplacé des monts et chang-é les contours Que les fleuves d'EUis traçaient avec leur cours ; A coups de front buté contre sa larg-e tête Un taureau recula devant ma force, en Crète ; Stymphale a vu ma flèche ensanglanter ses eaux Du trépas noir et monstrueux de ses oiseaux ; J'ai ramené vivant du fond des forêts mornes Le cerf dont l'or et dont l'airain formaient les cornes ; Pour lui voler ses bœufs et tuer Géryon J'ai battu les pays jusqu'au Septentrion ; J'assujettis sous les coups sourds de mon poing- raide Les chevaux carnassiers du sombre Diomède; Pendant qu'Atlas s'en fut voler les fruits divins Le monde entier, sans les ployer, chargea mes reins. Ceinture ardente et plus belle qu'une couronne, Je t'ai conquise aux flancs guerriers de l'Amazone

3.

3o

LES RYTHMES SOUVERAINS

Et j'ai forcé Cerbère et ses têtes en feu

A lever les regards vers Tazur nu des Dieux. »

Soudain un bref sursaut de feux rampants et blêmes Jaillit du bois tassé sous les pieds du héros Et le brûla jusqu'en ses os,

Mais Hercule chantait quand même :

« Je sens mes bras, mes mains, mes doig-ts,

Mon dos compact, mon col musclé Encor peuplés

Du rythme fou de mes exploits. Au long" des ans nombreux, ma force inassouvie A si bien dévoré et absorbé la vie Qu'à cette heure de feu je suis tout ce qui est: Et l'orag-e des monts et le vent des forêts Et le rugissement des bêtes dans les plaines. J'ai versé dans mon cœur les passions humaines Gomme autant de torrents aux souterrains remous. Joie et deuil, maux et biens, je vous ai connus tous, lole et Még-ara, Déjanire et Omphale, Mon martyre a fleuri sur vos chairs triomphales,

HERCULE 3l

Mais si longue que fut mon errante douleur, Jamais le sort mortel ne me dompta le cœur. Je souffre en cet instant et chante dans les flammes; L'allégresse bondit au tremplin de mon âme ; .le suis heureux, sauvage, immense et rayonnant,

Et maintenant, Grâce à ce brasier d'or qui m'exalte et me tue.

Joyeusement je restitue Auxbois,auxchamps, aux flots, aux montagnes, auxmers, Ce corps en qui s'écroule un morceau d'univers. »

Le bûcher tout entier brûla jusqu'à l'aurore ; Des pans de feux tombaient et montaient tour à tour, A l'orient du large Œta grandit le jour Et le héros chantait toujours, Chantait encore.

PERSEE

0 plainte de la terre Frappant la nuit, frappant le jour, Frappant toujours Quelque roc inflexible en un lieu solitaire î Cri de douleur poussé tout au bout de la mer» bas, dans l'île nul vaisseau jamais n'accède, 0 l'antique tourment, d'âg-e en âg-e souffert, 0 pauvre, et lasse, et triste, et fatale Andromède !

Debout, En face de Fécueil aux pointes ramassées, Avec son front qui brille, avec son cœur qui bout,

Voici Persée. Le soir se fait. Et le soleil, comme un témoin,

36 LES RYTHMES SOUVERAINS

S'attarde, au bord des flots, sous un nuage sombre;

Et le héros s'angoisse, et regarde de loin

Le geste blanc d'un bras le supplier dans l'ombre.

Un ciel aux astres durs s^éclaire peu à peu.

Une lueur grandit les falaises de l'île

Et rampe sur le sol vers l'antre phosphoreux,

se tasse le corps écaillé d'un reptile.

L'eau est tonnerre, et gronde, et roule, et creuse, et mord

Et rejaillit en torrents fous au long des bords ;

Des cailloux carriés flanquent un promontoire ;

Des pointes de récifs coupent la vague noire ;

Un volcan fume et jette au loin son feu d'effroi.

Tout est stérile, aigu, méchant, caché, sournois;

Qu'apparaisse un6 barque, et les vents et l'orage

D'un seul éclair la font sombrer en son naufrage.

Pourtant, Pas un instant, Malgré la mort hurlante, et partout hérissée.

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Le désespoir n'entra dans Tâme de Persée. Le lendemain au jour levant Il vit un aig-le aborder Tîle : Son large vol planait et ses ailes tranquilles Semblaient bercer là-haut la lumière et le vent. Oh! s'élancer, quitter le sol, gagner les nues! Armer ses bras mouvants de forces inconnues ! Avec des pennes d'or, partir pour le soleil I Crier, ivre de joie, au cœur de l'air vermeil, Au-dessus des écueils creusés de vagues noires ! Persée était heureux et triomphant déjà Quand soudain tournoya Du fond de sa mémoire La chute et le trépas D'Icare.

L'antre s'ouvrait plus noir que le seuil du Tartare le dragon traînait son corps flasque et vitreux. Depuis les temps lointains il gardait Andromède Et quelquefois son souffle envenimé, mais tiède, Montait vers la splendeur du beau corps douloureux.

4

38 LES RYTHMES SOUVERAINS

Et le héros frémit d'une rag-e stérile.

En vain rechercha-t-il sur le bord qu'il foulait Quelque pointe se dirigeant si près de l'île Et planant d'assez haut sur ses maig-res g^alets, Pour que d'un bond immense il pût franchir les vagues. Il ne rencontra rien en ses errances vagues. Alors, Son corps Lui parut lourd comme une charge : Ses pieds nerveux, ses jarrets durs, ses cuisses larges. Son dos, nourri de force et de clarté vêtu, Et sa hanche incurvée et sa flexible échine, Et les muscles bandés de sa haute poitrine. Tout semblait morne et faible, et triste, et sans vertu 0 ses membres pesants qui l'accablaient lui-même, 0 leur rythme usuel qu'il lui fallait changer. Dites, par quel effort ou par quel stratagème ?

Sauts violents, essors légers,

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Talons frappant le sol à travers la poussière ; Pieds suspendus, et frémissants, dans la lumière, Elans de roc en roc, élans de mont en mont. Vous nourrissiez la fougue errante de Persée Sans lui donner pourtant, ni le vol, ni les bonds

Des aquilons : Essais pauvres et vains, et travaux inutiles.

Il n'osait plus le soir se rapprocher de Tile ; Il avait honte, hélas ! d'être celui Qui ne réussit point à susciter en lui L'exploit rapide et nécessaire ; Tout son être vibrait de mouvements contraires Au rythme aérien, qu'il fallait inventer. Il s'en allait au loin, d'un pas précipité, Allait et s'en venait, pour s'en aller encore, Et de l'aurore au soir, et du soir à l'aurore, Ici, là-bas, ailleurs, n'importe où, quelque part, N'ayant pour compagnon furtif que le hasard.

40 LES RYTHMES SOUVERAINS

Pég-ase ! Il le surprit, un jour, aux lisières d'un bois, Foulant une herbe avare et rase. Le héros fit un cri; puis suspendit sa voix, Et ne vit rien, sinon, ouvertes au soleil,

Les ailes. Mais déjà le coursier, frémissant et vermeil, Dans un tourbillon d'or, d'écume et d'étincelles. Avait quitté la terre et hennissait là-haut. L'approcher, le saisir, le dompter : ô le rêve 1 Et dirig-er soudain les lumineux sursauts, Et les bonds dans le ciel, par-dessus mer et grève. Jusque dans l'île seuls abordent les oiseaux !

Ce fut un soir, dans un étang, parmi les vases, Dont le coursier buvait le flot criblé de feux, Que Persée aux ag-uets, d'un poing- rude et nerveux, Saisit Pégase.

Le cheval outragé se cabra brusque et droit ;

4i

Sa grande aile d'argent, en un effort tragique,

L'affranchit de la boue épaisse et léthargique,

Et ses reins révoltés rejetèrent leur poids.

Persée eut beau crisper ses doigts dans la crinière

Et resserrer les flancs dans l'étau des genoux,

Aucune entente encor secrète et familière

N'existait entre lui et le grand cheval roux.

Il chut, mais ressurgit soudain, des longues herbes

Et des souples roseaux au vent du soir bougeant.

Le front intact et franc, le corps ferme et superbe.

Et s'en alla, droit devant lui, mais en songeant

Qu'il lui faudrait d'abord étudier la force

Que le hasard avait mise sur son chemin,

En assouplir la fougue érigée et retorse

Pour la ployer, comme un arc dur, entre ses mains.

Aussi, le jour qu'il vit, sous la hêtrée épaisse, Pégase, immense et las, au fond du bois dormir, Rabaissa-t-il ses bras tendus pour le saisir, Et son geste brutal se changea en caresse . Il réveilla, tranquillement, le beau coursier,

4.

42 LÈS RYTHMES SOUVERAINS

Qui se sentit captif sous les branches baissées;

Mais dans l'ombre brillaient les yeux clairs de Persée

Avec de la douceur mêlée à leurs brasiers ;

Et la bête se releva presque sans crainte,

Sur le pas du héros réglant déjà son pas

Et ne se sentant plus chevauchée et contrainte ;

Quand la plaine s'ouvrit, elle ne s'enfuit pas.

Ce fut par un matin couronné de rosée,

Que Pégase épousa le désir de Persée.

D'abord pendant des jours et puis des jours encor

L'échange s'était fait des fluides de leurs corps

Pour grouper en faisceaux leurs mouvements contraires

Et tenter un départ qui serait un accord ;

Le héros surveillait ses gestes volontaires,

Pégase obéissait doucement, lentement,

Certes rebelle au mors, certes rebelle aux rênes,

Mais ne se cabrant plus avec effarement

Dès qu'une main touchait sa croupe souveraine.

Puis lentement encor, et doucement toujours,

Avec le rythme aimé de quelques lentes phrases

i

P£RSÉE 43

Qu'il murmurait, disait ou chantait tour à tour, On eût dit que Persée envahissait Pégase. Les muscles et les nerfs du g-rand cheval ailé Tressaillirent à ce chant clair et envolé Gomme lui-même, au loin, vers la haute lumière. Et, cette fois, dans Taube s'entendait un los , Avec le grand Persée érigé sur son dos. Les quatre pieds volants du coursier d'or quittèrent La terre.

SAINT JEAN

Lorsque Joseph d'Arimathie Eut descendu le Christ raide, livide et froid,

Du sommet de la croix, Et que la garde et que la foule étaient parties

Et que les monts et que les cieux,

Et que les eaux et que la terre, Un instant remués par les vents et les feux,

Etaient redevenus silencieux Et solitaires, 0 le baiser de Jean sur le cœur de son Dieu !

Il était mort, ce cœur, Avec sa lente et patiente douceur

1

48 LES RYTHMES SOUVERAINS

Et son pardon profond et sa claire tendresse, Et Jean dans un baiser les voulait recueillir Pour que leur triple ardeur n'eût le temps de languir Ni de mourir de sécheresse, Pendant les trois longs jours Que passerait au fond du tombeau lourd, Avant que d'en renaître , Le maître.

Oh ! ces lèvres de Jean et leur baiser suprême Dans le silence A l'endroit même s'enfonça le coup de lance !

Lorsqu'il eut reconduit Marie en sa maison, Une première étoile ouvrit sa floraison,

Là-haut, dans le ciel de Judée, Et Jean la regardait, dans l'azur vaste et clair, Briller si pure et si chaste qu'elle avait l'air D'être son âme élucidée.

I

SAINT JEAN 49

La mauvaise fureur n'habitait plus en lui ; Il avait à jamais repoussé vers leur nuit

Le vieil org-ueil et ses alarmes. Il appelait sur soi les affronts déchaînés Pour imiter son Dieu mourant et pardonner Très doucement, avec des larmes.

Il se faisait très faible et se sentait très fort. Il recelait en lui le secret réconfort De ceux qui dominent la vie Non par la force droite et belle infiniment, Mais par Thumble vouloir et par l'effacement Et la douceur inassouvie.

LES RYTHMES SOUVERAINS

II

Jérusalem dormait là-bas Et Jean, de sente en sente, y dirig-ea son pas,

Song-eant à Pierre Qui sans doute pleurait quelque part sous les cieux Cette faute plénière D'avoir eu honte de son Dieu. Près des palais romains dont brillaient les porphyres, Pierre était gémissant et redoutait la nuit; Et Jean lui prit les mains et s'assit près de lui

Et sang-Iota sans lui rien dire. Mais son reg-ard parlait et son cœur était doux, Et soudain devant Pierre il se mit à genoux Et supplia d'une voix haute

SAINT JEAN

Comme s'il confessait au ciel sa propre faute.

^t Pierre étreigriit Jean et tout à coup sentit

Le calme et la ferveur rentrer dans son esprit.

Et Jean partit bientôt du côté des tavernes Song-eant à Barrabas.

Des enfants demi-nus jouaient près des citernes ; Des chameliers bronzés cherchaient, ivres et las, Comme à tâtons, de rue en rue, au fond des boug'es. Des femmes dont Famour et la bouche étaient roug"es. Auprès d'elles, buvait et chantait le bandit. Jean s'approcha sans peur et doucement lui dit : « Frère, Jésus de Nazareth vers vous m'envoie Pour que nos pas ég-aux le suivent dans sa voie. » Barrabas répondit : « Vraiment, si je bois fort C'est pour fêter g-aîment et célébrer sa mort. Et me moquer de lui quand les femmes m'écoutent. J'ai le crime et le vol pour compag-nons de route, Et la fille qui s'offre aux détours des chemins ;

52 LES RYTHMES SOUVERAINS

Et le peuple assemblé n'a point peur de mes mains. »j

Jean voulut s'approcher et lui parler encore ;

Mais Barrabas terrible et fou saisit l'amphore,

Et menaça Tapôtre, avec son bras levé :

« D'ailleurs, qu'est donc ce Christ encombrant le pavé

De va-nu-pieds grossiers et de femmes publiques

Et de prêches et de g-estes mélancoliques ?

Je l'ai connu en Galilée, il était

Un pauvre et mauvais apprenti qui rabotait

Du mauvais bois et qui trompait les gens pour vivre. '

Jamais il n'a su lire un texte dans un livre.

Et voici qu'il nous parle et raisonne de Dieu !

Se dire l'envoyé du Très-Haut est un jeu

Que les fourbes depuis longtemps aiment et jouent,

Mais que moi, Barrabas, tout couvert de ma boue.

Je blâme et je déteste et je ne jouerai pas,

Etant trop haut encor pour descendre si bas. »

Jean sentit la douleur vriller si fort son âme

Qu'il supplia, les mains jointes, l'une des femmes

D'empêcher Barrabas de blasphémer encor.

SAINT JEAN

53

Des poing-s brutaux et noirs le poussèrent dehors. Et Jean partit en sanglotant par la nuit blême, Sans plainte et sans colère et ferme et doux, quand même, Et, se tournant de loin vers le bouge abhorré, Il se voila les yeux, mais dit : « J'y reviendrai. »

L'aube toucha bientôt de ses mains cristallines Le front enténébré des bois sur les collines Et le faîte du temple s'exaltait l'airain.

Soudain, Tandis que Jean marchait encor par les campagnes,

Des pas multipliés Emplirent de leur bruit le mont des Oliviers, Et des femmes criaient de loin à leurs compagnes, Qu'un homme aux cheveux roux s'était pendu, là-haut. Le cœur de Jean resta muet, sans un sanglot. Le crime de Judas était inimitable. Oh! ce soir qu'il prit place, avec tous, à la table. Et qu'il osa parler et que même sa main Ne trembla point quand Dieu lui présenta le pain !

5.

54 LES RYTHMES SOUVBRAINS

Pourtant l'apôtre errant suivit la multitude :

Le mort gisait au pied de l'arbre et regardait,

Fixement, eût-on dit, sa propre turpitude.

L'œil était sombre et morne et dur; il obsédait ;

Les lourds abois d'un chien montaient dans le tumulte;

Des gens passaient, jetant au cadavre l'insulte

Et se montraient cruels pour se cacher leur peur.

Jean sentit la pitié dominer son horreur.

Il songeait à l'écart : Pourtant il fut des nôtres ;

Pendant trois ans son cœur fut le cœur d'un apôtre;

Il pardonna souvent lorsqu'il eût punir.

Et Jésus-Christ l'aima, qui savait l'avenir.

Alors, sans hésiter, Jean traversa les houles

Et les fureurs toujours plus denses de la foule

Et, soulevant le corps entre ses bras pieux,

Avec des doigts très purs il lui ferma les yeux.

Puis, il le prit pour le porter lui-même en terre.

Quelqu'un l'accompagna vers les lieux solitaires.

Et, sans parler, tous deux enfouirent Judas.

Ainsi jusqu'au matin Christ ressuscita,

SAINT JEAN 55

L'âme de Jean fut à tel point profonde et tendre Qu'aucun homme d'alors ne la pouvait comprendre

' Et que même Marie, à le voir vers son seuil S'avancer lentement et sourire à son deuil, Croyait l'apôtre aimé pris de vague folie. C'est qu'il ne stagnait plus aucun soupçon de lie Dans le vase chrétien qu'était déjà son cœur. C'est qu'il avait vaincu toute l'ombre et la peur

, Et que, dans l'eau des pleurs, il savourait la joie.

, Entre mille chemins, seul, il suivait la voie Que Christ allait tracer autour de l'univers. Il faisait son trésor de tous les maux soufferts; Quand son pas rencontrait quelques touffes d'épines Il s'arrêtait et bénissait le noir buisson D'avoir, pour le salut de tous, percé le front Et les cheveux sacrés et les tempes divines. Il bénissait le fer, il bénissait le bois Qui fournirent la lance et les clous et la croix ; Il bénissait jusqu'aux bourreaux sanglants et blêmes Et même, il bénissait, le soir, le Golgotha Qui, rouge et ténébreux, se bossuait là-bas, Avec ses rocs dressés comme autant de blasphèmes.

50 LES RYTHMES SOUVERAINS

III

Aussi longtemps que Jean chez les hommes vécut,

Son front demeura lumineux d'avoir conçu

Lui le premier, quand Jésus-Christ dormait sous terre,

L'héroïsme tranquille, intime et solitaire

Qui chang-ea Tâme humaine et qui l'exalte encor.

Il fut sublime et doux, sans peine et sans effort ;

Il inclina son cœur, lampe ardente et frag-ile,

Sur chacun des versets de son pur évangile.

Il se sentait aimé les autres étaient craints.

Quand il prêchait, le soir, dans les cités d'Asie,

Les brises qui passaient en semblaient adoucies

Et les femmes pleuraient en lui tendant les mains.

SAINT JEAN 57

Il mourut plein de jours et de calme sagesse, Aidé par tous les siens, à l'aube, dans Ephèse, Et sa voix se fit claire à son dernier moment : « Jésus, si je vous ai servi, dévotement. Et de toute ma force et de toute mon âme, Accueillez-moi là-haut vos anges proclament L'aveuglante splendeur de votre éternité. J'ai porté votre gloire avec humilité Et lavé bien des fronts de leur erreur ancienne. Néanmoins, qu'avant tout, Seigneur, il vous souvienne Qu'au temps vous dormiez dans le morne tombeau, Seul, parmi tous, j'ai recueilli votre flambeau Et que ma pauvre main abrita sa lumière, Si bien qu'en m'approchant de mon heure dernière, C'est lui que je vous tends, c'est lui, ce même cœur Qui remplaça, pendant trois jours, avec ferveur. Seigneur, Le vôtre, sur la terre.

i

LES BARBARES

Là-bas,

Parmi les Don, et les Dnieper, et les Volg-a, la bise éternelle, à rude et sombre haleine,

t Durcit la plaine ;

Et puis, là-bas encor. les glaçons monumentaux des Nords Bloquent, de leurs parois hiératiques, Les bords Du fiord Scandinave et du golfe baltique, Et puis, plus loin encor, plus loin toujours. Sur les plateaux d'Asie les rocs convulsés dressent leur frénésie

Jusqu'à barrer le jour, Les barbares voyaient un merveilleux mirage, Tenace et obsédant,

6

62

LES HYTHMES SOUVERAINS

Se déplacer vers l'Occident, De route en route, et d'âge en

Apres, hardis, aventureux, Ils se le désignaient en s'exaltant entre eux. Les plus ardents partaient à travers monts et plaines ; Ils dérobaient des chars et des peaux et des laines Et s'engouffraient dans l'inconnu et ses dangers. Des foules se joignaient à l'appel passager Qu'ils lançaient aux échos du haut de leurs montures ; Les chefs étaient de haute et compacte stature : Leurs longs cheveux nattés battaient leurs torses roux ; Ils se disaient issus des aurochs ou des loups. O ces brusques départs de hordes violentes Se ruant à l'assaut de la terre tremblante, Ces blocs errants et lourds de peuples rassemblés, Et ces trots de chevaux sur les pays brûlés, Et ces rapts dans la nuit, sous la lune et les astres, Et ces rires dans le carnage et les désastres,

Et, tout à coup, Tous ces fourmillements et ces tumultes fous

LES BARBARES

63

Laissant crouler leurs montag-nes de cris et d'hommes Vers Rome!

Ils la virent, un soir, dormir sur ses deux bords : Ses collines la soutenaient, lasse et vieillie, Mais le soleil jusqu'où sa gloire était jaillie Semblait changer ses toits en longs bouclier d'or Gomme pour la défendre à cette heure dernière. Le Çapitole étincelait dans la clarté Et, malgré tout, dardait encor sa volonté De rester ferme et droit et pur sous la lumière. Les barbares se désignaient, dans le lointain, Le palais des Césars vivait Augustule Et, parmi les frontons ardents du Janicule, Les hauts gestes des Dieux barrant le ciel latin. Ils hésitaient devant la suprême bataille : Leur esprit trouble et lourdement mystérieux Sentait comme un effroi brusque et contagieux Sortir des blocs fendus de Tantique muraille. Des prodiges apparaissaient sur les maisons : Des nuages soudains et pareils à des aigles

LES RYTHMES SOUVERAINS

Se levaient en tumulte et s'envolaient sans règle Et, tour à tour, quittaient ou gagnaient l'horizon. Et quand la sombre nuit voila la voûte éteinte, De toutes parts, sur les terrasses et les tours, Des feux multipliés y maintinrent le jour Et jetèrent au cœur des Hérules, la crainte. Ils ne retrouvaient plus dans leurs muscles l'élan Qui les portait, depuis les temps tumultuaires Qu'ils avaient quitter l'autre bout de la terre. Leur corps s'alanguissait, torpide et indolent, Ils erraient par les monts et les forêts tranquilles, Ne cherchant qu'un abri sous les arbres épais. Et qu'à flairer de loin, dans le vent qui passait , L'énorme et chaude odeur qui montait de la ville.

La faim Les fit sortir des bois et les rendit enfin Maîtres des destinées.

victoire sans grand effort fut moissonnée.

LES BARBARES 65

Déjà Ils parcouraient la ville en y semant la flamme Qu'ils ressentaient encor dans le fond de leur âme,

La frayeur d'être là; Mais les vins absorbés, et les viandes rouges, Mais l'odeur que Subure épandait de ses bouges, Mais les ors flamboyant de palais en palais Leur donnèrent soudain l'audace qu'il fallait. Pour abattre l'orgueil millénaire de Rome.

0 cette heure qui clôt une ère et la consomme ! Et qui surveille, et qui écoute, et qui entend Chaque empire tomber plus lourd au fond du temps î 0 ces siècles armés, qui tout à coup s'écroulent ! Ces flux et ces reflux de rages et de foules, Et ces fracas de fer et d'or sous le soleil ! 0 ces coups de marteaux sur des marbres vermeils. Ces corniches de gloire et de beauté vêtues Broyant, en s'abattant, les bras de leurs statues, Et ces trésors vidés, et ces coffres fendus, Et ces poings dans le meurtre et le viol tordus,

6.

66

LES RYTHMES SOUVERAINS

Et ces plaintes, et ces râles contre des portes,

Et ces amas encor tièdes de vierg-es mortes,

Et leurs reg-ards d'effroi, et leurs bouches, gardant

Des poils roux arrachés, dans l'étau blanc des dents,

Et la flamme rôdeuse, et tout à coup grandie,

Et lançant jusqu'au ciel ses meutes d'incendie !

4

CROISADE

Un cri s'élève, et vole, et frappe, et puis s'étend D'Ardenne en Vermandois, et de Flandre en Liizarche: Et les glaives au clair et les pennons en marche, Dès que passe ce cri, hérissent l'Occident.

0 ces milliers de pas, sur ces milliers de routes,

0 ce bruit régulier, fourmillant et profond,

Dont tressaillent les eaux, dont s'émeuvent les monts,

Et que les morts sous terre écoutent ; Bruits étouffés sous bois, bruits éclatés dans l'air, Bruits qui montent soudain et tout à coup s'affaissent. Gomme si par instants des quartiers de falaise

Croulaient et s'abîmaient en mer.

70 LES RYTHMES SOUVERAINS

Les chemins débordés envahissaient les plaines :

On broyait les épis ; on piétinait les graines ;

On dévastait à mesure que l'on errait,

Soit au bord des étang-s, soit au long des forêts,

Tragiquement, avec la faim dans les entrailles.

Parfois s'improvisaient de rapides batailles,

Autour de hauts trésors ou de butins captés.

Un chef intervenait, tenace et redouté,

Et reployait sous lui les volontés ser viles.

Les soirs, ceux qui campaient aux limites des villes

Se ruaient vers la femme avec de fortes mains,

Et le viol criait et s'étouffait dans Fombre.

Mais tous, le jour levé, reprenaient le chemin,

Et la terre, à nouveau, grondait de pas sans nombre.

Là-bas

Sous le ciel bleu de Palestine, Un pâle croissant d'or courbe sa pointe fine, A l'endroit même Tétoile guidait les pas

Des bergers et des mages.

Et, sur le bloc du sarcophage,

LA CROISADE

Jésus-Christ dormit sa mort, Un drapeau vert aux franges d'or, Depuis quels temps, âpres et sombres. Laisse flotter et s'exalter, Son ombre.

Au pays de Glermont, un moine avait prêché : î « Voulez- vous être exempt de fange et de péché, I Lorsque la mort vous saisira dans son étreinte?

Soyez ceux-là qui conquerront la terre Sainte. ' La tombe ouverte, Jésus-Christ languit trois jours,

Crie au monde qu'elle est sans gloire et sans secours

Et que sa pierre encor sanglante est profanée.

0 voix du sang divin, lentement obstinée, : Tu n'as frappé, jusqu'en ces temps, qu'un écho mort j Mais voici l'heure enfin de l'unanime effort.

Pour créer et muscler une force nouvelle.

Il faut que le silence apaise les querelles, *! Sur le brin d'un devoir ou le fétu d'un droit, ' Que les comtes, les ducs, les marquis et les rois I Coupent les rameaux noirs des haines réfractaires,

72 LES RYTHMES SOUVERAINS

Qu'ils soient, non pas seigneurs, mais croisés de leurs terre» ,

Qu'il n'y ait qu'un orgueil sur l'Occident debout,

Ici, là-bas, plus loin, de Tun à l'autre bout

Des vallons baptisés et des plaines chrétiennes,

Afin que soient armés d'ardeur quotidienne

Ceux qui partent mourir en des pays lointains.

Pour qu'au monde l'Europe impose son destin.

Quittez donc vos maisons par Dieu même gardées,

0 vous, les pas, qu'on entendra jusqu'en Judée,

Pas venus de partout avec l'ombre et le vent

Gomme un broussaillement ténébreux et mouvant.

Pas qui traverserez les pays d'Allemagne,

Et les ponts du Danube, et ses âpres montagnes,

Et le Bosphore, et puis l'Asie, et puis là-bas

Les torrides chemins d'Alep et de Damas,

Et qui toujours, toujours plus loin, de proche en proche.

Viendrez camper, un soir, sous les murs d'Antioche ;

0 pas rués vers la victoire, éperdûment,

Je bénis votre fièvre, et votre acharnement. »

Alors qu'ils chevauchaient entre Bude et Belgrade,

LA CROISADE yS

Le front libre du casque et l'étrier ballant, Tancrède et Bohémond causaient en camarades, Du discours de l'Hermite et de son cri brûlant. Ils n'avaient point compris la harang-ue trop belle ; Pour eux, tout étranger demeurait Tennemi, Et rien ne distinguait du Musulman rebelle L'Anglais envahisseur ou l'Allemand conquis. Pourtant, comme ils passaient à Varna, le dimanche, Leur prière mêlée aux prières de tous Sous les vélums soyeux des basiliques blanches, Leur inculqua soudain un esprit moins jaloux. Ils mangèrent le pain d'une commune idée Que leur tendit un prêtre extatique et chenu, Et leur bouche baisant la même croix dardée. Ils se crurent chez eux sous ce ciel inconnu.

Tandis que Godefroid, ayant gagné l'Asie Pour s'attaquer, lui le premier, à l'hérésie Des hauts sultans de soie et de béryls couverts Et des peuples tannés par les vents du désert, Ne rencontra jamais en ces hommes étranges

7

74 LES UYTUMES SOUVERAINS

Qu'une foi monstrueuse et de sang et de fang-e, Et ne comprit jamais la torride clarté Que leur versait au cœur une autre vérité.

Sion, vous reposiez là-bas au bout des plaines Avec vos minarets dorés par le couchant, D'où le haut muézin d'une ample et long-ue haleine, De terrasse en terrasse, illimitait son chant ! Et Godefroid song-eait que la sainte lumière, La maison de Marie et la tombe de Dieu, Ecoutaient, tous les jours, l'insultante prière Dont cet homme souillait la pureté des cieux. D'un bond géant, il eût voulu gagner la ville, Mais ses guerriers lassés se couchaient en chemin, Leur courage s'usait, et leur fièvre indocile Laissait frémir, parfois, la révolte en leurs mains. Malgré toute sa fougue, il lui fallut attendre Que l'Occident lui dépêchât d'autres, soldats, Et ce furent ceux-là du Vexin et de Flandre, Dont il ouït d'abord se rapprocher les pas. Et puis ce fut, superbement, l'armée entière,

LA CROISADE -75

Avec ses étendards repliés ou flottants,

Il crut à quelqu'orag-e enfermé sous la terre,

Qui tout à coup se délivrait en s'exaltant ;

Les Aquitains chantaient un hymne ardent et grave.

Que l'ordre de leur marche, avec calme, scandait,

Tandis que les Normands, les Saxons, et les Slaves^

La-bàs, au loin, sur les routes leur répondaient.

Un seul pas fourmillant semblait mouvoir leurs foules

Que le soleil frappait de haut,' terriblement,

Et c'étaient des clartés croulant comme des houles,

De l'un à l'autre bout de leur piétinement.

0 les nuits de repos et les matins d'alerte !

Et tout à coup, au soir tombant du jour dernier,

Debout, là, devant tous, dans sa ceinture verte,

Jérusalem que dominaient de hauts palmiers.

Alors l'élan fut tel dans l'ombre et la poussière

Qu'on eût dit que le sol lui-même s'emportait

Au soulèvement fou des pas myriadaires."

L'air était bondissant et le vent haletait,

La force et la valeur se muaient en miracles.

En vain, herses et ponts et douves et créneaux.

Et rocs et murs et tours étageaient leurs obstacles,

76 LES RYTHMES SOUVERAINS

L'énorme tourbillon devint soudain l'assaut Rué comme un torrent contre la cité sainte, Et les portes tombaient en écrasant les cris, Et les flammes sautaient au-dessus de l'enceinte. Et le mont Golg-otha s'éclaira dans la nuit.

0 jeune et violente et rapide victoire !

0 péril dûment surmonté ! 0 geste g-auche encor, dans la lointaine histoire.

D'une Europe vers l'unité !

MARTIN LUTHER

Les Monastères, On les voyait jadis, ainsi que de grands fronts, Du fond des bois, du bout des monts Illuminer la terre, Leurs tours les éclairaient comme autant de flambeaux ; Au-dessus d'eux, les étoiles posaient leurs sceaux, Et sur les champs, les clos, les lacs et les vallées.

Ils dardaient de très haut Le dogme inexpugnable et la foi crénelée.

Rome pensait pour tous ; Mais eux songeaient pour Rome. Ils dominaient la vie et les brusques remous Que creusait en son lit le flot rétif des hommes.

8o

LES RYTHMES SOUVERAINS

Partout, de bourg en bourg*, de cité en cité, Pesaient sur les cerveaux leurs blocs d'autorité. Peuples des pays clairs, peuples des landes sombres N'étaient que leur vouloir sacré devenu nombre. Ils déployaient sur Dieu leurs syllogismes froids. Ils inspiraient la crainte au cœur sans peur des rois. Et personne n'osait au brasier de son âme Réveiller un feu d'or ne brillât leur flamme.

Pendant mille ans, Ils maintinrent ainsi comme un glaive en sa gaîne, A la merci de leur bras ferme et vigilant

L'ardeur humaine; L'esprit ne sentait plus agir comme un ferment

La raison rude; La recherche était morte, et l'on croyait dûment,

Par habitude ; Le doute allègre était traqué de seuil en seuil

Gomme une bête. Et celui-là mourait qui pavoisait d'orgueil

Humain, sa tête.

MARTIN LUTHER 8l

0 ce grand ciel chrétien, despotique et mental,

Envoûtant sous ses lois l'espace occidental,

Qui donc l'affronterait, haut, sur la montagne?

Ce fut un moine ardent, sensuel et buté,

Qui serrait sous le froc deux poing-s de volonté.

Et qu'offrit à la terre un pays d'Allemag-ne.

Les textes nus et froids lui semblaient sans vertu ;

C'étaient des poteaux secs qui se croyaient des arbres,

L'esprit vivant g-isait sous la lettre abattu

Et le pape, là-bas, dans sa ville de marbre,

Mettait la grâce en vente et trafiquait du ciel.

Partout le décor creux masquait les lignes fermes

Et les hautains piliers d'un temple essentiel,

Les pépites de l'or semblaient autant de germes

Dont les prêtres ensemençaient le sol chrétien.

Tout un peuple de saints imposait sa tutelle

A la supplique humaine et la chargeait de liens.

Le cri direct de l'homme à Dieu n'avait plus d'ailes.

82 LES RYTHMES SOUVERAINS

Bien qu'il ne vît autour de lui Que des mains en fureur se crisper dans la nuit

Et des gestes armés de crosses Le menacer, soudain, de veng^eances féroces

Jusqu'au delà de son tombeau, Bien que le monde entier pesât sur son cerveau Avec ses vieux décrets et ses vieux anathèmes,

Rien n'empêcha Martin Luther

Devant l'aube du matin clair De penser par lui-même.

Il libéra le monde, en étant soi, pour tous.

Comme une forteresse, il maintenait debout.

Près de son cœur, sa conscience. La bible était pour lui, non pas une prison.

De textuelle obédience. Mais un jardin boug-eant sous l'or dés frondaisons

chaque homme, selon son âme, Choisit la fleur qu'il aime et mord au fruit qu'il veut

Et sous le ciel ardent de flammes

MAUTIN LUTHER ^3

Distingue le chemin qui le conduit vers Dieu.

Voici la vie, après combien de jours, ouverte

A la saine croyance et la libre ferveur.

L'idée humaine, enfin, marche à sa découverte

Et prend le jeune org-ueil pour guide et pour sauveur.

Il n'importe que tonne encor la voix romaine,

Luther a sous l'orage engrangé la moisson.

Sa force, il l'a trouvée en son âme germaine

Que la nature entière emplit de son frisson,

Il est homme de passion franche : il le crie ;

La vigne de la chair, il la veut vendanger.

Jamais, il n'est à bout de sa propre furie

Ni de sa joie âpre et folle d'être en danger.

Il est terrible et gai ; son humeur est soudaine ;

Il est contradictoire avec ténacité ;

Tous les fleuves d'amour, tous les torrents de haine

Creusent, sans le trouer, son grand cœur exalté ;

11 demeure inquiet jusque dans sa victoire,

Et, quand la mort s'étend de son cœur à son front,

On dirait que la nuit couvre d'une aile noire,

De roc en roc, les flancs et le sommet d'un mont.

MICHEL-ANGE

land Buonarotti dans la Sixtine entra, Il demeura Gomme aux écoutes, Puis son œil mesura la hauteur de la voû te Et son pas le chemin de l'autel au portail. Il observa le jour versé par les fenêtres Et comment il faudrait et dompter et soumettre Les chevaux clairs et effrénés de son travail. Puis il partit jusques au soir vers la campagne.

Les lignes des vallons, les masses des montagnes Peuplèrent son cerveau de leurs puissants contours. Il surprenait dans les arbres noueux et lourds Que le vent rudoyait et ployait avec force

88 LKS UYTIIMES SOUVERAINS

Les tensions d'un dos, ou les g^albes d'un torse, Ou l'élan vers le ciel de grands bras exaltés, Si bien qu'en ces instants toute l'humanité Gestes, marches, repos, attitudes et poses Prenait pour lui l'aspect amplifié des choses. Il reg-ag-na la ville au tomber de la nuit. Tour à tour glorieux et mécontent de lui, Car aucune des visions qu'il avait eues Ne s'était, à ses yeux, apaisée en statue.

Le lendemain avant le soir, Sa lourde humeur crevant en lui comme une grappe

De raisins noirs, Il partit tout à coup chercher querelle au pape. (( Pourquoi l'avoir choisi, Lui, Michel-Ange, un statuaire ; Et le forcer à peindre en du plâtre durci Une sainte légende au haut d'un sanctuaire ? La Sixtine est obscure, et ses murs mal construits : Le plus roux des soleils n'en chasse point la nuit ! A quoi bon s'acharner sur un plafond funèbre

MICHEL-ANGE 89

A colorer de l'ombre et dorer des ténèbres. Et puis encor, quel bûcheron lui fournirait Le vaste bois pour un si larg"e échafaudag'e ? » Le pape répondit sans chang^er de visage : « On abattra pour vous ma plus haute forêt. »

Michel-Ang-e sortit et s*en alla dans Rome,

Hostile au pape, hostile au monde, hostile aux hommes,

Croyant heurter partout aux abords du palais

Mille ennemis qui le g-uettaient, groupés dans l'ombre,

Et qui raillaient déjà la violence sombre

Et la neuve grandeur de l'art qu'il préparait.

Son sommeil ne fut plus qu'une énorme poussée

De gestes orageux à travers sa pensée ;

Qu'il s'étendît, le soir, dans son lit, sur son dos.

Ses nerfs restaient brûlants jusques dans son repos ;

Il était frémissant toujours, comme une flèche

Qui troue une muraille et vibre dans la brèche,

Pour augmenter encor ses maux quotidiens

Il s'angoissait des maux et des plaintes des siens ;

Son terrible cerveau semblait un incendie

8.

90 LES RYTHMES SOUVERAINS

Plein de feux ravag-eurs et de flammes brandies.

Mais plus son cœur souffrait, Plus l'amertume ou la rancœur y pénétrait, Plus il se préparait à soi-même d'obstacles Pour éloigner l'instant de foudre et de miracle Qui tout à coup éclairerait tout son labeur, Mieux il élaborait en son âme croyante

L'œuvre sombre et flamboyante Dont il portait en lui le triomphe et la peur.

Ce fut au temps de Mai, quand sonnaient les matines, Que Michel- Ang-e, enfin, rentra dans la Sixtine

Avec la force en son cerveau. Il avait ramassé son idée en faisceaux : Des g-roupes nets et sûrs, d'une ligne ample etfière, Se mouvaient devant lui dans l'égale lumière. L'échafaudage était dressé si fermement Qu'il aurait pu mener jusques au firmament. Un grand jour lumineux se glissait sous la voûte,

MICHEL-ANGE CI

En épousait la courbe et la fleurissait toute. Michel-Ange montait les échelles de bois, Alerte, et enjambant trois degrés à la fois. Une flamme nouvelle ardait sous sa paupière, Ses doigts, là-haut, palpaient et caressaient les pierres Qu'il allait revêtir de gloire et de beauté. Puis il redescendit d'un pas précipité Et verrouilla, d'une main forte, La porte.

Il se cloîtra pendant des jours, des mois, des ans. Farouche à maintenir l'orgueil et le mystère Autour de son travail nombreux et solitaire ; Chaque matin, il franchissait, au jour naissant. De son même pas lourd, le seuil de la chapelle, Et comme un tâcheron violent et muet. Pendant que le soleil autour des murs tournait, Il employait ses mains à leur œuvre immortelle.

Déjà, En douze pendentifs qu'il leur départagea

92 LES RYTHMES SOUVERAINS

Sept prophètes et cinq sybilles Cherchaient à pénétrer de vieux livres obscurs Dont le texte immobile Arrêtait devant eux, le mobile futur. Le long- d'une corniche aux arêtes carrées, De beaux corps lumineux se mouvaient hardiment Et leur torse ou leur dos peuplait l'entablement De leur vigueur fleurie et de leur chair dorée. Des couples d'enfants nus soutenaient des frontons, Des g-uirlandes jetaient ci et leurs festons, Le long- serpent d'airain sortait de sa caverne, Judith se pavanait dans le sang- d'Holopherne, Goliath s'écroulait ainsi qu'un monument Et, vers les cieux, montait le supplice d'Aman.

Et sans erreurs, et sans ratures, Et jour à jour, et sans repos, L'œuvre s'affermissait en sa pleine structure ;

Bientôt La Genèse régna au centre de la voûte : On y pouvait voir Dieu comme un lutteur qui joute

MICHEL-ANGE 93

Avec le chaos sombre et la terre et les eaux ;

La lune et le soleil marquaient d'un double sceau,

Dans l'étendue ardente et nouvelle, leur place.

Jéhovah bondissait et volait dans l'espace,

Baig-né par la lumière ou porté par le vent ;

Le ciel, la mer, les monts, tout paraissait vivant

D'une force ample et lente, et dûment ordonnée ;

Devant son créateur, la belle Eve étonnée

Levait ses tendres mains et ployait le genou,

Tandis qu'Adam sentait le doigt du Dieu jaloux

Toucher ses doigts et l'appeler aux œuvres grandes ;

Et Gain et Abel préparaient leurs offrandes ;

Et le démon devenu femme et tentateur

Ornait de ses seins lourds l'arbre dominateur ;

Et, sous les pampres d'or de son clos tributaire ;

L'ivresse de Noé s'échouait sur le sol ;

Et le déluge noir épandait comme un vol

Ses larges ailes d'eau sur les bois et la terre .

Dans ce travail géant que seul il acheva Michel-Ange brûlait du feu de Jéhovah ;

94 LES RYTHMES SOUVEKAINS

Un art surélevé jaillit de sa cervelle ;

Le plafond fut peuplé d'une race nouvelle

D'êtres majestueux, violents et pensifs.

Son génie éclatait, austère et convulsif,

Gomme celui de Dante ou de Savonarole,

Les bouches qu'il ouvrait disaient d'autres paroles,

Les yeux qu'il éclairait voyaient d'autres destins,

Sous les fronts relevés, dans les torses hautains,

Grondait et palpitait sa g-rande âme profonde ;

Il recréait, selon son cœur, l'homme et le monde

Si magnifiquement qu'aujourd'hui pour tous ceux

Que hantent les splendeurs et les gloires latines,

Il a fixé, sur la voûte de la Sixtine,

Son geste tout puissant, dans le geste de Dieu.

Ce fut par un jour frais d'automne, Que l'on apprit enfin Que le travail, dans la chapelle, avait pris fin

Et que l'œuvre était bonne. La louange monta comme un flux de la mer Avec sa vague ardente et son grondement clair.

MICHEL-ANGE 95

î Mais Jules deux, le pape, hésitant à conclure,

: Son silence fit mal ainsi qu'une brûlure,

[ Et le peintre s'enfuit vers son isolement.

I II rentra, comme heureux, en son ancien tourment,

[ Et la rag-e, et l'orgueil, et leur tristesse étrange,

Et le soupçon mal refréné

Se remirent à déchaîner Leur tragique ouragan à travers Michel-Ange.

\

L'OR

1

Vous existez en moi, fleuves, forêts et monts, Et vous encor, mais vous surtout, villes puissantes, je sens s'exalter les cris les plus profonds D'âge en âge, sur la terre retentissante.

Vos gestes sont précis, si vos espoirs sont fous, Vous vivez mille instants en un instant fugace, Vous créez votre force avec toutes les races, Et le rythme du siècle est votre rythme à vous.

0 morts, couchés de cimetière en cimetière,

Au long des plaines de la terre, De quel frémissement doivent trembler vos os

LES RYTHMES SOUVERAINS

Lorsque les trains sonnants ébranlent vos tombeaux ! Vous étiez mêmes gens habitant un village, Vous ne connaissiez rien que vos mêmes usages, Et voici que le monde entier roule sur vous

Ses tumultes et ses remous Et que les rails qui vous frôlent de leurs éclairs Jettent vers les cités l'innombrable univers.

Elles sont qui attendent au bord des mers, Avec leurs gestes droits de signaux et de phares, Avec leurs yeux en feu sous les voûtes des gares,

Avec les mailles de leurs bruits Se resserrant le jour, se desserrant la nuit, Avec leur hâte et leur ruée Vers les conquêtes graduées.

Voici les docks et les havres, et les chantiers Pleins de marteaux, et de compas, et de charpagnes, les câbles des treuils et les bras des leviers Font mouvoir lentement des morceaux de montagne ;

l'or

Voici les carg-aisons chargeant les vieux pavés, Et des ballots de laine échoués dans la boue, Et des ponts tout à coup jusqu'au ciel soulevés, Et des tournoiements fous de chaînes et de roues, Et des Malais bronzés et des Arabes blancs, Et leurs cris gutturaux et leurs chansons barbares. Et leur travail rapide ou leurs pas indolents Autour des bricks légers et des lourdes gabarres.

Plus loin montent des tours, sonores d'un bruit d'eau. En des hangars fumeux circulent des flambeaux. De grands élévateurs ronflant dans la poussière Aspirent jusqu'aux toits les grains myriadaires. Barres d'acier, plaques de fer, lingots de plomb Glissent, "presque sans bruit, en des steamers profonds. Au bout du port, en des enclos gardés, s'isolent Les hauts réservoirs blancs de naphte et de pétrole. La fumée est si dense à travers les grands mâts Que le soleil dans les cieux d'or ne se voit pas Et que l'effort musclé de la cité entière Paraît à tels moments se bander sous la terre.

LES RYTHMES SOUVERAINS

Guichets, comptoirs, bureaux, sous vos abat-jour verts Avec vos mille mains griffant la page blanche, Vous consignez la vie illuminant la mer Des Antilles au Cap et du Gap à la Manche ; Vous resserrez la force énorme entre vos doigts, Et le courage humain se nombre sous vos plumes, Et la peine, et l'ardeur, et la rage, et l'effroi, Et l'ahan de la forge, et les bonds de l'enclume. Vous recensez les coups de pic et de marteaux Dans les mines, dans les forêts et dans les brousses, Et les pas des porteurs plojant sous leurs fardeaux. Et le trot voyageur des caravanes rousses; Et vos livres massifs, pleins de mornes odeurs s'étage l'orgueil des sommes chimériques, S'imprègnent, jour à jour, de l'immense sueur Qui perle aux quais d'Asie et coule aux docks d'Afrique.

Et tout bas, au coin d'un carrefour géant,

Du haut de tes grands toits, œillés de vitres rondes,

Tu règnes, de pôle en pôle, sur l'Océan,

[o3

Toi, la banque, âme mathématique du monde ! Les plus vieux des désirs retentissent en toi. Toutes les passions en lutte et en folie A ton rythme fatal s'apaisent ou s'allient Et s'inclinent soudain devant ton org-ueil froid. Et tout se canalise en des réseaux de lignes, Bordés, sur tes carnets, de chiffres et de signes : Ruse, bassesse et vice, ardeur, peine et travail. Gomme un air vicié s'engouffre en un poitrail, Tout se respire en toi, s'y brûle ou s'en exhale, Le temps manque pour distinguer les droits des torts, Tout est fondu par ta vie âpre et triomphale. Dans l'or.

0 formidable pluie éparse sur le monde !

0 l'antique légende I O chair de Danaé !

0 cieux brûlés de feux et d'étoiles fécondes

Qui vous penchez le soir sur l'univers pâmél

0 tourbillons de l'or les yeux s'hallucinent,

Or, échange et conquête ; or, verbe universel ;

Sève montant au faîte et coulant aux racines

I04 LES RYTHMES SOUVERAINS

De forêt en forêt, comme un sang* éternel. Or, lien de peuple à peuple à travers les contrées, Et tantôt pour la lutte, et tantôt pour l'accord. Mais lien toujours vers quelque entente inespérée Puisque l'ordre lui-même est fait avec de l'or.

LE MAITRE

On lui reprochait tout Depuis long-temps, mais à l'écart, dans l'ombre

Et c'était son astuce et ses ruses sans nombre, Et c'était son orgueil qu'il maintenait debout Même en cédant obliquement à la contrainte, Et c'était son art preste, et chaque fois nouveau, De susciter d'illusoires complots, Et d'autres fois C'était sa voix, Franche et brusque comme une étreinte, Et sa langue indocile aux propos mensongers. Et tout à coup son front se redressant sans crainte. Très haut. Jusqu'aux tonnerres du danger.

I08 LES RYTHMES SOUVERAINS

Un jour pourtant Que tous sentaient son joug" peser plus irritant, Quelqu'un, un inconnu, jeta soudain vers lui, A l'heure s'installait sur les g-radins la nuit, Les colères enfin démuselées De l'Assemblée. L'attaque fut menée avec rage et candeur Et tous, à tels moments de verve, applaudissaient Cet inconnu long-temps muet Dont la parole étrangement nouvelle Passait en rouge éclair à travers leur cervelle, Et défiait le maître et l'atteignait sans peur.

Il répondit par le rire qui raille. Tandis que se levaient déjà, autour de lui, cent mains Pour ajourner le sort de la bataille Au lendemain.

L'empire ! Depuis bientôt vingt ans,

LE MAITRE I Ot)

Il le menait comme un navire Dont les grands mâts ornés de pavillons battants Etaient sa volonté que blasonnait son verbe ; Toute sa force avait gréé l'œuvre superbe ; Les focs ardents, la proue en or, les haubans clairs Et les voiles, d'espace inassouvies, Etaient sa vie, Quand ils envahissaient de leur splendeur la mer. Or, à cette heure belle planait sa victoire, Sans même soupçonner ce qu'il fallut d'org-ueil. De souple audace et de gestes contradictoires Pour ruser avec l'eau et tourner les écueils,

Quelque pâle rêveur, Que tous ses ennemis accueillaient en sauveur,

Soudainement attaquait son ouvrage Au nom d'une justice imprévue et sauvage.

Déjà Au-dessus de la ville et des plaines, là-bas. Vibraient de tous côtés les fils télégraphiques Pour divulguer l'attente et la terreur publiques.

110 LES RYTHMES SOUVERAINS

Oh ! le sort redouté de l'imminent combat !

Le nég"oce et la banque entraient dans la mêlée,

L'or, répandu aux quatre coins du monde, Précipitait sa fièvre ang-oissante et profonde D'après le pouls d'une assemblée.

Un orag-eux public, ici, là-bas, partout^ Cramponné aux piliers, sur les balcons debout, Massait au long* des murs ses g-rappes colossales. Lorsque le maître, à pas fermes et lents, s'en vint Le lendemain, Prendre sa place en la g-rand'salle.

Et sitôt qu'il monta les marches, une à une, De la large, luisante et massive tribune.

Le silence s'imposa tel Que Ton n'entendit plus que les branches d'un hêtre,

Au va-et-vient du vent accidentel, Griffer, là-haut, les carreaux mats d'une fenêtre.

LE MAITRE I I

Alors, Sans un g^este trop vif, ni sans un cri trop fort, Avec de la souplesse à sa vig-ueur mêlée, Sa parole monta vers l'assemblée.

Il fut avec dextérité, sincère et faux.

11 s'imposait habilement, mais sans emphase;

Comme un plumag-e souple et chatoyant d'oiseau,

11 disposait en nets et réguliers faisceaux

Les arg'uments ailés dont il armait ses phrases ;

Soudain, avec tranquillité, il dévoila

Le ciel profond que jour à jour il étoila

Pour que, pareille à quelque immense Walk3Tie,

On y pût voir marcher et régner la Patrie.

Puis son verbe se fit sournois et entêté

Et sans effort et sans violente brisure,

Telle une eau patiente à travers les fissures.

Il atteignait et submergeait les volontés.

Il vit que peu à peu se redressait sa cause,

112 LES KYTHMES SOUVERAINS

Et qu'un chemin montait vers son apothéose Rayonnante déjà quoique lointaine encor.

Il connaissait si bien le jeu des consciences, Qu'il confiait, sans se tromper, son enjeu d'or Au chiffre obscur qu'allait illuminer la chance. Les promesses étaient pour lui fleurs de jardin Qu'il faut grouper, montrer et dérober soudain. Il disait mépriser tous les vieux stratagèmes Mais les travestissait pour en user quand même.

Enfin quand il sentit sa force avec le sort, D'accord, Et que toute sa taille Domina les hasards épars dans les batailles,

Soudainement, sans nul effort, Le mot vivant, cruel, rapide et nécessaire Qu'il réservait pour abattre ses adversaires

Jaillit. Il déchaîna leur rag-e et crispa leur dépit.

1

LE MAÎTUE I l3

Il recelait en lui tant de flammes retorses ; Il opposait l'une à l'autre leurs propres forces ; Il divisait, tordait, brûlait et condamnait, Discours graves et creux, phrases hyperboliques ; Le mot vous écrasait en se faisant réplique, Il s'accroissait d'un sens que nul ne soupçonnait. De g-radin en gradin, il gagnait les tribunes ; Un bref moment d'histoire épousait sa fortune ; Et celui-là qui le premier l'avait lancé, Sachant sous quel tonnerre il ploierait l'auditoire , Regardait maintenant se fixer sa victoire. Les bras croisés.

Il excusa, négligemment, le doux rêveur Dont le discours de jeune et funeste ferveur Avait, sans le vouloir, amoncelé les rages

En brusque orage , Puis tout à coup sa force en terreur se changea : Son verbe, avec une ardeur froide, saccagea Le camp déjà foulé de ses vieux adversaires Pour le piller encor et quand même en extraire

Il4 LES RYTHMES SOUVERAINS

Le nombre d'ennemis qu'il jugeait nécessaire A son œuvre follement haut, mais ordonné. Son g-este les marquait comme des condamnés A l'attaquer toujours sans le pouvoir abattre, A le servir par leur folie à le combattre, A n'être rien qu'un troupeau morne et ténébreux

Qui craint le fouet et les lanières; Et son orgueil monumental croulait sur eux Lentement, pesamment, Et bloc à bloc, et pierre à pierre. Sans qu'un seul cri de violence Ne répondît encor à cet acharnement Dans le silence.

Son triomphe sonna bientôt par la cité Et retentit de jusqu'aux confins du monde. D'un coup, tous les espoirs ressurgirent, entés Sur les rameaux touffus de sa force profonde ; Les négoces multipliés et haletants Reprirent sur la mer leur essor vers l'espace. Et l'or torrentiel rapide et insolent

LE MAITRE

ii5

Rebondit jusqu'au ciel sur ses tremplins d'audace, Et lui, le maître, ordonnateur puissant et clair De la tempête son poing seul tenait l'éclair Pour frapper, éparg-ner, menacer ou contraindre, Se remit promptement à sourire et à feindre, A défendre sa joie et la celer en lui. Il la voulait g-arer du tumulte et du bruit Et que rien n'en ternît la splendeur solitaire. Mais quand il fut rentré dans sa vieille maison Et que montaient vers lui du fond des horizons Toujours, encor, les voix larges et tributaires, Il se fit fête à soi-même, tranquillement, Laissant sa conscience et sa raison lui dire Qu'il était bien, en ce moment. Logiquement, Lui seul, l'empire.

LES ATTIRANCES

C'est bien là-bas, au bord des landes, Que le kiosque étrang-e et suranné

leur amour est Demeure et leur survit, abandonné ; C'est bien là-bas, au bord des landes, les bateaux monumentaux Mirent dans l'or et dans la boue

Leur proue. C'est bien là-bas, au bord des landes Et des fleuves trouant le cœur de la Hollande,

Il s'en alla, par un soir d'août, Quand la clarté se respirait

120 LES RYTHMES SOUVERAINS

Et se buvait dans le vent fou ; II s'en alla, Dieu savait ; Mais quand il reviendrait, Après combien de jours, après combien d'années De lutte rouge avec sa destinée, Très fièrement, il lui rapporterait, En son âme plus claire et plus profonde, En ses deux jeux plus éblouis, En ses deux bras lassés d'espace et d'infini, Le monde.

Il vit des mers, et puis des mers, toujours, encor,

Et des golfes couvrant, avec faste, leurs bords.

De grands bois sourds se prolongeant de lieue en lieue ;

Leurs branchages se cramponnaient au ciel brûlant;

Il regardait, parmi les troncs, des singes blancs

Bondir et s'éloigner, sous des lianes bleues :

Là-bas, s'illuminaient les pays du corail ;

De longs oiseaux de pourpre et d'or, aux becs d'émail.

S'éparpillaient miroirs et fleurs dans l'air de nacre.

Aux mirages les monts versaient leurs simulacres.

LES ATTIKANCES

Il marchait sur la grève, et doucement songeait,

Et dans la brise claire, tout son corps plongeait,

Il lui semblait sentir des caresses connues :

Deux mains fluides glissaient contre ses tempes nues.

Si bien que son esprit ardent et exalté

Jurait que ces deux mains de joie et de bonté

Venaient vers lui en traversant l'immensité.

Elle, là-bas, au bord des landes familières,

Dans son logis vibrant de fleurs, ailé de lierres,

Se souvenait et ne vivait que pour l'absent.

Armoire s'enfermaient les missives aimées.

Larges fauteuils, divans moelleux, coussins pesants.

l'empreinte restait de leurs têtes pâmées,

Cristal du miroir glauque, leurs deux regards clairs

S'étaient brûlés^ jadis, en un unique éclair,

Vos liens silencieux mais forts tenaient sa vie

A vos doux souvenirs doucement asservie.

Parfois, les soirs, quand les clartés des horizons Frôlaient à peine, au loin, les portes des maisons.

i

LES RYTHMES SOUVERAINS

Avec une ferveur lente, ses mains fidèles Parcouraient ses beaux seins et sa bouche et ses yeux Comme pour recueillir, entre ses doig-ts pieux, Ce qui restait de lui et de son feu, sur elle. Alors c'était si bellement fête en son cœur. Que rien, ni le ciel noir voilant, là-haut, ses astres, Ni l'orage épandant les maux et les désastres. Rien n'aurait pu troubler Thallucinant bonheur Que lui versaient long-temps, en cette heure de fièvre. Ses doigts soudain rejoints et baisés par ses lèvres.

0 ces deux cœurs tendus à travers l'Océan !

Au bord des torrents fous, au pied des rocs géants, qu'il allât vallons, steppes, plaines, rivages, Chemins perdus, marais fangeux, brousses sauvages Il la sentait vivre et comme penser en lui. Elle était là, quand il marchait sous l'or des nuits Vers quelque but lointain, par les chemins funestes les dangers guettaient, prêts à bondir, son geste.

LES ATTIRANCES

II

Or, vers le soir, un jour, Gomme il s'en revenait, par un pays de fleuves Et de champs réguliers fleuris de maisons neuves^ Derrière un aqueduc barrant une lueur, La ville rouge, éclatante et soudaine Gomme un jardin de pierre et d'or, du fond des plaines, Sollicita son rêve et tout à coup son cœur.

Un bruit grondant et sourd

Gontinûment, toujours,

Sous le dais lourd de ses fumées

Envenimées, S'élevait d'elle et se mêlait là-bas

124 LES RYTHMES SOUVERAINS

Au bruit des flots ardents ou las

De la mer proche. Brusques, ainsi que des encoches, Des sifflets durs entaillaient l'air, parfois, Et du côté des docks de pétrole et de bois Il entendait sortir, comme d'une poitrine, L'appel rauque et brumeux des sirènes marines. Et devant lui, les ténèbres semblaient marcher, Et s'éloigner, avec des flammes suspendues ; Des tours cog-naient leur front contre le front des nues ; Des toits de verre étincelaient sur des marchés ; Des éventails de feu s'ouvraient, du haut des phares, Et leurs rayons partaient, au larg-e, sur la mer. Toucher la proue en or des g-rands bateaux barbares Qui s'en venaient vers eux du bout de l'univers.

0 la cité énorme^ ang-oissante et trag-ique. Comme elle entra fiévreuse et frémissante en lui ! Ardeurs fermes, espoirs noueux, forces logiques, Fluides de volonté nourrissant chaque esprit. Travail escaladant, en ses doctes voyages.

LES ATTIRANCES 125

De maison en maison, les plus hauts des étages, Vous exaltiez son cœur et gagniez son cerveau Tout son être grondait d'un orage nouveau. Il se sentait plus clair, plus fort, plus grand, plus vaste. Les miroirs de son âme absorbaient les contrastes. 11 se multipliait dans les foules, là-bas : Leurs gestes, leurs rumeursjleurs voix, leurs cris, leurs pas, Semblaient, quand ils montaient, le traverser lui-même ; Et les trains merveilleux, sur leurs routes de fer, Avec leurs bonds empanachés de vapeurs blêmes. Roulaient, et trépidaient, et sonnaient en ses nerfs, Si fort que son cœur jeune, ardent, souple et docile, Vibra, jusqu'au tréfond, du rythme de la ville. Rythme nouveau, rythme enfiévré et haletant, Rythme dominateur qui gagnait l'âme entière Et entraînant en sa fureur les pas du temps !

Ah ! combien celle, hélas ! dont la douce prière Traversait terre et mer, les mains jointes, là-bas, Sentit, en ces jours noirs, peser son cœur plus las Et les fluides cesser et se vider l'espace !

120 LES RYTHMES SOUVERAINS

Les meubles chers voilaient les jeux de leurs surfaces, Les divans clairs qu'elle évoquait tels des témoins Ghang-eaient leurs plis soyeux et boudaient dans leurs coins, Et, vers le soir, dans l'ombre et l'horreur vespérales, Les vents n'étaient plus rien que des pleurs et des râles.

LES ATTIRANCES

III

Et tandis qu'elle allait ainsi, traînant son cœur

De tristesse en angoisse, et d'angoisse en douleur,

Lui, l'exalté soudain de la vie élargie.

Gomme en des bains de feu trempait son énergie ;

Souple roseau par un vent d'Est violenté,

La fortune ondoyait selon sa volonté ;

L'or formidable et fou illuminait sa tête

Des rayonnants éclairs d'une rouge tempête ;

Les rages des conflits, les abois des périls,

Dès qu'il parlait, rentraient matés dans leur chenil ;

Il était maître et roi d'une force autonome ;

Il l'imposait lucide et fascinante aux hommes ;

Et telle était sa foi dans son pouvoir certain.

Qu'il se croyait le geste et la main du destin.

128 LES RYTHMES SOUVERAINS

Ses chercheurs d'orjd'arg-ent, d'étain, de plomb, de cuivre,

En des îles de gel, en des pays de givre.

Partout, leur pic dur dans le roc s'enfonçait,

Sans le savoir, de terre en terre, obéissaient

A son infatigable et tenace pensée.

Ils se mouvaient en son âme dramatisée.

Ses lourds vaisseaux craquant au poids des cargaisons,

Et, blasonnant de leur splendeur les horizons,

Tanguaient bien plus en lui que sur les vagues folles.

Parfois, il prononçait de soudaines paroles

Et ses yeux regardaient ce qu'ils fixaient, sans voir ;

Mais quand il travaillait, sous la lampe, le soir.

Ivre de ses calculs, fiévreux de ses conquêtes.

Et que le monde entier lui battait dans la tête

Avec ses docks, avec ses ports, avec ses mers.

C'était le rythme immense et clair de l'univers

Qu'il sentait s'exalter, jusqu'au fond de ses moelles;

0 les pôles, les équateurs et les étoiles,

Gomme ils gelaient, brûlaient et s'éclairaient en lui

Et comme, en son cerveau, chantait leur infini !

LES ATTIRANCES l'JQ

IV

Heures de paix, temps de nag-uère, Charmes de celle, hélas ! qui l'attendait toujours Avec son âme et son amour, A l'autre bout des mers et de la terre. Il nég-Iig-ea, brutalement, vos doux appels. Son cœur g-randi avait changé à un point tel Qu'il ne s'angoissait plus que des forces profondes Qui font d'un cœur humain le cœur même du monde Et lui donnent pour large et formidable loi On ne sait quel allègre et merveilleux effroi. Heures de paix, temps de naguère, ardeur, oubli, Image d'or dont l'or jour à jour a pâli; Oh ! qu'elle fut tragique et sanglotante Cette heure et cette nuit d'hiver,

î30 LES RYTHMES SOUVEPiAINS

Quand le cristal du miroir clair, leurs reg'ards s'étaient brûlés dans un éclair, Se brisa, tout à coup, dans les doigts de l'amante

Son cœur ne lui fut plus qu'un douloureux tombeau ; Seul y brillait le souvenir comme un flambeau. Avec de grandes fleurs avant le soir fanées Elle usait la longueur de ses tristes journées. Ceux qui s'en revenaient des Océans lointains, Se taisaient devant elle en sachant son destin. Plus rien ne lui était secours ni viatique. Aucune onde n'exaltait plus l'air magnétique Quand son corps redressé se tournait vers la mer. Ses yeux devinrent beaux d'avoir longtemps souffert Et son âme, dont se taisait la violence. Se mit à refleurir dans l'ombre et le silence, Si fort, Qu'elle accueillit la mort. Très doucement. Sans plainte vaine, un soir d'hiver, par un sourire, Et que le dernier mot qui fut pour son amant

LES ATTIRANCES

Fut simplement le mot qui pardonne et admire.

Et maintenant C'est bien au bord des landes Que le kiosque étrange et suranné

leur amour est Demeure et leur survit abandonné ; C'est bien, au bord des landes les bateaux monumentaux Mirent dans For et dans la boue

Leur proue, C'est bien là-bas, au bord des landes Et des fleuves trouant le cœur de la Hollande.

LA CITÉ

L'or serait tout, s'il était maître des idées,

Mais lentement, mais jour à jour, Avec terreur, avec amour,

La ville Les a, grande de fièvre ou de force tranquille,

Elucidées.

Ce fut d'abord Le sort De ses rêveurs et de ses sages D'en prévoir les contours Puis d'en fixer la ligne et d'en dorer l'imag-e

[36 LES RYTHMES SOUVERAINS

Quand la foule à son tour S'en empara Pour les tenir, devant elle, dressées, Elle y g-lissa son sang- bien plus que sa pensée,

Mais son ardeur les robura

De joie immense et angoissée.

0 le travail des ans ! 0 le travail des heures ! Ce qui ne fut d'abord que songe et que rumeur Dans telle âme profonde Devint bientôt le bruit et la clameur Du monde.

Alors Ceux qu'écrasait le sort Ou que ployait la mine ou que courbait la terre, Sentant peser sur eux les destins millénaires , Redressèrent le dos Sous leur fardeau ; Tels mots qui tout à coup rayonnent et délivrent

LA CITÉ l'd'J

Se levèrent du fond des livres : Selon qu'ils effleuraient tels cœurs ou tels cerveaux, Ils acquéraient un sens plus larg-e et plus nouveau ; Qui les criait, le soir, sur les places publiques. En ag-g-ravait soudain la puissance tragique ; Leurs syllabes semblaient être faites d'airain Pour réveiller et pour armer l'espoir humain Et propager, parmi la peur et l'épouvante. Le bondissant tocsin des vérités vivantes.

Un jour, en des jardins qu'avaient ornés les rois, Avec des mains en sang- fut bientôt vendangée La vigne formidable mûrissent les droits. En vain les vieux décrets et les antiques lois Repoussaient vers la nuit la justice insurgée, La révolte eut raison des coupables pouvoirs : Dans un air saturé de poussière et de poudre. Devant les seuils tout à coup clairs des palais noirs Elle agitait, dardait et projetait sa foudre Et, n'eût été son trop sauvage et fol élan Qui soulevait ses bonds sans diriger leur force,

i38

LES RYTHMES SOUUERAINS

Elle eût tué d'un coup le vieux monde branlant Comme un arbre qu'on brûle à travers son écorce .

Depuis lors, la révolte habite et vit en nous ; Et nous chauffe le cœur avec sa sourde flamme ; Ceux mêmes qui la maudissent l'ont dans leur âme Et se sentent jetés par son grand geste fou Hors de leur sûr repos et de leurs vieux usages. Et voici que s'élève afin de l'attester Comme une heureuse et vivace nécessité Jusqu'au cri des savants qui dissèquent les âges, Si bien qu'elle apparaît dans le vieil Occident La flamme qu'on redoute ou le feu qu'on attend Et qui retrempe au torrent d'or des incendies La boiteuse équité mourante et refroidie .

Rente et travail, lutte et pouvoir, haine et amour ; Détresse, orgueil ; assauts, reculs ; chutes, victoires ; Gomme vibre notre heure et frissonnent nos jours De vos rythmes contradictoires !

iSq

La ville vous écoute et vit de vos ardeurs

Des blocs de ses pavés aux frontons de ses faîtes,

Elle sonne et tressaille, et ses deuils et ses fêtes

Et ses drapeaux flottants sont pleins de vos fureurs.

Elle est si vieille, elle a tant vu souffrir la vie

En sa rag^e foulée et sa force asservie

Qu'elle disting"ue et suit tout geste même obscur

Vers le futur, Et qu'elle veut à travers tout, fût-ce contre elle, Fût-ce contre ses Dieux, sa g-loire et son passé, D'âg-e en âg-e, trag-iquement, s'électriser D'une âme dang-ereuse, éclatante et nouvelle.

LE PEUPLE

Tonnante, La fête s'annonçait, dès le matin, là-bas.

Gomme en un brusque branle-bas, Mille mains rapides et frissonnantes Ornaient encor D'arg-ent et d'or Le moyeu d'une roue ou le timon d'un char.

Près des remparts se massaient dans les allées Les hauts soldats aux tuniques bariolées, Les chevaux hennissaient du côté de la mer.

l44 LES RYTHMES SOUVERAINS

Sous un hang-ar de verre et fer, S'illuminaient et les pennons et les bannières, Et le soleil, entrant par les vitraux, Faisait comme des bonds de lumière, Sur les drapeaux.

Et plus loin, du côté des bassins et du port^

Tous les navires Hissaient leurs pavillons et pavoisaient leur bord ,

Et, doucement, Leurs cordages vibraient au vent

Gomme des lyres.

Et puis là-bas, plus loin encor. De quartier en paroisse, et de rue en impasse, Les murs allég-rement portaient des dédicaces. On travaillait au ras du sol et sur les toits, Dans un enmêlement de g-estes et de voix,

Avec la bière ardente et claire Gomme auxiliaire.

LE PEUPLE

145

On travaillait partout entrain, hâte, g-aieté Si bien qu'à ses confins la g-rouillante cité Semblait brûler déjà et de fièvre et d'audace. Avant que l'ample joie incendiât les places.

Or, à cette heure, en sa maison, Celui pour qui battaient à l'unisson Tant de cœurs doux, naïfs et rudes. Etudiait comme un secret, Quelle parole, il jetterait

A la roug'e et chantante et folle multitude.

Il lui fut autrefois appui, g'uide, conseil ;

Il inventait les mots pour les mornes détresses.

Mais quel geste trouver pour bercer les ivresses

Et les tressaillements d'un triomphal réveil ?

Gomme à l'éparpillée, Les cent cloches mêlant leurs voix multipliées, A la fête tonnante au loin, sur les remparts, S'interpellaient et babillaient de toutes parts,

i3

l46 LES RYTHMES SOUVERAINS

Dans l'air de flamme ; Quand tout à coup, de large en long-, Balla le lourd et violent bourdon,

De Notre-Dame.

Dès ce moment, Sinueuses comme un embrasement, Du coin des carrefours et du fond des ruelles.

Vers leur tribun déconcerté.

Se mirent à s'orienter

Les foules éternelles.

Du centre d'un marché, de grands arcs empanachés Dardaient à leur fronton un millier d'oriflammes, Partit un chœur de femmes. Au col puissant, aux larges seins, Et dont les mains Soulevaient leurs enfants, très haut, droit devant elles, Afin d'unir

LE PEUPLE l47

Les gestes clairs de l'avenir A la fête torrentielle. Et les bourrerons bleus et les tabliers noirs

Envahissaient les longs trottoirs, Et les grilles des gymnases et des lycées Cédaient gaiement sous la poussée Jeune et franche des écoliers. Ceux des docks, des arsenaux, des ateliers Précipitaient leur multitude ardente et drue De rue en rue.

Et tout cela montait, montait, Du fond des carrefours, au long des avenues : On aurait cru parfois que les murs éclataient Sous cette marche énorme et continue ; Et les portes, les fenêtres et les balcons, Peuplés de bras tendus, bruyants de cris tenaces, Suivaient le mouvement trépidant et profond Qui emportait, vague à vague, toute la masse f Tasser ses blocs humains au cœur de la grande place.

l48 LES RYTHMES SOUVERAINS

Celui qui triomphait Attendait là, sur les terrasses, L'esprit flottant toujours de projet en projet.

Aussi long-temps qu'il fut vraiment le maître, La ville et sa détresse avaient grandi son être,

Mais aujourd'hui, Tant d'appels inconnus se projetaient vers lui, Qu'ils chaviraient son âme.

S ous les midis d'été criblés d'or et de flamme

Tout le peuple debout , Avec des cris jaillis, avec des gestes fous. Lui submergeait le cœur de ses vagues de joie ; La fête le domptait ; il devenait sa proie ; Il la voyait grossir encor, grossir toujours Et comme soulever les maisons et les tours, Pour entraîner soudain en ses transports fébriles Jusqu'à l'entêtement des choses immobiles ; Et tout au loin il regardait la vaste mer Pousser vers lui l'élan compact de sa marée

LE PEUPLE l49

Et se joindre, elle aussi, aux foules enivrées Avec sa houle et son vent large et ses flots verts.

L'orgueil était trop faible et trop pauvre en son torse, P our qu'il fît siens d'un coup ces grands rythmes de force, Si bien que, ne songeant qu'aux maux qu'il affronta, Gomme jadis, aux temps mauvais, il sanglota.

Un brusque arrêt se fit dans le vol des pensées ;

L'allégresse sentit sa fureur menacée;

En un instant, céda le lien aux longs fils d'or

Qui maintenait la ville et son tribun d'accord.

Les merveilleux remous de folie et de flamme

Effleurèrent son corps sans pénétrer son âme ;

Ils l'atteignaient pour le brûler de leur ardeur,

Et ne trouvaient que cendre au foyer de son cœur ;

Sa force à lui ne s'était point élucidée ;

Il n'était l'homme, hélas I que d'une seule idée.

Et la fête reprit plus rouge et rebondit D'un plus géant essor encor, par-dessus lui.

i3.

LA PRIÈRE

i

Q ue bondisse soudain mon âme aventurière Vers l'avenir, Et tout à coup je sens encor, Gomme au temps deTenfance, au ^ fond de moi, frémir L'aile qui dort Des anciennes prières.

D'autres phrases et d'autres mots sont murmurés, Mais le vieux rythme avec ses cris est demeuré,

Après combien de jours, le même ; Les temps l'ont imprimé aux sursauts de mon cœur, Dès que je suis allègre et violent d'ardeur,

Et que je sens combien je m'aime.

l54 LES RYTHMBS SOUVERAINS

O l'antique foyer dont survit l'étincelle !

0 prière debout ! 0 prière nouvelle !

Futur, vous m'exaltez comme autrefois mon Dieu,

Vous aussi dominez l'heure et l'âge nous sommes,

Mais vous, du moins, un jour, vous deviendrez les hommes

Et serez leur esprit, leur front, leur bras, leurs yeux.

Dussiez-vous être moins que ne le veut mon rêve, Que m'importe, si chaque fois Que mon ardeur vous entrevoit Elle s'attise et se relève.

Dès aujourd'hui mon cœur se sent d'accord Avec vos cris et vos transports. Hommes d'alors Quand vous serez vraiment les maîtres de la terre. Et c'est du fond du présent dur Que je dédie à votre orgueil futur Mon téméraire amour et son feu solitaire.

LA PRIÈRE l55

Je ne suis point de ceux

Dont le passé doux et pieux

Tranquillise Tâme modeste ; La lutte et ses périls font se tendre mon corps, Vers le toujours vivace et renaissant effort, Et je ne puis songer à limiter mes g-estes Aux seuls gestes qu'ont faits les morts.

J'aime la violente et terrible atmosphère tout esprit se meut, en notre temps, sur terre, Et les essais, et les combats, et les labeurs D'autant plus téméraires, Qu'ils n'ont pour feux qui les éclairent Que des lueurs.

Dites, trouver sa joie à se grandir soi-même, En ces heures ou de ferveur ou d'anathème Lorsque l'âme angoissée est plus haute qu'aux jours D'uniforme croyance et de paisible amour ; Dites, aimer l'élan, qui refoule les doutes, Dites, avoir la peur de s'attarder en route.

l56 LES RYTHMES SOUVERAINS

Et de n'être vaillant assez pour faire accueil Au jeune, alerte et dang-ereux org-ueil.

Dites, vouer à tous son verbe autoritaire. Qu'admirera peut-être et chantera la terre Quand elle en comprendra la fervente âpreté ; Donner un sens divin aux passions humaines Pour que leurs nœuds formidables fassent les chaînes Qui relient l'avenir, avec témérité, Au présent déjà surmonté.

Dites, ne reculer que pour bondir plus fort,

Au rebours de l'habitude qui est la mort ;

Savoir que d'autres mains imposeront la g-loire

Au front encor voilé des finales victoires.

Que le g-este qu'on fait n'est point pour notre temps.

Mais le faire quand même avec un cœur battant ;

Aimer toute œuvre s'ébauchent les destinées

Et pour les jours reviendraient l'ombre et l'effroi

LA PRIÈRE 167

Nourrir toujours, armer toujours, au fond de soij Une confiance acharnée.

Et g'uetter l'heure les soirs d'or. Réveillent, doucement, la belle aile qui dort

Des prières profondes Pour imprimer l'élan à la nouvelle foi, Qui fait du monde l'homme et de l'homme le monde. Et lentement s'impose et se condense en loi.

i4

LE NAYIRE

Nous avancions, tranquillement, sous les étoiles; La lune oblique errait autour du vaisseau clair, Et Vétagenient blanc des vergues et des voiles Projetait sa grande ombre au large sur la mer.

La froide pureté de la nuit embrasée Scintillait dans Vespace et frissonnait sur Veau ; On voyait circuler la grande Ourse et Persée Comme en des cirques d'ombre éclatante, là-haut.

Dans le mât d'artimon et le mât de misaine, De l'arrière à l'avant se dardaient les feux,

a.

1^2 LES RYTHMES SOUVERAINS

Des ordres, nets et continus comme des chaînes , Se transmettaient soudain et se nouaient entre eux.

Chaque ff este servait à quelque autre plus large Et lui vouait V instant de son utile ardeur^ Et la vague portant la carène et sa charge Leur donnait pour support sa lucide splendeur.

La belle immensité exaltait La gabarre, Dont Vétrave marquait les flots d'an long chemin, L'homme, qui maintenait à contre-vent la barre, Sentait vibrer tout le navire entre ses mains.

H tanguait sur V effroi, la mort et les abtmes, D'accord avec chaque astre et chaque volonté, Et., maîtrisant ainsi les forces unanimes, Semblait dompter et s'asservir V éternité.

I

TABLE

LE PARA.DIS 9

HERCULE 23

PKRSÉE . . , . . . . 35

SAINT JEAN 4?

LES BARBARES 6l

LA CROISADE 69

MARTIN LUTHER 79

MICHEL-ANGE 87

l'or 99

LIS MAITRE 107

LES ATTIRANCES II9

LA CITÉ 1 35

LE PEUPLE 143

LA PRIÈRE l53

LB NAVIRE 161

A CUE D'IMPE IMER le vingt-huit février mil neuf cent dix

PAR

BLAIS ET ROY

A POITIERS

pour le MERGVRE

FRANGE

MERCVRE DE FRANCE

XXVI, RVE DE GONDB PARIS-VI«

Paraît le i"' et le i6 de chaque mois, et forme dann l'année six volume».

Littérature, Poésie, Théâtre, Masique, Feintare. Soalptnre

Philosophie, Histoire, Sociologie, Sciences, Voyages

Bibliophilie, Soieuoes occultes

Gritlgne, L.ittératares étrangères, Re^ue de la Quinzaine

La Revue de la Quinzaine s'alimente à Tétranger autant qu'en France: elle offre un nombre considérable de documcntg, et constitue une sorte d' « en- cyclopédie an jour le jour » du monvement universel des idées. Elle se compose des rubriques suivantes :

Epilogue» (actualité): Remy deGour- Musique : Je«n Mamold.

mont. * Art moderne: Charles Morice.

Les Poèmes: Pierre Ouillard. Art ancien: Tristan Leclère.

Les Romans: Rachilde. Musées et Collections: Auguste Màr.

Littérature: Jean de Gourmont. guillier.

Littérature dramatique : Georges Chronique du Midi : Paul Souchon.

Po/ti ^ ,. Chronique de Bruxelles : G. Eekhoud

Littératures antiques : A.-Ferdmand Lettres allemandes: Henri Albert.

Herold. Lettres anglaises :RenTy.-ù,ï)9.VTai\

Histoire: Edmond Barthélémy . Lettres zia/icnne* : Ricciotto Canndû

Philosophie: Jules de Gaultier. Lettres espagnoles: Marcel Robin.

Psychologie : Gaston DanviUe Lettres portugaises : PhiléasLebessoe

Le Mouvement scientifique: Georges Lettrei hispano-américaines: Eu^e

^®°?\ . . , nio Diaz Romero.

Psychiatrie et Sciences médicales : r „<««*. «o'« ^^.^^^^m . n..«.*.;»<. ac

Docteur Albert Prieur . TZxT'^ ^ Demetrms As-

if^nn^ni'^^'''f7j}^''''^^\ Letires roumaines : Marcel Montan-

Ethnographie, Folklore : A. van .

Genncp. , ° ' « o- «

4rc/ieo/o^ie,Fo£/a^e*;GhartesMerki. -^^ f^* '"f*"' ^vf-T?^ ; . i.

Questions juridiques : José Théry. Ltf«r«;)o/onawe«; Michel Mutermilch.

Questions militaires et maritimes : '^*'^''«* néerlandaises :n.lAtsBex^^

Jean Norel. Lettres Scandinaves : P.-G. La Ghes-

Ouestions coloniales : Garl Si^er. °*^^ î Fritiof Palmér.

Questions morales et religieuses : Lettres hongroises : Félix de Gerandu.

Louis Le Cardonnei. Lettres tchèques : William Ritter.

Esoténsme et Sciences osychiques : France jugée à r Etranger : Lucile

Jacques Brieu. Duboit.

Les Bibliothèques : Gabriel Renaude. Variétés: X...

Les Revues: Charles-Henry Kirscn. La Curiosité: Jacques Daurelle.

Les Journaux : R. de Bury. Publications récentes : Mercure.

Les Théâtres: André Fonisiinas. Echos : MtTcuTt. Les abonnements partent nu premier des mois de janvier, avril,

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Poitien. Imprimerie du Mercure de France. BL/US et ROY, 7, rue Victor-Huirc

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